ProChoix la revue du droit de choisir

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ProChoix n° 52 - juin 2010 Sommaire

Apéro Saucisson : les liaisons dangereuses

5 Apéro saucisson vs prière en plein air douteuses provocations (Caroline Fourest) 9 La rue Myrha, ses prières, son pinard ses islamistes, ses fascistes et ses naïfs (Nadia Geerts) 13 Riposte laïque : à droite toute (Caroline Brancher) 25 Merci Riposte laïque ! Merci Facebook ! (Mohamed Sifaoui) 33 Derrière le saucisson, le Bloc Identitaire... (Fiammetta Venner, Caroline Fourest)

Enquêtes et décryptage

53 Un visiteur inopportun (Katia Guillermet, Guy Nagel) 67 Orages après JCall (Jonathan Halimi) 75 Les anti-IVG à Bordeaux, 17 ans après (Naïma Charaï) 77 Belgique : le triomphe des nationalistes (Vincent Archer) 91 Histoire d'une liste provie (Nathalie Szuchendler) 101 Bienvenue au CCIEL (Collectif citoyen pour l’égalité et la laïcité ) (Djemila Belhabib) 107 Mettons fin à la mascarade (Pierre K. Malouf) 115 Laïcité et laïcité ouverte (Louis Gill)

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On a vu, on a lu, on en parle

123 On a lu : Carole Roussopoulos, Caméra militante. Luttes de libération des années 1970 - Mohamed Sifaoui, Ahmadinejab atomisé - Christian Terras, La véritable histoire des évêques sous Vichy (1940-1944) -Ariane Buisset Les religions face aux femmes - Jeanne Favret-Saada, Jeux d'ombres sur la scène de l'ONU : Droits humains et laïcité - Alternatives Sud, Racisme : entre exclu- sion sociale et peut identitaire

125 On en parle : Inde : Un groupe hindouiste d'extrême droite vend une émeute - Ouganda : Homosexuels - Fugitifs dans leur propre pays - Arabie Saoudite : Quatre-vingt dix coups de fouet et quatre mois de prison pour un baiser - Israël : agression de Noa Raz -Bolivie : les conséquences de la "justice indigène" - Protestation mondiale contre la maltraitance des enfants devant toutes les ambassades du Vatican -Agressions homophobes par l'extrême droite catholique - Continuer la mobilisation pour Konstantina Kuneva -Mo- hamed Sifaoui souhaite porter plainte contre une affiche du FN - RESF : Najlae est de retour ! Et de quatre ! - Voile, Bible et adolescence - La LICRA dénonce les propos de Gérard Longuet.

ProChoix n°52 juin 2010

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Apéro Saucisson Les liaisons dangereuses

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pcx 52.indd 4 24/06/10 9:02:11 Ca r o l i n e Fo u r e s t Apéro saucisson vs. prière en plein air douteuses provocations

L’extrême droite est ravie. Les intégristes peuvent l’être aussi. Cette histoire d’«Apéro géant saucisson et pinard» interdit à la Goutte d’Or, quel pain béni pour leurs propagandes ! Les premiers ont vu leur droit de manifester bafoué et se disent « hitlérisés », alors qu’ils ne proposaient qu’un « rassemblement convivial » pour protester contre l’annexion anti-laïque de la rue Myrha. Les seconds peuvent légitime- ment crier à l’ « islamophobie », tout en expliquant qu’ils n’ont pas la place de prier ailleurs que dans la rue… Et si la réalité était plus complexe ?

on, contrairement à ce que clament ses gentils organisateurs, l’«apéro saucisson et pinard » n’avait rien de « convivial ». NNous sommes bien dans la tradition de la Soupe au cochon et autres manifestations pensées pour flatter le rejet des musulmans. L'appel a été lancé conjointement par des groupes identitaires et un petit groupe d'ultra-laïques, Riposte laïque, dont la dérive n'a surpris personne.

La dérive de Riposte laïque Des intellectuels et des militants mettent en garde depuis des mois. À commencer par l’UFAL, l’Union des familles laïques, dont les mili- tants de Riposte laïque sont partis en raison de désaccords profonds. En l’occurrence, l’Union des familles laïques souhaite lutter contre tous les intégrismes au nom de la laïcité, là où les quelques militants de Riposte laïque souhaitaient « résister » à « l’Islamisation ». Ce qui est très différent. Tout dans sa sémantique annonçait le rappro-

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chement avec des groupes nationalistes, u'ils admirent Eric Zemmour, ou Philippe de Villiers. Mais comme souvent, ceux qui ont alerté et mis en garde étaient encore loin du compte. Car c’est car- rément du côté des nationaux-radicaux que Riposte laïque va désor- mais chercher ses nouvelles fréquentations. Notamment au Local du bien connu Batskin, ancien chef des skins de , où Pierre Cassen, le fondateur de RL, est intervenu. Quelques semaines plus tard, on ap- prenait que Riposte laïque allait se joindre à l’“Apéro géant saucisson et pinard à la Goutte d’Or” aux cotés du Bloc identitaire… L’un des groupes d’extrême droite les plus radicaux. Exactement comme le groupe des Indigènes de la République symbo- lise les alliances douteuses pouvant exister entre certains progressis- tes et des intégristes, le mouvement de 'l’apéro saucisson et pinard' témoigne d’alliances douteuses pouvant entre certains laïques et des racistes. Bien que marginales, elles annoncent un populisme nouveau, façon Geert Wilders aux Pays-Bas ou UDC en Suisse.

Instrumentalisation contre démission Ce populisme marquera des points partout où des élus cèdent au com- munautarisme et à l'intégrisme. C'est le cas lorsque certaines villes de acceptent que des groupes religieux – juifs ou musulmans – puissent dresser des barrières et bloquer la circulation : pour la sortie d'une école religieuse ou pour prier en plein air. Pas toujours par man- que de place. À Saint-Denis, par exemple, les militants de l'association Tawhid prient en pleine rue, alors que leur local permet d'accueillir les fidèles à l'intérieur. On imagine l'exaspération des habitants qui vivent autour. Surtout lorsqu'ils sont d'origine algérienne et repèrent ce manège prosélyte. En Algérie aussi, les militants du Front islamique du salut (FIS) mar- quaient leur territoire en priant dans la rue... Ce n'est pas si loin. La mosquée qui annexe la rue Myrha, dans le 18e arrondissement de Pa- ris, a justement été dirigée par l'un des cofondateurs du FIS. En 1995, il sera assassiné devant sa mosquée. On soupçonne le Groupe islamique armé d'avoir voulu lui faire payer sa volonté de négocier avec le pou- voir algérien. Depuis, son successeur a trouvé un arrangement avec le commissariat de son quartier, qui tolère la prière en plein air. L'accom- modement devait être provisoire. Il dure depuis dix-sept ans.

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pcx 52.indd 6 24/06/10 9:02:11 Caroline Fourest Apéro saucisson vs prière en plein air ...

Colère légitime Depuis tout ce temps, des habitants et quelques républicains protes- tent. Leur colère est légitime. Un groupe religieux, quel qu’il soit, n’a pas à annexer la voie publique. Au Québec, des groupes juifs ultra- orthodoxes qui s’autorisent à faire mettre le feu en pleine rue sous prétexte de célébrer la crémation des pains, c’est exaspérant, mais c’est une fois par an. À la Goutte d’Or, la mosquée Khalid Ibn Wali annexe la rue tous les vendredi de 13 à 15h. Ses militants arborent des brassards « sécurité », dressent des barrières pour bloquer la circula- tion, et déploient des tapis de prières pour inviter les fidèles à prier en plein air. Les commerçants doivent cesser leur activité, les passants doivent longer le mur. Si vous décidez de passer quand même, un homme vous intime de presser le pas. Intriguée, une amie militante laïque marocaine de passage à Paris est allé demander la raison de cette occupation à l’un des hommes de la mosquée. Il lui a répondu que Dieu leur avait demandé de faire de « la pub » pour l’Islam. Ce n’est certainement pas l’état d’esprit de tous les fidèles. Certains préfèreraient sans doute sincèrement prier à l’intérieur et ne font que suivre le mouvement. Le principe reste le même. Pourquoi les associations religieuses auraient-elles des passe- droits que les autres n’ont pas ? Beaucoup d’associations n’ont pas de locaux assez grands pour accueillir tous leurs militants… Pourquoi n’iraient-elles pas annexer chacune une trottoir une fois par semaine au lieu de louer une salle pour se réunir ? Puisque les fidèles de la rue Myrha sont si nombreux, ne peuvent-ils pas donner chacun un euro pour louer une salle une fois par semaine ? Pourquoi avoir refusé toutes les solutions, certes un peu décentrées, que la mairie a essayé de leur proposer ? Comment s’étonner que l’extrême droite finisse par prospérer ? Voilà des années que la mairie et la préfecture se ren- voient la balle. Et pendant ce temps, la colère monte.

Responsabilité politique Daniel Vaillant, maire du 18e arrondissement de Paris, a bien demandé que l'on interdise "l'apéro saucisson", mais assume "ne pas demander au préfet de police d'interdire physiquement ces prières dans la rue". Le temps que la Mairie de Paris inaugure un Institut des cultures d'is- lam de quatre mille mètres carrés. But non avoué ? Contribuer à offrir une immense salle à une association privée, qui pourra la louer pour la prière du vendredi. Ce qui est censé tout résoudre, mais contourne

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l’article 2 de la loi de 1905. Le maire du 18ème y voit la preuve d'une "laïcité positive", la même que celle souhaitée par Nicolas Sarkozy. La gauche proteste pourtant lorsque la mairie de Bordeaux installe un groupe intégriste dans une église. Peut-elle assumer de financer — même indirectement — une salle de prière dont bénéficieront un jour des musulmans mais aussi quelques intégristes ?

Rien ne dit que ces arrangements avec la loi de 1905 vont tout résou- dre. Il existe déjà soixante-quinze mosquées à Paris, dont certaines sont loin d'être bondées. La Mosquée de Paris s'est dite prête à accueillir les fidèles de la rue Myrha. Ils préfèrent prier en plein air à la Goutte d'Or... bien qu'ils ne soient pas tous du quartier. Qui pourra les obliger à prier dans la salle construite par la République ? Que fera la mairie lorsque des prêches douteux résonneront dans ces murs ? Que dira-t- elle aux contribuables si les prières reprennent dans la rue, malgré les millions injectés dans l'Institut des cultures d'islam ? Elle pourra tou- jours plaider sa bonne foi, de nombreux citoyens n'écouteront plus... que les sirènes de l'extrême droite. Et le populisme antimusulman se portera mieux que jamais.

Caroline Fourest

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pcx 52.indd 8 24/06/10 9:02:11 Na d i a Ge e r t s La rue Myrha, ses prières, son pinard ses islamistes, ses fascistes et ses naïfs

ifficile de passer à côté de l’information : un événement circu- lant largement sur Facebook vient d’être interdit. Son propos D: protester contre l’occupation de la rue Myrha (Paris, 18è arrondissement), chaque vendredi depuis des années, par des mu- sulmans en prière, et ce en organisant un grand « apéro pinard et saucisson », le vendredi 18 juin prochain. « Où est le mal ? » se demandent certains, furieux de ce qu’ils perçoi- vent comme une interdiction faite à des citoyens de partager un bout de saucisson et un verre de vin, alors que le même lieu est envahi chaque semaine par des musulmans qui prient, empêchant la circu- lation. « Deux poids deux mesures », protestent-ils, indignés. « Provocation ! » s’offusquent les autres : « Est-ce la faute de ces gen- tils musulmans s’ils n’ont pas de local adapté pour faire leur prière, et ce depuis des années, et se retrouvent contraints, pour faire bouger les autorités, à prier en pleine rue ? ».

Or, la question n’est pas là. Non, la préfecture n’interdit pas à de paisibles citoyens de consommer du vin et du saucisson dans la rue, au motif que ça choquerait les pieux musulmans. Et non non plus, il ne s’agit pas de malheureux musulmans contraints de prier en rue faute de locaux adaptés. Parmi les organisateurs de cet événement (1), et c’est là que le bât blesse, on trouve le Bloc identitaire, Novopress, Résistance républi- caine, le site Internet Bivouac-Id, les Jeunes pour la France (mouve- ment de jeunes villiéristes), l’association Vérité valeurs & démocratie, Riposte laïque, etc.

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Motif ? « Parce que la rue Myrha et d'autres artères du quartier sont occupées, particulièrement le vendredi, par des adversaires résolus de nos vins de terroir et de nos produits charcutiers ». Selon SOS racisme, la date du 18 juin n’a pas été choisie au hasard : «il s’agit de commémorer la résistance à une armée d’invasion ». Si on ajoute à cela l’affiche de l’événement, qui utilise la typographie de manière à ce que les lettres « SS » du mot saucisson apparaissent à la manière nazie, on comprend qu’on est loin d’un pique-nique bon enfant. Associations Organisatrices

Action Sita ; Bivouac-ID ; Bloc Identitaire; Cercle Aristote ; Comité de Lépante ; François De Souche ; Initiative Gaulliste de Brives ; Jeunes Pour la France ; Ligue du Droit des Femmes ; Novopress ; Observa- toire de l’Islamisation ; Parti de l’In-nocence ; Poste de Veille ; Projet Apache; Résilience TV ; Résistance Républicaine ; Riposte Laïque ; Solidarité Des Français ; Titis Parisiens ; Union Gaulliste ; Vérité Valeurs & Démocratie

Remarque: L'Union du peuple français, qui avait d'abord rejoint cette ini- tiative, s'en est retirée ensuite pour les motifs suivants: "Après avoir été contacté par Riposte Laique, l'Union du Peuple Français avait donné son accord pour participer en leur compagnie à un rassem- blement laïc et républicain dans le 18ème arrondissement de la capitale le jour de l'anniversaire du 18 juin 1940. Force est de constater que cette ma- nifestation sympathique a été récupérée par le Bloc Identitaire et que des affiches fleurissent à Paris avec les SS marqués en gras dans "saucisson". Riposte Laique, informé, n'a pas condamné ce rapprochement et bien plus, a indiqué dans son site la présence de ce mouvement dans la liste des sou- tiens au même titre que F. de Souche, le projet Apache ou Novopress. Cet amalgame est non seulement contreproductif mais encore dangereux. Dans ces conditions, tant qu'une mise au point sérieuse et définitive de Riposte Laique ne sera pas intervenue, l'Union du Peuple Français s'est retirée de la liste des soutiens à cette manifestation. Si nous partageons le combat républicain et laïc de Riposte Laïque, gaullistes et attachés à une certaine idée de la France, il ne peut être acceptable pour nous de cotoyer les mouvements précités, ne serait-ce dans un intérêt considéré comme supérieur. Nous vous demandons donc de faire taire toutes les rumeurs nous accu- sant d'être partie prenante de ce rassemblement."

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pcx 52.indd 10 24/06/10 9:02:11 Nadia Geerts La rue Myrha, ses prières, son pinard, ses islamistes, ses fascistes ...

De l’autre côté, selon Caroline Fourest, point de musulmans débon- naires demandant simplement un espace convenable pour prier, mais des personnes qui choisissent de prier en rue parce que Dieu « leur a demandé de faire de la pub pour l’islam ». Avec pour corollaire le détournement de la circulation, la cessation des activités des commer- çants, et l’impossibilité pour un piéton de passer dans cette rue sans longer le mur.

Alors soyons clairs. Oui, il est parfaitement scandaleux que depuis des années, une rue, voire un quartier, soient rendus impraticables à la circulation par des gens qui estiment que leur devoir est de faire de la pub pour leur religion. Oui, on a le droit d’y réagir, même de manière provocante et humoristique, en allant étaler sa nappe à car- reaux et déboucher son litron de vin rouge dans la rue Myrha, en l’accompagnant d’un délicieux saucisson pur porc. Parce que soit la rue est à tout le monde, soit elle n’est à personne, mais que son oc- cupation ne peut être autorisée à certains sous prétexte de religiosité exacerbée, mais pas à d’autres sous prétexte qu’ils offenseraient ainsi ladite religiosité. Mais non, la raison de l’interdiction de ce rassemblement n’est pas là. Elle est dans l’identité pour le moins sulfureuse des organisateurs, dont le but n’est pas de réaffirmer des principes démocratiques dont ils n’ont cure, mais constitue une réponse de bergère identitaire et fascisante à un berger identitaire et fascisant. Plutôt que d’organiser une guéguerre entre les adeptes du hallal et ceux du saucisson, entre les buveurs de thé à la menthe et ceux de vin, une initiative sympathique aurait consisté à organiser un grand pique-nique rassembleur, conviant tous les citoyens soucieux de vivre ensemble, au-delà des replis identitaires, à venir partager qui leur li- tron de vin rouge, qui leurs pâtisseries orientales, qui leur saucisson, qui leur raki ou leur thé. Et oui, pourquoi pas, au nez et à la barbe des islamistes. Une manière de dire que certains, dans le quartier de la Goutte d’Or, veulent vivre ensemble, qu’ils soient par ailleurs mu- sulmans ou non. Et qu’ils n’entendent pas se laisser enfermer par les extrémistes de tous poils.

Parce que le véritable enjeu n’est pas de défendre les produits du ter- roir contre la menace islamiste, mais de défendre un modèle de vivre

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ensemble qui, tout en étant respectueux des convictions privées de chacun, interdit que ces convictions n’empiètent sur l’espace commun à tous d’une manière qui aboutit à le privatiser. L’apéro pinard et saucisson, en mettant en avant l’identité française – d’une manière, soit dit en passant, pathétiquement réductrice, comme si la France n’avait rien de plus noble à proposer ! – joue le jeu de ce qu’elle prétend dénoncer.

Nadia Geerts

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pcx 52.indd 12 24/06/10 9:02:11 Ca r o l i n e Br a n c h e r Riposte laïque : à droite toute

Dès l’automne 2007, à leur création plusieurs voix se sont élevées pour protester contre les dérives de Riposte laïque1. Dans Prochoix, nous avons consacré plusieurs articles à mettre en garde, à analyser et à décrypter Riposte laïque. En juin 2009, mon article consacré au décryptage de Riposte laïque avait eu un effet sur ses lecteurs2. Mais je pensais encore que les rédacteurs collaboraient par manque de vi- gilance à des sites racistes, qu’ils se dirigeaient peu à peu vers Philippe de Villiers. A l’heure ou nous bouclons, Riposte laïque après avoir fait une conférence chez l’ancien chef des skinheads parisiens s’apprête à remettre le couvert lors d’un apéro saucisson avec les nationaux- radicaux du Bloc identitaire. Sous prétexte de débat et de refus du politiquement correct, c’est plutôt d’une réelle sympathie dont fait preuve Riposte Laïque à l’égard de l’extrême droite.

n mars 2010, Riposte Laïque apporte son soutien à une affiche du FN. Imitant l’affiche de la droite suisse contre les minarets, elle Ereprésente une femme drapée d’un tchador et se tenant à côté d’une France recouverte du drapeau Algérien et érigée de minarets. L’affiche titre : « NON A L’ISLAMISME » L’amalgame graphique est

1 Caroline Fourest, « Laïcité : la clarification est un combat (à propos de l’affaire d’Epi- nal) », Prochoix, 6 octobre 2007 ; Marie Perret, « Affaire des Vosges : Le traquenard tendu par l’extrême-droite chrétienne », Ufal, 5 novembre 2007 ; Caroline Fourest, « Réponse à Riposte laïque », Prochoix, 13 octobre 2007 ; Leïla Babès, « Riposte laïque, ou les nouveaux pourfendeurs de l’islam », 29 février 2008 ; Mohamed Sifaoui, « Pour- quoi faut-il se méfier du discours de Riposte laïque ? », 1er septembre 2009… 2 Caroline Brancher, « Riposte laïque : analyse d’une stratégie », Prochoix, n°48, juin 2009

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très clair. Il s’agit de faire croire que l’Algérie c’est l’islamisme. Que nombre d’opposants à l’intégrisme musulman soient algériens n’ef- fleure pas les auteurs frontistes de l’affiche. Que le FN n’ait aucun problème avec l’intégrisme chrétien n’effleure pas, non plus, les mili- tants de Riposte laïque. Au contraire, ils livreront bataille à tous ceux qui protesteront : « J’ai ma petite idée. Et si, tout intellectuel, tout laï- que, tout engagé que vous soyez, vous étiez devenus incapables de penser par vous-mêmes dès qu’on agite le chiffon rouge du FN ? Et si vous aviez été si bien conditionnés que, par un reflexe pavlovien qui vous réduit au rang d’animal, vous perdiez tout esprit critique dès que le mot magique «extrême droite» est prononcé ? Il semble que vous soyez prêts à tout pour vous démarquer de ce parti, même à vous renier. Ainsi, si le FN disait que la terre tourne autour du soleil, vous re- tourneriez aux théories géocentristes pour vous en démarquer ? Ainsi, si le FN prétendait que les élus doivent être incorruptibles, vous pré- tendriez qu’ils doivent se laisser acheter ? Le ridicule ne vous fait pas peur. »1 Ou encore « il n’y a rien dans cette affiche de répréhensible et ce n’est pas parce que c’est le FN qui l’a collée que l’on devrait hurler avec les loups »2 Les menaces judiciaires à l’encontre de l’affiche du FN reviendraient à : « instaurer le délit de blasphème, pour empêcher toute critique d’une religion, l’islam »3 Riposte Laïque a même pour l’occasion reproduit l’affiche du FN sur son site, belle preuve de sou- tien à la veille des élections régionales.

Chez les « ex » skinheads. Mais la défense du Front national n’a pas été le seul soutien de Riposte laïque aux thèses d’extrême droite. En mars 2010, Pierre Cassen, le fondateur de Riposte Laïque annonce qu’il fera une conférence au Local de . Serge Ayoub est un ancien skinhead néo-nazi très actif fin des années 80. Sa bande était appelée le « Klan » et il est le fondateur des Jeunes- ses nationalistes révolutionnaires (JNR). Il était également réputé pour se servir de battes de baseball lors d’affrontements physiques avec ses ennemis politiques d’où son surnom Batskin. Dans une des publications qu’il dirige alors intitulée Pour le Prix d’une

1 Christine Tasin, Riposte laïque, 15 mars 2010. http://www.ripostelaique.com/Affiche- du-FN-intellectuels-et.html?var_recherche=non%20a%20l%27islamisme 2 http://www.ripostelaique.com/Le-Mrap-utilise-une-affiche-du-FN.html 3 Idem 14

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Klan Comics, une des publications alors dirigée par Serge Ayoub

bière on peut lire une chronique sur Orange mécanique : « vous vous régalerez de toute cette ultra-violence : viols, abus de fillettes, bagarre avec le gang ennemi d’Alec, une viochka (vieille) éclatée au milieu de mitons tzarribles, de la Grande musique, je ne vous raconte que ça ». Dans le même numéro on peut aussi lire « le tchador j’adore, ça ca- che leur sales faces de brebis. » ou encore « Danielle Mitterand met le voile sur sa face de Zira la guenon. C’est normal quand on a une tête de singe de soutenir des brebis ». Les juifs ne sont pas en reste pour le groupe Ayoub qui revendique le port de la croix gammée comme si- gne identitaire « un stade sans supporters c’est comme un camp sans juif. Tout se perd ». La sociabilité du groupe de skin autour de Serge

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Ayoub se fait dans les tribunes du PSG et c’est à celui qui fera le plus de saluts nazis. Aux alentours du stade c’est le grand défouloir, enfin quand les méchants policiers n’empêchent pas les skins de recourir à leur activité favorite, casser du moins blanc qu’eux. Toujours dans Pour le Prix d’une bière, un des jeunes skins du klan de Batskin ra- conte : « Cette journée fait figure de journée de repos. Surtout à cause de ces fils de putes de flics cadrant le Kop. (…) Le gros problème du Kop, c’est de montrer aux CRS qu’ils n’y sont pas maîtres. Un Kop soudé peut aisément venir à bout ou empêcher l’arrestation ou le passage à tabac d’un camarade. Pendant cette journée un skin s’est fait tabasser et arrêter tandis qu’un autre plus âgé s’est fait emballer. A noter qu’un lynchage de ‘nègre’ a du être stoppé à cause de l’inter- vention policière. »

Mais tout ça ne serait que de la diffamation anti-Serge Ayoub. Pour Riposte Laïque, Serge Ayoub aurait changé. Christine Tasin fait même la chronique du livre de Serge Ayoub Conte Barbare sur le site de Riposte Laïque. On y apprend qu’il s’agit juste d’un conte, l’histoire qu’un père raconte à son fils. Qu’on y découvre « la certitude que la beauté, l’amour, le bonheur, sont là, à côté de nous, à portée de main » Batskin serait devenu fleur bleue. Pourtant le logo «poing levé» qui figure sur le livre de Serge Ayoub n’est autre que celui que Batskin utilisait pour les tracts de son Comité de Base Jeunesse. Et Serge Ayoub ne semble à aucun moment regretter son passé. Mais Riposte laïque préfère faire table rase : « Serge Ayoub, par son passé d’agitateur politique de l’extrême droite, a, à tort ou à raison, et peu importe ici, une réputation sulfureuse, mais son roman est celui d’un humaniste »1. Un humaniste !

1 http://www.ripostelaique.com/Conte-barbare-de-Serge-Ayoub.html

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Une personne est chargée d’anihiler toute question chez les lecteurs de Riposte laïque. Pierre-Yves Rougeyron, président du Cercle Aris- tote, animateur des soirées culturelles au Local de Serge Ayoub. Inter- rogé par Riposte laïque, Pierre-Yves Rougeyron explique que le cercle Aristote a pour « but de vulgariser la culture politique à l’encontre des jeunes »1. Puis il décrit Serge Ayoub aux lecteurs de Riposte Laïque : « Serge est un ami et je ne déjugerai jamais l’un des miens. C’est un homme brillant, il n’a pas volé sa maîtrise d’histoire et il écrit très bien (je vous renvoie à ses ouvrages). De plus, mon père étant radical- socialiste, il m’a appris qu’un homme change et je refuse de juger un homme via des sobriquets qu’on lui donnait quand il avait 19 ans. Il en a aujourd’hui 45. Je me permets d’interroger vos lecteurs si à l’éco- le on les appelait Mickey, grande oreilles ou calculette, est-ce qu’on les appelle encore Mickey ou grandes oreilles. S’il avait été proche d’Action directe (qui eux ont fait des crimes de sang) cela ne poserait AUCUN problème. Il n’a jamais été condamné pour racisme, ce qui est étrange pour quelqu’un d’aussi sulfureux vous ne trouvez pas ? Il est issu des rangs d’un mouvement de jeunes de classe moyenne, proche du mouvement punk qui a marqué les années 80 (c’est à leur look que l’on doit Jean-Paul Gaultier), mouvement qui se voulait révo- lutionnaire dans un temps de gestion. Un mouvement dur et turbulent c’est vrai mais qui est fini et a disparu depuis longtemps (sans-culot- tes et chouans d’une société déjà post-industrielle, repue et rompue). J’avais 9 ans quand cette aventure a pris fin, j’en ai 23 aujourd’hui. Je refuse de m’ériger censeur avec près de 15 ans de rétrospective c’est trop commode. Je sais sans trahir sa pensée que pour lui il y a un clivage dans la société : les riches et les pauvres. Simpliste ? Beau- coup moins qu’il n’y paraît. Je peux penser différemment mais je le respecte comme je respecte les hommes qui se battent pour ce qu’ils croient. »2

Une autre rédactrice de Riposte Laïque, Véronique Hervouët, a égale- ment tenu une conférence au Local. Elle en dressera le compte rendu dans Riposte Laïque : « En tenant une conférence au Local, j’ai vécu

1 http://www.ripostelaique.com/Pierre-Yves-Rougeyron-president-du.html 2 http://www.ripostelaique.com/Pierre-Yves-Rougeyron-president-du.html

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une expérience magnifique » 1 Dans cet article, elle accuse ceux qui fustigent le Local d’appartenir à « la bien-pensance sectaire et gau- chisante »2. Elle conclut ainsi : « Je garde de mon passage au Local le souvenir ému d’un lieu où il y eut une véritable communion entre des gens d’horizons les plus divers. Une mixité sociale inouïe, comme je n’en avais jamais vu. Magnifique. »3 Elle explique qu’elle a accepté l’invitation du Cercle Aristote au mo- tif que : « les invités du Cercle Aristote, qui étaient précédemment intervenus au Local, étaient tous des intellectuels et hommes politi- ques de grande qualité »4 De qui parle t’elle exactement, on ne le saura pas. D'Alain Sanders journaliste à Présent, de Pierre Carvin du mouvement politique royaliste et nationaliste d’Action Française ou encore de l’association anti-avortement SOS Tout Petits5 dont le prési- dent Xavier Dor décrivait la Révolution Française comme un complot maçonnique d’origine diabolique et que Satan a investi les milieux gauchistes6. A moins qu’elle n’évoque Jean Robin. Une intervention remarquable intitulée : « De Meyssan à Bigard. Les scientifiques par- lent du 11 septembre ». Ou alors Jean-Gilles Maliarakis, fondateur français de Troisième voie.

La page Facebook de Serge Ayoub montre un tout autre personnage que celui rêvé par Riposte laïque. Les cheveux toujours aussi courts, un teeshirt kaki de camouflage, il est ami avec plusieurs amis dont la photo met en valeur la SS. Il est aussi membre de plusieurs groupes sans ambiguïté « j'aime pas les racailles », « je ne suis pas raciste, je suis français », « En France on parle français connard » Un huma- niste ! Sur le mur de Serge Ayoub, on peut lire « Peut être qui si le lobby Juif ne dirigerait pas la France depuis des décennies il n’y aurait pas tout ces noirs et arabes qui foutraient la merde ici... » Ou encore « A l’uni- versité de Dauphine dans le 16ème (je crois l’une des plus grande de France) un lobby juif contrôle tout. » Un jeune nationaliste métis de-

1 http://www.ripostelaique.com/En-tenant-une-conference-au-Local.html 2 Idem 3 Idem 4 Idem 5 http://lelocal92.over-blog.com/article-29912509.html 6 http://www.dailymotion.com/video/xjadj_immersion-dans-le-discours-anti-ivg_ news

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mande tout de même s’il a le droit d'entrer au Local : « salut, je voulais savoir si c etait possible de venir au bar javel malgrer mon metissage :s car je respecte baucoups l’opinion politique nationaliste et je l’es ete un moment donc voilà si oui peux tu me le confirmer ». Même l’UMP est plus inquiète des activités de Batskin que ne l’est Riposte laïque. Philippe Goujon, maire UMP du 15ème a réclamé la fermeture de ce bar mis sous surveillance policière en raison de nui- sances, de bagarres et de graffitis racistes qui ont pris possession des lieux en même tant que l’ouverture du bar.

Le 9 mai dernier Serge Ayoub organisait la manifestation en l’honneur de Sébastien Deyzieu, militant de l’Oeuvre française décédé en 1994. Parmi les participants Roland Hélie, cofondateur de la populaire (NDP) un mouvement regroupant des anciens du Parti des forces nouvelles (PFN) passés par le Front national. Pour Roland Hé- lie, “Il faut faire avec ce que l’on a » (…) “préparer les cantonales et les législatives mais surtout la présidentielle”. Et “de l’agitation avec ces mouvements [ndlr:c’est à dire ceux de la sphère d’influence de Serge Ayoub]. Maintenant, c’est rodé. On redescendra dans la rue. Si on peut associer les gens présents le 9 mai à d’autres manifestations, on le fera”.1 Dans la manifestation, plusieurs participants, cagoulés 1 Propos recueillis par Abel Mestre et Caroline Monnot, journalistes au Monde. http:// droites-extremes.blog.lemonde.fr/

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faisaient le salut nazi. Riposte laïque milite pourtant pour qu’il soit interdit de marcher dans la rue le visage caché.

Mais s’il est une « expérience inoubliable » (pour reprendre les pro- pres mots de Véronique Hervouët), c’est peut être les affiches produites par le Local. En vue de fêter Noël au Local, la bar a ainsi produit une affiche où on y découvre Mussolini faisant le salut fasciste et disant « Joyeux Noël à tous ». Pour une soirée qui s’est tenue le vendredi 4 décembre 2009, c’est une affiche titrée « Prévenez vos amis !» illustrant une photo d’Adol- phe Hitler qui fait la promotion de l’évènement. Sur cette affiche, la photo du Fürher a été retouchée avec une bulle de bandes dessinées: celui-ci qui est au téléphone demande à son interlocuteur « tu fais quoi vendredi ? » A l’occasion de l’inauguration, on trouvera plusieurs autres affiches montrant Adolphe Hitler en compagnie d’autres nazis appelant à se rendre au Local.

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Une autre photo montage parle du ramadan. A vous de juger.

La haine des musulmans peut désormais justifier toutes les complai- sances même lorsqu’il s’agit de nostalgiques du 3ème Reich. Et dire que Riposte Laïque compare l’islam au nazisme … Même les tenants de l’extrême droite pro-israélienne ne semblent pas non plus dérangés par la collaboration entre Riposte laïque et des nostalgiques du na- zisme. (voir article de Mohamed Sifaoui). Rappelons pour mémoire qu’en 1991, le Gud et le Betar participaient ensemble à des batailles rangées contre « les cocos juifs et arabes ».

Les Identitaires dernier acte ? Dernier acte du virage à l’extrême droite de Riposte laïque, le site s’associe officiellement avec le Bloc Identitaire pour un apéro saucis- son géant à la Goutte d’Or1. Cet apéro a été annoncé le 18 juin en mémoire à l’appel du général de Gaulle dont c’est le 70ième anniver- saire cette année. ont une expérience en la matière, plusieurs de leurs militants avaient lancé la Soupe au cochon interdi-

1 http://www.bloc-identitaire.com/actualite/1341/

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tes depuis le 5 janvier 2007 par le Conseil d’État. (Voir article "Derrière le saucisson, le Bloc identitaire")) L’appel est très clair : « «Parce que la rue Myrha et d’autres artères du quartier sont occupées, particulièrement le vendredi, par des adver- saires résolus de nos vins de terroir et de nos produits charcutiers [...] Parisiens de souche, provinciaux de Paris, Parisiens exilés et amis de la capitale française dans tous les pays, rejoignez-nous !» Parmi les autres organisations citons : le cercle Aristote, Novopress l’agence de presse du Bloc Identitaire, le site François de Souche pro- che du FN, les Jeunes Pour la France proche du MPF de Philippe de Villiers, action SITA seule initiative du site raciste France Echos qui a survécu suite à sa fermeture en 2007, le site ultra-sioniste Bivouac-ID … Bref, tout un panel d’organisations d’extrême droite pour un apéro géant qui prend toutes les allures de la défense des « traditions » et qui n’a strictement rien à voir avec la laïcité première des raisons qui avait justifié la création de Riposte Laïque en 2007. Riposte laïque ne fait pas que signer l’appel à la manifestation. Ils sont partie prenante dès l’origine avec les identitaires. Comme le notent Abel Mestre et Caroline Monnot, Maxime Lépante, un des responsables de Riposte Laïque, présenté comme “spécialiste de l’islamisation de la Goutte d’or”, défend l’initiative dans Minute daté du 9 juin et parle

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d’une “offensive (de l’islam) contre la France car il y a une volonté de conquérir le pays; c’est le but ultime” Il existe deux affiches pour l’apéro. La différence n’est pas que dans la couleur mais aussi dans les 2 "s". Une des deux affiches colle les deux «s» du mot saucisson avec la même typographique que celle utilisée par les troupes de choc nazies, les Waffen-SS. Pour le Parti de gau- che, c’est à la justice de trancher : «Cette banalisation du nazisme est absolument abjecte et, selon nous, devrait être l’objet d’une sanction pénale».

L’association de femmes, la Ligue du Droit des Femmes fait également partie de l’aventure. Participation pour le moins choquante quand on connait les positions du Bloc Identitaire sur l’avortement et la sexua- lité. Il défend la famille traditionnelle, toute évolution des mœurs étant perçue comme une volonté de détruire la famille : « Du divorce à l’avortement en passant par la maison de retraite et la contracep- tion, les moyens ne manquent pas pour tuer la famille au nom de la liberté et de l’égoïsme. »1 Vivre une sexualité sans procréation est décrit comme « des siestes crapuleuses stériles »2 Le féminisme, le combat pour le droit des homosexuels est une décadence et le fait de leurs ennemis : « C’est au sein de notre peuple, en promouvant la théorie des petites victoires successives, que nous inverserons le mouvement de la roue dentée de la décadence qui, sous l’action de nos ennemis, tourne toujours dans le même sens (apologie du fémi- nisme puis avortement, campagne de dévirilisation puis « pacs » puis mariage homo puis adoption homo, culpabilisation des blancs, puis loi anti-raciste puis discrimination positive puis racisme anti-blanc puis marginalisation ...) » 3.

Les Identitaires ont récemment organisé une Journée sans immigrés qu’il a justifié ainsi : « Ce 1er mars 2010 doit marquer le début de la prise de conscience par les Français de la possibilité de vivre « sans eux » et par les immigrés extra-européens de la nécessité, pour leur bien-être et pour le nôtre, d’une remigration dans leur pays »4.

