Perspective Actualité en histoire de l’art

2 | 2013 Le Brésil

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/perspective/3859 DOI : 10.4000/perspective.3859 ISSN : 2269-7721

Éditeur Institut national d'histoire de l'art

Édition imprimée Date de publication : 31 décembre 2013 ISSN : 1777-7852

Référence électronique Perspective, 2 | 2013, « Le Brésil » [En ligne], mis en ligne le 03 janvier 2014, consulté le 01 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/perspective/3859 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ perspective.3859

Ce document a été généré automatiquement le 1 octobre 2020. 1

L’histoire de l’art qui se forge au Brésil embrasse une variété d’objets exigeant des approches ambitieuses et expérimentales. Débattant avec les conventions historiographiques, elle se révèle ici connectée aux mondes anciens, nouveaux, parallèles et à venir puisqu’elle réinvente les catégories fécondes de l’art, des artefacts, de l’archéologie, du modernisme, du patrimoine, du baroque, du musée…

Ce numéro est vente sur le site du Comptoir des presses d'universités.

Perspective, 2 | 2013 2

SOMMAIRE

Pourquoi « l’histoire de l’art au Brésil » ? Marion Boudon-Machuel

Tribune

Joyeux tropismes : notes sur quelques singularités de l’histoire de l’art au Brésil Philippe Sénéchal

Débat

Fabrique et promotion de la brésilianité : art et enjeux nationaux Jorge Coli

Les musées brésiliens : une histoire de l’art alternative Guilherme Bueno, Gaudêncio Fidelis, Cristina Freire et Jean-Marc Poinsot

Du Musée des Origines au Museu Afro Brasil : réinventer l’institution artistique Stéphane Huchet, Vera Beatriz Siqueira, Edward J. Sullivan et Nelson Aguilar

Existe-t-il un art brésilien ? Luiz Marques, Roberto Conduru, Claudia Mattos et Mônica Zielinsky

Travaux

L’archéologie brésilienne au cours des vingt dernières années Pedro Paulo A. Funari

Le baroque colonisateur : principales orientations théoriques dans la production historiographique Jens Baumgarten et André Tavares

Histories of nineteenth-century Brazilian art: a critical review of bibliography, 2000-2012 Rafael Cardoso

Le modernisme brésilien, entre consécration et contestation Ana Paula Cavalcanti Simioni

L’architecture et l’urbanisme au Brésil, une réflexion sur trente ans d’histoire Margareth da Silva Pereira

Actualité

Réflexions sur la peinture de paysage au Brésil au XIXe siècle Pablo Diener

Perspective, 2 | 2013 3

Ouverture, actualité et équivoques : réactivations critiques et historiques du néoconcrétisme Patricia Leal Azevedo Corrêa

The Bienal Internacional de São Paulo: a concise history, 1951-2014 Isobel Whitelegg

L’art populaire brésilien : un art de la relation Els Lagrou et Marco Antonio Gonçalves

Les guides et inventaires patrimoniaux au Brésil Beatriz Mugayar Kühl

Un paysage en construction : les revues et l’histoire de l’art au Brésil Elaine Dias

Selected online resources Alexander Gaiotto Miyoshi

Perspective, 2 | 2013 4

Pourquoi « l’histoire de l’art au Brésil » ? Why “art history in Brazil”?

Marion Boudon-Machuel

NOTE DE L’ÉDITEUR

Cet article existe en traduction portugaise : Porque « a história da arte no Brasil »?

1 Qui connaît en France l’histoire de l’art qui se fait au Brésil ou dont l’art brésilien est l’objet ? Il faut l’admettre, bien peu de conservateurs et d’universitaires. Pourtant le projet de consacrer un numéro de Perspective à ce pays, après la Suisse, le Canada, la Grande-Bretagne, l’Espagne et les Pays-Bas, a suscité un réel enthousiasme de la part des spécialistes consultés et des membres des comités de la revue. Cet enthousiasme n’a rien de superficiel, il témoigne de l’intérêt pour le développement original et pour les spécificités de l’histoire de l’art au Brésil. L’historien de l’art français, s’il sait y regarder, devrait heureusement en être bousculé et stimulé ; l’exemple brésilien pourrait même nous conduire à réfléchir autrement à la discipline de notre pays.

2 Dès le sommaire de ce numéro, dont la composition peut sembler lacunaire au regard de la périodisation traditionnelle, l’histoire de l’art brésilienne se distingue de façon peut-être plus marquée que dans d’autres pays par ce qui est « histoire » et par ce qui est « art ». Les collègues américains se repéreront sans doute plus facilement dans ce paysage qui comporte des creux – il n’y est pas question d’art médiéval –, des bosses – le XIXe siècle est un terrain très étudié –, voire des montagnes – celle de l’art contemporain –, ou qui appelle un regard différent sur des objets qui ne rentrent pas dans le champ disciplinaire au sens strict. Sur les sujets les plus travaillés, le spécialiste du vieux continent est ainsi invité à sortir de son cadre, à modifier l’épicentre de l’analyse et à aborder l’art des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, voire même des XXe et XXIe siècles par un versant qu’il fréquente peu ou pas. Inversement, il doit aussi chercher à comprendre ce que peut être une histoire de l’art en négatif : comment enseigner l’art

Perspective, 2 | 2013 5

médiéval sans œuvre ? Comment dialoguer avec l’anthropologie ou la philosophie quand ces disciplines sœurs ont accueilli très tôt des objets, comme ceux produits par l’art indigène, que l’histoire de l’art n’a pas su traiter et a généralement ignoré ? Faut-il, comme certains chercheurs brésiliens, aller jusqu’à considérer que l’œuvre d’art n’existe pas au Brésil pour les périodes anciennes, ou peu s’en faut, et donc que l’historien de l’art brésilien doit se cantonner à participer à l’histoire de l’art européen ? Ces questions traversent le numéro et expliquent en partie certains articles à la limite de la ligne éditoriale de Perspective, les bilans historiographiques n’étant pas encore possibles à établir là où la production scientifique est embryonnaire voire inexistante. À travers les périodes et les thèmes abordés en profondeur ou, au contraire, qui brillent par leur absence, c’est la discipline elle-même qui est interrogée.

3 Lorsqu’il est question du Brésil, cette interrogation est d’autant plus présente qu’elle concerne les fondements et la structure mêmes de la matière. Cette dernière se caractérise en effet par son extrême jeunesse institutionnelle, si l’on considère comme un symptôme l’existence très récente et localisée d’un premier cycle en histoire de l’art. Les historiens de l’art brésiliens – c’est le cas pour la majorité des auteurs de ce numéro – ont d’abord reçu une formation d’historiens, de littéraires, d’anthropologues, de sociologues voire d’économistes, et parfois en histoire de l’art mais alors hors du pays. Nourris d’interdisciplinarité, ils le sont en outre d’internationalité avec l’aisance d’un peuple qui connaît de facto la question de l’autre et de la mixité culturelle. Ces chercheurs, qui ont pour une bonne partie d’entre eux suivi des études à l’étranger, voyagent beaucoup et nourrissent des collaborations fécondes avec de nombreux pays. À l’échelle du Brésil, la cartographie de la discipline est ainsi fortement contrastée, avec ici, une matière qui prend la forme encore bien timide d’un cycle complet ou qui s’affirme avec force depuis longtemps mais à partir du second cycle seulement, et là, une cohabitation avec d’autres sciences humaines dont l’histoire de l’art n’est parfois qu’une branche dépendante qui peine à s’imposer.

4 Cette diversité est renforcée par celle des musées et des expositions, qui, du musée des beaux-arts aux biennales d’art contemporain, en passant par des musées d’histoire, implantés dans les centres majeurs ou isolés en pleine forêt, constituent un terreau non moins varié de la réflexion sur l’objet de l’histoire de l’art quelle que soit son époque de production. Dans certains cas, l’invitation à penser autrement vient de la forme même de l’institution, comme celle remarquable, bien qu’atypique et surprenante pour le Brésil même, d’un musée qui expose la production artistique passée et présente d’une minorité, rappelant son histoire, interrogeant son actualité et posant à travers elle des questions qui divisent encore fortement la société. À l’heure où la mondialisation n’aide pas toujours l’histoire de l’art à se définir, le Brésil ouvre peut-être des voies.

5 Ce numéro de Perspective tend à le montrer : le Brésil n’est finalement pas une terre si éloignée, et l’histoire de l’art qui s’y développe, dans ses similitudes comme dans ses différences, pourrait bien nous servir d’exemple. Il serait intéressant notamment de questionner la validité des méthodes et des formations américaines et européennes qui ont pu servir les chercheurs brésiliens, en essayant de discerner ce qui a été ignoré, ce qui a été importé et qui a permis d’ensemencer l’histoire de l’art dans ce pays et sous quelles formes. Il est encore un peu tôt pour le faire, mais on pourra sans doute le mesurer dans quelques années, pourquoi pas, grâce à un second numéro de Perspective sur le Brésil ? L’évolution sans précédent qu’y connaît la discipline mérite quoi qu’il en soit d’être suivie de près.

Perspective, 2 | 2013 6

Tribune

Perspective, 2 | 2013 7

Joyeux tropismes : notes sur quelques singularités de l’histoire de l’art au Brésil Joyeux tropismes: notes on certain singularities of art history in Brazil

Philippe Sénéchal

1 Le Brésil est-il « condamné au moderne », comme l’affirmait en 1953 le plus grand critique d’art brésilien Mário Pedrosa1 ? Les triomphes des avant-gardes s’expliquaient en partie par l’absence de temps héroïques auxquels se référer – le baroque étant à cette époque parfois considéré comme trop lié à la domination de l’Église et d’un pouvoir oppresseur –, par la marginalisation relative de la culture indienne et afro- brésilienne, par le rejet d’une tradition académique subordonnée à des modèles européens dépassés mais aussi par le souhait de lier l’art à une politique progressiste en faveur des classes défavorisées.

2 Une telle projection vers le futur n’a jamais cessé. Le rôle central de plasticiens, de théoriciens, de critiques d’art, de curateurs et d’architectes brésiliens du XXe siècle et du XXIe siècle est de plus en plus reconnu par le village global et on voit poindre partout une relecture du modernisme et du postmodernisme qui intègre pleinement l’Amérique latine au lieu de penser seulement à un ping-pong Europe/États-Unis. Il pourrait en résulter au Brésil une fermeture à des perspectives historiques et à une hégémonie de l’art contemporain, voire à l’art actuel, au détriment des autres périodes, et donc une limitation de l’histoire de l’art dans ce pays, avec pour seuls autres domaines fertiles les études sur le baroque colonial et ses avatars et sur l’enseignement et les genres artistiques depuis la Mission française du début du XIXe siècle. De fait, par exemple, en l’absence de collections significatives et en dehors de permanences iconographiques ou de revivals architecturaux, l’examen du Moyen Âge occidental en cette terre tropicale tient de la culture hors-sol. C’est dire combien le développement de l’histoire de l’art – et d’une histoire de l’art qui prenne en compte l’ensemble des civilisations – est un défi pour les collègues brésiliens. Mais ce défi est en partie relevé.

Perspective, 2 | 2013 8

3 La crainte du provincialisme, parfois l’expérience de l’exil et une authentique xénophilie ont fait de la communauté des historiens de l’art brésiliens une des plus ouvertes sur la production scientifique internationale. D’une part, le Comitê Brasileiro de História da Arte (CBHA), qui organise tous les ans un colloque important, peut être considéré comme un des plus actifs au sein du Comité international d’histoire de l’art (CIHA)2. D’autre part, les initiatives pour faire traduire en portugais les classiques de la discipline, d’hier et d’aujourd’hui, se multiplient. Reste que les programmes doctoraux ne sont pas encore toujours suffisamment développés et que l’articulation entre le premier cycle d’études et la phase de recherche est loin d’être au point dans toutes les universités. Il a fallu, entre autres, l’obstination d’un Jorge Coli à Campinas pour que l’histoire de l’art soit reconnue comme un champ de recherche à part entière. Dans tout le pays, des collègues enseignent l’histoire et la théorie de l’art, tant au sein des universités que dans les écoles des beaux-arts, mais bien souvent ils ne peuvent offrir qu’une partie du cursus, tantôt le premier cycle seulement, tantôt seulement le niveau doctoral. C’est pourquoi on doit saluer comme un événement la décision toute récente d’accorder à l’Universidade Federal de São Paulo et à son jeune département d’histoire de l’art, dirigé par Jens Baumgarten, l’autorisation de créer un Programa de Pós- Graduação em História da Arte – Mestrado Acadêmico3. Il s’agira alors du seul établissement dans lequel on pourra suivre des études d’histoire de l’art de la première année au master, en attendant un développement vers les études post-doctorales, voire vers l’habilitation. Gageons que ce premier exemple incitera d’autres universités à emboîter le pas aux collègues paulistes.

4 En dépit – ou peut-être aussi à cause – de ses succès, l’histoire de l’art peine à se faire reconnaître au Brésil comme une discipline scientifique autonome, j’entends en dehors du parapluie protecteur de l’histoire. Un projet de loi, le PL 4699/2012, en cours d’élaboration, doit définir la profession d’historien. Une première version donnait à l’histoire de l’art un rôle ancillaire et faisait des études d’histoire au sens strict la seule voie professionnelle validée nationalement. Le débat n’est pas tranché, mais, à la suite de protestations puis de réunions pluripartites, des amendements sont en discussion4. De telles tensions corporatistes sont inévitables quand émergent des champs nouveaux et féconds.

5 Enfin, la volonté de transformer les institutions muséales a des effets contrastés. Saluons d’emblée l’extraordinaire Museu Afro Brasil, tonique et savant à la fois, créé par le sculpteur et conservateur de musée Emanuel Araújo dans le parc d’Ibirapuera à São Paulo. En revanche, on regrettera le démantèlement de l’accrochage inventif et subtil qui avait été réalisé pour les collections permanentes de la Pinacoteca do Estado de cette même ville dans le superbe bâtiment réaménagé par Paulo Mendes da Rocha. Mais le nouvel accrochage, pédagogique mais non moins stimulant, n’est rien par rapport au scandaleux traitement réservé à la collection de Francisco de Assis Chateaubriand au Museu de Arte de São Paulo. Non seulement on a supprimé toute trace – même sous forme de quelques exemples témoins – de l’accrochage brutaliste original, mais la sobre présentation qui la remplaça a été elle-même chassée depuis quelques années par un hideux, prétentieux et trompeur fourre-tout, où, par exemple, on peut voir Chardin dans une section intitulée « Romantisme ». Par contraste on louera l’initiative de l’Universidade de São Paulo de transférer en 2013 son Museu da Arte Contempôranea dans un bâtiment d’Oscar Niemeyer et d’y présenter bien plus efficacement que sur le campus les collections rassemblées, entre autres, par Ciccillo

Perspective, 2 | 2013 9

Matarazzo et Yolanda Penteado. À , plusieurs réalisations plus ou moins récentes sont à signaler. Le Museu Nacional de Belas Artes a très intelligemment mis en valeur l’art brésilien du XIXe siècle, en le plaçant dans une perspective européenne. Le Museu de Arte do Rio, inauguré cette année, fonctionne comme un musée historique de la ville et comme centre d’expositions offrant une superbe vitrine à des collections prestigieuses, comme celle rassemblée par Hecilda et Sérgio Fadel sur le modernisme brésilien5. Le 23 mars 2013 a ouvert Casa Daros, immense bâtiment néoclassique de 1866 réhabilité, qui devrait permettre en priorité des programmes éducatifs, des résidences d’artistes et la confrontation régulière d’un artiste brésilien et d’un artiste d’un autre pays latino-américain. Curieusement, les 1200 œuvres de la collection Daros (représentant 116 artistes latino-américains) resteront à Zurich. La collection permanente sera donc (bien moins visible) en Suisse et seules seront déplacées au Brésil les pièces présentées dans les expositions – la prochaine réunira l’Argentin de Paris Julio Le Parc et la Brésilienne Iole de Freitas. Il est encore bien sûr trop tôt pour savoir si la mayonnaise prendra et si cette institution réussira son pari éducatif, mais on ne peut que lui souhaiter le plus grand succès.

6 Il faudrait regarder bien plus finement que je ne le fais ici – et dans tous les états du pays – les projets muséographiques en cours ou achevés, mais, de manière globale, on a le sentiment que l’intérêt des pouvoirs publics et des organismes privés se recentre sur les civilisations latino-américaines. Cette fierté de montrer avec lustre un patrimoine trop longtemps minoré peut se défendre. Il faut juste que les Brésiliens soient conscients du risque de resserrement de leur perspective. Je ne dis pas qu’il est indispensable de faire naître une pléiade de musées montrant toutes les civilisations du globe comme tentent de le faire les émirats du golfe Persique, je souligne juste que le Brésil doit rester encore plus ouvert – et pas seulement le temps des biennales de São Paulo – aux œuvres étrangères en favorisant des acquisitions. Ce pays a quelques exemples de musées liés à des universités ; ces dernières devraient sans doute continuer leur mission en créant davantage de musées pédagogiques permettant d’asseoir un enseignement d’histoire de l’art complet.

NOTES

1. Même s’il a été un temps en exil en France et y a publié, Pedrosa n’est pas connu dans notre pays à sa juste valeur. Il serait souhaitable d’emboîter le pas au Museum of Modern Art de New York, qui a confié à Paulo Herkenhoff et à Glória Ferreira la confection d’une copieuse anthologie en langue anglaise, devant paraître en 2014. En outre, pour avoir une meilleure idée de l’ensemble de la production critique brésilienne, une traduction française d’un autre ouvrage dirigé par Glória Ferreira et paru sous forme bilingue espagnol/anglais, Arte contemporáneo brasileño : documentos y críticas = Contemporary Brazilian Art: Documents and Critical Texts (Saint- Jacques-de-Compostelle, 2009), serait la bienvenue. 2. Le XXXIIIe colloque du CBHA vient de se tenir à Rio de Janeiro, du 23 au 27 septembre 2013. Il avait pour thème « Arte e suas instituições ». Les actes des éditions antérieures depuis 2004 sont disponibles en ligne : www.cbha.art.br/coloquios_anteriores.html (consulté le

Perspective, 2 | 2013 10

15 novembre 2013). Le CBHA organisera un colloque international sous l’égide du CIHA en 2015 à Rio de Janeiro et sa candidature commune avec le Comité italien d’histoire de l’art pour l’organisation du 35e Congrès international d’histoire de l’art à Florence et à São Paulo (2019 et 2020) vient d’être retenue. 3. Fiche de recommandation sur l’APCS (Aplicativo para Propostas de Cursos Novos de Pós- Graduação) 9374 du CAPES (Coordenação de Aperfeiçoamento do Pessoal de Nível Superior) rédigée par la Commission de Secteur en date du 17 septembre 2013. 4. En la personne de celle qui le présida de 2010 à septembre 2013, Maria de Fátima Morethy Couto, le Comitê Brasileiro de História da Arte (CBHA), fut pour cela récemment convié à une réunion associant la Sociedade Brasileira de História da Ciência, la Sociedade Brasileira de História da Educação, l’Associação de Filosofia de História da Ciência do Cone Sul, la Federação de Arte Educatores do Brasil, et surtout l’ANPUH-Brasil - Associação Nacional de História, le tout à l’invitation de la Sociedade Brasileira para o Progresso da Ciência. Il reviendra à la nouvelle présidente du CBHA, Claudia Valladão de Mattos, et à ses collègues du bureau élu le 27 septembre dernier de poursuivre les négociations. 5. Les commissaires de « Vontade construtiva na Coleção Fadel » sont les grands spécialistes Paulo Herkenhoff et Roberto Conduru. Parallèlement, le Museu de Arte Moderna de Rio présente une sélection très significative des collections dont il est dépositaire, au premier rang desquelles les œuvres brésiliennes du XXe siècle rassemblées par Gilberto Chateaubriand.

INDEX

Keywords : art criticism, baroque, contemporary art, modernism, museum, museography, university Mots-clés : art contemporain, baroque, critique d’art, modernisme, musée, muséographie, université Index géographique : Brésil

Perspective, 2 | 2013 11

Débat

Perspective, 2 | 2013 12

Fabrique et promotion de la brésilianité : art et enjeux nationaux Creating and promoting Brazilianness: art and national implications

Jorge Coli Traduction : Cécile Lombard

NOTE DE L’ÉDITEUR

Cet article est une traduction de : Fabricação e promoção da brasilidade: arte e questões nacionais.

1 Première constatation : la production artistique du Brésil, depuis le début de son histoire, n’a jamais été fondée sur l’observation. Tant dans les arts plastiques qu’en littérature, artistes, intellectuels et écrivains, aveugles à la réalité de ce qui les entourait, se sont enfermés dans un monde imaginaire.

2 Cette remarque liminaire, simple et générique annonce les caractéristiques fondamentales de l’art brésilien ; cette spécificité est issue de croyances idéologiques, et en particulier de la notion d’identité nationale et de racines. Ces fictions, ces constructions de l’esprit, ces fabulations sont bien ancrées dans les perceptions et les attentes des individus, comme celles des groupes humains, dans les comportements individuels et collectifs, les formes de pensée et la conception du monde. En ce qui concerne l’histoire des arts, une forte tendance au nationalisme a également de tout temps remplacé l’examen et l’analyse approfondie de son objet.

3 Par conséquent, si nous considérons deux catégories de production artistique, celle construite à partir de l’imaginaire et celle issue de l’observation, nous pouvons avancer que, dans la culture du Brésil, la première est infiniment plus forte.

4 Le bref épisode de l’occupation néerlandaise du Nordeste au XVIIe siècle1, au temps où le Brésil était une colonie portugaise, de 1500 à 1822, nous fournit un élément de comparaison : les œuvres d’art exécutées au Brésil par les Néerlandais s’appuyaient sur l’observation immédiate, in praesentia ; c’était l’une des plus riches particularités de ces

Perspective, 2 | 2013 13

artistes protestants, modernes, à l’esprit scientifique. Frans Post, par exemple, même lorsqu’il peignait le Brésil de mémoire après son retour aux Pays-Bas, a toujours fourni un témoignage de la réalité. Sur les trois siècles pendant lesquels le pays fut une colonie portugaise, la plupart des documents historiques visuels relatant la vie quotidienne d’alors datent des huit ans pendant lesquels Maurice de Nassau a gouverné le Nordeste.

5 A morte do Padre Filipe Bourel, un tableau singulier et l’un des rares exemples de peinture coloniale à échapper aux thèmes religieux canoniques, offre un contraste évident avec cette production hollandaise « réaliste » (XVIIIe siècle, Rio de Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes). Le catalogue du musée l’attribue à un auteur inconnu de l’« École portugaise » du XVIIIe siècle2, et certaines hypothèses le situent aux alentours de 1730. Le déchiffrage iconographique en est fascinant3. La localisation sur une colline près de deux cités fortifiées (dont il n’existe aucun équivalent dans l’architecture du pays) et les palmiers exotiques clairement identifiables comme des dattiers – espèce non- endémique au Brésil mais chargée en résonances symboliques intenses (arbre du Paradis, fuite en Égypte, métaphore de la croix) ; le perroquet, oiseau exotique qui est certes une réalité abondante au Brésil, mais qui reprend surtout l’image de la parole missionnaire utilisée, par exemple, par le père Andrea Pozzo au plafond de l’église Saint-Ignace-de-Loyola à Rome pour illustrer l’Allégorie du travail missionnaire des Jésuites4 ; la cahute, refuge précaire du missionnaire à l’agonie, abri de bois dont la fragilité s’oppose à la solidité des cités aperçues au loin, dévoile les principes de la culture érudite et humaniste sur lesquels repose le tableau. Pour le peintre, il ne s’agissait en aucune façon de reproduire empiriquement une cabane brésilienne typique au toit de feuilles, et encore moins une hutte traditionnelle indienne (que les dessins, dès les premières illustrations des Aventures de Hans Staden au Brésil, montraient totalement différente, avec une toiture végétale semi-cylindrique). Au lieu de chercher une référence locale, l’artiste a procédé par raisonnement humaniste classique : je dois représenter un habitat primitif, donc je cherche l’autorité qui me fournit son modèle. Il n’en existe qu’une, Vitruve. Le prototype de la cabane provient nettement de d’éditions illustrées de De Architectura datant de la Renaissance.

6 Rien n’a changé au XIXe siècle. Après l’indépendance de 1822 et la constitution de l’empire, il fallait fabriquer un projet historique – construire une histoire pour la nouvelle nation – qui s’appuie sur des institutions scientifiques (y compris l’Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro créé en 1838), mais aussi sur des formes plus diffuses de la culture.

7 À l’époque du romantisme surgit un courant artistique et littéraire dont les conséquences s’étendaient au-delà du champ culturel proprement dit pour déborder, avec force idéologie, sur l’histoire et l’historiographie : l’« indianisme », mouvement qui rendait hommage aux indigènes en leur attribuant noblesse, force héroïque et caractère orgueilleux5. Cet Indien idéalisé était bien entendu purement imaginaire, et son exaltation culturelle coïncidait dans le temps avec le début de l’extermination des autochtones, qui s’est prolongée jusqu’au XXe siècle.

8 L’Indien fantasmé, devenu un symbole, incarne la noblesse ancestrale revendiquée par les Brésiliens. Il permettait aussi de faire abstraction du passé colonial, en offrant une origine autochtone et supérieure. Cette image était présente jusque dans la symbolique officielle : le manteau de couronnement de l’empereur Pedro I était recouvert de plumes de toucan comme si l’empereur recevait cet insigne de pouvoir des habitants ancestraux du pays, effaçant ainsi les siècles de colonisation. Il existe un tableau

Perspective, 2 | 2013 14

anonyme, exposé à Tiradentes au Musée Padre Toledo de la fondation Rodrigo Mello Franco de Andrade, qui montre bien le caractère institutionnel de ces procédés allégoriques: devant l’empereur s’agenouille l’Indien, personnification de l’empire brésilien. Le jeune empire autonome renforçait ainsi l’expression de son indépendance vis-à-vis de l’ancienne métropole. Dans les caricatures des journaux du XIXe siècle, l’Indien, souvent présenté comme « Monsieur Brésil », incarnait le pays en tant qu’acteur dans diverses situations politiques.

9 Cette glorification de l’indigène comme force suprême, entité ancestrale, a eu une incidence sur un autre aspect que nous n’avons pas encore évoqué : elle a fait barrage à la représentation du Noir dans les arts du pays. Les Africains, arrivés au Brésil en tant qu’esclaves, à la différence des Indiens pour qui ce territoire était leur habitat naturel, faisaient partie du quotidien brésilien tant à la campagne qu’en ville. Perçus comme inférieurs, ils étaient en outre la manifestation permanente d’un archaïsme qui se faisait de jour en jour plus insupportable : l’esclavage ne fut aboli qu’en 1888. Grâce à l’Indien, le Noir était mis à l’écart de l’imaginaire collectif et, sauf exception, la littérature et les arts plastiques lui ont accordé peu de place.

10 Ce sont plutôt les artistes étrangers, et surtout les Français, qui se sont attachés à figurer des types et des comportements de la société brésilienne du XIXe siècle. Après la chute de Napoléon, la cour portugaise, qui avait fui Lisbonne au moment de l’invasion du Portugal par l’armée du général Junot, a prolongé son séjour à Rio de Janeiro, devenue capitale du royaume de Portugal, situation historique connue comme « l’inversion de la métropole ». Très fermé aux étrangers au temps de la colonie, le pays ouvrait alors ses frontières et, en 1816, un groupe d’artistes français conduit par Joachim Lebreton a débarqué à Rio de Janeiro, formant la fameuse Mission artistique française.

11 Deux de ces peintres ont joué un rôle fondamental dans le portrait du Brésil de cette époque : Nicolas-Antoine Taunay et Jean-Baptiste Debret, formés tous deux par Jacques- Louis David, dont Debret était le cousin. Taunay a repris le thème du paysage, interrompu depuis l’œuvre de Frans Post, et a peint des vues admirables de Rio de Janeiro. Debret, dans son Voyage pittoresque et historique au Brésil, ou Séjour d’un artiste français au Brésil, depuis 1816 jusqu’en 1831 inclusivement6 – constitué de 153 planches réalisées dans une visée proprement anthropologique –, relate un quotidien carioca7 sans euphémismes et fournit des documents visuels qui montrent la terrible situation des esclaves noirs, victimes de châtiments atroces. Comble de l’ironie, ces Français qui ont importé au Brésil les pratiques néoclassiques furent au XIXe siècle perçus par les « modernes » au XXe siècle comme des « ennemis » : on les accusait de falsifier la culture nationale, alléguant que le passé artistique « véritablement » brésilien était le baroque « authentique », comme si le baroque lui-même ne trouvait pas ses racines en Europe...

12 En fait, ce furent toujours les artistes étrangers qui ont peint la réalité du Brésil, entre autres les Anglais Edwin Landseer et Chamberlain, l’Autrichien Thomas Ender, le Bavarois Johann Moritz Rugendas et le Prussien Ferdinand Theodor Hildebrandt. Tous ont produit des images d’une véritable qualité artistique, mais aussi d’un grand intérêt documentaire. Sans eux, l’histoire n’aurait aucune documentation visuelle du pays, de ses habitants et de leurs comportements pour une bonne partie du XIXe siècle. Pendant ce temps, les artistes brésiliens se consacraient à la noble construction d’une belle histoire, dans laquelle les Indiens, sublimes de caractère et de sacrifice, faisaient l’objet de représentations grandioses : Moema de , qui ressurgit dans une

Perspective, 2 | 2013 15

sculpture importante du même nom de Rodolpho Bernardelli ; Marabá de Rodolpho Amoedo et O último Tamoio du même artiste ; Iracema de José Maria de Medeiros (inspiré du roman homonyme de José de Alencar – notons que Iracema est l’anagramme de « America ») ; la grande sculpture en terre cuite, Alegoria do Império Brasileiro de Chaves Pinheiro, pour ne citer que quelques exemples célèbres8. Ce n’est qu’à la fin du siècle qu’Almeida Júnior, peintre de Saõ Paulo, marqué par Gustave Courbet, a prêté attention au personnage du paysan de l’État de São Paulo, construisant son œuvre à partir du vécu et de l’observation.

13 Au moment de l’exaltation de l’indigène s’est forgé un autre mythe idéologique : celui de la fusion des trois « races ». À l’Indien, resté sans conteste le grand protagoniste ancestral, se sont ajoutés le Portugais et le Noir, dans un métissage harmonieux. Mythe qui fut conforté par le surgissement en 1936 – période de forte idéologie nationaliste – de « l’homme cordial » créé par Sérgio Buarque de Hollanda, qui définit le trait psychologique positif du Brésilien9. Cette allégorie fut récemment reprise, en 1995, et avec force, par l’écrivain Darcy Ribeiro dans O povo brasileiro, qui présente une version dramatique de ce métissage sans pourtant démystifier le résultat final, à savoir la fusion des trois matrices de base qui constituent « le Brésilien »10, une synthèse qui exclut, par présupposé, tous les « étrangers » : les nombreux immigrants italiens, japonais, allemands, coréens, etc., arrivés à la fin du XIXe siècle et qui ont totalement remodelé la géographie humaine du pays au XXe siècle.

14 Certaines œuvres d’art ont fait beaucoup pour corroborer cette thèse, en particulier deux toiles de Victor Meirelles, A primeira missa no Brasil (1860, Rio de Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes) et A batalha dos Guararape (1872-1877, Rio de Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes). La première, réalisée à Paris et exposée au de 1861, s’inspira d’un document historique, la Lettre de Pero Vaz de Caminha, dans laquelle l’écrivain de bord de la flotte lusitanienne, commandée par Pedro Álvares Cabral, relate au roi du Portugal la découverte du Brésil en 1500. Célébré au XIXe siècle, ce texte, une narration remarquablement vivante publié seulement en 181711 – c’est-à-dire au moment où il devenait nécessaire d’identifier un document fondateur de la nouvelle histoire –, devint « l’acte de baptême de la Nation », selon un historien de l’époque. La décision du jury du Salon d’accepter le tableau fut un événement important : pour la première fois, un peintre brésilien, qui avait reçu une bourse du gouvernement impérial, était reconnu par une institution européenne prestigieuse. Dans cette œuvre, Meirelles représente la rencontre pacifique entre les nouveaux venus et les indigènes lors d’une cérémonie chrétienne à ciel ouvert à laquelle participe toute la nature. Le second tableau, A batalha dos Guararape, une immense toile (494,5 x 923 cm), relate un combat réunissant en 1654 Portugais, Indiens et Noirs contre l’envahisseur hollandais, ultime bataille qui mit fin à l’occupation. Cette union, revendiquée par l’histoire du pays comme la première manifestation d’une « brésilianité » effective, est proclamée en grande pompe par la peinture de Meirelles.

15 Au début du XXe siècle, hormis donner une forme nouvelle aux œuvres et une irrévérence amusante aux discours, les « modernes » n’ont pas modifié grand-chose à cette vision : en 1928, l’écrivain moderniste Oswald de Andrade publia son « Manifesto Antropofágico »12 et Mário de Andrade son roman Macunaíma13. Tous deux réitèrent la célébration de l’indigène, et le roman réaffirme le mythe matriciel des « trois races ».

16 Une œuvre d’exception illustre les procédés modernistes, en ce qu’elle témoigne de la présence africaine dans le pays : A negra, toile de Tarsila do Amaral peinte à Paris en

Perspective, 2 | 2013 16

1923, fut réalisée en plein apogée de l’art nègre. Ce tableau occupe une place iconique dans l’art brésilien en tant qu’expression authentique d’une négritude nationale. Pourtant, le caractère allégorique de cette image – forte et magnifique au demeurant – qui projette le personnage dans un univers fantastique, exclut bien évidemment une quelconque référence à un réalisme individuel ou social.

17 Ajoutons que la présence des Noirs dans l’art ne supplante jamais, du moins dans la première moitié du XXe siècle, celle de l’Indien mythique. Le cas d’Emiliano Di Cavalcanti est remarquable. Cet artiste a exploité la mythologie érotique de la mulâtresse – objet de désir sexuel emblématique au Brésil – en lui conférant un traitement d’inspiration « moderne ». Ses célèbres métisses, si nombreuses et si prisées des collectionneurs, constituent un exemple d’« esprit brésilien » dans lequel la récupération de la présence noire se fait en accordant aux belles femmes métissées le rôle d’objet sexuel.

18 Bien entendu, l’histoire de l’art est partie prenante de cette idéologie nationaliste. À la fin du XIXe siècle, Gonzaga Duque14, la première personnalité marquante de l’histoire de l’art au Brésil, publia Arte Brasileira, un ouvrage essentiel qui dresse un bilan historique de la production artistique du pays, qu’il condamne, avec un parti pris moderne, comme étant conventionnelle, archaïque et dépassée. Sans originalité, écrit-il, ressassant des formules usées, cet art qui naît vieux doit être renouvelé en s’appuyant sur des formes d’expression proprement brésiliennes. Duque affirme avec insistance que le monde artificiel présenté par les artistes est incapable de donner naissance à une école « authentiquement nationale ». Par conséquent, il souhaite l’avènement d’un art qui dépasse les thèmes rebattus et trouve par là une forme à la fois moderne et spécifiquement brésilienne. Son livre a annoncé sans aucun doute les positions modernistes qui ont surgi au début du XXe siècle.

19 L’histoire culturelle convenue du Brésil signale 1922 comme l’année où le mouvement moderniste voit le jour. Il est sûr que des expériences « modernes » ont eu lieu avant cette date, mais la Semaine d’art moderne, qui s’est déroulée à l’opéra de São Paulo (Theatro Municipal de São Paulo), réunissait les conditions pour choquer une ville de province dont le noyau intellectuel et culturel avait très peu augmenté malgré la croissance de la population, grâce aux immigrations diverses, de 65 000 habitants en 1890 à 580 000 en 1920. Si les œuvres musicales, littéraires et plastiques présentées n’étaient pas d’un avant-gardisme outrancier, elles étaient suffisamment innovantes pour provoquer un scandale retentissant. C’est au beau milieu de la confusion que s’est affirmée la personnalité marquante de Mário de Andrade, le principal théoricien du mouvement, qui militait pour un art brésilien débarrassé de l’exotisme romantique, prêt à découvrir ses racines profondes et, ainsi, à devenir moderne et actuel.

20 Tout comme à l’époque de l’indianisme du XIXe siècle, cette préoccupation nationaliste était le fruit de stimuli venus de l’étranger : les exigences du primitivisme barbare dont les Européens étaient si friands obligeaient les artistes du pays à produire l’art « sauvage » que l’on attendait d’eux, ce qui confortait les Brésiliens dans leur croyance que cette barbarie était leur essence spécifique et naturelle.

21 Macunaíma, le roman – ou la rapsodie – de Mário de Andrade dont la fiction combine des éléments mythologiques et des traits culturels de toutes les régions du Brésil, fut publié en 1928, en même temps que son Ensaio sobre música brasileira, un livre à caractère théorique qui établit des fondements outrepassant largement le champ musical pour proposer des bases normatives à une pratique générale des arts15. Ainsi,

Perspective, 2 | 2013 17

avec ces deux ouvrages, l’auteur associait le projet théorique et l’exemple pratique. Ces textes prônent l’idée qu’il faut éliminer tout régionalisme pour favoriser une synthèse (que l’auteur était sans doute convaincu de posséder en lui), sans compter, bien entendu, la tendance propre à tout nationalisme, qui est de gommer les différences de classe au bénéfice d’une identité nationale.

22 Ces positions étaient prises à l’époque de l’affirmation des pouvoirs totalitaires tant en Europe qu’en Amérique latine. Inutile d’insister sur les affinités entre ces convictions et la dictature des années 1930 de Getúlio Vargas, qui savait enrégimenter les nationalismes d’origines diverses pour les mettre au service de son gouvernement autoritaire. Heitor Villa-Lobos (qui avait participé à la Semaine d’art moderne), après un séjour en Europe où il avait cherché à faire des expériences musicales plus libres et audacieuses, marquées par des traits exotiques attendus par le public européen – à l’époque de ses Choros –, rentra au Brésil et devint le grand compositeur du régime : il créa dans les écoles d’immenses chorales d’enfants et de jeunes, composa des œuvres patriotiques et participa fortement au retour à l’ordre avec ses Bachianas (« à la manière de Bach »), dans lesquelles il mêla l’inspiration du maître de Leipzig à des traits « brésiliens ». Mário de Andrade lui-même fut appelé à Rio de Janeiro à une fonction de conseiller du ministre de l’Éducation, Gustavo Capanema, également chargé des questions culturelles. À son tour, Cândido Portinari, lié à l’histoire du parti communiste, fut invité à concevoir la décoration du siège du ministère de l’Éducation et de la Santé commencée en 1944 et terminée en 1947, dont l’architecture, inspirée du projet de Le Corbusier, fut réalisée par Lúcio Costa, chef d’une équipe d’architectes qui comptait également Oscar Niemeyer. Des sculpteurs de l’envergure de Bruno Giorgi et Jacques Lipchitz, ainsi que le paysagiste Roberto Burle Marx, s’associèrent à cette entreprise, qui officialisa le statut des modernistes.

23 Les prises de position théoriques nationalistes de Mário de Andrade présupposaient deux ennemis principaux. Le premier était le prestige de la culture internationale, européenne et surtout française, une culture très présente au Brésil : il fallait se protéger des influences indésirables, qui trahissaient ce qu’il voyait comme une « essence » nationale. Le second, plus délicat et d’inflexions sociales plus complexes, était l’affluence des centaines de milliers d’immigrants italiens, japonais, allemands et syro-libanais, entre autres origines, qui, en choisissant de s’établir dans la ville même ou dans l’État de São Paulo, atteignaient directement l’univers géographique de Mário de Andrade et de ses amis modernistes. Le mythe fusionnel et organique des trois « races » servait également à exclure les divers apports non-brésiliens de ces immigrants et à exiger d’eux une intégration à l’idéal national qui impliquait le sacrifice de leurs propres cultures.

24 Les principes théoriques et idéologiques issus des fondements de cette « culture brésilienne » créée au XIXe siècle ont donc été repris par le mouvement moderniste au XXe siècle. Cette construction, totalement idéologique, fut vécue collectivement – et l’est encore maintenant en grande partie – comme un trait organique, ontogénique. Le mythe des « trois races » était bien utile pour exclure la culture des immigrants, tous affligés du même handicap, celui d’être des travailleurs manuels ou des petits commerçants, au contraire de l’élite locale qui se glorifiait de ses origines luso- indigènes (jamais africaines) sur fond d’aristocratie, inspirant les modernes. C’était aussi un moyen de marteler de façon persistante et répétitive une idéologie sentimentale collective.

Perspective, 2 | 2013 18

25 C’est dans cet esprit que Mário de Andrade a inventé une histoire de l’art téléologique, en procédant à une ingénieuse révision du passé. Elle est déjà constituée dans son Ensaio sobre música brasileira, où il dit vouloir consolider un « esprit de race » et imagine, grosso modo, de diviser la création artistique brésilienne en trois phases, à commencer par la période qu’il appelait « inconsciente ». Au cours de l’histoire, les créateurs se sont laissé pénétrer à leur insu par un esprit brésilien. Le chercheur doit donc s’efforcer d’identifier – par exemple, chez José Maurício, compositeur important de la cour portugaise à Rio de Janeiro – des traits de la brésilianité. Tel est le rôle essentiel de l’historien de l’art : détecter les caractéristiques brésiliennes. Puis vient la période « volontariste » pour employer le terme de Mário de Andrade, à laquelle lui-même et ses contemporains participaient. Il fallait « vouloir être » brésilien, se discipliner et s’inspirer de thèmes brésiliens à partir de recherches de préférence dans une perspective anthropologique. Enfin, Mário de Andrade prévoyait un avenir pleinement national : « elle [la musique, et implicitement tous les arts] devra encore s’élever jusqu’à la phase que j’appellerai culturelle, librement esthétique, sans jamais perdre de vue qu’il n’est pas de culture qui ne reflète les réalités profondes du pays où elle est produite. Et alors notre musique sera, non plus nationaliste, mais simplement de chez nous, dans le sens où sont de chez eux un géant tel que Monteverdi ou un mollusque tel que Leoncavallo »16. Les artistes contemporains devraient donc faire un effort pour être « de chez eux » avant de le devenir « naturellement ».

26 L’histoire de l’art proposée par Mário de Andrade prétendait chercher des indices « nationaux » dans les œuvres du passé. Il s’agissait donc de découvrir des précurseurs, des artistes qui, la plupart du temps à l’encontre de leur propre intention d’obéir aux modèles européens, avaient intégré dans leurs spécificités et leur style des traits typiques brésiliens ; en somme, des agents inconscients de la brésilianité contre les grandes références internationales. Mário de Andrade avait tracé un vecteur dans le temps : plus l’auteur était ancien, plus les marques de brésilianité étaient faibles. À mesure qu’une culture brésilienne s’affirmait progressivement, ces signes se faisaient plus notables. Peu importait la qualité des œuvres. Mário de Andrade redisait avec insistance sa méfiance envers le génie : une personnalité créatrice exceptionnelle, avec ses particularismes, nuit au progrès collectif « moyen » de la création artistique. Une « moyenne » qui devient le point crucial de la question : les œuvres significatives qu’une histoire de l’art et de la culture doit prendre en compte ne sont pas les plus innovatrices, les plus élaborées, les plus inventives et extraordinaires. Ce qui compte, c’est le degré de brésilianité, plus ou moins important, plus ou moins précoce ; plus elles échappent aux modèles internationaux, meilleures elles sont.

27 Cette simplification s’appuyait sur des prémisses à forte teneur idéologique puisqu’il s’agissait de définir ce qui était ou non brésilien, le principe axiomatique le plus profond des particularités nationales.

28 En mettant en avant les déficiences techniques, ces formulations théoriques ont eu pour conséquence notable de valoriser le caractère rudimentaire, le manque d’habileté des artistes brésiliens dans la pratique de leurs arts respectifs. Des défauts ou des maladresses qui, comparés au savoir-faire et à la dextérité étrangère, pourraient révéler une carence, mais s’analysent, en vérité, comme des manifestations d’une « âme » artistique brésilienne, des nœuds de résistance face à la maîtrise technique montrée dans les centres internationaux. Le goût diffus de l’époque pour un

Perspective, 2 | 2013 19

primitivisme généralisé – au plan international – a bien entendu apporté un appui non négligeable à ces partis pris.

29 L’un des meilleurs instruments de caractérisation nationale a été le folklore, à la fois source d’inspiration artistique et objet de recherche, en premier lieu pour l’érudit polymorphe Mário de Andrade, également ethnologue, anthropologue et folkloriste. L’art moderne brésilien n’a sans aucun doute pas été le seul à se tourner vers le primitivisme et l’archaïsme, mais il faut souligner l’extrême importance que ces notions ont revêtue pour lui.

30 La théorie évolutionniste de Mário de Andrade s’accompagnait paradoxalement d’une négation de l’histoire, remplacée par ce que l’on pourrait appeler une anthropologie atemporelle, dont on trouve aussi la manifestation dans la pensée de Lúcio Costa, architecte et urbaniste qui s’est lancé dans l’histoire de l’architecture brésilienne, publiant très tôt « O Aleijadinho e a Arquitetura Tradicional » en 192917, puis Documentação necessária18 en 1937 et enfin Considerações sobre a arte contemporânea en 195219, trois ouvrages dont les interprétations ont marqué et marquent toujours certaines pratiques de déchiffrage des œuvres. Ces textes s’accordent aux vues de Mário de Andrade. Le génie du sculpteur du Minas Gerais connu sous le nom d’Aleijadinho ne participe pas « à l’esprit général de notre architecture », affirme Costa. Pour lui, le point de référence de la brésilianité est l’architecture vernaculaire, domestique, à savoir la maison coloniale. Marcelo Puppi a fait une remarquable analyse dans son Por uma história não moderna da arquitetura brasileira, concluant à ce propos que Costa « prétend instaurer une anthropologie de l’architecture ; ce n’est pas un hasard si celle-ci rend inutile la connaissance effective de l’histoire de sa discipline : l’histoire anthropologique élimine l’histoire historique. La recherche du traditionnel – c’est-à- dire le retour aux racines culturelles de la nation – équivaut à la recherche de notre architecture primitive »20. C’est donc le passé colonial, instrument de lutte contre les modes étrangères et délétères du XIXe siècle, qui doit inspirer les architectes du présent.

31 Ces dogmes ne pouvaient manquer d’avoir des incidences sur la conservation du patrimoine, dont la plus significative est sans doute le maquillage des cités historiques de l’État du Minas Gerais, telles que Tiradentes ou Ouro Preto, où, sous prétexte de préservation, les apports des XIXe et XXe siècles ont été éliminés et où fut imposé aux constructions nouvelles le style du XVIIIe siècle.

32 S’en suivirent des conséquences également sur les analyses du baroque. La plus importante fut un effet de repli, causée par une recherche axée uniquement sur des processus génétiques et évolutifs internes en refusant les pratiques comparatives avec le reste du monde. Lorsque Germain Bazin séjourna au Brésil en 1945, dans l’élan de la politique culturelle du ministre Capanema, pour développer ses travaux sur l’art et l’architecture baroques, il s’aligna sur les normes nationalistes. La même chose se produisit bien plus tard dans le livre d’Yves Bruand Arquitetura contemporânea no Brasil21, premier ouvrage systématique sur le sujet, mais qui adhère aux thèses brésiliennes existantes. Indépendamment des mérites indiscutables de ces auteurs français, leurs horizons demeurent ceux déjà établis par l’idéologie du pays.

33 Cette idéologie a cependant tremblé dans les années 1950, une période de progrès industriel et de prospérité économique entraînant une ouverture importante sur l’extérieur. Ainsi, le Museu de Arte de São Paulo nouvellement créé a rapidement acquis et exposé une collection de chefs-d’œuvre universels, et la première Bienal Internacional de São Paulo en 1951 a mis les artistes brésiliens en lien avec la

Perspective, 2 | 2013 20

production artistique mondiale. Événements marquants mais insuffisants pour s’imposer idéologiquement, et que le coup d’État de 1964 a mis en sourdine, en reprenant à son compte le projet nationaliste.

34 Pour diverses raisons, l’histoire de l’art au Brésil ne s’est affirmée comme une discipline universitaire solide et autonome que très tard, dans les années 1990. Plusieurs programmes de doctorat furent alors créés, ainsi que, ces dernières années, quelques diplômes spécifiques. Avant cela, les études étaient réalisées par des érudits de formations des plus variées, qui nous ont laissé des ouvrages précieux, mais qui ne possédaient pas l’esprit systématique et critique nécessaire.

35 Depuis cette évolution capitale, de jeunes historiens de l’art formés selon des principes de rigueur intellectuelle se sont tournés vers un travail exempt de préjugés nationalistes et actualisé au plan international. Beaucoup se sont consacrés à l’étude d’œuvres étrangères, surtout celles qui appartiennent aux collections brésiliennes, mais pas seulement. D’autres se sont passionnés pour des œuvres suscitées par la présence culturelle des immigrants et qui n’avaient pas éveillé l’intérêt jusque-là, par exemple la sculpture monumentale italienne du XXe siècle. Par-dessus tout, l’art brésilien est à présent replacé dans un contexte international, soit par l’étude comparative, soit par le travail sur les archives effectué à l’extérieur du pays sur des artistes brésiliens ayant voyagé. Il est impossible d’énumérer la variété de ces travaux récents qui ont apporté un nouvel élan à l’histoire de l’art du Brésil et fourni de nouveaux éléments de compréhension.

NOTES

1. Après avoir pris en 1624 la ville de Salvador de Bahia, qu’ils n’ont occupée qu’un an, les Hollandais se sont emparés du Pernambouc en 1630 et ont contrôlé le Nordeste pendant près de vingt-quatre ans. Entre 1637 et 1644, lorsqu’il est rentré en Europe, le comte Maurice de Nassau a occupé le poste de gouverneur des territoires conquis et à conquérir par la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales au Brésil. Excellent administrateur, il était aussi un humaniste venu dans l’intention de développer un projet scientifique et artistique. Entouré des érudits et des artistes qu’il avait emmenés, il a créé un musée d’histoire naturelle, un jardin botanique, un jardin zoologique et un observatoire astronomique. 2. Alcídio Mafra Souza éd., O Museu Nacional de Belas Artes, São Paulo, 1985, p. 238. 3. Voir Jorge Coli, « Episódio e alegoria », dans Anuário do Museu Nacional de Belas Artes, v. 1, 2009, p. 105-128. 4. Voir Erwin Panofsky, Problems in Titian: Mostly Iconographic, New York, 1969, p. 28-29. 5. Les noms les plus importants de la littérature, entre autres, sont, pour la prose, José de Alencar avec ses romans O Guarani (1857), Iracema (1865) et Ubirajara (1874) ; pour la poésie épique, Gonçalves Dias avec I-Juca-Pirama (1851) et Os Timbiras (1856), ainsi que Gonçalves de Magalhães avec A confederação dos Tamoios (1856). En peinture, un peu plus tardivement, on trouve Victor Meirelles, et Antônio Parreiras. Une place importante doit être réservée au compositeur Antonio Carlos Gomes, qui a représenté à la Scala de Milan l’opéra Il Guarany en 1870, tiré du roman d’Alencar, et créé Lo Schiavo à Rio de Janeiro en 1889.

Perspective, 2 | 2013 21

6. Jean-Baptiste Debret, Voyage pittoresque et historique au Brésil, ou Séjour d’un artiste français au Brésil, depuis 1816 jusqu’en 1831 inclusivement, Paris, 1834. 7. Adjectif employé pour faire référence à Rio de Janeiro. 8. Victor Meirelles, Moema (1866, São Paulo, Museu de Arte de São Paulo), inspiré du poème épique de Santa Rita Durão, Caramuru (1781) ; Rodolpho Bernardelli, Moema (1895, Pinacoteca do Estado de São Paulo) ; Rodolpho Amoedo, Marabá (1882, Rio de Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes), inspiré du poème homonyme de Gonçalves Dias (1851) ; Rodolpho Amoedo, O último Tamoio (1883, Rio de Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes), inspiré du poème épique de Gonçalves de Magalhães A confederação dos Tamoios (1856) ; José Maria de Medeiros, Iracema (1884, Rio de Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes), inspiré du roman homonyme de José de Alencar (1865) ; Chaves Pinheiro, Alegoria do Império Brasileiro (1871, Rio de Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes). 9. Sérgio Buarque de Holanda, Raízes do Brasil, São Paulo, 1936. 10. Darcy Ribeiro, O povo brasileiro: a formação e o sentido do Brasil, São Paulo, 1995. 11. La Lettre de Pero Vaz de Caminha fut publiée dans Corografia Brasílica de Manuel Aires de Casal (Rio de Janeiro, 1817). 12. Oswald de Andrade (1890-1954), poète, romancier, essayiste et polémiste, fut l’un des précurseurs du mouvement moderniste et l’un des créateurs et participants de la Semaine d’art moderne de São Paulo en 1922. Son « Manifesto Antropófago », publié en mai 1928 dans le premier numéro de la revue Revista de Antropofagia dont il fut le fondateur, exprimait l’idée que le cannibalisme culturel, naturellement inspiré de pratiques indigènes – absorption de toutes les formes de culture internationale pour les digérer et les transformer en culture brésilienne – était un moyen d’affirmer une culture nationale contre l’Europe. 13. Mário de Andrade (1893-1945), poète, romancier, musicologue, professeur au conservatoire de São Paulo, critique et historien de l’art, et principal théoricien du mouvement moderniste, a lui aussi joué un rôle essentiel dans la réalisation de la Semaine d’art moderne. Son prestige en tant qu’érudit était immense, et ses interventions parmi les artistes brésiliens de tous les bords ont été déterminantes. Macunaíma (São Paulo, 1928) est un roman – que l’auteur appelle « rapsodie » – dans lequel par des situations irréelles, fondées en grande partie sur la mythologie indienne, il cherche à offrir une synthèse de la fameuse brésilianité. 14. Luiz Gonzaga Duque Estrada fut critique d’art à Rio de Janeiro ; il fut l’auteur de A arte brasileira: pintura e esculptura (Rio de Janeiro, 1888) et, outre d’autres textes consacrés à l’art, du roman à clé Mocidade morta (Rio de Janeiro, 1899), dans lequel il dresse un portrait du milieu artistique carioca de la fin du XIXe siècle. 15. Andrade, 1928, cité n. 12 ; Mário de Andrade, Ensaio sobre música brasileira, São Paulo, (1928) 1962. 16. « [...] ela terá que se elevar ainda à fase que chamarei de Cultural, livremente estética, e sempre se entendendo que não poderá haver cultura que não reflita as realidades profundas da terra em que se realiza. E então a nossa música será, não mais nacionalista, mas simplesmente nacional, no sentido em que são nacionais um gigante como Monteverdi e um molusco como Leoncavallo » (Andrade, [1928] 1962, cité n. 15, p. 33-34). Ce schéma fut repris en 1941, dans une perspective historique plus accentuée, dans l’étude « Evolução Social da Música no Brasil », éditée postérieurement dans le volume Aspectos da música brasileira des œuvres complètes de Mário de Andrade (São Paulo, 1965). 17. Lúcio Costa, « O Aleijadinho e a arquitetura tradicional », dans Sobre arquitetura, Porto Alegre, 1966, p. 12-16 [éd. orig. dans O Jornal, 1929]. 18. Lúcio Costa, « Documentação necessária », dans Costa, 1966, cité n. 17, p. 202-229 [éd. orig. dans Revista do SPHAN, 1, 1937]. 19. Costa, 1966, cité n. 16, p. 202-229 [éd. orig. : Considerações sobre a arte contemporânea, Rio de Janeiro, 1952].

Perspective, 2 | 2013 22

20. « [...] pretende instaurar uma antropologia da arquitetura; esta não por acaso torna desnecessário o conhecimento efetivo da própria história disciplinar: a ‘história’ antropológica elimina a história ‘histórica’. A procura do tradicional – vale dizer, o retorno às raízes culturais da nação – equivale à busca de nossa arquitetura primitiva » (Marcelo Puppi, Por uma história não moderna da arquitetura brasileira, Campinas, 1998). 21. Yves Bruand, Arquitetura contemporânea no Brasil, Campinas, 1981.

INDEX

Index géographique : Brésil, Minas Gerais, Nordeste, Portugal, Rio de Janeiro, São Paulo Keywords : nationalism, Brazilianness, colonialism, immigration, Indianism, ideology, modernism, slavery Mots-clés : nationalisme, brésilianité, esclavage, colonialisme, indianisme, immigration, idéologie, modernisme Index chronologique : 1800, 1900

AUTEURS

JORGE COLI Après avoir suivi une partie de son parcours en France (formation et enseignement dans des universités françaises, collaborateur du journal Le Monde, etc.) et au Brésil, il est depuis les années 1990 professeur et directeur de l’institut de philosophie et des sciences humaines à l’Universidade Estadual de Campinas. Il fut invité dans plusieurs universités, comme celles de Princeton et d’Osaka. Ses recherches portent notamment sur l’art du XIXe siècle brésilien et français, et il a, entre autres, publié Música final: Mário de Andrade e sua coluna jornalística Mundo musical (1998), L’Atelier de Courbet (2007), O corpo da liberdade: reflexões sobre a pintura do século XIX (2010).

Perspective, 2 | 2013 23

Les musées brésiliens : une histoire de l’art alternative Museums in Brazil: an alternative history of art

Guilherme Bueno, Gaudêncio Fidelis, Cristina Freire et Jean-Marc Poinsot Traduction : Élodie Dupau, Géraldine Bretault et Monique Le Moing

NOTE DE L’ÉDITEUR

Ce texte résulte d’un échange de courriels.

1 L’histoire des musées au Brésil a connu ses principaux développements depuis la seconde moitié du XXe siècle et a fait une place importante aux collections d’art moderne et contemporain, mais aussi à la diversité des cultures qui nourrissent cette forme d’assimilation originale qui a été qualifiée d’anthropophagie culturelle dès le premier tiers du XXe siècle (1928). L’étendu du pays et sa place particulière au centre de l’Amérique du Sud définissent une géographie culturelle très spécifique à chacun des États qui composent le pays. Elle n’est pas sans conséquence sur la manière de construire des identités régionales et nationales, et de les inscrire dans une vision plus large de l’Amérique latine et de la planète.

2 L’administration et la politique des musées ne s’appuient sur des formations professionnelles spécialisées que depuis une période récente. Moins formalisées que dans les pays européens, elles ont permis une interpénétration du monde universitaire et de celui des musées. Les carrières sont souvent faites d’allers-retours entre ces deux pôles de la vie culturelle [Jean-Marc Poinsot].

***

Perspective, 2 | 2013 24

Jean-Marc Poinsot. Les musées aujourd’hui au Brésil considèrent-ils, au moins pour certains, qu’il faut poursuivre l’histoire de l’art de formulation occidentale, ou bien essaient-ils d’élaborer des récits plus complexes, y compris avec l’art importé d’Europe depuis le XVIe siècle ? Guilherme Bueno. Les musées brésiliens reprennent la formulation occidentale de l’histoire de l’art. Notre culture s’est construite avec l’Occident pour référence ; qu’on le veuille ou non, nous en faisons partie. Les relations changent, mais le débat global auquel nous participons est toujours confronté au paradigme de cette tradition. Le modernisme reconnaît des contributions, autrefois vues comme secondaires, apportées par les cultures indienne, africaine, des immigrés (tout en étant plein d’ambiguïtés ; je pense au livre Retrato do Brasil, de Paulo Prado1, dans lequel se mêlent aspirations modernistes et idées contraignantes du XIXe siècle). Depuis une trentaine d’années, la recherche de nouveaux discours accompagne la reconfiguration de l’histoire de l’art entreprise par les théories postmodernes. Ce développement a eu pour conséquence récente l’apparition de musées dans différentes régions qui répondent à des questions variées liées à des valeurs locales ou à la dynamique économique et culturelle d’une région. Pour Paulo Sérgio Duarte, l’art contemporain ne naît pas au Brésil de l’épuisement, mais plutôt de l’approfondissement de la modernité2 (je pense qu’il reprend la distinction faite par Ítalo Campofiorito entre architecture moderne au Brésil et architecture moderne du Brésil3). Des analyses aussi variées que celle de Sergio Miceli dans Nacional Estrangeiro4, consacré aux échanges culturels à la veille du modernisme, ou une exposition comme le Panorama da Arte Brasileira au Museu de Arte Moderna de São Paulo, dont l’édition de 2009 présentait seulement des artistes étrangers (tendant à démontrer que, loin d’absorber des influences, l’art brésilien avait atteint une nouvelle condition internationale), révèlent le désir d’un modèle théorique propre. Les musées ? Ils ressentent un manque d’œuvres locales emblématiques et de recherche autour de leurs fonds, ce qui rend difficile toute confrontation circonstanciée aux discours hégémoniques. Au doute que génère l’histoire à écrire s’ajoute la question de savoir si et comment nous voulons l’écrire. Les interventions de commissaires indépendants qui collaborent régulièrement avec les institutions, tout en exprimant une méfiance envers la valeur de l’histoire de l’art autrefois dominante, se sont renforcées en même temps que la discipline se consolidait au Brésil. Les musées s’interrogent sur la façon de répondre à des demandes distinctes. Cristina Freire. « Musées brésiliens » correspond à une catégorie très vaste, car le Brésil, ce pays aux dimensions continentales, se caractérise par une grande diversité culturelle et économique de région en région. Et cette diversité se reflète dans le panorama des musées. Les musées d’art brésiliens les plus importants se situent dans le sud-est, plus précisément à Rio de Janeiro et à São Paulo, zone où se concentre la richesse du pays. Durant les dernières décennies, de nombreux musées, publics à l’origine, ont été accaparés par les intérêts du secteur privé. Grâce aux lois fédérales incitant à soutenir la culture, les ressources publiques, sous forme d’exonérations fiscales, sont devenues une source de profit pour de grandes banques et quelques particuliers qui ont créé leurs propres institutions culturelles. Le triomphe du libéralisme dans la culture devient dès lors visible dans les collections, les espaces culturels et leurs

Perspective, 2 | 2013 25

programmes, avec pour corollaire le désengagement du capital privé vis-à-vis du patrimoine public. Au Brésil, comme dans d’autres parties du monde, du moins depuis les années 1980, le musée public est soumis à des pressions l’entraînant progressivement vers une gestion publique-privée. Toutefois, les programmes des différents musées répondent à des attentes distinctes. L’université (au Brésil mais aussi au Mexique et au Chili, pays du continent dotés de musées universitaires) serait un lieu privilégié de production et de distribution échappant au global media market dominant. Le Museu de Arte Contemporânea da Universidade de São Paulo, par exemple, premier musée d’art contemporain du pays, est dans cette optique une plateforme privilégiée. En effet, grâce à son caractère universitaire et public, il permet le développement de recherches contrecarrant la vision eurocentrique, héritage du passé colonial qui, il y a encore peu de temps, orientait les pratiques éducatives et administratives sur le continent latino-américain. Les fonds des musées ne se résument pas non plus aux œuvres qu’ils abritent mais s’enrichissent de l’entrecroisement de micro-histoires conservées dans leurs archives. En somme, je crois qu’une muséologie critique de l’art contemporain devrait s’interroger sur la dynamique historique des collections, et plus particulièrement sur les strates de sens que les discours officiels ont rendues invisibles. Gaudêncio Fidelis. Les musées brésiliens peinent à définir clairement leur mission, au-delà des tâches élémentaires que sont la collection, la conservation et l’exposition. Si les grands musées sont parvenus à définir une base de travail rationnelle en termes d’infrastructure ainsi qu’un programme cohérent dans leurs différents secteurs de développement, la plupart d’entre eux doivent encore mettre au point les récits qui sous-tendent leurs politiques en matière de collection et d’exposition. Les musées brésiliens s’entêtent à exposer des œuvres d’art qui privilégient le point de vue consensuel du canon occidental. Certes, ce canon s’est relativement assoupli ces dernières années, grâce aux efforts d’expositions qui révisent l’histoire selon des angles nouveaux, de la « nouvelle histoire de l’art », des points de vue novateurs sur la conservation et l’historiographie, et d’une campagne plus agressive de la part des latino-américanistes – et des spécialistes de l’art non occidental en général. Malgré cela, les progrès constatés ont été plutôt rares. Pour autant, les prérogatives du canon occidental tel qu’il a été établi par les grands musées et l’université ont très peu changé, notamment en ce qui concerne les œuvres d’art antérieures au modernisme. Ce canon influence toutefois la manière dont nous élaborons notre rapport à l’histoire, car ce n’est que récemment que les institutions du Brésil ont commencé à se soucier de combler les lacunes de leurs collections, afin de permettre au public brésilien de mieux apprécier la diversité de ses traditions artistiques. Ce processus s’avère, lui aussi, très lent. Les musées brésiliens ont en revanche fait des progrès en ce qui concerne les œuvres produites depuis les années 1950, comme en témoigne le néoconcrétisme, auréolé dès le milieu des années 1990 d’une reconnaissance internationale, aux États-Unis comme en Europe. À cela près toutefois que l’approche critique et historique adoptée dans un premier temps au Brésil se distinguait de celle du reste du monde. De manière générale, aux États-Unis, la lisibilité de ces œuvres s’est développée avec le minimalisme en toile de fond, tandis qu’au Brésil, leur interprétation était imprégnée

Perspective, 2 | 2013 26

d’une conception idéalisée des critères du canon occidental, privant dans la plupart des cas ces œuvres de toute portée politique ou sociale. Aucune de ces approches n’était satisfaisante. Ce n’est que récemment que quelques historiens, et notamment des conservateurs brésiliens, se sont penchés plus assidûment sur ces questions de contexte. L’université et les musées du Brésil ont dû lutter pour imposer ne serait-ce que les jalons d’une tradition historique, sous la forme d’un corpus de travaux sur l’art brésilien qui permet de resituer les contributions individuelles dans le contexte plus large de l’histoire de l’art universelle. Hormis le néoconcrétisme, les spécialistes du monde entier peinent encore à se faire une image précise de la contribution brésilienne à l’histoire de l’art, bien qu’un consensus soit en train de s’imposer : elle serait exceptionnelle sur les plans artistique et culturel, et la production artistique brésilienne serait extraordinaire. Pourtant, la tâche s’avère de plus en plus ardue, et ce pour diverses raisons. Le poids des institutions dans ce pays est faible, et les musées ont dû lutter pour peser sur les grands récits admis par l’histoire de l’art mondial. Les publications d’envergure consacrées à l’histoire de l’art brésilien sont encore rares (nous n’avons toujours pas de manuel d’histoire de l’art brésilien), tout comme les publications critiques et théoriques consacrées à des corpus d’œuvres ou à des mouvements précis. En outre, une grande partie de ces travaux n’existe qu’en portugais, ce qui les rend inaccessibles aux chercheurs étrangers. La lisibilité de ces œuvres s’en trouve diminuée, et il n’est pas possible d’élargir le débat autour des différentes problématiques et contributions éventuelles de l’art brésilien hors des frontières du pays. Plusieurs initiatives ont tenté de modifier ces perspectives. La 24e Bienal Internacional de São Paulo, organisée en 1998 par Paulo Herkenhoff sous l’intitulé « Biennale de l’anthropophagie », a représenté un tour de force majeur5. Il est clair que les ambitions de cette biennale étaient extrêmement politiques, et que ses organisateurs savaient parfaitement quelles répercussions ils pouvaient en attendre au sein du contexte international de l’histoire de l’art. Cette biennale peut être considérée comme la première exposition à avoir tenté de reposer la question de la dépendance culturelle, en vue de combattre les préjugés selon lesquels l’art brésilien serait en grande partie issu de matrices euro-américaines. Toujours est-il que le Brésil est à la traîne sur plusieurs questions auxquelles les musées auraient dû répondre il y a bien longtemps. Ainsi, nous n’avons toujours pas reconnu l’apport spécifique d’artistes, de groupes ou de périodes sous-représentés dans l’art brésilien. Il est impératif que nous organisions davantage d’expositions sur le féminisme, sur les mouvements LGBTQ et sur l’influence de la culture juive, de l’Asie et bien sûr de l’Afrique dans l’art brésilien. Les expositions sur le féminisme dans les musées brésiliens se comptent sur les doigts d’une main6 ; les expositions sur le phénomène queer sont toujours inexistantes dans le contexte muséal du pays. Le Rio Grande do Sul Museum of Art prévoit d’organiser la première exposition queer en 2014, sous le titre « Queermuseum ». Pourquoi ces expositions doivent-elles être organisées par des musées ? Parce que ces institutions sont en position de bousculer les préjugés fondamentaux sur la formation du canon ; en outre, les musées, en particulier lorsqu’ils se trouvent en dehors des

Perspective, 2 | 2013 27

grands centres, ne peuvent plus faire l’impasse de cette remise en question, et encore moins suivre le canon occidental tel qu’il a été élaboré. Autrement, ils courent le risque de promouvoir l’exclusion et de copier ce qui est étranger, que ce soit sur les plans artistique et intellectuel ou concernant la gestion des institutions. C’est ce qui se produit lorsque nous voyons des musées brésiliens imiter des modèles d’exposition que l’on peut considérer comme obsolètes, voire rétrogrades.

Jean-Marc Poinsot. Une particularité des musées brésiliens tient à la diversité des contextes de création ou de développement caractéristiques des interactions entre des acteurs divers – collectionneurs, marchands, universités, états, politique internationale – et des disciplines différentes, comme à Inhotim. Comment qualifieriez-vous l’originalité de ces contextes dans la mesure où ils ont encore des effets sur l’identité du musée ? Cristina Freire. Il existe une source commune dans la création des musées d’art moderne au Brésil : le discours de la modernité. Il faut rappeler que dans la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, le Bureau des affaires interaméricaines, créé par les États-Unis pour veiller sur leurs intérêts stratégiques dans la région, incluait dans le projet de « modernisation » de l’Amérique latine la création de musées d’art moderne et de biennales. Ces projets culturels devaient renforcer la notion d’autonomie de l’art au moyen d’un « espéranto » de l’art abstrait, fiction conçue (comme le libéralisme politique) tel un rempart contre les « menaces » sur le continent ; ils devaient en outre revendiquer, avec l’art moderne, la modernisation des pays qui les promouvaient. Au Brésil, l’esprit de la modernité et la création de musées d’art moderne s’alignaient parfaitement sur la notion de progrès7. Il est certain que l’art moderne était associé à l’expérience d’un homme nouveau, d’une civilisation nouvelle concrétisée de façon exemplaire aux yeux du monde par la construction de Brasília, la nouvelle capitale du pays, et aussi par la bossa-nova, la poésie concrète et le Cinema Novo. Ainsi, l’implantation des musées d’art moderne au Brésil est au centre de la création et de la mise en œuvre d’un nouveau système de visibilité, une autre façon de voir. Ce système, en dépit de l’agonie de l’idéal du progrès et de l’échec des projets grandioses pour la nation, exerce encore une influence profonde sur l’« inconscient » des musées. Le musée moderne, soucieux de montrer (cacher) et de raconter (oublier) forge un horizon commun de ce que doit être l’art pour les attentes individuelles et collectives. Autrement dit, il travaille à l’élaboration d’un imaginaire, c’est-à-dire d’un horizon fait de croyances et d’attentes. Son action résulte d’un programme qui lui est propre et participe à la construction d’un monde limpide, matérialisé par un cube blanc, indice d’un internationalisme capable d’aller au-delà des contradictions et des conflits locaux. La création de cet être moderne a entraîné la transformation du paysage urbain au Brésil. Des villes planifiées surgissant du néant, des édifices marquants, de longs tunnels, des avenues, sans parler d’autres équipements urbains comme les aéroports, les cinémas, les bars et les musées, définissent un programme urbain à la fois politique et esthétique. Comme nous le voyons, la notion de progrès et son expérimentation se déclinaient sur plusieurs fronts qui donnaient une forme matérielle et symbolique aux instruments de la modernité. Le Museu de Arte moderna de São Paulo et la Bienal de São Paulo ont été d’importants instruments de

Perspective, 2 | 2013 28

visibilité. Le caractère éducatif, tout comme l’accès progressif à la nouveauté, a renforcé ce dispositif moderne dans la genèse de la biennale. Comme l’a dit Mário Pedrosa, nous sommes condamnés au « moderne », et son pouvoir d’attraction sur le musée d’art contemporain est actuel et concret. On comprend ainsi le départ du Museu de Arte Contemporânea da Universidade de São Paulo pour un extraordinaire monument moderne, le Palais de l’Agriculture, l’un des cinq édifices grandioses conçus dans les années 1950 par Oscar Niemeyer et son équipe pour le parc d’Ibirapuera. Cela donnait lieu à une nouvelle rotation du musée dans cette orbite qui tourne sans cesse autour de l’axe de son ancrage dans la modernité. L’institut culturel Inhotim, créé en 2002 dans l’État du Minas Gerais à partir d’une initiative individuelle, est à tous égards (symboliques, politiques, économiques, culturels et géographiques) un cas à part et hors normes qui ne s’explique aucunement par l’imaginaire social et politique des propositions antérieures. Gaudêncio Fidelis. Les musées du Brésil doivent faire preuve de davantage de professionnalisme en établissant des programmes susceptibles de produire des connaissances inédites et pointues sur l’art brésilien. Très peu de musées dans le pays ont un programme d’expositions et une politique d’acquisition clairs qui leur permettraient d’accroître leurs collections et d’être à l’origine d’expositions marquantes. De telles manifestations devraient encourager la production de connaissances inédites et dégager les grandes lignes de l’histoire et de la tradition artistique. Il n’est toujours pas possible de visiter un musée au Brésil et d’y découvrir l’histoire de l’art du pays sous quelque forme que ce soit. Nous n’en possédons que quelques rares fragments. Certaines œuvres majeures se trouvent dans des collections privées, et le Brésil n’a pas de tradition philanthropique qui pourrait aider les directeurs de musées à convaincre les collectionneurs de faire don de leurs œuvres aux musées. Nous devons aussi assumer le fait que toute la richesse de l’art brésilien est concentrée dans trois ou quatre musées situés dans de grands centres comme São Paulo et Rio de Janeiro. Les collections de musées présentent donc une forte disparité au sein du pays. Bien que cette situation soit actuellement en train de changer, il faudra attendre de nombreuses années avant que nous puissions connaître une situation plus équitable. De plus, le rôle de l’État dans l’administration de ces institutions est énorme, ce qui signifie qu’elles sont soumises aux fluctuations et aux changements de gouvernements. Les plus grands musées brésiliens, y compris la Pinacoteca do Estado de São Paulo et le Museu Nacional de Belas Artes à Rio de Janeiro, sont publics. Inhotim est un lieu absolument unique qui ne connaît pas d’équivalent, y compris dans le reste du monde. Guilherme Bueno. Les musées, même spécialisés dans un thème, constituent leurs fonds de façon intermittente et ont par conséquent des « trous ». Beaucoup d’œuvres essentielles appartiennent à des propriétaires particuliers, d’où le phénomène de l’invisibilité de l’art brésilien. Bien que cette originalité me déplaise à certains moments – lorsque des obstacles nous rendent tous otages de contingences et d’improvisations –, j’admets qu’à d’autres occasions elle a une valeur positive, quand la diversité des acteurs contribue à la construction de visions hétérogènes, soit complémentaires, soit opposées. Certaines collections sont ainsi formées à l’image du marché, d’autres s’en éloignent, et d’autres encore présentent un profil

Perspective, 2 | 2013 29

intermédiaire, ce qui favorise l’apparition de versions distinctes de l’art brésilien. Les musées, cependant, se connaissent encore peu entre eux et doivent exploiter davantage leurs similitudes et leurs différences. La contribution d’Inhotim, au-delà de sa collection internationale – excellente, par ailleurs – a été de donner à voir des œuvres d’une échelle qui ne rentrait pas dans la plupart des espaces, lançant un nouveau concept institutionnel. La décision de mettre sur un pied d’égalité des artistes brésiliens et étrangers indique que l’on accède à un autre stade dans le débat sur l’art brésilien. Il faut en outre mentionner son programme pédagogique, conçu à destination d’une population dépourvue de contact avec les musées, le théâtre, les bibliothèques, le cinéma, etc. Pour les musées, le débat sur l’identité porte aussi sur les problèmes pratiques des fonds (manutention, expansion, cohésion) et sur leur capacité à communiquer – en somme, sur la façon de confirmer leur pertinence symbolique. Pendant très longtemps, les musées ont cultivé une aura trop liée à une notion d’initiation aux « mystères de l’art » – une prétention moquée par nombre de nos meilleurs intellectuels. Le désir de démocratie implique l’accès aux biens culturels et oblige les musées à concevoir de nouvelles missions, méthodes de travail et façons de promouvoir les contenus. C’est de là que viendra l’originalité.

Jean-Marc Poinsot. L’interaction entre les arts et les cultures d’origine africaine, indienne et des immigrations multiples a été pensée sous la forme d’une assimilation par le modernisme d’une sensibilité composée de ces différents substrats. Quelles en sont les conséquences dans la constitution des collections et des récits qui les accompagnent ? Cristina Freire. La grille de lecture introduite par le musée d’art dans la culture brésilienne oppose plutôt la culture populaire et la culture savante que des questions d’ordre racial ou ethnique, c’est-à-dire que ces productions se réfèrent davantage aux profondes inégalités économiques et éducationnelles qu’à un questionnement sur la « démocratie » raciale et le mélange des races qui définit le peuple brésilien. L’artisanat populaire, par exemple, qui est très riche dans les régions pauvres du Nordeste, a joué un rôle important dans le mouvement d’avant-garde au Brésil. L’architecte Lina Bo Bardi, auteur des projets les plus innovants de musées et d’espaces culturels, pensait que l’inventivité du peuple était capable de créer de nouvelles formes et que celles-ci devaient donner lieu à une redéfinition des pratiques artistiques. Dans cette optique, si les manifestations culturelles les plus populaires, comme la samba et l’architecture des favelas, entraient dans l’espace culturel, elles pourraient le bouleverser en profondeur. L’œuvre Tropicália réalisée en 1967 par Hélio Oiticica met en évidence toute la puissance vitale qui existe dans les collines (morros) et les favelas de Rio de Janeiro en tant que force créative et lieu de réinvention de la vie. Elle montre ainsi l’important antagonisme (local/global) qui a divisé les musées d’art depuis les années 1960 ou 1970. Récemment, Tropicalia a été acquise par le Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía à Madrid. Cette acquisition, un cas parmi tant d’autres d’insertion de l’art brésilien dans les collections des musées métropolitains,

Perspective, 2 | 2013 30

permet d’envisager la dynamique géopolitique des collections, de voir émerger de nouveaux langages et de dessiner leur cheminement du Sud vers le Nord et vice versa. Guilherme Bueno. La modernité au Brésil, fondée sur le contact entre culture érudite et culture populaire, aspire à une nouvelle dimension publique et à la réciprocité entre moderne et brésilien. La particularité du pays, comparée au contexte européen, tenait dans le fait que « Tahiti c’est ici » (ce qui n’empêchait pas un certain auto-exotisme). La synthèse de cet élément local avec ceux des avant- gardes européennes caractérisait les tableaux de Tarsila do Amaral, quelques œuvres de Vicente do Rego Monteiro (qui dérivent de reproductions abstraites de motifs indiens) ou, plus tard, les courbes de l’architecture de Niemeyer, tributaires d’un « baroque métis ». La parité « moderne et brésilien » est tombée en désuétude dans les années 1950, mais des pratiques de rencontre entre le populaire et l’érudit perdurent, comme dans les Parangolés d’Hélio Oiticica, des « capes » qui renvoient à l’univers de la samba, ou, plus tard, dans un texte de Mário Pedrosa datant de 1978, dans lequel il propose la création d’un Musée des Origines8. Ce croisement n’a pas forcément guidé la conception des collections d’art brésiliennes, mais notre réalité s’est manifestée en elles, comme l’ont souligné les discours développés en lien avec les nombreuses expositions très diverses qui ont eu lieu ces vingt dernières années, ou encore avec la Bienal de São Paulo de 1998, jalon important de l’histoire de l’art brésilienne. Inspirée par la poétique de l’anthropophagie, du poète moderniste Oswald de Andrade, cette manifestation a bouleversé l’histoire de l’art depuis l’hémisphère sud. Une exposition tenue en 2013 au Museu de Arte de Rio de Janeiro, intitulée Vontade Construtiva (« Volonté constructive ») et organisée par Paulo Herkenhoff et Roberto Conduru, abordait moins les différences stylistiques – usuelles dans l’historiographie de l’art – que les proximités refoulées. Dans une démarche un peu warburgienne, elle présentait côte à côte des pièces cérémonielles afro-brésiliennes, des sculptures baroques et des œuvres néoconcrètes, mettant en évidence un enchaînement complexe au sein de ces formes et de leurs strates d’invention, incompatible avec le schéma matrice/épigone, originalité/influence. Ce qui serait une « micro » histoire de l’art s’avère ici plutôt « macro » (je reviendrai sur ce point), comme en témoigne également l’essai « Capítulos à parte » de Glória Ferreira, dans lequel l’auteur traite de la place de certains artistes brésiliens face aux mouvements internationaux9. Gaudêncio Fidelis. On peut difficilement dire que les historiens de l’art brésiliens, et plus récemment les conservateurs, se sont intéressés à la contribution des peuples indigènes et africains à l’art du Brésil. Si certains l’ont fait, leur vision repose essentiellement sur une matrice anthropologique de nature avant tout eurocentrique10. Dernièrement, plusieurs conservateurs ont participé à des conférences qui ont permis d’apporter une certaine visibilité à ces contributions, dont l’impact s’est avéré plus important que ce que nous pouvions pressentir. Toutefois, cela n’est pas sans poser d’autres questions, parmi lesquelles le fait que la nature répressive du régime moderniste l’a empêché de considérer ces contributions comme une expression artistique en tant que telle. Au lieu de cela, le modernisme a assimilé certaines caractéristiques artistiques de l’art africain et indigène pour les transformer en une source de créativité au service de l’art dominant. Les Afro- descendants ont mis plus de temps à revendiquer leur contribution à la culture du Brésil que dans d’autres pays, comme aux États-Unis (en dépit de la ségrégation

Perspective, 2 | 2013 31

raciale qui y sévissait), d’autant que le Brésil se reconnaît un métissage soi-disant plus convivial. Par la suite, au début des années 2000, ces apports ont été envisagés sous un angle sociologique, comme dans le cas du carnaval11. Si cette manifestation s’inscrit aujourd’hui dans une industrie culturelle, sa contribution a été immense, sauf que les artistes brésiliens ont rarement été pris en compte. Quant aux peuples indigènes, il est temps que le Brésil s’attelle à réévaluer leur influence historique sur l’art brésilien. Nous devons cependant nous placer dans une perspective de réparation : si d’un côté les Afro-Brésiliens ont souffert du terrible fléau de l’esclavage, ils survivent en tant que peuple, tandis que les Indiens ont été décimés et vivent dans des conditions toujours très précaires. Il reste à débattre de la manière dont les historiens de l’art et les conservateurs pourraient contribuer à imposer ces questions dans les discussions scientifiques, sans se contenter d’une vision simplifiée de l’anthropologie ou d’une simple curiosité pour les artefacts. Alors qu’ils devraient justement être préparés à appréhender ce type de questions, les historiens n’ont pratiquement rien fait en ce sens. Pour ce qui est des contributions d’autres cultures minoritaires, comme les cultures juive et japonaise, très peu d’expositions ont été organisées en vue de montrer leur influence. Une seule me vient à l’esprit sur la portée de la culture japonaise : Laços do Olhar: Roteiros entre o Brasil e o Japão, organisée par Paulo Herkenhoff à l’Instituto Tomie Ohtake à São Paulo 12. En outre, la contribution artistique des migrants du Nordeste, géographiquement plus éloignés du contexte des grands musées du Brésil et rarement considérés comme un groupe, devrait faire l’objet d’une attention particulière. Bien que l’art de cette région soit largement ignoré par les musées, en particulier en comparaison à d’autres parties du pays, il serait légitime que les historiens de l’art et les conservateurs observent et étudient les ramifications du phénomène migratoire au Brésil, dans cette région et ailleurs. La plupart des musées ont encore un long chemin à parcourir : la majorité d’entre eux n’ont pas encore abordé les problèmes de race, de genre et de diaspora, ni ce qui concerne la politique d’acquisition et/ou la représentation de ces contributions dans leurs collections. Ils continuent de travailler à partir d’un modèle établi par le modernisme international, qui propose des modes de collection et d’exposition reflétant les principes fondateurs de ces musées. Nous ne devons pas oublier que le Brésil a vu naître une vague de musées modernes et contemporains, et que les musées historiques manquent d’expertise pour mettre ces questions à l’ordre du jour.

Jean-Marc Poinsot. La formation des identités artistiques s’élabore à des échelles différentes. De nombreux musées donnent une vue de la création régionale, d’autres une vue plus nationale. Autour de quels pôles s’est construite selon vous l’identité de l’art brésilien et de ses composantes ? Gaudêncio Fidelis. Il ne fait pas de doute que l’identité de l’art brésilien est ancrée dans une vision cosmopolite du monde. Cela répond d’abord à l’ambition moderne qui nous anime actuellement, issue du désir d’être à la fois modernes et de suivre les modèles euro-américains, et plus récemment de connaître une position d’égalité au sein du monde de l’art contemporain. Cela signifie aussi peser davantage sur le marché de l’art et proposer des expositions fondées sur des préceptes pertinents et

Perspective, 2 | 2013 32

forts. Néanmoins, les musées du Brésil affichent une grande disparité, en particulier entre les musées situés dans les deux principaux centres – à savoir São Paulo et Rio de Janeiro – et ceux qui se trouvent à la périphérie des grandes villes. Les historiens de l’art brésiliens cultivent une certaine vision de l’art du pays encore trop dépendante de la matrice euro-américaine. Certains historiens et conservateurs ont tenté de traiter cette question sous des angles alternatifs, comme l’hybridation et le métissage. Malheureusement, ils se sont révélés incapables de résoudre (sur le plan théorique) les questions historiques liées à l’influence et à la dépendance artistique, et ces pistes ont vite été abandonnées. Une nouvelle génération de professionnels dans ce secteur a porté la question de l’identité à un tout autre niveau, en adoptant un point de vue marginal et des stratégies inédites. L’une d’elles consiste à mettre en lumière des œuvres jusqu’ici restées dans l’obscurité, ou dépourvues de tout soutien critique ou théorique, afin de remettre en question certaines idées préconçues sur le canon dominant, même si ces tentatives demeurent rares. Pour l’heure, aucun sentiment d’identité distincte au sein de l’art brésilien ne semble émerger, et je doute même qu’il soit utile d’en chercher un pour l’instant. Durant de nombreuses années, nous avons défendu l’idée que nous devions développer une vision claire de notre identité ; beaucoup d’entre nous n’avaient pas imaginé que le monde changerait au point de rendre cette question caduque. Cristina Freire. L’anthropophagie, ancienne pratique des indigènes au Brésil, a servi de cadre référentiel au modernisme dans les premières décennies du XXe siècle. Celui- ci se fondait en grande partie sur la relation entre l’importation de modèles étrangers et l’identité nationale. Le poète et écrivain Oswald de Andrade a résumé la dialectique national/international du modernisme brésilien dans l’expression « Tupi or not Tupi »13. Un siècle plus tard, avec le virage opéré par le culte de l’objet à travers le déferlement de l’information, l’adoption d’une histoire de l’art occidental donne un cadre à l’imaginaire global. Au début des années 1970 déjà, le sociologue Pierre Bourdieu accusait la critique, surtout la critique universitaire, d’être formaliste et suggérait qu’elle reproduisait en quelque sorte la logique des systèmes institutionnalisés d’enseignement. Ainsi, au Brésil également, l’enseignement de l’art à l’université écarte les facteurs « non artistiques » sans jamais évoquer expressément les relations sociales implicites dans la production, la circulation et la consommation de l’art. L’analyse du système de l’art contemporain ne s’appuie plus sur des catégories universalistes, puisque les processus sont multiples et simultanés. Pour Néstor Canclini14, l’art, surtout dans les pays latino-américains, semble vaciller entre des facteurs portant sur une réalité visuelle nationale et ceux d’une autre réalité déterritorialisée et transculturelle, à l’échelle globale. La transnationalisation dans l’art résulte d’un processus économique et symbolique. Quel est finalement le rôle du musée ? Pour beaucoup, il reste une sorte de bastion d’une société de classes où celui qui détient le pouvoir, politique et économique, s’accroche au pouvoir symbolique et à la distinction qu’il représente. Néanmoins, je suis d’accord avec Boris Groys15 quand il soutient que le musée a perdu sa fonction normative qui, aujourd’hui, provient davantage de la propagande, des jeux vidéo, des films, des médias, de ce qu’il appelle le global media market. Face à cette évolution, le musée d’art public pourrait être un lieu de résistance.

Perspective, 2 | 2013 33

Guilherme Bueno. Le débat local entre macro- et micro-structures ressemble à celui de la nouvelle histoire et plus tard à celui du postmodernisme. N’importe quel livre écrit au Brésil au cours de la dernière décennie annonce la fin de l’hégémonie de l’axe Rio de Janeiro-São Paulo. Paradoxalement, l’effet de cette affirmation de l’épuisement du régionalisme moderniste est de nous rappeler que le moderne et le contemporain se sont formés selon des voies différentes (à Belo Horizonte, à Recife, à Belém…16). Les deux diagnostics, aussi discutables qu’ils soient, amènent à un constat : l’idée totalisatrice jusqu’alors dictée par Rio de Janeiro et São Paulo est insuffisante. Mais on ne vient pas à bout des hégémonies aussi rapidement. Nous devons parler d’histoires de l’art au Brésil, en reconnaissant que tout ne vient pas de Tarsila do Amaral, d’Hélio Oiticica ou de Cildo Meireles (ce qui ne diminue en rien leur grandeur respective). Les musées doivent être responsables de ce changement. Des initiatives comme Inhotim ou la Semana de Artes Visuais dans le Pernambouc y contribuent en élargissant le circuit. Des expositions comme Amazônia (Centro Cultural Banco do Brasil, 2012) et des projets d’art contemporain comme « Rumos Artes Visuais » montrent des échanges auparavant étudiés avec indulgence, pour ne pas dire négligence (citons l’exemple de Paulo Bruscky, artiste qui a évolué en dehors du circuit Rio de Janeiro-São Paulo, dont l’œuvre commence à être reconnu. J’ai réalisé une série d’entretiens avec des critiques et des conservateurs en activité depuis la fin des années 1990. Mes questions, qui portaient sur le sens et les critères permettant de parler d’« art brésilien », ont suscité des réponses très différentes. On retrouvait l’idée d’une production dont les circonstances matérielles, culturelles, historiques rejettent la recherche de l’identité essentialiste présente chez les modernistes. Je vais dire une évidence : ce qui rend ces interventions brésiliennes, c’est qu’elles se produisent au Brésil. Elles partagent les inquiétudes d’artistes originaires de diverses régions ; les répertoires et les points de départ ne sont plus les mêmes. Le monde a changé : on tente de mesurer ce nouveau lieu depuis là où on se trouve, et des débats culturels, sexuels, politiques s’entrecroisent, au-delà de la confrontation avec les plus grands emblèmes de la culture occidentale.

Jean-Marc Poinsot. Lors de son ouverture, la fondation Daros Latinamerica à Zurich a revendiqué une spécificité, à savoir pallier l’absence de collections donnant une vision complète de l’art contemporain latino-américain. Partagez-vous ce point de vue ? Gaudêncio Fidelis. Un des grands problèmes qui se posent au latino-américanisme dans les milieux universitaire et muséal tient au fait que ses efforts politiques en faveur de l’intégration ne peuvent plus couvrir l’ensemble du spectre de l’art latino- américain. Non pas parce qu’il n’y a plus d’œuvres accessibles aujourd’hui, mais parce que notre opinion concernant ce qu’il devrait être s’est considérablement élargie. Ce qui était autrefois une niche pour une poignée de spécialistes, voire une lutte militante dont le but était d’élargir le canon des grands récits de l’histoire de l’art afin d’inclure les œuvres de l’Amérique latine, est devenu aujourd’hui sujet à caution. Les historiens et les conservateurs devraient au contraire mettre de côté ce désir d’élargir le canon occidental à un plus grand nombre d’œuvres. Persister dans cette idée ne mène qu’à suivre les prérogatives du canon occidental sans véritablement le

Perspective, 2 | 2013 34

modifier, du moins pas de manière productive. Remettre en question ce canon et mettre à l’épreuve ses fondements reste valide, cependant toute tentative d’inclusion nécessite de « suivre les règles », c’est-à-dire de prendre en compte et d’appliquer les critères tacites de la formation du canon. Encore une fois, comment de telles initiatives, qui reviennent à boucher les trous, peuvent-elles rendre compte de l’incroyable diversité d’expressions artistiques pertinentes qui ont vu le jour en Amérique latine ? Comment peuvent-elles englober l’ensemble de ces extraordinaires contributions sans courir le risque de créer un musée de « chefs-d’œuvre » piochés dans différents pays, composés d’œuvres produites par des artistes qui, sans être nécessairement représentatifs des meilleures créations de leur région (bien que je ne doute pas de leur qualité) ont, pour une raison ou une autre, acquis une certaine visibilité (ou lisibilité) ? La collection Daros, dont la mission est de réunir la plus vaste collection d’art latino-américain, a fait un travail remarquable dans l’ensemble, mais son ambition de proposer un panorama exhaustif de cette production n’est tout simplement pas réaliste. Il n’est pas difficile de prédire que dans un futur proche, les historiens de l’art, les conservateurs et d’autres professionnels de ce secteur pourraient réviser les travaux effectués ; en effet, la politique de la fondation Daros pourrait avoir pour conséquence de créer une sorte de musée « d’exclusion », à l’opposé de l’inclusion qui était son intention originelle. Guilherme Bueno. Je soutiens le principe de la fondation Daros en ce qu’elle nous donne l’opportunité de voir régulièrement la production de nos voisins. Cependant, je ne sais pas si « pallier l’absence » est l’expression la plus appropriée (pallier une absence, peut-être, en compensant la faible quantité d’œuvres latino-américaines dans les musées brésiliens), car le problème est plus étendu : aurons-nous de l’art colonial, de l’académisme du XIXe siècle, du modernisme ? J’aime l’art contemporain, mais lui seul ne répond que partiellement à l’absence en question. Je dis cela parce que, considérés dans une perspective historique à long terme, les similitudes et les différences de processus dans les pays d’Amérique latine, survenus séparément mais convergents dans leurs résultats (par exemple, l’habituel voyage initiatique vers les matrices européennes), ou encore le fait de tourner le dos et de vivre les yeux fixés sur la métropole jusqu’au cours du XXe siècle (l’Amérique latine était toujours l’« autre », chacun se prenant pour un Européen déraciné), sont des phénomènes communs et composent notre portrait artistique et culturel. Ces nuances sont fondamentales si l’on veut débattre du concept d’Amérique latine et de son histoire de l’art. Mis à part cet approfondissement, on peut tout limiter à des lectures formalistes, des stéréotypes mercantiles réchauffés qui se bornent à réinventer l’historicisme. Dans son texte « L’art ‘brésilien’ n’existe pas »17, l’artiste Antonio Dias refusait l’adjectif « brésilien », utilisé comme métaphore récurrente pour les bananes, le carnaval et les idylles fantaisistes. Le défi de la fondation Daros sera de composer avec le concept encore mal résolu d’Amérique latine : créé à l’ombre des politiques impérialistes européennes du XIXe siècle, réinventé ici, il oscille entre les extrêmes. Le choix d’un tel découpage géographico-culturel ne peut s’opérer sans prêter attention au caractère politique qui constitue les poétiques du Brésil. Celles-ci indiquent un désir de récits alternatifs et ne peuvent se permettre de retomber dans des récits

Perspective, 2 | 2013 35

compensatoires – mettant en scène cette curiosité pittoresque tenace – sous peine de devenir des versions actualisées de l’orientalisme. Cristina Freire. Identifier des processus artistiques communs en Amérique latine, région qui inclut des pays de cultures fort diverses dont les passés coloniaux sont différents, est une tâche quasi impossible ; ce qui montre le caractère plus politique qu’artistique de l’initiative. Il y a longtemps que les États nationaux ne sont plus aptes à penser les identités culturelles. Des mots comme hybridation, délocalisation et décentralisation sont communs aux discours critiques, et le concept d’État-nation devient de plus en plus inopérant. Comme le dit Walter Mignolo18, l’Amérique latine n’est pas un sous-continent où se sont déroulés et se déroulent des événements, mais son existence même résulte de l’élaboration d’une matrice coloniale de pouvoir du monde moderne. Néanmoins, l’art latino-américain reste opérationnel grâce au travail d’investissement tel que le pratique la fondation Daros. En parlant de pallier un manque, nous devons encore nous demander : une lacune pour qui ? Il est certain que dans d’autres lieux et sur d’autres continents, en dépit du discours postcolonial, ce qui provient du Sud peut encore provoquer un exercice de confrontation avec l’altérité. Le concept-condition de « sous-terrain », développé par Hélio Oiticica dans un texte/ manifeste écrit en 1969 intitulé « Subterrânia »19 est très instructif ici. Le jeu entre les sens des préfixes « sous et sud » – sub et sul en portugais – évoque leurs différents signifiés : social, géographique, économique, politique et existentiel. L’artiste explique que « sous-terrain », qui est différent d’underground, délimite une position critique, expérimentale et constructive. Rien de plus actuel…

NOTES

1. Paulo Prado, Retrato do Brasil: ensaio sobre a tristeza brasileira, São Paulo, 1928. 2. Paulo Sérgio Duarte, The 60’s, Rio de Janeiro, 1998. 3. Ítalo Campofiorito, Ítalo Campofiorito: olhares sobre o moderno – arquitetura, patrimônio, cidade, Rio de Janeiro, 2012. 4. Sergio Miceli, Nacional Estrangeiro, São Paulo, 2003. 5. L’exposition reposait sur le concept de l’anthropophagie décrit par Oswald de Andrade dans son « Manifesto anthropófago », publié en 1928 dans le premier numéro de la Revista de Antropofagia. Selon lui, le concept d’anthropophagie en tant que manifestation de l’émancipation culturelle serait une des plus importantes contributions du Brésil à la théorie postcoloniale. Le cannibalisme, pratique attribuée aux tribus indigènes du Brésil et qui dénoterait leur « sauvagerie », a été réévalué par la critique brésilienne comme un moyen de penser la pluralité des cultures par l’assimilation des modèles exogènes. 6. Citons, parmi les expositions les plus importantes qui ont abordé des thèmes féministes dans l’art brésilien, Ultramodern: The Art of Contemporary Brazil, Paulo Herkenhoff, Aracy Amaral éd., (cat. expo., Washington, D.C., National Museum of Women in the Arts, 1993), Washington, D.C.,

Perspective, 2 | 2013 36

1993 ; Virgin Territory: Women, Gender, and History in Contemporary Brazilian Art, Susan Fisher Sterling, Berta Sichel, Franklin Espath Pedroso éd., (cat. expo., Washington, D.C., National Museum of Women in the Arts, 2001), Washington, D.C., 2001 ; Manobras radicais, Paulo Herkenhoff, Heloísa Buarque de Holanda éd., (cat. expo., São Paulo, Centro Cultural Banco do Brasil, 2006), São Paulo, 2006 ; O museu sensível: a obra de artistas mulheres na coleção do MARGS, organisée par Gaudêncio Fidelis au Museu de Arte do Rio Grande do Sul en 2012. 7. Le Museu de Arte Moderna de São Paulo a été créé en 1948 et la Bienal de São Paulo en 1951, tous deux par l’entrepreneur immigré italien Francisco Matarazzo Sobrinho. Les collections du MAM et de Matarazzo ont été transférées à l’Universidade de São Paulo, où le Museu de Arte Contemporânea de Universidade de São Paulo a été créé en 1953. 8. Mário Pedrosa, « O Novo MAM terá cinco museus. É a proposta de Mário Pedrosa », dans Jornal do Brasil, 15 septembre 1978. Voir aussi « Arte culta e arte popular » du même auteur. Les deux textes figurent dans Mário Pedrosa, Política das artes, São Paulo, 1995. 9. Glória Ferreira, « Capítulos à parte », dans Revista Arte & Ensaios, 14, 2007, p. 130-143. 10. Le début de cet effort a été marqué en 1978 par la I Bienal Latino Americana de São Paulo, dont la première et dernière édition, dans une perspective anthropologique, a pris pour thème « Mitos e Magias ». Mettant en avant l’exotisme de l’art dans les pays concernés, y compris le Brésil, il était divisé en quatre sections, consacrées à « la culture indigène », « la culture africaine », l’Eurasie et le métissage. L’exposition, qui promouvait une vision stéréotypée de l’art d’Amerique latine, n’a pas réussi à s’instaurer. 11. Une série d’expositions montées par l’organisme BrasilConnects (qui n’existe plus) autour de la Mostra do Redescobrimento (2000) a lancé cette approche. Cette manifestation multipartite a ensuite été « réélaborée » et présentée au Solomon R. Guggenheim Museum à New York en 2001 sous le titre Brazil: Body and Soul. Gigantesque, elle comprenait aussi bien des artefacts indigènes que des objets archéologiques, des œuvres baroques comme de l’art moderne et contemporain. À mon sens, l’exposition a été plus nuisible que bénéfique. Un autre exemple plus récent est l’exposition Carnaval Curated, conçue par le commissaire allemand (installé au Brésil) Alfons Hug et présentée au Centro Cultural Banco do Brasil en 2004. Je trouve qu’elle a donné une lecture trop simplifiée des diverses problématiques que le carnaval, en tant que manifestation populaire, fait émerger de la société brésilienne. L’exposition A Trama do Esoiritualna Arte Brasileira, organisée par Paulo Herkenhoff à l’Instituto Tomie Ohtake en 2004 a été, quant à elle, très réussie. Le commissaire a présenté des œuvres concrétistes brésiliennes aux côtés d’artefacts des Yanomami, montrant ainsi la contribution de ces derniers à l’art brésilien du point de vue critique. L’exposition incluait également des œuvres de Flávio de Carvalho, d’artistes issus de l’immigration japonaise, etc., afin de clarifier et de rendre lisible un réseau de connexions qui traversent l’art brésilien. Herkenhoff, qui aborde régulièrement ces questions d’hybridation dans ses projets d’exposition, demeure cependant une exception. 12. Laços do olhar: roteiros entre o Brasil e o Japão, Paulo Herkenhoff éd., (cat. expo., São Paulo, Instituto Tomie Ohtake, 2008), São Paulo, 2008. 13. Andrade, 1928, cité n. 5. 14. Néstor Canclini, Cultures híbridas: estratégias para entrar e sair da modernidade, São Paulo, 1998. 15. Boris Groys, Art Power, Cambridge (MA), 2008. 16. Voir Marília Andres Ribeiro, Fernando Pedro da Silva, Um século de história das artes plásticas em Belo Horizonte, Belo Horizonte, 1997 ; Paulo Herkenhoff, Pernambuco moderno, Recife, 2006. 17. Antonio Dias, « Arte ‘brasileira’ não existe », dans Módulo: revista de arquitetura, 86, septembre 1981, réédité dans Glória Ferreira éd., Crítica de arte no Brasil: temáticas contemporâneas, Rio de Janeiro, 2006. 18. Walter Mignolo, La idea de América Latina: la herida colonial y la opción decolonial, Barcelone, 2005, p. 202.

