Journal de la Société des américanistes

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Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/jsa/16142 DOI : 10.4000/jsa.16142 ISSN : 1957-7842

Éditeur Société des américanistes

Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2018 ISSN : 0037-9174

Référence électronique Journal de la Société des américanistes, 104-2 | 2018, « 104-2 » [En ligne], mis en ligne le 15 décembre 2018, consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/jsa/16142 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/jsa.16142

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SOMMAIRE

Articles

L’autonomisation des Églises baniwa. Genèse et institutionnalisation d’un mouvement évangélique amérindien (Amazonie brésilienne) Élise Capredon

L’ayahuasca et son ombre. L’apprentissage de la possession dans un centre chamanique d’Amazonie péruvienne David Dupuis

Nouvelles perspectives sur les Cañaris d’hier et d’aujourd’hui : la céramique des Andes méridionales de l’Équateur de 100 av. J.-C. jusqu’à nos jours Catherine Lara

Nouveaux apports sur l’archéologie du littoral de Guyane : de la préhistoire à la conquête Martijn M. van den Bel

Intercambiar en Mesoamérica durante el Epiclásico (600 a 900 d.C.): poder, prestigio y alteridad. Un análisis de la cultura material de Puebla-Tlaxcala y Morelos (México) Juliette Testard

Comptes rendus

RAMÓN JOFFRE Gabriel, Los alfareros golondrinos, productores itinerantes en los Andes Alicia Espinosa

RIVERA ANDÍA Juan Javier, La vaquerita y su canto, una antropología de las emociones. Canciones rituales ganaderas en los Andes peruanos contemporáneos Lucila Bugallo

BRIGHTMAN Marc, Carlos FAUSTO et Vanessa GROTTI (dir.), Ownership and Nurture.Studies in Native Amazonian property relations Louis Vermander

VAN DEN AVENNE Cécile, De la bouche même des Indigènes. Échanges linguistiques en Afrique coloniale Capucine Boidin

MIRA CABALLOS Esteban, Francisco Pizarro. Una nueva visión de la conquista del Perú Eric Taladoire

MONTANI Rodrigo, El mundo de las cosas entre los wichí del Gran Chaco. Un estudio etnolingüístico Zelda Alice Franceschi

RUZ BARRIO Miguel Ángel y Juan José BATALLA ROSADO (coord.), Los códices mesoamericanos. Registros de religión, política y sociedad Antonio Jaramillo Arango

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Articles

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L’autonomisation des Églises baniwa. Genèse et institutionnalisation d’un mouvement évangélique amérindien (Amazonie brésilienne) The Baniwa’s Churches Formation. Genesis and Institutionalization of an Indigenous Evangelical Movement (Brazilian Amazonia) A autonomização das Igrejas baniwa. Gênese e institucionalização de um movimento evangélico indígena (Amazônia brasileira)

Élise Capredon

NOTE DE L’ÉDITEUR

Manuscrit reçu en avril 2017, accepté pour publication en novembre 2017.

Je remercie chaleureusement Véronique Boyer, Anath Ariel de Vidas et les relecteurs anonymes pour leur lecture attentive de ce travail et leurs commentaires judicieux.

1 Au Brésil, la conversion des Amérindiens au christianisme a longtemps été abordée sous l’angle de l’acculturation ou de l’imposition d’une idéologie extérieure1. À partir des années 1990, plusieurs anthropologues ont pris le contrepied de cette approche en s’intéressant à la façon dont les Indiens comprenaient et s’appropriaient – ou parfois rejetaient – le message des missionnaires. Des études ethno-historiques de Viveiros de Castro (1992) et de Pompa (2001) aux contributions de Pollock (1993) et de Vilaça (1996, 2002, 2008, 2016), en passant par les travaux réunis dans des ouvrages collectifs par Wright (1999a, 2004a), Montero (2006) ou encore Wright et Vilaça (2009), une série de publications sur le rapport des peuples indigènes brésiliens à la foi chrétienne ont ainsi

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vu le jour au cours des dernières décennies. Bien qu’ils fournissent des éclairages variés sur ce fait socioreligieux, la plupart de ces auteurs mettent l’accent sur le caractère éphémère ou instable des adhésions chrétiennes amérindiennes.

2 Viveiros de Castro, qui s’est penché sur l’évangélisation des anciens Tupinambá par les jésuites, a par exemple souligné « l’inconstance2 » dont les Indiens faisaient preuve dans leur engagement religieux, une attitude qui résulte selon lui d’une profonde incompatibilité entre une « philosophie » indigène ouverte à l’altérité et un discours chrétien « totalisant et exclusiviste » (1992). À la même époque, Pollock affirmait dans un article portant sur l’implantation de missions chez les Culina – un groupe de l’Amazonie péruvienne – que contrairement à de nombreuses sociétés autochtones d’Amérique centrale et des Andes, les « cultures indigènes d’Amazonie […] ont, dans des proportions remarquables, résisté au christianisme » (1993, p. 165). À partir de la seconde moitié des années 1990, ces travaux précurseurs ont été enrichis par ceux de Vilaça, qui a effectué des enquêtes ethnographiques auprès des Wari’ de l’Amazonie méridionale. Élève de Viveiros de Castro, Vilaça a examiné le rapport de ce groupe à la foi chrétienne à la lumière du perspectivisme3, principal concept forgé par l’anthropologue brésilien. Elle a ainsi envisagé la conversion des Wari’ comme une tentative de « capture d’une perspective externe » s’inscrivant dans la continuité des efforts de cette société pour se reproduire « au moyen d’altérations successives, qui impliquent une transformation en l’autre et l’acquisition de sa perspective » (2008, p. 177). Selon cette logique, la conversion chrétienne, qui se présente comme une transformation parmi d’autres, est un phénomène réversible. Dans son dernier ouvrage, la chercheuse propose d’employer le terme « alternance » pour faire référence aux adhésions intermittentes des Wari’ qui, depuis leurs premiers contacts avec des missionnaires, se sont convertis et « déconvertis » collectivement à plusieurs reprises (2016, p. 12-17, 242).

3 Le constat qui s’impose à la lecture de ces travaux récents peut ainsi être résumé par une observation de Gow qui, dans un article intitulé « Forgetting conversion… » portant sur les Piro de l’Amazonie péruvienne, déclare qu’une « littérature croissante aborde […] la radicale instabilité des christianismes indigènes amazoniens » (Gow 2006, p. 236). Cette « radicale instabilité » n’est pas toujours évoquée explicitement dans les études concernées mais elle est souvent suggérée par l’usage d’un lexique particulier, celui de l’engouement passager ou du revivalisme. Vilaça parle par exemple de « flambées de conversion » (2008, p. 175), Gow de « réveils sporadiques d’enthousiasme » (2006, p. 233) ou encore Capiberibe, qui mène des recherches auprès des Palikur du nord-est amazonien, d’épisodes de « grande effervescence religieuse » alternant avec des moments de « participation quasiment nulle » (2009, p. 249).

4 Si nous ne doutons pas que ce registre soit adéquat pour rendre compte de l’expérience chrétienne de certains peuples indigènes, il ne peut s’appliquer à tous les cas de conversions amérindiennes. Parmi les populations indigènes qui ont été en contact avec des formes de protestantisme, il est en effet des groupes qui ont continué à se revendiquer chrétiens après le départ des missionnaires et qui, loin d’osciller entre des phases de brusque ferveur et des périodes d’indifférence religieuse, cultivent plutôt une « religion de routine4 ».

5 Nous explorerons cette dimension du rapport des Amérindiens au christianisme à partir de l’étude du cas des Baniwa, un groupe de l’Amazonie brésilienne dont les membres adhèrent majoritairement à l’évangélisme, courant d’origine protestante,

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depuis le milieu du XXe siècle5. Après avoir opté pour cette confession sous l’influence d’une missionnaire étatsunienne, les Baniwa se sont non seulement emparés du message chrétien en le reformulant mais ont aussi créé leurs propres Églises6, au sein desquelles ils célèbrent des cultes et des cérémonies dans leur langue. En retraçant la trajectoire de ce mouvement évangélique indigène, nous souhaitons ainsi éclairer une facette méconnue des christianismes amérindiens. Cette réflexion nous amènera, en conclusion, à interroger la portée du phénomène de consolidation des Églises baniwa et à suggérer qu’il ne relève pas d’une exception mais d’un processus plus ample d’essor des Églises amérindiennes à l’échelle de l’Amérique du Sud.

L’introduction de l’évangélisme dans la région de l’Içana

6 Peuple de langue arawak d’environ 7 000 personnes7, les Baniwa sont établis dans le Haut Rio Negro, une région pluriethnique du nord-ouest de l’Amazonie brésilienne frontalière de la Colombie et du Venezuela. Ils résident principalement dans des « communautés8 » situées sur les rives du fleuve Içana, un affluent du Rio Negro, et vivent pour la plupart de la culture du manioc amer et de la pêche. Du point de vue de l’organisation sociale, le groupe est composé de plusieurs clans, formant eux-mêmes des phratries parmi lesquelles les trois plus importantes sont les Walipere-Dakenai, les Dzauinai et les Hohodene9.

7 À la différence d’autres populations régionales, en particulier des peuples de langue tukano du Uaupés – un autre affluent du Rio Negro – les Baniwa n’ont entretenu que peu de contacts avec les missionnaires catholiques qui, à plusieurs époques, ont mené des campagnes d’évangélisation dans le Haut Rio Negro. Au cours de la première moitié du XXe siècle, ils ont en particulier échappé à l’emprise des salésiens qui, en scolarisant les enfants indiens dans des internats, ont transformé durablement le mode de vie d’une grande partie des habitants de la région. Peu enclins à tisser des liens avec les catholiques, ils ont en revanche accepté d’accueillir une missionnaire protestante, Sophie Muller, à la fin des années 1940. Séduits par le discours de cette femme austère et volontaire, la plupart d’entre eux ont progressivement adhéré au modèle chrétien qu’elle promouvait. Cet épisode, qui inaugure le mouvement évangélique baniwa, est le résultat de circonstances historiques particulières, sur lesquelles nous reviendrons brièvement10 avant d’aborder les répercussions de la diffusion de la nouvelle religion.

L’évangélisation de l’Içana par Sophie Muller

8 Originaire de New York et initialement rattachée à la New Tribes Mission11, Sophie Muller n’a rien d’une novice quand elle arrive sur l’Içana en 1948 car elle a déjà travaillé en Colombie auprès des Coripaco, un autre groupe de langue arawak. Lorsqu’elle entre en contact avec les Baniwa, elle entreprend immédiatement d’apprendre des rudiments de leur langue, de traduire des passages de la Bible dans cet idiome et d’alphabétiser les Indiens pour qu’ils puissent lire eux-mêmes le texte sacré. Si elle semble s’être limitée à ces activités lors de ce premier séjour au Brésil, son discours se fait plus offensif quand elle revient un an plus tard (Boyer 2001, p. 88 ; Xavier 2013, p. 248). Non seulement elle combat avec obstination les pratiques des chamanes – connues localement sous le nom de pajelança – qu’elle assimile à des cultes

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démoniaques, mais elle interdit aussi les boissons alcoolisées, le tabac ou encore les danses et les musiques traditionnelles, autant d’éléments qui occupaient une place centrale dans la vie sociale et rituelle de ses hôtes. En contrepartie, elle donne des instructions précises pour procéder à des rites quotidiens (études bibliques, louange dominicale, prières pour les malades, etc.) et instaure un calendrier liturgique extrêmement dense. Afin de ne pas frustrer le goût des Baniwa pour les grandes rencontres collectives, elle institue en effet des cérémonies mensuelles, les Saintes- Cènes, et semestrielles, les Conférences, qui remplacent les anciennes fêtes d’échange, appelées en baniwa podáali. Elle nomme également des officiants rituels indigènes, les anciãos, et enjoint à ses disciples d’ériger des temples dans leurs villages, qu’elle baptise du nom d’« Églises bibliques unies12 ».

9 Au début des années 1950, les autorités régionales la contraignent cependant à interrompre ses activités. Les salésiens, qui s’étaient arrogé le monopole de la catéchisation des populations du Haut Rio Negro, dénoncent en effet une entreprise « hérétique », tandis que le Serviço de Proteção ao Índio13 s’inquiète de la menace que les missionnaires étrangers représentent pour la sécurité nationale. Alors qu’elle est convoquée en 1953 par la police municipale, qui souhaite examiner les plaintes déposées à son encontre, l’évangéliste prend la fuite et, avec l’aide de rameurs indiens, gagne la Colombie (Wright 1999b). Après son départ, elle continue toutefois à faire parvenir à ses adeptes des livrets de recommandations. Parmi les missionnaires qui tenteront de lui succéder, aucun ne parviendra à exercer sur les Indiens un ascendant semblable au sien.

10 Le succès rencontré par cette femme étrangère, œuvrant seule de surcroît, a de quoi surprendre. Nous savons désormais qu’il est imputable à plusieurs facteurs, parmi lesquels nous ne mentionnerons ici que les principaux. Selon Wright (1999b), qui a tenté de faire apparaître des concordances entre le modèle chrétien promu par Sophie Muller et certains motifs cosmologiques indigènes, l’enthousiasme des Baniwa pour « la parole de Dieu » peut être lu comme une résurgence de mouvements messianiques ayant précédemment éclos dans la région de l’Içana, une hypothèse néanmoins contestée par deux auteurs ayant travaillé auprès des Coripaco, Xavier (2013, p. 289-290) et Pabón (2013, p. 77-78). Journet – qui a lui aussi enquêté chez les Coripaco – considère que le mouvement de conversion relève d’une « forme complexe d’acculturation, associant la réaffirmation des valeurs morales traditionnelles ou, du moins, d’une partie d’entre elles, à un mythe et à une liturgie empruntés à la société dominante » (1995, p. 40). Plusieurs auteurs ont également noté que les convertis étaient motivés par leur fascination pour la Bible et pour le langage écrit, associés symboliquement à la « civilisation » et au savoir des Blancs (Wright 1999b, p. 188 ; Boyer 2001, p. 90 ; Pabón 2013, p. 9). Il est un point, enfin, sur lequel s’accordent tous les anthropologues qui se sont penchés sur le sujet : c’est « le puissant élément de révolte » (Journet 1995, p. 42) ou la dimension contestataire de ce mouvement religieux14. La venue de Sophie Muller coïncide en effet dans le Haut Rio Negro avec le « régime extractiviste », une période d’intense exploitation de la main d’œuvre indigène par des commerçants en quête de ressources forestières15. Assujettis à ces « patrons » qui les maintiennent à leur service par le système de l’aviamento16, de nombreux Indiens aspirent alors à un changement d’existence. En les incitant à s’affranchir de ces liens de dépendance pour renouer avec un mode de vie communautaire et en assurant que Dieu pourvoira à leurs besoins s’ils respectent ses

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prescriptions, Sophie Muller offre une alternative à cette situation d’oppression. L’espoir d’un retour à une vie collective pacifique qui naît alors chez les Baniwa favorise l’acceptation de la nouvelle religion.

Diffusion de la nouvelle religion et conflits

11 La diffusion de l’évangélisme dans le bassin de l’Içana ne va pourtant pas sans heurts. Comme l’a montré Wright (1999b), l’utopie d’une existence paisible et autarcique cède vite la place à des désillusions et des conflits éclatent entre les « crentes17 », c’est-à-dire les partisans de la « parole de Dieu », et ceux qui refusent de se plier aux interdits évangéliques, appelés génériquement « catholiques18 ». Ces querelles, qui se produisent généralement sur la base de divisions sociales préexistantes, ravivent d’anciennes hostilités entre phratries ou entre clans, occasionnant la mise à l’écart, parfois même le déplacement des familles qui n’adhèrent pas au mouvement majoritaire dans leur communauté. Parmi les catholiques, les membres de la phratrie Hohodene, qui résident pour la plupart sur le fleuve Aiari, un affluent de l’Içana, opposent une résistance particulièrement farouche à Sophie Muller et à ses disciples. Ce rejet est lié selon Wright à la présence parmi eux de puissants chamanes, qui parviennent à contrer efficacement la progression du mouvement (ibid., p. 199).

12 Si les conflits entre les crentes et les catholiques ont avec le temps perdu de leur virulence, ils n’en ont pas moins redessiné la géographie socioreligieuse de l’Içana. Celle-ci est complexe mais peut être appréhendée en se référant au réseau fluvial. Globalement, le courant évangélique a remporté un vif succès sur le cours supérieur de l’Içana, où résident des Coripaco, ainsi que sur son cours moyen, une portion de fleuve densément peuplée où prédominent les Baniwa de la phratrie Walipere-Dakenai. Sur le bas Içana, où les salésiens ont tenté de contrecarrer l’avancée de la nouvelle religion en y implantant une petite mission en 1952, les habitants se déclarent plus volontiers catholiques. Enfin, si le fleuve Aiari accueille quelques communautés crentes, la plus grande partie de sa population est hostile à l’évangélisme. Certaines familles y ont même décidé récemment de réhabiliter des pratiques et des savoirs chamaniques dans le cadre de projets de revitalisation culturelle19, ce qui fait de cette zone le bastion de la pajelança baniwa. Les villages évangéliques se distribuent donc principalement sur le haut et le moyen Içana. En raison de l’absence de statistiques religieuses ciblant spécifiquement les Baniwa, il est difficile de connaître la proportion de crentes à l’échelle du groupe mais Wright l’évalue à 80 % (2013, p. 5).

13 Durant la seconde moitié du XXe siècle, une large majorité de la population baniwa choisit ainsi de devenir évangélique et se met à revendiquer cette appartenance religieuse comme un trait distinctif face à la minorité non convertie mais aussi face aux autres peuples indigènes de la région, notamment à ceux du Uaupés, réputés catholiques. Au cours de ce processus, « l’institution du chamanisme », qui jouait auparavant un rôle central dans tous les villages (Wright 2004b, p. 380), ne disparaît pas totalement mais est fortement disqualifiée et ses représentants sont marginalisés. Alors que jusqu’au début du XXe siècle, les confrontations sporadiques avec le catholicisme avaient pu donner lieu à une articulation des représentations religieuses chrétiennes et indigènes – comme ce fut le cas par exemple dans certains mouvements messianiques de la fin du XIXe et du début du XXe siècle –, la rencontre avec Sophie Muller n’aboutit pas à de telles associations. Le christianisme évangélique auquel adhèrent les Indiens

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de l’Içana n’a en effet rien d’un syncrétisme20. Il ne peut cependant être envisagé comme une simple réplique du modèle religieux promu par la missionnaire étatsunienne. Comme nous allons le voir, il n’est pas exempt de composantes proprement indigènes, mais celles-ci relèvent moins de l’ancien univers rituel du groupe que de valeurs et de règles de sociabilité. Autrement dit, l’évangélisme de Sophie Muller semble s’être greffé sur un ethos21 indigène expurgé de sa dimension religieuse22.

Spécificités de l’évangélisme baniwa

Une forme de christianisme centrée sur des principes moraux

14 Si la conversion est généralement entendue dans le protestantisme évangélique comme une expérience personnelle, qui passe par la construction d’un rapport intime au Dieu chrétien (Willaime 2004), les Baniwa l’associent avant tout – à l’instar d’autres populations amérindiennes – à un changement de comportement23. Lorsqu’ils expliquent ce que représente pour eux le fait d’être évangélique, ils évoquent invariablement une série d’interdits et de prescriptions morales, telles que ne pas boire, ne pas fumer, ne pas fréquenter les fêtes profanes, prendre soin de ses proches ou encore respecter ses aînés, autant de règles dont la mise en œuvre n’est pas justifiée par une quête de salut mais par la volonté de préserver l’ordre social. En d’autres termes, pour les membres de ce groupe, devenir crente signifie moins subir une transformation intérieure que changer aux yeux des autres, en adoptant un comportement policé censé garantir l’harmonie des rapports sociaux ou la « convivialité24 ». Joãozinho, un leader évangélique baniwa dont il sera question plus loin, affirme ainsi que : « La parole de Dieu nous apporte beaucoup de choses, principalement la joie, la paix au sein du foyer, la paix avec les frères, avec certaines familles, avec les voisins. » Comme nous pouvons le voir, la « joie » et la « paix » associées au message chrétien ne sont pas pensées ici comme des ressentis individuels mais comme des dispositions relationnelles, des façons de « vivre avec » son entourage.

15 Valeur fondamentale de l’évangélisme baniwa, la convivialité repose sur des principes – la solidarité, la maîtrise de soi ou le respect de la hiérarchie des âges et des sexes – conçus comme antérieurs aux préceptes chrétiens. Plus précisément, de nombreux crentes considèrent que ces principes ont été formulés par leurs ancêtres puis confirmés par les enseignements de Sophie Muller. André Baniwa, l’un des principaux leaders politiques du groupe, déclare par exemple que « [la religion évangélique] est venue valoriser beaucoup de choses de la partie éthique des Baniwa, qui existait déjà ». Bien entendu, une certaine prudence s’impose face à ce type de discours, car il relève parfois d’une reconstruction idéalisée du passé visant à renforcer la légitimité du mouvement évangélique. Il n’en reste pas moins que certains propos et certaines manières d’être de Sophie Muller semblent effectivement avoir été compatibles avec l’ethos baniwa. Le mode de vie communautaire promu par l’évangéliste américaine s’accordait en effet avec le « holisme villageois25 » des habitants de l’Içana ; l’incitation à organiser de grandes cérémonies évangéliques avec l’intérêt des Indiens pour les rencontres intercommunautaires ; le puritanisme de la missionnaire avec la retenue de mise dans les rapports entre les hommes et les femmes ; ou encore son ascétisme et sa frugalité avec la maîtrise corporelle et émotionnelle attendue des adultes accomplis26. Au fil des

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ans, cette convergence entre certaines valeurs indigènes et évangéliques a donné naissance à une sorte « d’éthique protestante baniwa27 ».

16 Au quotidien, celle-ci se manifeste de diverses façons. La solidarité s’exprime par exemple à travers le partage de la nourriture, la redistribution d’une partie des biens ou encore l’organisation de séances de travail collectif. L’importance accordée à la distinction des âges et des sexes se traduit par la division sexuelle du travail et par le contrôle social que les aînés exercent sur les plus jeunes. Quant à la valorisation de la maîtrise de soi, elle apparaît dans les exhortations des leaders à faire preuve d’ardeur au travail, à ne pas consommer d’alcool, à réprimer les manifestations d’agressivité ou de convoitise, ou encore à ne pas s’assoupir durant les cultes.

17 Bien entendu il n’est pas rare que les règles de conduite évangélique soient enfreintes, mais l’impact de ces infractions est limité, d’une part, parce qu’elles se produisent souvent en dehors de l’enceinte du village28 et, d’autre part, parce que les autorités communautaires (capitães29 et leaders religieux) veillent à les prévenir grâce à une série de sanctions et de mesures dissuasives. Appliquées graduellement en fonction de la gravité du cas, celles-ci vont du discours moralisateur proféré lors des cultes à l’exclusion des réunions communautaires, en passant par la séance de « conseils30 » dispensés au contrevenant et par la confession publique. La condamnation des comportements déviants et le rappel des grands principes qui fondent la convivialité forment d’ailleurs l’essentiel des sermons prononcés pendant les offices.

18 Le christianisme évangélique tel que le conçoivent les Baniwa se présente donc en premier lieu comme un ensemble de valeurs et de règles de comportement qui organisent les rapports sociaux au quotidien. En dépit des transgressions que ne manquent pas de commettre individuellement certains crentes, il représente un facteur majeur de cohésion sociale au niveau communautaire. Cette dimension structurante va en outre bien au-delà des congrégations locales car la réalisation régulière de cérémonies de grande envergure permet, comme nous allons le voir, de relier entre eux des villages géographiquement dispersés à l’échelle du fleuve Içana, voire d’un territoire beaucoup plus vaste s’étendant jusqu’en Colombie et au Venezuela.

Cérémonies collectives et structuration du mouvement

19 En sus des cultes qui se déroulent deux ou trois fois par semaine, les Baniwa réalisent de nombreuses cérémonies évangéliques, qui sont susceptibles de rassembler une congrégation locale (anniversaire de la fondation d’une Église, fête des Mères, etc.), deux ou trois villages (baptême, mariage, consécration de pasteur, Sainte-Cène) ou des dizaines de communautés (Conférences). Nous nous en tiendrons ici à la description des Conférences, qui condensent plusieurs aspects présents dans les autres rites, et surtout qui articulent les Églises indigènes à l’échelle supralocale.

20 Organisées à tour de rôle par des villages appartenant à un même groupement, ces grandes cérémonies drainent un public considérable, issu de communautés évangéliques situées au Brésil, mais aussi en Colombie et au Venezuela, dans des zones évangélisées par Sophie Muller. Elles rassemblent en moyenne 500 participants, pendant près d’une semaine, autour d’un intense programme liturgique. Les habitants de la communauté hôte, qui sont tenus d’offrir le gîte et le couvert aux invités, préparent l’évènement plusieurs mois à l’avance. La programmation, constituée d’une suite ininterrompue d’activités collectives, inclut des cultes, qui débutent avant le lever

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du soleil et se prolongent tard dans la nuit, des repas pris en commun, parfois des baptêmes ou des mariages et, le dernier jour, une Sainte-Cène, c’est-à-dire un rite d’eucharistie. Les cultes sont l’occasion d’apprendre la « parole de Dieu », d’écouter les témoignages édifiants des convertis et de chanter des cantiques. On y réalise aussi de nombreuses « présentations », qui sont tout autant des exposés de principes religieux que des présentations des participants. À chaque prise de parole en public, les intervenants déclinent en effet leur identité et leur provenance, ce qui permet aux auditeurs de les situer dans les réseaux de parenté et d’interconnaissance régionaux. Entre les cultes, on se livre, enfin, à de plantureuses agapes dont la qualité et la quantité permettent d’apprécier le prestige de la communauté hôte.

21 Quoique centrées sur des activités chrétiennes, les Conférences partagent des traits communs avec les podáali, les anciennes fêtes d’échange : si l’on n’y trouve nulle trace de caxiri, la bière de manioc indissociable des festivités « traditionnelles », l’abondance de boissons et de nourriture, sa mise en scène ainsi que sa stricte répartition y sont toujours requises. Les évènements sont en outre planifiés en tenant compte des cycles saisonniers, donnent lieu à des alliances matrimoniales et sont ouverts et clôturés par des salutations collectives au cours desquelles chaque membre de la communauté hôte se doit de congratuler chaque visiteur.

22 Leur organisation minutieuse, qui inclut l’échange d’invitations formelles envoyées en amont de l’évènement, l’affichage du programme et de consignes vestimentaires dans les lieux de culte, la désignation de « policiers », des hommes chargés de maintenir l’ordre durant toute la durée de la rencontre, ainsi que l’attribution à chacun d’une place dans l’espace du village (points d’attache d’un hamac, lieu de toilette masculin ou féminin, rangée de bancs dans le temple, etc.) et dans la programmation cultuelle, témoigne d’un goût prononcé des Baniwa crentes pour la discipline. Bien qu’elle comporte une dimension égalitaire, qui s’exprime entre autres à travers la redistribution scrupuleuse de la nourriture, cette organisation donne à voir, tout autant qu’elle produit, des hiérarchies religieuses. En prêtant attention à l’ordre de passage des intervenants au pupitre durant les cultes, au temps de parole qui leur est octroyé ou encore à certains signes statutaires (tenue formelle de certains prédicateurs, élocution assurée, bâtons pour les « policiers »), on peut y observer que l’autorité des anciãos prévaut indéniablement, mais qu’aucun des dirigeants religieux n’est reconnu individuellement comme supérieur aux autres : le pouvoir religieux est distribué entre plusieurs chefs de famille – tous des hommes31 – et son exercice est collectif. Quoiqu’administrées localement, les Églises de l’Içana ont donc à leur tête de petits groupes de leaders qui défendent l’héritage de Sophie Muller et qui s’appliquent à entretenir les liens entre les communautés crentes de la zone tri-frontalière entre le Brésil, la Colombie et le Venezuela.

23 Dans la région de l’Içana, l’organisation régulière de grandes cérémonies évangéliques – les Conférences – a ainsi permis la structuration d’un vaste réseau de congrégations indigènes qui ne se sont pas dotées d’une instance de pouvoir centralisée mais qui se reconnaissent une histoire et des valeurs communes.

24 Au cours des dernières décennies, ce modèle socioreligieux a cependant subi des transformations en raison de la migration croissante des Baniwa vers la capitale du Haut Rio Negro, São Gabriel da Cachoeira. En se déplaçant vers ce centre urbain, les Baniwa crentes ont en effet été confrontés à de nouveaux acteurs chrétiens : des

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pasteurs « blancs32 » non plus issus de l’étranger comme c’était le cas de Sophie Muller, mais venus de diverses régions du Brésil, animés par la volonté de créer leur Église.

La confrontation avec les Églises urbaines

L’arrivée des nouvelles Églises et les migrations indiennes vers la ville

25 Durant la première moitié du XXe siècle, São Gabriel da Cachoeira, petite localité implantée au bord du Rio Negro et siège de la mission salésienne, ne compte que quelques centaines d’habitants. Ce n’est qu’à partir des années 1970 que sa croissance s’amorce lorsque le gouvernement brésilien y envoie un contingent de militaires chargés de construire des infrastructures dans le cadre d’une politique de développement économique de l’Amazonie. En sus des militaires, des ouvriers et d’autres travailleurs en quête d’emploi commencent alors à affluer vers la ville. Or parmi eux, certains ne se contentent pas de prendre part aux chantiers d’aménagement du centre urbain mais y implantent aussi des Églises, au sein desquelles ils s’efforcent de réunir un maximum de fidèles. Ces nouveaux prosélytes sont l’incarnation locale d’une dynamique beaucoup plus générale, celle de l’expansion des mouvements évangéliques au Brésil (Stoll 1990 ; Freston 1996). En Amazonie, cette dynamique a été favorisée par la grande mobilité des populations régionales – elle-même liée à des facteurs environnementaux et aux flux migratoires accompagnant l’ouverture des fronts pionniers (Boyer 2008, p. 27-30). Elle est moins le résultat de l’action de professionnels de l’évangélisation que de celle de prédicateurs amateurs, ayant improvisé leur mission religieuse faute d’autre possibilité d’ascension sociale et de réussite économique (ibid.). Ainsi à São Gabriel, les fondateurs des premières Églises évangéliques urbaines sont souvent des migrants originaires d’autres régions d’Amazonie ou du Nordeste. Issus de milieux sociaux modestes, ils ont l’espoir, en créant leur Église, d’améliorer leurs conditions de vie à travers l’exercice du pastorat. Depuis la fin des années 1970, les dénominations implantées par cette nouvelle vague d’évangélistes se sont multipliées. La capitale régionale en compte aujourd’hui une dizaine, dont certaines possèdent plusieurs temples.

26 Ce sont ces nouvelles Églises que découvrent les Baniwa évangéliques qui s’installent dans l’espace urbain. Longtemps enclins à se tenir à l’écart du monde des Blancs comme le recommandait Sophie Muller, les Baniwa commencent à migrer vers São Gabriel dans les années 1990 un peu plus tardivement que d’autres groupes33. Motivées par divers facteurs, notamment par une quête d’emplois rémunérés34, leurs migrations suivent toutefois le même schéma que celles des autres populations régionales : elles consistent en des déplacements graduels, au cours desquels des familles se rapprochent progressivement de l’agglomération, sans pour autant rompre avec leur communauté d’origine, où elles conservent une parcelle cultivée, parfois une habitation (Eloy et Lasmar 2011). Au cours de ces itinéraires, ces familles s’établissent généralement dans un village périurbain avant de bâtir une maison en ville. Il est alors fréquent qu’une partie de leurs membres, notamment les enfants scolarisés, emménagent dans ce nouveau foyer, tandis que les autres maintiennent des activités productives dans la communauté d’origine et dans une localité périurbaine. Les personnes circulent ensuite entre les trois types d’espaces (urbain, périurbain et rural) tout en échangeant des

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biens manufacturés et des produits agricoles. Les migrations indigènes vers São Gabriel ne correspondent donc pas à un exode rural, au sens de mouvement de population unidirectionnel et définitif vers la ville, mais plutôt à des trajectoires échelonnées, qui convergent vers le centre urbain sans en faire un lieu de résidence exclusif. Parmi les habitants de l’Içana qui migrent vers São Gabriel à partir des années 1990, certains s’installent ainsi dans le centre urbain tandis que d’autres fondent de nouveaux villages dans la proche périphérie de la ville.

27 Ces Indiens « citadins » sont alors démarchés par les pasteurs blancs qui ambitionnent d’élargir le cercle de leurs fidèles ou qui cherchent à agrandir leurs dénominations en construisant des temples dans des villages périurbains. Dans ce contexte, les Baniwa crentes adoptent deux types d’attitude.

Des Églises des Blancs aux Églises indigènes urbaines

28 Dans un premier temps, beaucoup sont séduits par les Églises urbaines. Elles leur apparaissent comme des lieux où l’on enseigne un message proche de celui délivré par Sophie Muller, mais surtout comme des espaces d’inclusion sociale, où ils peuvent accéder à une série d’instruments, de savoirs et de services leur faisant défaut. De fait, ces institutions ne réalisent pas seulement des cultes plusieurs fois par semaine, elles organisent aussi de nombreuses actions sociales et caritatives. La plupart d’entre elles proposent par exemple un soutien matériel aux familles les plus démunies35 ainsi que des activités éducatives pour les enfants et les jeunes. Les plus prospères offrent également des soins médicaux et ont recours, pendant les cultes, à des équipements audiovisuels (micro, amplificateurs, ordinateurs, lecteurs CD, vidéoprojecteurs, etc.) que les fidèles indiens apprécient de pouvoir manipuler. Les jeunes, en particulier, ne cachent pas leur intérêt pour ces « nouvelles technologies », auxquelles ils ont difficilement accès par ailleurs. Ces aspects peuvent paraître anecdotiques mais dans un contexte où plus de la moitié de la population urbaine a moins de 25 ans36 et où les familles indiennes peinent à subvenir à leurs besoins, ces services sont fortement valorisés.

29 Au sein de ces Églises tenues par des pasteurs blancs, les crentes baniwa sont toutefois exclus des fonctions liturgiques. Ils y occupent le plus souvent le rang de simple fidèle. Convoités en tant que nouvelles recrues par les prédicateurs brésiliens, ils sont dans le même temps disqualifiés en tant que spécialistes rituels. Face à ce manque de reconnaissance de leurs compétences religieuses, certains leaders évangéliques indiens ont donc décidé plus récemment de créer leurs propres organisations évangéliques dans l’espace urbain.

30 Le premier, le pasteur Luis, qui n’est pas Baniwa mais Baré37, a fondé un institut biblique à la fin des années 1990 avec l’aide de pasteurs blancs. Depuis que ses collaborateurs l’ont quitté, il dirige seul cet établissement et s’efforce d’y former des leaders évangéliques indigènes. Il s’agit pour lui de défendre « l’orientation des premiers missionnaires de la région » et d’aider les Indiens à « sortir du paternalisme ».

31 Le second, le pasteur baniwa Silvério a créé en 2002 la première Église indienne de São Gabriel, baptisée « Église évangélique indigène », où il dirige des cultes qui se déroulent en partie en langue vernaculaire. Cette initiative a connu un certain succès puisque cinq ans après la construction du premier temple, un second lieu de culte a ouvert ses

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portes. En 2010, celui-ci s’était mué en un temple imposant, qui n’avait rien à envier aux Églises les plus florissantes de la ville.

32 Le troisième, l’évangéliste baniwa Joãozinho a quant à lui implanté à São Gabriel une « Église biblique unie » – du nom des Églises de l’Içana – après avoir étudié à l’institut biblique du pasteur Luis. Son objectif est d’y réunir les « frères » de la zone rurale, de « légaliser » sa dénomination et surtout, d’obtenir des « titres » de pasteur et de diacre pour ses assistants et lui-même. Il regrette en effet que les premiers missionnaires qui ont parcouru l’Içana n’aient pas délivré à leurs disciples de certificats attestant de leurs compétences.

33 Depuis la fin des années 1990, trois organisations évangéliques indigènes ont ainsi vu le jour dans la capitale régionale. De prime abord, elles ne semblent pas former un véritable mouvement religieux car leur public demeure restreint et les discours de leurs dirigeants ne sont pas ouvertement contestataires. Un examen attentif des activités des trois leaders révèle toutefois que, loin d’œuvrer isolément, les trois hommes représentent la tête de pont du mouvement évangélique de l’Içana à São Gabriel. Comme ils ne peuvent pour l’heure accueillir des Conférences dans leurs temples urbains, faute de place ou d’une équipe suffisamment nombreuse pour assurer la logistique, ils interviennent régulièrement dans des cérémonies se déroulant dans des communautés périurbaines. Ces évènements organisés en périphérie de la ville leur offrent l’opportunité de prêcher face à un important auditoire. Ils y exhibent leurs talents liturgiques aux côtés des anciãos, une façon de relier symboliquement leurs Églises urbaines aux Églises bibliques unies de l’Içana. La démarche des trois hommes, qui consiste à s’affirmer comme des leaders religieux légitimes face aux pasteurs blancs, peut en outre être lue comme un acte politique s’inscrivant dans la quête d’autonomie des populations indigènes régionales.

La consolidation du mouvement évangélique baniwa

L’incidence du mouvement indigène sur les Églises baniwa

34 Dans le Haut Rio Negro, cette quête d’autonomie des Indiens vis-à-vis des Blancs voit le jour à la fin des années 1970 à travers le mouvement indigène38. Fondé sous l’impulsion de leaders natifs du Uaupés qui, avec l’aide de militants indigénistes, ont commencé à réclamer la démarcation de leurs terres, ce mouvement a abouti à la création de nombreuses associations locales. En 1987, celles-ci se sont regroupées au sein de la Federação das Organizações Indígenas do Rio Negro (Fédération des organisations indigènes du Rio Negro, FOIRN), un organisme devenu l’une des plus puissantes organisations indiennes d’Amazonie. Après avoir obtenu l’homologation d’une vaste Terra Indígena en 1998, les leaders indiens du Haut Rio Negro, qui comptent dans leurs rangs plusieurs Baniwa, ont élargi leurs revendications à différents domaines, tels que la culture, la santé ou l’éducation. Dans toutes ces sphères d’action, les objectifs sont cependant convergents : il s’agit de contrecarrer les diverses formes d’oppression historiquement exercées par les Blancs et de reconquérir le droit à l’autodétermination. Pour ce faire, les leaders indiens ne cherchent pas à rompre avec les institutions non indiennes mais plutôt à dialoguer avec elles sur un pied d’égalité en créant leurs propres organisations ou à les intégrer en accédant à des postes de

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pouvoir. Cette aspiration est bien résumée par un discours de Gersem Baniwa39, un militant indigène de la première heure : Je rêve que d’ici à cinquante ou soixante ans, nous puissions avoir un territoire indigène autonome avec nos propres dirigeants à tous les niveaux et dans toutes les instances de pouvoir : gouverneur, maire, conseiller municipal, député, juge, procureur, commissaire de police. Le tout dans le cadre [âmbito] de l’État brésilien40.

35 Comme nous pouvons le voir, le leader baniwa ne rejette pas les instances de pouvoir gouvernementales mais souhaite que les Indiens s’emparent des fonctions administratives, politiques et juridiques usuellement accaparées par la minorité blanche.

36 Dans le champ religieux, la démarche des leaders évangéliques indiens est nettement inspirée de cette posture. Bien que ceux-ci prennent rarement part aux mobilisations indiennes, ils se comportent en effet de façon très similaire à leurs homologues politiques : ils ne critiquent pas ouvertement les Églises des Blancs mais s’efforcent de s’émanciper de la tutelle des missionnaires et des pasteurs non indiens en devenant eux-mêmes des dirigeants d’organisations évangéliques. Cette dynamique ne manque pas de rappeler celle des mouvements chrétiens africains étudiés par Balandier qui, au cours de la première moitié du XXe siècle, ont donné naissance à des Églises indépendantes dirigées par des pasteurs noirs contestant l’autorité des missionnaires et autres acteurs coloniaux. À la différence de ces leaders religieux africains, les Baniwa crentes – qui ne vivent plus à proprement parler une « situation coloniale » – n’ont pas d’ambition indépendantiste, mais leur volonté de se démarquer des prêcheurs blancs peut assurément être lue comme une « reprise d’initiative » (Balandier 1963 [1955]) indigène face à un groupe social historiquement dominant.

L’institutionnalisation des Églises indigènes

37 En ville et dans les communautés périurbaines, ce désir des leaders crentes indigènes de gagner en visibilité et d’affirmer leur légitimité favorise la formalisation des activités religieuses. Pour ne plus se sentir humiliés face aux pasteurs blancs, qui tentent parfois de les décrédibiliser en pointant le fait qu’ils ne possèdent pas de « carte de pasteur » et que personne ne connaît leur dénomination41, les leaders évangéliques indiens s’efforcent de faire reconnaître officiellement leur Église. Ce processus passe par la recherche de financements, l’acquisition d’un terrain, l’édification de temples en ville, l’achat de matériel, l’accomplissement de démarches administratives, la gestion d’une comptabilité, l’abandon du titre d’ancião, non reconnu en-dehors de l’Içana, au profit de celui de pasteur, ainsi que par la transmission des compétences bureaucratiques acquises au cours de ces démarches à leurs fidèles. En un mot, elle passe par l’institutionnalisation de leurs dénominations.

38 Que l’on ne se méprenne pas, il ne s’agit pas d’envisager ici les Églises indigènes comme des structures juridiquement instituées, fortement hiérarchisées et dotées de règles rigides. Au regard de l’Église catholique42 par exemple, les Églises baniwa sont – comme de nombreuses autres dénominations évangéliques – faiblement institutionnalisées, car elles n’ont pas élaboré de doctrine formelle ni ne disposent de pouvoir centralisé. En revanche, si on les compare à d’autres expressions religieuses indigènes, tels que les mouvements messianiques du début du XXe siècle ou les expressions contemporaines de la pajelança, qui prennent la forme de pratiques thérapeutiques discrètes réalisées dans

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l’espace domestiques ou de projets ponctuels de revitalisation culturelle, elles apparaissent comme des entités religieuses établies.

39 Le mouvement évangélique baniwa se distingue tout d’abord par sa longévité car il perdure maintenant depuis plus d’un demi-siècle et repose sur une pratique religieuse régulière. Ensuite, l’appartenance évangélique, dominante au sein du groupe, se transmet désormais d’une génération à l’autre. Elle est héritée à la naissance (Boyer 2001, p. 95) – de nombreux Baniwa crentes se disent « nés dans l’Évangile » –, puis construite et entretenue à travers divers rites (baptême, mariage, Sainte-Cène). Pour les hommes, elle peut déboucher sur l’acquisition d’un statut professionnel, celui de pasteur. Auparavant délivré par des autorités extérieures, ce titre peut maintenant être obtenu en suivant une formation dans un institut biblique tenu par un dirigeant indien, ce qui signifie que les Baniwa crentes ne sont plus dépendants des Blancs pour assurer la reproduction de leur modèle religieux.

40 Enfin, l’organisation des Conférences, qui permet de connecter entre elles les Églises rurales de la zone de l’Içana et les Églises indigènes urbaines et périurbaines, favorise la constitution d’un vaste réseau transfrontalier de dénominations évangéliques amérindiennes à même de rivaliser avec les Églises des pasteurs blancs. Structuré selon un modèle fédératif, celui-ci est composé d’une multitude de congrégations locales qui n’admettent pas d’autorité supérieure à celle du pasteur ou des anciãos mais qui partagent les mêmes valeurs et pratiques religieuses.

41 En somme, les Baniwa ne se contentent plus de s’approprier une religion exogène, ils produisent désormais leur propre modèle religieux. Depuis quelques années, certains de leurs représentants cherchent en outre à élargir la portée du mouvement évangélique du Haut Rio Negro en s’affiliant à un organisme interethnique, le Conselho Nacional de Pastores e Líderes Evangélicos Indígenas (Xavier 2013, p. 428) qui, comme son nom l’indique, promeut l’union des leaders évangéliques indiens à l’échelle du Brésil43.

42 Durable, autonome et organisé au niveau régional, le mouvement évangélique baniwa contraste donc vivement avec les christianismes indigènes « radicalement instables » habituellement observés en Amazonie. Doit-on dès lors le considérer comme une exception ou comme l’expression d’une tendance émergente ? Sans prétendre apporter une réponse définitive à cette question, nous évoquerons en conclusion des éléments qui suggèrent que l’autonomisation des Églises baniwa pourrait s’inscrire dans une dynamique plus large d’essor des Églises amérindiennes en Amérique du Sud.

L’autonomisation des Églises baniwa : une exception ?

43 Dans la région du Haut Rio Negro, le cas des Baniwa n’est pas isolé puisque les Coripaco ainsi que d’autres peuples indigènes de Colombie et du Venezuela ont eux aussi créé leurs propres Églises. Comme l’a montré Xavier (2013), les Coripaco se sont emparés des enseignements de Sophie Muller pour en faire un système de valeurs et de représentations fondamental, qui oriente la plupart des aspects de leur vie sociale. L’auteur brésilien notait de surcroît lors de son dernier terrain que certains anciãos coripaco commençaient à songer à des formes d’institutionnalisation de leurs Églises (ibid., p. 418). On pourrait toutefois objecter que les cas des Coripaco et des Baniwa ne

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forment qu’une seule et même exception puisque les deux groupes, géographiquement et culturellement proches, ont été évangélisés par Sophie Muller.

44 Nous mentionnerons donc un cas plus distant pour étayer notre propos, celui des Toba d’Argentine. Peuple autochtone numériquement plus important que les Baniwa44, les Toba sont établis dans les zones rurales du Gran Chaco, d’où ils sont originaires, et dans les banlieues pauvres des grandes villes argentines. À partir des années 1930, ils sont entrés en contact avec des missionnaires anglicans, puis mennonites et pentecôtistes. À l’initiative de certains convertis, ils se sont ensuite émancipés de ces évangélistes non indiens et ont créé leur dénomination, les « Églises évangéliques unies », dans les années 196045. À l’instar des Baniwa, ils y célèbrent des cultes dans leur langue et des cérémonies de grande ampleur, appelées « Conventions ». Ces Églises occupent une place d’autant plus importante au sein du groupe que les Toba ne disposent pas d’instance représentative à l’échelle nationale. Elles semblent assumer chez eux le rôle que jouent les associations indiennes chez d’autres populations (Tamagno 2007).

45 De manière plus générale, sont récemment apparus des réseaux interethniques de leaders ou d’Églises évangéliques indigènes tels que le CONPLEI, mais aussi la Federación Ecuatoriana de Indígenas Evangélicos (FEINE) – qui regroupe 17 associations provinciales (Andrade 2005, p. 54) – ou la Fraternidad de Asociaciones de Iglesias Evangélicas Nativas de la Amazonía Peruana (FAIENAP) – qui réunit également 17 associations et environ 200 Églises locales46. Ce phénomène suggère qu’il existe un nombre croissant de dénominations indiennes indépendantes et que celles-ci ambitionnent d’être reconnues au niveau national.

46 Le processus d’institutionnalisation du mouvement évangélique baniwa semble ainsi avoir des équivalents non seulement au Brésil mais aussi dans d’autres pays d’Amérique du Sud. Pour vérifier cette hypothèse, il conviendrait d’entreprendre une étude comparative des christianismes amérindiens. Une telle investigation permettrait de dégager les facteurs qui concourent à la pérennisation de courants spécifiques, d’identifier les points communs et les différences de ces formations religieuses et, plus généralement, de restituer la diversité des expériences chrétiennes amérindiennes.

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NOTES

1. Dans l’introduction du premier ouvrage collectif dédié aux conversions chrétiennes chez les peuples indigènes du Brésil, Wright note que jusqu’alors l’approche usuelle consistait à « analyser les conséquences et les impacts des pratiques missionnaires sur les cultures indigènes » (1999a, p. 7). Pour un exemple de cette approche appliquée aux groupes indiens du Haut Rio Negro dont il sera question dans ce travail, voir Galvão (1959). 2. Le terme renvoie chez Viveiros de Castro à un motif récurrent identifié dans les sources coloniales et non à un jugement de valeur. L’anthropologue se propose dans son essai d’élucider le comportement que les Européens désignaient par ce vocable à partir de la perspective indigène (Viveiros de Castro 1992, p. 24, 26). 3. Élaborée par Viveiros de Castro (1996) et Lima (1996), la notion de perspectivisme – qui repose sur l’idée que l’opposition entre nature et culture n’est pas universelle – renvoie, rappelons-le, à un système de représentations dans lequel chaque être – humain ou non-humain – est doué d’une subjectivité et d’un point de vue sur le monde qui l’entoure – une « perspective » – dont le siège se situe dans le corps. 4. L’expression est empruntée à Xavier, qui l’emploie pour décrire l’évangélisme des Coripaco, un groupe voisin des Baniwa (2013, p. 518).

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5. Ce travail s’appuie sur trois enquêtes ethnographiques menées chez les Baniwa entre 2008 et 2011 dont les durées cumulées représentent 17 mois de terrain. Il synthétise plusieurs arguments développés dans une thèse de doctorat (Capredon 2016). 6. Nous orthographions le terme avec une majuscule pour désigner les dénominations au sens large et non simplement les lieux de culte, appelés eux aussi « églises » (igrejas) par les Baniwa. 7. Source : Sistema de Informação da Atenção à Saúde Indígena (Système d’information d’attention à la santé indigène, SIASI)/Secretaria Especial de Saúde Indígena (Secrétariat spécial de santé indigène du Brésil, SESAI), 2014. 8. Comme d’autres groupes de la région, les Baniwa construisaient autrefois des malocas, de grandes habitations abritant plusieurs familles. Sous l’influence des missionnaires – qui jugeaient qu’elles étaient insalubres et favorisaient la promiscuité –, ils ont peu à peu délaissé ces habitations collectives – dès le XIXe siècle pour certains, au cours de la première moitié du XXe siècle pour d’autres – au profit de villages constitués de maisons séparées. Le terme « communauté », introduit par les missionnaires catholiques dans les années 1960, a été adopté dans le Haut Rio Negro par l’ensemble de la population pour désigner les villages indiens. Il renvoyait à l’origine aux Communautés ecclésiales de base, un modèle d’organisation sociale et religieuse défini par le concile Vatican II. 9. Nous reprenons ici la classification de Wright (1998, p. 15). Notons toutefois que s’il est généralement entendu que les Baniwa s’organisent, comme d’autres peuples du Haut Rio Negro, selon un modèle exogamique et patrilinéaire, le nombre et la nature des unités sociales composant le groupe ne sont pas précisément établis. Voir à ce sujet Journet (1995) et Xavier (2013, p. 81-119). 10. L’épisode de la conversion des Baniwa à l’évangélisme de Sophie Muller a été analysé par Wright (1999b) qui, en s’appuyant sur des témoignages d’habitants de l’Içana, sur les écrits de la missionnaire étatsunienne et sur les archives des salésiens, a mis au jour ses principaux enjeux du point de vue des différents protagonistes. Les résultats de son étude ont ensuite été repris, discutés et enrichis par Boyer (2001), Cabrera Becerra (2007) Xavier (2013), Pabón (2013) et Capredon (2016). 11. Fondée aux États-Unis en 1942, la New Tribes Mission (NTM) est une organisation qui s’est spécialisée dans l’évangélisation des « tribus non atteintes », c’est-à-dire des groupes qui – selon les critères des missionnaires évangéliques – vivent dans des endroits reculés, à l’écart de la civilisation, et à qui il faut faire parvenir le message chrétien. 12. Le nom des Églises tout comme le terme d’ancião (littéralement « ancien »), peu usités chez les évangéliques, semblent avoir été choisis pour singulariser les Églises indiennes et prévenir leur récupération par des organisations évangéliques extérieures (Xavier 2013, p. 162-163, 249). 13. Fondé en 1910, le Serviço de Proteção ao Índio (SPI) est l’organe gouvernemental en charge des affaires indiennes au Brésil jusqu’en 1967, date à laquelle il est remplacé par la Fundação Nacional do Índio (FUNAI). 14. Voir Galvão (1959, p. 55), Journet (1995, p. 42), Wright (1999b, p. 183), Boyer (2001, p. 87) et Xavier (2013, p. 287).

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15. L’exploitation de la main d’œuvre indigène pour « l’extraction » de produits forestiers existe dès la période coloniale, mais elle s’amplifie de la fin du XIXe au milieu du XXe siècle en raison du boom du caoutchouc. 16. Système de domination par l’endettement. De façon simplifiée, l’aviamento consiste, pour un commerçant, à avancer un salaire ou des marchandises à des travailleurs puis à les obliger à travailler pour son compte jusqu’au remboursement complet de la dette, qui est sans cesse différé. 17. Littéralement « croyants », terme synonyme d’évangéliques dans l’ensemble du Brésil. 18. Dans le Haut Rio Negro, l’appellation « catholique » peut désigner aussi bien les catholiques pratiquants ou les adeptes d’un catholicisme dit « populaire » centré sur le culte des saints, que les personnes qui maintiennent des pratiques chamaniques. 19. À ce sujet, voir Wright (2013, p. 297-324). 20. Journet affirme à ce propos que l’évangélisme des Coripaco « n’est pas […] un syncrétisme ni un revivalisme » (1995, p. 38). Cela peut en partie s’expliquer par le fait que Sophie Muller a sciemment cherché à prévenir toute assimilation des figures chrétiennes à celles de l’ancienne cosmologie indigène (Xavier 2013, p. 354, 368, 447, 495). 21. J’emploie le terme d’ethos en référence au travail de Santos Granero, qui postule l’existence d’un ethos commun à plusieurs populations arawak (2002). L’auteur utilise lui-même cette notion dans une perspective bourdieusienne au sens « d’ensemble de perceptions, de valeurs et de pratiques qui sont inconscientes mais qui informent des aspects plus conscients de la culture » (ibid., p. 44). 22. Pour Santos Granero, l’ethos arawak repose sur plusieurs éléments dont des mythologies élaborées, qui vont de pair avec de complexes cérémonies rituelles (2002, p. 47). Wright montre également qu’un certain nombre de principes moraux et de règles de conduite formulés par les Baniwa étaient auparavant justifiés par des représentations cosmologiques du groupe (2013). 23. Voir à ce sujet Vilaça à propos des Wari’ (1996). 24. Le terme est à entendre ici au sens d’Overing et Passes (2000), qui l’emploient pour désigner un idéal de vie sociale partagé par de nombreuses sociétés amérindiennes d’Amazonie. Celui-ci se fonde, entre autres, sur l’importance de la parenté, sur la commensalité, sur le partage des tâches et des biens et sur le fait de vivre ensemble (con-vivir) au quotidien de façon paisible. Dans cette perspective, l’idéal de vie recherché par les Baniwa crentes s’apparente à celui qui était promu par certains prophètes indigènes du XIXe siècle et du début du XXe siècle, en particulier par Uétsu (Wright 2004b). 25. L’expression est de Journet (1995, p. 41). L’anthropologue n’en fournit pas de définition mais, conformément à l’acception dumontienne du concept de « holisme », nous la comprenons comme une « idéologie qui valorise la totalité sociale et néglige ou subordonne l’individu humain » (Dumont 1983, p. 303). 26. Chez les Baniwa, le contrôle de soi, qui passe par une stricte maîtrise des émotions (colère, jalousie, frustration, etc.) et des impulsions (appétit, désir sexuel, etc.), est très valorisé. Comme le montre Garnelo (2002) – qui a étudié les représentations de la maladie au sein du groupe –, il est considéré comme une qualité indispensable à la

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préservation de la santé, au maintien de rapports sociaux pacifiques, à l’acquisition de connaissances ainsi qu’à l’exercice de l’autorité. 27. Nous reprenons ici une expression de Wright (2009), qui l’utilise en référence au célèbre essai de Weber. 28. Il est fréquent que les crentes transgressent les règles de conduite évangéliques lorsqu’ils se rendent en ville. Profitant d’un relâchement du contrôle social exercé par leur entourage familial, certains se rendent dans des fêtes profanes et consomment des boissons alcoolisées. 29. Littéralement « capitaines », terme d’origine coloniale qui désigne dans le Haut Rio Negro les « chefs » des villages indiens. Dépourvus d’autorité, ceux-ci orientent les activités de leur communauté mais n’exercent aucune forme de commandement. Ce sont les interlocuteurs privilégiés des visiteurs extérieurs. 30. Longues conversations au cours desquelles un leader ou un aîné s’efforce, par la parole et l’exemple, d’amener son interlocuteur à éviter les comportements considérés comme déviants. La pratique du conseil, qui exclut la critique frontale, trouve son origine dans une forme de contrôle social commune à plusieurs peuples du Haut Rio Negro. 31. Certaines femmes jouent un rôle actif dans les cultes en dirigeant des chorales, en récitant des versets bibliques, en partageant des témoignages ou en conduisant les enseignements destinés aux enfants, mais aucune n’a le titre de pasteure ou d’anciã. Bien que les Baniwa (femmes et hommes) affirment en général que les femmes ont la possibilité de prêcher si elles le souhaitent, en pratique la préséance est toujours accordée aux hommes. 32. Dans le Haut Rio Negro, le terme désigne tous les non-indiens, indépendamment de la couleur de leur peau. 33. Les migrations indiennes ont commencé à alimenter la croissance urbaine dès les années 1980. L’un de ses principaux facteurs à cette époque est la fermeture des internats salésiens, qui pousse de nombreuses familles à s’établir en ville pour que leurs enfants puissent poursuivre leur scolarité. 34. Pour une synthèse des facteurs de migration des Indiens du Haut Rio Negro vers São Gabriel da Cachoeira, voir Capredon (2016, p. 190-196). 35. À l’initiative des dirigeants de l’Église, les fidèles organisent par exemple des braderies ou collectent des denrées alimentaires, qui sont ensuite distribuées sous la forme de cestas básicas, c’est-à-dire de « paniers de produits de première nécessité », aux familles en difficulté. 36. 10 699 personnes, soit 56 % de la population urbaine totale de la commune de São Gabriel da Cachoeira. Source : Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (IBGE), recensement 2010. 37. Autrefois établis sur les rives du Rio Negro, les Baré parlaient comme les Baniwa une langue de la famille arawak. Touchés de plein fouet par la colonisation au XVIIIe siècle, ils ont abandonné cet idiome au profit d’une langue véhiculaire importée par les missionnaires, le nheengatu, et ont longtemps été considérés comme des indiens « acculturés » ou des « caboclos » (métis). À la faveur du mouvement indigène, les habitants de la région qui se considèrent comme leurs descendants ont néanmoins réinvesti l’identité baré, qui est désormais reconnue comme une appartenance

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ethnique à part entière, au même titre que les autres appartenances indigènes régionales. 38. Cette dynamique s’inscrit dans un processus plus vaste de montée en puissance des mouvements autochtones à l’échelle nationale et internationale. Nous entendons ici par « mouvement indigène » l’ensemble des actions menées par les Indiens du Haut Rio Negro pour faire valoir leurs droits au sein de la société brésilienne. 39. Gersem José dos Santos Luciano, dit Gersem Baniwa, a milité activement au sein de la FOIRN avant d’entreprendre des études universitaires. En 2011, il a soutenu une thèse de doctorat en anthropologie portant sur l’éducation scolaire indigène. Il est ainsi l’un des premiers membres de son groupe à être diplômé de l’université et le premier à être anthropologue. 40. Nous citons ici Gersem Baniwa en tant que militant et non en tant qu’anthropologue. Les propos reproduits sont tirés d’un discours prononcé par le leader en 2008 dans le cadre d’un séminaire sur le futur du bassin du Rio Negro organisé par une ONG écologiste et indigéniste à Manaus. Ce témoignage est utilisé comme source par l’auteur lui-même dans sa thèse de doctorat (2011, p. 288). 41. Voir à ce propos l’anecdote rapportée par Xavier au sujet d’un ancião du haut Içana qui, lors d’une rencontre de pasteurs à Manaus, a essuyé des moqueries parce qu’il ne possédait pas de carte de pasteur et parce que personne ne connaissait son Église (2013, p. 164, 418). 42. Dans le Haut Rio Negro, plusieurs ordres religieux se sont succédé depuis la période coloniale. Depuis le début du XXe siècle, l’Église catholique est représentée dans la région par la mission salésienne. 43. Fondé en 1991, le Conselho Nacional de Pastores e Líderes Evangélicos Indígenas (Conseil national de pasteurs et de leaders évangéliques indigènes, CONPLEI) est actuellement dirigé par un pasteur appartenant au groupe Terena, un peuple de langue arawak de l’Amazonie méridionale. 44. La population toba est estimée en Argentine à 69 452 personnes. Source : Instituto Nacional de Estadísticas y Censos (INDEC), Encuesta Complementaria de Pueblos Indígenas (ECPI), 2004-2005. 45. Pour une synthèse des travaux disponibles sur le pentecôtisme toba, voir Wright (2002). 46. Ces chiffres sont tirés du site officiel de l’institution ( https:// faienap.wordpress.com/, consulté le 19/10/2018).

