Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA

11 | 2007 Varia

Electronic version URL: http://journals.openedition.org/cem/1023 DOI: 10.4000/cem.1023 ISSN: 1954-3093

Publisher Centre d'études médiévales -Germain d'Auxerre

Printed version Date of publication: 15 August 2007 ISSN: 1623-5770

Electronic reference Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, 11 | 2007 [Online], Online since 15 August 2007, connection on 21 December 2020. URL : http://journals.openedition.org/cem/1023 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cem.1023

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TABLE OF CONTENTS

Pluridisciplinaire Claude Coupry and Eliana Magnani

Calendrier des activités (juillet 2007 - juin 2008)

Opérations archéologiques 2006-2007

Introduction Christian Sapin

La cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre (Yonne) Christian Sapin

L’abbaye de (Saône-et-Loire)

La collégiale de Saint-Quentin (Aisne) Christian Sapin

L’église Saint-Pierre-ès-Liens de Brienne-la-Vieille (Aube) Fabrice Henrion

Auxerre (Yonne), 16 quai de la Marine Fabrice Henrion

Igé, chapelle de Domange (Saône-et-Loire) Christian Sapin

Église Saint-Martin de Branches (Yonne) Christian Sapin and Sylvain Aumard

Les programmes collectifs Christian Sapin

Les travaux du laboratoire d’archéologie du bâti : la cathédrale Saint-Etienne d’Auxerre, le prieuré Saint-Eusèbe d’Auxerre et l’église Notre-Dame de Vermenton Sylvain Aumard

Autun (Saône-et-Loire), sondages dans l’enclos de la cathédrale Saint-Lazare Sylvie Balcon-Berry and Walter Berry

Luxeuil-les-Bains (Haute-Saône) : deuxième campagne de diagnostic archéologique des places du centre ancien Sébastien Bully and Christophe Gaston

L’ancienne église abbatiale Saint-Pierre d’Osor (Île de Cres - Croatie) Miljenko Jurković, Sébastien Bully, Morana Čaušević-Bully and Iva Marić

Saint-Lupicin (Jura), étude de bâti de l’église Notre-Dame Sébastien Bully, Laurent Fiocchi, Morana Čaušević-Bully and Aurélia Bully

Priorale Saint-Pierre de Souvigny (Allier), étude archéologique de la nef, première tranche Pascale Chevalier, Morana Čaušević-Bully, Mathias Dupuis, Laurent Fiocchi and Olivier Lapie

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Etudes & travaux

Panorama de l’écrit diplomatique en Bourgogne : autour des cartulaires (XIe-XVIIIe siècles) Isabelle Rosé

La reconstruction du monastère de Cîteaux (vers 1160 – vers 1240) Benoît Chauvin

Effets des intempéries sur les portails romans : les cas de Montceaux-l’Étoile (Saône-et-Loire) et Chassenard (Allier) En hommage à François Voinchet, architecte en chef des Monuments historiques, décédé brutalement en hiver 2007, sur la route des églises romanes. Juliette Rollier-Hanselmann

Le verre à vitre et l’archéologie de la fin de l’Antiquité au XIIe siècle. Premières approches et perspectives Centre d’études médiévales d’Auxerre, 15-16 juin 2006 Christian Sapin

« Palais des hôtes » ou bâtiments laïcs aux marges des abbayes, VIIIe-Xe siècles. Comparaisons et évolutions des sites jusqu’aux XIe-XIIe siècles. À propos de la fouille du 12 rue Saint-Genest à Nevers Dijon, ARTeHIS-UMR 5594, 21 septembre 2006 Benjamin Saint-Jean Vitus

Hiérarchie, ordre et mobilité dans l’Occident médiéval (400-1100) Auxerre, Centre d’études médiévales, 27-29 septembre 2006 Geneviève Bührer-Thierry

Les conversions de cens au Moyen Âge Auxerre, 27-28 octobre 2006 Laurent Feller

Le Moyen Âge vu d’ailleurs IV : Sources et concepts / La Edad Media desde otros horizontes IV. Fuentes y conceptos Buenos Aires, 1° al 4 de noviembre de 2006 Marta Madero

CBMA - Chartae Burgundiae Medii Aevi. I. Les fonds diplomatiques bourguignons Dijon, ARTeHIS-UMR 5594, 26 janvier 2007 Eliana Magnani and Marie-José Gasse-Grandjean

Autour de Herbert Leon KESSLER Auxerre, Centre d’études médiévales, 15-16 mars 2007 Daniel Russo, Herbert Leon Kessler, Dominique Donadieu-Rigaut, Dominique Iogna-Prat and Anne-Orange Poilpré

Histoire de l’Art et Anthropologie. 1- Historiographie et représentations du don au Moyen Âge : pour la définition d’un champ d’études Dijon, Journée d’étude du 30 mars 2007 Eliana Magnani and Daniel Russo

Les figures du musicien au Moyen Âge. Figures, discours et images Centre d’études médiévales d’Auxerre, 24-25 mai 2007 Martine Clouzot

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Projets de recherche

La musique, un art de gouverner. Jongleurs, ménestrels et fous dans les cours royales et princières du XIIIe au XVe siècle (, Bourgogne, Angleterre, Empire) Projet d’habilitation Martine Clouzot

Musique et Architecture : théories, composition, théologie (XIIIe-XVIIe siècles) Vasco Zara

Les chants des oiseaux. Musiques, pratiques sociales et représentations du XIe au XVIIIe siècle. Rencontres interdisciplinaires et internationales Martine Clouzot, Corinne Beck, Massimo Privitera and Vasco Zara

L’inventaire des châteaux bourguignons : bilan et perspectives Hervé Mouillebouche

Les toits de l’Europe : mise en œuvre d’une méthodologie partagée pour l’étude, la conservation et la mise en valeur des toitures historiques Participation aux ateliers de Slavonice (Rép. Tchèque), La Paix-Dieu (Belgique) et Kurozweki (Pologne) Sylvain Aumard

Projets de rencontres 2007-2008

La cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre : résultats récents des recherches pluridisciplinaires et internationales Auxerre, 27-29 septembre 2007 Christian Sapin

« Les usages sociaux de la Bible ». Numéro de la revue Médiévales Auxerre, Centre d’études médiévales, 16-17 novembre 2007 Dominique Iogna-Prat

CBMA - Chartae Burgundiae Medii Aevi. II. Les fonds diplomatiques bourguignons Dijon, ARTeHIS UMR 5594, 25 janvier 2008, 10h00-16h00 Eliana Magnani and Marie-José Gasse-Grandjean

Présentation et mise en valeur des sites archéologiques religieux en milieu urbain Luxeuil, projet de table ronde, 25-26 avril 2008 Sébastien Bully and Christian Sapin

Images et passages à l’époque médiévale Centre d’études médiévales d’Auxerre, table ronde des 19-20 juin 2008 Dominique Donadieu-Rigaut

Bibliographie

Exégèse et politique dans l’œuvre d’Haymon d’Auxerre Thèse de doctorat de l’Université Paris IV-Sorbonne, sous la direction de François Dolbeau et Michel Sot, novembre 2006 Sumi Shimahara

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Cluny en Auvergne Thèse de doctorat de l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, sous la direction de Michel Parisse, mai 2006 Arlette Maquet

Recherches sur la diplomatique cistercienne au XIIe siècle. La Ferté, Pontigny, Clairvaux, Morimond Thèse de doctorat en histoire médiévale, sous la direction de Michel PARISSE, Paris I/Panthéon-Sorbonne, 2005 Marlène Hélias-Baron

Peuple de et pèlerinages dans les diocèses d’Autun et de Nevers, du temps des martyrs aux temps des réformes (IVe-XVIIIe siècles) Thèse de doctorat de l’Université de Bourgogne ARTeHIS-UMR 5594, sous la direction de Vincent Tabbagh, décembre 2006 Diane Carron

Le chapitre cathédral d’Autun du XIe au XIVe siècle Thèse de doctorat de l’Université de Bourgogne sous la direction de Vincent Tabbagh, mars 2007 Jacques Madignier

Étude pétrographique de la pierre d’Asnières et de son utilisation dans l’agglomération dijonnaise Master 2 Professionnel Archéosciences de l’Université de Bourgogne sous la direction de Jean-Pierre Garcia et Stéphane Büttner Cécile Montel

L’édition électronique du cartulaire de la seigneurie de Nesle - http://www.cn-telma.fr/ nesle/ Xavier Hélary

La Maison Dieu : une aventure auxerroise (1997-2006) Dominique Iogna-Prat

La Bourgogne romane Christian Sapin

Stucs et décors de la fin de l’Antiquité au Moyen Âge (Ve-XIIe siècle) Christian Sapin

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Pluridisciplinaire

Claude Coupry et Eliana Magnani

1 L’actualité de la recherche présentée dans ce onzième volume du Bulletin du CEM montre le renforcement pluridisciplinaire dans la plupart des programmes de recherche menés par les médiévistes de l’ARTeHIS (UMR 5594) – archéologues, historiens, historiens de l’art et musicologues – regroupés autour du Centre d’études médiévales d’Auxerre.

2 L’analyse et l’étude des matériaux, du verre aux terres cuites architecturales, en passant par les pierres, les enduits et le stuc, sont depuis plusieurs années au cœur de découvertes importantes pour la datation et la compréhension des sites et du bâti ecclésiastique, axes convergents des fouilles et des recherches menées par l’équipe d’archéologues du CEM (C. Sapin, S. Aumard, S. Büttner et F. Henrion). Les travaux conduits autour de la cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre, dont les premières conclusions seront présentées et discutées lors d’un colloque en septembre 2007, témoignent de l’importance du croisement des disciplines dans les résultats obtenus et dans les questionnements à venir. Dans cette perspective, la reprise des fouilles dans l’abbaye de Cluny (A. Baud et C. Sapin) et les nombreux sites ecclésiastiques en cours d’étude, en France et en Europe – Souvigny (P. Chevalier), Luxeuil, Osor en Croatie (S. Bully), Saint-Quentin dans l’Aisne (C. Sapin), Autun (S. Balcon)… – laissent présager encore des avancées considérables dans ce domaine, alors que des résultats importants ont fait l’objet de publications sur les Stucs et décors de la fin de l’Antiquité au Moyen Âge et d’une synthèse nouvelle sur les édifices romans en Bourgogne (dir. C. Sapin). Tout cela s’accompagne, nécessairement, du souci de conservation des édifices, à l’instar du diagnostic réalisé sur deux portails romans bourguignons soumis aux effets du temps (J. Rollier-Hanselmann).

3 Les interrogations qui ont émergé sur la place des bâtiments voués aux laïcs dans l’espace monastique, à partir de la découverte d’un grand bâtiment carolingien dans l’abbaye Notre-Dame de Nevers (Benjamin Saint-Jean Vitus, INRAP), et sa mise en relation avec d’autres structures trouvées dans des sites bourguignons (Tournus et Dijon) et français lors d’une table ronde en septembre 2006, témoignent du renouvellement des problématiques, des leçons à tirer de la confrontation des

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découvertes archéologiques et de l’intérêt de les croiser d’avantage avec les recherches qui portent sur les sources écrites.

4 Suscitée, entre autres, par la fréquentation des archéologues « des églises » et après la série de rencontres autour de la « spatialisation du sacré », l’enquête minutieuse et originale sur l’histoire complexe des discours ecclésiastiques sur l’église-bâtiment de Dominique Iogna-Prat a abouti en 2006 à l’ouvrage remarquable et remarqué La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge.

5 L’année écoulée a été aussi particulièrement riche en projets et réalisations concernant l’histoire et l’anthropologie sociale de la musique et des musiciens. Historiens, historiens de l’art, littéraires et musicologues se sont penchés sur les discours et l’image du musicien au Moyen Âge lors d’une première rencontre en mai 2007, dont un second volet est prévu pour 2009 (M. Clouzot). C’est également dans une ouverture très large aux différentes sciences qu’ont pris forme le projet sur « Le chant des oiseaux » (C. Beck, M. Clouzot, M. Privitera et V. Zara), ou celui sur la relation étroite entre musique et proportions architecturales perçue dans l’étude des châteaux en Italie (V. Zara) et dans le cadre du projet de recherche sur les châteaux en Bourgogne du Sud (H. Mouillebouche et V. Zara).

6 La définition d’un nouveau champ d’étude, à la croisée de l’anthropologie et de l’histoire de l’art, a été par ailleurs le thème d’une première journée d’étude, en mars 2007, articulée autour des jalons posés par Franz Boas et Aby Warburg dans les débuts de la réflexion sur l’art dans l’anthropologie, et de travaux en cours sur les représentations du don dans l’iconographie du Moyen Âge, en Occident et en Orient (E. Magnani et D. Russo). La discussion historiographique « en direct » avec l’auteur d’une œuvre très significative en histoire de l’art médiéval a été la formule originale de la rencontre qui a réuni des étudiants et des chercheurs autour de Herbert L. Kessler, en mars 2007, et dont on trouvera ici le dense compte rendu (D. Russo). Dans la lignée de ces différentes initiatives, il faut noter la table ronde « Images et passages à l’époque médiévale » qui se tiendra en juin 2008, à Auxerre, et qui traitera de l’image dans le dépassement du cadre et des images-objets dans les rites de passage (D. Donadieu- Rigaut).

7 La diplomatique bourguignonne est un autre domaine où nos connaissances se sont élargies, notamment avec une vue d’ensemble inédite et une première chrono- typologie de l’imposant corpus des cartulaires bourguignons du XIe au XVIII e siècle (I. Rosé). La fédération autour de la base de données CBMA (Chartae Burgundiae Medii Aevi) de plusieurs chercheurs français et étrangers vise à promouvoir la recherche sur et à partir de cette documentation et à soutenir des projets d’édition diplomatique (M.- J. Gasse-Grandjean et E. Magnani). On signalera, par ailleurs, l’édition électronique du cartulaire de Nesle (X. Hélary, Université Paris IV), la thèse sur la diplomatique cistercienne au XIIe siècle de Marlène Hélias-Baron (Université Paris I) et l’enquête sur la reconstruction du monastère de Cîteaux (v. 1160-v. 1240) de B. Chauvin.

8 Le développement nouveau des recherches sur l’école carolingienne d’Auxerre, annoncé déjà en 2005 lors du colloque sur Haymon d’Auxerre, a été marqué cette année par la conclusion de la thèse de Sumi Shimahara sur l’Exégèse et politique dans l’œuvre d’Haymon d’Auxerre (Université Paris IV), alors que l’exégèse sera aussi l’un des aspects envisagés lors de l’atelier de la revue Médiévales qui se tiendra à Auxerre en novembre 2007, sur les « usages sociaux de la Bible » (D. Iogna-Prat).

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9 Lieu de rencontres ouvert aux projets intéressant le Moyen Âge, le CEM a accueilli en 2006 le colloque Hiérarchie, ordre et mobilité dans l’Occident médiéval, dont les conclusions sont présentées ici par Geneviève Bührer-Thierry (Université de Marne-la-Vallée), et le séminaire international sur les Conversions de cens, organisé par Laurent Feller (Université Paris I). Soutenus par le CEM et l’ARTeHIS, pour la quatrième fois, des médiévistes européens et latino-américains – historiens, historiens de l’art, littéraires – se sont réunis à Buenos Aires, en novembre 2006, dans le cadre du programme Le Moyen Âge vu d’ailleurs, pour discuter des sources et des concepts mis en jeux dans leurs disciplines (M. Madero et E. Magnani).

10 Enfin, on trouvera dans ce numéro la présentation de trois thèses récentes et d’un mémoire de master, concernant respectivement Cluny en Auvergne (A. Maquet, Université Paris I), les pèlerinages dans les diocèses d’Autun et de Nevers (IVe-XVIIIe siècle) (D. Carron, Université de Bourgogne), le chapitre cathédral d’Autun (XIe-XIVe siècle) (J. Madignier, Université de Bourgogne) et l’analyse pétrographique de la pierre d’Asnières (C. Montel, Université de Bourgogne).

11 Toujours dans le même souci d’ouverture et de diffusion de l’information, nous proposons ce onzième numéro du Bulletin du CEM comme un témoignage concret de la recherche pluridisciplinaire « en train de se faire ».

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Calendrier des activités (juillet 2007 - juin 2008)

1 A2007

2-20 juillet Auxerre, Stage : l’archéologie du bâti religieux, la cathédrale Saint-Étienne.

27-29 Auxerre, La cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre : résultats récents des recherches septembre pluridisciplinaires et internationales, Christian SAPIN

4-6 octobre Besançon, "Nouveaux servages" et société en Europe, XIIIe-XIXe siècles, Nicolas CARRIER

16-17 Auxerre, « Les usages sociaux de la Bible », numéro de la revue Médiévales, novembre Dominique IOGNA-PRAT

2 2008

25 Dijon, Chartae Burgundiae Medii Aevi. La diplomatique en Bourgogne (II). Journée d’étude, janvier Eliana MAGNANI, Marie-José GASSE-GRANDJEAN

avril Stage d’archéologie du bâti (dates et lieu à préciser)

25-26 Luxeuil, Présentation et mise en valeur des sites archéologiques religieux en milieu avril urbain, Sébastien BULLY, Christian SAPIN

11-13 Lyon-Pérouges, "La trahison au Moyen Âge", Maïté BILLORÉ juin

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19-20 Auxerre, Images et passages à l’époque médiévale, Dominique Donadieu-Rigaut juin

3 Contact : [email protected]

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Opérations archéologiques 2006-2007

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Introduction

Christian Sapin

1 Le Centre d’études médiévales intervient dans des opérations d’archéologie programmée et des opérations d’archéologie préventive depuis son habilitation reconnue par le Ministère de la Culture. Dans les deux cas, les choix se font en fonction des problématiques couvertes par le CEM depuis plusieurs années principalement autour des sites religieux. C’est ainsi que les résultats acquis dont certains sont présentés ici, touchent de nombreuses questions qui quelquefois se recoupent comme l’origine des sites religieux (Marcenay [Côte d’Or], Saint-Quentin [Aisne]…), des églises doubles (Saint-Gérard de Brogne [Belgique], Saint-Père [Yonne]) ou la naissance des églises paroissiales (Branches [Yonne], Brienne [Aube]…). L’apport de l’archéologie concerne à la fois ces fonctions et les nouvelles datations que l’on peut proposer pour de nombreux sites concernés par le premier âge féodal. Plusieurs résultats convergent pour certaines constructions vers le Xe siècle et devraient, à terme, renouveler considérablement notre vision souvent trop schématique des périodes carolingienne et romane basée sur une histoire des formes. Avec la reprise des recherches sur le site de Cluny, mais également de plusieurs sites clunisiens (Gigny, Baume…) en collaboration avec d’autres équipes ; c’est également un travail de comparaison qui enrichit ou enrichira notre approche de cette période avec des projets sur des sites étrangers de réformes contemporains comme Brogne.

2 Le patrimoine d’une ville comme Auxerre qui héberge le CEM, est au premier plan de nos déplacements quotidiens et de nos préoccupations surtout quand il s’agit de la cathédrale objet de recherches sur la crypte, d’accompagnement de travaux de restauration qui se traduisent de différentes manières : colloque, exposition, conférences, poster au Congrès de dendrochronologie de Pékin. D’autres interventions sur les églises ou sites de Saint-Germain, Saint-Eusèbe (cf. infra) ou Saint-Pierre 1 ont largement augmenté nos connaissances telles qu’elles apparaissaient en synthèse dans le Document d’évaluation du patrimoine archéologique des villes de France 2 publié en 1998.

3 Chaque chantier permet de renouveler notre regard sur les techniques de construction, mais aussi sur les méthodologies employées pour les relevés ou la documentation (bases de données) ou dans l’usage des analyses, contribuant ainsi à élaborer des

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protocoles d’intervention mieux ciblés face à des situations d’archéologie préventive ou dans la perspective de la constitution d’une matériauthèque.

4 Dans cette section nous invitons également les autres chercheurs archéologues médiévistes, membres titulaires ou membres associés à l’ARTeHIS UMR 5594, qui dans le cadre de l’INRAP ou d’autres instances, ont travaillé sur des sites du Moyen Âge ou sur des sujets en rapport avec les recherches développées par le CEM et l’ARTeHIS.

NOTES

1. Travaux en cours pour les sites de Marcenay, Brogne, Saint-Pierre dont les résultats seront présentés dans le CEM 12. 2. C. Sapin (dir.), “Auxerre”, Documents d’évaluation du patrimoine archéologique des villes de France, Tours, 1998, 192 p.

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La cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre (Yonne)

Christian Sapin

1 Objet de sollicitations depuis dix ans avec un programme d’archéologie programmée sur la crypte et l’accompagnement des chantiers de restauration, ces cinq dernières années ont donné l’occasion de repenser l’architecture de la cathédrale dans sa globalité. Chaque année nous donnons l’avancée de ces différents travaux ; l’année 2007 va clore un premier grand chapitre sur la connaissance de cet édifice médiéval avec un colloque international (cf. infra) qui présentera une première synthèse des travaux menés sur la crypte comme sur la cathédrale (cf. infra) avec nos différents partenaires.

2 La crypte de la cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre

3 En poursuivant les travaux de relevés du bâti, dans le cadre de la formation universitaire de plusieurs étudiants, nous souhaitions mieux comprendre l’organisation et le rôle du déambulatoire conçu comme une nouveauté après l’an mil. Comme nous l’avions reconnu au sud l’année précédente, l’analyse des maçonneries permet d’établir le fait qu’à partir du XIIe siècle au moins, des autels ou chapelles avec des cloisonnements ont été installés dans l’espace semi-circulaire autour de la salle centrale. Il en reste au nord des traces de fermeture, une niche bouchée et des vestiges de décors peints. De nouveaux relevés analytiques des maçonneries ont également établi que, très probablement, dés l’origine (second quart du XIe siècle) un accès, bouché aujourd’hui, permettait de venir directement dans l’espace de circulation depuis l’extérieur nord, c’est-à-dire depuis l’évêché. Une autre porte a pu être percée dans le même mur plus à l’ouest ; de même qu’à la suite de la reconstruction gothique du chevet, il est possible que l’on ait pu venir directement depuis un couloir occidental reconnu en 1925 et étudié, en partie, en 2003. À ce jour, on s’explique moins l’ouverture construite selon une disposition en biais ou en écharpe entre le déambulatoire nord et la salle centrale. Celle-ci semble, à la lumière de minces vestiges en partie basse, être une restauration du XIXe siècle reposant réellement sur un état originel. Par toutes ces reprises remontant pour la plupart à « l’époque romane », on constate que les constructeurs et utilisateurs de la crypte avaient dès cette période conscience des possibilités qu’offraient une concentration des forces principales du voûtement en

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pierre dans les piliers grâce à des systèmes de décharge, et inversement du rôle de mur écran facilement transformable pour les parties des simples murs gouttereaux. La notion de mur squelette définie dans l’étude de la construction de l’avant-nef de Saint- Germain pour la même période se précise à nouveau ici. Enfin, un premier relevé du tracé et du profil des voûtes de la partie nord laisse entrevoir un système parfaitement adapté à la pente qu’il conviendra d’approfondir sur l’ensemble de la crypte.

Fig. 1 : Auxerre, cathédrale Saint-Étienne, crypte (dessin G. Fèvre).

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Index géographique : France/Auxerre Mots-clés : crypte, cathédrale, Saint-Etienne d’Auxerre

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L’abbaye de Cluny (Saône-et-Loire)1

1 La campagne de sondages sur le site de l’ancienne abbaye de Cluny, en septembre 2006, avait pour but de mieux connaître le potentiel archéologique pouvant subsister aux emplacements du chevet de Cluny II et des bâtiments claustraux juxtaposés selon les descriptions anciennes. Ces sondage pratiqués dans la « Galerie Rouge » actuelle, parallèle à la galerie orientale du cloître du XVIIIe siècle, se sont révélés extrêmement positifs puisqu’ils ont permis de retrouver l’emplacement de l’autel majeur du sanctuaire de Cluny II dans sa réfection gothique, différents états de maçonneries de ce sanctuaire, et plus au sud, par deux autres sondages, les extrémités de la salle capitulaire dans ses deux états des XIIIe et XVe siècles selon les éléments de voûtement et de pavement de carreaux vernissés de sols découverts. Un sondage au sud de la galerie méridionale actuelle, a confirmé le pendage des remblais et du terrain naturel et une occupation dans cette zone qui correspond à l’emplacement des premiers réfectoires dès les Xe-XIe siècles. L’ensemble de ces éléments doit déterminer une stratégie de recherche pour les futures fouilles programmées sur les origines et développements des premiers temps du monastère, en amont de toutes restaurations envisagées pour les bâtiments du XVIIIe siècle.

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Fig. 2. Cluny, abbaye, Galerie Rouge, coupe (dessin G. Fèvre).

NOTES

1. Collaboration dans le cadre d’une opération programmée entre le CEM, ARTeHIS UMR 5594 et l’UMR 5138-Université de Lyon II (Anne Baud, Christian Sapin).

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Index géographique : France/Cluny

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La collégiale de Saint-Quentin (Aisne)

Christian Sapin

1 Une troisième campagne d’étude archéologique programmée sur les origines du site de la collégiale de Saint-Quentin a été décisive dans la compréhension globale des phases et de leur datation. Après deux campagnes destinées à établir un plan archéologique général et à mieux situer les structures et les potentialités, cette nouvelle intervention en juin 2006 devait s’engager clairement dans la problématique de base : l’origine du culte de Saint-Quentin avant les différents états de la crypte et de l’église gothique.

2 Le début de la fouille a du tenir compte des nombreux remblais apportés par les travaux du XIXe siècle dans les zones qui avaient été sondées. À l’ouest, où les travaux de 1865-66 avaient reconnu la présence d’une grande dalle noire supposée être à l’emplacement de la tombe de Quentin découverte elle-même au VIIe siècle selon la Vie de l’évêque Éloi, nous avons retrouvé les limites de la fouille du XIXe siècle et établi l’état originel d’une stratigraphie importante avec plusieurs niveaux d’aménagement (en bois ou maçonnerie) tout à fait exceptionnels pour cette période du haut Moyen Âge et de sols parfaitement constitués. Ces occupations pourraient être antérieures au VIIe siècle si l’on tient compte de la datation 14C donnée par les charbons de bois contenus dans les mortiers de tuileau des niveaux supérieurs équivalents à l’est. Le mobilier céramique résiduel laisse plausible cette proposition. Dans la zone orientale, outre d’autres niveaux de sols, la structure fermant l’espace général –probablement le sanctuaire lui-même- au VIIe siècle a été identifié avec deux retours de murs déterminant un chevet plat. C’est au-dessus de l’arasement de cet état de la construction orientale qu’a été établie une grande abside de dix mètres d’ouverture, avec par la suite l’aménagement d’une crypte, située lors de la précédente campagne à l’époque carolingienne. Les trois caveaux de cette crypte ont été inclus plus tard dans la restructuration gothique au XIIIe siècle.

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Fig. 3. Saint-Quentin, collégiale, crypte, vue de l’environnement de la dalle noire et de la stratigraphie (cliché C. Sapin).

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Mots-clés : collégiale Index géographique : France/Saint-Quentin

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L’église Saint-Pierre-ès-Liens de Brienne-la-Vieille (Aube)

Fabrice Henrion

1 Si la commune de Brienne-la-Vieille est depuis de nombreuses années connue pour son potentiel archéologique renvoyant à une importante occupation antique et tardo- antique (agglomération) 1, l’église Saint-Pierre-ès-Liens retient plus particulièrement l’attention depuis la surveillance de terrassements menée en 1995 par Geert Verbrugghe (AFAN). À cette occasion et malgré les conditions difficiles de cette intervention, un certain nombre d’informations avait pu être recueilli, montrant une occupation antérieure à l’actuelle église. Il s’agissait en particulier du remploi en fondation de blocs d’architecture gallo-romains issus probablement d’une construction proche, et d’un état antérieur supposé sous forme de tranchées et de restes maçonnés sur lesquels la nef actuelle s’appuierait.

2 En amont d’une étude archéologique exhaustive de l’église Saint-Pierre-ès-Liens dont la présente campagne a constitué la première étape, nous avions souhaité augmenter les connaissances préalables en réalisant des observations des élévations plus fines qu’une simple visite et un plan précis de la nef au théodolite, ainsi qu’en ouvrant un sondage au sol afin d’estimer l’apparition des niveaux en place. Cette intervention légère a eu lieu en novembre 2005 et a permis de proposer qu’au moins trois états antérieurs aux reconstructions du début de XVIe siècle puissent être préservés en élévations 2. Forts des informations recueillies, nous avions proposé de poursuivre l’étude archéologique en ouvrant, en trois campagnes, des sondages dans l’église afin d’obtenir les données stratigraphiques nécessaires à la compréhension de l’histoire du site. Nous avons implanté un sondage dans la nef, au pied de la fissure décelée en élévation, là où nous imaginions l’épaulement entre la nef et le chevet (Sondage 5), et nous avons terminé la fouille du sondage ouvert en 2005 (Sondage 3). Cette opération programmée s’est déroulée du 2 mai au 8 juin 2006, avec une équipe constituée d’un dessinateur, de deux archéologues et d’une stagiaire de l’Université Paris I-Panthéon-Sorbonne.

3 À l’issue de cette première véritable campagne, le potentiel du site apparaît plus clairement, et la notion d’au moins trois états lisibles en élévations doit être largement revue à la lumière des données nouvellement acquises.

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4 Nous ne connaissons pas encore l’exacte position stratigraphique des blocs découverts en 1995, mais la présence d’un mortier jaune signalé dans le rapport pourrait nous permettre d’envisager l’association des blocs avec la maçonnerie [083] mise au jour dans le Sondage 5. Celle-ci s’installe dans le niveau argileux grisâtre contenant un mobilier céramique Haut-Empire et correspondant à un niveau d’occupation ou d’abandon (première phase d’occupation du site), et la présence d’une monnaie du IVe siècle dans les niveaux précédant la construction de [058] peut constituer un indicateur chronologique. Cette maçonnerie [083] se développe à l’est et au sud, et si un retour vers l’ouest n’est pas décelable, rien n’empêche qu’elle puisse se relier à un plan plus complexe auquel il faut ajouter les deux maçonneries est-ouest repérées en 1995 sous les murs nord et sud de la nef actuelle. Ainsi, on pourrait proposer la présence d’un bâtiment (domus ?) Bas-Empire (constituant une deuxième phase), dans les fondations duquel les blocs seraient remployés, et qui va conditionner les différentes occupations bâties postérieures.

5 Si le retour nord de [083] est recoupé par l’installation d’une fosse (d’inhumation ?), il semble que le reste de cette construction connue par son angle nord-ouest soit préservée (troisième phase). Son environnement est percé de fosses dont la fonction sépulcrale ne peut qu’être supposée compte tenu des perturbations médiévales. Si cette fonction funéraire est confirmée dans les prochaines campagnes, on pourrait proposer qu’une partie au moins du bâtiment ait pu accueillir un oratoire (ou un mausolée), à l’image de ce qui a pu être reconnu à Vandoeuvres 3 ou, plus proche de Brienne mais avec plus de réserves, dans la villa d’Étifontaine à Bar-sur-Aube 4.

6 Une quatrième phase peut être proposée à partir de la construction de [058] sur [083]. L’analyse de l’élévation de [058] nous assure du maintien de [083] jusqu’à cette phase. En effet, la présence d’un coup de sabre montre que [058] a été construit en deux temps : d’abord en s’appuyant sur le retour sud de [083], puis l’angle est complètement repris après démolition de l’état antérieur. Nous n’avons pas d’indice permettant de dater cette quatrième phase d’occupation, sinon en notant qu’elle perturbe les mêmes niveaux que ceux recreusés par l’installation du sarcophage S.003 (Sondage 3), appartenant au Groupe C et datable de la seconde moitié du VIe ou du début du VIIe siècle.

7 Cette nouvelle construction, reprenant donc un état antérieur, semble se développer au sud et à l’est, sans que l’on puisse en connaître l’emprise exacte. Mais si l’on admet que le sarcophage S.003 puisse lui être contemporain, sa position très en biais pourrait s’expliquer par la présence d’autres cuves le côtoyant au sud, en s’appuyant sur l’extrémité de [058] ; aussi fragile que cette idée puisse paraître, elle participe toutefois à la réflexion.

8 Le bâtiment représenté par [058] est suffisamment important pour être repris et intégré, au cours d’une cinquième phase (divisée en plusieurs états), dans la construction de la nef dont nous plaçons toujours l’état le plus ancien aux IXe-Xe siècles. En effet, le mur sud de la nef nommé [018] vient se raccrocher sur [058] et il n’est pas certain que ce dernier soit supprimé dans la mesure où l’extrémité est de [018] peut garder le souvenir en négatif d’un piédroit d’ouverture donnant accès à l’espace conservé qui ne sera supprimé que très tardivement (manifestement au XVIe siècle si l’on prend en compte la typologie du mortier mis en œuvre). En 2005, nous avions été intrigués par la fissure intérieure et le coup de sabre extérieur sur le mur sud de la nef, et l’avions interprété comme la trace de l’épaulement entre la nef et le chevet. Il faut

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aujourd’hui abandonner cette idée puisque cette rupture correspond au souvenir de l’accroche du premier état de la cinquième phase sur la quatrième phase. Nous proposons toujours de restituer ce premier état de l’église avec un portique entourant la nef, du fait, entre autres, des grandes ouvertures cintrées et du maintien d’un auvent jusque très tard qui en aurait gardé le souvenir. Ce portique peut tout à fait communiquer au sud avec l’espace circonscrit par [058] ; au nord, aucun élément nouveau ne permet d’en envisager l’aboutissement et la présence du chaînage déjà repéré est un indice encore trop faible pour aller plus avant.

Fig. 4. Brienne, église Saint-Pierre-ès-Liens, sondage 5, plan et élévation des structures avec phasage (dessin G. Fèvre).

9 Quant à la position du chevet de ce premier état de l’église, que nous imaginions immédiatement à l’ouest de l’actuelle croisée du transept, les éléments recueillis dans le Sondage 3 annulent cette idée et montrent qu’il faut sans doute le positionner plus à l’est, à l’emplacement de la croisée. L’aspect du parement de [030] (Sondage 3), dont le mortier est identique à [018], montre que l’on est en fondation et les rapports d’altitude avec les sols contemporains impliquent l’idée d’une rupture de niveaux entre l’est et l’ouest. Ainsi, [030] peut correspondre au chaînage de l’arc triomphal ouvrant sur le chevet et il faut restituer un emmarchement d’au moins une marche entre la nef et le chevet.

10 Un autre élément, plus tardif, mérite que l’on s’y arrête même si son interprétation demande encore quelques réflexions et comparaisons. Nous avons pu mettre au jour, dans le Sondage 5, une maçonnerie longeant tout le mur sud de la nef, et une maçonnerie de même type est également présente au nord. Il pourrait s’agir d’une banquette, mais nous sommes plus vraisemblablement en présence d’un solin maçonné si on met cette structure en relation avec les mortaises repérées sur les entraits de la charpente de la nef. Nous pensons pouvoir restituer des tribunes hautes le long de la nef, dont les poteaux de support reposeraient d’un côté sur le sol et de l’autre sur un

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solin de bois posé sur la maçonnerie reconnue et plaqués contre le mur. On remarque d’ailleurs à l’aplomb de chaque entrait une irrégularité de l’enduit pouvant conserver le souvenir de ce plaquage. De plus, en agrandissant quelque peu un sondage ouvert en 1995 dans la paroi sud pour une recherche de peintures, on a pu constater que les enduits peints n’ont été préservés que parce qu’ils étaient masqués par le poteau.

11 De telles tribunes latérales en bois sont relativement rares dans les édifices de culte catholique et les quelques exemples que nous avons pu trouver sont situés principalement dans le Sud-Ouest de la France (région de Toulouse), au Pays Basque (tribunes XVIIIe à Itxassou) ou encore en Allemagne (tribunes XVIe à Osterwieck – est du pays). Ici, elles pourraient être contemporaines de la charpente, datée du XIVe siècle par la dendrochronologie. Leur construction a pu être motivée par la nécessité de renforcer la capacité d’accueil de la nef sans en augmenter la surface.

12 Au cours de cette campagne, nous nous sommes attachés plus particulièrement à rechercher les éléments susceptibles d’alimenter le dossier sur les origines de l’église en implantant des sondages là où l’intervention de 2005 avait décelé des incohérences. Si les résultats restent prometteurs, ils ouvrent également de nouvelles interrogations à la fois sur ce qui précède l’église et sur sa propre évolution.

13 Nous proposons de poursuivre l’étude en 2007 avec un grand sondage dans la croisée du transept afin de mieux comprendre la position du chevet de l’église carolingienne et la succession des occupations jusqu’aux reconstructions du début du XVIe siècle. Il est possible de saisir la fonction réelle de l’espace représenté par la maçonnerie [058] en ouvrant un sondage extérieur au sud, dans une zone que le cimetière actuel n’atteint pas. Enfin, nous souhaiterions pourvoir vérifier la nature des maçonneries dans lesquelles les blocs antiques sont remployés afin de les comparer, après étude, relevés et analyse des mortiers, avec les structures récemment mises au jour. Il faudrait pour cela rouvrir la tranchée implantée en 1995 au sud de la nef.

