Comment Berlusconi A-T-Il Construit Son Empire
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UN REGARD DE L'ETRANGER Guillaume Sainteny COMMENT BERLUSCONI A-T-IL CONSTRUIT SON EMPIRE AUDIOVISUEL? La formation du gouvernement Berlusconi conduit à s'interroger surl'avenir du groupe du même nom et sur les techniques qui ontpermis le développement si rapide de sa puissance. Dans cet article) Guillaume Sainteny donne une analyse très détaillée et trèsprécise - probablement une des premières synthèses chiffrées - du groupe Berlusconi dans le secteur audiovisuel. Une illustration très significative de la puissance du nouveau Premier ministre italien. 1 Lie groupe Berlusconi a entrepris son développement dans l'immobilier, à Milan, à la fin des années soixante-dix. Cette activité reste dominante jusqu'en 1982. Au milieu des années quatre-vingt, la télévision devient le moteur du groupe. A partir de la fin des années quatre-vingt (notamment à partir de 1988 avec le rachat de la chaîne de magasins Standa), la grande distribution constitue le pôle majeur du groupe. La stratégie de cette triade est claire : collecter des fonds, les investir dans un secteur à valeur ajoutée puis, une fois celui-ci écrémé, passer à un autre secteur à fortes perspectives de rentabilité. 128 REVUE DES DEUX MONDES SEPTEMBRE 1994 UN REGARD DE L'ETRANGER Comment Berlusconi a-t-il construit son empire audiovisuel? Cependant, dans les activités principales du groupe (communication, distribution, finance), la rentabilité est recherchée via la rotation rapide du capital (gestion de trésorerie, délais entre achats et ventes d'un produit à distribuer, entre la recette publicitaire et l'achat d'un programme télévisé...). Le groupe Berlusconi est désormais le troisième groupe privé italien. En 1993, son chiffre d'affaires était de 43 milliards de francs, son endettement de 13,3 milliards de francs (3, 4 fois supérieur au capital) et il employait environ 34000 personnes dans plus de 300 sociétés. La branche d'activité la plus rentable reste l'immobilier (taux de profitabilité - résultat net/CA - d'environ 13 %). Lesactivités les moins rentables sont la grande distribution et la télévision (taux de profitabilité respectifs de 0,59 % et 0,81 %). Les activités dans la communication se répartissent entre la diffusion (en Italie: Italia 1, Rete 4, Canale 5, les réseaux associés, Junior TV, Italia 7; et à l'étranger: Télé 5 [Espagne, 25 %], DFS [Allemagne, 21 %], Multilingual TV [Canada, 20 %]), les antennes et les transmissions (Electronica industriale notamment), la production (200 heures en 1988, Vidéotime, Vidéotime espana...), la publicité (Publitalia 80, Promoservice Italia, Amer), la vidéo (Pentavidéo), les spectacles et le cinéma (50 films, 150 milliards de lires en 1988, 25 films en 1989), Rétéitalia (63000 heures de droits, soit plus que Kirch qui en a 50000), AVN, Médusa, Pentafilm, Cinéma 5 (295 salles, le plus important réseau d'Italie), l'édition (lI Giornale : 240000 exemplaires), Sorrisi e Canzoni (hebdomadaire program mes TV : 3 millions d'exemplaires), Ciak (magazine de cinéma), Panorama (news magazine), plus de 30 périodiques, des imprimeries, les éditions Elmond, les éditions Einaudi (10 % de Gallimard)... Dans l'audiovisuel, on peut distinguer deux phases dans la stratégie du groupe Berlusconi : - de 1974 au milieu des années 1980 : construire un groupe de télévision national; - à partir du milieu des années quatre-vingt: internationaliser et diversifier les activités de communication. La première étape a été facilitée, voire permise, par l'absence de législation audiovisuelle italienne pendant de nombreuses années. 129 UN REGARD DE L'ETRANGER Comment Berlusconi a-t-il construit son empire audiovisuel? Lesdeuxidées de départ de SilviaBerlusconi dans l'audiovisuel ont été d'écrémer le marché de la publicité (le chiffre d'affaires de Publitalia a été multiplié par 170 de 1980à 1988),sous-développé au milieu des années soixante-dix et d'acheter, à bas prix, des paquets entiers de programmes, en Italie puis à l'étranger, à une époque où, monopoles publics nationaux aidant, la concurrence était beaucoup moins avivée qu'aujourd'hui. Le complément aux programmes achetés (séries et films) est trouvé dans la production d'émissions de plateaux à faible coût (variétés, jeux shows...) :c'est, en fait,le modèle de télévision commerciale américaine introduit par Silvia Berlusconi en Italie,et que l'on retrouve presque « pur» dans la première formule de l'ex-chaîne française, la Cinq. Son avantage: minimiser les coûts (production des seules émissions bon marché; achat de fictions à bas prix). C'est, clairement, ce type de modèle que SilviaBerlusconi a mis en œuvre, à l'étranger, d'une part, parce que c'est le seul qu'il maîtrise bien, d'autre part, parce que c'est celui qui lui permet de gagner de l'argent et de faire jouer des synergies avec ses autres chaînes de télévision et activités audiovisuelles. En Italie, ce modèle a été étendu à différentes télévisions locales, qui, peu à peu, se sont constituées en réseaux, puis à des réseaux déjà