RÉSUMÉS

Depuis les années 1990, de nombreux travaux ont été consacrés aux modalités d’appropriation du christianisme par les populations indigènes d’Amazonie. La plupart d’entre eux insistent sur le caractère éphémère ou « inconstant » des conversions amérindiennes. L’étude du cas des Baniwa, un groupe indigène de l’Amazonie brésilienne, révèle au contraire l’émergence d’un mouvement

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chrétien amérindien pérenne dans la région du Haut Rio Negro. Peuple de langue arawak, les Baniwa se sont majoritairement convertis à l’évangélisme au milieu du XXe siècle. Ils ont depuis lors créé leurs propres Églises, au sein desquelles ils célèbrent des cultes et des cérémonies dans leur langue. L’analyse de la genèse et l’institutionnalisation de ce mouvement montre que les membres de ce groupe ne se contentent plus de s’approprier une religion exogène mais qu’ils produisent désormais leur propre modèle chrétien, fondé sur des valeurs et des pratiques spécifiques.

Since the 1990s, many studies have addressed the modes in which Amazonian indigenous people appropriate Christianity. Most of them have stressed that Amerindian conversions are generally ephemeral or “inconstant.” The case study of the Baniwa, an indigenous group of the Brazilian Amazon, reveals on the contrary the emergence of a long-lasting Amerindian Christian movement in the Upper Rio Negro region. The Baniwa, an Arawak-speaking people, have converted to evangelicalism, since the mid-20th century. Since then, they have created their own churches, in which they worship and celebrate ceremonies in the native language. By retracing the genesis and institutionalization of this movement, we aim to show that the members of this group are no longer appropriating an exogenous religion but produce now their own Christian model, founded on specific values and practices. As a conclusion, we will discuss the scope of this phenomenon.

Desde os anos 1990, muitos trabalhos foram dedicados às modalidades de apropriação do cristianismo pelas populações indígenas da Amazônia. A maioria deles insistem no caráter efêmero ou “inconstante” das conversões ameríndias. O estudo do caso dos Baniwa, um grupo indígena da Amazônia brasileira, revela ao contrário a emergência de um movimento cristão ameríndio duradouro no Alto Rio Negro. Povo de língua arawak, os Baniwa converteram-se na sua maioria ao cristianismo evangélico, em meados do século XX. Desde então, criaram as suas próprias Igrejas, nas quais celebram cultos e cerimônias em língua nativa. Ao reconstituir a gênese e a institucionalização deste movimento, procuraremos mostrar que os membros deste grupo não se apropriam mais de uma religião exógena mas que passaram, atualmente, a produzir seu próprio modelo cristão, fundado em valores e práticas específicas. Interrogaremos em conclusão o alcance deste fenômeno.

INDEX

Palavras-chave : Amazônia, Alto Rio Negro, antropologia do cristianismo, Baniwa, Igrejas evangélicas, movimentos indígenas, Igrejas indígenas Mots-clés : Amazonie, Haut Rio Negro, anthropologie du christianisme, Baniwa, Églises évangéliques, mouvements indigènes, Églises amérindiennes Keywords : Amazonia, Upper Rio Negro, anthropology of Christianity, Baniwa, evangelical churches, indigenous movements, Amerindian churches

AUTEUR

ÉLISE CAPREDON

Centre de recherches sur le Brésil colonial et contemporain (CRBC), Mondes Américains (UMR 8168), Paris [[email protected]]

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L’ayahuasca et son ombre. L’apprentissage de la possession dans un centre chamanique d’Amazonie péruvienne The Ayahuasca’s shadow. Learning to be possessed in a shamanic centre of the Peruvian Amazon El Ayahuasca y su sombra. El aprendizaje de la posesión en un centro chamánico en la Amazonía peruana

David Dupuis

NOTE DE L’ÉDITEUR

Manuscrit reçu en janvier 2016, accepté pour publication en septembre 2017.

Remerciements – Cet article s’appuie sur une enquête ethnographique conduite en Amazonie péruvienne entre 2009 et 2013 grâce à l’aide financière de la Fondation Martine Aublet (musée du quai Branly), de l’EHESS, du Laboratoire d’anthropologie sociale et de l’Institut des Amériques. Le texte a été rédigé au cours d’un séjour post-doctoral au sein de l’université de Durham financé par la Fondation Fyssen. Que ces institutions, qui ont rendu cette recherche possible, s’en trouvent ici remerciées. Des versions antérieures de ce texte ont été présentées au sein du séminaire interne du Laboratoire d’anthropologie sociale, de l’atelier « nouvelles formes de médiation relationnelles » organisé au Collège de France par Marika Moisseeff et Michael Houseman, du séminaire « Anthropologie des communautés hybrides » (École pratique des hautes études, dirigé par Charles Stépanoff) et du séminaire « Chefs, chamanes et sorciers. Pragmatique des formes de maîtrise amérindiennes » (École pratique des hautes études, dirigé par Andréa-Luz Gutierrez-Choquevilca). Les développements qui suivent ont grandement bénéficié des remarques des organisateurs et des participants de ces séminaires. Je souhaite

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enfin remercier les évaluateurs anonymes ainsi que l’équipe éditoriale du Journal de la Société des américanistes.

1 La participation à des rituels exotiques investis comme des pratiques thérapeutiques et de développement personnel rencontre depuis la seconde moitié du XXe siècle un succès croissant auprès du public occidental. Nourri par l’engouement pour le breuvage psychotrope ayahuasca1 et par l’image mythifiée de la forêt « primaire », un nombre croissant de voyageurs se dirige depuis les années 1990 vers l’Amazonie péruvienne2.

2 De multiples lieux d’accueil destinés à cette clientèle ont été édifiés en bordure des métropoles de la région. Ces « centres chamaniques » (Losonczy et Mesturini Cappo 2011), reposent le plus souvent sur le partenariat entre Occidentaux et locaux métis ou autocthones. Ils proposent, sous forme de stages, des activités rituelles s’inspirant plus ou moins librement des pratiques du chamanisme métis péruvien (curanderismo3), au premier rang desquelles l’usage ritualisé de l’ayahuasca.

3 Fondée en 1992 – sous l’égide du médecin français Jacques Mabit en collaboration avec trois Péruviens et un Espagnol –, la communauté thérapeutique de Takiwasi est à la fois une clinique de traitement des addictions et l’un des principaux lieux d’accueil pour les voyageurs occidentaux qui se rendent dans la région afin d’y « rencontrer l’ayahuasca ». Les locaux sont situés à la périphérie de la ville de Tarapoto, chef-lieu de la région de San Martín, sur un terrain de deux hectares bordé par une clôture végétale et la rivière Shilcayo. Outre un bâtiment central – comprenant des locaux administratifs et de réception, un auditorium et une bibliothèque –, on y trouve des logements de patients toxicomanes résidents, une cuisine, deux malocas4 où se déroulent les rituels, divers ateliers (menuiserie, boulangerie), une chapelle, un laboratoire de production de produits phytothérapeutiques, une boutique et un jardin botanique dans lequel sont cultivées les principales plantes médicinales utilisées à Takiwasi. L’association est par ailleurs propriétaire d’une parcelle de 54 hectares de forêt située à quelques kilomètres de là, au sein de la réserve naturelle de la Cordillera escalera, où se trouvent une quinzaine de cabanes d’isolement (tambos) utilisées lors de retraites (diètes), ainsi qu’une maloca à l’intérieur de laquelle sont réalisés des rituels d’ayahuasca.

4 Depuis sa création, l’institution a développé un dispositif à visée thérapeutique caractérisé par la réappropriation d’éléments de la pharmacopée indigène, tels que les plantes émétiques ou l’ayahuasca (Dupuis 2017a). Une équipe de médecins, de psychologues et de spécialistes rituels propose un accompagnement psychologique, un suivi médical, ainsi que des pratiques ritualisées d’inspiration amazonienne, articulant des éléments pragmatiques et discursifs issus du chamanisme indigène et métis de la région, du catholicisme et de nouvelles formes de religiosité occidentales (« New Age »). Ces services sont offerts selon trois modalités : un traitement des addictions – qui implique un internement de neuf mois –, un traitement ambulatoire et des stages à destination de la clientèle étrangère appelés « séminaires d’évolution personnelle ».

5 Jacques Mabit est aujourd’hui le principal détenteur de l’autorité à Takiwasi : il est en effet, avec son épouse, le dernier de ses membres fondateurs à encore occuper des responsabilités au sein de l’institution, les autres ayant quitté les lieux suite à des différends personnels. Il est depuis lors porteur de l’autorité rituelle, et toutes les décisions importantes concernant les activités de l’institution sont soumises à son accord. Hormis les curanderos métis et indigènes recrutés ponctuellement par

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l’institution, plusieurs personnes officient régulièrement au cours des rituels5. Le statut de « spécialiste rituel », implique ici la maîtrise de certaines actions spécifiques (chants rituels, sopladas6) et le monopole de leur usage. Médecin de nationalité péruvienne et épouse de Jacques Mabit, Rosa Giove officie régulièrement au sein des rituels d’ayahuasca. Elle a par ailleurs recueilli lors de rêves et de « diètes » de nombreux chants qui sont utilisés par l’ensemble des spécialistes rituels. Originaire de la ville d’Iquitos et âgé d’une quarantaine d’années, Jaime Torrès est le directeur de Takiwasi. Initialement employé en qualité de psychologue clinicien, il a été formé durant ces dix dernières années par le médecin français et les curanderos locaux employés par l’institution. Outre ses fonctions administratives, il dirige désormais les rituels de purge hebdomadaires et officie au cours de la plupart des rituels d’ayahuasca. Fabienne Bâcle, psychothérapeute française d’une soixantaine d’années, dispose également de ce statut, et assiste notamment Jacques Mabit au cours des séminaires. Plus récemment, un prêtre, détaché par l’évêché à la demande de Takiwasi, a rejoint l’équipe : il assure des services de direction spirituelle ainsi qu’une messe hebdomadaire dans la chapelle de Takiwasi, et participe régulièrement aux pratiques rituelles de l’institution.

6 Si Takiwasi est l’un des centres chamaniques les plus anciens et les plus célèbres de la région, l’institution se caractérise par un corps de représentations cosmologiques et étiologiques originales qui se distinguent tant de celles propres au curanderismo péruvien que de celles du tourisme chamanique7. L’élément central de cette théorie est le concept d’« infestation ». Emprunté à la théologie catholique, ce concept désigne habituellement un mode d’influence démoniaque plus mineur et plus courant que la possession, caractérisé par la présence d’une entité démoniaque malmenant le sujet en affectant sa santé, sa foi ou ses pensées (Tournyol du Clos 2001). À Takiwasi, l’infestation est pensée comme une relation de type parasitaire entretenue avec un ou plusieurs êtres surnaturels malveillants de nature démoniaque. Cette affection, décrite comme à l’origine de troubles physiques et de perturbations psychologiques, serait la conséquence de la transgression de tabous (consommation de drogue, sexualité, pratiques magiques, spiritisme, etc.), de contacts avec des lieux ou des personnes pollués, ou encore du fait d’une transmission par le biais de la filiation. Ce mal est ici vu comme nécessitant un traitement spécifique, consistant en la purification du sujet par le biais de l’absorption de préparations émétiques, de l’ayahuasca ainsi que de pratiques proposées par l’Église catholique, telles que l’exorcisme.

7 Cette théorie étiologico-thérapeutique, élaborée par les principaux acteurs de l’institution au cours des vingt dernières années, révèle le recours grandissant au corps doctrinal catholique et à l’institution ecclésiale, qui a profondément influencé la forme et la fonction des pratiques proposées (Dupuis 2017b ; Dupuis et Halloy 2017 ; Dupuis 2018a). Comme nous le verrons, le rituel d’ayahuasca se caractérise ici par le recours à la prière d’exorcisme, au crucifix, à l’eau bénite ainsi que par la mobilisation des principales figures du panthéon catholique. Takiwasi offre en ce sens un exemple tout à fait singulier des recompositions contemporaines des pratiques labélisées « chamaniques » centrées sur l’usage de l’ayahuasca en Amazonie (Lozonczy et Mesturini Cappo 2013 ; Labate 2011 ; Labate et Cavnar 2014).

8 Pour originale qu’elle soit, la théorie étiologique locale rencontre un important succès auprès des clients de passage, qui se découvrent souvent au cours de leur séjour comme contaminés, influencés et habités par des forces malveillantes. La présence de ces agents habituellement invisibles se manifeste de manière privilégiée au cours des

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rituels d’ayahuasca, qui sont le théâtre d’expériences décrites par les impétrants comme le fait d’une « possession ». L’observation du parcours des participants suggère à cet égard que la durée de l’exposition aux pratiques proposées joue un rôle central dans l’émergence de ces motifs. La transmission des savoirs locaux semble en ce sens moins reposer sur des contenus propositionnels aux propriétés remarquables – telle qu’elle a par exemple été pensée dans le cadre de l’épidémiologie culturelle (Sperber 1996 ; Boyer 2001) – qu’en un apprentissage conduisant ceux qui s’y prêtent à faire l’expérience concrète et tangible de la présence des entités surnaturelles postulées par ces savoirs. Cet article se donne pour objectif d’éclairer les ressorts et les implications de cet apprentissage, à la fois en termes de modification symbolique de l’identité et de constitution des collectifs. Si les anthropologues s’accordent généralement pour aborder la possession comme le fait d’un apprentissage social, ce n’est en effet que très récemment (Halloy et Naumescu 2012) que ces derniers se sont intéressés aux modalités concrètes de cet apprentissage8. L’observation ethnographique invite à cet égard à écarter une approche strictement « représentationnelle » qui tendrait à réduire l’apprentissage de la possession à de seules opérations mentales et propositionnelles pensées sur le mode d’un jeu d’inférences automatiques (Cohen 2007, 2008)9.

9 Adoptant une approche anthropologique relationnelle et pragmatique enracinée dans les théories de l’interaction (Houseman et Severi 1994), je concentrerai donc mon attention sur les contextes communicationnels et interactionnels dans lesquels s’inscrivent les impétrants au cours de leur séjour à Takiwasi. Les « séminaires » constitueront ici mon unité d’analyse. Ils ramassent en effet sur une durée de deux semaines l’ensemble des éléments du dispositif proposé par l’institution, et permettent en ce sens d’en observer les effets de manière particulièrement lisible.

10 J’accorderai en outre une attention particulière au rituel d’ayahuasca, qui semble jouer ici un rôle moteur dans la transmission des savoirs. L’apprentissage de la possession à Takiwasi a en effet ceci de singulier qu’il semble suspendu à l’usage ritualisé d’un breuvage psychotrope traditionnellement utilisé dans les chamanismes d’Amazonie occidentale : l’ayahuasca. L’inscription d’éléments caractéristiques de la cure chamanique dans un dispositif accordant une place centrale au motif de la possession surprendra sans nul doute le lecteur. En dessinant les contours du motif de l’infestation, cet article interrogera ainsi les frontières entre ces catégories que l’anthropologie a souvent pensées comme mutuellement exclusives (Lewis 1971 ; de Heusch 1971 ; Rouget 1990).

Les séminaires

11 Rassemblant une quinzaine de personnes pour une durée de deux semaines, les séminaires consistent en des sessions d’ingestion de plantes émétiques, des rituels d’ayahuasca et une retraite de quelques jours dans la jungle impliquant la consommation d’autres préparations végétales (diète). Ces activités, accompagnées de conférences introductives, de groupes de paroles et d’entretiens individuels, impliquent le respect de diverses prohibitions alimentaires (porc, condiments piquants, alcool), relationnelles et sexuelles.

12 Les participants de ces stages, hommes et femmes d’un âge fluctuant entre vingt et soixante ans, proviennent majoritairement des classes moyennes et supérieures des

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milieux urbains d’Europe francophone et d’Amérique latine. Ils rapportent le plus souvent un parcours marqué par le cumul et la répétition de différents registres de l’infortune (décès, douleurs ou pathologies chroniques, accidents, difficultés scolaires ou professionnelles, « perte de sens »), dont la résolution est présentée comme le principal motif de leur venue. La résistance de ces difficultés aux traitements proposés par la médecine et les formes de psychothérapie dominantes (psychanalyse, comportementalisme, etc.) a le plus souvent initié un parcours d’expérimentation de thérapies alternatives10 dont le séjour en Amazonie est une étape. La venue à Takiwasi s’inscrit également dans une forme de religiosité caractéristique de la modernité occidentale, reposant sur l’accumulation d’« expériences spirituelles » empruntées à divers horizons culturels ainsi que sur une pratique modulable, individuelle et irrégulière (Hervieu-Léger 1999).

13 Violaine11 est une jeune fille âgée de 19 ans, originaire de la région parisienne où elle étudie les langues étrangères. Elle se rend au Pérou afin de « trouver une solution à ses problèmes ». Souffrant depuis son adolescence de troubles alimentaires qui la font alterner entre des phases d’anorexie et de boulimie, elle a suivi plusieurs traitements médicaux et a subi une hospitalisation. Les traitements psychiatriques (antidépresseurs, anxiolytiques) ainsi que les psychothérapies suivies ces dernières années ne semblent pas avoir eu raison de ses troubles, qui ont toutefois diminué jusqu’à devenir « plus ou moins tolérables ». Elle rapporte aujourd’hui des difficultés à mener « une vie normale », à suivre une scolarité émaillée d’absences induites par les troubles alimentaires et se dit être « à la recherche d’un sens à sa vie ». La jeune fille a connu Takiwasi par le biais d’un documentaire et rapporte avoir été attirée par le « sérieux » de l’institution. Déçue par les thérapies expérimentées précédemment et inquiète de la persistance de ses troubles, elle participe au séminaire en vue d’« essayer autre chose » et présente son séjour en Amazonie comme « la thérapie de la dernière chance ».

Le rituel d’ayahuasca

14 Le premier rituel d’ayahuasca a lieu le troisième jour du séminaire, alors que le groupe a déjà participé à un rituel de purge et à plusieurs conférences. Lors de ces dernières, Jacques Mabit a présenté le programme du stage ainsi que certains éléments de sa théorie étiologique, évoquant notamment la contamination par des agents pathogènes invisibles de nature « spirituelle ». L’ingestion de l’ayahuasca a ainsi été présentée comme à même de purifier le participant et de le conduire à la rencontre du « monde spirituel » et des entités qui le peuplent. Le maître de cérémonie a alors souligné que « l’ayahuasca ne crée rien mais montre ce dont on est porteur ». Les participants sont ainsi invités à aborder l’expérience rituelle à la manière d’une épreuve projective à même de manifester sur un mode métaphorique les tendances et les dispositions qui gouvernent leur comportement quotidien12.

15 Peu après la tombée de la nuit, le groupe rejoint la maloca, au sein de laquelle une quinzaine de coussins ont été disposés en demi-cercle. Après s’être plongés dans un bain de plantes aux vertus décrites par les officiants comme purificatrices et protectrices, chacun prend place autour des spécialistes rituels. Ceux-ci s’assoient sous des icônes représentant le Christ, la Vierge et saint Michel, leurs outils rituels (mesa) déposés devant eux. Le rituel est précédé d’un rappel des règles qui le régissent, telles

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que les prescriptions portant sur la position corporelle : il convient d’être assis, de maintenir le dos droit, de ne pas s’allonger et de ne pas dormir afin de « faire face à ce qui surgit ». Les membres de l’assemblée doivent s’abstenir de faire du bruit, de parler, de chanter, d’interagir avec un voisin, de le toucher ou de lui parler. De subtils éléments pathogènes ont en effet été présentés peu avant comme susceptibles d’être transmis par le toucher ou par les sons : il convient par conséquent d’être concentré sur soi-même et de limiter ses gestes. Les membres de l’assistance sont invités à « formuler une intention » avant de boire l’ayahuasca, mais à ne pas se focaliser sur cette dernière au cours du rituel. En cas de difficulté, ils sont autorisés à faire appel aux officiants. Des seaux sont à leur disposition s’ils ressentent le besoin de vomir, forcer le vomissement n’étant pas recommandé. En cas d’urgence, il est possible de se rendre aux toilettes, situées à l’extérieur de la maloca, sous réserve de le signaler et d’attendre qu’un « nettoyage » (sopladas de parfums ou de tabac) soit réalisé par un officiant avant de réintégrer l’espace rituel (Figure 1). Ces règles sont de mise jusqu’à ce que l’un des officiants rallume la lumière, geste qui signera quelques heures plus tard le terme du rituel.

Fig. 1 – Configuration de l’espace du rituel d’ayahuasca.

16 Après ces quelques mots, l’un des officiants s’empare d’un encensoir dans lequel brûle du palo santo13, sort de la maloca pour en faire le tour, revient en son sein puis s’arrête devant chaque participant, qu’il invite à s’envelopper de l’épaisse fumée, décrite peu avant comme purificatrice et protectrice. Le maître de cérémonie effectue ensuite quelques gestes afin de matérialiser les limites de l’espace occupé par les membres de l’assemblée, en usant d’eau bénite et de sel, qu’il répand derrière et entre eux. Ces actions, présentées au cours de la conférence introductive comme délimitant un « cercle rituel » à même de protéger les participants d’interactions négatives, impliquent dès lors le respect des règles concernant leurs entrées et leurs sorties.

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L’officiant entonne ensuite plusieurs chants (icaros) et souffle de la fumée de tabac (mapacho14) sur ses outils rituels, dont la bouteille contenant l’ayahuasca. Chacun est alors convié, l’un après l’autre, à venir boire un verre du breuvage. On éteint ensuite la lumière. Plusieurs chants s’élèvent, récités tour à tour par les divers officiants, tandis que l’un d’eux passe auprès des participants, soufflant de la fumée de tabac (soplada) sur le plexus, la fontanelle et les mains de chacun d’entre eux. Suivent la récitation d’une prière d’exorcisme en français (« Le petit exorcisme de Léon XIII »), d’autres chants, ainsi qu’une seconde série de sopladas, réalisées cette fois à l’aide d’agua florida15. Les chants des officiants, récités en espagnol, en quechua et en français, se succèdent ensuite jusqu’à ce que six à huit heures plus tard les effets du breuvage se dissipent.

Le groupe de parole « post-ayahuasca » : diagnostic d’infestation et transmission des critères de discernement spirituel

17 Les participants des séminaires rapportent avec régularité diverses réactions induites par le breuvage telles que nausée, vomissement, diarrhée, étourdissements, troubles du rythme cardiaque, tremblements ou sensations de faiblesse ou de variations de température. Une perception confuse du temps et de l’espace, l’altération de la proprioception ainsi que les troubles dissociatifs sont fréquents, alors que les perceptions et les émotions sont généralement exacerbées. Ils témoignent également de la production d’une riche imagerie mentale – les « visions » qui ont donné sa réputation d’« hallucinogène » à la préparation végétale –, mais également d’hallucinations tactiles (sensations de frôlement, de toucher), olfactives, gustatives et auditives (sons, mélodies, voix). Nombre d’entre eux rapportent en outre la remémoration de scènes du passé, et notamment d’épisodes liés à de fortes saillances émotionnelles, qui se manifestent sous la forme d’hallucinations visuelles très élaborées.

18 L’expérience rituelle, fréquemment génératrice d’angoisse, d’incertitude et d’incompréhension, suscite le plus souvent une demande d’éléments explicatifs invitée à s’assouvir au cours des groupes de parole du lendemain. Ces derniers, appelés séances de « post-ayahuasca », s’étendent sur une durée de quatre à six heures et sont présentés comme une aide à l’interprétation de l’expérience de la veille. En début d’après-midi, le groupe est accueilli par Jacques et Fabienne dans l’auditorium du bâtiment principal de Takiwasi, avant de prendre place sur des chaises disposées en cercle. Le médecin français leur indique la consigne : résumer brièvement et devant tous l’expérience de la veille. Violaine livre ainsi le récit du premier rituel : Je me suis sentie très mal, très déprimée, très triste, j’avais une impression de solitude, j’étais bourrée de doutes, je me sentais abandonnée. […] J’avais froid, je tremblais, je me sentais pleine de mauvaises énergies, et j’avais plein de douleurs du côté droit.

19 À cette narration succède le commentaire de l’officiant, qui l’interroge sur son comportement de la veille : Jacques : « Tu riais beaucoup à la fin de la première partie de la session. Qu’est-ce qui te faisait rire comme ça ? » Violaine : « Je ne me souviens pas pourquoi je riais. J’avais l’impression que la plante jouait avec moi. »

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Jacques : « Et tu pleurais à la fin de la session. Tu sais pourquoi ? » Violaine : « Non, je ne sais pas, je me sentais triste, mais je ne sais pas pourquoi. » Jacques : « Donc tu ris, tu pleures, sans savoir pourquoi… Tu dis que tu riais avec la plante, mais comment tu savais que c’était la plante ? » Violaine : « Je ne sais pas. » Jacques : « Bon, c’est très imprécis tout ça. Ce n’est pas l’ayahuasca. Il y a une présence négative qui est là. Quelque chose agit en toi. Rien ne doit être dans ton corps qui ne t’appartient pas. Il se passe des choses-là, mais que tu ne vois pas. Je te demande “pourquoi tu ris ?”, tu me dis “je ne sais pas”. Tu ne vois pas ce qui se passe. […] Il faut aller voir d’où ça vient, les épisodes de vie qui sont à l’origine de l’infestation. […] »

20 Le maître de cérémonie voit ainsi dans l’incapacité de Violaine d’expliquer ses propres comportements le signe de l’influence d’une « présence négative » dotée d’une intention et d’une agentivité propre. On comprend de cette dernière, présentée plus loin comme « parasite », qu’elle poursuit des intérêts antagonistes de ceux de son hôte et qu’elle est à même de troubler le discernement de la jeune fille sur son propre comportement.

21 Cette séquence illustre une opération diagnostique fréquemment observée à Takiwasi. Lors des groupes de parole, certains aspects de l’expérience du participant sont ainsi interprétés comme le signe de la présence et de l’influence d’entités surnaturelles tantôt bienveillantes (entités du panthéon catholique, esprits de la nature, esprit de l’ayahuasca), tantôt malveillantes (entités parasites de nature démoniaque). Au gré de son commentaire, le maître de cérémonie, qui se positionne de ce fait comme le détenteur d’une compétence dont les participants sont initialement privés, diffuse ainsi les critères de discernement (Figure 2)16 susceptibles de permettre aux membres de l’assemblée d’identifier à leur tour les signes somatiques, émotionnels et cognitifs manifestant la présence et la nature des entités surnaturelles au cours du rituel d’ayahuasca.

Fig. 2 – Critères de discernement des entités surnaturelles.

Agents bienveillants (esprits de la Agents malveillants (entités Agent surnaturel nature, entités du panthéon démoniaques et sorciers) catholique)

Contamination, perturbation, Intentions de l’agent Protection, éducation, purification influence, possession

Serpent, femme sans tête, êtres Formes du démon caractéristiques mixtes (anthropomorphes, Images mentales de l’iconographie catholique, végétaux, reptiliens), entités du vermine, rats, ombres, etc. panthéon catholique

Froid, douleurs, gênes, absence Chaleur, bien-être, parfums Sensations d’effets de l’ayahuasca, odeurs agréables désagréables

Peur, confusion, honte, Dispositions Joie, compassion, gratitude, culpabilité, haine, mépris, colère, émotionnelles admiration dégoût

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Précipitation et confusion, fuite Calme, maintien de la position de l’espace rituel, affaissement Comportements corporelle prescrite (assise), corporel, infraction des règles respect des règles rituelles rituelles, troubles du contrôle moteur

Bienveillance envers les Animosité envers les spécialistes Dispositions relationnelles spécialistes rituels, leurs actions rituels et leurs actions, gêne au et leurs artefacts contact de leurs artefacts

Contenu des prescriptions Conformité aux prescriptions de la Infractions socio-morales et comportementales des morale chrétienne et aux règles infractions des règles rituelles agents surnaturels rituelles

La mise au jour de l’infestation

22 Deux jours plus tard, les membres du groupe se rendent dans la parcelle de forêt jouxtant Tarapoto où se déroulera la diète, une retraite de quelques jours qui débutera le lendemain. À la tombée de la nuit, ils rejoignent la maloca afin de participer au second rituel d’ayahuaca17.

23 Peu de temps après l’ingestion du breuvage, Violaine s’agite bruyamment. Ses gémissements ne tardent pas à attirer l’attention des spécialistes rituels, qui répliquent par plusieurs invitations au silence, énoncées à voix haute. Leurs injonctions restant sans effet, ils s’approchent d’elle pour initier des actions (impositions des mains accompagnées de récitation d’une prière d’exorcisme, sopladas de tabac et de parfums, application d’eau et d’huile bénites) qui suscitent de vives réactions d’opposition de la part de la jeune fille. Les officiants s’attachent alors à la contenir et tentent de recouvrir ses cris de leurs chants et de leurs prières. Après quelques temps, elle s’apaise et redevient silencieuse.

24 Au retour de la diète, la jeune fille me confie avoir assisté à cette scène à la manière d’une spectatrice impuissante, et voit dans son expérience le signe d’une « possession » : J’ai commencé par sentir qu’il y avait des trucs dans mon ventre, dans l’estomac, qui bougeaient. Ils faisaient des mouvements tout seuls, comme s’ils étaient gênés par l’ayahuasca et les chants des guérisseurs qui cherchaient à les faire partir, mais ils voulaient pas. Je sentais qu’ils étaient liés à la dépression et je les sentais dans le ventre. Alors je me suis dit que c’était pour ça la boulimie, parce qu’ils étaient dans le ventre. […] J’ai commencé à ne plus pouvoir me contrôler et à faire du bruit, et là Jacques est venu vers moi. Il a posé ses mains sur ma tête et m’a soufflé de l’eau bénite. C’était très douloureux, je criais « Pas sur moi ! », alors que je savais même pas ce que c’était […]. Et là j’ai vraiment perdu le contrôle de mon corps. C’est comme s’ils étaient montés du ventre vers la tête pour prendre le contrôle. Je me suis fait chasser de mon corps. Je ne pouvais rien faire, je me voyais de l’extérieur m’agiter, pousser Jacques, grogner. À un moment, je me voyais avec une queue de diablotin et avec le visage de la fille de L’Exorciste. Des fois, je revenais dans mon corps mais je me faisais expulser, je repartais, j’essayais de revenir dans mon corps, mais ils ne me laissaient pas. J’y arrivais un peu, pas longtemps. Je demandais de l’aide, je criais : « J’suis possédée, aidez-moi ! », mais je me faisais à nouveau chasser. J’ai fini par vomir ce qui était dans le ventre et j’ai entendu l’ayahuasca me

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dire que maintenant, ma vie allait changer. Petit à petit, je suis revenue dans mon corps, ça s’est calmé, mais ça a pris du temps.

25 Au cours de notre échange, Violaine témoigne de sa surprise face à cette expérience, qu’elle me présente comme la vérification du diagnostic proposé par les officiants, et ne tarde pas à rechercher l’origine de cette possession, qu’elle impute bientôt à sa pratique du spiritisme. Les conversations au retour de la diète manifestent par ailleurs la diffusion du motif de l’infestation au sein de l’ensemble du groupe. Adrien, un jeune français, rapporte avoir pour sa part expulsé au cours du dernier rituel des « esprits » qu’il pense avoir contractés à l’occasion d’une prise de champignons psilocybes quelques années plus tôt. Il décrit cette séquence comme un « enseignement » de l’ayahuasca et d’« esprits animaux » perçus par le biais d’hallucinations visuelles : Il y a des esprits qui sont sortis. Des visages que j’avais vus dans un bout de bois en prenant des champignons […]. J’avais pas fait gaffe que c’était rentré en fait. Ça m’avait même amusé les têtes que je voyais dans le bois. Mais là c’est sorti et je me suis rendu compte que c’était pas bon. […] J’ai revu le même bout de bois avec une tête dedans, donc j’ai vu que je l’avais chopé en prenant les champignons. J’ai vu ça en vision et je l’ai vomi, enfin j’ai vomi de l’air, je rotais, je soufflais. […] J’ai eu aussi l’information qu’il ne fallait pas faire n’importe quoi avec les plantes (psychotropes) […] Et ça, c’est les serpents, enfin c’est l’ayahuasca et tous les esprits animaux qui sont passés, qui sont rentrés qui m’ont enseigné ça.

26 Un autre participant me confie quant à lui avoir perçu la présence de « mauvais esprits » par le biais de « visions démoniaques ». Au cours du rituel, il les découvre habitant son corps et entretenant avec lui une relation parasitaire (« c’est comme si ça voulait se nourrir de toi, comme si ça voulait pénétrer en toi, enfin c’est en toi »). Le jeune homme rapporte également un dialogue avec l’ayahuasca, qui lui apparaît comme une présence pédagogue lui indiquant l’origine de cette contamination : son étude de l’alchimie et des philosophies hermétiques, dont il découvre alors le caractère « dangereux ». La plante […] m’a dit : « Tu sais, tous les trucs spirituels que tu as fait, […] tu ne peux pas te lancer là-dedans comme ça. Et je vais te montrer tout ce que tu as accroché, tout ce que tu as amené avec toi ». Et là, j’ai vu des démons, des symboles sataniques ou des choses comme ça. J’avais l’indication que c’était des choses […] qui étaient en moi.

27 Présence d’entités parasites, expérience de possession, découverte de la nature contaminante de certaines pratiques, rencontre d’entités pédagogues et protectrices : au retour de la diète, les séquences rapportées par les membres du groupe font preuve d’une adéquation frappante avec les savoirs exposés par les spécialistes rituels à l’occasion des interactions discursives qui précèdent.

L’apprentissage du discernement

28 Ces récits soulignent les effets dissociatifs induits par le breuvage psychotrope, qui impliquent notamment des troubles du sens de l’agentivité (Gallagher 2000)18. L’ingestion de l’ayahuasca conduit ainsi les participants à interpréter leurs propres perceptions et états mentaux comme des indices de présence et des actes de communications d’agents externes.

29 Comme l’illustrent les témoignages qui précèdent, les hallucinations auditives sont de ce fait perçues comme des « voix » imputées aux êtres perçus par le biais

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d’hallucinations visuelles, assimilées quant à elles au signe d’une présence « montrant des images ». Si l’ampleur de ces effets est variable, le contexte rituel – qui exige silence et immobilité dans un espace obscur pendant de longues heures, sans toutefois autoriser le sommeil – invite les participants à accorder une grande attention aux effets induits par le breuvage et par là aux agents dont la présence semble se manifester.

30 Si l’identité de ces agents est le plus souvent indéterminée et variable dans les premières expériences, elle s’homogénéise progressivement pour tendre vers une correspondance aux entités surnaturelles postulées par le groupe social. Les groupes de parole semblent jouer un rôle moteur dans ce qui apparaît ici comme un apprentissage. C’est en effet par la mobilisation des critères de discernement transmis par les officiants que les participants disent reconnaitre peu à peu l’identité de ces présences habituellement invisibles.

31 Dans les récits qu’ils font de leurs expériences rituelles, les participants opposent en effet le plus souvent leurs perceptions et états mentaux conformément à ces critères, pour les imputer de manière duelle à des entités surnaturelles aux intentions antagonistes. Les hallucinations visuelles ou auditives accompagnées d’une sensation de soulagement, de joie et d’apaisement sont par exemple imputées à des entités bienveillantes – telles que l’esprit de l’ayahuasca ou les esprits animaux – les aidant à lutter contre des entités malveillantes – qualifiées de « parasites ».

32 Rappelons que durant le groupe de parole, les spécialistes rituels incitent les membres de l’auditoire à considérer certains aspects de leur expérience comme des indications à même d’éclairer la nature des entités avec lesquelles ils sont en relation. Ces invitations sont fort susceptibles d’induire au cours des expériences rituelles suivantes des effets d’attente et de réflexivité ainsi qu’une augmentation et une orientation de l’attention. Outre cette « éducation de l’attention » (Ingold 2001), les échanges avec les officiants semblent avoir pour conséquence une transformation progressive des procédures de catégorisation des perceptions et des états mentaux, ces derniers étant dès lors susceptibles d’être interprétés par les impétrants comme les signes de la présence, de l’agentivité et de la nature d’une entité surnaturelle.

33 Comme l’illustre le récit livré par Adrien, les effets du breuvage psychotrope sont de ce fait fréquemment interprétés à l’aune des savoirs locaux. La perception de visages au cours de l’expérience rituelle semble ainsi démontrer au jeune homme la présence d’agents surnaturels, alors que les réactions physiologiques d’expulsion qui l’accompagnent signent à ses yeux une opération de purification, attestant d’un état de contamination préalable. Ce témoignage souligne de manière particulièrement saillante l’inscription progressive de l’expérience des participants dans les schèmes organisateurs proposés par le groupe social. Le diagnostic d’infestation révèle de ce fait son caractère performatif, rappelant les mots de Georges Lapassade (1990, p. 41) selon lequel « la signification culturelle attribuée à la transe […] n’est pas seulement un constat : cette interprétation agit sur l’évènement et le structure ». Les discours des spécialistes rituels, en diffusant les motifs au prisme desquels les participants sont invités à symboliser leur expérience, contribuent ainsi à produire l’évènement qu’ils décrivent. En articulant l’expérience rituelle aux critères normatifs diffusés à l’occasion des conférences et des groupes de parole, le dispositif proposé conduit ainsi les impétrants à expérimenter corporellement les savoirs locaux (Csordas 1993 ; Halloy 2015), garantissant de ce fait la « vérification expérientielle » (Dupuis 2016) de ces derniers19.

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Le spectacle rituel

34 L’implication dans les interactions rituelles semble en outre jouer un rôle moteur dans cet apprentissage. Les actions entourant les préparations végétales ainsi que les chants rituels – composés de longues invocations à des entités invisibles – constituent en effet autant de notifications de présence d’entités invisibles. Les règles conditionnant l’élaboration de l’espace rituel ainsi que celles liées au franchissement des frontières qu’elles tracent postulent quant à elles la circulation d’agents invisibles – présentée sur le mode d’une contamination pathogène – au sein des espaces édifiés (espace rituel, corps des participants). La nature et les intentions de ces agents ne tarderont d’ailleurs pas à être explicitées par la récitation de la prière d’exorcisme. Notons à cet égard que l’officiant récite cette prière à une vitesse qui rend son discours difficilement audible : le maître de cérémonie semble en ce sens s’adresser non pas à l’assemblée, mais à des êtres invisibles dont la présence est de ce fait postulée. Sans être à même de les percevoir distinctement, l’auditoire est en ce sens invité à supposer la présence d’êtres invisibles avec lesquels les officiants semblent être en relation.

35 Rappelons à cet égard que le rituel d’ayahuasca se tient presque exclusivement dans l’obscurité. Les sons constituant la principale source d’information, ils contribuent significativement à la structuration de l’expérience. Alors que l’obscurité rend difficile l’identification de leur provenance, les nombreuses onomatopées qui parsèment les chants rituels (évoquant les sons émis par la faune environnante), ou les bruits induits par les sopladas (matérialisant la circulation d’un contenu mystérieux), sont à même de susciter des effets de dédoublement, de brouillage perceptif ou d’induction de mouvement et de présence. L’économie acoustique rituelle tisse ainsi un « masque sonore » (Gutierrez-Choquevilca 2011) susceptible de faire de l’énonciateur une figure plurielle. Le dispositif rituel apparaît en ce sens comme un véritable « piège à projeter » (Dupuis 2018b) invitant les participants à percevoir de manière plus ou moins confuse les entités surnaturelles dont la présence et la nature ont été notifiées peu avant.

36 Certains participants20 rapportent par ailleurs une incapacité à contrôler certains de leurs gestes ou paroles. Si ces mouvements involontaires sont le plus souvent mineurs (tremblements, rictus, etc.), ils prennent parfois des formes spectaculaires. Comme en témoigne l’expérience de Violaine, ils peuvent de ce fait conduire les personnes affectées à enfreindre les règles rituelles qui exigent silence et immobilité. Le contexte rituel apparait en ce sens comme tissé d’injonctions qu’il rend précisément très difficile à respecter : l’impétrant doit en effet rester silencieux, immobile, assis le dos droit durant six à huit heures alors qu’il est traversé par de puissants effets psychotropes, induisant d’importants troubles du contrôle moteur.

37 Alors que l’on enjoint l’assemblée à garder le silence, le rituel apparaît en fait comme une sorte de cacophonie. C’est que l’émission de certains sons (soupirs, bâillements, râles, éructations, vomissements) est en fait permise. D’abord parce qu’ils sont difficiles à contrôler, ensuite parce qu’ils signent en quelque sorte l’acte de soin et l’efficacité du rituel. C’est donc surtout l’expression de la parole qui est ici interdite. Cette dernière est en effet réservée aux temps précédant et suivant immédiatement le rituel, qui sont le plus souvent l’occasion d’échanges verbaux entre les participants et avec les officiants. Si le corps est autorisé à s’exprimer, l’expression de la parole, qui signe la

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présence d’un énonciateur identifiable, conscient et doté d’une intentionnalité, est donc interdite au cours du temps rituel.

38 Les cris et gémissements de Violaine deviennent alors tout à fait significatifs. Ils sont en effet ici fort susceptibles d’être interprétés comme la manifestation incontrôlable d’une présence contradictoire logée en son sein, la conduisant à transgresser les règles qu’elle avait publiquement acceptées peu avant. Notons à cet égard que les officiants laissent dans un premier temps la jeune fille s’exprimer avant de l’encourager à se taire, là où ils pourraient par exemple les recouvrir immédiatement par des chants. Le fait de laisser ces cris, ricanements, grognements ou bribes de phrases – des mots épars ou répétés que l’on ne comprend que partiellement de l’extérieur – se produire, puis d’enjoindre à voix haute la jeune fille de se taire – le plus souvent sans succès –, invite ainsi le groupe à orienter son attention sur l’énonciatrice et à la percevoir comme plurielle ou mue par un tiers invisible. Quant à la participante concernée – dont il convient de souligner que les troubles qui l’affectent ne s’accompagnent pas de perte de conscience –, le spectacle de ces actions involontaires la conduit à se percevoir comme agie par un agent externe.

39 Ces infractions rituelles induisent enfin une prise en charge qui n’est pas sans conséquences sur la perception de la scène par la jeune fille et l’ensemble du groupe. Les actions de contention des officiants (prières, sopladas) sont en effet pour partie celles mobilisées afin de créer l’espace rituel. Ces dernières, décrites au cours de la conférence introductive comme conditionnant l’édification d’un espace purifié et protégé, sont en ce sens fort susceptibles d’être lues comme comblant un besoin commun de protection et de purification. Notons enfin que les actions répondant aux troubles du contrôle moteur sont presque exclusivement appliquées sur la peau des membres de l’assemblée (soplada, imposition des mains, passage de la shacapa), alors que les propriétés des substances utilisées (fumée de tabac, parfums liquides) ont pour effet de matérialiser l’enveloppement du corps du participant par l’officiant. En soulignant les frontières corporelles, les actions de contentions des officiants attirent l’attention de l’assemblée sur les limites ébranlées par les « entités parasites ». La récitation – en français – de la prière d’exorcisme invitera encore plus explicitement les membres du groupe à penser que ces entités démoniaques – que seul le spécialiste rituel semble être à même de percevoir distinctement – sont présentes et luttent pour se faire entendre.

40 De la perception de cette lutte intérieure à la représentation d’une lutte spirituelle (l’exorcisme), le pas est franchi d’autant plus aisément que la jeune fille balance entre appels à l’aide et opposition plus ou moins vigoureuse aux attentions des officiants. Or, c’est semble-t-il l’expérience de ces dispositions contradictoires qui invite Violaine à se percevoir comme habitée par un agent malveillant. À la demande contradictoire de la participante répond ainsi le comportement tout aussi paradoxal des officiants, qui l’aident en s’opposant à elle. Comme l’illustre cet extrait du journal de terrain de l’auteur, le caractère paradoxal de cette scène invite les spectateurs à y voir la manifestation d’une concurrence de volontés antagonistes entre la personne sociale et une altérité logée en son sein : Violaine gémit depuis un moment. Après l’avoir invitée à se taire à plusieurs reprises, Jacques se dirige vers elle et lui impose les mains. Il semble prier intérieurement. Elle se met à gémir de douleur, en suppliant que ça s’arrête. Et là, ça explose : elle se met à hurler, à grogner et à produire à toute vitesse des bruits d’animaux dont la qualité d’interprétation et la variété ne manquent pas de me

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surprendre. Elle tape des pieds à toute vitesse, essaye de repousser Jacques et poursuit ses bruits d’animaux qui sont maintenant entrecoupés de « J’suis possédée, aidez-moi ! » formulés avec sa voix habituelle, qui tranche avec les grognements de buffle qui entourent ces quelques mots. […] Difficile de ne pas penser à L’Exorciste. Les assistants rituels se joignent à Jacques afin de la contenir, alors qu’il commence à réciter à toute vitesse sa prière d’exorcisme. Elle continue à déverser, en tirant la langue, ces horribles bruits d’animaux qui me semblent totalement étrangers à la jeune fille que j’ai rencontrée il y a quelques jours. Jacques lui souffle de l’eau bénite sur le visage et, là encore, comme dans les films, elle crie « Non, non, pas sur moi, pas sur moi ». Il repart et la laisse semble-t-il calmée21.

41 Infractions des règles rituelles, actes de contentions, appels à l’aide et opposition plus ou moins spectaculaire aux attentions des officiants structurent ainsi la représentation que se fait l’assemblée des relations entre les différents agents.

42 Comme en témoigne ce récit d’un participant recueilli au lendemain du rituel, des dynamiques projectives et empathiques semblent de plus régler les relations qu’entretiennent les membres de l’assemblée, déterminant ainsi la représentation qu’ils se font de leur propre expérience : Je me suis senti très mal pour Violaine. Quand je l’ai entendue, j’ai senti la douleur que j’avais eue pendant la première session. Et j’ai repensé au fait que j’avais transgressé les règles du séminaire, en fumant trois cigarettes blondes.

43 La perception d’une altérité interne, partagée par tous à divers degrés en raison des effets dissociatifs du breuvage, est comme on le voit ici mise en relation avec la perception d’une altérité en l’autre, manifestée par les séquences de troubles du contrôle moteur. Les implications du parallélisme entre les limites de l’espace rituel et les frontières corporelles qui règle les actions inaugurales du rituel semblent dès lors s’éclairer. La scène jouée au sein de la maloca constitue en effet le modèle privilégié au moyen duquel les membres de l’assemblée sont invités à se représenter leur propre théâtre intérieur, lui-même marqué par des expériences perçues comme le fait d’une agentivité externe. Le rituel d’ayahuasca apparaît en ce sens comme une mise en scène performative engendrant une communauté d’expériences au sein de laquelle l’interprétation de l’expérience individuelle s’élabore en relation avec ce que chacun, individuellement et collectivement, reflète de soi.

44 Par la production d’intentions et d’interactions contradictoires mettant en scène l’identité des participants sur un mode paradoxal, le dispositif rituel tisse ainsi un cadre interactionnel contre-intuitif (Severi 2004) qui joue un rôle moteur dans la transmission du motif de l’infestation. Comme on l’a vu, la perception d’une altérité envahissant certains membres de l’assemblée – s’opposant à la fois au bon déroulement du rituel, aux actions des officiants et à la volonté de la personne – est en effet fort susceptible d’émerger de ce déroutant spectacle.

Le pouvoir heuristique de l’expérience rituelle

45 Le groupe de parole suivant a lieu quatre jours plus tard, au retour de la diète, dans l’auditorium de Takiwasi. Comme en témoigne le récit de Violaine, nombre de participants interpréteront le spectacle rituel par la mobilisation du « savoir social implicite » (Taussig 1987) lié au motif de la « possession démoniaque », tel qu’il est véhiculé par la culture populaire22 de leurs sociétés d’appartenance :

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Ça a été un cauchemar […] je ne savais plus comment je m’appelais. Je ne savais plus qui j’étais. J’étais… possédée […]. Comme dominée par des forces mauvaises. Des fois je revenais dans mon corps, mais je me faisais expulser. Je repartais, j’essayais de revenir… […]. C’était vraiment un cauchemar. […] À la fin j’ai eu des indications […].

46 Le maître de cérémonie propose alors à la jeune fille d’articuler l’expérience rituelle à son histoire et sa vie quotidienne, suggérant que certains de ses comportements pourraient se voir de ce fait éclairés d’un jour nouveau : Tu as pu faire des liens entre ton présent et ton histoire personnelle ? […] Il y a tout un chemin à faire, comprendre d’où ça vient, comment ça fonctionne […]. Dans ta vie quotidienne, c’est la même chose que dans la session d’ayahuasca, sauf qu’il n’y a pas la conscience. Il y a des choses que tu fais dans ta vie, parce qu’il y a des choses que tu n’arrives pas à contrôler. Ce sont ces choses qui dominent, de temps en temps, qui prennent le pas sur ta volonté, et qui t’amènent à faire que tu te drogues, que tu as des accès de boulimie, ce genre de choses que tu n’arrives pas à contrôler.

47 L’expérience rituelle est ainsi présentée comme une métaphore susceptible d’éclairer, sur un mode analogique (Descola 2005 ; Hofstadter et Sanders 2013), le parcours de vie des individus. Comme l’illustre la réponse de Violaine, la fonction heuristique du motif de l’infestation s’étend de ce fait au-delà de la stricte interprétation de l’expérience rituelle : C’est vrai que ça m’était déjà venu à l’esprit avec la boulimie je comprenais pas, c’est comme si je faisais des choses que je voulais pas faire. À un moment donné, je me disais « c’est pas moi ça, il faut que je me libère de quelque chose ». Alors après oui, y’a les psy’ qui t’expliquent que papa, maman, ceci, cela. D’accord, mais je savais qu’il y avait quelque chose à l’intérieur qui me dominait.

48 L’expérience rituelle devient comme on le voit un patron à partir duquel il devient possible d’identifier l’influence quotidienne d’entités restées jusque-là invisibles. Aux mouvements involontaires signant la possession rituelle sont ainsi associées, par analogie, les situations de faiblesse ou de conflit de la volonté (acrasie) s’incarnant dans des comportements addictifs ou compulsifs, qui donnent à voir l’influence quotidienne des « entités parasites » manifestées durant le rituel par le surgissement d’actions incontrôlables.

49 Alors qu’au premier groupe de parole, seul un participant23 évoquait la présence de « démons », huit d’entre eux – sur un groupe de treize – évoqueront au cours du second la perception de démons ou d’« entités parasites ». Plusieurs d’entre eux témoignent à cette occasion d’une attention particulière accordée à la séquence de « possession » qui précède. Le maître de cérémonie ne manque alors pas de faire du témoignage de Violaine un « récit exemplaire » (Favret-Saada 2009) démontrant aux auditeurs l’existence des démons et la nécessité, pour tous, d’une purification des « entités parasites » : Violaine […] ça a eu des échos chez certains. Ça nous renvoie à l’existence de forces spirituelles négatives, de démons ou de mauvais esprits. Des choses auxquelles on n’est pas habitué, qui ne sont pas enseignées dans le monde occidental. C’est une découverte, surtout quand on les voit à l’intérieur. Voilà notre humanité, il faut nettoyer.

50 L’ensemble des participants est ainsi invité à s’approprier le motif de l’infestation, quand bien même ils n’auraient pas vécu d’expériences telles que celles d’Adrien ou Violaine. Comme l’illustre ce témoignage d’un membre du groupe, le spectacle rituel de la possession initie alors bien souvent chez ses spectateurs une enquête visant au

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repérage des signes de la présence d’une entité démoniaque, laquelle mobilisera le savoir acquis par la participation au séminaire : Il s’est passé un truc bizarre, assez hallucinant. Il y a une fille qui a eu une possession. […] Elle m’en a parlé après la session. Et je me suis dit que moi aussi je veux voir le démon et le faire sortir. Je voulais demander à la session d’ayahuasca de me le montrer. Et en fait, juste avant de prendre mon bain dans la rivière, pour me nettoyer avant d’y aller, j’y ai pensé. À ce moment-là, il pleuvait, et il y a une énorme branche qui est tombée à mes pieds, et qui avait une forme de corne, comme un démon. Ça m’a calmé direct.

51 À l’image de nombreux cultes de possession (de Certeau 1970 ; Obeyesekere 1981 ; Seligman 2005, 2014), le dispositif proposé est enfin mobilisé par l’ensemble du groupe comme le support de reconstructions narratives, lesquelles, par le biais de l’incorporation des savoirs locaux, permettent aux individus d’éclairer des éléments de leur histoire ou de leurs comportements qui leurs semblaient jusque-là inexplicables. L’un d’eux affirme ainsi au cours d’une conversation partagée au terme du séminaire : Après tout ça j’ai réfléchi et je crois que moi aussi j’ai quelque chose comme une infestation. Je me suis rendu compte que je suis pris dans le porno depuis tout jeune. […] Plein de fois je voulais arrêter mais j’y arrivais pas, je culpabilisais. Je me rends bien compte qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Parce qu’en fait j’aime pas ça, ça me dégoute, mais j’y reviens toujours, donc…

52 L’expérience rituelle, d’abord difficilement compréhensible, devient ainsi, au prisme des associations analogiques proposées par les officiants, un outil heuristique permettant à l’impétrant d’accéder à une nouvelle intelligence de son histoire et de ses comportements. Les savoirs locaux semblent d’autant plus attractifs qu’ils semblent à même de rendre compte de certaines actions accomplies ou de certaines dispositions psychologiques qu’ils éprouvent dans leur vie quotidienne, sans toutefois pouvoir les expliquer ou avoir une emprise sur elles. Or, c’est fréquemment la répétition de ces dernières, conçues comme le symptôme d’un mal incompréhensible et incontrôlable, qui les conduit, à l’instar de Violaine, à se rendre en Amazonie à la recherche d’un remède.

