Industrie de l’armement terrestre : quelques fondamentaux

Hélène Masson 2

Armement terrestre : de l’Europe à l’export - Cartographies

Patrick van den Ende

5

Innovation technologique de défense : ruptures et convergences

Emmanuel Chiva 7

Filières robotiques civile et de défense françaises : des liens à affermir

Frédéric Coste 10

ST Kinetics ou les ambitions de Singapour dans l’armement

Kévin Martin 12

La Third Offset Strategy américaine

Philippe Gros 17

COP21 : un succès politique, un statu quo pour le climat

Alexandre Taithe

20

Rencontres Défense & Industries

Armement terrestre (09.06.2016) Naval militaire (12.10.2016) 22 Industrie de l’armement terrestre : quelques fondamentaux

Intensité opérationnelle rebond est attendu en Europe à l’hori- cas échéant la présence de l’Etat au

L’intensité opérationnelle caractérise zon 2015-2020 lorsque les armées capital (Thales). Les cultures d’entre- le niveau d’engagement très élevé des renouvelleront leur parc. Il vaudra prise diffèrent, les stratégies d’interna- mieux concourir avec un allié à ces tionalisation des activités et de parte- forces terrestres françaises sur les 2 appels d’offres qu’en ordre dispersé » . nariats également. théâtres d’opérations extérieures depuis 2011 (Harmattan, Serval, Force est de constater qu’en 2016 Au cours de la dernière décennie, une Barkhane, Sangaris, Chammal) et sur le cette approche des marchés est tou- entreprise de ce panel aura réussi à jours réalisé en ordre dispersé. territoire national depuis 2015 tirer son épingle du jeu, le suédois (opération Sentinelle). Comme le met Un manque criant d’harmonisation des Volvo Group. A défaut d’une consoli- en exergue le rapport d’information besoins entre les principaux Etats pro- dation nationale des acteurs indus- sur « les conséquences du rythme des ducteurs (, Royaume-Uni, Alle- triels français, Renault Trucks Defense opérations extérieures sur le MCO des magne, Italie, Espagne, Finlande, no- (via la reprise de RVI), ACMAT puis matériels »1, trois phénomènes opéra- tamment), auquel vient s’ajouter l’ab- Panhard3, tous fournisseurs histo- tionnels se conjuguent avec pour con- sence de grands programmes menés riques de l’armée de Terre, ont été séquence l’usure prématurée des en coopération et une politique indus- tour à tour rachetés par le construc- équipements déployés ou leur destruc- trielle davantage tirée par une logique teur suédois de poids lourds, des opé- tion : la surintensité (liée aux condi- d’ouverture des marchés publics à la rations lui permettant d’élargir sa tions climatiques et de terrain), la su- concurrence, n’auront pas créé un gamme au segment des véhicules ractivité (utilisation des matériels au- environnement favorable à l’émer- tactiques légers et moyens à roues et delà de leur potentiel « normal ») et gence d’un acteur européen de l’arme- d’entrer de plain-pied dans le pro- les dommages de guerre (de plus en ment terrestre disposant de la taille gramme français Scorpion (associé à plus fréquents et graves). Dans un tel critique. Nexter et Thales au sein du Groupe- contexte, la problématique du renou- La diversité des business model des ment Momentané d’Entreprises-GME). vellement du parc de véhicules mili- principaux maîtres d’œuvre européens Nexter n’en était alors que plus isolé. taires se pose avec une nouvelle acui- du domaine aura également représen- Ajoutons également, en Allemagne, té. té un frein sur la voie de la concentra- début 2010, la constitution d’une JV

Dynamique de la demande, dispersion tion (donc d’une réduction du nombre entre Rheinmetall Defence et le pro- de l’offre d’acteurs). En effet, le secteur voit ducteur allemand de poids lourds intervenir des groupes de défense aux MAN SE (Rheinmetall MAN Military Le lancement du programme Scorpion activités multisectorielles (BAE Sys- Vehicles-RMMV) sur le segment des en France et du programme Ajax au tems, RUAG et Patria), des construc- blindés à roues et des camions mili- Royaume-Uni, ainsi que la multiplica- teurs de véhicules présents dans le taires. En 2014, l’obtention par RMMV tion des appels d’offres sur le marché civil tout en disposant d’activités dans d’un marché potentiel de plus de européen depuis deux ans, et plus la défense (Volvo Group, Iveco), des 2 000 camions logistiques en Scandina- généralement sur les marchés grand entreprises spécialisées dans l’arme- vie (acquisition conjointe de la Nor- export (Asie, EMEA, Amérique du Nord ment terrestre (KMW, Nexter), et des vège et de la Suède ; contrat cadre sur et Amérique latine), illustrent la dyna- électroniciens au double positionne- la période 2014-2025) confirmait la mique de la demande. Après une pre- ment d’équipementier et d’intégrateur pertinence du mouvement opéré par mière période de renouvellement des (Rheinmetall Defence, Thales). Rheinmetall Defence. A contrario, véhicules blindés autour des années A cela s’ajoute un profil actionnarial KMW misait sur la spécialisation dans 2010 (avec le cas échéant des contrats le domaine des blindés chenillés, privi- additionnels visant à adapter / tout aussi diversifié : entreprises non légiant une stratégie d’intégration améliorer la protection des véhicules), cotées à participation publique (Nexter, Patria et RUAG), entreprise verticale par le biais de la reprise d’ac- la période actuelle est celle du lance- teurs de niche (production de chenilles ment des programmes de véhicules contrôlée par un actionnariat familial (KMW), groupes cotés en bourse à et de suspensions, MCO, simulation). blindés médians de nouvelle généra- Cette stratégie l’éloignait d’autant de tion et de la modernisation du parc de l’actionnariat diversifié (Rheinmetall, Volvo Group, BAE Systems, Iveco via sa Rheinmetall Defence. chars lourds. En 2006, Luc Vigneron, alors PDG de Nexter, soulignait « Le maison mère CNH Industrial) avec le

2 Ouverture des marchés à la grâce à ses produits phares CV90, (MIV), avec une offre dérivée du véhi- concurrence : le cas britannique BvS10 et Bv206. cule Stryker (démonstrateur Light Ar-

Le britannique BAE Systems a frôlé Seule consolation pour BAE Systems au moured Vehicle LAV, équipé d’une l’éviction sur son marché domestique Royaume-Uni, la notification, en jan- tourelle Kongsberg PROTECTOR). GD (terrestre). Si la dernière décennie a vier 2015, d’un contrat de 50 M£ (sur est d’autant plus à l’offensive à l’ex- marqué la pénétration réussie du 5 ans) relatif au soutien des véhicules port que la situation est difficile sur 6 groupe sur le marché américain de militaires légers, médians et lourds . son marché domestique, avec notam- l’armement terrestre à la suite des Pour le MoD, ce marché est aussi là ment la perte du marché américain pour maintenir des compétences na- JLTV. rachats des prime Industrie (2005) et Armor Holdings tionales dans les domaines survivabili- Marchés export : prérequis té, système de combat et vétronique. (2007), elle est aussi celle de la chute Faute d’opérations d’intégration hori- Le prochain marché de remise à niveau vertigineuse des ventes de sa branche zontale, les acteurs européens conti- des 227 chars lourds Challenger 2 (LEP véhicules militaires au Royaume-Uni. nuent donc à se concurrencer dans le - Life Extension Project visant à les En effet, le souhait du MoD britan- cadre des principaux appels d’offre maintenir en service jusqu’en 2035 ; nique de limiter sa dépendance vis-à- lancés en Europe (sans oublier les marché d’études de 24 mois) est éga- vis de BAE Systems (principal OEM de ambitions des industriels polonais et lement susceptible de remettre en la flotte de véhicules militaires en ser- tchèques notamment). Sur les mar- selle BAE Systems Land UK, à la tête de vice, et fournisseur des systèmes d’ar- chés grand export, la situation est la Team Challenger 2, laquelle ras- tillerie et munitions, soit plus de 95% encore aggravée en raison de la pré- semble Qinetiq, Leonardo (ex Finmec- des équipements de l’armée britan- sence de multiples concurrents (turcs, canica), Moog, Safran et General Dyna- nique) s’est traduit par une ouverture américains, asiatiques, russes, sud- mics Mission Systems. Le groupe amé- à la concurrence des marchés publics africains, etc.). Par ailleurs, les exi- ricain a ici fait le choix de se position- de défense et la sélection pour deux gences grandissantes des Etats clients contrats majeurs d’offres portées par ner en tant que partenaire de rang 2. en matière de transferts de technolo- les filiales britanniques des groupes General Dynamics, désormais incontour- gies et de savoir-faire impliquent pour américains General Dynamics (GD) et nable sur le marché européen les maîtres d’œuvre (et leurs princi- Lockheed Martin (historiquement Au-delà de la réussite de GD UK au paux équipementiers) d’être présents implantés outre-Manche dans le do- sur les marchés ciblés très en amont maine aéronautique militaire). Royaume-Uni, le groupe américain a étendu en quelques années son in- des appels d’offre (bureau commercial, C’est ainsi que GD UK (présent dans le fluence sur le Vieux Continent par le installation d’une filiale, création d’une terrestre depuis l’obtention en 2001 biais de rachats d’entreprises de taille co-entreprise avec un acteur local, du contrat Bowman) remportait, en moyenne fragilisées (le constructeur rachats d’entités) et d’être en mesure septembre 2014, un marché d'un suisse de blindés légers à roues d’initier une dynamique de partena- montant de 3.5 Mds£ pour la fourni- 7 MOWAG , le principal producteur riats dans le cadre du contrat (avec des ture de 589 Véhicules spécialisés 8 espagnol SantaBarbara Sistemas , acteurs locaux choisis ou imposés…). (programme FRES / tranche véhicules l’entreprise autrichienne Steyr-Daimler Dans de telles conditions, disposer de de reconnaissance Scout rebaptisé 9 -Puch ). Aujourd’hui, ces dernières la taille critique et être en mesure depuis « AJAX » ; sélection de l’offre sont consolidées au sein de la branche d’innover (dans l’optique de conserver ASCOD 2)4, suivi en juin 2015 d’un General Dynamics European Land une avance technologique) apparais- marché de MCO du parc de futurs Systems (GDELS), qui emploie 1800 sent comme de véritables prérequis véhicules Ajax de 390 M£. De son côté, salariés sur 9 sites dans 5 pays : Es- pour la conquête des marchés export. Lockheed Martin UK se voyait notifier pagne (dont le siège de GDELS), Suisse, Mutations à venir le programme de remise à niveau des Autriche mais aussi Allemagne véhicules lourds Warrior pour un mon- Annoncé en juillet 2014 et finalisé fin (implantation liée aux marchés d’ac- tant d’1 Md£ (Warrior Capability Sus- 2015, le rapprochement entre le fran- quisition de véhicules blindés 4x4 tainment Programme, octobre 2011). çais Nexter et l’allemand KMW, est-il Eagle IV et V) et République tchèque La filiale britannique du premier susceptible de changer la donne à (marché de véhicules blindés à roues groupe de défense mondial est égale- court terme ? Pour l’heure, cette opé- 8x8 Pandur). ment partenaire sous-traitant de GD ration prend la forme d’une alliance UK en tant que fournisseur de la tou- Sur le segment des véhicules blindés stratégique et non d’une fusion d’en- relle sur l’une des variantes de la fa- 8x8, GDELS peut se targuer de succès treprises ; cette dernière aurait été mille de véhicules Ajax5. notables, avec par exemple en janvier synonyme de restructurations internes 2016, la sélection de son offre basée Conséquence de ces choix d’acquisi- pour les deux entités. Dans un commu- sur le PIRANHA 5 par le Danemark (309 tion du MoD, BAE Systems Land UK a niqué de presse commun diffusé quel- unités pour un montant de 600 M$), et fermé la majorité de ses sites britan- ques jours avant l’ouverture du Salon ce, quelques mois après avoir été choi- niques de production d’armement Eurosatory 2016, les deux partenaires sie par l’Espagne (contrat R&D dans le terrestre. Victime collatérale, sa filiale tentent de caractériser leur alliance, cadre du programme VCR- Vehículo de suédoise BAES Hägglunds, maître symbolisée par la mise en place d’un Combate sobre Ruedas, prévoyant d’œuvre du prototype SEP (sorti grand l’acquisition de 300 véhicules). Toute perdant), a connu à la suite un arrêt du son attention est désormais portée sur financement du programme par la le prochain marché britannique de Suède (décision d’acheter sur étagère véhicules blindés à roues 8x8, la va- 113 AMV du Finlandais Patria). BAES riante Mechanized infantry vehicle Hägglunds peut toutefois compter sur un carnet de commandes export solide

