N° 367 - Janvier 2019 - 40e année www.legipresse.com

LEGIPRESSEL’actualité du droit des médias et de la communication

Interview Éclairage sur la proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des éditeurs et agences de presse David Assouline, Sénateur (SOCR )

Chronique La liberté d’expression dans la tourmente numérique Compte rendu du Forum Légipresse du 7 octobre 2018 Agnès Granchet, maître de conférences à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2)

Cours et tribunaux La vie sexuelle du prophète de l’islam devant la Cour européenne des droits de l’homme Cour européenne des droits de l’homme, 25 octobre 2018 Lyn François, maître de conférences à l’Université de Limoges Exposition L’infamille : oui, l’article 16 du code civil est d’application directe ! Cour de cassation (1re civ.), 26 septembre 2018 Julien Couard, maître de conférences HDR

à la Faculté de Droit de Toulon - stock.adobe.com georgejmclittle Le droit de suite et la question préjudicielle Cour de cassation (Ass. plén.), 9 novembre 2018 Anne-Elisabeth Crédeville, conseiller doyen Fausse bonne nouvelle : honoraire à la Cour de cassation la loi du 22 décembre 2018 Décryptage L’encadrement de la promotion des denrées relative à la manipulation alimentaires par la loi EGAlim Fabien Honorat et Eric Andrieu, de l’information est parue avocats au Barreau de Paris p. 19

Chronique d’Emmanuel Dreyer, professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1) Synthèse DROITS DE LA PERSONNALITé (JANVIER 2018 - DECEMBRE 2018) Grégoire Loiseau, professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

LP367-JANVIER-2019.indd 1 27/01/2019 19:37 LA LIBERTÉ D’EXPRESSION EN EUROPE Regards sur douze ans de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (2006-2017)

Une analyse thématique et Une étude délibérément guidée par des critères pratique tenant à l’utilité des solutions retenues par la Cour de Strasbourg dans le cadre de la pratique judiciaire française. Car tout praticien doit avoir une connaissance aiguë de la jurisprudence de la Cour européenne en la matière.

La loi du 29 juillet 1881, tout comme les règles protégeant les droits de la personnalité ou régissant l’utilisation des données personnelles, ne peuvent plus être appréciées aujourd’hui indépendamment de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme qui proclame la liberté d’expression et détermine les conditions dans lesquelles celle-ci peut être restreinte.

L’auteur livre dans cet ouvrage une analyse thématique de 170 décisions rendues au visa de l’article 10 par la Cour européenne des droits de l’homme, entre 2006 et  n 20017.

Sont ici analysées : la protection des moyens d’accès à l’information, les limites de la liberté d’expression selon les modes d’expression (humoristique, politique, syndicale, des professionnels de la justice, création littéraire et artistique...) et l’objet de l’expression (discours de haine, débat historique, droits de la personnalité, données non contratuelle Photo personnelles...), et en n la proportionnalité des sanctions.

Christophe Bigot est avocat au barreau de Paris, membre des comités éditoriaux des revues Légipresse et Légicom, et auteur de nombreux articles consacrés au 22 € (Hors frais de port de 3 €) droit de la presse dans des revues de référence. En savoir plus : www.legipresse.com  ISBN : 979-10-97441-03-6 / 184 pages / Format : 15 x 21 cm Parution : JUIN 2018 – Disponible en librairie  À adresser à : Editions Dalloz, Service Administration des Ventes Directes, 80 Avenue de la Marne, 92541 Montrouge Cedex - BON DE COMMANDE Email : [email protected] - Tél. : 01 40 92 20 85

 Je souhaite recevoir l’ouvrage La liberté d’expression en Europe au prix de 22 € TTC (ISBN : 979-10-97441-03-6 ) + 3 € (frais de port et d’envoi) soit un total de 25 € TTC Remplir le formulaire ci-dessous ou joindre votre carte de visite Mode de règlement : Nom, prénom ......  Chèque bancaire ou postal (à l’ordre de Dalloz) Fonction ......  Carte bancaire  Visa  Eurocard  Mastercard Service ...... N° └─┴─┴─┴─┘└─┴─┴─┴─┘└─┴─┴─┴─┘└─┴─┴─┴─┘ Organisme, société ...... Expire  n └─┴─┘└─┴─┘ Adresse ......  Mandat administratif. Virement à effectuer sur le compte IBAN n° FR 76 3000 4013 2800 01 16 2303 004 ...... Code postal – Ville ...... * T.V.A. : 5,5 % – Tarifs 2019 Tél. : ......

A : ...... LE : ...... E-mail : ...... Date, signature/cachet obligatoire (Afi n d’améliorer l’ensemble des services liés à la gestion de votre commande, merci de nous indiquer votre courriel)

Les informations recueillies par Editions DALLOZ à partir de ce formulaire font l’objet d’un traitement informatique destiné à la gestion des demandes, commandes et abonnements, et à la constitution d’un fi chier clientèle à des fi ns de prospection commerciale en conformité avec vos centres d’intérêt. Conformément à la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifi ée, vous disposez d’un droit d’accès, de rectifi cation, RÉSERVÉ À L’ADMINISTRATION : de portabilité, d’effacement ou de limitation du traitement de vos données. Vous pouvez vous opposer au traitement des données vous concernant et disposez du droit de retirer votre consentement à tout moment en N° D’ENGAGEMENT ...... N° DE SIRET ...... vous adressant à : [email protected]. Pour connaitre et exercer vos droits, veuillez consulter SERVICE CONCERNÉ ...... notre Politique de confi dentialité sur www.editions-dalloz.fr - RCS PARIS 572 195550.

PUB-Liberte-Bigot-A4.inddLP367-JANVIER-2019.indd 1 2 25/01/201927/01/2019 12:1219:37 LA LIBERTÉ D’EXPRESSION EN EUROPE Regards sur douze ans de jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (2006-2017) Edito

Une analyse Beaucoup de bruit thématique et Une étude délibérément guidée par des critères pratique pour pas grand-chose tenant à l’utilité des solutions retenues par la Cour de Strasbourg dans le cadre de la pratique judiciaire C’était une volonté personnelle du président de la République, heurté française. Car tout praticien doit avoir une connaissance qu’il avait été par les rumeurs circulant, peu de temps avant son élection, aiguë de la jurisprudence de la Cour européenne en la matière. sur l’existence de prétendus comptes offshore. La loi du 29 juillet 1881, tout comme les règles protégeant les droits de la Aussitôt déposé, le projet de loi s’est confronté à de nombreuses oppo- personnalité ou régissant l’utilisation des données personnelles, ne peuvent plus sitions. Le Sénat lui-même a refusé, à deux reprises, de l’examiner, ce être appréciées aujourd’hui indépendamment de l’article 10 de la Convention qui est très rare dans l’histoire républicaine. Finalement, la loi est passée, européenne des droits de l’homme qui proclame la liberté d’expression et détermine les conditions dans lesquelles celle-ci peut être restreinte. et le Conseil constitutionnel, sous certaines réserves, l’a validée. Pourtant, et contrairement à l’idée reçue depuis par le grand public L’auteur livre dans cet ouvrage une analyse thématique de 170 décisions rendues au visa de l’article 10 par la Cour européenne des droits de l’homme, entre 2006 selon laquelle il serait désormais interdit de diffuser des fake news, la loi nouvelle ne change et  n 20017. sans doute rien à la situation antérieure. Les fausses nouvelles restent punissables, au visa de l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881, si la nouvelle est fausse, publiée de mauvaise foi et Sont ici analysées : la protection des moyens d’accès à l’information, les limites « susceptible de troubler la paix publique ». Quant au montage d’images, il reste punissable par de la liberté d’expression selon les modes d’expression (humoristique, politique, les dispositions de l’article 226-4 du code pénal. syndicale, des professionnels de la justice, création littéraire et artistique...) et l’objet de l’expression (discours de haine, débat historique, droits de la personnalité, données non contratuelle Photo La loi nouvelle n’incrimine la diffusion de « fausses informations » qu’en période électorale, personnelles...), et en n la proportionnalité des sanctions. c’est-à-dire pendant les trois mois qui précèdent une élection nationale. Sont visées « les allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du Christophe Bigot est avocat au barreau de Paris, membre des comités éditoriaux des revues Légipresse et Légicom, et auteur de nombreux articles consacrés au 22 € (Hors frais de port de 3 €) scrutin ». Ceux qui viendront s’en plaindre (a priori les candidats et partis politiques) pourront droit de la presse dans des revues de référence. En savoir plus : www.legipresse.com  saisir le juge des référés, pour en faire cesser la diffusion. ISBN : 979-10-97441-03-6 / 184 pages / Format : 15 x 21 cm Le Conseil constitutionnel, conscient des contours incertains de cette définition, a ajouté Parution : JUIN 2018 – Disponible en librairie que ne pouvaient être concernées « ni les opinions, ni les parodies, ni les inexactitudes partielles ou les simples exagérations » et que ne pourront être poursuivies que les informations « dont  il est possible de démontrer la fausseté de manière objective ». Enfin, au-delà du « caractère À adresser à : Editions Dalloz, Service Administration des Ventes Directes, 80 Avenue de la Marne, 92541 Montrouge Cedex - inexact ou manifestement trompeur », le juge constitutionnel impose que soit tout autant BON DE COMMANDE Email : [email protected] - Tél. : 01 40 92 20 85 manifeste, « le risque d’altération de la sincérité du scrutin ». Toutes ces conditions, ajoutées à celles cumulatives de la loi qui prévoit que la nouvelle doit  Je souhaite recevoir l’ouvrage La liberté d’expression en Europe au prix de 22 € TTC (ISBN : 979-10-97441-03-6 ) être « artificielle ou automatisée, massive et délibérée », ne laissent pas de s’interroger sur son + 3 € (frais de port et d’envoi) soit un total de 25 € TTC effectivité. Remplir le formulaire ci-dessous ou joindre votre carte de visite Mode de règlement : On en doute d’autant plus, lorsqu’on considère le très faible nombre de poursuites en diffa- Nom, prénom ...... mation initiées suivant la procédure accélérée de la période électorale prévue par la loi du  Chèque bancaire ou postal (à l’ordre de Dalloz) 29 juillet 1881, qui offre la possibilité à un candidat diffamé de saisir le juge pénal qui doit Fonction ......  Carte bancaire  Visa  Eurocard  Mastercard se prononcer dans les 48 heures. Service ...... N° └─┴─┴─┴─┘└─┴─┴─┴─┘└─┴─┴─┴─┘└─┴─┴─┴─┘ En réalité, les principaux apports de la loi sont ailleurs : d’une part, le nouveau pouvoir dévo- Organisme, société ...... lu au CSA de résilier l’autorisation donnée à une chaîne de télévision lorsqu’elle « porte atteinte Expire  n └─┴─┘└─┴─┘ Adresse ...... aux intérêts fondamentaux de la Nation, par la diffusion de fausses informations », et d’autre  Mandat administratif. Virement à effectuer sur le compte IBAN n° FR 76 3000 4013 2800 01 16 2303 004 ...... part, surtout, l’obligation faite aux grandes plateformes, de permettre aux utilisateurs d’iden- Code postal – Ville ...... tifier les contenus sponsorisés et les publicités politiques qu’elles peuvent diffuser contre * T.V.A. : 5,5 % – Tarifs 2019 rémunération. Il s’agit d’une règle qui existe déjà pour les médias classiques, qui impose qu’on Tél. : ...... identifie la publicité et le publi-rédactionnel, pour les distinguer des contenus rédactionnels. E-mail : ...... A : ...... LE : ...... La loi dite sur les fake news s’avère ainsi, en définitive, ne pas les concerner… Date, signature/cachet obligatoire (Afi n d’améliorer l’ensemble des services liés à la gestion de votre commande, merci de nous indiquer votre courriel)

Les informations recueillies par Editions DALLOZ à partir de ce formulaire font l’objet d’un traitement Basile ADER informatique destiné à la gestion des demandes, commandes et abonnements, et à la constitution d’un fi chier Directeur de rédaction clientèle à des fi ns de prospection commerciale en conformité avec vos centres d’intérêt. Conformément à la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifi ée, vous disposez d’un droit d’accès, de rectifi cation, RÉSERVÉ À L’ADMINISTRATION : de portabilité, d’effacement ou de limitation du traitement de vos données. Vous pouvez vous opposer au traitement des données vous concernant et disposez du droit de retirer votre consentement à tout moment en N° D’ENGAGEMENT ...... N° DE SIRET ...... vous adressant à : [email protected]. Pour connaitre et exercer vos droits, veuillez consulter SERVICE CONCERNÉ ...... notre Politique de confi dentialité sur www.editions-dalloz.fr - RCS PARIS 572 195550. LÉGIPRESSE n° 367 - Janvier 2019 1

PUB-Liberte-Bigot-A4.indd 1 25/01/2019 12:12 LP367-JANVIER-2019.indd 1 27/01/2019 19:37 Index

AUDIOVISUEL DROITS VOISINS PROVOCATION p. 1 Edito ■■ Le Conseil d’État confirme la sanction infligée ■■ Éclairage sur la proposition de loi tendant ■■ Les paroles de la chanson de rap « Nique la France » Beaucoup de bruit pour pas grand-chose par le CSA à après la diffusion à créer un droit voisin au profit des éditeurs ne contiennent aucun appel ni exhortation à la Basile Ader, avocat au Barreau de Paris, directeur de la rédaction de propos discriminatoires à l’antenne...... p. 7 et agences de presse...... p. 4 discrimination ou à la haine ...... p. 13 Conseil d’État (5e et 6e ch. réunies), 17 décembre 2018 Interview de David Assouline Cour de cassation (ch. crim.), 11 décembre 2018 ■■ Le retrait, par le CSA, du mandat du président ■■ Relaxe d’Éric Zemmour, poursuivi pour ses propos Actualité INJURE de Radio France confirmé par le Conseil d’État...... p. 7 tenus au journal Corriere della Serra ...... p. 14 p. 4 Interview Conseil d’État (5e ch.), 14 décembre 2018 ■■ Condamnation d’ pour avoir CA de Paris (pôle 2 – ch. 7), 29 novembre 2018 qualifié les personnes « transgenres » de « vicieux »...... p. 11 Éclairage sur la proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit ■■ AffairePlaymédia : la CJUE répond aux Paris (pôle 2 – ch. 7), 12 décembre 2018 PUBLICITÉ des éditeurs et agences de presse questions préjudicielles du Conseil d’État sur le « must carry »...... p. 7 ■■ Publication d’un photomontage visant un homme ■■ Est licite la diffusion sur internet de messages David Assouline, Sénateur (SOCR Paris) CJUE (4e ch.), 13 décembre 2018 politique relevant du droit à l’humour...... p. 11 publicitaires en faveur de la bière Grimbergen portant p. 5 Flash Textes en préparation et parus, faits marquants, réglementation professionnelle… Paris (pôle 2 – ch. 7), 11 octobre 2018 sur l’origine et la composition du produit ...... p. 14 DÉNIGREMENT Paris (pôle 2 – ch. 2), 13 décembre 2018 p. 7 Jurisprudence Sommaire des décisions sélectionnées LIBERTE D’EXPRESSION ■■ Un éditeur de presse qui diffuse une information ■■ L’encadrement de la promotion des denrées p. 18 Médiathèque Ouvrages, rapports officiels, thèses soutenues… dénigrante sur un produit, sans avoir vérifié ■■ Fausse bonne nouvelle : la loi du alimentaires par la loi EGAlim...... p. 57 préalablement les faits, engage sa responsabilité ...... p. 8 22 décembre 2018 relative à la manipulation Décryptage de Fabien Honorat et Eric Andrieu Cour de cassation (1re ch. civ.), 12 décembre 2018 de l’information est parue...... p. 19 Chroniques & opinions Chronique d’Emmanuel Dreyer RACISME p. 19 Fausse bonne nouvelle : la loi du 22 décembre 2018 relative à la manipulation DIFFAMATION ■■ La liberté d’expression dans la tourmente ■■ Dessin représentant une femme en guêpière, ■■ Annulation de la condamnation de Maître Eolas numérique...... p. 34 avec des étoiles de David, à l’entrée d’un camp de l’information est parue en raison de tweet injurieux ...... p. 9 Compte rendu du Forum Légipresse de concentration : le délit de diffamation raciale Emmanuel Dreyer, professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1) Cour de cassation (ch. crim.), 8 janvier 2019 du 7 octobre 2018, par Agnès Granchet est caractérisé...... p. 15 p. 34 La liberté d’expression dans la tourmente numérique Paris (pôle 2 – ch. 7), 13 décembre 2018 ■■ Bonne foi retenue pour la publication d’un article ■■ La vie sexuelle du prophète de l’islam devant Compte rendu du Forum Légipresse du 7 octobre 2018 relatif à l’affaire Bygmalion comportant des propos la Cour européenne des droits de l’homme...... p. 40 SECRET DE L’INSCRUCTION Agnès Granchet, maître de conférences à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2) à caractère diffamatoire...... p. 9 Commentaire de Lyn François s Paris (pôle 2 – ch. 7), 19 décembre 2018 ous CEDH, 25 octobre 2018 ■■ Une perquisition réalisée en présence de journalistes est déclarée nulle ����������������������������������������������������������p. 15 ■■ Les juges ne sont pas tenus par l’interprétation ■■ Exposition l’Infamille : oui, l’article 16 Cour de cassation (ch. crim.), 9 janvier 2019 Cours & tribunaux de la signification diffamatoire des propos incriminés du Code civil est d’application directe !...... p. 44 proposée par l’acte initial de poursuite ...... p. 9 Commentaire de Julien Couard sous p. 40 La vie sexuelle du prophète de l’islam devant la Cour européenne STATUT PROFESSIONNEL Cour de cassation (ch. crim.), 11 décembre 2018 Cour de cassation (1re ch. civ.), 26 septembre 2018 des droits de l’homme ■■ La Commission arbitrale désignée à l’article Cour européenne des droits de l’homme, 25 octobre 2018, E. S. c/ Autriche DROIT D’AUTEUR NéGATIONNISME L. 7112-4 du code du travail est compétente pour statuer sur l’indemnité de licenciement Lyn François, maître de Conférences à l’Université de Limoges ■■ Le droit de suite et la question préjudicielle...... p. 49 ■■ L’emploi de l’expression « épisode mineur » d’un journaliste d’une agence de presse...... p. 16 (OMIJ-CRED EA 3177) Commentaire d’Anne-Elisabeth Crédeville sous à propos de la rafle du Vél d’Hiv caractérise le délit Paris (pôle 1 – ch. 1), 4 décembre 2018 Cour de cassation (Ass. plén.), 9 novembre 2018 de contestation de crimes contre l’humanité ...... p. 12 p. 44 Exposition L’infamille : oui, l’article 16 du code civil est d’application directe ! Paris (pôle 2 – ch. 7), 12 décembre 2018 ■■ Statut de journaliste et indépendance Cour de cassation (1re civ.), 26 septembre 2018, AGRIF c/ FRAC de Lorraine DROIT ÉCONOMIQUE éditoriale d’une revue ...... p. 16 PROCÉDURE Versailles (17e ch.), 12 septembre 2018 Julien Couard, maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Toulon - ■■ La réglementation limitant la revente de tickets Membre du CDPC, UMR CNRS 7318 DICE de spectacle est conforme à la Constitution...... p. 10 ■■ Impossibilité pour un État étranger d’agir sur VIE PRIVÉE Conseil constitutionnel (QPC), 14 décembre 2018 le fondement de la diffamation publique : la Cour p. 49 Le droit de suite et la question préjudicielle ...... ■■ Le fait de relayer une information sur la prétendue ■■ Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances de cassation ne transmet pas la QPC p. 12 Cour de cassation (Ass. plén.), 9 novembre 2018 – Société Christie’s France c/ SNA Cour de cassation (Ass. plén.), 17 décembre 2018 relation sentimentale entre Laeticia Hallyday et pour 2019 : les incidences en droit des médias...... p. 53 Anne-Elisabeth Crédeville, conseiller doyen honoraire à la Cour de cassation l’ancien manager du chanteur ne relève pas du Décryptage d’Emmanuel Derieux ■■ Citation déclarée conforme aux dispositions débat d’intérêt général ...... p. 16 de l’article 53 de la loi sur la presse ...... p. 12 TGI de Paris (ord. réf.), 26 octobre 2018 DROIT À L’IMAGE Paris (pôle 2 – ch. 7), 15 novembre 2018 ■■ Atteinte à la vie privée de la sœur d’une victime Textes et documents ■■ L’interdiction faite à un quotidien de publier ■■ Il appartient au tribunal de police d’apprécier en raison de la publication dans un magazine o la photo d’une célébrité en détention provisoire si les propos revêtent ou non un caractère public p. 53 Loi n 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 : d’un cliché représentant son corps gisant...... p. 17 n’a pas violé l’article 10 de la Conv. EDH...... p. 10 avant de se prononcer sur sa compétence ...... p. 13 les incidences en droit des médias TGI de Nanterre (ord. réf.), 18 octobre 2018 Cour EDH (5e sect.), 10 janvier 2019 Cour de cassation (ch. crim.), 11 décembre 2018 Emmanuel Derieux, professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2) ■■ Droits de la personnalité (Janvier 2018 - Décembre 2018)...... p. 60 p. 57 L’encadrement de la promotion des denrées alimentaires par la loi EGAlim Synthèse de Grégoire Loiseau Fabien Honorat et Eric Andrieu, avocats au Barreau de Paris

Erratum Synthèse Dans le numéro 366 de Légipresse de décembre 2018, était annoncée en page de couverture la publication, en rubrique « Textes et documents », d’extraits du p. 60 Droits de la personnalité (Janvier 2018 - Décembre 2018) rapport sur les conséquences pour la propriété littéraire et artistique de l’avènement des notions de données et de contenus numériques, présenté au Conseil Grégoire Loiseau, professeur à l’École de droit de la Sorbonne supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) le 11 octobre 2018. Il convient de préciser que ce rapport a été établi par Madame Valérie-Laure Benabou, présidente, en collaboration avec Madame Célia Zolynski, et Monsieur Laurent Cytermann, rapporteur. (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

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La photocopie tue la presse ! Reproduction interdite sans l’autorisation de l’éditeur ou du Cfc (Centre français du droit de copie) - Tél. : 01 44 07 47 70 – fax : MODE DE RÉFÉRENCEMENT : Légipresse, n°x, p. xxx 01 46 34 67 19 Les textes et commentaires publiés dans nos pages n’engagent que leurs auteurs. NOS LECTEURS PUBLIENT Vous pouvez soumettre au comité de rédaction, pour publication dans Légipresse, vos projets de tribune, chronique ou commentaire de jurisprudence en les adressant à : [email protected]. En soumettant votre texte, vous vous 2 LÉGIPRESSE n° 367 - Janvier 2019 engagez à ne pas le proposer à un autre éditeur, le temps de son examen par le comité de rédaction, celui-ci ne pouvant excéder un mois.

LP367-JANVIER-2019.indd 2 27/01/2019 19:37 LEGIPRESSE L’actualité du droit des médias N° 367 - Janvier 2019 et de la communication Sommaire Fondé en 1979 www.legipresse.com

p. 1 Edito Fondateur : Manuel MOLINA Beaucoup de bruit pour pas grand-chose COMITÉ DE RÉDACTION

Basile Ader, avocat au Barreau de Paris, directeur de la rédaction n Basile ADER Directeur de la rédaction Avocat au Barreau de Paris Actualité n Emmanuel DERIEUX p. 4 Interview Conseiller de la rédaction Éclairage sur la proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit Professeur à l’Université de Paris II des éditeurs et agences de presse n Éric Andrieu Avocat au Barreau de Paris David Assouline, Sénateur (SOCR Paris) n Christophe BIGOT p. 5 Flash Textes en préparation et parus, faits marquants, réglementation professionnelle… Avocat au Barreau de Paris n Nicolas BONNAL p. 7 Jurisprudence Sommaire des décisions sélectionnées Conseiller à la Cour de cassation p. 18 Médiathèque Ouvrages, rapports officiels, thèses soutenues… n Charles-Henry DUBAIL Président de la Commission juridique et fiscale de laF nps n Pierre-Yves GAUTIER Chroniques & opinions Professeur à l’Université Panthéon-Assas p. 19 Fausse bonne nouvelle : la loi du 22 décembre 2018 relative à la manipulation n Frédéric GRAS de l’information est parue Avocat au Barreau de Paris Emmanuel Dreyer, professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1) n Nathalie MALLET-POUJOL Directrice de recherche au Cnrs p. 34 La liberté d’expression dans la tourmente numérique n Thomas RONDEAU Compte rendu du Forum Légipresse du 7 octobre 2018 Président de la 17e chambre, TGI de Paris Agnès Granchet, maître de conférences à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2) n Anne-Marie SAUTERAUD Présidente du pôle 2, chambre 7, cour d’appel de Paris n Grégoire WEIGEL Cours & tribunaux Avocat au Barreau de Paris p. 40 La vie sexuelle du prophète de l’islam devant la Cour européenne Directeur de la publication : des droits de l’homme Philippe Déroche Cour européenne des droits de l’homme, 25 octobre 2018, E. S. c/ Autriche Rédactrice en chef : Amélie BLOCMAN Lyn François, maître de Conférences à l’Université de Limoges [email protected] – 01 40 64 12 69 (OMIJ-CRED EA 3177) Rédactrice : Claire LAMY Rédacteur en chef technique : p. 44 Exposition L’infamille : oui, l’article 16 du code civil est d’application directe ! Raphaël HENRIQUES Cour de cassation (1re civ.), 26 septembre 2018, AGRIF c/ FRAC de Lorraine Première secrétaire de rédaction : Julien Couard, maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Toulon - Véronique THILL Membre du CDPC, UMR CNRS 7318 DICE ABONNEMENTS ET VENTE p. 49 Le droit de suite et la question préjudicielle Tél. : 01 40 92 20 85 80 avenue de la Marne - 92546 Montrouge Cedex Cour de cassation (Ass. plén.), 9 novembre 2018 – Société Christie’s France c/ SNA Mail : [email protected] Anne-Elisabeth Crédeville, conseiller doyen honoraire à la Cour de cassation Abonnement annuel (11 nos + l’accès à la base documentaire en ligne + feuilletage + E-newsletter) : 491 € TTC (France métropolitaine) Textes et documents Le n° : 43 € TTC Numéro Cppap : 1219 T 82970 p. 53 Loi no 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 : Issn : 0751-9478 les incidences en droit des médias Légipresse est une publication Éditions Dalloz Société par actions simplifiée au capital Emmanuel Derieux, professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2) de 3 956 040 euros Siège social : 31-35 rue Froidevaux - p. 57 L’encadrement de la promotion des denrées alimentaires par la loi EGAlim 75685 Paris Cedex 14 Fabien Honorat et Eric Andrieu, avocats au Barreau de Paris RCS PARIS 572 195 550 - Siret 572 195 550 00098 Code APE : 5811Z - TVA : FR 69 572 195 550 Filiale des éditions Lebebvre-Sarrut Synthèse Dépôt légal : Janvier 2019 La reproduction, même partielle de tout p. 60 Droits de la personnalité (Janvier 2018 - Décembre 2018) élément publié dans la revue est interdite. Grégoire Loiseau, professeur à l’École de droit de la Sorbonne Membre de (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) Impression DIGITAPRINT Imprimerie de l’Avesnois 59440 Avesnes-sur-Helpe

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LP367-JANVIER-2019.indd 3 27/01/2019 19:37 Actualité interview Éclairage sur la proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des éditeurs et agences de presse La Commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a adopté le 16 janvier 2019, à l’unanimité, la proposition de loi tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, soumettant à l’autorisation de ces derniers « la reproduction et la communication au public » des textes, images, photos, vidéos qui ont fait l’objet d’un traitement journalistique grâce à des autorisations collectives attribuées par une société de perception et répartition des droits. David Assouline (SOCR Paris), à l’initiative du texte, revient sur ses principales dispositions avant son examen en séance publique au Sénat le 24 janvier, alors que les négociations à Bruxelles sur la réforme du droit d’auteur s’enlisent.

1. La commission de la Culture du Sénat a adop- 3. La liste des redevables au titre des droits té une version modifiée de la notion de « publi- voisins a également été élargie. Les réseaux cation de presse ». Que recoupe cette notion ? sociaux seront-ils concernés ? La volonté de la Commission de la culture a été de Oui, la commission a adopté à mon initiative un se rapprocher le plus possible du texte en discussion amendement à l’article 3 qui vise dans leur en- au niveau européen, pour permettre le cas échéant semble les services de communication au public une transposition rapide. La notion de publication en ligne, ce qui renvoie à l’article 1er de loi pour de presse est issue du considérant 33 du projet de la confiance dans l’économie numérique du 21 juin directive adopté par le Parlement européen le 2004. Les moteurs de recherche et les réseaux 12 septembre dernier, dont voici les termes : David Assouline sociaux sont bien compris dans cette définition. « (33) Aux fins de la présente directive, il est nécessaire Sénateur (SOCR Paris) de définir la notion de publication de presse de manière 4. L’adhésion aux sociétés chargées de recouvrer à couvrir uniquement les publications journalistiques, diffusées par les droits doit-elle être obligatoire ? un prestataire de services, périodiquement ou régulièrement actua- Pour l’instant, il ne nous paraît pas pertinent de contraindre les lisées sur tout support, à des fins d’information ou de divertissement. professionnels à adhérer à une société de gestion. Les cas d’adhé- Ces publications pourraient inclure, par exemple, des journaux sion obligatoire sont rares en droit français, et correspondent plutôt quotidiens, des magazines hebdomadaires ou mensuels généralistes à des situations où l’auteur n’est pas en situation matérielle de ou spécialisés, et des sites internet d’information. Les publications défendre ses intérêts, comme dans le cas de la copie privée. Dès périodiques qui sont diffusées à des fins scientifiques ou universitaires, lors, l’adhésion est à ce stade facultative. Il n’en reste pas moins que telles que les revues scientifiques, ne devraient pas être couvertes je souhaite vivement que tous les éditeurs et les agences de presse par la protection accordée aux publications de presse en vertu de adhèrent à ces sociétés, voire à une seule société pour instaurer un la présente directive. Cette protection ne s’étend pas aux actes de rapport de force favorable face aux géants de l’internet. création de liens hypertextes. Cette protection ne s’étend pas non plus aux informations factuelles qui sont reprises dans des articles 5. Vous avez proposé que la durée des droits patrimoniaux journalistiques issus d’une publication de presse, et elle n’empêche des éditeurs et agences de presse soit fixée à vingt ans. Le dès lors personne de rapporter ces informations factuelles. » projet de directive actuellement en discussion à Bruxelles a pour sa part retenu une durée de cinq années, qui est égale- 2. Les éléments intégrés dans une publication, comme les ment la position de la France dans la négociation. Quel est photographies, ou les snippets, seront-ils soumis à autorisation ? l’enjeu ici de la durée de ce droit ? Oui, tel est bien l’objet de la proposition de loi. Il reste à définir le La tradition française pour les droits voisins est de cinquante ans. domaine des exclusions. Actuellement, dans le texte du Parlement J’ai proposé de réduire cette durée à vingt ans en commission, et européen, seraient simplement exclus les : « simples hyperliens je pense que nous aurons un débat en séance sur cette question. accompagnés de mots isolés » (art. 11, 2 bis). Ce point est crucial : Faut-il se rapprocher des cinq ans de la directive en discussion, ou plus les exclusions seront larges, moins les éditeurs et les agences bien en attendant sa conclusion, faut-il faire valoir notre spécifi- de presse seront en mesure de négocier. Nous attendons donc les cité ? Tous les contenus d’information ne nécessitent pas la même termes exacts d’un éventuel accord européen ; à défaut, il faudra durée de protection (actualités courantes, articles de fond, photos...). trouver une définition du champ des exclusions suffisamment Il reviendra au Sénat puis à l’Assemblée nationale de trancher, tout souple pour ne pas empêcher la diffusion de l’information, et assez en se conformant à ce que la directive établira si elle est adoptée. stricte pour ne pas vider les droits voisins de leurs contenus. Propos recueillis le 23 janvier 2019.

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AUDIOVISUEL L’avocat général propose à la Cour de constater que l’interdiction faite aux responsables de traitement de traiter des données L’accord sur la chronologie des médias enfin signé relevant de certaines catégories particulières s’applique aux À la suite de la signature récente des accords liant Canal+ et Orange activités de l’exploitant d’un moteur de recherche. Ainsi, l’inter- OCS aux organisations professionnelles pour le financement du diction de traitement de données sensibles oblige ce dernier à cinéma, ces deux sociétés ont signé, le 21 décembre 2018, en faire systématiquement droit aux demandes de déréférencement présence de Franck Riester, le nouvel accord sur la chronologie qui portent sur des liens menant vers des pages internet sur des médias. Cet accord, qui vient moderniser une situation qui lesquelles figurent de telles données, sous réserve des exceptions n’avait pas évolué depuis dix ans, entre immédiatement en vi- prévues par la directive (lesquelles semblent plus théoriques gueur. Il doit faire l’objet d’un arrêté d’extension qui le rendra que pratiques pour ce qui est de leur application à un moteur obligatoire pour l’ensemble de la filière, pour une durée de trois de recherche). La question des dérogations autorisées en vertu ans. Il permet d’améliorer l’accès du public aux œuvres, en tenant de la liberté d’expression et de leur conciliation avec le droit à compte de l’évolution des attentes et des usages. En effet, le la vie privée (liberté de création, traitement à fin de journalisme) précédent accord ignorait l’irruption de Netflix et des Gafa dans était également posée. Pour l’avocat général, l’exploitant d’un le paysage audiovisuel. Le nouvel accord raccourcit de plusieurs moteur de recherche est amené, en présence d’une demande mois le délai de diffusion des œuvres sur les services de télévi- de déréférencement portant sur des données sensibles, à pro- sion payants et gratuits comme sur les services de vidéo à la céder à une mise en balance entre, d’une part, le droit au respect demande par abonnement. Canal + pourra diffuser des films de la vie privée et le droit à la protection des données et, d’autre dès six mois après leur sortie en salle. Le nouveau texte a voca- part, le droit du public à avoir accès à l’information en question tion à consolider le modèle de financement de la création fran- ainsi que le droit de la liberté d’expression de celui dont émane çaise. De plus, en rendant plus rapidement disponibles les l’information. Il convient par ailleurs de tenir compte du fait que œuvres, il contribue à la lutte contre le piratage. cette information relève du journalisme ou constitue une expres- sion artistique ou littéraire, lorsque tel est le cas. DROIT À L’OUBLI DROIT D’AUTEUR L’avocat général de la CJUE propose de limiter à l’échelle de l’Union européenne le droit au déréférencement Nouveau décret relatif à l’exception au droit d’auteur Le 10 janvier 2019, l’avocat général Szpunar a rendu ses conclusions en faveur des personnes empêchées de lire du fait dans les deux affaires opposant la CNIL à Google concernant la d’un handicap portée du droit au déréférencement. La CJUE ne rendra sa décision Un nouveau décret relatif à l’exception au droit d’auteur en faveur que dans plusieurs mois. La première affaire concerne la portée des personnes empêchées de lire du fait d’un handicap est paru. territoriale de ce droit. La CNIL avait en 2016 sanctionné le moteur Pris en application de l’article 81 de la loi du 5 septembre 2018 de recherche pour ne pas avoir déréférencé des informations sur pour la liberté de choisir son avenir professionnel, ce décret l’ensemble des extensions géographiques de son nom de domaine, renforce le dispositif juridique existant depuis 2006 et parachève estimant par ailleurs le « géo-blocage » insuffisant. Google a la transposition en droit français de la directive (UE) 2017/1564 contesté sa condamnation devant le Conseil d’État qui a posé à du 13 septembre 2017. De nouvelles possibilités sont offertes la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles. L’avocat géné- aux organismes à but non lucratif qui diffusent et adaptent libre- ral propose à la Cour de constater que l’exploitant d’un moteur ment des œuvres, au bénéfice de ces publics. Ce nouveau cadre de recherche n’est pas tenu, lorsqu’il fait droit à une demande de juridique va faciliter la circulation internationale des livres et déréférencement, d’opérer celui-ci sur l’ensemble des noms de autres œuvres adaptées à destination des personnes en situation domaine de son moteur de telle sorte que les liens litigieux n’ap- de handicap, en particulier dans l’espace de l’Union européenne. paraissent plus quel que soit le lieu à partir duquel la recherche Tous les organismes bénéficiant de cette exception au droit lancée sur le nom du demandeur est effectuée. En revanche, une d’auteur pourront désormais échanger des documents adaptés fois qu’un droit au déréférencement au sein de l’Union est consta- avec leurs homologues à l’étranger, ou bien les transmettre té, l’exploitant doit prendre toute mesure à sa disposition afin directement aux lecteurs en situation de handicap. Par ailleurs, d’assurer un déréférencement efficace et complet, au niveau du ce décret allège les procédures permettant aux organismes de territoire de l’Union européenne, y compris par la technique du bénéficier de l’exception au droit d’auteur. Il facilite, en particu- « géo-blocage », depuis une adresse IP réputée localisée dans l’un lier, l’inscription des bibliothèques publiques dans le dispositif, des États membres, et ce indépendamment du nom de domaine afin de multiplier sur l’ensemble du territoire les points d’accès utilisé par l’internaute qui effectue la recherche. aux œuvres adaptées. La seconde affaire concerne la question des données sensibles (opinions politiques, convictions religieuses et philosophiques, vie DROIT VOISIN sexuelle...), dont le traitement est interdit par la directive 95/46/CE. Le Conseil d’État avait été saisi de quatre décisions de la CNIL refu- Le Sénat adopte la proposition de loi tendant à créer sant de mettre en demeure Google de procéder à des déréféren- un droit voisin au profit des éditeurs et agences de presse cements de divers liens pointant vers des pages contenant, notam- Le Sénat a adopté le 24 janvier 2019 la proposition de loi tendant ment, un photomontage satirique visant une femme politique, la à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des mise en examen d’un homme politique, la condamnation pour faits éditeurs de presse, déposée par David Assouline (SOCR Paris) d’agression sexuelle sur mineurs d’un autre intéressé. et le groupe Socialiste et Républicain. La proposition de loi crée

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un droit voisin qui permettra aux éditeurs et aux agences de « manifeste ». Les mêmes réserves sont formulées concernant presse de se faire rétribuer pour l’utilisation de leurs productions l’article 6, qui attribue au CSA le pouvoir de suspendre la dif- par les plateformes. Elle prévoit également une association des fusion d’un service de radio ou de télévision contrôlée par un journalistes et des photographes aux revenus générés par ces État étranger en cas de diffusion de fausses informations en droits voisins. Les droits patrimoniaux des agences et des éditeurs période électorale. Le Conseil constitutionnel a par ailleurs jugé de presse sont portés à cinq ans ; la notion de « publication de conforme à la Constitution l’article 11 de la loi qui oblige les presse » est alignée sur le texte de la directive européenne ; la opérateurs de plateforme en ligne à mettre en place des mesures liste des redevables au titre des droits voisins est élargie à l’en- en vue de lutter contre la diffusion de fausses informations semble des moteurs de recherche et des réseaux sociaux ; susceptibles de troubler l’ordre public ou d’altérer la sincérité l’entrée en vigueur de la loi est prévue trois mois après sa pro- du scrutin. mulgation. « Ce texte pourra servir de base à une transposition Voir la chronique, p. 19. rapide de la directive sur les droits d’auteur actuellement en dis- cussion au niveau européen, ou bien constituer les prémisses d’une INFORMATIQUE ET LIBERTÉS législation nationale en cas d’échec », a indiqué David Assouline. Voir l’interview de David Assouline page 4. La CNIL prononce une sanction de 50 millions d’euros à l’encontre de la société Google LLC FAKE NEWS Le 21 janvier 2019, la formation restreinte de la CNIL a pro- noncé à une sanction de 50 millions d’euros à l’encontre de la La loi « Fake news » publiée après sa validation société Google LLC en application du RGPD pour manque de par le Conseil constitutionnel transparence, information insatisfaisante et absence de consen- La loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information tement valable pour la personnalisation de la publicité. La CNIL est parue au Journal officiel et va pouvoir, conformément à la a en effet reçu des plaintes collectives de l’associationNone Of volonté de l’exécutif, être mise en œuvre dans la perspective Your Business et de La Quadrature du Net. Celles-ci reprochaient des prochaines élections européennes de mai prochain. D’ici à Google de ne pas disposer d’une base juridique valable pour là, deux décrets d’application devront être adoptés. Le premier traiter les données personnelles des utilisateurs de ses services. concerne les juridictions compétentes (TGI et cour d’appel) La formation restreinte a relevé que les informations fournies pour connaître des actions fondées sur le texte. L’autre concerne par Google n’étaient pas aisément accessibles pour les utilisa- les obligations (d’information notamment) imposées aux grands teurs. De même, elle a constaté que les informations délivrées opérateurs de plateformes en ligne. Le Conseil constitutionnel n’étaient pas toujours claires et compréhensibles. Pour la CNIL, avait validé, quelques jours plus tôt, les lois ordinaire et orga- les utilisateurs n’étaient pas en mesure de comprendre l’ampleur nique, tout en formulant quelques réserves d’interprétation. des traitements mis en place par le moteur de recherche. Or Tout d’abord, les Sages ont jugé que la procédure de référé ces traitements sont particulièrement massifs et intrusifs. Par nouvellement instaurée (C. élect., art. L. 163-2, issu de l’art. 1er ailleurs, la société Google a commis des manquements à l’obli- de la loi) ne peut viser que des allégations ou imputations gation de disposer d’une base légale pour les traitements de inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincé- personnalisation de la publicité. La société invoquait s’appuyer rité du scrutin à venir. Seule la diffusion de telles allégations sur le consentement des utilisateurs pour traiter leurs données ou imputations répondant à trois conditions cumulatives peut à des fins de personnalisation de la publicité. Or la formation être mise en cause : elle doit être artificielle ou automatisée, restreinte estime que le consentement n’a pas été valablement massive et délibérée. Une telle mesure de cessation de diffusion recueilli. Google est condamnée au paiement d’une amende ordonnée en référé ne pourra être justifiée que si le caractère de 50 millions d’euros rendue publique. C’est la première fois inexact ou trompeur des allégations ou imputations mises en que la CNIL fait application des nouveaux plafonds de sanctions cause, ou si le risque d’altération de la sincérité du scrutin est prévus par le RGPD.

Prua au JO ce mois-ci (Du 21 décembre au 24 janvier 2019) Texte ayant fait l’objet d’une présentation dans les pages flash Mtia ère Intitulé Références

Décret n° 2018-1200 du 20 décembre 2018 relatif à l’exception au droit d’auteur, aux droits DROIT D’AUTEUR voisins et au droit des producteurs de bases de données en faveur de personnes atteintes JO du 22 décembre 2018 d’un handicap Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 JO du 30 décembre 2018 DROIT ECONOMIQUE Délibération n° 2018/CA/23 du 29 novembre 2018 modifiant le règlement général des aides DES MEDIAS JO du 21 décembre 2018 financières du Centre national du cinéma et de l’image animée Loi organique n° 2018-1201 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation JO du 23 décembre 2018 de l’information LIBERTE Loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de D’EXPRESSION JO du 23 décembre 2018 l’information Décision n° 2018-773 DC du 20 décembre 2018 JO du 23 décembre 2018 STATUT Décret n° 2018-1185 du 19 décembre 2018 relatif à l’affiliation, au recouvrement des JO du 21 décembre 2018 PROFESSIONNEL cotisations sociales et à l’ouverture des droits aux prestations sociales des artistes-auteurs

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AUDIOVISUEL CSA a estimé que cette condamnation pénale, alors même qu’elle ne revêtait pas un caractère définitif, rendait le maintien de son 367-01 Le Conseil d’État confirme la sanction infligée mandat incompatible avec le bon fonctionnement du service par le CSA à Radio Courtoisie après la diffusion de public de l’audiovisuel. L’intéressé a demandé au Conseil d’État propos discriminatoires à l’antenne d’annuler cette décision. Conseil d’État (5e et 6e ch. réunies), 17 décembre 2018 – Comité Dans la décision du 14 décembre, le Conseil d’État rappelle tout de défense des auditeurs de Radio Solidarité d’abord que le CSA n’a pas prononcé une sanction, mais a agi À la suite de propos tenus en plusieurs occasions en 2015 sur le fondement de l’article 47-5 de la loi du 30 septembre et 2016 sur l’antenne de Radio Courtoisie, le CSA a infligé à la 1986, au titre de ses pouvoirs de régulation dans l’intérêt du société éditrice, titulaire de l’autorisation, une sanction pécu- bon fonctionnement du service public de l’audiovisuel. Dans niaire de 25 000 € pour avoir méconnu les obligations résultant ce cadre, des éléments de nature à compromettre la capacité pour elle des articles 2-4 et 2-10 de sa convention du 8 février de l’intéressé à poursuivre sa mission dans des conditions garan- 2012, relatifs, respectivement, à la prohibition des encourage- tissant le bon fonctionnement de cette société, la préservation ments à la discrimination raciale ou religieuse, et à la maîtrise de son indépendance et la mise en œuvre du projet pris en de l’antenne, à l’occasion de plusieurs émissions diffusées compte lors de la nomination, sont de nature à justifier léga- entre 2015 et 2016. La station demandait devant le CSA l’annu- lement le retrait du mandat du président d’une société de lation de cette sanction. l’audiovisuel public. En l’espèce, et ainsi que le CSA l’a relevé dans la décision attaquée, Ainsi, une condamnation pénale à raison d’infractions consti- dans l’émission « Le libre journal d’Henry de Lesquen » alors diffusée tutives de manquements au devoir de probité, ainsi que le reten- sur Radio Courtoisie, l’animateur a présenté, le 5 octobre 2015, tissement de cette condamnation auprès de l’opinion publique, ce qu’il a qualifié de « vade-mecum sur les races humaines en dix justifient, du fait de leurs répercussions sur la capacité de l’inté- points » et a notamment affirmé que « les races ne sont pas égales ressé à accomplir sa mission, la décision prise par le CSA de et ne peuvent pas l’être, car l’égalité n’est pas dans la nature » et mettre fin aux fonctions de M. Gallet. Il précise que la décision que l’augmentation de la « population noire » en France, qu’il du CSA ne se prononce ni sur la matérialité des faits qui lui sont désigne sous le terme de « mélanisation de la France », « est reprochés, ni sur leur qualification pénale et prend soin de absolument incompatible avec le maintien de l’identité de la rappeler que l’intéressé, ayant fait appel du jugement du Tribu- France ». Au cours de l’émission du 15 février 2016, il a également nal de grande instance de Créteil, bénéficie de la présomption soutenu qu’il existerait un « seuil de tolérance » au-delà duquel d’innocence. Le Conseil d’État estime par conséquent que la l’installation d’une « population noire » dans un quartier entraî- décision du CSA ne saurait être regardée comme portant atteinte nerait la fuite de la « population blanche ». Le 28 mars 2016, l’un à cette présomption. de ses invités a soutenu que l’Islam était « une religion épouvan- Il juge également que par elle-même, la circonstance que le table, […] une religion de haine ». Le CSA a ainsi estimé que ces dirigeant d’une société du secteur public de l’audiovisuel ne propos réitérés, auxquels n’a été apportée aucune contradiction dispose plus de la confiance des autorités de l’État ne justifie ou nuance, étaient de nature à encourager des comportements pas que l’autorité de régulation mette fin à son mandat. Toute- discriminatoires à l’égard des personnes « en raison de leur appar- fois, il estime que le CSA n’a pas méconnu en l’espèce son obli- tenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou gation de garantir l’indépendance et l’impartialité de ce secteur une religion déterminée », au sens des dispositions énoncées en tenant compte notamment de l’intérêt qui s’attachait, du dans la convention de la station. point de vue du bon fonctionnement de Radio France et dans Le Conseil d’État juge qu’ainsi, le CSA a pu légalement estimer le contexte qu’il a rappelé, à l’existence, dans les relations entre que leur diffusion à l’antenne révélait une méconnaissance par les pouvoirs publics et le président de cette société, des condi- l’éditeur du service des obligations résultant pour lui de sa conven- tions permettant à ce dernier d’accomplir efficacement sa mis- tion. Il a par ailleurs retenu à bon droit, s’agissant des propos sion. Ainsi, le CSA n’a pas commis d’erreur d’appréciation en tenus par un invité, une méconnaissance de l’obligation incom- estimant que le maintien du mandat de M. Gallet en dépit de bant au titulaire de l’autorisation d’assurer la maîtrise de l’antenne. sa condamnation serait préjudiciable aux relations de cette Ainsi, le Conseil d’État juge qu’eu égard aux pouvoirs dévolus au société avec l’État et les pouvoirs publics, ainsi qu’à la sérénité CSA, auquel le législateur a confié la mission de veiller à ce que et à la disponibilité nécessaires au bon fonctionnement de les programmes audiovisuels donnent une image de la société celle-ci et à l’accomplissement des missions du service public française exempte de préjugés, ainsi qu’à la nature des faits dont Radio France a la charge. Le Conseil d’État rejette donc la décrits ci-dessus au regard des obligations qui s’imposent à requête de M. Gallet. l’éditeur de la station de radio, la décision de le sanctionner n’a pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression. 367-03 Affaire Playmédia : la CJUE répond aux questions préjudicielles du Conseil d’État 367-02 Le retrait, par le CSA, du mandat du président sur le « must carry » de Radio France confirmé par le Conseil d’État CJUE (4e ch.), 13 décembre 2018 – France Télévisions SA c/ CSA Conseil d’État (5e ch.), 14 décembre 2018 – M. Gallet et ministère de la Culture Le 31 janvier 2018, le CSA a mis fin aux fonctions de président La CJUE a rendu, le 13 décembre 2018, ses réponses à des ques- de Radio France de M. Gallet, à la suite d’un jugement pénal de tions préjudicielles posées par le Conseil d’État, dans le cadre première instance condamnant celui-ci pour des faits de favo- d’un litige opposant France Télévisions au Conseil supérieur de ritisme lorsqu’il était président de l’INA entre 2010 et 2014. Le l’audiovisuel (CSA). Le 27 mai 2015, ce dernier a mis le groupe

