Essais Revue interdisciplinaire d’Humanités

15 | 2019 Jouer l’histoire Enjeux de la ludicisation historique

José-Louis de Miras (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/essais/1338 DOI : 10.4000/essais.1338 ISSN : 2276-0970

Éditeur École doctorale Montaigne Humanités

Édition imprimée Date de publication : 15 octobre 2019 ISBN : 979-10-97024-07-9 ISSN : 2417-4211

Référence électronique José-Louis de Miras (dir.), Essais, 15 | 2019, « Jouer l’histoire » [En ligne], mis en ligne le 29 septembre 2020, consulté le 12 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/essais/1338 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/essais.1338

Essais Revue interdisciplinaire d’Humanités

Jouer l’histoire Enjeux de la ludicisation historique

Études réunies par José-Louis de Miras

Numéro 15 - 2019 (3 - 2017)

ÉCOLE DOCTORALE MONTAIGNE-HUMANITÉS Comité de rédaction Julien Baudry, Manon Bienvenu-Crelot, Hannah Champion, Fabien Colombo, Marco Conti, Inès Da Graça Gaspar, José-Louis de Miras, Chantal Duthu, Rime Fetnan, Julie Lageyre, Eleonora Lega, Jean-Paul Gabilliet, Maria Caterina Manes Gallo, Stanislas Gauthier, Priscilla Mourgues, Arthur Perret, Nina Mansion Prud’homme, Myriam Métayer, Vanessa Saint-Martin, Marco Tuccinardi

Membres fondateurs Brice Chamouleau, Jean-Paul Engelibert, Bertrand Guest, Sandro Landi, Sandra Lemeilleur, Isabelle Poulin, Anne-Laure Rebreyend, Jeffrey Startwood, François Trahais

Comité scientifique Anne-Emmanuelle Berger (Université Paris 8), Patrick Boucheron (Collège de France), Jean Boutier (EHESS), Catherine Coquio (université Paris 7), Phillipe Desan (University of Chicago), Javier Fernandez Sebastian (UPV), Carlo Ginzburg (UCLA et Scuola Normale Superiore, Pise), German Labrador Mendez (Princeton University), Hélène Merlin-Kajman (Université Paris 3), Dominique Rabaté (Université Paris 7)

Directeur de publication Sandro Landi

Secrétaire de rédaction Chantal Duthu

Les articles publiés par Essais sont des textes originaux. Tous les articles font l’objet d’une double révision anonyme. Tout article ou proposition de numéro thématique doit être adressé au format word à l’adresse suivante : [email protected] La revue Essais est disponible en ligne sur le site : http://www.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/ecole-doctorale/la-revue-essais.html

Éditeur/Diffuseur École Doctorale Montaigne-Humanités Université Bordeaux Montaigne Domaine universitaire 33607 Pessac cedex (France) http://www.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/ecole-doctorale/la-revue-essais.html École Doctorale Montaigne-Humanités Revue de l’École Doctorale ISSN : 2417-4211 ISBN : 979-10-97024-07-9 • EAN : 9791097024079 © Conception/mise en page : DSIN - Pôle Production Imprimée Édito - - - - Essais propose propose Essais . Dialogues, enquêtes, les enquêtes, . Dialogues, * Le Comité de Rédaction est animée par l’héritage de l’héritage par animée est (1572-1592) de Michel de Montaigne. de Michel de (1572-1592) Essais Essais Essais nous voudrions ainsi renouer avec une manière une manière avec ainsi renouer nous voudrions et en dialogue, petit chaos tenant son ordre de ordre son tenant chaos petit dialogue, en et Essais essais Toutes les citations sont empruntéessont aux citations les Toutes C’est ainsi qu’alternent dans cette « C’est ainsi qu’alternent mal jointe marqueterie », Écriture à contrecourant, l’essai vise à restaurer dans notre dans notre à restaurer vise l’essai contrecourant, à Écriture Avec la revue la revue Avec Parce que de Montaigne nous revendiquons cette capacité à s’exiler cette capacité à s’exiler nous revendiquons que de Montaigne Parce Communauté pluridisciplinaire et plurilingue (des traductions et plurilingue (des traductions Communauté pluridisciplinaire Créée sur l’impulsion de l’École Doctorale « Montaigne-Humanités » « Montaigne-Humanités » Doctorale l’École de sur l’impulsion Créée En peignant le monde nous nous peignons nous-mêmes, et ce faisant nous-mêmes, nous peignons nous le monde peignant En tous également tous lui-même. * dérangeantes et paradoxales. Cette écriture continue et spéculaire, en continue et spéculaire, Cette écriture dérangeantes et paradoxales. seule à même de constituer un questionnement permanent, semble où « chacun que relatif, sur un monde aussi bigarré humaniste regard pas de son usage ». appelle barbarie ce qui n’est notes de lecture, et développements monographiques et varias, numéros quer et un besoin massif de connaissance et de sens qui favorise, plus et de sens qui favorise, quer et un besoin massif de connaissance et de communication rapides, les formes d’écriture aujourd’hui, encore lisses et consensuelles. et à l’erreur, à l’incertitude droit communauté et dans nos sociétés le complexes, de formuler des vérités les Humanités qu’ont le pouvoir étonnamment belle et juste d’« essai ». étonnamment belle et juste d’« essai ». sur le le monde qui privilégie l’inachevé et de raconter d’interroger (« L’essai Theodor Adorno Comme le rappelle méthodique et l’exhaustif. forme »,comme anachronisme d’un celui est l’essai de l’espace 1958), une « sciencepermanent, pris entre organisée » tout expli qui prétend par rapport à sa culture et à sa formation, cette volonté d’estrange à sa formation, cette volonté et rapportpar à sa culture et permet de la réalité dans la perception un trouble ment qui produit sans cesse refor peut être d’étude scène où l’objet une autre de décrire forme disjoint d’une méthodologique ne peut être mulé. Ce trouble de façon Montaigne qualifie celle, en effet, que d’écriture, particulière la mise à l’épreuve critique de paroles et d’objets issus du champ des et d’objets critique de paroles la mise à l’épreuve et sociales. des langues et des sciences humaines arts, des lettres, la revue inédites sont proposées), une certaine compris comme de qualité qui devra être Montaigne, et d’écriture. regard ment la citation et la bibliothèque. Ils revendiquent sinon leur caractère sinon leur caractère revendiquent Ils et la bibliothèque. ment la citation évolution. leur perpétuelle et de processus, leur existence fragmentaire, la revue Bordeaux Montaigne, depuis 2014 Université devenue ne peignons « pasne peignons l’être », « le mais passage » active ici pratiquent réunis et expérimentalement textes amicalement a pour objectif de promouvoir une nouvelle génération de jeunes de génération nouvelle une promouvoir de objectif pour a l’interdisciplinarité. tournés vers résolument chercheurs

Dossier José-Louis de Miras José-Louis Enjeux de la ludicisation historique par coordonné Dossier Jouer l’histoire

Le jeu vidéo « historique » comme objet de recherche : la représentation vidéoludique de la Grande Guerre en question Avant-propos José-Louis de Miras

« Quand il reprend à son compte la narration histo- rique, que ce soit sous le mode vériste, fantaisiste ou celui de l’uchronie, il peut acquérir une image sociale qui est différente du simple objectif de divertissement que ses concepteurs avaient projeté1. »

En France, la place du jeu vidéo à l’université n’a eu de cesse d’être débattue alors que sa fulgurante ascension en tant qu’industrie culturelle ne peut plus être dissimulée2. Souvent méprisés, considérés comme « dangereux pour la santé de l’enfant3 » et risquant « d’abrutir davantage qu’ils n’éveillent l’intelligence4 », les jeux vidéo intriguent la communauté universitaire qui désormais tend à apprécier leur importance économique, culturelle et sociale. Le mouvement d’intérêt actuel envers les jeux vidéo semble en effet s’inscrire dans « l’affirmation du poids économique du secteur5 », mais aussi dans sa

1 Marc Marti, « L’Histoire dans le jeu vidéo, une généalogie narrative problématique ? Le cas de la guerre d’Espagne (1936-1939) et de sa ludicisation », Science du jeu, 9/2018, 8 juin 2018, p. 2 : https://journals.openedition.org/sdj/1041 (dernière visite le 02/03/2019). 2 Dans son ouvrage publié en 2010, Alexis Blanchet interroge lui-aussi la place du jeu vidéo à l’université, en affirmant que certains « seront peut-être surpris d’apprendre que le jeu vidéo est un objet d’étude dont l’université française s’est emparée depuis quelques années. » Voir, Alexis Blanchet, Des Pixels à Hollywood. Cinéma et jeu vidéo, une histoire économique et cultu- relle, Houdan, Éditions Pix’n Love, 2010, p. 9. 3 Sébastien Genvo, Introduction aux enjeux artistiques et culturels des jeux vidéo, Paris, l’Harmattan, 2003, p. 26. L’auteur reprend ici la une du grand quotidien populaire anglais, The Sun, « Nintendo a tué mon fils », datant de l’hiver 1992. 4 Ibid., p. 28. 5 Aymeric de Guillomont, « Les jeux dont vous êtes le héros : analyse sémio-actantielle des jeux vidéo en solo », p. 138-160, in Sébastien Genvo (éd.), Le Game design de jeux vidéo. Approches de l’expression vidéoludique, Paris, l’Harmattan, 2005, p. 140. En 2015, le chiffre d’affaires mondial du jeu vidéo (91,3 milliards de dollars) a dépassé celui du film de divertissement (88,3 milliards de dollars), ce qui semble avoir permis de faciliter l’institutionnalisation du média. Voir également, Emmanuel Forsans, « Marché des jeux vidéo : Chiffre d’affaires mondial 2015, 2016 et 2019 », afjv.com, publié le 23 avril 2016 (dernière visite le 02/03/2019). 8 José-Louis de Miras légitimation artistique et culturelle. Depuis 1992, la Bibliothèque nationale de France (BnF) reçoit par exemple tous les jeux vidéo distribués en France dans leurs différentes formes éditoriales6, tandis que depuis 2003 l’association MO5.COM7 permet de faire le lien entre les amateurs-collectionneurs de jeux vidéo, les acteurs de l’industrie vidéoludique et les institutions, en exposant partout en France les machines et jeux emblématiques qui ont fait l’histoire du média. L’institutionnalisation culturelle du jeu vidéo a véritablement débuté à partir de 2003 avec la mise en place de fonds d’aide publics8 et plus parti- culièrement avec le Fonds d’Aide à l’Édition Multimédia (FAEM) géré par le Centre National du cinéma et de l’image animée (CNC). En complément de ce fonds d’aide, le CNC propose depuis 2008 un crédit d’impôt jeu vidéo9 destiné à soutenir et à développer la création française de jeu vidéo10. S’il s’apprête à fêter son cinquantième anniversaire d’existence commer- ciale11, le jeu vidéo est avant tout une industrie en constante évolution, si bien qu’en France son chiffre d’affaires est passé de 1,67 milliard d’euros en 200212 à 3,46 milliards d’euros en 201613, soit une évolution de +207 % en 14 ans. Nombreux sont les universitaires et spécialistes du jeu vidéo qui ont retracé l’histoire d’un média naviguant au gré des avancées technologiques, sociales et culturelles. Dans les années 1990, Alain et Frédéric Le Diberder ont à plusieurs

6 La collection de la BnF comptabilise dorénavant plus de 15 000 jeux et des centaines de magazines spécialisés : http://bnf.libguides.com/c.php?g=659946&p=4659785#17806966 (dernière visite le 02/03/2019). 7 Site de l’association MO5.COM : http://mo5.com/asso/presentation/. 8 Communiqué officiel du CNC rédigé par Caroline Cesbron, chargée des relations presse auprès de la direction générale du CNC de 2001 à 2007, rendu public le 26 septembre 2003 : http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/communiq/aillagon/aide-multimedia.html (dernière visite le 02/03/2019). 9 En octobre 2005, le nouveau ministre de la Culture et de la Communication, Renaud Donnedieu de Vabres, et le nouveau ministre délégué à l’Industrie, François Loos, ont confirmé la future mise en place d’un crédit d’impôt jeu vidéo visant à compléter le FAEM et destiné à « soutenir et à développer la création française de jeu vidéo » : http://www.edubourse.com/finance/actua- lites.php?actu=23988 (dernière visite le 02/03/2019). 10 CNC. « Aides à la création de jeux vidéo », bilan 2015 publié en octobre 2016, p. 2 : http://www.cnc.fr/c/document_library/get_file?uuid=7d775751-e86f-46eb-9543- ec819802e82f&groupId=18 (dernière visite le 02/03/2019) 11 Il est généralement admis que Pong (Atari), sorti en 1972, est le premier jeu vidéo à avoir été commercialisé au monde. À ce titre, et au même titre que la première projection publique des frères Lumière pour le cinéma en 1895, nombreux sont à prendre l’année 1972 comme point de départ de l’industrie du jeu vidéo. 12 Ce chiffre d’affaires est en progression de 21 % par rapport à 2001. Voir, Serge Dupuy Fromy, « Les jeu vidéo dans la société française : des années 1970 au début des années 2000 », thèse de doctorat en histoire contemporaine, sous la direction de André Ancreve, Université Paris- Est, 2012, publiée le 9 septembre 2013, p. 317 : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00859676/ document (dernière visite le 02/03/2019). 13 L’Essentiel du jeu vidéo, février 2017, sell.fr, p. 8 : http://www.sell.fr/sites/default/files/EJV_ Bilan%20Mache%202016_SELL_Fev%2017%20BD.pdf (dernière visite le 02/03/2019). Le jeu vidéo « historique » comme objet de recherche. Avant propos 9 reprises abordé le phénomène vidéoludique dans son ensemble (son histoire, son économie, sa sociologie), en analysant le contenu des premiers programmes vidéoludiques, leurs effets sur la création, dans la famille et la société14. Dans les années 2000, certains spécialistes du jeu vidéo ont publié des ouvrages dédiés aux « petites histoires » du média, à l’image de l’Ultime histoire du jeu vidéo proposé par le journaliste américain Steven L. Kent en 200115, tandis que d’autres se sont appuyés sur cette histoire pour envisager le jeu vidéo comme industrie culturelle et artistique. En 2004, dans sa sixième édition de sa Saga des Jeux Vidéo sortie en 1997, Daniel Ichbiah s’est donné pour objectif de conserver la mémoire du jeu vidéo et d’interroger la place de l’artiste dans l’industrie vidéoludique16. La même année, l’universitaire Stéphane Natkin propose de transformer le jeu vidéo en tant qu’exploit technique en œuvre audiovisuelle interactive, l’auteur considérant que les jeux vidéo constituent un paradigme des médias du XXIe siècle. Pour soutenir sa thèse, Natkin explique qu’en plus d’être le seul média interactif à avoir trouvé une grande stabilité, le jeu vidéo est le premier média à expérimenter la convergence des médias classiques, de l’Internet et des moyens de communication interpersonnelle17. Citons enfin les travaux d’Alexis Blanchet, novateurs et originaux en ce qu’ils retracent l’histoire commune du cinéma et du jeu vidéo, leur convergence et l’impact que leur relation a eu sur le fonctionnement des industries du loisir et sur les processus de production des fictions contemporaines18. L’histoire du jeu vidéo est un axe de recherche fort intéressant d’un point de vue économique, industriel et culturel, mais ce n’est pas le seul possible. Quatre autres approches semblent en effet se dessiner19 : la psychologie et les sciences cognitives se concentrent sur les effets du jeu vidéo compris « d’un point de vue psychologique, social ou psychosocial20 » ; les sciences de l’information et de la communication étudient « la construction de l’identité dans les univers

14 Les auteurs iront jusqu’à proposer un guide destiné aux parents pour « gérer les jeux vidéo dans la famille ». Voir, Alain et Frédéric Le Diberder, L’Univers des jeux vidéo, Paris, La Découverte, 1998, p. 222. À noter que l’ouvrage des frères Le Diberder est en réalité une édition refondue et actualisée de Qui a peur des jeux vidéo, Paris, La Découverte, 1993. 15 Notre traduction du titre. Voir, Steven L. Kent, The Ultimate History of Video Games, New York, Three Rivers Press, 2001. Voirégalement , Rusel Demaria, Johnny L. Wilson, Highscore: The Illustrated History of Electronic Games, New York, Osbrone McGraw Hill, 2002. 16 L’auteur explique notamment que dans les années 1970, Atari interdisait aux artistes d’indi- quer leur nom dans le générique de fin. Voir, Daniel Ichbiah,La Saga des jeux vidéo. De Pong à Lara Croft, Paris, Vuibert, 2004, p. 5. 17 L’auteur ajoute que les concepteurs de jeu ont réussi à développer une forme d’écriture interac- tive qui révolutionne les principes de narration. Voir, Stéphane Natkin, Jeux vidéo et médias du XXIe siècle. Quels modèles pour les nouveaux loisirs numériques ? (2004), Paris, Vuibert, 2010, p. 2. 18 Voir, Alexis Blanchet, Des Pixels à Hollywood, op. cit. Voir également du même auteur, Les Jeux vidéo au cinéma, Paris, Armand Colin, 2012. 19 À ce sujet, voir Alexis Blanchet, ibid., p. 11. 20 Ibid. 10 José-Louis de Miras virtuels et persistants21 » ; les études esthétiques et cinématographiques s’interrogent sur les enjeux de l’hybridation entre le cinéma et le jeu vidéo, mais analysent aussi les transformations qu’apporte l’interactivité aux notions narratologiques telles que le récit interactif ; enfin, la sociologie s’intéresse aux rapports qu’entretient le jeu vidéo avec la culture populaire, mais aussi, comme le relève très justement Alexis Blanchet, « aux tenants idéologiques de certaines productions22 ». C’est sous un angle différent, mais non moins complémentaire, que ce numéro de la revue Essais souhaite se positionner. Il s’agit en effet ici de contribuer à un domaine d’étude en pleine expansion et qui envisage le jeu vidéo comme un objet de représentation, au même titre que le cinéma, ainsi que d’étudier l’impact et les enjeux que l’interactivité vidéoludique a sur l’histoire et sur ses représentations dans les jeux vidéo. L’approche du présent numéro envisage donc le jeu vidéo au carrefour de l’histoire et de son rapport au monde qui nous entoure. En ce sens, elle se rapproche du domaine de recherche anglo-saxon des games studies, initié dans les années 1990 et qui vise à distinguer le jeu vidéo comme objet d’étude en analysant par l’interdisciplinarité une grande variété de phénomènes vidéo- ludiques. Les jeux vidéo ne sont dès lors plus seulement un phénomène de société, ils sont « le carrefour essentiel d’une redéfinition de notre rapport au monde du récit en images23 ». Il semble ainsi légitime d’interroger la relation qu’entretient le jeu vidéo avec le réel, qu’il s’agisse de la représentation vidéo- ludique de l’histoire ou bien, par exemple, de celle des sociétés d’une époque donnée, dans des mondes virtuels consommés par des millions d’utilisateurs. Comme le cinéma avant lui, le jeu vidéo s’est à plusieurs reprises intéressé à représenter des périodes historiques précises, mais à la différence du septième art, les expériences vidéoludiques ajoutent un pouvoir jusqu’à présent absent des films : celui d’intervenir dans la représentation, dejouer l’histoire en la rendant interactive et ludique24. En autorisant le joueur à intervenir dans la fiction historique, le jeu vidéo ludicise le récit historique, le transforme et inter- pelle notre vision du passé ; il la rend palpable et accessible tout en lui conférant une dimension ludique. La ludicisation de l’histoire, telle que nous l’entendons ici, est une approche interdisciplinaire nouvelle en ce qu’elle vise à mettre en lumière les effets des usages du passé dans les jeux vidéo25. Contrairement au

21 Ibid. 22 Ibid. 23 Erwan Higuinen, Charles Tesson, « Cinéphiles et ludophiles », Cahiers du cinéma, hors série, septembre 2002, p. 4. 24 Le cinéma interactif propose lui-aussi d’intervenir dans le récit pour modifier le déroule- ment de l’histoire à partir d’alternatives proposées. Ces œuvres audiovisuelles interactives se distinguent toutefois des jeux vidéo en ce qu’elles n’ont pas pour objectif de manipuler les personnages à l’écran, mais seulement de prendre des choix pour eux, là où les jeux vidéo de guerre demandent aux joueurs de prendre part à la guerre en contrôlant des soldats virtuels. 25 Le terme « ludicisation » est souvent privilégié en sciences du jeu en ce qu’il ne renvoie pas Le jeu vidéo « historique » comme objet de recherche. Avant propos 11 terme serious game qui se réfère généralement aux jeux destinés à l’apprentis- sage26 et à la ludification (ougamification ) qui se rapporte à l’application du jeu dans un contexte non ludique27, la ludicisation transforme une situation en jeu. Il s’agit donc ici de nous intéresser à la transformation du récit historique en expérience vidéoludique et aux enjeux de cette ludicisation. Comme le relève très justement Marc Marti, la « narration fictionnelle possède avant tout un but esthétique et/ou ludique alors que la narration historique se veut cognitive, transmettant un savoir au service de la science28 ». La question ici est alors de se demander si le jeu vidéo modifie ou non notre vision du passé et de l’histoire. Autrement dit, il s’agit d’envisager la place de la narration vidéoludique histo- rique selon les modalités relevées par M. Marti. Longtemps restreints par les capacités techniques des premiers dispositifs vidéoludiques, les jeux vidéo sont dorénavant capables de reproduire fidèle- ment des décors, objets et personnages de façon à ce que les joueurs puissent les identifier aisément. Les rapports qu’entretient le jeu vidéo avec l’histoire, depuis le début des années 1980 avec la sortie de Castle Wolfenstein (Muse Software, 1981)29, ont dès lors été accentués au fil du temps et constituent de fait un objet d’étude inédit en ce qu’ils témoignent de la ludicisation du récit historique qui peut, comme le relève M. Marti, « être ludicisé de plusieurs façons et donner lieu à des fictions30 ». De l’Antiquité à nos jours, en passant par le Moyen Âge et l’époque moderne, toutes les périodes ont été représen- tées par les jeux vidéo, « enclins à reproduire l’histoire de façon fantaisiste ou minutieuse31». Parmi les réalisations recensées par Thomas Rabino en 2013, on remarque que le conflit le plus représenté est celui de la Seconde Guerre

à l’idée que l’on puisse « faire » le jeu, comme c’est le cas avec le terme « ludification », mais plutôt à l’idée que l’on puisse transformer une situation en jeu. Nous préférons donc ici utiliser le terme « ludicisation » en ce qu’il transforme le récit historique en jeu. 26 Marc Prensky, Digital game-based learning, New York, McGraw-Hill, 2001. 27 Introduite au début des années 2010, l’approche de la gamification est aujourd’hui appli- quée dans des domaines aussi variés que le marketing, la santé et l’éduction. À ce sujet, voir, Sebastian Deterding, Dan Dixon, Rilla Khaled et Lennart Nacke, « From game design elements to gamefulness: defining gamification », p. 9-15, in Proceedings of the 15th International Academic MindTrek Conference: Envisioning Future Media Environments, New York, ACM, 2011. Voir égale- ment, Baptiste Monterrat, Élise Lavoué, Sébastien George et Michel Desmarais, « Les effets d’une ludification adaptative sur l’engagement des apprenants », p. 51-74, in Sciences et Technologie de l’Information et de la Communication pour l’Éducation et la Formation, ATIEF, vol. 24, n° 1, 2007. 28 Marc Marti, « L’Histoire dans le jeu vidéo, une généalogie narrative problématique ? Le cas de la guerre d’Espagne (1936-1939) et de sa ludicisation », op. cit., p. 2. 29 Sorti sur PC, arcade et consoles, Castle Wolfenstein proposait d’incarner un prisonnier du Reich et demandait au joueur de tuer le plus de SS possible. 30 Marc Marti, « L’Histoire dans le jeu vidéo, une généalogie narrative problématique ? Le cas de la guerre d’Espagne (1936-1939) et de sa ludicisation », op. cit., p. 1. 31 Thomas Rabino, « Jeux vidéo et Histoire », p. 110-116, Le Débat, 2013/5, n° 177, p. 112 : https ://www.cairn.info/revue-le-debat-2013-5-p-110.html (dernière visite le 02/03/2019). 12 José-Louis de Miras mondiale qui regroupait au début des années 2010 pas moins de 178 créa- tions. Quant aux grands événements historiques sous-représentés, l’auteur mentionne les jeux prenant pour cadre le Japon féodal (70 jeux), la Grande Guerre (35 jeux) et la guerre de Sécession (27 jeux)32. L’une des principales raisons de cet engouement pour la Seconde Guerre mondiale, en plus des stra- tégies commerciales et des goûts du public, est liée à l’origine géographique des studios de jeux vidéo33 : puissances en conflit pendant la Seconde Guerre mondiale, par opposition à la Première Guerre mondiale, les États-Unis et le Japon dominent l’industrie vidéoludique depuis longtemps, avec des studios et des constructeurs emblématiques tels qu’Activision Blizzard, Electronic Arts (EA), Nintendo, Sony et Microsoft34. On peut donc dire sans trop exagérer que la Seconde Guerre mondiale reste encore aujourd’hui le théâtre d’affron- tements par excellence pour quiconque souhaite développer une production vidéoludique d’envergure35. Plus encore, si l’on s’intéresse de plus près aux séries vidéoludiques phares des années 1990-2000 (Medal of Honor, Call of Duty, Battlefield), on remarque assez fortement l’omniprésence de l’armée américaine engagée sur différents théâtres d’opérations après l’attaque de Pearl Harbor. C’est que le jeu vidéo historique, de la même manière que le film de fiction historique, se charge souvent « d’une idéologie et de représentations du passé qui reflètent l’imaginaire collectif ou le roman national cher à des pays comme les États-Unis, où se situe l’un des marchés les plus dévelop- pés36 ». Autrement dit, l’histoire dans le jeu vidéo constitue une remarquable toile de fond que l’industrie vidéoludique exploite et utilise comme argument commercial destiné au grand public, là où certaines productions indépen- dantes se veulent plus fidèles aux faits historiques. Bien qu’absente37, ou du moins souvent écartée au profit d’autres conflits moins statiques comme la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide, la Première Guerre mondiale a été adaptée en différents genres vidéoludiques : en simulateurs de vol avec Red Baron (Dynamix, Sierra, 1990), Wings of Glory (EA, 1995) et plus récemment avec Air Conflicts : Secret Wars (bitCom-

32 Ibid., p. 112-113. 33 Constat partagé par Thomas Rabino,ibid. , p. 113. 34 Ubisoft, société française de développement de jeux vidéo, demeure quant à elle l’une des seules exceptions. 35 En septembre et novembre 2018, les studios Activision Blizzard et Electronic Arts ont une nouvelle fois confirmé cette dominance en commercialisant Call of Duty WWII (19 septembre 2018) et Battlefield V (20 novembre 2018), la lettre « V » qui succède au titre d’Electronic Arts faisant référence au geste de la main réalisé par Winston Churchill. 36 Thomas Rabino, « Jeux vidéo et Histoire »,op. cit. , p. 110-116. 37 Voir à ce sujet, Julien Lalu, « Représenter la Première Guerre mondiale dans les jeux vidéo : entre absence et uchronie », centenaire.org, publié le 13 mai 2014 : http://centenaire.org/fr/ espace-scientifique/societe/representer-la-premiere-guerre-mondiale-dans-les-jeux-video-entre (dernière visite le 02/03/2019). Le jeu vidéo « historique » comme objet de recherche. Avant propos 13 poser Games, 2011)38 ; en jeux de stratégie et wargames en temps réel ou au tour par tour avec History Line 1914-1918 (Blue Byte Software, 1992) et, entre autres, Commander : The Great War(Slitherine Software, 2012) ; ainsi qu’en jeux de tir à la première personne, dit First-Person Shooter, dont certains utilisent la Première Guerre mondiale comme fond historique destiné à accueillir des fictions uchroniques, à l’image de Necrovision (505 Games, 2009), jeu qui transforme les troupes allemandes en armée de zombies. C’est que le jeu vidéo reste avant toute autre chose une industrie du divertissement et qu’à ce titre, il transforme l’histoire et en propose de nouvelles représenta- tions qui lui sont tantôt fidèles, tantôt infidèles. La faible représentation de 14/18 dans les jeux vidéo peut également se traduire par les difficultés liées à la représentation d’une guerre de position où chaque avancée demandait du temps, là où le game design des jeux vidéo de guerre grand public préco- nise l’affrontement direct et donc très souvent l’action, ce que les historiens Julien Lalu39, Chris Kempshall40, Thomas Rabinot41 et Adam Chapman42 ont à plusieurs reprises relevé. De fait, l’interactivité vidéoludique détricote l’his- toire, y apporte des modifications plus ou moins importantes et la surcharge parfois d’action afin de la rendre jouable et ludique pour le plus grand plaisir du public. Il existe donc une réelle dichotomie entre les faits historiques et la façon dont ils sont ludicisés par le jeu vidéo, l’industrie vidéoludique ne se positionnant pas souvent entre ces deux alternatives. Alors que les années 2000 et 2010 nous ont habitués aux guerres virtuelles futuristes, avec des jeux comme Battlefield 4(EA, 2013), Call of Duty: Advanced Warfare et Infinite Warfare (Activision, 2014 et 2016), Electronic Arts décide en 2016 de cesser cette compétition qui l’oppose à Activision pour conquérir un nouveau champ de bataille, la Grande Guerre, avec Battlefield 1. Choisir le « numéro un » pour le cinquième opus de sa série principale n’est pas un fait anodin : d’une part, le titre d’EA se veut comme un retour aux sources d’une série basée sur des guerres réelles ; d’autres parts, ce numéro renvoie à celui de la Première Guerre mondiale. Avec Battlefield 1, la mode de la guerre réaliste est donc revenue – finis les soldats améliorés aux armes ultra-modernisées et

38 Les avions ne sont pas les seuls engins à avoir été adaptés en simulateurs. On peut citer par exemple le jeu Naval Campaigns : Jutland (HPS Simulations, 2002) qui met en scène la plus grande bataille de la Première Guerre mondiale, opposant la Royal Navy britannique et la Kaiserliche en mer du Nord. 39 Julien Lalu, « Représenter la Première Guerre mondiale dans les jeux vidéo : entre absence et uchronie », op. cit. 40 Chris Kempshall, The First World War in Computer Games, Basingstoke, Hampshire, Palgrave Pivot, 2015. 41 Thomas Rabino, « Jeux vidéo et Histoire »,op. cit. 42 Adam Chapman, « It’s Hard to Play in the Trenches: , Collective Memory and Videogames », Game Studies, 16-2, décembre 2016 : http://gamestudies.org/1602/articles/ chapman (dernière visite le 02/03/2019). 14 José-Louis de Miras place au gaz moutarde et aux fusils à verrous modélisés à partir d’archives43 – à tel point qu’Activision répondra à l’appel l’année suivante en commercialisant Call of Duty WWII, centré cette fois sur la Seconde Guerre mondiale. Face à la masse de violence que constituent les jeux de guerre actuels, Ubisoft propose quant à lui de commercialiser en 2014 Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre, une création vidéoludique qui s’apparente davantage à une bande dessinée interactive qu’à un jeu vidéo de guerre. L’origine de cette BD interactive développée en partenariat avec la Mission du Centenaire remonte à 2010, lorsque Yoan Fanise, directeur du contenu, apporta un tas de lettres et de documents historiques qu’il avait hérités de sa grand-mère. La lecture des lettres de son arrière-grand-père au front communiqua une forte émotion aux développeurs, car selon eux, « il y avait un contraste entre les documents mili- taires qui étaient très factuels, très froids »44. Voulant sortir de la logique mani- chéenne du jeu de guerre où l’on incarne des soldats français et américains face à aux Allemands, le titre d’Ubisoft confisque ici les armes pour, « raconter comment la guerre a affecté […] des gens ordinaires qu’on a sortis de chez eux pour aller faire la guerre et qui ont connu l’horreur »45. Soldats Inconnus utilise donc dans un premier temps l’archive de famille pour construire le récit. À cet élément structurel s’ajoute un univers graphique proche de la bande dessinée, qui permet selon les développeurs de « rendre le jeu le plus accessible possible et de toucher un public plus large que celui des jeunes [et c’est] aussi une manière différente de traiter de la guerre dans les jeux vidéo »46. La commer- cialisation de ces jeux durant le Centenaire de la Grande Guerre n’est donc pas le fruit du hasard, et c’est pourquoi ce numéro s’y consacre principalement : si Soldats Inconnus a été développé en partenariat avec la Mission du Centenaire, association dévouée à la commémoration de cette période historique, c’est précisément parce qu’il a été intégré dans un travail de réflexion dont le but est de parler des faits historiques autrement47. Quant à Electronic Arts et son jeu

43 Très tôt l’archive a été utilisée dans les jeux vidéo, dans un premier temps pour pallier l’incapa- cité des dispositifs vidéoludiques à créer des scènes cinématiques réalistes, puis dans un second temps comme élément factuel à partir duquel les développeurs s’appuient pour reproduire les décors, costumes, objets et personnages de l’époque représentée. La fonction de l’archive et l’objet de son utilisation dans les jeux vidéo peuvent aussi être questionnés, en ce que l’archive peut apporter un certain réalisme supplémentaire au récit fictionnel, permettre de le contex- tualiser, d’apporter des informations historiques additionnelles au joueur – dans une certaine mesure, de le documenter – voire, au contraire, d’être modifiée pour manipuler l’histoire dans le but de servir la fiction. 44 Propos recueillis par Antoine Flandrin, « “Soldats inconnus” est un jeu vidéo sur la Grande Guerre, mais ce n’est pas un jeu de guerre », lemonde.fr, publié le 19 mai 2014 : http://www. lemonde.fr/pixels/article/2014/05/19/soldats-inconnus-est-un-jeu-video-sur-la-grande-guerre- mais-ce-n-est-pas-un-jeu-de-guerre_4421313_4408996.html (dernière visite le 02/03/2019). 45 Ibid. 46 Ibid. 47 De façon générale, les développeurs de jeux vidéo ne cherchent pas tant la fidélité historique que Le jeu vidéo « historique » comme objet de recherche. Avant propos 15

Battlefield 1, on peut y voir une stratégie opportuniste visant à se démarquer de son concurrent direct. Deux usages du passé peuvent dès lors être délimités : le premier usage fait de l’histoire un décor, une façade qui permet, comme au cinéma, d’entourer la structure fictionnelle « d’un halo d’authenticité »48. Le monde fictif se dote ici d’un voile historique qui permet de jouer dans le passé et de convaincre d’une certaine manière le joueur de la véridicité de ce que nous raconte le jeu. Les éléments historiques, qui peuvent se présenter à l’écran sous diverses formes (insertion brute d’archives, reconstitution totale ou partielle, voire hybride), peuvent également structurer le récit, en faisant guise, par exemple, de tran- sition narrative entre deux séquences de jeu49. Toutefois, si les jeux vidéo s’emparent de l’histoire pour alimenter la fiction, ils peuvent par la même occasion en déformer le contenu, ces productions ne supposant pas de respec- ter nécessairement le récit historique50. L’interactivité, inhérente à la narration vidéoludique, fait effectivement s’éloigner très vite le joueur du récit histo- rique, pour l’engager davantage dans une posture ludique. Les jeux de guerre comme Battlefield peuvent dès lors être vus comme des espaces des possibles, fictionnels, dans lesquels les éléments historiques peuvent être manipulés et parfois détournés, au détriment d’une dimension ludo-pédagogique. Le deuxième usage consiste à aller plus loin que la simple utilisation de l’histoire comme décor ; bien que répondant à une problématique du diver- tissement, le jeu vidéo peut être utilisé comme un outil pédagogique, voire commémoratif, poussant historiens, enseignants et chercheurs à s’emparer du sujet pour questionner, parfois avec virulence, la représentation de l’histoire

la crédibilité. À ce sujet, voir l’interview de Maxime Durant, historien chez Ubisoft Montréal : « Être historien pour le jeu Assassin’s Creed », radio-canada.ca, publiée le 4 juin 2018 : https:// ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/gravel-le-matin/segments/entrevue/74813/historien- ubisoft-assassin-creed-jeu-video (dernière visite le 02/03/2019). 48 Laurent Véray, Les Images d’archives face à l’Histoire. De la conservation à la création, Chasseneuil- du-Poitou, Scérén, CNDP-CRDP, 2011, p. 127. 49 Qu’il s’agisse d’un narrateur intra ou extra-diégétique, du briefing d’un supérieur ou des mémoires d’un soldat, les images d’archives furent souvent alimentées d’une explication orale dans les jeux vidéo des années 1990 et 2000, ce qui permettait d’une part de donner sens au montage et d’autres parts de réaliser une transition narrative entre deux séquences de jeu. De fait, l’image d’archive est ici le moyen de présenter les événements que le joueur va vivre, mais aussi les résultats de son action. 50 Pour paraphraser Marc Ferro, on pourrait dire qu’à l’instar du réalisateur de fictions histo- riques, le développeur de jeux historiques « sélectionne dans l’Histoire les faits et les traits qui nourrissent sa démonstration, et il laisse de côté les autres, sans avoir à justifier ou à légitimer son choix. Ainsi il se fait plaisir à ceux qui partagent sa foi, et qui constituent son “public”. Que la cause ainsi défendue soit largement partagée, et le business tout comme le prestige du [développeur] y trouvent leur compte. Pas nécessairement l’analyse historique, c’est-à-dire l’in- telligibilité des phénomènes. » Voir, Marc Ferro, Cinéma et Histoire (1977), Paris, Gallimard, 1993, p. 220-221. 16 José-Louis de Miras dans les jeux vidéo. La sortie, au cours du Centenaire de la Grande Guerre, de Soldats Inconnus et Battlefield 1, mais aussi de Verdun 1914-1918 (Blackmill Games, M2H, 2015), a indubitablement attisé l’intérêt des praticiens de l’histoire pour ces fictions historiques interactives dont le réalisme graphique devient de plus en plus saisissant. La Première Guerre mondiale est à ce titre un excellent support pour questionner l’utilisation de l’histoire par le jeu vidéo et inversement, l’utilisation du jeu vidéo par les historiens, enseignants et chercheurs. Autrement dit, la question ici est de savoir si un jeu sur la Première Guerre mondiale peut à la fois être un divertissement et une leçon d’histoire, entendu par là qu’il incite la communauté scientifique et éducative à s’emparer de ces nouveaux objets pour les questionner, voire les déposséder de leur dimension ludique pour n’en extraire que la partie historique51. Avec Soldats Inconnus, Battlefield 1ou encore Verdun 1914-1918, les déve- loppeurs de jeux de guerre tendent à montrer qu’en plus d’une dimension interactive et ludique, le jeu vidéo peut également être doté d’une dimension pédagogique. En autorisant le joueur à devenir acteur de l’histoire dans des représentations virtuelles mettant en scène les différents théâtres d’opérations qui ont façonné le visage du monde, le jeu vidéo questionne l’histoire. En utilisant des images d’archives dans ces récits interactifs, comme ce fut le cas dans Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre ; en faisant appel à des historiens pour conseiller et apporter leur expertise ; et en essayant d’être plus ou moins fidèle aux faits qui ont eu lieu il y a de ça cent ans, tout en évitant de perdre la dimension ludique du média, le jeu vidéo n’est-il pas aujourd’hui un moyen, comme le cinéma de fiction avant lui, de représenter l’histoire, d’en apporter une nouvelle dimension ? Mais ces jeux de guerre sont-ils pour autant des jeux sur la guerre, des simulations historiques dont le but premier serait d’éduquer le public ? Force est de constater que sur ce point les avis divergent : tandis que les développeurs de jeux comme Electronic Arts et Ubisoft assument faire des raccourcis historiques pour que le divertissement reste prioritaire, certaines personnalités politiques s’insurgent quant aux aber- rations anachroniques présentes dans des produits grandement consommés par les adolescents52. D’autres encore, comme les historiens Jean-Clément Martin

51 Jonathan Ore, « Battlefield 1: Can a video game about WWI be both entertaining and a history lesson? First-person shooter could spark wider interest in the Great War », CBC News, publié le 16 novembre 2016 : http://www.cbc.ca/news/entertainment/battlefield-1-history-1.3821500 (dernière visite le 02/03/2019). 52 On peut citer l’exemple très médiatique de Jean-Luc Mélenchon qui a vu dans Assassin’s Creed Unity (Ubisoft, 2014), jeu vidéo dont l’action se déroule dans le Paris de 1789, une propagande et un « dénigrement de la grande Révolution ». À ce sujet, voir Mathilde Siraud, « Jean-Luc Mélenchon dénonce la “propagande” d’Assassin’s Creed Unity », lefigaro.fr, publié le 13 novembre 2015 : http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/citations/2014/11/13/25002- 20141113ARTFIG00300-un-responsable-du-parti-de-gauche-denonce-la-propagande-d- assassin-s-creed-unity.php (dernière visite le 02/03/2019). Le jeu vidéo « historique » comme objet de recherche. Avant propos 17 et Laurent Turcot, s’interrogent sur l’attitude que l’historien doit adopter devant un jeu vidéo historique, en tant que conseiller historique engagé par les studios de jeux vidéo, mais également sur la place du jeu vidéo dans l’en- seignement de l’histoire53. Face à ces nombreuses interrogations, plusieurs professeurs de collège, de lycée et de l’enseignement supérieur ont décidé de prendre en main les outils du numérique pour analyser, de leur propre initia- tive, la représentation du passé dans les jeux vidéo. Sont ainsi apparus sur la plateforme de vidéo YouTube des chaînes et podcasts tels que JVH : Jeux vidéo et Histoire (Romain Vincent)54, History Creed (Arte Creative)55 ou encore Histoire en jeux (William Brou) 56. Chacun tente dès lors, dans un format qui lui est propre, d’étudier les différents aspects de ces représentations vidéolu- diques de l’histoire et d’apporter une dimension pédagogique nouvelle aux fictions vidéoludiques historiques dites grand public. Autrement dit, d’envi- sager le jeu vidéo comme un nouveau matériau à partir duquel l’histoire et ses représentations pourraient être étudiées. Lieu de rencontre où se côtoient les pensées d’universitaires, professeurs de collèges et lycées, ainsi que d’historiens ayant officié en tant que conseillers historiques lors de la conception de certains jeux vidéo, ce numéro n’a pas pour dessein de répondre d’une seule voix aux interrogations que soulève l’associa- tion de l’histoire, « dont la quintessence se situe dans l’objectivité, et [du] jeu vidéo, qui repose sur les actions du joueur, donc sur une subjectivité appelant un cadre fictionnel57 ». Au contraire, il vise à mettre en lumière la pluralité des points de vue de chercheuses et chercheurs venus de différents horizons ; les cadres théoriques empruntent donc ici aux études sur l’histoire, à l’étude du game design, aux études cinématographiques et audiovisuelles ainsi qu’à la narratologie, afin de comprendre le fonctionnement de ces jeux historiques et ainsi mettre en lumière leur dimension pédagogique, didactique et représen- tationnelle, dans une perspective de compréhension des enjeux de la relation histoire/jeu vidéo qui ne s’arrête pas au jugement de valeur et au fact checking. Cette approche plurielle nous invite in fine à envisager le jeu vidéo comme un objet de représentation à partir duquel de nouvelles pratiques émergent, dont celle qui fait l’objet du présent numéro, à savoir l’appropriation du divertis- sement vidéoludique comme vecteur de recherche sur l’histoire. Le volume se

53 Voir, Jean-Clément Martin, Laurent Turcot, « Histoire et jeu vidéo », p. 225-230, in Écrire l’Histoire, 16, CNRS Éditions, 2016. 54 Chaîne YouTube JVH : Jeux vidéo et Histoire : https://www.youtube.com/user/JNSretro/ featured (dernière visite le 02/03/2019). 55 Programme History Creed : https://www.youtube.com/playlist?list=PLAS2c8lAJ7dS8ny15Ac WTUBQ-inGhdgSy (dernière visite le 02/03/2019). 56 Chaîne YouTube Histoire en jeux : https://www.youtube.com/channel/UCRThjUeXnxL_ BKUhqJv5XBg (dernière visite le 02/03/2019). 57 Thomas Rabino, « Jeux vidéo et Histoire », op. cit., p. 113 : https://www.cairn.info/revue-le- debat-2013-5-p-110.html (dernière visite le 02/03/2019). 18 José-Louis de Miras décompose ainsi en thématiques qui examinent d’un côté les différents enjeux de la ludicisation historique (au niveau industriel, médiatique, culturel, histo- rique et pédagogique) et reflètent de l’autre la diversité des approches ayant contribué à sa parution. Ce numéro s’ouvre avec deux articles qui interrogent la représentation de l’histoire dans les nouveaux médias interactifs, à savoir le jeu vidéo et le webdo- cumentaire. L’article de Vincent Boutonnet et David Lefrançois examine la représentation de l’histoire dans la série vidéoludique Assassin’s Creed. Bien que ce premier essai s’écarte de l’analyse de jeux spécifiques à la Première Guerre mondiale, il constitue une première approche essentielle pour comprendre les enjeux de la ludicisation historique. Les auteurs, spécialistes de la didactique des sciences humaines et sociales, proposent une analyse transversale qui décrit dans un premier temps l’arc métanarratif qui lie les différents épisodes de la série – à savoir une lutte éternelle entre Templiers et Assassins pour la destinée de l’humanité –, puis envisage la façon dont les joueurs peuvent négocier le sens de ces multiples récits polychroniques. Boutonnet et Lefrançois suggèrent que la représentation de l’histoire dans les jeux vidéo est à la fois réaliste et trompeuse, à la fois rigoureuse et fictive, et par conséquent, pourrait être un authentique outil didactique destiné à l’apprentissage de certains faits histo- riques. L’essai suivant introduit quant à lui la question de la représentation de la Première Guerre mondiale dans ces nouveaux médias, en abordant notam- ment l’épineuse question de la forme et de la définition du webdocumentaire à l’épreuve de notre conception actuelle de l’histoire et au prisme de sa relation avec le jeu vidéo. Spécialiste des images cinématographiques dans leur rapport à l’histoire, Clément Puget propose une réflexion personnelle basée sur son analyse d’Apocalypse-10 destins et interroge l’éventualité d’un rapprochement entre webdocumentaire, jeu interactif et science historique entendue comme savoir historique et pratique historienne. Le duo d’articles suivant offre une réponse pragmatique aux questions soulevées dans les précédents essais, en ce qu’ils émanent d’enseignants ayant développé des mécaniques ludo-pédagogiques en introduisant le jeu vidéo en milieu scolaire. Romain Vincent et William Brou prennent ainsi appui sur leur propre expérience pour brosser le portrait du jeu vidéo comme outil qui se doit d’être encadré par l’enseignant. Dans son article, Romain Vincent étudie le dispositif pédagogique interne au jeu d’Ubisoft, Soldats Inconnus, et sa pratique enseignante en milieu scolaire. S’appuyant sur les travaux de Gilles Brougère, qui questionnent les rapports du jeu et de l’apprentissage58, l’auteur propose d’analyser cette bande dessinée interactive comme un dispo- sitif ludique hybride entre un jeu vidéo de divertissement et un logiciel au but éducatif explicite. Son analyse, accompagnée de témoignages d’enseignants

58 Gilles Brougère, Jouer/Apprendre, Paris, Economica, 2005. Le jeu vidéo « historique » comme objet de recherche. Avant propos 19 organisateurs de séances pédagogiques basées sur Soldats Inconnus, dessine le portrait du jeu vidéo en classe et des règles instaurées par l’enseignant pour que les élèves puissent apprendre en jouant. Ces séances ludo-pédagogiques développent ainsi un nouveau gameplay, c’est-à-dire de nouvelles règles (possi- bilités et limites), qui ne dépendent plus du game design du jeu vidéo, mais du cadre dessiné par l’enseignant lors de ces séances. Si le jeu vidéo ludicise l’histoire, l’enseignement le pondère dès lors de sérieux. Cette nouvelle posture enseignante, inhérente à l’étude du jeu vidéo en milieu scolaire et universitaire, se confirme dans l’article de William Brou. L’auteur y développe une réflexion critique sur sa propre utilisation de Battlefield 1 en cours pour enseigner la Première Guerre mondiale, dans des séances spéciales validées par l’Inspection académique, car s’inscrivant dans le parcours d’Éducation aux Médias et à l’In- formation de l’Éducation Nationale (EMI). S’appuyant sur la grille d’analyse développée par Yvan Hochet dans son article « Jeu vidéo et enseignement de l’Histoire et de la Géographie »59, Brou estime que l’approche d’un fait histo- rique par le jeu vidéo permet de stimuler tous les élèves, y compris ceux en situation de décrochage scolaire. L’auteur suggère toutefois que cette stimula- tion soit maîtrisée, en plaçant par exemple les élèves en position d’observateurs et non d’acteurs, dans des situations où ils peuvent donner la mort par leurs actions. Pour que Battlefield 1 puisse être un support d’enseignement comme un autre, Brou a développé un travail critique porté sur l’étude des images, du gameplay et du scénario de la première séquence du jeu d’Electronic Arts, tout en questionnant le contexte de production et de réception du FPS historique. L’auteur en conclut que le jeu vidéo produit un discours sur le passé à partir duquel il est possible de penser les nouvelles représentations de l’histoire. Le quatuor d’articles suivant s’écarte de l’analyse ludo-pédagogique pour interroger les enjeux de l’expression vidéoludique de l’histoire, questionnant par conséquent l’ambivalence qui a trait à la ludicisation historique à l’échelle de la production et du game design. Les auteur.e.s proposent ainsi une réflexion sur les contraintes liées aux jeux vidéo historiques qui doivent à la fois veiller à présenter une image du passé qui tend vers l’authenticité, tout en conser- vant une dimension ludique qui leur est inhérente. Dans le premier article, Antoine Maillard propose d’explorer les enjeux de l’expression vidéoludique de l’histoire, en axant son propos sur le travail des développeurs des jeux historiques. L’auteur y questionne notamment les conditions de la représen- tation du conflit, à l’échelle de la production, dans deux jeux diamétralement opposés : la simulation Verdun 1914-1918 et la bande dessinée interactive Soldats Inconnus. Dans cet essai, Maillard met en lumière les différents types de sources que les développeurs utilisent pour recréer virtuellement la Grande

59 Yvan Hochet, « Jeux vidéo et enseignement de l’Histoire et de la Géographie », Les Jeux Vidéo comme objet de recherche, Paris, Éditions Questions théoriques, 2012, p. 123-134. 20 José-Louis de Miras

Guerre et qui influencent le développement des jeux. Il y interroge aussi la façon dont ces derniers emploient ces divers documents (photographies, témoignages, lettres, etc.) ainsi que le discours qu’ils adoptent sur la mémoire de 14/18. L’auteur en conclut que si ces jeux adoptent deux visions différentes de l’histoire – Verdun met les combats au centre de l’expérience, là où Soldats Inconnus narre les souffrances de la guerre – ils s’orientent tous deux davantage du côté de l’histotainement, qui désigne l’histoire convoquée uniquement pour le divertissement, la transformant par conséquent en produit culturel présent au cinéma, à la télévision, dans la littérature, en bande dessinée et dans les jeux vidéo. Le deuxième article de ce quatuor thématique poursuit la réflexion en observant plus en détail les tensions entre le cadre ludique et le cadre histo- rique à l’échelle des propriétés et des caractéristiques formelles spécifiques au média vidéoludique. Alexane Couturier propose d’observer les mécaniques de jeu associées aux jeux d’aventure et aux jeux de tir à la première personne, en analysant le game design de Soldats Inconnus et Battlefield 1. L’auteure avance ainsi l’idée que chaque genre vidéoludique implique différentes méca- niques de jeux, différents objectifs, etin fine des représentations multiples d’un même événement historique. À la différence de l’essai précédent, qui envisageait la capacité du médium vidéoludique de représenter avec plus ou moins de fidélité des faits historiques, celui de Couturier éloigne au fur et à mesure son propos de ces considérations pour envisager la manière dont le jeu vidéo, en fonction des spécificités du média, met en relation le joueur avec le passé et en quoi il présente une approche de l’histoire différente des autres médias. L’article de Nicolas Patin semble quant à lui répondre à l’appel lancé par Alexane Couturier, en ce qu’il considère Battlefield 1 comme une expérience de jeu historique tout à fait satisfaisante, indépendamment de ses objectifs commerciaux. Historien spécialiste de la Grande Guerre dans son versant allemand, Patin propose ici une analyse de la représentation vidéolu- dique du caractère international de la guerre, des relations entre soldats et des différentes formes de violence, dansBattlefield 1 . Considérant absurde le fait d’essayer d’appliquer au titre d’Electronic Arts « une sorte de filtrage radical du véritable et du véridique », l’auteur analyse la façon dont ce jeu fait l’écho de certaines tendances de l’historiographie contemporaine et dépeint certains faits avec une grande maestria, tout en étant contraint de créer des aberrations historiques inhérentes au gameplay d’un jeu de divertissement. L’article de Cyril Lacheze et Marion Weckerle, qui vient clore ce quatrième axe théma- tique, présente un historique critique des jeux consacrés à la Première Guerre mondiale depuis 1975. En mettant en avant un corpus de 153 jeux, Lacheze et Weckerle actualisent l’histoire du jeu historique centré sur 14/18, bien loin des 35 jeux annoncés par Thomas Rabino en 201360. Si les auteur.e.s

60 Notons toutefois que Thomas Rabino se focalise sur ce qu’il considère être les jeux les plus perti- Le jeu vidéo « historique » comme objet de recherche. Avant propos 21 assument faire l’inventaire des jeux estampillés Great War, c’est pour mieux mettre en avant le pluralisme des genres vidéoludiques qui se sont intéressés à cette période historique, le tout au prisme des évolutions technologiques et des améliorations des dispositifs vidéoludiques. L’appel lancé par Nicolas Patin à l’attention des historiens afin d’analyser le jeu vidéo à la fois dans son rapport aux faits historiques et comme produit culturel sur la Grande Guerre, trouve sa résonance dans notre entretien avec Alexandre Lafon, directeur adjoint à la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale, qui a officié en tant que conseiller historique et pédagogique pour Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre. Dans ce dernier essai, nous avons souhaité mettre en avant le travail d’un historien lors du dévelop- pement d’un jeu vidéo historique dont l’objectif était d’intéresser les jeunes générations à l’idée de la Première Guerre mondiale, en adaptant le jeu vidéo en outil ludo-pédagogique par la rencontre entre un pédagogue-historien et un studio de jeu vidéo français. Basée sur l’expérience personnelle de Lafon, cette rencontre donne lieu à une discussion qui se veut être l’écho des différents essais du présent numéro, en ce qu’elle en offre un tour d’horizon, dessinant ainsi les traits et les contours de la relation de plus en plus importante entre l’industrie vidéoludique et la recherche universitaire, entre les développeurs que nous proposons d’appeler ludéastes et les historiens ; entre les jeux et leur application en milieu scolaire et in fine, entre le jeu vidéo et l’histoire.

José-Louis de Miras Université Bordeaux Montaigne [email protected]

nents. De même, si l’on regarde de plus près la liste de jeux recensés par la Mission du Centenaire, on remarque là aussi qu’une sélection a été réalisée, l’organisme commémoratif n’indiquant qu’une quarantaine de jeux, là où l’article de Lacheze et Weckerle en annonce quatre fois plus.

Histoire et nouveaux médias Une histoire de négociation

Négocier le sens entre histoire et fiction : analyse transversale de la série Assassin’s Creed

Vincent Boutonnet et David Lefrançois

Contexte

L’enseignement de l’histoire n’échappe pas à la multiplication des plate- formes numériques qui créent et partagent des contenus très variés. Il y a plusieurs décennies, le film historique était examiné dans ses moindre détails de pellicules cinématographiques. Que ce soit en France1 ou aux États-Unis2, la popularité du genre historique dans les productions filmiques inquiétait ou réconfortait les historiens en raison du danger des erreurs historiques et des anachronismes scénarisés sur grand écran. En effet, ces dangers pourraient déstabiliser le récit historique validé par les historiens et induire un apprentis- sage de plusieurs éléments erronés par un public novice. Si ce débat persiste sur la qualité du film historique en classe ou dans la société en général3, un média plus contemporain, le jeu vidéo, taille sa place dans le monde du diver- tissement et attire l’attention des chercheurs. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer certaines statistiques : en 2018, 51 % des Français jouent régu- lièrement et 29 % jouent tous les jours4 alors que 61 % des Canadiens se considèrent comme des joueurs et que dix heures en moyenne sont consacrées à cette activité pendant une semaine5. Il ne s’agit plus de se demander si le jeu vidéo devrait nous préoccuper, mais bien comment ce phénomène culturel peut contribuer ou non à l’enseignement de l’histoire.

1 Marc Ferro, Cinéma et Histoire, Paris, Gallimard, 1993. 2 Robert A. Rosenstone, Visions of the Past: The Challenge of Film to Our Idea of History, Cambridge, Harvard University Press, 1995, ou R. Rosenzweig et D. Thelen,The Presence of the Past: Popular Uses of History in American Life, New York, Columbia University Press, 1998. 3 Voir le livre de Bruno Ramirez qui explicite son cheminement d’enseignement universitaire et d’écriture en tant qu’historien et scénariste. Il revendique le droit d’écrire l’histoire au travers du film qui est un médium ouvrant de nouvelles perspectives et interrogations historiques. Bruno Ramirez, L’histoire à l’écran, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2014. 4 Selon l’étude du SELL de 2018 : https://www.afjv.com/news/9279_l-essentiel-du-jeu-video- 2018-marche-consommation-usages.htm. 5 Selon l’étude de l’ALD de 2018 : http://theesa.ca/fr/resources/faits-essentiels/. 26 Vincent Boutonnet et David Lefrançois

C’est d’ailleurs une problématique qui émerge naturellement – tout comme le débat est apparu sur l’enseignement de l’histoire et la popularité des films historiques. Certains historiens se réjouissent de ce nouveau média populaire en remarquant que l’histoire a parfois besoin de la fiction et de la simulation numérique pour explorer de nouvelles questions historiques6. D’autres nous mettent en garde contre les dangers des productions vidéoludiques qui tracent une frontière floue entre fiction et histoire, rendant la fiction réaliste au point de la confondre avec la vérité7. Ce débat est riche en arguments, mais ne concerne bien souvent que les chercheurs dans les universités et les revues savantes. Qu’en pensent les joueurs ? Comment les joueurs apprennent-ils ou non l’histoire par les jeux vidéo ? Ces questions sont extrêmement pertinentes, non seule- ment au regard de l’apprentissage de l’histoire, mais aussi de l’incidence de ces récits vidéoludiques historiques sur la formation identitaire (individuelle ou collective). Un jeu vidéo peut-il faire apprendre une histoire erronée poten- tiellement dommageable pour des identités individuelles ou collectives ? Bien que les retombées de ce questionnement soient inquiétantes, nous ne disposons encore que peu de données empiriques8, malgré les appels à la prudence ou les encouragements à intégrer davantage les jeux vidéo dans un cadre scolaire. Si nous participons à ce débat, nous pensons qu’il devient aussi nécessaire d’accepter que les récits historiques fictionnalisés9 puissent être persistants et qu’il convient plutôt d’éduquer les élèves, les spectateurs ou les joueurs à se questionner sur le sens de l’histoire représentée par ces productions vidéolu- diques, peu importe leur rigueur historique. Alors qu’il est convenu que les productions culturelles véhiculent certaines valeurs et pourraient contribuer à la formation identitaire de ses consommateurs10, les jeux vidéo historiques présentent les mêmes failles inhérentes aux productions historiques en tous genres : erreurs, omissions, anachronismes, etc. Or, regarder un film histo-

6 Quentin Deluermoz et Pierre Singaravélou, Pour une histoire des possibles, Paris, Seuil, 2016. 7 Philippe Joutard, « Révolution numérique et rapport au passé », Le Débat, 5, 177, 2013, p. 145-452 et Thomas Rabino, « Jeux vidéo et histoire », Le Débat, 5, 177, 2013, p. 110-116. 8 Voir une recension des écrits récente sur l’univers d’AC : Alexandre Joly-Lavoie, « Assassin’s Creed : synthèse des écrits et implications pour l’enseignement de l’histoire », Mcgill Journal of Education, 52, 2, 2017, p. 455-470. Cet article montre que la vingtaine de recherches sur le sujet sont des analyses de contenus et non pas sur l’expérience directe des joueurs, même si trois d’entre elles relatent et examinent une expérience vécue dans un cadre scolaire. Les données sont donc rares et partielles. Nous conduisons actuellement une recherche auprès d’élèves du secondaire et sur les forums spécialisés de joueurs. 9 Nous travaillons sur cette question depuis quelques années et nous nous intéressons parti- culièrement à ces mondes numériques profanes. Voir à ce sujet un livre collectif qui portent sur l’analyse et l’intégration didactique de plusieurs médias populaires : Marc-André Éthier, David Lefrançois et Alexandre Joly-Lavoie, Mondes profanes. Enseignement, fiction et histoire, Québec, Presses de l’Université Laval, 2018. 10 James Wertsch, « Narrative tools of history and identity », Culture & Psychology, 3, 1, 1997, p. 5-20. Négocier le sens entre histoire et fiction : analyse transversale de la série Assassin’s Creed 27 rique, lire un roman ou jouer à un jeu vidéo n’équivaut pas non plus à un lavage du cerveau programmé. L’apprentissage est complexe11 et ne résulte pas exclusivement du médium utilisé. L’enjeu n’est donc pas la consommation de productions vidéoludiques, mais bien l’éducation aux médias afin d’outiller les consommateurs à négocier le sens de l’histoire et à distinguer l’interpréta- tion de l’historien de la fiction. Dans le genre historique, plusieurs jeux vidéo se démarquent. Les séries Call of Duty (Activision) et Battelfield (Electronic Arts) recréent avec plus ou moins de réalisme des théâtres de batailles importantes lors de conflits majeurs, dont la Première et la Deuxième Guerre mondiale. C’est d’ailleurs ce genre de jeu de tir à la première personne12 qui est le plus populaire13, bien devant les jeux vidéo historiques de stratégie tels que Civilization (Firaxis)14. Assassins’s Creed (AC) est une franchise créée et produite par Ubisoft depuis 2007 avec un nouveau titre sorti presque annuellement (Figure 1). Cette série de jeu d’aventure et d’infiltration totalise des ventes importantes (environ 95 millions de copies15) et rivalise avec d’autres jeux vidéo du même genre action-aventure. Au-delà du nombre de copies vendues, la franchise est aussi une entreprise transmédiatique16 qui multiplie les médias utilisés pour construire une marque et une saga à part entière : film, courts-métrages, romans, bandes dessinées et figurines. Si ces produits dérivés ne sont pas aussi populaires que le jeu vidéo, ils génèrent presque autant de revenus et soutiennent un univers fictif empruntant de nombreux éléments de diverses époques historiques. En effet, chaque volet présente des périodes, des évènements, des édifices ou des person-

11 Nous de ne dresserons pas la liste de courants pédagogiques passés ou récents (socioconstruc- tivisme, behaviorisme, enseignement explicite, pédagogie critique, etc.), mais nous rappelons qu’ils ont comme finalités des propositions pour résoudre de nombreuses difficultés d’appren- tissages, même si les moyens utilisés sont divergents. 12 Un jeu de tir à la première personne (First-person shooter) propose une immersion du joueur dans une perspective subjective comme si le joueur voyait directement au travers des yeux du personnage incarné. Voir une analyse historique de l’évolution de ce genre : Carl Therrien, « Inspecting Video Game Historiography Through Critical Lens: Etymology of the First- Person Shooter Genre », Game Studies, 15, 2, 2015. 13 La série Battlefield(Electronic Arts) a vendu plus de 78 millions de copies depuis 2002 alors que Call of Duty en a vendu plus de 250 millions depuis 2003 : https://www.vg247.com/2016/01/15/ call-of-duty-tops-250m-units-sold-worldwide/. 14 La série Civlization (Firaxis) a vendu plus de 37 millions de copies depuis 1991 : https://www. pcgamesn.com/civilization-vi/civ-6-player-numbers. 15 Voir le site vgchartz.com pour les ventes totales de chaque volet selon la plateforme (consoles ou PC). 16 Un article traite d’ailleurs de la multiplication des médias utilisés pour diffuser la trame narrative de l’univers d’AC, en particulier depuis les courts-métrages Assassin’s Creed Lineage : Dominic Arsenault et Vincent Mauger, « Au-delà de “l’envie cinématographique” : le complexe transmédiatique d’As- sassin’s Creed », Nouvelles Vues, 13, 2012, p. 1-24. Voir aussi une étude plus exhaustive des produits dérivés plus récents : Connie Veugen, « Assassin’s Creed and Transmedia Storytelling », International Journal of Gaming and Computer-Mediated Simulations, 8, 2, 2016, p. 1-19. 28 Vincent Boutonnet et David Lefrançois nages historiques iconiques : des Croisades (AC I) à la révolution industrielle à Londres (AC Syndicate), des pyramides de Guizèh (AC Origins) à la cathédrale Notre-Dame (AC Unity), de Léonard de Vinci (AC II) à Barbe noire (AC Black Flag) ou de la guerre du Péloponnèse (AC Odyssey) à la prise de la Bastille (AC Unity). L’univers du jeu est éclaté historiquement ou, autrement dit, polychro- nique17, par ses phases du jeu qui mêlent passé, présent et parfois futur. Car chaque volet est relié par un arc méta-narratif qui oppose deux groupes intro- duits depuis le tout premier opus en 2007 : le personnage fictif que le joueur incarne prend part dans une guerre éternelle entre l’Ordre des Templiers et la Confrérie des Assassins qui se disputent la destinée de l’humanité.

Figure 1 : La franchise Assassin’s Creed selon la date de sortie Cet article vise à étudier la représentation de l’histoire dans la série AC d’une manière transversale – pour ne pas dire historique – car la plupart des recherches se sont concentrées sur un épisode ou un autre18. Si, parfois, l’his- toire est au service du scénario fictif, l’histoire est aussi utilisée comme mode pour donner du sens au passé et au présent. En ce sens, AC est une série fort intéressante à analyser transversalement, puisqu’elle révèle doublement le sens qu’on donne à l’histoire, mais aussi comment l’histoire est écrite. Il convient donc de porter un regard, non pas sur les spécificités des différents scénarios, ni sur l’évolution des mécaniques du jeu, mais bien sur la représentation de l’histoire dans cet univers fictionnalisé et d’envisager comment les joueurs pourraient négocier le sens de ces multiples récits polychroniques.

