N° 357 - Février 2018 - 39e année www.legipresse.com

LEGIPRESSEL’actualité du droit des médias et de la communication

Tribune Des cinéastes européens appellent à une Europe de la création

Chroniques et opinions Le CSA en fait-il trop… ou pas assez ? Marc Le Roy, docteur en droit, chargé de cours à l’Université de Tours

Cours et tribunaux Vie privée des personnes morales : le rejet de l’anthropomorphisme Cour d’appel de , 14 décembre 2017 Bérengère Gleize, maître de conférences à l’Université d’Avignon, CUERPI – CRJ, Université Grenoble – Alpes

Reproduction dans le cloud et copie privée : la CJUE précise sa position CJUE, 29 novembre 2017 Eric Lauvaux, Avocat au Barreau de Paris

Atteinte à l’intimité de la vie privée d’un couple Fotolia princier TGI de Nanterre (14e ch. correct.), 5 septembre 2017 Nicolas Verly, avocat au Barreau de Paris, chargé d’enseignement à l’Université Paris I Publications interdites : Textes et documents identification du policier L’objet et le champ d’application du droit voisin des éditeurs de publications de presse complice des frasques Rapport de Laurence Franceschini au CSPLA, février 2017 d’un président p. 84

Cour de cassation (ch. crim), 12 décembre 2017

Commentaire d’Emmanuel Dreyer, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Paris 1) Synthèse

Infractions de presse (janvier 2017 - janvier 2018) Pierre Guerder, doyen honoraire de la Cour de cassation

LP357-FEVRIER-2018.indd 1 22/02/2018 17:54 Liberté d’information,

liberté de création et intérêt général Actualité p. 59 Tribune Actes du Forum Légipresse du 6 octobre 2016 Des cinéastes européens appellent à une Europe de la création p. 61 Flash p. 61 Parus au JO du 19 janvier 2018 au 20 février 2018 p. 62 Jurisprudence Sommaire des décisions sélectionnées Pierre angulaire du droit de la communication, l’intérêt p. 73 Médiathèque Ouvrages, rapports officiels, thèses soutenues général apparaît comme une notion relativement floue et contingente. La question se pose de son articulation avec la liberté 40 € d’informer, d’une part, et la liberté de création, d’autre part, consacrée (frais de port Chroniques & opinions off erts) par la loi du 7 juillet 2016. p. 74 Audiovisuel Le CSA en fait-il trop… ou pas assez ? Chansons de rap, fi lms, pièces de théâtre, œuvres composites, adaptations,… Marc Le Roy, docteur en droit, chargé de cours à l’Université de Tours la liberté de création, la liberté d’expression et le droit d’auteur sont souvent opposés en défense dans les procès. La question de la mise en balance de ces droits et libertés fondamentaux est au cœur des débats. La liberté de création doit-elle aller dans le sens de l’intérêt général ou des intérêts particuliers ? Jusqu’où le juge peut-il Cours & tribunaux aller pour interpréter une œuvre ?... p. 79 Vie privée Vie privée des personnes morales : le rejet de l’anthropomorphisme En matière de presse, les arrêts rendus sur le fondement de l’article 10 de la Conv. EDH Cour d’appel de Paris (pôle 1 – ch. 2), 14 décembre 2017 - Laurent C. et a. c/ SARL ont vu apparaître le critère du « débat d’intérêt général », qui commande le degré de Boulangerie P. contrôle opéré par le juge européen. Or ce concept, omniprésent dans le contentieux de Bérengère Gleize, maître de conférences à l’Université d’Avignon, la diff amation et de la vie privée, mais aussi des publications interdites (art. 38 L 1881), CUERPI – CRJ, Université Grenoble – Alpes n’est pas pour autant défi ni. p. 84 Publications interdites Ce numéro revient sur la notion de « débat d’intérêt général », aujourd’hui érigé en pivot Identification du policier complice des frasques d’un président du principe de proportionnalité, qui guide également le juge interne en matière de presse. Photo non contratuelle Photo non contratuelle Cour de cassation (ch. crim.), 12 décembre 2017 - Procureur général près la cour de Paris (2 arrêts dans le même sens) Emmanuel Dreyer, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Paris 1) Ont participé à ce numéro : B. Ader, E. Andrieu, N. Bonnal, V.-L. Benabou, C. Bigot, A. Callamard, B. Danlos, E. Derieux, F. Gras, A. Lepage, J.-F. Mary, F. Siredey-Garnier, p. 87 Droit d’auteur 110 pages F. Terquem, A. Tricoire, D. Truchet. Reproduction dans le cloud et copie privée : la CJUE précise sa position format : 19,5 x 25 cm Disponible en librairie CJUE, 29 novembre 2017 (C-265/16), Vcast Limited c/ R.T.I. SPA Eric Lauvaux, Avocat associé, NomoS

✂ À adresser à : Victoires Éditions - 38, rue Croix-des-Petits-Champs, 75001 Paris p. 93 Vie privée BON DE COMMANDE Tél. : 01 53 45 89 14 – E-mail : [email protected] Atteinte à l’intimité de la vie privée d’un couple princier TGI de Nanterre (14e ch. correct.), 5 septembre 2017, C. Middleton et a. c/ E. Mauri et a. ❑ Je souhaite recevoir LEGICOM Numéro 58 - Remplir le formulaire ci-dessous ou joindre votre carte de visite Nicolas Verly, avocat au Barreau de Paris, chargé d’enseignement “Liberté d’information, liberté de création à l’Université Paris I Nom, prénom ...... et intérêt général”, Fonction ...... Actes du Forum Légipresse du 6 octobre 2016 textes et documents au prix de 40 € TTC* (frais de port off erts) : Secteur d’activité ...... p. 101 Droit voisin └───┘ exemplaire(s) x 40 €, soit un total de : └────┘€ Code NAF ...... L’objet et le champ d’application du droit voisin des éditeurs Organisme, société ...... de publications de presse Mode de règlement : Rapport de Laurence Franceschini au CSPLA, février 2017 ❑ Chèque ci-joint (à l’ordre de Victoires Éditions) Adresse ...... ❑ Carte bleue / Visa n° : └┴┴┴┘└┴┴┴┘└┴┴┴┘└┴┴┴┘ ...... Synthèse Date d’expiration :└┴┴┴┴┴┘ Cryptogramme :└┴┴┘ Code postal-Ville ...... p. 111 Infractions de presse (janvier 2017 - janvier 2018) Date, signature, cachet obligatoires Tél. : ...... Pierre Guerder, doyen honoraire de la Cour de cassation Fax : ...... E-mail : ...... LP Dans le prochain numéro : Procédure de presse, par Emmanuel Tordjman (Afi n d’améliorer l’ensemble des services liés à la gestion de votre commande, merci de nous indiquer votre courriel)

MODE DE RÉFÉRENCEMENT : Légipresse, n°x, p. xxx *T.V.A. : 5,5 % - Tarifs 2018 Conformément à loi Informatique et liberté, nous vous informons que les données recueillies servent à la gestion de votre commande. Elles servent aussi à vous informer sur nos produits NOS LECTEURS PUBLIENT ou services, et éventuellement sur ceux de nos partenaires. Si vous ne le souhaitez pas, cochez cette case ❑. Par ailleurs, vous conservez un droit de rectifi cation en nous écrivant. Vous pouvez soumettre au comité de rédaction, pour publication dans Légipresse, vos projets de tribune, chronique ou commentaire de jurisprudence en les adressant à : [email protected]. En soumettant votre texte, vous vous

VICTOIRES SA - 342 731 247 RCS Paris engagez à ne pas le proposer à un autre éditeur, le temps de son examen par le comité de rédaction, celui-ci ne pouvant excéder un mois.

Legicom-58-Autopromo-A4.inddLP357-FEVRIER-2018.indd 2 1 22/02/201822/02/2018 16:0917:54 LEGIPRESSE L’actualité du droit des médias Liberté d’information, Sommaire et de la communication >>> Index P. 58 Fondé en 1979 liberté de création et intérêt général Actualité 38, rue Croix-des-Petits-Champs 75001 Paris Actes du Forum Légipresse du 6 octobre 2016 p. 59 Tribune Tél. : 01 53 45 89 14 Des cinéastes européens appellent à une Europe de la création E-mail : [email protected] p. 61 Flash www.legipresse.com p. 61 Parus au JO du 19 janvier 2018 au 20 février 2018 Fondateur : Manuel MOLINA p. 62 Jurisprudence Sommaire des décisions sélectionnées COMITÉ DE RÉDACTION Pierre angulaire du droit de la communication, l’intérêt p. 73 Médiathèque Ouvrages, rapports officiels, thèses soutenues n Basile ADER Directeur de la rédaction général apparaît comme une notion relativement floue et 40 € Avocat au Barreau de Paris contingente. La question se pose de son articulation avec la liberté n Emmanuel DERIEUX d’informer, d’une part, et la liberté de création, d’autre part, consacrée (frais de port Chroniques & opinions Conseiller de la rédaction off erts) par la loi du 7 juillet 2016. p. 74 Audiovisuel Professeur à l’Université de Paris II Le CSA en fait-il trop… ou pas assez ? n Éric Andrieu Chansons de rap, fi lms, pièces de théâtre, œuvres composites, adaptations,… Marc Le Roy, docteur en droit, chargé de cours à l’Université de Tours Avocat au Barreau de Paris la liberté de création, la liberté d’expression et le droit d’auteur sont souvent n Christophe BIGOT opposés en défense dans les procès. La question de la mise en balance de ces droits Avocat au Barreau de Paris et libertés fondamentaux est au cœur des débats. La liberté de création doit-elle aller n Nicolas BONNAL dans le sens de l’intérêt général ou des intérêts particuliers ? Jusqu’où le juge peut-il Cours & tribunaux Conseiller à la Cour de cassation n Charles-Henry DUBAIL aller pour interpréter une œuvre ?... p. 79 Vie privée Président de la Commission juridique et fiscale Vie privée des personnes morales : le rejet de l’anthropomorphisme En matière de presse, les arrêts rendus sur le fondement de l’article 10 de la Conv. EDH de la Fnps Cour d’appel de Paris (pôle 1 – ch. 2), 14 décembre 2017 - Laurent C. et a. c/ SARL n Pierre-Yves GAUTIER ont vu apparaître le critère du « débat d’intérêt général », qui commande le degré de Boulangerie P. Professeur à l’Université Panthéon-Assas contrôle opéré par le juge européen. Or ce concept, omniprésent dans le contentieux de Bérengère Gleize, maître de conférences à l’Université d’Avignon, n Frédéric GRAS la diff amation et de la vie privée, mais aussi des publications interdites (art. 38 L 1881), Avocat au Barreau de Paris CUERPI – CRJ, Université Grenoble – Alpes n’est pas pour autant défi ni. n Nathalie MALLET-POUJOL p. 84 Publications interdites Directrice de recherche au Cnrs Ce numéro revient sur la notion de « débat d’intérêt général », aujourd’hui érigé en pivot Identification du policier complice des frasques d’un président n Thomas RONDEAU du principe de proportionnalité, qui guide également le juge interne en matière de presse. Président de la 17e chambre, TGI de Paris Photo non contratuelle Photo non contratuelle Cour de cassation (ch. crim.), 12 décembre 2017 - Procureur général près la cour n Anne-Marie SAUTERAUD de Paris (2 arrêts dans le même sens) Présidente du pôle 2, chambre 7, Emmanuel Dreyer, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Paris 1) cour d’appel de Paris Ont participé à ce numéro : B. Ader, E. Andrieu, N. Bonnal, V.-L. Benabou, C. Bigot, A. Callamard, B. Danlos, E. Derieux, F. Gras, A. Lepage, J.-F. Mary, F. Siredey-Garnier, p. 87 Droit d’auteur 110 pages Directeur de la publication : F. Terquem, A. Tricoire, D. Truchet. Reproduction dans le cloud et copie privée : la CJUE précise sa position format : 19,5 x 25 cm Charles-Henry DUBAIL Disponible en librairie CJUE, 29 novembre 2017 (C-265/16), Vcast Limited c/ R.T.I. SPA Directrice déléguée : Amélie BLOCMAN Eric Lauvaux, Avocat associé, NomoS Rédaction : Claire LAMY

✂ À adresser à : Victoires Éditions - 38, rue Croix-des-Petits-Champs, 75001 Paris p. 93 Vie privée ABONNEMENTS ET VENTE Tél. : 01 53 45 89 14 – E-mail : [email protected] BON DE COMMANDE Atteinte à l’intimité de la vie privée d’un couple princier Tél. : 03 27 56 38 57 e TGI de Nanterre (14 ch. correct.), 5 septembre 2017, C. Middleton et a. Propublic, rue Pierre Charpy, c/ E. Mauri et a. 59440 Avesnes-sur-Helpe ❑ Je souhaite recevoir LEGICOM Numéro 58 - Remplir le formulaire ci-dessous ou joindre votre carte de visite Nicolas Verly, avocat au Barreau de Paris, chargé d’enseignement Mail : [email protected] “Liberté d’information, liberté de création à l’Université Paris I Abonnement annuel (11 nos + l’accès à la base Nom, prénom ...... et intérêt général”, documentaire en ligne + feuilletage Fonction ...... + E-newsletter) : 491 € TTC (France métropolitaine) Actes du Forum Légipresse du 6 octobre 2016 textes et documents Le n° : 43 € TTC au prix de TTC* (frais de port off erts) : Secteur d’activité ...... 40 € p. 101 Droit voisin Numéro Cppap : 1219 T 82970 └───┘ exemplaire(s) x 40 €, soit un total de : └────┘€ Code NAF ...... L’objet et le champ d’application du droit voisin des éditeurs Issn : 0751-9478 Légipresse est une publication Organisme, société ...... de publications de presse Mode de règlement : Rapport de Laurence Franceschini au CSPLA, février 2017 Capital 140 986 € RCS Paris B 342 731 247 ❑ Chèque ci-joint (à l’ordre de Victoires Éditions) Adresse ...... Principal actionnaire : Charles-Henry Dubail ❑ Carte bleue / Visa n° : └┴┴┴┘└┴┴┴┘└┴┴┴┘└┴┴┴┘ ...... Synthèse Membre de Date d’expiration :└┴┴┴┴┴┘ Cryptogramme :└┴┴┘ Code postal-Ville ...... p. 111 Infractions de presse (janvier 2017 - janvier 2018) Impression Date, signature, cachet obligatoires Tél. : ...... Pierre Guerder, doyen honoraire de la Cour de cassation DIGITAPRINT Imprimerie de l’Avesnois Fax : ...... 59440 Avesnes-sur-Helpe E-mail : ...... LP Dans le prochain numéro : Papier certifié PEFC - Origine : Pologne Procédure de presse, par Emmanuel Tordjman Taux fibre recyclé : 0 % - Ptot : 0.022 (Afi n d’améliorer l’ensemble des services liés à la gestion de votre commande, merci de nous indiquer votre courriel)

MODE DE RÉFÉRENCEMENT : Légipresse, n°x, p. xxx *T.V.A. : 5,5 % - Tarifs 2018 Conformément à loi Informatique et liberté, nous vous informons que les données recueillies servent à la gestion de votre commande. Elles servent aussi à vous informer sur nos produits NOS LECTEURS PUBLIENT ou services, et éventuellement sur ceux de nos partenaires. Si vous ne le souhaitez pas, cochez cette case ❑. Par ailleurs, vous conservez un droit de rectifi cation en nous écrivant. Vous pouvez soumettre au comité de rédaction, pour publication dans Légipresse, vos projets de tribune, chronique ou commentaire de jurisprudence en les adressant à : [email protected]. En soumettant votre texte, vous vous

VICTOIRES SA - 342 731 247 RCS Paris engagez à ne pas le proposer à un autre éditeur, le temps de son examen par le comité de rédaction, celui-ci ne pouvant excéder un mois.

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AUDIOVISUEL voisin des éditeurs de publications de presse...... p. 101 ■■Irrégularité d’une plainte comprenant l’indication ■■Le CSA en fait-il trop… ou pas assez ?...... p. 74 Rapport de Laurence Franceschini au CSPLA, cumulative des qualifications de diffamation Chronique, par M. Le Roy février 2017 et provocation à la haine raciale...... p. 70 Cour de cassation (ch. crim.), 9 janvier 2018 CINÉMA IMAGE DES BIENS ■■Requalification d’une action fondée à tort ■■Rejet de la demande d’annulation des dispositions ■■Le Conseil constitutionnel rejette la QPC sur les articles 9 et 1382 du Code civil, alors du Code du cinéma définissant les films à caractère sur le droit à l’image des domaines nationaux...... p. 66 qu’elle vise à réparer des atteintes à l’honneur pornographique ou d’incitation à la violence...... p. 62 Conseil constitutionnel, 2 février 2018 et à la réputation...... p. 70 Conseil d’État (10e et 9e ch. réunies), 28 décembre 2017 TGI de Paris (17e civ.), 22 novembre 2017 ■■Des cinéastes européens appellent à INFRACTIONS DE PRESSE ■■Nullité d’une assignation visant à obtenir en référé une Europe de la création...... p. 59 ■■Infractions de presse le retrait d’un ouvrage dénonçant le « lobby du sucre », Tribune de 160 cinéastes (janvier 2017 – janvier 2018)...... p. 111 présentant une confusion sur les faits incriminés...... p. 70 Synthèse, par Pierre Guerder TGI de Paris (ord. réf.), 6 octobre 2017 DIFFAMATION ■■Diffusion dans la presse de critiques d’un conseiller INJURE PROVOCATION ■■ municipal sur l’endettement de sa commune, Action civile visant des Femen scandant ■■La Cour de cassation annule l’arrêt condamnant relevant de la polémique politique...... p. 62 notamment le slogan « fuck church » : absence Éric Zemmour pour ses propos tenus au journal Cour de cassation (ch. crim.), 23 janvier 2018 de caractère injurieux à l’égard des catholiques...... p. 66 italien Il Corriere della Serra...... p. 71 ■■Relaxe d’une personne dénonçant, lors d’un Cour de cassation (ch. crim.), 23 janvier 2018 Cour de cassation (ch. crim.), 23 janvier 2018 débat radiophonique sur le thème des lanceurs ■■Publication d’un article décernant un d’alerte, de graves dysfonctionnements dans « prix de l’indignité républicaine, catégorie pire PUBLICATIONS INTERDITES des établissements médico-sociaux...... p. 62 préfecture de France » : les termes sont injurieux, ■■Identification du policier complice TGI de Toulouse (ch. correct. collégiale), et non diffamatoires...... p. 67 des frasques d’un président...... p. 84 21 novembre 2017 Cour de cassation (ch. crim.), 9 janvier 2018 Commentaire d’Emmanuel Dreyer sous Cass. Crim. ■■Publication d’un article faisant état d’actes de 12 décembre 2017 maltraitances par une personne hébergeant des INJURE HOMOPHOBE ■■ animaux abandonnés à son domicile...... p. 63 Relaxe de la présidente d’Act-up, poursuivie pour RACISME TGI de Paris (17e ch. civ.), 18 octobre 2017 l’affichage du terme « homophobes » sur des panneaux ■■Publication d’un dessin représentant une ancienne de la Manif pour tous...... p. 67 garde des Sceaux sous les traits d’un singe : le délit de DIFFAMATION ENVERS Cour de cassation (ch. crim.), 23 janvier 2018 provocation à la haine raciale n’est pas caractérisé...... p. 71 UN FONCTIONNAIRE PUBLIC Cour de cassation (ch. crim.), 9 janvier 2018 ■■Diffusion d’une lettre accusant un conseiller LIBERTÉ D’EXPRESSION municipal de délation : les propos relèvent de ■■Protection des droits des personnes religieuses et RESPONSABILITÉ l’expression d’une opinion...... p. 63 liberté d’expression : mise en balance par la CEDH...... p. 67 ■■Le magazine Challenge condamné en référé e Cour de cassation (ch. crim.), 28 novembre 2017 Cour européenne des droits de l’homme (4 sect.), pour avoir divulgué le placement sous «mandat ad hoc» 30 janvier 2018 d’une société en difficulté...... p. 71 DROIT A L’IMAGE ■■La CEDH rejette la requête d’un avocat qui Tribunal de commerce de Paris (ord. réf.), ■■Réparation de l’atteinte portée aux droits avait subi une sanction disciplinaire après avoir 22 janvier 2018 de la Cicciolina sur son pseudonyme et son tenu des propos injurieux dans la presse à l’encontre droit à l’image...... p. 64 d’un avocat général...... p. 68 STATUT PROFESSIONNEL TGI de Paris (17e ch. civ.), 15 novembre 2017 Cour européenne des droits de l’homme (5e sect.), ■■Les dispositions de l’article L. 3123-14 du ■■ 25 janvier 2018 Code du travail ne s’appliquent pas au contrat ■■La publication de photographies détournées de travail du journaliste pigiste...... p. 72 de leur contexte pour illustrer un article diffamatoire OUTRAGE Cour de cassation (ch. soc.), 18 janvier 2018 ■■ porte atteinte au droit à l’image...... p. 64 La condamnation d’un homme politique qui TGI de Paris (17e ch. civ.), 25 octobre 2017 a tenu des propos virulents, constitutifs d’une attaque VIE PRIVÉE personnelle à l’encontre d’un magistrat, n’est pas ■■Le droit à l’information du public ne peut prévaloir DROIT D’AUTEUR contraire à l’article 10 de la Convention EDH...... p. 68 sur le respect de la vie privée d’un homme politique e ■■Action en réparation visant la commercialisation Cour européenne des droits de l’homme (5 sect.), dont est révélée l’homosexualité...... p. 72 de compilations de chansons d’Henri Salvador 1er février 2018 Cour d’appel de Paris (pôle 2 – ch. 7.), 31 mai 2017 de mauvaise qualité sonore...... p. 65 ■■Vie privée des personnes morales : Cour de cassation (1re ch. civ.), 31 janvier 2018 PRÉSOMPTION D’INNOCENCE le rejet de l’anthropomorphisme...... p. 79 ■■ ■■Recherche d’un juste équilibre entre les prérogatives Article du Canard enchaîné mettant en cause Commentaire de Bérengère Gleize sous CA Paris, de l’auteur d’une œuvre architecturale et celles la gestion de la Caisse de retraite des avocats : pas 14 décembre 2017 du propriétaire du bâtiment...... p. 65 d’atteinte à la présomption d’innocence...... p. 69 ■■Atteinte à l’intimité de la vie privée e Cour de cassation (1re ch. civ.), 20 décembre 2017 TGI de Paris (17 ch. civ.), 22 novembre 2017 d’un couple princier...... p. 93 ■■Atteinte au droit moral du traducteur d’ouvrages Commentaire de Nicolas Verly sous TGI Nanterre, PROCÉDURE publiés sans mention de son nom et de sa qualité.....p. 65 5 septembre 2017 ■■Validité d’une citation qui mentionne la qualification TGI de Paris (3e ch. 1re sect.), 30 novembre 2017 du fait incriminé et le texte de loi énonçant la peine ■■Reproduction dans le cloud et copie privée : encourue...... p. 69 la CJUE précise sa position...... p. 90 Cour de cassation (ch. crim.), Commentaire d’Eric Lauvaux sous CJUE, 23 janvier 2018 29 novembre 2017 ■■L’objet et le champ d’application du droit

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LP357-FEVRIER-2018.indd 58 22/02/2018 17:54 Actualité tribune Des cinéastes européens appellent à une Europe de la création À l’occasion du 68e Festival de Berlin, 160 cinéastes de 24 pays se mobilisent, à travers cette tribune publiée le 19 février 2018, face aux nouveaux défis d’une Europe de la création.

a culture européenne est la mise en commun de toutes d’un État membre, par quelque mode que ce soit (plateforme, les singularités, façons d’être et de voir, traditions, lan- télévision payante ou en clair, hertzien ou numérique, etc.), gues et histoires propres à chaque pays. À l’heure du obéisse impérativement aux règles de ce pays. LBrexit et des nationalismes montants, l’Europe doit comprendre que sa force demeure dans sa capacité de dialogue entre union Le principe du pays de destination permettra à chaque Etat et identités spécifiques. C’est notre force et non pas notre membre de définir librement l’investissement de tous les faiblesse : ne pas comprendre cette dualité nous mènera à acteurs (y compris les plateformes) dans la production d’œuvres notre perte. Cinéastes, nous portons le projet d’une véritable nationales, et de conduire ainsi sa politique culturelle au Europe de la création, guidée par l’exception culturelle. Nous service de la diversité des œuvres. Par ailleurs, le taux de 30 % sommes convaincus que le numérique est une chance immense d’œuvres européennes dans les catalogues des plateformes pour la création et la circulation des œuvres : la diversité peut numériques – inscrit dans cette révision de la directive, reste ainsi être exposée dans chaque État membre, auprès de tous un plancher, laissant aux Etats membres toute la latitude de les spectateurs. Il n’y a pas de petit ou grand état européen de fixer un seuil plus élevé. la création ; il y a une formidable richesse de regards. L’ère du numérique, des nouvelles technologies et des nouveaux usages Dans le cadre de cette nouvelle directive SMA, assurons-nous doit être l’occasion de proposer une vision et une ambition aussi que le contrôle du respect de ces obligations d’exposi- politique fortes ! tion et de contribution, ainsi que les sanctions auxquelles serait condamné tout acteur qui ne les remplirait pas, soient Alors que des arbitrages politiques aux conséquences impor- réels et efficaces. Qu’il soit garanti par un organe européen tantes vont être rendus cette année, nous, cinéastes européens, indépendant et suffisamment fort pour imposer ses décisions, demandons : ou par les institutions régulatrices de chaque pays.

Lutte contre le piratage et droit d’auteur : faisons Nous défendons par ailleurs l’idée d’une Europe respec- de l’Europe le premier défenseur de la création ! tueuse du principe de territorialité, qui refuse qu’une œuvre La lutte contre le piratage est une priorité absolue, commune soit diffusée sur des territoires pour lesquels les droits n’ont aux institutions européennes et aux États membres. Chaque pas été acquis. Dans le cadre du règlement Câble-satellite, œuvre, et chaque travail consenti pour l’accomplissement de garantissons aux créateurs, et aux cinématographies les plus cette œuvre, ont une valeur ! Une grande Europe de la création fragiles, les moyens nécessaires au financement de leurs est possible si nous affirmons, au cœur de l’économie numérique, œuvres et combattons toute stratégie de contournement. la défense de droits fondamentaux, et un partage de valeurs équilibré entre tous les acteurs de la chaîne. Un programme MEDIA pérennise pour en garantir Par ailleurs, le projet de directive sur le droit d’auteur dans le la double ambition culturelle et économique marché unique numérique est une occasion unique d’assurer Depuis plus de 25 ans, le Programme MEDIA de la Commission aux auteurs une rémunération juste, proportionnelle et inalié- européenne joue un rôle déterminant pour la vitalité de la diver- nable lorsque leurs films et œuvres audiovisuelles sont regardés sité culturelle. Un tiers des films produits en Europe ont par sur des plateformes numériques. Il est temps de mettre en place exemple bénéficié d’une aide à la distribution, à leur circulation un mécanisme européen qui garantisse aux auteurs une juste dans toute l’Europe, et, depuis 2001, MEDIA a cofinancé 14 futures rémunération pour l’exploitation à la demande de leurs œuvres Palmes d’Or. Alors qu’il est déjà un des plus petits programmes partout en Europe. financés par la Commission européenne et le seul consacré à notre secteur, les crédits du Programme MEDIA, en ce moment L’application des principes de pays de destination au cœur des débats budgétaires européens, pourraient être et de territorialité pour que notre écosystème encore réduits. Conscients de son soutien déterminant, tant reste vertueux pour les films que pour les publics qui les découvrent, renforçons Une plateforme ou un diffuseur qui tire profit de la diffusion et pérennisons ce programme emblématique de l’attachement d’une œuvre ne peut en aucun cas s’exonérer de contribuer européen au cinéma. Les défis sont trop nombreux : accordons au financement de la création. Dans le cadre de la directive nos moyens à nos objectifs, imaginons de nouvelles voies de sur les Services de médias audiovisuels (SMA), assurons-nous coopérations pour une meilleure production, promotion et que chaque acteur qui diffuse des œuvres pour les spectateurs circulation des œuvres.

LÉGIPRESSE n° 357 - Février 2018 59

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Une fiscalité européenne (et mondiale) équitable les États membres où ils seraient encore indisponibles plusieurs Alors que les citoyens et petites ou moyennes entreprises par- années après la sortie initiale. ticipent à l’effort collectif, payant des impôts sur le territoire où ils sont rémunérés, les GAFAN (Google, Amazon, Facebook, Travaillons avec les plateformes. Encourageons-les à Apple, Netflix) et certains acteurs globaux s’en exonèrent « léga- éditorialiser le cinéma européen et à le valoriser auprès des lement », ou n’y contribuent que d’une manière dérisoire. Cette millions de spectateurs des États membres. Sur ces services, injustice nourrit la colère des peuples et accentue la concurrence lors des transpositions en lois nationales, soyons ambitieux et déloyale entre acteurs vertueux et non vertueux. Les GAFAN allons, pays par pays, au-delà du plancher de 30 % d’œuvres sont des sociétés américaines soutenues politiquement par leur européennes bientôt imposé par la réglementation européenne. pays d’origine. L’Europe, si elle veut garder une place majeure Enfin, à travers un « Festival des cinéastes européens » pré- dans l’avenir, se doit d’inventer des lois adaptées au monde sentant les œuvres primées de chaque pays, et voyageant numérique d’aujourd’hui, afin d’imposer des règles équitables : d’une capitale européenne à l’autre, faisons la promotion de dans le cas contraire, cela reviendrait à créer, au sein même de nos plus belles créations. Invitons le public à plébisciter la l’Union, des « paradis anti-culturels », chevaux de Troie d’une diversité européenne. culture dominante. Créateurs, citoyens ou acteurs politiques, ensemble, mobilisons- Enfin, rapprochons plus étroitement encore nous autour des valeurs et d’une culture qui nous rassemblent. Les l’Europe et le cinéma cinéastes et citoyens sont attentifs aux échanges menés en ce Des solutions innovantes sont aussi nécessaires. Tirons profit du moment même entre la Commission, le Conseil et le Parlement numérique pour qu’il n’y ait plus de zones blanches où les œuvres européens. Dans le cadre de ces échéances, soyons fiers de défendre sont indisponibles. Le cinéma, dans toute sa diversité, doit irri- un cinéma européen vivace, vu par le plus grand nombre, expo- guer l’ensemble des territoires : un outil européen de référen- sé par toutes les formes de diffusion, à l’intérieur et à l’extérieur cement des œuvres encouragerait la circulation des films dans de notre continent. Soyons à la hauteur de ce défi. n

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AUDIOVISUEL COMMUNICATIONS ÉLECTRONIQUES Le CSA met fin aux fonctions de Mathieu Gallet, Livres électroniques, musique et contenus audiovisuels exclus président de Radio France du nouveau règlement européen interdisant le géoblocage Depuis la réforme de 2013, aux termes de l’article 47-4 de la loi Le Parlement européen a adopté, le 6 février 2018, le règlement inter- du 30 septembre 1986, les présidents des sociétés de l’audiovisuel disant le blocage géographique (ou géoblocage), entendu comme public sont nommés par le CSA, à la majorité de ses membres. toute restriction imposée par les sites marchands en ligne basée sur Leur mandat peut leur être retiré, par décision motivée, dans les la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu de connexion de l’ache- mêmes conditions. Le Conseil, réuni en assemblée plénière, a teur. Aux termes de ce texte, les vendeurs européens devront, à décidé le 31 janvier 2018 de retirer son mandat au président de compter de la fin 2018, offrir un accès identique aux biens et services Radio France, Mathieu Gallet. Cette décision, qui prend effet à qu’ils proposent à tous les citoyens de l’UE, peu importe leur lieu de compter du 1er mars, fait suite à la condamnation de l’intéressé, connexion. Si ces nouvelles règles s’appliquent aux services en ligne le 15 janvier dernier, à une peine d’un an d’emprisonnement avec comme les services « cloud » ou l’hébergement de sites internet, elles sursis et au paiement d’une amende de 20 000 euros pour délit excluent les livres électroniques et plus largement tout ce qui est de favoritisme, lors du mandat qu’il exerçait à l’Institut national protégé par des droits d’auteur, (notamment la musique téléchar- de l’audiovisuel. Dans sa décision, le CSA souligne que quand geable) ainsi que les contenus audiovisuels, et prévoient le respect bien même M. Gallet a fait appel de sa condamnation et béné- des lois sur le prix unique. La Commission européenne doit toutefois ficie de la présomption d’innocence, ce jugement tend à réprimer évaluer d’ici deux ans si l’interdiction du blocage géographique une méconnaissance des dispositions de la section du Code pourrait leur être appliquée. pénal relative aux manquements au devoir de probité. Il est en outre souligné le contexte actuel, dans lequel la crédibilité et l’exemplarité des dirigeants d’entreprises publiques sont plus PRESSE que jamais nécessaires à la préservation de la confiance de l’État, La mission au CSPLA de Laurence Franceschini se prononce du Parlement et du public, ainsi que le projet annoncé de réforme pour un droit voisin des éditeurs et des agences de presse de l’audiovisuel public qui exige une pleine capacité de la part largement conçu de ses dirigeants à mettre en œuvre sereinement et efficacement Laurence Franceschini a présenté le 13 février 2018 au CSPLA les la transformation. conclusions de la mission qui lui avait été confiée en octobre dernier sur la question de l’élaboration d’un droit voisin pour les éditeurs de Olivier Schrameck souhaite une régulation étendue presse, tel qu’envisagé par la proposition de directive sur le droit aux services audiovisuels numériques d’auteur dans le marché unique numérique, publiée le 14 septembre À l’occasion de ses vœux, le 23 janvier 2018, Olivier Schrameck, a 2016. Dans la prolongation de celle de 2016, la mission avait pour dressé un bilan de l’année passée et présenté la perspective de objet de savoir, d’une part, si les éléments intégrés (notamment les celle qui s’ouvre pour le CSA. Plaidant pour un « indispensable réa- photographies) dans une publication, ou les extraits (snippets) peuvent justement de l’ensemble des équilibres de la régulation », le président être protégés individuellement au titre du droit voisin des éditeurs a appelé à une régulation étendue aux services audiovisuels numé- de publications de presse. D’autre part, s’il faut intégrer des agences riques. Dans la droite ligne des déclarations du président de la de presse dans le champ d’application de ce droit voisin. Les snippets, République qui ont ouvert la voie de cet élargissement, l’année non définis, sont au carrefour de plusieurs notions, comme les extraits 2018 pourrait à cet égard constituer un tournant décisif, a annon- ou les résumés. Or, limiter le champ du droit voisin en excluant les cé Olivier Schrameck. En effet, malgré les 17 lois concernant le CSA snippets reviendrait à réduire considérablement la portée de ce sous la dernière législature, le réajustement souhaité n’a pu être nouveau droit qui ne s’appliquerait alors en fait qu’à l’agrégation de engagé « qu’à la marge ». Or, celui-ci est jugé « nécessaire pour l’intégralité d’un article. S’agissant de la photographie, qui fait éga- assurer la novation profonde des fonctionnalités et des méthodes lement l’objet d’utilisations diverses et importantes dans l’univers régulatrices à l’ère numérique : relations entre médias audiovisuels numérique, la protection est jugée nécessaire pour des raisons simi- traditionnels et plateformes de services, articulation entre service laires, et d’autant plus qu’au titre du seul droit d’auteur la preuve de public et offres de marché, équilibres entre médias audiovisuels l’originalité est toujours très difficile à apporter. Il importe donc pour hertziens et non hertziens, entre offres linéaires et multiplication des les photos d’éviter la concurrence de différents droits. La mission juge accès et des demandes délinéarisés ». Olivier Schramek a énuméré en outre justifiée l’extension aux agences de presse pour leurs pro- les différentes facettes pouvant être mises en œuvre : autorégu- ductions propres. Elle conclut que la reconnaissance de ce droit lation accompagnée, concertée et surveillée (mise en œuvre en voisin des éditeurs de presse et des agences de presse largement matière des classifications définies par le secteur du jeu vidéo pour conçu est un gage de la volonté de l’Union d’accompagner le déve- la protection des mineurs), corégulation, régulation participative, loppement de ces acteurs dans le cadre de leurs investissements ou encore de façon générale, les différentes modalités de droit rendus indispensables dans l’environnement numérique et de leur souple, règlements de différends, médiation, conciliation, prise en permettre de concrétiser de véritables partenariats avec les grands compte d’accords interprofessionnels. opérateurs pour un meilleur partage de la valeur.

Prua au JO ce mois-ci (Du 19 janvier au 20 février 2018) Texte ayant fait l’objet d’une présentation dans les pages flash Mtia ère Intitulé Références Décision n° 2018-13 du 31 janvier 2018 mettant fin aux fonctions du président de Radio France JO du 2 février 2018 AUDIOVISUEL Décret n° 2018-93 du 12 février 2018 portant approbation des modifications apportées aux JO du 14 février 2018 statuts de la société nationale de programme France Télévisions

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CINÉMA code du cinéma et de l’image animée, ces dernières ne sauraient méconnaître l’article 227-24 du Code pénal dès lors qu’elles 357-01 Rejet de la demande d’annulation prévoient à tout le moins une interdiction de représentation aux des dispositions du Code du cinéma définissant mineurs de 18 ans de tout film comportant des scènes de sexe les films à caractère pornographique et d’incitation ou de grande violence de nature à troubler gravement la sensi- à la violence bilité des mineurs, à présenter la violence sous un jour favorable Conseil d’État (10e et 9e ch. réunies), 28 décembre 2017 – Associations ou à la banaliser. Les requêtes sont rejetées. Promouvoir et Action pour la dignité humaine Deux associations demandaient l’annulation du II de l’article 1er DIFFAMATION du décret n° 2017-150 du 8 février 2017 relatif au visa d’exploi- tation cinématographique aux termes duquel : « /II. - La mesure 357-02 Diffusion dans la presse de critiques d’un de classification, assortie le cas échéant de l’avertissement prévu conseiller municipal sur l’endettement de sa à l’article R. 211-13, est proportionnée aux exigences tenant à la commune, relevant de la polémique politique protection de l’enfance et de la jeunesse, au regard de la sensibi- Cour de cassation (ch. crim.), 23 janvier 2018 – Jean-Pierre M. lité et du développement de la personnalité propres à chaque âge, Un conseiller municipal de la commune de Villefranche-sur-Mer, et au respect de la dignité humaine. /Lorsque l’œuvre ou le document membre de l’opposition, ancien adjoint au maire, avait accordé comporte des scènes de sexe ou de grande violence qui sont de deux interviews auprès de médias locaux, au sujet de la gestion nature, en particulier par leur accumulation, à troubler gravement des comptes de ladite commune et de l’état d’endettement la sensibilité des mineurs, à présenter la violence sous un jour favo- atteint par celle-ci. Il avait déclaré « A mon arrivée, en 2008 (…) rable ou à la banaliser, le visa d’exploitation ne peut s’accompagner la dette s’élevait à 8,75 millions d’euros (…) C’est le bilan, lorsque que de l’une des mesures prévues au 4° [Interdiction aux mineurs j’arrive aux finances, laissé par le premier adjoint de l’époque, de dix-huit ans] et au 5° [Interdiction aux mineurs de dix-huit ans André B., l’auteur de ces dépenses non budgétisées qui engageaient avec inscription sur la liste les excluant des aides automatiques] la commune, alors qu’il n’y avait pas un radis en caisse ». L’auteur du I. /Dans le cas prévu au précédent alinéa, le parti pris esthétique des propos avait été renvoyé du chef de diffamation publique ou le procédé narratif sur lequel repose l’œuvre ou le document envers un citoyen chargé d’un mandat public devant le tribunal peut justifier que le visa d’exploitation ne soit accompagné que de correctionnel, qui l’avait déclaré coupable. la mesure prévue au 4° du I ». La cour d’appel avait confirmé le jugement. Pour refuser au Pour le Conseil d’État, les 2e et 3e alinéas du II de l’article R. 211- prévenu le bénéfice de la bonne foi, celle-ci avait énoncé que 12 du Code du cinéma et de l’image animée précités font une si l’intéressé versait au dossier le compte rendu d’une séance exacte application des dispositions de l’article L. 311-2 du code du conseil municipal, lors de sa prise de fonctions, qui faisait du cinéma et de l’image animée en définissant les films à carac- état d’une dette de la commune, au 1er janvier 2008 de 8074 tère pornographique et d’incitation à la violence devant être euros, ce qui permettait de constater que son allégation sur inscrits, en vertu du 5° du I de cet article R. 211-12, sur la liste l’état d’endettement de la commune à son arrivée était exacte, prévue à l’article L. 311-2, ce qui a notamment pour effet de les ce document ne permettait pas d’imputer la responsabilité de priver de toute aide sélective, comme des œuvres comportant cette situation à son prédécesseur (partie civile) puisqu’elle était des scènes de sexe ou de grande violence de nature, en parti- le résultat de décisions collégiales prises par le conseil municipal. culier par leur accumulation, à troubler gravement la sensibilité Le prévenu s’était pourvu en cassation. des mineurs, à présenter la violence sous un jour favorable ou La Cour de cassation reproche à la cour d’appel de s’être déter- à la banaliser sans qu’aucun parti pris esthétique ou procédé miné ainsi, alors que les propos tenus par l’ancien premier adjoint narratif ne justifie seulement une interdiction de représentation visant son prédécesseur au sujet de l’endettement de la commune aux mineurs de 18 ans, sur le fondement du 4° du I de l’article s’inscrivaient dans une polémique politique et reposaient sur R. 211-12, laquelle peut en outre être légalement décidée pour une base factuelle qu’elle avait elle-même constatée, peu impor- répondre aux exigences tenant à la protection de l’enfance et tant que les décisions à l’origine de cet endettement eussent de la jeunesse et au respect de la dignité humaine. été collégiales. Elle conclut que la cour d’appel a méconnu les D’autre part, aux termes de l’article 227-24 du Code pénal, « Le dispositions de l’article 10 de la Convention EDH. fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère 357-03 Relaxe d’une personne dénonçant, lors violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à d’un débat radiophonique sur le thème des porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des lanceurs d’alerte, de graves dysfonctionnements mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, dans des établissements médico-sociaux soit de faire commerce d’un tel message, est puni de trois ans d’em- TGI de Toulouse (ch. correct. collégiale), 21 novembre 2017 – SAS prisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque ce message est Maison d’enfants de Moussaron c/ W. B. et a. susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ». Alors même que le Une journaliste avait, au cours d’une émission radiophonique quo- champ des messages à caractère violent et pornographique visés tidienne, ouvert un débat sur le thème des lanceurs d’alerte. Une par les dispositions précitées excède celui des films à caractère auditrice était intervenue en direct se présentant comme la présidente pornographique et d’incitation à la violence devant être inscrits d’une association locale regroupant des lanceurs d’alerte. Celle-ci sur la liste prévue à l’article L. 311-2 du code du cinéma et de avait exposé son vécu et son rôle de lanceur d’alerte dans le cadre l’image animée tel qu’il résulte de la définition qu’en donnent de son expérience professionnelle au sein d’un institut chargé de la légalement les dispositions attaquées de l’article R. 211-12 du prise en charge d’enfants handicapés dans le Gers, et dénonçait

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l’existence de « graves dysfonctionnements », de « décès et de manque Le tribunal observe tout d’abord que même si l’article ne men- de soins » dans certains établissements médico-sociaux dont celui tionne pas le nom de la demanderesse, celle-ci est identifi able d’une commmune qu’elle nommait. Ce dernier avait déposé plainte dès lors que son prénom et l’initiale de son nom sont indiqués, du chef de diff amation publique envers un particulier. de même que le nom de son village et le cliché représentant la Le tribunal relève tout d’abord que les propos reprochés à la ferme où elle habite. En ce qui concerne, ensuite, les passages journaliste, animatrice de l’émission - « et oui il y a des maltrai- de l’article décrivant la demanderesse « comme une personne tances sur enfants handicapés hein »- sont un résumé des propos atteinte de troubles psychiatriques », il retient que le fait d’être préalablement tenus à l’antenne par l’auditrice. Ces propos ne atteint d’une pathologie psychique ne porte pas atteinte à correspondent pas à l’imputation d’un fait précis détachable l’honneur et à la considération. d’un débat d’opinion distinct d’un jugement de valeur et pouvant Pour le tribunal, il n’en demeure pas moins que, lus dans leur faire l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire. Les termes ensemble, les passages imputent à la requérante d’avoir commis employés ne peuvent constituer une base factuelle suffi sante des actes de cruauté, ou en tout cas de maltraitance à l’égard pour fonder le caractère diff amatoire des propos de la journaliste. d’animaux, et d’avoir été condamnée à trois reprises pour ces Cette dernière est donc relaxée. faits. Il s’agit d’actes pénalement réprimés, constitutifs de diff a- S’agissant des propos reprochés à l’auditrice, les juges notent mation. que cette dernière s’exprimait sur une situation qu’elle a pu vivre Sur la bonne foi, le tribunal note que le sujet abordé présente et observer directement ayant été employée plusieurs années à l’évidence un caractère d’intérêt général s’agissant d’éventuelles dans l’établissement, et que les questions soulevées s’imbriquent maltraitances commises sur des animaux domestiques et des au travers de l’émergence des lanceurs d’alerte, dans un débat suites judiciaires qui en ont découlé. S’agissant des conditions public plus important lié à la prise en charge du handicap lourd relatives à l’existence d’une enquête sérieuse, il est souligné que et de leur prise en charge dans certaines régions défavorisées. si l’auteur de l’article disposait du témoignage d’une personne Il ressort, de plus, que le principe d’une maltraitance institution- présente sur place, membre d’une fondation de protection des nelle, s’agissant de l’établissement visé situé dans le Gers, est animaux, lors de l’intervention des forces de l’ordre, laquelle a eff ectivement évoqué dans un rapport de l’IGAS puis de l’ARS. décrit les conditions d’extrême insalubrité dans lesquelles les Le tribunal retient que le premier passage incriminé, au cours animaux étaient traités, il ne disposait toutefois d’aucun élément duquel la prévenue fait part de son vécu, ne présente pas de permettant d’imputer à celle-ci de s’être rendue coupable de caractère diff amatoire, la seule mention de « dysfonctionnement » faits de maltraitance « pour la troisième fois » après une supposée ne permettant pas d’imputer à l’institution des faits précis sus- « condamnation » en 2011 pour des faits similaires. Il ressort en ceptibles de porter atteinte à sa réputation. Quant au second eff et que la demanderesse n’a été condamnée que deux fois au passage, la mention de « maltraitances institutionnelles », derrière pénal, en 2015, et nullement en 2011. Pour le tribunal l’auteur laquelle chacun peut défi nir selon son histoire, son vécu, des de l’article a, par conséquent, excédé les limites qu’impose le comportements variés, paraît tout aussi délicate à qualifier devoir de prudence. d’imputation de faits précis pouvant faire l’objet d’un débat Sur la réparation du préjudice, le tribunal note qu’eu égard au contradictoire. Le tribunal conclut que l’énumération des termes sensationnalisme de l’article, annoncé en page de couverture, de « décès, manque de soin, camisole chimique, enfants attachés », et à la surface éditoriale qui lui a été consacrée, les défendeurs tend à décrire certains comportements dont l’intérêt sur le doivent être condamnés in solidum au versement de 1000 euros débat général des lanceurs d’alerte et de la maltraitance des en réparation du préjudice moral subi par la requérante. Il or- personnes handicapées fait ôter tout caractère diff amatoire. La donne également, à titre complémentaire, une mesure de publi- relaxe de la seconde prévenue est donc également prononcée. cation judiciaire en couverture du magazine.

