Discours de Monsieur Gérard Collomb, Maire de Inauguration de la Stèle érigée à la mémoire des enfants d’ Place Carnot – Lyon 2 e Lundi 8 avril 2019

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Monsieur le Représentant du Préfet de la Région Auvergne Rhône-Alpes, Préfet du Rhône,

Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Monsieur le Vice-président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes,

Monsieur le Président de la Métropole de Lyon,

Chers Beate et , et à travers vous je salue les Fils et Filles de Déportés Juifs de ,

Et je salue bien sûr aussi le Président régional de votre association, Jean Lévy,

Madame la Rectrice de la région académique Auvergne-Rhône-Alpes, Rectrice de l’Académie de Lyon,

Monsieur le Procureur Général honoraire de la Cour d’Appel de Lyon, Cher Jean- Olivier Viout,

Monsieur l’Adjoint délégué à la Mémoire, Cher Jean-Dominique Durand,

Monsieur le Maire du 2 ème arrondissement,

Mesdames et Messieurs les Elus,

Monsieur le Grand Rabbin de Lyon,

Monsieur le Président de la Maison d’Izieu,

Monsieur le Directeur de la Maison d’Izieu,

Et je remercie les élèves et les professeurs des écoles Lucie Aubrac et de Condé, des collèges Jean Monnet et Daisy Georges Martin, ainsi que les Petits chanteurs de Saint- Marc, de leur présence à nos côtés ce matin,

Mesdames et Messieurs,

Une ville est faite de visible et d’invisible. Elle est une succession de lieux, de places, d’édifices, mais à ce patrimoine matériel est lié à jamais une histoire, avec ses moments de grâce mais aussi ses pages noires. C’est cet ensemble qui forge son identité ; et il est essentiel de l’appréhender tout entière. Car ce que nous sommes aujourd’hui, les valeurs et les projets que nous défendons en sont le fruit. Telle est la raison de notre rassemblement ce matin pour inaugurer ce monument érigé à la mémoire des 44 enfants d’Izieu et de leurs 7 éducateurs.

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Cette stèle, nous l’avions déjà installée ensemble dans le jardin qui porte leur nom, à côté du Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation, dans le 7 e arrondissement. Mais à l’été 2017, nous avons appris avec consternation qu’elle avait été profanée : c’était une atteinte intolérable à la mémoire des victimes, une insulte, aussi, aux valeurs de la République.

C’est pour répondre à cet acte, impardonnable, que nous avons choisi de réinstaller ce Mémorial ici, en ce lieu central de notre ville, et devant cette gare de Perrache où, le 7 avril 1944, les 44 enfants d’Izieu et leurs 7 éducateurs prirent un train sans retour.

Nous l’avons fait pour réaffirmer plus haut et plus fort que jamais l’antisémitisme n’aura sa place dans notre cité. Que jamais aucune intimidation n’aura raison de notre détermination à le combattre, quelles qu’en soient les formes.

Comme les 1 500 000 enfants disparus dans la Shoah, les enfants d’Izieu sont le symbole des souffrances indicibles infligées pendant la Seconde Guerre mondiale à tous les Juifs d’Europe. 6 millions d’entre eux furent assassinés parce qu’ils étaient nés Juifs. Leur martyr est l’incarnation même du crime contre l’humanité. « Il n’y a aucune raison au monde pour justifier cette haine ; aucune raison au monde pour justifier une guerre contre les enfants » disait Elie Wiesel.

On a entendu tout à l’heure les noms des 44 enfants d’Izieu et de leurs 7 éducateurs, prononcés un à un par les élèves du collège Daisy George Martin. Le plus jeune s’appelait Albert. Il avait 4 ans. Avant-hier nous étions, pour certains d’entre nous, à Izieu, pour commémorer les 75 ans de la rafle qui, le 6 avril 1944, devait les conduire vers la mort. Nous avons vu, reproduits sur les murs, leurs visages pleins de vie, malgré le terrible destin qui était déjà le leur. Nous avons vu leurs dessins et puis quelques lettres, qui disent tout de leurs questionnements d’enfants, de leur désarroi, parfois, mais aussi de leurs espoirs, brûlants, de leur volonté de continuer à croire qu’ils retrouveraient leurs parents et que cette douleur sourde de la séparation aurait un jour une fin.