1 http://www.bloc-identitaire.com/actualite/817/notre-combat-est-amour-et-liberte 2 http://www.bloc-identitaire.com/actualite/196/saintete-benoit-xvi-argument-vente- chez-durex 3 http://www.bloc-identitaire.com/actualite/453/identitaires-encore-effort 4 http://www.bloc-identitaire.com/actualite/1192/bloc-identitaire-associe-journee- 23

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Au nom du fameux « les ennemis de mes ennemis sont mes amis » Riposte Laïque continue la politique du consensus avec l’extrême droite à l’occasion de l’apéro : « Nous savons également que cet appel sera relayé par des organisations avec lesquelles nous avons des diver- gences idéologiques marquantes (...). Mais l’esprit du 18 juin 1940 n’est-il pas justement de permettre à chacun de dépasser les clivages traditionnels, quand il s’agit de sauver la maison France ? »1 Quelques jours avant l’apéro-saucisso, Pierre Cassen ajoutait dans les colonnes de Marianne : « seule l’extrême droite défend aujourd’hui la laïcité. Malheureusement. » Puis indiquait clairement ses préférences politi- ques « Il n’y a plus de temps à perdre avec les structures laïques tradi- tionnelles, les partis, gauche en tête. C’est malheureux, mais dans tout le paysage politique il n’y a qu’une personne qui reprenne le discours sur la laïcité à son compte. Vous savez qui c’est ? [relance de la journa- liste Marine Le Pen ?] Oui. Et si la gauche était moins conne, c’est ce discours là qu’elle aurait sur la laïcité. »2

C’est dit. Il faut sauver la maison France en s’associant avec les pires ennemis de la laïcité et du féminisme voir avec d’authentiques fascis- tes. L’intolérance pour combattre l’autre intolérance qu’incarne l’isla- misme. Pour l’apéro du 18 juin, le Général de Gaulle doit se retourner dans sa tombe.

Caroline Brancher

sans-immigres 1 http://www.ripostelaique.com/Resistance-Republicaine-c-est.html 2 Bénédicte Charles, Marianne, 17 Juin 2010 24

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ela fait plusieurs moins que j’attire l’attention des lecteurs sur la dérive tranquille et joyeuse des membres du site haineux C« Riposte Laïque » vers l’extrême droite. Certains esprits affu- tés, en fins analystes des discours extrémistes ont très vite compris ; d’autres, attachés à la maxime voltairienne (je ne suis pas d’accord avec vous, mais…), même s’ils ne partageaient pas les thèses expri- mées par ce site internet ont mis un peu plus de temps pour réaliser que j’avais raison et m’ont fait savoir dernièrement qu’ils avaient dé- finitivement pris leurs distances avec les animateurs et contributeurs de ce blog xénophobe. Les derniers (et il n’est jamais trop tard pour bien faire) viennent de se rendre compte que l’approche simpliste et caricaturale de « Riposte Laïque » s’inscrivait effectivement dans un positionnement clair de ce groupuscule à l’extrême droite. Faisons- leur un peu de pub, ils ont en besoin : le 18 juin (et comment on vous dit que ces hurluberlus sont des résistants !) ils vont non pas à Londres, mais dans le 18e pour un apéro géant saucisse pinard (Ah dommage, je m’y serais rendu si les organisateurs étaient des gens respectables…). Oui parce que parmi les initiateurs de ce « projet », il y a outre les xénophobes de Riposte, les racistes du Bloc identitai- res qui écrivent sur leur blog : « Le rapprochement effectué autour de ce pique-nique festif et convivial, entre le Bloc identitaire, Riposte laïque, les Jeunes pour la France, Résistance républicaine, les jeunes du Projet Apache, Terroirs parisiens et de nombreux cercles, associa- tions et organisations dont la participation sera annoncée prochaine- ment, doit être le signal que, au-delà des divergences, il est possible

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de réaliser, enfin, l’«union sacrée » pour empêcher que la France ne devienne terre d’islam ». Yallah !

Les deux derniers numéros de « Riposte Laïque », ce torchon virtuel xénophobe, qui généralement offre une tribune à ce qu’il y a de plus puant sur le net comme pensée et pseudo-idéologues de la laïcité, ont fini par ouvrir les yeux aux retardataires. Pour cause, outre le fait que ce ramassis d’écrivaillons, de journalistes autoproclamés et autres philosophaillons distille sans cesse son fiel en direction, non pas de l’islam, mais des musulmans, il a attiré ses semblables ici ou là qui se recrutent dans l’univers parfois haineux du Net et des associations (des coquilles vides le plus souvent) qui renferment les excités de la « Fran- ce blanche et chrétienne » ou les soi-disant « bouffeurs de curés » qui, en réalité, ne sont même plus capables de « bouffer » des pâtes… C’est tout au plus s’ils peuvent encore se ronger les ongles. Et c’est ainsi, comme je l’expliquais dans mes deux derniers billets, que ce bric à broc qui compte y compris quelques militants et sym- pathisants du Front national a été rejoint (cherchez la cohérence) par un petit fasciste de l’ultra-sionisme néanmoins fondateur de la Ligue de défense juive (LDJ) qui vient confirmer ce que je redoutais : une jonction entre la (nouvelle) extrême droite française et l’extrême droite juive…Les deux courants ont mis de côté leurs divergences historiques

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et ont commencé à se liguer, depuis quelque temps déjà, autour de la notion absurde de « l’ennemi commun » : les musulmans ! La guerre des religions peut donc reprendre. Ces gens-là rêvent de croisades où ils enverraient non pas leurs enfants, non pas eux-mê- mes (ils sont trop lâches), mais les enfants des autres. Parce eux, leur bataille, elle ne peut se faire qu’ici, enfin là, oui là derrière l’écran de l’ordinateur. C’est dire que certes, passez-moi l’expression, ça ne pisse pas très loin, mais ça a une capacité de nuisance qui est simi- laire à celle du moustique. Ce qu’ils font et ce qu’ils clament, consiste uniquement à piquer le « vivre ensemble » et à distiller le venin de la xénophobie. Entre ces détraqués de la pensée et les islamistes englués dans leur obscurantisme, on peut penser que la fête au village est pour bientôt…

Pierre Itshak Lurçat qui signe ses livres et ses articles du nom de Paul Landau, ultra-sioniste notoirement et défavorablement connu dans la « communauté juive » est un petit idéologue de la haine « anti-musul- mane ». Vivant entre les États-Unis, la France et Israël, il agit comme propagandiste (de très petite envergure) en faveur de la politique de Netanyahu et de Liberman. Certains amis très respectés au sein de la communauté juive, qui le considère globalement comme un « petit excité », m’avaient alerté sur son cas depuis déjà un moment, c’est ainsi que j’ai pu découvrir le personnage ! Sous ses airs de père de famille tranquille, j’avais décidé, par l’in- termédiaire d’un ami qui est connecté avec lui sur le réseau social Facebook, d’en savoir plus sur la démarche de l’individu et sur sa pen- sée. Je m’attendais à tout, sauf aux monstruosités que j’allais trouver. En réalité, on tombe de haut quand on découvre le vrai discours de l’écrivaillon. Facebook sur lequel j’ai passé quelques mois m’a per- mis en effet de constater ce phénomène assez surprenant où certaines personnes (une minorité assez importante) « se lâchent », non pas comme on se lâcherait dans un bistrot ou dans une fête entre amis.

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Non ! Parce que les « amis » sont le plus souvent virtuels. On s’y lâche vulgairement comme on pourrait se laisser aller dans une rame de mé- tro. Non pas pour chanter ou faire de la musique. Non pas pour faire rire ou dialoguer. Non ! Pierre Lurçat (ou si vous préférez Paul Landau) et certains de ses amis se lâchent pour mieux vomir leur haine, leur fiel, leur détestation de l’autre. Ils ressemblent davantage à de petits nazillons qu’à des gens respectables…

Quelques exemples… Le 25 février 2010, Pierre Lurçat alias Paul Landau commence par chercher à diaboliser l’essayiste Caroline Fourest qui avait « osé » pu- blier sur les colonnes du Monde une chronique dans laquelle elle critiquait la politique de Benjamin Natantyahu. Usant de propos par- fois homophobes, le pseudo journaliste tente de la faire passer pour une antisémite sectaire. Il écrira : « elle déteste encore plus Israël et les Juifs qui ne sont pas de gauche »…Simplisme poussé à l’extrême puisque Caroline Fourest que je connais parfaitement est simplement critique – et c’est son droit le plus absolu et le droit de tout observa- teur et citoyen – à l’égard de la politique menée par l’actuel gouver- nement israélien.

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Récemment, il me réservera le « même sort ». Sur les colonnes de « Riposte Laïque », cet extrémiste, juif ultra-sioniste, tentera de me désigner à la vindicte comme un « ennemi d’Israël » (Rien que cela !). Technique habituelle. La politique israélienne « pas touche ! » et sur- tout pas au Dieu BIBI et à son prophète Liberman. L’extrême droite juive comme toutes les extrêmes droites n’aime pas la critique ni la contradiction. C’est du niveau « Tu es avec moi ou contre moi ! » ; un « allié ou un ennemi » ; un « bon ou un méchant ». Quand on lit Landau, on se rend compte, en effet, que le dévot béotien ne peut comprendre autre chose que les dialogues des westerns spaghettis. Écrivain dites-vous ? Allons voir de plus près…

Évidemment, comme toutes les militants des extrêmes droites ultra- nationalistes, ces gens-là ont pour essence la haine. Et pour preuve une certaine Tamara C., pourtant mère de quatre enfants, juive prati- quante et en apparence tranquille, aveuglé par son ultra sionisme, elle est de ceux qui ont un activisme effréné sur Facebook en faveur de Netanyahu et consorts. Elle ira dans l’un de ses commentaires jusqu’à me souhaiter la mort (Merci ! Un point sur lequel cette dame, enfin cette extrémiste rejoint beaucoup d’islamistes). Le 4 juin, elle écrira, en effet, en réaction (voir photo) à l’article qui m’est consacré par Paul Landau : « Qu’il crève! Lui et toute sa race!! »…À comprendre moi et tous les Arabes voire tous les musulmans…Et ces gens-là évidemment prétendent être différents des islamistes…Bien sûr ! La seule diffé- rence doit se situer autour de l’accoutrement, quoi que !

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Et comme tout militant d’extrême-droite qui se respecte Pierre Lurçat alias Paul Landau fustige aussi violemment des personnes de sa « com- munauté », la majorité des juifs de France, les démocrates, les laïques et les républicains ont prennent généralement pour leur grade. Surtout lorsque « fait aggravant », ils sont de gauche et antiracistes. L’avocat Patrick Klugman, pourtant défenseur de la « cause israélienne » ancien président de l’UEJF, aujourd’hui membre du CRIF ne trouve non plus grâce aux yeux de l’excité Pierre Lurçat. « QUI METTRA UNE CLA- QUE A CE PETIT PALTOQUET DE KLUGMAN? », s’écria-t-il quand l’avocat rejoindra les signataires du JCall qui critiquent la politique du gouvernement israélien.

Un autre appel à la violence qui ne manquera pas de faire réagir les amis facebokeurs de Landau. « Une bonne tarte ! », s’exclame le journaliste, au « cyanure », répliquera l’un de ses contacts. Lurçat qui saluera un rassemblement organisé par la LDJ au moment de la polémique sur l’affaire de « la flottille », s’écrira : « ET MERDE AU CRIF!!! »…

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pcx 52.indd 30 24/06/10 9:02:13 Mohamed Sifaoui Merci Riposte laïque ! Merci Facebook !

Élie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, homme respecté et modéré, se fait lui aussi injurier par le freluquet en des termes ordu- riers (voir photo) C’est dire…

Tous ces contradicteurs sont ainsi injuriés à longueur de journée dans une symphonie haineuse menée par le chœur des hystériques ultra- sionistes. Appel à la détestation parfois à la violence, vulgarité, ra- cisme anti-arabe, propos mensongers, diabolisant les uns et les autres, Pierre Lurçat va-t-il continuer à tromper son monde, lui le petit voyou, la petite frappe, tapie derrière son écran d’ordinateur, et se faire passer pour ce qu’il n’est pas Paul Landau : un respectable journaliste ? Alors ? « Riposte laïque » et leurs amis de grands humanistes ? Vrai- ment ? À suivre… Mohamed Sifaoui

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Deux affiches invitant à l'"apéro saucisson et pinard" ont circulé. La première, très art déco et belle époque. Et puis une seconde, plus identitaire, où les deux "SS" de saucisson imitent plutôt le pire des années 30...

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pcx 52.indd 32 24/06/10 9:02:13 Fi a mm e t t a Ve n n e r , Ca r o l i n e Fo u r e s t Derrière le saucisson, le Bloc Identitaire

Il ne faudrait pas les appeler d’ « extrême droite » depuis qu’une poi- gnée d’ultras-laïques a décidé de s’associer à eux pour militer contre « l’islamisation » à coups « d’apéros saucisson et pinard ». Et pour- tant, il existe peu de groupes aussi radicalement nationalistes et ra- cistes que le Bloc identitaire… Retour sur l’histoire d’une mouvance dont les tablettes de ProChoix ont heureusement gardé la mémoire.

ProChoix, on connaît bien les Identitaires, et depuis longtemps. Depuis nos premiers papier sur le GUD, jusqu’au dossier que nous avions consacré à la dissolution d’Unité radicale (l’ancê- À 1 tre du Bloc) en 2002 . Le fait que Riposte laïque puisse s’y associer nous a estomaqué. Nous les savions en pleine dérive nationaliste, zemmouriste et même parfois villiériste, nous le dénoncions depuis leur création, mais de là à s’associer au Bloc identitaire ! Notre émo- tion a rencontré des échos surprenants. Certains sympathisants de Ri- poste laïque, que nous pensons sincèrement laïques et non racistes, nous ont écrit sur le mode « ne voyez-pas l’extrême droite partout » ou encore « arrêtez d’hitlériser tout mouvement ». « Hitlériser » le Bloc identitaire ? Visiblement, ces laïques- là ne connaissent pas leurs nouveaux amis. Il est donc temps de faire peu d’histoire…

Aux sources du Bloc identitaire : l’anti-système Le Bloc identitaire s’inscrit dans une tendance particulièrement radi- cale de l’extrême droite : son courant national-révolutionnaire. Il a de quoi brouiller les cartes puisqu’il revendique à la fois une idéo-

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logie nationaliste et d’une iconographie révolutionnaire empruntée à l’extrême gauche. Le principal trait d’union étant le populisme anti- système, la recherche de la radicalité maximale et la quête de boucs émissaires (qu’ils soient juifs, arabes ou musulmans). Nous parlons de militants à droite du Front national, dont ils rejettent l’institutionnali- sation. Avant de militer au Bloc identitaire, ils ont fait leurs classes au GUD, le fameux mouvement étudiant d’extrême droite, à Jeune Eu- rope ou à Nouvelle Résistance, la première ébauche du mouvement, qui démarre en 1991. Les pages de son journal, Lutte du Peuple, sont décorées avec des figurines de maoïstes chinois empruntés à la Gauche prolétarienne. Le groupe affiche également un engagement écologiste, mais façon nationaux-bolcheviques, c’est-à-dire sous le mot d’ordre explicite de la défense de la nature, du sang et du sol. “Le système détruit la nature. Détruisons le système pour défendre la nature” proclament-ils en cou- verture de Jeune Résistance (n°19). Leur engagement écologique don- nant souvent l’impression d’être un prétexte destiné à attirer d’autres “opposants au système”. Un grand classique, qui permet de fédérer tous ceux qui se sentent exclus ou frustrés.

Anti-impérialistes, antisionistes et anti-juifs L’une des premières actions de Nouvelle Résistance sera de militer contre l’embargo et l’intervention en Irak. Tout comme Jean-Marie Le Pen. À l’époque, les pétitions contre l’opération américaine fédèrent de l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par les souverainis- tes. L’appel lancé par Gisèle Halimi comporte des signataires aussi disparates que Max Gallo, Antoine Waechter, ou (fondateur de la Nouvelle droite) et Martin Peltier (Front national)1. En privé, les militants nationalistes révolutionnaires se félicitent de la rapide prise de conscience de la coordination sur le besoin d’un front commun contre l’ennemi — dont on devine facilement l’identité à travers ce mot d’ordre : “De Bagdad à Ramallah, ils affament, ils assas- sinent. Unité pour les arrêter”2. Mais qui est donc cet ennemi obscur et puissant ? On s’en fait une idée en lisant les publications de Nouvelle Résistance. 1 Journaliste au Quotidien de Paris et candidat du Front National aux législatives de 1993. 2 Slogan entendu au Panthéon, le 16 janvier 1993, lors d’une manifestation pour la levée de l’embargo irakien. 34

pcx 52.indd 34 24/06/10 9:02:13 Fiammetta Venner, Caroline Fourest Derrière le saucisson, le Bloc identitaire

En 1993, Lutte du peuple n’hésite pas à reprendre à son compte les propos de Szhi Umalatova (alors présidente du parlement russe) pour accréditer l’idée d’un complot mondial sur le mode des Protocoles des Sages de Sion, ce faux document russe censé démontrer que les Juifs veulent dominer le monde: “ les Sionistes doivent être combattus partout parce qu’ils menacent les autres peuples (...) Une partie des désastres n’est que le fruit des manipulations d’un groupe criminel qui entend asservir les peuples à un gouvernement mondial”. La tirade n'a rien d'une simple critique envers la politique ou le gouvernement Israélien.... L'antisémitisme, et non un véritable tiersmondisme, expli- que l’obsession de Nouvelle Résistance pour la cause palestinienne. On la retrouve intacte chez Unité radicale, qui prend sa suite après avoir tenté de fusionner avec le GUD en 2000. Il n’est pas rare de voir ses militants dans les manifestations pro-palestiniennes ou contre la seconde guerre d’Irak avec un keffieh rouge… où ils rivalisent de slogans anti-juifs avec les islamistes. Leur bulletin, Jeune résistance, montre très souvent des enfants palestiniens, une pierre à la main. À ne pas confondre avec une quelconque sympathie pour les Arabes. En réalité, les militants nationaux-révolutionnaires s’identifient aux Palestiniens en ce qu’ils incarnent le « pot de terre » contre « le pot de fer ». Le « pot de fer » étant le système incarné par les Juifs. Le ton des articles de Jeune résistance ne laisse aucun doute à ce sujet. Notam- ment un dossier « contre le sionisme » de Jeune résistance de 2001,

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paru sous la photo d’un jeune Palestinien jetant des pierres. L’un des articles critique la religion juive sous le titre : “Ein volk ! Ein Israël ! Ein Talmud !” Son intertitre : “anatomie d’une pathologie mentale”. Et le journal de conclure : “À Paris comme à Gaza : Intifada”. Le ton est encore plus clair à l’oral. Lors des Assises d’Unité radicale du 21 septembre 2001, des journalistes du Monde ont relevé, entre autres, cette phrase : « un bon Juif est un Juif mort »1. À ceux qui

1 Verbatim, Le Monde, 17 juillet 2002. Parmi les propos rapportés on pouvait lire : « La guerre qui est en train de se faire est une guerre américaine (...). C’est New York qui a été visée, et le cosmopolitisme. C’est un combat qui oppose le mondialisme, le cosmo- politisme à l’Islam, une culture enracinée. Ce sont les sionistes qui ont été frappés, les représentants d’une société déracinée. Ce n’est pas les islamistes contre les Américains, mais des enracinés contre des déracinés ». « Nous ne sommes pas des supplétifs des Américains, la société multiraciale n’est pas notre tasse de thé. Beaucoup de nationa- listes se sont réjouis de ces attentats ». « Nous ne sommes pas concernés, ce que nous voulons, c’est expulser tous les immigrés de France. Nous voulons redevenir maîtres de notre pays. Nous sommes submergés par l’immigration extra-européenne. » « Nous rejetons la société de consommation (...). Notre combat est antidémocratique, antirépu- blicain. Il faut nous débarrasser de la République française ».« À l’extrême droite, on ne

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s’étonneraient de trouver si peu de différences entre le discours an- tisémite d’extrême droite et celui d’extrême gauche, il faut préciser que l’engagement pro-palestinien d’Unité radicale n’empêche pas de mépriser les Arabes, comme l’a très bien résumé un militant lors de ce congrès : “Nos alliés objectifs sont les Palestiniens, qui nous aident à déloger les Israéliens. On fait un bout de chemin avec l’allié objectif, et après on lui met une balle dans la tête.”1

La dissolution d’Unité radicale Un événement va précipiter la dissolution d'Unité radicale. Le 14 juillet 2002, après avoir été élu à 80% contre Jean-Marie Le Pen, Jac- ques Chirac descend les Champs-Élysées à bord d’une voiture ouverte. Dans la foule, un jeune homme est venu avec un fusil de chasse et tente de tirer sur le Président. Il sera désarmé par un touriste (étran- ger) et arrêté. La police ne met pas longtemps à retrouver sa fiche et son profil. Maxime Brunerie est un ancien du GUD, du PNFE (Parti nationaliste français et européen), ancien candidat du MNR et mili- tant actif d’Unité radicale. Le mouvement est immédiatement dissout. Mais, comme à chaque fois, le groupe renaît sous un autre nom, en septembre 2002 : Les Jeunesses identitaires. Même références, même histoire, mêmes cadres, même presse, et même défense d’un nationa- lisme raciste et radical. Leurs premiers communiqués sont clairs : « Les Jeunesses identitaires proposent à tous les jeunes Européens une organisation de combat moderne, adaptée aux défis que le 21ème siècle impose à ceux de notre sang. »2 Le sang, et non le moindre engagement républicain, fondent leur nationalisme. Ils refusent l’idéal égalitaire de la République, qu’ils jugent à la fois trop « cosmopolite » et « jacobin », mais aussi les na- tionalistes qui acceptent de jouer le jeu électoral comme le FN ou le MNR : « Face à la répression orchestrée par le système cosmopolite jacobin, au lendemain de l’ultime trahison de Bruno Mégret et à la

sait pas se battre. Dans les années qui viennent, nous serons sans doute amenés à nous battre sur le plan illégal, mais cela devra être un combat européen, de façon à multiplier notre puissance de lutte ». « Une Française de souche qui va avec un Maghrébin ou un musulman, ou avec un Noir chrétien, pour moi c’est tout à fait inacceptable. Un Noir, catho ou pas, on n’en veut pas, on le fout dehors. » 1 Congrès tenu le 22 septembre 2001. Compte rendu paru dans Le Monde en date du 17 juillet 2002 2 Communiqué annonçant la naissance de Jeunesse identitaire, septembre 2002

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veille d’une énième guerre de chapelles au Front national, les Jeunes identitaires ont aujourd’hui décidé qu’il était temps que la jeunesse commande à la jeunesse ! » Ce sera donc un « bloc », capable de fé- dérer tous ceux qui veulent renverser le système et défendre une patrie basée sur la pureté du sang.

Les leaders du Bloc Le Bloc identitaire-Mouvement social européen1, démarre en avril 2003. Seize régions sont représentées et le groupe bénéficie de quatre- vingt délégations locales. Moins d’un an après sa dissolution, Unité ra- dicale revit. Ses cadres n’ont pas changé : Fabrice Robert et Guillaume Luyt, deux anciens animateurs d’Unité radicale, deviennent respecti- vement président et vice-président. Guillaume Luyt, son vice-président, a mis longtemps à se faire accep- ter. Dans une vie antérieure, il a milité quatre ans chez les camelots de l’Action française, avant d’intégrer le FN et d’être nommé directeur du FNJ (le Front national de la jeunesse) par Samuel Maréchal. Les NR lui ont longtemps reproché son côté bourgeois. «Guillaume Luyt a conservé le goût des jolis costumes et des cravates bien sages. Bref, tout ce qu’il faut pour parler aux jeunes qui votent Le Pen !» commente avec sarcasmes une numéro de Résistance ! . Il sera longtemps décrié comme faisant partie de cette «jeunesse nationaliste institutionnelle» qui déplaît tant aux nationaux-révolutionnaires. Lorsqu’il déclare avoir une conception nationaliste «qui n’a rien à voir avec les conceptions britannique ou allemande», les nationaux-radicaux d’inspiration ger- manique s’énervent : «Ton anti-germanisme à la sous-Daudet est à ger- ber. Ton amour du droit du sol, tu le partages avec les cosmopolites (…) La soupe Royco c’est du sachet déshydraté depuis soixante ans». L’homme est aussi détesté pour avoir donné pour consignes à ses mili- tants du FNJ — en route pour la manifestation anti PACS du 12 décem- bre 1998 — de ne faire preuve d’aucune violence. Résultat, les quinze militants du FNJ se se seraient laissés dépouiller de leur banderole et d’un appareil photo, sans broncher. Bref, en 1998, Luyt n’est pas en odeur de sainteté chez les NR. Mais depuis, tout a changé. Il est vrai qu'il s’est considérablement radicalisé.

1 L’adjectif « européen » qui revient dans plusieurs noms de groupes nationalistes ne doit tromper personne. Il ne s’agit pas de soutenir la construction européenne, mais d’insister sur la suprématie fantasmagorique du sang européen… sur un mode propre- ment fasciste.

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Lors du congrès du FN du 28 au 30 avril 2000, il a même tenté de critiquer Le Pen et de créer un front d’opposition. Il dénonce l’"immo- bilisme timoré de la direction du FN et le congrès du conservatisme et des rentiers"". Sa dissidence lui sera fatale. Pour casser l’élan de ce jeune ambitieux, Le Pen décide de nommer un certain Farid Smahi à sa place au bureau politique. Luyt quitte le navire parlant d’un «affront fait à la jeunesse frontiste». Le fait qu’un militant prénommé « Farid » ait été nommé à sa place au FN décuple son amertume. Reste à trouver un mouvement d'où prendre sa revanche. Il anime alors les comités Agir pour la France, où le rejoignent de nombreux jeunes qui quittent le FN et le MNR. Mais c’est à Jeune Résistance, l’un des journaux les plus radicaux des identitaires, qu’il trouve des gens aussi amers que lui. Dans le n°21 de l’hiver 2001, le journal interviewe l’étoile mon- tante : il confirme son tournant à droite de l’extrême droite : «Cette prise de conscience s’est faite au fil de mes tournées militantes en province. Hébergé, à chacun de mes déplacements, chez les militants, j’ai eu l’occasion de ressentir à quel point l’immigration n’était pas, pour eux, un sujet d’analyse, mais bien « un cauchemar quotidien ». (…) Au contact de cette jeunesse réelle, de cette jeunesse française en voie d’extinction programmée, j’ai laissé tomber mes derniers scru- pules chevènementistes. Non, l’immigration-invasion n’est pas soluble

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dans la France ! Oui, il faut stopper le mortel engrenage du métissage ethnique ! » Un refrain qui plaît à son co-équipier, lui déçu par la mollesse du FN et le MNR : Fabrice Robert, 37 ans, consultant en multimédia, maîtrise de sciences politiques et diplômé de troisième cycle dans le domaine de l’information stratégique. Des qualités qu’il met au service de son engagement. Ancien conseiller municipal à la Courneuve sous les couleurs du Front, Fabrice Robert aime se défouler en jouant dans un groupe de rock identitaire, Fraction hexagone, qui chante contre «le sionisme international» et «le métissage institutionnel». Il fait la basse et les chœurs, mais pas vraiment les enfants de chœur. Son groupe sera poursuivi pour « complicité de provocations non suivies d’effets à des atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité de la personne » en 1998. Le groupe est dissout et Fabrice Robert lance un label de Rock iden-

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titaire français, où l’on retrouve de nombreux musiciens RIF: «Al- ternatives-s». Il diffuse aujourd’hui Brixia (« Le système d’assurance n’encourage pas la solidarité », seuls des « communautés d’apparte- nance le peuvent », Basic celtos qui considère que les enfants sont endoctrinés par le système à l’école...., In Memoriam qui dit être « tantôt libertaire, tantôt fasciste ». Dans Paris-Belgrade, ils chantent : « Aujourd’hui la Serbie, demain la Seine St Denis ! Un drapeau frappé d’un croissant flottera sur Paris ». Cela n’empêche pas Fabrice Robert et son mouvement — le Bloc identitaire — de cibler certains groupes de rap coupables, à leurs yeux, « d’alimenter la haine anti-européenne ». Comme le groupe de Rap Sniper, également pris en grippe par Nicolas Sarkozy pour son morceau « La France »: « La France est une garce et on s’est fait trahir / Le système voilà ce qui nous pousse à les haïr / La haine c’est ce qui rend nos propos vulgaires / On nique la France sous une ten- dance de musique populaire / On est d’accord et on se moque des répressions / On se fout de la République et de la liberté d’expression / Faudrait changer les lois et pouvoir voir / Bientôt à l’Élysée des Ara- bes et des Noirs au pouvoir ». Les Identitaires ne font pas des procès en « racisme anti-chrétiens » ou « anti-français » comme l’AGRIF, mais du lobbying sur chaque élu autorisant un concert de Sniper. Ils se vantent d’avoir fait interdire vingt concerts. Un an plus tard, Sni- per fera un morceau contre la politique dominatrice d’Israël. Mais là, bizarrement, la critique d’une nation ne posera aucun problème aux militants du Bloc identitaire… Ils préfèrent faire campagne contre Jean-Claude Dassier, directeur gé- néral de LCI, pour avoir déclaré « à compétence égale, (maintenant) je choisis le candidat black ou beur »1. Ils tentent également d’être présents à chaque fois qu’ils repèrent qu’un « des leurs », un blanc, a été victime d’un fait divers impliquant un « étranger ».. De décembre 2002 à novembre 2006, les Identitaires vont organiser toute une série d’actions liées à la Turquie puis à l'islam. Ils participent à des manifestations contre l’entrée de la Turquie en Europe. En mars 2006, ils lancent la campagne «Ni voilée, ni violée… Touche pas à ma sœur !» Elle se traduit notamment par le voilement spectaculaire de plusieurs statues féminines. En septembre la branche niçoise, Nica rebella, lance un autocollant « Oui à la socca, non au kebab ». Le

1 J.-C. Dassier finira par dementir ces propos.

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28 octobre 2006 à Montfermeil, des militants du Bloc n’hésitent pas à réveiller les habitants à l’aube avec la sono d’un muezzin. L’action sera intitulée : « BONNE JOURNÉE LES DHIMMIS ! » Un peu plus tard, ils lanceront un collectif : Expulsions sans frontières.

Du racisme anti-juifs au racisme anti-musulmans L’antisémitisme sert à serrer les rangs. Mais la vraie rampe de lance- ment, celle qui va permettre à Fabrice Robert et à ses compères d’élar- gir le cercle de leurs alliés, c’est bien entendu le refus de l’ « islami- sation ». Les actions les plus symptomatiques, celles qui feront aussi parler d’eux, sont liées au cochon, devenu le symbole de la résistance. Quand on les interrogent, ils citent volontiers Alain Sanders dans Présent : « Être fran- çais, c’est tout simplement manger du cochon »1. Voilà qui est clair. Être français pour les Identitaires, c’est n’être ni musulman, ni juif, ni Témoin de Jéhovah, ni végétarien… Reste à mettre le slogan "les Français d'abord" en pratique. Fin 2003, c'est le déclic. Le Bloc identitaire décide d’organiser gratuitement « une Soupe au cochon » à la Gare de l’Est, sous l’appellation « Solidarité des Français »2. Dans les années trente, le parti nazi avait aussi commencé ses actions de propagande en direction des pauvres par une « sou- pe »… distribuée gratuitement aux seuls « aryens ». Aujourd’hui, cette mention serait impossible. Refuser de servir une certaine catégorie de personnes serait considérée par la justice comme une discrimination. Les militants du Bloc identitaire le savent et ont décidé de contourner la loi en soulignant — très fort — que la soupe est au cochon. Ce qui ne trompe personne. L’initiative est condamnée par la Mairie de Paris. La préfecture interdit sa distribution, mais le Bloc reconvertit son ac- tion en invitation à manger cette soupe dans un restaurant tenu par un sympathisant. 7 militants seront interpellés. Dès le lendemain, le Bloc promet de nouvelles soupes et de nouvelles actions: « Discrimination, trouble à l’ordre public, incitation à la haine raciale : rien de prouvé, mais contre le cochon, tout est bon ! Les nouveaux chiens de garde de la Charia, bafouant la laïcité de la République française en appliquant les lois islamiques sur notre terre, à savoir : la prohibition du porc dans l’alimentation, ont lancé leurs troupes à l’assaut de nos bénévoles (…)

1 Présent, 4 mars 2010. 2 Aujourd’hui la Soupe au cochon est revendiquée par le Bloc identitaire comme une de ses premières actions politiques. 42

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Quoi qu’il en soit, la soupe au cochon continue, bravant les menaces et les pressions. Dès mardi prochain, la marmite embaumera la rue (...) Tenez-vous prêts à aider les nôtres avant les autres ! » La suite connaîtra des rebondissements juridiques sans fin. La préfec- ture de police de Paris interdit formellement toute distribution risquant de troubler l’ordre public. Mais le tribunal administratif autorise la distribution au titre de la liberté de manifestation. Le 5 janvier 2007, enfin, la Soupe au cochon est interdite par le Conseil d’État. Bertrand Delanoë se réjouit : « Cette décision établit clairement la dimension discriminatoire d’une telle opération dont sont exclues, de fait, les personnes de confession juive et musulmane ». Le 16 juin 2009, fin de la partie juridique, la Cour européenne des droits de l’homme déclare irrecevable le recours de Solidarité des français. Mais entre- temps, l’initiative s’est répandue. Plus personne ne s’émeut, comme si le fait d’avoir réussi à interdire la manifestation signifiait la disparition du mouvement. Il s’est en fait privatisé, ce qui permet — en effet — d’imposer un certain règlement associatif sélectif, sans nuire à l’ordre public. À Nice, une « maison de quartier » pour les « SDF français »

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a été créée. En janvier 2008, une « maison du peuple flamand » a été ouverte à Lille. Quand à la soupe, elle continue d’être distribuée dans plusieurs villes de France dont Paris. Elle ne s’appelle plus « au cochon » mais continue à l’être. Ce qui est parfaitement légal. Le Bloc a dû simplement soigner sa présentation pour ne plus en faire un évé- nement officiellement discriminatoire. Voici comment son paravent, Solidarité des Français, décrit la distribution de soupe de mai 2010 sur l’esplanade de la Gare Montparnasse : « Une soupe populaire? Cel- le-ci, servie par les bénévoles de l’Association Solidarité des Français ressemble à un dîner en famille ; famille nombreuse (très!), bruyante, turbulente, famille qui mange avec ses doigts et parle la bouche pleine, mais famille tout de même, authentique et attachante, solidement liée par sa culture et ses racines européennes. (…) L’esprit communautaire identitaire palpable et bien réel de Solidarité des Français fait sa spéci- ficité et son succès depuis sept ans. »

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Opération contre les Quick Hallal Une actualité va permettre aux Identitaires de déployer leur talent pour la provocation et le message subliminal. En 2010, la chaîne de restaurants Quick annonce que plusieurs de ses restaurants vont désormais servir uniquement des sandwichs hallal, en attendant peut-être d’étendre le mouvement. En plein débat empoisonné sur l’identité nationale, personne ne veut trop s’y attarder. Il y a pourtant de quoi tiquer. Certes, Quick est une chaîne de restauration privée, mais généraliste. Le fait de ne plus distribuer que des hamburgers hallal, sans autre choix, dans certains quartiers n’est pas un symptô- me anodin. D’autant que la viande hallal est peu contrôlée en terme de qualité, et que son achat finance des associations religieuses. Les consommateurs n’approuvant pas cette ghettoïsation de l’offre (qui ne poserait aucun problème si ces restaurants Quick proposaient le hallal comme une option parmi d’autres) peuvent toujours boycotter. Les Identitaires ont choisi d’aller plus loin en organisant l’invasion spectaculaire d’un restaurant Quick hallal par soixante-dix militants portant des masques de cochons. Une initiative qui a visiblement plu au fondateur de Riposte laïque, Pierre Cassen, qui l’évoque dans une interview pour expliquer son rapprochement avec le Bloc Identiaire : « Le Bloc identitaire a mené quelques actions qui nous ont interpellés, par exemple sur l’histoi- re des Quick hallal ou de la mosquée de Bordeaux [diffusion d’un bruyant appel à la prière dans les rues du quartier bastide à six heu- res du matin, ndlr]. On ne se reconnaît certes pas dans leur régio- nalisme et leur conception ethnique. Mais on a senti chez eux une volonté de se défaire de leur côté sulfureux et de se rapprocher d’une droite populiste à l’image de l’UDC suisse [parti ultraconservateur à l’origine de la votation suisse sur l’interdiction des minarets, ndlr]. Le Bloc identitaire a mené quelques actions qui nous ont interpellés, par exemple sur l’histoire des Quick Hallal. On ne se reconnaît certes pas dans leur régionalisme et leur conception ethnique. Mais on a senti chez eux une volonté de se défaire de leur côté sulfureux et de se rapprocher d’une droite populiste à l’image de l’UDC suisse [parti ultraconservateur à l’origine de la votation suisse sur l’interdiction des minarets, ndlr]. » Relancé par la journaliste de Marianne, Bénédicte Charles, sur le fait de s’allier avec un groupe ouvertement d’extrême

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droite, il s’enfonce dans le déni : « Je ne considère pas que le Bloc identitaire soit raciste. C’est un mouvement de droite populiste. Mais pas raciste. Et notre appel à l’apéro géant, contrairement à ce qui nous a été reproché, ne comporte rien de raciste. »1 Il est vrai que le même Pierre Cassen ne trouve pas non plus probléma- tique d'aller au "Local " de Serge Ayoub, ancien chef de skin de Paris. Son dernier livre a même été chroniqué sur le site de Riposte laïque.

