Tourisme et patrimoine en Wallonie

I. La découverte du Patrimoine

Le rôle du tourisme

Un parallèle pourrait être établi entre le développement du tourisme et la prise de conscience de la valeur du patrimoine. La découverte du pays fut l'occasion de la découverte du patrimoine. Il y eut là une réelle interaction. Tantôt, tel site ou monument suscitait l'organisation de voyages ou d'excursions dont il était le but; tantôt, la visite répétée de tel autre débouchait sur son embellissement et son exploitation touristique. Aujourd'hui, le phénomène a pris une ampleur telle qu'il est devenu un secteur à part entière des activités touristiques - on parlera par exemple de tourisme culturel ou de tourisme de villes d'art -, et que l'entretien et la conservation de nombreux sites et monuments dépendent pour une bonne part du paiement des droits d'entrée ainsi que des dépenses effectuées par les visiteurs.

C'est principalement au cours du siècle passé et au début de celui-ci que le pays et le patrimoine wallons ont été révélés et célébrés par des érudits locaux et surtout par des voyageurs, avides de découvertes et qui ne craignaient pas les risques et les mécomptes de ce qui passait encore parfois pour de véritables expéditions. En effet, pour pérégriner dans des lieux qui n'étaient même pas isolés, ces audacieux voyageurs devaient plus souvent circuler à pied ou recourir aux moyens de transports les plus frustes, qu'emprunter les trains, tramways à vapeur ou autres malles-poste, dont les réseaux se mettaient à peine en place. Les conditions d'hébergement étaient du même ordre : sauf lorsqu'ils pouvaient séjourner dans des stations touristiques - comme la cité thermale de Spa -, ces premiers voyageurs ne connaissaient au mieux que les mauvaises auberges.

Ces pionniers du tourisme wallon étaient souvent des hommes curieux et cultivés. Ils revinrent enthousiasmés de leurs voyages et excursions, et eurent alors à coeur de communiquer leurs impressions et de décrire les localités ainsi que les paysages qu'ils avaient traversés. C'est ainsi qu'on assista à une floraison de guides ou de récits de voyages, qui donnèrent le goût à d'autres personnes - qui en acquéraient les moyens, notamment du fait du développement des voies et modes de communications - d'excursionner à leur tour dans les villes et campagnes wallonnes. Alors commença l'ère des déplacements individuels ou en groupe; en train ou en tram, en voiture ou en autocar, on alla visiter Tournai, , , Liège, Dinant, - ou remonter la vallée de la , - ou s'enfoncer dans les forêts de l'Ardenne, pour déboucher tantôt à La Roche, tantôt à Bouillon.

Dans les principales villes ainsi que dans les centres de villégiature naquirent, à la même époque, des syndicats d'initiative, des sociétés d'embellissement, des associations de protection des sites; quelques organisations - dont le bien connu Touring Club - acquirent même une dimension nationale. Tous ces groupements manifestèrent le même souci de faire connaître et de valoriser le patrimoine régional. Beaucoup d'entre eux furent encore à l'origine de l'étude des monuments - ici un château ou un palais, là une église ou un musée - ainsi que de publications qui pouvaient être d'ordre scientifique ou de simples guides à l'usage des visiteurs.

Bien entendu, ce mouvement fut d'abord principalement urbain, puisque c'est dans les villes qu'on trouvait le plus de monuments. C'est là aussi qu'existaient les établissements d'enseignement, les académies et écoles d'art, les services muséologiques et les associations culturelles, qui pouvaient - par leurs travaux et leurs recherches - contribuer à la connaissance la plus juste et à la mise en valeur la plus adéquate du patrimoine local. En outre, les équipements d'hébergement et les services y étaient plus nombreux et de meilleure qualité. Aussi y naquit facilement le concept de tourisme de villes d'art. Aujourd'hui encore, les trois villes d'art les plus connues de Wallonie sont Tournai, Liège et Namur.

A notre époque, le tourisme de villes d'art est indissociable du tourisme dit culturel. Celui-ci a trait aux déplacements qui sont motivés par la connaissance intellectuelle des villes et des terroirs, par les expositions d'art et les diverses manifestations culturelles, bref par la vie de l'esprit dans son acception la plus large. Il va de soi que la découverte du patrimoine occupe une place importante dans le tourisme culturel. Dès lors qu'il s'agit de déplacements d'une journée complète ou de plusieurs jours, le patrimoine constitue d'ailleurs souvent l'élément attractif qui motive le voyageur s'adonnant au tourisme culturel.

La défense du patrimoine

Les érudits locaux et les premiers voyageurs - quand ils faisaient connaître les paysages, les monuments et les sites - n'avaient pas pour seule ambition d'assurer le développement touristique des lieux qu'ils étudiaient ou qu'ils visitaient. La passion du terroir les amena rapidement à se préoccuper de la sauvegarde du patrimoine bâti comme naturel. Il est vrai que celui-ci pouvait passer pour fort menacé, à une époque où l'industrialisation et l'urbanisation commençaient à modifier en profondeur l'aspect des villes comme les paysages de la campagne. Et ceux-là mêmes qui étaient les premiers promoteurs du tourisme eurent d'emblée conscience des possibles effets néfastes du tourisme de masse et des risques de banalisation des paysages.

Une Commission royale des Monuments existait déjà depuis 1835, et la technique du classement était connue dès la fin du XIXe siècle. La Belgique pouvait d'ailleurs être considérée comme un pays pionnier en matière de patrimoine. Les édifices classés, qui étaient susceptibles de bénéficier d'interventions financières de l'Etat, devinrent plus que jamais des buts d'excursions. Leur rareté accrut leur prestige et leur intérêt. En raison de sa reconnaissance par la Commission royale, l'immeuble classé - dont la légitimité patrimoniale était ainsi confortée - voyait renforcer sa fonction de curiosité touristique.

Juste avant la Première Guerre mondiale, deux lois vinrent inaugurer l'arsenal juridique qui, au cours du siècle, allait se développer dans le domaine du patrimoine. En 1911, fut votée la loi sur la conservation de la beauté des paysages (mais en fait elle ne visait qu'à la remise en état des lieux après l'exploitation de mines et de carrières), et en 1914, fut adoptée la loi pour la préservation du champ de bataille de Waterloo (encore une fois, intérêt historique et intérêt touristique se confondaient). Quelque vingt ans plus tard, en 1935, parut au Moniteur belge la loi sur la conservation des monuments et des sites, qui constituerait pendant cinquante ans la principale réglementation dans le domaine de la protection du patrimoine.

La Commission royale, elle, s'était muée en une Commission royale des Monuments et des Sites. Les sites constituaient les parents pauvres de la politique de sauvegarde du patrimoine. Cela ne manquait pas d'inquiéter tous ceux qui étaient attachés à la conservation de la nature et des paysages. Déjà, dès le début du siècle, d'aucuns souhaitaient que d'importantes portions du territoire national puissent acquérir le statut de parcs naturels. Des projets furent imaginés - par exemple - pour la Semois ardennaise, la Lesse condruzienne, l'Amblève et déjà les Hautes Fagnes. Mais tout cela demeura des voeux pieux. Aussi des associations privées prirent le relais, pour pallier l'inaction des pouvoirs publics. Tel fut le cas d'Ardenne et Gaume, qui se trouva rapidement, au sud du sillon wallon, à l'origine de plusieurs réserves et "parcs nationaux".

Dans le dernier tiers de ce siècle, l'extension souvent anarchique de l'urbanisation, l'ouverture de grands chantiers publics comme la construction des autoroutes et des pénétrantes urbaines, et la transformation des villes notamment par suite d'importants projets immobiliers, suscitèrent - en Wallonie comme à Bruxelles ou en Flandre - la création de comités de quartier et d'associations de défense de l'environnement. De la même manière, en milieu rural, des oppositions se manifestèrent à l'encontre de projets - jugés démesurés - de promoteurs touristiques ainsi qu'à l'encontre de l'envahissement par le tourisme de masse. Maintenant, tourisme et patrimoine ne faisaient plus toujours bon ménage. L'expulsion de terrains de camping-caravaning non autorisés, dans le célèbre méandre de la Semois à Frahan, fut probablement l'illustration la plus médiatique de ces conflits.

Le droit suivant les faits, la législation continuait à s'enrichir, de manière à apporter les réponses les plus judicieuses aux questions posées tant par la conservation du patrimoine bâti que par la défense de l'environnement naturel et paysager. Depuis l'après-guerre, une administration et une politique de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire avaient été mises en place. En 1962 était adoptée la loi organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme, laquelle - avec son importante réglementation complémentaire - serait transformée, en 1985, en un Code wallon de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme. Pour ce qui est du patrimoine stricto sensu, la loi de 1931 sur la conservation des monuments et des sites était abrogée, d'abord au profit d'un décret de 1987 relatif à la protection du patrimoine culturel immobilier, puis d'un décret de 1991 relatif aux monuments, aux sites et aux fouilles. Ce décret, qui constitue la réglementation en vigueur, a été intégré au Code dit wallon, dont l'appellation officielle est dorénavant Code wallon de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et du patrimoine.

