Dossier pédagogique

1 Lettre de Rolande Causse pour soutenir la représentation théâtrale de l’album « Ita- Rose » :

ITA ROSE ou L'histoire d'une famille victime de la grande Histoire...

L'Histoire de la seconde guerre mondiale doit être connue par tous et fait partie de notre patrimoine.

Elle structure la pensée des enfants et des jeunes et leur donne des points d'appui, des références.

Qu'y a-t-il de mieux qu'un spectacle pour montrer cette réalité du passé ?

Cette famille juive a vécu, dans de dures conditions, onze mois dans les camps français, Nexon, Gurs, Rivesaltes.

En octobre 43, le père a été arrêté, torturé et tué de dix-sept balles par

Klaus Barbie.

Léon, le fils aîné, est aussi déporté et meurt rapidement au camp d'Auschwitz.

Les deux petites filles d'Ita Rose, Mina et Claudine, semblaient protégées dans le foyer d' mais elles seront arrêtées, déportées avec les quarante- deux autres enfants d'Izieu et assassinées à Auschwitz-

Birkenau.

Puis, véritable Mère-Courage, Ita Rose, âgée de soixante-neuf ans, accompagnera à La Paz en Bolivie afin de dénoncer Klaus

Barbie, le chef de la , bourreau de , vivant là sous un faux nom.

Enfin, elle assistera à son procès et accusera celui qui a tué son mari et est responsable de la mort de trois de ses enfants.

Cette histoire est le symbole de ce qui est arrivé à de nombreuses autres familles juives.

Et cette pièce de théâtre inscrit ce récit dans la Grande Histoire.

2 La voyant, les jeunes spectateurs ressentiront des émotions fortes qui laisseront des traces inscrites au plus profond d'eux- mêmes.

Il est indispensable que des enfants de CM1 et CM2, que les collégiens et les lycéens suivent cette progression de mots, de silhouettes et de théâtre d'ombre. Tous, petits et grands engrangeront des souvenirs historiques et artistiques.

La voix juste et émouvante de la comédienne disant le texte, le jeu des petits personnages changeant, se déplaçant et progressant au gré de l'histoire offre un spectacle riche, original et magnifique.

Bien entendu, cette représentation est pour tout public et les adultes en ressentiront la beauté et la force de l'émotion. "

Rolande Causse, écrivain

3 Introduction

Ita Rose est un spectacle, plus qu’une pièce de théâtre, dont la particularité est double : d’une part, les protagonistes sont dans les ombres et les lumières qui dessinent sur la scène, portées par l’actrice qui les anime, l’histoire de cette femme et des siens ; d’autre part, la pièce elle-même s’inspire d’un album où s’imbriquent récits, dessins et photos d’archives. Le récit est celui d’une vie, celle d’Ita Rose, traversée et transpercée par l’Histoire de la seconde guerre mondiale, celle d’une femme qui a survécu à cette Histoire, et révèle comme un condensé du pire de ce qu’on l’on pouvait subir en ces temps-là.

I - Quelques repères historiques :

4 ♦L’exclusion légale des juifs en de l’Armistice à la Libération Au lendemain de l’Armistice, la France se trouve scindée en cinq zones administrées par des doits distincts . Dans les départements du Nord et du Pas de calais, rattachés au commandement allemand à Bruxelles, de la Moselle, annexée au Reich au sein du de Luxembourg, et de l’, annexée dans le du Bade-Wurtenberg, la germanisation est immédiate et les lois de Nuremberg directement appliquées. De 1940 à 1942, des textes allemands de persécution et de spoliation des Juifs (Ordonnances du gouverneur militaire pour les territoires français occupés) sont mis en place dans la zone occupée et restent en vigueur jusqu’en 1944. Dans la France de (colonies comprises), le gouvernement du maréchal Pétain élabore, à partir de juillet 1940, un ensemble de textes législatifs qui transcrivent dans le droit français des principes antirépublicains, antimaçonniques et antijuifs, permettant la spoliation des biens et la mise à l’écart de la société. La loi du 3 octobre 1940 crée un « Statut des Juifs » qui exclut ces derniers de la fonction publique et établit une liste de professions soumises soit à numérus clausus, soit à l’interdiction totale d’exercer dans les domaines de la presse, de la culture et de la radio. La loi du 29 mars 1941 crée le Commissariat général aux questions juives, permettant à l’administration de Vichy la mise en œuvre de « l’aryanisation » des entreprises juives et la constitution de fichiers