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audiovisuel public en demeure de se conformer, à l’avenir, aux En effet, le champ d’application de l’obligation de diffuser (must dispositions de l’article 34-2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre carry) visée aux articles 2-1 et 34-2 de la loi relative à la liberté 1986, relative à la liberté de la communication, en ne s’opposant de la communication est différent de celui qui est prévu à pas à la reprise, par Playmédia, en flux continu et en direct, sur l’article 31, paragraphe 1. Il appartiendra donc à la juridiction son site Internet, des programmes édités par France Télévisions. de renvoi d’établir si des obligations de diffuser (must carry) Playmédia propose le visionnage de programmes de télévision ont effectivement été imposées à des entreprises telles que en flux continu et en direct sur un site internet et se rémunère Playmédia. En tout état de cause, selon la Cour, les dispositions principalement par la diffusion de messages publicitaires qui de la directive « service universel » ne s’opposent pas à ce qu’un précèdent et accompagnent ce visionnage. Se prévalant de la État membre impose, dans une situation telle que celle en cause qualité de distributeur de services, au sens de l’article 2-1 de au principal, une obligation de diffuser (must carry) à des entre- la loi relative à la liberté de la communication, Playmédia estime prises qui, sans fournir des réseaux de communications élec- tirer des dispositions de l’article 34-2 de cette loi le droit de troniques, proposent le visionnage de programmes de télévision diffuser les programmes édités par France Télévisions. Celle-ci en flux continu et en direct sur internet. diffuse par ailleurs elle-même lesdits programmes en flux continu et en direct sur un site internet qu’elle met à la dispo- DÉNIGREMENT sition du public. France Télévisions a demandé l’annulation de la mise en demeure 367-04 Un éditeur de presse qui diffuse une information du CSA, en soutenant que Playmédia ne peut bénéficier de dénigrante sur un produit, sans avoir vérifié l’obligation prévue à l’article 34-2 de ladite loi. France Télévisions préalablement les faits, engage sa responsabilité a fait valoir, à cet égard, que les conditions prévues à l’article Cour de cassation (1re ch. civ.), 12 décembre 2018 – Sté Jean-Eugène X. 31, paragraphe 1, de la directive « service universel » ne sont Une revue dédiée au secteur du vin a publié un article relatant pas remplies, dès lors, en particulier, qu’il n’est pas possible qu’un dégustateur spécialisé dans les grands crus bordelais avait d’affirmer que des utilisateurs du réseau internet en nombre réalisé une dégustation en public et à l’aveugle et que « sur 12 significatif l’utilisent comme leur principal moyen pour recevoir millésimes, le vin Y. l’a emporté sept fois et a conquis le public ». Au des émissions de télévision. Dans ces conditions, le Conseil sujet d’un autre grand cru, ledit dégustateur a estimé que « le d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour plu- millésime 2000 a montré sa faiblesse et un écart de qualité entre sieurs questions préjudicielles. bouteilles. (…) Les performances très décevantes des X. interrogent Tout d’abord, le Conseil d’État a demandé, si l’article 31, para- et inquiètent ». La société exploitant le vin ainsi critiqué reprochait graphe 1, de la directive « service universel » doit être inter- à la société éditrice de n’avoir pas procédé à la vérification de prété en ce sens qu’une entreprise qui propose le visionnage l’information ainsi présentée. Elle a assigné la société de presse de programmes de télévision en flux continu et en direct sur en dénigrement pour obtenir réparation de son préjudice, internet doit, en raison de ce seul fait, être regardée comme ainsi que la publication de la décision à intervenir. Celle-ci a une entreprise qui fournit un réseau de communications élec- appelé en garantie le dégustateur. troniques utilisées pour la diffusion publique de chaînes de Pour rejeter les demandes de la société requérante, après avoir radio et de télévision. En effet, en vertu de ces dispositions, les relevé que les propos contenus dans l’article litigieux étaient de États membres peuvent, sous certaines conditions, imposer nature à porter atteinte à la réputation du vin en cause, l’arrêt des obligations de diffuser (must carry) aux entreprises relevant d’appel a retenu que la société de presse n’avait aucun devoir de leur ressort qui fournissent des réseaux de communications de vérification de la qualité ni même de l’exactitude de la chro- électroniques utilisés pour la diffusion publique de chaînes de nique dont le dégustateur spécialisé est l’auteur, dès lors qu’il radio et de télévision. Or, la CJUE juge que l’activité qui consiste est admis que celui-ci est un critique en œnologie reconnu dans à proposer le visionnage de programmes de télévision en flux le milieu averti des lecteurs de cette revue spécialisée et que continu et en direct sur un site internet ne fournit pas un réseau l’éditeur n’avait pas connaissance de l’erreur matérielle résultant de communications électroniques, mais offre, en revanche, un de l’inversion de notes attribuées aux bouteilles de dégustation. accès aux contenus de services audiovisuels fournis sur les La société s’est pourvue en cassation. réseaux de communications électroniques. Ainsi, pour la Cour, La Cour de cassation casse et annule l’arrêt. Elle énonce que Playmédia, qui se limite à offrir, au moyen d’un site internet, même en l’absence d’une situation de concurrence directe et un accès à des contenus fournis sur internet ne relève pas de effective entre les personnes concernées, la publication, par l’une, l’article 31, paragraphe 1, de la directive « service universel ». de propos de nature à jeter le discrédit sur un produit fabriqué Le Conseil d’État demandait ensuite à la CJUE si les dispositions ou commercialisé par l’autre, peut constituer un acte de déni- de la directive « service universel » doivent être interprétées grement, sans que la caractérisation d’une telle faute exige la en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’un État membre impose, constatation d’un élément intentionnel. Cependant, lorsque les dans une situation telle que celle en cause en l’espèce, une appréciations portées sur un produit concernent un sujet d’inté- obligation de diffuser (must carry) à des entreprises qui, sans rêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, leur fournir des réseaux de communications électroniques, proposent divulgation relève du droit à la liberté d’expression, qui inclut le le visionnage de programmes de télévision en flux continu et droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme en direct sur internet. Comme le relève la Cour, en l’espèce, des fautive, sous réserve qu’elles soient exprimées avec une certaine obligations de diffuser (must carry) ont été imposées, en vertu mesure. En revanche, l’éditeur de presse, tenu de fournir des du droit national, à des entreprises qui ne relèvent pas de informations fiables et précises, doit procéder à la vérification l’article 31, paragraphe 1, de la directive « service universel ». des faits qu’il porte lui-même à la connaissance du public. À

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défaut, la diff usion d’une information inexacte et dénigrante sur miné, entre autres, le dirigeant d’une fi liale de la société visée un produit est de nature à engager sa responsabilité. dans l’article. Celui-ci a assigné le directeur de la publication et La Cour considère qu’en statuant comme elle l’a fait alors que, la société éditrice du journal du chef de diff amation publique si les appréciations portées par le dégustateur ne faisaient envers un particulier. Les premiers juges l’ont débouté de ses qu’exprimer son opinion et relevaient, par suite, du droit de libre demandes. Celui-ci a fait appel. critique, il incombait à l’éditeur de presse de procéder à la véri- La cour d’appel note que l’article s’inscrit dans le contexte de fi cation des éléments factuels qu’il portait lui-même à la connais- l’aff aire dite Bygmalion , qui a donné lieu à une enquête pénale, sance du public et qui avaient un caractère dénigrant, la cour notamment sur les conditions de fi nancement et de règlement d’appel a violé l’article 1240 du code civil. La Cour précise qu’il des prestataires de la campagne du candidat Nicolas Sarkozy n’y a pas lieu de mettre hors de cause le dégustateur dont la à l’élection présidentielle en 2012. La cour considère, à l’inverse présence est nécessaire devant la juridiction de renvoi. du tribunal qui avait retenu que seuls certains des passages poursuivis étaient diff amatoires, que ceux-ci forment un tout DIFFAMATION et qu’il faut les analyser dans leur ensemble, seule une lecture complète des termes employés étant de nature à en éclairer le 367-05 Annulation de la condamnation de Maître sens. Ceci étant noté, elle relève qu’il est imputé au demandeur, Eolas en raison de tweet injurieux désigné comme étant l’un des principaux dirigeants de la fi liale Cour de cassation (ch. crim.), 8 janvier 2019 – M. Eolas (pseudonyme) événementielle de la société Bygmalion, d’avoir été « mis en et L’association Institut pour la justice examen pour faux et usage de faux », « complicité de fi nancement La chambre criminelle de la Cour de cassation était saisie d’un illégal de campagne électorale », pour avoir été impliqué dans pourvoi formé par Maître Eolas, avocat pénaliste et célèbre un système de fausses factures dans le but de contourner le blogueur, condamné pour injure publique à la suite de la publi- plafond des dépenses électorales, et par insinuation, d’avoir cation de tweets critiquant une pétition prônant le durcissement participé à un système de surfacturation au détriment d’un de la politique pénale lancée par l’Institut pour la justice. Cette parti politique et d’en avoir tiré profi t. Ces faits sont, pour la association avait établi un « Pacte 2012 pour la justice » à l’inten- cour, attentatoires à l’honneur et à la considération du deman- tion des candidats à l’élection présidentielle. Critiquant tant les deur, et partant, diff amatoires. thèses et objectifs du texte, que la fi abilité du décompte des Sur la bonne foi, la cour constate que les propos se rapportaient signataires de la pétition lancée, Maître Eolas avait notamment manifestement à un sujet d’intérêt général ayant trait au fi nan- publié le tweet suivant : « Je me torcherais bien avec l’Institut pour cement de la campagne électorale d’un candidat à l’élection la justice si je n’avais pas peur de salir mon caca », que le tribunal présidentielle de 2012 ayant donné lieu à une aff aire judiciaire comme la cour d’appel avaient jugés constitutifs d’injure publique. en cours. L’article est rédigé de manière relativement prudente. La chambre criminelle casse l’arrêt d’appel, estimant que les En eff et, même si certaines expressions cherchent à retenir propos s’inscrivaient dans la controverse sur l’action de la justice l’attention du lecteur (« une véritable corne d’abondance », « un pénale, à l’occasion de la préparation de la campagne aux élec- fl ot d’argent », « cette manne directement siphonnée… »), il ne tions présidentielles de 2012, constitutive d’un débat public peut être reproché aux journalistes l’emploi de termes relevant d’intérêt général. En outre, l’invective qu’ils comportaient répon- de leur liberté éditoriale. La base factuelle fondée sur un dait également de façon spontanée à l’interpellation d’un inter- rapport de synthèse des enquêteurs et des articles de presse naute sur les thèses défendues par la partie civile et ce, sur un antérieurs, notamment, apparaît, quant à elle, suffisante. réseau social imposant des réponses lapidaires, souligne la Cour. L’article mentionne enfi n que le requérant conteste le volet Pour la chambre criminelle, quelles que fussent la grossièreté « surfacturations » à des fi ns personnelles, étant précisé que et la virulence des termes employés, ils ne tendaient pas à at- dans le cadre d’un débat d’intérêt général, l’exigence du respect teindre les personnes dans leur dignité ou leur réputation, mais du contradictoire se trouve atténuée. Le bénéfi ce de la bonne exprimaient l’opinion de leur auteur sur un mode satirique et foi peut donc être retenu. La cour ajoute qu’une condamnation, potache, dans le cadre d’une polémique ouverte, sur les idées même civile, du directeur de la publication et de la société prônées par une association défendant une conception de la éditrice serait disproportionnée au regard des dispositions de justice opposée à celle que le prévenu, en tant que praticien et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. débatteur public, entendait lui-même promouvoir. Le jugement est donc confi rmé en ce qu’il a débouté le requé- Ainsi, en dépit de leur outrance, il est jugé que de tels propos rant de ses demandes. n’excédaient pas les limites admissibles de la liberté d’expression dans un pays démocratique. La cour d’appel a donc méconnu 367-07 Les juges ne sont pas tenus par l’interprétation l’article 10, alinéa 2, de la Convention européenne des droits de de la signifi cation diff amatoire des propos incriminés l’homme. L’arrêt d’appel est cassé sans renvoi. proposée par l’acte initial de poursuite Cour de cassation (ch. crim.), 11 décembre 2018 – 367-06 Bonne foi retenue pour la publication À la suite de la publication, dans un journal hebdomadaire, d’un d’un article relatif à l’aff aire Bygmalion comportant article intitulé « Le magot caché de Mme Le Pen », portant sur des propos à caractère diff amatoire l’enquête judiciaire relative au fi nancement de la campagne du paris (pôle 2 – ch. 7), 19 décembre 2018 – Franck A. c/ Etienne G. et SA Front National pour les élections législatives de 2012, la dirigeante Le Point SEBDO du parti a fait citer devant le tribunal correctionnel la directrice Un journal hebdomadaire a publié un article intitulé « Bygmalion : de la publication du journal, du chef de diff amation publique les rouages secrets de la machine à cash » dans lequel était incri- envers un particulier, à raison des passages suivants : « pour les

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seules législatives de 2012, le détournement pourrait dépasser est puni de 15 000 € d’amende. Cette peine est portée à 30 000 € 6 000 000 d’euros » et « la justice se demande si la présidente du d’amende en cas de récidive. Est considéré comme titre d’accès Front National n’est pas la bénéficiaire d’un système conçu pour tout billet, document, message ou code, quels qu’en soient la détourner de l’argent public ». La citation précisait que « ces deux forme et le support, attestant de l’obtention auprès du producteur, passages imputent clairement à Mme Le Pen d’être personnellement de l’organisateur ou du propriétaire des droits d’exploitation du la bénéficiaire d’un détournement d’argent public de 6 000 000 droit d’assister à la manifestation ou au spectacle. d’euros (…) ; ce détournement atterrirait dans l’escarcelle person- Le Conseil constitutionnel énonce, en premier lieu, qu’en nelle de Mme Le Pen ». instituant les dispositions contestées, le législateur a, d’une Le tribunal, après avoir retenu le caractère diffamatoire des part, entendu prévenir les troubles à l’ordre public dans cer- propos comme imputant à la partie civile d’avoir été bénéficiaire taines manifestations, notamment sportives. En effet, la mise personnellement d’un système de détournement d’argent en œuvre de certaines mesures de sécurité, comme les inter- public, a condamné la prévenue. Celle-ci a relevé appel de la dictions administratives ou judiciaires d’accès à ces manifes- décision. tations ou le contrôle du placement des spectateurs, qui re- Pour infirmer le jugement l’arrêt a relevé que, selon les termes posent sur l’identification des personnes achetant ces titres, mêmes de la citation, la diffamation dont la plaignante s’estimait peut être entravée par la revente des titres d’accès. D’autre victime résidait non pas dans l’imputation d’avoir pu tirer profit, part, le législateur a également souhaité garantir l’accès du en tant que présidente du Front National, d’un financement plus grand nombre aux manifestations sportives, culturelles, frauduleux de ce parti, mais dans celle d’avoir bénéficié person- commerciales et aux spectacles vivants. En effet, l’incrimination nellement des fonds détournés. Les juges ont cependant consi- en cause doit permettre de lutter contre l’organisation d’une déré que le système de détournement évoqué dans l’article liti- augmentation artificielle des prix des titres d’accès à ces ma- gieux concernait le financement de son parti et non un mode nifestations et spectacles. En deuxième lieu, la vente de titres d’enrichissement personnel. Ils en ont déduit que la partie civile d’accès et la facilitation de la vente ou de la cession de tels n’était pas fondée à agir en diffamation en prétendant qu’il lui titres, ne sont prohibées que si elles s’effectuent sans l’autori- serait imputé d’avoir bénéficié d’un tel enrichissement. La par- sation du producteur, de l’organisateur ou du propriétaire des tie civile s’est pourvue en cassation. droits d’exploitation de la manifestation ou du spectacle. En La Haute juridiction rappelle qu’il résulte de l’article 53 de la loi dernier lieu, il résulte des travaux parlementaires qu’en ne du 29 juillet 1881 que la citation directe délivrée à la requête de visant que les faits commis « de manière habituelle », le légis- la partie lésée ne fixe irrévocablement les termes de la poursuite lateur n’a pas inclus dans le champ de la répression les per- qu’en ce qu’elle précise les propos incriminés, les qualifie et sonnes ayant, même à plusieurs reprises, mais de manière indique le texte de la loi sur la liberté de la presse applicable. occasionnelle, vendu, cédé, exposé ou fourni les moyens en Elle considère qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que les vue de la vente ou de la cession des titres d’accès à une mani- juges ne sont pas tenus par l’interprétation de la signification festation ou à un spectacle. diffamatoire des propos incriminés proposée par l’acte initial Il résulte de ce qui précède que l’infraction ainsi définie ne de poursuite et qu’il leur appartient de rechercher, en relevant méconnaît ni le principe de nécessité des délits et des peines, toutes les circonstances intrinsèques ou extrinsèques auxdits ni celui de légalité des délits et des peines. propos que comporte l’écrit qui les renferme, si ceux-ci contiennent l’imputation ou l’allégation d’un autre fait contraire DROIT À L’IMAGE à l’honneur ou la considération de la partie civile que celui suggéré dans la citation, de sorte qu’il leur revenait en l’espèce 367-09 L’interdiction faite à un quotidien de publier d’examiner si les propos poursuivis par la requérante ne ren- la photo d’une célébrité en détention provisoire fermaient pas l’insinuation que celle-ci aurait tiré profit, en sa n’a pas violé l’article 10 de la Conv. EDH qualité de présidente du Front National, des agissements frau- Cour EDH (5e sect.), 10 janvier 2019, Bild GmbH & Co. KG et duleux imputés à ce parti politique, voire aurait eu une part de Axel Springer AG c/ Allemagne responsabilité dans ces faits, la cour d’appel a méconnu le sens En 2010, un journaliste suisse animateur de bulletin météo très et la portée du texte susvisé. L’arrêt est cassé et annulé. connu, fut arrêté et placé en détention provisoire, soupçonné de viol aggravé et de coups et blessures sur la personne de DROIT ÉCONOMIQUE son ancienne épouse. Quatre mois plus tard, parut dans le célèbre quotidien allemand Bild ainsi que sur son site internet, un ar- 367-08 La réglementation limitant la revente de ticle accompagné de deux photos dont l’une – objet du présent tickets de spectacle est conforme à la Constitution litige – montrait l’intéressé assis torse nu dans la cour d’une Conseil constitutionnel (QPC), 14 décembre 2018, n° 2018-754 prison parmi d’autres détenus. Il fut libéré huit jours plus tard. Le Conseil constitutionnel était saisi d’une QPC relative à l’article Le procès pénal, très médiatisé, s’acheva par son acquittement. 313-6-2 du code pénal, qui prévoit que le fait de vendre, d’offrir Les juridictions allemandes estimèrent que la publication et la à la vente ou d’exposer en vue de la vente ou de la cession ou de diffusion de la photo étaient illicites faute pour les sociétés éditrices fournir les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres requérantes d’avoir obtenu le consentement du journaliste, et du d’accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale fait de l’absence de lien entre la photo et un événement d’histoire ou à un spectacle vivant, de manière habituelle et sans l’autori- contemporaine (d’actualité). La cour d’appel estima que la photo sation du producteur, de l’organisateur ou du propriétaire des n’avait aucune valeur informative et quand bien même on lui droits d’exploitation de cette manifestation ou de ce spectacle, reconnaîtrait une valeur informative, il fallait tenir compte du fait

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qu’au moment de la prise de la photo, l’intéressé se trouvait dans INjURE un lieu d’isolement non accessible au public et qu’il n’avait dès lors aucune raison de s’attendre à être photographié. Enfi n, le fait 367-10 Condamnation d’Henry de Lesquen pour avoir qu’il avait longtemps été l’objet de reportages dans les médias qualifi é les personnes « transgenres » de « vicieux » ne le privait pas de la protection de sa sphère privée alors qu’il se paris (pôle 2 – ch. 7), 12 décembre 2018 – Ministère public c/ H. de trouvait dans des lieux d’isolement et qu’il n’était pas de nature à Lesquen justifi er la diff usion de la photo litigieuse. Les juridictions alle- Henry de Lesquen était poursuivi pour avoir mis en ligne, sur mandes ayant rejeté les recours formés contre cette condamnation, son compte Twitter, deux messages dans lesquels il était écrit : les sociétés éditrices saisirent la Cour européenne des droits de « Miss France 2017. La Guyane n’est pas la France. Il convient que l’homme, invoquant l’article 10. la demoiselle qui représente la France soit de race caucasoïde » et La Cour renvoie aux principes applicables relatifs aux droits en « Transgenres. Les malheureux qui veulent changer de sexe sont jeu et aux critères pertinents pour leur mise en balance. Elle des vicieux et des malades qui relèvent de la psychiatrie ». Le tri- note tout d’abord que les juridictions allemandes ont reconnu bunal correctionnel a retenu que le prévenu était coupable la notoriété de l’intéressé et le caractère public de son person- d’injure publique à caractère racial, pour le premier tweet, et nage. En ce qui concerne la question de la contribution de d’injure à raison de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre la photographie litigieuse à un débat d’intérêt général, la Cour pour le second, et l’a condamné au paiement d’une amende de relève que, pour les juridictions civiles, la photo ne présentait 3 000 € pour l’ensemble de ces propos. Celui-ci a fait appel. pas de valeur informative supplémentaire par rapport au texte S’agissant du premier message poursuivi, la cour d’appel retient de l’article, ni par elle-même, ni par rapport au contexte de la que la phrase « La Guyane n’est pas la France » est une affi rmation publication de l’article sur le requérant. La cour d’appel a notam- qui peut certes être contestée mais qui ne contient pas de nuance ment estimé que sa détention provisoire était un fait connu du méprisante ou outrageante envers les personnes d’origine public depuis longtemps et qu’il n’y avait aucun motif d’en rendre guyanaise. Celle-ci considère ensuite que la phrase « Il convient compte de nouveau. que la demoiselle qui représente la France soit de race caucasoïde » La Cour remarque cependant que la cour d’appel n’a pas tranché peut comporter un aspect discriminatoire en excluant les can- la question de savoir si la photo avait une quelconque valeur infor- didates non blanches du concours de Miss France, mais qu’elle mative. Elle « rappelle à cet égard avoir dit, à propos de photographies exprime une opinion. Celle-ci, si elle peut être choquante ou illustrant un article écrit, que, d’une part, l’article 10 de la Convention critiquable, ne porte pas pour autant atteinte à l’honneur de laisse aux journalistes le soin de décider s’il est nécessaire ou non de l’intéressée ni ne cherche à la rabaisser de façon suffi samment reproduire le support de leurs informations pour en assurer la crédi- claire pour entraîner une sanction pénale. Le jugement est donc bilité et que, d’autre part, le lien qu’une photo présente avec un article infi rmé sur ce point. ne doit pas être ténu, artifi ciel ou arbitraire ». La Cour « ne saurait dès Par ailleurs, la cour déclare que le tweet affi rmant que les « trans- lors suivre l’avis de la cour d’appel allemande notamment lorsque genres » ou les « malheureux qui veulent changer de sexe sont des celle-ci conclut que la publication n’était pas justifi ée parce que la malades qui relèvent de la psychiatrie » ne les injurie pas puisque photo ne communiquait pas un fait nouveau, mais qu’elle se bornait la référence au malheur ou à la maladie mentale ne peut être à rendre compte d’un événement déjà connu du public et qu’elle était considérée comme outrageante. En revanche, le terme « vicieux » dépourvue de lien intrinsèque avec le texte de l’article. » est manifestement outrageant en ce qu’il signifi e dépravé, immo- Les juridictions allemandes ont en l’espèce accordé un poids consi- ral, pervers, et se dit de personnes ayant un comportement dérable aux circonstances dans lesquelles la photo avait été réprouvé par le sentiment moral collectif. Le jugement est donc prise. Ainsi, elles ont relevé que celle-ci avait été prise subrep- confi rmé de ce chef. Le prévenu est condamné, à ce titre, au ticement depuis un endroit en principe non accessible au public, paiement d’une amende de 1 000 €. mais aussi que le requérant avait été photographié alors qu’il se trouvait en un lieu d’isolement dans lequel il n’avait aucune 367-11 Publication d’un photomontage visant un raison de s’attendre à être photographié. La Cour observe ensuite homme politique relevant du droit à l’humour que les juridictions civiles ont estimé que le fait d’avoir été paris (pôle 2 – ch. 7), 11 octobre 2018 – J.-P. Gorges c/ A. Chaubeau l’objet de reportages dans les médias n’était pas suffi sant pour Le maire de Chartres a fait réaliser une carte de vœux pour le priver de la protection de la sphère de sa vie privée et, en l’année 2016, mettant en scène l’équipe municipale dans une particulier, pour permettre la publication d’une photo le montrant adaptation du tableau d’Eugène Delacroix « La liberté guidant dans une cour de prison. le peuple ». Quelques jours plus tard, un opposant politique a En ce qui concerne la sanction infl igée aux deux sociétés requé- mis en ligne sur le réseau social Facebook un photomontage rantes, la Cour observe que les juridictions allemandes se sont parodiant le cliché fi gurant sur ladite carte de vœux, repré- bornées à prononcer une interdiction de publier ou de diff user sentant le maire portant entre les mains le drapeau de la Corée à nouveau la photo litigieuse et une obligation de rembourser du Nord, avec à sa droite un panneau de ville portant l’inscrip- un montant modeste de frais d’avocat. Dès lors, elle juge que tion « Pyongyang » outre l’insertion, sur le cliché, de la mention les juridictions allemandes ont dûment mis en balance le droit suivante : « Copyright : Kim Jong-Gorges ». Le maire a porté à la liberté d’expression des deux sociétés requérantes avec le plainte, invoquant qu’il était ainsi assimilé à Kim Jong-Un, droit de l’intéressé au respect de sa vie privée. Compte tenu de habituellement présenté comme un dictateur, et ce en dehors la marge d’appréciation dont jouissent les États contractants, de tout contexte d’élection. L’auteur de la publication litigieuse la Cour ne voit aucune raison sérieuse de substituer son avis à a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour y répondre celui des juridictions allemandes. des faits d’injure publique envers un citoyen chargé d’un

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mandat public. Les premiers juges ont renvoyé le prévenu des certains accorderaient à cet événement dramatique, il demeure fins de la poursuite, retenant que la publication litigieuse rele- que l’emploi de l’expression « épisode mineur » à propos du vait du registre de la satire et de l’humour et que le propos Vél d’Hiv exprime bien une minoration outrancière, par leur s’inscrivait dans le cadre d’une polémique politique et d’une relativisation, des crimes contre l’humanité tels que définis critique sur la place de la liberté d’expression laissée par le par la loi. Le jugement est confirmé. maire à ses opposants, ce qui relevait du débat d’intérêt géné- ral. La partie civile a fait appel. PROCÉDURE La cour d’appel confirme le jugement. Elle considère que si le rapprochement ainsi réalisé entre l’élu et un dictateur est 367-13 Impossibilité pour un État étranger d’agir sur susceptible d’être outrageant, il s’agit nettement d’une paro- le fondement de la diffamation publique : la Cour die, personne ne pouvant comprendre qu’il s’agirait d’une de cassation ne transmet pas la QPC véritable assimilation à prendre au pied de la lettre. Une telle Cour de cassation (Ass. Plén.), 17 décembre 2018, Royaume du Maroc critique, manifestement caricaturale et humoristique, du com- c/ M. X. et a. portement d’un homme politique ne constitue en l’occurrence Le Royaume du Maroc a porté plainte devant les tribunaux ni une attaque personnelle, ni une atteinte à sa dignité. La français, du chef de diffamation publique, contre un ressortissant cour d’appel approuve le tribunal correctionnel en ce qu’il a marocain ayant accusé la police marocaine de « torture », et jugé que le prévenu n’a pas dépassé les limites autorisées de contre des journalistes français qui avaient relayé l’information. la liberté d’expression dans le contexte en cause. La cour conclut Le requérant a soumis une question prioritaire de constitu- que ce dernier n’a pas commis de faute civile fondée sur l’injure. tionnalité, transmise à la Cour de cassation, ainsi rédigée : « Les dispositions combinées des articles 29, alinéa 1er, 30, 31, NéGATIONNISME alinéa 1er, 32, alinéa 1er, et 48, 1°, 3° et 6° de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, desquelles il résulte qu’à la dif- 367-12 L’emploi de l’expression « épisode mineur » à férence de l’État français qui, notamment par l’intermédiaire de propos de la rafle du Vél d’Hiv caractérise le délit de ses ministres, peut engager des poursuites en diffamation sur le contestation de crimes contre l’humanité fondement des articles 30 et 31 susvisés en cas d’atteinte portée Paris (pôle 2 – ch. 7), 12 décembre 2018 – Licra et a. c/ H. à sa réputation résultant de propos attentatoires à l’honneur ou de Lesquen à la considération de ses institutions, corps constitués, adminis- Henry de Lesquen était poursuivi en raison de la mise en ligne de trations publiques ou représentants en raison de leurs fonctions, deux tweets au sujet de la rafle du Vélodrome d’Hiver, survenue un État étranger n’est pas admis à engager une telle action en les 16 et 17 juillet 1942. Le tribunal correctionnel a renvoyé le cas d’atteinte portée à sa réputation par les mêmes moyens, prévenu des fins de la poursuite pour les termes « L’épisode dou- faute de pouvoir agir sur le fondement des articles 30 et 31 de loureux du veldhiv est exploité par le CRIF pour entretenir la religion la loi susvisée et faute de pouvoir être assimilé à un particulier de la Shoah », poursuivis du chef de provocation à la haine envers au sens de son article 32, alinéa 1er, instituent-elles une différence les personnes juives. Il a en revanche déclaré le prévenu coupable de traitement injustifiée entre l’État français et les États étrangers de contestation de crimes contre l’humanité pour la phrase « Le dans l’exercice du droit à un recours juridictionnel et mécon- veldhiv est un épisode mineur de la déportation, qui est elle-même naissent-elles par conséquent le principe d’égalité devant la un épisode mineur de la seconde guerre mondiale », et l’a condamné justice, tel qu’il est garanti par les articles 6 et 16 de la Déclara- au paiement d’une amende de 3 000 € ainsi qu’à indemniser les tion des droits de l’homme et du citoyen ? ». associations parties civiles. Celui-ci a fait appel. La Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, note que La cour d’appel examine si les conditions d’application de les dispositions critiquées sont applicables au litige et qu’elles l’article 24 bis de la loi de 1881 sont réunies, et en particulier n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans si la rafle du Vél d’Hiv correspondait aux crimes « définis par les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitution- l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à nel. Toutefois, elle retient que la question, ne portant pas sur l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil par les membres d’une organisation déclarée criminelle en appli- constitutionnel n’aurait pas eu l’occasion de faire application, cation de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue n’est pas nouvelle. Elle ajoute qu’il ne résulte pas des textes coupable de tels crimes par une juridiction française ou inter- invoqués une différence de traitement entre l’État français et nationale ». Celle-ci retient, au vu des différents éléments les États étrangers, qui ne peuvent agir ni l’un ni les autres sur soumis à son appréciation par les parties, que l’arrestation et leur fondement. Par conséquent, la question posée ne présente la déportation de juifs étrangers et français, en particulier la pas un caractère sérieux. La Cour indique, dès lors, n’y avoir lieu rafle du Vél d’Hiv, ont été planifiées par l’occupant nazi et de renvoyer la question au Conseil constitutionnel. mises en œuvre avec la participation de Vichy, les SS donneurs d’ordre et coorganisateurs de cette rafle cités dans les docu- 367-14 Citation déclarée conforme aux dispositions ments produits étant bien membres d’une organisation décla- de l’article 53 de la loi sur la presse rée criminelle en application de l’article 9 du statut du Tribu- Paris (pôle 2 – ch. 7), 15 novembre 2018 – Najah B. et a. c/ Mustapha A. nal international de Nuremberg, au sens de l’article 24 bis. La Un homme a été poursuivi devant le tribunal pour y répondre rafle du Vél d’Hiv rentre donc dans le champ d’application de du délit d’injures publiques envers un particulier, à savoir ce texte. Par ailleurs, même si le prévenu pouvait exprimer l’inspecteur général des forces armées royales marocaines, à une opinion critique sur l’importance, selon lui exagérée, que la suite de la publication sur sa page personnelle Facebook

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d’articles contenant, notamment, les expressions suivantes : constituent une contravention, il prononce, par ordonnance, le « nul », « rat », « ignoble », « criminel », et « corrompu ». Le tribu- renvoi de l’aff aire devant le tribunal de police. nal a fait droit à l’exception de nullité soulevée en défense sur La Haute juridiction reproche au tribunal de police d’avoir le fondement de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881. Les statué comme il l’a fait, alors qu’il lui appartenait de statuer héritiers du requérant, décédé en cours d’instance, ont repris sur les faits de diff amation non publique dont il était réguliè- l’action et ont fait appel. rement saisi par l’ordonnance de renvoi et qu’il ne pouvait La cour d’appel relève que les propos poursuivis étaient conte- éventuellement se déclarer incompétent qu’après avoir appré- nus dans cinq textes mis en ligne sur internet, ainsi que dans cié si ceux-ci revêtaient ou non en réalité un caractère public. une lettre, rendue publique le lendemain. Celle-ci note qu’après Il s’ensuit que le tribunal de police a méconnu le sens et la avoir reproduit des passages de ces six textes, la citation rele- portée des textes susvisés. vait que le requérant était tour à tour traité de « nul », de « rat » (…), et, « à plusieurs reprises », de « criminel » et de « cor- PROVOCATION rompu », puis avait ajouté que « ces expressions outrageantes » caractérisaient l’injure. La cour retient que s’il est exact que 367-16 Les paroles de la chanson de rap « Nique la l’expression « à plusieurs reprises » utilisée pour les seuls mots France » ne contiennent aucun appel ni exhortation « criminel » et « corrompu » manquait de rigueur, il n’en demeu- à la discrimination ou à la haine rait pas moins que les termes généraux « ces expressions outra- Cour de cassation (ch. crim.), 11 décembre 2018 – Saïd X. geantes » à la suite de l’énumération permettent de comprendre Une association a porté plainte et s’est constitué partie civile que toutes les expressions citées étaient poursuivies toutes des chefs d’injures publiques raciales et de provocation à la les fois qu’elles fi gurent dans les textes reproduits au début haine à la suite de la publication de la chanson « Nique la France » de la citation. extraite d’un disque de rap, joint à un livre portant sur le même Par ailleurs, la cour indique que s’il est eff ectivement indispen- titre. L’auteur des paroles de la chanson a été renvoyé devant le sable de replacer chacune des expressions incriminées dans tribunal correctionnel du chef d’injure raciale à l’égard des son contexte pour pouvoir apprécier son caractère injurieux Français dits de souche, d’une part, et de provocation à la haine et déterminer la personne visée, il n’est pas nécessaire que la ou à la violence, d’autre part. citation précise en outre dans quel texte et dans quelle phrase Le tribunal correctionnel a renvoyé le prévenu des fi ns de la du texte, chaque mot poursuivi se situait puisque ces textes poursuite au motif que le groupe des « Français blancs dits de étaient reproduits dans l’acte, permettant ainsi au prévenu de souche » n’était pas un groupe de personnes protégé au sens des s’y reporter afi n d’en apprécier le contexte. Il en résulte que la dispositions de la loi du 29 juillet 1881. La partie civile a fait citation était suffi samment précise pour permettre au pré- appel. L’arrêt a confi rmé le jugement, au même motif, sur les venu de savoir ce qui lui était exactement reproché, et qu’elle intérêts civils, mais a été cassé par la Cour de cassation. La cour était ainsi conforme aux dispositions de l’article 53. La cour d’appel de renvoi a infi rmé le jugement et prononcé sur les inté- infi rme, par conséquent, le jugement en ce qu’il a déclaré nulle rêts civils. La Cour de cassation a, de nouveau, été saisie de l’aff aire. la citation directe délivrée par la partie civile ainsi que les La Haute juridiction relève tout d’abord que l’arrêt de renvoi a poursuites subséquentes. retenu que les propos visaient l’ensemble de la Nation française, identifi able au travers des références à « la France », au « démo- 367-15 Il appartient au tribunal de police d’apprécier crate républicain », à « Marianne », au « drapeau », et à « l’hymne si les propos revêtent ou non un caractère public à deux balles ». Le moyen qui faisait valoir que la Nation française avant de se prononcer sur sa compétence n’était pas mise en cause en tant que telle et qu’il était impossible Cour de cassation (ch. crim.), 11 décembre 2018 – Christian X. de déterminer quel groupe protégé était visé par les propos, Un homme a porté plainte et s’est constitué partie civile du chef doit être écarté, dès lors qu’il revient à reprocher à la cour d’ap- de diffamation publique envers un particulier, en raison de pel de renvoi d’avoir statué en conformité de la doctrine de propos prêtés à un autre homme. Le juge d’instruction a mis en l’arrêt de cassation qui l’avait saisie. examen celui-ci puis, estimant que la circonstance de publicité Par ailleurs, la Cour relève que, pour infi rmer le jugement et n’était pas caractérisée, l’a renvoyé devant le tribunal de police relever l’existence contre le prévenu d’une faute civile, l’arrêt du chef de diff amation non publique. d’appel a retenu que les injures étaient caractérisées par l’em- Pour se déclarer incompétent, le tribunal de police a retenu qu’il ploi de termes insultants ou vexatoires, notamment « nazillons », était saisi d’une qualification délictuelle par la plainte avec « bidochons décomplexés », « gros beaufs qui ont la haine de constitution de partie civile, malgré la requalifi cation à laquelle l’étranger », « ton pays est puant, raciste et assassin », « J’me il avait été procédé dans l’ordonnance de renvoi. Le requérant torche avec leurs symboles écœurants », « Y a que des culs tout s’est pourvu en cassation. blancs ». La cour d’appel avait pu retenir également que la La Cour de cassation énonce qu’il résulte de l’article 50 de la loi provocation à la discrimination se déduisait des termes suivants : du 29 juillet 1881 qu’en matière d’infractions à la loi sur la liber- « C’est l’union sacrée, contre l’envahisseur, le barbare, le sauvage, té de la presse, la plainte avec constitution de partie civile ne contre l’ennemi intérieur – Mais on va pas s’laisser faire, se laisser fi xe irrévocablement la nature et l’étendue de la poursuite quant bâillonner, on va pas lâcher l’aff aire… ». La Cour considère qu’en aux propos incriminés et à leur qualifi cation et qu’il appartient statuant ainsi alors que, d’une part, éclairés par l’ensemble du au juge d’instruction d’apprécier le caractère public des faits et texte de la chanson et compte tenu du langage en usage dans d’en identifi er les auteurs. Aux termes de l’article 178 du code le genre du rap, les propos poursuivis, pour outranciers, injustes de procédure pénale, si le juge d’instruction estime que les faits ou vulgaires qu’ils puissent être regardés, entendaient dénon-

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cer le racisme prêté à la société française, qu’elle aurait hérité ralement d’un site d’information sur internet, en plus d’une de son passé colonialiste, et s’inscrivaient à ce titre dans le publication papier, il n’est pas systématique que tous les articles contexte d’un débat d’intérêt général, d’autre part ne conte- soient diffusés sur les deux supports, de sorte que rien ne naient, même implicitement, aucun appel ni exhortation à la prouve non plus que le prévenu devait nécessairement savoir discrimination contre quiconque, de sorte qu’ils n’excédaient que son interview serait mise en ligne sur le site internet du pas les limites de la liberté d’expression. De plus, la cour d’ap- journal italien. Faute de preuve suffisante de sa participation pel a retenu des passages qui n’étaient pas poursuivis ou dont personnelle et volontaire à l’infraction reprochée, en qualité elle a dénaturé la signification. L’arrêt est cassé et annulé. La de complice de droit commun, le prévenu doit être renvoyé cassation est prononcée sans renvoi. des fins de la poursuite.

367-17 Relaxe d’Éric Zemmour, poursuivi pour PUBLICITÉ ses propos tenus au journal Corriere della Serra Paris (pôle 2 – ch. 7), 29 novembre 2018 – CFCM et a. c/ E. Zemmour 367-18 Est licite la diffusion sur internet de messages Éric Zemmour a été poursuivi du chef de provocation à la publicitaires en faveur de la bière Grimbergen haine envers les musulmans, puis renvoyé devant le tribunal portant sur l’origine et la composition du produit correctionnel, en raison de propos tenus dans le cadre d’une Paris (pôle 2 – ch. 2), 13 décembre 2018 – SAS Kronenbourg c/ ANPAA interview au quotidien italien Il Corriere Della Serra, diffusés Une association de lutte contre l’alcoolisme a assigné une entre- dans la version papier ainsi que sur le site internet du journal : prise brassicole afin de voir déclarer illicite au regard de l’article « Les musulmans ont leur code civil, c’est le Coran. Ils vivent entre L. 3323-4 du code de la santé publique la diffusion sur le site eux, dans les périphéries. Les Français ont été obligés de s’en internet de la société de films publicitaires intitulés « La légende aller… ». Le tribunal a déclaré le prévenu coupable du délit du Phoenix » et « Les territoires d’une légende », du jeu intitulé visé et l’a condamné à la peine de 3 000 € d’amende, décision « Le jeu des territoires » et de plusieurs publicités portant comme confirmée en appel. La Cour de cassation a cassé et annulé slogan « L’intensité d’une légende ». Les premiers juges ont dé- l’arrêt, reprochant à la cour d’appel d’avoir statué sans mieux claré illicites l’ensemble des publicités visées en faveur de la caractériser la participation personnelle de M. Zemmour au bière Grimbergen parues sur le site et en ont ordonné le retrait. fait de publication sur le territoire national du quotidien La société a fait appel. étranger et de sa mise en ligne sur le site de ce quotidien. La La cour constate, s’agissant du film « La légende du Phoenix », Cour a renvoyé la cause et les parties devant la cour d’appel que celui-ci consiste à décrire l’histoire de l’abbaye de Grim- autrement composée. bergen et la fabrication de la bière, dont la devise et l’emblème, La cour rejette tout d’abord les exceptions d’incompétence le phoenix, sont des éléments distinctifs de sa marque figurant soulevées par le conseil de la défense, faisant valoir que les sur son produit. Le message diffusé explique le choix de cet juridictions françaises n’étaient pas compétentes lorsqu’il s’agit emblème, du fait des renaissances successives qu’a connu de publications étrangères mises en vente à quelques exem- l’abbaye après de multiples destructions. Le film raconte plaires en France par l’intermédiaire de distributeurs. Elle encore ce qu’a été, à travers les âges le phoenix et ne fait constate en effet que les propos incriminés ont été publiés sur référence qu’aux croyances liées à cet animal mythique, et internet par un organe de presse italien et en langue italienne non « parer la bière Grimbergen des vertus supposées attribuées mais qu’ils ont été tenus au cours d’un entretien accordé en au Phoenix », comme l’invoque l’association. Il est d’ailleurs français par une personne française et résidant en France, et observé qu’à la fin du film, il est fait référence à la recette de que les propos portent eux-mêmes sur une situation vécue sur cette bière, qui a su « résister au fil des siècles ». Ainsi, pour la le territoire de la République, ce qui caractérise des liens de cour, il n’est pas démontré que ce film soit illégal au regard rattachement suffisants avec le territoire français. de l’article L. 3323-4. S’agissant de la participation à l’infraction, la cour note que les De même, le film « La légende des territoires » accessible sur le règles posées par l’article 42 de la loi du 29 juillet 1881 ne site ne fait que communiquer sur l’emblème du produit, ses s’appliquent pas en l’espèce, dès lors que les propos poursuivis origines et la composition de celui-ci. Il développe donc son ont été diffusés dans un journal imprimé et publié dans un pays message autour d’éléments licites et n’incite pas les internautes étranger. Ainsi, en l’absence de présomption légale, la respon- à une consommation excessive. La cour ajoute qu’il ne s’adresse sabilité doit être recherchée dans les termes du droit commun, pas aux mineurs, l’accès au site leur étant refusé. impliquant une participation personnelle du prévenu à la S’agissant du jeu en ligne, la cour note que l’internaute est commission de l’infraction. En l’espèce, il ressort qu’Éric Zem- invité à « cliquer sur un maximum de fleurs dans le temps im- mour a volontairement donné une interview à un journaliste parti », avec, en arrière-fond, des décors faisant référence à du journal italien, autorisant par là même la publication de ses l’origine et à la composition des bières de la gamme Grimber- propos dans ce journal italien. Aucun élément de la procédure gen ou à leur goût. Pour la cour, il ne peut être reproché à la ne montre qu’il aurait personnellement participé à la diffusion société le caractère ludique de cette communication qui n’a de ce quotidien étranger sur le territoire national, ni à la mise d’autre objectif, pour le consommateur, que d’obtenir le meil- en ligne de l’entretien sur le site du journal. En outre, pour la leur score en accumulant des points. Il n’est pas démontré cour, il n’est pas démontré qu’en donnant une interview à un que le jeu serait illégal. quotidien italien le prévenu savait que ses propos étaient Enfin, s’agissant du slogan incriminé « L’intensité d’une légende », destinés à être également publiés en France. la cour relève que l’association ne produit devant les juges que La cour ajoute que si les grands journaux disposent très géné- des publicités par voie de presse dans lequel celui-ci apparaît,

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alors qu’elle réclame son interdiction sur le site internet. Dans la communauté juive. Le délit n’est donc pas constitué. En les pièces rapportées, le slogan apparaît suivi d’un astérisque défi nitive, est condamné au paiement d’une amende qui renvoie à la mention « l’intensité de ses arômes, la légende de de 4 000 €, et le second prévenu est condamné quant à lui à la marque née en 1128 », soit, une fois encore, une référence une amende de 1 000 €. L’association qui s’est constitué par- objective aux caractéristiques gustatives du produit et une réfé- tie civile se voit allouer la somme de 1 000 € à titre de dom- rence à ses origines. La décision du tribunal est donc infi rmée mages-intérêts. en ce qu’elle a interdit l’usage des messages publicitaires et en a ordonné le retrait. SECRET DE L’INSCRUCTION RACISME 367-20 Une perquisition réalisée en présence de journalistes est déclarée nulle 367-19 Dessin représentant une femme en guêpière, Cour de cassation (ch. crim.), 9 janvier 2019 – Fabien X. avec des étoiles de David, à l’entrée d’un camp de La SNCF a déposé plainte contre l’auteur d’une série de dégra- concentration : le délit de diff amation raciale est dations volontaires par graffi tis et gravures portant la signature caractérisé « OREAK » sur de nombreux équipements. L’enquête a permis paris (pôle 2 – ch. 7), 13 décembre 2018 – Licra c/ A. Soral et a. d’identifi er l’auteur des graffi tis, qui a reconnu la plupart des L’essayiste Alain Soral a été poursuivi devant le tribunal correc- faits qui lui ont été reprochés. Celui-ci a été renvoyé devant le tionnel en raison de la mise en ligne, sur le site internet « Éga- tribunal correctionnel pour dégradation de monument destiné lité et réconciliation » dont il est le directeur de publication, d’un à l’utilité ou à la décoration publique en récidive et pénétration, dessin représentant une femme vêtue d’une guêpière, avec circulation ou stationnement dans une partie de la voie ferrée des étoiles de David apposées sur la poitrine, se tenant debout ou de ses dépendances non aff ectées à la circulation publique. de façon aguicheuse devant l’entrée d’un camp de concentra- Le tribunal correctionnel a rejeté ses demandes en nullité d’actes tion, tenant des pièces de monnaie dans une main et un sou- de la procédure et a ordonné un supplément d’information. Le tien-gorge dans l’autre. Ce dessin était disponible à la vente prévenu et le ministère public en ont relevé appel. Par jugement sous le format d’affi che et d’autocollant, sur la boutique du site au fond, le prévenu a été renvoyé des fi ns de la poursuite s’agis- internet. Alain Soral a été renvoyé devant le tribunal pour y sant de la période située entre mars et avril 2012 et déclaré répondre des faits de diff amation publique raciale ou religieuse, coupable pour les faits commis entre mai 2011 et mars 2012. provocation à la haine raciale et contestation de crimes contre La partie civile a formé appel de la décision, et le prévenu a l’humanité. Le responsable de la boutique du site a été égale- formé un appel incident. ment été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour y ré- Pour rejeter la demande de nullité de la perquisition et de la pondre des mêmes faits en qualité de complice. Le tribunal a saisie de documents au domicile du prévenu, réalisée en présence condamné les deux prévenus, retenant que les trois délits visés de journalistes, l’arrêt a retenu que la présence alléguée de étaient constitués. Ceux-ci ont fait appel. journalistes ne pouvait constituer à elle seule un motif d’annu- Sur le délit de diff amation, la cour considère que le personnage lation, sauf à ce que cette présence ait conduit les enquêteurs du dessin incriminé représente l’ensemble de la communauté à ne pas respecter certaines règles procédurales défi nies par le juive, à laquelle il est imputé d’exploiter la mémoire des victimes code de procédure pénale, ce qui en l’espèce n’était pas démon- de la Shoah, pour en retirer des profi ts notamment fi nanciers. tré. Le prévenu s’est pourvu en cassation. Il s’agit d’un fait précis attentatoire à l’honneur et à la consi- La Haute juridiction casse et annule l’arrêt. Elle énonce qu’il dération, un tel comportement étant contraire aux règles résulte de l’article 11 du code de procédure pénale, que consti- morales communément admises. La cour rappelle que si la tue une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction caricature et la satire participent de la liberté d’expression, en concomitante à l’accomplissement d’une perquisition, portant l’espèce les limites du droit à l’humour ont été dépassées, dès nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu’elle lors que le côté satirique du dessin ne le prive pas de son carac- concerne, la présence au cours de l’exécution de cet acte, d’un tère diff amatoire en l’absence de distanciation de nature à en tiers étranger à la procédure, ayant obtenu d’une autorité pu- retirer la portée. blique une autorisation à cette fin, fût-ce pour en relater le La cour infi rme en revanche le jugement en ce qu’il a retenu déroulement dans le but d’une information du public. Elle ajoute que le délit de provocation à la haine était constitué. Les juges que selon les articles 56 et 76 du code de procédure pénale, à notent en eff et qu’il y a lieu de tenir compte de la jurisprudence peine de nullité de la procédure, l’offi cier de police judiciaire a la plus récente et la plus restrictive de la Cour de cassation seul le droit, lors d’une perquisition, de prendre connaissance quant à la défi nition de la provocation, étant précisé qu’à défaut des papiers, documents ou données trouvés sur place, avant de de provocation et d’exhortation, ce qui est le cas en l’espèce, procéder à leur saisie. les propos à caractère raciste peuvent être poursuivis s’ils sont La Cour considère qu’en statuant comme elle l’a fait, alors qu’il diff amatoires, ce qui est précisément le cas. Le délit n’est donc résultait de ses propres constatations que des journalistes ont pas caractérisé. assisté, avec l’autorisation des enquêteurs, à une perquisition Il en est de même, pour la cour, du délit de contestation de au domicile du prévenu, ont pris connaissance de documents crimes contre l’humanité. En eff et, le dessin qui vise à dénon- utiles à la manifestation de la vérité, qui ont été immédiatement cer l’exploitation mercantile que les juifs feraient de la mémoire saisis et placés sous scellés, la cour d’appel a méconnu les textes des victimes de la Shoah ne tend pas pour autant à nier les susvisés et les principes ci-dessus énoncés. crimes contre l’humanité commis par les nazis à l’encontre de LP Cette décision sera commentée dans un prochain numéro