L'évolution des idées

Les conceptions en matière de patrimoine ont évolué avec le temps. A juste titre, d'aucuns ont pu considérer que la vision initiale était élitiste. Seuls les églises et les châteaux paraissaient dignes d'être protégés. En outre, la sauvegarde des paysages et la conservation des sites semblaient passer pour secondaires, au regard des monuments, quasi exclusivement pris en considération. Mais cette attitude est compréhensible : elle correspondait aux analyses et aux préoccupations de l'époque. D'une part, seule était prise en compte la valeur intrinsèque de l'édifice ou du monument, sans guère de référence à son environnement; d'autre part, l'intérêt architectural et artistique constituait souvent l'élément discriminant du classement.

Face à cette conception restrictive du patrimoine, s'est développée - tout particulièrement durant les trois dernières décennies - une autre approche, plus large, confortée et légitimée par les travaux et conclusions de conférences internationales. Dans cette perspective, d'autres édifices - notamment ceux qui ont participé à la vie économique et sociale de la collectivité - méritent d'être protégés, non seulement parce qu'ils auraient la valeur d'éléments d'accompagnement de monuments plus remarquables, mais surtout pour eux-mêmes, en tant que témoignages de l'ordinaire et du quotidien, ou comme souvenirs de temps révolus, ou encore comme symboles d'identité. Dans cette vision plus généreuse, et pour les mêmes raisons, les paysages, les sites et les espaces publics retrouvent également toute leur importance.

Dans cette conception nouvelle du patrimoine, l'archéologie industrielle et l'architecture rurale traditionnelle, l'architecture bourgeoise et le logement populaire ont trouvé leur juste place. Oserait-on affirmer que, ce faisant, les populations ouvrières et rurales de Wallonie ont été réconciliées avec le patrimoine ? Pourquoi pas ? Les Wallons peuvent maintenant jeter un autre regard, fier et valorisant, sur d'anciennes usines, sur le squelette de charbonnages à l'arrêt, sur des corons ou sur de vieilles fermes. Le monde du travail peut lui-aussi revendiquer des racines, même si elles remontent moins loin dans le temps et si elles participent à moins de monumentalité. Pour une large part, le patrimoine wallon est populaire.

On l'a vu plus haut : autrefois, le monument était protégé pour lui-même, sans que l'on se souciât trop de la conservation de l'environnement dans lequel il était pourtant inséré. Ici encore, les choses ont totalement changé, surtout depuis l'adoption de la Charte de Venise, la Déclaration d'Amsterdam et le déroulement de l'Année européenne du Patrimoine architectural (1975). Dès lors, on s'est mis à parler de conservation intégrée et l'on s'est soucié de la réutilisation, à des fins sociales ou culturelles, voire économiques et commerciales, des immeubles protégés et restaurés. L'évolution des idées a été telle que la politique du patrimoine est devenue indissociable de celles de l'urbanisme et de la rénovation urbaine.

Concomitamment à l'extension de la notion de patrimoine, la Région wallonne a eu le souci d'élargir l'audience et de stimuler l'intérêt de couches plus larges de la population. Cela s'est traduit dans différentes initiatives, qui se sont mêmes situées au niveau des structures. C'est ainsi que la composition et le mode de fonctionnement de ce qui est devenu la Commission royale des monuments, sites et fouilles de la Région wallonne, ont été revus de manière à l'ouvrir à des sensibilités et des formations variées ainsi que dans le sens d'une réelle décentralisation. Par ailleurs, pour vulgariser la matière, de nombreuses actions didactiques, médiatiques, participatives, ont été entreprises ces dernières années. Pour en citer deux parmi les plus connues, on retiendra les campagnes menées en faveur de la sauvegarde et la mise en valeur du petit patrimoine populaire wallon, ainsi que les importantes organisations annuelles des Journées du Patrimoine. La connaissance et la conservation du patrimoine wallon contribuent à forger et à conforter l'identité régionale. On le sait bien : un peuple sans mémoire n'a pas d'avenir. Assez paradoxalement donc, la sauvegarde du passé est garante du futur de la Wallonie. Au moment où celle-ci s'affirme et se constitue, la politique du patrimoine est un gage de la volonté régionale d'insérer les Wallons dans une perspective historique. Les autorités publiques ont d'ailleurs prêché d'exemple ces dernières années, en accroissant considérablement les moyens financiers dévolus tant à la conservation du patrimoine bâti qu'à celle de l'environnement naturel.

II. Le Patrimoine paysager

L'Ardenne

En Wallonie, la diversité des paysages contraste sûrement avec l'étroitesse du territoire. Certes, on ne trouvera pas ici les paysages extrêmes; on ne rencontre ni mer ni montagne, ni désert ni forêt vierge. Par contre, plaines, plateaux, vallées encaissées et hautes landes battues par les vents, se succèdent à un rythme effréné. De même, dans une rare densité d'occupation de l'espace, les villettes quadrillent les campagnes, tandis que les solitudes forestières se découvrent à quelques dizaines de kilomètres d'une conurbation de plus de deux millions d'habitants. Pour beaucoup de gens, la Wallonie se ramène à deux types de paysage : au centre, le long sillon industriel et urbain; au sud et à l'est, le relief ardennais. Ils n'ont pas tout à fait tort, ce sont bien les deux paysages dominants.

Pour le touriste qui vient du nord, l'Ardenne commence dès qu'il a dépassé Namur ou Liège et qu'il a traversé la Meuse. Mais cette vision touristique ne correspond pas à la réalité de la géographie. Certes, l'accentuation du relief et la multiplication des espaces boisés peuvent donner le change. Il n'empêche que l'Ardenne stricto sensu - dont le territoire constitue néanmoins le tiers de la Wallonie - ne s'étend pas à l'ensemble des espaces situés au sud de la et de la Meuse. On y trouve aussi d'autres zones agro-géographiques, dont la superficie peut être également importante; ce sont le Condroz, la Fagne et la Famenne, le Pays de Herve et la Lorraine belge.

Si le schiste et la forêt, de même que les rigueurs du climat, caractérisent l'Ardenne à coup sûr, celle- ci présente des aspects moins homogènes que ce que l'on pourrait penser de prime abord. Bien sûr, les activités touristiques se sont surtout développées dans les vallées encaissées où coulent des rivières aux cours souvent sinueux. Mais il y a aussi les hauts plateaux, d'où la forêt peut être absente, pour laisser place à des cultures. Ici, l'activité agricole tient principalement dans l'élevage, au point que certains ont osé affirmer que ce sont les prairies, et non pas les forêts, qui caractériseraient l'Ardenne. Il n'en reste pas moins que "l'Ardenne est toute en sa forêt", qu'elle soit taillis ou futaie, feuillue ou résineuse.

Si l'Ardenne est schisteuse, le Condroz est calcareux; traditionnellement, les murs des habitations et des fermes que l'on construisait dans l'une et l'autre régions, étaient donc en pierres du pays, d'apparence plus claire dans le Condroz et plus sombre en Ardenne. Quelqu'un a dit que l'Ardenne, c'est le romantisme allemand, et le Condroz, le romantisme français. Il y a du vrai dans cette observation. Même si le relief condruzien est tourmenté - avec cette régularité exceptionnelle, où des lignes de vallées succèdent en parallèle à des lignes de collines, au point que l'on songe à de vastes "montagnes russes" -, on trouve ici plus de douceur et souvent plus de calme dans les horizons. Par ailleurs, les grandes forêts ont fait place à des bois plus petits, qui se mêlent sans cesse aux cultures. Le paysage n'est plus sylvestre, il est campagnard.

Entre l'Ardenne et le Condroz, qu'elles séparent presque totalement l'une de l'autre, la Fagne et la Famenne sont situées à une moindre altitude et ont un relief moins tourmenté. Dans la construction, la brique est ici largement dominante; la couleur rouge l'emporte sur les teints plus gris de la pierre. Les sols sont ici ambigus : tantôt, ils sont si humides qu'il faut procéder à leur irrigation; tantôt, ils sont si secs que l'herbe y roussit au moindre été un peu chaud. Qu'il vienne d'Ardenne ou du Condroz, l'automobiliste a vraiment l'impression que la route ou l'autoroute sur laquelle il circule, plonge dans la Fagne et, surtout, dans la Famenne. Cette région est une gigantesque dépression; les amples vues que l'on peut avoir sur elle, sont cactéristiques du paysage. Ici plus que partout ailleurs, le paysage se confond avec le terroir.