♦L’Etoile Jaune Cette marque distinctive est imposée aux Juifs de zone occupée à partir du 7 juin 1942. Du 2 au 6 juin, les juifs de plus de 6 ans doivent se présenter dans les commissariats de police où, contre un point de la carte textile, leur sont remises trois étoiles par membre de la famille. L’étoile jaune à six pointes est très visible. Bordée de noir, elle porte le mot »juif ». Elle sera cousue solidement sur le côté gauche du vêtement, à hauteur de poitrine. Le gouvernement de Vichy ne l’adopte pas en zone sud mais fera inscrire le terme « juif » sur la carte d’identité. Les nazis espèrent que cette mesure va isoler les juifs et provoquer la surprise et la malveillance de la population. D’autres mesures limitatives suivent : limitation des achats au créneau 15/16h, interdiction de fréquenter les lieux publics …

5 ♦ La rafle du Vel d’Hiv (16-17 juillet 1942) Les 16 et 17 juillet 1942, près de treize mille Juifs (pour la plupart étrangers) sont arrêtés dans le ressort du Gross-Paris. Tandis que les célibataires et les couples sans enfants sont directement emmenés au camp d'internement de Drancy, en banlieue nord- est, les familles, soit plus de huit mille hommes, femmes et enfants, sont détenues un temps au vélodrome d'hiver de Paris (situé rue Nélaton, dans le XVe arrondissement), avant d'être transférées dans les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande (Loiret). Tous seront déportés à Auschwitz-Birkenau d'où, pour la plupart, ils ne reviendront pas (sur les 75 000 Juifs au total déportés de France, moins de 2 500 sont revenus). Cette vaste opération (dont le nom de code était « Vent printanier ») voulue par les Allemands et exécutée par la police française, est restée dans les mémoires sous le nom de « rafle du Vel' d'Hiv' ». Elle marque les débuts de la mise en œuvre de la solution finale en France.

♦Le camp de Nexon : Le centre de séjour surveillé de Nexon fut construit dans le courant de 1940 et accueillit des prisonniers politiques en novembre 1940, après avoir "hébergé" des réfugiés espagnols. Il comprenait 13 baraques permettant d’abriter 1200 internés, 4 constructions supplémentaires porteront la capacité à 1600 personnes. Il était entouré d’un réseau de barbelés et surveillé par 4 miradors. Compte tenu du transfert fréquent d’internés vers d’autres camps français ou allemands et de la main-d’œuvre que l’occupant y puisait , l’effectif varia de 150 à 700 détenus, en majorité communistes et syndicalistes. Le 29 août 1942, 450 Juifs dont 68 enfants de la région de Limoges sont arrêtés et rassemblés à Nexon. Ils seront livrés aux nazis et déportés à Auschwitz. Des Israélites âgés évacués du camp du Récebedou trouvèrent « refuge » à Nexon. A la suite de sa dissolution en novembre 1943, les internés du camp de Gurs seront également transférés à Nexon. L’attaque du camp par les FFI le 11 juin 1944 provoqua une coupure d’électricité qui sera mise à profit par 54 détenus pour s’évader. Les autres internés seront acheminés à Limoges au Grand Séminaire. Nexon redevient alors un camp d’internement administratif qui sera définitivement fermé en 1945.