3 stand commun : « By preserving both duplication des sites et des supply Notes corporate identities and their logos and chain, etc… donc en s’éloignant des 1. Marty Alain et Récalde Marie, Rapport d’infor- by combining their colours, Nexter and modèles « EADS » et « MBDA » mation en conclusion des travaux d’une mission d’information sur les conséquences du rythme KMW are displaying their desire to existants sur la période 2000-2013/14. des opérations extérieures sur le MCO cooperate by pooling their strengths A cela s’ajoute l’épineuse question de des matériels, n°3323, décembre 2015. and capitalising on the good fit they l’export dans un contexte marqué 2. Cité dans Masson Hélène, Paulin Cédric, Pers- pectives d'évolution de l'industrie de défense en form, while each group retains its own outre-Rhin par une politique de con- Europe, Recherche&Document FRS, septembre 10 capabilities and products » . Les mots trôle de plus en plus restrictive. 2007, 188p. sont choisis, la prudence est de mise. 3. Masson Hélène, "Compétitivité et innovation : Par ailleurs, avec l’entrée des forces L’étape d’une intégration plus poussée l’industrie européenne de l’armement au dé- terrestres dans l’ère du numérique et fi", Revue DSI, juin/juillet 2010, pp.92-98. apparaît encore très éloignée, même si du « combat collaboratif », le secteur 4. Ce contrat fait suite à la sélection en juillet cette opération permet de sortir les 2010 de la filiale du groupe américain General terrestre (comme le naval et l’aéro- deux entreprises d’un certain Dynamics (face à l'offre de BAE Systems) pour la nautique) voit l’arrivée de nouveaux phase de design et de démonstration (montant de isolement sur la scène européenne. A entrants venus des secteurs de l’infor- 500 M£). Les 100 premiers véhicules Ajax seront minima, cette alliance peut permettre matique et du cyber. Des partenariats assemblés en Espagne et les 489 autres véhicules aux deux groupes de s’entendre afin sur les sites du groupe au sud du pays de galles et des alliances restent à établir entre d’éviter de présenter des offres con- (Merthyr Tydfil et Oakdale). Livraison sur la pé- fournisseurs historiques et nouveaux riode 2015-2024. currentes sur un même marché, voire entrants (avec le cas échéant des 5. 245 tourelles CT (armées d’un canon de de lancer des projets communs de 40mm), dont la structure est produite par l’alle- prises de participation et/ou des ra- R&D (si les financements étatiques mand Rheinmetall Defence pour le compte de LM chats d’entreprises). Les business mo- UK, lequel y intègre ses senseurs et systèmes suivent). Ce dernier point impliquerait del sont à repenser. Cela signifie égale- électroniques sur son site britannique d’Ampthill que la France et l’Allemagne harmo- ment qu’en termes d’innovation, nous au Royaume-Uni. nisent leurs besoins et convergent sur 6. Notamment les parcs de Warrior, Titan, Trojan, sommes sur des cycles courts, avec les réponses technologiques et indus- Panther, Bulldog, véhicules de reconnaissance pour déterminant une insertion rapide chenillés, chars lourds Challenger 2 et variante trielles (avec lancement de pro- des technologies dans les systèmes. char de dépannage du Challenger (CVR(T)). grammes en cooperation). Si cette 7. Famille de véhicules Piranha, Eagle et Duro. Pour les utilisateurs, les services d’ac- alliance n’est pas rompue (le fil est 8. Véhicules blindés de combat d’infanterie Pizar- quisition, et les intégrateurs, il s’agit ro, famille de véhicules blindés légers à roues ténu), le passage à l’étape d’après d’être au plus près des acteurs por- BMR-2, et chars sous licence de l’alle- devrait éviter de rééditer des schémas teurs d’innovation, en grande majorité mand KMW. dysfonctionnels nuisibles à la compéti- 9. Connue pour ses deux produits phares que sont des ETI et PME. tivité du groupe nouvellement créé : le véhicule de combat d’infanterie à chenilles Ulan (35 t) et le véhicule blindé léger Pandur (version 6 simple agrégation d’entités nationales, HÉLÈNE MASSON × 6 de 15,5 t et 8 × 8 de 22 t). parité et système de gouvernance à 10. « Eurosatory 2016 – Nexter, KMW: Two Maître de recherche, FRS double commande, retour industriel, brands under a single banner », Press release en charge du pôle Défense&Industries Nexter - KMW, 06.10.2016. [email protected]

Des coopérations réussies au niveau des équipements : Dynamiques de coopération CTA International en franco-britannique et Junghans Microtec en franco-allemand dans les pays nordiques

CTA International(localisé à Bourges) : Détenu à 100% par l’Etat finlandais depuis la vente par Airbus société co-détenue par Nexter et BAE de sa part au capital en décembre 2014 (26,8%), Patria, pro- Systems, spécialisée dans la conception, ducteur du véhicule 8x8 AMV et du système d’artillerie Nemo le développement, la production et la 120mm (2800 salariés pour un CA 2015 de 485 M$), était en commercialisation du système quête d’un partenaire. En mai 2016, annonce a été faite par CTAS (Cased Telescoped Armement l’Etat finlandais de la reprise de 49,9% du capital de Patria par System). Le 40CTAS a été qualifié et le norvégien Kongsberg Defense & Aerospace (leader mondial sélectionné par l'armée française pour dans le domaine des tourelles téléopérées), filiale du groupe son futur engin blindé de reconnaissance Kongsberg. Employant 7700 salariés pour un CA 2015 niveau JAGUAR et par l'armée britannique dans groupe de 2 Mds$, Kongsberg a pour actionnaire majoritaire le cadre du programme Ajax. l’Etat norvégien (50%). L’opération concerne également le munitionnaire Nammo détenu à parité par Patria et l’Etat Junghans Microtec : norvégien. Cette montée au capital intervient à la suite de la société co-détenue par signature entre Patria et KDA, en janvier 2015, d’un partenariat Diehl et Thales (TDA) sur stratégique destiné à approcher conjointement les marchés au les segments fusées de Moyen Orient. munitions et dispositifs de Dans le contexte de la crise en Ukraine et d’une Russie à la sécurité et/ou de mise à posture de plus en plus agressive, les coopérations bilatérales feu. La marque JUNGHANS Defence englobe Junghans Microtec GmbH, localisé en Alle- et multilatérales se multiplient dans le domaine de la défense magne (Dunningen-Seedorf) et Junghans T2M S.A.S. en France (La Ferté St Aubin). et de l’armement entre les pays nordiques (Suède, Norvège, Finlande, Danemark).

4 Armement terrestre : de l’Europe à l’export Cartographies

Implantations des principaux plateformistes - intégrateurs et munitionnaires

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intégrateurs européens intégrateurseuropéens

-

etexemples de marchés et remportés de partenariats Marchés grand Marchés export : implantations des plateformistes principaux

6 Innovation technologique de défense : ruptures et convergences

Du métal liquide pour des drones à fondant sur les seuls besoins exprimés, mettent néanmoins de tirer des ensei- mémoire de forme, une peau artifi- c’est donc se limiter à l’analyse du gnements et d’établir une prospective cielle ou un spray capables tous les passé pour essayer de prévoir le futur : étayée par un certain pragmatisme. deux de rendre un objet invisible à un un exercice certes intéressant, mais Les investissements colossaux réalisés radar, des lentilles de contact per- biaisé par nature : il est en effet impos- dans le domaine de la réalité virtuelle, mettant de voir dans l’infrarouge, ou sible de percer le brouillard de la de la géointelligence et de l’imagerie encore une armure liquide pour les guerre, et d’identifier avec certitudes satellitaire, de la robotique autonome forces spéciales… autant de projets de les nouvelles menaces – et, partant, et des drones, de la gestion de l’éner- recherche innovants dans le domaine les nouvelles priorités opérationnelles gie ou des nanotechnologies (la liste de la défense terrestre qui, jusqu’alors, – auxquelles nos forces devront faire est loin d’être exhaustive) donnent par relevaient de la science-fiction. Mais face. nature des lignes de force technolo- au-delà du fantasme nourri par la peur Une autre tentation, qui concerne giques dont la Défense bénéficie éga- du robot-tueur intelligent ou de l’arme essentiellement les industriels, est de lement. Ces technologies civiles seront laser portative, le domaine de l’innova- se reposer sur l’état actuel de la tech- adaptées, de manière à prendre en tion technologique de défense connaît nologie et les priorités liées aux straté- compte les besoins et exigences aujourd’hui un développement remar- gies industrielles de recherche. Les propres aux emplois militaires, et se- quable, et ce que nous prenions jus- sociétés qui investissent massivement ront génératrices de ruptures techno- qu’alors pour des fantasmes d’ingé- dans les domaines de la réalité vir- logiques et capacitaires. nieur s’avèrent parfois proches de la tuelle, ou de l’intelligence artificielle Une évolution prévisible au moins dans mise en service opérationnelle. Mais la tendent donc à prévoir l’évolution de certains domaines prospective dans le domaine est com- la technologie par le prisme de cette Les domaines sur lesquels les investis- plexe : quelles sont les voies suscep- dernière. tibles de déboucher ? Comment identi- sements porteront sont bien connus : Outre le caractère évidemment limita- fier les tendances, les ruptures techno- robotique, intelligence artificielle, mo- tif de cette analyse, c’est sans compter logiques ou capacitaires ? bilité, énergie… De nombreux rapports que les technologies aujourd’hui déve- pointent les secteurs technologiques Quel raisonnement pour quelle loppées ne seront pas nécessairement destinés à un avenir brillant de par les prospective ? celles présentes demain. La technolo- montants astronomiques investis dans

Lorsque l’on effectue de la prospective gie doit en effet franchir ce que l’on leur développement, et la rentabilité technologique dans le monde de la appelle « la vallée de la mort » : le des marchés visés. A titre d’illustration, défense, la tendance naturelle est de fossé séparant l’innovation de labora- on estime à 6 trillions de dollars l’im- partir du besoin opérationnel pour en toire et la technologie industrialisée. Et pact potentiel économique lié au déve- tirer les grandes directions d’évolution si, finalement, la technologie ne loppement des technologies d’intelli- du domaine. Ainsi, les technologies semble pas à la hauteur des attentes gence artificielle et de big data d’ici permettant la protection ou la lutte qu’elle a générée, la désillusion engen- 20251. Les véhicules autonomes, quant contre les engins explosifs improvisés drée peut mener cette dernière dans à eux, permettraient d’éviter 1,5 mil- (IED) ont effectivement connu un dé- une voie de garage, provisoire ou défi- lion de morts inutiles dans le même veloppement important ces dernières nitive. C’est ainsi que les lunettes de délai2 : le financement de cette re- années en raison des périls encourus réalité virtuelle de première généra- cherche ne fait donc aucun doute. Les par nos troupes sur le terrain. De la tion ont été rapidement délaissées par investissements massifs réalisés dans même manière, les efforts demandés les ingénieurs, en raison de leur coût, ces domaines permettront donc aux aux armées en termes de réduction de de leurs limitations techniques industriels de défense de disposer de budget ont privilégié certaines direc- (latence, résolution…), générant ainsi technologies matures, financées, et tions de recherche au détriment une certaine déception, voire une qui auront franchi cette « vallée de la désillusion. d’autres voies plus coûteuses mais mort ». Si aucune méthode n’est véritable- également potentiellement généra- Réalité augmentée et robotique militaire trices d’innovation. ment satisfaisante, l’observation des Le développement des véhicules auto- Tenter de prévoir l’évolution de l’inno- investissements tous marchés confon- nomes, outre ses retombées directes vation technologique de défense en se dus et surtout l’analyse de la viabilité économique des technologies per- dans le domaine de la robotique mili-