Perspective, 2 | 2013 37

19. Le texte/manifeste de Hélio Oiticica, inédit, peut être consulté à l’adresse suivante : www.itaucultural.org.br/aplicexternas/enciclopedia/ho/index.cfm? fuseaction=documentos&cod=364&tipo=2 (consulté le 28 novembre 2013).

INDEX

Index géographique : Amérique latine, Brésil, Rio de Janeiro, São Paulo Mots-clés : anthropophagie, arts populaires, Bienal de São Paulo, canon occidental, Daros Latinoamerica, exposition, Inhotim, immigration, marché de l’art, modernisme, musée, Museu Afro Brasil, patrimoine Keywords : anthropophagy, art market, Bienal de São Paulo, exhibition, craft, Daros Latinoamerica, heritage, immigration, Inhotim, modernism, Museu Afro Brasil, museum, Western canon Index chronologique : 1900, 2000

AUTEURS

GUILHERME BUENO Professeur d’histoire de l’art à l’Instituto de Artes de l’Universidade do Estado do Rio de Janeiro. Directeur du Museu de Arte Contemporânea de Niterói de 2009 à 2012, il a également dirigé la revue Das Artes.

GAUDÊNCIO FIDELIS Spécialiste de l’art contemporain brésilien, il dirige le Museu de Arte do Rio Grande do Sul. Fondateur et ancien directeur du Museu de Arte Contemporânea do Rio Grande do Sul, il a conçu de nombreuses expositions et a été commissaire adjoint de la 5e Bienal do Mercosul (2005).

CRISTINA FREIRE Professeur associé au Museu de Arte Contemporânea da Universidade de São Paulo. Coordinatrice de 2006 à 2010 du département Art, Théorie et Critique, elle est actuellement directrice adjointe du musée.

JEAN-MARC POINSOT Professeur à l’université Rennes 2 et président des Archives de la critique d’art. Directeur de la recherche à l’INHA de 2001 à 2007, il a lancé un axe de recherche sur l’art et l’architecture dans la mondialisation. Il a publié de nombreux articles sur l’art contemporain et l’exposition.

Perspective, 2 | 2013 38

Du Musée des Origines au Museu Afro Brasil : réinventer l’institution artistique From the Museum of Origins to the Museu Afro Brasil: reinventing the artistic institution

Stéphane Huchet, Vera Beatriz Siqueira, Edward J. Sullivan et Nelson Aguilar Traduction : Monique Le Moing et Géraldine Bretault

NOTE DE L’ÉDITEUR

Ce texte résulte d’un échange de courriels.

1 Le militant politique, critique et historien de l’art et de l’architecture Mário Pedrosa (1900-1981) reste plus que jamais d’actualité. Une anthologie de ses essais est en passe d’être publiée, en anglais, par les éditions du Museum of Modern Art à New York. Sa célèbre proposition de création du Musée des Origines, faite après l’incendie du Museu de Arte Moderna do Rio de Janeiro en 1978 et refusée à l’époque, inspira la Mostra do Redescobrimento de 2000, qui accueillit au parc d’Ibirapuera à São Paulo près de deux millions de visiteurs.

2 Commissaire général de la 6e Bienal de São Paulo en 1961, il avait déjà juxtaposé des œuvres contemporaines avec d’autres relevant de la calligraphie sino-japonaise du VIIIe siècle. Certaines salles étaient consacrées à l’art mural d’Ajanta en Inde, aux fresques byzantines de la Macédoine, aux peintures sur écorce d’arbres des aborigènes australiens, à la sculpture noire du Nigeria et de la Côte d’Ivoire, ou aux créations des Indiens du Paraguay à l’époque des missions jésuites. Ce fut une avant-première du Musée des Origines, faisant côtoyer des collages de Kurt Schwitters et des kakémonos, l’art religieux des missions et les « objets actifs » du néoconcrétiste Willys de Castro.

3 Toujours situé à la gauche du socialisme, il fut emprisonné plus de dix fois pendant la dictature de Gétulio Vargas (1937-1945), puis subit des périodes d’exil tout au long du régime militaire

Perspective, 2 | 2013 39

(1964-1985). C’est d’ailleurs en exil dans le Chili de Salvador Allende qu’il participa à la création du Museo de la Solidaridad à Santiago, un musée constitué grâce aux donations des artistes les plus illustres de l’époque, y compris Joan Miró, Pablo Picasso, Alexander Calder et bien d’autres. Après le coup d’État de 1973 qui fit tomber le gouvernement démocratique chilien, il se réfugia en France, où il influença de jeunes étudiants en art, parmi lesquels Yve-Alain Bois et Guy Brett.

4 Avec le Musée des Origines, lieu privilégié de l’« exercice expérimental de la liberté » (selon sa définition de l’art), Pedrosa voulait dénoncer haut et fort l’absence de dialogue entre les substrats qui nourrissent la création artistique et sont constitutifs de la population brésilienne, de ce fait condamnée à un exil intérieur sur son propre territoire. Notre enquête vise à chercher dans quelle mesure cette réappropriation identitaire existe (ou pas) au sein des institutions culturelles du pays. [Nelson Aguilar]

***

Nelson Aguilar. En 1978, après l’incendie du Museu de Arte Moderna do Rio de Janeiro, qui détruisit une partie significative du fonds et de l’importante exposition de l’artiste uruguayen Joaquin Torres-Garcia, Mário Pedrosa proposa de repartir sur de nouvelles bases, d’inclure les caractéristiques les plus intimes de l’art brésilien et de s’écarter du modèle traditionnel du musée d’art moderne. Il s’agissait d’un choix esthétique singulier marqué par les arts indigènes, l’art brut, l’art moderne, l’art afro-brésilien et les arts populaires. Que vaut cette proposition aujourd’hui ? Stéphane Huchet. Je pense que la proposition de Mário Pedrosa, restée sans suite, représente encore un défi. Elle est à (re)lire à la lumière de la situation brésilienne de l’époque, mais elle soulève encore aujourd’hui des interrogations qui intéressent non seulement le Brésil mais aussi d’autres pays. En 1978, l’idée de réunir sous un même toit et dans une même institution des expressions « artistiques » ou, pour mieux dire, « anthropologiques », aussi diverses posait la question du nom de cette institution, de sa conception, de son sens et de sa pertinence. Pedrosa pensait une forme de muséologie totale impliquant plus qu’une juxtaposition de secteurs. Elle ne faisait sens – et elle ne ferait encore sens aujourd’hui – que si elle parvenait à organiser un dialogue entre cinq musées : « l’art moderne », l’art indigène « indien », « l’art vierge (musée de l’inconscient) », « les arts populaires » et « le musée du Noir »1. Quand je dis que le nom d’un tel musée aurait constitué un défi insoluble – car seule une métaphore ouverte pourrait maintenir les cinq domaines en état précaire de cohabitation –, c’est une façon de souligner l’improbabilité d’un tel musée (cinq en un). Leur mise en place dans un même lieu ne pourrait, tant en 1978 qu’aujourd’hui, se substituer au lourd travail d’articulation organique entre les musées. En effet, que peuvent réellement partager des musées dont le développement durable exige un dialogue interculturel très ouvert, sans préjugés, d’une intelligence remarquable mais aussi très prudent, et en même temps soumis à l’impératif de l’audace critique et même politique, si l’on considère que la vaste histoire coloniale et l’histoire du racisme ne sont pas pacifiées, et que les mots que l’on met sur les choses ne font pas l’objet d’un consensus minimum ? Un tel musée est un terrain politiquement miné. Il serait, au pire, un collage d’hétérogénéités ; au mieux, un lieu de tension(s) culturelle(s) dans lequel il ne s’agirait même pas d’art – dénominateur commun épistémologiquement problématique quand il est question de réunir Afrique, Brésil, productions de l’inconscient, art de l’avant-garde, artisanat, etc. –, ni même de l’impact des diverses esthétiques formelles. Ce sont plutôt des questions névralgiques

Perspective, 2 | 2013 40

de l’anthropologie qui motiveraient et donneraient alors leur dynamique à ce lieu total, dont l’intérêt résiderait dans le fait d’être devenu plus qu’un musée. L’industrie culturelle actuelle saurait certainement inventer cela, puisque les musées sont aussi des entreprises de communication. Rien n’interdit de penser qu’un méga- musée dans le genre de celui imaginé par Pedrosa ne puisse surgir, même si, au Brésil, c’est peu pensable pour des raisons culturelles et politiques. Il faudrait que des acteurs intellectuellement très libres, ou des adeptes cyniques d’une circulation de la marchandise culturelle en tous genres, dans l’esprit du capitalisme mondial, s’y engagent. Rien ne résiste a priori à des motivations qui sauraient ressusciter un rêve un peu anachronique de musée total. L’art actuel, ou contemporain, peut jouer un rôle de modèle, puisqu’il se caractérise par une capacité d’ouverture et d’intégration des horizons les plus divers de la culture, avec leurs problématiques polymorphes et multipolaires. Edward J. Sullivan. L’ère des musées encyclopédiques touche à sa fin. Autrefois, ces musées jouaient un rôle fondamental, en particulier dans des pays comme les États- Unis où, au XIXe siècle, la société ne disposait que d’un accès limité à la culture et aux arts. Des institutions comme le Metropolitan Museum à New York ou le Museum of Fine Arts à Boston ont réuni une sélection d’objets d’art provenant d’Europe, d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, afin que les publics n’ayant pas la possibilité de voyager à l’étranger et de découvrir cet art sur place puissent néanmoins s’instruire. Créer un musée au Brésil en s’appuyant sur les caractéristiques les plus profondes de l’art brésilien, selon le vœu de Mário Pedrosa, impliquerait de soumettre cet art à toute une série de définitions élaborées dans un contexte historique et social précis. Cela reviendrait en quelque sorte à appliquer les mêmes critères esthétiques aux multiples facettes qui composent l’art du Brésil. Pour les périodes historiques de l’art brésilien (comme pour l’histoire de l’art dans son ensemble), des recherches très diverses ont tenté, depuis l’époque de Pedrosa, d’interpréter l’ensemble des circonstances sociales, historiques, économiques et théoriques qui caractérisent cette production artistique. Pour ma part, je préconise des « sites culturels » spécialisés (dans cette catégorie, le musée conserve toute sa place, même s’il ne représente qu’une des nombreuses options permettant de montrer et d’interpréter la culture visuelle). Dans l’idéal, ces espaces devraient être suffisamment flexibles pour permettre la collection et la présentation des objets d’art de manière à refléter l’évolution des attitudes relatives à l’importance et à la signification des artefacts de l’expérience visuelle d’un lieu donné – à savoir, ici, le Brésil. À titre personnel, j’ai eu l’occasion de travailler sur un projet de grande envergure, qui illustrait en quelque sorte les propos de Pedrosa. En 2001, le Solomon R. Guggenheim Museum à New York a présenté une exposition intitulée Brazil: Body and Soul2. Inspirée en partie par l’immense Mostra do Redescobrimento qui avait eu lieu dans plusieurs pavillons du parc d’Ibirapuera à São Paulo en 20003, cette exposition était censée présenter un panorama de l’art brésilien au public new-yorkais et américain. Bien qu’auréolé du titre de « commissaire en chef », je n’étais en réalité qu’une entité parmi une vaste équipe de conservateurs venus du Brésil, des États- Unis et d’Europe. L’événement a essuyé moult critiques de la part de la presse brésilienne, qui y voyait un coup de publicité pour le Guggenheim, alors en cours de

Perspective, 2 | 2013 41

négociation pour l’ouverture d’une filiale à Rio de Janeiro. Malgré cela, l’exposition a remporté un succès considérable à New York, où elle a réussi à suggérer l’extraordinaire richesse de la culture visuelle du Brésil, depuis les peuples de l’Amazonie à l’art contemporain. Bien que ce type d’exposition me semble d’ores et déjà obsolète, j’espère que le Brésil ne connaîtra jamais de musée qui se voudrait exhaustif, dans l’idée de montrer « l’essentiel » de l’art brésilien. L’« essentiel » n’existe pas en art. L’art est élastique, en perpétuelle expansion, et sa réception auprès du public évolue année après année. Par conséquent, je préférerais soutenir la création de sites culturels spécialisés, dans l’idée d’explorer des facettes originales de la créativité brésilienne. Vera Beatriz Siqueira. Il est évident que la proposition de Mário Pedrosa s’inscrit à la fois dans ses conjectures critiques et dans son fort engagement politique. Elle ne manque pas d’ambiguïtés ni d’ambivalences. Parler d’arts indigènes, afro-brésiliens et populaires était une façon assez efficace de se détourner de l’eurocentrisme dominant dans les discours muséologiques, tout en veillant à s’insérer dans la tradition, en vigueur chez les penseurs européens modernes, de valorisation de la culture des peuples alors appelés « primitifs ». Cette volonté au Brésil explique l’importance donnée à l’art moderne et à l’optique moderniste, qui trouvait un intérêt à l’art traditionnel en tant que manifestation populaire ou autochtone, mais qui excluait l’art académique, par exemple. Mieux, j’imagine que, d’après ce qu’il écrit sur les artistes proches de l’académie, comme Eliseu Visconti par exemple – à qui il reconnaissait le statut d’inventeur du paysage brésilien moderne –, l’art académique des années 1880 était mis en avant parce qu’il apparaissait comme précurseur de la « modernité ». Remarquons cependant que la valeur est étroitement liée à l’affirmation d’un art brésilien en contact avec les tendances artistiques internationales les plus avancées de l’époque. On a déjà beaucoup critiqué ce modèle de pensée moderne (ou moderniste, comme certains préfèrent le qualifier). Il est cependant important de noter que ce fut cette prétention à l’universalité de l’art, à partir de son centre moderne européen, qui permit, au milieu du XXe siècle, d’introduire d’autres manifestations artistiques et culturelles, auparavant méprisées et dévalorisées. Le défi contemporain paraît être le suivant : comment faire ce rapprochement sans tomber dans la suggestion ou dans l’utopie de la mondialisation moderniste, fondée sur la prétendue universalité du langage de formes et de couleurs ? Si nous ne pouvons plus croire en l’autonomie et en l’universalisme du langage artistique, comment faire communiquer les objets et les concepts de différents cadres culturels, géographiques et temporels ? Il est clair qu’il y a là un effort à faire. Nous devons agir pour que l’histoire mondiale de l’art ou les discours postcolonialistes dépassent les tendances européennes de pensée critique. Pour cela, je crois que la proposition de Pedrosa concernant un musée d’art brésilien est toujours valide, dans la mesure où elle est discutée de façon critique, en tenant compte des nouveaux problèmes artistiques et institutionnels soulevés par notre époque. Finalement, cette alternative culturelle n’a pas été expérimentée telle qu’elle avait été imaginée et, en conséquence, pourrait engendrer un débat important sur les modèles de musées, les conceptions historiographiques, les propositions de conservation et les pratiques d’exposition. Peut-être serait-il bon d’analyser cette

Perspective, 2 | 2013 42

proposition comme quelque chose qui ressemblerait au « Musée imaginaire » d’André Malraux – qu’Ernst Gombrich voyait comme un temple dédié à un mythe – en cherchant à comprendre ce qui a été mythifié et les moyens de s’en défaire, sans abandonner l’incorporation roborative des arts indigènes, afro-brésiliens et populaires dans le cadre plus général de l’art brésilien. Ce serait donc un point de départ, et non pas d’arrivée, pour penser un musée qui parlerait de l’art au Brésil de façon à la fois plus ouverte et plus rigoureuse.

Nelson Aguilar. Le parc Ibirapuera à São Paulo abrite, entre autres institutions artistiques, le Museu Afro Brasil et le pavillon Ciccillo Matarazzo, où se tient la Bienal de São Paulo. Chacun agit comme s’il avait son propre horizon. Est-il possible d’imaginer une synergie entre la biennale et le travail prospectif entrepris par la direction du Museu Afro Brasil ? Edward J. Sullivan. Le Museu Afro Brasil, situé dans un des pavillons du parc Ibirapuera, mieux connu pour accueillir la Bienal de São Paulo, présente une collection extraordinaire d’objets de toutes sortes, des beaux-arts au kitsch, qui témoignent de la créativité des Noirs au Brésil. C’est le résultat d’efforts incommensurables déployés par Emanoel Araújo pendant des années. Cet artiste, collectionneur, administrateur de musée et défenseur des arts a su sensibiliser le monde de l’art du Brésil à l’importance de l’impulsion créative des Afro-Brésiliens. L’action d’Araújo a eu d’incroyables retombées sur la manière dont nous appréhendons la relation entre le Brésil et l’Afrique sur le plan des arts visuels. En tant que conservateur et auteur, il a produit des textes fondamentaux pour illustrer ses théories, dont le plus diffusé est peut-être A mão afro-brasileira: significado da contribução artística e histórica4. Dans cet ouvrage, Araújo ne se contente pas de souligner l’importance de la contribution des Noirs dans le domaine des arts ; il rappelle l’impact que les cultures africaines ont eu sur les artistes du Brésil qui ne sont pas noirs eux-mêmes. Citons, par exemple, le cas de Ronaldo Rego : ses impressionnantes sculptures en bois incarnent les préceptes spirituels de la religion umbanda, dont il est un pai de santo, sorte de dignitaire. Son travail reflète les éléments africains, européens et amérindiens de l’umbanda, et, pour Araújo, il relève d’une production d’inspiration afro-brésilienne. La jeune génération de spécialistes, qu’ils soient brésiliens ou étrangers, semble préférer le terme d’« art noir » à celui d’« art afro-brésilien ». C’est le cas de l’historienne de l’art américaine Kimberly Cleveland, qui, dans son dernier ouvrage Black Art in Brazil5, expose avec adresse la manière dont la culture noire fait inextricablement partie de la culture brésilienne. Elle affirme même que l’umbanda, « en raison de la nature syncrétique de la foi et de l’histoire du métissage au Brésil », est devenue une religion nationale6. Tout au long de l’histoire du Brésil, depuis l’époque baroque, on peut relever la trace de ce que Araújo nomme la « touche africaine ». Antônio Francisco Lisboa, connu sous le nom d’« O Aleijadinho », est l’artiste noir qui a le mieux incarné l’esprit hautement créatif, éclectique et transgressif de cette sculpture et de cette architecture, à travers ses œuvres qui parsèment l’État du Minas Gerais. La question noire intervient dans l’œuvre de la plupart des artistes qui ont formé la première et la seconde génération des modernistas entre les années 1920 et 1940, de

Perspective, 2 | 2013 43

Tarsila do Amaral à Lasar Segall en passant par Cândido Portinari. Dans les années 1960, le courant constructiviste était devenu une des principales formes d’expression visuelle au Brésil, faisant écho aux événements qui se produisaient en Amérique du Nord et du Sud et en Europe. Même dans cette forme d’art théoriquement imperméable à la question raciale, des références à la culture noire ont inévitablement trouvé une traduction dans la peinture et la sculpture brésiliennes. L’exemple par excellence est l’œuvre de Rubem Valentim : expression de ses croyances personnelles en tant que prêtre du candomblé, ses créations, et notamment ses célèbres emblèmes et ses oratorios en bois monochrome (dont les plus impressionnants appartiennent aujourd’hui à la collection du Museu de Arte Moderna da Bahia à Salvador), sont autant comprises comme des images afro- brésiliennes que comme des œuvres constructivistes. L’histoire de l’art brésilien est imprégnée de cette culture. Par conséquent, la plus grande ville du Brésil se doit de disposer d’un grand musée consacré à la collection et à l’exposition de cet art. La politique muséale du pays ne saurait en faire l’économie. À la question de savoir si oui ou non cette institution serait compatible avec la Bienal de São Paulo, la réponse est un « oui » retentissant. La biennale est de toute évidence un événement qui englobe l’art du monde entier et le fait entrer en résonance avec l’environnement brésilien, qui, sous ses multiples aspects, est une composante essentielle de la manifestation et sa mission. Elle est ce qu’elle est de par sa situation dans la ville et dans l’ensemble du pays. Les collections du Museu Afro Brasil sont un élément fondamental dans la définition des qualités essentielles qui constituent l’art brésilien, et elles doivent donc faire partie intégrante du dialogue à l’origine de chaque édition de la biennale. Vera Beatriz Siqueira. Curieusement, même lorsque la biennale pauliste a été axée sur des thèmes politiques ou sur des pratiques d’insertion sociale, il n’y a pas eu à proprement parler de rapprochement avec le Museu Afro Brasil. Il est clair que la biennale n’est pas la seule responsable de cette distance. Le musée lui-même constitue un lieu institutionnel très particulier, qui se différencie des autres institutions muséales. Ce qui nous apparaît comme une proximité physique est largement dépassé par la distance symbolique. L’histoire de la biennale pauliste est marquée par son caractère exceptionnel. Dans un pays où peu d’initiatives culturelles survivent au-delà de quelques mois, le fait qu’elle soit organisée de façon systématique depuis 1951 lui confère un caractère singulier ainsi qu’une certaine centralité. Néanmoins, aujourd’hui, face à la diversification du circuit des expositions au Brésil et dans le monde, elle ne peut plus se limiter à la fonction qu’elle avait lors de sa première édition, celle de présenter les œuvres des artistes de l’avant-garde moderne qui ne circulaient pas au Brésil. On doit s’attacher à repenser sa mission culturelle. Chaque proposition des commissaires est une avancée dans cette quête de nouveaux chemins et, dans une certaine limite, de rapprochement avec d’autres formes institutionnelles. Dans ce débat, la séparation entre la Bienal de São Paulo et le Museu Afro Brasil est toujours présente. En réalité, ce hiatus touche à des questions très délicates qui dépassent le problème spécifiquement artistique ou institutionnel. Le Museu Afro Brasil s’attache à défendre le mouvement de valorisation ethnique et culturelle des Afro-Brésiliens. Très souvent, cette pratique a été interprétée par les acteurs du

Perspective, 2 | 2013 44

système artistique comme étant extérieure à l’univers de l’art, comme si le débat sur les problèmes raciaux n’appartenait pas à la culture brésilienne ou ne pouvait trouver d’issue dans le domaine de la production, de la circulation et de l’institutionnalisation de l’art. Cette conception découle peut-être d’un certain « purisme » culturel, même parmi ceux qui revendiquent les tendances plus ouvertement politiques de l’art contemporain mondial et du système artistique globalisé. D’un autre côté, le Museu Afro Brasil est une institution muséologique, et plus spécifiquement un musée d’art, qui appartient de toute évidence à la tradition des musées et ne s’écarte pas du circuit culturel plus spécialisé. En outre, et à sa façon, il livre des récits historiques sur l’art brésilien qui doivent être analysés et critiqués. Pour ces raisons, on doit pouvoir critiquer ce musée sans que les discussions soient immédiatement entendues comme politiquement incorrectes ou incompatibles avec l’affirmation des Afro-Brésiliens. Dans le même temps, les pratiques assez hétérodoxes de ce musée devraient susciter une remise en question de certaines orthodoxies et mythologies muséologiques, beaucoup discutées mais rarement affrontées directement. Bien qu’encore complexe, je crois que la synergie entre le Museu Afro Brasil et la biennale est possible et même souhaitable, tant du point de vue de l’inclusion des réalisations culturelles d’Afro-Brésiliens dans l’histoire de l’art du pays que dans la perspective de l’art contemporain et des questions qu’il pose sur les frontières du phénomène artistique et les limites des pratiques institutionnelles. Stéphane Huchet. Imaginer une synergie entre le Museu Afro Brasil et la Bienal de São Paulo est de l’ordre du possible. Des éditions récentes de la biennale ont proposé des espaces d’exposition dans lesquels des artistes prenaient pour objet des thématiques, des sources, des références culturelles à dominante « anthropologique », dans un sens local, régional, national, latino-américain, occidental enfin, autour de questions urbaines, sociales, de marginalité, de discrimination, de métissage, de multiculturalisme, etc. Si l’on prend exemple sur la biennale de 2006, les œuvres présentées – des Brésiliens Jarbas Lopes, Monica Nador et JAMAC, Cao Guimarães, et de nombreux étrangers – s’alignaient sur le propos de l’exposition, que le commissaire Lisette Lagnado avait placée sous le signe du « How to live together ». La biennale – d’art contemporain, faut-il le rappeler – n’a pas la vocation ethnologique d’un Museu Afro Brasil, même si les thématiques anthropologiques acquièrent une importance croissante dans l’art contemporain. On peut dire que la manière de porter ces questions sur le devant de la scène institutionnelle est plus avancée dans les éditions récentes de la biennale qu’elle peut l’être dans un musée, dont la mission est de répondre d’abord à une demande d’« ethnologie élargie », une sorte d’expanded field de l’anthropologie. Si le musée concède de l’espace aux manifestations artistiques contemporaines, la biennale, elle, est en première ligne dans leur découverte et leur présentation. Le Museu Afro Brasil donne toutefois sa place à des expressions artistiques qui pourraient parfaitement être présentées dans une biennale. Des convergences s’établissent en raison du fameux « tournant anthropologique » de l’art et de l’artiste, dont Hal Foster a analysé les composantes dans The Return of the Real7. D’une institution à l’autre, certains aspects des œuvres exposées se font écho. Tous les médiums convergent et se

Perspective, 2 | 2013 45

ressemblent dans un espace comme dans l’autre, et les défis de l’expographie sont parfois très proches. Ce sont autant d’éléments possibles de synergie. Je pense tout de même qu’une institution comme la biennale a plus vocation à l’exploration créative et intellectuellement stimulante du champ ouvert du multiculturalisme qu’un musée, dont l’une des finalités est la reconnaissance d’une dignité historique à des populations encore aujourd’hui soumises à la discrimination. Une biennale pourrait instaurer un partenariat culturel avec un musée comme le Museu Afro Brasil, mais les chapelles sont très puissantes. Une telle collaboration aurait le mérite, à l’intérieur du Brésil même, de poser des défis critiques irrésolus depuis la proposition de Pedrosa en 1978, et que l’exposition Magiciens de la terre de 1989 a également posés en son temps8. Tout cela est de l’ordre de l’expérimental.

Nelson Aguilar. Le quota racial, qui consiste à réserver à des groupes ethniques spécifiques un certain nombre de places au sein des institutions publiques ou privées, existe aux États-Unis depuis les années 1960. Au Brésil, le tribunal suprême fédéral n’a approuvé les quotas raciaux à l’unanimité qu’en 2012. Dans quelle mesure une telle décision affecte-t-elle ou pas l’art et dans quelle proportion ? Stéphane Huchet. On peut dire que les quotas raciaux tendent à créer les conditions nécessaires pour satisfaire ce que le Museu Afro Brasil se propose de faire à travers ses collections permanentes : transformer l’imaginaire de la population noire en le mettant en valeur « dans le prestige, l’égalité et l’appartenance, en réaffirmant ainsi le respect d’une population matrice de notre brésilianité »9. L’entrée dans les universités d’étudiants qui viennent majoritairement de l’enseignement scolaire public, en très mauvais état, représente au Brésil une inconnue pour ce qui est de l’assimilation de la culture dite de l’élite. En fait, comme le remarquait déjà Ferreira Gullar, le critique du néoconcrétisme, dans un essai des années 1960 sur la culture de masse et l’art, la ligne de partage n’est pas celle que les préjugés jugent infranchissable, entre riches et pauvres, mais celle entre sensibles et ignorants10. On peut penser que le réservoir de créativité dont parlait Toni Negri11 pour caractériser de façon assez romantique la population brésilienne modeste des quartiers populaires est susceptible de faire un meilleur accueil à l’art – entendu comme des langages complexes de la modernité – que le matérialisme des nouveaux riches. Mais de quel art parle-t-on ? La compréhension de l’art d’élite, classique, moderne, contemporain est autant un défi pour un riche « ignorant » que pour un pauvre « ignorant ». Les quotas mettront en effet un plus grand nombre de personnes auparavant exclues au contact d’une culture à laquelle les « riches » eux-mêmes ont peu accès car, en dehors de villes comme São Paulo et Rio de Janeiro, les institutions artistiques et les musées sont peu nombreux. Il est important de savoir que les universités qui forment dès le premier cycle de futurs historiens de l’art se comptent sur les doigts de la main. Il n’existe pas de savoir consolidé pour susciter l’émergence d’une classe de professionnels de l’histoire de l’art. En ce sens, le défi de la formation est presque similaire pour toutes les classes sociales. Alors, la question n’est pas l’extension du public à former, mais l’intensité et la qualité de sa formation – ce qui, au Brésil, concerne toutes les classes sociales. Edward J. Sullivan. Les quotas raciaux dans les institutions publiques (et donc de facto dans les institutions privées) – en particulier dans l’enseignement supérieur –

Perspective, 2 | 2013 46

existent depuis des décennies aux États-Unis. Le sujet est bien sûr hautement conflictuel, et cette situation a donné lieu à d’innombrables controverses, aussi bien dans les partis libéraux que conservateurs. Le jugement rendu par la Cour suprême des États-Unis en 2002-2003 qui maintenait les quotas raciaux en vigueur dans la faculté de droit de l’université du Michigan a soulevé un grand mécontentement. Pour ce qui est du sujet de notre enquête actuelle – les arts au Brésil –, je pense que l’atmosphère plus ouverte qui règne aujourd’hui entre les individus de toutes races et origines ethniques (même si c’est le fait d’une décision gouvernementale tombée en 2012) devrait susciter un contexte propice, favorable aux arts. Tout ce qui donne accès (en termes d’éducation artistique) à un capital culturel et, par conséquent, à une plus grande visibilité pour les artistes de toutes origines ethniques, est absolument positif et ne peut qu’encourager l’épanouissement de tous les types d’expression artistique. Cependant, demeure le danger qu’il se crée ce que j’appellerais une « culture par dessein » demeure. Je me méfie de l’accès à la culture contraint ou forcé par la loi, si cela doit aboutir d’une manière ou d’une autre à une forme d’homogénéisation de l’expression visuelle. La production artistique restera aussi organique que par le passé et continuera à répondre aux circonstances sociales, historiques ou économiques, avec ou sans l’aide supplémentaire que peuvent apporter des quotas officiels. Vera Beatriz Siqueira. Je ne peux parler que de mon expérience personnelle concernant les quotas raciaux dans les universités publiques. Je suis notamment rattachée à l’Universidade do Estado do Rio de Janeiro (UERJ), université pionnière en ce qui concerne la création de quotas, qui sont réservés aux élèves à bas revenus issus des écoles publiques. Au début, les critiques du système des quotas ont cru qu’il entraînerait une crise de l’évaluation au mérite, fondamentale dans le système académique. Aujourd’hui, nous découvrons que cela n’a pas été le cas. Le risque de voir le niveau des étudiants baisser de façon significative ne s’est pas vérifié, du moins en ce qui concerne les cours d’art visuels et d’histoire de l’art. D’après moi, les quotas ont permis d’intégrer des personnes qui jusqu’alors n’avaient pas cette possibilité et qui, en entrant à l’université, ont pénétré dans d’autres univers – comme l’université elle-même ou le système de l’art – avec des règles propres qui rendaient égaux ses participants à partir de critères différents (y compris celui du mérite). Bien que je n’aie pas de données pour parler de manière plus compétente de l’impact culturel de ce type d’initiative, j’imagine qu’à l’avenir la présence d’élèves qui traditionnellement étaient hors du circuit va se faire sentir dans la modification des objets d’intérêt, dans l’apparition de nouvelles problématiques et dans l’affirmation de nouvelles perspectives, et viendra rénover le champ artistique, critique et historiographique.

Nelson Aguilar. Quelle expérience avez-vous eu de ces questions ? Edward J. Sullivan. Je n’ai évidemment jamais été directement concerné par la plupart des questions ci-dessus, propres au Brésil. Je ne peux que vous livrer quelques pensées sur leurs ramifications aux États-Unis. Je m’intéresse surtout à ce que soulèvent les quotas raciaux, ainsi qu’à l’idée de musées encyclopédiques par opposition à des collections spécialisées ou à des « sites culturels » capables de

Perspective, 2 | 2013 47

refléter la diversité de l’art aux États-Unis. Bien que certains critiques aient voulu établir des correspondances entre l’expérience vécue par les individus d’origine africaine aux États-Unis et au Brésil en matière d’esclavage, de métissage, de discrimination raciale, de lutte pour l’égalité des droits, etc., leurs trajectoires et leurs histoires respectives sont en réalité très dissemblables. Il est impossible de les comparer, en dépit de quelques points communs que je vais traiter très brièvement, dans la mesure où ils ont une incidence sur la collection et l’exposition de l’art. À partir des années 1960 et 1970, les États-Unis ont vu naître de nombreux projets de libération : la libération des noirs, le féminisme, les mouvements de libération des gays et lesbiennes, les mouvements pour les droits des Chicanos et des projets autour de la discrimination envers les Latinos, et notamment la très importante population portoricaine qui a commencé à émigrer en masse à New York dans les années 1950 (suivie par d’autres communautés hispaniques : les Dominicains, les habitants d’Amérique centrale, les Cubains d’après 1960 et, bien plus tard, de nombreux Mexicains). Tous ces déplacements de populations et les projets politiques qui les sous-tendaient ont eu des répercussions sur la production artistique. Dans le sillage des mouvements de 1968-1970, des revendications ont vu le jour pour exiger l’intégration d’œuvres d’artistes de couleur dans les collections des plus grands musées, dont le Museum of Modern Art et le Metropolitan Museum of Art à New York. Ces manifestations (sont souvent concrétisées sous la forme de grèves et de manifestations devant ces institutions) n’ont eu que de faibles retombées. Vers la fin des années 1960, plusieurs grandes expositions organisées par le Metropolitan ont tenté de répondre à ces questions. Une des plus controversées, intitulée Harlem on My Mind: Cultural Capital of Black America 1900-196812, a notamment été très critiquée par de nombreux membres de la communauté noire, qui y voyaient une mainmise de l’homme blanc sur l’histoire des arts à Harlem. Le Metropolitan a renouvelé l’initiative avec moins de déboires en 1973, avec The Art Heritage of Puerto Rico13. Cette exposition offrait un panorama des arts anciens et modernes sur l’île de Porto Rico (une des dernières colonies au monde, passée de la domination espagnole au protectorat américain après la guerre hispano-américaine de 1898). Fait intéressant, cette exposition avait été organisée de concert avec le tout jeune Museo del Barrio. El Museo del Barrio a été un des premiers musées aux États-Unis consacré à une spécificité ethnique. Fondé par des artistes du quartier d’East Harlem à New York, il a d’abord occupé de simples vitrines avant de trouver un lieu de résidence permanent, celui qu’il occupe encore aujourd’hui. El Museo del Barrio a suscité bien des controverses, notamment sur son nom, qui désigne le quartier hispanique de l’East Harlem. Dans les années 1990, le musée a changé de mission pour devenir un lieu de collection et de présentation de l’art provenant de toutes les régions d’Amérique latine (y compris le Brésil) et des Caraïbes. Il s’est attaché à produire des expositions qui n’auraient jamais pu être accueillies ailleurs à New York. Son programme couvre de nombreuses périodes historiques, et propose des expositions aussi bien sur l’art ancien des Amériques que sur l’art contemporain produit par des artistes latinos ou latino-américains de la région de New York. Sa biennale suscite un vif intérêt au sein de la communauté artistique locale. Je prends l’exemple d’El Museo del Barrio parmi les nombreux espaces muséaux de ce type dédiés à une communauté ayant vu le jour à New York et aux États-Unis au cours des quarante dernières années. En développant plus amplement ma réponse à cette

Perspective, 2 | 2013 48

question, je pourrais analyser le travail d’autres institutions de ce type, comme le Studio Museum à Harlem (New York), le Mexican Museum (San Francisco), le National Museum of Women in the Arts (Washington, D.C.) ou le Leslie Lohman Museum of Gay and Lesbian Art (New York). Toutes ces institutions ont connu d’immenses succès (et des échecs), et chacune a joué un rôle décisif pour élargir le spectre des formes d’art auxquelles les publics américains sont aujourd’hui régulièrement confrontés. Chaque pays, y compris le Brésil, possède ses histoires propres en ce qui concerne les questions raciales et culturelles. Les expliquer et les célébrer au sein de musées ou de sites culturels dédiés donneraient au public l’opportunité de mieux comprendre les multiples facettes qui composent leur héritage. Vera Beatriz Siqueira. Je suis historienne de l’art, je forme des doctorants et des post-doctorants à l’Institute de Artes de l’Universidade do Estado do Rio de Janeiro (UERJ). J’ai travaillé environ quinze ans dans des centres culturels et des musées nationaux de l’Instituto do Patrimônio Histórico et Artístico Nacional (Iphan), comme le Paço Imperial, le Museu da República et les musées Castro Maya. De plus, j’ai organisé des expositions dans différentes institutions. Le contact avec la littérature historico-artistique et critique, d’un côté, et avec le monde institutionnel et les pratiques de conservation, de l’autre, a développé chez moi un intérêt particulier pour les relations entre l’art en tant que création poétique et ses processus d’institutionnalisation. J’y travaille depuis 2002. Stéphane Huchet. La question de l’art au Brésil est aussi la question de ses modes d’existence, de sa visibilité et de sa proximité ou non avec la population. Si deux villes, São Paulo et Rio de Janeiro, ont le privilège d’accueillir la majorité des institutions artistiques et des espaces d’exposition, d’autres, comme Belo Horizonte, Salvador, Recife et Porto Alegre, avec sa Bienal do Mercosul, connaissent aussi une vie artistique. Aux effets de la globalisation, qui ont mis le Brésil sur une trajectoire favorable à l’émergence parcimonieuse d’institutions culturelles, s’ajoute un accroissement de la demande démocratique d’information, y compris l’accès à l’art. Dans le petit monde des artistes et des critiques, il est de mode de porter l’art vers les populations qui n’y ont jamais eu accès, ceux à qui l’art classique, moderne, etc., avec leurs langages parfois inaccessibles, est inconnu. Porter l’art vers les populations marginalisées, c’est ce que font et prônent les artistes qui réalisent des interventions urbaines, des collectifs d’artistes adeptes de pratiques que l’on peut qualifier globalement – pour reprendre la catégorie critique de Nicolas Bourriaud – de « relationnels ». Selon un mode d’interaction physique, elles agissent au nom de la diffusion d’un principe de créativité pour lequel l’art en tant qu’objet, produit durable, image, ne compte parfois pas – ou en tout cas si peu que l’on peut repérer, à travers des invitations performatives à la participation en direction de publics jugés jusqu’alors ignorants, une sorte de mise à mort symbolique de l’art, de sa mémoire, de sa consistance. Qu’il y ait aujourd’hui au Brésil des artistes qui ne pensent qu’en termes d’éveil ludique et divertissant de leur public-partenaire par des actions sans contenu artistique et qui diluent l’art dans le socius (l’élément social) au nom d’une politique pas toujours convaincante, et aussi des artistes, plus nombreux, mais parfois plus discrets, encore fidèles à l’image et à l’exposition, dessine une situation qui oblige à replacer les questions auxquelles nous avons répondu sous un jour nouveau. Il s’agit de penser la relation de l’institution, souvent précaire (les fonds

Perspective, 2 | 2013 49

publics étant rares) à la « société des artistes », pour une minorité d’entre eux si prompte à l’amnésie et, pour la majorité, si créative et productrice d’un art de grande qualité. Dans ces conditions, qu’en est-il de l’art, de son histoire, de sa transmission et de sa relation avec les diverses manifestations esthétiques et anthropologiques que Pedrosa rêvait de réunir sous un même toit ?

NOTES

1. Mário Pedrosa, « O novo MAM terá cinco museus », dans Otília Arantes éd., Política das artes, I, Textos escolhidos, São Paulo, 1995, p. 309-312. Le musée de l’art vierge, ou de l’inconscient, est à entendre dans un sens assez proche de celui de l’art des « fous », des enfants, comme dans l’art brut. 2. Brazil: Body and Soul, Edward J. Sullivan éd., (cat. expo., New York, Solomon R. Guggenheim Museum/Bilbao, Guggenheim Museum Bilbao, 2001-2002), New York, 2001. 3. Mostra do Redescobrimento, (cat. expo., São Paulo, Parque Ibirapuera, 2000), São Paulo, 2000. 4. Emanoel Araújo, A Mão Afro-Brasileira: Significado da Contribução Artística a Histórica, São Paulo, 1988. 5. Kimberly Cleveland, Black Art in Brazil: Expressions of Identity, Gainesville, 2013. 6. « […] because of the faith’s syncretic nature and Brazil’s history of miscegenation » (Cleveland, 2013, cité n. 5, p. 71). 7. Hal Foster, The Return of the Real: The Avant-Garde at the End of the Century, Cambridge (MA), 1996 [éd. fr. : Le Retour du réel: situation actuelle de l’avant-garde, Bruxelles, 2005]. Il faudra bien un jour, suivant les riches indications de Foster, figurer le schéma de ce « champ élargi », c’est-à-dire les relations entre le sujet, l’autre, le texte culturel, le rôle de l’artiste, etc. 8. Magiciens de la terre, Jean-Hubert Martin éd., (cat. expo., Paris, Centre Georges-Pompidou, 1989), Paris, 1989. 9. « […] no prestígio, na igualdade e no pertencimento, reafirmando assim o respeito por uma população matriz de nossa brasilidade » (http://www.museuafrobrasil.org.br, consulté le 26 novembre 2013). 10. Ferreira Gullar, « Problemas estéticos na sociedade de massa », dans Vanguarda e subdesenvolvimento: ensaios sôbre arte, Rio de Janeiro, (1969) 1978. 11. Toni Negri, dans Hans Ulrich Obrist, Conversations, I, Paris, 2008, p. 599-615. 12. Harlem on My Mind: Cultural Capital of Black America 1900-1968, (cat. expo., New York, The Metropolitan Museum of Art, 1968-1969), New York, 1968. 13. The Art Heritage of Puerto Rico: Pre-Columbian to Present, (cat. expo., New York, El Museo del Barrio/The Metropolitan Museum of Art, 1973), New York, 1973.

Perspective, 2 | 2013 50

INDEX

Keywords : art afro-brésilien, Bienal de São Paulo, El Museo del Barrio, intégration culturelle, musée, Museu Afro Brasil, quota racial Index géographique : Brésil, New York, Rio de Janeiro, São Paulo Index chronologique : 1900, 2000

AUTEURS

STÉPHANE HUCHET Professeur d’histoire de l’art à l’Universidade Federal de Minas Gerais (Belo Horizonte) et auteur d’ouvrages sur l’art moderne et contemporain, dont Intenções espaciais: a plástica exponencial da arte (2012).

VERA BEATRIZ SIQUEIRA Professeur d’histoire de l’art à Universidade do Estado do Rio de Janeiro, chercheuse au Conselho Nacional de Desenvolvimento Científico e Tecnológico (CNPq), membre du Comitê Brasileiro de História da Arte et auteur de plusieurs ouvrages sur l’art brésilien et les institutions artistiques.

EDWARD J. SULLIVAN Professeur d’histoire de l’art à New York University. Spécialiste de l’art moderne et contemporain d’Amérique latine et des Caraïbes, il a publié largement sur le sujet, y compris From San Juan to Paris and Back: and Caribbean Art in the Era of (2014).

NELSON AGUILAR Historien et critique d’art, il a été commissaire des 22e (1994) et 23e (1996) éditions de la Bienal Internacional de São Paulo et a organisé la Mostra do Redescobrimento à São Paulo en 2000. Il est professeur adjoint à l’Universidade Estadual de Campinas.

Perspective, 2 | 2013 51

Existe-t-il un art brésilien ? Does Brazilian art exist?

Luiz Marques, Roberto Conduru, Claudia Mattos et Mônica Zielinsky Traduction : Carlos Spilak et Sandra Texeira

NOTE DE L’ÉDITEUR

Cet article est une traduction de : Existe uma arte brasileira?

Luiz Marques | Fragilité et apories de l’historiographie artistique brésilienne

1 Proposer une vue d’ensemble sur les rapports entre l’histoire des arts visuels au Brésil et l’histoire des réflexions qu’elle a suscitées chez nous (et, plus rarement, ailleurs) relève de la gageure, car il s’agit d’un dossier difficile. Et cela, peut-on dire, pour trois raisons. Avant tout, cette historiographie n’a pas fait jusqu’à présent l’objet de bilans ou mêmes de réflexions d’ensemble. Or, dès que l’on s’y aventure, on s’aperçoit que le terrain et le paysage ne sont pas très définis. Il n’y a pas eu au Brésil des historiens de l’art qui ont structuré le paysage intellectuel et défini ses lignes de force, tels que, par exemple, Henri Focillon en France, Roberto Longhi en Italie, Julius von Schlosser en Autriche, Erwin Panofsky et Edgar Wind en Allemagne, Roger Fry en Angleterre, etc. Bien entendu, des figures de référence s’imposent, mais ce sont en général plutôt des écrivains, des essayistes, des journalistes, qui ont parfois fait aussi – tant bien que mal – de l’histoire de l’art. De plus, avant les années 1980, l’histoire de l’art entendue comme connaissance méthodique et comme discipline universitaire décernant des diplômes de licence, maîtrise ou doctorat, n’existait tout simplement pas au Brésil – d’ailleurs, aujourd’hui encore les cours d’histoire de l’art ne sont pas nombreux, tant s’en faut.

2 Une seconde raison expliquant la difficulté de proposer une vision d’ensemble de l’historiographie artistique au Brésil tient au fait que les études sur l’art au Brésil se sont concentrées seulement sur deux périodes historiques et sur deux régions du pays :

Perspective, 2 | 2013 52

le baroque, notamment dans l’État du Minas Gerais, avec des incursions isolées à Rio de Janeiro et dans les États du nord-est du pays (Bahia, Pernambuco, Paraíba) – baroque devant être compris ici comme l’art issu de la période coloniale grosso modo entre le début du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle – et le modernisme, terme qui ici s’applique en général à l’art relativement empreint de nationalisme produit à partir de la seconde décennie du XXe siècle, notamment à São Paulo, à Rio de Janeiro et, secondairement, dans le Minas Gerais. De ce fait, des pans entiers de l’histoire des arts au Brésil – et notamment l’art du XIXe siècle – sont restés jusqu’aux années 1990 plutôt oubliés. Enfin et surtout, si l’historiographie artistique brésilienne fut lacunaire et manquait jusqu’aux années 1980 de rigueur universitaire, c’est aussi parce que les arts figuratifs au Brésil n’ont pas mérité, et selon moi à juste titre, l’attention que d’autres arts, notamment la littérature et la musique, ont pu et su attirer chez les historiens locaux.

3 Cette troisième raison relève d’un jugement de valeur qu’il faut tout de suite assumer. Il vaut mieux avancer d’emblée sur ce sujet deux éléments. Premièrement, puisque je ne travaille pas sur l’histoire de l’architecture, ni sur celle des arts décoratifs, ni même sur celle de ce qu’on appelle « l’art contemporain », mes analyses se borneront dans ce qui suit au domaine des études sur les arts figuratifs stricto sensu. Deuxièmement, tout ce que je proposerai par la suite n’est probablement pas partagé par la plupart des collègues brésiliens. Ceux-ci ont une tendance, bien compréhensible, à mettre en valeur leur objet d’étude et à lui attribuer une portée historique et esthétique qui, sauf dans des cas exceptionnels (Antônio Francisco Lisboa dit « O Aleijadinho », Emiliano Di Cavalcanti dessinateur dans les années 1920, Cândido Portinari portraitiste, etc.) est à mon sens exagérée et n’a pas de signification majeure en dehors de l’histoire locale.

Fragilité historique des arts figuratifs

4 Les arts figuratifs au Brésil, en particulier la peinture, et le travail de réflexion historique qu’ils ont suscités jusque dans les années 1990 s’imposent à l’observateur et à l’historien par leur fragilité commune. Examinons d’abord le phénomène artistique, pour traiter ensuite de l’histoire des textes qui s’en sont occupés, c’est-à-dire, de l’historiographie artistique. Héritée du Portugal, la fragilité est un trait constitutif de la tradition figurative au Brésil et, en particulier, de la tradition picturale. Comme au Portugal, l’art figuratif tel qu’il s’est développé dans son ancienne colonie, entre le XVIIe siècle et le début du XIXe siècle, souffre de la comparaison avec les autres arts – y compris l’architecture, la littérature et la musique. Il en va de même pour les ateliers des deux côtés de l’empire lusophone excellant dans l’ébénisterie ainsi que dans le cisellement et la fonte du métal, qui ont laissé des monuments dignes de figurer dans le patrimoine artistique universel le plus prestigieux. Toutefois, aucun peintre ou sculpteur actif au Portugal au cours des XVIe et XVIIe siècles ne peut prétendre à s’élever aux côtés de poètes ou d’écrivains comme Luís de Camões ou du père Antônio Vieira (un jésuite luso-brésilien de par sa vie et les destinataires de nombre de ses sermons). De même, aucun peintre du Brésil de la période coloniale n’égale non plus des poètes brésiliens tels que Gregório de Matos et Tomas Antônio Gonzaga. Il y a donc, et au Portugal et au Brésil colonial, un déficit d’importance sociologique et esthétique des arts figuratifs par rapport à d’autres arts. La réception et l’impact social de ces arts ne furent jamais comparables à ceux des lettres et de la musique.

Perspective, 2 | 2013 53

5 Ce déficit luso-brésilien de la représentation de la figure et de l’espace pictural se poursuit aux XIXe et XXe siècles. Quel est le peintre du XIXe siècle, soit au Portugal soit au Brésil, qui résiste à une comparaison (une seule exception peut-être, Domingos Sequeira, dans ses meilleurs moments) avec des génies littéraires tels qu’Alexandre Herculano, Camilo Castelo Branco, Eça de Queirós, Machado de Assis, Fernando Pessoa et Guimarães Rosa1 ? Je n’oublie pas ici l’ensemble admirable de sculptures que l’on attribue à Aleijadinho ; mais ce dernier est avant tout un architecte-sculpteur, formé par un père architecte portugais. En tant que sculpteur monumental, il se dresse – pardonnez-moi le cliché – telle une tour isolée dans une culture boisée uniforme, dont la portée historique a été radicalement limitée par plusieurs facteurs2.

6 Dans le cas de la peinture de l’époque d’Aleijadinho, l’absence de savoir-faire et la situation désavantageuse par rapport à d’autres arts (ce que j’ai appelé plus haut le déficit des arts figuratifs) sont encore plus cruelles. Comme la représentation de la perspective dans l’espace pictural est un exercice essentiellement intellectuel, qui demande un long entraînement académique, l’absence d’un peintre brésilien qui soit l’équivalent d’Aleijadinho n’est pas surprenante. La peinture dans la colonie portugaise s’est maintenue en effet à un niveau élémentaire et très en deçà, non seulement du niveau de maîtrise des autres arts dans la colonie portugaise, comme on l’a rappelé plus haut, mais également de celui de la peinture dans les colonies hispaniques d’Amérique, ce que prouve l’exposition conçue par Jonathan Brown à Madrid, en 2010-2011, et appelée si justement Pintura de los reinos: identidades compartidas en el mundo hispánico3. Il y est en effet démontré qu’il n’existe aucune rupture esthétique et sociologique entre l’art espagnol et l’art des principales colonies hispaniques. Comme il est suggéré par le titre de l’exposition, les colonies espagnoles étaient considérées par la couronne espagnole comme de vrais royaumes d’outre-mer, presque au même titre que Naples, par exemple. Or, les colonies portugaises n’ont jamais joui d’un tel statut (sauf lorsque Dom João VI, fuyant Napoléon, est venu s’installer à Rio de Janeiro en 1808). Jusqu’au XVIIIe siècle, ni une statuaire monumentale (hormis, encore une fois, celle d’Aleijadinho), ni une peinture de haut niveau ne s’est développée au Brésil car il n’y avait aucune demande. La statuaire monumentale publique, tout comme l’art du portrait et des grands décors peints, suppose la nécessité de légitimation symbolique du pouvoir politique, ce qui n’existait pas dans la colonie portugaise. À l’inverse de la Nueva España au Mexique et au Pérou, de la Nueva Granada en Colombie, de la Nouvelle-France dans la Louisiane de Louis XIV et de la Nouvelle-Angleterre aux États- Unis, le Brésil colonial, presque uniquement peuplé d’esclaves et de métisses, comme Aleijadinho, n’a jamais été et ne s’est jamais perçu comme un « Nouveau Portugal »4.

7 Dans le Brésil colonial, tout ce que la peinture peut offrir aux historiens, ce sont les reliques vénérables d’une pratique artistique dont le niveau ne s’est que très rarement élevé au-dessus de celui d’un artisanat rustique produit en série. Dans ces circonstances, on ne saurait espérer de cette peinture qu’elle sache représenter l’espace en perspective, le corps nu d’après les canons classiques ou autres, la complexité dramatique du récit visuel et la relation finement entretenue entre la forme et l’expression. Mais on pourrait au moins attendre que, tel l’art populaire afro-brésilien, indigène ou caboclo (métis blanc et amérindien), etc., il sache exprimer, avec ses propres moyens et sa propre complexité, quelque chose de singulièrement beau, au lieu de son incontournable ineptie.

Perspective, 2 | 2013 54

8 Naturellement, comme nous vivons dans une ère de l’art mondialisé et de la chasse à l’eurocentrisme, on croit aujourd’hui qu’il existe une intelligence inhérente à cette peinture coloniale brésilienne, faite en réalité de pure méconnaissance des codes culturels du christianisme et de la culture classique. On s’évertue à dévoiler cette intelligence. Ce sont des efforts généreux et parfois brillants, dont les résultats, je le crains, sont dus plus à l’intelligence de l’historien qu’au phénomène étudié.

Fragilité historique de l’historiographie artistique

9 Venons-en maintenant à l’historiographie artistique, c’est-à-dire, au corpus des textes qui constituent le patrimoine de réflexions sur l’histoire de l’art au Brésil, qui n’a pas existé avant le milieu du XIXe siècle. En 1858, Rodrigo Ferreira Bretas rédigea une biographie d’Aleijadinho, unique biographie artistique du XIXe siècle. Par ailleurs, les chroniques des prix, des expositions et des tracas de l’académie impériale, publiées dans une presse variée et abondante, mais assez souvent éphémère, résument les écrits sur l’art réalisés au XIXe siècle dans la capitale de l’empire du Brésil. Les auteurs connus de ces écrits ne sont que quatre : Félix-Émile Taunay, Manuel de Araújo Porto-Alegre, Gonzaga Duque et Angelo Agostini, nombre dérisoire comparé à celui de l’historiographie artistique et à celui de la critique d’art au Mexique pendant la même période5. Il ne peut y avoir dans le Rio de Janeiro du XIXe siècle une historiographie artistique, tout simplement parce qu’il n’existe pas ce qui la susciterait, à savoir une classe dominante visuellement éduquée, qui trouve dans le collectionnisme une stratégie d’émulation et d’affirmation culturelle6. Mais cette pauvreté historiographique est également due à la fragilité constitutive de la culture figurative brésilienne déjà évoquée. Car, si la presse et l’activité éditoriale de cette période sont quasiment dénuées de textes d’une certaine complexité intellectuelle sur les arts figuratifs, elles sont assez riches d’affrontements littéraires et politiques, dont quelques-uns sont d’une belle tournure rhétorique, comme celui entre Joaquim Nabuco et José de Alencar à propos de littérature et de la question de l’esclavage7. Cette relative pauvreté n’a pas entravé non plus l’épanouissement d’une critique journalistique et d’une histoire de la littérature brésilienne. Il suffit de rappeler ici l’História da literatura brasileira publiée en 1882 par Sílvio Romero (en cinq volumes dans sa cinquième édition de 1953)8. Dans la production intellectuelle brésilienne concernant les arts figuratifs, rien de comparable, même de loin, n’est repérable à la même époque.

L’historiographie national-moderniste

10 Dans les autres pays du Nouveau Monde, ainsi qu’en Europe centrale et orientale, en Scandinavie, dans les Balkans et dans la Péninsule ibérique – soit dans les pays périphériques à l’Italie, à la France, aux Pays-Bas et à l’Angleterre –, le modernisme et sa fortune critique prolongent une tradition romantique et nationaliste qui a marqué leur matière et leurs idées, et dont le caractère est issu du XIXe siècle. Ce constat nous permet de désigner le modernisme et l’historiographie de cette période dans ces pays par le terme national-moderniste, essentiellement différent du modernisme de matrice parisienne, dépourvu de romantisme et peu enclin à exprimer des essences nationales ou des psychologies profondes.

Perspective, 2 | 2013 55

11 Le Brésil n’échappe pas à ce paradigme. On y trouve toutefois une singularité vis-à-vis des autres national-modernismes. Contrairement aux pays européens « périphériques », riches de traditions historiques, et à la différence aussi de l’Amérique hispanique, chargée des civilisations précolombiennes, le national- modernisme au Brésil manquait de « matériel historique », car quasiment aucune empreinte documentaire ou monumentale d’un passé multiséculaire n’avait été trouvée. Décimé, acculturé, replié dans des enclaves ou dans la jungle amazonienne, l’Indien était jusqu’au milieu du XXe siècle une abstraction pour le pays urbanisé le long de la côte. Il était en outre une sorte de marque déposée de l’indigénisme romantique du XIXe siècle et sa représentation avait été épuisée par José de Alencar, par Antônio Carlos Gomes et, dans certains tableaux, par Pedro Américo et par Rodolfo Amoedo. Au début du XXe siècle, l’Indien est le grand absent de l’imaginaire moderniste. À l’exception de quelques aquarelles parisiennes de Vicente do Rego Monteiro, l’Indien se réduit au jeu de mot « Tupi or not Tupi » écrit en 1928 dans le « Manifesto Antropofágico » d’Oswald de Andrade, qui excellait en tout, notamment dans la résolution du dilemme shakespearien auquel devaient faire face les nationaux- modernistes brésiliens9. Enfin, la culture africaine des anciens esclaves n’était pas un modèle concevable dans un pays viscéralement raciste envers ces derniers, vivant l’esclavage comme le plus grand traumatisme de son histoire et cherchant par tous les moyens à « se rendre blanc ». Il y avait en effet une culture afro-brésilienne très riche et « disponible » pour servir de matériau au national-modernisme brésilien, mais, aux yeux des élites et de leurs artistes, cette culture ne pouvait pas tenir lieu de racine, car ils cherchaient alors, et désespérément, à oublier l’esclavage et à le nier en conservant exclusivement une histoire blanche. En somme, l’homme noir était au début du siècle (et reste) au Brésil « invisible », comme le cadavre dans le placard.

12 Pressé par ce vide de références historiques, il ne restait au national-modernisme brésilien plus que le stratagème de s’inventer ex nihilo. L’acte de naissance de cette opération invraisemblable a été provoqué par la démarche tentaculaire de Ricardo Severo, un architecte portugais exilé au Brésil du fait de sa participation au mouvement révolutionnaire anti-monarchiste portugais. Conservateur dans sa pratique de l’architecture et particulièrement réfractaire au modernisme européen10, Severo était un personnage cultivé et influant dans les cercles de l’élite de São Paulo. Sa démarche favorisait le transfert de son projet de « rendre portugais » le Portugal, à celui de « rendre brésilien » le Brésil – ce qui, aux yeux de Severo, voulait dire le rendre à nouveau portugais11. L’opération de Severo était une réaction à l’abîme laissé par un Portugal sans empire. Au Brésil, du moins à São Paulo, elle était en partie une réaction des élites locales à « l’invasion » des immigrants européens, surtout des Italiens, dont la culture urbaine, l’éducation formelle, la performance professionnelle et le degré de conscience politique menaçaient leur hégémonie idéologique. Personnellement, je suis persuadé que cette réaction quelque peu xénophobe est un ingrédient discret (mais en tout cas plus important que ce qui est admis habituellement) de la mentalité des élites patriciennes qui soutinrent « leurs » artistes à la Semaine d’art moderne de 1922 et lors d’autres événements. De la croisade de Severo, le national-modernisme hériterait de l’idée que la Mission artistique française de 181612 – point de départ de tout effort institutionnel de construction d’une culture urbaine moderne à Rio de Janeiro – aurait dénaturé et refoulé les origines baroques primordiales de la culture brésilienne.

Perspective, 2 | 2013 56

13 Cette interprétation a été consacrée en 1955 par un intellectuel de gauche et critique d’art contemporain avisé, Mário Pedrosa, qui, dans sa thèse, affirmait : « les nobles davidiens venaient changer le cours de notre véritable tradition artistique qui était baroque, via Lisbonne »13. J’ai déjà eu plus d’une fois l’occasion de rappeler que la thèse selon laquelle le « baroque » représente « notre véritable tradition artistique » n’a aucune logique, ni aucun fondement historique (un style artistique européen ne saurait être plus « véritablement brésilien » qu’un autre style européen), et il n’exprime autre chose qu’un parti pris purement idéologique chez les historiens brésiliens contemporains.

14 Le baroque, à savoir l’art de Rome et de Naples autour des années 1620-1720, avec ses déclinaisons européennes, italiennes, bohémiennes, ibériques, etc. n’a rien de particulièrement « brésilien ». Et cela, avant tout, parce qu’il n’a rien de particulièrement portugais. Loin d’émaner d’un je-ne-sais-quoi de profondément portugais, le baroque romain pénètre le Portugal grâce à des commandes royales et de la cour à des artistes italiens tels qu’Agostino Cornacchini, Camilo Rusconi. Agostino Masucci et des dizaines d’autres. Sous Dom João V, le baroque portugais est un art qui suit de très près la règle romaine. La Mission française ne signifie donc pas, comme le pensait Pedrosa, le refoulement de « notre véritable tradition artistique qui était baroque, via Lisbonne » par une culture française étrangère à cette tradition. Cette mission ne fut que le reflet, au Brésil, du lent passage de l’hégémonie romaine à l’hégémonie française dans les académies européennes, passage qui commença, si nous avons besoin de dates, avec les commandes du Vatican à Pierre Subleyras dans les années 1740 et qui s’acheva avec David.

15 À de rares exceptions près, qui ne sauraient être relevées ici, l’historiographie artistique brésilienne évolua jusqu’à la fin du XXe siècle dans le cadre de ce schéma tripartite : aux origines, le baroque ; puis la Mission Française et ses déploiements, qui ont souvent été interprétés (et à tort) comme une déviation ; et enfin, à partir des paysages du peintre Eliseu Visconti, le modernisme comme retrouvailles. Il est difficile de se rendre compte du fait que la quête d’une « identité » en tant que programme est une tautologie, car on ne saurait désirer être ce que l’on est inexorablement déjà. D’où deux apories : revendiquer une « identité » c’est ipso facto l’aveu de son impossibilité, puisqu’une telle revendication renvoie à une boucle fermée, à un effet de miroirs en abyme ou de strange loops ; la revendiquer, c’est paradoxal puisque cela suppose mimer le modèle européen (déjà pourvu d’identité). Ces apories ont acquis plus de prégnance et une plus grande longévité parce qu’elles émanent du personnage clé du national- modernisme, Mário de Andrade, dont l’essai de 1928 sur Aleijadinho prétend que la condition de mulâtre (a mulataria muita) du sculpteur devient l’ADN de l’art brésilien14.

La sagesse d’Angelo Agostini

16 Heureusement, la génération actuelle d’historiens de l’art au Brésil s’intéresse de moins en moins à ce genre de rhétorique et à cet héritage idéologique lorsqu’elle étudie l’art conservé dans le pays. Surtout, elle s’aventure de plus en plus dans le domaine de l’art européen et non européen (asiatique, africain, précolombien, etc.). Les historiens d’aujourd’hui se rendent compte que, dans l’art produit au Brésil, l’adjectif « brésilien » n’est pas une catégorie critique, c’est-à-dire qu’il n’apporte rien à son intelligibilité. Ils entendent qu’elle n’émane pas d’une instance autochtone fantasmée, mais du maillage

Perspective, 2 | 2013 57

contraignant de relations internationales, dont le Brésil et l’art qui y est produit sont les résultats. On peut comprendre désormais l’ironie d’Angelo Agostini qui fit une satire du Salon de 1879 de l’Academia Imperial de Belas Artes, où était inaugurée une salle naïvement appelée « École Brésilienne » : « Le Salon de 1879. Permettez-moi de tirer profit de la fin de l’exposition pour vous parler, non sans une certaine circonspection (hum ! hum !) des prétentions du catalogue où l’on trouve le passage suivant : ‘Tableaux, etc. etc. qui forment L’ÉCOLE BRÉSILIENNE’ [...] Mais, en voilà une chose l’École brésilienne… Notre académie a certainement entendu parler de l’École flamande, de l’École italienne, et a pensé tout naturellement que tout tableau peint en Italie appartenait à l’École italienne [...] et que tous les tableaux peints au Brésil formaient alors l’École brésilienne. C’est résoudre le problème du nœud gordien sans regarder ni à droite ni à gauche, comme Alexandre. Mais plus j’étudie les tableaux de la Pinacothèque, plus j’y pense, plus j’y réfléchis, à chaque fois qu’on me parle de l’École brésilienne je me souviens de l’école de Glória et je prends la fuite avant d’être accablé par une conférence »15. Agostini exprimait ainsi sa crainte que le thème de l’École brésilienne de peinture ne devienne un sujet ennuyeux de l’une des conférences de Glória qui, depuis 1873, avaient pour but de diffuser des sujets scientifiques, philosophiques et littéraires16. Crainte prophétique de subir la même destinée que Sisyphe, en l’occurrence celle de « rendre brésilien » le Brésil, et de laquelle nous ne nous sommes libérés que très récemment.

Claudia Mattos | Nouveaux horizons pour l’histoire de l’art au Brésil

17 Au Brésil, l’histoire de l’art en tant que discipline s’est constituée tout d’abord comme l’héritage direct de la tradition historiographique moderniste. Comme le remarque Luiz Marques, elle s’est concentrée sur les trois thèmes intrinsèques de cette historiographie : l’art baroque, avec un focus sur le baroque du Minas Gerais et sur le personnage d’Aleijadinho ; l’art dit « académique », axé sur l’analyse des travaux issus de l’Academia Imperial de Belas Artes de Rio de Janeiro ; et surtout le modernisme lui- même. Ce dernier est en effet devenu le domaine d’articulation des discours hégémoniques sur l’histoire de l’art au Brésil, du moins jusqu’aux années 1980. La quête d’une identité artistique distincte et l’idée de construire un art à caractère spécifiquement national, typiques du modernisme, se sont répercutées dans le domaine de l’histoire de l’art comme une aspiration à se concentrer sur la création artistique nationale et sur la tradition historiographique locale, poussant à la constitution d’une histoire de l’art essentiellement brésilienne. C’est pour cette raison que les arts européens sont restés longtemps peu étudiés, y compris les collections conservées au Brésil, par exemple au Museu de Arte de São Paulo ou au Museu Nacional de Belas Artes, ainsi que tout art de tradition non européenne, comme les arts africain, précolombien, asiatique, islamique, et bien d’autres formes. À cause du champ restreint des études, les importantes créations artistiques afro-brésiliennes et amérindiennes ont notamment été ignorées, et, dans une large mesure, elles sont encore négligées par les historiens de l’art au Brésil, qui produisent ainsi une histoire de l’art identifiée à l’histoire des conquistadores européens.

18 Le manque d’institutions capables d’offrir une formation spécifique dans le domaine de l’histoire de l’art, ainsi que la rareté des traductions de textes fondamentaux et récents,

Perspective, 2 | 2013 58

centraux pour la discipline, ont également rendu plus difficile, depuis longtemps, une approche théoriquement complexe et actuelle du matériau étudié. En effet, il y a quelques décennies, le Brésil ne comptait que le cours d’histoire de l’art dispensé par l’Instituto de Belas Artes do Rio de Janeiro, inaugurée en 1961 et transféré à l’Universidade do Estado do Rio de Janeiro en 1978. Le premier diplôme de premier cycle en histoire de l’art a été inauguré en 2009 à l’Universidade Federal de São Paulo ; s’en suivirent des créations de cursus similaires dans plusieurs universités. À partir des années 1990, les traductions en portugais d’ouvrages fondamentaux d’histoire de l’art (y compris récents), nécessaires pour la formation des historiens de l’art, se développèrent avec la publication d’auteurs tels que Erwin Panofsky, Giulio Carlo Argan, Michael Baxandall, Svetlana Alpers, Louis Marin, ou encore Hans Belting, Georges Didi-Huberman, etc. Dans ce contexte, il faut également souligner l’importance des traductions proposées par certaines revues spécialisées, entre autres, Concinnitas de l’Universidade Federal do Rio de Janeiro ou la Revista de História da Arte e Arqueologia de l’Universidade Estadual de Campinas.

19 À de rares exceptions près, les études produites dans le domaine de l’histoire de l’art au Brésil se cantonnaient, jusqu’à peu, à des récits biographiques, sans accorder de poids à l’analyse des œuvres. Peu nombreux sont les travaux qui abordent des thèmes importants, comme l’histoire des collections, des questions liées au patrimoine ou encore des aspects de l’histoire matérielle de l’œuvre. Les réflexions sur le statut de l’objet d’art et sur les théories de l’image sont également en grande partie absentes. Une histoire de l’art essentiellement documentaire – quasi exclusivement dans le cas de la bibliographie sur le XIXe siècle – et faite de chroniques, très souvent marquée par le manque de distance théorique et critique vis-à-vis de son objet d’étude, donnait le ton dominant de la discipline jusqu’à la fin des années 1980.

20 C’était souvent en dehors du domaine spécifique de l’histoire de l’art que l’on pouvait rencontrer des interprétations plus vivantes et plus audacieuses de la création artistique locale, ainsi que dans les réflexions des artistes eux-mêmes ou dans des domaines apparentés tels que l’anthropologie, la sociologie ou la philosophie. Dans les années 1970, des figures comme Vilém Flusser ou Haroldo de Campos étaient au centre de l’élaboration d’une réflexion théorique sur l’art au Brésil, parallèlement au développement de l’histoire de l’art. Ces derniers et d’autres encore sont à l’origine d’une tradition sémiotique de la théorie de l’art au Brésil dans laquelle s’inscrivaient également des intellectuels tels que Arlindo Machado et Lúcia Santaella – tous deux rattachés à la filière de sémiotique de l’Universidade Católica de São Paulo. Dans le contexte intellectuel pauliste, il faut également mentionner les travaux de Suely Rolnik, psychanalyste et critique d’art, qui a contribué à la diffusion au Brésil des théories de Gilles Deleuze et de Félix Guattari. En outre, depuis les années 1970, le domaine de la critique d’art a également participé à la réflexion sur l’art, en particulier à travers Ronaldo Brito17. Des commissaires d’expositions comme Paulo Herkenhoff ou Moacir dos Anjos, ou des sociologues de l’art tels que Sergio Miceli (éditeur des écrits de Pierre Bourdieu en portugais à l’Universidade de São Paulo pendant les années 1990), ont nourri à leur tour le débat artistique. Enfin, plus récemment, l’historien et archéologue Ulpiano Bezerra de Meneses, par le biais d’un article, a concouru au développement théorique de la discipline en introduisant la question de l’image et des visual studies au Brésil18.

Perspective, 2 | 2013 59

21 Jusqu’à la fin des années 1980, la difficulté des historiens de l’art brésiliens à circuler à l’étranger et le manque d’intérêt de la part de la communauté internationale pour le cas de l’Amérique latine, et pour le Brésil en particulier, sont évidemment venus aggraver la situation et produire un isolement relatif du Brésil, comparé à l’ensemble du contexte mondial. Il faut toutefois souligner que l’art contemporain faisait alors exception dans ce pays. Nourris par le vif débat avec les artistes, des historiens de l’art comme Ronaldo Brito à Rio de Janeiro ou Walter Zanini à São Paulo ont produit une historiographie artistique majeure. Du point de vue de la consolidation institutionnelle du domaine, il importe également de citer le Comité Brasileiro de História da Arte, fondé en 1972 et affilié au Comité international d’histoire de l’art, qui sert de canal subtil de communication avec la communauté internationale et d’espace de rencontre professionnelle des historiens de l’art au Brésil.

22 La situation générale de la discipline au Brésil a commencé à changer rapidement à partir des années 1980, lorsque fut créé un nombre grandissant de deuxièmes cycles universitaires, et que de nombreux professionnels ont cherché à achever leur formation à l’étranger, bien que ce phénomène ait été malheureusement trop circonscrit aux régions du sud-est et du sud. Peu à peu, une nouvelle génération, ayant de l’expérience et des contacts internationaux, a commencé à agir au Brésil, élargissant les frontières thématiques et mettant l’histoire de l’art brésilienne au diapason des orientations internationales. Ce changement a coïncidé avec le développement d’une attitude critique vis-à-vis des voies empruntées par l’histoire de l’art dans le monde, impliquant une ouverture vers de nouveaux objets, ainsi qu’une révision des principes théorico-méthodologiques qui sous-tendaient jusqu’alors la connaissance de l’historien de l’art. La reprise d’Aby Warburg et d’Alois Riegl comme des modèles pour une histoire de l’art critique, par exemple, a contribué à réduire les distances entre arts « majeurs » et arts « mineurs », a élargi le champ d’expertise de l’historien de l’art vers le contexte de la culture visuelle et a offert un cadre plus dynamique pour aborder la question de la circulation de la culture matérielle (et immatérielle) à travers le monde, déconstruisant ainsi une histoire de l’art marquée encore par le concept d’écoles locales. Les lieux de discours des acteurs d’une histoire de l’art traditionnelle ont également commencé à être revus par des approches postcoloniales.

23 Lorsque l’on observe le nouveau cadre de l’histoire de l’art au Brésil, à partir des années 1980 et 1990, on remarque des changements significatifs, aussi bien en ce qui concerne les objets et les thèmes d’étude que par rapport à la qualité de la réflexion théorico-méthodologique. Du point de vue de l’éventail thématique, nous pouvons dire que les limites historiquement imposées à la discipline ont été peu à peu dépassées. Par exemple, les travaux sur la production du XIXe siècle – ceux par exemple de Jorge Coli, Alexandre Eulálio, Luciano Migliaccio, Rafael Cardoso, Ana Paula Simioni Cavalcanti, Maraliz Christo19 – ont montré une tendance salutaire à ne plus se cantonner à la création des genres picturaux et sculpturaux traditionnels reconnus au sein de l’académie, et à leur relation avec la tradition européenne, mais, au contraire, à chercher de plus en plus à comprendre la production du XIXe siècle dans une optique plus dynamique, soulignant ainsi l’importance de la photographie, de la presse illustrée, de la participation d’artistes académiciens à des expéditions scientifiques, et même de leur implication directe dans d’autres institutions importantes, comme l’Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro. C’est ainsi que l’on a pu remarquer l’importance de la photographie, par exemple, pour la représentation de l’État pendant

Perspective, 2 | 2013 60

le Second Empire. Les études des années 1980-1990 ont gagné en richesse et en complexité dans la mesure où elles se sont concentrées sur des questions soulevées par les gender studies et sur des tentatives de comprendre la vaste création afro-brésilienne par rapport au domaine de l’art. De même, dans les études sur le baroque, on est passé de l’historiographie traditionnelle, centrée sur le cas mineiro (venant du Minas Gerais) et sur des personnages exceptionnels tels qu’Aleijadinho et Ataíde, à une approche beaucoup plus dynamique fondée sur la circulation de la culture matérielle, non seulement au Brésil, mais dans l’ensemble de l’empire portugais. Des efforts pour appréhender le sens et la fonction de différents programmes religieux, et leur caractère performatif dans un environnement marqué par la rencontre de différentes traditions visuelles et par des contextes politiques spécifiques, ont dilué les discours essentialistes et nationalistes, soucieux de « l’authentique » et de « l’original » dans la culture baroque locale20. Des études importantes sur la période coloniale dans différentes régions du pays, comme à Belém du Pará et dans les capitales du Nordeste, ont contribué à construire un nouveau cadre d’étude pour la période coloniale au Brésil21. Enfin, une révision systématique du modernisme comme « point de départ » de l’art contemporain du pays, ainsi qu’une volonté de comprendre des manifestations liées aux avant-gardes latino-américaines et à travers le monde, ont permis de situer le modernisme dans un contexte international et de lui donner une place plus appropriée dans le processus de développement des arts du Brésil22. Plus récemment, et grâce en grande partie au développement de cursus universitaires en histoire de l’art, de la licence au doctorat, qui incluent l’étude de l’art non européen, comme la licence à l’Universidade Federal de São Paulo et à l’Universidade do Estado do Rio de Janiero, ainsi que la toute nouvelle filière d’art non européen dans le cursus de deuxième cycle à l’Universidade Estadual de Campinas, les créations artistiques d’origine non européenne – africaine, amérindienne, asiatique, islamique, etc. – sont devenues également l’objet d’analyse d’historiens de l’art au Brésil, ce qui est particulièrement pertinent compte tenu de la diversité culturelle du pays. La grande leçon à retenir est que l’apparente fragilité de l’art et de l’histoire de l’art au Brésil dépend directement des lunettes que nous portons pour l’évaluer. Une fois les verres renouvelés, la réalité gagne en complexité et en richesse.

24 De mon point de vue donc, la principale différence entre l’historiographie de l’art avant les années 1980 et les travaux actuels se trouve dans la qualité de la réflexion théorico- méthodologique. En accord avec les développements de la discipline dans le monde, se sont peu à peu construits des modèles bien plus dynamiques et composites pour appréhender la création artistique et l’historiographie de l’art au Brésil. La professionnalisation a été le moteur de l’intégration du Brésil dans la communauté internationale des historiens de l’art. La conséquence en a été l’augmentation significative du nombre de traductions de textes clés pour les débats théoriques actuels de la discipline, ainsi qu’un nombre grandissant de publications sur le Brésil dans les revues internationales. La croissance de la collaboration internationale a également été significative. Il faut alors mentionner le soutien offert, ces dernières années, par le Getty à Los Angeles, qui a encouragé le développement du domaine grâce à des projets tels que « Connecting Art Histories » – trois projets de cette nature ont été récemment approuvés pour l’histoire de l’art au Brésil – ou par le biais de l’intégration d’historiens de l’art brésiliens au programme des chercheurs invités du Getty Research Institute. Aujourd’hui, ces derniers sont plus présents que jamais sur les principaux forums

Perspective, 2 | 2013 61

internationaux de la discipline. Il est fascinant d’observer les conséquences de ce fait, y compris pour les orientations d’une nouvelle histoire de l’art mondial.

Mônica Zielinsky | L’historiographie de l’art brésilien, à la recherche de sa place

25 Dans la partie finale de son texte, Luiz Marques affirme que « dans l’art produit au Brésil, l’adjectif ‘brésilien’ n’est pas une catégorie critique […] elle n’émane pas d’une instance autochtone fantasmée, mais du maillage contraignant de relations internationales, dont le Brésil et l’art qui y est produit, sont les résultats ». Cette constatation, d’une importance primordiale à toute réflexion sur l’existence d’un art brésilien et sur son historiographie, est développée par Marques à travers quelques exemples tirés de l’art colonial brésilien et de l’historiographie de cette période.

26 Une considération se détache plus particulièrement : Marques déclare réfléchir avant tout sur le « phénomène artistique, avant de [s’]occuper de l’historiographie ». Or, dans la manière dont il aborde l’art, et notamment celui de la période coloniale, il semble porter un regard dépréciatif sur la production artistique du pays, suggérant, par des jugements à teneur presque toujours formaliste, que la qualité plastique de cet art est moindre. Il cite pour preuve la fragilité de la tradition figurative, la pauvreté du répertoire formel d’Aleijadinho, le peu d’intérêt manifesté pour l’expression physionomique ; il situe à un niveau élémentaire la peinture de la colonie portugaise, estimant qu’elle souffre de l’absence d’une formation académique et qu’elle s’apparente à un art artisanal grossier et sériel ; il dément l’existence d’une sculpture monumentale entre les XVIe et XIXe siècles en soulignant l’absence de commande, et par conséquent de légitimation symbolique et expressive conférée par le pouvoir politique à cette production de la colonie portugaise.

27 Une historiographie de cette période serait selon lui déjà compromise, dans la mesure où elle ne pourrait rendre compte d’une production artistique aussi fragile et inconsistante, offrant un matériel trop peu vigoureux pour le développement d’une historiographie plus dense. L’auteur mentionne également l’art populaire afro- brésilien, indigène ou caboclo – décrit comme « singulièrement beau » – comme une voie possible pour la création de problématiques propres. Il juge, ici encore, l’art colonial « d’une incontournable ineptie », même s’il reconnaît qu’il existe des études de qualité par certains historiens brésiliens qui abordent ces pratiques.

28 Toutes ces observations nous amènent à tirer quelques conclusions de cet essai : celui- ci présente l’art développé au Brésil comme précaire, alors même qu’on ne discerne pas chez l’auteur une prédisposition à appréhender cet art d’une manière plus approfondie. Aucune utilisation de données documentaires n’est mentionnée, ni aucune méthode d’analyse citée qui soit adaptée aux processus de construction des histoires locales et qui permettrait de comprendre les implications plus larges de ces histoires ou de les comparer à celles d’autres cultures. De même, l’essai ne prend pas en compte les liens sociaux et politiques, le rôle des migrations, ni les différences présentes dans l’anatomie de cet art. En effet, l’auteur ne joue pas le jeu du phénomène artistique développé au Brésil. Face à une production historiographique présentée comme fragile et pratiquement inexistante, on s’interroge sur le type d’historiographie qui pourrait un jour finir par être différemment constitué.

Perspective, 2 | 2013 62

29 Il pourrait être éclairant de passer en revue les positions assumées par certains spécialistes brésiliens sur le sujet, à commencer par Rodrigo Naves23. Dans A forma difícil: Ensaios sobre arte brasileira, le critique et historien de l’art décrit la production des arts plastiques brésiliens comme irrégulière et éparse, comme « un matériel incertain », liée à ce qui est connu comme étant sa tradition24. Il mentionne surtout le fait que la condition de l’art dans le pays ne pourrait jamais justifier le manque de connaissances et de préparation des spécialistes en vue de la constitution d’un milieu historiographique plus rigoureux25, capable d’approfondir la nature de cette production et d’en reconnaître les particularités historiques et anthropologiques. Cette position se distingue de celle de Marques, selon laquelle l’historiographie artistique est absente « tout simplement parce qu’il n’existe pas ce qui la susciterait ».

30 Face à ce type de controverses, Naves se propose de chercher dans les œuvres d’art elles-mêmes les raisons de leur faible répercussion à l’extérieur du Brésil et souhaite comprendre ce qui advient dans la production brésilienne à la fois en tenant compte des changements modernes et en assumant le fait d’emprunter, dans cette perspective, un « biais bien particulier »26. Il s’arrête sur la spécificité des œuvres – dont il souligne la « forme difficile » par rapport aux modèles de l’art moderne international –, citant leur nature ambitieuse et la tradition créative robuste dans laquelle elles sont ancrées. Il souligne le caractère peu dynamique supposé de l’art au Brésil et la timidité de ses compositions, ses couleurs et ses images, qu’il considère comme éloignées des innovations et des ruptures de l’art des circuits dominants. Il reconnaît aux arts du Brésil, par rapport à ceux des centres hégémoniques, des contours distincts qui, bien qu’ils reflètent certaines difficultés intrinsèques – notamment d’ordre formel – leur confèrent une force esthétique non négligeable27. Son texte de 1996 trahit une certaine ambivalence : il ne va pas jusqu’à approfondir sa réflexion sur la manière dont les contextes culturels et historiques de l’art au Brésil s’articulent avec la structure multiculturelle de la société contemporaine, ni sur les contingences institutionnelles qui s’y jouent ; en même temps, l’étude montre une volonté de fuir la perspective homogénéisante de la culture mondiale et de chercher les différences et les particularités de cet art dans sa conception et ses pratiques. Il considère celui-ci comme une production locale ayant ses caractéristiques propres et évoque l’importance de « mieux comprendre l’art que nous produisons, à partir de ses valeurs intrinsèques et de son historicité »28 – des faits que Marques semble oublier lorsqu’il présente l’art colonial au Brésil. Naves, en réfléchissant non seulement en fonction des différences, mais surtout à partir de celles-ci29, apporte une riche contribution au débat.

31 Face aux arguments défendus par Marques, s’ouvre également une deuxième voie propice à l’élargissement de la question historiographique au Brésil. Proposée par le chercheur français (résidant au Brésil) Stéphane Huchet30, elle consiste à considérer que l’art brésilien est doté d’une qualité irréfutable, puisqu’il affirme que « ceux qui ne vivent pas au Brésil n’ont aucune idée de la vigueur artistique existante dans le pays »31. Se tournant vers l’art contemporain brésilien, et grâce à une analyse minutieuse, l’auteur en vient à confronter cette qualité incontestable de l’art produit dans le pays à une historiographie de l’art peu consistante, qui n’a pas encore conquis sa place – un fait également mentionné par Naves. Selon le chercheur français, il manque à l’historiographie brésilienne une formation théorique approfondie et pertinente lui permettant de se confronter à des discours métahistoriques et conceptuels, ainsi que des méthodes actualisées et des recherches sur le terrain plus développées. Huchet

Perspective, 2 | 2013 63

signale des problèmes institutionnels, tant au sein des universités (qui offrent trop peu de cursus de premier cycle en histoire de l’art), que dans ce qui touche à l’édition, la traduction et la diffusion des publications – un état de fait qui freine la répercussion des productions artistiques et universitaires brésiliennes localement et à l’international. La diffusion de celles-ci n’atteint pas le niveau suggéré dans le texte de Marques, qui évoque la projection de l’art passée et à venir au Brésil dans un réseau de relations internationales au sein duquel il puisse être mieux reconnu et diffusé. Cependant, Huchet montre à quel point les expositions internationales ont été bénéfiques à la visibilité de cet art et en cite quelques-unes, dont Les Magiciens de la terre, organisée à Paris en 198932. Mettant principalement l’accent sur la décentralisation culturelle, cette manifestation interrogeait la valeur des pratiques artistiques situées dans les marges sociales et géopolitiques33. L’auteur évoque l’impulsion donnée par cette exposition à plusieurs autres qui en ont découlé et, dans cette perspective, affirme que « l’art brésilien devient pleinement partie intégrante du monde. Les institutions internationales l’ont finalement compris »34.

32 Bien qu’il expose l’importance d’intégrer l’art produit au Brésil à la dynamique artistique mondiale – idée également esquissée dans la partie finale du texte de Marques – Huchet ne va pas jusqu’à considérer le type d’investissement politique et symbolique que cette articulation impliquerait, alors qu’un tel engagement mériterait une réflexion plus poussée. Sur cet aspect, l’historiographie brésilienne aurait certainement beaucoup à dire. On remarque combien il manque encore, parmi les études sur l’art au Brésil, des recherches qui éclaircissent l’importance pour l’art au Brésil d’une pluralité de facteurs – sociaux, politiques, économiques et anthropologiques… –, tous indispensables à la compréhension des phénomènes artistiques brésiliens dans le contexte d’une histoire de l’art mondiale et cosmopolite qui omet le plus souvent les histoires et les aspirations locales ayant nourri ces créations. Marques, en intégrant à son essai la production artistique qu’il estime plutôt pauvre de la colonie portugaise, aurait pu jeter une lumière sur l’histoire qui éclaire en même temps le présent. Car cet art exige qu’on porte sur lui une vision périphérique qui interroge ses aspects hybrides, ses relations à d’autres traditions et ses éléments d’appropriation – aspects que l’auteur ne mentionne pas. Comme l’a souligné Amílcar Cabral, cité par Gerardo Mosquera, examiner cette production pourrait sans doute faire naître de nouveaux mondes dans notre monde actuel35.

33 Cette historiographie de l’art brésilien devrait avoir pour objectif de provoquer des transformations épistémologiques36 et de susciter de nouvelles problématiques disciplinaires universitaires en proposant des modèles relationnels de diversité culturelle adaptés à l’histoire de cette culture et de cet art. Elle devrait ainsi participer à l’éclosion d’une pensée qui prenne ces confins pour repère, une pensée frontalière née d’une situation périphérique37. Cette position n’est pas défendue par Marques, ni par Naves et Huchet. Marques, en concevant l’adjectif « brésilien » comme l’émanation d’un réseau de relations et de contingences internationales, ne précise pas la place et les caractéristiques propres du Brésil au sein de ce maillage. Naves, dans sa recherche d’un angle particulier sous lequel étudier l’art du pays, passe sous silence le rôle que ces particularités pourraient jouer dans une historiographie contemporaine à l’heure de la mondialisation. Huchet, au contraire, omet le particulier dans une réflexion consacrée à l’insertion de l’art brésilien dans les dynamiques globales de l’art, mais sans

Perspective, 2 | 2013 64

mentionner les négociations et les réajustements qu’impliquerait cette intégration des pratiques artistiques brésiliennes à un système globalisé.

34 La circulation de l’art brésilien au sein du réseau mondial de l’art contemporain est nécessaire pour que cette production acquière une reconnaissance dans le contexte géopolitique global, mais elle ne suffit pas. La constitution d’une historiographie critique et actualisée qui accompagne, analyse et fait connaître cette production au moment où elle intègre le contexte mondial est essentielle à la nature même de l’art considéré comme « brésilien ». Telle une « identité en action »38, cette historiographie, dans sa manière spécifique de penser la contemporanéité, exige de dépasser les frontières locales et de concevoir une nouvelle cartographie de l’art au Brésil. Par une approche multipolaire qui prenne en compte les modèles d’altérité évoqués, cette cartographie doit articuler les confluences et les influences des cultures qui la constituent et qui s’y conforment. Un art doit se développer au Brésil qui, loin d’être marqué par la fragilité, sera identifié à une historiographie en devenir, celle qui marquera ses différences et sera sans aucun doute politiquement novatrice, imposant sa place dans la culture mondiale.

Roberto Conduru | L’histoire de l’art au Brésil, « d’ici à là-bas »

35 Malgré le ton louangeur des textes publiés par Manuel de Araújo Porto-Alegre en 1835 et en 1841, qui ont marqué le début de la réflexion critique sur l’art au Brésil, Porto- Alegre ne s’abstient pas de montrer les limites de la production artistique de l’ancienne colonie portugaise et même de celle antérieure à la présence européenne en Amérique39. Aujourd’hui il semble difficile de rencontrer qui que ce soit pour défendre l’existence d’une forte tradition historiographique de l’art au Brésil. Un indice récent de la persistance de ce jugement négatif est l’interprétation par Rodrigo Naves de la « difficulté de la forme » qui « concerne une bonne partie du meilleur art brésilien »40. Le sentiment d’infériorité vis-à-vis de la musique et de la littérature brésiliennes est très répandu, de même que par rapport à d’autres traditions historiographiques. Au lieu d’être un élément mobilisateur, la petite quantité d’œuvres, la plupart réduites et peu ambitieuses (quoique non moins importantes pour autant et parfois même grandioses), ainsi que le manque de systématicité – bref, l’absence d’une tradition – constituent une entrave pour ceux qui réfléchissent sur l’art au Brésil et qui doivent affronter le poids du silence et des mythes produits par la discontinuité critique dans un environnement professionnel raréfié.

36 Les facteurs qui ont récemment dynamisé l’historiographie de l’art au Brésil ne sont pas entièrement positifs, puisqu’on ne parvient pas à sortir complètement de certaines impasses historiques, renforçant ainsi d’anciens problèmes ou créant alors de nouveaux obstacles. La prolifération de formations universitaires de premier41 et deuxième cycles42 en histoire de l’art, en particulier cette dernière décennie, ne réussit pas à inverser la concentration traditionnelle de ressources humaines, physiques et financières du pays, qui diminuent au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la région sud-est vers le sud, le centre, le nord-est et le nord ; c’est-à-dire qu’elle suit l’inégalité sociale brésilienne.

37 Quoique la circulation internationale accrue de chercheurs établis au Brésil incite à promouvoir des échanges professionnels plus nombreux, cette mobilité est encore

Perspective, 2 | 2013 65

réduite en comparaison à d’autres contextes. L’élargissement de l’intérêt des chercheurs étrangers pour l’art relatif au Brésil n’a pas encore incorporé la production résultant du débat dans ce pays. Une plus grande interaction entre chercheurs peut produire des frictions et des consonances fécondes, générant ainsi un différentiel productif dans le champ historiographique, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du Brésil.

38 Malgré le saut quantitatif et qualitatif évident qui a eu lieu dans les publications sur l’art ces vingt dernières années – ce qui a permis d’élargir le caractère public de l’art au Brésil –, la primauté du modèle du coffee table book et les tirages réduits limitent la pensée critique et sa diffusion. La prépondérance des monographies sur les trajectoires et les réalisations d’individus, notamment d’artistes, est également importante dans un processus de différentiation qui rompt avec des visions essentialistes et homogènes (quoiqu’il ne soit pas entièrement étranger au culte de la personnalité si cher au marché de l’art). Il importe ici de souligner les études menées sur des artistes, parmi lesquelles on remarque des recueils de textes de critiques et d’historiens de ces cinquante dernières années, qui, constituant une sorte de corpus, rendent possible et poussent à exiger une plus grande réflexivité dans l’historiographie de l’art au Brésil.

39 Si l’on adopte par exemple comme devise le titre d’un texte de Mário Pedrosa, « A Bienal de cá para lá »43 (« La biennale d’ici à là-bas »), l’historiographie de l’art au Brésil, à partir de la situation actuelle de l’art et de sa réflexion critique, peut être pensée différemment, à défaut d’adopter les valeurs européennes d’autrefois comme critères de jugement. Au lieu d’opérer avec des conceptions de l’art et de l’histoire figées géographiquement et historiquement, il semble plus productif de partir d’un ici et maintenant mobiles, en mutation : le « ici » n’est pas forcément le Brésil, mais la situation sociale d’idées, de choses et de sujets, même en mouvement ; le « là-bas » est également un principe vague, étendu dans le temps et dans l’espace, pouvant atteindre la préhistoire – les sociétés existantes dans le territoire sud-américain avant la présence européenne –, l’Afrique poreuse, plurielle et active, et au-delà, ce qui peut impliquer une large altérité. La position contemporaine peut aider à voir et à penser la multipolarité du monde, non seulement maintenant, mais surtout dans le passé.

40 Il se peut que l’art produit au Brésil ces soixante-dix dernières années44, production qui a reçu un bon accueil des institutions et des agents artistiques étrangers, puisse aussi activer d’autres visions, soit des rétrospectives soit des propositions historiographiques. « Nous vivons de l’adversité » : cette phrase de l’artiste Hélio Oiticica, si souvent citée, peut nous aider dans ce contexte45. Pour une historiographie qui doit prendre en charge une défaillance, des réalisations artistiques nourries dans la précarité peuvent être des encouragements. On peut citer, par exemple, l’incorporation de l’abject et de l’altérité proposée par Lygia Clark dans sa performance Baba antropofágica en 1973 ; la manière dont Frans Krajcberg inverse la violence humaine en potentialisant les débris calcinés de la nature ; la capacité de réinvention de soi et du monde élaborée par Arthur Bispo do Rosário lorsqu’il manipule des artefacts supposés insignifiants ainsi que des déchets.

41 Un nouveau souffle peut également venir d’une autre formulation d’Oiticica : à partir de la position « souterraine » du Brésil, il s’agit de « se lever comme quelque chose de spécifique, encore en formation », en insistant sur « la position critique universelle permanente et l’expérimental »46. Pour penser l’historiographie de l’art produite dans la complexe expérience (post)coloniale, il faut piocher çà et là des auteurs, des œuvres,

Perspective, 2 | 2013 66

des extraits et même des fragments, publiés au Brésil et ailleurs, et qui éclairent d’autres voies. Dans l’ensemble quelque peu hétérogène d’histoire, de critique, de chronique et de mémoire que ce piochage peut produire, on trouve des échos de l’œuvre de Manuel Mousinho, le critique portugais actif au Brésil que Ronaldo Brito inventa en 1983 et dont il écrivait : « dispersées, presque égarées dans ses nombreuses notes, nous allons trouver des idées, des commentaires et des indications concernant les arts plastiques qui méritent d’être considérés, pour partie comme provocants et, pour quelques-uns même, comme géniaux »47.

42 L’histoire de l’art esquissée par Porto-Alegre est nationaliste, monarchique, cléricale, anti-portugaise, francophile, linéaire et évolutionniste, mais, pour autant, il offre la promesse d’ouvertures potentielles. Bien qu’il ait compris la progression historique de l’art au Brésil dans son passage du statut de colonie à celui de nation, en fonction de celle du déplacement de la centralité artistique de l’Italie à la France, ses réflexions offraient également des références à l’Égypte et à l’Orient. Ainsi peut-on observer comment l’idée d’une histoire de l’art plus inclusive, quoique centrée sur l’Europe, germait même dans les marges du système occidental. Cette tendance s’est également profilée dans les catégories artistiques et dans l’origine des artistes cités. Dans son texte de 1835, il mentionne des réalisations en architecture, sculpture, peinture, céramique, numismatique et bijouterie48, constituant ainsi les bases d’une pratique historiographique qui, avec la non-restriction de l’art à un genre d’objet, élargit son champ d’action et valorise différents types d’œuvres et de textes. Dans sa présentation d’artistes qui « honorent la terre où ils sont nés », Porto-Alegre inclut un Allemand, un fils d’Italiens et un ancien esclave afro-descendant parmi les huit artistes qui composent l’école fluminense (venant de Rio de Janeiro) de peinture49, configurant ainsi une « brésilianité » non restreinte au Brésil.

43 Dans les écrits de l’architecte et urbaniste Lúcio Costa, on trouve une défense explicite du nationalisme et une lecture du modernisme comme un mouvement qui a réactivé la tradition authentique de « l’art brésilien », mis un terme à la désarticulation introduite antérieurement par le système académique et renoué avec l’art produit à l’époque où le Brésil était une colonie portugaise. C’est au terme de cette lecture que culmine l’élection d’Aleijadinho et de l’architecte Oscar Niemeyer, mis côte à côte, comme les plus grandes incarnations du « génie national »50. Par ailleurs, il cite Paris, le paysagisme anglais, la relation entre l’architecture et le territoire en Chine, des routes et des viaducs aux alentours de New York, et la ville de Diamantina51 comme les « ingrédients » de la conception urbanistique de Brasília, la capitale inventée pour l’avenir de la nation52. Serait-il possible de trouver dans son travail, ainsi que dans d’autres travaux artistiques et historiographiques, des éléments permettant de transformer et d’inverser cet universalisme simultanément soumis au nationalisme et à l’eurocentrisme ? Une réflexion critique sur le processus de la mondialisation culturelle peut-elle contribuer à la formation de pratiques historiographiques libres de centres et de marges, à rebours du nationalisme et de son opposé, sans cesser d’être situées socialement ?