53 Le diagnostic d’infestation inaugure alors bien souvent l’adoption des pratiques thérapeutiques et prophylactiques proposées par l’institution (usage d’émétiques, prière, exorcisme, messe, etc.), qui visent à libérer l’impétrant des entités parasites et de leur influence pathogène. La découverte de l’influence démoniaque conduira de ce fait certains participants à une (re)conversion au catholicisme et à la pratique religieuse, investie comme un moyen de se protéger des influences démoniaques. Ce motif, régulièrement observé au fil de l’enquête, souligne ainsi la fonction occupée par la figure démoniaque dans la dynamique de l’adhésion, qui n’est pas sans rappeler celle d’« agent double de la conversion » (Mary 1998) qui lui est dévolue dans les cultes pentecôtistes et évangélistes.

Infestation, chamanisme et possession

54 La transmission du motif de l’infestation s’appuie ainsi sur l’induction et la mise en scène rituelle de phénomènes (mouvements involontaires, troubles du sens de l’agentivité, états dissociatifs) traditionnellement associés à ce que l’anthropologie a désigné sous le terme de « transe de possession » (de Heusch 1971 ; Lewis 1971 ; Bourguignon 1973, 1976 ; Rouget 1990 ; Taves 2006 ; Seligman et Kirmayer 2008). Si la

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catégorie locale de l’infestation n’est donc pas sans évoquer la catégorie anthropologique de la possession, elle s’en distingue toutefois par divers aspects. D’abord parce que les états constitutifs de la possession sont ici suscités par l’ingestion d’une substance psychotrope. Contrairement aux possessions électives africaines ou afro-américaines24, cette expérience n’implique en outre pas ici d’amnésie ou de perte de conscience, traits constitutifs de ce que de Heusch (1971) avait désigné sous le terme de « possession authentique ».

55 Les descriptions qui précèdent semblent au contraire indiquer que c’est ici le maintien de la conscience de l’impétrant qui est indispensable à l’émergence de la possession. C’est en effet parce que Violaine est consciente qu’elle peut devenir la spectatrice d’actes qu’elle ne peut contrôler, et par là se découvrir possédée. C’est également parce qu’elle est consciente que peut se manifester sur la scène rituelle la figure paradoxale d’une concurrence de volontés antagonistes, à partir de laquelle la possession sera diagnostiquée par les spécialistes rituels et les autres membres du groupe. C’est également pour cette raison qu’elle sera à même de témoigner publiquement d’avoir « vécu la possession démoniaque ». C’est donc la simultanéité de l’émergence de mouvements involontaires et du maintien des capacités réflexives qui conditionne ici la production et la reconnaissance publique de la possession.

56 Le motif de l’infestation se distingue également des possessions électives par la fonction pédagogique qui lui est ici attribuée. Les expériences dont témoigne le parcours de Violaine, relativement peu fréquentes, semblent en effet jouer un rôle moteur dans l’adoption des savoirs locaux par une majorité du groupe. On retrouve ici le partage proposé par Erika Bourguignon (1973, 1976) entre la croyance en la possession et la « transe de possession », qui s’agencent ici d’une manière tout à fait singulière25. Le parcours de Violaine, manifestant au cours des rituels d’ayahuasca des troubles du contrôle moteur et une expérience de dissociation, évoque en effet directement ce qu’Erika Bourguignon a désigné sous le terme de « transe de possession » : le remplacement de l’identité et de l’agentivité du sujet par un agent doté d’une intentionnalité propre. Le spectacle de ces troubles soutient et renforce, comme on l’a vu, l’adoption de la croyance en la possession, soit la représentation selon laquelle la possession consiste en une sorte de pollution relevant d’un processus évoquant la contamination qui, si elle n’implique pas nécessairement de modification spectaculaire de l’identité, constitue l’origine de la maladie et du malheur. La dimension spectaculaire de l’expérience rituelle, qui appelle sa publication discursive au cours des groupes de parole, n’est en ce sens pas sans rappeler la dynamique du « théâtre de la possession » décrite par Michel de Certeau (1970)26 dans son étude sur l’affaire des démons de Loudun, ainsi que les mécanismes interactionnels de « l’apprentissage social » (Bandura 1977)27.

57 Le motif local de l’infestation, dont nous avons ici dessiné les contours, recouvre ici un continuum de diverses relations surnaturelles : présence – signalée par des perceptions ou des hallucinations auditives et visuelles déterminées –, influence – signée par les cas de faiblesse de la volonté –, et enfin occupation, détectée par des troubles du contrôle moteur. Les conséquences de l’infestation sont en ce sens multiples, l’influence de l’agent surnaturel étant susceptible de se révéler à un niveau moteur, émotionnel ou volitionnel. Ces observations nous éloignent de la possession religieuse de type élective, pour nous rapprocher du modèle de l’influence démoniaque tel qu’il est pensé dans la tradition catholique. Si l’intégration d’éléments du catholicisme populaire est une

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composante ancienne des chamanismes métis d’Amazonie (Taussig 1987 ; Gow 1994 ; Chaumeil 2003), la place centrale accordée ici au motif de la possession démoniaque, les fonctions d’exorcisme attribuées à l’usage de l’ayahuasca, ainsi que l’adossement de ces pratiques à l’institution ecclésiale et à la démonologie catholique sont tout à fait inédits. Les pratiques de Takiwasi, progressivement dévolues à l’exorcisme et à l’évangélisation, rapprochent en ce sens aujourd’hui l’institution des mouvements charismatiques, évangélistes et pentecôtistes qui rencontrent un grand succès en Amérique latine.

58 Ces innovations témoignent des reconfigurations des pratiques rituelles centrées sur l’usage de l’ayahuasca (Baud et Ghasarian 2010 ; Losonczy et Mesturini Cappo 2010, 2011, 2013 ; Langdon et Santana de Rose 2012 ; Langdon 2013 ; Labate et Cavnar 2014), dont Takiwasi offre un exemple tout à fait original. Des éléments discursifs et pragmatiques empruntés au curanderismo péruvien, à la biomédecine, à la psychologie clinique et à un catholicisme d’inspiration charismatique sont ici articulés autour du motif de l’infestation et d’une conception exorcistique de la cure.

59 Le cas de Takiwasi donne ainsi à voir les recompositions contemporaines des pratiques labélisées « chamaniques » centrées sur l’usage de l’ayahuasca en Amazonie, dont le caractère adaptatif et dialogique n’a de cesse de défier les catégories analytiques forgées par l’anthropologie. La discipline est en effet longtemps restée hésitante devant ces phénomènes émergents, qu’elle a le plus souvent tenté de comprendre par opposition aux chamanismes autochtones, les désignant parfois sous le terme de « néochamanisme » (Vazeilles 2003). Plus récemment, ces recompositions ont été analysées comme l’avatar contemporain et mondialisé des échanges interethniques constitutifs du fait chamanique en Amazonie (Losonczy et Mesturini Cappo 2013).

60 Alors que certains continuent à défendre l’utilisation du terme de « chamanisme » à des fins d’analyse comparative28, d’autres considèrent aujourd’hui qu’il convient d’abandonner ce terme rendu progressivement inopérant par l’extension inconsidérée de son usage (Rydving 2011). Il ne saurait donc être question ici de statuer sur la conformité – ou la non-conformité – des pratiques étudiées à un « chamanisme » dont les contours semblent aujourd’hui particulièrement flous et indéfinis. Il suffira de souligner que le terme (émique) « chamanique », ainsi que certaines techniques, substances et logiques relationnelles constitutives de ce qui a été désigné par l’anthropologie comme « chamanisme » servent aujourd’hui de supports privilégiés à d’importantes reconfigurations sociales, pragmatiques et symboliques en Amazonie péruvienne qui sont illustrées de manière particulièrement saillante par le cas de Takiwasi.

Conclusion

61 Au terme de cet article, l’émergence de la possession à Takiwasi apparaît bien comme le fait d’un apprentissage. L’expérience rituelle des participants est en effet progressivement déterminée par le jeu réverbérant des récits d’expériences successifs, qui l’inscrit progressivement dans le jeu de langage propre aux pratiques proposées. Les témoignages qui précèdent ne sauraient toutefois être lus comme le fait de la seule mise en cohérence narrative de l’expérience rituelle. L’implication dans les interactions rituelles et discursives implique en effet une éducation de l’attention et un apprentissage associatif qui transforme progressivement les inférences gouvernant

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l’appréhension de l’expérience. Les participants apprennent de ce fait à repérer les signes de la présence et de l’identité d’entités culturellement postulées d’abord dans le contexte rituel puis dans leur vie quotidienne. Les pratiques proposées conditionnent en ce sens l’élargissement du réseau relationnel du sujet qui prendra désormais en compte diverses entités surnaturelles.

62 Comme on l’a vu, l’expérience rituelle constitue un patron qui préside ensuite à la stabilisation dans des cadres de pensée et d’action des inférences qui président à l’interprétation de l’expérience quotidienne. La participation aux pratiques proposées consacre en ce sens l’instauration d’un « monde » commun (Descola 2014) et d’un collectif dont les membres sont caractérisés par le partage de ces inférences.

63 Cette opération implique par ailleurs une recomposition de la relation que les impétrants entretiennent avec leur propre identité. Ces derniers sont ainsi conduits à se considérer comme des sujets perméables et pluriels, traversés par des êtres à qui ils imputent désormais certaines de leurs perceptions, désirs ou états mentaux. À la manière des rites initiatiques, la participation au dispositif proposé soutient ainsi, par la transmission d’un savoir et d’un savoir-être, un processus de subjectivation assurant la fabrication d’une nouvelle personne désormais inscrite dans un champ social élargi aux non-humains.

64 Les anthropologues se sont attachés de longue date à documenter les théories des composantes de la personne mobilisées dans les diverses sociétés humaines. Les « infrastructures de l’esprit » (Lurhmann 2017) qu’elles mettent en jeu conditionnent l’instauration d’un rapport à l’identité et à l’altérité qui détermine les frontières de la subjectivité29. L’étude des ressorts de l’apprentissage de la possession à Takiwasi aura mis en évidence le caractère hautement plastique de ces frontières. Loin d’être données une fois pour toutes, elles apparaissent ici comme susceptibles d’être continuellement transformées par les interactions sociales.

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TOURNYOL DU CLOS PHLIPPE 2001 Peut-on se libérer des esprits impurs ? Un guide pratique vers la délivrance, Éditions de l’Archistratège, Beyrouth.

VAZEILLES DANIÈLE 2003, « Chamanisme, néo-chamanisme et New Age », in Roberte N. Hamayon (dir.), Chamanismes, Revue Diogène, PUF (Quadrige), Paris, p. 239-280.

NOTES

1. Le terme « ayahuasca » désigne à la fois une liane (Banisteriopsis caapi) et le breuvage dont elle est l’ingrédient principal. Cette boisson aux effets psychotropes et émétiques, utilisée en Amazonie occidentale dans le cadre du chamanisme indigène et métis, est classée sur la liste des stupéfiants en France depuis 2005. 2. Ces migrations temporaires ont récemment fait l’objet de nombreux travaux, qui les ont notamment inscrites dans le cadre de l’évolution des pratiques touristiques : tourisme chamanique (Fotiou 2010 ; Chabloz 2014), ethnomédical (Jervis 2010), mystique, spirituel (Demanget 2001 ; Chabloz 2009 ; Basset 2010 ; Holman 2010) ou encore « narcotourisme » (Dobkin de Rios 2010). Si cette approche a le mérite de montrer la manière dont certains acteurs traitent cet afflux d’étrangers comme une ressource touristique, l’extension relativement indéterminée du concept de tourisme limite d’autant sa portée heuristique. Force est par ailleurs de constater que rares sont les clients qui envisagent ce type de voyage comme un séjour touristique, la plupart d’entre eux investissant ce dernier d’une forte dimension salvatrice. 3. La dénomination générique de curanderismo désigne les pratiques des guérisseurs métis et urbains d’Amazonie péruvienne (curanderos), et recouvre de multiples spécialisations : plantes médicinales, parfums, prière, accoucheuse, etc. (Luna 1986 ; Chaumeil 2003 ; Beyer 2009). 4. Les malocas sont des constructions traditionnelles d’Amazonie, de forme ovale et au toit conique. 5. De nombreux spécialistes rituels se sont ainsi succédé à cette fonction tout au long de l’histoire de l’institution. La participation de ces curanderos de passage au dispositif de Takiwasi leur permet d’accéder à une visibilité internationale, de tisser des relations avec des clients occidentaux, et ainsi d’apprendre à adapter leurs pratiques et leurs discours à cette nouvelle clientèle. C’est ainsi que la plupart des curanderos péruviens employés par l’institution ont fini par la quitter afin d’édifier leur propre « centre chamanique » destiné à la clientèle étrangère et offrant des dispositifs largement inspirés des « séminaires » proposés par Takiwasi, qui a été de fait pionnière en ce domaine. Certains d’entre eux comptent parmi les curanderos d’Amazonie péruvienne

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qui rencontrent aujourd’hui le plus de succès auprès du public occidental (Guillermo Arevalo, Juan Florès Salazar, Don Solon Tello, Luis Culquiton…). 6. La soplada est une technique commune aux pratiques du chamanisme métis péruvien, qui consiste à souffler de la fumée de tabac ou des parfums liquides sur la tête, les mains et le plexus du sujet à des fins de purification et de protection. 7. Religiosité New Age, développement personnel, etc. 8. La plupart des travaux anthropologiques se sont en effet concentrés sur les résultats de cet apprentissage, ou sur de supposés « mécanismes déclencheurs » de la possession tels que la musique (Métraux 1958 ; Rouget 1990) ou l’esthétique rituelle (Rouget 1990 ; Kapferer 1991). 9. Emma Cohen s’est récemment attachée à formuler une approche naturaliste du motif de la possession, appuyée sur l’hypothèse d’une cognition modulaire. Elle distingue ainsi, d’une part, la « possession pathogène », qui mobiliserait des intuitions liées à la notion de contamination et, d’autre part, la « possession exécutive », caractérisée par la mobilisation d’intuitions relatives aux intentions des agents ainsi qu’à l’interaction corps-esprit. Cette proposition, outre qu’elle suscite des interrogations quant à l’universalité supposée des procédés qu’elle implique, a pour défaut de conduire l’auteure à accorder une attention insuffisante aux contextes matériels, sensoriels et interactionnels qui sous-tendent l’émergence de la possession et président à son apprentissage. 10. Parcours qui mobilise fréquemment les pratiques liées à la « psychologie humaniste » élaborées et diffusées aux États-Unis à partir des années 1960 (bioénergie, gestalt-thérapie, thérapie primale, analyse transactionnelle, rebirth, intégration posturale, psychologie transpersonnelle, etc.). 11. Afin de préserver leur anonymat, les prénoms des informateurs ont été modifiés. 12. Ces principes d’interprétation de l’expérience rituelle révèlent l’influence du modèle d’utilisation psychothérapeutique des hallucinogènes inauguré par Grof (1980), qui avait vu dans ces derniers un « catalyseur du psychisme » favorisant les associations verbales, la production d’une imagerie mentale, des processus d’abréaction ou des régressions infantiles. 13. Bois parfumé (Bulnesia sarmientoi) fréquemment utilisé dans les pratiques du curanderismo péruvien. Son usage à Takiwasi a pour fonction de purifier et protéger l’espace rituel. 14. Tabac brun d’une variété locale (Nicotinia rustica). 15. L’agua florida est une eau de Cologne utilisée dans les pratiques du chamanisme métis d’Amérique du sud ainsi qu’en Amérique centrale et dans les Caraïbes à des fins de purification, de soin et de protection. 16. On retrouve ici la question du discernement spirituel, laquelle a fait l’objet dès le Moyen Âge d’une codification élaborée par l’Église catholique (Tournyol du Clos 2001 ; Caciola 2003), dont s’inspirent ici les officiants. 17. Les officiants se livrent alors aux mêmes opérations préparatoires que précédemment. 18. Les substances hallucinogènes sont connues pour leurs effets dissociatifs, rapportés par les usagers d’ayahuasca dans de multiples contextes (Reinburg 1921 ; Shanon 2002). Des perceptions, souvenirs, fonctions organiques, mouvements, idées ou émotions

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cessent d’être reconnues comme siennes par le sujet, et sont en ce sens « dissociées » du reste de la personnalité (Janet 1887). 19. Cet apprentissage évoque ainsi l’acquisition d’une « expertise culturelle », entendue comme « l’agencement culturellement pertinent et socialement reconnu de manières de penser, de ressentir, de percevoir et d’agir dans le vécu et l’évaluation d’une expérience singulière » (Halloy 2015, p. 119-120), dont Arnaud Halloy a montré l’importance dans l’apprentissage de la possession dans le cadre du candomblé brésilien. 20. 10 à 20 % environ des groupes. 21. Notes du 11/07/2011. 22. Cinéma, littérature, etc. Violaine évoque ainsi son expérience de « possession » en faisant référence au célèbre film « L’exorciste ». 23. Un usager expérimenté ayant déjà participé à plusieurs reprises au dispositif proposé par Takiwasi. 24. Vodu du Togo et du Bénin, vaudou haïtien, candomblé, macumba et umbanda au Brésil, santeria à Cuba. 25. La croyance en la possession renvoie ici à la représentation, largement partagée au sein des sociétés humaines, selon laquelle les hommes peuvent être occupés et influencés par des agents surnaturels pathogènes ; tandis que la « transe de possession » est marquée par des états dissociatifs qui signent le remplacement de l’identité du sujet par ce type d’agent. Cette distinction, élaborée sur la base du travail comparatif conduit par Bourguignon (1968) et impliquant près de 500 groupes culturels, a suscité certaines critiques (Lambek 1989), mais a également connu des développements récents (Halperin 1996 ; Cohen 2007, 2008). 26. De Certeau montre ainsi que tout au long de l’enquête sur l’affaire des démons de Loudun, on exhibe sur scène les preuves de la possession, ce qui suppose chez les acteurs et les spectateurs une croyance préalable, que cette démonstration a pour effet de consolider. 27. Les travaux de Bandura ont en effet mis en évidence l’importance de l’imitation des pairs ainsi que l’effet moteur de la présence d’observateurs dans l’apprentissage de nouveaux comportements. 28. Esther Jean Langdon (2013) a ainsi suggéré, à partir de l’observation de l’évolution des pratiques chamaniques siona (Colombie) et guarani (Brésil), l’adoption du terme de « chamanismes contemporains », qu’elle préfère à celui de « néochamanisme ». Ce dernier terme, outre qu’il est souvent marqué d’une connotation négative par ceux qui l’utilisent, tend en effet à essentialiser le chamanisme en le réduisant à une pratique « indigène » et « traditionnelle ». Losonczy et Mesturini Cappo proposent pour ces raisons de remplacer l’opposition chamanisme/néochamanisme par la distinction entre chamanisme vernaculaire, chamanisme d’interface à dimension régionale et chamanisme globalisé à portée transculturelle, soulignant que « les chamanismes sous toutes leurs formes apparaissent comme des espaces interstitiels de médiation, centrés sur l’innovation et l’inventivité des spécialistes rituels, qui deviennent des passerelles entre groupes, réseaux, logiques de raisonnement et modes de fonctionnement distincts » (2013, p. 7). 29. De récents travaux anthropologiques (Seligman et Kirmayer 2008 ; Luhrmann 2017) ont ainsi interrogé les variations culturelles des théories de l’identité et leurs

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implications dans l’interprétation de phénomènes perçus en Occident comme pathologiques (troubles dissociatifs, hallucinations, etc.).

RÉSUMÉS

Takiwasi est à la fois une clinique de traitement des addictions et l’un des principaux « centres chamaniques » d’Amazonie péruvienne. Chaque année, une clientèle internationale participe à des stages impliquant l’usage ritualisé de préparations émétiques, du breuvage psychotrope ayahuasca ainsi que des retraites dans la jungle, des conférences et des groupes de parole. Les activités proposées semblent conduire ceux qui s’y prêtent à se percevoir comme influencés, attaqués et habités par des forces malveillantes habituellement invisibles. Nombre d’entre eux relatent par ailleurs des expériences de « possession » survenant au cours des rituels d’ayahuasca. L’auteur se propose, à partir de la description du parcours rituel d’une participante, d’éclairer les ressorts de l’appropriation de ces motifs ainsi que ses implications, à la fois en termes de recomposition symbolique de l’identité et de constitution des collectifs. La place surprenante occupée par la possession, dans une cure présentée comme « chamanique », est également interrogée.

Takiwasi is both an addiction treatment clinic and one of the main “shamanic centers” of the Peruvian Amazon. Every year, an international clientele participates in courses involving the ritualized use of emetic preparations and the psychotropic beverage ayahuasca, retreats in the jungle, conferences and speech groups. The proposed practices seem to lead those who are willing to perceive themselves as influenced, attacked and inhabited by malevolent forces that are usually invisible. Some of them also report the experience of “possession” sequences, occurring during ayahuasca rituals. In this article, the author proposes to question the surprising place occupied by possession in a cure presented as “shamanic”. Then, based on the ethnographic description of a participant’s ritual journey, he tries to shed light on the underpinnings of the appropriation of these motifs and its implications, both in terms of symbolic recomposition of identity and the dynamics of cultural transmission.

Takiwasi es tanto una clínica de tratamiento de adicciones como uno de los principales “centros chamánicos” de la Amazonía peruana. Cada año, una clientela internacional participa en cursos incluyendo el uso ritualizado de preparaciones herméticas, bebida psicotrópica (ayahuasca), retiros en la selva, conferencias y grupos de discusión. Las prácticas propuestas parecen conducir a percibirse como influenciados, atacados y habitados por fuerzas malas y invisibles. Algunos de ellos también relatan experiencias de “posesión” durante los rituales de ayahuasca. En este artículo, el autor propone cuestionar el sorprendente lugar que ocupa la posesión en una cura presentada como “chamánica”. Luego, a partir de la descripción etnográfica del viaje ritual de un participante, el autor intenta arrojar luz sobre las razones de la apropiación de estos motivos y sus implicaciones, tanto en términos de recomposición simbólica de la identidad como en la dinámica de transmisión cultural.

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INDEX

Keywords : possession, shamanism, ayahuasca, shamanic recompositions, subjectification, cultural transmission, Takiwasi, Peru, Amazonia Mots-clés : possession, chamanisme, ayahuasca, recompositions chamaniques, subjectivation, transmission culturelle, Takiwasi, Pérou, Amazonie Palabras claves : posesión, chamanismo, ayahuasca, recomposiciones chamánicas, subjetivación, transmisión cultural, Takiwasi, Perú, Amazonia

AUTEUR

DAVID DUPUIS

Docteur en ethnologie et anthropologie sociale (EHESS, Paris), chercheur post-doctorant à l’université de Durham (Fondation Fyssen), membre affilié du Laboratoire d’anthropologie sociale (LAS, Collège de France) [[email protected]]

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Nouvelles perspectives sur les Cañaris d’hier et d’aujourd’hui : la céramique des Andes méridionales de l’Équateur de 100 av. J.-C. jusqu’à nos jours Nuevas perspectivas sobre los cañaris de ayer y hoy: la cerámica de los Andes Meridionales del Ecuador desde 100 a.C. hasta la actualidad New perspectives on the Cañaris, past and present: Andean pottery of southern Ecuador from 100 BC to the present day

Catherine Lara

NOTE DE L’ÉDITEUR

Manuscrit reçu en juillet 2017, accepté pour publication en févier 2018.

Je remercie les chercheurs ayant participé à la soutenance et à l’encadrement de la thèse à l’origine de cet article : Valentine Roux, Stéphen Rostain, Francisco Valdez, Heiko Prümers, Corinne Hofman, André Delpuech, Patrice Lecoq, Philippe Erikson. Cette recherche a été possible grâce au financement du projet ANR DIFFCERAM (ANR-12-CULT-0001-01), à l’ED 395 « Milieux, cultures et sociétés du passé et du présent » de l’université Paris Nanterre, à l’UMR 7055 « Préhistoire et technologie » et en Équateur, au soutien de l’Institut national du patrimoine culturel, du ministère de la Culture et du Patrimoine (en particulier Jonathan Koupermann et Tamara Landivar du musée Pumapungo à Cuenca), de la municipalité de Gualaquiza (dont Galo Sarmiento) et, bien sûr, des habitants de la vallée du Cuyes ainsi que des potiers de San Miguel, Sígsig, Nabón et Taquil. Un grand merci également à Ioannis Iliopoulos (université de Patras, Grèce) pour les analyses pétrographiques du corpus, ainsi qu’au Service d’imagerie et de

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microscopie optique (SIMO) de la Maison archéologie et ethnologie, René-Ginouvès (USR 3225 CNRS, Nanterre), où ont été réalisées les micro-photographies.

1 Le terme « Cañari » désigne aujourd’hui une population d’environ 150 000 personnes établies pour la plupart entre les provinces de Cañar et d’Azuay (Quindi-Pichisaca 2011, p. 33 – voir Figure 1). On le rencontre pour la première fois au XVIe siècle, dans les documents narratifs et administratifs retraçant la conquête et la colonisation de cette région par les Espagnols.

2 Si les Cañaris contemporains revendiquent des racines précolombiennes locales, une hypothèse récente (Hirschkind 2013, p. 59) avance toutefois que les conquêtes inca (entre 1463 et 1490) et espagnole (à partir de 1533 ; ibid., p. 42) auraient presque entièrement décimé les Cañaris précolombiens. Les groupes s’autoproclamant Cañaris aujourd’hui seraient dès lors le résultat de métissages entre des groupes venus d’ailleurs.

3 L’étude comparative des céramiques précolombiennes et actuelles des Andes méridionales équatoriennes à partir d’une approche technologique – méthode appliquée pour la première fois dans la région –, permet de nuancer l’hypothèse d’une disparition totale des Cañaris précolombiens et d’apporter de nouveaux éléments quant à la chronologie cañari précolombienne actuellement en vigueur. Cet article vise à rendre compte de la démarche empruntée. Pour ce faire, un bref état des lieux de la bibliographie concernant les Cañaris est tout d’abord détaillé. Nous présentons ensuite de manière synthétique les fondements de la méthodologie choisie avant de décrire le corpus étudié, les résultats et les interprétations obtenus.

Les Cañaris : état des lieux des recherches archéologiques et ethnohistoriques

4 Les Andes équatoriennes (ou Sierra) se trouvent entre la plaine du littoral pacifique (ou côte) à l’ouest et les basses terres amazoniennes à l’est (Figure 1). En Équateur, la cordillère des Andes constituant la Sierra a la particularité d’être parsemée de vallées relativement étendues (hoyas). Dans la Sierra sud, ces hoyas – au nombre de quatre – se trouvent à 2 000 m d’altitude en moyenne. Chacune d’entre elles se caractérise par des microclimats dont la température peut varier entre 6 et 18 °C, et le niveau annuel des précipitations, entre 400 et 4 000 mm. Cette diversité engendre à son tour une grande variété d’espèces au niveau de la flore et de la faune.

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Fig. 1 – Cadre géographique de l’étude : emplacement de la zone d’étude en Équateur et principaux noms de lieux cités dans le texte.

5 Les premières traces d’une présence humaine connues à ce jour dans les Andes du Sud de l’Équateur remontent à au moins 8000 av. J.-C. – période dite du Précéramique, correspondant à l’époque des populations de chasseurs-collecteurs (Lynch et Pollock 1981, p. 103 ; Temme 1982, p. 148). Le laps de temps compris entre le Ve et le IIe millénaire av. J.-C. constitue un hiatus culturel dans la chronologie locale. L’occupation suivante (1400 av. J.-C. à 100 apr. J.-C., ou Formatif) est connue sous le nom de « tradition Narrío ». Elle correspond à des populations agricoles, céramistes et sédentaires (Collier et Murra 2007, p. 20 ; Gomis 2007, p. 300 ; Grieder 2009, p. 28).

6 Viennent ensuite deux grandes traditions céramiques : Tacalshapa et Cashaloma. D’après Idrovo et Gomis (2009, p. 40), les porteurs de la tradition Tacalshapa correspondraient à ceux qu’ils appellent les « Proto Cañaris », et ceux de Cashaloma, aux Cañaris à proprement parler. Que sait-on aujourd’hui de chacune de ces deux traditions ?

Les « Proto Cañaris » : la céramique Tacalshapa

7 Tacalshapa est une tradition céramique essentiellement implantée dans la zone comprenant les provinces actuelles d’Azuay et de Cañar (Idrovo 2000, p. 52 ; Jijón y Caamaño 1997, p. 296)1. Uhle et Jijón y Caamaño ont été les premiers à l’identifier (Meyers 1998, p. 172). Meyers (ibid.) et Idrovo (2000, p. 53) ont ensuite complété leurs travaux ; on leur doit en effet la typologie la plus communément reconnue de cette tradition céramique (voir Figure 2). Pour Meyers, Tacalshapa s’étale entre 300 av. J.-C. et 800 de notre ère, tandis qu’Idrovo (2000, p. 54, 59) propose une période comprise entre 500-200 av. J.-C. et 1100-1200 apr. J.-C. Alors que Meyers subdivise Tacalshapa en quatre phases, Idrovo en distingue seulement trois (voir Figure 2). Le découpage chronologique de Tacalshapa proposé par chacun de ces auteurs a été défini à partir de l’évolution des formes et des décors, interprétée à la lumière des traditions régionales voisines (notamment celles originaires de la côte équatorienne et du nord du Pérou).

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Fig. 2 – Découpage chronologique et géographique de Tacalshapa d’après Idrovo (2000) et Meyers (1998).

Emplacement Phase Dates Référence (province)

Tacalshapa IV 700 à 900 apr. J.-C. Cañar ? Meyers 1998, p. 185

500 à 1200 apr. J.-C. Azuay Idrovo 2000, p. 55 Tacalshapa III 500 à 700 apr. J.-C. (?) Azuay, Cañar Meyers 1998, p. 185

100 av. J.-C. à 500 apr. J.- Azuay, Cañar Meyers 1998, p. 181 C. Tacalshapa II 200-100 av. J.-C. à Idrovo 2000, p. 54 ; Idrovo et Azuay (aussi Cañar) 500 apr. J.-C. Gomis 2009, p. 42

300 av. J.-C. à 100 av. J.- Azuay (aussi Cañar, Meyers 1998, p. 180 C. Loja) Tacalshapa I 500 av. J.-C. Idrovo 2000, p. 54 ; Idrovo et Cañar, Azuay à 200-100 av. J.-C. Gomis 2009, p. 41

8 Idrovo (2000, p. 53) souligne toutefois que sa proposition de classement reste provisoire, dans la mesure où elle est issue d’une description stylistique d’objets pour la plupart dépourvus de contexte archéologique. Ces objets sont remarquablement semblables aux récipients collectés par Rivet dans les sépultures des provinces d’Azuay et de Cañar (Verneau et Rivet 1912, p. 115, 117). Cette similitude nous amène à proposer l’hypothèse que les vases en question se rattacheraient vraisemblablement à des contextes cérémoniels. Dans ce sens, les prospections et ramassages de surface/ sondages subséquents effectués par Wazhima et Morocho à Jima (1990, p. 96), Almeida et al. (1991) dans l’ensemble de la province d’Azuay, ainsi que par Ogburn (2001, p. 360) à Saraguro (voir Figure 1) offrent un aperçu de ce que pourrait avoir été le matériel Tacalshapa domestique.

9 La Figure 3 tente de mettre en parallèle de manière très synthétique les principales caractéristiques stylistiques et techniques de la céramique Tacalshapa « cérémonielle » (Phases I, II, III) telles qu’établies par Idrovo et Meyers d’une part et, d’autre part, celles du Tacalshapa « domestique » évoqué par les auteurs mentionnés ci-dessus. En ce qui concerne le façonnage, il est question de battage, technique qui consiste à donner forme à un récipient en frappant simultanément ses parois internes et externes à l’aide d’outils – ici munis de tenons – appelés battoirs (Roux 2016, p. 96). S’il est vrai que des battoirs ont été retrouvés en contextes archéologiques cañaris (Idrovo 2000, p. 61 ; Sjöman 1989, p. 12 ; Valdez 1984, p. 169 – voir Figure 4c, d), aucun des auteurs cités mentionnant le recours au battage ne précise quelles sont les caractéristiques de leurs céramiques les ayant menés à y observer l’emploi de cette technique. Dans le cas des céramiques Tacalshapa II, Idrovo (1989, p. 6) souligne que l’emploi du battage demeure hypothétique.

10 En ce qui concerne le traitement de surface, il est question de brunissage pour le Tacalshapa « cérémoniel » – technique qui consiste à frotter les parois à l’aide d’un outil dur afin de leur donner un aspect brillant (Rice 1987, p. 138). Le Tacalshapa « domestique » comporte des engobes – revêtements argileux appliqués sur les parois

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pour les imperméabiliser et/ou créer des effets chromatiques décoratifs (Balfet et al. 1989, p. 121). Le Tacalshapa « cérémoniel » se démarque par le recours à des décors, beaucoup moins présents dans le matériel « domestique ». Au niveau des formes, les bols (Figure 4e) et les pots se retrouvent aussi bien dans le matériel « cérémoniel » que dans le matériel « domestique », tandis que chacun possède également des types morphologiques propres (Figure 4f) : par exemple, les vases globulaires à col anthropomorphe sont une spécificité du Tacalshapa « cérémoniel » (Figure 4a, b).

Fig. 3 – Mise en parallèle synthétique des caractéristiques stylistiques et techniques du Tacalshapa « cérémoniel » (d’après Idrovo 2000, p. 53 ; Meyers 1998, p. 172) et « domestique » (d’après Almeida et al. 1991, p. 59 à Azuay ; Ogburn 2001, p. 237-253 à Saraguro ; Wazhima et Morocho 1990, p. 39 à Jima).

Techniques/ Tacalshapa « cérémoniel » Tacalshapa « domestique » styles I II III Jima Azuay Saraguro

battage, Façonnage ? battage ? colombinage (bord) ? colombinage

Finition ? ? peu soignée

Traitements ? brunissage engobage de surface

décors en surface (dont négatif) Décors ? décors en relief/

creux (incision)

bols, bols, marmites, coupes, bols, marmites (dont marmites, bouteilles, vases à col à pieds coniques ouvertes et assiettes, Formes anthropomorphe (évolution ajourés), assiettes, fermées récipients à progressive des dimensions récipients à pied pied au cours des 3 phases) annulaires annulaires

non- partiellement Cuisson ? ? oxydante oxydante

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Fig. 4 – Céramique de la phase Tacalshapa : a. récipient anthropomorphe (musée Pumapungo, Cuenca, Équateur) ; b. récipient anthropomorphe (Pumapungo C113.2.91) ; c. battoir (Pumapungo C4768.1.80) ; d. contre-battoir (Pumapungo C4777.1.80) ; e. bol de Saraguro (Ogburn 2001, p. 243) ; f. récipient à col haut de Saraguro (Ogburn 2001, p. 239).

11 Vers l’an 1000 de notre ère, une vague migratoire en provenance des basses terres amazoniennes serait arrivée dans la Sierra du Sud de l’Équateur via les piémonts orientaux, y provoquant un déséquilibre social, probablement rattaché à la disparition de la céramique Tacalshapa et sa supplantation par une multiplicité de styles céramiques, parmi lesquels Cashaloma est le plus connu (Idrovo 2000, p. 87). Toutefois, ainsi que nous l’avons précisé plus haut, la majorité du matériel Tacalshapa (et en partie Cashaloma) ayant servi à établir la chronologie régionale provient de contextes d’origine inconnue. En conséquence, nous disposons de peu de datations associées à ces types céramiques (seize dates recensées au total, voir Figure 5). Il existe dès lors des doutes quant à la nature strictement diachronique du lien entre Tacalshapa et Cashaloma, laissant place à l’hypothèse d’une éventuelle synchronie entre les deux. Des arguments de nature chronologique et spatiale paraissent conforter cette dernière hypothèse.

12 D’un point de vue chronologique, les dates recensées indiquent qu’il est en effet possible que Tacalshapa se soit prolongé au-delà du Ier millénaire (au moins jusqu’à 1320 +/-255 apr. J.-C. : Valdez 1984, p. 228), tandis que Cashaloma pourrait avoir commencé bien plus tôt (440+/-80 apr. J.-C. ; Meyers in Jaramillo 1976, p. 123). Cependant Alcina Franch (1981, p. 99) souligne que le contexte de cette date Cashaloma ancienne est peu fiable. Mais il précise lui-même que les dates de la céramique Cashaloma qu’il a obtenues – les seules existant pour cette période avec les cinq de Meyers et Jaramillo (voir Figure 5) – proviennent exclusivement d’un seul site (Pilaloma, près d’Ingapirca – voir Figure 1), ce qui sous-entend que l’existence de sites Cashaloma plus anciens n’est pas à exclure (voir aussi Fresco 1984, p. 184).

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13 D’un point de vue géographique, la majorité du matériel Tacalshapa d’origine connue provient de la province d’Azuay, tandis que celle de Cañar concentre l’essentiel de la céramique Cashaloma (Idrovo et Almeida 1977). Si Cashaloma apparaît effectivement en 1000 apr. J.-C., et qu’aucune autre céramique n’est mentionnée à Cañar depuis la fin de Narrío (100 apr. J.-C.), cela voudrait dire que la région est restée inhabitée entre ces deux créneaux temporels. Dans quelle mesure un tel scénario peut-il être envisagé ? Quoi qu’il en soit, les dates consignées dans la Figure 5 montrent qu’entre 1000 et 1300 apr. J.-C., Cashaloma et Tacalshapa pourraient avoir coexisté ; Tacalshapa aurait donc duré plus longtemps que prévu.

Fig. 5 – Datations 14C existant à ce jour pour les céramiques Tacalshapa et Cashaloma (tableau C. Lara).

Date 14C (apr. J.-C., Code (laboratoire) Site Source si non précisé)

Cashaloma

1400+/-60* CSIC335 et CSIC337 Pilaloma 2 Alcina Franch 1981, 1370+/-70* CSIC323 p. 97 1260+/-80* CSIC322 Pilaloma 1

? Institut für Bodemkunde 1260+/-60* Intihuayco (Ingapirca) Jaramillo 1976, p. 156 (université de Bonn)

Alcina Franch 1981, 1250+/-70* CSIC336 Pilaloma 2 p. 97

1250+/-60* ? Institut für Bodemkunde Intihuayco (Ingapirca) Jaramillo 1976, p. 156 1200+/-70* (université de Bonn)

1030+/-50* CSIC338 et CSIC339 Pilaloma 2 Alcina Franch 1981, 990+/-70* CSIC319 Pilaloma 1 p. 97

980+/-60* Meyers in ? Institut für Bodemkunde Pilaloma (Ingapirca) Jaramillo 1976, p. 123, (université de Bonn) 440+/-80* 124

Tacalshapa

1320+/-255** 2-TP1-83 (Geochron Casa Llanos, près de (date A.P. non Laboratories Division, Sígsig (sondage calibrée : 630+/-255) Cambridge, MA) cuvette)

1115+/-180** 3-H1-83 (Geochron Casa Llanos (huaca no (date A.P. non Laboratories Division, 1) calibrée : 935+/-180) Cambridge, MA)

825+/-120** 3-CA1Z1-83 (Geochron Valdez 1984, p. 228 (date A.P. non Casa Llanos (fond de la Laboratories Division, calibrée : cuvette) Cambridge, MA) 1125+/-120)

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585+/-130** 2-B02-83 (Geochron (date A.P. non Casa Llanos (puits Laboratories Division, calibrée : d’offrande) Cambridge, MA) 1365+/-130)

110+/-50 (av. J.-C)* ? Pumapungo (Cuenca) Idrovo 2000, p. 54

*Calibration inconnue. **L’âge moyen du 14C est de 5.570.

Les Cañaris

14 Les informations concernant ceux que l’on pourrait déjà appeler les Cañaris (d’après Idrovo et Gomis 2009, p. 40 – soit à partir de 1000 apr. J.-C.) proviennent, là encore, d’études céramiques. Dès le XVe siècle (environ), ces données sont complétées par les premières sources ethnohistoriques.

La céramique

15 Si la céramique Cashaloma – région de Cañar, de 1000 apr. J.-C. jusqu’à la conquête inca au XVe siècle (Collier et Murra 2007, p. 116 ; Fresco 1984, p. 145 ; Idrovo et Almeida 1977 ; Jijón y Caamaño 1997, p. 343) – est la plus reconnue, la poterie cañari comprend d’autres styles tout aussi significatifs. Dans l’ordre chronologique, il s’agit de Saraguro (Idrovo 2000, p. 63) ou « Saraguro Récent » (1200 à 1460 de notre ère ; Ogburn 2001, p. 237), Guapondélic (Idrovo 2000, p. 61) ou « Thick Ware Style » (céramique domestique surtout présente à Azuay, apparue peu avant la conquête inca et qui se retrouve jusqu’au début de la colonisation espagnole ; Bennett, dans Meyers 1998, p. 192 ; Valdez 1984, p. 213) et Molle (vallée de Cuenca ; Idrovo 2000, p. 62). On remarquera que contrairement à la céramique Tacalshapa, ce matériel provient de contextes connus.

16 Si l’on reprend les principales caractéristiques stylistiques et éventuellement techniques de ces céramiques – telles que décrites par les auteurs les ayant étudiées (voir Figure 6) –, à l’exception de Cashaloma, les récipients semblent être plutôt grossiers (Idrovo et Gomis 2009, p. 39). Concernant le façonnage, il n’est plus question de battage. À Saraguro, Ogburn entrevoit un changement de technique, du fait de l’apparition de traces de textiles sur les récipients. L’engobe est omniprésent, quoiqu’à Cashaloma, il apparaisse sous la forme de décors sophistiqués pouvant s’accompagner d’incisions. Au niveau des formes, les marmites, les assiettes et les bols se retrouvent partout avec, là encore, quelques spécificités propres à chaque groupe (Figure 7). On observera que les récipients anthropomorphes, si caractéristiques de Tacalshapa, sont absents de ce répertoire morphologique.

Fig. 6 – Mise en parallèle synthétique des principales caractéristiques stylistiques et techniques des céramiques Guapondélic (Idrovo 2000, p. 61 ; Meyers 1998, p. 192), Molle (Idrovo 2000, p. 62), Saraguro Récent (Ogburn 2001, p. 238) et Cashaloma (Fresco 1984, p. 145 ; Idrovo 2000, p. 60 ; Idrovo et Almeida 1977 ; Jijón y Caamaño 1997, p. 343).

Techniques/ Guapondélic Molle Saraguro Cashaloma styles

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parois grossières traces de textiles Façonnage parois grossières ? à pâte compacte sur certains pots

modérément Finition ? très soignée soignée

Traitements engobe ? engobe, brunissage de surface récurrent

bandes d’engobe bandes d’engobe en surface (engobe), Décors post-cuisson rouge couvrantes blanc ? motifs géométriques pâle pâle/rouges variés

assiettes, bols, vases, marmites, marmites, Formes ? bouteilles, coupes, assiettes assiettes bols jarres, fioles, tasses

Cuisson ? optimale

Fig. 7 – Céramique Cashaloma : a. coupe (hauteur : 19 cm ; Malo 2007, pl. 3) ; b. récipient (hauteur : 22 cm ; ibid. : pl. 1).

Données ethnohistoriques

17 Les premières chroniques et surtout les « Relations géographiques des Indes » offrent des renseignements de première main sur les coutumes cañaris (Valdez 1984, p. 14). Cette documentation révèle des traditions qui semblent être partagées par l’ensemble de ce qui peut être considéré comme la famille linguistique cañari (de Gauiria 1965 [1582], p. 282), mais aussi des particularités locales probablement liées à la diversité sociopolitique ayant existé au sein du groupe (Chacón 1990, p. 37).

18 Parmi les traditions communes, deux grands mythes d’origine – chacun faisant état de plusieurs variantes – sont rapportés. D’après le premier, les Cañaris seraient issus d’un serpent en or qui aurait plongé au fond d’un lac situé dans la région de Sígsig (Verneau et Rivet 1912, p. 32 : voir Figure 1). Ce mythe serait à l’origine du culte aux lacs propre à la religion cañari (Cieza de León 1986 [1554], p. 142). Le deuxième mythe est centré sur l’histoire de deux frères qui auraient été les deux seuls survivants d’un déluge. Ces derniers auraient trouvé refuge dans une grotte (ou une hutte), où ils passaient la nuit.

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Un soir, alors qu’ils y retournaient, ils trouvèrent un repas préparé. Le phénomène se répéta les jours suivants. Intrigués, ils décidèrent de se cacher dans la grotte pour découvrir l’identité de leurs bienfaiteurs, qui se révélèrent être des femmes aras. Un des frères devint le partenaire de l’une d’elles. Les Cañaris seraient issus de cette union (González Suárez 1922, p. 17 ; Sarmiento de Gamboa 2007 [1572], p. 46). L’ara (Ara sp.), oiseau originaire de la forêt tropicale, serait ici un symbole des liens unissant les Cañaris au monde amazonien (Valdez 1984, p. 15).

19 Il existe ainsi plusieurs hypothèses quant à l’origine du terme « cañari » : il pourrait signifier « serpent », « perroquet », « ara », ou encore « ceux-ci sont les descendants du serpent » (Solano 2011, p. 25). Il pourrait aussi être issu du mot cañaro, plante dont le fruit est semblable aux haricots et qui se trouverait en abondance dans le territoire occupé par la population qui lui devrait son nom (Pablos 1965 [1582], p. 270). Il pourrait encore provenir du quichua canarini (« froid qui brûle »), terme qui aurait été employé par l’empereur inca Huayna Cápac en référence au climat des environs de l’actuelle région de Cañar lors de son arrivée sur place (Burgos 2003, p. 16)2.

20 Les premiers écrits des Espagnols fournissent en outre quelques informations générales sur le mode de vie de ces populations. On y apprend que leur alimentation reposait essentiellement sur la consommation de maïs (Zea mays), de haricots (Phaseolus vulgaris), de pommes de terre (Solanum tuberosum), de quinoa (Chenopodium quinoa), de calebasse (Lagenaria siceraria) et de tubercules (De Gauiria 1965 [1582], p. 286 ; Pablos 1965 [1582], p. 267). Leurs vêtements consistaient principalement en une tunique et une cape en laine ou en coton (Cieza de León 1986 [1553], p. 146 ; Pablos 1965 [1582], p. 267). De Gauiria (1965 [1582], p. 283) parle aussi d’une tenue d’apparat pour les festivités prenant la forme d’une chemisette en plumes d’ara. La seule information concernant les pratiques funéraires nous vient d’Ytaliano (1965 [1582], p. 288 – pour une typologie très complète des tombes andines du sud de l’Équateur, voir aussi Verneau et Rivet 1912, p. 115).

21 Sur la base de ce fond culturel partagé, les Cañaris auraient également été divisés en plusieurs noyaux politiques établis dans une ou plusieurs hoyas (Hirschkind 2013, p. 43), chacun étant administré par son propre dirigeant (de Gallegos 1965 [1582], p. 275). Les noyaux politiques cañaris auraient ainsi été en contact entre eux par le biais de conflits (De Gallegos 1965 [1582], p. 275), mais surtout de relations politiques, de parenté et d’échanges favorisées par la diversité écologique de chaque hoya, propice à une complémentarité économique entre communautés (Hirschkind 2013, p. 44). Ce phénomène pourrait expliquer les différences entre communautés cañaris notées par les premiers Espagnols dans la culture matérielle, et concernant notamment les structures d’habitat – en pierre ou en terre, rondes ou rectangulaires (De Gallegos 1965 [1582], p. 278 ; De Gauiria 1965 [1582], p. 287 ; Pablos 1965 [1582], p. 269).

22 Parmi les documents de cette époque, une seule référence est connue à ce jour quant à l’existence de communautés de potiers. Il s’agit de la description de la région d’Azogues (De Gallegos 1965 [1582], p. 277). Celle-ci mentionne la qualité de la céramique fabriquée sur place depuis l’époque inca, quoiqu’elle ne fournisse pas davantage de précisions quant à l’emplacement des communautés de potiers mentionnées, à l’identité de leurs artisans ou encore à la technique ou aux types de récipients fabriqués (voir aussi Idrovo 1990, p. 22).

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Méthodologie

Fondements

23 L’approche technologique appliquée ici part du constat selon lequel il existe six grandes actions constituant le processus de fabrication d’une céramique : la préparation de la pâte, le façonnage, la finition, les traitements de surface, le décor et la cuisson. Chacune de ces actions peut être menée à bien grâce à une gamme variée de techniques différentes (Cresswell 1996, p. 82 ; García et Calvo 2013, p. 52 ; Gosselain 2000, p. 190)3. Pour ne citer qu’un exemple, un récipient peut être façonné au moyen de techniques aussi diversifiées que le modelage, le moulage, le colombinage, le tournage, le battage, ou encore en combinant plusieurs de ces techniques.

24 Par ailleurs, l’observation ethnographique a permis à l’approche technologique de constater que, pour chacune des six grandes actions constituant le processus de fabrication d’un récipient, chaque groupe social – pouvant être défini par des critères tels que le genre, la catégorie sociale ou encore la faction politique, entre autres (Roux 2007, p. 164) – fait le choix d’une seule technique ou d’un ensemble restreint de techniques partagées par tout le groupe (Gallay 2011, p. 326 ; Ramón 2013, p. 104). Combinées entre elles, les techniques choisies par le groupe pour chaque action de la fabrication d’un récipient constituent une chaîne opératoire, terme se référant à « la suite des gestes techniques qui font passer un matériau d’un état à un autre » (Cresswell 1996, p. 31), ou encore au « chemin technique parcouru par un matériau depuis son état de matière première jusqu’à son état de produit fabriqué fini » (ibid., p. 43). Cette chaîne opératoire constitue une tradition (Roux 2007, p. 164), un savoir- faire commun à tous les membres du groupe.

25 Les facteurs expliquant les choix techniques opérés par chaque groupe social pour chaque action de la chaîne opératoire sont multiples : facteurs naturels (conditions climatiques : disponibilité ou encore propriétés de la matière première : Sillar 2009, p. 12 ; De Boer et Lathrap 1979, p. 110 ; Skibo 2013, p. 39), contraintes physiques propres aux techniques mises en œuvre (Arnold 1994, p. 481), fonction projetée ou encore morphologie des récipients en cours de fabrication (De Boer et Lathrap 1979, p. 116 ; Druc 2011, p. 315 ; Rostain et al. 2014, p. 46), contexte historique et économique ou sociopolitique (Ramón et Bell 2013, p. 596 ; Sillar 2009, p. 21), croyances et représentations sociales (Lemonnier 2004, p. 10 ; Roux et Lara 2016, p. 33 ; Skibo 2013, p. 53).

26 Pourquoi la corrélation entre groupes sociaux et chaînes opératoires apparaît-elle de façon quasi systématique dans les descriptions ethnographiques ? Cette régularité observée dans de très nombreux groupes sociaux à travers le monde serait due au phénomène de la transmission, inhérent à tout savoir-faire. La transmission a lieu grâce au mécanisme de l’apprentissage, qui opère à deux niveaux : • Social : dans la mesure où tout apprentissage n’est possible qu’au sein d’un réseau de transmission (Roux 2007, p. 165), par l’intermédiaire d’un tuteur qui, dans la grande majorité des cas, appartient au même groupe social que l’apprenti (Bril 2015, p. 111 ; Roux 2007, p. 165). • Individuel : dans le sens où l’apprenti – dont l’observation est guidée par le tuteur – apprend selon le modèle transmis par celui-ci. Au terme de l’apprentissage des gestes sous-jacents à l’exécution de la tâche, il sera difficile à l’apprenant de concevoir la mise en pratique d’une

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manière de faire différente (Roux 2007, p. 165), engendrant ainsi une perduration de celle-ci dans la durée. Cet « ancrage cognitif » se manifeste essentiellement au niveau du façonnage (Gallay 2011, p. 326 ; Gosselain 2000, p. 193) – ou « opération ayant pour but de donner une forme à une pâte de poterie » (Balfet et al. 1989, p. 53).

27 Le mécanisme de l’apprentissage explique dès lors pourquoi – dans la grande majorité des groupes sociaux – les techniques de façonnage sont fortement ancrées dans la durée, pouvant s’étaler sur plusieurs siècles voire plusieurs millénaires (Coutet 2014, p. 7 ; Denès 2004, p. 43 ; Huysecom et Mayor 1993, p. 312). À l’inverse, les autres actions de la chaîne opératoire sont potentiellement susceptibles de changer parfois très rapidement sous l’effet des phénomènes d’innovations ou d’emprunts. Par conséquent – sauf en cas d’expansion démique –, ces phénomènes ne peuvent que très difficilement remplacer brutalement l’intégralité des actions d’une chaîne opératoire (Gosselain 2000, p. 190 ; Roux 2016, p. 6).

28 Nous avons étudié la problématique de la disparition présumée des Cañaris précolombiens à partir du principe de la transmission tel qu’envisagé par l’approche technologique. Pour ce faire, il a tout d’abord fallu relever, d’une part, les chaînes opératoires de la céramique fabriquée de nos jours par les potiers andins du Sud de l’Équateur et, d’autre part, celles des céramiques cañaris précolombiennes, afin de comparer en particulier les techniques de façonnage respectives, et ainsi déterminer s’il aurait pu ou non y avoir un processus de transmission entre les potiers cañaris précolombiens et les artisans actuels. L’idée étant de tester l’hypothèse d’Hirschkind (2013, p. 59) selon laquelle les « Cañaris contemporains » n’auraient en effet aucun lien avec les Cañaris précolombiens.

Corpus et protocoles d’analyse mis en œuvre

La poterie contemporaine des Andes du Sud équatorien

29 La poterie traditionnelle est actuellement en déclin dans les Andes méridionales de l’Équateur ; ce sont donc les quatre localités les plus représentatives de la région qui ont été choisies pour l’étude. Celles-ci s’étalent sur une frange de 160 kilomètres de long : il s’agit des communautés de San Miguel de Porotos, Sígsig, Nabón et Taquil (voir Figure 1). Pendant 7 mois, 29 potiers ont été visités au total : 8 à San Miguel de Porotos (sur un total de 12 artisans), 4 à Sígsig (sur 5), 1 à Nabón (sur 4), et 16 à Taquil (sur 67). Nous n’incluons pas la poterie au tour (Lara 2015, p. 33), tradition technique datant de la colonisation espagnole (Sjöman 1991, p. 157) et se distinguant clairement des savoir- faire potentiellement d’origine précolombienne.

30 Sur le terrain, la description des chaînes opératoires mises en œuvre par les potiers s’est appuyée sur la grille descriptive proposée par Valentine Roux (2016, p. 31). Cette description suit l’ordre des six grandes actions constitutives du processus de fabrication d’un récipient (ou chaîne opératoire) : préparation de la pâte, façonnage, finition, traitements de surface, décor et cuisson, chacune d’entre elles pouvant comprendre plusieurs opérations techniques. L’action du façonnage est la plus complexe. Elle mobilise en particulier les concepts de méthode et de technique. La méthode se réfère au déroulement des séquences de fabrication d’un récipient. Chaque séquence comprend des phases – relatives à chacune des parties d’un récipient, et pouvant être séparées par des temps de séchage – et des étapes – ébauche et préforme. L’ébauche est un volume d’argile creux dépourvu des caractéristiques géométriques

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finales du récipient, généralement obtenu par des opérations visant à amincir les parois. Elle est suivie de la préforme, ou récipient façonné présentant les caractéristiques géométriques finales d’un récipient, mais dont la surface n’a pas été soumise à la finition (Courty et Roux 1995, p. 20).

31 Les récipients résultant des chaînes opératoires ainsi décrites ont été récupérés afin de constituer un référentiel ethnographique dont il s’agissait de relever les traces ou les stigmates visibles en surface et en section, afin de mettre en évidence celles qui étaient diagnostiques, c’est-à-dire à même de caractériser les différentes opérations techniques d’origine. La caractérisation des stigmates de notre référentiel ethnographique s’est organisée autour de deux échelles d’observation : macroscopique – stigmates visibles à l’œil nu ou à un faible grossissement (Desbat et Schmitt 2011, p. 323) – et microscopique – stigmates visibles à l’aide d’une loupe binoculaire.

32 L’échelle macroscopique donne des renseignements sur les types de forces mis en œuvre, les outils et les gestes employés, ainsi que sur la cuisson qui peuvent être déterminés par le relief des objets ou tessons, le mode de fracture ainsi que la couleur de la surface (Roux et Courty 2005, p. 207).

33 L’échelle microscopique se réfère d’une part à la microtopographie (type de granularité et de striation), qui renseigne sur la nature des techniques de finition et sur l’état hygrométrique de la pâte, ou encore sur le type d’outil utilisé. Cette échelle d’observation concerne également la porosité ou les vides visibles sur les tranches des tessons (Desbat et Schmitt 2011, p. 326), dont les caractéristiques sont susceptibles de renvoyer à des opérations techniques (façonnage et préparation de la pâte).