7 taire terrestre, permet également de saire, neutralisant ce dernier par un tions en santé et médecine militaire, faire progresser des domaines con- effet de souffle et la production comme par exemple les textiles photo- nexes comme la réalité augmentée. On d’éclats sur 360 degrés. Le tir est coor- catalytiques revêtus de nanoparticules rappelle que la réalité augmentée donné avec le laser permettant de à base de dioxyde de titane per- consiste à superposer des informations calculer la distance à la cible : le fusil mettant de développer des tenues synthétiques (indications, ou même devient une arme informatisée, tirant auto-décontaminantes. avatars virtuels) en toute cohérence lui-même une munition program- Egalement, de nombreux travaux cher- avec le monde réel. Pour cela, il faut mable. On peut également citer la chent à développer des métasurfaces être capable de « comprendre » son munition EXACTO (encore un projet de diélectriques permettant de rendre environnement, par des techniques de la DARPA), destinée à équiper un fusil invisible son porteur (robot, drone, cartographie et de vision artificielle. de haute précision pour les tireurs véhicule, voire fantassin) à certaines C’est ce qu’un robot autonome doit d’élite et capable d’utiliser un système longueurs d’ondes. Une telle « cape accomplir pour réaliser sa mission. En de guidage optique en temps réel pour d’invisibilité » agit en absorbant et finançant le monde de la robotique, on trouver et neutraliser sa cible. redirigeant les ondes électromagné- fait donc également progresser les L’extrême démocratisation des proces- tiques, par exemple grâce à des nano- technologies de réalité augmentée, seurs en termes de simplicité d’utilisa- particules de céramique. En utilisant dont les applications militaires ter- tion et de coût, comme la miniaturisa- les nanotechnologies, plusieurs restres sont connues : pare-brise intel- tion des sources d’énergie permet équipes ont montré qu’il était possible ligent pour la conduite de véhicules d’envisager que dans le futur, une de rendre l’objet revêtu de cette cape militaires, simulation embarquée (le majorité d’armes et de munitions invisible à certaines longueurs d’onde : système d’armes devient le simulateur (même individuelles) seront ainsi ondes radars (jusqu’à 70% d’absorp- et peut être utilisé pour l’entraîne- « intelligentes », avec les risques que tion), ou même…lumière visible. ment sur le terrain), ou encore aug- cela comporte notamment en termes Le domaine des nanomatériaux est si mentation du fantassin par injection de sécurité des systèmes d’informa- prometteur qu’il est impossible ici de d’informations tactiques sur des lu- tion. réaliser un panorama complet de ses nettes de protection (projet Ultra-Viz). Un essor des nanotechnologies dans la applications : citons pour mémoire le Une start-up de réalité augmentée, défense développement de nouveaux blin- appelée Magic Leap, vient de recevoir dages plus légers (donc générateurs 800 millions de dollars de financement Le domaine des nanotechnologies d’économie d’énergie), et plus résis- en série C3 alors que la technologie représente également un secteur con- tants, ou la réalisation de surfaces bio- n’est pas encore aboutie. Une aubaine sidérablement dopé par la recherche inspirées grâce à des procédés de na- pour le domaine de la défense : quel industrielle ou étatique. En 2017, le nofabrication. La DARPA (Defense industriel du domaine pourrait finan- gouvernement américain a prévu un Advanced Research Projects Agency) cer à une telle hauteur une technolo- budget de près 1,4 Mds de dollars américaine a ainsi conçu Z-Man : un gie non critique ? dans le cadre de sa National Nanotech- nology Initiative5, ce qui fait des nano- dispositif inspiré de la surface adhésive Au-delà, c’est l’ensemble des techno- technologies le plus grand programme des pattes du lézard Gecko et destiné à logies d’interface qui, de par l’essor scientifique américain financé par le être placé sur les mains d’un fantassin des financements liés à l’internet mo- budget fédéral, dépassant de loin le afin de permettre l’escalade de parois bile, va connaître une prodigieuse Projet « Génome Humain ». Les nano- verticales. accélération. Si le projet Google technologies, ce sont les études et Glasses (désormais appelé projet Aura) Des convergences technologiques géné- procédés de fabrication et de manipu- a connu quelques réajustements, les ratrices de ruptures capacitaires lation de structures, de dispositifs et interfaces de type réalité virtuelle et Mais les véritables ruptures technolo- de systèmes matériels à l'échelle du augmentée sont aujourd’hui amenées giques proviendront de l’association nanomètre. Les applications des nano- à se développer considérablement. Le de deux phénomènes : la convergence technologies (dans le domaine de l’ar- projet JFX3 du ministère de la Défense technologique, et la rupture d’usage 4 mement terrestre sont nombreuses, britannique a ainsi montré que dans ou d’emploi. Apparu avec la diffusion qu’il s’agisse de réaliser par gravure le domaine de la navigation tactique, d’un rapport du think tank World des structures nanoélectroniques (ce les routes utilisées via un procédé de Technology Evaluation Center, le con- que l’on appelle la voie top-down) et lunettes de réalité augmentées étaient cept de convergence technologique ainsi de miniaturiser des processeurs plus pertinentes que les routes dé- dans le contexte considéré ici con- ou des capteurs, ou (voie bottom-up) duites par les moyens usuels (de nuit cerne l’amélioration des performances d’assembler des composants élémen- comme de jour, avec un effet plus des systèmes militaires par synergie taires pour fabriquer des structures spectaculaire de nuit). entre les grands domaines technolo- plus complexes. Armes et munitions intelligentes giques émergents. La convergence la Quelques exemples permettent de plus médiatisée est celle des NBIC : Autre tendance de fond : la miniaturi- mieux appréhender les perspectives Nanotechnologies, Biologie, Informa- sation et la démocratisation – sur le dans le domaine militaire : ainsi, en tique et Sciences Cognitives. plan économique – des processeurs, utilisant les nanotechnologies pour A titre d’exemple particulièrement tirées par l’industrie de l’internet mo- développer des nanocapteurs, l'infor- illustratif, la convergence naturelle bile. On connaît déjà les munitions mation pourrait être stockée et analy- entre informatique et sciences cogni- programmables : ainsi le fusil X25 de la sée plus efficacement, le renseigne- tives est à l’origine de l’essor des tech- société OrbitalATK est capable de tirer ment et la surveillance pourraient nologies d’intelligence artificielle. Au- des munitions « intelligentes » pro- fortement progresser et les projectiles delà des effets d’annonces média- grammées pour exploser après un pourraient atteindre une précision tiques (le « deep learning » n’étant temps de vol donné (« airburst »), par extrême grâce à des nano-ordinateurs finalement que l’alliance des technolo- exemple 4m au-dessus d’un adver- incorporés dans chaque munition. gies de réseaux de neurones des Sans compter évidemment les applica- 8 années 1950 avec la puissance de NESD (Neural Engineering System Un effort de prospective à long terme calcul disponibles aujourd’hui), les Design), une voie de recherche visant à Par ailleurs, on pourrait craindre que capacités de calcul, et donc d’algorith- développer une interface cérébrale dans les prochaines décennies, de mique, vont continuer à progresser sous la forme d’un implant, per- nombreuses innovations soient ver- avec l’utilisation de nouveaux maté- mettant d’échanger entre cerveau et rouillées par des brevets civils, rendant riaux. Ainsi, l’utilisation de nanotubes monde numérique. Les applications complexe leur adaptation au monde de carbone comme supraconducteurs vont de la restauration de capacités de la défense. La prospective technolo- ou de graphène devrait mener dans un perdues suite à une lésion cérébrale gique est donc clé ; elle doit s’exercer horizon proche au développement de (audition, vision, gestes…) au traite- avec une vision large, transverse, mais processeurs très haute fréquence (de ment rapide de l’information, et au également en gardant à l’esprit que la l’ordre de 500 GHz) et à très basse contrôle/commande de systèmes com- surprise économique, comme la sur- consommation. Il s’agit là de faire tom- plexes par interface neurale. prise stratégique, sont toujours pos- ber la barrière de la puissance et de la De telles convergences entre informa- sibles, et qu’il est parfois nécessaire de mobilité sur le théâtre d’opération. tique et biologie sont évidemment préempter, ou en tout cas d’investir

Les applications sont innombrables : à génératrices de ruptures capacitaires – suffisamment tôt sur les domaines l’intérieur des véhicules ou encore avec les défis éthiques afférents à technologiques clés. Par essence, ceux pour équiper le fantassin d’une puis- l’utilisation d’un « super-combattant » -ci ne sont pas définis par avance : des sance de calcul compatible avec les augmenté par la technologie. Car si le « signaux faibles » peuvent apparaître, possibilités des armes futures. Avec de risque technologique est de saturer les des domaines technologiques peuvent telles capacités, des systèmes de com- capacités cognitives de l’homme en lui se révéler, des technologies immatures bats élargis permettront de disposer demandant d’interagir directement peuvent s’avérer clés. en permanence d’un temps d’avance avec un système complexe (drones, La prospective technologique de dé- sur l’adversaire en augmentant consi- robots, systèmes d’armes), le risque fense est paradoxale : c’est à la fois un dérablement le rythme de la boucle éthique est de rentrer dans une lo- domaine d’expertise, de grande tech- décisionnelle des opérations sur le gique de mathématisation extrême nicité, et un champ ouvert, où l’imagi- terrain. Face à une multiplicité de cap- des processus et de délégation des nation et la curiosité sont essentielles. teurs, et même de nano-capteurs, la décisions. Le domaine de l’armement terrestre, capacité à stocker, traiter, croiser, Des technologies critiques spécifiques à s’il fait peut-être moins rêver dans analyser des données sur le terrain préserver l’imaginaire collectif que l’aéronau- permettra également de disposer de tique, le spatial ou le naval, est en L’analyse de la viabilité des innovations capacités de renseignement locales, réalité d’une très grande complexité, sur les marchés permet donc d’imagi- dans un rythme cohérent avec le et d’une exigence remarquable. Le ner, dans une certaine mesure, le futur temps de la manœuvre. terrain commande : la complexité d’un de la technologie militaire. Toutefois, La convergence entre la microélectro- milieu que l’adversaire peut parfaite- même si la tentation est grande de nique et les nanomatériaux permet ment connaître et maîtriser nécessite considérer que les technologies sont également d’envisager des ruptures une avance technologique toujours au duales, et que la R&T civile pourrait capacitaires, comme ce que l’on ap- profit de l’homme. La surenchère tech- prendre le relais, ce n’est, de fait, pelle communément « l’homme aug- nologique doit être évitée au profit qu’une illusion. En l’espèce, le do- menté ». Il s’agit d’améliorer la perfor- d’une juste suffisance éclairée, un maine nécessite des compétences mance humaine dans ses différentes juste équilibre entre science, vision, particulières, qui ne sauraient être composantes pour obtenir un gain anticipation et pragmatisme. directement transposées, même si les militaire décisif. technologies sont pour une part por- EMMANUEL CHIVA Ainsi, la convergence entre microélec- tées par le domaine civil. tronique et nanotechnologies mène à Directeur général adjoint d’Agueris, A titre d’illustration, dans le domaine la réalisation de dispositifs permettant président de la commission R&T de l’énergie, les moteurs hybrides civils l’amélioration des perceptions : des du GICAT ne répondent pas aux impératifs des chercheurs du MIT ont récemment besoins opérationnels militaires annoncé avoir combiné un capteur Notes (disponibilité opérationnelle, périodes 1. Rapport McKinsey Global Institute – Disruptive thermoélectrique à base de graphène de veille…). Il est donc nécessaire technologies : advances that will transform life, avec un MEMS (micro système électro- d’investir dans la R&T pour développer business, and the global economy. May 2013 – mécanique) composé d’une mem- James Manyika and al. des batteries longues durées dont les brane de nitrure de silicium. Avec cette 2.Idem. caractéristiques très spécifiques ne 3. http://techcrunch.com/2016/02/02/ar-startup- nouvelle technologie, il devient pos- correspondent pas aux besoins du magic-leap-raises-793-5m-series-c-at-4-5b- sible de développer un système de valuation-led-by-alibaba/ grand public. 4. https://www.sea.co.uk/docs/Simulation- vision thermique très compact, voire De la même manière, les technologies Training-Augmented-Reality.pdf flexible et transparent. On peut ainsi 5. http://www.nano.gov/about-nni/what/funding imaginer rapidement l’apparition de liées à la furtivité sont spécifiques au - supplement to the President’s 2017 Budget lentilles de contact capables de confé- domaine militaire, comme celles liées request submitted to Congress on February 9, rer une vision thermique à leur por- à la détonique, par exemple. Il est 2016, NSTC/CoT/NSET. teur. donc nécessaire de conserver une certaine réactivité, une capacité Mais d’autres projets, plus futuristes, d’adaptation permettant d’allouer à permettent d’augmenter plus radicale- ces domaines des efforts de finance- ment les capacités humaines. Ainsi, la ment spécifiquement dédiés à leur DARPA explore, dans le cadre du projet adaptation au monde de la défense.