6 ♦Le : Le camp de Rivesaltes ou camp Joffre, occupant 600 hectares entre les communes de Rivesaltes et de Salses, a été construit en 1938, afin de servir à l'instruction et à l'acclimatation des troupes en provenance d'outre-mer. En février 1939, les premiers civils arrivent au camp, il s’agit des républicains espagnols ayant fui le franquisme. Rivesaltes, passé sous le contrôle du régime de Vichy, sert ainsi au regroupement ou au rassemblement familial d'Espagnols (55 %), de Juifs (33 %). Les Tziganes, indigents et opposants politiques, "étrangers ennemis, indésirables ou suspects pour la sécurité nationale et l'ordre public" y sont aussi détenus. D'une capacité de 18000 personnes, le camp accueillera 21000 détenus entre 1941 et 1942 Seules les sorties pour aller effectuer des travaux d'intérêt général sont autorisées, le camp étant un vivier de main d'oeuvre gratuite. Les hommes âgés de 18 à 55 ans, jugés aptes physiquement, sont envoyés dans des groupements de Travailleurs Etrangers (GTE). Les femmes et les jeunes gens à partir de 15 ans effectuent des travaux saisonniers. Le 11 novembre 1942, l'armée allemande envahit la . La partie militaire du camp est alors occupée par l'armée allemande qui s'en sert pour le cantonnement et l'instruction de troupes d'infanterie dont les unités concourent à la défense côtière. En novembre 1942, le camp est dissous. Les mille derniers internés sont envoyés à Gurs, sauf les Tziganes qui sont dirigés sur le Camp de Saliers.

♦Le camp de Gurs Aménagé en un mois et demi sur un terrain de quatre-vingt hectares situé sur la lande de Gurs, le camp d'internement comporte à l'origine environ quatre cent baraques, et il est ceint d'une double ceinture de barbelés. Dès avril 1939, le "centre d'accueil" est jugé opérationnel par les autorités de la IIIème République. Y sont installés plusieurs milliers de réfugiés espagnols, pour la plupart combattants de l'Armée républicaine espagnole et volontaires des Brigades internationales. Les infrastructures, qui se voulaient provisoires, ont vite été envahies par la boue et la précarité des conditions de vie a fait de nombreuses victimes

7 A partir de mai 1940, le régime de Vichy fait interner au camp de Gurs des réfugiés arrêtés dans les agglomérations parisienne et bordelaise, des politiques français, et des réfugiés politiques basques. D'octobre 1940 à novembre 1943, des juifs sont regroupés au camp de Gurs en attendant leur déportation. Après novembre 1942, nouveaux internements de juifs en provenance des camps de Brens et de Rivesaltes qui sont fermés Après la Libération, le camp sert de lieu de détention pour des collaborateurs et des prisonniers allemands. Fermé le 31 décembre 1945, le site est radicalement transformé dès 1946 avec la vente et la destruction des baraques, puis la plantation d'une forêt qui tente de rejeter dans l'oubli l'histoire d'un camp administré par les autorités françaises du premier au dernier jour de son existence.

(1903-1991) Barbie est entré au service de renseignement (SD) de la SS le 26 septembre 1935 à Trêves. Il adhère au parti nazi (NSDAP) le 1er mai 1937. C’est un fonctionnaire du parti. En 1940, il organise les rafles d’Amsterdam. A l’issue de la prise en mains des polices allemandes en France par Oberg fin mai 1942, Klaus Barbie est nommé chef du Kommando Gex sur la frontière franco-suisse, chargé du renseignement. Après l’invasion de la zone Sud, le 11 novembre 1942, il a le grade de lieutenant., et il est nommé chef de la section IV du Sipo SD de Lyon, section spécialement chargée de la recherche, de la répression et de la lutte contre la Résistance , jusqu’en 1944. Il acquiert très vitre le surnom de « boucher de Lyon » pour sa férocité lors des interrogatoires. Il dirige l’arrestation de et des sept autres responsables de l’armée secrète le 21 juin 1943 à Caluire. Le 23 juin, ayant identifié Moulin, Barbie et ses hommes s’acharnent sur « Max ». Jusqu’au milieu de l’été suivant, Barbie mène une lutte sans merci contre la résistance lyonnaise, les réfractaires et les Juifs. Le 6 avril 1944, 44 enfants de trois à treize ans sont raflés à la maison d’Izieu, transférés à Drancy, déportés à Auschwitz où ils seront exterminés. Le 11 aout, il envoie en déportation 650 Lyonnais dont 200 Juifs. Au cours de l’été 1944, il fait régner la terreur dans toute la région lyonnaise, commande des exécutions, comme celle de Saint Genis-Laval et de Rilleux-la-Pape. Le triste bilan suivant lui est attribué pour la seule région de Lyon : 10 000 arrestations, 1046 fusillés, 6000 morts ou disparus.