Perspective, 2 | 2013 67

NOTES

1. Le bilan est également contrasté lorsque l’on compare la peinture luso-brésilienne à la musique. Tandis que Vieira Lusitano évolue à l’ombre de Francesco Trevisani, Carlos de Seixas est un interlocuteur digne de Domenico Scarlatti à la Capela Real de Lisboa. En revanche, aucun peintre brésilien ne jouira de la même reconnaissance collective qu’un Antônio Carlos Gomes, Heitor Villa-Lobos, Alfredo da Rocha Viana dit « Pixinguinha », Noel de Medeiros Rosa, Nazaré ou Antônio Carlos Jobim. 2. Cette sculpture en bois se cantonne au domaine de l’art sacré et, à l’exception d’Aleijadinho, n’est jamais monumentale, ni en pierre ou en marbre, ni destinée à un espace public. En plus, loin de créer un monde fabuleux, comme c’est le cas dans la crèche napolitaine ou dans les figurines populaires des foires du nord-est du Brésil, son répertoire iconographique est pauvre – le Christ, la Sainte Famille, la Vierge dans ses déclinaisons infinies, l’éducation de la Vierge, des anges, des archanges, des angelots et des saints, assez souvent anonymes, vu l’insuffisance de leurs attributs. De nouveau, à l’exception d’Aleijadinho et de quelques autres cas rares, il y a dans cette sculpture peu d’intérêt pour l’univers de l’expression physionomique. L’exubérance « baroque » des drapés compenserait l’absence de nu si le jeu des draperies n’était pas en général trop conventionnel, uniforme et assez monotone, même si l’on trouve parfois une belle musicalité dans les lignes, dans les masses et dans les rythmes des drapés. Enfin, il s’agit d’une sculpture dépourvue de grands contrastes dans ses poétiques ; et ce, malgré les efforts, encouragés par le marché de l’art brésilien, de créer des « personnalités » et des généalogies regroupées dans des « écoles ». N’étant pas un expert dans ce domaine, j’estime pourtant que certaines sculptures de haute qualité artistique qui se trouvent dans les musées et dans les collections privées brésiliennes sont des œuvres ibériques (dans la tradition par exemple du Frère Cipriano da Cruz Souza) ou bohémiennes (dans la tradition par exemple de Ferdinand Maximilien Brokof) transplantées au Brésil à différents moments. 3. Pintura de los reinos: identidades compartidas en el mundo hispánico, Jonathan Brown éd., (cat. expo., Madrid, Palacio Real de Madrid, Museo Nacional del Prado/Mexico, Palacio de Cultura Banamex, Palacio de Iturbide, 2010-2011), Mexico/Madrid, 2010. 4. Par ailleurs, même au Portugal la sculpture monumentale publique ne constituait pas alors une tradition importante. Si la statuaire religieuse portugaise en marbre ou en calcaire assimila avec beaucoup d’adresse les modèles italiens et français, la statuaire monumentale publique ne s’est développée que très tardivement au Portugal. La statue équestre de Dom José I, réalisée par Joaquim Machado de Castro, un disciple d’Alexandre Giusti, pour le Terreiro do Paço, est la première statue publique en bronze réalisée dans ce pays. 5. Voir Ida Rodrigues Prampolini, La critica de arte en Mexico en el siglo XIX (Estudios y fuentes del arte en Mexico), 3 vol., Mexico, 1997. 6. En 1854, dans le discours de prise de fonction de la direction de l’Academia Imperial de Belas Artes, Porto-Alegre affirmait, résigné : « Je n’arrive pas plein de désirs infondés, ni avec la vanité d’organiser des expositions publiques dans un pays neuf, où ni la richesse ni l’aristocratie n’ont encore fait appel aux beaux-arts pour embellir leurs blasons et leurs libéralités » [« Não venho com desejos infundados, nem com a vaidade de ostentar exposições públicas em um país novo, no qual a riqueza e a aristocracia ainda não chamaram as belas artes para adornarem seus brasões e suas liberalidades »], dans Mostra do redescobrimento: arte do século XIX, Nelson Aguilar éd., (cat. expo., Bienal de São Paulo, Parque Ibirapuera, Saõ Paulo), São Paulo, 2000, p. 101. 7. Voir Afrânio Coutinho éd., A polêmica Alencar-Nabuco, Rio de Janeiro, 1965 ; Eduardo Vieira Martins, « Nabuco e Alencar », dans O eixo e a roda, 19/2, 2010, p. 15-32. Joaquim Nabuco avait conscience – ce qui était alors rare au Brésil – des enjeux internationaux de la question de

Perspective, 2 | 2013 68

l’esclavage. À l’inertie de l’empereur Dom Pedro II, il oppose, par exemple, l’abolition du servage par le tsar Alexandre II en 1861. Voir Joaquim Nabuco, O abolicionismo, Londres, 1883, n. 19. 8. Sílvio Romero, Nelson Romero éd., História da literatura brasileira, 5 vol., Rio de Janeiro, (1882) 1953. 9. Tupi était le nom d’un peuple indien du Brésil et le jeu de mot renvoyait au choix entre un modernisme nationaliste ou internationaliste ; Oswald de Andrade, « Manifesto Antropofágico », dans Revista de Antropofagia, 1, 1928. 10. Voir Joana Mello, Ricardo Severo: da arqueologia portuguesa à arquitetura brasileira, São Paulo, 2007, préface de José Tavares Correia de Lira. 11. « Rendre brésilien le Brésil » est une expression de Mário de Andrade. Voir Marcos Antonio de Moraes, « ‘Abrasileirar o Brasil’. Arte e literatura na epistolografia de Mário de Andrade », dans Caravelle, 80, 2003, p. 33-47. 12. Ce qu’on appelle la Mission artistique française de 1816 désigne le transfert vers la cour portugaise de Rio de Janeiro d’un groupe d’artistes et d’artisans français bonapartistes, parmi lesquels Joachim Lebreton, Jean-Baptiste Debret et Nicolas-Antoine Taunay, alors en mauvaise posture au moment de la chute de Napoléon Ier en France. Sous la protection de Dom João VI, ce groupe a introduit à Rio de Janeiro, non sans grandes difficultés, les premiers principes du système des arts de l’académie et a promu de la sorte un renouveau important des conceptions et pratiques artistiques au Brésil. 13. « [...] os nobres davidianos vinham alterar o curso de nossa verdadeira tradição artística, que era barroca, via Lisboa » (Mário Pedrosa, « Da Missão francesa: seus obstáculos políticos » (1955) dans Otilia Arantes éd., Mário Pedrosa: acadêmicos e Modernos, Textos Escolhidos III, São Paulo, 1998, p. 83-84). 14. Voir Mário de Andrade, « Aleijadinho », dans Aspectos das Artes Plásticas no Brasil, São Paulo, 1965 [éd. orig. : « Aleijadinho: posição histórica », dans O Jornal, 1928]. 15. « Salão de 1879. Deixem-me aproveitar o fechamento da exposição, para fallar um pouco sizudamente (hum! hum!) sobre as pretensões do catálogo em que deparamos com o seguinte: ‘Quadros, etc. etc. formando a ESCOLA BRASILEIRA’. [...] Mas tem graça a escola brasileira… A nossa Academia ouviu certamente falar em escola flamenga, italiana, e pensou ainda mais naturalmente que todo quadro pintado na Itália pertence à escola Italiana [...], assim como os quadros pintados no Brasil formam a escola brasileira. Isso é que é resolver a questão do nó górdio sem olhar nem à direita, nem à esquerda, como Alexandre. Mas eu, por mais que pense, que reflita, que estude os quadros da Pinacoteca, sempre que me falam em escola brasileira, lembro-me logo da escola da Glória, e fujo antes que caia em cima uma conferência » (Revista Ilustrada, 4/157, 16 avril 1879, http://www.ppgav.eba.ufrj.br/wp-content/uploads/2012/01/ ae13_reedicao_Angelo_Agostini.pdf, consulté le 4 novembre 2013). 16. Voir Karoline Carula, As conferências populares da Glória e as discussões do darwinismo na imprensa carioca (1873-1880), mémoire, Universidade Estadual de Campinas, 2007. 17. Dans cette tradition de la critique d’art, il faut aussi mentionner, entre autres, Nelson Aguilar, Paulo Venâncio Filho, Rodrigo Naves, Lorenzo Mammí, Sonia Salzstein. Voir Mônica Zielinsky, La Critique d’art contemporaine au Brésil : parcours, enjeux et perspectives, Lille, 1999. 18. Ulpiano Bezerra de Meneses, « Fontes Visuais, Cultura Visual, História Visual. Balanço provisório, propostas cautelares », dans Revista brasileira de história, 23/45, juillet 2003. 19. Sur ce sujet, voir les contributions de Luciano Migliaccio dans le catalogue de la Mostra do redescobrimento, 2000, cité n. 6 ; Rafael Cardoso, O design brasileiro antes do design: aspectos da história gráfica, 1870-1960, São Paulo, 2005 ; Rafael Cardoso, A arte brasileira em 25 quadros, Rio de Janeiro, 2008 ; Ana Paula Cavalcanti Simioni, Profissão artista: pintoras e escultoras acadêmicas no Brasil, São Paulo, 2008 ; voir également les travaux universitaires : Claudio José Alves, Natureza e Cultura nas Ilustrações da Comissão de Exploração Científica (1859-1861), thèse, Universidade Estadual de Campinas, 2012 ; Maria Antônia Couto da Silva, Um Monumento ao Brasil: considerações acerca da

Perspective, 2 | 2013 69

recepção do livro Brasil Pitoresco, de Victor Frond em Charles Ribeyrolles (1859-1861), thèse, Universidade Estadual de Campinas, 2011 ; Rosângela de Jesus Silva, O Brasil de Angelo Agostini: Política e sociedade nas imagens de um artista (1864-1910), thèse, Universidade Estadual de Campinas, 2010. 20. Sur l’examen théorique et méthodologique de l’époque baroque, voir les travaux de Jens Baumgarten et d’André Tavares Pereira (Universidade Federal de São Paulo) : Jens Baumgarten, « Staging Baroque Worship in Brazil », dans David Morgan éd., Religion and Material Culture: The Matter of Belief, Londres, 2010, v. 1, p. 173-192 ; Jens Baumgarten, « O Corpo, a Alma e o Amor: Esculturas do Brasil Colonial entre o Performático e o Religioso », dans Desígnio, 3, 2005, p. 27-36 ; André Tavares Pereira, « Zeferino da costa e as pinturas da candelária », dans Thule, Dinámica de la Religiosidad en América Latina, 2003. 21. Voir Renata Maria de Almeida Martins, Tintas da terra tintas do reino: arquitetura e arte nas Missões Jesuíticas do Grão-Pará (1653-1759), thèse, Universidade de São Paulo, 2009 ; André Tavares Pereira, A constituição do programa iconográfico das irmandades de clérigos seculares no Brasil e em Portugal no século XVIII: estudos de caso, thèse, Universidade Estadual de Campinas, 2006. 22. L’un des premiers à remettre en question l’histoire du modernisme est Carlos Zílio avec son livre A querela do Brasil: a questão da identidade da arte brasileira, a obra de Tarsila, Di Cavalcanti e Portinari, 1922-1945 (Rio de Janiero, 1982). En 1995, Tadeu Chiarelli publia sa thèse de doctorat Um Jeca nos Vernissages (São Paulo, 1995) qui proposait une nouvelle lecture du rôle que joua Monteiro Lobato dans l’histoire de la critique d’art au Brésil. Voir également : Sergio Miceli, Nacional Estrangeiro, São Paulo, 2003 ; Letícia Squeff, « Paris sob o olho selvagem: Quelques Visages de Paris, de Vicente do Rego Monteiro », dans Alex Miyoshi éd., O selvagem e o civilizado nas artes, fotografia e literatura do Brasil, Campinas, 2010, v. 1, p. 57-81. Sur les tentatives de compréhension du modernisme dans le contexte latino-américain, voir Maria Amélia Bulhões, Maria Lúcia Kern éd., Territorialidade e práticas artísticas na América Latina, Porto Alegre, 2002 ; Jorge Schwartz, Vanguardas Latino-Americanas, São Paulo, 2010. 23. Rodrigo Naves, docteur en philosophie, boursier du Centre of Brazilian Studies du St. Anthony’s College de l’University of Oxford, est un critique et historien de l’art reconnu au Brésil. Il a été rédacteur en chef du supplément Folhetim du journal Folha de São Paulo et de la revue Novos Estudos du Centro Brasileiro de Análise e Planejamento (CEBRAP) ; il a également pris part aux publications A parte do fogo et Beijo et dirige la collection Espaços da arte Brasileira de la maison d’édition Cosac Naify. Il est l’auteur de El Greco: um mundo turvo (São Paulo, 1985), Amílcar de Castro (São Paulo, 1991), A forma difícil: ensaios sobre arte brasileira (São Paulo, 1996) et du roman O filantropo (São Paulo, 1998). 24. « [...] um material incerto » (Naves, 1996, cité n. 23, p. 10). 25. Naves, 1996, cité n. 23, p. 10. 26. « [...] um viés todo particular » (Naves, 1996, cité n. 23, p. 12). 27. Rodrigo Naves, « [...] Um azar histórico. Desencontros entre moderno e contemporâneo na arte brasileira », dans Novos Estudos Cebrap, 64, novembre 2002, p. 18. 28. « [...] compreender melhor a arte que produzimos, a partir de seus valores intrínsecos e de sua historicidade » (Naves, 2002, cité n. 27, p. 18). 29. Gerardo Mosquera et Jean Fischer insistent sur l’importance de cette perspective dans l’introduction du livre qu’ils ont dirigé : Over Here : International Perspectives on Art and Culture, New York/Cambridge (MA), 2004. 30. Stéphane Huchet, « Presença da arte brasileira: história e visibilidade internacional », dans Concinnitas: revista do Instituto de Artes da UERJ, 1/12, 9, juillet 2008, p. 48-65 [éd. orig. : « Présence de l’art brésilien : histoire et visibilité internationale », dans Revue art histoire : Cahiers du Centre Pierre Francastel, numéro « Histoire et historiographie. L’art du second XXe siècle », 5-6, automne 2007, p. 229-246]. 31. Huchet, 2008, cité n. 30, p. 49.

Perspective, 2 | 2013 70

32. Les Magiciens de la terre, Jean-Hubert Martin éd., (cat. expo., Paris, Centre Georges-Pompidou, 1989), Paris, 1989. 33. Il est très intéressant de consulter le minutieux entretien de Benjamin Buchloh avec Jean- Hubert Martin sur les principes qui ont guidé cette exposition : « Entretien Benjamin H. D. Buchloh et Jean-Hubert Martin », dans Les Cahiers du MNAM, 28, été 1989, p. 5-14. Récemment réédité dans Sophie Orlando, Catherine Grenier éd., Art et mondialisation : décentrements, anthologie de textes de 1950 à nos jours, Paris, 2013. 34. Huchet, 2008, cité n. 30, p. 64. 35. Amílcar Cabral se réfère à la domination impérialiste. Amílcar Cabral, « O papel da cultura na luta pela independencia », dans Obras escolhidas de Amílcar Cabral, Lisbonne, 1, p. 234-235 ; Gerardo Mosquera, « The Marco Pólo syndrome: some problems around art and eurocentrism », dans Zoya Kocur, Simon Leung éd., Theory in Contemporary Art Since 1985, Malden (MA), 2005, p. 219. 36. Voir Hal Foster, « O artista como etnógrafo », dans Arte e Ensaios, 12/12, 2005, p. 138. 37. Expression employée par Walter Mignolo, dans Local Histories/Global Designs: Coloniality, Subaltern Knowledges and Border Thinking, Princeton, 2000. Voir le compte-rendu de Serge Gruzinski de cet ouvrage, publié dans Annales: histoire, sciences sociales, 2002, 57/1, p. 234-235, et Walter Mignolo, « Géopolitique de la sensibilité et du savoir. (Dé)colonialité, pensée frontalière et désobéissance épistémologique », dans Mouvements, n° 72, décembre 2012, publié en ligne : www.mouvements.info/Geopolitique-de-la-sensibilite-et.html (consulté le 15 novembre 2013). 38. Voir Gerardo Mosquera, « Notas sobre globalización, arte y diferencia cultural », dans Zonas Silenciosas, Amsterdam, 2001. 39. Manuel de Araújo Porto-Alegre, « Résumé de l’histoire de la littérature, des sciences et des arts au Brésil », dans Jean-Baptiste Debret, Voyage pittoresque et historique au Brésil, v. 3, Paris, 1839, p. 84-87 [éd. orig. : Journal de l’Institut Historique, 1, 1835] ; Manuel de Araújo Porto-Alegre, « Memória sobre a antiga escola fluminense de pintura », dans Revista do Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro, 3, 1841, p. 547-557. 40. « [...] dificuldade de forma [...] perpassa boa parte da melhor arte brasileira » (Naves, 1996, cité n. 16, p. 21). 41. À propos des cours de licence en histoire de l’art, voir Carlos Terra éd., Arquivos da Escola de Belas Artes, Rio de Janeiro, 2010, p. 41-90. 42. À propos des cours de deuxième cycle en histoire de l’art, voir Almerinda Lopes, « Reflexões sobre a história da arte e o historiador de arte no Brasil », dans Vis, Brasília, 2006, p. 33-50. 43. Mário Pedrosa, « A Bienal de cá para lá », dans Otília Arantes éd., Mário Pedrosa: política das artes, São Paulo, (1970) 1995, p. 217-284 [éd. orig. : Ferreira Gullar éd., Arte brasileira, hoje, Rio de Janeiro, 1973, p. 1-64]. 44. Au moins depuis l’exposition Brazil builds: architecture new and old, 1652-1942, réalisé au Museum of Modern Art à New York en 1943. 45. « [...] Da adversidade vivemos » (Hélio Oiticica, « Esquema geral da nova objetividade » [1967], dans Luciano Figueiredo et al. éd., Hélio Oiticica : aspiro ao grande labirinto, Rio de Janeiro, 1986, p. 98). 46. « [...] erguer-se como algo específico ainda em formação [...] posição crítica universal permanente e o experimenta » (Hélio Oiticica, « Brasil diarréia » [1970], dans Ronaldo Brito et al., O Moderno e o contemporâneo, Rio de Janeiro, 1980, p. 27). 47. « [...] dispersas, perdidas quase, em suas inúmeras notas, vamos encontrar idéias, comentários e indicações acerca das artes plásticas que merecem ser consideradas, no mínimo, provocantes, e, algumas delas, geniais até » (Ronaldo Brito, « Manuel Mousinho, um polemista secreto » [1983], dans Sueli de Lima éd., Ronaldo Brito: experiência crítica, São Paulo, 2005, p. 103). 48. Porto-Alegre, 1839, cité. n. 39. 49. Porto-Alegre, 1841, cité. n. 39. 50. Lúcio Costa, Registro de uma Vivência, São Paulo, 1995, p. 199.

Perspective, 2 | 2013 71

51. Ville fondée en 1713 dans la région sud-est du Brésil. 52. Costa, cité n. 50, p. 282.

INDEX

Index géographique : Amérique latine, Brésil, Portugal, Minas Gerais, Rio de Janeiro Keywords : academy, baroque, colonialism, contemporary art, crafts, global art history, national-modernism, painting, sculpture, slavery Mots-clés : académie, art contemporain, arts populaires, baroque, colonialisme, esclavage, histoire de l’art mondial, national-modernisme, peinture, sculpture Index chronologique : 1700, 1800, 1900, 2000

AUTEURS

LUIZ MARQUES Ancien conservateur en chef du Museu de Arte de São Paulo, il est professeur d’histoire de l’art à l’Universidade Estadual de Campinas. Il dirige la revue Figura: studi sull’immagine nella tradizione classica.

ROBERTO CONDURU Professeur d’histoire et théorie de l’art à l’Universidade do Estado do Rio de Janeiro. Il est notamment l’auteur de Arte Afro-Brasileira (2007) et de Coleção Gilberto Chateaubriand, 1920-1950 (2011).

CLAUDIA MATTOS Professeur d’histoire de l’art à l’Universidade Estadual de Campinas et présidente du Comitê Brasileiro de História da Arte. Ses recherches portent principalement sur l’art brésilien des XIXe et XXe siècles, ainsi que sur l’historiographie et la théorie de l’art.

MÔNICA ZIELINSKY Professeur d’histoire et de théorie de l’art à l’Universidade Federal do Rio Grande do Sul à Porto Alegre. Elle coordonne le catalogue raisonné de l’œuvre de l’artiste Iberê Camargo et elle a dirigé, entre autres, la publication de Fronteiras: arte, crítica e outros ensaios (2003).

Perspective, 2 | 2013 72

Travaux

Perspective, 2 | 2013 73

L’archéologie brésilienne au cours des vingt dernières années Brazilian archaeology, the last two decades A arqueologia brasileira ao longo das duas últimas décadas Die brasilianische Archäologie der letzten zwanzig Jahre L’archeologia brasiliana nel corso degli ultimi venti anni La arqueología brasileña en los últimos veinte años

Pedro Paulo A. Funari Traduction : Géraldine Bretault

1 En 1994, j’ai publié, dans le premier numéro de la Revista de história da arte e arqueologia de l’Universidade Estadual de Campinas, un état des lieux général sur la discipline (FUNARI, 1994a, 1994b). Depuis, l’archéologie brésilienne a évolué dans des proportions alors impossibles à prévoir, même si l’orientation globale allait déjà très clairement dans le sens de la démocratie et de l’inclusion sociale. En effet, si l’archéologie brésilienne a vu le jour dès le XIXe siècle (FERREIRA, 2010), elle a évolué avec le temps pour devenir plus engagée et plus égalitaire. Les deux dernières décennies ont été marquées par une révolution de la discipline dans ce pays, caractérisée par la multiplication des fouilles sur le terrain et l’explosion du nombre de publications au Brésil et à l’étranger. Si un optimisme prudent prévalait en 1994, les attentes les plus audacieuses ont été dépassées. Bien qu’il soit difficile d’établir avec certitude le nombre d’archéologues en exercice, il est probablement passé de quelques centaines il y a une vingtaine d’années à plusieurs milliers aujourd’hui, la plupart d’entre eux travaillant dans le cadre de la gestion du patrimoine culturel (SCHAAN, BEZERRA DE ALMEIDA, 2009).

2 L’histoire des sciences suscite toujours de nombreuses controverses. Une tradition ancienne et respectée considère la science comme l’accumulation de connaissances, génération après génération, chacune s’appuyant sur les découvertes et les accomplissements de la précédente ; sur les épaules des géants, même des étapes modestes peuvent être considérées comme des progrès, comme le pensaient les maîtres de la Renaissance. D’autres affirment au contraire qu’une science ne se bâtit pas sur les

Perspective, 2 | 2013 74

prédécesseurs – en privilégiant des facteurs internes – mais sur les changements de doctrines. Plus que l’accumulation de connaissances, le contexte historique, social et politique serait capital pour déterminer et expliquer l’évolution d’une science. C’est ce que l’on qualifie d’approche externaliste de l’histoire des sciences, soulignant à quel point le contexte social contribue à modeler le raisonnement scientifique, comme Thomas Patterson a tenté de le montrer au sujet de l’histoire sociale de l’anthropologie aux États-Unis (PATTERSON, 2001). Ce sera également l’approche adoptée tout au long de cet essai. Selon les préceptes de la philosophie continentale, dans le sillage de philosophes tels que Martin Heidegger, Ludwig Wittgenstein, Jacques Derrida et Michel Foucault, cette posture peut aussi être considérée comme un moyen de réfléchir à ce qu’il est possible de penser et de dire dans des circonstances données. Quel que soit le degré de sophistication de notre réflexion, qu’il s’agisse du pragmatisme de l’approche philosophique anglo-saxonne ou du caractère plus abscons et élaboré des chapelles herméneutiques continentales germaniques et françaises (HUNTER, 2006), il est clair que la simple accumulation de connaissances est insuffisante. Cette affirmation vient étayer la thèse principale de cet article : l’archéologie brésilienne est indissociable de l’histoire du Brésil (FUNARI, 1994a, 1994b, 1999a, 1999b ; pour une autre approche, voir PROUS, 1994a).

Archéologie brésilienne : une présentation historique

Des débuts à l’époque coloniale

3 Aussi curieux que cela puisse paraître, l’archéologie brésilienne est l’une des plus anciennes au monde. S’il est certes difficile d’admettre que le Brésil ait pu montrer un intérêt si précoce envers l’archéologie, il faut rappeler que Napoléon a joué un rôle particulier à cet égard. Le Brésil était déjà une possession du Portugal depuis plusieurs siècles, assurant la production de bois brésilien puis de canne à sucre, et enfin de métaux précieux et de minerais durant les trois premiers siècles de sa colonisation, à partir de 1500. Alors que Napoléon menaçait les monarchies de l’Ancien Régime en Europe, la couronne portugaise prit la décision en 1808, grâce au soutien décisif des Britanniques, de transférer la capitale de sa puissance coloniale de Lisbonne à Rio de Janeiro. L’événement est un cas unique à l’époque moderne de transfert vers la périphérie. Toutes les instances du pouvoir furent déplacées dans l’ancienne colonie, élevée au rang de membre du Royaume-Uni de Portugal, du Brésil et des Algarves. Rio de Janeiro devint alors le siège du pouvoir en tant que capitale et le centre des institutions : tribunal, bibliothèque, musée, etc. À la chute de Napoléon en 1815, la cour portugaise fut confrontée à l’éventualité d’un retour à Lisbonne. Non sans quelque hésitation, João VI décida de rentrer en Europe, remettant le trône du Brésil à son héritier Pedro, qui proclama l’indépendance de la colonie en 1822. Fondateur du Brésil, Pedro I est aussi l’instaurateur de l’archéologie brésilienne puisqu’il a offert au pays ses premiers artefacts archéologiques, dont notamment des momies égyptiennes (FUNARI, FUNARI, 2010). Lui aussi abandonna le trône du Brésil à son fils, qui régna de 1830 à 1889 en qualité d’empereur du Brésil, sous le nom de Pedro II.

4 Au cours de cette période, l’archéologie connut un essor remarquable. Pedro II était un absolutiste éclairé, dans la veine de Pierre le Grand en Russie. Inspiré par son homonyme, il fonda sa propre Saint-Pétersbourg, Petrópolis, dotée, grâce à

Perspective, 2 | 2013 75

l’archéologie, de tous les atours d’une grande ville ancienne. Si Moscou, de l’avis du tsar et des Russes, était la troisième Rome, Rio de Janeiro devait être la Rome des tropiques, et l’archéologie était l’instrument idéal pour parvenir à ce but. Époux d’une princesse napolitaine, Pedro II put se procurer des objets archéologiques provenant de Pompéi, d’Étrurie et d’ailleurs. Le musée national de Rio de Janeiro avait pour ambition de rivaliser avec le British Museum et le Louvre, dans l’espoir d’éclipser l’ancienne puissance coloniale de Lisbonne. En 1838, l’empereur fonda l’Instituto histórico e geográfico brasileiro, équivalent de l’Académie française (FERREIRA, 1999 , 2010). L’archéologie avait un rôle particulier à jouer dans ce dessein, puisqu’il lui incombait d’exhumer les racines de l’Ancien Monde (archéologie classique et égyptienne) et du Nouveau Monde (archéologie de la préhistoire). Pendant plusieurs décennies, l’archéologie s’est ainsi trouvée au cœur de l’idéologie impériale du Brésil, ce qui explique son développement précoce. La chute de la monarchie en 1889 entraîna un rapide déclin de l’archéologie sous la Première République, régime oligarchique qui dura de 1889 à 1930. Le formidable élan impérial laissa place à une profonde horror indigenae, ou crainte des racines indigènes, qui obligea l’archéologie à revoir ses ambitions à la baisse.

Duarte et l’archéologie humaniste

5 Dans les années 1930, la forte montée des nationalismes apporta un second souffle à l’histoire et au patrimoine : l’idéal colonial devait servir de terreau au développement de la nation. La période coloniale fut érigée comme modèle pour la société brésilienne, en particulier au cours de la période de dictature fasciste de l’Estado Novo, de 1937 à 1945. Cependant, l’archéologie universitaire, dont Paulo Duarte (1899-1984) fut une figure clé (FUNARI, SILVA, 2007), s’imposa à cette époque en réaction à ce mouvement (FUNARI, 1999a). Duarte, qui avait été un activiste politique démocrate durant les dernières années de la république oligarchique et qui avait participé à la fondation de la première université brésilienne à São Paulo en 19341, était animé par une conception humaniste de la connaissance. Duarte, en tant que démocrate, ne pouvait tolérer le régime dictatorial, auquel il préféra l’exil. Au cours de cette période, ses idéaux humanistes le portèrent vers l’anthropologie américaine et française, et il rejoignit la lutte pour les droits de l’homme, en particulier ceux des indigènes. Utopiste, Duarte avait un rêve : créer un Musée de l’Homme américain inspiré du modèle du Musée de l’Homme fondé à Paris en 1937, qui mettait les peuples indigènes à égalité avec le reste de l’humanité. De retour au Brésil, Duarte prit la tête d’un mouvement pour les droits des Indiens et donc, par voie de conséquence, en faveur de l’archéologie de la préhistoire, au cours de la période libérale comprise entre 1945 et 1964. Il organisa pour le grand public des cours scientifiques très prisés sur la préhistoire, l’archéologie et l’« homme américain », comme on l’appelait alors (homem en portugais désignant, comme en français, un être humain). Il fonda en 1952 une commission de la préhistoire, devenu ensuite l’Instituto de Pré-História (1952-1989), qu’il prit soin de placer sous la houlette de l’Universidade de São Paulo, un geste très important qui permit à l’archéologie d’entrer pour la première fois dans la sphère universitaire au Brésil. Grâce à son amitié avec l’ethnologue français Paul Rivet, Duarte réussit à attirer pour la première fois des archéologues professionnels au Brésil, notamment Joseph Emperaire et Annette Laming-Emperaire, disciples de Rivet et des préhistoriens de renom, qui étudiaient l’art rupestre en tant que témoignage de la culture humaine et s’opposaient

Perspective, 2 | 2013 76

à la division traditionnelle entre arts majeurs et arts mineurs (POLONI, 2008). Tout cela s’inscrivait dans la mouvance humaniste portée par Claude Lévi-Strauss, Marcel Mauss et André Leroi-Gourhan, qui étaient déterminés à prouver, chacun à sa manière, que tous les êtres humains sont capables de représenter le monde à travers des symboles. Là encore, la préhistoire n’était pas seulement digne d’intérêt pour des raisons intellectuelles, mais aussi pour ce qu’elle dévoilait de l’humanité en tant que telle : nous sommes tous détenteurs de culture. Ce n’est pas une coïncidence si l’art rupestre a joué un rôle particulier dans cette révélation, dans la mesure où les dessins dans les grottes et les inscriptions sur les rochers révèlent les immenses facultés de l’homme à communiquer : tous les êtres humains maîtrisent le langage.

La dictature et le Pronapa

6 Duarte et son archéologie humaniste connurent pendant quelque temps un succès florissant. Grâce à ses efforts et à des alliés engagés en faveur de causes similaires, le congrès approuva en 1961 la seule et unique loi protégeant les vestiges archéologiques. Cependant, en 1964, le pays tomba sous le joug d’un régime militaire qui dura jusqu’en 1985, période qui devait durement affecter l’humanisme, la préhistoire et l’archéologie. Le pays dut faire face à une vague de persécutions, d’exils, d’assassinats et de disparitions (FUNARI, 1994c). D’anciens présidents libéraux furent persécutés (deux périrent presque coup sur coup, Juscelino Kubitschek le 22 août 1976 et João Goulart le 6 décembre 1976), et trois des derniers présidents brésiliens furent persécutés (Fernando Henrique Cardoso s’enfuit en exil ; Luiz Inácio Lula da Silva fut pourchassé ; Dilma Rousseff fut envoyée en prison et torturée). Duarte et son Instituto de Pré- História en firent aussi les frais : Duarte fut renvoyé de l’université en 1969, et l’institut fut confié à un partisan du pouvoir.

7 Peu après le coup d’État militaire du 1er avril 1964, le Programa Nacional de Pesquisas Arqueológicas (Pronapa) fut fondé à Washington, D.C., en étroite coordination avec les nouvelles autorités militaires brésiliennes et sous l’égide de la Smithsonian Institution, ainsi que des archéologues américains Clifford Evans et de Betty Meggers. Le Pronapa lança un programme de surveillance active dans tout le pays, en particulier ciblé sur des zones stratégiques afin de contribuer à l’effort de contrôle du territoire dans le contexte de la guerre froide. Les principes empiriques et théoriques qui le sous- tendaient étaient pour la plupart réactionnaires et antihumanistes, reposant sur l’idée que les indigènes étaient paresseux et composaient la frange pauvre du pays en raison des conditions climatiques (NOELLI, FERREIRA, 2007). Les cinq premières années, de 1965 à 1970, furent suivies d’une seconde période dans le bassin amazonien (Pronapaba), où des combattants de la guérilla contre la dictature avaient trouvé refuge. Sous ce long règne de la dictature, un réseau d’archéologues formés dans ces terribles circonstances, contraires aux valeurs de liberté et d’humanisme, laissa son empreinte sur la discipline.

8 La lutte contre la dictature prit forme dans les années 1970, et en 1979 une amnistie concédée par les militaires permit à certains exilés de rentrer au Brésil. Les partis politiques furent légalisés quelque temps plus tard, et l’organisation d’élections directes pour les représentants de l’État fédéral en 1982 élargit le champ des activités politiques et universitaires. La fin du régime militaire en mars 1985 marqua le début d’une nouvelle ère, pour le pays comme pour l’archéologie. La discipline occupait une position singulière au sein de l’université. Durant les dernières années de dictature, les

Perspective, 2 | 2013 77

sciences humaines et sociales jouèrent un rôle de plus en plus important dans le développement d’une pensée critique et d’une recherche indépendante. Le sociologue Fernando Henrique Cardoso, à son retour d’exil, participa avec d’autres intellectuels – économistes, anthropologues, politistes et philosophes – à l’émergence d’une recherche universitaire indépendante et bien informée ; il fut par la suite élu deux fois président de la République, en 1994 et en 2001. L’archéologie restait toutefois affectée par deux facteurs : le manque de financements et la difficulté d’obtenir des autorisations de fouille auprès de l’État. Par conséquent, les fonds étaient réservés aux fouilles empiriques et à celles qui allaient dans le sens des angles d’approche et des sujets favorables au gouvernement. Il est intéressant de noter que l’anthropologie devait faire face à des contraintes analogues, puisque les deux disciplines prenaient part à l’histoire indigène et concernaient des territoires peuplés de combattants de la guérilla. Pourtant les anthropologues n’ont jamais esquivé la lutte contre le pouvoir et occupaient même les premiers rangs du mouvement démocratique, autant au sein de l’université qu’à l’extérieur. Les archéologues formés selon les directives et les principes militaires, ou tout simplement favorables au régime dictatorial et qui prenaient parfois activement part aux persécutions contre les chercheurs, ont mis à mal la discipline. Aujourd’hui encore, quarante ans après leur apogée, certains d’entre eux continuent de jeter une ombre sur leur discipline. Ce n’est guère surprenant, dans la mesure où plusieurs partisans politiques des militaires occupent toujours des postes clés au parlement, dans les ministères et en d’autres lieux du pouvoir. L’archéologie demeure néanmoins un cas à part dans le système universitaire brésilien, car aucune autre science sociale ou humaine ne peut se prévaloir de persécuteurs si haut placés ni de postes de pouvoir occupés par des alliés des militaires (FUNARI, 1994b).

L’influence française

9 Avant d’être chassé de l’université, Duarte avait pu affirmer avec force sa position intellectuelle en faveur de l’humanisme et du respect des droits de l’homme, et tisser des liens entre sa discipline et l’interprétation anthropologique de la culture matérielle. L’influence de l’archéologie française était donc particulièrement prégnante, pour des raisons aussi bien théoriques que pratiques. Les approches anthropologique et sémiotique françaises offraient notamment la possibilité de développer des cadres d’interprétation mettant en avant l’ingéniosité des peuples indigènes, en nette opposition avec la ligne officielle du Pronapa, selon laquelle les Indiens étaient les habitants attardés d’un environnement stagnant, celui de la forêt tropicale humide. En outre, les méthodes de recherche sur le terrain introduites par les Français s’appuyaient sur les strates archéologiques naturelles (par opposition aux strates artificielles retenues par les membres du Pronapa ou « Pronapiens ») et faisaient appel à des procédés élaborés de relevé d’art rupestre (alors que les Pronapiens, très mal à l’aise avec les symboles d’une manière générale, prêtaient peu d’attention à ces témoignages). Sur le plan pratique, les Français, qui jouissaient d’un contexte démocratique chez eux, encourageaient la collaboration des chercheurs brésiliens dans un cadre intellectuel plus large et apportaient des financements précieux.

10 Ces circonstances favorables ont contribué aux premiers travaux novateurs de Niède Guidon, ancienne élève de Duarte, qui a pu entrer en contact avec une pléthore d’intellectuels lors de son exil à Paris de 1966 à 1977. De retour au Brésil dans les années 1970, elle créa la Fundação Museu do Homem Americano (Fumdham) dans l’État de

Perspective, 2 | 2013 78

Piauí, la région la plus retirée et désolée du pays – un geste pionnier qui fut autant académique que politique. Pendant ce temps, d’autres chercheurs exploraient les voies ouvertes par la chute du régime autoritaire, comme l’archéologie des Marrons (sur les communautés établies entre le XVIe et le XIXe siècle par des esclaves rescapés) développée par Carlos Magno Guimarães au début des années 1980 dans le Minas Gerais ou, à la même époque, l’étude des missions jésuites dans le Rio Grande do Sul par Arno Alvarez Kern (KERN, 1998). L’archéologie humaniste française joua également un rôle important dans le développement de l’archéologie classique au Brésil, surtout grâce à Haiganuch Sarian, membre brésilien de l’École française d’Athènes. En invitant de nombreux archéologues et chercheurs francophones émérites à venir donner des conférences dans les années 1980, elle encouragea l’émergence d’une nouvelle génération sensible à la pensée critique. Quelques noms suffisent pour saisir l’importance de ces influences : Jean Bottéro, Elena Cassin, René Ginouvès, Tony Hackens…

L’archéologie sous le régime démocratique

11 La restauration du régime civil en 1985, la ratification de la nouvelle constitution en 1988 et le transfert des pouvoirs aux États et aux municipalités eurent des répercussions sur l’ensemble du monde universitaire, et sur l’archéologie en particulier. Durant les années sombres du régime discrétionnaire, la consultation du peuple n’était pas à l’ordre du jour ; or, l’un des premiers actes symboliques du nouveau gouvernement civil fut d’inscrire les vestiges archéologiques de Palmares, le vaste territoire marron du XVIIe siècle, au patrimoine national. Ce geste était la marque évidente d’une conciliation entre le régime démocratique et la société, et notamment les oubliés et les exploités de l’histoire officielle : les Africains, les Indiens et tous les individus persécutés, dont les sorcières, les juifs et les musulmans, qui s’étaient réfugiés dans cet État du XVIIe siècle. La décision fut un choc pour les archéologues brésiliens formés à l’école du Pronapa, qui ne pouvaient plus ignorer que les temps avaient changé. La nouvelle constitution démocratique édicta une série de principes généraux concernant la protection de l’environnement et du patrimoine qui concédait une place inédite et révolutionnaire à l’archéologie (FUNARI, 2002, 2004 ; ALFONSO, 2010 ; TAMANINI, PEIXER, 2011). Sous le régime militaire, les barrages, les routes, les autoroutes, les centrales nucléaires et autres constructions civiles étaient édifiés sans la moindre préconisation pour la protection de l’environnement ou du patrimoine. La liberté retrouvée entraîna la mise en place d’un nombre croissant de règlements concernant les interventions immobilières publiques ou privées, d’où une forte hausse du nombre de fouilles archéologiques et des sondages et excavations mandatés par la loi. Ces quinze dernières années, l’archéologie sur le terrain a connu un développement sans précédent, et plusieurs entreprises privées de gestion du patrimoine culturel ont vu le jour dans le pays. L’archéologie est donc désormais une pratique qui concerne les vingt- sept États et le district fédéral de l’Union, sans parler de sa popularité auprès du grand public, comme en témoigne le nombre de publications qui lui sont consacrées, disponibles dans les kiosques à journaux de tout le pays (CALDARELLI, DOS SANTOS, 1999-2000 ; DE BLASIS, ROBRAHN-GONZÁLEZ, 2003 ; SCHAAN, BEZERRA, 2009).

12 La seconde révolution née de cette nouvelle liberté concerne l’archéologie universitaire. L’enseignement supérieur avait pris beaucoup de retard au Brésil, non

Perspective, 2 | 2013 79

seulement par rapport à l’Europe, mais aussi vis-à-vis des autres colonies espagnoles. Si les premières universités d’Amérique latine furent fondées au XVIe siècle, il fallut attendre 1827, quelques années après l’indépendance en 1822, pour voir les deux premières écoles de droit du Brésil ouvrir leurs portes. Aussi étrange que cela puisse paraître, même du temps où Rio de Janeiro était la capitale de l’empire portugais, entre 1808 et 1821, aucun programme d’enseignement supérieur n’avait été mis en place, car la cour portugaise ne prévoyait pas de s’y installer définitivement. La monarchie brésilienne, de 1822 à 1889, reposait sur une économie de l’esclavage, et l’éducation supérieure mit donc du temps à s’organiser autour de quelques rares écoles de médecine et d’ingénierie. La Première République, de 1889 à 1930, perpétua cette tradition. La première université fut fondée seulement en 1934, grâce aux efforts d’une poignée d’intellectuels, dont Paulo Duarte. D’autres universités suivirent, soutenues par l’Union, les États et des confessions religieuses (notamment plusieurs universités catholiques pontificales, puis d’autres protestantes). Des troisièmes cycles furent instaurés sous le régime militaire sur le modèle du système américain des MA et des PhD, si bien que lorsque le régime civil fut rétabli en 1985, la recherche universitaire commençait déjà à montrer une certaine robustesse. L’archéologie fut admise parmi les troisièmes cycles, d’abord au sein des cursus d’histoire puis en association avec d’autres disciplines, telles que les sciences sociales. Le premier cursus de troisième cycle d’archéologie en tant que tel fut créé à l’Universidade de São Paulo en 1990. Depuis, l’archéologie universitaire a connu un essor prodigieux, et plusieurs centaines de cursus de deuxième et troisième cycles ont été créés, dont certains travaillent en lien étroit avec des laboratoires d’archéologie étrangers et participent de près aux discussions théoriques et empiriques qui ont cours en Europe, aux États-Unis et ailleurs.

Évolutions récentes

13 Il s’avère difficile de discuter dans le détail des questions et des problématiques liées à la recherche archéologique, étant donné le nombre élevé de publications et l’immense variété des sujets. La manière la plus pertinente d’en débattre consiste peut-être à traiter une série de sujets principaux, comme les premières implantations humaines, l’art rupestre, diverses questions préhistoriques, l’archéologie historique, l’archéologie sous-marine et l’archéologie publique. Il convient également d’apporter une remarque sur le rôle des femmes dans l’archéologie brésilienne, que nous aborderons ultérieurement.

Les premières installations humaines au Brésil

14 Les études sur la préhistoire sont les plus anciennes au Brésil. Les plus précoces portaient sur les tout premiers restes humains et furent menées par le Danois Peter Wilhelm Lund dans le Minas Gerais dans les années 1830 et 1840. En raison de ses convictions chrétiennes, Lund admettait difficilement les témoignages associant les êtres humains à des espèces animales disparues, au point qu’il préféra abandonner la recherche sur le terrain. Le débat actuel sur les origines de la présence humaine au Brésil demeure cependant le sujet archéologique le plus populaire, aussi bien au sein de l’université qu’ailleurs. Ce n’est guère étonnant, dans la mesure où l’intérêt porté à ce

Perspective, 2 | 2013 80

sujet comporte un aspect nationaliste. Le projet de retrouver la plus ancienne trace de présence humaine dans le Nouveau Monde avait suscité un vif intérêt à la grande époque du régime militaire, lorsque des hypothèses divergentes furent avancées par deux femmes : Conceição Beltrão et Niède Guidon. Tandis que Guidon émigra à Paris pendant la dictature, la jeune Conceição épousa le ministre Hélio Beltrão, membre éminent de l’establishment et signataire du tristement célèbre Acte institutionnel no 5 (AI-5) de 1968 qui ouvrit la voie à la dictature.

15 Beltrão avait étudié aux côtés d’André Leroi-Gourhan et d’Annette Laming-Emperaire à Paris, et elle obtint ses diplômes à Rio de Janeiro à une époque où les troisièmes cycles n’existaient pas encore au Brésil (elle reçut son doctorat en 1969 à Niterói). Elle travailla auprès d’une mission française à Lagoa Santa dans le Minas Gerais de 1970 à 1977, puis sur d’autres sites préhistoriques de Bahia. Aujourd’hui chercheuse émérite au Conselho Nacional de Desenvolvimento Científico e Tecnológico (CNPq, le CNRS brésilien), elle s’est forgé une réputation dans deux grands secteurs de la recherche préhistorique, pour lesquelles elle a proposé des interprétations qui sont source de controverses : les premières installations humaines et l’art rupestre. Depuis 1982, son travail de longue haleine à Central, Bahia, a fourni les preuves, selon ses publications, de la présence dans cette région de l’homo erectus. Beltrão suggère que l’homo erectus est arrivé d’Afrique du Sud lors d’une période glaciaire, en franchissant ce qu’elle a appelé un pont de glace ; l’Amérique du Sud aurait ainsi déjà connu un peuplement humain il y a au moins cinq cent mille ans (BELTRÃO, DANON, DORIA, 1988 ; BELTRÃO, 2008). Ses preuves n’ayant jamais été jugées convaincantes, sa proposition n’a pas été retenue dans le récit archéologique conventionnel du Brésil, qu’il soit universitaire ou autre.

16 Ce n’est pas le cas de deux autres domaines de recherche universitaire et propositions d’interprétation, qui reposent sur des preuves et des cadres théoriques très différents. Dans la région du Nordeste, sur les terres les plus pauvres et les plus reculées du pays, Niède Guidon a conduit une mission française dans le cadre naturel idyllique de la Serra da Capivara, une région montagneuse. La mission française s’y était rendue pour étudier l’art rupestre, mais l’un des premiers résultats extraordinaires des travaux menés sur place dans les années 1970 fut la datation précoce au radiocarbone de feux très anciens, possiblement associés à des restes humains. Ces découvertes allaient à l’encontre de l’opinion généralement admise, qui situait l’arrivée de l’homme en Amérique dans les derniers millénaires, d’après les traces de la civilisation Clovis retrouvées en Amérique du Nord et datée d’environ 10 000 avant J.-C. Toute date antérieure, en particulier en Amérique du Sud, remettait ainsi en question l’ensemble du modèle retenu pour le peuplement humain des Amériques. L’étude par Guidon et son équipe de toute une série d’artefacts lithiques généra un élan qui prit de l’ampleur avec le déclin du régime autoritaire dans le pays puis avec la restauration du régime civil. Ce contexte général favorisa l’hypothèse de Guidon selon laquelle le Brésil était le lieu de la plus ancienne installation humaine aux Amériques, à partir de 40 000 avant J.- C. environ. Vers la fin des années 1980, Guidon fut pendant un temps associée de recherche à l’Universidade Estadual de Campinas, déjà classée deuxième université du pays et qui était alors la plus innovante, privilégiant la recherche et attachée à la vulgarisation et à la popularisation des sciences. En quelques années, Guidon et sa thèse, laquelle confortait la fierté nationale brésilienne, réussirent à faire admettre à l’ensemble du Brésil que le pays était dépositaire des premières traces archéologiques d’occupation humaine. À l’heure actuelle, à peine trente ans plus tard, tous les manuels

Perspective, 2 | 2013 81

scolaires brésiliens mentionnent le site préhistorique de Serra da Capivara. Ce n’est pas seulement le sujet archéologique le plus populaire, c’est aussi le seul qui soit largement connu de tous les enfants et de la plupart des adultes (GUIDON, 1991 ; GUIDON, PESSIS, 2007). Cependant, plusieurs archéologues brésiliens et une grande majorité de leurs homologues étrangers contestent que cette datation ancienne corresponde à une occupation humaine et que les rochers étudiés par son équipe soient bien des artefacts lithiques (DILLEHAY, 2000, p. 190-195 ; voir aussi la discussion dans FUNARI, NOELLI, 2011). Aucun ouvrage récent traitant de la présence humaine dans les Amériques et rédigé par des anglophones n’accepte ces dates. Les théories de Guidon quant à l’arrivée possible des hommes au Brésil par voie maritime à travers l’océan Pacifique dès 70 000 avant J.- C. ont également été contestées (DILLEHAY, 2000 ; FUNARI, NOELLI, 2011).

17 Le second domaine de recherche sur les premières traces de présence humaine s’inscrit dans une approche biologique. Walter Alves Neves, biologiste et expert en squelettes humains, étudie depuis plusieurs années de véritables restes humains datant des temps reculés (vers 9 000 avant J.-C.). Pour ce faire, il emploie une série d’outils statistiques afin de déterminer les origines possibles de ces premiers habitants du Brésil, sans contestation possible, puisque ces os ont été datés de 9 000 avant J.-C. environ. Ces dernières années, Neves a publié une série d’articles sur ces squelettes et a proposé une nouvelle interprétation de la dynamique du peuplement des Amériques. D’après ses recherches, ces squelettes prouvent qu’il y a eu un peuplement issu d’une migration d’origine africaine, entièrement remplacé ensuite par la migration asiatique des ancêtres des Amérindiens (NEVES et al., 1999). Il a ainsi introduit le second élément le plus populaire de l’archéologie brésilienne, après les premiers Brésiliens de Guidon : Luzia, la Lucy brésilienne, représentée comme une femme africaine (NEVES et al., 1999). Bien que ses études soient étayées par la plus prestigieuse institution universitaire brésilienne (la Fundação de Amparo à Pesquisa do Estado de São Paulo, ou Fapesp), et bien qu’il ait publié des articles dans plusieurs revues de langue anglaise, ses théories sont, elles aussi, boudées par la plupart des ouvrages étrangers les plus récents. Les raisons, complexes, ne sont pas nécessairement liées à l’absence de connaissances sur ce sujet mais reflète plutôt un manque de confiance dans les méthodes d’analyse crânienne ; à l’ère postmoderne, la notion que l’on puisse analyser de tels squelettes avec autant de précision laisse sceptique. Politiquement, enfin, il est difficile d’admettre l’idée que les Indiens aient pu remplacer les Africains, ce qui sous-entend tacitement que les Indiens auraient exterminé les Africains et qu’ils n’étaient pas les premiers habitants des Amériques – en d’autres termes, qu’ils n’étaient pas moins des étrangers que les colons modernes. Quelle que soit l’issue de ce débat, il ne fait aucun doute que la première occupation du Brésil reste un sujet polémique et suscite un intérêt très largement répandu.

L’art rupestre

18 L’art rupestre est un autre sujet d’importance majeure, et ce pour deux raisons distinctes : apprécié du grand public, il est également un sujet archéologique très développé, malgré les difficultés que présente son étude. Comme André Prous l’a montré (PROUS, 1994b), il n’est pas aisé à documenter, bien que l’introduction récente des technologies numériques ait facilité les relevés ; leur interprétation n’est cependant pas moins ardue pour autant. Conceição Beltrão a joué un rôle pionnier en proposant des interprétations fondées sur la possible consommation de substances hallucinogènes

Perspective, 2 | 2013 82

par ceux qui peignaient les parois (SEDA, 1997). Même si ce fut probablement le cas en plusieurs occurrences, c’est une voie d’interprétation délicate pour des raisons évidentes. L’influence la plus prégnante procède du structuralisme français de Leroi- Gourhan et d’autres schémas d’interprétation linguistiques. Deux écoles principales se sont développées au cours des années 1970, l’une dans le Minas Gerais, dirigée par André Prous, et l’autre dans le Nordeste, menée par Niède Guidon et Anne-Marie Pessis, mais aussi avec d’autres spécialistes de renom, dont Denis et Águeda Vialou dans le Mato Grosso et Edithe Pereira dans le bassin amazonien. Comme l’a expliqué Gabriela Martin (MARTIN, 2008), Guidon et Pessis ont encouragé la définition de ce que l’on pourrait appeler des traditions d’art rupestre, en essayant de décrire des styles correspondant à des régions données (PESSIS, GUIDON, 2009). Aidé par sa formation d’historien classique et son penchant pour le catalogage (une caractéristique de l’archéologie classique), Prous a stimulé la production d’une masse de documentation (PROUS, 2012 ; voir aussi VIALOU, VILHENA VIALOU, 1996). Vialou se prévaut des plus grandes écoles françaises de linguistique, comme il l’a rappelé dans un entretien : « L’art préhistorique est la manifestation de la pensée » (L’Express, 13 décembre 2004). De fait, l’art préhistorique est l’expression d’une pensée humaine articulée, dans la meilleure tradition humaniste française, et une approche des plus pertinentes pour l’homme en général et pour les Brésiliens en particulier.

Le bassin amazonien

19 D’autres questions relatives à la préhistoire sont également d’actualité. Ces dernières années, le bassin amazonien a suscité de nombreux débats pour toutes sortes de raisons, et notamment autour de la question environnementale. À partir des années 1950 et 1960, Betty Meggers et Donald Lathrap s’affrontèrent pour déterminer si la forêt tropicale humide est un environnement infernal (selon elle) ou idéal (selon lui, voir LATHRAP, 1970). Jusqu’à sa mort récente, Meggers, qui a dirigé un temps le Pronapa, a prétendu que l’attardement et le sous-développement des Latino-Américains étaient endémiques, mais aussi que la forêt tropicale humide était un faux paradis, capable de transformer des individus travailleurs en Indiens paresseux (MEGGERS, 1971, 2010). Lathrap d’abord et Anna Roosevelt ensuite se sont opposés à cette opinion. Ils proposaient de voir l’Amazonie comme un environnement qui favorise des établissements humains à grande échelle (LATHRAP, 1970 ; ROOSEVELT, 1991). Dans les années 1990, Roosevelt a ajouté la question du genre à l’équation, suggérant que les femmes préhistoriques du Brésil occupaient une place plus importante qu’on ne le pensait jusque-là (ROOSEVELT, 1991). D’autres chercheurs, comme Eduardo Góes Neves, ont concentré leurs recherches sur le terrain, tentant d’établir les plans d’occupation des sols et les routes migratoires possibles (NEVES, 1998 ; MCEWAN, BARRETO, NEVES, 2001 ; NEVES, 2009), tandis que Denise Schaan s’attachait au symbolisme et Denise Cavalcante Gomes à l’analyse de la céramique fine et aux plans d’occupation des sols (GOMES, 2006, 2007, 2008). Des travaux récents ont approfondi plusieurs de ces points, en particulier les interrogations d’ordre écologique (HECKENBERGER, 2005) et symbolique (GOMES, 2008 ; SCHAAN, 2012). Parmi les innovations de l’archéologie brésilienne, l’une des plus fécondes est la relation croissante de cette discipline avec l’anthropologie, développée notamment dans le travail de Gomes. Son intégration du concept de « perspectivisme » tel qu’il a été élaboré par Eduardo Viveiros de Castro a été aussi opérante que la

Perspective, 2 | 2013 83

démarche symbolique de Schaan. Le mouvement de l’archéologie amazonienne vers l’ethnologie, l’ethno-histoire (celle de Mike Heckenberger et Bruna Franchetto, par exemple ; FRANCHETTO, HECKENBERGER, 2000) et la muséologie critique, ainsi que vers un travail de terrain mené en direct avec les peuples indigènes (SILVA, 2008), a enrichi la discipline de manière importante.

20 Les deux secteurs traditionnels que sont l’étude des artefacts lithiques et celle des poteries ont connu un développement irrégulier. Ils ont émergé sous les beaux jours du régime dictatorial dans la mouvance de l’histoire culturelle, qui s’efforçait de déceler l’existence de traditions en associant un style lithique donné avec des groupes ethniques supposés, comme les Umbu et les Humaitá. L’étude de la poterie a connu un sort semblable, avec l’invention de la poterie Tupi-Guarani et son assimilation à une famille linguistique (les langues tupi-guarani) et à des groupes ethniques hypothétiques. Néanmoins, ces dernières années, de plus en plus d’études ont fui ces approches traditionnelles en faveur de points de vue plus fluides et nuancés, qui tiennent compte de la théorie sociale (SCHIAVETTO, 2003 ; SCHIAVETTO, FUNARI, ORSER, 2005 ; POLONI, 2009 ; FUNARI, MARQUETTI, 2011).

L’archéologie historique

21 L’archéologie historique s’est développée tardivement au Brésil. Apparue dans les années 1960 aux États-Unis dans le but d’étudier la culture matérielle des populations d’origine européenne, elle fut importée au Brésil à la fin du régime autoritaire pour examiner la culture matérielle postérieure à l’arrivée des Portugais, de 1500 à nos jours. Comme aux États-Unis, la discipline a d’abord constitué un panégyrique conservateur des élites, de la céramique, de l’architecture d’apparat, etc., et à certains égards elle le demeure. Cependant, depuis l’amnistie en 1979, l’intérêt se détourne des élites pour se focaliser sur les gens du peuple et les esclaves (ROWLANDS, 1999 ; TOCCHETTO et al., 2001 ; PLENS, 2004 ; SINGLETON, SOUZA, 2009).

22 Les premières études archéologiques ont été menées dans les missions jésuites au sud du Brésil, dans l’intention de reconstituer la manière dont les Indiens Guarani et les prêtres vivaient ensemble (KERN, 2003). L’archéologie des esclaves et des Marrons a débuté à la même époque, vers le milieu et la fin des années 1980, en prenant pour objet les camps de clandestins au XVIIIe siècle dans les districts miniers de l’actuel Minas Gerais (GUIMARÃES, 1990). À mesure que la démocratisation s’imposait, l’archéologie historique portait son attention sur les territoires marrons les plus emblématiques, Palmares pour le XVIIe siècle et Canudos pour la fin du XIXe siècle. L’archéologie brésilienne venait battre en brèche le récit ancestral d’un peuple brésilien irénique, trop heureux d’accepter l’ordre social, y compris l’esclavage (FUNARI, 1995 ; AGOSTINI, 2002 ; FUNARI, CARVALHO, 2005). Palmares a été le territoire marron le plus tenace, actif de 1605 à 1694. Peu après la restauration du régime civil en mars 1985, le site a été inscrit au patrimoine national. Les fouilles archéologiques ont démarré au début des années 1990, avec des résultats extraordinaires puisqu’elles ont permis un débat collectif sur la société brésilienne (ORSER, 1994). La preuve archéologique de l’existence d’une vaisselle indigène, ainsi que d’autres pièces de poterie ordinaire, a abouti à une discussion sur le tissu social de l’État rebelle – et, par conséquent, sur le Brésil – en tant que démocratie multi-ethnique et entité politique de la diaspora africaine.

Perspective, 2 | 2013 84

23 Plus récemment, les problématiques liées au genre ont aussi été étudiées dans un même élan visant à aborder les questions sociales (FUNARI, CARVALHO, 2005). Canudos, le plus célèbre État rebelle de la fin du XIXe siècle, de 1893 à 1897, était une communauté religieuse catholique indépendante. L’armée brésilienne, chargée de reconquérir cette région de l’État de Bahia, a détruit le site et tué des individus, dont le chef de la communauté, le prédicateur populaire Antônio Conselheiro. Submergée dans les années 1970 à la suite de la construction d’un barrage, la zone a pu être fouillée par Paulo Zanettini dans les années 1990 à l’occasion d’une longue sécheresse, contribuant ainsi à une meilleure compréhension de l’État rebelle et des troupes d’assaut (ZANETTINI, 1996). Ce travail eut pour effet de raviver le débat sur la société brésilienne et sur certaines de ses caractéristiques, y compris sa religiosité et ses coutumes, mais aussi sa violence et les régimes autoritaires.

24 Depuis l’initiative de Zanettini, l’archéologie historique s’est intéressée à d’autres sujets, dont l’étude de la dictature et de la répression (ZARANKIN, FUNARI, 2008 ; FUNARI, ZARANKIN, SALERNO, 2009), mais aussi la poterie (TOCCHETTO et al., 2001), l’architecture (SYMANSKI, 1997 ; SOUZA, SYMANSKI, 2009) et d’autres supports encore liés aux questions de genre, d’ethnie et à d’autres problématiques pertinentes pour la société actuelle (RAHMEIER, 2012). L’archéologie historique est aujourd’hui la pratique la plus développée au Brésil, devant l’archéologie préhistorique et classique. Ce n’est pas une coïncidence si les chercheurs brésiliens ont contribué à porter le champ de l’archéologie historique au niveau mondial, pour en faire l’étude de la culture matérielle d’une société donnée disposant de textes écrits et non plus seulement des sociétés modernes et capitalistes, selon le concept initial né aux États-Unis.

L’archéologie classique

25 L’archéologie classique et l’histoire de l’art sont apparues dans les années 1960 au Brésil, en lien avec l’École française d’Athènes, avant de s’épanouir à partir des années 1980 dans un nouveau contexte politique et universitaire plus ouvert (FUNARI, BEZERRA, 2012 ; GARRAFFONI, FUNARI, 2012). Grâce aux activités importantes du professeur Haiganuch Sarian (SARIAN, 1992 ; SARIAN, SIMON, 2004), plusieurs chercheurs, notamment francophones, ont donné des conférences au Brésil et ont reçu des étudiants et des universitaires brésiliens. Une génération d’archéologues classiques en lien avec la communauté internationale s’est développée, dont les livres et les articles sur un vaste éventail de sujets ont été publiés à l’étranger. L’élan le plus singulier et durable porte sur l’étude de la poterie, et notamment de son iconographie. Depuis ses débuts, la numismatique (CARLAN, 2011), l’étude des peintures pariétales et des dessins (CAVICCHIOLI, 2008), et bien d’autres lui ont emboîté le pas (CHEVITARESE, 2005 ; SANCHES, 2008 ; FEITOSA, GARRAFFONI, 2010 ; BRUNO, CERQUEIRA, FUNARI, 2011 ; GRILLO, 2011 ; MAGALHÃES DE OLIVEIRA, 2011 ; CERQUEIRA, 2012 ; GARRAFFONI, FUNARI, 2012). L’élément le plus pertinent toutefois n’a pas été la maîtrise des techniques de recherche, même si ce n’est pas une mince victoire, en particulier dans un domaine d’étude aussi traditionnel que l’archéologie classique. L’avancée majeure tient à l’exploration de nouveaux sujets et de perspectives inédites telles que les mœurs et les expressions populaires ou les points de vue postcoloniaux et marginaux, contribuant ainsi de manière unique à l’épanouissement de la discipline dans les anciennes puissances coloniales.

Perspective, 2 | 2013 85

Archéologie sous-marine

26 L’archéologie sous-marine est, elle aussi, apparue tardivement, grâce notamment au monde francophone. Les implantations portugaises en Amérique du Sud se sont limitées pendant des siècles au littoral, au point que feu le doyen des historiens au Brésil, Sérgio Buarque de Holanda, décrivait les villes et les hameaux portugais comme des installations côtières en contact étroit avec la mer, tournant le dos à l’intérieur du pays. Les seules exceptions étaient quelques rares établissements au bord des fleuves à l’ouest, loin de la côte atlantique. La vie maritime ou fluviale se trouvait donc au cœur de la vie sociale brésilienne dès les origines, et ce jusqu’à très récemment. Après la Seconde Guerre mondiale, et notamment grâce à Jacques Cousteau et aux progrès français en matière de plongée, l’archéologie sous-marine a connu un développement dans le monde entier. Gilson Rambelli, fort de sa formation en France, au Portugal, en Espagne et au Mexique, a pu développer ce secteur au Brésil à la fin des années 1990. L’archéologie sous-marine analyse les embarcations, mais aussi les amas coquilliers et autres sujets moins courants, comme les navires clandestins de traite des esclaves. Elle s’est montrée particulièrement active dans l’étude du piratage et des pratiques illégales, sans négliger pour autant la question du patrimoine. Il n’existe toujours pas à l’heure actuelle de législation visant à protéger les sites du patrimoine sous-marin (RAMBELLI, 2002). Les dernières années ont donc connu un développement important de l’archéologie sous-marine, même si sa pratique est encore limitée à un nombre restreint de spécialistes, la plupart associé à Rambelli.

L’archéologie publique

27 La question de la législation nous conduit à l’archéologie publique, un secteur de la discipline qui s’est développé à l’échelle mondiale depuis les années 1990 mais qui s’est retrouvé sur le devant de la scène au Brésil (FUNARI, BEZERRA, 2012). L’archéologie publique, impliquant un large travail de diffusion des données archéologiques auprès du grand public, des étudiants et de la communauté locale par le biais d’activités diverses, est le résultat direct de la prise de conscience du caractère politique de cette discipline. La création en 1986 du Congrès archéologique mondial a représenté un jalon à cet égard car il a montré que l’archéologie est autant l’étude du pouvoir que l’étude du passé, comme l’ont souligné un an plus tard Michael Shanks et Christopher Tilley (SHANKS, TILLEY, 1987). Ce renversement du sens de la discipline a fait date : de l’étude du passé à l’étude du présent, du souvenir à la reconstitution. Il ne fait plus débat que l’archéologie est depuis ses origines liée à l’imaginaire et représente une manière unique de voyager dans le temps et dans l’espace, ce qui demeure son aspect le plus séduisant. Mais cette fuga temporis n’est pas plus pertinente qu’à l’époque de Virgile : Sed fugit interea fugit irreparabile tempus, singula dum capti circumvectamur amore, « Mais le temps fuit, et il fuit sans retour, tandis que séduits par notre sujet, nous le parcourons dans tous ses détails »2. Nous pouvons toujours rêver de remonter le temps et de ressusciter le passé, même si ce sont finalement les problématiques contemporaines qui motivent les recherches archéologiques, comme le reste.

28 L’archéologie publique est ainsi une conséquence de la prise de conscience par les spécialistes que les disciplines universitaires – dont l’archéologie – peuvent agir sur les questions sociales actuelles et contemporaines. Au Brésil, son développement rapide

Perspective, 2 | 2013 86

ces dernières années a permis aux enfants scolarisés, à la population adulte dans son ensemble, et aux Marrons et aux Indiens en particulier d’entrer en contact avec l’archéologie et de contribuer à forger la discipline elle-même. L’archéologie a joué un rôle actif en favorisant l’interaction entre les archéologues et le grand public, dans le but de réunir des connaissances qui intéressent autant la société dans son ensemble que des groupes particuliers. Le statut du Brésil en tant qu’acteur majeur dans le secteur de l’archéologie publique est lié aux conditions sociales et à la diversité culturelle du pays, dont la mixité est parfois plus importante que ce qui est perçu par des observateurs étrangers (EREMITES DE OLIVEIRA, 2005 ; FUNARI, OLIVEIRA, TAMANINI, 2007 ; GREEN, GREEN, NEVES, 2010 ; OLIVEIRA, FUNARI, CHAMORRO, 2011 ; BEZERRA, 2012). Des publications comme la revue Arqueologia pública ainsi que plusieurs livres, thèses et articles témoignent des accomplissements de l’archéologie publique au Brésil et de sa contribution à la discipline au-delà des frontières du pays (FUNARI, BEZERRA, 2012).

Les femmes dans l’archéologie

29 Il convient enfin de rappeler le rôle joué par les femmes archéologues au Brésil. Dans le monde entier, l’archéologie a toujours été une discipline à dominante masculine, pour ne pas dire une pratique militaire et impérialiste. La discipline est née et s’est perpétuée ainsi pendant plusieurs décennies, jusqu’au milieu du XXe siècle au moins. Les premières grandes archéologues du milieu du XXe siècle, comme Kathleen Kanyon et Annette Laming-Emperaire, étaient des rarae aves, comme l’aurait dit Juvénal dans ses Satires – des exceptions dans un monde masculin. Ce n’est qu’après la révolution sociale des années 1960 que les femmes eurent la possibilité de jouer un rôle plus significatif dans cette discipline, même si les postes clés de l’archéologie restent accaparés par les hommes, comme la plupart des positions sociales dominantes. Ce n’est donc pas une caractéristique propre à l’archéologie ; mais en raison de l’association historique de l’archéologie avec le milieu militaire, et de la faible présence féminine au sein de l’armée, cela s’est toujours particulièrement vérifié dans l’archéologie. La place tenue par les femmes dans l’archéologie brésilienne aujourd’hui semble pourtant aller à l’encontre de cette tendance générale. Niède Guidon est bien sûr l’exemple le plus évident du rôle décisif joué par les femmes, mais on pourrait en citer d’autres, comme Conceição Beltrão et Haiganuch Sarian. Les femmes archéologues sont probablement majoritaires au Brésil, et plusieurs d’entre elles occupent des positions de pouvoir et sont reconnues dans leur pays et à l’étranger, en dépit de leur jeune âge, comme Márcia Bezerra de Almeida et Denise Schaan. L’archéologie brésilienne a été largement modelée par les femmes, qui ont joué et continuent de jouer un rôle crucial dans la définition de la discipline. Il n’est pas facile d’expliquer cette caractéristique unique, en comparaison avec l’évolution de l’archéologie dans les pays voisins et lointains. Peut- être est-elle une conséquence indirecte du régime militaire, lequel, ne voulant pas accorder à l’archéologie une place importante, a bridé une discipline associée auparavant à des qualités militaires masculines. Le régime persécutait ceux, comme Paulo Duarte, qui le défiaient et soutenait de préférence les archéologues femmes, perçues comme étant plus dociles – une supposition que bien des femmes archéologues ont pourtant démentie. Le phénomène a-t-il eu une incidence sur l’évolution de la discipline elle-même ? Si cela reste difficile à dire, il est très probable que cette prédominance féminine a contribué à la nature plus démocratique et moins autoritaire

Perspective, 2 | 2013 87

de l’archéologie brésilienne au cours des dernières décennies, ainsi qu’à l’envergure internationale qui caractérise aujourd’hui l’archéologie au Brésil.

30 Quelles conclusions tirer de tout cela, et quelles en sont les perspectives ? L’avenir de l’archéologie au Brésil semble brillant. Activité d’abord marginale, l’archéologie est parvenue à s’imposer comme discipline universitaire et à jouer un rôle social. Ce passe- temps aristocratique apparu au XIXe siècle a dû attendre le milieu du XXe siècle pour connaître une évolution significative, aussi bien universitaire qu’auprès d’un public plus large. Au cours des vingt dernières années, l’archéologie a connu un essor considérable au Brésil. Le nombre de sites de fouilles archéologiques a explosé, et les publications au Brésil et à l’étranger témoignent de ces immenses progrès, y compris théoriques (FUNARI, ZARANKIN, STOVEL, 2005).

31 L’apport de l’archéologie brésilienne est loin d’être négligeable, en raison notamment de la complexité de son contexte social et politique. Recouvrant plusieurs milliers d’années, et comprenant aussi bien l’art pariétal que les histoires hybrides des peuples indigènes et européens, des esclaves africains et des immigrés d’origines diverses, elle contribue à une compréhension spécifique de la culture matérielle. Le Brésil partage certaines caractéristiques avec les États-Unis mais, échappant à la philosophie capitaliste américaine, conserve une plus grande complexité ; le métissage des cultures est comparable à celui de Cuba, mais au sein d’une culture et d’une société plus grande et plus hétérogène. Seule la Russie offre éventuellement une dynamique comparable par la variété des situations dans lesquelles s’inscrit son archéologie, à cela près qu’elle évolue dans un climat tempéré et non pas tropical comme celui du Brésil. Tout compte fait, c’est l’ampleur et la nature hétéroclite voire contradictoire de l’archéologie brésilienne qui en font un terrain fécond.

32 Pour nous projeter dans l’avenir, il est peut-être intéressant de revisiter le passé, car j’avais déjà remarqué, voilà vingt ans, que les nouvelles générations étaient enclines au changement. Deux décennies plus tard, on peut dire que les archéologues ont bouleversé leur discipline au point de la rendre méconnaissable. Elle participe aujourd’hui pleinement à la lutte pour l’engagement social et universitaire. Pour avoir réussi à secouer l’héritage pesant de la dictature en si peu de temps, l’archéologie a un avenir lumineux devant elle, dans la lutte pour la liberté, la justice et le savoir, au Brésil comme ailleurs.

BIBLIOGRAPHIE

– AGOSTINI, 2002 : Camilla Agostini, « Entre senzalas e quilombos : ‘comunidades do mato’ em Vassouras do oitocentos », dans Andrés Zarankin, María Ximena Senatore éd., Arqueologia da sociedade moderna na América do Sul, Buenos Aires, 2002, p. 19-30.

Perspective, 2 | 2013 88

– ALFONSO, 2010 : Louise Prado Alfonso, « El patrimonio arqueologico y su vinculación a circuitos turisticos no convencionales en Brasil », dans Mirada antropológica, 8-9, 2010, p. 150-165.

– BELTRÃO, 2008 : Maria da Conceição de Moraes Coutinho Beltrão, Le Peuplement de l’Amérique du Sud : essai d’archéogéologie, une approche interdisciplinaire, Paris, 2008.

– BELTRÃO, DANON, DORIA, 1988 : Maria da Conceição de Moraes Coutinho Beltrão, Jacques Abulafia Danon, Francisco Antônio de Moraes Accioli Doria, Datação absoluta mais antiga para a presença humana na América, Rio de Janeiro, 1988.

– BEZERRA, 2012 : Marcia Bezerra, « Signifying Heritage In Amazon: A Public Archaeology Project at Vila de Joanes, Marajó Island, Brazil », dans Chungara, 44/3, 2012, p. 533-542.

– BOŽIĆ, DUCLOY, 2008 : Mirjana BožiĆ, Martial Ducloy, « Eratosthenes’ Teachings with a Globe in a School Yard », dans Physics Education, 43/2, 2008, p. 165-172.

– BRUNO, CERQUEIRA, FUNARI, 2011 : Maria Cristina Oliveira Bruno, Fábio Vergara Cerqueira, Pedro Paulo A. Funari éd., Arqueologia do Mediterrâneo Antigo: estudos em homenagem a Haiganuch Sarian, São Paulo, 2011.

– CALDARELLI, DOS SANTOS, 1999-2000 : Solange Bezzerra Caldarelli, Maria do Carmo Mattos M. dos Santos, « Arqueologia de contrato no Brasil », dans Revista USP, 44, 1999-2000, p. 32-51.

– CARLAN, 2011 : Cláudio U. Carlan, « Coins and Power in Rome: Political Ideology in the 4th Century », dans David Hernández de la Fuente éd., New Perspectives on Late Antiquity, Cambridge, 2011, p. 150-157.

– CAVICCHIOLI, 2008 : Marina Cavicchioli, « The Erotic Collection of Pompeii: Archaeology, Identity and Sexuality », dans Pedro Paulo A. Funari, Renata Garraffoni, Bethany Letalien éd., New Perspectives on the Ancient World: Modern Perceptions, Ancient Representations, Oxford, 2008, p. 187-194.

– CERQUEIRA, 2012 : Fábio Vergara Cerqueira, « Identidade cultural e relações interétnicas greco- indígenas na Magna Grécia. O sentido da iconografia dos instrumentos musicais na cerâmica ápula. (seculos V e IV a.C.) », dans Adriana Pereira Campos, Antonio Carlos Amador Gil, Gilvan Ventura da Silva éd., Territórios, poderes, identidades: a ocupação do espaço entre a política e a cultura, Vitória/Marne-la-Vallée/Braga, 2012, p. 35-56.

– CHEVITARESE, 2005 : André Leonardo Chevitarese, « Water and Olive Oil: Analysis of Rural Scenes in Black and Red-Figure Attic Vases and the Construction of the Athenian Empire », dans FUNARI, ZARANKIN, STOVEL, 2005, p. 297-308.

– DE BLASIS, ROBRAHN-GONZÁLEZ, 2003 : Paulo Antônio Dantas de Blasis, Erika M. Robrahn-González, « Dam Contract Archaeology in Brazil: Some Prospects and a Case Study at the Amazonian Border », dans International Workshop on Cultural Heritage Management and Dams, BID, 2003.

– DILLEHAY, 2000 : Thomas D. Dillehay, The Settlement of the Americas: A New Prehistory, New York, 2000.

Perspective, 2 | 2013 89

– EREMITES DE OLIVEIRA, 2005 : Jorge Eremites de Oliveira, « Por uma arqueologia socialmente engajada: Arqueologia pública, universidade pública e cidadania », dans SCHIAVETTO, FUNARI, ORSER, 2005, p. 117-132.

– FEITOSA, GARRAFFONI, 2010 : Lourdes Madalena Gazarini Conde Feitosa, Renata Senna Garraffoni, « Dignitas and Infamia: Rethinking Marginalized Masculinities in Early Principate », dans Studia historica, Historia antigua, 28, 2010, p. 57-73.

– FERREIRA, 1999 : Lúcio Menezes Ferreira, « Vestígios de civilização: o Instituto histórico e geográfico brasileiro e a construção da arqueologia imperial (1838-1870) », dans Revista de história regional, 4, 1999, p. 9-36.

– FERREIRA, 2010 : Lúcio Menezes Ferreira, Território primitivo: a institucionalização da arqueologia no Brasil (1870-1917), Porto Alegre, 2010.

– FRANCHETTO, HECKENBERGER, 2000 : Bruna Franchetto, Michael Heckenberger, Os povos do Alto Xingu: história e cultura, Rio de Janeiro, 2000.

– FUNARI, 1994a : Pedro Paulo A. Funari, « Arqueologia brasileira: uma visão geral e reavaliação », dans Revista de história da arte e arqueologia, 1, 1994, p. 23-41.

– FUNARI, 1994b : Pedro Paulo A. Funari, « Brazilian Archaeology: Overview and Reassessment », dans Revista de história da arte e arqueologia, 1, 1994, p. 281-290.

– FUNARI, 1994c : Pedro Paulo A. Funari, « Paulo Duarte e o Instituto de pré-história », dans Idéias, 1/1, 1994, p. 155-179.

– FUNARI, 1994d : Pedro Paulo A. Funari, « Mixed Features of Archaeological Theory in Brazil », dans Peter J. Ucko éd., Theory in Archaeology: A World Perspective, Londres, 1994, p. 236-250.

– FUNARI, 1995 : Pedro Paulo A. Funari, « The Archaeology of Palmares and its Contribution to the Understanding of the History of African-American Culture », dans Historical Archaeology in Latin America, 7, 1995, p. 1-41.

– FUNARI, 1997 : Pedro Paulo A. Funari, « European Archaeology and Two Brazilian Offspring: Classical Archaeology and Art History », dans Journal of European Archaeology, 5/2, 1997, p. 137-148.

– FUNARI, 1999a : Pedro Paulo A. Funari, « Brazilian Archaeology: A Reappraisal », dans Gustavo G. Politis, Benjamin Alberti éd., Archaeology in Latin America, Londres, 1999, p. 17-37.

– FUNARI, 1999b : Pedro Paulo A. Funari, « Etnicidad, identidad y cultura material: un estudio del Cimarrón Palmares, Brasil, siglo XVII », dans Andrés Zarankin, Félix A. Acuto éd., Sed non satiata: teoría social en la arqueología latinoamericana contemporánea, Buenos Aires, 1999, p. 77-96.

– FUNARI, 2002 : Pedro Paulo A. Funari, « A arqueologia pública na América Latina e seu contexto mundial », dans Fronteiras, 6/11, 2002, p. 87-96.

– FUNARI, 2004 : Pedro Paulo A. Funari, « Public Archaeology in Brazil », dans Nick Merriman éd., Public Archaeology, Londres/New York, 2004.

– FUNARI, BEZERRA, 2012 : Pedro Paulo A. Funari, Marcia Bezerra, « Public Archaeology in Latin America », dans Robin Skeates, Carol McDavid, John Carman éd., The Oxford Handbook of Public Archaeology, Oxford, 2012, p. 100-115.

Perspective, 2 | 2013 90

– FUNARI, CARVALHO, 2005 : Pedro Paulo A. Funari, Aline Vieira de Carvalho, Palmares, Ontem e Hoje, Rio de Janeiro, 2005.

– FUNARI, OLIVEIRA, TAMANINI, 2007 : Pedro Paulo A. Funari, Nanci Vieira de Oliveira, Elizabete Tamanini, « Archaeology to the Lay Public in Brazil: three experiences », dans John H. Jameson, Sherene Baugher éd., Past Meets Present: Archaeologists Partnering with Museum Curators, Teachers, and Community Groups, New York/Londres, 2007, p. 217-228.

– FUNARI, FUNARI, 2010 : Pedro Paulo A. Funari, Raquel dos Santos Funari, « Ancient Egypt in Brazil: A Theoretical Approach to Contemporary Uses of the Past », dans Archaeologies: Journal of the World Archaeological Congress, 6/1, 2010, p. 48-61.

– FUNARI, MARQUETTI, 2011 : Pedro Paulo A. Funari, Flávia Regina Marquetti, « Reflexões sobre o falo e o chifre: por uma arqueologia do masculino no Paleolítico », dans Dimensões, 26, 2011, p. 357-371.

– FUNARI, NOELLI, 2011 : Pedro Paulo A. Funari, Francisco Silva Noelli, Pré-História do Brasil, São Paulo, (2002) 2011.

– FUNARI, SILVA, 2007 : Pedro Paulo A. Funari, Glaydson José da Silva, « Nota de Pesquisa sobre o Projeto de Pesquisa do Acervo Arqueologico do Arquivo Paulo Duarte », dans História e-História, 2007, p. 1-25.

– FUNARI, ZARANKIN, SALERNO, 2009 : Pedro Paulo A. Funari, Andrés Zarankin, Melisa Salerno éd., Memories from Darkness: Archaeology of Repression and Resistance in Latin America, New York, 2009.

– FUNARI, ZARANKIN, STOVEL, 2005 : Pedro Paulo A. Funari, Andrés Zarankin, Emily Stovel éd., Global Archaeological Theory: Contextual Voices and Contemporary Thoughts, New York, 2005.

– GARRAFFONI, FUNARI, 2012 : Renata Garraffoni, Pedro Paulo A. Funari, « The Uses of Roman Heritage in Brazil: Traditional Reception and New Critical Approaches », dans Heritage and Society, 5/1, 2012, p. 53-76.

– GOMES, 2006 : Denise Maria Cavalcante Gomes, « Amazonian Archaeology and Local Identities », dans Matt Edgeworth éd., Ethnographies of Archaeological Practice: Cultural Encounters, Material Transformations, Lanham, 2006, p. 148-160.

– GOMES, 2007 : Denise Maria Cavalcante Gomes, « The Diversity of Social Forms in Pre-Colonial Amazonia », dans Revista de arqueologia americana, 25, 2007, p. 189-225.

– GOMES, 2008 : Denise Maria Cavalcante Gomes, Cotidiano e poder na Amazônia pré-colonial, São Paulo, 2008.

– GREEN, GREEN, NEVES, 2010 : Lesley Fordred Green, David R. Green, Eduardo Góes Neves, « Indigenous Knowledge and Archaeological Science: The Challenges of Public Archaeology in the Reserva Uaçá », dans Margaret M. Bruchac, Siobhan M. Hart, H. Martin Wobst éd., Indigenous Archaeologies: A Reader on Decolonization, Walnut Creek (CA), 2010, p. 235-240.

– GRILLO, 2011 : José Geraldo Costa Grillo, « Violência sexual no rapto de Cassandra: um estudo de sua iconografia nos vasos áticos (séculos VI-V a.C.) », dans Phoînix, 17/1, 2011, p. 75-85.

– GUIDON, 1991 : Niède Guidon, Peintures préhistoriques du Brésil : l’art rupestre du Piauí, Paris, 1991.

– GUIDON, PESSIS, 2007 : Niède Guidon, Anne-Marie Pessis, « Serra da Capivara National Park, Brazil: Cultural Heritage and Society », dans World Archaeology, 39/3, 2007, p. 406-416.

Perspective, 2 | 2013 91

– GUIMARÃES, 1990 : Carlos Magno Guimarães, « O Quilombo do Ambrósio: lenda, documentos, e arqueologia », dans Estudos ibero-americanos, 16/1-2, 1990, p. 161-174.

– HECKENBERGER, 2005 : Michael Heckenberger, The Ecology of Power: Culture, Place and Personhood in the Southern Amazon, AD 1000-2000, New York, 2005.

– HUNTER, 2006 : Ian Hunter, « The History of Theory », dans Critical Inquiry, 33/1, 2006, p. 78-112.

– KERN, 1998 : Arno A. Kern, Arqueologia Histórica Missioneira, Porto Alegre, 1998.

– KERN, 2003 : Arno A. Kern, « Fronteiras e Missões coloniais: continuidades e oposições culturais », dans Territórios e Fronteiras, 4/1, 2003, p. 33-48.

– LATHRAP, 1970 : Donald Ward Lathrap, The Upper Amazon, (Ancient People and Places, 70), Londres, 1970.

– MACLEOD, (2000) 2004 : Roy MacLeod éd., The Library of Alexandria: Centre of Learning in the Ancient World, Londres/New York, (2000) 2004.

– MAGALHÃES DE OLIVEIRA, 2011 : Julio Cesar Magalhães de Oliveira, « Travail, habitation et sociabilités populaires dans les villes de l’Afrique romaine : les quartiers commerçants et artisanaux de Carthage et de Timgad », dans Souen Fontaine, Stéphanie Satre, Amel Tekki éd., La Ville au quotidien : regards croisés sur l’habitat et l’artisanat antiques, Afrique du Nord, Gaule et Italie, (colloque, Aix-en-Provence, 2007), Aix-en-Provence, 2011, p. 59-69.

– MARTIN, (1996) 2008 : Gabriela Martin, Pré-história do Nordeste do Brasil, Recife, (1996) 2008.

– MCEWAN, BARRETO, NEVES, 2001 : Colin McEwan, Cristina Barreto, Eduardo Neves éd., Unknown Amazon: Culture in Nature in Ancient Brazil, Londres, 2001.

– MEGGERS, 1971 : Betty J. Meggers, Amazonia, Man and Culture in a Counterfeit Paradise, Washington, 1971.

– MEGGERS, (1972) 2010 : Betty J. Meggers, Prehistoric America: An Ecological Perspective, (Chicago, 1972) New Brunswick, 2010.

– NEVES et al., 1999 : Walter A. Neves, Danusa Munford, Maria do Carmo Zanini, Hector M. Pucciarelli, « Cranial Morphological Variation in South America and the Colonization of the New World: Towards a Four Migration Model? », dans Ciência e Cultura, 51, 1999, p. 151-165.

– NEVES, 1998 : Eduardo Góes Neves, « Twenty Years of Amazonian Archaeology in Brazil (1977-1997) », dans Antiquity, 72/277, 1998, p. 625-632.

– NEVES, 2009 : Eduardo Góes Neves, « Warfare in Pre-Colonial Amazonia: When Carneiro Meets Clastres », dans Axel E. Nilsen, William H. Walker éd., Warfare in Cultural Context: Practice, Agency, and the Archaeology of Violence, Tucson, 2009, p. 139-164.

– NOELLI, FERREIRA, 2007 : Francisco Silva Noelli, Lúcio Menezes Ferreira, « A persistência da teoria da degeneração indígena e do colonialismo nos fundamentos da arqueologia brasileira », dans História, Ciências, Saúde: Manguinhos, 14/4, 2007, p. 1239-1264.

Perspective, 2 | 2013 92

– OLIVEIRA, FUNARI, CHAMORRO, 2011 : Nanci Vieira de Oliveira, Pedro Paulo A. Funari, Leandro K. Mendes Chamorro, « Arqueologia participativa: uma experiência com Indígenas Guaranis », dans Revista de arqueologia pública, 4, 2011, p. 13-19.

– ORSER, 1994 : Charles E. Orser Jr., « Toward a Global Historical Archaeology: An Example from Brazil », dans Historical Archaeology, 28/1, 1994, p. 5-22.

– PATTERSON, 2001 : Thomas Carl Patterson, A Social History of Anthropology in the United States, Oxford/New York, 2001.

– PESSIS, GUIDON, 2009 : Anne-Maris Pessis, Niède Guidon, « Dating rock art paintings in Serra de Capivara National Park – Combined archaeometric techniques », dans Adoranten, 1, 2009, p. 49-59.

– PLENS, 2004 : Cláudia Plens, « Arqueología de una villa operaria del siglo XIX en San Pablo », dans Pedro Paulo A. Funari, Andrés Zarankin éd., Arqueología histórica en América del Sur: los desafíos del siglo XXI, (colloque, Bogotá, 2002), Bogotá, 2004, p. 93-104.

– POLONI, 2008 : Rita Juliana Soares Poloni, A Etnoarqueologia no Brasil: ciência e sociedade no contexto da democratização, thèse, Universidade do Algarve, 2008.

– POLONI, 2009 : Rita Juliana Soares Poloni, « A Etnoarqueologia no Brasil: ciência e sociedade no contexto da redemocratização », dans Revista do museu de Arqueologia e Etnologia, 19, 2009, p. 87-102.

– PROUS, 1994a : André Prous, « L’archéologie brésilienne aujourd’hui : problèmes et tendances », dans Pierre Lévêque, José Antonio Dabdab Trabulsi, Silvia Carvalho éd., Recherches brésiliennes, Paris, 1994, p. 9-43.

– PROUS, 1994b : André Prous, « L’art rupestre du Brésil », dans Bulletin de la Société préhistorique Ariège-Pyrénées, 49, 1994, p. 77-144.

– PROUS, 2012 : André Prous, « Le plus ancien art rupestre du Brésil central : état de la question », dans Jean Clottes éd., Préhistoire, Art et Sociétés, Paris, 2012, p. 719-734.

– RAHMEIER, 2012 : Clarissa Sanfelice Rahmeier, « Materiality, Social Roles and the Senses: Domestic Landscape and Social Identity in the Estâncias of Rio Grande do Sul, Brazil », dans Journal of Material Culture, 17/2, 2012, p. 153-171.

– RAMBELLI, 2002 : Gilson Rambelli, Arqueología até debaixo d’água, São Paulo, 2002.

– ROOSEVELT, 1991 : Anna Curtenius Roosevelt, Moundbuilders of the Amazon: Geophysical Archaeology on Marajo Island, Brazil, San Diego, 1991.

– ROWLANDS, 1999 : Michael Rowlands, « Black Identity and the Sense of Past in Brazilian National Culture », dans Pedro Paulo A. Funari, Martin Hall, Siân Jones éd., Historical Archaeology: Back from the Edge, Londres/New York, p. 228-245.

– SANCHES, 2008 : Pedro L. M. Sanches, « The Literary Existence of Polygnotus of Thasos and Its Problematic Utilization in Painted Pottery Studies », dans Pedro Paulo A. Funari, Renata Senna Garraffoni, Bethany Letalien éd., New Perspectives on the Ancient World: Modern Perceptions, Ancient Representations, Oxford, 2008, p. 233-242.

Perspective, 2 | 2013 93

– SARIAN, 1992 : Haiganuch Sarian, « Hekate », dans Fondation internationale pour le LIMC éd., Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae, Zurich, 1992, vol. 6, p. 985-1018.

– SARIAN, SIMON, 2004 : Haiganuch Sarian, Erika Simon, « Rauchopfer », dans Fondation internationale pour le LIMC éd., Thesaurus Cultus et Rituum Antiquorum, Munich, 2004, vol. 1, p. 255-268.

– SCHAAN, 2012 : Denise Pahl Schaan, Sacred Geographies of Ancient Amazonia: Historical Ecology of Social Complexity, Walnut Creek (CA), 2012.

– SCHAAN, BEZERRA, 2009 : Denise Pahl Schaan, Marcia Bezerra éd., Construindo a arqueologia no Brasil: a trajetória de sociedade de arqueologia brasileira, Belém, 2009.

– SCHIAVETTO, 2003 : Solange Nunes de Oliveira Schiavetto, A Arqueologia guarani: construção e desconstrução da identidade indígena, São Paulo, 2003.

– SCHIAVETTO, 2009 : Solange Nunes de Oliveira Schiavetto, « Teorias arqueológicas e questões de gênero », dans Lourdes Dominguez et al. éd., Desafios da arqueologia: Depoimentos, Erechim, 2009.

– SCHIAVETTO, FUNARI, ORSER, 2005 : Solange Nunes de Oliveira Schiavetto, Pedro Paulo A. Funari, Charles E. Orser Jr. éd., Identidades, discurso e poder: estudos da arqueologia contemporânea, São Paulo, 2005.

– SEDA, 1997 : Paulo Seda, « A questão das interpretações na arte rupestre no Brasil », dans Clio Arqueológica, 12, 1997, p. 138-167.

– SHANKS, TILLEY, 1987 : Michael Shanks, Christopher Tilley, Re-constructing Archaeology, Cambridge/New York, 1987.

– SILVA, 2008 : Fabiola Andrea Silva, « Ceramic Technology of the Asurini do Xingu, Brazil: An Ethnoarchaeological Sudy of Artifact Variability », dans Journal of Archaeological Method and Theory, 15, 2008, p. 217-265.

– SINGLETON, SOUZA, 2009 : Theresa Singleton, Marcos André Torres de Souza, « Archaeologies of the African Diaspora: Brazil, Cuba, and the United States », dans Teresita Majewski, David Gaimster éd., International Handbook of Historical Archaeology, New York, 2009, p. 449-469.

– SOUZA, SYMANSKI, 2009 : Marcos André Torres de Souza, Luís Cláudio Pereira Symanski, « Slave Communities and Pottery Variability in Western Brazil: The Plantations of Chapada dos Guimarães », dans International Journal of Historical Archaeology, 13, 2009, p. 513-548.

– SYMANSKI, 1997 : Luís Cláudio Pereira Symanski, Espaço privado e vida material em Porto Alegre no século XIX, Porto Alegre, 1998.

– TAMANINI, PEIXER, 2011 : Elizabete Tamanini, Zilma Isabel Peixer, « Educação e patrimônio cultural: diálogos entre cidade e campo como lugares de identidades ressonantes », dans Tempo e Argumento, 3/1, 2011, p. 30-50.

– TOCCHETTO et al., 2001 : Fernanda Bordin Tocchetto, Luís Cláudio Pereira Symanski, Sérgio Rovan Ozório, Alberto Tavares Duarte de Oliveira, Ângela Maria Cappelletti, A faiança fina em Porto Alegre: vestígios arqueológicos de uma cidade, Porto Alegre, 2001.

– TOCCHETTO, 2004 : Fernanda Bordin Tocchetto, « Joga la nos fundos! Sobre praticas de descarte de lixo domestico na Porto Alegre oitocentista », dans Arqueologia en América del Sur, 1/1, 2004, p. 47-75.

Perspective, 2 | 2013 94

– VIALOU, VILHENA VIALOU, 1996 : Denis Vialou, Águeda Vilhena Vialou, « Art rupestre au Mato Grosso (Brésil) », dans Anthropologie, International Journal of the Science of Man, 34/1-2, 1996, p. 203-213.

– WICHERS, 2012 : Camila Azevedo de Moraes Wichers, Patrimônio arqueológico paulista: proposições e provocações museológicas, thèse, Universidade de São Paulo, 2012.

– ZANETTINI, 1996 : Paulo Eduardo Zanettini, Arqueologia histórica de Canudos, relatório preliminar, Salvador, 1996.

– ZARANKIN, FUNARI, 2008 : Andrés Zarankin, Pedro Paulo A. Funari, « ‘Eternal Sunshine of the Spotless Mind’: Archaeology and Construction of Memory of Military Repression in South America (1960-1980) », dans Archaeologies: Journal of the World Archaeological Congress, 4/2, 2008, p. 310-327.

NOTES

1. Parmi les chercheurs associés à cet effort académique, le jeune Claude Lévi-Strauss joua un rôle essentiel, au même titre que Jean Gagé et Fernand Braudel. Tous membres d’une mission française d’enseignement au Brésil, ils étaient appelés à devenir de grands penseurs français par la suite. 2. Maurice Rat, Virgile : les Bucoliques et les Géorgiques, Paris, 1932, Géorgiques, III, 284-285.

RÉSUMÉS

Cet article s’intéresse à l’archéologie brésilienne, à son évolution et à ses derniers développements. Il présente d’abord une histoire sociale et externaliste de la discipline, avant de passer en revue l’histoire de l’archéologie dans ce pays depuis le XIXe siècle. Sont ensuite présentées les évolutions majeures survenues au cours des deux dernières décennies dans les principaux champs de la discipline : les premières implantations humaines, l’art rupestre, diverses questions préhistoriques, l’archéologie historique, l’archéologie classique, l’archéologie sous-marine et l’archéologie publique, suivies d’une note sur le rôle des femmes dans l’archéologie brésilienne. La conclusion aborde l’avenir de la discipline.

This paper discusses Brazilian archaeology and its trajectory, paying particular attention to recent developments. It starts by stating the position adopted here, from an externalist, social history of the discipline, presenting a brief overview of the history of archaeology in the country since the nineteenth century. This is followed by a discussion of the main developments in the primary fields of the discipline over the last two decades, including early human settlement, rock art, other prehistoric issues, historical archaeology, classical archaeology, underwater archaeology, and public archaeology, followed by a note on the role of women in Brazilian archaeology. It concludes by discussing the outlook of the discipline.

Perspective, 2 | 2013 95

Este artigo tem como objetivo discutir a arqueologia brasileira e sua evolução, com foco principal nos recentes desenvolvimentos da disciplina. Ele inicia-se por apresentar o ponto de vista aqui adotado, a partir de uma história social e externalista, para, então, dedicar-se a um breve panorama da história da arqueologia nesse país desde do século XIX. Em seguida, discute as mudanças mais significativas ocorridas ao longo das duas últimas décadas nas principais áreas da disciplina com relação a assuntos fundamentais, tais como as primeiras ocupações humanas, a arte rupestre, questões pré-históricas diversas, a arqueologia histórica, a arqueologia clássica, a arqueologia subaquática e a arqueologia pública, seguidas de uma nota a respeito do papel das mulheres na arqueologia brasileira. A conclusão trata do futuro da disciplina.

Dieser Artikel interessiert sich für die brasilianische Archäologie und ihre Entwicklung, insbesondere für die letzten Erneuerungen. Er beschreibt zunächst den in diesem Artikel vertretenen Standpunkt einer externalistischen Sozialgeschichte der Disziplin, bevor er einen Überblick über die Geschichte der Archäologie Brasiliens seit dem neunzehnten Jahrhundert gibt. Der Autor präsentiert anschließend die Hauptentwicklungslinien, die die wesentlichen Bereiche des Fachs innerhalb der letzten zwanzig Jahre geprägt haben in Beziehung zu den großen Themen, darunter die ersten menschlichen Siedlungen, Wandmalerei, verschiedene Fragen der Urgeschichte sowie der Historischen Archäologie, der Klassischen Archäologie, der Unterwasser- und der Öffentlichen Archäologie, gefolgt von einigen Bemerkungen zur Rolle der Frauen in der brasilianischen Archäologie. Den Abschluss bildet ein Ausblick auf die Zukunft des Fachs.

Questo articolo s’interessa all’archeologia brasiliana e alla sua evoluzione, in particolare ai suoi ultimi sviluppi. Esso definisce innanzitutto il punto di vista adottato, quello di una storia sociale e “esternalista” della disciplina, prima di passare in rassegna la storia dell’archeologia in Brasile a partire dall’Ottocento. Sono presentate in seguito le evoluzioni più importanti, sopraggiunte nel corso dei due ultimi decenni nei principali settori della disciplina, in rapporto con i grandi temi: i primi insediamenti umani, l’arte rupestre, diverse questioni preistoriche, l’archeologia storica, l’archeologia classica, l’archeologia subacquea e l’archeologia pubblica. Segue quindi una nota sul ruolo delle donne nell’archeologia brasiliana. La conclusione tratta dell’avvenire della disciplina.

Este artículo trata de la arqueología brasileña y su evolución, interesándose más concretamente en sus últimos desarrollos. En él, tras describir el enfoque adoptado – el de una historia social y externalista de la disciplina –, se examina la historia de la arqueología en el país desde el siglo XIX. A continuación se presentan las evoluciones fundamentales que aparecieron a lo largo de las dos últimas décadas en los principales sectores del campo, en relación con los grandes temas que son las primeras implantaciones humanas, el arte rupestre, cuestiones prehistóricas varias, la arqueología histórica, clásica, submarina y pública, a lo cual sigue una nota sobre el papel de las mujeres en la arqueología brasileña. Por fin, la conclusión plantea el porvenir de la disciplina.

INDEX

Mots-clés : archéologie marron, archéologie publique, archéologie sous-marine, art rupestre, dictature, Pronapa Keywords : dictatorship, marine archaeology, Maroon archaeology, Pronapa, public archaeology, rock art Index géographique : Brésil, Canudos, Minas Gerais, Palmares, Piauí, Portugal, Rio de Janeiro, São Paulo Index chronologique : 10000 avant J.-C., 5000 avant J.-C., 1600, 1700, 1800, 1900, 2000

Perspective, 2 | 2013 96

AUTEURS

PEDRO PAULO A. FUNARI Professeur au département d’histoire à l’Universidade Estadual de Campinas (Unicamp) au Brésil et directeur de recherches au Conselho Nacional de Desenvolvimento Científico e Tecnológico (CNPq). Auteur de plus de quatre-vingts livres sur l’histoire et l’archéologie, ses recherches portent, entre autres, sur le patrimoine archéologique et la culture matérielle du Brésil, l’archéologie publique, le monde romain, et l’articulation entre l’archéologie et l’histoire.

Perspective, 2 | 2013 97

Le baroque colonisateur : principales orientations théoriques dans la production historiographique Colonizing baroque: primary theoretical orientations in the historiographical production O Barroco colonizador: a produção historiográfico-artística e suas principais orientações teóricas Der Kolonialbarock : prinzipielle theoretische Orientierungen in der historiographischen Produktion Il barocco colonizzatore: principali orientamenti teorici della produzione storiografica El barroco colonizador: principales orientaciones teóricas en la producción historiográfica

Jens Baumgarten et André Tavares Traduction : Carlos Spilak

NOTE DE L’ÉDITEUR

Cet article est une traduction de : O Barroco colonizador: a produção historiográfico- artística no Brasil e suas principais orientações teóricas

1 Les discours postmodernes et postcoloniaux ont ouvert dans l’historiographie européenne et nord-américaine de nouveaux espaces pour des publications issues de zones géographiques longtemps considérées comme secondaires, intégrant ainsi dans l’histoire de l’art mondial des objets en dehors du canon occidental. À partir de ce constat, il importe de repenser ses conséquences théoriques et méthodologiques pour

Perspective, 2 | 2013 98

l’art colonial ou l’art dit baroque au Brésil. Il s’agit de présenter ici un panorama historiographique de ce domaine1, d’insérer cette bibliographie dans les débats critiques actuels et donc de présenter une vision globale de cette production, tout sous- domaine thématique, chronologique et géographique ne permettant pas d’écrire une « histoire totale » englobant l’ensemble de la production.

L’art colonial et/ou le baroque : considérations méthodologiques et théoriques

2 La thématique de l’art colonial est indissolublement liée au discours sur le baroque. Bien que le terme ait commencé à être utilisé à partir de la fin du XVIIIe siècle, il fut conceptualisé à la suite des publications de Cornelius Gurlitt et de Heinrich Wölfflin, notamment Renaissance et baroque publié en 1888 et Principes fondamentaux de l’histoire de l’art paru en 19152. L’époque appelée baroque, traditionnellement située aux XVIIe et XVIIIe siècles, ne saurait être perçue comme un phénomène purement historique ; le mot a trait à l’historiographie, notamment à l’histoire de l’art, mais aussi à la littérature. Dans ce contexte, le baroque a été classé comme dégénérescence (Jacob Burckhardt), comme catégorie stylistique (Wölfflin), comme allégorie (Walter Benjamin), comme projection du désir (Germain Bazin), ou a été lié à l’époque contemporaine grâce au concept de néobaroque (Omar Calabrese)3. Depuis quelques années, l’emploi du terme baroque a connu une véritable « inflation » dans les sciences humaines et pas seulement au Brésil.

3 Dans ce pays, ce concept a été discuté plutôt dans le cadre de la théorie et de la critique littéraire, comme dans le débat entre Haroldo de Campos et João Adolfo Hansen (DE CAMPOS, 1979, 1989 ; HANSEN, 1992, 2003), mais également dans les travaux critiques de Guilherme Gomes Júnior (GOMES JÚNIOR, 1998 ; sur les arts plastiques, voir p. 31-88). Malgré son emploi tardif au Brésil, le terme stylistique de Wölfflin, utilisé dans plusieurs circonstances de la production scientifique comme un synonyme d’« art colonial », a connu un grand succès dans la seconde moitié du XXe siècle. Alors qu’un développement similaire, au Mexique par exemple, a suscité une autre périodisation et une dénomination plus politique – l’art de la conquête espagnole, l’arte virreinal, etc. –, au Brésil, la terminologie formaliste a dominé la recherche jusqu’à nos jours.

4 Le premier auteur brésilien à mentionner ce sujet est le père de l’historiographie de l’art brésilien Manuel Araújo Porto-Alegre (1806-1879) qui, lié à la mouvance néoclassique des peintres français venus au Brésil à l’occasion de la Mission française de 1816, a analysé les œuvres de l’époque coloniale des points de vue formel et politique. Comme le souligne Guilherme Gomes Júnior, « Outre le fait d’être probablement le premier au Brésil à utiliser le mot baroque dans un sens stylistique, Porto-Alegre esquissait déjà dans ses réflexions une théorie pendulaire de l’histoire de l’art, fondée sur l’idée d’un va-et-vient entre les formes classiques et les formes maniéristes »4. Dans ce sens, il est intéressant de constater que le contexte de la formation de l’État, à partir de la moitié du XIXe siècle, est lié au style également discuté par Wölfflin à propos du développement des concepts (WARNKE, 1989).

5 Les traductions des textes de Wölfflin ont exercé une grande influence sur la production littéraire et scientifique au Brésil. Selon João Adolfo Hansen : « Depuis que Wölfflin a employé le terme comme catégorie esthétique positive, l’étendue des cinq

Perspective, 2 | 2013 99

schémas constitutifs du ‘baroque’ – pictural, vision en profondeur, forme ouverte, unification des parties dans un ensemble, clarté relative – a commencé à s’élargir [....] pour ensuite permettre de classer et d’unifier les politiques, les économies, les populations, les cultures, les ‘mentalités’ et, finalement, [les] sociétés européennes du XVIIe siècle, surtout les sociétés ibériques adeptes de la Contre-Réforme, avec leurs colonies américaines, comme s’il s’agissait d’essences : ‘l’homme baroque’, ‘la culture baroque’, ‘la société baroque’, etc. Déductives et extérieures, les appropriations acritiques de Wölfflin ont substantialisé la catégorie, en constituant le ‘baroque’ comme un fait et une essence qui existent en soi »5.

6 Au Brésil, le style baroque, tout en gagnant à partir du modernisme dans les années 1920 une importance dans la construction d’une identité culturelle et esthétique propre – ladite « brésilianité » –, le terme de baroque a suscité une controverse, toujours en cours, pas uniquement chez les historiens et les critiques d’art. Ainsi, comme beaucoup d’autres artistes et critiques modernistes des années 1930, Mário de Andrade et son élève Luiz Saia ont voyagé dans l’État du Minas Gerais et ont développé le concept d’un art brésilien national autochtone construit à partir du « baroque du Minas » (Barroco Mineiro ; ANDRADE, 1928 ; GOMES JÚNIOR, 1998, p. 50-63 ; CHIARELLI, 2007, p. 69-96 et p. 247-248). L’œuvre d’Antônio Francisco Lisboa dit « O Aleijadinho », architecte et sculpteur de l’époque coloniale, a été la preuve majeure de cet art, bien que l’existence même de l’artiste soit mise en cause par certains critiques (CHIARELLI, 2007, p. 173-175). Aleijadinho était le sujet idéal pour une apothéose brésilienne, lui qui représentait, en raison de sa personne même, le métissage par excellence. Présenté comme un artiste autochtone travaillant au centre du Brésil, il servit de point de départ à la naissance de la nation brésilienne et de sa représentation artistique, en particulier pour les modernistes, mais aussi, notamment dans l’architecture, pour les acteurs du mouvement néocolonial (mouvement de la fin du XXe siècle qui doit être distingué du mouvement néobaroque de la seconde moitié du XXe siècle caractérisé par des approches transculturelles et transhistoriques).