9 Filières robotiques civile et de défense françaises : des liens à affermir

Les marchés de la robotique, en parti- ou la soudure, et plus facilement re- 2000). Généralement impliquées dans culier de service, affichent des pro- programmables. Ce besoin pourra des marchés de niches, beaucoup gressions intéressantes, qui ont, selon notamment impliquer un travail coo- d'entre elles réalisent des robots "sur toute vraisemblance, vocation à se pératif et coordonné entre robots et mesure". prolonger dans le temps. Ils sont no- humains. Des capacités de production et une inté- tamment de plus en plus sous-tendus Pour accompagner ces évolutions et gration encore trop limitées par les applications personnelles et en bénéficier, la filière robotique fran- Les limites de la filière sont toutefois domestiques. Les appareils tendent à çaise dispose de certains points forts. nombreuses. Tout d’abord, elle ne entrer progressivement dans les diffé- Elle connaît également des faiblesses. peut s’appuyer sur l’apport d'entre- rentes sphères du quotidien : au tra- Ses caractéristiques sont désormais prises de production de robots indus- vail, comme aides au domicile, mais bien connues, notamment grâce à la triels. Les firmes construisant des sys- également en tant que systèmes lu- publication de quelques rapports tèmes pour le secteur manufacturier diques. De nombreux travaux sont d'évaluation récents1. ainsi menés pour étendre les champs ont été assez largement démantelées d'application des machines : de plus en Une filière innovante aux structures de en France. Dans les années 1980, les R&D diverses et complémentaires premiers centres de recherche et PME plus de programmes de recherche et d'expérimentations sont lancés pour La France possède une recherche aca- du domaine avaient été rejoints par assurer, entre autres, le développe- démique - théorique et appliquée - de quelques acteurs s'étant positionnés ment de robots thérapeutiques haut niveau, au sein notamment des sur le marché de la robotique indus- (robots de compagnie pour les ma- universités et des établissements d'en- trielle. Malheureusement, les grands lades ou aidant à la rééducation fonc- seignement supérieur, du CNRS et de groupes n’ont pas poursuivi leurs tionnelle), d’assistance aux personnes certaines structures publiques et para- efforts initiaux. La filière a ainsi décliné en perte d’autonomie (en particulier publiques. Le développement de et a quasiment disparu une quinzaine les personnes âgées) et éducatifs. centres dédiés à la robotique a été d’années seulement après sa création. La plupart des entreprises spécialisées Dans le secteur manufacturier, les relativement précoce dans notre pays : des grands groupes français – comme robots de production - facteur de pro- dès les années 1970, différents orga- Renault Automation – ont été rache- ductivité pour les entreprises - sont en nismes ont été créés qui, encore au- tées par des acteurs étrangers (en train d'évoluer. La plupart des ma- jourd'hui, constituent des structures particulier l’helvético-suédois ABB ou chines des premières générations d'excellence (comme l'IRIA, devenu l’italien COMAU). Or, comme les étaient fixes ou mobiles sur des rails. l'INRIA, ou le LAAS). Les techniciens exemples allemands et japonais le L'objectif est désormais de proposer supérieurs et les chercheurs travaillant montrent, disposer d'entreprises de des systèmes bénéficiant de plus de en robotique sont relativement nom- production de robots industriels est un mobilité et de dextérité. Les nouveaux breux dans notre pays (plusieurs cen- avantage pour développer les autres ne seront plus simplement plus endu- taines) et impliqués dans les différents domaines constitutifs de la discipline types de robotique. rants, précis, puissants ou rapides que l’homme ; ils seront également ca- (capteurs, représentation spatiale et Par ailleurs, les PME/PMI françaises du pables d’une certaine adaptabilité. cartographie, relation homme- secteur - en nombre relativement Dans les grandes industries, le besoin machine, communication entre plate- réduit - éprouvent des difficultés à se de fabriquer en masse des produits formes, algorithmique,...). La France développer. En dehors des firmes du ayant une durée de vie assez longue dispose également d'un réseau de domaine de l’armement, la plupart des (comme les voitures) va continuer PME/PMI très innovantes, en particu- entreprises se sont ainsi spécialisées d’exister. Les plates-formes qui les lier en robotique humanoïde et dans le dans la valorisation des travaux de réalisent ne seront toutefois pas développement des applications de laboratoires et des recherches acadé- toutes adaptées aux demandes de service et domestiques. Certaines sont miques. Elles connaissent d’énormes certaines PME/PMI. Celles-ci vont anciennes, créées dès les années 1970 difficultés à transformer leurs réalisa- avoir besoin de robots capables de et 1980 (comme Robosoft) - parfois tions en véritables projets commer- réaliser des tâches plus variées et so- comme excroissances de centres de ciaux. Il semble qu’elles aient dévelop- phistiquées que le positionnement de recherche académiques ; d'autres sont pé une culture bien plus tournée vers pièces (« pick-and-place »), le vissage apparues plus récemment (années l’excellence technologique que vers la

10 recherche de débouchés commer- clairement accentué leurs efforts de- niveau des pôles de compétitivité - ciaux. Elles produisent donc souvent puis le début des années 2000, la de- c'est-à-dire à l'échelon régional. Il des séries courtes (ce qui ne favorise mande en robots militaires n'ayant semble qu'il existe encore un manque pas les économies d’échelle) et ne cessé de croître - et ce pour tous les de structures de coordination pour le parviennent que rarement à franchir milieux opérationnels. La création, au pays entier. l’étape de la production industrielle. sein de Nexter Technologies, d'une Dans ces deux domaines - rapproche- Les PME françaises disposant d’une filiale dédiée (Nexter Robotics), en ment des industriels de la défense masse critique pour atteindre un stade 2013, est l'une des illustrations de ce avec les autres catégories d'acteurs de 2 industriel sur de multiples marchés plus grand intérêt . la filière et création de structures per- sont en réalité très peu nombreuses. mettant une intégration plus poussée Pour la plupart, ces acteurs se sont Ces manques expliquent qu’elles toutefois positionnés sur des secteurs au niveau national - les pouvoirs pu- éprouvent de réelles difficultés à lever particuliers : drones, robots sous- blics ont sans doute un rôle à jouer. des capitaux pour se développer. Les marins, robots d’intervention ter- distributeurs sont relativement rares restres, systèmes de déminage,… Au FRÉDÉRIC COSTE en France. Surtout, les marchés, pour- sein de leurs portefeuilles d’activités, Maître de recherche, FRS tant en développement, de la robo- la robotique est rarement un secteur [email protected] tique domestique et personnelle atti- de grande importance. Surtout, aucun rent relativement peu de finance- d'entre eux n’a encore véritablement Notes ments privés. Le capital-risque français développé d’activités dans les autres 1.Erdyn Consultants, "Le développement indus- ne s’est pas encore véritablement types de robotique (production indus- triel futur de la robotique personnelle et de service en France", juin 2012, (au profit du tourné vers le secteur. Il existe certes trielle, de service,...). Les grands Pipame - DGCIS) ; Xerfi, "La robotique en France. quelques incubateurs spécialisés, dont groupes de l'armement, d'un côté, et Robotique industrielle et de service : analyse du l'une des fonctions est justement de les PME/PMI et autres start-ups, de jeu concurrentiel et perspectives du marché à mettre en rapport les start-ups avec les l'autre, semblent encore assez large- l'horizon 2020", juin 2015. 2.Intérêt restant toutefois limité. Nexter Robotics quelques industriels capables de pro- ment évoluer en silo – alors même que ne disposait ainsi que d'une dizaine de salariés en duire à grande échelle. De même de nombreux développements tech- 2015. quelques fonds d’investissement natio- niques et technologiques sont com- naux s’intéressent désormais au do- muns aux différents types de robo- maine, afin notamment d’assurer la tiques. levée des capitaux pour les pro- Quelques initiatives récentes attestent grammes de R&D et le transfert vers la cependant de progrès dans la mise en production industrielle. Mais ils sont place de liens entre ces catégories encore très peu nombreux et man- d'acteurs. Parmi celles-ci, la décision, quent de moyens financiers. Robolu- en juillet 2015, d'ECA Group de partici- tion Capital a, par exemple, été créé en per au capital de la start-up parisienne 2012 pour favoriser les développe- Wandercraft, leader en matière d’exos- ments industriels de la robotique en quelettes médicaux, et la naissance France. En 2015, il ne disposait que d'une joint-venture entre les deux en- d’une enveloppe de 80 millions d’eu- treprises. Cette nouvelle structure doit ros. permettre le développement de robots La situation actuelle génère des destinés au soutien des missions de risques réels. L’un des principaux est la défense et de sécurité grâce aux savoir captation de la technologie par des -faire de Wandercraft en matière de acteurs étrangers, qui peuvent facile- robotique humanoïde et aux compé- ment racheter les PME françaises puis tences d’ECA en robotique mobile. De transférer leurs savoir-faire. Un autre même, Nexter Robotics avait acquis, est bien évidemment la disparition de en 2013, la PME Wifibot, considérée ces mêmes entreprises, faute d’une comme un expert dans la conception rentabilité suffisante et de véritables de robots de R&D à bas coûts. perspectives de développement. Le développement du secteur robo- Pour un rapprochement plus affirmé des tique français ne dépend bien évidem- producteurs de défense et des acteurs ment pas que du rapprochement entre de la robotique civile les groupes de la défense et les autres acteurs. Entre autres apports, il néces- Les capacités industrielles existent site également une plus grande struc- pourtant en France. Les principaux turation. En Allemagne et au Japon groupes du secteur de l'armement notamment, des politiques de clusters (Dassault Aviation, Safran/Sagem, thématiques ont été mises en place, Thales, DCNS, Nexter et ECA Group) relativement précocement, au niveau ont développé des compétences, par- national, qui ont permis de créer de fois depuis les années 1980. Ils dispo- fortes synergies entre les différents sent de services de R&D, de lignes de types d'intervenants de la filière robo- production et de capacités de finance- tique. En France, cette convergence a ment. Pour certains, ils ont même très essentiellement été prise en charge au

11 ST Kinetics ou les ambitions de Singapour dans l’armement

Classé 44e dans le top 100 mondial des (716 km², soit équivalent à l’agglomé-  2nd generation SAF (1990’) : effort industries de défense1, ST Engineering ration parisienne), et d’une faible dé- de défense consacré au renforce- 5 se présente comme un groupe aux mographie face à ses voisins (5,5 M ment des moyens disponibles et à activités duales. Le chiffre d’affaires d’habitants contre 29,5 M d’habitants la modernisation des plateformes. (CA) Défense 2015 atteint 36% du CA en Malaisie et 252 M d’habitants en  3rd Generation SAF : (2004-) : plan total, soit 2,28 Mds SGD2 (~1,52 Indonésie), Singapour se trouve en de développement capacitaire Md€3). situation de dépendance sécuritaire. mettant l’accent sur le développe-

Le groupe, dont l’Etat singapourien est Ainsi, dès son indépendance, une Dé- ment et l’acquisition de systèmes l’actionnaire majoritaire (>50% du fense forte et crédible est considérée autonomes, de capacités en capital via le fonds souverain Temasek) comme indispensable par les autorités frappes de précision et de sys- compte quatre branches d’activités du pays, garantie de sa survie face à tèmes de communication avancés. ses Etats voisins. principales : Pour accompagner cette politique, les  ST Aerospace (33% du CA) : services Dans ce contexte, les autorités singa- autorités singapouriennes ont placé le d’ingénierie et de maintenances pouriennes ont mené une politique de budget de défense au cœur des dé- aéronautiques. défense au cours des 50 dernières penses du gouvernement. Le budget  ST Electronics (27% du CA) : con- années visant à accompagner le déve- défense est même en croissance nomi- ception, développement et pro- loppement capacitaire des forces ar- nale constante, périodes de crises duction de systèmes d’information mées, pour en faire aujourd’hui l’une financières (1997 et 2007) comprises. et de communication avancés. des mieux équipées de la région. Cette De fait, depuis 1988, la part du budget  ST Kinetics (22% du CA) : concep- montée en puissance s’est réalisée en de la défense dans le PIB oscille entre 6 tion, développement et production trois temps : 3% et 6%7. En 2016, selon les sources de systèmes d’armes terrestres et  1st generation SAF (1965-1980’): officielles8, le budget atteint 13,97 Mds de munitions. concentration des moyens sur SGD (~9,28 Mds€). Il s’agit encore du  ST Marine (15% du CA) : construc- l’établissement de capacités con- premier poste de dépenses (19% du tion et modification de navires ventionnelles et la notion d’infantry budget voté), devant l’Education civils et militaires (patrouilleurs, centric. LPD). Singapour : Dépenses de défense

La montée en compétences de ST 2011 2012 2013 2014 2015 2016 Engineering et l’extension de son por- Budget Def. 11,28 11,83 12,34 12,56 13,12 13,97 tefeuille d’activités défense au cours (Mds SGD) (~Mds €) des dernières années sont à mettre en 6,45 7,37 7,43 7,47 8,61 9,28 % budget 24,2 23,6 23,1 21,1 23 19 parallèle avec la politique de défense % PIB 3,4 3,4 3,3 3,2 3,6 - singapourienne. %recherche 4,2 4,1 3,6 3,4 3,3 4,8

En effet, la création du groupe ST Engi- Source : Comptes nationaux 4 neering en 1997 résulte d’une véri- Principaux organismes singapouriens impliqués dans la S&T militaire table politique industrielle et technolo- La Defence Science and Technology Agency (DSTA) représente le principal chef d'or- gique à destination de la défense. Le chestre de la modernisation des forces armées du pays. La DSTA élabore et met en secteur de l’armement terrestre en œuvre la politique d'acquisition des biens et services pour la défense, et pilote la R&D12. constitue le premier bénéficiaire histo- Issue de la fusion en 2000 du Defence Administration Group et du Defence Technology rique. Group (DTG), la DSTA est structurée en 14 « Programme Centres ».