Fig. 5. Brienne, église Saint-Pierre-ès-Liens, proposition de phasage, décembre 2006 (dessin G. Fèvre).

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NOTES

1. L. DENAJAR, Carte archéologique de la Gaule : l’Aube (10), Paris, 2005, p. 289-294. 2. F. HENRION, « Brienne-la-Vieille (Aube), église Saint-Pierre-ès-Liens », in Bulletin du Centre d’études médiévales ,10 (2006), p. 51-53. 3. Suisse, canton de Genève. J. TERRIER, « Les origines de l’église de Vandoeuvres GE », in Archéologie suisse, 14 (1991), p. 229-236 et J. TERRIER, M.-A. HALDIMANN, F. WIBLÉ, « La villa gallo-romaine de Vandoeuvres (GE) », in Archéologie suisse, 16/1 (1993), p. 25-34. 4. L. DENAJAR, Carte archéologique de la Gaule : l’Aube (10), ibid., p. 268-271.

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Mots-clés : Saint-Pierre-ès-Liens de Brienne-la-Vieille Index géographique : France/Brienne-la-Vieille

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Auxerre (Yonne), 16 quai de la Marine

Fabrice Henrion

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1 Le projet de construction d’un bassin d’orage enterré d’une capacité de 4 000 m3 à l’emplacement de l’actuel parking de la Tournelle à Auxerre (quai de la Marine, rive gauche de l’Yonne) a nécessité la mise en place d’un diagnostic d’archéologie préventive compte tenu de la sensibilité archéologique de ce secteur de la ville (proximité de l’abbaye Saint-Germain et du rempart médiéval, occupation des rives de l’Yonne, etc.).

2 Cette opération a fait l’objet d’une convention entre l’INRAP Grand-est Sud et le Centre d’études médiévales d’Auxerre (ARTeHIS - UMR 5594), la responsabilité scientifique ayant été confiée à l’un de ses membres par le Service régional de l’Archéologie de Bourgogne.

3 L’intervention de terrain s’est déroulée du 20 février au 3 mars 2006, suivie d’une phase d’étude (post-fouille) du 6 au 17 mars, avec une équipe de deux personnes (un archéologue responsable de l’opération et un technicien).

4 Les observations réalisées dans les six sondages ouverts montrent que la parcelle concernée par le projet de construction ne présente pas un potentiel archéologique particulier.

5 Les quelques structures en creux ne dénoncent pas d’occupations clairement identifiées.

6 La stratigraphie serait plus parlante à l’extrémité ouest de la parcelle si les niveaux n’apparaissaient pas à l’aplomb de la clôture en se développant sous la route. On pressent ici des structures maçonnées (dont la typologie du mortier de l’une d’elles renvoie au XIe siècle, si l’on compare avec les données acquises à l’abbaye Saint- Germain), succédant peut-être à une occupation plus ancienne (four ?), mais la vision très réduite que nous en avons ne permet pas d’interprétations sérieuses.

7 Il serait souhaitable que l’implantation du bassin d’orage respecte ces indices en privilégiant la zone ouest, mais les futurs aménagements des quais devront prendre en compte ce potentiel qui pourra alors être mieux compris.

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Index géographique : France/Auxerre

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Igé, chapelle de Domange (Saône-et- Loire)

Christian Sapin

1 La petite église de Domange sur la commune d’Igé, citée plusieurs fois dans les sources textuelles du Xe siècle (953, désignée capella en 962), conserve aujourd’hui une nef unique et un chevet dont la datation n’avait jamais jusqu’à présent été précisée. À l’occasion des sondages diagnostics préalables à la pose d’un drain, en collaboration avec l’INRAP (convention CNRS-INRAP), Emmanuel Laborier et Christian Sapin ont pu faire un certain nombre de constatations sur les différents états de la construction. Il s’agissait d’évaluer au départ les risques archéologiques aux abords immédiats de l’édifice ; les sépultures étaient quasi inexistantes à cet endroit, et les fondations réduites à quatre ou cinq assises. Il existe peu de différence entre la nef charpentée et le chevet voûté. C’est plus dans la mise en œuvre, les élévations et leurs ouvertures que l’on a observé des changements. Il en résulte que la nef et l’avant-chœur pourraient être placés assez tôt (peut-être dès le Xe siècle pour une partie) tandis que l’abside a été entièrement construite au XIIe siècle. La suite des travaux envisagés pour les élévations devrait permettre de relever plus précisément les baies qui présentent des différences au nord (étroite avec linteau) et au sud ; de même que les appareils et les mortiers.

2 Le statut de cette église proche de celle d’Igé (paroisse) n’est pas évident à son origine. La multiplication des ouvertures d’accès, au nord et au sud, l’absence d’une porte occidentale au profit d’un bâtiment comme à Uchizy, militent pour un statut particulier.

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Mots-clés : chapelle Index géographique : France/Domange, France/Igé

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Église Saint-Martin de Branches (Yonne)

Christian Sapin et Sylvain Aumard

1 Après plusieurs campagnes de relevé du bâti réalisées dans le cadre de stage, ayant permis l’établissement d’un plan et une meilleure connaissance des peintures et des élévations gothiques, nous avons choisi en 2006, en plus des maçonneries, d’analyser et de relever la charpente présentant des caractéristiques propres au XIIIe siècle ainsi que des restes de lambris avec des traces de peinture, éléments rarement conservés pour une date haute. Cette campagne a été accompagnée de sondages au sol permettant de préciser certaines hypothèses de restitution des premiers états de l’édifice. Rappelons que le site est mentionné parmi les possessions de l’évêque Didier au début du VIIe siècle mais que l’on ignore son évolution avant de nouvelles mentions de possessions épiscopales en 1208. En étudiant le mur extérieur nord en opus spicatum, nous avions proposé d’y voir un caractère de construction typique du XIe siècle. Le sondage extérieur a confirmé son ancienneté par l’analyse des mortiers et montré sa reprise en sous-œuvre au XIIIe siècle ; à l’intérieur, certains éléments de mortier pourraient appartenir à une banquette primitive s’appuyant à l’est contre l’épaulement dont la maçonnerie est bien cohérente avec la partie nord en opus spicatum. Ces maçonneries, renvoyant à l’état le plus ancien en élévation, s’installent dans des terres contenant des ossements humains erratiques, premier indice d’une occupation funéraire antérieure à l’an mil.

2 Le relevé du bâti plus à l’est de l’épaulement, a confirmé l’existence de deux états d’un passage conduisant du sanctuaire vers le prieuré au nord ; ceci lors des agrandissements gothiques du chevet. Étude des combles, par Sylvain Aumard 3 Une partie du stage organisé en avril 2006 comportait comme originalité un volet consacré à l’étude des charpentes. Celles-ci supportaient une voûte lambrissée, complètement remplacée aujourd’hui ; dans les combles, quelques vestiges exceptionnellement bien conservés de cet ouvrage montrent un décor peint de qualité avec des motifs floraux noirs et rouges. Ces charpentes possèdent l’intérêt d’avoir subi peu de transformation depuis leurs origines que plusieurs indices autorisent à placer au

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début du XIIIe siècle : absence de contreventement longitudinal, présence majoritaire d’assemblages à mi-bois à ergots et marquage des bois avec le système à bâtons. Cette datation est en accord avec celles des élévations sous jacentes recouvertes de peintures murales.

4 Le stage a consisté à amorcer le relevé en plan des entraits visibles dans le chœur et la nef et à étudier le marquage des fermes et leur mise en œuvre. Ce dernier aspect a été réservé à l’espace du chœur où la chronologie s’est avérée un peu plus complexe que prévu. Sa moitié occidentale paraît en effet avoir été refaite au cours de l’époque moderne avec des morceaux de pans bois. Le bas-côté, s’il est de conception proche des éléments attribués au début du XIIIe siècle, possède des indices indiquant une mise en place un peu plus tardive : présence d’un contreventement, absence d’assemblages à mi-bois, marquage avec chiffres romains. D’après les peintures murales, cette partie n’a pu être réalisée après le milieu du XIIIe siècle.

5 Les résultats apportés indiquent l’intérêt de poursuivre cette démarche sur le reste du comble et d’envisager des datations par dendrochronologie 1.

6 Le relevé des peintures s’est poursuivi en présence de Laurence Blondaux (restauratrice). La procession originelle du mur sud se prolonge vers l’est. Sur le mur nord, les différents états du décor autour des croix de consécrations se précisent. Le premier décor correspond à un faux appareil et fleurettes noires (fleurettes rouges à l’origine après oxydation du pigment), à la bande décorative supérieure et aux premiers médaillons avec les apôtres formant une croix de consécration. Cet ensemble du XIIIe siècle contemporain de la scène de procession du mur sud et des lambris décorés est repris (fin du siècle ou suivant) par d’autres médaillon d’apôtres, un fond ocre jaune et une résille ocre-rouge foncés, filets blancs. Les reprises suivantes seraient du XVIe siècle (scène de saint Hubert), des XVIIe-XVIIIe siècles (décor de faux marbre et de faux bois notamment).

7 En conclusion, à la vue de l’ensemble des premières données et de leurs croisements, il est désormais possible d’admettre l’existence d’un premier état antérieur au XIIIe siècle constitué d’une nef unique avec un chevet plat plus étroit, puis après 1200 des agrandissements progressifs vers l’est, vers le sud, et enfin seulement au XVIIIe vers l’ouest avec le clocher. Au-delà de ces aspects chronologiques, ces recherches soulignent la volonté de changements importants de l’espace et de son utilisation au XIIIe siècle avec probablement la présence à la fois de la prieurale et de la paroisse réduite à une des deux nefs. En inversant les a priori d’une simple connaissance par l’histoire de l’art, réduisant ce type d’édifice à des catégories de second intérêt, l’archéologie dégage progressivement les aspects innovants des constructeurs répondant à des demandes de la société médiévale en mutation.

8 Enfin, ces travaux et hypothèses qu’il conviendra de poursuivre, contribuent à mieux définir un cahier des charges pour sa restauration.

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Fig. 1. Branches, église Saint-Martin, plan (dessin G. Fèvre).

Fig. 2. Branches, église Saint-Martin, relevé des peintures murales par L. Blondaux (cliché CEM).

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NOTES

1. Au moment où ce bulletin est sous presse, la réalisation de ces analyses est projetée dans le cadre du projet sur les Toits de l’Europe piloté par l’Université de Liège et auquel participe le Centre d’études médiévales d’Auxerre.

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Mots-clés : charpente, église, peinture, Saint-Martin de Branches Index géographique : France/Branches

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Les programmes collectifs

Christian Sapin

Le PCR « Matériaux de construction et critères de datation autour de l’an mil dans les régions Bourgogne, Centre, Pays-de-la-Loire »

1 Les rencontres de 2006 ont été marquées par trois réunions sur sites autour des thèmes : • supports et appareils (Orléans, en mars) ; • maçonneries des églises et châteaux de Bourgogne des Xe-XIe siècles (autour de Tournus, Brancion, Cluny, en mai), et • les comparaisons avec la même thématique en Touraine (Langeais, Loches, Tours, en octobre).

2 Ces rencontres de travail ont donné lieu à des comptes rendus détaillés dans le rapport annuel. Parallèlement, les travaux thématiques, les sites monographiques et les fiches d’enregistrement des données ont été poursuivis. Une réflexion a été amorcée sur la création d’une base de données et elle sera poursuivie pour sa création, en 2007, en fonction des disponibilités et des rapprochements avec la base Monument d’ARTeHIS UMR 5594 et du BRGM, en cours de construction et en cours de tests, par Stéphane Büttner. À partir des notices, une synthèse de tous les thèmes traités ou abordés sera élaborée (apport de l’archéométrie croisé avec les traces de tailles, les appareils, les typologies d’ouverture, les sols, les charpentes, les diversités régionales…) par l’ensemble des participants pour une publication. Le GDRE CNRS « Terre cuites architecturale et nouvelles méthodes de datation » (Maylis Baylé, Pierre Guibert, Philippe Lanos et Christian Sapin) 3 Programme en cours - édifices étudiés en 2006 : 1 Notre-Dame-sous-Terre, Le Mont-Saint-Michel

4 Les analyses ont confirmé et précisé l’étude de bâti faite en 2003-2004 par le Centre d’études médiévale d’Auxerre. L’ensemble des 14 échantillons de brique prélevés par l’équipe de Bordeaux a été traité par thermoluminescence (TL). Des datations radiocarbone ont été obtenues par Lyon à partir des charbons extraits des mortiers. L’étude archéomagnétique (Laboratoire de Rennes) est également achevée. Les datations par thermoluminescence montrent pour l’ensemble des maçonneries testées

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que la production des briques a eu lieu dans le courant du Xe siècle, à l’exception d’un échantillon prélevé dans la galerie supérieure dont la date significativement plus ancienne que les treize autres pourrait être l’indice d’un remploi d’un matériau confectionné environ deux siècles plus tôt. La partition des échantillons en deux ensembles appartenant aux deux phases de construction mises en évidence par les études archéologiques et architecturales permet de proposer des âges moyens pour la production des briques :

5 Les dates TL moyennes se séparent chronologiquement dans le sens conforme à l’étude architecturale, avec une probabilité très voisine de 80 % (on ne tient compte pour cette analyse que des incertitudes statistiques, car elles représentent correctement la dispersion des dates). Un calcul statistique à partir du logiciel RenDate (Lanos et Dufresne, Rennes) indique que les deux phases de construction se sont succédé en moins d’une centaine d’années avec une probabilité de 95 %. Les datations radiocarbone des maçonneries sont en général concordantes avec les datations TL des briques, à l’exception de la fenêtre 65 (Lyon-2377) pour laquelle une plus grande ancienneté du charbon est attestée par rapport à la TL, d’une part, et par rapport aux autres charbons des maçonneries de la même phase architecturale, d’autre part. Cet écart de 100 à 200 années par rapport à l’âge de cuisson des briques peut s’expliquer par un effet « vieux bois » particulièrement visible pour cet échantillon. La comparaison des séries de dates montre globalement une tendance à des âges radiocarbone plus élevés que la TL, les recouvrements se situant au Xe siècle.

6 Les datations effectuées dans les parties romanes sont très significativement plus tardives : elles recouvrent le XIe et la première moitié du XIIe siècle.

7 L’étude archéomagnétique a montré l’absence de positions de cuisson cohérentes des briques par rapport au champ magnétique terrestre (CMT), dans l’hypothèse de briques cuites à une même période, ce qui a empêché la datation à partir de l’inclinaison du CMT. Cependant, des informations d’ordre technologique ont été obtenues grâce à cette étude multidisciplinaire. L’hypothèse d’un incendie ayant été exclue, après analyse du signal archéomagnétique des briques (pas d’aimantations secondaires détectées lors des désaimantations thermiques au laboratoire) et étude TL d’échantillons de mortiers, il restait la possibilité d’une cuisson sans ordonnancement particulier. Les reconstructions de position de cuisson des briques en prenant comme direction du champ magnétique celle correspondant aux dates TL des maçonneries, indique qu’une cuisson en meule a fort probablement été réalisée, ce qui correspondrait à de petites productions de matériau. Vieux-Pont-en-Auge 8 Six échantillons ont été prélevés à Vieux-Pont. Trois d’entre eux proviennent de deux briques du mur sud de la nef, deux autres de deux briques du mur sud du clocher, et un du mur nord de la nef. Les datations par TL et OSL (luminescence optiquement stimulée) ont été réalisées sur les échantillons du mur sud de la nef et du clocher. L’un d’entre eux n’a pu être daté, Bdx 9627, en raison d’un manque de matière. L’échantillon du mur nord, Bdx 9629 est en cours d’étude au moment où nous écrivons ces lignes. Ouilly-le-Vicomte 9 Trois échantillons de brique provenant des maçonneries du mur sud et d’un contrefort nord ont été échantillonnés. Pour le mur sud, les deux éléments, isolés dans un appareillage de pierres calcaires appartiennent à une zone de réfection située sous une fenêtre de la nef. L’étude de caractérisation pétrographique et élémentaire de ces

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briques a montré leur diversité de composition que l’on peut interpréter comme une diversité de matière première. Cela contraste avec Vieux-Pont, édifice pour lequel les briques du mur sud montraient une bonne homogénéité de composition. Les datations par TL effectuées sur les deux échantillons sud à partir des petites inclusions de quartz (3-12 µm) montrent qu’il s’agit de matériaux mis en œuvre au cours de phases de restauration ou de modification du XVe siècle pour l’une, de la première moitié du XVIIIe siècle pour l’autre. Le troisième échantillon, prélevé sur le contrefort nord, est en cours d’étude actuellement.

10 Autres sites en cours pour la Normandie : donjon d’Avranches, évêché de Lisieux, Rugles, Vieux-Pont-Saint-Aubin…

NOTES

1. L’ensemble des contributions aux recherches sur ce site sera prochainement publié.

INDEX

Index géographique : France/Le Mont-Saint-Michel, France/Ouilly-le-Vicomte, France/Vieux- Pont-en-Auge

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Les travaux du laboratoire d’archéologie du bâti : la cathédrale Saint-Etienne d’Auxerre, le prieuré Saint-Eusèbe d’Auxerre et l’église Notre-Dame de Vermenton

Sylvain Aumard

Auxerre, cathédrale Saint-ÉtienneÉtudes sur les bas-côtés sud de la nef, par Sylvain AumardLes fenestrages

1 Á l’instar des fenestrages observés sur les bas-côtés nord, ceux des bas-côtés sud ont pour principale originalité d’être scellés avec du métal (goujons en fer noyés dans du plomb). Afin de compléter les informations recueillies en 2005, ces derniers ont fait l’objet de relevés photographiques et d’observations visuelles. Dans la mesure où leur état de conservation ne justifiait aucun démontage, même partiel, aucun prélèvement n’a été réalisé.

2 Leur histoire est liée - comme au nord - à l’installation progressive des chapelles entre les culées d’arc-boutant. Ces dernières n’étaient pas prévues dans le programme de construction initial de la nef comprenant de simples bas-côtés. Comme au nord, on retrouve des scellements métalliques dédoublés. Même si, au sud, la bonne conservation des réseaux a empêché d’observer leurs assemblages, ce dédoublement semble bien là aussi attester que les constructeurs aient fait le choix de démonter les fenestrages éclairant les bas-côtés, en sciant leur remplage à côté des scellements initiaux, pour les remonter un peu plus au sud dans les chapelles nouvellement érigées. On retrouve également des départs de moulure qui ne s’accordent actuellement avec aucune autre, mais qui devaient composer avec la mouluration initiale. Contrairement au nord, ce démontage semble plus soigné car les dédoublements sont moins systématiques.

3 La chronologie exacte des chapelles des 3e, 4e et 5e travées est encore mal établie, mais on s’accorde pour dire qu’elles seraient toutes du XIVe siècle (années 1340 ?) et que la

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construction de la chapelle Saint-André (en 3e travée) viendrait après celle de Saint- Germain (en 4e travée). Bien que la chapelle Sainte-Anne (en 5 e travée) reste encore difficile à situer dans l’histoire du monument, Harry Titus (Wake Forest University) pense qu’elle est la plus ancienne. Les chéneaux 4 Les changements opérés dans la configuration des bas-côtés ont eu des répercussions sur le schéma d’écoulement des eaux pluviales de cet espace. Contrairement au nord, où les chéneaux destinés à recueillir les eaux du bas-côté, traversent de part en part les culées, ici, au sud, ils les contournent. L’ajout des chapelles a manifestement rendu caduques les parties situées au pied du versant des bas-côtés. Ces tronçons ont donc été démontés, puis reconstruits plus au sud juste au-dessus du mur gouttereau des chapelles. Plusieurs arguments nous ont poussés à réaliser un relevé détaillé au 20e de ces systèmes d’évacuation : • d’abord, ils illustrent de façon pertinente l’évolution de cette partie de l’édifice ; • ensuite, il s’agit d’un schéma très différent de celui relevé côté nord par l’université de Stuttgart et il était ainsi nécessaire de disposer d’un document de comparaison aussi fiable ; • enfin, ce genre de structure n’est généralement jamais étudié sur les monuments médiévaux, ou bien à de très rares exceptions près. Alors qu’aujourd’hui la conception de tels ouvrages est dictée par des normes, aucun traité du Moyen Âge ne nous renseigne de la sorte. Seul un relevé archéologique permettait ainsi de reproduire fidèlement la façon dont les constructeurs médiévaux ont résolu cette question.

5 En outre, ces observations ont permis de confirmer l’hypothèse selon laquelle les culées ont été construites en deux fois : une importante moulure court en effet sous le premier état des chéneaux. Ainsi, dans un premier temps, on élève leur partie basse jusqu’à hauteur des chéneaux, dans les années 1320 (avec le bas du transept sud et les bas- côtés), puis le reste n’est achevé qu’au moment où sont établies les voûtes de la croisée et de la nef, soit vers 1380, voire vers 1520 pour les travées ouest.

6 Certains indices témoignent aussi de la morphologie des toitures médiévales des chapelles. En effet, les parties longeant les culées selon une orientation nord-sud ont été légèrement surcreusées au nord. Cela montre que ces chéneaux étaient encore actifs et que l’on cherchait de cette sorte à éviter l’écoulement des eaux à l’intérieur des chapelles. Ainsi, il est fort vraisemblable que ces dernières étaient recouvertes d’une toiture à deux versants (est et ouest) avec une croupe (au sud), selon un principe identique à celui restauré en 2006. Les solins de toiture 7 Le démontage des charpentes au-dessus de la chapelle d’orgue (6e travée) a mis au jour un solin de pierre épousant la partie nord de la culée ouest. Son examen a rapidement indiqué qu’il n’était pas prévu à l’origine dans la construction de cette culée car il est clairement encastré a posteriori. Son relevé exact en élévation avait pour but, non seulement de le documenter, mais aussi de comprendre son articulation avec un autre solin de pierre situé dans la même travée, sur le mur ouest du transept sud. Sa présence uniquement sur la moitié est de la culée indique en effet qu’il entretient vraisemblablement un lien avec ce second solin et que, lorsqu’il a été mis en place, seule la 6e travée de la nef était achevée sur la totalité de sa hauteur, soit vers 1340. Le dessin a confirmé cette hypothèse et indique aussi qu’il a été conçu également selon une légère pente vers l’est dans le but d’éviter que les eaux de pluie ne s’accumulent derrière la culée. Actuellement, les couvreurs procèdent de la même sorte en

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établissant ce qu’ils appellent des « besaces ». Pour le Moyen Âge, c’est le seul cas connu à ce jour car, là non plus, aucun traité de couverture de cette époque ne vient nous renseigner sur la façon dont ce type de problème a été résolu. Les scellements métalliques dans la construction gothique de la cathédrale d’Auxerre : premiers éléments de synthèse, par Sylvain Aumard 8 L’achèvement des travaux de restauration sur les parties sud de la cathédrale, et en même temps des études archéologiques, a donné l’occasion d’élaborer une première synthèse sur l’ensemble des informations accumulées, depuis 2004, au sujet des scellements métalliques. En prenant en compte les éléments de fenestrage conservés par la Ville d’Auxerre (site de la Maladière), il s’agissait d’une première approche visant à la fois à mieux connaître l’importance de cette technique dans le chantier de l’édifice et d’évaluer les possibilités d’études pour l’avenir.

9 Ces scellements sont facilement repérables sur l’ensemble de la construction grâce à leur trou de coulée pour le plomb ayant l’aspect d’une petite pastille grise. On pouvait ainsi non seulement les distinguer sur les parties en cours de restauration (nef), mais également à partir du sol sur les autres secteurs non échafaudés (chœur et transept). On a constaté qu’ils sont présents sur les grandes phases de construction de la cathédrale à l’exception des plus tardives édifiées au XVe et au XVIe siècle. Bien que situés dans d’importantes restaurations du XIXe siècle, ceux du chœur ont été pris en compte car, d’après les archives et leur situation, ils paraissent restaurés à l’identique. Leur nombre peut être évalué au total à environ 2500 et concerne majoritairement les goujons (87 % contre 13 % d’agrafes). On les rencontre sur diverses parties de l’édifice où ils assurent solidement la cohésion d’éléments à section mince : en majorité les fenestrages (63 %), mais aussi les baies du triforium, les arcs-boutants, les pinacles et les gables. Par les exemples prélevés au cours de la restauration, on connaît les caractéristiques de ces scellements : le poids des goujons et des agrafes permettent ainsi d’estimer la quantité de fer à environ 2,5 tonnes. La quantité de plomb est plus complexe à évaluer car elle dépend en partie de l’épaisseur du joint entre deux éléments à assembler et surtout de la section de ces derniers. La compilation de ces données permet de proposer une estimation de la quantité de plomb utilisée à la cathédrale d’Auxerre entre le début du XIIIe et la fin du XIVe siècle et de comprendre les besoins de chaque phase de chantier. On estime ainsi à 17 ± 5 tonnes de plomb utilisées pour les scellements du gros œuvre (sans les vitraux). Le transept sud en a consommé à lui seul près de 5 tonnes, essentiellement en raison de sa grande baie avec rose entièrement liaisonnée avec du métal (environ 2,5 tonnes).

10 Tous ces aspects confirment l’intérêt de renouveler ce type observation au cours de futurs travaux de restauration (chœur, croisée notamment) et surtout de poursuivre l’étude des éléments de fenestrage stockés depuis 2005 par la Ville. Le principal problème qui se pose ici est celui de la méthodologie, car - à notre connaissance - aucune expérience de ce type n’a encore été menée. Pour élaborer un tel projet, deux questions d’ordre méthodologique ont été abordées cette année.

11 D’abord celle du relevé et de la façon de représenter ces scellements : quels types de vues et quels détails sont pertinents pour reproduire aussi fidèlement que possible les témoins de cette technique ? Cette réflexion, menée avec Gilles Fèvre dessinateur au CEM, a montré que l’on pouvait s’inspirer des modes de représentation de la céramique.

12 La seconde question touche à l’analyse des métaux. Les premiers échanges nourris avec Philippe Dillmann 1 et Maxime L’Héritier 2 ont permis de réfléchir à un programme

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d’analyse qui, ici à Auxerre, doit beaucoup à la qualité du travail de documentation des prélèvements réalisé en amont, sur le terrain (localisation, fonction et datation). Il semble préférable dans un premier temps de se concentrer sur l’étude des éléments en fer car le plomb utilisé résulte souvent de la fonte de récupérations d’origine diverse qui brouillent considérablement la caractérisation du métal. Les méthodes d’analyse métallographiques éprouvées depuis plusieurs années permettent d’aborder en premier lieu des aspects technologiques touchant les domaines de la réduction du fer et du forgeage ; ensuite, il est possible d’évaluer l’homogénéité des éléments entre eux, de détecter d’éventuels remplois et enfin de tenter une détermination de l’origine géographique de leur production. Une première collaboration devrait se concrétiser au cours du premier semestre 2007 dans l’objectif de présenter une étude préliminaire lors du colloque prévu en septembre.

13 Les progrès de cette réflexion devraient permettre de réfléchir à l’élaboration d’un programme d’étude complet sur ces fenestrages en provenance des bas-côtés nord de la nef : relevés et observations systématiques des scellements et du lapidaire, analyses lithologiques et métallographiques, propositions de conservation et de valorisation.

14 L’état actuel des recherches sur les scellements métalliques d’Auxerre a été présenté cette année au colloque de Noyon intitulé L’emploi du plomb et du fer dans l’architecture gothique (16-17 novembre 2006), organisé par l’Université de Lille 3 et l’Agence régionale du patrimoine de Picardie. À la demande des organisateurs, un scellement métallique a été présenté parmi d’autres pièces dans le cadre d’une exposition sur la construction des cathédrales.

15 À la sollicitation du Centre départemental de documentation pédagogique de l’Yonne (CDDP), le CEM a participé au Forum annuel « Patrimoine et éducation » des 23 et 24 mars 2007, en donnant un prolongement vers le grand public et les scolaires, des données présentées à Noyon. Cette action pédagogique a pris forme avec trois posters et une vitrine. Un article dans la presse locale a complété la communication autour de ces recherches. La chronologie du chantier de la cathédrale d’Auxerre, par Sylvain AumardDe nouveaux éléments de datations, en collaboration avec Heike Hansen 16 En 2005-2006, à la sollicitation de l’Université de Stuttgart, les vestiges de bois ayant appartenu à une porte ont été datés dans le cadre d’une réflexion sur la chronologie du chantier du transept sud. Cette porte est située dans l’escalier situé dans l’angle sud- ouest, à hauteur de la grande baie. D’après les datations de la sculpture du portail, d’un boulin d’échafaudage et de la charpente du comble, elle fermait provisoirement un arrêt de chantier intervenu entre 1310 et 1328, ce qui restait à vérifier par la datation de son linteau en bois encore scellé dans la maçonnerie. Avant d’être démonté pour être prélevé, ce dernier a été relevé en élévation avec les diverses traces d’huisserie associées (gonds, encastrements…).

17 Sa datation par dendrochronologie s’avérant impossible à cause de la présence de nœuds et du faible nombre de cernes, il a été décidé de tenter une analyse par radiocarbone 3. Compte tenu de la précision de cette méthode, cette orientation risquait d’aboutir à des résultats plus approximatifs encore, mais elle possédait une chance également de fournir une fourchette de datation se recoupant avantageusement avec les données acquises auparavant. C’est plutôt le premier cas de figure que les résultats ont révélé : la datation en âge calibrée va de 1263 à 1381 ap. J.-C., avec comme pics de probabilités à 95 % de 1263 à 1300 et de 1365 à 1381.

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18 L’achèvement du transept sud exclu logiquement la mise en place de cette porte après 1330. Si on doit alors retenir le premier pic de probabilité autour de 1263-1300, on doit conclure que le chantier a été provisoirement clôturé avec des bois récupération et non avec des pièces spécialement coupées pour l’occasion. Il s’agit d’une solution économique que l’on retrouve dans bien des aspects de la construction médiévale, aussi bien pour les maçonneries, que pour les couvertures.

19 La préparation de l’exposition consacrée à la cathédrale a donné l’occasion de « redécouvrir » un objet totalement méconnu et inédit, appartenant à l’histoire de ce monument. Il s’agit d’une pierre tombale signalée par A. Leriche et conservée par l’entreprise SATR (Saint-Georges-s. Baulche) depuis les restaurations menées en 1990-1992 sur le triforium ouest du transept nord. Cette dalle de petite dimension était remployée comme linteau. Elle montre un personnage avec une inscription périphérique. La fraîcheur de la sculpture est telle, qu’elle montre que la dalle n’a vraisemblablement pas été utilisée comme pierre tombale au sol, mais directement remployée. Son étude en cours figurera dans la publication du colloque de septembre 4. On peut d’ores et déjà indiquer que le millésime de 1352 qu’elle porte (décès du personnage) est intéressant pour la chronologie du chantier du transept nord car il donne un terminus post quem à la construction de ce triforium datant des années 1370-1380. Synthèse et coordination scientifique 20 Afin d’être exploitées et présentées ultérieurement, les données issues des investigations des trois équipes travaillant sur la cathédrale d’Auxerre 5, nécessitaient un travail de synthèse et de coordination. Celui-ci s’est concrétisé par une réunion du Conseil scientifique au mois de juin, puis par une série de séances de travail avec Heike Hansen et Harry Titus.

21 L’essentiel de ce travail a consisté, d’une part, à mettre en commun des données sur la chronologie du chantier de la cathédrale et, d’autre part, à traduire cette chronologie dans une représentation du monument en trois dimensions. Cette reconstruction en 3D avait déjà largement été avancée par Götz Echtenacher (Université de Stuttgart), mais devait être actualisée afin de tenir compte des dernières hypothèses. Par ailleurs, sur la trentaine de phases de travaux recensées en chronologie relative, une douzaine ont été retenues par la pertinence qu’elles apportent dans la perception de l’histoire du monument. La modélisation numérique de ce vaste chantier gothique devenait une étape incontournable en raison de la complexité de ce dernier : seule une approche en trois dimensions permettait de traduire dans l’espace la réalité des hypothèses de travail et, en même temps, de les tester, de les discuter et éventuellement de les modifier une nouvelle fois. Plus qu’un outil de représentation, il s’agit aussi - et avant tout - d’un outil de réflexion. Cette confrontation a permis de dresser une liste de corrections à apporter à la modélisation, de façon à refléter l’état actuel des recherches.

22 Ce travail, une fois finalisé, sera présenté lors de deux manifestations au cours du mois de septembre prochain : au colloque sous la forme d’une communication collective et de deux posters, ainsi que dans l’exposition préparée par la Ville d’Auxerre. Auxerre, ancien prieuré Saint-EusèbeLa charpente du déambulatoire de l’église, par Sylvain Aumard 23 L’ancienne collégiale Saint-Eusèbe est un édifice des XIIe-XIIIe siècles dont le chœur a été reconstruit dans les années 1530, suite à son effondrement en 1523 6. L’arrêt des

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maçonneries du XVIe siècle, en limite de la nef, montre que le projet prévoyait, à cette époque, la reconstruction totale du monument et qu’il n’a pas été mené à terme.

24 L’édifice conserve l’intégralité de ses charpentes d’origine. Bien que remaniées, celles de la nef possèdent des caractéristiques remontant au XIIIe siècle (assemblages à mi- bois) et les quelques analyses dendrochronologiques réalisées en 2003, à l’occasion des travaux de restauration, avaient fourni une date d’abattage au cours de l’hiver 1229-1230 7. C’est actuellement la plus ancienne charpente connue à ce jour à Auxerre, celles de la cathédrale étant attestées à partir de 1235.

25 La charpente du déambulatoire n’avait encore jamais fait l’objet d’étude. A priori, elle possédait de bonnes chances de remonter aux travaux des années 1530, mais les remplois et la mauvaise qualité des bois (présence de nœuds, faibles sections) pouvaient indiquer une datation un peu plus récente. En outre, cette structure possédait également des chances de remployer des éléments en provenance des charpentes des XIIe-XIIIe siècles ayant appartenu à l’ancien chœur roman. Seule une étude dendrochronologique était susceptible de trancher objectivement ces questions. L’opportunité de réaliser une telle étude dans le courant de l’automne se justifiait d’autant plus que les traitements anti-parasitaires prévus consistaient, entre autres, à enlever l’aubier qui est justement la partie de l’arbre permettant d’estimer précisément sa date d’abattage.

26 Sur les 44 échantillons étudiés par les dendrochronologues 8, seule la moitié d’entre eux a pu être datée en raison de la très grande disparité xylologique des arbres employés (de 40 à 150 ans) : en effet, 50 % des prélèvements présentent moins de 50 cernes de comparaison, ce qui rend leur exploitation impossible.

27 La vingtaine d’échantillons exploitable a permis de distinguer quatre ensembles d’époques différentes : • phase 1, XVIe siècle : de cette phase, il ne reste que la charpente de la chapelle axiale, le reste ayant été progressivement remplacé au cours des époques suivantes et ayant laissé de nombreux encastrements vides dans le mur séparant le chœur. On remarque que ces derniers ne s’accordent ni avec les charpentes actuelles, ni avec le voûtement. Dans la chapelle axiale, il s’agit d’une structure à chevrons formant fermes, à entraits retroussés. Deux blochets du côté sud (échantillons 42 et 43) ont été façonnés dans des arbres abattus entre 1542 et 1550. Une autre pièce, remployée en poteau dans le pan de bois du XIXe siècle, peut être associé à cet ensemble : son abattage est estimé entre 1510 et 1535 (éch. 33). Ces données s’accordent avec ce l’on sait de la reconstruction du chœur vers 1530. • phase 2, XVIIe siècle : la première réalisation étant vraisemblablement dépourvue de voûtes, c’est probablement l’exécution de celles-ci dans un second temps qui a entraîné la modification des premières charpentes sur l’ensemble du déambulatoire en raison de leur assise trop basse. De cette phase, il ne reste que la partie sud-est, comprise entre la ferme F6 et F10. Deux échantillons (échantillon 12 et 17) montent que les bois ont été abattus, pour l’un, au cours de l’automne-hiver 1612-1613 et, pour l’autre, entre 1583 et 1617. Ils permettent de penser raisonnablement que cette charpente a été levée vers 1613-1615. • phase 3, XIXe siècle : probablement dans le cadre des restaurations réalisées dans cet édifice au début du XIXe siècle, la partie occidentale de la charpente du déambulatoire sud est alors refaite (fermes 11 à 14 + pan de bois). 7 échantillons permettent de dater très précisément cette intervention car ils proviennent d’arbres abattus au cours de l’automne-hiver 1820-1821 (éch 20, 21, 27, 29, 30, 32, 36).

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• phase 4, XXe siècle : la quasi-totalité de la partie nord de la charpente du déambulatoire a été refaite à une époque récente (débitage par sciage mécanique). 7 autres échantillons permettent également de dater précisément cette intervention de la fin des années 1940 car les bois proviennent d’arbres abattus au cours de l’automne-hiver 1948-1949.