Un "apéro" peu digeste Visiblement, Riposte laïque a choisi de nier la véritable intention de ses fréquentations, et donc la portée de cet apéro « saucisson et pinard ». Avec d’autant plus de responsabilité que cette récupération a sali une revendication légitime. Au départ, ce sont des habitants du quartier et des républicains qui ont dénoncé l’annexion illégale de la rue Myrrha. La seule réponse qui fut apportée à leur question, depuis dix-sept ans, fut le silence et la démission des pouvoirs publics. Comment s’étonner que l’extrême droite finisse par réussir son OPA ? Officiellement l’apéro « saucisson et pinard » serait parti d’une certaine Sylvie François, apolitique et habitante de la Goutte d’Or. C’est elle qui lance l’appel sur Facebook et contacte Riposte laïque par téléphone. Après enquête, notamment du Parisien2, il semble qu’il s’agisse d’un faux profil et d’une militante proche des Identitaires. Le texte même de l’appel lancé sur Facebook ne laisse aucun doute sur cette orientation. Il ne parle pas de se rassembler pour faire respecter la « laïcité » mais de protester à coups de saucisson et de pinard contre « les adversaires résolus de nos vins de terroir et de nos produits charcutiers ». Le nom des organisations invitant à s’y rendre achève de signer : le Bloc identi- taire bien sûr mais aussi le Projet Apache (branche jeunesse parisienne des Identitaires), Terroirs parisiens, le site Bivouac-ID, quelques vil- liéristes (Jeunes pour la France)… et Riposte laïque, qui n’aura aucun scrupule à défendre cette initiative, comme co-organisateur, sur les ondes de Radio Courtoisie et dans l'agence de presse des Identitaires, Novopress. Devenant par là même, les idiots utiles d’un extrémisme raciste et antisémite vomissant le féminisme et la modernité.

1 Bénédicte Charles, Marianne, 17 Juin 2010. 2 Le Parisien, 16 juin 2010 46

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Camp identitaire 2006

Un Bloc soluble dans la République ? Quelle idée… Le Bloc identitaire est-il soluble dans le mouvement républicain et laïque, comme aimerait le croire ou le faire croire Pierre Cassen ? Il faudrait pour cela qu’il renie tout simplement tout ce qui le consti- tue. ID Magazine, le magazine des Identitaires1, a consacré son premier numéro à répondre à cette question : « pourquoi nous sommes Iden- titaires ». Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’anti-communauta- risme n’est valable, chez eux, que pour les musulmans… Le jacobi- nisme est à la base du système qu’ils combattent : « L’État jacobin puis ensuite la technostructure ont toujours organisé la destruction des communautés constituées et quand, malgré tout, ces communautés persistaient à résister, elles en ont alors tout simplement nié l’existen- ce.2 » Loin d’être pour la citoyenneté, les Identitaires reprochent aux jacobins d’avoir brisé les communautés culturelles basés sur l’identité régionale et l’identité génétique : « L’idéologie dominante prétend

1 Voilà comment les identitaires expliquent la transition. « Fondée en 1995, Jeune Résistance est une revue «identitaire, européenne et antimondialiste». La revue s’est arrêtée en 2005 pour laisser la place à ID Magazine. » En réalité le dernier numéro de Jeune Résistance est celui de 2000 contre le sionisme. Le premier numéro ID date de 2005. 2 Karl Hauffen, ID, février 2005

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que l’identité relève exclusivement du choix personnel. Nous contes- tons ce dogme. » Parmi les personnalités mises en valeur dans le pre- mier numéro, on retrouve Jean-Pax Mefret. Cet écrivain, admirateur de l’OAS, a notamment écrit une biographie de Jean Bastien-Thiry, héros de l’Algérie Française exécuté pour avoir tenté d’assassiner de Gaulle lors de l’attentat du Petit Clamart. Difficile de repeindre l’OAS aux cou- leurs de la République. Encore moins à celle du féminisme ! Dans leur numéro 5, les Identitaires s’inquiètent de la dénatalité blanche qu’ils attribuent aux gauchistes et aux féministes. « En Alle- magne, les fruits d’une dénazification forcenée s’ajoutent aux ravages libertaires »1. Les Identitaires veulent bien dévoiler les femmes mais

1 ID, n°5, printemps 2006.

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pas les émanciper. Dernièrement, Novopress a fait une campagne contre Neocutis, qui produit des crèmes antirides élaborées « grâce aux cellules de peau d’un bébé avorté ». Les identitaires vomissent l’émancipation sexuelle et l’homosexualité, n’hésitant pas à jouer les gros bras contre les kiss-in (ces baisers publics) organisés contre l’ho- mophobie à Lyon et à Paris. Le comble de l’horreur étant le PACS et le concubinage qui défont la famille : « Ces hommes et ces femmes poursuivent leur marche au milieu des ruines de la société actuelle, desquelles s’échappent en piaillant hétéros sans enfants, homos fes- tifs et revendicatifs, chiennes de garde, clans néo-primitifs à structure polygame et autres métastases de l’égalitarisme déjà agonisant sur les lieux mêmes de son crime. » Dans le même numéro, un grand article fait l’apologie du lait maternel. Ils veulent bien militer contre la do- mination masculine des islamistes, mais certainement pas pour le fé- minisme. Qu’en pensent ses alliés de Riposte laïque, dont certaines, comme Anne Zélensky, ont compté parmi les figures emblématiques du MLF ? Sans doute la même chose que d’autres féministes histori- ques, comme Christine Delphy, partie s’allier avec les Indigènes de la République et Tariq Ramadan pour défendre le voile au nom du « féminisme islamique ». Quand les ennemis de mes ennemis sont mes amis...

Les Indigènes de la République ont permis de mélanger islamistes et progressistes contre l’impérialisme et le sionisme. Riposte laïque per- met de mélanger laïques et nationalistes contre l’ « islamisation ». At- tention tout de même à bien regarder derrière. N’était-ce pas un mi- litant d’Unité radicale qui proposait de faire un bout de chemin avec les Palestiniens pour lutter contre les sionistes, tout en promettent de leur mettre une balle dans la tête juste après ? On craint pour la santé de certains militants de Riposte laïque, anciens militants trotskystes et anciens militants de mai 68. Autant dire les responsables de tous les maux ayant frappé la société traditionnelle selon les Identitaires : « Après 1968, les trotskystes vont lâcher leurs Molotov pour prendre les IUFM. C’est dans la formation des maîtres d’écoles qu’ils vont réussir, influencer durablement notre société » Les Identitaires sont bien contre la mondialisation, mais pour défendre la culture blanche et non l’équité Nord-Sud : « L’abyssale différence entre la culture de l’ décadent et celle des vrais Européens blancs réside aussi dans le refus du monde et du vivant d’un côté, le grand oui à la vie 49

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et à l’ordre naturel et cosmique de l’autre. La culture mondialiste se consomme, s’ingère mais ne se vit pas. »1 Quant à ceux qui ont cru pouvoir s’allier avec eux contre l’islamisme et l’antisémitisme en banlieue, le désenchantement promet. Les Iden- titaires ne voit dans l'antisémitisme de banlieue qu'un concurrent : « nous nous réjouissons de voir enfin les Juifs comprendre que l’Europe multiculturelle sera encore plus antisémite que ne le fut l’Europe blan- che ! »2 Ils approuvent le combat d’un certain Kémi Sebba, présenté comme un « damné du sionisme » par Novopress3, le site d’informa- tion des Identitaires, celui où écrivent aussi des militants de Riposte laïque depuis 2009. Les Identitaires et les nervis de la Tribu K se sont bien un chouia éloignés depuis que Kémi Seba préfère l’islam radical à la domination des races. Mais ses chaussons de compagnons de route provisoire sont encore chauds. Riposte laïque n’a donc pas trop froid aux pieds.

Fiammetta Venner Caroline Fourest

1 ID, n°6, été 2006. 2 ID, n°6, été 2006. 3 Le 28 juillet 2006 50

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Montrant l'inanité de tous les projets de réforme, Patrick Klugman, vi- ce-président de SOS Racisme, conseiller de Paris, et avocat au barreau de Paris plaide ici pour la suppression de la garde à vue. Tout en listant textes et exemples à l'appui, les droits qui vous seront accordés et sur- tout ceux qui vous seront retirés.

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Ka t i a Gu i l l e r m e t , Gu y Na g e l Un visiteur inopportun

22h00. Le téléphone sonne : au bout du fil l’avocat coordinateur. Il vient lui-même d’être appelé par les services de l’hôtel de police de Lyon. Là-bas, un jeune homme est en garde à vue pour des faits de dégradations volontaires de biens privés. Auparavant il était en cellule de dégrisement mais ayant retrouvé ses esprits ses droits ont pu lui être notifiés. Les comprenant, il a décidé de faire prévenir sa femme, de passer un examen médical et de faire appel à l’avocat de permanence. Pour ce dernier, la soirée commence...

u Barreau de Lyon, les avocats intervenant en garde à vue au titre des désignations d’office sont nombreux : ils sont répartis Asept jours sur sept, 365 jours par an par groupes de quatre. La délinquance ne prenant jamais de vacances, le Barreau de Lyon doit assurer la permanence. Il s’agit d’un droit pour la personne gardée à vue posé par l’article 63-4 du Code de Procédure Pénale. Ce dernier impose aux services de police et de gendarmerie de prendre attache avec la permanence pénale dans l’heure, dès que la personne gardé à vue a manifesté son souhait de rencontrer un avocat, soit lors de son placement, soit à l’occasion de la prolongation de la mesure de garde à vue. Ce droit, bien connu du grand public par sa représentation dans les films et séries télévisées, ne permet pas tout néanmoins.

Le fonctionnaire de permanence à l’accueil de l’hôtel de police vérifie la carte professionnelle de l’avocat, puis prévient ses collègues que le conseil du gardé à vue est présent. Celui qui n’est, à ce stade initial de l’enquête, qu’un simple suspect est extrait de sa cellule pour être amené dans une petite pièce sobrement meublée : une table, deux bancs, tous trois rivés au sol. La porte fermée, l’entretien peut commencer. L’avocat n’a que peu de temps et tellement de choses à dire. Pourtant, ce n’est pas forcément à cela que s’attend le gardé à vue.

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Le Code de Procédure Pénale fixe la durée maximale de l’entretien à trente minutes, pas une de plus. Ce dernier est confidentiel et l’avocat, tenu par son secret professionnel, ne pourra en tout état de cause révéler le moindre élément communiqué par son client aux services de polices. C’est la moindre des choses et la condition nécessaire pour que l’avocat puisse bien faire son travail. Sans cela, pas de confiance possible et sans confiance possible la défense ne peut être effective. Néanmoins, alors que les présentations viennent d’être faites, le client va déchanter. Dans notre affaire, le client, qui prétend ne pas se souvenir des faits qui lui sont reprochés en raison de son état d’ébriété, vient de comprendre que l’avocat n’en savait pas plus. Et pour cause ! Les services de police lui ont juste indiqué le nom, le prénom du gardé à vue, le fait qu’il soit mineur, sa date de naissance et la qualification pénale provisoire des faits qui lui sont reprochés. Ni plus, ni moins. Dégradation volontaire de biens privés, cela peut recouvrir tout et rien. L’ouverture de la possibilité au gardé à vue de s’entretenir avec l’avocat de son choix ou, à défaut, l’avocat de permanence fait suite à la jurisprudence de la CEDH. En effet, cette dernière considère de manière constante que le droit de la défense – droit fondamental s’il en est – concerne non seulement le procès en lui-même, mais également les étapes préparatoires à celui-ci : l’instruction (l’avocat y est présent depuis 1897) et la garde à vue. Cette petite révolution dans la profession semblait répondre aux doutes formulés par le Doyen Georges Vedel en 1980. Ce dernier, alors rapporteur pour le Conseil Constitutionnel de la loi Sécurité et Liberté avait émis les plus grandes réserves quant à la légitimité d’un système où le gardé à vue peut être entendu hors la présence de son avocat. Néanmoins, cette évolution de la législation n’est qu’un cache-misère : en effet, comment conseiller une défense efficace à ce stade de la procédure si le conseil ignore les éléments qui laissent suspecter que son client a commis ou tenté de commettre une infraction ? Pire même ! En laissant l’avocat en dehors des interrogatoires de police, le législateur a souhaité laisser les coudées franches aux officiers de police judiciaire dans la gestion des enquêtes préliminaires et de flagrance. Il s’agit là, peut-être de gagner du temps, mais surtout de satisfaire au dogme de l’aveu. Pourtant, nos voisins européens, à l’exception notable de la Belgique, reconnaissent tous la présence de l’avocat pendant toute la

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durée de la garde à vue... L’avocat a fait son travail : il s’est informé du déroulement de la garde à vue. Les droits de son client ont été – a priori - respectés : la notification des droits a été faite, il a pu subir un examen médical à sa demande et les policiers sont restés courtois avec lui. Bien entendu, le jeune homme détenu n’est pas satisfait de sa situation : il ne comprend pas pourquoi il est là, la cellule est sale et sent l’urine et le désinfectant, il est inquiet. Son conseil ne peut presque rien faire : tout au plus déposer un mémoire qui sera annexé au dossier de l’affaire dans lequel il pourra consigner ses observations personnelles ou les éléments qui lui auront été rapportés par le client. A ce stade, ce document ne sert à rien. Mais si le parquet décide de renvoyer l’affaire devant une juridiction, l’avocat pourra se fonder sur les observations consignées pour tenter d’obtenir une nullité de procédure. Et c’est là où le bat blesse, la mission de l’avocat en garde à vue se limite à la vérification des conditions matérielles de détention, au soutien de la personne en détresse morale et à une discussion sur les suites à prévoir pour l’affaire : abandon des poursuites, renvoi devant le Tribunal Correctionnel à date ultérieure, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, renvoi devant un juge d’instruction ou devant la terrible chambre des comparutions immédiates... Cette visite, pour reprendre l’expression heureuse de l’ancien Bâtonnier de Paris, Maître Charrière-Bournazel, n’est rien d’autre qu’une visite « de courtoisie ». L’avocat n’y est pas réellement à sa place car personne n’a voulu la lui donner en garde à vue. Ce n’est d’ailleurs pas une situation nouvelle, bien au contraire.

L’origine de la garde à vue La garde à vue est une notion que l’on peut qualifier de récente à l’échelle de l’histoire du droit. Sous l’ancien régime le dogme qui dominait la phase d’enquête était celui de la protection des citoyens. En effet, le premier jalon de ce qui deviendrait la garde à vue a été posé en 1608 en ouvrant la possibilité d’arrestation d’un citoyen sur initiative des archers du prévôt - autorités de police de l’époque – au seul cas des flagrants délits. Il s’agissait alors d’une mesure exceptionnelle, le principe demeurant l’exigence d’un mandat délivré par le juge d’instruction. Cette règle protectrice a été par la suite étendue à l’ensemble de la maréchaussée par les déclarations de

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1636 et du 26 février 1724. Le caractère dérogatoire de droit commun de cette mesure fut rappelé, par ailleurs, par la loi du 28 germinal an VI qui n’autorisait l’arrestation sans mandat qu’à l’encontre des brigands, voleurs et assassins attroupés. De même ces mesures ne conféraient aux services de police aucun pouvoir spécifique lors de l’enquête, réservant ces mêmes pouvoirs aux seuls magistrats. La loi du 7 pluviôse an IX, suivant le même esprit, reconnaissait aux juges de paix, officiers de gendarmerie et maires le droit de faire arrêter le délinquant pris en flagrant délit ou ayant commis un délit emportant une peine afflictive. Dans ce cas, l’agent devait faire conduire le suspect devant le ministère public dans les plus brefs délais. C’est en s’intéressant à cette notion de remise au magistrat et de bref délai que la question de la rétention du suspect par les services de police a pu être posée : en effet le code d’instruction criminelle n’évoquait que le cas de l’arrestation et ne prévoyait en aucune façon cette rétention pourtant rendue nécessaire en pratique. Il s’agissait en effet d’un principe hérité de l’ancien régime : celui de la non rétention par les services de police, principe posé dès 1670. Les accusés qui étaient arrêtés devaient être incessamment conduits en prison, sans pouvoir être détenu en maison particulière. Ce n’est qu’en 1903 (décret du 20 mai 1903) que la possibilité d’une rétention par les services de police a été rendue possible. L’article 307 du Code d’Instruction Criminelle prévoyait en effet la garde à vue comme une éventualité strictement limitée au cas de flagrant délit et justifiée par un événement relevant de la force majeure : celui de l’absence du magistrat1. Néanmoins, les services de police ont pris acte de l’existence de ce texte pour développer une pratique officieuse allant de paire avec l’extension de leurs pouvoirs en matière d’arrestation. Paradoxalement cette évolution a été induite par une autre révolution du droit procédural : celle ouverte par une loi de 18972 développant les droits de la défense et permettant, notamment, à l’avocat d’assister son client devant le juge d’instruction. En effet en distinguant de facto deux phases dans le déroulement des opérations d’enquête – la phase

1 L’article 307 du Code dispose en effet que « dans le cas seulement où, par l’effet de l’absence du Procureur de la République, le prévenu en flagrant délit ne pouvait être en- tendu immédiatement après l’arrestation, il est déposé dans une des salles de la mairie, où il est gardé à vue, ou dans la chambre de sureté de la caserne jusqu’à ce qu’il puisse être conduit devant l’officier de police ; mais sous aucun prétexte cette conduite ne peut être différé au-delà de vingt-quatre heures » 2 Loi du 8 décembre 1897 dite loi Constans

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d’enquête préliminaire stricto sensu se déroulant hors la présence de l’avocat d’une part, la phase d’instruction prévoyant l’assistance par un conseil d’autre part – la loi de 1897 a créé la nécessité pour les services de police de tout faire pour obtenir ce qui était devenu difficile pendant l’instruction, des aveux. Les rétentions arbitraires se sont alors multipliées, vidant par là même de leur sens les dispositions de 1897 et de 1903 : en détournant la garde à vue de sa finalité première et de son caractère exceptionnel – la rétention en cas d’indisponibilité du magistrat – pour en faire un instrument privilégié d’enquête, réduisant par conséquent la marge de manoeuvre du conseil n’intervenant qu’au stade de l’instruction. En effet, comment défendre habilement son client quand ce dernier a eu tout le temps nécessaire pour s’auto- accabler devant les services de police ? Cette pratique, officieuse et douteuse, de la garde à vue a pourtant été reconnue par une circulaire du ministère de l’intérieur en date du 23 septembre 1943, avant d’être validée par la Cour d’Appel de Paris en 1954 et d’être finalement officialisée dans le code de 1958. L’histoire de la garde à vue est bel et bien celle d’un déplacement sémantique : d’une simple mesure de rétention, elle est devenue non seulement un instrument privilégié pour conduire les enquêtes de police mais également un moyen de limiter le rôle de l’avocat dans les audiences pénales. Il est d’ailleurs significatif qu’il ait fallu attendre 2000 pour que le barreau puisse retrouver une quelconque place en garde à vue.

La réalité actuelle de la garde à vue « Pour les nécessités d’une enquête, un officier de police judiciaire peut retenir une personne dans les locaux du commissariat ou de la gendarmerie (24 heures maximum), qu’il soupçonne d’avoir commis une infraction. Le procureur de la République doit être informé. C’est lui qui peut autoriser la prolongation de la garde à vue pour un nouveau délai de 24 heures maximum, soit 48 heures en tout » indique le site internet du ministère de la justice. La définition ainsi posée est imparfaite : elle ne rend compte que de manière implicite l’objectif premier de cette mesure de rétention, à savoir avancer dans le travail d’enquête. Bien entendu, détenir un suspect est par essence une mesure conservatoire. Ainsi la personne gardée à vue en étant coupée du monde pour une durée pouvant aller jusqu’à 48 heures1 ne

1 Le Code de Procédure Pénale prévoit des durées spécifiques s’agissant de certaines

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dispose plus de la possibilité d’entrer en communication avec qui que ce soit. Ceci permettra aux services enquêteurs de réaliser en parallèle des perquisitions ou d’interpeller d’autres personnes qui, prévenues, auraient pu disparaître dans la nature. Néanmoins, par le biais des interrogatoires, policiers et gendarmes vont plus loin : ils vont essayer de recueillir dès ce stade de l’enquête les informations nécessaires au montage du dossier pénal. En bref, la « bonne volonté » du suspect est sollicitée et celui-ci, pour le cas où il serait coupable, est invité à s’incriminer lui-même1. Une personne gardée à vue se retrouve donc face à une double angoisse : angoisse de l’isolement et de la perte – certes temporaire – de liberté mais aussi angoisse liée au travail de la machine pénale qui s’active en parallèle pour « monter » un dossier contre lui. Si le gardé à vue n’est pas dépourvu de droits, ceux-ci sont pour le moins limités : faire prévenir quelqu’un de sa famille ou son employeur2, se faire examiner par un médecin qui statuera sur la compatibilité ou non de son état de santé avec la mesure de rétention et s’entretenir avec son avocat ou un avocat commis d’office. L’intervention de ce dernier est le seul moment où le gardé à vue peut discuter avec quelqu’un du sujet délicat de sa défense. La rencontre est confidentielle et peut durer jusqu’à trente minutes3. Comme si la situation de la défense pénale n’était pas déjà assez délicate, l’avocat n’est informé avant l’entretien que du nom et prénom de la personne détenue, du fait qu’elle est majeure ou non et de la qualification pénale retenue à ce stade de l’enquête à l’encontre de son client. Il ne dispose d’aucun accès au dossier pénal. Dès lors en entrant dans le local affecté à l’entretien

infractions relatives aux stupéfiants ou au terrorisme par exemple 1 En ce sens la disparition de la notification relative au droit au silence de l’article 63-4 du Code de Procédure Pénale en 2003 est significative : le gardé à vue conserve bien entendu cette possibilité – par essence inaliénable – mais les policiers ne sont plus tenus d’éveiller son attention sur ce moyen rudimentaire de défense 2 Il est à noter qu’en aucun cas le gardé à vue ne pourra prévenir lui-même qui que ce soit. Pendant le temps de la garde à vue, il n’aura de contact direct qu’avec les services enquêteurs et de manière très encadrée avec un médecin et un avocat. En ce sens l’iso- lement du gardé à vue est quasi-absolu 3 Ce qui est un temps particulièrement court compte tenu du fait que l’avocat – souvent commis d’office – ne connait pas son client et qu’il devra avant toute chose tenter d’éta- blir une relation de confiance avec le gardé à vue. Par ailleurs, si le dossier peut être très simple (vol à l’étalage, outrage), il peut a contrario être excessivement complexe (in- fraction à la législation des produits stupéfiants par exemple) voire nécessiter un renvoi ultérieur devant un juge d’instruction

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avec le gardé à vue, l’avocat n’a aucune idée de l’affaire dont ils vont devoir parler. Il n’a aucune connaissance des éléments de preuve qui accablent ou au contraire disculpent son client. Le pire étant que ce dernier peut n’avoir qu’une connaissance très partielle de ceux-ci. En bref, conseil et gardé à vue se retrouvent à spéculer sur un dossier qu’ils ne connaissent pas, ce qui n’est pas la manière la plus aisée d’échaffauder une défense efficace. N’oublions pas qu’il n’y a rien de plus ridicule qu’un suspect qui nie l’évidence : cette attitude passera invariablement pour de la mauvaise foi. De même, celui qui se drape dans son silence – ce qui est pourtant son droit le plus strict – se le verra invariablement reproché à une audience ultérieure de jugement. Mais le rôle de l’avocat, dans l’esprit des services de police, est autre : s’assurer que la garde à vue se déroule correctement. De conseil de la défense, l’avocat voit sa mission se transformer en celle de visiteur de lieu de détention, voire d’assistant social : informer le client sur ses (maigres) droits, vérifier que ceux-ci ont bien été portés à sa connaissance et recueillir toute déclaration du gardé à vue au sujet de ses conditions de détention, déclarations qu’il pourra consigner dans un mémoire qui ira abonder le dossier pénal. Implicitement on voit poindre le double problème des violences policières et de l’état des lieux de rétention. Si le second ne pose aucune difficulté1, le premier est plus problèmatique. En premier lieu il est toujours délicat en l’absence de preuves tangibles2 de parler d’un quelconque comportement défectueux de la part des services enquêteurs à l’encontre des gardés à vue. En second lieu si des violences policières doivent se produire à l’occasion de la mesure de rétention, elles interviendront nécessairement après la visite de l’avocat, au moment où celui-ci ne disposera plus d’aucun moyen

1 Il s’agit d’un lieu commun bien présent à l’esprit de tous les intervenants au procès pénal que les lieux de rétention sont – malheureusement – le plus souvent dans un état déplorable. Néanmoins, le moyen de nullité suivant lequel tout le monde a le droit d’être détenu dans des conditions compatibles avec la dignité humaine est rarement accueilli par les juridictions. Citons néanmoins le cas de cette audience de comparu- tion immédiate intégralement annulée à Paris sur ce fondement. Il s’agissait en l’espèce du « petit dépôt », à savoir le lieu de rétention où attendent les prévenus le jour même de leur jugement, mais la solution, par extension, pourrait tout à fait être applicable à nombre de commissariats de France et de Navarre... 2 Comme des certificats médicaux ou, mieux, des enregistrements vidéos

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d’en retranscrire la dénonciation12. C’est ce rôle modeste, presque étranger à la défense pénale, qu’a tenté de rendre compte Maître Charrière-Bournazel, ancien bâtonnier de Paris, en décrivant la visite de l’avocat comme « une visite de courtoisie ».

L’espoir européen Depuis les arrêts Dayanan et Salduz de la CEDH, cette conception restrictive de la place de l’avocat en garde à vue est remise en cause. A l’origine de cette forme de querelle, l’action des avocats du Barreau de Paris et du collectif « Je ne parlerai qu’en la présence de mon avocat ». Par le biais d’actions isolées ou groupées, les conseils de France et de Navarre ont commencé à soulever in limine litis l’exception tirée de l’inconventionnalité des dispositions de l’article 63-4 du Code de Procédure Pénale. Après tout, si la jurisprudence européenne, reconnue comme étant supérieure à toute norme interne, impose qu’à tout stade de la procédure – comprenant l’enquête – le suspect ait le droit de bénéficier d’un conseil disposant de toutes ses prérogatives habituelles, pourquoi la garde à vue à la française devrait-elle se dérouler autrement ? N’oublions pas que c’est en traînant les pieds que la France a accepté d’ouvrir l’accès à la garde à vue aux conseils. Que c’est également de manière très tardive que les questions posées par les fonctionnaires de police sont apparues sur les procès-verbaux d’interrogatoire des gardés à vue. Il y a une logique dans ce système: c’est celle de l’aveu. A partir de là, tout devient possible : le gardé à

1 Il ne s’agit bien évidemment pas là de stigmatiser l’ensemble du corps policier. Néan- moins, les auteurs de ces lignes ont constaté personnellement qu’un grand nombre de gardés à vue parlent spontanément des violences qu’ils ont pu subir. La difficulté pour le conseil étant bien entendu de séparer le bon grain de l’ivraie : il est nécessaire de faire le tri entre ce qui paraît plausible et ce qui ne l’est pas. De même, le conseil lors de la rédaction du mémoire de procédure se devra de faire preuve de beaucoup de prudence et de modération et n’être catégorique que sur ce qu’il a constaté de visu (telle ou telle lésion sur le corps du client) et employer la forme indirecte pour le surplus (« mon client m’informe qu’il aurait été frappé par les policiers ») 2 A l’instar d’un de nos clients qui, à la question de savoir si oui ou non il voulait que nous fassions des observations écrites, avait répondu spontanément : « à quoi bon ? Les policiers mettent les claques après le départ de l’avocat ». Réalité ou fantasme ? Tout au plus pouvons nous relever que le raisonnement est de bon sens : si un fonctionnaire de police ou de gendarmerie a l’intention de se comporter de manière défectueuse à l’encontre du gardé à vue, il a tout intérêt à le faire après le départ de l’avocat... Cela tombe sous le sens. 60

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vue, le plus souvent hébété par la violence de cette mesure1, risque d’alourdir son cas. En commettant une autre infraction à l’encontre ou non2 des services enquêteurs3, en se terrant dans un silence qu’on ne manquera pas de lui reprocher4 ou en faisant des déclarations qu’il regrettera par la suite. Le dernier cas est notamment intéressant quant à l’utilisation qui est faite de « l’aveu » : ce qui ne devrait être au mieux qu’un indice constitue pour certaines infractions la matière principale de la condamnation. Par exemple, la menace pour être punissable doit être « réitérée, matérialisée par un écrit, une image ou tout autre objet5 » ou « faite avec l’ordre de remplir une condition6 ». Ces critères sont bien entendu ignorés du grand public. Dès lors déclarer devant les services de police avoir menacé une fois ou deux un individu lors d’une altercation signifie la même chose pour un gardé à vue alors qu’au regard du droit pénal la différence est de taille. En l’absence de l’avocat aux interrogatoires de police une telle erreur est favorisée et conduira à la condamnation de personnes sur leurs propres déclarations pour des faits qui, peut-être, n’étaient pas réprimables. Ce qui est, nous en conviendrons, très regrettable. L’enjeu de la présence de l’avocat en garde à vue est considérable et c’est ce qu’a estimé la CEDH dans des décisions sanctionnant la Turquie. Au-delà du seul cas turque, la Cour a entendu donner à ces arrêts une portée de principe. Elle pose notamment le principe selon

1 Toute mesure de garde à vue est par essence violente. Elle ne sera, en effet, jamais un « colloque urbain » pour reprendre la formule de P. Bilger. N’oublions pas que le gardé à vue se voit dépouiller en plus de sa liberté d’aller et de venir de ses effets person- nels – en cela compris ses lunettes s’il en porte – et n’a qu’une notion floue du temps qui passe. Dès lors, même en imposant une durée limite à la mesure de garde à vue, variable en fonction de l’infraction visée, le Code de Procédure soumet celui qui n’est, à ce stade de l’enquête, que suspect à une mesure violente de contrainte. Par ailleurs, la méconnaissance des arcanes de la procédure pénale et des suites envisageables à la garde à vue ne peuvent être que de nature à accroître l’anxiété de la personne tem- porairement privée de liberté. Ce qui a, pour parler crûment, pour effet « d’attendrir la viande » et de favoriser les déclarations regrettables devant les services de police... 2 Refus de fichage des empreintes digitales ou génétiques 3 Comme par exemple la rebellion ou les outrages sur personne dépositaire de l’auto- rité publique 4 En dépit du fait que le silence en garde à vue ne peut en aucun cas servir à fonder une condamnation, force est de constater que le mutisme est toujours reproché au prévenu lors de l’audience de jugement 5 Article 222-17 du Code Pénal 6 Article 222-18 du Code Pénal

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lequel « l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’intervention qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer1 ». La Cour de précise par ailleurs qu’il « est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation2 ». Le même arrêt nous fournit par ailleurs le fondement idéologique d’une telle interprétation des textes internationaux en rappellant qu’un « accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable [au stade de l’enquête] […] Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l’assistance d’un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s’incriminer lui-même3 ». Ces dispositions de principe ont vocation à s’appliquer sur le territoire couvert par la CEDH et par extension à la France. Dans une récente interview donnée a La Croix, Jean-Paul Costa, président de cette juridiction, incite les états membres à « cesser de jouer à cache-cache avec la Convention internationale des droits de l’homme4 ». Jean-Paul Costa précise par ailleurs que « les États ne doivent pas attendre que des dizaines de justiciables déposent des recours à Strasbourg pour réviser leurs lois5 ». Il était donc tout naturel que les avocats français prennent acte de l’existence de ces arrêts pour demander l’annulation des procès-verbaux d’interrogatoire réalisés en leur absence.

La bataille judiciaire française Dans une communication en date du 15 octobre 2009, celui qui était alors bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, Maître Charrière- Bournazel, rendait compte de l’arrêt Dayanan prononcé deux jours

1 CEDH, arrêt Dayanan c. Turquie, 19 octobre 2009, 32 2 Ibid., 55 3 Ibid., 54 4 « Cessons de jouer à cache-cache avec la convention internationale des droits de l’homme », La Croix, 24 janvier 2010 5 Ibid.

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auparavant et fustigeait toute réforme du Code de Procédure Pénale « qui n’instituerait pas la présence de l’avocat en garde à vue dès la première minute1 ». Le 20 novembre 2009, le bâtonnier de Paris en appelait à « chacune et à chacun de [ses] confrères pour alerter l’opinion publique, les parlementaires et les consciences éclairées afin que soit mis immédiatement un terme à la dérive de notre justice et aux excès de certains corps de policiers2 ». De manière concomittante, les avocats des barreaux français ont réclamé la nullité des procès-verbaux pris en leur absence par les services de police. Quelques décisions ont donné raison à ces argumentations3 mais majoritairement les juridictions se sont retranchées derrière le droit interne pour rejeter ces exceptions de nullité. La Chancellerie a, en effet, dans une note en date du 17 novembre 2009 à destination des parquetiers fourni des éléments de réponse pour contrer les conclusions de nullité des avocats : seule la Turquie serait mise en cause par les arrêts Dayanan et Salduz et le régime français de la garde à vue serait parfaitement valable à partir du moment où l’avocat peut rencontrer son client pendant trente minutes4. Néanmoins, anticipant l’éventuel échec de cette argumentaire, la Chancellerie ajoute qu’il « importe donc que le ministère public assoie l’accusation, comme c’est déjà le cas dans la très grande majorité des affaires, sur un d’éléments de preuve convergents, et non pas uniquement sur les déclarations des mis en cause pendant la garde à vue5 ». Les auteurs de ces lignes en témoignent : cet argumentaire effectivement prononcé par les ministères publics est à la fois faux et efficace. Efficace en ce qu’il convainc les juges de rejeter les exceptions de nullités soulevées, faux en ce qu’il identifie une institution (la présence de l’avocat en garde à vue) avec l’efficacité qu’elle suppose (pouvoir accèder au dossier

1 http://www.charriere-bournazel.com 2 « Garde à vue : mensonges et forfaiture », article publié en ligne le 20 novembre 2009 sur le site http://www.abolir-gardeavue.fr 3 Tribunal Correctionnel de Nanterre, 29 mars 2010 ; Cour d’Appel de Nancy, 19 jan- vier 2010; Juge de la Liberté et de la Détention de Bobigny, 30 novembre 2009 4 Le Doyen Vedel, alors membre du Conseil Constitutionnel, écrivait déjà le 20 janvier 1981 que « la garde à vue viole les droits de la défense parce qu’elle permet qu’un suspect soit interrogé sans l’assistance d’un avocat » (propos rapportés par Jean-Louis Debré lors d’un discours prononcé le 4 décembre 2009 à l’occasion de la rentrée du Barreau de Paris) 5 « Argumentaire sur l’absence de l’avocat en garde à vue – conséquences procédura- les », Ministère de la Justice, 17 novembre 2009

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pénal et assister le suspect lors des interrogatoires). Il s’agit – au-delà de l’ingénierie procédurale – d’un véritable bras de fer : tant qu’une réforme ne sera pas votée, toute garde à vue est susceptible d’être dépouillée d’un certain nombre d’actes d’enquête (les interrogatoires) si les nullités aboutissaient. Dès lors, il semble que la réponse à ce défi posé par la Cour Européenne des Droits de l’Homme ne puisse émaner que du pouvoir politique. En effet, si certains commissariats et gendarmeries fournissent dès à présent l’accès au dossier demandé, à notre connaissance il ne s’agit que d’une pratique minoritaire et en tout état de cause les interrogatoires de police demeurent interdits à l’avocat.