existants, rachetés. Laprogrammation est fondée sur le principe du divertissement pour le public de masse. Cela constitue, alors, une contre programmation relative face à la RAI (1). D'autant plus que la possession rapide de trois réseaux permet, en jouant sur la complémentarité de leur programmation, grâce à des stratégies marketing, d'affiner cette stratégie de contre-programmation coor donnée, contre les trois chaînes de la RAI. Stratégie encore renforcée, à partir de 1987, avec le contrôle de trois autres réseaux associés. Leprime time étant relativement commun, c'est surtout le day time qui est très ciblé, sur chaque réseau, selon les caractéristiques sacio-professionnelles et géographiques des auditeurs (Canale 5 : grand public, Italia 1 : jeunes, Rete 4 : public féminin, Junior TV : enfants). Une constante dans la stratégie du groupe consiste en l'exploitation maximale des synergies entre les différentes activités: trocs spot/marchandises, puis trocs spot/livraison de produits pour les activités de distribution (Standa), voire financement partiel de 130 UN REGARD DE L'ETRANGER Comment Berlusconi a-t-il construit son empire audiovisuel? l'achat de télévision via des crédits d'espaces publicitaires télé visuels; indexation du prix des spots sur l'évolution du chiffre d'affaires de l'annonceur (qui conforte l'idée martelée par Silvio Berlusconi du lien direct entre publicité et augmentation des ventes); promotion des différentes activités du groupe sur ses télévisions; soutien de la programmation des chaînes du groupe par ses hebdomadaires télévisés; utilisation de l'équipe de football du Milan AC pour négocier les droits de télévision avec les fédérations de football... La diversification s'est faite au milieu des années quatre-vingt hors de la communication (grande distribution...) et dans le secteur même de la communication : dans la presse et l'édition (bataille autour de Mondadori), la production télévisée et la production cinéma. Internationalisation de la stratégie de développement L'internationalisation se fait d'abord dans les pays latins (France, Espagne, Amérique latine...), puis ailleurs (Allemagne, Canada, Europe de l'Est, Grande-Bretagne ...) en exportant des savoir-faire particuliers : la télévision commerciale populaire (France, Espagne, voire Grande-Bretagne, Hongrie, Portugal); la régie publicitaire (Espagne, URSS, Pologne...); la vente de droits télévisés. Ce faisant, le groupe Berlusconi reproduit tout simplement, à l'échelle européenne et internationale, la stratégie de développe ment qu'il a suivie en Italie avec des télévisions locales. Mis à part des participations en France (la Cinq, première et deuxième formules, TF1) et au Canada (20 % de Multilingual 1V), les deux expériences d'exportation du modèle « berlusconien » de télévision se situent en Allemagne et en Espagne. En Allemagne, Téléfunf était une ancienne chaîne musicale (Musicbox GMBH), créée en janvier 1984, qui perdait toujours de l'argent quatre ans après sa création. Elle fut transformée, en janvier 1988, en ch;l1ne généraliste (cible jeune public), dans hC\uelle se 131 UN REGARD DE L'ETRANGER Comment Berlusconi a-t-il construit son empire audiovisuel ? sont associés Rétéitalia (21 %), la CLT (24 %), Springer (29 %), Télé Muenchen (26 %). Elle diffusait par satellite, sur les réseaux câblés allemand, autrichien et suisse et, marginalement, en hertzien. 11 millions de foyers étaient initialisés. Sur ces foyers, la part d'audience en 1992 était d'environ 2,2 % et de 3,5 % (5,3 % sur les foyers câblés) soit beaucoup moins que l'ARD (29,8 %, 24,1 %), la ZDF (26,2 %, 18,7%), RTL (17,3 %, 18,7%), SAT 1 (12,5 %, 13,6 %), PRO 7 (6,4 %, 9,5 %). La chaîne diffusait 24 heures sur 24 et proposait surtout des clips (25 %), des magazines (25 %), notamment musicaux, des films et fictions (10 %), des émissions pour enfants (dessins animés), des plateaux (20 %). Elle reprenait les informations d'ABC à 1 h 15. La production propre et la coproduction ne représentaient que 1 % du volume horaire de la programmation. La proportion européenne dans les œuvres diffusées était d'environ 40 %. Laformule généraliste de Téléfunf s'est révélée très déficitaire. Le budget était d'environ 336 MFjan. Un tiers de ces dépenses était financé par ressources publicitaires : 69 millions de DM en 1991 (- 9 % par rapport à 1990), soit 1,5 % de part de marché. Devant ce faible succès, Téléfunf a laissé la place, le 1er janvier 1993 à DFS (Deutsche Sport Ferneseher), chaîne sportive, diffusant 24 heures sur 24, dont le groupe Berlusconi détient 33,5 %, mais qui est menée par Springer: 24,9 % et Kirch(qui détient 25 % de Springer): 24,5 % (Ringierdétenait 17,1%). Leseffectifsont été réduits de moitié. Lachaîne, diffusée sur l'ensemble des foyers câblés en Allemagne, est également accessible en Autriche et en Suisse via le satelliteAstra.Elle est également diffusée par voie hertzienne en Bavière. En Espagne, Télécinco a commencé ses émissions en mars 1990 sur un format de chaîne généraliste (2). Elle diffuse par satellite Eute1sat et par voie hertzienne terrestre pour 70 % de la population.