357-04 Publication d’un article faisant état d’actes de maltraitances par une personne hébergeant DIFFAMATION ENVERS des animaux abandonnés à son domicile UN FONCTIONNAIRE PUBLIC TGI de Paris (17e ch. civ.), 18 octobre 2017 – Mme L. c/ SAS Éditions Nuit et jour 357-05 Diff usion d’une lettre accusant un conseiller Le magazine Le Nouveau détective avait publié un article inti- municipal de délation : les propos relèvent de tulé « Le Mouroir aux animaux » relatant l’intervention des l’expression d’une opinion services de gendarmerie, en décembre 2015, au domicile d’une Cour de cassation (ch. crim.), 28 novembre 2017 – Laurent X. femme hébergeant des animaux abandonnés, laquelle était Un conseiller municipal d’une ville de l’Oise avait posé une soupçonnée de faits de maltraitance. Une fondation de défense question écrite ayant pour objet l’incompatibilité susceptible des animaux s’était rendue sur place avec les forces de l’ordre. d’exister pour le directeur de cabinet du maire entre sa qualité L’intervention avait donné lieu à sa poursuite en comparution d’agent contractuel de droit public et l’exercice à titre profes- immédiate quelques jours plus tard. L’article indiquait que sionnel d’une activité privée lucrative. Le directeur de cabinet « plusieurs chiots étaient enfermés dans une armoire », que « dans visé avait par suite adressé aux élus et chefs de service un cour- un buff et, un chien était en train de mourir », ou encore que « deux rier à en-tête de la mairie dont les termes étaient les suivants : congélateurs étaient pleins d’animaux morts… ». La personne « M. Y. conseiller municipal de la ville peut assurément être taxé mise en cause par ces imputations, s’estimant diff amée, avait « anachronisme vivant ! », « Ce petit Monsieur (par l’esprit s’entend) assigné devant le tribunal le directeur de la publication ainsi eut été fort mieux à sa place durant les temps troublés d’une période que la société éditrice du journal. que je croyais révolue. Les pratiques dilatoires d’un autre temps

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demeurent… ». Le conseiller municipal avait fait citer devant le apparaît que ce nom distingue la demanderesse dans ses tribunal correctionnel l’auteur de ce courrier devant le tribunal activités artistiques ou de scène, soit l’ensemble de ses activi- correctionnel du chef de diffamation envers un fonctionnaire. tés publiques. Il s’agit donc bien, pour les juges, d’un élément Les premiers juges avaient déclaré le prévenu coupable. Les de sa personnalité ayant servi de vecteur à sa notoriété, sus- parties avaient fait appel. ceptible, comme son nom patronymique, de protection. La Pour caractériser la diffamation, la cour d’appel avait retenu, question du dépôt à titre de marque de ce pseudonyme, sou- notamment, que la question écrite qui avait été posée au maire, levée par la défenderesse, et du caractère distinctif de cette concernant l’incompatibilité des activités du directeur de cabi- marque est indépendante de la question de la protection des net, était assimilée à une dénonciation mensongère et même droits de la personnalité, et inopérante en l’espèce. à une pratique de délation, et ce au regard de l’ensemble des Le tribunal retient qu’en utilisant sans son autorisation ledit propos tenus et de la référence implicite si ce n’est explicite aux pseudonyme à titre d’enseigne et en y associant l’exploitation « us et coutumes et pratiques dilatoires » d’une période enterrée de l’image de la demanderesse, sur différents supports de sa il y a 70 ans et que de tels propos constituent donc l’articulation promotion tant sur le lieu même du restaurant que dans les de faits précis et susceptibles de preuve, en l’occurrence une médias, la société a engagé sa responsabilité sur le double dénonciation ou délation mensongère, dont le caractère atten- terrain de la violation du droit de propriété sur le pseudonyme tatoire à l’honneur et à la considération est souligné par la et du droit à l’image de celle-ci dans le cadre de faits de para- comparaison avec des faits de même nature commis durant les sitisme. Elle devra verser un euro de dommages-intérêts à la temps troublés de l’occupation allemande. Le prévenu s’était requérante en réparation de son préjudice moral et 15 000 pourvu en cassation. euros au titre de son préjudice commercial. Le tribunal ordonne La Cour de cassation casse et annule l’arrêt. Elle reproche à la enfin à la société de faire disparaître toute reproduction de cour d’appel de s’être ainsi prononcée alors que les propos liti- l’image de la Cicciolina dans le cadre de l’exploitation commer- gieux relevaient de l’expression d’une opinion et d’un jugement ciale et de la communication du restaurant. Elle devra en par- de valeur, et non de l’imputation d’un fait précis. La cassation ticulier cesser toute représentation figurative associée à la est prononcée sans renvoi. Cicciolina dans les toilettes de l’établissement et sur tous les documents publicitaires reproduisant son image, et la suppri- DROIT A L’IMAGE mer des comptes Facebook et Instagram de celui-ci ainsi que toutes les promotions effectuées sur internet. 357-06 Réparation de l’atteinte portée aux droits de la Cicciolina sur son pseudonyme et son droit 357-07 La publication de photographies détournées à l’image de leur contexte pour illustrer un article TGI de Paris (17e ch. civ.), 15 novembre 2017 – Mme X dite « Cicciolina » diffamatoire porte atteinte au droit à l’image c/ Sté Y. TGI de Paris (17e ch. civ.), 25 octobre 2017 – M. Y. c/ C. Cichocki La Cicciolina, starlette italienne ayant acquis sa notoriété grâce Un homme avait saisi le tribunal de grande instance après avoir à ses prestations dans le milieu érotique, avait constaté qu’un découvert la mise en ligne sur un site internet d’un article le visant, restaurant parisien de spécialités italiennes avait adopté sans qu’il estimait diffamatoire à son égard : « Jules Y. ex-ambassadeur son autorisation pour enseigne son pseudonyme qu’il utilisait corrompu du Bénin à Paris rejoint D.E. La liste est longue comme le pour ses documents commerciaux. Cette exploitation était asso- bras des associés, collaborateurs corrompus de l’affairiste pédophile ciée à son image, en particulier par la création d’une fresque D E ! Que fait la police et la justice ???!! ». L’article était illustré de située dans les toilettes de l’établissement. La Cicciolina avait deux photographies le représentant, sans son autorisation. assigné la société exploitant ledit restaurant sur le fondement Le tribunal relève que les propos poursuivis accusent le deman- des articles 9 et 1240 du Code civil pour voir réparer son préju- deur d’être corrompu et de travailler avec un affairiste pédophile, dice moral et patrimonial. M. D. E. Il s’agit de l’imputation claire d’infractions pénales attri- Le tribunal rappelle que la protection de la propriété du pseu- buées au requérant, notamment la corruption. Ainsi, les passages donyme s’est imposée en marge de la loi du 6 fructidor an II incriminés présentent bien un caractère diffamatoire. Le tribu- régissant la protection du nom patronymique. Il précise que nal observe ensuite que le défendeur, responsable du site, n’a le pseudonyme, nom de fantaisie librement choisi par une pas fait valoir d’offre de preuve ou fait valoir l’exception de bonne personne pour masquer au public sa personnalité véritable foi, et ne démontre pas qu’il a fait des vérifications précises sur dans l’exercice d’une activité particulière, ou distinguer sa les faits allégués. De plus, il n’a usé d’aucune prudence dans les personne dans le cadre de l’exercice d’une telle activité, lorsque propos, l’article procédant en termes virulents pour présenter par un usage notoire et prolongé, il s’est incorporé à l’individu comme établies les accusations proférées. La responsabilité du qui le porte est devenu pour le public le signe de sa person- défendeur est donc retenue. nalité. Ce nom devient alors un attribut de la personnalité de Le tribunal se prononce ensuite sur l’atteinte au droit à l’image celui qu’il distingue. Il note qu’en l’espèce, le nom « la Ciccio- invoquée au sujet des photographies illustrant l’article. Il note lina » - dont la demanderesse explique qu’il provient du terme que si l’article faisait allusion à un fait d’actualité, à savoir l’arri- « Ciccini » qu’elle traduit par « mes gros choux » - s’applique à vée du demandeur dans l’entreprise de M. D. E., cet article com- son nom et à son image, régulièrement associé aux signes portait des propos diffamatoires à l’égard du requérant, et distinctifs que sont un ourson et une couronne de fleurs, et l’utilisation de deux clichés le représentant n’était pas nécessaire qu’il est bien un nom de fantaisie déconnecté de sa seule signi- pour évoquer les faits en question. En outre, ces photographies fication populaire (il signifierait « petite chérie » en italien). Il ont été détournées de leur contexte, puisque l’une d’entre elles

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représente l’intéressé lorsqu’il était ambassadeur du Bénin, ce 357-09 Recherche d’un juste équilibre entre qu’il n’est plus désormais. Le défendeur a donc porté atteinte les prérogatives de l’auteur d’une œuvre au droit à l’image du plaignant, d’autant plus que celui-ci n’est architecturale et celles du propriétaire pas une personnalité médiatique. du bâtiment Il est condamné à lui verser 2000 euros de dommages et intérêts Cour de cassation (1re ch. civ.), 20 décembre 2017 – M. X. c/ en raison des propos diff amatoires et de l’atteinte portée à son Le département des Bouches-du-Rhône droit à l’image. Le tribunal ordonne aussi la suppression de l’article Un architecte qui avait conçu et réalisé l’œuvre architecturale litigieux ainsi que des deux photographies l’accompagnant. du Musée de l’Arles antique avait constaté que le département des Bouches-du-Rhône avait fait entreprendre, sans son accord, DROIT D’AUTEUR des travaux d’extension du bâtiment dans le dessein d’y exposer un bateau de commerce gallo-romain retrouvé dans le Rhône 357-08 Action en réparation visant la en 2004. Il avait assigné le département pour voir ordonner la commercialisation de compilations de chansons remise en état de l’œuvre et le versement de diverses sommes d’Henri Salvador de mauvaise qualité sonore à titre de dommages-intérêts. Les juges du fond ayant rejeté ses Cour de cassation (1re ch. civ.), 31 janvier 2018 – Mme D. c/ Sté Puzzle demandes, celui-ci s’était pourvu en cassation. productions La Cour note qu’il incombe à l’auteur d’établir l’existence de La veuve et légataire universelle du chanteur Henri Salvador l’atteinte portée à ses droits, dont il demande la réparation. Pour reprochait à une société de production musicale d’avoir com- rejeter le pourvoi, celle-ci relève que l’arrêt a énoncé à juste titre mercialisé, sans autorisation, sous la forme de disques compacts que, si la vocation utilitaire d’un bâtiment commandé à un archi- illustrés de photos de l’artiste, des compilations de médiocre tecte interdit à celui-ci d’imposer une intangibilité absolue de qualité sonore, de chansons dont celui-ci était l’artiste-interprète son œuvre, il importe cependant, pour préserver l’équilibre entre et pour certaines l’auteur-compositeur. Elle a assigné ladite les prérogatives de l’auteur et celles du propriétaire de l’œuvre société en réparation de son préjudice. Les juges du fond ayant architecturale, que les modifi cations apportées n’excèdent pas rejeté ses demandes, la requérante s’est pourvue en cassation. ce qui est strictement nécessaire à l’adaptation de l’œuvre à des La Haute juridiction approuve tout d’abord la décision de la cour besoins nouveaux et ne soient pas disproportionnées au regard d’appel qui a rejeté les demandes relatives aux enregistrements du but poursuivi. L’arrêt a encore retenu que la découverte de sur supports numériques. Elle considère que c’est à bon droit la barque datant de l’époque romaine déclarée « trésor national » que l’arrêt a énoncé que l’exploitation d’interprétations d’un ainsi que sa cargaison, et la nécessité d’exposer cet ensemble artiste, sous forme de compilation de ses enregistrements, n’est dans le musée considéré, caractérisent l’existence d’un besoin pas, en elle-même, de nature à caractériser une atteinte au nouveau qui, pour être satisfait, commandait la construction respect dû à ses interprétations. De plus, la cour d’appel a sou- d’une extension dès lors que l’unité qui s’attachait au bâtiment verainement estimé que les enregistrements numériques incri- muséal excluait l’édifi cation d’un bâtiment séparé. Il a encore minés n’avaient pas été versés aux débats et qu’elle n’était pas pu relever que, bien que l’extension réalisée modifi e la construc- en mesure d’en apprécier la qualité sonore. tion d’origine, elle reprend néanmoins les couleurs originelles, La Cour de cassation relève ensuite que l’arrêt a exactement blanche des murs et bleue des façades et qu’il n’est pas démon- énoncé que le droit à l’image, attribut de la personnalité, s’éteint tré qu’elle dénature l’harmonie de l’œuvre. Pour la Cour de au décès de son titulaire et n’est pas transmissible à ses héritiers, cassation, la cour d’appel a pu déduire de ses constatations se sorte que la requérante était irrecevable en ses demandes souveraines, sans inverser la charge de la preuve, que l’architecte fondées sur l’exploitation commerciale de l’image de l’artiste. n’établissait pas que ces modifi cations nécessaires, apportées à La cour d’appel a par ailleurs pu déclarer irrecevables les de- un bâtiment utilitaire, étaient disproportionnées par rapport au mandes relatives aux droits patrimoniaux d’auteur-compositeur but poursuivi. d’Henri Salvador. Pour les Hauts magistrats, c’est à juste titre que la cour d’appel a rappelé que les droits du chanteur avaient 357-10 Atteinte au droit moral du traducteur été apportés à la Sacem de sorte que, sauf carence de cette d’ouvrages publiés sans mention de son nom et de dernière, la veuve de l’artiste n’avait pas qualité pour agir au sa qualité soutien de la défense de ceux-ci. TGI de Paris (3e ch. 1re sect.), 30 novembre 2017 – B. X. c/ SARL En revanche, c’est à tort que la cour d’appel a déclaré irrecevables Scribedit et a. comme prescrites les demandes relatives aux enregistrements Aux termes d’un contrat d’édition, un homme avait cédé ses sur supports physiques, au motif qu’à défaut de date certaine droits à une société d’édition sur la traduction en français de quant à la dernière commercialisation de ceux-ci, il y avait lieu deux ouvrages intitulés La mécanique des hommes et Histoire de prendre pour point de départ du délai de prescription la date secrète de l’oligarchie anglo-américaine moyennant le versement, de fi n des contrats régissant la commercialisation des albums. d’un à-valoir pour chacun des manuscrits. L’intégralité des à- Pour la Haute juridiction, en se déterminant ainsi, sans répondre valoirs avait été réglée par l’éditeur, mais le traducteur reprochait aux conclusions de la requérante qui soutenait qu’elle n’avait à ce dernier l’absence de mention de son nom en qualité d’au- eu connaissance des faits qu’elle incriminait qu’au cours du mois teur des traductions. Celui-ci avait saisi le juge des référés qui de mai 2012, la cour d’appel a méconnu les dispositions de avait rejeté l’ensemble des demandes, estimant que le requérant l’article 455 du Code de procédure civile. L’arrêt est cassé et n’établissait pas avec l’évidence requise en la matière être l’au- annulé. teur des textes litigieux. LP Cet arrêt sera commenté dans un prochain numéro

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Le tribunal rappelle que les auteurs de traduction bénéficient protéger l’image des domaines nationaux afin d’éviter qu’il de la protection prévue par les dispositions du Code de la pro- soit porté atteinte au caractère de biens présentant un lien priété intellectuelle, sans préjudice des droits de l’auteur de exceptionnel avec l’histoire de la Nation et détenus, au moins l’œuvre originale. Il observe que, s’agissant du premier ouvrage, partiellement, par l’État. Il a également entendu permettre le réquérant établit avoir reçu une partie de l’ouvrage, traduit la valorisation économique du patrimoine que constituent par un autre auteur, puis remis un manuscrit final à la maison ces domaines nationaux. Le législateur a ainsi poursuivi des d’édition correspondant à l’ouvrage publié ; s’agissant du second objectifs d’intérêt général. ouvrage publié, il est également démontré que celui-ci corres- Il est jugé en second lieu, d’une part, qu’il résulte de la com- pond pour la majeure partie au manuscrit remis par le requérant binaison des premier et troisième alinéas de l’article L. 621-42 à son éditeur, hormis quelques corrections mineures. du code du patrimoine que l’autorisation préalable du ges- Le tribunal conclut qu’il est suffisamment établi par le requérant tionnaire du domaine national n’est pas requise lorsque l’image qu’il était bien l’un des auteurs de la traduction de l’ouvrage La est utilisée à des fins commerciales et qu’est également pour- mécanique des hommes et l’unique traducteur de L’histoire secrète suivie une finalité culturelle, artistique, pédagogique, d’ensei- de l’oligarchie anglo-américaine. La société défenderesse ne peut gnement, de recherche, d’information, d’illustration de l’actua- faire valoir que les ouvrages en cause étaient des œuvres col- lité ou liée à l’exercice d’une mission de service public. D’autre lectives, étant relevé que la contribution personnelle du deman- part, compte tenu de l’objectif de protection poursuivi par le deur est parfaitement individualisable et que la société ne prouve législateur, l’autorisation ne peut être refusée par le gestionnaire pas que la traduction a été opérée sous sa direction continue. du domaine national que si l’exploitation commerciale envi- La publication de ces ouvrages sans mention du nom du requé- sagée porte atteinte à l’image de ce bien présentant un lien rant pour le premier, et sous son pseudonyme modifié sans son exceptionnel avec l’histoire de la Nation. Dans le cas contraire, accord pour le second, porte atteinte à son droit moral. Le tri- l’autorisation est accordée dans les conditions, le cas échéant bunal lui alloue en réparation la somme de 5000 euros de dom- financières, fixées par le gestionnaire du domaine national, mages-intérêts. Il est par ailleurs enjoint à l’éditeur, sous astreinte, sous le contrôle du juge. de faire parvenir aux distributeurs des ouvrages en cause un Enfin, si, en application des dispositions contestées, l’autorisation encart à insérer précisant le nom et la qualité de traducteur du est délivrée gratuitement ou à titre onéreux, le montant de la plaignant, en première page ou page de couverture des livres redevance devant alors tenir compte des avantages de toute en cas de nouveaux tirages. nature procurés au titulaire de l’autorisation, il appartient aux Il condamne par ailleurs l’éditeur à verser au traducteur la somme autorités compétentes d’appliquer ces dispositions dans le de 1457 euros correspondant au paiement du solde des droits respect des exigences constitutionnelles et, en particulier, du d’auteur lui revenant au titre des ventes des ouvrages au cours principe d’égalité. de l’année 2015. Il en résulte que le législateur, qui n’a pas méconnu l’étendue de sa compétence, n’a pas porté d’atteinte disproportionnée à IMAGE DES BIENS la liberté d’entreprendre et au droit de propriété et n’a pas méconnu le principe d’égalité devant la loi. En outre, en accor- 357-11 Le Conseil constitutionnel rejette la QPC sur dant au gestionnaire d’un domaine national le pouvoir d’auto- le droit à l’image des domaines nationaux riser ou de refuser certaines utilisations de l’image de ce domaine, Conseil constitutionnel, 2 février 2018, n° 2017-687 QPC - Association le législateur n’a ni créé ni maintenu des droits patrimoniaux Wikimédia France et autre attachés à une œuvre intellectuelle. Enfin, en l’absence de dis- Les associations requérantes contestaient la constitutionnalité position expresse contraire, les dispositions contestées n’affectent de l’article L. 621-42 du Code du patrimoine dans sa rédaction pas les contrats légalement conclus avant leur entrée en vigueur. issue de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, Ne méconnaissant aucun autre droit ou liberté que la Constitu- à l’architecture et au patrimoine. Ces dispositions soumettent, tion garantit, elles sont déclarées conformes à la Constitution. sauf exceptions, l’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux à l’auto- INJURE risation préalable du gestionnaire de la partie du domaine natio- nal en cause. Cette autorisation prend la forme d’un acte unila- 357-12 Action civile visant des Femen scandant téral ou d’un contrat, assorti ou non d’une redevance. notamment le slogan « fuck church » : absence de Le Conseil constitutionnel rappelle que selon l’article L. 621-34 caractère injurieux à l’égard des catholiques du Code du patrimoine, les domaines nationaux sont « des en- Cour de cassation (ch. crim.), 23 janvier 2018 - Agrif sembles immobiliers présentant un lien exceptionnel avec l’histoire Lors de la manifestation organisée l’hiver 2012 par plusieurs de la Nation et dont l’État est, au moins pour partie, propriétaire. associations contre le projet de loi ouvrant le mariage aux couples - Ces biens ont vocation à être conservés et restaurés par l’État dans de personnes de même sexe, des jeunes femmes appartenant le respect de leur caractère historique, artistique, paysager et au mouvement des Femen ont fait irruption, portant des coiffes écologique ». Selon le deuxième alinéa de l’article L. 621-35 du de religieuses et le dos nu ; sur leur torse étaient inscrites les même code, les domaines nationaux « peuvent comprendre des mentions « In gay we trust », « saint esprit étroit », « fuck church » biens immobiliers appartenant à l’État, à des collectivités territo- et « occupe-toi de ton cul ». Elles ont scandé le slogan « in gay we riales, à des établissements publics ou à des personnes privées ». trust » et brandi des aérosols portant les mentions « Holy sperm » Le Conseil constitutionnel juge, en premier lieu, qu’en adop- et « Jesus sperm ». Après que sa plainte a été classée sans suite, tant les dispositions contestées, le législateur a entendu l’Agrif a porté plainte et s’est constituée partie civile du chef

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d’injures publiques envers particuliers à raison de leur apparte- INJURE HOMOPHOBE nance à une religion déterminée. L’Agrif a relevé appel de la décision de relaxe de six Femen. 357-14 Relaxe de la présidente d’Act-up, poursuivie La cour d’appel, pour dire non démontrée une faute civile à pour l’affi chage du terme « homophobes » sur partir et dans la limite des faits objet de la poursuite du chef des panneaux de la Manif pour tous susvisé, a relevé que la plupart des slogans présentait un carac- Cour de cassation (ch. crim.), 23 janvier 2018 – P. Pora tère parodique et que le plus violent d’entre eux, « fuck church », c/ La Manif pour tous s’adressait à une institution et non à une ou plusieurs personnes L’association La Manif pour tous avait porté plainte et s’était déterminées, sur un mode provocateur mais non violent. Les constituée partie civile du chef d’injures publiques à caractère juges ont ajouté que les Femen ont ainsi exprimé leur opposition homophobe en raison de l’apposition du mot « homophobes » à une manifestation qu’elles ont estimée intolérante à l’égard sur des affi ches portant son logo, lors d’une opération militante des droits qu’elles entendaient défendre, de sorte qu’est en cause organisée par l’association Act-up Paris. La présidente de cette le confl it entre deux libertés d’expression, dans des formes qui dernière, qui avait admis avoir participé à l’approbation des demeurent tolérables dans une société démocratique. modalités de l’opération et à l’affichage, avait été renvoyée Statuant sur le pourvoi formé par l’Agrif, la Cour de cassation juge devant le tribunal correctionnel. Elle avait soulevé l’irrecevabi- qu’en l’état de ces énonciations, la cour d’appel n’a pas méconnu lité de la constitution de partie civile. La Manif pour tous avait les articles 10 de la Conv. EDH, 33, al. 3, 48-1 de la loi du 29 juillet relevé appel du jugement la déclarant irrecevable faute d’avoir 1881, 1382 du Code civil, visés au moyen, dès lors que si leur justifi é de l’obtention de la personnalité juridique. La cour d’ap- tenue détournant celle des religieuses pour la tourner en ridicule, pel avait infi rmé le jugement, relevant que la partie civile avait leurs slogans et leurs gestes, pour partie obscènes, visaient expli- justifi é de sa qualité et de son intérêt à agir. Elle avait déclaré la citement les enseignements de l’Église catholique, de sorte qu’ils prévenue coupable des faits reprochés. La présidente d’Act-up étaient susceptibles de choquer les personnes présentes dans s’était pourvue en cassation. leurs convictions religieuses, ils ne revêtaient toutefois pas un La Cour rappelle que la liberté d’expression ne peut être soumise caractère injurieux à l’égard de celles-ci en raison de leur appar- à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des tenance à cette religion. Le pourvoi est rejeté. mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 LP Cet arrêt sera commenté dans un prochain numéro de la Convention EDH. Elle relève que pour déclarer la prévenue coupable, l’arrêt a énoncé que celle-ci n’a pas contesté le carac- 357-13 Publication d’un article décernant un « prix tère injurieux de l’adjectif « homophobes », sauf à contredire de l’indignité républicaine, catégorie pire préfecture l’action de son association, et a écarté l’excuse de provocation de France » : les termes sont injurieux, et non invoquée en défense. La Haute juridiction reproche à la cour diff amatoires d’appel d’avoir ainsi statué, alors que l’emploi de ce qualifi catif Cour de cassation (ch. crim.), 9 janvier 2018 – M. C. Y. à l’égard de la partie civile s’inscrivait dans le débat d’intérêt À l’occasion de la venue à Rennes de l’ancienne garde des Sceaux, général sur la loi autorisant le mariage des couples de même une association avait distribué et mis en ligne sur le réseau Facebook sexe, auquel l’association Manif pour tous s’était vivement oppo- un tract à l’en-tête du « ministère contre les injustices » se présentant sée, cependant que Act-up avait milité en sa faveur. La Cour sous la forme d’un « prix de l’indignité républicaine, catégorie pire conclut que l’emploi du terme litigieux, relevant d’une libre préfecture de France » décerné au secrétaire général de la préfecture opinion sur l’action et les prises de position de la partie civile, d’Ille-et-Vilaine pour son hostilité envers l’idée d’une amélioration ne dépassait pas les limites admissibles de la liberté d’expression, de l’accueil des étrangers, prix décerné par ladite association. Le de sorte que la cour d’appel a méconnu le sens et la portée de haut fonctionnaire visé avait fait citer les responsables de l’asso- l’article 10 de la Convention EDH et du principe ci-dessus rap- ciation devant le tribunal correctionnel, du chef de diff amation pelé. La Cour casse et annule l’arrêt, et dit n’y avoir lieu à renvoi. publique envers un fonctionnaire public. Les juges du premier LP Cet arrêt sera commenté dans un prochain numéro degré avaient renvoyé les prévenus des fi ns de la poursuite. Pour confi rmer le jugement, la cour d’appel avait retenu que le LIBERTÉ D’ExPRESSION propos incriminé contenait des termes injurieux mais n’imputait aucun fait précis à caractère diff amatoire. La cour avait ajouté 357-15 Protection des droits des personnes qu’elle n’était pas saisie du délit d’injure et n’avait aucun pouvoir religieuses et liberté d’expression : mise de requalifi cation. La partie civile s’était pourvue en cassation. en balance par la CEDH La Cour de cassation note qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, Cour européenne des droits de l’homme (4e sect.), 30 janvier 2018 – abstraction faite du motif par lequel elle s’est prononcée sur une Sekmadienis Ltd c/ Lituanie infraction dont elle n’était pas saisie, a exactement apprécié le Une société lituanienne de vente de vêtements avait mené une sens et la portée des propos incriminés, qui, dans le cadre d’une campagne de publicité avec des photographies d’un mannequin libre appréciation critique formulée par les prévenus sur l’action masculin et d’un mannequin féminin, chacun avec une auréole, de la partie civile prise en sa qualité de fonctionnaire public, l’homme étant tatoué et vêtu d’un jean et la femme portant prêtaient seulement à celle-ci une opinion, et ne constituaient une robe blanche et un collier de perles. Les publicités compor- donc pas une articulation précise de faits de nature à être, sans taient en légende les mots suivants : « Jésus, quels pantalons ! », diffi culté, l’objet d’une preuve et d’un débat contradictoire. Le « Chère Marie, quelle robe ! » et « Jésus et Marie, ce que vous portez ! ». pourvoi est rejeté. Plusieurs personnes avaient déposé des plaintes contre ces publicités auprès de l’Autorité lituanienne de publicité qui avait

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condamné la société à une amende de 580 euros. La société ses blessures. L’avocat, qui défendait la famille du jeune homme, avait formé un recours devant les juridictions administratives s’était exprimé dans un article publié par le Nouvel Observateur. qui avaient rejeté ce dernier au motif que « les symboles à carac- Il avait rappelé le passé collaborationniste du père de l’avocat tère religieux occupent une place importante dans le système des général, traitant ce dernier de « traître génétique », ce qui lui avait valeurs spirituelles des individus et de la société et leur utilisation valu des poursuites disciplinaires, et le prononcé d’un avertis- inappropriée est contraire aux normes morales et éthiques univer- sement. L’avocat avait introduit une action judiciaire pour contes- sellement acceptées ». La société avait saisi la Cour européenne ter cette décision, mais ses demandes avaient été définitivement des droits de l’homme, invoquant une atteinte à sa liberté rejetées par un arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 2012. Il d’expression. avait alors saisi la Cour européenne des droits de l’homme, invo- La Cour relève tout d’abord que l’amende infligée à la société quant le droit à sa liberté d’expression. constitue une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression La Cour constate que l’avocat s’est vu infliger un avertissement de celle-ci, qui poursuivait un but légitime, à savoir la protection dans le cadre d’une procédure disciplinaire. Elle estime que de la morale découlant de la foi chrétienne. Elle reconnaît que l’ingérence était « prévue par la loi » et poursuivait la protection l’ingérence poursuivait des buts légitimes, à savoir la protection de la réputation d’autrui. Les propos s’inscrivaient dans le cadre de la morale découlant de la foi chrétienne et la protection des d’un débat d’intérêt général, concernant le déroulement d’un personnes religieuses de ne pas être insultées pour leurs convictions. procès dans une affaire médiatique, et constituaient des juge- La Cour admet que les autorités nationales disposent d’une ments de valeur et non des déclarations de fait. marge d’appréciation qui, lorsqu’elles prennent des décisions La Cour relève cependant le caractère excessif et injurieux ain- en cette matière, est plus large en l’espèce compte tenu de la si que l’absence de base factuelle de la déclaration faite par nature commerciale des publicités. Elle constate que les publi- l’avocat et diffusée par voie de presse. Elle retient que celui-ci, cités en question n’étaient apparemment pas gratuitement dans l’entretien ayant donné lieu à l’article litigieux, a rappelé offensantes et qu’elles n’incitaient pas à la haine fondée sur la que le père de l’avocat général avait été collaborateur et religion. Toutefois, elle précise que les autorités nationales avaient condamné à la Libération aux travaux forcés, puis l’avait qualifié l’obligation d’expliquer en quoi le message exprimé par les de « traître génétique ». La Cour considère que l’indignation invo- publicités était contraire à la morale publique. Or les justifications quée par l’auteur des propos ne justifie pas une réaction si fournies par celles-ci n’expliquaient pas suffisamment en quoi violente et méprisante. Elle observe en outre que ce dernier a les références à des symboles religieux dans les publicités étaient refusé d’exprimer des regrets comme l’invitait son Bâtonnier, ce offensantes. Les autorités nationales n’ont pas non plus répon- qui a déclenché l’ouverture de la procédure disciplinaire. du à l’argument de la requérante selon lequel les mots employés De plus, la Cour constate, d’une part, que les propos ont été dans les publicités auraient été utilisés comme des interjections tenus hors du prétoire, à savoir dans la presse après le procès comiques utilisées couramment en lituanien à l’oral pour expri- et, d’autre part, qu’ils ne constituaient ni une possibilité de faire mer des émotions. L’Autorité nationale de publicité a considéré valoir des moyens de défense ni une information du public sur que les publicités en question promouvaient « un style de vie des dysfonctionnements éventuels. La Cour estime donc que incompatible avec les principes d’une personne religieuse », mais l’infliction d’un simple avertissement à titre disciplinaire, qui n’a elle n’a pas précisé en quoi consistait ce style de vie ni comment eu de surcroît aucune répercussion sur l’activité professionnelle ces publicités en faisaient la promotion, et pourquoi ce serait du requérant, ne saurait être considérée comme excessive. La contraire à la morale publique. Cour déclare la requête irrecevable. La décision est définitive. Enfin, la Cour estime que le fait qu’environ cent personnes se LP Cet arrêt sera commenté dans un prochain numéro soient plaintes auprès des autorités nationales au sujet des publicités en question ne peut pas en soi justifier l’amende infli- OUTRAGE gée à la société requérante. Elle retient qu’à supposer que la plupart des personnes vivant en Lituanie aient été offensées, 357-17 La condamnation d’un homme politique qui a les droits détenus en vertu de la Convention par une minorité tenu des propos virulents, constitutifs d’une attaque ne peuvent pas dépendre du consentement de la majorité. La personnelle à l’encontre d’un magistrat, n’est pas Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 10. La Lituanie contraire à l’article 10 de la Convention EDH devra verser à la requérante 580 euros pour dommage matériel. Cour européenne des droits de l’homme (5e sect.), 1er février 2018 – Meslot c/ France 357-16 La CEDH rejette la requête d’un avocat Au cours d’un meeting politique qui s’était tenu durant la cam- qui avait subi une sanction disciplinaire après pagne électorale pour les élections législatives de 2007, un avoir tenu des propos injurieux dans la presse à homme politique français, député du territoire de Belfort, avait l’encontre d’un avocat général tenu des propos virulents à l’égard du magistrat qui l’avait mis Cour européenne des droits de l’homme (5e sect.), 25 janvier 2018 – en examen quelques mois plus tôt pour fraudes électorales : Szpiner c/ France « Vous savez la dernière ? On a arrêté deux braqueurs. La première Un avocat français s’était vu infliger une sanction disciplinaire mesure du juge D. a été de libérer les deux braqueurs. Il y en a marre en raison de propos qu’il avait tenus dans la presse, à la suite du de voir des juges rouges qui s’opposent à la volonté du peuple et procès du « gang des barbares » dans lequel il représentait les qui s’opposent au travail des policiers… ». Les propos avaient été parties civiles. Dans cette affaire, un jeune homme de confession repris dans plusieurs médias. Le député avait été condamné par juive avait été enlevé, séquestré puis torturé par un groupe le tribunal correctionnel pour outrage à magistrat à une peine appelé le « gang des barbares », avant de décéder des suites de de 700 euros d’amende, laquelle avait été portée à 1000 euros

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par la cour d’appel. La Cour de cassation avait rejeté le pourvoi. Limoges, a géré le patrimoine immobilier, notamment parisien, Le prévenu avait saisi la Cour européenne des droits de l’homme, de la Crepa, bénéfi ciant de diverses commissions, que la prési- alléguant que sa condamnation était contraire à l’article 10 de dente allait dans un hôtel luxueux, payé par la Caisse, lors de la Convention EDH. ses séjours parisiens, que les frais et indemnités, réglés par la La Cour constate tout d’abord que la condamnation pénale du Caisse à son profi t, ont atteint la somme de 86 100 euros en député pour outrage à magistrat constituait une ingérence prévue 2013, alors qu’il s’agit en principe de fonctions bénévoles. par la loi dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression, la- Dans ces conditions, celui-ci relève que l’indication de l’existence quelle poursuivait un but légitime de protection de la réputation d’une enquête pénale ne traduit pas, en elle-même, un préjugé ou des droits d’autrui. Elle rappelle ensuite que les contours de la de culpabilité, que le texte est par la suite factuel, détaillant que liberté d’expression dans le domaine du discours politique sont des proches de la présidente ont travaillé pour le compte de la larges. De plus, les limites de la critique admissible à l’égard des Crepa et que la demanderesse a connu un train de vie dispen- magistrats lorsqu’ils agissent dans l’exercice de leurs fonctions dieux en tant que responsable de celle-ci. De telles allégations offi cielles sont plus larges qu’à l’égard de simples particuliers. ne constituent pas l’indication que l’intéressée aurait à l’évidence Elle observe, à l’instar des juridictions nationales, que les propos commis des infractions pénales, le journaliste ne faisant pas état tenus relevaient plus d’une attaque personnelle contre le juge du caractère délictueux des faits en cause. Les juges notent que visé que de la critique. Ainsi, et malgré le contexte politique où le ton employé est certes satirique, mais qu’il ne leur appartient l’invective déborde souvent sur le plan personnel, le débat n’était pas de statuer sur la ligne éditoriale de la publication. Les expres- pas utile à l’information du public. sions employées, même vives, demeurent en rapport avec le La Cour constate que les propos tenus n’étaient pas fondés sur fond de l’article, sans que le lecteur ne puisse en déduire que une base factuelle suffi sante. Elle estime que les juridictions natio- l’ex-présidente a commis, à l’évidence, des infractions pénales. nales pouvaient raisonnablement considérer que les propos tenus Le tribunal conclut que l’article ne contient pas de conclusions par le député constituaient une attaque personnelle gratuite et défi nitives, manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpa- pouvaient passer pour trompeurs. Les déclarations litigieuses bilité. Dès lors, la requérante est déboutée de ses demandes. portaient également atteinte à l’indépendance du corps judiciaire et à l’autorité du pouvoir judiciaire, le requérant portant atteinte PROCÉDURE à la confi ance des citoyens dans l’intégrité du pouvoir judiciaire. La Cour note que le contrôle strict qu’elle exerce dans le domaine 357-19 Validité d’une citation qui mentionne du discours politique ne la conduit pas à trouver dans les propos la qualifi cation du fait incriminé et le texte de loi du requérant l’expression de la dose d’exagération ou de pro- énonçant la peine encourue vocation dont il est permis de faire usage dans le cadre de la Cour de cassation (ch. crim.), 23 janvier 2018 – Mme Y. Z. liberté d’expression politique. La Cour ne juge donc pas dissua- Un général marocain avait fait citer devant le tribunal correc- sif pour l’exercice de la liberté d’expression la somme de 1000 tionnel un homme ayant mis en ligne sur le réseau Facebook euros versée à titre d’amende. De plus, elle observe que cette plusieurs textes dans lesquels il était qualifi é de « nul », « rat », sanction n’a eu aucune répercussion sur la carrière politique du « ignoble », « criminel », « corrompu ». Après le décès de la partie requérant qui a été réélu comme député en 2007 et 2012. La civile, ses héritiers avaient repris l’instance. Les premiers juges requête est rejetée. avaient prononcé la nullité de la citation. Pour confi rmer le jugement, la cour d’appel avait énoncé que PRÉSOMPTION D’INNOCENCE certains des termes incriminés par la citation apparaissaient plusieurs fois dans les textes précités, de sorte que le prévenu 357-18 Article du Canard enchaîné mettant en ne pouvait savoir, aucune précision n’étant apportée à cet égard cause la gestion de la Caisse de retraite des avocats : par le dispositif de l’acte, dans quelle publication et dans quelle pas d’atteinte à la présomption d’innocence phrase lui étaient reprochés ces termes réitérés, et qu’il était TGI de Paris (17e ch. civ.), 22 novembre 2017 – Mme Y. c/ Le Canard ainsi mis dans l’impossibilité de se défendre et, spécialement, enchaîné d’analyser le contexte dans lequel les termes poursuivis étaient Le Canard enchaîné avait publié un article mettant en cause la placés. Les requérants s’étaient pourvus en cassation. gestion, par les membres d’une même famille, de la caisse de retraite La Cour de cassation rappelle que l’article 53 de la loi du 29 juil- des personnels des cabinets d’avocats (Crepa), intitulé « Repus de let 1881 n’exige, à peine de nullité de la poursuite, que la men- famille à la caisse de retraite ». La présidente de ladite caisse de tion, dans la citation, de la qualifi cation du fait incriminé et du retraite avait assigné la société éditrice du journal sur le fondement texte de loi énonçant la peine encourue. La nullité ne peut être de l’article 9-1 du Code civil, aux motifs que certains passages de prononcée que si la citation a pour eff et de créer une incertitude l’article portaient atteinte à sa présomption d’innocence. dans l’esprit des prévenus quant à l’étendue des faits dont ils Le tribunal constate tout d’abord que l’article fait état d’une ont à répondre. La Haute juridiction retient qu’en prononçant enquête menée par la brigade fi nancière, sans préciser les infrac- la nullité de la citation, alors que celle-ci, qui énonçait avec tions pénales en cause, à la suite d’une plainte déposée par un précision les expressions poursuivies, n’avait pas à les situer dans syndicat d’avocats. Il est aussi fait référence à un projet de les six brefs textes où elles apparaissaient, une ou plusieurs fois, rapport de 2015 de l’Autorité de contrôle prudentiel, détaillant textes qui étaient reproduits dans le corps de l’acte, de sorte notamment le train de vie de la présidente de la Caisse. Le tri- qu’il ne pouvait exister aucune ambiguïté sur les faits, objet de bunal observe que s’agissant des éléments factuels, il ressort la poursuite, la cour d’appel a méconnu les dispositions de de l’article que le fi ls de la demanderesse, agent immobilier à l’article 53 précité. L’arrêt est cassé et annulé.

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357-20 Irrégularité d’une plainte comprenant cadre du championnat du monde d’échecs par équipe de 2010. l’indication cumulative des qualifications de Plusieurs personnes nommément visées par cet article avaient diffamation et provocation à la haine raciale saisi le tribunal sur le fondement des articles 9, et 1382 du Code Cour de cassation (ch. crim.), 9 janvier 2018 – M. Z-A. civil pour obtenir réparation du préjudice subi. Une élue municipale avait tenu lors d’un conseil municipal les Sur les atteintes invoquées à la présomption d’innocence, le tri- propos suivants à l’encontre d’un membre de l’opposition : bunal note que la partie de l’assignation indiquant que l’un des « Voter comme un seul homme pour un candidat qui est un salafiste demandeurs est accusé d’être « coupable d’une infraction pénale » reconnu et en plus qui a eu des comportements tout à fait répré- se rapporte à une atteinte à la présomption d’innocence et que hensibles au cours de la dernière mandature ». Celle-ci s’était les abus de la liberté d’expression portant atteinte à la présomp- exprimée dans la presse le lendemain, en ces termes : « Je me tion d’innocence, comme c’est le cas en l’espèce, ne peuvent être suis adressée aux conseillers de droite et d’extrême droite en disant réparés que sur le fondement de l’article 9-1 du Code civil. Or, que ce monsieur était un salafiste, qui n’accepte pas la laïcité et les conformément aux dispositions de l’article 65-1 de la loi du 29 juil- principes démocratiques ». L’homme visé par ces propos avait let 1881, une telle action est soumise à la prescription de trois porté plainte et s’était constitué partie civile. Le juge d’instruc- mois à compter du jour de l’acte de publicité. L’assignation, en tion avait rendu une ordonnance refusant d’informer au motif l’occurrence, ayant été délivrée plus de trois mois après la mise que les faits étaient prescrits. en ligne des propos, l’action est déclarée prescrite. La chambre de l’instruction avait confirmé la décision. Pour Le tribunal se prononce ensuite sur les autres fautes alléguées considérer que ladite plainte était irrégulière au regard de l’ar- par les demandeurs. Ces derniers reprochaient à la fédération ticle 50 de la loi du 29 juillet 1881, l’arrêt avait énoncé que la d’avoir violé son obligation de confidentialité imposée par les partie civile exposait, dans sa plainte, que les propos litigieux dispositions du Code du sport. Pour les juges, cette partie de constituaient l’infraction de diffamation prévue par l’article 29 l’assignation vise à réparer un préjudice de réputation qui se de la loi du 29 juillet 1881 et précisait, sur la qualification des répare sur le fondement unique de la loi sur la presse. allégations, qu’en visant précisément l’origine et la pratique Les demandeurs reprochaient encore à la fédération d’avoir religieuse de la partie civile, la prévenue avait proféré des allé- violé leur droit à la vie privée et le secret des correspondances gations qui relevaient de l’article 24 alinéa 5 et/ou de l’article en publiant des relevés détaillés de facturation téléphonique 32 de la loi sur la liberté de la presse. Les juges avaient retenu d’un des requérants et des conversations MSN falsifiées. Pour que, ce faisant, la plainte qualifiait ces faits à la fois de diffama- le tribunal, les faits reprochés ne se limitent pas à faire état tion et de provocation à la discrimination en raison de l’origine, d’atteintes à la vie privée mais sont susceptibles de causer un délits prévus et réprimés par des dispositions distinctes de ladite préjudice d’honneur et de réputation, le requérant étant pré- loi. Ils avaient ajouté que la seule qualification de diffamation senté comme ayant commis un délit pénal. Une telle allégation articulée par la plainte ne pouvait satisfaire aux exigences de se répare donc sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881. De l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors que le texte répres- même, la reproduction de la photographie d’un des membres sif visé était l’article 32 de la loi précitée, sans précision d’alinéa, pour illustrer des propos accusant celui-ci d’avoir participé à alors qu’il déterminait des pénalités distinctes selon que la une « tricherie organisée » porte atteinte à l’image de l’équipe diffamation était commise envers un particulier ou envers une nationale olympique. personne à raison de son origine ; ils en avaient déduit que la En conclusion, le tribunal retient que les requérants, par leurs plainte, irrégulière, n’avait pas interrompu pas la prescription. demandes, cherchent en réalité la réparation d’un préjudice de La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la partie civile. réputation lié à une atteinte à l’honneur ou à la considération Elle note qu’en se déterminant ainsi, et dès lors que d’une part, mettant en cause leur probité, soit une diffamation au sens de la plainte comprenait l’indication cumulative des qualifications la loi de 1881. Les règles procédurales de la loi sur la presse de diffamation et de provocation à la discrimination raciale, doivent donc être appliquées. La prescription de trois mois était d’autre part, visait l’article 32 de la loi sur la liberté de la presse acquise à la date de leurs demandes, l’article querellé ayant été sans préciser l’alinéa applicable alors que la partie civile visait publié en janvier 2011 et l’assignation délivrée en janvier 2016. l’article 48, et la nécessité d’une plainte de la personne diffamée Par conséquent, les requérants sont déboutés de leurs demandes. dans le cas de diffamation envers un particulier tout en faisant état de son origine maghrébine et de sa pratique de la religion 357-22 Nullité d’une assignation visant à obtenir en musulmane, de sorte qu’une telle plainte laissait incertaine la référé le retrait d’un ouvrage dénonçant le « lobby base de la poursuite, la chambre de l’instruction a justifié sa du sucre », présentant une confusion sur les faits décision. incriminés TGI de Paris (ord. réf.), 6 octobre 2017 – Centre d’études 357-21 Requalification d’une action fondée à tort et de documentation du sucre et a. c/ Éditions Tallandier et a. sur les articles 9 et 1382 du Code civil, alors qu’elle Le Centre d’études et de documentation du sucre avait assigné vise à réparer des atteintes à l’honneur et à la devant le juge des référés l’éditeur et l’auteur d’un livre venant réputation de paraître intitulé Le sucre. Enquête sur l’autre poudre. Ils faisaient TGI de Paris (17e civ.), 22 novembre 2017 – M. Y et a. c/ Fédération valoir que certains passages de l’ouvrage, dénonçant le « lobby française d’échecs et a. du sucre », imputant au centre de chercher à « influencer les La fédération française d’échecs avait publié sur son site internet professionnels, médecins, diabétologues, chercheurs », et accusant un article annonçant qu’elle avait engagé une action disciplinaire le sucre de rendre plus accro que la cocaïne, d’être diffamatoires, contre des membres de l’équipe de France pour triche dans le injurieux, ou dénigrants. Ils demandaient au juge d’ordonner le