Les retombées politiques Dès le 3 novembre 2009, des députés de la nation1 saisissaient par la voie de questions écrites au gouvernement le ministère de la justice et des libertés : l’interrogation, maintes fois répétées, était la même. A savoir quelles mesures le gouvernement compte-t-il prendre pour conformer la garde à vue française aux exigences européennes ? La réponse commune ne sera publiée au JO le 27 avril 2010 et se contentera d’une part de rappeler que la Chancellerie estime la garde à vue française conforme aux normes européennes2, d’autre part d’informer la réprésentation nationale que « le projet de réforme du code de procédure pénale répond à la volonté d’améliorer l’assistance apportée par l’avocat à la personne gardée à vue3 ». Il serait à cet effet envisagé d’inscrire dans le Code de Procédure Pénale qu’aucune « condamnation ne pourra être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites par un gardé à vue qui n’aurait pu bénéficier de l’assistance d’un avocat4 ». Au-delà de cette disposition de principe5,

1 Questions n°62585, 64136, 64138, 64139 et 65746 à 65749 posées par des députés des groupes Socialiste, Gauche Radicale et Républicaine et Nouveau Centre 2 « La Cour européenne des droits de l’homme, notamment dans les arrêts Salduz c/Tur- quie du 27 novembre 2008 et Dayanan c/Turquie du 13 octobre 2009, a affirmé le droit pour toute personne, dès lors qu’elle est privée de liberté, à pouvoir s’entretenir avec un défenseur. Le droit français en vigueur pour les infractions de droit commun satisfait à cette exigence précise puisqu’il autorise le gardé à vue à s’entretenir confidentiellement, dès le début de la garde à vue, avec un avocat » (Réponse publiée au Journal Officiel le 27 avril 2010 à la question n°65747 de Jean-Pierre Abelin) 3 Ibid. 4 Ibid. 5 Qui répond à un engagement de Nicolas Sarkozy de faire succéder la culture de la

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il serait envisagé que l’avocat puisse consulter au fur et à mesure de leur saisie les procès-verbaux d’interrogatoire de son client et, en cas de prolongation de la mesure de garde à vue, qu’il puisse participer aux interrogatoires de police. S’il s’agirait d’un progrès incontestable par rapport à la situation existante, une telle réforme ne serait qu’imparfaite, l’assistance de l’avocat lors des interrogatoires n’étant prévue qu’en cas de prolongation. La proposition de loi du député UMP, Manuel Aeschlimann1, co-écrite avec « les avocats parisiens de l’association Je ne parlerai qu’en la présence de mon avocat2 », enregistrée à l’Assemblée Nationale le 21 décembre 2009 est bien plus ambitieuse. Elle prévoit, notamment, que « dès le début de la garde à vue, la personne ne peut être entendue, interrogée ou assister à tout acte d’enquête, à moins qu’elle n’y renonce expressément, qu’en présence de son avocat ou ce dernier dûment appelé. Le dossier d’enquête ou la procédure d’instruction sont mis à la disposition de l’avocat avant chaque interrogatoire, confrontation ou acte d’enquête3 ». Dans le même esprit, la proposition n°2295 présentée par André Vallini4 va jusqu’à demander en sus de cet accès la possibilité pour le gardé à vue d’être entendu immédiatement en présence de son avocat. Néanmoins cette dernière a été rejetée en première lecture par l’Assemblée Nationale le 25 mars 2010...

Les enjeux de la réforme souhaitée Si nous ignorons à l’heure actuelle le résultat à venir de cette contro- verse, nous pouvons tout du moins imaginer la garde à vue telle qu’elle devrait être. Avocats pénalistes, notre rôle est de mettre en oeuvre pour chaque dossier, chaque affaire la stratégie la plus adé- quate en fonction de la marge de manoeuvre que les éléments de preuve nous permettent. Nous nous devons de vérifier, de même, la loyauté des conditions dans lesquelles les déclarations du gardé à preuve à celle de l’aveu ! 1 Proposition n°2181 de loi « tendant à instituer la présence de l’avocat durant tous les actes de la procédure établis au cours de la garde à vue », enregistrée le 21 décembre 2009 et signée, notamment, par l’ancien Garde des Sceaux Pascal Clément 2 « Copé (UMP) apporte son soutien à une réforme de la garde à vue », AFP, 10 décembre 2009 3 Ibid., article premier 4 Proposition n°2295 de loi « visant à instituer la présence effective de l’avocat dès le début de la garde à vue », enregistrée le 10 février 2010 et signée, notamment par les anciennes Gardes des Sceaux Elisabeth Guigou et Marylise Lebranchu

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vue ont été recueillies. Plus qu’une revendication de type corporatiste, le débat autour de la présence effective de l’avocat en garde à vue relève des libertés les plus fondamentales : celles du procès équitable. Nul n’est tenu, volontairement ou involontairement, de s’incriminer lui-même. Il est donc nécessaire d’encadrer au maximum les déclara- tions faites dans un contexte angoissant et toujours conflictuel, celui de la mesure de rétention policière. Il ne faut pas être, en revanche, ni dupes ni alarmistes : l’assistance réelle de l’avocat n’aura que peu d’influence sur le taux d’élucidation des enquêtes. Tout au plus cela permettra-t-il de donner plus de consistance à des aveux qui seront sincères et réfléchis. Par ailleurs, jusqu’à présent la meilleure façon de savoir ce qui se passait réellement en garde à vue était encore de l’imaginer1. En effet, présent à l’occasion des interrogatoires de police et renforcé dans son rôle de conseil, l’avocat assisterait également au déroulement de la mesure dans sa réalité et non dans sa version courte et tronquée d’une demi heure ! Ceci permettrait de « rendre vaines ces interminables joutes aux audiences sur les modalités de la garde à vue systématiquement présentées dans la bouche des avocats comme un enfer2 » en faisant disparaître tout risque de dérapage... Tous les intervenants à la procédure ont a gagner à ce que la réforme aille dans le sens défini par la Cour Européenne des Droits de l’Hom- me. Les seuls véritables problèmes ne sont pas idéologiques mais pra- tiques. Comment assurer une rémunération juste pour des conseils le plus souvent réglé au titre de l’aide juridictionnelle qui seront, par le jeu de la réforme, bien plus sollicités ? De même pour reprendre Henri Vlamynck « le temps policier n’est pas le temps judiciaire 3», à savoir celui de l’écrit. Comment transmettre au conseil au tout début de la procédure les actes qui ne seront saisis que plusieurs heures plus tard ? Mais aussi insurmontables que paraissent être ces questions de pure logistique, elles ne doivent pas faire oublier l’essentiel : la protection des droits et libertés de toutes et tous qui ne saurait connaître de res- trictions aussi bassement matérielles. Katia Guillermet, Guy Nagel

1 Pour détourner une formule de F. Beigbeder tirée de « Windows on the world » (Grasset, 2003) 2 « La garde à vue un enfer ? », Philippe Bilger, le 22 novembre 2009 3 « Droit de la police », Henri Vlamynck, 3ème édition, février 2010, Vuibert, p. 390

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« L’Appel à la Raison » du JCall a été lancé à Bruxelles le 3 Mai 2010. Cet appel, par le biais d’une pétition en ligne, conviait tous les juifs européens que la guerre de Gaza en janvier 2009 avait choqué, et qui ne se reconnaissaient plus dans les prises de paroles et positions de certains acteurs et organismes de leurs communautés en question à les rejoindre.

e début du texte est dans la ligne classique des déclarations pro- israéliennes pour la paix : « Citoyens de pays européens, juifs, Lnous sommes impliqués dans la vie politique et sociale de nos pays respectifs. Quels que soient nos itinéraires personnels, le lien à l’État d’Israël fait partie de notre identité. L’avenir et la sécurité de cet État auquel nous sommes indéfectiblement attachés nous préoc- cupent. » Les rédacteurs du texte expliquent ensuite qu’ils craignent qu’Israël soit à nouveau en danger par la poursuite l’occupation et la poursuite des implantations en Cisjordanie et dans les quartiers ara- bes de Jérusalem Est. Outre le fait selon les rédacteurs qu’il s’agisse d’« une erreur politique et une faute morale », cela « alimentent, en outre, un processus de délégitimation inacceptable d’Israël en tant qu’État ». Suivent 4 points : « l’établissement d’une paix avec le peuple palestinien selon le principe « deux Peuples, deux États » ; l’implication de l’Union européenne comme les Etats-Unis dans le processus ; le refus de l’« alignement systématique sur la politique du gouvernement israélien » ; la création d’un mouvement dans ce sens, J Call. Une sorte « JStreet » européen. Malgré l’attachement affiché et la défense historique de l’état hébreu de certains signataires, une campagne d’une violence rare fut orga- nisée pour contrer l’initiative qui appelait l’Europe et les Etats-Unis à convaincre les israéliens et palestiniens à trouver impérativement 67

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une solution politique au conflit du Moyen-Orient. Cette campagne, initiée par une contre pétition du nom de Raison Gar- der conteste le point de vue et les directives des signataires de L’Appel à la Raison. Tout d’abord sur « l’idée d’une paix imposée sous la pres- sion » en déplorant l’appel à l’intervention de puissances étrangères, comme « un déni de démocratie ». Les contre-signataires évoquent l’échec du président Obama « à faire face au déni mortel iranien », tout en décrivant une Union Européenne qui s’est « globalement identifiée à la cause palestinienne ». Raison Garder allègue ensuite des études (non-sourcées sur le site) disant qu’une majorité de palestiniens rejetaient « la création d’un état palestinien sur la base des frontières de 1967 (Gaza + Cisjordanie) », exposant Israël à « une faiblesse stratégique fatale ». Elle accuse égale- ment le Camp de la Paix d’amnésie, suite aux accords d’Oslo qui « ont conduit à une vague de terrorisme sans précédent, le retrait du Liban à l’installation du Hezbollah - et les garanties du Conseil de sécurité à ce propos sont un chiffon de papier -, le désengagement de Gaza a conduit au coup d’État du Hamas et à une pluie de missiles de plu- sieurs années. Demain « Jérusalem-Est » et l’État de Palestine seront-ils sous la coupe de ce dernier ? Les regrets des signataires de l’Appel ne serviront à rien... ». Pour finir, outre le fait que « L’Appel à la Raison » contribuerait à la campagne de délégitimisation de l’État d’Israel (toujours selon « Rai- son Garder »), les signataires se définissent comme les seuls garants de « l’opinion véritablement médiateur » (comprendre ici les portes pa- roles des israéliens), et les véritables défenseurs et illustrateurs de « la légitimité de l’État d’Israël dans le cadre d’une véritable paix”.

Depuis, les insultes fusent. « Traîtres », « gauchistes, » « haine de soi ont été les arguments de certains opposants à « L’Appel à la Raison », comme un certain Meïr B., par le biais de ce mail adressé aux signa- taires. Verbatim « Honte à vous tas de traîtres infames qui faites appel aux nations pour forcer la main de vos frères qui portent le fardeau de la Reconstruction de la troisième souveraineté d’Israël apres 2000 ans d’exil alors que vous vous êtes dispensés. Vous êtes eccoeurants d’aller lècher le cul des goyim parce que vous êtes incapables de convaincre les Juifs d’Israël du bien fondé de votre approche d’abdication vichys- te. » Les réseaux sociaux comme Facebook ont été le théâtre d’affronte-

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ments très durs entre partisans des deux camps. On peut ainsi lire : "Comment faire pour ramener les brebies galeuses. Ou alors je me trompe et c'est des chiens galeux qu’il faut mettre en quarantaine et les soigner comme il faut."

Selon les opposants au texte, « seuls les israéliens ont le droit de donner leurs avis ». C'est ce que sous-entendra Richard Prasquier, président du CRIF, dans un texte, (, 30 avril 2010) appuyant les signa- taires de Raison Garder. « Je ne signerai pas la pétition intitulée Appel à la raison que ses concepteurs, le collectif Jcall, vont présenter la semaine prochaine à Bruxelles. Je suis aussi attaché qu’eux à l’espoir que la paix, une paix authentique, puisse se frayer un chemin entre Israéliens et Palestiniens, mais je pense que leur approche partielle, sinon partiale, dessert la cause qu’ils prétendent défendre. Beaucoup des réserves et des critiques qui sont les nôtres s’expriment dans une autre pétition, intitulée Raison garder. (...) Les israéliens ont-ils besoin de la diaspora juive pour savoir quelle est la « bonne » décision, ce que devraient être les frontières d’un pays que leurs fils et leurs filles protègent ? Vouloir faire le bonheur des gens à leur place est une ten- tation dangereuse." Les partisans de Raisons Garder ne veulent pas d’une solution à deux états. Par la voix de Raphaël Draï, au cours d’une interview donnée à RCJ le 3 mai 2010, les termes sont clairs : « nous ne voulons pas nous séparer des populations, puisque nous avons vécu des siècles avec les arabes1 ». Il faut comprendre ici que les partisans de Raison Garder

1 http://monsieurjo.com/2010/05/03/quand-les-colonialistes-qualifient-les-colombes- 69

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ont l’intention de continuer «à vivre » ensemble avec les arabes, mais en colonie, puisqu’il ne reconnaissent pas les accords d’Oslo : Les es- prits aguerris reconnaitront une sorte de « colonisation positive ». Au delà de cette contre-pétition, une stratégie de boycott accompa- gnera un véritable pugilat virtuel. Un campagne d’intimidation a été organisée afin de faire taire tous les sympathisants de JCall. La campa- gne a été notamment lancée par Pierre Lurçat. Fondateur de la LDJ1 en France2, et surtout contributeur du site Riposte Laïque3 sous le pseu- donyme de Pierre Landau, il appele à la mort des « traîtres4 » sur son profil Facebook.

La LDJ en France a été construite sur le même modèle que celle aux USA par Pierre Lurçat, en menant des actions violentes, notamment lors d’une manifestation contre l’antisémitisme pour la paix au Moyen Orient en chargeant physiquement le cortège de La Paix Maintenant, blessant gravement par ailleurs un commissaire de Police et plusieurs manifestants. La LDJ a aussi réussi dans la nuit du dimanche 16 au lun- di 17 mai, à pirater le site du JCall pour le rediriger sur le sien5. La LDJ est l’émanation diasporique du parti Kach6, branche la plus raciste et la plus fanatique de l’extrême droite religieuse israélienne, créée par le rabbin et ex membre du parlement israélien Meir Kahana. Ce dernier,

de-segregationistes/ 1 Qualifiée d’organisation terroriste en Israël et au États-Unis 3 Pierre Lurcat a démenti officielement avoir été le fondateur de la LDJ dans les colon- nes du Monde. Il semble avoir cessé de le nier recemment. 3 http://carolinefourest.wordpress.com/2009/11/26/les-fantasmes-de-paul-landau 4 http://twitpic.com/1nmdy2 5 http://twitpic.com/1ofngv 6 Parti israélien d’extrême droite religieuse interdit en 1988 70

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prônait jusqu’à son assassinat, l’expulsion des arabes d’Israël, car ceux là représentaient selon lui « un cancer pour la Nation ». On pouvait lire en 2007 sur le site de la LDJ un appel au soutien à la libération d’Ygal Amir, l’assassin d’Itzhak Rabin1. Certains administrateurs du site n’hésitent pas à user de termes ethniques pour fustiger les signa- taires de la pétition. « Vous allez me dire que beaucoup de gens en Is- raël pensent comme vous signataires de Jcall. C’est tout à fait vrai mais le débat ne porte pas sur le bien fondé de la formule de solution au conflit que vous prônez dans cet appel. Alors oui, entre nous, Juifs de toute tendance, nous pouvons, nous devons dialoguer et discuter sur ces choses. La question ne repose pas sur le débat ou non débat entre nous. Ce débat existe, il est houleux même, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. La question est : comment «juivement» parlant, vous croyez-vous en position morale de vous adresser aux Nations pour nous faire pression, et pour annuler par là-même ce que le peuple de ce pays dans toutes ces composantes décide pour lui-même ?! Si tant est que vous vous considérez comme faisant encore partie de ce peu- ple, le peuple juif. En bon hébreu, dans une attitude de conscience juive, c’est pratiquement de la trahison de vous servir des goyim pour nous forcer la main. (goyim signifiant en hébreu «Nations» et non pas «non juifs»). Comme si les Nations ne nous faisaient pas déjà suffisam- ment pression ? Pratiquement toutes les solutions et mesures que nous adoptons ces dernières décennies nous sont imposées au forceps par les pressions étrangères2 ».

Un autre site, JSS News, relaye la pétition anti-Jcall dans une posture se voulant modérée. A quelques détails près. La page d’accueil mon- tre la photo du rabbin extrémiste Kahana. On peut toujours y lire un de ses discours3 : "La solution unique est de comprendre que les Ara- bes citoyens de l’Etat d’Israël haïssent au plus profond de leur coeur l’Etat d’Israël, qu’ils constituent une cinquième colonne attendant de se lever contre nous, de se révolter et d’exterminer l’Etat juif. Il faut comprendre que les Arabes ici dans l’Etat juif, du fait même qu’ils ne sont pas Juifs et pas sionistes, sont un cancer qui se propage dans notre corps". Parmi les intervenants les plus virulents : Guy Millière.

1 http://www.liguededefensejuive.net/spip.php?article21&var_recherche=Meir%20 Ben-Hayoun%20jcall 2 http://www.liguededefensejuive.net/spip.php?article1627 3 http://jssnews.com/2010/04/22/discours-integral-du-rav-kahana-02031988/

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Ce journaliste et universitaire est très proche des milieux néoconserva- teurs américains, collaborant avec Metula News Agency et Israël Ma- gazine. Il affirme: “Au centre de cet appel, il y a un texte, qui relève de bien davantage que l’aveuglement volontaire et qui me fait penser au morceau de papier que Chamberlain et Daladier ont brandi à Münich, après avoir rencontré le « chancelier Hitler » en 1938”1. Dans une vidéo publiée par Jonathan Simon Sellem, administrateur du site JSS News, on peut lire que l’ingérence du JCall ne peut être liée qu’à l’an- tisionisme de ces signataires. Une attitude comparable au terrorisme du Hamas ou du Hezbollah : «Pour les signataires du JCall, c’est pareil dans la moindre mesure, car on fait appel à l’ingérence européenne, et on ne veut pas admettre qu’il s’agit là du pire anti sionisme qu’il soit2». Raphaël Draï exprimera son opinion lors d’une entrevue donnée à RCJ le 03 Mai 2010 : ”ce qui nous paru totalement choquant dans l’Appel à la Raison, c’est que l’on prône la séparation ethnique des populations (…), car de toutes façons, les populations coopèrent en ce moment. C’est une vision tout à fait simpliste de la situation3”. Lors d’une autre interview donnée au site UPJF3, Shmuel Trigano, s’emporte et déclare que le camp de la paix ne peut que conduire qu’à un échec et surtout, pourrait nuire à l’existence de l’état d’Israel. "L’idée de la Paix mainte- nant est une idée messianique, pas moins que celle du Bloc de la foi. Elle n’a rien de « rationnel ». Elle est un défi à une approche stratégi- que. De ce point de vue-là, elle ne peut conduire qu’à l’échec dans l’ordre du politique et, hélas, de l’existence. Un Etat palestinien qui serait érigé sans que la paix soit absolument assurée deviendrait un tremplin pour la destruction violente ou douce de l’Etat d’Israël. Com- ment peut-on encore tenir une telle position après l’échec du retrait de Cisjordanie sous l’égide du processus d’Oslo, du retrait du Liban et de Gaza ? Le retrait auquel appelle J Call ouvrira sur une catastrophe semblable, déjà 3 fois répétée." Une position partagée par certains réseaux ultra-communautaires qui alimente les conclusions simplistes. Mais surtout, on abuse de l’amalgame : ceux qui oseront critiquer Israël seront mis au même rang que CAPJPO d’Olivia Zemor ou encore le Parti Antisioniste de Dieudonné. David Chemla, l’un des initiateurs de JCall et Président de 1 http://www.france-israel.org/articles.ahd?idart=333&page=4 2 http://www.juif.org/video/4718,l39anti-sionisme-du-peuple-j.php 3 http://www.upjf.org/actualitees-upjf/article-18209-145-7-appel-j-call-est-encourage- ment-guerre-ennemis-israel-trigano.html

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La Paix Maintenant - France, le decrypte lors d’un entretien donné au quotidien israelien Haa’retz. "Et, bien sûr, nous nous faisons attaquer des deux côtés. Trigano est relativement modéré en comparaison de certaines réactions que nous avons reçues de la droite. Nous recevons des e-mails qui disent que nous sommes des traîtres et que ceux qui s’opposent à ce que nous avons à dire viendront aussi à Bruxelles perturber nos activités. Mais je ne pense pas qu’ils puissent entrer au Parlement, il y aura la police1" Même Alain Finkielkraut, pourtant autrefois adulé par les partisans de Raison Garder, subira les mêmes foudres du même Pierre Lurçat, dans une lettre ouverte adressée à l’intellectuel français. En voici quelques extraits : «J’ai admiré jadis votre intelligence. J’avais lu votre livre La défaite de la Pensée quand j’avais vingt ans, sans me douter que j’assisterais vingt ans plus tard à la défaite de votre pensée... Je sais que vous êtes, comme tout homme, pétri de contradictions : philosophe et suppor- ter de football, ami de Kundera et de Zeev Sternhell, politiquement plutôt conservateur en France et à la gauche de la gauche en Israël... Et le Juif en vous n’est pas moins pétri de contradictions. Dans votre livre le plus sincère, Le Juif imaginaire, vous évoquiez votre nostalgie du Yiddishland de vos grands-parents que vous n’avez pas connus. Depuis lors, vous vous êtes souvent illustré en tant que défenseur d’Is- raël, parfois courageux, mais toujours dans les limites intellectuelles et territoriales très restreintes de ce que vos amis israéliens de «Chalom Archav» vous dictent. Je ne vous conteste pas le droit de choisir votre camp politique en Israël. Vous lisez sans doute (sur Internet) Ha’aretz, le «journal des gens qui pensent», et vous êtes politiquement plus proche d’un Ouri Blau ou d’une Anat Kam que des fils de Myriam Peretz, ces affreux «colons» qui avaient le toupet de prétendre vivre en Samarie, et qui ont donné leur vie pour que nous ayions tous le droit de vivre libres sur notre Terre ! Je ne veux pas épiloguer sur la trahison que constitue à mes yeux le fait de vouloir contourner les choix démocratiques d’un peuple en appelant à des pressions étran- gères sur son gouvernement. J’ai déjà dit tout le mal que j’en pensais et d’autres que moi l’ont dit aussi. Une simple question me taraude. Qui êtes vous?2»

1 http://www.lapaixmaintenant.org/article2048 2 http://vudejerusalem.20minutes-blogs.fr/archive/2010/05/11/lettre-ouverte-a-alain- finkielkraut.html

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Bernard-Henri Levy sera pareillement jeté aux pâtures. "BHL, Finkielk- raut et Georges Bensoussan (Tu quoque...) ne servent en fait que de "feuille de vigne" juive pour cacher les véritables instigateurs de cet appel à la capitulation d'Israël. (...) Voila à quoi se réduit la misérable entreprise à laquelle des intellectuels qui n'ont rien d'authentiquement Juif ont prêté leur nom et leur visage, lamentables sponsors d'une cam- pagne qui voudrait arracher Jérusalem à l'Etat Juif souverain. Mais le peuple Juif qui a triomphé de Pharaon et de Titus, d'Hitler et de Staline, de Nasser et d'Arafat, saura également déjouer les sinistres projets amé- ricano-européens qui se trament aujourd'hui. Netsa'h Israël lo Yishaker L'éternité d'Israël ne ment point !" Même l’ancien ambassadeur d’Is- raël à Paris sous Ariel Sharon, Elie Barnavi, endurera les insultes. " Pour quelques piges dans le magazine Marianne cet ex-Ambassadeur passe la ligne rouge et fait du mal à Israël. Malheureusement les israéliens comme Barnavi se retrouvent assez souvent en première ligne dans les médias pour critiquer. Ils font la joie des fanatiques qui publient sans cesse leurs diatribes. Ils font le jeu des propagandistes antisionistes. Au moment où Israël fait des erreurs, il faut savoir contenir son désespoir. Cette indécence à critiquer Israël est inadmissible. Néanmoins, avec plus de 7000 signatures, le JCall a réussi à proposer une alternative au camp de la Paix en France, qui permettra aux juifs de gauche de ne plus se taire, comme il l’ont fait depuis de nombreu- ses années, de peur de faire le jeu des « antisionistes » et autres offici- nes des partisans du boycott d’Israël.

Cette voix en appelle à tous ceux qui veulent la même solution : cel- le de l’accord politique entre israéliens et palestiniens. À l’instar de la contestation quant à la prise de parole permanente du CRIF, les français de culture musulmane s'émanciperont du monopole aussi constant de l’UOIF et de Tariq Ramadan, qui eux aussi ne militent ni pour la paix ni pour les palestiniens, mais pour la prise de pouvoir du Hamas dans la région. Qu’un « MCall » voit le jour, aux côtés du JCall, que l’intelligence du dialogue triomphe, et l’histoire donnera raison aux colombes.

Jonathan Halimi

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pcx 52.indd 74 24/06/10 9:02:16 Na ï m a Ch a r a ï Les anti-IVG à Bordeaux 17 ans après...

En mai 1992, les intégristes de La Trêve de Dieu faisaient irruption dans le bloc opératoire du CHU St André. Les peines sévères pronon- cées un an plus tard par le Tribunal correctionnel de Bordeaux sem- blaient démontrer que les atteintes à la liberté des femmes n’étaient plus tolérées en France.

ourtant 17 ans plus tard, Bordeaux fait toujours face à un ac- tivisme intégriste qui, ne désarme pas dans sa volonté de pri- Pver les femmes de leur droit le plus élémentaire : disposer de leur corps. Ses rangs n’ont cessé de croître depuis que la Mairie de Bordeaux a en 2002, en dépit de tous les principes républicains et au mépris même du droit et de décisions de Justice, offert l’asile à l’Abbé Laguérie –ex égérie de St Nicolas du Chardonnet- et à la Fra- ternité St Pie X. Depuis leur nouvelle base, en plein cœur du centre historique de la ville, ils essaiment leur liturgie liberticide, vendent leur littérature, ouvrent des écoles et organisent la lutte contre le droit à l’IVG. 3 églises intégristes dans la seule agglomération bordelaise ; 3 écoles intégristes hors contrat et hors contrôle, jusqu’à ce qu’une émission de télévision récente impose au Rectorat de prendre ses responsabi- lités, en demi-teinte, puisque seuls les élèves d’un collège devront changer d’établissement à la rentrée prochaine. Sans parler des pou- voirs publics locaux qui n’assument pas leurs choix politiques, un Maire qui renvoie la responsabilité à l’archevêché (réconciliation ca- tholique romaine oblige) et ne parle que de manipulation de l’oppo- sition quand il daigne enfin s’exprimer sur le sujet autrement qu’en

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citant l’Evangile ! Si beaucoup semblent surpris de ce regain d’ac- tivité des mouvements intégristes catholiques dans notre région, les militant(e)s du Collectif Bordelais pour les Droits des Femmes n’ont jamais relâché leur vigilance et dénoncent, chaque année, la tenue de « marches pour la vie ». Cette année, le contexte médiatique aidant, plus de 2000 personnes étaient dans les rues, samedi 29 mai, pour dénoncer les atteintes au droit à l’IVG. Invitée à ce rassemblement Caroline Fourest est venue soutenir la dé- marche du Collectif, non sans avoir alerté les Bordelais sur les liens qui unissent la mouvance intégriste catholique aux pouvoirs publics locaux d’hier et d’aujourd’hui (cf « St Emoi », Le Monde, 3 juin 2010) au cours d’une conférence de presse publique. Ces éclairages permet- tent de mieux appréhender l’audience de la Fraternité St Pie X auprès de la Mairie et expliquent l’inaction des pouvoirs publics (du Maire au Préfet en passant par le Ministre de l’Intérieur de l’époque) quand il s’est agi de rétablir l’ordre républicain. A Bordeaux, depuis 8 ans déjà, le déni de démocratie s’organise entre les murs de l’église St Eloi : refus des choix de vie différents des leurs, homophobie, révisionnisme (une messe en l’honneur du Maréchal Pé- tain y a été célébrée) et activisme anti-IVG ont désormais une place forte à Bordeaux, récemment légitimée par le Vatican. Et si leurs appels à l’abrogation pure et simple de la loi Veil demeurent inefficaces, leur lobbying intensif porte malgré tout ses fruits : l’entrave à l’IVG prend des allures plus sournoises mais tout aussi dangereuses. Le Gouvernement a entendu leur appel : diminution drastique des subventions accordées aux associations féministes, au premier rang desquelles le Mouvement Français pour le Planning Familial ; ferme- tures de centres IVG orchestrées par la loi Bachelot sur l’ensemble du territoire ; diminution des postes de soignants dans les centres IVG urbains ; et même une circulaire du Ministre de l’Education Nationale interdisant aux infirmières scolaires de distribuer un « pass contracep- tion » à destination des jeunes lycéennes.Entrave à l’accès à l’IVG, entrave à l’accès à la contraception : les associations féministes tirent la sonnette d’alarme et dénoncent les violences institutionnelles dont sont victimes les femmes. Ce 29 mai, 17 après les commandos anti-IVG, les rues de Bordeaux étaient bien plus largement pro-choix qu’anti-IVG. Pourtant, ce n’est pas cette voix que le Gouvernement entend et défend. Naïma Charaï 76

pcx 52.indd 76 24/06/10 9:02:16 Vi n c e n t Ar c h e r Belgique : triomphe des nationalistes comment en est-on arrivé là ?

Dans « Schtroumpf Vert et Vert Schtroumpf » (1973), le dessinateur belge Peyo présentait l’affrontement entre les Schtroumpfs du Nord (qui parlent de «tire-bouschtroumpf ») et ceux du Sud (qui disent « schtroumpfe-bouchon »). Cette querelle linguistique était une mé- taphore à peine voilée des tensions existant entre flamands (néerlan- dophones) et wallons (francophones) depuis des décennies.

i, dans la bande dessinée, tout finit par s’arranger, ce ne sera pas le cas dans la vraie Belgique. Les élections législatives belges du Sdimanche 13 juin ont vu, pour la première fois en Flandre, le triomphe d’un parti ouvertement séparatiste, la N-VA (environ 30% des voix). La scission du plat pays n’est pas encore pour demain, mais on vient de faire un nouveau pas vers elle. C’est un long che- min qui continue ainsi.

À l’origine : une rancœur flamande La forte volonté flamande d’autonomie, voire d’indépendance, prend sa source aux débuts de la Belgique. Quand celle-ci accè- de à son indépendance en 1830, le pouvoir est contrôlé par l’élite francophone (la Wallonie est alors, grâce à l’essor de la sidérurgie, le joyau industriel de l’Europe). Bien que la population belge parle majoritairement le flamand (un dialecte du néerlandais), bien que la capitale (Bruxelles) soit flamande, cette élite impose le français com- me langue de l’administration. Cela écarte les flamands des postes dans l’administration, tout en attirant de nombreux francophones… Ils sont aujourd’hui 85% de la population bruxelloise. Pire, consacré

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langue de l’élite belge, le français est adopté par une grande partie de la bourgeoisie flamande (les « Fransquillons »). Dans l’inconscient collectif flamand, le français symbolise donc à la fois la perte de leur capitale Bruxelles, et l’oppression par la bourgeoisie francophone. Pendant un siècle, les Flamands obtiendront peu à peu (et difficile- ment) des droits sur l’utilisation de leur langue. Après avoir obtenu le bilinguisme en Flandre, ils souhaitent l’étendre à tout le pays. Pas question pour les francophones, qui veulent contenir la progression du mouvement flamand. La question est tranchée en 1932 : bilinguisme à Bruxelles, mais unilinguisme en Flandre (flamand) et en Wallonie (français), entre lesquelles on trace une première frontière linguistique. Cela accentuera la francisation de Bruxelles, tout en défrancisant la Flandre. Le socialiste wallon François Bovesse se réjouit alors : « Le bilinguisme est mort, personne ne le ressuscitera. » La situation n’est pas apaisée pour autant, mouvements autonomistes flamands et wallons prenant de l’ampleur. En 1962, on fixe définitive- ment la frontière linguistique, après l’avoir ajustée. Les communes uni- lingues comptant une forte proportion d’habitants utilisant une autre langue se voient imposer les « facilités » : elles doivent permettre à ces habitants de communiquer avec l’administration communale dans leur langue. Naît ainsi un grand malentendu entre les deux communautés, en particulier dans la périphérie de Bruxelles. Les flamands voient les facilités comme un dispositif temporaire, devant mener à l’intégration linguistique. Les francophones considèrent au contraire cela comme une reconnaissance permanente de leurs droits à y utiliser le français. Unilinguisme, frontière linguistique : à chaque fois, l’état belge fait des concessions pour séparer Wallons et Flamands, pensant alors régler le problème communautaire. À chaque fois, cela continue.

Walen buiten En 1967, une crise éclate à l’Université catholique de Louvain, la plus prestigieuse université catholique du pays. À l’époque, elle fait excep- tion aux lois linguistiques en étant encore bilingue, bien que situé en territoire flamand unilingue, grâce aux pressions des évêques belges refusant qu’on touche à leur joyau. Certes, la section francophone a bien le projet de s’étendre de l’autre côte de la frontière linguistique, mais aucune séparation n’est à l’ordre du jour. Cette situation déplaît fortement aux nationalistes flamands, qui n’acceptent aucune entorse à la séparation linguistique : ils sont 30 000 à défiler dans les rues

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d’Anvers le 5 novembre 1967 pour réclamer le départ des étudiants francophones. À leur suite, les étudiants flamands de Louvain défilent régulièrement dans les rues de la ville universitaire en criant « Walen buiten! » (« les wallons dehors ! »). La cause devient de plus en plus populaire dans l’opinion flamande. Début février 1968, tout s’accélère. Le 2, l’évê- que de Bruges revient sur ses déclarations passées contre la sépara- tion. Le 6, le député Jan Verroken, interpelle le gouvernement sur la question, et fait alors éclater au grand jour les divisions de sa famille politique (démocrates-chrétiens) entre les deux communautés lin- guistiques. Le 7, le premier ministre Paul Vanden Boeynants, lui aussi chrétien-démocrate, prend acte de ces divisions et démissionne. La situation sera réglée quelques mois plus tard par la scission effective de l’université louvaniste, et la création d’un nouveau campus en Wallonie : Louvain-La-Neuve. Le divorce entre démocrates-chrétiens flamands et francophones sera entériné définitivement en 1972, par la scission du Parti Social-Chré- tien. Les grands partis politiques unitaires ont vécu : la séparation linguistique se produit également chez les libéraux (1972) et les so- cialistes (1978). Le virage autonomiste des politiques flamands (face au succès de Volksunie, l’union des nationalistes flamands de tous bords politiques) a rendu la cohabitation linguistique impossible. La réforme de l’état de l’état de 1970 propose un nouveau découpage de la Belgique. Celui-ci est relativement complexe, puisque triple : 3 « régions » : la Wallonie (au sud), la Flandre (au nord), Bruxelles- Capitale (au milieu, enclavé au sud de la Flandre) ; 3 « communautés » linguistiques : française, flamande, et germano- phone ; 4 « régions linguistiques » : de langue française (la quasi-totalité de la Wallonie), de langue néerlandaise (la Flandre), bilingue (Bruxelles- Capitale) et de langue allemande (quelques communes à l’est de la Wallonie). Cela calme un temps les tensions communautaires. Mais le diable se niche toujours dans les détails. Aux Fourons, une commune flamande excentrée, bordée au nord par les Pays-Bas et ailleurs par la région wallonne. Les francophones y sont nombreux (il s’agit d’ailleurs d’une commune à facilités), et même régulièrement majoritaires aux élections. En 1982, la liste francophone de José Happart y remporte

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les élections, et il est nommé bourgmestre (maire) peu après. Mais il refuse de passer un test de néerlandais (arguant que rien dans la loi électorale ne l’y oblige), et la chambre flamande du conseil d’état le destitue de son mandat. Il sera nommé et destitué à nouveau plusieurs fois. Il faudra attendre 1988 pour qu’Happart (entre temps récupéré par les socialistes wallons) renonce à devenir bourgmestre, en échange de compensations pour sa commune. Entre temps, la situation s’est tant enlisée qu’elle a fini par raviver les tensions communautaires au plus au niveau de l’état, et a même fait tomber un gouvernement en 1987.