28 Grâce à la compréhension et à la réactivité de la Direction des bâtiments de la Ville d’Auxerre 9, cette opération a pu être rapidement mise sur pied et remplir ses objectifs : d’une part, préserver la connaissance du potentiel historique des bois de charpente avant leur bûchage et, d’autre part, comprendre l’évolution complexe de ce comble. Au-delà de ces aspects scientifiques, et de façon inattendue, cette démarche a aidé les services de la Ville à mieux appréhender le sinistre dont est l’objet cette charpente car les xylophages étaient essentiellement installés dans les bois datés de 1950 et dans les réparations du chœur. Les bâtiments canoniaux : première approche archéologique du bâti, par Violaine Bresson 10

29 Grâce à des recherches dans les sources imprimées, manuscrites et iconographiques, puis, sur le terrain, par la réalisation d’observations minutieuses, de clichés et de relevés en plan, en élévation et en coupe sur le presbytère actuel de l’église et ses dépendances, notre connaissance de l’histoire des bâtiments canoniaux de l’ancien prieuré Saint-Eusèbe a pu être affinée.

30 Contrairement à ce que laissaient présumer les différentes sources étudiées, il s’est avéré que toute trace des bâtiments canoniaux de l’ancien prieuré n’avait pas disparue : toute la partie basse de la façade sud du presbytère a ainsi révélé une datation de la seconde moitié du XIe siècle ou du tout début du XIIe siècle ; le contrefort de cette même façade sud a dévoilé des traits caractéristiques du XIIIe siècle ; l’observation des arcades 11 de la cour a permis de proposer une date de construction vers le milieu du XIe siècle ou le XIIe siècle et de confirmer qu’il s’agissait d’anciennes fenêtres d’une salle capitulaire ; enfin, l’étude 12 d’une inscription réemployée dans l’escalier du presbytère a conduit à situer sa datation au milieu du XIIe siècle.

31 Tous ces éléments architecturaux, qui se sont avérés être des vestiges de bâtiments entourant le cloître médiéval de l’église et qui ont été repérés sans qu’aucune fouille n’ait été entreprise, laissent entrevoir combien le secteur situé au sud de l’église est à la fois sensible et encore très prometteur de données nouvelles relatives aux bâtiments canoniaux d’une église qui compte parmi les plus anciens monuments auxerrois. Les premiers essais de phasage et de chronologie de ces éléments architecturaux qui ont été tentés au cours de l’étude seront très certainement amenés à être rediscutés et complétés à la lumière de nouvelles données, ce qui permettra de faire avancer la connaissance des édifices religieux de la ville d’Auxerre au Moyen Âge. Il faut espérer néanmoins que les prochaines restaurations qui vont être entreprises dans les années à venir au presbytère ‑ notamment la réfection de l’enduit des façades qui devient urgent ‑ seront réalisées en concertation avec le Centre d’études médiévales, à l’instar des récents travaux de charpente de l’église. 13 Vermenton, église Notre-Dame : étude de la couverture (suite)

32 Cette intervention fait suite à celle de 2004 au cours de laquelle, nous avions découvert des tuiles médiévales au cours de la restauration de la couverture du choeur . Pour la seconde tranche de travaux réalisée en 2006, au-dessus du transept, l’obtention d’un

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financement spécifique a permis de réaliser un véritable suivi de la dépose des tuiles et de poursuivre de façon approfondie le travail amorcé il y a deux ans.

33 Dans les grandes lignes, ont retrouve la même typologie qui se décompose en cinq principaux groupes. Le corpus comprend maintenant un large échantillonnage car il atteint en tout environ 300 éléments, rangés dans des caisses répertoriées afin d’en faciliter l’exploitation. Si ce chiffre parait important à première vue, il doit être relativisé car certains types ne sont représentés que par une vingtaine d’échantillons, ce qui correspond à une faible population statistique.

34 Plusieurs estimations de la représentativité des modèles anciens ont été tentées par des tests portant au total sur une centaine de tuiles. Bien que difficile à réaliser, cette approche montre que les types attribués au Moyen Âge ayant de fortes chances d’avoir composé la couverture d’origine sont peu nombreux (autour de 5 %).

35 Bien que la datation romane des grands formats n’a pu être confirmée, celle des modèles à cheville et des modèles mixtes (cheville et crochet) a fait de sérieux progrès grâce aux prélèvements dans les maçonneries. La méthode consiste à repérer des tuiles complètes ou peu fragmentées dans des élévations chronologiquement bien situées par l’analyse du bâti. À l’aide d’une scie et d’une perceuse munie d’une longue mèche, une vingtaine d’éléments a pu être ainsi extraite du pignon ouest du transept datant vraisemblablement du XIVe siècle. La présence totalement inattendue de tuiles à petit format (29 x 16 cm) dans un tel contexte couronne le succès de cette méthode de datation efficace et très bon marché.

36 À la demande de l’association « Animation et sauvegarde du patrimoine entre Yonne et Cure », une conférence présentant ces recherches a été donnée le 9 juin 2006 dans le village voisin de Sacy.

NOTES

1. Chargé de recherche au CNRS, Commissariat à l’énergie atomique de Saclay (Laboratoire Pierre Süe / UMR 9956). 2. Doctorant à Paris I-Panthéon-Sorbonne. 3. Centre de datation par le radiocarbone, CNRS / Université de Lyon 1 (réf. Ly-13919). 4. Étude en cours par Robert Marcoux (doctorant, Université de Bourgogne – ARTeHIS UMR 5594). 5. Équipe américaine sous la direction de Harry Titus (Wake Forest University), équipe allemande sous la direction de Heike Hansen (Université de Stuttgart / DFG), équipe du Centre d’études médiévales (ARTeHIS UMR 5594). 6. J. VALLERY-RADOT, L’église Saint-Eusèbe d’Auxerre, in 166e Congrès archéologique de France (Auxerre, 1968), Paris, 1958, p. 87-96. 7. C. LAVIER, Analyse dendrochronologique d’un lot de bois déposés de la charpente de l’église Saint-Eusèbe à Auxerre (89), Besançon, Laboratoire de chrono-écologie (UMR 6565), 2005, 5 p. (étude financée par la Ville d’Auxerre).

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8. Étude réalisée par Dendrochronology Consulting (Didier Pousset et Christine Locatelli). 9. Nous remercions en particulier Philippe Sogny et Olivier Reydellet. 10. Travail réalisé dans le cadre d’un stage de Master II Professionnel « Archéo- sciences » de l’Université de Bourgogne, sous la responsabilité de C. Sapin, S. Aumard et G. Fèvre. Nous remercions la Direction des bâtiments de la Ville d’Auxerre, ainsi que Mgr Paul Bertrand, pour toutes les facilités offertes. 11. Actuellement masquées en partie par un garage. 12. Étude menée en étroite collaboration avec Cécile Treffort (Université de Poitiers - Corpus des Inscriptions de la France médiévale). 13. S. AUMARD, « Vermenton, église Notre-Dame. Couverture du chœur », in Bulletin du Centre d’études médiévales, 9 (2004-2005), p. 55-56.

INDEX

Mots-clés : bâtiments canoniaux, cathédrale, charpente, chéneaux, couverture, fenestrage, Notre-Dame de Vermenton, prieuré, Saint-Etienne d’Auxerre, Saint-Eusèbe d’Auxerre, scellement métallique, toiture Index géographique : France/Auxerre, France/Vermenton

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Autun (Saône-et-Loire), sondages dans l’enclos de la cathédrale Saint- Lazare

Sylvie Balcon-Berry et Walter Berry

1 Un rapide diagnostic archéologique mené en janvier 2006 par Yannick Labaune du Service municipal d’Archéologie en vue d’un aménagement paysager de l’enclos de la cathédrale Saint-Lazare par les Monuments historiques a révélé au sud-ouest l’existence d’un fossé de quatre mètres de large, orienté nord-sud. La mention d’une enceinte dans une charte de la fin du XIIe siècle nous a incités à demander l’autorisation de fouiller cette structure de façon plus approfondie.

2 Notre opération réalisée en août 2006 avec des étudiants de l’Université Paris IV- Sorbonne s’est limitée à deux tranchées parallèles situées à l’ouest du chœur de la cathédrale : une au sud qui consistait en la reprise du diagnostic de janvier 2006, et une au nord, vierge de toute intervention. Elle nous a conduits à mettre au jour une enceinte de terre et bois datant de l’époque mérovingienne, plusieurs fois remaniée jusqu’au XIIe siècle, qui avait pour but de protéger le groupe épiscopal.

3 Nous avons pu observer l’aménagement d’un premier fossé orienté nord-sud à ouverture très évasée, avec structure massive en bois à l’est (partie d’une palissade ou d’une porte, voire les deux), le tout remontant à l’époque mérovingienne. Ces éléments ont perturbé des niveaux antiques (Ier siècle) bien observés à l’ouest. Le fossé étant très évasé et la zone de fouille limitée, il n’a pas été possible de fouiller les vestiges d’occupations plus récentes creusées par cette fortification. Elle passait immédiatement à l’ouest d’un grand bâtiment orienté est-ouest, situé à l’ouest de l’ancienne cathédrale Saint-Nazaire, partiellement mis au jour en 1991 lors des fouilles du chœur de Saint- Lazare et à l’occasion des récents travaux de voirie réalisés au sein du groupe épiscopal (place du Terreau). Cet édifice à colonnes adossées et sol en mortier de tuileau pourrait remonter à l’époque mérovingienne et correspond peut-être à la matricula (espace d’accueil des pauvres) mentionnée dans les sources relatant l’épiscopat de saint Léger. La fortification ne devait pas être linéaire mais comporter des retours vers l’est, tant au

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nord qu’au sud. On peut imaginer qu’elle formait un grand rectangle protégeant le groupe épiscopal tel qu’il se présentait à l’époque mérovingienne.

4 Ce fossé a été remanié à l’époque carolingienne avec aménagement d’une pente à l’est associée à une levée de terre et pierre remplaçant la palissade (voire la porte) primitive. Au XIe siècle, une ample restructuration observée lors des fouilles effectuées dans le chœur de Saint-Lazare a notamment entraîné la disparition de la supposée matricula. En ce qui concerne l’enceinte, on a pu montrer la réfection de la levée de terre orientale qui devait porter en son sommet une palissade de bois, des trous de poteaux ayant été notés au nord. À l’ouest, la naissance de la levée de terre butait apparemment contre une structure de bois : pieux ou pile pour pont dormant ou passerelle, si l’on imagine la présence d’une porte plus à l’est, venue en remplacer une plus ancienne.

5 L’abandon de cette fortification date vraisemblablement de la fin du XIIe siècle. Notons que cette vaste structure défensive a peut-être dans une certaine mesure conditionné l’orientation anormale de Saint-Lazare qui lui est parallèle. Elle devait donc toujours être profondément ancrée dans le paysage urbain au moment de la construction de cette église, au début du XIIe siècle. La suppression de cette enceinte coïncide vraisemblablement avec la création, à la fin du XIIe siècle, d’une autre fortification, cette fois de pierre prenant en compte la nouvelle configuration du groupe épiscopal, Saint-Lazare compris, ainsi que le groupe canonial, dont il subsiste des vestiges notamment la Porte du Chapitre.

6 L’intervention de l’été 2006 a donc été particulièrement fructueuse puisqu’elle a permis de mettre en évidence la présence d’une vaste fortification de terre et bois cernant le groupe épiscopal à l’époque mérovingienne, plusieurs fois restructurée. Elle apporte une donnée essentielle à notre connaissance du développement du complexe cathédral. On serait tenté d’attribuer cette enceinte à saint Léger, grand évêque du VIIe siècle, qui s’est opposé au pouvoir laïc et dont l’action édilitaire est relatée dans les textes. Soulignons que la présence d’un autre fossé, plus à l’ouest, n’est pas à exclure, à l’instar de ce qui a été observé à Saint-Denis en ce qui concerne l’enceinte du bourg monastique carolingien. De plus, outre l’état de conservation particulièrement bon de la fortification que nous avons étudiée, précisons qu’il est très rare de pouvoir fouiller de telles structures en milieu urbain.

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Mots-clés : Lazare (saint), cathédrale, Saint-Lazare d’Autun, enclos Index géographique : France/Autun

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Luxeuil-les-Bains (Haute-Saône) : deuxième campagne de diagnostic archéologique des places du centre ancien

Sébastien Bully et Christophe Gaston

1 Cette nouvelle campagne de diagnostic archéologique se situe dans la continuité des interventions réalisées en septembre 2005 sur la place de la République 1, et en février 2006 sur la place Charles de Gaulle 2. Les sondages étaient motivés par un important projet de rénovation des places de la Baille, Saint-Pierre et de l’Abbaye. La phase de terrain s’est déroulée du 29 mars jusqu’au 4 mai 2006 3. Sources et découvertes anciennes 2 Les sources anciennes attestent l’existence d’une église placée sous le vocable de Notre- Dame et détruite en 1782, à l’emplacement de l’ancien Palais de justice, place de la Baille. Notre-Dame apparaît dans les sources à la fin du XIIe siècle lorsque, selon une citation rapportée par Dom Grappin, l’abbé Brochard décédé en 1186 « fut inhumé dans l’église Notre-Dame, joignant celle de l’Abbaye » 4. G. Moyse suggère, pour sa part, que ses origines pourraient être plus anciennes car il relève dans les Gesta Patrum de Fontenelle, écrites avant 823, un passage évoquant une table d’autel dédiée à la Vierge Marie 5. Cette source nous apprend également que l’abbé Anségise (entre 817-823) avait restauré les murs de l’église Saint-Pierre, mais surtout une longue galerie reliant les églises Saint-Pierre et Saint-Martin (place de la République). Notre-Dame passait déjà pour un édifice ancien en 1665, lorsque sur sa gravure de l’abbaye, le moine Dom Bucelin la qualifie de « Basilica vetustior in qua vetustissima monumenta religiosorum ». Cette citation est d’autant plus surprenante que le religieux avait alors sous les yeux un édifice reconstruit vers 1404 par l’abbé Guillaume de Busseuil 6. On connaît l’église du XVe siècle grâce à un plan non daté (du XVIII e siècle) conservé à la bibliothèque municipale de Besançon 7. Notre-Dame était bordée sur son flanc sud par un cimetière jouxtant l’ancienne abbatiale Saint-Pierre, et limitée à l’ouest par un haut mur de clôture doté d’une lanterne des morts.

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3 Place de la Baille, on rapporte la découverte de sarcophages couverts de stèles antiques lors du creusement de canalisations pour les fontaines de la ville en 1741 et l’écrêtement des places dans les années 1850 est encore à l’origine du dégagement d’un « grand nombre de cercueils, parmi lesquels on remarque un couvercle d’une grande beauté » 8. On signale encore la mise au jour aux XVIIIe et XIXe siècles d’importants éléments architecturaux (colonnes et chapiteaux) qui auraient appartenu à un temple, selon les interprétations de l’époque. La place Saint-Pierre bénéficiait de trois sondages ouverts au pied de la mairie en 1989 et ayant révélé des structures d’habitats du Ier au Ve siècle ap. J.-C., des traces d’activités métallurgiques de l’époque carolingienne et des inhumations médiévales 9.

4 La place de l’Abbaye correspond, pour partie, au cloître construit entre 1404 et 1451. On ignore l’affectation de cet espace avant le transfert tardif du carré claustral qui, auparavant, devait border l’abbatiale sur son flanc sud. Le cloître est largement ouvert sur la place depuis la démolition de sa galerie ouest en 1812. Entre 1763 et 1780, les travaux de l’abbé de Clermont-Tonnerre pour l’agrandissement du palais abbatial et de la cour le jouxtant au sud – c’est-à-dire la place de l’Abbaye, devant la poste – ont entraîné la découverte de plusieurs stèles funéraires gallo-romaines, mais surtout d’un grand nombre d’éléments architecturaux antiques (bases, colonnes, chapiteaux) et de statues (dont une hypothétique tête de Jupiter et une seconde de déesse) 10. On suggéra alors que ces blocs provenaient d’un temple dédié à la déesse Diane.

Fig. 1. Vue générale des sondages de la place de la Baille et partiellement de la place Saint-Pierre depuis l’ancienne abbatiale Saint-Pierre au Sud (cl. S. Bully). Les vestiges archéologiques 5 Les découvertes les plus significatives sur la place de la Baille intéressent une construction de 14,25 m de largeur, dont on a reconnu les murs sud, nord et ouest. Le mur sud a été mis au jour sur une longueur de ± 9,50 m : il se caractérise par un mode de construction mettant en œuvre de gros blocs antiques en remplois disposés à

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intervalles réguliers (± 2,20/2,30 m) qui ne serait pas sans évoquer l’opus africanum 11. Le remplissage entre les grands appareils est assuré par une maçonnerie de petits moellons assisés (l. 52 à 58 cm). La stratigraphie, le mode de construction et une monnaie de Constantin Ier prise dans la maçonnerie indiqueraient une construction de l’Antiquité tardive. Sa fonction demeure incertaine, même si la mise au jour d’un grand nombre d’inhumations (sarcophages, tombes maçonnées, plate-tombes, fosses en pleine terre ou coffrages mixtes) et de deux moules à cloches médiévaux, ainsi que la proximité de l’église gothique Notre-Dame, plaident en faveur d’un premier édifice marial ou d’un atrium. On n’exclura pas cependant d’être en présence d’un monument public du Bas-Empire, couvert ou découvert (péristyle), peut-être réaffecté seulement dans une seconde phase en édifice de culte ou en enclos funéraire. Quoi qu’il en soit, c’est une construction qui a marqué le paysage monumental du monastère durablement puisqu’elle est encore en élévation aux XIIIe-XIVe siècles, au moment où le large mur de clôture du cimetière vient s’adosser contre son angle sud-est. La lanterne des morts – dont on a retrouvé la fondation (diam. 3,30 m) – est érigée durant cette même phase, ainsi que le démontre son chaînage avec le mur de clôture et son mode de construction en moyen appareil. Le cimetière – réduit par la même occasion ? – se situe désormais à l’articulation entre « l’édifice nord » et l’abbatiale Saint-Pierre au sud. Cette disposition tardive où deux édifices – en l’occurrence deux églises – sont disposés parallèlement, refléterait une topographie que l’on apprécie dans nombre d’établissements monastiques dès le haut Moyen Âge. Concernant les questions de topographie du haut Moyen Âge, il est notoire qu’aucune des structures découvertes ne peut être identifiée comme cette galerie carolingienne que mentionnent les sources anciennes. Le problème reste entier. La (re)construction de l’église Notre-Dame à partir de 1404 pourrait marquer la démolition de l’« édifice nord », entraînant le doublage de son mur sud par un contre-mur en moyen appareil, fermant ainsi le cimetière sur son flanc alors « dénudé ».

6 La découverte de nouvelles inhumations sur la place Saint-Pierre témoigne de la multiplicité des espaces funéraires au nord de l’ancienne église abbatiale. Il s’agit essentiellement de tombes maçonnées (avec loge céphalique), en pleine terre ou en coffrages mixtes, qui, en typo-chronologie, peuvent être datées entre le Xe et le XIIIe siècle. Ces tombes se concentrent autour d’une énigmatique structure sur sablière remployant un fragment de stèle funéraire antique pour asseoir un poteau d’angle. On ne sait à quel dispositif associer cette nécropole médiévale qui, d’après les données actuelles en notre possession, semble se développer linéairement selon un axe nord- sud 12. En stratigraphie, le cimetière succède à une construction maçonnée dont on a reconnu l’angle nord-est. La lecture des vestiges a permis de déterminer trois états de constructions attestant d’une longue période d’utilisation et/ou d’un changement de fonction. La seconde phase est marquée par l’installation d’une large sole foyère constituée de tegulae et de briques. L’utilisation de fragments de briques peignées et de tubuli dans le radier de préparation du foyer révèle la présence de thermes à proximité. L’absence de mobiliers marqueurs ne permet pas de dater ce bâtiment antique avec plus de précision, même si le remploi de matériau de démolition indiquerait plutôt une construction tardive. Une occupation au IVe siècle dans ce secteur est bien attestée par le monnayage découvert sur les places de la Baille et de Saint-Pierre 13. Ces données, corrélées aux résultats des sondages de 1989 au pied de la mairie, accréditent l’hypothèse du castrum, mais sans que l’on puisse en définir des limites puisqu’aucun

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mur d’enceinte n’a été localisé. On devra s’interroger sur la définition d’un castrum dans les sources anciennes et, peut-être, de la multiplicité des réalités qu’elle recouvre.

7 Il est en revanche un topos de l’historiographie luxovienne conforté par les données archéologiques : la séquence chronologique relevée sous le préau du cloître – place de l’Abbaye – indique en effet une occupation du haut Moyen Âge dans un bâtiment antique monumental. Le sondage a révélé les fondations d’une large abside semi- circulaire (l. 1,10 m, diam. restitué 10,75 m hors œuvre) que l’on peut dater de la fin du Ier siècle/début du IIe siècle ap. J.-C. d’après le monnayage. On ignore la fonction et le plan de cet édifice, mais il s’agissait vraisemblablement d’un bâtiment public (temple, bibliothèque, collège de corporations, basilique, etc.) que les travaux du XVIIIe siècle avaient déjà en partie touché dans ses parties occidentales. Le seul édifice public connu à ce jour était l’ensemble thermal au nord de la ville autour duquel se serait développée l’agglomération antique. La présence de ce monument, comme celle d’un bâtiment sous la construction dite en « opus africanum » de la place de la Baille et celle d’éléments de voirie sous la place Saint-Pierre, nous interroge sur le développement et l’extension de la ville du Haut-Empire. Il doit également nous amener à réfléchir sur le statut d’une agglomération qui possédait un édifice public de plan, peut-être, basilical. Mais aussi et surtout, le bâtiment monumental est ensuite transformé et réutilisé à l’époque mérovingienne – d’après la céramique – comme le démontre la construction d’un mur barrant l’abside – arasée – au niveau de sa corde et les sols associés. Conclusions 8 Au terme d’une campagne de sondages engagée en septembre 2005, c’est toute une nouvelle lecture de l’occupation ancienne qui se dessine en pointillés dans le centre ville. On retiendra principalement la découverte de l’ancienne église funéraire Saint- Martin du haut Moyen Âge, ainsi que celle, plus hypothétique cependant, d’une première église mariale, réinvestissant, peut-être, un édifice public du castrum du Bas- Empire. Les espaces au nord de l’abbatiale Saint-Pierre semblent être essentiellement dévolus à une fonction cultuelle et funéraire au haut Moyen Âge, à l’exception de l’activité métallurgique carolingienne identifiée lors des sondages de 1989. Les bâtiments monastiques haut médiévaux et médiévaux devraient-ils être recherchés plus au sud, à l’emplacement des bâtiments reconstruits par les mauristes ? C’est en tout cas ce que semble indiquer le sondage de la place de l’Abbaye. Ce dernier sondage a livré également de précieux renseignements sur l’étendue, et peut-être même sur l’importance de la ville antique, mais aussi sur les conditions de la fondation du monastère mérovingien dans un « substrat » antique. Il demeure hasardeux de parler de pôle monumental antique à la lumière du seul « bâtiment à abside » dont on ne connaît que très partiellement le plan et encore moins la fonction, mais doit-on au seul hasard l’installation du monastère à cet emplacement précis ?

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Fig. 2. Place de l’Abbaye, segment de l’abside antique et vestiges de sol du haut Moyen Âge (cliché S. Bully).

NOTES

1. S. BULLY, « Luxeuil-les-Bains (Haute-Saône), ancienne église Saint-Martin », in Bulletin du Centre d’études médiévales, 10 (2006), p. 89-92. 2. G. ROLLIER et Ch. GASTON, Luxeuil-les-Bains, département de la Haute-Saône, Rapport de diagnostic archéologique place Charles De Gaulle, INRAP, février 2006. 3. Opération INRAP. 4. B. DESGRANGES, Luxeuil pas à pas, t. 2, Luxeuil-les-Bains, 1993, p. 59. 5. G. MOYSE, Les origines du monachisme dans le diocèse de Besançon (Ve-Xe siècles), Paris, 1973, p. 168-169. 6. G. CUGNIER, Histoire du monastère de Luxeuil à travers ses abbés (590-1790), t. 2, Langres, 2004, p. 123-124. 7. Besançon, B.M., fonds Marquiset, ms. 1561. 8. O. FAURE-BRAC, Carte archéologique de la Gaule : la Haute-Saône (70), Paris, 2002, p. 290-291. 9. C. CARD, Rapport de sondage, place Saint-Pierre, Luxeuil-les-Bains, 1989. 10. O. FAURE-BRAC, Carte …, ibid., p. 291-292 ; N. BONVALOT, C. CARD et Y. JEANNIN, Luxovium, retour aux sources, Besançon, 1991, p. 61-62.

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11. Comme à la cathédrale nord de Genève, de la seconde moitié du IVe siècle, ou l’aula (également interprété comme horreum) du groupe épiscopal de Tournai. 12. Des tombes de ce type ont en effet été retrouvées par Ch. Card plus au sud, au pied de l’actuelle mairie. 13. Signalons cependant que la plupart des monnaies sont hors-stratigraphies. Les monnaies du IVe siècle représentent 28,5 % de la totalité, celles du IIIe s., 19,05 %, et respectivement 14,3 % pour le IIe s. et 9,5 % pour le Ier s.

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Index géographique : France/Luxeuil-les-Bains

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L’ancienne église abbatiale Saint- Pierre d’Osor (Île de Cres - Croatie)

Miljenko Jurković, Sébastien Bully, Morana Čaušević-Bully et Iva Marić

Présentation du site et de la campagne

1 Une première campagne de sondages et de relevés a porté sur l’ancienne église abbatiale Saint-Pierre d’Osor entre le 9 et le 27 octobre 2006 1. L’objectif était de dresser un état des lieux du site et d’évaluer le potentiel archéologique de l’église ruinée d’un monastère bénédictin fondé autour de 1018 par saint Gaudentius († 1044), évêque d’Osor et disciple de Romuald 2. Le monastère est à son apogée aux XIe et XIIe siècles, période durant laquelle il figure comme le véritable centre de la réforme grégorienne sur la côte Adriatique orientale, ainsi qu’en témoigne l’accueil de personnages comme Pierre Damien, Guido d’Arezzo, puis du futur archevêque de Split, Laurent 3. Selon les Annales camaldules, l’établissement serait déjà tombé en commende dans les années 1440 4 et le dernier abbé commendataire est mentionné en 1729 5.

2 L’église Saint-Pierre se présente aujourd’hui sous la forme d’un édifice ruiné de petites dimensions (± 15,30 x 8,40 m hors œuvre) et de plan rectangulaire. Une dédicace murée dans la façade nous indique que l’édifice a été reconstruit en 1625 par Augustin de Grado, évêque de Feltrina et abbé commendataire. L’église moderne a cependant conservé une partie de la construction antérieure : mur gouttereau nord et annexe nord. Et des fouilles conduites par A. Mohorovičić 6 dans les années 1950 ont révélé les vestiges d’un chevet à triple abside semi-circulaire appartenant à un édifice dont le plan, de type basilical simple et allongé, est considéré comme caractéristique du premier âge roman dans la région et par conséquent, comme contemporain de la fondation. La présence de nombreux remplois de sculptures dans le village – motifs végétaux et animaux en méplat – participe pour une bonne part, avec le plan du chevet à trois absides, à la datation de l’édifice dans la première moitié du XIe siècle. Les panneaux sculptés auraient appartenu à une frise de la façade, telle qu’on peut encore l’observer sur l’abbatiale de Pomposa 7. Cette dernière référence serait un rappel du rapport d’influence et d’échanges entre Vénétie et Kvarner à travers le « réseau

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camaldule » initié par Gaudentius. Mais la découverte par A. Mohorovičić de sculptures à motifs d’entrelacs – généralement datées du haut Moyen Âge – pouvait également indiquer une phase de construction antérieure à la « fondation officielle ». En outre, la mise au jour par ce dernier de maçonneries 8 sur le flanc sud de l’abbatiale pose la question d’une occupation antérieure au monastère : simple habitat, habitat privilégié ou première occupation religieuse ? En l’absence d’une documentation fiable – notamment graphique –, peut-on exclure que l’on soit en présence d’un carré claustral médiéval ? C’est la question de l’économie générale du monastère qui est posée, dont on ignore tout, de ses origines jusqu’au XVe siècle, et qui devrait faire l’objet de prochaines recherches.

3 Cette année, un plan précis des vestiges conservés en élévation ou découverts lors des fouilles anciennes (et encore partiellement visibles) a été dressé à l’aide d’une station totale. Les vestiges de l’église conservés en élévation ont fait l’objet d’une première analyse et de relevés suivant la méthode de l’archéologie du bâti. L’étude des élévations a porté principalement sur le mur gouttereau nord de l’église actuelle (voir la figure 2 : entre les Espaces I et VI) et l’annexe nord (Espace II). Quelques sondages ont été ouverts dans les enduits modernes et les maçonneries tardives afin d’apporter les premiers éléments de réponses sur la structuration du mur gouttereau nord. Parallèlement à l’étude préliminaire des élévations, nous avons ouvert quatre sondages en sous-sol afin de compléter le plan de l’église.

Fig. 1 - Vue générale de l’église Saint-Pierre depuis le sud (cliché L. Fiocchi).

Principaux résultats

4 Le nettoyage de l’arase de l’abside centrale et l’ouverture d’un sondage au pied de l’absidiole sud laissent entrevoir deux phases de construction pour le chevet (Espace III). Dans une première phase, l’abside centrale – comme peut-être les absidioles – suivait un plan polygonal ; c’est seulement dans une seconde phase, conformément au relevé publié par A. Mohorovičić à l’issue de ses fouilles, que les absides – tout du moins les absidioles – ont adopté un tracé semi-circulaire. Seule l’analyse de l’absidiole nord permettra de s’assurer que les absides latérales suivaient bien un tracé polygonal et que

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cette forme ne résulte pas d’une technique de fondation. Le sondage a également révélé l’existence d’une construction – à travers un départ de mur orienté est-ouest – adossée contre le mur sud de l’église à triple abside.

5 Un second sondage, ouvert dans le prolongement occidental du mur gouttereau nord de l’église baroque (Espace V), a permis de reconnaître l’ancien mur nord jusqu’à la façade primitive située à près de 7,20 m à l’ouest de la façade actuelle. La maçonnerie, fortement arasée, est conservée sur une élévation comprise entre 15 et 75 cm – en fonction des niveaux de sols intérieurs. L’espace intérieur est divisé par un mur parallèle à la façade déterminant l’existence d’un vestibule précédant la nef – de 3,25 m de profondeur en œuvre. Les vestiges d’un sol dallé et de sa préparation de mortier ont été rencontrés à une cinquantaine de centimètres de profondeur sous le terrain actuel. Le sondage a encore démontré qu’une construction postérieure à l’église à trois absides est appuyée contre son flanc nord, au niveau du vestibule. Des inhumations modernes en cercueil ont été repérées le long de l’ancien gouttereau nord.

6 La tranchée de sondage ouverte à l’intérieur de l’église baroque a été implantée dans l’axe du pilastre de rappel est dont on conserve les traces d’arrachements à l’articulation entre l’absidiole nord et l’abside centrale (Espace I). Le sondage n’a pas permis de déterminer le rythme de l’arcature en raison des perturbations du sous-sol engendrées par des fosses à inhumations modernes et des creusements de travaux agricoles contemporains. En revanche, on conserve les vestiges d’un mur stylobate fondé dans une tranchée étroite d’environ 1 m de largeur. Les inhumations identifiées appartiennent à une phase postérieure à l’abandon de la tripartition de la nef et sont par conséquent contemporaines de l’église moderne. Dans l’emprise du sondage, aucun niveau de sol n’est préservé et la fouille n’a pas atteint les couches antérieures au stylobate de la colonnade.

7 Concernant les élévations, une première analyse des maçonneries atteste de l’homogénéité de la construction au niveau de la nef, hormis les modifications engendrées par la restauration du XVIIe siècle (obturation des baies, insertion de la nouvelle façade, enduits intérieurs et extérieurs, etc.). En revanche, la prise en compte des liants de maçonneries démontre la multiplicité des phases de construction au niveau de la travée de chœur, où, notamment, une maçonnerie primitive est enchâssée dans le gros œuvre de l’église à triple abside. Il en subsiste uniquement le blocage intérieur, reparementé sur ses deux faces. À ce stade des observations, on ne peut proposer ni datation, ni identification à cette structure. On peut seulement constater la présence d’une maçonnerie antérieure à l’église à triple abside, partiellement réutilisée dans la construction de celle-ci, et dont seule une limite à l’ouest, marquée par une surface enduite observée dans l’épaisseur du mur, nous est connue. Misons que la fouille nous permettra de connaître le développement de ce premier état, comme le laisse supposer un léger changement d’orientation à ce niveau dans le mur gouttereau nord, ainsi qu’une forte déviation dans l’orientation du mur chevet de l’annexe nord.

8 Les sondages dans l’enduit moderne du parement extérieur du mur gouttereau ont révélé les vestiges de deux petites fenêtres couvertes d’un arc plein cintre présentant une alternance de moellons calcaires équarris et de briques ou de tuiles 9. Une haute arcature percée d’une fenêtre dans sa partie supérieure animait la travée de chœur. Sa désobstruction partielle a dévoilé d’importants vestiges d’une transenne encore en place. La claustra en marbre blanc était simplement percée de trois oculi superposés ; les percements circulaires devaient être obturés par une vitre ronde – ou cive – 10 (ou

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une plaque d’albâtre) comme l’indiquent les feuillures sur la face externe de la plaque. Le mur nord conserve encore les vestiges d’une ancienne ouverture – bouchée – couverte d’un large arc de décharge débordant et sommant un linteau disparu.

9 Malgré les larges surfaces encore recouvertes par les enduits modernes, des premières observations concernant les techniques de construction et la mise en œuvre du mur nord peuvent être formulées. La construction se caractérise par l’emploi d’un petit appareil de moellons calcaires de dimensions irrégulières et dont la taille est simplement ébauchée ou équarrie. Les moellons sont disposés en assises et se distinguent ainsi de l’opus incertum que l’on rencontre sur un grand nombre d’édifices de la région. On perçoit sur l’élévation du mur au moins quatre lits d’assise formés de petits blocs ou de moellons allongés. Ces niveaux peuvent être interprétés comme des lits de rattrapage ou de réglage d’assise, mais marquent plus probablement des interruptions de chantier. Les trous de boulins régulièrement disposés confortent l’image d’une construction homogène – à l’exception des remarques énoncées supra. Les interventions modernes ont fait disparaître toutes traces des enduits extérieurs anciens, à l’exception de la surface murale contre laquelle a été adossée l’annexe nord (Espace II) et où l’on observe encore un enduit « à pierre vue » souligné de joints tirés au fer.

10 L’analyse du bâti a porté également sur l’« annexe nord » (Espace II), petite construction appuyée postérieurement contre le flanc nord de l’église à triple abside (dim. moy. hors œuvre : L. 5,20 m ; l. nord 3,10 m). Le petit édifice est formé de deux travées voûtées d’arêtes séparées par un arc-doubleau et articulées avec les maçonneries par des arcs formerets « en forme de serpe ». Retombées d’arêtes et arcs sont supportés par des petites piles maçonnées logées dans les angles et couvertes par de simples dalles débordantes formant impostes. Le mur nord est percé de deux fenêtres cintrées ; le mur oriental l’est par une seule. À l’intérieur, voûtement et ouvertures paraissent ne pas appartenir à un même parti architectural dans la mesure où les arcs formerets masquent le haut des fenêtres. Trois niches cintrées de différentes dimensions sont aménagées dans la travée orientale. La présence de ces aménagements détermine la fonction de l’annexe nord, mais dans l’attente d’une étude plus approfondie, corrélée avec la fouille du sous-sol, seules des hypothèses de travail peuvent être formulées. Parmi celles-ci, la grande niche n’aurait-elle pu accueillir un reliquaire lié à la vénération de saint Gaudentius ? Une telle identification conforterait l’hypothèse d’une memoria, aux dépens de celle d’une sacristie, que pourrait également indiquer la présence des niches (pour les vases sacrés et les livres de chœur) et sa localisation vis-à-vis du chœur. Fig. 2 - Église Saint-Pierre d’Osor, plan pierre à pierre (del. D. Vuillermoz, d’après équipe de fouilles).

Conclusions

11 La première intervention sur l’église du monastère Saint-Pierre a permis d’entreprendre une relecture des vestiges tout en confirmant le potentiel archéologique du site. S’il est prématuré d’extrapoler sur le développement du complexe en fonction des seules structures mises au jour cette année, il n’en demeure pas moins que les départs de murs témoignent de l’existence d’une construction flanquée contre le mur nord de l’église à trois nefs, et d’une seconde contre son absidiole sud. Le nouveau plan de l’église, bien qu’encore incomplet, offre d’importants

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compléments aux relevés d’A. Mohorovičić, en particulier en démontrant l’existence d’un vestibule et d’un chevet à abside, et, peut-être, à absidioles polygonales. C’est seulement dans une seconde phase – au XIe siècle ? – que les absides – ou tout du moins les absidioles – adoptent un plan semi-circulaire. Les élévations elles-mêmes nous renvoient à des formules que l’on rencontrerait plutôt dans des édifices antérieurs au XIe siècle. Les caractères généraux de l’architecture plaident donc en faveur d’une révision de la datation de la construction de l’église Saint-Pierre, que l’on situera dans une fourchette comprise entre le VIe et le XIe siècle, dans l’attente d’une poursuite de l’étude architecturale corrélée aux datations de la sculpture et des données archéométriques. Dans une perspective comparative régionale, le nouveau plan de Saint-Pierre peut être rapproché de celui de l’église Sainte-Marie de Bale de la fin du VIIIe siècle 11. Lors des prochaines campagnes, il conviendra désormais de déterminer la part des restaurations du XIe siècle, ainsi que celle de cette structure antérieure identifiée au niveau de l’élévation nord de la travée de chœur.