Le corpus cañari précolombien

34 Deux types d’assemblages préhispaniques ont été examinés. Le premier correspond à 117 objets cañaris appartenant aux collections de trois musées : en France, le musée du quai Branly-Jacques Chirac (fonds Paul Rivet) ; en Équateur, le musée Pumapungo de Cuenca et le musée municipal de Gualaquiza. Parmi ces objets, 101 ont des provenances connues. Pour la plupart, ils sont issus de tombes (contextes cérémoniels).

35 Le deuxième assemblage provient de nos fouilles des sites de la vallée du fleuve Cuyes. Située à l’est du territoire cañari, la vallée du fleuve Cuyes – 40 km de long –, constitue une zone de transition entre les Andes et l’Amazonie (voir Figure 1). Suite à un travail de repérage et de relevé topographique mené entre 2007 et 2009, les dix-sept complexes architecturaux précolombiens de la vallée – sites d’habitat et défensifs pour la plupart – ont été fouillés suivant deux modalités : • 25 unités de 2 x 1 m pratiquées dans les principales composantes architecturales (fouille par niveaux stratigraphiques). Onze échantillons de charbon de bois associés aux tessons collectés en conséquence ont été datés au 14C. • 806 unités de 40 x 40 cm implantées de manière systématique dans chaque terrassement ainsi que le long de transects suivant les tranchées et les murs des complexes les plus étendus.

36 Sur les 2 595 tessons ainsi récupérés, 771 fragments se rattachent à la tradition cañari (Lara 2017, p. 199)4.

37 L’identification de chaînes opératoires sur des corpus archéologiques passe par trois étapes : classification des assemblages par groupes techniques, par groupes pétrographiques et par groupes morpho-stylistiques (Roux 2016, p. 257).

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38 La première étape vise à définir les techniques de fabrication – façonnage, finition, traitement de surface, éventuellement indications sur la cuisson – à travers l’identification des stigmates macroscopiques et microscopiques (loupe binoculaire) visibles sur les parois des tessons ou des récipients (ibid., p. 258). Le façonnage selon une même tradition peut comporter des variantes concernant par exemple une phase particulière. Ces variantes constituent des groupes techniques pouvant eux-mêmes se caractériser par des spécificités ayant trait aux décors, aux traitements de surface ou encore aux formes.

39 Lorsque cela est possible (ici uniquement dans le cas de notre corpus de la vallée du Cuyes), chaque groupe technique identifié en amont fait ensuite l’objet d’une classification par groupes pétrographiques. Celle-ci se concentre sur l’étude de la composition des pâtes, qui permet, d’une part, d’approfondir la caractérisation technologique et, d’autre part, de fournir des indications quant aux sources de provenance possibles des pâtes (ibid., p. 263).

40 Enfin, la classification morpho-stylistique vise à vérifier si la variabilité des groupes techniques ou techno-pétrographiques obtenue correspond à une variabilité d’ordre culturel ou fonctionnel (ibid., p. 267). Pour la détermination des formes, nous avons retenu les critères descriptifs de Gardin et al. (1976, p. 24, 66), Mayor (1994, p. 184) ainsi que Balfet et al. (1989, p. 9), et pour les décors, les paramètres proposés par Cauliez (2011, p. 56).

Résultats

Les chaînes opératoires actuelles des Andes méridionales de l’Équateur

41 Les chaînes opératoires des quatre communautés visitées révèlent un tronc technique commun, présenté ci-dessous dans l’ordre des six actions propres au processus de fabrication d’un récipient (voir aussi Figure 18). Certaines communautés peuvent rendre compte de variantes pour certaines opérations.

42 La matière première est, dans tous les cas, une argile se présentant sous la forme de blocs extraits en surface ou en profondeur, dans des mines localisées dans des ravins ou des vallons. Après les avoir laissés sécher pendant plusieurs jours, les blocs d’argile extraits sont broyés et moulus (Figure 8a). L’argile est ensuite tamisée afin d’en extraire les impuretés (Figure 8b). Du sable est également tamisé avant d’être mélangé à l’argile. Le sable joue ici le rôle de dégraissant, terme désignant toute substance organique ou minérale ajoutée à l’argile pour réduire sa plasticité, lui permettant de résister aux chocs thermiques ou mécaniques entrainés par la contraction de la pâte pendant les phases de séchage et de cuisson (Livingstone Smith 2007, p. 18 ; Peterson 2009, p. 9). En moyenne, le mélange comprend 64 % d’argile et 36 % de sable. Enfin, de l’eau est incorporée au mélange (hydratation de la matière première), soit en l’aspergeant directement, soit en faisant tremper l’argile pendant plusieurs heures avant d’ajouter le sable. Le potier pétrit ensuite le mélange avec les pieds, jusqu’à l’obtention d’une pâte uniforme (Figure 8c).

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Fig. 8 – Transformation des matières premières : a. concassage ; b. tamisage ; c. pétrissage (photographies C. Lara).

43 En ce qui concerne le façonnage, l’ébauchage est effectué par modelage, c’est-à-dire à partir d’une motte d’argile dans laquelle le potier introduit tout d’abord les pouces, puis les poings avant d’en étirer les bords (Figure 9a). Cette technique peut présenter quelques variantes. Ainsi à Nabón (voir Figure 1), la base du récipient est modelée, tandis que la panse est façonnée au moyen de colombins ou de rouleaux de pâte superposés sur la base jusqu’à atteindre la hauteur recherchée – technique du colombinage (Shepard 1956, p. 57). À Taquil, la panse du pot est modelée, tandis que le col et/ou le bord peuvent être faits au colombin (Figure 9b). Par ailleurs, si les artisans de Sígsig et de Nabón travaillent sur des tables ou des dalles, les potiers de San Miguel utilisent des jarres en guise de support ; à Taquil en revanche, les artisans ont recours à des tournettes – disques en métal ou en bois placés sur un axe et actionnés à la main (Roux 2016, p. 73 ; Figure 9c).

Fig. 9 – L’ébauchage traditionnel dans les Andes du Sud de l’Équateur : a. modelage ; b. colombinage ; c. tournette (photographies C. Lara).

44 Dans tous les cas, l’ébauchage est suivi d’un préformage par battage, au cours duquel le potier frappe simultanément les parois internes et externes du récipient avec des battoirs en céramique munis de tenons (appelés golpeadores dans toutes les communautés, et aussi huactanas à San Miguel ; Figure 10). Comme on l’a vu, cette opération vise à amincir et étirer les parois, ainsi qu’à donner sa forme au pot. La technique du battage telle qu’on la retrouve dans le sud de l’Équateur serait unique dans son genre, dans le sens où le battoir externe est en céramique, alors qu’ailleurs dans le monde, il est en bois (Roux, comm. pers.).

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Fig. 10 – La technique du battage : a. Taquil ; b. San Miguel ; c1. battoir ; c2. contre-battoir (photographies C. Lara).

45 Les traitements de surface sont mis en œuvre après avoir laissé sécher les récipients pendant plusieurs jours. Un engobe rouge couvre partiellement ou totalement les parois, sauf à Nabón où il est uniquement employé pour figurer des motifs décoratifs. À San Miguel et à Taquil, un brunissage est également effectué.

46 Enfin, trois types de structures de cuisson sont employés dans les Andes sud- équatoriennes : le four – utilisé dans le hameau de Chico Ingapirca à San Miguel, ainsi que par quelques potiers de Taquil –, la structure de cuisson à enceinte – cas du hameau de San Juan Bosco à San Miguel, et de quelques artisans de Taquil –, et la cuisson à l’air libre – hameau de Pacchapamba à San Miguel, à Nabón et à Sígsig.

47 Un four est une structure où le combustible n’est pas en contact direct avec les récipients. En effet, il est constitué de deux compartiments superposés séparés par une sole en brique ou en adobe : le combustible est placé dans celui d’en bas, alors que celui d’en haut supporte les pots posés sur la sole (Roux 2016, p. 156 ; Figure 11a).

48 La structure de cuisson à enceinte se présente sous la forme d’un muret circulaire en pierre, en brique ou en adobe (Figure 11b), éventuellement recouvert d’un dôme (Taquil). Plusieurs ouvertures sont pratiquées au pied du muret afin d’alimenter la combustion en oxygène, ainsi que de canaliser le vent. À l’intérieur de la structure, les récipients sont placés sur une couche de combustible.

49 Dans la cuisson à l’air libre (Figure 11c), un premier niveau de pots et de petits morceaux de bois de feu est tout d’abord mis en place. Deux ou trois niveaux d’objets de plus en plus petits sont ensuite ajoutés. Ils sont séparés entre eux par du bois de feu, de la paille ou du guano. Le tout est recouvert de paille avant le début de la combustion. Les pots sont récupérés le lendemain.

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Fig. 11 – Structures de cuisson : a. four ; b. structure de cuisson à enceinte ; c. à ciel ouvert (photographies C. Lara).

50 En ce qui concerne les formes, si les catégories de marmites, d’écuelles, de cruches et de plats à tortillas sont présentes dans quasiment toutes les communautés (Figure 18), il est intéressant de constater que leur morphologie varie dans chacune d’entre elles (plus ou moins globulaire ou évasée, etc. ; Figure 12). De la même façon, la technique de décor en creux se retrouve partout (sauf à Nabón), mais avec des motifs différents d’une communauté à l’autre (lignes parallèles, fleurs).

Fig. 12 – Marmites en céramique des Andes méridionales de l’Équateur : a. Nabón ; b. Sígsig ; c. San Miguel ; d. Taquil (photographies C. Lara).

Les chaînes opératoires de la poterie cañari précolombienne

51 L’ensemble des 117 récipients muséaux et des 771 tessons de la vallée du fleuve Cuyes examinés dans notre étude a révélé des techniques de façonnage homogènes : modelage puis battage de la base ainsi que de la panse, et façonnage du col au colombin. Les stigmates de ces techniques sont présentés ci-dessous, en suivant les actions de la chaîne opératoire ayant pu être restituées. Les données pétrographiques ainsi que celles concernant l’échelle microscopique en général proviennent des tessons du Cuyes, seul corpus pour l’analyse duquel nous disposions d’une loupe binoculaire, avec la possibilité d’étudier des cassures fraîches.

Groupes techniques

52 En ce qui concerne le façonnage, l’ébauchage conjoint de la base et de la panse a été effectué par modelage, comme en témoigne la présence des traits diagnostiques propres à cette technique : dépressions (Livingstone Smith 2007, p. 130 ; Rye 1981, p. 68), irrégularité des profils (Figure 13a, b) et marques de supports mises en évidence sur les parois externes des pots (échelle macroscopique ; Roux 2016, p. 208). À l’échelle microscopique, les tranches des profils montrent des vides subparallèles (Livingstone Smith 2007, p. 130 ; Quinn 2013, p. 177) et des fissures, également caractéristiques du modelage (Figure 13c, d).

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Fig. 13 – Stigmates de modelage dans les Andes méridionales de l’Équateur (photographies C. Lara) : a. irrégularité du profil (pot précolombien) ; b. irrégularité du profil (pot actuel) ; c. vides subparallèles et fissures (pot précolombien) ; d. vides subparallèles et fissures (pot actuel).

53 Le préformage de la base et de la panse semble quant à lui avoir été effectué par battage, ainsi que le démontre la présence de quatre types de stigmates propres à cette technique : cupules de percussion (Rice 1987, p. 137) sur les parois internes (Figure 14a, b : matériel précolombien ; c, d : matériel ethnographique) et accumulations d’argile causées par le frottement du battoir chargé en eau (Roux 2016, p. 218), visibles sur les parois internes et près des bords plus particulièrement. À l’échelle microscopique, des grains insérés et des micro-arrachements caractéristiques de la technique du battage (ibid., p. 217) sont en outre perceptibles sur les parois des pots et des tessons de la tradition cañari (Figure 14e : matériel précolombien ; f : matériel ethnographique).

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Fig. 14 – Stigmates de battage dans les Andes méridionales de l’Équateur (photographies C. Lara) : a-b. cupules (récipients précolombiens) ; c-d. cupules (récipients actuels) ; e. micro-arrachements (fragment précolombien) ; f. micro-arrachements (fragment actuel).

54 Enfin, l’ébauchage des cols et des bords au colombin est attesté par la présence conjointe d’ondulations (Courty et Roux 1995, p. 28 ; Figure 15a), de surépaisseurs (García et Calvo 2013, p. 190) essentiellement présentes sur les parois internes au niveau du rattachement entre le premier colombin et la panse (Figure 15b), de fissures allongées (Roux 2016, p. 200) visibles au niveau des joints de colombins (Figure 15c), ainsi que de cassures préférentielles (Livingstone Smith 2007, p. 130 ; Rice 1987, p. 128 ; Rye 1981, p. 68 ; Shepard 1956, p. 54). À l’échelle microscopique, le profil des tessons met en évidence des vides obliques (García et Calvo 2013, p. 291), qui se distinguent clairement des vides subparallèles de la base et de la panse, révélant ainsi le recours au colombinage. Des fissures correspondant aux joints de colombins sont également visibles à la loupe binoculaire (Figure 15d).

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Fig. 15 – Stigmates de colombinage dans les Andes méridionales de l’Équateur (photographies C. Lara) : a. ondulations ; b. surépaisseur ; c. fissure de joint de colombin visible sur les parois (échelle macroscopique) ; d. fissure de joint de colombin visible en tranche (échelle microscopique).

55 Au niveau de la finition, la compacité de la pâte accompagnant les cas de striation relevés suggère un travail effectué à l’état cuir (avec ou sans réhumidification ; Lara 2017, p. 179 ; Roux 2016, p. 192).

56 Pour ce qui est des traitements de surface, l’engobage est omniprésent. Il concerne les assises, les parois externes des panses (et internes dans le cas des bols), ainsi que l’extérieur des cols et l’intérieur des bords. La présence d’engobe est mise en évidence par sa couleur différenciée, visible à travers la ligne de contact entre la pâte et l’engobe, par les stries nervurées laissées par l’outil employé pour son application (Rice 1987, p. 138) et enfin par des craquelures (Roux et Courty 2005, p. 207). Le brunissage est également récurrent (présence de facettes : Rye 1981, p. 90).

57 Le pourtour de la partie supérieure des panses (pots, bols) et des cols (pots) peut comporter des décors en surface. Ces derniers sont pour la plupart effectués au moyen d’engobes rouges, parfois combinés à des engobes noirs et/ou blancs. Ils prennent la forme d’une ou de plusieurs séries constituées d’au moins un type de motif géométrique (linéaires et circulaires). Par ailleurs, les formes relevées correspondent à des marmites, des pots et des coupes.

58 Parmi les 117 objets muséaux, un groupe de 26 pots présente une variante au niveau de la panse supérieure, formée au moyen de colombins. Cette différence nous permet en effet de diviser le corpus cañari en deux groupes techniques : le groupe « panse modelée/battue » (auquel appartiennent en totalité les 771 tessons du Cuyes et 91 pots muséaux) et le groupe « panse modelée/colombinée/battue » (les 26 pots mentionnés plus haut ; Figure 16). Chacun de ces groupes possède quelques spécificités concernant la finition, les traitements de surface, les décors et les formes (voir Figure 17). D’après les attributs stylistiques de la typologie « classique » présentée plus haut, les pots du

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groupe technique « panse modelée/battue » appartiennent quasiment tous à la phase Tacalshapa, et ceux du groupe « panse modelée/colombinée/battue », à Cashaloma.

Fig. 16 – Distinctions du façonnage de la panse au sein de la tradition cañari (schéma C. Lara).

Fig. 17 – Arbre techno-stylistique de la tradition cañari précolombienne (schéma C. Lara).

Pétrographie

59 Ainsi que nous l’avons spécifié, l’analyse pétrographique n’a pu être effectuée que sur les tessons cañaris du Cuyes, qui ont révélé un profil pétrographique plutôt homogène. La tendance bimodale des inclusions va dans le sens d’un ajout de dégraissant au matériau argileux. L’angularité des inclusions suggère que l’argile et/ou le dégraissant pourraient avoir fait l’objet d’un concassage. La répartition plus ou moins homogène des inclusions dans la masse fine évoque en outre un malaxage peu soigné de la pâte au cours de sa préparation. Enfin, les caractéristiques de la masse fine indiquent une

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cuisson à basse température (800 degrés), signalant le recours à une structure de cuisson à ciel ouvert (Lara 2017, p. 181).

Comparaison entre la poterie passée et actuelle

60 La Figure 18 présente une mise en parallèle synthétique entre les chaînes opératoires contemporaines et précolombiennes des Andes du Sud de l’Équateur. Des points communs et des divergences en ressortent. Le façonnage est l’action qui montre les plus grandes similitudes entre ces deux types de poterie, suivi de la finition et des traitements de surface. Les formes et les décors varient quant à eux considérablement dans l’espace et dans le temps.

61 En ce qui concerne le façonnage, la technique de préformage par battage est en effet employée dans l’ensemble de la Sierra sud de l’Équateur, toutes époques confondues. On ajoutera que les battoirs retrouvés en contextes archéologiques cañaris sont les mêmes que ceux qu’utilisent les potiers modernes (voir Figures 4c, d et 10c1, c2)5. Le modelage intervient dans l’ébauchage conjoint de la base et de la panse dans tous les cas (sauf actuellement à Nabón pour la panse). De la même manière, le colombinage du col est omniprésent, exception faite aujourd’hui pour Sígsig et pour San Miguel. Le lissage sur pâte cuir est lui aussi une constante. L’engobage en tant que traitement de surface est omniprésent, sauf à Nabón de nos jours. Le brunissage est récurrent, sauf dans les villages actuels de Nabón et de Sígsig. Les décors présentent, pour leur part, des variations significatives dans le sens où, à l’époque préhispanique, les motifs en surface étaient prédominants (alors qu’on ne les retrouve qu’à Nabón aujourd’hui), tandis qu’aujourd’hui, les motifs en creux sont les plus courants. Au niveau des formes, les marmites sont toujours présentes dans la diachronie – quoiqu’avec des caractéristiques différentes d’un point de vue géographique aussi bien à l’époque précolombienne que de nos jours –, mais le reste du répertoire morphologique rend compte d’une variabilité significative dans tous les cas.

Fig. 18 – Mise en parallèle synthétique des chaînes opératoires contemporaines et passées de la poterie des Andes méridionales de l’Équateur (tableau C. Lara).

Techniques mises en œuvre

Potiers modernes Andes sud de l’équateur Cañaris précolombiens

Action de la chaîne opératoire Provinces Nabón San Sígsig Taquil d’Azuay/ Province (province Miguel (Azuay) (Loja) Morona de Cañar d’Azuay) (Cañar) Santiago

Transformation Cuyes : – matières terre (matériau argileux) et sable matériau extraction premières (dégraissant) extraits en surface argileux et dégraissant ?

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séchage ; fractionnement matériau argileux par percussion lancée et retrait d’éléments Cuyes : grossiers à la main (sauf Sígsig) ; tri concassage préparation pâte granulométrique du dégraissant au tamis en matériau plastique ou en métal ; hydratation matériau argileux/ argileux par humectation (Sígsig, Nabón) ou sable ? par immersion (San Miguel, Taquil)

homogénéisation pétrissage au pied ; malaxage (San Miguel, malaxage ? pâte Taquil)

base modelage modelage

modelage modelage modelage panse colombin et Ébauchage modelage colombin

modelage col colombin ou colombin colombin

Préformage battage

au battoir en céramique sur pâte cuir sur pâte cuir Finition réhumidifiée (réhumidifiée ?)

Traitement de surface aucun engobage engobage, brunissage

en surface (motifs en creux en surface - géométriques) Décors motifs en creux géométriques en relief – – et en relief

marmites, pots, bols marmites, écuelles, cruches (dont coupes)

plats à tortillas pots Formes coupes à jarres, assiettes verseurs – piédestaux sans col, vases poêles, ajourés - couvercles tasses

structures de à ciel ouvert cuisson à enceinte, Cuyes : à ciel Cuisson fours – ouvert ? à ciel – – ouvert

Interprétations

62 Les résultats exposés permettent d’envisager la perspective d’un scénario alternatif concernant la question de la « survie » des Cañaris précolombiens. Ils apportent en tout cas des informations supplémentaires sur la poterie cañari préhispanique.

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Y a-t-il eu ou non un phénomène de transmission entre la céramique cañari précolombienne et la poterie contemporaine des Andes méridionales équatoriennes ?

63 Nous l’avons vu, l’approche technologique s’appuie sur des régularités observées parmi de nombreux groupes sociaux dans le monde. L’une d’elles souligne que chaque groupe social possède une seule chaîne opératoire ou un seul ensemble de chaînes opératoires qui lui est propre. Cette régularité s’explique par le phénomène de la transmission, indissociable à la mise en œuvre de tout savoir-faire. Cette transmission est assurée par le mécanisme de l’apprentissage, qui opère au niveau social et individuel (cognitif). Cela explique la stabilité des chaînes opératoires dans le temps, en particulier en ce qui concerne le façonnage, qui se distingue des autres parties de la chaîne opératoire dans la mesure où celles-ci peuvent souvent fluctuer très rapidement dans l’espace et dans le temps.

64 Les corpus étudiés ici montrent que les combinaisons techniques de façonnage précolombiennes et contemporaines sont quasiment les mêmes dans les Andes du Sud de l’Équateur, suggérant dès lors – d’après l’approche technologique – qu’il y aurait bien eu une transmission. Ce constat pose la perspective d’un autre regard sur le devenir des Cañaris précolombiens, en contraste avec l’hypothèse de leur disparition et de leur dissociation des Cañaris actuels (Hirschkind 2013, p. 59). Les différences que l’on observe entre les céramiques modernes et passées – en particulier au niveau des formes et des décors, et dans une moindre mesure des traitements de surface et de l’ébauchage – pourraient en revanche être le reflet des phénomènes historiques auxquels les Cañaris ont indéniablement été confrontés au cours de leur histoire. Idrovo (2000, p. 314, 315) signale par exemple avoir relevé des influences stylistiques cañaris sur plusieurs objets considérés comme incas (d’après leurs caractéristiques morphologiques).

65 Certes, les traditions cañaris d’aujourd’hui (langues, costumes… – Landívar, comm. pers. 2015, voir aussi Wachtel 2013 [1971], p. 224) semblent surtout issues des cultures inca et espagnole – ce qui de fait a amené Hirschkind à proposer l’hypothèse de la disparition des Cañaris préhispaniques. Pourquoi la tradition cañari contemporaine comporte-t-elle autant d’éléments d’origine inca et espagnole, qui sembleraient avoir dissipé les éléments cañaris précolombiens ? Salomon (2013, p. 37) suggère que, dès le XVe siècle, les Cañaris auraient eux-mêmes choisi de s’identifier aux Incas, puis aux Espagnols, comme mécanisme d’autoprotection face au régime dominant. En d’autres termes, les Cañaris n’auraient pas disparu, ils se seraient recréés une identité composite dissociée de son contenu pré-inca, en cherchant à incorporer des éléments des traditions inca et espagnole, ceux-là mêmes que l’on retrouve aujourd’hui d’un point de vue linguistique, vestimentaire, gastronomique, etc.

Nouveaux éclairages sur la céramique cañari précolombienne

66 Comme nous l’avons spécifié précédemment, Idrovo (1989, p. 6) soupçonnait que le battage serait apparu dès Tacalshapa II (qu’il situe entre 100-200 av. J.-C. et 500 apr. J.- C.). Outre la présence de battoirs provenant de contextes non datés et en l’absence de données supplémentaires, Idrovo (ibid.) reconnaissait que cette origine supposée du

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battage restait cependant hypothétique. Par comparaison avec le référentiel ethnographique constitué ici, l’analyse du matériel Tacalshapa muséal et celui issu des fouilles du Cuyes a permis de confirmer empiriquement que la céramique Tacalshapa a bien été mise en forme par battage, technique que l’on pourrait dès lors faire remonter au Tacalshapa I proposé par Idrovo (2000, p. 54) à partir de sa datation de 110 av. J.-C. Par ailleurs, nos observations suggèrent que le battage aurait également été employé pour le préformage des récipients Cashaloma, ce qui signifierait que Tacalshapa et Cashaloma appartiendraient à la même tradition technique, dont elles constitueraient des variantes.

67 La Figure 19 illustre la répartition spatiale des groupes « panse modelée/battue » (« Tacalshapa ») et « panse modelée/colombinée/battue »6 (« Cashaloma ») des récipients muséaux examinés. Ces données iraient dans le sens de l’hypothèse selon laquelle le groupe correspondant à Tacalshapa se retrouverait surtout dans la province d’Azuay, et celui de Cashaloma, dans celle de Cañar.

Fig. 19 – Répartition en nombres absolus et en pourcentages des objets muséaux étudiés par groupes techniques et par provinces (tableau C. Lara).

Groupes

Provinces Panse modelée/battue Panse modelée/colombinée/battue

Total objets Pourcentage (%) Total objets Pourcentage (%)

Cañar 19 30 13 50

Azuay 43 67 10 38

Morona-Santiago 2 3 3 12

Total 64 100 26 100

68 D’autre part, la mise en perspective des datations disponibles dans la bibliographie pour chacun des styles remettait déjà en question la diachronie présupposée entre les deux. Il existe en effet une date ancienne pour Cashaloma, tandis qu’une des datations Tacalshapa évoquait la possibilité d’un prolongement de cette phase au-delà de sa fin communément admise (1000 apr. J.-C.). Cet état de fait suggérait au moins une période de coexistence entre les deux traditions. Or il a été précisé que les 771 tessons du Cuyes appartenaient au groupe « panse modelée/battue » et donc à Tacalshapa. Parmi les onze échantillons de charbon de bois collectés dans la vallée du Cuyes, quatre se rattachent à ce matériel Tacalshapa, permettant ainsi une estimation chronologique du groupe technique correspondant. Ces datations repoussent ainsi la fin de Tacalshapa à 1634 apr. J.-C., confirmant que Tacalshapa a bien été contemporain de Cashaloma (au moins pour ce secteur, certes périphérique aux centres cañaris interandins). En termes techniques et chronologiques, notre recherche permet d’envisager que, s’il est possible que Tacalshapa ait débuté avant Cashaloma, il n’est en revanche plus possible de considérer ces deux styles comme strictement diachroniques dans l’ensemble du territoire cañari. Dans l’attente de la parution ou la découverte de nouvelles données sur d’autres assemblages de céramique cañari tardive, la Figure 20 présente le nouvel aspect du panorama chronologique régional après incorporation des dates obtenues dans la vallée du fleuve Cuyes.

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Fig. 20 – Datations 14C existant à ce jour pour les céramiques Tacalshapa et Cashaloma (actualisées à partir des données issues de la vallée du fleuve Cuyes).

Date 14C (apr. J.-C., si non Code (laboratoire) Site Source précisé)

Cashaloma

1400+/-60* CSIC335 et CSIC337 Pilaloma 2 Alcina Franch 1981, 1370+/-70* CSIC323 p. 97 1260+/-80* CSIC322 Pilaloma 1

? Institut für Intihuayco Jaramillo 1976, 1260+/-60* Bodemkunde (université (Ingapirca) p. 156 de Bonn)

Alcina Franch 1981, 1250+/-70* CSIC336 Pilaloma 2 p. 97

1250+/-60* ? Institut für Intihuayco Jaramillo 1976, Bodemkunde (université (Ingapirca) p. 156 1200+/-70* de Bonn)

1030+/-50* CSIC338 et CSIC339 Pilaloma 2 Alcina Franch 1981, 990+/-70* CSIC319 Pilaloma 1 p. 97

980+/-60* ? Institut für Meyers in Bodemkunde (université Pilaloma (Ingapirca) Jaramillo 1976, 440+/-80* de Bonn) p. 123, 124

Tacalshapa

1451-1634*** (date A.P. Vallée du Cuyes (San Ly-16923 Lara 2017, p. 189 non calibrée : 360+/-25) Miguel, secteur 2)

2-TP1-83 (Geochron 1320+/-255** (date A.P. Casa Llanos (sondage Laboratories Division, Valdez 1984, p. 228 non calibrée : 630+/-255) cuvette) Cambridge, MA)

1356-1389 et 1270-1315*** Vallée du Cuyes (date A.P. non calibrée : Ly-16925 (Espíritu Playa, 680+/-30) secteur 1)

Vallée du Cuyes 1280-1395*** (date A.P. Ly-13039 (Santopamba, Lara 2017, p. 189 non calibrée : 650+/-30) secteur 3)

Vallée du Cuyes 1154-1260*** (date A.P. Ly-16924 (Espíritu Playa, non calibrée : 845+/-30) secteur 1)

3-H1-83 (Geochron 1115+/-180** (date A.P. Casa Llanos (huaca Laboratories Division, non calibrée : 935+/-180) no 1) Cambridge, MA)

3-CA1Z1-83 (Geochron 825+/-120** (date A.P. non Casa Llanos (fond de Laboratories Division, Valdez 1984, p. 228 calibrée : 1125+/-120) la cuvette) Cambridge, MA)

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2-B02-83 (Geochron 585+/-130** (date A.P. non Laboratories Division, Casa Llanos (puits calibrée : 1365+/-130) Cambridge, MA) d’offrande)

110+/-50 (av. J.-C)* ? Pumapungo Idrovo 2000, p. 54*

*Calibration inconnue. **L’âge moyen du 14C est de 5.570. ***Calibration à 2 σ (OxCal.v4.2.4).

Conclusion

69 En définitive, la recherche que l’on vient de résumer dans ses grandes lignes permet d’avancer les conclusions suivantes : • La comparaison des techniques de façonnage entre la poterie cañari précolombienne et la céramique contemporaine des Andes méridionales de l’Équateur fait apparaître de très fortes similitudes. D’après l’approche technologique, ce constat suggère qu’il y aurait bel et bien eu un phénomène de transmission entre les deux périodes. Constat qui se pose comme une alternative possible à l’hypothèse selon laquelle, suite aux invasions successives des Incas et des Espagnols dès le XVe siècle, les Cañaris précolombiens auraient été quasiment décimés, les groupes actuels s’auto-désignant comme Cañaris étant en fait issus d’autres groupes ethniques. Nos résultats favoriseraient plutôt l’hypothèse de Salomon (2013, p. 37) sur l’adoption volontaire des traditions incas et espagnoles par les Cañaris comme stratégie de « survie », plus que celle d’une disparition pure et simple du groupe. • Du fait de la présence de battoirs en contexte cañari précolombien, des auteurs comme Idrovo (1989, p. 6) soupçonnaient déjà que la technique du battage était pratiquée par les anciens potiers cañaris. Nous avons pu le confirmer empiriquement à partir des stigmates macro et microscopiques mis en évidence sur les parois des récipients correspondants. Battage qui a été détecté non seulement sur la céramique Tacalshapa, mais aussi sur des pots Cashaloma, ce qui confirmerait, par là même, le rattachement de ces deux phases à une seule tradition dont elles constitueraient des variantes. Par ailleurs, les datations obtenues sur le Tacalshapa du Cuyes confirment que – pour ce qui concerne au moins le sud-est du territoire cañari –, les ensembles Tacalshapa et Cashaloma ont bel et bien été contemporains, et qu’il n’est donc plus possible de présenter ces deux phases comme strictement diachroniques.

70 Il existe bien évidemment plusieurs méthodes d’analyse et d’interprétation de la céramique archéologique, chacune avec ses forces et ses faiblesses. L’approche technologique est l’une d’elles. Elle n’avait jamais été appliquée de manière aussi poussée dans les Andes auparavant. À travers l’exemple cañari, cet article cherche également à mettre en avant le type de contribution que peut produire cette approche novatrice dans un contexte andin précolombien et contemporain. Les résultats avancés auraient sans nul doute besoin d’être confortés par l’étude de corpus supplémentaires, plus représentatifs d’un point de vue spatio-temporel (par exemple d’objets Cashaloma, les moins nombreux dans notre assemblage), et éventuellement la prise en compte d’autres types de matériaux. Mais notre recherche montre que d’autres voies méthodologiques et interprétatives sont possibles, et que seule la prise en compte de l’ensemble de ces perspectives nous permettra de progresser dans la lecture du passé précolombien.

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NOTES

1. Si les provinces contemporaines de Cañar et d’Azuay constituent le cœur du territoire cañari précolombien, ce dernier aurait également « débordé » sur ce qui est aujourd’hui l’extrême sud de la province de Chimborazo, l’est de El Oro et de Guayas, l’ouest de Morona Santiago ainsi que le nord de Loja (Hirschkind 2013, p. 43 : voir Figure 1). Dans l’ensemble, ces espaces frontaliers sont moins connus, ce qui complique à l’heure actuelle la délimitation cartographique précise du territoire cañari précolombien. 2. D’après les documents ethnohistoriques, il existait une langue cañari précolombienne. Cette langue a aujourd’hui disparu (seuls quelques toponymes subsistent). Le cañari précolombien aurait été remplacé par le quechua des Incas, à l’époque où ces derniers commencèrent à étendre leur influence dans la région. Mais la diffusion massive de cette langue aurait eu lieu quelques décennies plus tard, avec l’évangélisation des populations locales par les Espagnols, pour qui le quechua aurait fait office de langue véhiculaire (Quindi Pichisaca 2011, p. 36). Aujourd’hui, les populations s’autoproclamant Cañaris parlent le quichua (variante locale actuelle du quechua inca d’origine) et l’espagnol. Les travaux d’Hirschkind (2013, p. 57, 58) suggèrent que ce serait une des conséquences du processus de disparition des Cañaris précolombiens. 3. Une technique étant une modalité physique de transformation de la matière première (Roux 2007, p. 158). 4. L’objectif de notre projet au Cuyes était de collecter un échantillon représentatif de la céramique associée à la période précolombienne tardive de l’ensemble de la vallée. Les contraintes logistiques du projet – mené dans une zone difficile d’accès à la topographie particulièrement accidentée – rendaient en outre difficile la mise en œuvre d’une fouille intensive des lieux. C’est pourquoi la stratégie choisie pour prélever le matériel s’est voulue plus extensive qu’intensive. Par ailleurs, l’approche technologique est essentiellement une méthode qualitative (Roux et Courty 2005, p. 204). Dépendant de la problématique en jeu, une analyse technologique poussée de quelques centaines de tessons peut suffire à mettre en évidence des tendances significatives. 5. Du point de vue de l’approche technologique choisie ici, afin de comparer la poterie cañari passée et présente à celle des régions voisines, il serait sans doute nécessaire d’y effectuer des études technologiques diachroniques semblables à celles que nous proposons. Nous soulignerons tout de même qu’en l’état actuel des connaissances, le territoire cañari est le seul espace en Équateur où l’on retrouve des battoirs à tenons en quantités significatives, depuis l’époque préhispanique jusqu’à nos jours. Ce qui suggère que le battage avec des battoirs à tenon est absent des panoplies techniques des cultures voisines, et qu’il constitue par conséquent une particularité cañari à part entière. 6. Comme nous l’avons précisé plus haut, sur 117 objets cañaris, 101 sont de provenance connue. Sur ces 101 objets, 90 ont pu être rattachés avec certitude à un de nos groupes techniques. Des doutes subsistant par rapport aux 11 autres, ces derniers n’ont pas été pris en compte dans la Figure 19.

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RÉSUMÉS

Les Cañaris constituent une population actuellement implantée dans les Andes méridionales de l’Équateur. Ils affirment être les descendants du groupe homonyme qui – d’après les données archéologiques – a habité ce territoire au moins à partir de 100 av. J.-C., et ce jusqu’à l’arrivée des Incas, puis des Espagnols, entre les XVe et XVIe siècles. Une étude ethnohistorique récente affirme toutefois que les Cañaris préhispaniques n’auraient quasiment pas survécu à ces deux conquêtes successives, et que les Cañaris contemporains sont en fait issus du métissage entre des populations non locales. Cet article se propose d’interroger cette hypothèse à partir de la mise en œuvre d’une approche technologique appliquée à l’étude comparative de la céramique passée et actuelle de la région. Les résultats obtenus apportent également des éléments nouveaux quant à la compréhension de la variabilité de la céramique cañari précolombienne.

Los cañaris son una población actualmente asentada en los Andes meridionales del Ecuador. Afirman ser los descendientes del grupo homónimo que –según los datos arqueológicos– ocupó el mismo territorio entre al menos 100 a.C. y la llegada de los incas y españoles entre los siglos XV y XVI de nuestra era. Un estudio etnohistórico reciente afirma no obstante que los cañaris prehispánicos prácticamente no sobrevivieron a estas dos conquistas sucesivas, y que los cañaris actuales son en realidad el resultado del mestizaje entre poblaciones no locales. El presente artículo se propone comprobar esta hipótesis a través de la puesta en práctica de un enfoque tecnológico aplicado al estudio comparativo de la cerámica pasada y actual de la región. Los resultados obtenidos permiten además aportar nuevos elementos en cuanto a la comprensión de la variabilidad de la cerámica cañari precolombina.

The Cañaris are a group currently settled in the southern Andes of Ecuador. They claim to be the descendants of the homonym group which—according to archaeological data—inhabited the same territory between at least 100 BC and the arrival of the Incas and Spaniards between the XV and XVI centuries AD. However, a recent ethnohistoric study claims that the vast majority of Precolumbian Cañaris did not survive these two successive conquests, and that the modern Cañaris are actually the result of a cultural mix between non local groups. This article seeks to test this hypothesis through the implementation of a technological approach applied to a comparative study of the ancient and current ceramics from the southern Andes of Ecuador. The results obtained also shed new light on the variability of Cañari Precolumbian ceramics.

INDEX

Palabras claves : tecnología cerámica, golpeado, etnoarqueología, Andes Septentrionales, Ecuador, cañaris Keywords : ceramic technology, beating, ethnoarchaeology, Northern Andes, Ecuador, Cañaris Mots-clés : technologie céramique, battage, ethnoarchéologie, Andes septentrionales, Équateur, Cañaris

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AUTEUR

CATHERINE LARA

UMR 7055 « Préhistoire et technologie », Maison archéologie et ethnologie, René-Ginouvès, NANTERRE

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Nouveaux apports sur l’archéologie du littoral de Guyane : de la préhistoire à la conquête New data on the archaeology of the French Guiana coastal plains: from prehistory to the Encounter Novas contribuições para a arqueologia das planícies costeiras da Guiana Francesa: da pré-história até o Período Cerâmico tardio

Martijn M. van den Bel

NOTE DE L’ÉDITEUR

Manuscrit reçu en avril 2017, accepté pour publication en février 2018. C’est, semble-t-il, le destin constant de la Guyane, que chaque génération, ignorant ou rejetant systématiquement l’œuvre de la précédente, reprenne indéfiniment les tentatives et butte sur les mêmes obstacles. Jean-Marcel Hurault (1989, p. 65)

1 Il y a presque 25 ans, Stéphen Rostain constatait que « la préhistoire de la Guyane française était pratiquement inconnue » et que « la problématique d’une recherche archéologique en Guyane était de ce fait évidente » (Rostain 1994a, p. 10). Depuis lors, et même si l’état des connaissances rapporté à l’étendue du département (plus de 80 000 km2) demeure lacunaire, de nouvelles avancées ont eu lieu, tant au niveau géographique, par exemple dans la région à l’ouest de Kourou, qu’au niveau chronologique, notamment avec la découverte de sites précéramiques (période inconnue encore récemment) lors de recherches archéologiques préventives menées au début des années 2000 (van den Bel et al. 2006 ; Mestre et Delpech 2008).

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2 Le paysage de la recherche archéologique a donc changé depuis 1994 (Rostain 1994b), notamment avec les études effectuées autour du barrage de Petit-Saut, premier projet archéologique de sauvetage entamé à la fin des années 1980 (Vacher, Jérémie et Briand 1998). Après ce projet phare sur la rivière Sinnamary, d’autres fouilles extensives et préventives ont eu lieu dans les années 1990 comme celles du Mont- Matoury à Cayenne, de Favard dans les Montagnes de Kaw et sur la future route RN2 entre Régina et Saint-Georges de l’Oyapock. C’est toutefois au début des années 2000 que commencèrent les premiers diagnostics et les fouilles préventives sous la houlette de l’Inrap. Depuis la mise en place locale de cet institut en 2001, ce sont plusieurs centaines de diagnostics et une dizaine de fouilles archéologiques préventives qui ont été effectuées. Ces travaux, cumulés avec les précédents ainsi que les recherches programmées, ont modifié l’état des connaissances tel qu’il avait été dressé au milieu des années 1990.

3 On présentera ici les résultats de six fouilles archéologiques préventives menées par l’auteur entre 2005 et 2010. Ces travaux sont bien évidemment loin d’être les seuls ; on se réfèrera donc aussi, à titre comparatif, à ceux de plusieurs collègues (voir Annexe I). L’article de Rostain, publié dans ce même journal, servira de point de départ, de façon à illustrer les nouveautés et les changements intervenus depuis 1994 dans le cadre chrono-culturel guyanais. Postérieurement à cette date, sur la base de nouvelles fouilles programmées, Rostain lui-même a apporté plusieurs modifications au cadre chrono-culturel qu’il avait proposé initialement, par exemple à propos du complexe céramique tardif de Barbakoeba (Ouest guyanais). On doit mentionner également les recherches programmées de l’ACR « Préhistoire de la côte occidentale de Guyane » qui s’est déroulée entre 2002 et 2005 (Rostain 2015), ainsi que le projet international « Earthmovers » entre 2006 et 2010, plus ambitieux et destiné à prouver la nature anthropique des champs surélevés et leurs rapports avec la culture arauquinoïde sur la bande littorale occidentale guyanaise (Renard 2010 ; Coutet 2011 [2009] ; McKey et al. 2010, 2014 ; Iriarte et al. 2012).

4 Les sites dont il sera question ici ont été étudiés dans le cadre de l’archéologie préventive française, dont les avantages et les inconvénients font toujours l’objet de débats. Un apport indéniable de celle-ci est assurément l’énorme augmentation des données archéologiques qu’elle a permise. Outre cet aspect quantitatif, on doit aussi souligner la qualité des fouilles de ce type car, autant en contextes périurbains que dans des zones plus ou moins dépeuplées, elles se caractérisent par la mise au jour de surfaces de plusieurs milliers de mètres carrés, ce qui aboutit généralement à l’exposition de centaines d’anomalies à tester avec du mobilier, notamment céramique et lithique. Ce genre de fouilles fournit des données bien supérieures à celles que l’on obtient par des prospections pédestres, des études de collections privées ou des sondages manuels de quelques mètres carrés comme cela se faisait avant les années 1990. Les informations recueillies de cette manière permettent en effet de mieux définir les cadres chrono-culturels des secteurs étudiés (voir Annexe II).

5 Le cadre chrono-culturel qui sera exposé et discuté ci-dessous s’appuie sur une synthèse de travaux plus anciens et sur des données nouvelles issues des six fouilles préventives déjà mentionnées et qui se sont situées dans la partie occidentale de la Guyane, sur la bande littorale entre l’île de Cayenne et le fleuve Maroni (Figure 1). Ce cadre couvre l’Âge archaïque (9000 à 3000 av. J.-C.), l’Âge céramique ancien (de

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3000 av. J.-C. à 900 apr. J.-C.), l’Âge céramique récent/tardif (entre 900 et 1500) et l’Âge moderne ou historique (1500-1950)1.

6 Les recherches récentes ont mis en évidence des vestiges qui attestent, pour la première fois, d’occupations humaines aux deux premiers âges cités. Elles ont apporté aussi des indices qui ouvrent la voie à des modifications et des compléments sur les complexes céramiques Barbakoeba, Koriabo et Thémire. En revanche, aucun vestige remontant à la fin du Pléistocène et attribuable à l’Âge lithique, n’est encore connu en Guyane française2.

Fig. 1 – Carte de la bande littoral entre les rivières Approuague et Suriname avec les sites archéologiques discutés dans la présentation (carte par M. van den Bel).

L’Âge archaïque tardif

7 La carrière dite « Eva » a été exploitée par le Centre spatial guyanais pour la construction du pas de tir de Soyouz (Figure 1). Le site archéologique d’Eva 2 se localise sur le sommet (environ 26 m NGG et 2,5 ha en surface) d’une colline de sables blancs (série détritique de base) qui se trouve à la limite entre le socle précambrien et la plaine côtière pléistocène (formation de Coswine), au sud-ouest du hameau de Malmanoury dans la commune de Sinnamary (Choubert et al. 1958, fig. 1)3.

8 À environ 1 m de profondeur, on a localisé un paléosol (10 à 15 cm d’épaisseur) contenant les vestiges d’une occupation archaïque, datée par radiocarbone entre 4500 et 2000 av. J.-C. Cette occupation est matérialisée par la présence de grandes quantités de produits de débitage en quartz, par des outils en pierre polie, des amas de blocs de quartz et de la céramique très fragmentée. Ce niveau ancien a été décapé sur une surface d’environ un demi-hectare en collectant le mobilier par unité de 2 x 3 m. À l’intérieur du sol et immédiatement au-dessous furent dénombrés plus de 200 amas de blocs de quartz répartis en trois zones distinctes. Pour des questions de temps et au vu de la grande quantité de mobilier présent, il a été choisi de procéder à un échantillonnage de cette couche sur une surface de 50 m², avec tamisage des contenus

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sur plusieurs niveaux arbitraires (Secteur 12)4. Deux autres sites de cette époque, sur sables blancs, sont apparus en Guyane : celui de Plateau des Mines (PDM), à Saint- Laurent-du-Maroni (Mestre et Delpech 2008) et, plus récemment, celui de Luna (Briand 2015), proche d’Eva 2. Ces derniers établissements comportaient aussi une occupation amérindienne attribuée à l’époque historique (van den Bel 2010c ; van den Bel et al. 2015).

Le mobilier lithique

9 Le débitage sur enclume ou bipolaire est le mode de production le plus important du site. Ce débitage du quartz produit principalement des éclats et des fragments à l’exception de quelques produits laminaires sur le site de Chemin Saint-Louis à Saint- Laurent-du-Maroni. Les occupants se sont servis de filons de pegmatites qui affleurent à l’ouest et au sud, ainsi que dans les criques environnantes. Ils ont également collecté des blocs de dolérite et d’amphibolite pour la fabrication de haches pétaloïdes, de pilons et de mortiers. Cependant, l’identification de ces deux dernières matières est extrêmement difficile à l’œil nu et des analyses géochimiques seront nécessaires pour déterminer leurs provenances. On note également l’usage de gneiss, de tufs et d’oxydes de fer.

Fig. 2 – Outils à moudre trouvé dans le paléosol du site Eva 2 : a. un meule ; b. un mortier ; c. trois edge grinders (photo par S. Delpech).

10 La grande majorité des outils est constituée d’éclats de quartz ayant une morphologie triangulaire à quadrangulaire et souvent une section trapézoïdale. La plupart mesurent 2 cm environ, mais certains atteignent entre 2 et 4 cm. Les retouches sont rares : seulement deux (grands) éclats représentent des racloirs. Il s’agit d’un débitage opportuniste destiné à obtenir des éclats de petite taille. Il s’avère difficile de

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déterminer la fonction de ces éclats : des analyses microscopiques (tracéologie) et de l’expérimentation sont nécessaires pour avancer sur le sujet5.

11 Les nucléus recueillis sont également de petite taille (< 4 cm), car ils sont pratiquement épuisés. Ils sont de formes très variées. Cette diversité s’explique par une trajectoire de taille aléatoire, mais aussi par la réutilisation de plusieurs pièces comme percuteurs.

12 Douze haches polies ont été trouvées et elles ont de 7 à 20 cm de longueur, pour une largeur de 6 cm en moyenne et une épaisseur comprise entre 2 et 4 cm. Elles sont toutes en dolérite ou en amphibolite. Sept haches sont triangulaires, quatre rectangulaires et une trapézoïdale, et elles ont toutes un tranchant lisse. L’une possède un double tranchant. Un spécimen se classe plutôt comme herminette.

13 Quatorze gros blocs abrasés sur une ou deux faces ont été identifiés comme des meules. Il s’agit de meules en quartz, en granite, en dolérite et en roche indéterminée, dont quatre ont été échantillonnées pour des analyses d’amidon (Figure 2a-b). Les résultats ont démontré la présence de granules d’amidon de maïs, de patates douces, de dictames et de pois sabres. Il s’agit de résultats importants à propos des modes de subsistance des populations de l’Archaïque tardif (Pagán Jiménez et al. 2015).

14 Enfin, on a dénombré également six molettes, trois pilons, deux broyeurs ou « edge grinders » ayant une face aplatie, un mortier et un calibreur (Figure 2c). Concernant la distribution spatiale du mobilier lithique, deux zones contiennent de nombreux artefacts en pierre, mais plusieurs concentrations d’outils correspondent à des espaces où peu d’amas de blocs de quartz ont été trouvés. On pourrait ainsi distinguer des zones d’activités distinctes : les unes dédiées aux amas de quartz et les autres à la fabrication des outils en pierre.

Les amas de quartz

15 Au total, 210 amas de blocs de quartz ont été identifiés. Ils sont constitués de blocs d’une taille de 5 à 20 cm, souvent organisés dans une petite cuvette d’environ 50 cm de profondeur (Figure 3a-b). Le tamisage du sédiment provenant des amas a livré de faibles quantités de matières carbonisées (charbons de bois, graines et ossements), mais 58 contenaient des fragments de céramique. Quelques amas se trouvent l’un à côté de l’autre, mais aucun amas ne recoupe un autre. Leur forme est variable et leur taille oscille entre 20 et 120 cm de diamètre. Certains sont bien organisés, ayant plusieurs couches de blocs superposés, tandis que d’autres sont seulement constitués de quelques blocs dispersés. Au milieu de l’amas se trouve parfois un creux circulaire de 15 à 20 cm de diamètre (van den Bel 2010b).

16 En cours de fouille, on a distingué trois zones avec amas, chacune marquée par une concentration (environ 70 amas par zone). À l’intérieur de chaque zone, on a pu distinguer aussi des ensembles formant des alignements rectilignes ou d’autres organisés en « demi-lune » et constitués de 4 à 6 amas. Au terme de plusieurs interrogations des données sous SIG, il apparaît que la variabilité des dimensions et la diversité des types s’expliqueraient par le fait que les amas ont dû être utilisés plusieurs fois et que la typologie établie renverrait plutôt, soit à des phases d’utilisation, soit à la vidange des cuvettes. On peut donc déduire des amas plusieurs séries de gestes notamment ceux de remplir et de vider les cuvettes de blocs de quartz chauffés. De plus, le fait qu’il n’y ait pas d’amas recoupés montre qu’ils étaient visibles en surface lors de l’occupation du site.

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17 La découverte de ces amas de blocs de quartz et leur distribution spatiale posent évidemment des questions sur leur(s) fonction(s) exacte(s). En Guyane, une seule autre référence existe concernant des amas de blocs de quartz contemporains, celle du PDM : les fouilles ont livré là une dizaine d’amas de quartz comparables avec ceux d’Eva 2 (Mestre et Delpech 2008)6. Le fait que les blocs semblent bien organisés et qu’ils aient été chauffés, joint au creusement d’une cuvette peu profonde, évoque un lieu de combustion ou un four. Cependant, ce genre de structure reste inconnu sur le reste du plateau des Guyanes. Pour tenter de trouver des structures identiques, il faudra donc chercher ailleurs ou encore utiliser des analogies ethnographiques. Plusieurs échanges avec des archéologues nord-américains travaillant principalement sur les sites lithiques et archaïques du sud des États-Unis paraissent confirmer l’hypothèse qu’il s’agirait de cuvettes pour pierres chauffantes ou « Fire Cracked Rocks » (Dering 1999 ; Thoms 2003, 2009) (Figure 3c).

Fig. 3 – Amas de pierres du site Eva 2 : a. amas en coupe dans le paléosol (photo par M. van den Bel), b. amas en vue zénithale (photo par M. van den Bel) et c. l’expérimentation d’un four à pierre chauffées (photo par Alston Thoms, avec mes remerciements).

La céramique

18 Des tessons de céramique montée au colombin, très altérés et fragmentés, ont été trouvés dans le paléosol et parmi les blocs de quartz des amas. Les finitions de surface ainsi que les éventuels décors ont disparu suite au lessivage dans les sables blancs. On a pu isoler 18 éléments constituants (EC) dont 15 bords et 3 bases. Il s’agit de formes ouvertes (N = 12) et fermées (N = 3) dont quatre carénées ayant des diamètres d’ouverture entre 20 et 28 cm avec lèvre amincie. Les trois bases sont convexes et elles

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montrent clairement le colombin de départ d’un diamètre d’environ 5 cm. La pâte est constituée d’environ 20 % de sable grossier.

Conclusion

19 Les fouilles d’Eva 2 et celles du PDM ont révélé un nombre conséquent d’éléments concernant l’occupation archaïque tardive de la plaine littorale de la Guyane. • La localisation sur les sables blancs montre que les archéologues doivent prêter attention aux paléosols dans cette formation géologique. • Ces paléosols contiennent de grandes quantités de mobilier lithique, notamment des éclats de moins de 2 cm, issus d’un débitage bipolaire. • On y trouve également des amas de blocs de quartz dans des cuvettes. Ils s’alignent parfois et forment des concentrations limitées. Il s’agit probablement de fours qui représentent ainsi une activité importante de la préparation d’aliments sur place. • La présence d’outils à moudre (meules, molettes, pilons) conforte cette hypothèse et représente une autre phase de préparation des aliments. Les analyses des amidons indiquent la présence de maïs, de patates douces et de dictames.

20 Les dates au radiocarbone, la présence du débitage bipolaire et les outils à moudre font penser aux séries culturelles précéramiques ortoiroïdes telles que définies par Cruxent (1971), par Rouse (1992) et par Boomert (2000) pour l’aire circum-caribéenne. Les broyeurs dits « edge grinders », également trouvés sur Eva 2 et sur PDM, constituent un élément caractéristique de ces séries, selon Boomert « Although the function of the edge grinders at the Ortoiroid sites of Trinidad and South American mainland is not sufficiently known [at that time], these implements should be considered as the type artefacts of the Ortoiroid series » (Boomert 2000, p. 74).

21 La présence d’une céramique ancienne (à partir de 2200 av. J.-C.) sur Eva 2 évoque le complexe El Conchero tardif (Cruxent 1972, p. 39-40), la Phase Alaka tardive (Evans et Meggers 1960, p. 38-53 ; Williams 2003 ; Roosevelt 1995), ainsi que les complexes anciens de Mina au Brésil (Côrrea et Simões 1971 ; Simões 1981 ; Roosevelt 1995, p. 117 ; Marques 2009) ou encore la tradition, plus large encore, du littoral sud-américain (Willey 1971, p. 361). Eva 2 se placerait donc dans cette tradition de céramique ancienne qui semble apparaître sur la bande littorale des Guyanes dès 3000 av. J.-C., bande sur laquelle on peut désormais ajouter la Guyane française.

22 On remarquera cependant que tous les sites mentionnés ci-dessus comprennent aussi des amas de coquilles, lesquels sont absents sur les sites d’Eva 2 et de PDM. Cela pourrait peut-être s’expliquer par le lessivage des sols, le type de site, l’absence de crustacés dans les estuaires guyanais ou encore par les méthodes de fouille. Néanmoins, une économie de subsistance avec fours et meules et, plus tard, la céramique, éléments présents également lors de la Phase Alaka et à Mina, constituent un cas à part. Plusieurs plantes comestibles auraient ainsi été cuites à l’étouffé dans les fours ou « earthovens » avec, ou non, d’autres transformations (épluchage, grattage, écrasement…). Il se serait agi d’obtenir des pâtes ou des boulettes (« tamales ») et, plus tard, des soupes épaisses cuites dans des récipients fermés (van den Bel, Knippenberg et Pagán Jiménez 2018). L’introduction des plaques à cuire (pour produire des galettes, de la cassave ou des « tortillas »), absentes sur le site d’Eva 2, marquera ensuite une autre étape dans la consommation des Amérindiens, cette fois à l’Âge céramique.

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L’Âge céramique ancien : phases A et B

23 Le site amérindien de Chemin Saint-Louis (CSL) est implanté sur la berge d’une terrasse holocène située sur la rive droite du bas-Maroni (Figure 1). Cette berge s’étend vers le nord et le sud le long du fleuve en constituant un site couvrant environ 15 hectares. Ce site de berge se marque par la présence d’une épaisse couche noire parsemée de mobilier archéologique jusqu’à une profondeur d’environ 1 m dans l’est de la parcelle (Figure 4a). Au-dessous de cette couche anthropique se trouvent les creusements liés à l’habitat des différentes phases d’occupation. Les datations au radiocarbone ont montré trois occupations majeures espacées dans le temps : une première vers 3300-1900 av. J.- C. (Phase 1), une deuxième entre 0 et 400 apr. J.-C. (Phase 2) et une dernière entre 900 et 1300 (Phase 3). La première et la deuxième phase représentant des périodes inédites jusqu’à présent dans l’ouest de la Guyane française (van den Bel 2012b). On constate par ailleurs que les Amérindiens n’ont pas occupé ce site en continu : il y a, en effet, des hiatus chronologiques non seulement entre les phases, mais aussi pendant ces dernières, notamment pendant les phases 1 et 3. Concernant ces deux phases, on suppose que les populations ont persisté à vivre sur la berge, mais que le lieu exact de leur implantation a changé, comme le montre le site de La Pointe de Balaté, situé au nord de CSL et fournissant les mêmes mobiliers et datations en Phase 3. Les hiatus entre les phases 1 et 2 et les phases 2 et 3 sont bien marqués et suggèrent, eux, un abandon définitif. On peut en définitive considérer que le site de CSL a connu une longue trajectoire à travers la préhistoire du Bas-Maroni.