Le problème Bruxelles-Hal-Vilvorde Pour satisfaire les revendications autonomistes flamandes (et en espé- rant les calmer définitivement), on modifie la Constitution belge en 1993 pour faire désormais de la Belgique un état fédéral, reposant sur les régions et les communautés. Un fédéralisme particulier, puisque chacune de ces divisions a des compétences propres et exclusives (par exemple, l’enseignement relève des communautés). Ainsi, la ratifica- tion belge du Traité de Lisbonne a dû passer par tous les organismes législatifs correspondants. Bien avant les régions, il y avait les provinces. Qui ne correspondent pas forcément au découpage choisi. La frontière linguistique en a bien placé 4 du côté néerlandophone (Anvers, Limbourg, Flandre Orien- tale, Flandre Occidentale), et 4 autres du côté francophone (Liège, Namur, Hainaut, Luxembourg). Mais a laissé dernière, le Brabant, en- tourant Bruxelles, à cheval sur deux régions (puis trois lors de la créa- tion de Bruxelles-Capitale en 1989). Une situation rendue impossible dans la Belgique fédérale (où les provinces dépendent désormais des régions). On scinde alors le Brabant, ce symbole de l’identité belge (qui a donné ses couleurs au drapeau, et son nom à l’hymne national, la Brabançonne). Brabant wallon et Brabant flamand (sans Bruxelles) naissent en 1995. Malgré cet effort, le fédéralisme belge n’est pas encore total. Ont sur- vécu au Brabant les circonscriptions électorales qui le composaient : Nivelles (Brabant wallon), Bruxelles-Hal-Vilvorde (la région capitale et la partie occidentale du Brabant flamand) et Louvain (Brabant fla- mand). Cela ne pose pas de problème jusqu’en 2002, lorsqu’on dé- cide de réduire le nombre de circonscriptions pour les élections lé- gislatives. Celles-ci correspondront désormais aux provinces… sauf dans le Brabant flamand, où l’on conserve l’ancien découpage, pour

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permettre aux francophones résidant dans les communes flamandes autour de la capitale de voter avec les bruxellois pour des listes fran- cophones. Cette exception a été reconnue comme inconstitutionnelle par la Cour d’arbitrage quelque mois plus tard1, il faut donc revoir la copie. Mais, huit ans plus tard, rien n’a bougé. Pourquoi ? Parce que le dossier est explosif. C’est la boîte de Pandore qu’on refuse d’ouvrir. En effet, pas question pour les francophones de scinder Bruxelles-Hal- Vilvorde (BHV) sans contrepartie. Il doit y avoir en échange élargisse- ment de Bruxelles-Capitale aux six communes (flamandes) à facilités de sa périphérie, majoritairement peuplées de francophones. L’une d’elle, Rhode-Saint-Genèse, est particulièrement stratégique : joux- tant la Wallonie, son rattachement à la capitale permettrait de dé- senclaver Bruxelles, et d’avoir un territoire francophone uni en cas de sécession de la Flandre. Inacceptable pour les Flamands, qui ont déjà perdu Bruxelles : pas question de voir la « tâche d’huile franco- phone » s’étendre.

Histoire récente de BHV 10 juin 2007. Les élections législatives fédérales. Les partis socialistes et libéraux (wallons et flamands) formant la coalition au pouvoir ac- cusent un net recul. Le grand vainqueur est l’alliance (en Flandre) du CD&V (parti chrétien-démocrate) et des séparatistes de la N-VA.Natu- rellement, le roi charge Yves Leterme, leader du CD&V, de la forma- tion d’un gouvernement. Un personnage particulier. Malgré son nom français (qui lui vient de son père) et son amour du Standard de Liège (le grand club de football wallon), il est la principale figure flamande des années 2000. Il a sauvé un parti démocrate-chrétien flamand en perte de vitesse (écarté des coalitions gouvernements en 1999 et en 2003) en imposant une ligne plus dure, plus autonomiste, en faisant alliance avec les nationalistes de la N-VA, et en crédibilisant l’opi- nion autonomiste en Flandre. S’il est alors très aimé en Flandre, il est un personnage controversé chez les francophones. Sa franchise et sa spontanéité ont déjà provoqué plusieurs fois le scandale. À l’été 2006, celui qu’on attendait déjà comme grand gagnant des élections à ve- nir avait accordé une interview au journal Libération2. Il y expliquait

1Arrêt de la Cour d’arbitrage n° 73/2003 du 26 mai 2003 2 Jean Quatremer. «D’un Etat unitaire à un Etat fédéral». Libération, le 18 août 2006 http://www.liberation.fr/monde/010114924-d-un-etat-unitaire-a-un-etat-federal 81

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que les seules choses restant communes aux Flamands et aux franco- phones sont « le Roi, l’équipe de foot, certaines bières… ». Surtout, il regrettait que le système des facilités n’ait pas permis l’intégration linguistique des francophones de Flandre : un propos grinçant (« appa- remment les francophones ne sont pas en état intellectuel d’apprendre le néerlandais ») qui est très mal passé dans les esprits wallons. Un an plus tard, Leterme est donc désormais « formateur ». Et la RTBf (radio-télévision belge francophone) profite de la fête nationale (le 21 juillet) pour tester les connaissances des politiques. Leterme connaît-il la Brabançonne, l’hymne belge ? « Un peu, oui. Allons enfants de la Patrie, le jour de gloire est arrivé… ». La Marseillaise. Lapsus ou hu- mour, cela n’arrangera pas sa popularité auprès des francophones. En effet, la Chambre des Représentants étant élue à la proportionnelle, le formation d’un gouvernement nécessite un accord de coalition. Gé- néralement, ce n’est pas très compliqué de convaincre d’autres partis de venir partager le pouvoir. Mais ici, le clivage politique passe au second plan : c’est entre flamands et wallons que l’accord est impos- sible. Toujours à cause des questions communautaires, en particulier de BHV : les premiers réclament une scission sans condition, les se- conds veulent l’élargissement de Bruxelles en échange. Constatant le blocage, Leterme renonce une première fois le 23 août, mais le roi le reconduit dans sa mission. Les mois passent, et la situation s’enlise. Toujours aucun gouvernement, toujours à cause de BHV. Les partis flamands menacent : ils voteront unilatéralement la scission le 7 no- vembre, si aucun accord n’est trouvé, en profitant de leur avantage nu- mérique au Parlement. L’ultimatum n’y changera rien, ils s’exécutent donc. En réaction, la Communauté française enclenche une procédure de « conflit d’intérêt » (tel que le Parlement l’autorise lorsqu’une région ou une communauté s’estime gravement lésée), ce qui repousse le vote de 4 mois. Ce passage en force flamand achève les espoirs de forma- tion du gouvernement. Le 1er décembre, Leterme renonce à nouveau. L’ancien gouvernement est toujours « en affaires courantes », depuis maintenant six mois. Conscient que la personnalité tranchée du leader chrétien-démocrate peut rebuter les francophones, on s’adresse à celui qui est toujours pre- mier ministre par la force des choses : Guy Verhofstadt. Au nom de l’ur- gence de la situation, chacun remet à plus tard ses revendications, et un gouvernement est formé le 21 décembre, pour 3 mois, le temps de se mettre d’accord. Le 20 mars 2008, Leterme succède comme prévu à 82

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Verhofstadt, et on est d’accord… qu’il faille trouver une solution dans les trois mois. Le délai s’écoule, rien ne bouge, et Leterme présente, le 14 juillet, sa démission au roi. Ce dernier la refuse : pas question de s’enfoncer dans la crise. Pour que les tensions entre Flamands et Wallons passent au second plan, il faudra la crise mondiale. Les banques belges (Fortis, Dexia, KBC) risquent la faillite. En un week-end d’octobre, Fortis Belgique est nationalisée et revendue à BNP Paribas …sans convoquer le moindre conseil d’administration ! La décision sera cassée par la justice belge, pour qui l’urgence de la situation n’est pas une raison pour violer la loi. Et on apprend que Leterme aurait exercé des pressions sur les magistrats pour tenter d’éviter cette décision défavorable. C’est le Fortisgate : il démissionne le 19 décembre. Il est remplacé par le consensuel , lui aussi membre du CD&V, alors président de la Chambre des Représentants. Celui-ci neutralise la situation à merveille… si bien que l’Union Euro- péenne décide, un an plus tard, d’en faire le président du Conseil Européen. Leterme, revenu au gouvernement quelques mois plus tôt (aux affaires étrangères), en reprend la tête le 25 novembre 2009. Quatrième gouvernement en deux ans, toujours selon le même pro- cessus : on change le Premier, mais on garde globalement les mêmes ministres, pour éviter de réveiller les discordes. Les Wallons ont d’ailleurs fait le maximum pour mettre BHV sous le tapis, multipliant les procédures en conflit d’intérêt : à la Commu- nauté française succéderont la Commission communautaire française (COCOF, instance francophone de Bruxelles-Capitale), le Parlement Wallon, et même la Communauté germanophone. Mais les recours s’épuisent : en avril 2010, 29 mois après le vote flamand pour la scis- sion, le sujet revient enfin au centre des débats. Le temps presse pour son règlement, d’autant plus que la Belgique sera à la tête de l’Union Européenne au second semestre 2010 : mieux vaut éviter que la crise interne éclate quand tous les voisins auront le regardé tourné vers soi. Mais sans surprise, chaque camp reste sur ses positions. L’Open VLD (droite libérale), qui veut reprendre le leadership flamand au CD&V, frappe un grand coup en quittant le gouvernement. Déjà affaiblie par le départ de la N-VA fin 2008 (pour les mêmes raisons), la coalition ne contrôle désormais plus que 76 des 150 sièges du Parlement, et à peine un quart des sièges flamands. Il est quasiment impossible de

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gouverner dans ces conditions. Leterme démissionne une nouvelle fois (cinq en trois ans !), ce que le roi accepte le 26 avril… Des élections législatives anticipées sont alors convoquées pour le mois de juin.

Circulaire Peeters, Wooncode, discriminatoires ? Si le blocage du dossier BHV empêche tout accord communautaire plus large, et contrarie donc les volontés autonomistes du pouvoir fla- mand, celui-ci trouve d’autre moyens pour nuire aux francophones. La Flandre est très attachée à l’intégrité de son territoire, et du Walen Buiten à BHV, craint beaucoup l’expansion des francophones en son sein (comme une « tache d’huile » qui s’étendrait). Elle cherche par tous les moyens à obliger ceux vivant en Flandre à adopter le néerlan- dais. Parfois au-delà du ridicule. Ainsi, certaines communes flamandes de la périphérie bruxelloise interdisent à leurs employés de parler en français avec les administrés francophones, alors même que nombre de ces employés maîtrisent cette langue. Même les communes à facilités linguistiques pratiquent la discrimi- nation linguistique. Depuis la circulaire Peeters (1997), plus question d’y envoyer directement les documents administratifs en français : ils doivent l’être en néerlandais, et n’être fournis en français que si l’admi- nistré le demande. Pour avoir envoyé des convocations électorales en français à leurs citoyens francophones, trois communes à facilités de la périphérie bruxelloise ont vu la nomination de leurs bourgmestres (maires) refusée par le pouvoir flamand. Comme pour les Fourons un quart de siècle plus tôt, les deux parties jouent l’enlisement, les com- munes continuant de proposer les mêmes bourgmestres à chaque refus de l’administration. Plus problématique est le code du logement (Wooncode) adopté par la Flandre, qui restreint l’accès aux logements sociaux à ceux qui maîtri- sent le néerlandais ou s’engagent à l’apprendre. Une demande exces- sive, qui donne l’impression que la région flamande veut obtenir l’unité linguistique à toute vitesse, toujours par peur de la « tâche d’huile ». La situation se radicalise encore plus en 2009 avec l’adoption du décret Wogen in eigen streek (« habiter dans sa région »), qui demande de justifier d’attaches locales lors de l’achat d’un logement en Flandre. Officiellement cela doit permettre de favoriser l’accession de la popu- lation locale à la propriété. En pratique, cela est souvent employé pour empêcher l’achat par un francophone. Les exemples se multiplient.

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Un couple bruxellois, déjà propriétaire d’un appartement sur la côte belge (flamande), qui souhaitait acheter une maison plus grande. Un autre couple, voulant déménager de 3 kilomètres, de Bruxelles vers Dilbeek, une commune de sa périphérie, où ils ont des amis et de la famille. Une jeune mère, quittant le domicile de son conjoint à leur séparation, qui souhaitait acheter dans la même commune (où sa fille va à la crèche). Dans chacun de ces cas, la vente a dû être annulée après qu’une commission a estimé que l’acheteur n’avait pas d’atta- ches suffisantes avec la commune.

Nationalisme et extrémisme flamand Ces petites discriminations le montrent, la Belgique est l’histoire d’un divorce qui n’en finit pas. Entre une Flandre toujours plus distante, et une Wallonie toujours aussi attachée à l’unité du pays. Les franco- phones croient régulièrement calmer les revendications flamandes en acceptant des concessions à l’unité du royaume (unilinguisme dans les années 1930, frontière linguistique dans les années 1960, fédéra- lisme dans les années 1990), mais ne font en réalité qu’attiser la faim du Lion flamand, toujours plus rancunier des vexations originelles par l’élite francophone. Les partis francophones soutiennent coûte que coûte l’unité de la Bel- gique. Il en va de leurs résultats électoraux : les Belges francophones ne veulent pas d’un avenir sans la Flandre, sans doute par peur de ne pouvoir s’en sortir « seuls ». D’ailleurs, s’ils refusent généralement de croire à l’éclatement de la Belgique, les Wallons sont 49% à souhaiter le cas échéant leur rattachement à la France, selon un sondage réa- lisé lors de la crise politique de juillet 20081. La grande manifestation organisée en novembre 2007 en faveur de l’unité de la Belgique fut assez révélatrice : la très grosse majorité des (seulement) 35 000 par- ticipants était francophone. Retardant le plus possible toute réforme favorisant l’autonomie de la Flandre, les francophones agissent finalement toujours avec un coup de retard. Quand les francophones acceptent enfin le fédéralisme réclamé par les Flamands, c’est parce que ceux-ci veulent déjà le confédéralisme (un pouvoir central réduit au strict minimum). Et ce n’est que la montée importante du séparatisme flamand qui pousse

1 Sondage Ifop pour la Voix du Nord. Les Français et les Wallons et l’avenir de la Wal- lonie. 2008. http://www.ifop.com/media/poll/wallonie.pdf 85

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aujourd’hui les francophones à envisager le confédéralisme. Mais il est sans doute déjà trop tard. La population flamande a déjà trop radicalisé ses positions en faveur de l’autonomie, voire de l’indépendance. Cette radicalisation s’est rapidement traduite dans les urnes. La surprise vient dès 1994, du Vlaams Blok (« bloc flamand »), un parti d’extrême- droite qui obtient 28% des voix dans la très cosmopolite Anvers. Son fondateur, Karel Dillen, fut le traducteur en néerlandais du pamphlet négationniste « Nuremberg ou la terre promise » de Maurice Bardè- che. Ami de Jean-Marie Le Pen, il a su réunir derrière lui les scissions droitières de la Volksunie à la fin des années 1970. Son parti a des slo- gans-choc : « Eigen wolk eerst! » (« Notre peuple d’abord ! »), « België barst » (« Que la Belgique crève »). Deux cibles favorites : les immigrés (Marocains, Turcs) et les wallons. Même si le Blok a recyclé en son sein d’anciens activistes du Vlaamse Militanten Orde (VMO, néo-nazie), les propos antisémites sont soigneusement évités, pour sé- duire la forte communauté juive de la ville. Pendant 10 ans, le Vlaams Blok continuera de progresser régulièrement dans la région flamande, atteignant même 24,2% aux élections régionales de 2004 (deuxième, à moins de 2 points des démocrates-chrétiens). Pendant ce temps, la Volksunie (le mouvement historique du nationa- lisme flamand) ne fait plus recette. Dépouillée du leadership sépara- tiste par le Blok, elle finit par éclater en 2001, laissant la place à deux nouveaux mouvements nationalistes : Spirit (progressiste) et Nieuw- Vlaamse Alliantie (N-VA, conservateur). Cette scission a sans doute réjoui sur le moment les francophones attachés à l’unité de la Belgi- que. Mais, par le jeu des alliances, elle aura finalement contribué à la diffusion des idées nationalistes dans tous les partis flamands. Ainsi, Spirit se présentera avec le parti socialiste flamand puis fusionnera avec Groen! (les verts), et la N-VA formera un cartel avec le CD&V (chrétien-démocrate). Pour satisfaire leurs nouveaux alliés, les partis traditionnels se montrent de plus en plus ouverts aux thèses nationalis- tes, ce qui n’est pas pour déplaire à un électorat de plus en plus agacé par les problèmes communautaires (et en particulier par BHV). Fin 2004, le Vlaams Blok est finalement condamné pour racisme, ce qui met en danger son financement. Il est alors rapidement dissous et reconstitué sous un nouveau nom, Vlaams Belang (« intérêt flamand »), avec un programme légèrement édulcoré pour éviter de nouveaux procès. On pouvait alors croire que la victimisation offerte à l’extrê- me-droite flamande lui allait lui permettre de progresser encore. Mais

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d’autres partis, plus fréquentables, viendront lui disputer le discours nationaliste et séparatiste. Aux élections législatives fédérales de juin 2007, on enregistre la percée notable (6%) de la Lijst Dedecker, créée quelques mois plus tôt par le populiste de droite Jean-Marie Dedec- ker, connu pour ses dérapages (il avait notamment affirmé en 2003 au magazine Humo que les israéliens, par leurs agissements, se pré- paraient « un second holocauste »). Surtout, la N-VA finit par rompre l’alliance avec le CD&V, fin 2008, devant l’insuccès des négociations communautaires (et particulièrement le dossier BHV). Les deux petits partis réalisent des scores notables aux élections ré- gionales de 2009 : 7,6% pour la Lijst Dedecker, 13% pour la N-VA (dont l’apport fourni au cartel CD&V-N-VA aux élections législatives de 2007 avait été estimé à 5,7% des voix1). Le Belang, lui, est en chute libre : s’il reste alors deuxième parti de Flandre, il est revenu au niveau de 1999 (15 %) et ne devance plus les socialistes et les libé- raux que de quelques milliers de voix. Il est certes une bonne chose de voir l’extrémisme reculer, au profit d’un parti nationaliste plus « démocratique » (issu de la Volksunie). Mais Bart De Wever, leader de la N-VA et nouvelle coqueluche des Flamands, n’est pas un saint. En 1996, alors jeune étudiant, il ren- contra Jean-Marie Le Pen au Vlaams Nationale Debatclub (un club de réflexion très à droite), comme en atteste une photo2. Il le recroise d’ailleurs en 2007, aux funérailles de Karel Dillen, le fondateur du Vlaams Blok. Fin 2007, il choque la communauté juive d’Anvers en s’en prenant aux excuses formulées par le maire pour l’implication de la ville dans la déportation des juifs. Il qualifie ces excuses de « gratuites », dont le seul but serait de combattre le Vlaams Belang3. Il minimise le rôle de l’administration (« Ce n’est pas la ville d’An- vers qui a organisé la déportation des juifs, elle fut elle-même victime de l’Occupation. Ceux qui la dirigeaient à l’époque ont dû prendre des décisions délicates dans des circonstances difficile ») et ne peut

1 Marc Swyngedouw. Het stemaandeel van de Vlaamse politieke partijen: een analyse op basis van het postelectorale verkiezingsonderzoek 2007. Katholieke Universiteit Leuven, 2008. http://soc.kuleuven.be/ceso/onderzoek/9/pdf/ISPO2007%20Stemaan- deel%20partijen.pdf 2 Pierre Eyben. Bart De Wever, un ex-disciple lepéniste ? RésistanceS.be, 2007. http:// www.resistances.be/warddebever.html 3 Le faux pas d’un populiste extrême. Le Soir, 2 novembre 2007. http://archives.lesoir. be/les-historiens-ont-lu-de-wever_t-20071102-00DKJ4.html 87

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retenir une comparaison très hasardeuse (« Si l’on doit commémorer la Shoah, l’on ne peut perdre de vue la situation des territoires pales- tiniens occupés où certains ont recours à des techniques qui me font penser à un passé sombre, plutôt que de tirer les leçons du passé. ») Il s’excusera ensuite pour l’émoi provoqué, jurant qu’on l’avait mal compris. Si le Belang est aujourd’hui dépassé dans les urnes, il aura toutefois atteint un de ses principaux buts : imposer ses idées dans l’opinion pu- blique flamande. Le cliché du wallon chômeur et fainéant n’a jamais eu tant de succès. La Wallonie, qui se remet difficilement de la fin de la sidérurgie, est aujourd’hui plus pauvre que la Flandre ? Pas question de payer pour elle (notamment en ce qui concerne la sécurité socia- le) ! Une vision plutôt égoïste, qui oublie que la Wallonie a longtemps « payé pour » la Flandre, quand son industrie était prospère. La réussite de cette propagande fait que les thèses nationalistes ren- contrent un succès particulièrement fort chez les jeunes flamands. Les nouvelles générations de votants ont toujours vu le royaume se déchi- rer. Rien qui ne donne envie de se sentir belge. Le rejet systématique des Wallons les pousse dans les bras des partis séparatistes, extrémistes ou populistes de droite. En 2007, les Flamands de 18 à 21 ans (dont c’était la première participation à une élection fédérales) ont voté à 33% pour le Belang et 14% pour Dedecker1, contre respectivement 18% et 6% de la population globale. Inversement, seulement 12% ont voté pour un parti étiqueté à gauche (socialiste ou écologiste), contre 22% de la population globale.

Le 13 juin, et après ? Avant le scrutin du 13 juin, les sondages surprenaient déjà, annonçant 25% pour la N-VA (dans l’électorat flamand). Ils se font finalement trompés… en sous-estimant le score de la formation nationaliste : 28% à la Chambre (assemblée), et près de 32% au Sénat (où la liste était menée par De Wever en personne). Un véritable raz-de-marée séparatiste, qui choquera à l’étranger. On entendra d’ailleurs Daniel Cohn-Bendit critiquer un vote « identitaire et conservateur » des Bel- ges. A-t-il oublié que la députée européenne de la N-VA siège dans le groupe parlementaire Les Verts-Alliance libre européenne, qu’il co-di- rige ? François Alfonsi (Parti de la nation corse, qui appartient lui aussi

1 Marc Swyngedouw. op. cit. 88

pcx 52.indd 88 24/06/10 9:02:16 Vincent Archer Belgique : le triomphe des nationalistes

à l’ALE), lui, ne l’a pas oublié : élu député européen en 2009 sur la liste Europe Écologie, il est l’une des très rares voix politiques fran- çaises à saluer la victoire des nationalistes. Entre deux compliments à la N-VA et au « très charismatique » De Wever, il espère que cela ouvrira « la voie aux autres nations que l’ALE représente à Bruxelles, à commencer par l’Ecosse, la Catalogne et Euskadi ».1 Une prise de position qui ne suscitera aucune réaction. Cela ne dérange-t-il pas les Verts qu’on puisse faire l’apologie d’un nationalisme flamand rejetant les belges francophones ? Revenons-en au royaume. Est-il réellement au bord de l’implosion ? Non, ce ne sera probablement pas pour tout de suite. La Flandre n’a pas intérêt à cela : elle n’est pas prête. Une décision unilatérale serait contre-productive, surtout dans le contexte de l’Union Européenne (dont la Belgique prendra d’ailleurs la présidence le 1er juillet). Stra- tégiquement, mieux vaut prendre le temps de bien réaliser le divorce (et se préparer à évoluer seule), en profitant de la Belgique encore quelques années. Bart De Wever ne dit pas autre chose. Dans ses déclarations posté- rieures à l’annonce des résultats, le leader flamand s’est bien gardé d’agiter la menace de la scission, préférant se montrer ferme mais ouvert. Malgré son grand succès, il ne souhaite pas devenir premier ministre. Le poste semble donc désormais promis au wallon Elio Di Rupo, l’autre grand vainqueur de ces élections : le PS, qu’il préside, a obtenu environ 36% des voix francophones. Une consécration à venir pour un homme politique qui aura surmonté de nombreuses épreuves, victime de son homosexualité (en 1996, en pleine affaire Dutroux, un jeune mythomane l’avait accusé calomnieusement de l’avoir abusé sexuellement) puis, sur le plan politique, des méthodes douteuses de certains notables socialistes de Charleroi (les affaires de détournement de fonds révélées en 2006 ont pesé plusieurs an- nées sur les scores nationaux du parti). Si les rumeurs se confirment, Di Rupo, qui porte toujours un nœud papillon rouge plutôt qu’une cravate, sera le premier francophone à occuper ce poste depuis Paul Vanden Boeynants en 1979. Mais pourquoi Bart de Wever ne veut-il pas être premier ministre ? Sans doute parce que l’exercice du pouvoir use la popularité, surtout

1 François Alfonsi. La Flandre, nation d’Europe. Site web des eurodéputés Europe Écologie,14 juin 2010. http://europeecologie.eu/La-Flandre-nation-d-Europe

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lorsqu’on incarne la rupture. Mais il sait également qu’il est peu aimé des francophones et que sa figure risquerait de les braquer inutilement lors des négociations communautaires à venir (sur BHV et le confédé- ralisme). Mieux vaut laisser le sale boulot aux Wallons. De Wever se contente donc du poste d’« informateur » (il y est nommé par le roi le 17 juin), une mission qui consiste à évaluer les possibi- lités de coalition, et à déminer le terrain pour le « formateur » (pro- bablement Di Rupo) chargé ensuite de réunir un gouvernement. Le nationaliste conservateur et le socialiste attaché à l’unité de la Belgi- que peuvent-ils s’entendre ? A priori, peu de choses les rassemblent. Mais les deux hommes sont ambitieux, et veulent accrocher la réus- site des négociations communautaires à leurs palmarès. Pas question d’un échec, ils sont prêts à faire des concessions pour l’éviter. Celles-ci sont indispensables pour débloquer la situation : que les Flamands fassent une croix sur Bruxelles et permettent son élargissement, et ils obtiendront la scission de BHV et le confédéralisme, la dernière étape avant l’indépendance. Quelles que soient les solutions apportées à la Flandre, il est à espérer que celles-ci permettront de faire retomber la fièvre nationaliste (qui étouffe actuellement les partis progressistes) et la stigmatisation des Wallons.

Vincent Archer

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pcx 52.indd 90 24/06/10 9:02:16 Na t h a l i e Sz u c h e n d l e r Histoire d'une liste provie

Axel de Boer a une ambition : celle d'amener un "projet chrétien de Civilisation de l’Amour" au sein de la France et de l’Europe. Aussi conduit-il une liste Chrétienne en Ile-de-France pour les élections ré- gionales, le programme étant inspiré par le droit naturel, la doctrine sociale de l'Église et ce qu’il nomme le « respect de la vie ».

Cher visiteur, je me présente. Je m'appelle Axel de Boer et j'habite à Paris. Je suis né le 6 avril 1970 à Bordeaux d'un père néerlandais, "professeur d'Econométrie à l'Université Erasme de Rotterdam, et d'une mère française licenciée en Philosophie. Après un parcours heurté entre ces deux pays, je découvre l'Histoire et la Poésie. Une rencontre avec une femme souffrant du syndrome post-abortif me fait saisir l'ampleur du drame de l'avortement. D'abord motivé par la question de l'enfant de cette femme, je demande et obtiens, de mon évêque et de Rome, la célébration d'une messe pour confirmer le baptême de Désir. Je milite ensuite pour élargir cette ouverture." (1)

Le ton est donné pour ce candidat qui aurait pour mission de lutter contre l'IVG. "Dans le même temps je commence une réflexion per- sonnelle sur la notion de représentation dans l'histoire. Conscient que la Civilisation de l'Amour et de la Vie ne peut advenir sans élaborer un chemin concret, je tente de le penser. Je rédige pour moi-même deux essais, l'un portant sur l'idée de noblesse au XXIème siècle et l'autre sur la fondation concrète de la Civilisation de l'Amour. Je prépare actuellement un livre sur le projet de Solidarité. Par ailleurs, je rassemble mes œuvres poétiques en deux recueils. Certains de ces poèmes ont obtenu un prix. Ces documents non aboutis représentent

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des étapes de réflexion. En septembre 2007, je fonde La Rose Blanche, petit mouvement pro-Vie, qui distribue sous ce nom, à ce jour ( NDLR le 31 mai 2008 ) 50.000 tracts. Les nombreuses et diverses réactions reçues au cours de ces distributions me font comprendre les ouvertu- res existantes comme des obstacles, dont le principal est l'assimilation des Pro-Vie à l'extrême droite. Je réalise aussi l'ampleur des attaques contre la Vie et la multitude de terrains sur lesquels sont livrés, de ma- nière séparée, un véritable front de combats. Je prend conscience de l'urgence de créer des structures d'unité pour ces combats sectoriels. De sa rencontre avec le projet Solidarité au congrès de Paris en janvier 2008, je décide de m'investir dans la création d'un parti pro-Vie en France. Choisi comme président, je travaille à élaborer une stratégie politique construite sur une réflexion commencée depuis plus de vingt ans."

Un programme de lutte contre l'IVG Les résolutions de la Liste chrétienne sont définies non seulement com- me une alternative à l’IVG mais aussi comme une sorte de programme de lutte contre l’ensemble des droits féminins : favoriser "dans les hôpi- taux, les alternatives à l'avortement", présenter dans les établissements scolaires "une prévention de l'avortement" et promotionner "la création de crèches dans les facultés et les lycées". La stratégie a changé depuis les actions coup de poing à la manière Xa- vier Dor où les militants anti-avortement s’enchaînaient illégalement dans les centres hospitaliers. Mais les revendications contre la loi Veil et toute mesure qui l’accompagne ont toujours la même teneur: remise en cause de la loi jugée quasiment "terroriste", théorie d’un complot émanant d’associations comme le Planning familial, culpabilisation et coercition exercées à tout niveau social. Il s'agit alors de canaliser le "vote chrétien" qui, selon Boer, "se détache des partis traditionnels". Ce malgré un score de 0,15 % aux élections européennes. (2) Se définissant "ni de droite, ni de gauche, ni du "cen- tre", ce candidat confessionnellement déclaré ne voit aucune contra- diction entre ses revendications d'ordre religieux et son engagement politique. Etre "chrétien est un positionnement politique en lui-même, différent de la droite, de la gauche ou du centre" puisque "les chrétiens ont une façon de penser le XXIème siècle, nous voulons être porte-pa- role de ce projet de société en France aujourd’hui". Boer est président de Solidarité, un parti politique fondé en mai 2008

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sur l’approche sociale chrétienne définie dans la doctrine sociale de l’église catholique. Se réclamant "de pensée à valeur universelle", il revendique aussi le "thème politique de la Vie" et de "la personne humaine sans laquelle la Vie devient une approche spécienne". (3) "L’avortement tue chaque année plus de gens que toute la seconde guerre mondiale, soit 150.000 enfants par jour. La faim tue 100.000 personnes par jour. Or, ce sont deux fléaux politiques parfaitement évitables, que l’on ne combat pas au nom d’un malthusianisme de cauchemar. Ce ne sont que deux exemples du mal que nous affron- tons." Si le discours somme toute rétrograde semble rester "light" dans le cadre régional, il peut prendre tour à tour un aspect sacrément révi- sionniste. "Considérer comme un crime le droit de vie et de mort sur nos enfants n’est pas une opinion mais une vérité" affirme-t-il dans un interview accordé au blog Le guépard, le journal d'information politique de la jeunesse française. "La vérité est que l’avortement est un crime contre l’Humanité. Il viendra un temps où nous enfants regarderons notre époque avec le même sentiment d’horreur que nous regardons le temps de nos grands-parents : comme une telle époque a pu même être possible?" On trouve encore plus d'élan mâ- tiné de mysticisme fondamentaliste dans un discours de mars 2010 prononcé en Belgique et relayé par des sites intégristes chrétiens dont e-deo.typepad.fr et mamanpourlavie.com. "La victoire ne sera pas facile, mais elle n’est pas aussi lointaine que vous le croyez" martèle le représentant de la liste Chrétienne. "La victoire est à portée de main pourvu que nous ayons la foi, car la foi transporte les monta- gne et moi je crois qu’il est possible de dire : montagne de sang de l’avortement, déracine toi et va te jeter dans la mer ! Je crois qu’il est possible de dire à ce monde : laisse partir mon peuple, laisse vivre mon peuple !" (4)

Une liste contre les droits des femmes Axel de Boer prétend susciter un débat au même titre que l'écologie par une liste régionale, mais sa vocation pro-vie revêt un aspect net- tement plus militant. "C’est par des votes imposés par le haut que se construit l’offensive contre l’Homme. La loi a un caractère normatif, elle transforme en "bien" ce qui est "mal" aux yeux des gens. Si nous ne sommes pas présents en politique, si nous ne dégageons pas des

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partis existants une culture de vie, nous sommes condamnés à nous battre contre, et donc à échouer."

En reposant sans cesse le problème de l’avortement dans les débats politiques, cette liste anti-ivg compte petit à petit battre en brèche les droits fondamentaux français en matière de reproduction.

Nathalie Szuchendler

(1) http://www.solidarieta.biz/documenti/DeBoer.html (2) http://www.riposte-catholique.fr/?p=3494 (3) http://leguepard.wordpress.com/2010/06/03/interview-axel-de-boer/ (4) http://e-deo.typepad.fr/mon_weblog/2010/03/mplv-2010-de-bruxelles-lallocution- daxel-de-boer.html

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pcx 52.indd 94 24/06/10 9:02:17 Dj e m i l a Be l h a b i b Bienvenue au CCIEL Collectif citoyen pour l'égalité et la laïcité

Le 19 mai 2010 à Montréal, en plein débat sur la "neutralité" des services publics et la laïcité, Djemila Belhabib inaugurait le colloque du Collectif citoyen pour l’égalité et la laïcité. Un moment fort, qui a réunit plus de 500 personnes. Voici son discours d'ouverture.

e vous remercie d’être venu en si grand nombre et je suis immen- sément heureuse de vous accueillir aujourd’hui au colloque inti- Jtulé "Égalité et laïcité, quelle perspectives ?" au nom du Collectif citoyen pour l’égalité et la laïcité que j’ai cofondé il y a près d’une année avec Louise Mailloux, professeure de philosophie et qui réunit une petite équipe de personnes absolument formidables et dévouées. Cette initiative n’aurait, probablement, pas vu le jour sans le soutien du Conseil du statut de la femme et celui du Consulat général de France à Québec qui ont adhéré à l’initiative dès ses premiers bal- butiements. C’est pourquoi je tiens à les remercier vivement d’avoir réuni quelques conditions essentielles pour nous permettre d’échan- ger autour de ces deux thématiques, l’égalité et la laïcité, qui sont au cœur des discussions et des enjeux de la vie de notre de cité. Vous ne serez guère surpris de savoir que ces mêmes préoccupations font lar- gement débat ailleurs dans le monde et notamment en Europe. Quel contenu donner à la laïcité? Comment l’appliquer? Faut-il l’ouvrir comme nous le suggèrent fortement les intellectuels de l’inter et du multiculturalisme et à leur tête Charles Taylor et son disciple Daniel Weinstock ? Pourquoi l’égalité est-elle si difficile à mettre en applica- tion? Comment traiter les demandes d’accommodements? Pourquoi a-t-on besoin de définir des balises? Peut-on le faire? Doit-on le faire?

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Peut-on sortir de la torpeur du statut quo actuel dans lequel nous fige notre gouvernement qui sert les intérêts de groupes politico-religieux qui se sont spécialisés dans la surenchère des demandes? Y a-t-il un lien à faire entre les accommodements religieux à l’échelle locale et la montée des intégrismes religieux à l’échelle plus globale ? Pourquoi la fièvre religieuse devient-elle si difficile à contrer lorsqu’elle a pour nom l’islamisme politique ? Ce colloque se veut un espace de réflexion et de prise de positions autour de ces questions simples et en même temps complexes. Pour se faire, nous avons invité une brochette de conférenciers venant de milieux différents et ayant des expériences intéressantes mais qui ont néanmoins un dénominateur commun, celui de converger vers une conception républicaine de la laïcité pour les institutions publiques et pour l’école publique et faire de l’égalité une valeur non négociable pour le vivre ensemble. Aussi bien les conférenciers que les anima- teurs ont accepté généreusement de participer à ce défi intellectuel que nous nous sommes donné et nous leurs en sommes immensément reconnaissants. Pouvoir réunir des noms aussi prestigieux du monde syndical, culturel, médiatique et aussi politique est un honneur pour notre Collectif. Quant à nos deux invitées d’honneur, Caroline Fourest et Fiammetta Venner, c’est un véritable cadeau qu’elles nous font de participer à ces échanges. Un cadeau non pas tombé du ciel, quoiqu’on ait voulu que de tels miracles se produisent de temps en temps mais un cadeau venu de France. Essayistes, journalistes et politologues françaises bien connues, l’une et l’autre, Caroline et Fiammetta, non seulement ré- fléchissent et écrivent sur ces questions depuis une dizaine d’années mais elles ont produit une quinzaine de livres qui sont disponibles sur une table à l’entrée de l’auditorium. Je vous invite à les consulter. Ces eux femmes ont par ailleurs une caractéristique assez rare qui manque à un bon nombre d’intellectuels et de politiciens : une colonne verté- brale bien droite ou ce que l’on appelle encore plus communément du courage. Ce n’est pas rien. C’est tout. C’est du moins ce qui per- met à la conscience de se prolonger naturellement en laissant place à l’engagement. Caroline et Fiammetta sont animées par le courage de dire, le courage d’écrire et aussi le courage de sauter dans l’arène publique pour défendre le droit au blasphème, les droits des minorités sexuelles, le droit des femmes, la liberté d’expression, interpeller les gouvernements sur ces questions cruciales pour les obliger à prendre

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leurs responsabilités et dénoncer les intégristes et leurs complices de tous poils et de tous bords. C’est pourquoi nous nous sentons très privilégiés de les avoir à nos côtés tout au long du colloque. En plus d’être des héritières de la tradition des Lumières qui a pour point de départ la bienveillante conception humaniste selon laquelle l’homme est au centre du monde et maître de son propre destin, elles sont aussi porteuses d’un idéal universel qui nous dit, contrairement à la théorie du choc des civilisations, que les solidarités de résistance peuvent se cristalliser d’un bout à l’autre de la planète autour de valeurs com- munes telles que la liberté, la laïcité et l’égalité au-delà des apparte- nances ethniques. En avouant sa ressemblance avec tous, l’autre n’est plus tout à fait l’autre. On retrouve en l’autre ce qu’il y a en nous. Le cheminement intellectuel de Caroline et Fiammetta nous démon- tre clairement que la montée des intégrismes religieux n’est pas une cassure entre l’Orient et l’Occident mais un antagonisme entre des visions du monde diamétralement opposées. L’une qui porte en elle une conception universelle des droits humains et de l’émancipation des femmes et l’autre qui prône le triomphe des identités religieuses en instrumentalisant les religions, l’enfermement et la domination des femmes. Pour tout cela et bien plus, pour ce qu’elles sont et ce qu’el- les incarnent, je voudrais les accueillir chaleureusement en votre nom

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aussi et leur dire le traditionnel « bienvenues chez nous ». Merci d’être avec nous. Merci d’avoir accepté de vous battre à nos côtés pour faire avancer notre société.