INDEX

Mots-clés : Saint-Pierre d’Osor, abbatiale Index géographique : Croatie/Osor

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Saint-Lupicin (Jura), étude de bâti de l’église Notre-Dame

Sébastien Bully, Laurent Fiocchi, Morana Čaušević-Bully et Aurélia Bully

Modalités de l’opération et problématiques

1 L’église de Saint-Lupicin fait l’objet depuis mai 2006 d’un important chantier de restauration sous la conduite de P. Barnoud, Architecte en chef des Monuments historiques. Les travaux portent essentiellement sur le remplacement de la toiture de la nef dont l’état de dégradation menaçait la pérennité de l’ouvrage. Après que la maîtrise d’ouvrage (commune de Saint-Lupicin) eut choisi de restituer une charpente à quatre pans dans l’esprit du parti d’origine – en remplacement de la simple toiture à deux pans – nous avons procédé à une étude des parties hautes de la nef entre janvier et mars 2006, préalablement au démarrage du chantier et à la demande de P. Barnoud 1. L’objectif premier de cette intervention était de rassembler une documentation sur les parties hautes de la nef à partir de l’analyse archéologique du bâti et des sources d’archives : type de charpente, mode de couvrement, phasage du couvrement, etc. Parallèlement, cette étude s’est inscrite dans un programme de recherches plus large portant sur l’architecture des églises comtoises du XIe siècle à travers l’archéologie du bâti 2.

2 Témoin tardif d’un monastère fondé par les Pères du Jura dans les années 445, cette église est considérée comme l’un des monuments importants de l’architecture romane jurassienne. Cependant, les multiples transformations et restaurations ayant affecté l’édifice entre les XVIIe et XXe siècles ne facilitent pas la lecture et la datation d’une construction présentant à la fois des caractères architecturaux novateurs – comme le voûtement de la croisée du transept par une coupole sur trompes – et d’autres archaïsants – appareils réticulés surmontant le portail occidental. L’une des attentes intéressait justement la question de la façade occidentale au sujet de laquelle on s’interroge depuis plusieurs décennies. On a souvent avancé que la façade de l’église constituait le plus ancien témoignage monumental du département. Les deux arcs en plein cintre de son portail occidental reposent en effet sur de simples chapiteaux épannelés surmontant des colonnes monolithes données comme antiques ; l’ensemble est coiffé d’un singulier appareil réticulé. À partir de ces caractéristiques, R. Tournier

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avait suggéré que lors de la reconstruction de l’église à l’époque romane, on avait préservé la façade antérieure d’un édifice du VIIIe siècle, correspondant à la date de réapparition de la cella de Lauconne dans un diplôme de Charlemagne de 790 3. Mais depuis, les historiens s’entendent pour dire que ce diplôme est un faux tardif des XIe- XIIe siècles et les historiens de l’art pour penser que ces effets de muralité se rencontrent encore dans l’architecture romane. Toitures et charpentes 3 La toiture-halle unifiait les trois vaisseaux de la nef depuis 1880 selon G. Duhem ou depuis les années 1836-1842 pour P. Lacroix. Les suggestions de P. Lacroix reposaient sur une interprétation de la documentation concernant les travaux engagés par l’architecte Guillaume en 1838 et de dessins de l’architecte Comoy de 1842. De récentes datations dendrochronologiques obtenues sur des pièces de la charpente actuelle confirment bien cette campagne de travaux 4. Il est désormais assuré que les modifications du toit ne sont pas concomitantes du voûtement des nefs en 1634 puisque les sources d’archives mentionnent encore les « deux couverts qui ne se joignent pas » du côté nord en 1769. Mais selon les sources d’archives, il semblerait également qu’en 1760, le pan sud de la nef était déjà recouvert par une seule toiture puisque l’on mentionne la « charpente du grand pan de couverture de la nef et collattereaux du coté de vent dont il sera remplacé a neuf une panne sur led. collattereaux de trente-sept pieds de longueur (…) ». La mesure de la panne (chevron), environ 12,20 m, correspond bien à celle du pan de toit couvrant la moitié de la nef et un bas-côté. Nous serions donc tentés de conclure que le passage à la toiture simple s’est opéré en deux temps. Il semblerait que l’on ait encore maintenu un couvrement à double pan au nord jusqu’au milieu du XIXe siècle, alors que le pan sud était déjà couvert par une toiture unique.

4 Mais l’un des enjeux principaux de notre étude était de documenter et d’analyser les parties hautes des nefs afin d’en déterminer les dispositions d’origine, et en particulier celles des toitures. Dans son état primitif, le haut du toit des bas-côtés reposait dans un solin maçonné formé par le rétrécissement de la largeur des murs gouttereaux d’une vingtaine de centimètres. L’engravure dans le parement se développe sur toute la longueur des bas-côtés ; elle est interrompue sur sa face supérieure par un double rang de dalles saillantes fichées dans la maçonnerie des murs gouttereaux et marquant le départ de la couverture des bas-côtés. Les encoches d’entraits conservées entre les voûtes modernes du bas-côté sud permettent de restituer une charpente composée de six fermes inégalement espacées (entre 2 m et 2,70 m), supportant une toiture peut-être couverte de laves et subissant une inclinaison d’environ 20°. Sur le mur nord, l’interruption d’un enduit ancien témoigne d’un rehaussement du sommet de la toiture afin d’accentuer la pente de toit dans une seconde phase afin, peut-être, de prendre en compte de nouvelles circulations dans les parties supérieures au moment de la (re)construction du clocher au XIIe siècle.

5 La charpente de la nef centrale posait d’autres problèmes en l’absence de traces archéologiques aussi évidentes que pour les bas-côtés. La première interrogation portait sur le niveau d’arase primitif des murs gouttereaux. L’installation de la toiture à pente unique avait entraîné un arasement des maçonneries afin de faire passer les longs arbalétriers du vaisseau central jusqu’aux bas-côtés. La lecture des maçonneries du revers de façade et de son pendant au-devant du clocher nous donne cependant la hauteur d’origine des gouttereaux à travers les traces d’arrachements : ce niveau correspond en outre à celui du ressaut de maçonnerie du revers de la façade

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occidentale destiné à recevoir un entrait de la charpente. À partir de ce niveau, il est rapidement apparu qu’une charpente reprenant la même inclinaison que les bas-côtés (du type de la ferme dite latine, de ± 20° de pendage), ne pouvait pas « fonctionner » avec les rares ouvertures des façades. Et notamment, le faîtage d’une « ferme latine » aurait été situé au-dessous de la composition des deux oculi et de la croix grecque, alors que ces ouvertures étaient assurément destinées à ouvrir dans la partie supérieure de la nef centrale. Dès lors, il faut envisager une charpente dont l’inclinaison était beaucoup plus accentuée – autour de 45°– afin que la panne faîtière soit disposée au- dessus des ouvertures. À charge de cette hypothèse, seule une charpente de ce type permettait de prendre en compte un passage – bouché – permettant de desservir les parties hautes de la nef depuis le clocher (entretien des toitures, disposition d’éclairages pendants de la nef, etc.). La restitution d’une charpente fortement inclinée est corroborée par l’analyse des cinq entraits en remploi dans la charpente actuelle. Le relevé des traces de charpenterie (entures à mi-bois des jambettes et double (s) enture (s) ? à mi-bois des chevrons-arbalétriers) permet en effet de restituer des fermes à environ 45°. Les analyses dendrochronologiques datent les entraits en remploi entre les années 1300 et 1305 5. Cette datation indique avec certitude d’importants travaux sur la toiture au début du XIVe siècle. Mais les contraintes rencontrées par les charpentiers du début du XIVe siècle étaient vraisemblablement les mêmes que celles des charpentiers romans. Aussi, tout laisse à penser que l’on a refait au XIVe siècle une charpente à l’identique, ou très proche de la charpente primitive. Seul peut-être le nombre de fermes a pu éventuellement être réduit en fonction du mode de couvrement choisi (tuiles ou tavaillons à la place des laves ?). La question de la façade 6 Le plan de l’église dressé par R. Tournier dans les années soixante montrait une façade très largement en biais par rapport à l’axe de la nef. Cette anomalie apparaissait comme un argument supplémentaire plaidant en faveur d’une datation haute. La liaison entre les vaisseaux et la « façade carolingienne » aurait été alors assurée par une demi- travée, seul choix rendu possible par le manque d’espace résultant du changement de parti et imposé par la contrainte de la construction antérieure. Cette argumentation, si satisfaisante et tentante fut-elle, ne résiste pas à une étude plus approfondie des parties occidentales. Il convient de préciser tout d’abord que le désaxement de la façade doit être relativisé. En effet, si l’on compare le plan des années soixante à celui dressé en 1997 à l’aide d’un tachéomètre laser, on obtient un écart de 70 cm pour le premier contre 15 cm seulement pour le second ! L’analyse archéologique de la façade et des murs gouttereaux de la nef centrale démontre que les maçonneries sont chaînées. Le chaînage ne signifie pas pour autant que la nef soit contemporaine, puisque pour des raisons évidentes de statique, un harpage des maçonneries aurait été nécessaire dans le cas d’une adjonction postérieure. En revanche les techniques de constructions (mise en œuvre, appareillage, échafaudement) sont identiques. Et l’étude des liants mortiers classe également la façade et les gouttereaux dans une même phase de construction. Reste que la question de la demi-travée trouve une réponse dans l’étude du revers de façade. En recevant les arcs de la première travée, les piles s’inscrivent assurément dans le prolongement des vaisseaux et à une hauteur d’environ 5,30 m au-dessus du seuil du portail occidental, les deux maçonneries présentent respectivement un ressaut sur leur face intérieure d’une vingtaine de centimètres. Les deux ressauts latéraux étaient donc destinés à recevoir la poutraison d’une tribune primitive dont le niveau était à près de 1,40 m au-dessus de la tribune actuelle. L’existence d’une première

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tribune reposant sur la demi-travée est encore assurée par les modifications apportées à son accès depuis l’escalier. Dans son état actuel, le seuil de l’ouverture a été abaissé de près de 1,30 m, concomitamment à l’abaissement des marches de l’escalier ainsi qu’en témoignent les négatifs formés par l’interface entre les enduits.

Fig. 1 - Relevé pierre à pierre de la façade (parement extérieur) et proposition de phasage (del. L. Fiocchi et S. Bully).

7 Le relevé pierre à pierre et l’étude détaillée de l’appareillage des parements intérieurs et extérieurs de la façade révèlent un grand nombre de reprises, d’anomalies et de désordres : seule la partie centrale conserve sa maçonnerie primitive, l’extrémité nord et le tiers sud du mur-écran ayant été entièrement reconstruits entre les XIXe et XXe siècles selon les sources écrites. Seule la composition des deux oculi encadrant une petite fenêtre en forme de croix grecque au niveau du pignon appartient à la façade romane ; les autres baies sont contemporaines. Le mur occidental offrait donc une large surface presque aveugle et inarticulée, dont les extrémités ont nécessité d’importantes reprises de maçonneries. Le revers de façade au-dessus des bas-côtés pose de nombreuses difficultés et interrogations. Le parement d’origine est très nettement marqué de part et d’autre par un solin de dalles de pierres pris dans les maçonneries. Les solins subissent un pendage égal et parallèle à l’inclinaison des toitures des bas- côtés, qu’ils dominent d’une cinquantaine de centimètres. Mais les lits de dalles ne forment pas les rampants de la façade primitive puisqu’ils sont couverts par une maçonnerie identique à celle qu’ils recouvrent eux-mêmes. On peut identifier ces derniers à des solins maçonnés à dalles débordantes remplissant peut-être la fonction d’un larmier. La façade s’interrompt sur un nouveau solin de dalles – deux laves seulement sont conservées – à près de 1,60 m au-dessus de la toiture des bas-côtés. Une telle élévation pose la question de l’ampleur de cette façade-écran. L’hypothèse d’une façade débordant uniquement latéralement et sur la largeur de la nef centrale ne peut être retenue eu égard à l’importance du ressaut (près de 2 m côté nord). Dès lors, on suggérera l’hypothèse de l’existence d’une avant-nef qui devait barrer le vaisseau d’un imposant volume dépassant la hauteur des toitures des bas-côtés 6. À l’origine, la façade

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actuelle aurait donc été une façade interne entre cet avant-corps et les nefs. Le rejet très haut dans le pignon des trois baies s’expliquerait alors par la nécessité d’ouvrir au- dessus d’une haute toiture. À l’appui de cette hypothèse, on avancera encore que la reconstruction de la façade au niveau des bas-côtés a pu être motivée par la nécessité de consolider, même tardivement, des maçonneries affaiblies par l’arrachement des gouttereaux de cette avant-nef potentielle. À partir des quelques éléments que nous venons d’évoquer, il reste hasardeux d’aller au-delà dans les hypothèses, et en particulier concernant la datation et l’ampleur de cet avant-corps. Il convient seulement de signaler la découverte en 1996 de deux tombes maçonnées de plan naviformes orientées nord-sud au niveau du parvis 7. Au moment de leur découverte, nous avions suggéré que leurs positions, et en particulier leurs orientations, pouvaient trahir l’existence d’un bâtiment disparu contre lequel les tombes auraient été alignées. Une construction antérieure à l’église romane semblait alors l’hypothèse la plus vraisemblable. Mais une analyse radiocarbone engagée sur une des sépultures a donné une fourchette chronologique comprise entre les années 991-1158, avec un pic de probabilité en 1025 8. Aujourd’hui, forts des enseignements livrés par les élévations, nous serions donc tentés de placer ces tombes en relation avec la façade de l’éventuelle avant-nef, à près de 6,80 m à l’ouest de la façade actuelle.

Fig. 2 - Évocation de l’église de Saint-Lupicin au XIIe siècle avec la toiture à quatre pans et l’avant-nef (infographie 3D, D. Vuillermoz, APAHJ).

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NOTES

1. Le chantier a été réalisé dans le cadre d’une double convention passée entre la maîtrise d’ouvrage, ARTeHIS-UMR 5594 du CNRS et l’APAHJ (Saint-Claude). L’intervention sur le terrain a été menée par trois archéologues durant sept semaines, conjuguée avec des stages de relevés et d’analyses du bâti proposés à huit étudiants des universités de Franche-Comté et de Bourgogne. Parallèlement, A. Bully a dépouillé l’ensemble des sources écrites anciennes intéressants les travaux sur l’église. L’analyse des mortiers a été réalisée par S. Büttner dans le cadre de son travail de post-doctorat au sein d’ARTeHIS-UMR 5594. 2. Programme co-dirigé par É. Vergnolle et S. Bully, hébergé par le Laboratoire des Sciences Historiques de l’Université de Franche-Comté (Besançon). 3. R. TOURNIER, Les églises comtoises, leur architecture des origines au XVIIIe siècle, Paris, 1954, p. 40-41 ; hypothèse admise et relayée par G. DUHEM, Congrès archéologiques de France. Franche-Comté, Paris, 1960, p. 148-149 et P. LACROIX, Églises jurassiennes romanes et gothiques, Besançon, 1981, p. 255. 4. O. GIRARDCLOS, C. PERRAULT, Analyses par dendrochronologie de charpentes de l’église de Saint-Lupicin, rapport dactylographié déposé au centre de documentation de la DRAC, juin 2003, 32 p. 5. Ibid., O. GIRARDCLOS, C. PERRAULT, Analyses… 6. Nous remercions Ch. Sapin de nous avoir suggéré cette piste de réflexion lors d’une visite du chantier. 7. S. BULLY, Ph. HAUT, Saint-Lupicin (F. 39), parvis et abords de l’église romane, ancien cimetière paroissial. Rapport d’évaluation archéologique, Rapport conservé au centre de documentation du SRA, Besançon, 1996. 8. Échantillon Ly. 9028.

INDEX

Mots-clés : Notre-Dame de Saint-Lupicin Index géographique : France/Jura, France/Saint-Lupicin

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Priorale Saint-Pierre de Souvigny (Allier), étude archéologique de la nef, première tranche

Pascale Chevalier, Morana Čaušević-Bully, Mathias Dupuis, Laurent Fiocchi et Olivier Lapie

1 En 2002, nous avions présenté d’abord dans le bulletin du CEM 1 puis à Auxerre les découvertes effectuées en 2001 et 2002 autour du tombeau des saints Mayeul et Odilon de Cluny dans l’église Saint-Pierre de Souvigny (Allier). Nous rendons brièvement compte ici des travaux menés sur le même site en 2006 – travaux en partie limitrophes de la travée explorée précédemment (fig.1). La première tranche de l’étude archéologique envisagée s’inscrit dans le cadre d’une réfection intérieure des cinq vaisseaux de la nef de la grande priorale clunisienne, portée par la Conservation régionale des Monuments historiques d’Auvergne. L’intervention, motivée tant par l’intérêt scientifique du site que par les risques de destruction engendrés par la réfection, avait pour objectif d’étudier en 2006 les deux collatéraux nord ; précédée par un sondage en avril, elle a débuté en juin et s’est achevée en novembre 2. La topographie interne médiévale présentait un pendage ouest/est très marqué. En 1835, lors des travaux qui ont suivi le classement de l’édifice, tous les niveaux modernes et médiévaux ont été nivelés à l’ouest pour rétablir un sol plus horizontal 3. Il ne subsiste à l’est que les premiers sols postérieurs au XIIe siècle. En outre, quelques piles de la nef ont été consolidées au béton armé au début du XXe siècle ; 25 m2 de surface est à chaque fois stérile alentour. Cadre architectural de l’intervention 2 L’édifice actuel (87 m de long x 40 m de largeur maximum à l’est ; largeur de la nef : 28 m) résulte de plusieurs chantiers de construction qui se sont succédés entre le milieu du XIe et le XVIIIe siècle. Existait, en outre, auparavant, un bâtiment dont on ignore l’implantation exacte : l’église Saint-Pierre de la donation à Cluny de sa villa de Sylviniacum par Aymar, l’ancêtre des Bourbons, en 915-920 4.

3 L’église charpentée construite en 1040-1060 comportait un chevet tri-absidé ouvrant sur un chœur rectangulaire à alvéoles latérales inscrites, un transept et une nef assez

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large, dont la première tranche de l’étude n’a atteint que le tiers septentrional. Dans la phase suivante, la nef fut divisée en 3 vaisseaux ; nous en avons exploré le bas-côté nord en 2006. Au sud, s’étendaient les bâtiments claustraux ordonnés autour du cloître et, au sud-est, selon un système très clunisien, une chapelle dédiée à la Vierge Marie 5. À la fin du XIe siècle, une galilée fut édifiée à l’ouest des deux tours de façade, à peine terminées. Le développement rapide du pèlerinage et de la communauté amena une refonte de la priorale et des bâtiments monastiques dans le courant du XIIe siècle. On ajouta un large bas-côté sur chaque flanc de la nef, en perçant des arcades dans les anciens murs gouttereaux, pour former une nef à cinq vaisseaux voûtés (dont nous avons pu étudier en 2006 les deux collatéraux nord). Cette campagne entraîna un remodelage du cloître et des bâtiments qui flanquaient jusque-là le bas-côté sud. Puis, on agrandit l’église vers l’est en construisant vers 1150-1165 au-delà d’un second transept, comme à Cluny III, un chevet à déambulatoire et cinq chapelles rayonnantes. Enfin, dom Geoffroy Chollet consacra les 30 ans de son priorat (1424-1454) à une réfection d’ensemble 6, voûtant sur croisées d’ogives le haut vaisseau de la nef et les transepts, reconstruisant le chœur, faisant abattre la galilée et construire devant les tours romanes la façade actuelle, etc. Les modifications suivantes ne touchèrent pas la nef. Église de pèlerinage auprès des saints Mayeul et Odilon, la priorale clunisienne était la nécropole dynastique des ducs de Bourbonnais, le « Saint-Denis des Bourbons ». Elle avait aussi un rôle paroissial, avec un autel Saint-Nicolas situé dans le bas-côté extérieur nord, (cf. infra). Villa carolingienne (?) et premier horizon funéraire

4 Des vestiges de la villa carolingienne, connue par la charte de donation à Cluny (915-920), sont apparus, mais leur profondeur d’enfouissement rend l’examen ardu vers l’est : d’abord un fossé orienté nord-sud (L. obs. 5,08 m) excavé dans le substrat glaiseux et un trou de poteau sur sa rive orientale. Le comblement progressif du fossé contenait une quantité notable d’ossements d’animaux et de tessons de céramique, datable des VIIIe-Xe siècles. Environ 10 m plus à l’est, un trou de poteau à calage de pierres et le sol d’une cour (?), mis au jour sur 4,50 m2, associé à un petit trou de poteau et au départ d’une sablière orientée nord-sud ressortent de la même période. On a enfin observé à l’est de la zone étudiée un tronçon (L. 4,70 m) d’un mur en petit appareil (ép. 74 cm), orienté nord-est/sud-ouest, qui est emporté par le gouttereau nord primitif de la priorale romane (mi-XIe siècle), orientée quant à elle légèrement est-nord-est/ouest- sud-ouest. Il est impossible de préciser la date, l’ampleur et la fonction de ce bâtiment ancien.

5 Huit sépultures en cercueil monoxyle 7 orientées ouest-est représentent l’horizon ultérieur ; deux exemplaires ayant conservé leur couvercle recoupent le fossé carolingien comblé. Ces cercueils ont été fabriqués dans des grumes de chênes d’environ 250 ans à l’abattage, datés par dendrochronologie des années 940 8 ; quatre d’entre eux ont été fouillés, avec de forts déplacements des ossements par l’eau qui a favorisé la conservation du bois. On aurait là des individus adultes, d’une catégorie aisée de la population de l’ancienne villa (?), inhumés juste avant l’installation des moines en 954 ou au tout début du monastère 9. Ces contenants monoxyles paraissent remplacer dans la région les sarcophages de grès de la période précédente. Notons encore trois sépultures d’enfants et une d’adulte. Un sol de glaise couvert d’un radier de pierres et un lit de mortier, qui constituent le sol au nord de l’église à la phase suivante, passent au-dessus de ces tombes du Xe siècle, peut-être concomitamment avec

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une structure ligneuse (plancher ?), mise au jour à l’ouest sur 2,62 x 0,96 m, dont les planches suivent l’orientation nord/sud du fossé. Nef du XIe siècle et cimetière extérieur

6 L’édifice du milieu du XIe siècle est mononef. Un mur de refend nord/sud, dont l’existence n’était pas soupçonnée auparavant, a été attesté sur 1,76 m de longueur et trois assises d’élévation. De même épaisseur que le gouttereau nord (90 cm), il fermerait une avant-nef originelle, ayant la profondeur de deux des futures travées de la fin du XIe siècle ; elle est supprimée dès la phase suivante. La nef, dont le premier sol est établi sur une semelle d’isolation et de stabilisation ou sur un remblai de matériaux de construction, est rapidement soumise à un violent incendie, puis semble avoir été brièvement restaurée, mais le sinistre a probablement influé sur la décision de modifier le bâtiment dans le dernier tiers ou quart du XIe siècle. La nef est alors subdivisée en trois vaisseaux par deux files de piles quadrilobées. Les bas-côtés étroits (2,70 m au nord) reçoivent des berceaux sur doubleaux retombant sur des colonnes engagées dans les gouttereaux. On a pu observer les fondations et la mouluration des bases de cinq des piles nord à plinthe cruciforme, édifiées en moyen appareil de grès sur des fondations en massif quadrangulaire. Le parement sud du gouttereau est retravaillé à chaque travée pour insérer des colonnes engagées, en moyen appareil de grès. On rétrécit aussi les larges fenêtres du premier état. Les sols (lits de mortier alternant avec de la terre indurée) se succèdent rapidement, avec le négatif rectangulaire d’un autel éphémère à mi-longueur du bas-côté. L’humidité ambiante constitue un problème récurrent dans l’église, fondée dans la glaise : un petit caniveau à ciel ouvert file d’ouest en est dans le bas-côté. Un muret en moyen appareil, déjà observé en 2002, isole le collatéral du vaisseau central dans la travée qui abrite la tombe des saints Mayeul et Odilon 10. Comme le caniveau et l’autel, il est abandonné et nivelé au début du XIIe siècle.

7 Quelques sépultures appartiennent au cimetière paroissial extérieur du XIe siècle. Orientées parallèlement au gouttereau nord (est-nord-est/ouest-sud-ouest) et non plus strictement ouest-est comme les précédentes, ces inhumations d’adultes en pleine terre ou en cordons de pierres, étaient très rapprochées et pour certaines se chevauchaient en partie. La cuve d’un sarcophage trapézoïdal en grès, datable des VIe-VIIe siècles, semble avoir été remployée sans couvercle durant cette phase. Ajout du bas-côté paroissial au XIIe siècle et inhumations du bas Moyen Âge à l’époque moderne

8 La nouvelle avant-nef (galilée) doit être à peine terminée, quand vers 1110 – pour agrandir la nef d’un bas-côté externe – on perce six grandes arcades dans le gouttereau nord du XIe siècle. Six piles irrégulières, quadrilobées autour d’un massif trapézoïdal, sont créées à partir de tronçons du gouttereau du XIe siècle. Le tout est accompagné de reprises des fondation, d’un terrassement et d’un rehaussement général du sol. L’empreinte du massif rectangulaire maçonné de l’autel Saint-Nicolas subsiste à l’extrémité est du nouveau bas-côté paroissial nord ; dans un second temps, on insère dans ses angles les quatre colonnettes d’un ciborium.

9 Après un hiatus de plus de 250 ans, le troisième horizon funéraire (fin du XIVe-XVIIIe siècle) occupe inégalement les six travées de la nef nord (paroissiale). Une quinzaine de sépultures en cercueils cloutés ou chevillés, en coffres ou en pleine terre a été examinée, ainsi qu’un caveau avec système de pourrissoir, contenant au moins dix-sept individus adultes, sous un enfeu gothique. Un drain, fait d’une planche de bois entre

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deux rangées de blocs de remploi, couvertes par des dalles, évacuait les eaux de ruissellement vers le cloître (au XVIe siècle ?) ; il s’est bouché par calcification. Une tombe de prestige ad sanctos à la fin du XIVe siècle : celle du « bâtard » de Bourbon

10 Enfin, un sondage a été mené au sud pour identifier le tombeau, connu par un dessin 11 et des plans du XVIIIe siècle d’un arrière-petit-fils de saint Louis : Jean de Rochefort (+ 1375), fils naturel de Louis Ier de Bourbon. Un socle quadrangulaire, support du monument gothique disparu à deux gisants, coiffe l’extrados de la voûte d’un caveau, grossièrement obturé à l’ouest à la fin du XIVe siècle par un muret en blocs de remploi romans. L’examen est resté superficiel, mais il apparaît qu’un premier individu (Jean de Rochefort ?) est inhumé dans une fosse rectangulaire de la taille du caveau ; sur les bords de cette fosse on élève les parois qui soutiennent une voûte en berceau très inégal. Un deuxième corps est placé au-dessus (celui de son épouse dame Agnès Chalheu, après le 15 octobre 1389, date de son testament ?). La fosse d’accès ouest trop étroite n’a pas permis d’éviter que l’introduction en force du second corps ne repousse vers l’est une partie du squelette de la sépulture primaire. Deux autres tombes côtoyaient ce caveau dans ce qui devait être une chapelle funéraire.

11 L’ensemble des données collectées sera étudié en 2007, parallèlement à une nouvelle campagne qui s’étendra d’avril à juillet 2007 au reste de la nef : collatéraux méridionaux et haut vaisseau – avec le complément de la fouille de 2001-2002 autour de la tombe de Mayeul et Odilon, la poursuite de l’enquête sur les phases les plus anciennes d’occupation du site, la mise au jour des chapelles privées gothiques dans les bas-côtés sud, mais aussi de la galerie nord du premier cloître roman et d’un segment contigu des bâtiments claustraux contemporains, etc.

Priorale Saint-Pierre de Souvigny, plan des zones étudiées en 2006 (del. L. Fiocchi, sur fond de plan de S. Guyot d’après M. Génermont).

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NOTES DE FIN

1. P. CHEVALIER, A. MAQUET, A. PAILLET, « Souvigny (Allier). La découverte du tombeau des saints Maïeul et Odilon de Cluny », in Bulletin du Centre d’études médiévales, 6 (2001-2002), p. 28-32. 2. Financée par des crédits européens, le Ministère de la Culture, le contrat de plan État/Région Auvergne sur les édifices romans et le Conseil général de l’Allier, la campagne 2006 a employé de trois à quatre archéologues et un anthropologue pendant quatre mois pleins grâce à une gestion passant par ARTeHIS UMR 5594 du CNRS, P. Chevalier assurant la direction bénévole du chantier ; 75 personnes nous ont gracieusement prêté main forte, notamment une cinquantaine d’étudiants venus de toute la France et du Québec. 3. Il reste néanmoins une pente de quelque 37,5 cm (!) sur la longueur de la nef. 4. A. BERNARD et A. BRUEL, Chartes de Cluny, Paris, 1876-1903, t. I, p. 206, n° 217. Cf. A. MAQUET, Cluny en Auvergne (910-1156), thèse dactylographiée de doctorat d’histoire, sous la dir. de M. Parisse, Université de Paris I, 2006, chap. 2. 5. P. CHEVALIER, A. MAQUET, « Notre-Dame-des-Avents, la seconde église du prieuré de Souvigny », in Nos Églises Bourbonnaises, 17 (2004), p. 51-65. 6. A. COURTILLÉ, Auvergne, Bourbonnais, Velay gothiques, Paris, 2002, p. 408-421. 7. Trois autres exemplaires ont été découverts à Souvigny même : un au début du XIXe siècle (L.-J. ALARY, Petite géographie historique, commerciale, agricole et industrielle du département de l’Allier, Moulins, 1851, p. 255), un second par M. Génermont en 1935 (M. G ÉNERMONT, « Les monuments historiques de l’Allier en 1935 », in Bulletin de la Société d’Émulation du Bourbonnais, 39 (1936), p. 271-272) et un 3e daté par dendrochronologie des années 930-940, en 1991, dans la cour du prieuré du XVIIe siècle (A.-M. JURQUET, « Souvigny (Allier). Prieuré », in Chronique des fouilles médiévales en France, Archéologie médiévale, 21 (1991), p. 334.). 8. Étude du CEDRE de Besançon. 9. Aymon, le fils d’Aymar, a tenté de remettre la main sur les biens donnés par son père, il les restitue par « déguerpissement » en 954 (Arch. dép. de l’Allier, série H 419 : Thesaurus Sylviniacensis). Cette date doit correspondre à l’installation réelle des moines clunisiens à Souvigny. 10. P. CHEVALIER, « Les tombeaux et les monuments funéraires médiévaux des saints abbés Mayeul et Odilon de Cluny », in Hortus artium medievalium, 10 (2004), p. 119-132. 11. Paris, BnF, Clairambault 640, fol. 269 (dessin réalisé pour Roger de Gaignières).

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Etudes & travaux

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Panorama de l’écrit diplomatique en Bourgogne : autour des cartulaires (XIe-XVIIIe siècles)

Isabelle Rosé

Introduction

1 L’écrit diplomatique en Bourgogne se caractérise d’abord par l’importance de la masse documentaire existante, ne serait-ce, pour prendre un exemple emblématique, que par l’énorme fonds de Cluny. Selon un premier bilan1, encore provisoire mais qui sera sans aucun doute réévalué à la hausse, au moins 374 cartulaires ont été confectionnés dans l’espace géographique qui correspond aux diocèses d’Auxerre, Autun, Chalon, Nevers, Mâcon et Langres, Besançon et Sens 2. Sur cet ensemble, 316 cartulaires nous sont parvenus, en général sous la forme de manuscrits bien conservés formant parfois plusieurs volumes, mais seulement par fragment dans vingt cas. Ce caractère prolifique de l’écrit diplomatique dans l’espace bourguignon s’explique, en grande partie, par la présence en son sein d’institutions de premier plan à l’époque médiévale : Cluny, dans le diocèse de Mâcon, Cîteaux dans celui de Chalon et Clairvaux dans celui de Langres, constituent ainsi des foyers particulièrement actifs de l’écrit diplomatique 3.

2 Paradoxalement, cette masse documentaire a été peu exploitée par les historiens, à quelques exceptions près. Si la documentation diplomatique de plusieurs établissements, essentiellement monastiques, est aujourd’hui relativement bien connue (notamment pour Cluny, Vézelay, Clairvaux et Molesme), la grande majorité des cartulaires recensés n’a fait l’objet, dans le meilleur des cas, que d’études ponctuelles, parfois isolées, souvent relativement anciennes 4. Ce sont en fait surtout les éditions qui font défaut, puisque sur les 374 cartulaires recensés, seule une cinquantaine d’entre eux a fait l’objet d’une édition systématique, pour certains encore en cours 5. La plupart des éditions datent du XIXe siècle et posent trois types de problèmes. En premier lieu, elles ne respectent souvent pas l’ordre des pièces dans les cartulaires originaux et leur préfèrent un ordre chronologique, certaines d’entre elles y insérant en outre l’édition

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d’actes originaux 6. Elles ne consistent parfois qu’en des éditions partielles d’actes jugés importants au moment de leur publication 7. Enfin, à cinq exceptions près, ces éditions ne concernent que des établissements religieux (essentiellement monastiques, canoniaux et épiscopaux), alors que l’on dispose d’au moins 49 cartulaires bourguignons concernant des laïcs ou des institutions communales 8.

3 Dès l’origine, le but de cette recherche était de tirer quelques conclusions relatives à la production de cartulaires en Bourgogne, essentiellement grâce à des dépouillements bibliographiques. Le travail était plus ou moins balisé par le recensement effectué par Henri Stein en 1907 dans sa Bibliographie générale des cartulaires français, revue et corrigée par la base de données de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes (IRHT) 9. L’enquête a été menée sur un espace bourguignon restreint : les diocèses d’Auxerre, Autun, Chalon, Mâcon, Nevers et Langres 10. Afin de comprendre l’ensemble du processus de rédaction, il m’a en outre semblé nécessaire de ne pas limiter la recherche aux cartulaires médiévaux, mais d’y inclure également les recueils d’époque moderne 11. L’enquête se situe donc entre deux bornes chronologiques qui correspondent globalement à certaines logiques de mise par écrit, à la fois mémorielles, défensives ou offensives, et gestionnaires : en amont, la confection des premiers cartulaires au XIe siècle ; en aval, la copie des derniers recueils de ce type aux XVII e- XVIIIe siècles 12.

4 Tandis que plusieurs travaux récents ont montré l’importance du contexte propre à chaque institution dans le processus de rédaction de ses cartulaires, mon analyse se situe à un niveau macro-historique, afin d’esquisser un tableau d’ensemble du processus de rédaction de cartulaires dans l’espace étudié 13. La recherche a été guidée par la volonté de spécifier les caractéristiques générales de ce processus sur plusieurs plans – chronologique, géographique, institutionnel et matériel – imbriqués entre eux, qui ont débouché sur trois interrogations. Quelle est la chronologie de la confection des cartulaires en Bourgogne ? Quelles sont les variations de cette chronologie selon le type d’institution qui se trouve à l’origine de l’écrit diplomatique ? Enfin, peut-on identifier des modèles d’organisation de cartulaires et comment circulent-ils ?

5 Pour tenter d’esquisser quelques réponses à ces questions, deux instruments de travail ont été mis au point. La masse documentaire et la perspective de recherche choisie – sur le très long terme pour saisir des tendances générales – imposaient d’abord la constitution d’une base de données susceptible de permettre un traitement systématique des informations. Par ailleurs, il m’a paru nécessaire de situer très exactement sur une carte les institutions rédactrices de cartulaires, dans la mesure où leur mise par écrit semblait parfois répondre à des logiques d’imitation, de compétition ou de distinction entre institutions voisines 14. D’emblée, un problème méthodologique s’est posé : quels types d’unités documentaires devaient être pris en compte pour donner l’aperçu le plus pertinent possible de la documentation diplomatique en Bourgogne15 ? La définition donnée par la diplomatique contemporaine a été reprise ici : toutes les « transcription[s] organisée[s], sélective[s] ou exhaustive[s], de documents diplomatiques, réalisée[s] par le détenteur de ceux-ci ou pour son compte » ont été considérées comme des « cartulaires » (terme désormais employé dans ce sens) 16. Cela signifie que les pancartes ont été incluses dans le corpus, tandis que les copies conformes de cartulaires médiévaux réalisées à l’époque moderne en ont été exclues. L’essentiel de l’étude a donc consisté en un travail d’inventaire et d’entrée des informations dans la base de données dont je présenterai rapidement le

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fonctionnement dans un premier temps. Je donnerai ensuite les conclusions, encore provisoires, que j’ai pu dégager sur l’écrit diplomatique dans les espaces bourguignons.