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LP357-FEVRIER-2018.indd 70 22/02/2018 17:54 Les décisions in extenso sur legipresse.com

retrait immédiat de l’ouvrage et de faire interdiction de toute RACISME diff usion ou commercialisation. Les défendeurs opposaient la nullité de la citation qui, selon eux, ne respectait pas les dispo- 357-24 Publication d’un dessin représentant une sitions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881. ancienne garde des Sceaux sous les traits d’un Le juge commence par rappeler que les formalités prescrites singe : le délit de provocation à la haine raciale par l’article 53, applicables à l’action introduite devant la juri- n’est pas caractérisé diction civile dès lors qu’aucun texte législatif n’en écarte Cour de cassation (ch. crim.), 9 janvier 2018 - M. André Z. l’application, sont substantielles aux droits de la défense et Un candidat aux élections départementales de 2015 avait été d’ordre public. poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef de provocation Pour le juge, il ressort que les faits incriminés en l’espèce sont à la haine raciale pour avoir mis en ligne, en illustration d’un impossibles à déterminer, au sens de l’article 53, s’agissant des texte intitulé « parodie de justice », un dessin représentant un propos poursuivis au titre de la diff amation et de l’injure. De singe sous les traits de l’ancienne ministre de la Justice Christiane plus, en application de l’article 56 du Code de procédure civile, Taubira. Les premiers juges l’avaient déclaré coupable des faits l’objet de la demande et les moyens de droit sont indéterminés, reprochés. Le prévenu ainsi que le ministère public avaient fait les défendeurs ne pouvant comprendre, à la lecture de l’assi- appel. gnation, si les interviews du directeur scientifi que du centre Pour confi rmer le jugement, la cour d’appel avait retenu que le d’études sont visées, quels passages le cas échéant sont mis en prévenu avait voulu porter atteinte à la considération de Madame cause, et quel est le fondement juridique justifi ant la réparation Taubira en lui imputant, en sa qualité de garde des Sceaux, la du préjudice né de ces entretiens donnés dans la presse. Une responsabilité du prononcé d’une condamnation dispropor- telle indétermination met les défendeurs dans l’incapacité de tionnée contre une militante du Front National qui avait diff usé présenter les moyens de défense propres à chaque fondement un dessin qui la comparait également à un singe. Celui-ci s’était juridique – diff amation, injure ou dénigrement. Dans ces condi- servi, pour appuyer son propos, d’un support déjà publié dans tions, l’assignation est déclarée en nulle. un autre contexte par le journal Charlie Hebdo, support dont il a reconnu lui-même le caractère raciste. La cour d’appel avait PROVOCATION noté qu’il avait ainsi créé pour ses lecteurs un amalgame immé- diat et direct entre une représentation dégradante provoquant 357-23 La Cour de cassation annule l’arrêt à la haine raciale et la personne du garde des Sceaux, à qui il condamnant Éric Zemmour pour ses propos imputait une injustice judiciaire. Le prévenu s’était pourvu en tenus au journal italien Il Corriere della Serra cassation. Cour de cassation (ch. crim.), 23 janvier 2018 – MRAP et a. La Cour de cassation rappelle que selon l’article 24 alinéa 7 de c/ E. Zemmour la loi du 29 juillet 1881, le délit de provocation n’est caractérisé Le procureur de la République avait fait citer devant le tribunal que si les juges constatent que, tant par leur sens que par leur correctionnel, du chef de l’article 24 alinéa 7 de la loi de 1881, portée, les propos incriminés tendent à inciter le public à la le journaliste et essayiste Éric Zemmour en raison de propos discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne tenus au cours d’une interview en français, traduite en italien, ou un groupe de personnes déterminées. Elle reproche à la cour accordée au quotidien italien Corriere della Serra, publié sur le d’appel d’avoir retenu la culpabilité du prévenu alors que le territoire national et diff usé sur internet. Les propos litigieux, dessin poursuivi, s’il était susceptible de caractériser une injure accordés au journaliste italien, après leur traduction en français, raciale, ne contenait, ni en lui-même ni analysé au regard des étaient les suivants : « Les musulmans ont leur Code civil, c’est le éléments extrinsèques relevés par les juges, d’appel ou d’exhor- Coran. Ils vivent entre eux, dans les périphéries. Les Français ont tation, même sous une forme implicite, à la discrimination, la été obligés de s’en aller… », « Cette situation d’un peuple dans le haine ou la violence. La Cour casse et annule l’arrêt d’appel et peuple, les musulmans dans le peuple français, nous conduira au dit n’y avoir lieu à renvoi. chaos et à la guerre civile ». Les juges du premier degré avaient déclaré le prévenu coupable des faits reprochés en qualité RESPONSABILITÉ d’auteur du délit. La cour d’appel avait confi rmé le jugement. Le prévenu s’était pourvu en cassation. 357-25Le magazine Challenge condamné en référé La Cour de cassation casse l’arrêt au visa de l’article 593 du Code pour avoir divulgué le placement sous « mandat ad de procédure pénale. Elle reproche à la cour d’appel d’avoir hoc » d’une société en diffi culté statué sans mieux caractériser la participation personnelle de Tribunal de commerce de Paris (ord. réf.), 22 janvier 2018, M. Zemmour, qui la contestait dans ses conclusions, au fait de SA C. c/ Éditions Croque Futur publication sur le territoire national du quotidien étranger et (Un appel a été formé) de sa mise en ligne sur le site de ce quotidien. Pour la Haute Une société française de la distribution a assigné en référé la juridiction, il appartenait aux juges d’appel de rechercher, dans société éditrice du magazine Challenge, à la suite de la parution les termes du droit commun, en ayant le pouvoir d’apprécier le d’un article informant les lecteurs et les internautes que ladite mode de participation du prévenu aux faits poursuivis, s’il avait société « serait placée sous mandat ad hoc », dispositif visant à contribué ou s’il savait que les propos litigieux donnés au quo- accompagner les entreprises dans la résolution des diffi cultés tidien italien, étaient aussi destinés à être publiés en France et économiques auxquelles elles font face. Pour la société deman- diff usés sur le site du journal, accessible par le réseau internet. deresse, cette information relève d’une restriction de la liberté LP Cet arrêt sera commenté dans un prochain numéro d’information prévue par la loi selon l’article L. 611-15 du code

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du commerce qui édicte que « toute personne qui est appelée à à durée déterminée, le contrat conclu avec un pigiste est, en la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses principe, un contrat à durée indéterminée, forme normal du fonctions, en a connaissance est tenue à la confidentialité ». L’en- contrat de travail. Elle note que la cour d’appel, qui n’était pas treprise éditrice se prévalait de son droit à l’information du tenue de s’expliquer sur les éléments qu’elle écartait, a relevé qu’il public, et arguait que l’information litigieuse constitue une infor- ressortait des autres pièces produites que les salariés étaient titu- mation du public sur un sujet d’intérêt général. laires dès l’origine d’un contrat de travail à durée indéterminée. Le tribunal relève que la violation de l’information litigieuse a Elle retient ensuite que, sauf la faculté pour l’intéressé de solli- été opérée par une partie directement visée à l’article L. 611-15 citer la requalification de la relation de travail en collaboration du code du commerce mais qu’il convient de s’interroger si cette permanente dès lors qu’il est tenu de consacrer une partie déter- information pouvait connaître une plus large diffusion auprès minée de son temps à l’entreprise de presse à laquelle il collabore, du public par l’intermédiaire de la défenderesse sans violer la les dispositions de l‘article L. 3123-14 du Code du travail, dans loi. Il rappelle que la chambre commerciale de la Cour de cas- leur rédaction applicable au litige, qui prévoient qu’en l’absence sation, dans une affaire similaire, a énoncé que la diffusion d’écrit mentionnant la durée hebdomadaire de travail, le contrat d’informations relatives à une procédure de prévention des est présumé être à temps complet, ne trouvent pas à s’appliquer difficultés des entreprises, couverte par la confidentialité, sans au contrat de travail du journaliste rémunéré à la pige. qu’il soit établi qu’elles contribuent à l’information légitime du public sur un débat d’intérêt général, constitue à elle seule un VIE PRIVÉE trouble manifestement illicite. Il est jugé que la défenderesse n’établit par aucune pièce, ni 357-27 Le droit à l’information du public ne peut argument pertinent, que l’information litigieuse contribuait à prévaloir sur le respect de la vie privée d’un la nécessaire information du public sur une question d’intérêt homme politique dont est révélée l’homosexualité général, étant rappelé que le magazine Challenge s’adresse à Cour d’appel de Paris (pôle 2 – ch. 7.), 31 mai 2017 – Steeve B. c/ M. X. un public averti du monde des affaires et de l’économie, ce qui L’auteur d’un livre intitulé « Le Front national des villes et le Front est démontré par l’absence de diffusion de cette information national des champs », dans lequel était révélée l’homosexua- dans la presse télévisuelle, radiophonique et écrite qui s’adressent lité d’un membre du parti politique avait été assigné par ce elles au plus large des publics. En conséquence, l’information dernier, qui lui reprochait d’avoir porté atteinte au respect de litigieuse est bien légitimement couverte par la confidentialité sa vie privée. et ne pouvait être divulguée à la connaissance de tiers par la Le tribunal de grande instance avait, à titre liminaire, rappelé défenderesse, fussent-ils non dénommés expressément à l’article que, saisi par le demandeur, le juge des référés avait ordonné L. 611-15 du Code de commerce, sans porter atteinte aux droits la suppression des passages jugés attentatoires à la vie privée des demanderesses. du demandeur, mais que cette ordonnance avait partiellement Le juge des référés ordonne le retrait de l’article incriminé du été infirmée par un arrêt d’appel, devenu définitif après un arrêt site internet du magazine, sous astreinte de 10 000 euros par de la Cour de cassation du 9 avril 2015. jour de retard, et lui interdit de publier quelque article que ce Il avait ensuite relevé qu’en l’espèce, le droit à la vie privée du soit relatif à la procédure de prévention révélée par le journal, requérant devait céder devant les nécessités de la liberté d’infor- sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée. mation, dès lors que l’évocation incriminée figurait dans un ouvrage portant sur un sujet d’intérêt général et que le demandeur, qu’elle STATUT PROFESSIONNEL concernait le secrétaire général du Front national, et se rapportait à l’évolution du parti politique ayant montré des signes d’ouver- 357-26 Les dispositions de l’article L. 3123-14 ture à l’égard des homosexuels à l’occasion de l’adoption de la loi du Code du travail ne s’appliquent pas au contrat relative au mariage pour tous. Le tribunal avait donc débouté le de travail du journaliste pigiste requérant de ses demandes. Celui-ci avait fait appel. Cour de cassation (ch. soc.), 18 janvier 2018 – Syndicat CGT et La cour d’appel rappelle tout d’abord que la sexualité et les orien- a. c/ Sté L’Équipe tations sexuelles font partie de la sphère la plus intime de la vie Six journalistes pigistes travaillant pour un quotidien sportif, privée qui doit être protégée par l’article 9 du Code civil. Elle relève ainsi qu’un syndicat de journalistes avaient saisi la juridiction que l’intéressé ne s’est jamais exprimé publiquement sur un sujet prud’homale pour demander la requalification de la relation lié à une appartenance sexuelle quelconque et que le seul article de travail en contrat de travail à durée indéterminée à temps de presse qu’il produit paraît plutôt démontre qu’il n’était nullement plein, et la condamnation de la société d’édition à leur payer en faveur du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même diverses sommes. sexe. Celle-ci note qu’il était légitime, comme relevant du débat La cour d’appel avait retenu que leur contrat de travail était un d’intérêt général, de s’interroger sur l’évolution du Front National, contrat à durée indéterminée depuis l’origine, à temps partiel s’agissant notamment de son positionnement dans le débat rela- rémunéré à la pige, et en conséquence les avait déboutés de tif au mariage pour tous et plus généralement de la lutte contre leurs demandeurs tendant au paiement d’une indemnité de l’homophobie. Toutefois l’auteur ne pouvait, pour illustrer sa requalification, d’un rappel de salaire et de congés payés. Les démonstration, choisir de révéler l’orientation sexuelle de l’inté- journalistes s’étaient pourvus en cassation. ressé en partant du principe qu’il a participé, du fait de son appar- Pour rejeter le pourvoi, la Haute juridiction retient qu’en l’absence tenance à la communauté homosexuelle, à l’orientation du parti de contrat écrit conclu dans l’un des cas énumérés par l’article s’agissant, notamment, du projet de loi sur le mariage pour tous. L. 1242-2 du Code du travail où il peut être recouru à un contrat Le jugement est donc infirmé.

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OUVRAGES les débats actuels et en tâchant, au passage, de suggérer des solutions AGENDA ■n Les lanceurs d’alerte d’équilibre. Il est à jour, dans sa Mars Quelle protection juridique ? 5e édition, de tous les développements 16 mars 2018, Paris Quelles limites ? législatifs et jurisprudentiels jusqu’au 1er L’infl uence de la jurisprudence Mathieu Disant, Delphine Pollet- octobre 2017. de la Cour de justice de l’Union Panoussis LexisNexis, 1756 pages, 128,99 euros européenne sur le droit français Les lanceurs de la propriété intellectuelle d’alerte occupent ■n La réécriture de la loi Cour de cassation, AFDIT, UPEC. depuis quelques sur la presse du 29 juillet 1881 : Inscription préalable obligatoire sur le temps une place une nécessité ? site de la Cour centrale dans Sous la direction de Nathalie Droin l’actualité et et Walter Jean-Baptiste Avril suscitent un intérêt La loi sur la presse 6 avril 2018, Neuilly-sur-Seine grandissant auprès du 29 juillet 1881 Bon anniversaire à la loi de 1957 du grand public est l’une des SACEM – Université Paris Sud – et de la commu- premières et AFPIDA - RIDA nauté scientifi que. Cet ouvrage collectif principales œuvres [email protected] revient sur l’édifi cation récente libérales de la IIIe Inscription préalable obligatoire : du statut du lanceur d’alerte et de République. Elle www.courdecassation.fr son régime juridique, afi n de dessiner était voulue à son les pistes d’évolution dans les diff érents origine comme un devrait accepter de reprendre cette domaines concernés et de tirer véritable Code de la vieille loi, très souvent amendée, de les enseignements des expériences presse. Cependant, au fi l du temps, les façon intégrale et non pas par à-coups étrangères notables en matière de infractions susceptibles d’être com- comme il semble aimer le faire, ainsi whistleblowing. Sont ainsi étudiés mises par voie de presse se sont qu’en témoigne l’adoption récente de la successivement : les perspectives, le multipliées en dehors du corpus de la loi Égalité et citoyenneté. Le colloque, cadre juridique européen, les situations loi. En dépit de cet éclatement du droit dont les actes sont ici publiés, a juridiques nationales (l’acteur, les de la presse, la loi de 1881 est encore entendu tout d’abord s’intéresser à ce champs et techniques, l’interaction aujourd’hui le texte emblématique qui légitime ou non le maintien de ce des alertes), regards comparés, regards encadrant la liberté d’expression en texte dans l’ordonnancement juridique. institutionnels. L’ouvrage est à jour de France. Toujours en vigueur, elle a fait Il a ensuite envisagé les diff érents délits la loi Sapin II du 9 décembre 2016 l’objet de multiples modifi cations qui de presse contenus dans la loi et leur créant le statut du lanceur d’alerte. ont compromis, davantage encore, éventuelle réécriture, en des termes à la L.G.D.J., 434 pages, 39 euros l’unité du droit des abus de la liberté fois généraux et précis. Enfi n, il a été d’expression mais aussi et surtout sa question de la nécessité de clarifi er ■n Traité de la propriété lisibilité. C’est pourquoi il est apparu certaines règles de procédure, voire littéraire et artistique opportun de réfl échir à une réécriture d’amoindrir le formalisme parfois Carine Bernault, André Lucas, de la loi sur la presse qui semble excessif en la matière, en adaptant, le Agnès Lucas-Schloetter constituer, malgré toutes les critiques cas échéant, les diff érentes règles à la La propriété dont elle fait l’objet, l’un des meilleurs spécifi cité des supports. littéraire et outils pour poursuivre les abus de la L.G.D.J, Grands colloques, artistique sollicite liberté d’expression. Le législateur 180 pages, 42 euros de plus en plus l’attention du législateur et de la jurisprudence, DANS LES AUTRES REVUES y compris celle, ■n O. Grechowicz, « Le type de fi liation en tant qu’élément de vie privée et familiale », Petites abondante, de la Affi ches, 12 janvier 2018, p. 8. Cour de justice de ■n H. Surrel, « Liberté d’expression des fonctionnaires et obligation de réserve », note sous l’Union européenne. Elle donne lieu à CEDH, 9 janv. 2018, JCP G. 2018.83. des controverses passionnées, comme ■n J-L. Sauron et S. Hamon, « Le projet de loi sur la protection des données mérite-t-il bien on le voit aujourd’hui à propos des son nom ? », Gazette du Palais, 23 janvier 2018, p. 15. réactions qu’ont suscitées les proposi- ■n A.Gogorza et B. de Lamy, « La seconde mort constitutionnelle du délit de consultation tions publiées par la Commission habituelle de sites terroristes », JCP G 2018. 109. européenne en septembre 2016. ■n D. Mazeaud, « Pour qu’ils ne se taisent pas ! », Edito, JCP G 2018. 166. Le présent traité veut l’analyser de ■n Y. Menecoeur, « Quel avenir pour la « justice prédictive » ?, Enjeux et limites des algo- manière exhaustive, y compris dans rithmes d’anticipation des décisions de justice », Semaine juridique, 12 février 2018, p. 316. l’ordre international, en éclairant ■n E. Dreyer, “Droit de la presse”, Panorama, Dalloz, 2018. 208

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LP357-FEVRIER-2018.indd 73 22/02/2018 17:54 Chroniques & opinions Le CSA en fait-il trop… ou pas assez ?

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) n’a jamais fait autant parler de lui : traitement des attentats par les radios et les télévisions, multiples affaires liées à l’émission de Cyril Hanouna Touche pas à mon poste, nomination et révocation des dirigeants des chaînes de télévision et radios publiques, régulation des vidéos sur internet et notamment de YouTube, passage en gratuit des chaînes de télévision de la TNT payante… Au vu des multiples décisions prises par le CSA, et des demandes d’élargissement de compétence formulées, on peut se demander si celui-ci en fait trop, ou au contraire pas suffisamment ? Alors que le président de la République a annoncé le dépôt d’un projet de loi sur l’audiovisuel public en 2018, quelle place doit être donnée au CSA ?

l ne se passe pas un mois sans que le CSA soit Afin de répondre à ces questions nous verrons que sur le devant de la scène et que son action soit le CSA dispose déjà de nombreuses compétences soumise à l’opinion publique. Certains saluent (I), qu’il est malgré cela question de lui en attribuer Ile déterminisme de cet organisme alors que de nouvelles (II), ce qui n’est pas sans évoquer des d’autres pestent contre son absence d’autorité. problématiques démocratiques (III). D’aucuns voient dans le CSA un gendarme de l’audiovisuel beaucoup trop timoré alors que I – Un organisme aux d’autres le qualifient volontiers de régulateur trop compétences importantes autoritaire : difficile de s’y retrouver et de savoir quoi en penser. Marc Le Roy Il serait laborieux d’énumérer en intégralité les Docteur en droit compétences du CSA5. Pour illustrer au mieux notre Le CSA essaie de prendre des décisions dans le Chargé de cours à propos nous nous arrêterons sur les compétences cadre des compétences que lui donne la loi mais l’Université de Tours les plus emblématiques et les plus discutées dont il fait également publiquement mention d’un dispose l’autorité publique indépendante. désir de voir ses compétences élargies. Il va même parfois jusqu’à étendre lui-même celles-ci par l’intermédiaire de ses décisions. Contrôle des obligations, et pouvoir de sanction - Le CSA Le législateur n’a pourtant pas pour habitude de le laisser de dispose, rappelons-le, de compétences visant à contrôler le côté et lui confie régulièrement des compétences nouvelles1. respect par les chaînes de télévision et les stations de radio de Les plus hautes sphères du pouvoir s’emparent également du différentes obligations légales, réglementaires et contractuelles. sujet. Le président de la République, jusqu’ici absent des débats, Ces obligations imposent des limites liées à la déontologie, à la a proposé récemment d’élargir les compétences du CSA aux protection de la dignité humaine ou à l’interdiction des discri- vidéos en ligne, aux jeux vidéo2 et au contrôle de la véracité de minations. Le Conseil dispose, en vertu de la loi du 30 septembre l’information3. Quelques jours plus tard on prête à ce même 1986, de pouvoirs visant à faire respecter ses objectifs. Ces président d’avoir affirmé que l’autorité publique indépendante pouvoirs peuvent aller jusqu’à des sanctions6. C’est dans ce cadre était fondée sur un modèle caduc nécessitant une réadaptation4... que plusieurs chaînes de télévision et stations de radio ont été mises en garde et en demeure lors du traitement des attentats Au vu des multiples décisions prises par le CSA, des évolutions de Charlie Hebdo et de l’Hyper cacher7. textuelles et des demandes d’élargissement de compétence régulièrement formulées, on est en droit de se demander si le Le CSA est allé jusqu’à prononcer, récemment, de véritables CSA en fait trop ou si ce dernier ne cherche qu’à remplir sa sanctions (les mises en garde et en demeure n’en sont pas). Il a mission, à savoir la régulation de l’audiovisuel, le plus efficace- prononcé une sanction pécuniaire d’un million d’euros contre ment possible. À force d’élargir ses compétences, le CSA ne la station de radio NRJ, après la diffusion dans l’émissionC’ Cauet risque-t-il pas de devenir un organisme tentaculaire ? Sa com- d’un canular téléphonique durant lequel les auteurs ont for- position et son absence de responsabilité devant les citoyens mulé des commentaires jugés « avilissants » relatifs au physique ne posent-elles pas un problème démocratique ? d’une femme, victime dudit canular, ainsi que des insultes et des propos dégradants concernant sa vie intime8.

1. Le président du CSA donne le chiffre de 17 lois ayant concerné le CSA sous la précédente législature. V. Discours d’Olivier Schrameck aux vœux du CSA, 23 janvier 2018. 5. Pour ce type d’étude, v. Emmanuel Derieux, Droits des médias, 7e 2. V. Le Monde, « Violences faites aux femmes : Emmanuel Macron édition, LGDJ, 2015, p. 173 et s. souhaite un meilleur contrôle des jeux vidéo, des réseaux sociaux et de la 6. V. E. Derieux, Droits des médias, préc. p. 178 ; v. aussi G. Weigel, pornographie », 25 novembre 2017. « La nouvelle procédure de sanction devant le CSA », Légipresse n° 314, 3. V. Le Monde, « Emmanuel Macron veut une loi contre les fausses mars 2014, p. 177. informations en période électorale », 3 janvier 2018. 7. V. M. Le Roy, « Un acte d’autorité du CSA nécessaire mais dérisoire », 4. V. Le Monde économie, « Emmanuel Macron tire à boulets rouges sur InaGlobal.fr, mars 2015. l’audiovisuel public », 6 décembre 2017. 8. V. Décision du CSA, Ass. Plén., du 20 décembre 2017.

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LP357-FEVRIER-2018.indd 74 22/02/2018 17:54 Le CSA a également prononcé à l’encontre de la chaîne C8, qu’en l’espèce, Mathieu Gallet n’avait plus la « sérénité » et la pour des dérapages ayant eu lieu dans l’émission Touche pas « disponibilité » nécessaires pour assurer au mieux la mission à mon poste (TPMP) animée par Cyril Hanouna, une sanction de service public de Radio France16. pécuniaire de trois millions d’euros pour une séquence à carac- tère homophobe - l’animateur ayant eu recours à de nombreux Avant cette réforme de 2013, les présidents des sociétés natio- clichés, et attitudes stéréotypées sur les personnes homo- nales de programme étaient nommés par le président de la sexuelles - ainsi qu’une suspension de publicité pour deux République, après avis conforme du CSA et avis de la commission autres incidents d’antenne9. des affaires culturelles de chaque assemblée parlementaire. La loi du 15 novembre 2013 a donc pour mérite apparent de retirer Les commentaires émis à l’occasion de l’exercice de ce pouvoir à l’exécutif la nomination de la présidence de trois grands médias de contrôle sont clairement opposés : d’un côté le CSA est ac- publics afin de leur garantir une plus grande indépendance cusé d’agir de façon trop timorée et de ne pas sanctionner assez vis-à-vis du pouvoir politique. Certains considèrent néanmoins vite et assez lourdement alors que de l’autre cer- que cette séparation n’est qu’illusoire17 et que le tains l’accusent d’avoir la main trop lourde et de D’un côté, le CSA CSA (dont les membres sont nommés par les pou- s’acharner contre certaines chaînes. L’actualité, et est accusé d’agir de façon voirs publics) ne fait que suivre les souhaits de notamment les sanctions prononcées à l’encontre trop timorée, alors que de nomination de l’exécutif. Notons que le nouveau de C8 pour l’émission TPMP, semble balayer l’hypo- l’autre certains l’accusent président de la République Emmanuel Macron thèse d’un CSA trop timoré. Difficile aussi d’affirmer d’avoir la main trop lourde veut faire évoluer les textes sur la question. Pour que le CSA aurait la main trop lourde dans la et de s’acharner contre plus d’indépendance, il serait peut-être souhaitable mesure où Cyril Hanouna et sa bande ont récidivé certaines chaînes. que les trois présidents en question soient tout de nombreuses fois y compris après des mises en simplement nommés par les conseils d’adminis- garde et en demeure. Face à ce constat, le CSA se devait d’agir tration de ces entreprises publiques. Rappelons néanmoins et de taper du poing sur la table. Que n’aurait-on pas dit si le qu’une partie des membres de ces conseils d’administration est CSA n’avait réagi que mollement ? Il est toujours possible nommée… par le CSA18. d’émettre des critiques sur les décisions de sanctions, certaines sont d’ailleurs très bien pensées10, pour autant la réaction du Analyse économique – Il est intéressant de noter que le CSA CSA semble logique et légalement justifiée. Notons que la juri- dispose également depuis 2013 de compétences visant à appré- diction administrative a été saisie par la chaîne C8 pour contes- cier l’opportunité économique du passage d’une chaîne de la ter ces sanctions, nous aurons donc l’occasion de voir si ces TNT payante à la TNT gratuite. À cette occasion, le CSA s’est vu décisions du CSA respectent les textes en vigueur. attribuer une compétence nouvelle : l’analyse économique. Il lui appartient dans ce cas de figure de procéder à une étude Pouvoir de nomination – Le CSA a retrouvé le 15 novembre d’impact, notamment économique, et à une évaluation de 201311, avec l’adoption de la loi relative à l’indépendance de l’équilibre des marchés publicitaires19 afin de motiver sa décision. l’audiovisuel public, des pouvoirs de nomination importants C’est cette procédure qui a été mise en place lors de l’examen dont il ne disposait plus depuis 2009. L’institution nomme des demandes de passage à la TNT gratuite de LCI, Planète + et notamment aujourd’hui les présidents de France Télévisions, Paris Première. Rappelons que les décisions originelles du CSA20 Radio France et France médias Monde12. Le président de l’INA refusant le passage de LCI et Paris première sur la TNT gratuite est pour sa part toujours nommé par décret du Président de la ont été annulées par le Conseil d’État le 17 juin 201521. Le CSA République. Au-delà de ces pouvoirs de nomination, le CSA a par la suite autorisé le passage en gratuit de LCI22 en se fondant peut également retirer le mandat de ceux qu’il a préalablement justement sur une analyse économique différente de celle réa- nommés. L’article 47-5 de la loi du 30 septembre 198613 qui lisée lors de sa première décision. L’autorité a par contre de organise cette compétence vient d’ailleurs d’être appliqué pour nouveau refusé le passage au gratuit de Paris Première23 et de la première fois14 pour retirer le mandat du président de Radio Planète +24. France Mathieu Gallet après sa condamnation par une juridic- tion pénale15 concernant une affaire de marchés publics datant

de l’époque où ce dernier était président de l’INA. Le CSA a jugé 16. V. décision du CSA préc. 17. V. par exemple les critiques émises par l’ACRIMED : http://www. acrimed.org/Renoncements-et-bricolages-une-proposition-de-loi. 18. V. art. 47-1, 47-2 et 47-3 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 9. V. E. Derieux, « Pouvoir de sanction du CSA. Touche pas à mon poste relative à la liberté de communication. n° 3 », RLDI, août 2017, p. 28. 19. V. art 42-3 de la loi du 30 septembre 1986, préc. 10. V. décision du CSA, 26 juillet 2017 ; D. Elkrief, « Quels pouvoirs pour le 20. CSA, décisions n° 2014 – 357, 2014 – 358 et 2014 – 359 du 29 juillet gendarme de l’audiovisuel ? » Le Nouvel Economiste, 27 juin 2017. 2014, publiées sur le site internet du CSA. 11. Loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013 relative à l’indépendance de 21. CE 17 juin 2015, LCI et Paris Première (deux décisions), n° 384826 & l’audiovisuel public, JORF 16 novembre 2013, p. 18622 ; v. S. Regourd, 385474. « La loi du 15 novembre 2013 sur l’indépendance de l’audiovisuel public : 22. CSA, décision n°2015-526 du 17 décembre 2015 relative à la demande première étape de la réforme attendue », Légipresse n° 311, décembre d’agrément de modification des modalités de financement du service de 2011, p. 691. télévision hertzienne terrestre La Chaîne info (LCI). 12. V. art 47-4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de 23. CSA, décision n° 2015-527 du 17 décembre 2015 relative à la demande communication. d’agrément de modification des modalités de financement du service de 13. Préc. télévision hertzienne terrestre Paris Première. 14. V. décision n° 2018-13 du 31 janvier 2018 mettant fin aux fonctions du 24. CSA, décision n° 2015-528 du 17 décembre 2015 relative à la demande président de Radio France. d’agrément de modification des modalités de financement du service de 15. Tribunal correctionnel de Créteil, 15 janvier 2018. télévision hertzienne terrestre Planète+.

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Au-delà de cette compétence décisionnelle, le CSA dispose Régulation de l’audiovisuel en ligne – Cela fait longtemps que également d’une compétence consultative : l’Autorité de la le CSA souhaite étendre ses compétences aux vidéos en ligne. concurrence peut le saisir pour avis en matière de concentration Dès janvier 2013, l’autorité publique indépendante estimait dans et de pratiques anticoncurrentielles dans le domaine de la radio, un de ses rapports29 qu’il était souhaitable de mettre en œuvre télévision ou service de médias à la demande25. une « corégulation » des contenus de vidéo en ligne. L’analyse économique n’est donc pas complètement Cela fait longtemps Le rapport propose « d’étendre à l’ensemble des ser- étrangère au CSA. que le CSA souhaite vices de vidéo en ligne les compétences du Conseil étendre ses compétences prévues à l’article 15 de la loi du 30 septembre 1986 Protection de la jeunesse – La protection de la aux vidéos en ligne. s’agissant de la protection de l’enfance et de l’adoles- jeunesse est une des compétences premières du cence, du respect de la dignité de la personne et de la CSA. Ce dernier a déterminé une classification des programmes prohibition d’incitation à la haine ou à la violence pour des raisons par tranches d’âges (5 catégories) qui implique notamment la de race, de sexe, de mœurs, de religion ou de nationalité. Cette mise en place d’une signalétique particulière et des restrictions “corégulation” se fonderait sur l’autorégulation des acteurs : le CSA de diffusion à certains horaires26. Le non-respect de ces dispo- fixerait le cadre général, mettrait en place un système de labellisation sitions entraîne une réaction du CSA qui peut aller jusqu’à la des sites et n’interviendrait qu’en cas d’échec de l’autorégulation ». sanction. Faute d’évolution de la loi, le CSA a fini par intervenir lui-même par une décision rendue le 13 décembre 201630 qui adresse une Afin d’illustrer les pouvoirs importants du CSA en la matière, on mise en garde à la Société Studio Bagel pour apologie de l’alcool peut citer l’exemple des surclassifications des œuvres cinéma- dans une vidéo du programme Les recettes pompettes diffusé sur tographiques qu’engendre le dispositif mis en place par le Conseil. YouTube. Cette décision ne vise pas directement YouTube mais Les chaînes doivent en effet suivre les classifications (visas cible les opérateurs qui fournissent cette plateforme en vidéos. d’exploitation) obtenues par les films diffusés en salle de cinéma. Le CSA a considéré que Studio Bagel en tant qu’éditeur d’une Ainsi, un film ayant obtenu une interdiction en salles aux moins chaîne YouTube était un « éditeur de service de médias audiovisuels de 16 ans devra être signalé comme tel lors de sa diffusion à la à la demande (SMAD) » et relevait donc ainsi de sa compétence31. télévision. Pour autant, il arrive au CSA d’indiquer aux chaînes Cette position, juridiquement fragile, n’a pour le moment pas qu’une classification supérieure aurait dû être mise en place été renouvelée par l’autorité publique. Dans la pratique, rien n’a pour tel ou tel film27. Pour éviter ce type de réaction et se pro- changé, les vidéos des recettes pompettes sont toujours sur téger, les chaînes peuvent avoir tendance à surclassifier certains YouTube. En définitive, le CSA reste pour le moment en position films par rapport aux visas d’exploitation obtenus en salles. d’attente en ne donnant aucune suite à sa décision du 13 dé- Ainsi, plusieurs films de Quentin Tarantino ont été concernés cembre 2016. Seule une évolution de la loi pourrait permettre lors de leur diffusion à la télévision : le film Les huit salopards a d’étendre de façon concrète et pérenne ses compétences en été déconseillé aux moins de 16 ans lors de sa diffusion sur matière de vidéo en ligne. En déclarant fin 2017 : « Nous devrons Canal + alors même que le film était interdit aux moins de 12 repenser le cadre de notre régulation, en particulier des contenus ans en salles. Pis, le film Django unchained a quant à lui été audiovisuels, en prenant en compte l’évolution du numérique afin diffusé par TF1 dans une version expurgée de ses scènes les plus d’étendre les pouvoirs et la régulation du CSA »32, le président de violentes afin d’éviter une surclassification28 (le film est interdit la République annonce que le souhait du CSA devrait bientôt aux moins de 12 ans en salles). Ces exemples démontrent à quel être réalisé, à travers une évolution législative lui permettant point l’influence du CSA est grande en matière de protection clairement de réguler les vidéos en ligne. Olivier Schrameck, son de la jeunesse. président, s’est logiquement félicité de cette proposition et a renouvelé son désir d’extension des pouvoirs du CSA à l’audio- Malgré l’existence de ses nombreuses compétences le CSA visuel en ligne lors des vœux 2018 de l’institution33. souhaite élargir son domaine d’intervention. Il n’est pas certain que cette évolution soit souhaitable : internet II – Les compétences souhaitées n’est pas la télévision et ne mérite pas le même type de régulation. Rappelons au surplus qu’internet n’est pas, comme on l’affirme Le CSA et notamment son président communiquent volontiers souvent, un espace de non droit. La responsabilité pénale (injure, sur les questions qui touchent à l’audiovisuel. À cette occasion diffamation, incitation à la haine, stigmatisation…) ou civile des il est étonnant de constater que l’institution réclame régulière- internautes est ainsi régulièrement engagée devant les tribunaux ment de nouvelles compétences aux pouvoirs publics. Voici les en raison de propos tenus en ligne34. De plus, les plateformes en principales aspirations de l’institution.

29. Contribution du Conseil supérieur de l’audiovisuel sur l’adaptation de la régulation audiovisuelle, 24 janvier 2013, publié sur le site internet du CSA. 30. V. Légipresse n° 344, décembre 2016. 25. V. art. 41-4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, préc. 31. V. P. Mouron, « Et donc une chaîne YouTube est soumise aux pouvoirs 26. V. Recommandation n° 2005-5 du 7 juin 2005 aux éditeurs de services de régulation du CSA », RLDI, février 2017, p. 8. de télévision concernant la signalétique jeunesse et la classification des 32. Le Monde, « Violences faites aux femmes : Emmanuel Macron programmes, JORF, 8 juillet 2005 texte n° 92. souhaite un meilleur contrôle des jeux vidéo, des réseaux sociaux et de la 27. V. par exemple au sujet du film Lucy, la décision du CSA du 16 octobre pornographie », préc. 2017. 33. V. Discours d’Olivier Schrameck aux vœux du CSA, 23 janvier 2018. 28. V. L. Telo, « Quand le petit écran taille dans les plans gênants », M le 34. V. J. Huet et E. Dreyer, Droit de la communication numérique, LGDJ, magasine du Monde, 11 décembre 2017. 2011.

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LP357-FEVRIER-2018.indd 76 22/02/2018 17:54 ligne ont leurs propres méthodes – certes perfectibles35 - de en 2016 à l’occasion du vote, par les députés, d’un amendement régulation contre, par exemple, la pornographie, le racisme ou à une proposition de loi sur les autorités administratives40. les atteintes aux règles de propriété intellectuelle. N’est-ce pas Emmanuel Macron ne s’est pas prononcé directement sur l’ave- déjà suffisant ? Le CSA doit-il réellement surenchérir en rajoutant nir de la Hadopi mais le gouvernement travaille actuellement une nouvelle couche de régulation ? La question reste ouverte. sur la mise en place d’amendes automatiques en cas de télé- chargement illicite. Nul ne sait pour le moment si la Hadopi sera Compétence en matière de droits d’auteur – Le groupe Canal + est impliquée dans ce nouveau processus, ni si ce dernier sera engagé depuis l’hiver 2016 dans un conflit l’opposant aux auteurs réellement mis en place. Dans l’attente, l’hypothèse d’une fusion d’œuvres audiovisuelles et leurs représentants (SACEM, SACD…) des deux organismes pourrait une nouvelle fois, sous l’impulsion qu’il refuse de continuer à rémunérer sur le fondement des du président du CSA, faire son retour. contrats en cours. Canal + demande une renégociation de ces contrats afin de rémunérer les auteurs sur de nouvelles bases III – Le déficit démocratique du CSA, de calcul36. Si l’affaire est dorénavant en partie réglée, il est inté- mythe ou réalité ? ressant de constater que la Société des auteurs-compositeurs dramatiques (SACD) a plusieurs fois réclamé une intervention Le CSA est, rappelons-le, une autorité publique indépendante41. du CSA sur cette crise liée à la rémunération des auteurs. Ces Son indépendance est notamment garantie par l’inamovibilité demandes ont trouvé un écho auprès d’Olivier Schrameck qui de ses membres qui, une fois nommés, ne peuvent être démis en a profité pour rappeler (le sujet avait déjà été évoqué en de leurs fonctions par quelque institution administrative que 201437) que le CSA voulait détenir plus de compétences en ce soit. Au surplus, une autorité publique indépendante n’est matière de droit d’auteur38. En l’état du droit positif, il n’est pas pas soumise aux pouvoirs de hiérarchie et de tutelle qui carac- évident que le CSA dispose des pouvoirs qui lui permettent térisent les administrations classiques. Les services d’une pré- d’imposer à une chaîne de rémunérer les auteurs en respectant fecture sont par exemple soumis au contrôle de leur hiérarchie les contrats en cours. Rien dans les textes ne (le gouvernement) qui peut leur demander d’agir prévoit explicitement de telles compétences. L’attribution des compé- dans un sens ou dans un autre. Les autorités Une réaction du CSA sur ce sujet serait juridi- tences de la Haute autorité publiques indépendantes ne sont par nature quement plus que bancale. C’est la raison pour pour la diffusion des œuvres pas concernées par ces principes et n’agissent laquelle Olivier Schrameck appelle, ici encore, et la protection des droits pas sous le contrôle de telle ou telle institution à une évolution des textes attribuant une com- sur internet (Hadopi) au CSA administrative. Ce système d’indépendance pétence claire à l’institution pour intervenir lors est un vieux serpent de mer. justifie en grande partie la multiplication de ces de tels litiges. Une telle évolution ajouterait au autorités pour gérer bon nombre d’activités CSA une nouvelle compétence aux nombreuses existantes. administratives. On pourra pour s’en persuader en consulter la Aujourd’hui, ce sont évidemment les tribunaux qui sont com- liste dans la loi du 20 janvier 2017 portant statut général des pétents pour régler ce type de contentieux contractuels. Il n’est autorités administratives indépendantes et des autorités pu- pas évident qu’une compétence du CSA et donc d’une autorité bliques indépendantes42. Tout semble donc aller pour le mieux publique indépendante soit nécessaire pour compléter ou se dans le meilleur des mondes : l’État aurait trouvé la formule substituer à celle du pouvoir judiciaire. permettant d’assurer une gestion effective et impartiale43 des activités nécessitant une régulation de l’administration. Récupération des pouvoirs de la Hadopi – Les compétences du CSA en matière de protection des droits d’auteur pourraient Si cette formule d’intervention publique est – reconnaissons-le également s’étendre à la protection contre le piratage numérique – séduisante, elle n’en reste néanmoins pas sans défaut. La des œuvres. L’attribution des compétences de la Haute autorité problématique principale de ces autorités indépendantes réside pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur inter- dans leur déficit démocratique44, leurs membres étant nommés net (Hadopi) au CSA est un vieux serpent de mer qui reste pour par des institutions politiques. Pour ce qui est du CSA, le président le moment immergé. Pour autant, ce dernier pourrait de nouveau, est désigné par le président de la République, trois membres un jour ou l’autre, sortir sa tête de l’eau. Si la fusion des deux sont désignés par le président du Sénat et trois autres par le institutions n’est plus aujourd’hui à l’ordre du jour, le président président de l’Assemblée nationale. La nomination par l’exécu- du CSA a par le passé réclamé une attribution des compétences tif et le législatif est donc ici privilégiée sans que le peuple n’ait de la Hadopi au CSA39. Ce dossier a de nouveau fait parler de lui son mot à dire. Pour le dire autrement, il peut apparaître pro- blématique que les citoyens désignent par le vote les gestion- naires des affaires de l’État et que ces élus attribuent par la suite 35. V. par exemple, J. Huet, « Compétence juridictionnelle et conflit de lois : à propos de l’affaire l’Origine du monde », note sous CA Paris, (pôle 2 – ch. bon nombre de pouvoirs à des autorités indépendantes sur 2), 12 février 2016, Société Facebook Inc. contre Frédéric D, Revue des contrats 2017, p. 264. 36. V. Le Monde, « Droits d’auteurs : les sociétés d’auteur et Canal + ont 40. V. Les Echos, « L’Hadopi sera supprimée en 2022 », 28 avril 2016. trouvé un accord », 6 octobre 2017. 41. V. loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités 37. V. Béatrice de Mondenard, « Olivier Schrameck veut resserrer les liens administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes. avec les auteurs », à lire sur le site internet de la SACD. 42. Ibid. 38. V. Rapport annuel 2016 du CSA : audition du président Olivier 43. Certains critiquent également l’indépendance de ces autorités Schrameck par les Commissions des affaires culturelles du Sénat et de dont certains membres pourraient prendre des décisions orientées ou l’Assemblée nationale, à lire sur le site internet du CSA. influencées politiquement. 39. V. Olivier Robillart, « Hadopi-CSA : la fusion en marche ? » Clubic.com, 44. Pour un rappel des enjeux de cette problématique, v. Rapport public du 10 septembre 2013. Conseil d’Etat 2001, p. 284 et s.

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lesquelles les citoyens et les élus n’ont aucune prise. On pourra facilement objecter que les nominations du président de la République sont soumises à un contrôle parlementaire (et donc à un contrôle des représentants du peuple) par l’article 13 de la Constitution et la loi organique du 23 juillet 201045. La nomina- tion du président du CSA est ainsi soumise à ce contrôle parle- mentaire. Les nominations des autres membres par les présidents de chaque assemblée sont également soumises à un contrôle de la commission permanente chargée des affaires culturelles de l’assemblée concernée46. Dans le même sens, le Titre IV de la loi du 20 janvier 201747 organise des modalités de contrôle des parlementaires sur les autorités indépendantes. On peut ajouter que le CSA n’agit pas sans contrôle juridictionnel : la plupart des décisions de cette institution peuvent être contestées devant la justice administrative.

Enfin, rappelons également que l’existence et les compétences de ces autorités sont prévues par des lois votées par les repré- sentants du peuple ; ces derniers peuvent faire évoluer ces textes en cas de problème. Le déficit démocratique souvent évoqué par les critiques des autorités indépendantes48 paraît, au vu de ces arguments, moins réel. Il n’en reste pas moins que les membres des autorités indépendantes ne peuvent pas être sanctionnés par le peuple ou leurs représentants (indépendance oblige) pour leur gestion administrative, à la différence des élus au moment des élections. L’idéal serait probablement de prévoir qu’une partie des membres de ces autorités indépendantes soit élue directement par le peuple. Cette solution est proba- blement difficile à mettre en place, tant il serait coûteux et difficile d’organiser des élections nationales pour désigner certains membres d’autorités indépendantes. Il faudrait éga- lement que la population s’intéresse à ce type d’élections ce qui apparaît comme une gageure au vu du taux de participation d’élections à enjeux supérieurs… M. L R.

45. Loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. 46. V. art. 2 de la loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013, préc. 47. Loi préc. 48. V. par exemple, « Les autorités administratives indépendantes » in Droit et société 2016, n° 93.

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treinte de 20 euros par jour de retard passé un délai de 15 Vie privée des personnes morales : jours suivant la signification de l’arrêt, ●● condamné les mêmes à payer à la société LM B. la somme le rejet de l’anthropomorphisme de 2000 euros à titre dedommages-intérêts provisionnels ; ●● confirmé pour le surplus l’ordonnance ; y ajoutant ; MOTS-CLÉS : vie privée, personne morale, personne ●● condamné Martine G. veuve C. et à Laurent C. au paiement physique, trouble illicite de la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ; Cour d’appel de Paris Les consorts C. ont alors formé un pourvoi en cassation contre (pôle 1 ; ch. 2) l’arrêt de la cour d’appel d’Orléans. 14 décembre 2017 Laurent C. et a. c/ SARL Boulangerie P. 356-22 La première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 17 mars 2016, a cassé l’arrêt d’appel, retenant que si Si les personnes morales disposent, notamment, les personnes morales disposent, notamment, d’un droit à la d’un droit à la protection de leur nom, de leur domicile, protection de leur nom, de leur domicile, de leurs correspon- de leurs correspondances et de leur réputation, seules dances et de leur réputation, seules les personnes physiques les personnes physiques peuvent se prévaloir d’une peuvent se prévaloir d’une atteinte à la vie privée, au sens de atteinte à la vie privée, au sens de l’article 9 du Code civil. l’article 9 du Code civil, de sorte que la société ne pouvait invoquer l’existence d’un trouble manifestement illicite résul- Mme C. est propriétaire d’un immeuble qu’elle avait donné à tant d’une telle atteinte et a renvoyé les parties devant la cour bail à son fils pour y développer une activité de location sai- d’appel de Paris. sonnière et de réception et dont l’accès s’effectuait par un M. et Mme C. ont saisi la cour d’appel sur renvoi après cassa- passage indivis desservant également la porte d’accès au tion le 23 août 2016. fournil du fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie La société Boulangerie Pré (anciennement LM B.), n’a pas exploité par la société LM B. constitué avocat. Reprochant à M.et Mme Martine G. veuve C. d’avoir installé Par acte du 16 octobre 2017, M.C. et Mme G. veuve C. lui ont un système de vidéosurveillance et un projecteur dirigés vers signifié leurs déclarations d’appel et conclusions. ce passage, la société LM B., a assigné les intéressés devant le juge des référés afin d’obtenir le retrait de ce dispositif (…) ainsi que la condamnation des consorts C. au paiement d’une provision sur l’indemnisation du préjudice moral et celui résul- MOTIFS tant de l’atteinte à la vie privée. Si les personnes morales disposent, notamment, d’un droit à Par ordonnance du 25 mars 2014, le juge des référés du tri- la protection de leur nom, de leur domicile, de leurs corres- bunal de grande instance de Tours a ordonné aux consorts C. pondances et de leur réputation, seules les personnes phy- de retirer le matériel de vidéosurveillance sous astreinte de siques peuvent se prévaloir d’une atteinte à la vie privée, au 20 euros par jour de retard courant passé le délai de 15 jours sens de l’article 9 du Code civil. suivant la signification de la décision et pendant une durée Il en ressort que la société LM B. ne pouvait prétendre à l’exis- de 6 mois. Il a par contre débouté la société LM B. de sa de- tence d’un trouble illicite portant atteinte à sa vie privée. mande de provision et d’enlèvement du projecteur à défaut de preuve d’un trouble illicite généré par la présence de ce Elle ne pouvait par ailleurs prétendre agir pour le compte des dernier. Il a enfin condamné les défendeurs aux dépens outre personnes physiques susceptibles de subir une atteinte à leurs une indemnité de 800 euros en application des dispositions droits du fait de la présence du dispositif mis en place par les de l’article 700 du code de procédure civile. consorts C., suivant le principe suivant lequel nul ne plaide Les consorts C. ont interjeté appel de cette ordonnance, invo- par procureur. quant à titre principal l’irrecevabilité de la demande formée Il s’ensuit que la demande en cessation de trouble illicite par la société LM B., celle-ci se heurtant à une absence totale fondée sur l’atteinte à l’intimité de la vie privée présentée par d’intérêt et de qualité à agir pour la défense de la vie privée la société LM B. aux droits de laquelle vient la société de ses salariés, et de celle de ses actionnaires, clients et four- Boulangerie Pré doit être rejetée et que la demanderesse au nisseurs. référé doit être déboutée de l’intégralité de ses demandes.

Par un arrêt en date du 17 novembre 2014, la cour d’appel Il ne saurait être considéré que la société LM B. a agi avec d’Orléans a : malice, avec mauvaise foi ou par l’effet d’une erreur équipol- ●● réformé l’ordonnance du 25 mars 2014 en ce qu’elle a dé- lente au dol puisque deux juridictions de fond lui ont donné bouté la société LM B. de ses demandes de provision et d’en- antérieurement partiellement ou entièrement raison. Les lèvement du projecteur, et statuant à nouveau sur ces deux attestations produites aux débats par les consorts C. faisant points, état de ce que le gérant de la société troublait délibérément ●● ordonné à Martine G. veuve C. et à Laurent C. de retirer le la quiétude de ses voisins en stationnant de manière abusive projecteur installé dans le chemin cadastré BL 160 sous as- dans le passage ou en émettant des bruits excessifs, si elles

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ont pu être utiles pour restituer les faits dans leur contexte à son tour, dans l’arrêt du 14 décembre 2017, de céder aux de conflit aigu du voisinage, ne remettent pas en cause cette sirènes de l’anthropomorphisme. Elle se conforme en tout constatation. point à la solution de la Cour de cassation, dont elle reprend fidèlement l’attendu de principe, pour dénier à la société la Il convient dès lors de débouter les consorts C. de leur demande possibilité de se prévaloir d’une atteinte à sa vie privée. Elle de dommages-intérêts pour procédure abusive. précise par ailleurs que la société ne pouvait prétendre agir Il convient par contre de condamner la SARL Boulangerie P. pour le compte de ses salariés ou de ses clients, nul ne pouvant venant aux droits de la société LM B. aux entiers dépens de plaider par procureur. Pour autant, elle écarte logiquement la la procédure. caractérisation d’un abus du droit d’agir en justice dans la mesure où deux juridictions du fond avaient antérieurement Par ces motifs statuant sur renvoi après cassation : fait droit aux demandes de la société.

Infirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ; Droits de la personnalité des personnes morales. La ques- Statuant à nouveau ; tion de la reconnaissance des droits de la personnalité aux Dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes de la SARL Boulan- personnes morales est discutée depuis longtemps par la gerie P. ex société LM B. tendant à l’enlèvement d’un système doctrine. Si certains auteurs considèrent que les droits de la de vidéosurveillance et d’un projecteur non plus que sur ses personnalité sont – et doivent rester – l’apanage des seules demandes de condamnation à des dommages-intérêts pro- personnes physiques2, d’autres – plus nombreux – sont favo- visionnels ; rables à l’octroi de tels droits au profit des personnes morales3. Déboute les consorts C. de leur demande de dommages-in- Pour ces derniers, le débat porte alors sur la méthode d’une térêts pour procédure abusive ; telle reconnaissance : transposition analogique, calquée sur Condamne la société la SARL Boulangerie P. anciennement les droits des personnes physiques, ou consécration autonome, société LM B. aux entiers dépens de la procédure axée sur la spécificité de la personne morale ?4 Le législateur, quant à lui, tend à ne pas distinguer entre les titulaires de Prés. : M. Bernard Chevalier, Cons. : Mme A. Bodard-Hermant, droits. En effet, indépendamment de la loi Informatique, fi- Mme V. Dellelis – Av. : Me J-P. Autier chiers et libertés, qui exclut ouvertement les personnes morales de son champ d’application5, les textes relatifs aux droits de la personnalité visent plus largement « toute per- sonne »6, « chacun »7 ou « autrui »8. Il n’y a donc pas, en prin- ■■C ommentAIRE cipe, à distinguer là où la loi ne distingue pas9. La jurisprudence est d’ailleurs plutôt favorable à l’assimilation. Tel est le cas Bérengère Gleize en particulier, en droit interne, concernant la protection Maître de conférences à l’Université d’Avignon, pénale de la personnalité. En la matière, la jurisprudence CUERPI – CRJ, Université Grenoble – Alpes admet en effet qu’une personne morale puisse être victime de diffamation10, de dénonciation calomnieuse11 mais éga- lement d’une violation de domicile12. La Cour européenne L’absence de vie privée des personnes morales. L’on se sou- des droits de l’homme contribue également à cet alignement vient que la Cour de cassation a sanctionné, dans un arrêt du des droits des personnes morales sur ceux des personnes 17 mars 20161, l’action introduite par une personne morale sur le fondement de l’article 9 du Code civil. Dans un attendu bien ciselé, elle affirmait que « si les personnes morales disposent, 2. V. par exemple, G. Loiseau, « Des droits humains pour des personnes notamment, d’un droit à la protection de leur nom, de leur domi- non humaines », D. 2011, p. 2558 ; p. Malaurie, « Nature juridique de la cile, de leurs correspondances et de leur réputation, seules les personnalité morale », Rep. Défrénois 1990, art. 34848, n°5. 3. V. notamment L. Dumoulin, « Les droits de la personnalité des personnes physiques peuvent se prévaloir d’une atteinte à la vie personnes morales », Rev. Sociétés 2006, p. 1 ; H. Matron, Les droits de privée au sens de l’article 9 du Code civil ». En l’espèce, une so- la personnalité des personnes morales de droit privé, thèse Poitiers 2011, LGDJ 2011 ; ciété invoquait une atteinte à sa vie privée suite à l’installation 4. Sur cette question, v. L. Dumoulin, art. préc. d’un système de vidéosurveillance et d’un projecteur dirigés 5. L’article 2 al. 2 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 définit la donnée vers un passage indivis desservant la porte d’accès à son fonds personnelle comme « toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par de commerce. En refusant de suivre les premiers juges, pour référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments qui lui lesquels l’atteinte à la vie privée de la société était constituée, sont propres ». 6. Article 8 de la CEDH. la Cour de cassation venait mettre un frein à une tendance 7. Article 9 du Code civil. plutôt favorable à une transposition fidèle des droits de la 8. Article 226-1 et 226-4 du Code pénal. personnalité des personnes physiques aux personnes morales. 9. À condition toutefois de ne pas recontextualiser les textes et de s’en tenir à une lecture littérale. En effet, il n’est pas inutile de rappeler que la loi 17 juillet Saisie sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Paris refuse 1970, dont est issu l’article 9 du Code civil, tendait « à renforcer la garantie des droits individuels des citoyens ». Par ailleurs, les dispositions relatives à la protection pénale de la personnalité relèvent d’un titre sur « les atteintes à 1. Cass. civ. 1re, 17 mars 2016, n°15-14.072, D. 21016, p. 1116, note G. la personne humaine ». Loiseau ; Comm. com. électr. 2016, comm. 43, note A. Lepage ; JCP E 2016, 10. V. par exemple Cass. crim. 12 oct. 1976, Bull. crim. n 287. n°37, 1473, note T. Stefania ; Dalloz IP/IT 2016, p. 309, obs. T. Gisclard ; Droit 11. Cass. crim. 22 juin 1999, n°98-80.593 et n°96-86.525. des sociétés, n° 6, Juin 2016, comm. 98, note R. Mortier ; RTD civ. 2016, p. 12. Cass. crim, 23 mai 1995, n°94-81.141 ; Cass. Crim. 19 mars 2014, n°12- 321, obs. J. Hauser ; Rev. Sociétés 2016, p. 594, note L. Dumoulin. 87.215.

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LP357-FEVRIER-2018.indd 80 22/02/2018 17:54 physiques en protégeant la réputation13, les correspondances14 Personnes morales et article 9 du Code civil. Certains juges du ou le domicile15 des personnes morales sur le fondement de fond ont pu reconnaître aux personnes morales la possibilité l’article 8 de la CEDH. d’agir sur le fondement de l’article 9 du Code civil. Ainsi, dans un arrêt du 10 mai 2001, la cour d’appel d’Aix-en-Provence affir- Dans ce contexte, la solution de la Cour de cassation – réitérée mait que « les personnes morales sont susceptibles de subir une ici par la cour d’appel de Paris – prend toute son importance atteinte à leur vie privée dès lors qu’elles sont titulaires de droits puisqu’elle impose de distinguer, au sein des droits de la per- non pas identiques mais analogues aux droits de la personnalité »17. sonnalité, ceux qui sont reconnus à tous et celui (ou ceux ?) Plus précisément, les juges admettaient « qu’une vie secrète peut reconnu(s) aux seules personnes humaines. La portée de la se dérouler dans leurs locaux privés à laquelle toute personne solution semble d’ailleurs dépasser largement cette seule ques- étrangère aux membres qui les composent ne peut sans leur consen- tion de la titularité. En contrepoint, elle invite à une redéfinition tement porter une atteinte qui n’est pas autrement protégée par des contours du droit au respect de la vie privée (I) ainsi qu’à des règles spécifiques, notamment en matière de droit de la concur- une réorganisation globale des droits de la personnalité (II). rence ou de secret des affaires ou de contrefaçon ». En dépit de son audace, cette décision portait déjà en germe les limites de I. Redéfinition des contours l’analogie puisqu’elle n’envisageait la mobilisation de l’article 9 de la vie privée du Code civil qu’en l’absence de fondement plus adapté. La subsidiarité du droit au respect de la vie privée révélait donc, En déniant aux personnes morales la possibilité de se prévaloir de manière sous-jacente, le caractère artificiel de son extension de l’article 9 du Code civil, les juges optent pour une conception aux personnes morales. In fine, les juges de la cour d’appel d’Aix- stricte de la vie privée (A) et provoquent l’émancipation de en-Provence avaient d’ailleurs rejeté l’atteinte à la vie privée en certaines des composantes qui lui sont traditionnellement l’absence de révélation entrant dans la sphère de protection. rattachées (B). Au-delà de l’affirmation de principe de l’existence d’une vie privée sociétaire, la caractérisation de l’atteinte restait donc A. Choix d’une conception stricte de la vie privée délicate. À cet égard, les faits de l’arrêt commenté illustrent avec une particulière acuité la difficulté de l’exercice. On voit mal, en De la vie intime des individus à la vie privée sociétaire. Le effet, comment un dispositif de vidéosurveillance pourrait être domaine de l’intime constitue le cœur de la vie privée. Il regroupe intrusif dans la vie intérieure d’une société ; il semble bien dif- tout ce qui est privé, personnel et secret, de l’ordre ficile de capter l’image ou les propos confidentiels des relations étroites et familières, comme les Certains juges du d’un être désincarné ! sentiments, la vie familiale, la sexualité ou l’état fond ont pu reconnaître de santé. Cette intimité ne saurait, évidemment, aux personnes morales Exclusion des personnes morales. Dans ces être transposée à des êtres fictifs dénués de sen- la possibilité d’agir sur conditions, on ne peut qu’approuver la solution sibilité. La « vie » privée n’est donc pas inhérente le fondement de l’article 9 selon laquelle « seules les personnes physiques à la personnalité juridique. Elle renvoie à l’humain, du Code civil. peuvent se prévaloir d’une atteinte à la vie privée et à lui seul, en raison de la nature personnelle et au sens de l’article 9 du Code civil ». L’attendu de intime des éléments qui la composent. Toutefois, au-delà de principe ne laisse guère de doute sur sa portée générale. Les son contenu, la vie privée est parfois appréhendée en tant que juges assument pleinement ici la rupture d’égalité entre per- territoire, comme une sorte de domaine réservé de la personne. sonnes morales et personnes physiques18 et ils retiennent, en Elle est alors un « mur » ou, plus encore, une sphère de protection filigrane, une conception étroite de la vie privée. Cette dernière dans laquelle l’individu doit pouvoir être à l’abri du regard et du n’est pas simplement une zone de protection contre les intru- savoir d’autrui. Cette conception « territoriale » de la vie privée sions ; elle est un lieu d’intimité. La solution va même plus loin autorise plus aisément l’analogie entre personnes physiques et dans la redéfinition des contours de la vie privée. En effet, personnes morales. Quid de la protection de la tranquillité des l’obiter dictum selon lequel « les personnes morales disposent, personnes morales ? Ces dernières n’ont-elles pas une vie interne, notamment, d’un droit à la protection de leur nom, de leur domi- qui mérite d’être protégée contre les intrusions extérieures ? Sur cile, de leurs correspondances et de leur réputation » implique de ce point, les propos de Kayser sont souvent cités. L’éminent repenser le contenu de l’article 9, pour permettre l’émancipation auteur affirmait en effet, dès 1971, que « si les personnes morales de certaines de ses composantes. n’ont pas de vie privée, au sens propre du mot, elles ont une vie intérieure, distincte de leur activité externe, qui doit être respectée »16. B. Émancipation de certaines composantes Partant de là, le concept de vie privée sociétaire pouvait com- du champ de la vie privée mencer à se construire à côté – ou même au sein – du droit au respect de la vie privée. Pas de vie privée, mais des droits de la personnalité. Les personnes morales n’ont pas de vie privée mais elles restent titulaires d’autres droits de la personnalité. Les juges évoquent

13. CEDH, 19 juillet 2011, n°23954/10, Uj c/Hongrie. 14. CEDH, 28 juin 2007, n°62540/00, Ekimdjev c/ Bulgarie. 15. CEDH, 18 avril 2013, n°26419/10, Saint-Paul SA c/ 17. CA Aix-en-Provence, 10 mai 2001, D. 2002, Somm. 2299, obs. A. Luxembourg. Lepage. 16. Kayser, « Les droits de la personnalité, aspects théoriques et 18. Sur la question de l’égalitarisme, v. G. Loiseau, « Titularité du droit : la pratiques », RTD civ 1971, p. 445, spéc. p. 490. famille décomposée des droits de la personnalité », D. 2016, p. 1116.

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en particulier quatre facettes de leur personnalité qui ont toutes pas pour autant à la vie privée stricto sensu puisque, comme on déjà, par le passé, reçu la protection des tribunaux, à savoir le le sait, le texte proclame le droit de toute personne au respect nom, le domicile, les correspondances et la réputation. Du reste, « de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa corres- ils prennent soin de ne pas enfermer la personnalité des per- pondance ». Le rattachement est plus net en droit interne. Indé- sonnes morales en soulignant, par l’emploi de l’adverbe « notam- pendamment du volet pénal, qui incrimine la violation de domi- ment », le caractère non limitatif de l’énumération. Parmi ces cile et l’atteinte au secret des correspondances, la protection quatre composantes, certaines entretiennent civile est assurée par l’article 9 du Code civil. À néanmoins un lien particulièrement étroit avec Les personnes morales notre connaissance, la jurisprudence rendue sur le droit à la vie privée, puisqu’elles sont protégées n’ont pas de vie privée ce fondement concerne exclusivement le domicile par l’article 9 du Code civil. Quelles sont alors, à mais elles restent titulaires et les correspondances des personnes physiques. leur égard, les conséquences de la solution ? d’autres droits de la Il n’en reste pas moins que la solution commentée personnalité. Les juges implique de faire sortir ces deux composantes du Protection du nom et de la réputation. La pro- évoquent en particulier champ de l’article 9. Il est difficile en effet de tection de la réputation ne suscite pas de diffi- quatre facettes de leur continuer à les appréhender comme de simples culté particulière. L’on sait en effet, depuis long- personnalité. facettes de la vie privée lorsqu’elles sont protégées temps, que les personnes morales peuvent indépendamment de la vie privée. Le droit à la défendre leur honneur et leur considération sur le terrain civil protection du domicile et le droit à la protection des correspon- comme sur le terrain pénal. Notons néanmoins que la Cour euro- dances gagnent donc leur autonomie24 ; ils sont nécessairement péenne des droits de l’homme n’assimile pas parfaitement per- distincts du droit au respect de la vie privée puisque les personnes sonnes morales et personnes physiques lorsqu’il s’agit de proté- morales sont titulaires des uns mais exclues de l’autre. Cette ger leur réputation sur le fondement de l’article 8 de la CEDH. Le émancipation n’est probablement pas sans conséquences pour juge européen a pu souligner la « différence entre une atteinte à les personnes physiques. La protection des correspondances la réputation d’une personne physique, qui peut entraîner des réper- pourrait, par exemple, être élargie puisqu’il ne serait plus néces- cussions sur la dignité de celle-ci, et une atteinte à la réputation saire de rattacher le contenu d’une correspondance privée au commerciale d’une société, laquelle n’a pas de dimension morale »19. champ étroit de la vie privée. Indépendamment de sa portée, Quoi qu’il en soit, le fait de dissocier la réputation du droit à la cette émancipation révèle surtout la grande confusion qui règne vie privée n’est pas problématique puisque, en droit interne, la en matière de droits de la personnalité et la nécessité de pro- protection civile de la réputation est assurée par l’article 1240 et céder à leur réorganisation. non par l’article 9 du Code civil. Les solutions en matière de droit au nom sont assez similaires. Si la Cour européenne rattache le II. Réorganisation des droits nom des personnes physiques à l’article 8 de la CEDH20, les liens de la personnalité avec l’article 9 du Code civil sont beaucoup plus distants21. Certains juges ont pu considérer, par exemple, que « le nom patronymique, Une réorganisation apparaît nécessaire tant la catégorie des destiné à identifier une personne dans les actes de la vie civile droits de la personnalité est aujourd’hui éclatée. Une unité de échappe, par sa nature, à la sphère de la vie privée »22. Il en est de fondement (A) pourrait permettre d’appréhender la diversité même, a fortiori, pour les personnes morales pour lesquelles la des titulaires (B) en limitant les risques de dérive anthropomor- protection du nom est effective mais indépendante de l’article phique25. 9 du Code civil23 comme de l’article 8 de la CEDH. Le nom et la réputation mettent donc en évidence l’absence de concordance A. Unité de fondement entre la vie privée interne et son homologue européenne, ce qui reste problématique pour cerner les contours de la vie privée. Il Les facteurs de confusion. Les facteurs de confusion sont n’empêche qu’en l’absence de rattachement du nom et de la nombreux. Ils concernent d’abord le droit au respect de la vie réputation à l’article 9, la solution de l’arrêt commenté n’a pas privée puisque, nous l’avons vu, le domaine de l’article 8 de la d’impact direct sur ces prérogatives. CEDH et celui de l’article 9 du Code civil ne se recoupent pas exactement. En l’état actuel, les personnes morales peuvent Protection du domicile et des correspondances Le droit à la se prévaloir du premier texte sans pouvoir invoquer le second. protection du domicile et le droit à la protection des correspon- Les protections civile et pénale de la personnalité sont égale- dances interrogent davantage en raison du lien étroit que ces ment discordantes. Les personnes morales, pourtant dépour- éléments entretiennent avec la vie privée. Ils sont d’abord pro- vues de vie privée et donc d’action sur ce fondement en matière tégés par la Cour européenne sur le fondement de l’article 8 de civile, peuvent défendre cette même vie privée au pénal en la CEDH. Il est vrai néanmoins que ce fondement ne les rattache invoquant l’article 226-4 sur l’inviolabilité du domicile (le texte relevant d’une section relative aux atteintes à la vie privée… au sein d’un titre sur les atteintes à la personne humaine !). La 19. CEDH, 19 juillet 2011, n° 23954/10, Uj c/Hongrie. 20. Voir, notamment, les arrêts Burghartz c/ Suisse du 22 février 1994, série A n° 280-B, § 24, et Stjerna c/ Finlande du 25 novembre 1994, série A n° 299-B, § 37. 24. En ce sens, G. Loiseau, « Titularité du droit : la famille décomposée des 21. V. néanmoins Cass. civ. 1re, 7 mai 2008, Bull. civ. I, n°126. droits de la personnalité », préc. 22. Paris, 30 octobre 1998, D. 1998, IR p. 259 et RTD civ 1999, p. 61 obs. 25. Notons néanmoins que pour certains, le seul fait de reconnaître des Hauser. droits de la personnalité aux personnes morales participe de cette dérive. 23. V. par exemple pour le nom d’une association : Cass. civ. 1re, 8 En ce sens, v. G. Loiseau, « Des droits humains pour des personnes non novembre 1988, n° 86-13264. humaines », préc.

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LP357-FEVRIER-2018.indd 82 22/02/2018 17:54 confusion résulte ensuite, de manière plus générale, de l’ab- La réécriture de l’article 9. Une réécriture de ce texte, centrée sence de conceptualisation des droits de la personnalité. En autour de la personnalité, permettrait alors une (re)construction proposant de distinguer au sein des titulaires, la solution de harmonieuse de ces droits. À cet égard, nous avons pu propo- l’arrêt du17 mars 2016 met en lumière l’éclatement de la caté- ser de reformuler l’article 9 en s’inspirant des travaux de la gorie. Les droits de la personnalité se décomposent en droits commission de révision du Code civil de 195129. Le nouveau communs de la personnalité (attribués à tous) et en droits texte pourrait prendre la forme suivante : « chacun a droit au spéciaux de la personnalité (reconnus aux seules personnes respect de sa personnalité sociale ». Ainsi formulé, l’article 9 humaines). Concernant les premiers, ils reposent en droit interne s’accorderait plus facilement avec le contenu extensif de l’article sur des fondements différents, la protection oscillant entre 8 de la CEDH ainsi qu’avec la protection pénale de la person- l’article 9 et l’article 1240 du Code civil. On ne retrouve donc nalité. Il permettrait également de prendre en considération pas toujours le mécanisme du droit subjectif, pourtant carac- la diversité des titulaires, sans essayer de calquer artificiellement téristique des droits de la personnalité. En dépit du champ des prérogatives conçues pour des êtres humains à des per- étendu de l’article 8 de la CEDH, l’harmonie n’est pas parfaite sonnes morales. non plus en droit européen, ces droits communs ayant tous été rattachés à ce texte à l’exception du droit au nom des B. Diversité de titulaires personnes morales. Quant aux seconds, si la solution se contente d’évoquer le droit au respect de la vie privée il faut certainement Spécificité de la personne morale. Dégagée de l’emprise de y ajouter le droit à l’image, dont l’autonomie a été consacrée la vie privée, la construction des droits de la personnalité des en 2005 par la Cour de cassation26. Certains, dont nous ne personnes morales semble plus aisée. D’un point de vue mé- faisons pas partie, seraient d’ailleurs tentés de thodologique, elle permet « de partir de la compléter ces droits spéciaux de la personna- Si la question de la personne morale elle-même pour identifier ses lité par le droit au respect du corps humain. reconnaissance de ces droits droits plutôt que de recourir au modèle de la Car, pour ajouter à la confusion, il faut rappe- aux personnes morales personne humaine »30. C’est alors la personna- ler que la doctrine ne s’entend pas sur la liste est un puissant révélateur lité sociale de la personne morale, et elle seule, exacte des droits de la personnalité27. des incertitudes en la matière, qui sert de guide pour identifier les droits les droits de la personnalité des spécifiques qui lui sont reconnus. À cet égard, Les limites de la matrice. L’assise textuelle de personnes physiques peinent un auteur a proposé d’identifier « les éléments la protection civile de la personnalité est, pour également à trouver leur constitutifs de la personnalité des êtres moraux », partie au moins, responsable de cette confu- cohérence dans le carcan de en distinguant une personnalité organisation- sion. Le législateur a fait le choix, en 1970, de l’article 9 du Code civil. nelle et une personnalité fonctionnelle31. La consacrer les droits de la personnalité par le première regrouperait alors tous les éléments seul prisme du droit au respect de la vie privée. Ce texte consti- singularisant la personne morale, à savoir sa forme juridique, tue donc, sur le plan civil, la référence législative dominante son nom, sa nationalité et son domicile. La seconde serait en matière de droits de la personnalité. Si son domaine est a constituée de tous les éléments en liaison avec son activité et priori limité au champ étroit de la vie privée, les plaideurs et permettrait en particulier une protection de son objet social. les juges ont rapidement utilisé son ancrage dans le Code civil Cette démarche a le mérite de prendre en compte la spécifi- à des fins plus larges. L’article 9 est devenu une sorte de « ma- cité des personnes morales. Elle démontre aussi l’intérêt d’une trice des droits de la personnalité »28, le droit au respect de la conceptualisation des droits de la personne morale dans le vie privée ayant vocation à absorber les autres droits de la cadre d’une réflexion globale sur l’architecture des droits de personnalité (droit à l’image, droit à la voix…). Depuis quelques la personnalité. années, la Cour de cassation tend à cantonner cet impérialisme du droit à la vie privée en consacrant l’autonomie de certaines Droits spéciaux de la personne morale. La jurisprudence nous prérogatives. Tel est le cas du droit à l’image ou, aujourd’hui, enseigne aujourd’hui que les droits de la personnalité s’orga- du droit à la protection du domicile et des correspondances. nisent autour de droits communs, attachés à la personnalité Cet effort de clarification prétorien s’avère pourtant insuffisant juridique, et de droits spéciaux, adaptés à la spécificité de la pour réorganiser efficacement les droits de la personnalité. En personnalité humaine. L’étape suivante consistera à identifier effet, si la question de la reconnaissance de ces droits aux les droits spéciaux dont pourrait se prévaloir la personne personnes morales est un puissant révélateur des incertitudes morale, à l’instar de son homologue faite de chair et de sang. en la matière, les droits de la personnalité des personnes Ces droits restent à inventer. Pour cela, encore faudra-t-il démon- physiques peinent également à trouver leur cohérence dans trer leur utilité par rapport aux outils offerts par le droit com- le carcan de l’article 9 du Code civil. Dans ces conditions, seul mercial. Certaines ressources existent déjà, en la matière, pour le législateur semble disposer des moyens nécessaires pour assouvir le besoin légitime de protection des personnes mo- mettre fin à la confusion.

29. J.-M. Bruguière et B. Gleize, op. cit. n° 198. 26. Cass. civ. 1re, 10 mai 2005, D. 2005, Pan. 2643, obs. A. Lepage ; RTD 30. Sur cette méthode, à propos des droits fondamentaux des personnes civ. 2005. 572, obs. J. Hauser. morales, X. Dupré de Boulois, « Les droits fondamentaux des personnes 27. Sur ce point, v. J.-M. Bruguière et B. Gleize, Droits de la personnalité, morales– Partie 2 : Comment ? », Revue électronique des droits et libertés Coll. Mise au point, Ellipses, 2015, n° 101 et s. fondamentaux. 28. J.-C. Saint-Pau, « L’article 9 du Code civil : matrice des droits de la 31. L. Dumoulin, « Les droits de la personnalité des personnes morales », personnalité », D. 1999, p. 541. Rev. Sociétés 2006, p.1.

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rales32. Leur besoin de confidentialité devrait, en outre, trouver à l’avenir une réponse adaptée avec la protection des « secrets Identification du policier complice d’affaire », que certains auteurs n’hésitent pas à rapprocher des frasques d’un président des secrets de la vie privée33. Mots-clés : publications interdites, fonctionnaire de Si la construction des droits de la personnalité des personnes police, identité, anonymat morales est encore loin d’être achevée, il semble qu’elle ne pourra véritablement se faire que dans le cadre d’une restruc- Cour de cassation (ch. crim.), turation globale de la protection civile de la personnalité par 12 décembre 2017 voie législative. En attendant, la marge de manœuvre de la juris- Procureur général près la cour d’appel de Paris prudence est limitée, et l’on doit composer avec le flou qui règne (2 arrêts dans le même sens) 356-17 en la matière, en particulier avec les incohérences entre les protections civile, pénale et européenne de la personnalité. Dans ces conditions, on ne peut que saluer l’effort de clarification L’article 39 sexies de la loi du 29 juillet 1881 prohibe opéré par la Cour de cassation en 2016, et confirmé par la cour la révélation, par quelque moyen que ce soit, de l’identité de renvoi le 14 décembre 2017. En effet, sans résoudre toutes des fonctionnaires appartenant à des services ou unités les difficultés, la solution a l’immense mérite de répondre clai- désignés par arrêté dont les missions exigent pour rement à la question de l’existence d’une vie privée des personnes des raisons de sécurité le respect de l’anonymat. Cette morales. Dans ce contexte, apporter une réponse claire à une interdiction n’est pas limitée à la révélation des nom et question controversée, c’est déjà beaucoup ! B. G. prénom des personnes concernées mais s’applique à la diffusion d’informations qui en permettent l’identification.

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l’article 39 sexies de la loi du 29 juillet 1881 ;

Vu les articles 593 du code de procédure pénale et 39 sexies de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l’insuffisance ou la contra- diction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu’il se déduit du second de ces textes, qui prohibe la révélation, par quelque moyen que ce soit, de l’identité des fonctionnaires appartenant à des services ou unités désignés par arrêté dont les missions exigent pour des raisons de sécu- rité le respect de l’anonymat, que cette interdiction n’est pas limitée à la révélation des nom et prénom des personnes concernées mais s’applique à la diffusion d’informations qui en permettent l’identification ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du jugement qu’il confirme et des pièces de la procédure qu’un policier appar- tenant au groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR), désigné par arrêté du 7 avril 2011 comme devant bénéficier de l’anonymat pour des raisons de sécurité, a dé- posé plainte auprès du procureur de la République, du chef de l’infraction prévue et réprimée par l’article 39 sexies de la loi du 29 juillet 1881, à la suite de la publication, dans le jour- nal Le Point du 11 décembre 2014, d’un article contenant des informations qui permettraient de l’identifier (mention de son appartenance aux policiers du GSPR, du fait qu’il s’appelle « Michel M. dit Z... » et qu’il a fait l’objet de clichés photogra- phiques publiés dans le journal Closer) ; qu’à la suite des pour- suites engagées contre M. X..., directeur de publication du journal Le Point, et M. Y..., auteur de l’article, sur le fondement de l’article 39 sexies de la loi sur la presse, le tribunal correc- 32. Il suffit de songer à la concurrence déloyale. tionnel a renvoyé les intéressés des fins de la poursuite ; que 33. J.-C. Galloux, L’adoption de la directive sur les secrets d’affaires, RTD com. 2017. 59. le ministère public a relevé appel de cette décision ;

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LP357-FEVRIER-2018.indd 84 22/02/2018 17:54 Attendu que, pour confirmer le jugement et dire non établi Jusqu’à une époque très récente, cette incrimination a été peu le délit de l’article 39 sexies de la loi du 29 juillet 1881, l’arrêt appliquée. Elle n’est d’ailleurs pas facile à trouver parmi les infrac- énonce d’une part, que cette disposition prohibe la révélation tions du chapitre IV de la loi sur la presse : avant-dernière, au de l’état civil des fonctionnaires concernés et ne peut être sein d’un paragraphe où elle voisine curieusement avec les interprétée comme pouvant s’appliquer à tout élément sus- immunités de parole malgré un titre inquiétant : « publications ceptible d’en permettre l’identification, voire à la diffusion de interdites ». Elle s’avère également mal rédigée1. A priori, toute leur image et que, d’autre part, l’élément de révélation suppose révélation est concernée puisque le texte d’incrimination se veut que cette identité n’ait pas été précédemment révélée, ce qui général : est en cause « le fait de révéler, par quelque moyen était le cas en l’espèce ; d’expression que ce soit… ». Mais, du nom de la loi, comme de l’intitulé du paragraphe en cause (« publications » interdites), on Mais attendu qu’en statuant ainsi, sans mieux rechercher si déduit que seules les révélations publiques sont punissables les éléments fournis par l’hebdomadaire Le Point au sujet de (les révélations non publiques relevant plus sûrement de l’atteinte ce policier permettaient de l’identifier, et alors que la diffusion au secret professionnel). Par ailleurs, seul le fait de révéler une de précédentes informations relatives à l’intéressé ne faisait identité est en cause lorsque l’agent public, de par ses fonctions, pas obstacle à la caractérisation de l’infraction, la cour d’appel peut exiger l’anonymat. La double référence à l’identité et à a méconnu les textes et les principes susvisés ; l’anonymat laisse entendre que la révélation doit porter sur le nom et, éventuellement, le prénom de l’agent : ces éléments D’où il suit que la cassation est encourue ; de son état civil permettent de l’identifier puis de le localiser afin d’exercer sur lui des pressions. Justifiée par des raisons de Par ces motifs : sécurité, cette interdiction de publier semble légitime, dès lors qu’un risque pour la vie ou l’intégrité physique de l’agent peut CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé être effectivement démontré (ce qui suppose que les arrêtés de la cour d’appel de Paris, en date du 12 janvier 2017, et pour ministériels désignant les services ou unités concernés n’envi- qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, sagent pas trop largement ce risque). Toutefois, ainsi comprise, l’infraction donne rarement lieu à poursuite : il importe peu RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de d’individualiser les fonctionnaires de la police nationale, les Paris autrement composée, à ce désignée par délibération militaires, personnels civils du ministère de la défense ou agents spéciale prise en chambre du conseil ; des douanes qui interviennent sur des missions délicates alors même qu’un journaliste rend compte de leurs actions. Ces agents Prés. : M. Soulard - Cons. Rap. : Mme Ménotti – Av. gén. : M. La- sont interchangeables sous leurs uniformes. En pratique, il est gauche – Av. : SCP de Chaisemartin et Courjon. inutile de les nommer. Seules les bavures ou les actes de bravoure pourraient justifier l’identification de ces agents mais l’article 39 sexies l’interdit apparemment pour de bonnes raisons. La règle semblait donc, jusqu’à présent, acceptée. ■■COMMENTAIRE Toutefois, cet équilibre, déontologique plus que répressif, a été Emmanuel Dreyer bouleversé lorsque le parquet de Paris a mis en mouvement des Professeur à l’École de droit poursuites sur la base d’une interprétation extensive du texte de la Sorbonne (Paris 1) en question : il a considéré qu’une infraction est constituée dès lors que l’agent des forces de sécurité est reconnaissable, peu importe qu’il n’ait pas été identifié par son nom. En d’autres 1. - Une loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de pro- termes, la garantie d’anonymat énoncée à l’article 39 sexies de grammation relative à la sécurité a introduit dans la loi du 29 juil- la loi sur la presse comprendrait non seulement une interdiction let 1881 sur la liberté de la presse un article 39 sexies punissant, de dire mais aussi une interdiction de montrer : le visage au- à l’origine, d’une amende de 100 000 francs « le fait de révéler, par delà du nom devrait être caché pour empêcher toute identifi- quelque moyen d’expression que ce soit, l’identité des fonctionnaires cation de la personne et limiter ainsi le risque de représailles. de la police nationale, de militaires de la gendarmerie nationale ou Or, la Haute juridiction a consacré cette interprétation extensive d’agents des douanes appartenant à des services ou unités désignés dans deux arrêts du 12 décembre 2017. À cette occasion, sa par arrêté du ministre intéressé et dont les missions exigent, pour chambre criminelle explicite les termes de l’incrimination en des raisons de sécurité, le respect de l’anonymat ». Ce texte, passé ajoutant « que cette interdiction n’est pas limitée à la révélation relativement inaperçu, a été modifié sans bruit en 2006 et 2009. des nom et prénom des personnes concernées mais s’applique à la L’objectif du législateur était d’étendre son champ d’application diffusion d’informations qui en permettent l’identification » (pour- à d’autres agents publics. Il se lit désormais comme suit : « le fait vois n° 17-80818 et n° 17-80821). Revenons sur le sens puis sur de révéler, par quelque moyen d’expression que ce soit, l’identité des la portée de ces deux arrêts. fonctionnaires de la police nationale, de militaires, de personnels civils du ministère de la défense ou d’agents des douanes apparte- nant à des services ou unités désignés par arrêté du ministre inté- 1. Même si la Haute juridiction a refusé de renvoyer, à ce titre, une question ressé et dont les missions exigent, pour des raisons de sécurité, le prioritaire de constitutionnalité, aux sages de la rue de Montpensier : Cass. respect de l’anonymat, est puni d’une amende de 15 000 euros ». crim., 6 déc. 2011 : CCE 2012, comm. 22, obs. A. Lepage.

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I. – Le sens des arrêts l’anonymat doit être garanti a été désigné par son prénom avec du 12 décembre 2017 indication du service auquel il appartient et photographié alors qu’il était dans l’exercice de ces fonctions. Du moins, la cour de 2. - Les deux arrêts du 12 décembre 2017 sont rendus à l’occasion renvoi est-elle invitée à le vérifier. On lui laissera le soin de dire si, de poursuites différentes engagées néanmoins dans le cadre au cas d’espèce, ces éléments étaient suffisants. Cependant, d’ores d’une même affaire. et déjà, on peut s’interroger sur la portée d’une telle interprétation.

Tout a commencé lorsqu’un hebdomadaire à sensation publia II. – La portée des arrêts un article évoquant les relations d’un président de la République du 12 décembre 2017 en exercice avec une actrice à l’insu de sa compagne « officielle ». Cet article faisait par ailleurs état de la « protection régulièrement 4. - Peut-on passer de la révélation d’une identité à la divulgation assurée par « M. »... « fonctionnaire à la petite cinquantaine »... de tout élément permettant l’identification d’une personne à « premier des sièges du Président au sein du GSPR (Groupe de sécu- qui la loi reconnaît une garantie d’anonymat ? Au cas d’espèce, rité de la présidence de la République) »... « issu de l’ex-service de la ratio legis de l’incrimination semble justifier une telle solution. protection des hautes personnalités (devenu le Service de la pro- Dès lors que l’objectif est de garantir la sécurité des agents tection) ». Cet article était agrémenté de plusieurs photographies. spécialement exposés à un risque de représailles, peu importe L’information fut relayée ensuite dans un autre hebdomadaire qu’ils soient dénommés ou simplement rendus identifiables. qui insista sur les failles dans la sécurité du président. Ce second Dès lors qu’ils peuvent être reconnus, ils sont exposés au risque. hebdomadaire évoquait lui-aussi le rôle d’intermédiaire curieu- Il paraît donc légitime d’interdire la publication de n’importe sement joué par le policier (organisant des sor- quel élément permettant de les identifier. En ties en scooter dans les rues de Paris…) tout en Il ne s’agit plus d’inter- droit de la presse, un tel raisonnement paraît rappelant son appartenance au GSPR, en indi- prétation stricte ; il ne s’agit d’autant plus acceptable qu’il est usuellement quant qu’il s’appelle « Michel » et en renvoyant même plus d’interprétation mené lorsqu’il s’agit de caractériser une diffa- aux clichés de l’autre organe de presse. (la clarté du texte n’étant mation. L’article 29, al. 1 de la loi du 29 juillet pas en cause) mais d’une 1881 l’indique expressément : « la publication Il doit être aussitôt précisé que le groupe de sécu- technique argumentative directe ou par voie de reproduction de cette allé- rité de la présidence de la République (GSPR), en dans laquelle la fin justifie gation ou de cette imputation est punissable, même cause ici, est désigné par un arrêté du 7 avril 2011 les moyens. Un tel raisonne- si … elle vise une personne ou un corps non expres- comme devant bénéficier de l’anonymat pour des ment s’avère contraire sément nommés, mais dont l’identification est raisons de sécurité. En conséquence, le policier en au principe de légalité. rendue possible par les termes des discours, cris, cause déposa deux plaintes auprès du procureur menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches de la République demandant la mise en mouvement de poursuites incriminés ». Le surnom ou le lieu d’exercice professionnel peuvent sur le fondement de l’article 39 sexies de la loi du 29 juillet 1881. être pris en compte à ce titre3. Il en va a fortiori de même pour L’action publique fut effectivement engagée contre les directeurs une photographie permettant l’identification de la personne de la publication et auteurs des articles en question mais, dans les concernée, au moins par ses proches4. La Haute juridiction deux cas, le tribunal correctionnel relaxa les prévenus. Le ministère semble s’être contentée de transposer ici un tel raisonnement. public releva appel de ces décisions que confirma la cour aux motifs similaires que « cette disposition prohibe la révélation de l’état On peut néanmoins émettre quelques doutes sur la légitimité civil des fonctionnaires concernés et ne peut être interprétée comme de cette solution. En effet, on le sait, l’interprétation téléologique pouvant s’appliquer à tout élément susceptible d’en permettre l’iden- masque, toujours, un raisonnement par analogie : c’est le moyen tification, voire à la diffusion de leur image » et que « l’élément de d’étendre le texte au-delà de ses termes en faisant prévaloir son révélation suppose que cette identité n’ait pas été précédemment esprit sur sa lettre5. Cette technique peut paraître légitime en révélée, ce qui était le cas en l’espèce ». Cette interprétation pouvait droit civil mais elle est scélérate en droit pénal : il ne s’agit plus sembler légitime au regard des termes d’une incrimination exigeant d’interprétation stricte ; il ne s’agit même plus d’interprétation la révélation d’une identité2. Mais la Haute juridiction la condamne. (la clarté du texte n’étant pas en cause) mais d’une technique Elle reproche à la cour d’appel d’avoir ainsi statué « sans mieux argumentative dans laquelle la fin justifie les moyens. Un tel rechercher si les éléments fournis par le journal/l’hebdomadaire… raisonnement s’avère contraire au principe de légalité qui limite au sujet de ce policier permettaient de l’identifier, et alors que la dif- le pouvoir du juge et réserve au parlement le soin d’adapter les fusion de précédentes informations relatives à l’intéressé ne faisait incriminations pouvant paraître insuffisantes. Ici, nul ne contes- pas obstacle à la caractérisation de l’infraction ». tera que l’article 39 sexies est trop étroitement rédigé en ce qu’il renvoie, comme les juridictions de fond l’avaient estimé, à la 3. - En l’occurrence, la Haute juridiction laisse donc entendre que seule identité des agents dont l’anonymat doit être garanti. Mais l’infraction pourrait être constituée dès lors qu’un policier dont c’était au législateur et non au juge d’intervenir pour étendre

3. V., Cass. crim., 3 fév. 2016, n°14-25277 ; D. 2017, p. 182, obs. E. Dreyer. 2. V., déjà, admettant dans une telle hypothèse une atteinte au droit à - 30 mai 2007 : Dr. pén. 2007, comm. 124, obs. M. Véron ; CCE 2007, l’image mais pas le délit de l’article 39 sexies de la loi sur la presse : Cass. comm. 125, obs. A. Lepage. 1re civ., 5 juillet 2005 : Bull. civ. I, n° 298 ; JCP G 2005, II, 10123, note 4. Cass. crim., 29 oct. 1991 : Bull. crim., n° 387 ; Gaz. Pal. 1992, somm. D. Bakouche ; LP n° 224, 2005, p. 166, note L. Merlet et N. Verly. - CA p. 90, note J.-P. Doucet. Paris, 1re ch., 2 avril 2002 : Gaz. Pal., Rec. 2002, somm. p. 1639. 5. V., E. Dreyer, Droit pénal général, LexisNexis, 4e éd., 2016, n°587 et s.

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LP357-FEVRIER-2018.indd 86 22/02/2018 17:54 cette protection. En aucun cas, les solutions applicables en matière de diffamation ne peuvent être invoquées comme un Reproduction dans le cloud et copie précédent justifiant que, dans un souci de cohérence, la Haute privée : la CJUE précise sa position juridiction applique la même solution. Car les textes en cause sont rédigés de façon différente : en matière de diffamation, on l’a rappelé, le législateur invite le juge à aborder largement la Mots-clés : droit d’auteur, copie privée, enregistrement à question de l’identification de la personne. Admettre qu’une distance, cloud, communication au public diffamation publique peut être sanctionnée dès lors qu’une personne est reconnaissable au moins par ses proches procède CJUE d’une démarche maximaliste autorisée par la loi et, comme telle, 29 novembre 2017 légitime. Mais le législateur n’a pas procédé de la sorte à l’article C-265/16 39 sexies. La rédaction de cette incrimination est restrictive, sans Vcast Limited c/ R.T.I. SPA 355-10 doute pour ne pas énoncer une prohibition affectant de manière trop importante la liberté de communication. Il n’appartenait pas au juge de perturber cet équilibre législatif entre prérogatives La directive 2001/29/CE du Parlement européen et du potentiellement opposées. Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la 5. - En toute hypothèse, on ne confondra pas le problème société de l’information, notamment son article 5, discuté dans ces deux arrêts (relatif à l’existence de l’infraction) paragraphe 2, sous b), doit être interprétée en ce sens avec une question distincte, non abordée par eux, qui est celle qu’elle s’oppose à une législation nationale qui permet à de la justification des publications en cause. Si la cour de renvoi une entreprise commerciale de fournir à des particuliers estime, comme la Haute juridiction le suggère, que l’infraction un service d’enregistrement à distance dans le nuage de était bien constituée, il lui appartiendra de vérifier si une sanc- copies privées d’œuvres protégées par le droit d’auteur, tion s’impose au regard de la garantie due à la liberté de com- au moyen d’un système informatique, en intervenant munication. Or, dans le cadre de cette appréciation in concreto activement dans l’enregistrement de ces copies, sans apparaîtra une difficulté supplémentaire : celle de la légitimité l’autorisation du titulaire de droits. du propos à l’occasion duquel l’infraction aurait été commise. Les organes de presse insisteront sur le fait qu’il était important 1. La demande de décision préjudicielle porte sur l’interpré- d’indiquer qu’un seul membre du GSPR accompagnait le pré- tation de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et sident lors de ses escapades non protocolaires, de sorte que sa du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains sécurité n’était pas correctement assurée. Ils souligneront peut- aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société être aussi que les raisons de l’anonymat revendiqué par le de l’information (JO 2001, L 167, p. 10), notamment de l’article policier en l’espèce s’avèrent assez faibles : si une présomption 5, paragraphe 2, sous b), de cette directive, de la directive de risque de représailles découle de l’inscription du service 2000/31/CE du Parlement et du Conseil, du 8 juin 2000, rela- auquel ce policier appartenait sur une liste ministérielle de tive à certains aspects juridiques des services de la société de personnes devant bénéficier d’une telle protection pour des l’information, et notamment du commerce électronique, dans raisons de sécurité, cette présomption n’a qu’une valeur toute le marché intérieur (JO 2000, L 178, p. 1), ainsi que du traité relative au regard du droit européen. Dans la mise en balance FUE. des intérêts qu’impose l’article 10, Conv. EDH, tel qu’interprété par la juridiction de Strasbourg, se posera la question de savoir 2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige si les révélations en cause ont effectivement exposé le fonc- opposant VCAST Limited à RTI SpA au sujet de la légalité de tionnaire de police à un risque de pressions (par qui ?). Ce risque la mise à la disposition des clients de VCAST d’un système devra être mis en balance avec l’intérêt du public à connaître d’enregistrement vidéo dans le nuage des programmes télé- les faits (circonstances dans lesquelles un président s’encanaille) visés transmis, notamment, par RTI. dont les révélations en cause ne constituent finalement que l’accessoire. Et, à supposer qu’un tel risque pour sa sécurité […] (future) existe, il faudra encore démontrer que la révélation de l’identité de cet agent de police justifie que l’on sanctionne des Le litige au principal et les questions préjudicielles directeurs de la publication et journalistes qui se sont conten- tés de reprendre à leur compte une information déjà connue 14. VCAST est une société de droit anglais qui met à la dispo- (puisque la Haute juridiction ajoute, dans ses deux arrêts, que sition de ses clients, sur Internet, un système d’enregistrement « la diffusion de précédentes informations relatives à l’intéressé vidéo, dans un espace de stockage dans le nuage (cloud), des ne faisait pas obstacle à la caractérisation de l’infraction »). Il n’est émissions d’organismes de télévision italiens transmises par pas sûr qu’une condamnation prononcée à ce titre puisse voie terrestre, au nombre desquelles figurent celles de RTI. constituer une ingérence légitime dans l’exercice de la liberté de communication6. E. D. 15. Il ressort de la décision de renvoi que, en pratique, l’utili- sateur choisit une émission sur le site Internet de VCAST, sur lequel figure toute la programmation des chaînes de télévision 6. V., l’excluant : CEDH 16 mars 2000, Özgür Gündem c/ Turquie, § 68. comprises dans le service fourni par cette société. L’utilisateur

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peut soit indiquer une émission donnée, soit une plage horaire. 21. Ainsi, il est permis de déduire de ces considérations qu’il Par la suite, le système géré par VCAST capte le signal de télé- n’est pas établi que la législation en cause au principal inter- vision à l’aide de ses propres antennes et enregistre la plage dise effectivement une telle activité. horaire d’émission choisie sur l’espace de stockage dans le nuage indiqué par l’utilisateur. Cet espace de stockage est 22. Dans ces conditions et afin de donner à la juridiction de acheté par ce dernier auprès d’un autre fournisseur. renvoi une réponse utile, la Cour répondra à ces deux questions conjointement, en retenant l’hypothèse dans laquelle une 16. VCAST a assigné RTI devant la chambre spécialisée dans législation nationale autorise l’exercice d’une activité telle que le droit des entreprises du Tribunale di Torino (tribunal de celle en cause au principal. Turin, Italie), auquel elle a demandé de constater la légalité de ses activités. 23. Il convient de constater, par ailleurs, que la juridiction de renvoi interroge la Cour au sujet de la conformité au droit de 17. En cours d’instance, par une ordonnance de référé du l’Union de la disposition nationale en cause au principal en 30 octobre 2015, cette juridiction a accueilli partiellement évoquant, non seulement la directive 2001/29, notamment une demande en référé formée par RTI et a interdit à VCAST, l’article 5, paragraphe 2, sous b), de celle-ci, mais également en substance, de poursuivre ses activités. la directive 2000/31 ainsi que le « traité fondateur ».