7 Il est aisé de comprendre le discours novateur et plein d’émotions sur l’identité nationale que Mário de Andrade déploie dans un article rédigé en 1921 pour la revue critique Ilustração Brasileira : « Mais ce qu’il y a de plus glorieux pour nous est le nouveau style néocolonial que cherche à lancer un groupe d’architectes nationaux et portugais avec M. Ricardo Severo à leur tête […] Je n’ai pas d’information sur le fait qu’il y ait eu au Brésil une tentative de nationaliser l’architecture, en stylisant et en récupérant les motifs que nous présente notre petit passé artistique et élaborant des constructions plus adaptées à notre milieu. […] Le néocolonial dont on parle ici est infiniment plus audacieux et d’une portée plus vaste. Si le public, assez éduqué, prête son aide à cette initiative intéressante, nous aurons au moins pour la maison individuelle (et c’est cela qui compte) un style à nous, bien plus reconnu à notre regard, nostalgique de lignes ancestrales d’une manière héréditaire et propre à notre climat et à notre passé » (ANDRADE, 1921)6. Il est important de distinguer, avec Maria Lúcia Bressan qui a étudié le modernisme et la protection du patrimoine dans les débats culturels des années 1920 (BRESSAN, 1997, 2011), l’enthousiasme de Mário de Andrade et sa quête de racines nationales, caractérisant le mouvement moderniste brésilien, du conservatisme de Ricardo Severo, qui a adhéré au néobaroque, et a notamment réévalué l’idée de patrie, en réaction au cosmopolitisme destructeur qui, de son point de vue, menaçait la société pauliste dans les premières décennies du XXe siècle (AMARAL,

Perspective, 2 | 2013 100

1994, p. 150-152). En effet, l’élite de São Paulo pensait que le néobaroque ou néocolonial pourrait fonctionner comme un appel positif au « bastion des valeurs nationales », qui contrerait le danger que représentait le flot de l’immigration européenne, surtout italienne, qui atteignait la région pendant cette période. Survinrent alors un mélange et une juxtaposition de discours idéologico-politiques et esthétiques concernant l’idée de « nation » et le désir d’une réaffirmation sociale : les Paulistes de souche contre les « nouveaux riches sans patrie ».

8 La réflexion sur le baroque proprement dit a été lancée au Brésil dans les années 1940 par l’historienne de l’art Hannah Levy7, qui a introduit les concepts de baroque et qui a aidé à les diffuser grâce au Serviço do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional (Sphan) où elle avait été invitée par le directeur, Rodrigo Melo Franco de Andrade. Originaire d’Allemagne, elle partit d’abord à Paris en 1936 où elle publia sa première critique des concepts de Wölfflin fondée sur la sociologie de l’art (LEVY, 1936), avant de s’installer à Rio de Janeiro et de travailler à l’Instituto do Patrimônio Histórico e Artístico. Elle fit alors paraître dans la revue du Sphan une série d’articles théoriques traitant surtout de l’histoire du baroque au Brésil (LEVY, 1940, 1941, 1942, 1944, 1945) dans lesquels elle proposa une relecture visant à établir de nouvelles méthodes d’analyse des œuvres artistiques de l’époque coloniale8. Elle fait la synthèse, de manière systématique, des approches traditionnelles et des critiques par la conceptualisation de l’expérience de l’« instabilité » (nous nous référons ici au concept de Walter Moser dans MOSER, 2001). La démarche de Levy dans les années 1940 était remarquable, dans la mesure où l’art non européen ne disposait pas de place de premier plan dans l’histoire de l’art universitaire lors de la première moitié du XXe siècle, contrairement à l’art moderne, dont certains représentants étaient des conservateurs de musée et des critiques d’art9.

9 Pour comprendre les écrits de Levy sur le baroque, il faut prendre en compte la thèse de doctorat de l’historienne de l’art soutenue à Paris sous la direction de Charles Lalo et d’Henri Focillon et publiée en 1936 par une petite maison d’édition juive allemande – ce qui ne lui offrit pas la diffusion qu’elle méritait, même pas après la fin de la guerre (LEVY, 1936 ; BELOW, 2005). Elle y examinait la pensée et l’analyse scientifique de Wölfflin et de ses précurseurs Konrad Fiedler, Adolf Hildebrandt et Jacob Burckhardt à l’aune du développement social et économique de leur époque. Sa démarche reposait sur une méthodologie guidée par le marxisme dialectique de Max Raphael, intégrant également les positions d’auteurs allemands tels que Max Horkheimer, Walter Benjamin, Karl Mannheim, Erwin Panofsky et Edgar Wind, en plus de ses professeurs et directeurs de thèse à la Sorbonne, bien évidemment. Malgré la grande estime pour Wölfflin qu’elle exprima dans sa thèse, et en dépit de l’immense succès que connut ce dernier avec Renaissance et baroque publié et les Principes fondamentaux de l’histoire de l’art, elle ne s’abstint pas de critiquer vivement sa position. La réception des Principes, considérée comme la publication de l’histoire de l’art la mieux réussie (compte tenu du nombre de traductions et de rééditions dont elle a été l’objet), non seulement au Brésil, mais dans le monde entier, n’a pas encore été analysée en détail.

10 Tout en soulignant l’importance de la démarche de Wölfflin, dans l’élaboration de bases scientifiques pour l’histoire de l’art, ainsi que la portée de ses analyses d’œuvres, la critique de Levy se concentra sur le concept idéaliste de l’histoire. Elle visait en particulier l’approche de Wölfflin, selon laquelle l’histoire devait être indépendante de l’observation et autonome vis-à-vis des déploiements artistiques ; ce qui soulignait également le rejet d’un style uniforme et homogène dans une époque traversée et

Perspective, 2 | 2013 101

modifiée par les notions de nation et de race. Selon Levy, l’histoire doit être comprise comme un processus dialectique par lequel les différentes sphères culturelles disposent en principe d’une dynamique propre, subordonnées toutefois à l’histoire sociale. Ainsi, la réflexion sur le rapport entre l’art et la société doit s’appliquer aux analyses d’œuvres individuelles, à la conceptualisation des époques de l’histoire de l’art et aux institutions des arts et des sciences. La thématique de ces articles, en plus d’être inédite, représente un progrès dans la théorie et la méthodologie de la discipline. Dans ses deux premiers articles sur « la valeur artistique et la valeur historique », ainsi que dans les textes sur les trois théories du baroque (LEVY, 1940, 1941), Levy a esquissé les lignes générales de sa méthode. Ses trois derniers articles illustrent ses idées à travers l’art colonial à Rio de Janeiro et dans le Minas Gerais (LEVY, 1942, 1944, 1945).

11 Selon Levy, une œuvre d’art qui a déclenché la formation d’une « école » du Brésil colonial possède une valeur historique intrinsèque, sans que cette œuvre ait forcément une valeur artistique. À ces deux premières valeurs potentielles, s’ajoute la valeur documentaire, qui s’applique aux représentations d’événements majeurs de l’histoire brésilienne (LEVY, 1940). La distinction entre ces trois valeurs n’est en soi pas nouvelle, mais le texte de Levy souligne que ces valeurs « ne constituent pas, dans une histoire concrète, des valeurs absolues, mais des valeurs relatives ». En poursuivant sa thèse, elle critique l’eurocentrisme : « Ce sens relatif des valeurs se révèle d’une façon évidente lorsqu’on considère une œuvre (successivement) par rapport à la production totale d’un seul artiste, à une école locale, à l’histoire de l’art d’un pays ou à l’histoire mondiale de l’art, etc. »10. Cette citation montre également un autre aspect de la pensée et du langage de l’auteur : elle évite l’emploi de termes tels que nation ou national, contrairement à des modernistes tels que Mário de Andrade et des historiens de l’art comme Lourival Gomes Machado, qui, dans une quête de nationalité, parlent de « notre culture » et construisent la brésilianité à partir de l’art colonial du Minas Gerais. En citant les éventuels modèles de jugement, elle devance les critiques potentielles : « Cette constatation n’implique absolument pas, comme conséquence, l’impossibilité d’un jugement quelconque, étant donné que ‘tout est relatif’. Il ne s’agit que de délimiter exactement la portée (concrète et théorique) du jugement émis »11.

12 L’importance de cette approche pour l’art brésilien, latino-américain ou même pour l’art mondial, repose encore une fois dans les attributions de valeur. Levy montre que « la simple constatation de l’influence exercée par une œuvre donnée sur une autre ne contient en soi aucun jugement de valeur. Seule une étude détaillée, analysant aussi bien la structure interne et l’histoire de l’œuvre qui a exercé l’influence que celles de l’œuvre qui l’a subie, tranchera la question de la détermination de la valeur (historique ou artistique) que l’on doit attribuer à l’une ou à l’autre des œuvres »12. Abordant l’art brésilien libre de tout préjugé, le simple constat de l’existence d’une influence européenne n’a aucune signification : « Si jamais un historien apportait demain la preuve irréfutable qu’il y a une influence d’une certaine œuvre d’un artiste européen donné sur les statues des prophètes de Congonhas, ce fait serait sûrement du plus grand intérêt de plusieurs points de vue. Mais la réalité même de cette influence en soi ne dira jamais quoi que ce soit de la valeur historique ou de la valeur artistique de l’œuvre d’Antonio Francisco Lisboa »13. Avec cette position, Levy met en cause la primauté d’une histoire de l’art européen sur une histoire de l’art non européen. Sa perspective se dirige implicitement vers l’intérêt de la relation entre le centre et la périphérie – une question présente également dans la pensée de George Kubler (KUBLER,

Perspective, 2 | 2013 102

1959, 1962), sollicité de nos jours par Thomas DaCosta Kaufmann dans le débat sur les concepts d’une nouvelle géographie de l’art (KAUFMANN, 2004). Ce faisant, elle brisa les liens de la hiérarchie sans cesser de se focaliser sur l’œuvre et sur son contexte individuel, ce qu’elle démontra dans les articles sur la peinture mineira (du Minas Gerais) et carioca (de Rio de Janeiro).

13 L’ambiance qui régnait au milieu du XXe siècle peut être reconstituée en faisant appel à Lourival Gomes Machado dans divers essais réunis et publiés sous le titre de Barroco Mineiro (GOMES MACHADO, 1969 ; voir également GOMES JÚNIOR, 1998, p. 76-87) et à Hannah Levy, déjà citée, dans son article « A Propósito de Três Teorias Sobre o Barroco » (LEVY, 1941), deux chercheurs qui ont synthétisé les principaux axes des théories explicatives du baroque. Dans son article « Modelos europeus na pintura colonial », publié en 1944, Levy affirme qu’il est indéniable « qu’un grand nombre de peintres nationaux se sont servis de modèles artistiques européens. D’où le caractère éclectique de la peinture coloniale, dans l’ensemble, d’où, également, le caractère hétérogène que l’on remarque fréquemment dans les œuvres d’un même artiste »14. Par exemple, des gravures de diverses origines (aussi bien artistiques que chronologiques), notamment allemandes et flamandes, ont été indistinctement utilisées comme modèles par les artistes du Minas Gerais. Pour résumer ses observations, Levy souligne que si le peintre colonial a fidèlement copié la composition, la distribution des tonalités, les attitudes, les petits objets, les habits, etc., du modèle, on observe également une réduction partielle de la scène quant au nombre de figures représentées, ainsi qu’une simplification partielle des arrière-plans. Les gestes expressifs ont été minutieusement conservés par le copiste. Selon Levy, « les panneaux ont parfaitement traduit le caractère dramatique et agité des représentations gravées [...] ou encore ont offert un effet plus dramatique que celui des gravures originales elles-mêmes [...]. Par ailleurs, l’impression d’agitation suscitée par ces peintures découle également du fait que le peintre, en simplifiant l’arrière-plan, a concentré [....] tout l’intérêt sur les figures humaines »15. Selon elle, ces résultats pourraient être utiles à l’attribution et à la vérification d’une chronologie, en plus de fournir la matière au travail des restaurateurs (LEVY, 1944, p. 64). Sans approfondir cette réflexion, ni critiquer les observations de Levy, précisons seulement qu’il faut prendre en compte les présupposés conceptuels de sa pensée : Levy a appliqué, dans ses analyses d’œuvres individuelles, la méthode de Wölfflin aux exemples brésiliens, en l’ouvrant toutefois aux approches sociologiques. En outre, il se dessine que l’analyse de l’historienne entame la rupture avec le schéma dichotomique qui distingue une culture productive et une culture réceptive.

14 Bien que durement critiqués par Machado comme étant une vulgarisation des approches, par exemple, de Wölfflin et de Leo Balet (MACHADO, 1969, p. 46)16, les écrits de Levy dépassèrent nettement le stade de la simple introduction et révélèrent une préférence de l’auteur pour les méthodes sociologiques dans l’analyse du contexte colonial du Brésil : « La théorie de Balet [...] explique les phénomènes artistiques par leurs relations avec la totalité des conditions historiques existant à une époque donnée, cela nous semble être, pour cette raison même, la forme la plus apte à résoudre aussi les problèmes de l’histoire de l’art brésilien »17. Spécifique à une histoire de l’art brésilien, la méthodologie développée par Levy s’est émancipée des approches européennes, sans pour autant emprunter la voie d’une histoire de l’art national ou même nationaliste en quête d’une essence de l’art national, selon les termes soutenus par Mário de Andrade et par les adeptes de la brésilianité. Non seulement elle a remis

Perspective, 2 | 2013 103

en cause le canon européen, mais elle a aussi reconnu l’importance de la conceptualisation théorique pour une histoire de l’art non nationaliste et non eurocentrique. Cette perspective est particulièrement intéressante, car elle ne contient pas de rejet de principe des positions des fondateurs de la discipline tels que Wölfflin ou Max Dvořák. En faisant l’apologie des analyses structurelles et formelles des œuvres, elle révèle la hiérarchie et l’attribution de valeurs de ces approches formalistes, une démarche qui, dans les décennies ultérieures, a été appelée « critique de l’idéologie » (Ideologiekritik), concept forgé par les néomarxistes et les membres de l’École de Francfort. Dans cette optique, il est possible de considérer Levy comme l’une des prédécesseurs d’une histoire de l’art postcoloniale.

15 Un discours de ce genre visait forcément les différents discours officiels de l’époque sur l’art du XVIIIIe siècle qui se sont ensuite sédimentés au Brésil à partir des années 1950 grâce à l’intervention d’un autre auteur essentiel pour la diffusion dudit baroque brésilien : Germain Bazin. Le travail de ce dernier, qui offrait une synthèse de la production artistique, notamment en architecture, comprenait à la fois un effort d’interprétation plus général et une étude du patrimoine artistique analysé et organisé État par État. L’auteur s’est appuyé sur des recherches antérieures, comme celles de Raimundo Trindade ou de Fernando Pio (PIO, 1957 ; TRINDADE C., 1958), qui relevaient plus du domaine religieux et de l’histoire de l’Église catholique au Brésil que de l’univers de l’histoire de l’art. En se consacrant à Aleijadinho en 1963, Bazin reprenait l’artiste emblématique du baroque national brésilien, assurant ainsi la continuité des recherches sur ce sujet et ouvrant le chemin à d’autres auteurs pour élargir la recherche sur le baroque du Minas Gerais, comme dans le cas de l’immense contribution de Myriam Andrade Ribeiro ou de Lélia Coelho Frota (voir, entre autres, FROTA, 1982 ; OLIVEIRA, 2003).

16 Les textes des auteurs qui ont relevé le défi de la préservation et surtout de l’établissement de critères pour la « stabilisation » de l’image (en référence à l’« instabilité ontologique » de Moser, voir MOSER, 2001) et pour la restauration des villes historiques brésiliennes sont extrêmement importants. Les textes scientifiques, mais aussi tout le matériel d’étude – y compris cartes, dessins, relevés et brouillons de Lucio Costa, Paulo Santos et Sylvio de Vasconcellos (SANTOS, 1951, 2001 ; VASCONCELLOS, 1968 ; COSTA, [1941] 1997) – constituent une source incontournable pour la compréhension du processus d’élaboration d’un projet de gestion du patrimoine artistique baroque au Brésil. Ces personnalités marquantes – chacune à sa manière – ont poursuivi des recherches tout en appuyant l’intervention sur des projets concrets. Leur action dépassa l’activité universitaire et renforça une tendance à la préservation fortement enracinée dans la culture brésilienne : la fusion des formations en architecture et en conservation du patrimoine. Pour Costa, en particulier, l’intérêt pour l’art colonial devint une forme moderne de réhabilitation du baroque, un pont herméneutique qui ressemble à la récupération moderniste des artistes mineiros par l’avant-garde pauliste des années 1920.

17 Ces dernières années, l’une des publications les plus polémiques sur l’art colonial est fondée sur l’étude du personnage fondamental depuis le XIXe siècle et encensé par les modernistes, Aleijadinho. Dans sa thèse de doctorat, parue ensuite sous le titre de O Aleijadinho e o aeroplano, Guiomar de Grammont déconstruit les événements qui ont participé, selon lui, à la constitution de la figure de l’artiste à partir de sources douteuses (GRAMMONT, 2008). Ce n’est pas un hasard si cette recherche s’appuie sur les

Perspective, 2 | 2013 104

discours littéraires et établit une approche de tradition française mise en évidence par le choix même des directeurs de thèse, João Adolfo Hansen et Roger Chartier. La recherche s’appuie également sur des réflexions développées par Ângela Brandão (BRANDÃO, 1998) et par Sônia Fonseca dans un mémoire universitaire polémique (FONSECA, 2001) dans lequel elle suggérait que Rodrigo Bretas, lors de l’élaboration au XIXe siècle de sa biographie pionnière d’Aleijadinho, aurait pris comme modèle d’artiste le personnage de Quasimodo dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo. Le texte de Grammont a été critiqué notamment par les historiens du Minas Gerais à cause de sa méconnaissance des études de cas consacrées à cette région qui, bien que peu diffusés par les éditions commerciales – ce qui est habituel dans les universités brésiliennes – sont toutefois disponibles dans les bibliothèques universitaires ou, plus récemment, dans les bases de données numériques qui permettent d’accéder aux thèses et aux mémoires universitaires. La critique est également venue des acteurs impliqués dans le marché de l’art, où la confirmation de l’authenticité d’une œuvre d’Aleijadinho peut facilement multiplier son prix.

18 De manière générale, les publications sur l’art colonial peuvent être réparties en trois domaines : les recherches formelles et stylistiques ; les recherches historiques et/ou iconographiques ; et, enfin, les recherches théoriques et/ou de tradition littéraire. Dans tous les cas, différents aspects des discussions sur l’art colonial dans les territoires espagnols et des discours sur l’« art mondial » n’ont pas été largement accueillis. Ces dernières années, eurent lieu des discussions interminables non seulement concernant les effets de la mondialisation sur l’économie et sur la société, mais aussi sur les sciences humaines. Ce phénomène du « tournant postcolonial » a notamment été marqué par les ouvrages d’Edward Said sur l’orientalisme, et de Homi Bhabha sur la nation, le récit et sur les lieux de culture18. Cette approche peut être aussi appliquée dans le cadre de l’histoire de l’art, l’eurocentrisme y a été néanmoins considéré comme problématique ; une reformulation s’est exprimée dans le concept d’art mondial et, par conséquent, dans la création d’une histoire de l’art mondial. De nombreux congrès en Europe et aux États-Unis ont porté leur réflexion sur ce changement, et plusieurs institutions, comme le Getty Institute à Los Angeles et d’autres instituts universitaires, ont répondu à cette nouvelle demande. Par exemple, le congrès international du Comité international d’histoire de l’art (CIHA) qui eut lieu à Melbourne en 2008 avait pour thème « Crossing Cultures: Conflict, Migration and Convergence »19. Parmi les nombreuses publications sur ce sujet, il faudrait mentionner les ouvrages de David Summers, Real Spaces: World Art and the Rise of Western Modernism, paru en 2003, et de Thomas DaCosta Kaufmann, Toward a Geography of Art, paru en 200420. Non seulement leurs deux approches ont élargi le canon de l’histoire de l’art traditionnel, mais elles ont aussi soulevé l’importance d’une révision théorique et méthodologique. Dans ce contexte, la démarche de George Kubler (KUBLER, 1959, 1962), qui a cherché à établir une géographie de l’art des territoires latino-américains dans l’historiographie de l’art, a servi de base à l’ouvrage de DaCosta Kaufmann cité plus haut. En parallèle à ces publications, plusieurs initiatives, y compris des expositions et la création de nouveaux cours et de nouveaux départements d’histoire de l’art au Brésil, ont également permis une reformulation de la catégorie, jusqu’alors considéré comme un sous-domaine, l’art colonial.

Perspective, 2 | 2013 105

Le baroque en transformation : du local au global, et vice versa

19 En 2002, une grande exposition consacrée à la production artistique brésilienne s’ouvrait au Guggenheim Museum à New York. Dans le vaste dégagement du bâtiment, sous un éclairage dramatique ad hoc, reluisait dans la pénombre la boiserie recouverte à la feuille d’or de l’autel du monastère de São Bento à Olinda. L’exposition Brazil: Body and Soul ( Brazil, 2001) réaffirmait quelques-unes des clés de l’interprétation de la production artistique des XVIIe et XVIIIe siècles, à savoir le syncrétisme des objets religieux, des ustensiles liturgiques et des ex-voto, la connexion avec le modernisme et l’avant-garde nationaliste du début du XXe siècle, les résonances de l’art populaire, de l’art indigène ou de l’art africain, le tout célébrant l’invention d’un art local, original et nouveau qui avait trouvé dans la boiserie et dans la sculpture du XVIIIe siècle le cadre pour l’épanouissement de son expérimentation. L’exposition visait juste dans la sélection d’images processionnelles, qui signalait l’importance des rites religieux publics et de la dramatisation sacrée des espaces urbains, et soulignait la singularité remarquable d’artistes tels que Francisco Xavier de Brito, Inácio Manuel da Costa et Aleijadinho.

20 Toutefois, l’exposition du Guggenheim Museum n’était pas un fait isolé ; au contraire, elle venait clore une période de réinvention de l’idée de baroque brésilien qui, depuis 1998, était constamment revisité au Brésil à travers des expositions plus ou moins spectaculaires (sur l’usage du concept de baroque dans les expositions, voir MORESCHI, 2004). Cette année-là, l’exposition O Universo Mágico do Barroco ( O Universo…, 1998) célébrait et donnait à voir la profusion inventive de la sculpture, de la peinture, des ornements corporels – des colliers, des boucles d’oreilles, des pendentifs caractéristiques des bahianaises (balangandãs) – en plus de l’argenterie liturgique des crédences, des crucifix, des torchères et des palmes. On y réaffirmait également quelques-uns des arguments centraux de la pensée sur ce baroque local et idéal, forme caractéristique d’un hypothétique ethos brésilien. L’exposition soulignait la continuité du baroque pendant les XIXe et XXe siècles, notamment à travers les rituels, les fêtes religieuses, le système social des confréries et le programme iconographique et symbolique qui leur était associé. L’idée était, en partie, de reprendre une hypothèse similaire, mise en avant par la remarquable exposition Tradição e ruptura: síntese da arte e cultura brasileira, qui avait eu lieu en 1984 au pavillon Ciccillo Matarazzo au parc d’Ibirapuera et dont le commissaire était Alexandre Eulálio, homme de lettres et historien de l’art (Tradição e Ruptura, 1984).

21 En 2000, dans le cadre de la célébration des cinq cents ans de la découverte du Brésil – sommet de ce mouvement de révision –, une gigantesque exposition fut organisée où, au moins dans deux sections – Arte barroca (Arte barroca, 2000) et Negro de Corpo e Alma (Negro de corpo…, 2000) –, des aspects essentiels de la tradition sculpturale religieuse déployée au Brésil étaient montrés. Si, dans la première section, dont le catalogue fut dirigé par Myriam Ribeiro A. de Oliveira, les auteurs cherchaient à définir les déclinaisons et les « manières » locales ainsi que des solutions formelles caractéristiques de chacune des régions brésiliennes durant le XVIIIe siècle, la deuxième section était organisée autour de l’argument ethnique et du thème de la contribution africaine à la culture brésilienne. Fruit du travail et de la collection constituée par l’artiste et commissaire Emanoel Araújo, les pièces de cette section ont donné naissance

Perspective, 2 | 2013 106

au Museu Afro Brasil à São Paulo. Bien que cette collection ne soit pas composée spécifiquement d’œuvres du XVIIIe siècle, elle est l’une des institutions qui réussissent le mieux à visualiser cette « frontière » entre les mains africaines et les conventions de représentation portugaises. L’image de dévotion populaire, les sculptures du XVIIIe siècle figurant les saints noirs et les divers ex-voto peints soulignaient la rencontre des pratiques représentatives.

22 La quatrième Bienal de Arquitetura de São Paulo en 1999 et l’exposition Robert C. Smith: investigação na história da arte (Robert C. Smith, 2000), offrèrent l’occasion de réintroduire au Brésil la collection de cet historien américain, figure essentielle pour la définition et l’établissement d’une terminologie spécifique d’analyse de la production en bois sculpté décoratif au Portugal et au Brésil. Ses cahiers de notes, ses photographies et sa correspondance officielle ont été exposés, révélant ainsi différents aspects de la construction de l’analyse stylistique au Brésil. La biennale a également consacré une vaste exposition rétrospective à la production architecturale brésilienne, organisée par Roberto Montezuma et intitulée Arquitetura Brasil 500 anos: uma invenção recíproca, présentée ensuite au Museu de Arte Moderna de Recife en 2000 (MONTEZUMA, 2002). À cette même période, Rogério Amorim do Carmo de l’Universidade Federal Juiz de Fora a soutenu un travail universitaire intutilé Ouro Preto: experiência imaginária da paisagem e gesto projetual, consacré à l’une des questions les plus brûlantes au Brésil, à savoir comment concevoir une architecture nouvelle pour les centres historiques dits baroques – question à laquelle on n’a pas encore su donner une réponse satisfaisante (CARMO, 1999).

23 Néanmoins, à partir des années 1990, on constate au Brésil le développement d’un mouvement important de récupération philologique des poétiques du XVIe siècle au XVIIIe siècle. Dans la plupart des cas, cet intérêt pour les préceptes et pour les rhétoriques de la première période moderne naît des études littéraires, à partir desquelles il s’étend aux autres domaines d’étude sur la production artistique. L’ouvrage de Guilherme Simões Gomes Júnior, paru en 1998, Palavra Peregrina: o barroco e o pensamento sobre artes e letras no Brasil, témoigne de cette nouvelle analyse de la période qui surgit dans la littérature (GOMES JÚNIOR, 1998). Parmi les considérations originales de ce texte, on trouve la systématisation pionnière d’une historiographie du baroque luso-brésilien qui incorpore d’une façon plus cohérente les débats du XIXe siècle. Il souligne en outre les particularités de la perception de l’héritage des siècles de colonisation contrairement au discours hégémonique sur les arts du XVIIIe siècle, qui vit le jour, notamment, à partir de la fondation du Serviço de Patrimônio Histórico Nacional en 1937.

24 Les travaux de João Adolfo Hansen et d’Adma Muhana, tous deux intégrés à la faculté de philosophie, lettres et sciences humaines de l’Universidade de São Paulo, ou d’Alcir Pécora de l’institut des études linguistiques de l’Universidade Estadual de Campinas, sont d’une importance majeure pour l’affirmation de ce courant. Ils jouent un rôle essentiel dans la reconstitution des mentalités et de la sensibilité des XVIIe et XVIIIe siècles, même s’ils publient des textes principalement sur la poésie et l’histoire ou la théorie littéraire, dans des ouvrages comme A Sátira e o Engenho (HANSEN, 1989) et Alegoria (HANSEN, 1987), Teatro do sacramento (PÉCORA, 1994) et Máquina de Gêneros (PÉCORA, 2001) ou Poesia e pintura ou pintura e poesia (MUHANA, 2002, réédition commentée d’un traité portugais du XVIIe siècle écrit par Manuel Pires de Almeida).

Perspective, 2 | 2013 107

25 L’étude de l’histoire littéraire, et en particulier de la figure d’Antônio Vieira et de ses sermons, a eu un effet subsidiaire sur le domaine de la recherche artistique. Personnage à la biographie complexe, qui a évolué dans des territoires très différents du point de vue géographique et symbolique, Vieira s’est déplacé entre Rome, Lisbonne, Maranhão et Salvador. La recherche sur son parcours remit en cause la pertinence de la résonance internationale de cette littérature, mais aussi de ses liens avec les milieux érudits européens, en particulier avec les modèles romains et leur diffusion dans la péninsule Ibérique, puis vers les Amériques. Il était question non seulement de l’emploi de modèles artistiques italiens au Portugal ou, plus tard, de ceux venant d’Autriche ou de l’Europe centrale utilisés dans le monde portugais, mais aussi des processus d’appropriation et de transformation de ces modèles et de ces sources visuelles par le milieu artistique local, ainsi que de la circulation d’une main-d’œuvre artistique qualifiée et d’œuvres entre les grands centres et le monde ibérique d’une façon générale. La force et la signification du sermon aux XVIIe et XVIIIe siècles, ainsi que les dispositifs visuels qui entouraient le prédicateur et les circonstances de la prédication – la chaire, la gestuelle, le concours de peintures et d’autres images – ont inspiré des travaux comme ceux de Marina Massimi sur les emplois de l’image ou sur le concept de mémoire dans les sermons de Vieira (MASSIMI, 2012). Ils ont aussi renouvelé l’intérêt pour l’œuvre d’Eusébio de Mattos, récemment repris dans une édition contemporaine – du moins son recueil de sermons Ecce Homo (MATOS, 2007a ; voir aussi MATOS, 2007b) – par Américo Miranda, Valéria M. P. Ferreira et Adma Muhana, déjà citée (MUHANA, 2002).

26 Toujours dans le domaine de la littérature et de la recherche sur la sensibilité spécifique de la période, les travaux d’Ivan Teixeira viennent compléter ce panorama. Ce dernier a centré ses recherches sur la compréhension du mécénat artistique et littéraire pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, période dite Pombaline, en allusion au règne de Dom João I et à son premier ministre Sebastião José de Carvalho e Melo, le marquis de Pombal. L’ouvrage de Texeira Mecenato Pombalino de Poesia Neoclássica (TEIXEIRA, 1999) n’est pas seulement une introduction à la poétique néo-horatienne qui caractérise la création littéraire luso-brésilienne de la période, mais il ouvre aussi à l’étude d’une période d’intenses changements dans les domaines politique et pédagogique. La liste de ces changements, qui ont eu une influence extraordinaire sur la production artistique, comprend des événements tels que l’expansion urbaine dans la colonie brésilienne et la démarcation du territoire à l’issue des conflits avec l’Espagne selon le traité de Madrid en 1750 qui a défini les frontières avec l’Amérique espagnole, ainsi que l’expulsion des Jésuites en 1759. Dans ce domaine les travaux de l’historienne américaine Roberta Marx Delson sont aussi importants à côté d’ouvrages classiques en la matière au Brésil, comme ceux de Paulo Santos (SANTOS, 2001), Nestor Goulart Reis Filho (REIS FILHO, 2000, 2001) ou Maria Helena Ochi Flexor (FLEXOR, 1974, 2011).

27 Au sein de la faculté d’architecture de l’Universidade Federal de Bahia, à Salvador, une solide tradition d’études liées à l’histoire de l’urbanisme dans la période coloniale s’est constituée, en lien avec le cursus de restauration du patrimoine architectural, l’un des plus importants du Brésil. Eugênio de Ávila Lins ainsi que Paulo Ormindo Azevedo sont liés à ce groupe, et les travaux de José Luís da Mota Menezes (MENEZES, 1984, 1988), Fernando Guerra (GUERRA, 1989), Leonardo Dantas (DANTAS, 2004) et Fernando Ponce de Leon (LEON et al., 1998), tous venus de l’État de Pernambouc, méritent également d’être

Perspective, 2 | 2013 108

mentionnés. Ce dernier est l’auteur d’un précieux guide bibliographique de l’art luso- brésilien, rédigé en collaboration avec Lúcia Gaspar (LEON, GASPAR, 1998).

28 La tradition des études urbanistiques, domaine autonome dans la tradition historiographique artistique brésilienne, trouve dans cette période coloniale un vaste champ de recherches. Des textes comme celui de Cláudia Damasceno Fonseca, Des Terres aux villes de l’or (FONSECA, 2003), élargissent les recherches sur la formation des villes pendant la période de l’exploitation minière du Minas Gerais en proposant une analyse de la cartographie et de l’iconographie urbaines, les déplaçant d’une fonction illustrative vers un rôle de premier plan qui structure l’argumentation de l’auteur. Le thème des éventuels modèles européen, central pour l’architecture de la seconde moitié du XVIIIe siècle – particulièrement sensible dans des régions comme celle du Minas Gerais, de Rio de Janeiro et de Pernambouc – a été abordé par Rodrigo Espinha Baeta de Universidade Federal da Bahia dans son ouvrage Barroco, a Arquitetura e a cidade nos séculos XVII e XVIII (BAETA, 2010).

29 L’étude de Baeta réorganise et approfondit des idées présentes dans des ouvrages antérieurs importants, dont O Rococó religioso no Brasil e seus antecedentes europeus de Myriam Ribeiro de Oliveira (OLIVEIRA, 2003) ou « Medieval ou Barroco: proposta de leitura da cidade colonia », petit mais précieux article au titre provocateur, qui réunit les intuitions séminales de la chercheuse italienne Giovanna Rosso del Brenna, paru dans la Revista Barroco publié par de l’Universidade Federal de Minas Gerais, – véhicule essentiel dans la définition de ce champ d’études au Brésil à partir des années 1970 (BRENNA, 1982-1983). Dépassant ainsi l’éternel débat sur les manières de planifier la ville et d’occuper le territoire chez les Portugais et chez les Espagnols – topos analytique qui a acquis des contours précis avec le livre Raízes do Brasil de Sérgio Buarque de Holanda (BUARQUE DE HOLANDA, 1936) –, Del Brenna identifie une nouvelle manière d’agir sur le territoire qui s’appuie sur une conception de la scénographie urbaine dotée, surtout au XVIIIe siècle, d’une fonction symbolique particulière.

30 Au-delà du cadre spécifique de l’aménagement urbain strict, la scénographie urbaine, fondée sur des études de cas, superposant législation, réglementation et politiques urbaines, mais aussi sur l’analyse d’une culture visuelle de la ville comprenant de multiples traditions de védutistes et de peintres paysagers, était également évoquée par les historiens portugais de l’urbanisme et de l’architecture Walter Rossa et Paulo Varela Gomes (GOMES, 1988 ; ROSSA, 2002) dans des études qui ont eu un effet sur la perception générale des villes du Brésil colonial. Rodrigo Almeida Bastos a fait une contribution importante à la compréhension de la rhétorique de l’urbanisme colonial au Brésil dans A maravilhosa fábrica de virtudes: o decoro na arquitetura religiosa de Vila Rica, Minas Gerais (1711-1822), qui articule des éléments de traités, de chroniques et d’histoire urbaine. L’auteur offre une superposition sensible du volet philologique avec une histoire des mentalités appliquée aux villes, et à l’ornementation du territoire au XVIIIe siècle (BASTOS, 2009).

31 La tradition historiographique pauliste consacrée à l’architecture urbaine est également vaste. Elle comprend des travaux étoffés sur la typologie spécifique des habitations et des bâtiments civils dans le territoire de São Paulo, d’auteurs tels que Luís Saia (SAIA, 1978), Carlos Lemos (LEMOS, 1979, 1999), Dalton Sala et, plus récemment, Paulo Garcez (MARINS, 2001 ; Aleijadinho..., 2002). Aracy Amaral nous a offert une étude stimulante sur la production architecturale pauliste et ses éventuels liens avec

Perspective, 2 | 2013 109

l’architecture de l’Amérique hispanique (AMARAL, 1981). Elle y développe notamment le thème majeur des routes commerciales sud-américaines, des rencontres et des confrontations entre Portugais et Espagnols à l’époque de la colonisation et leur effet sur la production artistique, ce qui constitue actuellement un domaine de recherche en plein essor (MARINS, 2001 ; TIRAPELLI, 2003). Au Sud du Brésil, zone de confrontation avec la culture espagnole, il faut souligner la production pionnière d’Eduardo Etzel, qui a fait la cartographie de l’expansion urbaine et artistique du Brésil méridional dans ses textes des années 1970 (ETZEL, 1974).

32 L’étude stylistique plus stricte se développe également au Brésil à partir des années 1990. L’attention portée sur la circulation d’objets entre le Portugal et l’Amérique portugaise, identifiant de manière précise les trajectoires atlantiques des objets, des livres, des gravures et des images religieuses, se trouve encore en période de consolidation, mais a déjà acquis une complexité croissante. Les processus de transfert formel via des gravures, des livres et des dessins ainsi que par le biais d’acteurs identifiables, occupent une place grandissante dans des études comme celles de Luís Alberto Ribeiro Freire portant sur le renouveau de la boiserie décorative à Bahia aux XVIIIe et XIXe siècles. L’ouvrage de Freire A Talha Neoclássica na Bahia (FREIRE, 2006), au- delà de la précision documentaire dont il témoigne dans l’identification de la déclinaison des modèles ornementaux et du processus d’organisation des ateliers d’artistes et d’artisans dans la région de Salvador, peut être lu également comme une étude sur le goût et les relations de mécénat pendant les premières années du XIXe siècle.

33 Dans la recherche sur l’art produit ou présent au Brésil dans les collections du XVIIIe siècle, il reste encore de vastes champs à traiter en ce qui concerne le mobilier et les arts décoratifs. Les travaux précurseurs comme Mobiliário Baiano de Maria Helena Flexor (FLEXOR, 2009), déjà citée, ont été poursuivis dans les travaux de Ângela Brandão, par exemple, consacrés à la recherche sur le mobilier appartenant à l’ancien archevêché de la ville de Mariana, dans l’État du Minas Gerais. Méthodologiquement, l’histoire des collections de mobilier et du rapport entre le mobilier et le bois sculpté décoratif religieux – part essentielle de la production de sculpture en bois dans l’Amérique portugaise – requiert l’examen de toute la documentation d’inventaires, de testaments et d’archives notariales, de chartes pastorales et de registre de commandes et de dépenses associées à ces objets de luxe, conservés dans les fonds d’archives comme celui de l’archevêché de Mariana, de la Casa Setecentista dans la même ville ou encore de la Casa do Pilar à Ouro Preto, l’ancienne Vila Rica. Dans le cas brésilien, la dispersion des collections et l’absence d’études significatives sur leurs origines rendent encore plus difficile la recomposition d’ensembles jadis disposés dans un espace unique.

34 D’autres études, comme Espaço doméstico, devoção e arte: a construção histórica do acervo de oratórios brasileiro, séculos XVIII e XIX de Silveli Toledo Russo, poursuivent la même voie (RUSSO, 2010). Consacré aux oratoires domestiques présents dans les maisons et dans les propriétés agricoles de la province de São Paulo, l’ouvrage de Russo cherche non seulement à reconstruire la gestation formelle des oratoires, mais aussi à retrouver les autorisations formelles concédées par le pouvoir religieux pour l’installation de ces objets en milieu privé. Il s’agit d’articuler l’anthropologie, l’histoire sociale et des religions, et l’histoire des objets d’art et de dévotion. Nous avons vu surgir un ensemble de chercheurs qui partagent le même esprit et qui se sont rassemblés à l’Universidade Federal de Minas Gerais autour d’Adalgisa Arantes Campos, auteur de A terceira devoção

Perspective, 2 | 2013 110

do setecentos mineiro: o culto a São Miguel e Almas, livre significatif sur les rituels et les pratiques autour de la mort, et sur l’organisation des confréries religieuses (CAMPOS, 1994)21. Sur ce même sujet, signalons des travaux récents comme A Boa Morte e o Bem Morrer: culto, doutrina e iconografia nas irmandades mineiras de Sabrina Sant’anna (SANT’ANNA, 2006) et la thèse de doctorat de Maria Regina Emery Quites sur la représentation du vêtement. Intitulé Imagem de vestir: revisão de conceitos através de estudo comparativo entre as Ordens Terceiras Franciscanas no Brasil (QUITES, 2006), cet ouvrage donne une nouvelle compréhension de ce genre de sculpture religieuse et des attitudes qui y sont rattachées, tout en exposant la nécessité de ressaisir une histoire du textile au Brésil qui s’intégrerait au processus de création artistique dans le baroque brésilien.

35 L’histoire de la circulation d’artistes et d’artisans entre le royaume portugais et les colonies progresse grâce à des recherches ponctuelles et des études de cas. Ce fut le thème en 2005 du cinquième Colóquio Luso-Brasileiro de História da Arte, qui fit l’objet d’un ouvrage dirigé par Fausto Sanches Martins Artistas e Artífices e a sua mobilidade no mundo de expressão portuguesa ( SANCHES MARTINS, 2007). Une étude d’André L. Tavares Pereira cherche à approfondir la compréhension de la trajectoire d’artistes comme Manoel Dias de Oliveira – artiste proche de Domingos Antônio Sequeira, le principal peintre portugais en son temps – entre Rio de Janeiro, Lisbonne et Rome, ainsi que leur relation avec le milieu portugais vers la fin du XVIIIe siècle, (TAVARES, 2012). Établie au Portugal, Patrícia D. Telles de l’Universidade de Évora développe une recherche pionnière sur l’art du portrait portugais de la fin du XVIIIe siècle, s’attachant ainsi à un contexte non seulement peu diffusé dans le cadre brésilien, mais aussi fréquemment négligé au Portugal (TELLES, 2013).

36 D’autres peintres en activité à la fin du XVIIIe siècle, surtout au tournant du XIXe siècle, comme João Francisco Muzzi, Leandro Joaquim ou l’Italien Manoel Julião ont attiré l’attention de chercheurs tels que Valéria Piccoli et Luciano Migliaccio (MIGLIACCIO, 2007 ; PICCOLI, 2013). Alors que ce dernier s’intéresse à la génèse de la peinture historique au Brésil au début du XIXe siècle, Jaelson Bitran Trindade a traité de la formation et de la professionnalisation des artistes dans le contexte colonial, à la même époque (TRINDADE J., 1998). Nous souhaitons mentionner également le travail pionnier que fournissent les dictionnaires d’artistes actifs du XVIIe au XIXe siècle, entrepris par Judith Martins pour le Minas Gerais (MARTINS J., 1974), Marieta Alves pour Bahia (ALVES, 1976) et, plus récemment, Vera Acioly pour Pernambouc (ACIOLY, 2008). L’effort encyclopédique de Carlos del Negro (DEL NEGRO, 1958), essentiel pour comprendre le développement de la peinture au Minas Gerais, est à saluer, tout comme celui de Carlos Ott (OTT, 1982) et de Clarival do Prado Valladares (VALLADARES, 1982-1991), qui ont eu un rôle fondamental dans la définition de l’historiographie artistique bahianaise du XVIIe au XIXe siècle.

37 L’histoire des moyens, des techniques et des matériaux est un domaine largement répandu parmi les chercheurs rattachés aux principaux centres de restauration, comme le Centro de Conservação e Restauração de l’Universidade Federal de Minas Gerais. Le travail de Renata Almeida Martins dans Tintas da terra tintas do reino: arquitetura e arte nas Missões Jesuíticas do Grão-Pará (MARTINS R., 2009) offre une vaste vision sur les moyens d’exécution de l’œuvre d’art et sur l’adaptation de modèles visuels en raison de la présence des collèges de Jésuites du nord du Brésil, dans ce qui

Perspective, 2 | 2013 111

était, du XVIIe au XIXe siècle, le Maranhão et le Grão-Pará, provinces administratives de l’Amérique portugaise. Dans la continuité de ses recherches, l’auteur a amorcé une nouvelle étude sur le naturaliste et correspondant de l’Academia Portuguesa de Ciência à Lisbonne, Alexandre Rodrigues Ferreira, et sur son œuvre la plus importante, Viagem Filosófica, qui se présente comme un vaste recueil illustré sur son expédition de 1783-1792 en Amazonie et dans le Mato Grosso, comprenant des notices sur la production de pigments pour la peinture extraits de plantes locales.

38 Ces recherches interdisciplinaires, mêlant connaissances et compétences en restauration, recherche historique et gestion du patrimoine, sont encore rares. Malgré quelques initiatives louables, il subsiste au Brésil une division entre des disciplines comme l’architecture, l’urbanisme, l’étude de la sculpture religieuse (menée avec soin par des institutions comme le Centro de Estudos da Imaginária Brasileira), l’iconographie (comme dans le travail de Maria Beatriz de Mello e Souza), ou les études sociologiques ou anthropologiques (SOUZA, 1999, p. 475-489). La thèse de doctorat d’Eliana Ambrósio, Presépio Napolitano do Museu de Arte Sacra de São Paulo e de coleções internacionais: cenografia e expografia (AMBRÓSIO, 2012), est l’un des cas où s’additionnent l’acuité des reconstitutions d’œuvres sculptées des XVIIe et XVIIIe siècles – une crèche d’origine napolitaine exposée au Museu de Arte Sacra de São Paulo, par exemple –, les réflexions sur les éventuels résultats pratiques de la recherche sur le contexte de production des pièces, et l’histoire de la muséification des crèches dans les collections et dans les ensembles similaires au Brésil, le tout constituant un effort de reconstruction aussi bien des conditions d’exposition comme de l’invention artistique. Dans la même veine, en croisant la musique, l’opéra et l’architecture théâtrale, Rosana Marreco Brescia fait, de manière innovante, l’inventaire et l’analyse des modèles d’architecture des théâtres des XVIIIe et XIXe siècles au Brésil (BRESCIA, 2012). Tout le domaine de la recherche sur les spectacles et la musique du XVIIIe siècle et actuellement en plein essor au Brésil. Ce sujet, ainsi que celui des festivités coloniales, objet d’un vaste débat encore dans les années 1990, mériterait un chapitre à part entière étant donné sa complexité thématique (JANCSO, KANTOR, 2002).

39 Les rapports avec l’Italie ont été également abordés à partir des recherches sur les artistes italiens dans le contexte portugais du XVIIIe siècle, à l’instar de Vincenzo Baccherelli, et sur la diffusion de la peinture de quadrature, examinée par des chercheurs comme Magno Mello de l’Universidade Federal de Minas Gerais (MELLO, 2007) et Giuseppina Raggi de l’Universidade Nova de Lisboa (RAGGI, 2003). L’exploration systématique de l’héritage du Bolonais Antônio José Landi à Belém par le biais de la base numérique Forum Landi22, développée par l’Universidade Federal do Pará, est également un pas important dans la compréhension des processus de transfert artistique vers le milieu du XVIIIe siècle. La prospection sur les modèles iconographiques et sur la circulation de gravures, élargie par Nancy Davenport (DAVENPORT, 1975) ou Santiago Sebastián (SEBASTIÁN, 1989), qui nécessitait un ambitieux travail sur les archives – une recherche encore en cours au Brésil – a été poursuivie notamment par Pedro Queiroz Leite (LEITE, 2011).

40 Ces dernières années, le projet « Baroque Global » entrepris en collaboration avec plusieurs institutions (Getty Research Institute, Zürich Universität, Universidade Federal de São Paulo), a permis une large discussion sur les approches théoriques et méthodologiques actuelles de l’histoire de l’art à propos de la question de l’« art mondial » et aussi des débats transculturels et transdisciplinaires avec d’autres

Perspective, 2 | 2013 112

domaines y compris la théorie littéraire, l’anthropologie, etc. Cette extension a permis d’insérer l’art colonial dans le contexte des discussions sur la culture ibérique. Outre le projet « Researching and Teaching Art History in a Global World » mené par le département d’histoire de l’art de l’Universidade Federal de São Paulo et la Zürich Universität, on pourrait mentionner le projet « Hispanic Baroque » au Canada. Cette inclusion touche également l’approche transhistorique du néobaroque. Jens Baumgarten a publié sur ces thèmes à partir de son approche des « systèmes visuels » qui comprend l’art colonial au Brésil et des transferts de concepts et d’objets (BAUMGARTEN, 2010). De plus, il inscrit l’art brésilien de l’époque coloniale dans un système global en proposant, à partir de l’objet, un ensemble de micro-théories.

41 La question de la formation artistique avant l’académie s’est aussi considérablement élargie. Au travail fondamental du Portugais Rafael Moreira (MOREIRA, 1994) ou d’Ana Maria Monteiro de Carvalho (CARVALHO, 1999), se sont ajoutés de nouveaux efforts pour appréhender le rôle du génie militaire dans la formation des architectes et des maîtres brésiliens du XVIIIe siècle. Un des chapitres plus récent de cette histoire est sans doute l’ouvrage de Beatriz Piccoloto S. Bueno, Desenho e Desígnio: o Brasil dos engenheiros militares (BUENO, 2012).

42 La production critique et la recherche sur le baroque au Brésil sont des domaines étendus et dynamiques. Ce sujet, qui intéressait déjà les historiens de l’art au XIXe siècle, s’est transformé au XXe siècle en un champ vaste et intéressant, symbole de la nation et de l’origine de la spécificité esthétique brésilienne, ce qui n’a pas toujours été la règle en ce qui concerne la production artistique latino-américaine. L’identification du baroque avec le national et les multiples débats sur le degré d’intensité des échanges avec les sources internationales, ainsi que sur les syncrétismes formels d’éléments locaux et européens, africains ou asiatiques ont récemment élargi la discussion, provoquant ainsi une révision des approches traditionnelles. Ces dernières, à leur tour, se transforment et se perfectionnent à mesure que les données relatives aux arts du XVIIe et du XVIIIe siècle, sont progressivement rendues accessibles et systématisées. La nouvelle production académique cherche à s’adapter au débat international, mais, en se consacrant à l’analyse d’une production artistique complexe conçue dans un milieu de superposition culturelle intense, offre de nouvelles voies d’interprétation du matériel visuel. Sous cet angle, cette sélection critique de textes permet de saisir le rythme des innovations et de concevoir les grandes lignes qui traversent la production historiographique artistique sur un baroque nécessairement multiforme.

BIBLIOGRAPHIE

– ACIOLY, 2008 : Vera Lúcia C. Acioly, A identidade da beleza: dicionário de artistas e artífices do século XVI ao XIX em Pernambuco, Recife, 2008.

– Aleijadinho..., 2002 : Aleijadinho e Mestre Piranga: processos de atribuição e história da arte, Dalton Sala éd., (cat. expo., São Paulo, Pinacoteca do Estado de São Paulo, 2002-2003), São Paulo, 2002.

Perspective, 2 | 2013 113

– ALVES, 1976 : Marieta Alves, Dicionário de artistas e artífices na Bahia, Salvador, 1976.

– AMARAL, 1981 : Aracy Amaral, A hispanidade em São Paulo: da casa rural à Capela de Santo Antônio, São Paulo, 1981.

– AMARAL, 1994 : Aracy Amaral éd., Arquitectura neocolonial: América Latina, Caribe, Estados Unidos, São Paulo, 1994.

– AMBRÓSIO, 2012 : Eliana Ribeiro Ambrósio, Presépio napolitano do Museu de Arte Sacra de São Paulo e de coleções internacionais: cenografia e expografia, thèse, Universidade Estadual de Campinas, 2012.

– ANDRADE, 1921: Mário de Andrade, « De São Paulo », dans Ilustração Brasileira, Fevereiro, 1921.

– ANDRADE, 1928 : Mário de Andrade, « Aleijadinho: posição histórica », dans O Jornal, 1928.

– Arte barroca, 2000 : Mostra do redescobrimento: Arte barroca, Nelson Aguilar, Myriam Andrade Ribeiro de Oliveira éd., (cat. expo., São Paulo, Bienal de São Paulo, 2000), São Paulo, 2000.

– BAETA, 2010 : Rodrigo Espinha Baeta, O Barroco, a arquitetura e a cidade nos séculos XVII e XVIII, Salvador, 2010.

– BASTOS, 2009 : Rodrigo Almeida Bastos, A maravilhosa fábrica de virtudes: o decoro na arquitetura religiosa de Vila Rica, Minas Gerais (1711-1822), thèse, Universidade Federal de São Paulo, 2009.

– BAUMGARTEN, 2010 : Jens Baumgarten, « Staging Baroque Worship in Brazil », dans David Morgan éd., Religion and Material Culture: The Matter of Belief, Londres/New York, 2010, p. 173-192.

– BAZIN, 1956-1958 : Germain Bazin, L’Architecture religieuse baroque au Bresil, Paris, 1956-1958.

– BELOW, 2005 : Ingrid Below, « ‘Jene widerspenstige Leichtigkeit der Innovation’ Hanna Deinhards Wissenschaftskritik, Kunstsoziologie und Kunstvermittlung », dans Ursula Hudson-Wiedenmann, Beate Schmeichel-Falkenberg éd., Grenzen Überschreiten: Frauen, Kunst und Exil, Würzburg, 2005, p. 151-179.

– BRANDÃO, 1998 : Ângela Brandão, Abrasileirando a coisa lusa: O Aleijadinho pelo olhar de Mário de Andrade, Ouro Preto, 1998.

– Brazil: Body and Soul, 2001 : Brazil: Body and Soul, Edward J. Sullivan éd., (cat. expo., New York, Guggenheim Museum, 2001-2002), New York, 2001.

– BRENNA, 1982-1983 : Giovanna Rosso Brenna, « Medieval ou barroco? Proposta de leitura do espaço urbano colonial », dans Revista Barroco, 12, 1982-1983, p. 141-146.

– BRESCIA, 2012 : Rosana Marreco Brescia, É lá que se representa a comédia: A Casa da Ópera de Vila Rica, 1770-1822, Jundiaí, 2012.

– BRESSAN, 1997 : Maria Lúcia Bressan, Modernizada ou Moderna? A arquitetura em São Paulo, 1938-45, thèse, Universidade Federal de São Paulo, 1997.

– BRESSAN, 2011 : Maria Lúcia Bressan, Neocolonial, modernismo e preservação do patrimônio no debate cultural dos anos 1920 no Brasil, São Paulo, 2011.

– BUARQUE DE HOLANDA, 1936 : Sérgio Buarque de Holanda, Raízes do Brasil, Rio de Janeiro, 1936.

– BUENO, 2012 : Beatriz Piccolotto Siqueira Bueno, Desenho e Desígnio: o Brasil dos engenheiros militares, 1500-1822, São Paulo, 2012.

– CAMPOS, 2005 : Adalgisa Arantes Campos, Mestre Ataíde: aspectos históricos, estilísticos, iconográficos e técnicos, Belo Horizonte, 2005.

Perspective, 2 | 2013 114

– CARMO, 1999 : Rogério Amorim do Carmo, Ouro Preto: experiência imaginária da paisagem e gesto projetual, mémoire, Universidade Federal do Rio de Janeiro, Faculdade de Arquitetura e Urbanismo, Programa de Pós-Graduação em Urbanismo, 1999.

– CARVALHO, 1999 : Anna Maria Fausto Monteiro de Carvalho, Mestre Valentim, São Paulo, 1999.

– CHIARELLI, 2007 : Tadeu Chiarelli, Pintura não é só beleza: a crítica de arte de Mário de Andrade, Florianópolis, 2007.

– CAMPOS, 1994 : Adalgisa Arantes Campos, A terceira devoção do setecentos mineiro: o culto a São Miguel e Almas, thèse, Universidade Federal de São Paulo, 1994.

– CAMPOS, 2005 : Adalgisa Arantes Campos, Manoel da Costa Ataíde: aspectos históricos, estilísticos, iconográficos e técnicos, Belo Horizonte, 2005.

– COSTA, (1941) 1997 : Lucio Costa, « A arquitetura dos jesuítas no Brasil », dans Revista do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional, 26, (1941) 1997, p. 105-169 ;

– DACOSTA KAUFMANN, 2004 : Thomas DaCosta Kaufmann, Towards a Geography of Art, Chicago, 2004.

– DANTAS, 2004 : Leonardo Dantas, Pernambuco Preservado, Recife, 2004.

– DAVENPORT, 1975 : Nancy Davenport, « European sources for the prophets at Congonhas do Campo », dans Revista Barroco, 7, 1975, p. 407-421.

– DE CAMPOS, 1979 : Haroldo de Campos, « Ruptura dos gêneros na literatura latino-americana », dans César Fernández Moreno éd., América Latina em sua literatura, São Paulo, 1979, p. 281-305.

– DE CAMPOS, 1989 : Haroldo de Campos, O sequestro do barroco na formação da literatura brasileira: o caso Gregório de Matos, Salvador, 1989.

– DEINHARD, 1967 : Hanna Deinhard, Bedeutung und Ausdruck, Neuwied/Berlin, 1967.

– DEL NEGRO, 1958 : Carlos Del Negro, Contribuição ao estudo da pintura mineira, Rio de Janeiro, 1958.

– ETZEL, 1974 : Eduardo Etzel, O Barroco no Brasil: psicologia – remanescentes em São Paulo, Goiás, Mato Grosso, Paraná, Santa Catarina, Rio Grande do Sul, São Paulo, 1974.

– FONSECA, 2001 : Sônia Maria Fonseca, A invenção do Aleijadinho: historiografia e colecionismo em torno de Antônio Francisco Lisboa, mémoire, Universidade Estadual de Campinas, 2001.

– FONSECA, 2003 : Cláudia Damasceno Fonseca, Des terres aux villes de l’or : pouvoirs et territoires urbains au Minas Gerais, Brésil, XVIIIe siècle, Paris, 2003.

– FLEXOR, 1974 : Maria Helena Ochi Flexor, Oficiais mecânicos na cidade do Salvador, Salvador, 1974.

– FLEXOR, 2009 : Maria Helena Ochi Flexor, Mobiliário baiano, Brasília, 2009.

– FLEXOR, 2011 :Maria Helena Ochi Flexor, Igrejas e conventos da Bahia, Brasília, 2011.

– FREIRE, 2006 : Luiz Alberto Ribeiro Freire, A Talha neoclássica na Bahia, Rio de Janeiro, 2006.

– FROTA, 1982 : Lélia Coelho Frota, Ataíde: vida e obra de Manoel da Costa Ataíde, Rio de Janeiro, 1982.

– GOMES, 1988 : Paulo Varela Gomes, A cultura arquitectónica e artística em Portugal no século XVIII, Lisbonne, 1988.

– GOMES JÚNIOR, 1998 : Guilherme Simões Gomes Júnior, Palavra peregrina: O Barroco e o pensamento sobre artes e letras no Brasil, São Paulo, 1998.

– GRAMMONT, 2008 : Guiomar de Grammont, O Aleijadinho e o aeroplano: O Paraíso e a construção do herói colonial, Rio de Janeiro, 2008.

Perspective, 2 | 2013 115

– GUERRA, 1989 : Fernando Guerra, A igreja de São Pedro dos clérigos do Recife, Recife, 1989.

– HANSEN, 1987 : João Adolfo Hansen, Alegoria: construção e interpretação da metáfora, São Paulo, 1987.

– HANSEN, 1989 : João Adolfo Hansen, A sátira e o engenho: Gregório de Matos e a Bahia do século XVII, São Paulo, 1989.

– HANSEN, 1992 : João Adolfo Hansen, « Colonial e barroco », dans Jayme Salomão éd., América: descoberta ou invenção, (colloque, Rio de Janeiro, 1992), Rio de Janeiro, 1992, p. 347-361.

– HANSEN, 2003 : João Adolfo Hansen, « Barroco, neobarroco e outras ruínas », dans Estudios Portugueses, 3, 2003, p. 171-217.

– JANCSO, KANTOR, 2002 : István Jancsó, Iris Kantor éd., Festa: cultura e sociabilidade na América portuguesa, (colloque, São Paulo, 1999), São Paulo, 2001.

– KUBLER, 1959 : George Kubler, The Art and Architecture of Spain and Portugal and Their American Dominions, Baltimore, 1959.

– KUBLER, 1962 : George Kubler, The Shape of Time, New Haven, 1962.

– LEITE, 2011 : Pedro Queiroz Leite, « O Missal da Régia Officina Typographica e seu legado na pintura Rococó mineira: uma refutação à influência de Bartolozzi », dans Anais do VII Encontro de História da Arte da UNICAMP, Campinas, 2011, p. 405-415, http://www.unicamp.br/chaa/eha/ atasIIIeha.html (consulté le 10 novembre).

– Lemos, 1979 : Carlos Lemos, A casa colonial Paulista, São Paulo, 1979.

– Lemos, 1999 : Carlos Lemos, A imaginária paulista, São Paulo, 1999.

– Leon et al., 1998 : , Fernando Ponce de Leon et al., História da arte luso-brasileira: guia bibliográfico, Recife, 1998.

– Leon, Gaspar, 1998 : Fernando Ponce de León, Lúcia Gaspar, História da arte luso-brasileira: Guia bibliográfico, Recife, 1998.

– Levy, 1936 : Hanna Levy, Henri Wölfflin, sa théorie, ses prédécesseurs, (thèse, faculté des lettres de l’université de Paris, 1936), Rotweil, 1936.

– Levy, 1940 : Hanna Levy, « Valor artístico e valor histórico: importante problema da história da arte », dans Revista do patrimônio histórico e artístico nacional, 4, 1940, p. 181-192.

– Levy, 1941 : Hannah Levy, « A propósito de três teorias sobre o barroco », dans Revista do patrimônio histórico e artístico nacional, 5, 1941, p. 250-284.

– Levy, 1942 : Hannah Levy, « A pintura colonial no Rio de Janeiro », dans Revista do patrimônio histórico e artístico nacional, 6, 1942, p. 7-79.

– Levy, 1944 : Hannah Levy, « Modelos Europeus na pintura colonial », dans Revista do patrimônio histórico e artístico nacional, 8, 1944, p. 7-66.

– Levy, 1945 : Hannah Levy, « Retratos coloniais », dans Revista do patrimônio histórico e artístico nacional, 9, 1945, p. 251-290.

– MACHADO, 1969 : Lourival Gomes Machado, « Teorias do Barroco », dans MACHADO, 1969, p. 29-78.

– MACHADO, 1969 : Lourival Gomes Machado, Barroco mineiro, São Paulo, 1969.

Perspective, 2 | 2013 116

– MARINS, 2001 : Paulo C. Garcez Marins, Através da rótula: sociedade e arquitetura no Brasil, séculos XVII a XX, São Paulo, 2001.

– MARTINS J., 1974 : Judith Martins, Dicionário de artistas e artífices dos séculos XVIII e XIX em Minas Gerais, Rio de Janeiro, 1974.

– MARTINS R., 2009 : Renata Maria de Almeida Martins, Tintas da terra tintas do reino: arquitetura e arte nas Missões Jesuíticas do Grão-Pará, thèse, Universidade Federal de São Paulo, 2009.

– MASSIMI, 2012 : Marina Massimi éd., A novela história do predestinado peregrino e seu irmão Precito (1682): compêndio dos saberes antropológicos e psicológicos dos jesuítas no Brasil colonial, São Paulo, 2012.

– MATOS, 2007a : Eusébio de Matos, Ecce Homo, Porto Alegre, publié au XVIIe siècle, 2007.

– MATOS, 2007b : Eusébio de Matos, A Paixão de Cristo Senhor Nosso: desde a instituição do sacramento na ceia até a lastimosa soledade de Maria Santíssima, José Américo Miranda, Nilton de Paiva Pinto éd., Belo Horizonte, publié au XVIIe siècle, 2007.

– MELLO, 2007 : Magno Mello, « Retórica e persuasão na arte barroca: o teto da igreja do seminário jesuítico em Santarém », dans Anais do III Encontro de História da Arte da UNICAMP, 2007, p. 418-430.

– MENEZES, 1984 : José Luiz da Mota Menezes, Dois monumentos do Recife, Recife, 1984.

– MENEZES, 1988 : José Luiz da Mota Menezes, Atlas histórico cartográfico do Recife, Recife, 1988.

– MIGLIACCIO, 2007 : Luciano Migliaccio, Arte brasiliana del XIX seccolo, Udine, 2007.

– MONTEZUMA, 2002 : Roberto Montezuma, Arquitetura Brasil 500 anos: uma invenção recíproca, Recife, 2002.

– MOREIRA, 1994 : Rafael Moreira éd., A Arquitectura militar na expansão portuguesa, Lisbonne, 1994.

– MORESCHI, 2004 : Marcelo S. Moreschi, A Inclusão de « barroco » no Brasil: o caso dos catálogos, mémoire, Universidade Estadual de Campinas, 2004.

– MOSER, 2001 : Walter Moser, « Résurgences et valences du baroque », dans Résurgences baroques : trajectoires d’un processus transculturel, Bruxelles, 2001, p. 25-44.

– MUHANA, 2002 : Adma Muhana, Poesia e pintura ou Pintura e poesia: tratado seiscentista de Manuel Pires de Almeida, São Paulo, 2002.

– Negro de corpo..., 2000 : Mostra do redescobrimento: negro de corpo e alma, Nelson Aguilar, Emanoel Araújo éd., (cat. expo., São Paulo, Bienal de São Paulo, 2000), São Paulo, 2000.

– OLIVEIRA, 2003 : Myriam Andrade Ribeiro de Oliveira, O Rococó religioso no Brasil e seus antecedentes europeus, São Paulo, 2003.

– OTT, 1982 : Carlos Ott, A escola baiana de pintura: 1764/1850, São Paulo, 1982.

– O Universo..., 1998 : O Universo mágico do barroco brasileiro, Emanoel Araújo éd., (cat. expo., São Paulo, Galeria de Arte do SESI, 1998), São Paulo, 1998.

– PÉCORA, 2001 : Alcir Pécora, Máquina de gêneros: novamente descoberta e aplicada a Castiglione, Della Casa, Nóbrega, Camões, Vieira, La Rochefoucauld, Gonzaga, Silva Alvarenga e Bocage, São Paulo, 2001.

– PÉCORA, 1994 : Alcir Pécora, Teatro do sacramento: a unidade teológico-retórico-política dos sermões de Antonio Vieira, Campinas, 1994.

Perspective, 2 | 2013 117

– PICCOLI, 2013 : Valeria Piccoli, « Carlos Julião e o desenho etnográfico no mundo português », dans Camila Dazzi, Isabel Portella, Artur Valle éd., Oitocentos: intercâmbios culturais entre Brasil e Portugal, Rio de Janeiro, 2013, p. 496-508.

– PIO, 1957 : Fernando Pio, A ordem terceira de São Francisco do Recife, Recife, 1957.

– QUITES, 2006 : Maria Regina E. Quites, Imagem de vestir: revisão de conceitos através de estudo comparativo entre as ordens terceiras franciscanas no Brasil, thèse, Universidade Estadual de Campinas, 2006.

– RAGGI, 2003 : Giusepina Raggi, « Pinturas de fundais e falsos interiores : Decorações pictóricas integrais de Pasquale Parente », dans Revista Monumentos, 18, 2003.

– REIS FILHO, 2000 : Nestor Goulart Reis Filho, Contribuição ao estudo da evolução urbana do Brasil, 1500-1720, São Paulo, 2000.

– REIS FILHO, 2001 : Nestor Goulart Reis Filho, Imagens de Vilas e cidades no Brasil Colonial, São Paulo, 2001.

– Robert C. Smith, 2000 : Robert C. Smith, 1912-1975: a investigação na história da arte, Manuel da Costa Cabral, Jorge Rodrigues éd., (cat. expo., Lisbonne, Fondation Calouste Gulbenkian, 2000), Lisbonne, 2000.

– ROSSA, 2002 : Walter Rossa, A Urbe e o traço, Coimbra, 2002.

– RUSSO, 2010 : Silveli Maria de Toledo Russo, Espaço doméstico, devoção e arte: a construção histórica do acervo de oratórios brasileiro, séculos XVIII e XIX, thèse, Universidade Federal de São Paulo, 2010.

– SAIA, 1978 : Luís Saia, Morada Paulista, São Paulo, 1978.

– SANCHES MARTINS, 2007 : Fausto Sanches Martins, Artistas e artífices e a sua mobilidade no mundo de expressão portuguesa, (colloque, Porto, 2005), Porto, 2007.

– SANT’ANNA, 2006 : Sabrina Mara Sant’anna, A boa morte e o bem morrer: culto, doutrina, iconografia e irmandades mineiras (1721 a 1822), thèse, Universidade Federal de Minas Gerais , 2006.

– SANTOS, 1951 : Paulo Santos, O barroco e o jesuítico na arquitetura brasileira, Rio de Janeiro, 1951.

– SANTOS, 2001 : Paulo Santos, Formação de cidades no Brasil Colonial, Rio de Janeiro, 2001.

– SEBASTIÁN, 1989 : Santiago Sebastián, Contrareforma y barroco: lecturas iconográficas y iconológicas, Madrid, 1989.

– SOUZA, 1999 : Maria Beatriz de Mello e Souza, Les Images de la Vierge Marie au Brésil colonial: Brésil Baroque. Entre Ciel et Terre, Paris, 1999.

– TAVARES, 2012 : André L. Tavares Pereira, « Displaying the Traslatio Imperii: Roman Art and Iconography between Portugal and Portuguese America in late 18th century », dans Giovanna Capitelli, Stefano Grandesso, Carla Mazzarelli éd., Roma fuori di Roma: l’esportazione dell’arte moderna da Pio VI all’Unità, 1775-1870, Rome, 2012, p. 323-333.

– TEIXEIRA, 1999 : Ivan Teixeira, Mecenato pombalino e poesia neoclássica: Basílio da Gama e a poética do encômio, São Paulo, 1999.

– TELLES, 2013 : Patrícia Delayti Telles, « Brasil e Portugal à sombra de Saint-Sulpice: Retrato dos viscondes da Pedra Branca com a sua filha », dans Oitocentos: intercâmbios culturais entre Brasil e Portugal, (colloque, Rio de Janeiro, 2012), Rio de Janeiro, 2013, p. 412-423.

– TIRAPELLI, 2003 : Percival Tirapelli, Igrejas paulistas: barroco e rococó, São Paulo, 2003.

Perspective, 2 | 2013 118

– Tradição e Ruptura, 1984 : Tradição e ruptura: síntese da arte e cultura brasileira, (cat. expo., São Paulo, Fundacão Bienal de São Paulo, 1984-1985), São Paulo, 1984.

– TRINDADE C., 1958 : Cônego Raimundo Trindade, São Francisco de Assis de Ouro Preto, Rio de Janeiro, 1958.

– TRINDADE J., 1998 : Jaelson Bitran Trindade, « Corporação e as Artes Plásticas: o Pintor, de Artesão a Artista », dans O universo..., 1998, p. 246-269.

– VALLADARES, 1982-1991 : Clarival do Prado Valladares, Nordeste histórico e monumental, Salvador, 1982-1991.

– VASCONCELLOS, 1968 : Sylvio de Vasconcellos, Minas: cidades barrocas, São Paulo, 1968.

– WARNKE, 1989 : Martin Warnke, « On Heinrich Wölfflin », dans Representations, 27, 1989, p. 172-187.

NOTES

1. La riche production des universités, notamment brésiliennes, de thèses de doctorat et de mémoires de master, n’a pas été entièrement prise en compte ici en raison de l’accès restreint à ces textes. 2. Cornelius Gurlitt, Geschichte des Barockstiles, des Rococo und des Klassicismus in Belgien, Holland, Frankreich, England, Stuttgart, 1887-1889 ; Heinrich Wölfflin, Renaissance et baroque, Paris, 1961 [éd. orig. : Renaissance und Barock, Munich, 1888] ; Principes fondamentaux de l’histoire de l’art : le problème de l‘évolution du style dans l’art moderne, Paris, 1952 [éd. orig. : Kunstgeschichtliche Grundbegriffe: Das Problem der Stilentwickelung in der neueren Kunst, Munich, 1915]. 3. Jacob Burckhardt, Wilhelm Lübke, Geschichte der neueren Baukunst, Stuttgart, 1904 ; Wölfflin, (1888) 1961, cité n. 2 ; BAZIN, 1956-1958 ; Walter Benjamin, Ursprung des deutschen Trauerspiels, Berlin 1928 ; Omar Calabrese, L’età neobarocca, Bari, 1987. 4. « [...] Além de ser provavelmente, no Brasil, o primeiro a utilizar a palavra barroca em um sentido estilístico, Porto Alegre já esboça em suas reflexões uma teoria pendular da história da arte, baseada na idéia de um ir e vir entre formas clássicas e formas amaneiradas » (GOMES JÚNIOR, 1998, p. 41). 5. « [...] Desde que Wölfflin usou o termo como categoria estética positiva, a extensão dos cinco esquemas constitutivos de ‘barroco’ – pictórico, visão em profundidade, forma aberta, unificação das partes a um todo, clareza relativa – passou a ser ampliada [....] para em seguida classificar e unificar as políticas, as economias, as populações, as culturas, as ‘mentalidades’ e, finalmente, [as] sociedades européias do século XVII, principalmente as ibéricas contra-reformistas, com suas colônias americanas, na forma de essências: ‘o homem barroco’, ‘a cultura barroca’, ‘a sociedade barroca’ etc. Dedutivas e exteriores, as apropriações a-críticas de Wölfflin substancializam a categoria, constituindo ‘barroco’ como fato e essência que existem em si » (HANSEN, 2003, p. 172-173). 6. « [...] Mas o que ha de mais glorioso para nós é o novo estylo néo-colonial, que um grupo de architectos nacionaes e portuguezes, com o Sr. Ricardo Severo à frente procura lançar […] Não me consta que já tenha havido no Brasil uma tentativa de nacionalizar a architectura, estylizando e aproveitando os motivos que nos apresenta o nosso pequeno passado artístico, e formando construções mais adaptados ao meio. […] O néo-colonial que por aqui se discute é infinitamente mais audaz e de maior alcance. Si o público, bastante educado, ajudar a interessante iniciativa, teremos ao menos para a edificação particular (e é o que importa) um estylo nosso, bem mais

Perspective, 2 | 2013 119

grato ao nosso olhar, hereditariamene saudoso de linhas anciãs e proprio ao nosso clima a ao nosso passado » (cité dans BRESSAN, 1997, p. 67). 7. À partir de son article de 1941 (LEVY, 1941), Hannah Levy écrit son prénom avec un h final. 8. Ces articles peuvent être lus comme une thèse d’habilitation, qui équivaut en partie à la livre- docência au Brésil. 9. Rappelons dans ce contexte l’œuvre majeure de Carl Einstein, Die Negerplastik (Leipzig, 1915), qui propose une analyse de l’art africain délivré d’exotismes, s’insérant ainsi dans les paradigmes d’une nouvelle interprétation 10. « [...] constituem, na historia concreta, valores absolutos, mas, relativo » (LEVY, 1940, p. 188) ; « Esse sentido relativo dos valores evidencia-se se se considerar uma obra (sucessivamente) em relação à produção total de um só artista, a uma escola local, à história da arte de um país ou à história mundial da arte, etc. » (LEVY, 1940, p. 188). 11. « [...] Esta verificação não implica absolutamente, [c]omo consequência pela impossibilidade de qualquer julgamento, uma vez que ‘tudo é relativo’. Trata-se apenas de delimitar exatamente o alcance (concreto e teórico) do juizo expendido » (LEVY, 1940, p. 189). 12. « [...] a simples verificação da influencia exercida por uma determinada obra sobre outra não contem em si nenhum julgamento de valor. Somente um estudo minucioso relativo tanto à análise da estrutura artística interna e à análise histórica da obra que exerceu influencia como da obra que a sofreu decidirá a questão de saber que valor (histórico ou artístico) se deve atribuir a uma e outra das duas obras » (LEVY, 1940, p. 190-191). 13. « [...] Se amanhã um historiador trouxesse a prova irrefutável de que existe uma influência certa de tal obra de determinado artista europeu sobre as estátuas dos profetas de Congonhas, este fato seria certamente de grande interesse sob muitos aspetos. Mas o fato dessa influência em si não dirá jamais nada do valor histórico ou do valor artístico da obra de Antonio Francisco Lisboa » (LEVY, 1940, p. 191). 14. « [...] que grande número de pintores nacionais se utilizou de modelos da arte europeia. Daí o caráter eclético da pintura colonial, vista em conjunto, e daí também o caráter heterogêneo que se nota freqüentemente nas obras de um mesmo artista » (LEVY, 1944, p. 64). 15. « [...] os painéis traduziram perfeitamente o caráter dramático e agitado das representações gravadas [...] ou ainda ofereceram até um efeito mais dramático de que o das próprias gravuras originais [...]. Por outro lado, a impressão de agitação suscitada pelas pinturas resulta, também, da circunstância de haver o pintor, simplificando os fundos, concentrado [....] todo o interesse sobre as figuras humanas » (LEVY, 1944, p. 48-49). 16. Machado n’a pas pris en compte les développements de la théorie de Levy qui culminent dans Bedeutung und Ausdruck de Hanna Deinhard (DEINHARD, 1967). 17. « [...] A teoria de Balet [...] explica os fenômenos artísticos pelas suas relaç[õ]es s[c]om a totalidade das condições históricas existentes numa época determinada, [isto] nos parece ser, por isso mesmo, a [forma] mais apta a resolver também os problemas da historia da arte brasileira » (LEVY, 1941, p. 284). 18. Edward Said, L’Orientalisme : l’Orient créé par l’Occident, Paris, 1980 [éd. orig. : Orientalism: Western Representations of the Orient, Londres, 1978] ; Homi Bhabha, Nation and Narration, Londres, 1990 ; Homi Bhabha, Les Lieux de la culture : une théorie postcoloniale, Paris, 2007 [éd. orig. : The Location of Culture, Londres/New York, 1994]. 19. Jaynie Anderson éd., Crossing Cultures: Conflict, Migration and Convergence, (colloque, Melbourne, 2008), Carlton, 2009. 20. David Summers, Real Spaces: World Art and the Rise of Western Modernism, Londres/New York, 2003 ; Thomas DaCosta Kaufmann, Toward a Geography of Art, Chicago/Londres, 2004.

Perspective, 2 | 2013 120

21. L’auteur a organisé récemment la publication d’un dossier sur Manoel da Costa Ataíde qui est devenu l’étude la plus complète sur l’œuvre du peintre mineiro et a élargi les recherches antérieures, comme celle de Lélia Coelho Frota (FROTA, 1982 ; CAMPOS, 2005). 22. Voir http://ufpa.br/forumlandi (consulté le 10 novembre 2013).

RÉSUMÉS

Le présent article a pour but de présenter un panorama général des travaux historiographiques et artistiques concernant l’art colonial ou baroque au Brésil. Une subdivision thématique, chronologique et géographique ne permet plus une « histoire totale » englobant la production dans son ensemble. Nous avons donc choisi de montrer les axes principaux de l’activité scientifique. Les travaux critiques et la recherche sur le baroque au Brésil sont des champs d’investigation vastes et dynamiques. Le thème intéresse les historiens d’art depuis le XIXe siècle et, au XXe siècle, le baroque, symbole de l’art national et de l’origine de la spécificité esthétique brésilienne, s’est transformé en un vaste champ d’investigation. Cette opération n’était pas habituelle en ce qui concerne la production artistique latino-américaine. L’identification du baroque en tant qu’art national et les multiples débats sur les échanges plus ou moins importants avec les sources internationales, tout comme avec les syncrétismes formels locaux, européens, africains ou asiatiques, ont entraîné récemment un élargissement du débat et provoqué une révision des approches traditionnelles. De leur côté, celles-ci se sont transformées et perfectionnées grâce à la mise à disposition et à la systématisation accrues des données sur les arts des XVIIe et XVIIIe siècles.

The present article aims to present a general panorama of historiographical and artistic literature on colonial, or baroque, art in Brazil. Thematic, chronological, or geographical subdivisions are no longer sufficient for writing a “total history” embracing this production in its entirety. The authors have therefore chosen to focus on the principal orientations of scholarly output. Critical analyses and research on baroque in Brazil are vast and vibrant fields of investigation. A topic of interest to art historians beginning in the nineteenth century, the baroque, a symbol of national art and the origins of a specific Brazilian aesthetic, became in the twentieth century an extensive field of study. Such an operation was unusual for the artistic production of Latin America. The equation of baroque with a national art and the numerous debates on the extent of exchanges with international sources, as well as syncretism with local, European, African, and Asian formal elements, caused the debate to expand and traditional approaches to be revised. These approaches, in turn, were transformed and perfected by the increasing accessibility and systematization of data on arts from the seventeenth and eighteenth centuries.

O presente artigo pretende, assim, apresentar uma visão geral sobre a produção historiográfica e artística sobre a arte colonial ou arte barroca no Brasil. Qualquer subárea temática, cronológica e geográfica não permite mais uma “histoire total” que engloba a produção completa, mas optamos de mostrar os eixos principais da produção científica. A produção crítica e a pesquisa sobre o Barroco no Brasil são, ambas, campos vastos e dinâmicos. O tema interessa aos historiadores da arte desde o século XIX e, no século XX o Barroco transforma-se numa grade area de interesse, símbolo do nacional e da origem da especificidade estética brasileira, numa operação que nem

Perspective, 2 | 2013 121

sempre era regra no que tange a produção artística latinoamericana. A identificação do barroco com o nacional e os múltiplos debates sobre o maior ou menor intercâmbio com as fontes internacionais, assim como os sincretismos formais do local e do europeu, africano ou asiático determinam, recentemente, a ampliação do debate, provocando uma revisão das abordagens tradicionais. Estas, por sua vez, transformam-se, aperfeiçoam-se com a disponibilidade e a sistematização cada vez maior de dados referentes às artes dos séculos XVII e XVIII.

Der vorliegende Artikel versucht, einen generellen Überblick über die historiographischen und künstlerischen Arbeiten im Bereich der Kolonialkunst, oder Kunst des Barock, in Brasilien zu geben. Eine thematische, chronologische und geographische Unterteilung kann jedoch keiner „totalen Geschichte“ mehr von der Produktion in ihrem Ganzen entsprechen. Dementsprechend konzentriert sich der Artikel auf den Hauptachsen der Forschung. Die kritischen Untersuchungen und die Forschung im Bereich des Barock in Brasilien sind ein vielfältiges und dynamisches Feld. Das Thema interessiert die Kunsthistoriker seit dem 19. Jahrhundert, während sich der Barock im 20. Jahrhundert als Symbol nationaler Kunst und als Ursprung der spezifisch brasilianischen Ästhetik zu einem umfangreichen Forschungsfeld gewandelt hat. Eine ungewöhnliche Entwicklung im Blick auf die künstlerische Produktion Lateinamerikas. Die Identifizierung des Barock als nationale Kunst, die zahlreichen Diskussionen über den mehr oder minder starken Austausch mit internationalen Quellen und mit formalen Synkretismen, seien sie lokaler, europäischer, afrikanischer oder asiatischer Natur, haben unlängst zur Erweiterung der wissenschaftlichen Diskussion beigetragen und ein kritisches Überdenken der traditionellen Herangehensweisen mit sich gebracht. Letztere wiederum verändern und verbessern sich dank der verstärkten Zugänglichkeit und Systematisierung der Daten, die die Künste des 17. und 18. Jahrhunderts betreffen.

Questo articolo vuol presentare un panorama generale dei lavori storiografici e artistici relativi all’arte coloniale, o arte barocca, in Brasile. Una suddivisione tematica, cronologica e geografica non consente più di scrivere una “storia totale” che abbracci la produzione nel suo insieme. L’autore del saggio ha pertanto scelto di mostrare gli assi principali della ricerca scientifica. Gli studi critici sul barocco in Brasile costituiscono dei campi di investigazione vasti e dinamici. Il tema interessa gli storici dell’arte dall’Ottocento e, nel Novecento, il barocco, simbolo dell’arte nazionale e dell’origine della specificità estetica brasiliana, è divenuto un vasto spazio di investigazione – un’operazione che non era frequente per la produzione artistica latino- americana. L’identificazione del barocco con l’arte nazionale e i molteplici dibattiti sullo scambio più o meno profondo con le fonti internazionali, o ancora con i sincretismi formali locali, europei, africani o asiatici, hanno condotto di recente ad un allargamento del dibattito e hanno provocato una revisione degli approcci tradizionali. Dal canto loro, questi ultimi si sono trasformati e perfezionati grazie alle sempre maggiori messa a disposizione e sistematizzazione dei dati relativi alle arti del XVII e del XVIII secolo.

Este artículo pretende dar un panorama general de los trabajos historiográficos y artísticos relacionados con el arte colonial, o arte barroco, en Brasil. Una subdivisión temática, cronológica y geográfica ya no permite una “historia total”, que abarque el conjunto de la producción. Por lo tanto se tomó el partido de presentar los principales ejes de la actividad científica. En efecto, los trabajos críticos y de investigación sobre el barroco en Brasil son abundantes y dinámicos. Tema de interés para los historiadores del arte desde el siglo XIX, el barroco, símbolo del arte nacional y de los orígenes de la especificidad estética brasileña, se ha convertido en un amplio espacio de investigación en el s. XX; fenómeno nada habitual en lo que a la producción artística latinoamericana se refiere. La identificación del barroco como arte nacional y los numerosos debates sobre el intercambio más o menos importante con las fuentes internacionales, con los sincretismos formales locales, europeos, africanos o asiáticos, han acarreado recientemente una

Perspective, 2 | 2013 122

ampliación del debate y una revisión de los enfoques tradicionales. Éstos, a su vez, se han visto transformados y perfeccionados gracias al acceso y a la cada vez mayor sistematización de los datos referentes a las artes de los siglos XVII y XVIII.

INDEX

Mots-clés : architecture, art colonial, arts décoratifs, baroque, littérature, modernisme, nationalisme, sculpture, urbanisme Keywords : architecture, baroque, colonial art, decorative arts, literature, modernismo, nationalism, sculpture, urban studies Index géographique : Bahia, Brésil, Minas Gerais, Pernambouc, Rio de Janeiro, São Paulo Index chronologique : 1600, 1700, 1900

AUTEURS

JENS BAUMGARTEN Professeur à l’Universidade Federal de São Paulo, où il a fondé le département d’histoire de l’art. Chercheur invité au Getty Research Institute, à l’université de Zurich et à l’INHA, il travaille sur l’art moderne en Amérique Latine et en Europe, ainsi que sur l’historiographie et le néobaroque.

ANDRÉ TAVARES Docteur en histoire de l’art de l’Universidade estadual de Campinas. Ses recherches portent sur la circulation des modèles artistiques et œuvres d’art en Italie, au Portugal et au Brésil entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Chercheur invité au Getty Research Institute, il étudie actuellement la présence de l’art anglais dans les collections brésiliennes.

Perspective, 2 | 2013 123

Histories of nineteenth-century Brazilian art: a critical review of bibliography, 2000-2012

Histoires de l’art brésilien du XIXe siècle : un bilan critique de la bibliographie, 2000-2012 Histórias da arte brasileira do século XIX: uma revisão critica da bibliografia Geschichten der brasilianischen Kunst des 19. Jahrhunderts : eine kritische Bilanz der Bibliographie, 2000-2012 Storie dell’arte brasiliana dell’Ottocento: un bilancio critico della bibliografia, 2000-2012 Historias del arte brasileño del siglo XIX: un balance crítico de la bibliografía, 2000-2012

Rafael Cardoso

1 The history of nineteenth-century Brazilian art has undergone major changes over the first years of the twenty-first century. It would be no exaggeration to say that more has been done in the past twelve years than in the entire preceding century, at least in terms of a scholarly approach to the subject. A statement so sweeping needs to be qualified, of course, and it is the aim of the present text to do just that. This essay will attempt to give an overview of the historiography of nineteenth-century Brazilian art as it stands currently, focusing particularly on the publication of books, but also taking into account the production of catalogues, journals, scholarly articles, and websites. Since it is impossible to make sense of scholarship without understanding the social structures underlying it, some mention will also be given to the institutions involved in promoting art-historical knowledge and their relationship to the particular field of nineteenth-century art.

2 Until the 1980s, the study of nineteenth-century art was still plagued by Modernist antagonism to the idea of the “academic,” which lumped together the vast majority of the art produced during the 1800s under that label and relegated it to a position as a

Perspective, 2 | 2013 124

subject almost unworthy of study. This was true pretty much all over the world, despite the pioneering work undertaken in the 1970s by scholars such as T. J. Clark, Linda Nochlin, and Albert Boime. The reversal of this trend gained momentum internationally in the mid- to late 1980s, contributing to what became known in the Anglo-American world as “the new art history.”1 The symbolic date for this great shift – which made it possible, and indeed requisite, to think about nineteenth-century art in a new light – is the inauguration of the Musée d’Orsay in 1986, the echoes of which were heard even in Brazil. It is noteworthy, however, that this movement did not impact Brazilian art history directly at that time. Most of the authors associated with this shift of art-historical perspective were not made available in Brazil until many years later. A single example will suffice: even a book as important and popular as Clark’s The Painting of Modern Life was only translated into Brazilian Portuguese in 2004, nearly twenty years after its appearance in English.2

3 Apart from dictionaries and encyclopedias of art, catalogues of private collections, and a few monographs on specific artists – most notably those published by Edições Pinakotheke – there was practically only one book dedicated to the history of nineteenth-century Brazilian art before the 1990s: História da pintura brasileira no século XIX, by the artist and critic Quirino Campofiorito, published in 1983.3 Though it was a daring initiative for its time – when nineteenth-century art was still widely perceived in Brazil as being unworthy of study – Campofiorito’s evaluation was steeped in Modernist rhetoric and prejudices against the “academic.” It is worlds apart from the new way nineteenth-century art was being treated in Europe and the United States at exactly the same time and only merits listing because of the absolute dearth of literature on the topic. The book is symbolic of a then prevailing culture of art history produced by authors who were not trained as art historians and, all too often, were in fact not even scholars. Well into the 1990s, the history of Brazilian art tended to be written by artists, art critics, and architects, as well as a handful of university professors teaching in departments of art, art education, literature, or communications. Professional art history is, in Brazil, a product of the last twenty years.

4 Not until the 1990s did the worldwide shift of opinions on the history of nineteenth- century art begin to make a dent on the Brazilian publishing and exhibition scene. A notable early example was the exhibition O desejo na Academia 1847-1916, staged at the Pinacoteca do Estado de São Paulo in 1991 and curated by Ivo Mesquita (who is presently director of that institution), which generated a catalogue of the same title.4 Coincidentally or not, this was also the period when the first postgraduate programs dedicated to art history came into being at the Universidade Estadual de Campinas (Unicamp), in the state of São Paulo, and at the Universidade Federal do Rio de Janeiro (UFRJ). The latter institution held an academic seminar in 1996 entitled 180 Anos da Escola de Belas Artes, the published annals of which may well constitute the first significant attempt to re-evaluate the history of nineteenth-century art in Brazil.5 This was followed, in the year 2000, by a display focusing on nineteenth-century art within the framework of the so-called Mostra do Redescobrimento, a series of exhibitions with which the Bienal de São Paulo commemorated the five-hundredth anniversary of Brazil’s discovery by the Portuguese. Among the various catalogues produced for this major event, a volume on nineteenth-century art was edited by Nelson Aguilar, with a worthy contribution by Italian art historian Luciano Migliaccio, who is the author of

Perspective, 2 | 2013 125

one of the only accounts of the subject available in a language other than Portuguese (Arte do século XIX, 2000).

5 This was, essentially, the situation at the time when the present critical review begins, in the year 2000. It is no exaggeration to say that the entire twentieth century had to elapse before Brazilian society was prepared to engage critically with the artistic legacy of its nineteenth century; but it has done so with a vengeance over the past twelve years, producing a body of scholarship on the subject that is happily much too extensive to list in a single bibliography or cover exhaustively in any one review. Having made such a claim, it is perhaps wise to step back and away from any sort of triumphalism. Despite recent gains, the history of nineteenth-century art in Brazil still has a very long way to go. There are more gaps and lacunae in knowledge than substantive scholarly debate. Only a small minority of nineteenth-century artists, for instance, have been the subject of monographs or historical retrospectives of their work. Even major names, such as Rodolpho Amoedo, Rodolpho Bernardelli, Henrique Bernardelli, or João Zeferino da Costa are inexplicably neglected. Those who have been studied are often restricted to a single book or author, with the outmoded tendency of scholars claiming an artist as their own exclusive possession still prevalent. A lacuna that reveals the lingering influence of Modernist prejudices is the dearth of new writing on Brazilian architecture in the nineteenth century. It was, after all, chiefly in the field of architecture that Modernism established its dominance in 1930s Brazil; and an important aspect of the rhetorical strategy employed by writers on architecture was to discredit the nineteenth-century predilection for historicism and ornament. Although a few article-length studies have appeared in the online journal 19&20 – e.g., Nivaldo Vieira de Andrade Junior’s “A influência italiana na modernidade baiana: O caráter público, urbano e monumental da arquitetura de Filinto Santoro” (vol. 2, no. 4, 2007) or Bernardo Domingos de Almeida’s “Portal da antiga Academia Imperial de Belas Artes: A entrada do Neoclassicismo no Brasil” (vol. 3, no. 1, 2008) – a substantial revision of views on nineteenth-century architecture is still lacking.

6 By and large, the historiography of nineteenth-century Brazilian art continues to suffer from three long-standing ills: it is still not scholarly enough, usually falling short of rigorous academic standards in terms of research methodologies, cross-referencing, and citations; it is still not historical enough, very often failing to engage with the major political, economic, social, and cultural problems that occupy historians involved in other aspects of nineteenth-century studies; it is still divided along sectarian and parochial lines, refusing to recognize trans- and interdisciplinary aspects of how fine art relates to other visual expressions such as photography, graphic arts, craft, and popular art – all hugely important in the Brazilian nineteenth-century context – and also skirting discussion with academic peers in other fields and rival institutions. Despite recent efforts to bridge divides, the historiography of nineteenth-century Brazilian art is still fragmented by tensions that reflect personal and institutional groupings, rather than along methodological lines or theoretical positions. The depressing result is that authors all too often fail to cite the work of fellows, either out of ignorance or contempt, leaving the period to fester in its own inability to coalesce as a convincing field of study.

Perspective, 2 | 2013 126

General surveys

7 For the reader who is approaching nineteenth-century Brazilian art for the first time, at least three good introductions are available, all published between 2006 and 2008. Perhaps the best known is Jorge Coli’s Como estudar a arte brasileira do século XIX?, a short book that offers methodological guidelines for thinking about the subject based on the author’s readings of a few key works (COLI, 2005). A similar approach, based on a slightly wider range of examples, is A arte brasileira em 25 quadros by Rafael Cardoso (author of the present essay), which seeks to explore a cultural historical understanding of the long, long nineteenth century through analysis of twenty-five key works produced between 1790 and 1930 (CARDOSO, 2008). The third introduction is Arte brasileira no século XIX by Sonia Gomes Pereira, which, of the three, makes the most deliberate effort to structure the topic as an integrated narrative, focusing on the pivotal role of the Imperial Academy (PEREIRA, S. G., 2008). It is worth noting that Coli and Gomes Pereira are senior representatives of the two university programmes mentioned above – Unicamp and UFRJ, respectively.

8 For readers who want to dive into the pulsing stream of contemporary research on the histories of nineteenth-century Brazilian art, three other books, going by the general title of Oitocentos and with distinct subtitles for each of the volumes in the series, represent the state of the art of what is being currently produced (VALLE, DAZZI, CAVALCANTI, 2008; VALLE, DAZZI, 2010; VALLE, DAZZI, PORTELLA, 2013). All three are huge anthologies, containing the work of many dozens of contributing authors, and all are edited by the same group of scholars, revolving around Arthur Valle, of the Universidade Federal Rural do Rio de Janeiro, UFRRJ), and Camila Dazzi, of the Centro Federal de Educação Tecnológica (Cefet-RJ), both of whom are also responsible for the website Dezenovevinte (more on that later). Valle, Dazzi, and their collaborators offer a rich cross-section of the research and scholarship available in Brazil today, with a refreshing lack of institutional bias or distinction by orientation and methodology. If someone is doing research on nineteenth-century Brazilian art, they are likely to be included in at least one of these volumes. Due to their broad and inclusive nature, of course, these anthologies contain very discrepant levels of scholarship – from the brilliant to the not so brilliant. Undoubtedly, they reflect the general level of art- historical research currently available in Brazil.

Landscape and other genres

9 The genres of painting have often provided a useful analytical tool for structuring discussions of nineteenth-century art, and it is no surprise that they have affirmed their place in the current Brazilian historiography. Portraiture is the subject of Alberto Cipiniuk’s A face pintada em pano de linho, a work that unfortunately falls short of the breadth of the topic it aims to cover (CIPINIUK, 2003). A better reference on portraiture is Elaine Dias’s article “A representação da Realeza no Brasil: Uma análise dos retratos de D. João VI e D. Pedro I, de Jean-Baptiste Debret,” published in the jornal Anais do Museu Paulista (vol. 14, no. 1, Jan.-June 2006). The nude is the focus of Ana Paula Nascimento’s O nu além das academias, the catalogue of a small exhibition held at the Pinacoteca do Estado de São Paulo (NASCIMENTO, 2011), which updated the discussion launched twenty

Perspective, 2 | 2013 127

years earlier in that same institution by O desejo na academia. The nude is also taken up by Camila Dazzi in the article “O nu feminino na Argentina e no Brasil,” published on the website Artciencia.com (vol. 7, no. 14, Sept. 2011-Feb. 2012). Other genres, like still life and religious painting, have not rated recent book-length studies, although Luiz Alberto Ribeiro Freire’s A talha neoclássica na Bahia is an important contribution to the wider field of sacred art, focusing on the interior architecture of churches in nineteenth-century Bahia (FREIRE, 2006).

10 As the queen of academic genres, history painting is, of course, a topic of vital interest, particularly in Brazil where the most heated artistic debates of the nineteenth century invariably revolved around it. Of particular note is the polemic between Víctor Meirelles and Pedro Américo, the two greatest history painters of nineteenth-century Brazil, around the Salon of 1879, explored by the author of the present essay in a 1999 article (republished in the online magazine 19&20, vol. 2, no. 3, 2007). Curiously enough, though, history painting has received comparatively little attention in book form, with a few worthy exceptions (FIGUEIREDO, 2004; COLI, 2005; CARDOSO, 2008; BORGES, CORNELLES, 2009; FLORES, PETERLE, 2012). In addition, Cláudia Valladão de Mattos has written on Pedro Américo’s late history painting in the volume Arte americano e independencia: Nuevas iconografías ( GUZMÁN, MARTINEZ, 2010), picking up on earlier work on Américo done by her in the 1990s.6 History painting has been more often discussed, of late, in academic journals: for instance, Maraliz Castro Vieira Christo’s writings on the subject, including the articles “Bandeirantes ao chão” in Estudos Históricos (vol. 2, no. 30, 2002); “A pintura de história no Brasil do século XIX: Panorama introdutório” in Arbor (vol. 185, no. 740, 2009); and “Caupolicán, Atahualpa, Aimberê e Cuauhtémoc: Índios vencidos na pintura histórica latino-americana” in Portuguese Studies Review (vol. 18, no. 1, 2010).

11 Among the various genres, landscape has proven to be the most fruitful in terms of the quantity and variety of work produced. Ana Maria de Moraes Belluzzo’s lavish three- volume study of O Brasil dos viajantes, published in the 1990s, was a work that broke new ground, opening the way for much of what has been done since.7 Despite its narrow focus in terms of place and period, Ruth Sprang Tarasantchi’s Pintores paisagistas: São Paulo, 1890 a 1920 became an instant success upon its publication in 2002, precisely because of its ability to weave previously desultory information about a group of understudied regional painters into a coherent argument about the representation of landscape and the affirmation of cultural identity (TARASANTCHI, 2002). On the opposite end of the spectrum, focusing on wider issues of influence and style, Claudia Valladão de Mattos’s work on the impact of Johann Wolfgang von Goethe, Jacob Philipp Hackert, and Alexander von Humboldt on ideas of landscape has been published both in article form in the journal Terceira Margem (vol. 8, no. 10, 2004), “A pintura de paisagem entre arte e ciência: Goethe, Hackert, Humboldt,” and, more recently, as a book entitled Goethe e Hackert sobre a pintura de paisagem: Quadros da natureza na Europa e no Brasil (MATTOS, 2008). She has also published a series of articles on Johann Joachim Winckelmann which, though not strictly covered by the remit of the present review, are important in situating the classicizing tradition and its relevance for the history of Brazilian art in the nineteenth century.8

12 An author whose work on nineteenth-century landscape has been consistently underestimated is Carlos Martins, who staged a series of major exhibitions on the subject between 1999 and 2013, including the groundbreaking O Brasil redescoberto, held

Perspective, 2 | 2013 128

at Paço Imperial in Rio de Janeiro in 1999.9 Alongside Valéria Piccoli, with whom he often works collaboratively (see the exhibition on Nicolau Antônio Facchinetti and the accompanying catalogue: Facchinetti, 2004), Martins has helped reshape critical understanding of Brazil’s representations of landscape. The fact that both he and Piccoli are rarely referenced can, perhaps, be attributed to the fact that their work has been presented mostly in the form of exhibitions and catalogues, in which their names are not always cited prominently, rather than as individually authored books. Both are presently active as curators in the Pinacoteca do Estado de São Paulo, which houses the important Brasiliana collection that is the subject of a 2006 book edited by Roberto Bertani (BERTANI, 2006).

13 Another author whose work on nineteenth-century landscape is largely dispersed as essays and articles in various books, catalogues and journals is Vera Beatriz Siqueira, of the Universidade do Estado do Rio de Janeiro (UERJ). In the bibliography accompanying this text, her name appears most prominently as the co-editor of two broad-ranging anthologies of art-historical writings produced at UERJ’s Instituto de Artes. However, Siqueira’s work on landscape figures in several volumes to which she has contributed essays, including Castro Maya, colecionador de Debret (Castro Maya…, 2003), Coleção Brasiliana/Fundação Estudar (BERTANI, 2006), and Nicolas-Antoine Taunay no Brasil: Uma leitura dos trópicos (SCHWARCZ, DIAS, 2008). One of the editors of the latter volume, Elaine Dias, is the author of the book Paisagem e academia, an in-depth study of the place of landscape painting in the structuring of the Imperial Academy of Fine Arts, Brazil’s leading artistic institution in the nineteenth century (DIAS, 2009). As one of the few works to cross a thematic approach with a biographical one – the focus is on Félix- Émile Taunay, the landscape painter under whose direction the Academy was effectively organized – this book is a key contribution to the larger debate on nineteenth-century art, transcending issues of both biography and genre.