Présentation de la base de données de recensement de la bibliographie et des cartulaires

6 La base de données bibliographique a été conçue en collaboration avec Eliana Magnani et Marie-José Gasse-Grandjean pour traiter la documentation diplomatique. Elle comporte actuellement 585 fiches, toutes conçues sur un même modèle, apte à recueillir des informations à la fois sur les cartulaires et sur la littérature qui les concerne. Les champs de recherche initiaux ont été augmentés de nouvelles rubriques destinées à répondre aux interrogations qui ont guidé mon travail, dans une volonté de prise en compte de critères chronologiques, institutionnels et matériels. Avec Marie- José Gasse-Grandjean, nous avons donc posé trois postulats de travail que j’évoquerai avant de présenter la base de données et son fonctionnement.

7 Le premier postulat concerne le versant bibliographique de la base de données. Dès le départ, la décision a été prise d’y entrer toutes les études évoquant de près ou de loin la documentation diplomatique bourguignonne, dans une double optique. Il s’agissait d’abord de constituer une base bibliographique qui permette l’étude des cartulaires et des institutions qui les rédigent, mais aussi de recenser, entre autres, les éditions d’actes isolés afin de faciliter l’accroissement progressif de la base de données des Chartae Burgundiae Medii Aevii (CBMA), en cours de constitution à l’UMR ARTeHIS 17.

8 Les deux autres postulats de travail résultent des interrogations qui ont guidé l’enquête sur les cartulaires originaux. La première décision a été de constituer une fiche unique par unité documentaire. Les recueils composés de plusieurs volumes, mais conçus comme un ensemble, ont donc fait l’objet d’une seule fiche 18. Ce postulat suscite toutefois quelques difficultés liées aux conjectures de la recherche historique. Faut-il, par exemple, tenir compte de l’hypothèse de Hartmut Atsma et de Jean Vezin qui voient dans les cartulaires A, B et C de Cluny « des unités physiques dissociées d’un seul et même ouvrage », c’est-à-dire qu’il s’agirait « non de trois cartulaires, mais d’un seul » 19 ?

9 Le dernier postulat découle d’un problème méthodologique inhérent au traitement statistique des données historiques, nécessairement biaisées – dans le cas étudié – par le problème de la conservation des recueils et donc par celui de leur destruction 20. Les 316 cartulaires qui nous sont parvenus ne peuvent en effet en aucun cas être analysés comme des data qui permettraient d’appréhender exactement le phénomène social de mise par écrit des cartulaires, puisqu’ils ne représentent qu’une partie d’un ensemble plus vaste constitué par l’ensemble des cartulaires confectionnés durant la période étudiée. Les problèmes inhérents à la transmission des documents médiévaux et modernes – c’est-à-dire d’abord le tri opéré par les institutions elles-mêmes, ensuite les destructions dues aux aléas historiques –, ne permettent pas de cerner si cette masse documentaire constitue un échantillon représentatif du processus général de mise par écrit des cartulaires 21. Pour pallier partiellement ce biais, la décision a été prise d’entrer dans la base les cartulaires qui ont été perdus et dont on connaît l’existence par divers canaux. Dans le meilleur des cas, ces derniers correspondent à des copies de cartulaires réalisées à l’époque moderne, mais le plus souvent, il ne s’agit que de

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simples mentions dans certains documents, sans que l’on puisse toujours déterminer si l’on a vraiment à faire à un cartulaire, étant donnée la pluralité d’appellations de ce type de recueil22. Malgré le biais correcteur que constitue la prise en compte des recueils disparus, les caractéristiques de la production de cartulaires en Bourgogne telles que je les présenterai dans cette étude reposent donc en très grande partie sur la documentation encore existante. Elles nécessitent par conséquent une comparaison avec d’autres espaces qui permette de confirmer et d’affiner les résultats.

Fig. 1. Exemple de fiche de la base de données bibliographique.

10 Telle qu’elle se présente dans la base de donnée au format FilemakerPro, chaque fiche se compose de trois parties : une partie identifiante, une partie Édition et une partie Manuscrit 23.

11 La première partie doit être obligatoirement remplie et permet d’identifier et de caractériser l’institution concernée selon plusieurs critères. À l’extrême gauche (a), se trouve un numéro d’ordre, attribué automatiquement à la saisie. Les trois rubriques suivantes concernent respectivement : le lieu (b), le type (c) et le patronage (d) de chaque institution. Ces trois champs ont été multivalués, afin de préciser, dans certains cas, l’endroit spécifiquement concerné par un cartulaire donné 24. Enfin, à droite, deux rubriques permettent d’indiquer le diocèse (e) où se situe le rédacteur du cartulaire, puis le nom de l’institution dont dépend un établissement donné (f), un champ utilisé essentiellement dans le cas des prieurés.

12 La seconde partie d’une fiche peut être utilisée dans deux cas de figure. Elle peut tout d’abord permettre de recenser la bibliographie existante sur la documentation diplomatique d’un établissement. Elle est toutefois essentiellement mise à contribution pour indiquer les éditions de cartulaires originaux et constitue donc un instrument de travail destiné à la fois à documenter la base de données bibliographique et celle des

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CBMA. Outre les références bibliographiques (h1, h2, h3), cette partie signale en effet la bibliothèque détenant l’ouvrage (i), parfois aussi l’adresse internet de sa mise en ligne. Les champs de droite ont été conçus dans une triple perspective. Deux d’entre eux permettent de faire le lien avec la base de données des CBMA : ils précisent le nombre d’actes édités dans l’ouvrage (j), ainsi que sa numérisation éventuelle (k). Le champ suivant (l) indique la date de l’édition, donnée utile dans la perspective d’un travail historiographique futur, consistant en une réflexion sur les méthodes et les partis pris de ces entreprises d’édition en fonction du moment où elles ont été réalisées. Enfin la dernière rubrique (m) constitue un lien avec la troisième partie de la fiche, puisqu’elle précise si l’édition correspond à un cartulaire original ou s’il s’agit d’un recueil factice, constitué de documents de provenances diverses concernant une même institution.

13 La troisième partie de la fiche-type est enfin consacrée aux manuscrits. Les premières rubriques correspondent aux données matérielles de chaque recueil : son titre (n), le siècle où il a été élaboré (o), sa cote de conservation (p), sa foliotation (q), le nombre d’actes qu’il contient (r), le numéro que lui a attribué Henri Stein (s), enfin les bornes chronologiques des actes contenus dans le recueil (t). Deux rubriques ont été ajoutées ensuite : l’état de conservation du recueil (u) et surtout la date présumée de la confection du cartulaire (v) qui permet d’affiner la chronologie de la rédaction des recueils. La zone en grisé a été ajoutée pour préciser le contenu et le contexte de rédaction de chaque cartulaire. Dans une optique comparative, il m’a en effet semblé important de m’interroger sur l’organisation de la matière à l’intérieur des recueils, notamment s’ils contenaient une préface (w) précisant les motifs de l’entreprise de rédaction, puis comment les différents titres avaient été ordonnés (x) 25. Les rubriques de gauche ont donc été créées dans la perspective d’identifier l’existence éventuelle de modèles d’organisation de cartulaires et de cerner ensuite les caractéristiques de leur circulation. Les rubriques qui se trouvent à droite ont été élaborées dans une optique micro-historique, afin d’éclairer le contexte propre à chaque institution au moment de la mise par écrit du recueil. Un premier critère, prosopographique, a été retenu : l’identification du ou des instigateur(s) de la copie du cartulaire (y). Cette rubrique inclut aussi les copistes lorsqu’ils sont connus ou des personnes extérieures à l’institution, mais qui ont joué un rôle dans la rédaction. La seconde rubrique concerne plutôt le contexte de rédaction du recueil (z), notamment du point de vue textuel, par une recension éventuelle d’autres types d’écrits, rédigés à la même époque (coutumes, nécrologes, chronique, gesta, textes hagiographiques).

14 Au total, 585 fiches ont donc été créées. Je suis intervenue essentiellement sur la partie concernant les manuscrits, en précisant 164 fiches sur 375 à partir de la bibliographie existante. Ce travail d’inventaire permet de dégager certains résultats, que je considère comme provisoires tant qu’une véritable étude sur les manuscrits n’aura pas été menée. Je ne peux m’en tenir pour l’instant qu’à une approche sur le long terme pour tenter d’identifier et de caractériser certaines grandes tendances relatives au processus de confection des cartulaires en Bourgogne.

Panorama de la confection de cartulaires en Bourgogne (XIe-XVIIIe siècle)

15 Pour les six diocèses proposés à l’étude, on connaît au total 307 cartulaires, rédigés entre le XIe et le XVIIIe siècle, qui se répartissent de manière très inégale,

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avec une très forte prédominance du diocèse de Langres (cf. Fig. 2, l’histogramme).

Fig.2. Répartition des cartulaires par diocèse (XIe-XVIIIe siècles ).

16 La masse de cartulaires rédigés dans le diocèse de Langres s’explique sans doute en partie par son ancienneté par rapport à d’autres subdivisions territoriales, comme Nevers par exemple, et surtout par sa superficie importante. Il compte en outre de nombreux monastères, cisterciens et bénédictins, y compris de gros confectionneurs de cartulaires, comme Clairvaux 26. Cette surreprésentation du diocèse de Langres traduit également le poids progressif de la ville de Dijon, qui se trouve à l’origine de 15 cartulaires municipaux. Lorsqu’on ne prend en compte que les cartulaires rédigés entre le XIe et le XIIIe siècle (figurés en losanges sur le graphique), le poids relatif de cette circonscription territoriale diminue et l’on constate, qu’à l’exception du diocèse de Nevers largement sous-représenté, les cartulaires se répartissent de manière sensiblement équivalente entre les quatre autres diocèses 27. La confection massive de cartulaires dans le diocèse de Langres apparaît donc comme un phénomène plutôt tardif.

17 Sur ces 307 cartulaires, seuls 264 d’entre eux nous sont parvenus, mais l’on dispose parfois de renseignements sur les recueils disparus par le biais de copies, essentiellement effectuées à l’époque moderne. La base de données permet tout d’abord d’esquisser une chronologie relative du processus de leur mise par écrit, bien que la datation de 27 d’entre eux n’ait pas pu être établie, généralement parce que l’original a disparu 28. Le corpus se répartit entre le XIe et le XVIIIe siècle, avec un pic au XVe siècle (Fig. 3). Si l’on excepte ce dernier, le processus de rédaction des cartulaires, tel qu’on le connaît par les recueils dont la date a été établie par diverses études, est relativement stable entre le XIIIe et le XVIIIe siècle et tourne autour de 36 cartulaires par siècle29.

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Fig. 3. Chronologie relative de la répartition des cartulaires en Bourgogne.

18 Le processus de rédaction des cartulaires en Bourgogne semble pouvoir être ordonné en trois grandes phases : la copie des premiers cartulaires aux XIe et XIIe siècles, un temps de stabilisation aux XIIIe-XIVe siècle et enfin les XVe-XVIIIe siècles marqués par des fluctuations importantes.

19 L’apparition des cartulaires en Bourgogne semble être un phénomène relativement tardif, en comparaison avec d’autres zones géographiques où les premiers recueils ont été copiés au IXe siècle 30. Sept cartulaires sont attestés au XIe siècle et proviennent tous d’abbayes ou de prieurés bénédictins : Perrecy, Flavigny, Saint-Bénigne de Dijon, Cluny et -sur-Loire 31. Selon l’éditeur du cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon, un recueil primitif épiscopal existait avant le XIIe siècle, peut-être dès le XIe siècle, mais il n’est connu que par une mention tardive 32. Il convient en outre de noter, qu’à l’exception des premiers cartulaires de Cluny et du cartulaire-chronique de Saint- Bénigne, tous ces recueils ont disparu, ce qui rend impossible leur datation selon des critères de critique externe. En ne tenant pas compte de l’hypothèse, au demeurant bien fragile, de l’existence d’un recueil épiscopal à Mâcon dès le XIe siècle, le processus de rédaction des cartulaires apparaît donc comme un phénomène avant tout monastique qui naît vraisemblablement au cœur de la Bourgogne méridionale et semble en lien étroit avec le monastère de Cluny.

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Fig. 4. Les rédacteurs de cartulaires au XIe siècle.

20 Le premier cartulaire attesté en Bourgogne serait celui de Perrecy, un prieuré de l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire : ce recueil, aujourd’hui perdu, aurait été mis par écrit autour de 1014 à Perrecy à l’époque de l’abbé de Fleury Gauzlin (1004-1030), successeur d’Abbon de Fleury († 1004) dont l’activité intellectuelle à la tête de son monastère est bien connue 33. Ce cartulaire commençait par un dossier formé de plusieurs chartes du donateur du prieuré à Fleury et d’une série de privilèges royaux, suivi d’actes concernant tout autant Perrecy que Saint-Benoît-sur-Loire. Pour l’abbaye de Flavigny, la rédaction du cartulaire aurait été entreprise dans les années 1020, pour s’achever un siècle plus tard, selon la datation proposée par Constance Brittain- Bouchard dans une édition récente 34. Le recueil aurait été rédigé quelques temps après la réforme de l’établissement à la fin du Xe siècle, à la demande de l’évêque d’Autun Gauthier qui jouissait de droits importants sur l’abbaye et aurait demandé la venue d’un moine de Cluny, Heldric, pour en prendre la tête.

21 La rédaction du cartulaire de Saint-Bénigne de Dijon (Dijon, BM, ms. 591, fol. 59-124) se situerait pour sa part entre 1041 et 1046, moment d’intense activité intellectuelle de l’abbaye, sans doute sous l’impulsion de l’abbé Halinard (1031-1052) 35. À cette époque, les moines rédigent une chronique qui est insérée dans le même codex, la bibliothèque acquiert de nombreux manuscrits, le nécrologe intègre des modifications marginales magnifiant en particulier les évêques de Langres et les abbés du monastère tandis que certains bâtiments de l’abbatiale font l’objet de réfections. Par ailleurs, aux alentours de 1045, plusieurs conflits sur les cimetières dijonnais s’aggravent et conduisent les moines de Saint-Bénigne à rédiger une série de textes hagiographiques et à forger certains documents diplomatiques visant à asseoir leurs prérogatives dans ce domaine. L’originalité de ce recueil réside dans son caractère dual et surtout dans l’enchevêtrement des perspectives diplomatiques et mémorielles, puisque la chronique et le cartulaire ont été conçus en même temps et pour être consultés ensemble.

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22 Le contexte de rédaction des cartulaires de Cluny et de l’un de ses prieurés, Marcigny- sur-Loire, est globalement comparable. Les cartulaires A, B et C de Cluny (Paris, BnF, ms. n.a.l. 1497, 1498 et 2262), vraisemblablement conçus comme un ensemble et peut- être même réunis en un seul volume, ont été projetés à la fin de l’abbatiat d’Odilon (998-1049) et exécutés au début de celui d’Hugues de Semur (1049-1109), entre 1065 et 1080, avec une intensification de la rédaction en 1095-1096 36. Cette entreprise de rédaction intervient quelques années après la mise par écrit des coutumes et de textes hagiographiques et en même temps que la composition du catalogue de la bibliothèque 37. La première partie du cartulaire de Marcigny-sur-Loire – aujourd’hui disparu mais connu par des copies modernes – aurait été rédigée en 1096, c’est-à-dire au moment même de la deuxième phase de rédaction des premiers cartulaires de Cluny 38. Il a été élaboré dans un contexte comparable à celui de Cluny, dans la mesure où le nécrologe du prieuré a été mis par écrit dans les mêmes années, avant 1109.

23 Du point de vue de l’organisation de la matière, les cartulaires de Flavigny, et surtout de Marcigny-sur-Loire et de Cluny offrent des similitudes remarquables, en particulier si l’on suit l’hypothèse de Hartmut Atsma et Jean Vezin sur le caractère indissociable des recueils A, B et C de Cluny, comme l’indique le tableau suivant.

24 Si la préface est inexistante dans le cartulaire de Flavigny, une place de choix a été réservée au testament du fondateur, placé au début et à la fin du recueil, aux diplômes royaux et aux donations qui ont été agencées dans un ordre plus ou moins chronologique. Une logique similaire semble avoir guidé la rédaction des premiers cartulaires de Cluny : les testaments de Guillaume le Pieux et du premier abbé Bernon y sont placés au tout début des cartulaires A, consacré aux actes contemporains des abbatiats des quatre premiers abbés de Cluny, et C, qui regroupent les privilèges pontificaux et royaux.

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25 Les similitudes sont encore plus frappantes entre les cartulaires de Cluny et de Marcigny. Comme dans les premiers recueils clunisiens, la préface de celui de Marcigny exalte la personne d’Hugues de Semur, fondateur du lieu, et s’ouvre sur un dossier de pièces importantes pour l’établissement : une généalogie d’Hugues qui fait écho à la chronologie des abbés de Cluny du cartulaire A, une histoire de la fondation et un récapitulatif des donations des seigneurs de Semur. Comme pour le cartulaire de Bernon, le Livre I s’ouvre sur une préface qui fustige les calomniateurs et l’indiscipline et rappelle la nécessité des donations. Le cartulaire originel se terminait enfin vraisemblablement par une section consacrée aux bulles, tout comme le cartulaire C, contenant les privilèges pontificaux, venait clore les deux premiers volumes.

26 Deux caractéristiques se dégagent de l’analyse de ces cartulaires du XIe siècle. Tous les établissements concernés ont des liens, plus ou moins étroits, avec Cluny : Perrecy est un prieuré de Fleury, monastère réformé par Odon (927-942) ; Saint-Bénigne a été réformé en 988/990 par Guillaume de Volpiano († 1031) sous l’abbatiat de Maïeul (954-994), Flavigny est dirigé par un ancien moine de Cluny, tandis que Marcigny a été fondé par Hugues de Semur 39. Sans qu’il faille la mettre nécessairement en lien avec l’influence de Cluny, on remarque en outre une certaine parenté dans l’organisation des cartulaires : la plupart d’entre eux commencent par un texte de nature historique, mettent à l’honneur la personne des fondateurs et réservent une section particulière aux diplômes royaux et surtout aux bulles pontificales. Le trait le plus frappant des premiers cartulaires bourguignons réside, en définitive, dans l’entremêlement des perspectives gestionnaires et mémorielles, dans un souci d’exaltation de l’institution qui se retrouve dans d’autres formes textuelles composées à la même époque 40.

27 Les cartulaires du XIIe siècle, au nombre de 18, présentent un corpus plus éclectique qu’au XIe siècle, bien que limité. Si les monastères bénédictins y tiennent encore une place prédominante, avec 7 cartulaires (dont trois émanant de prieurés) 41, le siècle est marqué par l’apparition de 5 recueils cisterciens42, de trois recueils d’institutions canoniales régulières (dont un prieuré)43, de deux recueils de chapitres cathédraux et de la rédaction du premier cartulaire épiscopal véritablement attesté 44. Sur le plan géographique, les cartulaires semblent continuer à être confectionnés plutôt au sud de la Bourgogne, toujours avec une sous-représentation du diocèse de Langres. Un rééquilibrage s’amorce toutefois, en raison de la forte présence d’abbayes dans ce diocèse.

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Fig. 5. Les rédacteurs de cartulaires au XIIe siècle.

28 Une chronologie affinée, réalisée pour 12 cartulaires dont la datation a été établie avec une certaine précision par plusieurs études, permet de préciser certaines caractéristiques de ces recueils du XIIe siècle 45.

Fig. 6. Chronologie affinée des cartulaires du XIIe siècle.

29 Dans la première moitié du siècle, tandis qu’un prieuré et deux monastères bénédictins – Vézelay et Molesme, relativement proches sur un plan géographique – poursuivent le mouvement amorcé au siècle précédent, certaines institutions canoniales semblent se mettre à rédiger des cartulaires. Par ailleurs, les abbayes cisterciennes ne commencent à rédiger des recueils (cartulaires ou pancartes) qu’à partir de la seconde moitié du XIIe siècle, soit un peu plus d’un demi-siècle après les débuts du mouvement cistercien, un laps de temps relativement court qui atteste l’accroissement rapide du temporel de plusieurs établissements. Si l’on excepte les pancartes de La-Ferté-sur-Grosne, Cîteaux serait donc le premier monastère cistercien à faire rédiger un cartulaire aux alentours de 1168-1170.

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30 Du point de vue de l’organisation de la matière de ces recueils, la diversité semble également bien plus grande qu’au XIe siècle et permet de faire six remarques.

31 Tout d’abord, les cartulaires confectionnés par l’évêque de Mâcon et par les institutions canoniales, qu’il s’agisse de chapitres cathédraux ou de monastères de chanoines réguliers, sont organisés selon un classement difficile à comprendre, qui ne correspond à aucun modèle et dont la logique reste encore à établir 46.

32 Par ailleurs, trois cartulaires adoptent un classement systématique des actes, c’est-à- dire topographique, avec des divisions parfois bien marquées, un ordonnancement apparemment inconnu au XIe siècle dans la documentation bourguignonne 47. Ce choix ne concerne que les monastères cisterciens, probablement en miroir de l’organisation des archives qui reflète elle-même les modalités d’exploitation des terres par granges 48.

33 Une troisième remarque, déjà valable pour le XIe siècle, concerne l’imbrication très forte des perspectives historiographiques et gestionnaires dans certains cartulaires du XIIe siècle. Trois recueils, provenant pour deux d’entre eux d’établissements bénédictins, attestent ainsi une très grande porosité discursive. Celui de Bèze relie les actes entre eux par des notices historiques qui donnent au cartulaire l’apparence d’une chronique, une dimension qui s’explique par le fait qu’il soit copié partiellement sur le recueil de Saint-Bénigne de Dijon 49. Le manuscrit où a été copié le cartulaire de Vézelay avant 1070 contient également des annales, une brève histoire des comtes de Nevers et la grande chronique de Vézelay écrite à partir du cartulaire 50. Enfin, le cartulaire de Saint-Symphorien d’Autun ne contient pas de copies complètes des actes, mais procède à une compilation qui le fait ressembler à une chronique 51.

34 La quatrième remarque concerne l’impact du modèle d’organisation « clunisien » exposé plus haut, que l’on retrouve décliné ici dans les cartulaires de Vézelay et plus encore de Paray-le-Monial. Le premier établissement a été intégré dans l’Ecclesia cluniacensis à partir de 1025-1026, tandis que le second est l’un des prieurés de Cluny depuis l’abbatiat de Maïeul 52. Tous deux commencent par un résumé de l’histoire de l’abbaye qui sert de préface et met la figure du fondateur à l’honneur, sur un mode narratif pour Paray, avec une exaltation de Maïeul, et sur un mode iconographique pour Vézelay, puisque le cartulaire commence par le testament du comte Girart, qui est représenté à l’intérieur de l’initiale historiée avec son épouse 53. La suite des recueils réserve une place de choix aux chartes des fondateurs et aux actes qui fondent le statut particulier du lieu et son lien à Cluny. Les points communs entre l’organisation des premiers cartulaires de Cluny et celle de certains prieurés ou monastères qui en dépendent suggèrent une hypothèse qui rejoint les observations des historiens de l’art et des archéologues du bâti sur certains établissements clunisiens. Dans plusieurs cas, ces cartulaires apparaissent en effet comme des copies d’un modèle que représenteraient les cartulaires A, B et C, tout comme plusieurs lieux de culte des prieurés et monastères de l’Ecclesia cluniacensis – notamment lorsqu’ils en sont proches géographiquement – sont conçus dans une certaine similitude avec l’architecture de l’abbaye-mère, sans que cette démarche ne soit pour autant systématique 54. Le mode d’organisation de la matière dans certains cartulaires de prieurés semble donc être un moyen de figurer le lien des établissements à Cluny, à côté de nombreux autres parallélismes, architecturaux, iconographiques ou liturgiques.

35 Trois cartulaires adoptent en outre un classement hiérarchique, par ordre d’importance des chancelleries dont émanent les actes (actes de rois/empereurs, papes, évêques et abbés, familles de donateurs) : ceux du chapitre cathédral de Saint-Lazare

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d’Autun, du prieuré canonial de Saint-Symphorien et du prieuré clunisien de Saint- Marcel-lès-Chalon 55. Ce dernier cas atteste donc les limites de l’hypothèse précédente sur la circulation de modèles d’organisation de cartulaires au sein d’une institution donnée – l’affirmation du lien abbaye-prieuré, via le type de cartulaire choisi –, au profit d’autres logiques qui relèvent probablement davantage du voisinage. La conjecture semble se vérifier clairement pour les deux établissements autuniens, distants de quelques kilomètres, tandis que la carte atteste une certaine proximité géographique entre cet évêché et Saint-Marcel-lès-Chalon. La prise en compte de la chronologie affinée (Fig. 6) renforce d’ailleurs cette dernière hypothèse, puisque ces trois cartulaires ont été entrepris à quelques années d’intervalle : le premier serait celui de Saint-Symphorien, élaboré en 1112-1140, suivi par celui du prieuré de Saint- Marcel, en 1120, puis enfin par celui de Saint-Lazare, vers 1140 56.

36 Ma dernière remarque concerne la nécessité de mener une recherche complémentaire sur les instigateurs de la rédaction des cartulaires, identifiés pour la plupart des cartulaires du XIIe siècle 57. Cette perspective pourrait sans doute donner des pistes d’interprétation relatives à l’adoption des choix retenus dans l’organisation de la matière des recueils.

37 Pour conclure sur ce premier bilan, il me semble nécessaire de souligner un trait relatif à la conservation des cartulaires des XIe-XIIe siècles : seuls 16 recueils sur 26 nous sont parvenus. Les dix cartulaires perdus ont tous disparu à la fin du XVIIIe siècle, généralement lors des destructions révolutionnaires, à trois exceptions près 58. Le « livre enchaîné » de Saint-Vincent de Mâcon a été détruit au cours des troubles huguenots mâconnais en 1562-1567, tandis que le cartulaire primitif de cette institution était probablement déjà détérioré au XIIe siècle 59. Quant au cartulaire primitif de Cîteaux, il ne nous est parvenu que par un fragment inséré dans un autre cartulaire de l’abbaye et était vraisemblablement dégradé à l’époque médiévale 60. Dans la mesure où les destructions résultent majoritairement de démarches extérieures, on peut en déduire que, malgré la confection de nouveaux recueils par plusieurs de ces institutions, les premiers cartulaires étaient l’objet d’un certain souci de conservation, sans que l’on puisse déterminer s’ils ont été véritablement utilisés tout au long de la période.

38 Les XIIIe-XIVe siècles correspondent à une phase de diversification des institutions qui se trouvent à l’origine des recueils.

39 Le nombre de cartulaires copiés augmente fortement au XIIIe siècle, avec 39 unités documentaires, ce qui modifie sensiblement l’aperçu de leur mise par écrit, telle qu’elle se manifestait aux XIe-XIIe siècles.

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Fig. 7. Diversification des rédacteurs de cartulaires au XIIIe siècle.

40 Certains traits semblent toutefois se maintenir : les établissements monastiques, notamment bénédictins et cisterciens, apparaissent toujours comme les premiers rédacteurs de cartulaires, suivis de loin par les abbayes de chanoines réguliers 61. Les chapitres cathédraux confirment le mouvement de mise par écrit amorcé au siècle précédent, et semblent imités dans leur démarche par les évêques dont ils constituent l’entourage : les milieux épiscopaux paraissent donc se mettre massivement à la constitution de recueils 62.

41 On remarque toutefois une diversification plus forte des producteurs de cartulaires, notamment parmi les nouveaux ordres religieux – militaires, mendiants et chartreux – qui commencent à confectionner leurs recueils à la fin du siècle 63. Apparaissent également à cette époque, les premiers cartulaires municipaux et surtout laïques, ces derniers commençant à être élaborés dans les années 1270 64. Deux bouleversements touchent enfin les cartulaires monastiques. En premier lieu, aucun cartulaire prieural du XIIIe siècle ne nous est parvenu, signe probable de transformations des structures monastiques traditionnelles. Par ailleurs, les cisterciens apparaissent désormais comme de gros rédacteurs de cartulaires qui concurrencent très largement les monastères bénédictins.

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Fig. 8. Carte des rédacteurs de cartulaires au XIIIe siècle.

42 Sur le plan géographique, on constate un net rééquilibrage en faveur du nord de la Bourgogne et un tarissement de la production de cartulaires au sud et surtout à l’ouest. La carte met également en évidence un autre phénomène : la rédaction de plusieurs cartulaires par une même institution au cours du XIIIe siècle. Plusieurs d’entre elles disposaient déjà de cartulaires : Cluny, Molesme, Cîteaux et Saint-Étienne de Dijon. Le monastère de Cluny fait rédiger trois cartulaires supplémentaires, Cîteaux deux, Saint- Étienne et Molesme, un. Pour Molesme et Cîteaux, la rédaction de ces nouveaux recueils semble s’expliquer par des raisons pratiques. Les cartulaires du XIIIe reprennent certaines pièces des premiers recueils dans un ordre systématique, avec des divisions en chapitres pour Cîteaux, qui correspond sans doute mieux aux modalités de gestion des établissements 65. Un même souci semble animer la rédaction du « grand cartulaire » de Molesme, scindé en deux parties consacrées, pour la première, aux titres de l’abbaye et pour la seconde aux prieurés et dépendances, avec un classement topographique qui reflète le classement contemporain des archives de l’abbaye 66. À Cluny, la copie de nouveaux recueils – organisés topographiquement et typologiquement, par dossiers retraçant souvent le règlement de conflits entre l’abbaye et ses dépendances – est liée aux transformations des structures de l’Ecclesia cluniacensis,devenue un ordo après 1233, et aux besoins de réaffirmer à la fois le rôle de l’institution face à la concurrence de nouvelles structures religieuses et l’autorité de la « tête » de l’ordre contre les velléités d’indépendance des prieurés 67. Dans la première moitié du XIIIe siècle (Fig. 9), un même souci semble animer ces trois établissements : une certaine rationalisation, matérialisée entre autres par le reclassement de leurs archives à la même époque, mais qui concerne aussi, plus globalement, leurs rapports avec leurs prieurés, une préoccupation qui s’articule probablement avec l’absence totale de cartulaires émanant de ces derniers au XIIIe siècle.

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43 Ce phénomène de copie de plusieurs recueils distincts semble s’accélérer au XIIIe siècle, dans la mesure où certaines institutions ont confectionné différents cartulaires, indépendants les uns des autres, au cours de cette période. C’est le cas des abbayes cisterciennes de Clairvaux, Longuay et Auberive et du chapitre cathédral de Langres, auteurs de deux cartulaires chacun. Les recueils des trois abbayes cisterciennes adoptent un classement systématique, par grange, tandis que le seul cartulaire connu du chapitre cathédral de Langres classe les actes en fonction de l’importance des donateurs. L’affinement de la chronologie de confection des recueils au XIIIe siècle (Fig. 9) renforce ce constat, puisque ces cartulaires ont été rédigés à plusieurs décennies de distance, à l’exception de celui de l’abbaye d’Auberive 68.

44 La carte met enfin en évidence un certain groupement géographique des institutions qui sont à l’origine des recueils, notamment en milieu urbain. La chronologie affinée de la rédaction des cartulaires (Fig. 9) laisse d’ailleurs supposer une émulation/ concurrence entre institutions voisines qui se dotent de cartulaires à quelques années d’intervalle. C’est le cas en particulier à Auxerre, où les moines de Saint-Germain, l’évêché et le monastère bénédictin de Saint-Julien constituent leurs recueils entre 1266 et la fin du XIIIe siècle 69. Le même type de logique prévaut sans doute pour plusieurs recueils élaborés à la fin du siècle : à Dijon, entre Saint-Étienne et le couvent des dominicains ; à l’est du diocèse d’Auxerre, entre la commanderie du Saulce et l’abbaye bénédictine de Crisenon ; ou encore au nord du diocèse de Langres, entre les abbayes cisterciennes de Longuay et d’Auberive.

Fig. 9. Chronologie affinée de la rédaction de cartulaire au XIIIe siècle.

45 La chronologie affinée montre par ailleurs que deux types de recueils apparaissent dans un temps particulièrement circonscrit. Les trois cartulaires épiscopaux ont ainsi été confectionnés au cours des trente dernières années du XIIIe siècle, et adoptent un type de classement systématique qui leur permet d’affirmer leurs droits sur certaines églises, ceux d’Autun et d’Auxerre commençant en outre leur recueil par les privilèges attachés à leur siège 70. De la même manière, trois des quatre cartulaires laïques ont commencé à être élaborés après 1269. Cette date s’inscrit parfaitement dans la chronologie globale de rédaction de recueils par les chancelleries des grandes principautés, où les années 1270 correspondent à une généralisation du processus qui touche aussi les seigneuries 71.

46 Du point de vue de l’organisation des recueils, le fait marquant semble une généralisation du mode de classement systématique, quel que soit le type d’institution concerné, qui va de pair avec un accroissement des visées gestionnaires des établissements, à trois exceptions près. Les cartulaires de Saint-Germain et de Saint- Julien d’Auxerre, comme celui du chapitre cathédral de Langres adoptent en effet un

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classement hiérarchique, en fonction de l’importance des donateurs. L’adoption générale du mode d’organisation topographique se décline de plusieurs manières : divisions en chapitres correspondant à des granges pour les établissements cisterciens ; divisions en sous-commanderies, puis répartition des actes dans chaque subdivision en fonction de la nature de la transaction (donations, acquisitions, échanges) pour le cartulaire de la commanderie des templiers du Saulce 72 ; divisions en localités où l’institution concernée détient des droits, notamment pour les cartulaires épiscopaux et seigneuriaux ; divisions en localités où certains conflits ont été réglés dans le cartulaire D de Cluny 73. Dans certains cas, ce classement topographique n’exclut toutefois pas une première section consacrée à des privilèges plus généraux octroyés par les rois, princes ou papes ou à l’acte de fondation de l’établissement 74.

47 Les 34 cartulaires bourguignons du XIVe siècle conservent globalement des caractéristiques similaires à ceux du XIIIe : ce sont bien les mêmes institutions qui sont à l’origine des recueils (Fig. 10), même si l’on compte à présent des cartulaires de chapelles –un phénomène qu’il convient sans doute de mettre en rapport avec le développement des chapellenies, lié à la piété flamboyante – et s’il n’y a plus de trace de recueils élaborés par les ordres mendiants à cette époque 75.

Fig. 10. Institutions à l'origine des cartulaires au XIVe siècle.

48 On constate toutefois une répartition légèrement différente de la masse plus restreinte de cartulaires élaborés 76. Les cartulaires confectionnés par les cisterciens connaissent en effet une nette diminution – probablement liée à la crise profonde que connaît l’ordre au XIVe siècle –, contrebalancée par une forte augmentation du nombre de cartulaires municipaux 77. Six de ces derniers ont été confectionnés par la ville de Dijon et trois par celle de Beaune et nécessiteraient que leur rédaction soit remise dans le contexte de ces deux villes.

49 Sur le plan géographique, on remarque, comme au XIIIe siècle, une forte prédominance de la confection de cartulaires à l’est de la Bourgogne. L’essoufflement de la rédaction de cartulaires à l’ouest correspond à un silence documentaire global, qu’il faut peut- être mettre en relation avec le contexte de guerres.

50 Du point de vue de l’organisation des cartulaires, je m’en tiendrai à quelques remarques. L’organisation topographique des recueils semble être la plus courante, ordonnancement qui, comme au siècle précédent, n’exclut pas l’existence d’un dossier

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de textes fondateurs en tête des cartulaires, ni le regroupement des privilèges royaux et pontificaux dans certains manuscrits. Le cartulaire d’Hugues de Chalon apparaît toutefois comme le seul exemple connu dans l’espace bourguignon et dans la limite des présentes recherches, à présenter une organisation uniquement par type de biens échangés ou par type d’échange 78. Un ordonnancement similaire a été souligné précédemment pour le cartulaire de la commanderie du Saulce (XIIIe siècle), mais il n’y apparaissait qu’à l’intérieur des subdivisions topographiques et non comme principe d’organisation de l’ensemble de la matière. Malgré le peu d’indications dont je dispose, deux nouveautés semblent enfin marquer la forme des recueils. Tout d’abord, le premier bullaire apparaît à Cîteaux au milieu du XIVe siècle, un phénomène qui correspond sans doute à la séparation de la partie réservée aux bulles dans certains cartulaires dès le XIe siècle et qui se manifeste dans de nombreuses régions à la même époque 79. Trois monastères se mettent par ailleurs à élaborer des cartulaires autonomes concernant certaines fonctions monastiques : la pitancerie pour Cluny et Saint-Germain ou la porterie pour Cîteaux.

51 En définitive, la confection des recueils aux XIIIe-XIVe siècles est marquée par trois phénomènes. Tout d’abord, la rédaction de cartulaires n’est plus l’apanage des seuls établissements religieux, mais touche un nombre croissant d’institutions, y compris laïques et municipales. Par ailleurs, la décision d’élaborer des cartulaires semble parfois s’expliquer par des logiques de concurrences entre institutions voisines. Dans le cas de la rédaction de nouveaux recueils par des établissements qui en possédaient déjà, ce sont visiblement des impératifs d’adaptation à des changements structurels (notamment dans le rapport des ordres à leurs prieurés) et d’efficacité dans la gestion des patrimoines qui ont présidé aux nouvelles confections. Ce dernier paramètre explique enfin probablement la généralisation de l’organisation topographique de la matière dans les cartulaires de cette époque.