18. Estimant que l’issue du litige au principal dépend en 24. À cet égard, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au partie de l’interprétation du droit de l’Union, notamment de point 19 de ses conclusions, la disposition de la directive l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, le 2000/31 éventuellement pertinente en l’occurrence serait Tribunale di Torino (tribunal de Turin) a décidé de surseoir à l’article 3, paragraphe 2, de celle-ci, qui interdit aux États statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles sui- membres de restreindre la libre circulation des services de la vantes : société de l’information en provenance d’un autre État membre. Toutefois, aux termes de l’article 3, paragraphe 3, de ladite « 1) Une disposition nationale qui interdit à un entrepreneur directive, se trouvent exclues du champ d’application de ladite commercial de fournir à des particuliers un service d’enregistre- interdiction, notamment, les restrictions découlant de la ment à distance de copies privées d’œuvres protégées par le droit protection du droit d’auteur et des droits voisins. d’auteur au moyen d’un système informatique dans le nuage, en intervenant activement dans l’enregistrement, sans autori- 25. Il s’ensuit que les dispositions de la directive 2000/31 ne sation du titulaire de droits, est-elle conforme au droit de l’Union, sont pas applicables dans une affaire telle que celle au princi- notamment à l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive pal, qui concerne le droit d’auteur et les exceptions à celui-ci. [2001/29] (ainsi qu’à la directive [2000/31] et au traité fondateur) ? 26. S’agissant des questions posées en tant qu’elles portent 2) Une disposition nationale qui permet à un entrepreneur com- sur le « traité », il y a lieu de rappeler, que, selon une jurispru- mercial de fournir à des particuliers un service d’enregistrement dence constante de la Cour, lorsqu’une question est régle- à distance de copies privées d’œuvres protégées par le droit mentée de manière harmonisée au niveau de l’Union, toute d’auteur au moyen d’un système informatique dans le nuage en mesure nationale y relative doit être appréciée au regard des intervenant activement dans l’enregistrement, sans autorisation dispositions de cette mesure d’harmonisation (voir, notam- du titulaire de droits, en contrepartie d’une compensation for- ment, arrêts du 13 décembre 2001, DaimlerChrysler, C‑324/99, faitaire rémunérant le titulaire de droits, ce qui revient en subs- EU : C : 2001 :682, point 32 ; du 24 janvier 2008, Roby Profumi, tance à un régime de licence obligatoire, est-elle conforme au C‑257/06, EU : C : 2008 :35, point 14, ainsi que du 1er octobre droit de l’Union, notamment à l’article 5, paragraphe 2, sous b), 2009, HSBC Holdings et Vidacos Nominees, C‑569/07, EU : C : de la directive [2001/29] (ainsi qu’à la directive [2000/31] et au 2009 :594, point 26). traité fondateur) ? » 27. Or, il convient de relever que l’un des objectifs poursuivis Sur les questions préjudicielles par la directive 2001/29 consiste, ainsi qu’il ressort du consi- dérant 1 de celle-ci, à harmoniser des dispositions législatives Observations liminaires des États membres sur le droit d’auteur et les droits voisins, afin de contribuer à la réalisation de l’objectif visant à l’éta- 19. Il ressort de la demande de décision préjudicielle que la blissement d’un marché intérieur. juridiction de renvoi a adopté une ordonnance de référé contenant des mesures d’interdiction provisoire de l’activité 28. Partant, il n’y a pas lieu de se prononcer sur les questions exercée par VCAST. posées au regard du traité FUE.

20. Cela étant, ladite juridiction a posé à la Cour deux questions 29. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, par ses portant sur cette activité, en retenant deux hypothèses oppo- questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si sées, l’une envisageant qu’une législation nationale interdit la directive 2001/29, notamment l’article 5, paragraphe 2, sous ladite activité, l’autre supposant que cette dernière est, au b), de celle-ci, s’oppose à une législation nationale qui permet contraire, autorisée. à une entreprise commerciale de fournir à des particuliers un

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LP357-FEVRIER-2018.indd 88 22/02/2018 17:54 service d’enregistrement à distance dans le nuage de copies privées (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2010, Padawan, privées d’œuvres protégées par le droit d’auteur, au moyen C‑467/08, EU : C : 2010 :620, point 48). d’un système informatique, en intervenant activement dans l’enregistrement, sans autorisation du titulaire de droits. 36. C’est à la lumière de la jurisprudence susmentionnée qu’il convient de vérifier si un service tel que celui en cause au Réponse de la Cour principal, dont les éléments pertinents sont précisés aux points 14 et 15 du présent arrêt, relève de l’article 5, para- 30. En vertu de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive graphe 2, sous b), de la directive 2001/29. 2001/29, les États membres ont la faculté de prévoir des excep- tions ou limitations au droit de reproduction lorsqu’il s’agit 37. À cet égard, il convient de constater que le fournisseur de de reproductions effectuées sur tout support par une personne ce service ne se borne pas à organiser la reproduction, mais, physique pour un usage privé et à des fins non directement de surcroît, fournit, en vue de leur reproduction, un accès aux ou indirectement commerciales. émissions de certaines chaînes de télévision pouvant être enregistrées à distance. Ainsi, il revient aux clients individuels 31. Par ailleurs, l’article 5, paragraphe 5, de cette directive de choisir les émissions qui doivent être enregistrées. prévoit que les exceptions et limitations, notamment celles prévues à l’article 5, paragraphe 2, de ladite directive ne sont 38. En ce sens, le service en cause au principal possède une applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas double fonctionnalité, consistant à assurer à la fois la repro- atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet duction et la mise à disposition des œuvres et objets concer- protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légi- nés par celui-ci. times du titulaire du droit. 39. Or, si l’exception de copie privée implique que le titulaire 32. S’agissant de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la direc- de droits doit s’abstenir d’exercer son droit exclusif d’autoriser tive 2001/29, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, que, selon ou d’interdire des copies privées réalisées, par des personnes une jurisprudence constante de la Cour, les dispositions d’une physiques, dans les conditions prévues à l’article 5, para- directive qui dérogent à un principe général établi par cette graphe 2, sous b), de la directive 2001/29, l’exigence d’une même directive doivent faire l’objet d’une interprétation stricte interprétation stricte de cette exception implique que ce titu- (arrêt du 10 avril 2014, ACI Adam e.a., C‑435/12, EU : C : laire ne soit pas pour autant privé de son droit d’interdire ou 2014 :254, point 22 ainsi que jurisprudence citée). Il s’ensuit d’autoriser l’accès aux œuvres ou aux objets, dont ces mêmes que ledit article 5, paragraphe 2, sous b), doit faire l’objet personnes souhaitent réaliser des copies privées. d’une telle interprétation. 40. En effet, il résulte de l’article 3 de la directive 2001/29 que 33. La Cour a également jugé que la réalisation d’une copie toute communication au public, y compris la mise à disposi- par une personne physique agissant à titre privé doit être tion d’une œuvre ou d’un objet protégé, doit être soumise à considérée comme un acte de nature à engendrer un préjudice l’autorisation du titulaire de droits, étant entendu que, ainsi pour le titulaire de droits concerné, dès lors qu’elle est réalisée qu’il ressort du considérant 23 de cette directive, le droit de sans que soit sollicitée, au préalable, l’autorisation de ce titu- communication d’œuvres au public doit s’entendre au sens laire (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2010, Padawan, large, comme couvrant toute transmission ou retransmission C‑467/08, EU : C : 2010 :620, points 44 à 46). d’une œuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radio- diffusion. 34. En outre, la Cour a considéré que, si l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29 doit être entendu en ce sens 41. À cet égard, la Cour a déjà jugé que la notion de « com- que l’exception de copie privée interdit, certes, au titulaire de munication au public » associe deux éléments cumulatifs, à droits de se prévaloir de son droit exclusif d’autoriser ou savoir un « acte de communication » d’une œuvre et la com- d’interdire des reproductions à l’égard des personnes qui munication de cette dernière à un « public » (arrêt du 31 mai réalisent des copies privées de ses œuvres, cette disposition 2016, Reha Training, C‑117/15, EU : C : 2016 :379, point 37). ne doit pas être entendue comme imposant, au-delà de cette restriction prévue explicitement, au titulaire du droit d’auteur 42. Cela étant précisé, il convient, s’agissant, premièrement, qu’il tolère des violations de ses droits pouvant accompagner de la notion d’« acte de communication », de souligner que la réalisation de copies privées (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril celui-ci vise toute transmission des œuvres protégées, indé- 2014, ACI Adam e.a., C‑435/12, EU : C : 2014 :254, point 31). pendamment du moyen ou du procédé technique utilisé (arrêt du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU : C : 35. Enfin, il ressort de la jurisprudence que, pour pouvoir se 2016 :379, point 38). prévaloir de l’article 5, paragraphe 2, sous b), il n’est pas néces- saire que les personnes physiques concernées possèdent les 43. Par ailleurs, chaque transmission ou retransmission d’une équipements, appareils ou supports de reproduction. Elles œuvre qui utilise un mode technique spécifique doit être, en peuvent également se voir fournir par un tiers un service de principe, individuellement autorisée par l’auteur de l’œuvre reproduction, qui constitue la prémisse factuelle nécessaire en cause (arrêt du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU : pour que ces personnes physiques puissent obtenir des copies C : 2016 :379, point 39).

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44. Deuxièmement, pour relever de la notion de « commu- d’enregistrement à distance dans le nuage de copies privées nication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de d’œuvres protégées par le droit d’auteur, au moyen d’un la directive 2001/29, encore faut-il, ainsi qu’il a été rappelé système informatique, en intervenant activement dans au point 41 du présent arrêt, que les œuvres protégées l’enregistrement de ces copies, sans l’autorisation du titulaire soient effectivement communiquées à un « public » (arrêt de droits. du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU : C : 2016 :379, point 40). […]

45. À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit : la notion de « public » vise un nombre indéterminé de desti- nataires potentiels et implique, par ailleurs, un nombre de La directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, personnes assez important (arrêt du 31 mai 2016, Reha Trai- du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du ning, C‑117/15, EU : C : 2016 :379, point 41). droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’infor- mation, notamment son article 5, paragraphe 2, sous b), doit 46. En l’espèce, le fournisseur de services en cause au princi- être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation pal enregistre les émissions radiodiffusées et les met à la nationale qui permet à une entreprise commerciale de four- disposition de ses clients au moyen d’Internet. nir à des particuliers un service d’enregistrement à distance dans le nuage de copies privées d’œuvres protégées par le 47. En premier lieu, il apparaît évident que l’ensemble des droit d’auteur, au moyen d’un système informatique, en inter- personnes ciblées par ce fournisseur constitue un « public », au venant activement dans l’enregistrement de ces copies, sans sens de la jurisprudence évoquée au point 45 du présent arrêt. l’autorisation du titulaire de droits.

48. En second lieu, la transmission d’origine effectuée par Prés. : M. L. Bay Larsen – Rapp. : MM. J. Malenovský – Juges : l’organisme de radiodiffusion, d’une part, et celle réalisée par M. Safjan, D. Šváby et M. Vilaras – Av. gén. : M. M. Szpunar. le fournisseur de services en cause au principal, d’autre part, sont effectuées dans des conditions techniques spécifiques, suivant un mode différent de transmission des œuvres et ■■C ommentAIRE chacune d’elles est destinée à son public (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2013, ITV Broadcasting e.a., C‑607/11, EU : C : Eric Lauvaux 2013 :147, point 39). Avocat associé NomoS 49. Les transmissions évoquées constituent donc des com- munications au public différentes, et chacune d’elles doit, dès lors, recevoir l’autorisation des titulaires de droits concernés. Une lecture rapide de cet arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne pourrait conduire à retenir que l’enregistrement 50. Dans ces conditions, il n’y a plus lieu d’examiner, en aval, dans le cloud d’émissions de télévision ne serait jamais une si les publics ciblés par ces communications sont identiques copie privée. C’est en ce sens que l’on peut lire l’affirmation ou si, le cas échéant, le public ciblé par le fournisseur de selon laquelle la directive 2001/29/CE « doit être interprétée en services en cause au principal constitue un public nouveau ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale qui permet à (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2013, ITV Broadcasting e.a., une entreprise commerciale de fournir à des particuliers un service C‑607/11, EU : C : 2013 :147, point 39). d’enregistrement à distance dans le nuage de copies privées d’œuvres protégées par le droit d’auteur… ». 51. Il en résulte que, en l’absence d’une autorisation donnée par le titulaire de droits, la réalisation de copies d’œuvres au Mais, alors qu’elle évoque explicitement l’article 5, paragraphe 2, moyen d’un service tel que celui en cause au principal risque sous b), qui réglemente l’exception de reproduction pour copie de porter atteinte aux droits de ce titulaire. privée, la décision se situe en réalité dans le prolongement de ses arrêts rendus sur la communication au public dont la cohé- 52. Partant, un tel service d’enregistrement à distance ne rence, parfois difficile à apprécier, commence à se préciser. saurait relever de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la direc- tive 2001/29. Ainsi que l’a fait valoir le rapport au CSPLA sur le droit de com- munication au public1, la Cour de justice élabore par sa jurispru- 53. Dans ces conditions, il n’y a plus lieu de vérifier le respect des dence la notion de communication au public et plus spécifique- conditions qu’impose l’article 5, paragraphe 5, de ladite directive. ment de mise à disposition du public, créée par la directive sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des 54. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, droits voisins dans la société de l’information. S’affranchissant il y a lieu de répondre aux questions posées que la directive de la notion traditionnelle de représentation, la Cour de justice 2001/29, notamment son article 5, paragraphe 2, sous b), s’oppose à une législation nationale qui permet à une entre- 1. Rapports et proposition du Professeur Pierre Sirinelli, de Me Josée-Anne prise commerciale de fournir à des particuliers un service Bénazéraf et du Professeur Alexandra Bensamoun – décembre 2016.

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LP357-FEVRIER-2018.indd 90 22/02/2018 17:54 étend peu à peu la notion de communication et de mise à dis- à la Cour de préciser si le droit de l’Union impose ou interdit à position en définissant l’acte de communication comme le fait un État membre, qui a opté pour la transposition de l’exception d’intervenir « en pleine connaissance des conséquences de son de copie privée, de permettre la fourniture à des particuliers comportement pour donner accès à une œuvre.2 » d’un service d’enregistrement à distance d’œuvres en interve- nant activement dans l’enregistrement, sans autorisation du Après avoir réaffirmé le principe dans l’arrêt Del Corso3, la Cour titulaire des droits. en a tiré les conséquences pour retenir que la fourniture d’un lien hypertexte donnant accès à une œuvre illégalement publiée Le tribunal de Turin a saisi la Cour de justice en considérant que constituerait une communication au public4 avant d’appliquer l’issue du litige dépendait de l’interprétation notamment de une même solution à la vente d’un lecteur multimedia contenant l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, ainsi des liens hypertexte renvoyant à des sites internet librement que de la directive 2000/31. accessibles au public sur lesquels sont mises à disposition des œuvres sans l’autorisation des ayants droit5, puis à la mise à II. LES PRINCIPES APPLICABLES disposition sur internet « d’une plateforme de partage qui, par l’indexation de métadonnées relatives à des œuvres protégées et La Cour a commencé par écarter la référence à la directive à la fourniture d’un moteur de recherche, permet aux utilisateurs 2000/31 en rappelant que celle-ci, qui interdit aux États membres de cette plateforme de localiser ces œuvres et de les partager dans de restreindre la libre circulation des services de l’information, le cadre d’un réseau de pair à pair »6. n’est pas applicable dès lors qu’est en jeu la protection du droit d’auteur et des droits voisins, expressément exclus par l’article Ce nouvel arrêt se situe dans le prolongement de cette jurispru- 3, paragraphe 2, du champ de cette directive. dence, en précisant le concept de communication au public. En l’espèce, on pouvait douter de la pertinence de la référence I. L’AFFAIRE par le tribunal italien à la directive 2000/31 et implicitement à l’article 56 TFUE, la localisation de VCAST au Royaume-Uni n’ayant En l’espèce, la Cour était saisie par un tribunal italien d’une pas d’incidence sur l’appréciation de l’exception de copie privée, demande de décision préjudicielle portant sur l’interprétation sauf à considérer que le juge italien s’interrogeait sur la possi- de la directive 2001/29/CE et de la directive 2000/31/CE et leur bilité de faire bénéficier de l’exception une entreprise localisée application à un service offert par une société anglaise d’enre- dans un État qui n’a pas opté pour cette exception. gistrement dans le nuage des émissions de serveurs de télévision italiens transmises par voie terrestre en libre accès (un NPVR, En revanche, dans le contexte des discussions sur le marché Network Personal Video Recorder). L’utilisateur du service peut commun numérique, on appréciera l’affirmation que « les dis- choisir l’émission qu’il souhaite faire enregistrer qui sera captée positions de la directive 2000/31 ne sont pas applicables dans une par le fournisseur du service, la société VCAST, qui en assurera affaire telle que celle au principal, qui concerne le droit d’auteur et l’enregistrement dans un espace de stockage de données dans les exceptions à celui-ci » (arrêt, point 25). Ce faisant, la Cour suit le nuage, auquel l’utilisateur aura accès à sa demande. les conclusions de l’avocat général qui énonçait que « la presta- tion du droit d’auteur constitue une raison impérieuse d’intérêt La loi italienne a introduit le principe d’une compensation pour général susceptible de justifier une restriction à la libre prestation la copie privée des vidéogrammes et des phonogrammes assise de service » (conclusions, point 21). sur le prix des appareils ou des supports permettant la copie. Elle a également prévu, depuis 2007, que « pour les systèmes La Cour rappelle ensuite que « les dispositions d’une directive, qui d’enregistrement vidéo à distance, la compensation est due par la dérogent à un principe général établi par cette même directive, personne qui fournit le service et est proportionnée à la rémuné- doivent faire l’objet d’une interprétation stricte » (arrêt, point 32). ration obtenue par la prestation du service lui-même ». III. L’EXCEPTION DE COPIE PRIVÉE On aurait pu s’interroger sur la légalité de ce mécanisme qui ne calcule pas la compensation au regard du préjudice subi, mais du La Cour examine l’application de l’article 5, paragraphe 2, sous prix de la prestation fournie. En l’espèce, la Commission européenne b), de la directive qui prévoit que les États membres peuvent avait d’ailleurs engagé une procédure en manquement en ques- prévoir des exceptions au droit de reproduction. tionnant l’application de l’exception de copie privée à un service facturé au consommateur et les autorités italiennes avaient dé- « […] cidé de surseoir à l’application de cette disposition. b) lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur tout support par une personne physique pour un usage privé et à des fins non direc- VCAST a néanmoins saisi la justice italienne pour faire consta- tement commerciales, à condition que les titulaires de droits re- ter la légalité de son service et le tribunal de Turin a demandé çoivent une compensation équitable … »

2. CJUE 7 décembre 2006 – SGAE – C-306/05, point 42. On pourrait penser que, faisant une interprétation stricte de la 3. CJUE 15 mars – 2012 Del Corso – C-135/10, point 82. notion de copie privée, la Cour aurait retenu que la réalisation 4. CJUE 8 septembre 2016 – GSmedia – C-160/15, point 49. par un tiers d’une copie stockée dans le nuage informatique 5. CJUE 26 avril 2017 – Filmspeler – C-527/15. 6. CJUE 14 juin 2017 – The Pirate Bay – C-610/15. excéderait le champ de l’exception. Ce n’est toutefois pas la voie

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que choisit la Cour. Celle-ci rappelle au contraire, en évoquant IV. LA MISE A DISPOSITION l’arrêt Padawan7, qu’il n’est pas nécessaire que les personnes physiques concernées possèdent les équipements, matériels et Poursuivant son analyse, la Cour retient pourtant que le service supports, mais que cette reproduction peut être assurée par un a une double finalité, puisqu’outre la reproduction, il assure tiers (arrêt, point 35). également la mise à disposition des œuvres ou objets. C’est l’occasion pour la Cour de préciser à nouveau son interprétation L’avocat général, suivi par la Cour, rappelait de son côté que la du droit de communication au public telle qu’elle l’a exposée jurisprudence admet que l’exception de copie privée s’applique dans les arrêts Reha Training11 et ITV Broadcasting12. également aux reproductions effectuées dans le cadre de la prestation de services de reproduction et qu’aucun motif ne Après avoir rappelé que la notion de communication au public justifie d’exclure l’enregistrement dans le nuage. Il relevait éga- doit s’entendre au sens large dès lors qu’elle comporte une lement que l’exigence de fin non-commerciale ne concerne pas communication, indépendamment du moyen technique utilisé, l’intervention éventuelle d’un tiers dans le pro- à un public, la Cour retient que VCAST met à la cessus de copie, mais l’utilisation de la copie par En évitant d’appliquer disposition du public des émissions radiodiffu- le bénéficiaire de l’exception en question (conclu- expressément aux NPVR sées au moyen d’internet, suivant donc un mode sions, point 26). l’exception de copie privée différent de transmission et destinées à des et en limitant son objet à publics différents. Elle en déduit que les trans- Contrairement à ce qu’indiquerait une lecture l’extension de la compensa- missions ne sauraient se passer d’une autorisa- rapide de la décision, la Cour n’exclut donc pas tion aux « reproductions à tion des ayants droit et que le service ne saurait du bénéfice de l’exception de copie privée la usage privé d’œuvres par voie relever de l’exception de l’article 5, paragraphe 2, reproduction dans le cloud de phonogrammes d’accès à distance à partir sous b). ou de vidéogrammes et affirme au contraire que d’un programme diffusé ces services de reproduction pourraient relever de manière linéaire », la loi La Cour rappelle que deux éléments doivent de la copie privée et donc donner lieu à une échapperait à la censure. être réunis pour caractériser la « communication compensation puisque, comme le rappelle la au public »; en premier lieu, un « acte de com- Cour, « la réalisation d’une copie par une personne physique agis- munication » et la communication à un « public ». En cas de sant à titre privé doit être considérée comme un acte de nature à retransmission, pour être soumise à une nouvelle autorisation, engendrer un préjudice pour le titulaire des droits concernés, dès la transmission doit utiliser un mode différent du mode auto- lors qu’elle est réalisée sans que soit sollicité, au préalable, l’auto- risé par les ayants droit et le public doit être différent. En risation du titulaire. »(arrêt, point 33). l’espèce, la Cour caractérise la différence des modes de diffu- sion, la transmission d’origine étant assurée par la radiodiffu- Il serait donc possible de soumettre à l’exception de copie privée sion terrestre, tandis que la retransmission est assurée par une copie stockée dans le cloud, mais l’on doit noter que la Cour internet. On peut en déduire, a contrario, que la même solution a, par ailleurs, affirmé que « les États membres ont la faculté ne s’appliquerait pas à un programme transmis à l’origine par d’instaurer ou non les différentes exceptions prévues à l’article 5 internet. de [la] directive, et conformément à leurs traditions juridiques… »8. La Cour n’affirme donc pas qu’il soit nécessaire d’étendre l’excep- S’agissant du public, la Cour ne juge pas nécessaire d’en carac- tion à ce mode de réalisation des copies. tériser l’existence ni la nouveauté, se contentant d’affirmer qu’ « il paraît évident que l’ensemble des personnes ciblées par ce Si le principe que les dispositions d’une directive qui dérogent fournisseur constitue [un public] ». La Cour ne semble pas consi- à un principe établi par cette directive doivent faire l’objet d’une dérer que la réalisation d’une copie pour chaque utilisateur interprétation stricte9 est clairement établi, il en résulte que les permettrait d’exclure la qualification de communication au États membres ont la faculté de déterminer un champ plus réduit public mais retient que le service est offert à un nombre de de l’exception en assurant l’indemnisation correspondante. clients important, qui constitue un public potentiel.

C’est ce que prévoit le droit français qui n’a pas mis en œuvre Alors que l’avocat général demandait à la Cour de retenir que un mécanisme de compensation équitable pour les services la reproduction des émissions effectuée à partir d’une source de reproduction, en continuant d’appliquer la jurisprudence illicite ne saurait bénéficier de l’exception de copie privée Rannou Graphie10 qui retient que l’exception ne s’applique (conclusions, point 56), elle ne suit pas ce raisonnement et se que lorsque le copiste est l’utilisateur. La décision ne remet contente d’affirmer que le service d’enregistrement à distance pas en cause cette interprétation et il appartiendra au légis- dans le nuage ne peut invoquer l’article 5, paragraphe 2, sous lateur, à défaut d’évolution de la jurisprudence, de se pronon- b) de la directive pour se passer de l’autorisation du titulaire cer sur ce point. des droits dès lors que le prestataire réalise la reproduction des émissions radiodiffusées pour les mettre à la disposition de ses clients par internet.

7. CJUE 21 octobre 2010 - Padawan - C-467/08, point 48. 8. CJUE - Ali Adam - C-435/12, point 34. 11. CJUE 31 mai 2016 - Reha Training – C-117/15. 9. CJUE Infopag – C-2009/465. 12. CJUE 1er mars 2017 - ITV Broadcasting – C-275-15 ; CJUE 7 mars 10. Cass. Civ.1, 7 mars 1984. 2013 - Directive 2001/29/CE.

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LP357-FEVRIER-2018.indd 92 22/02/2018 17:54 V. LES CONSEQUENCES Atteinte à l’intimité de la vie privée SUR LE DROIT FRANCAIS d’un couple princier Lors des débats sur la loi « Création » du 7 juillet 2016, les par- lementaires ont longuement discuté de l’extension du régime Mots-clés : intimité de la vie privée, nudité, couple de la copie privée à l’enregistrement dans le nuage, en évoquant princier, téléobjectif des modifications du champ de l’exception, défini aux articles L. 122-5 et L. 211-3 du Code de la propriété intellectuelle, pour TGI de Nanterre (14e ch. correct.) finalement adopter une simple extension du régime de l’article 5 septembre 2017 L. 311-4 du Code de la propriété intellectuelle – définissant les C. Middleton et a. c/ E. Mauri et a. 355-26 débiteurs de la rémunération – aux services d’enregistrement (désision non définitive) de programmes dans le cloud.

On pouvait douter de la cohérence de cette révision, étendant Le tribunal condamne, sur le fondement des articles le champ de la rémunération pour copie privée sans étendre 226-1 et 226-2 du Code pénal, l’ensemble des prévenus celui de l’exception et sans prendre en compte le droit de com- poursuivis à la suite de la publication de photos du munication13. En définitive, cette omission difficilement com- couple princier d’Angleterre, prises au téléobjectif alors préhensible pourrait sauver cette disposition de la loi. En évitant qu’ils se trouvaient en maillot de bain et buste dénudé, d’appliquer expressément aux NPVR l’exception de copie privée au bord d’une piscine. Le directeur de la publication et en limitant son objet à l’extension de la compensation aux et la rédactrice en chef de l’hebdomadaire se voient « reproductions à usage privé d’œuvres par voie d’accès à distance notamment condamnés à des amendes correctionnelles à partir d’un programme diffusé de manière linéaire », la loi échap- de 45 000 euros. Au plan civil, le montant total des perait à la censure. dommages et intérêts s’élève à plus de 100 000 euros.

Ceci ne liciterait pas pour autant tous les services NPVR, en […] subordonnant la licéité de leur service à l’autorisation du titulaire des droits lorsqu’ils assurent la mise à disposition des programmes I/ Sur l’action publique à un public différent. Il conviendrait donc d’apprécier au cas par cas l’autorisation donnée lors de la télédiffusion et les publics Aux termes de l’article 226-1 du Code pénal : auxquels les services s’adressent. À cet égard, les éléments « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende factuels de l’arrêt sont aujourd’hui dépassés car la mise à dis- le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de position des services de télévision n’est plus assurée par la radio- porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui : diffusion terrestre. Ainsi, on peut sans doute considérer que les 1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement producteurs et les diffuseurs qui autorisent la télévision de de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel rattrapage et donc l’accès par internet à leurs programmes, 2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement consentent à la mise à disposition par ce moyen, de telle sorte de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé. que les services offrant le même service n’assureraient pas la Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accom- communication à un public différent. En revanche, cela ne serait plis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, pas le cas des programmes dont les producteurs n’auraient pas alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de autorisé la mise à disposition à la demande. ceux-ci est présumé ».

Reste au législateur à examiner l’opportunité d’étendre expres- Selon l’article 226-2 du Code pénal : sément l’exception et la rémunération pour copie privée aux « Est puni des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser services d’enregistrement de programmes et de vidéogrammes porter à la connaissance du public ou. d’un tiers ou d’utiliser de dans le nuage, sans oublier que, dans tous les cas, l’exception quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document suppose que l’utilisateur ait, comme l’a rappelé l’avocat général, obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1. accès à l’objet de la reproduction de manière licite. E.L. Lorsque le délit prévu par l’alinéa précédent est commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions parti- culières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables ».

À titre préliminaire Il convient de rappeler que la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme, dans un arrêt du 24 juin 2004, énonce au visa de l’article 10, que si la liberté d’expression s’étend également à la publication de photos, il s’agit néanmoins d’un domaine où la protection de la réputation et des droits d’au- 13. Voir : les services d’enregistrement de programmes dans le cloud et l’exception de copie privée – Julien Grosslerner et Florence Jean – trui revêt une importance particulière car il est question de Legipresse n° 341 – septembre 2016. la diffusion non pas d’idées mais d’images contenant des

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informations très personnelles, voire intimes sur un individu. des droits de l’homme reconnaît à toute personne la liberté Ayant rappelé l’importance fondamentale que revêt la pro- de communiquer des informations au public, ce texte prévoit, tection de la vie privée pour l’épanouissement de la person- en son second paragraphe, que l’exercice de cette liberté peut nalité de chacun, la Cour affirme que toute personne, même être soumis à certaines conditions, restrictions ou sanctions connue du grand public, doit pouvoir bénéficier d’une espé- prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires rance légitime de protection et de respect de sa vie privée. dans une société démocratique, notamment pour la protec- tion des droits d’autrui ; tel est l’objet des dispositions du Code En l’espèce pénal relatives à la diffusion d’images portant atteinte à l’inti- mité de la vie privée. Sur la caractérisation des infractions d’atteinte à la vie privée Ainsi, le principe de la liberté d’expression, invoqué notamment par fixation de l’image d’une personne se trouvant dans un par les représentants des organes de presse en cause pour lieu privé sans son consentement (article 226-1 du Code justifier leurs agissements, n’est pas un principe sans limite pénal) et de diffusion au public de ces images (article 226-2 et se heurte ici aux dispositions pénales en matière d’atteinte du Code pénal), il convient de relever que les personnes à l’intimité de la vie privée. photographiées, Monsieur MOUNTBATTEN-WINDSOR William et de Madame MIDDLETON Catherine, bénéficient comme […] tout un chacun, d’une espérance légitime de protection et de respect de sa vie privée. B/ Concernant la publication dans le magazine CLOSER

Il appert que : 1- Mme P. ●● Le couple princier se trouvait en villégiature dans un lieu strictement privé, leur lieu de résidence n’étant pas un éta- Sur la culpabilité blissement ouvert au public mais la propriété d’un proche. Mme P., rédactrice en chef du magazine CLOSER, est poursui- Or, un lieu privé doit être conçu comme un endroit qui n’est vie en qualité de complice sur le fondement de l’article 226-2 ouvert à personne sauf autorisation de celui qui l’occupe de du Code pénal. manière temporaire ou permanente. Mme P. estimait qu’il n’y avait pas d’atteinte à l’intimité de la Dès lors, l’argument selon lequel la constitution de l’infraction vie privée, car les clichés avaient été pris depuis la route - donc dépendait de l’endroit public ou privé d’où est pris le cliché depuis un lieu public - et n’étaient pas dégradants. Selon elle, conduirait à rajouter au texte une condition qui n’y figure pas « ces photos ressemblent à des photos de n’importe quelle jeune celui-ci réprimant uniquement la fixation et/ou la diffusion femme de 30 ans qui prend le soleil avec son amoureux », et elle d’image de personnes se trouvant dans un lieu privé ce qui insistait sur le caractère non dégradant. Elle indiquait que est parfaitement le cas en l’espèce. CLOSER avait à sa disposition d’autres photos, mais qu’elle avait ●● La nature même de la scène, à savoir un moment d’intimité fait le choix de ne pas les publier car lesdites photos étaient d’un couple, qui plus est en maillot de bain, et pour ce qui dégradantes, car elles montraient la duchesse dénudée. concerne Madame MIDDLETON Catherine, le buste dénudé, Elle soutenait également que la protection de l’intimité de la permet de considérer de manière surabondante qu’il s’agit vie privée des personnes publiques était moindre et ce d’au- d’un moment de vie strictement privé. tant qu’elles commercialisaient les images et évènements de ●● Le défaut de consentement exprès du couple n’est pas leur vie privée, comme en l’espèce pour les parties civiles. Elle contesté. ajoutait que l’article dans sa globalité participait à un débat ●● Il ne peut par ailleurs être présumé, comme le permet d’intérêt général et relevait ainsi du droit à l’information. l’article 226-1, dès lors qu’il apparaît clairement qu’il s’agit de clichés dits « volés », pris à une distance certaine et en se Sur ce : dissimulant. Par ailleurs, l’absence de dispositif de sécurité En dépit de ces explications, il ressort que Mme P., en sa qua- particulier entourant le domaine ne saurait présumer un lité de rédactrice en chef du magazine CLOSER, a fait publier quelconque consentement. À ce titre, la clandestinité est un les photographies litigieuses, qu’elle était en outre pleinement élément constitutif essentiel du délit d’atteinte à l’intimité de consciente du risque juridique de leur publication puisqu’elle la vie privée, caractérisé en l’espèce. en avait fait une demande expresse auprès du directeur de la ●● S’agissant de l’élément intentionnel, à savoir la conscience publication, M. MAURI. de porter atteinte à la vie privée d’autrui, résulte en l’espèce Quelle que soit l’appréciation pouvant être faite des clichés d’une part du mode opératoire utilisé pour la prise des clichés publiés, la diffusion de photographies violant l’intimité de la en question (repérages, dissimulations et utilisation de télé- vie privée des époux WINDSOR, caractérise l’infraction visée objectif) et d’autre part du statut de leurs auteurs, à savoir à l’article 226-2 du Code pénal, les parties civiles n’ayant pas des journalistes et des entreprises de presse, spécialisés dans consenti à une telle diffusion. l’actualité des gens célèbres et aguerris en la matière. Il convient en conséquence de retenir Mme P. dans les liens de la prévention. En conséquence, les éléments constitutifs des infractions visées aux articles 226-1 et 226-2 du Code pénal sont parfai- Sur la peine tement caractérisés en l’espèce. Rédactrice en chef du magazine CLOSER, Mme P. perçoit des Enfin, si l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde revenus mensuels de 7 200 euros. Elle a déjà été condamnée

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LP357-FEVRIER-2018.indd 94 22/02/2018 17:54 le 2 septembre 2014 pour des faits similaires, à savoir com- Sur le cumul idéal d’infractions plicité d’atteinte à l’intimité de la vie privée par fixation, enre- M. J. invoque le cumul idéal des deux infractions, mais celles- gistrement ou transmission de l’image d’une personne, à une ci sont distinctes, l’une vise le fait de capter l’image d’une peine de 3 000 euros d’amende avec sursis. personne sans son consentement et dans un lieu privé, il s’agit Outre l’atteinte portée à l’intimité de la vie privée, il y a lieu d’une infraction matérielle et l’autre le fait de la transmettre de constater que les images diffusées par le magazine CLOSER en vue de sa diffusion, infraction de résultat. En outre les étaient vulgaires et attentatoires à l’image de toute femme valeurs sociales protégées par les deux infractions, si elles et en particulier à celle de Madame MIDDLETON Catherine lui sont proches, n’en sont pas moins distinctes. causant ainsi une atteinte à sa dignité, et les propos accom- pagnant les photos particulièrement dégradants compte tenu Sur la peine de sa position sociale. M. J. est photographe professionnel depuis 1986, il perçoit Ainsi, au regard de la personnalité de Mme P., de sa qualité des revenus mensuels compris entre 5 000 euros et 8 000 eu- de professionnel de la presse, de la grave atteinte portée à ros. Il est marié et a un enfant à charge. Aucune mention ne l’intimité de la vie privée de chacun des époux WINDSOR, ct figure sur son casier judiciaire. des limites franchies en l’espèce en matière de droit de la Au regard de sa personnalité, de sa qualité de professionnel presse et de liberté d’expression lesquels étaient non propor- de la presse, de la grave atteinte portée à l’intimité de la vie tionnées et ne pouvaient se justifier sur le fondement du droit privée de chacun des époux WINDSOR, et des limites franchies à l’information, il y a lieu de condamner Mme P. à la peine en l’espèce en matière de droit de la presse et de liberté d’amende maximum prévue par la loi, à savoir 45 000 euros. d’expression lesquelles étaient non proportionnées et ne pouvaient être justifiées par le droit à l’information, il y a lieu […] de condamner M. J. à 10 000 euros d’amende dont 5 000 eu- ros assortis du sursis. 3- M. Dominique J. II/ Sur l’action civile Sur la culpabilité M. J., photographe professionnel, est poursuivi en sa qualité Monsieur William MOUNTBATTEN-WINDSOR et Madame d’auteur sur le fondement de l’article 226-1 du Code pénal et Catherine MIDDLETON directement visés par les photographies de complice sur le fondement de l’article 226-2 du Code pénal litigieuses, sont recevables à se constituer partie civile. pour avoir diffusé les photographies litigieuses. […] En dépit de ses dénégations répétées encore à l’audience, quant au fait d’avoir pris les clichés litigieux, il ressort que M. B/ Sur les demandes formulées contre Dominique J., Cyril J. était dans les environs du château dès le 4/09/2013 pour M., Laurence P. et Ernesto M. faire du repérage, que le 6/09/2013, jour de la prise des pho- tographies son téléphone portable était géo-localisé. 1- La demande de Monsieur William MOUNTBATTEN-WINDSOR Entre 10 h 49 et 13 h 23 le téléphone portable de M. J. activait Monsieur William MOUNTBATTEN-WINDSOR sollicite la à neuf reprises : outre les communications avec M. M., il appe- condamnation solidaire de Dominique J., Cyril MOREAU, Lau- lait à deux reprises M. H. (directeur de la publication de rence PIEAU et Ernesto MAURI à lui verser 450 000 euros de CHOUET’PRESS) et envoyait un SMS à M. V. (paparazzi) dommages et intérêts. Il confirmait à la barre savoir que les époux WINDSOR étaient Il convient de rappeler que le préjudice moral subi par la dans les environs varois et être venu exprès pour les photo- victime d’une infraction s’apprécie notamment au regard des graphier. particularités de cette victime. L’analyse des photographies litigieuses révélait que deux En l’espèce, la notoriété de la personne de Monsieur William séries de photos avaient été prises, l’une montrant la princesse MOUNTBATTEN-WINDSOR résulte de son ascendance et non en maillot de bain bleu, photos identiques à celles faites par de son choix ou de ses actes personnels. Monsieur William Mme S. pour le journal La Provence soit après 12 heures, l’autre MOUNTBATTEN-WINDSOR subit par l’effet de sa seule naissance montrant la princesse en maillot noir et blanc et faisant du les conditions déterminant cette notoriété et par suite, l’inté- topless, laissant penser que ces prises de vues avaient été rêt de la presse pour sa personne. Cet intérêt est systématique faites plus tôt, ce qui était corroboré par l’exploitation du et international, Il porte sur l’ensemble des événements affec- téléphone portable de M. J. qui était géo-localisé dans les tant sa famille. Il réduit notablement l’ampleur de la vie privée alentours du château entre 10 h 29 et 12 h 13. dont Monsieur William MOUNTBATTEN-WINDSOR peut concrè- Il indiquait être photographe professionnel depuis 1986, et tement disposer, laquelle lui est par conséquent particulière- à ce titre bien connaître les règles de la profession entourant ment précieuse. la protection de l’intimité de la vie privée ; il reconnaissait Il y a lieu à cet égard de rappeler que la mère de Monsieur même à la barre du tribunal qu’il aurait bien aimé faire ces William MOUNTBATTEN-WINDSOR est décédée en France au photos et ne savait pas s’il les aurait vendues. cours d’un accident d’automobile survenu alors qu’elle tentait Ainsi il existe suffisamment d’éléments objectifs, tant matériels de protéger son image de photographes « paparazzis ». Il est qu’intentionnels, qui démontrent la participation de M. J. à la notoire que ces photographes ont pris des clichés du véhicule commission de l›infraction. Il convient en conséquence de accidenté pendant que s’y trouvait cette personne grièvement retenir M. J. dans le double lien de la prévention. blessée, ce qui n’a pu rester inconnu de Monsieur William

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MOUNTBATTEN-WINDSOR. Alors âgé de 15 ans, celui-ci a 2- La demande de Madame Catherine MIDDLETON ensuite participé en public à la longue cérémonie protocolaire Madame Catherine MIDDLETON sollicite la condamnation des funérailles de sa mère où il a été continuellement exposé solidaire de Dominique J., Cyril M., Laurence P. et Ernesto M. aux caméras et photographes. Il a par la suite subi l’exploita- à lui verser 1 000 000 euros de dommages et intérêts. tion sensationnaliste de ce décès pendant de nombreuses Les images publiées de Madame Catherine MIDDLETON la années. montrent le buste dénudé sur huit des quatorze photographies, L’ensemble de ces circonstances très particulières n’a pu que et le bas du dos laissant apparaître le haut de ses fesses sur constituer un très lourd et durable traumatisme moral chez l’une d’elles. Monsieur William MOUNTBATTEN-WINDSOR, conduisant à Ces images et les légendes qui les accompagnent portent une vulnérabilité spécifique à des faits tels que ceux consti- atteinte à la part très intime de sa vie privée en ce qu’elles tutifs de l’infraction poursuivie. touchent à l’image de son corps, mais aussi à celle de n’importe Par la suite Monsieur William MOUNTBATTEN-WINDSOR, tout quelle femme, qui chez elle, sur sa terrasse, dans un lieu privé, en se conformant à la publicité inhérente à sa personne, a pris a décidé, à l’abri des regards, de se faire bronzer dans la tenue grand soin de protéger l’intimité de sa vie privée et familiale. qu’elle souhaite. Malgré une notoriété considérable, il a maintenu avec Par ailleurs, Madame Catherine MIDDLETON, en sa qualité de constance et vigilance cette protection. Sa conduite démontre membre de la famille royale du Royaume Uni, et consciente ainsi que tout en équilibrant des particularités aussi fortes des contraintes qui en découlent, a toujours veillé à protéger que sa condition d’héritier de la couronne britannique ou les l’intimité de sa vie privée, et a fait en sorte de donner des conséquences du drame qui l’ont personnellement frappé, il photographies et d’organiser des séances pour que la presse attache la plus haute importance à conserver intacte l’inti- puisse capter son image et celle de sa famille et en particulier mité de sa vie privée. celle de ses enfants dans des moments « privés ». Or, la captation par surprise dans un lieu privé d’images du En l’espèce, la violation de l’intimité de la vie privée de Madame couple qu’il forme avec son épouse, captation qui a été iné- Catherine MIDDLETON est particulièrement grave de sorte vitablement précédée d’une traque, viole cette vie privée. qu’il convient de faire droit à sa demande mais de la réduire Aucun des prévenus, professionnels de la presse, ne pouvait à 50 000 euros et de condamner ainsi solidairement Dominique l’ignorer. Si, pour ces prévenus, la publication litigieuse s’ex- J., Cyril M., Laurence P. et Ernesto M. à lui verser cette somme. plique par l’intérêt commercial d’images acquises malgré une […] évidente illicéité, pour Monsieur William MOUNTBATTEN- WINDSOR cette publication représente une attaque particu- Prés. : Mme Lasserre-Jeannin – Cons. : MM. Kirchner, Cardi – av. : lièrement préjudiciable en ce qu’elle fait radicalement fi d’une M. Veil, Blistene, Iweins. histoire spécifique pourtant bien connue et de la vulnérabi- lité qui en découle. L’exceptionnelle qualité de fils d’une per- En raison de sa longueur, nous ne reproduisons ici que des sonne décédée en tentant de fuir des paparazzis détermine extraits du jugement. La décision est disponible dans son donc l’exceptionnelle mesure du dommage moral causé à intégralité sur le site de Legipresse. Monsieur William MOUNTBATTEN-WINDSOR par les faits de l’espèce. Monsieur William MOUNTBATTEN-WINDSOR a subi la douleur morale de la révélation de la captation dans un lieu privé ■■COMMENTAIRE d’images intimes de son couple suivie de leur publication sensationnaliste dans le magazine CLOSER où elles sont accom- Nicolas Verly pagnées de commentaires déplaisants, ainsi que celle de Avocat au Barreau de Paris l’offense et du scandale inhérents à ces faits pour un héritier Chargé d’enseignement de la couronne britannique. à l’Université Paris 1 Il a également subi celle de la déception de constater que ni ses propres efforts, ni les dispositions légales protectrices de Le jugement (non définitif) rendu le 5 septembre 2017 par le la vie privée en France, ni l’élémentaire décence que l’on tribunal correctionnel de Nanterre dans l’« affaire Kate Middleton » pourrait attendre de professionnels de la publication de presse, permet de revenir sur le délit d’atteinte à l’intimité de la vie privée, ne l’en avaient protégé. qui a donné lieu ces dernières années à de nombreuses décisions À cet égard, il y a lieu de relever que l’exploitation systématique impliquant aussi bien des personnalités que des anonymes. par la presse de la notoriété de Monsieur William MOUNTBAT- TEN-WINDSOR contrarie sa capacité à produire des éléments Bien que les faits soient connus de tous pour avoir largement à l’appui de l’évaluation de son dommage moral puisque leur défrayé la chronique, il convient de les rappeler en quelques révélation deviendrait aussi et ipso facto un matériau exploi- lignes. Au cours de l’été 2012, le duc et la duchesse de Cambridge table par cette même presse au détriment de sa vie privée. – plus communément désignés comme le Prince William et la Il convient dans ces conditions de faire droit à sa demande Princesse Kate – ont effectué un bref séjour privé dans un châ- en indemnisation de son préjudice moral mais de la réduire teau du sud de la France appartenant à un membre de la famille à de plus justes proportions à hauteur de 50 000 € et de royale. Lors de ce séjour, le jeune couple est apparu sur l’une condamner solidairement Dominique J., Cyril M., Laurence P. des terrasses de la propriété, dans les tenues (estivales) et atti- et Ernesto M. à lui verser cette somme. tudes (décontractées) de ceux qui ne se pensaient pas épiés.

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LP357-FEVRIER-2018.indd 96 22/02/2018 17:54 L’annonce de leur venue dans cette petite localité du Vaucluse 1. Des investigations préalables n’a pas manqué d’attirer l’attention de photographes, qui ont aux poursuites confrontées au cru devoir saisir ces instants de détente et réaliser des clichés secret des sources journalistiques représentant notamment la Princesse Kate, buste dénudé. Ces photographies ayant ensuite été publiées dans un hebdomadaire de presse à sensation et partiellement reprises dans un quotidien Cherchant à identifier les auteurs des photographies faisant local, le Prince William et la Princesse Kate ont déposé plainte l’objet des poursuites, les enquêteurs ont tout d’abord directement pour atteinte à l’intimité de leur vie privée, sur le fondement des interrogé les responsables légaux des organes de presse dans articles 226-1 et 226-2 du Code pénal. Ils ont parallèlement lesquels les clichés avaient été diffusés. Si le quotidien local, saisi la juridiction des référés, aux fins notamment de faire cesser soucieux de démontrer sa bonne foi, a communiqué l’identité de la diffusion des clichés litigieux et de se voir communiquer les son photographe, les responsables de l’hebdomadaire ont refusé supports numériques contenant ces clichés, ce qu’ils ont obtenu1. de le faire, arguant du droit au secret des sources journalistiques.