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STATUT PROFESSIONNEL tion et de la rupture de son contrat de travail, faisant valoir qu’elle devait bénéficier du statut de journaliste et de l’application de 367-21 La Commission arbitrale désignée à l’article la convention collective nationale des journalistes. Infirmant le L. 7112-4 du code du travail est compétente pour jugement du conseil de prud’hommes, la Cour d’appel de Paris statuer sur l’indemnité de licenciement d’un a reconnu à l’employée la qualité de journaliste professionnel, journaliste d’une agence de presse a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement Paris (Pôle 1 – ch. 1), 4 décembre 2018, AFP c/ Patrick B. sans cause réelle et sérieuse, et a condamné la chambre syndi- Un journaliste employé depuis 1981 par l’Agence France Presse cale au paiement de diverses indemnités. Par deux fois, la (AFP), a été licencié pour faute grave en 2011 à la suite d’une chambre sociale de la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’appel altercation avec un cadre de l’agence. Il a saisi le conseil de et renvoyé la cause et les parties devant une nouvelle juridiction. prud’hommes qui a déclaré le licenciement dépourvu de cause La Cour d’appel de Versailles appelée à se prononcer rappelle réelle et sérieuse, et lui a alloué des indemnités à ce titre. Le que dans l’hypothèse où l’employeur n’est pas une entreprise journaliste, qui justifiait d’une ancienneté de plus de quinze de presse ou une agence de presse, la qualité de journaliste ans, a saisi la Commission arbitrale des journalistes, laquelle professionnel peut être retenue si la personne exerce son acti- s’est déclarée compétente pour statuer sur la demande et a vité dans une publication de presse disposant d’une indépen- condamné l’AFP à payer la somme de 200 000 € à titre d’indem- dance éditoriale. nité de licenciement. L’AFP a formé un recours contre la sentence, Elle note que le travail d’un journaliste se distingue de celui d’un soutenant que la Commission n’était pas compétente, dès lors communicant car il doit pouvoir « sourcer » son information, la que son domaine d’intervention était limité, en application de recouper et la mettre en perspective en donnant plusieurs points l’article L. 7112-4 du code du travail, aux entreprises de journaux de vue sur un sujet. Or, il apparaît que les articles de la revue et périodiques et ne s’appliquait pas aux agences de presse. « Ateliers d’Art » donnent systématiquement un point de vue La cour estime que contrairement à ce que prétend le défen- unique et positif sur les métiers d’art et les adhérents de la deur, la circonstance que l’AFP ait confié à son organisation chambre syndicale. professionnelle, la Fédération française des agences de presse La cour relève encore que la revue dont la demanderesse est (FFAP), le soin de désigner les arbitres patronaux, et que cette rédactrice en chef, a pour unique objet de valoriser les métiers fédération ait, de fait, procédé à la nomination n’emportait d’art et constitue un outil de communication permettant à la pas renonciation au droit d’invoquer l’incompétence de la chambre syndicale des Ateliers d’Art de France, dans le cadre Commission arbitrale, cette juridiction étant juge de sa propre d’une politique de communication préalablement définie, de compétence et l’AFP lui ayant effectivement soumis le moyen défendre et de promouvoir les intérêts de l’ensemble du secteur tiré de l’inapplication de l’article L. 7112-4 du code du travail des métiers d’art. De plus, bien que rédactrice en chef, la requé- aux agences de presse. rante n’a jamais participé à l’élaboration de la ligne éditoriale En second lieu la cour note que les articles L. 7112-3 et de ladite revue laquelle est définie par le seul comité de rédac- L. 7112-4 ne prévoient pas expressément que leur champ tion mis en place par le conseil d’administration. Ladite revue d’application serait limité aux entreprises de journaux et pério- n’est donc pas une publication de presse disposant d’une indé- diques. Si une telle restriction apparaît dans l’article L. 7112-2 pendance éditoriale. Le jugement est confirmé en ce qu’il a relatif au préavis et dans l’article L. 7112-5 relatif à la rupture débouté la plaignante de sa demande tendant à la reconnaissance à l’initiative du journaliste – et à supposer qu’elle doive s’inter- du statut de journaliste. La cour considère ensuite que le licen- préter comme excluant les agences de presse – elle ne saurait, ciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle condamne en toute hypothèse, être étendue aux articles L. 7112-3 et à ce titre la chambre syndicale à verser à l’employée la somme L. 7112-4 alors que l’article L. 7111-3 qui fixe le champ d’appli- de 65 000 € de dommages-intérêts. cation des dispositions du code du travail particulières aux journalistes professionnels, définit ceux-ci comme « toute VIE PRIVÉE personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de 367-23 Le fait de relayer une information sur presse, publications quotidiennes ou périodiques ou agences de la prétendue relation sentimentale entre Laeticia presse et qui en tire le principal de ses ressources ». Hallyday et l’ancien manager du chanteur ne relève La cour écarte, par conséquent le moyen tiré de l’incompétence pas du débat d’intérêt général de la Commission arbitrale des journalistes et de rejeter la de- TGI de Paris (ord. réf.), 26 octobre 2018 – L. Hallyday c/ A. Delon mande d’annulation de la sentence. Il en va de même de la Laeticia Hallyday, l’épouse du chanteur décédé, a saisi le juge demande de restitution des sommes versées au défendeur. des référés en raison de la publication, sur un compte Instagram baptisé « Teamlorada » d’un commentaire de l’acteur Anthony 367-22 Statut de journaliste et indépendance Delon lequel relayait et crédibilisait une rumeur sur la prétendue éditoriale d’une revue relation adultérine entretenue par celle-ci avec le manager de Versailles (17e ch.), 12 septembre 2018 - Pascale N. c/ Chambre Johnny Hallyday, et ce depuis trois ans. La publication de ce syndicale des Ateliers d’Art de France commentaire faisait suite à la parution du numéro d’un maga- Une personne employée par la chambre syndicale des ateliers zine titrant en Une « Laeticia Hallyday, un nouvel homme dans sa d’Art de France en qualité de rédactrice en chef d’une revue vie », le texte étant apposé sur une photographie représentant « Ateliers d’Art », éditée par celle-ci, a été licenciée pour faute les intéressés marchant dans la rue et se regardant en souriant. grave. Elle a saisi le conseil de prud’hommes au titre de l’exécu- Laeticia Hallyday reprochait spécifiquement à l’acteur d’avoir

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porté atteinte au respect dû à sa vie privée, sur le fondement la société éditrice, invoquant une atteinte portée à sa vie privée, de l’article 9 du code civil et 8 de la Convention européenne des sur le fondement des articles 9 et 16 du code civil et 8 de la droits de l’homme. Convention européenne des droits de l’homme. Le juge se prononce d’abord sur la demande de requalifi cation, Le juge déclare l’action de la demanderesse recevable. Il consi- soulevée en défense, de l’action laquelle serait, en réalité, dère, contrairement à ce qui était soutenu en défense, que fondée sur la diffamation. Le juge retient à l’inverse que la celle-ci n’a pas cherché à contourner les dispositions de l’article demanderesse a fait le choix d’agir sur le fondement de la vie 35 quater de la loi du 29 juillet 1881, qui punit la diff usion de privée tel qu’il ressort de son assignation. Celle-ci explicite, sans la reproduction des circonstances d’un crime ou d’un délit, ambiguïté, en quoi les commentaires poursuivis se rattachent dès lors que celles-ci ne régissent que les instances concernant à sa vie sentimentale, en prétendant divulguer des événements des victimes survivantes, et n’ont donc pas vocation à être s’y rapportant. Son grief ne s’articule pas sur la base de l’impu- mises en œuvre au cas présent où la victime est décédée tation d’un fait précis de nature à porter atteinte à son honneur consécutivement à son agression. Le juge retient que la deman- ou à sa considération, mais bien sur la violation de l’intimité de deresse, exerçant distinctement une action en réparation de sa vie privée. Le juge note qu’au demeurant, l’action en diff a- son préjudice personnel est donc recevable à se prévaloir de mation n’était pas prescrite au moment où elle assignait. À l’atteinte portée à l’intimité de sa vie privée et à ses sentiments toutes fi ns utiles, celui-ci rappelle que l’adultère, compte tenu d’affl iction en raison de la publication du cliché représentant de l’évolution des mœurs dans la société contemporaine, ne sa sœur, sans son accord, qu’elle estime attentatoire à sa mé- constitue pas nécessairement une imputation diff amatoire moire et au respect lui étant dû. tombant sous le coup de la loi du 29 juillet 1881. L’exception Sur l’atteinte subie par la requérante et le cliché incriminé, soulevée est donc rejetée. le juge observe que le reportage paru dans le magazine avait Sur l’atteinte à la vie privée alléguée, le juge relève que le fait trait à un sujet d’intérêt général, soit celui de l’insécurité des de relayer une information relative à la prétendue relation conditions d’exercice des travailleurs du sexe, ainsi qu’à un sentimentale entre Laeticia Hallyday et le manager du chan- sujet d’actualité à l’occasion du meurtre d’une personne, teur, qui n’est en rien notoire, quelle que soit la « Une » d’un « transsexuelle péruvienne lardée de coups de couteau » qui journal conçue sans son accord et compte tenu au surplus exerçait dans le bois de Boulogne. L’analyse du reportage des circonstances très particulières ayant entouré le décès de dans sa globalité révèle que des informations exhaustives et l’artiste et la situation lui faisant suite, et que la demanderesse très précises sont données tant sur les circonstances du conteste, comme de préciser qu’elle aurait plus de trois ans décès que sur les lieux du déroulement de son agression d’ancienneté sont des éléments relevant de la sphère de mortelle, où se recueillaient ses proches, mais également sur l’intimité de la vie privée, ne se rattachant pas en tant que la personne de la victime, dont l’identité est révélée, avec un tels à un débat d’intérêt général. L’atteinte à la vie privée de cliché la représentant de plain-pied et souriante, avant son la requérante est donc caractérisée. Le défendeur devra ver- agression. Pour le juge, il ressort de ces éléments que bien ser à celle-ci une provision de 8 000 € à valoir sur la réparation que le cliché soit en lien avec le sujet traité, sa publication de son préjudice moral. n’a néanmoins pas un caractère pertinent au regard de l’en- semble du reportage qui informe de façon exhaustive les 367-24 Atteinte à la vie privée de la sœur d’une victime lecteurs sur les circonstances de l’agression. Il y a eu, selon en raison de la publication dans un magazine le juge, de la part du magazine, une recherche de sensation- d’un cliché représentant son corps gisant nel non justifiée par les nécessités de l’information. La publi- TGI de Nanterre, (ord. réf.), 18 octobre 2018, Madame M. C. V. c/ SNC cation du cliché litigieux a donc porté une atteinte manifeste Hachette Filipacchi associés à la dignité de la personne de la victime, en livrant sans Un magazine a publié un reportage de huit pages, intitulé « Les motif légitime à la vue du public son corps nu gisant au sol. nuits fauves du bois de Boulogne », évoquant les agressions Ladite publication, trois semaines après le décès, constitue commises à l’encontre des travailleurs du sexe et l’insécurité des pour la demanderesse une atteinte manifeste à ses sentiments conditions dans lequel ils exercent. Avait notamment été publié d’affliction en période de deuil, et en conséquence une atteinte un cliché représentant le corps gisant d’une « transsexuelle péru- non légitime à l’intimité de sa vie privée. Celle-ci se voit allouer vienne », tuée alors qu’elle tentait « d’empêcher des voyous de la somme provisionnelle de 12 000 € à valoir sur la réparation dépouiller son client ». La sœur de la victime a assigné en référé de son préjudice.

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LP367-JANVIER-2019.indd 17 27/01/2019 19:37 Actualité médiathèque

OUVRAGES niques), le droit français est resté éclaté, en silos. La régulation est fragmentée AGENDA ■■ Propriété littéraire par secteur, à l’image du droit appli- et artistique cable. Celle-ci relève d’un certain Février Pierre-Yves Gautier nombre d’autorités administratives L’ouvrage, dont c’est la 11e édition, est à indépendantes, elles-mêmes sectori- 4 février, Sénat jour de la refonte de la gestion collective sées, et reste enserrée dans des Quel secret dans un monde et du projet de principes directeurs hérités des secteurs numérique ? directive UE Droit de la presse et de l’audiovisuel, qui Rencontres annuelles Cyberlx d’auteur numérique. nécessitent aujourd’hui une régulation www.cyberlex.org Selon le souhait de globale. Les communications numé- 7 février, Paris l’auteur, il s’inscrit riques conduisent ainsi à repenser la Stratégies internationales de lutte profondément dans régulation et son droit en s’appuyant sur contre le piratage des contenus le droit civil et dans des principes, des acteurs et des culturels et sportifs une perspective contenus qui donnent sens aux normes Hadopi - Colloque au Sénat judiciaire, avec pour applicables, en transcendant les https ://hadopi.fr/colloque-2019 objectif de présenter particularismes sectoriels. le plus clairement possible les multiples L.G.D.J, Collection : Systèmes, 12 février, Paris facettes du droit de la propriété littéraire 1re ed., 162 pages, 25 € Gérer les créations de salariés et artistique et son évolution, double- Formation IRPI ment marquée par les technologies et ■■ Droit d’auteur www.irpi.fr les sources du droit. Également de et droits voisins mettre en ordre le foisonnement des Jean-Michel Bruguière, règles et décisions, afi n d’éviter l’impres- Michel Vivant ÉTUDE sionnisme, la confusion, les injustices. La présente et 4e édition est enrichie de Cet ouvrage, « classique » de la collec- nouveaux développements, notam- ■■ Étude 2018 « Le rôle tion, est couronné par le prix Lucien ment en droit international et en droit normatif de la Cour de cassation » Dupont de l’Académie des sciences comparé, sur le droit L’étude annuelle de la Cour de morales et politiques. du copyright plus cassation, dans son édition 2018, est Presses Universitaires de France, particulièrement. consacrée au « rôle normatif de la Cour Collection Droit fondamental, L’ouvrage off re une de cassation ». Les magistrats de la 966 pages, 43 € vision contempo- Cour y décrivent leur travail quotidien raine de la matière et décryptent les techniques ■■ Droit de la régulation (Internet, réseaux mobilisées dans l’élaboration des des communications numériques sociaux, cloud arrêts, au service de la cohérence du Karine Favro computing ou système juridique français et de son Cet ouvrage a pour objectif de rappeler intelligence artifi cielle). S’agissant du intégration dans un environnement les « fondations » d’un droit de la droit d’auteur, sont classiquement mondialisé. Nous signalons la partie I, régulation des communications examinées tour à tour sa reconnais- titre III, chapitre II, section II, § III, numériques et de sance et sa mise en œuvre, s’intéressant portant sur « L’exemple du droit de la proposer des pour ce faire à l’objet du droit, à ses diff amation en matière pénale », réponses au phéno- titulaires, aux prérogatives qui y sont rédigée par le conseiller Nicolas mène de convergence attachées, tout comme aux « contrats Bonnal. Est expliqué comment, sous technologique. Pour d’auteur », à la gestion collective ou à l’infl uence des décisions de la Cour l’heure, il n’existe pas l’action en contrefaçon. Les droits européenne des droits de l’homme un droit applicable voisins font également l’objet de cette rendues sur le fondement de l’article aux communications étude, traitant notamment des droits 10 de la Convention EDH, la Haute numériques mais une reconnus aux producteurs sportifs. Juridiction a fait évoluer sa pluralité de dispositifs juridiques, en Enfi n, d’un point de vue technique, on jurisprudence en matière de bonne foi fonction des particularités et usages y trouvera des développements sur les du diff amateur. Cette évolution a été propres à chaque support de communi- contrats d’édition ou de représentation, réalisée en une dizaine d’années, et de cation : presse écrite, la communication tout comme sur les contrats d’édition façon très importante. La diff érence audiovisuelle, cinéma, musique, du livre numérique, « licences libres » ou des approches nationale et télécommunications et services en ligne. Creative Commons. La première édition européenne s’est ainsi réduite par Face au regroupement technologique de cet ouvrage a été couronnée par le étapes successives, sans que des services et supports de communica- premier Prix du Livre juridique décerné disparaissent pour autant les tion (numérisation des images, des sons, par le Conseil constitutionnel pour un spécifi cités. des données, compression numérique ouvrage innovant. Publiée à la Documentation française et puissance des composants électro- Dalloz, Collection Précis, 1386 pages, 44 € et sur le site de la Cour de cassation.

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LP367-JANVIER-2019.indd 18 27/01/2019 19:37 Chroniques & opinions Fausse bonne nouvelle : la loi du 22 décembre 2018 relative à la manipulation de l’information est parue Appelée de ses vœux par le président de la République aux premiers jours de 2018, la loi « relative à la lutte contre la manipulation de l’information » a été adoptée en fin d’année au terme d’un processus législatif chaotique. Après sa validation, sous certaines réserves d’interprétation, par le Conseil constitutionnel, la loi a été publiée au Journal officiel à l’aube de la nouvelle année. Ce commentaire détaillé du texte présente les nouvelles dispositions relatives aux plateformes, puis celles relatives aux services de communication audiovisuelle et, enfin, celles relatives aux services de communication en ligne.

1. – À l'issue des dernières élections législatives, en seconde lecture et promulguée le 22 décembre le président de la République s'est ému d'un phé- 2018 sous le no 2018-1202 et l'intitulé « loi relative nomène nouveau et qui aurait pu en perturber le à la lutte contre la manipulation de l'information »3. cours : l'omniprésence des fausses nouvelles sur internet. Était en cause la diffusion d'informations 2. – À l'origine, cette proposition de loi était donc non traitées sur les réseaux sociaux et leur reprise motivée par le fait que « l'actualité électorale récente par d'autres médias. Ce phénomène de la désin- a démontré l'existence de campagnes massives de formation n'est pas nouveau mais il prend au- diffusion de fausses informations destinées à modi- jourd'hui une dimension particulière. En effet, fier le cours normal du processus électoral par l'inter- Emmanuel Dreyer l'intelligence artificielle permet une démultiplica- médiaire des services de communication en ligne »4. tion de l'information et offre des possibilités de Professeur à l'École de Elle partait du postulat selon lequel « si les respon- manipulation sans précédent. Lors du débat par- droit de la Sorbonne sabilités civiles et pénales des auteurs de ces fausses lementaire qui suivi, un député affirma ainsi : (Université Paris 1) informations peuvent être recherchées sur le fonde- « aujourd'hui, pour 40 000 € vous pouvez lancer ment des lois existantes, celles-ci sont toutefois insuf- des opérations de propagande politique sur les réseaux sociaux, fisantes pour permettre le retrait rapide des contenus en ligne afin pour 5 000 € vous pouvez acheter 20 000 commentaires haineux, d'éviter leur propagation ou leur réapparition ». Cet a priori, hau- et pour 2 600 € vous pouvez acheter 300 000 followers sur tement contestable, faussa toute la réflexion qui suivit. Il a produit Twitter. À ce prix-là, des sites entiers, des pages Facebook, des deux effets : il a détourné l'attention de l'émission des fausses fils Twitter colportent de fausses informations et sèment le informations ; il a concentré l'attention sur certains tiers suspectés trouble dans l'esprit de nos concitoyens »1. La nécessité de réa- de fournir aux diffuseurs les moyens de réaliser leur projet. Dans gir face aux fausses informations s'imposa donc facilement. Sans les deux cas, l'objectif de la loi s'est trouvé perverti. doute, trop facilement : texte de circonstance, la proposition de Tout d'abord, il est inexact de prétendre que les responsabilités loi « relative à la lutte contre les fausses informations », enregis- pénale et civile des diffuseurs de fausses informations suffisent à trée à la présidence de l'Assemblée nationale le 21 mars 2018, répondre à la difficulté rencontrée. S'agissant de la responsabi- n'a été précédée d'aucune étude d'impact et n'a fait l'objet que lité pénale, deux textes viennent à l'esprit. Le premier est issu de d'un débat sommaire au Parlement, le gouvernement ayant la loi du 29 juillet 1881 menaçant de 45 000 € d'amende « la engagé la procédure accélérée le 26 mars 2018 afin d'obtenir publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen un texte applicable lors des prochaines élections européennes. que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées Tout au plus, le Conseil d'État a-t-il pu rendre un avis mitigé ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mau- lorsqu'il fut interrogé par les députés chargés de défendre ce vaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible vœu présidentiel transformé en texte2. En conséquence, le Sénat de la troubler » (art. 27, al. 1) et de 135 000 € d'amende les mêmes a rejeté sans examen au fond la version adoptée en première faits « lorsque la publication, la diffusion ou la reproduction faite lecture par l'Assemblée nationale (adoption d'une question de mauvaise foi sera de nature à ébranler la discipline ou le moral préalable) puis a fait échouer la commission mixte paritaire des armées ou à entraver l'effort de guerre de la Nation » (art. 27, (censée rapprocher les points de vue). C'est donc au terme d'un al. 2). Le champ d'application de ce texte est très étroit et sa répres- processus chaotique que la loi a été adoptée par l'Assemblée

3. Le titre de la proposition de loi a été modifié lors de son examen par la Commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée 1. P.-A. Anglade, in Rapport Studer, 30 mai 2018, doc. AN no 990, p. 36. nationale compte tenu des débats entourant la notion de « fausse 2. Avis no 394641 et 394642 du 19 avr. 2018, rendu public par l'Assemblée information ». nationale. 4. Exposé des motifs, p. 3.

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sion difficile compte tenu des règles procédurales dérogatoires Mais ce n'est pas tout. Car, ensuite, les efforts du législateur ont qui l'accompagnent. Les poursuites ont été très rares. Elles sont été concentrés sur certains intermédiaires qui relaient les fausses inexistantes depuis une cinquantaine d'années5. Or, désormais, nouvelles en s'efforçant d'oublier qu'ils ne peuvent assumer à la responsabilité civile suit les mêmes règles en matière de presse ce titre que des obligations et une responsabilité atténuées. que la responsabilité pénale. Elle est donc elle aussi frappée Identifiés le plus souvent comme des « plateformes », ces tiers d'ineffectivité6. Le second texte qui nous intéresse ici correspond n'ont pas vu leurs obligations véritablement conciliées avec leur à l'article L. 97 du code électoral disposant que : « ceux qui, à l'aide statut d'hébergeur. Aucun effort de coordination n'a été entre- de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres pris. Pire : une compétence a été reconnue au CSA en la matière, frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déter- sans qu'il soit pour autant nécessaire que les plateformes en miné un ou plusieurs électeurs à s'abstenir de voter, seront punis cause diffusent des services de radio ou de télévisions. Par ailleurs, d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 15 000 € ». des pouvoirs spécifiques ont été reconnus à cette instance de Les poursuites ne sont guère plus nombreuses sur ce fondement. régulation à l'égard de services de communication audiovisuelle En toute hypothèse, cette incrimination ne semble pas concerner n'utilisant pas des fréquences attribuées par elle sans qu'il soit la diffusion de fausses nouvelles en direction d'un public indéter- pour autant établi qu'ils sont accessibles depuis des plateformes. miné : ce sont les manœuvres d'intoxication individuelle qu'il Bref, aucune harmonisation des dispositions nouvelles et an- permet de réprimer. Il apparaît donc manifestement inadapté aux cienne n'a été menée, au risque d'aboutir à un travail parlemen- tentatives de déstabilisation à grande échelle qui ont motivé taire très imparfait. l'adoption de la loi du 22 décembre 2018. Enfin, ajoutons que, si une responsabilité civile devait subsister dans les interstices de 3. – Formellement, la loi relative à la lutte contre la manipu- ces deux textes, on ne voit pas comment elle pourrait être mise lation de l'information est divisée en trois titres9. Le premier, en œuvre : il ne suffit pas d'une faute pour l'engager mais aussi intitulé « Dispositions modifiant le code électoral » menace de d'un dommage en résultant. Or, toute information fausse ne sanctions pénales les plateformes qui ne respectent pas les concerne pas nécessairement une personne qui serait fondée à obligations de transparence qui leur sont imparties et permet en demander réparation. De tout ceci, on déduira que, contraire- d'obtenir en référés la cessation de certaines entreprises de ment au postulat rappelé ci-dessus, la diffusion de fausses infor- déstabilisation en agissant contre ceux qui hébergent les sites mations échappe le plus souvent au droit : ce n'est pas un fait illi- utilisés à cette fin et les fournisseurs d'accès. Le deuxième titre, cite et encore moins une infraction. En se désintéressant du fait modifiant la loi du 30 septembre 1986, dote le CSA de pouvoirs de diffusion lui-même, les parlementaires sont ainsi passés à côté spéciaux en matière de fausses informations ; il inscrit cette de l'objet véritable de la réforme7. En effet, comment stigmatiser lutte dans une logique de co-régulation. Le troisième titre, ceux qui apportent une aide à la diffusion massive d'informations intitulé « Devoir de coopération des opérateurs de plateforme fausses dans une logique de manipulation, notamment politique, en ligne en matière de lutte contre la diffusion de fausses infor- si cette diffusion échappe au droit et ses auteurs à toute sanction ? mations », tend à responsabiliser ces acteurs dans une logique Faute d'avoir posé correctement les termes du problème, les de prévention. parlementaires n'en ont pas perçu l'enjeu véritable8. Si les dispositions pénales apparaissent en premier, cette pré- séance s'avère plutôt symbolique car l'essentiel réside dans les obligations mises à la charge des plateformes et les nouveaux 5. V., sur cette incrimination, E. Dreyer, Responsabilités civile et pénale des médias, LexisNexis, 3e éd., 2011, p. 176, nos 333 et s. pouvoirs reconnus au juge des référés. Ces dispositions sont tout 6. Paradoxalement, le rapporteur du texte devant l'Assemblée nationale au plus complétées par celles qui modifient le droit de l'audio- convint du caractère inapplicable de cette disposition qui présente – par ailleurs – l'inconvénient de ne frapper « que l'émetteur originel d'une visuel. L'ordre de présentation de la loi ne saurait donc être suivi. fausse information, les personnes participant ensuite à la diffusion d'une Il est préférable d'envisager dans un premier temps les disposi- information ayant perdu son caractère nouveau échappant à la répression » et qui ne permet pas « d'embrasser le comportement de ceux qui, de bonne tions relatives aux plateformes (I), puis celles relatives aux services foi, diffusent des informations fausses et participent à les rendre virales » de communication audiovisuelle (II) et, enfin, celles relatives aux (Rapport Studer, préc., p. 13). services de communication en ligne (III). 7. Les travaux préparatoires sont truffés de proclamations guerrières fixant à la proposition de loi pour objectif de « combattre la manipulation de l'information », des « acteurs malveillants » utilisant des « moyens I – Les dispositions relatives artificiels » pour « atteindre une certaine viralité » (quand il n'est pas parlé de « guerre » pour expliquer certaines tentatives de déstabilisation) alors aux plateformes qu'elle admet la licéité d'une telle diffusion et prétend seulement empêcher l'usage des plateformes à ce titre. Un tel paradoxe était assumé par les 4. – La loi du 22 décembre 2018 emprunte au droit de la consom- défenseurs du texte : son but « n'est pas de limiter l'émission de fausses informations, mais bien de limiter leur diffusion. En effet, il n'est nullement mation une définition des plateformes, qu'elle ne cherche dès souhaitable, dans une démocratie, d'empêcher les citoyens de partager les lors pas à distinguer du statut d'hébergeur (A). Lorsque ces informations qu'ils souhaitent, qu'elles soient vraies ou fausses » (Rapport Studer, préc., p. 25). La ministre de la Culture déclara quant à elle : « nous plateformes atteignent une certaine audience, elles sont soumises ne pouvons rien contre leur production » (F. Nyssen, in Rapport Studer, à des obligations spécifiques : certaines participent d'un devoir préc., p. 33). Aveu d'impuissance consternant de la part d'une responsable de loyauté (B), d'autres d'un devoir de coopération (C). politique. 8. Pourtant, les parlementaires ont réussi à définir la tentative de déstabilisation en cause lorsqu'ils ont doté le juge des référés de pouvoirs spéciaux pour y mettre fin en urgence. La définition de l'abus de liberté d'expression dégagée à cette occasion aurait pu service de base à une incrimination afin d'inscrire dans la loi pénale l'illicéité du comportement en question. Elle aurait sans doute été difficile à établir et ses auteurs difficiles 9. Un quatrième titre contient quelques modifications du code de l'éducation à atteindre (à l'étranger) mais symboliquement elle aurait eu le mérite censées notamment rappeler l'importance de la formation des élèves « à d'exister. En son absence, le dispositif retenu paraît bancal. l'analyse critique de l'information disponible » (art. L. 332-5).

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LP367-JANVIER-2019.indd 20 27/01/2019 19:37 A – Les débiteurs des obligations débat électoral, qu'ils fassent ou non l'objet d'un traitement journalistique. En sens inverse, ne sont pas concernés les 5. – Les articles 1 et 11 de la loi nouvelle mettent à la charge des contenus visant à promouvoir des biens ou des services, tels opérateurs de plateforme en ligne différentes obligations dès que ceux publiés sur les plateformes de commerce en ligne » lors que leur activité dépasse un seuil déterminé de nombre de (p. 4). Cela signifie qu'au mieux ici la référence à l'article connexions sur le territoire français. Seules les plateformes sont L. 111-7, 1°, du code de la consommation aurait été pertinente donc concernées par la lutte contre les fausses informations mais pas une référence globale à ce texte. En effet, les plate- mais toutes ne le sont pas. formes qui fournissent des services de communication au public en ligne reposant sur la mise en relation de plusieurs 1. Les plateformes en général parties en vue de la vente, de l'échange ou du partage d'un bien ou de la fourniture d'un service semblent assez peu 6. Renvoi – Les auteurs de la proposition de loi ont prétendu exposées au risque de diffusion de fausses informations pou- concentrer leurs efforts sur les « réseaux sociaux, moteurs de vant perturber un scrutin. Le danger concerne essentiellement recherche, plateformes de partage de contenus, portails d'in- les services de partage de contenu ainsi que ceux qui proposent formation, etc. »10. À cette fin, plutôt que d'utiliser les qualifi- le classement ou référencement, au moyen d'algorithmes cations existantes dans la loi du 21 juin 2004, ils ont préféré informatiques, de contenus mis en ligne par des tiers. Cela faire référence à l'article L. 111-7 du code de la consommation. réduit le champ d'application de la loi du 22 décembre 2018 ; Le § 1 de ce texte parle de plateformes en ligne qu'il définit il aurait été préférable d'en convenir en ne visant ici que les comme étant « toute personne physique ou morale proposant, plateformes qui sont réellement concernées par les obligations à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service qu'elle instaure. En l'état, il y a là un mélange des genres qui de communication au public en ligne reposant sur : 1° le clas- préjudicie à la loi nouvelle. En effet, la logique économique sement ou le référencement, au moyen d'algorithmes infor- du code auquel il est ainsi renvoyé semble assez éloignée de matiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou ses préoccupations. mis en ligne par des tiers ; 2° ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un 7. Pertinence – Plus largement, pourquoi cibler ici les plate- service ou de l'échange ou du partage d'un contenu, d'un bien formes ? Tout en concédant qu'elles ne sont pas à l'origine de ou d'un service ». Les plateformes ainsi désignées éditent donc la difficulté, le Conseil d'État admit ce choix au motif qu'elles un service qui a pour vocation de promouvoir les contenus amplifient l'écho qui peut être donné aux fausses informations, édités par d'autres services. Elles n'assument aucune respon- en stigmatisant particulièrement les réseaux sociaux « dont la sabilité de type éditorial puisqu'elles constituent de simples logique économique conduit à valoriser, notamment, les conte- intermédiaires offrant à autrui les moyens de valoriser les nus pour la promotion desquels elles ont été rémunérées et contenus proposés au public. L'enjeu de cette définition est ceux suscitant le plus de controverses »11. Est-ce une réponse d'imposer un minimum de transparence sur les conditions suffisante ? Il ne s'agit pas de nier leur rôle mais de constater dans lesquelles un message peut être fourni aux consomma- que l'on ne s'attaque alors qu'à certaines manifestations d'un teurs et, a fortiori, sur les conditions dans lesquelles ceux-ci phénomène dont la cause reste hors de portée. Il aurait été contractent non avec la plateforme mais avec des tiers. intéressant de se demander si toute diffusion d'informations L'intérêt d'une telle référence paraît discutable. D'abord, for- susceptibles de fausser un processus électoral ou de menacer mellement. Est-il bien pertinent de se référer ici au code de la les institutions ne mérite pas d'être endiguée en posant une consommation ? Que les plateformes soient soumises au droit interdiction de portée générale plutôt que des obligations de la consommation ne saurait faire de doute et qu'elles assu- particulières limitées à certains supports. Il est dommage que ment des obligations spécifiques dans ce cadre peut tout à les sites, blogs, pages de simples particuliers qui ouvrent aux fait être admis. Mais qu'elles soient définies dans ce code internautes un espace de discussion pouvant aisément être plutôt que dans la loi pour la confiance dans l'économie numé- détourné pour assurer la diffusion de fausses informations rique paraît regrettable. La loi nouvelle, qui étoffe leurs obli- échappent à l'application de la loi nouvelle. Au regard du risque gations, aurait dû être l'occasion de faire de la loi du 21 juin 2004 qu'il s'agit de prévenir, cela ne paraît guère légitime. Enfin, et la véritable charte du numérique : à supposer que la définition plus largement encore, on peut se demander s'il est bien retenue ait été pertinente également en matière électorale, pertinent de ne réagir qu'à la diffusion de fausses informations elle aurait mérité d'être transférée dans un texte mieux adap- émanant de tiers. Pourquoi faire échapper aux dispositions de té à son contenu. la loi tout site qui diffuse de fausses informations sans prétendre Mais ensuite, substantiellement, était-il pertinent de reprendre les attribuer à un tiers ? Car on peut tout à fait imaginer que ici une définition qui est tout de même influencée par la des sites d'information soient créés ou détournés à des fins de fonction consumériste qu'elle doit jouer ? La question n'a pas manipulation électorale. Prétendre qu'une crédibilité particu- été discutée alors même que la difficulté résulte clairement lière s'attache aux plateformes qui commanderait un contrôle de l'exposé des motifs de la proposition de loi, lequel convient accru de l'information diffusée par leur intermédiaire relève que « sont en cause les contenus d'information liés à l'actua- de la pétition de principe. La loi semble manquer de cohérence lité, même lorsqu'ils ne se rapportent pas directement au sur ce point.

10. Exposé des motifs, p. 4. 11. Avis, préc., p. 2, § 7.

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2. Des plateformes en particulier générales, il faut entendre les élections à l'échelon national des députés (à l'exclusion des élections partielles qui n'ont qu'un 8. Audience – En toute hypothèse, ce renvoi à l'article L. 111-7 retentissement local) et du président de la République12 aux- du code de la consommation paraît d'autant plus regrettable quelles sont assimilées celles des sénateurs et des représentants que toutes les plateformes qu'il vise ne sont pas concernées par au Parlement européen ainsi que les opérations référendaires. le nouveau texte. En effet, les obligations qu'il instaure ne s'ap- De surcroit, les obligations en cause ne s'appliquent donc qu'au pliqueront qu'aux plateformes dont l'activité « dépasse un seuil cours d'une période électorale clairement circonscrite. déterminé de nombre de connexions sur le territoire français » (C. élect., art. L. 163-1, al. 1). 11. Contenu – Durant cette période, les opérateurs de plateforme Une telle exigence peut être comprise de deux façons. On peut y se voient imposer de fournir aux utilisateurs de leurs services voir un moyen de limiter un peu plus encore le champ d'application un certain nombre d'informations. Mais tous les internautes de la loi aux seules plateformes exploitées à titre professionnel qui peuvent y avoir accès car, in fine, l'article L. 163-1 dispose : « ces rencontrent une audience importante et risquent, informations sont agrégées au sein d'un registre à ce titre, d'influencer l'opinion (celles que l'on mis à la disposition du public par voie électro- Les opérateurs doivent qualifie parfois de « places publiques numériques » nique, dans un format ouvert, et régulièrement identifier clairement la per- ou de cafés du commerce géants). On peut aussi mis à jour au cours de la période mentionnée sonne physique ou morale qui y voir un moyen de préciser les conditions d'appli- au premier alinéa du présent article ». lui verse « des rémunérations cation de la loi nouvelle dans l'espace. Pour justifier En premier lieu, les opérateurs doivent identifier en contrepartie de la promotion l'application de la loi française à des opérateurs clairement la personne physique ou morale qui de contenus d’information situés le plus souvent à l'étranger, il faut un ratta- lui verse « des rémunérations en contrepartie de se rattachant à un débat chement significatif avec le territoire de la Répu- la promotion de contenus d'information se rat- d’intérêt général ». blique : le nombre de connexions à la plateforme tachant à un débat d'intérêt général ». Ce qui depuis la France justifierait ainsi les obligations rejoint un objectif constitutionnel prégnant en supplémentaires imparties à ces professionnels. La logique voudrait droit de la communication13. Si, sous couvert d'information sur que ce chiffre soit élevé : seules les plateformes les plus visitées une question d'intérêt général, des contenus sont sponsorisés par des internautes accédant au réseau depuis la France méritent (c'est-à-dire mis en avant par rapport à d'autres contre rémunéra- d'être soumises à la loi française. tion), les utilisateurs du service doivent en être informés14. Ce qui Les débats parlementaires ne permettent guère de présager du complète (en la modernisant) l'interdiction posée à l'article L. 52-1 seuil qui sera déterminé par décret. Il n'est pas certain que ce du code électoral prohibant déjà, pendant les six mois précédant seuil coïncide avec celui évoqué à l'article L. 111-7-1 du code le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la proclamation de la consommation, s'agissant de l'obligation faite aux plate- des résultats, l'utilisation à des fins de propagande électorale de formes de diffuser aux consommateurs des bonnes pratiques, tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou tant les préoccupations semblent différentes dans les deux cas. par tout moyen de communication audiovisuelle15. Par ailleurs, dès lors que cette rémunération dépasse un certain montant (fixé B – Les obligations découlant d'un devoir de loyauté dans un décret à venir), elle doit être rendue publique : le prix payé pour la promotion de certains contenus constitue une indication 9. – En premier lieu, le texte du 22 décembre 2018 crée un article nette de leur importance pour l'annonceur. Il doit à ce titre attirer L. 163-1 du code électoral qui impose aux plateformes précitées l'attention du public. Enfin et en toute hypothèse, les opérateurs un certain nombre d'obligations « au regard de l'intérêt général doivent « fournir à l'utilisateur une information loyale, claire et attaché à l'information éclairée des citoyens en période électo- transparente sur l'utilisation de ses données personnelles dans le rale et à la sincérité du scrutin ». Cette formule peut surprendre, cadre de la promotion d'un contenu d'information se rattachant une loi n'ayant pas à se justifier. En pratique, elle s'est imposée à un débat d'intérêt général ». Une telle précision renforce les dans le but de dissuader la critique de ceux qui pourraient esti- garanties prévues par le droit des données à caractère personnel. mer que de telles obligations excèdent ce qu'il est possible De telles garanties paraissent à ce point évidentes que l'on regret- d'imposer à de simples hébergeurs. L'intérêt supérieur en cause tera leur caractère temporaire. Qu'elles s'imposent à l'occasion est donc invoqué pour compenser un mécanisme fragilisé par d'un processus électoral semble justifié mais elles devraient avoir l'insuffisante réflexion juridique à sa base. Ces obligations sont variées : il conviendra de les distinguer 12. Ce qui a justifié l'adoption parallèle d'une loi organique no 2018-1201 avant d'envisager la sanction de leur violation. relative à la lutte contre la manipulation de l'information, dont il ne sera pas question ici. 13. Cons. const. 11 oct. 1984, no 84-181 DC, Entreprises de presse, § 16. 1. Les obligations imparties 14. « En période électorale, il faut obliger les plateformes à une transparence absolue. Elles doivent indiquer clairement à leurs utilisateurs 10. Domaine – Dans certaines circonstances, l'article 163-1 du si une entreprise, un groupe de pression ou encore un État étranger a dépensé de l'argent pour qu'un contenu se retrouve « en haut de l'affiche », code électoral met à la charge des opérateurs de plateforme sur le fil Facebook ou Twitter des utilisateurs. Le cas échéant, il faut que définis ci-dessus des obligations temporaires. En effet, elles ne les plateformes indiquent clairement qui a payé et combien » (F. Nyssen, in Rapport Studer, préc., p. 34). s'appliquent pas en toute hypothèse : le législateur n'a imposé 15. Il prévoit également que, à compter du premier jour du sixième mois le respect de ces obligations que « pendant les trois mois pré- précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou cédant le premier jour du mois d'élections générales et jusqu'à de la gestion d'une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des la date du tour de scrutin où celles-ci sont acquises ». Par élections collectivités intéressées par le scrutin.

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LP367-JANVIER-2019.indd 22 27/01/2019 19:37 une portée plus large car reliées à un débat d'intérêt général compétence territoriale de la loi pénale française, la décision à plutôt qu'à un scrutin elles paraissent nécessaires au bon fonction- venir sera impossible à exécuter à l'étranger, ce qui limite son nement de la démocratie. Il est dommage que seul le code de la intérêt. C'est la raison pour laquelle, on le verra, l'article 13 de la consommation impose en la matière des obligations permanentes16. loi impose aux opérateurs de plateforme de désigner un « repré- sentant légal exerçant les fonctions d'interlocuteur référent » sur 12. Légitimité – Pourtant, c'est le caractère excessif de ces obli- le territoire français (V., infra, no 22). Toutefois, il semble difficile gations qui a été dénoncé devant le Conseil constitutionnel. Fort d'engager sa responsabilité pénale en cette seule qualité : qu'il heureusement, celui-ci a exclu qu'il en résulte une atteinte illégi- représente la plateforme est une chose mais on peut difficilement time à la liberté d'entreprendre (DDH, art. 4). Il a légitimité la base admettre qu'il réponde de décisions qui sont prises par elle depuis légale d'une telle ingérence tout en convenant que le rattachement l'étranger. En l'absence de délégation de pouvoirs dont il serait de l'information sponsorisée à un débat d'intérêt général peut titulaire et qui pourrait laisser croire qu'il est à l'origine des être délicat mais il s'est efforcé de préciser cette notion. Formulant manquements constatés, ce « référent » ne peut assumer ici de une réserve d'interprétation, il a jugé que de tels contenus « sont responsabilité personnelle. De surcroît, il ne saurait être ceux qui présentent un lien avec la campagne électorale »17. En responsable pénalement du fait d'autrui. conséquence, il a désamorcé en partie la critique que nous venons d'exprimer. Ensuite, le Conseil a admis la proportionnalité d'une C – Les obligations découlant d'un devoir telle ingérence. Il a spécialement relevé à ce titre son caractère de coopération limité dans le temps et son objectif légitime car l'article L. 163 « vise à fournir aux citoyens les moyens d'apprécier la valeur ou 14. – Mais ce n'est pas tout. Car le législateur a également la portée de l'information ainsi promue et contribue par là même voulu mettre à la charge des plateformes un devoir de coopé- à la clarté du débat électoral ». Ce qui procède d'une approche ration dans la lutte contre les fausses informations. Ce devoir restrictive des dispositions en cause et ne permettra guère d'en- serait la contrepartie des avantages qu'elles en tirent18. Son visager leur élargissement. On peut le regretter. champ d'application est plus large que le précédent. En effet, les obligations en question ne sont pas temporaires mais per- 2. La garantie des obligations manentes : elles ne sont pas déclarées applicables seulement dans les trois mois qui précèdent le premier jour du mois au 13. Incrimination – Les trois obligations évoquées ci-dessus cours duquel une élection est organisée. Cela explique les garan- sont imposées aux opérateurs de plateformes sous la menace ties différentes qui s'appliquent alors : la violation de ces obli- de sanctions pénales. En effet, l'article 1er de la loi rétablit dans gations n'est plus pénalement sanctionnée. L'absence de sanc- le code électoral un article L. 112 menaçant d'un an d'empri- tions pénales tient peut-être aussi à leur caractère flou. Ici, la sonnement et de 75 000 € d'amende la personne physique qui logique s'avère moins répressive que régulatrice. Distinguons. se rendrait coupable d'une infraction aux dispositions de l'article L. 163-1 précité. La dimension pénale de la loi nouvelle est donc 1. Les différentes obligations de coopération accessoire. Ici, le législateur se contente de pénaliser par renvoi le non-respect d'obligations extérieures au texte prévoyant les 15. – Le cœur du nouveau dispositif est constitué d'obligations sanctions. Il n'incrimine pas un comportement en particulier énoncées à l'article 11 de la loi du 22 décembre 2018. Toutefois, mais toute violation intentionnelle de ces obligations. On ne les articles suivants ajoutent d'autres obligations, de portée s'étendra guère sur l'élément moral de cette infraction dans la également variable. mesure où les opérateurs de plateforme sont des professionnels conscients de leurs devoirs et qui ne peuvent donc prétendre a) Les obligations de l'article 11 avoir ignoré l'organisation d'un scrutin et les obligations qui s'imposent à eux dans ce cadre. Si les sanctions semblent faibles 16. – Les plateformes précitées doivent mettre en œuvre trois au regard de l'enjeu, il ne faut pas oublier qu'elles ne concernent types d'obligations. Précisons d'abord le contenu de ces obli- que de simples omissions et sont différentes pour les personnes gations avant de nous interroger sur leur légitimité. morales (art. L. 112, al. 2 : amende portée au quintuple et toutes les sanctions de l'art. 131-39 c. pén., hormis la dissolution). 1) Le détail des obligations imparties La principale difficulté consistera sans doute à justifier l'applica- tion de la loi française à des plateformes dont les opérateurs sont 17. Lutte – En premier lieu, les opérateurs de plateforme doivent situés à l'étranger. En effet, l'élément de rattachement choisi avec veiller à mettre « en œuvre des mesures en vue de lutter contre le territoire de la République est moins l'activité de l'opérateur la diffusion de fausses informations susceptibles de troubler en France que le nombre de connexions sur le territoire français, l'ordre public ou d'altérer la sincérité d'un des scrutins mention- donc le fait d'utilisateurs. Celui-ci témoigne de ce que le service nés au premier alinéa de l'article 33-1-1 de la loi no 86-1067 du a effectivement un impact en France mais pas nécessairement 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication » que l'opérateur y exerce son activité en acceptant de se soumettre (art. 11, al. 1). Une telle formule peut sembler bien floue. à la loi française. En toute hypothèse, si on peut en déduire la

18. « Elles ont presque toutes intérêt à ce que des informations, vraies ou 16. C'est tout l'enjeu de l'art. L. 111-7 évoqué ci-dessus dont les obligations fausses, soient massivement diffusées, pour accroître le temps passé par d'information recoupent en partie celles dont il vient d'être question. les utilisateurs sur la plateforme et générer ainsi des revenus publicitaires » 17. Cons. const. 20 déc. 2018, no 2018-773 DC, § 8, AJDA 2019. 5 . (Rapport Studer, préc., p. 26).