52 L’extrême fin du Moyen Âge et l’époque moderne sont marquées par de fortes fluctuations dans la rédaction de recueils. D’un point de vue géographique, la confection des cartulaires au XVe siècle semble être surtout le fait des institutions de la partie orientale de la Bourgogne, comme aux XIIIe-XIVe siècles. En revanche, cette époque représente un pic dans la production des cartulaires, avec 73 unités 80. Ce constat doit cependant être nuancé car il s’explique de deux manières, bien mises en évidence par le graphique suivant.

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Fig. 11. Institutions à l'origine des cartulaires au XVe siècle.

53 Le XVe siècle correspond tout d’abord à l’éventail maximal des institutions à l’origine des recueils qui se dotent désormais toutes de cartulaires. Les églises, notamment paroissiales, non représentées auparavant, font désormais partie des compilateurs81. La deuxième caractéristique de ce graphique est la proportion écrasante de cartulaires confectionnés par les établissements cisterciens, à l’origine de 29 cartulaires. Un examen attentif révèle que cette masse documentaire ne provient que de cinq établissements différents, et émane principalement de Clairvaux (8 cartulaires), et surtout de Cîteaux (17 recueils) 82. Le même phénomène est d’ailleurs à l’œuvre dans la mise par écrit des 10 cartulaires municipaux, puisque la moitié d’entre eux a été confectionnée par la ville de Dijon 83.

54 C’est essentiellement cette mise par écrit soudaine et massive par quelques institutions qui explique le pic du XVe siècle. Dans le cas de Cîteaux, cette densification de la rédaction de cartulaires à partir de 1476 est liée à la personnalité de Jean de Cirey, abbé très actif de 1476 à 1501. Ce dernier, guidé par un souci de réforme morale et institutionnelle, reprend totalement en main son abbaye dans plusieurs domaines : il fait reconsacrer systématiquement tous les autels de l’abbatiale et se trouve à l’origine de la séparation des dortoirs en chambres individuelles ; il fait par ailleurs écrire un catalogue de la bibliothèque de son monastère en 1480 et se trouve à l’origine des Privilegia ordinis Cisterciensis, un texte regroupant les coutumes cisterciennes, ainsi que les bulles et les décrets royaux accordés à l’ordre, achevé et imprimé en 1491 84. C’est dans ce contexte global de redéfinition des usages cisterciens que Jean de Cirey fait copier un cartulaire en neuf volumes qui concerne directement son abbaye et plusieurs recueils qui se rapportent aux possessions de l’établissement dans certains domaines, une logique suivie aussi dans les 8 cartulaires rédigés à la même époque à Clairvaux, sous l’impulsion de l’abbé Pierre de Virey (1471-1496) 85. Tous ces recueils adoptent un même type d’organisation, topographique, par localité, à une exception près. Le premier des neuf volumes qui concernent directement Cîteaux commence en effet par une lettre liminaire, où Jean de Cirey explique ses intentions, et regroupe les premières donations et de nombreux privilèges visant à souligner le prestige de l’abbaye 86. Dans une moindre mesure, la rédaction de trois recueils à Autun au milieu du XVe siècle met en évidence le même phénomène. La confection des cartulaires de la cathédrale, de

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l’évêché et de l’abbaye de Saint-Martin est en effet due à l’influence décisive du cardinal Rolin († 1469), évêque de la cité, connu essentiellement pour ses activités de mécène 87. Ces recueils d’Autun adoptent d’ailleurs une même organisation, hiérarchique 88.

55 Je passerai plus vite sur les cartulaires d’époque moderne : il en existe 34 pour le XVIe, 38 pour le XVIIe et 36 pour le XVIIIe siècle 89.

Fig. 12. Institutions à l’origine des cartulaires à l’époque moderne.

56 Du point de vue géographique, comme de celui de la répartition par institution d’origine des recueils (Fig. 12), les caractéristiques restent les mêmes qu’aux XIVe-XVe siècles : les cisterciens et les bénédictins demeurent les plus gros producteurs de cartulaires à l’époque moderne, avec un léger essoufflement des moines noirs au XVIIIe siècle. Au XVIIe, le pic relatif des cartulaires élaborés par les chanoines réguliers s’explique par la très forte activité de rédaction de l’abbaye de Saint-Étienne de Dijon qui fait rédiger six recueils à quelques années d’intervalle, sous l’impulsion de l’abbé Claude Fyot de la Marche (1662-1721), auteur d’un ouvrage relatant l’histoire de son établissement, qui procéda en outre à des rénovations de l’église de son établissement 90. Après le XVIe siècle, les cartulaires urbains disparaissent, de même que les recueils élaborés par des laïcs au siècle suivant. À l’époque moderne, la poursuite de la rédaction de cartulaires trouve une autre explication, dans la mesure où le souci de collection vient se greffer sur les besoins gestionnaires ou mémoriels.

Conclusion

57 Les schémas qui suivent permettent de synthétiser ces conclusions provisoires. Du point de vue de la répartition des cartulaires par institution et en intégrant les cartulaires dont on ignore la date de rédaction (Fig. 13), les cisterciens et les bénédictins apparaissent bien comme les premiers producteurs de cartulaires en Bourgogne et en confectionnent tout au long de la période étudiée. Les villes et les chanoines réguliers sont également particulièrement actifs, même si, dans l’ensemble, ces chiffres globaux sont un peu faussés par le nombre élevé de recueils élaborés par certains établissements à un moment donné, généralement sous l’impulsion d’une personnalité particulièrement active (Cîteaux, Saint-Étienne de Dijon, la ville de Dijon). Enfin, le nombre relativement élevé de cartulaires confectionnés par les ordres militaires s’explique essentiellement par la forte densité du réseau d’hôpitaux en Bourgogne 91.

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Fig. 13. Les producteurs de cartulaires en Bourgogne (XIe-XVIIIe siècle).

Fig. 14. Chronologie synthétique de l'apparition des cartulaires en Bourgogne (par type d'institution et d'organisation).

58 Cette chronologie atteste par ailleurs que les XIe-XIIIe siècles constituent un moment fondamental dans le processus de rédaction de cartulaires en Bourgogne. C’est au cours de cette période que les principales institutions se mettent à rédiger des recueils et que les grands types d’ordonnancement de la matière se mettent en place. Au cours des siècles suivants, les nouveaux types de cartulaires identifiés n’apparaissent que comme des “détachements” de certaines parties des recueils des périodes précédentes, de même que les variations dans l’organisation de la matière semblent obéir à des réagencements des choix d’époques antérieures.

59 À l’issue de cette étude, on peut s’interroger sur l’inscription ou la distinction de la Bourgogne dans le processus plus général de rédaction des cartulaires en Europe occidentale. Les actes de la table ronde consacrée aux cartulaires en 1991 offrent deux perspectives de comparaison : la première, dans une approche similaire à cet article, concerne les recueils du nord de la France (avec cinq diocèses pris en compte), tandis que l’autre constitue une approche synthétique des cartulaires rédigés dans l’Angleterre médiévale 92. Par bien des aspects, la situation de la Bourgogne semble différer de celle du nord de la France : nombre total de cartulaires quelque peu supérieur (256 dans le nord pour une superficie certes un peu moindre) ; processus de rédaction plus précoce et plus régulier (hormis le cartulaire-chronique de Folcuin pour l’abbaye de Saint-Bertin au Xe, les cartulaires du Nord ne commencent à être copiés systématiquement qu’à partir du XIIe siècle, leur nombre “explose” au XIII e-XVe

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siècles, puis chute régulièrement ensuite) ; surreprésentation des cartulaires émanant d’institutions bénédictines et cisterciennes. En revanche, certains traits concordent : les fortes disparités géographiques dans la production de recueils, la baisse momentanée du nombre de cartulaires au XIVe siècle, enfin le nombre de recueils émanant des évêchés (9), des institutions communales (29) ou des ordres militaires (18). Lorsque l’on compare la situation de la Bourgogne à l’Angleterre, la différence majeure – comme dans le nord de la France – réside dans la surreprésentation des cartulaires bénédictins et surtout cisterciens, ainsi que dans la régularité de la production de cartulaires entre le XIIIe et la fin de l’époque moderne. La chronologie d’apparition des différents types de recueils, d’un point de vue institutionnel ou de celui de l’organisation de la matière, est en revanche globalement similaire 93. Ces particularités bourguignonnes semblent pouvoir s’expliquer par la présence dans la région des abbayes de Cluny, Cîteaux et Clairvaux, qui a des conséquences très fortes sur le processus global de mise par écrit des cartulaires. En tant que « chefs » d’ordres, ces institutions rédigent des recueils dont la portée dépasse certes les enjeux strictement locaux, mais elles entraînent néanmoins dans leur sillage les institutions voisines.

Fig. 15. Les institutions rédactrices de cartulaires en Bourgogne (XIe-XVIIIe siècles).

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Fig. 16. Girart de Roussillon et son épouse, fondateurs de Vézelay (Auxerre, BM, ms. 227, fol. 22).

NOTES

1. Cet article est tiré de mes premières recherches post-doctorales sur l’écrit diplomatique en Bourgogne, dans le cadre d’un projet d’ ARTeHIS UMR 5594, intitulé Actes de la pratique et anthropologie de l’échange dans l’Occident médiéval (Ve-XIIe siècles). Cette étude a donné lieu à une communication à l’Université de Bourgogne lors d’une table ronde organisée par Eliana Magnani le 26 janvier 2007 sur Les fonds diplomatiques bourguignons ; les discussions qui ont suivi m’ont permis de préciser certains éléments de ce travail. Il s’agit donc d’un premier état de la question, en espérant que cette étude suscitera une recherche collective dont l’objectif serait, à terme, de fournir un répertoire des différents recueils diplomatiques rédigés en Bourgogne. Je tiens ici à remercier chaleureusement Eliana Magnani de m’avoir incitée à travailler sur cette question et de m’avoir relue, ainsi que Marie-José Gasse-Grandjean de m’avoir aidée dans la constitution de la base de données qui a permis cette étude, comme pour le travail en commun et les nombreuses discussions que nous avons pu avoir à ce sujet. Mes remerciements vont également à Monique Zerner, Paul Bertrand, Germain Butaud et Emmanuel Bain pour leurs relectures attentives et leurs précieuses remarques bibliographiques. J’utiliserai au cours de cet article plusieurs abréviations récurrentes, notamment pour indiquer les cotes de certains manuscrits : AD (Archives départementales, suivies du numéro de département du dépôt d’archives concerné) ; AM (Archives municipales, suivies du nom de la municipalité concernée) ; BM (Bibliothèque municipale, précédée du nom de la localité concernée) ; AN (Archives nationales à Paris) ; BnF ms.

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lat. (Paris, Bibliothèque nationale de France, manuscrits latins) ; BnF ms. fr. (Paris, Bibliothèque Nationale de France, manuscrits français) ; n.a.l/fr (nouvelles acquisitions latines ou françaises de la Bibliothèque nationale de France). Pour plusieurs cotes mentionnées dans cet article, j’ai en outre signalé l’ancienne cote entre parenthèses. Par ailleurs, la bibliographie consultée, parfois ancienne, ne précise pas systématiquement les numéros de cote, notamment dans les fonds municipaux. 2. Le caractère approximatif de ces chiffres, notamment pour les diocèses de Besançon et de Sens, relève de la manière dont la base de données sur laquelle j’ai travaillé a été constituée. Dans un premier temps, je me suis concentrée sur les cartulaires élaborés dans les diocèses d’Auxerre, Autun, Chalon, Nevers, Mâcon et Langres afin d’en donner un aperçu qui soit le plus exhaustif possible. Je n’ai donc recensé les cartulaires des diocèses de Besançon et Sens que de manière partielle, lorsque la bibliographie consultée m’y incitait. 3. Si l’on tient compte de la documentation disparue, Cluny est ainsi à l’origine de 15 cartulaires, Cîteaux de 25 et Clairvaux de 28. 4. Pour Cluny, la thèse de Sébastien Barret offre la synthèse récente d’une bibliographie particulièrement abondante, S. BARRET, La mémoire et l’écrit : l’abbaye de Cluny et ses archives (Xe- XVIIIe siècle) , Münster, 2004 (Vita regularis,19). Pour Vézelay, R. B. C. HUYGENS, Monumenta vizeliacensia : textes relatifs à l’histoire de l’abbaye de Vézelay, Turnhout, 1976 (Corpus christianorum. Continuatio mediaevalis, 42) et ID., Vizeliacensia II : textes relatifs à l’histoire de l’abbaye de Vézelay, Turnhout, Brepols, 1980 (Corpus christianorum. Continuatio mediaevalis, 42, Supplementum). Pour Clairvaux, les éditeurs des actes du XIIe siècle ont recensé et étudié les archives de l’abbaye, J. WAQUET, L. VEYSSIÈRE, Recueil des chartes de l’abbaye de Clairvaux au XIIe siècle, Paris, 2004 (Collection de documents inédits sur l’histoire de France. Série in-8°, 32), p. XXXVII-XXXIX. Pour Cîteaux, différents cartulaires sont étudiés par J. MARILIER, Chartes et documents concernant l’abbaye de Cîteaux (1098-1182), Rome, 1961, p. 6-11. Pour Molesme, on dispose d’une synthèse complète sur les différents cartulaires de l’abbaye dans l’édition de plusieurs documents par J. LAURENT, Cartulaires de l’abbaye de Molesme, ancien diocèse de Langres, 916-1250 : recueil de documents sur le nord de la Bourgogne et le midi de la Champagne, Tome I et II, publ. avec un introduction diplomatique, historique et géographique, 2 vol., Paris, 1911 (Collection de documents publiés avec le concours de la Commission des Antiquités de la Côte-d’Or, 1), p. 20-34. Pour les études isolées, j’y renverrai dans la suite de mon propos. 5. Parmi les éditions en cours, je tiens à signaler en particulier celle d’Hubert Flammarion, pour le cartulaire de Saint-Étienne de Dijon. 6. L’exemple le plus emblématique de ce type de démarche est celui de l’édition des premiers cartulaires de Cluny, cf. A. BERNARD, A. BRUEL, Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny,5 vol., Paris, 1876-1903 (Collection des documents inédits sur l’histoire de France). Pour les problèmes que pose cette édition, D. IOGNA-PRAT, « La confection des cartulaires et l’historiographie à Cluny (XIe- XIIe siècle) », in O. GUYOTJEANNIN, L. MORELLE, M. PARISSE (dir.), Les Cartulaires, actes de la table ronde organisée par l’École nationale des chartes et le G.D.R. 121 du CNRS (Paris, 5-7 décembre 1991), Paris, 1993 (Mémoire de l’École Nationale des Chartes, 39), p. 27-44, ici p. 27-28. 7. Cette démarche concerne essentiellement des travaux historiques d’époque moderne portant sur un lieu donné et dont les auteurs ont édité en annexes certaines pièces justificatives, parfois puisées dans des cartulaires distincts, cf. par exemple C. PERRY, Histoire civile et ecclésiastique ancienne et moderne de la ville et cité de Chalon-sur-Saône, Chalon-sur-Saône, 1659, qui édite seulement deux actes sur 366 du cartulaire de l’église collégiale Saint-Georges de Chalon. Au XIXe siècle, l’édition d’actes isolés semble relever plutôt d’une perspective d’inventaire de pièces diverses. Pour la Bourgogne, l’exemple le plus connu de ce type de démarche est M. QUANTIN, Cartulaire général de l’Yonne, Recueil de documents authentiques pour servir à l’histoire des pays qui

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forment ce département, publié par la Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne, 2 vol., Auxerre, 1854-1860. 8. Ces éditions concernent avant tout des cartulaires laïques : J. GAUTHIER, R. DE LURION, J. DE SAINTE- AGATHE, Cartulaire des comtes de Bourgogne (1166-1321), Besançon, 1908 (Documents inédits relatifs à l’histoire de la Franche-Comté, 8) ; B. PROST, S. BOUGENOT, Cartulaire de Hugues de Chalon (1220-1319), publié d’après le manuscrit original du British Museum, avec introduction historique et table par Jules Gauthier, Lons-le-Saunier, 1904 (Publication de la Société d'émulation du Jura) ; R. LOCATELLI, H. DUBOIS, D. BRUN, Les salines de Salins au XIIIe siècle : cartulaires et livre des rentiers, Paris, 1991 (Collection Annales littéraires de l’Université de Besançon/Cahiers d’études comtoises, 448/47), qui contient deux cartulaires laïques distincts ; X. HÉLARY, Le cartulaire de la seigneurie de Nesle [Chantilly, 14 F 22], Orléans, 2006 (Ædilis, Publications scientifiques, 6), [En ligne] http://www.cn- telma.fr/nesle/. Il existe une seule édition complète d’un cartulaire municipal, celui de la ville d’Arbois, L. STOUFF, Les comtes de Bourgogne et leurs villes domaniales. Étude sur le régime communal, forme de l’exploitation seigneuriale d’après le cartulaire de la ville d’Arbois, suivie du texte du cartulaire, de pièces annexes, de notes et de tables, Paris, 1899. 9. H. STEIN, Bibliographie générale des cartulaires français ou relatifs à l’histoire de France, Paris, 1907. Sur le travail d’Henri Stein, I. VÉRITÉ, « Les entreprises françaises de recensement des cartulaires (XVIIIe-XXe siècles) », in Les Cartulaires (op. cit. note 6), p. 179-213, ici p. 194-196. La base de données de l’IRHT, Cartul’R, est à présent en ligne, http://www.cn-telma.fr/cartulR/. 10. Pour l’espace concerné par cette étude, cf. la figure 15. 11. Sur l’intérêt d’une démarche sur le long terme, « Avant-propos », in Les cartulaires (op. cit. note 6), p. 7-9, ici p. 9. 12. Sur le caractère à la fois défensif et offensif de la mise par écrit des recueils diplomatiques, cf. P. CHASTANG, « Cartulaires, cartularisation et scripturalité médiévale: la structuration d’un nouveau champ de recherche », in Cahiers de civilisation médiévale : Xe-XIIe siècles , 49 (2006), p. 21-32, et, plus largement, ID., Lire, écrire, transcrire. Le travail des rédacteurs de cartulaires en Bas- Languedoc (XIe-XIIIe siècles), Paris, 2001 (C.T.H.S. - Histoire, 2). 13. Sur la prise en compte du contexte propre à chaque institution, cf. les études sur différents cartulaires dans la partie « Typologie » des actes de la table ronde Les cartulaires (op. cit. note 6), notamment p. 217-299 et les remarques de M. PARISSE, « Les cartulaires : copies ou sources originales », in Les cartulaires, p. 503-511, ici p. 510-511. 14. Un exemple de ce type de rapports entre institutions voisines a été donné récemment entre l’abbaye de Saint-Germain d’Auxerre et l’évêque de la cité, puisque ce dernier décida de mettre par écrit un cartulaire, en s’inspirant de celui qui venait d’être achevé par les moines de Saint- Germain, N. DEFLOU-LECA, « L’élaboration d’un cartulaire au XIIIe siècle : Saint-Germain d’Auxerre », in Revue Mabillon, 69 (1997), p. 183-207, ici p. 198-200. Cf. aussi, dans le cas de trois cartulaires seigneuriaux qui apparaissent en Bourgogne au cours de la même décennie, les remarques de X. HÉLARY, « Un seigneur face à ses archives : le cartulaire de Jean, seigneur de Nesle (Bourgogne, vers 1270) », in Huit siècles d’histoire autour des La Trémoille et du chartrier de Thouars. Colloque international de Thouars, 8-10 juin 2006 (sous presse). De la même manière, dans la région mâconnaise, deux institutions se positionnent différemment face à la rédaction précoce des cartulaires de Cluny : si l’évêque de Mâcon décida rapidement de faire copier un recueil de chartes, l’abbaye cistercienne de la Ferté-sur-Grosne s’en tint aux pancartes. Je tiens ici à remercier Alain Guerreau de m’en avoir fait la remarque. 15. Sur ce problème, cf. les arguments exposés par B. DELMAIRE, « Cartulaires et inventaires dans le Nord de la France », in Les cartulaires (op. cit. note 6), p. 301-323, ici p. 302-304. 16. Il s’agit de la définition retenue lors de la table ronde de 1991 sur les cartulaires, cf. « Avant- propos », (art. cit. note 11), p. 7.

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17. La base de données des Chartae Burgundiae Medii Aevii (CBMA) s’insère dans le projet d’A.C.I. Les chartes comme instrument de pouvoir dans les sociétés médiévales, coordonné par Benoît-Michel Tock. En cours de constitution, la base de données des CBMA contient actuellement 9300 chartes, numérisées à partir des éditions existantes, et se trouve déjà en ligne, http://www.archeologie- cultures-societes.cnrs.fr/BDD/CBMA/CBMA.fp7. À terme, elle alimentera la base nationale ChaGall (http://www.chartae-galliae.fr). 18. C’est le cas par exemple des neuf volumes du Cartulaire général de Cîteaux, dit de Jean de Cirey (AD 21, Cart. 185-193 (ancien 11 H 70-78)) qui fait l’objet d’une fiche unique. 19. H. ATSMA, J. VEZIN, « Gestion de la mémoire à l’époque de saint Hugues (1049-1109) : la genèse paléographique et codicologique du plus ancien cartulaire de l’abbaye de Cluny », in Histoire et archives, 7 (janvier-juin 2000), p. 5-29, ici p. 19-20. 20. Sur les postulats inhérents au traitement statistique des données historiques, cf. A. GUERREAU, Statistique pour historien, 2004, en ligne http://elec.enc.sorbonne.fr/statistiques/stat2004.pdf, notamment la question des biais, p. 17-18. 21. Sur cette question de la transmission des documents médiévaux, cf. l’article de A. ESCH, « Überlieferungs-Chance und Überlieferungs-Zufall als methodisches Problem des Historikers », in Historische Zeitschrift, 240 (1985), p. 529-570, repris partiellement dont les conclusions sont reprises dans ID., « Chance et hasard de transmission. Le problème de la représentativité et de la déformation de la transmission historique », in J.-C. SCHMITT, O. G. OEXLE (dir.), Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne,actes du colloque de Sèvres (1997) et Göttingen (1998) organisés par le Centre national de la Recherche scientifique et le Max-Planck-Institut für Geschichte, Paris, 2002, p. 15-29 ; surtout J. MORSEL, « Les sources sont-elles le “pain de l’historien” », in Hypothèses 2003. Travaux de l’école doctorale d’histoire de l’Université Paris I-Panthéon- Sorbonne, Paris, 2004 (École doctorale d’histoire, 7), p. 273-286. 22. Sur la pluralité de dénomination des cartulaires, cf. la liste établie à partir des préfaces par P. BOURGAIN, M.-C. HUBERT, « Latin et rhétorique dans les préfaces des cartulaires », in Les cartulaires (op. cit. note 6), p. 115-136, ici annexe 3, p. 165. J’ai par exemple inclus dans la base un cartulaire primitif de Saint-Vincent de Mâcon dont l’existence est connue par une charte du XIIe siècle copiée dans le Livre enchaîné, qui mentionne que plusieurs pages ont été arrachées de cartulaires (libris): « […] cartas supradicte pacificationis modum continentes violenter de libris exoderunt et abcissas detulerunt », n°DCXII, M. C. RAGUT, Cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon : connu sous le nom de Livre enchaîné, Mâcon, 1864, p. 372. L’hypothèse de l’existence de cartulaires primitifs est le fait de l’éditeur, Ibid., p. 5, note g. 23. La partie identifiante est figurée par la flèche 1, la partie Édition par la flèche 2 et la partie Manuscrit par la flèche 3. Pour chaque rubrique pouvant faire l’objet d’une recherche dans la base de données, une lettre a été attribuée dans le texte et renvoie à son emplacement sur la reproduction de la fiche. 24. Ces champs multivalués ont été utilisés en particulier pour plusieurs cartulaires rédigés au XVe siècle par certains établissements monastiques, comme Cîteaux, qui ont copié des recueils qui regroupent leurs droits dans certains lieux spécifiques. Cf. par exemple le cartulaire AD 21, Cart. 173 (ancien 11 H 939), réalisé à la fin du XVe siècle, qui regroupent tous les droits de l’abbaye de Cîteaux sur la grange et la seigneurie d’Ouge. Ces champs multivalués ont également été utilisés pour les cartulaires de prieurés, mais seulement lorsqu’ils ont été constitués par l’institution dont les prieurés dépendaient. 25. Sur les différents types d’organisation de la matière, cf. la typologie de M. PARISSE, « Les cartulaires : copies ou sources originales », (art. cit. note 13), p. 507-508. 26. Sur ces deux caractéristiques, cf. la carte, Figure 15, p. 6. 27. Dans ces calculs relatifs aux cartulaires rédigés entre le XI e et le XIIIe siècle inclus, je n’ai tenu compte que des recueils dont la datation, même approximative, était connue.

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28. Dans le diocèse d’Autun, les 5 cartulaires non datés proviennent de Saint-Nazaire d’Autun (perdu), de l’abbaye cistercienne de Sept-Fons (perdu), de l’église Saint-Andoche de Saulieu (il était conservé dans la bibliothèque de M. de la Mare à Dijon), du prieuré bénédictin de Mont- Saint-Jean en Bourgogne (perdu) et du prieuré Saint-Etienne de Beaune (perdu). Dans le diocèse d’Auxerre, les 4 cartulaires non datés proviennent de l’abbaye cistercienne de Notre-Dame des Roches (perdu), du chapitre Sainte-Eugénie de Varzy (perdu), du prieuré clunisien de la Charité- sur-Loire (perdu). Dans le diocèse de Chalon, les 2 cartulaires non datés proviennent de l’église de Chalon (perdu) et de l’abbaye cistercienne de Molaise (perdu) [Pour ce dernier, je tiens à remercier Benoît Chauvin de m’avoir signalé son existence]. Dans le diocèse de Langres, les 10 cartulaires non datés proviennent des abbayes cisterciennes de Mores (perdu), Auberive (fragment d’un cartulaire en rouleau, AD 52, H, F 287), La Crête (9 pancartes dont la datation et la cote sont encore à préciser), de l’église collégiale de Chaumont-en-Bassigny (AD 52, F fonds Laloy 101), du prieuré de Bourbonne-les-Bains (perdu), des abbayes bénédictines de Saint-Seine (perdu), Saint-Bénigne de Dijon (antiquum cartulare et « cinquième cartulaire », perdus), du prieuré Saint-Amâtre de Langres (perdu). Dans le diocèse de Mâcon, les 5 cartulaires non datés proviennent de Saint-Vincent de Mâcon (« livre rouge » perdu), des abbayes bénédictines de Charlieu (perdu), Cluny (« grand cartulaire des moines », « cartulaire du petit trésor de Cluny » et un autre « cartulaire de Cluny », perdus). Enfin, dans le diocèse de Nevers, les 3 cartulaires non datés proviennent du prieuré clunisien de Saint-Étienne de Nevers (perdu), de l’évêché de Nevers (perdu) et de l’abbaye bénédictine de Saint-Pierre-le-Moûtier (perdu). 29. Il s’agit naturellement d’un graphique approximatif qui gomme toute chronologie fine. En particulier, les cartulaires dont la rédaction se répartit sur plusieurs siècles ont été comptabilisés à l’époque de leur première rédaction (quelle que soit l’ampleur des continuations), ce qui signifie que le graphique tend à décaler en amont le processus de mise par écrit des recueils. Ce parti pris correspond à celui qui avait été choisi par B. DELMAIRE, « Cartulaires et inventaires dans le Nord » (art. cit. note 15), p. 304-305. 30. Il est difficile de trancher si les institutions présentes dans les six diocèses bourguignons n’ont pas copié de cartulaires ou s’ils ont tous disparu. Les cartulaires semblent apparaître au IXe siècle à l’est du monde franc, dans les régions récemment conquises. À l’ouest, les premières attestations ne remontent qu’au Xe siècle, cf. P. GEARY, « Entre gestion et gesta », in Les cartulaires (op. cit. no 6), p. 13-26. 31. Ce nombre de sept cartulaires se réduit à cinq si l’on retient l’hypothèse de H. Atsma et J. Vezin évoquée plus haut, cf. H. ATSMA, J. VEZIN, « Gestion de la mémoire » (art. cit. no 19). 32. Cf. note 22. 33. Sur ce cartulaire, M. PROU, A. VIDIER, Recueil des chartes de l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, t. 1, Paris, 1907, p. LXII-LXV. Le cartulaire a été édité dans son intégralité in É. PÉRARD, Recueil de plusieurs pièces curieuses servant à l’histoire de Bourgogne, Paris, 1664 [Réédition en 1910], p. 46-94. Sur l’activité intellectuelle et mémorielle d’Abbon à la tête de Fleury, M. MOSTERT, The political Theology of Abbo of Fleury. A Study of the Ideas about Society and Law of the Tenth-Century monastic reform Movement, Hilversum, 1987 (Middeleeuwse Studies en Bronnen,2). Il convient de souligner par ailleurs qu’Abbon s’intéressait de près à la documentation diplomatique, puisqu’il est l’auteur de plusieurs actes falsifiés pour son établissement, M. MOSTERT, « Die Urkundenfälschungen Abbos von Fleury », in Fälschungen im Mittelalter,Internazionaler Kongress der Monumenta Germaniæ Historica (Munich, 1986), 4° partie : Diplomatische Fälschungen, t. 2, Hanovre, 1988, p. 287-318. 34. C. Brittain-Bouchard, The cartulary of Flavigny : 717-1113, Cambridge, 1991 (Medieval Academy Books, 99), sur la datation du cartulaire, p. 2. 35. Sur le cartulaire-chronique de Saint-Bénigne et sur son contexte de rédaction, G. CHEVRIER, R. FOLZ, M. CHAUME, J. MARILIER, Chartes et documents de Saint-Bénigne de Dijon, prieurés et dépendances, des origines à 1300. Tome 1er: VIe-Xe siècles, Dijon, 1986 (Analecta Burgundica, 1), p. III-V.

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36. Sur l’élaboration des premiers cartulaires de Cluny, cf. H. ATSMA, J. VEZIN, « Gestion de la mémoire » (art. cit. note 19), p. 5-29. 37. Sur le contexte de rédaction des cartulaires, D. IOGNA-PRAT, « La confection des cartulaires » (art. cit. note 6), p. 39-41. 38. Sur le prieuré de Marcigny-sur-Loire et la date de rédaction de son cartulaire, J. RICHARD, Le cartulaire de Marcigny-sur-Loire (1045-1144). Essai de reconstitution d’un manuscrit disparu, Thèse Lettres, Paris, 1953, Dijon, 1957 (Analecta burgundica), p. VII. 39. Sur la réforme de Fleury par Odon, je me permets de renvoyer à mon article, I. ROSÉ, « Odon de Cluny, précurseur d’Abbon : réforme de Fleury et conceptions ecclésiologiques », in Abbon de Fleury, un abbé de l’an Mil, actes du colloque international organisé par l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes (IRHT) et l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire (sous presse). Dans la perspective des liens entre Cluny et le prieuré “fleurisien” de Perrecy, il convient de noter que toutes les chartes de Saint-Benoît-sur-Loire relatives à l’abbatiat d’Odon à Fleury ne nous sont parvenues que par le biais des copies modernes du cartulaire de Perrecy, cf. I. ROSÉ, Odon de Cluny (879-942). Itinéraire et ecclésiologie d’un abbé réformateur entre aristocratie carolingienne et monde féodal, Turnhout (Collection d’études médiévales de Nice, 7), sous presse. Sur la réforme de Saint- Bénigne par Guillaume de Volpiano, D. W. POECK, Cluniacensis Ecclesia. Der cluniacensische Klosterverband (10.-12. Jahrhundert),München, 1998 (Münstersche Mittelalter-Schriften, 71), p. 219 ; sur le prieuré de Marcigny, Ibid., p. 193-195. 40. Il s’agit d’une perspective que l’on retrouve dans la plupart des premiers cartulaires élaborés en Occident, cf. P. GEARY, « Entre gestion et gesta », (art. cit. note 30), p. 13-26. 41. Cartulaire du prieuré Notre-Dame et Saint-Jean-Baptiste de Paray-le-Monial (perdu), cf. U. CHEVALIER, Cartulaire du prieuré de Paray-le-Monial, ordre de Saint-Benoît, suivi d’un appendice de chartes et de visites de l’ordre de Cluny, Paris, 1890 (Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Chalon-sur-Saône). Cartulaire de l’abbaye Sainte-Madeleine de Vézelay (Auxerre, BM, ms. 227, fol. 22-63), cf. R.B.C. HUYGENS, Monumenta vizeliacensia et cartulaire de l’abbaye Sainte-Madeleine de Vézelay (Florence, Bibliotheca Laurenziana, ms. 32, fol. 151-176), cf. R.B.C. HUYGENS, Monumenta vizeliacensia II (ouvrages cité note 4) . Cartulaire du prieuré de Saint-Marcel-lès-Chalon (Paris, BnF, n.a.l. 496 (ancien n.a.l. 1676)), cf C. BRITTAIN-BOUCHARD, The Cartulary of St.-Marcel-lès- Chalon : 779-1126, Cambridge, 1998 (Medieval Academy Books, 102) ; il existe une édition plus ancienne de ce cartulaire, C. CANAT DE CHIZY, Cartulaire du prieuré de Saint-Marcel-lès-Chalon publié d’après les manuscrits de Marcel Canat de Chizy, Chalon-sur-Saône, 1894. Cartulaire-rouleau du prieuré Saint-Georges de Vendeuvre (AD 51, F 593). Premier cartulaire de l’abbaye de Molesme (AD 21, Cart. 142 (ancien 7 H 6)), cf. J. LAURENT, Cartulaires de l’abbaye de Molesme (op. cit. note 4). Cartulaire de Bèze [Liber memorabilium rerum seu etiam cartarum abbatiae Besensis] (Paris, BnF, ms. lat. 4997). 42. Recueil des pancartes de l’abbaye de La Ferté-sur-Grosne (AD 71, H non coté), cf. G. DUBY, Recueil des pancartes de l’abbaye de la Ferté-sur-Grosne: 1113-1178, Bruxelles, 2000 (Bibliothèque du Moyen Âge, 17). Cartulaire de l’abbaye de Pontigny (Paris, BnF, ms. lat. 9887), cf. M. GARRIGUES, Le premier cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny (XIIe-XIIIe siècles), Paris, 1981 (Documents inédits sur l’histoire de France-série in 8°, 14). Cartulaire de l’abbaye de Theuley (Archives du baron d’Huart-Saint-Mauris, cartulaire S pour l’original ; AD 71, microfilm 1-Mi-3 (R1)), cf. J.- M. DUMONT, « Un cartulaire de l’abbaye de Theuley », in Bulletin philologique et historique des travaux historiques et scientifiques, 1955-1956, p. 27-33. Cartularium vetus de l’abbaye de Cîteaux (AD 21, Cart. 169 (ancien 11 H 63)). Fragment du premier cartulaire de l’abbaye de Cîteaux, inséré dans le cartularium vetus (AD 21, Cart. 169 (ancien 11H 63)) ; cf. J. MARILIER, Chartes et documents concernant l’abbaye de Cîteaux (op. cit. note 4), p. 6. 43. Cartulaire de la collégiale de Beaujeu (AD 69, G non coté), cf. M.-C. GUIGUE, Cartulaire de l’Église collégiale Notre-Dame de Beaujeu, Lyon, 1864. Premier cartulaire de Saint-Étienne de Dijon (perdu).