8 Promu capitaine, il quitte Lyon le 27 août. Condamné à mort par contumace, en mai 1947 puis en novembre 1954, Barbie est récupéré par les services spéciaux américains. Il travaille jusqu’en 1951 au « réseau Gehlen » de la RAF, chargé du contre-espionnage des pays de l’Est. Il s’exile ensuite en Bolivie sous le nom de Klaus Altmann et dirige une compagnie maritime. Beate Klarsfeld établit la relation entre Altmann et Barbie dès les années 1960. Le président Pompidou demande aux autorités boliviennes son extradition en déclarant : « le temps efface beaucoup de choses mais pas tout ». Barbie est extradé le 7 février 1983. Son procès s’ouvre à Lyon en 1987, Jacques Vergès assurant sa défense. Il est condamné à perpétuité pour crime contre l’humanité et meurt le 28 septembre 1991.

♦La Maison d’Izieu (1907/1996), une assistante sociale de l’OSE (Œuvre de Secours aux Enfants), prend en charge en mai 1943 des enfants juifs abandonnés et les installe en zone italienne, dans une maison de la commune d’Izieu. Ils bénéficient de la protection du sous-préfet de Belley, Wiltzer. Bientôt, une classe fonctionne pour les enfants d’âge scolaire et les aînés sont placés pour travailler dans les fermes des environs. L’occupation de la zone italienne par les Allemands menace le refuge. Apprenant que des arrestations de juifs ont lieu en février 1944, Sabine Zlatin s’inquiète et se rend à Montpellier pour organiser la dispersion. Le drame se produit le 6 avril 1944, en son absence. Les enfants sont installés pour le petit déjeuner lorsque s’arrêtent une voiture et deux camions. Deux civils allemands, accompagnés d’un français, paysan des environs, pénètrent dans la maison. 44 enfants et 7 organisateurs sont emmenés au fort Montluc. Ils arrivent à Drancy le 8 avril 1944. Le premier convoi pour Auschwitz emmène treize des enfants et quatre adultes le 13 avril. Quatre autres suivront. Miron Zlatin et deux adolescents sont envoyés en Estonie où ils seront fusillés. Sabine Zlatin a voulu perpétuer la mémoire des enfants d’Izieu, dont l’arrestation est une des charges retenue contre Barbie. Une stèle est érigée en 1946 et la maison, devenue musée en 1994, est un des trois sites où se déroulent le 16 Juillet les cérémonies de la journée nationale de commémoration des persécutions racistes et antisémites.

9 Le parcours géographique d’Ita Rose et de sa famille :

1 : 1931 : Ita Rose quitte la Pologne pour rejoindre son mari à Paris 2 : La famille est à Paris, rue des Rosiers 3 : 1942, près d’Angoulême (aout 42) 4 : camp de Nexon (septembre 42) 5 : camp de Rivesaltes (novembre 42) 6 : camp de Gurs (décembre 42/aout 43) 7 : Lyon (fin août 1943) 8 : Maison d’Izieu (Mina et Claudine)(nov 43) 9 : Auschwitz (Léon+ Mina+Claudine)

10 III- Qui est Ita Rose ?

Ita rose est une femme ordinaire, dont le destin, pris dans la tourmente de la seconde guerre mondiale, est extraordinaire. C’est une banalité que de le dire, mais, plus qu’extraordinaire, la vie de cette femme est exemplaire, au sens où elle fut amenée à connaître, directement ou au travers de son mari et de ses enfants, presque tous les aspects de la souffrance humaine : guerre, pénurie, exil, torture, déportation, attente, espoirs déçus, et combien de morts… En 1931, elle quitte la Pologne pour rejoindre son mari en France. De ce moment jusqu’au procès de Klaus Barbie en 1987, on peut suivre les moments d’un parcours qui à lui-seul pourrait suffire à décrire une partie de l’Histoire de la seconde guerre mondiale. Paris : rue des Rosiers. En 1940, la ville devient allemande, et dès 1942, tous doivent porter l’étoile jaune ; elle et ses enfants échappent à une première rafle tandis que son mari cherche un refuge en zone libre, où ils le rejoignent : Angoulême, avant d’être arrêtés et internés au camp de Nexon, puis de Rivesaltes, puis de Gurs, avant de pouvoir rejoindre Lyon et un peu de liberté.