Si l'Ardenne est toute en sa forêt, le pays de Herve, lui, est tout en son bocage. Du moins était- ce vrai autrefois. Les haies, les arbres fruitiers et isolés, les vergers conféraient à cette contrée - blottie entre la , la Meuse, les frontières néerlandaise et allemande - des traits bien particuliers. Ces paysages ont parfois changé : le bocage a été malmené par la modernisation de l'agriculture et par l'urbanisation au départ de Liège et de Verviers. Une autre image caractéristique du Pays de Herve tenait, dans sa partie la plus occidentale, à la présence de charbonnages qui, avec leurs terrils et leurs châssis à molette, émergeaient au-dessus des haies, des arbres et des vergers.

A l'opposé du Pays de Herve, à l'extrême sud de la Wallonie, on pénètre déjà dans la vaste région de Lorraine. Cette province française déborde quelque peu sur le territoire belge, d'où ce nom de Lorraine belge. Coincée entre les frontières française et luxembourgeoise, d'un côté, et l'Ardenne, de l'autre, c'est une terre beaucoup plus douce et lumineuse que cette dernière. Le climat aussi est différent; l'été passe pour y avoir quelquefois des airs méridionaux. Aussi, d'aucuns - qui, quoiqu'au sud, ne perdent pas le nord touristique - n'ont pas craint de parler de "petite Provence". Pourquoi pas, surtout lorsque les maisons - en certain village - ont des murs en pierres jaunâtres et des toits en tuiles romaines ? Pourtant, si quelques lieux du pays virtonnais peuvent parfois, à la bonne saison, prendre une apparence de Midi, l'hiver arlonnais peut aussi être sibérien. Terre de contrastes (plus qu'il n'y paraîtrait), la Lorraine belge n'est pas homogène : à l'est, on trouve le Pays d'Arlon ou Arelerland, où le dialecte est germanique et l'architecture est thérésienne; à l'ouest, c'est la Gaume, avec la Semois au nord, la forêt au centre, le pays de Virton au sud.

Le sillon wallon

C'est l'autre paysage dominant de la Wallonie; c'est également lui qui caractérise le mieux un certain stade de développement économique et social atteint au cours des deux derniers siècles. Ce sillon industriel et urbain, qui s'étire de la région verviétoise au Borinage et rebondit d'abord à Tournai puis à Mouscron, constitue toujours l'épine dorsale, économique et politique, de la Wallonie. S'il s'est effectivement développé lors de la première révolution industrielle, le sillon s'est aussi articulé sur un chapelet de villes fort anciennes, qui s'égrenait de la Vesdre à l'Escaut, en passant par les vallées de la Meuse et de la Sambre puis la plaine de la . Certes région charbonnière et métallurgique, typique du XIXe siècle, le sillon wallon est plus que cela; ses paysages comme son patrimoine appartiennent également à une histoire déjà vieille, mais - à l'inverse - sont aussi le fait de l'urbanisation moderne.

A l'extrémité orientale du sillon, on découvre l'agglomération verviétoise, primitivement encastrée dans la profonde vallée de la Vesdre, mais dont les faubourgs ouvriers comme bourgeois se sont ingéniés - au fil du temps - à déborder sur les flancs des collines, puis à s'installer définitivement sur celles-ci. A l'époque de sa splendeur, la région de Verviers s'adonnait toute à l'industrie lainière et au textile. Il en est demeuré un riche patrimoine immobilier, - qu'il s'agisse d'hôtels de maître ou d'habitations populaires -, ainsi que de fort intéressants témoins de l'archéologie industrielle, dont quelques-uns (même des anciennes usines) ont été - après restauration - réaffectés à l'usage de logements. L'agglomération liégeoise présente, en plus grand, la même configuration que celle de Verviers. En effet, la ville s'étend dans la vallée mosane, et l'impression de profondeur - lorsqu'on arrive par exemple du plateau hesbignon - est accentuée par la présence des terrils qui hérissent les hauteurs avoisinantes. Ici aussi, l'urbanisation s'est déployée, d'abord dans les vallées et vallons adjacents, puis - plus franchement, au gré des lotissements modernes et des zonings industriels - aux franges des contrées riveraines : dans les cultures hesbignonnes, dans le bocage du Pays de Herve, dans la campagne et les bois condruziens. Malgré les blessures dues au vieillissement de l'industrie et à un urbanisme qui fut parfois mégalomane, Liège demeure une grande et véritable ville, ce qui se perçoit bien dans la multiplicité des fonctions et la diversité des infrastructures. Son patrimoine monumental est également le plus important de Wallonie.

De Liège à Namur, le sillon wallon n'est plus complètement urbanisé et industrialisé. Il arrive même que la vallée mosane retrouve du pittoresque, quand le fleuve semble s'écouler paisiblement - du fait des écluses qui en ont maîtrisé les impétuosités - entre des murailles rocheuses et boisées. L'agglomération namuroise a en commun avec Liège et Verviers de s'être d'abord développée dans la vallée, de part et d'autre du confluent de la Meuse et de la Sambre, puis d'avoir gagné - ces dernières décennies surtout - les collines et les campagnes environnantes, mais Namur diffère des autres villes parce que la grosse industrie a peu laissé de traces dans un paysage dont elle fut d'ailleurs absente. L'image paisible de la Citadelle avec le télésiège, vue du faubourg de Jambes, ou celle du panorama namurois, vu cette fois de la Citadelle, sont parmi les plus connues du patrimoine paysager wallon.

La région de la Basse-Sambre, qui sépare Namur de , est plus bâtie et industrieuse que la vallée mosane en aval de la capitale wallonne. L'entrée à Charleroi ne se perçoit pas bien, tant le paysage est continûment urbain ou semi-urbain. L'agglomération carolorégienne présente d'ailleurs une physionomie urbanistique caractéristique et complexe : elle est moins le résultat du développement progressif d'un noyau urbain ancien, que la juxtaposition et l'articulation d'anciens sites miniers et métallurgiques, de zonings industriels, de vieux quartiers à dominante ouvrière, et de lotissements plus modernes. Faire de cette agglomération disparate une véritable ville, procède dès lors d'un projet politique, qui est d'ailleurs en cours de réalisation. En réalité, seuls les quartiers délimités par l'ancienne forteresse ou à ses abords immédiats pouvaient prétendre, jusque dans les années septante, à la qualité de ville.

L'agglomération carolorégienne constitue le pôle oriental du bassin industriel hennuyer. Celui- ci a été profondément marqué par la fermeture des charbonnages et le déclin des activités sidérurgiques et manufacturières. Le paysage est profondément blessé et porte encore trop témoignage d'une histoire économique à l'arrêt. Les carcasses métalliques ou les hautes élévations en briques des usines abandonnées succèdent aux mamelons boisés que sont devenus les anciens terrils; entre les unes et les autres, se blotissent - parfois au milieu des champs - de vieilles cités ouvrières ou de nouveaux quartiers, tantôt de logements sociaux, tantôt constitués par des lotissements plus cossus. Mais le temps qui passe et la nature qui revient aident les hommes à cicatriser l'espace. Petit à petit, le Hainaut retrouve son image verte d'autrefois, tandis que les villes - qui n'avaient pu faire face à l'expansion d'une urbanisation anarchique mais liée à l'époque au développement et aux nécessités de l'industrie et de l'exploitation minière - se reconstituent et redécouvrent leur patrimoine, au moment même où elles optent pour un développement plus maîtrisé et plus respectueux de l'environnement bâti comme naturel. Des villes comme Mons - dont la rénovation fait l'unanimité - ou comme Binche - dont le charme certain réapparaît en même temps que frémit une vocation touristique - sont les exemples les plus fameux de ce renouveau. La ville de La Louvière aussi a compris que c'est dans un urbanisme volontaire qu'elle trouvera une partie de la réponse aux problèmes économiques et sociaux de la région du Centre, qui l'entoure de toutes parts.

La région limoneuse

Troisième espace caractéristique de la Wallonie, la région limoneuse - qui couvre des zones agro- géographiques différentes - s'étire, sur quelque 150 kilomètres de long mais sur 30 kilomètres de large tout au plus, entre l'agglomération liégeoise à l'est et l'agglomération lilloise à l'ouest, ainsi qu'entre le sillon wallon au sud et la frontière linguistique au nord. La région limoneuse s'étend d'ailleurs autant en Flandre qu'en Wallonie, et ce contrairement aux deux autres paysages dominants. La Hesbaye et bien sûr le Brabant n'appartiennent donc pas exclusivement à la géographie wallonne; même les plaines et les collines de la campagne hennuyère sont indissociables du pays flamand tout proche.