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Cartulaire du prieuré Saint-Symphorien d’Autun (perdu), cf. A. DELÉAGE, Recueil des actes du prieuré de Saint-Symphorien d’Autun de 696 à 1300, publié avec une introduction et des notes, Autun, 1936. 44. Recueils de chapitres cathédraux : cartulaire de Saint-Cyr de Nevers (perdu), cf. R. de LESPINASSE, Cartulaire de Saint-Cyr de Nevers, Nevers-Paris, 1916 (Publications de la Société Nivernaise, 25). Cartulaire de l’Église cathédrale Saint-Lazare d’Autun (perdu), cf. A. De CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun (677-1299), 2 vol., Autun, 1865 et 1900 (Documents inédits pour servir à l’histoire de l’Autunois, 1). Recueil épiscopal : cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon (perdu), cf. M. C. RAGUT, Cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon (op. cit. note 22). 45. Six cartulaires ont été datés du XII e siècle, sans plus de précision : Saint-Cyr de Nevers, Theuley, Bèze, Vendeuvre, Saint-Étienne de Dijon et le cartularium vetus de Cîteaux. Au sujet de la datation des douze cartulaires : Saint-Symphorien d’Autun, cf. A. DELÉAGE, Recueil des actes du prieuré de Saint-Symphorien d’Autun (op. cit. note 43), p. XXV-XXXIX ; Saint-Marcel-lès-Chalon, cf. C. BRITTAIN-BOUCHARD, The Cartulary of St.-Marcel-lès-Chalon (op. cit. note 41), p. 3 ; Vézelay, cf. R.B.C. HUYGENS, Monumenta vizeliacensia (op. cit. note 4), p. XXVIII-XXIX ; Saint-Lazare d’Autun, cf. A. De CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun (op. cit. note 44), p. VI ; Molesme, cf. J. LAURENT, Cartulaires de l’abbaye de Molesme (op. cit. note 4), p. 20 ; Beaujeu, cf. M.-C. GUIGUE, Cartulaire de l’Église collégiale Notre-Dame de Beaujeu (op. cit. note 43), p. 5 ; La-Ferté-sur-Grosne, cf. G. DUBY, Recueil des pancartes de l’abbaye de la Ferté-sur-Grosne (op. cit. note 42), p. 26-27 ; Cîteaux, cf. J . MARILIER, Chartes et documents concernant l’abbaye de Cîteaux (op. cit. note 4), p. 7-8 ; Paray-le-Monial, cf. U. CHEVALIER, Cartulaire du prieuré de Paray-le-Monial (op. cit. note 41), p. XIV ; Pontigny, cf. M. GARRIGUES, Le premier cartulaire de l’abbaye cistercienne de Pontigny (op. cit. note 42), p. 50-51 ; Saint-Vincent de Mâcon, cf. M. C. RAGUT, Cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon (op. cit. note 22), p. V. 46. Cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon (op. cit. note 22). Pour les chanoines cathédraux : Cartulaire de Saint-Cyr de Nevers, cartulaire de l’Église cathédrale Saint-Lazare d’Autun (cités note 44). Pour les chanoines réguliers : Cartulaire de la collégiale de Beaujeu, premier cartulaire de Saint-Étienne de Dijon (cités note 43). 47. Si l’organisation systématique des actes semble ne pas exister en Bourgogne avant le XII e siècle, elle est connue dans d’autres espaces géographiques, notamment à Saint-Victor de Marseille, cf. M. ZERNER, « L’élaboration du Grand Cartulaire de Saint-Victor de Marseille », in Les Cartulaires (op. cit. note 4), p. 217-246 ; EAD., « L’abbaye de Saint-Victor de Marseille et ses cartulaires : retour aux manuscrits », in D. LE BLÉVEC (dir.), Les cartulaires méridionaux,Actes du colloque organisé à Béziers les 20 et 21 septembre 2002 par le Centre historique de recherches et d’études médiévales sur la Méditerranée occidentale (EA 3764, Univ. Paul-Valéry-Montpellier III) avec la collaboration du GDR 2513 SALVE, Paris, 2006 (Études et rencontres de l’École des chartes, 19), p. 163-216. 48. Recueil des pancartes de l’abbaye de La Ferté-sur-Grosne, cartulaire de l’abbaye de Pontigny, cartulaire de l’abbaye de Theuley, cartularium vetus de l’abbaye de Cîteaux ; le fragment du premier cartulaire de l’abbaye de Cîteaux a un classement inconnu (cités note 42). 49. Sur les rapports de ce cartulaire avec celui de Saint-Bénigne, cf. P. BOURGAIN, M.-C. HUBERT, « Latin et rhétorique » (art. cit. note 22), p. 125-126. 50. Sur la composition du manuscrit d’Auxerre, BM, ms. 227, cf. R.B.C. HUYGENS, Monumenta vizeliacensia (op. cit. note 4), p. XIX-XXI. 51. A. DELÉAGE, Recueil des actes du prieuré de Saint-Symphorien (op. cit. note 44), p. XLI. 52. Pour l’intégration de Vézelay dans l’Ecclesia cluniacensis, cf. D. W. POECK, Cluniacensis Ecclesia (op. cit. note 39), p. 111-113. Pour Paray-le-Monial, Ibid., p. 175-179. 53. U. CHEVALIER, Cartulaire du prieuré de Paray-le-Monial (op. cit. note 44), p. IX-X. Pour la représentation iconographique de Girart de Roussillon, cf. Figure 16. 54. Sur ces questions, D. RUSSO, « Peut-on parler d’un art clunisien ? », in Cluny ou la puissance des moines. Histoire de l’abbaye et de son ordre. Numéro spécial des cahiers d’archéologie, 269 (2002),

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p. 62-67, ici p. 62-63. C. SAPIN, « Les bâtiments conventuels clunisiens », in Cluny ou la puissance des moines, p. 98-105, ici p. 102-105. 55. Le premier cartulaire est cité note 44, le second note 43 et le dernier note 41. 56. Cette hypothèse, qui concerne l’organisation de la matière, n’en exclut pas d’autres relatives à la décision de faire copier le cartulaire. D’un point de vue chronologique, la confection du recueil de Saint-Marcel s’inscrit en effet également bien dans le sillage de l’élaboration des premiers cartulaires de Cluny, peu de temps après l’intensification de leur rédaction. 57. Ainsi, pour Saint-Symphorien d’Autun, l’évêque Étienne de Bagé (1112-1140) a sans doute joué un rôle. Pour Saint-Marcel-lès-Chalons, il s’agit du prieur Philippe (vers 1120), neveu de Gui de Verdun. Pour Molesme, le rôle de l’abbé Giraud (1140-1148) a été mis en évidence, tout comme pour Vézelay, celui de l’abbé Ponce de Montboisier († 1161). La copie des pancartes de la Ferté semble liée à une action conjointe de l’abbé Barthélemy et de l’évêque de Chalon, Gauthier II († 1158). À Paray-le-Monial, la partie primitive du cartulaire a été copiée sur l’ordre d’Hugues II († après 1085), prieur de Paray, tandis que le cartulaire de Bèze a été entrepris à l’initiative d’un certain moine Jean. 58. Pour Perrecy, cf. M. PROU, A. VIDIER, Recueil des chartes de l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire (op. cit. note 33), p. LXII. Pour Flavigny, C. BRITTAIN-BOUCHARD, The cartulary of Flavigny (op. cit. note 34), p. 1. Pour Saint-Cyr de Nevers, R. de LESPINASSE, Cartulaire de Saint-Cyr de Nevers (op. cit. note 44), p. I. Pour Paray-le-Monial, U. CHEVALIER, Cartulaire du prieuré de Paray-le-Monial (op. cit. note 41), p. V. Pour Marcigny-sur-Loire, disparu dans un incendie en 1793, J. RICHARD, Le Cartulaire de Marcigny- sur-Loire (op. cit. note 38), p. II. Enfin, pour Saint-Lazare d’Autun, A. De CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun (op. cit. note 44), p. VI. 59. M. C. RAGUT, Cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon (op. cit. note 22), pour l’état de conservation du recueil primitif, cf. note 22. 60. J. MARILIER, Chartes et documents concernant l’abbaye de Cîteaux (op. cit. note 4), p. 6. 61. Pour les abbayes bénédictines : Saint-Seine (AD 21, Cart. 165 (ancien 10 H 6)), « Grand cartulaire » de Saint-Germain d’Auxerre (Auxerre, BM, ms. 161 (anc. 142)), Saint-Julien d’Auxerre (AD 89, H 1667), Saint-Nicolas de Crisenon (Paris, BnF, ms. lat. 9885), « Grand cartulaire de Molesme (AD 21, Cart. 143 (ancien 7 H 7)), « Grand cartulaire » de Saint-Bénigne de Dijon (Perdu), cartulaire D de Cluny (Paris, BnF, ms. n.a.l. 766), cartulaire E de Cluny (Paris, BnF, ms. lat. 5458), fragment d’un cartulaire de Cluny (Paris, BnF, ms. n.a.l. 756), La Bussière (Paris, BnF, ms. lat. 5463). Pour les abbayes cisterciennes : Auberive (AD 52, H non coté (= 1 H 3 ?)), Auberive (AD 52, H non coté (= 1 H 4 ?)), Longuay (AD 52, 6 H 2), Fragment d’un cartulaire de Longuay (AD 52, 6 H 2), cartulare antiquum de Cîteaux (AD 21, Cart. 166 (ancien 11 H 64)), Cîteaux (AD 21, Cart. 168 (ancien 11 H 66) et AD 21, Cart. 167 (ancien 11 H 67)), « Grand cartulaire de Clairvaux (AD 10, 3 H 9 et 3 H 10), Cartulaire de Clairvaux concernant concernant Baroville-le-Morvaux (AD 10, 3 H 21), Fontenay (AD 21, Cart. 201 (ancien 15 H 9)). Pour les chanoines réguliers : « Quatrième cartulaire » de Saint-Étienne de Dijon (AD 21, Cart. 36 (ancien G 128)), La-Chapelle-aux-Planches (AD 52, 4 H 1), Saint-Maclou de Bar-sur-Aube (Paris, BnF, ms n.a.l. 110), Saint-Denis de Vergy (Dijon, BM, ms. 1057 (Baudot 126)). 62. Chapitres cathédraux : Fragment de cartulaire du chapitre cathédral d’Auxerre (AD 89, G 1797), Saint-Vincent de Chalon (Autun, Bibliothèque de la Société Éduenne, série D3-n° 70), répertoire du cartulaire du chapitre cathédral de Langres (BnF, ms n.a.l. 1926), « grand cartulaire du chapitre cathédral de Langres (AD 52, 2 G 921). Évêques : « cartulaire rouge » de l’évêché d’Autun (AD 71, G 443), Liber cartarum de l’évêché d’Auxerre (Berkeley, University of Californy, Law Library, Robbins Collection, 48), évêché de Langres (Paris, BnF, ms. lat. 5188), Liber feodorum de l’évêché de Langres (Langres, BM, ms. 37 (6)). 63. Commanderie du Saulce (Paris, AN, S 5235 n°1). Couvent des Dominicains de Dijon (AD 21, cart. 221 (ancien H 53)). Chartreuse de Lugny (Paris, BnF, ms. lat. 10948). Sur les cartulaires des

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ordres militaires, cf., à titre comparatif, D. LE BLÉVEC, A. VENTURINI, « Cartulaires des ordres militaires, XIIe-XIIIe siècles (Provence occidentale – Basse vallée du Rhône) », in Les cartulaires (op. cit. note 6), p. 451-465. Je tiens par ailleurs à signaler que j’ai inclus les hospitaliers dans les ordres militaires, au même titre que les templiers. 64. Cartulaires municipaux : Petit cartulaire municipal de Chalon-sur-Saône (AM Chalon-sur- Saône, AA 1), cartulaire municipal de Dijon (Paris, BnF, ms. lat. 4654). Cartulaires laïques : seigneurie de Nesle (Chantilly, Musée Condé (série GB, XIV F 22)), seigneurie de Chassagne (AD 21, E 433), cartulaire-inventaire des titres du duché de Bourgogne (AD 21, B 10423 et Dijon, BM 1142), comté de Tonnerre (perdu). 65. J. MARILIER, Chartes et documents concernant l’abbaye de Cîteaux (op. cit. note 4), p. 11. 66. J. LAURENT, Cartulaires de l’abbaye de Molesme (op. cit. note 4), p. 27-31. 67. Sur le contexte de rédaction des cartulaires D et E de Cluny, S. BARRET, La mémoire et l’écrit (op. cit. note 4), p. 260-263. 68. Je n’ai pas tenu compte de 12 cartulaires qui ont été datés approximativement du XIIIe siècle : celui de l’abbaye bénédictine de Saint-Seine ; ceux des établissements cisterciens de Fontenay, Clairvaux (pour le cartulaire concernant Baroville) ; ceux du chapitre cathédral d’Auxerre, de Saint-Vincent de Chalon, ainsi que le répertoire du chapitre cathédral de Langres ; ceux des établissement canoniaux de Saint-Étienne de Dijon, Bar-sur-Aube et Vergy ; celui du comté de Tonnerre ; enfin les cartulaires municipaux de Chalon et Dijon. Pour la datation des autres recueils : Cîteaux, cf. J. MARILIER, Chartes et documents concernant l’abbaye de Cîteaux (op. cit. note 4), p. 9-11 ; Auberive, cf. O. GRANDMOTTET, « Aspects du temporel de l’abbaye d’Auberive des origines à la fin du XIIIesiècle », in Cahiers haut-marnais, 52 (1958), p. 1-13, ici p. 2, note 8bis ; La-Chapelle- aux-Planches, cf. C. LALORE, Cartulaire de l’abbaye de La-Chapelle-aux-Planches. Chartes de Montier-en- Der, de Saint-Etienne et de Toussaints de Châlons, d’Andecy, de Beaulieu et de Rethel, Paris, 1878, p. V ; sur les trois cartulaires de Langres, cf. H. FLAMMARION, Le cartulaire du chapitre cathédral de Langres, Turnhout, 2004 (Artem, 6), p. 7-8 ; Molesme, cf. J. LAURENT, Cartulaires de l’abbaye de Molesme (op. cit. note 4), p. 27-31 ; Cluny, cf. S. BARRET, La mémoire et l’écrit (op. cit. note 4), p. 240-259 ; sur les cartulaires d’Auxerre, cf. note 69 ; sur les cartulaires laïques de Chassagne et du duché de Bourgogne, cf. les références de la note 71 et X. HÉLARY, « Un seigneur face à ses archives » (art. cit. note 14) ; sur Crisenon et Le Saulce, cf. M. QUANTIN, « Catalogue des cartulaires qui concernent les pays du département de l’Yonne », in Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de l’Yonne, (1881), p. 60-76, ici p. 67 puis 71 ; Longuay, cf. R. BOURG, Le temporel de l’abbaye de Longuay à travers ses granges. Origine, constitution et exploitation, Mémoire de maîtrise sous la direction d’Alain Saint-Denis, Université de Bourgogne, 1993-1995, p. 8 ; Lugny, cf. J. LEGENDRE, « La Chartreuse de Lugny des origines au début du XIVe siècle (1172-1334) », in Analecta Cartusiana, 27 (1975), p. 182-187. 69. Les relations entre Saint-Germain et l’évêché, ainsi qu’entre l’organisation de la matière des cartulaires de ces deux institutions ont été étudiées par N. DEFLOU-LECA, « L’élaboration d’un cartulaire au XIIIe siècle », (art. cit. note 14) p. 183-207. 70. Sur le cartulaire de l’évêque d’Auxerre, Ibid., p. 200-201 et surtout S. KOTOVTCHIKHINE, Étude sur le cartulaire de l’évêché d’Auxerre (XIIIe siècle), Mémoire de Maîtrise d’Histoire du Moyen Âge sous la direction de Nicole Gonthier, Dijon, Université de Bourgogne, 1991. Sur le cartulaire d’Autun, A. de CHARMASSE, Cartulaire de l’Évêché d’Autun, connu sous le nom de Cartulaire rouge publié d’après un manuscrit du XIIIe siècle, suivi d’une carte et d’un pouillé de l’ancien diocèse d’Autun d’après un manuscrit du XIVe siècle, Autun - Paris, 1880. 71. Sur cette chronologie globale des cartulaires de principautés, R.-H. BAUTIER, « Cartulaires de chancellerie et recueils d’actes des autorités laïques et ecclésiastiques », in Les cartulaires (op. cit. note 6), p. 363-377, ici p. 369-370. Pour les cartulaires de seigneuries, les années 1270-1280 correspondent à une généralisation et à une extension géographique du processus de

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compilation, L. FOSSIER, O. GUYOTJEANNIN, « Cartulaires français laïques : seigneuries et particuliers », in Les cartulaires (op. cit. note 6), p. 379-410, ici p. 384-385. 72. M. QUANTIN, « Catalogue des cartulaires » (art. cit. note 68), p. 71. 73. Cf. supra, note 67. 74. C’est le cas pour les cartulaires cisterciens de Pontigny et Longuay, des cartulaires bénédictins de Crisenon, et de Molesme (dans sa deuxième partie), du cartulaire rouge de l’évêque d’Autun, enfin du cartulaire de chanoines réguliers de La-Chapelle-aux-Planches. 75. Sur les chapellenies à Dijon, dès le début du XIVe siècle, G. TARBOCHEZ, Chapellenies et chapelains à Dijon à la fin du Moyen Âge (1300-1500), Mémoire de DEA, Dijon, 1998.Par ailleurs et d’une façon générale, très peu de cartulaires mendiants on été conservés, ce qui explique peut-être cette absence. Je tiens ici à remercier Paul Bertrand de m’avoir fait part de cette information. 76. Cartulaires bénédictins : Petit cartulaire de Saint-Bénigne de Dijon (Paris, BnF, ms. n.a.l. 562), cinquième cartulaire de Saint-Bénigne de Dijon (perdu), pitancerie de Saint-Germain d’Auxerre (Auxerre, BM, ms. 162 (anc. 143)), pitancerie de Cluny (Paris, BnF, ms. lat. 9878), cartulaire E de Cluny (Paris, BnF, ms n.a.l. 1499), prieuré de Vignory (AD 21, Cart. 129 (ancien 1 H 1781)), prieuré de Saint-Vivant-sous-Vergy (AD 21, Cart. 231 (ancien 21 H)), prieuré de Larrey (AD 21, Cart. 128 (ancien 1 H 1641)). Cartulaires cisterciens : Bullaire de Cîteaux (Dijon, BM, ms. 598 (352)), Registrum possessionum porte Cistercii (AD 21, Cart. 172 (ancien 11 H 69)), cartularium novum de Pontigny (Paris, BnF, ms. lat. 5465). Cartulaires de communautés canoniales : Saint-Étienne de Dijon (AD 21, Cart. 24 (ancien G 137)), Saint-Marien-d’Auxerre (AD 89, H 1200), Châtillon-sur- Seine (AD 21, Cart. 205 (ancien 18 H)), Vergy (Paris, BnF, ms. lat. 5529A). Pour les chapitres cathédraux : chapitre cathédral de Langres (AD 52, G non coté). Cartulaires de chapelles : Saint- Ignace dans l’église cathédrale de Langres (AD 52, 2 G 217), chapelle de Guibert de Celsoy (AD 52, 2 G 697 et 698), Sainte-Chapelle de Dijon (Dijon, BM, ms 913 (Baudot 3)). Cartulaires épiscopaux : Langres (Paris, BnF, ms. lat. 5188), Chalon (perdu). Cartulaires laïcs : comté d’Auxerre (AD 21, Cart. 6.02 (ancien B 10434)), Hugues de Chalon (Londres, British Museum, additional ms. 17305). Cartulaire des chartreux de Beaune (AD 21, Cart. 207, 208, 209, 210). Cartulaire de l’hôpital de Tonnerre (Tonnerre, Archives hospitalières, A 4). Pour les cartulaires communaux : Beaune (Beaune, BM, ms. 24 ; AM de Beaune, non coté), Dijon (Paris, BnF, ms. lat. 4765 et 4766 ; Dijon, BM, ms. 739 et 741 ; Montpellier, Bibliothèque de la faculté de médecine, ms. 383 ; Paris, BnF, Collection Moreau, vol. 923 fol. 57-86). 77. Sur la crise que connaît Cîteaux au XIVe siècle, M. PACAUT, Les moines blancs. Histoire de l’ordre de Cîteaux, Paris, 1993, p. 279-286. 78. Sur ce cartulaire, B. PROST, S. BOUGENOT, Cartulaire de Hugues de Chalon (op. cit. note 8), p. IX-X, disponible sur Gallica, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111494j. 79. Je tiens ici à remercier Paul Bertrand de m’avoir signalé la généralisation de ce phénomène. 80. Dans la mesure où les cartulaires confectionnés au cours de ce siècle sont particulièrement nombreux et où, par ailleurs, je n’ai concentré mon attention que sur certains d’entre eux, je ne mentionne en note que les recueils que j’ai pu analyser en détail. 81. Fragment du cartulaire de l’église d’Issy-l’Évêque (AD 21, G 55). 82. Pour Clairvaux et Cîteaux, cf. la liste, infra note 85, à laquelle il convient d’ajouter, pour Cîteaux, un recueil qui n’a pas été rédigé sous l’abbatiat de Jean de Cirey (AD 21, H non coté, Stein 1733). Pour les autres établissements cisterciens à l’origine de cartulaires au XVe siècle : Val-des- Vignes (AD 21, H non coté), prieuré de Sexfontaines (AD 52, 28 H 1 et AD 52, H non coté), Reigny (BnF ms. lat. 17725). 83. Auxerre (le premier est perdu ; pour le deuxième, Auxerre, AM, non coté) ; sur le contexte, cf. D. CERCUEIL, Les institutions municipales d’Auxerre au Moyen Âge (XIIe-XVe siècles), Mémoire de Maîtrise, Dijon, 2000. Bèze (AD 21, E 2975). Beaune (AM Beaune, non coté) ; sur le contexte, C. COURTÉPÉE, Description générale et particulière du Duché de Bourgogne, vol. 2, Paris, 1967 [3ère édition], p. 279-304. Châtillon-sur-Seine (Paris, BnF, ms. fr. 5491, fol. 103-111). Dijon (Paris, AN, KK 1109 ; Dijon, BM,

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ms. 740 ; AM Dijon, BB 116 ; AM Dijon, BB 118 ; Paris, BnF, ms. n.a.f. 1340) ; sur le contexte, cf. P. GRAS (Dir.), Histoire de Dijon, Toulouse, 1987, p. 42-108 et C. COURTÉPÉE, Description générale, Vol. 2, p. 16-34. 84. JEAN DE CIREY, Privilegia ordinis Cisterciensis, Dijon, 1491. Sur Jean de Cirey et Pierre de Virey, cf. M. PACAUT, Les moines blancs (op. cit. note 77), p. 301-307. Pierre de Virey fait également rédiger à la même époque un catalogue de la bibliothèque de Clairvaux et réaménager les locaux de son abbaye. Le même phénomène de recours massif à l’écrit pour les archives/cartulaires a été observé par Paul Bertrand lors de la réforme du couvent des carmes de Liège en 1451, cf. P. BERTRAND, « Économie conventuelle, gestion de l’écrit et spiritualité des ordres mendiants (XIIIe- XVe siècles) », à paraître in J. CHIFFOLEAU et N. BÉRIOU, L’économie des mendiants, Lyon, 2007 (sous presse). 85. Cartulaire général de Cîteaux en neuf volumes (AD 21, Cart. 185-193 (ancien 11 H 70-78)). Cartulaire de Cîteaux concernant la grange et la seigneurie d’Ouges (AD 21, Cart. 173 (ancien 11 H 939)), cartulaire de Cîteaux concernant ses possessions à Beaune (AD 21, Cart. 174 (ancien 11 H 79)), cartulaire de Cîteaux concernant les possessions à Dijon (AD 21, Cart. 175 (ancien 11 H 479)), cartulaire de Cîteaux concernant les privilèges en matière de succession (AD 21, Cart. 175 (ancien 11 H 479)), cartulaire de Cîteaux concernant les domaines de Beaune (AD 21, Cart. 177 (ancien 11 H 289)), cartulaire de Cîteaux concernant Izeure (AD 21, Cart. 178 (ancien 11 H 80)) , cartulaire de Cîteaux concernant Saulon-la-Chapelle et Saulon-la-Rue, Fénay et la rivière Cent-fonds (AD 21, Cart. 179 (ancien 11 H 1075)), cartulaire de Cîteaux concernant Chaugey et Maison-Dieu (AD 21, Cart. 180 (ancien 11 H 755)), cartulaire de Cîteaux concernant Chaugey, Maison-Dieu et Bonnencontre (AD 21, Cart. 181 (ancien 11 H 754)), cartulaire de Cîteaux concernant Magny-lès- Aubigny et Montot (AD 21, Cart. 183 (ancien 11 H 821)), cartulaire de Cîteaux concernant le vignoble d’Aloxe (AD 21, Cart. 194 (ancien 11 H 636)), cartulaire de Cîteaux concernant Toutenant (AD 21, Cart. 184 (ancien 11 H 987)), cartulaire de Cîteaux concernant le prieuré de Gilly et la seigneurie de Cordoux (AD 21, Cart. 194 (ancien 11 H 636)), cartulaire de Cîteaux concernant Villars-ès-Barres (AD 71, H 8112, H 8129, H 8138, H 8218), cartulaire de Cîteaux concernant Épernay (Dijon, BM, 184 (148)). Pour les cartulaires de Clairvaux : concernant Bar-sur-Aube (AD 10, 3 H 22), Buché et Colombey-le-Sec (AD 10, 3 H 26), Champigny (AD 10, 3 H 27), l’église de Roderham au diocèse d’York (AD 10, 3 H 38), Le Breuil (AD 10, 3 H 25), Rizaucourt (AD 10, 3 H 37), Troyes (AD 10, 3 H 39). Pour Clairvaux on dispose aussi d’un fragment d’un cartulaire qui regroupe les privilèges des rois de France (AD 10, 3 H 11). 86. Sur l’organisation des cartulaires établis sous l’abbatiat de Jean de Cirey, J. MARILIER, Chartes et documents concernant l’abbaye de Cîteaux (op. cit. note 4), p. 14-17. 87. Sur le cardinal Rolin, S. CASSAGNES-BROUQUET, «Le cardinal Rolin, un mécène fastueux », in Publication du centre européen d’études bourguignonnes, 38 (1998), p. 169-185. 88. Sur les cartulaires d’Autun, pour le cartulaire vert, épiscopal (AD 71, G 445-446), cf. A. de CHARMASSE, Cartulaire de l’Évêché d’Autun (op. cit. note 70), p. II. Pour le cartulaire des chanoines cathédraux (perdu), cf. A. De CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun (op. cit. note 44), p. VII. Pour le cartulaire de Saint-Martin d’Autun (Paris, BnF, ms. lat. 5422), J.-G. BULLIOT, Essai historique sur l’abbaye de Saint-Martin d’Autun, 2 vol., Autun, 1849 (Publication de la Société Eduenne), p. VII. Le cardinal Rolin s’était fait attribué cette abbaye en 1442. 89. Comme pour les recueils du XVe siècle et pour des raisons similaires, je ne cite en note que les cartulaires que j’évoque explicitement. 90. Pour Saint-Étienne de Dijon: « Cinquième cartulaire » (AD 21, Cart. 28 (ancien G 132)), « sixième cartulaire » (AD 21, Cart. 30 (ancien G 133)), « septième cartulaire » AD 21, Cart. 29 (ancien G 134), « huitième cartulaire » (AD 21, Cart. 31 (ancien G 135)), « neuvième cartulaire » (AD 21, Cart. 32 (ancien G 136)), cartulaire (AD 21, Cart. 34 (ancien G 138)). Parallèlement, les chanoines ont fait faire de nombreuses copies des cartulaires médiévaux. Sur l’ouvrage

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historique évoqué, C. FYOT DE LA MARCHE, Histoire de l'église abbatiale et collégiale de Saint-Etienne de Dijon, avec les preuves et le pouillé des bénéfices dépendans de cette abbaie, Dijon, 1696. Je tiens à remercier Alain Rauwel d’avoir attiré mon attention sur le rôle de premier plan de cet abbé. 91. Sur la densité du réseau des hôpitaux, A. SAINT-DENIS, « L’assistance en Bourgogne ducale », in Hôpitaux et maladreries au Moyen Âge : espace et environnement, actes du colloque international d’Amiens-Beauvais, 22, 23 et 24 novembre 2002, Amiens, 2004 (Publications du C.A.H.M.E.R., 17), p. 255-269. 92. Sur les conclusions de la première étude, utilisées ensuite, B. DELMAIRE, « Cartulaires et inventaires dans le Nord » (art cité note 15), p. 304-307. Pour la synthèse sur les cartulaires anglais, J.-P. GENÊT, « Cartulaires anglais du Moyen Âge », in Les cartulaires (op. cit. note 6), p. 343-361. 93. Il convient en outre de signaler que, contrairement à la Bourgogne et au Nord de la France, le XIVe siècle correspond à la période où la rédaction de cartulaires est la plus intense en Angleterre, Ibid., p. 349.

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La reconstruction du monastère de Cîteaux (vers 1160 – vers 1240)1

Benoît Chauvin

1 La publication du premier tome des Chartes et documents concernant l’abbaye de Cîteaux par J. Marilier date de 1961, près d’un demi-siècle… Sur les 250 actes (1098-1182) que livre cet ouvrage, deux seulement fournissent une information sur le bâti du monastère, en fait seulement sur la première petite église en pierre dédicacée en 1106. C’est dire l’extrême indigence de ces sources.

2 En cours depuis une dizaine d’années et pratiquement achevé, le deuxième tome publiera 250 actes des années 1183 à 1207. Neuf textes, dont plusieurs inconnus, apportent quelques informations sur la construction de deux des principaux corps, l’abbatiale gothique que l’on savait dédicacée en 1193, et un bâtiment des convers que l’on ignorait en chantier en 1203. Cette recherche a été l’occasion de mettre à profit systématique les rares procès-verbaux de visite et les illustrations des XVIIe et XVIIIe siècles représentant l’un et l’autre.

3 S’agissant de l’église, deux découvertes tout à fait nouvelles se révèlent fondamentales au point de bouleverser les modestes connaissances acquises et les timides hypothèses avancées à ce jour. L’exhumation d’une mention incontestable de consécration en 1178 d’un des autels du grand chevet rectangulaire à déambulatoire coudé et chapelles jointives oblige désormais à envisager une mise en œuvre dès les années 1165-1170 et ouvre l’hypothèse d’une couverture sous croisées d’ogives achevée avant la cérémonie de 1193. Cet édifice peut dès lors être considéré comme relevant d’une sorte de « plan cistercien » de la deuxième génération et, en raison de sa précocité, comme un prototype par la suite diffusé, via Morimond, surtout dans les pays germaniques.

4 Une observation minutieuse de l’un des plans contenus dans le célèbre Atlas de Cîteaux, heureusement édité en 1998, a par ailleurs permis de déceler une indiscutable césure architecturale dans le bras méridional du transept entre la chapelle contiguë au déambulatoire et les deux autres situées dans son prolongement. Avec la localisation insolite de l’escalier au même endroit dans le transept nord, on tient un sérieux indice du réemploi partiel du gros œuvre des chapelles latérales de l’église romane - deux de

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chaque côté et non quatre - et de la construction de deux chapelles supplémentaires dans chaque bras de l’église gothique.

5 D’un mot, on dispose d’une chronologie désormais plus sûre et de modalités de chantier plus précises sur cette seconde abbatiale si mal connue et pourtant maillon essentiel de l’histoire monumentale cistercienne. Partant de là, force est désormais d’envisager que l’abbatiale romane qui l’a précédée relevait du plan dit bernardin, avec un chevet peu profond à mur plat et deux chapelles latérales dans chaque bras du transept.

6 Aussi inattendue et décisive a été la mise au jour dans le fonds de l’abbaye cistercienne féminine castillane de Las Huelgas d’une charte du roi Alfonso VIII par laquelle, en 1203, ce souverain céda à Cîteaux un revenu supplémentaire annuel de 300 pièces d’or sur ses salines d’Atienza « pour compléter le don qu’il avait consenti il y a déjà longtemps de 2 500 pièces pour la construction du bâtiment des convers afin d’achever complètement cet édifice, s’il y manquait encore quelque chose pour être terminé ». Rarissimes sont les chartes médiévales fournissant de telles précisions.

7 Il est hautement probable que la donation initiale du roi de Castille à Cîteaux remonte aux années 1187, quand il réussit à faire officiellement intégrer à l’ordre sa fondation de Las Huelgas. Il est ainsi plausible de dater la construction de ce bâtiment des convers entre 1185-1190 et 1205-1210. Deux plans du monastère, l’un du fonds de Cîteaux (« 1639 »), l’autre des Archives de la Côte-d’Or (1717) en donnent le tracé au sol ; et une vue de Brissart (1674), une partie des élévations. Avec ses trois vaisseaux de sept travées sous croisées d’ogives, son double étage, ses contreforts engagés et sa couverture en bâtière, il s’apparente étroitement à celui conservé à Longuay et ressemble à celui de Clairvaux.

8 Mais l’interrogation qu’il suscite désormais sort complètement des sentiers ordinaires de l’historiographie architecturale cistercienne : où furent logés les innombrables frères convers avant la construction de ce corps ? N’est-on pas obligé de supposer un canevas identique à celui des deux abbatiales successives, avec un premier bâtiment plus modeste, plus ou moins mis à bas pour être remplacé par celui financé par Alfonso VIII ? On sait que l’archéologie a prouvé ce scénario sur plusieurs sites cisterciens, notamment à Vauclair.

9 Au final, ces deux chantiers menés en continu constituent deux des volets majeurs d’une vaste et longue campagne de reconstruction qui a donné au monastère le visage médiéval qu’on lui connaît. Celle-ci participe pleinement et logiquement à cette « libido ædificandi » dénoncée chez les cisterciens par Pierre le Chantre et qui tarauda l’ordre à travers toute l’Europe avant la fin du XIIe siècle et au début du siècle suivant. Si bien qu’en fin de compte, reste encore à découvrir plus avant le Cîteaux roman qui précéda ce Cîteaux gothique.

NOTES

1. Résumé d’un article à paraître sous ce titre dans le Bulletin monumental, 165/2 ( 2007).

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Effets des intempéries sur les portails romans : les cas de Montceaux-l’Étoile (Saône-et-Loire) et Chassenard (Allier) En hommage à François Voinchet, architecte en chef des Monuments historiques, décédé brutalement en hiver 2007, sur la route des églises romanes.

Juliette Rollier-Hanselmann

1 Les portails romans de Bourgogne, bien que connus de tous les spécialistes, n’ont jamais fait l’objet d’un constat d’état ou bilan sanitaire.

2 Le tympan unique de Montceaux-l’Étoile a subi de nombreuses exfoliations et son épiderme est maintenant très érodé. Le portail sud d’Anzy-le-Duc perd régulièrement des morceaux sculptés. Un cavalier, le visage d’Ève et d’autres fragments ont été recollés récemment, tandis que la jambe d’Adam a disparu durant les dernières décennies.

3 Le portail récemment découvert à Chassenard était protégé des intempéries et conserve une statuaire exceptionnellement bien préservée.

4 Je vous propose d’établir un premier bilan comparatif entre deux ensembles sculptés situés dans la même aire géographique, l’un conservé à l’extérieur, l’autre à l’abri des intempéries.

Montceaux-l’Étoile

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Fig. 1 – Montceaux-l’Étoile, vue du portail (cl. J. Rollier).

5 En 1967, l’historien d’art Y. Christe 1 avait relevé des relations iconographiques entre l’Ascension sculptée d’un type rare et certains ivoires carolingiens. Plus récemment la thèse de W. Travis 2 a enrichi nos connaissances sur ce portail, mais nous n’entrerons pas dans le détail de l’étude iconographique ici. Le constat qu’il fait à partir d’une photographie de 1938 3 indique que divers fragments de sculpture sont tombés (morceaux du Christ et un fragment du bras supérieur du diable situé sur la console nord).

6 Notre comparaison avec les photographies prises par les éditions Zodiaque en 1979 montrent que les reliefs très travaillés des bases supportant les colonnes latérales ont presque complètement disparu 4.

7 Il semblerait que le portail ait été protégé des intempéries pendant le XIXe siècle et au début du XXe siècle, comme l’atteste J. Virey en 1926 : « la façade fut débarassée d’un porche sans style qui l’avait longtemps masquée ». La photographie qu’il publie montre une construction maçonnée sur les côtés.

8 Les pierres rougies de la façade indiquent que le feu a ravagé le porche, à une époque indéterminée. Deux encoches obliques situées à la hauteur des contreforts marquent l’emplacement de la structure qui protégeait autrefois les sculptures.

9 Suite à une étude préalable de l’architecte F. Didier en 1994, des travaux de restauration extérieure ont été réalisés en deux tranches annuelles, le chœur et le clocher en 1996, la nef et le draînage périphérique en 1997 5. Devant la porte ouest un nouveau dallage a été posé. La façade a été reprise, avec le changement d’un certain nombre de pierres grises, qui ont subi un traitement de vieillissement par flammage, ce qui a permis de retrouver la teinte des pierres rubéfiées encore en place, et d’harmoniser ainsi les parties neuves et les parties anciennes 6. Un schéma des interventions prévues se trouve dans l’étude préalable, mais le dossier signale que les remplacements ont été plus nombreux que prévu. En 1997 une petite intervention de

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nettoyage du portail a été effectuée (préconsolidation au silicate d’éthyle, micro- sablage) 7.

10 L’observation rapprochée sur échafaudage 8 permet de constater l’état très usé des sculptures. La plupart des apôtres sont défigurés par l’érosion et les desquamations. La tête de saint Pierre ne conserve plus qu’un petit monticule à la place du nez et les yeux ont quasiment disparu. En revanche dans les parties protégées de la pluie, les sculptures sont en bien meilleur état, comme par exemple le petit ange situé à droite sous le linteau, personnage qui conserve encore ses yeux (la pupille est marquée au trépan) 9.

Fig. 2 – Montceaux-l’Étoile, détail de l’érosion de la pierre (cl. J. Rollier).

11 La dégradation des sculptures peut être due à plusieurs facteurs. Tout d’abord le support utilisé – un calcaire à entroque contenant de nombreux petits coquillages- qui est un matériau tendre et poreux. Cette belle pierre jaune a permis la réalisation d’une sculpture finement travaillée, dont l’aspect de surface original est encore bien visible dans les recoins protégés. Par contre sa structure irrégulière et sa porosité la rendent très fragile lorsqu’elle est directement exposée aux intempéries, comme c’est le cas ici.

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Fig. 3 – Montceaux-l’Étoile, détail de l’érosion de la pierre (cl. J. Rollier).

12 Ce petit portail n’est malheureusement que très peu protégé par les quelques voussures qui le surmontent, si bien que l’agression du vent et de la pluie l’usent très rapidement, sans parler des effets du gel. Au point de vue iconographique, il s’agit d’un type très rare de représentation de l’Ascension conservé actuellement en France, si bien que tout devrait être entrepris pour sa préservation.