Les investigations ont permis d’identifier rapidement trois pho- Il n’est pas surprenant de voir ici invoqué le droit au secret des tographes, qui ont été entendus, de même que les directeurs sources, dont la Cour européenne des droits de l’homme rappelle de la publication des deux organes de presse dans lesquels les qu’il constitue un « véritable attribut du droit à l’information »3 et clichés avaient été publiés et la rédactrice en chef de l’hebdo- qui donne régulièrement lieu à des condamnations – y compris madaire. Les protagonistes ainsi mis en cause ont ensuite été de la France – par les juges de Strasbourg4. mis en examen puis renvoyés devant le tribunal correctionnel de Nanterre, sous des préventions découlant de leur participa- Les juridictions françaises se montrent toutefois souvent plus tion aux faits : certains – les photographes – pour avoir fixé les frileuses dans l’application de la loi du 4 janvier 2010 relative à clichés litigieux et avoir contribué à leur diffusion dans la presse, la protection des sources des journalistes, laquelle prévoit qu’il d’autres – les directeurs de la publication et la rédactrice en chef peut être porté atteinte au secret des sources dans l’hypothèse – pour avoir pris la décision de diffuser les photographies dans – hautement subjective5 – d’un « impératif prépondérant d’inté- leurs organes de presse respectifs2. rêt public ». Certaines décisions récentes ont d’ailleurs écarté la protection de ce droit en considérant que les investigations Par jugement en date du 5 septembre 2017, le tribunal correc- effectuées n’avaient pas eu pour objectif ou pour effet d’iden- tionnel de Nanterre est entré en voie de condamnation à l’égard tifier une source6. de l’ensemble des prévenus et a prononcé à leur encontre des peines d’une rare sévérité, le directeur de la publication et la Il convient également de noter que, si la loi du 10 novembre 2016 rédactrice en chef de l’hebdomadaire se voyant notamment « visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des condamnés à des amendes correctionnelles de 45 000 euros médias » prévoyait des dispositions tendant à renforcer et étendre constituant le montant maximum prévu par la loi pour ce genre le droit au secret des sources, celles-ci ont été censurées par le de délit. Le tribunal n’a pas été en reste sur le plan des mesures Conseil constitutionnel qui a jugé qu’ « aucune disposition consti- de réparation civile, le montant total des dommages et intérêts tutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des sources s’élevant à plus de 100 000 euros. des journalistes », rejoignant ainsi une position récemment affirmée par le Conseil d’État7. Bien qu’il s’agisse là d’une décision de première instance frappée d’appel, les arguments qui ont été opposés en défense et leur Quoi qu’il en soit, dans l’espèce commentée, bien que le droit au réception par le tribunal permettent d’apporter un éclairage sur secret des sources ait été opposé aux enquêteurs, cela n’a pas l’état de la jurisprudence en la matière. pour autant empêché ces derniers de parvenir à l’identification des auteurs de photographies, par le biais d’investigations tech- Ainsi, au stade des investigations préalables aux poursuites, la niques parallèles qui n’ont pas été critiquées par les prévenus8. question de l’identité des auteurs des photographies litigieuses s’est heurtée au droit au secret des sources journalistiques, qui 3. CEDH, 27 nov. 2007, n° 20477/05, Tillack c/ Belgique : Légipresse 2008, n’a toutefois pas été un obstacle à l’identification des responsables n° 249, III, p. 33, note A. Guedj. (1). Sur le plan de la qualification juridique, le tribunal a fait une 4. CEDH, 5 oct. 2017, n° 21272/12, Becker c. Norvège ; 19 janv. 2016, application de la jurisprudence constante relative aux éléments n°49085/07, Görmüs c. Turquie ; 16 juill. 2013, n° 73469/10, Nagla c. Lettonie ; 18 avr. 2013, n° 26419/10, Saint-Paul c. Luxembourg ; 28 juin 2012, matériel et moral des infractions prévues aux articles 226-1 et n° 15054/07, Ressiot c/ France ; 12 avr. 2012, n° 30002/08, Martin c/ France. 226-2 du Code pénal, qui ont largement prévalu sur le droit à 5. V., pour l’admission d’un impératif prépondérant (Cass. crim., 14 mai 2013, n° 11-86.626 ; 11 janv. 2012, n° 10-85.44 ; CA Paris, 24 févr. 2012 : l’information invoqué en défense (2). Enfin, les juges ont pris Légipresse 2012, n°293, I, p.215) ou son refus (Cass. crim., 7 mai 2014, soin de justifier la grande sévérité des peines et mesures de n° 13-82459 ; 25 févr. 2014, n° 13-84761 ; 6 déc. 2011, n° 11-83970 ; TGI réparation civile qu’ils ont prononcées (3). Paris, 8 avril 2014, Légipresse n° 316, mai 2014). 6. Cass. Ass. plén., 10 nov. 2017, n° 17-82028 – Cass. crim., 26 juill. 2017, n° 16-87189 – Cass. com., 11 mai 2017, n° 15-28988. 7. Cons. Const., 10 nov. 2016, n° 2016-738 DC – Cons. const., 24 juill. 1. TGI Nanterre, 18 septembre 2012, Légipresse n° 298, octobre 2012 ; 2015, n° 2015-478 QPC – CE, 12 févr. 2016, n° 388134. confirmé par CA Versailles, 5 juin 2013, Légipresse n° 310, novembre 2013. 8. Lesquelles ont en l’espèce été menées avec une rare efficacité ; le statut 2. Cette décision n’étant pas définitive à ce jour, il convient de préciser des plaignants n’y était peut-être pas étranger. Quelques mois auparavant, que certains des photographes poursuivis ont expressément contesté leur une atteinte à l’intimité de la compagne du président de la République participation aux faits ; le présent commentaire n’a nullement vocation à avait elle aussi donné lieu à des investigations similaires (TGI Nanterre, 2 prendre position sur leur culpabilité éventuelle. septembre 2014, Légipresse n° 320, octobre 2014).

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Une fois l’ensemble des protagonistes identifiés, il convenait endroit qui n’est ouvert à personne sauf autorisation de celui qui d’apprécier leurs responsabilités respectives au regard des l’occupe de manière temporaire ou permanente ». dispositions applicables en matière d’atteinte à l’intimité de la vie privée. Ont ainsi notamment été considérés comme des lieux privés, parce que non accessibles au public sans autorisation : l’intérieur 2. La caractérisation par le tribunal d’un domicile11, d’une chambre12 ou d’un véhicule13, le vestiaire des délits de fixation et de diffusion d’une piscine municipale14, des locaux de police15, une cellule 16 17 de clichés attentatoires à l’intimité de prison ou encore une chambre mortuaire . de la vie privée du couple princier En revanche, le délit ne peut être constitué si les clichés ont été réalisés dans un lieu dont le caractère privé n’est pas établi ; tel Il a été précédemment rappelé que les poursuites étaient – alter- est le cas, par exemple, d’un lieu accueillant un mariage religieux, nativement ou cumulativement – engagées sur le fondement cérémonie publique par nature dont l’accès n’avait pas été des articles 226-1 et 226-2 du Code pénal9. Le premier de ces restreint par les organisateurs18. textes sanctionne de peines allant jusqu’à un an d’emprisonne- ment et 45 000 euros d’amende « le fait, au moyen d’un procédé En l’espèce, le tribunal considère à juste titre que la terrasse du quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie château, même visible depuis le domaine public, est bien un privée d’autrui (…) en fixant, enregistrant ou trans- lieu privé. Les magistrats précisent que le fait mettant, sans le consentement de celle-ci, l’image Si le caractère intrusif d’apprécier le caractère illicite de l’atteinte en d’une personne se trouvant dans un lieu privé », le des photographies fonction du lieu depuis lequel les clichés ont été texte précisant que lorsque les faits litigieux « ont influe nécessairement réalisés reviendrait « à rajouter au texte une condi- été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils sur l’appréciation du tion qui n’y figure pas ». s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de préjudice, il n’est pas un le faire, le consentement de ceux-ci est présumé ». élément constitutif du Cette appréciation doit être approuvée : peu im- délit d’atteinte à l’intimité porte le lieu depuis lequel l’atteinte est réalisée, L’article 226-2 du Code pénal sanctionne quant à de la vie privée. c’est bien l’endroit dans lequel se trouve la victime lui des mêmes peines « le fait de conserver, porter de l’atteinte qui doit être pris en considération. La ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’uti- cour d’appel de Paris a ainsi déjà eu l’occasion de préciser que liser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou docu- le pont d’un yacht, fût-il visible au téléobjectif depuis le port, ment obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1 », constituait bien un lieu privé où les personnes étaient « fondées étant précisé que lorsque les faits sont commis par voie de à se croire à l’abri des regards d’autrui » 19. presse, « les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des Le tribunal précise encore que par la « nature même de la personnes responsables ». Cette dernière disposition concerne scène »20, les clichés en cause avaient une nature intime, mais la responsabilité en cascade, prévue aux articles 42 à 44 de la il prend soin de préciser que cette appréciation est en tout loi du 29 juillet 1881 en matière de presse écrite et aux ar- état de cause « surabondante ». En effet, si le caractère intrusif ticles 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 en matière de des photographies influe nécessairement sur l’appréciation communication en ligne ou d’audiovisuel. du préjudice, il n’est pas un élément constitutif du délit d’at- teinte à l’intimité de la vie privée. La jurisprudence rappelle En défense, les prévenus soutenaient que les délits n’étaient pas ainsi que, sauf à la vider de son contenu, l’infraction peut être caractérisés, dans la mesure où l’élément matériel de la fixation caractérisée par des clichés parfaitement banals représentant, faisait défaut – les clichés ayant été réalisés depuis le domaine par exemple, une partie de visage21 ou une personne assise public – et où l’élément moral n’était pas davantage établi, au volant de son véhicule22. s’agissant de photographies réalisées et diffusées dans un but d’information du public sur un sujet d’intérêt général.

Ces arguments sont balayés par le tribunal correctionnel10. 11. CA Paris, 20 octobre 2010, Légipresse n° 279, janvier 2011. 12. TGI Paris (17e ch. corr.), 1er février 2017, Légipresse n° 351, mars 2017 ; 10 mars 2016, Légipresse n° 339, mai 2016. 2.1 – Le tribunal statue tout d’abord sur le caractère privé du 13. Que les portières soient ouvertes (Cass. crim., 20 novembre 2007, lieu, dont il donne une définition conforme à celle de la juris- n° 06-82753) ou fermées (Cass. crim., 28 novembre 2006, n°06-81200 ; TGI Nanterre, 2 septembre 2014, Légipresse n° 320, octobre 2014). prudence constante : « un lieu privé doit être conçu comme un 14. Cass. crim., 31 octobre 2017, n° 16-87411. 15. CA Aix en Provence, 25 mars 2002, Jurisdata n°2002-188869. 16. TGI Paris (17e ch. corr.), 26 novembre 2013, Légipresse n° 312, janvier 2014. 9. Pour lesquels les articles 226-5 et 226-7 du Code pénal prévoient 17. CA Paris, 2 juillet 1997, Jurisdata n°1997-022187. respectivement la tentative (Cass. crim., 31 octobre 2017, n° 16-87411) et la 18. Cass. crim., 25 octobre 2011, n°11-80266, Bull. crim. 2011 n° 214. responsabilité pénale des personnes morales (CA Aix en Provence, 25 mars 19. CA Paris, 18 septembre 2008, Jurisdata n°2008-370536. 2002, Jurisdata n° 2002-188869). 20. A savoir, « un moment d’intimité d’un couple, qui plus est en maillot 10. Précisons que les photographes, poursuivis pour captation illicite des de bain, et pour ce qui concerne Madame Middleton Catherine, le buste images en cause et complicité de leur diffusion dans la presse, invoquaient dénudé » (jugement, p. 18). le cumul idéal d’infractions ; cet argument est rejeté par le tribunal, au motif 21. CA Paris, 20 octobre 2010, Légipresse n° 279, janvier 2011. que les deux infractions (l’une matérielle, l’autre de résultat) sont distinctes. 22. TGI Nanterre, 2 septembre 2014, Légipresse n° 320, octobre 2014.

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LP357-FEVRIER-2018.indd 98 22/02/2018 17:54 2.2 – Les juges rappellent encore que si l’article 226-1 du Code l’homme28. À cet égard, la Cour de cassation a eu l’occasion de pénal prévoit la possibilité d’un consentement présumé à la confirmer récemment la conformité des articles 226-1 et 226-2 captation d’une image lorsque les clichés ont été pris au su et du Code pénal à la Constitution, l’objectif de protection de sans opposition des intéressés, tel ne peut être le cas en l’espèce, l’intimité de la vie privée pouvant constituer un obstacle légitime dans la mesure où « il s’agit de clichés dits « volés » pris à une distance à la liberté d’expression29. certaine et en se dissimulant ». Il est vrai que le caractère « volé » des photographies réalisées au téléobjectif est, par définition, Rappelons également que la loi relative à l’indépendance et au antinomique avec la notion de consentement23 et avec une absence pluralisme des médias du 10 novembre 2016 instituait initialement d’opposition à la captation, qui doit au demeurant une immunité pénale pour les journalistes pour- être démontrée par l’auteur des clichés24. Il apparaissait difficile suivis pour atteinte à l’intimité de la vie privée, de soutenir que les clichés lorsque ces derniers détiennent des informations 2.3 – Le tribunal considère enfin que l’élément en cause, représentant dont la diffusion au public constituait un but légi- intentionnel des délits poursuivis se déduit en un couple princier en time dans une société démocratique, mais que l’espèce de la « conscience de porter atteinte à la vie maillot de bain et buste cette disposition a été déclarée inconstitutionnelle privée d’autrui », compte tenu du « mode opératoire dénudé dans des moments au motif qu’elle n’instaurait pas une conciliation utilisé » – repérages et images volées au téléob- de loisir et de détente, équilibrée entre la liberté d’expression et le droit jectif – et du statut professionnel des photographes puissent se rapporter à au respect de la vie privée30. ainsi que des entreprises de presse ayant diffusé une information légitime. les clichés en cause. Il importe peu que les préve- Par conséquent, doivent être sanctionnées la nus se soient, comme ils l’affirmaient, livrés à une sélection des captation et la publication de clichés qui ne sont pas en lien clichés en laissant délibérément de côté ceux qui leur apparaissaient direct avec une information pertinente31. C’est d’ailleurs en ce les plus impudiques : l’élément moral est bien constitué25. sens que la Cour européenne des droits de l’homme, dans une décision rappelée par le tribunal, a jugé que la liberté d’expres- Mais surtout, le tribunal écarte l’argument selon lequel l’élément sion par l’image pouvait céder devant la nécessité de protéger intentionnel n’était pas établi dans la mesure où les prévenus la réputation et les droits d’autrui au sens de l’article 10 § 2 de auraient agi dans un but d’information du public. la Convention européenne des droits de l’Homme, lorsque le cliché n’était pas « justifié par l’intérêt du public »32. Cet argument a certes déjà été retenu en matière d’atteinte à l’intimité de la vie privée ; ainsi la cour d’appel de Bordeaux a En l’espèce, il apparaissait difficile de soutenir que les clichés en récemment confirmé la relaxe de journalistes et directeurs de cause, représentant un couple princier en maillot de bain et la publication poursuivis sur le fondement des articles 226-1 et buste dénudé dans des moments de loisir et de détente, puissent 226-2 du Code pénal en jugeant que ceux-ci n’avaient « pas eu se rapporter à une information légitime. C’est donc à juste titre l’intention, au travers de leurs articles, de violer la loi, de porter que le tribunal a écarté cet argument. atteinte à l’intimité de la vie privée (…), mais qu’ils avaient sim- plement la volonté d’informer sur un sujet légitime »26. 3. Des peines et mesures de réparation civile à la sévérité exemplaire Néanmoins, la jurisprudence est majoritairement peu favorable à légitimer les atteintes « pénalement sanctionnées » à l’intimité Les peines prononcées par le tribunal à l’égard de deux des de la vie privée par le droit à l’information27 et souligne au prévenus33 ont atteint le maximum légal prévu en terme contraire que la protection de cette intimité relève des « droits d’amende (45 000 euros) ; quant aux dommages et intérêts d’autrui » pouvant faire obstacle à la liberté d’informer en vertu alloués aux parties civiles pour plus de 100 000 euros, ils sont de l’article 10 § 2 de la Convention européenne des droits de eux aussi particulièrement élevés34.

Les juges, souverains dans leur appréciation de l’indemnité 23. Pour une illustration, v. CA Paris, 18 septembre 2008 (Jurisdata n° 2008- propre à réparer le dommage né de l’infraction35, statuent en 370536), infirmant un jugement qui avait considéré que « bien qu’informés du caractère particulièrement médiatisé de leur croisière, les intéressés n’ont quelques lignes sur le préjudice causé par le quotidien local et pas cherché à se soustraire aux objectifs, se maintenant en dépit de cette connaissance sur le pont du bateau, visible de la côté alors qu’il leur était notamment loisible de lever l’ancre ou de se déplacer sur une partie du navire hors de la vue des tiers » (TGI Paris, 13 octobre 2006, Légipresse n° 239). 28. Cass. 1re civ., 15 janvier 2015, n° 14-12200 ; 29 octobre 2014 (2 arrêts), 24. Pour un consentement écarté dans le cas où la personne est blessée n° 13-26081 et 13-24554 ; CA Versailles, 9 février 2017, Légipresse n° 347, ou décédée (Cass. crim., 20 novembre 2007, n°06-82753 ; CA Paris, 2 février 2017. juillet 1997, Jurisdata n°1997-022187), ou lorsqu’elle « ne pouvait (…) 29. Cass. 1re civ., 5 février 2014, n° 13-21929 ; 3 septembre 2014, n° 14- refuser » de donner son accord (photographie réalisée par des policiers 12200. dans le cadre d’une garde à vue : CA Aix en Provence, 25 mars 2002, 30. Cons. Const., 10 nov. 2016, n° 2016-738 DC. Jurisdata n°2002-188869). 31. CA Paris, 20 octobre 2010, Légipresse n° 279, janvier 2011 ; TGI Paris, 25. V., égal. en ce sens CA Versailles, 9 février 2017, Légipresse n° 347, 10 mars 2016, Légipresse n° 339, mai 2016 ; TGI Paris, 26 novembre 2013, février 2017 : « il importe peu que (les auteurs de l’infraction) aient procédé Légipresse n° 312, janvier 2014. à un tri au sein des enregistrements pratiqués dès lors que le caractère 32. CEDH, Von Hannover c. France, 24 juin 2004, 59320/00, § 59 et s. illicite de sa diffusion résulte, en application de l’article 226-1 du Code 33. Le directeur de la publication et la rédactrice en chef de l’hebdomadaire pénal, du fait qu’il a été obtenu à l’aide d’un des actes prohibés par l’article « people ». 226-1 du même code ». 34. Même s’ils restent bien inférieurs aux demandes formées par les parties 26. CA Bordeaux, 21 septembre 2017, Légipresse n° 353, septembre 2017. civiles à hauteur d’1,5 million d’euros. 27. TGI Paris, 26 novembre 2013, Légipresse n° 312, janvier 2014. 35. Cass. crim., 28 novembre 2006, n° 06-81200.

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réservent en revanche l’essentiel de leurs développements à la trer l’étendue de son préjudice40, le tribunal considère en l’espèce réparation du dommage causé par l’hebdomadaire de presse que le Prince William n’était pas en capacité de produire d’élé- dite « people ». ments à l’appui de l’évaluation de son dommage moral « puisque leur révélation deviendrait ipso facto un matériau exploitable » S’agissant en premier lieu du Prince William, le tribunal relève par la presse à sensation, « au détriment de sa vie privée ». Il est tout d’abord que sa notoriété « résulte de son ascendance et non vrai que les juges disposaient, par les faits relevés précédemment, de son choix ou de ses actes personnels ». Il en découle pour les d’éléments leur permettant d’apprécier le préjudice moral subi juges deux conséquences : d’une part, cette notoriété, qu’il est par le plaignant. tenu d’assumer en sa qualité de second dans l’ordre de succes- sion au trône britannique, même si elle peut justifier l’intérêt S’agissant en second lieu de la Princesse Kate, le tribunal rappelle du public36, ne saurait lui être reprochée ; d’autre part, l’exposi- que, bien qu’étant membre de la famille royale du Royaume-Uni, tion permanente dont il est l’objet rend d’autant celle-ci « a toujours veillé à protéger l’intimité de plus « réduit notablement l’ampleur de (sa) vie La référence au contexte sa vie privée » en dehors de séances de photogra- privée », laquelle « lui est par conséquent particu- familial des atteintes phies officielles relevant de ses « contraintes » à lièrement précieuse »37. à l’intimité n’est pas sans l’égard de la presse. Mais là encore, les juges rappeler les « sentiments soulignent, pour entrer tout aussi lourdement Les magistrats examinent ensuite l’ampleur du d’affliction » des proches en voie de condamnation, que l’atteinte subie préjudice subi par le Prince et soulignent à cet d’une personne décédée, par la plaignante est « particulièrement grave » et égard la « douleur morale » résultant de « de la notamment retenue par résulte du caractère partiellement dénudé des révélation de la captation dans un lieu privé la Cour de cassation photographies la représentant ; celles-ci « touchent d’images intimes de son couple suivie de leur publi- à l’image de son corps, mais aussi à celle de n’im- cation sensationnaliste (…) accompagnées de commentaires porte quelle femme qui, chez elle, sur sa terrasse, dans un lieu déplaisants, ainsi que celle de l’offense et du scandale inhérents à privé, a décidé, à l’abri des regards, de se faire bronzer dans la tenue ces faits pour un héritier de la couronne britannique ». qu’elle souhaite ».

Les juges précisent que le préjudice du plaignant résulte égale- En voyant dans le statut de la Princesse Kate celui de « n’importe ment de sa « déception » de constater une persistance des atteintes quelle [autre] femme », le tribunal renvoie à la notion d’« espérance à son intimité en dépit de ses efforts, des dispositions légales légitime » à la protection de sa vie privée, dégagé dans l’arrêt applicables en France et de « l’élémentaire décence que l’on pour- Von Hannover contre France qu’il avait précédemment cité41. rait attendre de professionnels de la publication de presse »38. En conclusion, si le jugement rendu par le tribunal correctionnel Mais en réalité, c’est l’histoire familiale personnelle du Prince de Nanterre a pu apparaître comme particulièrement sévère, il William que le tribunal prend en considération pour apprécier n’en reste pas moins une décision s’inscrivant dans le sillage « l’exceptionnelle mesure du préjudice moral » causé par les publi- d’une jurisprudence constante en matière d’atteinte à l’intimité cations poursuivies : il est ainsi rappelé que la mère du plaignant de la vie privée. Quant à la sévérité inhabituelle des peines et « est décédée en France au cours d’un accident d’automobile sur- mesures de réparation prononcées, elles ne sont que le reflet venu alors qu’elle tentait de protéger son image de photographes du contexte exceptionnel dans lequel les photographies pour- « paparazzis » » et que « ces photographes on pris des clichés du suivies ont été publiées. Il n’y avait peut-être finalement pas véhicule accidenté pendant que s’y trouvait cette personne griève- tant à s’en émouvoir. N.V. ment blessée », tandis que le Prince William, alors âgé de 15 ans, a subi « l’exploitation sensationnaliste de ce décès » pendant les funérailles de sa mère et longtemps après celles-ci. La référence au contexte familial des atteintes à l’intimité n’est pas sans rappeler les « sentiments d’affliction » des proches d’une personne décédée, notamment retenue par la Cour de cassation au sujet de la publication de clichés du corps du Préfet Erignac39.

Enfin, bien que la jurisprudence rappelle qu’il appartient à la victime d’une atteinte aux droits de la personnalité de démon-

36. Sur la notion d’intérêt général s’attachant à l’ordre de succession au trône, excluant l’atteinte aux droits de la personnalité : CA Versailles, 40. Pour des illustrations récentes : TGI Nanterre, 14 septembre 2017, 23 février 2017, Légipresse n° 348, mars 2017. Légipresse n°356, décembre 2017 ; 27 avril 2017, Légipresse n°354, 37. V., pour le rappel de la nécessaire protection de l’intimité de la vie privée octobre 2017. d’une personnalité publique : CA Paris, 31 mai 2017, Légipresse n° 357, 41. CEDH, Von Hannover c. France, 24 juin 2004, 59320/00, § 69 : « toute janvier 2018. personne, même connue du grand public, doit pouvoir bénéficier d’une « 38. Le critère de la persistance des atteintes est régulièrement pris en espérance légitime » de protection et de respect de sa vie privée ». V. égal. considération : v. par ex. : CA Paris 23 octobre 2015, Légipresse n° 335, dans le même sens, pour la diffusion de clichés représentant une ministre janvier 2016. en maillot de bain : TGI Nanterre, 19 septembre 2013 Légipresse n° 313, 39. Cass. 1re civ., 20 décembre 2000, n°98-13875 ; Bull. civ. n°341. février 2014.

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LP357-FEVRIER-2018.indd 100 22/02/2018 17:54 Textes & documents L’objet et le champ d’application du droit voisin des éditeurs de publications de presse Rapport de Laurence Franceschini au CSPLA, février 2017

Par une lettre de mission du 16 octobre 2017, le président du CSPLA, M. Pierre-François Racine, a chargé Laurence Franceschini d’étudier, dans le cadre des discussions portant sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, les deux problématiques suivantes : d’une part la question des objets concernés par le droit voisin des éditeurs de publications de presse tel qu’il est prévu à l’article 11 de la proposition de directive du 14 septembre 2016 et, d’autre part, la définition des opérateurs auxquels il est susceptible de s’appliquer.

ette demande s’inscrit dans le droit fil de la mission paragraphe 22, de la directive 2001/29/CE aux éditeurs de publi- relative à la création d’un droit voisin pour les éditeurs cations de presse pour l’utilisation numérique de leurs publica- de presse qui m’avait été confiée en 2016 sur le principe tions et l’article 12 prévoit la possibilité pour les États membres Cet l’analyse des conditions de mise en œuvre de ce droit. de permettre à tous les éditeurs de publications de presse de Il est indiqué dans la lettre de mission, qui m’a été adressée, réclamer une partie de la compensation pour les utilisations que « la question se pose de savoir si les éléments intégrés (no- relevant d’une exception. Ces deux articles ont une portée et tamment les photographies) dans une publication ou les extraits une finalité différentes (cf. infra). (snippets) peuvent être protégés individuellement au titre du Aux termes de l’article 11 portant sur la protection des publica- droit voisin. La question des opérateurs concernés par les dispo- tions de presse en ce qui concerne les utilisations numériques sitions européennes se pose particulièrement au sujet de l’inté- « 1. Les États membres confèrent aux éditeurs de publications de gration des agences de presse dans le champ d’application de presse les droits prévus à l’article 2 et à l’article 3, paragraphe 2, de ce droit voisin. La présente mission aura donc pour sujet princi- la directive 2001/29/CE pour l’utilisation numérique de leurs publi- pal la détermination de 1’étendue du futur droit voisin reconnu cations de presse. / 2. Les droits visés au paragraphe 1 laissent intacts aux éditeurs de presse par les articles 11 et 12 de la proposition et n’affectent en aucune façon les droits conférés par le droit de de directive du 14 septembre 2016, tant vis-à-vis de l’objet du l’Union aux auteurs et autres titulaires de droits, à l’égard des œuvres droit que de ses bénéficiaires. » et autres objets protégés inclus dans une publication de presse. Ces Je me suis employée à répondre à cette demande en rappelant droits sont inopposables aux auteurs et autres titulaires de droits l’essence et la justification de ce droit voisin (I), en traitant la et, en particulier, ne sauraient les priver de leur droit d’exploiter question des objets de ce droit qui ne saurait faire abstraction leurs œuvres et autres objets protégés indépendamment de la de leur protection par le droit d’auteur (II) et en examinant le publication de presse dans laquelle ils sont inclus. /3. Les articles 5 bien-fondé de l’intégration des agences de presse dans le champ à 8 de la directive 2001/29/CE et de la directive 2012/28/UE s’ap- d’application de ce droit voisin (III). pliquent mutatis mutandis aux droits mentionnés au paragraphe 1. / 4. Les droits mentionnés au paragraphe 1 expirent 20 ans après Le titre IV de la proposition de directive concerne les mesures la publication de la publication de presse. Cette durée est calculée visant à assurer le bon fonctionnement du marché des droits à partir du 1er janvier de l’année suivant la date de publication. ». d’auteur. L’article 11 étend les droits prévus aux articles 21 et 3, Aux termes de l’article 12 portant sur la demande de compen- sation équitable « Les États membres peuvent prévoir que lorsqu’un auteur a cédé ou concédé sous licence un droit à un éditeur, cette

1. Article 2 Droit de reproduction / Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, 2. Article 3 paragraphe 2. « Les États membres prévoient le droit exclusif provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que d’autoriser ou d’interdire la mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, ce soit, en tout ou en partie: / a) pour les auteurs, de leurs œuvres ; b) pour de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il les artistes interprètes ou exécutants, des fixations de leurs exécutions; / c) choisit individuellement: / a) pour les artistes interprètes ou exécutants, des pour les producteurs de phonogrammes, de leurs phonogrammes; /d) pour fixations de leurs exécutions; / b) pour les producteurs de phonogrammes, les producteurs des premières fixations de films, de l’original et de copies de leurs phonogrammes; / c) pour les producteurs des premières fixations de leurs films; / e) pour les organismes de radiodiffusion, des fixations de de films, de l’original et de copies de leurs films; / d) pour les organismes de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par fil ou sans fil, y compris par radiodiffusion, des fixations de leurs émissions, qu’elles soient diffusées par câble ou par satellite. » fil ou sans fil, y compris par câble ou par satellite. »

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cession ou licence constitue un fondement juridique suffisant pour d’autres œuvres ou objets et constitue une unité au sein d’une que l’éditeur puisse revendiquer une part de la compensation publication périodique ou régulièrement actualisée portant un versée pour les utilisations de l’œuvre faites en vertu d’une exception titre unique, telle qu’un journal ou un magazine généraliste ou ou limitation audit droit. ». Cette disposition vise à tirer les consé- spécialisé, dans le but de fournir des informations sur l’actualité quences en faveur des éditeurs de l’arrêt Reprobel qui avait ou d’autres sujets publiées sur tout support à l’initiative, sous la considéré que les éditeurs ne figurent pas au nombre des titu- responsabilité éditoriale et sous le contrôle d’un prestataire de laires du droit de reproduction tel que prévu à l’article 2 de la services. ». Plusieurs éléments de cette définition sont importants directive 2001/29, « Dès lors, d’une part, que la compensation au regard de la question posée sur l’objet du droit voisin. Ainsi équitable, qui est due au titre de l’exception de reprographie ainsi la publication comprend des œuvres littéraires mais aussi d’autres que de l’exception de copie privée, est destinée, ainsi qu’il ressort œuvres ou objets non nommés. Elle comprend donc aussi des du point 36 du présent arrêt, à réparer le préjudice subi par les titu- « objets » qui peuvent ne pas être protégés par le droit d’auteur laires de droits du fait de la reproduction de leurs œuvres sans leur et, de ce point de vue, embrasse les contenus de manière plus autorisation et, d’autre part, que les éditeurs ne sont pas des titulaires large que le droit d’auteur. Ce constat ne peut rester sans inci- du droit exclusif de reproduction au sens de l’article 2 de la directive dence sur le contenu des réponses à apporter à la question de 2001/29, ces derniers ne subissent aucun préjudice au sens de ces savoir si le futur droit couvre les photographies ou les vidéos. deux exceptions. Comme en droit français3, la définition met en exergue le carac- Ils ne sauraient donc bénéficier d’une compensation au titre desdites tère périodique de la publication et l’actualisation régulière de exceptions lorsqu’un tel bénéfice aurait pour conséquence de priver l’information fournie, ce qui est le propre des sites de presse en les titulaires du droit de reproduction de tout ou partie de la com- ligne ainsi que le caractère neutre de cette définition au regard pensation équitable à laquelle ils ont droit au titre de ces mêmes du support de diffusion. Cet article, proche de la définition exceptions. » (CJUE, 12 novembre 2015, Hewlett-Packard française de la publication de presse, n’appelle pas d’observation SPRL c/ Reprobel, aff. C-572/13). autre que celle de savoir s’il peut englober les agences de presse S’agissant des éditeurs de publications de presse, comme d’ail- ou s’il doit être complété à cette fin. leurs des éditeurs de livres, cet article 12 est utile, compte tenu Toutefois le considérant n° 33 indique que les « publications de cette jurisprudence, dans la mesure où, pour la presse impri- périodiques qui sont diffusées à des fins scientifiques ou universi- mée – au titre de laquelle ils sont seulement cessionnaires du taires, telles les revues scientifiques ne devraient pas être couvertes droit d’auteur des journalistes -, le droit de reproduction prévu par la protection accordée. ». L’opportunité et la justification de à l’article 11 ne vaut que pour les utilisations numériques. la distinction entre les publications couvertes et celles qui ne le Ces dispositions sont éclairées par les considérants 31 à 36 de seraient pas n’est pas claire. Il s’agit en réalité d’une véritable la proposition de directive. restriction qui revient à discriminer certaines publications en fonction de leur contenu alors qu’elles répondent à l’exigence On rappellera d’abord la prééminence du droit d’auteur. En du caractère périodique et qui crée, sans raison objective, des France, par exemple, depuis 1985, coexistent les régimes de problèmes de définition et de frontières (comment définit-on droit d’auteur et de droits voisins mais en vertu de l’article une publication à des fins scientifiques ?), susceptibles de varier L. 211-1 du Code de la propriété intellectuelle « les droits voisins d’un État membre à l’autre. Cette source inutile et non justifiée ne portent pas atteinte aux droits des auteurs. En conséquence, d’incertitude devrait être levée. S’il convient en effet de ne pas aucune disposition du présent titre ne doit être interprétée de exclure les revues scientifiques du champ des bénéficiaires, il manière à limiter l’exercice du droit d’auteur par ses titulaires ». Le doit être précisé que le droit voisin ne saurait remettre en cause considérant 35 de la proposition de directive est quant à lui très ni l’Open access, c’est-à-dire la possibilité pour les auteurs de clair sur le respect et la prééminence du droit d’auteur : « La revues scientifiques de mettre leurs créations en libre accès protection accordée aux éditeurs de publications de presse en même lorsqu’ils ont donné à un éditeur le droit de les publier, vertu de la présente directive ne devrait pas porter atteinte aux ni les exceptions TDM (« Text and Data Mining ») en cours de droits des auteurs et autres titulaires de droits à l’égard des œuvres discussion. et autres objets protégés intégrés dans ces publications, notamment Par ailleurs, la proposition de la présidence estonienne, au 4 de en ce qui concerne la mesure dans laquelle les auteurs et autres l’article 2 modifie la définition de la publication de presse en titulaires de droits peuvent exploiter leurs œuvres ou autres objets précisant qu’elle doit s’adresser au grand public («…providing protégés indépendamment de la publication de presse dans laquelle the general public with information… »). L’introduction de cette ils sont intégrés. Par conséquent, les éditeurs de publications de notion pourrait exclure une partie des titres de la presse maga- presse ne devraient pas pouvoir opposer aux auteurs et autres titu- zine spécialisée parce qu’ils ne s’adressent pas au public en laires de droits la protection qui leur est accordée. Cet élément est

sans préjudice des modalités contractuelles fixées entre les éditeurs 3. Aux termes de l’article 1er de l’article 1 de la loi n° 86-897 du 1er août de publications de presse, d’une part, et les auteurs et autres titulaires 2006 : « Au sens de la présente loi, l’expression «publication de presse» de droits, d’autre part. ». désigne tout service utilisant un mode écrit de diffusion de la pensée mis à la disposition du public en général ou de catégories de publics et paraissant à intervalles réguliers. / On entend par service de presse en ligne tout Remarque préliminaire sur la définition de la publication service de communication au public en ligne édité à titre professionnel par une personne physique ou morale qui a la maîtrise éditoriale de son de presse : contenu, consistant en la production et la mise à disposition du public d’un Aux termes de l’article 2 de la proposition de directive, on entend contenu original, d’intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d’informations présentant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet d’un par « publication de presse», « la fixation d’une collection d’œuvres traitement à caractère journalistique, qui ne constitue pas un outil de littéraires de nature journalistique, qui peut également comprendre promotion ou un accessoire d’une activité industrielle ou commerciale.(…). »

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LP357-FEVRIER-2018.indd 102 22/02/2018 17:54 général, mais à un public en particulier alors qu’ils ciblent les mation diffusée, y compris lorsque l’information émane de tiers, jeunes, les femmes, les acteurs de l’économie, les enseignants, que ce soit pour la presse imprimée ou en ligne. La responsabi- les cadres des collectivités locales ou encore les professionnels lité éditoriale fondée sur le travail journalistique suppose le de la culture. respect des exigences de recoupement et de vérification de l’information diffusée, principes consubstantiels à l’exercice de I. Les justifications d’un droit voisin la liberté d’expression. Cette responsabilité distingue les éditeurs au bénéfice des éditeurs de de presse des plateformes numériques. publications de presse induisent une L’octroi d’un droit voisin pour les éditeurs de presse participe, à l’ère numérique, de la défense de la liberté de la presse et de conception large de l’objet de ce droit son corollaire la liberté d’expression. Cette exigence suppose d’investir en permanence, afin notamment de pouvoir créer des Tout d’abord si l’on établit, par exemple, un parallèle avec le modèles économiques innovants, condition de leur présence droit voisin des éditeurs de services de télévision, la question visible et durable dans l’univers numérique. tendant à savoir s’il convient de segmenter l’objet de ce droit Le fait que les éditeurs de presse soient cessionnaires du droit voisin peut sembler quelque peu incongrue. d’auteur est insuffisant dans le monde numérique. Comme cela L’actualité juridique assez récente a montré la possible effica- a été souligné par l’étude d’impact de la Commission, « l’exploi- cité du droit voisin des entreprises de communication audiovi- tation et la mise en application des droits en matière de publications suelle lors d’un litige opposant France Télévisions et un site sont de plus en plus difficiles » pour les éditeurs de presse4. Deux internet, qui diffusait ses programmes sans son autorisation. Ce raisons l’expliquent : dernier offrait un service gratuit de diffusion en direct des chaînes ●● Tout d’abord, lorsqu’ils portent une affaire devant la justice, de télévision, et se finançait par l’affichage de publicités. La Cour les éditeurs de presse doivent démontrer une chaîne de droits d’appel de Paris, comme les premiers juges, ont donné raison cohérente, c’est-à-dire que tous les auteurs ont cédé leur droit au groupe audiovisuel en qualifiant cette mise à disposition, à l’éditeur en l’autorisant à le faire valoir en justice. sans autorisation, d’acte de contrefaçon sur le fondement du ●● Ensuite, le droit d’auteur existant est insuffisant à protéger les droit voisin de l’entreprise de communication audiovisuelle publications de presse contre une copie massive compte tenu existant sur les programmes, et fait interdire l’exploitation du des conditions de démonstration de la contrefaçon du droit site litigieux qui donnait accès à ces derniers par des liens pro- d’auteur. Afin de montrer qu’un article a été reproduit « en fonds (Cour d’appel de Paris, pôle 5 – ch.1, 2 février 2016, Play- partie », l’éditeur doit prouver que l’extrait repris par l’agrégateur media / France Télévisions ; voir aussi pour la Suède CJUE, 9e ch., recouvre une part de l’article qui doit lui-même être original 26 mars 2015, C More Entertainment AB c/ Linus Sandberg). puisque l’originalité est un prérequis à la protection d’une œuvre par le droit d’auteur. Cela crée une charge très importante voire La situation de l’organisateur de compétition sportive a de son impossible à supporter face à une copie de masse. Comment côté donné lieu à plusieurs contentieux, qui ont abouti à la un éditeur pourrait-il démontrer que des centaines de milliers consécration par la jurisprudence (Lyon, 1re. Ch. Civ. Sect. B, d’extraits automatiquement générés présentent une partie 26 mars 1987), d’un droit similaire à son profit sur la manifesta- originale de l’article d’origine ? Démontrer la reproduction dans tion qu’il organise, avant d’être reconnu par la loi, au nom de la le cadre du droit voisin qui est basé sur la fixation d’une œuvre protection des investissements consentis (article L. 333-1 du est plus aisé puisqu’il suffit de prouver qu’une partie de cette code du sport). Il a la maîtrise de l’exploitation de l’événement œuvre fixée a été utilisée indépendamment de son originalité. dont il a la responsabilité. Il est alors plus aisé d’agir pour l’éditeur de presse de presse contre une reproduction de masse de ses publications. 1. L’essence même du droit voisin des éditeurs de En tant qu’auteurs, les journalistes ainsi que les éditeurs de publications de presse implique de ne pas le morceler presse, au titre de leur qualité de cessionnaires des droits d’au- teur des journalistes, ne sont que peu armés au regard notam- Plusieurs raisons justifient cette conception large du droit voisin ment des exigences de preuve de l’originalité des articles ou des éditeurs de presse. photos en cause.

1.1 La contribution à la liberté de la presse et à ses valeurs 1.2 La protection des investissements des éditeurs de presse, qui est le fondement du droit voisin des éditeurs Protéger et permettre la rentabilisation de l’investissement de de presse tel que prévu dans la proposition de directive, l’éditeur par le droit voisin, c’est d’abord soutenir la capacité de justifie une conception large de ce droit l’éditeur de presse à financer et à valoriser au mieux le travail journalistique (de proximité comme d’enquêtes au long cours, Le droit voisin des éditeurs de publications de presse a pour financement de correspondants à l’étranger, etc.). Cela suppose vocation de protéger et de rentabiliser l’investissement réalisé d’investir dans des structures de travail au service du travail des par l’éditeur de presse. Il s’agit donc d’un fondement clairement journalistes (data-journalisme, news room, etc.), ce qui représente distinct du droit d’auteur. C’est en conséquence la reconnaissance, à la fois un coût important mais constitue aussi un gage de la fiabilité de l’information diffusée alors que la diffusion d’infor- 4. Commission staff working document impact assessment on the mations non vérifiées (« fake news ») s’intensifie. Les éditeurs de modernisation of EU copyright rules, Brussels, le 14.9.2016 SWD (2016) presse sont responsables juridiquement du contenu de l’infor- 301 final

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comme pour d’autres titulaires de droits voisins fondés sur conçu, et du droit d’auteur des journalistes lui permettra en l’investissement - producteurs de phonogrammes, producteurs effet de mieux assurer la pérennité de son modèle économique de vidéogrammes et organismes de radiodiffusion -, du rôle et son développement à l’ère numérique, indispensable au indispensable et de l’importance du métier de l’éditeur de presse maintien du pluralisme de l’information et à la liberté d’expres- pour assurer l’exercice du droit à l’information qui est en cause. sion. À cet égard, prévoir que seuls certains investissements À cet égard, il n’existe aucune raison objective de considérer seraient pris en compte ne permet pas d’envisager l’avenir d’un que certains investissements pourraient justifier un droit voisin métier qui se modernise alors que les évolutions technologiques alors que d’autres ne seraient pas protégés à ce titre. Les inves- sont permanentes et que la capacité des éditeurs de presse à tissements importants dans le numérique des éditeurs de presse innover dans leurs modes d’intervention pour la diffusion de forment un bloc insécable dont l’objectif commun est la péren- l’information au sens large doit leur permettre d’accroître leur nisation du développement de la presse dans l’univers numérique. maîtrise des initiatives technologiques présentes et futures. Le droit voisin des éditeurs de presse est, comme cela a été rappelé, d’une essence distincte du droit d’auteur qui peut ne 2. Un droit voisin non segmenté protéger que certains objets. Au nom de quels principes établi- rait-on une différenciation au sein des investissements réalisés, À l’instar des autres droits voisins consacrés par le droit de l’Union, sauf à brouiller cette distinction avec le droit d’auteur ? Seg- il est donc indispensable de prévoir une définition de l’objet du menter l’exercice de ce droit ne pourrait être qu’arbitraire et droit voisin la plus générale possible. n’aurait donc aucun sens. Ce faisant, ce serait le droit voisin lui-même qui serait alors fragilisé et rendu moins légitime alors Plusieurs raisons justifient que l’on se garde d’une définition que l’enjeu est la place des acteurs de la presse dans l’univers limitative de l’objet du droit voisin : numérique au sein duquel le rapport économique, notamment ●● On saisit mal tout d’abord ce qui pourrait conduire à énumé- avec les plateformes numériques, est totalement asymétrique. rer le ou les objets du droit voisin des éditeurs de presse alors Établir une différenciation en fonction de la nature de l’inves- que tel n’est pas le cas pour des droits voisins comparables tissement, outre qu’elle serait sans pertinence, mettrait à mal la comme celui du producteur de phonogramme, du producteur protection liée à l’octroi de ce droit voisin aux éditeurs de presse de vidéogramme ou de l’éditeur d’un service de communication alors que compte tenu notamment de l’évolution du secteur audiovisuelle. Comme cela a été indiqué, la définition de la des médias, un risque de disparition à moyen terme du métier publication de presse, telle qu’elle est précisée à l’article 2 de la d’éditeur de presse peut exister avec toutes les conséquences directive, suffit à embrasser l’objet du droit voisin des éditeurs que cela implique pour le secteur et l’information des citoyens. de presse au regard des investissements réalisés. On rappellera à cet égard que le rôle d’intermédiation des édi- ●● Détailler l’objet de ce droit voisin des éditeurs de presse est teurs de presse est fondamental, compte tenu de l’évolution dangereux au regard de l’ensemble des possibilités qu’offre le structurelle du secteur des médias (domination économique et numérique. Aujourd’hui, les crawlers indexent et analysent des d’audience des grands acteurs numériques notamment). C’est contenus de presse et les exploitent ensuite auprès de leurs aussi un enjeu en termes de pluralisme et de diversité des propres clients sous forme de données agrégées. Ce mode de médias alors que le seul droit d’auteur des journalistes ou des réutilisation de tout ou partie des publications de presse reste éditeurs de presse en tant que cessionnaires de ce droit ne non rémunéré tant pour les éditeurs de presse que d’ailleurs permet pas, au vu de la concentration des acteurs numériques pour les journalistes, en l’absence de doit voisin, et la valeur est qui induit paradoxalement un risque de diminution de la pro- préemptée par ces nouveaux acteurs du numérique mais demain duction de contenus journalistiques pluralistes, une protection d’autres modes de réutilisation de ces contenus peuvent appa- efficace. Rééquilibrer ce rapport, et rendre possible une négo- raître. L’inventivité de l’univers numérique lui est consubstantielle ciation plus égale, passe par le fait de donner aux éditeurs de et on ne peut concevoir de modifier les textes à l’occasion de presse une capacité à négocier et donc le droit d’autoriser (ou chaque pratique nouvelle. Inscrire ce droit dans la directive sans pas) l’exploitation des contenus qu’ils contribuent à produire le limiter permet son adaptation, dans le long terme, aux évo- contre rémunération (ou pas d’ailleurs). Ce dialogue ne saurait lutions qui ne manqueront pas de survenir, particulièrement être équilibré si le droit voisin est en quelque sorte tronqué. Un dans l’univers numérique. droit voisin des éditeurs de presse largement conçu fondé sur La directive européenne, par nature, doit poser des principes l’ensemble des investissements des éditeurs de presse liés à leur s’inscrivant dans le temps long sous peine d’être obsolète à peine production éditoriale, fait donc partie de la lutte efficace contre adoptée. Ensuite, c’est le rôle du juge par sa jurisprudence la contrefaçon dans l’univers numérique puisque, compte tenu d’appliquer et d’interpréter la notion ainsi posée. Au surplus, de l’évolution des modes de distribution, l’éditeur de presse l’adoption d’un droit voisin des éditeurs de presse générique et peut être, à l’instar des producteurs de phonogrammes et de général permettra à chaque État membre, dans le cadre de la vidéogrammes, victime directe des copies illicites des articles transposition nationale de la directive, d’adapter et éventuelle- réalisées grâce aux nouveaux moyens de reproduction, tout ment de préciser l’objet du droit voisin au regard des traditions comme l’auteur. Or, tout article de presse invendu constitue un juridiques et des réalités de marché. manque à gagner tant pour l’auteur que pour son éditeur et Ces principes ayant été rappelés, il convient de tenter de répondre signifie que son investissement a été réalisé à fonds perdus. plus directement à la question posée quant à certains éléments susceptibles de relever de ce droit voisin des éditeurs de presse Le bénéfice pour la presse d’une protection complète par la afin de contribuer à la levée de certaines ambiguïtés. Il s’agit en complémentarité d’un droit voisin des éditeurs, le plus largement particulier de la question des snippets et de la photo.