La Hesbaye occupe le tiers oriental de la région limoneuse. C'est un paysage quasiment sans bois et sans vallonnements profonds, sinon aux approches de la vallée mosane, dans laquelle il bascule presque avec brusquerie. Il y a là des sites plus tourmentés et des rivières qui entaillent profondément le plateau hesbignon; la Mehaigne en est l'exemple typique. Pour le surplus, la Hesbaye possède un relief calme, où les horizons sont lointains, sauf quand une ligne d'arbres ou une série de tumuli viennent les interrompre. Terre agricole par excellence, la Hesbaye est le grenier de la Wallonie. Les prairies sont rares, car l'élevage n'est guère pratiqué; les champs de céréales sont ici largement dominants. Il n'y a pas de villes importantes, mais de gros bourgs dont les premiers développements furent d'ailleurs associés à la vocation agricole de la région. Tel fut le cas de Waremme, Hannut, Jodoigne, Gembloux, et d'autres chefs-lieux de canton.

Le Brabant wallon, lui, occupe la partie centrale de la région limoneuse. En fait, sous le strict angle du découpage des zones agro-géographiques, l'extrémité orientale du Brabant administratif appartient encore à la Hesbaye. On parle donc parfois d'une Hesbaye brabançonne, comme il y a une Hesbaye namuroise et surtout une Hesbaye liégeoise. Le véritable Brabant est un terroir au relief plus mouvementé, et aussi plus boisé. Du nord au sud, les vallées successives de la Dyle, de la Lasne, de la Sennette et de la Senne, dessinent des paysages vallonnés. Les lieux ne manquent pas de charme, et il n'est dès lors pas étonnant que le Brabant wallon exerce un grand pouvoir de séduction sur les Bruxellois qui s'y sont installés en nombre important, au point que plusieurs communes - comme Braine-l'Alleud, Waterloo, Rixensart, Wavre et Ottignies - fassent aujourd'hui partie, de facto, de la grande banlieue bruxelloise.

L'expansion de Bruxelles dans le Brabant wallon a bien sûr profondément transformé les paysages originaires. Les champs et les prairies, et même plusieurs bois, ont fait place aux grands lotissements des golden sixties puis à des opérations immobilières parfois beaucoup plus cossues et huppées. La création de la ville universitaire de Louvain-La-Neuve en pleine plage agricole, a - d'une certaine façon - parachevé et couronné le processus de transformation urbaine du Brabant wallon. Toutefois, il ne faudrait pas réduire celui-ci à l'image d'une banlieue verte et riche. L'ouest brabançon, lui, est une contrée plus pauvre et confrontée aujourd'hui au déclin de l'activité sidérurgique et à l'abandon des carrières qui assuraient jadis la renommée de localités comme Tubize, Clabecq et Quenast. A bien des points de vue, cette région-ci s'apparente aux zones en difficulté du sillon wallon, et le paysage urbain comme industriel porte les marques des mêmes meurtrissures.

Enfin, last but not least, le Hainaut occidental constitue la dernière partie de la région limoneuse. Si la campagne compose très largement le paysage dominant, celui-ci y est plus varié et plus boisé qu'en Hesbaye. En outre, les villes sont plus importantes; Enghien, Ath, Leuze et Lessines quadrillent le territoire, tandis que Tournai et Mouscron, à l'extrême ouest, peuvent prétendre à prendre rang parmi les villes grandes et moyennes de Wallonie. Les paysages du Hainaut occidental se partagent entre les plaines et les collines. En certains lieux, comme dans le Tournaisis ou aux approches de celui-ci, la plaine est si basse qu'elle prend volontiers des allures de plaine flamande; l'urbanisme et l'architecture traditionnelle accentuent cette impression, surtout lorsque des maisonnettes ou des fermettes aux murs en briques et aux toits en tuiles s'allignent au long des rues et des chaussées, ou se dispersent dans les campagnes. A quelques kilomètres de là, le paysage peut être plus montueux; on se trouve alors dans des pays de collines, d'où la vue sur les terres en contrebas possède une ampleur insoupçonnée; telle est justement la région des Collines dans le nord du Hainaut occidental. Exceptionnellement au-delà du sillon wallon, la Thudinie appartient également à la région limoneuse. Elle assure la transition entre le Hainaut central et l'Entre-Sambre-et-Meuse. Séparée de l'agglomération carolorégienne par les bois qui entourent l'ancienne abbaye d'Aulne, la Thudinie est traversée de part en part par la Sambre qui y a entaillé une vallée profonde et qui ne manque pas de pittoresque, au point qu'on a même songé à créer un parc naturel de la Haute Sambre. Cependant, plus que de destin touristique, c'est de vocation de banlieue éloignée de Charleroi qu'il semblerait juste de parler. Le charme discret des paysages de la Thudinie n'y est certes pas étranger.

III. Le Patrimoine naturel

La forêt

Grâce à l'Ardenne et aux contrées qui l'entourent, la Wallonie est une des régions les plus boisées de l'Europe du Nord-Ouest. La forêt occupe quasiment le tiers du territoire wallon; on estime qu'elle s'étend sur quelque 500.000 hectares, dont 313.000 hectares pour la seule Ardenne. La province de Luxembourg, la moitié méridionale de la province de Namur et la moitié orientale de la province de Liège sont également partagées entre la forêt et l'ensemble des autres usages du territoire (cultures, habitat, infrastructures). La forêt se répartit encore également entre propriétés privées et propriétés publiques. La forêt publique se divise essentiellement en forêt domaniale et en forêt communale, de loin la plus importante. En effet, si la Région wallonne est propriétaire de 59.500 hectares de forêt, l'ensemble des communes est propriétaire de 187.500 hectares.

Il semble qu'un équilibre soit aujourd'hui atteint entre les essences feuillues et les essences résineuses. Le "sapin" occupe 45 % du territoire boisé; l'espèce la plus répandue est l'épicéa, mais on trouve aussi le pin sylvestre, le mélèze et le douglas. Bien entendu, les essences indigènes les plus appréciées sont le chêne et le hêtre; les futaies qu'ils constituent, sont hautement estimées, tant pour le rapport économique que pour la valeur paysagère. Dans la forêt publique, les tendances actuelles sont, d'une part, de réduire l'importance du taillis - qui, autrefois, était surtout exploité pour le bois de chauffage (notamment grâce au droit d'affouage), mais dont la productivité économique est très faible - et, d'autre part, de moduler les plantations en tenant davantage compte des contraintes écologiques et paysagères.

L'antique Arduenna silva - à laquelle s'identifiait probablement une divinité du même nom : dea Arduenna - s'étendait jadis jusqu'au Rhin et à la Moselle; elle englobait donc, non seulement l'Ardenne actuelle, mais également tout l'Eifel allemand. La forêt ardennaise - si impressionnante puisse-t-elle être encore - n'est donc plus formée que de lambeaux de l'ancienne forêt charbonnière. Comme chacun sait, la forêt ardennaise ne constitue pas un massif boisé unique et compact. Au contraire, il s'agit d'une succession de forêts, qui s'étirent, selon un axe qui va du sud-ouest au nord-est, de la botte de Givet à l'Hertogenwald, et selon un autre axe orienté d'ouest en est, de la même botte de Givet à la forêt d'Anlier et jusqu'en Gaume.

On ignore généralement que l'aire forestière est en expansion et que, voici quelques siècles, l'Ardenne était beaucoup moins boisée qu'aujourd'hui. Alors, la forêt était surexploitée, en raison notamment des modes de construction, de pratiques liées à l'affouage, à l'essartage et au pâturage, ainsi que de la fabrication du charbon de bois utile au fonctionnement des nombreuses forges qui conféraient à l'Ardenne (et à la Lorraine belge) une vocation sidérurgique, bien longtemps avant le sillon wallon. L'aspect du haut plateau était alors celui de landes, de fagnes et de sarts. Au XIXe siècle, lorsque les boisements furent massifs, ce sont surtout ces terres pauvres et incultes qui furent enrésinées. Pour une bonne part, il est donc injuste d'affirmer que la forêt résineuse a succédé à la forêt feuillue; l'épicéa n'a pas remplacé le chêne, c'est sur la fagne qu'il a poussé.