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Nous avons tous été saisis, comme à chaque fois, par l’incroyable quiétude de ces Monts du Bugey, que les premiers frémissements du printemps rendaient encore plus beaux. Ce lieu devait être un refuge ; il fut celui des derniers moments de leur vie d’enfants. 21 d’entre eux étaient Français, 23 apatrides, déchus de leur nationalité dans une Europe dont toutes les portes s’étaient refermées une à une. On ne peut pas comprendre ce qui s’est passé à Izieu si l’on ne se représente pas ce que fut la tragédie de ces familles, internées pour certaines dans des camps dès les débuts de l’occupation allemande – d’abord Gurs, puis Rivesaltes, Pithiviers, Drancy, Beaune-la- Rolande – ces camps de sinistre mémoire où après avoir promulgué les lois iniques sur le statut des Juifs, le régime de avait choisi de les séquestrer dans des conditions indignes. Une poignée d’associations avait organisé l’assistance et entrepris de sauver ces enfants. Parmi elles l’œuvre de Secours aux Enfants, les Amitiés chrétiennes, les Eclaireurs israélites de France. Partout, ce que l’on appelait les « Homes » s’étaient développés pour les recueillir. Réfugiée en zone libre avec son époux Miron, Sabine Zlatin, infirmière à la Croix Rouge française, puis assistante sociale bénévole de la Préfecture de l’Hérault, s’était engagée dans ce combat, bravant le danger pour mettre à l’abri ces enfants. Car mois après mois, la traque s’était intensifiée. Et en novembre 42, l’invasion de la zone libre par les Allemands avait rendue plus forte encore cette nécessité.

C’est donc au printemps 1943, que Sabine Zlatin, aidée par la Préfecture de l’Hérault, avait entrepris de s’installer dans cette grande maison d’Izieu pudiquement dénommée « colonie des enfants réfugiés de l’Hérault ». « Ici, vous serez tranquille » lui avait dit le sous-préfet de Belley. C’est là que pendant plusieurs mois, Sabine et Miron Zlatin, tentèrent, avec le dévouement sans limites d’éducateurs et d’une doctoresse, de donner à nouveau à ces enfants un cadre de vie normal.

C’était sans compter l’acharnement de , chef de cette section de la de Lyon spécialement chargée de la répression des Résistants et de la traque des Juifs. Car en une période où le Reich était pourtant, partout bousculé, il continuait à faire des Juifs la cible prioritaire. On le sait, aucun des 44 enfants d’Izieu ne devait revenir. Des 7 éducateurs, seule une a survécu à la déportation à Auschwitz.

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Chère Beate Klarsfeld, Cher Serge Klarsfeld, C’est à vous que nous devons de connaître cette histoire jusque dans ses moindres détails. C’est vous qui, au prix d’un travail de recherche d’une ampleur inégalée, avez retrouvé, un à un, les noms de chacune des victimes, retracé leur histoire personnelle, rassemblé des photos et permis que leur mémoire nous parvienne. C’est à vous que l’on doit de connaître avec précision les noms et le lieu de déportation des 86 victimes de la rafle de la rue Sainte-Catherine, comme des 80 000 Juifs de France exterminés dans la Shoah. Et c’est à vous que nous devons la traque, l’arrestation et le jugement du boucher de Lyon. Vous écrivez dans vos Mémoires que « c’est pour les enfants d’Izieu, et pour eux seulement », que vous avez « recherché, retrouvé, démasqué Barbie et participé à la mise en œuvre de son retour forcé à Lyon . » Vous l’avez fait avec une constance hors du commun, mû par l’exigence de faire toute la vérité. Vous l’avez fait en dépit des obstacles, des menaces, en prenant tous les risques.

Oui, Chère Beate Klarsfeld , il fallait du courage pour aller à Munich convaincre le Procureur de rouvrir l’instruction du dossier Barbie avec Fortunée Benguigui la mère de Jacques, Richard et Jean-Claude, trois des enfants raflés à Izieu. Il en fallait du courage pour vous rendre à Lima et à la Paz, sur les pas de cet ancien criminel nazi avec Ita Rosa Halenbraunner, la mère de Mina et Claudine, deux petites filles de 8 et 5 ans raflées elles aussi à Izieu.