En 1943, son mari Jacob et l’un de ses fils sont arrêtés par Klaus Barbie : le premier mourra sous la torture ; elle apprendra plus tard que le second, déporté, a été tué à Auschwitz. Elle se cache, deux de ses filles trouvent asile à la maison d’Izieu, et subiront le même sort que les autres enfants, gazées et brûlées, elles aussi à Auschwitz.

Ita Rose a ainsi traversé, par ses chemins les plus douloureux, la Seconde guerre mondiale, pour mêler sa voix, en Bolivie, à celle de ceux qui réclament l’extradition de Klaus

Barbie, qui ne sera jugé qu’en 1987 . Victime de la guerre et de son lot de misère, mais aussi de l’exclusion, de la déportation, de la torture, puis des lenteurs de la justice, Ita Rose ne peut sortir de l’Histoire, et la seule distinction entre la petite et la grande (histoire) à son sujet, sembler s’effacer, tant cette vie exprime à elle seule toutes les horreurs dont le régime d’Hitler, mais aussi la France de Vichy, furent les instigateurs et les criminels coupables : Pologne, France, Allemagne, jusqu’à La Paz en Bolivie.

11 IV- En texte et en images

L’album de Gilles Rapaport et de Rolande Causse est destiné à la jeunesse. La gageure est de taille : comment transmettre cette histoire, sans en faire un roman d’aventures, et sans effrayer le lecteur ? Etre fidèle au récit, dans sa crudité et dans la cruauté qu’il exprime, tout en le mettant à portée de compréhension pour les plus jeunes n’est pas une entreprise facile. Pour cela, les illustrations ne sont pas des ornementations, ni de simples doublons iconographiques, mais des images où le réalisme froid et presque objectif des photos que nous connaissons tous est habité de silhouettes, de personnages qui tracent sur le papier autant de destins particuliers, dont ceux d’Ita Rose et de sa famille. Fantômes, empreintes, ombres sobrement colorées venant rappeler que l’Histoire concerne des hommes qui ne sont pas les anonymes prêtant leurs visages aux images.

. Ita Rose apparaît ici comme le personnage, non pas central, mais symptomatique de toutes ces vies brisées que les manuels d’Histoire tendent, par nécessité, à occulter au profit de la science historique.

Pétain, Jean Moulin, Klaus Barbie, l’entrée d’Auschwitz, les déportés, les officiers SS, autant d’images qui finissent par se vider des corps souffrants et des vies broyées qui les entourent et semblent ici renaître et s’imposer sous le pinceau et le crayon. L’unique élément de fiction est donc pictural, mais c’est lui qui fait le plus authentiquement écho à ce que le récit nous révèle de réalité brute et impitoyable, c’est parce que les photos sont ainsi reprises dans la couleur et la lumière propres des personnages, qu’il nous devient familier du fond de sa plus criante historicité.

12 V- En ombres et en lumières Mettre en scène cet album, c’est courir un double risque : celui de réduire l’histoire à son récit, de mettre en scène les mots, en obérant les illustrations qui précisément le portent ; celui de trop insister sur les images, et de produire un spectacle dont le sens pourrait devenir obscur. Or il s’adresse à des enfants, qu’il ne s’agit, ni de distraire, ni d’édifier, mais d’initier à quelque chose qui reste peut-être à définir, et qui se définira probablement dans la rencontre. L’interprétation est à ce titre intéressante : les personnages sont représentés par des figures de papier découpées, qu’une actrice anime au fur et à mesure qu’elle dit, sobrement, mots pour mots, le texte de l’album. L’ombre des figures se dessine sur deux grands panneaux blancs, qui en décuplent la taille et les mouvements.

De la table centrale où tout se joue, l’actrice se transformant en instrument du destin qui fait paraître, vivre et disparaître les héros de cette tragédie, le film qui se déroule semble nous révéler les mécanismes les plus souterrains de l’Histoire.Les ombres sont fidèles aux faits, la vie d’Ita Rose en est peuplée, mais aussi aux illustrations de l’album, qui jouent sur le retour fantomatique des individus sur la trame de l’Histoire.