Histoire, fiction et jeux vidéo

Postures épistémologiques de l’histoire

L’étude de l’histoire se fait à partir de traces du passé (qu’elles soient écrites, iconographiques, archéologiques, etc.) que les historiens examinent à partir de questions ou d’hypothèses19. Ce travail d’enquête nous est rapporté générale-

17 Voir Jonathan Westin et Ragnar Hedlund, « Polychronia – negotiating the popular repre- sentation of a common past in Assassin’s Creed », Journal of Gaming & Virtual Worlds, 8, 1, 2016, p. 3-20. Ils présentent une analyse de la représentation de Rome dans AC Brotherhood. Ils avancent que cette représentation est formée de différentes couches temporelles qui rendent cette représentation familière au joueur. Ils nomment cette construction une polychronie. 18 Alexandre Joly-Lavoie, « Assassin’s Creed : synthèse des écrits et implications pour l’enseigne- ment de l’histoire », op. cit., p. 455-470. 19 Voir entre autres Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Éditions du Seuil, 1996, et Négocier le sens entre histoire et fiction : analyse transversale de la série Assassin’s Creed 29 ment au travers d’un récit qui présente le fruit des recherches. Veyne remar- quait que ce récit est le principal véhicule pour donner du sens aux traces du passé qui, prises seules, seraient insignifiantes. Histoire et récit sont donc indissociables et sont prudemment mis en intrigue, car l’histoire est « un récit d’évènements vrais »20 tant et aussi longtemps qu’il y a des références aux traces du passé. C’est la raison pour laquelle, si le récit historique peut parfois s’apparenter au roman, c’est l’usage de la preuve et de la citation des sources qui rend le récit rigoureux. Ce récit élaboré est alors soumis à l’évaluation des pairs qui, comme nous le rappelle Prost, constitue une dimension essentielle de la scientificité de l’histoire. Ainsi, peu importe la mise en intrigue, peu importe le nombre de citations, peu importe la construction sociale, ce récit de nature historique et argumentative sera aussi scruté par des experts afin d’établir la qualité de l’interprétation proposée. Ce débat – qualifié d’historiographique – assure la rigueur du raisonnement historique et montre la richesse du travail historien dans ses doutes, ses questionnements et ses interprétations. La nature du récit historique ainsi que les garde-fous utilisés pour assurer la rigueur du raisonnement historique permettent aussi de mitiger les effets d’une histoire partisane. En effet, au-delà du récit historique, l’enjeu est aussi de comprendre à quelles fins il est utile. Les finalités de l’histoire et de son ensei- gnement comportent des interrogations épineuses au regard de l’identification et de la mémoire collective sur lesquelles bon nombre se sont déjà pronon- cés21. Nous rappellerons ici un modèle théorique afin de mieux comprendre les enjeux liés aux usages publics de l’histoire. Rüsen22 a traité de l’histoire et de son caractère ontologique intrinsèque. En effet, la conscience historique d’un individu se manifeste naturellement par son orientation temporelle qui apprécie l’importance du passé dans son présent et dans la projection de son futur. Le modèle de Rüsen est particulièrement utile, puisqu’il situe l’individu dans une matrice à quatre niveaux selon sa compréhension et son usage de l’his- toire. Le premier niveau, dit traditionnel, impute au passé une qualité d’héri- tage nécessaire à transmettre et à reproduire afin d’assurer la cohésion sociale et la continuité de la mémoire collective. L’histoire sert ici à conserver un chemin tout tracé entre passé, présent et futur. Les orientations temporelles sont combi- nées. Il n’est pas question de changer le présent pour espérer une incidence sur le futur. Il suffit d’assurer la transmission de traditions passées et éprou-

Henri-Irénée Marrou, De la connaissance historique, Paris, Éditions du Seuil, 1975. 20 Paul Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Éditions du Seuil, 1971, p. 23. 21 Marc-André Éthier, Jean-François Cardin et David Lefrançois, « Cris et chuchotements : la citoyenneté au cœur de l’enseignement de l’histoire au Québec », Revue d’histoire de l’éduca- tion/Historical Studies in Education, 25(2), p. 87-107. 22 Jörn Rüsen, « Historical Consciousness: Narrative Structure, Moral Function, and Ontogenic Development », in Peter Seixas (éd.), Theorizing Historical Consciousness, Toronto, University of Toronto Press, 2004, p. 63-85. 30 Vincent Boutonnet et David Lefrançois vées. Le deuxième niveau, dit exemplaire, prolonge le premier en renforçant les héritages du passé pour mieux assoir des décisions du présent. L’histoire agit comme une source inépuisable d’exemples et d’inspirations pour mieux assurer son avenir. L’orientation temporelle est dédiée à former le présent et le futur. Le passé est alors consciemment utilisé à des fins particulières. Le troisième niveau, dit critique, rompt totalement avec les deux premiers, puisqu’il ne reconnait aucunement la tradition ou l’exemple du passé. Au contraire, le présent sert à se distancer, voire à se placer en opposition avec le passé pour devenir ce que nous ne voulons plus être. Le passé est alors soit nié (négationnisme), soit volontaire- ment oublié afin de fonder un futur différent. Finalement, le quatrième niveau, dit génétique, tente de concilier les aspérités de chaque phase temporelle, en établissant un dialogue ouvert à l’intersection du passé, du présent et du futur. L’histoire n’est plus alors une tradition, un exemple ou quelque chose que l’on tente d’effacer, mais l’histoire devient un outil d’intelligibilité pour comprendre le poids du passé, tout en prenant compte la subjectivité de nos interrogations présentes et la responsabilité de chaque individu dans la structuration de son avenir. L’histoire est une construction sociale qu’il faut savoir protéger des écueils présentistes et utilitaires. Ces dimensions ontologiques de l’histoire sont nécessaires à considé- rer, puisqu’elles ont une incidence sur la représentation de l’histoire et les usages qui peuvent en découler. Si l’histoire est un récit construit sur la base d’une interprétation rigoureuse validée par les pairs, il est évident que l’his- toire fictionnalisée pourrait présenter des risques importants23 au sens d’une finalité exemplaire ou critique, selon Rüsen. Beevor24 déplorait d’ailleurs la rapidité à laquelle la frontière entre le fait et la fiction s’estompait dans les productions culturelles, dont les romans, les documentaires, les séries télé- visées ou les films. En outre, il remarquait l’accélération et la propagation rapide de cette nouvelle histoire divertissante qui vise avant tout à générer des recettes importantes et non des réflexions sur le sens du passé, présent et futur. Même si Beevor reconnait la fécondité de la fiction, « l’imagination du romancier comblant les vides de l’histoire »25, du même souffle, il nous met en garde contre la faction – ce mélange ésotérique de faits historiques et de fiction – qui représente des personnages historiques en leur mettant « des mots dans leurs bouches »26 de manière erronée ou purement imaginaire. Un tel produit culturel semblerait une arme redoutable, mais il faut aussi nuancer en sachant que les spectateurs ne sont pas systématiquement dupés27, même si

23 Ces risques évoqués par certains historiens à propos de films historiques sont aussi dénoncés pour les jeux vidéo : erreurs, anachronismes, simplifications, omissions, etc. qui minent le récit validé par les historiens et qui ont une incidence sur l’apprentissage de l’histoire. 24 Antony Beevor, « La fiction et les faits, périls de la “faction” »,Le Débat, 3, 165, 2011, p. 26-40. 25 Ibid., p. 27. 26 Id. 27 Vincent Boutonnet, « Quand un film historique controversé devient une opportunité pour Négocier le sens entre histoire et fiction : analyse transversale de la série Assassin’s Creed 31 les élèves tendent à consommer passivement et sans se questionner le passé28. Il convient de poursuivre les recherches sur les effets des productions cultu- relles sur les spectateurs, les lecteurs ou les joueurs.

Postures épistémologiques du jeu vidéo historique

Qu’en est-il du jeu vidéo ? De manière générale, les travaux relatifs aux études vidéoludiques – ou games studies – nous apprennent qu’on ne peut consi- dérer le jeu en vase clos. En effet, comme d’autres productions culturelles, le jeu vidéo est un certain reflet de la société dans laquelle il est produit et véhicule des valeurs de par ses éléments constitutifs : l’interface, les règles du jeu, la narration, les actions possibles, l’expérience du jeu, etc.29. Le jeu vidéo est aussi un univers qui vit au travers de la communauté des joueurs qui en discutent, proposent des stratégies ou des solutions, partagent du contenu ou des vidéos. Gee30 y faisait référence en concevant le jeu vidéo comme un univers d’intérêts partagés par un grand nombre de joueurs – affinity space – dépassant les limites virtuelles du jeu vidéo consommé31. Cet univers est régi par ses propres valeurs et intérêts qui visent à partager l’expérience suscitée par un jeu vidéo, mais aussi les compétences ou les connaissances nécessaires pour maitriser ce jeu32. Partant de la prémisse qu’un jeu vidéo est une construction sociale qui anime elle-même le partage de représentations sociales33 et d’intérêts parti- culiers, il convient de s’intéresser aux postures épistémologiques du jeu vidéo spécifiquement historique. Autrement dit, quels genres de jeux vidéo suscitent une représentation historique plus rigoureuse ? De prime abord, certains discré- ditent AC puisque c’est un jeu d’aventure qui n’a rien à voir avec la représen-

problématiser la nation canadienne », Revue canadienne de l’éducation, 40, 1, 2017, p. 1-23. 28 Peter Seixas, « Popular Film and Young People’s Understanding of the History of Native-White Relations », The History Teacher, 26, 3, 1993, p. 351-370. 29 Mary Flanagan et Helen Nissenbaum, Values at Play in Digital Games, Cambridge, The MIT Press, 2014. 30 James Paul Gee, Good Video Games and Good Learning: Collected Essays on Video Games, Learning and Literacy, New York, Peter Lang Publishing, 2013. 31 Plothe propose un espace similaire – gamerspace – dans lequel les joueurs réagissent de multiples façons en dehors du jeu vidéo lui-même et particulièrement avec le contenu connexe au jeu. Theo Plothe, « Not actual gameplay, but is it Real Life? Live-action footage in digital game trailers and advertising as gamerspace », Kinephanos Journal of media studies and popular culture, 7, 2017, p. 226-245. 32 Pour donner un exemple, voir la plateforme de partage en ligne créé par des fans de l’univers qui présentent de l’information sur les personnages, les missions, les arcs narratifs au travers de plus de 6 500 pages web : http://fr.assassinscreed.wikia.com. 33 Hovig Ter Minassian, Samuel Rufat, Samuel Coavoux et Vincent Berry, « Comment trouver son chemin dans les jeux vidéo ? Pratiques et représentations spatiales des joueurs », L’Espace géographique, 40, 3, 2011, p. 245-262. 32 Vincent Boutonnet et David Lefrançois tation de concepts historiques ou la résolution de problèmes savants. McCall34 évoque la nécessité de n’utiliser que des jeux vidéo de stratégie, car ils permettent une simulation de concepts historiques abstraits qui peuvent être manipulés et compris par la répétition d’une séquence de jeu vidéo. Pour McCall35, le jeu vidéo d’aventure (comme la série AC) est foncièrement anhistorique, car il met en scène un personnage fictif qui n’a jamais existé et, par conséquent, ne peut être considéré comme un agent du changement historique auquel un joueur pourrait s’identifier. Toutefois, le réalisme historique de la franchiseAC inté- resse d’autres chercheurs afin d’examiner le récit historique qui est proposé. Si Chapman s’accorde avec McCall pour dire que les jeux vidéo histo- riques de type simulation/stratégie possèdent un potentiel éducatif important en raison des concepts et des modèles historiques qu’ils simulent, il propose également une deuxième catégorie de jeux vidéo historiques qu’il qualifie de réalistes36. Ces derniers ne sont pas nécessairement authentiques historique- ment, mais présentent suffisamment d’éléments historiques (architecture, vêtements, armes, outils, etc.) pour être vraisemblables et donc utiles à expé- rimenter, car la richesse de l’environnement audiovisuel virtuel représente d’une certaine manière le passé tel qu’il était pour les agents de l’époque. En ce sens, Chapman argumente que les simulations réalistes possèdent des liens importants avec l’histoire reconstructionniste37 qui remet en question le sens de l’histoire et de sa représentation. AC représenterait alors le passé autant qu’un historien pourrait écrire sur le passé – la difficulté réside plutôt dans le fait qu’un jeu vidéo ne présente pas l’incertitude et le processus de construc- tion propre aux travaux d’un historien. Cependant, l’expérience réaliste au sens de la vraisemblance historique présentée par ce type de jeu vidéo est suffisante pour être considérée utile et pertinente.

34 Jeremiah McCall, Gaming the Past: Using Video Games to Teach Secondary History, New York, Routledge, 2011. 35 Jeremiah McCall, « Teaching history with digital historical games: An introduction to the field and best practices », Simulation & Gaming, 47, 4, 2016, p. 517-542. 36 Adam Chapman, Digital Games as History. How Videogames Represent the Past and Offer Access to Historical Practice, New York, Routledge, 2016. 37 Nous avons déjà établi, avec Prost ou Veyne, que l’histoire est une construction sociale, véhiculée par un récit et éprouvée par une communauté d’experts qui valide les différentes interprétations du passé. L’histoire et ses récits s’est construite comme discipline scientifique au fil des paradigmes épistémologiques oscillant entre l’histoire positiviste (le récit dit le vrai objectivement) et plus récemment l’histoire postmoderne (il existe plusieurs récits et ils sont relatifs). L’histoire reconstructionniste est proche d’une histoire positiviste où le récit dit non seulement le vrai, mais en plus donne l’illusion de faire partie du passé. C’est la raison pour laquelle l’histoire reconstructionniste insiste sur la recréation d’environnements authentiques qui subliment la réalité du passé. Autrement dit, c’est comme si on y était. Négocier le sens entre histoire et fiction : analyse transversale de la série Assassin’s Creed 33

Entre histoire et fiction : Assassin’s Creed

Nous avons brièvement décrit dans la première partie de cet article l’arc méta-narratif qui lie l’univers d’AC : une lutte éternelle entre Templiers et Assassins pour la destinée de l’humanité. Cela dit, de nombreux personnages historiques ou fictifs sont introduits dans les différents opus de la série. Nous présenterons notre analyse transversale selon trois temps qui ont façonné l’univers d’AC, mais aussi sa représentation de l’histoire. Pour distinguer ces différents temps, nous utilisons, non pas les périodes historiques visitées dans les différents jeux, mais comment le joueur est invité à s’engager dans ces périodes historiques. Nous ferons référence aux figures 1 et 2 qui constituent une double ligne du temps que nous expliquerons.

Desmond Miles et l’histoire falsifiée

Desmond Miles est le personnage central contrôlé par le joueur dans les premiers opus, d’AC I en 2007 jusqu’à son décès dans AC III en 2012. Desmond est un homme blanc qui est soumis à des recherches génétiques sur la mémoire dans le laboratoire d’Abstergo, une compagnie dirigée par l’Ordre des Templiers à laquelle il finit par échapper grâce à la Confrérie des Assassins. Le code géné- tique de Desmond sert à revivre le passé de ses ancêtres à différentes époques, grâce à une sorte de machine à voyager dans le temps, l’Animus. Il incarne, au travers des différents jeux, Altaïr lors de la troisième croisade, Ezio en Florence, Rome ou Constantinople entre 1476 et 1511 ainsi que Connor dans les treize colonies qui deviendront les États-Unis (Figures 1 et 2). Ces voyages servent à retrouver des objets variés consacrant des pouvoirs surnaturels que se disputent les Templiers et les Assassins et qui sont issus d’une civilisation avancée anté- rieure ayant créé l’espèce humaine pour les asservir. Les Anciens – Isus dans la version anglaise – ont disparu à la suite d’un cataclysme important et conti- nuent artificiellement de vivre au travers de ces objets et de temples secrets disséminés sur la planète. Ces quelques lignes résument brièvement les récits épiques pleins de rebondissements du quatuor Altaïr-Ezio-Connor-Desmond. Le joueur incarne donc un personnage fictif – Desmond – qui en raison de ses gènes peut revivre les mémoires de ses ancêtres membres de la Confrérie des Assassins. Cet artifice scénaristique relevant de la science-fiction est essen- tiel à la progression narrative de la série et est à l’origine de nombreux allers- retours temporels. La visite de ces périodes historiques n’est donc qu’un prétexte pour contrôler le présent et prévenir le futur. Selon le modèle de Rüsen, cet arc narratif relèverait de l’histoire exemplaire par laquelle l’his- toire sert à modeler le présent et le futur. Dans sa quête des objets fabriqués par les Anciens, Desmond est accompagné par différentes personnes, dont Shaun Hastings, historien et programmeur faisant partie de la Confrérie des 34 Vincent Boutonnet et David Lefrançois

Assassins. Le rôle de Shaun semble secondaire, mais il contribue activement à la représentation historique scénarisée dans le jeu vidéo. En effet, comme historien il fait figure d’autorité en écrivant et en mettant à jour une base de données intégrée à l’Animus qui prodigue différentes informations sur les personnages historiques rencontrés, les édifices visités, les évènements dont on est témoin ou auxquels on participe, etc. À la manière d’une encyclopédie, la base est mise à jour au fur et à mesure que le joueur fait progresser Desmond dans la mémoire de ses ancêtres. Il faut souligner deux choses relatives à cette base de données. Premièrement, elle fait partie intégrante de la série AC, tout comme l’Animus l’est et continue d’exister dans les aventures subséquentes. Elle permet à Desmond et, par consé- quent, au joueur de se renseigner sur le passé sans toutefois le rendre obliga- toire. Le joueur peut très bien terminer le jeu et n’avoir consulté que rarement l’encyclopédie. Deuxièmement, Shaun écrit librement ses opinions dans diffé- rentes entrées de l’encyclopédie qu’il met à jour. À plusieurs reprises, il remet en cause l’histoire officielle que l’on retrouve dans les manuels scolaires pour montrer combien l’Ordre des Templiers a manipulé et dissimulé plusieurs informations vitales qui conservent la Confrérie des Assassins dans l’ombre. La série entretient l’idée d’une histoire falsifiée et erronée comme moteur de découverte et d’engagement pour le joueur. L’histoire – même celle des historiens – est asservie aux projets des Templiers pour modeler les sociétés humaines selon leurs désirs de contrôle et de pouvoir. Au-delà d’entretenir les théories du complot, elle remet en cause la scientificité et l’objectivité de la discipline historique. Grâce à un jeu vidéo, le joueur peut non seulement revivre et découvrir des contextes historiques révolus, mais aussi apprendre enfin la véritable histoire. C’est une caractéristique essentielle de l’histoire reconstructionniste selon Chapman38.

Le chercheur anonyme et l’histoire asservie

À la suite de la découverte de différents artéfacts, Desmond rencontre les intelligences artificielles des Anciens encore actives sous le nom de Minerve et de Junon. Il fait face à un dilemme moral important : activer l’artéfact qui empri- sonne Junon et sauver le monde d’une violente éruption solaire qui décimera une grande partie de l’humanité ou laisser Junon emprisonnée et survivre avec une poignée de l’humanité pour laquelle il deviendra un demi-dieu. Desmond décide de se sacrifier pour le plus grand nombre et meurt en touchant l’arté- fact qui active un bouclier protégeant la Terre de l’éruption solaire. Junon est libérée et peut alors accomplir son projet d’asservir l’humanité.

38 Adam Chapman, Digital Games as History. How Videogames Represent the Past and Offer Access to Historical Practice, op. cit., p. 66-69. Négocier le sens entre histoire et fiction : analyse transversale de la série Assassin’s Creed 35

Bien que la mort de Desmond sauve l’humanité, elle met aussi en péril le lien avec les joueurs pour s’engager dans les voyages temporels. Si le code génétique de Desmond disparait, alors comment remonter encore dans le temps grâce à l’Animus ? Il faudra attendre le volet suivant, AC Black Flag en 2013, qui chronologiquement précède les aventures de Connor-Desmond de près de cinquante années dans le contexte de la piraterie dans les Caraïbes du XVIe siècle. L’ouverture du jeu est habile : en incarnant Edward Kenway, vous survivez à une tempête dans les Caraïbes et après avoir rempli quelques missions pour apprendre les contrôles du jeu, vous vous réveillez au présent dans un laboratoire d’Abstergo face à un écran branché à une sorte de console de jeu. Un personnage non-joueur féminin vous apprend que vous faites partie du projet Échantillon 1739 qui vous permet de revivre les temps de la piraterie. Vous restez anonyme le reste du jeu, mais vous apprenez bien vite que vous êtes chercheur pour Abstergo qui veut commercialiser une version d’Animus pour le grand public. Votre rôle est donc d’identifier des failles dans le système afin d’assurer la réussite du lancement de la première version publique de l’Animus. Or, il apparaît que cette nouvelle version de l’Animus sert à repérer de nouveaux artéfacts de la Première Civilisation et de personnes uniques – les Sages – partageant le code génétique des Anciens. Par une mise en abyme, le jeu vidéo dans le jeu vidéo sert une finalité complètement différente du diver- tissement ou de l’exploration historique – l’histoire devient un prétexte pour assurer le contrôle des Templiers. AC Unity débute carrément avec un écran de démarrage d’une plateforme en ligne qui représente la version publique de l’Animus rebaptisée Helix. Le joueur incarne maintenant un joueur, par un autre effet de mise en abyme, qui peut sélectionner la mémoire qu’il souhaite revisiter et fait référence à plusieurs époques des opus précédents d’AC40. AC continue dans la verve de l’histoire falsifiée et joue sur les usages du passé à des fins particulières, puisqu’elle devient au service d’une grande entre- prise du divertissement qui ressemble étrangement à Ubisoft. Cette vision très utilitaire de l’histoire nous semble problématique. Elle confirme la représen- tation de l’histoire comme source d’exemples, d’héros et d’inspirations pour mieux façonner notre présent et notre futur. Ce niveau exemplaire, selon le modèle de Rüsen, présente l’histoire comme un objet figé qu’on ne remet pas en doute et qui existe en soi sans le travail d’enquête de l’historien. L’historien ne sert ici plus à rien, puisque l’histoire est un produit brut accessible directe- ment par tous grâce à une version de l’Animus améliorée. Le questionnement historique devient inutile, l’analyse des traces du passé prend trop de temps,

39 Le projet Échantillon 17 existe en raison des prélèvements génétiques de Desmond qui sont toujours utilisés par Abstergo pour accéder aux différentes mémoires de ses ancêtres. Le pirate Edward Kenway n’est autre que le grand-père de Connor. 40 Voir une capture d’écran : http://assassinscreed.wikia.com/wiki/Helix?file=ACU_Helix_ Menu.png. 36 Vincent Boutonnet et David Lefrançois l’écriture d’un récit argumentatif appuyé sur ces traces est trop laborieuse : utilisez Helix et vous vivrez l’histoire. La confusion entre passé et présent est maintenant complète. Abstergo-Ubisoft réussit à faire revivre un vieux fantasme d’être un témoin direct de notre passé par l’usage d’une machine à remonter le temps, en l’occurrence un jeu vidéo. Ce fantasme est d’ailleurs renforcé par les campagnes publicitaires d’Ubi- soft au lancement de leurs différents jeux. L’argument du réalisme historique est renforcé par la consultation d’historiens spécialisés dans les différentes époques représentées41. Le magazine d’histoire grand public Historia commence alors à publier un numéro spécial en association avec Ubisoft consacré à une période historique d’un nouvel opus à partir d’AC Black Flag. Ubisoft insiste sur la capacité de revivre le passé : « participez aux évènements qui ont marqué l’His- toire de la France », « assistez au chaos de la Révolution en vous plongeant dans des foules réalistes »42. L’histoire est un objet-spectacle transformé en argument de vente en rappelant qu’il faut continuer de revivre l’histoire, car elle serait falsifiée. Les dernières paroles d’Arno, personnage fictionnel principal, dans AC Unity sont évocatrices : « Nous rêvons de marquer le monde de notre empreinte… même lorsque nous mourrons pour une cause qui ne figurera jamais dans les livres d’histoire ». Il y a l’histoire d’AC et l’histoire des historiens.

Laylan Hassan et l’histoire-spectacle

Les différentes expériences, les avancées technologiques et la multiplica- tion des studios d’Ubisoft leur permettent d’entreprendre des projets plus ambitieux. Les deux derniers opus – AC Origins et AC Odyssey – ne suivent plus l’ordre chronologique des autres jeux et remontent plus loin dans le temps en visitant l’Égypte et la Grèce antiques (Figure 2). L’Animus est à nouveau intégré dans le jeu et l’artifice de la plateforme Helix est écarté. Vous incarnez maintenant une archéologue, Laylan Hassan, qui travaille pour Abstergo et les Templiers. Dans ses travaux, elle découvre les momies de deux proto-assassins – Bayek et sa femme Aya – et utilise leurs restes pour lancer l’Animus et visiter leurs mémoires. Nous restons toujours dans un trope historique : remonter le temps et vivre une expérience unique d’une époque.

Figure 2 : La franchise Assassin’s Creed selon la période historique

41 Voir le livre des historiens Turcot et Martin sur leurs expériences de consultant pour Ubisoft : Jean-Clément Martin et Laurent Turcot, Au cœur de la révolution. Les leçons d’histoire d’un jeu vidéo, Paris, Éditions Vendémiaire, 2015. 42 Voir le site : https://www.ubisoft.com/fr-ca/game/assassins-creed-unity/. Négocier le sens entre histoire et fiction : analyse transversale de la série Assassin’s Creed 37

Le monde d’Origins est sans précédent par rapport aux volets précédents de la série en raison de la taille de la carte, des monuments représentés et du système de progression retravaillé présentant des caractéristiques du genre de jeux de rôle43. D’un point de vue historique, le réalisme de l’architecture, des paysages, du travail des artisans dans les villes est encore plus vraisem- blable avec une grande diversité de faune et de flore. Cela dit, c’est la sortie d’une expansion qui présente de manière plus traditionnelle tout le travail de recherche historique. Cette expansion – le Discovery Tour44 – permet de désac- tiver les quêtes, les capacités du personnage fictionnel ou la violence et ouvre le monde de l’Égypte antique comme une visite virtuelle. Des parcours d’in- terprétation muséale sont proposés pour apprendre sur les us et coutumes de la société égyptienne de l’époque (vers -49 av. J.-C.). Ces parcours sont narrés pour informer le joueur devenu visiteur et présentent des documents icono- graphiques pour illustrer le travail d’adaptation historique réalisée pour le jeu vidéo. Certains de ces parcours explicitent d’ailleurs les choix conscients des développeurs pour certaines libertés prises avec l’histoire : « même si cela est historiquement incorrect, l’équipe a décidé qu’il n’était pas nécessaire de prio- riser le sexisme historique sur la “jouabilité inclusive” (inclusive gameplay) » en faisant référence à l’inclusion d’élèves des deux sexes auprès d’un rhéteur45. Cet ajout délibérément éducatif et muséal (puisque c’est une exposition virtuelle) nous semble une ouverture intéressante sur un univers fictif qui s’est construit en fusionnant autant d’éléments historiques que d’éléments relevant de la science-fiction. Cela dit, deux remarques s’imposent. Tout d’abord, ce mode de découverte est en annexe du jeu. Bien qu’il présente des éléments d’historiographie, de biographie, d’histoire sociale, etc., ce mode de jeu fonc- tionne en vase clos. Il n’y a plus d’interactions avec des personnages fictifs ou historiques ; la visite se fait comme dans un musée recréant une expérience relativement peu ludique. Le joueur écoute la narration, active des stations d’écoute où il peut observer des scènes de la vie quotidienne ou des illustra- tions iconographiques et passe à la suivante. Ensuite, de nombreuses explica- tions fondées sur le travail d’égyptologues présentent le processus d’écriture historique. Si cela nous rappelle le récit historique traditionnel, produit d’une enquête, fondé sur des preuves et soumis à la critique des pairs, le choix

43 Le genre des jeux de rôle (Role Playing Game) met en scène un personnage fictif qui possède différents attributs ou capacités uniques pouvant évoluer au fil des quêtes assignées au joueur. Ce genre s’appuie également sur un vaste univers à explorer, des dialogues essentiels à la progression narrative ainsi que des embranchements différents selon les choix dans la réalisa- tion d’une quête. 44 Cette expansion est d’ailleurs lancée en parallèle du jeu et peut être achetée indépendamment du jeu principal sur PC ou sur console de jeu : https://store.ubi.com/ca/discovery-tour-by- assassins-creed---ancient-egypt/5a7d728d0c8ee45b54018f23.html?lang=fr_CA. 45 Voir Maxime Laprise, « La “jouabilité inclusive” et l’Histoire : un débat à faire », Histoire Engagée, 2018. En ligne : http://histoireengagee.ca/la-jouabilite-inclusive-et-lhistoire-un-debat-a-faire/. 38 Vincent Boutonnet et David Lefrançois des développeurs est aussi ambivalent. Alors qu’il s’appuie parfois sur des recherches rigoureuses, il prend aussi la liberté de s’affranchir des garde-fous de l’écriture historique pour rendre le jeu actuel, attrayant et consommable46. Ces choix – appelons-les artistiques – restent problématiques du point de vue disciplinaire et nous rappellent que le jeu vidéo demeure un construit social et narratif au service du divertissement. Malgré ce mode éducatif, Ubisoft repousse les limites de l’imaginaire en recréant des époques révolues donnant l’illusion d’un spectacle ultra soigné47 et conçu pour garder les joueurs actifs dans des mondes virtuels étendus. C’est une structure ludique usuelle : proposer au joueur un monde ouvert dans lequel il faut maintenir son enga- gement par différentes phases d’exploration et d’apprentissage des mécaniques du jeu48. Plusieurs activités corolaires au scénario principal sont alors propo- sées pour assurer la progression du joueur et son engagement dans ce monde ouvert : fouiller des pyramides, explorer des épaves sous-marines, défendre des personnages non-joueurs contre des attaques d’animaux sauvages ou récupé- rer un objet volé pour le compte d’une tierce personne, etc. Le volet le plus récent des aventures des Assassins, AC Odyssey (2018), permet de nouveau de longs déplacements en bateau afin de visiter plusieurs iles grecques. Pour la première fois, AC est conçu pour un avatar masculin (Alexios) ou féminin (Kassandra) selon la préférence du joueur et intègre des dialogues avec des choix pouvant aboutir à différents résultats. Le degré de liberté et d’agentivité jusqu’ici souvent remis en cause pour l’univers d’AC49 est augmenté. Est-ce pour autant plus rigoureux historiquement ? La prémisse d’un avatar fictif reste bien ancrée et continue de montrer une histoire-spec- tacle divertissante toujours plus vaste, toujours plus détaillée et toujours aussi réaliste. Comme le mentionnait McCall, l’univers fictif sous le fond d’une trame historique n’équivaut pas à une simulation authentique. Même si les choix des joueurs ont maintenant certaines conséquences sur le déroulement du scénario

46 Jonathan Westin et Ragnar Hedlund, « Polychronia – negotiating the popular representation of a common past in Assassin’s Creed », op. cit., p. 3-20. 47 Certains auteurs nous indiquent par ailleurs que c’est un fétichisme architectural par lequel la recherche du réalisme devient garante de la qualité historique du jeu vidéo. Voir : Douglas N. Dow, « Historical Veneers: Anachronism, Simulation, and Art History in Assassin’s Creed II », in Matthew Wilhelm Kapell et Andrew B. R. Elliott (éds.), Playing with the Past, New York, Bloomsbury, 2013, p. 215-231. Adrienne Shaw, « The tyranny of realism: Historical accuracy and politics of representation in Assassin’s Creed III », Loading… The Journal of the Canadian Game Studies Association, 9, 14, 2015, p. 4-24. 48 Voir : Sébastien Genvo, Le jeu à son ère numérique. Comprendre et analyser les jeux vidéos. Paris, L’Harmattan, 2009. 49 Voir entre autres : Vincent Boutonnet, « Jeux vidéos et interprétations historiques : étude d’As- sassin’s Creed », in Marc-André Éthier, David Lefrançois et François Audigier, Pensée critique, pensée historienne et enseignement de l’histoire et de la citoyenneté, Bruxelles, De Boeck, 2018, p. 131-142. Et Alexandre Joly-Lavoie, « Assassin’s Creed : synthèse des écrits et implications pour l’enseignement de l’histoire », op. cit., p. 455-470. Négocier le sens entre histoire et fiction : analyse transversale de la série Assassin’s Creed 39

(c.-à-d. prendre parti pour Sparte ou Athènes), cela n’empêche pas le joueur de se retrouver à combattre des êtres mythologiques50 grâce à des armes aux statistiques amplifiées pour assurer une victoire digne des épopées homériques.

Conclusion

AC est un univers complexe méticuleusement élaboré afin de divertir et de rendre vivantes des périodes historiques révolues. La recréation historique qui soutient le contexte d’une époque est rigoureuse et parfois trompeuse pour des joueurs novices de ces époques visitées. Mais c’est exactement là où mise Ubisoft : représenter un univers historique qui soit attrayant, proposant plusieurs activités et suffisamment familier pour garder les joueurs engagés. Si les développeurs se sont défendus de donner des leçons d’histoire par le biais de leur jeu vidéo51, ils tablent aussi sur l’exotisme52 du passé et de ses silences. La représentation de l’histoire est polychrone : à la fois vraisemblable et fictive, à la fois rigoureuse et trompeuse. Nous avons présenté une analyse transversale des différents volets de la franchise AC au regard des finalités assignées à l’histoire. Le modèle de Rüsen sur la conscience historique nous éclaire sur les différentes phases identifiées dans la franchise. La première phase, l’histoire falsifiée, concerne les premiers volets insistant sur une théorie du complot où l’histoire que l’on connaît aujourd’hui est manipulée et erronée. Il appartient alors au joueur de décou- vrir la véritable histoire. Ce moteur narratif présente une histoire qu’il faut corriger, mais implique aussi qu’il n’existe qu’une seule et bonne histoire dont il faut se souvenir. À ce titre, cette représentation de l’histoire correspond au niveau exemplaire du modèle de Rüsen qui ne développe pas une perspective critique, mais s’en tient à reproduire une sorte de récit linéaire et univoque. La deuxième phase, l’histoire asservie, recadre les différents scénarios dans une forme de mise en abyme entre le joueur et son avatar virtuel ou entre Ubisoft et la plateforme fictive Helix. Le jeu induit encore que l’histoire est falsifiée, mais qu’elle est surtout utile à des fins particulières. L’histoire devient alors un patin animé par de grandes entreprises qui font mine de recréer une période historique pour mieux contrôler le présent. Encore une fois, le modèle de Rüsen nous rappelle que le niveau exemplaire présente l’histoire comme

50 Vous pouvez combattre le Minotaure dans son Labyrinthe ou Méduse vers la fin du jeu. 51 Voir l’article du Monde : https://www.lemonde.fr/jeux-video/article/2014/11/13/assassin-s- creed-unity-est-un-jeu-video-grand-public-pas-une-lecon-d-histoire_4523111_1616924.html. 52 À ce sujet, l’historien Antoine Prost nous mettait en garde contre une histoire exotique qui s’intéresse aux destins obscurs, aux évènements spectaculaires ou aux anecdotes triviales. Si Prost reconnaît qu’une telle histoire exotique et médiatique peut suivre les procédés historiens d’enquête rigoureux, les questions qu’elles posent lui semblent futiles. Antoine Prost, Douze leçons sur l’histoire, op. cit., p. 88. 40 Vincent Boutonnet et David Lefrançois une sorte de buffet où il suffit de se servir selon ses intérêts sans réellement se questionner ou interpréter. La plateforme Helix présente une histoire exotique qu’il suffit de visiter pour comprendre, tout en écartant le travail d’enquête, d’interprétation et de validation des historiens. La troisième phase, l’histoire spectacle, renforcée particulièrement par les deux derniers volets (Origins et Odyssey) invite le joueur dans des mondes virtuels encore plus vastes que les précédents volets avec autant de détails historiques que d’éléments surnaturels ou mythologiques. L’histoire est toujours présentée comme un produit de divertissement, mais aussi d’appren- tissage avec l’expansion éducative/muséale Discovery Tour. Si les développeurs proposent en annexe au joueur une exposition virtuelle conçue à partir d’in- formations historiques validées par des égyptologues, ils écartent en même temps les possibilités d’interactions avec les personnages ou les évènements historiques. Le scénario principal associe l’histoire à un produit fini qui ne présente pas le travail d’enquête d’historiens. À priori, l’univers d’AC pourrait être utile pour apprendre certains faits historiques, de manière plus ou moins équivalente selon les différentes recherches de contenus53, mais pourrait aussi induire une représentation de l’histoire qui est facilement falsifiée, qui est asservie à un projet particulier et qui ne sert qu’à nous en mettre plein la vue. Une telle histoire est ébranlée dans ses fondements épistémologiques et scientifiques. Qui dit vrai ? Cela dit, les expériences de ces joueurs restent à explorer, nous en savons encore très peu sur comment ils apprennent effectivement l’histoire grâce à ce jeu vidéo. En outre, cela n’empêche pas non plus de proposer une intégration critique du jeu vidéo dans une perspective éducative afin d’examiner comment et pourquoi le jeu vidéo est créé ainsi, et d’en faire un authentique outil didactique.

Vincent Boutonnet Professeur agrégé, Université du Québec en Outaouais [email protected] David Lefrançois Professeur titulaire, Université du Québec en Outaouais [email protected]

Nous remercions le professeur Marc-André Éthier de l’Université de Montréal pour sa colla- boration et sa relecture du présent article.

53 Alexandre Joly-Lavoie, « Assassin’s Creed : synthèse des écrits et implications pour l’enseigne- ment de l’histoire », op. cit., p. 455-470. Négocier le sens entre histoire et fiction : analyse transversale de la série Assassin’s Creed 41

Vincent Boutonnet est professeur agrégé en didactique des sciences humaines à l’Université du Québec en Outaouais. Ses travaux portent sur l’enseignement de l’histoire et de la géographie à l’aide de ressources didactiques variées : le film, le documentaire, le manuel, le jeu vidéo, etc. Il s’intéresse aussi à la formation initiale et la progression des postures épistémologiques de futurs enseignants lors de stages en alternance. Il est associé au Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE) et au groupe de recherche Diversité scolaire et éducation citoyenne (DiSEC). David Lefrançois est professeur à l’UQO au Département des sciences de l’éducation depuis 2008. Croisant la théorie politique et la didactique des sciences sociales, ses recherches et ses publications analysent les discours des programmes d’études dans les disciplines de l’univers social (histoire, géographie, économie), les méthodes et les moyens d’enseignement et d’évaluation de l’apprentissage de la pensée historienne au primaire et au secondaire. Il explore aussi les usages scolaires possibles et souhaitables d’œuvres qui n’ont pas été créées pour l’école (films, pièces de théâtre, jeux vidéos, etc.), mais qui peuvent néanmoins servir pour faire apprendre l’histoire aux élèves. David Lefrançois, Ph.D., professeur, Université du Québec en Outaouais (UQO), Accès au droit et à la justice (ADAJ), Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE), Diversité scolaire et éducation citoyenne (DiSEC).

Résumé La série de jeux vidéo produite par Ubisoft, Assassin’s Creed, est populaire et pose le problème de la représentation de l’histoire dans un univers fictionnalisé. L’article analyse de manière transversale comment est représenté le sens de l’histoire et comment le joueur est invité à s’engager dans la progression des différents volets. L’analyse est centrée sur l’arc méta-narratif qui relie chaque volet et qui attribue certaines finalités à l’histoire. Le cadre théorique de la conscience historique de Rüsen nous permet d’affirmer que la série présente trois séquences depuis sa création : l’histoire falsifiée, l’histoire asservie et l’histoire spectacle. Mots-clés Assassin’s Creed, jeu vidéo, histoire, enseignement, conscience historique. Abstract The video games series produced by Ubisoft,Assassin’s Creed, is popular and raises the problem of the representation of history in a fictionalized universe. The article analyzes in a transversal way how is represented the meaning of history and how the player is invited to engage in the progres- sion in between the different games. The analysis focuses on the metanarrative arc that links each game and that conveys certain goals to history. The theoretical framework of Rüsen’s historical consciousness allows us to assert that the series presents three sequences since its creation: falsified history, enslaved history, and spectacle history. Keywords Assassin’s Creed, Video game, History, Teaching, Historical Consciousness.

Webdocumentaire, jeu-vidéo et Histoire. Destins liés ?

Clément Puget

Si le terme de « jeu vidéo » s’intercale ici entre « webdocumentaire » et « Histoire », c’est déjà pour admettre une certaine hésitation qui caractérise ma démarche et explique les raisons de cette contribution à la fois. Fallait-il abso- lument placer ce terme composé de jeu vidéo dans le titre ? Sans doute pensera le lecteur, du fait de la journée d’étude dans laquelle s’inscrivait d’abord cette contribution en avril 2018 ; et en même temps non, peut-être ne fallait-il pas l’utiliser, car ces mots de « jeu », « vidéo », peuvent-il caractériser ou orienter le webdocumentaire dans la perspective d’une reconfiguration de l’histoire sur le Web/l’Internet ? C’est en non-spécialiste, donc dans une position assez inconfortable finalement, que j’aborde ces objets ici vidéoludiques, là webdo- cumentaires, sans être armé (un comble pour qui prétend évoquer 14-18 !) à l’inverse de mes collègues spécialistes – Alexis Blanchet, José-Louis de Miras pour le jeu vidéo, Étienne Armand-Amato, Nicolas Bole pour le webdocu- mentaire1, Alexandre Lafon ou Nicolas Patin pour la question historienne qui est leur discipline d’enseignement et de recherche. Cette ouverture prudente ne doit cependant pas laisser penser que je ne me risquerai pas à développer, dans les lignes qui suivent, une analyse personnelle et « historico-esthétique » de l’œuvre/objet choisie. Bien au contraire, c’est en observateur attentif et spécialiste des images dans leur rapport à l’histoire que je choisis d’aborder l’épineuse question de la forme et de la définition du webdocumentaire à l’épreuve de notre conception (actuelle) de l’histoire. La proposition de travailler sur un webdocumentaire, m’avait d’ailleurs immédiatement intéressé dans la mesure où elle faisait écho à un premier travail entrepris entre 2012 et 2014, relatif à un autre « webdoc », intitulé 17.10.61., réalisé par un jeune trio de webdocumentaristes en 2012. Ce collec-

1 Étienne Armand-Amato, « Le webdocumentaire et ses ressorts fonctionnels, au croisement du film documentaire et de la narration hypermédia », in Kira Kitsopanidou, Guillaume Soulez (éds.), Le Levain des médias. MEI, n° 39, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 206. 44 Clément Puget tif « Raspouteam » s’était emparé d’un événement de la Guerre d’Algérie, et précisément les affrontements qui eurent lieu la nuit du 17 octobre 1961 à Paris2. Enfin donc, si ce terme de« jeu vidéo » est bien présent dans le titre de l’article, c’est aussi parce qu’il fut envisagé il y a quelques années par des cher- cheurs comme l’élément qui permettrait au webdocumentaire d’atteindre une maturité et une efficience à même de concurrencer le cinéma documentaire (dit) linéaire. Ces questions de forme et de fond seront abordées au contact d’une œuvre protéiforme, Apocalypse-10 destins, fondée sur la série Apocalypse – et notamment l’épisode Apocalypse, La Première Guerre mondiale – coréalisée par Daniel Costelle et Isabelle Clarke pour la télévision publique3. Ainsi, dans quelle mesure Apocalypse-10 destins achève-t-il (ou non) le lent rapprochement qui s’opère entre webdocumentaire, voire webfiction, jeu inte- ractif et science historique, cette dernière étant entendue comme savoir histo- rique et pratique historienne ? Comme il est souvent d’usage en histoire, trois parties peuvent structurer l’argumentaire analytique qui suit. Interroger les formes et récits webdocumentés au regard du récit historien, factuel notam- ment, consistera en une première partie. Le deuxième temps de mon étude sera celui de la place de l’archive filmique dans le récit webdocumentaire. Un gage d’historicité ? Enfin, j’aborderai la dimension fictionnelle du « genre », sa proximité éventuelle avec le jeu vidéo et les limites du contrat de lecture documentarisant4. (Figures 1, 2, 3 et 4). Malgré la fictionnalité évidente du dispositif, ces téléfilm (Apocalypse Verdun) et webdocumentaire (Apocalypse-10 destins) sont tout à fait sérieux et conservés, de fait, aux archives du Web et de la télévision française du côté de l’Institut national de l’audiovisuel qui est en charge du dépôt légal (Figure 5).

2 Clément Puget, « 17.10.61. Webdocumentaire, archives et événement », in Giusy Pisano (éd.), L’Archive-forme. Création, Mémoire, Histoire, Paris, L’Harmattan/coll. Champs visuels, 2014, p. 251-273. http://www.ina.fr/medias/webdocs/17oct/index.html (dernière visite le 11/01/2019). 3 Apocalypse 10 destins est une coproduction franco-canadienne de CC&C (Clarke-Costelle) et Idéacom international web. Comme dans le cas de la série télévisée Apocalypse…, Louis Vaudeville en est le producteur. Vincent Borel, écrivain, et Pascale Ysebaert, productrice de contenus audiovisuels, sont crédités « auteurs » et, pour Pascale Ysebart exclusivement, « réalisateur aux contenus ». Les conseillers historiques sont Frédéric Guelton (pour la France), Michel Litalien et Carl Pépin (pour le Canada) : http://www.apocalypse-10destins.com/# (dernière visite le 20/02/2019). 4 Roger Odin, « Film documentaire, lecture documentarisante », in Cinémas et réalités, Saint- Étienne, éd. CIEREC-Université de Saint-Étienne, 1984. Webdocumentaire, jeu-vidéo et Histoire. Destins liés ? 45

Figure 1

Figure 2

Figure 3 46 Clément Puget

Figure 4

Figure 5

Webdocumentaire et Histoire

Mais d’abord qu’est-ce qu’un webdocumentaire ? Et comment définir Apocalypse-10-destins dont l’inscription dans le projet sériel global d’Isa- belle Clarke et Daniel Costelle donne l’impression d’une grande proximité entre les téléfilms et webdocumentaires présentés ? L’expression de « webdo- cumentaire » est apparue au début des années 2000 pour désigner désormais, et depuis une dizaine d’années simplement, les nouveaux formats audiovisuels Webdocumentaire, jeu-vidéo et Histoire. Destins liés ? 47 interactifs en ligne, qui revendiquent une filiation avec le film documentaire (de cinéma ou télévision). Pour autant, ce lien entre webdocumentaire et cinéma documentaire ne va pas de soi. Il divise même les spécialistes de la question. Pour Rémi Lainé : « […] jamais la forme ne débride le propos. La réflexion semble s’arrêter à l’habillage. Sur le fond, rien qui n’ait été vu à la télé ». Stéphane Druais avance au contraire que le webdoc est un « documentaire qui ne peut exister que par le Web [avec des perspectives nouvelles] ; l’écran de télévision et celui de l’ordinateur tendent à se rejoindre [pour] ne faire qu’un »5. Les formes webdocumentées – webdocumentaire, documentaire interac- tif – peuvent donc s’apparenter à l’exact opposé du film documentaire tel que le cinéma ou la télévision – pour ce que cette dernière fait de plus original – peut proposer et promouvoir. Le « documentaire » ou plutôt « a film with documentary value », selon la formule de l’écossais John Grierson à propos de Moana (R. Flaherty, 1926) se distinguerait du film de fiction ou « feature film » précisément par sa qualité d’œuvre documentant le réel6. Très tôt, Grierson donc, mais également Flaherty ou Murnau pour ne citer que quelques-uns des plus illustres cinéastes, ont pourtant montré à quel point le documentaire était d’abord « a creative treatement of actuality », si l’on suit encore Grierson dans un article de 19337. Peut-être y a-t-il donc là une certaine confusion sémantique, car l’association même des deux termes Web et documentaire a de quoi surprendre : le Web est pensé comme un espace hyperdocumentaire, car il agrège des documents en tous genres. En documentation, métier et champ de recherche à part entière, de nombreuses activités documentaires le sont pour des raisons multiples telles la structuration de fouilles de données, l’identification de sources et métadonnées, la constitution de corpus analysables notamment… De fait, faudrait-il parler de « documentaireWeb » pour éviter ce télescopage de significations ? Étienne- Armand Amato note que l’usage premier des termes associés d’abord en anglais se dit d’ailleurs Web documentary, parce qu’en anglais, l’adjectif se met avant le nom. Mais dès le début des années 2000, en France, les termes ont été inversés, à l’an- glaise, changeant également le sens même de ce nouvel objet. Suivant toujours l’idée d’É-A. Amato, les caractéristiques du film documentaire sont l’esthétique bien évidemment, le rapport au réel, mais, peut-être surtout, le travail que le documentariste – l’instance narrative – laisse à la charge du spectateur. Ce dernier étant contraint de faire un effort d’élaboration cognitive, car émotionnelle, pour conférer du sens à tout ce qui n’est pas dit et expliqué dans/par le film8.

5 Rémi Lainé, « Écrans de fumée », Stéphane Druais, « Doc on web – Première », La Lettre de la Scam, n° 37, février 2010, p. 8-9. 6 John Grierson, (as The Moviegoer), « Flaherty’s Moana, a Poetic South Sea film comes to the Rialto », The New-York Sun, 8 février 1926. 7 John Grierson, « The Function of the Producer »,Cinema Quarterly, vol. 2, n° 1, automne 1933, p. 7 : https://archive.org/details/cinema02gdro/page/n11 (dernière visite le 08/02/2019). 8 Étienne-Armand Amato, « Le webdocumentaire et ses ressorts fonctionnels, au croisement du film documentaire et de la narration hypermédia », op. cit. p. 206. 48 Clément Puget

Cette propension à interroger le spectateur est symptomatique de cinéastes dont les premières réalisations ont été pensées en étroite corrélation avec cette idée de participation du spectateur au film. Pour n’en citer qu’un parmi tant d’autres, le documentariste Harun Farocki n’a eu de cesse de solliciter l’at- tention et la prise de position du spectateur y compris dans sa série Serious games I-IV (2009-2010), dans laquelle il proposait une mise en abyme des soldats états-uniens engagés en Irak dont l’entraînement se faisait devant l’écran d’ordinateur ou au moyen d’un casque virtuel (Figure 6).

Figure 6

L’ensemble du travail du cinéaste allemand est une réflexion perpétuelle sur la place de l’individu au monde et le lieu des images dans la société9. « Lecteur », « spectateur », « utilisateur », « destinataire », « interacteur » ? Autant de termes que Farocki aurait peut-être adoptés, mais qui témoignent d’abord de la fluctuation du statut de l’individu face à l’image au XXe siècle. Statut et position qu’interroge également le documentariste français Chris Marker dans Level 5 par exemple – un titre de film aux accents de jeu vidéo – dans lequel le spectateur et son alter ego féminin joué par Catherine Belkodja se confrontent au jeu vidéo (virtuel) de l’histoire (réelle), s’agissant de la bataille d’Okinawa durant la Seconde Guerre mondiale… Ainsi, parce qu’il interroge son spectateur, et laisse surtout un espace de réflexion et de questionnement, le film est documentaire. En quoi cette caractéristique trouve-t-elle un ancrage dans le webdocumentaire Apocalypse 10 destins ?

9 À cet égard, le lecteur notera le travail conjoint d’Andrei Ujica et Harun Farocki, dont leur film Vidéogrammes d’une révolution (1992) constitue l’aboutissement. Webdocumentaire, jeu-vidéo et Histoire. Destins liés ? 49

L’archive filmique dans le récit webdocumentaire. Un gage d’historicité ?

Pour répondre à cette question, abordons les archives filmiques – plans d’époque, du temps de guerre par exemple, dans le webdocumentaire. Mais avant de sélectionner quelques exemples, il faut dévoiler progressivement le matériau du webdoc choisi, en détaillant le réseau de documents qui y sont sélectionnés et organisés. (Figures 7, 8 et 9).

Figure 7

Figure 8 50 Clément Puget

Figure 9

Trois plans du webdoc, un portrait imaginaire, un fragment d’échange épistolaire (fictif), une scène de la vie dans les tranchées dans une esthétique proche de la bande dessinée pourraient laisser penser que l’archive d’époque est absente, remplacée éventuellement par « un traitement créatif de l’actua- lité passée ». Cependant trois séquences attirent l’attention, par le traitement respectif des archives filmiques qu’elles proposent au spectateur10. (Figures 10, 11 et 12).

10 Dix institutions différentes abritant des archives de guerre, en France et à l’étranger, figurent dans les « crédits » du webdocumentaire. Webdocumentaire, jeu-vidéo et Histoire. Destins liés ? 51

Figure 10

Figure 11

Figure 12 52 Clément Puget

La première (Figure 10), brève, est relative aux troupes françaises engagées en début de guerre – peut-être dans la Marne ? Le lieu n’est pas mentionné. Cependant, ce regard à la caméra du soldat exprime une certaine surprise d’être filmé. Par qui ? L’un des siens, opérateur de la Section cinématographie de l’Armée, créée en mars 1915. Aucune image du front n’est enregistrée par une caméra française avant cette date. Avant l’année 1916, rares sont les autori- sations de tournage au front. Les plans, à l’image de celui-ci, donnent souvent à voir le quotidien des soldats dans les cantonnements11. La deuxième séquence (Figure 11) est datée en revanche. Le plan a été tourné dans les premiers jours de la bataille de la Somme. Le texte proposé par les auteurs d’Apocalypse 10 destins indique la bataille franco-britannique et son caractère exceptionnel tant à l’échelle du conflit mondial qu’au regard de l’histoire du cinéma. En effet, ce fragment filmique surgi du destin du personnage (fictif) de Vera, évoqueThe Battle of the Somme, premier film de long métrage documentaire de l’histoire du cinéma britannique et immense succès du mois d’août 1916 – 20 millions de billets de cinéma vendus ! Jusqu’ici tout va bien donc… Cependant, les plans choisis par Apocalypse 10 destins mêlent des images authentiques à de la fiction. En effet, le bataillon du Lancashire qui sort d’une tranchéeFigure 11 ( ) n’est pas du tout face à un ennemi (allemand), mais se trouve sur un lieu d’entraînement des troupes britanniques, à bonne distance du front. Ce plan, très connu du reste, est en fait le seul qui n’ait pas été tourné dans la Somme au cœur des premières lignes de la bataille (juillet-novembre 1916). Le caractère spectaculaire de la séquence le rend sans doute inévitable ici même, alors que l’on peut s’interroger sur l’information vague transmise au spectateur au sujet du « mélange d’événements réels et d’actions reconstituées », si l’on reprend la notice qui accompagne cet illustre photogramme. Troisième séquence enfin, tout aussi instructive à l’égard de la place et du statut de l’image comme preuve/archive, celle relative à Verdun et ce moment de combat, divisé en 4 photogrammes (Figure 12). Cette séquence est issue du destin d’Émilien, seul personnage français originaire de la métropole dans Apocalypse 10 destins. Les raccords dans l’axe tout à fait remarquables sautent aux yeux du lecteur/spectateur, entre les plans 2 et 3, annonçant l’explosion – 4 – qui survient dans l’abri de tranchée dans lequel le protagoniste semble s’être réfugié. Archive ? Non, cette séquence, pour le moins spectaculaire, provient d’un film de fiction réalisé en 1928, intituléVerdun visions d’histoire (réal. Léon Poirier) soit douze ans après la bataille de Verdun. Pourtant le « destin d’Émilien » situe ce moment de combat et d’explosion en bataille, au mois de décembre 1917, soit un an après ladite bataille de Verdun, auxquelles se rapportent les images de Léon Poirier… Outre l’anachronisme palpable,

11 Laurent Véray, Les Films d’actualité français de la Grande Guerre, Paris, éd. SIRPA/AFRHC, 1995. Webdocumentaire, jeu-vidéo et Histoire. Destins liés ? 53 cela laisse surtout penser qu’Apocalypse 10 destins ne se manifeste guère par sa rigueur en matière de recherche documentaire. Ce qui est peut-être moins surprenant au regard des approximations nombreuses jalonnant les téléfilms documentaires de la série Apocalypse, qui ont précédé, mais aussi suivi cet opus Web. Verdun étant évoqué à demi-mot ici, il n’en est pas de même lorsqu’Ismaël est félicité par le généralissime Nivelle au soir de la reprise de Douaumont (Figure 13). Le communiqué officiel du 24 octobre 1916 (signé du général des armées de Verdun, Georges Nivelle) est repris en voix off et par écrit ici, alors que le film, dans la partie haute de l’iconographie n° 13 rappelle le soldat qui échappait aux obus et à la mitraille dans la séquence précédente, qui n’était autre que celle du film de Léon Poirier, à nouveau.

Figure 13 54 Clément Puget

Ultime allusion à Verdun, cette lettre – pourtant écrite le 28 mars 1918 – par Hector à son frère Émilien (dont c’est alors le « destin » dans Apocalypse 10 destins). Des mots qui n’évoquent plus la bataille de 1916 cependant (Figure 14). Il y est question de Verdun, ce nom de l’histoire, lieu de tension et de danger imminent et surtout atemporel, comme en témoignent ces propos inquiets. Néanmoins, hormis les combats qui ont lieu à l’été 1917 au Mort-Homme puis les offensives américaines du côté de Saint-Mihiel fin 1918 au crépuscule du conflit, le lecteur ne peut tout à fait comprendre la peur qui se manifeste à travers ces mots rédigés au mois de mars 1918. À la manière de très nombreux films qui ont précédé la réalisation de ce webdocumentaire, la référence à Verdun fait de cette illustre bataille une véritable métonymie du sacrifice et de l’abnégation française12. Mais on pourrait aussi objecter qu’il s’agit une fois encore de « fiction de l’histoire » dans cette lettre et son ancrage imprécis.

Figure 14

La dimension fictionnelle du « genre », sa proximité avec le jeu vidéo et les limites du contrat de lecture documentarisant13

Apocalypse 10 destins n’est donc pas un jeu vidéo, cependant plusieurs motifs (boutons « entrer », « destin et portrait fictif des protagonistes , » « bilan % de l’expérience », « rejouer », « croisement des destins » – dimen-

12 Annette Becker, « Verdun, histoire et mythes », Les Cahiers de la cinémathèque « Verdun et les batailles de 14-18 », n° 69, novembre 1998, Perpignan, éd. Institut Jean Vigo, p. 83-89. 13 Roger Odin, « Film documentaire, lecture documentarisante », op. cit. Webdocumentaire, jeu-vidéo et Histoire. Destins liés ? 55 sion chorale empruntée au cinéma, jeu dont vous êtes le héros) tentent de rapprocher le webdocumentaire dudit jeu. Ainsi qu’en est-il de la page d’ac- cueil (Figure 14), mais également des portraits à compléter (% et bilan de l’expérience) (Figure 15) ou encore des parties de l’écran – ici une caméra sur trépied – sur lesquelles cliquer pour ouvrir tel ou tel film ou montage vidéo de fragments audiovisuels (Figure 16) ?

Figure 15

Figure 16 56 Clément Puget

C’est également un « défi » de lecture que le spectateur relève dans la mesure où il ne peut profiter des dix destins qu’en croisant l’un ou l’autre des protagonistes afin de débloquer son destin Figure 17( ). Jim ne deviendra « visible » et acces- sible que lorsqu’un autre destin permettra d’ouvrir cette fenêtre sur son parcours individuel. La dimension chorale d’un tel dispositif narratif pourrait donner l’impression que le lecteur est contraint (pour son bien éducatif) de parcourir les destins afin de rendre accessibles d’autres parcours de vie. Seulement, le survol des fragments et onglets du webdocumentaire permet aussi d’éviter de telles « contraintes » dont le jeune spectateur/lecteur s’affranchira nécessairement.

Figure 17 Webdocumentaire, jeu-vidéo et Histoire. Destins liés ? 57

Ces nombreux exemples, pour la plupart dessinés, permettent de mesurer à quel point le terme de « bande dessinée interactive » pourrait ici prendre du sens, rappelant comme l’écrit Henry Rousso que le Web peut être un vecteur de mémoire14. Dans le destin du personnage de Margot – jeune fille belge – apparaissent quelques créatures terrifiantes (Figures 18 et 19) qui ne sont pas sans rappeler, l’état d’esprit des populations, belge notamment, face à l’occu- pation d’une partie des territoires en guerre, mais aussi et peut-être même surtout l’Imagerie d’Épinal, qui précède d’ailleurs la guerre15 (Figure 20). Images d’Épinal, et visions stéréotypées de l’ennemi vont bon train dans ce segment narratif autour de la jeune fille belge, qui fait non seulement écho aux célèbres écrits de Marc Bloch, mais également aux travaux plus récents de Christophe Prohcasson, Anne Rasmussen ou Leonard Smith notam- ment16. Choisissant délibérément une iconographie proche du public/utilisa- teur « jeune » (selon les critères des groupes de médias et de presse français), Apocalypse 10 destins dévoile une iconographie relevant de la fantasy – créatures imaginaires que seul peut-être Apollinaire eut pu imaginer en son temps !

Figure 18

14 Henry Rousso, Face au passé. Essais sur la mémoire contemporaine, Paris, éd. Belin, 2016. 15 Laurent Guillaume, « Illustrer la guerre : cent ans de gravures militaires chez Pellerin à Épinal », in Philippe Buton (éd.), La Guerre imaginée, Paris, Seli Arslan, 2002, p. 121-131. 16 Marc Bloch, Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre, Paris, Allia, 1999. Christophe Prochasson, Anne Rasmussen (éds.), Vrai et faux dans la Grande Guerre, Paris, La Découverte, 2004. 58 Clément Puget

Figure 19 « En s’inscrivant dans une tradition défensive, la culture de guerre enfantine n’apparaît pas ex nihilo, mais […] elle entretient au contraire des liens profonds avec la culture d’avant-guerre »17. Comme l’indique Manon Pignot, il faut rechercher dans les prémisses de la Grande Guerre l’étrange bestiaire dont la présente iconographie est l’illustration et le prolongement à la fois. Comme du côté de la presse écrite et même du cinéma, le recours aux saynètes humoristiques n’échappe pas à l’éditeur – de l’Imagerie d’Épinal – Pellerin, qui commande des planches dénuées de toute occurrence événementielle. La guerre y demeure malgré tout une toile de fond qui sert l’esprit cocardier et la « haine politiquement correcte » de l’alboche. « Union sacrée exagérée, guerre imaginée, mais aussi combats ignorés ou “aseptisés” ; telle semble avoir donc été la ligne directrice de Pellerin au début de la Première Guerre mondiale »

17 Manon Pignot, « Les enfants », in Stéphane Audoin-Rouzeau, Jean-Jacques Becker (éds.), Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918, Paris, Bayard, 2004, p. 630. Webdocumentaire, jeu-vidéo et Histoire. Destins liés ? 59 souligne l’historien Laurent Guillaume18. Les deux planches choisies ici par mes soins peuvent être rapprochées de celles qui laissent entendre des cris d’effroi à la vue des monstres dessinés plein champ parApocalypse 10 destins. Les images spinaliennes numérotées 87bis et 88 (Figure 20) traduisent la conception animale du prédateur assoiffé de sang – les cranes offerts par l’al- légorie de la Kolossale Germania – jusqu’à l’assimiler à un gorille grimpeur casqué (!). Enfin,Von Kolossaligau, personnification de laKultur allemande, siège fièrement dans un intérieur domestique saccagé, en arrière-plan – qui n’est pas sans évoquer nombre de films patriotiques du temps guerre, dontLe Passeur de l’Yser (anonyme, Pathé, 1916)19.

Figure 20 Pour clore mon propos et répondre à la question qui sous-tendait le début de ce texte : non, je ne pense pas que jeu vidéo, webdocumentaire et Histoire puissent avoir des destins liés, ni dix, ni plus ni moins. Je reprends à nouveau les termes de Étienne-Armand Amato à ce sujet, qui indique l’étroite simila- rité – il écrit en 2015 – entre les « actuels webdocumentaires et les cédéroms culturels des années 1990 adressés au grand public. »20 Si cette remarque peut sembler sévère, elle m’apparaît au contraire tout à fait pertinente s’agissant du présent webdocumentaire Apocalypse-10-destins (mais également à d’autres

18 Laurent Guillaume, « Illustrer la guerre : cent ans de gravures militaires chez Pellerin à Épinal », op. cit., p. 130. 19 Clément Puget, « Imageries (et animations) de guerre, ou comment on raconte l’Histoire aux enfants », in Valérie Vignaux (éd.), 1895 « Lortac, O’Galop », n° 59, décembre 2009, p. 138-157. 20 Étienne A. Amato, « Le webdocumentaire et ses ressorts fonctionnels, au croisement du film documentaire et de la narration hypermédia », op. cit., p. 206. 60 Clément Puget productions du même acabit peut-être, pensons à Soldats Inconnus. Mémoires de la Grande Guerre, Ubisoft, 2014) dont le rapport à la connaissance histo- rienne semble figé dans le temps révolu du développement conjoint de leurs champs spécifiques. Peut-être cependant, comme aujourd’hui en 2019, nous situons-nous dans ce que François Hartog qualifierait d’un régime d’histori- cité favorable à ce rapprochement, voire à cette collision des genres (webdoc- jeu-vidéo-histoire), mais je me demande, sans aucune provocation feinte, dans quelle mesure le jeu vidéo peut entretenir un lien avec l’histoire, et inversement. Ce n’est pas un problème de rapport au réel. Non, comme l’a bien démontré Hans Robert Jauss, tout récit est une fiction et à ce titre le récit historien n’y échappe pas. Néanmoins, et malgré cette évidence, le récit historien évolue. Cette évolution qui, pour le cas du retour en intérêt de l’évé- nement par exemple, constitue parfois un véritable renouvellement des pers- pectives sur telle ou telle question, me semble mal s’accommoder de ce récit vidéoludique – et Apocalypse 10 destins n’en est qu’un exemple – dont nous avons pu mesurer l’anachronisme d’approche quand ce n’est pas le contresens s’agissant des archives filmiques employées par exemple. Ajoutons enfin que le/la webdoc/webfiction documentarisanteApocalypse 10 destins offre dans sa rubrique « aide » un onglet « trousses pédagogiques ». Lien sur lequel il est possible de « cliquer » pour accéder à un site Internet intitulé « Les dossiers pédagogiques » où le chiffre 10 est à nouveau utilisé… pour autant de dossiers rédigés par des auteurs français et canadiens tant sur l’art en guerre que sur les gueules cassées ou encore les bornes chronologiques du conflit, voire l’éman- cipation des femmes notamment. La dimension ludique qui irriguait mani- festement le récit fictionnel ou documentaire dans la plateforme interactive est désormais absente dans ce qui s’apparente plus à un « mémo » adressé au professeur d’Histoire-Géographie de l’enseignement secondaire qu’à un véri- table produit ludique. Et pour confirmer cela, la rubrique « pour aller plus loin » n’offre rien moins qu’une bibliographie d’ouvrages généraux et spécia- lisés, s’agissant par exemple du thème de la « violence de guerre ». Comme c’est souvent le cas dans les webdocumentaires21, ce qui se présente comme un apparat critique nous éloigne assez nettement du jeu vidéo, mais surtout, nous éloigne aussi de manière évidente du « documentaire » – au sens d’une œuvre de création qui entretienne un rapport au réel – dont la spécificité est de laisser du temps, de l’espace à son lecteur/spectateur véritablement devenu inter-acteur d’une œuvre qui n’est ni éphémère ni connectée.

Clément Puget Maître de conférences en Cinéma et audiovisuel Université Bordeaux Montaigne [email protected]

21 Clément Puget, « 17.10.61… », op. cit., p. 251-273. Webdocumentaire, jeu-vidéo et Histoire. Destins liés ? 61

Clément Puget, historien de formation, est Maître de conférences en Cinéma et Audiovisuel à l’université Bordeaux Montaigne et enseignant à Sciences Po Bordeaux. Il est membre de l’unité de recherche CLARE (EA 4593) – centre Artes – et chercheur associé à l’IRCAV (Paris 3 Sorbonne nouvelle). Coresponsable, depuis 2012, du Master Cinéma « Documentaire et archives », il est spécialiste des rapports entre Histoire et cinéma. Ses recherches actuelles portent sur la commémoration audiovisuelle de l’événement historique à la télévision française. Dans le cadre du programme de recherches ANR Ciné08-19, dont il est membre du consortium, il coordonne le séminaire de recherches relatif au « spectacle cinématographique en France de 1908 à 1919 », impliquant plusieurs universités et centres d’archives filmiques. Il est l’auteur de Verdun, le cinéma, l’événement (Nouveau monde éditions, 2016) et co-auteur d’un ouvrage collectif, à paraître, relatif à l’œuvre audiovisuelle de l’historien Marc Ferro.

Résumé Si le « jeu vidéo », intercalé, semble chercher sa place entre « webdocumentaire » et « Histoire », c’est pour témoigner d’une certaine hésitation de l’auteur de cet article. En s’interrogeant sur l’association de ces trois termes, cet article revient sur la définition du webdocumentaire dans la perspective d’une reconfiguration de l’histoire sur le Web/l’Internet à destination d’un spec- tateur lambda. L’objet d’étude, Apocalypse 10 destins, est envisagé à l’aune de la série télévi- suelle Apocalypse – due à Isablle Clarke et Daniel Costelle – déclinée depuis 2009 en épisodes relatifs aux Première et Seconde Guerres mondiales, mais également aux personnages histo- riques tels Hitler ou Staline notamment. À travers l’analyse « historico-esthétique » de la plate- forme interactive Apocalypse 10 destins, se dévoilent les enjeux de la transmission vidéoludique de l’histoire à l’épreuve de notre conception du « documentaire ». Et se pose inlassablement l’épineuse question – depuis une dizaine d’années déjà – de la forme et de la définition du webdocumentaire à l’épreuve de notre conception (actuelle) de l’histoire. Mots-clés Webdocumentaire, documentaire, Apocalypse 10 destins, jeu vidéo, Internet, Web. Abstract « Videogaming » seems to come in between « web documentary » and « History » in this contribu- tion, as if I was still hesitating to link such words. While questioning these three notions, the article reflects the work-in-progress definition of the « web documentary » facing historical approaches of knowledge on the Internet. Apocalypse 10 destins as an extension of the Clarke and Costelle television serie Apocalypse – La Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale Hitler, Staline… – was firstly broadcasted in 2009. I practice a double historical and aesthetic analysis of the Web platform in order to reveal, on the one hand, what still fits our documentary (film) vision of History, and on the other what brings us closer to a historical knowledge platform abandoning « documentary » film conception of the Past. Keywords Web documentary, documentary, Apocalypse 10 destins, videogames, Internet, Web.

Jouer et apprendre Approches ludo-pédagogiques des jeux historiques

Apprendre la Grande Guerre avec Soldats Inconnus ? Mécaniques ludo-pédagogiques et introduction en milieu scolaire

Romain Vincent

« Un jeu qu’Ubisoft aimerait […] aussi proposer comme outil pédagogique dans les écoles1. »

En conclusion de son article, Antoine Krempf dresse le lien possible entre un jeu de divertissement et son utilisation en classe. En effet, Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre a tout du candidat idéal. Le jeu déve- loppé par Ubisoft en 2014 a connu un succès critique unanime grâce à une direction artistique soignée servant un gameplay original pour un jeu vidéo sur la Grande Guerre : « Soldats Inconnus n’est pas un jeu de guerre, mais un jeu sur la guerre » lit-on dans de nombreux articles, à la suite de Paul Tumélaire, directeur créatif2. Soldats Inconnus est un jeu d’aventure où le joueur incarne plusieurs personnages, militaires et civils, impliqués dans la Première Guerre mondiale. Ce jeu vidéo fait également partie d’un ensemble de productions plus larges labellisé par la Mission centenaire 14-183. Ainsi, nous proposons d’analyser Soldats Inconnus comme un dispositif ludique hybride entre un jeu vidéo de divertissement et un logiciel au but éducatif explicite, le faisant parfois se rapprocher d’un serious game, c’est-à-dire une œuvre qui a un autre objectif que le divertissement4. À la suite de Gilles Brougère, nous considérons

1 Antoine Krempf, « Soldats Inconnus, un jeu pour connaître la guerre », Francetvinfo.fr, 25 juin 2014 : https://www.francetvinfo.fr/societe/soldats-inconnus-un-jeu-pour-connaitre-la- grande-guerre_1691677.html (dernière visite le 6 novembre 2018). 2 Antoine Flandrin, « Soldats Inconnus est un jeu vidéo sur la Grande Guerre mais ce n’est pas un jeu de guerre », lemonde.fr, 19 mai 2014 : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2014/05/19/ soldats-inconnus-est-un-jeu-video-sur-la-grande-guerre-mais-ce-n-est-pas-un-jeu-de- guerre_4421313_4408996.html (dernière visite le 6 novembre 2018). 3 Mission centenaire 14-18, portail officiel du Centenaire de la Première Guerre mondiale : http://www.centenaire.org/fr. 4 Julian Alvarez, Djamien Djaouti et Olivier Rampnoux, Apprendre avec les serious games ?, Futuroscope, Canopé Éditions, 2016. 66 Romain Vincent le jeu comme une activité autotélique, une pratique où le joueur se concentre sur l’activité elle-même et non sur ses conséquences supposées, ici, l’apprentis- sage5. Par conséquent, c’est précisément cette tension produite par la présence de ces deux objectifs au sein du même objet que nous souhaitons étudier. Avec des jeux de gestion, comme la série Civilization, un jeu vidéo peut permettre d’aborder des savoirs procéduraux, comme des liens de causa- lité. À l’inverse, des savoirs d’ordre déclaratifs, comme des faits historiques sur la Première Guerre mondiale, semblent plus difficiles d’accès : s’il peut en intégrer dans son scénario, il paraît difficile d’affirmer que l’interaction produite par le joueur lui permette de les assimiler. Après une étude du dispo- sitif pédagogique interne au jeu, nous désirons observer comment on joue à Soldats Inconnus dans le lieu d’apprentissage par excellence, l’école, en rendant compte de plusieurs pratiques enseignantes.