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D'abord, ce texte part du postulat que les plateformes sont en apprécier elles-mêmes le contenu des informations diffusées car mesure de distinguer abstraitement en quoi consistent de fausses elles ne sauraient se voir imposer un devoir général de contrôle. informations et, en conséquence, de circonscrire le risque de leur On peut le regretter mais la solution découle de l'article 6-I, § 7, diffusion. Or, une information fausse n'est pas nécessairement LCEN. Elles ne sauraient donc être tenues de modérer, a priori ou une information illégale, encore moins une information délic- a posteriori, les informations en question. Partant, les mesures tueuse. En pratique, la vérité ou la fausseté d'une information devant être prises en vertu de l'article 11, alinéa 1 de la loi nouvelle peut s'avérer tout à fait relative. Le droit de la presse qui, en risquent fort de décevoir. Malgré l'allure martiale de ce texte, elles matière de diffamation connaît une exception de vérité pouvant se limiteront sans doute au rappel, délivré aux éditeurs de service, justifier le fait de publication le sait bien : la vérité d'un propos qu'ils ne peuvent utiliser les moyens mis à leur disposition en vue n'est judiciairement admise que si elle porte sur un fait établi de diffuser de fausses nouvelles. Toute autre solution poserait un dans toutes ses dimensions au terme d'une procédure contra- problème de conformité avec le droit européen (Dir. 2000/31/CE dictoire spécifique. Il est si rare qu'une telle preuve soit admise du 8 juin 2000, art. 14). que les magistrats ont préféré offrir au diffamateur, en dehors de tout texte, un second moyen de défense : la bonne foi qui 18. Signalement – Ensuite, les opérateurs de plateforme doivent suppose la croyance en l'exactitude d'un propos utile, modéré, mettre en place « un dispositif facilement accessible et visible vérifié et non la preuve du fait qu'il concerne. En toute hypothèse, permettant à leurs utilisateurs de signaler de telles informations, cette question de la vérité ou de la fausseté d'une information notamment lorsque celles-ci sont issues de contenus promus ne peut se poser lorsqu'elle porte sur un fait trop général pour pour le compte d'un tiers » (art. 11, al. 2). Ces opérateurs doivent que son exactitude puisse être démontrée. Il en va a fortiori de donc offrir aux internautes une possibilité de signalement, ce même lorsqu'elle exprime un jugement de valeur sans prétendre qui rappelle la faculté de signalement existant déjà au sujet de établir une réalité. La question de la fausseté ou de la vérité d'une certains contenus « odieux » (LCEN, art. 6-I, § 7, al. 3) mais aucune information ne se pose donc qu'à l'égard d'un fait précis, ce qui conséquence n'est tirée ici de sa mise en œuvre. En effet, les redouble les difficultés d'appréciation. Comment les plateformes opérateurs n'ont pas l'obligation de transmettre les signalements vont-elles pouvoir anticiper la diffusion de telles informations ? à l'autorité compétente21, ce qui en limite l'intérêt. Ont-ils, à la A fortiori, comment déterminer à l'avance si ces fausses informa- suite, l'obligation d'agir eux-mêmes ? Le texte ne l'indique pas. tions seront « susceptibles de troubler l'ordre public ou d'altérer Certes, on ne saurait oublier que les plateformes en ligne, parce la sincérité d'un des scrutins » évoqués ci-dessus19 ? L'insuffisance qu'elles sont hébergeurs, assument une responsabilité qui, pour des réflexions sur ce point a provoqué de nombreuses critiques. être limitée, n'est pas inexistante. Toutefois, un signalement Sous prétexte de lutter contre une propagande (a fortiori étran- n'est pas l'équivalent de la notification prévue par l'article 6-I, gère) ne s'apprête-t-on pas à établir une vérité officielle tout § 5, LCEN. De plus, on ne saurait lui reconnaître une crédibilité aussi dangereuse ? Est-ce à des opérateurs privés d'intervenir pleine et entière : il peut être lui aussi inexact, voir mensonger, pour « formater » la diffusion de l'information et limiter le risque de sorte que les plateformes devront nécessairement en appré- d'abus ? Dans son avis au rapporteur de la proposition de loi, le cier la crédibilité. Ce qui posera problème car, on l'a dit, l'appré- Conseil d'État suggéra de préciser l'objet du texte en soulignant ciation de la vérité ou de la fausseté d'une information est déli- qu'il ne peut légitimement porter que sur des « informations cate. Pire : les dispositions de l'article 6-I, § 2 et § 3, LCEN dépourvues de tout élément de fait contrôlable de nature à les supposent que le contenu à retirer ait été illicite, ce qui ne sera rendre vraisemblables »20. L'objectif était d'exclure de son champ pas toujours le cas des informations fausses. Enfin, on ne saurait d'application les opinions et jugements de valeur ainsi que les oublier la réserve d'interprétation émise par le Conseil consti- remarques humoristiques ou satiriques. Ce qui pouvait sembler tutionnel lorsqu'il a examiné ce qui est devenu la loi du 21 juin tout à fait louable mais était-ce suffisant, voire possible ici ? Car 2004 : la responsabilité d'un hébergeur ne peut être engagée il semble que les mesures en question doivent être prises avant que par le non-retrait d'informations « manifestement illicites », toute diffusion pour prévenir le risque de trouble à l'ordre public dénoncées par un tiers22. En pratique, il n'est pas sûr que les ou de perturbation d'un scrutin. conditions de cette responsabilité seront fréquemment réunies. Ensuite, on peine à comprendre quel est l'objet des mesures en Le plus souvent, les signalements resteront sans suite. Implici- cause. Que peut faire l'opérateur « en vue de lutter contre la dif- tement, le rapporteur du texte devant l'Assemblée nationale en fusion de fausse la diffusion de fausses informations » ? Doit-il a d'ailleurs convenu lorsqu'il évoqua ici une obligation sans établir des filtres afin d'instaurer un contrôle permanent ? Un sanction destinée à inciter essentiellement les plateformes à mécanisme de suppression ou, à tout le moins, de blocage ? Doit- l'autorégulation23. il informer les utilisateurs à l'égard de contenus identifiés comme suspects ? Il est extraordinaire que la loi ne le précise pas. Néan- 21. Pourquoi faire, en effet : la proposition de loi ayant renoncé à incriminer moins, de la rédaction de l'article 11, comme du statut d'hébergeur la diffusion de ce type d'informations, elle ne saurait connaître aucune qui est celui des plateformes, on déduit que les mesures précitées suite ! ne peuvent se concevoir. A priori, les plateformes ne peuvent 22. Cons. const. 10 juin 2004, n° 2004-496 DC, AJDA 2004. 1534, note J. Arrighi de Casanova ; ibid. 1937 ; ibid. 1385, tribune P. Cassia ; ibid. 1497, tribune M. Verpeaux ; ibid. 1537, note M. Gautier et F. Melleray, note D. Chamussy ; ibid. 2261, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et 19. La référence à l'art. 33-1-1, la loi de 1986 ne sert pas ici à enfermer C. Lambert ; D. 2005. 199, note S. Mouton ; ibid. 2004. 1739, chron. l'obligation dans le délai d'une campagne électorale mais seulement à B. Mathieu ; ibid. 3089, chron. D. Bailleul ; ibid. 2005. 1125, obs. V. Ogier- souligner qu'il s'agit de garantir le bon fonctionnement de l'élection du Bernaud et C. Severino ; RFDA 2004. 651, note B. Genevois ; ibid. 2005. président de la République, des députés, sénateurs et représentants au 465, étude P. Cassia ; RTD civ. 2004. 605, obs. R. Encinas de Munagorri ; Parlement européen ainsi que des opérations référendaires. RTD eur. 2004. 583, note J.-P. Kovar ; ibid. 2005. 597, étude E. Sales. 20. Avis, préc., p. 3, § 10. 23. Rapport Studer, préc., p. 19.

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LP367-JANVIER-2019.indd 24 27/01/2019 19:37 19. Compléments – Par ailleurs, les opérateurs de plateforme 2) Légitimité des obligations imparties doivent mettre en œuvre six autres mesures dites « complémen- taires ». Il est curieux de les qualifier ainsi par opposition à une 20. Objectif – L'idée à la base des obligations qui viennent d'être obligation « principale » qui n'est pas définie : chacune de ces présentées est la suivante : « Nous ne pouvons pas accepter que mesures aurait pu relever des moyens de lutte contre les fausses les plateformes, via leurs algorithmes, promeuvent des contenus informations évoqués en premier. En creux, il faut comprendre trompeurs et manipulateurs ni qu'elles recommandent individuel- que ces moyens ne suffisent pas mais qu'ils peuvent être néces- lement à leurs utilisateurs des sites et des pages à visée explicitement saires. Sachant que l'énumération n'est donnée qu'à titre indi- désinformative ; pas plus que nous ne devons accepter qu'elles catif, ce qui accroît encore le trouble : de telles mesures peuvent soient rémunérées pour promouvoir de tels contenus »24. Les obli- « notamment » porter sur… Sauf à considérer que cet adverbe gations imparties ne sauraient donc être contestées dans leur signifie – à la différence de son emploi en légistique principe. Pire : dès lors qu'elles ne sont pas enfer- traditionnelle – que toutes ces obligations n'ont Il faut regretter une fois mées dans le temps et qu'elles ont non seulement pas à être mises en œuvre. Les plateformes seraient de plus que la loi nouvelle pour objectif d'éviter l'altération de scrutins futurs libres de choisir celles qui leur paraissent les plus n’ait pas été l’occasion de mais aussi des troubles à l'ordre public, on peut pertinentes compte tenu de leur activité. transformer ce texte en regretter qu'elles restent extérieures à la LCEN car En premier lieu, les opérateurs doivent assurer la véritable charte de la com- il s'agit de protéger en toute hypothèse les inter- transparence des algorithmes qu'ils utilisent (les munication numérique. nautes à l'encontre de contenus trompeurs. Il faut plateformes en ligne de l'art. L. 111-7 c. consom., regretter une fois de plus que la loi nouvelle n'ait se définissant notamment par l'utilisation de ce type de pro- pas été l'occasion de transformer ce texte en véritable charte grammes). Ils peuvent sans doute se retrancher derrière le de la communication numérique. secret des affaires pour refuser d'en révéler publiquement les codes. Mais ils doivent indiquer selon quelles modalités ils 21. Constitutionnalité – Cependant, le flou de ces obligations référencent les informations. En deuxième lieu, les opérateurs sème le doute sur leur légitimité. On pouvait donc s'attendre à sont invités à promouvoir les contenus issus d'entreprises et quelques critiques de la part du Conseil constitutionnel. Ce qu'il d'agences de presse et de services de communication audio- n'a pas fait. visuelle. Il s'agit d'inciter les plateformes à hiérarchiser les infor- Il a tout d'abord admis que la loi était compatible avec la pro- mations en mettant en avant celles qui ont fait l'objet d'un tection due à la liberté d'expression. À l'appui de sa démonstra- traitement journalistique par rapport à toutes celles qui n'ont tion, il a rappelé que son article 11 a pour objectif de « prévenir pas été vérifiées. En troisième lieu, les opérateurs de plateforme les atteintes à l'ordre public et assurer la clarté du débat élec- doivent mettre en œuvre des mesures de lutte contre les comptes toral et le respect du principe de sincérité du scrutin »25. Puis le propageant massivement de fausses informations. Toutefois, Conseil a réduit la portée des fausses informations contre les- de telles mesures ne sont, là aussi, pas précisées : il s'agit de quelles il s'agit de lutter : « la notion de fausse information doit favoriser la certification des comptes des utilisateurs sans pour s'entendre comme visant des allégations ou imputations autant la rendre obligatoire. En quatrième lieu, les plateformes inexactes ou trompeuses d'un fait telles que définies au para- doivent informer leurs utilisateurs sur les personnes versant graphe 21 », ce qui exclut les opinions, les parodies, les inexac- des rémunérations en contrepartie de la promotion d'informa- titudes partielles et les simples exagérations26. Le Conseil en a tions se rattachant à un débat d'intérêt général. Cette obligation déduit que cette notion « ne crée pas d'incertitude sur la portée rejoint celle qui figure à l'article L. 163-1, 1°, du code électoral des obligations instituées par les dispositions contestées » (§ 86). mais elle est permanente. Il s'agit de faire apparaître les opé- Par ailleurs, il a relevé que « au nombre des mesures susceptibles rations de promotion déguisées afin d'alerter les internautes d'être mises en œuvre pour lutter contre la diffusion de fausses contre d'éventuelles tentatives de manipulation. En cinquième informations comptent des mesures d'information, de transpa- lieu, les plateformes doivent informer leurs utilisateurs sur la rence ou de signalement des contenus litigieux qui ne sont pas nature, l'origine et les modalités de diffusion des contenus, ce susceptibles en elles-mêmes de porter atteinte à la liberté qui est louable mais général et délicat à mettre en œuvre. En d'expression et de communication », ce qui est une façon de toute hypothèse, cette obligation fait en partie doublon avec dire qu'un tel grief est inopérant mais il a tout de même admis celle figurant à l'article L. 111-7 du code de la consommation. une difficulté à l'égard d'autres mesures qu'il a cru pouvoir Enfin, il est également demandé aux plateformes de participer surmonter par une nouvelle réserve d'interprétation : « il appar- à l'éducation aux médias et à l'information, ce qui semble para- tiendra, en tout état de cause, au juge éventuellement saisi d'un doxal pour des acteurs privés. On supposera qu'est évoquée ici litige sur les autres mesures complémentaires susceptibles d'être la diffusion de messages alertant les utilisateurs sur le fait que adoptées à cette même fin, notamment celles visant à lutter les contenus ne sont pas vérifiés par la plateforme et sont contre les comptes propageant massivement de fausses infor- diffusés sous la seule responsabilité de l'éditeur du service mations, d'examiner, dans chaque cas, si elles sont nécessaires, consulté. adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi » (§ 87). Au De telles obligations partent sans doute d'un bon sentiment cas particulier, cette réserve permet de renvoyer au juge le soin mais ne dépassent pas le stade de la pétition de principe, ce qu'il faut déplorer. Les plateformes sont laissées libres de déter- miner l'étendue de leur devoir de collaboration dans la lutte 24. Rapport Studer, préc., p. 26. contre les fausses informations, ce qui risque de se limiter à peu 25. Décis. no 2018-773 DC, préc., § 85. 26. Il doit être possible de démontrer la fausseté de manière objective de ces de chose compte tenu de l'intérêt qu'elles y trouvent par ailleurs. informations ainsi que leur aptitude à altérer la sincérité d'un scrutin à venir.

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de trancher une difficulté qui ne semble pas relever du droit doivent être publiées en ligne et accessibles à tous, dans un constitutionnel. format libre et ouvert. Chacun est ainsi censé pouvoir détecter Le Conseil a également confirmé que, sous cet aspect aussi, la les tentatives d'intoxication dont il peut faire l'objet : chacun loi ne porte pas d'atteinte disproportionnée à la liberté d'entre- peut mesurer les « chances » qu'il aurait eues d'accéder à une prendre (§ 89). Il y avait là matière à discussion car mettre à la information spontanément, si elle n'avait pas été sponsorisée27. charge d'opérateurs économiques des obligations indéterminées Mais, là encore, aucune sanction spécifique ne s'applique à la affecte nécessairement cette liberté. Cependant, l'absence de violation d'une telle obligation dont la faisabilité et le bénéfice sanctions véritables relativisait la critique. sont en réalité douteux. En effet, bien peu d'internautes sont b) Les autres obligations capables d'analyser ce type de statistiques et d'en tirer des enseignements. 22. Interlocuteur en France – Par ailleurs, l'article 13 de la loi En toute hypothèse, on peut à nouveau se demander si cette fait obligation aux mêmes opérateurs de plateforme en ligne obligation a effectivement sa place dans une loi censée garan- de désigner « un représentant légal exerçant les fonctions d'in- tir la sincérité d'un processus électoral. Ne devrait-on pas lui terlocuteur référent sur le territoire français pour l'application reconnaître une portée plus large puisqu'elle doit en réalité des dispositions prévues au présent titre et au troisième alinéa favoriser le bon déroulement de débats d'intérêt général ? du 7 du I de l'article 6 de la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ». 24. Concertation – Enfin, l'article 15 de la loi rappelle aux opé- Une fonction nouvelle est ainsi créée : celle d'interlocuteur réfé- rateurs de plateforme concernés ainsi qu'aux agences de presse, rent sur le territoire français s'agissant de plateformes dont on aux éditeurs de publication de presse ou de services de presse imagine que les opérateurs sont situés à l'étranger. La loi du en ligne, aux éditeurs de services de communication audiovi- 22 décembre 2018 leur est applicable dès lors que leur activité suelle, aux annonceurs, aux organisations représentatives des « dépasse un seuil déterminé de connexions sur le territoire journalistes « et toute autre organisation susceptible de contri- français » (V., supra, no 13). Mais cette fonction reste incertaine : buer à la lutte contre la diffusion de fausses informations » qu'ils on ignore de qui ce représentant sera l'interlocuteur : de l'auto- « peuvent conclure des accords de coopération relatifs à la lutte rité judiciaire, des internautes qui effectuent les signalements contre la diffusion de fausses informations ». Il ne s'agit que ou du CSA qui est susceptible de contrôler sur ce point les d'une faculté : un vœu pieux législatif. Il part de l'idée que les plateformes ? Par ailleurs, aucune sanction spécifique n'est plateformes doivent être aidées dans la recherche de la vérité prévue en l'absence de désignation. et qu'à ce titre les professionnels de l'information ont un rôle à En réalité, ce texte retient surtout l'attention en ce qu'il témoigne jouer. Elles sont donc invitées à se rapprocher des journalistes d'une curieuse extension du champ d'application de la loi. Car afin de profiter de leur expérience dans le traitement de l'infor- cet « interlocuteur référent » doit faciliter non seulement la mise mation. Le Conseil constitutionnel aurait sans doute gagné à se en œuvre des dispositions précitées de la loi du 22 décembre saisir d'un grief sur ce point en relevant d'office l'absence de 2018 mais aussi de l'obligation de lutte contre certains contenus portée normative d'une telle disposition. odieux mises à la charge des plateformes, en tant qu'hébergeur, par l'article 6-I, § 7, alinéa 3, LCEN. Plus que jamais, on regret- 2. Les garanties du devoir de coopération tera que ces différents textes n'aient pas été rapprochés. Cela aurait notamment permis d'harmoniser les sanctions applicables. 25. Innovation – À plusieurs reprises, il a été signalé que le devoir de coopération des opérateurs de plateforme en ligne 23. Transparence – À la suite, l'article 14 de la loi impose aux en matière de lutte contre la diffusion de fausses informations opérateurs de plateforme, lorsqu'ils recourent à des algorithmes ne donnait pas lieu à des sanctions spécifiques, ce qui en limite de recommandation, classement ou référencement de contenus la portée. Toutefois, une telle opinion doit être atténuée car une d'information se rattachant à un débat d'intérêt général, de sanction à tout le moins morale est susceptible de découler du publier des statistiques agrégées sur leur fonctionnement. On contrôle que le CSA peut désormais effectuer en la matière. rappellera que le recours à ces algorithmes est de l'essence des En effet, à l'égard des services de radio et de télévision, le CSA plateformes en ligne telles que définies par l'article L. 111-7 du est déjà chargé de veiller à l'honnêteté de l'information diffusée code de la consommation et que le lien de l'information ainsi (L. 1986, art. 3-1, al. 3). Le législateur en a déduit qu'il pouvait proposée avec un débat d'intérêt général justifie l'application également veiller à l'honnêteté de l'information diffusée par de la loi du 22 décembre 2018. Celle-ci ne se contente donc pas l'intermédiaire des plateformes en ligne. Ainsi, la grande inno- de suggérer, à titre de mesure complémentaire (art. 11), la vation de la loi est l'extension des pouvoirs du CSA à l'égard de transparence des algorithmes ; elle commande en plus la trans- services qui ne relèvent pas nécessairement du droit de l'audio- parence de leur utilisation. visuel. En effet, son article 12 ajoute au texte de 1986 un article Le même texte précise à la suite que, pour chaque contenu, 17-2 précisant que le CSA « contribue à la lutte contre la diffusion doivent être mentionnées : « 1° La part d'accès direct, sans recours de fausses informations susceptibles de troubler l'ordre public aux algorithmes de recommandation, classement ou référen- ou de porter atteinte à la sincérité d'un des scrutins mentionnés cement ; 2° Les parts d'accès indirects imputables, d'une part, à l'algorithme du moteur de recherche interne de la plateforme le cas échéant et, d'autre part, aux autres algorithmes de recom- 27. « L'idée des auteurs de l'article est de promouvoir la transparence et implicitement de faire prendre conscience aux internautes que les contenus mandation, classement ou référencement de la plateforme qui auxquels ils ont accès en priorité sont déterminés de manière “artificielle” » sont intervenus dans l'accès aux contenus ». Ces statistiques (Rapport Morin-Desailly, Sénat no 677, 18 juill. 2018, p. 67).

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LP367-JANVIER-2019.indd 26 27/01/2019 19:37 au premier alinéa de l'article 33-1-1 de la présente loi » (al. 1). tion, de droits de la personne) ainsi que des obligations parti- On comprend mieux la place de cet article dans la loi nouvelle culières précisées dans le cadre d'une convention qu'ils sont (parmi d'autres consacrés aux plateformes et non au droit de tenus de conclure avec le régulateur (en matière de program- l'audiovisuel qu'il modifie pourtant)28 à la lumière mation, accès des personnes sourdes et malen- de ses dispositions suivantes : « en cas de néces- La grande innovation tendantes aux programmes, de publicité, parrai- sité, il adresse, à ce titre, aux opérateurs de plate- de la loi est l’extension des nage et télé-achat ainsi que de production et forme en ligne mentionnés au premier alinéa de pouvoirs du CSA à l’égard diffusion d'œuvres audiovisuelles). Il s'agit de l'article L. 163-1 du code électoral des recomman- de services qui ne relèvent répercuter sur ces services une partie des obliga- dations visant à améliorer la lutte contre la diffu- pas nécessairement du tions applicables aux chaînes de télévision et sion de telles informations » (al. 2) ; « il s'assure du droit de l’audiovisuel. stations de radio diffusées par voie hertzienne30. suivi de l'obligation pour les opérateurs de plate- Les dispositions nouvelles permettent de clarifier forme en ligne de prendre les mesures prévues à l'article 11 de les conditions dans lesquelles une telle convention peut être la loi no 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre conclue (A) avec le CSA, suspendue (B) ou résiliée (C) par lui. la manipulation de l'information » (al. 3). Elles ont une portée assez générale qui les éloigne de l'objet Pour assurer sa mission, le CSA peut donc intervenir de deux initial de la loi du 22 décembre 2018. façons : d'abord, a priori, en adoptant des recommandations qui identifieront les « bonnes pratiques » en la matière ; ensuite, a A – Le refus de conventionnement posteriori, en contrôlant l'activité des plateformes dans la lutte contre les fausses informations. Il pourra éventuellement leur 27. Présentation – L'article 5 de la loi nouvelle ajoute deux alinéas adresser des reproches dans le cadre du « bilan périodique » qu'il au § 1 de l'article 33-1 de la loi de 1986. Désormais, son alinéa 12 consacre à la question29. La sanction semble purement morale dispose que : « le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut rejeter car le statut d'hébergeur (responsabilité limitée) protège les la demande tendant à la conclusion d'une convention si la dif- plateformes. Le législateur a préféré agir ici sur leur réputation fusion du service de radio ou de télévision comporte un risque en espérant que, pour conserver du crédit à l'égard des internautes, grave d'atteinte à la dignité de la personne humaine, à la liberté elles s'autoréguleront. Néanmoins, l'innovation est intéressante et à la propriété d'autrui, au caractère pluraliste de l'expression car c'est peut-être le premier pas vers une extension des missions des courants de pensée et d'opinion, à la protection de l'enfance du CSA à l'égard de tous les sites internet qui, à défaut, d'auto- et de l'adolescence, à la sauvegarde de l'ordre public, aux besoins risation pourraient être soumis à des obligations particulières de la défense nationale ou aux intérêts fondamentaux de la dans le cadre de conventions préalablement négociées avec lui. Nation, dont le fonctionnement régulier de ses institutions. Il en L'idée de convergence gagne ainsi peu à peu du terrain. est de même lorsque la diffusion dudit service, eu égard à sa nature même, constituerait une violation des lois en vigueur ». II – Les obligations imposées à De telles dispositions comblent un vide en précisant les motifs certains services de communication pouvant conduire le CSA à refuser le conventionnement de l'un audiovisuelle de ces services. Il n'est pas sûr qu'elles aient été nécessaires car, dans de telles hypothèses, personne ne peut douter que le CSA 26. Périmètre – D'autres dispositions de la loi ont un champ avait déjà le droit de refuser de conclure une convention. Il en d'application différent. Elles ne concernent pas les plateformes allait déjà ainsi non seulement lorsque le service était susceptible de service en ligne mais certains services de communication de dérives31 mais aussi lorsqu'il apparaissait intrinsèquement audiovisuelle qui n'utilisent pas les fréquences assignées par le contraire aux règles applicables (parce qu'exclusivement consa- CSA et dont la diffusion n'est, de ce fait, pas soumise à autori- cré à une programmation illicite)32. Mais la solution présente sation préalable. Ce sont des services de radio ou télévision qui l'avantage de ne plus prêter à discussion. utilisent, pour leur distribution, les réseaux câblés, le satellite, En l'occurrence, les motifs retenus sont très proches de ceux l'ADSL ou la fibre optique. De tels services se voient imposer des pouvant justifier un refus d'autorisation (L. 1986, art. 1, 3-1 et obligations dites générales fixées par décret (en matière d'em- 15). Si les procédures restent distinctes, elles conduisent toute- ploi de la langue française, de retransmission d'événements fois à des résultats assez proches33. d'importance majeure, de respect des principes de pluralisme de l'expression des courants de pensée et d'opinion, de protec- 28. Justification – Par ailleurs, ces motifs de refus s'avèrent tion des mineurs, d'honnêteté et d'indépendance de l'informa- généraux. Ils n'ont pas directement trait à la diffusion de fausses informations en période électorale.

28. Ce nouveau texte prendre place après un art. 17-1 consacré à la compétence de règlement des différends reconnue au CSA, ce qui n'est guère logique. 30. V., E. Dreyer, Droit de la communication, LexisNexis, 2018, p. 296 et s. 29. Il publie un bilan périodique de l'application de ces dispositions et de 31. V., déjà, CE 11 févr. 2004, n° 249175, Société Medya TV, Lebon ; AJDA leur effectivité. Un droit d'accès lui est reconnu à cette fin : « il recueille 2004. 1203, note J. Saint Laurent . auprès de ces opérateurs, dans les conditions fixées à l'art. 19 de la 32. Ce qui consacre une jurisprudence antérieure du Conseil d'État présente loi, toutes les informations nécessaires à l'élaboration de ce interdisant, dans une telle hypothèse, au CSA de conclure une convention bilan » (al. 4). Il convient d'ailleurs de rappeler que l'art. 11-I de la même loi (CE 11 juill. 2012, n° 351253, Société Media Place Partners, Lebon ; AJDA impose aux plateformes de rendre public les mesures et moyens qu'elles 2012. 2096). consacrent à la lutte contre la diffusion de fausses informations. En vertu du 33. Refuser de conclure une convention équivaut à un refus d'autorisation même texte, elles doivent également adresser, chaque année, au CSA une d'émettre sur les réseaux non hertziens (V., CE 25 nov. 1998, n° 168125, déclaration dans laquelle sont précisées les modalités de mise en œuvre Compagnie luxembourgeoise de Télédiffusion, Lebon ; AJDA 1999. 54, desdites mesures. concl. D. Chauvaux).

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Certes, cette diffusion peut être un moyen de troubler l'ordre ne sont jamais clairement exprimées ? La seule convergence public, voire de menacer la défense nationale ou les intérêts des points de vue peut-elle suffire, voire l'absence d'esprit critique fondamentaux de la Nation, « dont le fonctionnement régulier par rapport aux actions menées par cet État ? C'est ignorer le de ses institutions ». Mais on peut tout de même penser qu'un relatif conformisme qui prévaut en la matière et n'admettre tel rattachement est fort indirect. À ce titre, cette adjonction l'indépendance que des organes d'opposition au risque de législative aurait sans doute mérité d'intervenir à l'occasion de manquer de neutralité dans l'octroi des conventions. Cette la réforme, bien plus ambitieuse du droit de l'audiovisuel, qui question de preuve peut s'avérer d'autant plus cruciale que tout est annoncée depuis le début de quinquennat. risque n'est pas pris en compte. La convention ne peut être En réalité, le lien avec l'objet de la loi du 22 décembre 2018 refusée qu'en cas de risque « grave » d'atteinte à l'une des valeurs apparaît un peu plus loin, dans le souci commun de lutter contre énumérées précédemment, donc un risque avéré. Comment un l'influence supposée néfaste de puissances étrangères. Il est tel risque sera-t-il démontré sur la base d'une comparaison avec exprimé par l'article 33-1, alinéa 13 qui permet au CSA, dans d'autres services sans liens officiels entre eux ? En toute hypo- l'appréciation des motifs de refus évoqués ci- thèse, on ne peut exclure que les décisions prises dessus, de « tenir compte des contenus que le La convention ne peut à cette occasion (comme en matière de suspen- demandeur, ses filiales, la personne morale qui être refusée qu’en cas de sion ou résiliation) par le CSA n'entraînent un le contrôle ou les filiales de celle-ci éditent sur risque « grave » d’atteinte à risque de représailles de la part des pays visés à d'autres services de communication au public l’une des valeurs énumérées l'encontre des médias français35. par voie électronique » lorsque ce demandeur précédemment, donc un est contrôlé ou influencé par un État étranger. Il risque avéré. Comment un tel 29. Constitutionnalité – Le Conseil constitution- s'agit de lutter contre des tentatives de déstabi- risque sera-t-il démontré sur nel a été saisi de différents griefs à l'encontre de lisation ourdies depuis l'étranger qui sont sus- la base d’une comparaison cette disposition qu'il a tous écartés. Il a admis ceptibles de fausser le débat public en France et avec d’autres services sans que, par les dispositions litigieuses, « le législateur de perturber le bon fonctionnement des institu- liens officiels entre eux ? a entendu prévenir toute diffusion par voie audio- tions. Sachant que, dans cette dernière hypothèse, visuelle ou radiophonique de contenus compor- les moyens employés et le moment auquel la signature de la tant un risque grave d'atteinte à l'ordre public, à la liberté convention est sollicitée importent peu : la communication d'autrui ou au caractère pluraliste des courants d'expression électronique dépasse les services audiovisuels pour inclure les socioculturels »36. Il a reconnu ainsi la légitimité de l'objectif services en lignes (sites échappant habituellement au contrôle poursuivi. Par ailleurs, il a admis que l'ingérence dans la liberté du CSA) et aucune allusion n'est faite à une demande de conven- de communication résultant d'un refus de conventionnement tionnement pour une diffusion en cours de période électorale. repose sur une base légale suffisante : « les motifs tenant à la Le CSA peut donc apprécier largement les risques que présente « sauvegarde de l'ordre public » et au risque grave d'atteinte le service pour lequel une convention doit être signée au regard aux « intérêts fondamentaux de la Nation », notions habituelle- de la ligne éditoriale des autres services exploités par des filiales ment utilisées par le législateur et appliquées par le juge, ne du même groupe ou des sociétés « amies ». Si l'ensemble révèle sont entachés d'aucune imprécision ». Ce qui est assez discutable37 une communauté d'inspiration contraire aux valeurs démocra- mais il est vrai qu'ici le principe de légalité n'est pas applicable tiques, il pourra en tenir compte au moment d'apprécier l'oppor- car le refus de conventionnement ne constitue pas une sanction tunité du conventionnement demandé. Ce qui est un gage de ayant un caractère de punition puisqu'il intervient a priori dans souplesse mais ajoute une difficulté supplémentaire. Le contrôle une logique essentiellement préventive. En conséquence, les qui s'exerce sur la société demanderesse s'apprécie au sens de sages de la rue de Montpensier ont admis qu'en autorisant pour l'article L. 233-3 du code de commerce. Toutefois, l'État étranger ces motifs le CSA à refuser de conclure la convention demandée, peut avoir pris la précaution de ne pas détenir lui-même une « le législateur a voulu éviter que puisse être autorisé un service fraction du capital ou des droits de votes dans cette société, ce dont le programme thématique serait par principe illicite ou qui rendra l'appréciation délicate. C'est sans doute la raison pour tendrait à promouvoir une activité illicite » (§ 33), de sorte qu'il laquelle est assimilée à cette première hypothèse une seconde « a opéré une conciliation équilibrée entre les exigences consti- dans laquelle la société demanderesse est sous l'influence d'un tutionnelles précitées et la liberté d'expression et de commu- État étranger34. Une telle extension paraît habile. Cependant, nication » (§ 35). elle risque de plus bel de se heurter à une difficulté de preuve. Mais ce n'est pas tout. Car, à la suite, ce dispositif a été contesté Comment établir que la demanderesse n'est pas indépendante sous l'angle du principe d'égalité. Était en cause le fait que par rapport à un État étranger ? Les pouvoirs d'investigation du l'article 33-1 traite différemment les personnes morales contrô- CSA ne sauraient être exercés en dehors du territoire national lées ou influencées par un État étranger et les autres dès lors (L. 1986, art. 19). Il ne sert à rien d'intégrer en législation des qu'il permet au CSA, dans le premier cas seulement, de refuser notions « plastiques » si elles sont inapplicables : comment le de conclure avec elles une convention en prenant en compte CSA pourra-t-il en l'espèce apprécier l'influence exercée sur une société par un pouvoir politique dont les intentions coupables 35. Rapport Morin-Desailly, préc., p. 33, qui souligne également « que la mise en demeure de Russia Today le 28 juin dernier par le CSA a été immédiatement suivie par une mise en cause de France 24 par l'autorité de 34. L'objectif est de permettre la prise en compte de l'activité des « sociétés contrôle des médias russes Roskomnadzor » (p. 38). qui, bien que n'ayant aucun lien capitalistique direct ou indirect avec un État, 36. Décis. no 2018-773 DC, préc., § 33. se trouvent placées sous la pression du pouvoir étatique et de facto sous la 37. Car l'approche de ces notions varie entre les textes, comp., C. pén., dépendance de ce dernier » (Rapport Studer, préc., p. 82). art. 410-1 et CSI, art. L. 811-3, par. ex.

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LP367-JANVIER-2019.indd 28 27/01/2019 19:37 des contenus édités sur d'autres services de communication assez floues. Comment le CSA pourra-t-il établir la connaissance électronique par ces personnes ou par d'autres qui leur sont par le service de la fausseté des nouvelles dénoncées et démon- proches. Néanmoins, pour le Conseil, en disposant ainsi, le légis- trer le caractère délibéré de leur diffusion ? Cette interrogation lateur a « pris en compte la gravité particulière d'une tentative semble peu compatible avec l'étendue du pouvoir qui lui est de déstabilisation émanant d'un média contrôlé directement alors conféré. En effet, l'instance de régulation « peut, pour ou indirectement par une puissance étrangère » (§ 41). Il a donc prévenir ou faire cesser ce trouble, ordonner la suspension de refusé d'admettre que les personnes contrôlées ou influencées la diffusion de ce service par tout procédé de communication par un État étranger se trouvent dans la même situation que les électronique jusqu'à la fin des opérations de vote ». La référence autres, ce qui permet de les traiter différemment. Par ailleurs, à la prévention étonne ici : a priori, il importe que de fausses le Conseil a estimé que, en étendant ce dispositif aux sociétés informations aient déjà été diffusées pour que la suspension du sous influence et non seulement sous le contrôle d'un État service puisse être décidée. Il s'agit de faire cesser un trouble étranger, le législateur « a souhaité soumettre à né et actuel. Par ailleurs, une telle suspension ces dispositions toute personne morale à laquelle Comment le CSA pourra- pendant toutes les opérations de vote peut un État étranger peut, en droit ou en fait, impo- t-il établir la connaissance paraître excessive alors qu'il n'est pas exigé que ser ses décisions ». Le flou de la formule n'a donc par le service de la fausseté l'intégralité du service ait été utilisée pour diffu- pas été relevé. des nouvelles dénoncées et ser de fausses nouvelles38. Il y aura là un arbitrage démontrer le caractère délibéré difficile à faire avec la liberté de communication. B – La suspension du service de leur diffusion ? Cette interro- gation semble peu compatible 32. Garanties – Les alinéas suivants de l'article 30. – On sait que le droit de l'audiovisuel connaît avec l’étendue du pouvoir qui 33-1-1 précisent les modalités de cette procé- deux modalités de suspension : par le CSA et par lui est alors conféré. dure : « s'il estime que les faits justifient l'enga- le juge administratif à la demande de ce dernier. gement de la procédure prévue au présent article, Elles ne concernent pas nécessairement les mêmes personnes. La le conseil notifie les griefs aux personnes mises en cause. Celles- première affecte directement le service ; la seconde peut concer- ci peuvent présenter leurs observations dans un délai de qua- ner ceux qui participent à sa diffusion. La loi du 22 décembre 2018 rante-huit heures à compter de la notification. Le présent alinéa apporte des modifications à ces deux procédures. n'est pas applicable dans les cas prévus aux 1° et 2° de l'article L. 121-2 du code des relations entre le public et l'administration » 1. La suspension de la diffusion (al. 2). Toutefois, cette concession au procès équitable est de pure forme car elle n'est pas applicable « en cas d'urgence ou 31. Présentation – L'article 6 de la loi créé une nouvelle hypo- de circonstances exceptionnelles », ni « lorsque leur mise en thèse dans laquelle le CSA peut exceptionnellement suspendre œuvre serait de nature à compromettre l'ordre public ou la la diffusion d'un service conventionné alors qu'il n'utilise pas conduite des relations internationales » (CRPA, art. L. 121-2, 1° des fréquences assignées par lui. C'est moins le principe de cette et 2°), c'est-à-dire précisément dans les hypothèses où la sus- suspension (qui existe déjà, L. 1986, art. 43-8 et 43-9) que les pension paraît justifiée. Même s'il s'agit de tenir compte ici de circonstances dans lesquelles elle intervient qui retiennent l'avis du Conseil d'État aux rapporteurs de la proposition, on l'attention. En l'occurrence, le nouvel article 33-1-1 ajouté à la frôle l'hypocrisie législative39. loi de 1986 n'est applicable que « pendant les trois mois précé- Seule véritable garantie, dans l'optique d'un contrôle juridic- dant le premier jour du mois de l'élection du président de la tionnel, une telle décision doit être motivée. De plus, elle est République, des élections générales des députés, de l'élection notifiée à l'intéressé « ainsi qu'aux distributeurs ou aux opérateurs des sénateurs, de l'élection des représentants au Parlement satellitaires qui assurent la diffusion du service en France et européen et des opérations référendaires, et jusqu'à la date du doivent assurer l'exécution de la mesure de suspension » (al. 3). tour de scrutin où ces élections sont acquises » (al. 1). Ce texte est donc beaucoup plus lié à l'objet de la loi nouvelle que le 33. Légitimité – Malgré toutes ces interrogations, le Conseil précédent. Néanmoins, il reprend une condition déjà évoquée constitutionnel a admis la légitimité de ce pouvoir de suspension. par l'article 33-1. En effet, il ne permet pas la suspension de tous Il a insisté sur le fait que, « en adoptant les dispositions contestées, les services conventionnés mais seulement des services « ayant le législateur a entendu lutter contre le risque que les citoyens fait l'objet d'une convention conclue avec une personne morale soient trompés ou manipulés dans l'exercice de leur vote par la contrôlée, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, diffusion de fausses informations sur des services de radio et de par un État étranger ou placée sous l'influence de cet État ». L'objet particulier de cette disposition est donc exclusivement 38. Évoquant les possibles interférences de la Russie dans les dernières d'empêcher la propagande étrangère utilisant ce type de service élections américaines et européennes (auxquels on pourrait ajouter les d'exercer une influence sur le déroulement d'élections nationales. référendum controversés sur le Brexit ou l'indépendance de la Catalogne), Ce qui risque, une fois de plus, de poser une difficulté de preuve : à travers les réseaux sociaux et la chaîne Russia Today, un parlementaire a convenu que « les nouvelles “manifestement fausses” sont cependant comment le CSA pourra-t-il vérifier si le service dont il a admis difficiles à isoler, les comptes relayant également tout ce qui, opinions, faits l'indépendance au moment où il a accepté son conventionne- peu ou pas vérifiables, tend explicitement à nuire au candidat finalement élu » (Rapport Morin-Desailly, préc., p. 21). ment a perdu celle-ci ? 39. En réalité, le Conseil d'État avait perçu la difficulté mais l'objection De surcroît, l'intervention du CSA est limitée au seul cas où le ne l'avait pas arrêtée dans la mesure où il considère que la procédure contradictoire ne peut être évitée qu'en cas d'« urgence exceptionnelle » service a diffusé « de façon délibérée, de fausses informations (Avis, préc., p. 9, § 31). Il appartiendra donc au CSA d'apprécier différents de nature à altérer la sincérité du scrutin ». Ces notions sont degrés d'urgence…

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télévision contrôlés par un État étranger ou placés sous son in- sont réunies sur la base des éléments avancés par le CSA. fluence. Il a ainsi entendu assurer la clarté du débat électoral et Une telle procédure est employée essentiellement lorsque la le respect du principe de sincérité du scrutin »40. Par ailleurs, il a personne morale exploitant le service ne réagit pas aux mises relevé que l'exercice de ce pouvoir de suspension est limité dans en demeure qui lui sont adressées, de sorte que la procédure le temps et qu'il ne peut être exercé « que si le service de radio évoquée ci-dessus semble vouée à l'échec. La mise en cause de ou de télévision diffuse “de façon délibérée, de fausses informa- celui qui diffuse ou distribue le service devant le juge permet tions de nature à altérer la sincérité du scrutin” ». Il a tout au plus d'obtenir la suspension à son insu. émis une réserve d'interprétation à cet égard : « les allégations ou imputations mises en cause ne sauraient, sans que soit mécon- 35. Légitimité – Une fois de plus, le Conseil a accepté ce dispo- nue la liberté d'expression et de communication, justifier une sitif. Là encore, il considère que ces dispositions mettent en telle décision si leur caractère inexact ou trompeur ou si le risque œuvre les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde d'altération de la sincérité du scrutin n'est pas manifeste » (§ 51). des intérêts fondamentaux de la Nation et que les notions uti- Il admet ainsi que l'intégralité du service puisse être suspendue lisées « ne créent pas d'incertitude sur les conditions de recours pour deux raisons qu'il présente comme alternatives alors qu'elles à la procédure contestée »43. Par ailleurs, il souligne que : « si, auraient mérité d'être cumulées. Le fait que le caractère inexact pour apprécier la gravité de l'atteinte portée par l'éditeur du ou trompeur des informations diffusées soit manifeste ne saurait service en cause aux intérêts fondamentaux de la Nation, le juge à lui seul justifier une telle atteinte à la liberté de communication. peut tenir compte, le cas échéant, des contenus que celui-ci, Mais il en va différemment si le risque d'altération du vote est ses filiales, la personne morale qui le contrôle ou les filiales de avéré. Cette prise en compte du résultat de la diffusion est habile : cette dernière éditent sur d'autres services de communication elle permet de considérer que l'atteinte à la liberté de commu- au public par voie électronique, la mesure de cessation suppose nication est proportionnée au résultat que l'abus de cette liber- qu'il soit établi que l'éditeur du service ait lui-même commis un té peut produire. Ce qui ne sera pas facile à établir41. L'audience manquement » (§ 78). Dès lors que la personne morale exploi- du service sera sans doute décisive à cet égard. Toutefois, si tant le service est impliquée dans l'atteinte portée aux intérêts l'information inexacte a été reprise par d'autres la suspension fondamentaux de la Nation, le diffuseur ou distributeur ne peut apparaîtra tardive et la manipulation un succès. On ne saurait donc contester cette restriction de sa liberté de communication. donc attacher trop d'importance à ce mécanisme. S'agissant de protéger la liberté d'un tiers, on peut admettre qu'ici la nécessité de respecter une exigence de proportionna- 2. La suspension de la distribution lité ne soit pas évoquée.

34. Extensions – Par ailleurs, la possibilité offerte au président du C – La résiliation de la convention CSA de demander en justice qu'il soit ordonné à la personne res- ponsable d'une violation de la loi du 30 septembre 1986 de mettre 36. Présentation – Enfin, l'article 8 de la loi du 22 décembre 2018 fin à ce manquement est étendue par l'article 10 de la loi nouvelle rétablit dans la charte de l'audiovisuel un article 42-6 permettant aux distributeurs de services (L. 1986, art. 42-10)42. La saisine du au CSA, après mise en demeure, de prononcer la résiliation uni- juge est nécessaire ici compte tenu de la mise en cause de ces tiers. latérale de la convention conclue avec la société exploitant un Les opérateurs satellitaires ne sont donc plus seuls concernés. service n'utilisant pas les fréquences assignées par lui dès lors que Le lien avec l'objet principal de la loi apparaît ensuite. Il est deux conditions sont remplies : d'abord il faut que cette société précisé dans le même texte que « la demande peut avoir pour soit « contrôlée, au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, objet de faire cesser la diffusion ou la distribution, par un opé- par un État étranger ou placée sous l'influence de cet État », ce rateur de réseaux satellitaires ou un distributeur de services, qui reste d'appréciation délicate ; ensuite, il faut que le service en d'un service de communication audiovisuelle relevant de la question « porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, compétence de la France et contrôlé, au sens de l'article L. 233-3 dont le fonctionnement régulier de ses institutions, notamment du code de commerce, par un État étranger ou placé sous l'in- par la diffusion de fausses informations ». Une simple atteinte à fluence de cet État si ce service porte atteinte aux intérêts fon- l'ordre public ne suffit donc pas : le bon fonctionnement des damentaux de la Nation, dont le fonctionnement régulier de pouvoirs publics doit être en cause, ce qui est également difficile ses institutions, notamment par la diffusion de fausses informa- à apprécier mais le nouvel article 42-6 de la loi de 1986 autorise tions. Pour apprécier cette atteinte, le juge peut, le cas échéant, là encore l'instance de régulation à prendre en compte « des tenir compte des contenus que l'éditeur du service, ses filiales, contenus que la société avec laquelle il a conclu la convention, la personne morale qui le contrôle ou les filiales de celle-ci ses filiales, la personne morale qui la contrôle ou les filiales de éditent sur d'autres services de communication au public par celle-ci éditent sur d'autres services de communication au public voie électronique ». C'est alors au juge d'apprécier si les condi- par voie électronique ». Cependant, il est expressément précisé tions de suspension de la diffusion ou distribution du service ici que le CSA ne peut « fonder sa décision sur ces seuls éléments ». Une telle faculté de résiliation unilatérale n'est pas nouvelle44.

40. Décis. no 2018-773 DC, préc., § 49. 41. L'impact des fausses nouvelles sur un scrutin est très difficile à mesurer, 43. Décis. no 2018-773 DC, préc., § 76. certains chercheurs prétendant même qu'il reste faible car ces informations 44. Toutefois, le retrait de l'autorisation, ou la résiliation de la convention servent essentiellement à conforter les électeurs dans leurs choix (Rapport au sens de l'art. 42-1, 4°, de la loi de 1986, est rarement employé (V., Morin-Desailly, préc., p. 15). essentiellement, au sujet d'Al Manar, CE 13 déc. 2004, n° 274757, Conseil 42. Recours devant le président de la section du contentieux du Conseil supérieur de l'audiovisuel, Lebon ; AJDA 2005. 206, note Y. Gounin ; d'État qui statue en référé et dont la décision est immédiatement exécutoire. D. 2005. 17).

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LP367-JANVIER-2019.indd 30 27/01/2019 19:37 Néanmoins, cette disposition complète ici les deux précédentes : contenus d'autres services de communication au public par le CSA doit pouvoir, à titre de sanction, résilier une convention voie électronique que lorsque ces derniers sont édités par une qu'il n'aurait jamais conclue s'il avait été informé de son évolu- filiale de la société ayant conclu la convention, par la personne tion après l'avoir au besoin suspendue (si des fausses informa- morale qui la contrôle ou par les filiales de cette dernière. Ces tions ont été délibérément diffusées pendant une sociétés partagent de ce fait une communauté campagne électorale). Il faut lui permettre d'anéan- Il s’agit d’une procédure d'intérêts de nature à faire présumer une concer- tir un tel accord dont l'exécution révèle que le curieuse car elle n’est pas tation d'action entre elles. D'autre part, ces dis- service n'est qu'un instrument de propagande au dirigée contre le service de positions excluent que la décision de résiliation profit d'une puissance étrangère. Peu importe le communication au public puisse alors être fondée sur ces seuls contenus » moment auquel cette sanction intervient : il n'est en ligne qui réalise cette (§ 70). Le Conseil en déduit qu'un tel texte permet pas nécessaire d'attendre que le bon déroulement diffusion mais contre les au législateur d'adapter sa réponse « compte tenu du prochain scrutin soit faussé. À noter toutefois intermédiaires techniques des stratégies susceptibles d'être mises en œuvre qu'au rebours de l'approche apparemment res- qui la permettent. par des États étrangers » (§ 71). trictive de ce texte qui paraît s'imposer la diffusion de fausses informations peut n'avoir été ici que l'un des moyens 38. – Mais ce n'est pas tout car la loi du 22 décembre 2018 envi- de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation sage encore l'hypothèse dans laquelle une campagne de désin- (« notamment »). Cela tient sans doute au fait que la résiliation formation serait menée à partir d'un service de communication ne peut intervenir qu'après mise en demeure ce qui suppose la au public en ligne. réitération d'un comportement témoignant d'un manque d'in- dépendance du service d'inspiration étrangère sans que de III – Les dispositions relatives aux nouvelles informations fausses soient effectivement diffusées. services de communication en ligne Toutefois, cela rend l'étude des articles 5, 6 et 8 de la loi exces- sivement complexe car, malgré une source d'inspiration com- 39. Présentation – Enfin, la loi nouvelle envisage donc l'hypo- mune, ils n'ont pas le même champ d'application. thèse dans laquelle une campagne de déstabilisation serait menée depuis un site internet. Elle permet la saisine d'un juge 37. Légitimité – Encore une fois, l'organe de la rue de Mont- des référés pour y mettre fin. Les pouvoirs qui lui sont dévo- pensier a lavé le nouveau texte de tout soupçon d'inconstitu- lus dans ce cadre ne sont pas précisément définis : l'essentiel tionnalité. Au regard de la protection due à la liberté de com- est qu'ils puissent interrompre la manipulation. Il peut, « sans munication, il a écarté tout grief en relevant que ces dispositions préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire… mettent en œuvre les exigences constitutionnelles inhérentes toutes mesures proportionnées et nécessaires pour faire à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, que la cesser cette diffusion ». Toutefois, il s'agit d'une procédure notion de fausse information « ne crée pas d'incertitude sur la curieuse car elle n'est pas dirigée contre le service de com- licéité des comportements susceptibles de tomber sous le coup munication au public en ligne qui réalise cette diffusion mais de la sanction contestée » et qu'il « en va de même de la notion contre les intermédiaires techniques qui la permettent : selon d'atteinte au fonctionnement régulier des institutions, qui ne la proposition de loi, ce dispositif « est inspiré du référé dit revêt aucun caractère équivoque » (décis. no 2018-773 DC du LCEN »45. Il présente en effet les mêmes inconvénients que 20 déc. 2018, § 61). Ce qui est insuffisant : l'instance de régulation celui figurant à l'article 6-I, § 8, LCEN. n'est invitée à aucune pondération des intérêts en cause. Précisons d'abord les conditions de sa mise en œuvre avant de Par ailleurs, la procédure est jugée équitable car « le législateur débattre de sa légitimité. a entendu qu'une telle sanction ne puisse être prononcée que si la personne faisant l'objet de la mise en demeure ne s'est pas A – Conditions de l'interdiction de la diffusion conformée à celle-ci » (§ 65). Le Conseil rappelle également que de fausses informations cette sanction ne peut être prononcée qu'au terme de la pro- cédure contradictoire définie à l'article 42-7 de la loi de 1986 et 40. – Il existe à la fois des conditions de fond et de forme. La loi qu'elle peut être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir. du 22 décembre 2018 s'attache en effet à préciser le fait géné- Enfin, tirant les conséquences de la qualification de sanction rateur de l'intervention du juge puis les modalités de l'action appliquée à la résiliation, le Conseil relève que « en autorisant exercée devant lui. le Conseil supérieur de l'audiovisuel, pour fonder sa décision de résiliation, à tenir compte des contenus diffusés sur d'autres 1. Le fait générateur services que celui objet de la convention en cause ou par d'autres personnes que celle signataire de cette convention, le législa- 41. Présentation – C'est la diffusion de fausses informations dans teur a entendu permettre que l'atteinte portée aux intérêts certaines circonstances qui justifie l'intervention du juge des fondamentaux de la Nation par le service visé par la procédure référés. L'illicéité du fait déterminant cette intervention ne tient de sanction puisse être établie au moyen d'un d'indices donc pas seulement aux contenus diffusés. Elle tient aussi au concordants attestant l'existence d'une stratégie impliquant moment où cette diffusion intervient ainsi qu'à son intensité. plusieurs sociétés liées entre elles et mise en œuvre par un État étranger » (§ 69). Puis il souligne le caractère limité de l'atteinte portée au caractère personnel de la responsabilité pénale : « les dispositions contestées ne permettent la prise en compte des 45. Exposé des motifs, p. 5.