Une situation de dépendance sécuritaire, Pour sa part, la Defence Science and Organisation (DSO) représente le principal centre de R&D militaire. La création du DSO remonte à 1971, avec le projet « Magpie »13 relatif à l’origine des efforts de défense de la au développement de systèmes électroniques avancés destinés à des applications mili- Cité-Etat taires. Renommé en 1972 « Electronics Test Centre », il deviendra officiellement, en

Ancienne colonie britannique, Singa- 1977, la DSO. Elle rassemble environ 1 300 ingénieurs et chercheurs, au sein de 7 Divi- pour proclame son indépendance en sions thématiques. La DSO conduit des programmes de recherche en association le cas 1965, après cinq années passées au échéant avec les entreprises du conglomérat ST Engineering ou des partenaires étran- gers. sein de la fédération de Malaisie. Tou- tefois, dépourvue de ressources natu- Enfin, le Future Systems and Technology Directorate (FSTD) est responsable de la R&T et du développement des concepts opérationnels (issue de la fusion en 2013 du FSD et de la relles, disposant d’un espace contraint DRTech). 12 (17%). Grâce à ces efforts de défense, conçu et produit in-house voit le jour spécifiques (Chars lourd, Système Singapour apparaît au premier rang en 1976, sous le nom de SAR-80. En lance-roquettes multiple, véhicule des États d’Asie du sud-est pour les 1984, la SAF en commandera 20 000 MRAP, etc.). Le MINDEF achète ainsi dépenses de défense devant l’Indoné- unités14. sur étagère des plateformes principa- sie et la Thaïlande. Sur le segment véhicules blindés, l'ac- lement à des fournisseurs américains,

Enfin, le soutien à l’innovation et la quisition en 1968 de 72 chars légers français, allemands et israéliens. Ces recherche militaire ont joué un rôle AMX-13 issus des surplus de l’armée derniers constituent le socle de coopé- primordial dans le développement des de Défense d’Israël aboutit à la créa- ration en matière de défense et les capacités nationales de défense9. Les tion en 1971 de Automotive principaux fournisseurs de Singapour autorités singapouriennes ont mis en Engineering (SAE), en charge des activi- sur des segments stratégiques place « un écosystème du secteur de tés de MCO. L’acquisition de 300 véhi- (aviation de combat, de ravitaillement la défense », selon un terme utilisé par cules blindés de transport de troupes et de reconnaissance, missiles & dé- Quek Tong Boon, Secrétaire d’Etat à la M-113 en 1972 renforcera l’activité de fense aérienne, sous-marins, frégates, Défense et à la Transformation10. Il SAE par la modernisation et la produc- hélicoptères, systèmes d’armes ter- décrit la relation étroite qui existe tion d’un certain nombre de compo- restres). entre les utilisateurs (État), les déve- sants. Toutefois, la majorité des acquisitions loppeurs (Laboratoires) et les produc- En 1988, Ordnance Development & réalisées par le MINDEF s’inscrivent teurs (ST Engineering) de solutions de Engineering (ODE) et Allied Ordnance dans le cadre d’un partenariat. Ainsi défense. (AO) développent et produisent en dans le secteur de l’armement ter-

En 2016, la part du budget défense propre leur premier obusier, le FH-88, restre, seules les acquisitions de 15 consacrée à la S&T atteint un niveau en remplacement des 38 Soltam M-71 véhicules MRAP Maxx Pro auprès de de 4,8%11 (soit 671 M SGD, ~445,79 israéliens. l’américain Navistar (en 2009, dans le contexte des opérations en Afghanis- M€). Cette stratégie d’acquisition de pre- tan) et de véhicules tactiques 4x4 mier plan menée en parallèle d’un Stratégie d’acquisition & Armement VAMTAC16 (UROVESA) font office d’ex- effort lié au soutien à l’innovation terrestre : entre ToT et partenariats de ception. défense porte ses fruits à partir des années 1990. En effet, c’est à partir de cette Ces partenariats initiés dans le cadre ST Engineering structure aujourd'hui le date que ST Kinetics (résultat du rap- de programmes d’acquisition concou- paysage industriel de défense singa- prochement de CIS, SAE, ODE/AO) rent à trois objectifs principaux. pourien. Il rassemble la majorité des développe une gamme de véhicules 1. Indigénisation des plateformes en 15 capacités industrielles et technolo- blindés et de systèmes d’artillerie en vue de répondre aux besoins spéci- giques de défense créées depuis 1967. coopération avec la DSTA (ex DTG) et fiques de la SAF Son portefeuille d'activités défense a la DSO. Ces équipements intègrent Ainsi, en 2006, le MINDEF a notifié à été constitué au fil des programmes cependant des composants étrangers. l'allemand KMW un contrat relatif à la d'acquisitions lancés en national, et Parallèlement au développement fourniture et la modernisation de 99 des achats d'équipements du MINDEF d’une offre nationale, le MINDEF conti- chars Léopard 2A4 (en coopération réalisés auprès de fournisseurs étran- nue de mener une politique d’acquisi- avec ST Engineering)17. Ce contrat gers (avec accords offsets). tion de premier plan sur des segments intervient un an après la signature L’armement terrestre est le premier d’un accord de coopération de dé- secteur bénéficiaire : les activités in- TOP 5 fournisseurs Singapour période 2000-2015 fense entre les deux pays. Les chars dustrielles dans le domaine de l'artille- Leopard 2SG sont entrés en service en rie remontent à 1967, suite à un ac- 2008. En plus de ce contrat, KMW a cord de production sous licence négo- noué un partenariat avec ST Kinetics cié avec Colt Industries. L'entreprise dans le domaine de la formation du d'État Chartered Industries of Singa- personnel sur la maintenance des pore (CIS), nouvellement créée, se voit systèmes Leopard 2SG18. ainsi chargée de produire en local des A l’occasion de son discours au Parle- M-16 et munitions de calibre 5,56 mm ment en mars 2015, le ministre singa- destinés à la SAF. Un nouvel accord pourien de la Défense, Dr Ng Eng En, a signé pour une période de huit ans annoncé l’acquisition par les forces permet à CIS de vendre sa production armées singapouriennes de véhicules à l'export. Le premier fusil d’assaut Source : SIPRI, exprimé en TIV

Une politique d’offsets non codifiée

Même en l’absence d’une politique d’offsets codifiée ou d’un guide des compensations, les filiales de ST Engineering sontidentifiées comme les bénéficiaires des transferts de technologies. En effet, depuis 1965, le pays négocie des accords offsets dans le cadre des pro- grammes d'acquisition de plateformes produites par des fournisseurs étrangers pour développer et consolider une BITD locale20. Un docu- ment émanant du Department of Defence australien21 précise que le seuil pour une compensation à Singapour est de 10 M$ et qu’il com- prend généralement des compensations directes sur une période de 10 ans maximum (pénalités moyennes de 3% à 5% mais pouvant aller jusqu’à 10%) ; la compensation recherchée étant une participation industrielle allant de 25 à 30%.

Les déclarations du secrétaire d’État en charge de la Défense et du développement national -Cedric Foo- en 2005, semblaient toutefois indiquer que les expériences passées dans ce domaine s'étaient avérées relativement décevantes : « MINDEF’s experience with offsets in the 1980s was not encouraging. Our experiences showed that the benefits accruing from offsets are much less that they appear to be on the surface»,22 soulignant que plus les obligations en matière de compensation étaient importantes, plus les fournisseurs étrangers augmen- taient les prix (de 7 à 8%)...

13 MRAP Peacekeeper PRV. Entrés en ST Kinetics : vers un positionnement à réalisés par l’entreprise irlandaise service en juillet 2015, ces derniers l’international ? Timoney Holding, détenu à 27,68% sont adaptés des véhicules Higuards Grâce à cette stratégie d’acquisition, par ST Engineering. En septembre de Volvo/RTD comme le précise le ST Kinetics maîtrise aujourd’hui l’en- 2015, le groupe a présenté la version communiqué de presse du MINDEF19. 28 semble du cycle produit, de la concep- Terrex 2 , plus lourde (30t contre 2.Renforcement des capacités d’entraî- tion-développement, production, inté- 24t précédemment). nement de la SAF gration de systèmes d’armes  Obusier SSPH Primus 155mm : Déve- La contrainte géographique condi- terrestres, au MCO et à la gestion en loppé conjointement entre la SAF, le tionne également les partenariats de service. DTG (ex-DSTA) et ST Kinetics à partir défense. Suite à l’acquisition des chars Cette position est renforcée grâce aux de 1996 avant d’être officiellement Leopard, Singapour et l’Allemagne ont commandes nationales. En effet, dans certifié en 2002. Ce programme avait signé en 2009 un accord intergouver- le secteur de l’armement terrestre, le pour objectif principal de répondre nemental comprenant la mise en place MINDEF privilégie le lancement de aux besoins opérationnels spéci- d’un entraînement conjoint Panzer programmes sous maîtrise d'œuvre fiques de la SAF, qui en commande Strike, sur le territoire allemand. Con- nationale. Cette situation est particu- 54 unités. La plateforme Primus firmé et renforcé en 2013, cet accord lièrement vraie pour les segments repose sur le châssis du M-109 Pala- prévoit que plus de 1 300 membres de artillerie et véhicules blindés légers et din de conception américaine. la SAF puissent bénéficier des installa- médians (Bronco New Gen, VBCI  Obusier automoteur Pegasus 155 tions militaires de Bergen sur une pé- Terrex-2, VCI Bionix II). Ainsi, les pro- mm : Développé conjointement avec riode de 100 jours23. duits phares de ST Kinetics sont : la SAF et le DSTA. En 1996, le gou-

Enfin, notons que depuis 2005, Singa-  Bronco New Gen : Véhicule blindé à vernement a signé un accord en vue pour dispose d’un exercice conjoint haute mobilité (dont capacité amphi- de commander l’obusier. Equipé bisannuel avec les Etats-Unis Forging bie), développé à partir de 1992, sur d’un moteur diesel Lombardini Sabre. Dans ce cadre, la SAF a pu dé- une période de 5 ans, en partenariat 9LD625-2 à refroidissement par air, ployer le système de lance-roquettes avec le DTG (ex DSTA), la SAF (forces le Pegasus peut être aérotransporté multiple HIMARS dès décembre 2013 armées Singapouriennes) et ST Ki- par C-130 Hercules ou CH-47D Chi- et l’utiliser dans des conditions réelles netics. Lors du salon Eurosatory nook.

(pour une acquisition en mars 2013). 2010, ST Kinetics a présenté la va-  120mm SRAMS : Le développement 3.Développement des capacités natio- riante FSV équipée de deux tourelles du système mortier SRAMS a été nales d’innovation téléopérées RCWS. Enfin, en juin révélé pour la première fois en 2001

Le MINDEF a également développé en 2014, la version New Gen a été dé- (fin du développement en 2006). Le coopération avec ses partenaires voilée. Elle est plus légère et dispose système mortier peut être intégré d’une protection renforcée (niveau sur un large panel de véhicules lé- étrangers des solutions de défense. 27 STANAG 4) . gers à roues ou chenillés. Par exemple, la DSO et son partenaire australien, DSTO, ont collaboré dans le  VCI Bionix : Programme lancé à la fin  Tourelleau téléopéré Adder : Famille domaine NRBC, développant en 2012 des années 1980. La production a de tourelleau téléopéré stabilisé 2 le Test Kit for Ricin24. Sur le plan indus- débuté en 1996. La version Bionix II axes. Polyvalent, le tourelleau est triel, ST Kinetics noue des relations est entrée en service en octobre disponible en configuration avec un depuis plus de 10 ans avec l’australien 2006 et comprend notamment une ou deux systèmes d’armes de type Electro Optic Systems dans le domaine modernisation des systèmes de com- mitrailleuse 7.62mm, CIS 50MG et des tourelleaux téléopérés25. Autre munication, l’intégration de solu- CIS AGL couplé à une lunette d’ob- exemple de programme conjoint, la tions C4I, un canon 30mm Bushmas- servation avancée et de visée ther- DSTA et la SAF ont participé dès les ter II avec système de vision ther- mique. Celui-ci équipe notamment le années 2000 au développement du mique jour/nuit. La tourelle du VCI véhicule de transport de troupe système portable anti-char Matador Bionix est prévue pour accueillir Terrex. en coopération avec les entreprises deux hommes.  Fusil d’assaut SAR-21 : Fusil d’assaut allemande et israélienne Dynamit No-  Terrex AV-81 : Véhicule de transport 26 conçu et développé dès 1996 par ST bel et Rafael . de troupes, commandé par la SAF en Kinetics selon une architecture bull- 2010 à 135 exemplaires. Les pre- pup et dont la mise en service date miers prototypes ont été conçus et de 1999. En février 2014, ST Kinetics

Bases d’entraînement à l’étranger et mise en place d’exercices communs

Le document de stratégie « Defending Singapore at 21st century »29 rappelle l’objectif des autorités de maintenir au meilleur niveau les capacités et l'entraînement des forces armées du pays (SAF) : « For the SAF, overcoming the problem of resource constraints - our lack of training space and our limited manpower - will be a continuing challenge. [...] The level of capability and readiness we demand from the SAF means that we cannot accept compromises in our training tempo and our standards of performance. So we will have to continue to look for innovative solutions and to seize new opportunities which technology and co-operation with other countries and other armed forces open up »30.

Pour pallier à cette problématique, le ministère singapourien de la Défense sollicite des espaces et zones d'exercices/ entraînements au- près de ses États partenaires via la signature d'accords bilatéraux. Ce positionnement hors du territoire national représente une part signi- ficative des dépenses annuelles de défense en raison des coûts logistiques liés au transport des hommes et des matériels, et de la location des infrastructures. A titre d’exemple, Singapour a renégocié un accord avec l’Australie en vue de doubler les capacités de la base d’entraî- nement de Shoalwater où l’armée de Terre singapourienne est présente depuis les années 1990. Celui-ci est estimé à 2,25 Mds AUD (environ 1,58 Md€)31.

14 a présenté la version BMCR avec une nariat prévoyait un transfert de tech- Systems Australia présentée dans le capacité ambidextre et d’un poids nologies (ToT) de l’obusier Pegasus cadre du marché australien LAND 400, inférieur. conçu par ST Kinetics via la production est basée sur la version Terrex 243.