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LP357-FEVRIER-2018.indd 104 22/02/2018 17:54 II. Les objets du droit voisin Il s’agit là d’une différence majeure entre l’information diffusée des éditeurs de presse sont et les pratiques de visualisation ou d’écoute d’autres matières nécessairement ceux protégés culturelles. Contrairement aux vidéos, à la musique ou aux livres, le bénéfice que tire l’internaute ne repose pas sur une durée par le droit d’auteur minimum voire intégrale de l’œuvre : regarder une fraction d’un film ou écouter quelques secondes d’une chanson n’a que peu Le considérant 34 de la proposition de directive est très clair à d’intérêt alors que dans le domaine de l’information, l’internaute cet égard : « Les droits conférés aux éditeurs de publications de – lecteur peut se satisfaire d’un aperçu de l’information. Il y a presse en vertu de la présente directive devraient avoir la même donc là une spécificité de la presse qui la différencie dans l’uni- portée que les droits de reproduction et de mise à disposition du vers numérique des autres industries culturelles dont les œuvres public institués dans la directive 2001/29/CE, en ce qui concerne n’ont guère d’intérêt si elles sont tronquées. En matière de presse, les utilisations numériques. Ils devraient en outre être soumis aux un titre et quelques phrases-clés sélectionnées par l’agrégateur mêmes dispositions en matière d’exceptions et de limitations que peuvent suffire à l’internaute. Les éléments essentiels aux yeux celles applicables aux droits établis dans la directive 2001/29/CE, de l’utilisateur sont ainsi diffusés sans qu’il ait forcément le y compris l’exception de citation à des fins de critique ou de revue souhait d’aller au-delà dans sa connaissance de l’article. prévue à l’article 5, paragraphe 3, point d), de ladite directive. ». Afin de saisir le contenu de l’information, les lecteurs n’ont ainsi pas besoin de lire l’article dans son intégralité en cliquant 1. La question des snippets : le droit voisin des éditeurs sur le résultat de recherche, les extraits résumant alors souvent de publications de presse englobe-t-il les snippets ? toute la substance du texte. De nombreux agrégateurs délivrent d’ailleurs des résultats automatiquement triés par catégorie, à De manière liminaire, on remarquera qu’on peine à trouver un la manière d’une revue, par messagerie, sans qu’aucune recherche terme français définissant le snippet qui recouvre par ailleurs n’ait été effectuée. Ils permettent aux utilisateurs de changer des réalités diverses. Les termes qui s’en approchent le plus sont ou personnaliser la présentation, si bien que les extraits des ceux d’extrait – même si le snippet n’en est pas toujours un au zones présélectionnées apparaissent. L’utilisateur peut ainsi se sens juridique du terme (cf. infra) -, de résumé ou d’aperçu. La concentrer uniquement sur les sujets qui l’intéressent. Il y a là notion de fragment, utilisée par les Allemands, permet également une véritable concurrence déloyale, le moteur de recherche ne d’approcher cette notion. D’aucuns proposent les expressions se contentant pas de publier des références ou des hyperliens, intéressantes de comprimé ou de capsule qui illustrent bien mais reproduisant des parties significatives d’articles publiés l’idée que précisément le snippet n’est ni tout à fait un extrait par des éditeurs de presse, sélectionnant et classant l’informa- ou un résumé. tion, allant parfois jusqu’à en modifier le contenu. Il ne se com- L’article 11 de la proposition de directive intègre-t-il dans son porte pas dans ce cas comme un « intermédiaire passif » et joue champ d’application les snippets ? Cette question posée est au un quasi-rôle d’éditeur de presse (cf. Arrêt n° 2011/2999 du 5 mai cœur des possibilités offertes par le numérique, la lecture des 2011 Copie Presse de la Cour d’appel de Bruxelles). snippets suffisant en effet souvent au lecteur qui ne va pas alors Face à ces comportements et afin d’approcher la notion de sur le site de l’éditeur de la publication de presse et ne contribue snippet susceptible d’être couverte par le droit d’auteur et donc pas en conséquence à accroître son audience et ses ressources par le droit voisin, il convient de dépasser la question des hyper- publicitaires. Selon une étude d’impact de la Commission, 57 % liens. des utilisateurs consultent la presse par le biais des réseaux sociaux, nouveaux agrégateurs et moteurs de recherche. 47 % 1.1. Snippets et hyperliens de ces utilisateurs se contentent de « consulter et lire les extraits des informations sur ces sites sans cliquer sur les liens pour accéder Tout d’abord, cette question semble tranchée par le considérant à l’article complet sur la page du magazine ». Cela confirme que 33 de la proposition de directive qui prévoit à propos de l’article les snippets suffisent à combler leur besoin d’information. Or, la 11 que « Cette protection ne s’étend pas aux actes de création de rédaction des titres et des premiers paragraphes résumant les liens hypertextes qui ne constituent pas une communication au articles en quelques phrases nécessite un investissement de la public ». L’ambiguïté de cette phrase est connue : tous les liens part des journalistes et des éditeurs. Si les agrégateurs de conte- hypertextes ou seulement certains d’entre eux sont-ils couverts ? nus copient et utilisent ces extraits via les snippets, ils dépouillent On peut s’accommoder de ce flou à ce stade, la liberté de lier les publications de presse de leur valeur dans le but de les étant rappelée de manière assez constante dans la jurisprudence monétiser eux-mêmes. Dans ces cas, les réseaux sociaux, nou- récente de la CJUE, par ailleurs non stabilisée sur la notion de veaux agrégateurs et moteurs de recherche satisfont eux-mêmes communication au public, notion qui fait l’objet par ailleurs de la demande des utilisateurs grâce à du contenu provenant des réflexions et de proposition de la part de la France. publications de presse. Les nouvelles pratiques de recherche, Tout d’abord, de l’arrêt Svenson (CJUE, 18 février 2014 e.a c/ de consultation et de consommation de l’information ont donc Retriever Sverige AB, aff. C466/12) par lequel la Cour a confirmé pour conséquence que les résultats de recherche affichant des que la fourniture d’un lien pointant vers une œuvre protégée snippets peuvent transmettre l’essentiel de l’information conte- constituait bien un acte de mise à disposition du public et donc nue dans l’article lié. Le titre, plusieurs extraits particulièrement un acte de communication, mais a précisé qu’un tel acte ne pertinents et quelques aperçus d’images peuvent aisément nécessitait l’autorisation de l’auteur que si l’œuvre était portée communiquer les parties les plus importantes du message véhi- à la connaissance d’un public nouveau, c’est-à-dire à «un public culé par l’article lié. n’ayant pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur,

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lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale au public» à l’arrêt est d’ailleurs plurielle et pas toujours très facile à saisir : lien GS Media (CJUE, 8 septembre 2016, GS Media BV c/Sanoma simple, lien profond, lien d’insertion, lien avec cadrage (framing). Media Netherlands BV e.a, aff. C-160/15) en vertu duquel la cour D’aucuns avancent que la protection des snippets contredit le a précisé qu’avant de conclure qu’il y a une « communication au considérant 33 du projet de directive selon lequel les hyperliens public » illégale, il faut que les tribunaux vérifient si l’internaute ne sont pas couverts par le droit voisin. L’argument qui consiste qui publie le lien « ne poursuit pas un but lucratif » et qu’il « ne à dire que si les hyperliens ne sont pas couverts par le droit sait pas, et ne peut pas raisonnablement savoir, que cette œuvre d’auteur ni a fortiori par le droit voisin, les snippets ne peuvent avait été publiée sur Internet sans l’autorisation du titulaire des l’être non plus n’est pas juste puisqu’il y a une différence signi- droits d’auteur », en passant par l’arrêt Beswater (CJUE, 21 octobre ficative entre les hyperliens et les snippets. 2014, Bestwater International GmbH, aff. C-348/13) selon lequel « le seul fait qu’une œuvre protégée, librement disponible sur Inter- 1.2 Les snippets protégés par le droit d’auteur sont net, est insérée sur un autre site Internet au moyen d’un lien utilisant dans toute leur diversité protégés par le droit voisin la technique du framing, telle que celle utilisée dans l’affaire au principal, ne peut être qualifié de communication au public, au 1.2.1 La question de la définition du snippet sens de l’article 3 de la directive du 22 mai 2001, dans la mesure S’il n’existe pas de définition du snippet, un certain nombre où l’œuvre en cause n’est ni transmise à un public nouveau ni d’éléments éclairent cette notion. communiquée suivant un mode technique spécifique, différent de Il s’agit parfois d’une sorte de très courte synthèse de l’article celui de la communication d’origine », la jurisprudence de la CJUE, qui peut prendre des formes très diverses : véritable résumé ou qui d’ailleurs ne concerne que le droit d’auteur, est très évolutive citation des premières lignes du texte ou encore un mélange sur cette notion d’acte de communication au public. Elle vise, des deux. Pour autant il ne correspond pas à l’exception de cita- en ce qui concerne l’utilisation d’hyperliens gratuits, à sécuriser tion. Le snippet qui doit être couvert par le droit voisin n’est en le processus technique permettant de renvoyer d’une page à effet pas assimilable à la citation telle qu’elle est définie dans la une autre. Cela nécessite la présence d’un lien. Un hyperlien est directive de 2001. Aux termes de l’article 5, paragraphe 3 d) de avant tout une technologie. Techniquement, un hyperlien intègre la directive 2001/29 du 22 mai 2001 : « 3. Les États membres ont seulement l’URL de la page d’arrivée. la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits prévus L’insertion d’un texte additionnel dépend de la personne qui aux articles 2 et 3 dans les cas suivants : (…) / d) lorsqu’il s’agit de crée l’hyperlien. Par conséquent, il n’y a aucune contradiction citations faites, par exemple, à des fins de critique ou de revue, pour entre le fait de créer un lien avec une référence URL et celui de autant qu’elles concernent une œuvre ou un autre objet protégé protéger les snippets qui eux, vont au-delà de la référence URL. ayant déjà été licitement mis à la disposition du public, que, à moins Les liens hypertextes qui constituent des transclusions, fréquem- que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de ment utilisées dans le domaine de la photographie, en sont un l’auteur, soit indiquée et qu’elles soient faites conformément aux bon exemple. bons usages et dans la mesure justifiée par le but poursuivi ; » . En Ainsi, il ne s’agit pas d’empêcher la liberté de lier mais d’établir droit français, la citation consiste en l’illustration d’une «œuvre» un véritable partenariat (entre éditeurs et plateformes) en évi- citante (CPI, art. L. 211-3, 3°) et en constitue un accessoire non tant ce qui s’est passé en Allemagne5 ou en Espagne6. Si en indispensable. Selon l’article L. 211-3, 3°, le but poursuivi par vertu de plusieurs décisions de la CJUE qui viennent d’être l’œuvre citante doit être critique, polémique, pédagogique, rappelées, un hyperlien ne constitue pas un acte de communi- scientifique ou informatif. Tel n’est pas ce que l’on cherche à cation au public, cela ne signifie pas que les snippets seraient protéger. Cette définition doit cependant être relativisée. D’abord pour autant exclus du champ d’application du droit voisin des il peut y avoir citation, même en l’absence d’œuvre ou d’objet éditeurs de presse. Les décisions rendues par la CJUE évaluent « citant » protégé par le droit d’auteur et le droit voisin (CJUE, seulement la question de savoir si l’hyperlien est un acte de affaire C -145/10, 1er décembre 2011, Eve-Maria Painer c/ Axel communication au public de l’œuvre qui est pointée par le lien. Springer et autres). Ensuite le snippet peut être une citation mais À ce stade, retenons que le CJUE essaie de tenir un équilibre cette notion ne suffit pas à le définir. entre la nécessaire protection des titulaires de droits contre les liens favorisant l’accès à des contrefaçons et la préservation de La difficulté s’est d’ailleurs posée en Allemagne où la définition la liberté de lier jugée consubstantielle à l’Internet. Il importe très stricte du snippet a eu un impact direct sur la manière de donc de dépasser cette question qu’il serait contre-productif de référencer ou non un article de presse. Dans la tradition du droit tenter de traiter à l’occasion de la création du droit voisin des allemand, il n’y a pas en effet de courte citation. La moindre éditeurs de publications de presse. La nature du lien hypertexte reprise d’un très court extrait d’une œuvre protégée par le droit voisin, peut tomber mécaniquement dans son champ et consti- tue alors une atteinte à l’investissement. Le législateur allemand7 5. La huitième loi modifiant la loi sur le droit d’auteur du 7 mai 2013 a proposé une exception pour un court fragment, qui n’est pas instaurant en Allemagne un droit voisin pour les éditeurs de presse est défini dans la loi. Cette question a d’ailleurs donné lieu à un litige entrée en vigueur le 1er août 2013 et plusieurs services d’analyse de contenus ont arrêté leur activité. puisque le German Copyright Arbitration Board a suggéré qu’il 6. En Espagne un droit nouveau n’a pas été créé, mais le législateur a est possible d’utiliser des extraits contenant jusqu’à sept mots. réduit le champ de l’exception de la courte citation pour la confier à une société de gestion collective. Google a alors fait le choix de fermer Google Cette décision fait l’objet d’un appel qui a donné lieu à une News en Espagne. Loi n° 21/2014 du 4 novembre 2014, portant modification du texte consolidé de la loi sur la propriété intellectuelle, approuvé par le décret-loi royal n° 1/1996 du 12 avril 1996, et la loi n° 1/2000 du 7 janvier 2000 sur la procédure civile 7. Huitième loi modifiant la loi sur le droit d’auteur du 7 mai 2013

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LP357-FEVRIER-2018.indd 106 22/02/2018 17:54 question préjudicielle encore en cours d’instruction (C-299/17). La Cour suprême fédérale d’Allemagne (Arrêt du 31 mai 2016, Ce débat est néanmoins un peu vain et la question doit être 1BVR, 1585/13, Metall-auf-Metall) a précisé dans le cas d’un abordée d’une autre manière. producteur de phonogramme que le seuil de reproduction En effet, il est plus utile à la réflexion et plus efficient de définir « partielle » d’une œuvre protégée par le droit voisin incluse dans le snippet par sa fonction : peut-il à certains égards, par l’infor- une autre œuvre peut être significativement inférieur au seuil mation qu’il recèle et traduit, se substituer à l’article lui-même de reproduction partielle d’une œuvre protégée par le droit et dispenser à ce titre le lecteur de lire l’intégralité de ce dernier ? d’auteur, dans le cas d’un compositeur de musique. Cet exemple Le snippet est en général conçu pour transmettre les informations n’a ici d’intérêt que pour illustrer la différence possible entre le les plus pertinentes. Il en est de même d’ailleurs à certains égards droit de reproduction au titre du droit voisin et le droit de repro- pour les titres des articles : certains titres pourront être protégés duction au titre du droit d’auteur. en tout ou en partie. Le droit voisin des éditeurs de presse vise Une différenciation pourrait ainsi également exister s’agissant à protéger ces derniers contre la copie non autorisée de leurs de la reproduction en matière de droit voisin des éditeurs de publications de presse. Un tel droit améliorera la position des presse par rapport à la reproduction d’un texte protégé par le éditeurs de presse seulement s’il couvre également les courts droit d’auteur. Le droit du producteur de phonogramme comme extraits – au sens commun du terme - de publication, c’est-à-dire celui des éditeurs de presse sont des droits voisins au regard de les snippets. Ne pas les couvrir c’est passer à côté de l’objectif l’article 2 de la directive 2001/29/CE, dont le sujet concerne la poursuivi. En toute hypothèse, ce qui pose question ce n’est pas « fixation » d’une œuvre. Dans les deux cas la protection n’est quelques snippets isolés, c’est leur reprise massive par les moteurs pas accordée sur le fondement de l’originalité des œuvres mais de recherche ou les plateformes qui a pour corollaire leur usage au regard de l’investissement nécessaire à une telle fixation. On également massif par les internautes. C’est cette intensité de rappellera à cet égard ce qui a été dit plus haut sur la responsa- l’usage des snippets qui illustre une forme de prédation par ces bilité éditoriale de l’éditeur de publication de presse qui va de nouveaux acteurs de la production journalistique des titres de pair avec un investissement financier et organisationnel afin presse sans retour vers eux. Il y a donc là un déplacement de d’assurer une vérification approfondie du contenu édité. Même valeur non vertueux et illégitime qui pose une véritable question. de courts extraits peuvent entraîner la responsabilité légale d’un éditeur. Ainsi, il apparaît approprié que le droit de l’éditeur couvre 1.2.2 La spécificité du droit voisin accrédite aussi toutes les parties de la publication de presse qui sont soumises une inclusion large des snippets et dans la mesure à la responsabilité éditoriale de ce dernier et la responsabilité où ils constituent une reproduction concerne chaque partie de la publication, dont les snippets. En vertu du considérant 34 de la proposition de directive : « Les droits conférés aux éditeurs de publications de presse en vertu de Il semble cohérent que, compte tenu de ce qui a été dit plus la présente directive devraient avoir la même portée que les droits haut, les snippets qui vont bien au-delà du simple hyperlien (en de reproduction et de mise à disposition du public institués dans incluant plus d’informations que les URL), puissent constituer la directive 2001/29/CE, en ce qui concerne les utilisations numé- un acte de reproduction partielle d’une publication de presse. riques. Ils devraient en outre être soumis aux mêmes dispositions Afin d’éviter des jurisprudences trop disparates sur ce point, un en matière d’exceptions et de limitations que celles applicables aux considérant pourrait mentionner les snippets à titre d’exemple droits établis dans la directive 2001/29/CE, y compris l’exception comme l’un des objets du droit voisin des éditeurs de publications de citation à des fins de critique ou de revue prévue à l’article 5, de presse. Ne pas couvrir les snippets, massivement repris, dans paragraphe 3, point d), de ladite directive. ». Il signifie que le droit l’acception qui leur a été donnée dans le présent rapport revien- de reproduction devra être interprété pour tous les droits voisins drait à rendre vain et donc inutile ce nouveau droit de l’éditeur de manière harmonisée. Toute forme de reproduction intégrale de presse qui n’aurait alors pas de véritable sens… ou partielle pourra donc être couverte. Limiter le champ du droit voisin en excluant les snippets revien- L’arrêt Infopaq (CJUE, 16 juillet 2009, aff. C-5/08) fournit un drait à réduire considérablement la portée de ce nouveau droit éclairage utile, notamment le fait que compte tenu de l’exigence qui ne s’appliquerait alors en fait qu’à l’agrégation de l’intégra- d’une interprétation large de la portée de la protection conférée lité d’un article : par l’article 2 de la directive 2001/29, « il ne saurait être exclu que ●● c’est une interprétation finaliste qui doit primer : dès qu’un certaines phrases isolées, ou même certains membres de phrases snippet se substitue à l’article diffusé ou dispense de le lire, il du texte concerné, soient aptes à transmettre au lecteur l’origina- doit être couvert par le droit voisin ; lité d’une publication telle qu’un article de presse, en lui commu- ●● l’utilisation de certaines technologies font présumer de cette niquant un élément qui est, en soi, l’expression de la création intel- substitution : le cas le plus patent est celui de l’inclusion qui, ne lectuelle propre à l’auteur de cet article. De telles phrases ou de tels renvoyant pas au site d’origine, opère une substitution absolue membres de phrase sont donc susceptibles de faire l’objet de la et manifeste. protection prévue à l’article 2, sous a), de ladite directive. » (point 47 de l’arrêt). 2. La photographie Tandis que la CJUE a déjà posé certaines lignes d’interprétation d’une reproduction « partielle » d’un texte protégé par le droit L’article 2.4 de la proposition de directive précise que la publi- d’auteur, elle ne s’est pas prononcée sur l’interprétation de la cation de presse comporte des œuvres littéraires mais aussi reproduction en matière de droit voisin. Or, l’objet protégé en d’autres œuvres : « … collection d’œuvres littéraires de nature matière de droit d’auteur et en matière de droit voisin diffère journalistique, qui peut également comprendre d’autres œuvres de manière significative. ou objets et constitue une unité au sein d’une publication périodique

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ou régulièrement actualisée portant un titre unique ». à être couverts par le droit voisin mais énumérer autrement que Aujourd’hui, les contenus journalistiques sont aussi, et de plus par des exemples non exhaustifs les objets de ce droit voisin de en plus, des contenus vidéos et audio, il n’y a donc pas lieu l’éditeur de presse serait contre-productif. Une telle énumération d’opérer une distinction en faveur de l’écrit afin de protéger n’est d’ailleurs pas effectuée s’agissant d’autres titulaires de l’ensemble des contenus produits par les éditeurs. Comme pour droits voisins. Sur les cas limites ce sera à la jurisprudence euro- les snippets, les éditeurs produisant des contenus journalistiques péenne et nationale de préciser les contours ce droit voisin des doivent pouvoir bénéficier de la protection de leurs contenus éditeurs de publications de presse. Cela n’empêche pas de citer quelle que soit leur forme : écrite, audio, graphique, vidéo ou ces exemples que sont aujourd’hui les snippets et les photogra- autre. Les photographies, protégées par le droit d’auteur, au phies dans un considérant si cela est jugé nécessaire pour cla- moins dès lors qu’elles sont originales au sens des critères fixés rifier ce point. par la jurisprudence, doivent l’être aussi par le droit voisin des Un tel considérant pourrait également s’agissant des « snippets » éditeurs de publications de presse. Le considérant 34 de la proposer une sorte de « d’indices », réducteur d’incer- proposition de directive est sur ce point aussi d’une grande titude quant à leur prise en compte dans le champ du droit portée : « Les droits conférés aux éditeurs de publications de presse voisin, constitué à titre d’exemples de la longueur du fragment en vertu de la présente directive devraient avoir la même portée d’article, de sa portée substitutive à l’article lui-même ou encore que les droits de reproduction et de mise à disposition du public des éléments distinctifs de la simple citation. institués dans la directive 2001/29/CE, en ce qui concerne les utili- sations numériques. Ils devraient en outre être soumis aux mêmes III. L’extension des titulaires dispositions en matière d’exceptions et de limitations que celles de ce droit voisin – La question applicables aux droits établis dans la directive 2001/29/CE, y com- des agences pris l’exception de citation à des fins de critique ou de revue prévue à l’article 5, paragraphe 3, point d), de ladite directive. ». Il existe aujourd’hui en France près de 250 agences de presse. On retrouve par ailleurs pour la photographie les mêmes diffi- Elles emploient environ 7 000 salariés, principalement des jour- cultés évoquées plus haut de la preuve de l’originalité pour leurs nalistes. Leur chiffre d’affaires global représente environ 700 M€. auteurs et le fait que le droit d’auteur ne s’applique qu’à une Chaque mois, elles produisent environ 160 000 dépêches, 1 600 œuvre « originale », l’auteur ou son ayant droit devant apporter articles, 3 000 infographies et 230 000 photos. Les fonds d’archives la preuve de l’originalité de l’œuvre pour chaque acte de contre- des agences photographiques comptabilisent 54 millions façon. La spécificité de la photo rend parfois cette preuve déli- d’images dont les plus anciennes remontent à 1855. Les agences cate, la création intellectuelle originale étant parfois plus difficile de presse participent, aux côtés des éditeurs de presse, au à démontrer. Cette question ne se pose pas en ces termes s’agis- pluralisme des sources d’information et à la recherche d’infor- sant de l’exercice du droit voisin. mations basées sur des faits, en dehors de toute opinion politique. En effet le droit voisin de l’éditeur de presse, dont le fondement Elles assurent une vérification de ces informations et un traite- est le rôle d’investisseur de ce dernier, est indépendant du droit ment qualitatif de celles-ci par des professionnels soumis à une d’auteur et ne dépend pas de la caractérisation d’une origina- éthique forte. lité de la photographie en cause au sens du droit d’auteur ou Un point doit être clairement affirmé : lorsqu’une agence de d’une cession de droits d’auteur. presse remplit la même fonction qu’un éditeur de publication Le principe est donc clairement celui de la protection. Le droit de presse, elle doit disposer d’un droit voisin sur l’information voisin de l’éditeur de presse sur les photographies issues de son collectée et produite par les journalistes qu’elle emploie. C’est titre de presse en illustration d’articles de presse n’est pas d’une le cas notamment dans certaines relations dite « B to C » qu’elles nature différente de celui qui s’exerce sur l’article de presse lui- pratiquent parfois. même ou sur les snippets qui s’en inspirent. L’utilisation des Au regard de la question posée il est important de rappeler la photographies peut néanmoins concerner une pluralité d’acteurs : définition de l’agence de presse. photographes, agences photos, éditeurs de presse, notamment. Afin d’éviter tout conflit ou toute concurrence de droits, et en 1. La définition de l’agence de presse la distingue particulier de droits voisins dans certains cas (éventuellement clairement de la publication de presse avec les agences photos), il n’est pas inutile d’insister sur la nécessaire précision des contrats qui seront passés par l’éditeur Aux termes de l’article 1er de l’ordonnance n° 45-2646 du 2 no- de presse identifiant les droits des différentes parties. Toute vembre 1945 portant réglementation des agences de presse : concurrence de droits y compris voisins sur la ou les photos « Sont considérées comme agences de presse, au sens de la présente concernées serait très préjudiciable à la défense des intérêts des ordonnance, les entreprises commerciales qui collectent, traitent, différentes parties prenantes. Par ailleurs, rappelons que le droit mettent en forme et fournissent à titre professionnel tous éléments voisin ne saurait en tout état de cause empêcher une gestion d’information ayant fait l’objet sous leur propre responsabilité d’un pleine et entière par leurs auteurs des droits sur les images incor- traitement journalistique et dont la moitié au moins du chiffre porées dans les articles. d’affaires provient de la fourniture de ces éléments à des entreprises éditrices de publications de presse, au sens de la loi n° 86-897 du De manière générale, il semble qu’une définition trop précise 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, à du contenu du droit voisin serait sans doute dangereuse car elle des éditeurs de services de communication au public par voie serait vite dépassée par les évolutions technologiques. Une électronique et à des agences de presse. ». Ce cadre législatif garan- grande partie des snippets et des photographies ont vocation tit aux éditeurs de presse et donc aux citoyens, une information

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LP357-FEVRIER-2018.indd 108 22/02/2018 17:54 « quasi labellisée ». Dans le même esprit, les sociétés souhaitant Comme pour les publications de presse, la vitesse de propaga- obtenir la qualification d’agence de presse ne peuvent recevoir tion des informations via les moteurs de recherche et les réseaux aucune forme de recettes publicitaires et ne peuvent fournir sociaux impacte directement les agences de presse. L’impact gratuitement des informations. est non négligeable pour les agences. Par exemple, les moteurs Une agence de presse en France est dans une relation dite « B de recherche ne se limitent pas toujours à la fonction de simple to B » avec ses clients, les éditeurs des publications de presse outil d’indexation et leurs modalités de consultation ont pour auxquels elle fournit des informations multiformes (textes, ar- conséquence que le crédit photographique n’est présent que si ticles, interviews, photos, vidéos etc.). l’on consulte la page de l’éditeur. Or, les techniques de « framing » Le numérique conduit à une évolution du rôle des agences qui notamment ont pour effet que l’internaute ne va pas forcément ont dû augmenter leurs investissements pour continuer d’exis- sur le site de l’éditeur ou de l’agence. Les banques d’images se ter dans l’univers délinéarisé. En photographie par exemple, la constituent sans impliquer toujours les agences photos. numérisation a conduit les agences de presse à investir massi- Les agences de presse sont impactées directement et indirec- vement dans des sites internet régulièrement actualisés et tement puisque les plateformes mettent à disposition les conte- modernisés, pour une utilisation optimisée grâce à la création nus d’information publiés par les médias qui proviennent en d’un thésaurus adapté permettant une consultation facilitée. grande partie des agences de presse (texte, photo, vidéo, info- Les agences de presse investissent également pour être présentes graphies etc.) sans leur autorisation ni compensation financière sur des plateformes collectives (type Pix Palace), permettant à leur profit. Les journaux voient leurs marges diminuer, compte aux éditeurs de choisir encore plus rapidement des images pour tenu de la captation des revenus publicitaires de leur contenu illustrer leurs sujets. Toutes ces économies pour les journaux ont par les moteurs de recherche dont ils ne peuvent se passer au généré des coûts supplémentaires pour les agences, sans que titre du référencement, ce qui pénalise par ricochet les agences ceux-ci ne soient compensés par une augmentation des tarifs. qui dépendent de la santé financière des éditeurs. Cette perte de valeur ne peut qu’entraîner, à terme, une perte de qualité de 2. Les agences de presse sont néanmoins confrontées l’information produite par l’ensemble du secteur de la presse. aux mêmes difficultés que les journaux et les magazines La question clé réside aujourd’hui, à l’instar des éditeurs de publications de presse, dans la possibilité pour les agences de La définition, rappelée plus haut, de l’agence de presse, four- presse, d’être rémunérées pour leurs services d’information nissant des informations et des images aux publications de utilisés et monétisés par les plateformes en ligne. presse, n’est pas une raison suffisante pour écarter les agences À l’instar des publications de presse, l’objectif n’est en aucun cas de presse du bénéfice d’un droit voisin. Comme les publications d’interdire ou de mettre un frein à la reprise des informations de presse, les agences de presse sont pour leurs productions produites par les agences de presse. Le but est de permettre journalistiques, confrontées à toutes les activités d’intermédia- aux éditeurs et aux agences de presse, comme aux auteurs, de tion dans la communication au public de celles-ci par le biais monétiser les contenus éditoriaux qu’ils créent, éditent et véri- notamment de la commercialisation directe ou indirecte des fient, auprès des plateformes qui reproduisent ces contenus. liens par les agrégateurs ou encore par la captation de l’audience due à la conservation de l’internaute dans l’écosystème du 3. Comme pour les éditeurs de publications de moteur de recherche et sa monétisation publicitaire pour le seul presse stricto sensu, le droit d’auteur ne suffit pas moteur de recherche sans que celui-ci n’assume la charge des à leur assurer une protection suffisante investissements nécessaires à la production journalistique qu’il Pour pouvoir bénéficier du droit d’auteur, il faut que l’agence exploite. de presse démontre l’originalité du contenu mais également la En effet, les agences de presse emploient des journalistes sala- chaîne des droits qui peut fédérer, s’agissant par exemple de riés dont le ratio par rapport à la masse salariale globale de l’Agence France Presse (AFP), un grand nombre d’intervenants. l’entreprise est supérieur à celui des publications de presse. Or, pour pouvoir bénéficier de la protection du droit d’auteur, il L’emploi de journalistes est la garantie d’une information fiable faut démontrer que toutes ces personnes ont cédé les droits à de qualité. Cette garantie a un prix qui se répercute sur les coûts l’agence. Ainsi pour l’AFP qui produit environ 3 000 photos par fixes des agences de presse, car collecter, produire et fournir de jour, engager des actions contentieuses sur le terrain du droit telles informations a forcément un coût, une « bonne » informa- d’auteur tel qu’il est organisé aujourd’hui est matériellement tion nécessite que les nouvelles collectées soient triées et hié- impossible. rarchisées. C’est ce travail bien particulier et irremplaçable des La protection de la propriété intellectuelle en ligne n’est pas agences de presse qui évite que les médias ne soient noyés dans garantie. Comme pour les éditeurs de publications de presse, un déferlement infini d’informations. pour bénéficier du droit d’auteur, les agences doivent apporter À l’heure des fake news, les agences de presse ont un rôle fon- la preuve de l’originalité de leurs contenus et de la chaîne des damental et plus que jamais indissociable de celui des publica- droits œuvre par œuvre. Or, avec la viralité d’internet et la mul- tions de presse. Elles engagent d’ailleurs leur responsabilité sur titude des éléments d’information diffusés, il est matériellement la fiabilité des informations qu’elles fournissent aux médias. C’est impossible pour une agence de poursuivre chaque utilisation/ la primeur et l’exclusivité de leur production qui déterminent exploitation illicite. Il existe certes une protection des bases de leur valeur. L’évolution des usages des plateformes en ligne, en données, mais pour en bénéficier, les agences de presse doivent particulier agrégateurs et plateformes de partage, menace en justifier de leurs investissements substantiels. Ceux liés à la conséquence de façon croissante la viabilité économique des création des données elles-mêmes, qui constituent la part essen- agences de presse, et ainsi le pluralisme de l’information. tielle des coûts supportés pour la production journalistique des

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services d’information des agences, ne sont pas pris en compte Dans ce cadre, un droit voisin reconnu aux agences de presse dans la détermination de l’investissement du droit sui generis aurait une légitimité à pouvoir s’exercer pour leurs contenus des bases de données. Bien plus, pour bénéficier du droit sur propres. Pour le reste c’est au contrat passé avec les publications les bases de données, les agences doivent apporter la preuve de presse, dans l’hypothèse où un droit voisin sera bien alloué au cas par cas du caractère substantiel de l’extraction. La charge à ces dernières, de prendre en compte cette utilisation nouvelle de la preuve reposerait sur les agences de presse, rendant inef- de l’information. ficiente la protection des bases de données compte tenu du coût procédural. C’est la raison pour laquelle il est souhaitable 5. Il convient d’éviter la concurrence des droits qu’un droit voisin soit mis en place au bénéfice des éditeurs et et notamment des droits voisins agences de presse permettant de protéger les investissements dans la production journalistique réalisés par ces acteurs et de Il importe donc d’encourager les professions concernées à fixer pallier les carences du droit positif actuel. clairement par le contrat les droits respectifs des éditeurs de Le droit voisin permettra donc de suppléer cette incapacité presse et des agences. Si le principe de cette extension du droit matérielle, en attribuant un droit sur l’intégralité de la produc- voisin aux agences de presse est posé, les différents acteurs tion des agences de presse, sans que l’agence ait besoin de devront en définir les modalités. Ce point est très important car démontrer la contrefaçon pour chaque utilisation indue. C’est cette extension ne doit en rien délégitimer, par la confusion particulièrement approprié dans le domaine de la photographie qu’elle pourrait alors instaurer, le droit voisin des éditeurs de s’agissant des agences photos puisque la technique du framing presse. permet notamment de ne pas orienter le lecteur sur le site de Au demeurant s’il s’avérait qu’il était trop tard pour réaliser cette l’éditeur et d’afficher l’image, de la télécharger et de la partager extension dans le cadre de la directive, on rappellera que le droit sans autorisation de l’agence cessionnaires des droits. voisin fait l’objet d’une coordination plus souple et moins har- monisée que le droit d’auteur au sein de l’Union européenne 4. Une extension de principe pertinente dans l’uni- (comme précisé dans l’arrêt C More de la CJUE). Un texte natio- vers numérique mais aussi raisonnée nal pourrait l’instaurer. Malgré les arguments qui viennent d’être rappelés, cette exten- sion aux agences de presse de l’octroi du droit voisin aux éditeurs Au-delà des initiatives nationales isolées provoquant les réactions de presse, tel qu’il est prévu dans la proposition de directive, ne que l’on connaît des moteurs de recherche, permettre au niveau va pas complètement de soi : les agences sont en relation contrac- de l’Union européenne l’instauration de ce droit voisin des tuelle avec les éditeurs de presse qui eux pourraient, dans éditeurs de publications de presse marquerait un engagement l’hypothèse où nous nous situons dans la proposition de direc- fort et concret du soutien par l’Union européenne de la presse tive, bénéficier du droit voisin. Le contrat permettrait donc dans l’univers numérique pour une relation plus équilibrée avec d’établir un équilibre prenant en compte les droits récoltés par les plateformes et participerait du mouvement général du l’intermédiaire des éditeurs de presse. Une fois intégrée dans la partage de la valeur entre les grands opérateurs numériques et production éditoriale des éditeurs de presse, la production des les auteurs et producteurs de contenus éditoriaux et créatifs. agences forme un tout avec celle mise à disposition de ses De ce partage plus équitable de la valeur entre plateformes lecteurs finaux par les éditeurs de presse. internet et éditeurs et agences de presse, naîtra un véritable Les agences de presse fournissent ces informations, sous toutes partenariat qui favorisera la recherche d’une plus grande origi- leurs formes, aux éditeurs de presse principalement pour une nalité dans les productions journalistiques, stimulera le pluralisme utilisation limitée dans le temps, à titre exclusif ou non. Les licences et aura un effet positif sur l’emploi des journalistes.n consenties par l’agence de presse à ses clients ne leur donnent pas pour autant le droit de céder les informations ou images fournies par l’agence aux agrégateurs ou aux moteurs de recherche si ce n’est pas prévu par le contrat qui lie l’agence à l’éditeur de presse. Une licence est en général toujours accordée à un client pour la reproduction, dans un cadre précis, des productions de l’agence et. lorsque cette licence prévoit la reproduction d’une information ou d’une image sur le site internet du client, cela n’entraîne pas cession du droit de reproduction aux agrégateurs de contenus, plateformes en ligne ou moteurs de recherche.

La justification du droit voisin de l’agence de presse existe donc : ●● si c’est l’exact contenu qu’elle a fourni qui est repris (pour l’article ou le résumé d’article du journaliste de la publication de presse, c’est le seul éditeur de presse qui doit disposer de ce droit). C’est particulièrement vrai pour la photo, le « piratage » des agences étant particulièrement prégnant pour les photo- graphies et les vidéographies puisque ce sont bien les images des agences qui sont reproduites par les moteurs et agrégateurs. ; ●● pour les productions « B to C » qu’elle développe.

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LP357-FEVRIER-2018.indd 110 22/02/2018 17:54 Synthèse Les infractions de presse janvier 2017 - janvier 2018

Basile Ader a renoncé à poursuivre cette année le cycle des synthèses de Légipresse, en raison de son accession aux très hautes responsabilités de vice-bâtonnier du Barreau de Paris. Je suis heureux de lui renouveler mes très vives et chaleureuses félicitations à cette occasion, et d’y ajouter mes vœux sincères de parfaite réussite dans ses nouvelles fonctions. Je ne puis m’empêcher d’exprimer en même temps mon regret de la fin d’une collaboration à laquelle j’étais d’autant plus sensible qu’elle correspondait à une véritable communauté de pensée. Celle-ci a reçu, le 2 mars 2017, l’aval de la Cour européenne des droits de l’homme sur l’application de l’article 53 de la loi de 1881 devant le juge civil*. En comparaison, la synthèse de la jurisprudence sur les infractions de presse peut paraître anodine. Elle n’en a pas moins le mérite de refléter l’évolution des mœurs d’une société à travers les sanctions des abus de la liberté d’expression, et de mettre en évidence le rôle moteur de la 17e chambre du tribunal de Paris dans l’évolution de la jurisprudence, spécialement sur l’exigence de précision des faits en matière de diffamation.

I – GÉNÉRALITÉs – Le pÉRIMÈtre s’il a été procédé à un juste équilibre entre le droit de la loi du 29 juillet 1881 au respect de la vie privée de l’homme politique et le droit à la liberté d’expression du directeur de A – Loi de 1881 et norme européenne la publication. Elle rappelle que les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un 1. Liberté d’expression et respect de la vie privée homme politique candidat à une charge publique La CEDH a été appelée à deux reprises, en 2017, à qu’à l’égard d’un simple particulier. Les articles le mettre en balance des intérêts protégés par les mettant en cause avaient été publiés de bonne articles 10 et 8 de la Convention européenne des Pierre Guerder foi, dans le respect des normes journalistiques droits de l’homme. Dans une première affaire, un doyen honoraire de la habituelles, et avaient contribué à un débat d’inté- ressortissant suédois se plaignait d’avoir été mis Cour de cassation rêt général dès lors que la violence sexuelle contre en cause sur le site internet d’une association par les enfants est une question d’un intérêt public. un article qui lui imputait d’être lié à un parti nazi, et par un De plus, les allégations diffamatoires émanaient de deux sœurs commentaire anonyme de cet article qui lui reprochait « d’être de l’homme politique qui les avaient publiées sur leur propre complètement accro au hasch ». Il avait engagé une action en site sans être poursuivies par le requérant. Ainsi le directeur de responsabilité civile contre l’association en raison du commen- publication a été privé de moyens de preuve de la vérité des taire posté sur son blog. Les juridictions suédoises l’ayant dé- faits. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une sanction pénale et que le bouté de ses demandes, il avait saisi la Cour européenne qui a montant de la condamnation ne soit pas trop élevé, la cour de déclaré la requête irrecevable au motif que les autorités nationales Strasbourg conclut à la violation de l’article 10 (CEDH 1re sec- avaient ménagé un juste équilibre entre les droits du demandeur tion 16 mars 2017, Olafsson c. Islande, 349-04)2. garantis par l’article 8 et le droit concurrent à la liberté d’expres- sion de l’association consacré par l’article 10, après avoir relevé 2. Liberté d’expression, protection des droits d’autrui notamment que l’association avait retiré l’article et le commen- et bonne administration de la justice taire un jour après avoir été contactée par le requérant et avait La société d’édition Le Point et son directeur ont été poursuivis publié un nouvel article qui contenait des explications et des et condamnés sur le fondement de l’article 38 de la loi du excuses (CEDH 3e section 9 mars 2017, Phil c. Suède, 348-111). 29 juillet 1881 à la suite de la publication et de l’analyse d’extraits de procès-verbaux d’audition dressés par la police judiciaire à Dans l’autre affaire, le directeur de publication d’un site de presse l’occasion d’une enquête préliminaire imputant à un photographe en ligne avait été condamné par les juridictions islandaises à d’avoir abusé de la faiblesse de Liliane Bettencourt. Notre syn- verser une somme de 1 600 euros à un homme politique, can- thèse 2013 a rendu compte de ce contentieux et de l’approba- didat à des élections, mis en cause par des imputations diffa- tion de l’ingérence par les juridictions nationales, au regard de matoires d’actes de pédophilie. La Cour européenne, saisie sur l’article 10 de la Convention EDH (Cass. 1re ch. civ. 29 mai 2013 le fondement de l’article 10 de la Convention, exerce son contrôle – Le Point Sebdo et a. c/ J.-M. Banier, 306-18)3. Quatre ans plus sur la nécessité d’une ingérence constituée par la déclaration tard, la cour de Strasbourg, saisie par le directeur de la publica- de responsabilité dans une société démocratique. Elle recherche tion du journal, a confirmé l’absence de violation de l’article 10 en faisant prévaloir la protection des droits d’autrui, spécialement

* CEDH 5e section 2 mars 2017, Debray c. France, 348-16, Légipresse n° 348 p. 181 & n° 349 p. 268, comm. P. Guerder 2. Légipresse n° 349 p. 240 1. Légipresse n° 348 p. 179 3. Légipresse n° 314 p. 191 § 43

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le respect de la présomption d’innocence, ainsi que les exigences contrôle administratif et de surveillance aux fins de prévenir la d’une bonne administration de justice, sur la liberté des organes commission d’actes de terrorisme. Il en déduit que les autorités de presse de communiquer et le droit du public de recevoir des administrative et judiciaire disposent, indépendamment de informations relatives à un sujet d’intérêt général (Cour EDH 5e l’article contesté, de nombreuses prérogatives, non seulement section 1er juin 2017, Giesbert c. France, 350-204) . pour contrôler les services de communication au public en ligne provoquant au terrorisme ou en faisant l’apologie et pour répri- B – Loi de 1881 et norme constitutionnelle mer leurs auteurs, mais aussi pour surveiller une personne consultant ces services et pour l’interpeller et la sanctionner 3. QPC visant le délit de consultation habituelle de sites faisant lorsque cette consultation s’accompagne d’un comportement l’apologie du terrorisme (article 421-2-5-2 du Code pénal) révélant une intention terroriste, avant même que ce projet soit La provocation directe aux actes de terrorisme et l’apologie de entré dans sa phase d’exécution. ces actes ont été transférées de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 à l’article 421-2-5 du Code pénal par la loi du 13 novembre S’agissant des exigences d’adaptation et de proportionnalité re- 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le quises en matière d’atteinte à la liberté de communication, le terrorisme5. Cette loi a été complétée par la loi n° 2016-731 du Conseil constitutionnel relève que, si les dispositions contestées 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le ter- prévoient que, pour tomber sous le coup du délit qu’elles ins- rorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les taurent, la consultation doit s’accompagner de la manifestation garanties de la procédure pénale6, qui a notamment incriminé de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur les sites consultés, cette à l’article 421-2-5-2 du Code pénal la consultation habituelle de consultation et cette manifestation ne sont pas susceptibles sites faisant l’apologie du terrorisme. Nous avons rendu compte, d’établir à elles seules l’existence d’une volonté de commettre dans notre synthèse précédente7, des embûches de ce texte, des actes terroristes. Ces dispositions répriment donc d’une qui a fait l’objet d’une déclaration d’inconstitutionnalité du peine de deux ans d’emprisonnement le seul fait de consulter 10 février 2017, et d’une restauration législative ombrageuse à plusieurs reprises un service de communication au public en du 28 février 2017. Comme il fallait s’y attendre, la nouvelle ligne, sans que soit retenue comme élément constitutif de rédaction du texte, très voisine de la version censurée, a suscité l’infraction l’intention terroriste de l’auteur de la consultation. une QPC. Celle-ci a été soumise à la Cour de cassation par le En outre, si le législateur a exclu la pénalisation de la consultation tribunal correctionnel d’Angers (TGI Angers, ch. cor. 13 juillet lorsqu’elle répond à un « motif légitime », la portée de cette 2017, Procureur de la République c. David P., 352-018). La exemption ne peut être déterminée en l’espèce, faute notamment chambre criminelle, pour transmettre la QPC au Conseil consti- qu’une personne adhérant à l’idéologie véhiculée par ces sites tutionnel, a jugé que la question présentait un caractère sérieux, paraisse susceptible de relever de l’un des exemples de motifs tant sur la nécessité et la proportionnalité des atteintes au légitimes énoncés par le législateur. Il en résulte une incertitude principe de la liberté de communication que sur les incertitudes sur la licéité de la consultation de certains services de commu- de la notion de motif légitime justifiant la consultation et sur la nication au public en ligne et, en conséquence, de l’usage manifestation de l’adhésion de l’auteur de la consultation à d’internet pour rechercher des informations. l’idéologie exprimée dans le site concerné (Cass. ch. crim. 4 oc- tobre 2017, David. P., 354-019). L’atteinte portée à l’exercice de la liberté de communication n’étant ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée, les disposi- Le Conseil constitutionnel a statué sur cette question par une tions contestées sont déclarées inconstitutionnelles (Conseil décision exemplaire. S’agissant de l’exigence de nécessité de constitutionnel Décision n° 2017-682 QPC du 15 décembre l’atteinte portée à la liberté de communication, le Conseil consti- 2017 M. David P., 356-0110). tutionnel relève, que, d’une part, la législation comprend un ensemble d’infractions pénales autres que celle contestée et de 4. Filtrage d’une QPC concernant le droit de réponse dispositions de procédure pénale spécifiques ayant pour objet La chambre criminelle a dit n’y avoir lieu de renvoyer au Conseil de prévenir la commission d’actes de terrorisme et que, d’autre constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité part, le législateur a également conféré à l’autorité administra- invoquant une atteinte au principe d’égalité en raison de la tive de nombreux pouvoirs afin de prévenir la commission d’actes différence des régimes du droit de réponse dans la presse écrite de terrorisme. Le Conseil constitutionnel ajoute que, depuis ou numérique et dans la communication audiovisuelle. La ques- l’entrée en vigueur des dispositions contestées, le législateur a tion ne présentait pas un caractère sérieux dès lors que le prin- complété les pouvoirs de l’administration en adoptant, par la cipe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’éga- contre le terrorisme, de nouvelles mesures individuelles de lité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. En l’occurrence, 4. Légipresse n° 351 p. 379 comm. C. Bigot « Liberté de l’information la différence des situations de l’audiovisuel d’une part, de la dans le domaine judiciaire : régression de la cour européenne des droits de presse écrite et des services en ligne d’autre part, justifiait la l’homme ». 5. Légipresse n° 336 p. 185. différence des sanctions résultant du refus d’insertion d’une 6. Légipresse n° 340 p. 425, décryptage Benoit Derieux. réponse (Cass. ch. Crim. 5 septembre 2017, Hervé X., 353-1011). 7. Légipresse n° 347 p. 162 § 10. 8. Légipresse n° 352 p. 416. 9. Légipresse n° 354 p. 526.