Soldats Inconnus : Apprendre en jouant ?

La Première Guerre mondiale était généralement ludoformée dans des productions mettant en avant la violence du conflit avec desfirst-person shooter comme Necrovision ou le plus récent Battlefield 1. Soldats Inconnus propose une approche originale en s’intéressant à l’expérience combattante des différents personnages incarnés par le joueur (Figure 1). Émile est un paysan de Saint-Mihiel dans l’est de la France. Karl est un Allemand vivant lui aussi à Saint-Mihiel, marié à la fille d’Émile. Il doit cependant retourner en Allemagne, car il est appelé au front au début du jeu. Pour finir, Freddy est un Américain engagé volontaire, soulignant le caractère mondial de la guerre, tandis qu’Anna, l’infirmière belge, symbolise, en une seule personne, l’impor- tance des femmes et des civils dans le conflit.

Figure 1 : Les différents personnages deSoldats Inconnus (© 2014, Ubisoft Entertainment)

5 Gilles Brougère, Jouer/apprendre, Paris, Economica, 2005. Apprendre la Grande Guerre avec Soldats Inconnus ? 67

Au fil d’un scénario emmenant nos héros de 1914 à 1917, le joueur rencontre différents aspects du conflit : la conscription en 1914, les Gaz d’Ypres de 1915, le statut des prisonniers de guerre, l’expérience des tran- chées de Verdun et de la Somme. Ainsi, le déroulement de Soldats Inconnus est rythmé par la grande Histoire et ne montre pas aux joueurs que des théâtres d’affrontements en le faisant notamment évoluer à l’arrière dans certains niveaux, comme lors du bombardement de la ville de Reims. Présenté ainsi, on serait tenté d’affirmer que Soldats Inconnus aborde le concept de « guerre totale », désignant un conflit mobilisant toutes les ressources d’un état et impliquant civils et militaires dans un affrontement mondial. Or, chacun des personnages incarnés par le joueur est animé par des moti- vations très personnelles. Freddy voulant venger la mort de sa femme lors d’un bombardement ou Anna désirant retrouver son père disparu pendant le conflit. Le patriotisme des soldats de 14-18 est ainsi évincé au profit de raisons plus consensuelles. Tout juste l’entraide des personnages, au cours de leurs multiples croisements pendant le scénario, nous permet d’aborder la camaraderie de tranchées, mais de manière très succincte. Si le jeu vidéo est un médium fondé sur l’interactivité qu’entretient le joueur avec le dispositif ludique, il contient également des instants de non-jeu. Dans l’introduction, la contextualisation du conflit se fait au prix de quelques torsions de la réalité pour faciliter la compréhension du joueur : le déclenchement du conflit est résumé à l’assassinat du prince d’Autriche-Hongrie, mettant ainsi de côté les nombreuses sources de tensions préexistant au premier conflit mondial, et la description du jeu des alliances de l’été 1914 omet certaines étapes6. De plus, l’introduction manipule certaines photographies d’archives (Figure 2). Le Jaurès historique (à gauche) photographié en pleine manifestation pacifique au Pré-Saint-Gervais en mai 1913 est traduit par les designers d’Ubisoft en un foudre de guerre anonyme, brandissant le drapeau tricolore et une affiche de mobilisation. Cette représentation du passé dépolitisée et aseptisée pourrait constituer un frein à son exploitation pédagogique. Ce sont justement par ces instants de non-jeu que Soldats Inconnus compte transmettre une partie de son contenu historique. Chaque chapitre du jeu est introduit par une scène ciné- matique, accompagnée d’une voix off nous donnant le cadre chronologique et géographique de la mission. De plus, au fil de sa progression, le joueur se voit proposer la lecture de fiches pédagogiques sur les thèmes rencontrés pendant le niveau. Au cours de celui se déroulant dans la ville d’Ypres, on peut en apprendre plus sur le fonctionnement des gaz de combat et leurs dégâts. Cette volonté de transmettre des faits se fait cependant au détriment de la dyna-

6 Extrait de l’introduction du jeu : « Suite à l’assassinat de François-Ferdinand, prince héritier de l’empire austro-hongrois, l’empire germanique déclare la guerre à la Russie ». Cette rapide explication omet les événements. 68 Romain Vincent mique ludique. Ces moments d’apprentissage apparaissent en plein milieu des niveaux et mettent entre parenthèses l’activité du joueur. La lecture est accom- pagnée d’une photographie d’époque, extraite du documentaire Apocalypse7, entraînant une rupture diégétique avec l’ambiance graphique du jeu (Figure 3).

Figure 2 : À gauche : Jean Jaures au près Saint-Gervais, le 25 mai 1913 À droite : Extrait de l’introduction de Soldats Inconnus (© 2014, Ubisoft Entertainment)

Figure 3 : Une fiche pédagogique proposée au joueur (© 2014, Ubisoft Entertainment) Par conséquent, Soldats Inconnus tend à séparer les dimensions sérieuses et ludiques, rendues encore plus visibles par la nature des énigmes très, voire trop, souvent détachées du contexte historique. En effet, elles se résument souvent par des puzzle-games qui n’ont que peu de lien avec la Grande Guerre. Le jeu propose également au joueur de collecter des objets du quotidien, comme de l’artisanat de tranchées, lettres de soldats, voire des brevets de marraines de guerre. Chaque instant de collecte est accompagné d’une fiche pédagogique

7 Isabelle Clarke, Daniel Costelle (réal.), (2009), Apocalypse : la seconde guerre mondiale, France Télévisions. Apprendre la Grande Guerre avec Soldats Inconnus ? 69 expliquant les fonctions de l’objet. Ces éléments apportent une réelle plus- value à la compréhension du quotidien des soldats et des civils, cependant cette quête est optionnelle : le joueur peut traverser toute l’aventure sans ne les avoir jamais consultés. Ces objets historiques ne sont pas intégrés aux énigmes et ne sont par conséquent jamais manipulés par le joueur, ce qui aurait pu être l’occasion pour lui de comprendre leur importance en jouant. Dans Soldats Inconnus, le contenu factuel sur la Grande Guerre est porté au joueur par des scènes cinématiques au cours desquelles le joueur reste passif, ou par des items qui ne sont pas interactifs. En d’autres termes, Soldats Inconnus n’entraîne pas un apprentissage des notions de la Grande Guerre par des mécaniques ludiques. Nous rejoignons ainsi Jesper Juul qui estime que ces « éléments narratifs tendent […] à aller à l’encontre du caractère proprement vidéoludique du jeu »8.

Jouer à Soldats Inconnus pour changer l’école ?

La sortie de Soldats Inconnus en 2014 rencontre un contexte politique et institutionnel globalement favorable à l’utilisation du numérique éducatif. Le Plan numérique pour l’éducation du quinquennat Hollande est accom- pagné d’une réflexion sur la forme scolaire, qui déboucha en mai 2017 sur la publication d’un rapport de l’Inspection Générale de l’Éducation nationale intitulé : La forme scolaire à l’heure du numérique9. Chargée du rapport, Catherine Becchetti-Bizot, inspectrice générale de l’éducation nationale, dresse un tableau du modèle actuel de transmissions des savoirs à l’école. Ce document est organisé en trois parties : après avoir appelé le contexte actuel et les enjeux incombant au système scolaire, Becchetti-Bizot présente les nécessités de la transformation de la forme scolaire, et finit sur les initiatives innovantes déjà en cours sur le terrain qui pourraient servir comme modèle pour le reste de la communauté éducative. Cette révolution des pratiques est jugée indispensable et incontournable : ainsi apprend-on que les « classes d’aujourd’hui ressemblent toujours à s’y méprendre à celle des écoles de la fin du XIXe siècle »10. De fait, cet immobi- lisme du système éducatif ne permettrait pas de répondre aux défis actuels. Si des objectifs de bons sens sont avancés, comme « Répondre à la diversité et à l’hétérogénéité croissante des élèves »11 ou « réduire les inégalités liées à un

8 Jesper Juul, « A clash between game and narrative », Digital Arts and Culture conference, Bergen, Norvège, 1998. 9 Catherine Becchetti-Bizot, Repenser la forme scolaire à l’heure du numérique. Vers de nouvelles manières d’apprendre et d’enseigner, Inspection générale de l’Éducation nationale, 2017. 10 Ibid., p. 1. 11 Ibid., p. 6. 70 Romain Vincent déterminisme social très lourd »12, la nécessité du changement proviendrait plutôt de la transformation de la société : « Le numérique n’est pas seule- ment une révolution technologique […] il est aussi un phénomène culturel et social » dans lequel l’École serait « prise dans le mouvement ». Dans cette optique de changement, le jeu vidéo apparaît à trois reprises dans ce rapport, et est perçu comme un outil permettant de changer la manière dont sont dispensés les savoirs. Tout d’abord, il est envisagé comme une oppor- tunité pour enseigner en partant des pratiques des élèves : « Le constat que les pratiques numériques personnelles des jeunes, à travers notamment les jeux vidéo ou les réseaux sociaux, permettent de développer un certain nombre de savoir-faire, pour ne pas dire de connaissances et compétences informelles, que l’École peut (et devrait) réinvestir. »13 Le système scolaire devrait donc les repérer, les délimiter et permettre à ses élèves de les réutiliser dans des activités scolaires. De plus, jouer permettrait de briser l’ennui de plus en plus impor- tant que les élèves ressentiraient dans la salle de classe14 : en favorisant « le plaisir et la motivation », ce qui permettrait en retour d’« enclencher un cercle vertueux, même s’il ne garantit pas toujours de meilleurs résultats ». Dans ce cas, le jeu vidéo n’est pas vu comme un outil pour améliorer les performances scolaires, mais plutôt pour changer le climat de la classe. Pour finir, le jeu vidéo pourrait être utilisé comme un outil de simulation : « Le développement de la “ludification” des ressources pédagogiques comme celui des “jeux sérieux” […] débouchent sur la mise en place de scénarios où les élèves sont amenés à vivre dans un monde virtuel, mais à comprendre et à agir comme dans la vie réelle, à partir de questions scientifiques, techniques ou de société. »15 Le jeu vidéo est considéré comme un moyen de faire évoluer la forme scolaire. Conceptualisée par le sociologue Guy Vincent, la notion de forme scolaire rassemble différentes caractéristiques, historiquement constituées, que l’on retrouve dans le fonctionnement social et structurel de l’école : un espace dédié à l’enseignement, séparé des autres pratiques de la vie quotidienne et régis par des règles imposées, une organisation rationnelle du temps, un corpus de connaissances et de compétences à transmettre, ainsi qu’un rapport d’autorité entre les individus, ici l’enseignant et ses élèves16. Ainsi « l’école change avec le jeu numérique », participant ainsi à un ensemble de discours voyant, en lui, un

12 Id. 13 Ibid., p. 14. 14 Caroline Brizard, « L’ennui à l’école touche tout le monde », Nouvel Obs, 30 août 2015 : https://www.nouvelobs.com/societe/20150827.OBS4834/l-ennui-a-l-ecole-touche-tout-le- monde.html (dernière visite le 4 avril 2019). 15 Catherine Becchetti-Bizot, Repenser la forme scolaire à l’heure du numérique, op. sit., p. 46. 16 Guy Vincent, L’Éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1994, p. 227. Apprendre la Grande Guerre avec Soldats Inconnus ? 71 dispositif permettant de transmettre du contenu disciplinaire. Encensé par la critique, disposant d’un contenu culturel certifié par la Mission du Centenaire, et d’un contexte institutionnel favorable à son utilisation, il s’agit à présent de savoir comment Soldats Inconnus a pu être utilisé en classe. Les enseignants sélectionnés ont été contactés suite à un appel lancé sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter. Nos questions étaient envoyées par mail, laissant ainsi le temps à l’enseignant de répondre et de détailler sa pratique. Notre questionnaire abordait tout d’abord la culture ludique de l’enseignant, afin de déterminer si celle-ci expliquait le recours au médium vidéoludique dans sa classe. Par la suite, nous leur avons demandé de détailler leur utili- sation concrète en classe. Tout d’abord, les six enseignants qui ont répondu à l’appel sont tous des joueurs de jeux vidéo. Quatre d’entre eux déclarent avoir une culture très diversifiée, sans genres de prédilection. Certains ont des pratiques de collectionneurs (Julien, enseignant en histoire), d’autres parlent volontairement de leurs autres activités ludiques comme le jeu de rôle papier (Nicolas, enseignant en histoire). En revanche, Damien, documentaliste, construit sa culture vidéoludique au contact des élèves. Il explique d’ailleurs qu’« à titre professionnel [il] joue/enseigne sur PS3, PS4 » en collaboration avec une collègue. Sa culture ludique s’imbrique donc avec sa pratique profes- sionnelle. À noter qu’aucun des élèves de ces six enseignants ne connaissait Soldats Inconnus avant que leur enseignant ne leur fasse jouer. À partir de ce tableau de synthèse (Figure 4), nous allons présenter chacun de ces ensei- gnants ainsi que leur séance pédagogique utilisant Soldats Inconnus.

Discipline Contexte Objectif Posture de jeu Julien Histoire Enseignement modulé - Illustrer le cours Let’s Play 2nd (lycée) d’histoire Nicolas Histoire Cours d’histoire - Séance de révision Jeu individuel 3e (collège) sur tablettes Alexis FLE Elèves primo-arrivants - Travailler des Let’s Play Collège compétences langagières Damien Documentation « Club philo » sur Construire un débat Let’s play l’heure du midi - philosophique sur l’art Centre de et la guerre Documentation et d’Information (CDI) (collège) Thierry Enseignant Cours de Français Travailler le langage Let’s play spécialisé et d’histoire et les repères historiques Figure 4 : Les enseignants ayant utilisé Soldats Inconnus dans leurs cours 72 Romain Vincent

Julien, professeur d’histoire-géographie au lycée Julien utilise le jeu avec ses élèves de seconde dans le cadre des « ensei- gnements modulés » : deux heures par semaines qui sont à disposition de l’enseignant pour mener des projets pédagogiques. Julien explique ainsi qu’il possède une certaine liberté pour aborder des points du programme avec ces heures « que l’on organise comme on veut ». Soldats Inconnus vient en complé- ment de son cours sur l’expérience combattante et sert « à illustrer le propos et non pas le comprendre ». Julien choisit lui-même les niveaux (La conscription, Ypres sous les attaques de gaz et Le chemin des Dames) pratiqués par un élève seul pendant que le reste de la classe regarde. Nous choisissons d’appeler cette disposition – un joueur et des spectateurs – un let’s play pédagogique, terme emprunté aux vidéos YouTube où un vidéaste joue à un jeu vidéo tout en le commentant en direct. Julien intervient dans l’activité ludique de ses élèves en leur demandant de trouver les items collectionnables, une des lacunes que nous exposions plus haut : d’objets optionnels, l’enseignant rend cette quête obligatoire. De plus, Julien oriente ensuite ses élèves vers un travail scolaire en leur demandant de rédiger des fiches sur les objets trouvés. Sa séance se termine avec un moment de débriefing, permettant aux élèves de verbaliser les aspects historiques du jeu.

Nicolas, professeur d’histoire-géographie au collège Au collège, Nicolas a l’habitude d’utiliser des jeux dans sa pratique péda- gogique. Conquis par l’aspect historique de Soldats Inconnus après l’avoir découvert à travers son réseau professionnel (« sur le papier, c’est vachement bien foutu »), Nicolas donne la possibilité à chacun de ses élèves de jouer puisqu’il dispose d’un important parc de tablettes tactiles. Or, la séance est différente de celle de Julien puisque Nicolas utilise le jeu dans une séance de révisions. Les élèves démarraient individuellement au début du jeu et devaient répondre à une série de questions. S’ils avaient donc une liberté de jeu totale, Nicolas ne pouvant donner des directives à chaque joueur, l’enseignant estime que sa séance a échoué. Il regrette ainsi avoir donner trop d’autonomie à ses élèves, c’est à dire trop de liberté de jeu, tout en affirmant que « le gamepay ne les a pas emballés ».

Alexis, enseignant en Français Langue Seconde au collège Alexis, féru de jeux narratifs, enseigne le français à des élèves primo-arri- vants, des adolescents dont le français n’est pas leur langue maternelle. Alexis profite de la grande liberté pédagogique du FLS pour utiliser régulièrement des jeux vidéo en classe. Ainsi, il se sert de Soldats Inconnus pour faire travailler les temps du passé afin d’aboutir à la rédaction d’une lettre de soldats avant son départ au front. Pour cela, le premier niveau du jeu était tout indiqué : en adoptant la posture du let’s play, les élèves d’Alexis parcourent le niveau Apprendre la Grande Guerre avec Soldats Inconnus ? 73 pour observer certains éléments de la vie de la caserne (drapeau tricolore, armement, clairon…). Les phases de jeu étaient également entrecoupées de séances en bibliothèque pour vérifier les informations historiques du jeu.

Damien, documentaliste au collège Damien est assez critique sur Soldats Inconnus : « d’un point de vue graphique le jeu est excellent, le gameplay est appréciable, mais parfois un peu alourdi par quelques considérations historiques ». Étant documentaliste, la séance de jeu ne se déroule pas pendant un cours classique, mais pendant un club hebdomadaire « philo-jeux vidéo », libre d’accès aux élèves. Le principe est de faire découvrir un jeu, jugé loin des pratiques habituelles des élèves et d’aboutir à une discussion « de nature philo- sophique ». Pendant la partie, Damien affirme que les élèves étaient libres. Or, sa description révèle les multiples interventions de l’enseignant : des informa- tions historiques, ainsi que des aides de jeu, sont données aux élèves en cours de jeu et, surtout, le jeu est arrêté au bout d’une demi-heure afin de pouvoir atteindre l’objectif de la séance : la discussion philosophique.

Thierry, enseignant dans un établissement médico-social dans un collège Thierry enseigne à des élèves sourds, dyslexiques ou dyspraxiques. Ainsi, le jeu vidéo est un support qu’il estime adapté à ses élèves en besoins spécifiques, car Soldats Inconnus ne limite pas l’accès au langage écrit ou oral comme pour un texte ou une vidéo. Thierry a connu Soldats Inconnus, à travers son réseau professionnel. Les objectifs de sa séance étaient de travailler les repères histo- riques ainsi que des compétences langagières, comme nous avons déjà pu le voir avec Alexis, enseignant de FLS. Une nouvelle fois, un seul élève jouait et les autres observaient le déroule- ment du jeu. Pendant les temps libres, Thierry laissait le jeu à disposition des élèves pendant quelques minutes. La séance ludique était suivie par un débrie- fing permettant de raconter l’évolution de chacun des personnages du jeu. Ces échanges aboutissaient à la rédaction, par les élèves, de lettres de soldats.

Synthèse

Le jeu vidéo est un médium interdisciplinaire par excellence. Nous avons pu constater que l’histoire n’était pas la seule discipline à convoquer Soldats Inconnus, le Français et ses compétences d’oralisation ont été également solli- citées, et l’on peut supposer que la direction artistique pourrait faire l’objet d’une étude dans les disciplines artistiques (Arts Plastiques et enseignement musical). De son utilisation dans différentes disciplines, nous avons déterminé plusieurs constantes. Soldats Inconnus intervient toujours après que les notions disciplinaires ont été travaillées en cours. En effet, les élèves doivent déjà avoir 74 Romain Vincent les connaissances nécessaires pour situer l’action et comprendre le déroulé de l’histoire. Nous avons ainsi constaté que les enseignants interrogés donnaient un crédit assez faible à la capacité de Soldats Inconnus pour apprendre des savoirs déclaratifs. De fait, la séance de jeu est toujours suivie d’un instant de débriefing servant à institutionnaliser les savoirs aperçus dans le jeu. On peut donc supposer que, si apprentissage il y a, celui-ci se fait plutôt à travers ces échanges entre élèves et enseignants et non par l’activité ludique seule. Pour Audigier et Mitgutsh17, ce n’est pas le jeu qui favorise l’apprentissage scolaire en lui-même, mais l’activité qui l’entoure et, surtout, son insertion dans le processus pédagogique préparé par l’enseignant, qui revêt ici le rôle princi- pal. Dans cette optique, Brougère cite Thiagarajan18 qui « met en évidence trois niveaux : Expérience → Réflexion → Apprentissage ». Nous entendons cet enchaînement ainsi : pour qu’il y ait apprentissage, il faut que l’expérience de jeu soit suivie d’une réflexion permettant de formaliser les connaissances tirées du jeu. Pour résumer, il faut sortir du jeu pour apprendre, mais cette extraction n’est pas sans risque sur l’activité ludique elle-même. Le let’s play était la mise en place la plus souvent rencontrée, l’enseignant misant généralement sur les réactions et discussions suscitées par la diffusion du jeu au tableau. Cette posture semble similaire à ce que Newman décri- vait avec le terme de « jeu secondaire »19, désignant l’engagement dans un jeu de personnes n’exerçant pas de contrôle sur le dispositif ludique. Le jeu n’engagerait donc pas que l’unique élève-joueur mais également l’ensemble de ses camarades. Il est d’ailleurs intéressant de constater que la séance où les élèves jouaient individuellement (Nicolas, enseignant d’histoire-géographie au collège) sur tablettes est celle qui semble s’être le moins bien déroulée. Nicolas était loin d’être prolixe dans la description des raisons de cet échec. On peut supposer que l’activité ludique individuelle s’est retrouvée en forte tension avec l’exigence de l’exercice de révision. Le cas de Soldats Inconnus en classe permet d’illustrer « le paradoxe de l’enseignante »20 abordé par Gilles Brougère, qui peut atténuer trois caractéris- tiques de l’activité ludique. Tout d’abord, il éliminerait l’incertitude : l’ensei- gnant conduit ses élèves vers un objectif pédagogique donné, le jeu a donc un but précis. Ensuite, jouer en classe s’éloignerait du caractère frivole que

17 François Audigier, « La didactique des sciences sociales, de la théorie à la pratique. Les situations d’enseignement-apprentissage, liens nécessaires entre recherche et formation », in Rosa Ávila, Alcázar Cruz et Consuelo Díez (éds.), Didáctica de las Ciencias Sociales en los nuevos planes de estudio, Jaén, 2008, p. 233-261 : http://www.ujaen.es/investiga/hum167/XIXSimposioInternacional/ download/DidacticaCienciasSocialesLibro.pdf et Konstantin Mitgutsch, « Digital play-based learning. A philosophical-pedagogical perspective on learning and playing in computer games », in Games in Action, Gothenburg, Sweden, 2007. 18 Gilles Brougère, Jouer/apprendre, op. cit., p. 93. 19 James Newman, « The myth of the ergodic videogame »,Game studies, 2 (1), p. 1-17, 2002. 20 Gilles Brougère, Jouer/apprendre, op. cit., p. 79. Apprendre la Grande Guerre avec Soldats Inconnus ? 75 l’on prête au jeu vidéo à cause de « l’investissement du sérieux éducatif »21 : on ne joue pas pour jouer, on joue pour apprendre. Pour finir, la décision de jouer, centrale pour rentrer dans une activité de jeu selon Brougère, est en partie annulée par la présence de l’enseignant : c’est lui qui décide véritable- ment d’utiliser le jeu, et sûrement lui qui oriente les élèves-joueurs dans leurs pratiques ludiques en salle de classe. Nous rejoignons ainsi les conclusions de Vincent Berry : « Plus on cherche à évaluer et à pédagogiser l’activité ludique, plus le jeu disparaît. À l’inverse, plus on laisse l’activité dans sa dimension ludique, moins l’apprentissage est visible »22. Cependant, à cette méthodologie il faudrait ajouter des observa- tions en situation afin de ne pas s’arrêter au seul discours et à la subjectivité de l’enseignant afin de cerner plus précisément l’expérience vidéoludique en classe. De plus, nous regrettons de ne pas avoir rencontré d’enseignants du primaire, classe d’âge vers lequel Soldats Inconnus semble être plus destiné. Si Battlefield 1 n’était pas joué et illustrait ainsi la transformation du jeu vidéo en document23, Soldats Inconnus est bel et bien pratiqué par les élèves. Or, cette activité ludique est cadrée par les consignes de l’enseignant et, à chaque fois, orientée vers un travail scolaire. Plus qu’une ludification du cours d’histoire à l’aide d’un jeu vidéo, nous constatons une degamification de Soldats Inconnus, un dispositif intégrant déjà des mécaniques pédagogiques avec une interactivité limitée, comme nous l’avons vu en début d’article.

En guise d’ouverture, nous souhaitons interroger la pertinence du jeu vidéo, joué ou non, par rapport à un autre médium bien plus utilisé en classe, le cinéma, et qui entraîne un effet de réel bien plus important que les dispo- sitifs vidéoludiques. De plus, le recours aux jeux cités dans cet article met régulièrement en avant la figure héroïque du soldat, notamment dans des first person shooters, comme Battlefield 1, ou même Soldats Inconnus par instants. Cette diffusion d’une valorisation de la violence et de l’acte guerrier, parfois nécessaire au plaisir ludique, doit cependant faire l’objet de la plus grande prudence pour les enseignants. Romain Vincent Université Paris 13 [email protected]

21 Ibid. 22 Vincent Berry, « Jouer pour apprendre : est-ce bien sérieux ? Réflexions théoriques sur les relations entre jeu (vidéo) et apprentissage », in Canadian Journal of Learning and Technology/ La revue canadienne de l’apprentissage et de la technologie, 37 (2), 2001. 23 Référence vers l’article de W. Brou dans l’ouvrage. 76 Romain Vincent

Après l’obtention d’un master Recherche en Histoire médiévale en 2009 et du CAPES d’Histoire-Géographie en 2010, l’intérêt de Romain Vincent pour l’histoire et les jeux vidéo l’ont poussé à s’orienter vers un Master en Sciences du jeu à l’Université Paris 13 en 2017, tout en menant une activité de médiation sur la chaîne YouTube « Jeux Vidéo & Histoire ». Après un mémoire soutenu en juillet 2018, son sujet de doctorat en sciences de l’éducation vise à poursuivre la réflexion sur l’usage pédagogique des jeux vidéo par les enseignants français :Du ludique au pédagogique : ce que les enseignants font aux jeux vidéo. Publications et communications « Et si on jouait à l’Histoire ? Histoire de jouer. » Intervention lors de la journée d’étude « Penser (avec) la culture vidéoludique » de l’université de Lausanne, 5 octobre 2017. (À paraître) Mémoire de master Romain Vincent, Jouer au jeu vidéo pour changer l’école ? L’expérience vidéoludique dans le système scolaire français. Mémoire de master en sciences de l’éducation (spécialité sciences du jeu), sous la direction de Vincent Berry, Université Paris 13, 2018. Disponible sur https://dumas.ccsd. cnrs.fr/dumas-01895467.

Résumé Cet article vise à étudier les liens entre jeux vidéo et apprentissage de l’histoire à travers Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre d’Ubisoft, sorti en 2014. Pour cela, nous proposons deux approches. Tout d’abord, nous rendons compte de la manière dont Soldats Inconnus transmets des connaissances historiques au joueur à travers l’étude de son gameplay. Ensuite, nous décrivons comment ce jeu vidéo est utilisé dans un contexte d’apprentissage formel : la salle de classe. Ainsi, nous résumons des entretiens avec des enseignant.es de différentes disciplines et niveaux qui l’ont fait rentrer dans leur salle de classe, révélant ainsi les diverses transformations que le cadre scolaire fait subir au jeu vidéo. Mots-clés apprentissage, jeu vidéo, forme scolaire, grande guerre, école. Abstract This article aims for studying the links between video games and learning history with « Valiant Hearts », released in 2014 by Ubisoft. Two approaches will be suggested. First, We will focus on how the game teaches historical knowledge to gamers while playing. Then, we will describe how this video game is used in a formal learning context, the classroom. Therefore, we will summarise interviews of teachers who taught different subjects and different age groups and who used the game in class. Their experiences showed a variety of transformations undergone by the video game in the school context. Keywords learning, video games, school context, Great War. Du salon à la salle de classe : apprendre la Première Guerre mondiale avec Battlefield 11

William Brou

La Première Guerre mondiale est un sujet important dans nos programmes scolaires d’Histoire2. Ces derniers nous invitent à mettre l’accent sur « les violences extrêmes » subies par les combattants et les civils, mais aussi « l’expérience combattante dans une guerre totale » en classe de Première générale. Le programme de Première technologique est d’autant plus précis qu’il parle de « la violence de guerre dans ses diverses formes et sa répercussion sur les sociétés ». Au-delà des enjeux disciplinaires relatifs à l’apprentissage de l’Histoire, le ministère nous invite à « [former] les élèves à maîtriser ces outils numériques et préparer le futur citoyen à vivre dans une société dont l’environnement technologique évolue constamment ». Par leurs savoirs, les enseignants doivent : Évoquer les enjeux de la maîtrise du numérique et des technologies [afin qu’ils soient] perçus et compris par les élèves et futurs citoyens. Il est indispensable de les accompagner vers une véritable maîtrise des concepts leur permettant d’être des utilisateurs avisés des outils, services et ressources dans une société de l’information et de la communication en rapide évolution.3 Parallèlement à cet engagement, le ministère a inscrit en 2015, par la mise en place d’un nouveau socle de compétences, l’apprentissage de plusieurs langages, dont celui de l’informatique (codage), des médias et des arts, les élèves devant comprendre les différents modes de production et le rôle de l’image :

1 Cet article reprend dans une forme plus développée la proposition faite sur le site des Clionautes et présentée sur ma chaîne YouTube Histoire en Jeux : www.youtube.com/c/HistoireenJeux. 2 Voir la rubrique « Contenus et pratiques d’enseignement » sur le site éduscol spécialisé dans l’information et l’accompagnement des professionnels de l’éducation : http://eduscol.educa- tion.fr/pid33035/contenus-et-pratiques-d-enseignement.html (dernière visite le 28/11/2018). 3 « L’utilisation du numérique à l’école », education.gouv.fr, mis à jour en février 2017 : http:// www.education.gouv.fr/cid208/l-utilisation-du-numerique-a-l-ecole.html (dernière visite le 28/11/2018). 78 William Brou

L’élève apprend à utiliser avec discernement les outils numériques de commu- nication et d’information qu’il côtoie au quotidien, en respectant les règles sociales de leur usage et toutes leurs potentialités pour apprendre et travailler. Il accède à un usage sûr, légal et éthique pour produire, recevoir et diffuser de l’information. Il développe une culture numérique.4 Il s’agit ici d’une invitation à utiliser les jeux dans l’enseignement de l’Histoire-Géographie, le cas de l’Histoire étant bien plus problématique en ce que ces productions vidéoludiques peuvent concurrencer le discours historien. Les joueurs vont-ils croire un jeu leur permettant de « vivre la guerre », ou bien l’historien-professeur qui raconte et montre la guerre à travers des documents sources ? Battlefield 1 (BF1) est un jeu de tir à la première personne (FPS) développé par le studio suédois DICE et édité par le géant américain Electronics Arts. C’est le cinquième épisode principal de la série vidéoludique qui a débuté en 2003 avec Battlefield 1942, qui prenait place durant la Seconde Guerre mondiale. À l’instar des autres Battlefield, le jeu possède une campagne solo et une section multijoueurs qui, d’ailleurs, attire la majorité des acheteurs. La campagne est composée de six « récits de guerre » qui placent les joueurs dans la peau de plusieurs soldats répartis sur plusieurs fronts. Dans BF1, il n’existe pas de récit chronologique de la guerre : chaque scénario est introduit par une cinématique de contextualisation, tandis que les missions se jouent à la première personne. Le joueur n’en voit donc que les mains et les armes qu’il manipule, la souris, ou la manette, devenant ainsi de véritables prolongements des bras du soldat. Par le truchement de l’interactivité, le jeu fait ici vivre au joueur une expérience de guerre alors que celui-ci est tranquillement installé dans son salon. « Battlefield 1 n’est pas un jeu sur la Première Guerre mondiale. »5 C’est ainsi que Stéphanie Trouillard titrait sa critique du jeu vidéo d’EA, nouveau titre de la série des studios DICE, sortis le 21 octobre 2016. Pour certains, il serait donc inutile de chercher une vérité historique dans ce jeu. D’ailleurs, les joueurs ne semblent pas s’y intéresser, comme si finalement ces derniers achetaient n’importe quel jeu de guerre sans se soucier du contexte utilisé. Sébastien Genvo réaffirme cette réalité dans sa définition des jeux vidéo, en ce qu’ils sont des « systèmes informatiques dont les interfaces d’entrées et de sorties substituent chez l’utilisateur des stimuli artificiels aux stimuli de l’environnement réel immédiat. »6 Cela suppose donc un travail de la part

4 « Socle commun de connaissances, de compétences et de culture », Bulletin officiel, n° 17, 23 avril 2015, sur le site education.gouv.fr : http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_ officiel.html?cid_bo=87834 (dernière visite le 28/11/2018). 5 Stéphanie Trouillard, « Battlefield 1 n’est pas un jeu sur la Première Guerre mondiale », France24. com, 5 novembre 2016 : https://www.france24.com/fr/20161105-battlefield-1-jeu-video-pre- miere-guerre-mondiale-critique-historien-test-gameplay (dernière visite le 28/11/2018) 6 Sébastien Genvo, Introduction aux enjeux artistiques et culturels des jeux vidéo, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 30. Du salon à la salle de classe : apprendre la Première Guerre mondiale avec Battlefield 1 79 d’un certain nombre de personnes, que nous appellerons maladroitement les développeurs (game designer, level designer, sound designer), visant à produire des émotions, ces fameux « stimuli ». En effet, si mes jeunes élèves de Troisième n’ont théoriquement pas le droit de jouer à ce jeu (PEGI 18), force est de constater que nombre d’entre eux le connaissaient. Ainsi, il est de notre devoir d’enseignant et d’historien de prendre en main cet objet et d’apprendre à nos élèves à l’analyser comme n’importe quel autre document historique. L’utilisation de BF1 en classe permet-elle de construire des savoirs scientifiques sur la Première Guerre mondiale dans un milieu scolaire ? Je me propose d’exposer ici le dispositif utilisé avec mes élèves de Troisième, d’analyser certaines critiques du jeu réalisées par ces derniers avant d’explorer les enjeux culturels relatifs au jeu d’EA.

Utiliser Battlefield 1 en classe : le dispositif

Le jeu Battlefield 1 prend place dans un cours somme toute assez classique sur la Première Guerre mondiale. Introduite par une présentation spatio- temporelle du conflit, une première partie développe l’expérience combattante durant le premier conflit mondial (I). C’est dans ce temps que j’utilise le jeu. Je poursuis avec une étude sur l’expérience des civils pendant la guerre (II). Je conclus ensuite mon chapitre avec une étude sur les bilans humains et matériels ainsi que sur les transformations territoriales de l’ (III). La séquence proposée ici introduit la première partie du cours et est réalisable en deux ou trois heures ; elle s’organise en trois temps.

Temps 1 : Quelle expérience de guerre, le jeu me transmet-il ?

Dans un premier temps, les élèves prennent connaissance du jeu en en visionnant plusieurs extraits. Deux solutions sont envisageables : la première consiste à diffuser un montage aux élèves7, tandis que la seconde diffuse le jeu en direct à l’aide d’une console de jeu, le professeur gardant le contrôle de la manette. Cette seconde solution permet une meilleure interactivité et de meilleures analyses du level design et du game design avec les élèves (voir temps 3). Toutefois, cela suppose d’avoir le matériel et de savoir manipuler le jeu. Dans les deux cas, les jeunes ne manipulent jamais le jeu et demeurent des observateurs. Dans ce premier temps, il est impossible de visionner tous les « récits de guerre », d’autant plus que chaque récit est composé de plusieurs missions. Mon choix s’est porté sur trois d’entre eux : le premier récit de guerre introductif

7 Montage disponible à cette adresse : https://youtu.be/xzCz6XS71SA (dernière visite le 28/11/2018). 80 William Brou est remarquable ; tutoriel du jeu, cette séquence de quinze minutes réunit en un seul lieu de nombreuses informations sur la Première Guerre mondiale. Le joueur interprète successivement six soldats qui manipulent des armes différentes et qui sont confrontés à des difficultés différentes. L’un d’eux monte dans un char britannique Mark II, tandis que l’on peut apercevoir l’aviation de combat et de nouvelles armes telles que les gaz de combat. Le deuxième récit, « Dans la Boue et le Sang », permet d’aborder le développement de l’artillerie de guerre. Le joueur interprète ici le conducteur d’un char d’assaut Mark II lors de la deuxième bataille de Cambrai. La mission « Des amis haut placés » nous met quant à elle dans la peau d’un aviateur ; elle permet d’aborder le rôle de l’aviation de reconnaissance et l’existence d’un No man’s land. Durant cette étape, les élèves sélectionnent des informations que le jeu leur transmet. Ils sont invités à noter ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent, ce qu’ils lisent et ce qu’ils ressentent. Il ne s’agit pas de décrire l’intégralité des missions ; on peut guider leur regard à l’aide d’un questionnaire. Dans le cas d’une analyse en direct, les élèves discutaient entre eux avant d’indiquer des informations sur leur feuille. L’enseignant devait quant à lui s’empêcher d’y répondre avant la fin de la séquence.

Temps 2 : Quelle a été l’expérience de guerre d’après les documents sources ?

Dans un second temps, les élèves se confrontent à un corpus documentaire. À l’instar d’un historien, ils doivent vérifier les informations. Ici, les documents sources sont répartis en huit dossiers8 : - Présence de soldats noirs dans les armées - Trêves et fraternisations sur le front - Les tranchées : lieu de combat et lieu de vie - Les assauts : des événements meurtriers et dramatiques - Les chars d’assaut : de nouvelles armes destructrices - Le No man’s land : un espace désertique ? - Les blessés et les morts - L’aviation Les dossiers ont été construits pour être en adéquation avec les attentes du programme de Troisième en termes de connaissances et cohérent avec les informations fournies par le jeu. Le corpus documentaire est diversifié ; on y trouve des photos d’archives, des lettres de poilus, des tableaux statistiques, des pièces de musée. L’un des objectifs est de faire travailler les élèves sur des documents variés. Le temps n’étant pas extensible, il n’y a pas de travail

8 Le corpus documentaire est disponible sur le site des Clionautes : https://www.clionautes.org/ categorie/jeux-video-et-histoire (dernière visite le 28/11/2018). Du salon à la salle de classe : apprendre la Première Guerre mondiale avec Battlefield 1 81 critique sur les documents sources même s’il serait très intéressant de le faire avec les élèves. Afin de fournir une comparaison plus fine, il est possible de se concentrer sur un cadre spatio-temporel précis, comme la bataille de Verdun ou le Chemin des Dames. Si ce temps est somme toute plus classique dans son approche, il permet d’introduire une nouvelle question : Que m’apprennent ces documents sur l’expérience de guerre des soldats ?

Temps 3 : Comparaison

Dans ce troisième temps, les élèves comparent les informations transmises dans le jeu avec celles relatives aux documents d’archives. L’objectif n’est pas de réaliser un fact-checking complet en ce qu’ils doivent au contraire créer des liens entre les informations. En passant d’un média à un autre, les élèves s’aperçoivent en effet que les images du jeu qu’ils ont sous les yeux sont des constructions créées à partir de ces mêmes documents d’archives, ce qui leur permet de créer du sens entre les documents. Ce temps de comparaison est aussi un temps de discussion. C’est un moment privilégié pour évoquer et peut-être définir avec eux ce qu’est le level design, le game design et le sound design. Autrement dit, il s’agit de comprendre comment un jeu vidéo est créé et réfléchi par les développeurs tout en s’interrogeant sur sa capacité à transmettre des informations par les images, les sons et le texte. Au-delà de la critique du jeu dont ils ne sont pas experts, les élèves ont manipulé des documents sources qu’ils ont utilisés pour la critique d’un autre document. Bien que difficile pour eux, ce travail d’argumentation et de croisement des sources est fondamental, car il permet d’aborder la question du statut de la source. Qu’est-ce qu’un document source ? Est-ce que toutes les images se valent ? Dois-je croire tout ce que je vois ? Dans le cadre d’une utilisation du jeu en classe de Première, il est également possible de glisser des documents pièges dans les corpus de documents. Il est possible d’insérer un extrait d’un film ou d’un autre jeu vidéo sur la Première Guerre mondiale, comme Verdun9. S’il est difficile de rendre compte de la totalité des comparaisons, tant elles sont nombreuses, on peut toutefois dégager trois grands axes.

Apprendre avec et sur le jeu : un travail critique

Je reprends ici la grille d’analyse développée par Yvan Hochet10. Pour lui, il y a trois niveaux d’apprentissage avec le jeu vidéo :

9 Jeu sorti en 2015, développé et édité par M2H et Blackmill Games. 10 Yvan Hochet, « Jeu vidéo et enseignement de l’Histoire et de la Géographie », Les Jeux vidéo comme objet de recherche, Paris, Questions théoriques, 2012, p. 123-134. 82 William Brou

- le joueur peut apprendre avec le jeu, le jeu étant un stimulus, - le joueur peut apprendre sur le jeu, ce dernier étant le support d’un travail critique, - le joueur peut apprendre autour du jeu, le jeu étant remplacé dans son contexte. Dans cette partie, je développerais quelques exemples de comparaisons possibles entre le jeu et les documents du corpus, soit un apprentissage avec et sur le jeu. Tous les exemples proviennent de la première mission du jeu.

Critiquer les images : l’exemple du champ de bataille

La vue est le premier sens à être mobilisé par les joueurs. Dans BF1, les images peuvent être celles d’une cinématique ou les éléments visuels vus lors des phases de jeu, les premières étant du ressort du scénariste tandis que les secondes sont conditionnées par les level designers11. La première mission nous permet d’arpenter un véritable champ de ruines. Il est intéressant de faire noter aux élèves les détails visuels : les maisons détruites, les arbres en feu, les trous d’obus. Des détails visuels qui montrent la violence des combats, le rôle de l’artillerie, et qui sont finalement présents pour susciter l’émotion du joueur. Les images d’archives présentes dans le corpus documentaire permettent quant à elles de montrer la réalité des destructions lors de la Première Guerre mondiale. Les nombreuses photos aériennes qui ont été prises après la guerre sont là pour témoigner de la violence des bombardements d’artillerie. On peut aussi citer les travaux d’Emmanuelle Danchin qui a bien montré comment les ruines ont été instrumentalisées par les pouvoirs en place afin de dénoncer la violence des combats12. Il y a d’ailleurs de nombreuses expériences pédagogiques qui utilisent l’étude des paysages pour analyser la violence de la guerre. Plus loin, dans la même mission du jeu, le joueur doit monter dans un char d’assaut. L’instant est très bref, mais dans notre viseur, nous apercevons deux brancardiers qui transportent un blessé non loin d’une église en ruine. Peu de personnes interrogent la raison de la présence de ces soldats. Bien qu’ils n’apportent rien au scénario en ce qu’ils ne sont qu’un élément de décor, ils soutiennent toutefois l’histoire et le récit du narrateur. Cela signifie qu’il était important de les placer à cet endroit, leur implémentation répondant à un choix des développeurs. Finalement, en lisant une lettre de Charles Guinant, nous découvrons une troublante ressemblance avec la scène visible dans le jeu : « Plus tard, les médecins et infirmiers vinrent me chercher pour m’emmener

11 Le level designer est chargé de construire les différents niveaux (ou cartes) d’un jeu vidéo à travers lesquels le joueur sera amené à évoluer. Il travaille en équipe sous la responsabilité du game designer. 12 Emmanuelle Danchin, Le Temps des ruines, 1914-1921, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2015. Du salon à la salle de classe : apprendre la Première Guerre mondiale avec Battlefield 1 83

à l’hôpital, aménagé dans une ancienne église bombardée. »13 Si dans un cas comme dans l’autre le visuel vient appuyer le discours sur la violence des combats, l’on voit bien comment les level designers sont allés chercher l’inspiration dans des visuels disponibles dans les archives.

Un gameplay à critiquer : le héros invincible

Dans la première mission du jeu, toujours, l’on peut demander aux élèves de se concentrer sur le gameplay, étant entendu que le gameplay correspond à « l’ergonomie du jeu, la façon dont on y joue, la facilité avec laquelle on accomplit certaines actions »14. Les élèves s’intéresseront aux actions que peut faire le joueur. Durant cette mission, celui-ci est amené à apprendre les bases du gameplay, les déplacements, la visée, les changements d’armes et l’utilisation du masque à gaz, toutes ces informations étant soigneusement indiquées sur l’interface (HUD) qui permet une lecture claire et explicite du jeu. Si notre efficacité au combat est rendue plus facile grâce à cette interface, il ne vient pas naturellement à l’idée des élèves de relever son existence tant elle est « normale » dans un jeu vidéo. Or, aucun document d’archive ne mentionne de telles interfaces. Les comparaisons avec des super-armures comme celles d’Iron Man facilitent ainsi la prise de conscience de cette mise en scène extravagante. Il faut le dire, les soldats de la Première Guerre mondiale étaient jeunes, inexpérimentés pour la plupart et ne savaient pas bien tirer. En revanche, les élèves ont tout de suite été surpris par la capacité du personnage à régénérer sa santé sans aucune assistance médicale : un contresens historique ! Aurait-on imaginé une telle chose à l’époque ? De plus, tandis que la santé de notre soldat diminue, le temps se ralenti, créant une sorte de bullet time afin d’améliorer l’analyse de la situation et ainsi mieux viser et mieux survivre. Ajoutons enfin qu’il est impossible de blesser ses alliés, que ce soit avec des armes légères ou des armes lourdes. Ces éléments de gameplay sont bien évidemment présents pour faciliter le jeu, le rendre plus agréable et surtout moins punitif : ce n’est pas une simulation de guerre. En fin de compte, peu importe votre efficacité au combat, la mission ne peut avancer qu’avec la mort du soldat. La mort devient ici un mal nécessaire pour avancer.

13 Lettre de Charles Guinant, brigadier, 58e régiment, le 18 octobre 1916, Verdun. Disponible sur le site defense.gouv.fr : https://www.defense.gouv.fr/english/actualites/articles/verdun- 2016-la-logistique-au-coeur-de-la-bataille-3-3 (dernière visite le 06/12/2018). Voir également, Jean-Pierre Gueno et Yves Laplume (éds.), Paroles de Poilus : Lettres de la Grande Guerre, Paris, Tallandier, 2003. 14 Définition dugameplay sur le site gameart.eu : www.gameart.eu/publi/dossiers/lexique/ gameplay.html, (dernière visite le 06/12/2018). 84 William Brou

Un scénario à critiquer : l’exemple de l’assaut

Le processus narratif de la mort peut dès lors paraitre choquant. En effet, durant la première mission nous n’incarnons pas un seul soldat, mais six. Et nous devons mourir pour que la mission se poursuive. À chaque mort, le nom et les dates de vie du soldat tombé apparaissent ; la caméra se déplace vers l’arrière pour prendre place dans un nouveau soldat. Pendant ce temps-là, le narrateur prend la parole. Ce processus narratif peut paraitre horrible, mais il explicite la dureté de la guerre et la violence subie par les soldats. Le mouvement de caméra vient appuyer une réalité : si la première ligne tombe, l’arrière doit venir en renfort. Les dates permettent alors de mettre un âge sur ces soldats que l’on ne voit pas. En comparant avec des dossiers militaires disponibles sur le site du Grand mémorial15, les élèves se rendent ainsi compte de la jeunesse des soldats. Cet assaut nous montre également une avalanche d’armes et surtout une coprésence de toutes les composantes de l’armée. Or, à aucun moment de la Grande Guerre n’a été vue une telle co-intervention de l’infanterie, de l’artillerie d’assaut et l’aviation. Cette séquence de quinze minutes est définitivement paroxystique tant elle synthétise en un temps très court tout ce que le soldat aurait pu vivre. Un parallèle peut être fait avec le scénario du film Joyeux Noël de Christophe Barratier. Sans oublier que les deux œuvres n’ont pas le même objectif, force est de constater que la trêve présentée dans le film est un condensé d’expériences qui se sont déroulées sur la totalité du front et non sur une seule section. Cette trêve vient clore l’assaut de cette première mission, la pluie laissant sa place au soleil. Les deux soldats survivants baissent leurs armes alors que le narrateur reprend la parole pour introduire la cinématique générique du jeu.

Les enjeux culturels : apprendre autour du jeu

Travailler sur BF1 permet aussi de questionner la société et l’époque relatives à sa conception. C’est le cœur du travail de l’historien que de replacer une production, fût-elle numérique, dans son contexte de production. Il se trouve que BF1 n’a pas été développé par hasard.

Un objet culturel sur la Première Guerre mondiale

Pour interroger correctement le jeu d’EA, il faut faire intervenir la notion d’objet culturel. Pour étudier une production culturelle, l’historien doit chercher, selon Carle Schorske, « à situer et à interpréter l’œuvre dans le temps et à l’inscrire à la croisée de deux lignes de forces » :

15 Voir la rubrique « Grand Mémorial » sur le site du ministère de la Culture : http://www. culture.fr/Genealogie/Grand-Memorial (dernière visite le 06/12/2018). Du salon à la salle de classe : apprendre la Première Guerre mondiale avec Battlefield 1 85

l’une verticale, diachronique, par laquelle il relie un texte ou un système de pensée à tout ce qui les a précédés dans une même branche d’activité culturelle, l’autre horizontale, synchronique, par laquelle l’historien établit une relation entre le contenu de l’objet intellectuel et ce qui se fait dans d’autres domaines à la même époque.16 S’il est nécessaire de regarder le contenu de BF1, il faut également replacer ce jeu dans une histoire des jeux vidéo sur la Première Guerre mondiale, et en même temps dans son contexte de création. Les jeux vidéo qui s’intéressent au premier conflit mondial sont assez peu nombreux. D’après le recensement effectué par le site Historiagames.com17, seulement 59 jeux mettent en scène le premier conflit mondial Figure 1( ). C’est peu comparé aux quelque 880 jeux s’intéressant à la Seconde Guerre mondiale. Depuis le début des années 1990, la simulation a été le genre vidéoludique le plus fidèle à la Première Guerre mondiale, là où les années 2000 ont vu le genre de la stratégie s’imposer. Il faut attendre les années 2010 pour voir le genre du jeu d’action s’emparer du conflit, tandis que les jeux d’aventure et de rôle n’ont pas véritablement investi cette période historique.

Figure 1 : Chronologie des jeux vidéo traitant de la Première Guerre mondiale par genre

16 Carl E. Schorske, Vienne fin du siècle. Politique et culture, Paris, Le Seuil, 1983, p. 13. 17 Voir la liste sur le site d’Historiagames consacré aux jeux vidéo historique : www.histogames. com. Cette liste mériterait d’être affinée. Je n’ai pas trié les jeux en fonction de leur réussite commerciale, ni écarté les DLC (contenus téléchargeables après la sortie initiale du jeu). 86 William Brou

Si les studios DICE et EA ont fait le choix de la Première Guerre mondiale, leur concurrent direct, Activision-Blizzard, a quant à lui préféré leur opposer Call of Duty : WW2, rebut de leur premier jeu centré sur la Seconde Guerre mondiale. La guerre se trouve de fait dans les enjeux commerciaux. Il est intéressant de mettre en parallèle des œuvres culturelles sorties au même moment, par exemple le film d’Albert Dupontel,Au Revoir Là-Haut, la bande dessinée Souvenirs de Guerre de Jacques Bertran (éditions Flandonnière), ou le jeu vidéo d’Ubisoft, Soldats Inconnus. Mémoires de la Grande Guerre, toutes ces œuvres ne présentant pas la guerre de la même manière ni sous le même angle. Ainsi, le jeu devient un objet d’histoire ; on s’attache à analyser ce qu’il nous apprend de la Première Guerre mondiale, mais aussi et surtout sur la représentation que les créateurs du jeu (scénaristes, level designer, sound designer, game designer) ont de ce conflit. Autrement dit et pour reprendre les travaux de Laury Nuria-André sur l’Antiquité dans les jeux vidéo18, il s’agit moins d’étudier la Première Guerre mondiale que sa représentation contemporaine. Partant de cela, il serait intéressant d’interroger avec les élèves la méthode de travail des développeurs. Où se sont-ils informés ? Comment ont-ils réfléchi à la transcription numérique d’un fait historique ? Se sont-ils intéressés aux débats historiographiques ? Beaucoup de questions qui nous feraient déborder le temps imparti relatif au traitement de la Première Guerre mondiale en classe de Troisième… Cinq heures, évaluation comprise. C’est cette dimension culturelle du jeu qui m’a fait expérimenter une utilisation vidéoludique de la Mémoire de la Première Guerre mondiale. Dans le cadre du Centenaire, les élèves sont allés voir le filmJoyeux Noël. Il me paraissait dès lors intéressant de comparer les œuvres afin de montrer des points communs dans la narration et des différences dans les intentions, le film de Carion étant écrit pour montrer la paix, tandis que le jeu d’EA rend hommage aux combattants.

La question de la violence

Lorsque l’on touche à un jeu de guerre, la question de la violence est légitime. BF1 est un jeu classé PEGI 18, c’est-à-dire que sa vente est déconseillée aux enfants de moins de 18 ans. On peut de fait s’interroger sur la nécessité de mettre des enfants de 14-15 ans devant un tel jeu, d’autant plus que le jeu vidéo est une industrie souvent jugée responsable d’actes de violence comme les tueries aux États-Unis. D’aucuns accusent même les jeux vidéo d’être à l’origine des violences interpersonnelles entre certains de nos élèves.19

18 Laury Nuria-André, Game of Rome. Ou l’Antiquité vidéoludique, Caen, Passage(s), 2016. 19 Alexandra Edip, « La violence dans les jeux vidéo rend-elle agressif ? », capital.fr, 29 juin 2017 : https://www.capital.fr/polemik/la-violence-dans-les-jeux-videos-rend-elle-agressif-1234881 (dernière visite le 28/11/2018). Du salon à la salle de classe : apprendre la Première Guerre mondiale avec Battlefield 1 87

La première des précautions est de placer les élèves en position d’observateur du jeu. Ils ne sont pas en situation de donner la mort par leurs actions. La seconde se situe dans l’explication réalisée au préalable et destinée aux enfants et à leurs parents, de la démarche dans laquelle s’inscrit cette séquence. Il y a un effort de pédagogie à faire autour de l’utilisation des jeux de guerre en classe. Dans son article, Stéphanie Trouillard insiste par exemple sur la violence qu’a été pour elle de voir les noms de vrais soldats apparaitre dans le jeu20. Certains élèves ont également demandé s’il s’agissait de vrais noms, ce qui nous pousse à croire que le réalisme serait à tel point violent qu’il pourrait être dérangeant. Plus important encore, le jeu vidéo, en ce qu’il met le joueur en situation d’acteur d’une histoire reconstituée, nous invite à remettre en question la violence transmise par les images, les sons et les textes. De plus en plus de jeunes jouent à ces jeux ; les inviter à nourrir une réflexion sur ces objets doit permettre de les inciter à prendre du recul vis-à-vis de ces images. Il est donc nécessaire de faire prendre conscience au jeune public que les jeux vidéo sont des constructions et que la violence qu’ils transportent est également une construction. Une analyse technique du fonctionnement des armes dans le jeu et dans la réalité pourrait permettre cela. L’on peut aussi discuter avec eux des différences de traitement de plusieurs jeux de guerre par le système PEGI. Si BF1 et la série des Call of Duty sont classés PEGI 18, comment se fait-il que Fortnite21 soit classé PEGI 12 ? Toutes les violences ne semblent de fait pas se valoir. Il serait toutefois malvenu d’oublier que la Première Guerre mondiale a été une guerre violente et traumatisante22. En 2000, Stéphane Audoin- Rouzeau reprochait aux historiens de la Première Guerre mondiale une trop grande pudeur, en ce qu’ils ne parlaient de la violence et des morts qu’à travers des tableaux et des chiffres. Il souhaitait une histoire plus incarnée : « Peut-être parce qu’ils portent sur des ordres de grandeur trop importants, peut-être parce qu’ils ont été souvent cités, peut-être enfin parce qu’ils se heurtent à nos puissants réflexes de déréalisation dès lors que nous sommes confrontés aux effets de la guerre, de tels chiffres ne possèdent, curieusement, qu’une capacité d’évocation assez faible. »23 Relisons à ce sujet Blaise Cendrars : « Et voilà qu’aujourd’hui j’ai le couteau à la main. […] J’ai bravé la torpille, le canon, les mines, le feu, les gaz, les mitrailleuses, toute la machinerie anonyme, démoniaque, systématique, aveugle. Je vais broyer l’homme. Mon semblable. Un singe. Œil pour œil, dent pour dent. À nous deux maintenant. À coup

20 Stéphanie Trouillard, « Battlefield 1 n’est pas un jeu sur la Première Guerre mondiale »,op. cit. 21 Jeu développé par Epic Games (2017) dans lequel les joueurs combattent d’autres joueurs au sein d’une arène (en solo ou en petit groupe) afin d’être le dernier survivant. 22 Le nombre de personnes portant les séquelles de la Première Guerre mondiale (militaires et civiles) s’élève a plus de 40 millions, 20 millions de morts et 21 millions de blessés. 23 Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker, 14-18, retrouver la Guerre, Paris, Gallimard, 2000, p. 39. 88 William Brou

de poing, à coup de couteau. Sans merci. Je saute sur mon antagoniste. Je lui porte un coup terrible. La tête est presque décollée. J’ai tué un Boche. J’étais plus vif et plus rapide que lui. Plus direct. J’ai frappé le premier. J’ai le sens de la réalité, moi, pote. J’ai agi. J’ai tué. Comme celui qui veut vivre. »24 La violence présente dans ce texte est-elle compréhensible par un élève de Troisième ? BF1, malgré ces imperfections, ne permet-il pas au contraire de faire vivre une expérience qui n’est plus possible, heureusement, mais qui peut par la suite être discutée ?

Les enjeux mémoriels

Ce travail sur BF1 s’inscrit dans le devoir de mémoire. En 2018, nous avons fêté la fin du Centenaire de la Première Guerre mondiale. Le devoir de mémoire a créé une véritable émulation autour du conflit et de son souvenir et a engendré de nombreuses productions culturelles. Sorti en 2016, Battlefield 1 s’insère dans ce processus mémoriel : pourquoi la société DICE et EA ont-elles décidé de développer un jeu sur la Première Guerre mondiale, alors qu’elles n’ont jamais abordé ce conflit auparavant ? La coïncidence est troublante. Ce questionnement permet aussi d’aller plus loin et de poser la question de la déontologie : est-ce qu’il est acceptable de jouer avec la mort des soldats ? Si Stéphanie Trouillard fut choquée par les noms de vrais soldats présents dans la première mission du jeu, n’est-ce pas aussi une manière de rappeler la mémoire des soldats tombés au combat, comme le font les monuments aux morts ? Pour aller plus loin, Battlefield 1 permet une approche du concept historique de mémoire. Chaque « récit de guerre » est raconté par un vétéran. Durant la première mission, un Harlem Hellfighters se réveille à l’hôpital et se souvient des violences qu’il a vues. Dans « De l’acier et de sang », Daniels, un chauffeur de taxi se souvient des événements traumatisants qu’il a vécus en voyant ces gants. Dans la mission « Avanti Savoia » qui se déroule dans les Alpes, un père de famille raconte à sa fille comment lui et son frère ont pris ’d assaut une forteresse dans les Alpes. Tout au long de la mission, alors que l’on revit les événements vécus par le père, il nous raconte ses faits et gestes. Cette mise en scène du souvenir et de la mémoire est très intéressante à analyser avec les élèves ; elle permet d’appréhender la réalité des traumatismes et des traumatisés de guerre. Mais plus encore, l’on peut imaginer que le joueur n’interprète pas ce que ces vétérans ont vécu, mais plutôt ce dont ils se souviennent. La mémoire est quelque chose d’imparfait, elle est par définition incomplète. Ainsi, il y a toujours une place pour l’imagination : tous les défauts du jeu, les aspects irréalistes peuvent alors être « pardonnés ». La mémoire n’est pas l’histoire : si cela peut sembler exagéré, c’est à mon avis une piste de discussion qu’il ne faut pas négliger25.

24 Blaise Cendrars, J’ai tué, Paris, G. Crès, 1918, p. 21. 25 Ce travail sur la place de la mémoire dans les récits de guerre peut permettre des parallèles avec Du salon à la salle de classe : apprendre la Première Guerre mondiale avec Battlefield 1 89

Conclusion

Ce travail, perfectible, a permis une première approche scolaire du travail critique des jeux vidéo. Utilisé dans un premier temps comme un stimulant, le jeu suscite la curiosité des élèves, y compris décrocheurs. Il permet aussi de créer une rupture avec les cours précédents. C’est un média qui ne dit pas son nom : c’est un jeu. Il est dès lors intéressant de faire prendre conscience aux élèves que le jeu produit un discours sur le passé. Cette séquence permet autant un travail historique sur la Première Guerre mondiale que sur la mémoire et la représentation vidéoludique de la Grande Guerre. Validée par l’Inspection académique, celle-ci s’inscrit en effet dans le parcours d’Éducation aux Médias et à l’Information (EMI). Comme le relève Laurent Turcot dans son ouvrage critique d’Assassin’s Creed Unity pour lequel il a officié comme consultant : « [les jeux vidéo sont] une porte d’entrée ouverte sur le passé. Gageons que certains joueurs auront envie d’en savoir plus, recueilleront quelques informations sur le web, d’autres dans des livres, et à partir de là dans d’autres livres encore. » 26 Le jeu vidéo est un objet d’histoire, mais peut aussi être un outil pédagogique. Nous aurions tort de ne pas l’utiliser, d’autant plus lorsqu’on sait qu’il n’a pas été conçu pour cela.

William Brou Professeur d’Histoire-Géographie Collège Antoine Audembron (63) [email protected]

William Brou est diplômé d’un master 2 Recherche en Histoire médiévale (2012) et titulaire du CAPES. Il enseigne en collège-lycée. Actuellement au collège Antoine Audembron (Thiers - 63), dans l’académie de Clermont-Ferrand, il utilise les jeux vidéo dans son enseignement de l’histoire. Il crée des scénarios pédagogiques utilisant des jeux vidéo, surtout grand public, dans le but d’appréhender les savoirs disciplinaires, éduquer à l’esprit critique et faire de l’enseignement aux médias et à l’information. En parallèle, il anime une chaîne YouTube : Histoire en Jeux (https://www.youtube.com/c/HistoireenJeux) depuis janvier 2017. Sur cette chaîne, il analyse et critique des jeux vidéo qui utilisent l’histoire. Membre des Clionautes, il anime pour eux, une veille scientifique sur les réseaux sociaux autour de la ludification de l’enseignement de l’histoire. Adresse électronique : [email protected]

le film, Les Fragments d’Antonin de Gabriel le Bomin (2006), dans lequel on suit le parcours d’un traumatisé de guerre qui revit des épisodes traumatiques. 26 Jean-Clément Martin et Laurent Turcot, Au cœur de la Révolution. Les leçons d’histoire d’un jeu vidéo, Paris, Vendémiaire, 2015, p. 124. 90 William Brou

Résumé Les programmes de collège et lycée nous invitent à étudier l’expérience combattante durant la Première Guerre mondiale. Ils demandent aussi à éveiller l’esprit critique et à faire décou- vrir les langages artistiques à nos élèves. Battlefield 1 est un jeu de tir à la première personne qui met le joueur dans la peau de plusieurs soldats de la Première Guerre mondiale. Utiliser Battlefield 1 en classe permet dans un premier temps de faire réaliser aux élèves un « fact-chec- king » avec des documents d’archives. La reconstitution vidéoludique de la Première Guerre mondiale permet d’aborder la construction du jeu en analysant le game design, le level design et le sound design. Le jeu est finalement une porte d’entrée vers des questionnements autour la mémoire du conflit. Mots-clés Première Guerre mondiale, Jeux vidéo, Battlefield 1, Esprit critique, Fact-checking. Abstract Middle and high school programs invite us to study the fighting experience during the First World War. They also ask to awaken the critical mind and to discover the artistic languages for our students. Battlefield 1 is a first-person shooter video game which puts the player in the role of several soldiers of the First World War. Using Battlefield 1 in classroom allows students to perform fact- checking with archival documents. Because of the videoludic reconstitution of the First World War, videogames allow to approach the construction of the game by analyzing game design, level design and sound design. Finally, this video game is a way to question the memory of this conflict. Keywords First World War, Video Games, Battlefield 1, Critical Mind, Fact-checking. Jouer et représenter L’expression vidéoludique de la Grande Guerre

Représenter et transmettre la Première Guerre mondiale dans les jeux vidéo Retranscrire un conflit à la mémoire encore vive et diverse dans Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre et Verdun 1914-1918 Antoine Maillard

La Première Guerre mondiale est un conflit qui a été pendant longtemps peu représenté dans les jeux vidéo. Elle a été souvent éludée par d’autres conflits comme la Seconde Guerre mondiale, la Guerre Froide, ou encore la guerre de Sécession qui représentent une grande proportion des productions vidéoludiques (Figure 1). Cependant, depuis le début des commémorations du Centenaire de la Grande Guerre, cet écart tend à se réduire. Bien sûr sa part de représentation est encore limitée et reste bien éloignée de celle de la Seconde Guerre mondiale (Figure 1). Le peu de jeux vidéo autour de ce conflit peut s’expliquer par des difficultés de représentation de cet événement, éléments qui ont été étudiés par les historiens Julien Lalu1, Chris Kempshall2, Thomas Rabinot3 ou encore Adam Chapman4. Ces difficultés peuvent se résumer en trois grandes catégories : tout d’abord la spécificité du conflit qui reste dans l’imaginaire collectif comme une guerre de positions majoritairement composée d’attente, bien qu’ayant connu des phases de guerre de mouvement. Cette spécificité peut faire craindre aux développeurs de produire un jeu qui ne serait pas assez dynamique, sans réelle progression (gains territoriaux, avancée dans le territoire de l’armée adverse…) qui ferait comprendre au joueur qu’il participe à la victoire, ce qui pourrait donc rapi- dement le lasser. Une seconde limite pourrait être la mémoire qui entoure le conflit, mémoire qui est encore aujourd’hui vive et protéiforme. La Grande

1 Julien Lalu, « Représenter la Première Guerre mondiale dans les jeux vidéo : entre absence et uchronie », Mission Centenaire 14-18 : http://centenaire.org/fr/espace-scientifique/societe/ representer-la-premiere-guerre-mondiale-dans-les-jeux-video-entre. 2 Chris Kempshall, The First World War in Computer Games, Basingstoke, Hampshire, Palgrave Pivot, 2015. 3 Thomas Rabino, « Jeux vidéo et Histoire », Le Débat, n° 177-5, 20 novembre 2013, p. 110-116. 4 Adam Chapman, « It’s Hard to Play in the Trenches: World War I, Collective Memory and Videogames », Game Studies, 16-2, décembre 2016 : http://gamestudies.org/1602/articles/ chapman. 94 Antoine Maillard

Guerre reste vue dans de nombreux pays comme meurtrière et sans but clair, a contrario de la Seconde Guerre mondiale qui a pour but la défaite de l’Alle- magne nazie. La Première Guerre mondiale devient dès lors entourée d’une aura quasi sacrée qui pourrait faire peur aux développeurs de médias ayant pour objectif le divertissement. Enfin, une dernière limite serait la vision du soldat de ce conflit présent dans l’imaginaire collectif : des hommes qui ne sont pas maîtres de leur destin, dont leur habilité au combat ne permettra pas d’influen- cer leur survie et qui se feront invariablement tuer. Pendant très longtemps, les jeux autour de la Première Guerre mondiale sont restés restreints à des jeux de simulations aériennes comme Red Baron II (Dynamix, États-Unis, 1997) ou des jeux de stratégie comme History Line 1914-1918 (Blue Byte Software, Allemagne, 1992). Cela permettait aux développeurs de s’affranchir des diffi- cultés de représentation de ce conflit en éloignant le joueur des tranchées.