Oui Cher Serge Klarsfeld, Il fallait votre persévérance pour retrouver, dans les caves du Centre de Documentation Juive contemporaine, l’original du télex signé de la main de Barbie, ne laissant plus persister aucun doute sur sa culpabilité dans ce crime contre l’humanité. Votre détermination, enfin, pour parvenir à identifier, près de 30 ans après les faits, Raymond Geissmann, ancien Directeur de l’UGIF, seul à pouvoir témoigner de la connaissance parfaite que le chef de la Gestapo de Lyon avait du sort réservé à ceux qu’il déportait.

Comment vous dire aujourd’hui notre gratitude pour ce chemin que vous avez permis à notre pays de prendre - ce chemin allant du témoignage à la vérité, et de la vérité à la justice ?

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Dans la nuit du 3 au 4 juillet 1987, la Cour d’Assises de Lyon condamnait Klaus Barbie pour crime contre l’humanité. Parmi les principaux chefs d’accusation figuraient la rafle des enfants d’Izieu, celle de la rue Sainte Catherine et le dernier convoi de déportés parti de Lyon à l’été 1944. Grâce à vos innombrables efforts, grâce au courage et à la dignité des témoins, l’œuvre de justice avait pu s’accomplir au terme d’un procès exemplaire.

Depuis, ici, à Lyon, nous essayons de prolonger votre œuvre. C’est dans le sillage du procès Barbie que Lyon a ouvert, avec Michel Noir, le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation. C’est pour cultiver cette mémoire que nous n’avons cessé, depuis, de l’inscrire dans le marbre de notre cité. C’est cette exigence qui nous rassemble ce matin. C’est elle encore qui guide notre réflexion pour l’édification ici même, dans les années à venir, d’un Mémorial de la Shoah. Nous le devons d’autant plus qu’à nouveau, des idéologies de haine ressurgissent. Vendredi dernier encore, nous découvrions avec effroi des inscriptions racistes et des croix gammées avenue Berthelot, dans cette rue même où se trouve le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation. Oui, l’évidence est là et elle est terrifiante : jamais sans doute depuis la Seconde guerre mondiale l’antisémitisme ne s’est autant manifesté dans notre pays. Et on continue, jusqu'au cœur de nos villes, à tuer en son nom.

Il prend aujourd’hui d’autres formes, se présente souvent sous la forme d’un antisionisme, un islamisme radical, qui se répand au sein même de nos communes et de nos quartiers.

Il nous faut continuer à lutter pied à pied contre ces nouvelles formes d’antisémitisme, contre la haine qui envahit nos réseaux sociaux, de manière anonyme. Il faut poursuivre sans relâche les auteurs d’infractions antisémites, encourager les dépôts de plainte contre les discriminations, les agressions, faire reculer l’impunité, combattre les appels au Boycott d’Israël.

Car notre République ne saurait renoncer. Plus que jamais elle doit agir. Et sans doute comme toujours l’arme la plus puissante est celle de l’esprit. C’est pourquoi l’éducation, dans cette lutte, doit être en première ligne.

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Je remercie donc toutes celles et tous ceux qui dans nos écoles, dans nos institutions culturelles, au sein de nos associations, font œuvre de transmission auprès des jeunes Lyonnais, avec cette responsabilité majeure d’être les sentinelles de la mémoire.

Mesdames et Messieurs, Dans son beau livre paru sous le titre de « L’Imprescriptible », Vladimir Jankélévitch écrivait ceci :

Le sentiment que nous éprouvons ne s’appelle pas rancune mais horreur : horreur insurmontable de ce qui est arrivé, horreur des fanatiques qui ont perpétré cette chose, des amorphes qui l’ont acceptée, et des indifférents qui l’ont déjà oubliée.

Ce sentiment entretient la flamme sacrée de l’inquiétude et de la fidélité aux choses invisibles. L’oubli serait ici une grave insulte à ceux qui sont morts dans les camps, et dont la cendre est mêlée pour toujours à la terre ».

Oui, c’est bien cette flamme sacrée que nous entendons raviver à travers ce monument. Pour que jamais ne s’éteigne, avec elle, notre foi dans l’humanité, notre idéal de fraternité.

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