Malgré tout, l'Ardenne n'a pas le monopole de la forêt wallonne. Les régions circonvoisines sont également fort boisées : 52.000 hectares de bois pour le Condroz, 55.000 hectares pour la Famenne et la Fagne, et 31.000 hectares pour la région jurassique. Néanmoins, surtout dans le Condroz et le nord de l'Entre-Sambre-et-Meuse, la forêt perd ce caractère extrêmement dominant qu'elle a en Ardenne; d'ailleurs, on parlera plus volontiers de bois que de forêts. Le paysage forestier de Wallonie est principalement constitué, selon les types de sols et l'altitude, par des chênaies à charme et des hêtraies. Tilleuls, ormes, charmes et bouleaux sont codominants, tandis que les aulnes et les frênes poussent sur les sols plus humides. Essences indigènes et principaux résineux confondus, il y a chez nous moins de cent espèces différentes d'arbres. Cette pauvreté relative n'empêche cependant pas que la forêt wallonne soit toujours parmi les plus fascinantes d'Europe.

Les réserves et les parcs naturels

On l'a déjà vu : dès le début de ce siècle, des voyageurs, des érudits et des scientifiques, se sont émus du destin de nombreux sites et paysages, par suite de l'urbanisation et de l'industrialisation, mais encore à raison de l'évolution des pratiques agricoles ainsi que des premières manifestations de goûts hétéroclites. Malheureusement, la sensibilisation effective des pouvoirs publics s'avéra fort longue, et, dès l'entre-deux-guerres, des groupements se constituèrent pour pallier la carence des gouvernants. Curieusement, en matière de conservation de la nature, l'Etat belge fut plus efficace dans sa colonie qu'au sein du royaume même. C'est ainsi que, vers les années trente, les parcs nationaux étaient créés au Congo, tandis que le parc naturel des Hautes Fagnes et de l'Eifel n'était vraiment institué qu'un demi-siècle plus tard.

Les principaux groupements qui, en Wallonie, ont oeuvré pour la défense de l'environnement naturel et paysager sont bien connus. L'association Ardenne et Gaume constitua, dès la fin de la guerre, de nombreuses réserves naturelles, - dont les plus importantes furent qualifiées de "parcs nationaux" -, dans toutes les contrées sises au sud du sillon wallon. L'association des Réserves Naturelles et Ornithologiques de Belgique - mieux connue par ses initiales "R.N.O.B." - prit les mêmes initiatives, mais pour l'ensemble du pays. Le Groupement européen des et de l'Eifel conçut quatre projets de parcs naturels transfrontaliers, dont un a pu être réalisé. Préoccupés par le devenir d'un seul lieu - mais de quelle importance ! -, les Amis de la Fagne ont oeuvré sans désemparer pour la sauvegarde des Hautes Fagnes. Diverses associations locales se sont ainsi créées pour la conservation de la nature ou pour s'opposer à des projets dévastateurs. Elles se sont rassemblées dans des organisations comme l'Entente nationale pour la Protection de la Nature ou Inter- Environnement (devenu aujourd'hui Inter-Environnement-Wallonie). Enfin, last but not least, les Amis de la Terre ont toujours fait preuve d'une pugnacité exemplaire dans la défense de l'Environnement.

En Wallonie, il existe maintenant deux parcs naturels : le premier et le plus grand est celui des Hautes Fagnes et de l'Eifel, qui couvre une bonne partie des Cantons de l'est, et le second - plus petit - est celui de la Burdinale, du nom d'un affluent de la Mehaigne et localisé aux confins de la Hesbaye liégeoise. Un troisième parc naturel est en voie de réalisation; il s'étendrait à la commune de Attert et serait ainsi situé dans le périmètre plus vaste du projet de parc naturel belgo-luxembourgeois de la Haute-Sûre. Le parc naturel des Hautes Fagnes et de l'Eifel présente des paysages contrastés et des sites naturels d'un grand intérêt. Au premier rang d'entre eux, on trouve bien entendu les Hautes Fagnes elles-mêmes, mais il y a aussi, par exemple, d'importantes forêts comme l'Hertogenwald au nord et l'Ommer Wald au sud, des vallées sauvages comme celles de la Schwalm et surtout de l'Our, des campagnes pittoresques qui assurent la transition entre l'Ardenne et l'Eifel.

La matière des parcs naturels est régie par un décret de 1985. Auparavant, elle l'était par la loi de 1973 sur la conservation de la nature. Cette législation organisa également la matière des réserves naturelles qui, jusqu'alors - on l'a vu -, avait été laissée à l'initiative d'associations qui oeuvraient pour leur création et leur gestion. La loi consacra d'ailleurs l'action de ces associations, en distinguant les réserves naturelles domaniales et les réserves naturelles agréées. Celles-ci correspondaient en fait aux réserves déjà réalisées (ou qui le seraient encore) par ces groupements privés. C'est ainsi que les fameux "parcs nationaux" de l'Association Ardenne et Gaume acquirent le statut de réserves naturelles agréées. Quelques-unes de ces réserves sont bien connues : par exemple, pour les R.N.O.B., l'étang de Virelles et les marais de la Haute Semois, ou encore, pour Ardenne et Gaume, les anciens "parcs nationaux" de Furfooz, Bohan- Membre et Lesse-et-Lomme, ainsi que le site de La Roche à l'Appel.

Les réserves naturelles domaniales appartiennent, elles, à la Région wallonne. Depuis quelques années, celle-ci mène en la matière une politique active d'acquisition et de gestion. C'est ainsi que la réserve naturelle des Hautes Fagnes - la plus importante du pays - s'étend aujourd'hui à quelque 4.000 hectares de tourbières et de landes. La Région possède d'autres réserves qui sont essentiellement constituées de fagnes : celles des Tailles (à la Baraque de Fraiture, entre La Roche et Vielsalm) et celles des Anciennes Troufferies (tout près de Libramont). Mais la Région a aussi investi dans bien d'autres sites ou biotopes, de plus petite étendue et cependant d'un grand intérêt écologique ou paysager. Il s'agit là d'actions et de lieux souvent moins spectaculaires, dont le choix relève principalement d'exigences scientifiques.

La faune et la flore

Tout comme certains sites, paysages ou milieux naturels, plusieurs espèces animales et végétales sont aujourd'hui protégées. De sérieuses menaces de disparition planaient sur plusieurs d'entre elles, et ce pour diverses raisons : la modernisation de l'agriculture et l'emploi des engrais, l'abandon d'anciennes pratiques agro-pastorales, le développement de la circulation automobile, la pollution, des collectes excessives de fruits et de fleurs, les abus de la chasse et de la tenderie, le braconnage, ... etc. Un exemple d'animal disparu est le loup; les derniers représentants de l'espèce furent abattus dans la seconde moitié du siècle passé. Parmi les nombreuses plantes qui ont déserté le territoire wallon, on pourra citer le brome des Ardennes (Bromus bromoïdens), une graminée qui a disparu avec les champs d'épeautre dans l'entre-deux-guerres.

Tout comme l'ensemble de la flore européenne, la flore wallonne est assez modeste. Si l'on se réfère à la Flore de Belgique et à l'Atlas de la flore de Belgique, on peut estimer à quelque deux mille seulement les plantes supérieures, en ce compris les espèces introduites. Par exemple, ne rappelait- on pas, plus haut, que, mis à part certains spécimens d'arboretums, parcs ou autres jardins remarquables, poussent ici moins d'une centaine d'arbres différents, feuillus et résineux confondus ? Heureusement, si des espèces disparaissent, d'autres envahissent l'espace wallon. De la sorte, on peut citer comme introductions récentes : la Berce du Caucase (Heracleum mantegaz zianum), la Balsamine géante (Impatiens glandulifera) qui nous vient de l'Himalaya), un Séneçon (le Senecio inaequidens) qui arrive, lui, d'Afrique du Sud, trois plantes de grande apparence.

Les mêmes mouvements se produisent dans la faune : si le loup a disparu, le mouflon a été amené de Corse dans la vallée de la Semois; il s'y est si bien adapté qu'il se multiplie à loisir. En certains lieux d'Ardenne, on pratique maintenant l'élevage du buffle, réputé pour sa viande. Par ailleurs, d'aucuns voudraient - à l'instar d'autres régions européennes - réintroduire le lynx. Par contre, malheureusement, le chat sauvage et le blaireau sont devenus encore plus rares, tandis que le renard ne doit sa survie qu'au remplacement du gazage de ses terriers par des campagnes de vaccination antirabique. Il faut aussi savoir rendre à César ce qui lui revient. En effet, c'est aux chasseurs qu'on doit le maintien du grand gibier dans nos forêts, grâce à des réintroductions presque de dernière minute - comme celle du cerf - ainsi qu'au nourrissage durant l'hiver, mais grâce aussi à l'adoption de plans de tir, à la sélection des animaux à tuer et à la mise en place de Conseils cynégétiques.