Part de représentation des différents conflits de l'époque contemporaine dans les jeux vidéo Guerre de Sécession 5% 8% 5% 2% Autre conflits (Révolution texane, 6% Guerre anglo-zouloue, Guerre russo-japonaise, Guerre civile 12% espagnole) Première Guerre mondiale

Seconde Guerre mondiale

Guerre Froide 62%

Figure 1 : Graphique réalisé grâce au recensement des jeux vidéo représentant la période contem- poraine de l’histoire effectué par le site internetHistorioGames : http://www.histogames.com/ HTML/inventaire/periodes-historiques/epoque-contemporaine.php (consulté le 20/10/18) Malgré ces limites, le début du Centenaire de la Première Guerre mondiale a vu apparaître de plus en plus de jeux vidéo centrés sur ce conflit majeur du XXe siècle. Les commémorations ont remis sur le devant de la scène cet évènement historique incitant les développeurs à produire de nouveaux concepts. On retrouve ainsi des jeux comme Battlefield 1 (DICE, Suède, 2016), Battle of Empire 1914-1918 (Great War Team, Ukraine, 2015) ou encore 11-11 Memories retold (Digixart, France, 2018). Retranscrire la Grande Guerre impose aux développeurs d’employer de nombreuses ressources afin de recréer au mieux son environnement pour le joueur. Au fil de leurs lectures, de leurs découvertes, de leurs recherches, mais aussi de leur ressenti, ils vont faire des choix qui orientent leur représentation de la Grande Guerre. Trois inter- Représenter et transmettre la Première Guerre mondiale dans les jeux vidéo 95 rogations apparaissent donc après ce constat. Tout d’abord, quels sont les différentes supports (sources, documentaires, films, bande-dessinées…) que les développeurs utilisent et qui les influencent lors de la conception d’un jeu. Deuxièmement, de quelle manière, en exploitant leurs recherches, ils repré- sentent ce conflit dans leurs productions vidéoludiques. Le terme représen- ter doit se définir ici comme l’action de faire « figurer quelque chose par un moyen artistique ou autre procédé »5. Enfin quel est le discours qu’ils adoptent sur la mémoire de la Grande Guerre. Nous allons nous centrer dans cet article sur deux jeux vidéo qui m’ont particulièrement marqué et qui racontent la Grande Guerre de manière totale- ment différente. Tout d’abord, nous allons étudierSoldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre (Soldats Inconnus) développé par Ubisoft Montpellier en 2014 avec le soutien de la Mission du Centenaire. Le joueur incarne ici quatre personnages : un Français, une Belge, un Américain et un Allemand dans de nombreux niveaux représentant les grandes batailles et évènements de la guerre sur le Front Ouest. Ce jeu vidéo d’action aventure, aux graphismes proches de la bande dessinée, adopte une spécificité qui a fait parlé de lui dans la presse, outre le fait qu’il soit une production française : le centre du gameplay n’est pas la mise à mort des combattants ennemis. Puis, le jeu de tir en vue subjective Verdun 1914-1918 (Verdun), paru en 2015 et développé par Blackmill Games et M2H, studios basés aux Pays-Bas depuis 2013. Il est décrit comme « le premier FPS [Jeu de tir en vue subjective] multijoueur se déroulant dans un environnement réaliste au sein de la Première Guerre mondiale »6. Ce travail est issu d’un mémoire réalisé sous la direction de Caroline Moine en 2017 à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, intitulé Les représenta- tions de la Première Guerre mondiale dans les jeux vidéo : entre enjeux mémoriels et divertissement, qui se base sur un corpus de sources plus important, notam- ment des entretiens avec les développeurs des jeux Soldats Inconnus et Verdun. Nous étudierons dans un premier temps l’angle qu’adopte les développeurs de ces deux jeux vidéo pour immerger le joueur dans la Première Guerre mondiale, puis nous prendrons l’exemple de Verdun pour étudier la représen- tation vidéoludique de la Grande Guerre. Nous terminerons cet article par l’analyse de la place de la mémoire dans ces productions vidéoludiques.

5 Définition du verbe « représenter » sur le dictionnaire Larousse en ligne : https://www.larousse. fr/dictionnaires/francais/repr%C3%A9senter/68486?q=repr%C3%A9senter#67737. 6 Page de vente du jeu Verdun sur la plateforme dématérialisée http://store.steampowered. com/app/242860/?l=french (consulté le 08/10/2018). 96 Antoine Maillard

Verdun 1914-1918 et Soldats Inconnus : mémoires de la Grande Guerre : deux choix différents de représentation de la Première Guerre mondiale

Les jeux Verdun et Soldats Inconnus sont l’illustration des partis pris adoptés par les développeurs pour représenter la Première Guerre mondiale, avec chacun leur vision différente du conflit. Le jeu d’Ubisoft Montpellier, sorti en 2014, adopte une vision que l’on pourrait qualifier de pacifiste, avec une volonté de montrer aussi bien les soldats de première ligne que l’ensemble des acteurs du conflit. Cela se retrouve dans le fait que le joueur incarne aussi bien un soldat français qu’un soldat allemand, un volontaire américain, ou encore une infirmière belge. Le joueur traverse de nombreux espaces tout au long de son aventure, qu’il s’agisse des tranchés, mais aussi des villes et des zones occupées. De nombreuses thématiques sont abordées, comme la mobi- lisation, le sort des prisonniers, les attaques de gaz, etc. Ce jeu se présente donc sous la forme d’un large tableau qui représente le conflit. Le parti pris pacifiste se retrouve largement dans un élément du jeu qui a suscité l’engouement à son encontre : les développeurs ont essayé d’éviter de centrer le gameplay sur la mise à mort, choix qui peut paraître paradoxal pour la représentation d’un conflit dans laquelle le joueur incarne un soldat de première ligne. De nombreux journalistes se sont intéressés à cette production, louant sa manière de représenter la Grande Guerre, bien éloignée des traditionnels jeux de tirs7. Pour les développeurs, ce choix permettait de ne pas banaliser la mort dans le jeu et ainsi rendre celle des personnages plus marquante. On retrouve cette idée lors de la bataille du Chemin des Dames, qui clôt l’histoire et aboutit au sort du personnage principal du jeu, Émile, condamné à mort après avoir tué l’officier qui l’obligeait à suivre un ordre qu’il jugeait absurde. Paul Tumelaire, directeur artistique de Soldats Inconnus, a contribué au choix de ce propos, car il a été influencé par divers médias qu’il a consultés pour préparer le développement du jeu. On retrouve tout d’abord dans ses influences la bande dessinée de Manu Larcenet,Une aventure rocambolesque de Vincent Van Gogh : La ligne de Front, parue en 2004. Cette bande dessinée adopte un ton ouvertement pacifiste par le biais d’une histoire imaginaire se déroulant pendant la Première Guerre mondiale. Ce travail a beaucoup inspiré les développeurs du jeu qui ont choisi d’adopter les codes de la bande dessinée pour créer les graphismes de Soldats Inconnus. Ils se sont notamment inspirés de la réflexion de Manu Larcenet sur les couleurs. Dans la bande dessinée, les couleurs sont vives lorsque les personnages sont loin du front et s’assombrissent lorsqu’il s’en rapproche. Cette inspiration se retrouve lors

7 Cyril Bonnet, « Soldats Inconnus : un plaidoyer vidéoludique contre la guerre », Nouvelobs, 2014 : https://teleobs.nouvelobs.com/jeux-video/20140627.OBS2020/soldats-inconnus-un- plaidoyer-videoludique-contre-la-guerre.html (consulté le 21/10/2018). Représenter et transmettre la Première Guerre mondiale dans les jeux vidéo 97 du troisième niveau dans lequel le joueur, par l’intermédiaire d’Émile, se retrouve confronté pour la première fois à la guerre. On observe cette prise de conscience dans le changement des couleurs tout au long du niveau qui marque la réelle entrée du personnage dans le conflit. La seconde influence des développeurs est l’émission de Daniel Mermet diffusée sur France Inter jusqu’en 2014 : Là-Bas si j’y suis. Son présentateur y aborde abondamment des sujets tels que les fusillés ou le rôle des industriels dans le déclenchement de la guerre, ces médias adoptant eux même une vision pacifiste sur ce conflit. Les développeurs expliquent aussi ce choix par une volonté de rompre avec ce qui se faisait habituellement dans les jeux vidéo, en banalisant la mort au travers des jeux de tirs. Les développeurs affirment ne pas avoir voulu faire un jeu de guerre, mais réaliser un jeu sur la guerre, ce qui est parfois problématique puisque certaines séquences du jeu consistent à participer aux combats. Verdun adopte quant à lui une vision à l’exact opposé, car les combats sont ici au centre du jeu. Il a été développé principalement par une petite équipe originaire des Pays-Bas qui a fait le choix de réaliser un jeu sur la Grande Guerre, car les développeurs avaient pour habitude de se rendre dans la région de Verdun et étaient impressionnés par les stigmates du conflit, toujours présents. Le choix du titre Verdun avait pour eux une certaine symbo- lique : dans leur esprit, ce nom est associé à l’exemple même de la bataille représentant l’horreur de cette guerre, en Allemagne et en France, mais aussi dans la mémoire européenne. Verdun se veut réaliste dans son gameplay ; les développeurs ont fait le choix de réaliser un jeu de tir en vue subjective : ce gameplay était pour eux le meilleur moyen d’immerger complètement le joueur dans cette période historique. La difficulté est omniprésente, car une seule balle peut tuer le joueur, ce dernier devant faire preuve de prudence pour atteindre ses objectifs. Quant aux parties, celles-ci se déroulent à la manière d’un match : sur un terrain défini et limité, les équipes doivent chacune à leur tour essayer de capturer les tranchées adverses, la partie se terminant à la fin du temps imparti ou lorsque toutes les tranchées ont été capturées par l’une des deux équipes. Ce jeu vidéo est vu comme la référence en termes de réalisme sur les combats d’infanterie de la Première Guerre mondiale. Cependant, il s’agit d’un jeu dit de « niche », c’est-à-dire qui cible un public très spécifique en raison de sa difficulté, de son gameplay et de sa volonté de représenter fidè- lement la Première Guerre mondiale.

L’exemple de Verdun, la mémoire par le matériel et les environ- nements

Les développeurs de Blackmill Games et de M2H ont fait le choix de créer un jeu vidéo qui cherche à retranscrire de manière fidèle la Première Guerre mondiale et ont de fait reproduit les champs de batailles du Nord de 98 Antoine Maillard la France. L’aire de jeu dans laquelle le joueur évolue est très importante pour son immersion, car dans le cas de la Première Guerre mondiale le terrain n’est pas juste un élément décoratif. Comme le relève Chris Kempshall : « Le terrain qui accueille la Première Guerre mondiale n’est pas juste un cadre ou une scène où le conflit se déroule. Il est un participant actif de la guerre et un transmetteur de mémoire. La boue écœurante, les trous d’obus, les tranchées ruinées, les champs et les villes, ce ne sont pas des éléments passifs de la guerre ; ils sont actifs et dangereux. »8 Pour reproduire ces espaces, les développeurs ont dû se documenter. Ils se sont dans un premier temps rendus sur place pour parcourir les champs de bataille, par exemple le fort de Douaumont qui est aujourd’hui visitable et qui est le centre d’une aire de jeu dans Verdun. Puis, à l’aide d’archives (photogra- phies, plans, peintures…) et de documents qu’ils ont créés lors de leur visite, ils ont réalisé des croquis qui permettent de reconstituer en 3D les champs de bataille (Figure 2)9. Ces croquis se présentent sous la forme d’une carte représentant l’aire de jeu en entier, chaque élément de cette carte (tranchée, aspérité…) est documenté par une archive. Chacune des sources utilisées permet de constituer une partie précise de l’aire de jeu dans laquelle les joueurs évolueront ensuite (Figure 3). Le résultat est la création de champs de batailles avec de nombreuses tranchées, barbelés, etc. Le terrain est difficile à traverser sous le feu ennemi et les tranchées sont séparées par un no man’s land parsemé de trous d’obus. La morphologie de l’aire de jeu devient donc ici un élément essentiel, car elle peut tout aussi bien être fatale lorsque le joueur se coince dans les barbelés, ou lui permettre de se protéger des tirs ennemis lorsqu’il se cache dans un trou d’obus. Il était important, pour les développeurs, de varier les aires de jeux (La Marne, les Vosges, le Fort de Douaumont…) et d’éviter une représentation unique et stéréotypée des champs de batailles de la Grande Guerre qui seraient recouverts par la boue et labourés par les obus. Cette pluralité permet d’éviter une lassitude des joueurs par le changement constant d’espace de jeu et la variété des environnements (Figure 4). Il était très difficile de réaliser cet aspect dansVerdun qui se concentre uniquement sur les combats du Nord de la France, là ou d’autre jeux comme Battlefield 1 ont choisi de représenter des espaces variés allant du Nord de la France jusqu’à l’Empire Ottoman. Les développeurs de Verdun revendiquent aujourd’hui la représentation de plus 500 000 m2 de champs de bataille10.

8 Chris Kempshall, The First World War in Computer Games, op. cit., p. 50-51. 9 L’ensemble de ces croquis sont disponibles dans, Charlie Hall, « In the trenches: Behind the scenes of Verdun, and a preview of the next expansion », Polygon, 16 septembre 2015 : https:// www.polygon.com/features/2015/9/16/9326279/verdun-behind-the-scenes-preview-horrors- of-war (consulté le 21/10/2018). 10 Information présente dans les temps de chargement du jeu Verdun. Représenter et transmettre la Première Guerre mondiale dans les jeux vidéo 99

Figure 2 : Schéma produit par l’équipe de développement de Verdun afin de réaliser lelevel design de la carte Artois. Crédit : M2H and Blackmill Games

Figure 3 : Captures d’écran de l’aire de jeu Artois

Figure 4 : Captures d’écran de l’aire de jeu Aisne Outre la représentation des champs de batailles, celles des armes, des uniformes et du matériel des soldats participent aussi à l’immersion du joueur dans ce jeu vidéo. Tous ces éléments deviennent des symboles d’authenticité que le joueur pourra reconnaître et qui lui permettront de se sentir totalement immergé dans cette période. On peut dès lors retrouver des degrés de lecture différents du jeu en fonction des connaissances historiques du joueur. On y retrouve la plupart des unités de la Première Guerre mondiale présentes sur le front Ouest, tandis que du côté de l’Entente, sont présents les soldats belges, 100 Antoine Maillard les soldats français ou encore, depuis peu, les forces de l’ANZAC11. Du côté de la Triple Alliance, la représentation se limite à des unités de l’armée allemande comme les Landser (Infanterie), les Alpenjäger (Chasseurs-alpins) ou encore les Pioniere (soldats du génie) (Figure 5).

Figure 5 : Captures d’écran des troupes belges et allemandes Crédit : M2H and Blackmill Games Les uniformes et le matériel qui équipent les différentes unités sur la période de 1914 à 1918 ont été reproduits à l’aide de différents supports afin qu’ils demeurent au plus près de la réalité : les développeurs se sont appuyés sur les ouvrages de la collection Men-at-Arms de la maison d’édition Osprey et qui représentent tous les uniformes des différents belligérants12. En plus de ce support, les développeurs ont aussi fait appel à des associations de reconsti- tutions qui recréent les uniformes et le matériel que portaient les soldats de la Grande Guerre. Ce recours aux groupes de reconstitution se retrouve d’ailleurs chez de nombreux développeurs comme DICE pour Battlefield 1. Cette fidèle représentation fonctionne à la manière de points de repère qui permettent au joueur de se sentir immergé dans cette période historique. Il en est de même pour la modélisation des armes (Figure 6) qui sont l’un des points névralgiques du jeu, car elles touchent directement au gameplay et in fine au divertissement des joueurs, éléments qui conditionnent très souvent leur achat. Les armes individuelles en dotation sont pour la plupart des fusils à verrou ou à répétition, éléments qui influent sur le gameplay13. Ce système impose un délai entre deux tirs, le joueur doit donc veiller à bien aligner sa cible sous peine de se voir exposé aux répliques de l’ennemi. Cela rend le jeu difficile à appré- hender, notamment dans les combats à courte distance, car il impose de cibler et de tirer le premier pour abattre son ennemi. La représentation réaliste de ces

11 Australian and New-Zealand Army Corps. 12 Lien vers la page de vente des éditions Osprey pour la collection Man At Arms consacrée à la Première Guerre mondiale : https://ospreypublishing.com/store/military-history/series-books/ men-at-arms?filterPeriod=World%20War%201 (consulté le 08/10/2018). 13 Un fusil à verrou est un fusil où il est nécessaire d’ouvrir la culasse après le tir puis de la refermer, ce qui permet d’éjecter la douille de la balle précédente et d’y introduire la balle suivante pour effectuer un nouveau tir. Représenter et transmettre la Première Guerre mondiale dans les jeux vidéo 101 armes, notamment à verrou, peut être vue comme nuisant au dynamisme du jeu, frustrante et donc rapidement lassante pour le joueur. D’autres productions comme Battlefield 1 se sont affranchis de cette limite en ne présentant que des armes automatiques et semi-automatiques individuelles pourtant bien moins présentes au cours de la Première Guerre mondiale, afin de garder une certaine nervosité. Pour l’historien Chris Kempshall, l’utilisation et la fidèle représen- tation de ces armes historiques est un élément qui est souhaité par l’audience ciblée. Cette représentation permet de créer un double sentiment d’authenticité et de compétence, car toucher un soldat ennemi en utilisant une arme authen- tique suggère au joueur qu’il aurait pu faire de même en temps de guerre14. Le public visé par ce jeu, un public de niche, dispose d’une certaine connaissance sur ce conflit, notamment des armements. Il prend ainsi plaisir à le retrouver et à l’utiliser. Les développeurs doivent donc, pour répondre à cette attente, repro- duire ces armements le plus fidèlement possible et utilisent pour se faire diffé- rentes sources. La principale est la chaîne YouTube C&Rsenal15 qui documente et décrit les armes militaires historiques. Ces contenus YouTube, après avoir aidé les développeurs, tentent de s’adresser au public de ces jeux. Cela passe par la création de playlists et de vidéos spécialement dédiées aux armes présentes dans ces productions. C’est le cas de la chaîne C&Rsenal, qui propose une série dédiée aux armes de la Première Guerre mondiale et qui donne à ses abonnés la possibilité de rejoindre un serveur vocal dédié au jeu Verdun.

Figure 6 : Présentation des reproductions 3D de l’armement dans Verdun 1914-1918 Crédit : M2H and Blackmill Games

14 Chris Kemshall, The First World War in Computer Games, op. cit., p. 72. 15 Chaine YouTube C&Rsenal : https://www.youtube.com/channel/UClq1dvO44aNovUUy0SiSDOQ/ about (consulté le 08/10/2018). 102 Antoine Maillard

La place de la mémoire de la Grande Guerre dans ces produits culturels mondialisés

L’ensemble des jeux étudiés ici représentent le simple combattant, soldat de première ligne, confronté aux horreurs de la Première Guerre mondiale. Ils transcrivent un évènement historique encore largement ancré dans la mémoire collective. Cette mémoire se concentre avant tout sur des images très stéréotypées : on retrouve la tranchée présente sur le front Ouest et le discours a un intérêt plus particulier pour l’expérience personnelle des soldats, centrée notamment sur leurs souffrances. Cette mémoire de la Première Guerre mondiale est encore aujourd’hui sujette à de nombreuses contro- verses dans nos sociétés, notamment en France avec la question des fusillés. En Angleterre, toujours selon Chris Kempshall, la Grande Guerre est vue comme une mauvaise guerre, couplée à une image de guerre meurtrière, bien que 88 % des soldats anglais en soient rentrés vivant16. En raison de l’impor- tance de cette mémoire, produire un jeu vidéo sur cette période reste très difficile ; s’il est vu par le public comme étant insuffisamment respectueux de la Première Guerre mondiale, cela pourrait devenir une opération risquée pour un développeur, notamment en termes de ventes. Ceux qui ont souhaité réaliser un jeu vidéo sur ce conflit ont dû adapter leur production à cette spécificité mémorielle ; chacun de ces jeux vidéo possède dès lors un message invitant au souvenir des combattants qui ont souffert au cours de ce conflit. Dans Soldats Inconnus, cette mémoire est présente à de nombreuses reprises. Cependant, cette injonction au souvenir se retrouve principalement dans la conclusion du jeu et le discours qui y est tenu : « Même si leur corps est depuis longtemps retourné à la poussière, leur sacrifice continue de vivre en nous. Nous devons chérir leur mémoire, nous n’avons pas le droit d’oublier. » Ce moment marque la mort d’Émile, personnage auquel s’étaient attachés les joueurs. Il est accompagné d’une musique au piano et de la voix de Marc Cassot. Ce dernier n’est pas un doubleur inconnu en France ; il est notamment connu par la communauté des joueurs cinéphiles adeptes, par exemple, du Seigneur des anneaux (Peter Jackson, 2001). Il est également la voix principale de plusieurs attractions du Puy du Fou, ce qui le lie davantage à l’histoire de la Première Guerre mondiale. Sa voix fait naître l’émotion chez le joueur, car il interprète souvent des personnages sages, un mentor ou encore un conteur. Il y a donc une réelle volonté, par l’utilisation de cet élément, de provoquer une réaction émotionnelle chez le joueur. Cela nous est confirmé par une vidéo montée par Yoan Fanise17, l’un des directeurs de l’équipe d’Ubisoft, qui rassemble la

16 Chris Kemshall, The First World War in Computer Games, op. cit., p 3. 17 Lien vers la vidéo Valiant Hearts Ending - Youtubers reactions [Spoiler] de Yoan Fanise : https:// www.youtube.com/watch?v=NeHFwBFi0Z8 (consulté le 08/10/2018). Représenter et transmettre la Première Guerre mondiale dans les jeux vidéo 103 réaction de Youtubeurs sur la fin du jeu. On distingue donc réellement une sorte de morale, dispensée au joueur dans la conclusion qui se rapproche du « plus jamais ça », ce qui fait entrer la narration dans le devoir de mémoire. Dans Verdun, ce devoir de mémoire prend une tout autre forme : un événe- ment communautaire est organisé chaque année pendant les fêtes de Noël. Intitulé Christmas Truce, cet événement fait référence à la trêve de Noël 1914. Une aire de jeu spéciale est dès lors ajoutée temporairement au jeu et rompt complètement avec le gameplay traditionnel de Verdun (Figure 7) : les joueurs n’y possèdent plus d’armes, mais des boules de neiges qu’ils peuvent se lancer ; un terrain de foot est présent au centre avec un ballon et de multiples stands permettent d’envoyer des cartes postales par mail à leurs proches. Le joueur y retrouve des scènes iconiques de représentation de cette trêve de Noël 1914 qu’il a pu voir, par exemple, dans le film de Christian Carillon,Joyeux Noël (Carillon, 2005, Figure 8). Ce gameplay est imposé au joueur, car il ne possède pas d’arme et le jeu l’empêche d’effectuer tout action hostile. Par cet événe- ment communautaire, les joueurs sont invités à faire des dons à l’association War Child, qui s’occupe des enfants victimes de guerre. Les développeurs invitent donc les joueurs à agir sur le présent par le souvenir du passé en faisant des dons pour les conflits actuels. Cependant, la trêve ne dure pas, car une fois le temps imparti terminé, l’aire de jeu change et les joueurs doivent de nouveau s’entretuer. C’est là toute la différence entre jeu et réalité, car les équipes sont mobiles et après une trêve, les joueurs peuvent retourner s’affronter sans état d’âme. On retrouve ici l’une des principales limites des reconstitutions histo- riques ainsi que d’une représentation « réaliste » dans un jeu vidéo : l’absence de la peur de la mort. Mourir ici n’est pas une fin en soi, mais pousse le joueur à apprendre de ses erreurs et à recommencer pour mieux faire.

Figure 7 : Temps de chargement de l’aire de jeu Christmas Truce 104 Antoine Maillard

Figure 8 : Scènes de fraternisation de l’aire de jeu Christmas Truce

Conclusion

Verdun et Soldats Inconnus adoptent deux visions éloignées pour représen- ter la Première Guerre mondiale, l’un mettant au centre les combats et l’autre les souffrances que provoque la guerre. Ces deux jeux se rejoignent cependant sur un point : on y aperçoit une forme de « muséalisation » de l’histoire, concept développé par l’historien du cinéma Laurent Véray pour parler des films Un long dimanche de Fiançailles (Jeunet, 2004) et Joyeux Noël (Carion, 2005)18. Ces films mettent en avant un ensemble d’objets, d’anecdotes, d’idées qui ne permettent pas forcément de mieux comprendre le conflit, analyse qui semble totalement transposable à ces jeux vidéo. Ces représentations de l’his- toire s’orienteraient donc plutôt vers l’histotainment19, néologisme anglosaxon utilisé par Nicolas Offenstadt pour parler des groupes de reconstitution. Il désigne l’histoire convoquée uniquement pour le divertissement, qui ne prend pas ou peu en compte l’explication du passé, la véritable transmission d’un savoir. Ce concept est le reflet de la transformation de l’histoire en produit culturel de masse qui n’épargne aucun domaine : bande-dessinées, télévision, cinéma, littérature, et jeu vidéo. Le divertissement par l’histoire passe ici, notamment dans Verdun, par la fidèle représentation des armes, des uniformes et des équipements, ainsi que par la représentation des champs de batailles qui sont des points de repère pour le joueur qui se retrouve transposé dans cette période. Mais cette authenticité dans les représentations du matériel et des équipements en dotation est une demande du public cible. Les développeurs de Verdun ont ainsi choisi d’inclure les troupes canadiennes en raison de l’im- portante communauté canadienne qui jouait à leur jeu.

18 Laurent Véray, La Grande Guerre au cinéma : de la gloire à la mémoire, Ramsay Cinéma, Paris, 2008, p. 212. 19 Ce terme est emprunté par Nicolas Offenstadt à l’historien allemand Wolfgang Hardtwig, auteur de Verlust der Geschichte - oder wie unterhaltsam ist die Vergangenheit?, Berlin, Vergangenheitsverlag, 2010. Représenter et transmettre la Première Guerre mondiale dans les jeux vidéo 105

Concernant les sources et les influences qu’utilisent les développeurs, on s’aperçoit qu’ils se basent sur l’étude des journaux de marches, des photogra- phies d’époques, des témoignages des combattants, des lettres, etc. Ils prennent donc la place des historiens en interprétant eux-mêmes les sources et en les utili- sant pour créer de nouvelles représentations. On retrouve une certaine distance dans leur discours avec le monde de la recherche historique, qui est cependant à nuancer avec le recours aux conseils d’historiens par les studios de développe- ment. Cette vision se retrouve aussi chez les développeurs de Battefield 1, pour qui l’histoire académique serait un univers plein de contraintes avec lequel il est plus difficile de collaborer qu’avec les « passionnés »20. Soldats Inconnus et Verdun adoptent cependant un discours commun sur le conflit, invitant au souvenir des soldats morts. On observe une mise en avant d’individus (soldats et civils) jugés comme innocents. Ils sont les victimes d’un système inhumain qui les entraîne dans une guerre atroce à laquelle ils sont obligés de participer et font preuve d’abnégation et se sacrifient pour leurs camarades. Cet élément fait qu’au-delà des aspects de divertissement, les développeurs tiennent cepen- dant un vrai discours sur le conflit à la manière d’autres médias.

Antoine Maillard Mission Histoire du département de la Meuse [email protected]

Antoine Maillard a réalisé un mémoire intitulé Les Représentations de la Première Guerre mondiale dans les jeux vidéo : entre enjeux mémoriels et divertissement, sous la direction de Caroline Moine, en 2017, à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Il est actuellement médiateur des collections et expositions, en service civique, à la Mission Histoire du département de la Meuse. Thème de recherche : Représentation de l’Histoire dans les jeux vidéo

Résumé La Première Guerre mondiale est un évènement qui a été largement sous-représenté dans les jeux vidéo face aux multiples productions qui s’intéressent à la Seconde Guerre mondiale. Cependant, depuis le début du Centenaire de la Grande Guerre, l’on voit une multitude de nouvelles produc- tions autour de ce conflit. Par l’intermédiaire des jeux Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre et Verdun 1914-1918, nous nous intéressons dans cet article au travail des développeurs pour représenter ce conflit majeur du XXe siècle dans le média vidéoludique. Mots-clés Jeux vidéo, histoire des représentations, mémoire, Première Guerre mondiale, Histoire cultu- relle, Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre, Verdun 1914-1918.

20 Stéphanie Trouillard, « Quand le jeu vidéo à succès Battlefield fait revivre la Grande Guerre », France 24, 21 octobre 2016 : http://www.france24.com/fr/20161021-battlefield-1-jeu-video- game-premiere-guerre-mondiale-histoire-electronic-arts (consulté le 08/10/2018). 106 Antoine Maillard

Abstract The First World War is an event that was largely underrepresented in video games compared to the multiple productions that are interested in the Second World War. However, since the beginning of the Centenary of the Great War, one can see a multitude of new productions around this conflict. Through Valiant Hearts: The Great War and Verdun 1914-1918, this article will focus on the work of developers that depicts this major conflict of the twentieth century in video games. Keywords Video games, History of representations, memory, First World war, cultural. History, Valiant Hearts: The Great War, Verdun 1914-1918. Le rôle du design et des mécaniques de jeu dans l’expression vidéoludique de l’histoire Les cas des jeux Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre et Battlefield 1 Alexane Couturier

Chaque média propose une façon unique de mettre en contact son public avec l’histoire. De tous les types de productions médiatiques, le jeu vidéo est certainement l’un des plus engageants et un des plus immersifs soutient Adam Chapman dans son ouvrage Digital Games as History. How Videogames Represent the Past and Offer Access to Historical Practice (2016). En effet, dans les espaces vidéoludiques, le joueur est invité à faire « l’expérience » de l’histoire, à y prendre part, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles approches et pratiques historiques1. En raison de ses spécificités et de son caractère interactif, le jeu vidéo historique amène par conséquent son lot de questions : comment le jeu vidéo s’approprie-t-il l’histoire ? De quelle manière et pourquoi représente-t-il des évènements historiques de cette façon plutôt que d’une autre ? Quel sens ces représentations produisent-elles sur l’idée que l’on se fait de l’histoire ? En fait, le jeu vidéo offre la possibilité de simuler, de recréer ou encore de manipuler divers éléments historiques au sein d’un espace fictionnel2. Dans cet espace, l’histoire devient un processus qui se dévoile et s’actualise au fur et à mesure que le joueur prend part au jeu et interagit au sein du disposi- tif ludique3. Le discours historique devient ainsi une expérience dynamique, questionnant par le fait même notre rapport au passé. En effet, le jeu vidéo se distingue des autres médias par son interactivité, ce qui constitue également sa force expressive4. Le caractère expérientiel de ce média permet de décou- vrir sous de nouveaux angles des périodes historiques qui jusqu’alors étaient confinées aux représentations faites entre autres par le cinéma ou la littérature.

1 Adam Chapman, Digital Games as History. How Videogames Represent the Past and Offer Access to Historical Practice, Londres, Routledge, 2016, p. 22. 2 Matthew W. Kapell & Andrew B. R. Elliott (éds.), Playing with the Past. Digital games and the simulation of history, New York, Bloomsbury, 2013, p. 2. 3 Ibid., p. 11. 4 Thomas Facchini, « Guerres et jeux vidéo : représentations et enjeux de mémoire de la Seconde Guerre mondiale », Amnis, 15, 2016. 108 Alexane Couturier

Par contre, comme les auteurs ou les réalisateurs, les concepteurs de jeux effectuent aussi des choix et préconisent des approches qui teintent la façon dont sera représenté un évènement historique dans une production vidéoludique5. Dès lors, comme le soulèvent les éditeurs de l’ouvrage collectif Playing with the Past (2013), les concepteurs de jeux vidéo à caractère historique ont pour double tâche de veiller à présenter une image du passé qui tend vers l’authenticité (« accuracy to the past »), tout en proposant une jouabilité ancrée dans le présent (« playability in the present »)6. La création d’un jeu vidéo à caractère historique suppose donc un processus de sélection, de combinaison et d’intégration de faits historiques dans l’espace de jeu véhiculant, par conséquent, un discours ou une représentation singulière d’un même évènement ou d’une période7. D’où l’importance et la pertinence d’approfondir certains concepts associés aux sciences du jeu afin de mieux cerner ce qu’on entend par proprié- tés et spécificités du jeu vidéo en tant que média. Surtout dans le cas des jeux vidéo historiques où les tensions inhérentes entre le cadre ludique et le cadre historique soulèvent leur propre lot d’enjeux. Suivant ces réflexions, cet article propose ainsi d’observer plus en détail les mécaniques de jeu associées aux deux genres vidéoludiques particuliers dans lesquels s’inscrivent les jeux Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre (Ubisoft, 2014) et Battlefield 1 (EA, 2016), c’est-à-dire le jeu d’aventure et le jeu de tir à la première personne. Nous pouvons effectivement avancer l’idée que différents genres vidéoludiques impliquent différentes mécaniques de jeux et différents objectifs ; bref, les genres engagent diverses stratégies ludo-narra- tives visant à incorporer des éléments de nature historique au sein de l’uni- vers fictionnel (représentations visuelles et sonores, personnages, armes, etc.). L’objectif de ce texte sera donc de mettre en lumière le rôle et les effets du design de jeu sur les représentations possibles d’un évènement historique particulier, dans ce cas-ci la Première Guerre mondiale, au sein d’un espace vidéoludique.

Design et mécaniques du jeu d’aventure : regard sur Soldats Inconnus

Le jeu d’aventure constitue l’un des plus vieux genres vidéoludiques et est également l’un des plus diversifiés et versatiles en ce qui a trait aux possibilités offertes par l’espace de jeu8. Ceci dit, il est possible de relever un ensemble de caractéristiques et de mécaniques généralement communes à ce type de jeu

5 Id. 6 Matthew W. Kapell & Andrew B. R. Elliott (eds), Playing with the Past. Digital games and the simulation of history, op. cit. p. 8. 7 Ibid., p. 7-8. 8 Clara Fernández-Vara, « Adventure », in Mark J. P. Wolf & Bernard Perron (eds), The Routledge Companion to Video Game Studies, New York, Routledge, 2014, p. 232. Le rôle du design et des mécaniques de jeu dans l’expression vidéoludique de l’histoire 109 permettant ainsi de mieux en comprendre le design. D’abord, le jeu d’aven- ture est avant tout axé sur l’histoire, sur le récit du jeu comme tel (story- driven)9. Les évènements qui s’y déroulent se dévoilent au fur et à mesure que le joueur interagit avec les éléments de l’univers fictionnel ; cet encadrement narratif permet ainsi de donner un sens à ses actions et de les contextualiser. La découverte de l’histoire du jeu devient en soi l’un des principaux aspects orientant la jouabilité10. Par cette orientation, ce genre vidéoludique encourage particulièrement l’exploration de l’espace de jeu en invitant le joueur à interagir avec les person- nages, à manipuler les objets à sa disposition et essayer différentes actions pour voir les effets possibles11. Autrement dit, l’exploration est ce qui permet de découvrir l’univers fictionnel, d’en apprendre les rouages et les subtilités. Comme le souligne Clara Fernández-Vara au sujet du rythme et de la dyna- mique du jeu d’aventure : Les plaisirs de l’exploration et de la découverte ne sont peut-être pas toujours valorisés au sein des jeux grands publics (mainstream) qui tendent à favoriser une action constante et où les récompenses rapides sont prédominantes. En contraste, les jeux d’aventure prospèrent en laissant les joueurs explorer le monde à leur propre rythme, ou du moins, en leur donnant l’espace nécessaire pour recueillir de l’information, et même d’apprendre par essai-erreur [nous traduisons]12. La jouabilité au sein de ce genre vidéoludique repose essentiellement sur deux types de mécaniques de jeu, soit la manipulation d’objet et la navigation spatiale13. Pour ce faire, le joueur incarne un personnage qu’il déplacera dans l’espace de jeu et qui exécutera ses commandes. Dans le cas du jeu d’aventure, l’identité de même que les aptitudes et les attributs physiques du personnage- joueur sont généralement prédéfinis. En effet, contrairement au jeu de rôles, il n’y a pas de statistiques associées au personnage, comme une barre de vie ou des points d’expérience, ni de compétences ou de capacités à améliorer au fil du jeu. Le but du jeu consiste à faire progresser son personnage dans l’his- toire, plutôt que de développer son potentiel. Dans certains cas, il est parfois possible d’incarner plus d’un personnage au cours d’un même jeu, donnant alors l’occasion d’expérimenter divers points de vue et habiletés. Le contrôle de ces différents personnages peut se faire en alternance, au cours de niveaux ou de moments précis dans l’histoire (imposés par le cadre narratif), ou bien constituer une option disponible en tout temps (selon la volonté du joueur)14.

9 Ibid., p. 233. 10 Id. 11 Ibid., p. 234. 12 Id. 13 Id. 14 Ibid., p. 233-234. 110 Alexane Couturier

Soldats Inconnus constitue à cet effet un cas bien intéressant puisqu’il est possible de contrôler un total de cinq personnages, soit quatre humains et un chien. Alors que les personnages humains sont jouables au cours de certains niveaux ou moments particuliers de l’histoire, le chien est pour la plupart du temps jouable en alternance avec un autre personnage et en fonction des actions du joueur. Chaque personnage possède d’ailleurs ses propres habiletés ou capacités permettant ainsi d’expérimenter différents types de jouabilité. Par exemple, Anna (l’infirmière belge) donne accès à un mode de jeu permet- tant de soigner des blessés alors que Freddie (le volontaire d’originaire Afro- Américaine) peut couper des fils de barbelés ou encore détruire des obstacles avec la seule force de ses poings. Sur le plan narratif, cette diversité donne ainsi l’occasion au joueur d’incarner divers « camps » au sein de la Première Guerre mondiale et, par extension, de se familiariser avec la réalité vécue des soldats, des civils ou encore des prisonniers de guerre. Qui plus est, chaque personnage est animé par un objectif ou des motivations personnelles, plutôt que patriotiques. Cette stratégie ludo-narrative permet alors d’éviter que le joueur ne prenne parti pour une faction ou un pays et cherche plutôt à lui faire comprendre, à travers l’expérience de ces personnages, que c’est la guerre en soi qui constitue la véritable ennemie du jeu15. Plus largement, en ce qui a trait à la jouabilité, le jeu d’aventure est orienté vers la résolution de défis sous forme de casse-têtes puzzle-solving( ) que le joueur doit résoudre en s’appuyant sur ses connaissances préalables, mais aussi sur certaines conventions de base (ex. : une porte verrouillée nécessite une clé pour l’ouvrir). De plus, ne pouvant uniquement compter sur ses expé- riences antérieures pour surmonter les différents obstacles que propose un jeu, le joueur doit également se familiariser et comprendre les règles de base qui régissent l’univers fictionnel dans lequel il se trouve et tenter diverses approches pour pouvoir atteindre les objectifs16. Par exemple, lorsque le joueur prend le contrôle de Walt (le chien) pour la première fois, un certain temps d’adaptation est nécessaire afin que le joueur puisse saisir son champ d’actions, ses limites et ses effets possibles. Les affor- dances, c’est-à-dire les interactions possibles entre un sujet (dans ce cas-ci le personnage-joueur) et les éléments de l’environnement de jeu17, sont effecti-

15 Antoine Flandrin, « “Soldats inconnus” est un jeu vidéo sur la Grande Guerre, mais ce n’est pas un jeu de guerre », Le Monde, 19 mai 2014 : https://www.lemonde.fr/pixels/ article/2014/05/19/soldats-inconnus-est-un-jeu-video-sur-la-grande-guerre-mais-ce-n-est- pas-un-jeu-de-guerre_4421313_4408996.html (dernière visite le 05/04/2019). 16 Clara Fernández-Vara, « Adventure », op. cit., p. 233-234. 17 Dominic Arsenault, « Qui est je ? Autour de quelques stratégies vidéoludiques de design de personnage pour gérer l’actantialité ludo-narrative du joueur et son immersion fictionnelle », in Renée Bourassa et Louise Poissant (éds.), Avatars, personnages et acteurs virtuels, Québec, PUQ, 2013, p. 18. Le rôle du design et des mécaniques de jeu dans l’expression vidéoludique de l’histoire 111 vement différentes entre ce personnage et les quatre autres. En effet, Walt peut aisément se glisser dans des cavités et des tunnels normalement inaccessibles aux personnages humains. En revanche, en raison de sa physionomie, il lui est impossible d’accomplir certaines actions telles que grimper aux échelles ou bien lancer des objets. À force d’essai-erreurs, de répétitions des puzzles, le joueur finira éventuellement par maîtriser les habiletés propres à chaque personnage et établira alors les meilleures combinaisons d’actions possibles pour pouvoir progresser avec aisance dans le jeu. En d’autres termes, « le joueur doit expérimenter et tester les limites du système du jeu, explorer à la fois le monde spatialement et fonctionnellement : Comment fonctionnent les choses ? Que se passe-t-il si je fais cela ? Qui est ce personnage ? Quel problème doit-il être résolu ? ».18 Pour Fernández-Vara, le jeu d’aventure illustre bien les tensions existantes entre un design de jeu proposant une structure ludo-narrative fortement linéaire et un design de jeu désirant offrir au joueur la liberté d’explorer l’espace de jeu dans ses moindres détails19. Dans Soldats Inconnus, au-delà de la recherche d’indices ou d’objets permettant de passer au prochain niveau, l’exploration de fond en comble de l’espace de jeu demeure en quelque sorte optionnelle, s’effectuant en fonction des motivations du joueur. Dans ce cas-ci, elle est reliée plus spécifiquement aux objectifs secondaires du jeu, c’est-à-dire à la collecte d’artéfacts permet- tant de débloquer des fiches descriptives et éducatives de certains objets reliés à la Première Guerre mondiale. Ces artéfacts sont généralement dissimulés dans des recoins que le joueur n’ira pas nécessairement explorer d’emblée ou bien dans des lieux exigeant de résoudre une énigme supplémentaire pour être obtenus. De sorte que, dans ce cas-ci, les objectifs secondaires encouragent fortement l’exploration spatiale du jeu tout en servant de récompenses au joueur ; récompenses qui lui permettront à la fois d’enrichir l’histoire du jeu ainsi que ses connaissances générales sur la Grande Guerre. Au-delà de son esthétique particulière qui rappelle fortement celle de la bande dessinée, le fait d’avoir recours à un design de jeu d’aventure est proba- blement l’un des aspects qui distingue le plus Soldats Inconnus des autres titres portant sur la Première Guerre mondiale. Tel qu’ont voulu d’ailleurs le souligner les producteurs du jeu, Soldats Inconnus n’est pas à proprement dit un jeu de guerre, mais bien « un jeu sur la guerre »20. Il s’agit peut-être là de la nuance, voire de la différence clé entre ce jeu et le prochain opus à l’étude, soitBattlefield 1 .

18 Notre traduction. Clara Fernández-Vara, « Adventure », op. cit., p. 238. 19 Ibid., p. 239. 20 Cyril Bonnet, « “Soldats inconnus” : un plaidoyer vidéoludique contre la guerre », Le Nouvel Observateur, 28 juin 2014 : https://teleobs.nouvelobs.com/jeux-video/20140627.OBS2020/ soldats-inconnus-un-plaidoyer-videoludique-contre-la-guerre.html (dernière visite le 05/04/2019). 112 Alexane Couturier

Design et mécaniques du jeu de tir : le cas de Battlefield 1

Étant une guerre de tranchées, et par conséquent « statique », les combats de la Première Guerre mondiale se prêtent peu aux catégories vidéoludiques populaires telles que les jeux de tir à la première personne (communément appelé First Person Shooter ou FPS en anglais), soit le genre vidéoludique de prédilection en ce qui a trait aux jeux de guerre moderne21. En effet, de manière générale, les jeux de guerre, note le chercheur Julien Lalu, mettent en scène des soldats héroïques, avançant toujours dans leur quête épique malgré l’adversité. Leur objectif ultime est de vaincre le mal et de restaurer la paix. De ce fait, il y a présence d’un important décalage entre la dynamique de combat propre à la Grande Guerre et la dynamique de jeu classique présente dans les jeux de guerre, puisque « […] l’attente, l’ennui, la peur et les questionnements du soldat sur la guerre, enjeux essentiels du premier conflit mondial, entrent en opposition avec les enjeux commerciaux et ludiques du jeu vidéo ».22 Bien qu’il existe depuis maintenant quelques années des jeux de type FPS portant sur la Grande Guerre, le jeu Battlefield 1 lancé en octobre 2016 constitue la première « superproduction » (ou jeu Triple-A) moderne sur cette période de l’histoire23. Alors que certains individus prisent le jeu pour ses graphiques d’un extrême réalisme (censé favoriser l’immersion du joueur en lui donnant l’im- pression de se retrouver sur le champ de bataille), d’autres soulignent plutôt le manque d’authenticité historique du jeu. Pour être en mesure d’offrir un cadre ludique intéressant et amusant pour les joueurs, il semble en effet que les développeurs du jeu ont dû effectuer une série de choix qui a eu pour résul- tats d’altérer certains faits et éléments historiques présents dans le jeu24. Dès lors, Battlefield 1 figure comme un bon exemple de la tension existante entre le cadre historique (préserver une certaine authenticité historique) ainsi que le cadre ludique (dynamique de jeu intéressante) et comment cette tension influence la mise en scène de ce conflit armé. Pour mieux comprendre ces tensions, regardons de plus près les caractéristiques formelles du jeu de tir.

21 Julien Lalu, « Représenter la Première Guerre mondiale dans les jeux vidéo : entre absence et uchronie », Mission centenaire 14-18, 13 mai 2014 : http://centenaire.org/fr/espace- scientifique/societe/representer-la-premiere-guerre-mondiale-dans-les-jeux-video-entre (dernière visite le 05/04/2019). 22 Id. 23 William Audureau, « Jeux vidéo : “Battlefield 1”, 1914-1918 comme si vous n’y étiez pas », Le Monde, 26 octobre 2016 : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/10/26/jeux-video- battlefield-1-1914-1918-comme-si-vous-n-etiez-pas_5020812_4408996.html (dernière visite le 05/04/2019). 24 Wes Fenlon, « We showed Battlefield 1 to a World War I historian », PC Gamer.com, 20 juillet 2016 : https://www.pcgamer.com/we-showed-battlefield-1-to-a-world-war-i-historian/ (dernière visite le 05/04/2019). Le rôle du design et des mécaniques de jeu dans l’expression vidéoludique de l’histoire 113

Tout comme le jeu d’aventure, le jeu de tir est l’un des premiers genres vidéoludiques et figure, encore à ce jour, comme l’un des plus populaires auprès du marché grand public25. Se déclinant aujourd’hui en plusieurs sous- genres, nous examinerons cependant de plus près les mécaniques associées au jeu de tir à la première personne, également nommé jeu de tir en vue subjec- tive. Tel que son nom le suggère, la structure de ce type de jeu est la résultante de deux composantes particulières, c’est-à-dire l’action de tirer et la perspec- tive à la première personne26. Le jeu de tir à la première personne est bien évidemment caractérisé par la place importante qu’occupe le tir (par le biais d’armes à feu et autres), constituant le principal élément sur lequel repose la jouabilité. Or, comme le souligne Dominic Arsenault dans sa thèse doctorale, cette catégorie vidéoludique comprend également plusieurs autres actes à performer ainsi que d’autres manières de combattre qui permettent de diversifier le champ d’actions du joueur : Outre la présence de combat rapproché, on peut aussi relever à l’intérieur d’un first-person shootertous ces moments où le joueur doit s’enfuir, résoudre un puzzle spatial (ne serait-ce que trouver la clé rouge, trouver un passage secret pour atteindre un endroit visible mais inaccessible) ou plus largement accomplir toute action qui n’est pas réductible au seul fait de tirer sur tout ce qui bouge27. Autrement dit, même si la dynamique de jeu impose un rythme d’actions effréné, le joueur n’est pas constamment en train de tirer sur ses ennemis. Au cours d’une partie ou d’une mission, ce dernier doit également observer les déplacements de ses ennemis, repérer les objets et les lieux qui lui seront utiles et déterminer la meilleure tactique à adopter en vue d’atteindre le ou les objectifs. Dès lors, ceci implique que le joueur doit minutieusement explorer l’espace de jeu et interagir avec les divers éléments qui s’y trouve (ex. : ouvrir une porte, désactiver des mines, etc.) afin de repérer des endroits pour se cacher ou encore des points de ravitaillement28. Ce rapport à l’espace (la gamme de mouvements possibles, le champ de vision, le champ d’actions, etc.) est circonscrit en bonne partie par la perspec- tive du joueur, c’est-à-dire un point de vue subjectif où l’univers fictionnel se dévoile à travers les yeux du personnage incarné29. En raison de ce point de vue particulier, le joueur ne peut voir l’ensemble de l’espace de jeu à l’écran. Par conséquent, ce dernier doit rester à l’affut de l’action se déroulant hors cadre (hors de son champ de vision) afin de ne pas être la cible d’ennemis. Dans le cas d’une perspective visuelle subjective, pour signaler au joueur que

25 Gerald Voorhees, « Shooting », in Mark J. P. Wolf & Bernard Perron (eds), The Routledge Companion to Video Game Studies, New York, Routledge, 2014, p. 250. 26 Dominic Arsenault, Des typologies mécaniques à l‘expérience esthétique : fonctions et mutations du genre dans le jeu vidéo, thèse de doctorat, Montréal, Université de Montréal, 2011, p. 199. 27 Ibid., p. 201. 28 Ibid., p. 201-204. 29 Ibid., p. 203. 114 Alexane Couturier son personnage est blessé, des indicateurs visuels (écran prenant une teinte rouge, taches de sang à l’écran, etc.) ou sonores (gémissements du personnage) informent le joueur sur la gravité de son état30. Pour réussir les objectifs proposés par ce type de jeu, il est donc primordial de développer une compréhension et une utilisation stratégique de l’espace de jeu et de ses éléments. Tel que le soutien Arsenault, « le first-person shooterexige du joueur tout un travail d’orientation par la représentation et la cartographie mentale de l’espace et de son positionnement au sein de l’univers fictionnel […] ».31 Dès lors, l’expérience vidéoludique qui découle du jeu « […] n’est pas tant défini par le seul tir que par l’idéed’incarner directement un combattant, sur le terrain, dans l’immédiateté du conflit ».32 En raison de ses mécaniques et de la perspective visuelle à la première personne que propose ce genre vidéoludique, il s’avère donc intéressant d’observer de quelle manière est abordée l’expérience des soldats au front ainsi que la représentation des tranchées dans ce type de jeu. Tel que déclaré par Julien Wera (directeur de stratégie chez DICE) au cours d’une entrevue, la ligne directrice du processus de création de Battlefield 1 a toujours été : « Gameplay first, history second ».33 Les différents éléments constituant l’univers du jeu, tels les uniformes des soldats, les véhicules mili- taires ou encore les armes ont tous une base réelle, mais ont été modifiés afin de cadrer avec la jouabilité. Cette liberté créative prise par les concepteurs du jeu se manifeste de plusieurs façons. Tout d’abord, plusieurs caractéristiques relatives aux armes sont altérées, point central des jeux de tir à la première personne. Ces changements concernent notamment le temps de recharge, qui est considérablement réduit, ainsi que la fiabilité des armes, qui a été augmentée34. De plus, il est également possible d’ajouter des éléments supplémentaires (ex. : viseur) sur les fusils afin de personnaliser leur apparence ou leurs attributs35. Outre les armes, la fonction originelle de certains appareils a également été détournée. À titre d’exemple, les zeppelins ont pour principale utilité de larguer des bombes sur le champ de bataille alors que, dans les faits, ce type d’engin volant avait un rôle plutôt limité, c’est-à-dire observer les troupes ennemies à distance notamment au début de la guerre36. Ces changements, ou adaptations, sont faits pour optimi- ser l’expérience du joueur, pour la rendre la plus dynamique et variée possible.

30 Ibid., p. 212. 31 Id. 32 Ibid., p. 202. 33 Tomiiks, « Battlefield 1 : Interview Julien Wera Product Strategy Director DICE », Tomiiks. com, 2016. 34 Wes Fenlon, op. cit., 2016. 35 Id. 36 Jonathan Ore, « Battlefield 1: Can a video game about WWI be both entertaining and a history lesson ? », CBC News, 6 novembre 2016 : https://www.cbc.ca/news/entertainment/ battlefield-1-history-1.3821500 (dernière visite le 05/04/2019). Le rôle du design et des mécaniques de jeu dans l’expression vidéoludique de l’histoire 115

Les armes et autres technologies de guerre ne sont pas les seuls éléments de nature historique à être adaptés au cadre ludique, puisque l’environnement de combat l’est aussi. Par exemple, les évènements de la première mission du jeu intitulé « Tempête d’acier » prennent place dans une zone dévastée, située entre deux lignes de front ennemies, c’est-à-dire dans un no man’s land. Tout au long de la mission, en plus des tranchées boueuses, on peut y observer des maisons, une église et d’autres constructions détruites. Tel que souligné par l’historien Michaël Bourlet, très peu de batailles au cours de la Grande Guerre ont eu lieu dans des villages ou, plus largement, dans un « environne- ment urbain »37. L’intégration de ces structures dans la zone remplit ici une fonction ludique : elles permettent au joueur de se dissimuler dans l’environ- nement et élaborer des tactiques. Dans les jeux de tir à la première personne classiques, chaque terrain (ou « map ») dans lequel se déroule l’action permet généralement au joueur d’agir et de se mouvoir de diverses façons. Or, tel qu’évoqué plus tôt, la dynamique de combat propre à la Grande Guerre (guerre de positions caractérisée par une certaine attente et angoisse des soldats) ne cadre pas en principe avec les jeux de guerre classiques (basés sur l’action et où le joueur est constamment en mouvement)38. En respectant les codes de la jouabilité associés au jeu de tir à la première personne, Battlefield 1 propose une mise en scène bien plus énergique et ludique de cette guerre. Sur la base de ce nous avons présenté, nous pouvons donc affirmer que le choix d’un genre vidéoludique représente sans doute l’une des décisions les plus importantes que doit effectuer l’équipe de production d’un jeu, car, sans être forcément éliminatoire, le genre vidéoludique restreint d’emblée le type de joueur auquel l’œuvre s’adresse39. Par conséquent, un jeu de tir à la première personne comme Battlefield 1, s’adressant de prime abord à des joueurs ayant un intérêt marqué pour ce type de design de jeu, suppose par conséquent que le joueur est déjà familier avec certaines mécaniques propres à cette catégorie. En ce sens, un individu habitué à jouer à des jeux de tir à la première personne s’attend norma- lement à retrouver certains codes et caractéristiques associés à cette catégorie de jeu : une dynamique de combat intense, un vaste registre d’armes ou encore des environnements urbains permettant l’élaboration de tactiques variées. Dès lors, proposer une représentation « réaliste » de la Première Guerre mondiale, en accord avec les faits historiques établis, briserait par conséquent les conventions de genre associées au jeu de tir à la première personne.

37 Stéphanie Trouillard, « Battlefield 1 n’est pas un jeu sur la Première Guerre mondiale », France 24, 5 novembre 2016 : https://www.france24.com/fr/20161105-battlefield-1-jeu-video- premiere-guerre-mondiale-critique-historien-test-gameplay (dernière visite le 05/04/2019). 38 Julien Lalu, op. cit. 39 Sébastien Genvo, « Caractériser l’expérience du jeu à son ère numérique : pour une étude du “play design” ». Communication lors du colloque de l’ACFAS : « Le jeu vidéo : expérience et pratiques sociales multidimensionnelles », Montréal, 2008. 116 Alexane Couturier

Bien sûr, dans Battlefield 1, la guerre constitue avant tout une expérience sensorielle et audiovisuelle intense sur le plan ludo-narratif. Ceci dit, tel que l’énonce Julien Wera, producteur chez DICE, Battlefield 1 ne prétend pas être une « simulation historique » de ce qu’était la Grande Guerre ; cette expérience vidéoludique offre plutôt au joueur l’occasion de participer à une « représentation moderne » de ce conflit40. Dans ce cas-ci, la Grande Guerre remplit donc la fonction de « toile de fond » ludique.

Conclusion : penser l’analyse du jeu vidéo historique autrement

Le traitement vidéoludique de tout évènement historique à caractère violent et tragique, comme un conflit armé, pose d’emblée une série d’enjeux et de contraintes particulières. La Première Guerre mondiale, pour les raisons évoquées précédemment, demeure à ce jour un sujet complexe, parfois même sensible à aborder dans les médias, notamment dans l’univers des jeux vidéo. Pour mieux comprendre les types de représentations et le sens qui se dégagent des jeux portant sur cette guerre, l’étude des propriétés et des caractéristiques formelles du média vidéoludique devient dès lors un aspect essentiel du travail d’analyse. En effet, prendre en compte ces divers éléments est particulière- ment important, surtout si l’on souhaite mieux cerner les stratégies ludo- narratives employées pour intégrer des éléments historiques dans les espaces de jeu. Ainsi, l’analyse du design de jeu et des mécaniques impliquées dans les jeux Soldats Inconnus et Battlefield 1 permet d’observer plus en détail les tensions entre le cadre ludique et le cadre historique et comment ces dernières se manifestent au travers des représentations de cette guerre. Car au-delà de leur contexte de production fort différent, ces jeux mettent de l’avant deux portraits distincts de la Grande Guerre notamment à travers leurs caractéris- tiques formelles (genre vidéoludique, jouabilité, buts du jeu, etc.), mais aussi audiovisuelles (graphique, perspective, esthétique, etc.).

Pour terminer, rappelons que l’étude du jeu vidéo historique ne devrait pas être limitée à déterminer si ce média a la capacité ou non de représenter fidèlement une période ou des évènements historiques. En effet, il est tout aussi intéressant d’observer, en fonction des spécificités du média, comment

40 « Battlefield 1 : Interview de Julien Wera, producteur du jeu : Partie ½ », JeuxVidéo-live. com, 10 septembre 2016 : https://www.jeuxvideo-live.com/news/interview-du-producteur-de- battlefield-1-partie-12-81899 (dernière visite le 05/04/2019). Le rôle du design et des mécaniques de jeu dans l’expression vidéoludique de l’histoire 117 le jeu vidéo met en relation le joueur avec le passé et en quoi il propose une approche différente des autres médias en ce qui a trait à la représentation de l’histoire41.

Alexane Couturier Groupe de recherche Homo Ludens Université du Québec à Montréal (UQAM) [email protected]

Cet article comprend des extraits d’un mémoire intitulé « Les effets de sens du média vidéo- ludique sur les représentations de la Première Guerre mondiale : les cas de Soldats Inconnus et Battlefield 1 » (2019).

Alexane Couturier est doctorante en études sémiotiques à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Membre du groupe de recherche Homo Ludens sur les pratiques de jeu et la communication dans les espaces numériques, elle travaille également comme assistante de recherche au sein du Laboratoire en médias socionumériques et ludification de l’UQAM. Ancrés dans une approche sémio-pragmatique, ses intérêts de recherche l’ont amenée à s’interroger sur les stratégies ludo-narratives utilisées pour intégrer des éléments historiques dans les jeux vidéo. À l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale, elle a exploré à travers son mémoire de maîtrise les effets de sens du design de jeu sur les représentations de cette période particulière. Plus largement, elle s’intéresse également aux jeux vidéo persuasifs et expressifs, à l’immersion dans les espaces vidéoludiques ainsi qu’à l’industrie du divertissement militaire.

Résumé Cet article propose d’observer plus en détail le rôle des mécaniques et du design de jeu sur les représentations possibles de la Première Guerre mondiale dans les jeux vidéo. Les deux genres vidéoludiques dans lesquels s’inscrivent les jeux Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre (jeu d’aventure de type résolutions d’énigmes) et Battlefield 1 (jeu de tir à la première personne) sont ainsi décortiquées dans le but de faire ressortir les stratégies ludo-narratives employées pour intégrer des éléments historiques dans l’espace de jeu. Ce travail d’analyse donne ainsi l’occasion d’étudier la manière dont ces jeux proposent deux représentations distinctes d’un même évènement à travers les composantes de la jouabilité et des éléments de l’univers fictionnel. Mots-clés Jeux vidéo historiques, Première Guerre mondiale, design de jeu, jeu d’aventure, jeu de tir à la première personne.

41 Adam Chapman, Digital Games as History. How Videogames Represent the Past and Offer Access to Historical Practice, op. cit., p. 22. 118 Alexane Couturier

Abstract This article proposes to observe the role of mechanics and game design on the possible representa- tions of the First World War in video games. The gaming genres in which Valiant Hearts: The Great War (puzzle-solving adventure game) and Battlefield 1 (first-person shooter) are inscribed, are thus examined in order to highlight the ludo-narrative strategies used to integrate historical elements into the game space. This analytical work gives the opportunity to study how these games propose two distinct representations of the same event through the components of gameplay and the elements of the fictional universe. Keywords Historical video games, World War I, game design, adventure game, first-person shooter. La Grande Guerre et les jeux vidéo. La recherche historique face à Battlefield 1

Nicolas Patin

Une proportion toujours plus importante d’étudiants et d’étudiantes s’oriente vers l’histoire à l’université du fait d’une expérience vidéoludique1. Les écrans et les manettes ont en partie remplacé le film ou le livre, qui, un jour, avait créé ce déclic, celui de l’intérêt – si ce n’est de la passion – pour la discipline historique. Pourtant, cette dernière ne s’intéresse que très lentement à ces productions et à ses pratiques culturelles. Effet de génération, très certai- nement, mais effet de frilositéégalement. Les jeux vidéo sont encore entachés des clichés des années 1980-1990 autour d’une pratique divertissante – voire abêtissante – et presque uniquement masculine2. Lors d’un cycle autour de la question organisée pendant deux mois dans mon université, j’ai pu consta- ter que parmi la grande majorité des collègues, la perception de l’univers vidéoludique se faisait, notamment chez les professeurs, par un seul biais : la pratique de leurs propres enfants. Ils sont très peu à avoir tenu une manette entre les mains. À l’heure où l’industrie du jeu vidéo est la première industrie culturelle mondiale3 et où la musique, le cinéma, la bande dessinée semblent avoir trouvé droit de cité dans certains espaces du monde de la recherche, il semble qu’un retard doit être rattrapé. Les Game Studies y contribuent4. Mais en histoire, il reste encore un long chemin à parcourir.

1 J’ai mené une rapide enquête auprès de mes étudiants de L1 et de L2 à l’Université Bordeaux Montaigne à partir de la plateforme Askabox, au mois d’avril 2017. Sur 100 étudiants visés, 50 ont répondu. 83 % jouent à des jeux vidéo ; 75 % jouent au moins une fois par semaine ; 90 % jouent à des jeux vidéo à caractère historique. Ces chiffres sont évidemment impressionnistes, mais tout de même intéressants. 2 Fanny Lignon (éd.), Genre et jeux vidéo, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2015. 3 Naomi Alderman, « How videogames took over the world », theguardian.com, 22 décembre 2009. Les jeux vidéo ont « réclamé leur couronne de plus grande industrie du divertissement au monde ». 4 Benjamin Beil, Thomas Hensel, Andreas Rauscher (Hrsg.),Game Studies, Wiesbaden, Springer VS, 2018. 120 Nicolas Patin

C’est d’autant plus dommageable que très souvent, ce sont les jeux vidéo traitant de telles ou telles périodes historiques qui sont susceptibles, aujourd’hui, de déclencher des débats sur les aspects d’une époque. Les jeux de guerre et FPS5, en particulier, sont les premiers à tomber sous le feu de la critique, mais une critique qui se fait encore largement en dehors du monde universitaire. Si l’on s’intéresse sommairement à la morphologie des débats autour des séries Call of Duty (Infinity Ward / Activision), Battlefield (DICE / Electronic Arts) ou la bien connue Assassin’s Creed (Ubisoft), il est étonnant de constater que la recherche académique est presque totalement absente. Pour des dizaines d’articles publiés dans les revues spécialisées sur les jeux vidéo, pour des dizaines et des centaines de pages de débats enflammés sur les forums6, il n’émerge – et seulement récemment – que quelques avis épars de spécialistes reconnus dans un média de grande envergure, Le Monde faisant ici office de précurseur7. Ce qu’il est particulièrement intéressant de constater, c’est la manière d’appréhender l’objet de chaque côté de cette frontière imper- méable : très souvent, là encore si l’on veut en faire un résumé sommaire, le sujet débattu par les érudits-gamers est toujours le même : le réalisme du jeu, sa véracité historique. Mais cette véracité prend toujours, peu ou prou, le même chemin : celui d’une histoire matérielle, d’une histoire militaire et d’une histoire des techniques. Les discussions que j’ai pu avoir avec mes étudiants tournent souvent autour des mêmes aspects, surtout pour les jeux de guerre : pourquoi telle arme n’est-elle pas respectée ? Pourquoi utiliser tel uniforme ? La stratégie de telle bataille est totalement irréaliste… Des questions auxquelles, en tant qu’historien du politique, du social ou du culturel, je n’ai jamais été, à aucune occasion, capable de répondre. Inversement, des questions qui me paraissent totalement légitimes – la manière dont les structures politiques, les interactions sociales ou la vie quotidienne sont dépeintes – intéressent souvent peu mes étudiants, bien que ce ne soit pas la totalité. Se joue ici un conflit très intéressant, qui mériterait d’être étudié à part entière par la sociologie : comment ces jeunes joueurs, ayant accumulé un capital culturel considérable, ne peuvent-ils le mettre en valeur, car l’institution dans laquelle ils essayent de

5 First-person shooter ou « jeu de tir à la première personne ». Voir notamment Carl Therrien, « Inspecting Video Games Historiography Through Critical Lens: Etymology of the First- Person Shooter Genre », in Game Studies, the international journal of computer game research, volume 15, issue 2, décembre 2015. 6 Un exemple sur Reddit : « How Historically accurate is Battlefield 1? ». Voir : https://www. reddit.com/r/history/comments/57f3u6/how_historically_accurate_is_battlefield_1/. 7 Voir les nombreux articles que le journal Le Monde a par exemple consacrés à la sortie du jeu Assassin’s Creed Origins (Ubisoft, 2017). Voir Damine Leloup, « On a testé… “Assassin’s Creed Origins”, morts sur le Nil », 27 octobre 2017 ; William Audureau, « “Assassin’s Creed Origins” : ce qui est fidèle à l’Égypte antique, ce qui ne l’est pas », 27 octobre 2017 ; ou plus récemment, pour la sortie du dernier opus : William Andureau, « “Assassin’s Creed Odyssey” : une carte postale de la Grèce, pas un cours d’histoire », 5 octobre 2018. La Grande Guerre et les jeux vidéo. La recherche historique face à Battlefield 1 121 le faire fonctionne comme un champ aux codes différents, et ne cache d’ail- leurs souvent pas son mépris pour ces érudits qui en savent parfois beaucoup plus qu’il n’y paraît. Dans le cadre du Centenaire de 1914-1918, la Mission du Centenaire8 – l’institution visant à coordonner les activités de commémorations du conflit en France – a pris en compte ces enjeux, s’impliquant massivement dans le développement du jeu Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre (Ubisoft)9. Cette innovation a globalement été un succès. Mais en face du petit village gaulois – le jeu a été développé à Montpellier – c’est bien le blockbuster Battlefield 1 (DICE/Electronic Arts, 2016) qui a été l’événement historico-ludique du Centenaire, avec plus de vingt millions de joueurs dans le monde10. Quelques débats avec des historiens ont eu lieu çà et là11. La prin- cipale critique a été l’absence remarquée, dans la campagne solo12, des armées françaises et russes, ou le caractère parfois fantaisiste de tel épisode de la guerre, notamment la libération d’Amiens, se déroulant comme une guérilla urbaine anachronique. Très souvent, des historiens sont convoqués par des médias spécialisés pour répondre à telle ou telle question technique – et légitime – mais il n’y a pas eu d’analyse de fonds du jeu comme produit culturel partici- pant de la mémoire de la Guerre. Je vais donc essayer de proposer des pistes pour cette analyse, en tant qu’historien spécialiste de la Grande Guerre dans son versant allemand et en tant que joueur – très épisodique, dois-je confes- ser – mais ayant eu l’occasion de passer une vingtaine d’heures sur le mode « campagne solo » du jeu Battlefield 1 (je ne prendrais pas en compte le mode multijoueurs). Il y aurait une absurdité à essayer d’appliquer à ce jeu ce que Jean Norton Cru a appliqué aux témoignages de la Grande Guerre, une sorte de filtrage radical du véritable et du véridique13. Je vais plutôt essayer d’ana-

8 Voir le site institutionnel : http://centenaire.org/fr/la-mission/la-mission-du-centenaire. 9 Voir notamment : http://centenaire.org/fr/autour-de-la-grande-guerre/jeu-video/reportage/ autour-du-jeu-video-soldats-inconnus-le-carnet-de-1. 10 Eddie Makuch, « Battlefield 1 Hits 21 Million Players », Gamespot.com, 28 juillet 2017 : https://www.gamespot.com/articles/battlefield-1-hits-21-million-players/1100-6452101/. 11 Wes Fenlon, « We showed Battlefield 1 to a World War I historian », 20 juillet 2016 : https:// www.pcgamer.com/we-showed-battlefield-1-to-a-world-war-i-historian/. Voir également : Stéphanie Trouillard, « Battlefield 1 n’est pas un jeu sur la Première Guerre mondiale », France24. com, 5 novembre 2016, https://www.france24.com/fr/20161105-battlefield-1-jeu-video- premiere-guerre-mondiale-critique-historien-test-gameplay ; Peter Bathge, « Battlefield 1 : “Die Einzelspieler-Kampagne ist eine einziges Lügenmärchen – wunderschön und hirnrissig” », Pcgames.de, 3 novembre 2016 : http://www.pcgames.de/Battlefield-1-2016-Spiel-54981/ Specials/Singleplayer-Solo-Kampagne-Kolumne-Kommentar-Luegenmaerchen-1210949/. 12 Une campagne est la partie scénarisée d’un jeu, souvent jouée en solo. Elle se construit autour de missions qui s’enchaînent. 13 Jean Norton Cru, Témoins, essai d’analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2006 [1929]. Pour des analyses sur ce travail fondateur, voir Nicolas Beaupré, Écrire en guerre, écrire la guerre. France, Allemagne 1914-1920, Paris, CNRS Éditions, 2006, et Charlotte Lacoste, Séductions du bourreau. Négation des victimes, Paris, Puf, 2010. 122 Nicolas Patin lyser la manière dont ce jeu – qui n’a bénéficié que d’un conseil historique sommaire14 – résonne avec certaines tendances de l’historiographie contem- poraine, dépeint certaines choses avec un grand talent, tout comme il est contraint, pour des raisons techniques liées à la « jouabilité » (gameplay15), de faire de grosses erreurs historiques. N’étant pas spécialiste des Game studies, je revendique une vision extérieure au champ, celle d’un historien traditionnel, et je remercie donc mes relecteurs pour m’avoir conseillé telle ou telle réfé- rence plus spécialisée dans ce domaine. Je m’arrêterais sur trois thématiques : le caractère international de la guerre ; la représentation des relations entre soldats et enfin, les formes de violence.