 Munitions : ST Kinetics est un des de 1 180 unités en Inde sur les 1 580 Armement terrestre & investissements : canons commandés. Cependant, après leaders mondiaux sur le segment des priorité donnée aux systèmes auto- avoir fait face à une enquête de cor- munitions de 40mm. L’entreprise a nomes noué de nombreux partenariats dans ruption en juin 2009, ST Kinetics a été Conformément à son plan capacitaire ce domaine. officiellement écarté en 2012 des ap- pels d’offres des marchés publics de 3rd generation SAF, le MINDEF singa- L’offre de ST Kinetics est destinée prio- défense indiens pour une durée de 10 pourien privilégie désormais l’acquisi- ritairement au marché domestique ans. Si cette décision devrait être an- tion de plateformes sophistiquées, (développement de son offre en coo- nulée par le gouvernement indien38, susceptibles de permettre une limita- pération avec la DSTA et la DSO). Tou- l’affaire a porté un coup définitif au tion de personnel mobilisé. C’est ce tefois, en renforçant son offre défense, projet d’exportation d’obusiers singa- qu’a rappelé le ministre singapourien ST Kinetics est passé au cours de la pouriens. de la Défense au Parlement, en 2014, dernière décennie du statut de pro- via la présentation du plan SAF 203044. C’est néanmoins sur le segment des ducteur répondant aux besoins natio- En effet, la SAF est engagée dans une véhicules blindés que ST Kinetics fran- naux à celui de producteur/ problématique d’effectifs, le nombre exportateur. chit un cap important à l’international, de conscrits étant appelé à être divisé et ce, grâce à son offre de véhicules ST Kinetics est ainsi l’un des leaders par 3 en 15 ans en raison de la baisse blindés à haute mobilité chenillés. En mondiaux sur le segment des muni- démographique45. effet, son offre Bronco positionne ST tions 40 mm. L’entreprise a signé un Kinetics comme le principal concurrent Pour ces raisons, le MINDEF donne accord de coopération en 2013 avec de BAE Systems Hägglunds (BvS10), une importance toute particulière à la Australian Munitions relatif au déve- leader mondial. Ainsi, en 2008, la ver- théorie de la « Révolution dans les loppement, fabrication et commerciali- sion Bronco (dont capacité amphibie) a affaires militaires », la technologie sation de munitions 40 mm pour la 32 été sélectionnée par la Thaïlande et le étant perçue comme un multiplicateur zone Océanie . ST Kinetics dispose 46 Royaume-Uni. Le contrat britannique de forces . Ainsi le MINDEF met-il également d’une clientèle en Europe (en UOR) porte sur 100 véhicules pour dorénavant presque systématique- (Finlande, Espagne, Suède et Slovénie un montant de 150 M£39. Cependant, ment en avant cette rhétorique pour ainsi qu’au Royaume-Uni). Sa présence suite à l’échec du test de mise en ser- l’acquisition de nouvelles plateformes : sur le continent américain est plus vice, le véhicule a demandé une adap- « Our frigates can operate with about récente : en novembre 2014, ST Ki- tation. Pour ce faire, ST Kinetics s'est 70 men, half that in other navies (…) netics a noué un partenariat straté- rapproché de Thales UK (usine instal- our High Mobility Artillery Rocket Sys- gique avec General Dynamics visant à lée à Llangennesh dans le Carma- tem needs a crew of only 3 men, com- assurer le développement et la pro- thenshire), en charge d'intégrer de pared to eight for other artillery sys- duction de munitions 40mm HV air- 47 nouveaux équipements électroniques tems » . burst au profit de l’US Army33. Enfin, de contre-mesure et d'assurer l'instal- Dans cette optique, les systèmes auto- en 2015, le Brésil est également deve- lation du surblindage et des vitrages nomes et la robotique constituent nu client de la filiale terrestre de ST 34 renforcés, produits par des équipe- aujourd’hui les thèmes prioritaires de Engineering (munitions 40mm) . A mentiers britanniques40. Cette version recherche des centres militaires singa- noter que ST Kinetics ambitionne un britannique du Bronco est connue sous pouriens aux côtés du Big Data Analy- positionnement plus important sur le le nom de Warthog. Ce contrat tics (et de la cybersécurité)48. marché brésilien. En 2013, le groupe marque un tournant dans le position- singapourien a procédé au rachat de Dans ce cadre, ST Kinetics concentre nement de ST Engineering à l’export : l’entreprise Technicae, spécialisée une partie de ses efforts de R&D dans le groupe singapourien voit son offre dans la maintenance de systèmes le développement de plateformes véhicule blindée crédibilisée après sa d’armes terrestres35. UGV. Ainsi, en 2015, ST Kinetics a mis vente auprès d’un pays occidental. en place une nouvelle division dédiée, Le groupe singapourien franchit une ST Kinetics poursuit ses efforts sur le rattachée à la branche commerciale, première étape à l’international suite à segment des véhicules blindés et pour- « Kinetics Advanced Robotics . L’entre- l’exportation de son premier système rait renforcer sa position avec son prise coopère notamment avec d’artillerie. En 2007, les Emirats Arabes offre Terrex. Depuis 2012, le groupe l’agence de recherche nationale civile Unis font l’acquisition du système de singapourien est partenaire de SAIC A*STAR et la filiale électronique de ST mortier SRAMS Super( Advanced Mor- dans le cadre du programme améri- Engineering49. tar Systems) 120mm (48 unités ; 106 cain ACV 1.1 (ex programmme MPC) M$)36. Ce système sera également En février 2016, à l’occasion du Singa- de l’USMC, évalué à 1,1 Md$. En no- vendu en 2012 et 2015 auprès pore Airshow, la filiale de ST Enginee- vembre 2015, l’offre conjointe de d'autres clients (non dévoilés). A ring a dévoilé sa gamme d’UGV Jaeger SAIC/ST Kinetics a été sélectionnée, se 50 l’inverse, les obusiers 155 mm Pegasus (6x6 ou 8x8) . Par ailleurs, le groupe a retrouvant désormais en concurrence et Primus n’ont connu aucun succès à noué un partenariat avec l’entreprise avec l’offre de BAE Systems/Iveco41. l’export. Toutefois, notons qu’une estonienne Milrem portant sur le pro- Ainsi, SAIC/ST Engineering se sont vus tentative infructueuse a eu lieu en jet UGV THeMIS (installation du tou- notifier un contrat de 121,5M$ pour la relleau téléopéré Adder)51. Inde. En 2008, ST Kinetics s’associe à phase EMD (Engineering, Manufactu- Punj Lloyd dans le cadre du plan d’ac- Le secteur de l’armement terrestre ring and Development), relatif à la quisition du gouvernement indien donne un aperçu de la montée en fourniture de 13 prototypes42. A noter d’obusiers légers 155 mm37. Le parte- compétences industrielles et technolo- également que l’offre Sentinel II d’Elbit

15 giques de défense réalisée par Singa- 15. Matthews Ron, Zhang Yan Nellie, « Small 36. « UAE buys mobile mortars », Defense News, pour. Celle-ci, qui a eu pour premier Country ‘Total Defence’ : a cas study of Singa- février 2007. pore », Defence Studies, Vol. 7, n°3 septembre 37. « Punj Lloyd inks pact with ST Kinetics for objectif d’assurer l’autonomie et la 2007, pp 376-395. Defence equipment maufacture », communiqué souveraineté de la cité-Etat, est passée 16. « Singapore quitely introduces the VAMTAC de presse Punj Lloyd, 5 juin 2008. par les phases classiques de licence ST5 high mobility tactical vehicle », Jane’s Interna- 38. « Remove ban on defence firm, Singapore to d’exploitation et ToT. Elle a néanmoins tional Defence Review, 29 avril 2016. India », Economic Times, 19 août 2014. 17. « Singapore set to acquire refurbished Leo- 39. Matthews Ron, Maharani Curie, « Singapore’s été accélérée par les investissements pard tanks from Germany », communiqué de arms sale to UK : a defence export de défense réalisés depuis 50 ans, ainsi presse du ministère singapourien de la Défense, 11 breakthrough », RSIS Commentaries, 2 janvier que les partenariats noués avec les décembre 2006. 2009. 18. « KMW establishes Asia Pacific hub in Singa- 40. « Thales announces Warthog contract with ST fournisseurs historiques. Enfin, il faut pore », communiqué de presse KMW, 2 février Kinetics », communiqué de presse Thales, 25 août souligner le rôle central donné à 2010. 2009. l’innovation et la recherche par le 19. « Facsheet : Peacekeeper Protected Response 41. « BAE, SAIC named as finalists in Marines ACV MINDEF, déterminant dans le dévelop- vehicle », communiqué de presse du ministère competition », Defense News, 24 novembre 2015. singapourien de la Défense, 8 juillet 2015. 42. « ST Kinetics’ Terrex 2 progresses into US pement de cette BITD, plus particuliè- 20. « SAF to double training time in Germany », Marine Corps’ amphibious combat vehicle pro- rement dans le secteur de l’armement The Straits Times,26 avril 2013. gramme », communiqué de presse ST Enginee- terrestre. 21. « Scientists develop kit to test for ricin poi- ring, 17 mars 2016. soning », The Straits Times, 5 décembre 2012. 43. « Team Sentinel’s Land 400 Bid revealed », KÉVIN MARTIN 22. Electro Optic Systems Holding, Rapport se- Australia Defence Magazine, Chargé de recherche, FRS mestriel 2014, 30 juin 2014. 44. Dr Ng showcas SAF 2030 at budget debate », [email protected] 23. « Factshhet – MATADOR : Unguided Short communiqué de presse du ministère singapourien Range Anti-Armour Weapon (SRAWW) », commu- de la Défense, 7 mars 2014. niqué de presse du ministère singapourien de la 45. « Singapore to boost defence systems to meet Notes Défense, 4 septembre 2004. future challenges », The Malay Mail Online, 30 1.« Defense News Top 100 for 2015 », Defense 24. Kumar Vijay, « Defence Collaboration : policy juin 2015. News. and implications for Singapore », Journal of the 46. Huang Ho Shu, « The hegemony of an idea, 2. ST Engineering, rapport annuel 2015. , Journal V27 N4 (octobre- the sources of the SAF’s fascination with techno- 3. Le taux de change utilisé résulte d’une décembre 2001). logy and the Revolution in the Military Affairs », moyenne annuelle. Pour 2015, celui-ci est de 25. « Comparative Defense offset policies at Irasec’ discussion paper, n°5, septembre 2009. 0,664367. March 2010 », Offset policy summar, Defence 47. « Speech by Minister for Defence Dr Ng Eng 4. En 1997, la fusion de ST Aerospace, ST Auto, ST Export Unit, ministère australien de la Défense, Hen at the Committee of sup"ply debate 2013 », Electronics et ST Marine donne naissance à ST consulté en septembre 2013. communiqué de presse du ministère singapourien Engineering. L’acquisition en 2000 de Chartered 26. « Speech by Mr Cedric Foo, Minister of State de la Défense, 12 mars 2013. Industries (CIS) par la filiale ST Auto formera ST for Defence and National development, at the 48. Document de présentation du Future Systems Kinetics. Committee of Supply Debate 2005 », communi- and Technology Directorate, 2014. 5. Données issues du Département des statis- qué de presse du ministère singapourien de la 49. ST Engineering, rapport annuel 2015. tiques de Singapour, estimations 2015. Défense, 7 mars 2005. 50. « Singapore Airshow 2016 : ST Kinetics unveil 6. « 3rd Generation SAF », site internet du minis- 27. « Eurosatory 2014 : ST Kinetics presenting unmanned ground vehicle family », Jane’s Inter- tère singapourien de la Défense. Bronco New-Gen – A new level of all-round pro- national Defence Review, 22 février 2016. 7. SIPRI Military expenditure database et données tection », Miltech Mag, 16 juin 2014. 51.« First-of-its-kind modular hybrid unmanned nationales pour 2011 à 2016 (ministère singapou- 28. « ST Kinetics unveils next-generation amphi- ground vehicle unveils at the Singapore Airshow rien des Finances). biuos armoured vehicle », Jane’s Defence Weekly, 2016 », Business Wire, 16 février 2016. 8. « Government expentidure 2016 », ministère 9 septembre 2015. singapourien des Finances, 24 mars 2016. 29. Defending Singapore at the 21st century, 9. Yuanxin Chen, « The impact of technology on février 2000. the military : an SAF perspective », Journal of the 30. Ibid. Singapore Armed Forces, Journal V25 N2 (avril- 31. « Singapore, Australia expand military part- juin 1999). nership with eye on China », Wall Street Journal, 6 10. « Industry Briefing – Singapore : Defence mai 2016. ecosystem », Jane’s Defence Weekly, 15 février 32. « Nouvelles munitions de 40 mm pour l’Aus- 2006. tralie », communiqué de presse Thales, 11 sep- 11. op.cit. tembre 2013. 12. Defence Science and Technology Agency act, 7 33. « General Dynamics partners with ST Kinetics mars 2000. on 40mm HV Air Burst ammunitions », communi- 13. « Creative Disruptive capabilities », Defense qué de presse General Dynamics, 19 novembre Science Organisation, brochure de présentation. 2014. 14. Yeo Eugene, « Technological capabilitiesof our 34. ST Engineering, rapport annuel 2015. defence industries », Journal of the Singapore 35. « ST Engineering’ Land Systems arm acquires Armed Forces, Journal V25 N2 (avril-juin 1999). Technicae Projetos Serviços Automotivos », communiqué de presse, 22 juillet 2013.