Biographies and monographs

14 The importance of biography can, certainly, never be ruled out in art history. Despite the methodological preference of contemporary art-historical practice for thematic approaches, both publishers and public retain a predilection for the lives and individual oeuvres of artists. As a result, monographic studies and exhibitions continue to hold a pivotal place. Among the nineteenth-century artists who have attracted the most attention in recent years are Jean-Baptiste Debret (Castro Maya…, 2003; BANDEIRA, LAGO, 2007; LIMA, 2007), Nicolas-Antoine Taunay (LAGO, 2008; SCHWARCZ, 2008; SCHWARCZ, DIAS, 2008); Eliseu Visconti (Eliseu Visconti, 2007, 2012; SERAPHIM, 2008; OLIVEIRA, 2008; VISCONTI, 2012) and Pedro Weingärtner (Pedro Weingärtner, 2008, 2009). Numerous other artists have been the subject of at least one monographic study, including Arnaud- Julien Pallière, Pedro Américo, Victor Meirelles, Almeida Júnior, Nicolà A. Facchinetti and Carlos Oswald. In some of these instances, the source of interest can be traced to one or two scholars who have studied an artist over many years and managed to raise awareness of his (or, rarely, her) oeuvre through exhibitions and books. This is assuredly the case with Júlio Bandeira’s work on Debret or Mirian N. Seraphim’s on Visconti. In other instances, a more worrying aspect of the monographic insinuates itself in terms of an unclear relationship with the art market. The present vogue for catalogues raisonnés in Brazil would appear to owe less to purely scholarly interests than

Perspective, 2 | 2013 129

to the ambition of collectors to satisfy the demands of an increasingly voracious appetite for nineteenth-century Brazilian art. In such a context, inclusion in or exclusion from a compendium of an artist’s complete works is a burning issue. One problematic aspect of art-historical studies that demands serious attention in Brazil is the attribution of works by dealers, collectors, heirs, and even curators, at least some of which continues to proceed with a dismaying lack of regard for scholarship.

Thematic approaches

15 Scholarly excellence is more readily found in books that devote attention to a wider theme, cutting across issues of genre or biography. A good example is O Rio de Janeiro dos viajantes: O olhar britânico (1800-1850) by Luciana de Lima Martins, a historical geographical account of how Brazil was viewed in Britain during the first half of the nineteenth century, revolving around iconography (MARTINS, L., 2001). Carlos A.M. Lima’s Artífices do Rio de Janeiro (1790-1808) is exemplary of sound scholarship and a concern for relating art to wider social and cultural issues (LIMA, C., 2008). Based on research in largely unexplored primary sources, the book investigates the role of artisan corporations in late colonial Brazil, providing invaluable insights into the ways in which art circulated prior to the onset of the academic system in the 1820s. For readers with a particular interest in this subject, a special volume of Portuguese Studies Review (vol. 18, no. 1, 2010) dedicated to “Iconography and History: Craftsmen, Tradesmen, Artists and Brazil (18th and 19th centuries)” is a useful reference.

16 A focus on the social constraints surrounding the production of nineteenth-century art can also be found in Ana Paula Cavalcanti Simioni’s Profissão artista, one of the very few books to engage with the difficulties faced by women artists in the patriarchal culture of Brazil (SIMIONI, 2008). Likewise devoted to a theme close to issues of femininity and gender roles, Marize Malta’s O olhar decorativo is an impressive and lively exploration into a subject that brings together decorative arts, illustrated magazines, art education, and the history of taste and of the gaze, cutting across traditional boundaries that tend to split up complex topics into simplified categories of media and/or authorship (MALTA, 2011). In the spirit of recognizing excellence in scholarship, it is impossible not to single out the work of Letícia Squeff, who has made a lasting contribution to the history of Brazilian art in the nineteenth century with two books. The first, O Brasil nas letras de um pintor, is a study of Manuel de Araújo Porto-Alegre, the artist and thinker who comes closest to qualifying as the “father” or “inventor” of Brazilian culture (SQUEFF, 2004). The second is Uma galeria para o Império, a work dealing with the riveting debates surrounding the formation of a “Brazilian school” of painting in 1879 (SQUEFF, 2012). By tackling these two strategic subjects – not unrelated, it should be said – Squeff has struck at the heart of how art contributed to the issue of national identity in nineteenth-century Brazil, managing all the while to avoid the tired dogmas that have surrounded this topic in the past.

Internet resources

17 No account of excellence of scholarship in the field would be complete without renewed reference to the writings of Arthur Valle and Camila Dazzi, cited above as co-

Perspective, 2 | 2013 130

editors of the three volumes of Oitocentos. Though they are little published, as yet, in book form, both Valle and Dazzi have produced a substantial body of work over the past five years, much of which is available on the website Dezenovevinte. Among the many outstanding pieces of research and reflection authored by the pair and published online are three recent articles by Dazzi, “Revendo Henrique Bernardelli” (vol. 2, no. 1, 2007), “Pedro Weingärtner e a pintura neo-pompeiana” (vol. 4, no. 2, 2009) and “A produção dos professores e alunos da Escola Nacional de Belas Artes na Exposição de Chicago de 1893” (vol. 6, no. 4, 2011), as well as “Ver e ser visto nas Exposições Gerais de Belas Artes do Rio de Janeiro” (vol. 8, no. 1, 2013) by Valle, whose own research is more focused on the early twentieth century. The problem of authors whose work is under- recognized because it has not yet appeared in book form is not restricted to Brazil, but it is recurrent in the historiography of nineteenth-century Brazilian art. Besides the scholars already cited, mention should be made of Ana Paula Cavalcanti Simioni, whose excellent study of Brazilian artists in Paris, “A viagem a Paris de artistas brasileiros no final do século XIX,” was published in the journal Tempo Social (vol. 17, no. 1, 2005). Ana Maria Tavares Cavalcanti, Claudia Valladão de Mattos, Elaine Dias, and Letícia Squeff are likewise authors whose work has been published much more extensively in journals and essays than as books. Updated bibliographies for these and other researchers are easily obtained online through the Lattes platform of the Brazilian National Research Council (CNPq; see http://lattes.cnpq.br).

18 The website Dezenovevinte.net, created and maintained by Valle and Dazzi, is definitely worthy of separate mention. Conceived and developed as a labour of love – that is to say, without institutional support – the site came into being around 2006, originally as a means of making out-of-print articles by veteran scholars available and providing a forum for publication of new work by young researchers. Since then, it has grown into what is probably the most important online database for information and studies on Brazilian art of the nineteenth and early twentieth centuries. Apart from the many dozens of articles included in its quarterly electronic journal 19&20, now in its eighth volume, the site also contains a wealth of primary resources such as exhibition catalogues, articles in the contemporary press, correspondence, texts by artists and other archival documents, as well as links to hundreds of images, all made freely available through the tireless efforts of its creators. If there is one project in Brazil relating to the history of nineteenth-century art that cries out for institutional support, this is it. That so much hard and fruitful work might not be kept up, through lack of funds, would be a setback to the entire field. Dezenovinte is not the only online resource, of course. Itaú Cultural’s Enciclopédia de Artes Visuais is, as the name suggests, an encyclopedic reference tool for Brazilian art. Due to its very vastness, though, covering all time periods, it is necessarily limited in terms of the depth of scholarship it provides. Sadly, considering the vast wealth of the institution behind it, Itaú Cultural’s encyclopedia is all too often outdated or unreliable in the factual information it provides on nineteenth-century art. Whereas Dezenovevinte has done so much with so little, Itaú Cultural proves that excellence in scholarship is not simply a matter of spending money.

Perspective, 2 | 2013 131

Institutions: museums, universities, publishers

19 Institutions play a vital role in keeping the histories of nineteenth-century art alive in Brazil, and three key categories should be cited for their important part in the production of art-historical knowledge: museums and libraries, universities, and publishers. Museums have long been the guardians, in Brazil, of nineteenth-century art; and it is impossible to conceive of the field without the precious collections of the Museu Nacional de Belas Artes, Biblioteca Nacional, Museu Histórico Nacional, Museu Imperial, Museus Castro Maya, Arquivo Nacional, Casa de Rui Barbosa and Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro, all located in Rio de Janeiro, which house between them the vast majority of paintings, sculpture, prints and drawings, photographs, books, and magazines of interest to nineteenth-century scholars. Despite the preponderance of Rio-based archives and collections for the field, though, it is in São Paulo that the most important work has been done over the past decade in reshaping the histories of nineteenth-century Brazilian art. A single institution – the Pinacoteca do Estado – has achieved the greatest impact, particularly through a series of exhibitions on three leading artists of the late nineteenth century: Almeida Júnior, Pedro Weingärtner and Eliseu Visconti. The work done at Pinacoteca, both in terms of temporary exhibitions and in organizing the Brasiliana collection of the Fundação Estudar, has consistently contributed to advancing research and publications in the field. A re-hang of the museum’s permanent exhibition was inaugurated in 2011 under the leadership of former director Marcelo de Mattos Araújo and conceived by a team led by Ivo Mesquita and Valéria Piccoli, and is summarized in the guide Arte no Brasil (Arte no Brasil, 2011). It has set a new standard for exhibiting nineteenth-century art in Brazil, leaving the federal institutions in Rio de Janeiro with a lot of catching up to do.

20 Universities are another category of institution worth discussing in terms of the production of art-historical knowledge, and they are responsible for taking art history into a newly professionalized stage in Brazil. Six universities currently offer undergraduate and/or postgraduate degrees specifically focused on art history, as opposed to the more traditional structure of courses in the visual arts with an art history component. They are the three universities previously mentioned, Unicamp, UFRJ and UERJ, and the relative newcomers, Universidade Federal de São Paulo (Unifesp), Universidade Federal do Rio Grande do Sul (UFRGS), and Universidade Federal da Bahia (UFBA). This is not the place to discuss the quality of educational provision at these institutions, but rather an occasion to comment on their effectiveness in terms of promoting the publication of art-historical research. All have been active, to some degree, in producing journals, annals, and other publications. The proliferation of academic journals, many of which are listed in the accompanying bibliography, is largely a phenomenon of the universities. Another important outlet for art-historical writings is the volume of annals resulting from the annual colloquium of the Comitê Brasileiro de História da Arte, affiliated with the Comité international d’histoire de l’art (CIHA), which has come to function in recent years as a sort of informal pool of the main university-based postgraduate courses. Among the universities, Unicamp is at a slight advantage in the publication of books due to the excellence of its university press, as well as good relations with the Editora da Universidade de São Paulo (Edusp), the most important university press in Brazil, also located in the state of São Paulo. The research council of the state of Rio de Janeiro, the

Perspective, 2 | 2013 132

Fundação de Amparo à Pesquisa do Estado do Rio de Janeiro (Faperj), recently instituted a programme for supporting academic publications (modeled on the similar system long in place in São Paulo), with notable successes in the field of art history over the past three years. It is to be hoped that Faperj will maintain this valuable initiative.

21 Besides the main university presses that publish art history (Editora Unicamp, Edusp, EdUERJ, Editora UFMG, Editora UFRJ), a number of commercial publishers have also taken an interest in the field of nineteenth-century art over the past decade. Among these, the most interesting are small publishing houses like Mercado de Letras, in Campinas; Ateliê Editorial, in São Paulo; Mauad X and Garamond, in Rio de Janeiro; and C/Arte, in Belo Horizonte. These publishers have brought out books of a high intellectual standard in the field, with varying levels of editorial quality. Unfortunately, the major commercial publishers have still not shown much willingness to invest in nineteenth-century Brazilian art. Cosac Naify, which is the trendsetting publisher for art, design, and architecture in Brazil, still displays an almost Modernist contempt for the period. Among its hundreds of published titles, virtually none focus on the nineteenth century. Companhia das Letras, the market leader for literature and one of the major contenders in the humanities and social sciences in general, created a collection on the social history of art which, over the past decade, has helped bring names as important as Michael Baxandall, T. J. Clark and Svetlana Alpers closer to Brazilian audiences. However, the art history produced in Brazil appears to be of little interest to them. A close inspection of the bibliography accompanying this text will bear out that the dearth of publishers committed to the subject is still a bottleneck for histories of nineteenth-century Brazilian art.

22 The apparent lack of interest on the part of big publishers is understandable. Brazilian art of the nineteenth century is not exactly a subject with huge commercial appeal. In a country where most people still aspire to being “modern,” nineteenth-century culture and tastes are often perceived as outdated or even embarrassing. The same segments of Brazilian society that will flock to see an exhibition of French impressionism may very well take little or no interest in its Brazilian counterpart. Generally speaking, the art produced in Brazil before the 1920s has never recovered from the brutal campaign of anti-“academic” propaganda with which the Modernist movement buried it. It is still widely perceived, even among people who should know better, as being “deficient” in terms of artistic quality and “derivative” in terms of its relationship with European models. This is not the place to challenge the obvious fallaciousness and bias of the assumptions that underlie such thinking. The fact is they are still with us, although the large attendance and good critical reception of recent exhibitions of Almeida Júnior, Weingärtner or Visconti would suggest this is changing slowly. What is worth exploring here is how art historians themselves have contributed to perpetuating this stereotype of the irrelevance of nineteenth-century art.

Graphic arts, photography and craft

23 As suggested at the start of the present text, the Brazilian art-historical establishment (if it may be so termed) is guilty of a few cardinal sins, which have contributed to its insularity and kept it apart from wider debates in academia and society. First and foremost, a considerable contingent of Brazilian art history continues to structure itself around an elitist understanding of art firmly entrenched in a beaux-arts tradition that

Perspective, 2 | 2013 133

would have been conservative by the standards of 1913, much less 2013. For many art historians in Brazil – if not most of them – design, graphic arts, and photography are certainly not worthy of being considered in the same light as the so-called fine arts. Most art historians still enforce an artificial separation between painting, sculpture, and architecture on the one hand and everything else on the other. Though such a split would be problematic anywhere, it is particularly preposterous in Brazil, a country where many fine artists were also active as graphic artists (e.g., Manuel Araújo Porto- Alegre, Pedro Américo, Belmiro de Almeida) and where even the Academy was open to exhibiting photographs alongside paintings, due to the sheer precariousness of an art world that was too small in the nineteenth century to allow for segmentation. This elitist disregard for other forms of artistic expression is art history’s loss, since much of the most exciting work done in recent years has taken place in precisely these fields. The author of the present essay can easily be written off as a biased observer, considering the extensive amount of work undertaken by him in the history of graphic arts and printing in nineteenth-century Brazil (CARDOSO, 2005, 2009; HEYNEMANN, RAINHO, CARDOSO, 2009), but, biased though he may be, he is certainly not alone.

24 The present reevaluation of the importance of printing and periodicals as evidence for making sense of Brazilian cultural history in the nineteenth century began early in the decade with Ana Luiza Martins’s Revistas em revista, a lavish and groundbreaking study of illustrated magazines in São Paulo just prior to the outbreak of full-blown Modernism (MARTINS, A. L., 2001), as well as Marlyse Meyer’s Do almanak aos almanaques, focusing on that all-important source of information on Brazilian society in the nineteenth century, the humble almanac (MEYER, 2001). The renewal of the study of prints and print culture matured into A imagem gravada by Renata Santos (SANTOS, R., 2008), the most substantial and well-researched work on the subject since the now classic sources of the 1970s.10 Santos’s volume stands out as an authoritative account of the early decades of Brazilian printing and begs the question of how soon someone will continue to pursue this essential topic through the second half of the nineteenth century. Of special relevance to anyone with an interest in caricature and the periodical press are the works of Isabel Lustosa, particularly the voluminous Imprensa, humor e caricatura, which provides multiple viewpoints on this practice as it relates to the issue of cultural types and stereotypes (LUSTOSA, 2011). Marcelo Balaban’s Poeta do lápis is a long overdue account of the career of Angelo Agostini, perhaps the most influential graphic artist of the nineteenth century and certainly one of the outstanding figures bridging the gap between fine art and the periodical press during the period (BALABAN, 2009), and stands alongside the recent work of Gilberto Maringoni (MARINGONI, 2011). Finally, two essential anthologies have come out recently covering the history of illustrated magazines during the nineteenth century: O moderno em revistas (OLIVEIRA, C., VELLOSO, LINS, 2010) and Revistas ilustradas (KNAUSS et al., 2011).

25 This vibrant development of the history of graphic arts and design is paralleled by an impressive output in the history of photography, a field in which nineteenth-century Brazil kept pace with and even, occasionally, rivaled Europe. Joaquim Marçal Ferreira de Andrade’s História da fotorreportagem no Brasil is, contrary to its rather misleading title, more about the relationship between photography, printing and image-making in the nineteenth century than about photo-journalism (ANDRADE, 2004). This book is a weighty contribution to the art-historical study of visual culture, based on years of meticulous research by its author, one of the leading historians of photography in

Perspective, 2 | 2013 134

Brazil. Andrade was also the driving force behind the exhibition De volta à luz: Fotografias nunca antes vistas do Imperador, which focused attention on the extraordinary development of photography in Brazil during the early years of this art and helped reveal to the world the importance of the collections amassed by the emperor Dom Pedro II and currently housed in Brazil’s Biblioteca Nacional (De volta à luz, 2003). Pedro Karp Vasquez’s A fotografia no Império makes accessible, in small format, some of the research done by the author, over many years, into Brazilian photography in the nineteenth century (VASQUEZ, 2002a). Vasquez is the author of Fotógrafos alemães no Brasil do século XIX; Revert Henrique Klumb: Um alemão na corte imperial brasileira; Postaes do Brasil, 1893-1930; as well as a number of previous studies published in the 1980s and 1990s (VASQUEZ, 2000, 2001, 2002b).11 A major contribution to the history of Brazilian photography is Boris Kossoy’s Dicionário histórico-fotográfico brasileiro: Fotógrafos e ofícios da fotografia no Brasil 1833-1910, consolidating nearly four decades of pioneering research (KOSSOY, 2002).12

26 If histories of graphic arts and photography tend to be marginalized by Brazilian art historians, then the situation is even worse for craft, popular art, and non-Western art forms (i.e., the majority of Afro-Brazilian and indigenous art), which are almost never cited in art-historical bibliographies. The short-sightedness of such a narrow understanding of art history is, indeed, shocking. It is absolutely inadmissible that the artistic production of the vast majority of the population should be written off as unworthy of art-historical investigation and willingly abandoned to other fields like anthropology and archaeology. So long as Brazilian art history refuses to come to terms with non-elite histories of art, relegating them to worn-out labels like “folklore,” it will continue to operate within the culture as an insular and slightly irrelevant field. Though not specifically focused on the nineteenth century, Lélia Coelho Frota’s Pequeno dicionário da arte do povo brasileiro (FROTA, 2005) and Roberto Conduru’s Arte afro-brasileira (CONDURU, 2007) are positive steps towards redressing the grave imbalance of an art history that still sees art as the exclusive product of elite culture and European origins. Their methodological guidance will be needed in pursuing a serious reappraisal of what constitutes Brazilian art. As for crafts and decorative arts, it is safe to say that no substantial advance has been made in the art-historical appreciation of these fields in the nineteenth century. As concerns them, we are still stuck in the 1980s, when the last serious attempts were made to tackle the history of furniture, for example.13 The lone exception, and only tangentially in this respect, would be the volume by Marize Malta, already cited (MALTA, 2011).

Inter- and trans-disciplinarity

27 A second grave error that keeps the history of nineteenth-century Brazilian art from becoming more universally relevant is the reticence of many art historians to engage with their peers from neighboring fields in the humanities and social sciences. Art historians are all too often unaware of the political and economic contexts of the period they study, or even histories of literature, music, theater, leisure, science, and technology, much less the sociological and anthropological dimensions of the production, circulation, and reception of art. Andrea Marzano’s and Victor Andrade Melo’s Vida divertida is a recent exception that bolsters the rule (MARZANO, MELO, 2010). This lack of interest in the larger context is all the more reason that a book like Antonio

Perspective, 2 | 2013 135

Cândido’s Um funcionário da monarquia should be taken as a precious gift to the field of Brazilian art history (CÂNDIDO, 2002). One of the most eminent scholars in Brazil, a leading light in the history of Brazilian literature for nearly half a century, Cândido structured this splendid study around the figure of Antonio Nicolau Tolentino, the longest-serving director of the Imperial Academy. Disguised as a micro-historical study of a “second-tier civil servant,” the book is an object lesson in how to write the history of art without necessarily focusing on objects produced by artists. This masterful study cuts across the artificial frontiers that separate artistic from literary from administrative history, and biography from sociology from political science, to construct a truly unique analysis of Brazilian life in the nineteenth century. A classic, carved out of the discarded footnotes of a lifetime of scholarship.

28 Antonio Cândido is not the only non-art historian to take an interest in topics vital to art history. Annateresa Fabris and Maria Lúcia Bastos Kern (FABRIS, KERN, 2006), Maria Lúcia Bueno (BUENO, M. L., 2012), and Lorenzo Mammi (MAMMI, 2012), among others, prove the importance of interdisciplinary exchange as a means of enriching art- historical research and lending it relevance beyond the confines of the art world. Another fundamental book for understanding Brazilian art of the nineteenth century written by a non-art historian is A invenção do Brasil, a collection of essays by the late historian Afonso Carlos Marques dos Santos, one of the most important scholars to think about the role of art and culture in Brazilian history (SANTOS, A. C. M., 2007). Art history is, after all, a branch of history; and one of the more interesting phenomena of the past years is the discovery of the history of art history in Brazil, which has resulted in new editions of important works from the nineteenth and early twentieth centuries. Especially noteworthy, in this respect, is the work of Júlio Castañon Guimarães and Vera Lins, who have edited two volumes of criticisms by the great founding critic Gonzaga Duque (DUQUE, [1882-1909] 2001, [1888-1910] 2011), as well that of Tadeu Chiarelli, who – after bringing to light Gonzaga Duque’s classic, A arte brasileira, in the 1990s14 – has now recovered Felix Ferreira’s Belas artes: Estudos e apreciações, the rare 1885 volume that virtually inaugurated art history in Brazil (FERREIRA, [1885] 2012). These laudable efforts by cultural historians, art critics, literary critics, and curators prove that Brazilian art historians should think very hard about their own limitations before invoking any sort of privilege or corporative claim to the field. Professionalization of scholarship and research must certainly not be used as an excuse to suppress debate or thwart the vital contribution of scholars from other disciplines.

29 There is hope that Brazilian art history will continue to move away from its traditional insularity and embrace the wider academic community. One very promising trait of recent years is the intensification of regional studies, breaking the centralized mold of the past. São Paulo can no longer be considered a region, in this sense, since the evolution of the field over the past few decades has thrust it into a position of centrality equal, if not superior, to that of Rio de Janeiro. The real challenge of doing art history off the “Rio-São Paulo axis,” as it is known in Brazil, is effectively being met by studies produced or edited by Aldrin Moura de Figueiredo, Moema Bacelar Alves (FIGUEIREDO, 2004, 2009; FIGUEIREDO, ALVES, 2009); Luiz Alberto Ribeiro Freire, Norma Correia, Roseli Amado, and Célia Gomes (RANDAM, 2003; FREIRE, 2006; GOMES, 2007); and Otoni Moreira de Mesquita (MESQUITA, 2009). Aldrin Moura de Figueiredo, in Belém; Luiz Alberto Ribeiro Freire, in Salvador; and Paulo Gomes and Alfredo Nicolaiewsky, in Porto Alegre, have exercised an important role in bringing regional perspectives into view. It

Perspective, 2 | 2013 136

is to be hoped that such studies will affirm themselves more fully in these locations and also in so many others in Brazil that share a rich nineteenth-century heritage. For the history of this period of Brazilian art to become relevant to an international audience, it is advisable that it should first become relevant to Brazilian society as a whole, and not just to the small minority that has always embraced it with an eerie sense of personal entitlement to this shunned portion of the nation’s past.

30 As for the international audience, and particularly those who do not read Portuguese, Brazilian art of the nineteenth century remains a hostile and unfamiliar landscape. A very few texts are available to help the outside observer begin his/her explorations. Luciano Migliaccio’s Arte brasiliana del secolo XIX by is a good option for Italian readers (MIGLIACCIO, 2007), as is Arte americano e independencia, by Fernando Guzmán and Juan Manuel Martinez, in Spanish (GUZMÁN, MARTINEZ, 2010) or the catalogue Brasilien: von Österreich zur Neuen Welt, for readers of German (Brasilien, 2007). Among the few sources in English are two texts by the author of the present essay: an introduction to the history of the Imperial Academy in the volume Art and the Academy in the Nineteenth Century (CARDOSO, TRODD, 2000); and the article “The Brazilianness of Brazilian Art: Discourses on Art and National Identity, c. 1850-1930,” published in the journal Third Text (vol. 26, no. 1), in 2012. An excellent project for the near future would be some sort of standard introductory textbook on the subject in English (and/or French or German), which would help open the field to the contributions of scholars from abroad and stimulate new research along transcultural lines.

BIBLIOGRAPHY

– 100 anos da Pinacoteca…, 2005: 100 anos da Pinacoteca: A Formação de um acervo, (exh. cat., São Paulo, Centro Cultural FIESP, 2005), São Paulo, 2005.

– A Paisagem carioca, 2000: A Paisagem carioca, Carlos Martins ed., (exh. cat., Rio de Janeiro, Museu de arte moderna, 2000), Rio de Janeiro, 2000.

– Almeida Júnior…, 2007: Almeida Júnior: Um criador de imaginários, Maria Cecília França Lourenço ed., (exh. cat., São Paulo, Pinacoteca do Estado, 2007), São Paulo, 2007.

– ANDRADE, 2004: Joaquim Marçal Ferreira de Andrade, História da fotorreportagem no Brasil: A Fotografia na imprensa do Rio de Janeiro de 1839 a 1900, Rio de Janeiro, 2004.

– Arte do século XIX, 2000: Mostra do Redescobrimento: Arte do século XIX, Nelson Aguilar ed., (exh. cat., São Paulo, Parque Ibirapuera, 2000), São Paulo, 2000.

– Arte no Brasil, 2011: Arte no Brasil: Uma história na Pinacoteca de São Paulo (guia de visitação), (exh. cat., São Paulo, Pinacoteca do Estado), São Paulo, 2011.

Perspective, 2 | 2013 137

– BALABAN, 2009: Marcelo Balaban, Poeta do lápis: Sátira e política na trajetória de Angelo Agostini no Brasil imperial (1864-1888), Campinas, 2009.

– BANDEIRA, LAGO, 2007: Júlio Bandeira, Pedro Corrêa do Lago, Debret e o Brasil: Obra completa, Rio de Janeiro, Capivara, 2007.

– BANDEIRA, XEXÉO, CONDURU, 2003: Julio Bandeira, Pedro Martins Caldas Xexéo, Roberto Conduru, A Missão francesa, Rio de Janeiro, 2003.

– BERTANI, 2006: Roberto Bertani ed., Coleção Brasiliana: Fundação Estudar, São Paulo, 2006.

– BORGES, 2012: Sílvia Borges ed., Artes visuais no Brasil: Registros de um ciclo de palestras, Niterói, 2012.

– BORGES, CORNELLES, 2009: Victor Manuel Mínguez Cornelles, Maria Eliza Linhares Borges ed., La Fabricación visual del mundo atlántico, 1808-1940, Castellón de la Plana, 2009.

– Brasilien, 2007: Brasilien: von Österreich zur Neuen Welt, Tayfun Belgin ed., (exh. cat., Krems-Stein, Kunsthalle Krems, 2007-2008), Krems an der Donau, 2007.

– BUENO, A., 2004: Alexei Bueno, O Brasil do século XIX na Coleção Fadel, Rio de Janeiro, 2004.

– BUENO, M. L., 2012: Maria Lucia Bueno ed., Sociologia das artes visuais no Brasil, São Paulo, 2012.

– BULHÕES, KERN, 2010: Maria Amélia Bulhões, Maria Lúcia Kern ed., Paisagem: Desdobramentos e perspectivas contemporâneas, Porto Alegre, 2010.

– CÂNDIDO, 2002: Antônio Cândido, Um funcionário da monarquia: Ensaio sobre o segundo escalão, Rio de Janeiro, 2002.

– CARDOSO, 2005: Rafael Cardoso ed., O Design brasileiro antes do design: Aspectos da história gráfica, 1870-1960, São Paulo, 2005.

– CARDOSO, 2008: Rafael Cardoso, A Arte brasileira em 25 quadros, 1790-1930, Rio de Janeiro, 2008.

– CARDOSO, 2009: Rafael Cardoso ed., Impresso no Brasil, 1808-1930: Destaques da história gráfica no acervo da Biblioteca nacional, Rio de Janeiro, 2009.

– CARDOSO, TRODD, 2000: Rafael Cardoso, Colin Trodd ed., Art and the Academy in the Nineteenth Century, Manchester/New Brunswick, 2000.

– CASA NOVA, MAIA, 2010: Vera Casa Nova, Andréa Casa Nova Maia ed., Ética e imagem, Belo Horizonte, 2010.

– Castro Maya…, 2003: Castro Maya, colecionador de Debret, Vera de Alencar ed., (exh. cat., Rio de Janeiro, Museu da Chácara do Céu-Museus Castro Maya, 2003), São Paulo, 2003.

– CIPINIUK, 2003: Alberto Cipiniuk, A Face pintada em pano de linho: Moldura simbólica da identidade brasileira, Rio de Janeiro/São Paulo, 2003.

– COLI, 2005: Jorge Coli, Como estudar a arte brasileira do século XIX?, São Paulo, 2005.

– CONDURU, 2007: Roberto Conduru, Arte afro-brasileira, Belo Horizonte, 2007.

– De volta à luz, 2003: De volta à luz: Fotografias nunca vistas do Imperador, Joaquim Marçal Ferreira de Andrade, Rubens Fernandes Junior ed., (exh. cat., São Paulo, Instituto Cultural Banco Santos, 2003), São Paulo/Rio de Janeiro, 2003.

Perspective, 2 | 2013 138

– DIAS, 2009: Elaine Dias, Paisagem e academia: Félix-Émile Taunay e o Brasil (1824-1851), Campinas, 2009.

– DUQUE, (1882-1909) 2001: Gonzaga Duque, Impressões de um amador: Textos esparsos de crítica, 1882-1909, Júlio Castañon Guimarães, Vera Lins ed., Belo Horizonte/Rio de Janeiro, 2001.

– DUQUE, (1882-1910) 2011: Gonzaga Duque, Outras impressões: Crônica, ficção, crítica, correspondência, 1882-1910, Júlio Castañon Guimarães, Vera Lins ed., Rio de Janeiro, 2011.

– Eliseu Visconti, 2007: Eliseu Visconti: Arte e Design, (exh. cat., Rio de Janeiro, Caixa Cultural, 2007), Rio de Janeiro, 2007.

– Eliseu Visconti, 2012: Eliseu Visconti: A Modernidade antecipada, Christina Gabaglia Penna, Rafael Cardoso ed., (exh. cat., São Paulo, Pinacoteca do Estado; Rio de Janeiro, Museu nacional de belas artes, 2012) Rio de Janeiro, 2012.

– FABRIS, 2006: Annateresa Fabris ed., Crítica e modernidade, São Paulo, 2006.

– FABRIS, KERN, 2006: Annateresa Fabris, Maria Lúcia Bastos Kern ed., Imagem e conhecimento, São Paulo, 2006.

– Facchinetti, 2004: Facchinetti, Carlos Martins, Valéria Piccoli ed., (exh. cat., Rio de Janeiro, Centro cultural Banco do Brasil, 2004), Rio de Janeiro, 2004.

– FERREIRA, (1885) 2012: Felix Ferreira, Belas artes: Estudos e apreciações, Tadeu Chiarelli ed., (1885) Porto Alegre, 2012.

– FIGUEIREDO, 2004: Aldrin Moura de Figueiredo, A Fundação da cidade de Belém: Pintura e história da arte na Amazônia, Belém, 2004.

– FIGUEIREDO, 2009: Aldrin Moura de Figueiredo, A Cidade dos encantados: Pajelanças, feitiçarias e religiões afro-brasileiras na Amazônia, 1870-1950, Belém, 2009.

– FIGUEIREDO, ALVES, 2009: Aldrin Moura de Figueiredo, Moema Bacelar Alves ed., Tesouros da memória: História e patrimônio no Grão-Pará, Belém, 2009.

– FLORES, PETERLE, 2012: Maria Bernardete Ramos Flores, Patrícia Peterle ed., História e arte: Imagem e memória, Campinas, 2012.

– FREIRE, 2006: Luiz Alberto Ribeiro Freire, A Talha neoclássica na Bahia, Rio de Janeiro, 2006.

– FREITAS, 2001: Marcus Vinicius de Freitas, Hartt: Expedições pelo Brasil imperial, 1865-1878, São Paulo, 2001.

– FROTA, 2005: Lélia Coelho Frota, Pequeno dicionário da arte do povo brasileiro, século XX, Rio de Janeiro, 2005.

– GOMES, 2007: Paulo Gomes ed., Artes plásticas no Rio Grande do Sul: Uma panorâmica, Porto Alegre, 2007.

– GUZMÁN, MARTINEZ, 2010: Fernando Guzmán, Juan Manuel Martinez ed., Arte americano e independencia: Nuevas iconografías, Santiago, 2010.

Perspective, 2 | 2013 139

– HEYNEMANN, RAINHO, CARDOSO, 2009: Cláudia Beatriz Heynemann, Maria do Carmo Teixeira Rainho, Rafael Cardoso, Marcas do progresso: Consumo e design no Brasil do século XIX, Rio de Janeiro, 2009.

– KNAUSS et al., 2011: Paulo Knauss, Marize Malta, Cláudia de Oliveira, Mônica Pimenta Velloso ed., Revistas ilustradas: Modos de ler e ver no Segundo Reinado, Rio de Janeiro, 2011.

– KOSSOY, 2002: Boris Kossoy, Dicionário histórico-fotográfico brasileiro: Fotógrafos e ofícios da fotografia no Brasil 1833-1910, São Paulo, 2002.

– LAGO, 2008: Pedro Corrêa do Lago, Taunay e o Brasil: Obra completa, 1816-1821, Rio de Janeiro, 2008.

– LEHMKUHL, PARANHOS, RODRIGUES PARANHOS, 2010: Luciene Lehmkuhl, Adalberto Paranhos, Kátia Rodrigues Paranhos ed., História e imagem: Textos visuais e práticas de leituras, Campinas, 2010.

– LIMA, C., 2008: Carlos A. M. Lima, Artífices do Rio de Janeiro (1790-1808), Rio de Janeiro, 2008.

– LIMA, V., 2007: Valéria Lima, J.-B. Debret, historiador e pintor, Campinas, 2007.

– LOPES, 2000: Antônio Herculano Lopes ed., Entre Europa e África: A Invenção do carioca, Rio de Janeiro, 2000.

– LUSTOSA, 2008: Isabel Lustosa ed., Imprensa, história e literatura, Rio de Janeiro, 2008.

– LUSTOSA, 2011: Isabel Lustosa ed., Imprensa, humor e caricatura: A Questão dos estereótipos culturais, (symposium, Rio de Janeiro, 2006), Belo Horizonte, 2011.

– MALTA, 2011: Marize Malta ed., O Ensino artístico, a história da arte e o Museu D. João VI, (symposium, Rio de Janeiro, 2010), Rio de Janeiro, 2011.

– MALTA, 2011: Marize Malta, O Olhar decorativo: Ambientes domésticos em fins do século XIX no Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, 2011.

– MALTA, PEREIRA, CAVALCANTI, 2012: Marize Malta, Sônia Gomes Pereira, Ana Cavalcanti ed., Novas perspectivas para o estudo da arte no Brasil de entresséculos (XIX/XX): 195 anos da Escola de Belas Artes, Rio de Janeiro, 2012.

– MAMMI, 2012: Lorenzo Mammi, O que resta: Arte e crítica de arte, São Paulo, 2012.

– MARINGONI, 2011: Gilberto Maringoni, Angelo Agostini: A imprensa ilustrada da Corte à Capital Federal, 1864-1910, São Paulo, 2011.

– MARTINS, A. L., 2001: Ana Luiza Martins, Revistas em revista: Imprensa e práticas em tempos de República, São Paulo, 1890-1922, São Paulo, 2001.

– MARTINS, L., 2001: Luciana de Lima Martins, O Rio de Janeiro dos viajantes: O Olhar britânico, 1800-1850, Rio de Janeiro, 2001.

– MARZANO, MELO, 2010: Andrea Marzano, Victor Andrade de Melo ed., Vida divertida: Histórias do lazer no Rio de Janeiro (1830-1930), Rio de Janeiro, 2010.

– MATTOS, 2008: Claudia Valladão de Mattos ed., Goethe e Hackert: Sobre a pintura de paisagem, São Paulo, 2008.

– MEDEIROS, RIOS, LUCAS, 2011: Aline da Silva Medeiros, Kênia Sousa Rios, Meize Regina Lucena Lucas ed., Imaginário e cultura, Fortaleza, 2011.

Perspective, 2 | 2013 140

– MESQUITA, 2009: Otoni Moreira de Mesquita, La Belle Vitrine: Manaus entre dois tempos, 1890-1900, Manaus, 2009.

– MEYER, 2001: Marlyse Meyer, Do almanak aos almanaques, São Paulo, 2001.

– MIGLIACCIO, 2007: Luciano Migliaccio, Arte brasiliana del secolo XIX, Udine, 2007.

– MIYOSHI, 2010: Alex Miyoshi ed., O Selvagem e o civilizado nas artes, fotografia e literatura do Brasil, Campinas, 2010.

– MONTEIRO, 2000: Maria Isabel Oswald Monteiro, Carlos Oswald (1882-1971): Pintor da luz e dos reflexos, Rio de Janeiro, 2000.

– NASCIMENTO, 2011: Ana Paula Nascimento, O Nu além das academias, São Paulo, 2011.

– OLIVEIRA, C., VELLOSO, LINS, 2010: Cláudia de Oliveira, Mônica Pimenta Velloso, Vera Lins, O Moderno em revistas: Representações do Rio de Janeiro de 1890 a 1930, Rio de Janeiro, 2010.

– OLIVEIRA, E. D. G., COUTO, 2012: Emerson Dionísio Gomes Oliveira, Maria de Fátima Morethy Couto ed., Instituições da arte, Porto Alegre, 2012.

– OLIVEIRA, V. O., 2008: Valéria Ochoa Oliveira, A Arte na Belle Époque: O Simbolismo de Eliseu Visconti e as musas, Uberlândia, 2008.

– PALHARES, 2009: Taisa Palhares ed., Arte brasileira na Pinacoteca do Estado de São Paulo, do século XIX aos anos 1940, São Paulo, 2009.

– Panoramas…, 2011: Panoramas: A Paisagem brasileira no acervo do Instituto Moreira Salles, Carlos Martins, Sergio Burgi, Julia Kovensky ed., (exh. cat., Rio de Janeiro, Instituto Moreira Salles, 2011; São Paulo, FAAP, 2012), Rio de Janeiro/São Paulo, 2011.

– Pedro Weingärtner, 2008: Pedro Weingärtner: Obra gráfica, Porto Alegre, 2008.

– Pedro Weingärtner, 2009: Pedro Weingärtner, 1853-1929: Um artista entre o Velho e o Novo Mundo, Ruth Sprang Tarasantchi ed., (exh. cat., São Paulo, Pinacoteca do Estado, 2009; Rio de Janeiro, Museu nacional de belas artes, 2009; Porto Alegre, Museu de arte de Rio Grande de Sul Ado Malagoli, 2010), Rio de Janeiro/São Paulo, 2009.

– PEREIRA, P. R., 2000: Paulo Roberto Pereira ed., 500 anos de Brasil na Biblioteca nacional, Rio de Janeiro, 2000.

– PEREIRA, P. R., 2001: Paulo Roberto Pereira ed., Brasiliana da Biblioteca nacional: Guia das fontes sobre o Brasil, Rio de Janeiro, 2001.

– PEREIRA, S. G., 2008: Sônia Gomes Pereira, Arte brasileira no século XIX, Belo Horizonte, 2008.

– PESSOA, BANDEIRA, LAGO, 2011: Ana Pessoa, Júlio Bandeira, Pedro Corrêa do Lago, Pallière e o Brasil: Obra completa, São Paulo, 2011.

– RANDAM, 2003: José Jorge Randam ed., Artes visuais na Bahia, Salvador, 2003.

– ROSEMBERG, 2002: Liana Ruth Bergstein Rosemberg, Pedro Américo e o olhar oitocentista, Rio de Janeiro, 2002.

Perspective, 2 | 2013 141

– SANTOS, A. C. M. , KESSEL, GUIMARÃES, 2004: Afonso Carlos Marques dos Santos, Carlos Kessel, Ceça Guimarães ed., Museus e cidades, (symposium, Rio de Janeiro, 2003), Rio de Janeiro, 2004.

– SANTOS, A. C. M., 2007: Afonso Carlos Marques dos Santos, A Invenção do Brasil: Ensaios de história e cultura, Rio de Janeiro, 2007.

– SANTOS, R., 2008: Renata Santos, A Imagem gravada: A Gravura no Rio de Janeiro entre 1808 e 1853, Rio de Janeiro, 2008.

– SCHWARCZ, 2008: Lília Moritz Schwarcz, O Sol do Brasil: Nicolas-Antoine Taunay e as desventuras dos artistas franceses na corte de D. João, São Paulo, 2008.

– SCHWARCZ, DIAS, 2008: Lília Moritz Schwarcz, Elaine Dias ed., Nicolas-Antoine Taunay no Brasil: Uma leitura dos trópicos, Rio de Janeiro, 2008.

– SERAPHIM, 2008: Mirian N. Seraphim, Eros adolescente: No verão de Eliseu Visconti, Campinas, 2008.

– SIMIONI, 2008: Ana Paula Simioni, Profissão artista: Pintoras e escultoras brasileiras, São Paulo, 2008.

– SIQUEIRA et al., 2011a: Vera Beatriz Siqueira, Roberto Conduru, Maria Berbara, Marcelo Campos ed., História da Arte: Escutas, Rio de Janeiro, 2011.

– SIQUEIRA et al., 2011b: Vera Beatriz Siqueira, Roberto Conduru, Maria Berbara, Marcelo Campos ed., História da Arte: Ensaios contemporâneos, Rio de Janeiro, 2011.

– SQUEFF, 2004: Letícia Squeff, O Brasil nas letras de um pintor: Manuel de Araújo Porto Alegre (1806-1879), Campinas, 2004.

– SQUEFF, 2012: Letícia Squeff, Uma galeria para o Império: A Coleção Escola brasileira e as origens do Museu nacional de belas artes, São Paulo, 2012.

– TARASANTCHI, 2002: Ruth Sprang Tarasantchi, Pintores paisagistas: São Paulo, 1890 a 1920, São Paulo, 2002.

– TELLES, 2008: Angela Telles, Grandjean de Montigny: Da arquitetura revolucionária à civilização nos trópicos, Rio de Janeiro, 2008.

– TURAZZI, 2009: Maria Inez Turazzi ed. Victor Meirelles, novas leituras, São Paulo, 2009.

– VALLE, DAZZI, 2010: Arthur Valle, Camila Dazzi ed., Oitocentos: Arte brasileira do Império à República, Rio de Janeiro, 2010.

– VALLE, DAZZI, CAVALCANTI, 2008: Arthur Valle, Camila Dazzi, Ana M. T. Cavalcanti ed., Oitocentos: Arte brasileira do Império à Primeira República, (symposium, Rio de Janeiro, 2008), Rio de Janeiro, 2008.

– VALLE, DAZZI, PORTELLA, 2013: Arthur Valle, Camila Dazzi, Isabel Portella ed., Oitocentos: Intercâmbios culturais entre Brasil e Portugal, Rio de Janeiro, 2013.

– VASQUEZ, 2000: Pedro Karp Vasquez, Fotógrafos alemães no Brasil do século XIX, São Paulo, 2000.

– VASQUEZ, 2001: Pedro Karp Vasquez, Revert Henrique Klumb: Um alemão na corte imperial brasileira, São Paulo, 2001.

– VASQUEZ, 2002a: Pedro Karp Vasquez, A fotografia no Império, Rio de Janeiro, 2002.

Perspective, 2 | 2013 142

– VASQUEZ, 2002b: Pedro Karp Vasquez, Postaes do Brasil, 1893-1930, São Paulo, 2002.

– VISCONTI, 2012: Tobias Stourdzé Visconti ed., Eliseu Visconti: A Arte em movimento, Rio de Janeiro, 2012.

– Vitor Meireles…, 2004: Vitor Meireles: Um artista do império, Jorge Coli, Mônica F. Braunschweiger Xexeo ed., (exh. cat., Curitiba, Museu Oscar Niemeyer; Rio de Janeiro, Museu nacional de belas artes, 2004), Curitiba/Rio de Janeiro, 2004.

NOTES

1. For more on the nature of this shift, see Jonathan Harris, The New Art History: A Critical Introduction, London/New York, 2001. 2. T. J. Clark, A pintura da vida moderna: Paris na arte de Manet e seus seguidores, São Paulo, 2004 [orig. ed.: The Painting of Modern Life: Paris in the Art of Manet and his Followers, Princeton, 1984]. 3. Quirino Campofiorito, História da pintura brasileira no século XIX, Rio de Janeiro, 1983. 4. O desejo na Academia 1847-1916, (exh. cat., São Paulo, Pinacoteca do Estado, 1991-1992), São Paulo, 1991. 5. 180 Anos de Escola de Belas Artes, (conference, Rio de Janeiro, 1996), Rio de Janeiro, 1997. 6. Claudia Valladão de Mattos, Cecilia H. Salles Oliveira eds., O Brado do Ipiranga, São Paulo, 1999. 7. Ana Maria de Moraes Belluzzo, O Brasil dos viajantes, São Paulo, 1994. 8. Claudia Valladão de Mattos, “Os Gregos de Winckelmann e os Falsos de Mengs e Casanova,” in Designio: Revista de História da Arquitetura e Urbanismo, vol. 3, 2005; Claudia Valladão de Mattos, “A História da Arte de Wincklemann e a emulação dos antigos na obra de Antonio Canova,” in Luiz Marques ed., A constituicao da tradicao clássica, São Paulo, 2004; Claudia Valladão de Mattos, “Recuperando a Antigüidade: Winckelmann e o restauro de estátuas antigas no século XVIII,” in Revista Turba, no. 5, 2003. 9. Carlos Martins ed., O Brasil redescoberto, Rio de Janeiro, 1999. 10. Orlando da Costa Ferreira, Imagem e letra: Introdução à bibliologia brasileira, São Paulo, (1976) 1994; Marcello and Cybelle de Ipanema, A Tipografia na Bahia: Documentos sobre suas origens e o empresário Silva Serva, Rio de Janeiro, 1977; Cláudia Marino Semeraro, Christiane Ayrosa, Alice A. de Barros Fontes eds., História da tipografia no Brasil, São Paulo, 1979. 11. Pedro Karp Vasquez, D. Pedro II e a fotografia no Brasil, Rio de Janeiro, 1985; Pedro Karp Vasquez, Álbum da estrada União e Indústria, Rio de Janeiro, 1998; and others. 12. Boris Kossoy, Hercule Florence: A descoberta isolada da fotografia no Brasil, São Paulo, 1977; Boris Kossoy, Origens e expansão da fotografia no Brasil, século XIX, Rio de Janeiro, 1980; Boris Kossoy, O olhar europeu: O negro na iconografia brasileira, São Paulo, 1994; and others. 13. Tilde Canti, O móvel no Brasil: Origens, evolução e características, São Paulo, 1985; Tilde Canti, O móvel do século XIX no Brasil, São Paulo, 1989. 14. Gonzaga Duque, A arte brasileira, Tadeu Chiarelli ed., (Rio de Janeiro, 1888) Campinas, 1995.

Perspective, 2 | 2013 143

ABSTRACTS

The history of nineteenth-century Brazilian art has undergone enormous transformation over the past twelve years, to the point where it has been arguably re-written with regard to the output of the preceding century. The present essay attempts to provide a critical overview of the bibliography produced during the interval between 2000 and 2012, focusing primarily on books but also taking into account catalogues, journals, scholarly articles and websites. These are situated, in turn, in their institutional and professional contexts, so as to map the scholarship currently being produced. The review is broken down into evaluations of the state of the art in the 1990s; general surveys; landscape and other genres; biographies and monographs; thematic approaches; internet resources; and a brief summary of the institutional landscape. Special attention is given to non-elite histories of art and trans-disciplinarity as fronts that still pose a particular challenge to the further development of the field.

L’histoire de l’art brésilien du XIXe siècle a subi, pendant les douze dernières années, de si importantes transformations qu’il est possible de dire qu’elle a été réécrite, si l’on s’en réfère à ce qui a été produit au cours du siècle précédent. Le présent essai vise à fournir une révision critique de la biographie établie entre 2000 et 2012 en se concentrant en particulier sur les livres mais aussi en prenant en considération les catalogues, les revues, les articles académiques et les sites Internet. Ceux-ci sont situés dans un contexte institutionnel et professionnel qui a pour but de répertorier les études publiées actuellement. Cet examen se subdivise de la façon suivante : évaluations de l’état de l’art dans les années 1990 ; études générales ; paysage et autres genres ; biographies et monographies ; approches thématiques ; sources Internet. Il contient en outre un résumé du panorama institutionnel. Une attention particulière est attribuée aux questions d’histoires non élitistes de l’art et de la transdisciplinarité en tant qu’opportunités qui représentent un défi pour le développement futur du champ d’investigation.

A história da arte brasileira do século XIX tem passado por enormes transformações ao longo dos últimos doze anos, ao ponto de ser possível argumentar que foi reescrita com relação ao que foi produzido nos cem anos anteriores. O presente ensaio visa fornecer uma revisão crítica da bibliografia produzida entre 2000-2012, enfocando especialmente livros, mas também levando em consideração catálogos, revistas, artigos acadêmicos e sites da internet. Estes são situados, por sua vez, em seu contexto institucional e profissional, a fim de mapear os estudos produzidos atualmente. A resenha é subdividida em avaliações do estado da arte na década de 1990; estudos gerais; paisagem e outros gêneros; biografias e monografias; abordagens temáticas; fontes da internet; assim como um resumo do cenário institucional. Dedica-se especial atenção às questões de histórias não-elitistas da arte e da trans-disciplinaridade como frentes que ainda representam um desafio para o desenvolvimento futuro do campo.

Die Geschichte der brasilianischen Kunst des 19. Jahrhunderts hat im Laufe der letzten zwölf Jahre so starke Veränderungen erfahren, dass man im Vergleich zur theoretischen Produktion der vorhergehenden hundert Jahre von einer Umschreibung sprechen kann. Der vorliegende Artikel versucht, eine kritische Bestandsaufnahme der zwischen 2000 und 2012 entstandenen Bibliographie zu liefern, indem er sich besonders mit den monographischen Schriften, aber auch mit den Katalogen, Zeitschriften, wissenschaftlichen Artikeln und Internetseiten auseinandersetzt. Letztere stehen in einem institutionellen und professionellen Kontext, um die aktuellen Veröffentlichungen zu sichten und zu ordnen. Die hier vorliegende kritische Betrachtung ist in folgende Abschnitte gegliedert: Evaluierung des Wissenschaftsstands in den 1990er Jahren; allgemeine Studien; Landschaft und andere Bildgattungen; Biographien und

Perspective, 2 | 2013 144

Monographien; thematische Untersuchungen; Internetquellen. Darüber hinaus enthält dieser Artikel einen Überblick über das institutionelle Spektrum. Besonderes Augenmerk liegt auf den Fragen und Möglichkeiten einer nicht elitären Kunstgeschichte und ihrer Transdisziplinarität als Herausforderungen für die weitere Entwicklung dieses Forschungsgebiets.

Durante gli ultimi dodici anni, la storia dell’arte brasiliana dell’Ottocento ha conosciuto delle trasformazioni così importanti da poter affermare che essa è stata riscritta, in particolare in riferimento a ciò che era stato prodotto nei cento anni precedenti. Questo saggio intende fornire una revisione critica della bibliografia pubblicata tra il 2000 e il 2012; per far ciò, si concentra soprattutto sulle monografie, ma prende in considerazione anche cataloghi, riviste, articoli accademici e siti internet. Questi si inseriscono in un contesto istituzionale e professionale che ha per scopo di recensire gli studi attualmente pubblicati. L’analisi si compone delle seguenti parti: valutazione dello stato degli studi negli anni Novanta; studi generali; paesaggio e altri generi; biografie e monografie; approcci tematici; fonti internet. Essa contiene inoltre un riassunto del panorama istituzionale. Un’attenzione particolare è assegnata alle storie non elitarie dell’arte e dell’interdisciplinarietà – due strade che costituiscono una sfida per lo sviluppo futuro del campo di indagine.

La historia del arte brasileño del siglo XIX ha experimentado transformaciones tales, a lo largo de los últimos doce años, que podría decirse que ha sido reescrita, si nos atenemos a lo producido en los cien años anteriores. Este estudio aspira a ofrecer una revisión crítica de la biografía establecida entre 2000 y 2012, basándose sobre todo en los libros pero también teniendo en cuenta los catálogos, las revistas, los artículos académicos y los sitios web. Éstos se sitúan en un contexto institucional y profesional cuyo propósito es catalogar los estudios publicados en la actualidad. Se subdivide el examen de la forma siguiente: evaluaciones del estado del arte en la década de 1990; estudios generales; paisajes y otros géneros; biografías y monografías; enfoques temáticos; fuentes en Internet. A esto se añade un resumen del panorama institucional. Se ha prestado una atención específica a las cuestiones de historias no elitistas del arte y de la transdisciplinaridad en tanto que oportunidades que representan un desafío para el futuro desarrollo del campo de investigación.

INDEX

Geographical index: Brésil Mots-clés: académie, arts graphiques, arts populaires, biographie, monographie, musée, paysage, peinture d’histoire, photographie, ressources numériques, université Keywords: academy, biography, craft, digital resource, graphic arts, history painting, landscape, monograph, museum, photography, university Chronological index: 1800, 1900, 2000

AUTHOR

RAFAEL CARDOSO Writer and art historian, with a PhD from the Courtauld Institute of Art. He is the author of numerous books on the history of Brazilian art and design, the most recent of which are Design para um mundo complexo (2012); Impresso no Brasil, 1808-1930: Destaques da história gráfica no acervo da Biblioteca Nacional (2009); and A arte brasileira em 25 quadros (1790-1930) (2008), as well as several works of fiction. He is associated with the Universidade do Estado do Rio de Janeiro (Instituto de

Perspective, 2 | 2013 145

Artes) and is also active as an independent curator, including the exhibitions Rio de imagens: Uma paisagem em construção (Museu de Arte do Rio, 2013), From the Margin to the Edge: Brazilian Art and Design in the 21st Century (Somerset House, 2012), Eliseu Visconti - A modernidade antecipada (Pinacoteca do Estado, 2011).

Perspective, 2 | 2013 146

Le modernisme brésilien, entre consécration et contestation Brazilian Modernism, from consecration to contestation Modernismo Brasileiro: entre a consagração e a contestação Die brasilianische Moderne, zwischen Anerkennung und Anfechtung Il modernismo brasiliano, tra consacrazione e contestazione El modernismo brasileño, entre consagrado y controvertido

Ana Paula Cavalcanti Simioni Traduction : Carlos Spilak

NOTE DE L’ÉDITEUR

Cet article est une traduction de : Modernismo brasileiro: entre a consagração e a contestação

1 En 1995, le collectionneur argentin Eduardo Constantini fit l’acquisition, chez Christie’s à New York, de la toile Abaporu de Tarsila do Amaral, achevée en 1928. S’agissant du prix le plus élevé jamais atteint par une peinture brésilienne sur le marché international (1,3 million de dollars), cette transaction acquit un statut emblématique, renforcée par l’émoi qu’elle suscita au Brésil. L’exposition actuelle du tableau dans l’important Museo de Arte Latinoamericano de Buenos Aires (MALBA), à l’ombre d’œuvres d’artistes consacrés tels que Frida Kahlo, Wilfredo Lam, Xul Solar et Antonio Berni, n’a pas suffi à apaiser le sentiment que la vente du tableau à l’étranger représentait une perte pour la culture nationale. L’importance de cet épisode met en évidence la valeur paradigmatique de cette œuvre, aux côtés d’autres peintures et sculptures réalisées par les artistes désignés comme les « modernistes » brésiliens. En effet, le modernisme brésilien, dont la première phase de production artistique s’étend des années 1920 aux années 1940, s’est consolidé en prenant une place unique dans l’histoire culturelle du Brésil. Ses œuvres principales furent alors perçues, et le sont encore, comme des artefacts matériels susceptibles de cristalliser symboliquement une

Perspective, 2 | 2013 147

culture nationale de portée internationale. Elles se virent attribuer non seulement des qualités artistiques, mais aussi des valeurs culturelles et politiques plus larges, devenant ainsi des symboles identitaires.

2 La glorification du modernisme brésilien est un processus qui traverse tout le XXe siècle et qui implique un ensemble d’acteurs – critiques, historiens, commissaires d’expositions – ainsi que diverses pratiques sociales, y compris le marché de l’art, les acquisitions effectuées par les musées et même, parfois, des politiques culturelles explicites mises en œuvre par l’État au niveau national ou régional. Ce processus peut être sommairement divisé en trois grandes phases. La première, qui s’étend de 1917 aux années 1940, est marquée par la construction d’une histoire de l’art moderne au Brésil qui donne la parole aux participants mêmes du mouvement. Une deuxième période, des années 1940 à la fin des années 1970, est celle de la consécration institutionnelle du modernisme en tant que valeur de l’art moderne au Brésil, un développement favorisé par la publication de travaux universitaires et par l’acquisition officielle de fonds reconnus ayant appartenu à des modernistes. À la fin des années 1970, enfin, s’ouvre une phase de révision critique marquée par l’émergence de contestations portant sur le caractère moderne du modernisme brésilien, mettant en évidence les limites formelles de ce mouvement ainsi que la place centrale occupée par certains groupes et certaines régions du pays dans cette construction discursive et canonique, tandis que des tentatives furent engagées pour repenser, de façon plus nuancée, la portée et la spécificité de ces productions au Brésil.

Les premiers temps du modernisme

3 Les origines du modernisme au Brésil demeurent un sujet de désaccord. Les différends que suscite cette question révèlent non seulement des dichotomies entre des modes d’interprétation et de définition du terme même de modernisme, mais aussi des clivages régionaux qui divisent des groupes d’intellectuels, des universités – dont le prestige est hiérarchiquement différencié –, des musées, des galeries et des collectionneurs brésiliens1.

4 Toutefois, selon le point de vue le plus répandu, le déclenchement du mouvement moderniste peut être situé en 1922, à São Paulo. Au mois de février de cette année, une série de manifestations littéraires, musicales et artistiques, appelée la Semaine d’art moderne (en référence à des modèles étrangers, notamment la Semaine de Deauville)2, se déroula au Théâtre municipal de São Paulo, une institution phare de l’élite locale conservatrice, inaugurée en 1914. Pour beaucoup d’auteurs, cet épisode est considéré comme le moment d’éclosion du modernisme national et un jalon majeur de l’histoire de l’art brésilien. En effet, la conception du modernisme comme un produit éminemment pauliste, promu initialement par les protagonistes du mouvement, fut reprise et réaffirmée dans les études publiées dans les années 1970 (AMARAL, 1970 ; BRITO, [1958] 1974 ; ALMEIDA, [1961] 1976).

5 L’adoption de la « Semaine de 22 » comme point de départ reflète le processus de construction de la mémoire du modernisme brésilien, nourrie initialement par des textes diffusés par les intellectuels et artistes qui appartenaient eux-mêmes au cercle moderniste. L’identification d’un groupe en tant que tel remonte cependant à 1917, année où Anita Malfatti, artiste pauliste revenue au Brésil après avoir effectué des études en Allemagne et aux États-Unis3, exposa des œuvres qui choquèrent la société

Perspective, 2 | 2013 148

locale. Ses nus vigoureux au fusain et, en particulier, ses peintures expressionnistes, qui présentent un chromatisme libre et des sujets humains inhabituels – des immigrés (O Japonês, 1915-1916, São Paulo, Instituto de Estudos Brasileiros), des fous (A boba, 1915-1916, Museu da Arte Contemporânea da Universidade de São Paulo) – furent fort mal reçus par un public habitué aux esthétiques naturalistes et postimpressionnistes dominantes.

6 La même année, Marcela Mastrocola2014-09-29T11:43:00MMen réaction à l’exposition au Théâtre municipal, le critique le plus important de São Paulo, Monteiro Lobato, publia un article dont la question centrale, « Paranoïa ou mystification ? », exprimait son rejet des avant-gardes, entendu globalement comme un courant opposé à la figuration naturaliste4 (voir CHIARELLI, 1995). La critique sévère déployée par Lobato contre le travail de Malfatti – il considérait les déformations comme du mauvais goût – interpella plusieurs jeunes écrivains et artistes, dont Oswald de Andrade, Menotti del Picchia et Emiliano Di Cavalcanti, qui se mirent à défendre Malfatti dans les journaux. Ce faisant, ces intellectuels et artistes commencèrent à se reconnaître et à agir en tant que groupe, soutenu principalement par la grande presse. São Paulo, bien qu’elle fût la ville la plus riche du Brésil – grâce aux capitaux cumulés par les exportations de café, à un processus de modernisation accéléré par l’arrivée récente de nombreux immigrés et à un développement d’industrialisation embryonnaire – possédait alors relativement peu d’institutions culturelles. Parmi celles qui existaient, on peut citer la faculté de droit (Faculdade de Direito) ; le Museu Paulista, fondé en 1895 et rattaché plus tard à l’Universidade de São Paulo ; la Pinacoteca do Estado de São Paulo, inaugurée en 1905 (l’unique musée de la ville consacré exclusivement aux beaux-arts) ; et le Liceu de Artes e Ofícios, un centre de formation d’artistes dédié plus aux arts appliqués qu’aux beaux- arts. Ainsi que le souligne le sociologue Sergio Miceli, pendant cette période « toute la vie intellectuelle était dominée par la grande presse, qui constituait la principale instance de production culturelle de l’époque et qui concédait la plupart des récompenses et des positions intellectuelles »5. Les journaux et les magazines illustrés constituaient donc le lieu où ces intellectuels se retrouvaient, exposaient leurs travaux et diffusaient leurs idéaux. Grâce aux organes de presse de la ville, la première génération de modernistes s’imposa donc localement, peu à peu. Plusieurs relevaient ainsi le défi des critiques lancées par Lobato contre Malfatti : au plaidoyer publié par Oswald de Andrade dans le Jornal do Commercio en 1918 s’ajoutèrent les textes de Menotti Del Picchia, parus dans le Correio Paulistano en 1920, et de Mário de Andrade, diffusés dans le Jornal de Debates en 19216.

7 Bien que ces écrivains ne se soient pas rassemblés autour de principes cohérents pouvant donner lieu à des manifestes, ils se voyaient et étaient perçus par leurs adversaires comme des « futuristes », en référence au célèbre Manifeste du futurisme (1909) de l’Italien Filippo Tommaso Marinetti. Soucieux de dépasser tout ce qu’ils considéraient comme rétrograde dans la culture brésilienne – non seulement les traditions agraire, régionale, populaire, mais aussi celles académique et parnassienne –, ils cherchaient à être en phase avec le cosmopolitisme rayonnant des avant-gardes européennes. Dans cette optique, ils développèrent à travers leurs œuvres une image de São Paulo ouverte à la modernisation, en constante mutation, libérée du passé et dirigée toujours vers l’avenir. Dans ce désir de transformation immédiate, cette ville émergeait comme « un mythe technicisé » (FABRIS, 1994a), lieu de destruction des traditions, aspirant à des innovations en tout genre, réceptive à de nouveaux langages

Perspective, 2 | 2013 149

artistiques et à des transformations sociales, politiques et culturelles dans le sillon des vagues d’immigration. Même si cette image d’un São Paulo moderne reflétait plus les souhaits des « futuristes » que l’expérience au quotidien des habitants de la métropole, de telles images sont, encore aujourd’hui, ancrées dans un imaginaire qui conçoit la ville comme porte-flambeau de la nation.

8 Orientée vers cet idéal, la production des « futuristes » ne revendiquait pas alors les particularités de la culture brésilienne ; bien au contraire, elle aspirait à élever la culture nationale, perçue comme arriérée, au niveau des expériences internationales, considérées comme cosmopolites et progressistes. Cette ambition se trouve notamment exprimée dans le roman de Mário de Andrade Pauliceia desvairada (1922) et dans l’album Fantoches da meia-noite (1921) de Di Cavalcanti. En effet, les œuvres exposées pendant la « Semaine de 22 » – à l’exception de celles envoyées par Anita Malfatti et John Graz – ne furent perçues ni comme radicalement modernes au vu des esthétiques postimpressionnistes et néocoloniales régnantes, ni comme empreintes d’un esprit nationaliste (AMARAL, 1970).

9 Curieusement, c’est au fil des années 1920, avec le long séjour de nombreux artistes brésiliens à Paris, partis pour y perfectionner leur formation, que ces derniers commencèrent à s’intéresser aux particularités de la culture brésilienne. En 1921, Antônio Gomide et Victor Brecheret débarquèrent à Paris, où se trouvait déjà Vicente do Rego Monteiro, suivis en 1923 de Tarsila do Amaral, Oswald de Andrade, Anita Malfatti, Di Cavalcanti et Celso Antônio, parmi beaucoup d’autres artistes (BATISTA, 2012). C’est à Paris que Di Cavalcanti réalisa ses premiers dessins de mulâtres. Ce sujet fut ensuite associé de façon emblématique à son œuvre et il le revisita tout au long de sa vie. Dans son autobiographie, Di Cavalcanti explique : « Paris a laissé une trace dans mon intellect. Ce fut comme créer en moi une nouvelle nature, et mon amour pour l’Europe a transformé mon amour de la vie en amour de tout ce qui est civilisé. Et en tant que civilisé, j’ai commencé à connaître mon pays »7.

10 Tarsila do Amaral est peut-être celle qui exprima le mieux cette transformation subite de langage, de thématique et de conscience. En 1921, inscrite à l’Académie Julian, elle s’exerçait à faire des nus postimpressionnistes ; en 1923, élève de Fernand Léger, elle réalisa l’une de ses créations les plus emblématiques, A negra (1923, São Paulo, Museu de Arte Contemporânea da Universidade de São Paulo), considérée comme l’œuvre « pionnière d’un style moderniste brésilien »8. Dans une lettre adressée à sa famille, la peintre constatait l’intérêt que les cultures exogènes suscitaient dans les milieux intellectuels français : « Je me sens de plus en plus brésilienne : je veux être la peintre de mon pays. Ô combien je suis reconnaissante d’avoir passé toute mon enfance à la campagne, dans l’exploitation familiale. Les réminiscences de cette époque deviennent précieuses pour moi. Dans l’art, je veux être la campagnarde de São Bernardo, qui joue avec les poupées en paille, comme dans le dernier tableau que je peins en ce moment. Ne croyez pas que cette tendance soit mal perçue ici. C’est tout le contraire. Ce que l’on veut, c’est que chacun apporte la contribution de son propre pays. C’est ainsi que l’on explique les succès des ballets russes, des gravures japonaises et de la musique noire. Paris en a assez de l’art parisien »9.

11 Ainsi, le voyage de Tarsila do Amaral est considéré comme l’archétype du séjour d’artiste, un cas « paradigmatique du rapport entre une condition sociale aisée, l’acculturation française et l’alignement moderniste »10. Mariée au poète moderniste Oswald de Andrade et héritière comme lui d’une fortune considérable issue du café et

Perspective, 2 | 2013 150

du capital immobilier, Tarsila do Amaral réussit à intégrer les cercles internationaux de l’avant-garde établis à Paris grâce à de nombreuses stratégies, notamment son inscription en tant qu’élève dans les ateliers déjà célèbres d’Albert Gleizes, d’André Lhote et de Fernand Léger ; la formation d’une collection audacieuse d’œuvres modernistes grâce aux liens directs qu’elle entretenait avec les artistes eux-mêmes ou avec leurs galeristes, comme Léonce Rosenberg ; et le soin avec lequel elle construisit sa propre image de peintre pleinement moderne, comme l’atteste son autoportrait de 1923 (Rio de Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes), dans lequel elle porte un manteau de Paul Poiret, dont la réputation de couturier élégant, moderne et « exotique » conférait à ses créations un capital symbolique exploité ici par l’artiste (MICELI, 2003).

12 À cette insertion stratégique de la peintre dans l’avant-garde cubiste française s’ajoute un autre élément, plebiscité également par l’intelligentsia brésilienne : la création d’une série d’œuvres modernes en dialogue avec les avant-gardes internationales de son temps mais construite à partir d’éléments considérés comme « nationaux ». Cette « phase Pau-Brasil »11, comme elle fut nommée, caractérise les productions de Tarsila do Amaral des années 1920. Dans une lettre que lui écrivit Mário de Andrade, chef de file intellectuel du groupe moderniste pauliste, insista sur l’importance pour les artistes brésiliens de rester fidèles à leur mission, à savoir celle de représenter leur pays : « Ma très chère amie Tarsila/Faites attention ! Emplissez-vous bien des théories, des excuses et des choses vues à Paris. Lorsque vous serez de retour, nous allons nous bagarrer, pour sûr. Dès maintenant je vous lance le défi, vous tous ensemble, Tarsila, Osvaldo et Sergio, d’une discussion formidable. Vous êtes parti à Paris en bourgeois. Vous êtes épatés12. Et vous êtes devenus des futuristes ! Hi, hi, hi ! Je pleure de jalousie ! Aïe, aïe, aïe ! Quelle pédale ! Mais, c’est vrai que je vous considère, vous tous, comme des paysans de Paris. Vous n’êtes devenus des Parisiens qu’en surface. C’est horrible, Tarsila ! Tarsila, reviens vers toi-même. Laisse tomber Gris et Lhote, patrons de criticismes dégénérés et d’esthésies d’ardents ! Quitte Paris, Tarsila ! Tarsila, reviens dans la forêt vierge, où il n’y a pas d’art nègre, où il n’y a pas de torrent gentil. Il y a la FORÊT VIERGE. J’ai créé le forêtviergisme. Je suis forêtviergiste. C’est de ça que le monde, l’art, le Brésil et ma très chère Tarsila ont besoin. [...] Je t’embrasse très amicalement, Mário »13.

13 Tout au long des années 1920, cette vision du modernisme comme un mouvement de valeur nationale et internationale dont le point de départ serait la « Semaine de 22 » se constitua comme un dogme, grâce, comme nous l’avons vu, à la place occupée par ses membres dans la presse de l’époque, devenue une sorte d’arène permettant la propagation des idéaux du groupe. Menotti del Picchia, l’un de ses plus ardents défenseurs, détenait une colonne quotidienne dans le Correio Paulistano, tandis qu’Oswald de Andrade possédait une liberté totale d’écrire dans le Jornal do Commercio, tout comme dans l’éminente revue O Pirralho, dont il était propriétaire. Ce n’est pas un hasard si la plus importante manifestation des modernistes en tant que groupe fut la parution, à l’issue de la « Semaine de 22 », de la revue Klaxon, vitrine de leur production littéraire, plastique et intellectuelle, en circulation de 1922 à 1923 (MORAES, 2011, p. 163-167).

14 Hissé au statut de premier mouvement considéré comme authentiquement brésilien, assimilé à un cri de la conscience nationale, le modernisme brésilien a investi certains groupes et certains acteurs du mouvement d’un statut de grande importance ; ils sont ainsi devenus des symboles culturels – et politiques – des pouvoirs de transformation

Perspective, 2 | 2013 151

issus des nations « périphériques ». Andrea Giunta analyse la force des stratégies périphériques qui permirent à plusieurs artistes latino-américains, et en particulier ceux du mouvement Pau-Brasil né avec Tarsila do Amaral et Oswald de Andrade, de s’approprier des structures formelles primitives, en déplaçant le sens de « l’altérité » vers le centre du discours des avant-gardes. Ce faisant, les modernes contribuaient activement à développer le discours universalisant de la modernité (GIUNTA, 2011, p. 300). Discours qui, dans le cas des « modernités périphériques » (SARLO, 1988), semblaient posséder la force d’une action libératrice. Les périphéries participent enfin à des mouvements culturels centraux mais à partir de valeurs et de stratégies qui leur étaient propres.

15 Si les années 1920 furent une décennie d’effervescence du modernisme en devenir, les années 1930 s’annoncèrent comme une période de maturation et d’institutionnalisation. Le gouvernement de Getúlio Vargas (1937-1945), pour s’opposer au libéralisme et au régionalisme qui avaient caractérisé la Première République, mena une politique centralisatrice qui avait pour but de créer un « nouvel homme brésilien ». Dès lors, la culture et l’éducation devinrent prioritaires, nécessaires pour modeler l’« âme de la nation » (SCHWARZTMAN, 1984). Une série de politiques culturelles furent instaurées dans le but de promouvoir l’intégration nationale au moyen de symboles qui, aujourd’hui encore, sont des emblèmes de « brésilianité », comme la feijoada14 ; la capoeira et la samba, pratiques auparavant combattues car associées au passé esclavagiste, sont maintenant considérées comme des signes de convivialité pacifique entre races et cultures qui permettent de célébrer le « métissage » comme un élément national d’assimilation (SCHWARCZ, 1995).

16 Dans le domaine des arts et de l’architecture, le ministère dirigé par Gustavo Capanema prit la décision de faire du domaine de la culture une affaire d’État en lui attribuant des subventions qui permettaient la réalisation de commandes et en créant une intelligentsia, un corps techniquement qualifié pour assurer leur mise en œuvre (MICELI, [2001] 2005). On inaugura un champ fructueux de possibilités pour les intellectuels, les artistes et les architectes, dont plusieurs d’orientation moderniste, qui furent appelés à participer à un régime clairement autoritaire. Le cas le plus emblématique en est le siège du ministère de l’Éducation et de la Santé, dont la construction devait matérialiser les discours sur la nation. À la suite d’un concours officiel, l’architecte néocolonial Archimedes Memória fut retenu, ce qui déplut au ministre, désireux d’un langage plus moderne. Capanema annula le concours et choisit pour concevoir le nouveau siège l’architecte urbaniste d’orientation moderniste Lúcio Costa, dont le projet avait été initialement refusé. Se forma alors une équipe composée d’Affonso Reidy, de Carlos Leão, de Jorge Moreira et d’Oscar Niemeyer, auxquels il faut ajouter l’aide précieuse de Le Corbusier, l’architecte moderniste franco-suisse qui jouissait alors d’une relative renommée internationale. L’édifice constitue une parfaite synthèse visuelle du modernisme brésilien. D’un côté, il intègre des éléments du paradigme international défendu par Le Corbusier – l’utilisation de pilotis pour libérer le rez-de- chaussée, d’une façade vitrée, d’un plan libre et de brise-soleil15, facteurs associés à un discours progressiste destiné à la célébration du futur. De l’autre, il relit et réinsère une supposée « tradition » architecturale brésilienne, dans la mesure où il utilise des matériaux comme les azulejos blancs et bleus, conçus par le peintre le plus célèbre de l’époque, Candido Portinari, pour recouvrir les murs extérieurs de l’édifice ; les bois nobles nationaux (comme le sucupira) pour confectionner le plancher ; le lioz16 portugais

Perspective, 2 | 2013 152

pour revêtir les étages nobles et le gneiss carioca pour les parois latérales, deux pierres qui étaient très employées par les sculpteurs baroques. Constitué d’éléments qui matérialisent la récupération imaginaire d’un certain passé lié au baroque, cet édifice réunit le futur et le passé (WILLIAMS, 2001 ; CAVALCANTI, 2006).

17 À l’intérieur se détache l’ensemble des peintures commandées à Candido Portinari, qui avait remporté un succès en 1934 avec la composition O Mestiço (1934, São Paulo, Pinacoteca do Estado de São Paulo), qui montrait sa capacité à rendre héroïques des figures de Noirs et de métis issus des classes populaires. Son appréhension visuelle des questions raciales concordait avec le discours alors en vigueur dans les milieux intellectuels nationaux, et son art rencontra vite l’approbation de l’Estado Novo, dont il rejoignait les idéaux. Portinari réalisa dix panneaux pour le ministère, chacun figurant un des moments spécifiques des divers cycles économiques qui constituent la trajectoire de la nation : Bois-Brésil, Caoutchouc, Sucre, Café, etc. En combinant les éléments classiques et modernes et en jouant de la déformation anatomique et des éléments expressionnistes, l’artiste créait des tensions non seulement entre les plans de la composition, mais aussi entre l’idéologie travailliste et raciale propagée par le gouvernement d’une part et la représentation particulière de l’héroïsme élaborée dans la série d’autre part. Le peintre osait représenter les Noirs et les Métis comme les protagonistes de l’histoire du pays : hommes et femmes anonymes, force de travail expropriée et martyrisée (FABRIS, 1996).

18 Avec l’Estado Novo, le modernisme prit un relief considérable. Après le ministère de l’Éducation et de la Santé, le Conjunto da Pampulha, construit entre 1942 et 194317, rassembla également des noms importants de l’architecture et des beaux-arts. Réalisé à Belo Horizonte, le projet consacra définitivement Niemeyer et Portinari en tant que représentants respectivement de l’architecture et de la peinture moderniste brésilienne. D’autres commandes importantes suivirent, comme le parc d’Ibirapuera à São Paulo, inauguré en 1954, et la ville de Brasília, construite entre 1956 et 1960. Le modernisme devint l’image de marque du pays.

19 Pendant l’Estado Novo, une série d’événements visant à construire une image positive du Brésil fut organisée dans l’optique d’une politique de rapprochement entre les États- Unis et l’Amérique latine. En 1940, l’exposition Portinari of Brazil eut lieu au Museum of Modern Art (MoMA) à New York, suivie en 1943 de la très importante Brazil Builds, également au MoMA18. Conçue par le directeur de l’institution, Philip Goodwin, elle fut accompagnée d’un catalogue qui devint une référence internationale concernant l’architecture brésilienne, représentée tant par les édifices baroques que par des créations modernistes. Il ne faut pas non plus oublier la présence du Brésil à l’Exposition universelle de New York en 1939-1940, dont le pavillon a été dessiné par Costa et Niemeyer. Dans la décennie suivante, la renommée internationale de Niemeyer et de Portinari fut définitivement confirmée par leur collaboration à la construction du siège des Nations Unies à New York entre 1947 et 1953 : l’architecte carioca était l’un des co-auteurs du projet architectural, et le peintre pauliste réalisa deux immenses panneaux représentant la Guerre et la Paix. La bataille pour étendre et consolider le modernisme brésilien était gagnée.

20 Le modernisme s’imposa comme canon national incontestable jusqu’à l’arrivée, dans les années 1950, des langages constructivistes. L’introduction des courants abstraits, en particulier avec l’inauguration de la Bienal de São Paulo en 1951, remit en cause la dominance des langages figuratifs constitutifs du programme type moderniste qui

Perspective, 2 | 2013 153

s’était propagé au Brésil depuis les années 1920. Au fil des années 1950, on assista à l’ascension de l’abstraction géométrique (plus connue au Brésil sous le nom de concrétisme) comme une nouvelle avant-garde nationale (BRITO, 1985 ; COUTO, 2004). La montée de l’art abstrait entraîna la dépréciation de la production des générations précédentes et, par conséquent, une certaine marginalisation des œuvres et des artistes modernistes.

La consécration historique du modernisme

21 En 1952, l’année du trentième anniversaire de la « Semaine de 1922 », il y avait donc peu de choses à célébrer. Cependant, au moment même où le modernisme commençait à s’essouffler, un processus visant à inscrire ce mouvement dans l’histoire se mit en marche. L’origine de cette consécration historique n’est pas à chercher dans le domaine artistique, dominé par les concrétistes, mais dans le milieu universitaire. En 1953, Antonio Candido de Mello e Souza, l’un des intellectuels brésiliens les plus respectés – marié à Gilda de Mello e Souza, critique et professeur d’esthétique, cousine de Mário de Andrade – développa, dans un essai intitulé « Literatura e cultura de 1900 a 1945 », une idée déjà présente dans les écrits de Mário de Andrade. Ce dernier, prônant une mise en valeur de la culture locale, avait renoué notamment avec certaines prémisses du romantisme brésilien, une sorte d’esthétique officielle du Second Empire brésilien (1840-1889). Pour Antonio Candido de Mello e Souza, la dialectique entre le localisme et le cosmopolitisme soulevée par Mário de Andrade était un paradigme persistant qui avait constitué la « loi d’évolution de notre vie spirituelle » (SOUZA, [1965] 2000, p. 101)19. L’intellectuel identifiait le romantisme et le modernisme comme les deux moments où ce processus avait atteint son sommet. Cependant, alors que le romantisme brésilien n’avait pu rompre complètement avec le modèle européen, le modernisme avait promu d’après lui une réelle autonomie culturelle en encourageant la « libération d’une série de refoulés historiques, sociaux, ethniques, qui remontent triomphalement à la surface de la conscience littéraire. Ce sentiment de triomphe, qui marque la fin de la position d’infériorité dans le dialogue séculaire avec le Portugal – et qui ne le prend même plus en compte – définit l’originalité spécifique du modernisme dans la dialectique de l’universel et du particulier »20. Cette transformation, selon lui, avait trouvé son impulsion dans la réinterprétation d’un héritage historique – éloigné en tout de l’Europe et difficile à dépasser – marqué par l’esclavage, le métissage et le rapport à la nature et au paysage. Selon l’auteur, c’est avec le modernisme que « les handicaps, supposés ou réels, sont réinterprétés comme des atouts » et, enfin, « le mulâtre et le noir sont définitivement intégrés comme des sujets d’études, d’inspiration, d’exemple. Le primitivisme devient désormais une source du beau et non plus une entrave à l’élaboration de la culture. Et cela dans la littérature, la peinture, la musique et les sciences de l’homme »21.

22 En raison de son importance littéraire, esthétique et également politique, la publication d’Antonio Candido de Mello e Souza joua un rôle fondamental dans la diffusion de l’idée du modernisme comme un modèle canonique pour le Brésil. La position qu’il occupait dans la culture brésilienne y a également contribué : professeur de grande renommée à l’Universidade de São Paulo, il forma des générations d’enseignants, de chercheurs et de critiques toujours en exercice aujourd’hui dans les domaines artistiques et littéraires. Comme nous avons pu le remarquer, il existait une continuité intellectuelle

Perspective, 2 | 2013 154

entre la pensée de la génération moderniste des années 1920 et les analyses de Candido Mello e Souza, ou encore celles d’autres intellectuels qui se réunirent dès les années 1940 autour de la revue Clima (PONTES, 1998 ; PASSIANI, 2003). Le fait que plusieurs représentants de premier plan de la revue, y compris Candido, Gilda de Mello e Souza, Paulo Emilio Sales Gomes et Décio de Almeida Prado, aient été professeurs à l’Universidade de São Paulo, l’une des plus importantes du pays, rendit possible la réalisation de ce que Pierre Bourdieu appelle « l’imposition de la consécration des producteurs et des produits » du champ littéraire et artistique (BOURDIEU, [1992] 1996, p. 253). Leurs publications, réalisées à l’intérieur du système universitaire et perçues comme des référents de qualité, de rigueur et d’érudition, bénéficiaient du sceau de l’autorité concrète et symbolique concédée par l’institution.

23 À la suite de l’article d’Antonio Candido de Mello e Souza parurent quantité d’ouvrages de nature semblable, dans lesquels on peut identifier des thématiques récurrentes telles que la place centrale de l’intelligentsia pauliste dans la diffusion du modernisme à l’échelle nationale ; la « Semaine de 1922 » comme événement fondateur ; et la capacité du mouvement à synchroniser la production culturelle brésilienne à celle des plus importants centres de son époque, permettant ainsi de dépasser le retard historique supposé du Brésil tout en exaltant les particularités locales, populaires et métisses, liées à la prétendue reconquête de la culture nationale.

24 Au-delà de ces éléments plus substantiels, un autre aspect commun est le caractère téléologique de ces récits, qui ont eu tendance à relier différents faits historiques de façon chronologique en vue d’établir un enchaînement logique entre la constitution du groupe moderniste en 1917, la « Semaine de 22 » et des épisodes plus récents, dont le plus important fut la fondation à São Paulo du Museu de Arte Moderna (MAM) en 1948 et du Museu de Arte de São Paulo (MASP) en 1949. Cette approche caractérise des publications considérées jusqu’à présent comme des ouvrages de référence pour l’histoire de l’art brésilien, comme l’História do modernismo no Brasil de Mário da Silva Brito, publié originellement en 1958 (BRITO, [1958] 1974), et De Anita ao Museu de Paulo Mendes de Almeida, dont la première édition date de 1961 (ALMEIDA, [1961] 1976). Souvent consultés pour leur contenu informatif présumé, ces deux ouvrages sont en fait entièrement structurés selon un parti pris esthétique implicite qui consiste à présenter la fondation des musées comme la somme des actions entreprises par les modernistes à partir des années 1920.

25 En parallèle au surgissement des ouvrages cités plus haut, qui appartiennent à l’historiographie moderniste, il faut signaler un autre type de publication paru pendant cette période, moins analytique mais tout aussi important pour la dissémination plus généralisée des connaissances sur la génération des années 1920 : des témoignages et des mémoires des protagonistes de la première génération moderniste. En 1954 parut le Testamento de Mário de Andrade e outras reportagens de Francisco de Assis Barbosa (BARBOSA, 1954) puis, en 1955, les mémoires de Di Cavalcanti, intitulé Viagem da minha vida: o testamento da Alvorada (DI CAVALCANTI, [1955] 1995) ; deux ans après, Manuel Bandeira publia son récit semi-autobiographique Itinerário a Pasárgada (BANDEIRA, 1957), et l’année suivante parut un recueil des lettres de Mário de Andrade, Cartas a Manuel Bandeira (ANDRADE, BANDEIRA, 1958 ; sur la correspondance entre les deux écrivains, voir MORAES, 2000). La mise à disposition – souvent par des défenseurs plus jeunes, tels que Candido et Gilda de Mello e Souza – de ce matériau participa de façon décisive à

Perspective, 2 | 2013 155

légitimer les revendications des modernistes des années 1920 et 1930 quant à leur signification pour la culture nationale (COELHO, 2012).

26 Pendant les années 1960, non seulement de nouvelles publications vinrent renforcer le triomphe du modernisme, mais aussi certaines actions, notamment conduites par l’État, étayèrent le processus de sa consécration. Les nombreuses études existantes sur l’intervention de l’État dans le domaine des arts plastiques pendant la dictature militaire de 1964 à 1988 (voir, par exemple, RIDENTI, 2000 ; NAPOLITANO, 2011) donnent en général la priorité à l’analyse d’œuvres et d’artistes vus à travers le prisme de la résistance, la conséquence étant de focaliser l’attention sur les directives visant à limiter et à entraver la liberté artistique. Le régime militaire provoqua une production intense de textes, certains rédigés par les artistes eux-mêmes, critiquant les limites à la création artistique imposées par l’État autoritaire. Toutefois, il importe de souligner que l’interférence de l’État dans le domaine des arts plastiques ne se cantonna pas seulement à une dynamique négative, coercitive, celle d’un État censeur ; on peut y déceler aussi un programme constructif de promotion de certaines tendances, de certains groupes et/ou de certains langages artistiques, bien que soumis aux orientations idéologiques autoritaires (DURAND, [1989] 2009 ; ORTIZ, 1988).

27 L’acquisition des collections modernistes, quasiment dans leur ensemble, soutenue par le pouvoir public, en est un exemple révélateur. En 1968, grâce à l’entremise de Candido de Mello e Souza, l’Universidade de São Paulo put acquérir la collection d’art de Mário de Andrade, accompagnée des archives personnelles de l’écrivain – réunissant une impressionnante collection de lettres échangées avec les personnalités de son époque – et de sa bibliothèque (BATISTA, LIMA, 1998). Cette acquisition fut suivie, l’année suivante, de celle de la collection, des archives et de la bibliothèque d’un autre grand écrivain et collectionneur moderniste, Guilherme de Almeida, par l’État de São Paulo22. L’achat de tels ensembles documentaires mit en évidence une préférence de l’État pour des mémoires et des productions modernistes, alors même qu’aucune politique semblable d’acquisition, de mécénat ou de soutien direct n’était menée en direction des artistes vivants (BRITO, [1975] 2005). La portée posthume de ces acquisitions mérite d’être signalée, dans la mesure où leur dimension publique implique un accès permanent et renouvelé à ces sources, suscitant des recherches (universitaires ou autre) en continu, et augmentant leur importance et leur légitimité jusqu’à nos jours (COELHO, 2012).

28 C’est également à cette même époque, entre le milieu des années 1960 et le milieu des années 1970, que se consolida un marché de l’art au Brésil, grâce notamment à l’appui indirect de l’État, qui mit en place des accords avec le système bancaire national afin d’octroyer des lignes de crédit spécifiques pour l’acquisition d’œuvres d’art. Pendant cette décennie de miracle économique, l’œuvre d’art devint un objet d’investissement, participant ainsi à la constitution d’un marché de biens symboliques au Brésil (ORTIZ, 1988). S’agissant initialement de ventes de bienfaisance, ce système, alimenté par des ventes aux enchères, assuma peu à peu un caractère commercial, et les prix pratiqués ont commencé à servir de références pour les galeries privées, alors en plein essor.

29 Dans ce contexte, les œuvres des artistes modernistes brésiliens devinrent progressivement les marchandises les plus convoitées. À la fin des années 1960, et selon une stratégie purement commerciale, des marchands d’art à São Paulo firent l’acquisition à bas prix d’œuvres de peintres modernistes faiblement cotés et relativement oubliés, et se mirent à les stocker. En même temps, ils investirent dans la constitution d’une histoire de la peinture brésilienne à partir du matériel qu’ils

Perspective, 2 | 2013 156

détenaient, faisant publier des livres sur les artistes concernés, dont ils exposaient aussi les œuvres dans leurs galeries (DURAND, [1989] 2009 ; BUENO, 2012). Ce processus de valorisation marchande de la production moderniste fut concomitant avec la disparition des membres les plus remarquables du mouvement (Lasar Segall décèda en 1957, José Gianini Pancetti en 1959, Candido Portinari et Alberto da Veiga Guignard en 1962, Anita Malfatti en 1964, Vicente do Rego Monteiro en 1970, et Tarsila do Amaral et Flávio de Carvalho en 1973), circonstance qui augmenta la rareté de leurs œuvres, datées et limitées, et fit grimper leur cote sur un marché caractérisé par la circulation de biens en quantité restreinte.

30 Le cinquantenaire de la Semaine d’art moderne, célébré en 1972, marqua l’apogée de la consécration du modernisme, désormais encensé par la critique, l’université, le marché, les musées, les collectionneurs et même, bien qu’indirectement, par l’État. Durant les années 1970, plusieurs de ses membres les plus connus firent l’objet d’études monographiques rigoureuses, effectuées par des chercheurs réputés, en général liés à l’université. Ces ouvrages furent rapidement publiés et constituent encore maintenant les principaux livres de référence sur chacun de ces artistes. Ainsi Portinari, pintor social, mémoire de deuxième cycle soutenu par Annateresa Fabris en 1975 (FABRIS, [1975] 1990), Tarsila, sua obra e seu tempo, thèse de doctorat soutenu par Aracy Amaral en 1975 (AMARAL, [1975] 2003), et, en 1980, Anita Malfatti e o início da arte moderna no Brasil, mémoire de deuxième cycle soutenu par Marta Rossetti Batista (BATISTA, [1980] 2006). Reconnus en tant que groupe, les modernistes furent également compris comme des singularités artistiques, des puissances créatives individualisées. Le cycle de consécration touchait à sa fin.

Le modernisme en débat

31 Les critiques contre ce phénomène ne tardèrent pas à surgir. Déjà en 1975, dans un article important intitulé « Análise do circuito », Ronaldo Brito souligna les limites et les vices du rapport entre l’art et le marché de l’art au Brésil au début des années 1970 (BRITO, [1975] 2005). Se gardant d’adopter le ton optimiste et flatteur qui prédominait dans les discours de l’époque sur la croissance du marché de l’art, vue comme l’un des signes de la transformation économique du pays, l’auteur exposa dans ce texte son caractère limité et élitiste. Les critiques et les historiens n’échappèrent pas non plus aux reproches : plutôt que d’accomplir leurs tâches en toute indépendance, ils s’étaient faits les « inventeurs » d’auteurs et d’artistes oubliés du passé, les inscrivant dans une tradition culturelle nationale et dressant une histoire de l’art brésilien dont les contours reflétaient non pas ses aspects formels et esthétiques, mais plutôt les intérêts des galeries qu’ils représentaient (BRITO, [1975] 2005, p. 58).

32 Ronaldo Brito revint à plusieurs reprises dans ses écrits sur les limites du modernisme brésilien, esquissant au fil de ses écrits une approche interprétative réfractaire à l’historiographie dominante. À la rigueur, pour Brito, ainsi que pour la génération qui lui succéda et qui détient aujourd’hui une position prestigieuse dans la critique culturelle nationale, les premières productions modernistes ne furent pas proprement modernes. Appelées a posteriori à représenter une « culture authentiquement nationale », elles furent plutôt conçues dans l’optique d’« un rite de passage vers la modernité ». Et elles ouvrirent ce chemin « paradoxalement aux dépens de la conquête culturelle moderne par excellence : l’autonomie de l’expérience du moi lyrique

Perspective, 2 | 2013 157

moderne et son abandon total à l’aventure de l’œuvre »23. De son point de vue, ce fut seulement dans les années 1950, avec le triomphe au Brésil de l’abstraction (le concrétisme) et en particulier avec l’internationalisation suscitée par la Bienal de São Paulo, que se constitua au Brésil une conscience esthétique proprement moderne (BRITO, 1985).

33 C’est ainsi qu’apparaît une contradiction intéressante : ce qui semblait être la force culturelle du premier modernisme – sa capacité à incarner un art à la fois national et moderne – fut également sa limite. Pour des auteurs comme Ronaldo Brito, Rodrigo Naves (NAVES, 1996) et même Tadeu Chiarelli (CHIARELLI, 2012), les modernistes des années 1920 à la fin des années 1940, en répondant aux exigences idéologiques du moment, furent incités à figurer dans leurs œuvres une supposée réalité nationale. Ils restèrent ainsi prisonniers d’un schéma traditionnel de représentation, avec des référents visuels précis, ce qui donna lieu à une conception presque narrative de la peinture. Comme l’affirme Brito, les toiles de cette première génération « signifient beaucoup » ; leurs auteurs étaient enfermés dans une rhétorique sociale et humaine qui ne leur permettait pas de considérer l’espace de la toile comme pleinement autonome, un champ de recherches éminemment formelles (BRITO, 1985, p. 13). À la différence du modernisme français, dont ils se réclamaient les héritiers éloignés, les modernistes brésiliens se limitèrent au sujet, à l’asservissement de la peinture à un contenu. Dans les Cinq filles à Guaratinguetá d’Emiliano Di Cavalcanti, par exemple, une relecture des Demoiselles d’Avignon de Pablo Picasso, le thème de la prostituée et du nu féminin semblait inspirer l’artiste bien plus que la dissolution de la perspective qui fait de l’œuvre de Picasso un jalon dans l’histoire de l’art. De même, Tarsila do Amaral, en formation dans l’atelier de Léger, choisit comme modèle Paysages animés, la série la moins audacieuse et la plus figurative de son maître, sans conserver sa critique de la modernité (MICELI, 2003). Il convient cependant de remarquer que les critiques à propos du caractère peu moderne du modernisme brésilien relèvent d’une perspective théorico-méthodologique particulière, établie notamment par Clement Greenberg24. Celle-ci privilégie l’auto-référentialité comme critère de valeur, excluant ainsi les injonctions sociales, historiques et politiques qui forment le contexte de l’œuvre. Cette approche mit en avant certains modes d’expression artistiques, comme la peinture et la sculpture, ce qui signifie l’exclusion a priori de certains mouvements et pratiques artistiques tels que l’Art nouveau, l’Art déco, le design et la mode, ou encore certains courants artistiques figuratifs, par exemple le surréalisme. Enfin, faisant abstraction des contextes et des conditions de création, elle prend pour acquis que la logique de développement des champs artistiques français et nord-américain est exemplaire, et les présente comme des modèles abstraits et universels à suivre, notamment par des pays dont la vie artistique possède une histoire propre, souvent distincte de celles désignées comme exemplaires.

34 Dans le cas brésilien, ce dernier aspect est décisif. Si l’historienne de l’art Annateresa Fabris convient que les œuvres des modernistes ne sont pas modernes selon la perspective soutenue par le paradigme greenbergien, elle affirme qu’elles le furent d’un autre point de vue, dans la mesure où elles suscitèrent une conscience esthétique culturelle nouvelle et radicale au sein de la société locale (FABRIS, 1994b). Aussi est-il possible de penser qu’il y eût au Brésil une avant-garde avant le modernisme, ou mieux encore, un modernisme qui s’affirma non par des langages artistiques en voie d’autonomisation, mais par des stratégies d’intervention collectives et par le rapport

Perspective, 2 | 2013 158

avec le public qu’il visait à provoquer. Comme elle l’affirme : « Elle est paradoxale, notre avant-garde, partagée entre le passé et le présent, encore dubitative au sujet de la signification de l’art moderne, polémique dans quelques-unes de ses propositions les plus extrémistes mais tout de même consciente de la nécessité d’une action violente si l’on souhaite imprimer de nouveaux rythmes à la création culturelle au Brésil »25.

35 Outre les divergences quant à la définition du modernisme et la conciliation de l’expérience historique particulière du cas brésilien avec des concepts prétendument universels, d’autres tensions traversent aujourd’hui le débat historiographique. Parmi elles, on trouve la question géopolitique qui étaie les récits modernistes. Celle-ci consiste à mettre en cause la croyance largement répandue que le modernisme brésilien est un produit pauliste à l’origine qui se serait propagé dans tout le Brésil à partir de cet épicentre. Plusieurs études des dernières années insistent sur l’importance des arts graphiques et de quelques œuvres plastiques réalisées à Rio de Janeiro au tournant du XXe siècle, et leur rôle dans la formation d’une nouvelle conception visuelle propre aux transformations urbaines en cours dans la capitale sous la Première République – conception qui aurait précédé la conscience moderne urbaine revendiquée par les défenseurs de la « Semaine de 22 » (VELLOSO, 1996 ; HERKENHOFF, 2002). D’autres études dénoncent les récits qui tendent à méconnaître et à sous-estimer la dynamique propre de la production et de la circulation des œuvres dans d’autres capitales régionales (BULHÕES, 1995 ; TEJO, 2012).

36 Il faut encore mentionner les nombreux travaux universitaires qui proposent une réinterprétation des critiques lancées par les modernistes de São Paulo contre les pratiques académiques (COLI, 2005 ; MIGLIACCIO, 2000 ; MARQUES, 2001 ; CHIARELLI, 2010 ; DAZZI, 2011). Les recherches actuelles sur la création au Brésil autour de 1900 montrent que la vision d’une académie restée hostile aux intenses transformations politiques et sociales survenues à la suite de la proclamation de la République en 1889 est incorrecte. Ces analyses ont considérablement élargi la compréhension de la signification historique du terme moderne au Brésil, contestant ainsi le monopole revendiqué par les travaux canoniques sur le modernisme produits dans les années 1970 et 1980.

37 Ces différends à propos des origines, des dates, des lieux et des significations de ce qui est ou n’est pas moderne au Brésil font remonter à la surface la vitalité et la place centrale de ce sujet pour l’art et la culture du Brésil. Plutôt que de chercher une issue à cette impasse, il nous semble préférable d’invoquer Pierre Bourdieu, qui caractérisa l’art moderne justement comme une lutte permanente entre les membres du domaine artistique pour imposer leur propre définition de ce que sont l’art et l’artiste (BOURDIEU, [1992] 1996, p. 255-281). Le concept de modernisme n’impliquerait donc pas un style unique, facilement identifiable par des caractéristiques formelles ou historiques précises et dont les origines et les maîtres seraient indiscutables ; il s’agit plutôt d’un concept en négociation permanente, dont le sens spécifique est revendiqué par chacun des groupes, des artistes, des critiques et des historiens impliqués dans cet univers concurrentiel, tous convaincus de leurs croyances, passionnés par ce qu’ils font et incertains quant aux victoires futures.

Perspective, 2 | 2013 159

BIBLIOGRAPHIE

– ALMEIDA, (1961) 1976 : Paulo Mendes de Almeida, De Anita ao museu, São Paulo, (1961) 1976.

– AMARAL, 1970 : Aracy Amaral, Artes plásticas na Semana de 22, São Paulo, 1970.

– AMARAL, (1975) 2003 : Aracy Amaral, Tarsila, sua obra e seu tempo, São Paulo, (1975) 2003.

– AMARAL, 1998 : Aracy Amaral, Artes plásticas na Semana de 22, São Paulo, 1998.

– ANDRADE, BANDEIRA, 1958 : Mário de Andrade, Manuel Bandeira, Cartas de Mário de Andrade a Manuel Bandeira, Rio de Janeiro, 1958.

– BANDEIRA, 1957 : Manuel Bandeira, Itinerário de Pasárgada: de poetas e de poesia, Rio de Janeiro, 1957.

– BARBOSA, 1954 : Francisco de Assis Barbosa, Testamento de Mário de Andrade e outras reportagens, Brasília, 1954.

– BATISTA, 1972 : Marta Rossetti Batista, Brasil: I tempo Modernista, 1917-1929, São Paulo, 1972.

– BATISTA, (1985) 2006 : Marta Rossetti Batista, Anita Malfatti: no tempo e no espaço, São Paulo, (1985) 2006.

– BATISTA, LIMA, 1998 : Marta Rossetti Batista, Yone Soares de Lima, Coleção Mário de Andrade: Artes plásticas, São Paulo, 1998.

– BATISTA, 2012 : Marta Rossetti Batista, Os artistas brasileiros na Escola de Paris: anos 1920, São Paulo, 2012.

– BOURDIEU, (1992) 1996 : Pierre Bourdieu, As regras da arte: gênese e estrutura do campo literário, São Paulo, 1996 [éd. fr. : Les Règles de l’art : genèse et structure du champ littéraire, Paris, 1992].

– BRITO, (1958) 1974 : Mário da Silva Brito, História do modernismo brasileiro, 1, Antecedentes: a Semana de Arte Moderna, São Paulo, (1958) 1974.

– BRITO, 1983 : Ronaldo Brito, « A semana de 22: o trauma do moderno », dans Sérgio Tolipan et al., Sete ensaios sobre o modernismo, Rio de Janeiro, 1983, p. 13-18.

– BRITO, 1985 : Ronaldo Brito, Neoconcretismo: vértice e ruptura do projeto construtivo brasileiro, Rio de Janeiro, 1985.

– BRITO, (1975) 2005 : Ronaldo Brito, « Análise do circuito », dans Ronaldo Brito, Experiência crítica, Sueli de Lima éd., São Paulo, 2005, p. 53-63 [éd. orig. dans Malasartes, 1, 1975].

– BUENO, 2012 : Maria Lucia Bueno, « Arte e mercado no Brasil em meados do século XX », dans Maria Lucia Bueno, Sociologia das Artes Visuais no Brasil, São Paulo, 2012, p. 75-95.

– BULHÕES, 1995 : Maria Amélia Bulhões éd., Artes plásticas no Rio Grande do Sul: pesquisas recentes, Porto Alegre, 1995.

– CAVALCANTI, 2006 : Lauro Cavalcanti, Moderno e brasileiro: a história de uma nova linguagem na arquitetura (1930-60), Rio de Janeiro, 2006.

– CHIARELLI, 1995 : Tadeu Chiarelli, Um jeca nos vernissages: Monteiro Lobato e o desejo de uma arte nacional no Brasil, São Paulo, 1995.

Perspective, 2 | 2013 160

– CHIARELLI, 2010 : Tadeu Chiarelli, « De Anita à academia », dans Novos Estudos, 88, 2010, p. 113-132.