Guerre mondiale, jeu mondial

Le Centenaire de 1914-1918, avec son flot ininterrompu de publications, de colloques et de conférences a montré l’évidence : la Grande Guerre a été une guerre européenne et plus largement, mondiale. Que le théâtre des opéra- tions se soit enraciné profondément en Europe, et notamment en France, ne change rien à la diffusion du conflit,à l’Est, évidemment, ce front dont Winston Churchill considérait qu’il avait été « oublié »16 ou en Orient. La présence des milliers de soldats coloniaux venus du monde entier, des empires britanniques et français, ne faisait qu’accentuer le caractère international de la conflagration. Et ce n’est que récemment – d’autant plus avec le Centenaire – que les chercheurs sont parvenus à décloisonner des historiographies souvent très nationales pour prendre en compte l’immense hybridation culturelle qu’a représentée la Grande Guerre17. De ce point de vue, Battlefield 1, qui vise autant des objectifs commerciaux de séduction de divers marchés nationaux et linguistiques qu’une véracité historique, offre une expérience de jeu historique tout à fait satisfaisante.

14 Les crédits du jeu, qui durent 16 minutes, n’indiquent en tout état de cause pas de conseils historiques en propre, par des historiens universitaires, ce qui ne signifie pourtant pas qu’aucun travail de conseil n’a eu lieu. 15 Le terme « gameplay », que je traduis sans originalité par « jouabilité », est en réalité plus complexe. En effet, « jouabilité » renvoie au terme playability, qui est une transposition du concept d’usabilité (usability) dans le jeu vidéo. On peut considérer le « gameplay » comme lié « aux interactions possibles entre le représentant virtuel du joueur (avatar) et les éléments constituant le monde numérique ». Voir Charles-Érick Bélanger-Gagnon, L’Induction du senti- ment de présence dans le jeu vidéo, Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise sur mesure en Design, animation et cyberculture pour l’obtention du grade de maître ès arts (M. A.), Québec, Université Laval, 2010, p. 16-17. 16 Winston Churchill, The World Crisis, volume V. The Unknown War.The Eastern Front, Charles Scribner’s Sons, 1931. 17 On peut penser au colloque tenu en septembre 2013 à la Cité de l’immigration et à l’Institut historique allemand, « Altérités en guerre : la Grande Guerre comme moment interculturel ». La Grande Guerre et les jeux vidéo. La recherche historique face à Battlefield 1 123

La première mission – une fois sortie de l’introduction-tutoriel sur laquelle nous reviendrons – met aux prises des soldats britanniques – Townsend, MacManus, Edwards et Finch – manoeuvrant un char britannique Mark V face aux lignes allemandes18. Elle s’intitule « Dans la boue et le sang » et son action se déroule à Ribécourt-la-Tour près de Cambrai à l’automne 1918. L’ambiance sonore participe d’une immersion internationale, les soldats alle- mands, à mesure que l’on s’en approche, s’exprimant dans leur propre langue, même si c’est pour dire des phrases relativement simplistes19. La mission se poursuit à Bourlon pour se terminer dans la ville de Cambrai. La deuxième mission, intitulée « Des amis haut placés », se fonde sur le voyage d’un aviateur du britannique, Clyde Blackburn, qui part des Alpes pour survoler la France et terminer à Londres. La troisième mission se déroule sur les lignes italiennes, auprès des unités d’élite (les Arditi) et est intitulée « Avanti Savoia ! ». La quatrième mission, intitulée « l’estafette », narre la bataille de Gallipoli, vue depuis le point de vue des forces australiennes et néo-zélandaises de l’ANZAC dans cette défaite face à l’Empire ottoman. Enfin, la cinquième et dernière mission, « Rien n’est écrit », se déroule au Moyen-Orient, autour du personnage de Lawrence d’Arabie décrit comme un « officier britannique peu orthodoxe ». Le message délivré par le jeu est clair : « La Grande Guerre couvre le monde entier ». On l’a dit, il a été reproché au jeu, par certains joueurs, de ne pas pouvoir incarner, au moins dans la campagne solo, des soldats français ou russes. On peut voir dans cette revendication aussi bien l’importance de la mémoire fran- çaise de la Grande Guerre et un certain chauvinisme, tout comme un transfert de l’intérêt porté aux troupes soviétiques dans les jeux de Seconde Guerre mondiale sur le front Est de 1914-1918, peu connu. Ceci dit, pour l’historien qui s’empare de la manette, la première impression est plutôt satisfaisante, même si la guerre est globalement perçue du point de vue anglo-saxon. Il est très rare qu’un livre d’histoire aborde un kaléidoscope aussi large de situations guerrières et de lignes de front. Les combats italiens, notamment, sont très souvent portion congrue dans les récits de Première Guerre mondiale, dans les combats qui ont pu les opposer aux troupes austro-hongroises.

18 Pour toute personne qui ne possède – et ne veut pas posséder de console de jeu ou d’ordinateur de jeu – il est possible de regarder les campagnes, sur la plateforme de vidéos en ligne Youtube. Ces vidéos de gameplay sont très populaires. Une parmi d’autres : https://www.youtube.com/ watch?v=gCuYnREWeR0&frags=pl%2Cwn. Ceci dit, du point de vue méthodologique, si ces vidéos peuvent se substituer à une expérience de jeu pour l’analyse des parties filmées, l’expé- rience vidéoludique en elle-même est nécessaire pour réaliser une réelle objectivation. 19 Quelques exemples parmi d’autres : « Eh, camarade, tout va bien ? » ; « Il faut que je boive un coup » ; « Merde, il fait tellement froid ». 124 Nicolas Patin

Consentements, contraintes et camaraderie

On le sait, les débats dans l’historiographie française de la Grande Guerre ont été nombreux et parfois virulents, pour répondre à la question de la ténacité combattante20. Très souvent caricaturées, deux « écoles », celle de la « contrainte » et celle du « consentement » étaient censées résumer l’ensemble des positions possibles au sein du débat, notamment pour répondre à la question de la fabrication de l’obéissance dans les tranchées et à l’arrière. Ces débats, centrés sur une histoire sociale et culturelle du fait guerrier, invitent à scruter le jeu Battlefield 1 avec les outils des vingt dernières années de l’his- toriographie française. Et là encore, le jeu fait preuve d’une certaine maestria, donnant à voir des configurations plus complexes qu’il n’y paraît. Prenons deux exemples précis. Dans la première mission, les quatre protagonistes qui actionnent le char britannique semblent correspondre à des archétypes. Nous incarnons, en tant que joueurs, la jeune recrue Edwards. Il est chauffeur dans le civil, du moins est-ce son activité après la guerre et celle dont il s’acquitte pendant la mission : piloter le char et le réparer. Townsend, plus âgé, est la figure du chef, qui alterne encouragements paternalistes et ordres plus laconiques et directs21, figurant une autorité qui ne se contente pas d’une pure relation de contrainte. Comme l’a montré Emmanuel Saint-Fuscien dans son ouvrage À vos ordres ?, aucune forme d’obéissance n’aurait pu être obtenue durant les quatre ans et demi de guerre en ne recourant qu’à la dureté et la violence22. Toute autorité est, fina- lement, négociée et Townsend semble incarner cette forme de souplesse. Le premier échange des deux personnages est intéressant : la jeune recrue lance : « Je suis prêt à me battre pour ma patrie23 », ce à quoi son supérieur répond : « Tant que vous savez reconnaître la marche avant de la marche arrière, moi, ça me va ». Il y va même d’une certaine dé-hiérarchisation en jouant la conni- vence virile avec les hommes de sa petite unité, en dépeignant le « Big Bess », sous les traits d’une femme, celle « de vos rêves ». Le soldat MacManus incarne, quant à lui, une figure négative. Tout le temps en train de pester, il proteste contre les ordres et contre la guerre en elle-même. On apprend plus tard qu’il est un soldat aguerri, ayant des dizaines de missions à son actif. Il n’hésite pas à s’opposer de front à Townsend (« Vous êtes fous ? Vous allez nous

20 Antoine Prost, Jay Winter, Penser la Grande Guerre. Un essai d’historiographie, Paris, Le Seuil, 2004, p. 140 et suivantes. 21 À un moment de difficulté dans le jeu, il lâche à Edwards : « Edwards ! Lâcher le pigeon, c’est un ordre, mon garçon, vous comprenez ce que je dis ? ». 22 Emmanuel Saint-Fuscien, À vos ordres. La relation d’autorité dans l’armée française de la Grande Guerre, Paris, EHESS Éditions, 2011, p. 261-262. 23 Les dialogues sont extraits des sous-titres de la version française. Cette version ne rend évidem- ment pas toutes les subtilités du jeu, car Townsend, par exemple, a un très fort accent écossais dans la version originale. La Grande Guerre et les jeux vidéo. La recherche historique face à Battlefield 1 125 faire tuer ? »). Il pousse si loin ces rebuffades (« Et maintenant, qu’est-ce qui reste ? Des ordres aveugles… et le hasard ») que Townsend le remet à sa place (« Je ne veux plus vous entendre MacManus, c’est bien clair ? »). Reste un quatrième soldat, Finch, inquiet et fébrile, relativement jeune. Il tient un rôle important : il est tué dans un des premiers engagements du tank sous le feu ennemi. Edwards, qui est sorti de l’engin, le voit mourir sous ses yeux. La scène pourrait paraître anodine – et elle est, narrativement, relativement exagérée, puisque Edwards semble montrer beaucoup d’empathie et de souffrance face à la mort de son camarade (il crie « Finch est mort ») alors qu’il ne le connaît que depuis quinze minutes, mais elle dit quelque chose d’essentiel d’un des plus grands moteurs de la guerre, cette solidarité des tranchées que certains ont appelée, en la politisant, la « communauté du front ». C’était un des ressorts du consentement les plus puissants : les soldats continuaient souvent de se battre pour honorer la mémoire d’un ou plusieurs camarades tombés avant eux, sans nécessairement se sentir impliqués dans des formes plus institutionnalisées d’adhésion. La littérature de guerre fourmille de ces exemples24. MacManus – une fois Finch tué – fonctionne comme le miroir d’Edwards : l’un est un jeune soldat à la fibre patriotique encore bien chevillée25 ; l’autre un vieux roublard, fatigué et proche du refus de guerre26. Alors que Townsend est blessé et le tank immobilisé, MacManus déserte, abandonnant Edwards à son sort. « C’est foutu », lâche-t-il, « tout le monde s’est fait avoir ». Edwards le tance. MacManus s’emporte : « Je vous interdis de me parler comme ça. J’ai plus de missions à mon actif que vous n’en aurez jamais ! », crie-t-il, avant de disparaître. D’une certaine manière, ce dialogue bref représente une forme de confrontation entre les moments d’enthousiasme et d’inconscience de 1914 contre les refus de guerre et les rébellions de 1917. Happy end oblige, MacManus revient au dernier moment et sauve Edwards qui manque de se faire tuer. « Je crois que j’ai fait fausse route », lâche-t-il. Si la narration n’est pas spécialement ambitieuse, et ne fait qu’entrecouper les moments de gameplay sans réellement laisser le temps de s’attacher aux personnages, les représenta- tions de l’autorité, du patriotisme et des refus de guerre tiennent compte de la diversité des positionnements dans la guerre. La séquence d’ouverture se termine même sur une fraternisation entre deux soldats ennemis. On retrouve cette finesse dans la représentation des relations entre soldats aguerris et jeunes recrues, que ce soit dans cet exemple, ou dans la mission concernant l’ANZAC. Là encore, le jeu rejoint des éléments que l’on trouve

24 On peut la voir dans le rapport entre la jeune recrue Paul Bäumer et le soldat expérimenté Kat dans Erich Maria Remarque, À l’Ouest rien de nouveau, traduit de l’allemand par Alzir Hella et Olivier Bournac, Paris, Stock, 1957 [1928]. Notamment le chapitre III, p. 35-47. Voir égale- ment p. 56-57. 25 À l’arrière-plan sonore, au début du jeu, on entend un soldat crier : « Pour le roi et la patrie ! ». 26 Voir André Loez, 14-18. Les refus de la guerre. Une histoire des mutins, Paris, Gallimard, 2010. 126 Nicolas Patin dans la littérature de Première Guerre mondiale ou dans l’historiographie. Un vieux militaire, Frederick Bishop, désigné comme un véritable héros dans son pays natal, l’Australie, est rejoint par une très jeune estafette, Jack Foster. Celui-ci s’est engagé volontairement, en mentant sur son âge qui est en dessous des normes de recrutement, pour se battre au côté de son héros. Il est reçu froidement par ce dernier, soldat expérimenté douchant, là encore, l’enthousiasme patriotique du va-t-en-guerre. Après une première mission, il le met face à des monceaux de cadavres, en criant « Regarde ça ! Petit… Tes mensonges t’ont mené en enfer ! » Face à ce baptême du feu très particulier, Jack vomit. Il est intéressant de constater que l’image donnée de la guerre n’a rien d’un simple récit centré sur l’héroïsme guerrier, mais que le jeu se fonde sur une représentation post-héroïque : les soldats ne sont pas courageux de facto, en défendant les valeurs chevaleresques de l’action de bravoure indi- viduelle ; ils le deviennent une fois qu’ils ont enduré l’absurdité de la guerre industrielle27. Cela est d’autant plus visible dans la peinture qui est faite, dans la deuxième mission, du personnage de l’aviateur. Celui-ci, Clyde Blackburn, est un jeune pilote britannique, roublard, joueur, menteur et toujours prêt à se débiner. Dans une narration énergique, on le voit tour à tour tenter de sauver son coéquipier, hésiter à l’abandonner, risquer l’impossible au mépris des risques… en bref, incarner une forme d’héroïsme proche des romans de cape et d’épée du XIXe siècle. La fin de cet épisode est d’ailleurs totalement irréaliste : Blackburn combat à mains nues à trois cents mètres d’altitude, juché sur un dirigeable en flamme au-dessus de la Tamise. Il tombe et réussit tout de même à survivre. Il apostrophe alors le joueur pour terminer son histoire : « Mais en temps de guerre, les faits se mélangent un peu et vous entendrez sûrement d’autres versions… » Il laisse ainsi peser un doute sur le pacte de lecture initial de cet épisode. Du point de vue historique, ce person- nage est très bien senti : les aviateurs – les « as » – comme le Baron Rouge Manfred von Richthofen ou Georges Guynemer pour la France étaient repré- sentés comme les dernières figures réellement héroïques, celles que la guerre anonyme des tranchées n’avait pas encore éclaboussées dans leur superbe. Ces chevaliers du ciel incarnaient – par leur jeunesse et leur témérité – une forme d’aristocratie du combat, jeune et intrépide, connaissant un taux de morta- lité extrêmement élevé à ce stade embryonnaire du développement technique de l’aviation28. De ce point de vue, et en dehors des informations d’histoire militaire sur l’utilisation de telle arme ou de tel biplan dans le jeu, le person- nage complète une galerie qui – tout en étant celle d’une œuvre de fiction –

27 Arndt Weinrich, Der Weltkrieg als Erzieher. Jugend zwischen Weimarer Republik und Nationalsozialismus, Klartext, Essen, 2012, p. 65-68. 28 Bernd Hüppauf, « L’aviateur : preux chevalier ou héros moderne ? », in Nicolas Beaupré, Gerd Krumeich, Nicolas Patin et Arndt Weinrich (éds), La Grande Guerre vue d’en face. 1914- 1918. Nachbarn im Krieg, Paris, Albin Michel, 2016, p. 96-101. La Grande Guerre et les jeux vidéo. La recherche historique face à Battlefield 1 127 donne une représentation relativement fidèle d’archétype de soldats que l’on retrouve dans la littérature de témoignage ou dans les mémoires des soldats de la Grande Guerre.

Les formes consacrées de la violence

Le troisième aspect intéressant, et peut-être le plus central du jeu Battlefield 1, est la mise en scène de la violence. Le débat, là encore, a agité les différentes traditions historiographiques françaises, voire internationales. En effet, le récit historique des années 1960-1970 avait mis à l’honneur une écriture de la violence très anonyme des tranchées. Face à cette première guerre « industrielle et démocratique », comme l’écrivait François Furet29, témoins et historiens s’étaient accordés sur l’idée simple qu’en 1914-1918, on avait été tué, mais on n’avait pas tué. Peu importe les passages de Erich Maria Remarque ou de témoignages parlant de violence interpersonnelle directe30, peu importe le scandale du J’ai tué (1918) de Blaise Cendrars. Dominait une image simple : celle des préparations d’artillerie lointaine, du « feu roulant » et dévastateur, des sorties ratées dans le no man’s land où les soldats se faisaient faucher par le barrage du nid de mitrailleuses, le travelling latéral du film de Lewis Milestone (1930) tiré du best-seller de Remarque étant assez explicite de ce point de vue31. Le plaidoyer de Stéphane Audoin-Rouzeau et Annette Becker invitant à Retrouver la guerre, au début des années 2000, s’est fondé sur l’idée d’in- terroger les violences interpersonnelles, notamment à partir de l’archéologie contemporaine et de la fabrication de matraques de tranchées32. Mort donnée au corps à corps il y avait eut, et même si elle était loin d’égaler les proportions de décès liés aux blessures violentes de l’artillerie, elle avait existé. C’est peut-être l’aspect le plus problématique du jeu. En effet, la première mission qui s’intitule « Tempête d’acier » est un cas d’espèce. On peut d’abord noter que par rapport à la version allemande (Stahlgewitter) et la version origi- nale en anglais (Storm of Steel), la traduction française passe totalement à côté de la référence à Ernst Jünger33 et son roman célèbre Orages d’acier de 1920, mais il ne s’agit que d’un détail. La première séquence est conçue expres- sément pour plonger le joueur dans un torrent de violences. Le joueur qui

29 François Furet, Le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au XXe siècle, Paris, Robert Laffont, Calmann-Lévy, 1995, p. 53. 30 Erich Maria Remarque, op. cit., chapitre IX. 31 Lewis Milestone, À l’Ouest, rien de nouveau, 131 minutes, 1930. La scène se situe à la 30e minute du film. 32 Stéphane Audoin-Rouzeau, Annette Becker, 14-18, retrouver la Guerre, Paris, Gallimard, Folio Histoire, 2000, p. 61-71 et notamment page 65. 33 Ernst Jünger, Orages d’acier. Journal de guerre, traduit de l’allemand par Henri Plard, Paris, Christian Bourgois, 1970 [1920]. 128 Nicolas Patin est donc, rappelons-le, en vue à la première personne34 dans le FPS, meure à plusieurs reprises en essayant de se débattre à travers plusieurs tableaux, dont on sent que chacun met en place une saynète de violence technologique spécifique. Dans cette séquence de moins de quinze minutes, qui débute sur un cauchemar post-traumatique de soldat, on peut voir une liste impression- nante, un condensé de toutes les armes de la Grande Guerre, sans grand égard pour la chronologie : chars, mitrailleuses, Gewehr 98, barbelés, grenades, dirigeables, lance-flammes, gaz de guerre, artillerie… L’impression donnée, là encore, n’est pas fausse, et dit quelque chose de la rupture technologique35 et humaine qu’a pu représenter la Première Guerre mondiale par rapport aux conflits précédents36. Mais dans le même temps, les toutes premières images donnent à voir un combat au corps à corps de dizaines de soldats, emportés par la rage, qui se massacrent littéralement à coup de matraques de tranchées et de pelles de terrassement. Un soldat empale son ennemi avec sa baïonnette et il existe même une option, pour le joueur, pour charger à la baïonnette37. Un homme assène des coups de poing au visage à un autre homme à terre dans une agression à mains nues. Cette séquence vise à peindre l’enfer des tranchées. Et cependant, elle est largement exagérée. Elle montre des formes de violence qui ont existé, évidemment – on ne peut pas balayer d’un revers de la main, avec ce qui a été dit au-dessus sur la camaraderie, les moments où les soldats montaient en première ligne avec la haine au ventre face à des ennemis qui venaient de tuer leurs plus proches camarades. Mais ce sont des cas limites. Le corps à corps, le moment où la transgression des normes du temps de paix est la plus forte, était un moment rare, paroxystique. La litté- rature de témoignage montre à quel point ces pratiques ont représenté des traumatismes pour les auteurs. Le jeu, d’une certaine manière, s’il montre bien la guerre industrielle, cède totalement face aux impératifs du gameplay et au divertissement : à plusieurs reprises, le joueur peut ainsi assassiner de très près les soldats adverses, dans la première mission comme dans les suivantes.

34 De là à en déduire qu’il est en immersion dans l’expérience vidéoludique, il n’y a qu’un pas, qu’il n’est pourtant pas nécessaire de toujours franchir. Olivier Caïra, « L’expérience fiction- nelle : de l’engagement à l’immersion », in Bernard Guelton (éd.), Les Figures de l’immersion, Rennes, PUR, 2014, p. 61-76. 35 Stéphane Audoin-Rouzeau, Annette Becker, 14-18, op. cit., p. 40-42, ici p. 41 : « […] les formes de la mort ont en un siècle considérablement changé : au début du XIXe siècle, en temps de guerre, la maladie tue bien plus que le combat ». 36 Les conflits précédents (guerre napoléonienne, guerre de Crimée, guerre de Sécession) sont plus modernes qu’on a longtemps voulu le croire, du point de vue des seuils de violence et des « ruptures techniques », mises en valeur par les théoriciens militaires dès les années 1830. Voir Anne Rasmussen, « Blessures et blessés », in Bruno Cabanes (éd.), Une histoire de la Guerre du XIXe siècle à nos jours, Paris, Seuil, 2018, p. 438-452. Cependant, la Grande Guerre représente une « croissance exponentielle », avec 30 % des mobilisés blessés, sans que ce chiffre prenne en compte les blessures cumulées. Ibid., p. 445. 37 Cédric Marty, À l’assaut ! La baïonnette dans la Première Guerre mondiale, Paris, Vendémiaire, 2018. La Grande Guerre et les jeux vidéo. La recherche historique face à Battlefield 1 129

L’historien s’efface ici devant legame designer : la fiction du jeu réaliste s’éva- pore au profit du « plaisir ludique » (playsir38), preuve du mélange des genres toujours présent dans ces produits culturels. Cela peut donner l’impression que la Grande Guerre a été une orgie de destruction individuelle ; or elle a bien été une orgie de destruction, mais bien souvent collective. Et le jeu, de ce point de vue, repose sur un soldat toujours très autonome, qui reçoit peu d’ordres et agit seul, ou en très petites unités. Ce faisant, le gameplay s’approche bien plus d’une représentation des unités de troupes d’assaut qui se développent à la toute fin de la guerre que de la réalité d’un régiment d’infanterie de 1914 ou de 1915. De ce point de vue, la critique revient en permanence dans les débats des joueurs, beaucoup louant le réalisme bien plus profond du jeu Verdun (M2H/Blackmill Games, 2015), que ce soit dans cette peinture de la violence, dans le niveau de difficulté ou dans les types de stratégie mis en place pour combattre.

Conclusion

Nous n’avons ici qu’effleuré quelques thématiques soulevées par le jeu Battlefield 1. Il en reste beaucoup d’autres à approfondir, que ce soit en analy- sant les interactions dans le mode multijoueurs, ou en prenant également en compte une foule de détails que nous n’avons pas pu aborder ici, de la présence des animaux dans le jeu (notamment les pigeons), très en phase avec les dernières découvertes historiographiques39, à la question des relations inter- personnelles, ou à la construction de la virilité militaire dans le jeu. Il est tout aussi intéressant de confronter ce divertissement aux faits historiques – dans une quête de vérité – que de l’analyser en soi, comme produit culturel sur la Grande Guerre. De ce point de vue, il sculpte – bien au-delà de l’amusement produit par le jeu – une certaine mémoire de la Première Guerre mondiale, en la transmettant aux jeunes générations, n’hésitant pas à dénoncer la guerre de 14-18 comme une boucherie dont le sens n’était pas directement évident aux soldats. Pour toutes ces raisons, il mérite l’attention des historiens.

Nicolas Patin Maître de conférences en histoire contemporaine Université Bordeaux Montaigne [email protected]

38 Stéphane Vial, L’Être et l’écran. Comment le numérique change la perception, Paris, PUF, 2013, p. 246 : « C’est ludique parce que c’est source de plaisir, un plaisir jouable que nous appelons à dessein un “playsir”, car il existe une essence commune entre plaisir et jeu ». 39 Éric Baratay, Bêtes de tranchées : des vécus oubliés, Paris, CNRS Éditions, 2013 ; Claude Milhaud, 1914-1918. L’autre hécatombe. Enquête sur la perte de 1 140 000 chevaux et mulets, Paris, Belin, 2017. 130 Nicolas Patin

Nicolas Patin est un ancien élève de l’École normale supérieure de Lyon-LSH, agrégé et maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université Bordeaux Montaigne, il est spécialiste de l’Allemagne du premier XXe siècle, de la Première Guerre mondiale et du national-socialisme. Sans être un joueur assidu, il s’intéresse aux contenus historiques des jeux vidéo, quand ceux-ci rentrent dans ses champs de compétences. Il a organisé en 2018 et 2019 plusieurs séances interactives durant lesquelles un historien commentait des séquences de jeux joués en direct, à l’Université Bordeaux Montaigne.

Résumé Première Guerre mondiale et jeux vidéo sont rarement associés dans l’industrie vidéoludique et les historiens ne s’intéressent par ailleurs qu’assez peu aux jeux. Le jeu Battlefield 1 (DICE/ EA) a pourtant été l’événement du Centenaire, avec des millions d’exemplaires vendus à travers le monde. Quel intérêt y a-t-il à en faire une analyse historique ? Le jeu est en lui-même une production culturelle à propos de la Grande Guerre. Plus encore, il sait parfois donner à voir des vérités à la pointe des débats historiographiques, tout comme faire de grossières erreurs. Mots-clés Première Guerre mondiale, Jeu vidéo, Battlefield, Violence de guerre, Gameplay. Abstract World War I and video games are rarely associated in the video game industry and historians have showed little interest in video games. However, the game Battlefield 1 (DICE/EA) was the major event of the Centenary, with millions of copies sold worldwide. What can be learned through an historical analysis of this game? Battlefield 1 itself is a cultural production about the Great War. Moreover, it sometimes shows facts, which are at the forefront of the historiographical debat, as well as making serious mistakes. Keywords First World War, Video game, Battlefield, War violence, Gameplay. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée

Cyril Lacheze et Marion Weckerle

Les quatre dernières années ont connu un certain regain d’intérêt de la part du public pour la thématique de la Première Guerre mondiale en général, en lien avec les célébrations du Centenaire et la médiatisation qui l’accompagne. Dans le monde du jeu vidéo français, cette communication a été accompa- gnée en 2014 par la sortie du jeu Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre1, généralement mis en avant pour sa dimension éducative. À l’échelle internationale, c’est toutefois Battlefield 1 qui a retenu l’attention en 20162, par son appartenance à la célèbre série des Battlefield, son gameplay immersif et multijoueur, et la polémique créée par l’absence des armées française et russe dans le jeu originel. Son mode multijoueur au gameplay volontaire- ment déconnecté de la réalité de la Première Guerre mondiale lui a égale- ment valu de fréquentes comparaisons avec Verdun3, sorti l’année précédente et plus réaliste quoique moins pratiqué. Par leur coïncidence (recherchée ou non) avec l’actualité commémorative et l’écrasante sous-représentation de cette guerre par rapport à la Seconde Guerre mondiale, due entre autres à la difficulté de rendre jouable une guerre de position et à l’implication plus limitée des troupes américaines, ces trois titres sont souvent perçus comme une nouveauté qui viendrait seulement d’apparaître dans le jeu vidéo – ce qui en fait également un argument de vente. En réalité, il existe plus d’une centaine de titres dédiée en partie ou intégra- lement au conflit, les plus anciens remontant à la décennie 1970, l’ensemble formant plusieurs lignées explorant chacune certains aspects de la guerre, avec des philosophies propres. Plus précisément, en synthétisant plusieurs sources d’information et bases de données en ligne4, nous avons pu constituer un

1 Ubisoft Montpellier, Soldats inconnus : Mémoires de la Grande Guerre, Ubisoft, 2014. 2 Digital Illusions Creative Entertainment, Battlefield 1, Electronic Arts, 2016. 3 M2H, Blackmill Games, Verdun, M2H & Blackmill Games, 2015. 4 On citera notamment le site Moby Games, relativement complet en termes de jeux référencés et 132 Cyril Lacheze et Marion Weckerle corpus de 153 jeux, figurant en annexe et classés par ordre chronologique puis alphabétique (Tableau 1). Nous nous proposons ici d’en réaliser un historique critique afin de brosser un portrait plus complet et plus ancré dans le temps du traitement vidéoludique de la Grande Guerre. Cette présentation suivra trois grandes catégories typochronologiques de jeux. En premier lieu, pendant toute la période considérée, les simulateurs de vol (pour les plus anciens sous forme de side-scrollers5) ont constitué le socle de ces jeux, dont les plus anciens au tournant des décennies 1970 et 1980, et avec au moins un titre par année quasiment sans interruption depuis 1989, le tout représentant plus d’un tiers du corpus. Parallèlement, d’autres genres se sont développés à partir du milieu des années 1980 jusqu’au milieu des années 2000, et en particulier les jeux de stratégie (notamment les wargames6), doublés d’une exploration ponctuelle de nombreux autres genres à partir de 1992 ; cet ensemble regroupe environ un quart des jeux identifiés. Enfin, alors que les simulateurs de vol semblent quelque peu s’essouffler et que leswargames ont fait place aux jeux de grande stratégie7, ces nouveaux genres ont acquis une importance grandissante depuis une dizaine d’années, cette dernière période couvrant à elle seule 40 % du corpus ; une part de cette dynamique est liée à l’ouverture de la plate-forme de distribution Steam8 à des jeux développés par des amateurs, d’une qualité très variable, mais qui n’en méritent pas moins d’être pris en considération. Faute de pouvoir détailler le traitement de tous les éléments historiques dans le cadre d’un article, nous nous focaliserons sur les armements présents dans chaque titre, données facilement synthétisables, également regroupées en annexe et commentées en conclusion. Nous ne traiterons ici que des titres consacrés dès l’origine à la Première Guerre mondiale. Ceci exclut les mods, correspondant à des modifications apportées à un jeu produites indépendamment et bénévolement par des utili- sateurs : il ne s’agit donc pas de jeux à part entière, mais l’ampleur des chan- gements apportés peut dans certains cas modifier radicalement l’expérience

de détails fournis pour chacun : Blue Flame Labs., Moby Games, 1999, 2018. En ligne : https:// www.mobygames.com. 5 Un side-scroller correspond à un jeu présentant une scène en deux dimensions vue de côté, dans laquelle le personnage contrôlé par le joueur avance généralement de gauche à droite en éliminant les obstacles ou adversaires sur son chemin. Dans le cas des jeux présentés ici, il s’agit de simulations de combats aériens adoptant le même type de présentation et de gameplay, mais l’avion joué peut habituellement se déplacer à la fois vers la droite ou vers la gauche, la dénomination de side-scroller n’étant donc pas à prendre exactement au sens propre. 6 Les plus proches des jeux de stratégie sur table, les wargames tour par tour, font intervenir des unités se déplaçant sur un maillage habituellement hexagonal, chaque joueur jouant à tour de rôle. 7 La grande stratégie correspond à la gestion de larges unités, voire d’armées entières, sur des territoires importants de la taille au moins d’un pays, sans intervention du joueur dans les détails des batailles, voire des campagnes en elles-mêmes. 8 Valve Corporation, Steam, 2003, 2018. En ligne : https://store.steampowered.com/. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 133 de jeu. Des mods concernant la Grande Guerre, parfois très travaillés, existent pour un certain nombre de titres concernant originellement des périodes mili- taires relativement proches. Leur défaut général réside dans la nature même des mods, qui ne peuvent modifier en profondeur les mécaniques de jeu, et impliquent donc de conserver un fonctionnement des affrontements typiques des autres conflits. Sans surprises, la très grande majorité traite originellement de la Seconde Guerre mondiale et est donc nettement conçue autour de la notion de guerre de mouvement, qu’il s’agisse de STR9 comme Company of Heroes (mod : The Great War 1918)10 ou Men of War: Assault Squad 2 (mod : A Great War 1914-1918)11 ; du jeu de grande stratégie Hearts of Iron III: Their Finest Hour (mod : WW1 Mod)12 ; du wargame tour par tour Panzer Corps (mod : Kaiserschlacht)13 ; ou encore du FPS14 Call of Duty 2 (mod : 1914)15. Ce décalage dans les tactiques est encore plus flagrant pourArmA II (mod : Over the Top)16 et ArmA III (mods : WW1 MOD ou Blood Trench 1914-1918)17, qui traitent à l’origine du combat contemporain, mais avec une immersion notoire expliquant leur présence ici. Pour des périodes plus anciennes que la Première Guerre mondiale, on peut citer Napoleon : Total War (mod : The Great War)18, où, dans le mode tactique19, les troupes avancent en masses compactes et s’adaptent difficilement aux « tranchées 20 » ; et beaucoup plus éloigné encore, Mount and Blade: Warband (mod : Iron Europe)21, avec une théma- tique médiévale-fantastique. Dans tous les cas, si les résultats sont rarement parfaitement adaptés à une représentation de la Première Guerre mondiale et

9 Jeu de Stratégie en Temps Réel. Type de jeu où le joueur contrôle une faction (par exemple une civilisation entière) devant en affronter militairement d’autres, et dont le gameplay se déroule de façon continue (par opposition au jeu de stratégie en tour par tour). On citera dans les fondateurs du genre Dune II (1992), Warcraft (1994), Command and Conquer (1995), Age of Empires (1997) ou encore StarCraft (1998). 10 Relic Entertainment, Company of Heroes, Sega, 2006. 11 Digitalmindsoft, Men of War: Assault Squad 2, 1C Company, 2014. 12 Paradox Development Studio, Hearts of Iron III: Their Finest Hour, Paradox Interactive, 2012. 13 The Lordz Games Studio, Flashback Games, Panzer Corps, Slitherine Strategies, 2011. 14 First-Person Shooter, en français Jeu de tir à la première personne. Jeu de combat dans lequel le joueur contrôle un personnage en voyant le monde à travers ses yeux. L’archétype du FPS est Doom (1993). 15 Infinity Ward, Call of Duty 2, Activision, 2005. 16 Bohemia Interactive, Arma II, 505 Games, 2009. 17 Bohemia Interactive, Arma III, Bohemia Interactive, 2013. 18 The Creative Assembly,Napoleon: Total War, Sega, 2010. 19 La série des Total War fait intervenir un mode de jeu stratégique, où une carte mondiale ou régionale permet de gérer les villes et le déplacement des armées, et un mode tactique employé pour la simulation détaillée des batailles. 20 Ou plus exactement à de petites fortifications presque de surface, plutôt typiques de la guerre de Sécession. L’ensemble pourrait éventuellement convenir pour décrire la première phase du conflit mondial, mais difficilement les quatre années de guerre. 21 TaleWorlds, Mount and Blade: Warband, Paradox Interactive, 2010. 134 Cyril Lacheze et Marion Weckerle particulièrement des combats de tranchées, l’existence de ces mods démontre nettement l’intérêt des joueurs pour ce conflit, certains étant prêts à s’investir considérablement pour adapter leurs jeux favoris à cette période.

Simulateurs de vol

Les plus anciens jeux identifiés se donnant pour cadre la Première Guerre mondiale sont des side scrollers sur borne d’arcade22 dans lesquels le joueur incarnait un pilote d’avion, respectivement BiPlane23, BiPlane 424 et Wings25, sortis en 1975 pour le premier et 1976 pour les deux suivants. BiPlane et Wings se jouaient à deux, tandis que BiPlane 4 permettait de jouer à quatre. Dans ces premiers jeux, les joueurs pouvaient identifier leur avion sur l’écran par sa couleur, mais celle-ci ne renvoyait pas à une nationalité particulière ; pour gagner, le joueur devait remporter autant de duels que possible avant la fin du temps de jeu alloué. Le gameplay était donc extrêmement simple, adapté au support de la borne d’arcade, et son principe de duel aérien était concrètement, avec la représentation d’avions biplans, l’élément utilisé le plus emblématique de la Première Guerre mondiale. Le premier simulateur de vol proprement dit, dans lequel le joueur appréhendait le jeu par une vue à la première personne, gérer sa mission et les paramètres de pilotage, fut la borne d’arcade Red Baron de 198026. Le jeu était visuellement très simple, et le décor – en l’occurrence les deux mitrailleuses du joueur – se trouvait directement sur la borne et non pas sur l’écran. Le jeu simulait des duels aériens, ou dogfight, contre d’autres avions et des dirigeables au moyen d’une animation vecto- rielle ; le joueur avait également la possibilité de bombarder des cibles au sol. Les autres simulateurs de vol développés sur seulement trois années consécu- tives dans la décennie 1980 – Air Battle27, Blue Max28, Flying Ace29, et Snoopy and the Red Baron en 198330, deux versions de Sopwith en 1984 et 198531, et enfinRed Baron32 et Sky Kid en 198533 – étaient tous des side scrollers sur

22 Les jeux d’arcade sont globalement des jeux de tir faisant uniquement appel aux réflexes et à la précision du joueur pour détruire des adversaires, sans aucune notion de simulation ou de stratégie. Ce terme peut être employé par extension comme adjectif pour qualifier un jeu ou un mode de jeu. 23 Fun Games, BiPlane, Fun Games, 1975. 24 Fun Games, BiPlane 4, Fun Games, 1976. 25 Electra Game, Wings, Electra Game, 1976. 26 Atari, Red Baron, Atari, 1980. 27 Anonyme, Air Battle, Philips Export B.V., 1983. 28 Synapse Software, Blue Max, Synapse Software, U.S. Gold, 1983. 29 Microcomputer Games, Flying Aces, The Avalon Hill Game Company, 1983. 30 Atari, Snoopy and the Red Baron, Atari, 1983. 31 BMB Compuscience, Sopwith, BMB Compuscience, 1984. BMB Compuscience, Sopwith, BMB Compuscience, 1985. 32 B. D. Hambüchen, Red Baron, Labochrome, 1985. 33 Namco, Sky Kid, Namco, Sunsoft, 1985. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 135 consoles avec un gameplay similaire, consistant à détruire des avions ennemis et des cibles au sol. La Première Guerre mondiale servait d’habillage et d’inspi- ration pour des skins d’appareils simples ainsi que pour des noms de jeu accro- cheurs, mais ne constituait pas un élément structurant des jeux – Sopwith comportait d’ailleurs des skins de chars de la Seconde Guerre mondiale. Dans Blue Max, le joueur pilotait un avion remplissant à la fois le rôle de chasseur et celui de bombardier, ce qui ne correspond pas aux missions historiques. Flying Ace intégrait cependant un aspect du conflit rarement abordé dans les simu- lateurs de vol du corpus, toutes périodes confondues : le but était de détruire la chaîne d’approvisionnement de l’ennemi, alors que la majorité des jeux se concentrent sur le duel aérien. Il faut noter particulièrement dans cet ensemble deux jeux à l’approche décalée. Snoopy and the Red Baron (1983) s’inspirait des bandes dessinées de Charles Schultz, dans lesquelles le chien Snoopy imagine être un aviateur de la Première Guerre mondiale, avec pour ennemi récurrent dans les airs le Baron Rouge (Manfred von Richthofen, as de l’aviation allemande durant la guerre). Il s’agissait là du premier simulateur de vol dans lequel le contexte de la Première Guerre mondiale était essentiel dans le concept du jeu, même si l’action se déroulait dans l’imagination de Snoopy. C’était également le premier jeu identifiant clairement le camp du joueur – celui-ci contrôlait Snoopy qui, comme dans la bande dessinée, se bat côté allié, et le but du jeu était de vaincre le Baron rouge. Toutefois, si les autres jeux se concen- traient finalement sur la représentation et la simulation d’avions rappelant le conflit, dansSnoopy and the Red Baron le joueur contrôlait la niche de Snoopy comme simulacre immobile de chasseur Sopwith Camel, comme dans la bande dessinée. Il s’agissait également du premier jeu identifiant clairement le célèbre as allemand comme un ennemi à abattre, même si de nombreux titres incluaient son surnom. En effet, dans lesRed Baron de 1980 et de 1985, le joueur n’incarnait pas de personnage en particulier : le nom servait seule- ment à suggérer qu’il s’agissait de jeux de duel aérien. Snoopy and the Red Baron plongeait donc le joueur dans la Première Guerre mondiale de manière fantaisiste – il s’agissait de la version rêvée par Snoopy – mais parfaitement cohérente avec l’imagination du personnage et la bande dessinée d’origine. Par ailleurs, Sky Kid (1985) s’en rapprochait légèrement par son univers coloré et le fait d’incarner des animaux dans le jeu. Le début des années 1990 vit le développement de simulateurs de vols nettement plus poussés, à partir de War Eagles en 198934, dans lesquels la manœuvre de l’appareil en elle-même prit une place plus importante, pour exploiter les possibilités de jeux plus réalistes35 ; la part des side scrollers s’ef-

34 Cosmi Corporation, War Eagles, Cosmi Corporation, 1989. 35 Artech Digital Entertainment, Blue Max: Aces of the Great War, Three-Sixty Pacific, 1990. 136 Cyril Lacheze et Marion Weckerle fondra en conséquence et presque immédiatement, le genre disparaissant dès 199236. La plupart furent structurés sous la forme d’un certain nombre de missions pour le joueur, avec des récompenses sous la forme de montée en grade dans le jeu, et de duels aériens. La variété des aéronefs jouables augmenta également significativement : par exemple, Knights of the Sky comporte vingt avions37, et le Red Baron de 1990, vingt-huit38. Ce dernier jeu se présentait par ailleurs comme historiquement correct : non seulement divertissant pour le joueur, mais avec l’ambition de restituer la réalité du vol durant la Première Guerre mondiale, avec un aspect survival. Il comportait en effet une chro- nologie et le but était, pour le joueur, de survivre jusqu’à la fin de la guerre, élément de gameplay qui n’était pas possible dans les jeux d’arcade. Le joueur accédant à des appareils plus performants au fur et à mesure de sa progression dans le jeu, ce dernier intégrait également la notion de progrès technologique de l’aviation. Knights of the Sky utilisa une variante de la même idée, avec un mode de jeu Première Guerre mondiale dans lequel le joueur, aviateur débutant en 1916, devait survivre et accéder au statut d’as. Ce titre permettait de choisir, dans le « hangar », un appareil parmi les avions développés durant la timeline du jeu, imitant également la temporalité réelle de la disponibilité des modèles. De plus, la notion de balistique y était présente : le gameplay nécessitait de prendre en compte la trajectoire descendante des balles et de se positionner un peu au-dessus de l’ennemi pour tirer. Dawn patrol: Head to Head (1995)39 inscrivit également les joueurs dans l’imaginaire nourri de l’histoire des as, puisque le jeu comportait une campagne dite américaine dans laquelle on incarnait un as états-unien ayant combattu en France, Eddie Rickenbacker. Une autre permettait d’incarner le pilote allemand Lothar von Richthofen (frère de Manfred). À l’instar des jeux Snoopy, un duel contre le Baron Rouge avait lieu dans Warbirds (1991)40 et Wings 2 Aces High (1992)41, alors même que le reste du jeu était concentré sur du bombardement. En 1990, Chocks away42 récompensait le joueur par la possibilité de monter en grade, le plus haut atteignable dans le jeu étant le grade Marshall of the Royal Air Force (corps d’aviation britannique). Si l’histoire des as était donc utilisée pour son volet héroïque ainsi que pour l’ancrage du jeu dans un contexte

Vektor Grafix,Air Duel: 80 Years of Dogfighting, MicroProse, 1993. Rowan Software, Dawn Patrol, Empire Interactive, 1994. Rowan Software, Flying Corps, Empire Interactive, 1996. Aqua Pacific,ACM 1918, Project Two Interactive BV, 1997. 36 Richard Ling, Dogfight, Amiga, 1990. Steven Metcalf, Blue Baron, Zeppelin Games Limited, 1992. 37 MicroProse, Knights of the Sky, MicroProse, 1991. 38 Dynamix, Red Baron, Sierra On-Line, 1990. 39 Rowan Softwar, Dawn Patrol: Head to Head, Empire Interactive Entertainment, 1995. 40 Atari, Warbirds, Atari, 1991. 41 Malibu Interactive, Wings 2: Aces High, Namco, 1992. 42 Andrew Hutchings, Chocks Away, The Fourth Dimension, 1990. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 137 historique, a contrario, The Ancient Art of War in the Skies (1993) constitua une exception43 : à l’instar de The Ancient Art of Wardéveloppé l’année suivante par la même équipe et fondateur dans le genre des STR, il s’agissait d’un jeu comprenant plusieurs campagnes inspirées des événements de la guerre, mais ne cherchant pas à restituer quelque chose d’historique ni même de cohérent, au profit de l’aspect stratégique exclusivement. Red Baron comportait de plus une différenciation graphique crédible des différents types d’appareils selon leurs missions, avec les marquages nationaux et les couleurs réelles connues. Les avions du jeu étaient connus du grand public et revinrent régulièrement dans les jeux ultérieurs jusqu’aux plus récents : les Sopwith Camel, le Fokker Dr.III rouge de Manfred von Richthofen, les Spad XIII français, les Gotha allemands pour les missions de bombardement. Certains effets attestés dans la manœuvrabilité des appareils furent également inclus pour la première fois, comme un enrayement de mitrailleuse pouvant effectivement survenir dans le jeu, un atterrissage raté où le nez de l’avion se plante dans le sol en cheval de bois, ou l’impossibilité de voir un ennemi arrivant de face avec le soleil dans le dos avant qu’il ne soit extrêmement près, manœuvre bien connue de la célèbre escadrille allemande Jasta 11. Le jeu prévoyait par ailleurs la possibilité de jouer des missions « historiques ». Le succès fut suffisant pour que trois autres jeuxRed Baron soient réalisés à la fin de la décennie 199044. Wings en 1990 (remastérisé en 2014)45 employa égale- ment beaucoup d’éléments historiques, avec la volonté d’ancrer le jeu dans une histoire héroïque pour solliciter les émotions du joueur et augmenter son investissement dans le gameplay. Le manuel du jeu était émaillé de citations d’écrits d’as célèbres comme Edward « Mick » Mannock, fournissait des fiches biographiques, des fiches d’identification des aéronefs, ainsi que des explica- tions sur les principes de base du vol46. Contrairement aux simulateurs ulté- rieurs, celui-ci donnait une vue à la première personne depuis le cockpit, mais avec le haut du corps du pilote incarné représenté aux commandes ; sa tête se tournait du côté duquel allait venir le prochain aéronef ennemi, donnant ainsi une assistance visuelle au joueur. Celui-ci, dans les simulateurs, contrô- lait habituellement l’appareil par une vue à la première personne depuis l’inté- rieur du cockpit de l’avion, avec un tableau de bord plus ou moins détaillé sur l’écran ; les jeux ne permettaient cependant pas de manœuvrer l’avion en fonction des indications données par les jauges, celles-ci reproduisant au contraire les choix du joueur.

43 Evryware, The Ancient Art of War in the Skies, MicroProse, 1993. 44 Dynamix, Red Baron II, Sierra On-Line, 1997 ; Dynamix, Red Baron 3-D, Sierra On-Line, 1998 ; Dynamix, Curse You! Red Baron, Sierra On-Line, 1999. 45 Cinemaware, Wings, Cinemaware, 1990. 46 Anonyme, Wings, Cinemaware, 1990, 76 p. 138 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

Warbirds, en 199147, fit la synthèse des caractéristiques principales des jeux de vol de l’époque se déroulant pendant la Première Guerre mondiale, puisque le joueur pouvait choisir entre deux modes : arcade et simulation. Quant à Wings of Glory (1994)48, il permettait au joueur de choisir le niveau de réalisme qu’il souhaitait appliquer : la possibilité que la mitrailleuse s’enraye, la possibi- lité de dégâts sur les ailes, ou encore celle d’être ébloui par le soleil. Le joueur ne disposait en revanche d’aucune indication sur la direction de laquelle pouvaient venir les avions ennemis et devait donc surveiller attentivement les côtés de son cockpit, ainsi que devant et derrière lui. Il réunissait en conséquence les possi- bilités de simulation les plus réalistes en regard des possibilités des ordinateurs, jusqu’à Red Baron 3-D (1998)49, que l’on peut considérer comme un archétype de simulateur de vol. Bien que quelques appareils français y apparaissent, ces simulateurs de vols se centraient sur les aéronefs britanniques et allemands, avec les Allemands souvent antagonistes par défaut. Par exemple, Wing nuts: Battle in the Sky en 1997 plaçait résolument le joueur dans le rôle d’un volontaire américain en France, ne laissant pas le choix au joueur50. L’édition de jeux de vols se déroulant pendant la Première Guerre mondiale fut quasiment ininterrompue depuis le début des années 1980, et c’est un constat que l’on peut faire également pour les années 2000 et le début des années 2010. Les deux genres majoritaires restèrent les mêmes : l’arcade et le simulateur « réaliste », avec une nouveauté importante, à savoir le développe- ment du jeu en ligne (et de la mise en ligne de productions amatrices, plutôt expérimentales51). On rencontrait ainsi dès 2000 Aces High52, dont la troisième itération date de 201653, jeu en ligne massivement multijoueur comprenant parmi le matériel jouable (navires, aéronefs et matériel terrestre) quatre avions de la Première Guerre mondiale, et des simulateurs de plus en plus poussés à partir de 200654 avec notamment First Eagles: The Great War 191855. La simulation réaliste de manœuvres de plus en plus d’avions, tant au niveau des graphismes que du comportement des avions et des paramètres à prendre en compte, en constituaient l’essentiel du gameplay : sur les titres les plus complets, il devenait ainsi nécessaire de prendre en compte la résistance struc- turelle de l’avion, les forces d’accélération pouvant faire perdre connaissance

47 Atari, Warbirds, Atari, 1991. 48 Origin Systems, Wings of Glory, Electronic Arts, 1994. 49 Dynamix, Red Baron 3-D, Sierra On-Line, 1998. 50 Rocket Science Games, Wing Nuts: Battle in the Sky, BMG Interactive Entertainment, 1997. 51 Ilan Papini, John Marco, Canvas Knights, Ilan Papini, John Marco, 2015. 52 HiTech Creations, Aces High, HiTech Creations, 2000. 53 HiTech Creations, Aces High III, HiTech Creations, 2016. 54 First Class Simulations, WW1 Fighters, First Class Simulations, 2007. First Class Simulations, Mission: WWI Dogfight, Abacus Software, 2008. 55 Third Wire Productions, First Eagles: The Great War 1918, G2 Games, 2006. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 139 au pilote, le vent, et la totalité des éléments mécaniques intervenant réellement dans ces appareils. Le nombre d’avions jouables s’enrichit également consi- dérablement ; Rise of Flight: The First Great Air War56 et Wings over Flanders Fields57, toujours largement joués actuellement, sont les simulateurs dispo- nibles les plus riches en nombres d’avions, avec plus de trente appareils jouables (dont plusieurs variantes de certains modèles, comme les quatre versions du Nieuport 24 dans Wings over Flanders Fields), en plus de faire partie des plus complets et d’être multijoueur (pour le premier). En outre, il y est possible de jouer des avions dédiés à la reconnaissance, au bombardement, ou multi rôles, en plus des avions de chasse classiques. Ainsi, on y trouve des modèles d’avions célèbres et omniprésents dans les jeux du corpus, et ce indépendam- ment du support ou de l’année de sortie du jeu, tels le Spad XIII, ou le triplan Fokker Dr. I présent dans vingt-deux jeux, mais aussi des avions beaucoup plus rares comme des Aviatik allemands ou encore le Bréguet 14, dévolu à la reconnaissance côté français. Rise of Flight: The First Great Air War s’enrichit pour sa part en appareils au fur et à mesure des mises à jour, ce qui allonge la durée de vie du jeu et lui permet de proposer des avions inexistants dans les autres simulateurs, comme quelques hydravions. Si les appareils français sont un peu plus représentés, l’attention reste tout de même très majoritairement portée sur les aviations britannique et allemande, l’Autriche-Hongrie, l’Italie, la Russie et les pays perçus comme « mineurs » étant ainsi totalement absents ou presque, alors qu’ils ont tous déployé des pilotes dont certains ont atteint le rang d’as58. On soulignera tout de même le jeu Ilya Muromets (2015)59 centré sur le bombardier russe éponyme, par ailleurs étrangement sous-représenté par rapport à sa notoriété. Ainsi, depuis le début des années 2000, les simulateurs « réalistes » s’orientent globalement vers la complexification du jeu dans une recherche de réalisme, et vers la multiplication des matériels jouables. L’autre genre majoritaire de jeu d’avions de la Première Guerre mondiale est l’arcade, avec un niveau de Crash Bandicoot 3: Warped (1998)60, Wings of War (2004)61, Sky Aces (2006)62, Ace of Aces (2008)63 ou encore Air Conflicts: Secret Wars (2011)64. À l’instar des jeux d’arcade des décennies précédentes, le réalisme y était plus qu’accessoire : dans Wings of War, le joueur pouvant lancer des roquettes et se protéger avec un bouclier, ce qui n’a évidemment

56 Neoqb, 777 Studios, Rise of Flight: The First Great Air War, 777 Studios, Aerosoft, ND, 2009. 57 OBD Software, Wings Over Flanders Fields, OBD Software, 2014. 58 Ce titre est acquis à la cinquième victoire aérienne, soit au cinquième appareil ennemi abattu. 59 1C Games Studios, Ilya Muromets, 1C Games Studios, 2015. 60 Naughty Dog, Crash Bandicoot 3: Warped, Sony Computer Entertainment, 1998. 61 Silver Wish Games, Wings of War, Gathering of Developers, 2004. 62 The X Studio Productions,Sky Aces, IncaGold, 2006. 63 Anonyme, Ace of aces, s.n., 2008. 64 Games Farm, Air Conflicts: Secret Wars, bitComposer, 2011. 140 Cyril Lacheze et Marion Weckerle rien d’historique. Nombre de ces jeux d’arcade continuaient d’utiliser l’ima- ginaire de la bande dessinée Snoopy65 et le symbolisme du Baron Rouge66 ; en 2006, Flyboys Squadron67 exploitait simplement l’intérêt provoqué par la sortie concomitante du filmFlyboys de Tony Bill. Ces jeux étaient générale- ment structurés en un certain nombre de campagnes dans lesquelles le joueur incarnait un pilote côté allié (option la plus souvent adoptée), ou allemand. Comme dans le cas des simulateurs réalistes, l’Autriche-Hongrie, la Russie ou l’Italie n’apparaissaient jamais. On soulignera tout de même que Master of the Skies: The Red Ace était le premier jeu comportant des missions en Afrique, alors que les autres jeux aériens sur la Première Guerre mondiale avaient une localisation géographique souvent centrée sur la France et la Belgique. Le scénario d’Air Conflicts: Secret Wars, dans lequel on jouait un personnage féminin, se déroulait quant à lui durant les deux Guerres mondiales et permet- tait de piloter dans le jeu des appareils des deux conflits, bien que le second soit plus présent. Des genres dérivés ont également été expérimentés : en 2003 puis 2006, Wings of Honour se présentait partiellement comme un jeu d’aven- ture, l’histoire suivant les exploits d’un pilote britannique inventé à travers la guerre68. Enfin, le développement des jeux gratuits sur navigateur conduisit à la réapparition du side scroller avec Dogfight: The Great War en 200869, aux graphismes bien plus fluides et colorés que ceux de ses homologues des années 1980, mais au gameplay sensiblement équivalent. Il faut par ailleurs signaler le récent Ace Patrol de Sid Meier (2013)70, lequel n’entre dans aucune de ces catégories du fait de sa conception bien particu- lière à de nombreux points de vue, suivant en cela la tradition innovatrice de son concepteur71. En effet, il s’agit d’un jeu purement tactique, conçu pour être joué sur téléphone portable. Le joueur y manœuvre un groupe de quatre avions (qui ne s’identifient pas par un modèle particulier) au tour par tour, en prenant en compte la position des autres avions. Celle-ci influe en effet sur les mouvements possibles, tout comme des paramètres tels que le vent, l’altitude, ou les nuages, le tout obligeant en conséquence le joueur à antici-

65 Smart Bomb Interactive, Snoopy vs. the Red Baron, Namco Bandai Games, 2006. Smart Bomb Interactive, Snoopy Flying Ace, Microsoft Game Studios, 2010. 66 Fiendish Games, Master of the Skies: The Red Ace, Global Star Software, Small Rockets, 2000. Small Rockets, Red Ace Squadron, Global Star Software, 2001. Atomic Planet Entertainment Limited, Red Baron, Davilex Games B.V., 2005. Magnussoft, Flying Baron 1916, magnussoft, 2016. 67 iEntertainment Network, Flyboys Squadron, iEntertainment Network, 2006. 68 CITY interactive, Wings of Honour, CITY interactive, 2003. CITY interactive, Wings of Honour: Battles of the Red Baron, CITY interactive, 2006. 69 Rock Solid Games, Dogfight: The Great War, Rock Solid Arcade, 2008. 70 Firaxis Games, Sid Meier’s Ace Patrol, 2K Games, 2013. 71 Sid Meier, icône dans l’univers de la conception de jeux vidéo, est principalement célèbre pour sa série Civilization, comptant à l’heure actuelle six titres parus entre 1994 et 2016. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 141 per ses actions. Ce jeu s’inscrit ainsi pleinement dans la lignée des wargames physiques dont quelques titres furent effectivement consacrés à l’aviation de la Première Guerre mondiale (comme Dogfight édité en 1962 par American Heritage), y compris sous la forme expérimentale de livrets visuels (Ace of Aces en 1980 chez Nova Game Designs), et pourtant très peu portés sur support informatique depuis Eagles en 1983 (voir ci-après).

Wargames et nouveaux genres : 1983-2005

Parallèlement à l’omniprésence des simulations aériennes, la décennie 1980 a également vu le développement relativement conséquent des jeux de stratégie sur la Grande Guerre, à commencer par des wargames, mais aussi, plus remarquablement pour une époque aussi ancienne, quelques STR72. Les deux premiers wargames furent présentés en 1983. Eagles s’inscrivait pleinement dans la mouvance de l’époque concernant les jeux sur ce conflit puisqu’il portait également sur l’aviation, thématique pourtant généralement peu présente dans les jeux de stratégie73 ; il était édité par la jeune société Strategic Simulations, fondée deux ans auparavant et se positionnant déjà en leader des jeux de stratégie informatiques74. Cette société adaptant directement les codes et habitudes complexes du wargame sur table à l’outil informatique, Eagles prenait déjà en compte, malgré sa date précoce, des données telles que l’altitude de vol, le vent ou les conditions météorologiques. Cette logique de portage direct de la table à l’informatique est évidente avec l’exemple de Grand Fleet en 1988 : ce jeu n’avait pas de graphismes, mais un plateau et des pions inclus dans la boîte, le joueur jouant simplement les coups indiqués par la machine sous forme de texte75. L’autre wargame de 1983, Battle 1917, s’ins- pirait lui plutôt des échecs, des unités terrestres grossièrement inspirées de la Première Guerre mondiale se déplaçant sur une carte générée aléatoirement, mais peu étendue, et devant capturer un roi76. La lignée des wargames très détaillés s’est poursuivie dans la seconde moitié des années 1980, malgré l’exis-

72 On peut considérer le jeu Legionnaire, dont une première version date de 1979, comme le précurseur des STR. Toutefois, le premier à avoir rencontré un succès commercial fut The Ancient Art of War en 1984 (précédemment cité) et, comme signalé dans une note précédente, les références du genre ne datent que des années 1990. 73 Paul Murray, Eagles, Strategic Simulations, 1983. 74 Strategic Simulations, Inc. (généralement et par la suite abrégé en SSI), était le concurrent direct d’Avalon Hill, éditeur incontournable de wargames sur table qui s’était également lancé sur le marché informatique (par exemple avec Flying Ace [1983], cité précédemment). Prenant le dessus sur ce dernier marché, SSI devint rapidement la référence pour les wargames informa- tiques extrêmement pointus et très documentés, ainsi que pour les jeux de rôle. Cette compa- gnie a été absorbée par Ubisoft en 2001, laquelle se tourna cependant vers des jeux destinés à des publics plus larges et abandonna donc le savoir-faire de SSI en matière de jeux de stratégie. 75 Simulations Canada, Grand Fleet, Simulations Canada, 1988. 76 Mark Lucas, Battle 1917, Cases Computer Simulations, 1983. 142 Cyril Lacheze et Marion Weckerle tence de quelques titres moins précis77. On citera ainsi The Great War 1914, qui employait les symboles d’unités de l’OTAN (sans même les expliciter, ce code étant familier des joueurs de wargames sur table)78 ; Halls of Montezuma79, avec un scénario80 sur la bataille du bois de Belleau81, mais aussi Battle Cruiser, un premier wargame naval édité par SSI82, avec des règles si précises, détaillées et réalistes que le manuel peut quasiment être apprécié indépendamment du jeu. Avec environ 80 classes de bâtiments jouables pour les seules marines alle- mande et britannique, constituant d’ailleurs la première apparition d’unités clairement identifiées dans les jeux de stratégie décrits, ce titre couvrait la quasi- totalité des classes de cuirassés et croiseurs ayant été en service depuis les pré- dreadnoughts83 et les croiseurs cuirassés de l’extrême fin du XIXe siècle, jusqu’à la fin de la Grande Guerre, ainsi qu’une sélection importante de destroyers. Ces caractéristiques ont été encore accentuées quelques années plus tard dans Dreadnoughts84 : en plus de proposer un commandement depuis la passerelle du navire amiral, celui-ci s’appuyait sur des recherches en archives pour fournir une liste au moins aussi complète pour les marines allemande et britannique (en particulier pour les destroyers), fournissant même les détails techniques des canons et munitions, mais y ajoutant en plus les marines russe, japonaise et chinoise85. Jutland, en 1993, semble avoir suivi la même logique86. Enfin, SSI

77 A. et O. Bishop, Gallipoli, Cases Computer Simulations, 1986. 78 Marc Summerlott, The Great War 1914, D.K.G., 1986. Anonyme, The Great War-1914. WWI Computer Strategy Game August-October 1914, D.K.G., 1986, s.p. 79 Strategic Studies Group, Halls of Montezuma: A Battle History of the Marine Corps, Strategic Studies Group, 1987. 80 Dans les jeux de stratégie, un « scénario » désigne une partie de jeu dont la carte, au moins certaines données sur les unités, et éventuellement des événements préprogrammés sont prévus à l’avance, permettant ainsi d’ancrer le jeu dans un contexte (historique ou non). Ce type de partie s’oppose à un jeu libre dans lequel les conditions de départ sont plus aléatoires et le déroulement du jeu laissé à la pleine appréciation du joueur. 81 Importante bataille menée par les troupes américaines dans l’Aisne en juin 1918. 82 Strategic Simulations, Battle Cruiser, Strategic Simulations, 1987. 83 Le HMS Dreadnought, lancé en 1906, constitua une révolution dans la conception des cuiras- sés, avec l’introduction à la fois de la turbine à vapeur et d’une artillerie exclusivement consti- tuée de pièces de gros calibre. Les bâtiments précédents, surclassés, furent en conséquence qualifiés de pré-dreadnoughts. En 1911, l’adjonction de canons supplémentaires augmenta encore la puissance d’une nouvelle génération, qualifiée alors de super-dreadnoughts. 84 Turcan Research Systems Limited, Dreadnoughts, Turcan Research Systems Limited, 1992. Peter Turcan, The Dreadnoughts Manual of Seamanship, Turcan Research Systems Limited, 1992, 93 p. 85 Ces trois marines correspondent en réalité à des scénarios prenant place pendant les guerres sino-japonaise (1894-1895) et russo-japonaise (1904-1905), toutes deux gagnées par le Japon. En conséquence, à cause de l’âge de ces navires ou des pertes pendant les affronte- ments (batailles de Yalou et de Tsushima en particulier), un grand nombre des bâtiments jouables (tous les chinois et une grande partie des russes notamment) n’ont pas connu la Première Guerre mondiale, et n’ont en conséquence pas été reportés dans les tableaux d’unités en annexe. De même et à l’inverse, beaucoup de bâtiments plus récents ayant eux participé à la Grande Guerre ne sont pas présents. 86 Nous n’avons pu nous procurer le manuel de ce jeu. Cependant, les critiques et capture La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 143 revint sur ce sujet presque une décennie après Battle Cruiser avec Great Naval Battles V: Demise of the Dreadnoughts; 1914-1887, reprenant les caractéristiques de son aîné en y ajoutant un aspect simulation. Cette recherche de précision toucha un peu plus tardivement et moins complètement les wargames à théma- tique terrestre, toujours à travers les titres de SSI : on citera surtout History Line: 1914-191888 en 1992, portage dans l’environnement de la Première Guerre mondiale d’un wargame futuriste paru l’année précédente, Battle Isle. Le gameplay général ne fut pas modifié, la plupart des scénarios supposant de mettre en œuvre des tactiques de mobilité anachroniques pour le front Ouest de la guerre, unique cadre géographique proposé. Cependant, une certaine attention au réalisme technique des unités pouvait être notée, à défaut d’un emploi tactique historiquement correct, et la documentation du jeu incluait un livret spécifiquement dédié à la description technique des différentes unités, avec une petite bibliographie. Si les unités d’infanterie, de cavalerie, d’artil- lerie et de marine étaient considérées de manière générique89, les principaux modèles de chars et avions étaient quant à eux présents et clairement différen- ciés. On notait même la présence d’automitrailleuses, équipements pourtant très peu connus du grand public90. SSI détailla toutefois réellement l’équipe- ment terrestre en 1994 avec Wargame Construction Set II: !, dans lequel, si la Première Guerre mondiale (et surtout l’année 1918) ne représentait qu’une fraction du jeu, chacune des armées allemande, américaine, britannique et française n’en comportait pas moins une demi-douzaine de pièces d’artillerie différentes relativement bien identifiées, de même qu’un certain nombre de chars et équipements lourds d’infanteries91.

d’écran de celui-ci suggèrent un mode de jeu et une précision historique comparables à celle de Dreadnoughts. Software Sorcery, Jutland, Software Sorcery, 1993. 87 Divide By Zero, Great Naval Battles V: Demise of the Dreadnoughts; 1914-18, Strategic Simulations, 1996. Anonyme, Great Naval Battles V: Demise of the Dreadnoughts; 1914-18, Strategic Simulations, 1996, 130 p. 88 Blue Byte, History Line: 1914-1918, Blue Byte, Strategic Simulations, 1992. Anonyme, History Line: 1914-1918, Blue Byte, Strategic Simulations, 1992, 2 vol., 55 + 55 p. 89 Par exemple, le jeu ne proposait que trois unités d’artillerie correspondant chacune à un grand type et non à un modèle précis : légère (jusqu’à 75 mm), moyenne (75 à 150 mm), et lourde (plus de 150 mm). Dans la réalité, chacune de ces catégories regroupait un large éventail de pièces aux caractéristiques et usages bien différenciés. On notera tout de même la présence de sous-marins, ainsi que d’unités d’infanterie antichar correspond implicitement à des servants de fusil antichar Tankgewehr M1918. 90 De fait, la Charron modèle 1906 côté allié avait déjà était abandonnée depuis trois ans au moment de la déclaration de guerre (nous l’incluons tout de même dans le tableau synthétique en tant que très rare exemple de véhicule motorisé terrestre déjà obsolète en 1914), et une vingtaine seulement d’Ehrhardt E-V/4 allemandes ont été construites. Pour cette dernière, les créateurs du jeu s’appuyèrent sur une photographie et ne purent trouver ni le nom du modèle ni ses spécifica- tions, se contentant donc de copier celles de la Charron adverse et de l’appeler Panzerspähwagen, la désignation des véhicules de reconnaissance allemands du second conflit mondial. 91 Strategic Simulations, Wargame Construction Set II: Tanks!, Strategic Simulations, 1994. 144 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

Parallèlement au développement de ces wargames très documentés, la décennie 1990 a également vu à la fois une évolution dans la nature des jeux de stratégie appartenant aux genres préexistants, évoluant de la techni- cité réaliste vers la ludicité, et une ouverture sur la grande stratégie, ignorée jusque-là. Ainsi, dès 1986, World War I débutait la lignée des STR consacrés à la Grande Guerre, avec un mode de jeu stratégique et un mode tactique, à la manière des actuels Total War92. Celle-ci se poursuivit en 1990 avec Command HQ, un STR de grande stratégie dont un des quatre scénarios portait sur la Première Guerre mondiale93, et l’année suivante avec Powermonger94. Ce dernier était un jeu de stratégie et gestion en temps réel se déroulant dans un univers médiéval-fantastique et consistant à piller des villages à l’aide de fantassins pour conquérir des territoires ; cependant une extension en proposa une version identique dans le cadre de la Grande Guerre, les unités combattant simplement à distance, sans plus de ressemblance avec la période en question. Ce genre disparut ensuite pendant une décennie, à l’exception de The War College: Universal Military Simulator 3 qui en 1995 se présentait à mi-chemin entre le wargame et le STR, avec un scénario sur la bataille de Tannenberg95. D’autre part, cité précédemment parmi les STR, Command HQ constituait également une nouveauté en ce qu’il portait la Première Guerre mondiale dans le champ des jeux de grande stratégie, en 1990. Deux ans plus tard, Scenario: Theatre of War y fut entièrement dédié96 : simpliste et sans préten- tion historique, à la manière d’un jeu de plateau de type Risk, il n’en mettait pas moins l’accent sur le rôle de l’industrie dans la conduite de la guerre, avec ses problématiques d’organisation, d’approvisionnement ou encore de grève des ouvriers. Le caractère systémique de ce type d’approche poussa en consé- quence les concepteurs de jeux à tenter d’innover dans le fonctionnement de ceux-ci : en 1995, Fields of Battle97, quoique proche du précédent du point de vue du joueur, fut ainsi le premier jeu tous genres et sujets confondus (y compris hors Première Guerre mondiale) à utiliser une intelligence artificielle constituée de réseaux de neurones98. Comme les autres sous-genres de jeux de

92 Anonyme ?, World War I, M.C. Lothlorien, 1986. 93 Ozark Softscape, Command HQ, Microplay Software, 1990. 94 Bullfrog Productions, Powermonger: World War I Edition, Electronic Arts, 1991. 95 Intergalactic Development Incorporated, The War College: Universal Military Simulator 3, GameTek (FL), 1995. 96 Starbyte Software, Scenario: Theatre of War, Starbyte Software, 1992. 97 BevelStone Production, Fields of Battle, BevelStone Production, 1995. 98 Un réseau de neurones correspond à un système d’intelligence artificielle inspirée du fonc- tionnement du cerveau biologique, et non fondé sur une programmation prédéterminée. Le réseau, dont les décisions sont le reflet de l’organisation interne, s’organise originellement de manière aléatoire et retient les configurations ayant donné les meilleurs résultats. Celles-ci sont ensuite utilisées comme socle pour une nouvelle « génération » de configurations, le cycle se répétant virtuellement à l’infini. Il s’agit donc, du moins en théorie, d’intelligences artificielles capables d’évoluer dans le sens d’une plus grande efficacité, soit d’« apprendre ». La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 145 stratégie, SSI ne manqua pas de se positionner également sur la grande straté- gie avec Imperialism en 1997, centré sur la géopolitique du XIXe siècle, mais s’achevant sur le déclenchement de la Grande Guerre99. Ainsi, après des débuts centrés sur des wargames simples dans les années 1980, la stratégie vidéoludique à propos de la Grande Guerre s’est étendue à la fois à des simulations nettement plus complexes et détaillées, à des STR plus ludiques, et à la grande stratégie au début de la décennie 1990. Cette période sembla toutefois connaître un temps d’arrêt vers 1995, avec seulement deux sorties relativement anecdotiques peu après, lequel ne fut rompu qu’en 2000. Pendant ces quelques années de silence, le paysage des jeux de stratégie évolua radicalement, avec en particulier la sortie coup sur coup de Age of Empires (1997) et StarCraft (1998), qui consacrèrent pour un temps les STR jusqu’au milieu de la décennie suivante100. En toute logique, ces quelques années furent donc dominées par les STR dans le champ de la stratégie appliquée à la Première Guerre mondiale, avec des graphismes et un gameplay nettement améliorés par rapport à leurs prédécesseurs, bien que le réalisme historique n’ait pas été recherché : en effet, la caractéristique de ce type de jeux étant de permettre des mouvements et manœuvres rapides et précis, où la rapidité du joueur est mise à l’épreuve au même titre que sa réflexion, le principe même d’une guerre de position en est presque automatiquement exclu, et la Grande Guerre y était incluse plus pour son aspect « mythique » que pour une réelle volonté de simu- lation. En 2001, Empire Earth101 s’inspirait directement du gameplay d’Age of Empires en l’étendant à l’ensemble de l’histoire humaine, et en faisant corres- pondre une de ses quatorze ères102 à la Première Guerre mondiale bien qu’avec des unités génériques103. Plus notable encore, sur ces quatre campagnes, une était consacrée aux deux guerres mondiales jouées du point de vue allemand,

99 Frog City Software, Imperialism, Strategic Simulations, 1997. 100 Par la suite, et en lien avec le développement d’Internet, Defense of the Ancients (généralement abrégé en DotA, un scénario très spécifique pourWarcraft III: Reign of Chaos) en 2003 et World of Warcraft en 2004 orientèrent massivement les joueurs respectivement vers les MOBA (Multiplayer Online Battle Arena) et les MMORPG (Massively Multiplayer Online Role-Playing Game) dans la seconde moitié des années 2000. 101 Stainless Steel Studios, Empire Earth, Sierra On-Line, 2001. 102 Une « ère » désigne dans les STR une étape du jeu permettant au joueur de disposer d’un ensemble cohérent de bâtiments, unités et technologies, le passage à l’ère suivante requérant dans tous les cas un investissement (en ressources, temps, etc.) relativement conséquent. Dans les jeux historiques, les ères correspondent donc tout naturellement aux différentes étapes de développement des civilisations concernées. 103 Les types de certaines unités sont en réalité précisés, mais sont les mêmes quel que soit le pays (ou la « civilisation ») joué, et correspondent en réalité à des rôles tactiques identiques d’une ère à l’autre, à la manière d’un pierre-papier-ciseaux : Sopwith (chasseur), Fokker (chasseur- bombardier), Gotha (bombardier), Good Hope (frégate, historiquement un croiseur cuirassé de classe Drake), Dreadnought (cuirassé), Dardo (croiseur, historiquement un destroyer italien anachronique, entré en service en 1931), 57mm AT Gun (canon antichar, historiquement de la Seconde Guerre mondiale), A7V (char antichar), Mark V (char antipersonnel). 146 Cyril Lacheze et Marion Weckerle avec sept scénarios, dont quatre consacrés au premier conflit et trois seulement au second. Il ne s’agissait pas moins avant tout de mettre en place des tactiques de guerre de mouvement, encore qu’un remarquable scénario sur la bataille de Verdun parvenait à rendre de manière particulièrement convaincante la difficulté d’effectuer la moindre avancée sur une ligne de front entièrement fortifiée. L’absence de STR récent consacré à la Première Guerre mondiale, laissant une opportunité dans un paysage vidéoludique historique de plus en plus exploré, amena par la suite au développement de The Entente: Battlefields World War I en 2004, spécifiquement dédié à la période, mais sans plus de réalisme au niveau du terrain (aucune carte ne comprend de tranchées) et du style de combat. On notait toutefois l’apparition remarquable de la Russie et de l’Autriche-Hongrie104, avec quelques armements clairement identifiés, en particulier le Sikorsky Ilya Muromets russe et le Leichter Kampfwagen II allemand, lequel n’a pourtant jamais dépassé le stade du prototype105. L’année suivante, World War I adapta à la Grande Guerre le moteur du jeu Blitzkrieg (2003), évidemment orienté vers la guerre de mouvement du second conflit mondial106. Le gameplay, s’il était un peu plus réaliste que celui de The Entente: Battlefields World War I avec la présence de quelques tranchées, n’en était donc pas moins totalement anachronique : des chars étaient ainsi disponibles dans un scénario sur l’invasion de la Belgique en 1914. Là encore, l’intérêt principal résidait dans le vaste éventail d’unités jouables, avec une emphase particulière portée sur les obusiers et mortiers lourds, mais également sur des véhicules peu connus (prototypes d’avant-guerre de chars ou d’automitrailleuses par exemple), incluant même des unités austro-hongroises et belges. Cette période du début des années 2000 marque nettement une importance nouvelle du STR par rapport au wargame tour par tour plus traditionnel, puisqu’un seul jeu de ce genre est sorti à cette époque, 1914: The Great War en 2002. Celui-ci semble avoir continué sur la lignée de ses prédécesseurs de la décennie 1990, avec des graphismes modernisés et une liste d’unités encore complétée107. Quant aux jeux de grande stratégie, la seule parution de l’époque fut Victoria: An Empire Under the Sun en 2003 (avec l’extension Victoria Revolution en 2006), qui à la manière d’Imperialism (1997), mais avec le moteur de jeu d’Europa Universalis (2000), se penchait sur les empires du XIXe siècle avec une conclusion vers 1920108. Un équivalent de la Grande Guerre n’y apparaissait donc que comme une éventualité potentielle et d’ailleurs peu rentable pour le joueur.