16 La Third Offset Strategy américaine

Le précédent Secrétaire à la défense gone, à l’origine de la seconde straté- notamment le Combat Manned- Chuck Hagel a annoncé fin 2014 le gie de compensation. Elle aboutit no- Unmanned Teaming, que l’exploitation lancement d’une vaste initiative capa- tamment au développement du con- des capacités d’innovation américaine citaire, la Third Offset Strategy (TOS), cept d’Air-Sea Battle (ASB) très contro- permettra de transformer en avantage par référence aux précédentes straté- versé quant à ses présuppositions compétitif face aux adversaires futurs gies adoptées pendant la Guerre stratégiques et ses effets sur la rela- des Etats-Unis. Dans la terminologie de froide. La première visait à compenser tion avec Pékin. Le sentiment d’érosion Marshall, un « avantage compétitif » la supériorité soviétique par la dissua- est accentué par les effets des séques- réside dans une capacité non seule- sion nucléaire sous l’administration trations et par la réaffirmation dela ment efficace mais aussi plus rentable Eisenhower. La seconde, à la fin des puissance russe, devenue une préoc- que la contre-mesure que l’adversaire années 1970, visait cette fois, en situa- cupation majeure depuis 2014. Les devra employer pour y faire face. tion de parité nucléaire, à compenser capacités posant actuellement le plus Bien qu’encore en cours de définition, la supériorité conventionnelle quanti- de problèmes aux Américains sont : la TOS n’en est pas moins pour la pre- tative communiste par l’investisse-  la défense anti-aérienne (les chas- mière fois incluse dans la requête bud- ment dans les technologies de l’infor- seurs de conception russe et plus gétaire de l’année 2017. Le Pentagone mation et le développement de doc- encore les systèmes de défense entend lui consacrer 3,6 Mds$ sur la trines permettant de développer ce intégrée reposant sur les « Double FY17 et 18 Mds$ sur le Future Years que les Soviétiques ont appelé un Digit SAM » S-300/400) ; Defense Program (jusqu’en 2021). Ces « complexe reconnaissance-frappe »  la guerre de surface (les missiles crédits visent à obtenir un effet de de précision. balistiques anti-navires chinois, les levier sur de multiples programmes

La préoccupation croissante devant le missiles de croisières supersoniques allant de la R&D à des initiatives de développement des capacités de déni tirés de navires de surface ou de court terme. Sur ce dernier point, l’un d’accès et d’interdiction de zone et plus sous-marins) ; des rouages clés réside dans le Strate- généralement de frappe de précision  la guerre électronique et le contrôle gic Capabilities Office (SCO), créé en du spectre électromagnétique (les 2012 pour développer des adaptations La présente stratégie, portée par le capacités de détection accrue qui pratiques à brève échéance pour faire Secrétaire adjoint à la Défense, Robert permettent de déjouer la furtivité, face aux capacités A2/AD adverses. Les Work, cherche à compenser ce qu’une de contre-mesures électroniques services accueillent l’initiative de diffé- majorité de responsables civils et mil- contre les radars, les communica- rentes façons : la Navy met en avant taires et d’analystes estiment être une tions et le GPS) ; ses grandes priorités comme contribu- « érosion de la supériorité militaire trices de cette stratégie ; l’Air Force américaine » précisément due à la  la lutte informatique ;  le counterspace (avec les capacités s’aligne progressivement mais consi- diffusion de ces capacités de recon- dère de toute évidence que la TOS naissance-frappe. Cette diffusion trou- antisatellites laser ou découlant des programmes de défense antimissile correspond à ce qu’elle entreprend verait sa concrétisation principale dans déjà ; l’Army considère qu’il s’agit en- la prolifération des capacités de déni de haute altitude - voir notre rap- port n°3) ; core de science fiction (dans la mesure d’accès et d’interdiction de zone (Anti- où le principal domaine la concernant  la multiplication des capacités types Access / Area Denial, A2/AD), censées réside dans l’autonomie et la robo- G-RAMM (Guided Rockets, Artillery, entraver l’accès des forces américaines tique). sur les théâtres d’opération et leur Mortars, Missiles) et des drones liberté de manœuvre sur ces théâtres. peu coûteux. La TOS s’enracine donc principalement dans les grandes priorités des services Cette préoccupation du déni d’accès Premier contour et déclinaisons de la émerge dans les années 1990 et et de la DARPA dont les plus impor- Third Offset Strategy tantes sont : s’affermit avec l’émergence militaire chinoise dans les années 2000, notam- Pour compenser la massification des  les armements hypersoniques, déve- ment parmi les partisans d’une Trans- armes de précision tant en déni d’ac- loppés par l’Air Force et la DARPA formation de l’instrument militaire, cès que sur le champ de bataille du (High Speed Strike Weapon), l’Army dont le plus influent est sans doute futur, le Secrétaire adjoint met l’accent (Advanced Hypersonic Weapon) et Andrew Marshall, alors directeur de sur les déclinaisons de la la Navy (le canon électromagné- l’Office of Net Assessment du Penta- « collaboration homme-machine », tique Railgun et le projectile haute vélocité) ; 17  les armes à énergie dirigée, notam- de leur expérience héritée de la celui du conflit armé dont la préven- ment les lasers de combat qu’expé- Guerre froide. L’Iran pourrait quant à tion peut nécessiter de mettre l’accent rimentent les quatre services et la elle, certes, « fermer » le Golfe Per- sur les forces de présence avancée, le Missile Defense Agency ; sique et fera l’acquisition des emblé- second est celui du seuil nucléaire  les capacités permettant d’accen- matiques S-300 cette année mais les omniprésent dans le débat sur la dis- tuer la domination américaine dans Américains semblent en fait confiants suasion de la Russie et émergeant le domaine sous-marin, centrale dans leur capacité à gérer ce type de dans le cas chinois. Ce facteur nu- pour contrer le déni d’accès, ce qui capacité. Les autres puissances ne cléaire, sans forcément remettre en inclut au-delà des plates-formes, le présentent pas de capacités A2/AD cause la criticité de moyens de contre- développement de toute une fa- réellement significatives pour les Amé- déni d’accès nécessaire à une dissua- mille de drones sous-marins ; ricains, même si la diffusion des sion crédible, va sans doute obliger le  le développement de l’autonomie G-RAMM poserait en cas de conflit Pentagone à modifier cet édifice con- qui se décline dans l’intelligence plus de difficultés à l’Army et aux Ma- ceptuel opérationnel et capacitaire rines. américain, fondé jusqu’à présent sur le artificielle de multiples systèmes, notamment l’autonomisation des Il apparaît donc que l’«érosion de la présupposé d’un affrontement con- drones permettant leurs opérations supériorité américaine » fondant cette ventionnel symétrique « débridé » qui en essaim, les interactions entre les TOS signifie plus précisément la fin de restait la norme depuis Desert Storm. opérateurs et leurs systèmes ; la « full dominance » face aux compéti- C’est ce à quoi semble s’atteler d’ail- teurs chinois, et maintenant russe. leurs l’USD Policy.  les équipements et doctrines per- mettant la reconquête de la supério- Alors que la seconde offset visait à Une réalité et une « rupture » restant à rité dans le domaine électromagné- rétablir une parité stratégique face à démontrer au regard des évolutions en tique, tant comme élément de rési- un adversaire soviétique alors plus cours puissant, à compenser une infériorité lience des forces américaines que Ensuite, la réalité et l’impact de cette bien réelle, la TOS ambitionne de com- comme outil offensif complémen- TOS sont encore à démontrer. Elle ne penser un glissement de la suprématie taire des armements cinétiques. Ces constitue, pour l’instant, qu’une re- vers la simple supériorité américaine. capacités couvrent tant la gestion qualification a posteriori de l’existant. Partant de là, elle consiste en fait à des opérations de contrôle du La fin des années 1970 avait connu limiter au maximum le risque tactique spectre EM que la guerre électro- une réelle convergence de la vision de qui se pose aux forces américaines nique. Le principal « programme la DARPA et de l’OSD avec celle de confrontées à tout type de «complexe d’ensemble » est l’Electronic Ma- l’Army, et secondairement de l’Air reconnaissance-frappe de précision », neuver Warfare de la Navy ; Force, pour aboutir à cette logique ce qui réintroduit son application po-  la lutte informatique dont beaucoup technico-opérationnelle parfaitement tentielle à tout appareil militaire me- d’éléments sont indissociables de la cohérente, ce que l’on appellerait une naçant, Etats, proto-Etats, hybrides ou priorité précédente. « théorie du changement », articulant non. La question qui se pose alors l’avantage compétitif tant désiré et Cette stratégie pose trois grandes réside dans le caractère problématique intégratrice pour la stratégie capaci- catégories de questions : la nature du d’une telle évolution. De fait, comme taire. C’est cette vision cohérente qui problème stratégique et capacitaire à le montre la plupart des engagements fait pour l’instant défaut à l’approche l’origine de cette TOS (compenser américains récents, la dynamique du de Work, fondée sur la « collaboration quoi ?), la réalité et l’impact de cette conflit armé et la culture américaine homme-machine ». Elle n’apporte TOS (compenser comment ?) et les amènent à relativiser l’existence guère plus dans la démarche d’innova- implications pour la France. d’effets de seuil de tolérance politique tion. On peut d’ailleurs faire l’hypo- Le cœur de la TOS : réagir face au glisse- qui seraient liés aux risques de pertes thèse que les Américains sont en réali- ment de la suprématie vers la simple accrues que ces menaces préfigure- té dans leur phase « d’étiage » capaci- supériorité américaine face à la Chine et raient. taire et que nombre de développe- la Russie Or, cette focalisation sur l’A2/AD et sur ments déjà en cours offre des perspec- Les derniers travaux de simulation de les capacités de frappe de précision tives de « compensation » significa- la Rand Co tendent à montrer que les pose problème. Tout d’abord, elle est tives à l’orée de la prochaine décennie. Chinois ont atteint une relative parité orpheline d’un cadre stratégique aussi Cependant, il semble en être de la TOS de la « balance des potentiels » en ce cohérent que celui dans lequel s’inscri- comme il en fut de la NCW, d’EBO et qui concerne un scénario de conflit sur vait la seconde offset qui partait de la plus récemment d’ASB. Ces concepts Taiwan mais que les Américains dispo- stratégie globale de dissuasion de finissent par ressembler aux grandes sent toujours d’un net avantage dans l’empire soviétique, se déclinant dans planètes gazeuses de notre système les scénarios plus distants comme un des postures, des stratégies de milieu solaire : un noyau concret générale- conflit autour des Spratley’s. Les forces (comme la Maritime Strategy), des ment limité qui « s’enrichit » d’une russes, quant à elle, font montre d’une doctrines (comme AirLand Battle). enveloppe au contour et au contenu remontée en puissance plus sélective, Pour cette raison, la stratégie de com- plus diffus et infiniment plus large. pensation actuelle peut être porteuse précisément en vertu de leur propre La stratégie de compensation actuelle, de contradictions avec les exigences stratégie de compensation vis-à-vis prise dans sa globalité, ne se fonde découlant du spectre plus global de la des forces de l’OTAN. Cette moderni- guère sur des avantages compétitifs gestion de crise avec les deux grands sation n’en est pas moins significative analogues à la seconde offset, même compétiteurs militaires. A cet égard, dans certains domaines (défense an- certaines lignes semblent émerger les Américains ont de nouveau à gérer tiaérienne, guerre électronique, cyber depuis quelques années. Or, les res- deux seuils, comme au temps de la et missiles) en raison non seulement sources budgétaires devraient rester de leur équipement mais également Guerre froide . Le premier seuil est

18 insuffisantes pour financer tout à la tique d’acquisition du Pentagone qui fois le rétablissement de la Readiness, dissuade plus qu’elle n’attire les firmes les plans d’acquisition et tous les commerciales. Au final, dans le cas efforts de R&D. Dans ce contexte, la présent, on semble assister en réalité à liste est longue de ces programmes une course aux armements assez sy- (puissance aérienne offensive, défense métrique en nature, dans laquelle le antimissile, sans parler des armements seul avantage compétitif des Etats- hypersoniques dans le futur) assurant Unis résiderait dans les ressources une compensation des capacités supérieures qu’ils consacrent à ces adverses par l’écart de performance développements. technico-opérationnelle plus que par Conclusions leur rentabilité, constituant en réalité des « désavantages compétitifs ». Si un Nous ne développerons pas dans le avantage émerge, il faut probablement détail les implications pour la France. le chercher dans les domaines du On notera simplement qu’elles peu- Manned-Unmanned Teaming à bas vent être multiples et avoir trait à coût et de l’exploitation des domaines l’interopérabilité avec les forces améri- électromagnétique et cyber, raison caines ou encore aux effets d’entraîne- pour laquelle ces domaines font partie ment en matière d’innovation. Cepen- des priorités de la TOS. La concrétisa- dant, tant que la TOS proprement dite tion d’un rééquilibrage entre ne présente aucune rupture au regard « capabilities » et « capacity » nous des développements existants, il y a semble donc constituer l’un des enjeux tout lieu de continuer à inscrire ces à venir de la concrétisation réelle de problématiques dans les tendances cette stratégie. Cependant, cette avan- que l’on connaît depuis des années. Le tage resterait de toute façon relatif plus significatif nous semble résider dans la mesure où les Chinois et les plutôt dans la notion même de straté- Russes poussent le mimétisme des gie de compensation fondée sur le Américains à investir, au-delà des ca- développement d’avantages compéti- pacités A2/AD précitées, dans les tifs. Compte tenu de la situation de mêmes technologies. La réponse ne se notre système de force, de ses con- trouve pas forcément non plus au plan traintes budgétaires et de ses limita- intellectuel : si les tactiques et pro- tions capacitaires face à un large grammes d’entraînement américains spectre de menaces potentielles, il semblent évoluer dernièrement pour nous apparaît que cette stratégie de prendre en compte ces menaces, les compensation est probablement plus concepts opérationnels fondamentaux critique encore pour la France et ses récemment développés (ASB, JOAC) et partenaires européens qu’elle ne l’est nombre de supporting concepts, ne pour les Etats-Unis. Reste cependant à présentent aucun caractère innovant en définir précisément la nature à depuis les développements des années l’aune de notre propre problème stra- 90. Quant à l’exploitation du potentiel tégique. d’innovation de l’industrie américaine, il semble en réalité entravé par une PHILIPPE GROS déconnexion grandissante entre les Maître de recherche, FRS [email protected] discours du DoD et la réalité de la poli-

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COP21 : un succès politique, un statu quo pour le climat

©A.Taithe L’adoption de « l’Accord de Paris » par sions (INDC – Intended Nationnally comptant pour 0,04% des émissions2.