– CHIARELLI, 2012 : Tadeu Chiarelli, Um modernismo que veio depois: arte no Brasil, primeira metade do século XX, São Paulo, 2012.

– COELHO, 2012 : Frederico Coelho, A semana sem fim: celebrações e memória da Semana de Arte Moderna de 1922, Rio de Janeiro, 2012.

– COLI, 2005 : Jorge Coli, Como estudar a arte brasileira do século XIX?, São Paulo, 2005.

– COUTO, 2004 : Maria de Fatima Morethy Couto, Por uma vanguarda nacional: a crítica brasileira em busca de uma identidade artística (1940-1960), São Paulo, 2004.

– COUTO, 2012 : Maria de Fatima Morethy Couto, « Arte engajada e transformação social : Hélio Oiticica e a exposição Nova Objetividade Brasileira », dans Estudos Históricos, 25/49, janvier- juin 2012, p. 71-87.

– CYPRIANO, 2012 : Fabio Cypriano, « O Banco de dados do Itaú Cultural: sobre o passado e o futuro », dans Observatório Itaú Cultural, 13, 2013, publié en ligne : http:// d3nv1jy4u7zmsc.cloudfront.net/wp-content/uploads/2013/01/Revista-Observat%C3%B3rio-IC-n. 13.pdf (consulté le 28 novembre 2013).

– DAZZI, 2011 : Camila Dazzi, « Pôr em prática a Reforma da antiga Academia »: a concepção e a implementação da reforma que instituiu a Escola Nacional de Belas Artes em 1890, thèse, Universidade Federal do Rio de Janeiro, 2011.

– DI CAVALCANTI, (1955) 1995 : Emiliano Di Cavalcanti, Viagem da minha vida (memórias), Rio de Janeiro, (1955) 1995.

– DURAND, (1989) 2009 : José Carlos Durand, Arte, privilégio e distinção: artes plásticas, arquitetura e classe dirigente no Brasil, 1855/1985, São Paulo, (1989) 2009.

– FABRIS, 1990 : Annateresa Fabris, Portinari, pintor social, São Paulo, 1990.

– FABRIS, 1994a : Annateresa Fabris, O futurismo paulista: hipóteses para o estudo da chegada da vanguarda ao Brasil, São Paulo, 1994.

– FABRIS, 1994b : Annateresa Fabris, Modernidade e modernismo no Brasil, Campinas, 1994.

– FABRIS, 1996 : Annateresa Fabris, Candido Portinari, São Paulo, 1996.

– FIALHO, 2012 : Ana Letícia Fialho, « ‘Economias’ das exposições de arte contemporânea no Brasil: notas de uma pesquisa », dans Lia Calabre éd., Políticas culturais: pesquisa e formação, São Paulo/Rio de Janeiro, 2012.

– FONSECA, 1997 : Maria Cecília Londres Fonseca, O patrimônio em processo: trajetória da política federal de preservação no Brasil, Rio de Janeiro, 1997.

– GIUNTA, 2011 : Andrea Giunta, Escribir las imágenes: ensayos sobre arte argentino y latinoamericano, Buenos Aires, 2011.

– HERKENHOFF, 2002 : Paulo Herkenhoff, Arte brasileira na coleção Fadel: da inquietação do moderno à autonomia da linguagem, Rio de Janeiro, 2002.

– MARQUES, 2001 : Luiz Marques, 30 Mestres da Pintura no Brasil: 30 anos Credicard, São Paulo, 2001.

– MARTINS, 2002 : Carlos Ferreira Martins, « Construir uma arquitetura, construir um país », dans Brasil: da Antropofagia à Brasília, 1920-1950, Jorge Schwartz éd., (cat. expo., São Paulo, Museu de Arte Brasileira, 2002-2003), São Paulo, 2002, p. 373-384.

Perspective, 2 | 2013 161

– MICELI, 2003 : Sergio Miceli, Nacional estrangeiro: história social e cultural do modernismo artístico em São Paulo, São Paulo, 2003.

– MICELI, (2001) 2005 : Sergio Miceli, Intelectuais à brasileira, São Paulo, (2001) 2005.

– MIGLIACCIO, 2000 : Luciano Migliaccio, « O século XIX », dans Mostra do Redescobrimento: arte do Século XIX, Nelson Aguilar éd., (cat. expo., São Paulo, Parque Ibirapuera, 2000), São Paulo, 2000, p. 36-217.

– MORAES, 2000 : Marco Antonio Moraes éd., Correspondência Mário de Andrade & Manuel Bandeira, São Paulo, 2000.

– MORAES, 2011 : Rubens Borba de Moraes, Testemunha ocular (recordações), Brasília, 2011.

– NAPOLITANO, 2011 : Marcos Napolitano, Coração Civil: arte, resistência e lutas culturais durante o regime militar brasileiro (1964-1980), thèse, Universidade de São Paulo, 2011.

– NAVES, 1996 : Rodrigo Naves, A forma difícil: ensaios sobre a arte brasileira, São Paulo, 1996.

– ORTIZ, 1988 : Renato Ortiz, A moderna tradição brasileira: cultura brasileira e indústria cultural, São Paulo, 1988.

– PASSIANI, 2003 : Enio Passiani, Nas trilha do Jeca: Monteiro Lobato e a formação do campo literário no brasil, São Paulo, 2003.

– PONTES, 1998 : Heloisa Pontes, Destinos mistos: os críticos do grupo Clima em São Paulo, 1940-68, São Paulo, 1998.

– RIDENTI, 2000 : Marcelo Ridenti, Em busca do povo brasileiro: artistas de Revolução, do CPC à Era da TV, Rio de Janeiro/São Paulo, 2000.

– RUBINO, 1992 : Silvana Rubino, As fachadas da história, mémoire de Master, Universidade Estadual de Campinas, 1992.

– SARLO, 1988 : Beatriz Sarlo, Una modernidad periférica. Buenos Aires 1920 y 1930, Buenos Aires, 1988.

– SCHWARTZMAN, 1984 : Simon Schwartzman et al., Tempos de Capanema, São Paulo/Rio de Janeiro, 1984.

– SCHWARCZ, 1995 : Lília Schwarcz, « Complexo de Zé Carioca. Notas sobre uma identidade mestiça e malandra », dans Revista Brasileira de Ciências Sociais, 10/29, octobre 1995, p. 6-29.

– SOUZA, (1953) 2000 : Antonio Candido de Mello e Souza, « Literatura e cultura de 1900 a 1945 », dans Literatura e sociedade, São Paulo, (1953) 2000.

– TEJO, 2012 : Cristiana Tejo et al., Uma história da arte?, Recife, 2012.

– VELLOSO, 1996 : Mônica Pimenta Velloso, Modernismo no Rio de Janeiro: Turunas e Quixotes, Rio de Janeiro, 1996.

– WILLIAMS, 2001 : Daryle Williams, Culture Wars in Brazil: The First Vargas Regime, 1930-1945, Durham (VA), 2001.

NOTES

1. Le Brésil est composé de vingt-six États et du district fédéral (ou se trouve Brasília, la capitale fédérale), dotés d’une relative autonomie politique, économique et juridique, et marqués par plusieurs clivages internes et d’inégalités à différents niveaux. Chaque État a généralement un

Perspective, 2 | 2013 162

système universitaire, avec des institutions publiques (fédérales et/ou de l’État) et d’autres privées. Le pays possède de nombreux centres intellectuels et culturels, mais les ressources sont concentrées surtout dans les États de São Paulo, Rio de Janeiro, Minas Gerais, Rio Grande do Sul, Pernambuco, Bahia et Brasília. Ces divisions entraînent des partis pris historiographiques relativement distincts, la géopolitique étant l’un des axes qui articulent le débat, aux côtés d’autres perspectives théoriques et méthodologiques plus générales. Le marché de l’art est plutôt concentré à São Paulo et à Rio de Janeiro, qui se disputent le titre de « capitale artistique et intellectuelle » du pays, malgré l’importance de la production historiographique des autres États. Sur le champ artistique brésilien, les musées et les politiques publiques, voir FIALHO, 2012 ; sur la concentration d’expositions et de commissaires à São Paulo et à Rio de Janeiro, consulter CYPRIANO, 2012. 2. L’idée de la Semaine de Deauville comme modèle pour la Semaine d’art moderne de 1922 a été proposée par Marinette Prado, épouse de Paulo Prado, un riche intellectuel de São Paulo qui était l’un des mécènes de la « Semaine de 22 ». Selon son témoignage recueilli par Aracy Amaral, la Semaine de Deauville se tenait chaque l’été, depuis le XIXe siècle, et proposait des expositions de peinture, de mode, etc. (voir AMARAL, 1998, p. 128-129). 3. Anita Malfatti étudia la peinture à Berlin sous Fritz Burger et de 1910 à 1914, puis rentra au Brésil en 1914 au début de la Première Guerre mondiale. Dès l’année suivante, toujours grâce à des subventions et des ressources familiales, elle poursuivit ses études de peinture à New York. Élève dans un premier temps à la Art Students League, elle étudia ensuite sous Homer Bross à la Independent School of Art, où elle resta jusqu’à son retour définitif au Brésil en 1917 (BATISTA, [1985] 2006). 4. Monteiro Lobato, « A Propósito da Exposição Malfatti », dans O Estado de S. Paulo, 20 décembre 1917. 5. « […] em termos concretos, toda a vida intelectual era dominada pela grande imprensa, que constituía a principal instância de produção cultural da época e que fornecia a maioria das gratificações e posições intelectuais » (MICELI, [2001] 2005, p. 17). 6. Plusieurs des premiers articles des modernistes ont été publiés dans les livres de Marta R. Batista (BATISTA, 1972) et Mário da Silva Brito (BRITO, [1958] 1974). 7. « […] Paris pôs uma marca na minha inteligência. Foi como criar em mim uma nova natureza e o meu amor à Europa transformou meu amor à vida em amor a tudo que é civilizado. E como civilizado comecei a conhecer minha terra » (DI CAVALCANTI, [1955] 1995, p. 142). 8. « […] pioneira de um estilo modernista brasileiro » (AMARAL, [1975] 2003, p. 97). 9. « [...] Sinto-me cada vez mais brasileira: quero ser a pintora de minha terra, Como agradeço por ter passado na fazenda a minha infância toda. As reminiscências desse tempo vão se tornando preciosas para mim. Quero, na arte, ser a caipirinha de São Bernardo, brincando com bonecas de mato, como no ultimo quadro que estou pintando. Não pensem que essa tendência é mal vista aqui. Pelo contrario. O que se quer aqui é que cada um traga contribuição do seu próprio país. Assim se explicam os sucessos dos bailados russos, das gravuras japonesas e da musica negra. Paris está farta de arte parisiense (AMARAL, [1975] 2003, p. 78). 10. « […] paradigmático da relação entre condição abastada, aculturação francesa e alinhamento modernista » (DURAND, [1989] 2009, p. 77). 11. Le pau-brasil, ou bois-brésil, une espèce végétale qui était abondante au moment de l’arrivée des Portugais dans le Nouveau Monde, a donné son nom au pays. La revendication de cette expression par les modernistes locaux reflétait donc l’importance qu’ils attribuaient aux questions « natives ». 12. En français dans le texte. 13. « Tarsila, minha querida amiga/Cuidado! Fortifiquem-se bem de teorias e desculpas e coisas vistas em Paris. Quando vocês aqui chegarem, temos briga, na certa. Desde já, desafio vocês todos

Perspective, 2 | 2013 163

juntos, Tarsila, Osvaldo e Sergio para uma discussão formidável. Vocês foram a Paris como burgueses. Estão épatés. E se fizeram futuristas! hi! hi! hi! choro de inveja UI! Ui! Ui! Mas que viado! Mas é verdade que considero vocês todos uns caipiras em Paris. Vocês se parisianizaram na epiderme. Isso é horrível! Tarsila, Tarsila, volta para dentro de ti mesma. Abandona o Gris e o Lhote, empresários de criticismos decrépitos e de estesias de ardentes! Abandona Paris! Tarsila! Tarsila!Vem para a mata virgem, onde não há arte negra, onde não há também arroios gentis. Há MATA VIRGEM. Criei o matavirgismo. Sou matavirgista. Disso é que o mundo, a arte, o Brasil e minha queridíssima Tarsila precisam. [...] Um abraço muito amigo do Mário » (Mário de Andrade, dans AMARAL, [1975] 2003, p. 369). 14. Feijoada est un plat traditionnel des esclaves au Brésil composé de haricots et de morceaux de viande de porc mélangés à du riz blanc (introduit par des immigrés japonais au XIXe siècle) et à du chou (une plante indigène). Pendant la période du gouvernement de Getúlio Vargas, il était exalté comme étant « la nourriture typique nationale » car il permettait de célébrer la notion de mixité culturelle/raciale prônée par le régime. 15. En français dans le texte. 16. Pierre calcaire blanche utilisée pour la statuaire et les travaux d’architecture. Elle sert aussi à faire des plaques de revêtement. 17. Le complexe de la Pampulha, situé au bord d’un lac artificiel, à 18 kilomètres de Belo Horizonte, se composait de quatre bâtiments : le casino (devenu le musée d’art), la Maison de bals (devenue le Centre d’études sur l’urbanisme, l’architecture et le design), le Yacht Club et la merveilleuse église São Francisco de Assis, entièrement décorée par Portinari. Ce fut le premier grand projet d’Oscar Niemeyer. 18. Portinari of Brazil, (cat. expo., New York, The Museum of Modern Art, 1940), New York, 1940 ; Brazil Builds: Architecture New and Old, 1652-1942, Philip L. Goodwin éd., (cat. expo., New York, The Museum of Modern Art, 1943), New York, 1943. 19. La première partie de l’article a d’abord été publiée en 1953, dans un magazine allemand intitulé Staden-Jahrbuch, puis dans la première édition du livre de Cândido Mello e Souza, Literatura e sociedade: estudos de teoria et história literária, paru à São Paulo en 1965 (COELHO, 2012, p. 90). 20. « […] libertação de uma série de recalques históricos, sociais, étnicos, que são trazidos triunfalmente à tona da consciência literária. Este sentimento de triunfo, que assinala o fim da posição de inferioridade no diálogo secular com Portugal e já nem o leva mais em conta define a originalidade própria do Modernismo na dialética do geral e do particular » (SOUZA, [1953] 2000, p. 110). 21. « […] o mulato e no negro são definitivamente incorporados como temas de estudo, inspiração, exemplo. O primitivismo é agora fonte de beleza e não mais empecilho à elaboração da cultura. Isso na literatura, na pintura, na música, nas ciências do homem » (CÂNDIDO, [1953] 2000, p. 110). 22. Voir le site des archives : www.casaguilhermedealmeida.org.br (consulté le 15 septembre 2013). 23. « […] paradoxalmente às custas da conquista cultural moderna por excelência: a autonomia da experiência do eu lírico moderno e sua entrega total à aventura da obra » (BRITO, [1975] 2005, p. 137). 24. Sur l’importance de Clement Greenberg pour la critique brésilienne, voir FABRIS, 1994a et COUTO, 2004, ainsi qu’un entretien avec le critique d’art Rodrigo Naves : www.forumpermanente.org/rede/numero/rev-numero7/entrevRodrigoNav (consulté le 15 septembre 2013). 25. « Paradoxal vanguarda a nossa, dividida entre passado e presente, ainda incerta sobre o significado da arte moderna, polêmica em relação a algumas de suas propostas mais extremistas,

Perspective, 2 | 2013 164

mas assim mesmo consciente da necessidade de uma ação violenta se se quisessem imprimir novos ritmos à criação cultural no Brasil » (FABRIS, 1994a, p. 24-25).

RÉSUMÉS

Au Brésil, les créations artistiques de ce qu’on a appelé le premier modernisme brésilien (aux environs de 1920-1940) ont acquis une réelle consécration. Ce sont plus que des objets esthétiques, on leur attribue des valeurs symboliques. Le présent article prétend analyser le processus social qui a élaboré cette consécration en considérant trois moments. Le premier se caractérise par l’émergence de l’histoire de l’art moderne au Brésil, fondée sur les actions et les discours divulgués par les protagonistes du mouvement eux-mêmes. Le deuxième se réfère à l’institutionnalisation de la valeur des œuvres et des artistes. Un processus qui impliqua divers autres agents comme les interventions du milieu universitaire, les acquisitions officielles de fonds réalisées par le régime autoritaire du Brésil et les stratégies du marché de l’art entre la fin des années 1960 et le milieu des années 1970. Pour finir, du milieu des années 1970 à nos jours encore, se manifeste un révisionnisme critique des limites formelles, politiques et historiques de ce mouvement. À la fois objet de dévotion et de rejet, le modernisme brésilien se présente comme un fait culturel d’une importance sans pareille pour le domaine artistique brésilien.

In Brazil, the artistic creations associated with what has come to be called the first Brazilian modernism (from 1920 to 1940) have now been fully consecrated. Beyond their aesthetic value, they have also come to acquire symbolic significance. The present article proposes to analyze the social process that gave rise to the canonization of modernism by breaking them into three phases. The first stage marks the emergence of a history of modernism in Brazil based on the actions and words of the actual protagonists of the movement. The second refers to the institutionalization of the value of the works and the artists involved, implying the participation of various other factors, including the intervention of scholars, the official acquisition of collections and archives by the authoritarian regime, and the strategies of the art market between the end of the 1960s and the middle of the 1970s. Third, from the mid-1970s to the present day, critical analyses of the formal, political, and historical limits of the movement have revised the ways in which Modernism is considered. Both adulated and rejected, it emerges as a cultural fact of unequaled importance for the field of art in Brazil.

As produções artísticas do denominado primeiro modernismo brasileiro (circa 1920-1940) são muito consagradas no Brasil, mais do que objetos estéticos, a elas são atribuídos valores simbólicos. O presente artigo pretende analisar o processo social de construção de tal consagração, para tanto dividindo-o em três momentos. O primeiro caracteriza-se pela emergência da história da arte moderna no Brasil, o qual está calcado nas ações e discursos promovidos pelos protagonistas do próprio movimento. Uma segunda etapa consiste na institucionalização da crença no valor de tais obras e artistas, processo que contou com participação de diversos agentes outros, como a produção acadêmica, as aquisições oficiais de acervos empreendida pelo regime autoritário no Brasil, as estratégias do mercado de arte entre finais dos anos 1960 e meados dos anos de 1970. Finalmente, um terceiro momento, que se inicia em meados dos anos 70 e persiste até hoje, consiste no revisionismo crítico sobre os limites formais, políticos e históricos de tal movimento. Alvo de devoção e de rejeição, o modernismo

Perspective, 2 | 2013 165

brasileiro configura-se como um fato cultural de importância ímpar para o campo artístico brasileiro.

In Brasilien haben die Kunstwerke der sogenannten ersten brasilianischen Moderne (ca. 1920 bis 1940) echte Anerkennung erlangt. Über ihren Platz als ästhetische Objekte hinaus lässt man ihnen symbolische Werte zuteilwerden. Der vorliegende Artikel beschäftigt sich mit der Analyse des sozialen Prozesses dieser Anerkennung, indem er auf drei Schlüsselmomente eingeht. Der Erste charakterisiert die Entstehung der Geschichte moderner Kunst in Brasilien, die auf den Aktionen und den Diskursen, die von den Protagonisten der Bewegung selbst verbreitetet wurden, beruht. Der zweite Moment betrifft die Werte-Institutionalisierung der Kunstwerke und Künstler. Diese Entwicklung hat diverse andere Akteure miteinbezogen, darunter die Beteiligungen des universitären Milieus, die offiziellen Sammlungsankäufe des autoritären Regimes Brasiliens und die Strategien des Kunstmarkts Ende der 1960er und Mitte der 1970er Jahre. Als dritten und letzten Punkt benennt die Autorin einen kritischen Revisionismus, der seit der Mitte der siebziger Jahre bis heute die formalen, politischen und historischen Grenzen dieser Bewegung hinterfragt. Die brasilianische Moderne als Gegenstand von Verehrung und zugleich Ablehnung stellt einen kulturellen Begriff von einzigartiger Bedeutung für den künstlerischen Bereich Brasiliens dar.

In Brasile, le creazioni artistiche di ciò che è stato definito primo modernismo brasiliano (1920-1940 circa) hanno raggiunto una consacrazione effettiva: sono ben più di opere estetiche, giacché vengono loro attribuiti dei valori simbolici. Il presente articolo si propone di analizzare in tre tempi il processo sociale che ha portato a questa consacrazione. Il primo è caratterizzato dall’emergere della storia dell’arte moderna in Brasile, fondata sulle azioni e sui discorsi divulgati dai protagonisti stessi del movimento. Il secondo si riferisce all’istituzionalizzazione del valore delle opere e degli artisti – un processo che implicò vari altri agenti, quali gli interventi del mondo universitario, le acquisizioni ufficiali di fondi promosse dal regime autoritario del Brasile e le strategie del mercato dell’arte tra la fine degli anni Sessanta e la metà degli anni Settanta. Infine, dalla metà degli anni Settanta ai nostri giorni è apparso un revisionismo critico dei limiti formali, politici e storici di questo movimento. Oggetto al tempo stesso di devozione e di rifiuto, il modernismo brasiliano si presenta come un fatto culturale di importanza senza eguali per l’ambito artistico brasiliano.

En Brasil, las creaciones artísticas de lo que se llegó a nombrar primer modernismo brasileño (alrededor de 1920-1940) han alcanzado una auténtica consagración. Más que objetos estéticos, se les atribuye valores simbólicos. Este artículo pretende analizar el proceso social que ha llevado a dicha consagración considerando tres momentos. El primero se caracteriza por la emergencia de la historia del arte moderno en Brasil, basada en las acciones y discursos divulgados por los propios protagonistas del movimiento. El segundo hace referencia a la institucionalización del valor de las obras y los artistas, proceso que implicó a otros varios agentes como las intervenciones del ámbito universitario, las adquisiciones oficiales de fondos llevadas a cabo por el régimen autoritario brasileño y las estrategias del mercado del arte desde el fin de los años sesenta hasta mediados de los años setenta. Por último, a partir de la segunda mitad de los setenta hasta hoy mismo se manifiesta un revisionismo crítico de los límites formales, políticos e históricos del movimiento. Objeto de devoción y de rechazo a la par, el modernismo brasileño se presenta como un hecho cultural de una importancia sin igual para el mundo artístico brasileño.

Perspective, 2 | 2013 166

AUTEURS

ANA PAULA CAVALCANTI SIMIONI Docteur en sociologie de l’Universidade de São Paulo, elle est enseignante-chercheuse à l’Instituto de Estudos Brasileiros à l’Universidade de São Paulo, où elle développe ses recherches sur l’art et le genre au Brésil, les pratiques et les créations modernistes brésiliennes, et l’art et la culture sous la Première République brésilienne (1889-1930).

Perspective, 2 | 2013 167

L’architecture et l’urbanisme au Brésil, une réflexion sur trente ans d’histoire Architecture and urbanism in Brazil, a critical study on thirty years of history Arquitetura e urbanismo no Brasil, uma reflexão sobre trinta anos de história Die Geschichte der Architektur und des Urbanismus in Brasilien, dreißig Jahre Historiographie La storia dell’architettura e dell’urbanismo in Brasile, trent’anni di storiografia Historia de la arquitectura y el urbanismo en Brasil: treinta años de historiografía

Margareth da Silva Pereira Traduction : Carlos Spilak

L’utilité des métaphores

1 C’est un exercice fort téméraire que de s’interroger sur les formes prises ces dernières décennies par l’historiographie de l’architecture et de l’urbanisme au Brésil au XXe siècle. L’ampleur et la diversité des recherches sont telles qu’on pourrait se représenter les différents groupes de chercheurs, de professeurs et d’institutions aux orientations théoriques spécifiques comme une série de nébuleuses – non pas dans le sens courant, qui désigne quelque chose de vague, d’indéfini (quoiqu’il ne cesse pas de l’être), mais plutôt dans le sens archaïque de nebulae : un ensemble de nuages qui s’articulent et s’entrechoquent. La métaphore semble utile pour évoquer ces formes vaporeuses qui s’agrègent pour se constituer plus densément à certains endroits, s’écartent et s’effilochent à d’autres, qui interagissent pour se consolider ou se diluer, ou qui restent isolées. Pour circonscrire les orientations des différentes pratiques historiques, nous devrons en passer par de nombreuses digressions, nécessaires dès lors que le terme « historiographie », d’usage récent, est utilisé à la fois pour faire

Perspective, 2 | 2013 168

référence à l’ensemble de la production historique et pour désigner uniquement les recherches critiques de ses orientations.

2 Notre analyse ne prétend pas décrire de manière exhaustive l’ensemble de la production nationale. En privilégiant une vision qui prend comme paramètres Rio de Janeiro et São Paulo, il s’agit d’identifier les moments successifs de reconfiguration de la théorie et de la méthodologie mises en œuvre dans ce domaine depuis la fin des années 1970, et de brosser ainsi un panorama du sujet. Il faudrait noter qu’à Rio de Janeiro le terme historiographie a été utilisé dans le sens d’analyse critique de l’histoire dès les années 1980. Depuis, un certain nombre de textes examinant les partis pris théoriques des récits historiques, dans le domaine de l’histoire de l’architecture, de l’urbanisme ou de la ville, se sont accumulés. Un travail similaire de recensement des études reste encore à faire pour d’autres régions du Brésil, où de nombreux chercheurs se sont formés, surtout à partir du milieu des années 1990, lorsque plusieurs cursus spécialisés ont été créés. Au nord comme au sud du pays, la production universitaire, désormais d’une grande vitalité, alimente et exerce une influence certaine sur la pensée critique. Cependant – tel un ciel parsemé de nuages distincts – le champ intellectuel dans lequel s’inscrivent les études sur l’histoire de la ville ou de l’art – y compris celle de l’urbanisme et de l’architecture – s’est organisé selon différentes temporalités et configurations théoriques. Il en découle des visions divergentes de l’histoire, tout comme des formes architecturales et urbaines, et des trajectoires de certains architectes et urbanistes. Le passé gagne en possibilités de temporalisation et de sens, même s’il peut se révéler parfois comme un temps mort et stérile.

3 En somme, l’exercice conduit ici est nécessairement superficiel. Nous chercherons à identifier comment le domaine des études historiques a récemment été investi, et à évaluer le processus qui, entre la fin des années 1970 et le tournant du XXIe siècle, a fait des pratiques architecturales et urbanistiques du XXe siècle un objet d’étude. Les possibilités et les défis sont nombreux dans ce ciel agité de nébuleuses intellectuelles qui se sont formées et ne cessent d’être reconfigurées depuis.

Le passé et la ville ancienne : l’explosion des études de la ville dans les années 1980

4 Au Brésil, à partir du début des années 1980, la production historiographique dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme a participé d’un mouvement de réflexion critique sur l’écriture de l’histoire et d’une révision des systèmes globalisants de l’interprétation socioculturelle. Comme cela a été observé dans la littérature et dans la sociologie (MENESES, 2003, p. 17-21), ce mouvement dans le domaine de l’histoire a été systématisé et diffusé au cours des années 1970 et 1980 par des auteurs français comme Georges Duby, Jacques Le Goff et Pierre Nora, Michel de Certeau, Roger Chartier et bien d’autres encore1. C’est dans ce cadre que l’usage du terme d’historiographie s’est répandu dans plusieurs pays d’Amérique latine, dont le Brésil, pour désigner les études consacrées à l’histoire même des pratiques historiques. À Rio de Janeiro, ce tournant épistémologique a bénéficié, au départ, du retentissement des travaux de Michel Foucault, Pierre Bourdieu et Jacques Derrida, mais également de ceux de Hans Robert Jauss, Reinhart Kosselleck, Norbert Elias, Carlo Ginzburg et Leo Lowenthal, parmi beaucoup d’autres intellectuels d’origines très diverses. Ce mouvement de dénaturalisation, de déconstruction – ou simplement d’historicisation – des pratiques

Perspective, 2 | 2013 169

sociales a incité des intellectuels issus de disciplines extrêmement différentes à porter leur attention, dans un élan sans précédent, sur l’histoire des villes, considérées comme le cadre de création privilégié des institutions culturelles (voire des instances de contrôle de la vie collective). En fait, depuis le XIXe siècle, la ville en tant qu’espace social et de savoirs avait donné naissance à différents champs disciplinaires et par là même à des outils, un vocabulaire de travail, des théories, des méthodes et des objets d’étude.

5 Au Brésil, la plupart des travaux publiés au cours des années 1980, s’ils hésitent à prendre position dans les débats théoriques en cours, témoignent d’une grande effervescence, et d’une ouverture à cette réflexivité et au dialogue interdisciplinaire. Dans le ciel métaphorique des années 1980, on observe donc dans un premier temps un grand nuage apparemment diffus, dirigé vers la recherche historique sur la ville en général et qui frôle l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme, ainsi que d’autres nuages moins importants mais plus compacts, qui se concentrent sur l’histoire de l’art et de l’architecture.

6 À ce sujet, UrbanData-Brasil, une importante base de données créée en 1991 pour recenser les productions scientifiques sur les villes brésiliennes, a inventorié les ouvrages consacrés à l’histoire de Rio de Janeiro. L’année suivante, la base contenait déjà près de deux cents textes publiés entre 1978 et 1992 (voir PEREIRA, 2003). Une analyse bibliographique de ce corpus révélait une lacune significative dans les références pour la période entre 1965 et 1978. Alors que cette première date, marquée par la célébration du quatrième centenaire de la fondation de la ville, avait été accompagnée d’un élan éditorial avec, entre autres, la réédition de titres anciens, la période qui s’ensuivait, et jusqu’en 1978, n’enregistrait presque pas d’activité éditoriale dans le domaine de l’histoire. En revanche, l’inventaire témoignait que, dès 1978, près de deux cents ouvrages, consacrés pour la plupart au XIXe siècle, ont été rapidement mis en circulation. Cet accent mis sur le passé se démarquait de celui des ouvrages entrepris par des géographes, des sociologues et des économistes entre 1950 et 1978, dédiés au « temps présent » des villes. Ce regain d’intérêt pour les villes et leurs histoires a été marqué par la publication, entre 1978 et 1979, de quatre études : du géographe Maurício Abreu et de la sociologue Olga Bronstein sur les politiques publiques et la répartition des populations autour de Rio de Janeiro ; des historiennes Eulália Lobo, Maria Bárbara Levy et Maria Yedda Linhares sur l’histoire socio- économique et démographique ; du philosophe Roberto Machado et de ses collaborateurs ; et, enfin, du psychanalyste et écrivain Jurandir Freire Costa sur la médecine, les mœurs et les services sociaux2. Au cours des années 1980, dans le contexte de la démocratisation du pays, ces textes ont inspiré une série de nouvelles études et de nouveaux découpages thématiques (PEREIRA, 2003). S’éloignant de l’approche marxiste stricto sensu qui prédominait alors, ils ont ouvert la voie à un regard plus fin sur l’histoire sociale et culturelle. Dans les travaux d’auteurs comme Roberto Moura3, par exemple, l’attention s’est alors tournée vers les minorités urbaines et les pratiques culturelles de la population des esclaves au XIXe siècle – leur religion, leur musique, leurs jeux – ainsi que vers l’histoire des groupes ethniques et des classes populaires qui avaient construit la ville postcoloniale. Le territoire mental des acteurs sociaux devenait un objet d’étude dans les pages d’Ilmar Rohloff de Matos, d’Afonso Marques dos Santos, de Nicolau Svecenko, de José Murillo de Carvalho et de Margarida Souza Neves4. Enfin, les études sur l’histoire des favelas, des quartiers, des banlieues ou

Perspective, 2 | 2013 170

de l’habitat populaire se sont multipliées à partir des travaux de Licia Valladares, Helia Nacif, Sergio Lamarão et Roberto Pechman, en dépit des différences théoriques ou méthodologiques5.

7 Les historiens et les spécialistes en sciences sociales se sont ainsi rapprochés des thématiques de la ville et, directement ou indirectement, des pensées d’ordre technique et artistique liées à la ville. S’est alors produit un repositionnement théorique vis-à-vis de différentes tendances internationales qui avaient servi de repère pour la pensée sociale sur la ville dans les années 1970, comme la sociologie urbaine néomarxiste française pratiquée par Manuel Castells, Jean Lojkine, Christian Topalov et Edmond Préteceille, ou l’histoire sociale anglaise d’un Edward Palmer Thompson ou d’un Eric Hobsbawm. Au même moment, les idées de certains penseurs, en particulier de São Paulo, qui restaient des modèles d’interprétation pour l’histoire naissante des villes et de ses formes bâties – économistes et sociologues (Fernando Henrique Cardoso, Celso Furtado, Gabriel Bolaffi, Lucio Felix, Frederico Kowarick), critiques littéraires (António Cândido de Mello e Souza ou Roberto Schwarz) – étaient réexaminées et déclinées peu à peu par rapport à la pensée du temps.

8 En passant de l’histoire économique à l’histoire sociale jusqu’à l’histoire culturelle, l’usage de nouvelles expressions employées pour faire référence à la ville en insistant sur la valeur du passé, comme « Rio Antique » ou « Rio Belle Époque », s’est consolidé. Dans le domaine, alors encore balbutiant, de l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme, ces premiers brassages disciplinaires sont manifestes dans les thèses de Jaime Benchimol et d’Oswaldo Porto Rocha, et dans les livres de Nicolau Sevcenko et de Maurício Lissovsky et Paulo Sérgio Moraes de Sá, qui ont trouvé un grand écho6.

9 L’intérêt porté par l’université aux pratiques quotidiennes, ordinaires, a été certainement inspiré par le développement des études anthropologiques, encouragé dans plusieurs pays à cette même époque par les cultural studies (MENESES, 2003, p. 19). L’effet des interactions et des échanges entre les différentes sciences humaines à Rio de Janeiro a été remarquable. Bien qu’on ait pu observer une renaissance des sujets liés à la sociologie néomarxiste ou à la géographie physique, comme au rôle de l’État, aux politiques du logement ou à la description des fonctions de certains quartiers urbains, de nouvelles bases théoriques ont privilégié une certaine archéologie des pratiques de la vie collective et de la vie urbaine, et donc du domaine même de l’architecture et de l’urbanisme.

10 Localement, cette explosion de la recherche après 1978 doit être rattachée à un double processus. D’une part, elle était le fait d’une ouverture politique progressive, qui a démarré vers la fin des années 1970, après presque vingt ans de dictature. En effet, le régime militaire auquel le Brésil était soumis depuis les années 1960 ne s’acheva qu’en 1988, avec l’adoption d’une nouvelle constitution. D’autre part, elle était également liée aux effets violents du « miracle économique » éphémère du début des années 1970, dont les répercussions sur la forme même des villes – avec des démolitions massives du tissu urbain ancien, des grands chantiers dans plusieurs villes et des mouvements d’exclusion sociale – favorisaient les efforts critiques à enquêter sur des scénarios comparables dans le passé.

11 À São Paulo, les années 1980 ont été également celles d’un intérêt singulier des universitaires pour un passé plus éloigné. Le tournant du XXe siècle, moment où la ville renaît du point de vue démographique, politique et productif, sous l’influence conjointe de l’immigration et de l’industrialisation et grâce au fédéralisme républicain qui

Perspective, 2 | 2013 171

s’instaure à partir de 1889, avec la proclamation de la République, devient un sujet de choix. L’action des institutions anciennes tournées vers l’étude de l’histoire et de la préservation du patrimoine – le Museu Paulista, le Departamento do Patrimônio Histórico (DPH), l’Instituto de Patrimônio Histórico e Artístico Nacional (Iphan) – a été cruciale dans le développement de cet intérêt pour l’histoire de la ville, tout comme les initiatives prises par des jeunes organismes aux objectifs semblables, parmi lesquelles le Conselho de Defesa do Patrimônio Histórico, Arqueológico, Artístico e Turístico (Condephaat).

12 À partir des années 1970, les études menées par les générations précédentes – Affonso Taunay, Luís Saia, Mário de Andrade ou Ernani Silva Bruno – ont été reprises et amplifiées par les institutions culturelles anciennes et nouvelles. Au sein de la faculté d’architecture et d’urbanisme de l’Universidade de São Paulo (FAU-USP), des professeurs comme Flávio Motta, Carlos Lemos, Julio Katinsky et Ruy Gama assuraient la formation des nouvelles générations, de pair avec Nestor Goulart Reis Filho et Benedito Lima de Toledo. Ces deux derniers ont fait date dans le milieu des architectes de São Paulo avec la publication de Evolução Urbana do Brasil: 1500-1720 et Quadro da Evolução Urbana no Brasil7, pour le premier, et de São Paulo : « Belle Époque » et São Paulo, três cidades em um século8, pour le second. L’apport de ces ouvrages fut d’attirer l’attention, là aussi, sur les formes architecturales et urbaines, tout en esquissant les contours d’un champ d’études.

13 En réalité, malgré la contribution des intellectuels de São Paulo au débat théorique hors les murs, dans la ville elle-même, le champ demeurait hermétique et cantonné dans des niches politico-disciplinaires. Autrement dit, les débats qui se produisaient au sein des sciences humaines et sociales n’étaient pas suffisamment robustes – contrairement à Rio de Janeiro – pour contaminer le champ des études sur la ville, entraînant des conséquences sur le développement de la recherche en histoire de l’architecture et de l’urbanisme, marqué par un certain cloisonnement disciplinaire. Toutefois, à São Paulo, des travaux portant plus finement sur l’histoire culturelle ont commencé à mettre l’accent sur l’expression de sa diversité irréductible. Certains spécialistes ont proposé des révisions théoriques et ont commencé à explorer de nouveaux terrains d’investigation ou des sources inédites – particulièrement autour de l’immigration, l’habitat ouvrier et l’histoire des quartiers, mais aussi en s’appuyant sur l’histoire littéraire ou les récits de voyages, pour rendre visible l’imaginaire social. Dès la fin des années 1980, certains historiens ont entamé un dialogue soutenu avec le milieu universitaire à Rio de Janeiro, qui s’ouvrait alors aux idées et aux travaux d’António Cândido Mello e Souza, de Roberto Schwarz et de Nicolau Sevcenko, déjà cités, mais aussi de Stella Bresciani, d’Ulpiano T. Bezerra de Meneses et de Sidney Chalhoub. Toutefois, la production intellectuelle de São Paulo était davantage nourrie par ses sociologues et ses économistes que par ses critiques littéraires, ses historiens ou ses architectes-historiens, qui occupaient une place croissante au sein de la faculté d’architecture et d’urbanisme de l’Universidade de São Paulo.

Les architectes-historiens et les hétérotopies dans la circulation des idées

14 Alors que le Brésil se (re)démocratisait, le mouvement d’autoréflexion qui traversait les champs épistémologiques et culturels a été reçu de manière distincte à Rio de Janeiro et

Perspective, 2 | 2013 172

à São Paulo. Par conséquent, les débats en cours depuis les années 1970-1980 sur la place de l’architecture et de l’urbanisme dans les sociétés plurielles et démocratiques, ainsi que ceux des années 1960-1970 – particulièrement vifs en Italie – sur le rôle des études historiques sur le statut présent et à venir de ces pratiques professionnelles, ont circulé différemment dans les deux villes.

15 En fait, la dictature avait déstructuré le domaine de l’architecture et de l’enseignement. À São Paulo, les architectes João Batista Vilanova Artigas et Paulo Mendes da Rocha, parmi bien d’autres, ont été écartés des salles de classe, ce qui a laissé des marques particulièrement profondes. Par ailleurs, au cours des années 1970, plusieurs architectes se sont éloignés de la pratique architecturale pour éviter de prendre part au marché immobilier spéculatif, qui laissait peu de place à la contestation. Si de nombreux architectes avaient ainsi rompu avec leur métier ou avaient été contraints de s’en éloigner, une minorité essayait de résister en cherchant à déplacer les barrières entre culture savante et culture populaire. Ils refusaient, dans les discours comme dans les pratiques, la place hiérarchique que les architectes et les urbanistes occupaient alors dans la conception des espaces de vie collective. La génération des architectes diplômés dans les années 1970 amplifiait cette anomalie professionnelle, et il semblait donc presque naturel, lorsqu’ils cherchaient à exercer leur métier ou à compléter leur formation, de s’engager soit dans la conservation du patrimoine, soit dans l’aménagement du territoire, en fonction de leur intérêt pour des questions culturelles, dans le premier cas, ou sociales, dans le second.

16 Ainsi, on observe que, dans des cadres intellectuels et professionnels différents, les architectes participaient à un double mouvement : l’explosion du nombre d’études historiques sur les villes dans les années 1980, d’une part ; et la répercussion des tensions et des interrogations sur l’avenir de l’architecture et l’urbanisme, qui traversaient le milieu professionnel international depuis au moins deux décennies, d’autre part.

17 À Rio de Janeiro où, dans les années 1970, certaines expériences, comme l’urbanisation de la favela de Brás de Pina menée par Carlos Nelson Ferreira dos Santos, avaient rapproché l’architecture, l’urbanisme et l’anthropologie, les chocs idéologiques au sein de la gauche dans les écoles d’architecture ont été moins importants qu’à São Paulo. Dans cette dernière ville, les polémiques demeuraient bien vivantes, autant grâce à l’héritage laissé par João Batista Vilanova Artigas et Paulo Mendes da Rocha que par la recherche d’une « poétique de l’économie » soutenue, entre autres, par le groupe Arquitetura Nova, formé en 1962 par Flávio Império, Sérgio Ferro et Rodrigo Lefèvre, et durement interrompue, lui aussi, par la dictature9.

18 La tradition architecturale à São Paulo – où les études d’architecture étaient beaucoup plus proches du génie civil – avait depuis longtemps rapproché les architectes du secteur industriel et du chantier. La nouvelle position critique envers des pratiques architecturales et urbanistiques considérées comme autoritaires contribuait désormais à la dilution des frontières sociales, mais aussi à celle de la figure même de l’architecte. Il faut signaler que, face à l’urgence de sortir du statu quo un Brésil dépendant, pauvre (POLTRONIERI, ISSA, 2011, p. 165) et, qui plus est, soumis à une dictature, les interactions fécondes entre l’architecture, d’une part, et l’anthropologie, la technologie et la politique, d’autre part, se déployaient dans un cadre idéologique d’une telle violence, réelle ou symbolique, qu’elles aboutissaient au reniement même de l’architecture. Les pratiques artistiques, architecturales et de conception des formes urbaines étaient en

Perspective, 2 | 2013 173

effet considérées comme superflues, et les discussions sur l’avenir de l’urbanisme ou de l’aménagement urbain, qui mobilisaient l’ensemble de la profession à l’échelle internationale, ont fini par être reléguées au second plan. Entre le regard abstrait, sectoriel et standardisé de la pensée fonctionnaliste sur la ville, et une « architecture sans architectes » qui s’exerçait sur les chantiers ou dans l’industrie, il était difficile de trouver le moyen d’agir ou de penser hors du cadre des groupes militants, et de leurs pièges théoriques. Or, ces derniers gommaient souvent la complexité des perceptions, des attentes et des actions sociales, tant sur le plan individuel que collectif.

19 Sont ainsi passés sous silence au Brésil les débats qui avaient impulsé une autoréflexion dans le champ de l’architecture depuis les années 1960-1970. Ces tensions portaient d’une part sur le problème des rapports très anciens entre les pratiques architecturales et l’histoire, et de la place de celle-ci dans la conception architecturale ; et d’autre part sur la question plus récente de la ville fonctionnelle, capitaliste et tayloriste promue par l’urbanisme au XXe siècle. Dans ces deux cas, c’est la forme construite de la ville, et sa conception, qui était en jeu.

20 En raison de cet obscurcissement de la réflexion, les architectes-historiens au Brésil – ceux qui étaient déjà en activité dans les années 1960 comme ceux qui les ont rejoints au moment de l’essor des études historiques dans les années 1980 – sont passés largement à côté du tournant critique qui leur était contemporain. Les éclaircissements, les doutes, les faiblesses, les inexactitudes ou les réévaluations soulevés ou provoqués par les idées de Manfredo Tafuri, Aldo Rossi, Francesco dal Co, Giulio Carlo Argan, Bruno Zevi, Françoise Choay, Michel Foucault, Michel de Certeau, Henri Lefebvre, Kevin Lynch, Christopher Alexander, Gordon Cullen ou Edward T. Hall – pour ne citer que quelques-uns – ont été peu intégrés à la réflexion. Ces auteurs, qui ont marqué internationalement la pensée en architecture et en urbanisme, ont commencé à être largement lus ou traduits en portugais seulement vers la fin des années 1980. La réception de leurs idées s’est cristallisée dans quelques ouvrages et non pas dans les processus de construction intellectuelle de leurs théories. Ainsi, leurs livres n’ont pas contribué de manière stimulante et directe à la remise en cause de la place de l’histoire dans l’architecture, ni du sens des récits construits autour des rapports entre le temps, l’architecture, l’urbanisme et la ville. Or, il ne suffit pas de considérer la ville et son passé comme une forme sociale complexe d’un point de vue anthropologique et culturel pour donner forme à une historiographie spécifique de l’architecture et de l’urbanisme. La grande nébuleuse formée par les intellectuels de Rio de Janeiro entre 1978 et 1992 autour des études de la ville avait déjà pris en charge cette tâche. Toutefois, comme elles laissaient largement de côté l’architecture, elles n’inspiraient ni l’activité de conception, comme le soutenaient ceux qui restaient encore attachés à une histoire opérante et directement applicable au présent, ni une critique frontale du fonctionnalisme.

21 Les défis pour la pensée critique étaient donc nombreux. Il fallait tout d’abord parvenir à considérer les villes concrètement comme une forme matérielle et construite, au-delà de tout idéalisme. Ensuite, il fallait repenser leur valeur en tenant compte de leur diversité culturelle. Enfin, il était nécessaire de les réinvestir comme un champ d’expériences et d’essais, et de repenser ainsi leur rapport au temps. Il était donc indispensable de remettre radicalement en question l’instrumentalisation de la puissance symbolique de l’architecture, une entreprise à laquelle les architectes du XXe siècle ont aussi participé. Ces démarches impliquaient d’envisager les architectes et les

Perspective, 2 | 2013 174

urbanistes comme des acteurs sociaux ou, tout simplement, de considérer leurs actions comme des positions situées dans le temps, en extrayant la pratique du projet – c’est-à- dire la conception des formes architecturales – de cette sorte de métaphysique anhistorique, atemporelle, asociale dans laquelle elle trouvait souvent refuge (ou était reléguée).

22 Cet état de fait permet en outre de mieux comprendre la réception différenciée à Rio de Janeiro et à São Paulo des expériences et des chocs théoriques qui avaient cours en Italie depuis les années 1960, autour des relations entre l’architecture, la ville, l’histoire et l’utopie.

23 À Rio de Janeiro, le groupe réuni autour de Giovanna Rosso del Brenna et Maria Pace Chiavari a joué un rôle important dans la diffusion de quelques-unes de ces idées. Ces deux historiennes, après leur formation en Italie, se sont installées dans cette ville dans les années 1970. Selon Maria Pace Chiavari, Giuseppe Samoná, Luigi Piccinato, Manfredo Tafuri, Massimo Cacciari ou encore Leonardo Benevolo « y étaient étudiés et débattus dans une permanente confrontation de tendances, et il y avait aussi de vives discussions sur Aldo Rossi et sur le discours postmoderne »10. Cependant, les discussions théoriques engagées par ce groupe à Rio de Janeiro étaient éclipsées par le poids des idées émanant de Rome, d’où venaient les textes de Giulio Carlo Argan, et par Venise, où son ancien disciple, Manfredo Tafuri, publiait ses livres-manifestes.

24 Giulio Carlo Argan proposait une histoire à la fois sociale, culturelle et interne à l’art, en laissant à peine transparaître ses orientations politiques de gauche. Ses livres consacrés à l’architecture et à l’urbanisme examinaient l’entrecroisement de poétiques et de cultures à différentes échelles, centré non seulement sur les œuvres mais aussi sur leurs auteurs, les étudiant dans l’action et dans les circonstances spécifiques de leur démarche. Ses ouvrages Walter Gropius et le Bauhaus, L’Europe des capitales, 1600-1700, L’Art moderne, du siècle des Lumières au monde contemporain et L’histoire de l’art et la ville11 ont commencé à circuler à Rio de Janeiro dans les années 1980, en français et surtout en espagnol. La lecture coup sur coup de cet ensemble de textes, qui avaient pourtant été écrits dans des circonstances tout à fait différentes, révélait ses hésitations théoriques, même lorsqu’il s’agissait simplement d’éclairer des concepts – comme ceux d’art moderne, de néoclassicisme, de romantisme – et devenait ainsi, pour ceux déjà sensibles aux questions soulevées par le mouvement réflexif d’historiens, un exercice relevant autant de la recherche que de l’herméneutique.

25 L’accueil fait à l’œuvre de Manfredo Tafuri par les architectes brésiliens impliqués dans l’écriture historiographique a été plus sélectif que celui réservé à son maître, quoiqu’il ait été inégal d’un cercle de lecteurs à un autre. Ainsi, le Tafuri lu au Brésil a été plutôt celui de ses premiers livres, marqués par le néomarxisme et par le structuralisme – notamment Théories et histoire de l’architecture et Projet et utopie : de l’avant-garde à la métropole – que celui de Il Dispositivo Foucault et de La Sfera e il Labirinto12, qui cheminaient vers Roland Barthes, l’histoire des Annales, Walter Benjamin ou la microhistoire de Carlo Ginzburg.

26 Il est patent qu’Argan a été lu davantage à Rio de Janeiro et Tafuri à São Paulo. À Venise, la mobilisation suscitée dans les années 1970 et pendant encore une bonne partie des années 1980 par le progetto storico avancé dans les premiers ouvrages de Tafuri a entraîné le remplacement d’une « critique militante des partisans de la modernité par une autre critique également militante »13. Ceux-ci ont exercé une attraction, même avec des décalages dans sa réception, sur toute une génération

Perspective, 2 | 2013 175

franchement politisée à travers le monde. Cependant, ce Tafuri n’aidait pas l’historien d’architecture, de l’urbanisme ou de la ville à cultiver le doute méthodique de sa propre vérité, une démarche dont les protagonistes de la « nouvelle histoire » soulignaient l’importance. Si l’on suit le raisonnement d’Yve-Alain Bois du début des années 1990, qui rappelait, lors de ses conférences à Rio de Janeiro, que « la forme est toujours idéologique », on admettra que Tafuri, dans ses livres, avait tendance à naturaliser ce qui commençait à poser problème. Il est certain que, du point de vue théorique, l’architecte italien pratiquait une sorte de « réalisme spontané » commun à de nombreux historiens encore dans les années 1980, et contre lequel le philosophe Paul Ricoeur, par exemple, menait une lutte dans son ouvrage Temps et Récit14.

27 À Rio de Janeiro, contrairement à São Paulo, la critique de l’idéologie de l’école vénitienne a circulé de manière presque imperceptible à l’intérieur du mouvement de déconstruction et des débats transdisciplinaires larges qui traversaient l’ensemble du champ des savoirs. Chez les architectes, l’œuvre de Giulio Carlo Argan s’était imposée au milieu des années 1980 comme une lecture obligatoire, aussi bien dans les débats d’histoire de l’art que pour cette storia urbana italienne pratiquée à Rio de Janeiro autour de Del Brenna. Les textes de Tafuri n’ont en revanche pas joué un rôle important dans la formation des architectes-historiens qui démarraient leur activité à Rio de Janeiro dans les années 1980-1990, ni, semble-t-il, dans d’autres régions (pour le Minas Gerais, voir LIRA et al., 2011, p. 228 ; pour Porto Alegre, voir COMAS, 2013).

28 À São Paulo, cependant, les théories de Tafuri ont inspiré des orientations historiographiques et universitaires cruciales à partir du début des années 1990, comme en témoignent Carlos Roberto Monteiro de Andrade et Carlos Martins (LIRA et al., 2011, p. 166 et p. 228). À partir de 1980-1990, et jusqu’à leur confrontation plus régulière avec d’autres approches théoriques, les premiers ouvrages de l’auteur italien ont nourri une critique idéologique qui, même si elle a été nuancée (RODRIGUES DOS SANTOS, 2011, p. 8), a eu pour effet de limiter la réflexion dans le champ de l’architecture et de l’urbanisme, contribuant ainsi à une mise sous silence théorique – grave – qui a neutralisé la critique des usages et des abus de l’histoire et du passé.

29 À Rio de Janeiro, les travaux du groupe formé par Giovanna Rosso del Brenna et ses interlocuteurs locaux dans le domaine de l’histoire proprement dite, dont l’historien Afonso Carlos Marques dos Santos, ont connu un grand retentissement qui a permis d’orienter les études sur la ville vers une discussion sur l’architecture et sur les formes construites. Les livres collectifs dirigés par Del Brenna15, même s’ils n’ont pas fait directement la critique des perspectives tafuriennes ni de son instrumentalisation du passé et de l’histoire, ont contribué à éviter les idéalisations et les simplifications en réservant aux sources primaires une place privilégiée. L’étude de l’action des ingénieurs et des architectes dans la ville a été systématisée pour consolider les bases d’une histoire de l’urbanisme et de l’architecture – portée, jusqu’au début des années 1980, presque uniquement par le professeur et architecte Alfredo Britto – qui a commencé alors à prendre place au niveau collectif.

Perspective, 2 | 2013 176

L’art, l’architecture et la professionnalisation de l’écriture de l’histoire

30 En 1981, dans le contexte d’ouverture politique et culturelle du Brésil et dans une atmosphère d’effervescence idéologique, culturelle et critique, est paru à São Paulo Arquitetura contemporânea no Brasil, le premier livre en portugais consacré à l’étude systématique et à l’interprétation de l’architecture du XXe siècle au Brésil (BRUAND, 1981). En vérité, il s’agissait d’une thèse rédigée plus de vingt ans auparavant par l’archiviste et paléographe français Yves Bruand. Avant cette publication, il n’existait, sur le thème, que quelques pages écrites à la suite de conférences données par Paulo Santos en 1965 à l’occasion de la célébration du quatrième centenaire de la fondation de Rio de Janeiro, republiées sous le titre de Quatro séculos de arquitetura, ainsi que des écrits de Nestor Goulart Reis Filho, en particulier Quadro da evolução urbana no Brasil, déjà cités16. La thèse d’Yves Bruand ouvrait de nouveaux territoires pour l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme au XXe siècle. Toutefois, cet ouvrage a été peu lu à l’époque, et sa place dans l’historiographie n’a été que partiellement comprise (LEONÍDIO, 2006 ; RODRIGUES DOS SANTOS, 2011, p. 9). Il était néanmoins l’indice d’un changement évident : alors que l’architecture au Brésil avait pris principalement la forme d’un enseignement oral dans les salles de cours, ou qu’elle était apprise et transmise de génération en génération dans des cercles formés par affinités, à partir des témoignages des acteurs, l’ouvrage de Bruand a marqué le début d’une histoire écrite.

31 En 1980, une autre initiative manifestait l’idée que l’historien de l’art et de l’architecture en tant que figure sociale devrait être envisagé comme un spécialiste. L’artiste Carlos Zílio a en effet créé un diplôme de spécialisation en histoire de l’art et de l’architecture au sein du département d’histoire de la Pontifícia universidade Católica do Rio de Janeiro (PUC-Rio). Par l’affirmation d’une « proposition épistémologique spécifique, différente de l’empirisme national et des pièges idéologiques » dans le domaine de l’art, ce cursus a été l’une des expériences pédagogiques les plus fécondes de ces trente dernières années, marquant, comme le livre d’Yves Bruand, une inflexion vers la professionnalisation du champ.

32 En 1975, Carlos Zílio avait créé la revue Malasartes aux côtés d’artistes et d’intellectuels de Rio de Janeiro et de São Paulo. La revue, interrompue sous la dictature, avait énoncé son projet dans son premier éditorial : mettre l’accent non pas sur l’étude de l’objet d’art, mais sur le processus de production et de transmission de l’art, ainsi que sur les mécanismes qui l’alimentent. Elle proclamait aussi son ouverture à tous les domaines de la culture. En bref, Malasartes se voulait surtout une revue sur « la politique des arts » (Malasartes, 1976). En 1976, Carlos Zílio a été contraint, pour des raisons politiques, de quitter le Brésil pour Paris, où il a achevé un doctorat en histoire de l’art à l’université Paris 8, rentrant à Rio de Janeiro en 1980. Ainsi, lorsqu’il a créé le cursus spécialisé d’histoire de l’art et de l’architecture, ce nouveau projet s’inscrivait dans la continuité des objectifs de Malasartes. Ont aussi participé à sa création le critique d’art Ronaldo Brito, également éditeur de la revue, l’architecte Jorge Czajkowski, responsable au sein du cursus d’histoire de l’architecture moderne, et le critique Fernando Cocchiarelli.

33 L’architecture baroque et l’art colonial, de même que l’urbanisme, étaient présents dans le programme de cette nouvelle filière de formation professionnelle, qui affichait

Perspective, 2 | 2013 177

sa foi en les possibilités de l’interdisciplinarité, réunissant encore d’autres professeurs de profils différents : philosophes, historiens, historiens de l’art, designers et anthropologues. Tirant parti de cet environnement particulier, les travaux produits dans ce contexte engageaient la dimension historiographique – dans le sens critique du mot – et cherchaient à saisir le Brésil dans un contexte international, le délivrant ainsi de l’insularité proverbiale à laquelle il était souvent condamné par ses interprètes, à commencer par les historiens de l’art et de l’architecture.

34 En 1984 paraissait la revue Gávea, avec à sa tête Vanda Klabin, dont le but était de diffuser les travaux des étudiants et des professeurs du cursus, ainsi que des textes peinant à être publiés. Dans l’urgence de l’action, le premier numéro de Gávea s’inspirait impunément de la revue américaine October, publiant à côté de textes de Georges Duby, Joseph Rykwert, Rosalind Krauss et Hubert Damisch des articles sur des sujets brésiliens comme l’architecture de la vallée du Paraíba, l’œuvre des artistes Iberê Camargo, Alfredo Volpi, Lygia Clark et Mestre Valentim, le concrétisme ou encore l’académie des beaux-arts au XIXe siècle. En 1993, lorsque le cours s’est trouvé au sommet de sa renommée, la revue Gávea en était à son dixième numéro et avait déjà publié Carl Schorske, Giulio Carlo Argan, Kenneth Baker, Yve-Alain Bois, Eugenio d’Ors, Jacques Henric, Philippe Junod, Meyer Schapiro, Bernard Blistène et Alan Colquhon, tous auparavant inédits au Brésil. Le cours avait en outre déjà accueilli des dizaines d’intervenants étrangers – français, anglais, portugais ou nord-américains – dans le cadre de sa politique d’ouverture à l’international.

35 L’impact de ce programme d’histoire de l’art et de l’architecture de la Pontifícia Universidade Católica do Rio de Janeiro sur le monde de l’art au Brésil reste encore à évaluer, aussi bien sur la formation de plusieurs générations d’artistes que sur l’établissement des politiques dans le domaine. Il constitue la première formation rigoureuse en histoire de l’art et de l’architecture au Brésil, formant de nombreux cadres techniques, professeurs et chercheurs, qui ont ensuite œuvré dans les institutions du pays. Dès la fin des années 1980, les étudiants ont commencé à réaliser des travaux de fin d’études sur des thèmes proprement brésiliens, fondés sur l’utilisation systématique de sources primaires et sur le contact avec les œuvres étudiées. Ce choix ne relevait pas d’une attitude chauvine mais de la certitude qu’il fallait intégrer à la formation des étudiants des problématiques locales pour qu’ils interrogent avant tout des objets théoriques proches de leur propre vécu.

36 Cette formation a donné lieu à des expositions, des catalogues et des livres dédiés à des sujets importants pour la compréhension de l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme au Brésil. Il faut notamment souligner la publication, dans les années 1980, de Salão de 1931: marco da revelação da arte moderna em nível nacional de Lucia Gouvêa Vieira, une ancienne élève du programme (VIEIRA, 1984) ; l’exposition « Carlos Leão Arquitetura », organisée par Jorge Czajkowski à Funarte en 1986 ; ou encore le livre et l’exposition Le Corbusier e o Brasil, qui entrait aussi en résonance avec le cours (RODRIGUES DOS SANTOS et al., 1987)17. Dans les années suivantes, une recherche importante a été menée sur le nativisme carioca en architecture ; allant de l’œuvre de l’architecte français du XIXe siècle Auguste Henri Victor Grandjean de Montigny à celui de Le Corbusier, elle englobait l’étude des architectes Aldary Toledo, Carlos Leão et Jorge Moreira.

37 Une série de monographies, de dissertations, de thèses et d’expositions a été réalisée dans le cadre du cours de spécialisation et du master en histoire sociale de la culture,

Perspective, 2 | 2013 178

créé en 1988 dans la même université, avec la participation de plusieurs professeurs issus de la filière histoire de l’art. Le premier mémoire rédigé dans le cadre du master prenait pour sujet l’œuvre de Lúcio Costa, figure centrale pour la compréhension du renouveau de l’architecture et de l’urbanisme au Brésil au XXe siècle (SILVA, 1991). Ce travail est resté inédit mais a été une référence importante jusqu’à la parution de l’autobiographie de Costa, Registro de uma vivência (COSTA, 1995). Par la suite, des travaux innovants et importants pour l’histoire du XXe siècle ont été réalisés sur Affonso E. Reidy, Lina Bo Bardi, Severiano Porto, Marcelo et Milton Roberto, Burle Marx, Aldary Toledo et Álvaro Vital Brazil, par, respectivement, Masao Kamita, Maria Cristina Cabral, Rosa Ribeiro, Fabiana Izaga, Vera Beatriz Siqueira et Roberto Conduru, la plupart non publiés.

38 La construction d’une histoire de l’architecture et de l’urbanisme sur des bases plus rigoureuses a révélé le besoin d’organiser les collections des institutions. À Rio de Janeiro, la faculté d’architecture et d’urbanisme de l’Universidade Federal do Rio de Janeiro (FAU-UFRJ) a offert un soutien fondamental à la documentation : le Núcleo de Pesquisa e Documentação (NPD), un centre de recherche et de documentation créé en 1982 à l’initiative de Jorge Czajkowski qui, à son tour, a publié la revue Arquitetura Revista entre 1983 et 1990.

Instabilités et nouvelles configurations : les mouvements des grandes et petites nébuleuses

39 À partir de la fin des années 1980 et jusqu’au milieu des années 1990, un nouveau contexte économique a permis à São Paulo d’affirmer sa position dans les études historiques de l’architecture et de l’urbanisme, grâce notamment au monde de l’édition, particulièrement dynamique à cette période. Les principales maisons d’édition spécialisées ou qui consacraient certains de leurs titres à l’architecture et à l’urbanisme au Brésil, comme Perspectiva, Nobel ou Projeto, s’étaient établies dans cette ville et s’y sont développées pendant les années 1980. Par ailleurs, les deux revues techniques au tirage le plus important dans le pays, Projeto, fondée en 1977 par Vicente Wissenbach, et AU, créée en 1985 par Mário Sérgio Pini, étaient également publiées et distribuées à São Paulo.

40 Projeto et AU ont permis de faire circuler une partie de la pensée critique qui prenait forme dans le monde universitaire, mais leur caractère avant tout technique ne favorisait pas les discussions historiographiques. Certains sujets peu débattus, comme l’opérativité de l’histoire, ont cependant pu toucher un public plus large grâce à la portée nationale de ces revues. Néanmoins, l’idée la plus importante portée par les publications de cette époque a été d’associer histoire et questions identitaires. À partir de 1988, AU a commencé à utiliser régulièrement certains qualificatifs pour désigner l’architecture pratiquée au Brésil. Des expressions telles que celles d’école carioca ou paulista, ou d’architecture cearense ou paraibana ont commencé à circuler dans les milieux professionnel et universitaire. En plus d’un découpage typologique ou stylistique, on peut percevoir dans cet usage l’idée d’un « régionalisme critique » soutenue par Kenneth Frampton à partir de 198318. L’architecte britannique, tout en conservant la notion de « style d’architecture international », essayait de montrer qu’il était décliné par certains architectes selon des valeurs nationales ou régionales. L’emploi de qualificatifs nationaux ou régionaux avait déjà été débattu dans les

Perspective, 2 | 2013 179

années 1930 et 1940, dans le contexte de la création, par Paulo Santos, de la première chaire d’études de l’histoire de l’architecture du Brésil. La discipline avait été nommée arquitetura no Brasil plutôt qu’arquitetura brasileira, pour éviter justement des appropriations nationalistes, identitaires ou symboliques de la pratique architecturale (COSTA, 1989).

41 Les pièges tendus par l’idée de régionalisme avaient été perçus par les critiques contemporains (KATINSKY, 1988), mais les premières controverses ont été vite enfouies sous une avalanche de textes sur les questions de « lieu », rapidement suivies de celles de « non-lieu » ou de « ville générique ». S’y ajoutait une série d’études « topophiliques » inspirées du livre de Yi-Fu Tuan, Topophilia: A Study of Environmental Perception, Attitudes, and Values19. Plusieurs travaux s’appuyaient de manière très littérale sur la psychologie d’Edward T. Hall et de Kevin Lynch ou, par d’autres chemins encore, sur la phénoménologie de Maurice Merleau-Ponty et de Christian Norberg-Schulz. Dans les revues techniques, des questions pragmatiques, ancrées dans l’immédiateté du monde professionnel, ont fini par être associées à des questions programmatiques, centrées sur la fonction sociale de l’architecte ou sur le rôle social de l’architecture et de l’urbanisme (ARTIGAS, 1989). Ces deux aspects ont favorisé la circulation et la réception de textes historiques prenant pour sujet des solutions reproductibles et des motifs formels qui s’appuyaient sur des questions associant lieu et identité.

42 Les revues ont sans doute joué un rôle important dans cette phase initiale de (re)construction de l’histoire des villes en tant que champ d’études, puisqu’elles ont mis en lumière l’idée même de recherche historique et ont fait connaître le nom des architectes et des historiens-architectes au niveau national. De ce point de vue, l’action de quelques rédacteurs qui ont débuté leur carrière dans les années 1980 a été particulièrement importante : citons Ruth Verde Zein et Hugo Segawa pour Projeto, et Cecília Rodrigues dos Santos puis Ana Luiza Nobre pour AU. Les rubriques « Ensaio e Pesquisa » de la revue Projeto et « Documento » d’AU se sont ouvertes alors aux travaux universitaires. Le pragmatisme et le professionnalisme du milieu de la construction et de l’architecture, vus sous l’angle de la technique, ont permis en outre à l’histoire de l’architecture d’éviter de tomber dans une pratique peu critique, voire dilettante, a contrario de ce qui a pu se produire dans le domaine de l’urbanisme.

43 Ruth Verde Zein et Hugo Segawa, aujourd’hui professeurs à la faculté d’architecture et d’urbanisme à la Universidade Presbiteriana Mackenzie (FAU-Mackenzie) et à la FAU- USP, ont participé activement à la Biennale internationale d’architecture de Buenos- Aires et aux Séminaires d’architecture latino-américaine (SAL) créés au milieu des années 1980 entre Bogotá, le Pérou et Buenos Aires20. Ces manifestations ont encouragé en Amérique latine les interactions entre des architectes de plusieurs générations qui s’intéressaient aux liens entre les recherches historiques et les méthodes de conception de projets. Les historiens de l’architecture Silvia Arango (Colombie), Marina Waisman (Argentine) et Cristian Fernández Cox (Chili) se sont particulièrement investis dans ces échanges. Ces dialogues sont devenus plus systématiques et plus ouverts dans la revue AU grâce aux initiatives de Cecilia Rodrigues dos Santos, aujourd’hui professeur à la FAU-Mackenzie, qui avait déjà collaboré à la revue Projeto en tant que correspondante internationale. Par la suite, Ana Luiza Nobre, aujourd’hui professeur et responsable d’un programme de master sur l’architecture récemment créé à la Pontifícia Universidade Católica do Rio de Janeiro, est venue renforcer la tendance critique qui

Perspective, 2 | 2013 180

avait donné naissance à AU, en prenant ses distances avec un pragmatisme trop affirmé.

44 Suivant leur mouvement, certaines nébuleuses se sont regroupées, comme celles associées aux architectes Alfredo Britto à Rio de Janeiro et Alberto Xavier à Porto Alegre, qui, depuis les années 1960 avaient développé différents travaux sur la dimension historique de l’architecture du XXe siècle. Avec Nobre, ils ont publié Arquitetura moderna no Rio de Janeiro en 1991 (XAVIER, BRITTO, NOBRE, 1991), une recension de plusieurs centaines d’édifices construits au XXe siècle. Alberto Xavier, conscient de l’importance des anthologies pour la formation d’un terrain propice au débat, avait mis au point dès 1962 un premier recueil – qui fait preuve d’un sens historique aigu – de textes de Lúcio Costa (XAVIER, 1962) ; en 1987, il avait publié également Arquitetura moderna brasileira: depoimentos de uma geração, dans lequel sont rassemblés des textes d’architectes brésiliens des années 1920-1930 (XAVIER, 1987).

45 Dans les années 1980, une autre nébuleuse a commencé à se former à la faculté d’architecture de l’Universidade Federal do Rio Grande do Sul à Porto Alegre (UFRGS) autour de l’architecte Carlos Eduardo Comas, suivi dans les années 1990 d’Edson Mahfuz. L’intérêt de Comas pour l’histoire est né d’une série d’articles qu’il a été invité a publier dans les pages des revues AU et Projeto, sur les projets d’Oscar Niemeyer et de Lúcio Costa. Jusqu’au milieu des années 1980, cet intérêt était secondaire ; comme il l’a récemment déclaré avec ironie. Il a commencé à travailler en tant qu’historien « par curiosité », « lorsqu’il ne réussissait pas à décrocher de projet » (LIRA, OTA, SANTOS, 2011, p. 142). Historien ou non, c’est aux États-Unis dans les années 1970 que son goût pour le passé s’est affirmé. Il s’est alors consacré intensément à l’étude de l’architecture « moderne », un terme qui avait déjà attiré son attention lors de ses études à Porto Alegre, en raison de la multitude de sens qu’il peut recouvrir. Puis à la bibliothèque de l’University of Pennsylvania, dans un essai de Colin Rowe sur Le Corbusier et Palladio21 (LIRA, OTA, SANTOS, 2011, p. 142-143), il a découvert des analyses qui lui ont servi à définir son approche visuelle et formelle de l’architecture, notamment en ce qui concerne les typologies et les ruptures temporelles. Avec Rowe, il a appris à observer les jeux formels anachroniques par lesquels chaque architecte puise dans le « bagage culturel de la profession » pour le réinventer. Grâce à l’architecte et urbaniste Edmund Bacon, rencontré à l’University of Pennsylvania, et à son livre Design of Cities22, Comas a développé un intérêt pour le dessin et la forme des villes. Plus tard, ses recherches sur les géométries simples l’ont rapproché des auteurs de Formes urbaines, de l’îlot à la barre23, dont Philippe Panerai. Son article sur le bâtiment du ministère de l’Éducation et de la Santé, publiée dans Projeto en 1987 (COMAS, 1987a), l’a consacré comme un des principaux chercheurs sur l’architecture du XXe siècle au Brésil.

46 Enfin, une dernière nébuleuse a surgi au cours des années 1980 dans le cadre de la faculté d’architecture et d’urbanisme de l’Universidade Pontifícia Católica de Campinas (PUC-Campinas) autour de l’historienne Sophia da Silva Telles, qui avait aussi participé à l’expérience de la revue Malasartes. Les lectures qui ont nourri ses échanges avec le groupe de Rio de Janeiro (voir LIRA et al., 2011) étaient tout aussi diverses que celles des professeurs qui ont créé le cours de spécialisation en histoire de l’art et en histoire sociale de la culture de la Pontifícia Universidade Católica do Rio de Janeiro : Maurice Merleau-Ponty, Clement Greenberg, Meyer Schapiro, Theodor Adorno, Harold Rosenberg, Maurice Blanchot, Georges Bataille, Jürgen Habermas, Jacques Lacan,

Perspective, 2 | 2013 181

Jacques Derrida, Gilles Deleuze. Tous avaient enrichi le mouvement théorique de déconstruction et de réflexivité qui s’est développé dans les années 1970 et 1980.

47 L’acuité analytique de Sophia da Silva Telles est manifeste dans son mémoire de master sur Oscar Niemeyer, Arquitetura moderna no Brasil: o desenho da superfície (TELLES, 1988), et dans ses articles publiés dans la revue Novos Estudos sur Lúcio Costa (TELLES, 1989) ou dans AU sur l’œuvre de Paulo Mendes da Rocha (TELLES, 1990). L’auteur abandonne toute extériorité dans la construction de ses premiers récits et offre ainsi, encore de nos jours, un des regards les plus stimulants sur les architectes majeurs du Brésil au XXe siècle, tant sur des aspects tectoniques, formels, que concernant la force singulière de leurs poétiques ou leur enracinement dans le temps long de la culture.

48 Sous la direction de Telles, le plus important département d’histoire et de théorie de l’architecture du Brésil a été monté à la Campinas entre la fin des années 1980 et la fin des années 1990. Ce département a été un lieu important de débats, ouverts et intenses, sur l’architecture, l’urbanisme et les positions intellectuelles qui y sont liées, même si, comme il était fréquent à cette époque, les discussions étaient souvent plus abstraites que situées historiquement. Le département était constitué de professeurs proches de la philosophie, ou proches de l’histoire, de l’anthropologie ou encore des analyses morphologiques : Silvana Rubino, Maria Beatriz de Camargo Aranha, Abílio Guerra, Ricardo Marques, Mário Henrique Simão d’Agostino, Wilson Ribeiro, Áurea Pereira da Silva et Luis Espallargas Gimenez.

49 Dans les années 1980, une politique de recherche et de documentation sur des architectes brésiliens a été mise en œuvre à la PUC-Campinas, ce qui a suscité, outre les textes de Sophia da Silva Telles déjà cités, l’écriture de mémoires, de thèses et d’articles sur l’œuvre de Lúcio Costa (GUERRA, 2002), de Lina Bo Bardi (RUBINO, 2002) et de Rino Levi (ANELLI, GUERRA, KON, 2001 ; ARANHA, 1993), plusieurs d’entre eux prenant pour objet d’étude des questions de nature historiographique. Parmi d’autres initiatives, il convient de souligner la création en 1985, sous la responsabilité d’Abílio Guerra, de la revue Oculum, qui visait à promouvoir des débats, des conférences, des expositions et des séminaires. Guerra est aujourd’hui rédacteur en chef de la revue en ligne Arquitextos, publiée sur le site Internet Vitruvius24, en plus d’être sociétaire de la maison d’édition spécialisée Romano Guerra et professeur à la FAU-Mackenzie à São Paulo. Enfin, au milieu des années 1990, un cursus de spécialisation en urbanisme a également été créé à la PUC-Campinas sous la direction d’Ivone Salgado. La faculté et son nouveau programme de formation ont accueilli des invités tels que Helio Piñón, Joseph Rykwert, Antoine Picon et Georges Teyssot, permettant ainsi d’actualiser régulièrement les orientations théoriques. En effet, l’internationalisation de l’étude de l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme au Brésil s’est accentuée avec la circulation, tout au long des années 1990, de livres et d’expositions signées par des chercheurs étrangers comme James Holston (HOLSTON, 1993), David Underwood (UNDERWOOD, 1994) et Yannis Tsiomis (TSIOMIS, 1998).

Les paradoxes des diasporas : élargissements et dispersions du champ

50 Vers le milieu des années 1990, les premiers nuages formés par les chercheurs et leur production ont commencé à se rapprocher et à se densifier, et on a pu observer une

Perspective, 2 | 2013 182

reconfiguration radicale de la recherche en histoire de l’architecture et de l’urbanisme. Des liens ont notamment été tissés entre ces deux domaines grâce aux collaborations avec des architectes étrangers travaillant à Rio de Janeiro ou à São Paulo en tant que consultants – Nuno Portas, Christian de Portzamparc, Oriol Bohigas – ou avec des chercheurs brésiliens indépendants tels que Heliana Angotti Salgueiro (voir SALGUEIRO, 1997a, 1997b, 2001). La critique gagnait aussi en consistance et se diversifiait. C’est alors qu’a commencé à se mettre en place un vaste réseau d’échanges réguliers entre des groupes de chercheurs situés à Rio de Janeiro, São Paulo, Porto Alegre, Campinas, São Carlos, Salvador, Recife, Belo Horizonte et Brasília.

51 Cependant, comme cela se produit généralement, quand un champ s’étend, il se fragilise, s’effiloche dans des zones auparavant solides tout en en créant d’autres. Le monde de l’urbanisme est celui qui s’est mobilisé et s’est consolidé le plus rapidement, tandis que celui de l’architecture – même s’il s’enrichissait de mémoires, de thèses et de livres toujours plus nombreux – n’est pas parvenu à se reconfigurer pleinement dans un mouvement collectif, peut-être justement parce qu’il était alors entraîné dans des directions divergentes.

52 À Rio de Janeiro, la crise économique a favorisé la dispersion. Le projet de formation des historiens de l’art et de l’architecture de la Pontifícia Universidade Católica do Rio de Janeiro a subi les oscillations du moment, et le domaine a perdu beaucoup de sa force et de sa cohérence originaires. L’expérience pédagogique de la PUC-Campinas a également perdu en partie son élan initial avec le départ à la retraite ou l’éloignement de plusieurs professeurs qui sont allés exercer dans d’autres universités. Dans le même temps, la place prise par la faculté d’architecture et d’urbanisme de l’Universidade de São Paulo (FAU-USP) s’est affirmée et, en son sein, le domaine de l’histoire s’est étendu et renouvelé. Il faut souligner la contribution fondamentale d’une génération, qui y a été formée, mais qui s’aligne plutôt sur la grande nébuleuse des études sur la ville et de l’histoire de l’urbanisme. Les efforts de Maria Cristina da Silva Leme ont été particulièrement remarquables. Directrice adjointe de l’université et professeur au sein de la faculté d’architecture et d’urbanisme, elle a créé et animé un réseau auquel participent plus d’une dizaine de chercheurs dans tout le pays. À partir des années 2000, des diplômés de la FAU-USP allaient participer en outre à la plupart des nouveaux cursus de troisième cycle créés dans l’État de São Paulo, dans la région Centre-Ouest, dans le Minas Gerais ou dans les capitales du Nordeste. Il est certain que, pendant les années 1990, quelques chercheurs, comme Paulo Bruna et Fernanda Fernandes, ont continué à se consacrer à un seul domaine – l’histoire de l’architecture – qui n’est pourtant devenu vraiment solide qu’à partir des années 2000, avec l’arrivée dans la faculté de Hugo Segawa et de Maria Alice Junqueira Bastos, entre autres. Par ailleurs, ce n’est qu’au cours des années 2000 que la critique historiographique a commencé, à São Paulo, à produire des résultats, grâce à l’apport de José Lira, qui a récemment constitué un premier dossier conséquent sur le thème (LIRA, 2011).

53 À l’Universidade Federal da Bahia (UFBA), le programme de troisième cycle en conservation du patrimoine, qui existe depuis 1983, est désormais dédié exclusivement à l’histoire de l’urbanisme. En 1990, le premier Séminaire d’histoire de la ville et de l’urbanisme (SHCU) s’est tenu à Salvador sous la direction d’Ana Fernandes et de Marco Aurélio Filgueiras Gomes, et la treizième édition sera organisée en 2014 à Brasília. Ce séminaire itinérant, qui réunit des chercheurs issus de différentes régions brésiliennes,

Perspective, 2 | 2013 183

s’est employé à se développer vers le Nordeste, tout en gardant des liens forts avec l’Universidade de São Paulo.

54 En 1992, la section brésilienne du Comité international pour la documentation et la conservation de bâtiments, de sites et de quartiers du mouvement moderne (Docomomo) a été créée à Salvador de Bahia sur l’initiative d’Anna Beatriz Galvão, elle aussi issue du milieu pauliste. Après quelques hésitations, l’association s’est installée à São Paulo et a pris de l’ampleur sous la direction de Hugo Segawa. Aujourd’hui, le Docomomo brésilien possède plusieurs sièges régionaux et encourage la recherche en architecture au Brésil, consolidant ainsi les relations entre les chercheurs dans tout le pays, sans définir d’orientations théorico-méthodologiques précises.

55 Le master en développement urbain de l’Universidade Federal de Pernambuco (UFPE), créé en 1974, a également renforcé l’histoire de l’urbanisme, notamment grâce aux apports de Virgínia Pontual, formée à l’USP et de Fernando Diniz Moreira, formé à la Pennsylvania University. L’histoire de l’architecture du XXe siècle a bénéficié à Recife du soutien de Sônia Marques et de Luiz Amorim, qui ont récemment été rejoints par Guilah Naslavsky.

56 Parmi les nébuleuses de taille plus importante, le master en théorie et histoire de l’architecture et de l’urbanisme de l’école d’ingénieurs de l’Universidade de São Paulo, à São Carlos, mérite d’être signalé. Ce programme a réuni depuis 1993 un ensemble remarquable d’architectes qui ont contribué aussi bien à l’histoire de l’architecture qu’à l’histoire de l’urbanisme, phénomène qui n’a pas été observé ailleurs à São Paulo, exception faite de la PUC-Campinas. La filière a été lancée par l’architecte Carlos Martins, formé à l’USP et titulaire d’un doctorat obtenu en Espagne. Le projet de formation créé et animé par Martins a été conduit initialement avec la participation de Carlos Roberto Monteiro de Andrade, Renato Anelli, Sarah Feldman, Cibele Rizek, Agnaldo Farias, Nabil Bonduki, Fernanda Fernandes et Mário Henrique Simão d’Agostino, ces quatre derniers étant aujourd’hui à la FAU-USP.

57 Enfin, le réseau de l’Universidade de São Paulo s’est étendu depuis les années 1990 dans le Centre-Ouest, avec la présence de Sylvia Ficher dans le programme de master de l’Universidade de Brasília. Sylvia Ficher a réalisé un travail remarquable sur les cultures disciplinaires à São Paulo, Ensino e profissão: o curso de engenheiro-arquiteto da Escola Politécnica de São Paulo (FICHER, 1989), qui a ouvert la voie à d’autres récits sur les villes et les pratiques professionnelles, avec une attention particulière portée aux études typo-morphologiques.

58 Ces tendances d’expansion et de reconfiguration du champ de l’histoire ayant São Paulo comme centre se reflètent également dans les revues. Au début des années 1990 déjà, la revue Projeto s’était tournée plus nettement vers la conception de projets architecturaux, tandis que la revue AU avait cherché à maintenir son rôle de pont avec la recherche, ce qu’elle a réussi jusqu’en 2000. Pendant cette période, la rubrique « Documento » d’AU publie des dossiers qui font une sorte d’état des lieux des thèmes émergents au Brésil. Ces thèmes reflètent, en partie, les actions menées dans les universités, au Docomomo et au Séminaire d’histoire de la ville et de l’urbanisme, tous impliqués dans la production d’un corpus d’études croissant. Les travaux réalisés sur des traditions artistiques, l’œuvre de certains architectes, leurs plans et leurs projets, ont suscité la création de nouvelles maisons d’édition spécialisées et l’organisation d’expositions et de congrès nationaux et internationaux. Toutefois, l’élargissement du

Perspective, 2 | 2013 184

champ a provoqué également une dispersion des premières nébuleuses et des conquêtes théoriques remportées par elles jusqu’au milieu des années 1990.

59 Analysant l’expansion des études historiques au début des années 2000, Ana Fernandes et Marco Aurélio de Filgueiras Gomes se demandaient : « Que signifie cet intérêt porté au passé par un nombre important de chercheurs, au moment où le présent soulève des questions si urgentes pour nos villes, comme le chômage, le manque de logement, l’exclusion sociale et la violence ? […] Pour quelles raisons ces professionnels, disposés essentiellement à la proposition et à la prospection, sont-ils allés chercher dans l’histoire un chemin pour l’approfondissement de leur réflexion sur la ville et sur l’urbanisme ? »25. Tendance surprenante, cet intérêt pour le passé, ses formes sociales et son architecture, y compris au XXe siècle, reprend fréquemment le mouvement linéaire « à rebours » critiqué par Marc Bloch26, mouvement dans lequel l’histoire est vue comme un film achevé qu’on déroule pour découvrir l’origine des phénomènes.

60 Or, depuis le début des années 2000, on constate que les pratiques d’écriture sur le passé continuent à être construites de manière idéologique ou anhistorique, persistant dans une conception dominante de l’histoire vue comme séparée du présent. Les révisions dites historiographiques tirent profit de la métaphore du « déroulement cinématographique » de l’histoire27 ou du relativisme dominant. Les interprétations finissent souvent par s’appuyer sur des présupposés fragiles et font circuler sans réserve des expressions génériques comme « le moderne », « le contemporain », « la modernité », « la contemporanéité », « le style moderne », ou se dédient à l’étude de l’urbanisme, de la ville ou de l’architecture « moderniste » (LIRA et al., 2011, p. 179). Enfin, l’idée que l’histoire est tout simplement « la science du passé » contribue à sa déshistoricisation ou à sa dépoétisation.

61 Ce n’est que ces dernières années que la communauté des chercheurs a commencé à se rendre compte du fait que leurs (re)lectures étaient exposées à des fractures ou à l’effilochage de cet ensemble de nuages. C’est peut-être devant ce bilan que Carlos Eduardo Comas, dans un entretien récent, a constaté l’effondrement de « l’extraordinaire effervescence réflexive sur l’architecture et l’urbanisme » qui avait cours jusqu’au milieu des années 1990 (Comas, cité par LIRA et al., 2011, p. 146). Il est certain que les travaux de beaucoup de chercheurs adoptent une approche attentive aux œuvres, dans leur relation avec les poétiques des architectes et des urbanistes, et avec leurs cultures disciplinaires respectives. D’autres envisagent désormais d’intégrer aussi la critique historiographique.

62 Toutefois, la problématisation de la production cumulée semble de plus en plus nécessaire, eu égard au volume des travaux. La présentification de l’expérience de l’art, l’anachronisme de la place de l’historien entre la connaissance et le ressenti, et les modèles de temps qu’il fait siens, mériteraient d’être examinés. De plus, au Brésil, à mesure que la façon de penser le temps et l’histoire devient plus singulière par rapport à une perspective strictement européenne, la nécessité de discuter et de déconstruire l’historicité28 de quelques perspectives et de quelques modes de temporalisation se fait plus urgente.

63 C’est une vision du temps et de sa ponctuation qui se reflète implicitement dans les périodisations abstraites que chacun adopte ou crée de façon plus ou moins consciente.

Perspective, 2 | 2013 185

Le souffle du temps donne vie, aussi bien à l’architecture et à ses pratiques, qu’à l’histoire. Toutefois, si certaines inscriptions temporelles peuvent se concrétiser dans chaque création humaine, comme le veut la tradition occidentale, le projet architectural et le dessin poursuivent une suspension anachronique et, parfois, réussissent à les faire exister dans l’expérience même de l’architecture et des formes de la ville.

64 Si l’on découpe le passé sans interroger l’histoire et le temps comme des problèmes posés à l’historien, les cieux métaphoriques se remplissent de nuages qui, prisonniers du calme plat, demeurent immobiles ou finissent par se défaire lentement, un à un, sans rien susciter, pas même une rumeur. Là sont la menace et l’enjeu contemporains.

BIBLIOGRAPHIE

– ANELLI, GUERRA, KON, 2001 : Renato Anelli, Abílio Guerra, Nelson Kon, Rino Levi: arquitetura e cidade, São Paulo, 2001.

– ARANHA, 1993 : Maria Beatriz de Camargo Aranha, « Rino Levi: Arquitetura como ofício », dans Óculum, 3, 1993, p. 46-52.

– ARANTES, 2002 : Pedro Fiori Arantes, Arquitetura Nova: Sérgio Ferro, Flávio Império e Rodrigo Lefèvre, de Artigas aos mutirões, São Paulo, 2002.

– ARTIGAS, 1981 : João Batista Vilanova Artigas, Caminhos da arquitetura moderna, São Paulo, 1981.

– ARTIGAS, 1989 : João Batista Vilanova Artigas, A Função social do arquiteto, São Paulo, 1989.

– ARTIGAS, 2000 : Rosa Artigas éd., Paulo Mendes da Rocha, São Paulo, 2000.

– BONDUKI, 1999 : Nabil Georges Bonduki éd., Affonso Eduardo Reidy, São Paulo/Lisbonne, 1999.

– BRUAND, 1981 : Yves Bruand, Arquitetura contemporânea no Brasil, São Paulo, 1981.

– CAVALCANTI, 1993 : Lauro Cavalcanti éd., Modernistas na repartição, Rio de Janeiro, 1993.

– CAVALCANTI, 2001 : Lauro Cavalcanti, Guia de arquitetura, 1928-1960: quando o Brasil era moderno, Rio de Janeiro, 2001.

– CHIAVARI, 2013 : Maria Pace Chiavari, entretien avec l’auteur, 25-26 juin 2013.

– COMAS, 1987a : Carlos Eduardo Dias Comas, « Protótipo e monumento, um ministério, o ministério », dans Projeto, 102, 1987, p. 136-149.

– COMAS, 1987b : Carlos Eduardo Dias Comas, « Uma certa arquitetura brasileira: experiência a reconhecer », dans Arquitetura, 5, 1987, p. 22-28.

– COMAS, 1994 : Carlos Eduardo Dias Comas, « Teoria acadêmica, arquitetura moderna, corolário brasileiro », dans Gávea, 11, 1994, p. 180-193.

Perspective, 2 | 2013 186

– COMAS, 2013 : Carlos Eduardo Dias Comas, entretien avec l’auteur, 25 juin 2013.

– CONDURU, 1999 : Roberto Conduru, « Razão ao cubo », dans Jorge Czajkowski éd., Jorge Machado Moreira, (cat. expo., Rio de Janeiro, Centro de Arquitetura e Urbanismo, 1999), Rio de Janeiro, 1999.

– CONDURU, 2000a : Roberto Conduru, Ilhas da razão: Arquitetura racionalista do Rio de Janeiro no Século XX, thèse, Universidade Federal Fluminense, 2000.

– CONDURU, 2000b : Roberto Conduru, Vital Brazil, São Paulo, 2000.

– CORONA, LEMOS, XAVIER, 1983 : Eduardo Corona, Carlos Lemos, Alberto Xavier, Arquitetura moderna paulistana, São Paulo, 1983.

– COSTA, 1989 : Lúcio Costa, entretien avec l’auteur et Maria Angélica Silva, 1989.

– COSTA, 1995 : Lúcio Costa, Registro de uma vivência, São Paulo, 1995.

– CZAJKOWSKI, 1985 : Jorge Czajkowski, « Arquitetura brasileira: tradição e crítica », dans Gávea, 2, 1985.

– CZAJKOWSKI, 1988 : Jorge Czajkowski, « Breve notícia de pesquisa. O nativismo carioca: uma arquitetura entre a tradição e a modernidade », dans Gávea, 6, 1988, p. 140-143.

– CZAJKOWSKI, 1993 : Jorge Czajkowski, « A arquitetura racionalista e a tradição brasileira », dans Gávea, 10, 1993, p. 23-35.

– CZAJKOWSKI, 2001 : Jorge Czajkowski éd., Guia da arquitetura moderna no Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, 2001.

– DAHER, 1982 : Luiz Carlos Daher, Flávio de Carvalho: arquitetura e expressionismo, São Paulo, 1982.

– DEDECA, 2012 : Paula Gorenstein Dedeca, « A ideia de uma identidade paulista na historiografia de arquitetura brasileira », dans Pós, 19/32, 2012.

– FERNANDES, GOMES, 2004 : Ana Fernandes, Marco Aurélio Gomes, « História da cidade e do urbanismo no Brasil: Reflexões sobre a produção recente », dans Ciência e Cultura, 56/2, 2004

– FERRAZ, 1993 : Marcelo Carvalho Ferraz éd., Lina Bo Bardi, São Paulo, 1993.

– FICHER, 1988 : Sylvia Ficher, « Ensino e pesquisa em arquitetura na América Latina », dans Projeto, 114, 1988.

– FICHER, 1989 : Sylvia Ficher, Ensino e profissão: o curso de engenheiro-arquiteto da Escola Politécnica de São Paulo, thèse, Universidade de São Paulo, 1989.

– FICHER, ACAYABA, 1982 : Sylvia Ficher, Marlene Milan Acayaba, Arquitetura moderna brasileira, São Paulo, 1982.

– GUERRA, 2001 : Abilio Guerra, « Historiografia da arquitetura brasileira », dans Arquitextos, 2001, disponible en ligne : www.vitruvius.com.br/revistas/read/arquitextos/01.010/905 (consulté le 24 octobre 2013).

– GUERRA, 2002 : Abílio Guerra, Lúcio Costa, modernidade e tradição: montagem discursiva da arquitetura moderna brasileira, thèse, université de Campinas, 2002.

Perspective, 2 | 2013 187

– GUERRA, 2010 : Abilio Guerra éd., Textos fundamentais sobre história da arquitetura moderna brasileira, São Paulo, 2010.

– HOLSTON, 1993 : James Holston, A Cidade Modernista: uma crítica de Brasília e sua utopia, São Paulo, 1993.

– KAMITA, 2000 : João Masao Kamita, Vilanova Artigas, São Paulo, 2000.

– KATINSKY, 1988 : Julio Katinsky, « Arquitetura paulista, uma perigosa montagem ideológica », dans AU, 17, 1988, p. 66-71.

– LEME, 1999 : Maria Cristina da Silva Leme, Urbanismo no Brasil, 1895-1965, São Paulo, 1999.

– LEONÍDIO, 2006 : Otávio Leonídio, « Um quarto de século de ‘Arquitetura contemporânea no Brasil’: Homenagem a Yves Bruand », dans Vitruvius, 2006, disponible en ligne : www.vitruvius.com.br/revistas/read/resenhasonline/05.060/3121 (consulté le 23 octobre 2013).

– LIRA, 2009 : Jose Tavares Correia deLira, « Arquitetura, historiografia e historia operativa nos anos 1960 », dans VIII Seminário DOCOMOMO Brasil, (CD-ROM), Rio de Janeiro, 2009.

– LIRA et al., 2011 : José Lira, Inês Bonduki, Danilo Hideki, João Sodré « Os dilemas da prancheta como espaço histórico: Entrevista com Sophia da Silva Telles », dans Desígnio: revista de história da arquitetura e do urbanismo, 11-12, 2011.

– LIRA, OTA, SANTOS, 2011 : José Lira, Maria Isabel Momoe Ota, Nathalia Vianna Santos, « A precedência da forma na arquitetura, Entrevista com Carlos Eduardo Dias Comas », dans Desígnio: revista de história da arquitetura e do urbanismo, 11-12, 2011.

– LISSOVSKY, SÁ, 1996 : Mauricio Lissovsky, Paulo Sérgio Moraes de Sá, Colunas da educação: A Construção do ministério da Educação e Saúde, Rio de Janeiro, 1996.

– MACHADO, PEREIRA, SILVA, 2003 : Denise Pinheiro Machado, Margareth da Silva Pereira, Rachel Coutinho Marque Silva, Urbanismo em questão, Rio de Janeiro, 2003.

– MAHFUZ, 1987 : Edson Mahfuz, « O Clássico, o poético e o erótico », dans AU, 15, 1987.

– MARQUES, 1999 : Sonia Marques, « Arquitetura brasileira, uma pós-modernidade mais do que contraditória », dans Rua: revista de urbanismo e arquitetura, 5/1, 1999.

– MARTINS, 1987 : Carlos Alberto Ferreira Martins, Arquitetura e Estado o Brasil: Elementos para uma investigação sobre a constituição do discurso moderno no Brasil – a obra de Lúcio Costa (1924-1952), mémoire, Universidade de São Paulo, 1987.

– MARTINS, 1994a : Carlos Alberto Ferreira Martins, « A constituição da trama narrativa na historiografia da arquitetura moderna brasileira », dans Pós, numéro spécial, « O Estudo da história na formação do arquiteto », São Paulo, 1994.

– MARTINS, 1994b : Carlos Alberto Ferreira Martins, « Estado, cultura e natureza na origem da arquitetura moderna brasileira: Le Corbusier e Lúcio Costa, 1929-1936 », dans Caramelo, 6, 1993, p. 129-136.

Perspective, 2 | 2013 188

– MENESES, 2003 : Ulpiano T. Bezerra de Meneses, « Fontes visuais, cultura visual, história visual: balanço provisório, propostas cautelares », dans Revista brasileira de história, 23/45, 2003, p. 11-36.

– MIYADA, 2011 : Paulo Kiyoshi Abreu Miyada, « Moradas do tempo : Entrevista com Carlos Antonio Leite Brandão », dans Desígnio: revista de história da arquitetura e do urbanismo, 11-12, 2011.

– PEREIRA, 1990 : Margareth A. C. da Silva Pereira, « A aquitetura brasileira e o mito. Notas sobre um velho jogo afirmação homem-presença natureza », dans Gávea, 7, 1990.

– PEREIRA, 2003 : Margareth A. C. da Silva Pereira, « L’utopie et l’histoire: Brasilia entre la certitude de la forme et le doute de l’image », dans Alain Sayag éd., L’Art de l’Amerique latine, Paris, 1992.

– PEREIRA, 1997 : Margareth A. C. da Silva Pereira, « Discurso técnico X atitude estética: cosmopolitismo e regionalismo nos planos de Agache e Le Corbusier para o Rio », dans Art déco na América Latina: 1° seminário internacional, (colloque, Rio de Janeiro, 1997), Rio de Janeiro, 1997.

– PEREIRA, 2003 : Margareth A.C. da Silva Pereira, « A arte de interrogar o passado: perfis da historiografia sobre o Rio de Janeiro – temas e problemas (1978-1992) », dans Anais do X Encontro Nacional da ANPUR: Encruzilhadas do Planejamento – Repensando Teorias e Práticas, Belo Horizonte, 2003, p. 790-813.

– PESSÔA, 1999 : José Pessôa éd., Lúcio Costa: Documentos de trabalho, Rio de Janeiro, 1999.

– POLTRONIERI, ISSA, 2011 : Julyane Poltronieri, Maíra Issa, « Trama historiográfica e objeto moderno: Entrevista com Carlos Alberto Ferreira Martins », dans Desígnio: revista de história da arquitetura e do urbanismo, 11-12, 2011.

– PUNTONI et al., 1997 : Álvaro Puntoni, Ciro Pirondi, Giancarlo Latorraca, Rosa Camargo Artigas, Vilanova Artigas: arquitetos brasileiros, São Paulo, 1997.

– RODRIGUES DOS SANTOSet al., 1987 : Cecília Rodrigues dos Santos, Vasco da Silva Caldeira, Romao da Silva Pereira, Margareth da Silva Pereira, Le Corbusier e o Brasil, São Paulo, 1987.

– RODRIGUES DOS SANTOS, 2011 : Cecília Rodrigues dos Santos, « Residências de estudar, casa de morar: a honra deste lugar », dans Marlene Milan Acayaba, Residências em São Paulo: 1947-1975, São Paulo, 2011.

– RUBINO, 2002 : Silvana Barbosa Rubino, Rotas da modernidade: trajetória, campo e história na atuação de Lina Bo Bardi, 1947-1968, thèse, Universidade Estadual de Campinas, 2002.

– SALGUEIRO, 1997a : Heliana Angotti Salgueiro, Engenheiro Aarão Reis, o progresso como missão, Belo Horizonte, 1997.

– SALGUEIRO, 1997b : Heliana Angotti Salgueiro, La Casaque d’Arlequin : Belo Horizonte, une capitale ecléctique au XIXe siècle, Paris, 1997.

– SALGUEIRO, 2001 : Heliana Angotti Salgueiro, Cidades capitais do século XIX: racionalidade, cosmopolitismo e transferência de modelos, São Paulo, 2001.

– SEGAWA, 1998 : Hugo Segawa, Arquiteturas no Brasil: 1900-1990, São Paulo, 1998.

– SILVA, 1991 : Maria Angélica Silva, As Formas e as palavras na obra de Lúcio Costa, mémoire, université pontificale catholique de Rio de Janeiro, 1991.

Perspective, 2 | 2013 189

– TELLES, 1988 : Sophia S. Telles, Arquitetura moderna no Brasil: o desenho da superfície, mémoire, université de São Paulo, 1988.

– TELLES, 1989 : Sophia S. Telles, « Lúcio Costa: Monumentalidade e intimismo », dans Novos Estudos, 25, 1989.

– TELLES, 1990 : Sophia S. Telles, « Museu brasileiro da escultura », dans AU, 32, 1990.

– TELLES, 1992 : Sophia S. Telles, « Oscar Niemeyer: Técnica e forma », dans Óculum, 2, 1992.

– TOGNON, 1999 : Marcos Tognon, Arquitetura italiana no Brasil: A Obra de Marcello Piacentini, Campinas, 1999.

– TOLEDO, 1981 : Benedito Lima de Toledo, São Paulo, três cidades em um século, São Paulo, 1981

– TSIOMIS, 1998 : Yannis Tsiomis éd., Le Corbusier: Rio de Janeiro 1929, 1936, Rio de Janeiro, 1998.

– UNDERWOOD, 1994 : David Underwood, Oscar Niemeyer and Brazilian free-form modernism, New York, 1994.

– VIEIRA, 1984 : Lucia Gouvêa Vieira, Salão de 1931: marco da revelação da arte moderna em nível nacional, Rio de Janeiro, 1984.

– WISNIK, 2011 : Guilherme Wisnik, « Crítica sem lugar », dans Vitruvius, 2011, disponible en ligne : www.vitruvius.com.br/revistas/read/resenhasonline/10.109/3847 (consulté le 24 octobre 2013).

– WU, 2011 : Rita Wu, « Histórias de Trajetórias Profissionais, Contextualizadas: Entrevista com Carlos Roberto Monteiro de Andrade », dans Desígnio: Revista de história da arquitetura e do urbanismo, 11-12, 2011.

– XAVIER, 1962 : Alberto Xavier éd., Lúcio Costa: Sobre arquitetura, 1962.

– XAVIER, 1987 : Alberto Xavier éd., Arquitetura moderna brasileira: Depoimento de uma geração, São Paulo, 1987.

– XAVIER, BRITTO, NOBRE, 1991 : Alberto Xavier, Alfredo Britto, Ana Luiza Nobre, Arquitetura moderna no Rio de Janeiro, São Paulo/Rio de Janeiro, 1991.

– ZEIN, 2000 : Ruth Verde Zein, Arquitetura brasileira, escola paulista e as casas de Paulo Mendes da Rocha, mémoire, Universidade Federal du Rio Grande do Sul, Porto Alegre, 2000.

– ZEIN, 2001 : Ruth Verde Zein, O Lugar da crítica: Ensaios oportunos de arquitetura, Porto Alegre, 2001.