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42. Délai – L'autorité judiciaire ne peut intervenir pour faire cesser Enfin, et en toute hypothèse, cette diffusion doit être massive. la diffusion de fausses informations qu'à un moment particulier. La volonté d'occuper l'espace numérique doit être certaine pour On retrouve ici une exigence temporelle déjà évoquée (V., supra, que l'idée de manipulation parvienne à s'imposer. Il ne suffit no 10) qui sert à établir l'urgence d'une telle intervention. Ainsi donc pas que l'information apparaisse une fois sur un réseau le nouvel article L. 163-2 du code électoral permet la saisine du social. Il faut qu'elle s'avère omniprésente et qu'elle soit visible juge (civil) des référés « pendant les trois mois précédant le premier du plus grand nombre. C'est alors qu'elle devient « virale », jour du mois d'élections générales et jusqu'à la date du tour de c'est-à-dire qu'elle risque d'intoxiquer les internautes. scrutin où celles-ci sont acquises ». Il s'agit de préserver la cam- pagne électorale de toute tentative de déstabilisation. 2. Les modalités de l'action

43. Informations – Celle-ci passera par la diffusion de fausses 45. Juge – L'action est dirigée devant un juge des référés, c'est- informations, lesquelles sont expressément définies à l'article à-dire un juge civil pouvant statuer en urgence, rapidement. À L. 163-2 comme devant être « des allégations ou imputations cet égard, l'article L. 163-2 précise que « le juge des référés se inexactes ou trompeuses d'un fait de nature à altérer la sincé- prononce dans un délai de quarante-huit heures à compter de rité du scrutin à venir ». C'est la disposition la plus précise de la la saisine » et que « en cas d'appel, la cour se prononce dans un loi nouvelle. Elle définit donc la fausse information en reprenant délai de quarante-huit heures à compter de la saisine » (§ 2). une formule empruntée à la diffamation : l'imputation d'un fait Mais le délai pour l'examen d'un éventuel pourvoi reste celui est un mode d'expression direct (celui qui s'exprime prétend du droit commun, ce qui peut allonger considérablement la avoir lui-même constaté le fait en question) alors que l'allégation procédure alors qu'une mesure attentatoire à l'exercice de la est un mode d'expression indirect (celui qui s'exprime prétend liberté d'expression a été prise. rapporter le propos d'un tiers sans le reprendre à son compte). Il est par ailleurs précisé que n'importe quelle juridiction ne Mais ici le propos ne doit pas porter atteinte à l'honneur ou à la pourra statuer : « les actions fondées sur le présent article sont considération d'autrui : il doit être faux, totalement (inexact) ou exclusivement portées devant un tribunal de grande instance partiellement (trompeur), selon une distinction davantage en et une cour d'appel déterminés par décret » (§ 3). A priori, com- cours en matière de pratique commerciale trompeuse (C. consom., pétence exclusive sera donnée au tribunal et à la Cour de Paris. art. L. 121-2, 2°). De surcroît, cette fausseté doit poursuivre un objectif particulier : 46. Demandeurs – Ce juge des référés pourra être saisi à la de- la fausseté de l'information n'est prise en compte que si elle permet mande du ministère public, de tout candidat, de tout parti ou d'altérer la sincérité du scrutin annoncé. Toute information fausse groupement politique ou de toute personne ayant intérêt à agir. n'est donc pas concernée. Cette information doit avoir un rapport La référence au ministère public ne manque pas de surprendre avec une élection dont elle est susceptible d’affecter le résultat. dès lors qu'une telle pratique n'est pas constitutive d'une infrac- Conscient du danger que l'intervention du juge des référés peut tion. Cependant, on sait qu'il peut intervenir en matière civile faire courir à la liberté de communication, le législateur s'est donc sur toute question relevant de l'intérêt général et on ne doute attaché à préciser les informations dont la diffusion pose problème. pas qu'il est fondé à le faire lorsque la sincérité d'un scrutin à venir est menacée. Il existe d'ailleurs d'autres hypothèses dans 44. Diffusion – Cependant, elle n'est pas en soi illicite. Cette lesquelles le ministère public peut saisir le juge des référés plutôt diffusion n'est prise en compte qu'à partir du moment où elle que le juge des libertés et de la détention (L. 1881, art. 50-1). intervient « de manière délibérée, artificielle ou automatisée et Mais il n'est pas seul. L'action est également ouverte à tout can- massive par le biais d'un service de communication au public didat, parti ou groupement politique (qui ont nécessairement en ligne ». Ce qui donne à la diffusion sa dangerosité. intérêt au bon déroulement de l'élection) ainsi qu'à toute personne D'abord, elle doit être délibérée : c'est en connaissance de cause ayant un intérêt à agir. Cette dernière formule paraît trop large que les fausses informations doivent être diffusées et non par si elle désigne tout électeur amené à se prononcer lors d'élections erreur. L'émetteur doit donc avoir eu conscience de leur inexactitude nationales. Toutefois, quelle autre interprétation lui substituer ? ou de leur caractère trompeur. Parlant de diffusion délibérée plutôt qu'intentionnelle, le législateur ne semble pas exiger qu’une 47. Défendeurs – L'action doit être dirigée non contre le service telle diffusion soit inscrite dans une démarche mensongère. Tou- de communication au public qui réalise la diffusion litigieuse tefois, on peine à imaginer qu'il puisse en aller autrement : celui mais contre les « personnes physiques ou morales mentionnées qui agit de la sorte, le fait nécessairement pour abuser le public. au 2 du I de l'article 6 de la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 pour Ensuite, cette diffusion doit être artificielle ou automatisée. Cela la confiance dans l'économie numérique ou, à défaut, à toute signifie que les informations en cause ne doivent pas avoir été personne mentionnée au 1 du même I », c'est-à-dire à titre diffusées spontanément par des internautes au terme d'un principal contre les hébergeurs du service en question et, à processus naturel de discussion. Elles doivent avoir été créées défaut, contre les fournisseurs d'accès. La référence au service de toute pièce et répliquées selon des procédés relevant en question est donc nécessaire car c'est à lui qu'une telle dif- notamment de l'intelligence artificielle (robots dits « bots »)46. fusion est imputable mais la loi n'a pas cherché à le responsa- biliser en incriminant son comportement. Si on peut estimer qu'une diffusion intervenant dans les conditions précitées est 46. « Il s'agit de lutter contre les contenus sponsorisés et les systèmes nécessairement illicite et doit permettre au juge des référés robotisés, les « fermes à clics », qui véhiculent ces fausses informations et qui le feraient sciemment, en sachant que l'information est fausse » d'exercer les pouvoirs qui lui sont reconnus en droit commun (Déclaration de N. Moutchou, in Rapport Studer, préc., p. 29). (C. pr. civ., art. 808 et 809), le législateur n'impose pas d'agir

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LP367-JANVIER-2019.indd 32 27/01/2019 19:37 contre lui au préalable. Il permet d'actionner directement les 50. Constitutionnalité – Pourtant, ce texte a lui aussi été intermédiaires techniques grâce auxquels les informations liti- déclaré conforme à la Constitution. Certes, le Conseil a rap- gieuses sont communiquées. Leur intervention n'est pas néces- pelé la nécessité pour le législateur de protéger la liberté sairement subsidiaire, ce qui – on le verra – pose difficulté. d'expression mais il a aussi dégagé un principe de sincérité du scrutin et estimé qu'en l'espèce les deux ont été correctement 48. Pouvoirs – Le fait que la mise en cause devant le juge des conciliés48. En effet, ce nouveau dispositif est limité dans le référés concerne des intermédiaires techniques et temps (§ 19) et « la procédure de référé ne non le diffuseur explique sans doute l'indétermi- La décision rendue, concerne que les contenus publiés sur des services nation des pouvoirs reconnus à ce magistrat. Ils même de manière rapide, de communication au public en ligne » (§ 20). doivent produire un résultat : mettre fin à la cam- risque alors de relancer Or, « ces services se prêtent plus facilement à des pagne de déstabilisation mais les moyens mobili- un débat qui aurait peut- manipulations massives et coordonnées en raison sés à ce titre sont laissés à sa libre appréciation. On être disparu sans elle. de leur multiplicité et des modalités particulières imagine que, statuant en urgence, il ordonnera le de diffusion de leurs contenus ». Par ailleurs, le déréférencement du site, le retrait du contenu en cause ainsi que Conseil a souligné que toutes les fausses informations ne sont l'interdiction de sa remise en ligne, la fermeture du compte d'un pas concernées puisque le législateur n'a visé ici que les « allé- utilisateur ayant contribué de manière répétée à la diffusion d'un gations ou imputations inexactes ou trompeuses d'un fait de tel contenu, voire le blocage d'accès au site internet. nature à altérer la sincérité du scrutin à venir » ; il a ajouté que toute diffusion n'est pas en cause mais seulement celles effec- B – Légitimité de l'interdiction de la diffusion tuées « de manière délibérée, artificielle ou automatisée et de fausses nouvelles massive », en soulignant qu'il s'agit de « trois conditions cumu- latives » (§ 21). Enfin, prenant en compte la difficulté d'appré- 49. Critiques – Une telle disposition a suscité des craintes dans ciation de la fausseté des informations diffusées, il a ajouté que la mesure où seul l'accès aux informations fausses doit pouvoir « compte tenu des conséquences d'une procédure pouvant légitimement être empêché et non l'accès à un site entier. Mais avoir pour effet de faire cesser la diffusion de certains contenus l'exigence de proportionnalité rappelée à l'article L. 163-2 du d'information, les allégations ou imputations mises en cause code électoral devrait limiter les mesures excessives. Dès lors ne sauraient, sans que soit méconnue la liberté d'expression et qu'il sera possible de distinguer, le juge des référés veillera à de communication, justifier une telle mesure que si leur carac- ménager la liberté de communication. tère inexact ou trompeur est manifeste. Il en est de même pour Plus sérieusement, ce texte a été présenté comme difficile à mettre le risque d'altération de la sincérité du scrutin, qui doit également en œuvre : en urgence, un juge peut-il distinguer le vrai du faux être manifeste » (§ 23). Il considère également que, « en per- dès lors que l'information en question n'est pas purement fantai- mettant au juge des référés de prescrire toutes les mesures siste ? Peut-il légitimement statuer sans que les auteurs de cette proportionnées et nécessaires pour faire cesser la diffusion des information soient mis en cause ? Ne risque-t-il pas d'être influen- contenus fautifs, le législateur lui a imposé de prononcer celles cé par les seuls éléments produits en demande alors que l'héber- qui sont les moins attentatoires à la liberté d'expression et de geur se contentera d'attendre sa décision sur ce point (car ce n'est communication » (§ 25). Plus que jamais, l'évidence et la mesure pas à lui de démontrer la base factuelle qu'aurait pu invoquer semblent être de l'essence de la juridiction des référés. Ces l'éditeur du service s'il avait été mis en cause) ? N'aurait-il pas été qualités permettent également de préserver la liberté de com- légitime d'attribuer à ce recours un caractère subsidiaire, c'est-à- munication. Mais elles nous semblent davantage inhérentes à dire de n'autoriser la mise en cause des intermédiaires techniques la personne du juge qu'à son statut. Il faudra des magistrats que dans les hypothèses où l'éditeur du service litigieux n'est pas dotés d'une grande sagesse pour que ces nouveaux pouvoirs identifiable ou ne répond pas aux mises en demeure qui lui sont s'exercent de manière équilibrée. La loi ne pouvait sans doute adressées ? Lui reprocher une intention délibérée d'altérer le pas les encadrer davantage. Cependant, elle leur confère une scrutin et en conséquence empêcher la diffusion de son service importante marge d'appréciation qui rend l'optimisme du Conseil sans qu'il soit dans la procédure a quelque chose de choquant. constitutionnel assez surprenant. E. D. N'oublions pas qu'en soi la diffusion de telles informations ne constitue pas une infraction puisque le législateur a renoncé à l'incriminer. Dans ces conditions, si le juge hésite (et, il hésitera nécessairement compte tenu de l'enjeu en période électorale), sa décision constatant que la fausseté n'est pas avérée risque d'être exploitée à l'appui de la tentative de manipulation par ceux qui se seront servi du procès comme d'une caisse de résonance pour amplifier encore leur propos et qui verrons dans l'échec de la procédure la preuve de la légitimité de leur démarche47. La décision rendue, même de manière rapide, risque alors de relan- cer un débat qui aurait peut-être disparu sans elle.

47. « Le risque est donc grand d'aboutir à une procédure détournée et instrumentalisée, qui déstabiliserait encore plus l'élection, en donnant une publicité inédite à ces informations » (Rapport Morin-Desailly, préc., p. 37). 48. Décis. no 2018-773 DC, préc., § 18.

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LP367-JANVIER-2019.indd 33 27/01/2019 19:37 Chroniques & opinions La liberté d’expression dans la tourmente numérique Compte rendu du Forum Légipresse du 7 octobre 2018

Droit au déréférencement, loi sur le secret des affaires, lutte contre les discours de haine en ligne, lutte contre la manipulation de l’information, droit voisin des éditeurs et agences de presse… l’actualité législative et jurisprudentielle récente illustre les limites apportées, au nom de la protection de droits concurrents, à la liberté d’expression numérique et au droit à l’information en ligne. Toujours consacré à « une question majeure du droit de la communication », le Forum Legipresse, qui s’est tenu à la Maison du Barreau le 17 octobre 2018, portait cette année sur « la liberté d’expression dans la tourmente numérique ».

omme l’a souligné Maître Basile Ader en sur « les décisions rendues au tribunal de Paris en introduction des travaux de la journée, matière de déréférencement : état des lieux et pers- ce sujet souvent abordé n’est pas épuisé. pectives ». Il a indiqué que, sur vingt décisions où CLa liberté d’expression est fragile. Le droit de la Google était en défense, rendues par la 17e chambre liberté d’expression est « un perpétuel chantier », depuis octobre 2016, 90 % étaient des ordonnances en raison des tentatives récurrentes de contour- de référé et, si l’on élimine les cas de « carence pro- nement de la loi de 1881 sur la liberté de la presse batoire du demandeur », 40 % ont fait droit à la de- et de l’existence d’une jurisprudence très dense mande. « L’état de la balance » effectué par le juge qui vient nourrir ce droit et l’équilibrer avec d’autres entre protection des données personnelles et droit droits et libertés. Agnès Granchet à l’information repose sur deux critères principaux : Maître de conférences la teneur des informations en cause et la situation Cet équilibre délicat était au cœur des cinq tables à l’Université Panthéon- du demandeur. La balance penche vers le droit des rondes du Forum. Les différentes communications Assas (Paris 2) données personnelles lorsque le site concerné vise et les nombreux échanges auxquels elles ont à attaquer le demandeur ou qu’il existe une base donné lieu1 ont plus particulièrement mis l’accent sur les me- factuelle, et vers le droit à l’information lorsqu’est en cause une naces (I) et les arbitres (II) de la liberté d’expression dans l’uni- procédure pénale en cours ou passée et très médiatisée, ou des vers numérique. faits anodins. L’existence d’un intérêt légitime, notamment pro- fessionnel, du demandeur peut justifier le déréférencement I - Les menaces de la liberté sollicité, sauf si l’intéressé est une personnalité publique, s’il a de d’expression hautes responsabilités ou s’il a procédé à la médiatisation des faits. Selon M. Rondeau, la mise en œuvre du droit au déréféren- Les menaces pesant sur la liberté d’expression tiennent à la cement laisse subsister plusieurs interrogations relatives à l’arti- préoccupation législative et jurisprudentielle d’assurer, dans culation entre droit des données personnelles et loi de 1881, au l’environnement numérique, le respect d’autres droits et libertés champ d’application territoriale du droit au déréférencement2 et relevant de la protection d’intérêts privés (A) ou publics (B). à la durée de ce déréférencement au regard du droit d’accès aux archives, lequel nécessite peut-être un « re-référencement » des A - Protection d’intérêts privés informations présentant un intérêt historique.

Trois des cinq tables rondes portaient sur la confrontation de la Dans son exposé portant sur « Droit au déréférencement : mise en liberté d’expression avec des intérêts privés, qu’il s’agisse du droit œuvre et zones d’ombre », M. Benjamin A. du Chaffaut, Head of Liti- à l’oubli des personnes (1) ou des intérêts des entreprises (2). gation and Law Enforcement chez Google, a indiqué que 44 % des URL concernées par les demandes de déréférencement formulées 1 - Droit à l’oubli des personnes en Europe ont été supprimées par Google, ce taux atteignant 49 % Ouvrant la première table ronde, intitulée « Droit à l’oubli : un pour la France. Le refus de déréférencement peut être fondé sur équilibre fragile entre liberté d’expression/d’information et protection des carences de preuve, sur le rôle de la personne dans la vie pu- de la vie privée », M. Thomas Rondeau, président de la 17e chambre du Tribunal de grande instance de Paris, était appelé à intervenir 2. Objet d’une question préjudicielle posée à la CJUE par CE 19 juill. 2017, no 399922, Google Inc., Lebon ; AJDA 2017. 1479 ; D. 2018. 1033, 1. Les actes du Forum feront l’objet d’une publication dans un prochain obs. B. Fauvarque-Cosson et W. Maxwell ; RFDA 2017. 972, concl. A. numéro de la revue. Bretonneau ; RTD eur. 2018. 396, obs. A. Bouveresse.

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LP367-JANVIER-2019.indd 34 27/01/2019 19:37 blique ou sur la qualité de personne morale du demandeur. De Maître Bigot a, en revanche, déploré la « surprotection de l’entreprise nombreuses « zones d’ombre » subsistent dans la mise en œuvre par une dénaturation de lois spéciales », que l’orateur a qualifiées du droit au déréférencement, en raison des incertitudes de la loi de « lois scélérates ». Dans l’affaire Tour Mag8, il a été jugé que de 1978 et du RGPD. Les informations relatives à des données l’obligation de discrétion alors imposée, par l’article L. 2325-5 du sensibles posent la question de la nécessité d’un filtrage préalable code du travail, aux membres du comité d’entreprise et aux repré- au référencement ou d’un déréférencement automatique sans sentants syndicaux à l’égard des informations confidentielles de mise en balance avec la liberté d’expression3. L’incidence de l’excep- l’entreprise, s’appliquait aussi aux médias. Dans l’affaire Challenge, tion journalistique est confuse. La portée territoriale le Tribunal de commerce de Paris9 a estimé que du droit au déréférencement oppose Google à la La loi sur le secret des l’obligation de confidentialité mise, par l’article CNIL, qui a sanctionné le moteur de recherche pour affaires va à l’encontre L. 611-15 du code de commerce, à la charge de ne pas avoir déréférencé sur l’ensemble de ses exten- de la tendance actuelle « toute personne qui est appelée à la procédure de sions4. Google procède au déréférencement sur toutes du juge à faire reculer conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses les versions nationales des pays membres de l’Union les secrets au profit de fonctions, en a connaissance », était opposable aux européenne et met en place un géo-blocage des la liberté d’expression. médias. Cette interprétation extensive a été confir- versions non européennes du moteur de recherche mée par la Cour de cassation10. Fondée en opportu- dans le pays d’origine de la demande de déréférencement. Mais il nité, elle n’est pourtant, selon Maître Bigot, pas juridiquement estime que l’application mondiale du droit au déréférencement défendable, au regard notamment de l’application rigoureuse de constituerait une atteinte à la souveraineté des États. Elle porterait l’article 11 du code de procédure pénale sur le secret de l’enquête le risque de contradiction entre autorités nationales ou de censure et de l’instruction, jugé inapplicable aux personnes qui ne par des pays moins démocratiques. Elle rendrait impossible la mise concourent pas à la procédure, donc inopposable aux médias11. en balance du droit au déréférencement avec les droits fondamen- taux dans d’autres États. Reconnaissant les divergences existant avec le secret de l’enquête et de l’instruction, M. Messinesi a admis que la jurisprudence 2 - Intérêts des entreprises relative à l’obligation de confidentialité répondait à un problème Dans le cadre de la quatrième table ronde, intitulée « Liberté d’expres- d’opportunité non résolu par les textes. Pour l’intervenant, la réfé- sion et protection des intérêts de l’entreprise : une confrontation perma- rence faite par l’article L. 611-15 du code de commerce à « toute nente », la question de la liberté de l’information sur l’entreprise personne » inclut aussi la presse. L’information sur la situation finan- devant les juges civil et consulaire a fait l’objet d’un débat entre cière des entreprises est nécessairement parcellaire parce que les Maître Christophe Bigot et M. Jean Messinesi, président du tribunal entreprises qui viennent chercher la protection de la justice doivent de commerce de Paris. Estimant que le principe selon lequel la liber- pouvoir négocier sereinement, sans craindre un procès externe té d’expression ne peut être limitée que dans les cas déterminés par sur leurs difficultés financières. Le président Messinesi a opéré la loi et a vocation à s’appliquer devant toutes les juridictions, Maître une distinction entre les deux phases de la procédure de redres- Bigot s’est félicité de l’unification récente de la jurisprudence civile sement des entreprises : la phase de négociation amiable, longue et commerciale en matière de dénigrement. Dans un arrêt du 11 juil- et difficile, où la confidentialité s’impose, et la phase judiciaire, let 20185, la première chambre civile de la Cour de cassation a plus brève, qui peut donner lieu à l’information du public. confirmé la possibilité, déjà admise par un arrêt du 2 juillet 20146, d’agir sur le fondement de l’article 1240 du code civil en cas de déni- Appelé à se demander si « la loi sur le secret des affaires »12 constitue grement de produits ou services, défini, de façon beaucoup plus « une menace pour la liberté d’expression », Maître William Bourdon large que la diffamation, comme la divulgation d’une « information a souligné le paradoxe de cette loi, qui va à l’encontre de la tendance de nature à jeter le discrédit sur un produit » ou un service. Par un arrêt actuelle du juge à faire reculer les secrets au profit de la liberté du 26 septembre 20187, la chambre commerciale de la Cour de d’expression et qui a été adoptée dans un contexte social favorable cassation s’est ralliée à la jurisprudence de la première chambre civile, à la transparence et hostile à l’instrumentalisation du secret par en distinguant le dénigrement de produits ou services, ressortissant les personnes responsables de manquements à l’intérêt général. de l’article 1240 du code civil et de la compétence du tribunal de Malgré sa validation par le Conseil constitutionnel13, la loi sur le commerce, et le discrédit d’une entreprise, relevant de la loi sur la secret des affaires entérine différents principes qui, selon Maître presse et de la compétence du tribunal de grande instance. Bourdon, posent problème. Le secret devient le principe et la li- berté l’exception. La loi consacre une définition peu satisfaisante du secret des affaires, qui laisse le périmètre de la protection déter- 3. Questions préjudicielles posées à la CJUE par CE 24 févr. 2017, miné par la personne qui la revendique. La « bêtise du législateur » no 391000, Lebon ; AJDA 2017. 436 ; ibid. 740, chron. G. Odinet et S. Roussel ; D. 2017. 500, obs. M.-C. de Montecler ; ibid. 2018. 1033, obs. B. Fauvarque-Cosson et W. Maxwell ; Dalloz IP/IT 2017. 479, obs. O. Henrard ; RFDA 2017. 535, concl. A. Bretonneau ; RTD eur. 2017. 803, 8.. Civ 1re, 11 mars 2014, Legipresse, no 316, mai 2014, p. 289-294, note obs. A. Bouveresse. C. Bigot. 4. CNIL, 10 mars 2016, no 2016-054, Legipresse, no 338, mai 2016, p. 285- 9. T. com. Paris, ord. réf., 22 janv. 2018, Legipresse, no 357, févr. 2018, 293, note N. Botchorichvili. no 357-25, p. 71. 5. Civ. 1re, 11 juill. 2018, no 17-21.457, D. 2018. 2010, note C. Bigot ; ibid. 10. Com. 4 oct. 2018, no 18-10.688, Rev. sociétés 2018. 743, obs. L. C. Henry. 2326, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra ; RTD civ. 2018. 11. Cons. const. 2 mars 2018, no 2017-693 QPC, csd. 9. 913, obs. P. Jourdain. 12. Loi no 2018-670 du 30 juill. 2018 relative à la protection du secret des 6. Civ. 1re, 2 juill. 2014, no 13-16.730, D. 2014. 1498 ; ibid. 2488, obs. Centre affaires, JO 31 juill. de droit de la concurrence Yves Serra ; ibid. 2015. 342, obs. E. Dreyer ; 13. Cons. const. 26 juill. 2018, no 2018-768 DC du 26 juill. 2018, RTD civ. 2015. 142, obs. P. Jourdain. Legipresse, no 363, sept. 2018, p. 455, note E. Derieux ; RDT 2018. 666, 7. Com. 26 sept. 2018, no 17-15.502. étude V. Champeil-Desplats .

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est surtout d’avoir donné, dans la loi sur le secret des affaires, une tion et ont une valeur économique propre. Sur le plan politique, définition du lanceur d’alerte différente de celle retenue dans la la consécration d’un droit voisin au profit des éditeurs est la seule loi Sapin 214. La seule application de la loi nouvelle, dans l’affaire alternative au démantèlement des oligopoles dominant le marché. du Levothyrox, a fait prévaloir le secret des affaires. Pour Maître Bourdon, l’effet potentiel le plus grave de cette loi est le risque B - Protection d’intérêts publics d’autocensure au nom du principe de précaution. Au-delà des intérêts privés des particuliers et des entreprises, La question de la protection des investissements des entreprises a la liberté d’expression numérique est confrontée à la protection été abordée au cours de la dernière table ronde, consacrée à « la d’intérêts publics tenant à la lutte contre la haine en ligne (1) et naissance d’un droit voisin au profit des éditeurs et agences de presse ». contre la manipulation de l’information (2). Dans la « présentation générale » de ce nouveau droit, Maître Florence Gaullier a rappelé qu’il trouvait son origine dans la revendication, 1 - Lutte contre la haine en ligne par les éditeurs de presse, d’un partage de la valeur avec les acteurs Au cours de la deuxième table ronde, intitulée « Lutte contre la de l’internet qui utilisent les contenus de presse sans contribuer haine en ligne : quelles solutions ? », les apports de la loi Égalité et aux investissements ni rémunérer les éditeurs, et dans le postulat citoyenneté ont été évoqués par le Professeur Emmanuel Dreyer, de l’inefficacité du droit d’auteur. Admettant que le droit voisin qui a souligné les limites des modifications de fond et de forme prévu par la proposition de directive européenne répond aux dif- apportées à la loi de 1881 par la loi du 27 janvier 2017. Sur le fond, ficultés des éditeurs, l’oratrice a regretté qu’il n’apporte, à un problème la louable extension du champ du délit de négationnisme réprimé général, qu’une solution spécifique à une catégorie particulière par l’article 24 bis, au-delà de la contestation publique de la Shoah, d’acteurs. Les titulaires du futur droit sont les éditeurs de publications au fait de nier, minorer ou banaliser publiquement, de façon outran- de presse et les agences de presse, à l’exclusion des éditeurs d’autres cière, l’existence d’un autre génocide, d’un crime contre l’huma- contenus culturels. Applicable aux seules utilisations nité, d’un crime de réduction en esclavage ou d’un numériques des publications de presse, le nouveau Les comptes anonymes crime de guerre, « lorsque ce crime a donné lieu à une droit voisin est comparable au droit d’auteur, tant freinent la lutte contre les condamnation prononcée par une juridiction française dans son contenu que dans ses exceptions, avec les contenus haineux lorsque ou internationale », risque de n’être que symbolique. mêmes incertitudes concernant les liens hypertextes. les plateformes refusent de En l’absence de condamnation juridictionnelle de Dans les trois versions concurrentes de la proposition communiquer les données certains crimes, tels la traite négrière ou le génocide de directive, la durée du futur droit varie d’un an à d’identification des titu- des Arméniens, aucune contestation ne pourra être cinq ou vingt ans, et la question de l’effet rétroactif laires de ces comptes. réprimée. Sur la forme, la volonté de simplifier les éventuel des nouvelles dispositions n’est pas tranchée. règles de poursuites applicables à la répression des Opposable aux prestataires de services de la société de l’information, diffamations, injures et provocations publiques avec un mobile ce droit voisin sera inopposable aux titulaires de droits sur les discriminatoire a échoué, selon le Professeur Dreyer, en raison du créations inclues dans les publications de presse, qui devront rece- maintien de ces infractions dans la loi de 1881, qui obéit à un régime voir une part des recettes perçues par les éditeurs au titre du droit procédural dérogatoire. La faculté accordée au juge de procéder voisin. Pour Maître Gaullier, ce nouveau droit risque de conduire à à la requalification des infractions ayant le même mobile discrimi- un affaiblissement du droit d’auteur, alors que d’autres voies, dont natoire « opère en vase clos ». Elle pose aussi problème au regard le renforcement de la présomption de titularité des droits ou l’har- de la preuve de la vérité du fait diffamatoire à raison d’une carac- monisation des exceptions, étaient envisageables. téristique personnelle, qui paraît admise alors qu’elle demeure irrecevable. L’interruption de la prescription avant l’engagement Exprimant « le point de vue des éditeurs », M. Laurent Bérard-Qué- des poursuites s’applique désormais, conformément au droit lin, président de la FNPS, a expliqué que le droit voisin revendiqué commun, aux infractions de presse commises avec un mobile comportait trois aspects économique, juridique et politique. Sur discriminatoire, sans exigence d’articulation et de qualification des le plan économique, il s’agit, pour les éditeurs, d’obtenir un partage faits, impossibles au stade de l’enquête. de la valeur produite par l’exploitation numérique des contenus de presse et captée par les infomédiaires qui y procèdent sans En dépit de la volonté politique de lutter contre la haine en ligne, avoir contribué à leur création. Sur le plan juridique, la reconnais- la répression des contenus haineux se heurte à différents obstacles. sance d’un droit voisin pour la presse permettra d’assurer la Dans son intervention consacrée à « la loi sur la presse et la LCEN à protection des investissements réalisés par les éditeurs et une l’épreuve des contenus haineux », Maître Ilana Soskin a proposé « un compensation directe de la perte subie en ligne du fait de l’exploi- retour d’expérience » sur les poursuites engagées contre les auteurs tation de leurs contenus. Ce droit devra couvrir les usages per- de contenus haineux diffusés en ligne. Les poursuites ne posent mettant la création de valeur par monétisation directe ou indirecte, aucun problème particulier lorsque l’auteur des propos est identi- la répartition de la valeur avec les journalistes faisant déjà l’objet fié, mais sont plus difficiles quand il s’agit de contenus diffusés sur d’une négociation. Outre les usages privés non commerciaux et les réseaux sociaux. L’absence de représentant local en France des les faits non protégés, le droit voisin devra exclure les liens hyper- opérateurs de ces réseaux rend impossible, pour les contenus illicites textes avec des mots individualisés, mais non accompagnés légalement notifiés et non retirés, l’engagement de poursuites sur d’extraits, qui n’entrent pas dans le champ de l’exception de cita- le fondement de la loi de 1881, qui ne permet d’engager que la responsabilité de personnes physiques. Les comptes anonymes freinent la lutte contre les contenus haineux lorsque les plateformes 14.. W Bourdon et A. Lefebvre, La protection des lanceurs d’alerte par la loi “Sapin 2” », Legipresse, no 349, mai 2017, p. 275. refusent de communiquer les données d’identification des titulaires

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LP367-JANVIER-2019.indd 36 27/01/2019 19:37 de ces comptes. L’exigence d’une notification des contenus illicites 410-1 du code pénal, « la forme républicaine de ses institutions ». Le par lettre recommandée, à laquelle est subordonné l’engagement pouvoir du CSA d’ordonner, pendant les trois mois précédant une de la responsabilité des hébergeurs est beaucoup trop formelle élection, la suspension temporaire d’un service conventionné, lié pour être opérationnelle. Les poursuites sont impossibles pour les à une puissance étrangère, qui diffuserait délibérément de fausses sites situés sur le dark web. La seule solution est alors d’obtenir, sur informations susceptibles d’altérer la sincérité du scrutin, paraît le fondement de l’article 50-1 de la loi de 1881, l’arrêt du service inutile et dangereux. La suspension risque d’être perçue comme diffusant majoritairement des propos haineux. une tentative de bâillonnement accréditant la véracité de l’infor- mation diffusée. Le pouvoir de prononcer, à titre de sanction, la 2 - Lutte contre la manipulation de l’information résiliation unilatérale de la convention conclue, pour l’exploitation Dans le cadre de la troisième table ronde sur les « fake news » et d’un service non hertzien, avec une personne morale sous influence « les nouveaux dispositifs contre la manipulation de l’information », d’un État étranger, avait déjà été reconnu au CSA à propos de la la « Présentation de la proposition de loi sur la manipulation de l’infor- chaîne Al Manar. Le CSA pourra tenir compte, dans son appréciation, mation » a fait l’objet d’un débat entre Madame Naïma Moutchou, des contenus édités par la personne morale sur les services de députée LRM et rapporteur pour la Commission des lois, et Maître communication au public par voie électronique. Le référé audiovi- Jean-Pierre Mignard. Madame Moutchou a expliqué que cette suel est étendu aux distributeurs de services, pour y inclure les proposition de loi était la réponse du législateur au danger que opérateurs d’internet. Pour Maître Weigel, le pluralisme est le remède représentent, pour le suffrage universel, les fake news diffusées sur le plus efficace contre la diffusion de fausses informations. La garan- les réseaux sociaux. Le texte prévoit une sensibilisation aux fausses tie de la liberté d’expression de tous les courants politiques permet informations dans le cadre de l’éducation aux médias et une res- de susciter le débat et d’éclairer le public, qui aura alors la capacité ponsabilisation accrue des plateformes en période électorale et de forger librement son opinion sur les informations diffusées. préélectorale. Ces plateformes, qui devront se doter d’un repré- sentant légal en France, seront alors tenues de dévoiler l’identité II - Les arbitres de la liberté des commanditaires de contenus sponsorisés. Pendant la même d’expression période, une nouvelle procédure de référé permettra au juge d’enjoindre aux plateformes de faire cesser la diffusion délibérée, La recherche d’un équilibre entre liberté d’expression et droits artificielle ou automatisée et massive de fausses informations de concurrents est un exercice délicat qui associe, dans l’univers nature à altérer la sincérité du scrutin. Seront seuls visés les conte- numérique, une pluralité d’arbitres publics et privés. Au juge, nus sciemment diffusés par des personnes cherchant à déstabili- gardien naturel des droits et libertés, et aux instances de régulation ser les institutions, pas le travail journalistique, sourcé et vérifié. missionnées par la loi, s’ajoutent de nombreux acteurs privés, en particulier les opérateurs de l’internet et les médias eux-mêmes. Maître Mignard a admis que le texte, qu’il a qualifié de « texte de Plusieurs participants au Forum ont mis en évidence les difficultés pré-guerre », était nécessaire pour protéger les institutions et l’ordre du contrôle judiciaire (A) les dangers des initiatives privées (B). public des actions de propagande menées par des puissances étrangères, notamment en période électorale. L’orateur s’est cepen- A - Difficultés du contrôle judiciaire dant demandé si la lutte contre les fake news n’aurait pas pu être rattachée à la répression de la diffusion des fausses nouvelles et si Comme l’a rappelé Maître Bigot à propos des obligations de la transformation des « fake news » en « fausses informations » ne confidentialité imposées aux médias, le juge n’a le pouvoir, ni de conduisait pas à dévaloriser la notion d’information. Maître Mignard créer des normes, ni de donner une interprétation extensive des a concédé que les fake news ne répondent pas à la définition juris- normes existantes. Les nouveaux droits consacrés par la loi ou la prudentielle des fausses nouvelles et que le dommage causé par jurisprudence risquent pourtant d’amener le juge à intervenir leur diffusion dépasse la diffamation ou l’atteinte à la vie privée dans la définition des règles (1) nécessaires à leur mise en œuvre. pour constituer un dommage plus global à l’ordre public et à la L’appréciation de la licéité des contenus diffusés en ligne accroît sécurité de la nation. Madame Moutchou a précisé que le nouveau les difficultés de sa mission d’interprétation des règles (2). dispositif visait à compléter les mécanismes existants pour combler les « angles mort » de la diffamation ou du délit de fausses nouvelles. 1 - Définition des règles En matière de droit au déréférencement, M. Rondeau s’est inquié- Le « volet audiovisuel » de la loi a été analysé par Maître Grégoire té de voir confié au seul juge « le soin de définir des règles capitales Weigel qui a mis en doute la réalité de « l’extension des pouvoirs du pour l’avenir ». Il a souligné les difficultés de la mise en balance CSA ». L’orateur a fait une « description un peu critique » de ce qu’il du droit individuel de la personne à la vie privée et du droit col- considère comme « une pièce rapportée », puisque les pouvoirs lectif des personnes à l’information. L’interdiction d’« ordonner prétendument nouveaux confiés par la loi au CSA existaient déjà. une mesure d’injonction d’ordre général »16 et le risque d’arbitraire Le pouvoir de refuser le conventionnement de services n’utilisant dans la recherche d’un équilibre entre droits concurrents imposent pas de fréquences hertziennes et dont la diffusion est susceptible au juge une obligation de motivation détaillée de sa décision. de créer des risques pour l’ordre public, a été reconnu au CSA par Pour M. Rondeau, le contentieux du déréférencement n’est pas le Conseil d’État en 200415. Il est désormais étendu au cas d’atteinte « aux intérêts fondamentaux de la nation » qui incluent, selon l’article 16.. Civ 1re, 14 févr. 2018, no 17-10.499, Legipresse, no 360, mai 2018, p. 271, note N. Verly et I. Soskin ; D. 2018. 348 ; ibid. 1033, obs. 15. CE 11 févr. 2004, no 249175, relatif à la chaîne Medya TV, éditée par B. Fauvarque-Cosson et W. Maxwell ; Dalloz IP/IT 2018. 250, obs. une société liée au PKK, Lebon ; AJDA 2004. 1203, note J. Saint Laurent . E. Derieux.

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massif mais les demandes de déréférencement devraient se diffamation ou injure. Madame Sauteraud n’en a pas moins admis multiplier à l’avenir. La faculté offerte au demandeur de saisir la les difficultés d’application de la notion de provocation retenue CNIL en cas de refus de Google de procéder au déréférencement par la Cour de cassation. Elle suppose une analyse précise des sollicité alimente une jurisprudence administrative et le risque propos litigieux pour distinguer les propos simplement choquants de divergences entre les deux ordres de juridictions. Selon M. du des véritables appels à la haine. Les peines prononcées font l’objet Chaffaut, le contentieux judiciaire du droit au déréférencement, d’une exigence particulière de motivation, le juge devant justifier qui a porté sur 60 ou 80 cas en France, demeure les amendes par les ressources et les charges des faible par rapport au nombre total de demandes. En ce qui concerne parties, et laisser à l’emprisonnement un caractère la lutte contre les fausses exceptionnel. La notion d’« exhortation implicite » est À propos de la loi sur le secret des affaires qui informations, la mission d’interprétation délicate. Considérée par M. Nicolas consacre une définition du lanceur d’alerte différente du juge, tenu de statuer Bonnal, conseiller à la Cour de cassation, comme de celle de la loi Sapin 2, Maître Bourdon s’est de- dans un délai de 48 heures, indispensable pour « appréhender les propos codés », mandé comment le juge allait faire avec « cette est complexe. il s’agit, selon le Professeur Dreyer, d’une « notion absurde distorsion de définition ». Dans le même assez logique » au regard du droit de la diffamation temps, l’intervention du juge est plutôt, pour l’avocat, un motif et de l’ancienne jurisprudence sur le délit de provocation, mais d’espoir, puisqu’il aura le dernier mot pour corriger les imperfections difficile à appliquer par le juge. et les ambiguïtés d’une loi mal rédigée et pourra « colmater et limi- ter les effets toxiques du texte ». En ce qui concerne la lutte contre les fausses informations, Maître Mignard s’est inquiété de l’obligation imposée au juge de devenir 2 - Interprétation des règles « le juge de la vérité ». La définition par le Conseil d’État de la fausse Invitée à évoquer « les nouveaux contours de la provocation à la information comme une information non vérifiable ne relevant haine ou à la violence raciale ou religieuse », Madame Anne-Marie pas de la simple expression d’une opinion, est subtile. La mission Sauteraud, présidente du pôle 2, chambre 7, à la Cour d’appel de du juge, tenu de statuer dans un délai de 48 heures, est complexe. Paris, a souligné les difficultés rencontrées par cette cour dans Maître Renaud Le Gunehec s’est interrogé sur la possibilité de l’application de ce délit, au regard des fluctuations de la jurispru- débattre contradictoirement de la vérité d’une information en dence de la chambre criminelle sur la notion de provocation. À l’absence du défendeur. Madame Moutchou a précisé que le juge l’origine, il suffisait, pour que le délit soit constitué, que les propos des référés, doté d’un « rôle chirurgical », est le juge de l’évidence, litigieux suscitent un sentiment de rejet, de haine ou d’hostilité. qui appréciera la matérialité des faits et prononcera la suspension La Cour de cassation a ultérieurement exigé que le propos incri- des seuls contenus « manifestement illicites ». miné tende, « tant par son sens que par sa portée », « à inciter le public à la discrimination, à la haine ou à la violence »17, puis qu’il B - Dangers des initiatives privées contienne un appel ou une exhortation à la discrimination, à la haine ou à la violence18. Un arrêt du 17 mars 201519 a repris l’inter- Plusieurs participants ont mis l’accent sur les risques de censure prétation antérieure, avant que la jurisprudence récente ne revienne liés à l’intervention des opérateurs de l’internet (1) dans la re- à une conception stricte de la provocation à la haine raciale20 ou cherche d’un équilibre entre liberté d’expression numérique et homophobe21, la Cour de cassation imposant la présence, dans les droits concurrents, ainsi que sur les potentiels effets pervers de propos incriminés, d’un appel ou d’une exhortation à la discrimi- l’autorégulation des médias (2) en matière de lutte contre les nation, à la haine ou à la violence, « même sous une forme implicite ». fausses informations.

Appelée à rendre différents arrêts sur le délit de provocation, la 1 - Intervention des opérateurs de l’internet Cour d’appel de Paris a suivi la jurisprudence de la Cour de cassa- Les moteurs de recherche, notamment Google, ont une respon- tion pour exclure la répression de propos ne contenant pas d’appel sabilité particulière dans la mise en œuvre du droit au déréfé- ou d’exhortation à la haine ou à la violence et de propos ne ciblant rencement. Rappelant que Google n’est pas un juge, M. du aucun groupe ou ne visant pas un groupe entier. Dans la motiva- Chaffaut s’est demandé si le rôle d’un moteur de recherche était tion de ses décisions, la cour d’appel a rappelé les fluctuations de de mettre en balance le droit au déréférencement et la liberté cette jurisprudence et justifié, par trois raisons essentielles, son d’expression. Même avec une équipe de juristes spécialisés, choix de tenir compte des décisions les plus récentes. La loi pénale l’appréciation est difficile. Google est en contact régulier avec est d’interprétation stricte. La liberté d’expression vaut, selon la la CNIL, qui lui signale les plaintes des personnes n’ayant pas Cour européenne des droits de l’homme, pour les idées qui obtenu satisfaction, et le moteur de recherche s’en remet à la « heurtent, choquent ou inquiètent ». À défaut de constituer une justice en exécutant les décisions judiciaires le mettant en cause. provocation, les propos poursuivis pourront être condamnés pour Comme l’a rappelé le Professeur Emmanuel Derieux, la suppres- sion d’une information par l’éditeur dispenserait les moteurs de recherche d’intervenir pour déréférencer le contenu concerné. 17. Crim. 29 janv. 2008, no 07-83.695, D. 2009. 1779, obs. J.-Y. Dupeux et T. Massis ; AJ pénal 2008. 141, obs. M.-E. C.. Les agrégateurs de contenus joueront un rôle important dans la 18. Crim. 8 nov. 2011, no 09-88.007, D. 2011. 2870 ; ibid. 2012. 765, obs. mise en œuvre du futur droit voisin des éditeurs et agences de E. Dreyer ; RSC 2012. 175, obs. J. Francillon. 19. Crim. 17 mars 2015, no 13-87.922, D. 2016. 277, obs. E. Dreyer. presse. Fort de son expérience dans la pratique du droit voisin 20. Crim. 7 juin 2017, no 16-80.322, D. 2017. 1814, note C. Bigot ; ibid. entré en vigueur en Allemagne le 1er août 2013 et qui inspire lar- 2018. 208, obs. E. Dreyer ; AJ pénal 2017. 398, obs. J.-B. Thierry. gement le modèle européen, M. Cédric Manara, Head of Copyright 21. Crim. 9 janv. 2018, no 16-87.450, Legipresse, no 358, mars 2018, p. 149-154, note C. Bigot. chez Google, a indiqué que l’introduction de ce nouveau droit avait

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LP367-JANVIER-2019.indd 38 27/01/2019 19:37 amené Google à solliciter le consentement des 5 000 sites de presse parence de la publicité, l’élimination des acteurs malveillants et allemands indexés dans Google News et à procéder au retrait des le développement, notamment en période électorale, de l’accès contenus de la moitié d’entre eux, qui n’avaient pas répondu posi- à une information neutre et de qualité pour tous les citoyens. tivement. La perte de trafic subie par certains éditeurs les a conduits à demander à Google leur ré-inclusion gratuite. La requête introduite 2 - Autorégulation des médias par la société VG Media, cessionnaire des droits de 200 titres de Chargé d’évoquer « La Journalism trust initiative, une initiative presse allemands, pour abus de position dominante de Google, a d’autorégulation innovante », M. Christophe Deloire, secrétaire été rejetée par le Tribunal de commerce et la Cour d’appel de Berlin. général de Reporters sans frontières, a fait état des deux initiatives, Ces juridictions ont estimé que rien n’obligeait un éditeur à souscrire macro et micro, lancées par l’ONG dans un contexte digital carac- une licence et que, en l’absence d’autorisation, le retrait des conte- térisé à la fois par des distorsions de concurrence entre contenus nus par Google était justifié. Il a même été considéré qu’en offrant vérifiés et fausses informations et entre régimes démocratiques aux internautes une diversité de sources, les agrégateurs de conte- et despotiques, et par la remise en cause des distinctions tradi- nus contribuaient à « un système symbiotique gagnant-gagnant ». tionnelles, notamment entre espaces public et privé, entre espaces publics nationaux, ou entre contenus journalistiques et publici- Chargé d’évoquer la coopération des plateformes dans le combat taires. Sur le plan macro, une Commission sur l’information et la contre la haine en ligne, M. Anton Maria Battesti, responsable des démocratie, composée de vingt-cinq personnes de dix-huit natio- affaires publiques de Facebook France, a expliqué comment les nalités différentes, a été mise en place pour élaborer une Décla- règles adoptées par le réseau social et les processus de contrôle ration sur l’information et la démocratie22. Publiée le 5 novembre des contenus diffusés contribuent à limiter la diffusion de contenus 2018, elle a pour objet de garantir l’effectivité de la liberté d’expres- haineux. Les conditions d’utilisation du réseau social imposent aux sion dans « l’espace global de l’information et de la communication », utilisateurs de faire usage de leur identité réelle. Les « standards considéré comme « un bien commun de l’humanité ». de la communauté » édictent des règles très détaillées relatives aux contenus diffusés sur le réseau. Concernant les discours de haine, Sur le plan micro, le dispositif mis en place tend à favoriser le com- Facebook combine un dispositif de signalement de tous types de portement des acteurs qui œuvrent en faveur de la fiabilité de contenus, examinés par 20 000 modérateurs, sans être nécessai- l’information par le respect de la déontologie dans sa collecte et sa rement retirés, et un système de détection automatique des pro- diffusion. Ce dispositif comporte trois étapes : la normalisation sous pos manifestement haineux, qui doit encore être perfectionné l’égide du comité européen de normalisation, la certification des pour appréhender les discours plus insidieux. Plusieurs participants organismes respectant les normes du référentiel défini et l’octroi se sont inquiétés des risques d’atteintes à la liberté d’expression d’avantages aux acteurs les plus proches des idéaux du journalisme. liées à la mise en œuvre, par Facebook, de contrôles a priori de L’ensemble ne s’inscrit pas dans une logique de censure, mais certains contenus, au risque de suppression automatique de vise à fournir un outil d’évaluation utile aux plateformes, aux annon- contenus parfaitement licites, ou à la faculté de procéder au filtrage ceurs et aux organes de régulation et d’autorégulation. M. Bérard- ou blocage de contenus avant toute décision judiciaire. M. Battesti Quélin s’est inquiété du caractère approximatif des critères de la a répondu que, si la plateforme revendique une liberté et une normalisation projetée et des risques de contradiction avec l’appré- autonomie d’appréciation des contenus diffusés et des personnes ciation de la CPPAP. Il a également envisagé l’éventualité d’une acceptées sur le réseau « Facebook ne prétend pas faire de la juris- stigmatisation des sites labellisés et du développement de sites prudence », mais coopère avec les autorités chargées de l’élaborer. alternatifs promus par les utilisateurs friands d’informations « trash ».