Encore que cela ne relève pas des mesures spécifiques de conservation de la faune et de la flore, la Région wallonne a fait preuve d'un intérêt particulier pour les haies et les arbres remarquables. Ceux- ci participent grandement à l'environnement naturel et paysager, tant du point de vue de l'écologie que sous l'angle social, voire culturel. Les haies ont été parmi les éléments les plus menacés du fait des remembrements et de la mécanisation de l'agriculture; en outre, leur entretien nécessitait un temps que le cultivateur moderne ne peut plus leur consacrer. Que les haies soient ordinaires ou remarquables, diverses mesures juridiques et financières ont été prises, non seulement pour les conserver, mais aussi pour inciter à en recréer. Quant aux arbres remarquables, leur protection est maintenant assurée, soit par le biais d'un classement, soit - surtout - par une réglementation propre dans le domaine de l'aménagement du territoire. Il est probable que l'arbre remarquable le plus célèbre de Wallonie soit le gros chêne de Liernu, vieux de plusieurs siècles et plus qu'imposant. Relevant plus du folklore que d'un intérêt botanique ou paysager, les arbres-fétiches d'Erbaut- Herchies et de Stambruges sont bien connus des ethnographes et plus encore de tous ceux qui y confient leurs misères.

IV. Le Patrimoine bâti

L'urbanisme

Historiquement, ainsi que son nom l'indique, l'urbanisme est l'affaire des villes. Il a trait à la manière de les aménager, et surtout d'y construire. La Wallonie n'a pas échappé à ce phénomène : longtemps, les campagnes n'ont été soumises à aucune règle juridique d'urbanisme et d'aménagement du territoire. Dans certains cas, c'est même une situation qui a perduré jusque dans la seconde moitié de ce siècle, jusqu'à la législation organique de 1962. Ceci étant, même dans les villes, l'urbanisation a été interminablement spontanée et libre de toutes contraintes. Ce fut particulièrement vrai dans les cités et les banlieues industrielles, qui caractérisent le sillon wallon. On comprendra donc comment il se fait que le patrimoine urbanistique wallon est parfois un héritage lourd à assumer.

Comme partout ailleurs, ce sont néanmoins les campagnes qui sont à l'origine de la Wallonie. On admet généralement que les villages se sont fixés dès la fin du Haut Moyen Age. Plus vite un nombre croissant de bâtiments ont recouru à des structures complexes et à des matériaux semblables à la pierre ou à la brique, plus la trame du village a été définitivement établie. Dans la plupart des cas, les villages étaient économes de l'espace et épousaient au mieux le relief. Les contraintes techniques et les difficultés de transport faisaient que les matériaux locaux étaient exclusivement utilisés. En raison de la diversité très typée des régions géographiques, les villages acquirent des caractéristiques architecturales d'une grande homogénéité. Plusieurs sont parvenus jusqu'à nous et font maintenant l'objet de mesures urbanistiques particulières.

S'il n'y avait pas eu la révolution industrielle, la Wallonie serait probablement demeurée une région où ne se rencontreraient que de petites villes, Liège faisant exception. On peut être frappé par l'abondance de ces villettes qui se sont développées au départ d'une vie marchande ou d'un carrefour de voies de communications, à moins que ce ne soit au pied d'un château-fort ou dans les limites d'une enceinte. Le communalisme wallon se comprend bien lorsqu'on observe ce réseau dense de cités. Tout comme dans les villages, il s'agit là d'un urbanisme spontané, qui n'est éventuellement contraint que par de premières règles en matière d'hygiène ou de sécurité, par exemple dans le domaine de la protection contre les incendies.

L'urbanisme militaire est sans doute celui qui a le plus contribué à structurer les villes wallonnes. Non seulement parce qu'il est à l'origine de plusieurs localités - les exemples les plus connus étant ceux de Philippeville et de Charleroi -, mais parce que les périmètres définis par les remparts, avec leurs glacis et autres systèmes de défense, ont contribué à dessiner le plan originaire des villes. Par la suite, lorsque les fortifications ont été démantelées, elles ont été remplacées par les premiers boulevards urbains, et on a pu assister alors à la naissance d'un premier véritable urbanisme civil, souvent bourgeois. Des villes comme Mons ou Tournai sont très caractéristiques de ce processus.

Les XIXe et XXe siècles ont été marqués par une urbanisation galopante et souvent anarchique. Dans un premier temps, ce fut l'ensemble du sillon wallon qui fut atteint : l'habitat ouvrier suivit l'implantation des mines et des entreprises métallurgiques. Il en résulta un extraordinaire mitage de l'espace rural, si bien qu'on a à la fois l'impression d'être dans la ville et de ne pas y être. Dans un second temps - et celui-ci nous est contemporain -, les campagnes ont été attaquées une nouvelle fois : d'un côté, au départ des villes les plus importantes qui, à l'entour, ont essaimé des lotissements périphériques considérables; d'un autre côté, ce sont les villages qui se sont développés eux-mêmes en s'étirant au long des voiries. C'est ce qu'on a appelé : l'extension linéaire de l'habitat. Dans un cas comme dans l'autre, l'architecture individualiste de la maison isolée, à quatre façades, triompha. Là, c'en était fini des caractères si intrinsèquement liés aux terroirs.

Le patrimoine monumental

Sous forme de boutade mais aussi un peu sur le ton du slogan à usage touristique, on affirme parfois que la Wallonie est la région du monde où l'on trouve le plus d'églises et de châteaux au kilomètre carré. C'est probablement exagéré, mais ce n'est quand même pas tout à fait faux. Malgré les guerres, les invasions et les épisodes destructeurs de l'Histoire, un patrimoine monumental conséquent est parvenu jusqu'à la fin du XXe siècle. Sans conteste, le fleuron du patrimoine religieux est constitué par la cathédrale de Tournai. Mais de combien d'autres centaines d'églises faudrait-il parler ? L'architecture religieuse romane est prestigieuse : s'imposent aussitôt des églises comme Hastière ou Celles, sans oublier la collégiale de Nivelles. Mais le gothique et le baroque dominent aussi : Sainte-Waudru à Mons, Saint-Aubain à Namur, la collégiale de Dinant ou la basilique de Saint- Hubert le rappellent à suffisance.

Les manoirs, les châteaux, les citadelles et les forteresses sont légion. Presque tous constituent des buts d'excursions, même lorsqu'ils sont privés. Il y a les châteaux-forts, comme La Roche, Logne, Vêves, Montaigle. Il y a les citadelles, comme Dinant, Bouillon, Namur, . Il y a même un burg, à la manière germanique, comme Rénastène ou Reinarhdstein, aux pieds des Hautes-Fagnes. Il y a enfin les manoirs, ou les châteaux qui ont tellement évolué qu'ils peuvent y être assimilés. Le plus connu d'entre eux est probablement Beloeil. Mais ne serait-ce pas plutôt - ou autant - son parc, qui fasse la réputation de Beloeil ? Car si la Wallonie ne compte pas de grands parcs urbains, elle recèle par contre de fort beaux jardins associés à un château ou un manoir. Les parcs ou jardins d'Annevoie, de Freyr ou d'Enghien sont parmi les plus renommés.

Cependant, les églises et les châteaux n'ont pas le monopole du patrimoine monumental. On l'a déjà vu, l'archéologie industrielle est une composante essentielle du patrimoine wallon. Tout le monde connaît maintenant des sites comme le charbonnage de Blégny - Trembleur, l'étonnant complexe du Grand Hornu, les ascenseurs du Canal du Centre, ou - à l'entrée de l'Ardenne - le Fourneau Saint- Michel. Ici encore, ces lieux, une fois restaurés, acquièrent rapidement une vocation touristique. Tel n'est pourtant pas toujours le cas. Lorsqu'il s'agit d'ensembles d'habitations ouvrières, le mieux est de leur laisser leur destination première. Ainsi en va-t-il pour les Carrés du Bois-du-Luc, à La Louvière, qui demeurent affectés au logement social. D'anciennes usines sont aussi, par contre, reconverties dans le logement; telles sont, du côté de Verviers, l'usine de draps Simonis et l'usine textile Wasson, à Dison. Enfin, à Marche-en- Famenne, la vieille Brasserie des Carmes est devenue une espèce de centre culturel, tandis qu'à Waterloo, une sucrerie désaffectée a été transformée en un établissement hôtelier de haut de gamme.