Perspective, 2 | 2013 190

NOTES

1. Georges Duby, Le Dimanche de Bouvines : 21 juillet 1214, Paris, 1973 ; Jacques Le Goff, Pierre Nora, Faire de l’histoire, Paris, 1974 ; Michel de Certeau, L’Écriture de l’histoire, Paris, 1975 ; Roger Chartier, Cultural History: Between Practices and Representations, Ithaca (NY), 1988. 2. Maurício Abreu, Olga Bronstein, Políticas públicas, estrutura urbana e distribuição da população baixa renda na área metropolitana do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, 1978 (l’introduction « historique » d’Abreu a été rééditée en 1987 sous le titre Evolução urbana do Rio de Janeiro) ; Eulália Lobo, Maria Bárbara Levy, Maria Yedda Linhares, História do Rio de Janeiro: do capital comercial ao capital industrial e finaceiro, Rio de Janeiro, 1978 ; Roberto Machado et al., A danação da norma: medicina social e constituição da psiquiatria no Brasil, Rio de Janeiro, 1978 ; Jurandir Freire Costa, Ordem médica e norma familiar, Rio de Janeiro, 1979. 3. Roberto Moura, Tia Ciata e a pequena África no Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, 1983. 4. Ilmar Rohloff de Mattos et al., A polícia e a força policial no Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, 1981 ; Afonso Carlos Marques dos Santos éd., O Rio de Janeiro de Lima Barreto, Rio de Janeiro, 1983 ; José Murilo de Carvalho, A revolta da vacina (rapport), Rio de Janeiro, 1984 ; Nicolau Sevcenko, A revolta da vacina: mentes insanas em corpos rebeldes, São Paulo, 1984 ; Margarida Souza Neves, As Vitrines do progresso, Rio de Janeiro, 1986. 5. Licia do Prado Valladares, Passa-se uma casa: análise do programa de remoção de favelas do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, 1980 ; Helia Xavier Nacif, Transformações recentes em um bairro residencial Laranjeiras: o papel das legislações urbanísticas, Rio de Janeiro, 1981 ; Lilian Fessler Vaz, « Notas sobre о Cabeça de Porco », dans Revista do Rio de Janeiro, 2, 1986, p. 29-35 ; Sérgio T. Niemeyer Lamarão, Dos trapiches ao porto, Rio de Janeiro, 1991. 6. Nicolau Sevcenko, Literatura como missão : tensões sociais e criação cultural na Primeira República, São Paulo, 1983 ; Jaime Larry Benchimol, Pereira Passos: um Haussmann tropical – a renovação urbana da cidade do Rio de Janeiro no início do século XX, thèse, Universidade Federal do Rio de Janeiro, 1990 ; Maurício Lissovsky, Paulo Sérgio Moraes de Sá, Colunas da educação: a construção do Ministério da Educação e Saúde, 1935-1945, Rio de Janeiro, 1996. 7. Nestor Goulart Reis Filho, Contribuica̧ ̃o ao estudo da evolução urbana do Brasil (1500-1720), São Paulo, 1968 ; Quadro da arquitetura no Brasil, São Paulo, 1970. 8. Diana Dorothea Danon, Benedito Lima de Toledo, São Paulo : « Belle Époque », São Paulo, 1974 ; Benedito Lima de Toledo, São Paulo, três cidades em um século, São Paulo, 1981. 9. Voir, par exemple, Pedro Arantes, Arquitetura nova: de artigas aos mutirões, São Paulo, 2002, et Ana Paula Koury, Arquitetura nova: Flávio Império, Rodrigo Lefèvre, Sérgio Ferro, São Paulo, 2004. 10. « […] eram matéria de estudo e de debate num continuo confronto de tendências, além disso eram animadas as discussões sobre Aldo Rossi e o discurso pós-moderno » (CHIAVARI, 2013). 11. Giulio Carlo Argan, Walter Gropius e la Bauhaus, Turin, 1951 ; L’Europa delle capitali: 1600-1700, Genève, 1964 ; L’arte moderna: 1770-1970, Florence, 1970 ; Storia dell’arte come storia della città, Rome, 1983. 12. Manfredo Tafuri, Teorie e storia dell’archittettura, Bari, 1968 ; Progetto e utopia: architettura e sviluppo capitalistico, Rome/Bari, 1973 ; Il Dispositivo Foucault, Venise, 1977 ; La sfera e il labirinto: avanguardie e architettura da Piranesi agli anni ’70, Turin, 1980. 13. Voir Jean-Louis Cohen, « From an ideological statement to professional history », dans Zodiac, 21, juillet-décembre 1999, p. 34-45 (traduction portugaise dans LIRA et al., 2011). 14. Ces questions peuvent être revisitées dans les pages du livre récent de François Hartog, Croire en l’histoire, Paris, 2013. Hartog est l’un des auteurs fondamentaux pour comprendre les débats et les controverses historiographiques. 15. Giovanna Rosso del Brenna et al., Uma Cidade em questão, I, Grandjean de Montigny e o Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, 1979 ; Giovanna Rosso del Brenna éd., O Rio de Janeiro de Pereira Passos, Rio de Janeiro, 1985.

Perspective, 2 | 2013 191

16. Paulo F. Santos, Quatro séculos de arquitetura, Rio de Janeiro, 1981 [éd. orig. : Quatro séculos de cultura na cidade do Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, 1965] ; Reis Filho, 1970, cité n. 7. 17. Ce dernier ouvrage a été conçu par Vasco da Silva Caldeira, Romão da Silva Pereira, Cecilia Rodrigues dos Santos et par l’auteur du présent texte, ancienne élève devenue, entre 1987 et 1992, professeur et coordonnatrice du cours de spécialisation, invitée par Carlos Zílio à le remplacer. 18. Kenneth Frampton, Modern Architecture: A Critical History, New York, 1980. 19. Yi-Fu Tuan, Topophilia: A Study of Environmental Perception, Attitudes, and Values, Englewood Cliffs, 1974. 20. Jorge Ramirez Nieto, Las Huellas que revela el tiempo (1985-2011), Bogotá, 2013. 21. Colin Rowe, « The Mathematics of the Ideal Villa: Palladio and Le Corbusier Compared », dans Architectural Review, mars 1947. 22. Edmund M. Bacon, Design of Cities, New York, 1967. 23. Jean Castex, Jean-Charles Depaule, Philippe Panerai, Formes urbaines, de l’îlot à la barre, Paris, 1977. 24. Voir le site électronique de la revue Arquitextos : www.vitruvius.com.br/revistas/browse/ arquitextos (consulté le 29 novembre 2013). 25. « […] O que significa esse interesse sobre o passado por parte de um número significativo de pesquisadores, quando o presente coloca questões tão prementes para nossas cidades, como o desemprego, a falta de moradia, a exclusão social e a violência? [...] por que razões foram esses profissionais, essencialmente propositivos e prospectivos, buscar na história um caminho para o aprofundamento de sua reflexão sobre a cidade e o urbanismo? » (FERNANDES, GOMES, 2004). 26. Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris, (1949) 1993, p. 96-97. 27. Georges Didi-Huberman, Devant le temps : histoire de l’art et anachronisme des images, Paris, 2000. 28. François Hartog, Régimes d’historicité : présentisme et expériences du temps, Paris, 2003.

RÉSUMÉS

Durant la dernière décennie, les études dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme se sont largement manifestées publiquement au Brésil. Cette tendance se traduit non seulement par un nombre croissant de programmes de formation en architecture et en urbanisme, qui offrent une qualification en histoire, mais aussi par la création de maisons d’édition spécialisées dans ces domaines et la présence d’historiens et de critiques d’architecture et d’urbanisme dans les journaux à grande diffusion. Elle a permis aussi l’organisation de congrès et de cours magistraux sur les villes et leurs histoires et privilégié les études des biographies professionnelles d’architectes et d’urbanistes. Enfin, elle permet aujourd’hui la circulation de dizaines de chercheurs brésiliens qui remplissent les auditoriums ou présentent les résultats de leurs investigations dans les circuits internationaux de colloques et de séminaires. Cet article traite donc des contours récents de la professionnalisation dans le domaine de l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme. Il cherche à répertorier les pratiques des acteurs et des groupes qui travaillent dans le pays, leurs contributions à différents niveaux et les tensions entre les orientations théoriques maintenues ou déplacées. En filigrane, il s’agit d’une invitation à réfléchir sur les interactions multiples et fluides qui, à chaque époque et dans chaque lieu, ont

Perspective, 2 | 2013 192

construit un champ de connaissance et d’action indissociable d’une histoire conjuguée et construite au présent.

Over the past decade, studies on architecture and urbanism have gained in visibility in Brazil. This tendency is illustrated not only by the increasing number of vocational and academic programs related to these two fields offering a concentration in history, but also by the creation of specialized publishing houses and the presence of historians and critics of architecture and urbanism in mainstream newspapers. It has also led to the organization of conferences and lectures on cities and their histories and brought to light studies by the professional biographers of architects and urban planners. In addition, it has also resulted in the circulation of dozens of Brazilian scholars, who fill auditoriums and present the results of their investigations during international colloquiums and seminars. This article discusses recent developments shaping professionalization in the fields of architectural and urban history. It seeks to record the practices of individual protagonists and groups working in Brazil, their different contributions, and the tensions between sustained or shifting theoretical orientations. In a more implicit fashion, it invites reflection on the many and fluid interactions that, in a given period and place, comprise a field of thought and action that cannot be dissociated from a history conjugated and constructed in the present.

Os estudos na área da história da arquitetura e do urbanismo vêm exibindo na última década uma grande expressão pública no Brasil. Essa tendência se traduz não só no número crescente de programas de formação em arquitetura e urbanismo que oferecem capacitação em história mas também na criação de editoras especializadas nessas áreas, na presença de historiadores e críticos de arquitetura e urbanismo em jornais de grande circulação, na organização de congressos e cátedras nacionais sobre as cidades e sua história e que privilegiam os estudos das biografias profissionais de arquitetos e urbanistas, enfim, na circulação internacional, hoje, de dezenas de pesquisadores brasileiros que enchem os auditórios ou apresentam resultados de suas investigações nos circuitos internacionais de colóquios e seminários. Este artigo trata, assim, do delineamento recente da profissionalização na área da história da arquitetura e do urbanismo, buscando mapear as práticas de diferentes atores e grupos atuantes no país, suas contribuições em diferentes planos e as tensões e entre as orientações teóricas mantidas e deslocadas. Em suas entrelinhas, trata-se de um convite à reflexão sobre as múltiplas e fluídas interações que, a cada tempo e lugar, têm construído um campo de conhecimento e ação indissociável de uma história conjugada e construída no presente.

Während des letzten Jahrzehnts haben die Forschungen im Bereich der Architektur und des Urbanismus in Brasilien wesentlich an Sichtbarkeit gewonnen. Diese Tendenz zeigt sich nicht nur anhand der wachsenden Zahl von Studienprogrammen im Bereich der Architektur und des Urbanismus, die vor allem einen historischen Standpunkt vertreten, sondern auch anhand der Verlagsgründungen, die sich auf diese Bereiche spezialisieren, und der Präsenz von Historikern und Kritikern für Architektur und Urbanismus in der breiten Presse. Diese Entwicklung geht einher mit der Organisation von Kongressen und Vorlesungen zum Thema der Stadt- und Städtebaugeschichte und dem Interesse für biographische Studien über Architekten und Städteplaner. Daraus hat sich schließlich ein Netzwerk von heute ungefähr einem Dutzend brasilianischen Wissenschaftlern entwickelt, die in gefüllten Hörsälen oder in internationalen Veranstaltungen, wie Symposien und Workshops, ihre Ergebnisse darlegen. Dieser Artikel behandelt dementsprechend die jüngsten Konturen der Professionalisierung im Bereich der Architektur- und Städtebaugeschichte. Er versucht, die in Brasilien agierenden Akteure und Gruppen aufzuzeigen und ihre unterschiedlichen Beteiligungen und Spannungen zwischen altbewährten und erneuerten theoretischen Standpunkten einzuordnen. Zwischen den Zeilen versteht sich dieser Artikel als eine Einladung, über die zahlreichen verflochtenen

Perspective, 2 | 2013 193

Interaktionen nachzudenken, die zu jeder Zeit und an jedem Ort ein Wissens-und Aktionsfeld aufbauen, das untrennbar von einer sich in der Gegenwart konstruierenden Geschichte ist.

Nell’ultimo decennio, gli studi di architettura e di urbanismo hanno raggiunto un’ampia visibilità pubblica. Questa tendenza si traduce non solo nel numero crescente di programmi di formazione di architettura e di urbanismo, che offrono una qualifica in storia, ma anche nella creazione di case editrici specializzate in questi campi, e nella presenza di storici e critici dell’architettura e dell’urbanismo nei giornali di ampia diffusione. Essa ha inoltre permesso di organizzare dei congressi e dei corsi cattedratici sulle città e sulla loro storia, ed ha privilegiato gli studi delle carriere professionali di architetti e urbanisti. Infine, essa consente oggi la circolazione di decine di ricercatori brasiliani che affollano le sale di conferenze o presentano i risultati delle loro investigazioni nei circuiti internazionali di convegni e di seminari. Questo articolo tratta dunque dei contorni recenti della professionalizzazione negli ambiti della storia dell’architettura e dell’urbanismo. Esso tenta di recensire le pratiche degli attori e dei gruppi che lavorano nel paese, le loro contribuzioni a differenti livelli e le tensioni tra le orientazioni teoriche conservate o modificate. In filigrana, si tratta di un invito a riflettere sulle interazioni molteplici e fluide che, a ogni epoca ed in ogni luogo, hanno costruito un campo di conoscenza e di azione indissociabile di una storia coniugata e costruita al presente.

En los últimos diez años, numerosos estudios en el campo de la arquitectura y el urbanismo se han dado a conocer en Brasil. Una tendencia que se traduce por un aumento creciente de los programas de formación en arquitectura y urbanismo, que proporcionan una cualificación en historia, y también por la creación de editoriales especializadas en dichos ámbitos o la presencia de historiadores y críticos de ambos campos en la prensa de gran difusión. Asimismo ha dado lugar a la organización de congresos y clases magistrales sobre las ciudades y sus historias, privilegiando los estudios de biografías profesionales de arquitectos y urbanistas. Hoy facilita la circulación de decenas de investigadores brasileños que van llenando los auditorios o presentando los resultados de sus investigaciones en los circuitos internacionales de coloquios y seminarios. Este artículo analiza por lo tanto los recientes contornos de profesionalización en el campo de la historia de la arquitectura y el urbanismo, tratando de catalogar las prácticas de los actores y los grupos en actividad en el país, sus contribuciones a distintos niveles y las tensiones entre las orientaciones teóricas mantenidas o desplazadas. También puede verse como una invitación a reflexionar sobre las múltiples y fluidas interacciones que, en cada época y cada lugar, han constituido un campo de conocimiento y acción indisociables de una historia conjugada y elaborada en presente.

INDEX

Index géographique : Brésil, Rio de Janeiro, São Paulo Mots-clés : anthropologie, architecture, dictature, revue, urbanisme, sociologie, université Keywords : anthropology, architecture, dictatorship, journal, urbanism, sociology, university Index chronologique : 1900

Perspective, 2 | 2013 194

AUTEURS

MARGARETH DA SILVA PEREIRA Architecte, urbaniste et historienne de l’architecture et de l’urbanisme. Elle est enseignante et coordinatrice du programme en urbanisme de la faculté d’architecture et d’urbanisme de l’Universidade Federal do Rio de Janeiro (PROURB/FAU-UFRJ). Elle est aussi l’auteur de nombreuses publications sur les questions historiographiques et les thèmes de la culture constructive et artistique au Brésil. Ses travaux portent sur les liens entre l’expérience américaine, y compris brésilienne, et une poétique de la nature présente dans l’esthétique baroque, dans le premier romantisme et dans le mouvement moderniste.

Perspective, 2 | 2013 195

Actualité

Perspective, 2 | 2013 196

Réflexions sur la peinture de paysage au Brésil au XIXe siècle A reflection on landscape painting in Brazil in the nineteenth century

Pablo Diener Traduction : Vanessa Capieu

NOTE DE L’ÉDITEUR

Cet article existe en traduction portugaise : Reflexões sobre a pintura de paisagem no Brasil no século XIX

1 En 1855, Manuel de Araújo Porto-Alegre, alors directeur de l’Academia Imperial de Belas Artes à Rio de Janeiro, rassemblait ses réflexions sur la peinture de paysage au Brésil en vue d’une remise en question de l’enseignement de cette discipline au sein de l’académie1. Dans ce texte fondateur pour l’histoire de la critique d’art sur ce genre au Brésil, il procède à un examen attentif de la peinture de paysage telle qu’elle avait été pratiquée au cours des décennies précédentes. Porto-Alegre se montre relativement critique envers les artistes qui s’étaient adonnés à cette peinture en terres luso- américaines au cours du XIXe siècle, en particulier Charles Othon Frédéric Jean-Baptiste, comte de Clarac, Nicolas Antoine Taunay, Abram-Louis Buvelot, Jean-Baptiste Debret et Félix-Émile Taunay – tous étrangers, sans exception. Il ne pouvait en être autrement puisque, il convient de le rappeler, la peinture de paysage avait été introduite au Brésil par des artistes qui y avaient séjourné dans les circonstances les plus diverses. L’auteur, qui passe en revue l’œuvre de ces peintres, leur reproche des imprécisions dans la représentation des espèces florales et des incohérences dans la composition des ensembles, dues selon lui à la juxtaposition dans un même espace de plantes provenant de milieux naturels différents. Mais l’idée phare de son analyse est que ces peintres n’ont pas su appréhender le caractère particulier du paysage sous ces latitudes, à l’exception de Félix-Émile Taunay, à qui il manquerait cependant un certain « talent manuel de paysagiste ». Porto-Alegre conclut par cette invocation : « Nos paysagistes

Perspective, 2 | 2013 197

doivent être américains, parce que c’est de la nature américaine, et en particulier de celle du Brésil, qu’ils tireront leur gloire et leur pain »2.

2 Il ne s’agit pas ici de discuter la pertinence des jugements portés par Porto-Alegre à propos de chacun de ces artistes. Ce texte mérite notre attention dans la mesure où il met en avant certains aspects fondamentaux de l’appréciation de la peinture de paysage à cette époque. Dans cette étude, le jugement de l’auteur repose sur l’évaluation de l’authenticité de la représentation du point de vue botanique et sur la cohérence du milieu naturel perçu dans sa globalité. Ce principe figurait déjà dans le traité théorique de Pierre-Henri de Valenciennes3 et fut repris par Alexander von Humboldt dans son vaste œuvre4, dans lequel il proposait des instructions destinées aux artistes qui voyageaient sur le continent américain5. En outre, dans son invocation finale, Porto-Alegre laisse entrevoir l’importance prise par le territoire et son environnement naturel dans le processus de constitution de l’identité nationale brésilienne. Ses observations, qui font allusion à la signification attribuée à la peinture de paysage à cette époque, se trouvent traitées comme des aspects essentiels de ce genre dans l’historiographie contemporaine.

3 Nous nous proposons ici de faire un état des lieux des travaux menés au cours des trente dernières années par les chercheurs spécialistes de ce domaine au Brésil, en montrant d’une part leur volonté persistante de mettre en avant la domination exercée par la pensée de Humboldt dans la pratique des paysagistes en ce qui concerne l’exigence de vraisemblance et de cohérence dans la représentation de la nature, et de l’autre la connotation nationaliste qui apparaît de façon plus ou moins explicite dans le traitement de la nature brésilienne. Cette production intellectuelle est relativement riche : bien que l’histoire de l’art soit une discipline récente dans l’espace académique du Brésil, force est de constater que, au cours des dernières décennies, les chercheurs ont publié des études monographiques et des catalogues raisonnés de l’œuvre des peintres du XIXe siècle, entreprenant une analyse rigoureuse de l’esthétique alors en vigueur et de sa mise en pratique dans les manifestations artistiques de l’espace culturel brésilien.

Les débuts de la peinture de paysage au XIXe siècle au Brésil

4 Pour les deux artistes qui ont marqué les prémices de la peinture de paysage au Brésil, le comte de Clarac et Nicolas-Antoine Taunay, nous disposons à l’heure actuelle de monographies substantielles.

5 Clarac fit l’objet d’une attention particulière à partir de 2004, lorsque fut mise en vente sa splendide aquarelle Forêt vierge du Brésil. Dans la note de présentation rédigée à cette occasion figurait une brève synthèse des principales études consacrées jusqu’alors à l’artiste6. L’année suivante, après son acquisition par le Musée du Louvre, fut publié un catalogue d’exposition qui offre une large documentation sur l’œuvre et l’inscrit dans le champ de la recherche américaniste des débuts du XIXe siècle7. Le dessin représente un paysage de la forêt tropicale dite atlantique, que son auteur situe à proximité de Rio de Janeiro. Commencée en 1816, alors que l’artiste séjournait au Brésil, la peinture fut achevée à Paris à l’aide d’informations botaniques diverses fournies par d’autres voyageurs. L’aquarelle fut exposée en 1819 au Salon à Paris où elle remporta un vif

Perspective, 2 | 2013 198

succès. Elle fut gravée sur cuivre trois ans plus tard et put ainsi bénéficier d’une large diffusion. Elle finit par être considérée en Europe comme la représentation par excellence de la nature tropicale américaine ; Humboldt jugea ainsi qu’elle constituait la représentation la plus achevée de la forêt vierge d’outremer8.

6 Comme l’ont mis en évidence les études monographiques le concernant, l’œuvre de Clarac appréhende le paysage en appliquant un langage formel novateur à la représentation de la nature extra-européenne, en cherchant à fondre la spécificité botanique dans une composition où le jeu, entre ombre et lumière, contribue à modeler chacun des éléments de la flore, organisant l’ensemble dans une vision aussi cohérente que séduisante. Aux yeux de Humboldt, l’œuvre de Clarac, qui synthétisait des présupposés scientifiques et artistiques, constituait ainsi un archétype pour les artistes voyageurs en Amérique. Les études plus récentes dédiées aux tableaux de Nicolas- Antoine Taunay constatent en revanche que ces paysages ne relèvent pas d’une esthétique naturaliste : les principes de ces œuvres ont été étudiés et liés à la peinture d’histoire.

7 L’œuvre de Taunay fait aujourd’hui l’objet de deux splendides catalogues d’œuvres, fruit des recherches de ces dix dernières années. Le premier, écrit par Claudine Lebrun Jouve, réunit la totalité de l’œuvre de ce peintre prolifique9 ; le second, de Pedro Corrêa do Lago, offre un inventaire critique de son œuvre brésilien et porte une attention particulière à ses dix-huit peintures à l’huile consacrées au paysage10. Dans ce catalogue des tableaux peints au Brésil, chacune des toiles de l’artiste français est décrite avec érudition, et quelques précisions, fondées sur des études récentes, sont données sur leur identification. Dans la seconde partie de l’ouvrage, l’auteur propose un aperçu sommaire de l’œuvre pictural des fils de Nicolas-Antoine Taunay, Hippolyte, Félix- Émile et Aimé-Adrien. Pour compléter ce recensement solide de la production du patriarche de cette dynastie d’artistes, on peut citer la biographie rédigée par Lilia Moritz Schwarcz, qui le présente au sein d’un vaste contexte historique11.

8 Il apparaît clairement que Taunay, lorsqu’il peignait des paysages, s’intéressait avant tout à la ville de Rio de Janeiro et à ses alentours, la nature tropicale n’étant l’objet de ses tableaux que de façon marginale. Au Brésil, l’artiste est resté fidèle aux préceptes de la peinture néoclassique, maintenant ainsi un modèle défini de composition et de chaque motif représenté. Son séjour tropical n’a provoqué de changement ni dans sa palette, ni de manière générale dans l’exécution technique de ses toiles. Autrement dit, comme l’affirme Corrêa do Lago, le peintre « n’a pas adapté sa peinture au Brésil, mais le Brésil à sa peinture »12. C’est en suivant le même raisonnement que Luciano Migliaccio a étudié les paysages de Taunay13, qu’il a inscrits dans une tradition picturale. L’historien procède à une analyse minutieuse de la biographie artistique du personnage, qu’il décrit comme un peintre originaire de France et lié à l’académie, présent à toutes les expositions du Salon et qui fut reconnu et célébré sous l’empire napoléonien. La mise à l’écart qu’il subit à la Restauration le poussa à émigrer au Brésil, se joignant à un groupe d’artistes impliqué dans une entreprise connue aujourd’hui sous le nom de Mission artistique française14. Dans ses recherches, Migliaccio associe le travail de Taunay à une tradition de peinture de paysage à connotations historiques, sociales et économiques qui apparaît dès la seconde moitié du XVIIIe siècle en France et dans le sud de l’Italie. Ses observations prennent un caractère particulièrement concluant lorsqu’il est amené à lier les travaux de Taunay réalisés au Brésil et l’œuvre de l’Allemand Jacob Philipp Hackert, peintre à la cour de Ferdinand IV à Naples.

Perspective, 2 | 2013 199

Migliaccio s’appuie sur l’interprétation socioculturelle de l’œuvre de Hackert élaborée par Thomas Weidner15 en proposant une relecture de ses paysages peints en Italie méridionale. Selon Weidner, les qualités naturelles, archéologiques et pittoresques traditionnellement attribuées à cette région se voient chez Hackert enrichies d’une modernité idéalisée. Concrètement, la force expressive de la nouvelle peinture de paysage se retrouve dans les travaux d’infrastructure urbaine et rurale entrepris par le roi de Naples, qui composent une nouvelle vision idyllique de l’espace italien, faisant de ces paysages la célébration de la couronne et de sa politique éclairée. Dans son analyse, Migliaccio émet l’hypothèse que Taunay a traduit le discours pictural de Hackert dans l’espace brésilien, où s’était établie une cour d’origine européenne. Au centre d’un paysage naturel majestueux, la couronne aspirait à être reconnue comme l’instigatrice d’un progrès civilisateur, imposant son action sur une nature domptée.

9 Mises à part les intentions explicites de l’artiste lorsqu’il réalisa ses vues de Rio de Janeiro (Taunay était un personnage peu enclin aux génuflexions courtisanes), l’interprétation de Migliaccio est une explication possible du contexte qui, du strict point de vue de la tradition artistique, a pu nourrir le travail de ce paysagiste illustre. De fait, ébauchant une analyse de l’évolution de cette tendance du genre, l’auteur mentionne les commandes faites par la cour vers 1820 à un autre artiste immigré, le Français Arnaud Julien Pallière, afin qu’il peigne non seulement la capitale impériale, mais aussi São Paulo et Vila Rica (actuellement connue sous le nom d’Ouro Preto). On ne peut que reconnaître la pertinence de cette analyse en feuilletant le catalogue de l’œuvre de Pallière16, lequel, loin de se contenter de peindre plusieurs vues urbaines, s’était également consacré à une série de représentations planimétriques qui constitue une forme flagrante d’appropriation symbolique du territoire.

Naturalisme et historicisme

10 Dans les deux tendances de la peinture du paysage brésilien, dessinées par les recherches consacrées à l’art du début du XIXe siècle, naturaliste et historique, il apparaît des représentations du territoire aux connotations multiples. Pour connaître cet héritage, nous disposons d’un certain nombre de catalogues raisonnés et de plusieurs publications qui ont analysé des ensembles d’œuvres majeures, que ce soit sous la forme de catalogues publiés à l’occasion d’expositions temporaires ou d’études de collections privées. Il est difficile de ne pas mentionner les catalogues consacrés à Thomas Ender17, Jean-Baptiste Debret18, Johann Moritz Rugendas19 et la dynastie des Taunay20. Quant aux publications plus transversales, l’incontournable catalogue de la grande exposition O Brasil dos viajantes21 s’impose en raison de l’abondance du matériel étudié et reproduit, de même que les volumes O olhar distante et Arte do Século XIX du catalogue de la Mostra do redescobrimento22, et les ouvrages consacrés aux collections de Paulo Geyer23, de la Fundação Estudar24 et du Banco Itaú 25. Enfin sur la peinture topographique, le travail que Gilberto Ferrez a consacré à Rio de Janeiro est particulièrement remarquable26. Ces publications soulignent, une fois de plus, le caractère fondateur des œuvres d’artistes étrangers pour la peinture de paysage au Brésil. Elles confirment également l’inscription dans la durée des deux tendances déjà évoquées, même si elles ont fini par converger, surtout dans la mesure où, du côté du registre naturaliste, et y compris pour des œuvres destinées à illustrer des expéditions scientifiques, a lentement émergé une représentation de l’espace marquée par des

Perspective, 2 | 2013 200

connotations de type historico-culturel, qui culminent dans les paysages de Félix-Émile Taunay.

11 Dans une étude sur les illustrations scientifiques d’Aimé-Adrien Taunay, le fils cadet de Nicolas-Antoine, réalisées alors que l’artiste accompagnait l’expédition naturaliste de Georg Heinrich von Langsdorff, Maria de Fátima Costa attire l’attention sur les aspirations historicistes de ce peintre génial27. Quand bien même la tâche qui lui incombait n’était qu’un relevé physionomique et para-cartographique des terres intérieures du Brésil, il rompit le cadre purement naturaliste pour mettre au point des vues sur de véritables espaces humains.

12 Même un ouvrage au caractère strictement botanique comme la Flora Brasiliensis de Carl Friedrich Philipp von Martius révèle également une construction à connotations nationales, comme l’a montré Heitor de Assis Júnior dans son excellent mémoire sur les « Tabulae Physionomicae »28. Cette compilation de cinquante-neuf vues des paysages brésiliens les plus divers, éditée sous forme de fascicules sur une période de presque trente ans (entre 1840 et 1869) et présentant des dessins de plusieurs auteurs, répondait pour Martius à l’objectif de montrer les différents écosystèmes avec leur flore spécifique. Dans son introduction, le scientifique allemand dévoilait son intention de livrer « une vision des diverses régions du Brésil »29. Si l’œuvre de Martius est mis en regard avec ses écrits à teneur historique, dans lesquels il souligne la pluralité naturelle du territoire luso-américain comme étant spécifique à cette jeune nation30, il apparaît évident que ces œuvres purement botaniques sont imprégnées d’une intention historiciste.

13 La dimension historique de la peinture de paysage, y compris lorsqu’elle se prétend essentiellement naturaliste, a été analysée, dans le contexte brésilien, par Claudia Valladão de Mattos31. L’auteur renvoie aux descriptions de Humboldt dans Ansichten der Natur32, selon lesquelles la notion de paysage est construite à partir d’éléments physiques et moraux, notamment dans les chapitres concernant les steppes et les déserts ou dans la description de la Sierra de Cajamarca33. Elle rappelle que cette vision globalisante des phénomènes naturels qui inclut l’histoire humaine remonte notamment à Johann Wolfgang von Goethe, qui établit un lien essentiel entre l’homme et le monde naturel, et pour qui il est impossible de séparer le travail de l’esprit de la vie matérielle. En ce sens, les aspirations historico-culturelles insérées dans des représentations naturalistes par les artistes de tradition humboldtienne sont pour eux une manière de contribuer, par la voie de la sensibilité et de l’intuition, aux études scientifiques, en vue d’une appréhension totalisante de l’univers.

14 Ce type de construction du paysage, à évocations multiples, est souvent classé dans le registre de la représentation pittoresque. Le concept a toutefois pris un nouveau sens. S’il était auparavant habituel de qualifier de pittoresque des représentations suivant des modèles picturaux, dans le contexte des peintures de paysages américains au XIXe siècle, le terme a fini par signifier un idéal enraciné dans la recherche d’une interaction entre art et science. Cet idéal a stimulé les artistes, qui ont ouvert la voie au pittoresque dans l’espoir que cette image globale vienne un jour se manifester sous leurs yeux34.

15 À travers ce patrimoine artistique, nous constatons que l’historicisme est un trait qui a progressivement gagné en importance dans la peinture de paysage consacrée au Brésil et qui, lorsque sa production a été commandée par la royauté, s’est érigé en nécessité. L’œuvre de Félix-Émile Taunay, le troisième des fils de Nicolas-Antoine, est exemplaire

Perspective, 2 | 2013 201

en la matière. Comme l’a démontré Elaine Dias35, son œuvre paysager se situait initialement dans la lignée de celle de son père, tout en étant également lié à la tradition de Hackert. Mais à partir de 1834, date à laquelle Félix-Émile Taunay prit la direction de l’Academia Imperial de Belas Artes à Rio de Janeiro, son œuvre fut marquée par l’émergence d’un nouveau modèle de paysage, dans lequel l’artiste eut recours à un registre très proche de l’illustration scientifique, propre aux artistes voyageurs, qu’il mêla à des thématiques historiques. Ces œuvres couvrent un large éventail thématique, d’une Vista da Mãe d’Água, qui représente une canalisation d’eau établie au XVIIIe siècle et célèbre ainsi les réalisations des travaux publics, à la Vista de um mato virgem que se está reduzindo a carvão, où la représentation de l’appropriation du territoire, qui figure l’abattage d’une forêt, porte en elle une critique environnementale implicite36. Citant des coupures de presse de l’époque, Elaine Dias atteste l’éloge que l’on fit de ces toiles de Félix-Émile Taunay, vues comme des « œuvres véritablement nationales »37.

16 L’intention didactique indéniable de ces peintures corrobore l’affirmation de Sonia Gomes Pereira, qui décrit la démarche de l’Academia Imperial de Belas Artes et sa participation au projet politique impérial de construction symbolique de la nation mené par l’Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro38. La prédilection traditionnelle des académies pour la peinture d’histoire ne fut ainsi pas un obstacle à la promotion d’une peinture de paysage historique au sein de l’académie. C’est à partir de la seconde moitié du XIXe siècle que celle-ci se confondit avec une peinture centrée sur des motifs historiques, mais s’attachant aussi minutieusement au paysage, comme dans l’œuvre de Victor Meirelles de Lima ou de Pedro Américo de Figueiredo e Mello39.

17 Cet état des lieux sommaire de la production intellectuelle consacrée à la peinture de paysage au XIXe siècle au Brésil, et plus particulièrement à la période de formation de l’État brésilien, pendant la première moitié du XIXe siècle, révèle que des recherches monographiques fondamentales ont été menées au cours des dernières décennies. Néanmoins, l’historiographie – hormis quelques essais partiels40 – n’a pas encore fait l’objet d’une étude de synthèse substantielle du rôle joué par les arts figuratifs dans la formation de l’identité culturelle de la nation et en particulier dans la construction symbolique du territoire.

18 En revanche, l’histoire littéraire du XIXe siècle compte dans ce domaine une étude passionnante avec le livre de Flora Süssekind O Brasil não é longe daqui41. Cet essai très complet, qui met aussi en lumière les modalités d’appréhension de l’espace physique et de la nature, s’appuie sur des dizaines d’études menées au cours du XXe siècle. L’auteur utilise ces recherches comme tremplin pour proposer une analyse de haut vol sur la littérature de fiction écrite au siècle où le Brésil a conquis son indépendance. En définissant les facteurs primordiaux qui sont intervenus dans l’éclosion d’une littérature nationale, elle ébauche des idées essentielles pour aborder la fondation artistique d’une nationalité. Cette synthèse attire d’ailleurs l’attention sur la nécessité propre à cette époque de fonder une géographie et un paysage, et avance que la science des voyages a joué en la matière un rôle de guide, aussi bien pour la littérature que pour les arts figuratifs.

19 Dans ce contexte, on peut comprendre le désir de façonner une image visuelle d’un État-nation dont attestent les idées de Porto-Alegre évoquées en introduction. Son exigence d’un respect scientifique des éléments naturels peints renvoie aussi inéluctablement à la tradition de la science des voyages, qu’il a souhaité impliquer dans

Perspective, 2 | 2013 202

le projet national vers le milieu du XIXe siècle. Ces aspects cruciaux abordés par Porto- Alegre dans son analyse de la peinture de paysage ont continué jusqu’à récemment à faire l’objet de recherches. Ces idées ouvrent des voies qui contribueront probablement à engager un dialogue pertinent entre l’histoire de l’art et le vaste domaine de l’histoire culturelle, où les recherches théoriques sur les arts figuratifs pourront contribuer, par de nouvelles lectures, à faire le jour sur ce que pensaient et ce que ressentaient les bâtisseurs de la nation brésilienne.

NOTES

1. Alfredo Galvão, « Manuel de Araújo Porto-Alegre, sua influência na Academia Imperial e no meio artístico nacional », dans Revista do Serviço do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional, 14, 1959, p. 19-120. 2. « Os nossos paisagistas devem ser americanos porque da naturaleza da América e particularmente da do Brasil, é que tirarão a sua glória e o seu pão » (Manuel de Araújo Porto- Alegre, dans Galvão, 1959, cité n. 1, p. 52 et 55). 3. Pierre-Henri de Valenciennes, Éléments de perspective pratique à l’usage des artistes, suivis de réflexions et conseils à un élève sur la peinture et particulièrement sur le genre du paysage, Paris, 1799. 4. Voir Alexander von Humboldt, Essai sur la géographie des plantes, Paris, 1805 ; Ansichten der Natur, Tübingen, 1808 ; Kosmos, Stuttgart, 1845-1862. 5. Pour un aperçu général de l’influence des idées de Humboldt chez les artistes-voyageurs en Amérique, voir Pablo Diener, Maria de Fátima Costa, « A arte de viajantes: de documentadores a artistas viajantes. Perspectivas de um novo gênero », dans Porto Arte, 25, 2008, p. 75-89. Son influence sur les artistes qui ont séjourné au Brésil a été traitée dans Bilder aus Brasilien im 19. Jahrhundert, Renate Löschner éd., (cat. expo., Berlin, Staatsbibliothek zu Berlin, Preussischer Kulturbesitz, 2001), Berlin, 2001. Au sujet de l’accueil que reçurent les idées de Humboldt au Brésil, où le naturaliste ne s’est jamais rendu, voir Maria de Fátima Costa, « Humboldt y Brasil », dans Amerística: la ciencia del nuevo mundo, 2/3, 1999, p. 31-40. 6. Cette publication (Thomas Le Claire, Charles Othon Frédéric J.-B., comte de Clarac, ‘Forêt vierge du Brésil’, Hambourg, 2004) renvoie aux études de Renate Löschner, Lateinamerikanische Landschaftsdarstellungen der Maler aus dem Umkreis von Alexander von Humboldt, thèse, Technische Universität Berlin, 1976, et de Pablo Diener, « Die reisenden Künstler und die Landschaftsmalerei in Iberoamerika », dans Expedition Kunst: Die Entdeckung der Natur von C.D. Friedrich bis Humboldt, Jenns E. Howoldt, Uwe M. Schneede éd., (cat. expo., Hambourg, Hamburger Kunsthalle, 2002-2003), Hambourg, 2002, p. 47-55. 7. Le Comte de Clarac et la ‘Forêt vierge du Brésil’, Pedro Corrêa do Lago, Louis Frank éd., (cat. expo., Paris, Musée du Louvre, 2005), Paris, 2005. 8. Alexander von Humboldt envoya cette gravure à son frère Wilhelm, accompagnée d’un commentaire élogieux, dans une lettre datant du 19 novembre 1823. Voir Bilder aus Brasilien, 2001, cité n. 5, p. 25. 9. Claudine Lebrun Jouve, Nicolas-Antoine Taunay : 1755-1830, Paris, 2003. 10. Pedro Corrêa do Lago, Taunay e o Brasil: obra completa, 1816-1821, Rio de Janeiro, 2008. 11. Lilia Moritz Schwarcz, O sol do Brasil: Nicolas-Antoine Taunay e as desventuras dos artistas franceses na corte de d. João, São Paulo, 2008.

Perspective, 2 | 2013 203

12. « [...] Não adaptou sua pintura ao Brasil, mas o Brasil à sua pintura » (Corrêa do Lago, 2008, cité n. 10, p. 24). 13. Luciano Migliaccio, « Nicolas-Antoine Taunay. Pintura de vista e pintura de paisagem entre Europa e Brasil », dans Nicolas-Antoine Taunay no Brasil, Lilia Moritz Schwarcz, Elaine Dias éd., (cat. expo., Rio de Janeiro, Museu Nacional de Belas Artes, 2008), Rio de Janeiro, 2008, p. 102-107 ; Luciano Migliaccio, « A paisagem clássica como alegoria do poder do soberano: Hackert na corte de Nápoles e as origens da pintura de paisagem no Brasil », dans Cláudia Valladão de Mattos éd., Goethe e Hackert: sobre a pintura de paisagem, Cotia, 2008, p. 87-125. 14. La Mission artistique française a fait l’objet de nombreuses études. La monographie de référence est signée par l’arrière-petit-fils du peintre : Afonso d’Escragnolle Taunay, « A Missão artística de 1816 », dans Revista do Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro, 74, 1911, p. 5-202. 15. Thomas Weidner, Jakob Philipp Hackert: Landschaftsmaler im 18. Jahrhundert, Berlin, 1998. 16. Ana Pessoa, Júlio Bandeira, Pedro Corrêa do Lago, Pallière e o Brasil: obra completa, Rio de Janeiro, 2011. 17. Robert Wagner, Júlio Bandeira, Viagem ao Brasil nas aquarelas de Thomas Ender, 1817-1818, Petrópolis, 2000. 18. Júlio Bandeira, Pedro Corrêa do Lago, Debret e o Brasil: obra completa, 1816-1831, Rio de Janeiro, 2007. 19. Pablo Diener, Maria de Fátima Costa, Rugendas e o Brasil, Rio de Janeiro, (2002) 2012. 20. Corrêa do Lago, 2008, cité n. 10. 21. O Brasil dos viajantes, Ana Maria de Moraes Belluzzo éd., (cat. expo., São Paulo, Museu de Arte de São Paulo Assis Chateaubriand, 1994), 3 vol., São Paulo, 1994. 22. Mostra do redescobrimento, Nelson Aguilar éd., (cat. expo., São Paulo, Bienal de São Paulo, 2000), São Paulo, 2000. 23. Visões do Rio na coleção Geyer, Maria de Lourdes Parreiras Horta éd., (cat. expo., Rio de Janeiro, Centro Cultural Banco do Brasil, 2000), Rio de Janeiro, 2000. 24. Revelando um acervo, Carlos Martins éd., (cat. expo., São Paulo, Coleção Brasiliana/Fundação Rank-Packard/Fundação Estudar, 2000), São Paulo, 2000. 25. Pedro Corrêa do Lago, Brasiliana Itaú: uma grande coleção dedicada ao Brasil, São Paulo, 2009. 26. Gilberto Ferrez, Iconografía do Rio de Janeiro, 1530-1890: catálogo analítico, Rio de Janeiro, 2000. 27. Maria de Fátima Costa, « Aimé-Adrien Taunay: um artista romântico no interior de uma expedição científica », dans Fênix: revista de história e estudos culturais, 4/4, 2007, p. 1-17. 28. Heitor de Assis Júnior, Relações de von Martius com imagens naturalísticas e artísticas do século XIX, mémoire, Universidade Estadual de Campinas, 2004 ; Carl von Martius éd., Flora Brasiliensis, Munich, 1840-1906, vol. 1, part. 1. 29. « Hoc igitur consilio diversarum Brasiliae regionum imagines proposuimus ita expressas, ut herbas et arbores conspicere possis, quae in quavis regione prae ceteris peculiares proveniunt, easque ita consociatas, ut regioni singularem quendam impertiant colorem illique solemnem, quem quidem in Brasiliae diversis regionibus esse diversissimum nemo est, qui ignoret » (Martius, 1840-1906, cité n. 28, colonne 1). 30. Voir l’essai particulièrement significatif de Carl von Martius : « Como se deve escrever a história do Brasil », dans Revista do Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro, 6/24, 1845, p. 381-403. 31. Claudia Valladão de Mattos, « A pintura de paisagem entre arte e ciência: Goethe, Hackert, Humboldt », dans Terceira Margem, 10, 2004, p. 152-169. 32. Humboldt, 1808, cité n. 4. 33. Voir les chapitres « Über die Steppen und Wüsten » et « Das Hochland von Caxamarca » dans Humboldt, 1808, cité n. 4. 34. Pablo Diener, « A viagem pitoresca como categoria estética e a prática de viajantes », dans Porto Arte, 15/25, 2008, p. 59-73. 35. Elaine Dias, Paisagem e Academia: Félix-Émile Taunay e o Brasil, Campinas, 2009.

Perspective, 2 | 2013 204

36. Voir aussi Cláudia Valladão de Mattos, « Paisagem, monumento e crítica ambiental na obra de Félix-Émile Taunay », dans 19&20, 5/2, 2010, publié en ligne : www.dezenovevinte.net/obras/ obras_fet_cvm.htm (consulté le 5 novembre 2013). 37. « [...] Obras verdadeiramente nacionais » (Dias, 2009, cité n. 35, p. 334). 38. Sonia Gomes Pereira, « Revisão historiográfica da arte brasileira do século XIX », dans Revista IEB, 54, 2012, p. 87-106. 39. Jorge Coli, Como estudar a arte brasileira do século XIX?, São Paulo, 2005. 40. Voir les écrits de Lilia Moritz Schwarcz : « A naturaleza como paisagem: imagem e representação no Segundo Reinado », dans Revista USP, 58, 2003, p. 6-29 ; Lilia Moritz Schwarcz, « Paisagem e identidade: A construção de um modelo de nacionalidade herdado do período joanino », dans Revista Acervo, 22/1, 2009, p. 19-52. 41. Flora Süssekind, O Brasil não é longe daqui: O narrador, a viagem, São Paulo, 1990.

INDEX

Index géographique : Amérique du Sud, Brésil Mots-clés : académie, État-nation, nature, paysage, sciences, topographie Keywords : academy, nation-state, nature, landscape, sciences, topography Index chronologique : 1800

AUTEURS

PABLO DIENER Universidade Federal de Mato Grosso, Cuiabá

Perspective, 2 | 2013 205

Ouverture, actualité et équivoques : réactivations critiques et historiques du néoconcrétisme Broader horizons, new ideas, equivocations: reactivating Neoconcretism critically and historically

Patricia Leal Azevedo Corrêa Traduction : Antoine Chareyre

1 Tout chercheur s’intéressant aujourd’hui au néoconcrétisme peut trouver à ce sujet une quantité importante de publications, d’expositions, de documents et d’images en ligne, notamment produits à partir des années 1990 à un niveau international. Il est désormais certains que, depuis sa brève existence comme mouvement entre 1959 et 1961, et après avoir été pratiquement ignoré par la critique et l’histoire de l’art, le néoconcrétisme est actuellement l’objet d’une récupération institutionnelle qui démontre son rôle fondamental dans la compréhension des processus de formation de l’art contemporain.

2 Pour qu’il devienne – inconnu qu’il était – un objet de célébration, comment le néoconcrétisme a-t-il été traité dans la production théorique et historiographique de ces dernières décennies ? D’un côté, il me semble évident que cette interrogation offre aujourd’hui des conditions très stimulantes pour l’étude de ce mouvement, qui est un champ de recherche riche en possibilités, prometteur en investigations de tous types et susceptible d’être rattaché à presque tous les principaux groupes de discussion de la pensée contemporaine sur l’art. De l’autre, il est indéniable que, dans ce prolongement, la spécificité du néoconcrétisme risque peut-être de disparaître pour laisser place à des approches apparemment plus attrayantes aux yeux des institutions internationales, comme peuvent l’être ses relations avec la latinité et/ou la tropicalité, le conceptualisme, l’interactivité avec le spectateur et la performance artistique.

Perspective, 2 | 2013 206

Qu’est-ce que le néoconcrétisme ?

3 Ce mouvement, qui rassembla des artistes plasticiens et des poètes à Rio de Janeiro à la fin des années 1950, constitua assurément un moment crucial de l’art brésilien, si l’on considère non pas la cohésion, mais bien l’articulation entre l’intelligence, la sensibilité et la complexité de la production de ce groupe. Celle-ci recouvrait de manière inextricable la théorie et la pratique, à travers textes et débats, peinture, sculpture, arts graphiques, poésie – ces catégories étant radicalement dissolues.

4 Le groupe trouve son origine dans sa participation initiale au concrétisme, mouvement au langage géométrique créé sous la forte influence de Max Bill, artiste suisse qui marqua le Brésil par sa présence au début des années 1950. Le concrétisme brésilien, qui rassembla des artistes et des poètes actifs à Rio de Janeiro et à São Paulo, se consolida, dans ces deux villes, avec l’Exposição Nacional de Arte Concreta, en 1956 et 1957. Cependant, des divergences internes apparues dès lors devaient conduire à la création du mouvement néoconcret par le groupe de Rio de Janeiro, dont les membres publièrent en 1959 le « Manifesto neoconcreto » dans le supplément dominical du Jornal do Brasil, journal de grande diffusion1.

5 Ce manifeste rejetait la lecture réductrice de la théorie de la Gestalt, ainsi que le dogmatisme et la scientificité observés dans la production du mouvement concrétiste de São Paulo. Ils défendaient une reprise du « problème de l’expression », la dimension existentielle, émotive et affective de l’art, en s’appuyant sur la critique apportée par la phénoménologie de Maurice Merleau-Ponty à la théorie de la Gestalt. Cela ne signifiait pas pour autant l’abandon de l’abstraction géométrique, mais plutôt l’adoption d’une approche intuitive et expérimentale de ses éléments constitutifs (l’espace, le plan, la ligne et la couleur). Ce nouveau mouvement s’organisa autour de quelques expositions collectives qui eurent lieu jusqu’en 19612, date à laquelle le groupe se décomposa, même si les échanges entre ses membres perdurèrent, parallèlement aux parcours de chacun. On compta parmi ses membres Ferreira Gullar, Amílcar de Castro, Franz Weissmann, Lygia Pape, Lygia Clark, Hélio Oiticica, Aluísio Carvão, Willys de Castro et Hércules Barsotti.

6 La seule étude approfondie consacrée au néoconcrétisme publiée à la suite de cette période est le livre du critique d’art Ronaldo Brito, Neoconcretismo: vértice e ruptura do projeto construtivo brasileiro, écrit en 1975, publié en 1985 et, après plusieurs années d’absence en librairie, réédité en 19993. Dans cette étude très influente, Brito pose les jalons pour comprendre et discuter du mouvement : son lien avec les idéologies constructivistes d’intégration sociale et l’opération critique qu’il entreprit à l’intérieur de celles-ci ; sa position marginale dans le projet de développement brésilien et sa dynamique autonome de laboratoire, libre de toute confrontation avec un marché de l’art pratiquement inexistant au Brésil ; sa proposition phénoménologique qui révélait les limites de la rationalité esthétique et du réductionnisme rétinien ; l’imprégnation de l’œuvre par la vie et par la libido, qui redéfinit la relation entretenue avec le spectateur, converti en participant.

7 Les retards et les attentes liés à la parution de ce livre, ainsi que l’absence d’autres initiatives éditoriales visant à approfondir l’analyse du néoconcrétisme4, corroborent les observations exprimées par Brito dans les années 1970 à propos de l’héritage colonial brésilien5. Selon lui, le Brésil se heurtait à la difficulté de constituer une dynamique propre à l’étude de l’art, contrairement aux puissances culturelles, qui

Perspective, 2 | 2013 207

fabriquent en permanence des mécanismes de protection, produisant une histoire et marquant de concepts toutes leurs manifestations. En outre, cette affirmation est renforcée par la manière dont le néoconcrétisme acquiert depuis peu de la visibilité dans la production critique et historiographique internationale. Ce phénomène est prolongé par l’amenuisement des fonds nationaux, fondamentaux pour l’étude des tendances artistiques constructivistes au Brésil, du fait de la vente d’œuvres, voire de collections entières,à des musées ou à d’autres acteurs institutionnels étrangers.

Circulation et contextualisation

8 Cette reconnaissance a débuté, me semble-t-il, avec la circulation des travaux de Lygia Clark et de Hélio Oiticica, qui demeurent, aujourd’hui encore, les artistes les plus exposés du mouvement. Tous deux ont bénéficié de grandes rétrospectives itinérantes dans les années 1990. De 1992 à 1994, celle sur Oiticica est passée par le centre d’art contemporain Witte de With à Rotterdam, la Galerie nationale du Jeu de Paume à Paris, la Fundació Antoni Tàpies à Barcelone, la Fundação Gulbenkian à Lisbonne et le Walker Art Center à Minneapolis. La rétrospective de Clark a eu lieu entre 1997 et 1999, et son itinéraire international incluait la Fundació Antoni Tàpies, le Musée d’art contemporain de Marseille, la Fundação de Serralves à Porto et le Palais des beaux-arts à Bruxelles.

9 D’autres expositions sont intervenues depuis cette période, abordant l’œuvre des artistes néoconcrets selon différents thèmes, éclairages et regroupements. Un recensement bref et assurément non exhaustif fait apparaître une fabuleuse succession : en 1999, The Experimental Exercise of Freedom: Lygia Clark, Gego, Mathias Goeritz, Hélio Oiticica and Mira Schendel au Museum of Contemporary Art of Los Angeles, et Global Conceptualism: Points of Origin, 1950s-1980s au Queens Museum of Art à New York ; en 2001, Geometric Abstraction: Latin American Art from the Patricia Phelps de Cisneros Collection au Fogg Art Museum à Cambridge ; en 2004, Beyond Geometry: Experiments in Form, 1940s-1970s au Los Angeles County Museum of Art ; en 2007, The Geometry of Hope, Latin American Abstract Art from the Patricia Phelps de Cisneros Collection au Blanton Museum of Art à Austin ; en 2010, Abstraction-Creation, Post-War Geometric Abstract Art from Europe and South America au Austin/Desmond Fine Art à Londres. Il convient d’observer, en outre, que la plupart de ces expositions ont circulé dans d’autres villes que celles mentionnées ici.

10 Dans ce contexte, l’activité du Museum of Fine Arts à Houston mérite une place à part. En 2006, ce musée présenta l’exposition Hélio Oiticica: The Body of Color puis, en 2007, il conclut l’achat de la collection Adolpho Leirner, célébrée la même année par l’exposition Dimensions of Constructive Art in Brazil: The Adolpho Leirner Collection6, qui fut également présentée en 2009 au Museum Haus Konstruktiv à Zurich. Les œuvres réunies au cours de nombreuses années par ce collectionneur de São Paulo forment l’ensemble le plus complet et le plus significatif sur le développement de l’abstraction géométrique au Brésil, en particulier du concrétisme et du néoconcrétisme. Son acquisition par le musée américain s’inscrit dans un certain nombre d’actions menées par l’un de ses départements, l’International Center for the Arts of the Americas (ICAA). Engagé dans la promotion et l’étude de la collection Leirner et, plus largement, de son fonds de plus en plus important d’art latino-américain, l’ICAA produit des expositions, des publications, des colloques, ainsi que la remarquable ressource numérique

Perspective, 2 | 2013 208

Documents of 20th-Century Latin American and Latino Art, qui propose un accès libre à des documents de tout type sur le sujet (manifestes, articles de journal, affiches, correspondances, etc.)7. Ce fonds, ainsi que d’autres initiatives, comme la récente exposition Constructed Dialogues: Concrete, Geometric, and Kinetic Art from the Latin American Art Collection, réalisée en 2012 et 2013, montrent la volonté du Museum of Fine Arts à Houston de contextualiser le néoconcrétisme dans la production latino- américaine.

11 Cette intense circulation des œuvres depuis les années 1990 s’est accompagnée de la publication de catalogues, de textes et de livres en Europe et aux États-Unis qui cherchent à comprendre et à situer cette production par rapport à des concepts et des éclairages thématiques, géographiques et historiques qui avaient cours dans les débats en Europe et aux États-Unis. De manière générale, les auteurs ne parlent pas des spécificités du néoconcrétisme, ni ne l’abordent lorsqu’ils commentent les œuvres d’artistes liés au mouvement. Parfois, même, il est interrogé par le biais d’œuvres grâce auxquelles les artistes parvinrent à dépasser le néoconcrétisme. Ce sont surtout les productions de Clark et d’Oiticica qui semblent attirer de telles lectures, en raison de la complexité et de l’ouverture de leurs parcours, déterminés en particulier par l’élimination de l’objet et les propositions relationnelles chez la première ; et par le rapport à la favela, la samba et le caractère marginal et dionysiaque de l’expérimentalisme chez le second. De tels aspects, marquant leurs réalisations postérieures au néoconcrétisme, tendent à détourner l’attention des commissaires d’exposition et des chercheurs de leur participation au mouvement.

12 Peut-être pouvons-nous voir les choses ainsi : si les travaux de Clark et Oiticica ont pris une nouvelle importance dans les années 1990, c’est parce qu’ils posaient des questions qui mobilisaient alors le monde de l’art. Ces œuvres ont commencé à être perçues comme des objets étrangement proches : apparemment semblables et, de manière problématique, différents. Elles invitaient ainsi à un jeu autoréflexif de l’« autre » qui pouvait devenir très stimulant. Parallèlement, plutôt que de s’intéresser aux spécificités du néoconcrétisme, auxquelles le milieu brésilien aurait peut-être été plus sensible, il importait d’abord aux institutions internationales qui accueillaient ces œuvres de connaître les contours de l’art latino-américain et ses relations avec l’Europe et les États-Unis.

Lectures du néoconcrétisme

13 Le premier exemple important de cet accueil est le livre dirigé par Dawn Ades publié en 1989, Art in Latin America: The Modern Era, 1820-1980, qui comprend notamment une contribution de Guy Brett sur le dépassement de l’abstractionnisme géométrique par les artistes mexicains, vénézuéliens et brésiliens dans les années 1950 et 1960, dans ce qu’il appelle « un bond radical »8. Il semblerait que cette première introduction élaborée du néoconcrétisme, bien qu’elle ne soit pas assez approfondie, s’est reflétée dans une autre étude. En 2001, Jacqueline Barnitz publiait Twentieth-Century Art of Latin America, offrant une vue large et une rigoureuse cohérence chronologique, qui cherche à faire dialoguer le concrétisme et le néoconcrétisme brésiliens avec la tradition occidentale, l’architecture moderne et le concrétisme suisse9. Bien que relativement brève, cette lecture de Barnitz forme, avec celle de Brett, les deux meilleures initiatives d’historicisation du mouvement dans le contexte latino-américain.

Perspective, 2 | 2013 209

14 Outre la thématique latino-américaine, d’autres sujets apparaissent et permettent de penser l’institutionnalisation du néoconcrétisme depuis les années 1990. Dans la perspective d’une historiographie plus flexible et interactive, paraissait en 2004 Art since 1900: Modernism, Antimodernism, Postmodernism de Benjamin Buchloh, Hal Foster, Rosalind Krauss et Yve-Alain Bois, premier livre d’histoire de l’art sur le XXe siècle qui inclue le néoconcrétisme aux côtés d’autres formes artistiques qui lui furent contemporaines, comme le Pop Art, Fluxus et le minimalisme10. Selon ces auteurs, le néoconcrétisme est, avec la production du groupe japonais Gutai, un exemple de la diffusion et de la réinterprétation de l’art moderniste en dehors de l’Europe et des États-Unis. Il propose une approche périphérique, et en cela critique, de la production abstraite canonisée de la première moitié du XXe siècle. Insistant surtout sur Clark, le texte présente son œuvre comme une remise en question de la géométrie qui a abouti au remplacement de l’objet d’art par des propositions qui feraient disparaître les rôles traditionnels de l’artiste et du spectateur.

15 Des études, peut-être d’une moindre ampleur, mais plus engagées dans certains discours, se sont développées sur les relations du néoconcrétisme au conceptualisme, à l’art participatif, à la performance ou à l’art féministe. Notons, parmi les travaux les plus récents et les plus importants, ceux de Luis Camnitzer dans Conceptualism in Latin American Art: Didactics of Liberation11 ; de Peggy Phelan dans « The Returns of Touch: Feminist Performance, 1960-80 »12 ; et de Susan Best dans Visualizing Feeling: Affect and the Feminine Avant-Garde13. Ces auteurs s’appuient généralement sur une production plus tardive pour comprendre les œuvres néoconcrètes des artistes ayant appartenu à ce mouvement. Dans le même temps, en choisissant ces artistes, ils renforcent le positionnement périphérique de leurs textes par rapport au système institué de l’art, dans la mesure où ils considèrent leur parole comme une remise en cause ou une critique à l’encontre de lectures établies de l’art conceptuel et de la performance, pratiques elles-mêmes revues par l’art latino-américain et l’art féministe : de l’art conceptuel nord-américain et européen, plus spéculatif et moins politisé que l’art conceptuel latino-américain, ou de l’art de la performance, plus directif et moins affectif qu’il ne l’est dans la pratique féministe.

16 Tous ces auteurs parlent, me semble-t-il, depuis l’intérieur du système, et non depuis des positions périphériques ; en effet, le système de l’art contemporain peut sembler assez souple pour assimiler tout ce qui est supposé le contester. Le processus d’assimilation institutionnelle du néoconcrétisme répond aux nécessités de dynamisation du champ des pratiques et des idées artistiques en Europe et aux États- Unis, de manière à en tester, critiquer et développer ses théories et ses histoires – son auto-compréhension, finalement. Ces œuvres les intéressent dans la mesure où elles sont capables d’affecter leurs champs discursifs, où elles obligent à des déviations, des suspensions, des coupes et des inversions, mais aussi à des précisions, des complexifications, des réarrangements et des relativisations de concepts et d’opérations en vigueur. Ces nouveaux objets sont nécessaires à la pensée de l’art car ils la traversent de manière problématique, perturbatrice et productive. En même temps, cela présente clairement un caractère colonisateur et de domestication et, comme tel, révèle beaucoup de la dynamique même de la production historique.

17 Si le latino-américanisme, le conceptualisme, la performance artistique, le minimalisme, l’art participatif, etc., se réinventent dans le néoconcrétisme, il incombe à celui-ci, également, de se réinventer en eux. Car si tout discours historique produit

Perspective, 2 | 2013 210

des effets de cadrage, c’est la raréfaction des initiatives et des débats de la part notamment d’historiens de l’art et de critiques d’art qui réduit les possibilités d’ouverture de ces cadres. Le récent et vorace intérêt international pour le néoconcrétisme est déjà en train de réactiver le tissu historique de celui-ci, à travers la réflexion sur la remise en question que ces œuvres suscitent dans les discours institutionnels.

18 Dans cette perspective, nous pouvons nous appuyer sur l’intelligence d’Yve-Alain Bois, qui a très bien connu Lygia Clark. Dans son texte « Some Latin Americans in Paris », issu du catalogue de l’exposition Geometric Abstraction14, Bois nous alerte sur l’avantage qu’il y a à se sentir étranger en art – étranger aux règles d’un système culturel, à ses traditions et valeurs, et pour cette raison libre de s’approprier ce qui est attrayant et de le modifier. Selon lui, Clark et d’autres artistes du Brésil, du Mexique et du Venezuela qui ont vécu durant de longues périodes hors de leurs pays ne se considéraient pas en particulier comme latino-américains, mais ils jouissaient de la relative liberté du statut d’étranger. Cela leur autorisait, par conséquent, de bénéficier des « équivoques créatives »15, c’est-à-dire des interprétations erronées ou délibérément divergentes de leurs prédécesseurs et sources d’inspiration, comme cela se serait produit avec le constructivisme et le concrétisme européens pour les artistes néoconcrets. D’après les arguments de Bois, nous pouvons conclure que, lorsque l’on étudie le néoconcrétisme, tout cadre géographique, telle que l’Amérique latine, et stylistique ou historique, comme l’abstraction géométrique, doit être par conséquent problématisé.

19 Paulo Herkenhoff, dans son texte « Divergent Parallels: Toward a Comparative Study of Neoconcretism and Minimalism »16, tiré du même catalogue d’exposition que la contribution de Bois, introduit un sujet tout aussi important. Les similitudes immédiates entre les œuvres néoconcrètes et les œuvres minimalistes invitent à une longue réflexion sur les différences, moins évidentes, de formation culturelle, de contextes et de concepts. Par exemple, quelles sont les différentes significations que suppose l’élimination du piédestal en sculpture dans les galeries commerciales des États-Unis de Carl Andre et dans les institutions, presque étrangères au marché de l’art, dans le Brésil de Amílcar de Castro ? Herkenhoff interroge la position privilégiée du minimalisme dans l’historiographie artistique dominante, qui tend à ignorer ou à placer sous l’influence de celui-ci des mouvements soi-disant périphériques. À partir de cette comparaison, il est possible de penser la place contradictoire qu’occupe le néoconcrétisme dans un récit officiel du dépassement des canons modernistes, et l’on perçoit combien cette contradiction élargit la compréhension du mouvement brésilien.

20 Dans la continuité de ce débat sur le lieu historique du néoconcrétisme figurent les études de Michael Asbury et d’Anna Dezeuze17. Tous deux développent l’axe de recherche de Herkenhoff en discutant des tensions et des rapprochements entre les textes théoriques et historiques fondamentaux des deux mouvements, comme le « Manifesto neoconcreto » et la « Teoria do não-objeto » de Ferreira Gullar, publiés en 1959, « Specific Objects » écrit par Donald Judd en 1965, et « Notes on Sculpture », un ensemble de textes de Robert Morris parus entre 1966 et 196918. Asbury appuie précisément son étude sur les spécificités du néoconcrétisme et démontre la méconnaissance qu’en ont les critiques et les historiens américains, notamment Hal Foster. Ce constat révélerait leur provincialisme, en contraste avec le cosmopolitisme des débats menés par Gullar, Clark, Oiticica et Mário Pedrosa, important interlocuteur du mouvement, critique d’art et figure centrale de la pensée sur l’art au Brésil. Dezeuze

Perspective, 2 | 2013 211

se concentre, quant à elle, sur la production conceptuelle qui entoure la création de nouveaux types d’objets d’art, entre peinture et sculpture, apparus dans la production des deux mouvements et théorisés par Gullar, Judd et Morris.

21 Comme tout l’indique, l’intérêt croissant pour la production théorique des artistes, poètes et critiques liés au néoconcrétisme a joué un rôle crucial dans la réactivation historique du mouvement. Depuis les années 1990, accompagnant la circulation des œuvres, des traductions de textes issus de cette pratique artistique sont apparues dans des catalogues et des livres, prenant une importance toujours plus grande. Je mets en exergue deux faits récents : la mise à disposition en ligne, depuis 2010, d’une sélection de textes publiés en 1959 et 1960 à Rio de Janeiro, traduits en anglais, parmi lesquels le « Manifesto neoconcreto » et la « Teoria do não-objeto »19, et l’insertion de textes néoconcrets dans l’édition de 2012 de la fameuse anthologie Theories and Documents of Contemporary Art: a Sourcebook of Artists’ Writings20.

22 L’analyse approfondie de ces écrits, leur contextualisation, la reconstitution de leurs circuits privés et publics, ajoutées à l’étude approfondie des œuvres, pourront instaurer un espace de débats plus large et plus actif, comme le démontre Sérgio Bruno Martins, directeur d’un numéro spécial de la revue Third Text consacré à l’art brésilien et publié en 2012. Dans son article « Phenomenological Openness, Historicist Closure: Revisiting the Theory of the Non-Object »21, Martins reprend avec une grande énergie le fameux texte « Teoria do não-objeto » de Gullar et ses contributions, appropriations, glissements et dialogues voilés ou directs, le confrontant à l’analyse d’œuvres moins évidentes et, jusqu’à présent, peu abordées en dehors du Brésil, comme celles de Amílcar de Castro, ce qui nous donne la forte impression que beaucoup reste encore à dire. Je fais ce pari : avec la traduction et la publication d’un ensemble de textes de Mário Pedrosa par le Museum of Modern Art de New York, dont le lancement est prévu en 2014 avec une autre grande rétrospective de Lygia Clark, le néoconcrétisme devrait acquérir encore plus de complexité et d’actualité, de nouvelles équivoques et découvertes – enfin et plus encore, il fera histoire.

NOTES

1. Ferreira Gullar et al., « Manifesto Neoconcreto », dans Jornal do Brasil: Suplemento Dominical, 21-22 mars 1959. Le manifeste fut signé par Amílcar de Castro, Ferreira Gullar, Franz Weissmann, Lygia Clark, Lygia Pape, Reynaldo Jardim et Theon Spanudis. 2. Parmi les expositions des néoconcrets : « I Exposição de Arte Neoconcreta » au Museu de Arte Moderna do Rio de Janeiro en 1959 ; « I Exposição de Arte Neoconcreta » au Belvedere da Sé à Salvador en 1959 ; « II Exposição de Arte Neoconcreta » au ministère de l’Éducation et de la Culture à Rio de Janeiro en 1960 ; et « III Exposição de Arte Neoconcreta » au Museu de Arte Moderna de São Paulo en 1961.

Perspective, 2 | 2013 212

3. Ronaldo Brito, Neoconcretismo: vértice e ruptura do projeto construtivo brasileiro, Rio de Janeiro, 1985. 4. Bien qu’elles ne soient pas consacrées, en général ou en profondeur, à l’analyse du néoconcrétisme, les œuvres suivantes offrent de bonnes références sur le développement de l’art constructiviste au Brésil : Aracy Amaral éd., Projeto construtivo brasileiro na arte (1950-1962), Rio de Janeiro, 1977 ; Ferreira Gullar, Etapas da arte contemporânea: do cubismo ao neoconcretismo, São Paulo, 1985 ; Fernando Cocchiarale, Anna Bella Geiger éd., Abstracionismo geométrico e informal: a vanguarda brasileira nos anos cinquenta, Rio de Janeiro, 1987. 5. Brito, 1985, cité n. 3, p. 80. 6. Hélio Oiticica: The Body of Color, Mari Carmen Ramírez éd., (cat. expo., Houston, Museum of Fine Arts/Londres, Tate Modern, 2006-2007), Londres/Houston, 2007 ; Dimensions of Constructive Art in Brazil: The Adolpho Leirner Collection, Mari Carmen Ramírez, Adolpho Leirner éd., (cat. expo., Houston, Museum of Fine Arts, 2007), Houston, 2007. 7. Voir le site http://icaadocs.mfah.org/icaadocs (consulté le 17 octobre 2013). 8. Guy Brett, « A Radical Leap », dans Dawn Ades éd., Art in Latin America: The Modern Era, 1820-1980, New Haven, 1989, p. 253-283. 9. Jacqueline Barnitz, Twentieth-Century Art of Latin America, Austin, 2001. 10. Hal Foster et al., Art since 1900: Modernism, Antimodernism, Postmodernism, Londres, 2004. 11. Luis Camnitzer, Conceptualism in Latin American Art: Didactics of Liberation, Austin, 2007. 12. Peggy Phelan, « The Returns of Touch: Feminist Performance, 1960-80 », dans WACK! Art and the Feminist Revolution, Cornelia Butler éd., (cat. expo., Los Angeles, Los Angeles County Museum of Art, 2007), Cambridge (MA), 2007, p. 346-361. 13. Susan Best, Visualizing Feeling: Affect and the Feminine Avant-Garde, New York, 2011. 14. Yve-Alain Bois, « Some Latin Americans in Paris », dans Geometric Abstraction: Latin American Art from the Patricia Phelps de Cisneros Collection, Yve-Alain Bois éd., (cat. expo., Cambridge, Fogg Art Museum, 2001), Cambridge (MA), 2001, p. 77-103. 15. Bois, 2001, cité n. 14, p. 80. 16. Paulo Herkenhoff, « Divergent Parallels : Toward a Comparative Study of Neoconcretism and Minimalism », dans Geometric Abstraction, 2001, cité n. 14, p. 105-131. 17. Michael Asbury, « Neoconcretism and Minimalism: Cosmopolitanism at a Local Level and a Canonical Provincialism », dans Kobena Mercer éd., Cosmopolitan Modernisms, Cambridge (MA), 2005 ; Anna Dezeuze, « Minimalism and Neoconcretism », conférence donnée le 26 mars 2006 au Henry Moore Institute (Leeds), www.henry-moore.org/docs/ anna_dezeuze_minimalism_neoconcretism_0.pdf (consulté le 17 octobre 2013). 18. Gullar, 1959, cité n. 1 ; Ferreira Gullar, « Teoria do Não Objeto », dans Jornal do Brasil: suplemento dominical, 19-20 décembre 1959 ; Donald Judd, « Specific Objects », dans Arts Yearbook, 8, 1965, p. 94 ; écrits de Robert Morris : « Notes on Sculpture », dans Artforum, 4/6, février 1966, p. 42-44 ; « Notes on Sculpture, Part 2 », dans Artforum, 5/2, octobre 1966, p. 20-23 ; « Notes on Sculpture, Part 3: Notes and Nonsequiturs », dans Artforum, 5/10, juin 1967, p. 24-29 ; « Notes on Sculpture, Part 4: Beyond Objects », dans Artforum, 7/8, avril 1969, p. 50-54. 19. Publication de l’édition fac-similé de quelques-unes des pages du Suplemento Dominical du Jornal do Brasil, disponible en PDF, éditée par Michael Asbury à l’occasion de l’exposition Neoconcrete Experience, réalisée en 2009-2010 à la Gallery 32 à Londres. L’exposition commémorait les cinquante ans de la refonte graphique de ce journal, vecteur important de la diffusion des textes néoconcrets : http://gallery-32.blogspot.com.br/2010/02/neoconcrete-experience-11- dec-2009-30.html (consulté le 17 octobre 2013). 20. Kristine Stiles, Peter Selz éd., Theories and Documents of Contemporary Art: A Sourcebook of Artists’ Writings, Berkeley, (1996) 2012. 21. Sérgio Bruno Martins, « Phenomenological Openness, Historicist Closure: Revisiting the Theory of the Non-Object », dans Third Text, 26/1, janvier 2012, p. 79-90.

Perspective, 2 | 2013 213

INDEX

Mots-clés : art contemporain, exposition, néoconcrétisme Keywords : contemporary art, exhibition, Neoconcretism Index géographique : Amérique latine, Brésil, Rio de Janeiro Index chronologique : 1900

AUTEURS

PATRICIA LEAL AZEVEDO CORRÊA Universidade Federal do Rio de Janeiro, Escola de Belas Artes

Perspective, 2 | 2013 214

The Bienal Internacional de São Paulo: a concise history, 1951-2014 Une histoire concise de la Bienal Internacional de São Paulo, 1951-2014

Isobel Whitelegg

São Paulo, second after Venice

1 The first Bienal Internacional de São Paulo took place in 1951, and in 2012 this event celebrated its thirtieth iteration. At a time when more than a hundred biennials, triennials, and other perennial exhibitions are now active worldwide, São Paulo’s biennial can claim the distinction of being only the second one to come into existence. As such, it can also claim several precedents. It is not only the first international biennial to succeed the archetype of Venice, but also the first modern (and modernist) biennial and the first to be realized in a geopolitical location outside the Northern hemisphere and the canonical United States-Western European axis.

2 The inauguration of the Bienal Internacional de São Paulo was motivated by the combined cultural, economic, and political forces that shaped the post-war period within Brazil and internationally. It was founded by Francisco “Ciccillo” Matarazzo Sobrinho, an Italian-Brazilian industrialist who, only a few years before, in 1948, had founded the Museu de Arte Moderna de São Paulo (MAM-SP). Matarazzo’s aim was “a festival in the mould of Venice,”1 and the twin aspirations of the Bienal Internacional were, in the words of its first artistic director, Lourival Gomes Machado, “to put modern art of Brazil not simply in proximity but in living contact with the art of the rest of the world” and “for São Paulo to conquer the position of international artistic centre.”2

3 The Bienal Internacional de São Paulo moved into its present-day permanent home, the Oscar Niemeyer-designed Ciccillo Matarazzo pavilion (originally named the Palace of Industries) only in 1957. The I Bienal took place in the environs of the Edificio Trianon on São Paulo’s iconic Avenida Paulista, a site that is today occupied by the Museu de Arte São Paulo (MASP). Its opening brought together the political and cultural elite of

Perspective, 2 | 2013 215

the country but also raised a significant counter-public of activists and trade unionists protesting against the event.3 The contention that marked the beginnings of the Bienal Internacional related to the origins of Matarazzo’s MAM-SP, which acted as the organizing institution for the biennial from 1951 to 1961. Founded via an accord with Nelson Rockefeller and the Museum of Modern Art (MoMA) in New York, the MAM-SP symbolized for some that the internationalist aspirations of the Bienal were inextricably linked to US cultural expansionism. The Bienal’s prizes were to be sponsored by companies interested in participating in a new regime of transnational development, ushering in an influential generation of industry-linked patrons whose philanthropic intentions could not be divorced from a vested interest in forming international economic partnerships.

The artistic direction of the Bienal, 1951-1961

4 The international sculpture prize at the I Bienal was awarded to Swiss Concretist Max Bill for the 1948-1949 work Tripartite Unity. This iconic sculpture is often taken to represent the recently established influence of Concretism within São Paulo, and its presence reflected a decisive emphasis on abstract art at the I Bienal that was evident across national representations from Brazil, Switzerland, France, the United States, and Uruguay, as well as within a “General Section” that brought together abstract tendencies represented by younger artists from different nations of the Americas.4 The selection and installation of artworks was overseen by Gomes Machado, who had previously established a critical voice within the artistic milieu as founding editor of the journal Clima. Although fundamental to the success of the inaugural edition, Gomes Machado was superseded by Sergio Milliet as artistic director for the Bienal’s second edition in 1953.

5 The second edition was the type of ambitious international exhibition that the MAM-SP had striven to achieve since 1948. It also coincided with the quadricentennial celebrations of the city of São Paulo, the central project for which was the construction of the new Ibirapuera Park and its complex of Oscar Niemeyer-designed buildings.5 In both 1953 and 1955, the Bienal occupied two pavilions within Ibirapuera: the Palace of Nations and the Palace of States. For the second edition, this configuration permitted a division between the countries of the Americas (whose artists exhibited in the Palace of States) and the rest of the world (European, Middle Eastern, and Asian artists were displayed in the Palace of Nations). The four countries afforded the greatest exhibition space overall were Brazil, the United States, France, and .6 Whereas the prominence of the United States and France may be self-explanatory, the Italian emphasis was a local inflection; it signaled the influential role played by the Italian- Brazilian community in São Paulo – an emerging entrepreneurial elite of which Matarazzo was a distinguished member. The 1953 exhibition itself was, in the words of art historian Adele Nelson, “an enviable temporary museum of modern art”.7 It included extensive special exhibitions focusing on key European movements such as Cubism, Futurism, De Stijl, and Expressionism, as well as those devoted to individual artists such as Alexander Calder, Paul Klee, Henry Moore, and Pablo Picasso, whose Guernica provided the Bienal’s star attraction.

6 Milliet continued to act as artistic director for the next three biennials, providing a continuity that was fundamental to establishing the event internationally in its early

Perspective, 2 | 2013 216

years. He also contributed a decisive emphasis on the Bienal’s potential pedagogical function, for both artists and the broader public, and this characteristic has continued to distinguish the approach of this event. The 1959 edition was the last to be organized under the auspices of MAM-SP. From 1961 onwards, an autonomous foundation was instated, the Fundação Bienal de São Paulo (FBSP); endorsed by Brazilian president Jânio Quadros and his secretary of culture, the critic Mário Pedrosa, it could now receive financial support from both city and state governments and thus was no longer tied, explicitly, to private patronage.

7 Pedrosa also acted as artistic director for the 1961 edition, which provided a platform for his mature art-critical approach, complemented by a collateral event hosted by the IV Bienal, the II Brazilian Congress of Art Critics. Aside from national representations, Pedrosa established, via a series of special exhibition rooms, a retrospective museological focus on both Western and non-Western art-historical perspectives, as well as on a newer tradition of Brazilian Modernism, represented by rooms dedicated to artists such as Milton da Costa, Oswaldo Goeldi, Livio Abramo, and Alfredo Volpi.8

Self-censorship meets experimentation

8 In distinction to the first ten years of the event, the subsequent editions of both the 1960s and the 1970s were organized not by a single artistic director but rather by a collective of “advisors,” which, in 1963, included both Milliet and Walter Zanini, who had recently become director of the Museu de Arte Contemporânea da Universidade de São Paulo (MAC-USP). Although the event was now independent of the MAM-SP, Matarazzo was to remain the director of the FBSP until 1975.

9 The repressive regime that took governmental power in Brazil after a military coup in 1964 showed its first explicit effects on the Bienal Internacional in 1967. A work by artist Cibele Varela was removed to prevent potential offense to the Brazilian authorities, and Quissak Junior’s Meditations on the National Flag was excluded because the constitution prohibited the use of national symbols for non-official or non-patriotic ends. The 1967 edition also included a substantial exhibition of North American Pop Art, including works by Jasper Johns, Robert Rauschenberg, Roy Lichtenstein, Claes Oldenburg, Robert Indiana, and Andy Warhol. Johns was among a list of memorable prize-winners that included Michelangelo Pistoletto, Tadeusz Kantor, and David Lamelas.

10 1969 marks a watershed in the history of the Bienal Internacional; its tenth edition holds a firm place in history because it was the object of an international boycott. Initially proposed in Brazil by Pedrosa, as president of the Associação Brasileira de Críticos de Arte (ABCA),9 the boycott gained international momentum through the production and circulation of a dossier of evidence of cultural repression.10 It was adhered to by artists worldwide,11 including several of those invited to represent Brazil who were at that time temporarily residing in Europe.12 International solidarity, however, was not matched with consensus within Brazil; a group of artists (including Claudio Tozzi, whose work had been directly targeted by censorship13) accepted the invitation to participate, and the leftist critic Mário Schenberg remained committed to his role as curator of the section of invited Brazilian artists that included Mira Schendel.14

Perspective, 2 | 2013 217

11 By 1971, the boycott had severely affected the exhibition’s international prestige. International agencies maintained a diplomatic but distanced mode of participation until political change became apparent in the early 1980s. The intervening editions between 1969 and 1981 were marked by the exodus of a generation (including Pedrosa, Lygia Clark, and Hélio Oiticica) that had gained international prominence in the 1960s. Artists and writers opposed to the regime operated at risk of arbitrary arrest, and critical cultural practice could not confidently benefit from explicit dissemination or prominent criticism. By the mid-1970s, however, the once focused, artist-led boycott had lost much of its attention and participation. The five editions that followed received little coverage in the international press, and their history hasn’t been widely examined.15

12 Despite being invisible to the international mainstream, the Bienal remained active between 1969 and 1981. Its constituency was altered by the boycott, and this, alongside attempts at structural reforms within the organization, generated far-reaching debates concerning the event’s local and regional significance. In 1972, the Fundação Bienal initiated a series of national biennials (Bienais Nacionais de São Paulo), held in the years in between the international event, and in 1978 it hosted, for the first and only time, the Bienal Latino-Americana de São Paulo.16 Artists for the Bienais Nacionais were chosen by regional juries from “pre-biennial” exhibitions across the country, and this selection process returned a constituency of artists with the capacity to contest the dominant Rio de Janeiro-São Paulo axis, as well as revealing the work of younger artists and collectives.

13 Without resolving into a permanent structural shift, various experimental practices, including video, slide installations, performance, and urban interventions were accommodated during the 1970s. An “Art and Communication” section in 1973 brought in group proposals from cities across Brazil to be placed on the third floor of the Bienal pavilion alongside a special room dedicated to Waldemar Cordeiro. In 1979 (the first edition to be held without Matarazzo as president), a newly created Council of Art and Culture (CAC) altered the regulations for national representation so that artists were required to submit proposals according to a set of thematic categories, including “urban archaeology,” “contemporary propositions,” “video-art,” and “spatial poetry”. In 1970s São Paulo, the Bienal’s attempts to innovate were not only provoked by new international paradigms (notably Harald Szeemann’s documenta 5 of 1972) but also by local competition: experimental practice was supported by other annual exhibitions, including the Salão de Arte Contemporânea (1966-1975) at the Museu de Arte Contemporânea Campinas and the Jovem Arte Contemporânea (1963-1974) at Zanini’s MAC-USP, which occupied a space directly adjoining the third floor of the Bienal pavilion.

The Return of the Curator

14 The next Bienal to command significant critical interest internationally did not take place until the XVI edition in 1981, curated by Zanini, who was appointed in the wake of his departure from MAC-USP in 1978. Zanini selected artists who reflected those with whom he had worked at MAC-USP over the course of the preceding decade, including international artists who had visited the museum or maintained contact with Zanini via postal networks. His 1981 edition spotlighted ephemeral media such as artists’ books,

Perspective, 2 | 2013 218

video, and mail art and comprised performative actions by artists such as Hervé Fischer (France), Francisco Iñarra (Spain/Brazil), and Antoni Muntadas (Spain). He replaced the traditional system of national representation with a series of different thematic “nuclei” and reflected forms of practice that had developed in Brazil over the 1970s, including a “live” mail art exhibition that grew to a length of nearly 3,000 meters as post progressively arrived at the Pavilion.

15 The 1983 edition, again curated by Zanini, also marked a re-introduction of private sector funding,17 a factor that was to later have a positive impact on the celebrated XXIV Bienal, organized with industrialist Júlio Landmann as president of the FBSP and Paulo Herkenhoff as chief curator. This 1998 edition comprised four sections: traditional national representations, an international “historical nucleus” selected according to the perspective of the Brazilian Modernist theory of antropofagia (or cultural cannibalism), an exhibition of international contemporary art, and an exhibition of contemporary Brazilian art, which was included at the suggestion of Landmann. The event was a critical success, and it also had a landmark budget, which secured the inclusion of Brazilian and international works of significant historical importance. Corporate sponsorship also supported an ambitious education program, involving an intensive series of courses and seminars, reaching more than a thousand teachers and nearly 120,000 students nationally – thus visibly reviving the pedagogical ambitions of the event as established by Milliet in the early 1950s.18

16 The altered funding structures established in the 1980s have, however, also had negative effects on the Bienal in its more recent history. Entrenched financial irregularities had a particular impact on the 2006 and 2008 editions, when chief curator Ivo Mesquita transformed the FBSP’s budgetary crisis into an opportunity to strip the event down into a largely discursively-focused occasion, one that invited reflection on both the Bienal’s history and its future, and that inaugurated a decisive focus on the FBSP’s extensive archival holdings and a retrieval of its critical history.19 Under new administration, the Bienal went on to demonstrate its stubborn resilience for the subsequent two (less risky and more conventional) editions of 2010 and 2012, and the FBSP has continued to pursue the public dissemination of its archives, for example by making a digital version of each of its catalogues freely available online.20

17 Zanini’s editions of 1981 and 1983 had inaugurated a new phase of the Bienal: one in which the role of curator was paramount (and which recalled the decisive contributions made by artistic directors such as Gomes Machado, Milliet, and Pedrosa over the first decade of the event). As was the case with Zanini, the Brazilian curators Sheila Leirner and Nelson Aguilar, and the German curator Alfons Hug each oversaw two consecutive editions (1985/1987, 1994/1996, and 2002/2004 respectively). Among those who took on the role of chief curator for single editions – from the late 1990s until the present decade – Paulo Herkenhoff (1998), Lisette Lagnado (2006), and Ivo Mesquita (2008) stand out for making significant contributions to both the structure of the event and its changed local and international role within a densely populated contemporary biennial landscape.

18 The appointment of an non-Brazilian curator and specialist in Latin American Art (Luis Pérez-Oramas, Curator of Latin American Art at the MoMA in New York) as chief

Perspective, 2 | 2013 219

curator for the most recent edition signaled a certain re-positioning of this event, as central not only to a generalized global art world, but also to Latin America as a region of burgeoning economic power and increased art world influence. Its next edition, in 2014, will again (but for only the fourth time in its history) be conceived by a non- Brazilian curator: Scottish-born Charles Esche, who is presently director of the Van Abbemuseum in Eindhoven and has previously acted as curator for five other biennials internationally. Esche is widely respected for the integrity of his work, whether acting locally or internationally, and has established a reputation for re-thinking the rules and structures of museums, institutions, and temporary exhibitions in relationship to both their histories and their present social contexts.

19 The sixty-two year history of the Bienal Internacional de São Paulo, the world’s second biennial, has been one of invention and re-invention, from solid Modernist museological roots to phases of experimentation and risk, moving through different configurations in terms of governance, funding, artistic direction, and reach, and taking place in a public park within a densely populated city whose economic and political divides are never entirely invisible to the event itself. The changing fortunes of both Brazil and the Bienal invite a critical reflection on both the past and the present – one that the forthcoming edition is now in a good position to fulfill.

NOTES

1. “[...] um festival nos moldes do festival de Veneza” (Ibiapaba Martins, one of MAM-SP’s founding directors, quoted in Aracy Amaral, Arte para quê? A preocupação social na arte brasileira, São Paulo, 1987, p. 236). 2. “[...] colocar a arte moderna do Brasil, não em simples confronto, mas em vivo contato com a arte do resto do mundo, ao mesmo tempo que para São Paulo se buscaria conquistar a posição de centro artístico mundial” (Lourival Gomes Machado, “Introdução,” in I Bienal do Museu de Arte Moderna de São Paulo: Catálogo, [exh. cat., São Paulo, Museu de Arte Moderna de São Paulo, 1951], São Paulo, 1951, p. 14). 3. See Rita Alves Oliveira, “Bienal de São Paulo: impacto na cultura brasileira,” in São Paulo em Perspectiva, 15/3, July/September, 2001, published online: www.scielo.br/scielo.php? script=sci_arttext&pid=S0102-88392001000300004 (last accessed September 18, 2013). 4. See Adele Nelson, “Monumental and Emphemeral: the early São Paulo Bienais,” in Constructive Spirit: Abstract Art in South and North America, 1920s-50s, Mary Kate O’Hare ed., (exh. cat., Newark, Newark Museum/Fort Worth, Amon Carter Museum, 2010), Newark/San Francisco, 2010, p. 129-131. 5. The construction of a park on the Ibirapuera site to mark the quadricentennial was proposed to the mayor of São Paulo by Matarazzo himself, who was also responsible for the assembly of a planning team headed by Rino Levi and for the eventual appointment of Niemeyer as the architect of Ibirapuera. 6. See Nelson, 2010, cited n. 4, p. 133-134. Nelson argues that this architectural division, together with the selection of works, allowed Milliet to present those artists that represented the Americas as the embodiment of forward-thinking tendencies in contemporary artistic practice

Perspective, 2 | 2013 220

(as distinguished from the historical tradition represented by European artists displayed within the Palace of Nations). 7. See Nelson, 2010, cited n. 4, p. 133. 8. See Ana Maria Pimenta Hoffmann, “A Bienal de 1961: A Atuacao De Mário Pedrosa,” (conference, Campinas, 2011), published online: www.unicamp.br/chaa/eha/atas/2011/ Ana%20Maria%20Pimenta%20Hoffmann.pdf (last accessed September 18, 2013). 9. Written under a pseudonym, Pedrosa’s text entitled “Os deveres do crítico de arte na sociedade” was published in the Correio da Manhã, Rio de Janeiro, on July 10, 1969. It made reference to the removal by the military police of works from the II Bienal da Bahia in 1968 and the closure of a 1969 exhibition at the Museu de Arte Moderna do Rio de Janeiro (MAM-RJ), including works selected to represent Brazil at the forthcoming Biennale des Jeunes in Paris. The exhibition was shut down, works were confiscated, and the director of the museum, Muniz Sodre, was arrested and detained. Pedrosa’s text repudiated the government’s assumed right to impose limitations upon “the creation of art works or the free exercise of art criticism.” It impelled the members of the ABCA to refuse to judge any exhibition supported by a government that was actively imposing censorship. The fact that the Rio exhibition was linked to Paris, together with the fact that the ABCA was a branch of the International Association of Art Critics, meant that the boycott held potential to become international in scope. Pedrosa’s text is republished in a volume of his collected writings edited by Otília Arantes (Política das Artes, São Paulo, 1995). See Caroline Saut Schroeder, “X Bienal de São Paulo: sob os efeitos da contestação,” MA thesis, Escola de Comunicações e Artes, Universidade de São Paulo, 2011, available at www.teses.usp.br/teses/ disponiveis/27/27160/tde-26112011-133939/pt-br.php (last accessed September 18, 2013). Schroeder’s thesis offers a detailed study, addressing both the artists who participated in the Bienal and the context – and contestation – of the boycott, both nationally and internationally. 10. Jacques Lessaigne, president of the Biennale de Paris, signed a letter protesting the arrest and imprisonment of Muniz Sodre, director of the Museu de Arte Moderna do Rio de Janeiro. Lessaigne was to have been the curator for the French delegation at the 1969 Bienal, a role subsequently vetoed by the Brazilian Ministry of External Relations. This further act of censorship added momentum. A meeting took place in June 1969 at the Musée d’art moderne, Paris, and 321 artists and intellectuals signed a manifesto, “Non à la Biennale.” A document entitled “Brazil 1969; partial dossier of the cultural repression” was circulated anonymously from artist to artist within Europe and beyond, its existence eventually being cited by an article in The New York Times (see Schroeder, 2011, cited n. 9). 11. The Director of the Stedelijk Museum, as well as the artists chosen to represent the Netherlands, withdrew, as did the Swedish contingent. Pol Bury and Pierre Restany withdrew a thematic cross-national exhibition for the Bienal’s new “Art & Technology” section. The Center for Advanced Studies at the Massachusetts Institute of Technology (MIT) had been chosen to represent North America, and the proposed show, organized by Georgy Kepes, was also cancelled after several of the artists withdrew. The Mexican muralist David Alfaro Siqueiros had been awarded a dedicated exhibition within the Bienal, which he refused, and two Japanese artists requested that their works, already en route to the Bienal, be removed. The Netherlands, Sweden, Chile, Venezuela, the Soviet Union, and Mexico were among the countries to withdraw national participation entirely, with both the Netherlands and Sweden remaining absent until 1979. Other nations maintained a nominal presence. A pro-forma exhibition was swiftly prepared and dispatched to represent France, in place of the dissenting artists, and the United States was represented by only one artwork, by the sculptor Chryssa Vardea (see Schroeder, 2011, cited n. 9). 12. Including Sergio Camargo, Lygia Clark, Hélio Oiticica, Rubem Gerchman, Antonio Dias, and Frans Krajberg.

Perspective, 2 | 2013 221

13. In 1968, Tozzi’s painting Guevara Dead or Alive was attacked and partially destroyed by a far right group at the IV Salão Nacional de Arte Contemporânea in Brasília; the source materials for the series, on display at the X Bienal Internacional de São Paulo (“Multitudes”), were photographs (both those taken by the artist and those he appropriated from press images) depicting scenes from the political protests of 1968. One work for the X Bienal – entitled The Arrest – was temporarily removed on the day of the official opening, when representatives of the regime were present (see Schroeder, 2011, cited n. 9). 14. For an examination of Schenberg’s position in relation to the X Bienal, see Schroeder, 2011, cited n. 9. 15. For a study of the persistence of the Bienal Internacional de São Paulo as a site for experimentation and resistance in the post-boycott decade see Isobel Whitelegg, “The Bienal de São Paulo: Unseen/Undone (1969-81),” in Afterall, 22, autumn 2009, p. 106-113. 16. See Isobel Whitelegg, “Brazil, Latin America, the World: The Bienal de São Paulo as a Latin American Question,” in Third Text, 26/1, January 2012, p. 131-140. 17. See Oliveira, 2001, cited n. 3. 18. See Oliveira, 2001, cited n. 3. 19. The approach taken by the 2008 edition provoked considerable controversy, which was the subject of a “post-mortem” discussion organized by the Research Centre for Transnational Art Identity & Nation (University of the Arts London) in January 2009. An audio recording is available at www.transnational.org.uk/events/62-the-28th-bienal-de-so-paulo-a-post-mortem-discussion (last accessed September 18, 2013). 20. The catalogues have been made available at www.bienal.org.br/publicacoes.php (last consulted November 15, 2013).

INDEX

Geographical index: Amérique latine, Brésil, São Paulo Keywords: Bienal de São Paulo, boycott, catalogue, curator, Fundação Bienal de São Paulo, Parque de Ibirapuera Mots-clés: Bienal de São Paulo, boycott, catalogue, commissaire, Fundação Bienal de São Paulo, Parque de Ibirapuera

AUTHORS

ISOBEL WHITELEGG Nottingham Contemporary

Perspective, 2 | 2013 222

L’art populaire brésilien : un art de la relation Brazilian folk art: relations through art

Els Lagrou et Marco Antonio Gonçalves Traduction : Antoine Chareyre

1 À la différence de ce que l’on appelle dans les grandes villes l’art ethnique, composé d’objets produits initialement en vue d’une autre fin que celle d’être des œuvres d’art, l’art populaire est ce que nous suggérons d’appeler un « art de la relation » qui, sous différentes formes, se constitue dans la rencontre entre des mondes distincts, mais intrinsèquement en lien. La transformation de l’artefact en art se produit par une extension progressive du réseau de production des artefacts. Du marché local à la métropole, l’art se modifie dans un dialogue intense et assumé avec le client extérieur. L’interdépendance entre la production artistique populaire et sa réception par l’élite culturelle métropolitaine ou locale reproduit un modèle plus général d’interdépendance qui caractérise la vie rurale. La société brésilienne est hautement hiérarchisée, en même temps que symbiotique, et les fêtes rurales s’y font avec la connivence des propriétaires d’exploitation – parfois pour eux, parfois à leurs dépens – et souvent avec un humour burlesque et légèrement subversif. En ce sens, on ne peut parler de « zones de contact »1 à propos de l’art populaire brésilien, dont la relation ne s’établit qu’avec un marché extérieur. Il n’existe en effet aucun artefact ethnographique antérieur à sa qualification en tant qu’art populaire. Il s’agit d’un art qui n’existe qu’à travers sa relation avec un marché extérieur, où, souvent, les artistes méconnaissent cependant le goût de leurs clients.

2 L’art populaire en tant qu’art de la relation diffère de l’art ethnique classique (lui- même distinct d’un art ethnique contemporain)2, caractérisé par les transformations de sens et de fonction de l’artefact, quand il entre en relation avec de nouveaux contextes de signification. Il se distingue également de l’art réalisé par des artistes des grandes villes qui élaborent leurs créations en dialoguant avec les théories de l’histoire de l’art. L’art populaire, inévitablement marqué par la médiation du regard de l’Autre, tend, pour exister, à entrer dans le cycle de cet art métropolitain. Le passage du statut

Perspective, 2 | 2013 223

d’artefact a celui d’art se trouve dans le regard du médiateur, lui-même artiste érudit ou producteur culturel, souvent d’origine étrangère ou connaissant un monde étranger à celui du créateur. L’importance de ce regard ressort dans tous les récits et biographies des artistes populaires.

3 Tandis que, dans l’art ethnique classique, l’autorité de la pièce est oblitérée et remplacée par le pedigree du collectionneur3, dans l’art populaire, l’individualité et l’inventivité du maître sont centrales. Le caractère relationnel de la création, néanmoins, n’est jamais nié. Comme on le sait, la figure du médiateur, de l’artwriter et du commissaire existe dans tous les processus du devenir-artiste. Mais si sa présence dans le processus de genèse de styles et d’œuvres tend à être occultée dans la construction de l’autoreprésentation d’artistes urbains, elle est assumée comme constitutive dans la genèse de l’artiste populaire.

4 Si, dans un premier temps, cet artiste populaire produit par pur plaisir « d’inventer une mode » pour le divertissement des enfants sur les marchés ou pour les fêtes populaires, laissant surgir des figures de sa propre imagination sans modèle prédéfini, dans un second temps, s’il décide à se spécialiser dans la production de cette forme d’art, sa survie en tant qu’artisan-artiste dépendra de sa capacité à adapter ses productions au goût des clients de la métropole. Les artistes populaires n’ont pas recours, dans leurs discours, au motif de la vocation ; ils parlent plutôt du don, même si celui-ci ne peut être cultivé que dans la mesure où il permet de survivre. C’est pour cette raison que les artistes n’occultent pas les interventions de clients, de collectionneurs ou de galeristes, car celles-ci font partie de la conception relationnelle de leur art. La plupart des interventions des galeristes sont de nature esthétique ou thématique, comme, par exemple, la suggestion de ne pas peindre les sculptures, de ne pas utiliser du vernis, de représenter des scènes typiquement rurales, etc. Certains collectionneurs et galeristes ont effectivement joué un rôle crucial dans l’apparition du champ de l’art populaire au Brésil. Signalons, par exemple, les galeries Pé de Boi à Rio de Janeiro et Nega Fulô à Recife, ou la collection du Français Jacques Van de Beuque, tenue pour la plus grande du pays, à l’origine du Museu Casa do Pontal à Rio de Janeiro4.

5 Cet aspect de la relation et de la constitution de l’art populaire en dialogue avec les élites urbaines se manifeste remarquablement dans la manière dont un marché pour ces biens culturels a été créé. La majeure partie de l’art populaire est produite loin des grands centres urbains et des capitales du pays situés principalement sur la côte – l’intérieur et les espaces ruraux étant les lieux prototypiques de sa production –, tandis que la vente des œuvres d’art populaire se réalise dans les galeries et les musées des métropoles. L’élite friande de ce type d’art est encore souvent orientée par les valeurs du mouvement moderniste et recherche dans l’art populaire et rural une « simplicité », une « authenticité » et une « pureté », capable d’exprimer l’âme du peuple brésilien ou ce quelque chose qu’évoque l’identité nationale véritable5.

6 L’expression « artiste populaire », apparue dans les années 1980, bien qu’elle soit le résultat d’une relation asymétrique entre l’artiste et son acheteur, indique une conscience plus critique que celle qui marquait la mentalité moderniste. Avec la création, en 1983, de la Sala do Artista Popular au Centro Nacional de Folclore e Cultura Popular à Rio de Janeiro, Lélia Coelho Frota institua un espace dédié à l’exposition et à la vente d’œuvres d’artistes individuels. La création de ce lieu opéra une transformation conceptuelle dans la signification des artefacts produits dans le domaine de la culture populaire. Ils cessèrent d’être conçus comme un « folklore » –

Perspective, 2 | 2013 224

avec sa connotation d’immuabilité et d’ancestralité – pour devenir de l’art, des objets artistiques produits non plus par des membres anonymes d’une culture qu’ils représentent, mais par des artistes ou des familles d’artistes qui produisent des œuvres, en les inscrivant dans un style propre, résultant d’une articulation spécifique entre leur biographie et le contexte culturel particulier dans lequel ils vivent – ce que révèlent les exemples que nous exposerons dans cet article. Leurs vies sont la matérialisation de la rencontre avec d’autres mondes et, surtout, avec le monde de l’art, qui transforme ces artisans en artistes, comme en témoignent les parcours de Geraldo Teles de Oliveira, plus connu par ses initiales, GTO, ou Francisco da Silva6.

Du marché local à la métropole

7 L’art populaire a produit des œuvres d’une rare qualité narrative, comme celle de Vitalino Pereira dos Santos dit « Mestre Vitalino », artiste de la première moitié du XXe siècle, et de sa famille. Cet artiste, accompagnant sa mère qui fabriquait des marmites en terre, avait commencé dès l’enfance à faire des jouets en terre cuite pour les vendre au marché local nordestin de Caruaru (État de Pernambuco). Il finit par se spécialiser dans la fabrication de miniatures de scènes de son quotidien et de figures emblématiques de la faune et de la flore locales. Une scène souvent déclinée représente un homme juché sur un cocotier, avec un jaguar onça qui attend au pied de l’arbre, prêt à attaquer. Une variante de cette scène que figurent, par exemple, les gravures de José Fransisco Borges (un célèbre graveur Nordestin de Pernambuco), représente le jaguar assis au pied d’un arbre, observant un nid d’oiseaux au sommet des branches.

8 De divertissement de marché pour enfants et adultes, les miniatures de ces artistes en vinrent à constituer les premières pièces d’art populaire collectionnées par l’élite culturelle métropolitaine. En 1947, l’artiste Augusto Rodrigues les découvrit sur le marché de Caruaru et invita Vitalino à exposer ses pièces à l’Exposiçãode Cerâmica Popular Pernambucana, organisée à Rio de Janeiro. Promu Mestre7, Vitalino exposa au Museu de Arte de São Paulo en 1949 et à l’exposition Arts primitifs et modernes brésiliens à Neuchâtel en 19558. Valorisées par leur « qualité plastique », les figurines en terre peinte commencèrent à être assimilées à un art de la céramique. Les pièces de Vitalino furent alors intégrées aux collections d’institutions comme le Musée du Louvre ou les musées du Pontal et Chácara do Céu à Rio de Janeiro.