10. Légipresse n° 356 p. 7. 11. Légipresse n° 353 p. 474. 112 LÉGIPRESSE n° 357 - Février 2018

LP357-FEVRIER-2018.indd 112 22/02/2018 17:54 C – Loi de 1881 et norme civile tions de la 5e classe où elles voisinent avec la contravention de provocation non publique à la haine, à la violence ou à la dis- 5. Poursuites cumulatives du chef de diffamation devant crimination réprimée par l’article R 625-7 qui incrimine désor- le tribunal correctionnel et du chef de dénigrement devant mais la provocation non publique commise à raison de l’origine le tribunal de commerce ou de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou La Cour de cassation semble ouvrir une brèche dans l’inter- supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une diction de principe des poursuites cumulatives. Une société religion déterminée ainsi que la provocation non publique à la d’assurances, mise en cause dans plusieurs articles publiés haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe sur un site internet spécialisé dans les services après-vente de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle du secteur automobile, avait fait citer directement la société ou identité de genre, ou de leur handicap, ainsi que la provo- éditrice et son directeur de publication devant le tribunal cation non publique, à l’égard de ces mêmes personnes, aux correctionnel des chefs de diffamation publique et injures, discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du Code sur le fondement des articles 29, 32, 33 de la loi de 1881, et pénal. La diffamation non publique présentant les mêmes devant le tribunal de commerce du chef de dénigrement, sur caractères est incriminée par l’article R. 625-8, l’injure par l’ar- le fondement de l’article 1382 devenu 1240 du Code civil. La ticle R. 625-8-1, l’article R. 625-8-2 édictant les peines complé- cour d’appel, mise à même de comparer la citation directe et mentaires qui répriment provocation, diffamation et injure en l’assignation introductive d’instance devant le tribunal de sus de l’amende de 5e classe. commerce, avait déclaré irrecevable l’action engagée devant la juridiction consulaire en retenant que les articles incriminés 7. Liberté d’expression de la doctrine et intimidation par étaient identiques et que la société d’assurances ne pouvait une « procédure bâillon » saisir le tribunal de commerce des mêmes faits, les abus de Une société spécialisée dans le traitement des déchets et son la liberté d’expression ne pouvant être sanctionnés qu’en président ont poursuivi en diffamation un professeur d’uni- application de la loi de 1881 sur la presse. Cette décision a versité, spécialiste du droit de l’environnement, qui les avait été cassée pour manque de base légale, parce qu’il ne résul- mis en cause dans le commentaire d’un jugement non défini- tait pas de ses motifs que les écrits invoqués par la deman- tif du tribunal correctionnel de Paris du 18 décembre 2013 deresse portaient atteinte à son honneur ou à sa considération, publié en juin 2014 dans la revue juridique mensuelle Envi- ou constituaient une injure, de sorte qu’ils seraient entrés ronnement et développement durable, dont le directeur de la dans les prévisions de l’article 29 de la loi de 1881. Autrement publication a également été poursuivi. Sous le titre « Affaire dit le cumul des poursuites importe peu. Il faut vérifier que Chimirec – Trafic de déchets dangereux : quand les dépollueurs les faits qualifiés de dénigrement sont susceptibles de carac- se font pollueurs », le commentaire imputait aux plaignants tériser la diffamation ou l’injure. En cas de réponse négative, d’avoir été condamnés pour un trafic de déchets, ayant consis- et de recevabilité de l’action en dénigrement, le risque de té à revendre des huiles industrielles polluées qui avaient été contrariété de décisions est-il assumé ? (Cass. 1re civ. 6 sep- diluées dans des conditions illégales. Selon l’article, l’infraction tembre 2017, Publi-expert, 353-0212). d’élimination irrégulière de déchets avait été retenue et une information judiciaire était toujours en cours pour le délit de D – Loi de 1881 et norme pénale pollution. Le tribunal correctionnel de Paris a admis la bonne foi des prévenus qui ont été relaxés. Les parties civiles ont été 6. Lutte contre le racisme et les discriminations condamnées pour procédure abusive, en raison d’une parti- On sait que la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’éga- culière témérité dans l’exercice de leur droit de se constituer lité et à la citoyenneté13, a consacré un chapitre IV de son titre II partie civile, dès lors qu’elles avaient choisi d’agir en diffama- « Pour l’Égalité réelle » à des dispositions « améliorant la lutte tion contre le commentaire d’une décision de justice par un contre le racisme et les discriminations », qui ont modifié les enseignant en droit, alors que le commentaire, certes empreint articles 24, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 pour remplacer de parti pris, s’était à l’évidence basé factuellement sur la les mots « orientation ou identité sexuelle » par orientation motivation de ladite décision. La cour d’appel de Paris, saisie « sexuelle ou identité de genre ». Dans le prolongement de cette des intérêts civils, a confirmé le jugement, et précisé les contours évolution, qui concerne les délits, un décret est intervenu pour de la liberté d’expression d’un professionnel du droit, dont renforcer la répression des contraventions à caractère raciste l’activité pour une part importante tient à l’analyse de décisions ou discriminatoire : le décret n° 2017-1230 du 3 août 2017 judiciaires, en énonçant que cette analyse n’avait pas pour relatif aux provocations, diffamations et injures présentant un objet d’être seulement didactique mais devait encore nourrir caractère raciste ou discriminatoire14. Les articles R. 624-3 à R. le débat sur les orientations de la jurisprudence, qu’il s’agisse 624-6 du Code pénal qui réprimaient la diffamation et l’injure d’y adhérer ou de proposer des évolutions souhaitées. En à caractère raciste ou discriminatoire dans la catégorie des l’espèce, dès lors que n’était ni établie ni même évoquée une contraventions de la 4e classe ont été abrogés pour permettre animosité personnelle de l’auteur vis-à-vis des personnes le transfert de ces infractions dans la catégorie des contraven- morales ou physiques en cause, ou bien l’existence de propos étrangers à la question de droit traitée, le seul fait d’examiner le caractère diffamatoire d’un article tel que celui rédigé consti- 12. Légipresse n° 353 p. 471. tuait une atteinte à la liberté d’expression de l’auteur dont les 13. JORF n° 0024 du 28 janvier 2017. limites n’avaient pas été dépassées de sorte qu’il n’y avait 14. JORF n° 0182 du 5 août 2017, Légipresse n° 353 p. 506, décryptage E. Dreyer. aucune infraction de diffamation, la réformation partielle du

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jugement commenté par arrêt du 22 juin 2017 étant sans inci- Imputer à une personne de « soutenir l’homophobie et les mani- dence (Cour d’appel Paris 28 septembre 2017, Chimirec et festations homophobes » ainsi que les violences, avec la fondation A. c. L. Neyret et Ph. Carillon, 354-0415). L’émotion suscitée Jérôme Lejeune, constitue une imputation vague et générale par cette affaire dans le monde universitaire a suscité la créa- qui ne caractérise aucun comportement précis susceptible d’un tion d’un groupe de travail sur la liberté d’expression des débat contradictoire sur la preuve de sa vérité de sorte qu’elle enseignants et chercheurs dont Thierry Mandon, alors secrétaire ne peut être qualifiée de diffamatoire (TGI Paris 17e ch. 12 jan- d’État en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche, vier 2017, L. de la Rochère et a. C. P. Pora et a., 347-0621). a confié la présidence au professeur de droit Denis Mazeaud, qui a été assisté par trois enseignants et un éditeur juridique. Imputer à un journaliste de s’être transformé, à l’occasion de l’inter- La commission, dans un rapport remis le 20 avril 201716, a view d’un homme politique, en « professionnel de la brosse à reluire proposé des modifications législatives qui, en amont, tendaient au point de gêner celui qu’il pensait servir », n’est pas diffamatoire à prévenir les procédures bâillons menaçant les enseignants- dès lors que les expressions ou allégations dénonçant la partialité chercheurs par des mesures de dissuasion de ces atteintes à supposée du journaliste, sarcastiques et blessantes, ne sont pas leur liberté d’expression et qui, en aval, tendaient à améliorer pour autant susceptibles de faire l’objet d’un débat probatoire sur la protection fonctionnelle des enseignants-chercheurs soumis un fait précis, l’appréciation du positionnement d’un journaliste à une action en diffamation ou dénigrement, notamment en par rapport à une personne interviewée étant par essence subjec- instituant son automaticité17. Seule une circulaire du 9 mai tive et fluctuante selon les observateurs (TGI Paris 17e ch. 19 jan- 2017 a entériné ce rapport, pour améliorer la protection fonc- vier 2017, J.-P. Elkabbach c. F. Cassegrain et a., 347-0522). tionnelle des universitaires18. Il reste que la liberté d’expression académique de la doctrine est garantie par l’article 10 de la En déclarant, dans une interview relative à l’affaire Bygmalion, Convention EDH (CEDH 2e section 27 mai 2014, 346/04 & avoir vu dans Le Point « qu’on apprenait que M. ...était un des 39779/04, Mustafa Erdogan et a. C. Turquie). actionnaires des sociétés, de cette nébuleuse, et possible bénéfi- ciaire de cette affaire », une femme politique n’a fait que sug- 8. Liberté d’expression et exhibition sexuelle gérer une hypothèse, à partir des éléments fournis par l’article Une femme activiste Femen qui a été poursuivie pour avoir ex- du journal Le Point, et n’a donc pas formulé d’accusation suf- posé ses seins nus dans l’église de la Madeleine à Paris devant fisamment précise pour faire l’objet d’un débat probatoire (TGI des journalistes, le maître de chapelle et la chorale de l’église, en Paris 17e ch. 7 mars 2017, N. Kosciusko-Morizet c. C. Beigbe- signe de protestation contre la position du clergé dans le débat der et a., 349-0723). sur l’avortement, ne saurait se prévaloir de la liberté d’expression protégée par l’article 10 de la Convention EDH pour justifier le Un locataire de logement social avait publié sur internet un délit d’exhibition sexuelle réprimé par l’article 222-32 du Code article intitulé : « France : une toxicomane camerounaise soute- pénal (CA Paris 15 février 2017, B.E.C. c. M. B., 350-1219). nue par Paris-Habitat menace de mort son voisin juif ». L’office public mis en cause s’était estimé diffamé par le passage suivant II - DIFFAMATION (CARACTÈRES GÉNÉRAUX) de l’article : « cette délinquante prête au pire est chouchoutée par Paris-Habitat. Un important dérapage de ce bailleur sur sa A – Imputation de fait précis pratique de loger les gens paraît parfaitement vraisemblable ». Par ces propos, l’auteur de l’article, voisin de la personne mise 9. Imprécision des faits en cause, ne mettait nullement en cause les modalités d’attri- L’imputation faite à un maire d’avoir conseillé au gardien d’une bution des logements sociaux, mais seulement la mauvaise résidence de l’office public d’habitat de sa commune, soup- qualité de sa gestion. La dénonciation du soutien dont béné- çonné de malversations, « de partir pendant deux ou trois mois, ficierait la jeune femme de la part de l’organisme social ou du le temps que l’affaire se calme », expression vague qui peut viser fait qu’elle serait chouchoutée par cet organisme n’impute à des cas de figure différents et ne révèle pas en toute hypothèse la partie civile aucun fait suffisamment précis et déterminé la volonté d’échapper de manière définitive à la justice, n’est pas pour faire l’objet d’un débat probatoire mais seulement l’opi- suffisamment précise pour faire l’objet d’un débat probatoire nion personnelle de l’auteur sur la passivité supposée du et ne peut caractériser la diffamation (TGI Paris 17e ch. 6 octobre bailleur à l’égard d’une locataire (TGI Paris 17e ch. 5 mai 2017, 2016, J. Kossowski c. J. Hornain et a., 346-0820). Paris-Habitat OPH c. Bernard K., 354-0524).

En publiant sur internet la liste des candidats admissibles à des concours de la police nationale, pour dénoncer un recrutement 15. Légipresse n° 354 p. 527 ; Collectif « Face aux poursuites bâillons de Bolloré : nous ne nous tairons pas », Basta ! www.bastamag.net chroniques « qui ne se fait pas chez les antifascistes » et la « porosité entre la 24 janvier 2018. police et l’extrême droite », l’auteur des propos incriminés fustige 16. http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid115784/rapport-de-la- une sympathie idéologique supposée entre la police nationale commission-mazeaud-sur-les-procedures-baillons.html. 17. cf B. Ader, « Y a-t-il un remède aux procédures bâillons ? », Légipresse et l’extrême droite en formulant une appréciation subjective n° 349 p. 235. 18. http://www.snesup.fr/sites/default/files/fichier/circ_17-05-09_protection_ fonctionnelle_diffamation.pdf ; Collectif « Face aux poursuites bâillons de Bolloré : nous ne nous tairons pas », Basta ! www.bastamag.net chroniques 21. Légipresse n° 347 p. 119. 24 janvier 2018. 22. Légipresse n° 347 p. 119. 19. Légipresse n° 350 p. 301. 23. Légipresse n° 349 p. 241. 20. Légipresse n° 346 p. 66. 24. Légipresse n° 354 p. 527.

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LP357-FEVRIER-2018.indd 114 22/02/2018 17:54 qui ne peut faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve C – Atteinte à l’honneur ou à la considération de la vérité, étant rappelé que la proximité avec une idéologie d’extrême droite n’est pas diffamatoire (TGI Paris 17e ch. 10 no- 12. Complicité de l’inavouable vembre 2017, B. Cazeneuve c. M. X, 355-0725). La Cour de cassation maintient sa jurisprudence sur le caractère diffamatoire de l’imputation de complicité de l’inavouable au B – Identification de la victime Rwanda mais admet la bonne foi du journaliste après une enquête sérieuse sur le rôle joué par un général français lors 10. Commune ou communauté urbaine du génocide rwandais (C. cass. ch. crim. 7 février 2017, Jean- Dans le cadre de son émission Envoyé spécial, la société de télé- Claude X., 349-0628). vision France 2 a diffusé un reportage intitulé « Calanques en eaux troubles » consacré à diverses sources de pollution affectant 13. Financement de la Cité du cinéma les calanques de Cassis. Une séquence de 3 minutes, illustrée La Cité du cinéma, à Saint-Denis, a été créée en 2012 à l’instiga- par les images d’une plongée sous-marine, évoquait la situation tion du réalisateur-producteur Luc Besson qui présidait la socié- constatée à la sortie de l’émissaire des eaux traitées par la station té promotrice du nouveau site dédié à l’industrie cinématogra- d’assainissement implantée sur le territoire de la commune de phique. En novembre 2013, des articles ont été publiés dans les Cassis, où les poissons pullulaient. Le commentaire du reportage journaux quotidiens Le Parisien et Aujourd’hui en France, ainsi indiquait : « A Cassis, on se baigne dans les excréments. Voici ce que sur le site d’information www.leparisien.fr, afin de commen- que l’apnéiste a filmé avec sa caméra, à cinq mètres de profondeur : ter un signalement de la Cour des comptes à l’autorité judiciaire un nuage d’excréments sortant d’une des canalisations de la station concernant les conditions du financement public de la Cité du d’épuration. Pendant la saison touristique, la station déborde : elle cinéma. Les juges du fond, sur les plaintes en diffamation de la serait saturée. Les eaux sales sont directement rejetées dans la société promotrice et de son président, avaient considéré que si Méditerranée ». Une poursuite du chef de diffamation publique forts que fussent les termes employés, ils ne faisaient qu’exprimer envers un corps constitué a été engagée sur la plainte avec une appréciation critique et subjective, compte tenu de l’ampleur constitution de partie civile de la commune de Cassis. Elle s’est du projet concerné, des modalités d’utilisation des fonds publics, soldée par la relaxe des prévenus en l’absence de mise en cause et n’excédaient pas les limites admissibles de la liberté d’expres- de la commune. Celle-ci n’était pas désignée par le reportage sion reconnue aux organes de presse. La chambre criminelle, comme responsable de la situation dénoncée. La séquence exerçant son contrôle sur le point de savoir si dans les propos critiquée ne faisait pas expressément référence à la commune, incriminés se retrouvaient les éléments de la diffamation publique sauf pour signaler que « selon la ville de Cassis les rejets observés définis par l’article 29 de la loi de 1881, a censuré les décisions ont été traités et dépollués ». L’atteinte personnelle au sens de de relaxe fondées sur l’absence de diffamation, et jugé qu’en l’article 29 de la loi de 1881 ne pouvait résulter de la simple imputant à la société promotrice d’avoir usé de ses relations au mention d’une zone territoriale comme les calanques ou d’un sommet de l’État pour obtenir que le risque financier du projet lieu géographique comme Cassis. Il était de plus avéré que qu’elle portait et qui, selon leurs auteurs, ne répondait pas à un l’assainissement collectif auquel participe la station d’épuration intérêt général incontestable, fût transféré, au moyen d’un mon- visée relève de la compétence de la communauté urbaine Mar- tage extravagant et sans contrepartie de sa part, sur les finances seille Provence « qui l’exerce en lieu et place des communes publiques, entraînant une charge indue pour la collectivité en membres ». L’interprétation extensive du contenu et du sens des période de crise, constitutive d’une gabegie, les propos poursui- propos incriminés par la partie civile ne pouvait être retenue vis étaient de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la consi- (TGI Marseille 11e ch. Correct. 28 novembre 2017, Commune dération de l’intéressée (C. cass. ch. crim. 28 juin 2017, trois de Cassis c. D. Ernotte-Cunci et a., 355-0626). arrêts, Sté Europacorp, 352-0429).

11. Association ou dirigeant 14. Défrichement à Mayotte Une association SOS Principes AFER ayant publié une résolution L’imputation d’avoir été interpellé par la gendarmerie alors qu’il soumise à la prochaine assemblée générale de l’AFER afin d’ob- s’est agi d’un accompagnement dans le véhicule de l’intéressé, tenir le remboursement de l’indemnité supplémentaire allouée et d’avoir fait l’objet d’une plainte pour défrichement sans par le conseil d’administration au président de l’AFER pour lui autorisation d’un terrain à Mayotte n’implique pas la commis- permettre d’effectuer des dons aux partis politiques, c’est à tort sion d’une infraction pénale ni même un comportement mora- que les juges ont estimé que l’imputation de contournement lement répréhensible (Cass. ch. crim. 11 juillet 2017, Théophane de l’interdiction légale faite aux personnes morales de financer X., 352-0330). les partis politiques visait une décision prise par les dirigeants de l’association de l’époque, alors que les propos poursuivis D – Publicité visaient l’AFER elle-même, engagée par les décisions prises par ses organes ou représentants agissant pour son compte (Cass. La diffamation peut être commise au moyen d’une vidéo réali- ch. crim. 20 juin 2017, Association française d’épargne et de sée en langue des signes par un auteur sourd-muet. Mais la retraite, 351-0527). diffusion d’une vidéo en langue des signes non traduite en

25. Légipresse n° 355 p. 587. 28. Légipresse n° 349 p. 241. 26. Légipresse n° 355 p. 586. 29. Légipresse n° 352 p. 417. 27. Légipresse n° 351 p. 360 et n° 352 p. 442, comm. B. Ader. 30. Légipresse n°352 p. 416.

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langue française par un traducteur assermenté et dont la tra- IV – FAITS JUSTIFICATIFS ET IMMUNITÉ duction libre des propos incriminés ne permet pas aux juges de constater une éventuelle diffamation ne caractérise pas un A – Vérité des faits moyen de publicité (TGI Paris 17e ch. 21 juin 2017, Ronit L. C. Olivier M., 351-0431). 17. Admission de la preuve complète L’exception de vérité admise en faveur d’Arnaud Montebourg Le terme « ami » employé pour désigner les personnes acceptant par le TGI Paris a été confirmée par la cour d’appel de Paris sur d’entrer en contact sur Facebook ne renvoie pas à des relations les intérêts civils (TGI Paris 17e ch. 12 avril 201638, 338-08 ; CA d’amitié au sens traditionnel du terme et l’existence de contacts Paris pôle 2 ch. 7, 19 janvier 2017, J.-M. Le Pen c. A. Monte- entre ces différentes personnes par l’intermédiaire de ces réseaux bourg, 347-0439). De même la chroniqueuse du journal Le Monde ne suffit pas à caractériser une partialité particulière, le réseau qui avait qualifié Robert Faurisson de « menteur professionnel », social étant simplement un moyen de communication spécifique « falsificateur », « faussaire de l’histoire », a pu apporter la preuve entre des personnes qui partagent les mêmes centres d’intérêt, de la vérité des faits par les décisions de condamnations pro- et en l’espèce la même profession (C. cass. 2e ch. Civ. 5 janvier noncées contre le plaignant (TGI Paris 17e ch. 6 juin 2017, 2017, Yann X., 345-0232) de sorte qu’ils peuvent former une R. Faurisson c. A. Chemin et T. Cremisi40). L’exception de vérité communauté d’intérêts exclusive de la publicité des propos a également été admise en raison de l’exactitude des propos échangés. mettant en cause, dans une émission télévisée d’actualité spor- tive, un club de football de Bastia et son dirigeant, soupçonnés III - DiffamationS spÉcialeS d’entretenir des liens avec un ancien dirigeant nationaliste et affairiste douteux, de sorte que « entre affairisme, nationalisme 15. Conseiller du président de la République et vrais amateurs de sport, il y a un mélange qui est détonant » Si le requérant était au moment des faits conseiller auprès du (Cass. Ch. Crim. 28 juin 2017, Sté Sporting Club de Bastia et président de la République, cette seule qualité n’est pas en a., 351-0341). elle-même de nature à lui conférer la qualité de citoyen chargé d’un service public ou d’un mandat public, accomplissant une 18. Contrôle de la Cour de cassation mission d’intérêt général et exerçant, par délégation de signa- À l’occasion de la poursuite en diffamation du président de ture, des prérogatives de puissance publique, au sens de l’article l’association gestionnaire d’un centre de formation d’apprentis, 31 de la loi de 1881. Le fait d’être compétent sur les thèmes de la chambre criminelle rappelle le pouvoir souverain de la cour l’égalité et de la diversité, ou de donner des instructions dans d’appel quant à l’appréciation de la teneur des documents le cadre des réunions interministérielles, ne caractérise pas produits et des témoignages recueillis à l’audience du tribunal l’exercice de telles prérogatives, étant observé qu’un conseiller contradictoirement débattus, pour énoncer ensuite que c’est à à la présidence, dont l’activité consiste par définition à conseil- bon droit (contrôle léger) qu’elle en a déduit qu’ils apportaient ler le chef de l’État, n’a pas vocation à exercer la puissance la preuve parfaite et corrélative aux imputations formulées dans publique en lieu et place de celui-ci (TGI Paris 17e ch. 4 juillet leur matérialité et leur portée (Cass. Ch. Crim. 31 octobre 2017, 2017, M. X. C. M. Y. 353-0533). Dans le même sens : Cass. Ch. Éric X., 355-0842). Cf Cass. Ch. Crim. 12 avril 197643. Crim. 11 mars 200334, et 6 janvier 201535 ; en sens contraire, Cass. 2e ch. Civ. 27 janvier 199336. 19. Restriction des moyens de preuve C’est à bon droit qu’une cour d’appel a rejeté une offre de preuve 16. Citoyen chargé d’un mandat public de la vérité des faits, dès lors que d’une part, toute référence à La Cour européenne des droits de l’homme persiste à élargir les une condamnation amnistiée étant punie par l’article 15, alinéa 3, limites de la liberté d’expression des élus locaux dans le débat de la loi du 6 août 2002 portant amnistie d’une amende de politique qui les oppose. C’est en violation de l’article 10 de la 5 000 euros, la vérité de l’imputation diffamatoire consistant en Convention européenne que les juridictions nationales ont le rappel d’une telle condamnation ne peut être prouvée, pas condamné pour diffamation publique envers un maire et son davantage que ne peut être reconnue la bonne foi de l’auteur adjoint un conseiller municipal qui les avait accusés d’escroque- de ladite imputation, d’autre part, une telle prohibition, qui vise rie en séance du conseil municipal et dans un tract diffusé en au rétablissement de la paix politique et sociale, constitue, même janvier 2010, en raison de leur implication dans un marché dans le contexte de polémique syndicale dans lequel ont été public routier, alors que ce conseiller municipal était chargé du tenus les propos incriminés, une restriction à la liberté d’expres- suivi des marchés publics afférents à une opération de sécuri- sion nécessaire, dans une société démocratique, à la protection sation et d’aménagement du domaine public, et qu’il était des droits de la personne contre laquelle a été prononcée la ainsi investi d’un rôle de vigie et d’alerte de la population (CEDH condamnation amnistiée (Cass. Ch. Crim. 12 décembre 2017, 5e section 7 septembre 2017, Lacroix c. France37). Philippe X. et a., 356-0344).

31. Légipresse n° 351 p. 360. 38. Légipresse n° 338 p. 258. 32. Légipresse n° 345 p. 7. 39. Légipresse n° 347 p. 154. 33. Légipresse n° 353 p.472. 40. Légipresse n° 350 p. 297. 34. Bull. crim. N° 64. 41. Légipresse n° 351 p. 359. 35. Bull. crim. N° 10. 42. Légipresse n° 355 p. 587. 36. Bull. Civ. II n° 31. 43. Bull. crim. n° 114. 37. Légipresse n° 354 p. 528. 44. Légipresse n° 356 p. 8.

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LP357-FEVRIER-2018.indd 116 22/02/2018 17:54 B – Bonne foi V – INJURE

20. Sujet d’intérêt général et base factuelle suffisante 22. Injure publique envers un particulier Les imputations visant un maire accusé de « copinage » et Il est injurieux envers des professionnels de l’information d’an- « d’écraser les faibles » peuvent être excusées par la bonne foi noncer dans un tweet la prochaine parution d’un article concer- s’il existe une base factuelle suffisante, dans le cadre d’un débat nant « le cabinet noir de Sarkozy avec ses deux valets : les pseudo- d’intérêt général (Cass. Ch crim 28 mars 2017, Alain X. et a., journalistes X. et Y. », les termes employés étant méprisants et 349-0345). Encourt la cassation l’arrêt d’une cour d’appel qui a stigmatisant la transgression de la déontologie journalistique refusé le bénéfice de la bonne foi à une journaliste de l’AFP et (TGI Paris 17e ch. 12 janvier 2017, G. Davet et a. c. Y. de Kerdrel, à son directeur de publication poursuivis pour avoir diffusé une 346-0950). Il est injurieux envers l’URSSAF de diffuser sur les dépêche faisant état du vote à une large majorité d’une motion réseaux sociaux une vidéo filmée avec un téléphone portable de défiance contre le directeur de la rédaction de France-Soir dans les locaux de cet organisme à Montreuil, dans laquelle un en raison de méthodes de déstabilisation assimilées à du har- usager ulcéré déclare que « l’URSSAF c’est vraiment des fils de cèlement moral, alors que l’existence d’une source ainsi que pute » (TGI Paris 17e ch. 30 juin 2017, URSSAF Ile de France c. du document communiqué et l’absence de réponse de la part José X., 354-0851). En l’absence d’un fait précis de délation, il de ceux dont la réaction était sollicitée constituaient une base est injurieux de qualifier de « délateur » le journaliste producteur factuelle suffisante (Cass. Ch. Crim. 28 février 2017, Pierre X. d’un reportage sur les coulisses des marchés de Noël (Cass. Ch. et a., 348-0346). De même, la censure est encourue par l’arrêt crim. 10 mai 2017, Marcel X., 350-1152). Bien que l’expression d’une cour d’appel qui a rejeté l’exception de bonne foi invoquée « Si Dieudonné était dans un asile, ce qui devrait être sa place » soit par Nathalie Kosciusko-Morizet, en retenant une insuffisance outrageante envers Dieudonné M’Bala M’Bala, elle n’a pas dé- de base factuelle et un manque de prudence dans la mise en passé les limites de la liberté d’expression de l’avocat de Radio cause de Jean-Luc Mélenchon, accusé d’accueillir sur son site France face à une personne habituée des excès de langage (CA « les gens qui font profession d’antisémitisme », alors que les Paris pôle 2 ch. 7, 6 juillet 2017, 355-1653). Si les termes « héraut propos relevaient d’un débat d’intérêt général sur les relations catho-vichyste » et « porteuse ontologique du virus de l’homopho- prêtées à un homme politique, à l’occasion d’élections législa- bie » qualifiant la porte-parole d’un mouvement politique expri- tives, spécialement sur la proximité supposée entre celui-ci et ment une critique virulente des idées représentées par la plai- un artiste grec, Mikis Theodorakis, connu pour son antisémitisme gnante, ils n’ont toutefois pas excédé le périmètre d’un débat (Cass. Ch. Crim. 28 juin 2017, Nathalie X., 351-0247). A l’inverse, de société auquel elle a délibérément choisi de contribuer sur c’est à tort qu’une cour d’appel a admis la bonne foi d’un homme des conceptions diamétralement opposées de la famille et de politique critiquant un de ses adversaires dans le cadre d’un la société (TGI Paris 3 mai 2017, J. Graziani c. J. Volle et a., débat électoral engagé depuis plusieurs années, sans mieux 352-1454). L’emploi du terme « fasciste » dans le contexte d’un s’expliquer sur l’existence d’une base factuelle des allégations débat électoral au sujet des idées prêtées au responsable d’un litigieuses, dans le contexte d’un débat d’intérêt général relatif parti politique ne dépasse pas les limites admissibles de la li- à l’intégrité d’un élu (Cass. Ch. Crim. 14 mars 2017, François berté d’expression (Cass. Ch. Crim. 28 février 2017, Marine Le X., 348-0448). Pen c. Jean-Luc Mélenchon, 348-0955).

C – Immunité 23. Injure publique envers une personne protégée Des journalistes de télévision auxquels un maire avait refusé 21. Immunité judiciaire prévue par l’article 41 de la loi de 1881 des autorisations de filmer dans sa commune ayant déclaré à la S’il résulte de l’article 954, alinéa 3, du Code de procédure civile, presse locale « il est bipolaire ce gars : il vient le matin, tout va bien, que les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, et l’après-midi il me raccroche deux fois au nez », c’est à bon droit les prétentions et moyens précédemment présentés ou invo- que le directeur de la publication du journal ayant reproduit ces qués dans leurs conclusions antérieures et, qu’à défaut, elles propos a été condamné pour injure envers un citoyen chargé sont réputées les avoir abandonnés, il n’en demeure pas moins d’un mandat électif, les propos outrageants, relatés en dehors que les faits diffamatoires étrangers à la cause contenus dans de toute polémique ou débat politique, excédant les limites de des conclusions qui ne sont pas les dernières peuvent, confor- la liberté d’expression (Cass. ch. crim. 28 mars 2017, Pierre X., mément l’article 41 alinéa 6 de la loi de 1881, donner lieu soit 349-1356). Le délit d’injure publique envers la police nationale à l’action publique, soit à l’action civile des parties, lorsque ces est constitué par la mise en ligne sur le réseau social Facebook actions leur auront été réservées par les tribunaux. C’est donc d’une vidéo dans laquelle plusieurs doigts d’honneur sont exhi- à tort qu’une juridiction a refusé de réserver l’action d’une bés, l’uniforme d’une adjointe de sécurité est représenté avec partie en raison de propos contenus dans les avant-dernières la mention « Nike la Police » et dans laquelle sont tenus les pro- conclusions de l’autre partie (Cass. 1re ch. Civ. 9 juin 2017, pos « j’encule les condés (...) on nique la police, on est les infiltrés » M. X., 351-1349).

50. Légipresse n° 346 p. 66. 51. Légipresse n° 354 p. 529. 45. Légipresse n° 349 p. 239. 52. Légipresse n° 350 p. 300. 46. Légipresse n° 348 p. 176. 53. Légipresse n° 355 p. 590. 47. Légipresse n° 351 p. 359. 54. Légipresse n° 352 p. 421. 48. Légipresse n°348 p.176. 55. Légipressen° 348 p. 179. 49. Légipresse n° 351 p. 364. 56. Légipresse n° 349 p. 244.

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(TGI Paris 17e ch. 7 juin 2017, Ministère public c. Mohamed B. par la minoration outrancière et la banalisation d’un tel crime et Jenna K., 354-0957). En prenant à partie Nadine Morano, dans qui a été constitué par l’emploi de chambres à gaz (CA Paris, son spectacle, en des termes vulgaires, Guy Bedos n’a pas por- pôle 2 - ch. 7, 1er mars 2017, Licra et a. c/ J-M. Le Pen, 348-1262). té atteinte à la fonction publique qu’elle incarnait à l’époque, Le même délit est constitué par la publication d’une fausse page mais seulement à sa personne privée (Cass. ch. crim. 7 juin de couverture d’un journal satirique représentant le visage 2017, N. Morano, 351-1558). comique du personnage de Charlot avec en arrière-plan l’étoile de David et la question « Shoah où es-tu ? », insinuant l’idée que 24. Variations dans les variétés la Shoah serait, non une réalité indiscutable, mais une création L’émission de télévision hebdomadaire « On n’est pas couché » de l’esprit, un mensonge imposé par « culot », fabriqué par les animée par Laurent Ruquier est à la fois une étape obligatoire sionistes et le Mossad (TGI Paris 17e ch. 14 mars 2017, AIPJ et des campagnes de promotion de livres, films ou pièces de théâtre, a. C. A. Soral, 348-1063). voire de personnalités politiques, et aussi un réceptacle idéal d’échanges provocateurs. Il n’est pas étonnant dès lors que cette VII – RACISME émission suscite un contentieux relativement abondant en matière d’injure. Ce contentieux n’est guère productif pour les A - Provocation plaignants qui sont souvent déboutés de leurs actions. Ainsi un des journalistes de l’émission a pu qualifier impunément Alain 27. Provocation à la haine envers les Roms Sorral de « esprit malade », « à moitié fou », dans un contexte Un maire ayant déclaré, lors d’une réunion publique de quartier, polémique alimenté par d’autres medias (TGI Paris 17e ch. « Je vous rappelle quand même, que les gens du voyage, que dis-je, 17 mars 2017, A. Soral c. A. Caron et a., 349-1459). Le dessin les Roms, m’ont mis neuf fois le feu. Neuf fois des départs de feux d’un étron fumant poursuivi par et censuré par éteints par le SDIS dont le dernier, ils se le sont mis eux-mêmes. Vous la Cour de cassation a été à nouveau absous par la juridiction savez ce qu’ils font : ils piquent des câbles électriques et après ils les de renvoi autrement composée, sous le couvert de l’absence de brûlent pour récupérer le cuivre et ils se sont mis à eux-mêmes le feu caractérisation de l’élément intentionnel de l’infraction – dont dans leurs propres caravanes. Un gag ! Ce qui est presque dommage, l’existence légale sera vérifiée à l’occasion d’un nouveau pourvoi c’est qu’on ait appelé trop tôt les secours ! Mais je ne l’ai pas dit, je (CA Paris, pôle 2, ch. 7, 20 septembre 2017, M. Le Pen c/ L. Ru- ne l’ai pas dit. Non mais parce que les Roms, c’est un cauchemar, quier et France Télévisions, 353-1260). c’est un cauchemar », c’est à bon droit qu’il a été poursuivi et condamné, du chef de provocation à la haine ou à la violence VI - APOLOGIES raciale, à une peine d’un an d’inéligibilité et 10 000 euros d’amende, ainsi qu’à des mesures de réparation civiles, dès lors 25. Apologie de terrorisme que le délit de provocation était bien constitué et que la condam- Le délit d’apologie d’actes de terrorisme, prévu et réprimé par nation de l’élu entre dans la catégorie des mesures nécessaires l’article 421-2-5 du Code pénal, qui consiste dans le fait d’inciter à la défense de l’ordre et à la protection des droits d’autrui (Cass. publiquement à porter sur ces infractions ou leurs auteurs un Ch. crim. 1er février 2017, Luc I., 346-1764). De même, Jean-Ma- jugement favorable, est constitué par l’exhibition, le 11 janvier rie le Pen a été poursuivi et sanctionné pour avoir déclaré dans 2015, lors d’un rassemblement en hommage aux victimes des une réunion publique à Nice et dans une interview, « Vous avez attentats ayant frappé la France entre les 7 et 9 janvier 2015, quelques soucis, paraît-il, avec quelques centaines de Roms qui ont d’une pancarte sur laquelle il était écrit, d’un côté, « je suis humain- dans la ville une présence urticante et, disons, odorante… » (CA je suis Charlie », et de l’autre, « je suis la vie », avec la représenta- Aix-en-Provence ch. Corr. 27 février 2017, SOS Racisme et a. tion d’un cœur, et « je suis A... », du nom des frères A. impliqués C. J.M. Le Pen, 349-2565). Il convient de mentionner aussi que la dans les attentats visés par la manifestation, ce comportement Cour européenne des droits de l’homme a validé la condamna- exprimant une égale considération pour des victimes d’actes tion de Jean-Marie Le Pen pour injures envers les Roms en notant de terrorisme et l’un de leurs auteurs à qui il s’identifiait (Cass. que les propos incriminés étaient loin de se limiter à un simple Ch. crim. 25 avril 2017, Thierry X., 351-0161). trait d’humour détaché de tout contexte politique et d’intention stigmatisante à l’égard de la communauté rom, mais qu’ils étaient 26. Négationnisme susceptibles de susciter un sentiment de rejet et d’hostilité envers La persistance de Jean-Marie Le Pen à employer les termes de cette communauté (CEDH 5e section 23 mars 2017, J.-M. Le Pen « détail de l’histoire de la guerre » pour désigner la politique c. France, 348-2166). d’extermination conduite par les nazis pendant la seconde guerre mondiale et à exprimer qu’il ne s’agirait que d’un épisode secon- 28. Provocation antisémite daire, sans grande importance ainsi qu’à refuser d’admettre la « Les nomades prédateurs de la communauté organisée sionistes spécificité de ces persécutions en les assimilant à d’autres épi- sont comme des coqs en pâte en France, en bons chrétiens les sodes dramatiques susceptibles d’intervenir en temps de guerre, Français les ont accueillis généreusement comme des frères pensant caractérise le délit de contestation de crime contre l’humanité qu’ils allaient se fondre dans la masse, mais malheureusement ces

57. Légipresse n° 354 p. 529. 62. Légipresse n° 348 p. 180. 58. Légipresse n° 351 p. 365. 63. Légipresse n° 348 p. 179. 59. Légipresse n° 349 p. 242. 64. Légipresse n° 346 p. 69 et n° 349 p. 260, comm. N. Verly. 60. Légipresse n° 353 p. 475 et n° 354 p. 550, comm. V. Tesnière. 65. Légipresse n° 349 p. 248. 61. Légipresse n° 351 p. 359 et p. 392 comm. E. Dreyer. 66. Légipresse n° 348 p. 184.

118 LÉGIPRESSE n° 357 - Février 2018

LP357-FEVRIER-2018.indd 118 22/02/2018 17:54 gens-là ne se mélangent pas et ne pensent qu’à comploter pour 30. Provocation islamophobe s’accaparer le bien des Français et de la France sans se fatiguer, ce La publication d’un texte sur internet intitulé « Que faire des ne sont que des parasites ! ! ils ne représentent qu’une toute petite musulmans une fois le Coran interdit ? » visant les musulmans et minorité pourtant ce sont eux qui ont tous les privilèges ? ? ? Certains décrivant la situation, rêvée par l’auteur, d’un État où serait pays ont bien compris leur stratégie et ils les ont foutus dehors avec proscrite la pratique publique de leur religion et expulsés du pertes et fracas, mais la France s’est piégée elle-même avec ses fameux territoire national ceux qui ne respecteraient pas cette prescrip- “Droits de l’Homme” et elle en paie le prix maintenant ! ! ». Ces tion, constitue le délit prévu par l’article 24 alinéa 8 devenu propos publiés sur un site internet visent l’ensemble des personnes l’alinéa 7 de la loi du 29 juillet 1881 (Cass. Ch. Crim. 28 mars appartenant à la communauté juive et font référence, non pas 2017, Benjamin X. et a., 349-2471). à une doctrine politique, mais à une origine, de sorte qu’ils consti- tuent le délit prévu par l’article 24 alinéa 8 de la loi de 1881 (Cass. 31. Provocation homophobe Ch. Crim. 14 novembre 2017, , 355-2167). Le délit de provocation n’est caractérisé que si les juges constatent que, tant par leur sens que par leur portée, les 29. Provocation anti-chrétienne propos incriminés tendent à inciter le public à la haine ou à la La pièce de théâtre de l’auteur hispano-argentin Rodrigo Garcia, violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, intitulée « Golgota picnic » est une œuvre de fiction à vocation à raison de leur orientation ou identité sexuelle. En déclarant artistique ne prétendant, en tant que telle, à l’affirmation d’au- dans une interview que « l’homosexualité est une abomination », cune vérité mais participant de l’échange des idées et opinions Christine Boutin a tenu un propos outrageant qui ne comporte, indispensable à toute société démocratique sous réserve des même implicitement, aucun appel à la haine ou à la violence seules limites fixées par la loi, et certains propos qui y sont tenus, envers les personnes homosexuelles. La chambre criminelle quelque provocateurs, voire choquants pour certains chrétiens, casse sans renvoi l’arrêt de condamnation de la cour d’appel qu’ils soient, se rapportent à une image de Jésus Christ totalement de Paris du 2 novembre 201672 (Cass. Ch. Crim. 9 janvier 2018, inventée et désacralisée, de sorte qu’ils ne peuvent être pris au C. Boutin, 356-1673). pied de la lettre, ni induire une quelconque animosité ou sen- timent de rejet à l’égard de l’ensemble des personnes qui se 32. Provocation francophobe ou xénophobe réclament de celui-ci ; ceux relatifs à l’iconographie religieuse, Les délits de provocation et d’injure prévus et réprimés par les présentée comme cruelle et perverse, ne peuvent être interpré- articles 24 alinéa 8 devenu alinéa 7 et 33 alinéa 3 de la loi de tés comme visant précisément et spécifiquement les chrétiens, 1881 sont caractérisés si les juges constatent que, tant par leur dès lors que le legs graphique ainsi dénoncé participe de l’héri- sens que par leur portée, les propos incriminés sont tenus à tage culturel commun au monde occidental ; par leur sens et l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison leur portée, les propos litigieux ne tendent pas à exhorter autrui de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-ap- à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’un partenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion groupe déterminé de personnes en raison de leur appartenance déterminée. Tel est le cas de propos contenus dans un ouvrage religieuse, et ne constituent pas une faute civile entrant dans intitulé « Nique la France » qui désignent, à travers les réfé- les prévisions de l’article 24, alinéa 8, devenu alinéa 7, de la loi rences constituées par la représentation symbolique de la du 29 juillet 1881, fondement de la poursuite (Cass. Ch. Crim. République, le drapeau français et l’hymne national, des 14 novembre 2017, AGRIF, 355-2068). Le même délit n’est pas personnes appartenant à la nation française ( Cass. Ch. Crim. caractérisé par des propos qui ne visaient pas seulement des 28 février 2017, AGRIF c. M. Y. et a., 348-1874). À l’inverse, groupes catholiques mais aussi d’autres groupes auxquels il stigmatiser « le coefficient de blancheur » et prôner la « franci- était reproché d’avoir exprimé leur homophobie au cours des sation » de l’équipe de France de football en proposant à manifestations contre le vote de la loi sur le mariage pour tous, cette fin l’expulsion des « Français de papier » et la répression et qui ne visaient pas la communauté des catholiques dans son du communautarisme ne peut, dans le contexte où ces propos ensemble mais ceux d’entre eux, qualifiés d’intégristes, qui ont été tenus, qu’inciter le lecteur au rejet des personnes qui composaient des groupes d’opposition au vote de la loi sur le ne seraient pas des vrais français en raison de leur origine réelle mariage pour tous, de sorte que les termes du texte critiqué ne ou supposée et qu’il conviendrait, partant, comme un corps rejaillissaient pas sur l’ensemble de la communauté catholique étranger, de bannir de la communauté nationale où elles (Cass. Ch. crim. 20 juin 2017, AGRIF c. Frédéric X., 354-1769). n’auraient aucune place (TGI Paris 17e ch. 25 janvier 2017, Même tolérance à l’égard d’une avocate qui avait tweeté un lien LICRA et a. C. Henry de Lesquen, 347-2175). hypertexte renvoyant à un article publié sur le site internet du journal Libération relatif à une manifestation contre l’avortement, 33. Provocation handiphobe en l’accompagnant de ce commentaire « Vigilants nous devrons L’hebdomadaire Charlie hebdo ayant publié en couverture de être car les réactionnaires s’agitent encore et cela ne cessera que l’un de ses numéros un dessin représentant Nadine Morano lorsqu’ils seront morts » (CA Paris pôle 2 ch 7, 26 janvier 2017, caricaturée en bébé trisomique, dans les bras du Général de AGRIF c. C. Mecary70). Gaulle, avec la légende : « Morano, la fille trisomique cachée de

71. Légipresse n° 349 p. 247. 67. Légipresse n° 355 p. 592. 72. Légipresse n° 345 p.15. 68. Légipresse n° 355 p. 592. 73. Légipresse n° 356 p. 14. 69. Légipresse n° 354 p. 533. 74. Légipresse n° 348 p. 183. 70. Légipresse n° 346 p. 70. 75. Légipresse n°347 p. 126.

LÉGIPRESSE n° 357 - Février 2018 119

LP357-FEVRIER-2018.indd 119 22/02/2018 17:54 Synthèse DROIT DE LA COMMUNICATION ET DES MÉDIAS

de Gaulle », une association de lutte contre la discrimination VIII – PUBLICATIONS INTERDITES PROFITEZ DE TOUTE NOTRE EXPERTISE envers les personnes handicapées a fait citer l’auteur du dessin et directeur de la publication devant le tribunal correctionnel 37. Article 35 quater de la loi du 29 juillet 1881 du chef d’injure publique et de provocation à la haine envers Dans le prolongement de la jurisprudence citée en 201782, la un groupe de personnes à raison de leur handicap. Les juges Cour de cassation confirme que les articles 35 quater et 48, 8° notent que l’amalgame opéré par la caricature poursuivie entre de la loi du 29 juillet 1881 réservent à la seule victime la faculté sottise et handicap de même que les traits du bébé présentés de déposer plainte sur le fondement de ces articles, ses ayants comme caractéristiques, particulièrement repoussants (langue droit étant en conséquence sans qualité pour agir par la voie Abonnez-vous : tirée, bave, disproportion), ne peuvent que susciter le rejet à pénale (Cass. Ch. Crim. 1er mars 2017, François X. et a., 348- € l’égard des personnes atteintes de trisomie 21, mais qu’il n’est 1983). La publication d’une photographie de la terrasse du café La pour 491 TTC pas démontré, nonobstant la perception douloureuse qui a pu Belle Équipe, juste après les attentats meurtriers du 13 novembre être celle de certains parents d’enfants trisomiques, que la publi- 2015, sur laquelle figure un jeune homme portant un T-shirt cation incriminée, qui doit être interprétée en tenant compte blanc, se tenant debout avec à ses côtés, sur le sol, des corps de de son caractère satirique, consistant à forcer le trait, contienne victime, et alentour des secouristes, répond à la nécessité d’in- une incitation précise à adopter un comportement de rejet à former le public sur les conséquences des actes terroristes, et l’égard des personnes atteintes de trisomie 21 à raison de leur le seul fait de voir le jeune homme dans une expression humaine handicap (TGI Paris 17e ch. 10 janvier 2017, Collectif contre de grande détresse, saisi par l’horreur d’une telle scène, ne carac- l’andiphobie c. L. Sourisseau dit Riss, 346-1976). Appel a été térise pas une atteinte grave à sa dignité, faute d’autres circons- interjeté par la partie civile. tances particulières, tenant notamment à l’exposition de blessures corporelles graves, de sorte que n’est pas constitué le délit de B – Injure raciale diffusion de la reproduction des circonstances d’un crime de l’article 35 quater (TGI Paris 17e ch. 5 juillet 2017, Roman L. 34. Ethnie C. Le Figaro, 351-21 & 352-2184). La condamnation de Jean-Marie Le Pen pour injure publique envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance 38. Article 39 sexies de la loi du 29 juillet 1881 à une ethnie, celle des Roms de l’Europe de l’Est (Cass. ch. crim. Il se déduit des dispositions de l’article 39 sexies, qui prohibe la 1er mars 2016, MRAP c. J-M. Le Pen77) a été validée par la Cour révélation, par quelque moyen que ce soit, de l’identité des de Strasbourg (CEDH 5e section 23 mars 2017, J.-M. Le Pen c. fonctionnaires appartenant à des services ou unités désignés France, 348-2178). par arrêté dont les missions exigent pour des raisons de sécu- Tous vos services premium en ligne : rité le respect de l’anonymat, que cette interdiction n’est pas •Accès à l’ensemble de nos bases de données documentaires 35. Appartenance religieuse limitée à la révélation des nom et prénom des personnes concer- et aux contenus payants (articles quotidiens, décisions de La publication sur un compte Facebook d’une fausse publicité nées mais s’applique à la diffusion de toutes informations qui justice, espace vidéo) • Feuilletage en ligne, depuis votre représentant un médecin exhibant une boîte de médicaments en permettent l’identification, la publication de précédentes 11 numéros ordinateur, votre tablette ou votre smartphone•Une newsletter « Judéotril » accompagnée des termes suivants : « Un nouveau informations relatives à l’intéressé dans un autre journal ne Chaque mois, toute l’actualité hebdomadaire•Devenez membre du Club Légipresse, la première médicament pour guérir du judaïsme. Paranoïa, mégalomanie, faisant pas obstacle à la caractérisation de l’infraction (Cass. Ch. du droit des médias communauté des professionnels du droit des médias tendances à l’affabulation et à la calomnie. Prévient les dérives Crim. 12 décembre 2017, Procureur général près la cour incestueuses » caractérise le délit d’injure à caractère racial, les d’appel de Paris, 356-1785). P. G. termes employés rejaillissant sur toutes les personnes de confes- sion juive sans constituer la seule critique de leur religion (TGI Paris 17e ch 13 octobre 2017, Licra et SOS Racisme c. M. X., ✂ 355-2279). La même infraction est constituée par les propos Bulletin d’abonnement à renvoyer signé et daté à visant un journaliste en ces termes « Frédéric H., ce n’est pas un Monique Blampain - Propublic - Service Abonnements - 1 rue Robert Bichet - CS 70001 - 59361 Avesnes sur Helpe journaliste, seulement un chien de garde sioniste ... Quelqu’un peut Pour plus d’informations, contactez-nous au 03 27 56 12 02 ou à [email protected] nous débarrasser de ce virus Shoanirium pleurnirium » (Cass. Ch. Crim. 14 novembre 2017, A. Soral, 355-1580). E-mail obligatoire ...... Nous avons besoin de votre e-mail pour activer votre abonnement et vous donner accès à vos informations et services numériques. 36. Orientation sexuelle Prison avec sursis contre les deux auteurs de messages diffusés Organisme, société ...... CODE NAF └┴┴┴┴┘ sur Twitter mettant en cause l’homosexualité d’un adjoint du Nom, prénom ...... Fonction : ...... maire de Paris en charge du logement et de l’hébergement Adresse ...... Tél. : ...... (TGI Paris 17e ch. 22 février 2017, I. Brossat c. Nadia A. et a., Code postal └─┴─┴─┴─┴─┘ Ville ...... Fax : ...... 349-15 81). Vous pouvez joindre votre carte de visite. Si vos coordonnées de facturation sont di érentes de celles de livraison ci-dessus, merci de nous le préciser.

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LP357-FEVRIER-2018.indd 120 22/02/2018 17:54 LP-bulletin-ABT-Page-2018.indd 1 11/12/2017 14:55 DROIT DE LA COMMUNICATION ET DES MÉDIAS PROFITEZ DE TOUTE NOTRE EXPERTISE

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LP357-FEVRIER-2018.inddLP-bulletin-ABT-Page-2018.indd 3 1 22/02/201811/12/2017 17:5414:55 Pratique du droit de la presse Presse écrite – Edition – Télévision – Radio – Internet

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