Last but not least, le patrimoine monumental n'est heureusement pas qu'un héritage; notre époque aussi y contribue. La création de nouveaux sites universitaires a été l'occasion, par exemple, de la construction de plusieurs bâtiments fort remarquables. C'est particulièrement vrai pour l'Université de Liège, dans les bois du Sart-Tilman. C'est aussi maintenant que l'on redécouvre une production architecturale intéressante - de la première moitié de ce siècle - dans des villes comme Liège et Charleroi. Pour terminer, il serait injuste de ne pas réserver une place aux travaux de génie civil conçus et réalisés par des ingénieurs belges. Le pont incliné de Ronquières, des viaducs semblables à ceux de Beez ou de Dinant, les nouveaux ponts sur la Meuse, voire des infrastructures autoroutières comme les échangeurs de Daussoulx ou de Loncin, appartiennent, aussi et déjà, d'une certaine manière, au patrimoine monumental de la Wallonie.

Le patrimoine quotidien

La Région wallonne est sans doute une de celles où l'accent a été le plus rapidement mis sur l'importance culturelle du patrimoine quotidien. Cela tient fort probablement à l'histoire sociale et aussi à la recherche de racines dans un passé assez récent. Cette reconquête du patrimoine quotidien ne porte cependant pas sur un patrimoine exclusivement populaire. C'est ainsi - on l'a dit - que l'architecture et l'urbanisme bourgeois de la seconde moitié du XIXe siècle et du début de celui-ci, se redécouvrent dans des villes comme Liège ou Charleroi, mais également dans toutes les autres cités. Des styles - qu'on méprisait jusqu'il y a peu - reviennent, de la même façon, à l'honneur; tel est, par exemple, le sort actuel du style dit "bateau".

L'habitat rural traditionnel a trouvé les mêmes lettres de noblesse. Longtemps on eut le sentiment que les seuls à s'y intéresser, étaient les citadins en quête de seconde résidence. Puis vinrent les premières études scientifiques et les premières publications. Jusqu'alors il n'était encore question que de conservation; certains travaux - qui firent même un temps autorité - apparaissaient plutôt comme des sortes de guides ou de catalogues de conseils pour bien restaurer sa fermette. Aujourd'hui, l'habitat rural traditionnel n'a plus de connotation passéiste. Au contraire, il sert de référence pour les nouvelles constructions, qui doivent s'y conformer, en vertu de la politique d'intégration au bâti préexistant.

L'habitat urbain populaire ne joue certes pas le même rôle d'étalon que l'habitat rural traditionnel. Mais, dans la foulée de l'archéologie industrielle, il a été intégré au patrimoine culturel immobilier. Il faut reconnaître que, outre la valeur symbolique et le témoignage historique, certaines formes d'habitat urbain populaire possèdent un niveau d'homogénéité architecturale et de cohérence urbanistique, qui sont exemplaires. Il est des corons, des cités ouvrières, voire des ensembles de logements sociaux, qui par leur unité mais aussi par leur originalité sont des exemples ou des leçons d'urbanisme.

Un autre concept qui a pris cours en Wallonie est celui de petit patrimoine. A trois reprises, des campagnes ont été entreprises sur ce thème : d'abord, il s'est agit des fontaines; ensuite, il fut question d'éléments aussi divers que les calvaires, les potales, les enseignes ou les horloges; enfin, ce fut au tour des portes, des portiques et des portails. Le grand mérite de ces opérations a été d'attirer l'attention du grand public sur ces éléments simples et cependant constitutifs, eux-aussi, du patrimoine wallon. C'est une manière comme une autre de faire comprendre les interactions patrimoniales et de sensibiliser au concept de conservation intégrée. L'intérêt porté au petit patrimoine constitue l'aboutissement normal d'une démarche qui avait refusé de limiter le patrimoine aux églises et aux châteaux.

Participant aussi - d'une certaine façon - au patrimoine quotidien, il y a ce qu'on pourrait appeler le patrimoine social. Celui-ci est intimement mêlé aux luttes ouvrières qui ont contribué à façonner l'image politique de la Wallonie. A ce titre, tout comme l'archéologie industrielle ou l'habitat urbain populaire, une Maison du Peuple ou le bâtiment qui avait abrité une société coopérative acquérait la double valeur de symbole et de témoin, et, comme telle, passait dans le patrimoine culturel immobilier wallon. On l'a déjà écrit : la connaissance et la conservation du patrimoine wallon contribuent à forger et à conforter l'identité régionale. C'est pour la même raison que, tôt ou tard, le charbonnage du Bois du Cazier, à Marcinelle, - dont la charge symbolique est sans commune mesure avec tout autre lieu du sillon wallon -, sera lui aussi, un jour, intégré à ce patrimoine que les Wallons visitent, pour ne pas perdre la mémoire.

V. Les politiques du Patrimoine

L'aménagement du territoire et l'urbanisme

Au niveau régional, la matière est prise en charge par la Division de l'Aménagement et de l'Urbanisme, qui est une Inspection générale instituée au sein de la Direction générale de l'Aménagement du Territoire et du Logement, une des principales administrations du Ministère de la Région wallonne. Cette administration fonctionne de manière déconcentrée, à raison d'une Direction par province. C'est là un héritage de l'ancien Ministère (national) des Travaux publics, dont l'Aménagement du Territoire et l'Urbanisme faisait autrefois partie. A la tête des Directions provinciales, on trouve des fonctionnaires délégués; il s'agit là d'une originalité du droit public belge, puisque ces fonctionnaires ont reçu délégation de pouvoirs, non en vertu des règles habituelles en matière de délégations, mais en raison de la loi elle-même, qui leur a donc attribué cette qualité particulière. Malgré cette déconcentration administrative, il existe encore quatre Services centraux au sein de la Division de l'Aménagement et de l'Urbanisme; ce sont : - la Direction de la Politique générale, - la Direction du Contrôle, - la Direction de la Rénovation et de l'Equipement, - la Direction de la Décentralisation. Bien que ce ne soit pas là leur objectif principal, ces Services sont souvent appelés - par le biais des dossiers qu'ils traitent - à jouer un rôle conséquent dans la conservation du patrimoine.

La matière de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme est réglée par une loi organique de 1962, aujourd'hui intégrée dans le Code Wallon de l'Aménagement du Territoire, de l'Urbanisme et du Patrimoine. Le système mis en place par cette législation peut être résumé comme suit : nul ne peut construire (ou poser des actes ou effectuer des travaux ayant un impact physique) sans avoir obtenu préalablement un permis, lequel ne peut être délivré que conformément aux plans d'aménagement et aux règles d'urbanisme; tout qui construit sans permis ou sans en respecter la teneur, est passible de sanctions, pouvant aller jusqu'à la démolition de l'immeuble en infraction. Le permis est, dans la plupart des cas, délivré par le Collège des bourgmestre et échevins sur avis favorable du fonctionnaire délégué. L'introduction de recours est possible, d'abord au niveau de la Députation permanente, ensuite à celui du Ministre qui a l'aménagement du territoire dans ses attributions.

Deux grands principes régissent aujourd'hui les politiques d'aménagement du territoire et d'urbanisme : d'une part, la gestion parcimonieuse du sol; d'autre part, l'intégration au bâti préexistant. La gestion parcimonieuse du sol tend à lutter contre l'expansion désordonnée du bâti, et, ce faisant, à préserver l'environnement naturel et paysager. L'espace physique n'étant pas extensible, le sol constitue une denrée rare et - partant - une matière précieuse. C'est particulièrement vrai dans des régions densément urbanisées - comme la Wallonie -, où la maîtrise foncière et la résistance contre des menées spéculatives ou de grandes opérations immobilières déstructurantes peuvent constituer des enjeux capitaux. La gestion parcimonieuse du sol, en tant qu'elle vise à protéger les fonctions faibles comme les bois et les campagnes, aide donc puissamment à la sauvegarde des paysages. Par ailleurs, l'intégration au bâti préexistant entend privilégier les styles régionaux et la typo-morphologie locale, en tâchant de réaliser un difficile équilibre entre - d'une part - l'évolution des techniques de construction, la diversification des matériaux, les variations des idées et des goûts, et - d'autre part - un certain respect des formes, des couleurs, des matériaux, de la volumétrie et de la disposition des constructions, telles qu'elles se sont développées - au cours du temps - dans le respect des terroirs et des paysages. La politique d'intégration s'est traduite, non seulement dans l'adoption de règlements d'urbanisme à caractère régional (comme ceux relatifs aux centres anciens ou aux bâtiments en site rural) ou à caractère local (tels, dans le cadre du régime dit de décentralisation-participation, les règlements communaux d'urbanisme), mais - plus récemment - par une référence croissante au bâti préexistant dans le traitement ordinaire des demandes de permis de bâtir et de lotir. Enfin, dans un triple souci de pédagogie, d'information et de réponse à l'accusation d'arbitraire, l'Administration se propose de publier un Guide du bon aménagement des lieux, qui viendra expliciter la politique dorénavant poursuivie.