C’est une occasion, bien évidemment, de nous enrichir de leurs expé- riences mais aussi de partager avec elles la nôtre, une expérience assez unique dans le monde, celle d’un peuple à majorité francophone en Amérique du nord qui porte un regard particulier sur ces questions et dont la survie et le poids politique sont précaires et fragiles à l’échelle de la confédération canadienne et sur le continent américain. Notre expérience, c’est aussi celle d’un peuple qui voilà cinquante ans a entrepris une ère de transformations profondes grâce à la Révolution tranquille dont le but premier était de nous libérer du joug de l’Église. Ce n’est qu’en renvoyant l’Église chez elle et l’État chez lui, comme le disait Victor Hugo, que le Québec a connu des mutations profon- des en matière de développement et d’émancipation. Nos institutions publiques, notre droit civil ainsi que nos commissions scolaires repo- sent sur le principe de la séparation des sphères religieuse et politique grâce à des batailles collectives et à une volonté populaire. Mais nous voulons plus. Nous voulons surtout que la flagornerie de notre gou- vernement qui consiste à acquiescer face aux demandes des lobbies politico-religieux soit remplacée par le souci de servir le bien commun et l’intérêt général. La laïcité, c’est l’égalité de traitement de toutes les convictions, sans discrimination entre athées, agnostiques et croyants. La religion ne doit engager que les croyants et eux seuls. Il faut donc rétablir un principe de simple bon sens : l’argent public pour les ser- vices publics. C’est pourquoi notre Collectif demande au gouverne- ment le retrait des subventions aux écoles privées confessionnelles. Comment se fait-il que l’État, trop «pauvre» dit-on pour financer les services publics qui sont d’intérêt général, est assez riche pour finan- cer des écoles privées religieuses alors que l’école publique, ouverte à tous, manque cruellement de moyens? On l’aura compris, l’école n’est pas une institution banale, une institution comme les autres. Nos enfants ne sont pas des consommateurs de services. On ne se rend pas à l’école comme au restaurant. L’école est le lieu de la transmission du savoir universel, de l’apprentissage des valeurs communes citoyennes tout comme celui du développement de la conscience critique. C’est aussi le lieu de l’épanouissement de l’élève et de la formation de son

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autonomie intellectuelle au-delà des pesanteurs familiales ou com- munautaires. En ce sens, l’école n’est et ne doit être aucunement le simple reflet de la société ou encore une cité en miniature mais une institution organique vouée à reproduire, non seulement le lien social, mais une pratique éclairée de la démocratie. Élever l’esprit à la liberté de jugement grâce à une culture universelle suppose le respect de l’enfant, sa protection et une application stricte de la laïcité. En 2005, le Québec complète la déconfessionnalisation du système scolaire. La démarche qui a mené à cette déconfessionnalisation ne peut être banalisée. Il faut se rappeler que cette démarche a impliqué que les catholiques et les protestants ont renoncé à des droits qui leurs étaient reconnus par la Constitution; ce qu’ils ont accepté au nom du bien commun. Cela signifie que le retour de pratiques religieuses ne saurait être accordé à d’autres confessions sous quelque prétexte que ce soit. Dans cette perspective, le programme d’Éthique et de culture reli- gieuse qui fait l’apologie du religieux plutôt que d’en faire une lecture historique, sème la confusion entre ce qui a trait aux connaissances et ce qui se rapporte aux croyances. Ceci entraînera inéluctablement une permissivité face au fait religieux et ne permettra pas aux élèves d’en faire une analyse critique. Le Collectif citoyen pour l’égalité et la laïcité demande son retrait.

Bien que le caractère laïc de l’État québécois semble avéré pour la plupart d’entre nous, il n’a pas encore été clairement proclamé dans un texte officiel. Certes, le Québec s’est modernisé, mais sans qu’il y ait eu de véritable débat sur la laïcité, alors que les discussions n’ont porté que sur la déconfessionnalisation du système scolaire, laissant ainsi les employeurs et les institutions publiques dans un vide juridi- que lorsqu’ils sont confrontés à des demandes d’accommodements religieux. Ce qui ouvre la porte, d’une part, à la confusion, à une surenchère des demandes d’accommodements pour des motifs reli- gieux et provoque, par ailleurs, des tensions inutiles au sein de la population. Ceci n’est évidemment pas propre au Québec et doit être analysé dans un contexte international où les fondamentalismes religieux exercent des pressions et des menaces éhontées sur les institutions de l’ONU et affligent aux populations dans le monde arabe et mu- sulman des traitements dignes d’un autre âge. En outre, dans cette conjoncture de remontée des intégrismes religieux, la Commission

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des droits de la personne et la protection de la jeunesse ainsi que les tribunaux canadiens ont eu tendance à donner à la liberté religieuse une interprétation trop large; tellement que cette liberté religieuse peut à l’occasion avoir préséance sur le caractère laïc de nos institutions et remettre en cause le principe d’égalité. Selon le Conseil du statut de la femme, cette interprétation très large de la liberté de religion trace la voie à plusieurs dérives et heurte le principe d’égalité.

Le caractère laïc de l’État québécois gagnerait à être mieux défini, res- pecté et préservé s’il était enchâssé dans une charte de la laïcité. Une laïcité assumée qui s’applique aux représentants de l’État qui re- pose sur le principe de neutralité. Une neutralité réelle et apparente comme celle préconisée par le Syndicat de la fonction publique du Québec et de la CSN qui interdit le port des signes religieux dans la fonction publique. De la même façon que les représentants de l’État sont tenus par l’obligation de neutralité politique et de devoir de ré- serve, ils doivent être tenus par l’obligation de neutralité religieuse et s’abstenir de porter tous signes religieux ostentatoires. C’est la position que défend notre Collectif. Il n’est plus possible de repousser cet enjeu aux calendes grecques. Comme il n’est plus acceptable d’abandonner à leur sort des professionnels qui, dans l’exercice de leurs fonctions, sont confrontés à des demandes d’accommodements religieux. Cela implique que l’Assemblée nationale prenne ses responsabilités et défi- nisse les droits et les devoirs de chacun dans le cadre de cette laïcité. Nos politiciens doivent agir. La population attend des actes.

Le cadre laïc offre aux citoyens la possibilité d’interagir dans un es- pace commun au-delà de leurs croyances et de leurs convictions. Il constitue le seul moyen pour construire le lien social en partageant des valeurs communes. Il est illusoire de prétendre, tel que le pré- conise le multiculturalisme, que le vivre-ensemble est possible sans pour autant consolider des valeurs communes. La société québécoise n’est pas une juxtaposition de mosaïques communautaires. Forte de sa pluralité et de sa diversité, elle a une identité propre, une histoire, une langue commune et des valeurs spécifiques. En ce sens, la laïcité est le vecteur de l’intégration de toutes et de tous dans la société en créant l’équilibre entre le respect des convictions individuelles, forcément diverses, et le lien social.

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Ce n’est certes pas un hasard si les droits des femmes ont commencé à prendre leur envol dans les années 1950. Je dis bien « commencé », comme amorcer, comme débuter, pour marquer le début de quelque chose, le début d’une fabuleuse aventure qui est celle de l’avancée des droits des femmes. Aventure qui n’est bien sûr pas encore finie, même si elle est bien entamée. C’est dans un tel contexte, où les droits des femmes, des enfants et ceux des homosexuels sont menacés par les demandes d’accommodements, qu’il nous faut prendre toute la mesure de l’importance d’une charte de la laïcité et réitérer le prin- cipe, à l’article 9.1 de notre Charte des droits et libertés stipulant que: « Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec. »

Nous vivons dans une époque bien étrange car j’ai le sentiment que nous marchons à reculons, qu’en quelques années nous pouvons ter- riblement régresser. Les idéologies exténuées à bout de souffle ont donné naissance à des dieux qui détruisent tout sur leur passage et qui ont juré de nous faire reculer de quelques siècles. Le cardinal Ouellet ne se gêne plus pour nous renvoyer à l’époque des avorte- ments avec des broches à tricoter. Est-ce à dire que tout est à refaire ? Est-ce à dire que tout est à réinventer ? Est-ce à dire que tous les com- bats sont toujours à recommencer ? On nous avait promis l’égalité mais voilà que les voiles sont de retour ? Il y en a de tous les goûts, de toutes les tailles, de toutes les longueurs, opaques et surtout trans- parents. On nous avait promis la laïcité et voilà que c’est la censure au nom des religions qui s’affranchit de toutes limites. On nous avait promis que l’Église ne se mêlerait plus des affaires de la cité ; mais que faire lorsque c’est la mosquée ou la synagogue qui lui dame le pion ? Aujourd’hui, c’est au nom du respect des traditions, des cultures et des folklores des minorités que l’on jette aux orties le principe de séparation du politique et du religieux, principe mis en selle par Les Lumières qui a eu pour point de départ la bienveillante conception humaniste selon laquelle l’homme est au centre du monde et maître de son propre destin. Lorsque la barbarie est commise au nom de l’islam, peut-on s’en of- fusquer? Peut-on le dénoncer? Peut-on le condamner? Doit-on se taire face au retour de l’inquisition? Certains nous le suggèrent fortement car après tout critiquer l’islam ce n’est pas comme critiquer le christia- 101

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nisme et puis on s’est habitué à ce que vivent et meurent des milliers de musulmans sous des régimes et des groupes islamistes sans que cela ne dérange personne. La panne des pays musulmans n’est pas ac- cidentelle. Elle est structurelle. Elle est imputable à la non-distinction entre le temporel et le spirituel. Faute de cette séparation incondition- nelle, l’obscurantisme deviendra le stade suprême de l’islam dans les années à venir. C’est pourtant de cette conception archaïque de l’islam que se déclarent solidaires nos intellectuels partisans du multi et de l’interculturalisme, pétris de culpabilité coloniale et qui font l’apologie du tribalisme le plus primitif. Le bigotisme islamiste dont l’équivalent chrétien les indignerait, c’est bon pour les musulmans, nous disent-ils. Qu’est-ce une tradition ou une culture lorsqu’elle fait de nous exclusi- vement les enfants de nos parents et non les enfants de notre temps ? De quel diversité s’agit-il lorsqu’on érige des barrières entre les femmes et les hommes, entre les purs et les impurs, entre les bons musulmans et les mauvais, entre les musulmans et les mécréants. Est-ce de cette intégration qu’il s’agit, celle qui consiste à se définir exclusivement en fonction d’une communauté de croyants? Pourquoi ne pourrait-on pas réconcilier liberté et intégration? Pourquoi ne pourrait-on pas réconci- lier égalité et intégration? Pourquoi ne pourrait-on pas réconcilier qué- bécitude et intégration? Pourquoi ne pas promouvoir tous les registres d’émancipation et s’attaquer à toutes les formes d’aliénation? Ne peut- on pas militer pour un modèle à la fois laïque et social? Pourquoi dis- joindre les deux exigences, leviers complémentaires d’émancipation humaine? J’aimerais reprendre une citation de Henri Pena Ruiz pour dire ceci à Québec solidaire et à la FFQ : « L’émancipation sociale et économique, par la justice sociale, n’est pas opposable à l’émancipa- tion laïque, précieuse pour l’émancipation des femmes ». Nous vou- lons les deux. Nos enfants méritent aussi bien l’émancipation sociale et économique que l’émancipation laïque. J’entends par Nous : nous les Québécois, de toutes origines. Comment peut-on à la fois se réclamer de Jaurès, de Borduas et de Condorcet et condamner toute critique de l’islam? Croyez-moi, derriè- re ce communautarisme assumé de Québec solidaire se profile bel et bien la peur d’être accusé de racisme. Et comme il faut faire moderne, certain instrumentalisent cette soi-disant nouvelle forme de racisme et l’appellent « islamophobie ». Pourtant, de plus en plus de voix s’élèvent en Orient pour demander la séparation du politique et du religieux. Le 25 avril dernier, quel-

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que 3000 personnes ont participé à Beyrouth à une «Laïque Pride», réclamant l’instauration du mariage civil et l’abolition du confession- nalisme politique dans ce pays de cinq millions d’habitants où co- habitent pas moins de 18 confessions religieuses. En mars dernier, l’ancien premier ministre irakien laïque Iyad Allawi a remporté les élections législatives. Le Bangladesh va réinscrire dans sa Constitution le principe de laïcité, qui avait été supprimé en 1975 à la suite d’un coup d’État militaire. Alors que l’Orient souhaite de plus en plus prendre son destin en main, on assiste en Occident à de graves dérives. Sous prétexte que le nombre de voiles islamiques est moindre au Québec, on ne doit pas s’en occuper. Pourtant, ce n’est jamais par le nombre que l’isla- misme arrive à s’imposer mais par la démonstration de sa force avec ces méthodes barbares. En Iran, c’est en déployant ses Gardiens de la Révolution connus sous le nom de Pasdaran - une organisation para- militaire – qu’Ahmadinejad se maintient au pouvoir envers et contre tous et impose le voile aux femmes de son pays. Le voile islamique est souvent présenté comme faisant partie de « l’identité collective musulmane ». Or, il n’en est rien. Il n’en a jamais fait partie. Il est l’emblème de l’intégrisme musulman partout dans le monde. S’il a une connotation particulière, elle est plutôt politique, surtout avec l’avènement de la révolution islamique en Iran en 1979. Que l’on ne s’y trompe pas, le voile islamique cache la peur des fem- mes, de leurs corps, de leur liberté et de leur sexualité. Et cela quelle que soit sa longueur, qu’il couvre le visage ou pas. On ne peut à la fois militer pour l’égalité des sexes, comme le fait la FFQ, et banaliser une tenue qui est instrument et symbole de soumission des femmes. Au Collectif citoyen pour l’égalité et la laïcité, nous refusons le monde des hommes libres et des femmes grillagées. Nous ne voulons pas négocier la liberté des femmes. Nous sommes en faveur d’une loi gé- nérale d’interdiction du port du voile intégrale aussi bien dans les ins- titutions publiques que dans l’espace public. Car nous savons qu’en Occident la prolifération des voiles islamiques c’est l’emprisonnement des filles et des femmes de culture ou de foi musulmane qui refusent le diktat des prédicateurs de leurs quartiers et de leurs communautés. « J’avais dix ans quand je suis venue d’Istanbul en Allemagne. Je m’y sentais chez moi. À ma puberté, mes parents m’ont interdit tout contact approfondi avec mes camarades de classe allemands, mes professeurs, l’Allemagne. Pendant quatre ans, je ne voyais la vie qu’à 103

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travers la fenêtre de mon appartement. Un jour, j’ai cessé d’obéir à mon père. Il y a eu l’éclat. Je savais dès lors que je ferais mon chemin toute seule. Mon père est parti et ma mère m’a laissée étudier. Cela m’a sauvée. » Celle qui tient ces propos c’est Necla Kelek, mon amie sociologue allemande d’origine turque. Combien de filles, de jeunes femmes et de femmes sont victimes de la brutalité de leurs familles et de leurs communautés? Qui oserait dire que ces dernières ne craignent guère le racisme de leurs pays d’accueil mais sont terrifiées par la violence de leurs communautés ? Rappelons-nous de la petite Aqsa Parvez âgée de 16 ans assassinée par son père en Ontario en 2005. Rappelons-nous des filles Shafia, origi- naires d’Afghanistan, Zainab (19 ans), Sahar (17 ans) et Getti (13 ans) ainsi que de Rona Amir Mohammed (52 ans) qui ont été trouvés dans le canal Rideau à Kingston en Ontario, en juillet 2009. Les autopsies effectuées sur les corps des victimes ont prouvées qu’elles étaient bel et bien vivantes quand le véhicule a plongé dans l’eau. Soyons solidaires de ces femmes. Soyons à la hauteur de leur rêve et de leur résistance. C’est de notre solidarité dont elles ont besoin. Une solidarité concrète et agissante, non pas timide et hypocrite. Une solidarité non pas de ni obligation, ni interdiction mais une solidarité qui met l’émancipation humaine au centre de ses préoccupations et qui prône la liberté et l’égalité pour toutes les femmes, pour tous les hommes quel que soit leur pays d’origine, leur culture, leur traditions et leur religion. Construire une société, ce n’est pas se regarder l’un l’autre en gardant une distance raisonnable, c’est regarder ensemble dans la même direction.

Bien qu’aujourd’hui je jouisse pleinement des privilèges de la liberté, je n’ai rien oublié du silence assourdissant des cris de ces femmes que j’ai côtoyées tout au long de ma vie en Algérie, ce magnifique pays. Sans doute, les circonstances de ma vie m’ont amené à me question- ner très tôt, très jeune, sur des enjeux fondamentaux et essentiels. Le refus de mentir sur ce que je sais et la résistance à l’oppression sont au cœur de ma démarche. Il m’a fallu me forger une carapace bien solide pour naître une seconde foi, et voire même une troisième, pour lutter à visage découvert contre l’instinct de mort qui anime mes en- nemis. Grâce à l’étendue de la sympathie que vous m’exprimez, jour après jour, d’un bout à l’autre du Québec, je suis apaisée. Une force tranquille m’habite; je suis surtout traversée par le sentiment que ré- 104

pcx 52.indd 104 24/06/10 9:02:17 sister est un honneur parce que cet acte vous renvoie non seulement à votre propre existence mais aussi à celle des autres, à une existence plus collective, celle d’une humanité en mouvement qui s’enracine et se projette dans l’universel. Je suis consciente aussi que la sympathie que vous m’exprimez est un hommage rendu à tous ceux et celles qui partagent le même combat que moi dans le monde arabe et musul- man. Camus disait : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde, la mienne sait pourtant qu’elle ne le fera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. » Je peux dire la même chose de la mienne. Je marche résolument vers ce but, certaine d’avance de mes défaillan- ces, sur un si long chemin. Certaine aussi de mes limites. Consciente que je ne suis pas grand-chose dans tout cela. Consciente aussi de l’urgence d’agir avec le même engagement, coûte que coûte, avec force et passion. Il me reste à vous faire la promesse de fidélité que je me fais à moi-même dans le silence, tous les soirs après avoir couché ma fille de 4 ans, celle de ne jamais abandonner.

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Laïcité ouverte est synonyme de laïcité passoire. La laïcité passoire, c’est la laïcité telle que proposée en janvier dernier dans le manifeste Pour un Québec pluraliste, signé, entre autres, par messieurs Daniel Weinstock, et Georges Leroux dont on se souviendra que le premier favorisait en 2004 la création de tribunaux islamiques de la famille en Ontario, que le second est l’un des maîtres d’oeuvre, et sans doute le plus ardent apôtre du programme Éthique et culture religieuse qui sévit dans les écoles du Québec depuis septembre 2008. La laïcité passoire ce n’est pas la laïcité.

a laïcité qui avance à visage découvert, la laïcité à laquelle la plupart des Québécois aspirent est bien explicitée dans le projet Lde Charte du Collectif citoyen pour l’égalité et la laïcité, projet certes perfectible, mais qui constitue une excellente base de discus- sion. J’invite tout le monde à en lire attentivement le préambule de même que les dix-neuf articles. Je m’attarderai ce soir sur le der- nier mais sans doute à mon sens le plus important, qui se lit comme suit. L’État doit abolir le programme d’Ethique et de culture religieuse (ÉCR). Le programme ÉCR constitue en effet la pire menace, je devrais plu- tôt dire le pire obstacle à la laïcité que le Québec ait actuellement à surmonter. Une menace et un obstacle aussi graves que les inté- grismes religieux, auquel il ouvre d’ailleurs les portes toutes grandes en interdisant, sous prétexte de respect de la diversité, qu’on puisse les critiquer à l’école. Le programme ÉCR constitue pour les tenants de la laïcité passoire une grande victoire, car il s’attaque aux bases

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mêmes de la véritable laïcité en venant polluer l’esprit de nos enfants avec des sornettes. Mes trente-trois années d’enseignement au primaire m’ont permis de faire quelques constats qui demeurent hélas toujours actuels et dont le principal est le suivant : l’école québécoise est le lieu par excellence d’une mascarade qui dure depuis au moins cinquante ans. Dernier épisode de ce festival de faux-semblants, le programme ÉCR nous est imposé par une clique de pédagogo-socio-constructivistes à tendan- ces post-modernistes. Le programme ÉCR est un cran d’arrêt visant à empêcher l’aboutissement normal d’une lente évolution qui aurait dû mener à l’abolition pure et simple des cours de religion à l’école, abolition qui aurait enfin permis d’accorder la théorie et la pratique, la loi et les moeurs, les principes et les faits. Il n’est pas étonnant que les apôtres de la laïcité passoire soient tous en faveur du programme ÉCR. Ces gens-là savent fort bien que les religions sont les pires ennemis de la laïcité. En reprenant, emballée soigneusement dans une défroque non-confessionnelle et soi-disant pluraliste une place qu’elle était à la veille de libérer quand elle ne portait que le col romain, la religion fait un retour en force dans les lieux mêmes où la laïcité devrait être le mieux assurée et le mieux promue : l’école. Cette nouvelle péripétie dans la longue histoire de notre mascarade patrimoniale me choque profondément mais ne m’étonne pas du tout. En 1960, Jean-Paul Desbiens, mieux connu sous le nom de frère Untel écrivait ceci «... ce que nous sommes en train de voir s’établir, c’est une désaffection du peuple canadien-français vis-à-vis de la religion. [...] Les choses se sont déjà gâtées au-delà de toute apparence. Les jeunes gens à qui nous faisons la classe sont aussi loin qu’on peut l’être, sans bruit, du christianisme. Leurs idées, leurs sentiments, leurs sentiments surtout, sur l’argent, les femmes, le succès, l’amour, sont aussi étrangers au christianisme qu’il est possible. Échec de notre en- seignement religieux. Et pourtant, quel est le Canadien français qui n’a pas vécu au moins quelques années sous l’influence (ou en tout cas, sous le gouvernement d’une soutane, homme ou femme ? » Mil neuf cent soixante ! Ce constat résonnait comme une douce musique aux oreilles du jeu- ne mécréant de dix-sept ans que j’étais alors. L’école catholique avait échoué dans sa mission, mais contrairement au Frère Untel, je m’en félicitais... Je m’en félicitais À TORT, car à l’époque un incroyant, voire

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un simple non-pratiquant avait intérêt à raser les murs et à «faire sem- blant», surtout s’il se destinait au métier d’enseignant. En 1963, j’en- trai donc à l’École normale sur la pointe des pieds afin qu’on ne se rendît pas compte que j’étais athée. Vaine précaution. Que formait- on à l’École normale ? Des enseignants catholiques pour une école catholique. Qu’y avait-il de moins catholique ou de pas catholique du tout à l’École normale? Nous, les étudiants qui la fréquentions. Bien sûr, les autorités s’en rendaient compte et s’en arrachaient les cheveux. En 1965, l’aumônier de l’établissement, l’abbé Roy, qui était également prof de religion, nous accusa pendant son cours d’être des «hypocrites et des traîtres», nous les impies (si bien décrits cinq ans auparavant par le frère Untel) qui nous destinions quand même à l’enseignement catholique. Nous n’avions pas le choix: l’école neu- tre n’existait pas.

Entrant à l’emploi de la Commission des écoles catholiques de Mon- tréal (CÉCM) en 1967, j’y retrouvai la même situation qu’à l’école normale. À quelques détails près (on n’était plus tenu de réciter la prière avant les cours), l’école était tout aussi catholique qu’en 1940 ou 1950, mais la plupart de ceux qui y enseignaient ne l’étaient plus ou l’étaient fort peu. Nous, les jeunes profs impies, interprétions donc fort librement le régime pédagogique et réduisions au minimum les heures consacrées à l’enseignement religieux... Mais quand l’anima- trice de pastorale ou M. le curé venaient nous visiter, catastrophe ! Il fallait ranger les manuels de français ou de mathématiques et ressortir les manuels de religion, qui, c’est étrange, demeuraient en bon état plus longtemps que les autres. Notre longue marche vers la laïcité passoire, connut en 1988 une étape importante. Le ministre Claude Ryan fit adopter la Loi 107, qui instaurait le régime d’option pour un enseignement religieux confes- sionnel ou un enseignement moral non confessionnel. Nous accueillî- mes cette mesure avec soulagement car elle permettait de soulever un coin du masque... j’allais dire du voile. Alors, petit à petit, de plus en plus de parents et d’élèves optèrent pour l’enseignement moral plutôt que pour l’enseignement confessionnel ; petit à petit de plus en plus de profs firent de même, si bien qu’après quelques années il y eut pénurie de profs de religion dans plusieurs écoles, ce qui incita certaines directions à mettre des bâtons dans les roues aux profs qui

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voulaient passer de l’enseignement religieux à l’enseignement moral. Quelques-uns durent réajuster le masque qu’ils tentaient d’arracher.

Autre étape dans notre évolution hyper-tranquille : en 1997, sous Pau- line Marois, les structures scolaires perdirent leur statut confessionnel et devinrent linguistiques, ce qui ne changeait rien au fait que la reli- gion était toujours enseignée dans les classes. Nous étions mûrs pour une grande déception. À la question : quelle place la religion doit-elle occuper à l’école?, plutôt que de fournir la réponse qui allait de soi : aucune !... Mme Marois répondit en formant un groupe de travail pré- sidé par M. Jean-Pierre Proulx, ce qui équivalait à confier à des créa- tionnistes une commission d’enquête sur les mérites du darwinisme.

En 1999, le dit comité déposa son rapport devant le ministre François Legault, qui commit la fatale erreur de ne pas le déposer sur une ta- blette. Que proposait le rapport? Dans une perspective d’« ouverture à la diversité culturelle et du vivre-ensemble », de remplacer l’en- seignement religieux confessionnel, par « un enseignement culturel des religions obligatoire pour tous ». Les créationnistes étaient donc toujours... créationnistes, mais ils parlaient désormais de « dessein in- telligent », qui fait moins obscurantiste.

Plutôt que d’étudier une seule religion (opération qui, le frère Untel l’a dit il y a déjà un demi-siècle, est un échec) les enfants et adolescents du Québec vont dorénavant se les farcir toutes ! On leur présente un buffet de rites et de croyances, les voilà menacés d’obésité transcen- dantale ! UNE religion remplacée par LA religion, quel progrès! Et tout ça pour quoi ? Pour rien, car ça ne marchera pas ! Les profs de 2010 n’ont aucune culture religieuse, je le sais, c’est moi qui leur fai- sait la classe il y a dix, vingt ou trente ans ! Ils ne sauraient nommer les quatre Évangélistes, ils ne font pas la différence entre Thomas d’Aquin et Teilhard de Chardin, ils n’ont aucune idée de ce que peut être le Syllabus, l’ultramontanisme ou la messe à gogo, comment voulez- vous qu’ils animent un cours où il sera peut-être question de Shiva, de Zoroastre ou du Grand Manitou ? Les profs de 2010, la religion, LES religions, ça leur passe cent pieds par-dessus la tête ! Mais que de temps, que d’énergie, que d’intelligence... et d’argent gaspillés ! Et plus possible maintenant d’opter pour un enseignement moral dis- tinct de l’enseignement religieux. Il n’y a plus de morale, il n’y a plus

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d’éthique... en dehors de la religion ! Qui en a décidé ainsi ? Nos élus ? Ne nous y trompons pas, nos ministres de l’Éducation sont aux ordres d’un aréopage constructivo-jovialiste qui ne vise qu’un seul but : protéger sa chasse gardée ! Et nous faire avaler de force une laïcité passoire.

Placés devant le fait accompli, nous nous posons tous la même ques- tion : pourquoi diable infliger aux élèves du primaire, qui ont autant besoin de ça qu’un bossu d’une deuxième bosse, un enseignement culturel des religions ? Ne vaudrait-il pas mieux initier nos enfants à la pensée rationnelle, au savoir scientifique, à la philosophie des Lu- mières, aux fondement de la démocratie libérale... ou républicaine? Et tant qu’à propager des mythes, pourquoi ne pas inscrire au curricu- lum l’astrologie, la numérologie, la chiromancie ?

On nous répond que ce programme scolaire a pour principal objec- tif de mieux assurer le vivre-ensemble... Vraiment? Assisterions-nous donc actuellement dans nos salles de classe, dans nos cours d’école, dans nos cafétérias de polyvalentes, à des rixes inter-religieuses, les petits catholiques lançant des cailloux aux petits musulmans, qui me- nacent de sévices corporels les petits Témoins de Jéhovah, qui s’en prennent pour leur part aux petits Juifs, tous ces apprentis fanatiques s’entendant par ailleurs oecuméniquement pour harceler le REJECT par excellence, un petit sikh qui en est réduit à se défendre avec un kirpan pendant que le petit athée demeure à l’écart de la mêlée ?... drames quotidiens qui justifieraient qu’on prenne dès la pouponnière des mesures prophylactiques ayant pour but d’inculquer à la jeunesse que c’est donc beau, que c’est donc bon la religion et qu’il ne faut pas me chicaner avec le voisin sous prétexte qu’il n’a pas le droit de goûter à la terrine de porc que par ailleurs j’adore, ce qui constitue un affront à mes convictions ? Ces tristes événement ne se produisent... jamais ? Où est le problème alors ?

Lors d’un forum tenu le 19 mars 2007, Mme Solange Lefebvre, qui a contribué à l’élaboration du programme, avouait pourtant que la re- ligion occupe peu de place dans la plupart des familles québécoises. C’est quoi le problème ?... Prenons acte de cette réalité et consacrons plus de temps à l’enseignement des mathématiques ! Mais non, mais non ! Qu’adviendrait-il de nos profs de sciences religieuses ? Et nos

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malheureux théologiens qui devraient se recycler dans le commerce de cilices et de chapelets. Non, non, non ! Imposons au peuple une laïcité passoire qui protège nos intérêts !

Le plus ardent avocat du programme, M. Georges Leroux, admet pour sa part que la sécularisation de notre société est un phénomène ir- réductible. Les conceptions séculières, « mixtures » de science, de philosophie et « ainsi de suite» ne sont pas encore organisées en systè- mes, dit-il, mais seraient promises à un bel avenir. Inquiets, M. Leroux et ses acolytes travaillent donc d’arrache-pied, avec le concours de politiciens aveugles et irresponsables, libéraux et péquistes confon- dus, à un retour en force du religieux. Les conceptions séculières portent en effet, dit encore M. Leroux, sur les mêmes objets que les religions historiques. Les questions que se posent les jeunes : « D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? », peuvent trou- ver réponses dans les traditions religieuses des diverses cultures. Ne cherchez pas plus loin, chers petits, tous ces problèmes ont déjà été résolus !... Par Moïse, par saint Paul, par Mahomet, par Torquemada, par Luther, Pie IX, Khomeiny, Pat Robertson, le cardinal Marc Ouellet, j’en passe et des meilleurs ! « Toutes les conceptions immanentes dans lesquelles vous baignez, dit encore M. Leroux, sont prises en charge par ce monde-là. Tout ce patrimoine répond aux mêmes ques- tions. » C’est clair ! L’objectif visé, c’est la conversion de nos enfants et de nos petits-enfants. À quelle religion ? Peu importe, elles sont toutes formidables. À la rigueur, inventez-en une !

« C’est un tournant majeur dans la société québécoise », déclarait en 2005 M. Roger Boisvert, coordonnateur du Secrétariat aux Affaires Religieuses. Nous assistons « à un tournant majeur dans l’évolution socio-religieuse du Québec» ,renchérissait en 2006 M. Denis Watters, responsable de la coordination des équipes d’écriture du programme. Mais s’il s’agit vraiment d’un tournant majeur, il faudrait peut-être de- mander aux Québécois ce qu’ils en pensent ! Pas question ! Il s’agit d’un tournant trop important pour que le peuple soit consulté. Le 29 novembre 2006, M. Georges Leroux jubilait : « C’est quand même ex- traordinaire, hein ? C’est un projet inouï, ce qu’on s’apprête à faire ! » De quoi être fier, en effet : « Nous n’avons de modèle nulle part en Occident. Nous avons voulu faire quelque chose d’absolument im- possible. » Tel est le discours tenu par les créateurs du programme

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ÉCR, qui sont des saboteurs de la laïcité, des usurpateurs, des ennemis de la démocratie !

Les enfants Québécois apprendront donc à respecter, voire à admi- rer, et surtout à ne pas critiquer, NE PAS CRITIQUER ! car toutes les croyances religieuses sont respectables, n’est-ce pas ?... les pratiques et les coutumes aussi, sans doute... des pratiques ou des coutumes aussi nobles que les sacrifices humains chez les Aztèques, les bûchers de sorcières dans l’Europe de la Renaissance, la décapitation des homosexuels en Arabie saoudite, l’existence simultanée de vaches sacrées et d’êtres humains intouchables dans de lointaines contrées asiatiques... Mais ne vous inquiétez pas : on ne sera pas tenu de res- pecter ces abominations, car ayant comme objectif d’établir dans la classe un consensus rose bonbon, on se gardera bien d’en parler. Et le prof, lui ? Que peut-il dire, que peut-il faire ? Le prof, il doit res- ter neutre ; le prof il doit dire que tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ; le prof il doit éteindre aussitôt qu’elle s’avise de briller, la moindre lueur de lucidité qui pourrait surgir dans l’esprit de ses élèves. Entre la superstition et la connaissance rationnelle, l’école québécoise a fait son choix. À bas la pensée logique, vive la pensée magique ! C’est ça la laïcité passoire !

Que ce désastre soit une porte ouverte au multiculturalisme, comme disent certains, peut-être! Mais condamner le programme ÉCR parce qu’il empêcherait l’expression à l’école d’opinions nationalistes, c’est accuser de recel un coupable de viol. À mon sens, la critique laïciste du cours ÉCR demeure la plus pertinente : lier dans un même cours éthique et religion est une infamie ; associer culture et religion, une entourloupette ; cimenter le tout sous le signe du dialogue et de la bonne entente, un tour de prestidigitation. Si vous voulez que règne la bonne entente, ne parlez pas de religion IF YOU PLEASE ! Les re- ligions ne cessent de nuire au vivre-ensemble que lorsqu’elles sont fermement remises à leur place par la laïcité ! Pas la laïcité passoire, la vraie laïcité, la laïcité franche et honnête ! Les religions sont ex- clusives l’une de l’autre... sauf qu’elles ont, comme les promoteurs de la laïcité passoire, un ennemi commun : la laïcité vraie, contre laquelle elles peuvent se retourner et se retournent effectivement à la première occasion. Tant qu’à parler de religion à l’école, c’est ça qu’il faudrait dire à nos enfants... et seulement à compter du secondaire, 113

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voire du Cegep, dans le cadre d’un cours d’histoire des civilisations. Si les religions ont joué dans l’histoire un rôle civilisateur, et il leur est arrivé à l’occasion de jouer un tel rôle, on ne le cacherait pas, mais on ne tairait pas non plus leurs innombrables méfaits. Ainsi analyserait-on avec une saine distance critique le massacre de la Saint-Barthélémy, les hécatombes inter-religieuses qui accompagnèrent l’accession de l’Inde à l’indépendance, le sort des mères canadiennes-françaises qui n’obtenaient du curé la permission d’empêcher la famille qu’après avoir mené à terme une douzaine de grossesses et mis au monde trois futures nonnes, deux futurs frères, un futur bonze du futur ministère de l’Éducation.

La mascarade a assez duré : l’État doit abolir le programme Éthique et culture religieuse. La laïcité hypocrite, n’a plus sa place au Québec.