Mettre ainsi en voix et en ombres l’Histoire, que l’actrice pourrait bien incarner (si on y voit le destin dont cette parque serait l’émissaire fatal), rejoint donc l’intention originelle de l’album, et si l’élément fictionnel peut paraître renforcé par le principe des ombres chinoises, celles-ci portent authentiquement le récit : il ne s’agit pas de minorer les faits ni de les édulcorer, mais de les “ réaliser ” dans leur dimension la plus tragique. L’ombre suggère ainsi avec une grande justesse, dans la lumière qui la projette, les fantômes, les doutes, les brumes et les tremblés de l’Histoire en train de se faire. Plus encore que l’album, la scène nous replonge dans l’événement qu’elle représente, et le condensé de temps propre au théâtre semble rejouer le condensé d’histoire qu’est la vie d’Ita Rose.

13 VI- Quelle médiation pour la mémoire ?

Les enfants sont d’abord sensibles aux histoires plus qu’à l’Histoire, c’est naturel ; toute transmission passe donc par ce biais, plus que pour les adultes, et c’est en suscitant l’émotion ou la curiosité que l’attention des plus jeunes peut-être captée et maintenue. Surtout lorsqu’il s’agit de sujets aussi graves, sérieux et dramatiques que ceux qui concernent la vie d’Ita Rose. Pour autant, il faut le rappeler, l’intention est de frapper l’imagination sans la choquer, transmettre l’émotion sans la provoquer gratuitement, attirer l’attention sans séduire. Le relais de la mémoire réside autant dans les images et l’animation des ombres que dans les mots, écrits ou dits. Il s’agit surtout de faire comprendre au jeune spectateur que le spectacle auquel il assiste fait écho à une réalité, à des faits qui, non seulement se sont produits “ pour de vrai ”, mais le concernent, dans la mesure où ils participent d’une histoire à laquelle il appartient, sans en avoir directement conscience. Faire comprendre ce que c’est que la mémoire, ce que c’est que se souvenir, mais aussi que cette mémoire ne porte pas que sur le passé immédiat ou encore celui de ses parents, mais celui d’hommes et de femmes qu’il ne connaît pas et ont malgré tout des choses à lui dire. L’enfant est ici amené à s’initier, par l’évocation, à l’enracinement de sa propre existence dans une Histoire, au fait qu’il est lui aussi l’acteur de celle qui se fait, et que ce que les événements passés n’en sont pas moins réels et continuent d’habiter, d’une manière ou d’une autre, le présent qui est le sien. Distinguer l’événement passé de l’événement fictif, donner un accès à une compréhension de ce que c’est que la guerre, les vicissicitudes qui sont liées à la pénurie, mais aussi à l’exclusion et la vie en milieu hostile, la fuite, la peur, la rencontre avec des réalités qui ne sont pas seulement celles de ce passé, mais se reproduisent sous d’autres formes ou les mêmes, encore, au présent. Ici l’Histoire peut devenir la médiation de l’actualité, dont l’enfant ne mesure pas encore le poids, mais qu’il s’agit du moins, de lui faire pressentir, par l’expérience, l’exploration et l’explication de ce qui se joue dans l’évocation de la vie d’Ita Rose.

14 VII – Pistes d’exploitation pédagogique du spectacle

1) Du point de vue de l’Histoire : - Distinguer l’histoire individuelle telle que chacun peut en vivre, et l’Histoire, en montrant comment tous les événements qui concernent Ita Rose s’enracinent dans le cours plus vaste et plus global de ceux de la seconde guerre mondiale. On peut ainsi, par le biais de ce spectacle, sensibiliser le jeune spectateur à une approche historique des événements, aussi bien passés que présents, en lui faisant sentir que l’actualité de sa propre vie est elle-aussi en lien avec ce qui s’est produit avant, mais aussi tout ce qui se passe en ce moment dans le monde. - La guerre et l’exclusion (voir les différents points du dossier pédagogique)…