Fig. 4 – Le site de Chemin Saint-Louis : a. profil des terres noires (photo P. Texier), b. fosse à charbon daté à la Phase 1 (photo M. van den Bel), c. les céramiques anciennes de la Phase 1 : l’étoile indique les prélèvements de résidu noir pour analyse d’amidon (dessins par M. van den Bel).

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Phase 1

24 La dernière terrasse du Maroni (Terrasse IV) a été mise en place entre environ 10 000 et 6 000 ans avant nos jours7. Une fois que le Maroni a eu creusé son lit, il a commencé à déposer du sable lors des crues, ce qui a déclenché la formation d’une petite berge sur l’escarpement de la terrasse. En même temps, cela a engendré la formation d’une zone basse ou bassin, derrière la (nouvelle) berge. Une fois le Maroni revenu à un rythme plus calme, il y a en gros 4 500 ans, les Amérindiens commencèrent à fréquenter ce lieu mais, à l’exception de deux fosses (ayant livré des dates 14C se rapportant au régime calme du Maroni), nous n’avons pas trouvé d’artefacts. Un peu plus tard, la berge fut clairement occupée, comme en témoignent deux fosses charbonneuses situées sur le sommet de la berge (Secteurs 54 et 55), soit la partie la plus haute de la zone fouillée dont le méplat sommital se trouve plus au nord.

25 La nature de ces fosses demeure difficile à déterminer, mais elles sont interprétées pour l’instant comme des foyers. À quelques mètres du foyer F42 se trouvent deux autres fosses contenant chacune deux vases entiers déposés à l’envers et ayant fourni des dates contemporaines des foyers (2300 av. J.-C.) (Figure 4b). Il s’agit probablement de deux sépultures ce qui évoque, en combinaison avec les foyers, une véritable zone d’habitat à la fin du IIIe millénaire avant notre ère.

26 Les populations amérindiennes qui fréquentaient le site disposaient d’une céramique assez simple : des jattes sphériques avec du quartz concassé comme dégraissant (Figure 4c). Leur industrie lithique était fondée sur le débitage du quartz qui se ramassait vraisemblablement sous forme de galets sur les plages du Maroni pendant la marée basse. On observe une technique standardisée sur les galets de rivière pour la production d’outils sur (petits) éclats. L’usage de ces outils demeure difficile à définir malgré nos tentatives d’analyse microscopique. Cependant, la production d’outils sur éclats, comme sur le site d’Eva 2, semble le but principal qui se manifeste à travers les différentes qualités de quartz (Knippenberg 2012).

27 Une grande meule est aussi associée à cette période d’après sa position topographique et sa forme, analogue à d’autres exemplaires contemporains trouvés sur Eva 2. Cette meule a été utilisée sur trois faces et les granules d’amidon prélevés dans les fissures et les pores ont démontré la présence des espèces suivantes : Ipomoea batatas, Phaseolus sp. et Zea mays. En plus, incrustés dans la paroi d’un vase, on a pu déterminer les granules d’amidon de Maranta arundinacea, Ipomoea batatas et Zea mays, ainsi que ceux de Marantaceae et Calathea sp., sur un autre vase (Pagán Jiménez 2012). Pour l’instant, on ne connaît pas encore les façons de consommer ces plantes, mais elles furent vraisemblablement transformées par broyage et par cuisson afin de fabriquer une soupe ou une bouillie par exemple.

28 Cette phase ancienne concorde avec les résultats d’Eva 2 et PDM (voir supra), en sachant que nous n’avons pas trouvé d’amas de blocs de quartz ou encore d’amas de coquilles dans le périmètre de la fouille8. Les récipients en céramique de cette phase semblent avoir été utilisés pour la préparation de la nourriture et cela peut expliquer leur simplicité et l’absence d’éléments décoratifs. En Guyane, de la céramique contemporaine a été trouvée pour l’instant seulement sur le site d’Eva 2 mais, dans ce cas, il s’agit principalement d’écuelles ou de formes de petite taille. L’ensemble de ces céramiques anciennes rappelle bien la phase Alaka au Guyana et la tradition Mina au Brésil. Même s’il est difficile encore de conclure à une relation culturelle entre les deux,

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il apparaît évident que la céramique ancienne était courante sur le plateau des Guyanes il y a 4 000 ans.

29 À la fin de la Phase 1 on se retrouve avec deux dates qui relient les Phases 1 et 2. Étant donné l’extension de la terrasse, on peut imaginer que ces dates correspondent à une suite de la Phase 1 mais ponctuelle. Comme déjà évoqué, il est possible que les habitats de cette phase « intermédiaire » aient été situés effectivement sur une autre partie de la terrasse. Le Maroni pouvait alors déborder encore régulièrement et les habitats pouvaient être, de ce fait, assez temporaires.

Phase 2

30 La Phase 2 se distingue par une occupation longue et continue confirmée par la présence d’une couche de terre noire épaisse. Outre une séquence serrée de datations, le type de structure (trous de poteau et fosses à dépôt de céramique) et le mobilier céramique présentent une homogénéité extraordinaire sur la surface fouillée. La série des dates suggère trois zones d’habitat matérialisées par des fosses à dépôts qui se trouvent au pied et autour du sommet de la berge. À travers cette séquence, on peut supposer des localisations espacées spatialement et chronologiquement, représentées par les Phases 2a-c. On observe que les structures s’entrecoupent à peine et que les fosses à dépôts sont plus ou moins groupées par dates. On peut en fait définir l’occupation comme un palimpseste d’habitats amérindiens marqués, chacun, par une grande zone de dépotoir. Cette succession d’habitats et l’accumulation de mobilier céramique et lithique ainsi que les matériaux végétaux et périssables (bois des poteaux, toitures, déchets alimentaires, excréments) ont enrichi le sol de la zone habitable et engendré le développement de la terre noire. La présence humaine sur le site a également provoqué un ruissellement local et un déplacement de sédiment du sommet vers les zones basses : à la fin de l’occupation, on estime que le bassin naturel avait été comblé avec du sable de ruissellement en formant un sol anthropique et cumulatif. Les résultats des analyses chimiques montrent une (légère) différence avec ceux de l’Amazonie centrale ce qui a conduit à proposer une terre noire propre à la Guyane, appelée « Guiana Dark Earth » (Brancier 2009 ; Brancier et al. 2014 ; Figure 4a).

31 La Phase 2 évoque un village permanent sur une longue durée (environ quatre siècles) au début du Ier millénaire de notre ère, sans interruption majeure, étiré sur une terrasse holocène du Maroni (Phases 2b-c), avec une étape d’habitat précurseur (Phase 2a)9. La céramique trouvée dans la zone orientale (Phase 2a) a livré des petites écuelles carénées avec un engobe rouge à l’extérieur (souvent appliqué entre la lèvre et la carène). L’occupation de la Phase 2c se situe vers l’escarpement de la terrasse à l’ouest où on trouve également des écuelles avec un engobe rouge ce qui prouve la forte homogénéité de la Phase 2b-c, couvrant quatre siècles.

32 L’étude céramique a permis d’établir un registre conséquent de huit formes populaires : les formes hyperboloïdes y sont éloquentes (Figure 5). La position de la carène change ainsi que l’inflexion de la partie supérieure (surtout parmi les écuelles), mais l’ensemble demeure principalement caractérisé par cette forme globale et non par les décors. On observe que les décors ne représentent que 6,7 % de l’ensemble céramique du CSL et que l’application d’un aplat (surtout rouge) en constitue l’essentiel (92 % des décors).

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Figure 5. Les formes principales du site Chemin Saint-Louis : Formes A-H Phase 2b-c ; Formes I-J Phase 2a et Formes K-N Phase 3. L’étoile indique le récipient des prélèvements de résidu noir pour l’analyse d’amidon (dessins par M. van den Bel).

33 Le reste correspond à d’autres types de décors comme les incisions, les ponctuations, le piquetage ou le modelage, ce dernier mode étant le moins fréquent. Pour caractériser la production céramique de cette deuxième occupation, on retiendra les formes en « cloche », les pâtes sableuses, les bases bombées à l’intérieur et les engobes rouges à l’extérieur. On peut ajouter encore trois formes qui jouent un rôle de marqueurs : les plats à bords creux avec engobe rouge à l’intérieur, le bol à col avec engobe rouge à l’extérieur, les pots bichromes à col multi-caréné.

34 Les séries de CSL Phase 2 n’ont pour l’instant pas d’équivalents contemporains dans la littérature et les quelques collections privées connues sur le Maroni. Il s’agit d’un ensemble inédit, mais bien calé par les datations 14C. On a cherché à déterminer les espèces végétales présentes sur des écuelles et des plaques à cuire afin de mieux connaître le régime alimentaire. Sur les plaques à cuire, on a identifié les graines d’amidon du piment domestiqué (Capsicum sp.), des patates douces (Ipomoea batatas) et du maïs (Zea mays). Ce type d’objet en céramique est communément nommé « platine à manioc », mais il semble qu’à l’époque précolombienne ces platines aient été utilisées pour cuire ou pour chauffer plusieurs types d’aliments et pas uniquement le manioc. Il faudra bien évidemment plus d’échantillons de diverses périodes pour déterminer l’usage des plaques à cuire. Sur les écuelles ont été trouvées les espèces suivantes : patates douces (Ipomoea batatas), Marantaceae, Maranta arundinacea, Manihot sp., Manihot esculenta, Fabaceae, Phaseolus vulgaris et lunatis, Zea mays. Ici donc, le manioc est bel et bien présent et il coexiste clairement avec le maïs, les patates douces et les haricots (Pagán Jiménez 2012).

35 Sur la base de ces premières données, on peut supposer que les préparations alimentaires ainsi que les ingrédients ont fluctué avec le temps et que ce qu’on observe

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aujourd’hui n’eut pas forcément cours à une date ancienne. Ces questions constituent un champ d’études importants pour la Guyane et sur la paléo-cuisine et la paléobotanique des populations amérindiennes (Rostain 2012b, 2015 ; van den Bel 2015a).

Phase 3

36 Cette phase, attribuée à l’Âge céramique tardif (voir infra), se situe entre 950 et 1270 apr. J.-C. Les dates, le type de structures et le mobilier céramique présentent une hétérogénéité qui rend difficile l’interprétation de cette occupation. Cette dernière occupation forme un binôme avec celle de La Pointe de Balaté (LPB) qui présente les mêmes caractéristiques. Ce dernier site se trouve sur la même terrasse holocène à environ 1,5 km de CSL, mais les deux sites sont séparés par la crique Balaté (Briand et al. 2016).

37 La céramique à formes ouvertes avec un dégraissant végétal (kwepi) ou à la chamotte et avec une pâte d’aspect savonneux domine cette double occupation. Géographiquement et chronologiquement, cet ensemble devrait s’intégrer dans les séries céramiques Barbakoeba du littoral oriental du Suriname (Boomert 1993). Cependant plusieurs éléments caractéristiques du complexe surinamien ne sont pas présents à CSL et LPB ; il pourrait s’agir d’une variante locale comme le site funéraire contemporain d’Awala Yalimapo à l’embouchure du Maroni (Coutet, Romon et Serrand 2014). La présence de pots toriques sur nos sites, portant des incisions géométriques complexes, renvoie au complexe Koriabo, très répandu dans les Guyanes lors de l’Âge céramique tardif (Boomert 1986, 2004). On doit remarquer ici que ces deux complexes céramiques tardifs se manifestent souvent sur le même site (Boomert 1993, p. 207-208), mais l’absence de plus de datations radiocarbones pour le Barbakoeba ne permet pas pour l’instant d’établir une chronologique absolue. Cependant, les sites de LPB, CSL Phase 3 et Crique Sparouine (infra) proposent un schéma chronologique dans lequel le Koriabo serait postérieur à Barbakoeba.

Conclusion

38 Chemin Saint-Louis est donc un site clé pour l’archéologie précolombienne de la Guyane française occidentale. Sa fourchette chronologique étendue, sa position géographique et géologique et sa taille témoignent d’un site d’importance du Bas- Maroni. L’assemblage céramique se répartit en trois ensembles culturels dont les Phases 1 et 2 sont des occupations anciennes inédites jusqu’à présent pour cette région. À partir des résultats d’Eva 2 et de la Phase 1 de CSL, on propose d’identifier un complexe céramique de Balaté correspondant aux ensembles céramiques anciens ou formatifs de la Guyane. Les séries céramiques de la Phase 2, également une occupation de l’Âge céramique ancien inédite, seront appelées Saint-Louis. Le premier complexe (Balaté) sera attribué à la Phase A de l’Âge céramique ancien et le second (Saint-Louis) à la Phase B du même Âge céramique ancien.

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L’Âge céramique tardif

39 Les sites de cette époque sont les plus nombreux sur la bande littorale guyanaise et par conséquent cette période peut se présenter comme l’apogée de l’occupation précolombienne de la Guyane. Cependant, un biais peut exister et tenir à la fois à l’intensité des recherches dans la région et au fait que les zones basses de la côte étaient impropres à l’installation humaine. On présentera ici quatre sites tardifs dont un sur le Maroni, un sur la bande littorale à Iracoubo et deux sur l’île de Cayenne (un en hauteur, l’autre en bord de mer).

Le site de Crique Sparouine

40 Le site de Crique Sparouine est situé au sommet d’un petit morne précambrien atteignant 30 m de haut et d’une surface de 7 500 m2, qui surplombe la Crique Sparouine, dans l’arrière-pays du Bas-Maroni (Figure 1). La répartition pondérale du mobilier lithique et céramique fait apparaître deux aires liées aux activités avec outils lithiques mais comprenant aussi deux zones de dépotoirs céramiques. Dans la partie sud, sur le sommet du méplat, du décapage (2 000 m² environ) se trouve un ensemble de trous de poteaux constituant probablement une structure (carbet 1), une concentration d’outils lithiques (Zone 2) et un dépotoir de céramique secondaire (dépotoir C) (Figure 6).

Fig. 6 – Répartition pondérale de la céramique et des structures en creux du site Crique Sparouine. Les emplacements des Carbets et Dépotoirs ont été indiquées par des cercles fermés et pointillés respectivement (plan par M. van den Bel).

41 La couche archéologique a aussi révélé des dépôts en céramique, présents uniquement dans cette zone méridionale. On suppose qu’il s’agit de dépôts d’abandon quand cette

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partie du site a fonctionné comme plaza lors de sa dernière phase d’occupation. L’ensemble des faits anthropiques et des dépotoirs situés dans le nord du périmètre de décapage est considéré comme la dernière occupation du site avec un dépotoir principal (dépotoir A) et un autre plutôt secondaire (dépotoir B), près duquel sont apparus des trous de poteaux. L’implantation d’une deuxième structure (carbet 2) est envisageable à cet endroit et il pourrait bien être contemporain du premier carbet en constituant avec lui un village de deux carbets. Cependant, entre ces deux carbets, la présence d’une dernière ou première structure (carbet 3) est possible. En fait, sa configuration est la plus évidente des trois, car on a observé plusieurs poteaux porteurs de plus de 30 cm de profondeur formant clairement des angles. On peut imaginer là un carbet d’environ 400 m² en surface.

42 Ces éléments permettent de conclure que le site de Crique Sparouine fut un site d’habitat de plein air. Les datations s’échelonnent entre 1000 et 1400 apr. J.-C. et suggèrent une occupation assez longue. L’assemblage céramique, pour sa part, se divise en deux ensembles bien définis, issus notamment des fosses (sépultures ?) : un premier ensemble à récipients sphériques à pâte à surface savonneuse (Formes A-D) et un deuxième ensemble à pots toriques et à jattes florales (Formes E-F), autrement dit le Koriabo (Figure 7). Le premier ensemble ne connaît que peu de parallèles (dans les fouilles ou dans la littérature) sur le littoral et à l’intérieur. Il se présente plutôt comme un groupe de nouvelles séries céramiques. La discussion qui suit, comme nous l’avons évoqué auparavant pour le site de LPB et comme nous le verrons plus loin pour Cimetière paysager Poncel (CPP), envisage la possibilité de deux phases d’occupation (par des groupes humains différenciés) ou d’une seule occupation dont la population aurait eu un ensemble de récipients particuliers dans un secteur du site. Une ambigüité comparable a été observée aussi sur le site de la Pointe Morne à Saint-Georges de l’Oyapock où un site koriabo « remplace » un site funéraire Aristé récent (Mestre et Hildebrand 2011).

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Fig. 7 – Les formes principales A-G du site Crique Sparouine (dessins par M. van den Bel).

Un site koriabo ?

43 Cette hypothèse renvoie clairement au problème koriabo qui concerne tout le plateau des Guyanes. Aujourd’hui environ 85 sites ont révélé du mobilier typiquement koriabo dans les Guyanes, encore que la plupart soient connus à travers des ramassages de surface, plusieurs sondages de quelques mètres carrés ou encore par des vases entiers trouvés dans les sauts des fleuves. Très peu de sites ont été fouillés sur des surfaces de 100 m² et plus. Cela a eu pour effet une focalisation sur la céramique koriabo décorée (Formes E et F) et a donné lieu à beaucoup de spéculations sur les origines du phénomène koriabo. Sur le site de Crique Sparouine, on peut se demander si les vases koriabo découverts sont des pièces d’échange parvenant à un établissement qu’il faudrait rattacher à un complexe céramique inconnu, ou s’il s’agit d’un véritable site koriabo d’habitat avec sa céramique (van den Bel 2010a).

44 En effet, si on accepte le site de Crique Sparouine comme un site koriabo propre, alors la totalité des formes céramiques obtenues à cet endroit serait Koriabo comme le suggère Boomert (1986). En revanche, si on considère ce site comme un site non koriabo, les récipients autres que ceux attribuables clairement au Koriabo correspondraient à un complexe inconnu à ce jour. Le répertoire des jattes à bord sinueux (Forme A), les bouteilles à col divergent (Forme B), les formes ouvertes (Forme C) et les vases naviformes (Forme D) formerait un complexe encore non identifié. Finalement, on peut aussi envisager deux occupations successives : une occupation dont la céramique demeure encore inconnue, suivie par une occupation ou une présence koriabo en suivant les datations tardives du Koriabo dans cette région.

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La nécropole d’Iracoubo

45 Le site funéraire de Sables Blancs Est est localisé à l’ouest du bourg d’Iracoubo sur une barre pléistocène (Figure 1). Deux concentrations d’urnes ont été découvertes, dont la plupart se trouvaient à environ 30 cm de profondeur. Le premier ensemble (Zone A) concerne 41 dépôts céramiques répartis dans 23 fosses, ainsi que deux concentrations de tessons de céramique disposés à plat et quelques trous de poteaux. Cet ensemble n’a pas été fouillé intégralement et se poursuit vraisemblablement sur la parcelle adjacente à l’ouest (Figure 8). La deuxième concentration (Zone B) contient 33 céramiques réparties dans 16 fosses, ainsi qu’une concentration de tessons à plat et cinq trous de poteaux dont quatre d’entre eux forment une structure carrée. Un échantillon de charbon, provenant d’un récipient de la Zone B, a livré une datation radiocarbone située vers la fin du Ier millénaire de notre ère (van den Bel 2009, 2015c)10.

Fig. 8 – Plan des fouilles à Sables Blancs Est montrant les Zones de fouille A et B (plan par M. van den Bel).

Les modes de déposition

46 Les récipients étaient remplis d’un sédiment local sablo-argileux d’une couleur grise. Cependant, quelques récipients dans la Zone B étaient remplis de sable blond, intrusif dans les barres pléistocènes et correspondant plutôt à un sable rapporté d’un chenier holocène afin de couvrir les urnes et formant peut-être une forme de tertre artificiel. Dans chaque ensemble, plusieurs types de dépôts céramiques et différentes combinaisons de dépôts à l’intérieur d’une même fosse ont été identifiés. Les dépôts

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céramiques sont agencés de cinq manières différentes et répartis en deux ensembles funéraires : • Type 1 : un récipient entier posé sur le fond de la fosse ronde ou ovoïde et recouvert d’un autre récipient à l’envers ; • Type 2 : un récipient entier posé à l’envers au fond d’une fosse ronde ou ovoïde ; • Type 3 : un grand fragment de céramique (bord, fond ou moitié de vase) déposé dans une fosse ronde ou ovoïde ; • Type 4 : un bon nombre de grands tessons entassés dans la fosse ; • Type 5 : des petits récipients posés au fond d’une fosse carrée ou rectangulaire dont les parois sont délimitées ou renforcées par des grands fragments de platines donnant l’idée d’un « coffre »11.

47 Les 39 fosses détectées sont liées aux dépôts. Elles ont été creusées jusqu’au substrat vierge, constitué d’une argile sableuse et bariolée par l’oxyde de fer. Si les fosses sont parfois difficiles à détecter, la taille du récipient qu’elles contiennent permet souvent de déterminer leurs dimensions. Le remplissage de chaque fosse est souvent moins foncé que celui des vases, et contient parfois quelques tessons. La plupart des fosses étaient remplies de goethite, ce qui pourrait indiquer qu’elles ont été ré-ouvertes ou que le récipient n’était que partiellement enterré. S’il y a plusieurs vases dans une même fosse, la forme du creusement peut être irrégulière, ce qui conforte l’idée de la réouverture : une fosse de forme irrégulière ou polymorphe peut être le résultat de creusements successifs et/ou de la réouverture d’une même fosse. Les ré-creusements et les recoupements des fosses montrent nettement que les Amérindiens géraient parfaitement cette zone à dépôts et avaient la connaissance de la distribution spatiale des fosses et de leurs récipients.

48 Les quelques fosses carrées, toutes situées au milieu d’une concentration, méritent plus d’attention, notamment la fosse F 21 de la Zone B (Figure 9). Les parois de cette fosse étaient partiellement délimitées par des platines placées debout : on trouve là une platine (diamètre 80 cm) et une demi-platine placée perpendiculairement, une bouteille entière avec un col évasé (hauteur 23 cm) déposée sur le fond de la fosse, une petite écuelle peinte en rouge à l’intérieur et avec un motif géométrique peint en blanc sur fond rouge (plages horizontales et verticales alternées) sur le bord. Cet ensemble fut recouvert par un grand fragment de panse qui servait de toit ou de couverture, le tout constituant une espèce de maison ou carbet.

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Fig. 9 – Interprétation de la fosse F 21 dans la Zone B comme maison du défunt (dessin par M. van den Bel).

L’interprétation

49 Avant tout, il faut constater que ces concentrations de creusements sont, pour la plupart, des fosses contenant seulement aujourd’hui des vases en céramique. Aucun ossement humain n’a été découvert, ni à l’intérieur des vases, ni dans les remplissages des fosses12. Ce sont donc les différents types de dépôts et leur distribution spatiale concentrée qui suggèrent un ensemble funéraire. Si les vases et les petites fosses évoquent plutôt des sépultures secondaires (Types 1-4), les fosses carrées ou coffrées (Type 5) ont pu quant à elles contenir des inhumations primaires mais aussi peut-être le dépôt de fagots d’ossements. L’absence sur place d’autres vestiges, tels que des puits, d’autres fosses, des trous de poteau, une couche archéologique épaisse (malgré le nivellement), laisse supposer que la zone a été fréquentée et utilisée exclusivement comme site funéraire : il s’agit d’un site à l’écart des habitations. Ces dernières se trouvent en bordure de la RN 1, dans une zone sondée par l’équipe de Rostain en 2007 (Rostain 2015).

50 La seule vraie construction identifiée concerne les quatre trous de poteau à quelques mètres de la Zone B ainsi qu’une fosse de combustion entre les deux zones. Il est possible que ces éléments soient en relation avec les pratiques funéraires du groupe qui a utilisé cet espace sépulcral. On imagine que les corps ont pu être décharnés à l’air libre, sur place ou dans un endroit déterminé à l’extérieur du site. Puis les ossements étaient récupérés et probablement traités, avant d’être déposés dans une urne. Les dimensions de certains récipients indiquent que le squelette ou quelques os sélectionnés ont pu être brisés ou concassés avant d’y être déposés. De telles pratiques étaient encore attestées à l’époque historique dans les Guyanes (Roth 1924). Il semble,

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par ailleurs, que les dépôts de fragments de poterie de Type 4 soient également le résultat de coutumes liées à la mort. Ce type de dépôt n’aurait contenu ni recouvert aucun reste humain, mais aurait fait partie d’une cérémonie d’enterrement ou de lever du deuil : les Wayana sub-actuels brisent les céramiques et détruisent les biens du défunt pendant la cérémonie d’enterrement (de Goeje 1943, p. 36).

51 Un autre point particulier mérite d’être souligné : les récipients sont simples (SM I-II : 78 %), rarement décorés (10 % ; van den Bel 2015d) ; ils sont très différents des urnes polychromes, souvent anthropomorphes, des sites funéraires Aristé de l’est de la Guyane. En fait, les urnes de Sables Blancs Est ressemblent à des récipients d’usage courant et on peut se demander si elles furent fabriquées spécialement pour un usage funéraire ou s’il s’agit de récipients domestiques réutilisés à cette fin. Enfin, quelques rares décors évoquent une attribution culturelle au complexe Barbakoeba.

52 Les différents types de dépôts pourraient évidemment correspondre à des pratiques funéraires distinctes, variables selon le statut du défunt, ce qui indiquerait une stratification sociale de la communauté. L’existence de deux ensembles funéraires séparés appuie peut-être cette hypothèse, chaque unité sociale pouvant être identifiée car enterrée dans un lieu spécifique. C’était le cas encore au début du XXe siècle chez les Palikur de la rivière Urucauá, au nord de l’État d’Amapá du Brésil (Nimuendajú 1926). Un cimetière se marque également dans le paysage et doit être identifiable par les membres d’une même ethnie. Il faudra alors des signes visibles en surface, comme des fosses laissées ouvertes, des urnes enterrées partiellement ou des petits monticules (Guapindaia 2001, p. 167). La présence du sable blond dans quelques vases de la Zone B indique peut-être l’existence d’un tertre, signalant un groupement d’urnes correspondant à un clan ou à une famille. D’ailleurs, le propriétaire de la parcelle a signalé au SRA qu’il avait aplani une butte de sable avant le passage des archéologues en 2004, pour combler une zone humide contiguë. Si l’on poursuit ce raisonnement, le dépôt en coffre (Type 5) pourrait correspondre à la sépulture d’un chef ou d’un membre principal d’une famille ou d’un clan. La fosse coffrée peut même avoir une signification symbolique puisqu’elle paraît reproduire une maison13. Le défunt important aurait été déposé de façon primaire dans une « maison », accompagné de céramiques et d’autres offrandes pour la vie dans l’au-delà. La mort et les conceptions qui s’y rattachent sont des aspects qu’on ne saurait négliger pour comprendre les comportements sociaux amérindiens précolombiens, mais ils restent cependant difficiles à saisir à partir du seul mobilier archéologique.

L’île de Cayenne : Rorota et Poncel

53 Les deux sites fouillés sur l’île de Cayenne, PK 11/Rorota et Cimetière paysager de Poncel (CPP), sont contemporains et voisins (Figure 1). CPP se localise sur une hauteur précambrienne au milieu d’un marécage qui forme l’arrière-pays du site du Rorota, situé sur un cordon pléistocène dans l’Anse de Rémire.

Les datations

54 Les deux sites ont livré 24 datations 14C pour une occupation principale qui s’étale grosso modo entre 900 et 1500. En dehors de cette fourchette, les deux sites ont aussi livré des datations plus anciennes qui évoquent une présence ou une occupation antérieure, notamment de l’Âge archaïque pour Rorota et de l’Âge céramique ancien

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Phase B pour CPP. Dans ce second cas, on a découvert une fosse profonde contenant du mobilier caractéristique et attribuable au type Ouanary encoché. La présence datée sur l’île de Cayenne de ce mobilier révèle une occupation ancienne qui, jusqu’à présent, n’avait été reconnue que dans le bassin de l’Oyapock (Rostain 1994b, 2012a). Rostain a en effet proposé un schéma régional pour le développement de l’Aristé ancien auquel il rattache ce type de céramique ancienne. La datation obtenue à CPP, mais aussi celles d’autres sites fouillés sur les hauteurs de la rivière de Kaw et de l’Oyack (Favard et Pointe Maripa), semble indiquer en fait que le mobilier céramique encoché a pu précéder l’Aristé ancien de l’embouchure de l’Oyapock.

55 La présence de matériel ancien sur l’île de Cayenne est intéressante, car elle interroge une fois de plus sur l’ancienneté de l’occupation du lieu (à l’Âge céramique ancien, c’est-à-dire avant 900 de notre ère), mais aussi sur l’accessibilité de Cayenne, notamment par rapport à la formation Moleson. Le site du Rorota a permis de reconstituer les dernières étapes de la genèse et de l’évolution du littoral de Cayenne (Seurin 1976). L’étude stratigraphique a servi à définir une régression intermédiaire, calée entre deux transgressions, dont la dernière « se situerait après le Flandrien (alias Demerara), c’est-à-dire il y a quelques siècles, vers le Haut Moyen Âge » (Seurin 1976, p. 12). Cela correspond bien avec la datation au radiocarbone la plus ancienne obtenue (910±30 avant l’actuel) pour le début de l’occupation tardive. À une échelle plus large, cela concorde aussi avec l’Holocène récent du Suriname (Brinkman et Pons 1968) ; ainsi l’occupation humaine du cordon du Rorota, voire de la bande littorale de l’Holocène tardif, ne fut possible qu’après la transgression de Moleson (500 av. J.-C.-700 apr. J.-C. ; Versteeg 1985 ; Palvadeau 1999, p. 32). En suivant cette chronologie géologique, Palvadeau (1999, p. 86) a également pu démontrer que la fourchette des dépôts P4 (Phase Moleson sic) à la hauteur de la Savane de Matiti (à l’est de Kourou) s’échelonne entre 700 av. J.-C. et 1500 apr. J.-C., en couvrant toute la période ancienne. L’installation humaine sur le cordon du Rorota se trouve alors dans un milieu soumis à l’influence de la mer, avec des bras de mers et des salines dans ses environs.

56 Finalement, l’Âge céramique récent correspond aussi partiellement au paléo-feu de la Phase X (il y a 750-1 000 ans environ), telle qu’elle a été définie par Christophe Tardy pour plusieurs régions de la Guyane (1998, p. 237, 256). Cette période sèche (1000-1250 apr. J.-C.) se manifeste partout sur le continent sud-américain, mais se confond facilement avec les activités humaines liées au feu : « la pression humaine sur le paysage est de plus en plus importante [Holocène récent] et est parfois susceptible de venir brouiller l’image des environnements naturels » (Tardy 1998, p. 251).

Les structures en creux

57 La surface fouillée d’environ 1 000 m2 pour le site du Rorota n’a pas livré des creusements anthropiques autres que quelques trous de poteaux, mais le site de CPP, fouillé sur presque 6 000 m2 a livré plus de 200 structures. Ce site correspond à un habitat avec une couche anthropisée et différents types d’enfouissements (trous de poteaux, fosses à dépotoir et à inhumation) qui se regroupent sur le sommet du morne. Cependant, autour du sommet, notamment vers l’est et le sud, on trouve des ensembles de fosses qui évoquent des habitats secondaires ou des lieux d’activités. Malheureusement, les datations ne permettent pas de saisir un ordre chronologique entre les différents ensembles définis. Le site paraît modeste si on compare la quantité de mobilier céramique et le nombre d’enfouissements à la surface sommitale. En

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revanche, l’abondance (relative) de meules et d’objets de mouture souligne la possibilité d’un habitat à activités ponctuelles, mais répétitives et persistantes.

58 Mises à part les fosses à dépotoir, les fosses dites « allongées » nous interrogent sur leur fonction : s’agit-il de fosses sépulcrales ? Ainsi, une telle fosse allongée (rectangulaire) contenait des récipients en céramique, complets ou brisés, qui semblent bien avoir été déposés volontairement (Figure 10). La forme générale de la fosse et ses dimensions (170 x 50 x 30 cm environ) évoquent un corps humain en position allongée qui aurait été accompagné de vases entiers situés au niveau des pieds ou de la tête, ainsi que de fragments de poterie qui auraient été posés sur le corps comme une couverture. Toutefois, l’absence d’ossement (en position primaire ou secondaire) dans ces fosses interdit d’assurer qu’il s’agissait de fosses funéraires. Pour vérifier la présence originale d’un cadavre, on a soumis le sédiment issu d’une des fosses à des analyses paléo- parasitologiques : les résultats se sont avérés négatifs, mais c’est peut-être la conséquence de l’acidité du sol (note 12).

Fig. 10 – Une fosse allongée au Cimetière paysager de Poncel : a. dessin de la coupe et b. fouille de la fosse (dessin et photo par M. van den Bel).

59 Malgré l’absence d’un cadavre avéré dans chacune de ces fosses, il faut remarquer la présence systématique de ce type de fosses allongées et remplies de céramiques sur l’île de Cayenne à partir de la fin du Ier millénaire de notre ère, les premières observations remontant au diagnostic de Katoury (Jérémie, Mestre et Cazelles 2002). D’autres exemples suivirent, quelques années plus tard ; les fouilles préventives sur Mombin 2 et 3 et Chennebras montrèrent une organisation spatiale groupée de plusieurs fosses sur un espace restreint et, pour la plupart, orientées selon des axes différents (Delpech 2010, 2015, 2017 ; Seguin 2017). Un axe d’orientation des fosses semble pourtant avoir été privilégié au sommet de CPP : nord-sud, mais il existe d’autres dispositions et orientations selon les lieux et/ou les types de site. On notera aussi,

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toujours au sommet de CPP, la présence de plusieurs dépôts de vases entiers placés à l’envers, ce qui évoque un autre mode d’enterrement (funéraire ou non). Il pourrait donc y avoir eu coexistence de fosses allongées et de dépôts avec céramique à l’envers comme à Iracoubo… En fait, la fonction de ces derniers dépôts céramiques demeure obscure sans détermination du contenu de la fosse. Dans ce cas précis, on pourrait proposer, par analogie avec des données ethnographiques, des interprétations de nature cérémonielle avec des dépôts associés à des rites de passage ou bien funéraires selon qu’il s’agit de vases retournés ou de fosses allongées. Ainsi chez les Wayana, le placenta des nouveau-nés est enterré dans une petite fosse (Hurault 1968, p. 54), creusée à peu de distance de la maison, mais qui peut, lors d’un accouchement pendant la nuit, se faire juste à côté d’un poteau de la maison (Chapuis 1998, p. 309). On soulignera que ces comparaisons ne sont évidemment que des pistes d’interprétation ayant pour but d’avancer des hypothèses. Au final, on retiendra malgré tout que les fosses allongées seraient plutôt des fosses sépulcrales (primaires ou secondaires), du fait de leur forme rectangulaire ainsi que du dépôt de céramiques, les corps complets ou certains ossements (dans le cas des enterrements secondaires) n’ayant pas laissé de traces.

La céramique

60 La céramique des deux sites partage un grand nombre d’éléments caractéristiques de la période récente. Au-delà d’une chaîne opératoire à base de colombins à partir d’une pâte à chamotte et incluant une cuisson réductrice, la céramique se caractérise par cinq modes morphologiques et décoratifs récurrents. Le rattachement de ces céramiques au complexe céramique de Thémire longtemps admis (Rostain 1994b, p. 446-447 ; 2008, p. 293) pose toutefois problème sur les plans chronologique et culturel.

61 On doit d’abord observer que les quatre types de Thémire, tels qu’ils ont été décrits, présentent une forte hétérogénéité au niveau des formes et des décors. Cette hétérogénéité pourrait être liée à l’utilisation de la méthode « type-variété » (ou « Ford ») pour le classement du matériel, mais aussi à la relativement faible quantité des spécimens dans la base de données14. On remarquera aussi que l’omniprésence de la chamotte dans le type Cayenne Peint va de pair avec des formes peintes et que les formes du type Mahury incisé, ayant un dégraissant sableux, sont quant à elles majoritairement pourvues d’incisions. Les résultats de notre propre étude, mais aussi d’autres études faites sur l’île de Cayenne (Hildebrand dans Mestre, Hildebrand et Delpech 2005), démontrent que ces associations supposées pour le complexe Thémire ne s’appliquent pas aussi automatiquement sur les sites de CPP et du Rorota. En fait, les critères principaux du type Cayenne peint (la combinaison d’une pâte à chamotte et d’une peinture rouge) ne concordent pas avec les résultats de CPP où on observe une pâte mixte (chamotte et sable) et un décor incisé. Il faudrait donc s’interroger sur une possible révision de cette typologie cayennaise. À partir d’une approche différente mettant au premier plan la morphologie et au second des décors particuliers, on pourra obtenir une collection de référence des formes les plus populaires (Figure 11).

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Fig. 11 – Répartition des séries modales céramiques du site Cimetière paysager de Poncel (schéma par M. van den Bel).

62 Concernant les datations 14C des sites attribués à Thémire (N = 5), on remarque qu’elles se situent à la fin de l’époque précolombienne, voire à l’Âge historique (Rostain 1994a, annexe II). Ces dates récentes correspondent plutôt à la dernière phase d’occupation de CPP, avec les dépôts de vases entiers en forme de cloche ayant un aplat blanc et des dessins complexes en rouge par-dessus (Figure 12).

Fig. 12 – Représentation d’un dessin blanc sur rouge à l’intérieur d’une écuelle trouvé dans la fosse F 93 au Cimetière paysager de Poncel (dessin par M. van den Bel).

63 Il s’agit certainement d’influences polychromes venant de l’est (Aristé), ainsi que l’a reconnu depuis longtemps Rostain pour la phase finale de Thémire (Rostain 1994a,

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p. 30 ; 2012a, p. 17 ; 2016, p. 64)15. Mais un lien avec le Koriabo est aussi envisageable si l’on tient compte de l’engobe blanc et des formes qui sont partagées par chacun des derniers complexes (Cabral 2011 ; van den Bel 2014 ; Saldanha et al. 2016). Cependant, la relation entre le Koriabo et l’Aristé exigera plus d’attention à l’avenir dans les Guyanes orientales (Saldanha et Cabral 2016), en s’appuyant pour la Guyane notamment sur les résultats des fouilles préventives du site de la Pointe Morne sur l’Oyapock où le Koriabo s’impose à l’Aristé vers 1400 apr. J.-C. (Mestre et Hildebrand 2011) ou encore les fouilles de Sainte-Agathe à Macouria menées par Hildebrand.

64 En tout cas, les formes et les décors particuliers, que l’on trouve dans les fosses allongées et d’autres structures sur les sites Rorota et CPP, précèdent l’arrivée des polychromes et demeurent donc hors du cadre chrono-culturel proposé jusqu’ici : il s’agit en fait d’un complexe céramique distinct qui précède le Thémire sur l’île de Cayenne et que l’on propose, pour cette raison, de dénommer « Thémire ancien ». Par voie de conséquence, le Thémire original sera renommé « Thémire récent ». Les origines du complexe ancien et ses modes d’enterrement, qui représente en réalité localement le début de l’Âge céramique récent, sont pour l’heure encore inconnues. Les formes et les séries qu’on y observe ne partagent aucun élément pertinent avec le complexe Barbakoeba situé plus à l’ouest. Ces séries ne peuvent pas davantage être attribuées à une migration arauquinoïde depuis le Suriname, n’ayant évidemment rien à voir avec l’ultime diffusion de cette tradition, qui se manifeste vers 1300 apr. J.-C. environ sur l’île de Cayenne, comme l’avait évoqué Hildebrand il y a presque 20 ans (Hildebrand 1999).

65 Pour conclure, les nouvelles datations 14C qui ont été obtenues et les données céramiques des sites Rorota et CPP imposent de réviser la typo-chronologie de l’île de Cayenne, en l’occurrence le complexe de Thémire. Il a dû en effet exister une phase ancienne d’origine encore indéterminée, suivie d’une phase tardive, ce qui précise la définition du complexe Thémire, le complexe Koriabo ayant joué un rôle en connexion avec le premier sur le littoral de Guyane.

Le maïs et le manioc

66 Une dizaine d’artefacts (meules en pierre et fragments de céramique dont des plaques à cuire) issus des deux sites a été analysée afin de déterminer les plantes consommées (van den Bel et al. 2013 ; van den Bel, Pagán Jiménez et Fronteau 2014). L’omniprésence du maïs est flagrante, notamment sur les plaques en céramique, des objets historiquement et actuellement intimement liés à production de la cassave (manioc). Bien que ces données n’apportent pas de réponses définitives quant à la fabrication des produits consommés, elles permettent de s’interroger sur l’importance du manioc et du maïs au sein des populations précolombiennes tardives et historiques (Figure 13). À l’heure actuelle, la base de l’alimentation principale des Amérindiens des Guyanes est indéniablement le manioc amer sous toutes ses formes. On peut constater que le maïs, clairement identifié par les premiers Européens et par les analyses effectuées sur des objets archéologiques, aurait perdu de son importance en faveur du manioc principalement au sein des populations historiques (Iriarte et al. 2012 ; van den Bel 2015a). On notera d’ailleurs qu’un changement similaire a été détecté aux Antilles (Mickleburgh et Pagán Jiménez 2012 ; Figueredo 2015).

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Fig. 13 – Meule utilisé strictement pour le broyage de grains de maïs, trouvé au carré L18 sur le site Cimetière paysager de Poncel (photo par M. van den Bel).

Conclusion

67 Les données archéologiques exposées dans ces pages, pour la plupart inédites, permettent de proposer une nouvelle séquence enrichie de l’histoire précolombienne en Guyane française à partir des données recueillies depuis une vingtaine d’années. On a pu ainsi démontrer l’existence de périodes anciennes (à Eva 2, CSL, CPP), auparavant seulement soupçonnées, qui permettent de dresser un premier cadre chrono-culturel pour l’Âge céramique ancien et l’Âge archaïque (Figure 14). Quant au cadre chrono- culturel concernant l’Âge céramique récent, il peut être sérieusement précisé à partir des résultats des fouilles de CSL, Sparouine, LPB, SBE et de l’île de Cayenne (CPP et Rorota).

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Fig. 14 – Schéma chronoculturel pour la bande littorale du Suriname, Guyane française et la partie septentrionale de l’Amapá des deux derniers millénaires (schéma par M. van den Bel).

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ANNEXES

Annexes

Annexe I – Liste des fouilles archéologiques en Guyane française entre 1975 et 2015.

Céramique Lithique Site Fouilles Type Région Année m² Structures Datations Référence (n) (n)

Petitjean Roget et Rorota Sauvetage Plein-air Littoral 1975 1 0 1 896 1 0 Roy 1976

Criques Sauvetage Plein-air Littoral 1985 15 inconnu 150 kg inconnu 0 Cornette 1985 Jacques

Abri Abri sous- Programmées Littoral 1988 10 0 3 875 245 5 Rostain 1994b Marcel roche

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Carbet Abri sous- Programmées Littoral 1989 20 1 1 484 2 334 2 Rostain 1994b Mitan roche

Themire Programmées Plein-air Littoral 1989 5 0 2 370 131 0 Rostain 1994b

Thémire Sauvetage Plein-air Littoral 1990 87 1 2 259 5 0 Rostain 1994b

Barone-Visigalli La Sablière Sauvetage Plein-air Littoral 1991 7 3 1 306 137 2 et Prost 1991

Vacher, Jérémie BPS 13 Sauvetage Plein-air Intérieur 1991 1 400 114 23 855 99 20 et Briand 1998

Vacher, Jérémie BPS 16 Sauvetage Plein-air Intérieur 1991 1 850 13 7 238 37 2 et Briand 1998

Vacher, Jérémie BPS 17 Sauvetage Plein-air Intérieur 1993 700 15 1 368 9 3 et Briand 1998

Vacher, Jérémie BPS 172 Sauvetage Plein-air Intérieur 1993 136 81 26 433 108 7 et Briand 1998

Vacher, Jérémie BPS 223 Sauvetage Plein-air Intérieur 1993 1 850 290 10 304 105 28 et Briand 1998

Vacher, Jérémie BPS 230 Sauvetage Plein-air Intérieur 1993 2 200 420 63 631 1 062 20 et Briand 1998

La Sablière Programmées Plein-air Littoral 1993 204 0 200 kg 18 0 Thooris 1994

Favard Programmées Éperon Littoral 1996 43 inconnu 4 295 inconnu 1 Mazière 1996

Mont Grouard et al. Grand Programmées Plein-air Littoral 1996 400 220 44 430 1 620 12 1997 Matoury

Mestre, Katoury Préventives Plein-air Littoral 2003 15 000 937 32 033 6 473 4 Hildebrand et Delpech 2005

van den Bel et al. Eva 2 Préventives Plein-air Littoral 2005 5 100 470 6 960 12 115 5 2006

Crique Préventives Plein-air Riveraine 2006 2 002 428 3 702 112 4 van den Bel 2007 Sparouine

Saut Préventives Plein-air Riveraine 2006 1 500 62 7 542 21 4 Hildebrand 2008 Saillat

Plateau Mestre et Préventives Plein-air Intérieur 2006 579 32 0 17 564 8 des mines Delpech 2008

AM 41 Préventives Cimetière Littoral 2006 1 200 122 663 2 1 van den Bel 2006

Rostain, Gentil et Sable Programmées Plein-air Littoral 2007 330 113 inconnu inconnu 7 Clerc 2008 ; Blanc Est McKey et al. 2010

Rostain, Déodat Bois Diable Programmées Plein-air Littoral 2008 1 120 81 inconnu inconnu 1 et Clerc 2009 ; McKey et al. 2010

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Mestre, Yaou Préventives Couronnée Intérieur 2007 1 408 77 5 500 181 7 Hildebrand et Delpech 2005

Chemin van den Bel et al. Saint- Préventives Plein-air Riveraine 2008 5 108 32 33 351 4 774 28 2011 Louis

Pointe Préventives Plein-air Intérieur 2009 3 271 157 6 667 323 9 Briand et al. 2016 Balaté

van den Bel et al. PK 11 Préventives Plein-air Littoral 2010 1 250 58 4 280 721 7 2012

Cimetière van den Bel et al. Préventives Plein-air Littoral 2010 5 763 203 5 979 211 15 paysager 2013

Mombin II Préventives Cimetière Littoral 2015 1 175 35 9 863 11 11 Delpech 2017

Roches Issenmann et al. Préventives Plein-air Littoral 2015 3 800 27 2 578 2 034 1 Rouges 2018

Mombin III Préventives Cimetière Littoral 2015 1 300 52 7 675 2 2 Seguin 2017

On doit noter que les fouilles préventives de Roches Savanne (Ouanary), Sainte-Agathe (Macouria), Pointe Morne (Saint-Georges de l’Oyapock), Luna (Kourou) et Perle noire (Rémire-Montjoly), ainsi que les fouilles programmées de Chennebras (Rémire-Monjoly) et Fortunat/Kaipiri ne figurent pas dans ce tableau car les rapports sont non-rendus ou à paraître.

Annexe II – Répartition chronologique des sites archéologiques au Suriname et en Guyane française par nom et par complexe céramique.

Données issues d’un travail collectif INRAP DOM, SRA Guyane et Versteeg 1980.

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NOTES

1. La chronologie par Âges (Lithic, Archaic, Ceramic et Historic) – développée depuis les années 1950 par, entre autres, Irving Rouse et Gordon Willey – a fait consensus parmi les archéologues travaillant dans les Caraïbes, les Guyanes occidentales et ailleurs à partir des années 1970 pour décrire la culture matérielle (Willey 1971 ; Rouse 1972). Elle remplace une nomenclature (Paleo-Indian, Meso-Indian et Neo-Indian) proposée auparavant par Irving Rouse et José Cruxent (1963), qui suppose une corrélation directe entre la culture matérielle et les modes de subsistance s’avérant intenable pour les Amériques. Malgré cela, cette dernière terminologie demeure toujours populaire aux Antilles et peut s’utiliser finalement aussi pour désigner un mode de vie. Pour la Guyane, l’Âge historique se divise en précolonial (1500-1650), colonial (1664-1848) et contemporain (1848 à nos jours). 2. Cet article est une sorte de résumé en français de la thèse doctorale de l’auteur soutenue à l’université de Leyde, le 3 septembre 2015. Celle-ci avait été dirigée par les professeurs Corinne Hofman et Arie Boomert et elle a été publiée par Sidestone Press (van den Bel 2015b). L’auteur tient à remercier ses directeurs et les membres de son jury pour leurs nombreuses suggestions. Un grand merci également aux équipes de l’Inrap pour leur aide précieuse lors des fouilles et des études post-fouille entre 2005 et 2010. 3. En Guyane, les sables blancs correspondent à des dépôts pliocènes constitués de sédiments blancs très lessivés (moins de 1 % d’argile) et de sédiments brun-jaunâtres non lessivés (5-20 % d’argile ; de Boer 1972, p. 45). Leur origine géomorphologique et leur pédogenèse font encore l’objet d’un important débat, mais la présence de sites d’occupation pourrait aider les géologues à trancher cette question (Vincent Freycon, CIRAD, comm. pers. 2012). 4. Il faut noter ici que cette occupation archaïque n’avait pas été reconnue lors du diagnostic, ce qui a posé un véritable problème logistique lors de la fouille. 5. Signalons ici les expérimentations sur le débitage de quartz sur enclume au Brésil d’André Prous (et al. 2010) ou encore celles d’Ignacio Clemente-Conte (Clemente-Conte, Boëda et Faira-Gluchy 2016). L’analyse tracéologique sur des artéfacts en quartz s’avère encore difficile mais des expérimentations ont été faites sur du mobilier en quartz, provenant de Colombie, avec des résultats assez généraux (Nieuwenhuis 2002). 6. Sur le site du Plateau des Mines, les amas étaient constitués de galets et de blocs disposés intentionnellement sur deux épaisseurs et de manière organisée et compacte. Chacun possède également une zone vide de 15 cm de diamètre pouvant être un négatif de poteau. Toutefois, les blocs provenant des amas ont pu être datés par thermoluminescence, ce qui évoque leur utilisation dans une structure de chauffe ou de combustion (Mestre et Delpech 2008). 7. On note que la formation de la Terrasse IV coïncide avec des événements climatiques importants comme la sécheresse du milieu de l’Holocène, reconnue partout en Amazonie et appelée la « Holocene Drought » (Bush et al. 2008, p. 1796 ; Mayle et Power 2008). 8. Toutefois ce type d’amas est apparu lors d’un diagnostic sur une parcelle à l’est du chemin de CSL (Mestre 2008, p. 21).

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9. Les datations au radiocarbone formant la Phase 2 présentent une série homogène à partir de l’an 1 (Phase 2b-c), mais remontent peut-être jusqu’à 300 av. J.-C. La céramique de la première phase (Phase 2a), pour sa part, s’avère différente par sa pâte mixte et ses formes, mais il est possible qu’il s’agisse d’une intrusion de la Phase 3. Par ailleurs, les dates de la Phase 2b se trouvent toutes dans la zone orientale de la fouille, soit le bassin de la terrasse ou la zone basse. 10. Une autre zone d’urnes se trouve plus au sud de la partie fouillée par l’Inrap et a été gelée par le Service d’archéologie de Guyane. Six échantillons céramiques pris dans cette zone ont été testés par thermoluminescence fournissant deux fourchettes chronologiques : une première entre la fin du IXe et la fin du Xe siècle de notre ère et une deuxième entre la fin du XIIe et le début du XIIIe siècle de notre ère (Gassies et Lemaire 2006). Cependant, ces dates ne constituent que des estimations. 11. D’autres types de dispositions ont été observés ponctuellement, mais ces cinq types sont les plus populaires des deux ensembles funéraires. Quatre concentrations de céramiques ont été trouvées sans fosse (visible) et elles sont considérées comme des concentrations de tessons à plat. Néanmoins, ces concentrations peuvent être liées à l’ensemble funéraire, s’agissant de fragments cassés. 12. Les résultats des analyses paléo-parasitologiques ont été aussi négatifs dans ce milieu néotropical, le sol étant trop acide. On tente actuellement des analyses chimiques afin de déterminer le taux de phosphates. 13. Les Palikur contemporains utilisent d’ailleurs le même mot pour désigner l’urne et la maison (Petitjean Roget 1983 ; van den Bel 1995). 14. Sur le plan méthodologique, Rostain n’avait pas tenu compte des travaux précédents d’Alain Cornette (1990) qui avait appliqué les méthodes descriptives d’Hélène Balfet. Il admet toutefois qu’« il sera nécessaire dans le futur de distinguer de nouveaux types et de subdiviser certains de ceux qui existent en plusieurs variétés » (Rostain 1994a, p. 41, note 2). 15. La présence de râpes en céramique sur le mont couronné de Paramana, situé sur l’île de Cayenne, confirme clairement cette présence Aristé tardif (van den Bel 2012a).

RÉSUMÉS

En Guyane française, les recherches archéologiques structurées ne datent que du début des années 1970. Elles furent synthétisées par Stéphen Rostain au début des années 1990. Le cadre chrono-culturel établi alors se concentrait surtout sur la bande littorale entre les rivières de Kourou et de l’Oyapock et sur la période entre 900 et 1700 de notre ère. Cette étude résume les résultats de six fouilles archéologiques préventives plus récentes. Celles-ci permettent d’abord d’étoffer le cadre chrono-culturel de la préhistoire de ce département français. En effet des données nouvelles élargissent substantiellement ce cadre sur l’Âge archaïque et sur la période céramique ancienne, deux époques inconnues jusque-là. De nouveaux éléments renouvellent aussi certaines perspectives de la période céramique récente, en particulier sur les pratiques funéraires, les complexes céramiques et l’alimentation des Amérindiens.

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In French Guiana, structured archaeological research only started in the early 1970s. Its results have been synthesized by Stéphen Rostain twenty year later. The proposed chronocultural framework focused mainly on the coastal plains situated between the Oyapock and Kourou Rivers for the Late Ceramic Age, between AD 900 and 1700. This study presents the condensed results of six recent compliance archaeological excavations. They permit us firstly to enrich the existing framework of this overseas French department by presenting new data concerning the Archaic and Early Ceramic Ages, hitherto undiscovered episodes, substantially enlarging this framework. Furthermore, new elements concerning the Late Ceramic Age renew certain aspects, notably concerning funerary practices, ceramic complexes and food consumption of the prehistoric Amerindians.

Na Guiana Francesa, pesquisas arqueológicas estruturadas só começaram no início da década de 1970 e seus resultados foram sintetizados por Stéphen Rostain no início dos anos 1990. O quadro cronocultural proposto focava principalmente nas planícies costeiras situadas entre os rios Oiapoque e Kourou para o Período Cerâmico tardio, entre 900 e 1700 AD. Este estudo apresenta os resultados condensados de seis escavações de arqueologia preventiva. Eles nos permitem, primeiramente, enriquecer o quadro existente deste departamento ultramarino francês; além disso, são apresentados aqui novos dados sobre os Períodos Cerâmicos arcaico e inicial, episódios até então não descobertos, ampliando substancialmente esse panorama. Finalmente, novos elementos relativos ao Período Cerâmico tardio renovam certos aspectos, notadamente, sobre práticas funerárias, complexos cerâmicos e consumo de alimentos das populações ameríndias pré-históricas.

INDEX

Mots-clés : Guyane, archéologie, préhistoire, Âge archaïque, Âge céramique ancien, Âge céramique tardif Palavras-chave : Guiana Francesa, Arqueologia, Pré-história, Período arcaico, Período Cerâmico inicial, Período Cerâmico tardio Keywords : French Guiana, archaeology, prehistory, Archaic Age, Early Ceramic Age, Late Ceramic Age

AUTEUR

MARTIJN M. VAN DEN BEL

INRAP Cayenne, université de Leiden

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Intercambiar en Mesoamérica durante el Epiclásico (600 a 900 d.C.): poder, prestigio y alteridad. Un análisis de la cultura material de Puebla-Tlaxcala y Morelos (México) Échanger en Mésoamérique à l’Épiclassique (600 à 900 apr. J.-C.) : pouvoir, prestige et altérité. Une analyse de la culture matérielle de Puebla-Tlaxcala et Morelos (Mexique) Exchanging in Mesoamerica during the Epiclassic period (AD 600 to 900): power, prestige and otherness. An analysis of Puebla-Tlaxcala and Morelos material culture (Mexico)

Juliette Testard

NOTA DEL EDITOR

Manuscrit reçu en décembre 2016, accepté pour publication en juillet 2018.

Agradecimientos – Este artículo procede de la síntesis de mi tesis doctoral, presentada en 2014 en la universidad Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Llevar a cabo aquella investigación fue posible gracias a la experiencia y a las colaboraciones con un sin número de investigadores, trabajadores, compañeros, en México, Francia, Estados Unidos y España, agradecidos en las primeras páginas de la tesis. Quisiera renovar aquí, mi particular reconocimiento a Brigitte Faugère, Mari Carmen Serra Puche, Rosalba Delgadillo, Marie Charlotte Arnauld y Chloé

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Andrieu. Agradezco a su vez a los dos lectores anónimos que aportaron sus comentarios y sugerencias a las versiones anteriores de este texto.