104 Lesta studio, The Entente: Battlefields World War I, Buka Entertainment, 2004. 105 Nous avons déduit les unités disponibles à partir des noms des fichiers de jeu d’une version de démonstration ; il est donc possible voire probable que certaines unités disponibles dans le jeu final nous aient échappé. 106 Dark Fox, World War I, 1C Company, 2005. 107 Nous n’avons pu nous procurer le manuel de ce jeu, mais les critiques de l’époque font état d’une soixantaine d’unités différentes. 108 Paradox Interactive, Victoria: An Empire Under the Sun, PAN Vision, Strategy First, 2003. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 147

Un dernier ensemble de jeux a également pris place parallèlement aux jeux de stratégie (et aux simulateurs de vol omniprésents) entre le début des années 1990 et le milieu des années 2000, à savoir une douzaine de titres dans des genres variés et suivant une approche plus exploratoire : avec quasiment une sortie dans un nouveau genre chaque année, il s’agissait presque systématique- ment d’unicums ou presque en leur temps, quelques-uns de ces genres n’ayant même jamais connu d’autre développement par la suite sur la thématique de la Première Guerre mondiale. Il s’agissait de manière générale de diverses variantes de jeux d’action, fondamentalement opposés au « sérieux » des jeux de stratégie, et cherchant plutôt à tirer parti des nouvelles possibilités offertes par les consoles de jeux. Pour certains, la Grande Guerre n’était en réalité qu’une toile de fond. C’est typiquement le cas du premier, The Young Indiana Jones Chronicles, sorti sur NES109 en 1993110 : adapté de la série télévisée du même nom, il s’agissait d’un jeu de plate-forme111 où le héros Indiana Jones suivait la trace d’un artefact égyptien à travers la révolution mexicaine, l’insur- rection de Pâques à Dublin, une bataille de la Somme fantasmagorique112, un combat aérien sous forme de side scroller pour descendre le Baron Rouge, et un étrange quartier général allemand rempli de technologies « futuristes ». Le décalage était encore plus évident l’année suivante avec Castlevania: Bloodlines sur Sega Genesis113 : épisode d’une série de jeux mettant en scène un chasseur de vampires affrontant les forces du comte Dracula, celui-ci présentait la Grande Guerre comme un sacrifice vampirique et consistait à affronter des squelettes réanimés de soldats allemands dans plusieurs lieux européens, dont seuls une fabrique de munitions allemande et le château de Versailles avaient un quel- conque lien avec la guerre (tout en restant de simples prétextes de décors pour de classiques niveaux de plate-forme). En 1996 et 1997, ce sont deux jeux d’aventure en point-and-click114 qui firent référence aux mouvements natio- nalistes serbes ayant précipité le début de la guerre : dans Titanic: Adventure Out of Time, le héros avait la possibilité sur le Titanic de modifier l’histoire en empêchant les deux guerres mondiales (notamment en s’emparant de diamants

109 Nintendo Entertainment System, console commercialisée par Nintendo de 1985 à 1995 aux États-Unis. 110 Jaleco, The Young Indiana Jones Chronicles, Jaleco USA, 1993. 111 Type de jeu où le personnage contrôlé par le héros avance dans un niveau constitué d’une succession de plateformes en éliminant des ennemis génériques jusqu’à affronter un boss de fin de niveau nettement plus difficile à battre. 112 On y trouve, pêle-mêle et sans cohérence, tous les éléments stéréotypiques du front occidental de la Grande Guerre : allemands à casques à pointe, triplans Fokker, chars primitifs, auto- mitrailleuses, boue, obus, motocyclettes, grenades, gaz, casemates, barbelés, Grosse Bertha, Zeppelins, le tout disposé selon les seuls codes du jeu de plate-forme. 113 Konami, Castlevania: Bloodlines, Konami, 1994. 114 Type de gameplay consistant pour le joueur, voyant l’action sous forme d’instantanés fixes, à cliquer sur des éléments de décor, des personnages, des objets ou des choix de dialogue pour faire avancer l’intrigue. 148 Cyril Lacheze et Marion Weckerle destinés à financer la Main Noire115)116, et on retrouvait les mêmes réseaux terroristes serbes impliqués dans des trafics d’armes à bord de l’Orient-Express dans The Last Express117. En 2002, plus dynamique, car abandonnant le point- and-click pour l’action, Eternal Darkness: Sanity’s Requiem sur GameCube s’ins- pirait directement de l’univers de Howard Phillips Lovecraft118, pour proposer une aventure d’horreur psychologique se déroulant dans treize tableaux diffé- rents entre 2000 avant et 2000 après notre ère, l’un d’eux étant la cathédrale d’Amiens transformée en hôpital militaire en 1916119. Enfin et toujours en lien avec le fantastique, Shadow Hearts: Covenant sur PlayStation 2 en 2004 suivait les codes typiques des RPG120 japonais pour chasser un démon du village de Domrémy121 assiégé par les Allemands en 1915122. Par ailleurs, en 1999, la Grande Guerre, ou plutôt une uchronie prenant place à Petrograd en 1917 (avec des armes en grande partie anachroniques), faisait son apparition dans le champ des FPS avec Codename Eagle123 : jeu d’aventure et d’infiltra- tion, celui-ci disposait surtout d’un mode multijoueur qui évoque manifes- tement, avec un peu d’avance, les jeux de type Battlefield124. L’autre FPS de la période, Iron Storm paru en 2002, était lui aussi une uchronie, cette fois dans une Première Guerre mondiale qui aurait perduré jusqu’en 1964 et où les alliés occidentaux s’opposeraient à un bloc constitué de l’Allemagne, la Russie et la Chine125 : l’environnement était globalement inspiré de la Grande Guerre, mais avec des armes pour la grande majorité liée au second conflit mondial voire à la guerre froide. Nettement plus orienté arcade et humour encore, typique de la PlayStation, Hogs of War mélangeait en 2000 un peu de tactique à de l’arcade pure, dans une Grande Guerre à peine esquissée combat- tue par des cochons126. L’année suivante, Wardoves: Secret Weapon of World War I consistait même au sens propre en un tir aux pigeons, puisqu’il s’agissait

115 Société secrète nationaliste serbe fondée en 1911, supervisant les actions anti-autrichiennes en Serbie avant-guerre et ayant notamment fourni les armes employées par Gavrilo Princip et ses complices lors de l’attentat de Sarajevo en 1914. 116 CyberFlix, Titanic: Adventure Out of Time, GTE Entertainment, Europress, 1996. 117 Smoking Car Productions, The Last Express, Brøderbund, 1997. 118 Cet univers, développé à travers de nombreuses nouvelles dans les années 1920 et 1930, est dans son ensemble désigné sous le nom de « mythe de Cthulhu ». 119 Silicon Knights, Eternal Darkness: Sanity’s Requiem, Nintendo, 2002. 120 Role Playing Game, genre de jeu dans lequel le joueur incarne directement un personnage, le caractère et les habilités de celui-ci évoluant au cours du jeu. 121 Le choix de ce lieu n’a rien d’aléatoire : Domrémy-la-Pucelle est le village natal de Jeanne d’Arc, élément culturel auquel les joueurs japonais sont susceptibles de pouvoir se référer. 122 Nautilus, Shadow Hearts: Covenant, Midway Home Entertainment, 2004. 123 Refraction Games, Codename Eagle, Take-Two Interactive, 1999. 124 La ressemblance avec les premiers Battlefield n’est pas fortuite : Refraction Games, le studio ayant produit Codename Eagle, a ensuite très rapidement été intégré à DICE (qui produit les Battlefield), et le moteur de jeu a été réemployé d’un titre à l’autre. 125 4X Studios, Iron Storm, Wanadoo, Dreamcatcher Interactive, Reef Interactive, 2002. 126 Infrogrames, Hogs of War, Infogrames Sheffield House, 2000. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 149 simplement d’éliminer des pigeons voyageurs envahissant l’écran, en évitant les avions, chars et grenades lancées sur le joueur127. Il faut enfin mentionner un ultime jeu de cette période, le seul parmi ces jeux d’action ou d’aven- ture à réellement se pencher sur la Grande Guerre en tant que telle : WWI Medic, produit et édité par Bay 12 Games en 2004128. Ce studio, unique- ment composé des frères Tarn et Zach Adams, est surtout célèbre pour Dwarf Fortress (2006), jeu de gestion médiéval-fantastique en génération procédurale réputé à la fois pour son niveau de détails, sa difficulté, sa complexité, l’intel- ligence du concept et ses graphismes en caractère ASCII129. Sans surprise, un certain nombre de ces caractéristiques se retrouvaient dans WWI Medic : dans des graphismes simplistes volontairement inspirés de ceux de la décennie 1980, le joueur contrôlait un médecin devant aller chercher et soigner des blessés dans le no man’s land entre deux assauts et au milieu des bombarde- ments, le gameplay étant extrêmement limité, mais parvenant tout de même à rendre tangibles le chaos du champ de bataille et la dangerosité du rôle de brancardier.

Action, casual gaming et jeux amateurs : 2005-2020

Nous avons pu constater que, jusqu’au milieu des années 2000, les jeux consacrés à la Première Guerre mondiale (simulateurs de vol exceptés) corres- pondaient majoritairement à des jeux de stratégie (principalement wargames dans les années 1980-1990, plutôt STR au début des années 2000, avec quelques jeux de grande simulation), avec un certain nombre d’autres genres apparus ponctuellement depuis le début des années 1990, mais jamais exploi- tés de manière soutenue. Après un certain creux en 2005-2006 (un seul jeu paru pour chacune de ces années hors simulateurs de vol), les sorties se sont fait beaucoup plus soutenues depuis 2007, avec au minimum 3 jeux hors simulateurs quasiment chaque année, et jusqu’à une dizaine en 2015. De plus, les genres plébiscités étaient totalement différents : un écroulement des wargames et STR au profit de la grande stratégie, une emphase importante sur les jeux d’aventure, les FPS voire les jeux d’horreur, et le développement de jeux plus orientés vers le casual gaming130, ainsi que de jeux produits par des amateurs et diffusés sur la plate-formeSteam .

127 Redfire Software, Wardoves: Secret Weapon of World War I, uWish Games, 2001. 128 Bay 12 Games, WW1 Medic, Bay 12 Games, 2004. 129 American Standard Code for Information Interchange. Norme de codage de caractères limitée mais extrêmement répandue, permettant d’afficher les lettres, les chiffres et quelques caractères spéciaux ou de ponctuation. Pour Dwarf Fortress, il s’agit dans l’absolu d’un abus de langage car la table des caractères employée est la Codepage 437, un peu plus étendue. 130 Pratique de jeux simples à prendre en main et avec une difficulté modérée, permettant un jeu « facile », au contraire des jeux plus traditionnels qu’il est nécessaire d’apprendre à maîtriser. 150 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

Comme indiqué précédemment, les jeux de stratégie sur la Grande Guerre ont donc été depuis une dizaine d’années totalement dominés par la grande stratégie, avec quasiment un titre par an dans ce genre. Pour se renouveler et se démarquer de la concurrence, ces différents jeux portant à quelques exceptions près toujours sur le même sujet travaillèrent généralement sur une améliora- tion et multiplication des aspects liés à la gestion, sur un agrandissement des cartes, et/ou sur une augmentation de leur précision (sans toutefois atteindre celle d’un wargame dans tous les cas131). Le premier jeu de grande stratégie de cette « série », Aggression: Europe Under Fire en 2007, se rattachait toutefois encore à un modèle préexistant, avec une juxtaposition de phases de grande tactique et de stratégie en STR, à la manière des Total War ou de ce qui avait déjà été tenté par World War I en 1986132. La période chronologique englobait cependant les deux conflits mondiaux, avec plus d’emphase sur le second, et ce mode de jeu ne fut pas poursuivi par la suite. L’année suivante, le jeune studio AGEod, spécialisé dans les jeux de grande stratégie, revenait à une présen- tation plus classique avec World War One: La Grande Guerre133. L’insistance était mise sur les détails de la carte et la possibilité de jouer un nombre impor- tant de nations, y compris des pays européens « oubliés » peu assimilés à la Grande Guerre (Grèce, Roumanie…), mais également des espaces colonisés (sous différentes modalités) par les grandes puissances en guerre, en Afrique ou au Moyen-Orient par exemple. En 2010 et 2011, Victoria II puis Darkest Hour: A Hearts of Iron Game, tous deux édités par Paradox Interactive, présen- tèrent une configuration similaire, bien que la Première Guerre mondiale ne représentait qu’une fraction de ces jeux : comme son homonyme de 2003, le premier couvrait avant tout le XIXe siècle134, et le second ne consacrait qu’un seul scénario à cette guerre, les autres se tournant vers la Seconde135. Très rapi- dement, les jeux entièrement dédiés à la Grande Guerre s’orientèrent vers une carte plus détaillée, mais en conséquence recentrée sur l’Europe (en conservant tout de même l’Afrique du Nord, le Proche-Orient et l’Atlantique) et non plus mondiale : ce fut le cas de Strategic Command Classic: WWI, aux graphismes assez simplistes, en 2011136, et Commander: The Great War en 2012137, tous

131 Schématiquement et sous réserve de quelques exceptions, les jeux de grande stratégie les plus précis individualisent des chef-lieux de départements et des unités de l’ordre de la brigade (un peu moins de 10 000 hommes) ; les wargames, pour leur part, détaillent au moins les chef-lieux de cantons, et des unités de l’ordre de la compagnie (moins de 300 hommes). 132 Lesta Studio, Aggression: Europe Under Fire, Buka Limited, 2007. 133 Le studio AGEod est grenoblois, ce qui peut expliquer le choix d’un sous-titre en français. AGEod, World War One: La Grande Guerre, Ascaron Entertainment, 2008. 134 Paradox Development Studio, Victoria II, Paradox Interactive, 1C/Snowball Studios, 2010. 135 Darkest Hour Team, Darkest Hour: A Hearts of Iron Game, Paradox Interactive, 2011. 136 Fury Software, Matrix Games, Strategic Command Classic: WWI, Matrix Games, 2011. 137 The Lordz Games Studio, Slitherine, Matrix Games,Commander: The Great War, Slitherine, Matrix Games, 2012. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 151 deux édités par Matrix Games et par Slitherine pour le second. Dès 2014, afin de poursuivre cette recherche d’améliorations, le studio AGEod édité par Slitherine proposa de nouveau une carte plus grande dans To End All Wars, les « régions » (ou zones différenciées) se comptant en milliers, avec également un développement des aspects annexes au champ de bataille, comme la personna- lité des dirigeants militaires et civils, les technologies, la logistique ou encore le moral138. L’année suivante, Making History: The Great War mettait lui aussi l’accent sur le commerce et les infrastructures, à une échelle mondiale139. Plus récemment encore, on vit enfin réapparaître le choix de ne traiter en détail qu’une situation chronogéographique bien précise, en l’occurrence la Russie. AGEod et Slitherine se consacrèrent ainsi à la révolution russe dans Revolution Under Siege en 2015140, et en 2018 la campagne de Tannenberg voisinait deux campagnes napoléoniennes et deux sur les offensives soviétiques de 1945 dans Wars Across The World: Russian Battles141. Il convient également de mentionner l’existence d’un sous-genre plus inat- tendu, le STR de grande stratégie multijoueur, expérimenté dès 2009 avec succès sur navigateur, avec Supremacy 1914142, et de nouveau employé dans Supreme Ruler: The Great Waren 2017, celui-ci s’orientant plus vers un jeu libre, permettant de jouer la plupart des pays du monde sur le plan de leur gestion interne et non uniquement des opérations militaires, et ce potentielle- ment à travers tout le XXe siècle, même si les parties commençaient systémati- quement pendant la Grande Guerre143. Les autres genres de jeux de stratégie, sous-représentés, sont réapparus très tardivement : en 2015 pour les wargames avec Spirit of War, extrêmement similaire à l’antique History Line: 1914-1918 de 1992144, suivi par le très documenté The Operational Art of War IV en 2017, à la limite du jeu de grande stratégie en termes d’échelle et faisant un usage du code OTAN tout à fait classique dans la lignée des premiers wargames, mais dont seule une vingtaine de scénarios sur les 200 du jeu concernait la Grande Guerre (dont des conflits périphériques, à savoir les deux guerres balkaniques de 1912 et 1913, la guerre soviéto-polonaise de 1919-1921, et la guerre gréco- turque de 1919-1922)145. Un unique STR est à relever sur la même période, prenant enfin en compte les spécificités de la Première Guerre mondiale. Avant d’être proposé comme jeu individualisé en 2015, Battle of Empires: 1914-1918

138 AGEod, To End All Wars, Slitherine, 2014. 139 Muzzy Lane Software, Factus Games, Making History: The Great War, Factus Games, 2015. 140 Sep Reds, AGEod, Revolution Under Siege, Slitherine, 2015. 141 Strategiae, Wars Across The World: Russian Battles, Plug In Digital, 2018. 142 Bytro Labs, Supremacy 1914, Bytro Labs, 2009. 143 BattleGoat Studios, Supreme Ruler: The Great War, BattleGoat Studios, 2017. 144 Nous n’avons pu accéder au manuel de ce jeu, mais il pourrait même s’agir au sens propre d’un remake de History Line: 1914-1918. G-OLD, Spirit of War, Plug In Digital, 2015. 145 TrickeySoft LLC, The Operational Art of War IV, Slitherine, 2017. 152 Cyril Lacheze et Marion Weckerle avait été originellement développé comme un mod pour Men of War: Assault Squad (2011), axé sur la Seconde Guerre mondiale146 ; le moteur de celui-ci était toutefois suffisamment polyvalent (prenant notamment en compte le fait que des combats de position ont également eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale) pour pouvoir être adapté à un autre type de conflit de manière pertinente. Il s’agissait d’un STR joué à un niveau tactique, où chaque soldat pouvait être contrôlé individuellement, et dans des environnements histori- quement réalistes. La diversité et la précision des armements, quoique n’attei- gnant pas celle d’un wargame, pouvaient être soulignées, y compris pour les armes individuelles ou encore les automitrailleuses. Les unités incluaient égale- ment des catégories souvent oubliées, comme les armées austro-hongroise ou ottomane147, les troupes de l’ANZAC dans l’armée britannique, les partisans russes, ou encore l’infanterie belge (jouable dans l’armée française). Il convien- drait d’ajouter Steam Squad paru en 2016148, au gameplay similaire, mais dans une Première Guerre mondiale uchronique à l’ambiance steampunk149. De nouveaux types de jeux assimilables à ceux de stratégie se sont par ailleurs développés de manière importante depuis le début des années 2000, à commencer par ceux que nous regroupons sous le nom de castle attack, que l’on pourrait considérer comme des jeux de tactique simplifiés. Il s’agit de croisements entre des STR très simples et des jeux d’artillerie de type Crush the Castle (2009) ou Angry Birds (2009), consistant à détruire un « château » adverse et ses occupants en ajustant le tir d’une machine de siège. Dans ces jeux de castle attack, chaque camp dispose d’une base, qu’il peut éventuelle- ment avoir conçue lui-même, doit gérer ses ressources pour recruter des unités (de distance ou de contact), et envoyer celles-ci à l’attaque de manière coor- donnée au moment opportun pour capturer la base adverse. On comprend donc que le gameplay de ces jeux se concentre avant tout sur la gestion du temps, mais n’exploite pas les trois dimensions spatiales, les unités allant généralement en ligne relativement droite d’une base à l’autre. Ceci facilite

146 Great War Team, Battle of Empires: 1914-1918, Best Way Soft, 2015. 147 Nous n’avons pu trouver une liste complète des unités que pour la première version du jeu, alors qu’il n’était encore qu’un mod et n’incluait pas encore l’Empire ottoman, et pour l’armée russe dans le jeu final. Nous ne pouvons donc préciser la liste des unités ottomanes jouables, et celles des autres armées (excepté la russe) sont probablement quelque peu différentes dans le jeu définitif. 148 Bretwalda Games, Steam Squad, Bretwalda Games, 2016. 149 Sous-genre particulièrement courant de rétrofuturisme, soit d’univers uchroniques mélangeant éléments archaïques et futuristes par rapport à une époque donnée. Le steampunk, plus précisé- ment, se présente généralement comme un début de XXe siècle alternatif dans lequel les tech- nologies propres au XIXe siècle (et en particulier le moteur à vapeur, d’où son nom) auraient été améliorées et miniaturisées, en lieu et place du développement d’autres branches tech- niques (comme le moteur à explosion). L’aspect esthétique correspond à un mélange exacerbé d’éléments victoriens et industriels. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 153 la programmation et la jouabilité de ces titres, qui peuvent ainsi souvent être considérés comme des casual games, mais en font également un genre particu- lièrement intéressant pour la description d’une guerre de position. En effet, si l’on fait abstraction de l’aviation qui obéit à d’autres logiques, et de la guerre des mines (globalement quasiment absente de tous les jeux de notre corpus), les combats de tranchées du front occidental de la Grande Guerre consistaient principalement pour l’infanterie à sortir de ses tranchées et progresser en ligne droite vers les tranchées adverses, en bonne coordination avec l’artillerie. Ce potentiel a été très bien saisi dès 2008 avec Warfare 1917, jeu sur navigateur dans lequel le joueur doit capturer la tranchée adverse à l’aide de forces prin- cipalement composées d’infanterie, avec un soutien d’artillerie150. Si la durée de vie du jeu reste courte, les mitrailleuses et barrages d’artillerie adverses réduisent régulièrement les vagues d’attaques du joueur à néant avant que celles-ci ne soient même à porter de tirer, débouchant naturellement sur une compréhension du rôle des bombardements préliminaires et donc des méca- nismes basiques de la guerre de tranchées. Le potentiel en casual gaming étant évident, une quasi-copie pour iOS est parue dès l’année suivante, Trenches151, suivie de Trenches 2 en 2011152, puis en 2016 à nouveau sur PC avec Command of War, ajoutant quelques éléments de gameplay (un aspect shooter notam- ment153) sur un principe toujours identique154. En 2018, deux jeux dévelop- pèrent encore cette idée en y ajoutant des aspects s’approchant plus des STR tactiques : On The Western Front, où le joueur plaçait lui-même les tranchées (ainsi que les sapes de mines, éléments suffisamment rares pour être relevés)155 et Soldiers Lost Forever (1914-1918), semblables aux précédents, mais où le joueur contrôlait de plus un soldat en particulier156. On peut assimiler à ces jeux ceux de tower defense, dans lesquels le joueur doit cette fois empêcher des vagues d’ennemis de capturer sa base, en plaçant les défenses appropriées à des emplacements prédéfinis. Ce genre a été adapté à la Grande Guerre avec Toy Soldiers en 2010157 et Toy Soldiers: War Chest en 2015158, avec des mitrailleuses et canons en guise de « tours », et dédramatisant l’ambiance en plaçant le décor dans un coffre à jouets au milieu d’une chambre d’enfant. Pourtant, le principe même du gameplay – le massacre à la chaîne de masses

150 ConArtist, Warfare 1917, Armor Games, 2008. 151 Thunder Game Works, Trenches, Thunder Game Works, 2009. 152 Thunder Game Works, Trenches 2, EA Games, 2011. 153 Le terme de shooter, employé seul, désigne un genre de jeu consistant à détruire des ennemis simplement en cliquant dessus, sans autre forme de stratégie. 154 Il semble que ce jeu soit resté à l’état de version bêta jouable. Red Cube Games, Command of War, Red Cube Games, 2016. 155 Aggroblakh, On The Western Front, Aggroblakh, 2018. 156 Jake Olson, Soldiers Lost Forever (1914-1918), Impartial Studios, 2018. 157 Signal Studios, Toy Soldiers, Microsoft Game Studios, 2010. 158 Signal Studios, Toy Soldiers: War Chest, Ubisoft, 2015. 154 Cyril Lacheze et Marion Weckerle de fantassins indifférenciés – procurait en réalité un sentiment de pertinence historique étrangement efficace pour untower defense, d’autant que le joueur pouvait lui-même commander ses « tours », et que celles-ci représentaient des armements réels bien identifiés (d’ailleurs parfois peu communs, par exemple pour l’artillerie antiaérienne)159. Tirant parti de l’amélioration des capacités des machines en matière de graphisme, le dernier genre de jeu plus ou moins réaliste, parmi ceux axés sur le combat, à s’être développé de manière importante depuis le milieu des années 2010, est celui des FPS et simulateurs assimilables (outre les simu- lateurs de vol). On notera avant cette date, en 2009, la sortie à la fois de Darkest of Days, relativement réaliste pour son temps, mais dont la bataille de Tannenberg ne constituait qu’un des multiples tableaux historiques160, et de Boğaz Harbi: Çanakkale Savaşı Destanı, remarquablement consacré à la bataille de Gallipoli envisagée du point de vue ottoman, mais à la diffusion limitée étant donnée sa concentration sur le marché turcophone161. Ce genre se développa toutefois soudainement en 2015 avec Verdun162 : il s’agissait cette fois d’un jeu multijoueur entièrement consacré au front occidental, toujours pratiqué, avec des combats de tranchée se voulant réalistes (dans le mode de jeu le plus historique, chaque équipe doit s’emparer de la tranchée adverse ou défendre la sienne) et des armes bien détaillées. La difficulté de la visée (sans assistance et avec une stabilité imparfaite rendant compte du poids de l’arme) et les temps de rechargement importants y sont rendus, avec de plus l’inclusion des grenades ou encore des armes de corps-à-corps, qu’il s’agisse de couteaux, de pelles ou de masses. L’absence de bombardement important et la limitation du nombre de joueurs (techniquement, afin d’équilibrer le gameplay sur chaque carte, et humainement puisque le jeu reste relativement peu connu, surtout par rapport à Battlefied 1163) rendent toutefois difficile une immersion dans un combat violent et soutenu, la situation de jeu corres-

159 Nous n’avons pas pu nous procurer la liste complète des unités disponibles, il manque en conséquence dans les relevés celles de l’armée française ainsi que les avions. 160 8monkey Labs, Darkest of Days, Phantom EFX, 2009. 161 Il semble que le jeu n’ait pas dépassé la version bêta, et nous n’avons pas pu trouver de liste des armes représentées. Kodgraf Oyun Stüdyosu, Boğaz Harbi: Çanakkale Savaşı Destanı, Kodgraf Oyun Stüdyosu, 2009. 162 M2H, Blackmill Games, Verdun, M2H, Blackmill Games, 2015. 163 D’après les statistiques publiées par la plate-forme Steam, le nombre moyen de joueurs par jour sur un mois pour Verdun a dépassé 650 en juin 2017, mais il n’a jamais atteint les 200 entre mars et octobre 2018. En comparaison, Battlefield 2, sorti en 2005 soit une décennie auparavant, rassemble toujours actuellement deux fois plus de joueurs. Battlefield 1 rassemble à la mi-2018 autour de 100 000 joueurs par jour en moyenne, et les jeux les plus pratiqués peuvent aisément dépasser le million. Il est à noter que la série Battlefield comprend à l’heure actuelle six titres, Battlefield 2 étant le second comme son numéro l’indique, mais Battlefield 1 est le cinquième (le 1 fait référence à la Première Guerre mondiale). La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 155 pondant plutôt à des escarmouches. En 2017, la même équipe développait Tannenberg, équivalent de Verdun pour le front oriental (prenant également en compte l’armée autrichienne) et détaillant encore plus les différents arme- ments individuels, mais le jeu rencontre encore moitié moins de public que son prédécesseur déjà peu fréquenté164. On peut ajouter Revolt 1917 en 2018, jeu indépendant situant son action au sein de la révolte arabe et prenant en compte les spécificités du Proche- et Moyen-Orient en termes de gestion de l’hydratation pour le personnage165, ainsi que The Trench 1916, toujours en développement, se situant pendant la bataille de Verdun avec un gameplay semble-t-il proche de celui de Verdun (2015), mais non multijoueur, permet- tant ainsi potentiellement de mieux rendre l’ambiance générale en ajoutant des personnages contrôlés par l’ordinateur166. Cependant, le FPS incontournable sur la Première Guerre mondiale en termes de répercussion médiatique et de nombre de joueurs est très nettement Battlefield , 1 transportant dans la Grande Guerre un gameplay multijoueur traditionnellement orienté arcade et très dynamique, développé sur une série centrée autour de la Seconde Guerre mondiale et des guerres modernes voire futuristes167. En conséquence, bien que le jeu propose des cartes en lien avec la guerre de tranchées, celles-ci ne sont pas réellement utilisées comme telles avec un rôle protecteur statique. Ceci est notamment valable pour le mode de jeu multijoueur, le moins historique, mais le plus pratiqué, le jeu « solo » présentant des scénarios nettement plus ancrés dans la réalité quoique toujours orientés arcade. Par contre, à la différence deVerdun (2015) ou Tannenberg (2017), la popularité du jeu permet de mobiliser un grand nombre de joueurs par partie, évitant l’effet de carte vide. Le grand intérêt deBattlefield 1 réside toutefois dans la variété de cartes, figurant avec un réalisme relativement travaillé tant les fronts européens, dont ceux peu connus comme les Alpes, que l’Orient, mais aussi d’armes disponibles, en particulier pour l’armement individuel, bien que souvent quelque peu simplifiées (leur maniement n’est pas particulière- ment réaliste et les temps de rechargement sont écourtés, par exemple). Les armes disponibles devant être similaires dans toutes les armées et permettre une importante fluidité du gameplay, ce jeu a souvent été décrié par la critique comme mettant en scène un armement anachronique. De fait, celui-ci met l’accent sur les armes à tir rapide, qu’il s’agisse des fusils-mitrailleurs (ou mitrail- leuses) effectivement en usage à l’époque, mais aussi des armes portatives que sont les pistolets mitrailleurs et fusils automatiques. Pour ces dernières (souvent

164 Tannenberg n’a jamais dépassé une moyenne mensuelle de 200 joueurs par jour, et n’a à l’heure actuelle (octobre 2018) pas atteint la centaine depuis décembre 2017. M2H, Blackmill Games, Tannenberg, M2H, Blackmill Games, 2017. 165 Juhbee, Revolt 1917, Juhbee, 2018. 166 Gallica Game Studio, The Trench 1916, Gallica Game Studio, à paraître. 167 EA DICE, Battlefield 1, Electronic Arts, 2016. 156 Cyril Lacheze et Marion Weckerle regroupées sous le terme générique de « mitraillettes »), les modèles présentés sont soit des prototypes qui n’ont jamais vu le combat, soit des armes ayant réellement été employées, mais en très petit nombre et de manière anecdotique, pour des troupes de choc ou de façon expérimentale. Si la prédilection des joueurs (orientée par le gameplay) pour ces armes en multijoueur a tendance à transformer ces curiosités historiquement rarissimes en armes de premier choix dans le jeu, il faut tout de même remarquer que la diversité en armes offerte par Battlefield 1 ne s’arrête pas là : un grand nombre de modèles de revolvers et pistolets ont été modélisés, de même qu’une sélection très convenable de fusils et grenades, plusieurs fusils à pompe (particulièrement liés à l’armée améri- caine pendant la guerre), ou encore des armes blanches incluant la pelle, divers couteaux, mais aussi des armes improvisées. On y trouve également un choix appréciable de canons et avions, mais surtout des véhicules terrestres incluant, outre les chars habituels, des automitrailleuses pour certaines jamais encore incluses dans un jeu sur la Grande Guerre ainsi que des motocyclettes. Enfin, Battlefield 1 a fait polémique à sa sortie car il permettait de jouer des soldats américains, mais non français ou russes, qui n’ont été ajoutés que par la suite. Si ce choix est critiquable et manifestement lié à des raisons commerciales, idéo- logiques et politiques, il faut tout de même remarquer qu’il s’agit également du premier titre à rendre jouable les États-Unis parmi les FPS et genres assimilés (à l’exception de Wargame Construction Set II: Tanks! en 1994, depuis long- temps oublié, et de Jutland (2006), limité à la guerre navale), ainsi que l’Italie. Malgré ces choix surprenants et l’historicité douteuse de certaines armes et du gameplay, il faut ainsi reconnaître à Battlefield 1 une capacité d’immersion du joueur et de choix de matériel seulement concurrencée, dans certaines limitées, par Verdun (2015) et Tannenberg (2017), avec un engouement populaire ayant permis de faire redécouvrir cette guerre à de nombreux joueurs. Parallèlement, cette période a également vu la parution de quelques titres de simulation navale ou assimilés. En 2006, Jutland, supplément pour le jeu Distant Guns sur la guerre russo-japonaise et ayant connu de multiples addi- tions dans les années suivantes, reprenait la logique de Dreadnoughts (1992) et Jutland (1993) avec une simulation extrêmement détaillée et réaliste, notam- ment sur la gestion des paramètres liés à la distance entre les navires, qui en fait toujours une référence plus d’une décennie après168. La liste des bâtiments présentés avait encore été agrandie, notamment par l’adjonction des marines française et américaine. Même pour les nationalités déjà simulées auparavant, la liste des cuirassés et croiseurs représentés était presque aussi complète, mais il fallait y ajouter un important travail sur les destroyers et l’intégration de type de bâtiments jusqu’alors négligés, comme les porte-avions, mouilleurs de mines, croiseurs auxiliaires, sous-marins, quelques monitors britanniques

168 Norm Koger, Jim Rose, Jutland, Storm Eagle Studios, 2006. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 157 employés comme artillerie côtière, et une liste appréciable de dirigeables alle- mands. On notera simplement que, le jeu étant centré autour de la bataille du Jutland en 1916, les navires trop anciens à cette époque n’étaient pas représen- tés, tout comme ceux lancés après. Il faut ajouter à ce jeu 1914 Shells of Fury paru l’année suivante, simulant le fonctionnement d’un sous-marin allemand attaquant des convois dans l’Atlantique du point de vue du capitaine, avec une vue au périscope à la première personne169. La diversité présentée était toutefois limitée, avec seulement quatre types de sous-marins jouables, dont deux génériques170. Malgré la diversité et qualité des simulateurs de sous- marins consacrés à la Seconde Guerre mondiale ou à la guerre froide (la série des Silent Hunter pour ne citer qu’elle), la Première Guerre mondiale est donc restée une période oubliée pour cette arme, le plus récent U-Boats en 2016 étant avant tout un shooter éloigné de toute réelle simulation171. Pour les bâtiments de surface, cette lignée ponctuelle presque unique- ment constituée de simulateurs très précis et complets connut quant à elle un équivalent de Battlefield 1, à savoir un jeu plus dynamique et arcade destiné à un public plus large, mais tout de même un minimum documenté avec un nombre appréciable de bâtiments historiques, avec World of Warships en 2015172. La série des World of, qui comprend également des opus sur les chars (World of Tanks en 2009173) et sur les avions (World of Warplanes en 2013), se penche avant tout sur la Seconde Guerre mondiale avec ses prémisses pendant l’entre-deux-guerres et ses suites au début de la guerre froide, et n’inclut en conséquence aucun avion et quasiment aucun char de la Grande Guerre à de très rares exceptions près174. Son concurrent direct, War Thunder (2013), en fait également totalement abstraction. Cependant, afin d’offrir une évolu- tion aussi nette dans les armements que ses équivalents sur terre et sur mer, World of Warships inclut des navires remontant jusqu’au début du XXe siècle. Il ne s’agit pas de simulations de batailles historiques, mais uniquement d’af- frontements entre équipes de joueurs, avec une prise en compte minimale, voire inexistante, du fonctionnement des navires. Cependant, cette extension temporelle permet de jouer quelques bâtiments de chaque grande classe et de

169 Rondomedia, h2f Informationssysteme, 1914 Shells of Fury, Strategy First, 2007. 170 Anonyme, 1914. Shells of Fury, Strategy First, 2007, 28 p. 171 Astra Game Studio, U-Boats, Astra Game Studio, 2016. 172 Wargaming.net, Lesta Studio, World of Warships, Wargaming.net, Lesta Studio, 2015. 173 Wargaming Minsk, World of Tanks, Wargaming.net, 2009. 174 A savoir le Renault FT, qui a été employé jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, et une variante de celui-ci, ainsi que le Mark I et la Lanchester 4×2 Armoured Car intégrés uniquement pour un mode de jeu célébrant le centenaire du premier emploi des chars en 2016. Ces jeux sont en constante évolution et de nouvelles unités sont ajoutées régulièrement ; les principales nationalités ayant pris part à la Première Guerre mondiale étant déjà présentes, ces ajouts sont toutefois peu susceptibles de concerner des armes de la Grande Guerre, qui constituent au mieux le tout premier niveau du jeu. 158 Cyril Lacheze et Marion Weckerle l’époque de la Grande Guerre pour les marines britannique et allemande, un important choix de cuirassés français et américains, ainsi que des bâtiments japonais et russes plus récents que ceux de la guerre russo-japonaise traités longtemps auparavant dans Dreadnoughts (1992). L’ensemble représente tout de même une cinquantaine de navires (dont un certain nombre de projets n’ayant jamais vu le jour, choix étrange compte tenu du nombre de bâtiments ayant réellement existé, et pour lequel les éditeurs sont régulièrement criti- qués), soit plus d’un sixième des bâtiments du jeu. On notera enfin, pour revenir aux chars et clore cette partie sur les simulations, le développement en cours du jeu indépendant Cry of War, tourné vers la simulation de combats de chars pendant la Grande Guerre, une situation historiquement très rare175. Comme évoqué précédemment, depuis le milieu des années 2000 se sont également développés d’autres genres de jeux, qui n’avaient jusqu’alors été que très ponctuellement abordés. En particulier, un grand nombre de jeux d’aventure ou assimilés a été proposé depuis 2007, prenant la Grande Guerre comme cadre pour le développement d’une intrigue plus ou moins liée. Ce format permet en particulier de produire des jeux avec des moyens limités, mais principalement intéressants pour leur histoire. Le premier d’entre eux, Cover Front paru en 2007, était typiquement un point-and-click gratuit sur navigateur, le joueur contrôlant une espionne devant infiltrer le manoir d’un scientifique malfaisant pendant une Première Guerre mondiale alterna- tive176. Cet ensemble point-and-click-puzzles-espionnage fit d’ailleurs recette puisque dès les deux années suivantes parurent deux jeux de ce type consa- crés à Mata Hari, le premier consistant à infiltrer une base de sous-marins allemands177, et le second se plaçant dans le contexte de la Belle Époque et de l’escalade vers le conflit178 (soit dans les deux cas des activités sans rapport avec la carrière d’espionne – quasi-inexistante – de Mata Hari). Après quelques années sans jeu d’aventure, ceux-ci refirent leur apparition en 2014, au moins en partie en lien avec les commémorations du Centenaire de la guerre. En France, Ubisoft publia Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre, mélangeant principalement point-and-click et puzzles pour suivre le destin de plusieurs personnages impliqués dans les combats du front occiden- tal (des soldats français, allemand et américain, et une infirmière), dans un environnement voulu évocateur et revendiqué comme éducatif179. On notera à son sujet la présence comme personnage jouable d’un chien de recherche

175 L’identification des unités jouables dans le tableau synthétique s’appuie uniquement sur les images publiées du développement. ShanghaiWindy, Cry of War, ShanghaiWindy, à paraître. 176 Pastel Games, Covert Front, 2007. 177 Frogwares Game Development Studio, Secret Missions: Mata Hari and the Kaiser’s Submarines, Frogwares Game Development Studio, 2008. 178 Cranberry Production, Mata Hari, Viva Media, 2009. 179 Ubisoft Montpellier, Soldats inconnus : Mémoires de la Grande Guerre, Ubisoft, 2014. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 159 de blessés, attention intéressante portée au rôle des animaux dans ce conflit, que Battlefield 1 (2016) a également inclus en proposant une « simulation » de pigeon voyageur. La même année, beaucoup plus restreint, mais égale- ment nettement plus réaliste, fut publié Our World War: Interactive Episode, un épisode interactif d’une série de la BBC plaçant le joueur dans le rôle d’un caporal devant commander un groupe de soldats durant les combats de High Wood, pendant la bataille de la Somme180. Toujours en 2014, il faut signaler Fritz, un projet indépendant proche du jeu de rôle, dont le financement participatif a échoué et qui fut donc annulé, mais dont les premières images laissèrent présager un jeu réellement complet concernant l’évocation de la vie des soldats181. Il s’agissait de diriger un appelé allemand tentant de survivre à la vie quotidienne dans les tranchées, sans être accusé de couardise, alternant quelques rares et intenses moments de combat, avec des phases de jeu principales d’attente, voire d’ennui, trompées par l’humour noir, la socialisation avec les autres soldats, ou la recherche de ressources. Dans les années suivantes, les jeux d’aventure prirent un tournant plus contemplatif, jusqu’à devenir plutôt des jeux d’exploration dans certains cas. En 2015, To Burn in Memory se présentait comme une découverte sous forme de textes, à la manière d’un livre, d’une cité ruinée allégorique faisant entre autres référence à la Grande Guerre, mais sans connexion directe avec celle-ci182. L’année suivante, Tales from the Void, incluant des phases de combat tactique en temps réel, envoyait l’équipage d’un sous-marin britan- nique perdu en mer dans une dimension parallèle peuplée d’extraterrestres, les marins démunis devant parvenir à rentrer chez eux183. Plus récemment encore, Because We’re Here ~ Mohnblume und Blauerose proposait sous forme de visual novel184 une histoire d’amour dans le contexte de la guerre de tranchées185, et Temporality, nettement plus expérimental, faisait observer au joueur une scène de charge en vue de côté, lui permettant uniquement de faire avancer et reculer le temps sur une musique introspective, la démarche étant présentée comme une invitation à la réflexion186. Sur une thématique proche, Within

180 Mi, Our World War: Interactive Episode, BBC, 2014. 181 Truceful Entertainment, Fritz, Truceful Entertainment, 2014. 182 Orihaus, To Burn in Memory, Orihaus, 2015. 183 Ce sous-marin, le HMS E18, avait réellement été perdu dans des circonstances mystérieuses au large de l’Estonie en 1916, la découverte de son épave suggérant en 2009 qu’il avait simple- ment heurté une mine sous-marine. PortaPlay, Tales from the Void, Black Dog, 2016. 184 Genre, particulièrement répandu au Japon, s’approchant d’un « livre dont vous êtes le héros » : le joueur joue un personnage interagissant avec d’autres, chaque étape du récit étant repré- sentée sous forme d’un tableau avec le personnage en interaction et une boîte de dialogue, le joueur étant amené de temps à autre à prendre des décisions quant à la conduite du dialogue et à influencer le déroulement du jeu. 185 Studio Elfriede, Because We’re Here ~Mohnblume und Blauerose~, Studio Elfriede, 2018. 186 Ce jeu n’est pas encore disponible à l’heure où nous écrivons, nous nous appuyons donc sur 160 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

Whispers: The Fall, actuellement en développement, fait incarner au joueur une jeune femme s’entretenant avec les fantômes de soldats morts pour tenter de retrouver son frère disparu187. Parallèlement, s’est également développé sur la même période un certain nombre de jeux d’horreur (au sens fantastique du terme), que celle-ci soit utilisée comme un moyen pour décrire la violence et la mort des combats de la Grande Guerre, ou, plus souvent, qu’elle soit considérée comme un cadre approprié pour situer une aventure d’horreur ; il était fréquent que le gameplay en lui-même se rapproche des jeux d’action ou des FPS. Ainsi, en 2007, The Darkness ne portait pas fondamentalement sur la Grande Guerre, mais, dans le cadre d’un scénario d’horreur fantastique, le personnage du XXIe siècle se trouvait pour certaines phases du jeu propulsé dans un no man’s land surréaliste et dépourvu de sens, affrontant des soldats vivants ou morts et les Cavaliers de l’Apocalypse tout en cherchant son ancêtre combattant188. Le plus célèbre de ces jeux est paru en 2009 : NecroVisioN189, avec une suite l’année suivante190. Il s’agit techniquement d’un FPS où le joueur combat à la fois des soldats vivants, d’autres morts et réanimés, ainsi que des démons, le tout dans des tranchées, des forteresses, des laboratoires rétrofuturistes ou encore les Enfers. La violence et l’absurdité de la mort dans les tranchées servent clairement de fondement à l’ambiance générale, contrebalancée par les commentaires du personnage principal versant dans l’humour noir et clairement inspirés de Duke Nukem 3D (1996). On pourra aussi remarquer que le joueur combat en partie avec des armes historiques, dont le rechargement peut être étrangement réaliste pour un jeu orienté arcade. En 2011, 1916 – Der Unbekannte Krieg, développé par une équipe d’étu- diants, se rapprochait plus volontiers de l’aspect psychologique du jeu d’hor- reur191 : le joueur y était perdu dans un labyrinthe de tranchées, poursuivi par des dinosaures, cherchant quelques maigres indices (volontairement en allemand afin de désorienter encore plus le joueur, le jeu étant uniquement proposé en anglais et en danois) pour tenter de trouver l’unique échelle de sortie. Il s’agissait manifestement d’une évocation de la folie susceptible de saisir les soldats, le protagoniste se faisant d’ailleurs tuer par un obus sitôt qu’il avait gravi l’échelle. Le jeu Ad Infinitum, encore en développement en septembre 2017 et probablement abandonné depuis, aurait pu présen-

les présentations et les images de développement publiées. James Earl Cox III, Temporality, James Earl Cox III, 2018. 187 Thorium Studios,Within Whispers: The Fall, Thorium Studios, à paraître en 2019. 188 Starbreeze Studios, The Darkness, 2K Games, 2007. 189 The Farm 51,NecroVisioN , 1C Company, 505 Games, Aspyr Media, 2009. 190 The Farm 51,NecroVisioN , 1C Company, 2010. 191 Kriegsgraben und Stormvogel, 1916 –Der Unbekannte Krieg, 2011. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 161 ter un concept semblable192. Autre projet étudiant de la même année 2011, The Snowfield faisait diriger au joueur un soldat perdu dans une tempête de neige après une bataille193 ; il s’agissait avant tout d’un essai concernant une narration non programmée à l’avance et presque improvisée, mais le tout rendait tout de même une ambiance extrêmement sombre et désespérée. L’année suivante, le genre de l’horreur fut appliqué à la thématique du jeu de rôle mâtiné de tactique au tour par tour, avec Call of Cthulhu: The Wasted Land194 ; il s’agissait de l’univers de Lovecraft, déjà rencontré en 2002 avec Eternal Darkness: Sanity’s Requiem, lequel était en effet globalement contem- porain de la Grande Guerre. Au milieu des combats dans un décor de no man’s land, un groupe d’investigateurs et de soldats y enquêtait sur la présence d’une divinité malfaisante tout en combattant morts-vivants et démons, un scénario typique de cet univers. Enfin, entre 2014 et 2017, a été publiée une série de jeux d’action voire d’arcade, à commencer par le shooter indépen- dant Super Trench Attack!, mettant en scène un Rambo des tranchées dans un gameplay humoristique simple et efficace195. Dans plusieurs styles différents, on peut ainsi citer les shoots ‘em up196 Don’Yoku197 (proche du manic shooter198), et 1917 - The Alien Invasion DX199, sans aucun fond historique et seulement vaguement inspirés de la guerre d’un point de vue graphique, ainsi que Great War 1914, un Retro FPS200 transposant dans l’univers de la Grande Guerre le gameplay de Wolfenstein 3D (1992)201. Enfin, on signalera une mission du jeu Assassin’s Creed Syndicate (situé globalement au XIXe siècle) se déroulant dans le Londres de 1916 pendant un bombardement de Zeppelin, incluant des phases d’infiltration typiques de cette franchise ainsi qu’un passage d’action consistant à manier un canon antiaérien202.

192 StrixLab, Ad Infinitum, StrixLab, à paraître (?). 193 Singapore-MIT Gambit Game Lab, The Snowfield, Singapore-MIT Gambit Game Lab, 2011. 194 Red Wasp Design, Call of Cthulhu: The Wasted Land, Red Wasp Design, 2012. 195 Retro Army, Super Trench Attack!, Retro Army, 2014. 196 Jeu de tir dans lequel le joueur contrôle typiquement un vaisseau situé en bas de l’écran, et doit détruire des vagues d’ennemis arrivant par le haut de l’écran en évitant leurs projectiles. L’archétype de ce genre est Space Invaders (1978). 197 Dark-Spot Studio, Don’Yoku, Dark-Spot Studio, 2015. 198 Sous-genre de shoot ‘em up particulièrement difficile, dans lequel l’écran est saturé de projectiles et le joueur n’a une marge de manœuvre que de quelques pixels. On peut citer particulière- ment Touhou Project (1996). 199 OtakuMaker.com, 1917 - The Alien Invasion DX, Andrade Games, 2016. 200 Le terme « Retro » précédant un genre qui désigne un jeu récent employant volontairement le gameplay et les graphismes de jeux anciens, typiquement des années 1980 et 1990. 201 Musrka, Great War 1914, Blue Whale Games, 2017. 202 Ubisoft Quebec, Assassin’s Creed Syndicate, Ubisoft, 2015. 162 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

Conclusion

La Première Guerre mondiale apparaît comme un conflit difficile à restituer dans les jeux vidéo : les combats de tranchées, perçus à tort comme la constante de ce conflit, imposent une confrontation longue et statique, voire immobile, provoquant un ennui subi par les combattants l’ayant réellement vécue, mais qui n’a rien de vendeur pour un jeu vidéo. De fait, les aspects de gameplay inté- ressants que peut fournir un contexte guerrier, si l’on excepte l’action pure, sont le fait de pouvoir manœuvrer, se déplacer pour contourner ou piéger l’ennemi ; en somme le mouvement. En conséquence, cette démarche de restitution est en fait restée délicate et minoritaire en dehors des simulateurs de vol, du fait qu’il s’agissait d’un conflit de position, et ce malgré un nombre de titres parus depuis la fin des années 1970 en réalité plutôt élevé. Dans les jeux d’avions centrés sur la simulation de vol ou les duels aériens, et ce quel que soit le genre précis de chaque jeu, le gameplay fait appel à l’indépendance du joueur et lui donne des choix, qui se justifient par l’intérêt porté spécifiquement au matériel plus qu’à un scénario – aspects que l’on retrouve quelque peu dans des jeux de simulation consacrés aux matériels terrestres et maritimes, et à la prise d’initiative possible en tant que duelliste. Par contre, les wargames et autres STR, qui semblent être des genres évidents pour décrire une guerre mondiale et effectivement très développés pour la Seconde Guerre mondiale, ont été moins mis à profil et presque systématiquement en corrompant la réalité du combat pour y inclure une guerre de mouvement anachronique – la référence à la Grande Guerre étant essentiellement conservée comme élément surprenant pour accrocher l’attention du joueur potentiel. Par ailleurs, la Première Guerre mondiale est une thématique qui se prête bien aux jeux d’arcade depuis le début des années 1980, ainsi qu’aux jeux d’horreur comme allégorie des horreurs de la guerre, mais toujours avec un rapport éloigné à la réalité historique. Au niveau du matériel mis en scène, celui-ci est rarement très détaillé et la grande majorité des jeux se focalisait sur un ou deux modèles connus du public (parfois par analogie avec ceux de la Seconde Guerre mondiale, quand ils n’ont pas réellement servi dans les deux conflits et donc bénéficié de la notoriété du second), complétant éventuellement avec des engins choisis plus aléatoirement. Ce cas est particulièrement criant pour l’artillerie (Tableau 3) dans laquelle, sur 67 pièces représentées, ne se retrouvent régulièrement que le 7,7 cm Feldkanone 16 et le 10,5 cm leichte Feldhaubitze 16 allemands, le Canon de 75 mm modèle 1897 français et le Ordnance QF 18-pounder britannique. Les choix sont encore plus éparpillés pour l’armement individuel (Tableau 2) : les armes ne sont représentées qu’une ou deux fois (générale- ment dans Verdun, Tannenberg ou Battlefield 1), et, sur 140 modèles, seuls le fusil Mauser (Gewehr 98), la mitrailleuse Maxim (Maschinengewehr 08/15) et le pistolet Luger (Lange Pistole 08), tous allemands, sont relativement courants. Par le faible nombre de modèles en service à l’époque et la fasci- La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 163 nation exercée par ceux-ci sur le public, les véhicules blindés sont par contre représentés de manière plus exhaustive (Tableau 4) : pour les trois grandes nations du front Ouest, deux modèles de char sont quasi omniprésents, à savoir le Sturmpanzerwagen A7V pour l’Allemagne (seul char produit par cette nation durant le conflit), le Char Renault FT et le Saint-Chamond pour la France, le Mark I et le Mark A Whippet pour la Grande-Bretagne ; même les automitrailleuses pourtant moins connues, y compris les russes, sont régu- lièrement mises en scène. Le constat est similaire pour les avions, avec une représentation assez diversifiée qui ne masque pas la prédominance au moins aussi écrasante de quelques types « légendaires » (Tableau 5) : pour l’Alle- magne les Albatros D.III et Fokker D.VII, mais surtout le Fokker Dr.I dans la livrée rouge personnelle de Manfred von Richthofen ; les Spad S.VII et S.XIII français ; et pour la Grande-Bretagne les Airco DH.2 de Havilland, Sopwith Pup, Royal Aircraft Factory S.E. 5, et surtout, sorte de nemesis du Baron Rouge, le Sopwith Camel. Le cas des navires est lui plus particulier, car dominé par des jeux exhaustifs s’adressant à un public hautement connaisseur (Tableau 6) : Dreadnoughts, Great Naval Battles V: Demise of the Dreadnoughts; 1914-18 et Jutland proposent ainsi des listes de bâtiments quasi complètes et donc en grande partie similaires, principalement différenciées par les légers décalages chronogéographiques concernant les contextes traités. Il apparaît en conséquence que les parutions récentes et médiatisées, en particulier Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre, Battlefield 1 et dans une moindre mesure Verdun, s’ils ne sont pas aussi uniques dans leur sujet que ce qui est généralement avancé – souvent présentés comme des exceptions, ils ne représentent en réalité que 2 % du corpus étudié ici – explorent par contre des modes de jeu relativement nouveaux sur le sujet de la Grande Guerre, et à destination d’un public plus large que la grande majorité des titres. La parution d’un jeu « grand public » adoptant une approche réellement histo- rique, prenant en compte toutes les nations en conflit, avec une simulation réaliste – y compris concernant les aspects les plus humains de la bataille, comme la mort, la faim ou la folie – et faisant fi des éléments iconiques de l’imaginaire populaire, mais anecdotiques dans la guerre – comme l’omni- présent triplan rouge du Baron Rouge – reste cependant toujours à désirer, et pourrait possiblement présenter un intérêt pédagogique, certes brutal, voire choquant, par le réalisme encore très rarement exploré.

Cyril Lacheze et Marion Weckerle Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Institut d’Histoire Moderne et Contemporaine Équipe d’Histoire des Techniques [email protected] [email protected] 164 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

Cyril Lacheze fait porter ses recherches sur les modes de conception d’éléments historiques envisagés sous leur aspect d’objets techniques, l’amenant à croiser des sources de natures variées. La restitution de ceux-ci, comme source ou comme élément de médiation, intègre cette réflexion et inclut pleinement la possibilité de modélisation par le jeu. Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Institut d’Histoire Moderne et Contemporaine - Équipe d’Histoire des Techniques • Lacheze Cyril, « Pour une analyse systémique de la technique : exemple de la production de terre cuite architecturale », Cahiers François Viète, III, 6, 2019, p. 77-107, en ligne. • Lacheze Cyril, Weckerle Marion, « Apport de l’archéologie à l’étude des opérations militaires modernes et contemporaines », in Drevillon Hervé, Guillemin Dominique (éds), Histoire des opérations militaires. Sources, objets, méthodes, Vincennes, Service Historique de la Défense, 2018, p. 199-209. Marion Weckerle travaille sur les processus d’invention et d’innovation dans le domaine de l’hydraviation, dans une approche systémique. Sa période d’étude inclut la Première Guerre mondiale, et s’intéresse également à la perception ancienne et actuelle de cette aéronautique, incluant son apparition dans les jeux vidéo. Elle bénéficie en 2018 d’une allocation de thèse du ministère des armées. Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Institut d’Histoire Moderne et Contemporaine - Équipe d’Histoire des Techniques • Weckerle Marion, « L’hydravion dans les revues sportives françaises, 1906-1914 », p. 19, Bulletin des doctorants du centre de recherche en histoire du XIXe siècle, n° 7, printemps 2018, p. 153-169, en ligne. • Weckerle Marion, « L’hydraviation allemande et austro-hongroise dans la Première Guerre mondiale », e-Phaïstos, vol. 4, n° 2, octobre 2015, 8 p., en ligne.

Résumé La sortie récente de quelques jeux vidéo particulièrement médiatisés en lien avec les commé- morations du Centenaire de la Première Guerre mondiale a induit dans la conscience collec- tive une impression de nouveauté de cette thématique dans le champ vidéoludique. En réalité, celle-ci a été abondamment, mais inégalement traitée depuis les années 1980, dans environ 150 titres. Nous parcourons leur historique afin d’en restituer les modalités d’approche du conflit proposées, depuis les premiers simulateurs de vol jusqu’aux jeux de stratégie réalistes, en passant par l’arcade ou l’horreur. Mots-clés histoire, simulateur de vol, stratégie, tactique, arcade, Première Guerre mondiale, jeu. Abstract The recent release of some video games particularly publicized in connection with the commemora- tions of the centenary of the First World War induced in the collective consciousness an impression of novelty of this thematic in the field of video games. In fact, it has been treated extensively but unevenly since the 1980s, in about 150 games. We go through the history of these in order to highlight the approaches of the conflict, from the first flight simulators to realistic strategy games, including arcade or horror. Keywords history, flight simulator, strategy, tactic, arcade, First World War, game. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 165

TABLEAU 1 Liste des jeux analysés. Ce corpus regroupe la totalité des jeux vidéos concernant en totalité ou en partie, sous une forme non modée, la Première Guerre mondiale, sous réserve de quelques oublis. Les genres donnés sont simplifiés, de nombreux titres pouvant être classés dans plusieurs catégories. Concernant les jeux marqués comme à paraître, les informations fournies sont celles connues en octobre 2018.