Dans une intervention intitulée « Combattre les fausses informa- Menacée « dans la tourmente numérique », la liberté d’expression tions et protéger l’intégrité des élections sur Facebook », Elisa Borry, a, plus que jamais, été mise à l’honneur au cours du dernier Politics and Government Associate Manager de Facebook pour Forum Legipresse, tant par le thème de réflexion retenu que par la France et l’Europe, a expliqué que l’approche du réseau social le déroulement de la journée. reposait sur cinq piliers. Le premier est la sanction des faux comptes, qui passe par un système automatique de recherche La liberté d’expression a constitué, selon les propos de Maître proactive et par un dispositif de signalement mobilisant environ Ader, « l’épine dorsale » des différentes questions d’actualité 20 000 personnes. Le deuxième axe de l’action de Facebook est abordées dans les cinq tables rondes. Les diverses communications la réduction de la propagation des fausses informations. La et les riches échanges entre professionnels du droit, universitaires plateforme s’efforce de diminuer la visibilité des contenus pro- et représentants des acteurs de l’internet, ont permis de confron- blématiques par une détection automatique des « fermes à clics » ter les points de vue et de nourrir la réflexion des participants et par l’établissement de partenariats avec un pool de fact chec- sur les défis posés à cette liberté par les enjeux du numérique. kers, journalistes indépendants appartenant à différents médias traditionnels, chargés d’analyser les contenus signalés comme Toujours très attendu des praticiens et spécialistes de la com- de « potentielles fausses informations » et les contenus similaires munication, le Forum annuel de la revue Legipresse a, de ce automatiquement détectés par le réseau. Facebook participe double point de vue, été une particulière réussite ! A.G. aussi à l’éducation aux médias de ses utilisateurs, par la diffusion, sur son fil d’actualité, d’un module sur le décryptage de l’infor- mation et par le biais d’une plateforme avec des « Ressources sur le numérique » destinées aux enseignants. Les trois derniers piliers de l’action de Facebook concernent le renforcement de la trans- 22. https://bit.ly/2FGwJH8

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du 25 octobre 20182. Si cet arrêt a curieusement suscité une vive La vie sexuelle du prophète controverse doctrinale, il semble néanmoins s'inscrire dans la de l'islam devant la Cour européenne droite ligne de la jurisprudence européenne portant sur la déli- cate question du conflit entre la liberté d'expression et la pro- des droits de l'homme tection des convictions religieuses.

En l'espèce, la requérante, E. S., ressortissante autrichienne, a Mots-clés : Liberté d'expression - Religion - CEDH - Islam animé, en octobre et novembre 2009, à l'invitation du Parti d'extrême-droite autrichien FPÖ, plusieurs séminaires intitulés Cour européenne des droits de l'homme, « Informations de base sur l'islam » au cours desquels elle évoqua 25 octobre 2018, le mariage entre le prophète de l'islam Mahomet et la jeune no 38450/12 Aïcha alors âgée de six ans, et le fait que ledit mariage aurait E. S. c/ Autriche 365-15 été consommé lorsque celle-ci avait neuf ans. À cette occasion, elle déclara entre autres que le prophète « aimait le faire avec La Cour européenne des droits de l'homme estime que des enfants » et s'interrogea en ces termes : « un homme de la condamnation d'une conférencière pour « dénigrement cinquante-six ans et une fille de six ans (…) De quoi s'agit-il, si ce de doctrine religieuse » ne violait pas son droit à la liberté n'est de pédophilie ? ». Le Tribunal correctionnel régional de d'expression dans la mesure où ses déclarations, accusant le Vienne jugea que ces déclarations insinuaient que le prophète prophète de l'islam de pédophilie, avaient littéralement de l'islam avait des tendances pédophiles et condamna en outrepassé les limites admissibles d'un débat objectif et conséquence la conférencière pour dénigrement de doctrine qu'elles représentaient une véritable menace pour la religieuse, conformément à l'article 188 du code criminel autri- préservation de la paix religieuse dans la société chien. La Cour d'appel de Vienne et la Cour suprême rejetèrent autrichienne. Elle confère, dans un pareil contexte, une large les recours formés par l'intéressée en souscrivant pour l'essen- marge d'appréciation aux autorités étatiques qu'elle justifie tiel aux conclusions du tribunal de première instance. en raison de l'absence de consensus européen en matière de protection des convictions ou croyances religieuses. Mais, se défendant de toute volonté de dénigrement ou de diffamation à l'encontre du prophète Mahomet, la requérante tenta de faire constater par la Cour européenne des droits de ■■C ommentAIRE l'homme une atteinte à son droit à la liberté d'expression. Ainsi, la Cour a elle été amenée à se prononcer sur la question Lyn François cruciale de la conformité à la Convention européenne de Maître de Conférences à l’Université l'infraction autrichienne de « dénigrement de doctrine reli- de Limoges (OMIJ-CRED EA 3177) gieuse ». La décision était très attendue en raison de la contro- verse doctrinale concernant le « droit au blasphème »3 large- ment alimentée par la jurisprudence européenne qui valorise Le contentieux européen en matière de protection des convic- le droit au respect des sentiments religieux. La Cour de Stras- tions religieuses aura fait couler beaucoup d'encre1. Il faut se bourg conclut à l'unanimité à la non-violation de l'article 10 résoudre à en répandre encore un peu puisque la Cour euro- de la Convention européenne en insistant d'une part, sur le péenne des droits de l'homme vient d'aborder à nouveau la fait que la critique litigieuse avait outrepassé les limites admis- question dans un arrêt, pour le moins remarqué, E. S. c/ Autriche sibles de la liberté d'expression (I) et, d'autre part, sur la marge d'appréciation des autorités nationales en matière d'atteintes aux convictions religieuses (II).

1. G. Gonzalez, Liberté d'expression et convictions religieuses dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, CRDF, no 8, I - Une critique outrepassant 2010, p. 91 ; La Convention européenne des droits de l’homme et la liberté des religions, Paris, Économica, 1997 ; P. Rolland, Blasphème, diffamation, les limites de la liberté d'expression injure : la religion devant la liberté de la presse, in La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ?, Actes du colloque ss Les lecteurs de cette prestigieuse revue savent spontanément la dir. de N. Droin et W. Jean-Baptiste, LGDJ, coll. « Grands colloques », qu'aucun droit ou encore aucune liberté n'est absolu. Il existe 2017, p. 139 ; L. François, Liberté d'expression et convictions religieuses dans la jurisprudence européenne, Légipresse oct. 2006, no 235, p. 109 ; donc des limites à la liberté d'expression, y compris lorsque le M. Candela Soriano et A. Defossez, La liberté d'expression face à la morale débat porte sur des questions de religion. Ces limites sont fré- et à la religion : analyse de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, RTDH 2006. 817 ; P.-F. Docquir, La Cour européenne quemment rappelées par la Cour européenne des droits de sacrifie-t-elle la liberté d'expression pour protéger les sensibilités l'homme qui, au moment même où elle protège efficacement religieuses, RTDH 2006, no 68, p. 839 ; P. Rolland, Existe-t-il un droit au la liberté d'expression contre des dérives religieuses, affirme, respect des convictions religieuses dans les médias ? Sur une jurisprudence récente de la Cour européenne des droits de l'homme, RFDA 2004. 1001 ; parallèlement, que l'exercice de cette liberté « comporte toute- B. Wilson, Le respect des convictions religieuses d'autrui et la protection de fois des devoirs et des responsabilités ». En réalité, la Cour euro- la morale : limites ultimes à la liberté d'expression au sens de l'article 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, Rev. suisse dr. internat. et eur. 2000, p. 475 ; J.-M. Larralde, La liberté d'expression et le blasphème, RTDH 1997. 725 ; P. Wachsmann, La religion contre la liberté 2. CEDH 25 oct. 2018, E. S. c/ Autriche, no 38450/12. d'expression : sur un arrêt regrettable de la Cour européenne des droits de 3. Sur cette question, v. not. M. Leroy, Le droit au blasphème, in Liber l'homme, RUDH 1994. 441. amicorum Paul Martens, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 383.

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LP367-JANVIER-2019.indd 40 27/01/2019 19:37 péenne procède à une mise en balance entre la liberté d'expres- n'est pas le cas en l'espèce dans la mesure où les propos litigieux sion et les convictions religieuses dont elle assure ici la prévalence visaient principalement à dénigrer le prophète de l'islam en eu égard au fait que la critique litigieuse n'apporte aucune l'accusant de pédophilie. contribution à un débat d'intérêt général (A) et qu'elle représente une véritable menace pour la préservation de la paix religieuse Il en irait différemment si les propos de la requérante s'inscrivaient (B) au sein de la société autrichienne. dans le vaste débat d'idées relatif au mariage d'enfants. Dans un pareil contexte, il ne fait aucun doute que la Cour européenne A - Une absence de contribution de la critique aurait reconnu l'existence d'un sujet d'intérêt général d'autant à un débat d'intérêt général qu'elle a, elle-même, été appelée à connaître de la question dans l'arrêt Z. H. et R. H. c/ Suisse du 8 décembre 20158, où elle a Pour justifier sa décision de non-violation de l'article 10 de la refusé d'interpréter le droit à mener une vie familiale normale Convention, la Cour européenne souligne que les propos liti- comme imposant à un État membre de reconnaître la validité gieux n'avaient pas été tenus d'une manière objective contri- du mariage célébré religieusement et contracté par un enfant buant à un débat d'intérêt général, mais pou- âgé de quatorze ans. La requérante aurait sou- vaient uniquement être compris comme ayant La décision était très at- levé un débat objectif dont le rappel historique visé à démontrer que le prophète n'était pas tendue en raison de la contro- lui aurait sans doute permis de donner à son digne d'être vénéré. Par cette formule, la Cour verse doctrinale concernant auditoire des informations neutres permettant entend protéger les convictions religieuses le « droit au blasphème » de comprendre que le mariage d'enfants n'était contre des jugements de valeur dépourvus de largement alimentée par pas un phénomène propre à l'islam, mais était toute base factuelle et gratuitement offensants la jurisprudence européenne une pratique largement répandue dans les dynas- pour les croyants. La solution retenue rappelle qui valorise le droit au respect ties européennes. Or, ainsi que le souligne la Cour immanquablement le principe déjà posé dans des sentiments religieux. européenne des droits de l'homme à la suite des les arrêts Otto-Preminger Institut4 et Wingrove5 juridictions autrichiennes, les propos de la requé- selon lequel « dans le contexte des opinions et croyances reli- rante visaient uniquement à dénigrer le prophète de l'islam au gieuses, peut légitimement être comprise une obligation point de constituer une véritable menace pour la préservation d'éviter autant que faire se peut des expressions qui sont de la paix religieuse dans le pays. gratuitement offensantes pour autrui et (…), qui, dès lors, ne contribuent à aucune forme de débat public capable de favo- B - Une menace de la critique pour la préservation riser le progrès dans les affaires du genre humain ». C'est dire de la « paix religieuse » que la Cour recherche l'existence d'un débat public auquel elle semble assigner une « finalité sociale ». Cette notion de « paix religieuse » rappelle sans conteste celle de « paisible jouissance » utilisée par la jurisprudence européenne Une telle finalité était déjà présente dans le célèbre arrêt Gi- dans plusieurs arrêts concernant la liberté d'expression dans le niewski c/ France du 31 janvier 20066. En effet, statuant à propos domaine religieux. Ainsi, par exemple, dans l'arrêt Otto-Premin- de la publication d'un article de presse reprochant à l'encyclique ger Institut c/ Autriche9 relatif à la saisie et la confiscation d'un papale Veritatis Splendor de comporter des ferments d'antisé- film manifestement insultant vis-à-vis des chrétiens, la Cour mitisme, la Cour de Strasbourg conclut à la violation de l'article européenne estima que « la manière dont les croyances et 10 de la Convention en considérant que l'auteur « a voulu doctrines religieuses font l'objet d'une opposition ou d'une élaborer une thèse sur la portée d'un dogme et sur ses liens dénégation est une question qui peut engager la responsabi- possibles avec les origines de l'holocauste et qu'il a ainsi ap- lité de l'État, notamment celle d'assurer à ceux qui professent porté une contribution, par définition discutable, à un vaste ces croyances et doctrines la paisible jouissance du droit garan- débat d'idées (…) sans ouvrir une polémique gratuite ou éloi- ti par l'article 9 de la [Convention] ». À la différence de la notion gnée des réflexions contemporaines ». Dès lors que l'expression de « paisible jouissance » d'un droit qui renvoie à la protection litigieuse s'inscrit dans un débat d'idées, il ne peut être question de ses titulaires, en l'occurrence les croyants, la notion de « paix de « polémique gratuite » de sorte que les restrictions à la li- religieuse » apparaît plus large et semble évoquer la cohabitation berté d'expression appellent une interprétation étroite7. Tel pacifique qu'il incombe à l'État de faire régner entre les diverses religions dans une société démocratique. Mais la question se pose de savoir à partir de quand une critique devient une véri- 4. CEDH 20 sept. 1994, Otto-Preminger Institut c/ Autriche, no 13470/87, AJDA 1995. 212, chron. J.-F. Flauss ; RFDA 1995. 1172, chron. H. Labayle table menace pour la paix religieuse. En d'autres termes, il s'agit et F. Sudre . de s'interroger sur la manière d'éviter qu'une appréciation 5. CEDH 25 nov. 1996, Wingrove c/ Royaume-Uni, no 17419/90, AJDA 1998. 37, chron. J.-F. Flauss . subjective de la menace ne conduise à la disparition de la plus 6. CEDH 31 janv. 2006, Giniewski c/ France, no 64016/00, AJDA 2006. élémentaire liberté d'expression. 466, chron. J.-F. Flauss ; D. 2006. 1717, obs. J.-F. Renucci ; RTDH 2006. 839, note P.-F. Docquiir. V. égal., E. Derieux, Contestation de la doctrine catholique et bonne foi, Légipresse, avr. 2006, no 230, p. 43 ; J.-F. Flauss, Actualité de la Convention européenne des droits de l'homme (août 2005- janv. 2006), AJDA 2006. 466. 8. CEDH 8 déc. 2015, Z. H. et R. H. c/ Suisse, no 60119/12, D. 2016. 7. Sur cette question, v. C. Bigot, La liberté d'expression en Europe, 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1334, obs. J.-J. Victoires, coll. « Légipresse », 2018, p. 37. Pour une étude de la Lemouland et D. Vigneau ; Dr. fam. 2016, alerte no 10, obs. M. Larmarche. jurisprudence européenne sur la notion de débat d'intérêt général, 9. CEDH 20 sept. 1994, Otto-Preminger Institut c/ Autriche, no 13470/87, v. L. François, Le débat d'intérêt général dans la jurisprudence de la Cour AJDA 1995. 212, chron. J.-F. Flauss ; RFDA 1995. 1172, chron. H. Labayle européenne des droits de l'homme, Légipresse 2014. 339 et 403. et F. Sudre.

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La jurisprudence a dégagé et cherché à appliquer des critères en elle a toujours considéré que les États disposent d'une large la matière. Il existe, à proprement parler, une obligation d'éviter des marge d'appréciation dans le domaine de la liberté d'expression expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui et pro- confrontée aux croyances religieuses13. C'est ce qu'elle rappelle fanatrices. Deux éléments permettent de caractériser l'expression dans l'arrêt E. S. c/ Autriche en relevant que les autorités autri- offensante : d'une part, sa gratuité, car elle n'apporte aucune contri- chiennes sont mieux placées pour déterminer quelles étaient bution à un débat public, et, d'autre part, sa gravité, car elle vise à les déclarations susceptibles de troubler la paix religieuse dans stigmatiser un évènement « sacré » ou un symbole fondamental le pays. Cette grande marge nationale d'appréciation trouve de la religion. Ainsi dans l'arrêt I.A c/ Turquie du 13 décembre 200510 sa justification dans l'absence de consensus européen en ma- relatif à la condamnation du requérant pour avoir publié des tière de religion (A). Toutefois, elle demeure soumise au contrôle propos mettant en cause l'activité sexuelle du prophète Mahomet, du juge européen (B) d'autant que la notion de « paix religieuse » la Cour européenne a estimé qu'il n'y a pas eu violation de l'article est évolutive. 10 de la Convention en relevant une attaque gratuitement offen- sante concernant « des questions jugées sacrées pour les musulmans ». A - Une justification en raison de l'absence Dans l'arrêt E. S. c/ Autriche, elle applique la même solution en de consensus européen reconnaissant à l'unanimité que les propos litigieux constituaient une attaque gratuite contre la personne du prophète de l'islam L'impossibilité de dégager un consensus européen en matière jugé indigne de vénération. Aussi, cette attaque contre une figure de religion constitue la principale raison de la grande marge sacrée de l'islam était-elle susceptible de provoquer « une indigna- d'appréciation accordée aux autorités étatiques. Dans l'arrêt tion justifiée » des musulmans et donc « menacer la paix religieuse » ? Giniewski précité, la Cour européenne a affirmé que « le manque Mais, pour évaluer cette menace, la Cour prend d'une conception uniforme, parmi les pays européens, également en compte un autre élément essentiel L’impossibilité de déga- des exigences afférentes à la protection des droits dans son raisonnement : le contexte des déclarations. ger un consensus européen d'autrui s'agissant des attaques contre des convic- À cet égard, elle vérifie notamment si les propos en matière de religion tions religieuses, élargit la marge d'appréciation des litigieux ont été tenus dans un contexte de tensions constitue la principale États contractants, lorsqu'ils réglementent la liberté religieuses. L'objectif étant d'évaluer les risques réels raison de la grande marge d'expression dans des domaines susceptibles d'offen- sur l'ordre public. Ainsi, par exemple, dans l'arrêt d’appréciation accordée ser des convictions personnelles intimes relevant de Murphy c/ Irlande du 10 juillet 200311, la Cour euro- aux autorités étatiques. la morale ou de la religion »14. Cette absence de péenne estima que le gouvernement irlandais peut conception uniforme conduit la Cour à prendre invoquer les effets du conflit en Irlande du Nord pour justifier en considération les « sensibilités religieuses propres à chaque l'interdiction de toute publicité religieuse à la télévision et à la État ». Aussi, a-t-elle rappelé que « ce qui est de nature à offenser radio. Sans doute, dans la présente affaire, les autorités autrichiennes, gravement des personnes d'une certaine croyance religieuse varie avaient-elles en mémoire les tensions créées au Danemark à la fort dans le temps et dans l'espace, spécialement à notre époque suite de la publication des caricatures du prophète. Une telle caractérisée par une multiplicité croissante de croyances et de préoccupation se reflète également dans l'arrêt de la Cour euro- confessions ». Dans ces conditions, il appartient aux autorités péenne qui souligne le « caractère particulièrement sensible de nationales, en vertu du principe de subsidiarité, de prendre les l'affaire » et « les effets potentiels des propos » sur la paix religieuse mesures qu'exigent les circonstances locales. qu'il revient aux autorités étatiques d'apprécier grâce à leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays. Dans son arrêt Wingrove c/ Royaume du 25 novembre 199615, la Cour européenne a justifié l'usage de la loi anglaise sur le blas- II - Une ample marge d'appréciation phème en affirmant qu'il « n'y a pas encore, dans les ordres reconnue aux autorités nationales juridiques et sociaux des États membres du Conseil de l'Europe, une concordance de vue suffisante pour conclure qu'un système Au sens large, la marge d'appréciation s'entend de la marge de permettant à un État d'imposer des restrictions à la propagation manœuvre que les organes de Strasbourg sont disposés à recon- d'articles réputés blasphématoires n'est pas en soi nécessaire naître aux autorités nationales pour la mise en œuvre de leurs dans une société démocratique ». De même, dans l'arrêt I.A c/ obligations découlant de la Convention. Le problème central Turquie, la Cour a considéré que la législation turque sur le que soulève cette marge d'appréciation tient, pour l'essentiel, blasphème peut être appliquée sans violer la Convention en à sa nature casuistique, complexe et largement imprévisible. répétant cette même pétition de principe sur l'absence de De fait, la Cour de Strasbourg reconnaît que son ampleur varie consensus européen dès lors qu'il s'agit de protéger les droits selon les circonstances, les domaines et le contexte12. Cependant, d'autrui en cas d'attaques contre des convictions religieuses. Dans l'arrêt E. S. c/ Autriche, la Cour européenne applique le même raisonnement reconnaissant ainsi la compatibilité de la 10. CEDH 13 sept. 2005, I.A c/ Turquie, no 42571/98, AJDA 2006. 466, chron. J.-F. Flauss ; RSC 2006. 662, chron. F. Massias. 11. CEDH 10 juill. 2003, Murphy c/ Irlande, no 44179/98, AJDA 2003. 1924, chron. J.-F. Flauss. 12. CEDH 28 nov. 1984, Rasmussen c/ Danemark, Série A, no 87. Pour 13. G. Gonzalez, Liberté d'expression et convictions religieuses dans une étude de la jurisprudence européenne, v. P. Wachmann, Une certaine la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, préc. ; marge d'appréciation, considérations sur les variations du contrôle européen L. François, Liberté d'expression et convictions religieuses dans la en matière de liberté d'expression, in Les droits de l’homme au seuil du jurisprudence européenne, préc.. troisième millénaire Mélanges en hommage à Pierre Lambert, Bruylant 14. CEDH 31 janv. 2006, Giniewski, préc., § 44. 2000, p. 1007. 15. CEDH 25 nov. 1996, Wingrove c/ Royaume-Uni, préc.

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LP367-JANVIER-2019.indd 42 27/01/2019 19:37 loi autrichienne sur le blasphème avec la Convention16. Mais, alors tout le loisir d'interdire, par exemple, la parution d'une faut-il pour autant interpréter cette jurisprudence européenne œuvre sous prétexte qu'elle pourrait offenser une partie de la comme consacrant un délit de blasphème ? population et donc représenter une menace potentielle contre la « paix religieuse ». Cette jurisprudence européenne contraste Contrairement à ce qu'on a pu écrire, la Cour européenne avec l'attitude pour le moins libérale des juridictions françaises n'impose aux États aucune obligation d'adopter une législation qui mettent l'accent sur la liberté de chacun de se confronter pénalisant la liberté d'expression contre le respect des convic- aux œuvres qu'il choisit18. On pourrait également se demander tions religieuses. Toutefois, elle accepte, en raison de la marge s'il n'y a pas quelque paradoxe à affirmer, d'un côté, que la nationale d'appréciation, une législation sur le blasphème pour Convention européenne protège des droits non pas théoriques les propos qui constituent « de véritables attaques injurieuses et illusoires mais concrets et effectifs et refuser, de l'autre côté, contre des objets de vénération religieuse ». Cette jurisprudence d'exercer un véritable contrôle qui dissuaderait les autorités a pu susciter de vives critiques doctrinales. Ainsi, étatiques d'empiéter indûment sur ces droits fon- dans une opinion dissidente collective exprimée Au fond, le contrôle damentaux. Au fond, le contrôle restreint de la à l'occasion de l'arrêt I.A c/ Turquie, les juges mino- restreint de la Cour conduit Cour conduit à un « relativisme » choquant dans ritaires dénonçaient avec fermeté une jurispru- à un « relativisme » choquant l'application de la Convention et, par voie de consé- dence « trop conformiste » et traduisant « une dans l’application de la quence, à un abaissement des standards de pro- conception frileuse et timorée de la liberté de la Convention et, par voie de tection européens. presse ». Pour l'heure, la Cour européenne des conséquence, à un abais- droits de l'homme demeure attachée à sa juris- sement des standards de Toutefois, ces critiques doivent être relativisées prudence pragmatique qui reconnaît aux États protection européens. si l'on considère que la Cour européenne des une grande marge d'appréciation quant aux droits de l'homme a su parfois élargir son contrôle mesures à prendre pour préserver la « paix religieuse » dans pour refuser de reconnaître l'offense en matière religieuse. leur contexte national. Néanmoins, cette marge d'appréciation Ainsi, dans l'arrêt Aydin Tatlav c/ Turquie du 2 mai 200619 concer- substantielle va de pair avec un contrôle européen dont la nant la condamnation d'un journaliste pour publication d'une portée est manifestement source de perplexité. œuvre destinée à profaner la religion musulmane, la Cour a constaté, à l'unanimité des juges, la violation de l'article 10 de B - Un contrôle de proportionnalité restreint la Convention en soulignant que l'œuvre litigieuse contenait du juge européen une dose de vive critique athée mais ne constituait pas une insulte à l'encontre des croyants, ou une attaque injurieuse Quelle que soit son ampleur, la marge nationale d'appréciation pour des symboles sacrés. De surcroît, la Cour européenne doit être soumise au contrôle du juge européen. Mais, comment assure la protection de la liberté d'expression même lorsqu'elle le juge strasbourgeois peut-il exercer un contrôle sur la percep- s'exerce dans le domaine de la critique religieuse20. C'est ce tion par chaque État de ce qui constitue une offense aux convic- qui résulte clairement de l'arrêt E. S. c/ Autriche qui souligne tions religieuses d'autrui ? Quel contrôle peut-il faire sur l'invo- que « ceux qui choisissent d'exercer la liberté de manifester leur cation par les autorités étatiques de la protection de la « paix religion en vertu de l'article 9 de la Convention « doivent tolérer religieuse » ? Bien qu'elle affirme parfois le contraire, la Cour et accepter par autrui le rejet de leurs croyances religieuses » dès européenne des droits de l'homme semble se résoudre à un lors que ces critiques ne représentent pas un danger pour la contrôle « restreint » qui n'est pas sans rappeler le contrôle de « paix religieuse » et donc pour l'ordre public. L. F. l'erreur manifeste d'appréciation du juge administratif français. En réalité, la Cour se contente d'exercer un contrôle formel de proportionnalité qui lui permet de se cacher derrière l'appré- ciation du juge national qu'elle considère mieux placé pour apprécier les nécessités d'une restriction17. L'arrêt rapporté précise que « la Cour relève que les juridictions nationales ont expliqué de façon exhaustive en quoi elles considéraient que les déclarations de la requérante étaient susceptibles de provo- quer une indignation justifiée » et qu'elles [les juridictions natio- nales] avaient bien mis en balance la liberté d'expression de la requérante et la préservation de la paix religieuse dans la socié- té autrichienne.

18.. V not., E. Derieux, Liberté d'expression et respect des croyances et En se contentant d'un contrôle restreint, la Cour européenne se des croyants dans la jurisprudence française et de la Cour européenne prive littéralement de la possibilité de vérifier si une mesure des droits de l’homme, Légicom 2015, no 55, p. 71. V. égal., P. Rolland, Blasphème, diffamation, injure : la religion devant la liberté de la presse, in moins restrictive était envisageable ou disponible. Les États ont La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ?, préc. 19. CEDH 2 mai 2006, Aydin Tatlav c/ Turquie, no 50692/99. 20. Rappelons que dans le célèbre arrêt Handyside c/ Royaume-Uni du 16. Rappelons que la Cour européenne avait déjà admis la conformité de 7 déc. 1976, la Cour européenne affirme que « la liberté d'expression vaut la loi autrichienne avec la Convention dans le célèbre arrêt Otto-Preminger non seulement pour les « idées » ou « informations » accueillies avec Institut du 20 sept. 1994. faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour 17. Sur cette question, v. L. François, Liberté d'expression et convictions celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque religieuses dans la jurisprudence européenne, préc. de la population ».

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chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. Exposition L’infamille : oui l’article 16 Les enfants, nous allons vous pisser sur la gueule, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. du code civil est d’application directe ! Les enfants, nous allons vous enterrer vivants, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. mots-clés : Art – Liberté d'expression – Article 227- 24 du Nous allons baiser vos enfants et les exterminer, nous introduire code pénal – Dignité humaine – Article 16 du code civil. chez vous, vous séquestrer, vous arracher la langue, vous chier dans la bouche, vous dépouiller, vous brûler vos maisons, tuer Cour de cassation, 1re civ., toute votre famille, vous égorger, filmer notre mort.” ; que, sou- 26 septembre 2018, tenant que la représentation de cette œuvre, accessible à tous, no 17-16.089 était constitutive de l'infraction prévue et réprimée par l'article AGRIF c/ FRAC de Lorraine 364-14 227-24 du code pénal, l'Association générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne (l'AGRIF) Le principe du respect de la dignité de la personne a signalé ces faits au procureur de la République près le Tribunal humaine édicté par l'article 16 du code civil est un principe de grande instance de Metz, qui a décidé d'un classement sans à valeur constitutionnelle dont il incombe au juge de faire suite ; qu'invoquant l'atteinte portée à la dignité de la personne application pour trancher le litige qui lui est soumis. humaine, garantie par l'article 16 du code civil, elle a assigné le FRAC, sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240 du même Attendu, selon l'arrêt attaqué, que l'association Fonds régio- code, pour obtenir réparation du préjudice résultant de l'atteinte nal d'art contemporain de Lorraine (le FRAC) a organisé, dans portée aux intérêts collectifs qu'elle a pour objet de défendre ; ses locaux, une exposition intitulée “You are my mirror 1 ; L'infamille”, à l'occasion de laquelle a été présentée une œuvre Sur le premier moyen, pris en ses deux branches, et sur le second de M. Y., constituée de plusieurs lettres rédigées en ces termes : moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés : ”Les enfants, nous allons vous enfermer, vous êtes notre chair Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature et notre sang, à plus tard à entraîner la cassation ; Papa et Maman. Les enfants, nous allons faire de vous nos esclaves, vous êtes Mais sur la deuxième branche du second moyen : notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. Vu l'article 16 du code civil, ensemble l'article 12, alinéa 1er, Les enfants, nous allons vous faire bouffer votre merde, vous du code de procédure civile ; êtes notre chair et notre sang, à plus tard Papa et Maman. Attendu que, pour rejeter la demande indemnitaire de l'AGRIF, Les enfants, nous allons vous sodomiser, et vous crucifier, vous après avoir relevé que ladite association soutient qu'indépen- êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. damment de toute incrimination pénale, l'organisation de Les enfants, nous allons vous arracher les yeux, vous êtes notre l'exposition au cours de laquelle a été présentée l'œuvre liti- chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. gieuse, qui porte atteinte à la dignité de la femme et au respect Les enfants, nous allons vous couper la tête, vous êtes notre de l'enfant, est constitutive d'une faute civile, l'arrêt retient chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. que l'argumentation présentée par l'AGRIF ne fait référence Les enfants, nous vous observons, vous êtes notre chair et utile à aucun texte de loi qu'aurait pu enfreindre le FRAC en notre sang, à plus tard, Papa et Maman. exposant les écrits litigieux, dès lors que l'article 16 du code Les enfants, nous allons vous tuer par surprise, vous êtes notre civil n'a pas valeur normative et ne fait que renvoyer au légis- chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. lateur l'application des principes qu'il énonce ; Les enfants, nous allons vous empoisonner, vous êtes notre Qu'en statuant ainsi, alors que le principe du respect de la chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. dignité de la personne humaine édicté par l'article 16 du code Les enfants, vous crèverez d'étouffement, vous êtes notre civil est un principe à valeur constitutionnelle dont il incombe chair et notre sang, à plus tard, au juge de faire application pour trancher le litige qui lui est Papa et Maman. soumis, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; Les enfants, nous allons égorger vos chiens, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres Les enfants, nous allons vous découper et vous bouffer, vous branches du second moyen : êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. Les enfants, nous allons faire de vous nos putes, vous êtes CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable l'action notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. civile de l'Association générale contre le racisme et pour le Les enfants, nous allons vous violer, vous êtes notre chair et respect de l'identité française et chrétienne relative aux faits notre sang, à plus tard, Papa et Maman. délictueux prévus à l'article 227-24 du code pénal, l'arrêt rendu Les enfants, nous allons vous arracher les dents, vous êtes le 19 janvier 2017, entre les parties, par la Cour d’appel de Metz ; notre chair et notre sang, à plus tard, Papa et Maman. remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les Les enfants, nous allons vous défoncer le crâne à coups de parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, marteau, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, Papa pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d’appel de Paris. et Maman. Les enfants, nous allons vous coudre le sexe, vous êtes notre Prés. : Mme Batut – Av. : SCP Le Griel, SCP Thouin-Palat et Boucard

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LP367-JANVIER-2019.indd 44 27/01/2019 19:37 Julien Couard l'origine du signalement, par ailleurs connue pour son activisme Maître de conférences HDR à la Faculté devant les juridictions4, intenta alors directement une action en de Droit de Toulon - Membre du CDPC, responsabilité civile devant le Tribunal de grande instance de UMR CNRS 7318 DICE Metz qui, par un jugement du 21 novembre 2013, reçut sa de- mande et condamna le FRAC à un euro symbolique de dommages S'il est couramment admis dans certains milieux artistiques que et intérêts5. Le jugement fut toutefois infirmé par la Cour d’appel l'art « peut » voire « doit » choquer plutôt que d'être une expression de Metz au motif que l'action civile de l'association (l'AGRIF) était du « beau », s'il est admis que certains messages passent mieux en strictement renfermée dans les limites du code de procédure choquant qu'en éduquant les consciences, il n'en demeure pas pénale puisqu'elle était liée au délit de l'article 227-24 du code moins que l'excès peut apparaître à ce point choquant qu'il en pénal. Elle ne pouvait donc pas servir à établir un délit civil auto- devient, per se, anti-social et injuste. Néanmoins, depuis des années nome du délit pénal, ce qui rendait l'action irrecevable sur le maintenant, dans une société gouvernée par la liberté d'expression fondement de l'article 1382 – aujourd'hui 1240 – du code civil6. et confrontée au pluralisme des consciences, l'absence de consen- Il eût fallu, selon la cour, que des poursuites fussent engagées sus moral sur le discours artistique conduit le juge à devoir s'en faire par le Parquet pour que l'association ait eu un intérêt à se consti- l'appréciateur. Or la tâche est d'autant plus ardue que le rôle du tuer partie civile, conformément à l'article 2-3 du code de pro- juge est d'appliquer la loi et non la règle morale. On ne juge, paraît- cédure pénale. L'AGRIF se pourvut donc en cassation en soutenant il, pas des goûts et des couleurs. Il n'empêche que la nécessaire que l'absence de poursuites pénales n'interdisait pas l'engagement socialité du droit, garant d'un « vivre ensemble » selon les termes du d'une action en responsabilité civile inspirée de l'article 227-24 législateur repris par la Cour européenne des droits de l'homme1, du code pénal mais sur le fondement combiné des articles 16 aboutit forcément à poser des limites à la liberté d'expression. Notre et 1382 du code civil. L'idée était de faire le lien entre l'atteinte droit civil connaissait celle du respect de la vie privée, des convictions à la dignité des enfants et le préjudice subi par l'AGRIF du fait de religieuses, de l'honneur ou du secret. Il connaît désormais avec l'absence de précaution prise par le FRAC pour filtrer l'accès des certitude de celle du respect de la dignité de la personne humaine. mineurs à des œuvres d'une grande violence verbale et psycho- logique. C'est dire que le pourvoi se situait sur le terrain de l'arti- En l'espèce, un individu avait été sollicité en 2008 par le Fonds culation entre la procédure pénale et la procédure civile afin de régional d'art contemporain de Lorraine (le FRAC) pour monter, savoir s'il était possible d'engager une action en responsabilité dans les locaux de cette association organisatrice, une exposition civile uniquement sur un fondement civil alors même que l'action intitulée « You are my mirror 1 ; L'infamille »2. Le but affiché était de civile était irrecevable sur le terrain pénal. À cette question, la dénoncer le dévoiement de la cellule familiale en cellule de prison loi7 et la jurisprudence répondent traditionnellement par la pour les enfants par l'usage de messages témoignant d'un discours négative, d'où la décision d'appel en l'espèce. Toutefois, c'est parental pervers. Sous la forme anodine des petits mots affectueux précisément le principe du respect de la dignité de la personne qu'un parent peut habituellement laisser à ses enfants, étaient humaine qui vient, en l'espèce, faire la différence, sans doute au ainsi exposées au visiteur des formules mentionnant le fait « d'en- gré d'une maladresse rédactionnelle des conseillers d'appel fermer » des enfants, d'en faire des « esclaves », de leur faire « bouf- messins. En effet, la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel au fer leur merde », de les « sodomiser » et les « crucifier », de leur fondement combiné des articles 16 du code civil – le principe « arracher les yeux », leur « couper la tête », les « tuer par surprise », du respect de la dignité – et 12, alinéa 1er, du code de procédure les « empoisonner », les faire « crever d'étouffement », les « découper » civile – l'obligation judiciaire de trancher un litige – et au motif et les « bouffer », en faire les « putes » de leurs parents, les « violer », que la cour d'appel les avait violés en arrêtant que « l'article 16 leur « arracher les dents », leur « défoncer le crâne à coups de marteau », du code civil n'a pas valeur normative et ne fait que renvoyer au leur « coudre le sexe », leur « pisser sur la gueule », les « enterrer vivants », les « baiser » et les « exterminer », les « séquestrer », leur « arracher 4. L'AGRIF, association générale contre le racisme et pour le respect de la langue », leur « chier dans la bouche », les « dépouiller », « brûler l'identité française et chrétienne, est à l'origine de nombreuses décisions de leurs maisons », « tuer toute leur famille », les « égorger », « filmer leur justice relatives à la liberté d'expression, v. entre autres, Crim. 7 déc. 1993, n° 92-81.094, Bull. crim. no 373 (aff. du Carmel d'Auschwitz) ; Gaz. Pal. 1994. mort ». On a connu des litanies plus édifiantes. Somm. 146 ; Dr. pénal 1994, no 4, comm. no 80, obs. M. Véron ; Civ. 1re, 23 juin 1992, no 90-16.225 (contre l'affiche du film « Il gèle en enfer ») ; TGI Paris, réf., 20 févr. 1997 (contre l'affiche du film « Larry Flint »), LPA 24 févr. Avec courage, le ministère public, sur le signalement d'une asso- 1997, no 24, p. 10, note F. Gras ; Légipresse, no 140-III, avr. 1997, p. 49, ciation de défense de la dignité de la femme et du respect de obs. M.-N. Louvet ; Gaz. Pal. 1997 (1er sem.). Jur. 328, note É. Morain ; l'enfant, ne décida d'aucune poursuite sur le fondement de TGI Paris, réf., 21 févr. 2002 (contre l'affiche du film « Amen »), JCP 2002. II. 10064, note P. Malaurie ; Paris, 3 nov. 2004, Légipresse, no 221-05, mai 3 l'article 227-24 du code pénal et classa l'affaire. L'association à 2005, p. 63 ; Crim. 14 févr. 2006, BICC 640, no 1005 ; Juris-Data no 2006- 032591, cassation de Toulouse, 12 janv. 2005, qui avait admis l'injure (contre la distribution sur la voie publique de tracts à l'occasion d'une soirée dite 1.. V not. les travaux préparatoires à la loi du 11 oct. 2010 sur la « nuit de la Sainte Capote », présentant l'image d'une religieuse associée à dissimulation du visage dans l'espace public ; adde, CEDH, gd. ch., celle de deux angelots et de deux préservatifs, ayant pour légende « Sainte 1er juill. 2014, n° 43835/11, S.A.S. c/ France, AJDA 2014. 1348 ; ibid. 1763, Capote protège-nous ») ; JCP 2006. I. 190, obs. B. de Lamy ; D. 2007. chron. L. Burgorgue-Larsen ; ibid. 1866, étude P. Gervier ; D. 2014. 1451, et Chron. 1038, obs. J.-Y. DUPEUX et T. Massis ; Crim. 14 nov. 2017, les obs. ; ibid. 1701, chron. C. Chassang ; ibid. 2015. 1007, obs. REGINE ; no 16-84.945 (contre la pièce de théâtre « Golgota picnic » ; Crim. 23 janv. Constitutions 2014. 483, chron. M. Afroukh ; RSC 2014. 626, obs. 2018, no 17-80.524 (contre des FEMEN) – et tout récemment, Crim. J.-P. Marguénaud ; RTD civ. 2014. 620, obs. J. Hauser ; RTD eur. 2015. 95, 11 déc. 2018, no 18-80.525 (contre la chanson « Nique la France » du chron. P. Ducoulombier, spéc. nos 141-142 et 157 groupe de rap ZEP). 2. L'intitulé semble indiquer qu'un « 2 » était prévu… 5. TGI Metz, 21 nov. 2013, no 11/03161, Légipresse no 317, juill. 2014, 3. Élaboration et diffusion d'un message à caractère violent de nature à comm. D. Lefranc. porter gravement atteinte à la dignité humaine : la peine encourue est de 6. Metz, 19 janv. 2016, Légipresse no 347, mars 2017, comm. A. Tricoire. trois ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende. 7. C. pr. pén., art. 2-3.

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législateur l'application des principes qu'il énonce ». Ainsi, selon la fondamental à la liberté d'expression dont on sait qu'il s'applique Cour de cassation, le juge n'a pas à se défausser sur le législateur à la liberté de création artistique avec d'autant plus d'acuité que pour éviter d'avoir à trancher des litiges sur le caractère digne celle-ci doit permettre à son auteur de s'exprimer tant sur des ou indigne d'une œuvre artistique. « thèmes consensuels que sur des sujets qui heurtent, choquent, déplaisent ou inquiètent »10. Cet arrêt comporte assurément deux niveaux de lecture. Immé- diatement, il vient sanctionner l'affirmation maladroite des magis- Pourtant, s'il y a, certes, un flou sur le contenu du principe de di- trats de la cour d'appel quant à la valeur normative d'un article gnité, ce contenu fonctionne par inférence plus que par référence : du code civil et consacre ainsi, en droit civil positif, le principe la dignité infère le respect des libertés fondamentales avant même objectif du respect de la dignité (I). Médiatement, il établit l'effec- la question de la responsabilité liée à son atteinte. En effet, le tivité du droit au respect de la dignité qui rejoint ainsi la vaste contenu juridique du principe de dignité ne se trouve pas en lui- catégorie des droits subjectifs (II). même mais est consubstantiel à celui de chaque liberté fonda- mentale si bien qu'il n'apparaît pas concevable que l'exercice d'une I – La consécration d'un principe liberté soit contraire à la dignité de la personne humaine. En ce objectif : le respect de la dignité sens, on pourrait comprendre que l'atteinte au principe de digni- té ne renvoie pas qu'à un simple problème de responsabilité mais En dépit du texte même de l'article 16 du code civil, certains à un problème de respect de normes supérieures qui s'imposent ont toujours pensé qu'il n'agissait que comme un article de à la liberté. Si, en justice, il n'y a classiquement pas de liberté sans principe sans effectivité, servant uniquement d'introduction responsabilité, force est également d'affirmer que ce principe est aux articles suivants. Sans doute est-ce dû au fait que le principe ordonné en toute hypothèse, au respect de la dignité comme même de dignité était conçu comme fonctionnant davantage manifestation suprême de l'humanité en tant que telle dans notre par inférence que par référence dans la sphère juridique. L'arrêt système de droit. C'est dire que l'affirmation de la mise en concur- sous étude le fait définitivement passer de l'une à l'autre (A), rence entre la dignité et les libertés fondamentales, par ailleurs supprimant ainsi toute ambiguïté sur son autonomie concep- prétendue par le Conseil constitutionnel, est éminemment criti- tuelle en droit positif (B). quable11. La dignité précède, innerve et gouverne les libertés dont elle constitue le fondement et la garantie mais alors que ces liber- A - De l'inférence à la référence tés sont essentiellement conçues comme des droits subjectifs individuels, il faut probablement concevoir la dignité, d'un point La dignité en tant qu'objet. Si la décision censurée de la Cour de vue juridique, comme un principe avant tout de droit objectif d’appel de Metz renvoie surtout à l'articulation entre l'action et de portée générale. C'est ce qui ressort clairement de cette civile et l'action pénale dans la défense du respect de la dignité, décision de la Cour de cassation : la Cour fait explicitement référence elle affirme également que l'article 16 du code civil n'a aucune au respect de la dignité comme principe normatif à valeur consti- valeur normative, ce qu'il faut sans doute comprendre comme tutionnelle. C'est, semble-t-il, moins pour appliquer ce principe n'ayant aucune effectivité en droit positif. selon l'interprétation qu'en fait le Conseil constitutionnel, que pour en faire une référence autonome susceptible de limiter l'exercice Cette conception tient au fait que le principe de dignité est né dans dévoyé de libertés fondamentales. le champ moral comme un attribut ontologique de la personne : l'en priver conduit à nier son humanité. Pris comme objet, il n'au- B - De la référence à l'autonomie rait donc pas de contenu juridique précis mais servirait d'horizon voire de formule incantatoire au législateur en quête d'absolue La dignité en tant qu'outil. Le concept de dignité n'est pas protection de l'individu8. Cette conception est appuyée par le fait qu'un objet que le juriste devrait se contenter d'admirer de loin. qu'aucun des textes qui pourtant nomment la dignité n'en donne En sommant les juges du fond d'appliquer directement l'article de définition. L'article 16 du code civil n'échappe pas à la règle9. 16 du code civil, la Cour de cassation lève toute ambigüité sur Par conséquent, il serait vain d'y faire directement et exclusivement l'autonomie du principe de dignité en droit positif. Or cette référence en cas d'atteinte car il serait impossible au juge de faire

produire des effets de droit à une notion juridiquement indéfinie 10. TGI Metz, 21 nov. 2013, préc. ; plus largement, sur la liberté de création et sans contenu précis. Où serait en effet l'atteinte ? Comment artistique comme composante de la liberté d'expression, v. P. Mouron, l'apprécier si ce n'est pas référence à la morale ? La liberté de création artistique au sens de la loi du 7 juillet 2016, RDLF 2017. chron. n°30, disp. sur : http://www.revuedlf.com/droit-fondamentaux/la-liberte- de-creation-artistique-au-sens-de-la-loi-du-7-juillet-2016 ; Civ. 1re, 22 juin Ces questions seraient d'autant plus difficiles à résoudre qu'en 2017, nos 15-28.467 et 16-11.759, D. 2017. 1955, note P. Malaurie ; Dalloz IP/IT 2017. 536, obs. J. Daleau ; RTD com. 2017. 891, obs. F. Pollaud- l'espèce, le principe de dignité est invoqué pour limiter le droit Dulian ; JCP 2017. 1516, note X. Daverat ; CCE 2017, no 9, p. 28, note C. Caron ; Légipresse 2017, no 352, p. 438, note E. Treppoz ; TA Versailles, ord., 19 sept. 2015, no 1506153 ; LPA 8 nov. 2016, no 223, chron. p. 11, obs. K. Kmonk : « Les droits et libertés de l'artiste à l'épreuve de la dignité 8. La littérature juridique est abondante à ce sujet, pour un aperçu en lien humaine », à propos d'une exposition d'inscriptions antisémites. avec l'art. 16 c. civ., v. not. J.-R. Binet, Droit de la bioéthique, LGDJ, coll. 11. Cons. const. 27 juin 2001, no 2001-446 DC, D. 2001. 2533, note « Manuel », 2017, no 227. B. Mathieu ; ibid. 2002. 1948, obs. G. Nicolas ; RSC 2002. 672, obs. 9. V. égal., C. civ., art. 16-1-1 et 415 ; C.pén., art. 222-23 et suiv. et 621-1 ; V. Bück ; Cons. const. 1er août 2013, no 2013-674 DC affirmant que la Loi no 86-1067 du 30 sept. 1986 sur la liberté de communication, art. 1er ; recherche sur les embryons humains ne méconnaît pas le principe de CSP, art. L. 1110-2, L. 1110-5-1, L. 1110-10 et 11, L. 1111-4 et L. 3211-3 ; sauvegarde de la dignité de la personne humaine (consid. 17), D. 2014. C. déont. méd., art. 2 et 10 (CSP, art. R. 4127-2 et R. 4127-10) ; C. trav., 843, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 2021, obs. A. Laude ; art. L. 1152-1. Constitutions 2013. 443, chron. X. Bioy ; rappr. J.-R. Binet, op. cit. no 251-253.