1 El Epiclásico en el centro de México (600 a 900 d. C.) fue el teatro de numerosos cambios, tanto a nivel político, como demográfico, ritual y religioso (Diehl y Berlo 1989). Las evidencias disponibles llevan a preguntarse: ¿cómo es que las sociedades intercambian entre ellas? ¿Cuáles lo hacen y por qué? El estudio que realizamos sugiere que se dieron interacciones entre el Altiplano mexicano y la zona oriental –costa del Golfo y zona maya–, un fenómeno que se observó desde hace varias décadas (Testard 2014a). Sin embargo, nuestro trabajo enseña que aquellas implicaban fundamentalmente una parte restringida de la sociedad, y que los contextos de artefactos importados o adoptados están relacionados específicamente con sectores de élites –residenciales o cívico-ceremoniales– en cuatro sitios del Altiplano: Cacaxtla- Xochitécatl (Tlaxcala); Xochicalco (Morelos); Cantona y Cholula (Puebla) (Figura 1).

Fig. 1 – Mapa de los sitios mencionados en el estudio.

2 Obviamente, un tema tan importante como el de las interacciones suprarregionales entre las regiones que nos ocupan suscitó el interés de varios investigadores antes y después de nuestros propios trabajos. Ringle et al. (1998) interpretan estas interacciones como evidencias de un culto religioso pan-mesoamericano en homenaje a Quetzalcóatl/Kukulcan. Turner (2016) se enfocó también en aspectos religiosos de la iconografía de Cacaxtla y Xochicalco. Asimismo, mediante la iconografía, varios autores abordaron las problemáticas políticas y sociales. En su artículo pionero, Nagao (1989) analizó el sentido ideológico de la iconografía de algunas piezas de Cacaxtla y Xochicalco, proponiendo una lectura con énfasis en el discurso de legitimación política de estas nuevas entidades, y sistematizó este enfoque en su tesis doctoral (2014). Solar Valverde (2002) trabajó esta misma cuestión a partir del estudio de las placas figurativas de piedra verde, relacionándolas con las dinámicas de interacción del periodo. Por su parte, Brittenham (2008, 2015) renovó el análisis de las pinturas murales de Cacaxtla, proponiendo una nueva visión de la articulación entre estilo e ideología.

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3 El propósito del análisis que concluimos en 2014 era caracterizar las interacciones a partir de un corpus de materiales deliberadamente amplio y heterogéneo, procedente de Cacaxtla-Xochitécatl, Xochicalco, Cantona y Cholula. La especificidad de nuestra propuesta residía en construir un diálogo entre teorías, métodos, análisis iconográficos y contextos arqueológicos, siguiendo y desarrollando el precepto de Pasztory (2005, p. 71), para quien “en las culturas en las cuales los objetos dominan y ocupan un lugar determinante en la comunicación, el significado se establece en la red integral de estos objetos y no se restringe a un objeto particular o incluso a una clase de objetos”. Desde luego, era imprescindible considerar la globalidad de esta red, precisamente porque sólo la integración de evidencias de varios niveles era susceptible de informarnos sobre las modalidades de las relaciones que las sociedades estudiadas habían establecido.

4 Si nos centramos en el contexto político y social de las premisas del Epiclásico en el Altiplano central mexicano, las investigaciones más recientes señalan que el sistema teotihuacano entra en crisis desde 550 d. C. Se experimenta entonces una crisis violenta, así como un repudio de las instancias dirigentes: mutilaciones e incendios a lo largo de la Calle de los Muertos (Millon 1988; Cowgill 2009, 2013; Gómez Chávez y Gazzola 2009; Joyce y Weller 2007). Las entidades que emergen en este momento fueron consideradas como capitales de ciudades-estado. Este tipo de organización político- territorial surge directamente después del órgano regional político anterior, Teotihuacán, siguiendo una lógica de power vacuum (Sanders y Price 1968), de competencia (Litvak King 1970) o bien articulando ambos mecanismos: competición de entidades facilitadas por la desaparición del órgano político anterior (Hirth 2000, p. 3-4). Desde un punto de vista teórico y, a nivel universal, las ciudades-estados son pequeñas entidades independientes y autónomas, que requieren necesariamente un horizonte de colaboraciones extenso tanto a nivel político como económico (Hansen 2000, p. 16-17; Hirth 2000; Marcus 1989). Por su parte, desde la perspectiva de la antropología comparada, los trabajos de Helms (1988, 1993) mostraron que en varias sociedades pre-industriales el contacto con zonas geográficas alejadas participa a menudo de una construcción del discurso de legitimación de las élites. Partiendo de ambas consideraciones, la interacción con entidades alejadas se vuelve por lo tanto una condición esencial de la existencia de las ciudades-estado, tanto a nivel económico como político e ideológico.

5 Las investigaciones que llevamos a cabo indican de qué manera y con qué modalidades las élites de Cacaxtla-Xochitécatl, Xochicalco, Cantona y Cholula construían un nuevo discurso de negociación social local, poniendo en escena su confrontación o colaboración con sociedades del Oriente entonces en pleno apogeo (Testard 2014a). Es así como el estudio detallado de las interacciones suprarregionales a través de la cultura material permitió formular varias hipótesis en cuanto a nuevas estrategias políticas. Los datos que presentamos en el presente artículo aluden a la naturaleza del poder, a su concepción y a sus posibles corolarios performativos. La gran complejidad del tema nos conduce a deslindar de modo necesariamente esquematizado un haz de indicios que convergen hacia aspectos políticos, sociales y religiosos. Si bien asumimos que cada una de estas temáticas podría constituir un estudio en sí, la presente síntesis constituye un paso fundamental si se quiere adelantar y profundizar el conocimiento de los procesos políticos en Mesoamérica.

6 El artículo presenta primero el marco teórico en el cual se inserta la propuesta. Procurando contribuir al diálogo entre teoría y datos, presenta luego la metodología de

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estudio e ilustra las características de lo que Blanton et al. (1996) definieron como tendencia “excluyente” en la acción política: es decir individualización, jerarquización marcada, guerra, intercambio de larga distancia y práctica exogámica. El diálogo se ejemplifica gracias a los dos tipos de fuentes de poder que proponen los mismos autores: por un lado, el tipo objetivo, desde el estudio de la cultura material sin figuración; por otro lado el simbólico, a partir de la cultura figurativa (Blanton et al. 1996, p. 3).

Métodos: la acción política y la relación entre datos y teoría

7 En Mesoamérica, Blanton et al. (1996) propusieron dos polos de acción política desde la perspectiva de los “behavioural studies” distinguiendo una acción “corporativa” y una “excluyente”. Ambas tendencias pueden alternar en distintos ciclos de duración o bien coexistir en el espacio. Este marco teórico dual nos parece pertinente ya que enfatiza la acción de los agentes sociales y las estrategias de negociación en sociedades antiguas, al punto de haber generado durante estos últimos años varias publicaciones con cierto margen de flexibilidad y dinámica (Blanton y Fargher 2008; Fargher et al. 2011; Carballo et al. 2014; Carballo y Feinman 2016).

8 Ahora bien, si examinamos lo que Blanton et al. propusieron para el Clásico mesoamericano (1996, p. 9-12), observamos que, en general, la estrategia excluyente está asociada con el mundo maya, mientras que la corporatista se liga con Teotihuacán. La primera corresponde a una estrategia individualista, movilizada gracias a una posición social elevada obtenida por medio de los intercambios de larga distancia, un acceso diferencial a bienes exóticos y un conocimiento especializado. Comprende también la emergencia de una élite que monopoliza las alianzas matrimoniales más ventajosas y ejerce presiones sociales que privilegian la innovación tecnológica, principalmente en la producción de bienes exóticos. En este modelo, la cuestión del parentesco es fundamental (Baudez 1988; Corona Sánchez 2002, p. 381; Demarest 1992). En la segunda estrategia corporatista, en cambio, utilizada en Teotihuacán, el poder es compartido entre diferentes grupos sociales –por ejemplo “barrios”– (Cowgill 1993, 1997; Manzanilla 2006, 2012, p. 316-317). Existen restricciones hacia aquellos que detentan el poder, una interdependencia entre los sub-grupos, así como cierto énfasis en la representación colectiva y en el ritual fundado en la fertilidad, la renovación de la sociedad y del cosmos. Su ideología comunitaria no otorga a los líderes políticos y religiosos una consideración específica en la representación icónica (Pasztory 2005; Headrick 2007, p. 10-11; Domínguez Covarrubias y Urcid 2013, p. 670). No obstante, si bien la tendencia corporatista se reconoce en Teotihuacán para la mayor parte del Clásico, los últimos datos disponibles señalan que la gran urbe experimentó un cambio significativo de su concepción política al menos a partir del final de la fase Xolalpan, hacia 450-500 d.C. (Manzanilla 2008). Uriarte Castañeda y Sugiyama han sugerido que los programas picturales de Techinantitla podrían referirse a la representación de dinastías, debido a la presencia de glifos onomásticos delante de personajes ricamente ataviados (Uriarte Castañeda 2002, p. 306; Sugiyama 2000). Por su parte, Headrick (2007, p. 31-39) analizó una serie de representaciones iconográficas de posibles soberanos. Nuestros trabajos se suman a estas propuestas poniendo en evidencia, entre otros

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resultados, un cambio mayor de configuración de la imagen antropomorfa durante estas fases clásicas tardías (Testard 2014a, 2014b).

9 Caracterizando las estrategias políticas del periodo epiclásico a partir de características expuestas muy brevemente –intercambio de larga distancia, valorización individual masculina y estilo pan-mesoamericano llamado “Mixteca-Puebla”–, Blanton et al. (1996, p. 10) proponen una tendencia “excluyente”. Si dejamos a un lado que el estilo Mixteca- Puebla se manifiesta solamente a partir del 900 d. C., esta propuesta para el periodo que corre entre 550 y 900 d. C. merece ser profundizada y puesta a prueba por medio de datos concretos. Desde luego, enfocándose en las ciudades de Cacaxtla-Xochitécatl, Xochicalco, Cantona y Cholula, ¿cómo analizar a partir de la cultura material los elementos y mecanismos concretos de las interacciones suprarregionales, así como otras características eventuales que sostendrían precisamente este tipo de estrategia política? La necesidad de elaborar esquemas más precisos que la evocación de las influencias entre sociedades y que relacionen a su vez datos materiales y teorías es imprescindible, y ha sido bien subrayada por Hirth (1998, p. 471) y Arnauld (2007, p. 235).

10 La construcción de modelos es una herramienta fundamental para entender fenómenos complejos. El trabajo de Sanders (1978, p. 36) sobre la relación entre Teotihuacán y Kaminaljuyú durante el Clásico (Figura 1) presenta aspectos interesantes con respecto a los fenómenos antropológicos de contacto entre sociedades. Esta propuesta metodológica incluye cuatro tipos de contactos: el primero es la difusión indirecta de ideas culturales, sin contacto directo entre los dos grupos, gracias a intermediarios; el segundo corresponde a contactos ocasionales y no periódicos –exploraciones puntuales llevadas a cabo principalmente a fines económicos, comercio no organizado, contactos iniciales para programas misionales–; el tercero se compone de contactos periódicos y frecuentes, como expediciones comerciales o de conquista; el cuarto implica a residentes de tiempo completo en comunidades extranjeras –comerciantes extranjeros, grupos de artesanos, representantes o emisarios de la corporación de origen, misión religiosa o conquista, seguida de incorporación política y traslado de personal administrativo y militar. Esta tipología tiene relevancia arqueológica ya que es lo suficientemente fina como para relacionarse específicamente con modalidades distintas de producción e intercambio de artefactos. Ahora bien, en la cultura material, como lo señala Davis (1990, p. 20), una similitud no explica la causa de la relación entre los atributos de un artefacto. Desgraciadamente, cuando se habla de interacciones en arqueología, la similitud es frecuentemente invocada de forma superficial. Partiendo de este dilema y, para caracterizar estas interacciones, concebimos una metodología de análisis de los artefactos producidos en tales situaciones. Esta metodología se concentra en la adquisición tal como la define Helms, es decir el mecanismo que se sitúa entre el centro cultural –el interior– y el universo exterior –cualitativamente contrastado con el primero– (Helms 1993, p. 95; Testard 2014a, p. 76-86, 974-978). Como herramienta de comprensión, esta metodología puede representarse gráficamente clarificando un haz denso de procesos antropológicos: producción, adaptación, copia, importación, etc. Define diferentes categorías de artefactos con funciones distintas: recipiente cerámico, escultura o figurilla cerámica, objeto en piedra con o sin figuración, pintura mural (Figura 2). Cada una de estas categorías está constituida por tres atributos –la materia prima, la técnica/el savoir-faire, la iconografía–, que pueden ser exclusivos o inclusivos. Estos atributos pueden constar a su vez de sub-atributos específicos, debidos a la

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materia prima o a la función del artefacto. A su vez, cada uno de estos sub-atributos se define por una propiedad binaria: local o exógena.

Fig. 2 – Modelización arquetípica de un objeto cerámico –escultura o figurilla– incluyendo atributos y sub-atributos con propiedades locales o exógenas (Testard 2014a, fig. 1.2).

11 Gracias a esta metodología, se distinguen diferentes procesos de manipulación que pueden intervenir en la fabricación de un artefacto, en situación de interacción entre dos entidades culturales (individuos o grupos); se definen de forma explícita y pragmática los procesos de adaptación, copia, importación; se crean 16 arquetipos concretos de artefactos (Figura 3), que luego se pueden combinar con una propuesta antropológica, tal como la de Sanders, elegida por su carácter detallado (Figura 4).

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Fig. 3 – Los 16 arquetipos de artefactos típicos de situaciones de interacciones culturales (en base a Testard 2014a, p. 83).

Fig. 4 – Metodología combinada entre arquetipos de artefactos (Testard 2014a) –desde la adaptación 1, pasando por la copia 2, hasta la importación 3– y la propuesta antropológica de contactos de Sanders (1978) (en base a Testard 2014a, p. 86).

Propuestas antropológicas

Difusión indirecta Contactos de ideas Conquista Conquista ocasionales Expediciones Comerciantes Artesanos Misión culturales, sin con no comerciales extranjeros emigrados religiosa sin colonización colonización periódicos contacto directo

Arquetipos A. Adaptación XXXXXXXX de iconográfica artefactos B. Adaptación iconográfica 1 XXXXXXXX + adaptación técnica

C. Adaptación XXXXXXXX técnica

2 A. Copia XXXXXXXX iconográfica

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B. Copia X X técnica

C. Copia iconográfica XXXXXXXX + adaptación técnica

D. Copia técnica X X + adaptación iconográfica

E. Copia X X completa

F. Copia + importación X X materia(s) prima(s)

A. Importación XXXXXXXX completa

B. Importación materia(s) XXXXXXXX prima(s)

C. Importación materia(s) prima(s) X X X X X X X + adaptación técnica

D. Importación materia(s) prima(s)+ adaptación X X X X X X X técnica + adaptación 3 iconográfica

E. Importación materia(s) prima(s) X X X X X X X + adaptación técnica + copia iconográfica

F. Importación materia(s) X X prima(s) + copia técnica

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G. Importación materia(s) prima(s) X X + copia técnica + adaptación iconográfica

12 La aplicación de esta metodología al corpus de las piezas de referencia –n = 553– resultó en que 80 % de la cultura no portable corresponde a los arquetipos 1A y 1B (Figura 3). Estos arquetipos adaptados bajan en proporción en la cultura portable hasta un 50 % dejando lugar a los importados –categoría 3– (Testard 2014a p. 974-978). Cruzando el análisis de la cultura material y la propuesta de Sanders (1978), se propuso así que los “contactos” entre sociedades a los que tantas veces los investigadores se han referido para el Epiclásico de forma general corresponden a situaciones de contactos no periódicos entre élites y/o a la acción de comerciantes extranjeros y/o de artesanos itinerantes, lo que restringe en realidad estas interacciones a reducidos sectores de las sociedades (Figura 4). Una vez ordenada la perspectiva a partir de la cultura material, surgen varios rasgos que a su vez definen una acción política de tipo excluyente. El primer rasgo corresponde a la movilización de la glorificación del individuo y de la segregación social, el segundo se relaciona con la exacerbación del carácter militarista de la élite, el tercero concierne el intercambio de bienes, y el cuarto refiere a las alianzas matrimoniales y la configuración bipartita del poder.

Individuos y segregación social: imágenes y espacios urbanos del poder

13 Durante el Epiclásico, la cultura material traduce un cambio sensible en la jerarquía ritual y social. De hecho, se acentúa la individualización de los personajes gracias, no sólo a su figuración en el espacio plástico, sino también a su posición sentada en iconografía y en contextos funerarios y, por ende, a la figuración del motivo del petate. Por otra parte, varias particularidades espaciales dan información sobre la segregación urbanística dentro de las ciudades e incluso en el seno mismo de los sectores reservados a la élite. Su posición jerárquicamente elevada se explicita gracias a glifos oronímicos, jerárquicos y al tocado de “serpiente emplumada”. Esta segregación constituye un cambio mayor, puesto que contrasta considerablemente con aquello que Cowgill (1993, p. 565) notó en la iconografía de Teotihuacán, en la que los personajes no se representan jamás en subordinación mutua.

14 La emergencia de figuraciones antropomorfas en el corpus relativo al soberano o a miembros de la élite es significativa: es el caso de las esculturas en cerámica de Cacaxtla-Xochitécatl, así como de diferentes esculturas en piedra de grandes dimensiones de Xochicalco representando en dos casos, personajes de género femenino que llevan quechquemitl (arquetipo 1B de la Figura 4) (Figura 5) (Testard 2014b). Esta tradición figurativa antropomorfa de “soberano”, ausente en Teotihuacán, es conocida en la zona maya, donde aparece desde el Preclásico entre las tradiciones de Toniná, Copán, Quiriguá y en el norte de Yucatán con ejemplos en volumen –alto relieve– independientes de la arquitectura (Headrick 2007, p. 23-43; Michelet y Allain 2009; Becquelin y Baudez 1979; Yadeún Ángulo 2011; Patrois 2008). Desde luego, es pertinente

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subrayar que la figuración en volumen tiene un valor performativo más fuerte que el bajo o mediano relieve, ya que las formas figuradas se proyectan en el espacio compartido entre “seres vivos” y “fabricados” –esculturas– (Baudez 1999, p. 53; Gell 1998, p. 5, 9, 15, 27).

Fig. 5 – Imágenes de reyes y referencia a su entronización: a) Cacaxtla, museo de sitio de Cacaxtla, inv. INAH 10-338433; b) personaje femenino sentado procedente del Templo de la Malinche, Cerro de la Malinche, Museo regional Cuauhnahuac, inv. INAH 10-344147; c) motivo de petate en relieve de barro –Cacaxtla, Edificio B, Patio Hundido, museo de sitio de Cacaxtla, inv. INAH 10-228998 5/18.

15 Mientras que el acento se pone ahora sobre la “persona” del soberano, su posición jerárquica es acentuada por la frecuencia de la postura sentada, tanto en la iconografía como en ciertos contextos funerarios. “Sentarse” en Mesoamérica se relaciona metafóricamente con la entronización y la autoridad en la iconografía y en la epigrafía del mundo maya clásico, así como en los contextos rituales posclásicos mixtecos y mexicas (Baudez 2006, p. 46; Benson 1974, p. 111; Macri y Looper 2003, p. 114; Jansen 1997, p. 90; Dehouve 2008). En el corpus iconográfico examinado en Xochicalco, los personajes sentados en flor de loto son representados de forma recurrente sobre el talud, el tablero y el templo de la Pirámide de la Serpiente Emplumada –PSP de aquí en adelante–, así como en otras esculturas procedentes del sitio, mientras que se conocen pocos ejemplos para el Clásico en el Altiplano central1 (arquetipo 1B de la Figura 4). La postura sentada –en flor de loto, o con las piernas estiradas horizontalmente, o bien dobladas a 90 grados o en cuclillas, cerca del busto2– se nota en numerosas representaciones antropomorfas de Cacaxtla-Xochitécatl, Xochicalco y Cantona (Testard 2014a, p. 829-831, 867-868). A su vez, el motivo reticulado de la estera o petate se hace más frecuente: en la escultura en piedra de Xochicalco, en la fase 3b de la Gran Pirámide de Cholula, en los relieves estucados procedentes de Cacaxtla-Xochitécatl y Xochicalco (Figura 5c), en las cerámicas pintadas e incisas de Cacaxtla-Xochitécatl y de

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Cholula, y sobre las perlas tubulares en piedra verde procedentes de los entierros de la PSP de Xochicalco. Este motivo opera como pars pro toto refiriéndose a la entronización y al aspecto de gravitas de la realeza sagrada (Frazer 1998; Latsanopoulos 2011, p. 382; Taube 2003, p. 293).

16 Acercándonos a los datos proporcionados por la antropología funeraria en Teotihuacán, la postura en flor del loto se destaca por su asociación con individuos extranjeros procedentes del este y del sur (Sugiyama y López Luján 2006; White et al. 2002). En los sitios examinados, se han documentado varios patrones funerarios integrando la postura en flor de loto: en Cantona, el Depósito 9 del Conjunto Juego de Pelota 9; en Cacaxtla-Xochitécatl, al menos dos individuos –masculino y femenino– depositados en el Gran Basamento y la Pirámide de las Flores; en Xochicalco, depósitos primarios documentados en la parte sur del sitio y en Cholula, y en al menos dos depósitos fechados para el Epiclásico (García Cook et al. 2005, p. 23; Delgadillo Torres y Santana Sandoval 1995, p. 66-67; Serra Puche et al. 2003, p. 33, 54, 59; González Crespo et al. 1987, p. 17; López Alonso et al. 2002, p. 51; Suárez Cruz 1985).

17 Desde la perspectiva espacial y urbanística, una nueva organización enfatiza la segmentación y una jerarquía alto/bajo. El estudio del asentamiento y de los ejes constructivos en Xochicalco de Hirth (2000) nos ha demostrado que, además de las grandes estructuras del centro cívico-ceremonial, el resto de la cuidad está organizado según los ejes de las terrazas concéntricas, un patrón espacial muy alejado de la organización ortonormada de Teotihuacán. Asimismo, varias características del urbanismo de Cantona –la asimetría marcada en sus construcciones, al nivel del plano y de la elevación– indican relaciones con las culturas del sur de Veracruz y con la región maya (García Cook y Merino Carrión 1996, p. 342). De hecho, el conjunto de los dispositivos urbanísticos de Xochicalco y Cantona contribuye a subrayar una jerarquía alto/bajo, un escalonamiento entre varios sectores/barrios de los sitios, siendo las partes más elevadas destinadas a la élite y la parte cívico-ceremonial la más importante: PSP en Xochicalco, Plaza de la fertilización de la Tierra en Cantona3. Estos elementos sugieren una similitud con la organización espacial y urbanística del Oriente mesoamericano, donde la Acrópolis se organiza según ejes verticales. Estos dispositivos se conocen en el área maya: en Copán, Calakmul, Comalcalco, Yaxchilan, El Baúl y El Castillo (Cotzumalguapa) y alcanzan una magnitud inigualada en Toniná, entre 650 y 850 d. C., con la construcción de siete enormes plataformas escalonadas sobre la vertiente del cerro (Safi et al. 2012, p. 414; Yadeún Ángulo 1992, p. 60-61). También se documentan desde el Clásico temprano en Veracruz, en la cuenca de Cotaxtla (Daneels 2008, 2012) (Figura 1). Además de situarse en una posición elevada con respecto al resto del asentamiento, la Acrópolis dispone de un acceso restringido que participa también de una segmentación marcada del espacio entre diferentes grupos sociales. Así también la circulación en el Gran Basamento de Cacaxtla es restringida: no existe acceso directo a las estructuras –escaleritas, corredores o pórticos– (Santana Sandoval et al. 1990, p. 339; Lucet 2013, p. 99-101). Por su parte, Xochicalco dispone de pórticos en U que filtran la circulación del bajo del cerro hacia arriba y las estructuras más prestigiosas; un fenómeno similar se observó para el pórtico B de Cacaxtla (Lucet 2015). En Cantona, la Acrópolis dispone de una gran estructura escalonada – unidad 11–, posiblemente con puestos de vigía (Talavera et al. 2001, p. 97). Esta jerarquización de los espacios también es visible en el seno mismo de los sectores reservados a la élite, lo que refleja una compleja jerarquía interna. En el Conjunto 2 de Cacaxtla aparece la Celosía, un elemento arquitectónico tramado que separa dos

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espacios que anteriormente conformaban uno solo (Testard 2014b, p. 328). Este dispositivo indica una nueva concepción de la privacidad –visión relativa interior/ opacidad desde el exterior– y es interesante notar que, en Cantona, Sánchez (2013) documentó dispositivos similares –tipo escultórico 9.

18 Varios autores que han trabajado la iconografía de la región de Puebla-Tlaxcala y Morelos han propuesto hipótesis congruentes sobre la aparición de títulos jerárquicos asociados con la élite. Así, según Domínguez Covarrubias y Urcid, en Cacaxtla ha existido una práctica historiográfica y genealógica inspirada de la ideología del sur- oeste (zapoteca) y del sur-este (maya) (Domínguez Covarrubias y Urcid 2013). En Xochicalco, Smith ha propuesto que las tres famosas estelas hayan celebrado la accesión, la conquista y la adquisición de títulos por los soberanos 7 Ojo de reptil, 7 y 4 Movimiento (Smith 2000a, p. 98-100).

19 A su vez, las propuestas de Brotherston, Taube, López Austin y López Luján, Sugiyama, Jansen y el estudio iconográfico transversal de nuestro corpus permiten sugerir que, durante el Epiclásico en el Altiplano central, la serpiente emplumada se transformaba en uno de los emblemas fundamentales de la cumbre de la jerarquía social (Brotherston 1989; Taube 1992; López Austin y López Luján 1999; Sugiyama 2000; Jansen 2010; Testard 2014a, p. 929-939).

20 Compartimos con Langley (1992, p. 262-263) la idea según la cual existe una asociación clara entre grupos de signos y tocados, lo cual transmite información acerca del rango y la función de los personajes portadores. Esta idea es pertinente y rigió la elaboración de la tipología que realizamos para las figurillas de Xochitécatl (Testard y Serra Puche 2011). Por otra parte, es bien sabido que los glifos localizados cerca de la cara de las figuras representadas remiten también a su identidad social, política y/o religiosa. Pudimos documentar 13 ejemplares de personajes representados en esculturas, placas figurativas, vasijas, llevando la serpiente emplumada en su tocado, procediendo estas piezas de Xochicalco, Cacaxtla-Xochitécatl y Cholula (Figura 6). Como lo han propuesto López Austin y López Luján (1999), el dignitario que llevaba este tocado se presentaba investido de la capacidad de transformación de la serpiente, a la vez como intermediario entre las esferas sub-humana y sobre-humana y como mediador entre pueblos de diferentes regiones.

Fig. 6 – Artefactos con representaciones de personajes antropomorfos con tocado de “serpiente emplumada”, procedentes de los sitios de Xochicalco, Cacaxtla-Xochitécatl y Cholula (en base a Testard 2014b, p. 932-935).

Lugar de Tipo de Correspondencia conservación, Sitios Localización artefacto/ Descripción con los no inventario, material arquetipos fuentes

Personajes Paneles de los masculinos Xochicalco PSP taludes bajo 1B – sentados de relieve perfil

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Museo Nacional Cámara de de Antropología, Xochicalco las ofrendas, Estela Piedra Cabeza 1B Sala Epiclásico estructura A inv. INAH 10-0081748

Lado oeste, Plaza Museo de sitio de Escultura alto Xochicalco Principal, Cabeza 1B Xochicalco inv. relieve Piedra Sector G, INAH 10-570822 Edificio 6

Personaje Museo regional Escultura ¿Plaza masculino Cuauhnahuac Xochicalco mediano relieve 1B ceremonial? en pie, de inv. Piedra frente INAH 10-344167

Personaje PSP, Placa figurativa masculino inv. Xochicalco 3A Ofrenda 1 de piedra verde en pie, de INAH 10-0081739 frente

Personaje inv. Proyecto Vasija cerámica masculino Xochicalco ¿? 1B Xochicalco efigie en pie, de XOCH-1528 frente

Zona sur ¿Personaje González Crespo Xochicalco Placa de cerámica 3A (TF1) sentado? et al. 1995

González Crespo, Personaje Garza Tarazona y masculino, Alvarado de Xochicalco ¿? Cajete Cerámica 3A arrodillado León 2008, de perfil fig. 10; González Crespo et al. 1995

Personaje Pirámide de Museo de sitio Cacaxtla- Figurilla femenino, las Flores, 1B inv. Xochitécatl Cerámica sentado ofrenda 3 INAH 10-546129 Entronado

Personaje Pirámide de Museo de sitio Cacaxtla- Figurilla femenino, las Flores, 1B inv. Xochitécatl Cerámica sentado ofrenda 3 INAH 10-546128 entronado

Frente Personaje escalera sur Museo regional Cacaxtla- Vasija cerámica masculino Plaza del 1B de Tlaxcala inv. Xochitécatl efigie en pie, de Palacio, INAH 10-228978 frente Sondeo 31

Plato Cerámico Personaje de Cholula ¿? 2C Solís et al. 2007 Cocoyotla perfil

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Guerra, militarismo y sacrificio: marcadores jerárquicos y estratégicos

21 A la vez que se glorificaban los individuos, se reiteraba la relación que estos miembros de estatus elevado tenían con la guerra y el sacrificio mediante la utilización de insignias funcionales y jerárquicas, la proliferación de trajes guerreros y la figuración explícita de actos sacrificiales. El conjunto de estos recursos figurativos funcionaba a fin de lograr una intimidación política y social, en una estrategia política tributaria y expansionista.

22 En Cacaxtla-Xochitécatl y Xochicalco, se descubrieron dos conjuntos de excéntricos de obsidiana llamados “máscaras de Tláloc” compuestos por dos círculos, un elemento en forma de 3 y cuatro en forma de U (Córdova Tello 1996; Delgadillo Torres 1996; Palavicini Beltrán y Garza Tarazona 2004, p. 212-213; Testard 2014b, p. 323-324, 728-729) (Figura 7a). Fueron localizados en contextos arqueológicos similares: cumbre del montículo B en Cacaxtla y Gran Pirámide en Xochicalco; asociación con artefactos en piedra verde y conchas marinas. Ahora bien, estos artefactos líticos se relacionan a nuestro juicio con un conjunto glífico documentado en el Mural de la Batalla de Cacaxtla, subestructura del Edificio B. Desde una perspectiva comparativa, Helmke y Nielsen han propuesto que el conjunto que también llaman “máscara de Tláloc”, compuesto por un motivo en forma de 3 y una figuración de boca, podría equivaler al título reservado a los yahawk’ahk’ –sacerdotes guerreros del Clásico tardío maya equivalentes a los tlenamacac posclásicos mexicas– (Zender 2004 citado en Helmke y Nielsen 2013a p. 376-377; ver Turner n.d. para una interpretación alternativa) (Figura 7a). Por nuestra parte señalamos que es relevante la presencia de este excéntrico en 3 en una de las volutas de la palabra de los personajes sentados en el talud de la PSP de Xochicalco (Testard 2014a, p. 500-501) (Figura 7b). Los excéntricos de obsidiana en 3 se documentaron en Teotihuacán, en Tikal y en Tula y aluden a la sangre y a la guerra sacrificial (Carballo 2007b, p. 186; Stocker y Howe 2003, p. 98, 101). También fueron encontrados en las terrazas epiclásicas de Nativitas, complejo residencial de Cacaxtla-Xochitécatl (Serra Puche et al. 2012, p. 57). Por lo tanto, la propuesta epigráfica de Helmke y Nielsen se refuerza por el estudio de nuestro corpus: el motivo trilobulado es esencial ya que funciona como elemento adjetival aludiendo a la “sangre, guerra sacrificial”, que bien puede calificar el glifo de la palabra –PSP de Xochicalco–, o bien un título jerárquico de cierta parte de la élite, como en el Mural de la Batalla de Cacaxtla. Asimismo, los portadores del “corazón sangrante” en el Mural de la Batalla de Cacaxtla equivaldrían a los que están asociados al glifo “mandíbula y cruz” de la PSP en Xochicalco (Figura 7c y d). Este grupo de guerreros serían los que literalmente “tragan algo precioso”4 (Hirth 1989; Testard 2007; Helmke y Nielsen 2013a, 2013b). Por ende, la existencia de una versión glífica con una flor en lugar del corazón, visible en los tocados de las figurillas del tipo D de Xochitécatl, podría caracterizar a los individuos que llevaban a cabo la “guerra florida” (Testard y Serra Puche 2011, p. 240-243; Testard 2014a, p. 864-865) (Figura 7e). Durante el Posclásico mexica, xochiyaoyotl era una guerra llevada a cabo específicamente para la toma de prisioneros destinados al sacrificio (Hassig 1988, p. 10).

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Fig. 7 – Insignias jerárquicas guerreras de las élites del Epiclásico, “máscara de Tláloc”, “corazón sangrante”, “mandíbula y cruz”, “flor sangrante”, “trapecio y rayo”. a) Máscara de Tláloc, obsidiana y piedra verde –Montículo B, cista parte superior, Cacaxtla, inv. INAH 10-426768, museo de sitio de Cacaxtla; Máscara de Tláloc –detalle, escena de la Batalla, subestructura del Edificio B, Cacaxtla, dibujo cortesía de Christophe Helmke; b) Glifo excéntrico en 3 –detalle talud de la PSP de Xochicalco; c) glifo “corazón sangrante” –detalle, escena de la Batalla, subestructura del Edificio B, Cacaxtla, dibujo cortesía de Christophe Helmke; d) glifo “mandíbula y cruz” –detalle talud de la PSP de Xochicalco; e) tocado “Flor-sangrante” –detalle, figurilla de Xochitécatl no 10-545953; f) personaje con tocado “ángulo y rayo” –escultura, museo de sitio de Cacaxtla, inv. INAH 10-348553.

23 Por su parte, el glifo “trapecio y rayo” –ángulo y rayo– está presente en el corpus examinado, particularmente como signo en los tocados. Es el caso de una escultura inacabada de Cacaxtla, del guerrero 3 Venado en el Mural de la Batalla de Cacaxtla y en la Estela 2 de Xochicalco (arquetipos 1B de la Figura 4). Este glifo, identificado como “glifo del año”–calendario ritual de 260 días–, fue reportado por primera vez por Caso (1928) en las glíficas zapotecas de Oaxaca. Gracias a sus análisis sistemáticos, Urcid (2001, p. 137-141) confirma la propuesta inicial de Caso, según la cual el “glifo del año” calificaba de señor al periodo al cual se asocia. Este glifo luego se documenta en Teotihuacán y se adopta en la región maya por primera vez en 378 d. C. (marcador de Tikal) y más frecuentemente a partir en 435 d. C. (Estela 32 deEl Zapote) por su relación con el Tláloc Teotihuacáno (Caso 1967; Pasztory 1978; Von Winning 1987, p. 25-29; Arnauld 1998; Arrellano Hernández 2002, p. 171, 180). Gracias a un tejido de metáforas, pasa de la alusión a la lluvia, la tormenta y el rayo para evocar al auto-sacrificio, la guerra sacrificial y la toma de cautivos. Posiblemente los mayas lo hayan adoptado también porque tenía connotación calendárica, lo que permitía reactivar la performatividad maya entre rey y calendario5. Desde luego, el glifo epiclásico figurado en el tocado de personajes podría funcionar a la vez como insignia militar y sacrificadora, pero también calificando a su portador como “señor del tiempo”.

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24 De Teotihuacán, las ciudades-estado también heredaron la figuración de órdenes guerreras, pero en la gran metrópoli se limitaba a ciertos soportes y aparecía frecuentemente de forma más bien indirecta (Langley 1992; Von Winning 1987). Durante el Epiclásico, esta temática ocupaba un lugar fundamental en la iconografía y en la arquitectura, traduciendo un cambio de paradigma socio-político (López Austin y López Luján 1999). El corpus examinado en Cacaxtla-Xochitécatl y Xochicalco corrobora esta propuesta, ya que varios emblemas que relacionan figuras antropomorfas con la esfera guerrera se plasman en materiales cerámicos –vasijas efigies, esculturas, figurillas–, en piedra –esculturas– y asimismo en la pintura mural. Aparecen elementos de posibles uniformes: el traje-mariposa, el jaguar, el búho, el coyote, así como la media estrella llevada en el pectoral o en la cintura (Testard 2014a, p. 944-957). La guerra y el sacrificio no sólo se presentan como corolarios de rituales propiciatorios, sino que se relacionan explícitamente con la política y la estrategia territorial. Así es que, acercándose a los modos figurativos utilizados, de un truncamiento del discurso plástico en Teotihuacán se pasa a explicitar acciones ligadas a prácticas peri-mortem, que las vuelven más intimidantes para una audiencia social más amplia. El sacrificio humano es ahora figurado por la representación “naturalista” de las heridas provocadas: cardiectomía, evisceración, decapitación, flujos de sangre, etc. (Testard 2014b). La figuración del desollamiento y de los huesos –calaveras, huesos largos y cruzados, ver Figura 8–, así como su exposición en “móviles”–mandíbulas y huesos largos colgados en un pórtico de paso obligado– en Xochicalco6, participaba entonces de una estrategia de intimidación que legitimaba el poder de estas nuevas entidades políticas a una escala local, regional y suprarregional. En Cacaxtla, la banqueta del Templo Rojo fue recientemente comparada a las escaleras glíficas del Usumacinta-Pasión, tal como en Yaxchilan –escalera glífica 3–, Dos Pilas –escalera glífica 2, estructura L5-49–, Itzan, Ceibal, Tamarindo, Toniná, Palenque o Edzna donde los cautivos, procedentes de ciudades rivales, eran explícitamente apisonados (Helmke y Nielsen 2013a, 2013b) (Figura 8) (arquetipo 1B). En Xochicalco, los glifos toponímicos de los tableros de la PSP se han considerado como la transcripción de una lista de ciudades tributarias; una hipótesis similar fue recientemente propuesta para los glifos de la banqueta del Templo Rojo de Cacaxtla (Hirth 1989; Smith 2000b; Helmke y Nielsen 2013a, 2013b). De este modo, los títulos de guerreros “mascara de Tláloc”, “corazón sangrante” y “mandíbula y cruz” y su congruencia con un sistema político y económico de tipo tributario y expansionista, cobran todo su sentido en correlación con las listas de ciudades tributarias de Cacaxtla y Xochicalco (véase Hirth 2012, p. 87).

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Fig. 8 – Personajes descarnados de la banqueta del Templo Rojo de Cacaxtla y lista de probables ciudades tributarias (© dibujos cortesía de Christophe Helmke).

25 En breve, la evidencia arqueológica, iconográfica y epigráfica que revela la posición jerárquicamente marcada de ciertos individuos, sus títulos y órdenes militares, las listas de ciudades tributarias, las prácticas sacrificiales explicitadas y la evidencia material de exposición de huesos, forman un conjunto consistente que permite identificar las primeras características del polo excluyente: individualización, segregación y exacerbación de la fuerza militar. Sin embargo, en tanto proclaman una fuerte desconexión y agresividad (ver Stone 1989), las élites de estas capitales de ciudades-estados requieren necesariamente conexión: es decir, intercambios de materias para mantener su sistema económico y adquirir prestigio que legitime su poder a un nivel local.

Redes de intercambio y bienes de prestigio: relaciones del poder

26 De los bienes que se intercambiaban, sólo llegaron hasta nosotros los que desafiaron el paso del tiempo: la lítica y la cerámica. La mayoría de los atuendos de textiles, plumas, productos alimentarios etc. que, como es sabido, tienen alta relevancia en estos procesos, escapan de hecho, la mayoría de las veces, al registro arqueológico.

27 Desde un punto de vista económico, el Epiclásico es un momento en el cual las redes de distribución de obsidiana se modificaron considerablemente, revelando nuevas estrategias y posibles alianzas a una escala regional. La repartición del consumo de obsidiana siguió un esquema relativamente claro. Mientras que el este y el sur de la Cuenca de México –en particular Cacaxtla-Xochitécatl y Cholula– se abastecían de forma mayoritaria en Oyameles-Zaragoza (Puebla), Xochicalco dependía del yacimiento de Ucareo (Michoacán), como los sitios de la región de Tula, incluyendo Tula Chico. Cantona, por su parte, habría controlado y exportado la obsidiana del yacimiento de Oyameles-Zaragoza, al menos desde el Clásico (Espinoza García y Ortega Ortiz 1988; Blanco 1998; Hirth 2005; Bradford 2004; Hirth 2000; Braswell 2003; Mc Cafferty 2000; Healan 2012; García Cook 2004; Testard 2014a, p. 728-729).

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28 Si volteamos hacia la producción cerámica, las modificaciones de las formas sugieren por su parte una transformación de la esfera ritual (Salomón Salazar 2011). El incensario de mango –documentado en Cacaxtla-Xochitécatl7, Cholula y Xochicalco– parece constituir, a partir de 800 d. C., un marcador de nuevas prácticas, revelando una pertenencia a la esfera Coyotlatelco que indica a su vez una interrelación con otras entidades políticas del México central (Figura 9). Sin embargo, estos incensarios de mango –con pocos o ningún motivo aparte de una banda blanca alrededor del borde– se conocen antes del 800 en la zona maya, y en particular en el Preclásico Terminal, en Kaminaljuyú, en el Clásico temprano (fase Tzacol) en Uaxactún, en Altar de Sacrificios en el Clásico tardío (Kidder, Jennings y Shook [1946], Smith [1955] citados en Amado 2012, p. 310-1311), alrededor de 650-700 d. C., en el sitio de Cerro Palenque (Honduras; Joyce, com. pers. 2015). Aparecen luego también en los corpus cerámicos de los sitios afiliados a Chichén Itzá (Ringle et al. 1998, p. 216). El incensario de mango se conocía durante el Posclásico y era manipulado por el sacerdote mayor, Tlalocan tlenamacac; proponemos que su función era similar durante el Epiclásico, ya que los rituales propiciatorios dedicados a las deidades de la lluvia y de los montes parecen haber tenido una importancia mayor en Cacaxtla-Xochitécatl y que, como se mencionó anteriormente, se documentó una posible alusión a esta clase de especialistas rituales en el Mural de la Batalla de Cacaxtla.

Fig. 9 – Incensario de mango procedente de Xochitécatl (© reproducción autorizada por el Proyecto Xochitécatl INAH-UNAM).

29 Las figurillas femeninas de Xochitécatl apuntas a su vez a otras hibridaciones culturales. Así, el corpus integra de forma mayoritaria (76,5 %) tipos relacionados con la esfera Coyotlatelco, revelando redes regionales heredadas de la fase Metepec de Teotihuacán (moldeadas-galletas llevando tocados con iconografía compleja, en relación con la maternidad y el poder), mientras que otros tipos evidencian una relación con la Costa del Golfo, Tabasco y Campeche, con ejemplares claramente importados (ver Figura 4 arquetipo 3A), copiados (arquetipos 2), adaptados o “híbridos”: sonajas, mutilación dentaria marcada, brazos levantados y palmas hacia el frente (arquetipos 1; Testard y Serra Puche 2011; Testard 2014a, p. 550, 643-644).

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30 Mientras que la obsidiana y la cerámica eran bienes de uso cotidiano y se intercambiaban regularmente, revelando redes distributivas y económicas, otros artefactos, de acceso restringido, tienen peculiar relevancia para analizar el comportamiento de las élites.

31 Un “ajuar” es un conjunto de bienes –mobiliario, ropa, etc.– que conformaba un hogar. Tradicionalmente, el ajuar acompañaba la entrada de la mujer en la familia de su esposo. Lo que denominamos “ajuar de prestigio” es un conjunto de artefactos especialmente dedicado a intercambiarse entre élites, y proponemos que estaba compuesto de artefactos que se documentaron en nuestro corpus: vasijas efigies, placas figurativas de piedra verde, vasijas de tecalli y ornamentos de concha. A su vez, el “servicio” de prestigio designa, más específicamente, a un surtido de vasijas reservadas a posibles banquetes celebrados en los encuentros entre estas élites.

32 Las vasijas efigies parecen pertenecer a un complejo cerámico proprio de las élites del Epiclásico, ya que anteriormente no están documentadas en el Altiplano8. En su mayor parte llevan figuraciones de miembros de una élite guerrera, mientras que otras se relacionan más específicamente con su función ritual (Figura 10). Articulando varios personajes de escalas diferentes, la composición figurativa piramidal señala jerarquía. Este tipo de vasija se documentó en Cacaxtla y en Xochicalco; en Cholula y Cantona las informaciones disponibles sólo dejan suponer que versiones similares pueden haber existido. En Xochicalco, se han localizado moldes destinados a su fabricación en una ofrenda del sector ceremonial: M6-AJ/M6-AK (González Crespo et al. 1995; Testard 2014a, p. 685). Los tres primeros recipientes de Cacaxtla se han encontrado en sectores distantes del Gran Basamento (Edificio E, entrada este del Palacio y talud periférico), aunque comparten forma e iconografía. El material asociado con las dos primeras urnas (Figura 10a y b) indica su carácter precioso: conchas y cerámicas “importadas”. Su función por ahora se desconoce, aunque las tapas indican que podían haber servido de contenedor de ofrendas. Las representaciones plasmadas corresponden a guerreros en relación con esferas lejanas: cacao y bastón de camino. La cuarta urna de Cacaxtla (Figura 10d), en cambio, es distinta tanto morfológicamente (sistema de prehensión ¿orejas? ocupando toda la altura del cuerpo de la vasija, comparable a las urnas de Xochicalco9) como iconográficamente (individuo con mayores dimensiones y menores proporciones).

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Fig. 10 – Vasijas efigies procedentes de Cacaxtla, Xochicalco y Cholula. Cacaxtla: a) Frente escalera sur Plaza del Palacio, Sondeo 31, Museo regional de Tlaxcala, inv. INAH 10-228978; b) Relleno Edificio E, N’12, capa IA, Museo de sitio de Cacaxtla, inv. INAH 10-203654; c) quinto cuerpo talud superior de la sección nordeste, a 10 m del Edificio A, Museo de sitio de Cacaxtla, bodega; d) Sureste Gran Basamento, sondeo terraza sur nivel 3, barranca de Nacuitlapán, inv. INAH 10-583361; dibujo cortesía de Venancio Trilla. Xochicalco: e) Loma Sur, Estructura 1 Oeste, S5, Elemento 19, Museo de sitio de Xochicalco, inv. INAH 10-570780; f) Sector H, Museo de sitio de Xochicalco, inv. INAH 10-570783; g) Sector B, Patio 3/Sector E, estructura E2-3? Sondeo 12-5, Elemento 1A, Museo de sitio de Xochicalco, inv. INAH 10-570778; h) Centro INAH, Morelos, Proyecto Xochicalco INAH XOCH-1528, dibujo cortesía de Nicolás Latsanopoulos en base a González Crespo et al. 2008b; i) Centro INAH, Morelos, Proyecto Xochicalco INAH XOCH-1337, dibujo cortesía de Nicolás Latsanopoulos en base a González Crespo et al. 2008a; j) Centro INAH Morelos, Proyecto Xochicalco INAH XOCH-1338, modificado de González Crespo et al. 2008a; k) ¿Sector G?, ¿Estructura G5, pieza 2D? Centro INAH Morelos, Proyecto Xochicalco INAH XOCH-1501, dibujo cortesía de Nicolás Latsanopoulos en base a González Crespo et al. 2008a; l) Centro INAH, Morelos; Proyecto Xochicalco INAH, dibujo cortesía de Nicolás Latsanopoulos en base a González Crespo et al. 2008b. Cholula: m) Ofrenda, Sección 120-3 32, prof. 240/280, Museo de sitio de Cholula, inv. INAH 10-214244; n) modificado de Noguera 1954: p. 186.

33 En Xochicalco, las figuraciones de las vasijas g, h, i y j (Figura 10) corresponden a individuos similares a los de las vasijas de Cacaxtla, es decir miembros de la élite y/u órdenes guerreros que lucen trajes específicos de su cargo: serpiente emplumada o mariposa. Por su parte, las vasijas d, e y f (Figura 10) parecen referirse a especialistas rituales10. El recipiente n, procedente de Cholula, es el único que se ha podido registrar hasta ahora en el sitio; sin embargo, ejemplos similares se localizaron en las primeras excavaciones de Cerro Zapotecas (Mc Cafferty 2001, p. 32-33). Este recipiente publicado por Noguera (1954) tiene una forma más alargada que alude claramente a otra función. La postura del personaje, similar a la del recipiente e, podría evocar a un especialista ritual (ver nota 10). Mientras que este tipo de vasija no es conocido en el material arqueológico del Altiplano mexicano, se documentó en el Quiché, Guatemala, en el Clásico tardío de Tikal y Copán y también en Oaxaca, para las fases Monte Albán III y IV (Schmidt et al. 1998, fig. 378; Fash 2011, p. 36; Miller 1986, p. 76-77; Mongne 1984, p. 337; véase el banco de datos de Sellen http://www.famsi.org/research/zapotec/). Las vasijas

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procedentes de las cuatro ciudades-estados del Altiplano se distinguen sin embargo de las piezas zapotecas puesto que el recipiente ocupa un lugar importante en la composición en las primeras, mientras que en las segundas la figura antropomorfa disimula la vasija (Mongne 1984, p. 41). Por su lado, con figuración de ojos cuadrangulares –sistema de prehensión vertical– (Figuras 10k y l), los recipientes de Xochicalco parecen relacionarse más específicamente con la tradición de los braseros de Palenque (ver Greene Robertson 1991, fig. 135), aunque la proporción de los de Xochicalco es diferente. En breve, estas vasijas efigies, inéditas para el Epiclásico, parecen ser evidencia de las relaciones que las élites del Altiplano tenían con sus contemporáneos orientales. Las élites del Altiplano adaptaron morfológicamente e iconográficamente (arquetipo 1B de la Figura 4) un artefacto estrechamente ligado con la esfera ritual de las orientales. Combinaron la esencia del recipiente oriental –vasija efigie– con una iconografía enfocada hacia la representación de su propia imagen: miembros de la élite con atuendos guerreros o rituales, que aludían al contacto con áreas lejanas: bastón de camino, planta de cacao.

34 Las placas figurativas de piedra verde son también indicios que sugieren relaciones interregionales ya que aparecen de forma repentina en los corpus epiclásicos del Altiplano central, siendo conocidas anteriormente en el Oriente mesoamericano (Figura 11) (ver Solar Valverde 2002; Nagao 2006). Siguiendo las propuestas de Helms, Solar Valverde indicó que las placas figurativas asociadas con individuos podían haber funcionado como “expresiones activas de rango” (Helms 1986, p. 30; Solar Valverde 2002, p. 102). Efectivamente, los ejemplares c, d, e, f (Serra Puche y Blanco 1996, p. 22) y todas las placas procedentes de Xochicalco muestran perforaciones que nos permiten confirmar que se llevaban como pendientes o bien sobre las prendas11. A su vez, su localización en ofrendas y asociación con conchas señalan un alto valor suntuario. Como notó Nagao, se distinguen dos variantes de placas siguiendo la tipología de Rands: las de tipo 1 (con un personaje de frente de pie) y las de tipo 2 (con figuración de la cara), teniendo las de tipo 2 una distribución cronológica más larga, hasta el Posclásico temprano y siendo menos frecuentes en nuestro corpus (Rands 1965; Nagao 2006; Testard 2014a, p. 711-725). Más allá del análisis tipológico e iconográfico, acercándose a su relevancia informativa sobre los procesos adquisitivos que nos interesan, proponemos que las placas a, b, c, h, j, l fueron importadas desde Guatemala y Chiapas (ver Figura 4 arquetipo 3A). El aspecto formal y simbólico de la iconografía plasmada, así como los dos tonos verdes claros de la piedra (¿jadeíta?), constituyen argumentos que sostienen esa hipótesis. Las placas de Xochitécatl (Figura 11e, f, g), así como dos ejemplares de Xochicalco (Figura 11i, n), podrían en cambio haber sido grabados localmente según prototipos mayas (arquetipo 3E). Por su parte, las placas o y p retoman el principio de placas figurativas, pero con una composición cercana al esquematismo de las figurillas Mezcala y podrían haberse producido en el sur de Guerrero (Testard nd) (arquetipo 3A). Por lo tanto, traducen otra afiliación cultural todavía más híbrida.

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Fig. 11 – Placas de piedra verde figurativas procedentes de Cacaxtla-Xochitécatl y Xochicalco. Cacaxtla: a) Montículo B, cista plataforma superior; Museo de sitio de Cacaxtla, inv. INAH 10-426767; b) Montículo B, cista plataforma superior; Museo de sitio de Cacaxtla, inv. INAH 10-426766; c) Edificio 3, Plaza de los Tres Cerritos; Museo de sitio de Cacaxtla, inv. INAH 10-426765. Xochitécatl; d) Pirámide de las Flores, Entierro 22, N6E13 cuadros 25, 26, 35 y 36: capa II, nivel II, prof. 70 cm; Museo de sitio Xochitécatl, inv. INAH 10-546078; e) Pirámide de las Flores, Entierro 24, N5E11; Museo de sitio de Xochitécatl, inv. INAH 10-546077; f) Pirámide de las Flores, Entierro 22, N6E13 cuadros 25, 26, 35 y 36: capa II, nivel II, prof. 70 cm; Museo de sitio de Xochitécatl, inv. INAH 10-546079; g) Plataforma de los Volcanes, Ofrenda 6, modificado de Lauer y Steiner 1978: pl. 9-10. Xochicalco: h) PSP, ofrenda 1; MNA Sala Epiclásico y posclásico temprano, inv. INAH 10-0081739; i) Edificio C; MNA Sala Epiclásico y posclásico temprano; j) Edificio C, entierro 1; MNA Sala Epiclásico y posclásico temprano, inv. INAH 10-0081746; k) Centro INAH Morelos Proyecto Xochicalco INAH XOCH-2022, modificado de González Crespo et al. 2008a; l) Edificio C, Ofrenda, 14-52; MNA Sala Epiclásico y posclásico temprano, inv. INAH 10-0081737; m) Edificio C; MNA Sala Epiclásico y posclásico temprano inv. INAH 10-0081742; n) Edificio C; MNA Sala Epiclásico y posclásico temprano, inv. MNA 15-704/14-54; modificado de Hirth 2000, vol. 1, fig. 9.3; o) PSP, ofrenda 1; MNA Sala Epiclásico y posclásico temprano, inv. MNA, 15-703/14-68; modificado de Hirth 2000, vol. 1, fig. 9.3; p) PSP, ofrenda 1; MNA Sala Epiclásico y posclásico temprano, inv. MNA 15-705/14-55; q) MNA Sala Epiclásico y posclásico temprano, inv. MNA 15-289269.

35 Otras piezas pueden pertenecer al “ajuar de prestigio” ligando a estas élites con las esferas orientales. Así, las tres piezas de tecalli12 más diagnósticas del corpus son las de Cacaxtla y Xochicalco, mientras que la pieza d de Cholula fue probablemente realizada en una materia distinta, refiriéndose la forma de la vasija a otra funcionalidad (Figura 12). Un vaso procedente del valle de Palmarejo (Honduras), analizado por Wells et al. (2014), señala una continuidad de contextos, usos y cronología de 600 a 800 d. C. Por lo tanto, estos artefactos podrían haber constituido regalos de parte de las élites de Veracruz o de la zona maya hacia las élites del Altiplano central mexicano.

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Fig. 12 – Vasijas enteras de tecalli procedentes de Cacaxtla, Xochicalco y Cholula. Cacaxtla: a) cuadro K’32, Museo de sitio de Cacaxtla. Xochicalco; b) Ofrenda 1, PSP, MNA Sala Epiclásico y posclásico temprano, inv. INAH 10-0081719; c) Sector G, Estructura 1-subestructura PSP, Museo de sitio de Xochicalco, inv. INAH 10-570843. Cholula; d) Museo de sitio de Cholula, inv. INAH 10-213245.

36 Por su parte, el concepto de “servicio de prestigio” podría explicar la muy baja ocurrencia de dos grupos cerámicos altamente diagnósticos: la cerámica Anaranjada Fina –al menos los tipos Altar y Campamento– y la Plomiza, ya que sus producciones estaban localizadas respectivamente en Tabasco, Veracruz y en Soconusco. Estas cerámicas surgen a partir del 800 d. C. y son muy minoritarias en los corpus examinados, representando menos del 1 % de los efectivos globales (Testard 2014a, p. 698-710).

37 Saliendo ahora de la esfera puramente material, si nos fijamos en las modificaciones corporales figuradas y en las reales observadas en los datos proporcionados por la antropología física emergen ciertos patrones significativos. En el corpus iconográfico – figurillas de Xochitécatl, de Xochicalco, pintura mural de Cacaxtla, tableros de la PSP y esculturas de Xochicalco–, sobresalen las variantes tabulares oblicuas y “paralelepipédicas” de la deformación craneal y el patrón dentario de tipo B4. Si ponemos a un lado los individuos extranjeros de los entierros de las pirámides de Teotihuacán, estos tipos sólo se documentaron en zonas orientales antes del Epiclásico (Romero y Fastlich 1951; Tiesler 2001, 2012). Desde luego, su presencia en el corpus examinado revela un discurso de las élites del Altiplano para mimetizar sus contemporáneos. Sin embargo, el corpus antropológico de los sitios es menos discriminante, subrayando una estrategia de comunicación más que transformaciones reales en las prácticas de modificación corporal (Testard 2014a, p. 890-896).