Année Titre Développeur Éditeur Genre

1975 BiPlane Fun Games Fun Games Side scroller1

1976 BiPlane 4 Fun Games Fun Games Side scroller

1976 Wings Electra Game Electra Game Side scroller

1980 Red Baron Atari Atari Simulateur de vol

1983 Air Battle ? Philips Export B.V. Side scroller

Cases Computer 1983 Battle 1917 Mark Lucas Wargame Simulations

Synapse Software ; 1983 Blue Max Synapse Software Side scroller U.S. Gold

1983 Eagles Paul Murray Strategic Simulations Wargame

The Avalon Hill 1983 Flying Ace Microcomputer Games Side scroller Game Company

1983 Snoopy and the Red Baron Atari Atari Side scroller

1984 Sopwith BMB Compuscience BMB Compuscience Side scroller

1985 Red Baron B. D. Hambüchen Labochrome Side scroller

1985 Sky Kid Namco Namco ; Sunsoft Side scroller

1985 Sopwith2 BMB Compuscience BMB Compuscience Side scroller

Cases Computer 1986 Gallipoli A. et O. Bishop Wargame Simulations

1986 The Great War 1914 Marc Summerlott D.K.G. Wargame

1986 World War I ? M.C. Lothlorien RTS

1987 Battle Cruiser Strategic Simulations Strategic Simulations Wargame naval

Halls of Montezuma: A Battle History Strategic Studies 1987 Strategic Studies Group Wargame of the United States Marine Corps Group

1988 Grand Fleet Simulations Canada Simulations Canada Wargame naval

1989 War Eagles Cosmi Corporation Cosmi Corporation Simulateur de vol

Artech Digital 1990 Blue Max: Aces of the Great War Three-Sixty Pacific Simulateur de vol Entertainment

1990 Command HQ Ozark Softscape Microplay Software RTS

1. Tous les jeux de type side scroller répertoriés ont pour thématique l’aviation. 2. Ce jeu, parfois désigné sous le nom de Sopwith 2, est une seconde version du titre éponyme paru l’année 1Tous les jeux de type side scroller répertoriés ont pour thématique l’aviation. 2Ceprécédente, jeu, parfois y désignéajoutant sous un lecertain nom de nombre Sopwith de 2, fonctionnalités.est une seconde version Une édition du titre “définitive”éponyme paru a l’annéeété publiée précédente, en 2000 y ajoutantsous le unnom certain de Sopwith: nombre deThe fonctionnalités. Author’s Edition Une. édition “définitive” a été publiée en 2000 sous le nom de Sopwith: The Author's Edition. 166 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

1990 Dogfight Richard Ling Amiga (?) Side scroller

The Fourth 1990 Chocks Away Andrew Hutchings Simulateur de vol Dimension

1990 Red Baron3 Dynamix Sierra On-Line Simulateur de vol

1990 Wings4 Cinemaware Cinemaware Simulateur de vol

1991 Knights of the Sky MicroProse MicroProse Simulateur de vol

1991 Powermonger: World War I Edition Bullfrog Productions Electronic Arts RTS

1991 Warbirds Atari Atari Simulateur de vol

Zeppelin Games 1992 Blue Baron Steven Metcalf Side scroller Limited

Turcan Research Turcan Research 1992 Dreadnoughts Simulation maritime Systems Limited Systems Limited

Blue Byte ; Strategic 1992 History Line: 1914-19185 Blue Byte Wargame Simulations

1992 Scenario: Theatre of War Starbyte Software Starbyte Software Grande stratégie

1992 Wings 2: Aces High6 Malibu Interactive Namco Simulateur de vol

1993 Air Duel: 80 Years of Dogfighting Vektor Grafix MicroProse Simulateur de vol

1993 Jutland Software Sorcery Software Sorcery Simulation maritime

Tactique / 1993 The Ancient Art of War in the Skies Evryware MicroProse simulateur de vol

1993 The Young Indiana Jones Chronicles Jaleco Jaleco USA Action

1994 Castlevania: Bloodlines Konami Konami Plate-forme

1994 Dawn Patrol Rowan Software Empire Interactive Simulateur de vol

1994 Wargame Construction Set II: Tanks! Strategic Simulations Strategic Simulations Wargame

19947 Wings of Glory Origin Systems Electronic Arts Simulateur de vol

Empire Interactive 1995 Dawn Patrol: Head to Head Rowan Software Simulateur de vol Entertainment

BevelStone 1995 Fields of Battle BevelStone Production Grande stratégie Production

The War College: Universal Military Intergalactic 1995 GameTek (FL) Wargame Simulator 3 Development

3. Un éditeur de scénario est venu s’y adjoindre deux en plus tard sous le nom de Red Baron: Mission Builder (1992). 4.3Un Une éditeur version de scénariode ce jeu est remasterisée venu s’y adjoindre par le studio deux en Hippo plus tard Entertainment, sous le nom de entièrement Red Baron: Missionen 3D, estBuilder parue (1992). en 2014. 4 5.Une Ce jeuversion est égalementde ce jeu remasterisée connu sous par son le studionom américainHippo Entertainment, : The Great entièrement War: 1914-1918 en 3D, est. parue en 2014. 5Ce jeu est également connu sous son nom américain : The Great War: 1914-1918. 6.6Ce Ce jeu jeu est est également également connu connu sous sous son nomson nomeuropéen européen : Blazing : Blazing Skies. Skies. 7.7Une Une seconde seconde version version est estparue parue l’année l’année suivante, suivante, avec uneavec fluidité une fluidité et des graphismes et des graphismes améliorés. améliorés. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 167

Incorporated

Great Naval Battles V: Demise of the 1996 Divide by Zero Strategic Simulations Maritime Dreadnoughts; 1914-18

19968 Flying Corps Rowan Software Empire Interactive Simulateur de vol

GTE Entertainment ; 1996 Titanic: Adventure Out of Time CyberFlix Aventure Europress

Project Two 1997 ACM 1918 Aqua Pacific Simulateur de vol Interactive BV

1997 Imperialism Frog City Software Strategic Simulations Grande stratégie

1997 Red Baron II Dynamix Sierra On-Line Simulateur de vol

Brøderbund ; Smoking Car Interplay ; 1997 The Last Express Aventure Productions Entertainment DotEmu

BMG Interactive 1997 Wing Nuts: Battle in the Sky Rocket Science Games Simulateur de vol Entertainment

Sony Computer 1998 Crash Bandicoot 3: Warped Naughty Dog Arcade Entertainment

1998 Red Baron 3-D9 Dynamix Sierra On-Line Simulateur de vol

Take-Two 1999 Codename Eagle Refraction Games Interactive ; Tsukuda FPS Original

1999 Curse You! Red Baron Dynamix Sierra On-Line Simulateur de vol

2000 Aces High HiTech Creations HiTech Creations Simulateur de vol

Infogrames Sheffield 2000 Hogs of War Infogrames Stratégie House

Global Star 2000 Master of the Skies: The Red Ace10 Fiendish Games Software ; Small Simulateur de vol Rockets

2001 Empire Earth Stainless Steel Studios Sierra On-Line RTS

2002 Red Ace Squadron11 Small Rockets Global Star Software Simulateur de vol

Wardoves: Secret Weapon of World War 2001 Redfire Software uWish Games Shooter I

TriNodE Entertainment JoWooD Productions 2002 1914: The Great War Wargame Systems Software AG

8. Une édition Gold est parue l’année suivante, incluant des améliorations à plusieurs niveaux et ajoutant le Fokker D-VII aux appareils jouables. 8 9. UneCe jeuédition peut Go êtreld est considéré parue l’année comme suivante, une version incluant améliorée des améliorations de Red Baron IIà plusieurs, paru niveaux l’année et ajoutant précédente. le Fokker D-VII aux appareils jouables. 10.9Ce Également jeu peut être connu considéré sous comme le titre une de versionRed Ace améliorée. de Red Baron II, paru l’année précédente. 11.10Également Il s’agit d’un connu contenu sous le titadditionnelre de Red Ace par. rapport au Red Ace paru l’année précédente (cf. note précédente). 11Il s’agit d’un contenu additionnel par rapport au Red Ace paru l’année précédente (cf. note précédente). 168 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

Action-aventure 2002 Eternal Darkness: Sanity's Requiem Silicon Knights Nintendo horreur

Wanadoo ; Dreamcatcher 2002 Iron Storm 4X Studios FPS Interactive ; Reef Interactive

PAN Vision / 2003 Victoria: An Empire Under the Sun Paradox Interactive Grande stratégie Strategy First

2003 Wings of Honour CITY interactive CITY interactive Simulateur de vol

Midway Home 2004 Shadow Hearts: Covenant Nautilus RPG Entertainment

2004 The Entente: Battlefields World War I12 Lesta studio Buka Entertainment RTS

Gathering of 2004 Wings of War Silver Wish Games Simulateur de vol Developers

2004 WWI Medic Bay 12 Games Bay 12 Games Action

Atomic Planet 2005 Red Baron Davilex Games B.V. Simulateur de vol Entertainment Limited

2005 World War I Dark Fox 1C Company RTS

2006 First Eagles: The Great War 1918 Third Wire Productions G2 Games Simulateur de vol

iEntertainment 2006 Flyboys Squadron iEntertainment Network Simulateur de vol Network

2006 Jutland Norm Koger ; Jim Rose Storm Eagle Studios Simulateur maritime

The X Studio 2006 Sky Aces IncaGold Simulateur de vol Productions

Namco Bandai Simulateur de vol 2006 Snoopy vs. the Red Baron Smart Bomb Interactive Games arcade

Wings of Honour: Battles of the Red 2006 CITY interactive CITY interactive Simulateur de vol Baron

Rondomedia ; h2f Simulateur de sous- 2007 1914 Shells of Fury Strategy First Informationssysteme marin

2007 Aggression: Europe Under Fire Lesta Studio (?) Buka Limited Grande stratégie

2007 Covert Front13 Pastel Games - Aventure

2007 The Darkness Starbreeze Studios 2K Games FPS

First Class 2007 WW1 Fighters First Class Simulations Simulateur de vol Simulations

2008 Ace of aces ? ? Simulateur de vol

12. Également connu sous le nom de WWI: The Great War. 13. Ce jeu sur navigateur comprend deux volets séparés, All Quiet on Covert Front et Station on the Horizon. 12Également connu sous le nom de WWI: The Great War. 13Ce jeu sur navigateur comprend deux volets séparés, All Quiet on Covert Front et Station on the Horizon. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 169

2008 Dogfight: The Great War14 Rock Solid Games Rock Solid Arcade Side scroller

2008 Mission: WWI Dogfight15 First Class Simulations Abacus Software Simulateur de vol

Secret Missions: Mata Hari and the Frogwares Game Frogwares Game 2008 Aventure Kaiser's Submarines Development Studio Development Studio

2008 Warfare 1917 ConArtist Armor Games Castle attack

Ascaron 2008 World War One: La Grande Guerre16 AGEod Grande tactique Entertainment

Boğaz Harbi: Çanakkale Savaşı Kodgraf Oyun 2009 Kodgraf Oyun Stüdyosu FPS Destanı Stüdyosu

2009 Darkest of Days 8monkey Labs Phantom EFX FPS

2009 Mata Hari Cranberry Production Viva Media Aventure

1C Company ; 2009 NecroVisioN The Farm 51 505 Games ; FPS horreur Aspyr Media

777 Studios ; Rise of Flight: The First Great Air 2009 Neoqb ; 777 Studios Aerosoft ; ND Simulateur de vol War Games

Grande stratégie en 2009 Supremacy 1914 Bytro Labs Bytro Labs temps réel

Thunder Game 2009 Trenches Thunder Game Works Castle attack Works

2009 World of Tanks Wargaming Minsk Wargaming.net Simulation de chars

2010 NecroVisioN: Lost Company The Farm 51 1C Company FPS horreur

Microsoft Game Simulateur de vol 2010 Snoopy Flying Ace Smart Bomb Interactive Studios arcade

Microsoft Game 2010 Toy Soldiers Signal Studios Tower defense Studios

Paradox Development Paradox Interactive ; 2010 Victoria II Grande stratégie Studio 1C/Snowball Studios

Kriegsgraben und 2011 1916 – Der Unbekannte Krieg - FPS horreur Stormvogel

2011 Air Conflicts: Secret Wars Games Farm bitComposer Simulateur de vol

2011 Darkest Hour: A Hearts of Iron Game Darkest Hour Team Paradox Interactive Grande stratégie

Fury Software ; Matrix 2011 Strategic Command Classic: WWI Matrix Games Grande stratégie Games

14. Une suite du nom de Dogfight 2: The Great War est parue la même année. 15. Il ne s’agit pas d’un jeu à part entière mais d’un add-on pour Microsoft Flight Simulator X et 2004. 14Une suite du nom de Dogfight 2: The Great War est parue la même année. 16.15Il Une ne s’agit édition pas d’unGold jeu améliorée à part entière est paruemais d’un l’année add- onsuivante, pour Microsoft puis une Fligh Centennialt Simulator Edition X et 2004 augmentée. en 2014, 16 Unedéveloppée édition Gold par Digitalaméliorée Froggies est parue et l’annéeéditée parsuivante, Plug Inpuis Digital. une Centennial Edition augmentée en 2014, développée par Digital Froggies et éditée par Plug In Digital. 170 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

Singapore-MIT Gambit Singapore-MIT 2011 The Snowfield Action Game Lab Gambit Game Lab

2011 Trenches 2 Thunder Game Works EA Games Castle attack

RPG horreur / 2012 Call of Cthulhu: The Wasted Land Red Wasp Design Red Wasp Design tactique

The Lordz Games Slitherine ; Matrix 2012 Commander: The Great War Studio ; Slitherine ; Grande stratégie Games Matrix Games

2013 Sid Meier's Ace Patrol Firaxis Games 2K Games Stratégie

Truceful (2014)17 Fritz Truceful Entertainment Aventure Entertainment

2014 Our World War: Interactive Episode Mi BBC Aventure

Soldats inconnus : Mémoires de la 2014 Ubisoft Montpellier Ubisoft Aventure Grande Guerre

2014 Super Trench Attack! Retro Army Retro Army Shooter

2014 To End All Wars AGEod Slitherine Grande stratégie

2014 Wings Over Flanders Fields OBD Software OBD Software Simulateur de vol

2015 Assassin's Creed Syndicate Ubisoft Quebec Ubisoft Action-aventure

2015 Battle of Empires : 1914-1918 Great War Team Best Way Soft RTS

Ilan Papini ; John 2015 Canvas Knights Ilan Papini ; John Marco Simulateur de vol Marco

2015 Don'Yoku Dark-Spot Studio Dark-Spot Studio Shoot ’em up

2015 Ilya Muromets 1C Games Studios 1C Games Studios (?) Simulateur de vol

Muzzy Lane Software ; 2015 Making History: The Great War Factus Games Grande stratégie Factus Games

2015 Revolution Under Siege Grande stratégie Sep Reds ; AGEod Slitherine

2015 Spirit of War G-OLD Plug In Digital Wargame

2015 To Burn in Memory Orihaus Orihaus Exploration

2015 Toy Soldiers: War Chest Signal Studios Ubisoft Tower defense

M2H ; M2H ; 2015 Verdun FPS Blackmill Games Blackmill Games

Wargaming.net ; Lesta Wargaming.net ; 2015 World of Warships Simulation maritime Studio Lesta Studio

17. Il s’agit d’un projet de jeu lancé en 2014 et dépendant d’une campagne de financement participatif. Celle-ci ayant échoué, le projet a été abandonné, seules quelques captures d’écran étant connues. Nous l’incluons 17 Ilcependant s’agit d’un dans projet cette de jeu liste lancé en raisonen 2014 de et l’approche dépendant d’unetrès particulière campagne dede financement la Grande Guerreparticipatif. qui Celletransparaît-ci ayant à échoué, le projet a été abandonné, seules quelques captures d’écran étant connues. Nous l’incluons cependant dans cette listetravers en raison celles-ci. de l’approche très particulière de la Grande Guerre qui transparaît à travers celles-ci. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 171

2016 1917 - The Alien Invasion DX OtakuMaker.com Andrade Games Shoot ’em up

2016 Aces High III HiTech Creations HiTech Creations Simulateur de vol

2016 Battlefield 1 EA DICE Electronic Arts FPS

201618 Command Of War Red Cube Games Red Cube Games Castle attack

2016 Flying Baron 1916 magnussoft magnussoft Simulateur de vol

2016 Steam Squad Bretwalda Games Bretwalda Games Stratégie

2016 Tales from the Void PortaPlay Black Dog Aventure

Simulation de sous- 2016 U-Boats Astra Game Studio Astra Game Studio marin

2017 Great War 1914 Musrka Blue Whale Games Shooter

2017 Supreme Ruler: The Great War BattleGoat Studios BattleGoat Studios Grande stratégie

M2H ; M2H ; 2017 Tannenberg FPS Blackmill Games Blackmill Games

2017 The Operational Art of War IV TrickeySoft LLC Slitherine Wargame

Because We're Here ~ Mohnblume und 2018 Studio Elfriede Studio Elfriede Visual novel Blauerose

2018 On The Western Front Aggroblakh Aggroblakh Stratégie

2018 Revolt 1917 juhbee juhbee FPS

2018 Soldiers Lost Forever (1914-1918) Jake Olson Impartial Studios Castle attack

2018 Temporality James Earl Cox III James Earl Cox III Exploration

Wars Across The World: Russian 2018 Strategiae Plug In Digital Grande stratégie Battles

2019 ?19 The Trench 1916 Gallica Game Studio Gallica Game Studio FPS

2019 Within Whispers: The Fall Thorium Studios Thorium Studios Aventure

?20 Ad Infinitum StrixLab StrixLab Aventure horreur

?21 Cry of War ShanghaiWindy ShanghaiWindy Simulation de chars

18. Il s’agit d’un projet de jeu lancé en 2016 et dépendant d’une campagne de financement participatif. Celle-ci

ayant échoué, le projet semble avoir été abandonné, mais une version de démonstration avait été publiée alors. 19. En développement par une très petite équipe depuis presque une décennie, la date de sortie de ce jeu a été repoussée de nombreuses fois, la dernière annonce à ce jour datant de mai 2018 et prévoyant une première version pour 2019. 20. Ce jeu est en développement depuis quelques années et aucune date de sortie ne semble avoir été annoncée. 21. Ce jeu est en développement actif, une version alpha étant déjà disponible. 18Il s’agit d’un projet de jeu lancé en 2016 et dépendant d’une campagne de financement participatif. Celle-ci ayant échoué, le projet semble avoir été abandonné, mais une version de démonstration avait été publiée alors. 19En développement par une très petite équipe depuis presque une décennie, la date de sortie de ce jeu a été repoussée de nombreuses fois, la dernière annonce à ce jour datant de mai 2018 et prévoyant une première version pour 2019. 20Ce jeu est en développement depuis quelques années et aucune date de sortie ne semble avoir été annoncée. 21Ce jeu est en développement actif, une version alpha étant déjà disponible. 172 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

TABLEAU 2 Liste des armements individuels représentés de façon identifiable dans les jeux du corpus. Dans l’ensemble des tableaux suivants, les dates données sont celles de mise en service. Les armements placés entre crochets correspondent à des projets ou prototypes n’ayant pas été mis en production, la date étant alors celle du projet. Les armes d’infanterie et d’artillerie n’ont été reportées que lorsqu’il est possible d’identifier une arme assez précise : en effet tous les jeux de guerre proposent des fusils, mitrailleuses ou canons, mais souvent génériques. De plus, lorsqu’un modèle est précisé, ne sont souvent donnés que le type et le diamètre, non le modèle exact qu’il est donc nécessaire de déduire par recoupement, avec les risques d’erreur induits. Concernant les armes individuelles, nous distinguons selon l’usage de l’époque entre fusil- mitrailleur, fusil automatique (que l’on peut assimiler au fusil d’assaut) et pistolet-mitrailleur. Sans entrer dans les détails techniques, le premier type est une arme lourde utilisée en position fixe, habituellement appelée « mitrailleuse » et typique de la Grande Guerre ; au contraire les deux suivants, le dernier correspondant à la « mitraillette », sont des armes portatives plus légères utilisées en mouvement, utilisées seulement très ponctuellement voire à titre expéri- mental durant le conflit. De même, le « revolver » désigne une arme de poing à chargement automatique par un barillet tournant, tandis que le pistolet comporte un chargeur « linéaire » à ressort. Nous incluons les mortiers et les canons d’infanterie dans les armes d’infanterie puisque, si ceux-ci pouvaient être aussi imposants que des pièces d’artillerie « classiques », ils étaient mis en œuvre directement depuis les tranchées. Enfin, nous n’indiquons les armes blanches que lorsque celles-ci comportent une référence réglementaire claire (nous excluons donc les armes de fortune ou encore le sabre traditionnel russe appelé chachka, présent dans Tannenberg (2017). La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 173

1918 (2015) -

1918 (1992) -

Pays Type Désignation (année) History Line: 1914 (1994) Construction II: Tanks! Set Wargame I (2005) War World 1914 Shells of Fury (2007) ofDarkest (2009) Days (2010) (2009)Lost Company NecroVisioN: & NecroVisioN Soldiers (2010) Toy Battle of Empires 1914 (2015) Verdun Battlefield 1 (2016) (2017) Tannenberg Infanterie-Offizierssäbel M1861 (1861) x Arme blanche M1887 Feldspaten (1887)1 x x x Canon Becker Type M2 20mm Cannon (1913)2 x automatique Karabiner 88 (1888) x Gewehr 98 (1895)3 x x x x x Infanterie Repetier-Gewehr M.95 (1895)4 x Fusil et assimilés Repetier-Stutzen M1895 (1895) x Gewehr 88/05 (1905) x Karabiner Model 1898 AZ (1908) x x 3.7 cm Tankabwehrkanone 1918 (1918) x Fusil antichar Tankgewehr M1918 (1918) x x Allemagne [Luger Selbstlader Model 06 (1906)] x Fusil automatique Mondragón Modelo 1908 (1908)5 x [Selbstlader-Karabiner M1916 (1916)] x Parabellum MG 14 (1914) x Fusil-mitrailleur Bergmann MG 15 (1916) x Maschinengewehr 08/15 (1916)6 x x x x x x x Discushandgranate 1915 (1915) x Grenade Stielhandgranate Model 1915 (1915) x x x Model 17 Eierhandgranate (1916) x

1. Bien que ne s’agissant pas à proprement parler d’une arme, cette pelle de tranchée allemande est suffisamment 1Bieniconique que ne dess’agissant combats pas de à proprement la Grande parlerGuerre d’une pour arme, être cetteconsidérée pelle de comme tranchée telle. allemande est suffisamment iconique 2.des Nous combats n’avons de la Grandepu identifier Guerre lapour dénomination être considérée allemande comme telle. exacte de ce canon automatique. 2Nous n’avons pu identifier la dénomination allemande exacte de ce canon automatique. 3.3Habituellement Habituellement connu connu sous sousle nom le denom Mauser, de Mauser, qui désigne qui désigneen réalité en son réalité manufacturier. son manufacturier. 4.4Habituellement Habituellement connu connu sous sousle nom le denom fusil de Mannlicher. fusil Mannlicher. 5.5Fusil Fusil d'assaut d’assaut de fabricationde fabrication mexicaine. mexicaine. 6 6.Habituellement Habituellement connu connu sous sousle nom le denom mitrailleuse de mitrailleuse Maxim. Maxim. 174 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

Stielhandgranate Model 1917 (1917) x x Stielhandgranate Model 1917 Geballte ladung (1917)7 x x x Lance-flammes Wechselapparat (1917) x 25 cm schwerer Minenwerfer (1910) x 17 cm mittlerer Minenwerfer (1913) x Mortier 7.58 cm Minenwerfer (1914)8 x x 9.15 cm leichtes Minenwerfer System Lanz (1915) x Granatenwerfer 16 (1916) x x Borchardt C-93 (1895) x Mauser C96 (1896) x x Pistolet Lange Pistole 08 (1913)9 x x x x x Mauser Model 1914 (1914) x Bergmann Maschinenpistole 18 (1918) x x x Pistolet-mitrailleur [08/18 Maxim SMG (1918 ?)]10 x Revolver Reichsrevolver Modell 1883 (1883) x Canon d’infanterie 37mm Infanteriegeschütz M.15 (1915)11 x Mannlicher M1888-90 (1890) x Fusil et assimilé Mannlicher M1893 (1893) x Mannlicher Model 1893 Carbine (1893) x Madsen machine gun (1902)12 Fusil-mitrailleur Schwarzlose Maschinengewehr Modell 07 (1907) x x Grenade Grenade Rohr (1915)13 x Hongrie - 9 cm Minenwerfer M 14 (1914) x Mortiers 26 cm Minenwerfer M 17 (1917)14 x Autriche 7.5cm Minenwerfer M.17 (1917) x Frommer Stop (1912) x Pistolet Steyr M12 P16 (1912) x x 2mm Kolibri (1914)15 x Pistolet-mitrailleur [Standschütze Hellriegel M1915 (1915)] x

7. Il s’agit d’une grenade Stielhandgranate Model 1917 avec plusieurs têtes explosives rassemblées. Le jeu 7Il Tannenbergs’agit d’une grenade(2017) enStielhandgranate distingue des Modelversions 1917 à six avec et neuf têtes. plusieurs têtes explosives rassemblées. Le jeu Tannenberg 8.(2017) Le jeu en Wargamedistingue des Construction versions à sixSet II: et neuf Tanks! têtes. (1994) comporte pour l’armée allemande de la Première Guerre 8Lemondiale jeu Wargame un « mortierConstruction de 90 mm »,Set II: Tanks! pièce (1994) que comporte nous ne poursommes l’armée pas allemandeparvenu à de identifier. la Première NousGuerre l’assimilons, mondiale un faute« mortier de mieux, de 90 mm au »,7,58 cm pièce que Minenwerfer. nous ne sommes pas parvenu à identifier. Nous l’assimilons, faute de mieux, au 7.58 cm Minenwerfer. 9.9Habituellement Habituellement connu connu sous sousle nom le denom Luger. de Luger. 10.10Cette Cette arme arme n'est n’est attestée attestée que par que quelques par quelques exemplaires exemplaires survivants, survivants, mais ni son mais histoire ni sonni son histoire éventuelle ni son désignation éventuelle ne sontdésignation connues. ne sont connues. 11.11Dans Dans le jeule jeu Toy Toy Soldiers Soldiers (2010), (2010), un canon un canon pouvant pouvant correspondre correspondre à celui -àci celui-ci est jouable est jouable dans l’armée dans l’arméeallemande. allemande. 12 12.Fusil Fusil-mitrailleur-mitrailleur léger léger de fabricationde fabrication danoise. danoise. Dans Dans le jeu leBattlefield jeu Battlefield 1 1 (2016), (2016), celui-ci celui-ci est joué est dans joué les dans armées les autrichienne et ottomane, mais il a en réalité été fourni à la plupart des armées en conflit dans les deux camps. 13Nousarmées n’avons autrichienne pu identifier et ottomane, la dénominat maision il officiellea en réalité de été cette fourni grenade, à la nomméeplupart des d’après armées son en inventeur. conflit Ledans jeu les Tannenbergdeux camps. (2017) distingue des versions offensive et offensive de celle-ci. 13.14Le Nous jeu World n’avons War puI (2005) identifier fait figurer la dénomination dans les armées officielle des empires de centrauxcette grenade, un « mortier nommée lourd d’après de 280 sonmm inventeur.». D’après Le son graphisme,jeu Tannenberg il semble (2017) s’approcher distingue du des26 cmversions Minenwerfer offensive M 17, et bienoffensive que celui de -cicelle-ci. soit de 260 mm. 15Il s'agit d'une arme d'autodéfense à destination du public civil, qui n'a probablement jamais été employée sur un champ 14.de bataille. Le jeu World War I (2005) fait figurer dans les armées des empires centraux un « mortier lourd de 280 mm ». D’après son graphisme, il semble s’approcher du 26 cm Minenwerfer M 17, bien que celui-ci soit de 260 mm. 15. Il s’agit d’une arme d’autodéfense à destination du public civil, qui n’a probablement jamais été employée sur un champ de bataille. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 175

Gasser M1870 (1870) x Revolver Rast & Gasser Modell 1898 (1898) x Fusil et assimilé Pieper Revolving Carbine (1893 ?) x

Pistolet FN Model 1903 (1903) x Belgique

Fusil automatique [General Liu rifle (1914)] x Chine Armes blanches Model 1917 Naval Cutlass (1917) x Canon d’infanterie 37mm M1916 (1916)16 x Winchester Model 1897 (1897) x x Remington Model 1900 x M1903 Springfield (1903) x Fusil et assimilé Browning Automatic 5 (1905) x Remington Model 10 (1908) x United States Rifle, cal .30, Model of 1917 (1917) x Remington Model 8 (1906) x

Unis Fusil automatique - Winchester Model 1907 (1907) x

États M1917 Browning machine gun (1917) x Fusil-mitrailleur M1918 Browning Automatic Rifle (1918) x x Grenade Mk.II KJ gas grenade (1918) x Stokes mortar (1915)17 x Mortiers Newton 6-inch mortar (1917)18 x Colt Model 1903 Pocket Hammerless (1903) x Pistolet M1911 pistol (1911) x x Smith & Wesson Model 3 (1870) x Revolver Colt Single Action Army (1873)19 x Arme blanche Couteau Poignard Mle 1916 (1916) x Canon d’infanterie Canon d'Infanterie de 37 modèle 1916 TRP (1916)20 x x Fusil modèle 1886 (1887)21 x x x Fusil et assimilés Mousqueton d'artillerie Mle 1892 (1892) x

22

France Fusil Mle 1907/15 (1915) x x Fusil automatique Fusil Automatique Modèle 1917 (1917) x Grenade Grenade Mle 1916 Billant F1 (1916) x Fusil-mitrailleur Mitrailleuse Saint-Étienne modèle 1907 (1907) x

16. Désignation américaine du Canon d’Infanterie de 37 modèle 1916 TRP fourni par la France. 17.16Désignation Le jeu Wargame américaine Construction du Canon Setd'Infanterie II: Tanks! de (1994)37 modèle comporte 1916 TRP pour fourni l’armée par la américaine France. de la Première Guerre 17Lemondiale jeu Wargame un Construction« mortier de Set3 pouces », II: Tanks! probablement (1994) comporte un pour Stokes l’armée mortar américaine de fourniture de la Première britannique. Guerre mondiale 18.un « Le mortier jeu Wargame de 3 pouces Construction », probablement Set II: un Tanks! Stokes (1994) mortar comporte de fourniture pour britannique. l’armée américaine de la Première Guerre 18 Lemondiale jeu Wargame un Construction« mortier de Set 6 pouces », II: Tanks! (1994) probablement comporte pourun Newton 6-inchl’armée américaine mortar de la Première britannique, Guerre copié mondiale par un « mortier de 6 pouces », probablement un Newton 6-inch mortar britannique, copié par l’armée américaine à la fin de la guerre,l’armée mais américaine dont la réalité à la defin l’usage de la guerre,sur le terrain mais n’estdont pasla réalitéassurée. de l’usage sur le terrain n’est pas assurée. 19.19Habituellement Habituellement connu connu sous lesous nom le de nom Colt de Peacemaker. Colt Peacemaker. 20.20Dans Dans le jeule jeu Toy Toy Soldiers Soldiers (2010), (2010), cette cette arme arme peut peut être être journée journée dans dans l’armée l’armée britannique, britannique, apparemment apparemment sans raison sans historique.raison historique. 21Habituellement désigné comme fusil Lebel. 21.22Habituellement Habituellement désigné désigné comme comme fusil Berthier. fusil Lebel. 22. Habituellement désigné comme fusil Berthier. 176 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

Hotchkiss M1909 Benét–Mercié (1909) x Mitrailleuse Hotchkiss modèle 1914 (1914) x x Fusil mitrailleur Mle 1915 CSRG (1915)23 x x Mortier de 58 mm T N°2 (1915)24 x x Mortiers Mortier mle 1918 (1915)25 x Pistolet Pistolet Ruby (1915) x Carabine Mitrailleuse 1918 (1916) x Pistolet-mitrailleur Chauchat-Ribeyrolles 1918 (1918) x Revolver Revolver modèle 1892 8 mm (1892)26 x Arme blanche Boker M1915 (1915) x Lance-flammes Schilt Flamethrower (1917) x No. 2 grenade (1907) x Grenade No. 5 Mk. 1 (1915)27 x x x No. 27 smoke grenade (1917) x Martini–Henry (1871) x Short Magazine Lee–Enfield Mk III (1907) x x Fusil et assimilés Ross MkIII rifle (1910)28 x Lee-Enfield Mk III* (1916) x Bretagne

- Farquhar–Hill rifle (1918) x Fusil automatique [Howell Automatic Rifle (?)] x

Grande Maxim gun (1886)29 x x Vickers machine gun (1912) x x Fusil-mitrailleur Lewis gun (1914) x x Huot Automatic Rifle (1916)30 x Stokes mortar (1915)31 x x x 9.45-inch Heavy Mortar (1916)32 x x Mortiers Livens Projector (1916) x x Newton 6-inch mortar (1917) x x 23. Habituellement désigné comme fusil mitrailleur Chauchat. 24. Ce mortier est généralement connu en France par son surnom de « crapouillot ». Dans le jeu World War I 23 Habituellement(2005), ce mortier désigné est comme joué fusildans mitrailleur l’armée russe, Chauchat. a priori sans raison historique. 24Ce mortier est généralement connu en France par son surnom de « crapouillot ». Dans le jeu World War I (2005), ce 25.mortier Également est joué dansconnu l’armée sous lerusse, nom a prioride « mortier sans raison de 3 pouces »,historique. il s’agit du Stokes mortar britannique en service 25Égalementdans l’armée connu française. sous le nom de « mortier de 3 pouces », il s’agit du Stokes mortar britannique en service dans l’armée 26.française. Dans le jeu Tannenberg (2017), ce revolver est jouable dans l’armée russe, apparemment sans fondement 26Danshistorique. le jeu Tannenberg (2017), ce revolver est jouable dans l’armée russe, apparemment sans fondement historique. 27 27.Habituellement Habituellement désignée désignée comme comme Mills MillsBomb. Bomb. 28Cette arme était de fabrication canadienne. 28.29Le Cette jeu World arme War était I (2005) de fabrication fait figurer canadienne. dans l’armée britannique une « mitrailleuse de 7,62 mm ». D’après son graphisme, 29.il pourrait Le jeu s’agir World du War I Maxim (2005) Gun, bien fait quefigurer celui -cidans tire l’armée des munitions britannique .303 British, une « mitrailleuse soit 7,70 mm. de 7,62 mm ». D’après 30Armeson canadienne,graphisme, employée il pourrait par s’agirle corps du expéditionnaire Maxim Gun, canadien. bien que celui-ci tire des munitions .303 British, soit 31 Le7,70 mm. jeu Wargame Construction Set II: Tanks! (1994) comporte pour l’armée britannique de la Première Guerre mondiale un « mortier de 3 pouces », et le jeu World War I (2005) un « mortier de 75 mm », pièces qui correspondent probablement 30.au Stokes Arme mortar,canadienne, lequel employée étant techniquement par le corps bien expéditionnaire nominalement canadien.un mortier de 3 pouces (soit 76,2 mm), quoique très 31.légèrement Le jeu plusWargame large concrètement. Construction Set II: Tanks! (1994) comporte pour l’armée britannique de la Première 32LeGuerre jeu Wargame mondiale Construction un « mortier Set II: de Tanks! 3 pouces », (1994) comporteet le jeu Worldpour l’armée War I britannique (2005) un de« mortier la Première de 75 mm »,Guerre mondiale pièces un «qui mortier correspondent de 9,5 pouces probablement », pièce qui corres au Stokespond probablement mortar, lequel à une étant simplification techniquement de la nomenclature bien nominalement du 9.45-inch un Heavymortier Mortar. de 3 pouces (soit 76,2 mm), quoique très légèrement plus large concrètement. 32. Le jeu Wargame Construction Set II: Tanks! (1994) comporte pour l’armée britannique de la Première Guerre mondiale un « mortier de 9,5 pouces », pièce qui correspond probablement à une simplification de la nomenclature du 9.45-inch Heavy Mortar. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 177

Mars Automatic Pistol (1897) x Pistolet Webley & Scott No. 1 MkIII* Signal Pistol (1918)33 British Bull Dog revolver (1872) x Webley–Fosbery Self-Cocking Automatic Revolver Revolver x (1901) Webley Mk VI Revolver (1915) x x Vetterli-Vitali Mod. 1870/87 (1887) x Fusil Carcano Mod. 91 (1891) x Fusil automatique Cei-Rigotti (v.1900) x Fusil-mitrailleur Perino Modello 1908 (1908) x

Italie Pistolet Beretta Modello 1915 (1915) x FIAT Mod.1915 Villar Perosa (1915)34 x Pistolet-mitrailleur Moschetto Automatico Beretta Mod.1918 (1918) x Revolver Bodeo Model 1889 (1889) x Sablja obr. 1881G (1881) x Arme blanche Boker M1915 (1915)35 x Tryokhlineynaya vintovka obraztsa 1891 goda (1891)36 x x x x Tryokhlineynaya vintovka obraztsa 1891 goda x drahunskaja (1891) Fusil et assimilés Winchester Model 1895 (1895)37 x Sanjū-nen-shiki hoheijū (1899)38 x x Carabine trois lignes modèle 1907 (1907)39 x Winchester Model 1915 (1915)40 x x Russie Fusil automatique Fedorov Avtomat (1915) x Grenade Ruchnaya granata obraztsa 1914 goda (1914)41 x x Lance-grenade42 Ruzheynyy granatomot Dyakonova (1916) x Maxim gun (1886)43 x Fusil-mitrailleur Poulemiot Maksima obraztsa 1910 goda (1910) x Lewis gun (1914)44 x 9-sm bombomët tipa G. R. (1915) x x Mortier [Mortier de 47-mm Linokhin (?)]45 x x 33. Il s’agit d’un pistolet de signalement, tirant des fusées éclairantes ou de communication.

34.33Il s'agitBien d'unque pistolettechniquement de signalement, un pistolet-mitrailleur, tirant des fusées éclairantes cette arme ou dea été communication. conçue pour un emploi fixe, plus proche 34Biende quecelui techniquement des fusils-mitrailleurs. un pistolet-mitrailleur, cette arme a été conçue pour un emploi fixe, plus proche de celui des 35.fusils Couteau-mitrailleurs. de tranchée de fourniture britannique. 35 36.Couteau Généralement de tranchée connu de fourniture sous le nombritannique. de Mosin-Nagant. 36Généralement connu sous le nom de Mosin-Nagant. 37.37Arme Arme fabriquée fabriquée aux auxÉtats États-Unis-Unis pour l'arméepour l’armée russe. russe. 38.38Habituellement Habituellement connu connu sous sous le nom le nom de Arisaka, de Arisaka, il s’agit il d’uns’agit fusild’un japonais, fusil japonais, fourni àfourni l’armée à russel’armée via russe la Grande via la- Bretagne.Grande-Bretagne. 39.39Nous Nous n’avons n’avons pu identifierpu identifier avec certitudeavec certitude le nom lerusse nom de russecette carabinede cette Mosincarabine-Nagant. Mosin-Nagant. 40 40.Carabine Carabine fournie fournie par lespar États les États-Unis.-Unis. 41Le jeu Tannenberg (2017) distingue des versions offensive et offensive de cette grenade. 41.42Il s’agitLe jeu d’un Tannenberg lance-grenade (2017) à adapter distingue sur ledes canon versions d’un fusil.offensive et offensive de cette grenade. 42.43Arme Il s’agit de fourniture d’un lance-grenade britannique. à adapter sur le canon d’un fusil. 43.44Arme Arme de deconception fourniture américaine britannique. et de construction britannique, fournie par ce dernier pays. 45 44.Le Arme jeu World de conception War I (2005) américaine mentionne et une de telleconstruction arme pour britannique, l’armée russe. fournie Nous ne par sommes ce dernier pas parvenupays. à l’identifier, 45. Le jeu World War I (2005) mentionne une telle arme pour l’armée russe. Nous ne sommes pas parvenu à l’identifier, mais la présence d’un nom particulier laisserait supposer qu’il s’agit au moins d’un projet ayant bien existé (à moins que ce nom fasse référence à un scénario du jeu et que l’arme soit totalement fictive). Nous l’incluons donc dans le tableau sous réserve. 178 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

Revolver Revolvér sistémy Nagána obraztsa 1895 goda (1895) x x

Fusil et assimilé Sjögren Inertia (1908)46 x Suède 46. Ce fusil à pompe suédois a été utilisé très ponctuellement par la Triple Alliance aussi bien que la Triple

Entente.

mais la présence d’un nom particulier laisserait supposer qu’il s’agit au moins d’un projet ayant bien existé (à moins que ce nom fasse référence à un scénario du jeu et que l’arme soit totalement fictive). Nous l’incluons donc dans le tableau sous réserve. 46Ce fusil à pompe suédois a été utilisé très ponctuellement par la Triple Alliance aussi bien que la Triple Entente. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 179

TABLEAU 3 Liste des pièces d’artillerie représentées de façon identifiable dans les jeux du corpus. La limite entre l’artillerie de campagne et l’artillerie lourde n’est pas clairement fixée. Nous la plaçons arbitrairement à 120 mm.

1918 (2015) -

Pays Type Désignation (année) (1994) Construction II: Tanks! Set Wargame I (2005) War World 1914 Shells of Fury (2007) ofWorld (2009) Tanks Soldiers (2010) Toy Battle of Empires 1914 Battlefield 1 (2016) 8.8 cm SK L/30 (1892)1 x 7.7 cm Feldkanone 96 neuer Art (1905) x x Artillerie de campagne 15 cm SK L/45 (1908) x Skoda 7.5 cm Gebirgskanone M. 15 (1915) x 7.7 cm Feldkanone 16 (1916) x x x 15 cm Kanone 16 (1917) x Artillerie lourde 21 cm Schnelladekanone Länge 45 (1909) x 3,7-cm-MaschinenFlak M 14 (1914) x Artillerie anti-aérienne 8.8cm Flak 17 (1917) x Revolverkanone Lichtspucker 37 mm (?)2 x Artillerie anti-aérienne autopropulsée 7.7 cm Leichte Kraftwagengeschütze M1914 (1914) x

15 cm schwere Feldhaubitze 1902 (1903)3 x Allemagne Krupp 7.5 cm Model 1903 (1904)4 x 10.5 cm Feldhaubitze 98/09 (1909) x 21 cm Mörser 10 (1911) x Škoda 30.5 cm Mörser M.11 (1911) x Obusiers 15 cm schwere Feldhaubitze 13 (1913) x 42-cm Kurze Marine-Kanone 14 (M-Gerät) « Dicke x x Bertha » (1914) 38 cm SK L/45 « Max » (1915) x 10.5 cm leichte Feldhaubitze 16 (1916) x x x 21 cm Mörser 16 (1916) x x Artillerie de campagne 8 cm Feldkanone M 05 (1907) x x 1. Il s’agit d’une pièce d’artillerie navale installée sur les navires et sous-marins. 1 2.Il Cettes'agit d'unepièce pièce a bien d'artillerie existé mais navale est installée mal documentée. sur les navires Ayant et sous un-marins. fonctionnement de revolver, elle disposait de 2Cette pièce a bien existé mais est mal documentée. Ayant un fonctionnement de revolver, elle disposait de cinq canons tournantscinq canons et correspondait tournants à et ce correspondait que les pilotes àallié ce sque avaient les pilotes surnommé alliés les avaient « flaming surnommé onions ». les Le « flaming surnom allemand onions ». était Le « Lichtspuckersurnom allemand » mais étaitnous « Lichtspucker »ne sommes pas parvenu mais nous à identifier ne sommes la désignation pas parvenu officielle. à identifier la désignation officielle. 3.3Le Le jeu jeu World World War War I I (2005) (2005) fait figurer fait figurerpour les empirespour les centraux empires un centraux « obusier unde 150« obusier mm » datéde 150 mm » de 1904. Nous daté supposons de 1904. qu’ilNous s’agit supposons du 15 cm schwerequ’il s’agit Feldhaubitze du 15 cm 1902, schwere bien que Feldhaubitze celui-ci soit 1902,entré en bien service que l’année celui-ci précédente. soit entré en service 4Le jeu Wargame Construction Set II: Tanks! (1994) comporte pour l’armée allemande de la Première Guerre mondiale un l’année« obusier précédente. de 76 mm », pièce que nous ne sommes pas parvenu à identifier. Nous l’assimilons, faute de mieux, au Krupp 4.7.5 Le cm jeu Model Wargame 1903. Construction Set II: Tanks! (1994) comporte pour l’armée allemande de la Première Guerre mondiale un « obusier de 76 mm », pièce que nous ne sommes pas parvenu à identifier. Nous l’assimilons, faute de mieux, au Krupp 7,5 cm Model 1903. 180 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

Skoda 7.5 cm Gebirgskanone M. 15 (1915) x 18 cm kurze Kanone M 80 (1881)5 x Hongrie - Obusier 10 cm Feldhaubitze M.14 (1914) x Autriche Canon de 120 mm L modèle 1878 (1878)6 x Canon de 75 mm modèle 1897 (1898)7 x

Unis Artillerie de campagne - 4.7 inch Gun M1906 (1907) x

8 États 75 mm Gun M1916 (1918) x Artillerie lourde M1917A1 (1917)9 x Canon Lahitolle de 95 mm (1875) x Canon de Bange de 80 mm (1877) x Canon de 120 mm L modèle 1878 (1878) x Artillerie de campagne QF 4.7 inch Gun (1887)10 x Canon de 75 mm modèle 1897 (1898) x x x Canon de 105 mm modèle 1913 Schneider (1900)11 x

France Canon de 37 mm TR Mle 16 (1916) x Artillerie lourde Canon de 155 mm L modèle 1877 (1877) x Artillerie antiaérienne Canon de 75 mm modèle 1897 (1897)12 x Artillerie autopropulsée Renault FT 75BS (1918) x Mortier de 280 mm Schneider (1914)13 x Obusier Obusier de 400 mm (1916) x QF 3-pounder Hotchkiss (1886) x QF 4.7 inch Gun (1887) x

Bretagne 14 - Artillerie de campagne QF 2.95-inch Mountain Gun (1897) x Ordnance QF 15-pounder (1901) x

Grande Ordnance QF 18-pounder (1904) x x x 5. En principe un obusier sur roues, cette pièce semble avoir pu être démontée et placée sur une plate-forme fixe improvisée pour en faire un mortier. 6.5En Nous principe n’avons un obusier pas trouvé sur roues, d’attestation cette pièce d’un semble usage avoir de pu cette être piècedémontée française et placée dans sur l’armée une plate américaine.-forme fixe Sa improvisée présence pourdans en fairele manuel un mortier. du jeu Wargame Construction Set II: Tanks! (1994) pourrait donc être une erreur, d’autant 6 Nousqu’il n’avons serait redondantpas trouvé d’attestationavec le canon d’un américain usage de decette 4,7 inch pièce française aux caractéristiques dans l’armée proches.américaine. Sa présence dans le manuel du jeu Wargame Construction Set II: Tanks! (1994) pourrait donc être une erreur, d’autant qu’il serait redondant 7.avec Il s’agitle canon d’une amé piècericain françaisede 4,7 inch fournie aux caractéristiques à l’armée américaine. proches. 8.7Il Cettes’agit d’unepièce pièceest arrivée française trop fournie tard enà l’armée France américaine. pour être employée au combat. Le jeu World War I (2005) fait 8Cettefigurer pièce pour est arrivée l’Entente trop untard canon en France de 75 mm pour être antichar employée monté au combat. à l’arrière Le jeud’un World camion. War I Le(2005) 75 mm fait figurerGun M1916 pour l’Ententeayant bienun canon été employéde 75 mm dans antichar cette monté configuration, à l’arrière d’un il camion.pourrait Le s’agir 75 mm de Guncette M1916 pièce ayant(quoique bien étédans employé la mauvaise dans cette configuration, il pourrait s’agir de cette pièce (quoique dans la mauvaise armée et de manière anachronique). 9Désignationarmée et de américaine manière anachronique). du Canon de 155 C modèle 1917 Schneider fourni par l’armée française, lequel était 9.techniquement Désignation un américaine obusier. du Canon de 155 C modèle 1917 Schneider fourni par l’armée française, lequel était 10Cetechniquement canon britannique un obusier.a été utilisé en France sur des bâtiments de marine, mais nous n’avons pas trouvé d’attestation 10.d’un Ce usage canon à terre. britannique Sa présence a dansété utilisé le manuel en Francedu jeu W surargame des bâtimentsConstruction de Set marine, II: Tanks! mais (1994) nous pourrait n’avons donc pas être trouvé une erreur,d’attestation d’autant qu’il d’un serait usage redondant à terre. avec Sa leprésence canon français dans lede manuel120 mm duaux jeu caractéristiques Wargame Construction proches. Set II: Tanks! 11Malgré sa désignation (due à un achat par l’armée française en 1913 seulement), cette pièce a bien été conçue en 1900. 12Pièce(1994) identique pourrait à celle donc employée être une comme erreur, artillerie d’autant de qu’il campagne, serait redondant seuls les obus avec étaientle canon antiaériens. français deDans 120 mm le jeu Toyaux Soldierscaractéristiques (2010), elle estproches. jouable dans l’armée britannique, apparemment sans raison historique. 11.13Malgré Malgré sa dsaésignation, désignation cette (duepièce àétait un techniquementachat par l’armée un obusier. française en 1913 seulement), cette pièce a bien été 14 Leconçue jeu World en War1900. I (2005) fait figurer un « canon de 82,5 mm » dans le matériel de l’Entente. D’après son apparence graphique, il pourrait s’agir du QF 2.95-inch Mountain Gun, bien que celui-ci soit une pièce de 75 mm. 12. Pièce identique à celle employée comme artillerie de campagne, seuls les obus étaient antiaériens. Dans le jeu Toy Soldiers (2010), elle est jouable dans l’armée britannique, apparemment sans raison historique. 13. Malgré sa désignation, cette pièce était techniquement un obusier. 14. Le jeu World War I (2005) fait figurer un « canon de 82,5 mm » dans le matériel de l’Entente. D’après son apparence graphique, il pourrait s’agir du QF 2.95-inch Mountain Gun, bien que celui-ci soit une pièce de 75 mm. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 181

Ordnance QF 3-pounder Vickers (1905)15 x Ordnance BL 60-pounder (1905) x Artillerie lourde 5"/51 BL Mark VI (1911)16 x QF 1 pounder (v.1890)17 x Artillerie anti-aérienne QF 2-pounder (1915)18 x Pierce-Arrow Anti-Aircraft Armoured Lorry (1914) x Artillerie anti-aérienne autopropulsée QF 13-pounder 6 cwt AA (1916)19 x QF 4.5-inch howitzer (1908) x x BL 9.2-inch howitzer (1915) x x Obusiers BL 15-inch howitzer (1915) x L 6-inch 26 cwt howitzer (1915) x BL 8-inch howitzer Mk VI (1916) x 76-mm divizionnaya pushka obraztsa 1902 goda x x (1903) Artillerie de campagne 107-mm pushka obraztsa 1910 goda (1910) x Transheynaya 37-mm pushka obr. 1915 goda (1915) x 254mm 45 caliber Pattern 1891 (1897)20 x Artillerie lourde Russie 12"/52 pushka Obukhovskogo zavoda (1907) x Artillerie anti-aérienne 3" zenitnaya pushka obr. 1914/1915 goda (1915) x 122-mm gaubica obr. 1909 gg. (1909)21 x x Obusier 6 dm polevaja gaubitsa sistemy Schneidera (1910) x

15. Le jeu World War I (2005) fait figurer un « canon Vickers de 44 mm » dans le matériel de l’Entente. Nous

supposons qu’il s’agit du Ordnance QF 3-pounder Vickers, bien qu’il s’agisse plutôt d’une pièce navale et que son diamètre soit de 47 mm. 16. Le jeu World War I (2005) fait figurer un « canon de 127 mm » dans le matériel de l’Entente. La seule pièce semblant correspondre historiquement serait le 5»/51 caliber gun américain, dont trois exemplaires furent livrés à la Grande-Bretagne pour servir d’artillerie côtière sous la dénomination 5»/51 BL Mark VI. 17. Cette pièce est habituellement connue sous le nom de Pom-pom gun. 18. Cette pièce est habituellement connue sous le nom de Pom-pom gun. 19. Ce canon était en service depuis 1904, mais transformé en arme anti-aérienne montée à l’arrière d’un camion pendant la guerre. 20. Nous n’avons pu identifier le nom russe de cette pièce, ni de traduction française certaine. 21. Le jeu World War I (2005) fait figurer un « obusier de 122 mm modèle 1900 » dans le matériel russe. Nous supposons qu’il s’agit du 122-mm gaubica obr. 1909 gg., mais comme son nom l’indique celui-ci ne date que de 1909.

15Le jeu World War I (2005) fait figurer un « canon Vickers de 44 mm » dans le matériel de l’Entente. Nous supposons qu’il s’agit du Ordnance QF 3-pounder Vickers, bien qu’il s’agisse plutôt d’une pièce navale et que son diamètre soit de 47 mm. 16Le jeu World War I (2005) fait figurer un « canon de 127 mm » dans le matériel de l’Entente. La seule pièce semblant correspondre historiquement serait le 5"/51 caliber gun américain, dont trois exemplaires furent livrés à la Grande- Bretagne pour servir d’artillerie côtière sous la dénomination 5"/51 BL Mark VI. 17Cette pièce est habituellement connue sous le nom de Pom-pom gun. 18Cette pièce est habituellement connue sous le nom de Pom-pom gun. 19Ce canon était en service depuis 1904, mais transformé en arme anti-aérienne montée à l’arrière d’un camion pendant la guerre. 20Nous n’avons pu identifier le nom russe de cette pièce, ni de traduction française certaine. 21Le jeu World War I (2005) fait figurer un « obusier de 122 mm modèle 1900 » dans le matériel russe. Nous supposons qu’il s’agit du 122-mm gaubica obr. 1909 gg., mais comme son nom l’indique celui-ci ne date que de 1909. 182 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

TABLEAU 4 Liste des véhicules terrestres représentés de façon identifiable dans les jeux du corpus.

1918 (2015) -

1918 (1992) -

Pays Type Désignation (année) History Line: 1914 (1994) Construction II: Tanks! Set Wargame I (2004) War The Entente: Battlefields World I (2005) War World ofWorld (2009) Tanks Soldiers (2010) Toy Battle of Empires 1914 Battlefield 1 (2016) Cry of (à paraître) War Ehrhardt E-V/4 (1915) x x x Automitrailleuse [Bremen Marienwagen Gepanzert (1916)]1 x Automobile Mercedes 37/95 (1913) x Mark I (1916)2 x Allemagne Sturmpanzerwagen A7V (1917) x x x x x x x x Chars d’assaut Mark IV (1917)3 x x [Leichter Kampfwagen (1918)] x [Leichter Kampfwagen II (1918)] x Motocyclette NSU 3 1/2 PS (1914) x Austro-Daimler Panzerwagen (1904) x Automitrailleuse Autriche-Hongrie Romfell Panzerwagen (1915) x x Automobile Austro-Daimler Model 1909 (1909) x Belgique Automitrailleuse Automitrailleuse Minerva (1914) x Automobile Dodge Model 30 (1915) x États-Unis Char d’assaut Char Renault FT (1918)4 x Motocyclette Harley Davidson 18-J (1918) x Automitrailleuse Charron modèle 1906 (1906)5 x x Char Schneider CA1 (1916) x x x France Saint-Chamond (1917) x x x x x x Char d’assaut Char Renault FT (1918)6 x x x x x x x [FCM 2C (1918)]7 x Rolls-Royce Armored Car (1914) x Grande-Bretagne Automitrailleuse Austin Armoured Car (1915) x x

1. Nous plaçons ce véhicule dans les automitrailleuses en tant que prototype dérivé du Ehrhardt E-V/4, mais il 1Nouss’agissait plaçons techniquement ce véhicule dans plutôt les automitrailleuses d’une chenillette. en tant que prototype dérivé du Ehrhardt E-V/4, mais il s’agissait 2.techniquement Il s’agit de charsplutôt britanniques d’une chenillette. capturés et retournés contre leurs premiers propriétaires (désignés de manière 2 Il générales’agit de charspar le britanniques terme de « capturésBeutepanzer et retournés »). contre leurs premiers propriétaires (désignés de manière générale par le terme de « Beutepanzer »). 3.3Il Ils’agit s’agit de dechars chars britanniques britanniques capturés capturés et retournés et retournés contre leurscontre premiers leurs premiers propriétaires propriétaires (désignés d(désignése manière degénérale manière par le termegénérale de «par Beutepanzer le terme »).de Le« Beutepanzer Mark IV existait »). enLe versions Mark IVmâle existait et femelle, en versions la première mâle ayant et unfemelle, armement la première principal composéayant unde deuxarmement canons principal et la seconde composé de six demitrailleuses. deux canons Le etjeu la Wargame seconde Construction de six mitrailleuses. Set II: Tanks! Le jeu (1994) Wargame fait la distinctionConstruction entre lesSet II: deux. Tanks! (1994) fait la distinction entre les deux. 4Il s’agit du char français Renault FT en service dans l’armée américaine. Cette dernière en produisit une copie, le M1917 4.light Il tank,s’agit qui du n’arriva char français en Europe Renault qu’après FT la en fin service des combats. dans l’armée américaine. Cette dernière en produisit une 5L’automitrailleusecopie, le M1917 Charron light tank, n’a étéqui en n’arriva service enque Europe jusqu’en qu’après 1911 et la n’a fin donc des pas combats. vu la Première Guerre mondiale. Elle 5.est L’automitrailleuse toutefois incluse dans Charron History Line:n’a été 1914 en- 1918service (1992). que jusqu’en 1911 et n’a donc pas vu la Première Guerre 6Cemondiale. char est généralement Elle est toutefois connu inclusesous le nomdans deHistory FT-17, Line: bien 1914-1918que cette désignation (1992). soit anachronique. Il existait en deux 6.versions, Ce char avec est un généralement canon ou une connumitrailleuse. sous leLes nom jeux deWargame FT-17, Construction bien que cette Set II:désignation Tanks! (1994) soit et anachronique. Battle of Empires Il 1914-1918 (2015) font la distinction entre les deux. 7Ceexistait char n’avait en deux versions, été que commandé avec enun 1918 canon ; s aou construction une mitrailleuse. a débuté Lesen 1919 jeux avec Wargame une livraison Construction en 1921. Set II: Tanks! (1994) et Battle of Empires 1914-1918 (2015) font la distinction entre les deux. 7. Ce char n’avait été que commandé en 1918 ; sa construction a débuté en 1919 avec une livraison en 1921. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 183

Lanchester 4×2 Armoured Car (1915) x x x [Little Willie (1915)]8 x x Mark I (1916) x x x x x x Mark IV (1917)9 x x x x Char d’assaut [Mark B (1917)] x Mark V (1918) x x x Mark A Whippet (1917) x x x x x Mark VIII (1918) x Italie Automitrailleuse FIAT-Terni « Tripoli » (1918) x Austin Armoured Car (1915)10 x x Austin-Putilov (1915)11 x Automitrailleuse Lanchester 4×2 Armoured Car (1915)12 x Mgebrov-Renault (1915) x Russie Mgebrov-White (1915) x Char d’assaut [Vezdekhod (1915)]13 x Véhicule blindé14 Gárford-Putílov (1915) x x x Véhicule de transport Russo-Balt T 40/65 (1913)15 x Train blindé Zaamurets (1916) x

8. Le Little Willie était un prototype construit à un seul exemplaire et n’ayant jamais servi opérationnellement.

9. Le Mark IV existait en versions mâle et femelle, la première ayant un armement principal composé de deux canons et la seconde de six mitrailleuses. Le jeu Wargame Construction Set II: Tanks! (1994) fait la distinction entre les deux. 10. Véhicule fourni à la Russie par l’armée britannique. 11. Il s’agit d’une version légèrement remaniée et produite en Russie de la Austin Armoured Car britannique. 12. Véhicule de fourniture britannique. 13. Il s’agit d’un projet de char qui ne dépassa pas le stade de prototype. 14. Le Gárford-Putílov se situe à mi-chemin entre l’automitrailleuse et le char : développé comme un camion blindé sur roues, il n’en est pas moins équipé d’un canon en plus de deux à trois mitrailleuses. 15. Simple camion à l’origine, celui-ci pouvait se voir doté d’un armement sur la plate-forme arrière.

8Le Little Willie était un prototype construit à un seul exemplaire et n’ayant jamais servi opérationnellement. 9Le Mark IV existait en versions mâle et femelle, la première ayant un armement principal composé de deux canons et la seconde de six mitrailleuses. Le jeu Wargame Construction Set II: Tanks! (1994) fait la distinction entre les deux. 10Véhicule fourni à la Russie par l’armée britannique. 11Il s’agit d’une version légèrement remaniée et produite en Russie de la Austin Armoured Car britannique. 12Véhicule de fourniture britannique. 13Il s’agit d’un projet de char qui ne dépassa pas le stade de prototype. 14Le Gárford-Putílov se situe à mi-chemin entre l’automitrailleuse et le char : développé comme un camion blindé sur roues, il n’en est pas moins équipé d’un canon en plus de deux à trois mitrailleuses. 15Simple camion à l’origine, celui-ci pouvait se voir doté d’un armement sur la plate-forme arrière. 184 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

TABLEAU 5 Liste des appareils volants représentés de façon identifiable dans les jeux du corpus.

1918 (2015) 1918 -

1918 (1992) 1918 -

D (1998) -

Ilya MurometsIlya (2015) 1 Pays Type Désignation (année) (1984) Sopwith (1985) 2 Sopwith Blue Max: Aces of (1990) the Great War BaronRed (1990) (1990) Wings History1914 Line: Knights of the Sky (1991) of 80 Years Duel: Air (1993) Dogfighting (1994) Dawn Patrol ofWings Glory (1994) Head to Head (1995) Dawn Patrol: Flying Corps (1996) BaronRed (1997) II BaronRed 3 Aces High (2000) ofMaster The Skies: Ace the (2001) Red Ace SquadronRed (2002) (2004) I War World The Battlefields Entente: BaronRed (2005) (2005) I War World (2006) Jutland Sky (2006) Aces Baron Red (2006) the vs. Snoopy ofWings Honour: Battles of Baron the Red (2006) WW1 Fighters (2007) (2008) TheDogfight: Great War (2008) WWIMission: Dogfight Rise of Flight: The (2009) First Great Air War (2011) Conflicts:Air Secret Wars Flanders over Wings Fields (2014) Battle of Empires 1914 Knights (2015) Canvas Aces High III (2016) Battlefield 1 (2016) Flying Baron 1916 (2016) Aviatik C.I (1915) x Fokker E.I Eindecker x x x x (1915) Fokker E. III (1915) x x x x x x x x x x Albatros D.I (1916) x x Albatros D.II (1916) x x x x x x x x x x Albatros D.III (1916)2 x x x x x x x x x x x x x x x Deutsche Flugzeugwerke x x C.V (1916) Fokker D. IV (1916) x Halberstadt D2 (1916) x x x x x x Roland C.II a (1916) x Albatros D.Va (1917)3 x x x x x x x x x Aviatik D.I (1917) x

4 Brandenbourg W12 (1917) x

Chasseur Fokker Dr .I (1917) x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x Allemagne Halberstadt CL.II (1917) x x x Halberstadt CL.III (1917) x Hannover CL. II (1917) x Hannover CL. III (1917) x Junkers D.I (1917) x x Pflaz D.III (1917)5 x x x x x x x x Siemens-Schuckert D.III x x (1917) Fokker D.VI (1918) x Fokker D.VII (1918)6 x x x x x x x x x x x x x x x Fokker D.VII F (1918) x x x Fokker D VIII (1918) x x x Pfalz D.XII (1918) x x x

1.1Les Les informations informations sont sont quasiment quasiment introuvables introuvables concernant concernant ce jeu, nousce jeu, ne nousmentionnons ne mentionnons donc que la donc présence que évidentela présence du Ilyaévidente Muromets. du Ilya Muromets. 2.2Le Le jeu jeu Wings Wings over over Flanders Flanders Fields Fields (2014) (2014) propose propose trois trois versions versions de cet de appareil. cet appareil. 3.3Le Le jeu jeu Wings Wings over over Flanders Flanders Fields Fields (2014) (2014) propose propose quatre quatre versions versions de cet de appareil. cet appareil. 4 4.Il Ils’agit s’agit d’un d’un hydravion. hydravion. 5Le jeu Rise of Flight: The First Great Air War (2009) propose deux versions de cet appareil. 5.6Le Le jeu jeu Wings Rise overof Flight: Flanders The Fields First (2014)Great proposeAir War (2009)trois versions propose de cetdeux appareil. versions de cet appareil. 6. Le jeu Wings over Flanders Fields (2014) propose trois versions de cet appareil. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 185

Junkers J.I (1917)7 x x Attaque au sol au Attaque Gotha G. IV (1916) x Zeppelin Staaken R.VI x (1916)

Bombardier Gotha G. V (1917) x x x x x

Etrich Taube (1911) x Multirôle 8 Rumpler C.I (1915) x

Rumpler C.IV (1917) x Reconnaissance

Zeppelin (1914)9 x x x x x x Dirigeable

Hansa-Brandenburg G.I x (1916) Bombardier Hongrie -

Aviatik B.II (1915) x Autriche Reconnaissance Airco DH.2 de Havilland x x x x x x x x x x x x (1915)10 Bristol Scout (1915) x x x Royal Aircraft Factory x B.E.12 (1915) Royal Aircraft Factory F.E. x 2 (1915) Royal Aircraft Factory F.E. x x x 2b (1915) Bretagne

- Royal Aircraft Factory F.E. x 8 (1915) Chasseur

Grande Airco DH.5 (1916) x x Bristol F.2b (1916) x x x x Nieuport 17.C1. GBR x (1916) Royal Aircraft Factory x x x R.E.8 (1916) Sopwith 1½ Strutter x x (1916)11 7. Cet appareil correspondait au Junkers J 4 dans la nomenclature interne de l’entreprise Junkers, et est désigné

7Cetsous apparei ce noml correspondait dans History au Line: Junkers 1914-1918 J 4 dans la(1992). nomenclature interne de l’entreprise Junkers, et est désigné sous ce 8.nom Dépourvu dans History d’armement, Line: 1914 le-1918 Etrich (1992). Taube fut avant tout utilisé pour la reconnaissance. Toutefois, en l’absence 8Dépourvud’appareils d’armement, spécifiques, le Etrich il fut Taube également fut avant employé tout utilisé pour pour la chasse la reconnaissance. et le bombardement Toutefois, endans l’absenc les premierse d’appareils mois spécifiques,du conflit. il fut également employé pour la chasse et le bombardement dans les premiers mois du conflit. 9Le terme Zeppelin désigne une entreprise ayant produit des avions et des dirigeables. Son emploi pour désigner de 9.manière Le terme générique Zeppelin les désignedirigeables une allemands entreprise est ayant donc produit très approximatif, des avions chacunet des dirigeables. d’entre eux Sonétant emploi différent pour à la désigner manière desde navires. manière Quelques générique jeux, les notamment dirigeables Jutland allemands (2006), est distinguent donc très lesapproximatif, modèles particuliers. chacun d’entre eux étant différent 10Leà la jeu manière Wings over des navires.Flanders Quelques Fields (2014) jeux, propose notamment trois versions Jutland de (2006), cet appareil. distinguent les modèles particuliers. 10.11Le Le jeu jeu Wings Wings over over Flanders Flanders Fields Fields (2014) (2014) propose propose deux trois versions versions de cet de appareil. cet appareil. 11. Le jeu Wings over Flanders Fields (2014) propose deux versions de cet appareil. 186 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

Sopwith Pup (1916) x x x x x x x x x x x Sopwith Triplane (1916)12 x x x x x x x Royal Aircraft Factory S.E. x x x x x x x x x x x x x x x 5 (1917)13 Sopwith Camel (1917)14 x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x x Sopwith Dolphin (1917) x Sopwith Snipe (1918) x x x x

15 Breguet Bre.5 B.2 (1915) x Handley Page O-400 (1916) x x Airco DH.4 (1917) x x mbardier

Bo Airco DH.10 (1918) x Royal Aircraft Factory B.E. x x 2c (1912)16 Avro 504 (1913)17 x x x

Armstrong Whitwhorth Multirôle x F.K.8 (1916) Felixstowe F2A (1917)18 x

Morane-Saulnier H (1913)19 x Reconnaissance

Coastal class airship (1916) x Dirigeable Morane-Saulnier type L x Parasol (1915) Morane-Saulnier type N x x x (1915) Nieuport 11 Bébé (1916) x x x x x x x x Nieuport 16 (1916) x Nieuport 17 (1916)20 x x x x x x x x x x x Spad S.VII (1916) x x x x x x x x x x x

France Hanriot HD-1 (1917) x x Chasseur Nieuport 23 (1917) x Nieuport 24 (1917)21 x x Nieuport 27 (1917) x x Nieuport 28 (1917)22 x x x x x x Spad S.XII (1917) x Spad S.XIII (1917) x x x x x x x x x x x x x x x 12. Le jeu Wings over Flanders Fields (2014) propose deux versions de cet appareil. Wings over Flanders Fields 13.12Le Le jeu jeu Wings over Flanders Fields (2014) (2014) propose propose deux trois versions versions de cet de appareil. cet appareil. 14.13Le Le jeu jeu Wings Wings over over Flanders Flanders Fields Fields (2014) (2014) propose propose trois deuxversions versions de cet deappa cetreil. appareil. 15.14Le Il jeu s’agit Wings d’un over appareil Flanders français Fields fourni(2014) àpropose l’armée deux britannique. versions de cet appareil. 16.15Il Les’agit jeu d’un Wings appareil over Flandersfrançais fourniFields à (2014) l’armée propose britannique. deux versions de cet appareil. 16 17.Le Trop jeu Wings ancien over pour Flanders être employé Fields (2014) comme propose chasseur deux surversions le front de cet de appareil.la Grande Guerre, le Avro 504 n’en a pas 17Trop ancien pour être employé comme chasseur sur le front de la Grande Guerre, le Avro 504 n’en a pas moins été produitmoins à presque été produit 9000 exemplaires, à presque 9 000 avec plus exemplaires, d’une vingtaine avec deplus versions d’une employées vingtaine pas de prèsversions d’une employées quarantaine pas de pays,près dansd’une virtuellement quarantaine tous lesde rôlespays, imaginables dans virtuellement à l’époque. tous les rôles imaginables à l’époque. 18.18Il Ils’agit s’agit d’un d’un hydravion. hydravion. 19.19Il Ils’agit s’agit d’un d’un appareil appareil français français produit produit sous licencesous licence en Grande en Grande-Bretagne.-Bretagne. 20 20.Le Le jeu jeu Wings Wings over over Flanders Flanders Fields Fields (2014) (2014) propose propose trois trois versionsversions de cet de appareil. cet appareil. 21Le jeu Wings over Flanders Fields (2014) propose quatre versions de cet appareil. 21.22Le Le jeu jeu Rise Wings of Flight: over FlandersThe First FieldsGreat Air(2014) War propose(2009) propose quatre versions deux versions de cet de cetappareil. appareil. 22. Le jeu Rise of Flight: The First Great Air War (2009) propose deux versions de cet appareil. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 187

Voisin III (1914) x Caudron G.4 (1915) x

Bombardier Bréguet XIV (1917) x x Farman MF.11 (1914)23 x x

Salmson 2 (1918) x Reconnaissance

Ansaldo A.1 Balilla (1917) x Chasseur

Italie Caproni Ca.5 (1917) x Bombardier Sikorsky S-16 (1915) x

Nieuport 17.C1 RUS (1916) x Chasseur Sikorsky Ilya Muromets x x x x x x (1914)

Voisin III (1914)24 x Bombardier Russie

Nieuport 12 (1915)25 x Reconnaissance 23. Le jeu World War I (2005) comporte pour l’armée russe un avion de bombardement et reconnaissance

« MF22 » que nous ne sommes pas parvenu à identifier. Le graphisme le fait cependant ressembler à un

Farman français de la fin de la guerre, possiblement un F.40 de 1917, sans que nous puissions établir la raison de sa présence comme unité russe. 24. Appareil français fourni à l’armée russe. 25. Appareil français fourni à l’armée russe.