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LP367-JANVIER-2019.indd 46 27/01/2019 19:37 autonomie mérite d'être justement comprise à l'aune de la recon- public autorisent la diffusion de l'image de personnes impliquées naissance du principe de dignité en droit positif et de la signi- dans un événement d'actualité ou illustrant avec pertinence un fication intrinsèque de son contenu. débat d'intérêt général, dans une forme librement choisie, sous la seule réserve du respect de la dignité de la personne humaine »18. Au Il faut en effet noter que l'arrêt sous étude ne bouleverse pas le fond, la dignité est le juste équilibre entre la liberté et la respon- droit en place en affirmant qu'un article du code civil doit être sabilité. Son contenu est donc moral voire politique mais pas appliqué par le juge au même titre que n'importe quel autre. On dénué de juridicité. L'arrêt du 26 septembre 2018 participe de comprendrait mal que les cours et tribunaux commencent à faire cette même logique appliquée à la liberté de création artistique. leur propre tri entre les normes effectives et celles de simple principe parmi les milliers d'articles de nos codes et lois… Relevons L'on peut en tirer deux remarques d'ordre conceptuel. D'abord, ensuite que la Cour de cassation fonde régulièrement ses décisions la formulation même de l'arrêt en l'espèce, par sa référence au sur l'article 16 du code civil. Elle l'a fait au soutien de la demande respect de la dignité, sonne un peu plus le glas de la notion de de réparation de dommages subis par un patient bonnes mœurs, pourtant elle aussi toujours pré- en état végétatif12 et, plus récemment, concernant La Cour de cassation, sente dans le code civil et d'application directe19. l'indemnisation d'une personne s'estimant victime en affirmant avec force À l'évidence au moins, nous avons la confirmation d'une atteinte à sa vie privée après la diffusion de l’autonomie juridique que sa valeur normative simplement législative, son image dans un reportage à la télévision13. du principe de dignité, ne lui permet pas d'apporter une limite efficace D'innombrables décisions des juges du fond ont […] contribue à faire de à une liberté fondamentale. Le résultat est qu'il d'ailleurs, depuis fort longtemps, fait mention du celui-ci un véritable droit n'était donc pas pertinent d'affirmer en l'espèce principe de dignité14. Enfin l'on sait que le Conseil opposable. que les propos orduriers de l'artiste portaient constitutionnel avait consacré la valeur normative atteinte aux bonnes mœurs. Après tout, les mœurs du respect de la dignité de la personne humaine dès 1994 à sont des comportements et non des propos. Ensuite, l'on voit propos des premières lois de bioéthique15. L'année suivante, le poindre le risque déjà dénoncé20, qu'à banaliser la référence à Conseil d'État s'y était référé pour interdire les spectacles de la dignité, le juge en définisse un contenu à l'aune de la mise lancers de nains : la jurisprudence est désormais célèbre16. en balance des intérêts en présence si chère à la Cour européenne des droits de l'homme mais empreinte d'un subjectivisme judi- Bien reconnu, le principe du respect de la dignité de la personne ciaire risquant de dénaturer sa valeur éminemment supérieure21. humaine mérite aussi d'être bien appliqué, donc d'avoir une juste Quoi qu'il en soit des perspectives du meilleur comme du pire, appréhension de son contenu. Si on l'admet comme le juste ouvertes par la Cour de cassation dans cet arrêt, en affirmant horizon de toute norme, il doit en effet pouvoir être l'outil d'appré- avec force l'autonomie juridique du principe de dignité, elle ciation de chacune d'elle, mais uniquement de façon subsidiaire, contribue à faire de celui-ci un véritable droit opposable. c'est-à-dire chaque fois que la norme supérieure ne remplit pas son office ou que son interprétation donne lieu à un résultat II – La naissance d'un droit subjectif : manifestement contraire à la justice. En ce sens, n'ayons pas peur le droit au respect de la dignité de le prétendre, l'utilisation de la dignité comme outil est porteuse d'un référent moral. On pourrait aussi bien dire qu'elle traduit une L'affirmation par les hauts conseillers de l'obligation pour le juge conception civilisationnelle du juste et de l'injuste. Dans un mode de trancher les demandes fondées sur l'article 16 du code civil dégradé de sociologie juridique, elle exprime la réalité du « vivre- renvoie, en l'espèce, à la recevabilité d'une action en réparation ensemble » en société hic et nunc. C'est d'ailleurs en ce sens que lancée par l'AGRIF contre le FRAC. En prenant corps dans le droit le Conseil d'État avait décidé que « le respect de la dignité de la civil positif, le respect de la dignité ouvre à toute personne la personne humaine est une des composantes de l'ordre public »17. prérogative de réclamer réparation (B) en cas de violation par un tiers (A). C'est en ce sens également que la Cour de cassation a eu l'occasion d'affirmer que « la liberté de la presse et le droit à l'information du A - Du droit à sa violation

12.. Civ 2e, 22 févr. 1995, no 92-18.731, D. 1996. 69, note Y. Chartier ; ibid. Une juste approche de l'autonomie personnelle. Rappelons-le, 1995. 233, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 1995. 629, obs. P. Jourdain ; JCP l'arrêt sous étude ne porte que sur un problème de procédure liée 1996. II. 22570, note Y. Dagorne-Labbe. à la recevabilité d'une action en responsabilité civile et non directe- 13. Civ. 1re, 29 mars 2017, no 15-28.813 ; Légipresse 2017, no 349, p. 256, note G. Loiseau ; D. 2017. 761 ; ibid. 2018. 208, obs. E. Dreyer ; RTD civ. 2017. 609, ment sur les conditions fondamentales d'application de l'action. obs. J. Hauser ; Gaz. Pal. 2017, no 20, chron. p. 30, obs. P. Piot ; CCE 2017/6, Pour autant, la décision contient en elle-même le germe de la ques- p. 32, note A. Lepage. Rappr. Civ. 1re, 12 déc. 2006, no 04-20.719, Bull. civ. I, no 551 ; D. 2007. 541, obs. I. Gallmeister, note E. Dreyer ; RTD civ. 2007. 732, tion de la violation de l'article 16, sans laquelle le pourvoi serait sans obs. J.-P. Marguénaud ; JCP 2007. II. 10010, note B. de Lamy. intérêt pour son auteur. Or si le principe de dignité de la personne 14. V., par ex., Lyon, 27 juin 1913, D. 1914. 2, p. 73, note H. Lalou. 15. Cons. const. 27 juill. 1994, no 94-343 DC, JO du 29 juill., p. 11024 ; J.-R. Binet, op. cit., no 237. 16. CE, ass., 27 oct. 1995 [2 arrêts], Cne d'Aix-en-Provence et Cne de 18. Civ. 1re, 29 mars 2017, préc. Morsang-sur-Orge, no 143578 et n° 136727 ; AJDA 1995. 942 ; ibid. 878, chron. 19. C. civ., art. 6. J.-H. Stahl et D. Chauvaux ; D. 1996. 177, note G. Lebreton ; RFDA 1995. 20. V. en l'espèce, RJPF 2018. 12/8, p. 15, note M. Dupré. 1204, concl. P. Frydman ; JCP 1996. II. 22630, note F. Hamon ; O. Cayla, Jeux 21. Déjà observée à propos de la recherche sur l'embryon humain de nains, jeux de vilains, in G. Lebreton [dir.], Les droits fondamentaux de la concernant le Conseil constitionnel, v. J.-R. Binet, op. cit., no 252 et, plus personne humaine en 1995 et 1996, L'Harmattan 1998, p. 149 et s. largement, no 253 ; plus généralement, rappr. M. Villey, Le droit et les droits 17. CE, ass., 27 oct. 1995 [2 arrêts], préc. de l'homme, PUF, coll. « Quadrige », 2008.

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humaine était juridiquement vain – donc l'action irrecevable sur le Plus largement, par référence au régime déjà évoqué de l'atteinte terrain de l'article 16 du code civil – les libertés individuelles pourraient à la vie privée, il est probable que l'arrêt sous étude conduise s'épanouir sans l'ombre d'une sanction dès lors qu'elles seraient les juges à ne pas se contenter d'indemniser les victimes d'atteinte qualifiées de fondamentales22. À ce titre, on sait d'ailleurs à quel à la dignité mais à prendre des mesures préventives en référé point l'homme des sociétés moderne, post-moderne voire « alter- pour faire cesser l'atteinte28. Par analogie toujours, l'on comprend moderniste » aspire à une autonomie sans contrainte. La société libé- en effet que la seule atteinte au respect de la dignité de la rale accueille volontiers cette revendication souvent personne humaine caractérise l'urgence et formulée au détriment du bien commun. Toutefois, L’arrêt du 26 septembre ouvre droit à réparation. l'idée même de société, fût-elle libérale et individua- 2018 conforte, sur le terrain liste, renvoie a minima l'individu à une responsabilité du respect de la dignité, Enfin, rien ne permet de limiter l'action aux seules qui ne se limite pas qu'à une question de conscience la position que la Cour de personnes physiques, une personne morale telle personnelle de ce qu'il peut ou ne doit pas faire mais cassation avait adoptée qu'une association peut très bien revendiquer à la situation juridique objective de « tout fait quel- dans l’affaire Our Body une atteinte à la dignité de la personne humaine conque de l'homme qui cause à autrui un dommage »23. en 2010. dès lors qu'elle a pour objet d'en permettre la De ce point de vue, les notions de dignité de la per- défense et qu'elle dispose d'un intérêt à agir au sonne humaine et de son autonomie, si elles sont indissociables24, sens de l'article 31 du code de procédure civile. En l'espèce, inutile ont également pour apanage le juste équilibre entre liberté et res- donc qu'un enfant se plaigne de n'avoir pas été empêché de voir ponsabilité. Ce couple est inséparable et irréductible. Par conséquent l'exposition pour que soit engagée la responsabilité de son orga- en l'espèce, dès lors que le respect de la dignité s'applique comme nisateur. Sans qu'il soit nécessairement interdit à ce dernier de principe autonome, il est susceptible de fonder une action indépen- maintenir son exposition – ce qui n'était pas demandé par la requé- damment de toute incrimination pénale. Si le Ministère public a bien rante au litige – il est donc tenu de rendre les messages diffusés le monopole des poursuites, il n'a pas celui de l'évaluation des atteintes par l'artiste inaccessibles aux mineurs en raison de leur caractère à la dignité. Toute absence de poursuites ne signifie donc pas l'absence violent et gravement attentatoire à la dignité. À tous égards, d'atteinte à la dignité. Partant, il y a fort à parier que le régime que l'arrêt du 26 septembre 2018 conforte ainsi, mutatis mutandis, sur les juges de renvoi devront mettre en œuvre, sera bâti selon un le terrain du respect de la dignité, la position que la Cour de schéma désormais connu, appliqué sur le fondement combiné des cassation avait adoptée dans l'affaire Our Body en 201029. articles 9 et 1382 (désormais 1240) du code civil25. La faute est constituée par ce qui est humainement indigne, non pas au regard Pour autant, cet arrêt ne révolutionnera probablement pas la des intérêts en présence mais de la « primauté de la personne »26, jurisprudence relative à la liberté d'expression, notamment dès même si l'intérêt supérieur de l'enfant vient au soutien de cette lors qu'elle participe d'un débat public même par la moquerie, sacralité juridique et la renforce encore. L'atteinte à la dignité appa- la parodie ou la vulgarité. Le seuil de tolérance admissible dans raît ainsi pleinement comme un délit civil susceptible de poursuites une société démocratique reste un référent jurisprudentiel par des associations ayant précisément pour objet la préservation d'appréciation très souple. L'exagération est facilement admise de la dignité humaine dès lors qu'elles en subissent un préjudice. pour écarter toute interprétation au pied de la lettre à prendre au sérieux. En outre, reste à savoir quelle appréciation sera B - De la violation à la réparation portée sur l'identification des victimes du message attentatoire à la dignité. On sait que la jurisprudence ne retient des atteintes Une juste approche de la responsabilité. En effet, la consé- qu'envers des catégories de personnes précisément et spécifi- quence logique de l'autonomie du principe de dignité en droit quement visées, ce qui est peu admis par les juges. À ce double civil est d'élargir l'action en réparation au-delà des conditions égard, l'arrêt de la cour de renvoi sera sans doute intéressant. posées par l'article 2 du code de procédure pénale, si bien que Le droit aussi est un art, celui du bon et du juste, celui de l'équi- l'action en réparation se retrouvant fondée sur la combinaison table. En promouvant et protégeant la dignité du genre humain, des articles 16 et 1240 du code civil, elle n'est plus soumise à indépendamment même de toute personnalité juridique, il fait l'exigence d'un dommage personnel directement causé par une de ce principe le dernier rempart contre l'utilisation abusive des infraction27. Dans le cas d'espèce, on comprend donc qu'il ne libertés, en l'espèce de la liberté d'expression, fût-elle préten- faille pas attendre que l'infraction de l'article 227-24 du code dument artistique. C'est dire si le principe de dignité doit être pénal soit établie pour demander réparation. Elle ne forme plus considéré à la fois comme la seule et ultime norme régulatrice une condition de recevabilité, même si le texte qui la fonde peut des conflits de libertés fondamentales et comme un fondement être utile à établir l'atteinte au droit au respect de la dignité. de la responsabilité civile. J. C.

22. Restant sauve la jurisprudence de la CEDH, parfois appliquée avec plus ou moins de bonheur par les juridictions nationales, comme c'était le cas dans cette affaire en première instance, v. TGI Metz, 21 nov. 1993, préc. 23. C. civ., art. 1240. 28. Avant même qu'existât l'al. 2 de l'art. 9 c. civ., la jurisprudence avait 24. V. not., H. Hurpy, Fonction de l'autonomie personnelle et protection des admis ces mesures pour limiter les atteintes à la vie privée, v. J. Rivero droits de la personne humaine dans les jurisprudences constitutionnelles et et H. Moutouh, Libertés publiques, t. II, PUF, coll. « Thémis Droit public », européennes, Thèse, Bruylant, 2015, spéc. nos 64 et s. 7e éd., 2003, no 87. 25. V., Lamy droit des medias et de la communication, nos 209-96 et s. 29. Civ. 1re, 16 sept. 2010, no 09-67.456, Bull. civ. I, no 174 ; AJDA 2010. 26. C. civ., art. 16. 1736 ; D. 2010. 2750, obs. C. Le Douaron, note G. Loiseau ; ibid. 2145, 27. Sur le champ de l'action civile intentée au pénal ou au civil, v. P. Brun, édito. F. Rome ; ibid. 2754, note B. Edelman ; ibid. 2011. 780, obs. E. Responsabilité civile extracontractuelle, Litec, coll. « Manuel », 5e éd., 2018, Dreyer ; RTD civ. 2010. 760, obs. J. Hauser ; JCP 2010, no 50, 1239, note p. 358 et s., spéc. nos 561 et s. B. Marrion.

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LP367-JANVIER-2019.indd 48 27/01/2019 19:37 donné aux parties en application de l’article 1015 du même Le droit de suite et la question code ; préjudicielle PAR CES MOTIFS : REÇOIT le Comité professionnel des galeries d’art en son inter- MOTS-CLÉS : Droit d’auteur – Droit de suite – Œuvre d’art vention volontaire accessoire ; – CJUE CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il déclare recevable en son Cour de cassation, action le Syndicat national des antiquaires, l’arrêt rendu le ass. plén., 9 novembre 2018 24 mars 2017, entre les parties, par la Cour d’appel de Versailles ; no 17-16.335 DIT n’y avoir lieu à renvoi ; Société Christie’s France c/ Syndicat national des antiquaires 366-10 Prem. Prés. : M. Louvel – Av. : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, SCP Monod, Colin et Stoclet Rien n’interdit au professionnel en charge de la vente d’une œuvre d’art de prévoir, dans ses conditions générales, que le coût du droit de suite sera à la charge de l’acheteur. ■■C ommentAIRE

Sur le moyen unique : Anne-Elisabeth Crédeville Vu l’article L. 122-8, alinéa 3, du code de la propriété intellec- Conseiller doyen honoraire tuelle, dans sa rédaction issue de l’article 48 de la loi no 2006- à la Cour de cassation 961 du 1er août 2006 portant transposition de la directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 sep- tembre 2001, relative au droit de suite au profit de l’auteur I - L’état du droit d’une œuvre d’art originale, telle qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 26 février Sur le pourvoi de la société Christie’s France contre l’arrêt de la 2015 (C-41/14) ; Cour d’appel de Paris du 12 décembre 2012, qui faisait valoir la Attendu que, si ce texte prévoit que le droit de suite est à la légitimité de la clause mettant à la charge du vendeur d’œuvres charge du vendeur, et que la responsabilité de son paiement d’art le paiement du droit de suite, la première chambre civile incombe au professionnel intervenant dans la vente et, si la de la Cour de cassation, a, le 22 janvier 2014, posé une question cession s’opère entre deux professionnels, au vendeur, il ne préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne qui a fait pas obstacle à ce que la personne redevable du droit de rendu sa décision le 26 février 2015 ; la Cour d’appel de Versailles, suite, que ce soit le vendeur ou un professionnel du marché le 24 mars 2017, sur renvoi, ayant statué dans le même sens que de l’art intervenant dans la transaction, puisse conclure avec la Cour d’appel de Paris, la Cour de cassation, dans sa formation toute autre personne, y compris l’acheteur, que celle-ci sup- plénière, a rendu le 9 novembre 2018 un arrêt de cassation. porte définitivement, en tout ou en partie, le coût du droit de suite, pour autant qu’un tel arrangement contractuel n’affecte Né en France en 1920 et aujourd’hui reconnu par une soixantaine pas les obligations et la responsabilité qui incombent à la de législations nationales, le droit de suite, comme le définit personne redevable envers l’auteur ; l’article L. 122-8 du code de la propriété intellectuelle, étendu Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation depuis la loi no 57-298 aux marchands et notamment aux gale- (Civ. 1re, 3 juin 2015, pourvoi no 13-12.675), que, soutenant ries d’art et tel qu’issu de la loi du 1er août 2006 de transposition que la société de ventes volontaires de meubles aux enchères de la directive du 27 septembre 2001, bénéficie aux auteurs publiques Christie’s France avait, en violation du texte sus- d’œuvres originales graphiques et plastiques et est inaliénable. visé, inséré dans ses conditions générales de vente une clause Il ne s’applique qu’aux ventes dans lesquelles « intervient en tant mettant le paiement du droit de suite à la charge de l’acqué- que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du mar- reur, le Syndicat national des antiquaires a engagé une action ché de l’art », à condition que le prix de la vente soit supérieur à à l’encontre de cette société aux fins de voir qualifier une telle 750 €. Si la revente intervient moins de trois ans après l’acqui- pratique d’acte de concurrence déloyale et constater la nul- sition directe de l’œuvre auprès de l’auteur et à la condition que lité de la clause litigieuse ; le prix de la revente ne dépasse pas 10 000 €, la vente est exclue Attendu que, pour déclarer nulle et de nul effet la clause 4-b du champ du droit de suite. Tant son montant (CPI, art. R. 122-5), figurant dans les conditions générales de vente de la société que son taux (CPI, art. R. 122-6) sont fixés, le premier par appli- Christie’s France, l’arrêt énonce que l’article L. 122-8, alinéa 3, cation d’un pourcentage et le second, par application d’un du code de la propriété intellectuelle, fondé sur un ordre barème dégressif. public économique de direction, revêt un caractère impératif imposant que la charge définitive du droit de suite incombe Ce droit patrimonial, d’origine sociale et humanitaire (d’essence exclusivement au vendeur ; frugifère comme le précise la directive) était destiné, à l’origine, Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; à assurer aux artistes et à leurs descendants (jusqu’à 70 ans Et vu l’article 627 du code de procédure civile, après avis après la mort de l’artiste) un pourcentage sur les ventes ulté-

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rieures de leurs œuvres par les marchands d’art. Ce droit nouveau II - La question de la nécessité d’une prétendait protéger l’artiste qui, après avoir vendu ses premières œuvres à bas prix, atteignait la renommée quand ni lui ni ses question préjudicielle descendants ne profitaient de cette notoriété. La nécessité Le moyen principal du pourvoi présenté devant la Cour de d’aligner le statut des auteurs d’arts plastiques et graphiques cassation conduisait à rechercher si le paiement du droit de suite sur celui d’autres créateurs comme les musiciens, qui tirent mis à la charge du vendeur par l’article L. 122-8 du code de la profit des exploitations successives de leurs œuvres, n’était pas propriété intellectuelle présente un caractère impératif ou s’il étrangère aux nouvelles dispositions qui tendent à rétablir un n’est que supplétif de la volonté des parties, et si la règle posée équilibre entre les situations économiques de chacun. par l’article L. 122-8, alinéa 3, du même code, qui met le paiement du droit de suite à la charge du vendeur, est d’ordre public. Pour la France, le paiement est prévu à charge du vendeur (CPI, art. L. 122-8). La société Christie’s avait inséré dans ses conditions Pour répondre à ce moyen, il était nécessaire de rappeler les générales de vente (art. 4, b) une clause mettant le paiement objectifs poursuivis par la directive no 2001/84/CE du du droit de suite à la charge de l’acquéreur. Le Syndicat national 27 septembre 2001, relative au droit de suite au profit de l’auteur des antiquaires ainsi que le comité professionnel des galeries d’une œuvre d’art originale, et qui assure la généralisation et d’art (CPGA) ont engagé une action à l’encontre de cette socié- l’harmonisation de ce droit au sein de l’Union européenne té aux fins de voir qualifier une telle pratique d’acte de concur- compte tenu des disparités entre les législations qui seraient à rence déloyale et constater la nullité de la clause litigieuse. l’origine de distorsions de concurrence auxquelles cette directive a voulu mettre fin, au sein de l’Union européenne. Dans son arrêt du 12 décembre 2012 la Cour d’appel de Paris avait déclaré nulle la clause reportant la charge du droit de suite Il résulte de l’arrêt Fundacion Gala-Salvador Dali et Vegap c/ sur l’acheteur aux motifs qu’elle était contraire à l’intention du l’Adagp et autres du 15 avril 2010 que le premier objectif dont législateur qui mettait clairement cette charge au vendeur et procède la directive est d’assurer aux auteurs d’œuvres d’art qu’aucune dérogation n’avait été envisagée ni dans la directive graphiques et plastiques une participation économique au 2001/84/CE ni dans le droit national, de nature à permettre le succès de leurs créations, soit leur assurer un certain niveau de paiement du droit de suite par les acheteurs. rémunération. Le second est de mettre fin aux distorsions de concurrence sur le marché de l’art, le paiement d’un droit de Le 22 décembre 2008 la Commission européenne, qui avait suite dans certains États membres pouvant conduire à déloca- rendu un avis en interprétation de la directive, avait admis le liser les ventes dans les États membres où il n’est pas appliqué. droit de conclure des conventions en ce qui concerne les moda- La directive rappelle, dans ses considérants 9 et 10, que dans la lités de paiement du droit de suite ; elle avait toutefois ajouté mesure où l’existence ou non d’une obligation de paiement que ces arrangements n’auront qu’un effet relatif et ne déga- découlant du droit de suite est un élément qui est nécessairement geront pas les parties des obligations qui leur sont conférées pris en considération par toute personne désireuse de procéder par la loi française. Le 19 janvier 2009, le ministère de la Justice à la vente d’une œuvre d’art, ce droit est un des facteurs qui a indiqué que se déduisait de cet avis la possibilité de l’aména- contribuent à créer des distorsions de concurrence ainsi que gement contractuel du droit de suite. Cependant, en cas de des délocalisations de ventes au sein de la Communauté. défaillance de celui à la charge duquel il a été contractuellement aménagé, le créancier du droit de suite peut se retourner contre Le choix du fondement juridique de la directive 2001/84/CE, à le responsable du paiement au sens de l’article L. 122-8 du code savoir l’article 95 du traité CE, confirme que le texte s’inscrit de la propriété intellectuelle, nonobstant la convention amé- dans le rapprochement des dispositions des États membres qui nageant les modalités de paiement. ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Ainsi qu’il ressort des 13e et 15e considérants de la Le paiement d’un droit de suite dans certains États membres directive, il n’y a pas lieu de supprimer les différences entre les peut donc conduire à délocaliser les ventes d’œuvres là où il n’est législations nationales qui ne sont pas susceptibles de porter pas appliqué. Pour mettre fin aux distorsions de concurrence atteinte au fonctionnement du marché intérieur et, afin de évidentes qui s’ensuivent, la question s’est posée, après cent laisser autant de latitude que possible pour la prise de décisions années de son application, de savoir si la répartition de la charge nationales, il suffit de limiter l’harmonisation aux dispositions du coût de ce droit telle que la France et le Royaume-Uni la nationales qui ont l’incidence la plus directe sur le fonctionne- prévoient, soit différemment, ne favorisait pas de telles distorsions. ment du marché intérieur.

C’est dans ces conditions que la Cour de cassation a décidé, le L’article 1er paragraphe 4 de la directive prévoit que « le droit visé 22 janvier 2014, de saisir la Cour de justice de l’Union européenne au paragraphe 1 est à la charge du vendeur. Les États membres de la question préjudicielle suivante : « La règle édictée par peuvent prévoir que l’une des personnes physiques ou morales l’article 1 § 4 de la directive 2001/84/CE du Parlement européen et visées au paragraphe 2, autre que le vendeur, est seul responsable du Conseil du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au du paiement du droit ou partage avec le vendeur cette responsa- profit de l’auteur d’une œuvre d’art originale, qui met à la charge bilité ». En France, l’article L. 122-8, alinéa 3, du code de la pro- du vendeur le paiement du droit de suite, doit-elle être interprétée priété intellectuelle résultant de la transposition du texte opère en ce sens que celui-ci en supporte définitivement le coût sans une distinction entre, d’une part, la charge du paiement qui dérogation conventionnelle possible ? » repose sur le vendeur et, d’autre part, la responsabilité de ce

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LP367-JANVIER-2019.indd 50 27/01/2019 19:37 paiement qui incombe au professionnel, sauf à engager sa Cour d’appel de Versailles. Cette dernière ayant rendu le même responsabilité pénale s’il manque aux dispositions de l’article arrêt que la Cour d’appel de Paris, il n’est pas étonnant qu’un R. 122-10 du code de la propriété intellectuelle, lequel précise nouveau pourvoi reprenant les mêmes moyens ait été dirigé les obligations de ce dernier vis-à-vis du bénéficiaire du droit contre cette décision obligeant l’assemblée plénière de la Cour de suite. Ainsi : « Le droit de suite est à la charge du vendeur. La de cassation à statuer en application des articles L. 431-6 et responsabilité de son paiement incombe au professionnel interve- L. 431-7 du code de l’organisation judiciaire. nant dans la vente et, si la cession s’opère entre deux professionnels, au vendeur ». III - La réponse à la question préjudicielle règle-t-elle le Il s’ensuit, en parfaite adéquation avec la directive, que la loi problème posé ? française prévoit que c’est le vendeur qui supporte la charge du paiement de ce droit. Quant au débat concernant le point de La Cour de justice de l’Union européenne a énoncé le 26 février savoir si cette règle doit être interprétée en ce sens que le ven- 2015 que la règle qui met à la charge du vendeur le droit de suite deur supporte définitivement et en toute hypothèse le coût du peut faire l’objet d’un arrangement conventionnel alors que le droit de suite, ou s’il est possible d’y déroger par voie conven- texte de la directive ne se prononce pas sur l’identité de la per- tionnelle, comme le prévoit le droit anglais, l’on peut le trouver sonne qui doit supporter définitivement le coût du droit de suite. sans intérêt. En effet, le droit français prescrit La Cour de justice comble ainsi le vide de la de manière strictement identique à la direc- L’arrêt ne perdant pas de directive 2001/84/CE en précisant le cadre à tive communautaire transposée au mot près vue le fonctionnement du marché l’intérieur duquel les États membres disposent qu’il y ait un responsable du paiement, ce qui intérieur expose clairement que du choix des moyens pour la mettre en œuvre. sous-entend la possibilité pour les parties peu importent les arrangements d’aménager conventionnellement la charge contractuels eu égard au paiement, La directive, en rappelant dans son 25e consi- du coût définitif du droit de suite. ce que laissait entendre la directive dérant que « la personne redevable du droit est et laissait sous-entendre la loi en principe le vendeur » n’excluait pas une déro- Cependant la législation nationale anglaise française dès lors qu’elle faisait gation, mais elle ajoutait que « les États membres ayant fait glisser la charge du paiement du la différence entre la charge et devraient avoir la possibilité de prévoir des déro- vendeur à l’acheteur sans indiquer qui avait la responsabilité du paiement. gations à ce principe pour ce qui est de la respon- la responsabilité du paiement, la question sabilité du paiement », conduisant, a contrario, s’est posée de savoir si cette indication ne constituait pas en à exclure tout aménagement relatif à la charge du paiement. La elle-même l’origine de la distorsion de concurrence contre la- faiblesse du raisonnement a contrario se révèle évidente : comment quelle la directive avait précisément pour but de lutter. la responsabilité du paiement peut-elle être engagée si la charge du paiement ne varie pas ? La charge du paiement et sa respon- La Cour de cassation a estimé qu’elle n’avait pas suffisamment sabilité sont liées. De plus, le fait de souligner que le vendeur est d’éléments de réponse à cette question, les travaux parlemen- en principe celui qui est tenu, induit que les dérogations à ce taires ayant révélé que la règle posée était un principe ne souf- principe sont possibles. Sa définition étant d’ailleurs donnée à la frant d’aucune exception. fin de ce considérant : « le vendeur est la personne ou l’entreprise au nom de laquelle la vente est conclue. » C’est la Cour de justice de l’Union européenne qui va donner la grille de lecture de la directive pourtant transposée dans les Dans son arrêt du 26 février 2015, la Cour de justice de l’Union termes prévus par cette dernière. Par arrêt du 26 février 2015, européenne reprenant l’énoncé de l’article 1.4 de la directive, la Cour a dit pour droit que « l’article 1er, paragraphe 4, de la direc- précisera le point 22, que « cette solution s’explique au demeurant tive 2001/84 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à aisément au vu de la circonstance que dans un acte de revente c’est ce que la personne redevable du droit de suite, désignée comme le vendeur qui obtient normalement le prix d’achat à l’issue de la telle par la législation nationale, que ce soit le vendeur ou un transaction ». Dans son point 23 l’arrêt ajoutera : « cela étant il professionnel du marché de l’art intervenant dans la transaction, découle également de l’article 1er paragraphe 4, deuxième phrase, puisse conclure avec toute autre personne, y compris l’acheteur, de la directive 2001/84, lu en combinaison avec le considérant 25 que cette dernière supporte définitivement, en tout ou en partie, de celle-ci, que les États membres peuvent prévoir des dérogations le coût du droit de suite, pour autant qu’un tel arrangement contrac- au principe selon lequel le vendeur sera la personne redevable, tout tuel n’affecte nullement les obligations et la responsabilité qui en étant limités dans le choix d’une autre personne qui, seule ou incombent à la personne redevable envers l’auteur ». avec le vendeur, assumera la responsabilité de personne redevable ». Et dans le point 24 … « dans l’hypothèse où un État déciderait de Le point 30 de l’arrêt indique que si doit être indiqué le respon- prévoir comme personne redevable une autre personne que le sable du paiement de la redevance au titre du droit de suite, il vendeur, il doit la choisir parmi les professionnels visés à l’article n’en est pas de même en ce qui concerne la question de savoir 1er paragraphe 2 de cette directive qui interviennent en tant que qui en supportera en définitive le coût. Ce qui est dire : peu vendeurs, acheteurs ou intermédiaires dans les actes de revente importe qui paie pourvu que le droit de suite soit versé, ou bien relevant du champ d’application de la directive. » l’important est que l’auteur soit rémunéré, peu importe par qui. Le 3 juin 2015, se rangeant à cette réponse, la Cour de cassation En réalité, l’arrêt ne perdant pas de vue le fonctionnement du a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris et renvoyé l’affaire à la marché intérieur expose clairement que peu importent les arran-

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gements contractuels eu égard au paiement, ce que laissait fois le droit de suite, d’abord comme acheteur, puis comme entendre la directive et laissait sous-entendre la loi française vendeur, selon ce que le contrat prévoit ou non. C’est ainsi que dès lors qu’elle faisait la différence entre la charge et la respon- dans le cadre de ventes effectuées par l’intermédiaire d’une sabilité du paiement. Il fallait bien une question préjudicielle galerie, l’acquéreur auquel le galeriste est tenu de présenter pour entendre livrer l’esprit de cette loi française que contenait l’objet toutes taxes et frais compris, peut discuter le prix et sa lettre. L’un des buts de la directive étant d’empêcher les refuser de se voir imposer la charge d’un droit de suite qui in- distorsions de concurrence, la clause insérée par la société combe légalement au vendeur ou du moins le négocier sur la Christie’s en application de la législation anglaise dérangeait en marge du professionnel, alors que lors des ventes volontaires, France où il n’était pas moins question du marché intérieur que l’acquéreur captif et en concurrence avec d’autres acquéreurs du marché national. ne dispose d’aucun pouvoir de négociation, faute aussi de connaître le prix de vente devenu le prix d’achat, avant la fin Mais, pour autant, le second objectif de la directive rappelé plus des enchères ! C’est dire aussi que les professionnels anglais haut est-il rempli par l’arrêt du 26 février 2015 ? S’il est nécessaire sous l’empire d’une loi de transposition prévoyant que la res- de mettre fin aux distorsions de concurrence sur ponsabilité du paiement incombe solidairement le marché de l’art, le paiement d’un droit de suite Malgré la difficulté, au vendeur et à l’intermédiaire professionnel, dans certains États membres pouvant conduire à il suffit de se laisser adoptent des attitudes variées. délocaliser les ventes dans les États membres où convaincre : l’essentiel il n’est pas appliqué, l’aménagement convention- n’est-il pas sauvé puisque Dans ces conditions, acheter dans un pays et vendre nel prévu plus haut peut évidemment nuire à ce les artistes sont payés ? la même œuvre dans un autre crée nécessairement marché. La réponse de la Cour de justice ne règle des distorsions de concurrence, mais la Cour de alors pas le problème posé, sauf à dire que la concurrence se justice les estime inévitables et donc acceptables face à la liber- jouant non plus entre États où le droit de suite n’est pas appliqué té contractuelle. Quand la Cour de justice fait valoir que les et États où il l’est mais entre États où le droit de suite est appli- aménagements conventionnels n’ont aucune incidence sur le qué différemment car, selon que le vendeur comme en France paiement de la redevance à l’auteur, dont demeure responsable ou l’acheteur comme dans d’autres pays à la charge du paiement, la personne redevable, c’est que pour elle la détermination de une concurrence joue à l’intérieur du marché national susceptible la personne devant supporter définitivement le coût de la rede- de le perturber mais sans nécessairement porter atteinte au vance due à l’auteur au titre du droit de suite ne peut créer fonctionnement du marché intérieur. aucune distorsion de concurrence dans le marché intérieur, et donc dans le fonctionnement du marché national qui en est La Cour de justice a relevé les considérants 13 et 15 de la direc- une part, au motif que tous les acteurs de ce marché peuvent, tive qui indiquent « qu’il n’y a pas lieu de supprimer les différences dans les mêmes conditions également en user… entre les législations nationales qui ne sont pas susceptibles de porter atteinte au fonctionnement du marché intérieur et afin de Malgré la difficulté, il suffit de se laisser convaincre : l’essentiel laisser autant de latitude que possible pour la prise de décision n’est-il pas sauvé puisque les artistes sont payés ? nationale, il suffit de limiter l’harmonisation aux dispositions natio- Le renvoi aux usages du marché des œuvres d’art permet cepen- nales qui ont l’incidence la plus directe sur le fonctionnement du dant de voir que, dans la réalité, les problèmes des théoriciens marché intérieur (pt 29) ». La Cour admet donc que certaines du droit sont résolus. Mettre le droit de suite à la charge des dispositions nationales peuvent avoir une incidence, cependant acheteurs permettrait de séduire les vendeurs. En effet, rien indirecte, ou moins directe, sur le fonctionnement du marché n’existerait sans le vendeur qui donne à vendre ce qu’il possède. intérieur et donc que l’objectif de la directive est rempli dans Pour l’attirer, les intermédiaires décident en réalité que c’est aux les conditions que cette dernière a elle-même fixées. acheteurs qu’il faut faire payer le prix, les taxes, et le droit de suite dont le faible pourcentage n’a que peu d’effet dissuasif Ni les juges français ni les juges européens ne sont tenus à d’acquérir. Aucune étude ne permet aujourd’hui de dire que le l’impossible mais il ne faut pas se cacher derrière les règles d’un droit de suite a changé la donne du marché de l’art, spécialement ordre public économique de direction dont relèvent les dispo- en France qui est le premier pays au monde pour le nombre sitions législatives visant au maintien du fonctionnement d’œuvres d’art mises sur le marché. Le paiement du droit de concurrentiel du marché dans un secteur déterminé, ni derrière suite n’a aucune incidence sur le marché de l’art ni sur la valeur la possibilité d’aménager la charge du paiement d’un droit, des œuvres vendues. Il en est pour les œuvres d’art comme pour pour voir que la liberté contractuelle qui permet d’aménager le reste du marché : il faut payer le prix de ce qui est vendu au le paiement laisse entier le problème soulevé de la concurrence. vendeur. Rien de plus logique, rien de plus normal que le droit En effet une même personne peut être conduite à payer deux de suite suive cette règle de bon sens. A.-E. C.

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LP367-JANVIER-2019.indd 52 27/01/2019 19:37 Textes & documents Loi no 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 : les incidences en droit des médias

Des dispositions – inévitablement ? – abondantes et complexes de la loi de finances pour 2019, sont ressorties ici, dans un souci d’accessibilité, celles qui sont plus directement relatives au secteur des médias, de la communication et des activités culturelles. Elles permettent notamment de prendre la mesure des sommes consacrées, par l’État, en la matière et notamment en faveur du secteur public de la communication audiovisuelle ainsi que de la création et de la diffusion culturelles. Des comparaisons pourront, à cet égard, être faites avec certains des éléments qui avaient été dégagés des lois de finances des années précédentes. En l’absence de modifications d’importance du régime économique et fiscal des médias, dont les particularités sont constitutives d’aides publiques, parmi les quelques nouveautés, est relevé le fait que, pour l’année 2019, le montant de la « contribution à l’audiovisuel public » (anciennement dénommée « redevance ») n’est « pas indexé sur l’indice des prix à la consommation » et reste donc stable, dans l’attente de la remise d’un « rapport relatif à la réforme du dispositif ». Sont supprimées des taxes dues par « tout éditeur de services de télévision » et sur « la publicité diffusée par voie de radiodiffusion sonore de télévision ». Sont élargis ou prolongés divers crédits d’impôt ou avantages fiscaux accordés en contrepartie d’investissements ou dons faits à des entreprises et activités du secteur des médias (presse, production cinématographique et audiovisuelle). Retient l’attention le fait que l’exonération de l’impôt sur le revenu des indemnités de frais professionnels des journalistes (dans la limite de 7 650 €), accordée par l’article 81 du code général des impôts (CGI), ne s’applique désormais qu’à ceux « dont le revenu brut annuel n’excède pas 93 510 € ». Sont également modifiées les dispositions, de portée générale, de l’article 80 duodecies du même CGI relatives à la non-imposition des indemnités « versées à l’occasion de la rupture conventionnelle du contrat de travail d’un salarié ».

Première partie : contrat de travail, ou 50 % du montant de l’indem- nité si ce seuil est supérieur, dans la limite de six fois conditions générales le plafond mentionné à l’article L. 241-3 du code de de l’équilibre financier la sécurité sociale en vigueur à la date de versement des indemnités ; « b) Soit le montant de l’indemnité Titre Ier : Dispositions relatives de licenciement prévue par la convention collective aux ressources de branche, par l’accord professionnel ou interpro- fessionnel, par le Statut du personnel administratif I. – Impôts et ressources autorisés des chambres de commerce et d’industrie ou, à Emmanuel Derieux défaut, par la loi. » B. – Mesures fiscales Professeur à l’Univer- (…) sité Panthéon-Assas Article 5 (Paris 2) Article 26 (…) III (…) 2° Les articles 302 bis KA, I. – Le premier alinéa du 1° de l’article 81 du code 302 bis KD et 302 bis KG sont abrogés général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ces dispositions ne s’appliquent qu’aux journalistes, rédacteurs, (Les articles abrogés déterminaient une « taxe sur la publi- photographes, directeurs de journaux et critiques dramatiques et cité télévisée » due par les régies publicitaires ; une « taxe sur musicaux dont le revenu brut annuel n’excède pas 93 510 €. » la publicité diffusée par voie de radiodiffusion sonore et de (…) télévision » ; et « une taxe due par tout éditeur de services de télévision). Article 8 (…) Le 6° du 1 de l’article 80 duodecies du code général des impôts est ainsi rédigé : « 6° La fraction des indemnités prévues à l’article Article 61.- À la première phrase du f du 1 de l’article 200 et du e L. 1237-13 du code du travail versées à l’occasion de la rupture du 1 de l’article 238 bis du code général des impôts, après le mot : conventionnelle du contrat de travail d’un salarié (…) lorsqu’ils « cinématographiques », sont insérés les mots : « audiovisuelles ». ne sont pas en droit de bénéficier d’une pension de retraite d’un régime légalement obligatoire, qui n’excède pas : « a) Soit deux (Les articles en cause concernent la « réduction d’impôt accordée fois le montant de la rémunération annuelle brute perçue par le au titre des dons faits par des particuliers », des entreprises et des salarié au cours de l’année civile précédant la rupture de son sociétés)

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er Article 63.- Le I de la section V du chapitre IV du titre I de la Désignation du ministère ou Plafond exprimé en équivalents première partie du livre Ier du code général des impôts est du budget annexe temps plein travaillé ainsi modifié : Culture 10 670 1° L’intitulé est complété par les mots : « ou exploitant des satel- II. Budgets annexes 11 208 lites de communication » ; Publications officielles et 663 information administrative 2° L’article 247 est ainsi établi :

« Art. 247. – Ne sont pas considérés comme des bénéfices réalisés Article 104 dans des entreprises exploitées en France les bénéfices, déterminés Le plafond des autorisations d’emplois des opérateurs de l’État, dans les conditions fixées à l’article 57, provenant de l’exploitation pour 2019, exprimé en équivalents temps plein travaillé, est fixé de satellites de communication localisés sur des positions orbitales à 401 849 emplois. Ce plafond est réparti comme suit : géostationnaires qui ne sont pas la propriété de ces entreprises. » Plafond exprimé en équivalents Mission/Programme II. – Ressources affectées temps plein travaillé Diplomatie culturelle et C. – Dispositions relatives aux budgets annexes et aux comptes 6 530 spéciaux d’influence (…) Culture 14 461 Création 3 404 Article 95 I. – Par dérogation au second alinéa du III de l’article 1605 du Transmission des savoirs et 2 308 code général des impôts, en 2019, le montant de la contribution démocratisation de la culture à l’audiovisuel public n’est pas indexé sur l’indice des prix à la Médias, livre et industries consommation hors tabac. (…) 3 004 culturelles Titre II : Dispositions relatives à l’équilibre Livre et industries culturelles 3 004 des ressources et des charges Article 105 Article 98 I. – Pour 2019, le plafond des autorisations d’emplois des agents I. – Pour 2019, les ressources affectées au budget, évaluées dans de droit local des établissements à autonomie financière men- l’état A annexé à la présente loi, les plafonds des charges et tionnés à l’article 66 de la loi de finances pour 1974 (no 73-1150 l’équilibre général qui en résulte sont fixés aux montants suivants : du 27 décembre 1973), exprimé en équivalents temps plein, est fixé à 3 449. Ce plafond est réparti comme suit : (en millions d’auros*) Ressources Charges Soldes Plafond exprimé Mission/Programme Budgets annexes --- en équivalents temps plein Publications officielles et Action extérieure de l’Etat - 178 166 12 information administrative Diplomatie culturelle et 3 449 (*) Les montants figurant dans le présent tableau sont arrondis au d’influence million d’euros le plus proche ; il résulte de l’application de ce principe que le montant arrondi des totaux et sous-totaux peut ne pas être Total 3 449 égal à la somme des montants arrondis entrant dans son calcul. II. – Ce plafond s’applique exclusivement aux agents de droit local recrutés à durée indéterminée Seconde partie moyens des politiques publiques et dispositions spéciales Article 106 Pour 2019, le plafond des autorisations d’emplois de diverses (…) autorités publiques dont les effectifs ne sont pas inclus dans un plafond d’autorisation des emplois rémunérés par l’État, expri- Titre II : Autorisations budgétaires pour 2019 pla- mé en équivalents temps plein travaillé, est fixé à 2 558 emplois. fonds des autorisations d’emplois Ce plafond est réparti comme suit :

Article 103 Le plafond des autorisations d’emplois de l’État, pour 2019, expri- mé en équivalents temps plein travaillé, est réparti comme suit :

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LP367-JANVIER-2019.indd 54 27/01/2019 19:37 Plafond exprimé 2° Le II est ainsi modifié : a) Le 2° est ainsi rédigé : « 2° Porter sur en équivalents un spectacle présentant les caractéristiques suivantes : « a) Présen- temps plein travaillé ter des coûts de création majoritairement engagés sur le territoire français ; « b) Comprendre au minimum quatre représentations Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) 284 dans au moins trois lieux différents ; « c) Ne pas être présenté dans Haute Autorité pour la diffusion un lieu dont la jauge, définie comme l’effectif maximal du public des œuvres et la protection des 65 qu’il est possible d’admettre dans ce lieu, est supérieure à un nombre droits sur internet (HADOPI) de personnes défini par décret par catégorie de spectacle. » ;

Titre IV : Dispositions permanentes (L’article en cause est relatif au crédit d’impôt dont peuvent bénéficier les entrepreneurs de spectacles vivants) I. – Mesures fiscales et mesures budgétaires non rattachées (…) (…) II. – Autres mesures Article 118 I. – À la fin du second alinéa du 1° du I et du second alinéa du 1 Action extérieure de l’État du VI de l’article 199 terdecies-0 A du code général des impôts, Avances à l’audiovisuel public dans sa rédaction résultant de l’article 74 de la loi no 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, l’année : « 2018 » Article 276 est remplacée par l’année : « 2019 ». II. – Le I s’applique aux Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er juin 2019, versements effectués à compter d’une date fixée par décret, qui un rapport relatif à la réforme du dispositif prévu à l’article 1605 ne peut être postérieure de plus de deux mois à la date de récep- du code général des impôts. tion par le Gouvernement de la réponse de la Commission euro- (…) péenne permettant de considérer la disposition lui ayant été notifiée comme étant conforme au droit de l’Union européenne. États législatifs annexés État A (L’article en cause est relatif à la « réduction d’impôt accordée au (Article 98 de la loi) titre des souscriptions en numéraire au capital d’entreprises de Voies et moyens presse » dont l’application est prolongée d’un an) (…) (…) II. – Budgets annexes Article 146 (En €) Le 1 du III de l’article 220 quaterdecies du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Le taux mentionné au Numéro Evaluation Intitulé de la recette premier alinéa du présent 1 est porté à 40 % en ce qui concerne les de ligne pour 2019 œuvres cinématographiques ou audiovisuelles de fiction dans les- Publications officielles et quelles au moins 15 % des plans, soit en moyenne un plan et demi information administrative par , font l’objet d’un traitement numérique permettant d’ajou- ter des personnages, des éléments de décor ou des objets participant 7010 Ventes de produits 177 800 000 à l’action ou de modifier le rendu de la scène ou le point de vue de la caméra et pour la part des dépenses éligibles afférentes aux travaux III. – Comptes d’affectation spéciale de traitement numérique des plans, à condition que ces dernières (En €) dépassent 2 millions d’ € pour l’œuvre concernée. » II. – Les disposi- tions du I s’appliquent aux crédits d’impôt calculés au titre des Numéro Evaluation Intitulé de la recette exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019. III. – Le I entre en de ligne pour 2019 vigueur à une date, fixée par décret, qui ne peut être postérieure Section : Pensions militaires d’inva- de plus de un mois à la date de réception par le Gouvernement lidité et des victimes de guerre et 1 719 840 000 de la réponse de la Commission européenne permettant de consi- autres pensions dérer le dispositif législatif lui ayant été notifié comme conforme Financement des pensions de l’ORTF au droit de l’Union européenne en matière d’aides d’État. 94 140 000 : participation du budget général (L’article en cause est relatif au crédit d’impôt dont peuvent Financement des pensions de bénéficier les entreprises de production cinématographique et 97 l’ORTF : autres financements : Fonds audiovisuelle) de solidarité vieillesse (FSV), Fonds 0 de solidarité invalidité (FSI) et coti- Article 147 sations rétroactives I. – L’article 220 quindecies du code général des impôts est Financement des pensions de ainsi modifié : 1° Au premier alinéa du I ainsi qu’au premier 98 0 l’ORTF : recettes diverses alinéa et au 1° du II, les mots : « ou de variétés » sont supprimés ;

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IV. – Comptes de concours financiers État D (En €) (Article 101 de la loi) Répartition, par mission et programme, des crédits des comptes Numéro Evaluation d’affectation spéciale et des comptes de concours financiers Intitulé de la recette de ligne pour 2019 II. – Comptes de concours financiers Avances à l’audiovisuel public 3 859 620 069 (En €)

État B Autorisations Crédits Mission/programme d’engagement de paiement (Article 99 de la loi) Avances à l’audiovisuel Répartition, par mission et programme, des crédits du budget 3 859 620 069 3 859 620 069 général public France Télévisions 2 543 117 594 2 543 117 594 BUDGET GÉNÉRAL (En €) ARTE France 283 330 563 283 330 563 Radio France 604 707 670 604 707 670 Autorisations Crédits Mission/Programme d’engagement de paiement France Médias Monde 261 529 150 261 529 150 Diplomatie culturelle Institut national de 699 571 121 699 571 121 89 185 942 89 185 942 et d’influence l’audiovisuel Culture 3 096 811 223 2 930 086 869 TV5 Monde 77 749 150 77 749 150 Création 782 462 290 780 880 141 Transmission des savoirs Fait à Paris, le 28 décembre 2018. et démocratisation 1 268 058 803 1 239 590 023 de la culture Médias, livre et industries 566 058 811 579 449 028 culturelles Presse et médias 284 047 363 280 047 363 Livre et industries 282 011 448 299 401 665 culturelles La Chaîne parlementaire 34 289 162 34 289 162

État C (Article 100 de la loi) Répartition, par mission et programme, des crédits des budgets annexes

BUDGETS ANNEXES (En €)

Autorisations Crédits Mission/Programme d’engagement de paiement Publications officielles et 176 011 746 166 006 746 information administrative Edition et diffusion 62 240 000 52 535 000 Pilotage et ressources 113 771 746 113 471 746 humaines dont charges de personnel 65 912 746 65 912 746 Totaux 2 298 043 671 2 288 038 671

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LP367-JANVIER-2019.indd 56 27/01/2019 19:37 L’encadrement de la promotion des denrées alimentaires par la loi EGAlim Les difficultés économiques des producteurs de denrées alimentaires et leur situation de faiblesse vis-à-vis des distributeurs ont donné lieu à une large discussion dans le cadre des États généraux de l’alimentation. Conformément à ce qui a été envisagé à cette occasion, une loi a été portée par le gouvernement et votée le 30 octobre 2018 avec pour but notamment d’empêcher la mise en œuvre d’opérations promotionnelles trop importantes dans le secteur des denrées alimentaires, l’objectif étant que les prix ne soient pas excessivement tirés vers le bas, ce qui serait in fine au détriment des producteurs. Il n’est pas certain que la loi qui a été adoptée et dont l’application sera particulièrement complexe réponde à cet objectif.

Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (dite « loi EGAlim »). Ordonnance n°2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires.

I - Les textes II. - Les avantages promotionnels, le cas échéant cumulés, mentionnés au I, accordés au consom- La loi no 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équi- mateur pour un produit déterminé, ne sont pas libre des relations commerciales dans le secteur supérieurs à 34 % du prix de vente au consomma- agricole et alimentaire et une alimentation saine, teur ou à une augmentation de la quantité vendue durable et accessible à tous, dite « loi EGAlim », a équivalente. été adoptée après des débats assez animés. Fabien Honorat III. - Ces avantages promotionnels, qu’ils soient accor- Deux courants s’opposaient au Parlement : celui et Eric Andrieu dés par le fournisseur ou par le distributeur, portent qui souhaitait ne voter qu’une loi cadre permet- Avocats au Barreau de Paris sur des produits ne représentant pas plus de 25 % : tant au gouvernement de réglementer par or- 1° Du chiffre d’affaires prévisionnel fixé par la donnance et celui qui souhaitait que la situation soit intégrale- convention prévue à l’article L. 441-7 du code de commerce ; ment réglée par la loi elle-même. C’est le premier courant qui 2° Du volume prévisionnel prévu par un contrat portant sur la l’a emporté et la loi du 30 octobre 2018 stipule : conception et la production de produits alimentaires selon des modalités répondant aux besoins particuliers de l’acheteur ; « Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le 3° Des engagements de volume portant sur des produits agricoles gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance, dans un périssables ou issus de cycles courts de production, d’animaux vifs, délai de quatre mois à compter de la publication de la présente de carcasses ou pour les produits de la pêche et de l’aquaculture. loi, toute mesure relevant du domaine de la loi et ressortissant au Pour l’application des dispositions du présent III, la convention Code de commerce nécessaire pour prévoir sur une durée de deux mentionnée au 1°et le contrat mentionné au 2° fixent respective- ans…d’encadrer en valeur et en volume les opérations promo- ment un chiffre d’affaires prévisionnel et un volume prévisionnel. tionnelles financées par le distributeur ou le fournisseur portant sur la vente au consommateur de denrées alimentaires et de IV. - Les dispositions du présent article ne s’appliquent pas aux produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie, et produits périssables et menacés d’altération rapide, à condition de définir les sanctions administratives permettant d’assurer que l’avantage promotionnel ne fasse l’objet d’aucune publicité ou l’effectivité de ces dispositions ». annonce à l’extérieur du point de vente.

L’ordonnance no 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au V. - Tout manquement aux obligations du présent article par le relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des fournisseur ou le distributeur est passible d’une amende admi- promotions pour les denrées et certains produits alimentaires nistrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une porte dans son article 3 : personne physique et 375 000 € ou la moitié des dépenses de publicité effectuées au titre de l’avantage promotionnel pour une « I. - Les dispositions du présent article s’appliquent aux avan- personne morale. L’amende est prononcée dans les conditions tages promotionnels, immédiats ou différés, ayant pour effet prévues à l’article L. 470-2 du code de commerce. Le maximum de réduire le prix de vente au consommateur de denrées ali- de l’amende encourue est doublé en cas de réitération du man- mentaires ou de produits destinés à l’alimentation des animaux quement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle de compagnie. la première décision de sanction est devenue définitive. »

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II - Le droit européen III - La nécessité d’une vente à prix réduit à des consommateurs La conformité de la nouvelle réglementation à la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales À supposer qu’elle soit applicable, l’ordonnance du 12 décembre déloyales est extrêmement contestable. 2018 prévoit que les avantages promotionnels accordés aux consommateurs pour un produit déterminé : Nous savons qu’un État membre ne peut adopter une régle- ●● ne doivent pas excéder 34 % du prix de vente au consomma- mentation relative à des pratiques commerciales (notamment teur ou une augmentation équivalente de la quantité vendue ; aux promotions) pour prévoir de façon générale une interdiction ●● ne peuvent non plus représenter plus de 25 % du chiffre ou des conditions restrictives dès lors que les pratiques concer- d’affaires réalisé sur l’année dans le cadre des contrats passés nées ne font pas l’objet des trente-et-unes pratiques réputées entre les industriels et les distributeurs. déloyales par la directive, pratiques qui ont été reprises dans le code de la consommation aux articles L. 121-4 et L. 121-7. Il est évidemment essentiel de définir ce qu’il convient d’entendre par « avantage promotionnel ». C’est ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que ne sont pas conformes au droit Cette notion a évolué. Dans un projet antérieur communiqué européen les réglementations nationales qui : par l’administration, l’ordonnance aurait visé les « avantages ●● interdisent les loteries avec obligation d’achat (CJUE 14 janv. promotionnels, de toute nature, immédiats ou différés, portant sur 2010, aff. C-304/08, Zentrale zur Bekämpfung unlauteren la vente aux consommateurs de denrées alimentaires ou des pro- Wettbewerbs eV c/ Plus Warenhandelsgesellschaft mbH) ; duits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie ». ●● limitent les opérations de ventes avec primes (CJUE 9 nov. Dans la version définitive, il s’agit des « avantages promotionnels 2010, aff. C-540/08) ; immédiats ou différés ayant pour effet de réduire le prix de vente ●● fixent des conditions obligatoires pour les offres de réduction aux consommateurs de denrées alimentaires… ». de prix, notamment par l’indication de modalités spécifiques relatives à la fixation d’un prix de référence (CJUE 8 sept. 2015, La différence est importante puisqu’outre la suppression des termes aff. C-13/15). « de toute nature », ne sont plus visés que les avantages ayant pour effet de réduire le prix de vente aux consommateurs des denrées Il est difficile de comprendre comment cette réglementation, alimentaires (l’analyse est bien entendu également valable pour qui fixe des montants maximum autorisés pour les réductions les aliments destinés aux animaux de compagnie). C’est sensible- de prix sur les denrées alimentaires (et les produits d’alimenta- ment moins que les avantages de toute nature portant sur la vente tion pour animaux) pourrait être conforme au texte de la direc- aux consommateurs desdites denrées alimentaires et nombre de tive et à la jurisprudence de la Cour de justice auxquels elle promotions seront exclues du champ d’application de ce texte. s’oppose directement. S’agissant du seuil en volume de 25 %, il s’agit de limiter les Si le considérant 9 de la directive prévoit pour les États membres volumes de produits promus de façon globale. Il porte sur le la possibilité d’y déroger, c’est uniquement « pour des motifs de chiffre d’affaires prévisionnel devant être fixé par la convention protection de la santé et de la sécurité des consommateurs…les unique signée entre les producteurs et les distributeurs. Ce services financiers et les biens immobiliers », ce qui ne concerne chiffre d’affaires prévisionnel est désormais prévu comme une pas le présent texte. mention obligatoire de la convention unique visée par l’article L. 441-7 du code de commerce. Par ailleurs, l’article 4, d) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit que l’agriculture est un IV - Les conséquences pratiques de la domaine qui fait l’objet d’une compétence partagée entre l’Union mise en œuvre de la réglementation et les États membres, ce qui signifie, en vertu de l’article 2, 2°, du TFUE, que les États membres exercent leurs compétences Il est manifeste que les offres sur les prix sont concernées par dans la mesure où l’Union n’a pas exercé la sienne. la réglementation. - Il s’agit des offres de réduction qui sont valables immédiatement pour l’achat d’un produit ou des offres Or, en matière d’agriculture, l’article 38 du TFUE prévoit que de remboursement qui interviennent de manière différée. Si le l’Union européenne définit et met en œuvre une politique montant de ces offres est inférieur à 34 % du prix payé par les commune de l’agriculture. L’article 39, b) précise que la politique consommateurs, l’infraction – à la supposer conforme au droit agricole a notamment pour but « d’assurer un niveau de vie européen – sera constituée. Ceci qui peut paraître simple peut équitable à la population agricole, notamment par le relèvement s’avérer sensiblement plus complexe en pratique. du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture ». Lorsque la réduction annoncée est en pourcentage du prix payé Ainsi, il semblerait que le domaine de l’agriculture, et plus par le consommateur (x % remboursé sur l’achat du produit Y), particulièrement la préservation des intérêts économiques la situation sera en effet assez simple. des producteurs, ne soit pas un motif permettant aux États membres de déroger au droit de l’Union, qui prime sur le Lorsqu’en revanche, la réduction sera en valeur absolue (x € droit national. remboursé sur l’achat du produit Y), il conviendra de constater

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LP367-JANVIER-2019.indd 58 27/01/2019 19:37 au cas par cas le prix payé par le consommateur pour bénéficier Ce qui paraît en tout cas certain c’est que sont exclus de la de l’offre, pour l’apprécier proportionnellement au montant de réglemention les jeux promotionnels et les ventes avec primes. la réduction qui, selon les prix de vente librement fixés par les - En effet, compte tenu de la rédaction définitive de l’ordonnance distributeurs, pourra varier d’un point de vente à l’autre et du 12 décembre 2018, ces mécaniques ne peuvent être sanc- constituer en fonction de ce prix une infraction ou non. tionnées puisqu’elles n’auront en aucune façon « pour effet de réduire le prix de vente au consommateur de denrées alimentaires ». La question se complique lorsque l’on imagine la technique très développée du cagnottage. - On sait que les distributeurs Ceci ressort de l’évidence pour ce qui concerne les jeux promo- mettent tous en œuvre ces mécaniques de fidélisation de leur tionnels : si un consommateur, grâce à l’achat d’un produit, peut clientèle qui consiste à la faire bénéficier d’avantages en fonction participer à un jeu et tenter de gagner l’une des dotations des achats qu’elle effectue. Ainsi, en fonction du montant global proposées, ceci n’a pas pour effet de réduire le prix du produit payé lors de chaque passage en caisse, de la nature des produits qui lui aura permis de participer. achetés, de la date des achats…, le consommateur se verra-t-il crédité de montants qu’il pourra ensuite utiliser pour l’achat Il en sera de même le plus souvent pour ce qui concerne les primes : d’autres produits. si pour l’achat d’un produit, un consommateur reçoit un produit différent, le prix du premier produit n’en est pas réduit pour autant. Parmi les achats initialement effectués (que l’on appellera les achats sources), certains porteront sur des denrées alimentaires. La situation sera simplement différente dans l’hypothèse où la Entreront-ils pour autant dans le champ de l’ordonnance du prime portera sur un produit identique au produit principal qui 12 décembre ? aura dû être acheté par le consommateur.

La question se pose dans la mesure où le texte vise les avantages V - Les sanctions promotionnels « ayant pour effet de réduire le prix de vente au consommateur de denrées alimentaires » alors que les achats Le mécanisme retenu est celui des sanctions administratives, sources ne bénéficieront d’aucune réduction et seront payés à c’est-à-dire de sanctions qui seront prononcées en l’occurrence leur prix facial. par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en application de Quant à la réduction qui pourra être obtenue sur des achats ulté- l’article L. 470-2 du code de commerce et dont les décisions rieurs, devra-t-elle être considérée comme un avantage promo- pourront le cas échéant être soumises à recours devant les juri- tionnel au sens de la réglementation ? Et si oui, s’appliquera-t-elle dictions administratives. à toute denrée alimentaire qui sera achetée dans un second temps par le consommateur alors que ces denrées n’ont pas été Ce processus, qui s’inscrit dans la tendance générale de la déju- identifiées initialement et qu’elles pourront provenir d’un indus- diciarisation des infractions, peut sembler préoccupant dans la triel n’ayant mis en œuvre aucune opération promotionnelle ? mesure où le juge civil, normalement gardien des libertés indi- viduelles, se trouve ainsi dessaisi au profit du juge administratif. De façon plus générale, se pose la question de l’identification Les sanctions seront au maximum de 75 000 € pour une personne des produits alors même que le texte vise les avantages promo- physique ou 375 000 € (ou la moitié des dépenses de publicité tionnels accordés au consommateur « pour un produit déterminé ». effectuées au titre de l’avantage promotionnel) pour une per- sonne morale. Peut-on admettre que l’infraction soit constituée du seul fait de l’achat initial d’un premier panier puis de l’achat ultérieur d’un Le maximum de l’amende pourra être doublé en cas de réitéra- deuxième panier comportant des denrées alimentaires ? Pour- tion du manquement dans un délai de deux ans à compter de ra-t-on alors imputer les réductions initialement obtenues (pour la date à laquelle la première décision de sanction sera devenue des denrées alimentaires ou non) à l’achat ultérieur de denrées définitive. alimentaires quand bien même celles-ci se trouveraient achetées simultanément à d’autres produits n’entrant pas dans cette On voit que si la volonté qui a présidé à l’adoption de cette régle- définition ? Et dans cette hypothèse, pourra-t-on réduire au mentation répond à un besoin réel, il n’est pas certain que le choix le prix de telle ou telle denrée se trouvant dans le panier ? texte lui-même, dont l’application est à la fois contestable et Il semble que ceci soit tout à fait impossible au regard du prin- extrêmement complexe, puisse permettre de répondre de cipe de légalité des délits et des peines. manière satisfaisante à l’objectif initial. F.H. et E. A.

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LP367-JANVIER-2019.indd 59 27/01/2019 19:37 Synthèse Droits de la personnalité Janvier 2018 - Décembre 2018

On retiendra des décisions rendues en 2018 en matière de droits de la personnalité une relative stabilité des règles. La jurisprudence semble avoir trouvé ses marques et, si elle ne conceptualise toujours pas ces droits en tant que catégorie juridique, elle réglemente avec précision les applications qui en sont faites. Les thèmes sont récurrents, en particulier les conflits de droits dont la résolution commande de mettre en balance le droit au respect de la vie privée et la liberté d’expression ou le droit à la preuve. Il y a aussi, et c’est peut-être le plus marquant, des domaines de forte activité et, à ce titre, les relations de travail sont devenues un champ opératoire prépondérant. C’est dans ce cadre, d’ailleurs, que la Cour de cassation s’est prononcée, par un important arrêt, sur les conditions du caractère de conversation privée de propos diffusés sur les réseaux sociaux.

I - Les titulaires des droits aux personnes morales car c'est par ce motif de de la personnalité pur droit que la Cour de cassation a justifié la décision des juges du fond d'écarter le caractère 1. Les personnes morales n'ont toujours attentatoire à la vie privée d'une association d'une pas de vie privée mesure d'instruction autorisant un huissier à assis- ter à une réunion de cette association. Le fait est On a déjà dit tout le mal que l'on peut penser de la qu'une association, pas plus qu'une société, n'a jurisprudence, notamment européenne, qui, sur fond de vie privée au sens de l'article 9 du code civil. d'égalitarisme, reconnaît aux personnes morales les On a certes pu plaider, avec talent, pour une mêmes droits que ceux dont les personnes physiques Grégoire Loiseau conception fonctionnelle du droit au respect de Professeur à l'École de sont investies en raison de leur humanité. L'égalitarisme la vie privée3. « Il n'y a rien d'extravagant », écrit le est une forme d'intégrisme intellectuel qui impose droit de la Sorbonne Professeur Jean-Christophe Saint-Pau, « à évoquer une mise en équivalence des sujets de droits sans (Université Paris 1 la vie privée de la personne morale qui, comme une considération pour la ratio legis. On pouvait se réjouir, Panthéon-Sorbonne) personne physique, peut exiger le respect de la confi- dans ces conditions, de l'arrêt par lequel la Cour de dentialité des informations relatives à son organi- cassation avait rompu avec ce dogmatisme. C'était il y a bientôt trois sation, son fonctionnement, et à ses relations : il s'agit de respecter ans ; la première chambre civile jugeait que « seules les personnes la personnalité « organisationnelle » (nom, nationalité et domicile) physiques peuvent se prévaloir d'une atteinte à la vie privée au sens de et « fonctionnelle » (activités résultant de l'objet social) du grou- l'article 9 du code civil ». La rupture, malheureusement, n'était pas pement »4. Et l'auteur d'ajouter, de façon pertinente, que « la totalement consommée car le même arrêt reconnaissait que « les question n'est pas celle de la titularité des droits, mais bien plutôt personnes morales disposent, notamment, d'un droit à la protection celle de l'adaptation de leur objet et de leur pondération avec les de leur nom, de leur domicile, de leurs correspondances et de leur répu- droits et libertés d'autrui ». En conséquence, « il conviendrait tation »1. Au risque de se répéter, il n'est pas question de priver les plutôt de fixer une définition de la vie privée des personnes morales, personnes morales d'une protection qui peut être légitime, mais comprise comme un ensemble d'information de groupe confiden- celle-ci doit se fonder sur des instruments appropriés à la réalité de tielles à raison de la spécialité de l'objet social qui n'est donc pas leur existence, qu'il s'agisse de défendre leur dénomination sociale symétrique de la vie privée des personnes physiques »5. De ce ou leur nom commercial, de préserver le caractère privé de leur siège dernier point de vue, il paraît effectivement légitime de pouvoir social, de garantir le secret de leurs communications ou encore de protéger la confidentialité d'informations en lien avec l'activité prendre en compte la valeur de leur image de marque. de la personne morale que celle-ci souhaite garder secrètes. Toutefois, si la protection de la vie privée peut servir, à cet effet, On est en conséquence à nouveau partagés face à l'arrêt du de pis-aller, il existe désormais des règles spécifiques. La loi 16 mai 2018 qui reconduit ces positions2. On en retiendra davan- no 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret tage le refus de reconnaître un droit au respect de la vie privée des affaires permet de protéger toute information qui n'est pas généralement connue ou aisément accessible et revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère 1.. Civ 1re, 17 mars 2016, no 15-14.072, publié, D. 2016. 1116, note secret à condition de faire l'objet, de la part de son détenteur G. Loiseau ; ibid. 2365, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau ; ibid. 2017. 181, obs. E. Dreyer ; Rev. sociétés 2016. 594, note L. Dumoulin ; Dalloz IP/IT 2016. 309, obs. T. Gisclard ; RTD civ. 2016. 321, obs. J. Hauser ; CCE 2016. Comm. 43, note A. Lepage ; JCP E 2016, 1473, 3. J.-C. Saint-Pau, Le droit au respect de la vie privée des personnes note T. Stefania ; RJPF 6/2016, p. 15, obs. E. Putman ; BJS 2016. 314, morales, in Mélanges Sudre, 2018, p. 689. note D. Poracchia ; Dr. sociétés 6/2016, p. 14, note R. Mortier ; Légipresse 4. J.-C. Saint-Pau, préc., p. 695. 2017. 51, obs. G. Loiseau. 5. J.-C. Saint-Pau, préc., p. 695. V. aussi sur la question, X. Dupré de 2. Civ. 1re, 16 mai 2018, n° 17-11.210, RTD civ. 2018. 624, obs. Boulois, Droit des libertés fondamentales, PUF, coll. « Thémis », 2018, D. Mazeaud. spéc. no 78, p. 54.

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LP367-JANVIER-2019.indd 60 27/01/2019 19:37 légitime, de mesures de protection raisonnables, compte tenu L'idée d'un cercle privé évoque la notion un peu vieillotte, en des circonstances, pour en conserver le caractère secret6. Voilà droit d'auteur, de cercle de famille qui fonde une exception au les entreprises armées d'un droit conçu pour elles. droit d'auteur en permettant une représentation privée et gra- tuite de l'œuvre qui se déroule dans ce cadre10. L'esprit est voisin II - Les droits de la personnalité de prendre en considération, pour apprécier le caractère privé en action d'un échange ou d'un partage (d'une information, d'une œuvre de l'esprit…), le caractère fermé de la communauté ou du réseau 2. Propos diffusés sur les réseaux sociaux : limité à des familiers qui ont entre eux, ou du moins avec l'un les conditions du caractère de conversation privée d'entre eux, des relations de proximité. De ce point de vue, il fait alors sens que, pour la Cour de cassation, le fait de réserver La question est de son temps et l'on s'étonne que la Cour de l'accès au cercle privé aux seules personnes agréées par le titu- cassation n'ait eu, jusqu'à présent, que peu d'occasions de déga- laire du compte ne suffit pas à donner aux propos qui sont tenus ger des règles cadre : des propos diffusés sur un réseau social – dans ce cadre le caractère d'une conversation privée. Il faut Facebook au cas d'espèce – ont-ils un caractère public ou la encore que ce cercle réunisse un nombre restreint de personnes, nature d'une conversation privée ? L'enjeu est de taille : c'est ce qui fait sens dans la mesure où des amis numériques en grand dans ce dernier cas seulement que les messages bénéficient de nombre, même sélectionnés ou en tout cas acceptés par l'inté- la protection due au respect de la vie privée et qu'ils ne peuvent ressé, ont plus l'allure d'une collection de connaissances plus être sanctionnés même s'ils présentent un caractère injurieux ou moins proches que le profil de familiers avec qui on doit ou excessif, dépassant les bornes de la liberté d'expression. pouvoir échanger en toute impunité une conversation privée. Les deux exigences sont donc, aux yeux de la Cour de cassation, Dans le plus grand désordre, les juridictions du fond se sont divi- cumulatives. L'arrêt du 10 avril 2013 le soulignait le premier : sées, ces dernières années, sur la question du caractère public pour écarter la qualification d'injures publiques, il était observé ou privé des propos diffusés ou échangés sur un réseau social. que les propos diffusés sur les comptes Facebook et MSN n'étaient La première chambre civile de la Cour de cassation a pris position, « accessibles qu'aux seules personnes agréées par l'intéressée, en en 2013, en jugeant qu'un paramétrage fermé, réservant l'accès nombre très restreint ». L'arrêt du 12 septembre 2018 le reprend à la page Facebook aux seules personnes agréées par l'intéressé, à son tour : il note que les propos injurieux diffusés par la salariée exclut la qualification d'injure publique7. Mais l'arrêt n'a pas fait sur son compte Facebook « n'avaient été accessibles qu'à des vraiment autorité. La chambre sociale s'est prononcée à son tour, personnes agréées par cette dernière et peu nombreuses, à savoir en 2017, au terme d'un arrêt mal motivé qui a jugé qu'un em- un groupe ferme composé de quatorze personnes » pour décider ployeur ne peut accéder, sans porter une atteinte disproportion- « qu'ils relevaient d'une conversation de nature privée ». née et déloyale à la vie privée d'une salariée, à des informations extraites de son compte Facebook obtenues à partir du téléphone Reste la question factuelle de savoir à partir de quelle taille portable d'un autre salarié s'agissant d'informations qui étaient environ le groupe de personnes agréées pour accéder au compte réservées aux personnes autorisées8. L'arrêt mêlait ainsi la ques- peut être jugé trop important pour être compatible avec la tion du caractère privé des propos publiés sur le réseau social – notion de cercle privé dont le sens est de réunir un nombre ce qui relève de la protection de la vie privée – et la question de réduit de familiers. La cour d'appel d'Aix-en-Provence a estimé l'obtention des informations – ce qui renvoie plutôt à la loyauté à ce sujet, s'agissant d'un employeur qui avait sanctionné les de la façon dont l'employeur en a eu connaissance. Il a fallu dès propos excessifs d'un salarié, que le profil de celui-ci, comportant lors attendre l'arrêt du 12 septembre 2018 pour entendre juger, cent soixante-dix-neuf « amis », ne pouvait caractériser en raison clairement, que les propos relèvent d'une conversation privée de son importance une sphère privée d'échanges11. L'apprécia- lorsqu'ils ont été diffusés sur un compte Facebook dont l'accès tion est cependant en fait et doit relever en tant que telle du est réservé à un nombre limité de personnes agréées par l'utili- pouvoir des juges du fond sateur du compte9. Sans lier formellement le caractère privé ou public des propos aux paramètres du compte à partir duquel ils 3. La protection relative de la vie privée sont diffusés – paramétrage ouvert, paramétrage fermé, messages de la personne au travail réservés aux amis ou aux amis des amis ou accessibles à tous –, l'arrêt pose des critères qui permettent de tenir compte, de façon Le droit au respect de la vie privée est un droit essentiel de la adaptée, de la volonté du titulaire du compte. Les propos ont le personne qui en conserve l'exercice même en situation profes- caractère d'une conversation privée lorsqu'ils n'ont été rendus sionnelle. Bien sûr, la protection s'émousse entre les murs de accessibles qu'à des personnes agréées par celui-ci et peu nom- l'entreprise, ne serait-ce que parce que le droit doit être concilié breuses, constituant un cercle privé. avec le pouvoir de l'employeur de contrôler l'activité des salariés et, dans ce cadre, de vérifier l'utilisation qu'ils font des équipe- ments informatiques mis à leur disposition. La Cour de cassation 6. C. com., art. L. 151-1. 7. Civ. 1re, 10 avr. 2013, no 11-19.530 ; Bull. civ. I, no 70 ; CCE 2013. a posé, en 2006, le principe directeur : « les fichiers créés par le Comm. 81, note A. Lepage ; JCP S 2013. 1237, note B. Bossu ; Légipresse salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par 2013. 312, obs. B. Ader ; SSL 2013, no 1581, p. 7, note J.-E. Ray. 8. Soc. 20 déc. 2017, no 16-19.609, Légipresse 2018, p. 214, note l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un E. Derieux ; Dalloz IP/IT 2018. 315, obs. G. Péronne et E. Daoud . 9. Soc. 12 sept. 2018, no 16-11.690, publié ; D. 2018. 1812 ; JCP 2018, p. 182, note G. Loiseau ; RLDI 10/2018, p. 8, note E. Derieux ; SSL 2018, 10. CPI, art. L. 122-5. no 1830, p. 10, note J.-E. Ray ; BJT 2018. 108, obs. J. Icard. 11. Aix-en-Provence, 5 févr. 2016, no 14/13717.

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caractère professionnel, de sorte que l'employeur est en droit de européenne des droits de l’homme, ce que la Cour s'emploie en les ouvrir en dehors de sa présence, sauf s'ils sont identifiés comme l'occurrence à vérifier aux conditions posées par ce texte. L'ingé- étant personnels »12. Le respect de la vie privée n'est pas sacrifié rence, constate la Cour, est prévue par la loi puisque la jurispru- puisqu'il est possible au salarié – encore que la démarche lui dence de la chambre sociale encadre la possibilité pour l'em- incombe – d'identifier des contenus comme personnels afin de ployeur de prendre connaissance de contenus numériques les soustraire au contrôle de l'employeur. La Cour de cassation présents dans un outil professionnel mis à la disposition d'un exige à ce sujet que le marquage manifeste une volonté claire salarié. Elle poursuit de surcroît un but légitime, ce qui est l'oc- de faire reconnaître sans équivoque le caractère privé des don- casion pour les juges européens de rappeler que l'employeur a nées détenues dans un environnement professionnel. un intérêt légitime à s'assurer que les salariés accomplissent leurs tâches de manière adéquate et, à ce titre, à contrôler Constante en droit interne, cette jurisprudence aurait pu être l'utilisation qu'ils font des équipements informatiques mis à leur déstabilisée par l'arrêt de la Cour européenne des droits de disposition. Reste la troisième condition – celle de la nécessité l'homme rendu le 5 septembre 201713. Cette décision faisant de de l'ingérence – qui pouvait faire davantage débat car c'est à l'information préalable du salarié la garantie du respect de la son propos que se pose la question de savoir si le droit national vie privée, elle aurait pu remettre en cause la possibilité recon- offre des garanties adéquates contre le risque d'arbitraire ou nue à l'employeur de prendre connaissance de contenus numé- d'abus. Dans cette optique, il dépendait du degré d'exigence riques non identifiés comme personnels sans que le salarié ait de la Cour que le dispositif du droit français soit jugé suffisant été averti du contrôle. La Cour de Strasbourg a cependant fait pour garantir une protection de la vie privée. Ce dispositif repose, le choix d'adopter, dans un arrêt du 22 février 2018, une position suivant les règles dégagées par la chambre sociale, sur une accommodante. Elle n'infère de l'arrêt du 5 septembre 2017 que démarche active du salarié qui doit expressément identifier la nécessité d'assortir la mesure de contrôle de garanties adé- comme personnels les contenus – fichiers, messages ou autres – quates contre les abus, sans systématiser pour cela l'obligation qui présentent à ses yeux, pour une raison ou pour une autre, d'information préalable. Du coup, elle considère que le dispo- un caractère privé au sens où ils sont sans lien avec l'activité sitif de protection de la vie privée que la jurisprudence française professionnelle. Ce marquage interdit alors à l'employeur d'ou- aménage en permettant aux salariés d'identifier certains conte- vrir les fichiers, messages et autres en dehors de la présence du nus comme personnels constitue une garantie suffisante14. La salarié ou sans que celui-ci ait été dûment appelé. Ainsi conçue, Cour européenne ne fait pas pour autant marche arrière : il y a la protection est certes réduite puisqu'elle n'est effective que bien, pour les juges, une ingérence dans le droit au respect de dans la mesure où le salarié en a préconstitué les conditions. la vie privée du salarié dès l'instant où l'employeur prend connais- Mais il ne paraît pas incongru de considérer que, dans un envi- sance de fichiers accessibles sur l'ordinateur professionnel sans ronnement de travail, les données numériques contenues dans que l'intéressé en ait été informé et en dehors de sa présence un outil professionnel se rapportent à l'activité du salarié et s'agissant de contenus qui ne présentent pas un caractère pro- d'attendre en conséquence de celui-ci qu'il signale expressément fessionnel. Peu importe que les fichiers n'aient pas été correc- leur caractère privé. De ce point de vue, il est donc raisonnable tement marqués comme étant privés et que, présumés présen- d'admettre que la protection des données privées, même can- ter un caractère professionnel, l'employeur peut être fondé à tonnée à celles pour lesquelles le salarié a dû manifester la les ouvrir dans le cadre de son pouvoir de contrôle. En soi, le volonté de les soustraire à la connaissance de l'employeur, est contrôle dont le salarié n'a pas été préalablement informé suffisante pour garantir les droits des travailleurs au respect méconnaît son droit à la vie privée. Il n'y a donc pas, de ce point d'une vie personnelle au travail. de vue, de rupture avec l'arrêt Bărbulescu du 5 septembre 2017 qui faisait de l'information préalable du salarié la condition du III - Les droits de la personnalité respect de sa vie privée à l'occasion du contrôle de ses commu- en conflit avec des droits et libertés nications électroniques. fondamentaux Là où l'arrêt du 22 février 2018 introduit une certaine souplesse, 4. Droit au respect de la vie privée vs liberté d'expression c'est en admettant que l'ingérence peut être justifiée sur le fondement du paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention C'est le conflit le plus classique à propos duquel l'issue est deve- nue prévisible. Il y a toujours une raison pour que la liberté d'expression l'emporte sur le respect de la vie privée. Sur le 12. Soc. 18 oct. 2006, no 04-48.025, Bull. civ. V, no 308 ; Dr. soc. 2007. 140, chron. J.-E. Ray ; RDT 2006. 395, obs. R. de Quenaudon ; JCP S 2006. papier, les principes sont inusables, une nouvelle fois énoncés 1946, note J.-Y. Frouin ; JCP E 2007. 1844, note C. Puigelier ; SSL 2007, comme une rengaine par des arrêts rendus le 21 mars 201815 o n 1297, p. 88, note J.-E. Ray. 16 13. CEDH 5 sept. 2017, no 61496/08, Bărbulescu c/ Roumanie, Légipresse et, dans une version allongée, le 11 juillet 2018 par la première 2017, p. 500, note V. Varet et C. Bertin ; AJDA 2017. 1639 ; ibid. 2018. 150, chambre civile de la Cour de cassation : « le droit au respect de chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2017. 1709, et les obs. ; ibid. 2018. 138, la vie privée et le droit au respect dû à l'image d'une personne, d'une obs. J.-F. Renucci ; ibid. 1033, obs. B. Fauvarque-Cosson et W. Maxwell ; Dr. soc. 2018. 455, étude B. Dabosville ; Dalloz IP/IT 2017. 548, obs. E. Derieux ; JCP S 2017, p. 1328, note G. Loiseau ; SSL 2017, no 439, p. 10, note H. Tissandier ; Procédures 10/2017, p. 17, note A. Bugada. 15.. Civ 1re, 21 mars 2018, no 16-28.741, publié, D. 2018. 670 ; ibid. 2039, 14. CEDH 22 févr. 2018, n° 588/13, Libert c/ France, D. 2018. 1291, et chron. C. Barel, S. Canas, V. Le Gall, I. Kloda, S. Vitse, S. Gargoullaud, les obs., note J.-P. Marguénaud et J. Mouly ; Dr. soc. 2018. 455, étude R. Le Cotty, J. Mouty-Tardieu et C. Roth ; Dalloz IP/IT 2018. 380, obs. B. Dabosville ; Dalloz IP/IT 2018. 511, obs. G. Péronne et E. Daoud ; JCP E. Dreyer ; RTD civ. 2018. 362, obs. D. Mazeaud. 2018. 433, note F. Marchadier ; JCP S 2018. 1108, comm. G. Loiseau ; 16. Civ. 1re, 11 juill. 2018, no 17-22.381, publié, D. 2018. 1551 ; RTD civ. Procédures 4/2018, p. 22, obs. A. Bugada. 2018. 864, obs. A.-M. Leroyer ; CCE 2018. Comm. 75, note A. Lepage.

62 LÉGIPRESSE n° 367 - Janvier 2019

LP367-JANVIER-2019.indd 62 27/01/2019 19:37 part, et le droit à la liberté d'expression, d'autre part, ont la même la première chambre civile qui a jugé, le 25 février 2016, que « le valeur normative ; qu'il appartient au juge saisi de rechercher un droit à la preuve ne peut justifier la production d'éléments portant équilibre entre ces droits et, le cas échéant, de privilégier la solution atteinte à la vie privée qu'à la condition que cette production soit la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime ; qu'il résulte de la indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit propor- jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que, tionnée au but poursuivi »19. La Chambre sociale a repris quelques pour procéder à la mise en balance des droits en présence, il y a mois plus tard une formule voisine en décidant que « le droit à lieu de prendre en considération la contribution de la publication la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte incriminée à un débat d'intérêt général, la notoriété de la personne à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production visée, l'objet du reportage, le comportement antérieur de la personne soit nécessaire à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit propor- concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publi- tionnée au but poursuivi »20. cation, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies (CEDH 10 nov. 2015, Couderc et Hachette Filipacchi Ces principes sont mis en œuvre par l'arrêt du 7 novembre 2018. associés c/ France [GC], no 40454/07, § 93) ». Il est considéré que la production et la diffusion par l'employeur, à l'occasion d'un litige, de bulletins de salaire sans l'accord des Plus rigoureuse dans ses appréciations que la Cour européenne salariés ne sont pas justifiées alors que des informations per- des droits de l'homme, militante infatigable de la liberté d'expres- sonnelles qui n'étaient pas nécessaires à la résolution du litige sion sous toutes ses formes et dans tous ses excès, la Cour de n'avaient pas été masquées21. Le litige portait en l'occurrence cassation met un soin particulier à justifier la restriction appor- sur l'annulation des candidatures de trois salariés à des élections tée au respect dû à la vie privée au regard de son contexte. Dans professionnelles, les salariés s'opposant à l'employeur sur le type l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 21 mars 2018 – le mariage de collège dont ils relevaient au regard de leurs classifications religieux d'un membre de la famille princière des Grimaldi et le professionnelles. Pour faire la preuve du bien-fondé de sa posi- baptême de son fils –, c'est l'appartenance à la dynastie héré- tion, l'employeur avait produit les bulletins de paie de chacun ditaire qui, pour les juges de cassation, était susceptible de des trois salariés afin d'établir la nature des fonctions exercées constituer le fait justificatif de l'atteinte à la vie privée en ce que, dans l'entreprise et leur classification, ces documents étant pris dans ce contexte, l'événement d'ordre familial pouvait légi- transmis à cette occasion à différentes organisations syndicales. timement susciter l'intérêt du public. Dans le même esprit, la Il y avait là, indiscutablement, une atteinte disproportionnée à Cour de cassation a été attentive, dans l'espèce ayant conduit la vie privée des salariés. L'atteinte était matérialisée par la à l'arrêt du 11 juillet 2018 – qui concernait la révélation dans un communication des bulletins de paie, sans l'accord des salariés, ouvrage de l'homosexualité du secrétaire général d'un parti à différents syndicats. La disproportion tenait à la circonstance politique –, aux éléments de contexte, à savoir, d'une part, le que les données produites n'étaient pas toutes utiles à la preuve caractère volontiers homophobe de la doctrine du parti politique à administrer : seules comptaient les mentions relatives à l'em- en question et, d'autre part, l'influence que l'orientation sexuelle ploi occupé et à la classification, voire au coefficient, alors que de certains de ses membres, s'agissant en l'occurrence du secré- le bulletin de paie des salariés mentionnait des données per- taire général, avait pu avoir sur la ligne politique du parti. Ainsi sonnelles telles que l'âge, le salaire, l'adresse personnelle, la contextualisée, il est audible de considérer que l'atteinte à la vie domiciliation bancaire et l'existence d'arrêts de travail pour privée était objectivement justifiée par la contribution de l'infor- maladie. La vigilance est donc de mise lors de la production de mation à un débat d'intérêt général : ce n'est pas l'orientation pièces à des fins probatoires : dès l'instant où elles comportent sexuelle de la personnalité politique qu'il était légitime en tant des données personnelles, toutes celles qui ne sont pas utiles que telle de révéler mais cette donnée de vie intime en tant au débat judiciaire doivent être caviardées. qu'elle concerne une personnalité en particulier qui, compte tenu de ses responsabilités, avait pu avoir une certaine influence La protection renforcée des données personnelles depuis l'en- sur la politique du parti17. trée en vigueur, le 25 mai 2018, du RGPD incite davantage encore à la prudence. Cette protection est en effet considérée 5. Droit au respect de la vie privée vs droit à la preuve en soi comme un droit fondamental22. Sous l'angle du droit à la preuve, c'est l'exercice par la personne intéressée du droit à Le droit à la preuve est un autre droit fondamental avec lequel l'effacement qui pourrait devenir, également, une source de le droit au respect de la vie privée est susceptible d'entrer en contentieux. Ce droit peut s'exercer, notamment, lorsque les conflit18. Dans la mise en balance des intérêts respectifs à opé- rer sur fond de proportionnalité, il s'agit de déterminer si l'atteinte à la vie privée peut être justifiée par la nécessité de faire triom- 19.. Civ 1re, 25 févr. 2016, no 15-12.403, publié, D. 2016. 884, note J.-C. Saint-Pau ; ibid. 2535, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès ; AJ pénal 2016. pher une prétention légitime. La règle de conflit a été posée par 326, obs. D. Aubert ; RTD civ. 2016. 320, obs. J. Hauser ; ibid. 371, obs. H. Barbier ; JCP 2016. 583, note A. Aynès ; CCE 2016. Comm. 35, note A. Lepage. 17.. V déjà en ce sens, sur la procédure de référé, Paris, 19 déc. 2013, 20. Soc. 9 nov. 2016, no 15-10.203, publié, D. 2017. 37, obs. N. explicative no 13/23969, Éditions Jacob-Duvernet c/ Steeve B. et Bruno B., Juris- de la Cour de cassation, note G. Lardeux ; ibid. 2018. 259, obs. J.-D. Data n° 2013-030340 ; Légipresse 2014, p. 61, obs. G. Loiseau ; D. 2014. Bretzner et A. Aynès ; Just. & cass. 2017. 170, rapp. A. David ; ibid. 170, 79, obs. R. Mésa ; RTD civ. 2014. 333, obs. J. Hauser. Sur la procédure rapp. A. David ; ibid. 188, avis H. Liffran ; Dr. soc. 2017. 89, obs. J. Mouly ; au fond, la cour d'appel de Paris a en revanche retenu l'atteinte à la vie RDT 2017. 134, obs. B. Géniaut ; RTD civ. 2017. 96, obs. J. Hauser. privée et c'est son arrêt (Paris, 31 mai 2017) qui est cassé par la Cour de 21. Soc. 7 nov. 2018, no 17-16.799. cassation. 22. Règl. (UE) 2016/679 du 27 avr. 2016 relatif à la protection des 18. V. sur la question, G. Loiseau, Le droit à la preuve face aux secrets, personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère RJS 2017. 83. personnel et à la libre circulation de ces données, consid. 1.

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LP367-JANVIER-2019.indd 63 27/01/2019 19:37 Synthèse DROIT DE LA COMMUNICATION ET DES MÉDIAS PROFITEZ DE TOUTE NOTRE EXPERTISE données à caractère personnel ne sont plus nécessaires au regard sonnalité, s'éteint au décès de son titulaire et n'est pas transmissible des finalités pour lesquelles elles ont été collectées23. On imagine à ses héritiers », il est jugé que la fille d'un auteur-compositeur sans peine que de nombreux salariés – pour ne parler que célèbre décédé « était irrecevable en ses demandes fondées sur d'eux – s'en prévaudront au départ de l'entreprise. Sans doute, l'exploitation commerciale de l'image de l'artiste »25. Sans écarter le règlement prévoit une exception lorsque le traitement est ainsi, a priori, la dimension commerciale du droit à l'image, nécessaire à la constatation, à l'exercice ou à la défense de droits l'arrêt répond au moyen du pourvoi qui, bien conçu, faisait en justice. Mais quelle portée donner à cette exception quand valoir que « le droit exclusif d'exploiter l'image d'une personne et Abonnez-vous : il est difficile d'anticiper la nature des données qui pourront être d'en retirer un profit pécuniaire, qui revêt une valeur patrimoniale € utiles au règlement d'éventuels contentieux dont l'objet est à la fois appropriable et cessible, constitue un bien qui, en l'absence pour 491 TTC lui-même inconnu lors de la cessation de la relation de travail ? de disposition contraire, est transmissible entre vifs et à cause de Un exemple suffira à prendre la mesure du conflit susceptible mort » et en appelait notamment, pour le fonder, à l'article 1er d'opposer le droit à la protection des données personnelles – du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde sous les traits ici du droit à l'effacement – et le droit à la preuve : des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ce dernier une action pour discrimination se prescrit par cinq ans à comp- texte peut être effectivement l'instrument pour forcer à la recon- ter du jour où le salarié a eu connaissance des faits lui permettant naissance d'un droit patrimonial à l'image et du régime qui lui de faire valoir ses droits ; une telle possibilité d'action suppose correspondrait. Il serait dès lors bien inspiré, pour mettre de de conserver la trace de données personnelles relatives au sala- l'ordre dans la jurisprudence française – totalement éclatée sur rié concerné ainsi, le cas échéant, qu'à d'autres salariés avec la problématique de la patrimonialité des droits de la person- lesquels il était dans des situations comparables (âge, salaire…). nalité26, ce qui montre que la Cour de cassation ne joue pas son Que faire ? rôle – qu'un recours soit à l'occasion effectué devant la Cour de Strasbourg. G. L. IV - Les droits patrimoniaux de la personnalité 6. Le droit à l'image n'est pas à hériter

La jurisprudence de la première chambre civile de la Cour de Tous vos services premium en ligne : cassation sur la patrimonialité des droits de la personnalité inter- •Accès à l’ensemble de nos bases de données documentaires roge depuis de longues années. On l'a cru réfractaire à l'existence et aux contenus payants (articles quotidiens, décisions de d'un droit patrimonial à l'image ; mais elle reconnaît la cession justice, espace vidéo) • Feuilletage en ligne, depuis votre du droit à l'image, ce qui ne peut pas juridiquement se concevoir 11 numéros ordinateur, votre tablette ou votre smartphone Une newsletter si ce droit présente un caractère exclusivement extrapatrimonial. • Chaque mois, toute l’actualité hebdomadaire Devenez membre du Club Légipresse, la première Entretenant l'ambiguïté, les rares décisions rendues en la matière du droit des médias • ont l'avantage de se prêter à toute espèce d'interprétations sur communauté des professionnels du droit des médias lesquelles la doctrine se divise. La plus crédible de ces interpré- tations – ce qui ne signifie pas qu'on la cautionne – est que le droit à l'image aurait une nature dualiste, combinaison d'un ✂ droit personnaliste extrapatrimonial et d'un droit d'exploitation Bulletin d’abonnement à renvoyer signé et daté à : économique par hypothèse patrimonial. Or, faute de dissocier ces deux aspects auxquels correspondraient des droits ayant Editions Dalloz, Service Administration des Ventes Directes, 80 Avenue de la Marne, 92541 Montrouge Cedex - Email : [email protected] - Tél. : 01 40 92 20 85 chacun un régime propre, la Cour de cassation appliquerait au droit composite les règles tirées de sa nature dominante, en E-mail obligatoire ...... Nous avons besoin de votre e-mail pour activer votre abonnement et vous donner accès à vos informations et services numériques. l'occurrence extrapatrimoniale. Organisme, société ...... De là viendrait l'intransmissibilité à cause de mort du droit à Nom, prénom ...... Fonction / Service : ...... l'image qui, comme le droit au respect de la vie privée, s'éteint Adresse ...... Tél. : ...... au décès de la personne concernée24. Si la question de la trans- Code postal Ville ...... Fax : ...... mission post-mortem du droit pourrait se poser s'agissant d'un └─┴─┴─┴─┴─┘ droit patrimonial d'exploitation commerciale de l'image, l'extinc- Vous pouvez joindre votre carte de visite. Si vos coordonnées de facturation sont di érentes de celles de livraison ci-dessus, merci de nous le préciser. tion devient la règle à partir du moment où son régime est OUI je m’abonne pour 1 an (11 nos + feuilletage + accès au fonds documentaire + newsletter), au prix de 491 € TTC (soit 480,90 € HT)* avant tout dicté par sa nature extrapatrimoniale. Il est possible, alors, d'expliquer de ce point de vue l'arrêt rendu le 31 janvier Votre règlement à l'ordre de Éditions Dalloz : A : ...... LE : ...... 2018 par la première chambre civile de la Cour de cassation. Chèque bancaire ou postal 25.. Civ 1re, 31 janv. 2018, no 16-23.591, Légipresse 2018. 163, note Date, signature/cachet obligatoire Après avoir rappelé que « le droit à l'image, attribut de la per- J.-M. Bruguière ; Dalloz IP/IT 2018. 500, obs. D. Lefranc ; RTD civ. 2018. Carte bancaire CB internationale Visa Eurocard Mastercard 364, obs. D. Mazeaud. 26. V. encore, par ex., TGI Paris, 16 nov. 2018, M. X. c/ Umanlife, qui N° └─┴─┴─┴─┘└─┴─┴─┴─┘└─┴─┴─┴─┘└─┴─┴─┴─┘ Expire  n└─┴─┘└─┴─┘ juge que le droit à l'image, « dès lors qu'il revêt les caractéristiques 23. Règl. préc., art. 17. essentielles des attributs d'ordre patrimonial, peut valablement donner lieu Mandat administratif. Virement à e ectuer sur le compte IBAN n° FR 76 3000 4013 2800 01 16 2303 004 24. Civ. 1re, 15 févr. 2005, no 03-18.302, Bull. civ. I, no 86 ; D. 2005. 597 ; à l'établissement de contrats soumis au régime général des obligations, ibid. 2643, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot ; RTD civ. 2005. 363, obs. entre le cédant, qui disposer de la maîtrise juridique sur son image, et le RÉSERVÉ À L’ADMINISTRATION : N° D’ENGAGEMENT ...... N° DE SIRET ...... SERVICE CONCERNÉ...... J. Hauser ; RJPF 6/2015, p. 8, obs. E. Putman. cessionnaire, qui devient titulaire des prérogatives attachées à ce droit ». * DOM-TOM ou étranger, nous consulter. TVA de 2,10 % incluse. O re valable jusqu'au 30/06/2019. Les informations recueillies par Editions DALLOZ à partir de ce formulaire font l’objet d’un traitement informatique destiné à la gestion des demandes, commandes et abon- nements, et à la constitution d’un  chier clientèle à des  ns de prospection commerciale en conformité avec vos centres d’intérêt. Conformément à la loi « Informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modi ée, vous disposez d’un droit d’accès, de recti cation, de portabilité, d’e acement ou de limitation du traitement de vos données. Vous pouvez vous opposer au traitement des données vous concernant et disposez du droit de retirer votre consentement à tout moment en vous adressant à : [email protected]. Pour connaitre et exercer vos droits, veuillez consulter notre Politique de con dentialité sur www.editions-dalloz.fr - RCS PARIS 572 195550. 64 LÉGIPRESSE n° 367 - Janvier 2019 668126

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LP367-JANVIER-2019.inddLP-bul-ABT-2019-A4.indd 1 3 27/01/201925/01/2019 19:3711:52 Pratique du droit de la presse Presse écrite – Edition – Télévision – Radio – Internet

Cette nouvelle édition, Nouvelle édition considérablement enrichie, intègre enrichie et les évolutions les plus récentes résultant mise à jour notamment de la loi Egalité et citoyenneté, de la loi Indépendance des médias, du morcellement du régime des poursuites et de la montée en puissance du droit des données personnelles, ainsi que les dernières jurisprudences.

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