9 Pour Lélia Frota, la propulsion de Vitalino grâce à sa première exposition en 1947 « représente le début de la découverte des arts populaires par les élites intellectuelles », et elle « est la conséquence d’un processus historico-culturel lié à la philosophie du mouvement moderniste de 1922 et du mouvement régionaliste de Recife, qui a débuté dans cette ville en 1923 »9.

10 Guacira Waldeck, dans son travail universitaire de 2002, attire l’attention sur le fait que, malgré sa « révélation » en tant qu’artiste, et même si ces pièces furent collectionnées dès les années 1930 et 1940, Vitalino continua, durant toute sa vie, à vendre ses figurines au marché de Caruaru10. En ce sens, le cas Vitalino incarne la condition paradoxale de l’artiste populaire : en même temps qu’un processus d’individualisation exprime la puissance de son génie artistique (transformant ses pièces en des objets de collection recherchés), son art ne perd pas l’aura d’authenticité populaire qu’évoquent son monde local et les formes particulières de représentation d’une culture. En ce sens, les miniatures de Vitalino sont, pour les collectionneurs, à la

Perspective, 2 | 2013 225

fois de l’art et de l’artisanat. Cette situation évoque le modèle de James Clifford selon lequel, dans le système occidental d’art/culture, l’art ethnique et/ou populaire ne migre vers la catégorie d’art qu’en portant avec lui l’étiquette ethnique ou populaire11.

11 Avec Vitalino apparaît un phénomène qui se manifeste également dans d’autres contextes : celui du maître et de son école. Dans le monde populaire, les maîtres qui inventent un nouveau style s’efforcent de perpétuer leur métier grâce à leurs enfants et parents proches, fondant ainsi de véritables écoles stylistiques qui peuvent « contaminer » des villes entières. Jusqu’à aujourd’hui, l’une après l’autre, des générations de Vitalino s’appliquent à poursuivre l’art de la miniature initié par le maître, en produisant des pièces toujours plus petites et détaillées, garantissant ainsi l’excellence de qualité associée à l’œuvre du fondateur, et répondant aux attentes du marché à la recherche de miniatures chaque fois plus petites. Parmi les thèmes les plus fréquents de cette école se trouvent les retirantes, ces familles de Nordestins qui fuient la sécheresse, emportant tous leurs biens sur le dos.

12 L’on observe un parcours similaire chez Antonio Poteiro, décédé en 2010 – dont le nom signifie littéralement « le potier » – artiste populaire de l’État de Goiás. Poteiro produisit dans un premier temps des pots en céramique destinés à la vente sur les marchés. Peu à peu ses pots se transformèrent en une agrégation de figures humaines d’une telle densité que le pot disparaissait. Le processus artistique de Poteiro acquit toute sa force lorsque, en 1973, à la suite de sa rencontre avec l’artiste plasticien Siron Franco, habitant comme lui de Goiânia, dans le Brésil central, il transposa son art dans la peinture. Ses toiles, qui représentent des thèmes bibliques dans des coloris forts et vibrants, furent exposées dans des galeries et des musées au Brésil et à l’étranger, atteignant une cote élevée sur le marché.

13 Si Poteiro constitue un cas individuel de l’art populaire, celui des artistes de Jequitinhonha, une vallée dans le nord de l’État du Minas Gerais, est davantage un cas de création d’une école à partir du travail inventif de quelques femmes « maîtres ». Dans une région riche en argile, plusieurs céramistes, dont Isabel Mendes da Cunha et Noemiza Batista dos Santos, se sont mises à fabriquer, au-delà de la céramique faite par leurs mères, des figurines de terre dans des tons pastel12. L’école de Jequitinhonha est devenue célèbre au Brésil et à l’étranger, et plusieurs nouvelles générations d’artistes se sont spécialisées dans la production de figures représentant des scènes du quotidien et spécialement des figures féminines et des couples de jeunes mariés.

L’art populaire entre le sacré et le profane

14 Il est important de signaler une distinction entre deux types d’artistes populaires qui cohabitent souvent dans le même espace : d’un côté, certains se spécialisent, depuis l’époque coloniale, dans la production et la reproduction d’images de saints (les santeiros) ; d’autres créent de nouvelles images selon leur inspiration (les imaginários comme les appellent par exemple les habitants de Juazeiro do Norte).

15 Outre la relation avec les marchands et artistes métropolitains, un autre lien important pour la naissance de nouveaux styles artistiques est celui entre l’expression populaire et la religion. Dans la région qui va de Salvador de Bahia aux villes de l’exploitation minière du Minas Gerais fleurit depuis le XVIIIe siècle l’art des santeiros, des hommes qui fabriquent des images de saints majoritairement en bois, et qui perpétuent la tradition

Perspective, 2 | 2013 226

baroque introduite par les colonisateurs portugais et transformée en un style local par les artistes autochtones.

16 Prenons pour exemple la ville de pèlerinage de Juazeiro do Norte, fondée par le Padre Cícero au début du XXe siècle13. La ville se situe dans une oasis de verdure au centre du Sertão, région connue pour sa sécheresse et pour ses conditions climatiques rudes. Ce religieux charismatique acquit une réputation de faiseur de miracles et attira chaque année des foules de pèlerins venus de tous les États du Nordeste. Beaucoup finirent par s’installer définitivement dans la ville. De son vivant, le Padre Cícero encourageait tous les types d’activité artisanale, de la production de lanternes en étain au travail du cuir et du bois, comme la fabrication d’assiettes, de cuillers et de toupies. Le soutien à la production artisanale, associé à l’énorme afflux annuel d’une population nouvelle, fut responsable du succès économique de la ville, ainsi que de l’épanouissement sans égal de la production de l’art populaire, notamment de grandes sculptures en bois, qui ne cessa de croître depuis l’époque de sa fondation jusqu’à aujourd’hui.

17 L’art figuratif dans ces terres de pèlerinage commença avec la production d’ex-voto en bois figurant des parties du corps soignées par l’intervention divine, grâce à la médiation indispensable du Padre Cícero. Ces pièces en bois étaient déposées en grande quantité dans des lieux dédiés, comme dans l’église du Horto, située sur une colline au- dessus de la ville où se trouve désormais une statue énorme du Padre. Aujourd’hui, la plupart des ex-voto sont des photographies, mais les sculptures en bois n’ont pas disparu.

18 L’art des santeiros est apparu à Juazeiro do Norte en parallèle à cette production d’images, reproduisant le plus fidèlement possible les figures des Patrons, des crèches et le Padre Cícero lui-même. Le mythe de l’origine de cet art raconte que Mestre Noza fut le premier à faire le portrait du Padre dans les années 1920, lequel, voyant qu’il avait été représenté jusqu’aux traits légèrement asymétriques de son visage, approuva avec enthousiasme les statues le représentant. Ainsi débuta une grande production de statues du Padre aux dimensions les plus diverses – toutes suivant le modèle de Mestre Noza, ainsi que ceux de statues des saints patrons, destinées à être placées sur les autels domestiques. Les statues du Padre, certaines à taille humaine, se sont répandues dans la ville et notamment dans les boutiques et les pharmacies, où elles protègent le commerce. Des statues en miniature du Padre accompagné de saints sont aussi emportées en souvenir par les pèlerins, qui les placent sur des autels domestiques. Aujourd’hui, les pèlerins disposant d’un moindre pouvoir d’achat se procurent des statues de plâtre, qu’ils considèrent comme ayant la même efficacité puisqu’elles renvoient aux mêmes images du Padre et des saints (ce sont des copies de sculptures en terre faites à la main dans des ateliers de la ville) ; pour autant, le métier des santeiros n’a perdu ni en prestige ni en clients.

19 Les santeiros disent s’inspirer de la tradition baroque de Bahia, et leur travail est recherché par les élites culturelles de tout le pays. D’après les santeiros eux-mêmes, qui ne se limitent pas à reproduire des images religieuses, leur talent consiste à imiter à la perfection quoi que ce soit, selon le désir du client. « Il suffit de m’envoyer une photo et je la fais », nous a affirmé un santeiro de renom au Centro de Cultural Popular Mestre Noza. Ces santeiros sont aussi souvent recherchés pour restaurer des pièces.

Perspective, 2 | 2013 227

Le cas des bichos et de la famille Graciano

20 De manière concomitante à cet art sacré est apparu un art des bichos, des figures qui représentent des animaux dentus effrayants ou imaginaires, ou, pour ceux produits à Juazeiro do Norte, des chimères mi-homme mi-animal. La production de ces pièces imaginaires a surpassé de loin celle des ex-voto et des statues religieuses. Le public qui achète ces pièces, contrairement aux pièces religieuses, vient surtout des grandes villes du Brésil et de l’étranger. Aucun autre endroit au Brésil n’a une production aussi massive de sculptures en bois faites par les artistes imaginários. Le style artistique des bichos (les animaux imaginaires) est complémentaire à celui des santeiros. La dualité artistique de ces sculptures (entre les animaux féroces et les saints sveltes), mise en exergue notamment dans les collections du Centro de Cultura Popular Mestre Noza à Juazeiro do Norte, peut rappeler la cohabitation, dans les églises romanes et gothiques européennes, de sculptures de saints et de monstres chimériques.

21 Le fondateur du style caractérisant les bichos, Manuel Graciano, actuellement âgé de plus de 80 ans, raconte que c’est l’impossibilité de devenir santeiro qui l’a conduit à faire des bichos. Un événement traumatisant survenu au début des années 1970 poussa Graciano à créer ce nouveau style. Une crèche qu’il avait faite, commandée par la municipalité et exposée sur une place publique, provoqua la polémique du fait de l’expression grave de ses figures, qui rappelaient plutôt des cangaceiros (des hors-la- loi)14 et n’évoquaient en rien l’atmosphère de béatitude qui devait entourer la sainte famille. L’indignation du public religieux fut telle qu’il fallut retirer la crèche, et le sculpteur, affecté, jura de ne plus jamais réaliser de créations en relation avec la sphère sacrée. Ainsi continua-t-il à faire ses groupes de musiciens cabaçal15 et ses sculptures du reisado. « Je ne suis pas fait pour être un santeiro. Même en le voulant, je n’y parviens pas, mais les gens de l’extérieur aiment beaucoup mes animaux », nous a-t-il confié lors d’un entretien. L’idée de faire des bichos est venue d’un autre sculpteur célèbre de la même ville, Nino, aujourd’hui décédé, auteur d’animaux sculptés et peints dans des teintes vives sur des troncs d’arbre. C’est en voyant le succès de ces bichos dans une exposition d’art populaire à São Paulo, dans les années 1970, que Graciano commença à en créer lui aussi, développant, néanmoins, un style tout à fait propre, tant dans l’expressivité des formes que dans la peinture, faite de petits points et de traits. Le style de Manuel Graciano, comme celui de Nino, a été à l’origine d’une production importante de bichos par un groupe de sculpteurs-peintres de Juazeiro do Norte, composé en majorité de parents proches des fondateurs du style, notamment la famille (dans le cas des Graciano) ou des apprentis ayant vécu avec leur maître (dans le cas de Nino). Si Graciano partage son temps entre les animaux fantastiques et les scènes de fêtes populaires de la région, c’est à son fils aîné, Francisco Graciano, qu’il revient de se spécialiser et de poursuivre l’art des animaux imaginaires. Les bichos de ce dernier possèdent le même style de peinture que ceux de son père, ainsi que la présence caractéristique de dents apparentes. Ses bichos correspondent à trois types : lézards ailés et dentus, animaux se tenant l’un l’autre et animaux tenant un objet, souvent non défini. Cette combinaison objet-animal leur confère une expression étrangement humaine, tandis que le caractère chimérique des lézards ailés est enrichi par la tête, qui semble parfois plus proche de celle d’un chien que d’un reptile.

22 Francisco Graciano fut reconnu comme artiste lors de sa participation à l’exposition Teimosia da imaginac◌̧ão: dez artistas brasileiros, organisée par Maria Lúcia Montes,

Perspective, 2 | 2013 228

l’artiste Germana Monte-Móret et Rodrigo Naves au Paço Imperial à Rio de Janeiro et à l’Instituto Tomie Ohtake à São Paulo, temples de l’art contemporain au Brésil16. En mettant en lumière dix artistes populaires – ce que l’on appelle la « scène de l’art brésilien connu comme populaire » –, cette exposition aspirait à ce que les œuvres exposées soient perçues comme de l’art, et ce dans un dialogue profitable et une recherche d’interconnexions avec l’art contemporain.

23 Quand on lui demande ce que représente telle sculpture, Francisco Graciano renvoie systématiquement la responsabilité de la réponse à celui qui a posé la question : « C’est vous qui savez ce que vous voyez. Dites-moi : que voyez-vous ? ». Pour ce qui touche à son inspiration pour faire les figurines, la réponse est invariablement : « C’est quelque chose qui sort de ma tête, ça n’existe nulle part ».

24 Les animaux qui s’étreignent comme s’ils se battaient sont très fréquents. Parfois le caractère de l’étreinte reste indéfini, entre l’affection et la lutte. L’incertitude autour de l’identité de l’être créé constitue sa seule détermination propre. Le thème de la lutte ou du combat renvoie, quant à lui, à un thème fréquent de la littérature populaire du Nordeste, dans laquelle une réflexion systématique sur le rôle structurant du conflit dans les relations sociales et avec le monde est mise en valeur. La lutte, la confrontation, l’honneur et le défi font partie des récits de vie et aident à construire des sujets dont la subjectivité est augmentée par l’affrontement d’adversaires et d’adversités.

25 Des êtres chimériques engagés dans des luttes apparaissent aussi fréquemment dans des gravures, faites pour illustrer les couvertures des cordels17, comme celles du graveur José Fransisco Borges déjà mentionné. L’existence d’une affinité stylistique est indéniable entre la gravure et la sculpture nordestine, même si les sculpteurs en question n’ont jamais travaillé avec la gravure.

26 Les sculptures de la famille Graciano, peintes en couleurs vives par le sculpteur lui- même ou, plus souvent, par son épouse (ou encore, mais exceptionnellement, par un-e parent-e proche), attirent l’attention par leur caractère dramatique expressif. La systématicité de la collaboration conjugale révèle la présence d’une autorité à deux, même si c’est le sculpteur qui enseigne la peinture à sa femme et lui donne souvent des indications sur la façon dont il veut voir sa pièce peinte.

27 Les bichos de Juazeiro de Norte affichent une parenté indéniable avec les masques de divers animaux effrayants qui apparaissent dans les fêtes populaires de la région, comme le reisado18. Une autre relation stylistique avec les bichos peut s’établir avec les carrancas, qui étaient des images apotropaïques, des faces dentues qui visaient à éloigner le danger, à savoir les animaux du fond des cours d’eau19. La carranca connue comme figura de proa (figure de proue) ou leão de barca20 (lion de bateau) était une sculpture en bois montée sur la proue des embarcations qui naviguaient sur le fleuve São Francisco dans la seconde moitié du XIXe siècle. Il existe différents types de carrancas : les zoomorphes (têtes de chien, têtes de cheval), les anthropomorphes et les zoo-anthropomorphes, sans doute les plus communes, présentant des caractéristiques animales et humaines21. D’après Zanoni Neves, les figures de proue protègent les embarcations d’accidents au cours de la navigation de même qu’elles servent d’amulettes contre les Nego d’Água22. Neves raconte une anecdote dans laquelle les carrancas se trouvent remplacées par de grandes cornes de bœuf dans la mesure où celles-ci ont la même fonction dans la cosmologie régionale : celle de servir de « protection contre le mauvais œil ». Les yeux exorbités et la bouche pleine de dents

Perspective, 2 | 2013 229

prête à mordre désignent un style de sculpture qui, en mêlant l’animal et l’humain, met l’accent sur la lutte, le duel, le défi, catégories clés pour comprendre l’ethos de cette région du Nordeste du Brésil : considérer le monde comme un combat.

28 Quand, pour des raisons économiques, les embarcations ont disparu du fleuve São Francisco, les carrancas sont devenues des objets de collection et ont intégré les musées ; du fait de la perte de leur fonction initiale, elles ont acquis le statut d’art populaire et ont atteint une valeur significative sur le marché de l’art. Dans cette nouvelle configuration, les carranqueiros sont devenus des sculpteurs et des artistes populaires. Cette transmutation du sens de la carranca, qui commença à s’opérer dans les années 1950, a fait circuler dans le Nordeste un nouveau style de carranca en miniature qui a peut-être influencé l’apparition des bichos en bois dans différentes villes de la région23.

29 Manuel Graciano et son fils, Francisco, fabriquant les sculptures d’animaux imaginaires les plus valorisés sur le marché de l’art populaire du moment, insistent sur le fait que le public local n’aime pas du tout leurs bichos effrayants et que « les gens d’ici » ne les achèteraient jamais, préférant les pièces des santeiros, qui, eux, savent produire des copies fidèles aux modèles. Ils expriment même une certaine surprise quant au succès de leurs pièces dans les grandes villes. Dans nos entretiens, ces artistes affirmaient explicitement que s’ils continuent à faire ce genre de « bichos feios » (animaux effrayants) c’est parce que « les gens qui viennent de loin s’émerveillent, et les achètent ».

30 On voit ainsi clairement que l’artiste populaire et son art se modèlent mutuellement à travers un dialogue franc sur le goût du client ou du collectionneur, qui peut influencer depuis la forme de l’objet jusqu’aux matières premières employées, et la capacité imaginative de l’artiste à produire un bien culturel qui s’adapte au goût du marché24. Ce modelage est donc le fruit d’une relation, une manière de donner forme à la production de l’artiste populaire. L’objet, l’œuvre d’art, incarne la condition de la relation dans sa propre production.

31 Dans ce champ de créativité spécifique qu’est l’art populaire, il faut souligner la grande probabilité de genèse d’écoles dont les styles renvoient à un maître. Si, comme l’affirme Alfred Gell, l’œuvre d’un artiste est comme sa « personne distribuée » et que la perception d’une unité de style dans l’œuvre d’un artiste revient à reconnaître un air de famille entre des ensembles d’objets qui appartiennent à une même culture25, cette idée s’applique particulièrement bien dans notre cas.

32 Le modèle généalogique unissant des artefacts qui partagent un style comme s’ils étaient unis par des liens de parenté, de filiation et d’affinité, vaut, dans le cas de l’art populaire brésilien ici exposé, tant en termes stylistiques qu’en termes d’organisation concrète et collective du travail. À Caruaru, à Jequitinhonha, à Juazeiro do Norte et Cachoeira do Brumado, par exemple, des écoles stylistiques sont nées à partir du génie créatif d’un maître, homme ou femme. Familles et proches, tout comme les concurrents vivants dans une même bourgade, apprennent à travers la cohabitation, la collaboration et souvent les enseignements des pères et des mères aux fils et aux filles, aux gendres et aux épouses, à produire des variations sur le thème inventé par le maître. L’apprentissage se fait, comme dans les guildes, dans des ateliers domestiques

Perspective, 2 | 2013 230

montés autour de maîtres. Dans un premier temps, les apprentis aident à la préparation ou à la finition des pièces pour ensuite gagner en indépendance et faire leurs propres pièces avec la marque de leur autorité, sans jamais perdre « l’air de famille », à moins qu’ils ne décident de fonder un nouveau style.

33 Si les styles peuvent naître et être considérés comme des personnes distribuées, si les pièces des parents sont comme des descendants de la création d’un maître, ces mêmes généalogies peuvent aussi disparaître. Cela arrive quand il n’y a pas d’héritiers suffisamment talentueux pour continuer le métier, quand la matière première se fait rare (comme il advient à Cachoeira do Brumado dans le Minas Gerais avec le bois employé par les familles Julião et Arthur Pereira pour leurs grandes sculptures évidées) ou quand il n’existe plus de médiateurs intéressés à exporter les pièces vers les centres pouvant les mettre en valeur dans les grandes métropoles.

NOTES

1. James Clifford, « An Ethnographer in the Field: James Clifford Interview », dans Alex Coles éd., Site-Specificity: The Ethnographic Turn, (De-, dis-, ex-, 4), Londres, 1998, p. 52-71 ; Mary-Louise Pratt, Imperial Eyes: Travel Writing and Trans-culturation, Londres/New York, 1992. 2. Le nouvel art ethnique, fait pour être un art dans sa relation avec la métropole, se rapproche de l’art populaire du fait qu’il est, comme lui, un art de la relation, où le nouveau contexte relationnel a une influence sur le style autant que sur les matières employées et sur les thématiques abordées. 3. Sally Price, Primitive Art in Civilized Places, Chicago/Londres, 1989. 4. Angela Mascelani, O mundo da arte popular brasileira: Museu Casa do Pontal, Rio de Janeiro, 2002. 5. Sur les racines romantiques du modernisme associé au folklore brésilien, voir le texte de Maria Laura Viveiros de Castro Cavalcanti, « Entendendo o folclore », dans Seminário de capacitação: artesanato brasileiro na perspectiva cultural, instrumentos de pesquisa, documentação e difusão, Rio de Janeiro, 2000. Le ton moderniste, primitiviste et romantique marque d’une empreinte évidente les textes du catalogue de la Mostra do Redescobrimento: arte popular, Nelson Aguilar éd., (cat. expo., São Paulo, Parque Ibirapuera, 2000), São Paulo, 2000. 6. Sur GTO, voir Lélia Coelho Frota, Pequeno dicionário da arte do povo brasileiro, século XX, Rio de Janeiro, 2005, p. 225 ; sur Francisco da Silva, voir Dodora Guimarães, « Francisco da Silva », dans Histoires de voir, Hervé Chandès éd., (cat. expo., Paris, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 2012), Paris, 2012, p. 96. 7. « Maître » est une appellation d’honneur donnée aux artistes qui initient un style en formant des disciples, suivant l’exemple des maîtres de performances festives populaires, comme, entre autres, le reisado (danse dramatique populaire pour fêter la veille et le jour des Rois) ou la bumba meu boi (danse folklorique). 8. Arts primitifs et modernes brésiliens, (cat. expo., Neuchâtel, Musée d’ethnographie, 1955-1956), Berne, 1955. 9. « [...] representa o início da descoberta das artes populares pelas elites intelectuais, (e) é conseqüência de um processo histórico-cultural ligado à filosofia do Movimento Modernista de 22 e do Movimento Regionalista do Recife, iniciado naquela cidade em 1923 » (Lélia Coelho Frota, Mestre Vitalino, Recife, 1986, p. 11).

Perspective, 2 | 2013 231

10. Guacira Bonácio Coelho Waldeck, Vitalino como categoria cultural: um estudo antropológico sobre as classificações da obra de Vitalino Pereira dos Santos, Mestre Vitalino, mémoire, Universidade Federal do Rio de Janeiro, 2002. 11. James Clifford, The Predicament of Culture: Twentieth-Century Ethnography, Literature, and Art, Cambridge (MA), 1988. 12. Frota, 2005, cité n. 6, p. 332. 13. Sur les sculpteurs de Juazeiro do Norte, les auteurs s’appuient sur une vaste recherche de terrain menée dans la région depuis 2006. 14. Les cangaceiros sont des hors-la-loi qui autrefois sillonnaient en bandes armées les territoires du Sertão, notamment dans le Nordeste. Ils sont également un motif fréquent de représentation dans l’art populaire, comme le fameux chef Lampião (vers 1898-1938) et sa femme Maria Bonita. 15. Les cabaçal sont des groupes de musiciens qui jouent du pífano (la flûte traditionnelle) et des instruments à percussion, et qui animent les fêtes publiques de la ville. 16. Teimosia da imaginac◌̧ão: dez artistas brasileiros, Maria Lúcia Montes, Germana Monte-Mór, Rodrigo Naves éd., (cat. expo., Rio de Janeiro, Paço Imperial/São Paulo, Instituto Tomie Ohtake, 2012), São Paulo, 2012. 17. Littérature populaire et poétique du nord-est du Brésil publiée sous forme fascicules. 18. Voir par exemple les masques de Jaraguá reproduits en céramique par Cícera Araújo à Juazeiro do Norte ; sur ce sujet voir l’étude de Silvia R. Coimbra, Flávia Martins, Maria L. Duarte, O reinado da lua: escultores populares do nordeste, Rio de Janeiro, 2009, p. 253. 19. Paulo Pardal, Carrancas do São Francisco, Rio de Janeiro, 1974, p. 72. 20. Le lion en tant que figure emblématique de cette représentation monumentale en sculpture de bois se rencontre aussi, bien que distant de l’aire d’influence du fleuve São Francisco, à Prados de Minas, où s’est développé le style connu comme celui de la « famille Julião ». C’est à Itamar Julião, sculpteur de la seconde moitié du XXe siècle, qu’a été attribuée l’invention des lions monumentaux, des énormes totems-arbres en bois avec de nombreux animaux et des arbres- singes qui rappellent, non seulement par leur monumentalité, le style des carrancas. Une autre variation de ce même style se trouve dans certaines sculptures en céramique de José Galdino de Alto do Moura (Pernambuco), qui suivent le même dessin de la dévoration, où ressortent des dents perforantes et de grands yeux (voir Frota, 2005, cité n. 6, p. 216). 21. Zanoni Neves, « Os Remeiros do São Francisco na Literatura », dans Revista de Antropologia, 46/1, 2003, 186 ; Pardal, 1974, cité n. 19. 22. Le Nego d’Água est un personnage légendaire hybride (mi-homme, mi-amphibien), vivant dans les profondeurs de plusieurs fleuves, effrayant les navigateurs lors de leur passage. 23. Voir, par exemple, le style développé par Véio, artiste né en 1947, originaire du Sertão de Sergipe, qui se consacre aux sculptures en bois de femmes graves et aux traits bien marqués, de jeunes mariées, de femmes enceintes, d’êtres imaginaires, d’hommes et de femmes la bouche ouverte avec de longues langues qui sortent. La gravité des traits des visages sculptés et les formes des yeux nous renvoient aux variations de style autour des carrancas. 24. On peut citer l’artiste Nhô Caboclo, qui travaillait à Recife jusqu’à sa mort en 1976, comme une exception à cette règle de malléabilité dans le dialogue avec le client. « Caboclo, le plus radical de ce contexte – se refusant toujours à faire des concessions –, défie les artifices du pouvoir, invente un langage propre, inaccessible aux érudits, et d’une manière très spéciale inverse la hiérarchie » (Coimbra, Martins, Duarte, 2009, cité n. 18, p. 289). 25. Alfred Gell, Art and Agency: Anthropological Theory, Oxford, 1998.

Perspective, 2 | 2013 232

INDEX

Mots-clés : arts populaires, art religieux, sculpture en bois Keywords : folk art, religious art, wood sculpture Index géographique : Brésil, Juazeiro do Norte, Nordeste Index chronologique : 1900, 2000

AUTEURS

ELS LAGROU Instituto de Filosofia e Ciências Sociais, Universidade Federal do Rio de Janeiro

MARCO ANTONIO GONÇALVES Instituto de Filosofia e Ciências Sociais, Universidade Federal do Rio de Janeiro

Perspective, 2 | 2013 233

Les guides et inventaires patrimoniaux au Brésil Heritage guides and inventories in Brazil

Beatriz Mugayar Kühl Traduction : Géraldine Bretault

1 La production des guides du patrimoine au Brésil, caractérisée par son extrême hétérogénéité, s’appuie dans la plupart des cas sur des listes de biens classés ou sur des inventaires qui ne garantissent pas la protection légale des édifices et qui sont souvent limités à de brèves descriptions sans ou avec peu d’analyses. Alors que des récits plus anciens de voyageurs présentaient des descriptions de villes, d’édifices et de paysages, tout en apportant un regard critique extérieur sur la réalité du pays, les inventaires et les guides du patrimoine relèvent d’un phénomène bien plus récent, et résultent du système de protection des biens culturels en vigueur dans le pays. Étant donné l’organisation fédérale du Brésil, la gestion du patrimoine est confiée à une agence pour la protection du patrimoine créée en 1937 par le gouvernement fédéral – l’Instituto do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional (Iphan), anciennement le Serviço do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional (Sphan) –, qui vise à protéger les ressources culturelles jugées dignes d’intérêt national. Avant la mise en œuvre de l’agence fédérale, certains États étaient déjà dotés de systèmes de protection1 ; pour d’autres, comme l’État de São Paulo, un organisme de protection régional a été créé ultérieurement, le Conselho de Defesa do Patrimônio Histórico, Arqueológico, Artístico e Turístico (Condephaat) en 19682. La structuration de ces organismes au sein des différents États, puis par la suite dans de nombreuses municipalités, s’inscrit dans une définition du patrimoine culturel qui est actuellement en pleine expansion et qui tend à élargir les horizons de la préservation. Cette politique est encouragée par l’administration fédérale elle-même, dans la mesure où de nombreux monuments d’intérêt local ou régional ne sont pas pris en compte par la politique fédérale.

Perspective, 2 | 2013 234

Institutions et protection patrimoniale

2 La protection des biens culturels jugés dignes d’intérêt au niveau fédéral est régie par plusieurs instruments normatifs, le principal étant le décret-loi no 25 de 1937, toujours en vigueur à l’heure actuelle. Dans les faits, les biens culturels sont considérés comme faisant partie du patrimoine national dès lors qu’ils sont inscrits dans un (ou plusieurs) Livros do tombo, soit les livres de registre (différents des inventaires, composés de biens qui ne sont pas nécessairement protégés par la loi) énumérés dans la quatrième clause de la loi : archéologique, ethnographique et environnemental ; historique ; artistique ; relevant des arts appliqués. Les Livros do Tombo sont conservés dans les archives Noronha Santos de l’Iphan, qui présente une base de données en ligne donnant accès à certains contenus3. Outre les informations concernant l’inscription dans les Livros do Tombo, cet outil propose une brève description du bien culturel, sans illustration.

3 L’Iphan diffuse également sur Internet des documents de référence, dont un Guia de bens tombados (guide des biens répertoriés) ainsi que des monographies plus récentes classées par thèmes, comme la collection des Roteiros do patrimônio (itinéraires patrimoniaux). Le Guia de bens tombados est en réalité une simple liste des monuments inscrits dans les registres évoqués, avec quelques données élémentaires : nom du bien culturel, lieu, numéro de procédure, registre d’inventaire dans lequel il a été inscrit, date d’inscription. Cette liste fournit donc des informations utiles sur la procédure d’inscription, et permet notamment de connaître le nombre et le type de structures historiques protégées dans une région ou pour une période données. Il est ainsi possible de comparer le type de patrimoine protégé dans chaque région4. Les Roteiros do Patrimônio adoptent une approche plus thématique et régionale, si bien qu’un livre de cette collection traitant un sujet donné peut aussi servir de guide sur le terrain, étant associé à un programme de visites avec des cartes où figurent les emplacements des sites. Destinés à un public plus large, ces ouvrages sont confiés à un spécialiste du domaine, il ou elle disposant d’une totale autonomie pour le développer5.

4 Ces contenus informatifs sur le patrimoine culturel, regroupés par l’Iphan, sont complétés par d’autres publications d’organismes régionaux et municipaux. Dotées de caractéristiques et de finalités propres liées aux intérêts locaux, ces dernières portent essentiellement sur les biens protégés par les lois des États et des municipalités. Les inventaires réalisés par l’Instituto do Patrimônio Artístico e Cultural (Ipac), fondé en 1967 sous l’égide du secrétariat à la Culture de l’État de Bahia, constituent des exemples remarquables : depuis les années 1970, sous la coordination de Paulo Ormindo de Azevedo, spécialiste de la conservation du patrimoine, l’Inventário de Proteção do Acervo Cultural (Ipac) de Bahia a été progressivement mis en place6. Ces publications de l’Ipac fonctionnent incontestablement comme un guide patrimonial. Elles ne reposent pas sur des descriptions de monuments particuliers déjà protégés par la loi, mais sur la documentation et la production de connaissances sur un ensemble élargi de biens culturels réalisés sur un territoire au fil du temps7. Les notices sur la plupart des biens décrits présentent un niveau de détail rarement atteint dans les autres inventaires du pays. Alors que dans la base de données des archives Noronha Santos de l’Iphan les données historiques sur la cathédrale de Salvador sont accompagnées d’une très brève description architecturale, sans que les différentes campagnes de restauration subies par l’église soient mentionnées, dans l’Ipac, les renseignements sont plus étendus, comprenant la caractérisation de l’état de conservation et le contexte du bâtiment,

Perspective, 2 | 2013 235

ainsi qu’une description détaillée. Viennent ensuite une liste de l’ensemble des biens lui appartenant, des informations typologiques, des caractéristiques spatiales, des indications chronologiques ainsi qu’un champ spécifique renseignant les interventions de restauration menées au fil du temps, le tout complété par une bibliographie.

5 Il convient néanmoins de souligner les efforts importants déployés par l’Iphan depuis sa fondation pour assurer la diffusion des travaux sur l’histoire de l’art et l’architecture dans le pays. Lors de sa création, l’Iphan a dû affronter une série d’obstacles, notamment due à une historiographie de l’art brésilien encore balbutiante. C’est une des raisons pour lesquelles l’institut créa sa revue, la Revista do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional, l’un des principaux supports pour la diffusion d’articles dans ce domaine, qui demeure une référence fondamentale à l’heure actuelle. Il est intéressant de noter que du premier numéro paru en 1937 au numéro 17 daté de 1969, aucun article ne fait état des restaurations menées par l’institution. Seul un article de Hannah Levy en 1940 aborde explicitement les problèmes théorico-méthodologiques liés à l’historiographie de l’art ; c’est aussi le seul qui avance quelques remarques sur les principes de restauration8. L’auteur insiste sur l’importance de la méthodologie dans ce domaine et cite plusieurs auteurs, non pas pour établir une généalogie du problème, mais pour illustrer la diversité des postures et donc la nécessité d’aborder les problèmes en respectant une déontologie stricte. L’article montre que la valeur attribuée à une œuvre d’art peut prêter à controverse, rappelant au passage les critiques portées à l’encontre d’Eugène Viollet-le-Duc, précisément parce que ce dernier refusait de considérer la pluralité de valeurs exprimées par un édifice. Pourtant, à la même époque, les pratiques de restauration appliquées par l’Iphan étaient comparables à l’approche de Viollet-le-Duc, négligeant les altérations subies au cours du temps et imposant parfois un état originel hypothétique répondant à une projection rétrospective idéalisée (voire déformée) de l’histoire de l’architecture brésilienne, encore à ses débuts9.

6 La discussion méthodologique soulevée par l’auteur au sujet de l’historiographie est longtemps restée lettre morte. Il fallut attendre la période de démocratisation du pays au milieu des années 198010 pour que le sujet soit revisité de manière systématique. Depuis, si la notion de patrimoine culturel et d’historiographie de l’art et de l’architecture a beaucoup évolué au Brésil, avec d’immenses avancées ces dernières années, des échos de cette période initiale sont encore perceptibles aujourd’hui. De nombreux guides patrimoniaux semblent ignorer les critiques historiographiques et les débats plus larges sur la protection du patrimoine, comme l’attestent plusieurs cas significatifs.

Quelques exemples de São Paulo

7 Lorsque l’on cherche des informations sur un édifice, en raison de la nature même de la base de données des archives Noronha Santos, les textes sont concis et à caractère essentiellement informatif. Prenons l’exemple de l’église Nossa Senhora do Rosário do Embu, inscrite en 1938 dans les registres du patrimoine historique et artistique national de l’Iphan. Le texte décrit l’église et précise à la fin que « l’ancienne structure en pisé a vu ses murs renforcés par une structure en béton, lors de la première restauration menée par l’Iphan, à São Paulo (1939/1940) ». Le fait que l’intervention soit mentionnée est significatif ; ne pas préciser qu’elle ne se limitait pas seulement à un renforcement

Perspective, 2 | 2013 236

structurel est encore plus symptomatique. Cette intervention a transfiguré l’ouvrage, en supprimant les interventions antérieures du début du XXe siècle, pour restituer les caractéristiques supposées – de façon erronée – originelles. Sur le site du Condephaat, à propos du même édifice, protégé depuis 1974 par la réglementation de l’État de São Paulo et inscrit seulement dans le registre du patrimoine historique, la description est un peu plus étendue et s’accompagne d’une photographie ; les renforts en béton sont juste cités, sans que l’époque d’intervention ni l’état de conservation antérieur soient précisés, et il n’y a aucune analyse de la composition de l’ensemble. Dans un livre récent publié par le secrétariat à la Culture de l’État de São Paulo11, une édition luxueuse avec beaucoup d’illustrations pour chaque exemple cité – ce qui contraste avec l’absence de documents iconographiques dans la base de données en ligne des archives Noronha Santos et l’image unique sur le site du Condephaat –, le texte se résume à un paragraphe, contenant l’historique de la procédure de classement en tant que monument historique et une brève description de la composition de l’édifice, sans que les interventions de restauration ne soient mentionnées.

8 Un autre exemple significatif du désintérêt des publications sur le patrimoine pour les débats sur la conservation est celui de la Casa de Câmara e Cadeia de Atibaia (conseil municipal et prison d’Atibaia). Bien que son intérêt soit moindre par rapport à l’église d’Embu, la base de données en ligne des archives Noronha Santo propose un texte plus long, avec plus de données. L’édifice, commencé vers 1836, fut protégé par l’Iphan en 1955 et inscrit dans le Livro do Tombo Histórico – renseignement important, puisque les biens culturels considérés par l’organisation comme les plus significatifs sont aussi intégrés aux livres de registre des beaux-arts. Si la restauration menée à la fin des années 1950 est bien mentionnée dans la notice, la transformation du bâtiment du XIXe siècle, réalisé en briques sur des fondations en pierre dans un style classicisant, en un faux bâtiment du XVIIIe siècle, imitant une construction réalisée avec la technique du pisé, n’est pas mentionnée. Or ce fut une modification radicale, qui a suscité d’importantes controverses au sein même de l’organisation lors de sa mise en œuvre12. Le Condephaat, de son côté, a protégé l’ensemble en 1974, là aussi au seul registre du patrimoine historique, avec des données succinctes ; cependant, l’article contient une brève description architecturale, et la restauration pratiquée par l’Iphan est mentionnée, sans aucune analyse, et sans préciser que l’étage supérieur, jugé « sans aucun raffinement en termes de décoration », était le résultat de l’intervention pratiquée.

9 Les ouvrages plus récents ne sont pas mieux traités. Concernant la gare ferroviaire du quartier de Luz (Estação da Luz) dans la ville de São Paulo, construite entre 1895 et 1901 d’après un projet de l’architecte britannique Charles Driver et classée comme monument historique en 1996 par l’Iphan, les données disponibles sur le site de l’organisation sont encore plus concises. L’incendie de 1946 ainsi que l’ajout d’un étage réalisé à cette époque dans une des ailes ne sont pas mentionnés. De même, une intervention réalisée entre 2004 et 2006 est également passée sous silence, alors que cette dernière a eu un impact considérable sur la perception de l’ouvrage : la rénovation des façades a imposé avec violence une nouvelle image de ce bâtiment dans le paysage urbain, tandis que des modifications internes ont bouleversé l’articulation des différents espaces, entraînant d’importantes destructions13. Sur la gare, qui est protégée par la législation de l’État de São Paulo depuis 1982, soit avant son classement en tant que monument historique par l’Iphan, le texte du Condephaat est plus long que

Perspective, 2 | 2013 237

les précédents, et il a le mérite de mentionner l’incendie, ainsi que l’étage supplémentaire et les transformations de la période 2004-2006. Toutefois, cette description ne propose aucune analyse de la structure formelle et ignore les effets de l’intervention récente sur le bâtiment14. Dans l’ouvrage publié par le gouvernement, par ailleurs, aucun effort n’est mis en œuvre pour décrire l’ensemble, et le texte est encore plus court, indiquant seulement que le bâtiment abrite aussi un musée.

Des contenus aux thématiques élargies

10 Il reste toutefois quelques initiatives à saluer. La municipalité et la région métropolitaine de São Paulo ont uni leurs efforts pour élaborer un inventaire et publier des guides. Le guide Bens culturais na região metropolitana de São Paulo, publié en 1984 par des agences associées à la planification urbaine, demeure une référence. De fait, cet ouvrage a le format d’un guide – ce n’est ni une base de données, ni un beau livre – et peut être emporté lors de visites sur le terrain. Les recherches ont été menées par une large équipe, et l’ouvrage a pour particularité de mettre le patrimoine culturel en relation avec les questions d’urbanisme. Dans les notices, outre les structures protégées par les lois pour la protection des monuments historiques, figurent également un certain nombre d’édifices protégés par le plan d’urbanisme, dont l’objectif est de déterminer le rôle de ces bâtiments, ou des zones urbaines, dans l’évolution structurelle de la ville. L’ouvrage poursuit les efforts réalisés au cours de la décennie précédente pour produire un inventaire des biens culturels et assurer leur protection, à travers la législation portant sur l’utilisation et l’occupation des sols, en s’appuyant sur une référence : la liste du patrimoine architectural du centre-ville coordonnée par Benedito L. Toledo et Carlos Lemos pour la Coordenadoria Geral de Planejamento liée à la municipalité15. Le découpage du guide de 1984 présentait d’abord les zones urbaines puis les différents bâtiments, non pas en fonction de leur emplacement dans cette zone mais selon leur typologie (édifices religieux, résidences familiales privées, etc.). En dépit des propositions répétées pour poursuivre les recherches et les révisions du volume, cet ouvrage est demeuré une initiative isolée jusqu’en 2012. Les notices sont complétées par une carte indiquant la situation géographique des édifices (ce qui n’est pas le cas dans les bases de données des organismes de protection), une image (ou plusieurs) et un texte bien plus long par comparaison avec les ouvrages précédemment analysés. En revanche, certains problèmes se font tout de même ressentir pour ce qui concerne l’église d’Embu (qui se trouve dans la région métropolitaine de São Paulo) : malgré une description architecturale plus étendue, l’intervention de restauration n’est absolument pas mentionnée. Les données présentées pour l’Estação da Luz sont plus succinctes et ne comportent pas d’analyse de la composition architecturale ; seul l’incendie de 1946 est mentionné.

11 Dans le guide plus récent publié par le Departamento do Patrimônio Histórico da Secretaria de Cultura do Município de São Paulo, achevé en 2012, deux cents biens culturels de toute sorte protégés par la législation municipale ont été sélectionnés, dont des bâtiments, des ensembles, des jardins, des parcs, etc., afin de montrer – bien que partiellement – la diversité des éléments qui composent la ville. Le guide contient une carte avec les emplacements des sites, des données élémentaires et un texte qui tente de faire le lien entre le bien culturel et sa zone d’implantation, ainsi que le processus de transformation de la ville. C’est pourquoi il est découpé par zones urbaines et complété

Perspective, 2 | 2013 238

par une carte générale indiquant l’emplacement des monuments, qui sont ensuite présentés un par un16. L’Estação da Luz est analysé dans son contexte urbain, et les données sur le bâtiment sont suivies d’une brève description qui fait état des transformations subies en 2006, bien qu’elles ne soient pas examinées en profondeur.

12 Il convient de noter que les bâtiments de style éclectique au Brésil (particulièrement ceux de la moitié du XIXe siècle au début du XXe siècle), comme l’Estação da Luz de style victorien, ont dû attendre pour être considérés comme des biens patrimoniaux, en particulier par l’Iphan, qui a tardé à admettre ces manifestations comme dignes d’intérêt17. Cela a en outre eu une incidence sur quelques interventions de restauration : les bâtiments éclectiques sont souvent traités avec un certain manque de respect, étant toujours considérés, de manière anhistorique, comme des ouvrages « laids », sans rapport avec l’époque à laquelle ils ont été construits – alors que la longévité de l’éclectisme et des historicismes est un élément capital pour comprendre le Brésil dans la première moitié du XXe siècle – et dénués d’intérêt formel et historico- documentaire. Un autre aspect du problème tient au fait que les édifices les plus appréciés sont envisagés comme des formes archétypales, et non comme une partie intégrante de la dynamique constante de transformation qui s’inscrit dans le temps et l’espace. Dans les deux cas, nous constatons un manque de rigueur méthodologique, ce qui affecte la manière dont la production architecturale contemporaine s’articule avec les ouvrages du passé. Il est intéressant de noter que le système de classification de 1937, en plusieurs livres de registre autonomes (beaux-arts, historique, etc.), n’a jamais été remis en question, ce qui aboutit en pratique à une hiérarchisation des biens culturels alors qu’ils devraient être égaux face à la loi sur le classement.

13 La rareté des guides d’architecture dans le pays est un autre fait très important ; les guides sur l’architecture de Rio de Janeiro promus par l’administration municipale représentent une des exceptions les plus remarquables. Ce sont des guides thématiques (quatre volumes spécifiques, chacun voué à des styles spécifiques)18, qui visent à sensibiliser le grand public au patrimoine architectural. Ces guides ne se limitent pas aux bâtiments protégés par la loi ; ils tentent de répertorier et de diffuser des informations sur un large éventail de constructions, chacun d’eux étant articulé autour de parcours dans différents quartiers de la ville. Malgré la concision des notices, celles- ci contiennent une analyse de la composition architecturale, sans se contenter d’une simple description et d’une liste des événements historiques.

14 De manière générale, la documentation sur le patrimoine du Brésil est avant tout informative, contenant des données factuelles et, plus rarement, une analyse architecturale. De toute évidence, les débats portant sur l’historiographie ainsi que sur la protection du patrimoine n’ont pas encore eu de répercussion sur l’élaboration de la plupart de ces guides et inventaires. Les analyses formelles des biens culturels sont rares, et ils font l’impasse sur les transformations qu’ils ont subies, ce qui révèle les difficultés à situer ces édifices dans le temps et dans l’espace. Toutefois, le regain d’intérêt constaté depuis 2000 à propos des questions liées au patrimoine culturel immatériel et aux paysages culturels ne saurait manquer d’entraîner une évolution de ces guides, pour l’heure essentiellement centrés sur l’architecture.

Perspective, 2 | 2013 239

NOTES

1. Concernant les premières mesures visant à créer un système de protection et la mise en place de l’agence fédérale, voir Maria C. Londres Fonseca, O Patrimônio em Processo: trajetória da política federal de preservação no Brasil, Rio de Janeiro, 1997. 2. Voir Marly Rodrigues, Imagens do passado: a instituição do patrimônio em São Paulo: 1969-1987, São Paulo, 2000. 3. Voir les archives en ligne : www.iphan.gov.br/ans/inicial.htm (consulté le 15 novembre 2013). 4. Cette liste peut-être consultée sur le portail de l’Iphan (http://portal.iphan.gov.br) en cliquant sur « Patrimônio Cultural », « Patrimônio Material », « Bens Tombados », et en allant enfin sur le lien « Consulte também o guia de bens tombados », mis à jour en 2012 (consulté le 15 novembre 2013). 5. Les titres de la collection Roteiros do Patrimônio disponibles en ligne sont : Fortes e Fortalezas da Bahia et As Fortalezas e a Defesa de Salvador de Mario Mendonça (2008) ; Art Nouveau em Belém de Célia Coelho Bassaio (2008) ; Largos, Coretos e Praças de Belém d’Elizabeth Soares (2009). 6. Paulo Ormindo D. de Azevedo, Vivian Lene R. Correia Lima éd., IPAC-BA: Inventário de Proteção do Acervo Cultural, Salvador, 1984. 7. Concernant les inventaires dans le pays, voir Marcos Olender , « Uma medicina doce do patrimônio, O inventário como instrumento de proteção do patrimônio cultural – limites e problematizações », dans Arquitextos, 11, 2010, publié en ligne : http://vitruvius.com.br/revistas/ read/arquitextos/11.124/3546 (consulté le 15 novembre 2013). 8. Hannah Levy, « Valor Artístico e Valor Histórico: Importante problema da História da Arte », dans Revista do Serviço do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional, 4, 1940, p. 191-192. 9. Pour l’analyse de certaines interventions de restauration et la bibliographie afférente, voir Cristiane Gonçalves, Restauração arquitetônica: a experiência do SPHAN em São Paulo, 1937-1975, São Paulo, 2007. 10. Le Brésil a connu une période de dictature militaire entre 1964 et 1985. Pour des discussions sur le renouveau des débats historiographiques au Brésil, et la bibliographie afférente, voir Flávia B. Nascimento, Blocos de memórias: habitação social, arquitetura moderna e patrimônio cultural, thèse, Universidade de São Paulo, 2011, p. 87-135 ; José C. T. Lira, « Do outro lado do projeto: Reflexões para o desenho da História », dans Seminário de Ensino da Arquitetura e Urbanismo, São Paulo, 2007, p. 85-97. 11. Patrimônio da metrópole paulistana, São Paulo, 2010, incluant des textes de Margarida C. Gordinho. 12. Pour une analyse de l’édifice et des controverses à son sujet, voir Gonçalves, 2007, cité n. 9, p. 137-158. 13. Pour l’analyse de l’intervention, voir Beatriz Mugayar Kühl, Preservação do Patrimônio Arquitetônico da Industrialização, Cotia, 2009, p. 181-197. 14. La recherche de données doit être effectuée sur le site du secrétariat à la Culture de l’État de São Paulo (http://www.cultura.sp.gov.br) ; une fois dans la rubrique des biens inscrits comme monuments historiques par le Condephaat, la recherche doit être effectuée à partir du nom de la ville et de la structure historique. Dans le cas de l’Estação da Luz, à São Paulo, il faut aussi renseigner le quartier, c’est-à-dire Luz. 15. Pour une analyse des inventaires réalisés à cette époque à São Paulo, voir Paula R. de Andrade, O Patrimônio da cidade, mémoire, Universidade de São Paulo, 2012. 16. Guia de Bens Culturais da Cidade de São Paulo, São Paulo, 2012. L’étude a été menée par une équipe coordonnée par l’historien Marly Rodrigues, qui a produit un travail minutieux en dépit des modifications imposées lors de la phase finale de publication.

Perspective, 2 | 2013 240

17. Depuis le début, cependant, l’Iphan a apporté sa protection aux édifices modernes, et il faut rappeler que Lúcio Costa a dirigé le département des études et du classement de l’agence pendant près de trente ans. Citons parmi les exemples l’église de São Francisco da Pampulha à Belo Horizonte, une œuvre d’Oscar Niemeyer commencée en 1943, inscrite comme monument historique en 1947 avant même sa consécration (1959), et le bâtiment du ministère de l’Éducation et de la Santé (1937-1943), créé par une équipe dirigée par Lúcio Costa lui-même, et inscrit comme monument historique en 1948. Voir Claudia S. R. Carvalho, Preservação da arquitetura moderna, thèse, Universidade de São Paulo, 2006. 18. Les différents styles sont: « Arquitetura Colonial, Neoclássica e Romântica » ; « Arquitetura Eclética » ; « Arquitetura Art Déco » ; « Arquitetura Moderna ». Voir, par exemple, Guia da Arquitetura Colonial, Neoclássica e Romântica no Rio de Janeiro, Rio de Janeiro, 2001.

INDEX

Mots-clés : architecture, conservation, guide du patrimoine, inventaire, monument historique, législation Index géographique : Brésil, São Paulo (État), São Paulo Keywords : cultural heritage guide, register of historic places, legislation, architecture, preservation Index chronologique : 1800, 1900, 2000

AUTEURS

BEATRIZ MUGAYAR KÜHL Faculdade de Arquitetura e Urbanismo, Universidade de São Paulo

Perspective, 2 | 2013 241

Un paysage en construction : les revues et l’histoire de l’art au Brésil Constructing a field: journals and art history in Brazil

Elaine Dias Traduction : Carlos Spilak

1 Les revues consacrées à l’histoire de l’art n’ont fait leur apparition au Brésil qu’assez récemment, au cours du XXe siècle, et ce dans des cadres majoritairement institutionnels. Trouvant leur origine dans différents contextes, les revues se sont développées dans les musées, au sein des cursus universitaires de deuxième et troisième cycles en histoire de l’art ou en arts visuels, ou dans des programmes de recherche spécifique, généralement entrepris au sein des universités.

2 Dans les deux derniers cas, les revues se distinguent par leur diversité et publient des articles sur des domaines aussi variés que l’histoire de l’art, la création artistique, l’archéologie, la critique et la théorie de l’art, et l’histoire culturelle. Ces publications reflètent la nature même des cursus universitaires auxquels elles sont liées. En effet, les études sur l’art ont d’abord été rattachées aux programmes en arts visuels, en histoire, puis dans un second temps, vers les années 2000, dans ceux uniquement consacrés à l’histoire de l’art. Cette dernière a ainsi trouvé aussi sa place dans le panorama des disciplines universitaires des sciences humaines et sociales brésiliennes par la création de plusieurs cursus universitaires qui lui sont exclusivement dédiés, notamment un premier cycle dans les États de Rio de Janeiro, São Paulo, Rio Grande do Sul et à Brasília1. Cette autonomie de la discipline a permis la naissance de revues, et plus généralement de publications spécialisées. S’il est patent que la plupart des publications se trouvent dans les institutions du sud-est et du sud du pays, on remarque l’apparition de revues spécialisées dans d’autres régions brésiliennes.

3 Pour ce qui concerne les revues présentées ici, la sélection s’est fondée sur plusieurs critères : les affiliations de certaines d’entre elles à la recherche individuelle et collective ou bien celles associées aux universités où se trouvent les programmes de deuxième et troisième cycles. La question de la régularité des numéros a contribué à notre sélection, tandis que certaines revues, créées dans le cadre de musées engagés

Perspective, 2 | 2013 242

dans la discussion théorique des objets artistiques, ont également retenu notre attention. Bien que d’autres publications importantes existent au Brésil, nous avons préféré présenter dans ce cadre un petit échantillonnage de revues dans certaines régions et universités brésiliennes. Si ces revues existent depuis peu de temps, lorsqu’on les compare à leurs équivalents européens, les écrits relevant de l’histoire de l’art brésilien et international ont surgi plus tôt, au XIXe siècle.

Les écrits d’histoire d’art dans les revues brésiliennes : origines et développement

4 L’artiste et homme de lettres Manuel de Araújo Porto-Alegre fut le premier à publier un article sur la situation artistique brésilienne, dans son « Résumé de l’histoire de la littérature, des sciences et des arts au Brésil ». Cet article parut dans le Journal de l’Institut historique, à Paris, en 1834, après une conférence donnée dans cette institution. Par la suite, Porto-Alegre ne tarda pas à créer, toujours à Paris, la première revue de sciences, lettres et arts du Brésil Revista Nitheroy2 en partenariat avec des Brésiliens tels que Francisco Torres Homem et Gonçalves de Magalhães, ce dernier étant une personnalité de premier plan dans la constitution du courant littéraire indigéniste du romantisme au Brésil.

5 Porto-Alegre ouvrit les portes à d’autres publications sur le Brésil et sur son art. En 1841, il publia un long article sur l’histoire de l’art local, « Mémoire sur l’ancienne école ‘fluminense’ de peinture », dans une revue brésilienne consacrée à des sujets de différentes natures, la Revista do Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro, qui fut fondée dans le but principal d’alimenter la mémoire nationale. Les documents et les articles qu’elle publiait traitaient de sujets brésiliens aux niveaux social, économique, culturel, géographique et historique, tout en célébrant la singularité nationaliste de Pedro II, premier empereur né au Brésil. Dans son article de 1841, Porto-Alegre défendait auprès des lecteurs la nécessité de connaître « notre » culture visuelle et de reconnaître en la production des artistes brésiliens et métis un héritage artistique de maître Valentim, sculpteur et architecte mulâtre de la période coloniale brésilienne. Publié dans une revue indéniablement nationaliste, l’article essayait de construire et de légitimer l’histoire brésilienne en l’articulant à la production du pays. Dans cette même mouvance, Porto-Alegre a créé d’autres revues importantes dans le débat littéraire et artistique brésilien du XIXe siècle telles que Minerva Brasiliense, Lanterna Mágica et Guanabara, dans lesquelles nous trouvons des articles relevant de la critique d’art et les premiers arguments concernant la naissance d’une école artistique brésilienne fondée sur des racines européennes et nationales.

6 L’essor des expositions au XIXe siècle fut un nouveau point de ralliement pour les écrits sur l’art dans les revues et les journaux. Le Jornal do Commercio, par exemple, publia de nombreuses critiques des expositions et de l’école artistique brésilienne naissante, devenant ainsi le lieu où les rivalités entre artistes, les analyses de l’art international et le système académique pouvaient se répandre. À côté de ce journal et tout au long du siècle, on trouve des publications comme la Revista Ilustrada, fondée par le caricaturiste italien Angelo Agostini en 1876 et qui a circulé jusqu’en 1898. Très marquée par l’acidité de sa critique, notamment en politique, cette revue a joué un rôle significatif dans le domaine de l’histoire de l’art, des expositions et des revues. C’est dans cet univers qu’apparaît au premier plan Luis Gonzaga Duque Estrada, critique d’art, fondateur et

Perspective, 2 | 2013 243

directeur de plusieurs revues au tournant du XXe siècle. En plus d’écrire des articles sur l’art, la littérature et la vie sociale de la Belle époque carioca dans la revue Fon-Fon (créée en 1907 et active jusqu’en 1958), il a été également l’une des principales plumes de la revue Kosmos.

7 Au XXe siècle la contribution des critiques d’art dans les revues et journaux s’accrut. Par exemple, Mário de Andrade, Mário Pedrosa et Ferreira Gullar ont joué un rôle fondamental dans la compréhension de l’art moderne au Brésil. Parmi eux, Mário de Andrade, figure de premier plan dans l’histoire de la musique, de la littérature et de l’art moderne, a collaboré à plusieurs périodiques qui publiaient des articles d’histoire et de critique d’art, comme la revue Klaxon: mensário de Arte Moderna qui, malgré la brièveté de son existence (de mai 1922 à janvier 1923), a marqué les discussions sur le mouvement moderniste brésilien.

8 Mário de Andrade a également contribué à la fondation en 1937 de l’Instituto do Patrimônio Histórico e Artístico Nacional (Iphan), institution au sein de laquelle a été créée une revue de grande importance pour le débat sur patrimoine, l’art, les sciences sociales et l’histoire du Brésil. Malgré quelques interruptions, à partir des années de 1990, la Revista do Iphan a privilégié la parution de numéros thématiques traitant, entre autres, de la photographie (numéro 27), de l’anthropologie, de la mémoire et du patrimoine (numéro 31)3. Cette revue annuelle, qui compte trente-quatre numéros, a contribué de façon fondamentale à la connaissance de l’art brésilien à l’étranger, ainsi qu’au débat théorique animé par des historiens et des critiques.

9 Ces revues, dont l’origine remonte au XIXe siècle, ont eu pour objectif principal la connaissance et la légitimation intellectuelle de sujets culturels et artistiques du pays. Certaines d’entre elles se sont par la suite développées au cours du siècle suivant et ont rencontré un terrain favorable dans les universités, au sein de la recherche et dans les musées. L’institutionnalisation de ces revues a contribué à faire d’elles les premières voix de l’histoire de l’art brésilienne et/ou de l’histoire de l’art au Brésil. Les programmes de deuxième cycle en arts visuels, histoire et histoire de l’art ont fondé des revues spécifiques dans leurs domaines, accueillant les discussions sur la théorie de l’art, la création artistique et les débats nationaux et internationaux dans le champ de l’histoire de l’art. De même, certains musées ont fait de leurs revues des lieux de dialogue entre différents sujets et les objets de leurs collections. Cette introduction nous permet ainsi de mieux aborder la sélection des revues présentées ici.

Les revues de musées

10 Les annales des musées brésiliens sont une source importante de connaissance dans le domaine de l’histoire de l’art au Brésil. À ce titre, deux d’entre elles, en place depuis longtemps et toujours en activité, doivent être mentionnées.

Anais do Museu Paulista

11 Anais do Museu Paulista est la revue du Museu Paulista, crée en 1895, qui, depuis 1963, dépend de l’Universidade de São Paulo. Créée en 1922 par le directeur du musée, Affonso d’Escragnolle Taunay, l’objectif de cette publication était alors la diffusion du débat sur l’histoire nationale, dans le sillage de la création de quelques institutions et de publications, à l’occasion du premier centenaire de l’indépendance du Brésil. Sa

Perspective, 2 | 2013 244

publication fut interrompue entre 1938 et 1947 et reprise ensuite en se focalisant, dans un premier temps, sur l’histoire indigène et l’anthropologie, puis, à partir de 1993, sur l’histoire et la culture matérielle. Semestrielle divisée en six rubriques (dont « Estudos de Cultura Material », axe principal de la revue)4, elle est un moyen de diffusion et de débat important sur des recherches ayant trait surtout aux domaines de la culture matérielle et des musées, dont elle a fait sa spécialité, malgré la grande variété thématique qu’elle a développée tout au long de son histoire.

Anais do Museu Histórico Nacional

12 Créée en 1940 et éditée par la Imprensa Nacional, la revue Anais do Museu Histórico Nacional est une publication significative du domaine de l’histoire de l’art, de la culture matérielle et de la muséologie. Elle est rattachée au Museu Histórico Nacional de Rio de Janeiro, qui fut fondé en 1922 afin de préserver le patrimoine national. Elle est devenue un relais pour la diffusion de la culture brésilienne, quoiqu’en se concentrant naturellement sur l’étude des pièces de son fonds. Jusqu’en 1975, la revue a permis, à travers la publication régulière de seize numéros (chacun assez consistant), la diffusion des recherches sur l’art des XVIIIe et XIXe siècles. À côté d’articles sur des pièces conservées par le musée, d’autres traitent d’iconographie, du paysage carioca ou de la diffusion de la culture du Minas Gerais et d’autres États brésiliens. Notons le très intéressant volume paru en 1953 intitulé Documentário iconográfico de cidades e Monumentos do Brasil, dirigé par Gustavo Barroso (Anais do Museu Histórico Nacional, VII, 1953). Après une interruption de 1975 à 1995, la revue, dont les numéros sont disponibles en ligne5, publie désormais régulièrement des éditions en lien avec des événements historiques ou culturels – comme celui du bicentenaire de la naissance de l’empereur Pedro I (vol. 30, 1998) ou du 80e anniversaire de la création du Museu Histórico Nacional (vol. 34, 2002) –, en réorganisant ses articles selon des dossiers thématiques qui changent d’une livraison à l’autre – la photographie, les collections, l’architecture, parmi d’autres. L’histoire de l’art de la période coloniale jusqu’à l’époque de l’empire brésilien, ainsi que le fonds du musée, la muséologie, la numismatique et les genres artistiques sont les principaux sujets traités par cette revue.

Les revues universitaires

13 En raison de leur lien aux programmes d’études, les revues universitaires ayant trait à l’histoire de l’art jouent un rôle important dans les débats et la diffusion de la recherche nationale. La plupart des revues offrent une superposition de sujets et d’intérêts, un mélange d’arts visuels, d’histoire de l’art ou d’archéologie. Je ne saurai certainement pas rendre compte ici de toutes les revues parues dans le cadre d’un dialogue avec l’histoire de l’art au Brésil, mais je mettrai en valeur quelques-unes d’entre elles.

Porto Arte, Revista Valise

14 Créée en 1990 par le département des arts de l’Universidade Federal do Rio Grande do Sul à Porto Alegre, Porto Arte est l’une de premières revues universitaires liées à l’histoire de l’art. Semestrielle, elle publie des études sur la création artistique (y

Perspective, 2 | 2013 245

compris la musique, le théâtre, le cinéma), ainsi que des recherches en histoire de l’art, en arts visuels ou liées à la critique d’art6. Cette diversité s’explique notamment par les rapports qu’entretient la revue avec les départements de musique, d’arts dramatiques et d’arts visuels de l’université. La revue proposa, à partir de 1993, des dossiers thématiques en général organisées par un enseignant du cursus, et parfois en lien avec leurs recherches, afin d’élargir le débat à d’autres chercheurs et de stimuler les échanges au sein du département ; on notera par exemple celui sur la photographie et ses rapports avec les arts visuels dans le numéro 14 paru en 1997, ainsi que celui sur les questions de muséologie dans le numéro 20 de 2000. La revue se démarque par le profil de ses contributeurs : soulignons la présence de textes rédigés par des artistes chercheurs, ainsi que par des auteurs étrangers dont les articles sont traduits en portugais. Dans cette perspective, la revue comprend, à partir du numéro 21, des traductions en anglais d’articles en langue étrangère et leurs versions originales dans la rubrique « Caderno de Versões », intensifiant ainsi sa relation avec la scène internationale7. Par ailleurs, le département des arts a également vu naître en 2011, à l’initiative d’étudiants, la Revista Valise8.

Palíndromo

15 Dans l’État de Santa Catarina, au sud du Brésil, le département des arts visuels de l’Universidade do Estado de Santa Catarina publie la revue Palíndromo9. Créée en 2009, cette publication semestrielle traite dans chaque numéro d’une thématique précise issue des trois axes du département, à savoir l’enseignement de l’art, les processus artistiques contemporains et la théorie et l’histoire de l’art. Ce rapport direct avec la recherche, tout comme l’insertion d’entretiens avec des personnalités du monde des arts, lui confèrent une place particulière dans le champ des revues.

Arte&Ensaios, Concinnitas, Poiésis

16 Créée en 1994, la revue Arte&Ensaios est publiée dans le cadre du deuxième cycle en arts visuels de l’école des beaux-arts de l’Universidade Federal do Rio de Janeiro10. Elle présente des discussions théoriques, bibliographiques et artistiques, notamment sur la création artistique, à travers des recherches venant aussi bien des chercheurs de l’école des beaux-arts que d’auteurs étrangers. Parmi les différents types d’articles publiés, notons la rubrique « Reedição », qui offre la réédition de textes fondamentaux sur l’art (y compris des écrits d’artistes) épuisés ou peu accessibles au public. Une des particularités de la revue est sa collaboration, pour chaque numéro, avec un artiste, qui est invité à créer la couverture du numéro et qui fait l’objet d’un entretien. Cette formule, dont l’artiste Lygia Pape (ancienne enseignante à l’école des beaux-arts) fut l’instigatrice en 2005 (numéro 5), permet une interaction entre la création artistique et les textes publiés. Ce lien étroit est renforcé par la présence de la rubrique « Página Dupla », dans laquelle est reproduite une œuvre inédite d’un artiste invité.

17 Dans le sillage d’Arte&Ensaios, il faut citer la revue Concinnitas de l’Universidade Estadual do Rio de Janeiro, créée en 1996 et qui, depuis 2005, dépend du cursus de second degré en arts de cette université. Elle porte aussi sur la création artistique, la réflexion théorique des chercheurs nationaux et internationaux, ainsi que sur la publication de la recherche réalisée par les élèves de son cursus universitaire. La revue présente une

Perspective, 2 | 2013 246

structure similaire à celle de Arte&Ensaio, reproduisant notamment le travail d’un artiste dans la revue11.

18 Dans l’État de Rio de Janeiro, la revue semestrielle Poiésis a été lancée en 2000 en lien avec le programme d’études en arts contemporains de l’Universidade Federal Fluminense à Niterói. De manière singulière, chaque numéro propose en ouverture un dossier thématique dirigé par un chercheur invité, par exemple l’artiste et chercheur Elida Tessler (numéro 18, 2011) ou le professeur Andre Parente (numéro 12, 2008). En plus de la publication d’articles de chercheurs étrangers publiés dans une autre langue, la revue propose la reproduction de l’œuvre d’un artiste, à l’instar d’Arte&Ensaio. Les rubriques « DVD do Artista » et « Corpo do Poema » sont révélatrices de la variété des thèmes et des supports de la revue.

Ars

19 Un peu plus récente que les autres revues, Ars, publication issue de l’école de communication et des arts de l’Universidade de São Paulo, a été créée en 2003. Elle met l’accent sur les aspects théoriques de domaines comme la philosophie, la critique et l’histoire de l’art et se focalise sur les arts visuels et sur la création artistique, au sein et en dehors de l’université, tout en abordant la question interdisciplinaire, reflétant ainsi le département d’arts plastiques dont elle est issue. L’un de ses principaux objectifs est de stimuler le débat artistique et théorique, établissant ainsi des échanges avec le milieu créatif et intellectuel des arts. Son comité éditorial est composé de chercheurs des musées et des universités brésiliennes et étrangères.

ArtCultura, Revista Vis, Revista Cultural Visual

20 La revue ArtCultura: Revista de História, Cultura e Arte de l’institut d’histoire de l’Universidade Federale de Uberlândia, dans l’État du Minas Gerais, se consacre, comme son nom l’indique, aux domaines de l’histoire, de la culture et de l’art. Créée en 1999, cette publication semestrielle comprend, à partir de 2003, une rubrique « Dossiê », qui permet d’engager des débats autour d’un ou plusieurs sujets par différents auteurs.

21 Dans la région centre-ouest, la Revista Vis, fondée en 1999 au sein du département artistique de l’Universidade de Brasília, joue également un important rôle dans la réflexion sur les arts visuels, l’histoire de l’art et la création artistique, notamment dans le domaine artistique, technologique et numérique.

22 Dans l’État de Bahia, la Revista Cultural Visual, revue semestrielle, liée au programme d’arts visuels de l’Universidade Federal da Bahia, se définit également par son caractère pluridisciplinaire, publiant notamment des articles sur le design, l’un des axes de recherche universitaire. À ses côtés, on doit également remarquer la Revista de Arte Ohun, publiée exclusivement en ligne qui tend à stimuler la production de textes d’histoire de l’art, d’arts visuels et de design12.

Revista de História da Arte e Arqueologia

23 La Revista de História da Arte e Arqueologia de l’institut de philosophie et des sciences humaines de l’Universidade Estadual de Campinas (Unicamp) est la seule revue qui affiche explicitement son rattachement à l’histoire de l’art et à l’archéologie. Elle fut

Perspective, 2 | 2013 247

créée en 1994 par les professeurs historiens de l’art du centre d’histoire de l’art et d’archéologie de l’Unicamp, fondé la même année et qui fut une initiative importante pour la discipline. La revue publie semestriellement des travaux scientifiques réalisés par des spécialistes brésiliens et étrangers en vue de leur développement au Brésil, ainsi que des recherches développées à l’Unicamp, afin de les diffuser et de les faire dialoguer avec la production internationale. Dans la même optique, son comité éditorial est composé à la fois de chercheurs et d’enseignants brésiliens et étrangers, issus des principales institutions mondiales d’histoire de l’art et d’archéologie. Bien que les numéros varient dans leur structure, la revue a été pensée lors de sa création en cinq rubriques : « Artigos » présente des articles de recherche ; « Documentos » et « Referência » analysent des théories dans cette discipline ; « Resenhas Criticas » propose des comptes rendus ; enfin « Informes » fait état de l’actualité des sites archéologiques, des musées, des centres de recherche, des bibliothèques et des archives. La revue inclut la traduction des articles dans une autre langue, soit le portugais si l’article a été rédigé dans une langue étrangère, soit en anglais, français ou italien s’il a été rédigé en portugais. Cette revue constitue un espace de diffusion important pour la communauté brésilienne, et elle rend accessible les résultats de recherches effectuées dans d’autres universités brésiliennes. En plus de la version papier, les numéros plus anciens sont publiés en ligne sur le site du Centro de História da Arte e Arqueologia de l’Unicamp13.

La recherche comme moteur de création des revues

24 La création des revues a été depuis peu motivée par des initiatives personnelles d’intérêt commun ou par des groupes de recherche universitaires abordant des thématiques plus spécifiques. Ces revues viennent compléter le panorama des revues universitaires, en apportant une approche de spécialiste sur des concepts ou des périodes précis.

Figura: Studi sull’immagine nella Tradizione Classica

25 Figura: studi sull’immagine nella Tradizione Classica14, inaugurée en 2013, est une jeune revue en ligne qui porte sur la culture visuelle et textuelle classique et sur sa fortune critique. Elle trouve son origine dans le programme de recherche « Plus ultra: reception and cultural transfer of the classic art tradition between Mediterranean Europe and Latin America », dirigé par le professeur Luciano Migliaccio, de l’Universidade de São Paulo, avec le soutien de la Fundação de Amparo à Pesquisa do Estado de São Paulo. Dirigée par Luiz Marques (Unicamp) et Luciano Migliaccio, la revue accueille des publications, en plusieurs langues, concernant le domaine spécifique de la tradition classique et embrassant l’histoire de l’art, mais aussi l’archéologie, l’architecture, la littérature, la musique, la rhétorique, la philosophie et l’histoire de la religion.

Revista 19&20

26 Créée en 2006, Revista 19&2015 est essentiellement consacrée à l’art brésilien du XIXe siècle et du début du XXe siècle et fait partie intégrante du site Dezenovevinte sur l’art brésilien, créé de façon autonome par les historiens de l’art Camila Dazzi et Arthur

Perspective, 2 | 2013 248

Valle. Sa ligne éditoriale privilégie des textes qui abordent les arts visuels, l’architecture et les arts appliqués, la littérature artistique, l’enseignement des arts et les sources documentaires et primaires, parmi beaucoup d’autres. L’un des aspects les plus remarquables de la revue est la diffusion d’études sur l’art brésilien – quoiqu’elle publie, dans un nombre moindre, des études sur l’art étranger – de chercheurs nationaux, permettant ainsi d’établir un réseau qui connecte les universités les plus éloignées du pays, en plus de présenter des contributions d’historiens de l’art internationaux. Elle est devenue une revue de référence pour la publication d’études sur l’art brésilien de cette période et organise désormais un colloque biennal, d’égale importance pour ce domaine.

27 Bien que l’on trouve dans la plupart des revues décrites un nombre significatif de textes consacrés à l’art brésilien, ces publications révèlent l’importance d’articles sur la création artistique internationale et sur la théorie de l’art en général, en plus de la présence constante de divers domaines tels que la photographie, le cinéma, la peinture, etc. Les revues brésiliennes sont caractéristiques des nombreux cursus universitaires brésiliens liés à l’histoire de l’art, ainsi que des musées, mais aussi de groupes de recherche spécifiques, ce qui en fait un vecteur important de la diffusion des recherches au Brésil.

NOTES

1. Voici quelques dates de création des licences en histoire de l’art au Brésil : 2007 pour l’Universidade do Estado do Rio de Janeiro ; 2009 pour l’Universidade Federal de São Paulo ; 2009 pour l’Universidade Federal do Rio de Janeiro ; 2010 pour l’Universidade Federal do Rio Grande do Sul ; 2012 pour l’Universidade de Brasília. 2. Le titre vient de Niterói, ville située dans la région métropolitaine de Rio de Janeiro. En tupi guarani, ce toponyme fait référence aux eaux fraîches de la baie. 3. L’intégralité des sommaires de la Revista do Iphan est disponible en ligne : http:// portal.iphan.gov.br/portal/montarPaginaSecao.do? id=17881&sigla=Institucional&retorno=paginaInstitucional (consulté le 20 novembre 2013). 4. Chaque numéro est d’abord publié en ligne : www.scielo.br/scielo.php? script=sci_serial&pid=0101-4714 (consulté le 15 novembre 2013) et ensuite sur papier. 5. Les numéros sont disponibles sur le site de la bibliothèque numérique du musée : www.docpro.com.br/mhn/bibliotecadigital.html (consulté le 15 novembre 2013). 6. Voir la version numérique de Porto Arte : http://seer.ufrgs.br/index.php/PortoArte/index (consulté le 15 novembre 2013). 7. Sur l’histoire de la revue, voir Blanca Brites, « Revista Porto Arte. Uma biografia autorizada », dans Porto Arte, 19/33, novembre 2012. 8. Voir la version numérique de Revista Valise : http://seer.ufrgs.br/RevistaValise (consulté le 15 novembre 2013).

Perspective, 2 | 2013 249

9. Voir la version numérique de Palíndromo : www.revistas.udesc.br/index.php/palindromo (consulté le 15 novembre 2013). 10. Annuelle jusqu’en 2006, la parution devient semestrielle à partir de 2007. Les numéros plus récents sont disponibles en la version numérique : www.ppgav.eba.ufrj.br/producao-academica/ arte-ensaios/ (consulté le 15 novembre 2013). Maria Luisa Távora et Ana Cavalcanti ont écrit une courte histoire de la revue dans un texte intitulé « Projeto Revista Arte&Ensaios – Edição Semestral » qui a été diffusé au sein de l’Escola de Belas Artes. 11. Entre 2007 et 2012 (dernier numéro publié), la revue est parue semestriellement, tandis qu’elle paraissait annuellement depuis sa création jusqu’en 2007. Tous les numéros sont disponibles sur le site internet de la revue (http://concinnitas.kinghost.net), mais sont également publiés en version papier. 12. Voir le site : www.revistaohun.ufba.br/ (consulté le 15 novembre 2013). 13. Voir la version numérique de la Revista de História da Arte e Arqueologia : www.unicamp.br/ chaa/rhaa/ (consulté le 15 novembre 2015). 14. Voir le site : http://figura.art.br/revista/ (consulté le 15 novembre 2013). 15. Voir le site : www.dezenovevinte.net/19e20/sobre_19e20.htm (consulté le 15 novembre 2013). Paraissant trois fois par an jusqu’en 2007, elle est aujourd’hui trimestrielle.

INDEX

Keywords : cultural history, digital resource, journal, museum, university, visual arts Mots-clés : arts visuels, histoire culturelle, musée, ressource numérique, revue, université Index géographique : Brésil Index chronologique : 1800, 1900, 2000

AUTEURS

ELAINE DIAS Universidade Federal de São Paulo

Perspective, 2 | 2013 250

Selected online resources Ressources numériques

Alexander Gaiotto Miyoshi

1 There are few institutions wholly devoted to art history in Brazil, although many initiatives, such as web communities and study groups, are increasingly taking the matter in different ways. Of course this selection, made mostly according to the online resources provided related to the subject, including art museums and connected activities, does not exhaust the wide range of approaches adopted by the electronic resources available. This selection is not intended as the very best or even the most consistent one. Arranged by topic and in chronological order of institutional creation, it is only a partial reference to the growing art-historical discipline in Brazil.

Associations

2 – Associação Brasileira de Críticos de Arte (ABCA) www.abca.art.br (in Portuguese and eventually English) Created in Rio de Janeiro in 1949 following the establishment of the Association internationale des critiques d’art (AICA) in Paris, the Brazilian Art Critics Association’s headquarters are currently located in São Paulo. The website advises that the activities of ABCA comprise “regional, national, and international seminars, the edition of its Journal [...] the organization of its archive, the publication of the ‘Crítica de Arte’ Collection, and studies of its Art Criticism Laboratory.” The ABCA also organizes an annual prize awarded to art critics, artists, and personalities, and its Journal has been published online since December 2012 (http://abca.art.br/jornalabca_n26.html).

3 – Associação Brasileira de Museologia (ABM) www.museologia.org.br (in Portuguese) Although related to museums in general, the website of the Brazilian Association of Museums provides a relevant space for news and updated information on art museums and art history in Brazil. The ABM was founded in 1963 with the purpose of bringing together museum professionals and individuals interested in museum studies.

Perspective, 2 | 2013 251

4 – Comitê Brasileiro de História da Arte (CBHA) www.cbha.art.br (in Portuguese) The Brazilian Committee of Art History was founded in 1972 as an association of researchers dedicated to the study of Brazilian and international art. Its website provides links to the annual thematic seminar organized by the CBHA since the early 2000s (www.cbha.art.br/coloquios_anteriores.html). From there, it is possible to download a number of the papers presented at the seminars.

5 – Sociedade de Arqueologia Brasileira (SAB) www.sabnet.com.br (in Portuguese) The Brazilian Archaeology Society began its activities in 1980. Nowadays the SAB has two periodicals, Arqueologia em Debate and the Revista de Arqueologia. The first one is a small bulletin available at http://sabnet.com.br/jornal, while the Revista de Arqueologia, the society’s official journal, was founded in 1983 to publish Brazilian and foreign contributions. Issues are available in PDF format at http://sabnet.com.br/revista.

6 – Associação Nacional de Pesquisadores em Artes Plásticas (ANPAP) www.anpap.org.br (in Portuguese) Established in 1987, the National Association of Researchers in Fine Arts draws together professionals in different fields. One of its five committees is devoted to art history, theory, and criticism. Every year ANPAP organizes a meeting in a preselected Brazilian city. The website furnishes information on subjects debated in the meetings since its foundation and also links to the papers presented (www.anpap.org.br/anais.html).

Libraries and Archives

7 – Biblioteca Nacional www.bn.br (in Portuguese) http://bndigital.bn.br (digital collection, in Portuguese) Roughly 9 million items make up the collection of Brazil’s major library. Its collection of visual materials is significant, namely the important collection that formerly belonged to the emperor of Brazil, Dom Pedro II. The roughly 100,000 books and objects from the Royal Library, including maps, scores, drawings, photographs, and engravings, were donated to the BN by Pedro II after 1889, the first year of the Brazilian Republic. Almost 23,000 photographs – one of the emperor’s favored media – were integrated into the Thereza Christina Collection, thus named in homage to the empress. According to the BN website, its holdings of nineteenth-century photographs from Brazil, Africa, Europe, and North America are the best in the country and “portray the reality of the period and reflect the personality of the emperor and his interests.” A distinctive example is the “Collecção de 44 Vistas Photographicas da Estrada de Ferro D. Pedro 2,” with views from the 1880s taken around the Railway D. Pedro II (http:// objdigital.bn.br/acervo_digital/div_iconografia/icon381909/galeria/index.htm).

8 – Biblioteca Mario de Andrade www.prefeitura.sp.gov.br/cidade/secretarias/cultura/bma (in Portuguese) www.prefeitura.sp.gov.br/cidade/secretarias/cultura/bma/tesouros_da_cidade (digital collection, in Portuguese) Founded as the São Paulo Municipal Library in 1925, the BMA is the second major public library in Brazil. The hemerotheque has nearly 12,000 titles of newspapers and journals from the nineteenth century to the present. The map collection contains about

Perspective, 2 | 2013 252

7,000 items, including remarkable manuscript plans of many Brazilian regions dating from the late eighteenth century. Urban drawings of São Paulo from between 1810 and 1870 are also available for research. In addition, the Sérgio Milliet Hall houses over 29,000 books and 10,000 periodicals specialized in art, as well as about 3,000 documents such as calendars, invitations, exhibition catalogs, posters, and artistic reproductions.

9 – Arquivo Público do Estado de São Paulo www.arquivoestado.sp.gov.br (in Portuguese) The Public Archive of the State of São Paulo has an iconographic and cartographic collection with nearly 1.5 million images, including photographs, illustrations, maps, and urban drawings, primarily from the twentieth century. A portion of those images, such as the Guilherme Gaensly photographic collection, has been digitized and is available on the Public Archive website, (www.arquivoestado.sp.gov.br/ guilherme_gaensly.php).

Art Museums, Institutes, and Projects

10 – Pinacoteca do Estado de São Paulo www.pinacoteca.org.br (in Portuguese, English, and Spanish) Among the most vibrant art institutes in Brazil the Pinacoteca do Estado occupies two buildings in the neighborhood of Luz, in São Paulo. Though officially inaugurated in 1905, the painting collection was begun around 1893 with paintings thematically connected to the history of the state of São Paulo. One of its buildings houses the Estação Pinacoteca, which mostly shows modern and contemporary art but also features a memorial on resistence to the Brazilian military dictatorship. The other building, beside the Luz Park, contains the main collections and exhibitions of the Pinacoteca. Lastly, it is worth noting the web pages of the “Museu para Todos” (www.museuparatodos.com.br), an initiative of the Pinacoteca’s art-education division to promote pedagogic activities linked to the institution.

11 – Museu Nacional de Belas Artes (MNBA) http://www.mnba.gov.br/2_colecoes/colecoes.htm (in Portuguese) Containing the art collection that belonged to the National School of Fine Arts, the National Museum of Fine Arts was founded in 1937 and is situated in Rio de Janeiro. Poor and puzzled, the MNBA website unfortunately does not reflect the importance of its collections and activities.

12 – Museu de Arte de São Paulo Assis Chateaubriand (MASP) www.masp.art.br (in Portuguese) Founded in 1947 and located in an emblematic building designed by the architect Lina Bo Bardi, the most important Brazilian art collection has around 8,000 pieces, including exceptional paintings by Raphael, Mantegna, Titian, Goya, Poussin, Delacroix, Van Gogh, and a selection of French Impressionist works. The highlights are displayed on the internet, accompanied by information on them.

13 – Museu de Arte Moderna de São Paulo (MAM-SP) www.mam.org.br (in Portuguese and English) Inside the Ibirapuera Park in São Paulo city, the Museum of Modern Art has a dynamic and varied program of public outreach. The MAM’s well-organized and very complete website provides links to the associations and the collectors club (engraving, photography, and design), and to information on the collection. MAM-SP was created

Perspective, 2 | 2013 253

in 1948, but the modern artworks were later moved to the MAC-USP (see entry), and the MAM-SP had to start a new collection, mostly of contemporary art.

14 – Museu Victor Meirelles www.museuvictormeirelles.gov.br (in Portuguese) Victor Meirelles de Lima was the first great painter from Brazil. The house where he was born in Florianópolis has been the museum’s headquarters since 1956. It holds paintings, drawings, and watercolors by Meirelles, as well as works by artists from the twentieth and twenty-first centuries. The website offers a range of images, texts, and information related not only to Meirelles but also to art and museums in general. The e-magazine Ventilando Acervos ( www.museuvictormeirelles.gov.br/revista-eletronica- ventilando-acervos) is promoting knowledge on the management of museum collections.

15 – Museu de Arte do Rio Grande do Sul Ado Malagoli (MARGS) www.margs.rs.gov.br (in Portuguese) The MARGS is sited in Porto Alegre city and was inaugurated in 1957 with a retrospective on the painter Pedro Weingärtner. The museum has roughly 2,700 works in large part made by gaúcho Brazilian artists but also including works by Rosa Bonheur, Henry Geoffroy, and Käthe Kollwitz, among others. Since the beginning, MARGS has recorded its activities and art criticism in its own journals. One of them is the Jornal do MARGS, published as a paper magazine since 1993 and online since 2008 (www.margs.rs.gov.br/revista_baixar.php).

16 – Museu de Arte Sacra de Salvador www.mas.ufba.br (in Portuguese) The Luso-Brazilian sculptures in gold, silver, ivory, wood, and terracotta are some of the treasures in the Sacred Art Museum in Salvador. It was inaugurated as part of the University of Bahia in 1959. The website has links to the museum highlights and offers information on the institutional history, its collection and the architecture of Santa Teresa d’Ávila church, a seventeenth-century building and the headquarters of the museum.

17 – Museu de Arte Moderna da Bahia www.mam.ba.gov.br (in Portuguese) The Museum of Modern Art of Bahia is located in the Solar do Unhão, a seventeenth- century complex along the shore in Salvador, rehabilitated by Lina Bo Bardi’s architectural project. Founded in the early 1960s (at the current address from 1966), the MAM-BA has a collection of paintings, sculptures, photographs, and drawings by Brazilian modern and contemporary artists of which a portion is available online.

18 – Fundação Bienal de São Paulo www.bienal.org.br (in Portuguese and English) The São Paulo Biennial Foundation was created in 1962 to support one of the most important international events on contemporary art. All the biennial catalogs are available on the website (), which also offers useful links to a constantly updated historical archive, including the following dossiers with photographs and documents: Guernica in the second biennial (www.bienal.org.br/FBSP/pt/AHWS/blog/post_.aspx? post=37), Fluxus (www.bienal.org.br/FBSP/pt/AHWS/blog/post.aspx?post=106), and Keith Harring (www.bienal.org.br/FBSP/pt/AHWS/blog/post.aspx?post=24) both in the seventeenth biennial.

Perspective, 2 | 2013 254

19 – MAC-USP – Museu de Arte Contemporânea da Universidade de São Paulo www.mac.usp.br (in Portuguese) Distributed in three buildings (one at the Ibirapuera Park and two at the São Paulo University campus, both in São Paulo), the Museum of Contemporary Art was formed in 1963 from the Francisco Mattarazzo Sobrinho collection, formerly part of the MAM-SP (see entry), and which comprises nearly 10,000 works of modern and contemporary art including a wide range of Italian painting from twentieth century, the only one self- portrait by Amedeo Modigliani, and the original plaster of the Unique Forms of Continuity in Space by Umberto Boccioni. The MAC-USP online resources present images and information on the collection, as well as the activities and the events developed by the museum.

20 – Museu Lasar Segall www.museusegall.org.br (in Portuguese, English, and Spanish) Installed in 1967 in the artist Lasar Segall’s former atelier and residence, the museum holds over 3,000 items, including 71 paintings, 70 sculptures, 386 engravings, and 2,481 drawings by the artist. The main goal of the institution, according to its website, “is to preserve and study the work of Lasar Segall, and make it known by promoting exhibitions and publications.” Beyond that, however, it offers courses in printmaking, photography, literature, in addition to other educational activities. The website shows part of its collection, as well as art historical and critical texts.

21 – Museu de Arte Sacra de São Paulo www.museuartesacra.org.br (in Portuguese) The Sacred Art Museum of São Paulo was founded in 1970 and houses one of the most important collections of religious art in Brazil, with pieces from old churches. The collection includes works by Brazilian and foreign artists produced from the sixteenth century, such as Aleijadinho, Frei Agostinho da Piedade, Frei Agostinho de Jesus, Mestre Valentim, Mestre Athayde, Almeida Júnior, Benedito Calixto, and Anita Malfatti. The website provides information on the museum’s history, its collection, and its events.

22 – Museu de Arte Contemporânea do Paraná www.mac.pr.gov.br (in Portuguese) At Curitiba city, the Museum of Contemporary Art of Paraná was created in early seventies. In addition to collecting and preserving artworks, the MAC-PR is dedicated to art education and the promotion of new artists through the important Salão Paranaense, sponsored by MAC since 1970. Its web resources link to information on both the collection and the museum’s activities.

23 – Museu D. João VI www.museu.eba.ufrj.br (in Portuguese) Inaugurated in 1979, the D. João VI Museum belongs to the University of Rio de Janeiro, UFRJ, and gathers collections of the School of Fine Arts and its Historical Archives. It houses particularly the artistic and architectural production (painting, sculpture, ornaments, medals, drawings, etc.) as well as documentation related to the pensioners of the School, mostly from nineteenth century. The website offers access to visuals of the collection.

24 – Projeto Cândido Portinari www.portinari.org.br (in Portuguese) In 1979, Cândido Portinari’s son João Candido started this project is, which still directed

Perspective, 2 | 2013 255

by him. The Portinari Project is totally dedicated to the work of the most widely-known Brazilian painter, with the support of a large number of researchers and sponsors.

25 – Fundação Nemirovsky www.nemirovsky.org.br/v2/index.php (in Portuguese) Currently displayed at the Estação Pinacoteca (see entry), the José and Paulina Nemirovsky Foundation was created in 1987 to preserve and promote the artworks collected by the couple. Besides nearly 300 items, including drawings, gouaches, watercolors, prints, sculptures and paintings (Antropofagia by Tarsila do Amaral is one of them), the Foundation houses the Centro de Referência de Arte Moderna Brasileira to assist researchers and encourage the study of collecting in Brazil.

26 – Instituto Lina Bo e Pietro Maria Bardi www.institutobardi.com.br (in Portuguese) Founded by Lina Bo e P. M. Bardi in 1990, the ILBPMB promotes study and research on Brazilian culture, especially in architecture, art and design. The ILBPMB is placed in São Paulo in the “House of Glass” designed by Bo Bardi and built in 1951. The website was recently remodeled to show part of Bo Bardi’s works and documents in digital format.

27 – Fundação Iberê Camargo www.iberecamargo.org.br (in Portuguese) The foundation in honor of the painter Camargo was created in 1995 in his former residence in Porto Alegre; it is now is housed in a prized building designed by the Portuguese architect Álvaro Siza. The aim of the FIC is to preserve, organize, and promote the work of Camargo, as well as art and cultural activities more generally. The website has links to the digital collection and the offers the possibility of downloading educational material, as well as the magazine Lugares (www.iberecamargo.org.br/site/ revista-lugares/default.aspx).

28 – Projeto Leonilson www.projetoleonilson.com.br (in Portuguese) Leonilson, an artist prominent in the 1980s, was born in Fortaleza, in 1957, and passed away in 1993. Part of his artistic production is housed in São Paulo, where the Leonilson Project has worked since 1995. The Project has catalogued some 3,000 items, and almost 2,500 images were digitalized. The website promotes Leonilson’s legacy, showing pictures, bibliography, and texts by and on the artist.

29 – Fundação Bienal do Mercosul http://bienalmercosul.org.br (in Portuguese, English, and Spanish) Established in 1996 in Porto Alegre to promote the Mercosul Biennial, this private non- profit institution is devoted to Latin American contemporary art. The events and activities are provided to the public free of charge. In addition to news related to the Mercosul Biennial, its website has links to information on previous biennials, digital photo galleries, and a guide to public art in Porto Alegre.

30 – MUnA – Museu Universitário de Arte www.muna.ufu.br (in Portuguese) The Museum of Art of the University of Uberlândia was founded in 1996 and has a small collection of contemporary art, specially engravings. The MUnA has a dedicated building in the oldest part of Uberlândia and frequently shows works of Brazilian and foreign artists. The museum is the only one devoted to art in the region and also

Perspective, 2 | 2013 256

contains an important lab for university students, professors, and researchers. Its website shows part of its collection and exhibitions since 2006.

31 – Inhotim – Instituto de Arte Contemporânea e Jardim Botânico www.inhotim.org.br (in Portuguese and English) This outdoor museum houses one of the most important contemporary art collections in Brazil. Situated in Brumadinho in 97 hectare area includes a botanical garden by the landscape design agency of Roberto Burle Marx, the Inhotim Institute was founded in 2002 and holds nearly 500 works by artists from different nationalities, especially Brazilian, from the 1960s to the present. Artworks by Cildo Meirelles, Tunga, and Adriana Varejão, for example, are exhibited inside pavilions, while sculptures are distributed throughout the park. The website shows part of the collection with short explanations on some artworks.

32 – Museu Afro Brasil www.museuafrobrasil.org.br (in Portuguese) The Museu Afro Brasil, located in São Paulo, is dedicated to the research, conservation, and exhibition of works related to the Afro-Brazilian population and its history and cultural influences. With more than 5,000 objects from the fifteenth century to the present, the MAB was inaugurated in 2004, and its website has images and texts from permanent, temporary, and traveling exhibitions.

33 – Projeto Eliseu Visconti www.eliseuvisconti.com.br (in Portuguese) Eliseu d’Angelo Visconti was one of the most important painters in Brazil in the early twentieth century. In 2005, his grandson Tobias Visconti, in conjunction with art historians, officially launched this project. Numerous images (an efficient catalogue, photographs, etc.), accompanied by accurate information, can be seen on the website.

Research Centers, Study Groups, and related organizations

34 –Centro de História da Arte e Arqueologia (CHAA) www.unicamp.br/chaa (in Portuguese) The Center for Art History and Archaeology was created in 1994 to support studies in both fields, at the History Department of the University of Campinas, Unicamp, and widely present on the internet from 2009 on. The CHAA develops projects such as the biannual Journal of Art History and Archaeology (see entry RHAA), the Art History Meeting (Encontro de História da Arte, EHA) organized annually at Unicamp since 2004 (every paper presented is available at www.unicamp.br/chaa/eha/atas.htm), and Warburg (see entry), an interactive online database begun in 2013. CHAA also promotes exchanges between researchers and international institutions, besides classes and lectures in Unicamp by art historians and critics from outside of Brazil.

35 – Canal Contemporâneo www.canalcontemporaneo.art.br (in Portuguese) A digital community with online publication on Brazilian contemporary art: that is how Canal Contemporâneo designates itself. Its first initiative was the e-bulletin e-nforme, created in 2000 to archive and share knowledge on contemporary art, and the same

Perspective, 2 | 2013 257

principles now sustain its different web modules: e-bulletins, blogs, forums, portfolios, and art calendar.

36 – Fórum Permanente: Museus de Arte; entre o público e o privado www.forumpermanente.org (in Portuguese) The Fórum Permanente has functioned since 2003 as a cultural association that mediates the relationship between what it calls the system of contemporary art – including universities since Fórum is linked to the Communication and Arts School of the University of São Paulo, ECA-USP – and the public. The website refers to the Fórum as “an agora, a laboratory-museum, a magazine, a living archive”, where textual and video records are available.

Journals and Periodicals

37 – Arte & Ensaios www.ppgav.eba.ufrj.br/producao-academica/arte-ensaios (in Portuguese) The Post-Graduate Program in Visual Arts of the University of Rio de Janeiro, UFRJ, organises the journal Arte & Ensaios since 1993. Addressed to the academic-scientific community with broad institutional diversity of authorship, including international authors, a paper edition of the journal is published every semester, while the website offers access to a free online versions of previous issues.

38 – Revista de História da Arte e Arqueologia (RHAA) www.unicamp.br/chaa/rhaa (in Portuguese and various languages) Since it was sponsored by the CHAA in 1994, the Journal of Art History and Archaeology is the first and only periodical in Brazil that brings together both fields. It publishes recent studies not only from local researchers and in Portuguese, but also from the other countries and in different languages (the papers are always published in two languages). One of its aims is to put Brazilian and international production in both disciplines in close contact and to promote exchanges between subjects, procedures, and approaches. Every issue is available online in PDF format free of charge.

39 – Concinnitas www.concinnitas.uerj.br (in Portuguese) Founded in 1996, Concinnitas is a biannual publication of the Institute of Arts of the State University of Rio de Janeiro, UERJ. Concinnitas seeks to attract artists, teachers and researchers, as well as the general public, in addition to experts. The journal also publishes visual essays. Previous issues are partially available on the internet.

40 – Portal Vitruvius www.vitruvius.com.br (in Portuguese and eventually Spanish and English) The web portal Vitruvius began its activities in 2000, mostly to reach architects, professors, students, and researchers in architecture and urbanism. In addition to expert articles, Vitruvius informs on various competitions and events, including design, opera, cinema, theater, and music shows. Vitruvius has gathered the magazines Arquitextos, Drops, Minha Cidade, Entrevistas, Resenhas Online, Projetos, and Arquiteturismo, among others, all fully available for free.

41 – Ars www.cap.eca.usp.br/ars.htm (in Portuguese) The half-yearly journal Ars was created in 2003 to publish works of by art students,

Perspective, 2 | 2013 258

artists, critics, and art historians, as well as Portuguese translations of important texts, and visual essays. Ars is published by the Visual Arts Department of the Communication and Arts School of the University of São Paulo, ECA-USP, and is available for free download.

42 – Visualidades www.revistas.ufg.br/index.php/visual (in Portuguese and various languages) Since 2003 Visualidades publishes studies on art and visual culture in twice-yearly periodical. Linked to the Post-Graduate Program in Visual Culture of the University of Goiás, UFG, Visualidades provides quality research in disciplines related to art history in the Central-Western Brazil. Every issue of Visualidades, which includes material in English, French, and Spanish, is available online free of charge (www.revistas.ufg.br/ index.php/visual/issue/archive).

43 – Dezenovevinte www.dezenovevinte.net/19e20 (in Portuguese and eventually in other languages) The website promotes the dissemination and revision of the Brazilian and international art from the nineteenth to the beginning of the twentieth century, as well as primary sources. Since 2006, Dezenovevinte publishes the online magazine 19&20 (www.dezenovevinte.net/19e20) providing studies that offer new interpretations and meanings for the long nineteenth-century Brazilian artistic legacy.

Art and Cultural Centers

44 – Itaú Cultural www.itaucultural.org.br (in Portuguese and eventually English, French, and Spanish) The two last decades have seen the strengthening of cultural institutions through support from companies and financial institutions in Brazil. Criticism over the controversial intentions of those centers (particularly regarding the advantage gained from tax incentives) aside, one of the most important is Itaú Cultural. Founded in 1987, it now has a vast range of activities, including in literature and theater. Particularly useful are the “Rumos Program” (created in 1997 to stimulate the production and dissemination of Brazilian art and culture in the country) and the Itaú Cultural Encyclopaedia (see entry).

45 – Instituto Moreira Salles (IMS) http://ims.uol.com.br/ (in Portuguese) Created in 1992 by a family owner of a former Brazilian bank, the IMS is a dynamic institution dedicated to the promotion of Brazilian art and culture. Prominent in five areas (literature, photography, library, visual arts, and music) the IMS has two magazines, Serrote ( www.revistaserrote.com.br) and Zum ( http://ims.uol.com.br/ revistazum), devoted to culture and to photography respectively. The website has links to digital version of the IMS collection, beautifully displayed and easily manageable.

Online Databases

46 – Enciclopédia Itaú Cultural de Artes Visuais www.itaucultural.org.br/aplicexternas/enciclopedia_ic (in Portuguese, English, French, and Spanish)

Perspective, 2 | 2013 259

The Itaú Cultural Encyclopaedia of the Visual Arts is an evolving database begun in 2001 devoted to “researching, collecting, processing and digitizing information on the visual arts,” according to the website. The Encyclopaedia provides summary information on artists, critics, collectors and events related to the Brazilian visual arts, with over 3,000 articles and 12,000 pictures. Divided into six groups (Artists, Institutions and museums, Terms and concepts, Milestones in Brazilian art, Works, and Database), it is ergonomic and provides concise information.

47 – Museu de Arte para Educação (MARE) www.mare.art.br (in Portuguese and eventually English) The Art Museum for Education is a database on Western Art topics from Antiquity to the present comprising visual and textual documents indexed in one of the ten categories (“Ancient Mythology, History, and Topography”, for example). Also providing up-to-date information and a recent bibliography on the analyzed artworks, the goal of MARE “is to offer a platform for the study and research of art history in line with the Classical Tradition, with an emphasis on multiple interactions between the figure and its textual references.”

48 – Warburg – banco comparativo de imagens www.chaa-unicamp.com.br/banco-imagens www.unicamp.br/chaa/warburg (in Portuguese) This comparative image database has the suggestive name of the art historian who inspired the tool procedures and purposes. Warburg is an ongoing thesaurus for the arrangement of images according to an association among shapes, colors, and composition, in addition to other kind of affinities, similarities, including keywords. As the most recent initiative of the CHAA, Warburg still has limited images – currently around 7,000 – but the database is fed regularly by students, professors, artists, and researchers of art history and visual culture.

Guides

49 – Mapa das Artes www.mapadasartes.com.br (website in Portuguese; folder in Portuguese and English) Mapa das Artes offers a panorama of art-related events in Brazil, especially for São Paulo and Rio de Janeiro. In the form of a folder with a city map freely distributed in hotels, art galleries, and related spots, the Mapa das Artes delivers a vast array of up- to-date coverage on the following topics: 1) museums and cultural centers; 2) art galleries and offices; 3) institutional spots; 4) ateliers and more. Although substantially occupied by advertisement, the Mapa das Artes is independent from institutions and frequently has a short but incisive editorial.

50 – DASartes www.dasartes.com/site (in Portuguese) DASartes is a web portal for news on visual arts in Brazil, mostly related to events and exhibitions, but also including interviews with artists, curators, and other art professionals (link “revista”). Although related to commercial art galleries and not to academic institutions (much like Mapa das Artes), both the paper and online versions of DASartes help to inform, particularly on contemporary art in Rio de Janeiro and São Paulo.

Perspective, 2 | 2013