Pierre K Malouf Communication au colloque du Comité citoyen pour l’égalité et la laïcité (CCIEL)

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Les protagonistes de la laïcité dite « ouverte » la présentent comme une laïcité tolérante, respectueuse et pluraliste, face à la laïcité tout court qu’ils qualifient de fermée, radicale, rigide ou sévère.

on crédo a été exposé dans le Manifeste pour un Québec plu- raliste, publié le 3 février 2010 dans Le Devoir sous la signature Sd’un collectif d’auteurs animé par le philosophe Daniel Weins- tock. Les traits saillants de ce manifeste sont un appel à l’acceptation de signes ostentatoires religieux dans les institutions publiques et le rejet de la revendication d’une charte de la laïcité. Les exemples abondent pour illustrer ses conséquences néfastes et démontrer le bien-fondé des principes affirmés dans la Déclaration Pour un Québec laïque et pluraliste, publiée le 16 mars 2010 dans Le Devoir par un collectif d’intellectuels pour la laïcité à l’initiative du sociologue Guy Rocher et de l’anthropologue Daniel Baril, notam- ment : qu’un authentique pluralisme et le plein respect de la liberté de conscience supposent que l’État et ses institutions soient neutres à l’égard des croyances religieuses et de l’incroyance; que la laïcité en est la condition essentielle du pluralisme; qu’elle est la seule voie d’un traitement égal et juste de toutes les convictions, parce qu’elle n’en favorise ni n’en accommode aucune, pas plus la croyance reli- gieuse que l’athéisme; qu’elle est une condition essentielle de l’éga- lité entre les hommes et les femmes. Pour reprendre les termes employés par Régis Debray dans un ré- cent article intitulé « L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque », cités dans la revue Cité laïque (no 16, printemps 2010, p.

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15) : "Le principe de laïcité place la liberté de conscience (celle d’avoir ou non une religion) en amont et au-dessus de ce qu’on appelle la « liberté religieuse » (celle de pouvoir choisir une religion). En ce sens, la laïcité n’est pas une option spirituelle parmi d’autres, elle est ce qui rend possible leur coexistence, car ce qui est commun en droit à tous les hommes doit avoir le pas sur ce qui les sépare en fait."

La laïcité dite « ouverte » se révèle par contre comme une négation de la laïcité puisqu’elle permet toute forme d’accommodement des ins- titutions publiques aux privilèges réclamés par telle ou telle religion. Ces aménagements s’ajustent aux objectifs des groupes religieux qui cherchent à faire prévaloir leurs principes sur les lois en vigueur. Cela est illustré de manière percutante dans le livre de Diane Guilbault, Dé- mocratie et égalité des sexes, paru en 2008 (la revue Cité laïque déjà mentionnée en reproduit des extraits, p. 22-23). L’auteure rappelle en particulier ce jugement prononcé dans un cas de viol d’une jeune musulmane par son père. Le juge avait invoqué comme circonstance atténuante le fait que la relation sexuelle n’avait pas été une relation vaginale et que l’accusé avait ainsi d’une certaine façon protégé la victime en préservant sa virginité, une valeur très importante dans la religion des personnes en cause. Diane Guilbault rappelle aussi cette revendication, formulée par un groupe islamiste, de la reconnaissance de tribunaux fondés sur la charia en Ontario en 2004. Le groupe en question avait réussi à convaincre la procureure générale de l’Ontario, Marion Boyd, que ce projet était en pleine conformité avec le multi- culturalisme et la liberté religieuse protégée par la Charte canadienne des droits. L’organisme Droits et démocratie avait alors prononcé un vibrant plaidoyer contre une telle idée, qui aurait eu pour effet d’en finir avec la notion d’égalité devant la loi et de privatiser le droit de la famille au profit d’autorités religieuses… ».

À signaler que Charles Taylor et Daniel Weinstock, défenseurs du mul- ticulturalisme et de la laïcité « ouverte » et opposés à une charte de la laïcité, ont appuyé cette demande d’un tribunal fondé sur la charia. Taylor, rappelle Diane Guilbault, a « regretté la décision du gouver- nement ontarien de rejeter la demande ». Quant à Weinstock, « il a louangé le rapport Boyd » qui voulait, selon lui, « institutionnaliser un partenariat entre le droit institutionnel canadien et la charia ».

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Une nécessaire charte de la laïcité Pour être neutre, l’État doit se déclarer neutre. Bien que les tribunaux aient statué qu’il n’y avait pas de religion d’État au Québec et au Ca- nada, nos législations souffrent d’un déficit en cette matière puisque la laïcité de l’État n’est nulle part affirmée. La protection législative de la laïcité est donc essentielle. L’avocat Jean-Claude Hébert l’a bien expliqué dans des articles intitulés « Une laïcité à affirmer », publié dans La Presse du 31 octobre 2009, et « Laïcité et suprématie de Dieu », publié dans Le Devoir du 21 décembre 2009 : Le préambule de la Charte canadienne des droits et libertés affirme la suprématie de Dieu. Nulle part dans notre aménagement constitutionnel, le caractère laïc, séculier ou neutre de l’État (canadien ou québécois) n’est-il af- firmé. Ce sont les juges qui, à la pièce, ont façonné la reconnaissance de fait du principe de la séparation de l’Église et de l’État. Comment savoir si, éventuellement, les tribunaux donneront préséance au prin- cipe non écrit de laïcité de l’État sur la suprématie de Dieu (et la liberté religieuse), celle-ci étant burinée dans le bronze de la constitution ca- nadienne ? D’où la nécessité de combler ce vide juridique en amen- dant la Charte des droits et libertés de la personne du Québec pour y inscrire le principe de la laïcité de l’État et de ses institutions, et en adoptant une nécessaire Charte de la laïcité.

Quelques mots sur le multiculturalisme Pour conclure cette présentation, j’aimerais citer l’extrait suivant d’un article intitulé « Le multiculturalisme est une politique généreuse de- venue discriminatoire », publié dans Le Devoir, le 3 avril 2007, dont l’auteur est l’écrivain et cinéaste Jacques Godbout, co-fondateur du Mouvement laïque de langue française dans les années 1960 : […] si les soutanes et les cornettes ont disparu, c’était pour une bonne raison : nous devions accéder à la liberté d’expression et au droit de penser par nous-mêmes. Les évêques catholiques ne régissent plus la vie sociale, ils n’osent plus interdire de danser ou de voir certains films. Il n’y a plus de censure religieuse, pourquoi en accepter de nouvelles au nom du multiculturalisme ? La foi est du domaine privé. Les orga- nisations religieuses, prétendant représenter Dieu sur terre, sont à la recherche du pouvoir, et c’est une lutte de pouvoir à laquelle nous assistons présentement. On ne peut ignorer que les religions sont des systèmes de contrôle de la pensée, du temps de loisir, de la nourriture

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et de la sexualité. Ainsi, dans l’Église catholique, comme chez les juifs ou les musulmans, la femme a un statut inférieur. Elle n’a pas accès à la prêtrise, par exem- ple, et si la musulmane doit cacher ses cheveux, c’est qu’elle n’est pas, comme le mâle, faite à l’image de Dieu. L’égalité entre la femme et l’homme est une proposition laïque à laquelle une majorité de musul- mans et de juifs modérés adhèrent, c’est aux organisations religieuses de s’accommoder.

Le multiculturalisme canadien, ou québécois, est une politique naïve et généreuse qui est devenue, par un effet pervers, discriminatoire. En voulant assurer des relations harmonieuses entre les diverses cultures issues de l’immigration, en encourageant chacune d’elles à s’épanouir, le multiculturalisme a favorisé la ghettoïsation et l’apparition de barons ethniques qui se sont empressés d’exercer le pouvoir sur leurs commu- nautés. C’est le théâtre des « porte-parole », un imam ici, une jeune mu- sulmane là, un délégué des juifs ici, un évêque à Québec, un conseiller municipal à Chicoutimi, et chacun de venir se présenter en victime d’une laïcité intolérante ! Nous sommes les jouets de provocations systématiques auxquelles les médias donnent des échos bruyants. Des religieux prosélytes veulent se présenter en victimes ou en martyrs, nous serions de faibles démocrates si nous acceptions d’entrer dans ce jeu. Il faut peut-être remettre en question certaines formulations des Chartes des droits (canadienne ou québécoise), car elles encouragent visible- ment la confusion plutôt que la tolérance. De même que la loi 101 a clarifié le statut du français en mettant fin à la lutte des langues, une « loi 102 » affirmant la laïcité de l’État québécois mettrait fin aux pro- sélytismes de toute nature. Liberté, égalité, laïcité, et la démocratie sera mieux gardée. Jacques Godbout mentionne dans cet article qu’il est résident d’un arron- dissement de Montréal qui avait été dénommé Érouv’ville par un carica- turiste lors de la crise des « accommodements raisonnables ». À ne pas confondre avec la désormais célèbre Hérouxville qui s’est fait connaître par son « code de vie », l’Érouv’ville en question est ce quartier de Mon- tréal où les membres d’une confession religieuse s’approprient libre- ment une partie de l’espace public en érigeant des « érouvs » aux fins de leurs pratiques religieuses, en conformité avec l’accommodement déraisonnable recommandé par les commissaires Gérard Bouchard et

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Charles Taylor au nom de la tolérance et de laïcité « ouverte ».

Louis Gill Communication au colloque du Comité citoyen pour l’égalité et la laïcité (CCIEL)

Notes / Extraits d’articles connexes 1/ J’accuse la FFQ de trahir le combat des femmes, Djemila Benhabib, Le Devoir, 12 mai 2009. Dénonciation de la Fédération des femmes du Québec pour l’adoption d’une résolution banalisant le port du voile islamique. La FFQ accompagnée pour la circonstance par des représentantes du Conseil islamique canadien, qui a mené une campagne acharnée pour l’instauration de tribunaux islamiques en Ontario, et de Présence musulmane, qui fait la promotion des thèses de Tarik Ramadan prônant un « moratoire » sur la lapidation des femmes adultères, un châtiment préconisé par la charia islamique. Pour des alliances avec une poignée de militantes islamistes et des prises de position qui minent ses principes, la FFQ a sacrifié des millions de femmes musulmanes qui se battent au péril de leur vie. 2/ « Le crucifix de l’Assemblée nationale », Jacques Rouillard, Le Devoir, 27-28 janvier 2010. Pour Duplessis, qui a apposé le crucifix au-dessus du trône du président de la Chambre en octobre 1936, celui-ci représentait bien davantage qu’un symbole du passé religieux du Québec. Il était le symbole de la nouvelle alliance qui unissait l’autorité civile et l’autorité religieuse, l’Église et l’État. 3/ « Sociologie du vêtement 101 », Daniel Baril, Le Devoir, 11 février 2010 Réaction à l’appel du Manifeste pour un Québec pluraliste. Citation de Roland Barthes, Histoire et sociologie du vêtement, « Le signifié principal du vêtement […], c’est essentiellement le degré d’intégration du porteur par rapport à la société dans laquelle il vit. [En tant que langage, le vêtement] est, au sens plein, un modèle social, une image plus ou moins standardisée de conduites collectives attendues, et c’est essentiellement à ce niveau qu’il est signifiant ». Baril : « Au-delà de sa fonction de protection, le vêtement est donc un moyen de communication des valeurs, du statut social, du rôle et de l’identité du porteur; c’est ainsi qu’il devient un costume. Le langage non verbal du vêtement religieux ou signe distinctif exprime le fait non seulement que la personne est croyante, mais aussi qu’elle professe telle ou telle religion, avec son système de valeurs et de croyances, et qu’elle en fait une interprétation fondamentale puisqu’elle place son appartenance religieuse au-dessus de sa fonction professionnelle. Les usagers des services publics n’ont pas à être soumis à un tel discours religieux non verbal lorsqu’ils se prévalent de ces services. Il est manifeste que nous faisons présentement face à une offensive de certains groupes religieux qui visent à faire prévaloir les croyances religieuses sur les lois civiles laïques ». 4 / De l’asservissement déguisé, Antoinette Layoun, La Presse, 4 mars 2010 Si je vis au Québec, c’est parce que je choisis la liberté d’être ici avec tout ce qui compose

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cette société. 5/ Cité Laïque, no16 (printemps 2010) Guy Rocher : Charles Taylor en 1963, adhère au Mouvement laïque de langue française (MLLF). « En tant que catholique, j’ai adhéré au MLLF parce que je crois en une laïcité ouverte ». (p. 13) Le cours Ethique et Culture Religieuse : retour de l’enseignement religieux dans les écoles, de toutes les religions. Ramener la religion catholique par la porte d’en arrière en faisant entrer toutes les autres. Dans le passé, les parents avaient la possibilité d’obtenir une exemption et d’opter pour un « cours de morale »; ce n’est plus possible aujourd’hui. Cours qui est une manière détournée de faire voir l’adhésion à une religion comme naturelle. Mise de côté de l’option de la non-croyance. (p. 14) 6 / Christian Rioux, Le Devoir, 18 décembre 2009 et Paul Drouin, Cité Laïque no 16, p. 15, sur Régis Debray (L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque) et l’option française, contraire à celle du cours Éthique et Culture Religieuse, qui consiste à renforcer les cours d’histoire, de littérature, de philosophie, pour y intégrer les éléments de l’histoire religieuse. Aucune nécessité d’un cours à part. Au contraire, caractère nocif d’une telle initiative : ne pas réserver au fait religieux un sort à part, en le dotant d’un privilège. Pas question d’oublier les religions, mais pas question de leur reconnaître un quelconque monopole du sens, à côté des sagesses, des philosophies, des savoirs et de l’art. La culture religieuse ne saurait être séparée de la culture tout court. 7) Georges Leroux, instigateur et défenseur du cours ECR : « il faut inculquer le respect absolu de toute position religieuse ». Pourtant tous les choix religieux ne sont pas respectables. Loin de défendre la laïcité, le programme veut ajuster l’école aux mentalités qui fluctuent au gré d’influences venues de partout. La société devient un rassemblement de communautés qui n’ont plus en commun que des droits élémentaires, d’où l’insistance du cours sur la seule charte des droits. À cette tolérance absolue, Debray oppose la laïcité. Celle-ci n’est pas une option parmi d’autres puisqu’elle est seule à rendre possible la coexistence de tous dans un cadre national. La laïcité n’a rien à voir avec les accommodements raisonnables, avec la tolérance qui consiste à négocier à la pièce avec chaque groupe (Devoir, 12 février 2010). Elle garantit la liberté de religion et celle de ne pas adhérer à une religion. La laïcité cherche à imposer des règles communes. Elle impose certaines interdictions comme le port de signes ostentatoires, non par intolérance, mais par respect pour la liberté de conscience. Rioux cite Jean Daniel, directeur du Nouvel Observateur : La tolérance n’est pas la laïcité. La première est passive, la seconde active. La tolérance s’accommode de toutes les manifestations publiques des religions. La laïcité défend l’individu contre son groupe d’origine, la femme contre le père oppresseur et garantit qu’on peut changer de religion ou se déclarer athée. Avec la tolérance, on installe des communautés. Avec la laïcité, on construit une nation. 8 / Le cas par cas inspiré de la Cour Suprême, Daniel Drouin, Cité Laïque, no 16, p. 17 (en relation avec le Projet de loi 94 sur l’interdiction de la burqa). Rappel d’un jugement de la Cour qui affirme que la gravité des restrictions particulières à la liberté des religions doit s’examiner au cas par cas. Conséquence : explosion à prévoir des demandes d’accommodement.

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Carole Roussopoulos Caméra militante. Luttes de libération des années 1970

Dotée d'un sens aigu de l'Histoire, Carole Roussopoulos se saisit de la caméra vidéo au tout début des années 1970. Elle fonde à Paris, avec son compagnon Paul Roussopoulos, le premier groupe vidéo, « Vidéo Out », pour donner la parole aux « sans-voix », opprimé-es et exclu-e Une sélection de six films tournés au cours de la « décennie rouge » témoigne de son engagement, caméra au poing, dans les luttes de libération – ouvriè- res, homosexuelles et féministes. Ces documents uniques, libres et inventifs, sont accompagnés d'une série de contributions portant sur la pratique et les usages militants de la vidéo, dont Carole Roussopoulos est une figure majeure et pionnière. Au programme plusieurs textes de Nicolas Brenez, Jean-Paul Fargier. La vi- déo militante contre la télévision et Hélène Fleckinger. Ainsi plusieurs films: Genet parle d'Angela Davis (1970, 7 min). Le F.H.A.R. (Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire) (1971, 26 min). Monique (Lip I) (1973, 25 min). Christiane et Monique (Lip V) (1976, 30 min). S.C.U.M. Manifesto (avec Del- phine Seyrig) (1976, 27 min). Maso et Miso vont en bateau (avec Nadja Ringart, Delphine Seyrig et Ioana Wieder) (1976, 55 min)

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Mohamed Sifaoui - Philippe Bercovici Ahmadinejad atomisé

Cette nouvelle BD, richement documentée, met en perspective la vie de Ma- hmoud Ahmadinejad : de son enfance jusqu'à ses funestes sorties récentes, tyranniques, cyniques et provocatrices. Ahmadinejad atomisé dépeint le ta- bleau des cinquante dernières années de l'histoire tumultueuse de l'Iran. Tout commence ici par les errements du Shah, manipulé par un pouvoir américain peu soucieux de l'avenir des Iraniens. Ces derniers subiront l'avènement des

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mollahs, qui bafouent toutes les valeurs universelles, n'hésitant pas à usurper le résultat des élections en usant de tout l'arsenal répressif des régimes totali- taires... En espérant la chute du régime des " religieux " enturbannés, savourez Ahmadinejad atomisé !

Christian Terras La véritable histoire des évêques sous Vichy (1940-1944) Go l i a s

Christian Terras (directeur de Golias) nous invite à une rétrospective originale et inédite, dans le cadre d’un authentique voyage au centre de l’épiscopat français sous l’Occupation. Quelles furent leur vie et leur attitude durant cette période ? Que saisirent-ils de la « montée » des périls et de la « marche » vers la guerre ? Quelle fut la capacité des évêques et des chrétiens à déchiffrer les signes des temps ? Pourquoi les évêques français qui s’efforçaient depuis quelques années - sous l’influence de Pie XI notamment - de rompre avec le conservatisme politique ambiant (la condamnation de l’Action française par le Vatican, par exemple), accueillent comme la « divine » surprise la Révolution nationale du maréchal Pétain, gage d’une véritable restauration chrétienne

Ariane Buisset Les religions face aux femmes Ac a r i a s l'originel

Quelle place le judaïsme, le christianisme, l’islam, l’hindouisme, le boudd- hisme, le confucianisme et le taoïsme, ont-ils réservée aux femmes ? Com- ment les ont-ils représentées à travers leurs dogmes ? Comment les femmes ordinaires et les mystiques se sont-elles adaptées au sein de religions définies par les hommes ? Une premiere partie présente les religions une autre fait le point sur les études en sociologie, génétique, psychologie et linguistique, sur la construction du genre.

Jeanne Favret-Saada Jeux d'ombres sur la scène de l'ONU : Droits humains et laïcité Editions d e l'Olivier

Jeanne Favret-Saada, auteur de Les Mots, la Mort, les Sorts, enquête ici sur le virage qui s'effectue à l'Onu de 1998 à 2001 : une majorité d'Etats refusant désormais de reconnaître l'universalité des Droits de l'homme. L'" Alliance des civilisations" qui est proposée à l'époque pour enrayer ce qu'on a appelé le "clash des civilisations" se transforme en une "paix des religions ". On assiste

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ainsi à une déraison du langage où "civilisation" signifie d'emblée "religion", où "religion" connote "suprêmement honorable" et où "critique de la religion" s'appelle "racisme", "intolérance", "haine" ou "islamophobie": la langue res- suscitée du 1984 d'Orwell creuse l'ornière d'une prétendue "tolérance" nou- velle.

Alternatives Sud Racisme : entre exclusion sociale et peut identitaire Sy l l e p s e

La mondialisation, tout en diluant les particularismes dans la modernité, ali- mente les résurgences identitaires et renforce l’hétérogénéité culturelle des groupes sociaux sur fond de flux migratoires et d’accroissement de la mobi- lité. Comment articuler égalité et différence dans une perspective citoyenne et démocratique ? La question se pose dans les sociétés « accueillant » des populations immigrées, comme dans celles qui abritent des minorités ethni- ques et nationales. Des modèles « intégrateurs » aux variantes multiples ont vu le jour au Nord comme au Sud. Quels sont les enjeux de ces politiques ? Reconnaître la diversité dans la perspective d'un projet national commun ? Plusieurs études de cas sont publiées ici. Notamment : "Inde : « race » et « ra- cialisation »", "Malaisie : rôle de l’État dans la gestion des tensions ethniques". "État sri-lankais ou cinghalais ?". "Persistance de la « race » dans l’Afrique du Sud post-apartheid". "Conflits fonciers, ethnicité politique et guerre en Côte d’Ivoire". "Guatemala : modernisation capitaliste et racisme dans les circuits du café".

On en parle

Inde : Un groupe hindouiste d'extrême droite vend une émeute

Le Sri Ram Sena, un groupuscule de la droite dure hindouiste a été piégé par Tehelka lors d’une opération en caméra cachée. Le magazine révèle com- ment cette organisation sectaire est prête à organiser des actes de vandalisme contre rémunération...au mépris de son idéologie. Peu de gens connaissaient le Sri Ram Sene avant l'année dernière. C'est lors

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d'une agression en janvier 2009 sur des jeunes femmes dans un pub de Man- galore, ville côtière de l'Etat du Karnataka, que ce groupe appartenant à l'ex- trême droite hindouiste a acquis en un éclair sa notoriété. L'incident, pendant lequel les hommes de mains de l'organisation s'était montrés particulière- ment violents, avait été filmé et était passé en boucle à la télévision indienne, provoquant l'indignation générale dans le pays. Gardiens autoproclamés de la culture indienne, les membres du Sri Ram Sena revendiquent l'utilisation de la violence physique pour s'opposer à ceux qui, à leurs yeux, vont à l'en- contre de la morale hindoue. Comme, par exemple, les filles qui consomment de l'alcool dans un bar, ou ceux et celles qui célèbrent la Saint-Valentin. Mais cette façade morale et idéologique cache en réalité un fonctionnement bien plus cynique, comme la démontré un journaliste de Tehelka lors d'une inves- tigation en caméra cachée qui fait la Une du magazine cette semaine. L'enquêteur a contacté le Sri Ram Sene, se faisant passer pour un artiste- peintre en quête de notoriété. Sa proposition était la suivante : payer l'or- ganisation afin que ses hommes de main viennent créer une émeute lors de son vernissage à Bangalore et saccagent la galerie. L'incident devait ainsi lui assurer une célébrité instantanée de par sa médiatisation et l'indignation du public qui allait s'ensuivre. Le président du Sri Ram Sene, Pramod Muthalik (vidéo) a accepté immédiatement. Le journaliste a ensuite rencontré plusieurs cadres de l'organisation pour mettre en place la fausse émeute dans les dé- tails, toujours armé de sa caméra cachée. Le reportage montre comment cette organisation, qui met en avant la "décence morale" pour défendre ses actions, opère en réalité comme un organisation criminelle, tirant les ficelles à tous les niveaux. Détail non-négligeable, le pseudo-artiste affirmait lors de sa requête que ses toiles exploraient le thème de l'amitié entre hindous et musulmans, à laquelle le Sri Ram Sena est férocement opposé. Le saccage planifié de son exposition devant contribuer à la notoriété de l'artiste, allait logiquement à l'encontre de l'idéologie de l'organisation de Pramod Muthalik, puisque cette dernière était prête à faire de la publicité à un de ses adversaires moraux... pour le juste prix. Antoine Guinard Aujourd'hui l'Inde, 17 mai 2010

Ouganda : Homosexuels - Fugitifs dans leur propre pays

Tous les jours, au crépuscule, Pepe Julian Onziema verrouille solidement les portes de l'appartement qu'elle partage avec sa partenaire dans la banlieue de Ntinda à Kampala, n'étant pas sûre de vivre jusqu'au lendemain. Onziema est transgenre et elle vit dans la peur pour sa vie à cause d'une campagne nationale criminalisant les homosexuels en Ouganda. La célèbre militante est la coordinatrice des programmes nationaux des Mi-

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norités sexuelles en Ouganda, un réseau de défense des organisations de les- biennes, d'homosexuels, de bisexuels et de transgenres (LGBT). Lorsque le quotidien local, 'Red Pepper', a publié une liste de GLBT présu- més, comprenant son nom - après la publication, certains homosexuels ont été expulsés par leurs propriétaires, alors que d'autres ont vu leurs maisons incendiées. Comme d'autres LGBT en Ouganda, les voisins de Onziema l'ont arrêtée, lui ont craché dessus, agressée, insultée et même lapidée. Elle ne peut pas utiliser les transports publics ou s'asseoir confortablement dans un restaurant de peur d'être reconnue et expulsée. Quand un crime haineux est commis contre elle, elle ne peut pas le signaler comme tel à la police, parce que les rapports sexuels entre deux personnes du même sexe sont contraires à la loi en Ouganda. "C'est un monde fou dans lequel nous vivons en tant qu'homosexuels. Nous souffrons vraiment", déclare Onziema. Au cours des derniers mois, une campagne menée par un député et des chefs religieux a intensifié la discrimination. Les rapports sexuels entre deux personnes du même sexe constituent un cri- me passible d'emprisonnement à perpétuité à travers des dispositions dans le Code pénal et la constitution de 1995. Mais en avril 2009, le ministre de l'Ethique et de l'Intégrité, Nsaba Buturo, a déclaré les lois actuelles insuf- fisantes pour lutter contre l'homosexualité, qu'il a qualifiée 'd'immorale et non-africaine'. Maintenant, l'Ouganda est en train d'examiner un nouveau Projet de loi an- ti-homosexuel (2009) qui ne criminalise pas simplement les rapports homo- sexuels, mais les LGBT en tant que personnes. Les dispositions controversées du projet de loi incluent la peine de mort pour le crime nouvellement défini comme "homosexualité aggravée" - au cas où une personne LGBT séroposi- tive a des rapports sexuels avec une personne qui est soit âgée de moins de 18 ans ou a un handicap. La peine de mort est également prescrite pour des condamnations multiples de rapports homosexuels. Ce projet de loi menace également d'exiger que les parents, les propriétaires et les agents de santé dénoncent les LGBT, autrement ils feront l'objet de poursuites. "Ceux qui l'ont vraiment parcouru constatent qu'il affecte presque tout le monde. C'est un projet de loi sur lequel le public n'a pas été sensibilisé et nous, en tant qu'homosexuels, n'avons pas eu non plus l'occasion de sensibi- liser le public à ce sujet", a affirmé Onziema. La défense de leurs droits humains - que ce soit les droits à la santé, à l'expres- sion, ou simplement d'exister - est risquée pour la communauté des homo- sexuels de l'Ouganda. En juin 2008, au cours d'une rencontre internationale sur le VIH/SIDA à Kampala, la capitale ougandaise, Onziema était parmi les LGBT et les activistes anti-SIDA manifestant pacifiquement contre les décla- rations faites par le directeur général de la Commission ougandaise de lutte

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contre le SIDA, Dr Kihumuro Apuuli, selon lesquelles aucun fonds ne serait orienté vers les programmes de VIH ciblant les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes. "Les homosexuels constituent l'un des vecteurs du VIH en Ouganda, mais à cause des maigres ressources, nous ne pouvons pas orienter nos programmes vers eux en ce moment", aurait-il dit. Alors que les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes sont identifiés com- me une population à un risque élevé de contracter et de transmettre le VIH, il n'existe aucun programme visant à les inclure dans la réponse nationale contre le VIH/SIDA. "Avant, j'avais travaillé comme pair conseiller du VIH et j'avais été en réalité expulsée (de) l'endroit parce que j'aidais les couples qui étaient du même sexe", confie Onziema. Bon nombre de LGBT ont peur d'al- ler faire le test du VIH ou même pour les conseils du fait de la double stigma- tisation d'être des minorités sexuelles et des séropositifs. "Nous avons eu des gens qui connaissent bien leur statut et d'autres qui sont vraiment partis pour accéder au Conseil et dépistage volontaires (CDV) sous prétexte qu'ils sont francs. Nous avons besoin de systèmes et d'une politique où les homosexuels peuvent honnêtement révéler leur histoire afin que les médecins soient par conséquent en mesure de leur administrer un traitement", a déclaré Onziema. A la suite de son arrestation au cours de la manifestation, la police lui a fait subir un examen physique forcé pour "déterminer" son sexe. "Ils avaient cet argument ridicule sur mon sexe. Deux officiers féminins sont entrés dans ma chambre, tandis que le troisième, un homme, était debout à la fenêtre. Elles m'ont demandé de me déshabiller. Parce que j'étais hésitante, une policière a décidé d'enlever de force mon pantalon et a touché mes parties intimes..."

Le président ougandais, Yoweri Museveni, a longtemps critiqué l'homosexua- lité, et a fortement soutenu le nouveau projet de loi. Toutefois, au cours d'une récente rencontre à State House (la présidence) le 13 janvier, avec les mem- bres de son parti, le Mouvement pour la résistance nationale, Museveni a in- diqué qu'il ne soutiendrait pas à un projet de loi qui impose la peine de mort. "C'est une question de politique étrangère et nous devons en discuter d'une manière qui ne compromet pas nos principes, mais qui prend également soin de nos intérêts étrangers", a déclaré Museveni aux membres, leur demandant 'd'aller doucement' sur le projet de loi. Il n'a pas expliqué davantage. Des groupes de défense des droits humains ont demandé aux nations occi- dentales de refuser l'aide à Ouganda si ce projet de loi draconien est adopté: la moitié du budget national du pays provient de l'aide internationale. Des analystes estiment que le président ougandais est en train de céder à la pres- sion internationale après qu'il a révélé que le Premier ministre britannique, Gordon Brown, le Premier ministre canadien, Stephen Harper, et la secrétaire d'Etat américaine, Hilary Clinton, l'avaient tous exhorté à réexaminer le pro- jet de loi.

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Au début de cette année, le député travailliste britannique, Harry Cohen, a introduit une motion au parlement demandant au gouvernement britannique d'exiger que l'Ouganda abandonne les sanctions pénales pour l'homosexua- lité. Le gouvernement américain a également menacé d'expulser l'Ouganda de l'arrangement sur la Loi relative à la croissance et aux opportunités éco- nomiques en Afrique (AGOA) si ce projet de loi est adopté. L'AGOA est un arrangement économique qui fournit un traitement hors taxe des produits d'importation provenant des pays africains bénéficiaires. Toutefois, le pasteur pentecôtiste Martin Sempa, qui affirme que l'homosexua- lité est un produit d'importation étranger, dit que l'Ouganda ne doit pas suc- comber à la pression des donateurs. Sempa est de l'Eglise communautaire de Makerere et préside une coalition d'églises chrétiennes contre l'homosexua- lité. "Nous devons être forts. Tout pays (comme l'Ouganda) qui met la sodomie au- dessus de sa politique étrangère est en train de faire une grosse erreur. Et si la vente de notre coton à l'Amérique signifie que nous recevons la sodomie en échange, alors c'est un commerce que nous ne pouvons pas faire". Le président du parlement ougandais, Edward Ssekandi, a déclaré que l'exa- men du projet de loi se poursuivra en dépit de l'appel 'aller lentement' du président. "Quand le jour se lève, je prie", souligne Onziema. "Je prie pour qu'il n'y ait aucun homosexuel en difficulté aujourd'hui. Je n'ai même pas un sommeil adéquat. Vous ne pouvez pas éteindre votre téléphone parce que quelqu'un pourrait avoir besoin de l'aide. Vous pourriez sauver une vie".

Evelyn Matsamura Kiapi, 2 Février 2010 http://fr.allafrica.com/stories/201002020912.html

Arabie Saoudite : 90 coups de fouet et 4 mois de prison pour 1 baiser

C’était il y a une dizaine de jours en Arabie Saoudite. L’information est relayée par le site feminist.org. Trois séances de trente coups de fouet sont prévues pour punir un jeune homme surpris par la camera de surveillance d’un par- king, alors qu’il embrassait une jeune femme hors liens du mariage. Gare aux amoureux qui se bécotent sur les bancs publique, la police religieuse d’Arabie Saoudite veille ! Elle est à l’affût du moindre regard, du moindre contact atten- tatoire aux bonnes meurs et au code religieux du pays. La femme embrassée, ainsi qu’une seconde femme qui accompagnait le couple, est arrêtée. Selon les lois saoudiennes qui se veulent inspirées de la charia, les femmes doivent demeurer sous la tutelle d’un homme de leur famille en attendant d’être sous la tutelle de leur mari. Elles ont l’obligation d’être accompagnées par un de ces tuteurs dans tous leurs déplacements. L’Arabie Saoudite avait pourtant

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montré des signes d’ouverture sur la question du droit des femmes. En juin 2009, cet État pétrolifère de vingt-sept millions d’habitants s’était en- gagé auprès des Nations Unies à abolir cette obligation de tutorat. Depuis, Human Rights Watch a rapporté plusieurs autres cas de violations des droits humains concernant des femmes. Comme Sawsan Salim, qui a décidé en mars dernier, de déposer 118 plaintes contre des représentants des autori- tés du pays, y compris le juge qui a reçu la plainte et le roi Abdallah ben Abdelaziz Al Saoud, pour « abus de justice ». Cette démarche a abouti à la condamnation de la jeune femme à trois cents coups de fouet et dix-huit mois d’emprisonnement pour « plainte fallacieuse » et pour s’être présentée au tri- bunal sans tuteur. Khamisa Sawadi a elle aussi fait les frais du cynisme et de la barbarie des autorités saoudiennes : cette femme de 75 ans à été condamnée à quarante coups de fouet et quatre mois de prison pour avoir été en contact avec des hommes. En mai dernier une femme a été interpellée alors qu’elle marchait dans un parc d’attraction avec un homme qui n’était ni son mari, ni de sa famille. Elle risque également de subir le fouet et la prison.

Ahmed Meguini

Israël : agression de Noa Raz

Noa Raz une, une jeune Israélienne de 30 ans est violemment prise à parti le 11 mai dernier, par un inconnu à un arrêt de bus, parce que son bras porte l’empreinte du Tefillin. Le Tefillin est un large lacet de cuire, bracelet d’une boîte contenant les Commandements sacrés. Les hommes ultra-orthdoxes de confession juives sont appelés, quotidiennement, à les enrouler autour du bras et de la tête. C'est une Mitsva, un Commandement pour les hommes et, selon l’interprétation, uniquement pour les hommes selon les «ultras » et pour tous les juifs(ves) selon les libéraux. C’est la première interprétation qui à valu à Noa de recevoir un coup de pied et de s’entendre qualifier « d’abomination » par un Haredim. Les Haredim, littéralement « craignant dieu » en hébreu sont ceux que l’on appelle les ul- tras-orthodoxes dont l’un des courant est le Hassidisme. Outre leur pratique integriste du judaïsme, les Haredim, n’hésitent pas à s’en prendre physique- ment aux « pécheurs » et plus particulièrement aux « pécheresses ». Une sorte de milice religieuse, gardienne des bonnes meurs et bien que n’ayant aucun pouvoir officiel, elle bénéficie néanmoins d’une certaine tolérance de la Justice Israélienne. Noa Raz a déposé une plainte auprès de la police qui dit avoir ouvert une enquête. Mais l’épisode du 11 mai dernier n’est malheureusement pas un acte isolé. En 2003 c’est la police qui avait retenu Nofat Frankel, arrêtée devant le Mur à Jérusalem parce qu’elle portait « le Talit » un châle de prière, lui aussi, selon

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les « ultras », réservé aux hommes. La police c’était alors appuyée sur une décision de la Cour suprême d’Israël : celle-ci considère que ces blasphèmes qui déclenchent les foudres des Haredim, comme « une menace pour l’ordre publique ». Nofat Frankel fait partie d’un groupe de femmes multiconfession- nel, qui se rendent tous les mois devant le Mur pour prier. Ce groupe fondé il y a 20 ans fait régulièrement, depuis sa création, l’objet d’agressions verbales et physiques. Pour Noa, contactée par Prochoix, pas question de se laisser intimider « Je pense que quelque chose doit être fait pour arrêter le harcèlement religieux en Israël. Il n'y a aucune raison pour que les pratiques religieuses soient dictées par les Ultra-orthodoxe. Je suis retourné prier devant le mur Dimanche der- nier et je n’ai eu aucun problème mais j’aimerais beaucoup que l’homme qui m’agressé soit arrêté ».

Ahmed Meguini

Bolivie : les conséquences de la "justice indigène".