Les monuments, sites et fouilles

Les réformes institutionnelles de la fin des années quatre-vingts ont été l'occasion de régionaliser et d'unifier ces matières, qui - auparavant - étaient, pour une part, de la compétence de la Communauté française, et, pour une autre part, de la compétence de l'Etat national. Les monuments et sites relevaient de l'Administration du Patrimoine, tandis que le secteur archéologique était confié au Service national des Fouilles. Au sein du Ministère de la Région wallonne, l'intégration a été opérée par la constitution d'une Division des Monuments, Sites et Fouilles, dépendant elle-aussi de la Direction générale de l'Aménagement du Territoire et du Logement. Cette Division, qui recourt également aux services des Directions provinciales évoquées plus haut, comporte trois services centraux : les directions de la Conservation, de la Restauration et des Fouilles.

En fait, l'organisation de ces matières est plus complexe qu'il n'y paraît, eu égard au rôle historique de la Commission royale, dont l'intitulé exact est aujourd'hui : Commission royale des Monuments, Sites et Fouilles pour la Région wallonne. Cette importante instance consultative a été structurée en deux niveaux : d'une part, une chambre régionale; d'autre part, cinq chambres provinciales. Par ailleurs, tant l'une que les autres sont composées de manière à ce que les trois matières (monuments et ensembles architecturaux, sites et fouilles) soient représentées; ce sont autant de sections différentes.

On ne reviendra pas ici sur la législation et son évolution, cela a été abordé dans la première partie du présent chapitre; on rappellera toutefois que la matière a été maintenant intégrée au Code wallon, dont elle constitue le livre V. Il ne s'agit pas d'une intégration qui ne soit que formelle, car la gestion du patrimoine protégé recourt dorénavant à la technique des autorisations d'urbanisme. Le classement n'est donc plus le seul système juridique de sauvegarde du patrimoine. Il en existe encore d'autres, qui sont d'ailleurs consacrés par la réglementation : par exemple, l'établissement de l'inventaire du patrimoine immobilier et l'inscription sur une liste de sauvegarde.

Depuis trois décennies déjà, un Inventaire du Patrimoine monumental ainsi qu'une collection de l'Architecture rurale de Wallonie sont en cours de réalisation et de publication. Ces ensembles d'études - accessibles à tous puisqu'éditées - constituent une véritable somme en matière de patrimoine bâti. Elles sont à la fois la légitimation et le support pédagogique des politiques de conservation menées dans ce domaine. On pourrait y ajouter les Atlas du Patrimoine architectural des centres anciens protégés et les études de périmètres culturels et de protection des ensembles ruraux, de même que les Atlas du sous- sol archéologique des centres urbains anciens et la planification des sites d'intérêt archéologique (essentiellement en milieu rural). L'ensemble de ces travaux et publications permet d'avoir une fort bonne connaissance du patrimoine bâti et du patrimoine archéologique de Wallonie. Le parent pauvre demeure le secteur des sites; à cet égard, l'étude de référence demeure probablement l'inventaire dit Isiwal.

En matière d'archéologie, c'est également grâce à la régionalisation que le droit a enfin pu consacrer cette élémentaire règle de prudence, qui veut que "nul ne peut procéder à des sondages ou à des fouilles sans autorisation préalable". D'autre part, parallèlement aux fouilles, l'importance du concept de site archéologique a pu aussi être reconnu. Non seulement ces sites archéologiques bénéficieront de toutes les mesures de protection que peuvent leur procurer les réglementations afférentes à l'aménagement du territoire, à l'urbanisme et au patrimoine, mais - de plus en plus - on se soucie de leur mise en valeur, à des fins pédagogiques et encore touristiques. A ce propos - tout comme, de façon générale, on doit saluer l'action de Qualité- Village-Wallonie -, il faut souligner l'action entreprise par deux associations (d'ailleurs soutenues par la Région wallonne) : la Saw et la Sas, la première ayant pour objet la valorisation des sites archéologiques de l'ensemble de la Wallonie, et la seconde ceux de la vallée de la Semois.

Les forêts et la conservation de la nature

Au sein de la Direction générale des Ressources naturelles et de l'Environnement, la Division de la Nature et des Forêts embrasse la totalité de ces matières. Cette inspection générale a succédé à l'ancienne Direction générale des Eaux et Forêts qui, avant la régionalisation, fonctionnait dans le Ministère (national) de l'Agriculture. Cette administration était si connue qu'aujourd'hui encore, on l'évoque volontiers et couramment sous le simple nom des "Eaux et Forêts". La Division de la Nature et des Forêts est extrêmement déconcentrée, développant, en province, des directions, des inspections, des cantonnements, des brigades et des triages; "l'ingénieur" et "le garde" sont bien connus de leurs interlocuteurs communaux. Néanmoins, quatre services centraux ont été mis en place : la Direction de la politique forestière générale, la Direction de l'aménagement et du génie forestier, la Direction de la conservation de la nature et des espaces verts, ainsi qu'une Direction de la chasse et de la pêche, cette dernière fonctionnant également de manière déconcentrée. Aux côtés de l'Administration, diverses instances consultatives ont vu le jour, essentiellement dans les domaines de l'environnement, de la conservation de la nature, et des forêts.

En plus des politiques forestières (qui bien sûr ont évolué), la régionalisation a été l'occasion de développer des actions plus dynamiques dans les secteurs de la conservation de la nature, de la chasse et de la pêche. Certes, comme on l'a vu précédemment, ces nouvelles politiques s'inscrivent dans l'évolution des idées ainsi que dans le cadre juridique imposé par l'Union européenne. Quoi qu'il en soit, des réglementations beaucoup plus restrictives ont été adoptées dans des domaines comme la chasse ou la tenderie. On le sait aussi : les réserves naturelles se sont multipliées, tandis que s'accroissait sans cesse la liste des espèces végétales et animales protégées. La structure de l'Administration s'en est ressentie, et la modification de son appellation en est le symbole même.

La politique en matière de forêt est toujours conçue sur base des trois fonctions qui lui ont été reconnues autrefois. On ne voit d'ailleurs pas les raisons qu'il y aurait de changer. Ces trois fonctions sont les suivantes : une fonction économique, une fonction écologique et une fonction sociale. Cette distinction est à la fois théorique, car elle permet d'approcher la globalité de la problématique forestière, et opérationnelle, en raison des choix et des actions qu'elle permet de définir clairement. Il n'empêche que, dans le vécu, les fonctions se mêlent. Par exemple, la pratique de la chasse aura des retombées économiques (les locations de territoires, les dépenses diverses des chasseurs), aura un impact écologique (la régulation du gibier et ainsi de sa pression sur les végétaux), et aura un caractère récréatif.

En fait, la fonction économique de la forêt réside essentiellement dans les revenus financiers qu'elle peut procurer, de par l'exploitation des bois et les locations de chasse. J'y ajouterai volontiers son rôle important dans le domaine de l'économie touristique, dès lors qu'elle constitue l'un des principaux éléments attractifs, motivant l'intérêt des excursionnistes, des villégiateurs ou des seconds résidents. Que l'on songe seulement à l'impact actuel des promenades en forêt.

La fonction écologique de la forêt - qui pour moi est la première et qui à elle seule légitime la sauvegarde des bois et des massifs forestiers - réside dans son indispensable vocation régulatrice de processus naturels, vitaux ou conséquents pour l'être humain. A cet égard, qu'il suffise d'évoquer l'action de la forêt quant à la purification de l'air, à la conservation des sols, au régime des cours d'eau. La forêt est un poumon dont la nécessité s'impose avec encore plus d'évidence, lorsque l'entoure de toutes parts un monde urbanisé et industrialisé. Dans le cas de la forêt wallonne, cela ne se conteste pas.

Enfin, la fonction sociale de la forêt embrasse l'ensemble des activités humaines qui l'utilisent pour le loisir et le sport, le repos et la détente, voire le refuge et la méditation. On a déjà évoqué la chasse et la pêche, mais il y a bien d'autres sports : la marche, la course, le vélo, le V.T.T., le cheval, le ski, le kayak, voire le 4 X 4 et la moto verte; bien sûr, certaines activités sont sujettes à caution et sont même souvent incompatibles avec une saine gestion de la forêt. D'autant que la forêt sociale ne peut se réduire au simple décor de loisirs actifs. C'est aussi celle du promeneur solitaire, de l'être contemplatif et de l'artiste. C'est d'ailleurs le peintre qui nous rappelle que la forêt est paysage, et - de ce fait - composante essentielle du patrimoine visuel wallon.

Jean-Pierre Lambot, Tourisme et patrimoine en Wallonie, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région (sous la direction de Freddy Joris), Gouvernement wallon, Namur, 1995.