2) Du point de vue de la mémoire : - Distinguer la mémoire qui est d’abord une approche individuelle de ce qui s’est passé, la manière dont chacun se souvient des choses, de l’Histoire qui est le récit d’événements dans lequel nos propres souvenirs peuvent être enchâssés. Ainsi, le récit d’Ita Rose relève aussi bien de la mémoire personnelle de cette femme, mémoire connotée par la souffrance, que d’une mémoire plus collective (qui est ici celle du peuple juif, des réfugiés, de la résistance etc..), tout en faisant directement écho à ces épisodes de la seconde guerre mondiale. - Question de la transmission de la mémoire

3) Du point de vue de l’art : Il peut être intéressant de faire réfléchir les élèves à la manière dont chaque art peut s’emparer d’une même histoire pour en donner une version, qui, sans modifier la trame du réel, en produit une vision originale et unique. Le texte, les images (photos et dessins), la mise en scène théâtrale ne sont pas des redites ni des répétitions du même, mais autant d’approches susceptibles de nous toucher par différents biais. On pourra rappeler que le sens premier et étymologique de l’esthétique renvoie directement à la notion de sensibilité, qui peut donc se décliner, d’une part au niveau des cinq sens, mais aussi à celui des émotions, et jusqu’à la raison, qui perçoit la signification des choses.

15 Bibliographie :

Documents à l’usage des enseignants BENSOUSSAN Georges, Histoire de la Shoah, coll « Que sais-je ? »,PUF, 2006 COQUIO Catherine, KALISKY Aurélia, L’Enfant et le génocide, Témoignages sur l’enfance pendant la Shoah, coll »Bouquins », Robert Laffont, 2007 FALLADA Hans, Seul dans Berlin, coll « Folio », Gallimard, 2004 ROUSSO Henri, Le régime de Vichy, coll « Que sais-je ? », PUF, 2007 UNGERER Tomi, A la guerre comme à la guerre, L’Ecole des Loisirs, 2002 WIEVORKA Annette, Auschwitz expliqué à ma fille, Seuil, 1999

Autres ouvrages de Rolande Causse et Gilles Rapaport sur le même thème :

La Guerre de Robert, Auteur : Rolande Causse Illustrateur : Georges Lemoine Albin Michel Jeunesse - Mars 2007 Un enfant et un adulte. Le même individu. Robert, le jeune juif lorrain, pendant la guerre de 39-45 et maintenant Robert, grand-père, seul survivant de sa famille.

Les enfants d’Izieu Auteur : Rolande Causse Illustrateur : Georges Lemoine Syros, Tempo - Avril 2004

16 Rouge Braise Auteur : Rolande Causse Gallimard Jeunesse, Folio junior – 1998 Ce court récit met en scène une fillette de 10 ans, Dounia, et de sa grand-mère, durant le Seconde Guerre mondiale. La vie des "réfugiés" qui fuient les combats, sous le regard.

Grand Père Auteur et illustrateur : Gilles Rapaport Circonflexe – 1999 Un magnifique album illustré de gouaches très fortes entre le bleu et le gris, pour peindre et dépeindre avec pudeur, justesse et doigté l’horreur de ce siècle: une interrogation actuelle sur le courage, la haine, la trahison... et la dignité de l’Homme.

Champion Auteur et illustrateur : Gilles Rapaport Circonflexe - Octobre 2005 L’histoire vraie de Victor Young Perez, champion du monde de boxe, déporté à Auschwitz en 1943 et abattu, le 22 janvier 1945, pendant la « Marche de la mort ». Originaire du quartier juif de Tunis, il fut d’abord champion de France, puis l’un des plus jeunes champions du monde.A court d’argent, Perez accepta un combat à Berlin, en novembre 1938, avant d’arrêter sa carrière professionnelle. Dénoncé, il est emprisonné à Drancy et déporté en octobre 1943. A Auschwitz, Young Perez est obligé de livrer un ultime match de boxe. Une mise à mort, un spectacle de douleurs, mais également une envie de ne pas accepter la défaite.

Dossier réalisé par le service éducatif du centre de la mémoire d’Oradour Contact : 05.55.430.430 www.oradour.org

17