Dernier avatar du retour des identités, la "justice indigène". En Equateur, la Constitution intègre désormais le retour aux tribunaux communautaires. Il s’est passé la même chose en Bolivie. La réforme d'août 1994 a commencé par reconnaître pour la première fois des droits spécifiques aux indigènes. On parle alors de "la nature multiéthnique et multiculturelle" de la Bolivie, du caractère de "peuple indigène". Mais aussi de bénéficier de droits collectifs sur les territoires communautaires d'origine avec application du droit coutumier. En 2009, la constitution reconnaît l’autonomie des autochtones. Les commu- nautés qui le désirent pourront désormais construire leurs propres institutions d'autogouvernement et de justice. Si une municipalité le décide elle peut se déclarer «autochtone» et instaurer des mécanismes politiques répondant aux désirs et aux coutumes des habitants. Dans le même temps, le 25 janvier 2009, 20 organisations de femmes indigènes ont déclaré que Victor Hugo Cárdenas (ex vice premier ministre d’origine indigène de 1993 à 1997) étaient des «trai- tres et des ennemis de leur propre lignée sanguine ». Comme « sentence », la communauté Omasuyos a décidé unilatéralement d’exproprier Cardenas et sa famille. Une famille qui a fini a l’hôpital. Suite à l’affaire, Evo Morales a déclaré "ce sont les affaires de la communauté et cela doit être résolu au sein de la communauté, en accord avec leurs us et coutumes)". Il faut dire que Cardenas critique le gouvernement. Grace à la constitution, si une personne est identifiée comme « indigène » par son groupe supposé, elle ne sera plus jugée par la justice de son pays mais par un tribunal communautaire. Sans avocat. Si un incident a lieu sur un territoire considérée comme appartenant à un groupe indigène, la justice sera faite par

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ce groupe. En clair, une zone de non droit. Fin mai, quatre policiers appar- tenant à l'unité de lutte contre les vols, accusés d'être des voleurs de voiture ont été lynchés par des indiens Quechuas. Après enquête, les policiers ont été innocentés. Qu’importe. Les lyncheurs ont refusé de dire ou ils avaient enterré les corps. Après de multiples tractations, les quechuas meurtriers ont accepté de rendre les corps à conditions que les familles des victimes signent un contrat renon- çant à toute action judiciaire. Pour les partisans de ces pratiques, cela permet "de nettoyer le corps et l'esprit". La notion de purification existe aussi dans les zones tribales du Pakistan ou les châtiments corporels sont considérés comme une purification Le 23 mai, en Equateur cette fois 2 hommes ont été immolés. Après avoir été attachés, pieds et mains liés, ils ont été arrosés d’essence puis brulés. Avec au moins 2105 affaires traitées l’année dernière en Equateur, et 80 châtiments corporels publics en Bolivie, les voix s’élèvent, enfin, contre ces déni de justice. Rafael Correa, le président équatorien. Celui-là même qui a tout fait pour inté- grer l’exception culturelle indienne a enfin déclaré, « Il va falloir réglementer ». Le procureur général équatorien qui n’avait rien trouvé à redire lorsque des indiennes avaient été kidnappés par d’autres indiens pour être flagellées pour mauvaises mœurs concède qu’ « Il y a un vide juridique concernant l'applica- tion de la justice indigène". Evo Morales lui, recule mais ne cède pas. Il propose l'adoption d'une loi qui établirait un distinguo entre la véritable justice des communautés indigènes et celle, plus aléatoire, des quartiers, où les châtiments seraient considérés comme des délits. Ce qui signifie que dans les villes, les indiens pourraient avoir recours à un avocat, et à la police pour les protéger mais les campagnes resteraient des zones de non droit. Reste une question : quelle différence avec la colonisation ? Fiammetta Venner

Protestation contre la maltraitance des enfants devant les am- bassades du Vatican

Appel de l'ILGA-Monde et d'Arcigay : Protestation mondiale contre la mal- traitance des enfants devant toutes les ambassades du Vatican ce samedi 24 avril 15h Rendez-vous Place de Tokyo avenue du Président Wilson 75016 Paris. Le 13 avril, le Secrétaire d'État du Vatican, le cardinal Tarcisio Bertone, a af- firmé qu'il existait un lien entre l'homosexualité et la pédophilie. Le mouve- ment LGBT dans le monde entier s'est élevé contre cet amalgame. Alors que par ces déclarations, le Vatican essaye de cacher la vérité sur les exactions commises contre des enfants, l'ILGA et le mouvement LGBT italien lancent un 132

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appel à tous les citoyens et aux associations du monde entier pour rejoindre la manifestation du 24 avril contre la maltraitance des enfants et pour le soutien des victimes. L'Inter-LGBT s'associe spontanément à ce mouvement et invite toutes les associations de lutte contre les discriminations et pour les droits humains, toutes les femmes et les hommes de toute religion, et les lesbiennes, les gays, les bi, et les trans à participer à un rassemblement proche de l'am- bassade du Vatican à Paris.

Agressions homophobes par l'extrême droite catholique :

Des lesbiennes, des gays et des trans ont été agressé-e-s verbalement et phy- siquement le 14 février 2010 sur le parvis de Notre-Dame par des extrémistes catholiques, à l'occasion du "kiss-in" organisé pour la Sain! t-Valentin à Paris. Les extrémistes ne supportaient pas que ces couples homosexuels... s'embras- sent. Huit victimes (cinq femmes, trois hommes, ayant toutes et tous moins de 25 ans) ont porté plainte. Aujourd'hui, SOS homophobie a appris que quatre des agresseurs présumés ont été formellement identifiés. Les prévenus passe- ront devant le tribunal correctionnel de Paris le 4 juin prochain. Les quatre prévenus comparaissent pour injures publiques envers un particu- lier en raison de son orientation sexuelle. L'un d'entre eux comparaît, en plus, pour violence aggravée. Il aurait agressé physiquement une des victimes, la jetant à terre et lui administrant plusieurs coups de pied et coups de poings. Les victimes, très choquées par l'agression, se disent soulagées que leur plain- te ait été prise en considération. SOS homophobie se félicite que l'affaire ait des suites, et est solidaire des plaignant-e-s, au rang desquel-le-s figure une membre active de l'! association. SOS homophobie attend de la justice qu'elle prononce des peines à la hauteur de la gravité de ces agressions gratuites.

Continuer la mobilisation pour Konstantina Kuneva

Konstantina Kuneva a quitté la Bulgarie en 2001 dans l’espoir que son fils, atteint d’une pathologie cardiaque grave, puisse avoir accès aux soins néces- saires en Grèce. Historienne de profession dans son pays d’origine, son par- cours l’avait conduite à travailler comme femme de ménage dans une société nettoyage. Comme souvent dans le secteur, cette société recourt en masse à une main d’oeuvre d’origine étrangère. Lundi 22 décembre 2008, Konstantina Kuneva a été sauvagement agressée alors qu’elle rejoignait son domicile après son travail. Deux hommes ont aspergé son visage d’acide sulfurique. Hospitalisée dans un état critique, elle est demeurée pendant plusieurs jours dans le coma et a perdu totalement l’usage d’un oeil, ne récupérant que partiellement la vision de l’autre oeil. Elle souffre également de lésions permanentes au niveau de ses

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cordes vocales, de l’oesophage et de l’estomac. Elle aurait été prise pour cible en raison de ses activités syndicales. La terri- ble agression de Konstantina Kuneva faisait suite à des tensions croissantes avec ses employeurs. Très engagée dans la défense des salariés, cette femme courageuse avait en effet critiqué à plusieurs reprises les pratiques sociales de son entreprise. Elle dénonçait en particulier les retards dans le paiement des salaires, le défaut de versement des cotisations sociales en faveur des employés, ainsi que les menaces et discriminations dont étaient victimes les travailleurs, et en particulier les travailleurs migrants, simplement pour avoir exigé le respect de leurs droits élémentaires. Son engagement lui a valu d’être nommé secrétaire générale du syndicat des agents de nettoyage et des employés de maison de la région de l’Attique. En raison de ses nouvelles responsabilités, elle s’était mise à recevoir des menaces téléphoniques anonymes. D’après son syndicat, les travailleurs qui tentent de faire valoir leurs droits font souvent l’objet de menaces et se voient affectés à de nouveaux postes offrant des conditions encore moins favora- bles. Une première enquête de police officielle a eu lieu, loin d’offrir toutes les garanties d’impartialité. Il semble que dans sa première phase, les enquê- teurs se soient contentés de mettre l’accent sur les détails de la vie privée de la victime en ignorant totalement l’éventualité que ses activités syndicales puissent constituer un mobile. Ensuite, elle n’a progressé que très lentement, négligeant ainsi de recueillir d’autres témoignages que celui de Konstantina ou de mener des investigations sur les lieux de l’agression. En mars 2009, suite a la mobilisation internationale, le cas de Konstantina Kuneva a connu un important rebondissement. Le Conseil des délits d’Athè- nes a ordonné la reprise de l’enquête sur l’attaque dont Konstantina Kuneva a été la victime. En janvier dernier, le ministre grec de la citoyenneté a reconnu que les en- quêteurs avaient sous-estimé la gravité de l’agression, faisant perdre un temps précieux dans l’identification des agresseurs. Pour cette raison, il a offert une prime de 1 million d’euros à toute personne pouvant aider à les retrouver. Malgré ces signes positifs, fin janvier 2010, le juge en charge du dossier a clos le complément d’enquête, affirmant qu’aucun nouvel élément n’avait pu être obtenu. Le risque d’un classement sans suite de l’affaire existe et il est important de maintenir la pression sur les autorités grecques pour que la procédure abou- tisse à la comparution en justice des agresseurs dans les meilleurs délais.

http://www.amnesty.fr/index.php/amnesty/agir/campagnes/personnes_en_ danger/actions/konstantina_kuneva/petition_kuneva

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Plainte contre une affiche du FN

J’ai demandé en fin de semaine dernière à plusieurs avocats d’étudier les possibilités qu’offre le droit français afin d’engager des poursuites judiciaires contre le Front National et contre son président Jean-Marie Le Pen. J’ai pris cette décision en réaction à la scandaleuse et inacceptable affiche de campa- gne rendue publique par ce parti extrémiste à la veille des Régionales 2010 et qui insulte toute personne d’origine algérienne ou franco-algérienne vivant en France tout en entretenant une suspicion à leur égard et en suscitant la haine et le rejet en leur direction. J’ai également alerté plusieurs associations antira- cistes afin qu’elles assument toutes leurs responsabilités républicaines. Cette énième provocation d’une formation qui se distingue depuis une tren- taine d’années par des positions racistes, antisémites et xénophobes doit être clairement dénoncée. Elle doit l’être d’autant plus aujourd’hui parce qu’elle repose sur des clichés et une image qui instrumentalisent de légitimes inquié- tudes quant à la présence, sur le territoire français, de l’idéologie islamiste que beaucoup de musulmans ou de Maghrébins de France et d’ailleurs ne cessent de condamner, est-il nécessaire de le rappeler, aux côtés de toutes les forces progressistes que compte ce pays. Beaucoup de féministes, d’intellectuels engagés et de militants laïques, d’ori- gine algérienne, de confession ou de tradition musulmane, abreuvés par l’esprit républicain et par les valeurs universelles, combattent en effet cette idéologie nihiliste, mais luttent de la même manière aussi contre les idées de Jean-Marie Le Pen et de ses amis. Pour ceux qui doutent de l’engagement de plusieurs personnes d’origine algérienne contre les discours rétrogrades de l’islamisme, je dirai à titre indicatif, qu’il y a certainement plus de musulmans, en général, qui se battent contre la barbarie intégriste qu’il n’y a eu – par le passé – de xénophobes français qui se sont élevés contre Pétain et le régime vichyste. Jean-Marie Le Pen et ses adeptes ne sont plus à une hypocrisie près et pré- tendent, toute honte bue, à travers cette affiche de campagne, vouloir com- battre l’islamisme alors qu’ils ne cessent de le nourrir. Voyons donc ! Le chef du FN qui n’hésite pas à aller faire la courbette au centre (islamiste - chiite) zahra, proche de l’Iran et de ses mollahs, est-il devenu ainsi, à l’en croire, en l’espace d’une échéance électorale, le chantre du combat anti-intégriste. Il est vrai que Le Pen et Ahmadinejad ont un point commun, ils défendent une seule «valeur commune» : tous deux honnissent les Juifs. Jean-Marie Le Pen ne cherche pas à combattre les islamistes. Foutaise ! Le Pen et son parti veulent combattre les musulmans, les Algériens, les Maghrébins, les étrangers, les Français d’origine étrangère. Ils veulent combattre l’honneur de la France, les principes fondateurs de la République et les valeurs de ce pays. Il feint d’ignorer aussi que beaucoup de personnes d’origine (ou de

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nationalité) algérienne, mais aussi beaucoup de Maghrébins (ou de Franco- Maghrébins) défendent les valeurs universelles incarnées par la République, cependant que lui et son parti ne cessent de les bafouer. Nous savons tous que le Front National compte dans ses rangs des intégristes catholiques. C’est d’ailleurs ce qui me fait rire quand j’entends le vieux gourou prononcer le mot « laïcité ». Mais Le Pen a d’autres comptes historiques à régler et notamment avec l’Algé- rie et les Algériens. Lui qui n’a jamais digéré l’indépendance de ce pays a des remontées gastriques à chaque fois qu’on lui montre le drapeau algérien ou qu’on lui parle des Algériens. Raison qui l’a poussé à l’évidence à utiliser pour son affiche, l’emblème de ce pays. Pour mieux stigmatiser les Algériens de France ou les Franco-Algériens notamment, les faisant passer pour des islamis- tes qui mettent en danger le territoire hexagonal ou pour des "envahisseurs" qui viseraient à le « coloniser » (Rien que cela !), il va jusqu’à plagier une affiche suisse et faire le coq devant les résidus de l’OAS, installés en PACA. Normal pour un parti qui manque terriblement d’imagination que d’aller faire du copier/coller chez les xénophobes du voisin helvétique et de convoquer l’histoire pour mieux susciter les passions et tenter d’entretenir les haines. Et comme il n’est plus à une contradiction près, le gourou du FN oublie que les Algériens et l’Algérie ont subi et résisté à l’islamisme et son pendant le ter- rorisme – surtout durant les années 1990 – quand sa vieille Europe « blanche » et « généreuse » accueillait à bras ouvert les tueurs du GIA et leurs idéologues du Front islamique du salut. À cette époque, Le Pen et ses amis n’étaient guère gênés par la présence de ceux qui, en réalité, leur permettent d’alimenter leurs discours nauséabonds. Le Front National – nous le savons tous – est à la dérive et il ne se fera aucune santé politique sur le dos de ceux qui combattent l’intégrisme alors que les positions des xénophobes et des racistes les nourrissent.

La condamnation doit être claire, unanime et sans ambigüité. Il y va de l’hon- neur des républicains sincères qui refusent que le débat sur l’islamisme soit récupéré par les racistes.

Mohamed Sifaoui http://www.mohamed-sifaoui.com

RESF : Najlae est de retour ! Et de quatre !

Tous les trois sont lycéens, marocains, sans papiers. Tous ont été expulsés, tous sont revenus, légalement, acclamés par leurs copains, leurs profs, les élus de leur ville et/ou de leur département, leurs voisins, des inconnus aussi, révoltés

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de ce que la loi française actuelle leur avait infligé. Manifestations, rassemble- ments, pétitions, campagnes de mails et de fax de protestation, souscriptions, contacts avec la presse et les personnalités, tous ont fait tant et si bien indivi- duellement et collectivement que les autorités ont cédé et autorisé leur retour. Taoufik, lycéen de Malakoff (92), expulse le 26 août 2008, revenu le 22 avril 2009, Mohamed Abourar, lycéen de Colombes (92) expulsé le 23 janvier et re- venu le 27 février, Salima, apprentie de Clermont-Ferrand expulsée le 4 février et revenue le 7 mars et enfin Najlae Lhimer, lycéenne d’Orléans. Taoufik, Mohamed, Salima seront à Orly samedi 13 mars à 11 heures avec des habitants et d’anciens élèves du collège de Château-Renard, des élèves des ly- cées de l'agglomération orléanaise, des enseignants, des voisins, des amis, des élus et des personnalités aussi, des militants du RESF pour accueillir Najlae dans les salons d’honneur de l’aéroport d’Orly, habituellement réservés aux ministres et aux chefs d’Etat. Musique, photographies et caméras, bouscula- des, rires et embrassades, une réception grandiose pour faire oublier un peu les conditions sordides de son expulsion. Elle sera accompagnée de Bayram Cyrak, de Chantal, Patricia et Xavier Parisot, la famille de cœur qu’elle a su se gagner et qui vont la chercher à Rabat. Il s’agira, évidemment, de fêter le retour de Najlae, de montrer par la présence de trois autres jeunes récemment expulsés et revenus que la société française n’accepte pas que l’on fasse des jeunes étrangers les victimes expiatoires de la démagogie gouvernementale. D’autres jeunes ont été expulsés et doivent pouvoir revenir. Mais surtout, il faut que la menace de l’expulsion cesse de pe- ser sur les milliers de jeunes, le plus, souvent scolarisés, que les aléas de leurs vies ont amenés en France, qui se sentent habitants de ce pays à part entière et sont considérés comme tels par tout le monde. La loi qui fait de leur avenir un incertain angoissant doit changer. Ils doivent être régularisés. Une conférence de presse sur la question des jeunes majeurs sans papiers sco- larisés sera donnée à la suite de la réception de Najlae avec la participation de Taoufik, Mohamed et Salima, et bien entendu de Najlae ainsi que des jeunes majeurs scolarisés menacés d’expulsion.

Voile, Bible et adolescence

Le 25 janvier 2010, Abby Sunderland, une jeune Américaine de 16 ans s’est engagée dans un tour du monde à la voile, en solitaire et sans assistance. Le "blogdei" qui, comme son nom l’indique, est un blog très conservateur, nous rapporte dans un billet daté du 2 juin, l’initiative de la jeune navigatrice, mais s'intéresse moins à l’exploit de l’adolescente ou à la législation américaine en matière de protection des mineurs, qu'au témoignage du père d’Abby. Celui- ci est un chrétien évangéliste qui explique faire appel à sa foi plutôt qu’a sa

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raison pour prendre ses décisions. Le témoignage du père d’Abigaïl: « Nous sommes des chrétiens nés de nou- veau et nos décisions ne sont pas basées sur nos sentiments ou même sur notre propre connaissance. Nous prions pour nos problèmes. Des convictions reçues dans la prière et les réponses aux prières nous ont conduit où nous en sommes dans notre campagne pour Abigaïl ainsi que pour toutes nos déci- sions. (…) Nous avons nos rêves et nos aspirations mais nous devons nous rappeler que le Seigneur contrôle tout. » oilà qui explique pourquoi cet homme a laissé sa fille de 16 ans affronter seule les vagues les plus dangereuses du monde... Or, moins d’une semaine après ce billet, Abby Sunderland a démâter. Elle est ensuite restée seule plusieurs jours à bord de son bateau chahuté par des vagues hautes comme des immeubles en attendant les secours. À qui le père d’Abby a-t-il alors fait appel ? Pour une fois il a dû juger plus efficace de s’en remettre à sa raison, en contactant les autorités américaines qui à leur tour ont demandés à l’Australie d’envoyer une équipe de recherche. C’est finalement le « Ile Kerguelen » un navire de pêche Français, qui a été dérouté pour repêcher la jeune fille. Sur le blog d’Abby, on peut lire les remerciements émus de son papa qui remercie la disponibilité de son député, l’efficacité et la réactivité des équipes Australienne et la générosité du navire Français. Devinez qui il a oublié de remercier ? Ahmed Meguini

La LICRA dénonce les propos de Gérard Longuet

Propos de Gérard Longuet ou comment promouvoir la discrimination Jeudi, 11 Mars 2010 La LICRA a découvert avec consternation les propos racistes et discriminatoires qu’a tenus hier Gérard Longuet à l’encontre de Malek Boutih concernant sa possible nomination à la présidence de la HALDE. Pour la LICRA, les propos M. Longuet témoignent d’une vision essentialiste et racialiste de notre société, honteuse et dangereuse pour un élu de la Républi- que. Son discours assigne de fait une partie de la population à être prisonnière de son origine, qu’elle soit réelle ou supposée. Le sénateur M. Longuet ne fait rien de plus que de réhabiliter en 2010, par ses déclarations, le statut révolu d’indigène au cœur de notre République, état conféré à tous ceux qui n’appartiendraient pas "au corps français traditionnel", ceux "extérieurs" à la communauté française. Malgré les explications et les excuses de M. Longuet cette récidive pour la LICRA ne doit pas rester sans suite au sein de l’UMP.

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n°12, n o v -d é c 1999, 36 p. N° 19, Hi v e r 2001, 36 p. Droit de choisir son pays La conférence de Durban

• Do s s i e r : Des sans-papières, des homos et transsexuels • Dossier : conférence de Durban : chronique d’une crise sans-papiers persécutés dans leurs pays se voient tou- annoncée ! jours refuser le droit d’asile en France • Le programme anti-choix de l’Alliance pour les droits de la vie de Chris- Pr i n t . 2002, 168 p. tine Boutin N° 20, Prostitution(s) et féminisme(s)

n°13, j a n v -f é v 2000, 36 p. • Do s s i e r : Suite du débat la double peine des prostitué/ Non au CAPES de Religion ! es et la reconnaissance légale de la prostitution • So- lidarité avec les femmes prostituées (Françoise Guille- • Do s s i e r : mise au concours du CAPES “réservé” de 43 mault) postes d’enseignement religieux en Alsace-Moselle • La pensée Levi-Strauss (Jeanne Favret-Saada) N° 21, Ét é 2002, 168 p. 21 avril / Harcèlement n° 14, m a i -j u i n 2000, 36 p. Les prolife, le Vatican et l’ONU • Dossier : Le harcèlement sexuel existe aussi en France • Somnolence de Foucault (Éric Fassin) • Amen : une • Dossier Pékin + 5 : le Saint-siège a convaincu les pays “juste” polémique ? (Jeanne Favret-Saada) les plus rétrogrades de faire front pour que la plate- forme n’intègre pas la lutte contre les “discriminations , Pr i n t . 2003, 156 p. liées à l’orientation sexuelle” et le droit à l’avortement N° 24 Veto à Sarkozy, Bush et JP II !

n°16, n o v -d é c 2000, 36 p. • Veto à la France de Sarkozy : “Quand la répression de- Le racisme chez les enfants vient l’horizon politique de la France” (Carole Cayssials & Samuel Katz) • Veto à l’Europe de Jean-Paul II : La • Do s s i e r : la réforme de l’IVG • “Comment le racisme religion n’a pas sa place dans la Constitution de l’Union vient aux enfants” par Paola Tabet européenne (Elfriede Harth)

n° 17, m a r s 2001, 44 p. N°28, Pr i n t e m p s 2004 La double peine des prostitué/es Gauche contre gauche

• Dossier : Faut-il accorder un statut aux prostitué-es ? • Do s s i e r : laïcité, islamisme, antisémitisme : que se • IVG : les analyses de Janine Mossuz-Lavau & Fiam- passe t-il à gauche ? • Voici venu le temps des fémin- metta Venner istes pro-voile (Leïla Acherar et Caroline Fourest)

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N° 30, Au t o m n e 2004 • Représentations et iconographies sur Mahomet depuis Epitre à Nicolas Sarkozy / Euthanasie le Moyen-Age à nos jours • Philippe de Villiers : vendéen et banalisateur du pire (Fi a m m e t t a Ve n n e r ) • Epître à Nicolas Sarkozy de la part d’une laïque ni “sec-

taire” ni “desespérée” (C. Fourest) • Droit de mourir , é t é 2006 dans la dignité : l’éternel non débat (Lola Devolder) N° 37 (épuisé) Une Pologne laïque ? • La laïcité en Pologne • L'homophobie, vice caché de la démocratisation turque (Ma r i e l l a , Hi v e r 2004 N° 31 Es v a n t ) • Les athées de l’islam. (épuisé) N° 38, Au t o m n e 2006 Rapport Machelon N° 32, Pr i n t e m p s 2005 Féminisme : année 2005 • Le rapport Machelon decrypté • Le débat sur le voile arrive en Angleterre (Ca r o l i n e Fo u r e s t ) • Manifeste pour un nouveau féminisme •Dossier : les (épuisé) centres d'accueil provie (épuisé) N° 39, Hi v e r 2007 : le Procès N° 33, é t é 2005 L'IVG : 30 ans après ? Le procès de Charlie Hebdo (Ca r o l i n e Fo u r e s t ) • Le ra- cisme anti-Noirs en sondage : Le sondage du CRAN (Fi a m - • Ayaan Hirsi Ali, l'insoumise (Ca r o l i n e Fo u r e s t ) • Avorte- m e t t a Ve n n e r ) • Entretien avec Patrick Lozès • Dire les ment et sida, le bilan de Jean-Paul II (Fi a m m e t t a Ve n n e r ) jeunes au Front national (Ma g a l i Bo u m a z a ) • Radiographie de France-échos (Ca r o l i n e Br a n c h e r ) • La scolarité des filles en Afghanistan (Ca r o l Ma n n )• L'Etat de droit N° 34, Au t o m n e 2005 face au dogmatisme intégriste (Je a n -Ma r i e Ki n t z l e r ) • Un L'Intégrisme est-il queer ? autre Iran existe (Ch a h l a Ch a f i q ) • Le mythe des origines à propos de la journée internationale des femmes (Liliane Paroles de jeunes filles voilées (Fl o r a Bo l t e r ) • Féminisme, Ka n d e l , Fr a n ç o i s e Pi c q ) le discours de la confusion volontaire (Li l i a n n e Ka n d e l ) N° 40, Et é 2007 N° 35, Hi v e r 2006 Vote et religion : pari réussi ? Prostitution. 3 ans de loi Sarkozy Le "tout sauf Sarkozy" a justifié trop de dérapages à Entretien avec l'association Grisélidis • Grow up (Didier gauche (Liliane Ka n d e l ) • Qui diabolise qui ? (C. Fo u r e s t ) Le s t r a d e ) • Irak : la place des femmes (Ni c o l a s De s s a u x ) • La vraie histoire du site "tout sauf Sarkozy" • (J.Y. (épuisé) Ca m u s ) • Réponse à J.Y. Ca m u s e t C. Fo u r e s t (L.Ka n d e l ) • Darfour : génocide, conflit ethno-religieux ou crise hu- manitaire ? (Ru dy Re i c h s ta d t ) • La liberté comme forme , Pr i n t e m p s 2006 N° 36 (Ca t h e r i n e Ki n t z l e r ) • La gauche et le piège de l'égalité Représenter le Prophète ? factice (Ar n a u l d Ch a m p r e m i e r -Tr i g a n o )

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• Attaques racistes contre Rachida Dati (Ca r o l i n e Fo u r e s t ) • Suisse : Christophe Blocher écarté (Vin- Br a n c h e r ) • Christine Boutin : le retour en grâce de la c e n t Ar ch e r ) • Hénin-Beaumont : Partie décisive pour Madonne des Yvelines (C. Fo u r e s t , F. Ve n n e r )• Nicolas le FN (La u r i e -An n e Pe c q u e u x ) • Accompagnement Sarkozy et le verouillage médiatique (Ju l i e Go u a z é ) • Le scolaire en voile : la HALDE se trompe (Na d i a Am i r i ) faux pari du vote communautaire et religieux (F. Ve n n e r ) • Des intellectuels au service de confessionnalisation • Malalai Joya, la passionaria de l'Afghanistan (Ca r o l (Fi amm e tta Ve n n e r ) Ma n n ) • Abus policiers, crise de la citoyenneté (Co l - l e c t i f ) • Raymond Barre : dernier acte (An n e Ga j o u r i ) , Pr i n t e m p s 2007 • Raymond Barre ou l’antisémitisme de droite (Pi e r r e N° 43 We i l l ) • L’intégralité de l’entretien Parole de sans-papières Fin de vie : affiner la loi (Gaëtan Gorce) • Certifiées vier- ges (Ca r o l i n e Fo u r e s t ) • Sans papiers et institutions: N° 41, a u t o m n e 2007 Paroles de sans papières ; (Cl a r a Do m i n g u e s , Cl a u d i e Laïcité : ne pas se tromper de combat Le s s e l i e r ) • Droit à l'avortement : nouveau bras de fer (Ca r o l i n e Br a n c h e r ) Entretien (Be r n a r d Gu e t t a ) • L'identité confessionnelle : une exacerbation artificielle Ne pas se tromper de combat (Ca r o l i n e Fo u r e s t ) • Le vrais inspirateurs du racisme anti-musul- (Fi a m m e t t a Ve n n e r ) mans (Ca r o l i n e Br a n c h e r ) • Pour une globalisation des combats (Be r n a r d Te p e r ) • L'affaire du gîte des Vosges (Mo h a m e d Si f a o u i ) • Hugo Chávez ou la tenta- , é t é 2007 tion totalitaire (Ru dy Re i c h s ta d t ) • Mouvements de femmes N° 44 de l’immigration en France (Cl a u d i e Le s s e l i e r ) • Sainte Mariage et virginité Ségolène, mère et martyre (Lo u i s e Vi n g t r a s ) • Contre le féminisme victimaire (Ca r o l i n e Fo u r e s t ) • • L'affaire de Lille entre passion et raison (Ca r o l i n e Le Cran, mouvement antiraciste ou "black bourgeoisie" Fo u r e s t ) • Quid du pubis en République ? (Na t h a l i e antisociale ? (Ma n u e l Bo u c h e r ) • Pologne : violation Ru b e l ) • Mariage, vérité, mensonge et annulation (Mi- des droits fondamentaux (Na t h a l i e Sz u c h e n d l e r ) c h e l Hu y e t t e ) • Affaire de Lille : le texte du jugement • Les " différences culturelles " peuvent-elles excuser • Durban : acte II • Le spectre de Durban II (Ca r o - le sexisme ? (Ja n i n e Bo o t h ) • Les mots de Brice Horte- l i n e Fo u r e s t ) • Comment mieux protéger les droits de feux (Ju l i e Go u a z é ) • Les intégristes catholiques belges l'homme (Philippe Ryfman) • L'ONU contre les droits de jouent et perdent (Na d i a Ge e r t s )r t s ) l'homme ? (Je a n -Cl a u d e Bu h r e r ) • Je et les autres : les discours de Sarkozy (Lo l a De v o l d e r ) • Gynécologie et planning familial : le fonds Simon (Pa u l i n e Ca i l l aud ) • Protection des sources : une loi bien illusoire (Em m a n u e l , Hi v e r 2008 Pi e r r a t ) • Sarkozy, l'Algérie et le passé colonial N° 42 (Le i l a Ba b è s ) • Internet : l'heure sécuritaire (Ca- Protégeons Ayaan Hirsi Ali r o l i n e Br a n c h e r ) • Que penser de Fitna ? (Ca r o l i n e Le manifeste des Insoumis-es Protégeons la liberté de Fo u r e s t ) • Face aux tempêtes de la "foi" : l'abri pensée. • L'Europe est en train de se suicider (Ay aa n de la laïcité (Ch a h l a Ch a f i q ) Hi r s i Al i ) • Fatwa sur le mariage interreligieux (Kha l i l Mo hamm e d ) • Taslima Nasreen en sursis (Mo r u n i Tu r l o t ) • La laïcité en Belgique : un concept schizophrène (Na d i a Ge e r t s ) • Le combat d'Alicja est notre combat (Ap p e l e u r o p é e n ) • Espa- gne : l'IVG en question (Al e x a n d r e La s s a l l e ) • Ni- colas Sarkozy ou l'esprit de 1905 en danger (Ca r o l i n e

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N° 46, Hi v e r 2009 Ch a f i q ) MLF : le mythe des origines N° 48, Au t o m n e 2006 • 2008 : l'inquiétante familiarité (Co l l ec t i f ) • MLF: L''école laïque menacée 1970, année zéro (Fr a n ç o i s e Pi c q ) • Le féminisme pour les nuls (Ca r o l i n e Fo u r e s t ) • "Antoinette Public-Privé : débat d’actualité (Eddy Kh a l d i ) • Com- Fouque a un petit côté sectaire" (Mi c h e l l e Pe r - ment défendre l’école publique ? (Ma r i e Pe r r e t ) • r o t ) • Cette boutique n'a rien d'obscur (An n e ) • Quand le prêtre formera l’instituteur (Ca r o l i n e Fo u r e s t ) L'héritage féministe détourné (De s f e m m e s d u MLF • L’accord France-Vatican (An n e De m e t z ) • Paradoxes n o n d é p o s é n i c o -f o n d é ) Généalogie • La règle du jeu iraniens (Ch a h l a Ch a f i q ) • L’ogre iranien (Da v i d Co r - (Ca t h y ) • La naissance d'une secte (Na dj a Ri n g a r t ) n u t ) • Homoparentalité(s) : du fait à la loi sans passer • Fragments d'un discours amoureux • 1979 : par l’ordre (Gu y Na g e l ) • La laïcité en Belgique (Na d i a l'Odysée de la marque (Ca s s a n d r e ) •Les nouveaux Ge e r t s ) • Riposte Laïque : analyse d’une stratégie (Ca- compagnons de route (Ma r i e -Jo Dh a v e r n a s ) •Un r o l i n e Br a n c h e r ) • Mères porteuses : le débat (Na t h a l i e messianisme génésique ? (Liliane Ka n d e l )•La Sz u c h e n d l e r ) • Verts-Bruns : la nouvelle extrême droite géni(t)alité des femmes •8 mars : visite au mau- (Ca r o l i n e Fo u r e s t )• Burqa et niqab : au-delà du solée du MLF (An n e t t e Lé vy -Wi l l a rd ) Monique Wit- masque une dépersonnalisation indifférenciée tig raconte... • Au delà de l'homophobie : la pyramide (Ca t h e r i n e Ki n t z l e r ) des valeurs (Ka t i a Gu i l l e r m e t , Gu y Na g e l ) • Les Eglises (épuisé) à l'assaut de l'Union européenne (Vé r o n i q u e d e Ke y s e r ) • SOS Education au secours de Darcos (Na t h a l i e Sz u c h e n - , Au t o m n e 2009 d l e r ) • Californie : la proposition 8 (Cl é m e n c e Oz e l ) N° 49 (épuisé) Voile intégral : le débat.

• Une vision qui n’est pas banale (Le ï l a Ba b è s ) • Quand N° 47, Pr i n t e m p s 2006 la religion devient sectaire (Do u n i a Bo u z a r ) • Pour lutter Durban II. Faut-il boycotter ? contre l’intégrisme, faut-il commencer par baisser les • Il faut se battre à Durban II (Ca r o l i n e Fo u r e s t ) bras ? (Ca t h e r i n e Ki n t z l e r ) • Légiférer sur le voile inté- •Entretien avec Malka Marcovich • Iran et Ho- locauste • Les incendiaires sud-africains, européens, gral, oui ! Au nom de la laïcité, non! (Ma r i e Pe r r e t ) • Un américains • Minorités religieuses invisibles (Ni- souvenir ... (El i s a b e t h Ba d i n t e r ) • Sortir de la citoyenneté c o l a s Cr e s p e l ) • Parler de la Charia ?• Méchants (Fi a m m e t t a Ve n n e r ) Brûlez la burqa ! (Ta r e k Fa t a h ) • L’”Is- survivants • Acheter sa liberté (SOS Es c l a v e s ) • lam light” selon Vincent Geisser (Ca r o l i n e Fo u r e s t ) • Une Les homos attendront (An n e He r m a n u s ) • Chasse pétition à l’aveuglette (El i s a b e t h Ro u d i n e s c o ) • Le CNRS aux homos au Sénégal • De terribles mensonges brûle-t-il ? (Mo h a m e d Si f a o u i ) • L’honneur d’un ingénieur ont fait des droits de l’homme un cauchemar général (Jo s e p h Il l a n d ) • M. Lindenberg nous ne sommes (Hi l l e l Ne u e r ) • Israël seul coupable ? • Les dalits pas des néocons (Mo h a m e d Si f a o u i ) • Le totalitarisme et ses oubliés • Les femmes dalits se mobilisent (Na ï k é inéluctables secousses telluriques (Al i Ch a k e r i ) • Belgique De s q u e s n e s ) • Au Bénin, exploiter ne se conjugue : la saga du voile à l”école (Na d i a Ge e r t s ) • Durban II : pas au passé (Da v i d Co r n u t ) • L’arithmétique des droits o ë l l e i s s de l’Homme (Ca r o l i n e Fo u r e s t ) •Khadafi donne le ton de ironies et contradictions (J F ) • Itinéraires d’Alain Durban II (Je a n -Cl a u d e Bu h r e r )• Se surveiller ou punir Soral (Jo n a t h a n Ha l i m i ) • Algérie-France : La mauvaise vue (Gu y Na g e l ) • Renaissance catholique (Fi a m m e t t a Ve n - (Sa ï d Sa d i ) • Oreslan : sponsor de l’ordre établi n e r ) • Charia au Nigéria (Ba o b a b ) • Le refus de la raison (Gu y Na g e l ) (Na d i a Ge e r t s )• La proposition 8... suite (Cl é m e n c e Oz e l ) •Iran : ces mensonges qui profitent au régime (Ch a h l a

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pcx 52.indd 142 24/06/10 9:02:19 ProChoix

La revue ProChoix réunit des chercheur/es, des étudiants et des journalistes souhaitant mettre en commun leur savoir- faire pour développer des outils d’investigation, d’information, de réflexion et d’action au service du Droit de Choisir.

Ce droit de choisir, nous l'entendons comme une articulation des luttes féministes, gaies et lesbiennes, antiracistes et anti- fascistes en vue de faire reculer les idées intégristes et essen- tialistes (notamment raciste, xénophobe, antisémite, sexiste ou homophobe), afin de développer une prise de conscience égali- taire, laïque et respectueuse des libertés individuelles.

Notamment :

- l’avortement libre et sans entraves, - l’égalité et la non discrimination, - le droit de vivre dans un environnement non pollué, - le droit de mourir dans la dignité, - toutes les libertés individuelles découlant du principe de laïcité.

http://www.prochoix.org

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pcx 52.indd 143 24/06/10 9:02:19 ProChoix Abonnez-vousn° 52 - juin 2010

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