38 En breve, la cultura material examinada revela tendencias adquisitivas muy peculiares. Por un lado, las redes distributivas y económicas estaban fuertemente vinculadas con

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esferas regionales. Se privilegiaban dos yacimientos de obsidiana negra y gris: Oyameles-Zaragoza (Puebla) y Ucareo (Michoacán), y el material cerámico de los sitios se anclaba en tradiciones locales. A su vez, aunque se proclamaba una fuerte relación con el área oriental (pintura mural de Cacaxtla, PSP de Xochicalco, motivos arquitectónicos de Cholula, urbanismo de Cantona), las importaciones de artefactos o de materias que evidencian relaciones con zonas orientales eran muy bajas. La conexión con esferas lejanas se favorecía desde luego gracias a soluciones alternativas de adaptación como el uso de serpentina en vez de jadeíta, o bien la adaptación de grupos o tipos cerámicos (arquetipos 1 de la Figura 4). Desde un punto de vista productivo, una elección se operaba y una o varias características se copiaban o adaptaban: el color de la pasta o del engobe –tipo Falso Plomizo de Cacaxtla (Lombardo De Ruiz et al. 1991, p. 40, 60, 62-64) o el grupo de cerámica blanca documentado en todos los sitios– la forma –el reborde basal– o parte de los motivos –círculos rojos, entrelaces, rombos, etc.

39 Desde un punto de vista teórico y antropológico, estas producciones obedecen al concepto de “criterio de selectividad” (Herskovits 1967). Desde luego, es precisamente aquí donde cobra todavía más fuerza la metodología desarrollada, puesto que se correlaciona con los datos disponibles. Se corrobora de este modo la necesidad de examinar cada uno de los atributos y sub-atributos de un artefacto, a fin de caracterizar finamente la modalidad de interacción que revela (arquetipos de adaptación, copia, importación), permitiendo luego relacionarla con un tipo específico de contacto entre sociedades (contactos no periódicos entre élites, acción de comerciantes extranjeros y/ o de artesanos itinerantes). A su vez, también se vislumbra el inmenso potencial performativo implicado en los procesos adquisitivos: reinterpretación, adaptación, reconfiguración, hibridación, etc. –todos ellos destinados a comunicar conexión y alianzas con sociedades foráneas.

Metáforas de alianzas con la alteridad: exogamia y poder bipartito

40 Si bien, gracias al estudio de la cultura material, pudimos percibir una acción propiamente excluyente y desconectada gracias al énfasis en la individualización, la segregación social y espacial (urbanística) y los inicios de una institucionalización militar, también se exploró otra franja de esta acción, esta vez conectada: un discurso sobre la inter-relación con sociedades extranjeras a través del don y de la redistribución de bienes de prestigio, la adaptación, la selección de tipos cerámicos y de nuevas formas. Esta tendencia a la interrelación también se traduce de otro modo, enfatizando las múltiples formas de alianzas entre ciudades-estados.

41 Varios motivos bipartitos se repiten en los programas iconográficos de Cacaxtla: guerreros aves y jaguares, señores con los mismos atuendos representados en pie de igualdad en la subestructura del Edificio B y en el Pórtico del Edificio A. Al mismo tiempo, es posible que la configuración misma del asentamiento Cacaxtla-Xochitécatl, un complejo multifuncional de élite por un lado y centro ceremonial por el otro (Serra Puche y Beutelspacher 1994; Serra Puche y Lazcano 2011, p. 66), resalte también esa organización bipartita. Por cierto, comparando la organización socio-espacial de Cholula en el Posclásico –ilustrada en los folios de la Historia Tolteca Chichimeca–, Domínguez Covarrubias y Urcid (2013, p. 662) identificaron el asiento del gobierno

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doble de Cacaxtla en el Edificio A. Asimismo, en Cholula, el Patio de los Altares, ocupado durante el Epiclásico, así llamado por la presencia de dos conjuntos estelas-altares, también podría aludir a una concepción bipartita del poder (Mc Cafferty 2000; Plunket Nagoda 2012). En Xochicalco los datos son menos explícitos; sin embargo, Palavicini Beltrán (2011) propuso que las Estelas 1 y 3, como las estructuras gemelas frente a la Acrópolis, pueden aludir también a un sistema bipartito. En la zona oriental mesoamericana, este tipo de organización política se sugirió desde el Clásico para el centro de Veracruz, en el sitio de La Joya, en la Cuenca de Cotaxtla a partir de indicadores arquitectónicos –plataformas organizadas por pares– (Daneels 2012, p. 267 y siguientes). Otros autores como Ringle et al. (1998, p. 212-214) también invocan una organización bipartita para Chichen Itza durante el Clásico tardío.

42 La suma de estos indicadores materiales y simbólicos en los sitios epiclásicos encuentra corolarios en las propuestas de López Austin y López Luján (1999). Según estos autores, una de las características principales de la nueva organización política del Posclásico temprano, que puede remontarse al Epiclásico, es la aparición de una clase socio- política cuya proyección cósmica se fundamenta en un centro constituido de un poder doble. Este poder habría sido compartido entre dos soberanos cuyos ejemplos posclásicos son bien conocidos: el tlatoani y el cihuacoatl en Tenochtitlan, el aquiach y el tlaquiach en Cholula o el batab y el ah kin en el mundo maya. En un marco teórico y universal, estas dos figuras refieren a la dimensión local y exógena del rey sagrado (Frazer 1998) y, por asociación metafórica, al género masculino (externo) y femenino (interno).

43 El estudio de nuestro corpus señaló precisamente la emergencia de la imagen de género femenino en esferas donde anteriormente no aparecía. Se documentaron de hecho mujeres soberanas (sentadas o entronizadas) pero también posibles especialistas rituales (con los brazos levantados y ramos en las manos) y guerreras (ver los escudos, nota 10). La representación del género femenino –quechquemitl, faja, falda larga, huipil, peinado, senos aparentes– subraya entonces la cuestión crucial de las alianzas matrimoniales como estrategias de interacción entre élites, como referencia directa a la unión entre individuos de sociedades diferentes, como expresión metafórica de alianzas entre varias ciudades y como categoría clasificatoria que permitía expresar la alteridad13. Por cierto, en el caso de otros grupos mesoamericanos–mayas, del Altiplano central, mixtecos y mexicas–, se ha propuesto que extranjero pudo haber sido percibido como una “mujer” (Gillespie y Joyce 1997; Mc Cafferty y Mc Cafferty 1999; López Austin 2010).

44 A partir de esta perspectiva de integración del género femenino al dominio del poder analizado desde la cultura material, tal vez convenga considerar el nuevo lugar ocupado por la industria textil. De hecho, parece convertirse en uno de los sectores económicos fundamentales del Epiclásico, como lo señalan varios índices iconográficos y materiales como los malacates. Esta industria está estrechamente vinculada con nuevas estrategias de legitimación de las élites: bienes de prestigio y marcadores de rango. En la región de la Mixtequilla, la producción textil desempeñó un papel determinante en la consolidación de centros rectores desde el Clásico temprano (Stark 2008, p. 97). Esta esfera económica pudo haber estado en mano de mujeres, según modelos propuestos por varios autores (Mc Cafferty y Mc Cafferty 1999; Miller y Martin 2004, p. 101; Halperin 2008; Kowalski y Miller 2006, p. 153). Aunque documentados a partir de la fases Xolalpan y durante Metepec en Teotihuacán (Barrio

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de los Comerciantes) y desde el Clásico temprano en las regiones del Papaloapan y del Blanco (Veracruz), los malacates aparecen en forma masiva en el Altiplano precisamente durante el Epiclásico, en particular en Xochicalco y en Cholula a partir de 800 d. C. y en Cacaxtla-Xochitécatl (Pirámide de las Flores), asociados con las ofrendas de figurillas depositadas hacia 749 ± 151 (Hall 1997, p. 116, 131; Smith y Hirth 1988, p. 38-39; Salomón Salazar 2011; Serra Puche y Lazcano 1997, p. 92). Estos artefactos que traducen un cambio en la esfera técnica en relación con la producción textil, también señalan una utilización más frecuente de fibras finas como el algodón14 para producir tejidos destinados a las élites (López Austin 2013, p. 41).

45 Es así como, luego de haber señalado rasgos que indican desconexión – individualización, segmentación, institucionalización militar–, también pueden encontrarse otros que traducen una conexión: intercambio de artefactos, pero también de individuos, siendo considerada la alianza con nuevas esposas alóctonas una metáfora de la alianza con “el otro” y, a su vez, una parte del nuevo paradigma de la configuración del poder.

Hipótesis sobre la acción política desde la cultura material: comentarios finales

46 Este artículo tenía como objetivo destacar la convergencia de un haz de indicios de varios niveles y naturalezas que sugieren un cambio sensible de la acción política durante el Epiclásico en cuatro ciudades-estados del Altiplano mexicano. Mientras que el modelo de Blanton et al. (1996) proporciona un marco para la propuesta, los elementos “simbólicos”, epigráficos (glifos oronímicos, títulos jerárquicos correspondiendo a grupos funcionales, glifos toponímicos y de toma de tributo), iconográficos (personajes sentados de frente en alto relieve) y “objetivos” (posición sentada de individuos de alto estatus social), espaciales (acrópolis, segregación vertical e interna) y materiales (ajuar y servicio de prestigio), confirman la construcción de una estrategia “excluyente” del poder.

47 El poder se definió entonces como desconectado: más individual, segregado y militar. La representación sentada de personajes de frente traducía un cambio paradigmático: la expresión “sentarse” o “estar sentado” –sobre el petate, como metáfora de entronización y/o poder, aparecía en numerosos soportes incluyendo ornamentos de piedra verde, cerámica y relieves arquitectónicos. Se sepultaban individuos de estatus social elevado en esa misma posición, reservada en Teotihuacán a individuos de origen extranjero. Aparecían portadores del tocado de “serpiente emplumada” en la cumbre de la jerarquía social, señores de la guerra llevando la “máscara de Tláloc”, el “corazón sangrante” o la “mandíbula y cruz”, todos en relación con la guerra sacrificial y la toma de cautivos; y portadores de tocado “trapecio y rayo” ligados con la concepción temporal del poder. Se hacían más frecuentes los equivalentes de listas de ciudades tributarias que hacían eco a los complejos glíficos sacrificiales de toma: “corazón sangrante” y “mandíbula y cruz”. El espacio urbano se segregaba verticalmente, la planificación señalaba una jerarquía alto/bajo, los escalonamientos restringían los accesos y reforzaban una segregación entre los distintos estratos sociales.

48 De modo paradójico, mientras que el interior de la ciudad revelaba segregación y/o agresividad una relación peculiar hacia el exterior con entidades regionales o suprarregionales se enfatizaba y conllevaba una lógica de la conexión. La acción

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política se caracterizaba por los bienes de prestigio y las nuevas redes de intercambio. Los miembros de esta nueva élite adoptaban o adquirían un conjunto de artefactos de prestigio que resaltaban su estatus elevado y su contacto con áreas lejanas (vasijas efigies, placas figurativas, vasijas de tecalli), y se representaban luciendo modificaciones corporales que los vinculaban con dignitarios de esas mismas zonas.

49 Gracias al examen de un panorama deliberadamente amplio de materiales –cultura material mueble e inmueble, figurativa o no–, y a nuestra metodología que relaciona teorías y datos (Figuras 4 y 5), se reveló de forma sistemática una dicotomía y una distancia marcada entre redes efectivas y proclamadas (ver también Nagao 1989; Cyphers 2001). A su vez, usando nuestra metodología y comparando las zonas inferidas de origen de las características orientales de las pinturas Cacaxtla y de la PSP de Xochicalco con las de procedencia de las características exógenas en la cerámica, surgieron diferencias mayores. Así, la región Usumacinta-Pasión, omnipresente en el estilo de las pinturas de Cacaxtla, no apareció como punto de procedencia significativo en el corpus cerámico de la misma ciudad. Una situación similar se documentó en Xochicalco. Las figurillas de Xochitécatl revelaron una situación parecida: comprenden una mayoría de tipos relacionados con la esfera Coyotlatelco (documentados en Teotihuacán y en Tula), una porción notable de híbridos (locales e inspirados de Papaloapán, Veracruz) y una minoría de tipos importados (Campeche). Un mecanismo análogo se notó en las transformaciones corporales y su figuración, con una dicotomía marcada entre imágenes de transformaciones y vestigios de las mismas en los datos de la antropología funeraria.

50 La convergencia de teorías antropológicas, metodologías, marcadores materiales, espaciales, funerarios e iconográficos sugiere cierto oportunismo estratégico, económico y político que bien puede resultar paradójico en su carácter ambivalente. La singularidad del periodo Epiclásico reside en el hecho de que la concepción del poder bipartita, insertada en una configuración excluyente, parece cobrar un aspecto más significativo que durante la fase Clásica, notablemente revelada por el lugar ocupado por el género femenino y por la alusión constante al origen extranjero del rey (ver Gillespie 1989).

51 Los elementos presentados en este trabajo sugieren que las élites del Epiclásico de Cacaxtla-Xochitécatl, Xochicalco, Cantona y Cholula construyeron una estrategia para presentarse como “individuos” soportados por sectores sociales altamente jerarquizados y segregados, con títulos que los legitimaban como señores militares, maestros del tiempo y en contacto con esferas extranjeras, relación que exhibían por medio de sus ajuares y de las (re)presentaciones que lucían de ellos mismos: pintura mural, esculturas y figurillas.

52 Finalmente, es así como el polo de acción “excluyente”, propuesto hace más de 20 años para Mesoamérica, se precisa para el Epiclásico del Altiplano central, habiéndose confrontando con datos concretos. La propuesta metodológica que relaciona datos y modelo nos proporciona una solución tangible para analizar fenómenos complejos, basada en evidencias específicas, objetivas y simbólicas. Uno de los aspectos originales que emergió del estudio es una estrategia de comunicación que contrasta con las redes de intercambio efectivas, las cuales revelan patrones alternativos en comparación con los que se proclaman. De hecho, si bien los indicios iconográficos señalan relaciones con el Oriente (maya y Veracruz), el grueso del material arqueológico se inserta en tradiciones locales o corresponde a adaptaciones. Estrechamente relacionado con lo

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anterior, el otro aspecto destacable es la concepción bipartita –femenino/masculino, local/extranjero– de la acción política, con una fuerte connotación metafórica y proyección cósmica que alude a la totalidad del universo, siendo las nuevas élites los garantes de su mantenimiento para la comunidad.

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NOTAS

1. Mencionemos las figuras del Templo de la agricultura en Teotihuacán. No se toma en cuenta la postura del Dios Viejo del , bien conocido desde el Preclásico, cuyo carácter divino ha sido reconocido (Carballo 2007a; Billard 2013). 2. Las diferentes posturas sentadas seguramente se relacionan con la jerarquía social y el género (Testard 2014a, p. 829-831). 3. En Cantona, aunque las construcciones en el sector de la Acrópolis empiezan durante la fase Cantona I (600 a. C. a 50 d. C.), fueron considerablemente modificadas durante las fases Cantona II (50 a 600 d. C.) y III (600 a 900 d. C.) por terrazas, lo que lo eleva encima del resto del asentamiento. 4. El complejo glífico “mandíbula y cruz” que aparece frente a los personajes sentados del tablero de la PSP puede interpretarse como la expresión náhuatl nitla calaquia, literalmente “tragar algo precioso” o cobrar el tributo (Hirth 1989, 2000, p. 257). 5. Este proceso singular lo asociamos a un fenómeno conocido bajo distintos nombres como “criterio de selectividad”, “medio favorable” o “atractor” (Herskovits 1967; Leroi- Gourhan 1971, p. 359; Gruzinski 1999, p. 194-195). 6. Se trata de un conjunto de huesos con perforaciones circulares –cráneos con mandíbulas, cinturas pélvicas, iliacos y huesos largos– encontrados sobre el piso y la banqueta de la estructura I4, al oeste de la Gran Pirámide, paso obligado para acceder a la plaza de la PSP (Garza Gómez 1996, p. 59-62; González Crespo, Garza Tarazona y Alvarado de León 2008, p. 284, 336-337). 7. Nótese que el incensario de mango tipo Café Cerritos burdo representó 16 % del conjunto cerámico de la temporada 2009 (Serra Puche et al. 2013, p. 169). 8. No se consideran aquí las vasijas efigies morfológicamente distintas conocidas para el Preclásico en el Altiplano (600 a 100 a. C.) que representaban deidades del fuego y del agua, localizadas en contextos domésticos (Carballo 2007a). 9. Este sistema de prehensión es comparable al de un recipiente efigie deEl Zapotal conservado en el Museo de Antropología de Xalapa (Veracruz, México). 10. La vasija “e” representa a un personaje de género femenino –con quechquemitl– que lleva los brazos levantados, postura que se relacionó en Veracruz y la zona maya del Clásico con la práctica religiosa y el baile (Heyden 1971; Medellín Zeñil 1971; Monaghan 1994). Los personajes de los recipientes d y f portan bolsas de copal, un atuendo tradicionalmente relacionado con los sacerdotes pero que más seguramente se vincula con la práctica guerrera (Hirth 1989; Stone 1989, p. 157). 11. Observación de la autora realizada sobre las piezas conservadas en el MNA de México (mayo del 2016), en el marco del proyecto “Consulta de la sala tolteca del Museo Nacional de Antropología (México) y del Museo de sitio de Cantona (Puebla). Contribución a un estudio de las interacciones suprarregionales durante el Epiclásico”, aprobado por el INAH (Consejo Nacional de Arqueología). 12. El material llamado tecalli corresponde una realidad petrográfico-ética compleja. Se define tentativamente como mármol, alabastro, travertino, ónix o bien toba caliza; nótese que no se han documentado yacimientos de alabastro en Mesoamérica. Los artefactos –vasos y vasijas– de “piedra blanca” de este tipo se encontraron en Veracruz y en la zona maya, así como en Teotihuacán, en contextos relacionados con la producción de artefactos de piedra verde (Testard 2014a, p. 725-726).

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13. La alusión local/extranjero también es revelada por el análisis renovado de la “ocupación olmeca xicalanca” de Puebla-Tlaxcala. El estudio de las fuentes etnohistóricas sobre olmecas xicalancas y la cultura material asociada (Testard 2007, 2014a, 2017) nos alentó a considerarlas como un ejemplo de un género literario similar al del Rabinal Achi (ver también Brittenham 2008). Así, los olmecas xicalancas pudieron pertenecer a la esfera mitológica: su epopeya se enmarcaría en una tradición de reivindicación territorial milenaria que pone en relieve el origen extranjero de los pueblos, un mecanismo que se documentó para los mexicas o los tarascos en épocas posteriores y hasta ahora mismo en comunidades indígenas de Chiapas y Yucatán. 14. El estudio tecnológico de Smith y Hirth (1988, p. 354), basado en la metodología de Parsons (1972) y en particular sobre el diámetro de las perforaciones, condujo a considerar que los malacates examinados eran específicos al hilado del algodón y no de otras fibras vegetales como el maguey o el ixtle.

RESÚMENES

Gracias a un estudio de las interacciones suprarregionales entre cuatro capitales del Altiplano mexicano, sitios de la costa del Golfo y de la zona maya en el Epiclásico (600 a 900 d. C.), pueden presentarse varias hipótesis sobre un posible cambio paradigmático de orden político durante este periodo. Analizados gracias a una metodología específica, ciertos vestigios materiales (artefactos muebles e inmuebles, corpus iconográfico) son confrontados con las teorías de tipos de acción política documentados en Mesoamérica, y producen un haz de pistas convergentes. En el contexto de cambios ideológicos, sociales y políticos del final de Teotihuacán, las nuevas élites de estas ciudades, en contacto intermitente con las de sociedades lejanas, ejercían su poder apoyándose en la glorificación de las personas, la exacerbación de la fuerza militar y el prestigio adquirido gracias a esas interacciones lejanas.

À partir d’une étude des interactions suprarégionales entre quatre capitales des hauts plateaux mexicains, des sites de la côte du Golfe et de la zone maya à l’Épiclassique (600 à 900 apr. J.-C.), plusieurs hypothèses peuvent être présentées sur un possible changement de paradigme d’ordre politique durant cette période. Des vestiges matériels (artéfacts mobiliers et immobiliers, corpus iconographiques), analysés grâce à une méthodologie spécifique, sont confrontés aux théories des types d’actions politiques documentées en Mésoamérique et produisent un faisceau d’indices convergents. Dans un contexte de bouleversements idéologiques, sociaux et politiques de la fin de Teotihuacán, les nouvelles élites de ces cités, en contact intermittent avec celles de sociétés distantes, exerçaient leur pouvoir en se fondant sur la glorification des personnes, l’exacerbation de la force militaire et le prestige acquis grâce à ces interactions lointaines.

Through the study of supraregional interactions among four capitals of the Mexican highlands, and sites of the Gulf coast and Maya area during the Epiclassic period (AD 600 to 900), several hypotheses may be proposed concerning a possible shift in political paradigm at that time. Analysed with a specific methodology, portable and non-portable material artefacts and associated iconographic corpus, are discussed in terms of theories bearing on political action documented in Mesoamerica resulting in convergent lines of evidence. Within a context of

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ideological, social and political disruptions following the end of Teotihuacán, new elites of these cities in sporadic contact with those of distant societies exerted their power thanks to glorification of persons, exacerbation of military force and prestige acquired through distant interactions.

ÍNDICE

Palabras claves: Epiclásico, México central, poder, intercambios, alteridad Keywords: Epiclassic, Central Mexico, power, exchanges, otherness Mots-clés: Épiclassique, Mexique central, pouvoir, échanges, altérité

AUTOR

JULIETTE TESTARD

Archéologie des Amériques (CNRS-Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)CEMCA (UMIFRE N.̊ 16- USR 3337), México [[email protected]]

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Comptes rendus

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RAMÓN JOFFRE Gabriel, Los alfareros golondrinos, productores itinerantes en los Andes

Alicia Espinosa

RÉFÉRENCE

RAMÓN JOFFRE Gabriel, Los alfareros golondrinos, productores itinerantes en los Andes, Instituto Francés de Estudios Andinos/Sequilao Editores, Lima, 2013, 168 p., bibliogr., append., ill. (en noir et blanc), photos (en noir et blanc), cartes, tabl.

1 Gabriel Ramón Joffre, actuellement professeur à l’université Pontificale du Pérou, possède une double formation en histoire et archéologie, au terme de laquelle il a publié Los alfareros golondrinos (2013). L’ouvrage est un extrait de sa thèse soutenue en 2008, dans laquelle il présentait plus amplement les communautés potières encore existantes dans les Andes péruviennes, à partir d’enquêtes ethnographiques et d’analyses de documents datant des périodes coloniale et actuelle. Le livre ici présenté illustre le cas particulier des alfareros golondrinos, autrement dit des potiers itinérants du Pérou. L’objectif pour l’auteur est de rendre compte de la nature de cette itinérance artisanale et de sa portée à la fois méthodologique et théorique dans le cadre des hypothèses relatives aux lieux et aux modes de production de la céramique. L’ouvrage s’articule en cinq grandes parties où sont progressivement présentés le cadre géographique, puis méthodologique, une définition des potiers itinérants andins, et une proposition de typologie de ce phénomène à partir des différents cas observés. Une réflexion finale autour de la mobilité à l’époque précoloniale est amorcée au cours de la discussion, où ses observations sont mises en perspective avec le registre archéologique.

2 Le qualificatif golondrinos (hirondelles) fait référence aux migrants mexicains qui au XXe siècle participaient chaque année à la récolte du coton dans le sud des États-Unis, ainsi qu’aux Italiens qui entre le XIXe et le XXe siècle se rendaient en Argentine pour les

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moissons, avant de retourner dans leur communauté d’origine après plusieurs mois d’absence (Miller 1964 ; Scobie 1964). Ce terme est mobilisé par l’auteur afin de définir un mode particulier de production artisanale au Pérou, où durant une partie de l’année des potiers, seuls ou accompagnés, parcourent de longues distances afin de se rendre dans d’autres communautés rurales et d’y élaborer leurs céramiques (Sabogal 1987, p. 17-30). Cette mobilité est saisonnière, et coïncide avec le calendrier agricole puisqu’elle a lieu après les récoltes durant la saison sèche, ce qui correspond aux mois de mai-juin à novembre-décembre dans la sierra. Les routes qu’empruntent les potiers ne sont pas aléatoires. Ceux-ci se rendent en effet de façon cyclique dans différentes communautés avec lesquelles ils ont tissé des liens depuis plusieurs générations. Les poteries qu’ils produisent sur place sont le plus souvent échangées contre des denrées agricoles abondantes en cette saison, ce qui explique en retour le besoin des populations en récipients de stockage. Les alfareros golondrinos sont une catégorie bien particulière de potiers, car leur mobilité de leur communauté d’origine entraîne un déplacement des lieux de production. Dans ces communautés de destination, les artisans maintiennent leur style technique (interne), contrairement au style décoratif (externe) qui peut se modifier en fonction de la demande. Cette itinérance implique donc une mobilité des lieux de production, et se distingue en conséquence des autres modes de production, comme celui des potiers de Raqch’i dans la région de Cuzco qui fabriquent leurs céramiques directement dans leur unité familiale pour ensuite les vendre ou les échanger sur les marchés (Mohr 1984, p. 162). L’exemple andin est aussi unique, puisque les potiers emportent leurs propres matières premières durant leurs déplacements (matériaux argileux et/ou dégraissants), contrairement aux potiers itinérants de Chypre et de Crète (Christakis 1998 ; Ionas 2000), ou encore d’Argentine (Cremonte 1984) qui utilisent des argiles locales.

3 Cependant, bien que plusieurs sources écrites rendent compte de ce phénomène durant la période coloniale et actuelle dans les Andes (Sillar 2009), les alfareros golondrinos sont finalement peu pris en considération, en particulier dans le cadre des interprétations sur la production céramique à l’époque précoloniale. À partir de ses enquêtes, Gabriel Ramón tente de saisir les mécanismes sous-jacents à la mobilité entre les zones rurales. Les questions qu’ils soulèvent sont le plus souvent mises en perspective avec des problématiques propres à l’archéologie, en lien avec la reconnaissance des entités culturelles et des liens qu’elles entretenaient les unes avec les autres. L’auteur insiste ainsi sur la nécessité de déconstruire les modèles nomothétiques communément acceptés, et il réfute en cela le statisme souvent attribué aux communautés traditionnelles des Andes. Au contraire, il considère la mobilité comme une composante essentielle de leur système socio-économique. L’auteur nous pousse alors à envisager des scénarios plus dynamiques que la simple circulation de produits finis, en établissant une distinction entre deux types de production : une production et une distribution locale de céramiques par des artisans originaires de la communauté, et une production faite par des artisans se déplaçant depuis leur communauté d’origine pour produire et/ou distribuer leurs poteries dans d’autres localités.

4 L’essai de typologie des modes de production potière itinérante que propose Gabriel Ramón s’articule autour de quatre critères : les routes et les itinéraires empruntés, les étapes de manufacture pratiquées dans la communauté de destination, les modes de

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distribution des produits finis et l’ampleur de la mobilité (individu seul ou déplacement collectif). De la sorte, il distingue six cas avec leurs variables : 1. Les potiers itinérants qui se rendent régulièrement dans une série de communautés, en alternant chaque année leur destination. Les potiers voyagent seuls et vivent chez leurs hôtes. Ils emportent avec eux leurs matières premières et leurs outils, et se chargent de l’ensemble du processus de production des céramiques qu’ils échangent contre des produits agricoles. 2. Les potiers itinérants se déplaçant, seuls ou accompagnés, dans un nombre réduit de communautés avec lesquelles ils entretiennent des liens privilégiés : – Les potiers qui entretiennent une relation d’interdépendance avec une zone de haute productivité agricole. Ils voyagent avec leurs outils et leurs matières premières, pour produire sur place et échanger leurs poteries sur le marché. Ils vivent en dehors du village pour réduire le coût du voyage. – Les artisans qui maintiennent une relation sociale directe avec la même communauté de destination, forgée depuis plusieurs générations. Ces derniers se déplacent uniquement avec leur argile et collectent le dégraissant sur place. Ils s’occupent de la production alors que les hôtes se chargent de la distribution des poteries. 3. Relation d’interdépendance entre un lieu attractif et une zone isolée : le cas des peonas, des potières du nord du Pérou contactées par d’autres artisanes qui requièrent leurs services durant une partie de l’année. L’auteur cite le cas des potières de Yacya (peonas) se rendant à Acopalca (département d’Ancash) où la demande en céramique augmente durant les festivités locales. Les potières de ces deux communautés travaillent donc conjointement, chacune avec sa propre tradition technique, même si les peonas n’effectuent ni la préparation des matières premières, ni la décoration, ni la cuisson et ni la distribution des poteries. 4. Les potiers sédentarisés dans une communauté de destination, entraînant une dispersion des lieux de production. Le cas présenté est celui des potiers de Simbilá (Piura), qui se rendaient régulièrement dans d’autres communautés afin de produire sur place. Aujourd’hui, une partie de cette communauté s’est définitivement installée dans certains lieux où ils produisent encore avec leur style technique d’origine. 5. Déplacements cycliques des potiers entre la sierra et la côte. 6. Les olleros de puna, des pasteurs transhumants, mais aussi artisans, vivant au-delà de 2 800 m d’altitude. Ils produisent leurs poteries dans différentes zones de la puna, ou dans des zones plus basses pour les échanger contre du maïs, du blé et de l’orge. Dans ce cas, les lieux de production et d’habitat sont mobiles.

5 Bien que cette typologie soit préliminaire pour l’auteur, elle montre que mobilité et production ne sont pas des concepts indissociables, comme en témoigne le cas finalement peu isolé des potiers itinérants andins. De la diversité des cas exposés, il en ressort les points suivants. L’itinérance se justifie par le besoin en produits agricoles que les artisans ne cultivent pas en quantités suffisantes dans leur propre communauté, ce qui induit des déplacements au moment des récoltes. Ces voyages réguliers tissent des relations d’interdépendance entre les potiers issus d’une zone à faible potentiel agricole et des hôtes qui eux possèdent des terres à plus haut rendement. Il est intéressant de noter que plus la relation entre les deux communautés est forte, plus l’intervention de l’hôte est importante comme l’illustre l’exemple des peonas. Ce cas démontre aussi à quel point le style externe s’adapte à la demande locale, contrairement aux techniques de façonnage qui elles ne changent pas. L’auteur amorce en conséquence un début de réflexion sur le raisonnement archéologique expliquant la présence de poteries semblables dans un même village, mais pourtant fabriquées par

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deux communautés potières aux traditions techniques distinctes. Comment les archéologues auraient-ils en effet envisagé ce lien, et quels critères auraient-ils employés pour définir leur lieu et leur mode de production ?

6 La discussion finale met en perspective les observations actualistes de l’auteur avec le registre archéologique, afin de définir les potentielles traces laissées par les potiers itinérants en contexte archéologique. D’après lui, le matériau à privilégier serait la céramique utilitaire, et non pas celle communément associée à l’élite, car les critères morpho-stylistiques peuvent s’avérer peu opérants en raison de l’adaptation du style décoratif selon la demande locale. De la sorte, malgré l’absence générale de décor sur les céramiques utilitaires, il envisage ce matériau comme un outil analytique pertinent afin d’aborder l’identité des producteurs en contexte archéologique (Ramón et Bell 2013). Loin d’être le résultat d’une production locale et domestique, ces dernières peuvent en effet être produites à des centaines de kilomètres de leur lieu de consommation, voire même par des potiers issus d’autres régions, venus les fabriquer sur place.

7 Afin de tracer la provenance de ces poteries, Gabriel Ramón signale l’importance de l’identification du style technique qu’il considère comme un marqueur d’identités techniques locales, un travail qui nécessiterait d’élaborer une véritable « géographie des techniques » (p. 46). L’auteur ouvre donc des perspectives d’analyses novatrices pour les Andes, qui permettraient d’entrevoir sous un angle nouveau les communautés de filiation technologique, les contacts entre différentes communautés, tout comme la potentielle reconnaissance des potiers itinérants en contexte précolonial. Objets et producteurs seraient donc considérés en mouvement, puisque comme nous l’avons vu, les lieux de production et de distribution ne correspondent pas forcément aux frontières ethniques. On regrettera toutefois le manque de développement d’un cadre méthodologique afin d’identifier ces techniques, qu’il mentionne néanmoins en proposant la création d’un référentiel des traces laissées par les outils à différentes étapes de la chaîne opératoire (p. 41).

8 À travers l’exemple des alfareros golondrinos, Gabriel Ramón pense une façon nouvelle d’intégrer les thèmes de mobilité artisanale dans le cadre des systèmes socio- économiques andins, passés et présents. L’ouvrage est une source inédite d’informations quant à l’existence de ces potiers itinérants, et de leurs différentes expressions dans les Andes du Pérou. Il s’inscrit ainsi dans une tendance qui vise à analyser le style technique des producteurs, afin de mieux discerner la composition sociale des communautés précoloniales.

BIBLIOGRAPHIE

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IONAS Ioannis 2000 Traditional pottery and potters in Cyprus, The disappearance of an ancient craft industry in the 19th and 20th centuries, Ashgate, Aldershot.

MILLER Charlene 1964 « Los golondrinos », Kroeber Anthropological Society Papers, 30, p. 51-71.

MOHR Karen 1984 « Traditional pottery of Raqch’i, Cuzco, Peru. A preliminary study of its production, distribution, and consumption », Ñawpa Pacha, 22-23, p. 161-210.

RAMÓN JOFFRÉ Gabriel 2008 Potters of the northern Peruvian Andes: a palimpsest of technical styles in motion, thesis submitted in partial fulfilment of the requirements for the degree of Doctor of Philosophy, Sainsbury Research Unit, University of East Anglia.

RAMÓN JOFFRÉ Gabriel et Martha BELL 2013 « Re-placing plainware: production and distribution of domestic pottery, and the narration of the pre-colonial past in the Peruvian Andes », Journal of Anthropological Archaeology, 32, p. 595-613.

SABOGAL WIESSE José 1987 Cerámica yunga, estribación andino piurana, CIPCA, Piura.

SCOBIE James 1964 Revolution on the pampas : a social history of Argentine wheat, 1860-1910, University of Texas Press, Austin.

SILLAR Bill 2009 « La saisonnalité des techniques », Techniques & Culture, 52-53, p. 90-119.

AUTEURS

ALICIA ESPINOSA

Étudiante de doctorat, Archéologie des Amériques (UMR 8096), université Panthéon-Sorbonne

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RIVERA ANDÍA Juan Javier, La vaquerita y su canto, una antropología de las emociones. Canciones rituales ganaderas en los Andes peruanos contemporáneos

Lucila Bugallo

REFERENCIA

RIVERA ANDÍA Juan Javier, La vaquerita y su canto, una antropología de las emociones. Canciones rituales ganaderas en los Andes peruanos contemporáneos, Rumbo Sur (Ethnographica), Buenos Aires, 2016, 192 p., biblogr., index, fotos en blanco y negro.

1 Abordar el ritual ganadero de la herranza de vacunos en una región de los Andes a partir de las canciones que en ese contexto suenan resulta de interés por varios motivos: se pone en evidencia desde un conocimiento etnográfico la importancia para los pueblos andinos de los diversos animales criados, tanto los autóctonos como las especies animales llegadas con los europeos, como en el caso de los vacunos. Pero interesarse en el ritual desde el canto nos lleva a considerar el universo de lo sensible, el importante lugar de los sentidos en la conformación de relaciones y significados, y desde allí nos permite adentrarnos en entramados emotivos. Porque las canciones que escuchó y en las que se interesó Juan Javier Rivera Andía en el valle de Chancay de la sierra limeña, llamadas taki y anti, refieren a las vacas y a los toros, pero también a la relación con las personas que los crían y a la vez deciden su sacrificio. En esas emociones cantadas, surgen experiencias y valores entorno al amor, las migraciones y el desarraigo, y junto con todo ello la añoranza de la juventud, del pago, del lugar del que somos; al dejarnos llevar a la comprensión de sentidos profundos y complejos, se termina por entender que somos ese lugar. Es importante indicar que Rivera Andía toma

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al rito y las canciones como comentarios sobre las cuestiones enunciadas; son el modo que tienen la comunidad campesina y los emigrados, que retornan en estas ocasiones, para expresar sus valores, perspectivas y sentimientos. El autor propone considerarlos comentarios críticos de problemáticas ideológicas actuales, es decir que forman parte de los nuevos modos de ser ganadero entre el campo y la ciudad.

2 El libro se compone de una introducción y de cinco capítulos, ubicados en dos secciones, y termina con una conclusión y un epílogo. La primera parte, “La herranza del ganado vacuno en el Valle de Chancay”, consta de dos capítulos. En el primero se presenta el espacio de las alturas, para el que se brindan datos sobre las producciones mostrando la complementariedad entre ganadería y agricultura, y se centra la atención en el lugar que éste ocupa en el imaginario y las valoraciones locales. Las canciones incluyen toponimia local, en particular de los lugares del ganado, y nombran a sus principales habitantes: el awkillo, divinidad tutelar de los cerros (también conocido como auki, apu o achachila), concebido en tanto dueño del ganado, y principalmente a los llakwash o pastores de las alturas, que tienen asimismo la connotación de foráneo. Este espacio y sus espíritus tutelares son temidos y venerados al mismo tiempo. A la vez, la figura del pastor aparece con una serie de connotaciones contrastadas: es despreciado, es miserable, se encuentra aislado, es un ser errante que suscita compasión, pero al mismo tiempo sus sacrificios se muestran como un valor mientras que los patrones son considerados mezquinos. El pastor es comparado con los animales ariscos de las alturas, es un humano semi-animalizado; las canciones refieren a la relación entre humanos y animales, asunto en el que se concentra el ritual. Se presenta en este capítulo la oposición entre pastores y agricultores, como una manera de oposición entre espacios diferenciados y a la vez complementarios desde la relación contractual que implican los intercambios. Aquí el autor propone una comparación con las características de los pastores europeos, en particular ibéricos, preguntándose por las atribuciones que éstos tienen y de qué manera se encontrarían en el imaginario del valle de Chancay. Si bien todo el desarrollo sobre la caracterización de llakwash y pastores es de gran interés, considero que esta comparación entre la sierra de Lima y los pastores europeos hubiese merecido mayor desarrollo y evidencia. En el segundo capítulo Rivera Andía desarrolla los sentidos de la herranza, análisis que supone buscar las significaciones sociales e identificar las categorías simbólicas y sensibilidades que las ordenan. En este ritual se expresan valores morales que atañen a la animalidad, a la adolescencia y al desarraigo. Los valores referidos a la juventud aparecen en analogías que se presentan entre los animales y las etapas del ciclo vital de los humanos, mostrando los procesos de domesticación animal y de maduración humana como análogos. Luego termina introduciendo la segunda parte del volumen: el desarraigo del lugar propio muestra el sacrificio de la gente que debe dejar a las familias y a los padres, olvidando lo propio para aprender lo novedoso de la vida moderna de las ciudades. Nuevamente aparece la analogía con los animales que son amados y sacrificados; el ganado es entrañable y a la vez una mercancía que se puede comprar y vender –práctica y valores que se asemejan a las experiencias urbanas de los campesinos emigrados. Las canciones dejan entrever la nostalgia por el lugar como la añoranza por un pasado, ligado tanto con ciertas etapas en el ciclo de la vida como con el origen de un linaje.

3 Compuesta de tres capítulos, la segunda parte, “Del sentimiento trágico de las canciones ganaderas”, comienza buscando el modo de comprender el mundo emocional

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y se pregunta qué es lo que causa tanta emoción a las personas en este contexto ritual en el que se expresan de un modo que no ocurre en otros. El autor encuentra que las emociones se relacionan con los animales pero a la vez con la vida de los criadores, dado que las canciones enuncian la contradicción de dejar el propio lugar y de matar a los animales que se crían y aman. Para Rivera Andía estas canciones contienen una crítica a la modernidad actual, al mercantilismo y capitalismo en que se insertan los campesinos, a costa de dejar sus valores y prácticas, y hablan del modo en el que perciben los cambios y las transformaciones sociales. Esta parte continúa con un capítulo en el que se analiza concretamente un corpus de canciones buscando visibilizar qué es lo que conmueve a estas personas. Es ahí donde se anudan los sentidos: la emoción surge del amor, de la relación con los padres y animales siendo estos últimos tratados por momentos como progenitores; tal como expresa el autor, se trata de un “ritual que juega con la frontera entre hombres y animales” (p. 93). En la herranza el ganado es incluido en un orden humano, con jerarquías y distinciones de género, es bautizado y se lo involucra en matrimonios; a su vez, las personas humanas toman comportamientos animales tanto sexuales como alimenticios. En las canciones se escucha la admiración y alabanza del ganado, al que se le reconoce su individualidad además de su identidad en el seno de un rebaño y familia; se resaltan sus cualidades y se le habla con cariño, es comparado con parientes entrañables de quienes suele tomar sus nombres. Se lo considera nutricio y fuente de riquezas como las minas: es como un banco en el que se guardan los ahorros. Algunas canciones son cantadas por los animales, a quienes los humanos prestan sus voces; en ellas el ganado se lamenta de su suerte y se queja a sus dueños implorando no ser entregado al matadero. El amor es también el de los amantes, y aquí vuelve la añoranza por la juventud; se extraña esa época de la vida como algo individual y se extraña otra época colectiva, en la que las familias estaban realmente allí. Los amores de juventud son comparados con los animales de las alturas: son salvajes, indómitos, intentan escapar a las normas. Pero finalmente los jóvenes maduran, se casan y se hacen cargo de sus compromisos sociales, los animales son llevados por un camino que los termina convirtiendo en mercancía. Es una de las contradicciones a las que aluden las canciones y de allí surgen la emoción, la pena y la añoranza.

4 El libro refiere a los migrantes campesinos que ahora están en las ciudades; de hecho gran parte de la organización del ritual y sus costos económicos recaen sobre ellos, que la mayoría de las veces son los dueños de los rebaños. El ritual ganadero se sustenta desde la economía citadina, y así se siguen tejiendo las historias de las familias y sus animales. Estas familias se dividen entre el campo y la ciudad y sus economías se construyen desde ambos espacios. Los momentos en que se encuentran son la ocasión para “comentar” sus historias a través de las canciones y el ritual. También son el modo de afirmar la pertenencia a la comunidad y el derecho a la tierra: “Las emociones asociadas a la emigración y a la modernización están retratadas en las canciones ganaderas” (p. 157). Se reúnen en estos cantos dos temas dispares que parecen provocar sentimientos análogos: el envío a la muerte del ganado que se ha criado con cariño, y la migración que implica el abandono del lugar propio obligando a cambiar de hábitos y generando “el dolor de ausencia” tal como expresa José Luis Grosso. Este autor propone que en la experiencia del destierro se construye el proceso de subjetivación social, apoyándose en rituales que posibilitan la pertenencia a la tierra. Los desarraigados buscan realizar un deseo imposible (Grosso 2008, p. 218-221). Pierre Bourdieu escribió asimismo sobre las contradicciones de la herencia: heredar el

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proyecto de progreso, corazón de la modernidad, suponía para las clases populares desheredar su propia cultura. Ser como los padres significaba fracasar en el proyecto de ascenso social (Bourdieu 1998, p. 443-448). En el trabajo de Rivera Andía se ven claramente estas contradicciones de las herencias: continuar siendo criador mientras se vive en la ciudad, sentir la pena del desarraigo del mismo modo que se siente la pena al ver partir hacia la matanza al ganado que se ha criado como familia. Posiblemente sea la añoranza de todas las sociedades que luchan por sus herencias buscando alguna manera de articularlas con los cambios del mundo global.

5 La segunda parte concluye con la hipótesis según la cual se dan dos ocultamientos: el amor extremo hacia el ganado es un modo de esconder su lugar como mercancía; la experiencia de partida de los animales oculta el conflicto del desarraigo de los humanos. Como bien muestra Rivera Andía, la experiencia de emigrar es buscada y deseada. Como los nombres dados a los animales, las canciones también dejan entrever la valoración de lo novedoso, la seducción de lo extraño, la predilección por lo exótico y diferente que “alude al cosmopolitismo andino y amerindio” (p. 105). En las transformaciones que se operan en estas sociedades la búsqueda de lo foráneo ocupa un lugar importante. Es el tema del epílogo en el que el autor propone una discusión de fondo, con preguntas fundamentales para entender las sociedades andinas: la relación con el otro y con la propia identidad se construye desde una apertura a lo nuevo, a lo distinto, y no desde ideales de pureza y exclusión cultural. En este sentido la idea de resistencia pierde fuerza, siendo el interés por la innovación y lo extraño el motor de la persistencia. Este interés por lo distinto introdujo al ganado vacuno en mitos y rituales andinos, y es desde la “tradición” de la herranza que se interpreta e incorporan las nuevas transformaciones, por las que los indígenas y mestizos campesinos se incluyen en la modernidad: “La res en el valle de Chancay es, en cierto modo, una otredad asimilada en el corazón de una cultura (por medio del ritual), que sirve para acercarse a nuevas otredades (aquellas que pertenecen a la ciudad y sus encantos)” (p. 170). Silvia Rivera Cusicanqui (2010) considera que estas poblaciones han participado y participan de una modernidad americana cuyo proceso de desarrollo fue terreno de resistencias y conflictos, en el que se imaginaron y desarrollaron estrategias, lenguajes y proyectos propios, que tomaron sentidos distintos de los hegemónicos. Estos pueblos de los Andes tienen una comprensión amplia de lo humano como de lo no-humano y se interesan genuinamente por lo diverso. Aquí no se trata de una enunciación políticamente correcta, sino de un valoración de la otredad cuyas especificidades remiten a las propias lógicas identitarias (p. 181).

6 En relación con el corpus de canciones analizado, para algunos temas hay muchos ejemplos y para otros muy pocos. Sin embargo, el material recopilado es valioso, así como la búsqueda de otros ejemplos de décadas anteriores. Resulta muy interesante la perspectiva de análisis según la cual a través de las canciones al ganado la gente comenta su propia vida, en la tensión de los cambios del mundo global contemporáneo. Me parece importante señalar una ausencia en la bibliografía empleada por el autor: el texto de Denise Arnold y Juan de Dios Yapita (1998) sobre los cantos a los animales en situaciones rituales, que a mi entender constituye un volumen de referencia ineludible para la temática. Si bien trata sobre poblaciones y cantos del sur andino, creemos que hubiese sido muy rico tenerlo en cuenta a modo de comparación.

7 Una última cuestión relativa a este volumen refiere a la colección de la que forma parte: Ethnographica. Se trata de un interesante proyecto que pone el foco en la producción de

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etnografías de pueblos indígenas americanos, interesándose en el método de una manera compleja ya que sobrepasa un abordaje que lo consideraría únicamente como un modo de construcción de fuentes y propone pensarlo como el germen de teorías y propuestas conceptuales. La colección se aventura fuera de los lugares seguros y busca difundir otros modos antropológicos, visibilizando la etnografía simétrica y las investigaciones colaborativas. Esta dirección constituye una búsqueda por superar las herencias coloniales en el marco de una ciencia moderna, como es la antropología, lo que le da un nuevo aire y le brinda posibilidades de regeneración. El trabajo de Rivera Andía encuentra así su lugar en esta colección ya que se trata de una etnografía realizada en pueblos de los Andes peruanos, pero además incursiona en dimensiones antropológicas poco exploradas como son las emociones, presentando una propuesta de análisis en la que sitúa a los rituales ganaderos en la tensión de los mundos contemporáneos y no como fenómenos dentro de una tradición estable. Si bien no se trata de una investigación en colaboración con la gente del lugar, el modo en que son consideradas y reflexionadas las emociones, tomando aspectos del ritual y los temas de las canciones como exégesis local, es una manera de escuchar y dar lugar en el escrito antropológico a los comentarios locales. Es escuchar más allá de las canciones, con empatía, siguiendo la pena de desprenderse del animal, de dejar el lugar propio, siguiendo el hilo entre el cerro y la ciudad. La empatía es un cimiento de este trabajo, y es un sentimiento que considero en la base de toda buena etnografía.

BIBLIOGRAFÍA

ARNOLD Denise y Juan de Dios YAPITA 1998 Rio de vellón, río de canto. Cantar a los animales, una poética andina de la creación, ILCA, Facultad de Humanidades y Ciencias de la Educación, Carrerra de Literatura, Universidad Mayor de San Andrés (Colección Academia, 8), La Paz.

BOURDIEU Pierre 1998 “Las contradicciones de la herencia”, in Pierre Bourdieu (comp.), La miseria del Mundo, Fondo de Cultura Económica, Buenos Aires, p. 443-448.

GROSSO José Luis 2008 Indios, muertos, negros invisibles. Hegemonía, identidad y añoranza, Encuentro/Facultad de Humanidades, Universidad Nacional de Catamarca, Córdoba.

RIVERA CUSICANQUI Silvia 2010 Ch’ixinakax utxiwa. Una reflexión sobre prácticas y discursos descolonizadores, Tinta Limón, Buenos Aires.

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AUTORES

LUCILA BUGALLO

Instituto Interdisciplinario Tilcara, Facultad de Filosofía y Letras, Universidad de Buenos Aires/ Unidad de Investigación en Historia Regional, Facultad de Humanidades y Ciencias Sociales, Universidad Nacional de Jujuy

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BRIGHTMAN Marc, Carlos FAUSTO et Vanessa GROTTI (dir.), Ownership and Nurture.Studies in Native Amazonian property relations

Louis Vermander

RÉFÉRENCE

BRIGHTMAN Marc, Carlos FAUSTO et Vanessa GROTTI (dir.), Ownership and Nurture. Studies in Native Amazonian property relations, Berghahn Books, New York, 2016, xii, 270 p., index, 11 ill. en noir et blanc, photos, carte. Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : « Ceci est à moi », et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Jean-Jacques Rousseau ([1755] 2016)

1 Et si l’anthropologie américaniste s’était fourvoyée dans les dernières décennies en utilisant les termes de propriété et de possession tels que les entendaient Rousseau et Locke, basés sur une distinction nette entre nature et culture ? C’est l’hypothèse centrale de l’ouvrage édité par Vanessa Grotti, Carlos Fausto et Marc Brightman, qui regroupe neuf articles sur des sociétés amazoniennes. De fait, dans la littérature sur l’Amazonie, la propriété se retrouve tour à tour complètement absente (et son absence même est définitionnelle de ces sociétés, sortes de terrae nullis pour la possession), puis étrangement centrale lorsque la question de la lutte pour les terres indigènes réémerge à partir des années 1980. Ce paradoxe est le résultat, selon les auteurs, d’une conception de la propriété privée dite « occidentale » (Western propriety), fruit d’une histoire intellectuelle et sociale particulière, perçue comme un outil maladroit pour envisager les sociétés amazoniennes.

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2 Il faudrait plutôt épouser un autre mode de pensée, défini dès l’introduction de l’ouvrage. Si l’on considère que notre chair, notre « être tout entier » provient d’autres personnes qui ont travaillé pour nous mettre au monde puis nous faire grandir, ce qui nous connecte aux autres devient alors la substance même qui fait notre corps, la nourriture qui l’entretient et la connaissance qui permet l’action. Les proches et les lointains occupent donc des rôles divers dans le corps que l’on opère. L’individu se retrouve à la fois possédé et endetté auprès de l’« Autre » en même temps qu’il devient à son tour le créancier de celui qu’il nourrit et éduque. En conséquence, la possession prend un sens nouveau : elle devient un système complexe d’intérêts entrelacés, qui ne peut pas être capturé dans les cadres vieillis de l’anthropologie et des sciences sociales. C’est là le premier but de cette compilation : sortir l’anthropologie d’une gangue théorique qui apparaît inopérante, et recréer une base « cosmologique » de la possession, au plus proche des faits étudiés dans des sociétés différentes. Il s’agit de faire de la propriété non pas un objet fixe que les sociétés amérindiennes placeraient plus ou moins à la marge ou au cœur de leur fonctionnement mais bien plutôt un objet mouvant de comparaison, dont les formes différeraient dans chacune des sociétés.

3 Pour repenser la propriété, il apparaît dès lors nécessaire de la mettre en dialogue avec la notion de « nourriture1 », afin de sortir d’une vue tirée de la tradition légale romaine puis philosophique de l’Occident. Ce cadrage est à ce point ancré qu’il informe jusqu’aux luttes pour les droits indigènes, où la propriété est entendue dans son sens légal supposé universel. Un effort pour prendre en compte la différence de définition locale de la possession apparaît nécessaire, mais il se heurte d’emblée à un obstacle majeur, celui du pragmatisme politique : est-il possible de concilier dans les faits un agir dans le cadre international (qui fonctionne sur les bases de la propriété occidentale) et les spécificités théoriques de la propriété dans différentes sociétés indigènes ?

4 Celle-ci semble bien se baser non pas sur les choses mais sur les relations – de soin, de nourriture, de prédation/familiarisation – car, comme le formule Coelho de Souza dans sa contribution (p. 171 et suiv.), les relations intangibles de propriété sont moins des relations entre personnes à l’égard des choses que « des droits sur les relations mêmes ». La négligence des formes de propriétés en Amazonie par le discours anthropologique aurait alors été provoquée par la combinaison de la faible incarnation de la possession dans la région (qui s’exprime surtout dans les chants, les noms, les sorts, etc.) couplée à l’influence d’un discours de gauche empreint de marxisme qui place au centre l’objet et la « propriété absolue ».

5 L’ouvrage se penche ensuite sur les traits mêmes de cette propriété « amazonienne » en procédant par accumulation de caractéristiques relevées à partir de différentes études ethnologiques. Une clé de redéfinition de la propriété amérindienne se trouverait ainsi au cœur des valeurs conférées aux choses et aux artefacts. Comment conceptualiser la possession des choses dans un univers où la distinction sujet-objet est floue, et où la notion de « personne » s’étend bien au-delà des humains ? Il semble que la relation de « nourriture », comme acte de domestication des objets soit nécessaire à leur propriété, car comme le précise Carlos Fausto dans son analyse des Kuikuro (p. 139 et suiv.), les choses sont moins sujettes qu’assujetties. Cette lecture de la possession d’objets par le lien de nourriture est d’autant plus complexe que les réseaux d’échange de ces objets transcendent les catégories d’affin et de consanguin. En plus des échanges inter- ethniques traditionnels, d’autres ont eu lieu avec les Européens dès le début de la

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colonisation, y compris de biens contre des personnes (voir la contribution de Santos Granero, p. 45). Ces objets acquis par échange ont une valeur bien plus qu’utilitaire : ils sont la narration de l’altérité rencontrée par leurs possesseurs. En ce sens, ils ne sont pas la traduction de l’émergence d’un individualisme possessif en Amazonie à l’heure du capitalisme, mais bien plutôt l’expression d’un désir culturel fort d’engager une relation avec l’altérité. Les formes variables de la maîtrise et de l’attachement des personnes aux choses sont encore peu connues ethnologiquement, mais d’après Fausto et Santos Granero, elles sont caractéristiques d’un langage commun de propriété qui définit simultanément un mode de relation entre les artefacts et les individus, mais aussi entre les personnes et les « parties des personnes ».

6 On a jusqu’ici presque toujours entendu la « nourriture » dans son sens large. Mais les auteurs rappellent, dans la lignée de Viveiros de Castro, que la « forme alimentaire de la vie sociale » s’applique aussi à la propriété. S’inspirant des deux écoles du « manger » (two schools of eating) comme structure de la société (le soin pour Joanna Overing et la prédation pour Viveiros de Castro), Luiz Costa (p. 85) montre par exemple comment les Kanamari font de la nourriture des animaux une relation de maîtrise, en transformant le capturé en apprivoisé. Par-là, il se range du côté du concept plus large développé par Vanessa Grotti, qui fait de la nourriture un « processus de contrôle et d’appropriation ».

7 Oiara Bonilla se sert de ce concept de nourriture/propriété pour renverser les termes du sujet et analyser la possession du point de vue du sujet/victime. En partant de l’étude des Paumari, qui s’identifient dans leurs relations aux autres comme clients (pamoari) et comme proie (igitha), elle démontre que la relation inégale de soumission est au cœur du fonctionnement de cette société. Il s’agit d’imposer une relation asymétrique de maîtrise, où l’Autre est dominant, pour « bien vivre ». Le contrecoup apparaît évident : vivre dangereusement devient « condition existentielle de la forme sociale » (Viveiros de Castro, 2012), mais de manière subtile, la soumission force l’Autre prédateur à devenir hôte, et permet de se constituer à son tour comme chasseur invisible, ou parasite. La propriété en Amazonie tient beaucoup selon les auteurs dans ces relations asymétriques entre personnes. L’ouvrage démontre en cela que l’éthique de soi dans ces sociétés n’est pas confinée au domestique ou à l’égalitarisme comme tendaient à le penser les anthropologues pré-perspectivistes, mais beaucoup plus à la maîtrise et au contrôle. Mieux, il s’agit de mettre en évidence que la christianisation et les différents changements historiques ont influencé la vision de la commensalité et de la nourriture comme l’expression de formes d’égalitarisme et de fraternité en Amazonie. L’article de Santos Granero agit comme une piqûre de rappel en remettant au centre l’histoire des formes natives d’esclavage et d’appropriation de l’autre, ainsi que leur rôle politique crucial. Dans le même sens, celui de Brightman et Grotti rappelle que malgré les efforts des missionnaires protestants chez les Trio et les Akuriyo pour leur inculquer un « contenu culturel teinté d’individualisme et d’égalité », ceux-ci ont conservé des conditions culturelles leur permettant l’appropriation d’autres individus (p. 74).