195 délégués est venue clore, le 12 Determined Contribution). L’ac- Ensuite, les engagements d’atténua- ème décembre 2015, la 21 conférence cord de Paris renforce le processus tion des émissions pris par les États des Parties (COP21) de la Convention de soumission de ces engage- (sur la base d’une démarche volon- cadre des Nations Unies sur les chan- ments, tout en introduisant un taire) ne seront évalués sur le fond gements climatiques (CCNUCC). Pré- mécanisme de révision quinquen- qu’à partir de 2020. Et les INDC ne senté comme un texte historique pour nale des objectifs pour chaque seront révisés par chaque pays au le climat, l’Accord de Paris est avant États entre 2023 et 2025. mieux qu’entre 2023 et 2025. Ce ca- tout le succès d’un long processus de  Parallèlement à la question du lendrier des engagements nationaux négociation : 21 COP et 105 réunions financement de l’atténuation et de semble incompatible avec l’urgence à intermédiaires bimestrielles depuis l’adaptation pour les Pays en Déve- agir3. 1995…Mais si le document redynamise loppement, le concept de perte et De plus, les INDC, tels que déposés par incontestablement l’ internatio- dommage est précisé. Il vise des les États auprès du secrétariat de la nale pour le climat, il comporte des situations particulières (les évène- CCNUCC, contredisent l’ambition de manques criants, qui illustrent les li- ments extrêmes, la désertification maintenir le réchauffement global mites structurelles de ce processus. et la montée des mers) pour les- sous les 2°C. Diverses estimations Redynamiser l’action internationale pour quels l’adaptation ne suffit (OCDE, ONG…) évaluent en effet que le climat pas. Mais le paragraphe 52 exclut les engagements actuels conduisent à

1 toute responsabilité et tout re- une augmentation de la température L’Accord de Paris comporte des avan- cours pour des indemnisations à cées importantes : globale de 2,8 à 3,5°C en 2100. Dès l'encontre des pays historique- lors que les INDC sont insuffisants,  Le texte marque bien la volonté ment émetteurs de gaz à effet de quelle est l’utilité des avancées et des Parties de « contenir l’éléva- serre. mécanismes contenus dans l’Accord tion de la température moyenne  Les pays industrialisés consolident de Paris ? Dans le même sens, l’évoca- de la planète nettement en des- leurs financements d’actions tion dans l’Accord de Paris d’un ré- sous de 2 °C par rapport aux ni- d’atténuation et d’adaptation à chauffement contenu à +1,5°C est veaux préindustriels et de pour- destination des Pays en Dévelop- incantatoire, tant la réalisation de cet suivre l’action menée pour limiter pement. L’objectif d’un transfert objectif nécessiterait des efforts mas- l’élévation des températures à de 100 milliards de dollars par an à sifs et immédiats. 1,5 ». La mention 1,5°C a été une partir de 2020 devient un plancher Le texte n’évoque ni l’abandon des surprise positive ; elle reprend une dont le montant sera réévalué au énergies fossiles, ni ne vise une transi- revendication portée par les petits plus tard en 2025. États insulaires, qui en avaient fait tion énergétique (encore moins écolo- une ligne rouge. Ambition et moyens : quelle (in) gique) ou une décarbonisation de  Les États visent également à adéquation ? l’économie mondiale. L’Accord de

« parvenir à un équilibre entre les Ces avancées doivent cependant être Paris vise un équilibre entre les émissions anthropiques par les nuancées par plusieurs considérations. sources et les puits de carbone anthro- sources et les absorptions anthro- Tout d’abord, l’Accord de Paris est piques à l’horizon 2050, ce qui laisse piques par les puits de gaz à effet censé entrer en application à partir de une large place au recours à la géo- de serre au cours de la deuxième 2020. Depuis l’échec de la Conférence ingénierie, bien que cette dernière ne moitié du siècle(…) ». Cette neutra- Climat de Copenhague en 2009, cela soit pas considérée comme une option lité carbone pourra s’obtenir par repousse encore une réponse interna- crédible (n’agit pas sur les causes du un équilibre entre les émissions tionale coordonnée aux défis clima- réchauffement, très incertaines, en- jeux éthiques et techniques…). humaines et le captage/stockage tiques. L’entrée en vigueur de ce docu- du carbone. ment suppose sa ratification par au Le caractère contraignant sur un plan  A l’issue de la COP21, 185 États moins 55 Etats, représentant 55% des juridique du texte, incontestable, doit avaient déposé leurs objectifs émissions de gaz à effet de serre. Nous être minoré par le fait qu’aucun méca- volontaires de réduction d’émis- en sommes au 17 juin 2016 à 17 pays nisme coercitif et de sanction n’est prévu. L’Accord de Paris est formelle-

20 ment un protocole additionnel à la tions sur le commerce et les échanges tend mener rapidement cette phase CCNUCC. En ce sens, il a valeur de internationaux. De plus, les outils pour exprimer son soutien à l’Accord, Traité international et il crée des obli- luttant contre le réchauffement global la ratification par les États-Unis (qui gations. Il doit être exécuté de bonne ne se limitent pas à des instruments de représentent avec la Chine 38% des foi. Le mécanisme de transparence marché ou de fiscalité utilisés pour les émissions mondiales) est plus incer- (vérification des informations trans- pollutions (marché de droits à polluer, taine. L’administration Obama estime mises par les pays) pour les PI et les taxe énergie/carbone…). Mais les solu- que le pouvoir réglementaire du Prési- Pays en développement est le seul tions s’avèrent transversales et con- dent suffit à ratifier le texte sans le outil qui a une dimension contrai- crètes : stratégies d’investissement présenter devant le Congrès ; mais gnante, certes indirecte, par une (dans les énergies renouvelables no- cette procédure rend la ratification « Pression des Pairs ». Mais les INDC tamment), négociations sur les techno- fragile en cas de changement de prési- ne sont pas intégrées dans la partie logies…Enfin, une gouvernance mon- dence. Le probable candidat républi- contraignante de l’Accord de Paris. diale du climat donne l’illusion d’une cain aux prochaines élections prési- Enfin, comme tous Traités internatio- échelle unique à la fois dans la ma- dentielles américaines en novembre naux, les Parties sont libres de quitter nière dont le problème se pose, et prochain, Donald Trump, a ainsi mani- le dispositif à leur convenance. dont il doit être résolu. Or tous les festé son intention de revenir sur

Les limites d’une gouvernance mondiale pays ne sont pas concernés de la l’Accord de Paris s’il était élu. même manière par les défis du chan- du climat gement climatique, qu’ils y voient des ALEXANDRE TAITHE L’euphorie partagée par les délégués, opportunités ou des risques, ou par Chargé de recherche, FRS la présidence française de la Confé- exemple qu’ils disposent ou non de [email protected] rence et les représentants de l’ONU au ressources en hydrocarbure. Les très moment de l’adoption de l’Accord de nombreuses initiatives lancées5 paral- Notes Paris, témoignent d’un succès poli- lèlement à la COP21 illustrent le dé- 1.http://unfccc.int/resource/docs/2015/cop21/ tique et diplomatique. Mais c’est aussi fre/l09r01f.pdf passement d’une gouvernance globale 2.http://unfccc.int/2860.php un processus de négociation fondé sur (ou même étatique) du changement 3.Un réchauffement global limité à 2°C équivaut à le consensus qui a ainsi été préservé. climatique, au profit de gouvernances l’émission par l’homme dans l’atmosphère de 3000 milliards de tonnes de CO2. 2000 milliards Quelle aurait été la crédibilité des COP poly-centrées et multi-échelles6. futures (et de la CCNUCC) si la Confé- de tonnes cumulées ont déjà été émises depuis L’Accord de Paris a été ouvert à la l’ère industrielle. Le reliquat de 900 à 1000 mil- rence de Paris avait été un échec après signature le 22 avril dernier, première liards de tonnes de CO2 à rejeter pour tenir une série de COP décevantes depuis l’objectif des +2°C parait bien illusoire au regard étape pour les États souhaitant le rati- 2009 ? Le sentiment que le processus des 49 tonnes de CO2 émises en 2010 à l’échelle fier. Cette phase, indispensable à l’en- globale (cf. JOUZEL Jean, L’avenir du climat, de négociation est allé aussi loin qu’il trée en vigueur de l’Accord, est cepen- Institut Diderot, 2015, 43p.). le pouvait, malgré les importantes 4.Voir par exemple l’ouvrage suivant, qui s’appuie dant délicate. Les États-Unis avaient limites rappelées précédemment, est entre autres sur les publications d’une quinzaine par exemple signé, mais sans le rati- partagé par de nombreux chercheurs de chercheurs coordonnés par Amy Dahan : 4 fier, le Protocole de Kyoto (1997), ce AYKUT Stefan C., DAHAN Amy, Gouverner le et observateurs . climat ? 20 ans de négociations internationales, qui avait repoussé à 2005 l’entrée en La gouvernance climatique mondiale Paris, Les Presses de Sciences Po, 2014, 749p. vigueur de ce dernier. L’étape de la 5.Au cours de la COP21, des initiatives pour le s’est basée sur une représentation du ratification va être l’occasion de nou- climat étaient lancées presque chaque jour, à réchauffement planétaire comme velles négociations, moins exposées l’image de l’engagement de 700 maires du monde étant un enjeu environnemental, de entier, de l’initiative d’une centaine de multinatio- médiatiquement cette fois, et beau- nales, de la déclaration de 5000 jeunes lors du pollution et global. Or ce triple cadrage coup plus concrètes. La ratification par COY11 (Conférence des Jeunes, organisée avant est contestable. En effet, le change- l’Union européenne, en plus de la chaque COP) ; ment climatique doit au contraire être ratification pas chacun des États 6.DAHAN Amy, « La gouvernance climatique désenclavé du champ environnemen- onusienne : un cadre à sauvegarder, transformer membres, exigera ainsi une difficile ou faire exploser ? », Cités, Paris, PUF, n°63, 2015, tal et énergétique, car ses causes et répartition de l’effort de réduction des pp.161-174 . impacts sont multisectoriels. Il pourrait émissions de gaz à effet de serre entre par exemple être intégré aux négocia- les 28 pays de l’Union. Si la Chine en-

21 La FRS a organisé le 9 juin 2016 à la Maison de la Chimie les premières Rencontres Défense & Industries, avec le soutien du GICAT, de la Chaire Economie de la Défense (IHEDN) et de l’AACHEAR. Structurée en deux tables-rondes (Industries & Marchés et Capacités & Technologies), cette demi-journée de colloque aura réuni 150 participants autour de 13 intervenants : Stefano Chmielewski (GICAT), Général Charles Beaudouin (STAT), Vincent Imbert (DGA), Marek Krzakala (Acoem/Metravib), Thierry Dupoux (Safran/Sagem), Christian Bréant (Thales), Jean Belin (IHEDN), Emmanuel Chiva (Agueris), et les chercheurs de la FRS (Philippe Gros, Kévin Mar- tin, Hélène Masson, Patrick van den Ende, Gaëlle Winter).

Prochaines Rencontres Défense & Industries

Naval militaire

12 octobre 2016 9.00 - 13.00 Maison de la Chimie

Directeur de la FRS : Camille Grand Responsable Publications/Evènements : Marylène Pion ([email protected]) Rédacteur en chef Défense&Industries : Hélène Masson, maître de recherche, en charge du Pôle Défense&Industries ([email protected]) Fondation pour la recherche stratégique - 4 bis rue des Pâtures - 75016 Paris

www.frstrategie.org

ISSN : 2274-598X © FRS-Tous droits réservés

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