23Le jeu World War I (2005) comporte pour l’armée russe un avion de bombardement et reconnaissance « MF22 » que nous ne sommes pas parvenu à identifier. Le graphisme le fait cependant ressembler à un Farman français de la fin de la guerre, possiblement un F.40 de 1917, sans que nous puissions établir la raison de sa présence comme unité russe. 24Appareil français fourni à l’armée russe. 25Appareil français fourni à l’armée russe. 188 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

TABLEAU 6 Liste des navires représentés de façon identifiable dans les jeux du corpus. Les noms donnés désignent plus généralement des classes que des bâtiments individuels.

Battle Cruiser (1987) ? 1

18 (1996) -

(2015)

/ Great Naval Battles V: Demise of Demise Battles V: / Great Naval the Dreadnoughts; 1914 Pays Type Désignation (année) Dreadnoughts (1992) I (2004) War The Entente: Battlefields World (2006) Jutland 1914 Shells of Fury (2007) ofWorld Warships Battlefield 1 (2016) Braunschweig (1904) x x x Deutschland (1906) x x x x Nassau (1907) x x x x Helgoland (1911) x x x Cuirassé Kaiser (1912) x x x x Prinzregent Luitpold (1912)2 x König (1913) x x x x x Allemagne Bayern (1916) x x x x Gazelle (1901) x x x Bremen (1903) x x x Königsberg (1905) x x x Croiseur Scharnhorst (1906) x x Dresden (1907) x x x Blücher (1908)3 x x 1. Nous n’avons pu nous procurer la liste des unités disponibles dans Battle Cruiser (1987). Toutefois, 1 leur Nousnombre n’avons nous pu estnous connu, procurer et laest liste quasiment des unités identiquedisponibles à dans celui Battle de Great Cruiser Naval (1987). Battles V: Toutefois, Demise leur nombre of the nous est connu, et est quasiment identique à celui de Great Naval Battles V: Demise of the Dreadnoughts; 1914-18 (1996). Dreadnoughts;Sachant que 1914-18les deux jeux (1996). ont été Sachant publiés quepar leles même deux jeux éditeur ont bien été qu’à publiés une décennie par le mêmed’intervalle, éditeur exac bientement qu’à sur le unemême décennie sujet, d’intervalle,et que cette liste exactement représente surla quasi le même-totalité sujet, des bâtiments et que cetteen service liste àreprésente l’époque dans la quasi-totalitéles marines allemande des bâtimentset britannique en service (au moins à l’époque pour les dans cuirassés les marineset croiseurs), allemande il est probable et britannique que les deux (au jeux moins aient pour proposé les sensiblementcuirassés et les croiseurs),mêmes unités. il est probable que les deux jeux aient proposé sensiblement les mêmes unités. 2Cuirassé de la classe Kaiser, légèrement différent de ses sister-ships. 2. Cuirassé3Le Blücher de la classe était unKaiser, croiseur légèrement cuirassé. différent Il est classé de parmises sister-ships. les cuirassés dans Great Naval Battles V: Demise of the 3. Le BlücherDreadnoughts; était un 1914 croiseur-18 (1996). cuirassé. Il est classé parmi les cuirassés dans Great Naval Battles V: Demise of the Dreadnoughts; 1914-18 (1996). 4. Le Von der Tann était un croiseur de bataille. Il est classé parmi les cuirassés dans Great Naval Battles V: Demise of the Dreadnoughts; 1914-18 (1996). La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 189

Kolberg (1908) x x x Von der Tann (1909)4 x x x Moltke (1910)5 x x x Magdeburg (1911) x x x Karlsruhe (1912) x x x x Seydlitz (1912)6 x x x Derfflinger (1913)7 x x x Graudenz (1913) x x Lützow (1913) x Pillau (1914) x x x Brummer (1915) x x x Hindenburg (1915)8 x x Wiesbaden (1915) x x x Königsberg (1915) x x x Cöln (1916) x x Mackensen (1917)9 x x Möwe (1879) x Wolf (1913) x Croiseur auxiliaire10 Wolf II (1913) x Greif (1914) x Pelikan (1891) x Croiseur mouilleur de mines Nautilus (1907) x G132 (1906) x x x G138 (1906) x V150 (1907) x x x G169 (1908) x x S138 (1908) x V156 (1908) x V161 (1908) x V162 (1908) x x Destroyer11 S165 (1909) x V180 (1909) x x G192 (1910) x S13 (1911) x V1 (1911) x x x G37 (1913) x V25 (1913) x x x x B97 (1914) x x 5. Les navires de classe Moltke étaient des croiseurs de bataille. Ils sont classés parmi les cuirassés dans Great 4LeNaval Von der Battles V: Tann é taitDemise un croiseur of the Dreadnoughts; de bataille. Il 1914-18 est classé (1996). parmi les cuirassés dans Great Naval Battles V: Demise of the Dreadnoughts;6. Le Seydlitz était 1914 un-18 croiseur (1996). de bataille. Il est classé parmi les cuirassés dans Great Naval Battles V: Demise of 5Lesthe navires Dreadnoughts; de classe 1914-18 Moltke étaient (1996). des croiseurs de bataille. Ils sont classés parmi les cuirassés dans Great Naval Battles V:7. DemiseLes navires of the de Dreadnoughts;classe Derfflinger 1914 étaient-18 (1996). des croiseurs de bataille. Ils sont classés parmi les cuirassés dans Great 6 LeNaval Seydlitz Battles V: était un Demise croiseur of the de Dreadnoughts; bataille. Il est 1914-18 classé parmi (1996). les cuirassés dans Great Naval Battles V: Demise of the Dreadnoughts;8. Le Hindenburg 1914 était-18 l’un(1996). des croiseurs de bataille de la classe Derfflinger et est en conséquence classé parmi 7Les navires de classe Derfflinger étaient des croiseurs de bataille. Ils sont classés parmi les cuirassés dans Great Naval Battlesles cuirassés V: Demise dans of Great the Dreadnoughts; Naval Battles V: 1914 Demise-18 (1996). of the Dreadnoughts; 1914-18 (1996) (cf. note précédente). 89.Le Les Hindenburg navires de était classe l’un Mackensen des croiseurs étaient de batailledes croiseurs de la classede bataille. Derfflinger Ils sont e tclassés est en parmi conséquence les cuirassés classé dans parmi Great les cuirassés dansNaval Great Battles V: Naval Battles Demise V: of Demise the Dreadnoughts; of the Dreadnoughts; 1914-18 (1996). 1914-18 (1996) (cf. note précédente). 910.Les Les navires « croiseurs de classe auxiliaires Mackensen » (désignés étaient sous des lecroiseurs terme de de « croiseurs bataille. Ils armés » sont classés pendant parmi la Grande les cuirassés Guerre) dans corres Grea- t Naval Battlespondent V: Demise à des of navires the Dreadnoughts; marchands armés 1914 -pour18 (1996). la guerre de course, soit des actions de corsairerie visant à 10Lesdéstabiliser « croiseurs le auxiliaires commerce » ennemi. (désignés sous le terme de « croiseurs armés » pendant la Grande Guerre) correspondent à des11. naviresCes bâtiments marchands allemands armés étaientpour la pour guerre la deplupart course, désignés soit des comme actions « navires de corsairerie torpilleurs visant de àhaute déstabiliser mer », soitle commerce ennemi.un rôle quasiment équivalent à celui de destroyers. 11Ces bâtiments allemands étaient pour la plupart désignés comme « navires torpilleurs de haute mer », soit un rôle quasiment équivalent à celui de destroyers. 190 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

G101 (1914) x x x V105 (1914) x A1 (1915) x x B109 (1915) x G85 (1915) x x S49 (1915) x x V25 (1915) x V43 (1915) x x V67 (1915) x A26 (1916) x G92 (1916) x G96 (1916) x x A56 (1917) x V125 (1917) x V170 (1917) x U-19 (1911) x U-23 (1913) x U-27 (1913) x U-31 (1914) x U-43 (1914) x U-66 (1915) x Sous-marin UB-I (1915) x x UB-II (1915) x UC-I (1915) x UE-I (1915) x UC-II (1916) x Klasse UE (1916) x Chine Destroyer [Longjiang (1913)] x Florida (1909) x Delaware (1910) x South Carolina (1910) x Cuirassés Wyoming (1912) x x New York (1914) x x Arizona (1916) x New Mexico (1918) x St. Louis (1906) x États-Unis Croiseurs Chester (1908) x [Phoenix (1916)] x Paulding (1910) x Monoghan (1911) x Cassin (1913) x Destoyer O'Brien (1914) x Sampson (1916) x Wickes (1918) x [Turenne (1907)] x Normandie (1912) x Cuirassés Courbet (1913) x [Lyon (1913)] x Bretagne (1916) x France Croiseur Jurien de la Gravière (1903) x Croiseur mouilleur de mines Pluton (1910) x Gueydon (1903) x Croiseur auxiliaire Gloire (1904) x Torpilleur type 37 mètres (1897) x La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 191

Cyclone (1898) x Dunois (1898) x Durandal (1899) x Pertuisane (1900)13 x Mistral (1901) x Arquebuse (1902) x Destroyer12 Claymore (1905) x Torpilleur type 38 mètres (1905) x Branlebas (1907) x Bouclier (1910) x Bisson (1911) x Enseigne Roux (1913) x Sirène (1901) x Aigrette (1904) x Sous-marin Pluviôse (1907) x Amiral Bourgeois (1912) x Majestic (1896) x Canopus (1898) x x Formidable (1898) x London (1899) x Duncan (1901) x King Edward VII (1903) x x Lord Nelson (1906) x Dreadnought (1906) x x x x Bellerophon (1907) x x x x St. Vincent (1908) x x x Neptune (1909) x x x Colossus (1911) x x x Cuirassé Orion (1911) x x x x King George V (1911) x x x Grande-Bretagne Iron Duke (1912) x x x x Queen Elizabeth (1913) x x x x Erin (1913) x x x Agincourt (1913) x x x Canada (1913) x x x Revenge (1914) x x x Lord Clive (1915)14 x M-15 class (1915)15 x Warspite (1915) x Erebus (1916)16 x Cressy (1899) x Drake (1901) x x Croiseur Monmouth (1901) x x x Devonshire (1903) x x x Duke of Edinburgh (1904) x x x 12. Ces bâtiments français étaient désignés selon le cas comme « torpilleurs » ou « contre-torpilleurs », soit des 12Cesrôles bâtiments quasiment français équivalent étaient à celui désignés de destroyers. selon le cas comme « torpilleurs » ou « contre-torpilleurs », soit des rôles quasiment13. Cette classeéquivalent est plus à celui connue de destroyers.sous le nom de Rochefortais. 13 14.Cette Les classebâtiments est plus de connueclasse Lord sous Clivele nom n’étaient de Rochefortais. pas à proprement parler des cuirassés, mais des monitors 14 Lesemployés bâtiments comme de classe artillerie Lord Clivecôtière n'étaient flottante. pas à proprement parler des cuirassés, mais des monitors employés comme artillerie côtière flottante. 15. Les bâtiments de classe M-15 n’étaient pas à proprement parler des cuirassés, mais des monitors employés 15Les bâtiments de classe M-15 n'étaient pas à proprement parler des cuirassés, mais des monitors employés comme artilleriecomme côtière artillerie flottante. côtière flottante. 1616.Les Les bâtiments bâtiments de de classe classe Erebus Erebus n'étaient n’étaient p pasas à à proprementproprement parlerparler desdes cuirassés, maismais des des monitors monitors employés employés comme artilleriecomme côtière artillerie flottante. côtière flottante. 192 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

Warrior (1905) x x x Minotaur (1906) x x x Invincible (1907)17 x x x Boadicea (1908) x x x Blonde (1910) x x Bristol (1910) x x Active (1911) x x Indefatigable (1911)18 x x Weymouth (1911) x x x x Chatham (1912) x x x Lion (1912)19 x x x Queen Mary (1912)20 x x x Tiger (1913)21 x x x Arethusa (1914) x x x Birmingham (1914) x x Calliope (1914) x x x Caroline (1914) x x x Birkenhead (1915) x x Cambrian (1915) x x x Centaur (1916) x x x Caledon (1916) x x x Renown (1916)22 x x Ceres (1917) x x Capetown (1918)23 x Danae (1918) x x Teutonic (1889) x Columbella (1902) x Armadale Castle (1903) x Victorian (1905) x Croiseur auxiliaire Otway (1909) x Mantua (1909) x Alcantara (1913) x Ebro (1914) x Patia (1914) x 27 knotter class (1894) x Palmer (1897)24 x x Destroyer River (1903) x x Cricket (1906) x x x Tribal (1907)25 x x x 17. Les navires de classe Invincible étaient des croiseurs de bataille. Ils sont classés parmi les cuirassés dans Great 17LesNaval navires Battles V: de classe Demise Invincible of the Dreadnoughts;étaient des croiseurs 1914-18 de (1996).bataille. Ils sont classés parmi les cuirassés dans Great Naval Battles18. Les V:navires Demise de ofclasse the DreadnoIndefatigableughts; étaient 1914- 18des (1996). croiseurs de bataille. Ils sont classés parmi les cuirassés dans 18 LesGreat navires Naval de classeBattles V: Indefatigable Demise of étaientthe Dreadnoughts; des croiseurs 1914-18 de bataille. (1996). Ils sont classés parmi les cuirassés dans Great Naval Battles19. Les V:navires Demise de of classe the Dreadnoughts; Lion étaient des 1914 croiseurs-18 (1996). de bataille. Ils sont classés parmi les cuirassés dans Great 19Les navires de classe Lion étaient des croiseurs de bataille. Ils sont classés parmi les cuirassés dans Great Naval Battles Naval Battles V: Demise of the Dreadnoughts; 1914-18 (1996). V: Demise of the Dreadnoughts; 1914-18 (1996). 2020.Les Les navires navires de de classe classe Queen Queen Mary Mary étaient étaient des des croiseurs croiseurs de bataille.de bataille. Ils sontIls sont classés classés parmi parmi les cuirassésles cuirassés dans dans Great Naval BattlesGreat V: NavalDemise Battles V: of the Dreadnoughts; Demise of the 1914Dreadnoughts;-18 (1996). 1914-18 (1996). 2121.Les Les navires navires de declasse classe Tiger Tiger étaient étaient des descroiseurs croiseurs de bataille.de bataille. Ils sont Ils sont classés classés parmi parmi les cuirassés les cuirassés dans dans Great Great Naval Battles V: DemiseNaval Battles V:of the Dreadnoughts; Demise of the 1914 Dreadnoughts;-18 (1996). 1914-18 (1996). 2222.15Les Les naviresnavires dede classeclasse Renown Renown étaient étaient des des croiseurs croiseurs de de bataille. bataille. Ils Ils sont sont classés classés parmi parmi les les cuirassés cuirassés dans dans Great Great Naval BattlesNaval V: DemiseBattles V: of Demisethe Dreadnoughts; of the Dreadnoughts; 1914-18 1914-18(1996). (1996). 23 23.16Le Le croiseur léger Capetown a étéété lancélancé enen 1919.1919. Il Il appartenait appartenait toutefois toutefois au au groupe groupe Carlisle Carlisle de de la laC -C-class,class, dont la tête de sériedont fut la lancéetête de ensérie 1918. fut lancée en 1918. 24Le jeu Jutland (2006) propose plus généralement la 30 knotter class, dont le Palmer est un représentant. Jutland 2524.Le Le jeu jeu Jutland (2006) (2006) distingue propose les plus classes généralement Tribal A etla B,30 knotter la seconde class, étant dont une le amélioration Palmer est un de représentant. la première. 25. Le jeu Jutland (2006) distingue les classes Tribal A et B, la seconde étant une amélioration de la première. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée< 193

Beagle (1909) x x Viking (1909)26 x Acorn (1910) x x x Acheron (1910) x x x Acasta (1912) x x x Laforey (1913)27 x x x x Faulknor (1914) x x x M-class (1914)28 x x x Talisman (1914) x x x Abdiel (1915)29 x Lightfoot (1915) x x x Medea (1915) x x x x Repeat M (1915) x Modified W (1916) x Parker (1916) x x R/S-class (1916)30 x x x x V/W-class (1916)31 x x V Leaders (1916) x Scott (1917)32 x Shakespear (1917) x Swift (1917) x x Valkyrie (1917)33 Wakeful (1917)34 Campania (1892, 1915) x Porte-avion et hydravions35 Vindex (1905, 1915) x Engadine (1911, 1914) x B class (1904) x C class (1906) x D class (1907) x E-1 class (1912) x E-2 class (1913) x Sous-marin F class (1913) x E.41 (1914)36 x V class (1914) x G class (1915) x H class (1915) x J class (1915) x Aleksandr II (1887) x Russie Cuirassés Peresvet (1898) x 26. Destroyer de classe Tribal B, amélioré par rapport à ses sister-ship. 27.26Destroye Le jeu Dreadnoughtr de classe Tribal (1992) B, améliorétraite séparément par rapport la L-classà ses sister en général-ship. et le Laforey, qui était sa tête de série. Le 27Lejeu jeu Jutland Dreadnought (2006) (1992)distingue traite les séparémentdestroyer Laforey la L-class à deux en général et trois cheminées. et le Laforey, qui était sa tête de série. Le jeu Jutland 28.(2006) Le jeu distingue Jutland les (2006) destroyer distingue Laforey les àdestroyer deux et troisde M-class cheminées. à deux et trois cheminées. 28Le jeu Jutland (2006) distingue les destroyer de M-class à deux et trois cheminées. 29.29Destroyer Destroyer de de classe classe Lightfoot Lightfoot modifié modifié pour pour le mouillagele mouillage de mines.de mines. 30.30Les Les classes classes R et SS de de destroyers destroyers britanniques britanniques sont sont différentes, différentes, toutes toutes deuxdeux lancées lancées en en 1916. 1916. Elles Elles sont sont disjointes disjointes dans Dreadnoughtsdans Dreadnoughts (1992) mais (1992) regroupées mais regroupéesdans Great Navaldans GreatBattles Naval V: Demise Battles of the V: Dreadnoughts;Demise of the 1914Dreadnoughts;-18 (1996). Le jeu World1914-18 of Warships (1996). (20 Le15) jeu propose World un of destroyerWarships de(2015) classe propose R intégré un dans destroyer la marine de classe Rthaïlandaise intégré sous dans le nom la marine de Phra Ruang. 31Lesthaïlandaise classes V souset W le de nom destroyers de Phra britanniques Ruang. sont différentes, toutes deux lancées en 1916. Elles sont disjointes dans 31.Dreadnoughts Les classes V(1992) et W mais de destroyersregroupées britanniquesdans Great Naval sont Battlesdifférentes, V: Demise toutes of thedeux Dreadnoughts; lancées en 1916. 1914 -Elles18 (1996). sont 32 Ledisjointes Scott faisait dans partie Dreadnoughts de la classe (1992) V Leaders. mais regroupées Toutefois, dans le jeu Great Dreadnoughts Naval Battles V: (1992) Demise traite lesof the deux Dreadnoughts; séparément. 33Le Valkyrie était un bâtiment de classe V Leaders. 1914-18 (1996). 34Le Wakeful était un bâtiment de classe W. 32.35Ces Le Scottbâtiments faisait ont partie tous deété la transformés classe V Leaders. en porte Toutefois,-avions à lepartir jeu Dreadnoughtsde bâtiments civils.(1992) Les traite modifications les deux séparément. étant importantes, 33.nous Le indiquons Valkyrie étaitleur dateun bâtiment de lancement de classe V et leur Leaders.date de conversion. 34.36Note Le Wakeful : Le E.41 était était un un bâtiment sous-marin de declasse W. classe E-2 modifié pour pouvoir mouiller des mines. 35. Ces bâtiments ont tous été transformés en porte-avions à partir de bâtiments civils. Les modifications étant importantes, nous indiquons leur date de lancement et leur date de conversion. 36. Le E.41 était un sous-marin de classe E-2 modifié pour pouvoir mouiller des mines. 194 Cyril Lacheze et Marion Weckerle

Tsarevitch (1901) x Retvizan (1902) x Gangut (1911) x Rossiya (1896) x Gromoboi (1899) x Pallada (1899)37 x Askold (1900) x Croiseurs Novik (1901) x Bogatyr (1902) x x Almaz (1903) x Aurora (1903)38 x Rurik (1906) x x Bezstrashni (1899) x Boiki (1901) x Novik (1911) x Destroyers Derzki (1914) x [Storozhevoi (1916)] x Izyaslav (1917) x Italie Torpilleur Motoscafo Armato Silurante (1916) x Fuji (1897) x Asahi (1900) x Shikishima (1900) x Cuirassés Mikasa (1902) x Kawachi (1912) x Fuso (1915) x Chiyoda (1891) x Itsukushima (1891) x Akitsushima (1894) x Suma (1896) x Chitose (1898) x Asama (1899) x Azuma (1900) x Izumo (1900) x Japon Croiseurs Yakumo (1900) x Chihaya (1901) x Kasuga (1904) x Nisshin (1904) x Otowa (1904) x Tsushima (1904) x [Myogi (1910)]39 x Chikuma (1912) x Kongo (1913)40 x Murakumo (1898) x Hayabusa (1899)41 x Destroyers Shirakumo (1901) x Harusame (1903) x Umikaze (1911) x 37. Le Pallada fut coulé à Port-Arthur en 1904. Il fut ensuite renfloué par le Japon et, au moment de la Première Guerre mondiale, servait dans la marine japonaise sous le nom de Tsugaru. 37Le Pallada fut coulé à Port-Arthur en 1904. Il fut ensuite renfloué par le Japon et, au moment de la Première Guerre 38. L’Aurora était un croiseur protégé de classe Pallada. mondiale, servait dans la marine japonaise sous le nom de Tsugaru. 3839.L'Auror Le Myogia était était un croiseurun projet protégé de croiseur de classe de bataille. Pallada. Le jeu World of Warships (2015) le classe dans les cuirassés. 3940.Le Le Myogi Kongo était était un unprojet croiseur de croiseur de bataille. de bataille. Le jeu WorldLe jeu ofWorld Warships of Warships (2015) le(2015) classe le dans classe les danscuirassés. les cuirassés. 4041.Le Le Kongo Hayabusa était unétait croiseur un torpilleur, de bataille. mais Le le jeujeu WorldDreadnoughts of Warships (1992) (2015) le classe le classe dans dansles destroyers. les cuirassés. 41Le Hayabusa était un torpilleur, mais le jeu Dreadnoughts (1992) le classe dans les destroyers. La Grande Guerre dans le jeu vidéo : jouer une histoire délaissée 195

Isokaze (1917) x Maya (1886) x Canonnières Tatsuta (1894)42 x Uji (1903) x 42. Le Tatsuta était initialement un croiseur, mais a été reclassé en canonnière en 1912.

42Le Tatsuta était initialement un croiseur, mais a été reclassé en canonnière en 1912.

Rencontre

Réflexions autour de la place de l’historien dans la production vidéoludique « historique » Le cas du jeu Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre Entretien avec Alexandre Lafon1 José-Louis de Miras

Alexandre Lafon est docteur en histoire contemporaine, conseiller péda- gogique et historique de la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale, pour laquelle il met en œuvre des actions pédagogiques transverses en direction de la communauté éducative, en lien avec le Ministère de l’Édu- cation nationale et de la Jeunesse, les académies et les partenaires scolaires nationaux et internationaux. Il a notamment officié en tant que conseil- ler historique pour Ubisoft lors de la production du jeu Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre en 2014.

José-Louis de Miras (JLDM) : L’un des débats les plus actifs autour du jeu vidéo se focalise autour de la relation entre l’histoire et le média vidéolu- dique, et plus particulièrement sur l’opposition jeux historiques/sur l’histoire. Quel est votre avis lorsqu’il s’agit d’accorder une dimension historique au médium vidéoludique ? Alexandre Lafon (AL) : La Mission du Centenaire a choisi de s’enga- ger formellement et avec enthousiasme dans une lecture pluridisciplinaire et très ouverte des commémorations du Centenaire. Pour nous, il était question avant tout de sensibiliser l’ensemble du grand public à l’intérêt des commémorations. Littéralement, commémorer signifie se souvenir ensemble. Cet acte doit s’inscrire dans un rapport présent au passé avec pour horizon la transmission d’un enseignement partagé. Afin de réussir cette transmission, nous avons souhaité faire des jeunes générations les principaux bénéficiaires de cette transmission, non pas dans l’injonction mémorielle, mais en les incluant dans le processus d’adhésion. Pour cela, il ne fallait pas uniquement sensi- biliser les professeurs d’histoire-géographie dans le cadre d’un enseignement disciplinaire de la Grande Guerre, qui aurait été en quelque sorte l’alpha et

1 Entretien réalisé le 24 septembre 2018 à Bordeaux. 200 José-Louis de Miras l’oméga de la transmission, mais essayer de se positionner sur d’autres champs. Il nous a dès lors paru intéressant d’explorer le jeu vidéo, que vous appelez ludique et que nous avons souhaité pédago-ludique, c’est-à-dire à destination des jeunes générations, dans cette idée de transmission par le jeu. Il s’agissait d’intéresser ce jeune public à l’idée de la Première Guerre mondiale, conflit préhistorique pour les élèves de primaire et du collège, en leur montrant tout l’enjeu contemporain de la connaissance de ces mémoires et de l’histoire de la Première Guerre mondiale. Le jeu vidéo nous a semblé être un médium adapté, s’il était pris en charge par des pédagogues et des historiens. Pour Soldats Inconnus, c’est une rencontre entre le pédagogue et historien que je suis et la volonté essentielle d’Ubisoft et de Paul Tumelaire de construire un jeu mettant en valeur l’histoire généalogique de la famille de Yoan Fanise2. JLDM : Doit-on dès lors encadrer ce médium ? AL : Si l’on veut créer une action pédagogique de transmission intelli- gente, il faut faire confiance aux créateurs de jeux qui ont travaillé à travers le graphisme, le scénario, etc., et faire confiance au dialogue entre les produc- teurs de jeux vidéo et des conseillers historiques et pédagogiques si l’on veut transmettre un certain nombre de choses. Dans le cadre d’Ubisoft, on avait affaire à une forte demande de l’entreprise, et notamment de Paul Tumelaire et de son équipe, de s’engager dans un tel dialogue, qui fut assez fructueux et pas du tout déséquilibré. Cela ne partait pas seulement d’un intérêt économique, c’est-à-dire faire de la Grande Guerre un shooter, mais bien d’une volonté de transmettre à travers le jeu un certain nombre d’éléments véridiques liés à la Première Guerre mondiale. C’est peut-être une exception ou du moins un coin dans le rapport du jeu vidéo à l’histoire. Je ne sais pas si ça s’est fait pour d’autres jeux, mais en tout cas celui-là a été conçu en accord avec l’entreprise, qui est l’équipe, et la Mission du Centenaire de la Première Guerre mondiale, d’où le résultat qui est vraiment pédago-ludique. On peut évidemment lui trouver des défauts, c’est-à-dire pas assez ludique, pas assez pédagogique ; on rencontrera toujours des personnes qui iront dans l’un ou l’autre sens, mais il me semble que Soldats Inconnus a connu une sorte de succès d’estime qui pourrait peut-être être réutilisé pour d’autres jeux ou d’autres périodes. JLDM : Certaines superproductions vidéoludiques (triples AAA), comme Battlefield (EA) et Call of Duty (Activision), ont à plusieurs reprises choisi la Première et la Seconde Guerre mondiales comme périodes historiques. Au fil du

2 Paul Tumelaire a officié en tant que directeur artistique pour Soldats Inconnus tandis que Yoan Fanise en était le directeur du contenu. Les lettres et documents historiques qui ont servi de source d’inspiration ont été apportés par Y. Fanise en 2010 lorsque P. Tumelaire démarra le projet. Antoine Flandrin, « “Soldats inconnus” est un jeu vidéo sur la Grande Guerre, mais ce n’est pas un jeu de guerre » lemonde.fr, publié le 19 mai 2014 : http://www.lemonde.fr/ pixels/article/2014/05/19/soldats-inconnus-est-un-jeu-video-sur-la-grande-guerre-mais-ce-n- est-pas-un-jeu-de-guerre_4421313_4408996.html (dernière visite le 02/03/2019). Réflexions autour de la place de l’historien dans la production vidéoludique « historique » 201 temps, les capacités techniques des dispositifs de jeu se sont considérablement améliorées afin d’accroître davantage le réalisme des représentations. Quel est votre point de vue concernant la consommation de ces productions culturelles par le jeune public ? N’y a-t-il pas un risque d’interférence entre l’histoire et sa représentation vidéoludique, parfois fantasmée, au niveau de l’apprentissage ? AL : Je ne suis pas un grand spécialiste des jeux vidéo, mais il me semble qu’on touche là à la différence entre le documentaire et l’œuvre de fiction. Je pense que les jeunes qui jouent à Call of Duty, Assassin’s Creed et les autres triples AAA, font la différence entre le jeu et la réalité de l’histoire et du cours historique, donc entre la représentation et le passé. Pour moi, c’est encore une fois la différence entre une œuvre de fiction au cinéma et un documentaire construit à partir d’images d’archives. Ou, pour être encore plus didactique, entre jouer à la guerre et avoir un fusil et passer à l’acte de faire la guerre. Qu’il y ait des interférences, sans doute, entre ce que vous appelez des produits culturels, c’est-à-dire des jeux vidéo grand public, et l’histoire elle-même, donc un brouillage des représentations, mais c’est tout le rôle de l’école et d’autres objets culturels comme les expositions et les musées, de montrer la différence entre ces deux niveaux. Qu’il y ait des jeux pour la partie ludique, c’est une chose ; qu’il y ait ensuite l’étude de l’histoire, le goût de l’histoire, le travail de l’archive et l’étude du passé, ça en est une autre. Si l’on peut construire des ponts entre les deux, sans brouillages, par le biais par exemple de Soldats Inconnus, c’est cela qui me paraît intéressant. JLDM : Il faut donc à la fois un encadrement pédagogique pour orienter le jeune public qui pourrait croire certains aspects fictifs présents dans ces jeux qui « jouent l’histoire », et réussir à encadrer cette pratique par l’éducation. AL : Tout à fait ! JLDM : Dans Cinéma et Histoire, Marc Ferro évoque les différentes façons de considérer un film historique et que l’on peut également transposer ici dans le cadre du jeu vidéo : La plus courante, héritée de la tradition érudite, consiste à vérifier si la recons- titution est précise, si les soldats de 1914 ne portent pas, à tort, des casques alors qu’ils n’en furent coiffés qu’après 1916 ; à observer si les décors et les extérieurs sont fidèles, les dialogues authentiques. La plupart des [ludéastes] sont attentifs à cette précision érudite ; pour la garantir, ils appellent volontiers à leur aide des historiens postiches, qui, au reste, figurent égarés dans quelque coin du générique. Naturellement, il est des [ludéastes] qui ont des exigences plus élevées : ils vont aux Archives eux-mêmes, jouent les historiens ; ils se forcent à restituer au dialogue sa saveur ancienne […]3

3 Nous remplaçons ici le terme « cinéaste » par le néologisme ludéaste, pour décrire les déve- loppeurs de jeux vidéo qui, à travers leur travail et de la même manière que les cinéastes, proposent une représentation interactive et ludique de la réalité. En ludicisant la Grande 202 José-Louis de Miras

Comme le cinéma avant lui, le jeu vidéo se documente ; lui aussi fait appel à des historiens « postiches » pour éviter au maximum les anachronismes et ainsi assurer une certaine fidélité aux faits. A. Lafon, vous avez participé en 2014 à la création du jeu Soldats Inconnus, développé par Ubisoft Montpellier. Si l’on fait un lien avec les propos de M. Ferro, vous étiez ce que l’auteur considère comme un historien « postiche ». Quelle était véritablement votre mission lors de la production de Soldats Inconnus ? AL : Sur cette affirmation de Marc Ferro à laquelle je souscris volontiers, pour avoir aussi participé comme conseiller historique à d’autres productions documentaires, il est souvent difficile, pour l’historien, de trouver sa place dans des produits culturels marchands qui sont soumis aux aléas financiers, et aux exigences des réalisateurs qui ont souvent une idée bien précise de ce qu’ils veulent faire. Effectivement, ils peuvent faire appel à des conseillers historiques « postiches », pour reprendre M. Ferro, qui sont là pour cautionner en quelque sorte le travail du réalisateur et du producteur. Il faut cependant nuancer cela : premièrement, il y a, à la fois pour ces productions cinématographiques et vidéoludiques, la notion de vérité des lieux, de vérité du contexte culturel et visuel que l’on souhaite attacher au mieux à l’époque qui est représentée. C’est assez facile et l’historien peut être là en soutien. La deuxième chose concerne les dialogues qui sont donnés, la voix off qui est proposée et qui met en intrigue le jeu, le documentaire ou le film. C’est ici qu’il faut être extrê- mement vigilant, parce que c’est à cet endroit que le diable se cache et que l’on coupe l’historien ou qu’on évite toutes les nuances qu’il peut apporter, les discours stéréotypés étant évidemment les plus faciles à absorber par le grand public. C’est souvent à ce moment-là que l’historien est mis sur la touche. Pour Soldats Inconnus, il y avait donc ce premier niveau qui consistait à vérifier que le jeu soit bien conforme à la réalité historique (les lieux, les personnages et la façon dont ils sont habillés) ; à éviter les erreurs de chronologie, etc. Et au niveau de l’intrigue et de la narration, je ne pense pas qu’il y ait de problé- matique dans Soldats Inconnus, donc l’écueil des fausses problématiques ou insuffisamment approfondies n’ont pas eu cours dans ce jeu. On a juste veillé à une cohérence chronologique et à faire en sorte que tel personnage pouvait être ou non dans telle ou telle bataille ; qu’il pouvait avoir existé ou non dans ce contexte, etc. Le vrai rapport pour moi dans Soldats Inconnus et qui remet en cause l’affirmation de Marc Ferro sur l’historien « postiche » – encore une fois à laquelle je souscris parce qu’effectivement il y a beaucoup d’historiens qui se sont portés cautions de films documentaires ou de films de cinéma dans lesquels ils ne se sont pas retrouvés –, c’est qu’il y a l’apport de ces petits

Guerre, les ludéastes, tels qu’Ubisoft et Electronic Arts, participent à la construction d’un imaginaire d’une période historique peu représentée dans les jeux vidéo modernes. Marc Ferro, Cinéma et Histoire [1977], Paris, Gallimard, 1993, p. 219. Réflexions autour de la place de l’historien dans la production vidéoludique « historique » 203 textes historiques à l’intérieur du jeu. On peut regretter ou non le fait qu’ils n’apparaissent pas assez souvent, mais on peut dire sans trop exagérer qu’une cinquantaine de textes historiques, écrite par un historien et où il n’y a eu aucune censure du producteur du jeu, apporte une réelle caution historique au jeu, d’autant plus que ces petites pastilles donnaient aussi une extension au jeu, dans le sens où l’on proposait au joueur, pour approfondir autour de telle bataille ou de telle problématique, d’aller lire tel livre, d’aller voir telle exposi- tion ou de consulter tel site. Ce sont ces deux apports-là qui me font dire que sur Soldats Inconnus, le rôle de l’historien n’a pas été vain. JLDM : La citation de Marc Ferro n’est pas toujours d’actualité et peut même être débattue ; elle peut toutefois être utilisée pour parler de certaines productions vidéoludiques, notamment celles des années 1990 et 2000, qui font parfois appel aux historiens et aux musées pour justifier certains éléments du jeu, comme la modélisation et le nom des armes et des véhicules, sans pour autant se soucier du récit historique, souvent concurrencé par le récit vidéoludique et le game design. En quelque sorte, il s’agit d’obtenir un seuil de véridicité suffisant qui n’interfèrerait pas avec le jeu et de fait ne viendrait pas compromettre son gameplay4. AL : C’est un peu ce qui se passe dans les documentaires et les fictions. Pour avoir participé à de nombreuses commissions culturelles d’attribution, par exemple de subventions, on demande à tel producteur d’avoir une caution historienne pour que ça passe en commission. Parfois, le dialogue peut bien se dérouler entre l’historien et le réalisateur, et ça peut donner des choses tout à fait intéressantes. Parfois, les réalisateurs ont en tête une vision des choses et l’historien n’a que peu de voix au chapitre et découvre d’ailleurs souvent, lorsque le film sort, des images, des propos ou bien une voix off qu’il n’a pas du tout cautionnés. JLDM : J’ai à ce sujet rencontré Laurent Turcot, spécialiste de la culture urbaine, des loisirs et des divertissements du XVIe au XIXe siècle, lors d’une séance de gameplay historique5 organisée dans le cadre du projet Montaigne in

4 On pense notamment au premier Medal of Honor (Electronic Arts, 1999), dans lequel l’utilisa- tion de l’image d’archive diffère entre les versions américaines et européennes. En effet, la censure européenne imposa aux développeurs de supprimer toutes les mentions au nazisme : le nom d’Hitler et le mot « nazis » ne furent plus prononcés et les plans montrant des croix gammées ont tous été supprimés dans les versions européennes. En revanche, on peut relever un élément qui apparaît dans toutes les versions : l’omniprésence de l’armée américaine. Si les images d’archives permettent de contextualiser le jeu, de lui apporter une dimension historique supplémentaire, les ouvertures de ces jeux des années 1990-2000 finissaient très souvent par indiquer au joueur qu’il allait prendre place au sein de l’armée américaine. Il y a donc une forme de légitimation du héros américain dans des jeux qui traitaient pourtant d’une guerre « mondiale ». 5 Ces séances de gameplay historique, également appelées ballades virtuelles, sont des ateliers inte- ractifs organisés à l’Université Bordeaux Montaigne par Nicolas Patin et moi-même, depuis 204 José-Louis de Miras

Game6. L. Turcot a travaillé comme conseiller historique dans le cadre de la production d’un autre jeu d’Ubisoft, Assassin’s Creed Unity (Ubisoft, 2014), qui se déroule en plein cœur de la Révolution française. À ce sujet, L. Turcot a expliqué que son expertise sur certains détails du jeu – l’historien écrivait des notes pour mettre en avant le fait que certains éléments historiques étaient anachroniques, à l’image des drapeaux tricolores omniprésents dans le jeu, qui se déroule en 1789, alors qu’ils ne furent véritablement popularisés qu’à partir de 1794 –, ne fut pas forcément prise en considération par les développeurs qui ont privilégié l’immersion au détriment de la réalité historique. Cela rejoint donc un peu votre discours, en ce qui a trait à certaines productions documentaires et cinématographiques. Néanmoins, si l’on prend en compte votre propre expérience, l’impact de vos recherches et de votre expertise sur la production de Soldats Inconnus ne semble pas avoir eu le même effet. AL : Tout à fait ! Mais je suis également conscient que face au marché du jeu vidéo, Soldats Inconnus était un ovni, c’est-à-dire qu’il n’avait pas du tout le même investissement qu’un Assassin’s Creed ou qu’un autre blockbuster vidéo- ludique. Il y eut ainsi une certaine latitude de liberté de l’équipe pour prendre du temps, pour y injecter ces aspects historiques, et avec beaucoup moins de contraintes, peut-être. Si j’avais eu l’expérience d’être conseiller historique pour un jeu avec beaucoup plus d’attentes économiques et de réussite, je ne suis pas sûr que j’aurais eu la même expérience. JLDM : Ubisoft développant très régulièrement des jeux dont la narra- tion se situe dans des périodes historiques précises – on a évoqué la série des Assassin’s Creed, mais l’on peut également citer Battlefield pour Electronic Arts et Call of Duty pour Activision –, la production de Soldats Inconnus s’est quant à elle faite en partenariat avec la Mission du Centenaire. Comment ces deux entités se sont-elles rencontrées ? AL : Par le biais d’un de nos amis historiens, Nicolas Offenstadt, qui était intéressé par la question du numérique et donc du jeu vidéo. L’équipe d’Ubi- soft est dès lors venue présenter le projet de jeu à la Mission du Centenaire dans le cadre de la labélisation, c’est-à-dire de la valorisation des projets portés par des entreprises et par des collectivités, dès 2013. À la même période, d’autres supports numériques en lien avec les commémorations de la Grande

mars 2018. Elles consistent à présenter au public diverses productions vidéoludiques et à inter- roger les différentes représentations qu’elles proposent, en faisant régulièrement appel à des spécialistes des Sciences Humaines et Sociales, tels que des historiens, des sociologues, des narratologues, etc. 6 La séance en question s’est déroulée à la Maison de l’Archéologie de l’Université Bordeaux Montaigne, le 2 mai 2018. Une rediffusion dustream réalisé par nos soins est disponible sur Twitter : https://twitter.com/MontaigneinGame/status/991598615436124160 ; https:// twitter.com/MontaigneinGame/status/991604501508444160 (dernière visite le 2 mars 2019). Réflexions autour de la place de l’historien dans la production vidéoludique « historique » 205

Guerre se mettaient en place, comme le projet de médiation mené par le Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux, qui redonna vie au poilu Léon Vivien en racontant son histoire à travers Facebook7, ou encore avec des plateformes comme Plateforme 14-188 ou Générations 149, qui permettaient de s’immerger dans des expériences de soldats, de combattants et de civils pendant la Première Guerre mondiale. Il y avait donc à cette époque tout un contexte de foisonnement pour trouver de nouvelles prises en main ludiques et pédagogiques, et c’est comme ça qu’Ubisoft est venue à la Mission du Centenaire. Du coup, le projet m’a très vite intéressé et on a tissé des liens très forts avec Paul Tumelaire et Yoan Fanise, jusqu’à faire connaître le jeu auprès des scolaires et proposer des séances de jeu à des Néozélandais qui venaient en France dans le cadre d’un projet pédagogique d’échange autour des mémoires de la Première Guerre mondiale. JLDM : Votre travail a également consisté à organiser ces séances en amenant Soldats Inconnus en milieu scolaire. Quel était le fonctionnement de ces séances et les thématiques abordées ? AL : Nous n’en avons pas réalisé beaucoup, car ce n’était pas notre travail, mais nous avons offertSoldats Inconnus à des élèves à l’occasion de la réussite de projets pédagogiques réalisés dans le cadre de la labélisation du Centenaire. C’était un moyen de faire connaître le jeu, sans pression commerciale. Nous sommes donc allés sur le site d’Ubisoft à Paris où nous avons reçu une délé- gation de jeunes Néozélandais d’une quinzaine d’années et nous leur avons présenté Soldats Inconnus pour leur transmettre les mémoires et l’histoire de la Grande Guerre autrement. Nous avons essayé à travers ces quelques événements de montrer une logique de savoir-faire et une manière originale d’aborder les commémorations et les enjeux de transmission de la Première Guerre mondiale. JLDM : Nous avons précédemment évoqué le fait qu’il n’y a eu aucune pression commerciale lors de votre collaboration avec les équipes d’Ubisoft, bien que cela existe parfois dans le cadre de productions plus importantes budgétairement parlant. Le fait de contribuer à la production d’un jeu en tant qu’historien pose-t-il néanmoins, selon vous, des problèmes éthiques et de rigueur historienne ? AL : Je ne peux parler que de l’expérience que j’ai eue. Pour moi, c’était plutôt enrichissant. D’un point de vue éthique, au contraire, c’était très inté- ressant d’explorer un nouveau champ de transmission de l’histoire. L’historien

7 Voir le profil de Léon Vivien surFacebook : https://www.facebook.com/leon1914/ (dernière visite le 2 mars 2019). 8 Voir le projet Plateforme 14-18 sur Internet : https://www.plateforme1418.com (dernière visite le 2 mars 2019). 9 Voir le projet Générations 14 sur Internet : http://generations-14.fr (dernière visite le 2 mars 2019). 206 José-Louis de Miras est au cœur de la cité, et le jeu vidéo est également dans cette cité. Pourquoi ne pas utiliser les jeux vidéo pour apporter une lecture, une expression et une ouverture d’esprit ? Le jeu vidéo n’est pas juste un élément ludique absolu- ment détaché du reste. Non, je pense que l’historien, en apportant son exper- tise et quand on le lui demande, peut nourrir un dialogue sérieux, équilibré, avec des producteurs de jeux vidéo. Il ne s’agit pas de faire de l’histoire : le jeu Soldats Inconnus avait pour ambition d’amener des jeunes sur leur terrain, celui du jeu, pour ensuite dépasser ces représentations et leur donner le goût de l’histoire. C’est ensuite, par les lectures, par les expositions et par le travail d’archives, qu’ils pourront faire œuvre de recherche et d’enquête historiques. On aurait pu aller plus loin dans Soldats Inconnus ; on pourrait faire des jeux historiques et je pense que cela existe ! Il y a des jeux plutôt ludo-pédago- giques, mais il y a aussi des jeux plutôt pédagogiques ou plutôt ludiques. Je pense qu’on peut encore inventer des jeux historiques où l’on peut montrer divers types d’archives, éditer des images intéressantes pour inciter le public à réfléchir sur le passage de la guerre à la paix, par exemple. Cette opposition entre le jeu vidéo et l’historien est donc à mon avis une opposition stérile. Du coup, lorsqu’on connaît cette donnée qui veut que le divertissement prône sur la vérité historique, on y va ou on n’y va pas. Et si on y va, c’est pour faire avancer les choses à petits pas, ou à grands pas. Quand on est conseiller péda- gogique pour un jeu historique ou pour un documentaire, il y a une grande part de négociation. Et quand le dialogue est constructif avec les réalisateurs ou les développeurs, ça peut donner de belles choses. D’ailleurs, il y a des historiens qui se sont retirés de productions qui ne donnaient rien. C’est à chaque historien de voir où est la frontière entre ce qu’il peut ou non accepter. Effectivement, on connaît l’enjeu et on connait les règles ; il s’agit d’avoir la bonne intelligence de savoir ce que l’on peut accepter ou ne pas accepter. JLDM : Il faut donc prendre le jeu vidéo comme une sorte de « rampe de lancement » de l’histoire et non pas comme un objet qui doit absolument raconter l’histoire. On peut au contraire extraire de ces jeux vidéo historiques des éléments qui vont nourrir les débats et les discussions. AL : Évidemment ! Il faut également prendre le jeu en tant que tel et se demander par exemple si la représentation des soldats qu’il propose est fidèle à l’histoire, cent ans après. À partir de là, il s’agit d’éduquer les élèves/les jeunes à la confrontation des documents, à l’épaisseur de la mémoire et à l’enquête historique. Je me souviens que lorsqu’on a travaillé sur le jeu, ce qui nous intéressait aussi, c’était de montrer aux troisièmes toute la diversité des métiers qui pouvaient y avoir quand on faisait un jeu vidéo. C’est le jeu lui-même, en tant qu’objet de représentation, qui est interrogé et confronté à d’autres pièces de l’enquête. Et c’est ça qui fait aussi toute la richesse de l’enseignant et de l’enseignement. Réflexions autour de la place de l’historien dans la production vidéoludique « historique » 207

JLDM : Soldats Inconnus est une production vidéoludique particulière en ce qu’elle épouse le format de bande dessinée interactive dans laquelle la violence se situe à l’opposé des jeux vidéo sanguinaires traditionnels. Cette direction artistique vous semble-t-elle plus adéquate pour une application pédagogique destinée à un jeune public ? AL : La Mission du Centenaire a privilégié le support de la bande dessinée pour communiquer en direction des plus jeunes, et on parle particulièrement ici d’élèves du CM2 à la troisième. Le graphisme et l’univers de la bande dessinée ont été très investis avant le Centenaire, notamment par Jacques Tardi10, mais également à travers l’œuvre de Kris et Maël, Notre Mère la Guerre (2009-2012). Le cycle commémoratif a permis à travers un certain nombre d’auteurs – Kris et Maël11, autour des bédéistes de l’association On a marché sur la bulle12, des bandes dessinées scénarisées par l’historien Jean-Yves Le Naour13 – de dévelop- per l’investissement mémoriel de la bande-dessinée en termes de présentation et de narration afin de sensibiliser les jeunes générations. Dans le cas deSoldats Inconnus, le graphisme en BD déréalise un peu la notion centrale d’hyper violence rattachée à la Première Guerre mondiale et ne rentre donc pas par le sentiment d’écrasement de cette violence sur l’histoire et la mémoire de la Grande Guerre, comme peut le faire l’œuvre de Tardi. On peut dire que c’est une vision mémo- rielle militante de la Grande Guerre. Le graphisme du jeu d’Ubisoft permet d’entrer dans l’univers de cette guerre, sans totalement lisser l’idée de conflit, tout en incitant les jeunes générations à prendre possession de cette idée de guerre mondiale qui a bouleversé des existences, des sociétés et qui a un impact direct sur les réflexions que l’on peut avoir sur la paix, la guerre et leur passé. JLDM : La direction artistique (DA) de Soldats Inconnus est-elle selon vous une forme de contre-violence ? AL : Je n’irais pas jusqu’à dire que le jeu n’est pas violent. Il est aussi fondé sur la violence de la guerre, ne serait-ce que par les ruines, le champ de bataille et par certaines étapes que le joueur doit suivre. Mais cette violence n’est pas

10 La Première Guerre mondiale est omniprésente dans l’œuvre de Jacques Tardi depuis le début des années 1970. Pour la plupart éditées chez Casterman, les bandes-dessinées de J. Tardi ont connu un succès critique exceptionnel, en particulier C’était la guerre des tranchées (1993) et Putain de guerre (J. Tardi et Jean-Pierre Verney, 2008-2009). 11 Entre Histoire et Fiction. Autour de la bande dessinée Notre Mère la Guerre, de Kris et Maël, catalogue de l’exposition réalisée par les Archives départementales de l’Aude (2015) : https:// francearchives.fr/article/91635038 (dernière visite le 2 mars 2019). 12 Album Traces de la Grande Guerre (2018) et http://centenaire.org/fr/autour-de-la-grande- guerre/bande-dessinee/le-centenaire-au-coeur-des-19e-rendez-vous-de-la-bande (dernière visite le 2 mars 2019). 13 À ce sujet, voir les dernières parutions de Jean-Yves Le Naour, dont la version intégrale de la série 1914-1918, aux éditions Perrin (2018) : http://www.jeanyveslenaour.com/grande%20 guerre.html#soldatinconnuv (dernière visite le 2 mars 2019). 208 José-Louis de Miras centrale dans le jeu. Je soutiens cette DA, parce qu’on risquait sinon de faire fausse route et de centrer peut-être trop le sujet sur la question de la violence et de la fascination pour la guerre que peut ressentir un certain nombre de jeunes joueurs aujourd’hui, en sachant qu’ils font bien la part des choses entre le jeu et la réalité. JLDM : Effectivement, bien qu’ils ne prônent pas la violence, les jeux vidéo de guerre grand public la mettent en premier plan et nous permettent de la manipuler, là où Soldats Inconnus la relègue en arrière-plan, tel un décor, dans lequel les personnages principaux n’utilisent pas d’armes et ne tuent pas directement. Contrairement à Soldats Inconnus où les bombes ne servent qu’à détruire des infrastructures, Battlefield et Call of Duty donnent aux joueurs la possibilité de tuer des personnes. Ce n’est donc pas le même type de partici- pation du joueur à l’écriture vidéoludique de l’histoire. Dans Soldats Inconnus, l’interactivité permet de collectionner des objets et autres documents pour une consultation depuis un menu dédié. Pour chacun des chapitres joués, plusieurs faits sont relatés et sont accompagnés de photogrammes et d’un descriptif (La déclaration de guerre, la débâcle d’aout 1914, la caserne et son régiment, les gares, etc.) Quel était votre rôle lors de la création de ces bonus/wikis ? AF : J’ai été associé à toute la partie historique et le choix des documents qui y étaient liés. Mon rôle a donc été de les proposer, en accord avec l’équipe d’Ubisoft, et ensuite de relire et de corriger les autres. Pour moi, le cœur de ma collaboration avec Ubisoft fut l’écriture de ces bonus éparpillés dans le jeu ; je souhaitais donner une plus-value intellectuelle au jeu, une sorte d’extension de la connaissance du contexte dans lequel se déroulait telle ou telle bataille et pourquoi il y avait la mise en œuvre de tel ou tel événement. Il s’agissait de dire aux joueurs que les paysages et les batailles qu’ils traversaient, que les armes ou les objets qu’ils utilisaient, avaient une réalité historique. Ces petits textes permettaient aussi une extension de la connaissance par le biais d’indications, d’approfondissements possibles, par exemple allez voir certaines expositions, lisez le témoignage de Louis Barthas, etc. Ils avaient donc une invitation à approfondir certaines thématiques liées à la Première Guerre mondiale telles que le témoignage combattant, la place des femmes, des infirmières, l’utilisa- tion des animaux, etc. ; autant de champs historiographiques explorés pendant le Centenaire. J’aurais aimé savoir si les joueurs allaient au-delà de ça, mais en tout cas, on leur donnait cette possibilité. JLDM : Pour pouvoir consulter ces différents documents historiques, les joueurs doivent trouver des objets cachés dans le jeu. Ils ne sont pas donnés d’emblée. AF : Il y a en effet un intérêt à les trouver et à les chercher. Le jeu ne doit pas être vu seulement comme un terrain d’apprentissage de l’histoire puisqu’il est lui-même un objet étudié. Aller chercher les wikis, ce n’est pas seulement leur donner des informations historiques, c’est aussi donner du sens à leur présence. Réflexions autour de la place de l’historien dans la production vidéoludique « historique » 209

JLDM : Vous avez en quelque sorte détourné le langage vidéoludique pour y apporter du langage historique. AF : Pour nous, c’est une démarche importante : aller sur le terrain du public auquel on s’intéresse et pour lequel on travaille ; s’emparer du langage du jeu qu’ils manipulent pour pouvoir les amener à s’intéresser à l’histoire. De la même manière, on ne souhaite pas amener artificiellement les élèves devant le monument aux morts, mais préférer amener le monument aux morts aux élèves, dans le cadre d’un projet scolaire qui fait sens. C’est la même chose pour le public adulte : on ne souhaite pas qu’il aille uniquement au monument aux morts une fois par an, par conformisme ou « devoir de mémoire », mais qu’il puisse, dans son quotidien, dans sa culture, lorsqu’il se réunit aux stades de rugby Aimé-Giral de Perpignan et Maurice Boyau de Dax, se souvenir en partageant émotion et compréhension14. JLDM : Autrement dit, vous amenez l’histoire sur des supports qui ne sont pas directement liés à l’histoire, à l’image du jeu vidéo et des matchs sportifs. Dans Soldats Inconnus, vous invitez même les joueurs à sortir du jeu vidéo pour consulter d’autres sources, grâce à un onglet « plus d’informa- tions », qui renvoie par exemple au site Apocalypse-10destins.com. Quel était le lien unissant Ubisoft, la Mission du Centenaire et le projet Apocalypse ? AL : C’était une relation à trois entrées, Ubisoft travaillant avec « Apocalypse » qui lui-même avait été labellisé auparavant par la Mission. Nous avons mis en réseau nos trois entités pour la même raison que j’ai évoquée précédemment : en tant qu’historien, je pourrais critiquer l’utilisa- tion frauduleuse des images d’archives dans Apocalypse : la Première Guerre mondiale (Daniel Costelle, Isabelle Clarke, TV, 5 épisodes, 2014), à l’image de ce que propose Laurent Véray pour le cinéma. Il ne faut pourtant pas oublier que cette série télévisuelle est le plus grand succès du Centenaire sur la Grande Guerre, entre cinq et six millions de téléspectateurs en mars 201415, et que si on peut aller sur le terrain de la vulgarisation des thématiques de la Grande Guerre, autant y aller et amener ensuite des gens à approfondir et à critiquer. D’ailleurs, lors de la production d’Apocalypse : la Première Guerre mondiale, et hormis les questions économiques, nous avons accompagné le film d’un Live

14 A. Lafon fait également référence au match de rugby du samedi 22 septembre 2018, opposant le Racing 92 au Castres Olympique, à l’U Arena de Nanterre, qui a débuté par la commémo- ration du Centenaire avec la présence de la fanfare militaire du Premier Régiment de Tirailleurs d’Épinal, suivi de la projection d’un film d’archive de rugbymen au front entre 1914 et 1918. Voir l’article Yannick Purgues, « Le racing 92 avec le Bleuet de France », onac-vg.fr, 22 septembre 2018 : https://www.onac-vg.fr/actualites/le-racing-92-avec-le-bleuet-de-france (dernière visite le 2 mars 2019). 15 La série a été diffusée sur France 2 du 18 mars au 1er avril 2018. Chaque épisode a fait entre 20 % et 22,5 % de part de marché : https://fr.wikipedia.org/wiki/Apocalypse,_la_Première_ Guerre_mondiale (dernière visite le 2 mars 2019). 210 José-Louis de Miras

Twitte préparé à l’avance et qui, pour chaque séquence du film, présentait une extension « pour information » pour inciter le public à s’emparer d’autres sources historiques. JLDM : Il est aussi intéressant de constater que les liens hypertextes permettant d’accéder au site Apocalypse-10destins.com depuis les menus de Soldats Inconnus renvoient les joueurs à une autre bande dessinée interactive, étudiée par Clément Puget dans ce numéro d’Essais. Il y a donc une sorte de relation intermédiatique qui se créé entre deux productions issues de médias différents, réunies par la Mission du Centenaire. À ce jour, en tant qu’histo- rien, quel regard portez-vous sur le médium vidéoludique ? Pensez-vous que le jeu vidéo peut permettre de mieux comprendre l’histoire ? N’est-il pas au contraire un « outil » dangereux qu’il faut manier avec précaution ? AL : Pour moi, la politique de la « chaise vide » n’est pas la bonne. Les jeux vidéo existent ; certains producteurs de jeux vidéo prennent comme champ de bataille la Première Guerre mondiale ou l’histoire en règle générale. Soit l’histo- rien laisse la main à des communicants marketing, soit on les appelle en tant que conseiller et ils essayent de faire leur travail. Quand ils n’y arrivent pas, c’est une chose ; quand ils y arrivent, ils gagnent en crédibilité pour intégrer des théma- tiques qui peuvent faire réfléchir ou orienter vers d’autres objets culturels. Le jeu vidéo est un médium qui peut être utile, d’autant plus qu’il représente un nombre de joueurs incroyable. C’est un outil, et comme tous les outils il faut savoir s’en servir et il faut savoir le construire. Si on le construit mal et qu’on s’en sert mal, il ne sera pas du tout utile, voire nuisible. Nous avons eu l’occasion de développer ces thématiques dans le cadre du groupe d’études sur le jeu vidéo de l’Assem- blée nationale et lors d’un séminaire organisé en décembre 2018 à l’Université Bordeaux Montaigne sur la question de la bataille dans les arts audiovisuels16. Le sujet de la place du jeu vidéo, aujourd’hui médium de poids dans l’univers culturel, doit être pris à bras le corps dans le cadre de l’enseignement. JLDM : On peut dès lors prendre le jeu vidéo commercial et l’étudier sérieusement pour qu’il se transforme en outil, afin de transmettre, partager et sauvegarder la mémoire de l’histoire, en prenant néanmoins toutes les précau- tions nécessaires. La place de l’historien ne se résume donc pas à faire du fact checking, mais bien à rendre ces jeux un peu plus pédagogiques. AL : Tout à fait ! JLDM : Dans un article publié en 2013, Thomas Rabino s’est intéressé à cette relation qui unit le jeu vidéo à l’histoire. L’auteur cherchait à comprendre comment « associer l’histoire, dont la quintessence se situe dans l’objectivité,

16 Voir, http://www2.assemblee-nationale.fr/instances/fiche/OMC_PO747017 et http://www. histoiredesmedias.com/Seminaire-Interdisciplinaire.html (dernière visite le 2 mars 2019). Réflexions autour de la place de l’historien dans la production vidéoludique « historique » 211 et le jeu vidéo, qui repose sur les actions du joueur, donc sur une subjectivité appelant un cadre fictionnel »17. Que pensez-vous de cette opposition vue par le prisme de l’objectivité et de la subjectivité ? AL : On peut en effet opposer l’objectivité de l’historien à la subjectivité du spectateur ou du joueur, mais avec toutes les nuances qui s’imposent. On sait très bien que l’objectivité de l’historien n’existe pas. C’est une objectivité soumise à la subjectivité du chercheur ; il peut donc y avoir autant d’histoires à partir de faits avérés. Ça ne veut pas dire non plus que la prise ou la chute de la Bastille ne s’est pas faite le 14 juillet 1789. Rien qu’en utilisant les termes « prise » et « chute », on est déjà dans la subjectivité. Cette opposition objecti- vité/subjectivité me paraît de fait assez fallacieuse, parce que l’histoire concerne aussi le présent ; elle est en constante évolution, transformation et interrogation puisqu’on interroge toujours le passé à l’aune du siècle auquel on vit. La subjec- tivité du joueur me semble aussi intéressante : dans un jeu de rôle, par exemple, la subjectivité c’est le choix. Chaque joueur fait un choix, ce qui peut être très formateur, car cela permet de montrer que le passé est une succession de choix qui ont été faits par un certain nombre d’acteurs et qui ont amené à tel ou tel événement. Je suis donc assez dubitatif à opposer les deux et à dire que l’histoire est objective et que la subjectivité du joueur serait plutôt négative. JLDM : N’y a-t-il pas dès lors un effet « roman national » dans Soldats Inconnus ? Le récit vidéoludique ne sert-il pas, parfois, le récit historique ? AL : Je ne suis pas tout à fait d’accord. Je pense que le roman national a fait partie, ou fait encore partie, d’une mythologie identitaire de la France qui a nourri la construction nationale sous la Troisième République18. Aujourd’hui, je parlerais plutôt de récit national, un terme souvent discuté lorsqu’il s’agit de comparer l’histoire mondiale de la France et l’histoire du roman national français. Je pense que Soldats Inconnus est plutôt dans le récit historique, national et international, car on peut jouer un soldat américain et un soldat allemand. Un récit polyphonique, très ouvert, puisqu’il n’y a pas une héroï- sation d’un soldat ou d’un camp. Il y a bien sûr une dramaturgie qui sert à donner du souffle et du sens à l’histoire, mais de là à dire que ça nourrit le roman national, c’est un peu trop dire. Le jeu ne cherche pas à héroïser le poilu, mais au contraire à montrer comment des individus ont été happés par l’histoire et ont fait ce qu’ils ont pu dans ce contexte. JLDM : La direction artistique de Soldats Inconnus semble en effet confir- mer vos propos. En plus de l’internationalisation des personnages jouables,

17 Thomas Rabino, « Jeux vidéo et Histoire », p. 110-116, Le Débat, 2013/5, n° 177, p. 113 : https://www.cairn.info/revue-le-debat-2013-5-p-110.html (dernière visite le 2 mars 2019). 18 Voir à ce sujet, Suzanne Citron, Le Mythe national : l’histoire de France revisitée, Paris, l’Atelier, 2008. 212 José-Louis de Miras il faut également souligner qu’on ne voit quasiment par leur visage et qu’ils sont courts sur patte ; il y a un vrai affaissement des personnages qui vivent une tragédie. AL : Il y a en effet une vraie dramaturgie de la condition humaine face à une situation qui dépasse l’humanité. JLDM : Le jeu vidéo est de plus en plus utilisé par les enseignants du primaire et du secondaire qui utilisent ce média comme outil ludo-pédago- gique destiné au jeune public. La plateforme de vidéo YouTube regorge ainsi de chaînes qui publient des analyses de jeux vidéo historiques. Ces podcasts ont en quelque sorte le même objectif que la Mission du Centenaire, puisqu’ils adaptent l’histoire aux nouvelles technologies afin de sensibiliser le jeune public. Quel rôle l’enseignant doit-il adopter vis-à-vis de ces nouveaux outils de communication ? AL : Ce sont des outils et des médiums qui sont à la fois ludiques et péda- gogiques, et qui peuvent être utilisés à des fins de transmission. Il faut que les enseignants puissent s’approprier ces outils pour ensuite les utiliser le plus remarquablement possible, par exemple dans des séances pédagogiques ponc- tuelles qui ne joueraient pas uniquement sur le sentiment, la dramaturgie, le rejet, mais qui pourraient au contraire, cinq minutes à l’occasion du début d’un cours sur la Grande Guerre ou sur la relation entre le jeu vidéo et la Grande Guerre, soutenir l’apport de connaissance et de sens. Il faut faire confiance aux enseignants pour qu’ils puissent utiliser ces nouveaux outils à bon escient.

Entretien mené par José-Louis de Miras Université Bordeaux Montaigne [email protected]

José-Louis de Miras est doctorant contractuel à l’Université Bordeaux Montaigne. Sa thèse, sous la direction de Pierre Beylot, porte sur le cinéma interactif, les films à choix multiples et la relation cinéma/jeu vidéo. Il organise depuis 2018 un cycle de conférences annuel, Montaigne in Game, qui rassemble autour du jeu vidéo toutes les disciplines des Sciences Humaines et Sociales. Il a organisé en 2018 une journée d’étude labélisée par la Mission du Centenaire, « Pour une écriture vidéoludique de l’histoire (14/18) », puis dirigé le présent ouvrage. Numéros parus Numéro 1 Varia Numéro 2 Aux marges de l’humain Études réunies par Jean-Paul Engélibert Numéro 3 Narration et lien social Études réunies par Brice Chamouleau et Anne-Laure Rebreyend

Hors série L’estrangement Revue interdisciplinaire d’Humanités Retour sur un thème de Carlo Ginzurg Études réunies par Sandro Landi Numéro 4 Éducation et humanisme ESSAIS Études réunies par Nicole Pelletier et Dominique Picco Numéro 5 Médias et élites Études réunies par Laurent Coste et Dominique Pinsolle Numéro 6 L’histoire par les lieux Approche interdisciplinaire des espaces dédiés à la mémoire Études réunies par Hélène Camarade Hors série Création, créolisation, créativité Études réunies par Hélène Crombet Numéro 7 Normes communiquées, normes communicantes Logiques médiatiques et travail idéologique Études réunies par Laetitia Biscarrat et Clément Dussarps Numéro 8 Erreur et création Études réunies par Myriam Metayer et François Trahais Numéro 9 Résister entre les lignes Arts et langages dissidents dans les pays hispanophones au XXe siècle Études réunies par Fanny Blin et Lucie Dudreuil Numéro 10 Faire-valoir et seconds couteaux Sidekicks and Underlings Études réunies par Nathalie Jaëck et Jean-Paul Gabilliet Hors série Usages critiques de Montaigne Études réunies par Philippe Dessan et Véronique Ferrer Numéro 11 Fictions de l’identité Études réunies par Magali Fourgnaud Numéro 12 Textes et contextes : entre autonomie et dépendance Études réunies par Maria Caterina Manes Gallo Numéro 13 Écologie et Humanités Études réunies par Fabien Colombo, Nestor Engone Elloué et Bertrand Guest Hors série Stanley kubrick. Nouveaux horizons Études réunies par Vincent Jaunas et Jean-François Baillon Hors série La bande dessinée, langage pour la recherche

ESSAIS Études réunies par Nicolas Labarre et Marie Gloris Bardiaux-Vaïente Numéro 14 Plurilinguismes en construction : apprentissages et héritages linguistiques Revue interdisciplinaire d’Humanités Revue interdisciplinaire Études réunies par Mariella Causa et Valeria Villa-Perez Numéro 15 Jouer l’Histoire. Enjeux de la ludicisation historique Études réunies par José-Louis de Miras

La revue Essais est disponible en ligne sur le site : http://www.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/ecole-doctorale/la-revue- essais.html

Crédits et remerciements

Le présent numéro a obtenu la labellisation de la Mission du Centenaire 14/18, institution qui recense toutes les manifestations scientifiques et culturelles dévouées à la commémoration du Centenaire de la Grande Guerre.

Remercions chaque contributeur, dont la passion pour l’histoire et les nouveaux médias a permis à ce volume d’apporter, nous l’espérons, un regard original sur le monde qui nous entoure et sur sa représentation vidéoludique. Nous tenons également à remercier la ville de Pessac et la médiathèque Jacques Ellul pour leur aide si précieuse, ainsi que l’équipe CLARE, l’École Doctorale Montaigne Humanités et les membres du comité de rédaction de la revue Essais pour leur soutien et leur expertise. Enfin, nous remercions les différents acteurs de l’industrie vidéoludique et audiovisuelle, pour leur participation au présent numéro et leur accord relatif à l’exploitation de leurs œuvres.

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