8 Cet ensemble de cas très divers, tant sur le plan historique que géographique, permettent selon les auteurs de penser une certaine permanence de ce lien entre relations asymétriques (qui oscillent entre des formes évidentes et visibles et d’autres plus faibles) et propriété. À ce point de l’analyse, il importe aussi de distinguer l’asymétrie de l’inégalité. Chez les Parakanã occidentaux, Fausto voit une société

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égalitaire tout en étudiant des relations asymétriques notamment dans le chamanisme. À l’opposé, Santos Granero étudie les relations asymétriques dans un contexte politique d’inégalité très fort. Cette persistance permet d’affirmer encore la connexion passé/ présent, et par là une indépendance du modèle ontologique. Il s’agit de poser que, s’il est de fait impossible d’ignorer les changements profonds portés par la colonisation, les systèmes de dépendance et de maîtrise indigènes restent actifs.

9 Un autre point qui appelle à la redéfinition du modèle de propriété dans le cadre des sociétés amazoniennes est le statut de l’être, et plus particulièrement de la possession de soi. La personne est constituée de multiples relations. Dans les mots de Fausto, « le Soi et le Même » ne « fusionnent pas dans la construction de l’individu amérindien » (« Introduction », p. 19). C’est cette multiplicité et ce caractère fracturé qui induisent des sujets composites et donc des personnes différentes, tout en interdisant de fait le modèle de la propriété absolue – car comment un individu ne se possédant pas lui- même pourrait avoir une maîtrise totale d’un objet tiers ? Plutôt que la propriété, c’est l’altérité qui décrirait le cas amazonien. Ce qui est définitionnel, c’est la non-exclusion du lien d’une personne à un objet avec ce qui connecte ce même individu aux autres humains et non-humains. Plus encore, c’est parfois la relation à l’objet – comme celle qu’entretiennent les rêveurs avec les jaguars chez les Parakanã – qui rend la connexion possible avec les autres membres de la communauté. Le statut d’auteur apparaît comme peu pertinent dans les sociétés amazoniennes : le chant ne se compose pas, il se dévoile. Cependant, l’humain est capable de devenir autre (jaguar par exemple), pour s’approprier de nouveaux chants et les transmettre. Pedro de Niemeyer Cesarino évoque aussi dans son texte cette absence caractéristique d’un auteur autarcique (p. 193-196) en évoquant la « décentralisation de la fonction-acteur », qui découle selon Fausto d’un régime différent de celui qui opposerait la propriété individuelle et la propriété collective.

10 Ce régime de propriété spécifique produit à son tour un ensemble complexe de droits et d’obligations invisibles enchâssés dans ces objets, surtout lorsqu’ils sont matériels (masques, tatouages, etc.). Stockler Coelho de Souza étudie ici les crises cognitives provoquées par la commercialisation des motifs kisêdjê. Ces derniers, tout en étant des objets matériels, sont produits par un procédé créatif particulier et perçus par les acteurs de différentes manières. Or les droits conférés par ces objets, mais aussi les prérogatives qu’ils impliquent ne rentrent pas dans le moule de représentation légale du contrat. Au contraire des propriétés occidentales, les objets ne sont pas des biens passifs venant des capacités d’un sujet mais bien plutôt une « objectification personnifée » de leurs relations. L’absence d’une redéfinition de la possession, qui répondrait à la spécificité conceptuelle de la société kisêdjê, masque complètement cet enjeu. Elle enterre la résolution du problème avant même de l’avoir posé.

11 La « propriété foncière » même n’est pas un concept pensé profondément en Amazonie. Plutôt que des droits préférentiels sur des espaces, la propriété regroupe toutes les relations entre le non-humain et les humains qui doivent y agir de différentes manières (cultiver, chasser, etc.). Les droits sur la terre incluent à la fois des droits territoriaux et une sphère d’influence sociopolitique où la propriété est le lieu d’un réseau de relations. Comme le montre Susana de Matos Viegas, la temporalité de la possession diffère radicalement chez les Tupinambá d’Olivença (Bahia, Brésil ; p. 240). La terre n’est ni héritée, ni échangée. Elle est possédée par le soin que les individus lui apportent mais toujours dans un temps court. Il s’agit ensuite de l’abandonner à la forêt

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pour la laisser se régénérer et rechercher de nouveaux espaces et des nouvelles relations de possession. Cette manière de maîtriser, de posséder le territoire est à l’opposé de la législation occidentale qui garantit l’exclusivité d’un territoire immobile sur un temps donné puis une fin de contrat brutale. Cette originalité de la propriété chez les Tupinambá d’Olivença est aussi ce qui motive leur lutte permanente pour un territoire large : le modèle ne pourrait fonctionner dans un espace restreint. La temporalité spécifique est nécessaire à la compréhension de l’expérience de la possession dans ces sociétés.

12 Bien que dangereux et équivoque, le concept de propriété est aussi inévitable. Lorsque les sociétés indigènes rencontrent l’économie de marché, le phénomène n’est pas celui d’un choc entre une société fondée sur la possession et une autre qui en serait dépourvue. On trouve plutôt un problème de traduction qu’une absence/présence d’institutions établies. L’objectif de cet ouvrage semble alors de fournir un ensemble de théories de la propriété amazonienne et de constituer un modèle pour préserver sinon un respect mutuel des modèles, du moins la garantie d’une émergence d’un problème théorique et politique.

13 Il est clair que l’ouvrage remet en question un mode du discours ethnologique et des sciences sociales, en même temps qu’il fait apparaître des a priori théoriques dans le discours même de défense des droits indigènes (droits à la terre, à la propriété intellectuelle, etc.) en exposant les cadres théoriques qui structurent ces revendications communes. La qualité des analyses ainsi que leur diversité ouvre un ensemble de questionnements qui revitaliseront sans aucun doute la littérature sur les sociétés amérindiennes. Certains modèles mis à jour, notamment celui de la temporalité particulière de la possession ou celui du parasitisme, constituent des matrices théoriques brillantes qui appellent à la discussion.

14 Néanmoins, certains éléments, provenant de deux sources, apparaissent plus problématiques : l’un tenant à la structure même de l’ouvrage et l’autre à celle plus large du courant anthropologique dans lequel cette compilation s’inscrit. Du point de vue de la composition, la volonté de comprendre une grande partie de l’Amazonie en multipliant les ethnologies est louable ; pour autant, il est discutable que l’on puisse tirer, de cette diversité un modèle unique de propriété, tel que le dessine l’introduction. La destruction d’un modèle de compréhension erroné de la propriété ne s’accompagne pas d’une prudence quant à la reconstruction immédiate d’un autre. Tout au plus, le modèle ontologique d’une propriété amazonienne est discuté dans ses termes : ainsi Fausto préfère expliquer la structure relationnelle de maîtrise/possession amazonienne par des concepts cosmopolitiques, quand Santos Granero avance une prépondérance de la catégorie juridico-économique de l’esclavage. Jamais cependant l’existence d’un modèle théorique général, s’appliquant à un espace indifférencié – l’Amazonie – n’est remise en cause. Bien sûr, les subtilités de chaque étude sont soigneusement relevées et mises en valeur, mais elles sont finalement toujours replacées dans ce modèle général de la propriété par relations asymétriques, au risque parfois d’un lien artificiel entre les textes et le modèle dans l’introduction du recueil.

15 En outre, ces textes ont une certaine tendance à légitimer leur contenu par ce que l’on appellera un « circularité théorique ». Les neuf articles citent sans exception les travaux précédents de tradition perspectiviste de Descola, de Viveiros de Castro, de Fausto et de Grotti dans une proportion telle qu’il est difficile de ne pas remarquer

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l’effet de « cercle fermé », inhérent à la formation d’écoles de pensée ou de courants philosophiques.

16 En un sens, on pourrait reprocher à l’ouvrage d’aller paradoxalement trop loin et trop peu. Trop loin dans l’interprétation générale de la propriété amazonienne et les rattachements systématiques de chaque étude ethnographique présentée à une caractéristique de ce nouveau modèle. Trop peu dans la conservation même du terme de « propriété ». Si le sens de la notion diffère à ce point, pourquoi la conserver ? Ne serait-il pas plus efficace de faire naître un nouveau terme mettant l’altérité et l’asymétrie des relations au centre ? On rétorquera à cela qu’abandonner le terme même de propriété reviendrait à octroyer à la conception occidentale du concept une hégémonie complète. Sans évacuer cette critique légitime, il semble probable que sur le plan politique, il serait peut-être plus facile de créer une législation favorisant les droits indigènes à partir d’une notion théorique nouvelle plutôt que de demander une reconnaissance de la propriété qui passera nécessairement par une révision laborieuse de son statut dans les lois nationales et internationales.

17 Malgré tout, l’ouvrage a l’immense mérite de replacer les conflits dans ce qu’ils sont vraiment : une négociation entre deux cultures, un « problème de traduction », plutôt qu’une confrontation entre des sociétés sans propriété et un ordre mondial, au risque de figer, sans le vouloir, la différence dans le concept pour les sociétés amazoniennes.

BIBLIOGRAPHIE

ROUSSEAU Jean-Jacques 2016 Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Garnier Flammarion, Paris.

VIVEIROS DE CASTRO Eduardo 2012 « Immanence and fear: Stranger-events and subjects in Amazonia », HAU: Journal of Ethnographic Theory, 2 (1), p. 27-43, https://doi.org/10.14318/hau2.1.003 , consulté le 15/12/2018.

NOTES

1. On a choisi de traduire « nurture » par nourriture, entendue au double sens d’« action de nourrir » et d’« entretenir la vie d’un organisme », mais aussi dans son acception plus globale d’« éducation ou d’enseignement ». Élevage, traduction plus proche littéralement, nous semblait moins apte à traduire la richesse du concept.

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AUTEURS

LOUIS VERMANDER

Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL), université Sorbonne nouvelle – Paris 3

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VAN DEN AVENNE Cécile, De la bouche même des Indigènes. Échanges linguistiques en Afrique coloniale

Capucine Boidin

RÉFÉRENCE

VAN DEN AVENNE Cécile, De la bouche même des Indigènes. Échanges linguistiques en Afrique coloniale, Paris, Vendémiaire (Collection Empires), 2017, 268 p., bibliogr., carte.

1 Ouvrage clair, précis et très agréable à lire, De la bouche même des Indigènes, nous fait suivre pas à pas les idéologies et les échanges linguistiques à l’œuvre lors de la colonisation française de l’Afrique de l’Ouest depuis la fin du XVIIIe siècle jusqu’au début des années 1930. Comme dans les Amériques, l’histoire de la conquête européenne en Afrique s’est intéressée aux figures d’intermédiaires, aux « passeurs culturels ». En revanche « les manières de nouer le contact par la parole ont été peu étudiées » (p. 8). Cécile Van Den Avenne comble ici un manque et nous donne une efficace leçon de sociolinguistique historique ou, selon ses propres termes, de philologie. À partir d’indices linguistiques ténus, elle retrouve la trace des interactions sociales qui les sous-tendent. Inversement, sa connaissance des acteurs sociaux mais aussi celle des langues elles-mêmes lui permettent de critiquer ses sources et de saisir leurs intentions. Car souvent les mots et les phrases des langues autochtones sont « mis en scène » pour un lectorat métropolitain. Ainsi, « de la bouche même des indigènes » est une expression figée du XIXe siècle pour légitimer les collectes linguistiques et… s’épargner de donner les noms propres des informateurs. C’est pourquoi, malgré la difficulté de la tâche, l’auteure s’attache dans la mesure du possible à identifier les personnes qui sont à la source des savoirs linguistiques coloniaux et à comprendre quels ont pu être leurs expériences des situations coloniales et leurs points de vue sur celles-ci.

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2 Ainsi dans le chapitre « Écrire sa langue dans celle de l’autre », nous découvrons David Boilat, métis du Sénégal, qui est l’auteur d’une des premières grammaires du wolof (1858) et Moussa Travélé, originaire du Mali, qui a travaillé comme interprète et informateur pour Maurice Delafosse et a publié un Petit manuel français-bambara (1910). Attaché à « faire ressortir la prononciation exacte, telle qu’on l’entend de la bouche des indigènes », Moussa Travélé met sa propre langue à distance, se positionne comme auteur et insère son ouvrage dans la littérature coloniale (p. 125). Ses recueils de proverbes et contes en bambara et en français, souvent réédités, ont trop souvent été extraits de leur ensemble d’origine, à savoir un abrégé de droit coutumier d’« avant l’occupation française » – que son auteur avait écrit en français – et qu’il souhaitait précisément codifier et donner à entendre aux administrateurs coloniaux. Pourquoi les proverbes et les contes ont-ils été séparés du traité de droit coutumier ? Pourquoi l’essai juridique n’est-il pas entré dans les mémoires et les bibliographies ? Citant les travaux d’Alain Ricard, l’auteure fait l’hypothèse, convaincante, que les collectes de patrimoine oral favorisent les contes (excluant par exemple la poésie lyrique ou épique), et alimentent « une vision stéréotypée et sans doute raciste des productions culturelles africaines » (p. 136).

3 Le dernier chapitre, « L’Empire vous répond », tente lui aussi de proposer une histoire à parts égales. Car au début du XXe siècle « on assista à une explosion de l’écrit et de l’imprimé, produit et mis en circulation par l’élite cultivée mais aussi par les aspirants obscurs au statut d’élite […] (travailleurs salariés, petits employés, chefs de village, commerçants, artisans) ». De nombreuses pétitions et réclamations écrites en français, émanant d’individus ou de groupes, exhibent un niveau de langue élevé et une rhétorique bien maîtrisée (p. 188). Une éloquence subtile et parfois ironique comme celle de Blaise Diagne, premier député du Sénégal, qui fascinait les parlementaires de l’hémicycle parisien dans les années 1920.

4 Cécile Van Den Avenne circonscrit son enquête à celle de « l’État de conquête », « marqué par la discontinuité sociale et géographique de la souveraineté du pouvoir », la « faible différenciation fonctionnelle du personnel colonial » et leur autonomie à l’égard des institutions de la métropole (p. 8). En plein dans l’idéologie monolingue nationale, le pouvoir colonial français n’a jamais pris la décision officielle d’utiliser une langue africaine dans l’administration ou dans l’éducation. Mais de fait, il fit usage du bambara (variante de la langue mandingue), du français-tirailleur, du wolof et de l’arabe, en particulier à l’écrit. En effet, dans les « zones de contact » (Pratt 1992) que constituaient les comptoirs côtiers depuis le XVIIe siècle, les langues mandingues étaient les « langues véhiculaires » des commerçants, c’est-à-dire qu’elles servaient à la communication entre locuteurs de langues premières différentes (p. 10). Les explorateurs puis les colons pénétrèrent l’intérieur du continent au XIXe siècle par le biais d’interprètes français-bambara/bambara et d’autres langues. Car le plurilinguisme des groupes sociaux, des territoires et des individus est notable, en Afrique comme en Amérique. Langues et ethnies ne se recouvrent pas, loin de là.

5 Le français-tirailleur, aussi appelé petit-nègre, est quant à lui associé à une autre « zone de contact », l’armée. Comparable au kolonial-deutsch et au pidgin – dans les contextes des colonisations anglaise et allemande –, il fait l’objet de questionnements permanents de la part de l’auteur : a-t-il vraiment existé ? Les exemples qui émaillent la littérature coloniale ne sont-ils que des inventions racistes destinées à mépriser les autochtones et à maintenir la différence coloniale ? S’il s’est effectivement forgé comme tel dans les

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armées coloniales, est-il le produit d’une simplification par les officiers ou bien d’une koinè issue des discussions entre soldats provenant de communautés linguistiques différentes ? Dans ses chapitres « L’armée, laboratoire linguistique », ou « De l’authenticité du petit-nègre », l’auteure répond en discutant les sources. En réalité, tout dépend du texte qui arbore les mots et les phrases en français-tirailleur, du public qu’il vise et du genre auquel il appartient (journal de voyage, rapport administratif, roman, article de presse ou vocabulaire). Plus l’auditoire visé est métropolitain et grand public, plus les phrases insérées sont caricaturales et éloignées de la réalité linguistique du terrain. C’est ainsi qu’a proliféré le topos « ya bon ».

6 Ce qu’on trouve en réalité, c’est « une multiplicité des pratiques du français en Afrique de l’Ouest », comme nous le démontre le chapitre « Fabrique d’un français aofien ». Dans les années 1910, un manuel de français Moussa et Gi-gla est utilisé au Sénégal et en Côte d’Ivoire, sur le modèle du Tour de France de deux enfants, présent dans les écoles métropolitaines. Le manuel intègre un vocabulaire colonial (palabre, case, griot, fétiche) et quelques mots bambara (diamou, « clan » comme équivalent de « nom de famille », da, « hibiscus », dana, « igname », etc.) alors diffusés dans toute l’aire aofienne. Se découvre de la sorte toute une gamme du français, depuis des usages cultivés et scolaires – parfois raillés comme étant trop affectés – jusqu’aux idiolectes individuels découlant de contacts provisoires.

7 L’arabe était quant à lui essentiel dans les « zones de contact » écrit que créaient les administrations françaises, via les traités par exemple. En effet, les lettrés de ces régions avaient en général été formés dans les écoles coraniques. Un « colinguisme » (Balibar 1993) officieux était donc de rigueur jusqu’en 1910. Un exemple de traduction permet de mieux comprendre la perception du traité par les populations autochtones. « Protectorat » et « indépendance » sont traduits par le même mot, amãna, en arabe. Signifiant « protection », ce terme désigne, dans les usages diplomatiques médiévaux, d’une part la soumission demandée par le vainqueur d’un conflit au vaincu à qui on laisse la vie sauve et qui à son tour doit respecter un pacte de non- agression. Il signifie d’autre part un sauf-conduit autorisant un étranger, marchand ou diplomate, à circuler sous la protection du prince dans ses territoires. Dans un cas comme dans l’autre, il est une garantie de non-agression. […] L’amãna est en fait perçu comme faiblement engageant du côté des autorités locales, qui ont pour habitude de multiplier ce type d’alliance, de négocier des liens commerciaux, etc. (p. 64-65).

8 Dans les missions, autre type de « zone de contact » qui précède et accompagne la colonisation, c’est plutôt la langue wolof qui est grammatisée. Le processus est tout à fait comparable à ce qui a pu se passer dans les missions des Amériques. Suivant le précepte suggérant de se faire « nègres avec les nègres », les missionnaires ont la consigne d’apprendre rapidement les langues autochtones pour traduire le catéchisme et être capable de prêcher. Ainsi les spiritains latinistes – souvent bilingues eux-mêmes car originaires d’Alsace ou de Bretagne – font installer à Saint Joseph de Ngasobil des presses typographiques pour imprimer leurs grammaires, leurs dictionnaires et leurs catéchismes dans les langues locales dominantes. Le contraste avec les missions protestantes anglophones – que l’on retrouve dans les Amériques précisément à partir du XIXe siècle – est important et similaire de l’autre côté de l’Atlantique : chez les protestants, c’est la Bible qui est traduite, ce sont des couples (hommes et femmes) qui apprennent les langues, ce sont plusieurs langues locales, et non pas seulement les plus

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véhiculaires, qui sont privilégiées, enfin les descriptions linguistiques qui en découlent circulent dans les milieux scientifiques1.

9 La lecture de cet ouvrage favorise les comparaisons entre les situations coloniales. Certains mécanismes sont les mêmes, quels que soient les siècles : les premiers échanges linguistiques ont pour contexte et définissent en même temps des « zones de contact » concrètes (comptoirs, armées, missions, villes coloniales, administrations). Chacun a recours à une chaîne de polyglottes habiles en langues véhiculaires et en langues locales pour explorer, circuler, négocier, assujettir ou subvertir. Des listes de mots, d’interjections et de questions/réponses simples sont consignées, assorties parfois de remarques sur la prononciation ou l’organisation des phrases. Puis la colonisation d’exploitation se consolide et donne lieu à des « zones grises » (des colons autochtonisés qui mènent des carrières africaines, des autochtones qui mènent des carrières coloniales) et les connaissances linguistiques mutuelles se consolident. Certaines langues autochtones font l’objet de grammatisation, de standardisation et d’enseignement au détriment d’autres, pendant que les indigènes lettrés s’approprient l’écriture des langues dominantes en deux ou trois générations. Plus le colonisateur connaît les langues autochtones, plus il est probable qu’il ait noué des relations personnelles, durables, voire respectueuses avec ses interlocuteurs. Mais plus il y a parier que la colonisation ne soit plus seulement un événement mais une structure.

10 On est surtout frappé par la formation de ce que l’auteure nomme « vocabulaire colonial ». Ainsi le mot « palabre » puis « arbre à palabre », emprunté à l’espagnol, est sans équivalent dans les langues africaines (p. 41-42). Il désigne dans un premier temps les discussions qui accompagnent les échanges de marchandises puis tout discours long et incompréhensible pour un Européen, comme par exemple lors des assemblées d’hommes notables qui rendent justice ou négocient un traité. Certains administrateurs en comprennent l’importance et insistent sur le fait que « par ces causeries familières on gagne le cœur de la population » (p. 49), tandis que d’autres n’y voient qu’une perte de temps. Ce terme de « palabre » révèle en réalité la manière dont les Européens ont saisi des pratiques linguistiques autochtones.

11 Pourquoi la dimension linguistique des contacts retient-elle aujourd’hui d’avantage notre attention que par le passé ? Notre époque plus inter-connectée avec la diffusion d’internet (1996) serait-elle plus sensible à la belle opacité des langues entre elles ? Quelques indices peut-être de ces changements de sensibilité : la diversité linguistique autrefois conçue comme une fatalité à dépasser est désormais un fragile trésor à préserver, voire à recréer, en tous les cas à mettre en scène. Ainsi depuis les années 1990, les politiques multiculturelles promeuvent les enseignements bilingues et interculturels en Amérique latine. Parallèlement, dans le monde du cinéma, des langues sont créées de toutes pièces pour offrir des sensations exotiques réalistes chez le spectateur – comme dans Game of Thrones, diffusée depuis 2011 à partir des romans que Georges R. R. Martin publie depuis 1996. Récemment, Premier contact produit par Denis Villeneuve en 2016, un film américain met au premier plan une linguiste, chargée d’établir le contact avec des extraterrestres. Le double tâtonnement des êtres en présence est magnifiquement mis en scène. Chacun cherche à comprendre non seulement l’effet attendu des signes sonores et graphiques que chacun émet mais aussi les intentions (bienveillantes ou non) et le mode même de communication des uns et des autres (temporalité, spatialité, modalité). Cette nouvelle sensibilité nous invite

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aujourd’hui à lire autrement les archives coloniales d’hier. L’ouvrage de Cécile Van den Aven nous ouvre la voie pour apprendre à lire entre leurs lignes.

BIBLIOGRAPHIE

PRATT Mary Louise 1992 Imperial Eyes: Travel Writing and Transculturation, Routledge, London/New York.

BALIBAR Renée 1993 Le colinguisme, PUF (Que sais-je ?), Paris.

NOTES

1. Comme nous l’explique l’auteure p. 91-92, la Church Missionary Society fonde ainsi le Fourah Bay Institute en 1827 à Freetown en Sierra Leone – ville constituée par des esclaves d’Amérique libérés pour avoir choisi le camp britannique pendant la guerre d’indépendance des États-Unis. Ce centre anglican est plus fortement relié aux communautés scientifiques des linguistes que les missions spiritaines, par exemple.

AUTEURS

CAPUCINE BOIDIN

Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL), université Sorbonne nouvelle – Paris 3

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MIRA CABALLOS Esteban, Francisco Pizarro. Una nueva visión de la conquista del Perú

Eric Taladoire

RÉFÉRENCE

MIRA CABALLOS Esteban, Francisco Pizarro. Una nueva visión de la conquista del Perú, Ed. Crítica, Barcelona, 2018, 412 p., bibliogr., 17 appendices, 16 planches en coul., glossaire.

1 Cette biographie du conquérant du Pérou, Francisco Pizarro, s’ajoute à une bibliographie déjà riche, puisque l’auteur n’y consacre pas moins de 36 pages. Elle constitue cependant un apport novateur à plus d’un titre. Tout d’abord, l’auteur appuie son texte sur plusieurs documents inédits, relatifs notamment aux origines familiales de son personnage et à sa jeunesse à Trujillo. Il en ressort une image moins caricaturale, qui explique en partie l’ascendant que Francisco a pu exercer sur ses frères. D’autre part, comme le souligne Mira Caballos (p. 7-8), sa démarche s’inscrit dans une perspective un peu différente de l’historiographie traditionnelle. Parfaitement conscient du caractère déterminant de la perspective historique de la « longue durée », qu’il ne rejette d’ailleurs pas, il souligne en parallèle l’importance de la personnalité, de l’individu : la conquête du Pérou était inéluctable, mais se serait-elle déroulée de la même manière sous l’égide d’un autre aventurier, à commencer par Almagro ? Pizarro est un cas exemplaire : vilipendé par nombre d’historiens, il bénéficie en même temps de l’auréole du conquistador triomphant aux yeux de ses admirateurs. Cette biographie vise à rééquilibrer ces visions antagonistes, tout en corrigeant des assertions discutables.

2 L’ouvrage n’est donc pas hagiographique, mais cherche à expliquer de quelle manière Pizarro est bien le reflet de son temps, de la violence caractéristique de l’époque, en particulier par de nombreuses comparaisons avec ses contemporains (Cortés, De Soto et

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tant d’autres), et simultanément à cerner sa personnalité, pour mieux comprendre son comportement et ses actes.

3 Il importe de signaler tout de suite que l’ouvrage se divise en deux parties bien distinctes. Le texte proprement dit, de 207 pages, d’une lecture fluide et passionnante ; et la riche partie documentaire (bibliographie, appendices, glossaire, suivis de 105 pages de notes) que le lecteur peut, à sa guise, consulter ou laisser de côté.

4 Le texte se divise en sept chapitres. Le premier est une synthèse rapide de l’histoire et de l’organisation de l’Empire inca. C’est, à mon sens, le plus discutable. L’historiographie relative à l’Empire inca se fonde principalement sur les écrits espagnols. À la différence du Mexique pour lequel on dispose d’écrits et de documents antérieurs à la conquête et, depuis une quarantaine d’années, d’une riche documentation archéologique, les connaissances sur le monde inca dépendent encore trop des seules descriptions des conquérants et des chroniqueurs, et les données archéologiques demeurent fragmentaires. Il en ressort une vision peut-être simplificatrice qui ne permet pas de suivre les comportements des populations à l’égard des conquérants, les Chimus par exemple.

5 Les trois chapitres suivants sont consacrés au personnage, à ses origines et à sa vie avant son entreprise. Ce sont, et de très loin, les plus intéressants et les plus riches. L’utilisation des documents inédits permet à Mira Caballos de brosser un portrait vivant, fin, d’un individu fréquemment caricaturé comme un bâtard inculte, brutal, et de l’insérer dans un contexte familial et social. Comme l’écrit Mira Caballos (p. 75), être un enfant illégitime à l’époque n’implique pas d’être pauvre ou marginal. Cela permet de mieux comprendre la composition des appuis indéfectibles dont Pizarro bénéficie tout au long de la conquête, en particulier de la part de ses demi-frères. La discussion sur la date de sa naissance a de profondes implications sur sa formation militaire, et consécutivement sur le déroulement de la conquête.

6 Les chapitres V et VII portent justement sur la conquête et la féroce guerre civile qui oppose, en particulier, partisans de Pizarro et d’Almagro. Le chapitre VI est une brève synthèse de bonne qualité sur les tentatives de résistance inca et leurs échecs. Ces trois chapitres n’apportent pas grand-chose d’inédit du point de vue factuel, mais prennent une résonnance différente, en regard de la nouvelle lecture du personnage. On pense en particulier aux multiples trahisons parmi les armées opposées, mais aussi aux fidélités à l’égard de Pizarro, notamment parmi ses familiers et ses concitoyens de Trujillo.

7 Mira Caballos ne cherche pas à dédouaner Pizarro de ses crimes, ni des atrocités de la conquête, mais vise d’une part à les situer dans le contexte de l’époque (la longue durée), d’autre part à contrebalancer cette vision négative par l’analyse détaillée des relations familiales et humaines du conquérant. Il en ressort une vision plus nuancée du personnage, qui constitue l’apport essentiel de cette biographie.

8 Deux petites faiblesses, toutefois, que l’on ne saurait imputer à l’auteur. D’abord, celle déjà mentionnée ci-dessus à propos de l’Empire inca à la veille de l’intrusion espagnole. D’autre part, la comparaison inévitable entre les deux conquérants, Cortés et Pizarro, que presque tout sépare pourtant : la formation, les objectifs, les troupes, les pays à soumettre et la vision que chacun apporte en Europe du monde qu’il a conquis. Cortés rapporte de l’or (pas beaucoup), des objets, des livres, des animaux, des gens ; Pizarro, des lingots vite engloutis dans le trésor espagnol. Mira Caballos est conscient de l’écueil, sans toutefois réussir à toujours l’éviter. Cette réserve ne porte pourtant que

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sur quelques passages et n’entache en rien la qualité de cette biographie qui renouvelle avec brio l’historiographie du Nouveau Monde à l’époque coloniale.

AUTEURS

ERIC TALADOIRE

Professeur émérite, université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne

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MONTANI Rodrigo, El mundo de las cosas entre los wichí del Gran Chaco. Un estudio etnolingüístico

Zelda Alice Franceschi

REFERENCIA

MONTANI Rodrigo, El mundo de las cosas entre los wichí del Gran Chaco. Un estudio etnolingüístico, Centro de Investigaciones Históricas y Antropológicas/Instituto Latinoamericano de Misionología/Itinerarios Editorial (Scripta autochtona, 17), Cochabamba, 2017, 607 p., ill. En blanco y negro, fotos en blanco y negro, mapas.

1 El libro de Rodrigo Montani está compuesto por nueve capítulos que recogen su experiencia de campo, iniciada en 2002, en varias comunidades wichí de las provincias argentinas de Formosa (Las Lomitas, Ingeniero Juárez, Teniente Fraga) y Salta (Coronel J. Solá, Los Baldes, Misión Chaqueña), como así también de Bolivia (Villa Montes). Se trata de grupos ocasionalmente horticultores pero dedicados mayormente a la caza, la pesca y la recolección de miel y frutos silvestres: hoy se cuentan en total unos 50.000 wichí distribuidos entre las provincias argentinas de Formosa, Chaco y Salta y de Tarija en Bolivia, donde son llamados ’weenhayek.

2 Con ecos casi lévi-straussianos, la propuesta de trabajo de Montani es ambiciosa, por momentos utópica: describir una sociedad en su totalidad a través de los artefactos, comprender la forma en la que esos artefactos son clasificados dentro de la cultura y, al mismo tiempo, establecer las diversas relaciones posibles entre ellos. Al respecto, hay en el libro varias cuestiones dignas de destacar.

3 En primer lugar, las circunstancias del trabajo de campo y la metodología. Montani se revela como un etnógrafo impecable que armoniza una evidente predisposición al trabajo cuantitativo con una devoción sincera por la labor cualitativa. Utiliza el Field Linguist’s Toolbox para ordenar los datos lingüísticos, las notas de campo, las palabras,

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las frases, los textos libres, las entrevistas parciales o totales; ordena el léxico y los morfemas gramaticales, llegando aproximadamente a los 2.800 términos; estudia la genealogía de unas 1.000 personas; y, al mismo tiempo, siempre con delicadeza, comparte algunas páginas de su diario de campo (por ejemplo, la bonita escena de la partida de caza en las p. 309-311). Con paciencia y “buena voluntad”, la voz de los testigos es no obstante el criterio definitivo a la hora de aclarar situaciones heterogéneas (la brujería, la menarca, el legado de los difuntos, la construcción del techo de la casa), de traducir los términos significativos, y de familiarizarnos con los conceptos nativos más lejanos a nuestra propia experiencia. Además la etnografía aparece sistemáticamente acompañada por un contraste constructivo con la información que provee la literatura del área (de antropólogos, misioneros, militares, historiadores y lingüistas) y asimismo con una gran cantidad de fuentes museológicas (Museo Etnográfico de Buenos Aires, el Museo Regional de Antropología Juan A. Martinet de Resistencia, el Museo Etnográfico Andrés Barbero de Paraguay, el Museo Histórico Provincial Dr. Julio Marc de Rosario). Esta rigurosa erudición es una de las razones principales de la “densidad” del texto, en el famoso sentido de Clifford Geertz. Se trata, en efecto, de una monografía estratificada en la cual los problemas de interpretación, las elipsis y las incongruencias que invariablemente surgen en el terreno son dilucidadas tanto por el cotejo comparativo como, por sobre todo, por la propia palabra de los interlocutores wichí. El razonamiento argumental siempre resulta explícito y las respuestas del autor dejan abierto el camino a distintas interpretaciones: como los propios wichís, no son pocas las ocasiones en las que, con franca sencillez, el autor comienza su análisis advirtiendo “Hasta donde sé…”

4 En segundo lugar, el argumento se despliega a partir de una amplia –aunque bien circunscrita– definición de “artefacto”. Para Montani un artefacto es la materialización de la acción social en sentido weberiano: un conjunto de atributos cuyas prerrogativas se convierten inevitablemente en el resultado de decisiones técnicas que revelan ciertos condicionamientos sociales, ideológicos y cognitivos. Por lo tanto, no sólo se trata de recorrer la “biografía” de los objetos por medio de un particularismo histórico de matriz boasiana (tal vez el ejemplo más evidente y significativo sea el itinerario social de la bolsa enlazada), sino que se intenta comprender su “agencia” en términos éticos o émicos, y al mismo tiempo en función de su lógica sintagmática y paradigmática (es decir, según sus analogías y relaciones con los medios y fines que entran en juego). Este último punto se desarrolla a fondo en el capítulo octavo, en el cual el análisis lingüístico permite reflexionar sobre la ontología de los artefactos que para los wichís representan entidades intrínsecamente ambiguas. En efecto, estas entidades se encuentran en un espacio liminal desde el punto de vista lingüístico pues algunas de sus denominaciones son nombres dependientes (o inalienables, como suelen decir los lingüistas) y otras en cambio son nombres independientes (o alienables). La pregunta, entonces, es qué conocimiento del mundo puede generar el hecho de que esas denominaciones se adscriban a una u otra categoría: “Por un lado, a diferencia de las entidades autónomas de la ‘naturaleza’, los artefactos no ‘nacen’ si alguien de otra especie no los fabrica, no ‘viven’ si ese alguien no lo usa, y no ‘mueren’ si ese alguien no los gasta hasta destruirlos; y aunque algunos son tan inalienables como las partes del cuerpo, en su gran mayoría los artefactos pueden ser vendidos, comprados, abandonados, robados –de todos modos, todas estas diferencias son una cuestión de grado y de contextos. Por otro lado, los artefactos se mueven en el espacio complejo que va de la propiedad individual a la propiedad colectiva, del dominio a la posesión y

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el usufructo […]” (p. 525). Se vuelven particularmente relevantes, así, las numerosas analogías entre las partes del cuerpo y algunos artefactos, bien ejemplificadas a través de la imagen –evocadora y en parte naif (p. 523)– que exponen las obras de algunos pintores y pintoras wichís, a quienes se dedica parte del capítulo séptimo. Los artefactos wichís no pueden ser analizados en los términos propios del dualismo filosófico de nuestras sociedades occidentales, pues el wichí es un dualismo relacional: cualquier entidad puede ser intrínsecamente dependiente de cualquier cosa o de alguien y, al mismo tiempo, revelarse como esencialmente autónoma. Así, el estudio clarifica la ambigüedad en la que por lo general han caído las clasificaciones semánticas a priori propuestas por los lingüistas (Hunt, Viñas Urquiza, Terraza, etc.).

5 En tercer lugar, el mito wichí parece acatar un locus clásico de la etnología chaqueña y sigue presentándose como una suerte de “hilo conductor” que permite interpretar, deconstruir o simplemente pensar la sociedad. Una sociedad, por otra parte, cuyos miembros explican por medio de relatos que resultan sorprendentemente potentes por su gran fuerza evocativa y representacional, pero que a la vez escenifican una cotidianeidad inexorablemente frágil. La historia wichí, de hecho, es claramente una transición complicada: degradación ambiental, enfermedades endémicas, malnutrición, pobreza estructural. Pero lo curioso es que el mito sigue ofreciendo una suerte de llave o espina dorsal de la historia. Este punto resulta delicado e intrigante. Si en varias ocasiones se citan o se cuentan mitos, Montani aclara desde el principio que no suele tratarse de historias narradas en primera persona: hay, por ejemplo, un texto que narrando el origen del juego del hockey chaqueño nos conduce hacia una lectura nada trivial de los actuales partidos de fútbol. Otros textos relatan cómo se produjo la apropiación del metal (“El reparto de los bienes en el mundo”, “El advenimiento de las mujeres”, “La historia del monstruo Kalëchinaj”, “El niño que mató al monstruo Arco Iris”, “El niño y el jaguar”), y reflexionan en el proceso sobre el uso actual del dinero. Más previsiblemente, existen otras historias que ilustran la importancia cultural del fuego (“El origen/El robo del fuego”) o bien el poder inusual del árbol “palo santo” (“La metamorfosis de Nacurutú”), referidas al tipo de madera que los artesanos prefieren para confeccionar sus tallas: “Es muy dura, su consistencia cerosa evita que se raje al labrarla […] les gusta porque su veta es vistosa, adquiere más brillo que cualquier otra madera, despide un aroma agradable y no la comen los bichos ni la arruina el paso del tiempo” (p. 471). Y así sucesivamente. En lo que se refiera al mundo de los artefactos, el mito sigue operando como un instrumento fundamental de comprensión. Un dispositivo, pues, pero al mismo tiempo objeto: sabemos que, adquiriendo vida autónoma a través de inesperadas metamorfosis, los artefactos son protagonistas indiscutibles de los mitos. Pero también que los mitos no son una fuente más de conocimiento sino un ejercicio que responde a una precisa voluntad intelectual. ¿Cuál es entonces su papel cuando no son ya objeto privilegiado de performance y se convierten en relatos breves o casi episódicos? El análisis de Montani abre un abanico de posibilidades. Si bien los mitos relatan impecablemente la historia y el significado de los artefactos, ¿podemos afirmar que ilustran las técnicas empleadas en su manufactura, uso o circulación? ¿O más bien debemos concluir que son los propios artefactos los que se convierten en “metáforas sólidas” de ejercicios mentales refinados y complejos? En otras palabras: ¿son los artefactos el todo de una parte (el mito) que ya no es actuado ni puesto en escena? ¿Y puede develarse la performance del mito a través de la materia in fieri del artefacto?

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6 En cuarto lugar, surge el problema de la lengua. Hablada mayoritariamente por los indígenas pero también por misioneros, algunos criollos y unos pocos antropólogos y lingüistas, la lengua wichí (wichi-lhämtes) forma parte de la familia mataco-mataguaya o matacoana. Los wichís hablan su lengua adaptándola, incorporando préstamos y evitando las estandarizaciones: quieren escribirla y se demoran traduciéndola de la forma que les resulta más práctica y atractiva (resulta sumamente interesante, al respecto, el reciente libro de Montani junto al autor wichí Gerardo Juárez). Esta vivacidad es bien descripta por el autor a través del análisis de la lengua, que nos propone a su vez varios niveles de lectura del texto. En este sentido prescribe sin imponer (¡tan al modo wichí!) un doble registro de lectura: si por un lado, efectivamente, leyendo el libro desde el comienzo a la conclusión podemos aventurarnos en una etnografía ecléctica pero sabiamente comparativa (Diego Villar en el prólogo), también es cierto que la atención sistemática concedida a la dimensión lingüística lo convierte al mismo tiempo en una auténtica “enciclopedia razonada” (p. 534) que puede consultarse provechosamente empleando el índice analítico.

7 Si optamos por la lectura cronológica, los tres primeros capítulos nos introducen casi de puntillas al universo wichí. Lo que es más importante: nos sacan –tal vez de forma definitiva– algunas molestas piedritas de los zapatos al aportar claridad sobre algunos de los temas que a través de las décadas han apuntalado la etnografía wichí. Por ejemplo, “chaqueños”, “criollos” y “blancos” son las tres subdivisiones étnicas que se mantienen durante todo el libro: todos ellos son para los wichí süwelëlhais o ahätäylhais (según las regiones). Pero Montani destaca que la actual categoría de “criollo” resulta a la vez demasiado laxa y vaga. Por su labilidad y fragilidad hay algunos espacios que deben ser contextualizados histórica y geográficamente: es justamente la precisión etnográfica la que nos permite comprobar hasta qué punto esas clasificaciones étnicas adoptan modalidades creativas de superposición y distribución en la vida cotidiana.

8 Pero si pensamos en cambio en el campo del parentesco, podríamos partir de los estudios clásicos de José Braunstein (desde los años setenta) y sobre todo seguir de cerca la etnografía de John Palmer (desde los años noventa hasta hoy) para comprobar que todavía siguen en pie muchos de los términos y reglas de juego. La wichí es, en efecto, una sociedad en la que se buscan los cónyuges potenciales entre aquellas personas clasificadas como afines por los parientes ya casados de Ego: no muy “lejanos”, por tanto, pero tampoco excesivamente “cercanos”. En todo caso los wichís buscan cónyuges razonablemente distantes como para poner en marcha el principio de afinidad serial que ordena el círculo de los afines reales o potenciales (ihnyäj tä wehnalhamej, “otros diferentes”) y de los consanguíneos (ihnyäj, “otros similares”). En este punto resultan particularmente esclarecedoras las páginas dedicadas a los nombres de las parentelas (wichi-lheyis). Montani publica un cuadro de 24 parentelas conocidas por los habitantes de Los Baldes (algunas de ellas no registradas todavía por ningún etnógrafo, como los hoo-pästey, “picos de gallina” y los kap’ahnalhais, “enanos”). Luego de recoger críticamente los aportes más relevantes sobre el tema (Braunstein, Pérez Diez, Palmer, Barúa, Dasso, Alvarsson), observa que la parentela comienza a operar apenas “concluye” la clasificación genealógica (p. 98), haciendo que en una sociedad bilateral la adscripción a la parentela paterna o materna sea ante todo una cuestión personal, que pone en juego múltiples estrategias políticas, económicas y afectivas (p. 97). Otro punto central ligado con las parentelas tiene que ver con otras dos clasificaciones complementarias: la “ecológica”, que distingue los grupos sociales

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en función de la cercanía o lejanía de los grandes ríos (tewokw-lheley, “habitantes del río”, y tahnyi-lheley, “habitantes del bosque”), y la “topológica”, basada en los puntos cardinales (phäm-lheley, “habitantes del río arriba”, y chäm-lheley, “habitantes del río abajo”). Auténticas coordenadas sociológicas de la identidad, esos principios resultan fundamentales para entender un ordenamiento del espacio y del tiempo al cual los wichís están particularmente atentos. A su vez, retomando la expresión de Stephen Kidd, Montani discute la idea de los wichís como sociedad “minimalista”, el rechazo consciente de la especialización laboral o técnica, la vigencia de la reciprocidad restringida o del principio rector de la voluntad (lëhusek) en todos sus registros: como voluntad vital, como buena voluntad y como fuerza de voluntad (Palmer).

9 Podría decirse que los siguientes capítulos contienen el núcleo de la obra. Montani parte de los conceptos nativos de “morada” y de “aldea” para luego llegar a la “casa” (capítulo cuarto) y asimismo a todos los objetos contenidos en ella (capítulo quinto). Retoma de José Braunstein la metáfora de la geometría fractal: la sociedad wichí parece dotada de una suerte de homotecia interna que repite las mismas figuras a distinta escala –así, por ejemplo, el grupo doméstico es como una planta de cháguar y “crece hasta que de ella salen estolones, que en la medida que arraigan dan lugar a nuevas plantas i.e. nuevos grupos domésticos” (p. 183). Es precisamente la bromeliácea chitsaj, planta arquetípica en el universo wichí, la que nos proporciona los más sorprendentes paralelos lingüísticos (aunque se me ocurre otra imagen, seguramente menos complicada: la matrioshka rusa). La wichí es pues una sociedad que “contiene” y se reproduce a sí misma en diversos niveles de la realidad por medio de representaciones análogas, traducibles entre sí. Pero a la vez no admite demasiadas “licencias”, sobre todo de tipo emotivo. La contención ascética de las emociones resulta preventiva, pero a la vez protectora: en esta clave parece evidente que los misioneros anglicanos que trabajaron con los wichí fueron hábiles al servirse de una noción de censura que los indígenas conocían bien.

10 En el análisis de la “morada”, el lexema wet se presenta como hilo conductor que nos indica todo aquello que la categoría abarca y físicamente contiene: así, tenemos la morada del agua (inät-wet), la morada del juego (lëkoy-wet), la morada del danzar (lëkatinaj-wet), la morada de la buena voluntad o iglesia (nohusewet), la morada de la enseñanza (nochujwehnyaj-wet), la morada de los cadáveres o cementerio (lëp’itsehnyëy- wet) y finalmente la casa (lëwet), que a su vez comprende a los grupos domésticos y residenciales (nowet-lheley), cuya composición Montani aclara apoyándose en los mitos, genealogías, imágenes y relatos –al fin y al cabo, se trata de la “gente de la casa de alguien” (p. 182). La “morada”, de esta forma, ofrece un criterio ordenador de la realidad que contiene y a la vez determina tareas y roles bien tangibles. La casa es por ejemplo un ámbito que contiene instrumentos, recipientes, artefactos, pero a la vez rige con orden flexiblemente geométrico la praxis de todos aquellos que buscan utilizarlos. Hecha a imagen y semejanza de la mujer, la casa es como un útero: pertenece al universo femenino porque el principio de la uxorilocalidad emparienta a las mujeres a través de las generaciones, transformándolas en el centro del espacio protegido en un sentido tanto físico como estructural. Pero el criterio que utiliza Montani para describir “las cosas en la casa” es ante todo lingüístico: el fogón, los recipientes, los instrumentos. Los recipientes se componen con el lexema hi (“recipiente”) o bien mediante el sufijo -thi. Si va acompañado por el marcador de tercera persona (lëhi), el primero posee el significado de “útero”, y el sufijo sirve para derivar un verbo a un

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sustantivo que signifique “el recipiente donde se desarrolla la acción expresada por el verbo” (p. 231). La acción, de nuevo, aparece contenida y protegida por su recipiente.

11 El sexto capítulo retoma y profundiza los temas introducidos en la primera parte. El círculo se cierra en la medida en que, a esta altura de la exposición, el lector posee ya una imagen de la sociedad wichí en todas sus dimensiones, basada tanto en las descripciones bibliográficas como en la propia investigación etnográfica. Ambas descripciones no desentonan sino que se complementan, enlazándose con gusto, rigor y una sencillez balsámica. Particularmente destacables, en este sentido, resultan las páginas del séptimo capítulo dedicadas a las tallas y la pictografía. Las ideas son sugerentes: ¿qué significa esculpir? La secuencia es compleja pero vale la pena seguirla: el escultor “mira” (iyahïn) y “estudia” (itetsan) con atención, “su voluntad recuerda lo que miró” (lëhusek itichunëy mak të iyahïnte) y sólo así puede luego “reproducirlo” o “copiar” (itenlä).

12 Más allá del tecnicismo, las preguntas que plantea Montani son de largo aliento. De hecho, tras haber analizado el estilo abstracto y geométrico de los dibujos reproducidos por las mujeres en las bolsas y, por otra parte, el estilo más realista-naturalista que los hombres emplean en sus tallas, procura desentrañar su significado más íntimo: “Las bolsas enlazadas son en cierto nivel metáforas sólidas proyectadas por la mujer hacia los hombres, sus otros intergrupales” (p. 473). A través de la creación y “procreación” de estos artefactos las mujeres trascienden la alteridad de su género domesticando tanto a su alter ego masculino como a aquel “otro” del universo animal, al mismo tiempo que consiguen volver mucho más familiar –tal como enseña el mito chaqueño– su origen estelar. En este sentido, no parece que su papel en la sociedad contemporánea haya cambiado demasiado. A pesar de que los artefactos femeninos encuentran espacios de circulación más allá del propio grupo y sufren pequeñas variaciones formales a nivel de los significantes, el significado no ha mutado. Las bolsas siguen siendo la representación material de todo cuanto las mujeres “son” y “hacen”. En contrapartida, las tallas, no tan culturalmente presentes como productos arquetípicos del universo del hombre, son sin embargo preciosas metáforas de la masculinidad. Montani reconstruye su origen a través del análisis comparativo de una serie de objetos propiamente wichí (morteros, fuentes, cucharas) estudiados por Erland Nordenskiöld, del cotejo con otros artefactos caduveos (peines tallados en asta) recogidos por el viajero-etnógrafo italiano Guido Boggiani, y de una serie no menos importante de objetos enxet (animalitos de cera) reportados por el misionero anglicano Barbrooke Grubb. Los hombres wichí esculpen animales que quieren y aprecian, cuya postura caracteriza el habitus tradicional del ethos masculino: la serenidad, la espera parsimoniosa, la sorpresa temerosa. De esta forma las tallas se convierten en una representación cabal de la masculinidad wichí, aunque dirigidas a una alteridad que ya no es la femenina en el seno del endogrupo. Resulta interesante reflexionar sobre qué y cómo los hombres wichí han decidido compartir, mostrar y extraer de su circuito socioeconómico. Retomando la imagen saussuriana, me pregunto si en esos artefactos – sublimaciones bellas y brillantes de la virilidad masculina– el significado va de la mano con el significante; sospecho que la respuesta tal vez suponga un análisis de las nuevas formas de pintura wichí, en particular las femeninas, tema apenas explorado en el texto pero no por ello menos atractivo. Mientras tanto, “hasta donde sé”, este nuevo libro de Rodrigo Montani plantea esta y otras cuestiones regalándonos una de las etnografías wichís más completas, rigurosas y actualizadas que existen.

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AUTORES

ZELDA ALICE FRANCESCHI

Università di Bologna

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RUZ BARRIO Miguel Ángel y Juan José BATALLA ROSADO (coord.), Los códices mesoamericanos. Registros de religión, política y sociedad

Antonio Jaramillo Arango

REFERENCIA

RUZ BARRIO Miguel Ángel y Juan José BATALLA ROSADO (coord.), Los códices mesoamericanos. Registros de religión, política y sociedad, El Colegio Mexiquense, Zinacantepec, 2016, 342 p., bibliogr., ill. en blanco y negro, fotos en blanco y negro, mapas.

1 Editado por el Colegio Mexiquense, el libro Los códices mesoamericanos. Registros de religión, política y sociedad es una compilación de artículos coordinada por los investigadores españoles Miguel Ángel Ruz Barrio y Juan José Batalla Rosado. El libro recopila doce textos derivados de investigaciones con alcances disímiles, como los mismos coordinadores de la obra admiten en su introducción, pues entre los colaboradores se encuentran especialistas consolidados y colegas que apenas comienzan su carrera. Esto no mina la calidad de la obra en su conjunto; muy por el contrario, el lector se encontrará con una diversidad de posturas sobre la investigación de los códices que incluye la revisión de argumentos tradicionales, la exploración de documentos poco o nada conocidos, perspectivas novedosas de análisis e intuiciones a ser desarrolladas en el futuro.

2 Se conocen como “códices mesoamericanos” a los documentos en soporte flexible (papel, piel de animal o tela) que contienen restos de pictografía o escritura indígena. Este libro analiza este tipo de documento histórico desde la perspectiva particular de cada autor. De esta forma, los artículos están agrupados en tres ejes temáticos: 1. El

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sistema de comunicación gráfica en los códices, 2. Cosmovisión y religión en los códices mesoamericanos, y 3. Política, sociedad y economía en los códices.

3 El primer bloque discute la metodología de interpretación y lectura de los códices derivada de distintas tradiciones. Tatiana Valdéz Bubnova explora el posible origen teotihuacano de ciertas temáticas presentes en el Códice Borgia. Por su parte, Gordon Whittaker resalta la importancia del conocimiento histórico, geográfico y contextual a la hora de leer los conjuntos glíficos nahuas más allá del “desciframiento” de elementos aislados. Los dos artículos restantes de la sección analizan casos específicos de lecturas e interpretaciones de algunos elementos en los códices. Isabel Bueno señala la dificultad de descifrar los glifos asociados con personajes en una sección del Códice Telleriano Remensis y analiza las diferentes interpretaciones académicas sobre ese fragmento. En un magnífico análisis, Katarzyna Mikulska utiliza fuentes escritas, iconográficas y lingüísticas para desentrañar la polivalencia de las banderas (de algodón y de papel) en los códices provenientes del centro de México.

4 Dedicado a la “cosmovisión”, el segundo bloque del libro analiza ciertos elementos dentro de los códices. Nathalie Ragor caracteriza a Chicomecóatl, diosa del Posclásico del centro de México, según los rasgos con los que aparece en diferentes códices y fuentes escritas de la colonia temprana. Siguiendo una metodología diferente, Marta Gajewska analiza a la diosa Tlazoltéotl no según las características formales mediante las cuales es representada, sino siguiendo la función que cumple como patrona de la trecena ce ollin en el Códice Telleriano Remensis y el Códice Vaticano A. Por último, Miguel Ángel Ruz Barrio estudia las apariciones de murciélagos en diversos códices mánticos y administrativos.

5 Correspondiente a la política, la economía y la sociedad, la última sección es la más lograda del volumen y cuenta con los trabajos más sólidos. El primer artículo, a cargo de Carlos Santamarina Novillo, toma el ejemplo de Cuauhtitlan para estudiar las estrategias políticas de dominación de dos imperios del centro de México: el tepaneca de Azcapotzalco y el mexica de Tenochtitlan. En un trabajo corto, pero muy cuidado, María Teresa Jarquín Ortega contextualiza el códice Osuna en el marco de los reclamos indígenas del siglo XVI en la Ciudad de México por la explotación de la cal y su uso en las construcciones españolas. Por su parte, Manuel A. Hermann Lejarazu estudia la genealogía colonial de Jaltepec en la Mixteca Alta, mostrando sus diferencias con los documentos de este tipo de origen prehispánico y contextualizando los datos en un pleito legal entre dos ramas de una misma familia. En un excelente análisis, Bérénice Gaillemin muestra asimismo la forma en que uno de los documentos, clasificado dentro de los Testerianos (catecismos pictográficos dirigidos a un público indígena), fue utilizado en una fecha posterior a su manufactura por parte de un miembro de la familia heredera de Moctezuma para probar su pertenencia a este linaje y, a la vez, mostrarse como buen cristiano. Finalizando la sección se encuentra el artículo de Hans Roskamp, quien despliega un panorama general de los títulos primordiales de Michoacán, exponiendo la temática histórica general de este tipo de documentos a través de ejemplos conocidos e inéditos.

6 Más allá de la variedad temática en que los coordinadores ordenan las contribuciones y de la diferencia en el calado de las investigaciones presentadas, resalta la diversidad metodológica de los autores del libro al acercarse a los códices como fuentes históricas. Algunas contribuciones se centran en un solo elemento de uno o dos códices determinados (Bueno, Gajewska), otras analizan un cierto elemento en varios

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documentos (Mikulska, Ragot, Ruz Barrio), algunos autores toman información contenida en los códices y la utilizan críticamente para compararla con otro tipo de fuentes (Santamarina Novillo) mientras que otros toman un solo documento y analizan su contexto social, político y económico (Jarquín Ortega, Hermann Lejarazu, Gaillemin); además, surgen posibilidades de examinar todo un grupo de documentos (Roskamp) o bien de realizar reflexiones metodológicas que sirvan para el análisis de una gran cantidad de códices (Valdez Bubnova, Whittaker). No existe pues un solo camino en el estudio de los códices, y esta compilación demuestra que el diálogo y la discusión entre perspectivas distintas es la forma más fértil de analizar históricamente este tipo de fuentes.

7 En fin, la diversidad metodológica en el estudio de los códices que expone esta compilación nos demuestra la riqueza de este tipo de documentos como fuentes históricas y la multiplicidad de opciones y perspectivas que tienen los investigadores a la hora de integrar los códices en sus análisis históricos e historiográficos. Aunque este libro no pretende agotar la diversidad temática y metodológica del estudio de los códices, sí resaltan por su ausencia los trabajos sobre códices provenientes del área maya, sean prehispánicos o coloniales, como también sobre los diferentes códices mixtecos precoloniales. Sería bastante provechosa una discusión amplia, como la que propone esta compilación, que incluyera además esos documentos.

AUTORES

ANTONIO JARAMILLO ARANGO

Instituto de Investigaciones Históricas, Universidad Nacional Autónoma de México

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