13 La remise en place du porche ne paraît cependant pas être une opération très coûteuse, ni compliquée. Elle permettrait de protéger des eaux pluviales, et dans une certaine mesure de l’érosion éolienne.

Chassenard

14 Un portail exceptionnellement bien conservé fut découvert fortuitement en octobre 2000 à l’église paroissiale de Chassenard, située à quelques kilomètres d’Anzy-le-Duc. Une première publication a été faite par Annie Regond 10, conservateur des Antiquités et Objets d’art, qui demanda le classement immédiat du portail.

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Fig. 4 – Chassenard, vue du portail lors de la découverte (J. Rollier).

15 Quelques mois après la découverte, le portail fut préservé des intempéries par un châssis en bois et un double voile d’intissé polyester 11. Le portail étant complètement déstabilisé (déversement vers l’extérieur, fissures diverses), une structure en bois a été mise en place afin de prévenir des éventuels mouvements 12.

16 Le tympan est occupé par le Christ en Majesté, assis sur un siège à arcature, qui bénit de la main droite. Il est entouré des symboles des évangélistes. Le linteau, en partie détruit par la mise en place d’une porte au XIXe siècle, conserve encore des fragments de personnages. Suite à la découverte de la frise en 1939-1945, N. Stratford 13 établissait déjà une relation étroite avec les sculptures de Neuilly-en-Donjon (tympan) et de Saint- Léger-sur-Vouzance (chapiteaux du chœur). L’étude du portail permet de confirmer ces comparaisons et de situer l’ensemble vers 1140. Un relevé archéologique permet également de connaître les difficultés de mise en place de cette statuaire, mais ceci est un autre sujet.

17 L’épiderme de la pierre est exceptionnellement bien conservé (aspect très lisse, détails sculptés préservés), excepté pour l’extrados qui présente des altérations anciennes dues au ruissellement des eaux pluviales. Les marques d’un incendie ont provoqué un rougissement de la pierre calcaire, avec éclatement d’un certains nombre de fragments, notamment les éléments en haut-relief.

18 De nombreux restes d’enduits et de badigeons subsistent. Sur les éléments figurés, nous constatons la présence d’une couche picturale de facture très simple. La tête du Christ conserve divers restes de couleurs : lèvres rouges, fragment de sourcil gris, pommettes roses, front et nez roses. Le contour externe de l’oreille est marqué en rose. L’encolure du vêtement du Christ est perceptible, bien que fortement pâlie par le temps : la tunique est blanche, avec le contour de l’encolure marqué en noir et des plis rouges. Il semblerait que le peintre a simplement cherché à faire ressortir les creux et les reliefs.

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19 L’ange, à gauche, qui soutient la mandorle conserve également de nombreux restes de badigeon blanc, teinté de rose sur les mains et le visage (pommettes).

20 L’ange, à droite, a les pommettes et le cou peints en rose. Quelques restes infimes de contours gris subsistent autour d’un œil.

21 Les badigeons peints sont extrêmement fragiles et se décollent facilement. Les restes de couleurs sont généralement très pulvérulents.

22 Une comparaison peut être faite avec les colorations d’autres sculptures, comme le portail de Senlis (1165-1170) et le jubé de Vezzolano (Piémont, daté du début XIIIesiècle). La première polychromie de Senlis montre des personnages en vêtement blanc, bordé d’or. La mise en teinte vise essentiellement à faire ressortir les principaux éléments pour les rendre plus lisibles de loin. Le jubé de Vezzolano conserve également des colorations relativement simples. Le Christ porte une tunique blanche, dont l’encolure est marquée d’un simple filet noir. Par contre, un large manteau bleu de lapis-lazuli l’entoure également.

23 À Chassenard, les couches de badigeon ont tendance à atténuer certains reliefs (cheveux des anges « noyés » dans le badigeon), mais donnent un aspect « velouté » aux carnations. Dans l’hypothèse d’un incendie ancien, qui aurait faire disparaître les couleurs originales, il faut imaginer une campagne de rénovation dont la date pose évidemment problème. Même s’il s’agit d’une restauration récente, il paraît important de conserver toutes les informations contenues par ce seul ensemble.

24 Actuellement le portail est protégé par une structure provisoire plus importante, avec un avant-toit en matériau mixte (tôle ondulée en métal et plastique). Le portail reste cependant fortement exposé à l’échauffement solaire (façade sud). La mise en place d’un porche proposée par l’architecte en chef F. Voinchet, est en cours d’étude. L’expérience de la structure provisoire permet de se rendre compte que le porche définitif devra être suffisamment élevé et éloigné du sommet du tympan pour tempérer l’effet du soleil. Un simple auvent tel qu’on l’observe à Saint-Pierre-le-Moutier (Nièvre) 14 s’avère en effet inefficace, les parties inférieures étant balayées par les pluies obliques.

25 Les conditions climatiques du lieu sont connues, grâce aux données enregistrées par un capteur d’humidité-température 15. Les mesures enregistrées indiquent de très fortes variations d’humidité entre le jour et la nuit (jusqu’à 35 % d’H.R. entre le jour et la nuit), informations qui devront être prises en compte pour la conservation des restes polychromes et la mise en place du porche. Durant l’hiver et le printemps, les taux d’humidité relative sont hauts, avoisinant souvent les 85-90 % d’H.R. (humidité relative). De façon générale, on assiste à des variations brutales de température et d’humidité relative suivant le cycle jour/nuit et, ce, tout au long de l’année. Ces variations n’ont que peu d’effet sur la pierre qui est un matériau relativement inerte en terme de dilatation thermique. En revanche, cela peut être plus ennuyeux pour les matériaux annexes, tels que les couches polychromes, plus ou moins sensibles à ces écarts selon les techniques picturales. Les périodes de gel constatées en hiver ne sont pas anodines, d’autant plus que les taux d’humidité relative durant cette période sont assez élevés.

26 En conclusion, le constat que nous sommes amenés à faire à propos des portails exposés aux intempéries (Anzy-le-Duc, Montceaux-l’Étoile) est alarmant, dans la mesure où le rythme des dégradations est très rapide depuis la couverture photographique des

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années 1970. L’état désastreux du portail sud du cloître d’Anzy-le-Duc et l’usure avancée de celui de Montceaux-l’Étoile, en comparaison avec l’épiderme quasi intact des tympans protégés (portails du musée du Hiéron et de Chassenard), devraient stimuler rapidement la réflexion sur la protection de la statuaire monumentale exposée aux intempéries. Le restaurateur se doit d’alerter les acteurs du patrimoine et la communauté scientifique au sujet de ce patrimoine en péril. L’acharnement thérapeutique ne suffit pas à contenir les dégâts dus aux intempéries. Il est maintenant nécessaire de revoir notre mode d’intervention et de préconiser la mise en place très rapide de porches de protection.

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Index géographique : France/Montceaux l’Étoile, France/Chassenard Mots-clés : portail roman

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Le verre à vitre et l’archéologie de la fin de l’Antiquité au XIIe siècle. Premières approches et perspectives Centre d’études médiévales d’Auxerre, 15-16 juin 2006

Christian Sapin

1 Le vitrail a longtemps été considéré comme représentatif du plein Moyen Âge (XIe-XIIe siècle au plus tôt). Si quelques textes historiques impliquaient l’existence de vitrail à l’époque mérovingienne, la rareté des verres plats archéologiques, datés, ne permettait pas d’écrire avec précision une histoire du vitrail.

2 Cette histoire est depuis quelques années revisitée par les sources archéologiques, aussi ténues puissent-elles paraître. La révolution la plus importante est, dans les années 1960, la découverte en Angleterre dans l’abbaye de Jarrow (cf. travaux de Rosemary Cramp) d’un lot de verres plats colorés. Il est daté du VIIe siècle, aussi bien par l’archéologie que par les textes. Ces derniers signalant, sous la plume de Bède le Vénérable, que les artisans sont venus de Gaule. Les études d’ensembles de verres à vitre à Müstair en Suisse, du monastère de San Vincenzo Al Volturno en Italie, du palais impérial de Paderborn en Allemagne, ont permis d’élargir l’horizon. En France, dans les années 1980-1990, la découverte de vitraux peints carolingiens à Saint-Denis, et surtout à Rouen, relance l’intérêt de cette thématique. À l’orée de l’an 2000, les fouilles de l’église du haut Moyen Âge à Notre-Dame de Bondeville (J.-Y. Langlois, INRAP) mettent au jour un lot de verres plats similaires à celui de Jarrow, et datant lui aussi du VIIe siècle. Les découvertes se succèdent, comme, par exemple, dans la basilique paléochrétienne de Rezé, attribuable au début du VIe siècle. Les découvertes de nombreux exemplaires de vitrage bien datés, constituant des lots de référence, entraînent chez certains de nos collègues l’intérêt pour des éléments isolés, ou trouvés dans des remblais postérieurs au haut Moyen Âge. Cet intérêt trouve son reflet dans l’organisation d’expositions «Vitres de l’Antiquité et du Haut Moyen Âge (Occident- Orient » et de colloques, à Bavai en 2005 (Association française pour l’archéologie du

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verre) et à Paris La Défense (Verres et fenêtres de l’Antiquité au XVIIIe siècle par l’Association Verre et Histoire).

3 En juin dernier, une table ronde a été organisée à Auxerre, sous la direction de Sylvie Balcon, Françoise Perrot et Christian Sapin, réunissant historiens du vitrail, archéologues, physiciens et chimistes. Le but de cette rencontre a été de faire un point sur les éléments de vitrage trouvés en fouille. Si une trame chronologique peut être dessinée : existence de vitrage dès l’Antiquité, plombs de liaisons apparaissant peut être dès la fin du Ve siècle, « naissance » du vitrail mosaïque coloré - et sans doute figuré -, sinon au VIe, du moins au VIIe siècle, diffusion de la peinture sur verre au moins au IXe siècle.

4 L’un des sites pouvant illustrer une partie de l’histoire du vitrail au cours du haut Moyen Âge, est l’église de Notre-Dame de Bondeville, près de Rouen. Elle n’est pas le plus ancien exemple de ce type, mais elle apparaît être l’un des mieux documentés. Pour cette église de Haute-Normandie, les fragments de verre à vitre et de plomb ont été trouvés en place dans un remblai de destruction. L’ensemble est datable archéologiquement du VIIe siècle. Il est composé d’éléments colorés, qui se répartissent entre plusieurs formes géométriques, de tracés simples ou complexes. Les contours sont dessinés par une résille de plomb, définissant ainsi le « vitrail mosaïque ». L’assemblage des plombs s’effectue à froid par martelage, par insertion de l’extrémité d’un plomb dans un autre. Les pièces géométriques constituent vraisemblablement la majorité du décor ; cependant, la découpe particulière de certaines pièces n’est pas sans évoquer un décor figuré, peut-être anthropomorphe. La répartition spatiale des verres montre la présence de verrières dans toutes les parties fouillées de l’église.

5 En dehors de l’histoire technique et artistique de ce matériau, l’existence de verre à vitre, ou de vitrail dans des établissements ruraux et dans des bâtiments profanes, peut être démontrée, même si les fragments de verre plats sont peu fréquents. Les rares éléments livrés par les fouilles, parfois dans des remblais secondaires, sont, nous le voyons, d’une grande importance pour comprendre et affiner l’histoire du vitrage.

6 La rencontre d’Auxerre en juin dernier au Centre d’études médiévales, a montré l’absolue nécessité de poursuivre les recherches. Ainsi, plusieurs axes principaux se définissent : • élargir le corpus de découvertes en invitant nos collègues à mentionner leurs découvertes de verre plat, si insignes puissent-elles leur paraître, • élargir l’étude à la mosaïque, dont les tesselles, souvent en verre, participent elles aussi au décor lumineux des édifices, • construire une terminologie et une typologie adaptées à l’étude des verres plats, • essayer de déterminer parmi les verres plats, les verres architecturaux et ceux entrant dans la composition d’objets, • favoriser les études physico-chimiques des verres et des plombs.

7 Ce programme, ambitieux, et qui ne peut se faire qu’avec l’appui du plus grand nombre, doit être ponctué de plusieurs tables rondes et publications. Depuis la table ronde d’Auxerre, plusieurs archéologues ont commencé à alimenter la documentation à l’origine de la future base de données. Vous pouvez contacter les responsables de ce projet au Centre d’études médiévales d’Auxerre ([email protected]). Une première publication est prévue en 2008 aux Éditions Universitaires de Dijon en collaboration avec Françoise Perrot, Sylvie Balcon, Francesca Dell’Acqua et Jean-Yves Langlois.

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8 Rappel du programme :

• Texte et archéologie. Point sur les origines, par Francesca DELL’ACQUA • De l’ombre à la lumière … questions, par Françoise PERROT • Vitraux et mosaïques de verre dans l’espace religieux…, par Christian SAPIN, et analyses comparatives, par Bénédicte PALAZZO-BERTHOLON • Les fragments de Saint-Benoît, par Laurent PRISMICKI • Les verres de Mousson, par François HEBER-SUFFRIN • Les verres de Rézé (VIe siècle), par Gaëlle DUMONT et Armand VINCOTTE • Bondeville (VIIe siècle), par Jean-Yves LANGLOIS • Verre et habitats ruraux, par François GENTILLI • Saint-Maur (IXe siècle), par Pierre GILLON et David COXALL • Hamage et autres sites, par E. LOUIS • Rouen (reprise du dossier carolingien), par Jacques LE MAHO • Saint-Denis, par Valérie FORTIS et Michaël WYSS • Beauvais (Xe-XIe siècle), par Jean VITTOZ • Espace et lumière…, par Nicolas REVEYRON • Bourgogne (Autun, Cluny, Paray…), par Sylvie BALCON • Groupe épiscopal de Lyon…, par Audrey BADOIS

Fragment d’un vitrail de Mousson (Meurthe-et-Moselle) (dessin G. Fèvre, CEM).

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Mots-clés : verre à vitre

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« Palais des hôtes » ou bâtiments laïcs aux marges des abbayes, VIIIe- Xe siècles. Comparaisons et évolutions des sites jusqu’aux XIe- XIIe siècles. À propos de la fouille du 12 rue Saint-Genest à Nevers Dijon, ARTeHIS-UMR 5594, 21 septembre 2006

Benjamin Saint-Jean Vitus

1 La réunion débute par une présentation de la fouille de Nevers (INRAP), axée sur la question du grand bâtiment carolingien qui semble avoir fermé le domaine de l’abbaye Notre-Dame du côté de la Loire ; de son contexte topographique, mais aussi du devenir du site jusqu’aux XIe-XIIe siècles. Cette abbaye de femmes située extra-muros jusqu’aux XIIIe-XIVe siècles au moins, fondée probablement au VIIe siècle (la fouille tend à le confirmer), restaurée ou refondée en 849, et avec laquelle ont fusionné plusieurs autres monastères de la ville entre 1120 et 1130, semble avoir été l’un des établissements religieux les plus importants de la ville : le plus riche, même, à l’époque moderne (d’après les recherches menées par Diane Carron dans les archives de la ville, à l’occasion de l’étude liée à la fouille). Sur la périphérie du site abbatial, le grand bâtiment dégagé à la fouille est daté sans ambiguïté du IXe siècle (cf. fig. 1) ; il a subi un incendie au début du Xe siècle au plus tard, mais a continué d’être utilisé pendant quelque temps, grossièrement restauré avant son démembrement au cours du Xe siècle. À l’origine, il mesure au moins 15,40 m de large pour plus de 45,80 m de long 1.

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2 Jacques Le Maho s’interroge sur la position de l’abbaye Notre-Dame par rapport au noyau urbain occupant le sommet de la butte où se dresse la cathédrale et au probable castrum qui l’enserre à la fin de l’Antiquité, mais aussi par rapport à la Loire. Ne se trouverait-on pas à proximité d’une porte de la ville ou d’un port de la Loire, ou sur le bord d’une voie d’accès importante ? Les réponses à ces questions restent aujourd’hui incertaines dans le cas de Nevers, mais les sites apparentés en Normandie montrent une relation essentielle à de tels éléments.

3 On évoque alors la possibilité d’un accès à l’abbaye nivernaise depuis la Loire à l’endroit de la fouille. De fait, à partir du début du XIe siècle, au plus tard, et au moins jusqu’au début du XIIIe siècle, une aire de circulation nord-sud est aménagée, qui semble monter depuis le talus de Loire vers le cœur de l’abbaye. Elle prend d’abord la forme d’une rampe pavée qui traverse la fouille par le milieu en contournant un bâtiment, mais s’accompagne d’un passage secondaire à l’ouest. Puis, c’est le seul passage occidental qui subsiste de manière évidente à la fin du XIe siècle (cf. fig. 2) : finalement empierré, au cours du XIIe siècle apparemment, puis rechargé et damé, il est toujours en usage au XIIIe siècle. Pour les IXe-Xe siècles, toutefois, il reste délicat de répondre à la question.

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4 Par ailleurs, s’agissant d’une abbaye féminine, J. Le Maho insiste sur l’importance probable du groupe ecclésial. On peut supposer la présence d’au moins deux églises, dont une pour les clercs attachés au monastère. À Nevers, le souvenir en subsiste aujourd’hui dans la parcelle voisine de la fouille au nord, à travers les ruines de l’église abbatiale (arc triomphal roman et quelques voûtes d’ogives des bas-côtés du XIIIe siècle), mais aussi à travers la petite chapelle Saint-Michel du XIe/XIIe siècle, probable chapelle de porte (transformée en maison d’habitation), et surtout à travers l’église Saint-Genest, dont subsistent des élévations du milieu ou de la seconde moitié du XIIe siècle à proximité immédiate de la fouille : Saint-Genest se trouve citée comme église paroissiale à partir de la fin du XIIIe siècle.

5 Christian Sapin s’appuie alors sur les textes pour rappeler la présence de xenodochia à proximité de portes de la ville à Autun et Auxerre. À Nevers, c’est un hôpital dédié à saint Didier qui semble être à l’origine de l’Hôtel-Dieu connu pour des périodes plus récentes, et qui se trouvait proche de l’actuelle place Carnot, à côté de la résidence comtale et non loin de la cathédrale : son existence est prouvée au XIIe siècle, c’est le grand hôpital capitulaire de la ville, mais on en trouverait trace dans une charte du IXe siècle2. Puis, se concentrant sur les sites de monastère à proprement parler, il rappelle l’existence à Cluny, dans la première moitié du XIe siècle, d’un bâtiment des hospices de 40 m de long et d’un bâtiment des familiers de 90 m de long, à l’entrée de l’abbaye, sur la limite de la clôture. Il fait remarquer que l’hôtellerie comporte alors une chapelle, et que les familiers de l’abbaye sont inhumés en dehors du cimetière où sont enterrés les donateurs. Au reste, une concentration de tombes a été mise en évidence autour de l’hôtellerie qui a succédé à ces logis vers 1100, toujours à l’entrée du monastère (bâtiment conservé en élévation de nos jours, connu sous le nom d’« écuries de saint Hugues »). C. Sapin souligne l’intérêt de ces installations destinées aux laïcs et situées à la limite de l’enclos monastique.

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6 Fort de ces comparaisons, il se demande si une courte maçonnerie à l’extrémité est de la fouille de Nevers, dans l’axe médian longitudinal du grand bâtiment du IXe siècle, et qui était interprétée jusque-là, plutôt comme le vestige d’un mur fermant l’une des pièces principales de l’espace médian (voire de sa façade orientale : cf. fig. 1), ne pourrait être interprétée comme un soubassement d’autel. Cela ferait de cette pièce orientale, une chapelle à l’intérieur du bâtiment. Cette chapelle expliquerait la présence d’inhumations privilégiées dans les petites pièces qui flanquent cet espace au nord. Au Xe siècle, sa suppression ou son déplacement dans les phases de restructuration puis de démembrement du bâtiment, expliquerait la disparition d’une telle concentration de sépultures, bien typées. De fait, une autre concentration funéraire, très différente, ne réapparaît dans la fouille que dans les phases de la seconde moitié du XIe siècle, à proximité d’un autre bâtiment, cette fois-ci d’orientation nord-sud, en fonction duquel s’installent de nouvelles tombes (fig. 2). Après quoi, il semble que ce soit l’église Saint-Genest (ou un oratoire la précédant) qui attire à elle le cimetière se développant à nouveau dans la partie nord-est de la fouille, à partir du XIIe siècle.

7 Cependant, J. Le Maho se demande si la maçonnerie visible à l’extrémité orientale du bâtiment carolingien ne pourrait pas correspondre, en fait, à la fondation d’un emmarchement, en relation avec une porte s’ouvrant au milieu du mur-pignon. Sa présence se justifierait par le fait qu’à l’est de cette construction, le niveau de circulation se trouve plus haut que le sol intérieur du bâtiment.

8 J. Le Maho revient alors sur le problème des bâtiments d’accueil dans les monastères, en s’appuyant sur des exemples normands. Dans les textes du haut Moyen Âge, le terme de « porte » (porta) ne désigne pas la porterie, mais s’applique soit à l’aumônerie (accueil et assistance des pauvres), soit à l’hôtellerie (l’hospitium divitum, réservé aux hôtes de marque). Au monastère féminin de Logium (aujourd’hui Caudebec-en-Caux, Seine-Maritime), un texte du début du IXe siècle mentionne la porta et précise que l’ermite Milon (mort au début du VIIIe siècle) y a été inhumé. La « porta » est assortie souvent d’une chapelle : à Saint-Wandrille/Fontenelle, la chapelle de porte a fini par devenir l’église paroissiale. Par ailleurs, on trouve, dès le haut Moyen Âge, quelques sépultures à l’intérieur des bâtiments monastiques (Landévennec, Saint-Wandrille...).

9 Mais il rappelle aussi que les abbayes féminines étaient fréquentes dans les agglomérations secondaires. Parmi celles associées à un port maritime ou fluvial en Haute-Normandie, il cite les cas de Caudebec-en-Caux et des Andelys sur la Seine, de Fécamp sur le littoral du pays de Caux. Dans le diocèse de Rouen, la fonction hospitalière de beaucoup d’abbayes de femmes situées dans des agglomérations secondaires ou des villes plus importantes, est liée à la présence d’un port. On trouve des xenodochia de part et d’autre de la Seine, leur présence s’explique souvent par les nécessités d’étape et de rupture de charge pour les itinéraires qui suivent le cours du fleuve. Les évêques de Rouen cherchent à fonder le plus de xenodochia sur le territoire de leur diocèse, en liaison avec le fleuve, ou avec une route. J. Le Maho se demande même si le bâtiment du VIe siècle conservant trois murs en élévation, étudié par L. Schneider au « Bois des Brousses » près de Saint-Guilhem-le-Désert, et interprété comme une possible aula aristocratique, ne pourrait pas être en fait un xenodochium, présent au bord d’une voie fréquentée. À Nevers, ce n’est peut-être pas un hasard si le grand bâtiment carolingien est situé du côté de la Loire ; il conviendrait même

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d’étudier la topographie ancienne de la rive opposée, pour voir s’il n’y aurait pas un établissement susceptible de lui répondre 3.

10 Enfin, J. Le Maho souligne le lien étroit qui existe entre la perception de la dîme et le bâtiment des hôtes des monastères, quand le service de l’hôtellerie apparaît comme la plus lourde charge de la communauté – laquelle en retire en même temps d’importants bénéfices. Ces établissements accueillent plusieurs centaines d’hôtes par jour dans le haut Moyen Âge. J. Le Maho renvoie en ce sens à un article d’Élisabeth Magnou-Nortier sur « l’espace monastique vu par Adalhard, abbé de Corbie » 4. Ces données permettent d’expliquer la présence de très importants dépôts de graines et de silos, dans certaines pièces de tels bâtiments.

11 La discussion s’engage alors entre tous les participants sur la restitution qu’il convient de donner à ces dépôts de grains en quantité dans une petite pièce du bâtiment de Nevers, brûlés par l’incendie de la fin du IXe ou du début du Xe siècle, et qui ont été retrouvés associés à des fragments de planches carbonisées, en surface d’un sol rubéfié 5. Il s’agit probablement de dépôts en tas distincts, séparés par des parois en planches – Michaël WYSS signale à ce sujet l’ouvrage de Gast et Sigaut 6.

12 On vient alors au cas du « palais carolingien » fouillé au nord du site abbatial de Saint- Denis. Michaël Wyss expose rapidement un état de la question. Au nord de l’église abbatiale, le domaine monastique est initialement bordé par plusieurs églises reliées par une galerie, auprès desquelles s’étend une nécropole mérovingienne. Au tout début du IXe siècle, un grand bâtiment, de dimensions générales et de proportions apparentées à celui de Nevers, vient se raccorder à la galerie. Il est à mettre en relation avec un système d’aqueduc et de bassins. Il n’a toutefois pas été dégagé en entier, et, à la différence de celui de Nevers, ses sols n’ont pas été conservés. Mais ses maçonneries sont puissantes et ses fondations profondes ; une excroissance munie de contreforts laisse même supposer l’accès à un étage. L’ensemble est détruit avant le Xe siècle, certains murs subsistant plus tardivement ; finalement, c’est le cimetière qui l’emporte, avec toujours les trois églises. Ce grand bâtiment a été interprété à titre d’hypothèse comme la « domus » des rois carolingiens, que des textes plus récents conduisent à restituer à côté de Saint-Michel, l’une des trois églises au nord de l’abbatiale 7.

13 J. Le Maho fait alors allusion à une autre forme de palais, celui de la résidence de l’évêque de Rouen aux VIIIe-IXe siècles, fouillé à côté de la cathédrale. Un long bâtiment situé à l’entrée du complexe y a été identifié comme l’hôtellerie. Il devait comprendre un étage assez luxueux, probablement de réception, dont les débris de démolition ont livré notamment des fragments de vitraux décorés. Mais la partie inférieure était divisée en plusieurs pièces au sol de terre battue, à destination notamment de réserves, comprenant un silo 8.

14 Étienne Louis expose ensuite le cas, plus ancien, du bâtiment du VIIIe siècle de l’abbaye de femmes de Hamage (Nord). Il s’agit d’une construction de bois (sablières basses et trous de poteau ont été identifiés à la fouille), de 11 m sur 22 m en plan, parallèle à l’église et séparée d’elle par une cour (cloître). Subdivisions et proportions de l’espace interne sont très proches de l’exemple de Nevers, avec une répartition tripartite en trois « nefs », associant une file de grandes salles centrales à deux lignes de petites pièces qui l’encadrent, de type cellules, de 2 m de côté. Chaque pièce est munie d’un foyer au sol, latrines et dépotoir extérieurs viennent compléter le tout. Il s’agirait donc là du bâtiment d’habitation principale des moniales : il est remplacé au

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IXe siècle par une organisation plus « classique », sur les trois côtés d’un cloître accolé à l’église 9.

15 Mais le bâtiment du VIIIe siècle peut être comparé à un édifice du IXe siècle interprété comme une résidence aristocratique, à Engis en Belgique, dans la vallée de la Meuse – dont le plan a lui-même été rapproché de représentations du plan de Saint-Gall. É. Louis avait déjà comparé le plan du bâtiment de Hamage à celui de l’école du plan de Saint- Gall 10.

16 Christian Vernou présente alors le cas d’une fouille qu’il a menée à l’abbaye Sainte- Marie-aux-Dames de Saintes, et qui a mis au jour, sous le cloître, les restes d’un bâtiment antérieur à la fondation de l’abbaye, datable en gros entre le VIIe et le IXe siècle, lequel devait appartenir à un premier monastère Saint-Pallais. On y trouve aussi une salle centrale, munie d’un très grand foyer médian, de 2 m sur 2, entourée de petites pièces secondaires – comprenant notamment un hypocauste. C. Vernou remarque qu’il s’agissait d’un établissement initialement hors les murs, sur la rive opposée de la Charente par rapport à la cité, le long d’une voie importante depuis l’Antiquité, à proximité du pont. Toutefois, on ignore tout de la topographie du monastère Saint-Pallais, à l’intérieur duquel aucun indice ne permet de préciser la situation du bâtiment dégagé 11.

17 On revient alors sur la question des sépultures des IXe-Xe siècles liées au bâtiment de Nevers. Luc Staniaszek en rappelle les particularités : un groupe d’hommes avec une femme et un adolescent en partie nord-est de la fouille, dans des sépultures bien individualisées, aux fosses profondes et régulières à parois verticales et aux extrémités arrondies, avec traces de coffrages de planches, apparemment orientées par les murs du bâtiment carolingien, mais mordant sur certains ; et un groupe de femmes, d’adolescents et de très jeunes enfants (périnataux et nourrissons) à l’extérieur, au sud sur le sommet du talus, dans des tombes peu profondes mais coffrées de planches, dont plusieurs sont collectives, et qui ont fait l’objet de violations, pour récupérer des objets apparemment (colliers ?). Le second groupe, postérieur à la première occupation du bâtiment, a toutes les apparences d’une sépulture d’épidémie.

18 Mais le premier groupe prête davantage à interrogation, suscitant la discussion, en particulier pour une tombe qui mord sur l’intérieur d’un des murs principaux. Celle-ci évoque, ou bien la création d’un enfeu dans une petite pièce du bâtiment - dans ce cas à vocation de sépulture -, ou bien la démolition de cette partie du bâtiment, peut-être au moment de l’incendie qui entraîne sa restructuration. J. Le Maho a rencontré ce type d’inhumations plutôt pour le XIe siècle en Normandie. Pourtant, dans le cas de la tombe qui entame le parement de mur, son recouvrement par un sol rubéfié et chargé de décombres d’incendie, dont la surface s’affaisse légèrement au-dessus du remplissage de la fosse, tend à prouver qu’elle s’insérait à l’intérieur du bâtiment avant le sinistre. Pour les autres, la stratigraphie est moins évidente ; un des squelettes est daté par radiocarbone entre 886 et 1018 12, tandis que l’ensemble, situé sur un même niveau altimétrique, se trouve nettement plus profond que le premier horizon de sépultures postérieures, établies au-dessus de l’arase des murs du bâtiment carolingien et datables de la fin du Xe siècle ou des alentours de l’an mil. Au reste, la disposition des sépultures de ce groupe paraît bien s’adapter à la trame des murs du IXe siècle. Tout porte donc à les associer effectivement au bâtiment carolingien : éventuellement pour certaines tombes avant et, pour d’autres, après l’incendie du début du Xe siècle ; mais dans le second cas, toujours dans la phase de réutilisation qui suit immédiatement le sinistre.

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19 Avant de clore la réunion, on revient à l’état du site de Nevers à la fin du XIe siècle, où une série de grands bâtiments sont installés côte à côte selon une orientation nord-sud, dégageant une terrasse en haut du talus du côté de la Loire, probablement déjà occupée par des silos (fig. 2). L’un des bâtiments, disposé en longueur, est subdivisé par une file centrale de piliers quadrangulaires, répondant à des pilastres internes le long des murs. Le plus vaste, à l’est, flanqué de contreforts droits à son extrémité selon une typologie qui évoque les « granges » (cf. les granges de l’abbaye cistercienne de Chaalis, par exemple, évoquées par É. Louis 13), est flanqué d’un groupe de tombes en majorité nord- sud, installées apparemment dans un passage ou une galerie attenante.

20 Parmi les possibilités d’interprétation de l’ensemble, Thomas Campanaud suggère, pour l’espace central pavé entre les deux bâtiments principaux, un système de porterie, dans l’hypothèse d’un accès par ce côté au cœur du monastère (qui ferait suite à la rampe pavée attestée par un état précédent, du plein XIe siècle). Mais cette hypothèse ne convainc pas J. Le Maho pour qui ce dispositif évoque davantage la fouille d’un quartier portuaire de Rouen ayant révélé, dans un état des XIIe-XIIIe siècles, une série de bâtiments avec pignons en façade, grande salle de stockage sur le devant et habitat à l’arrière, flanqués de ruelles ou passages latéraux, qui seraient des celliers habités (simplement mentionnés comme « celliers » dans les textes) 14. On pourrait imaginer ce genre de bâtiments dépendant du monastère, serrés le long de la clôture abbatiale, du côté de la Loire - surtout s’il existe un accès depuis le fleuve à cet endroit ?

21 P. S. : Sur l’interprétation du grand bâtiment carolingien de Nevers, une tout autre hypothèse a été proposée par Vincent TABBAGH (professeur d’histoire médiévale à l’Université de Bourgogne, Dijon), lors d’une présentation du site à l’équipe « Études médiévales » de l’UMR, en mars 2007. Il ne serait pas exclu d’y voir la maison des prêtres desservant ce monastère féminin ; les tombes intérieures pourraient être celles des membres de leur parenté (qui peut fort bien comprendre, aux IXe-Xe siècles, femmes et enfants). Les dimensions du bâtiment et l’importance des réserves de grains associées impliqueraient cependant une communauté nombreuse.

22 Étaient présents :

• Sébastien BULLY (doctorant à l’Université de Franche-Comté, Besançon) • Thomas CAMPANAUD (doctorant à l’Université de Paris I) • Didier LAMOTTE (ARTeHIS-UMR 5594 / INRAP, Dijon) • Jacques LE MAHO (CNRS, Rouen) • Étienne LOUIS (Service archéologique du Douaisis, Douai) • Benjamin SAINT-JEAN VITUS (ARTeHIS-UMR 5594 / INRAP, Dijon) • Christian SAPIN (ARTeHIS-UMR 5594, Dijon) • Luc STANIASZEK (INRAP, Dijon) • Christian VERNOU (Musée archéologique de Dijon) • Michaël WYSS (Unité d’Archéologie de la ville de Saint-Denis)

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NOTES

1. Pour plus de détails sur cette fouille, cf. la première présentation de ses résultats dans B. SAINT- JEAN VITUS, « Vivre et travailler à l’ombre de l’abbaye Notre-Dame, du 7ème au 19ème siècle. Les fouilles archéologiques de la rue Saint-Genest à Nevers », in Bulletin de la Société Nivernaise des Lettres, Sciences et Arts, 54 (2005), p. 65-96. 2. A. SAINT-DENIS « L’assistance en Bourgogne ducale aux XIe-XVe siècles », in Actes du colloque d’Amiens, Beauvais, 2002, Lille, CAHMER/CREDHIR, 2004, p. 255-269, ici p. 267 (Histoire médiévale et archéologie, 17). 3. Sur tout ce développement, cf. J. L E MAHO « Hospices et xenodochia du diocèse de Rouen à l’époque prénormande (VIe-IXe siècles) », in J. DUFOUR et H. PLATELLE (éd.), Fondations et œuvres charitables au Moyen Âge, actes du 121e congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Nice, 1996, Paris, 1999, p. 49-61 ; sur le bâtiment du « Bois des Brousses », voir L. SCHNEIDER, « Les gorges de l’Hérault entre Aniane et Gellone et le castrum de Montcalmes », in C. AMADO et X. BARRAL I ALTET (dir), Saint-Guilhem-le-Désert dans l’Europe du haut Moyen Âge, actes de la table ronde d’août 1998, Montpellier, 2000, p. 54-63. 4. É. MAGNOU-NORTIER « L’espace monastique vu par Adalhard, abbé de Corbie, d’après ses statuts », in Ph. Racinet (dir.), Pratique et sacré dans les espaces monastiques au Moyen Âge et à l’époque moderne, actes du colloque de Liessies-Maubeuge, 26, 27 et 28 septembre 1997, Lille CAHMER, Laboratoire d’Archéologie, Université de Picardie / CREDHIR, Université catholique de Lille, 1998, p. 51-71 (Histoire médiévale et archéologie, 9). 5. Depuis la réunion, l’analyse carpologique de ces dépôts a été effectuée, dans le cadre de l’étude liée à la fouille, par M.-P. Ruas (CNRS, UMR 5608 UTAH, Toulouse). 6. M. GAST, F. SIGAUT, Les techniques de conservation des grains à long terme, Paris, 1979. 7. Cf. M. WYSS, « Un établissement carolingien mis au jour à proximité de l’abbaye de Saint- Denis : la question du palais de Charlemagne », in A. RENOUX (dir), « Aux marches du palais ». Qu’est- ce qu’un palais médiéval ?, actes du VIIe Congrès international d’Archéologie Médiévale, Le Mans- Mayenne, 9-11 septembre 1999, Le Mans, 2001, p. 191-200. « Die Klosterpfalz Saint-Denis im Licht der neuen Ausgrabungen », in L. FENSKE, J. JARNUT, M. WEMHOFF (dir.), G. M. BERNDT (éd.), Deutsche Königspfalzen. Beiträge zu ihrer historischen und archäologischen Erforschung, «Splendor palatii» Neue Forschungen zu Paderborn und anderen Pfalzen des Karolingerzeit, Göttingen, 2001, p. 175-192. 8. J. LE MAHO, « Le palais archiépiscopal de Rouen à l’époque carolingienne (fin du VIIIe-début du IXe siècle) : les données de l’archéologie », in A.-M. FLAMBART-HÉRICHER (dir.), Les lieux de pouvoir au Moyen Âge en Normandie et sur ses marges, actes de la Table ronde de l'université de Caen (C.R.A.H.M.), 2003, Caen, 2006, p. 201-224. 9. Cf. É. LOUIS « Sorores ac fratres in Hamatico degentes. Naissance, évolution et disparition d’une abbaye au Haut Moyen Âge : Hamage (France, Nord ) », in De la Meuse à l’Ardenne, 29 (1999), p. 17-45. 10. Cf. J. WITROUW, G. GAVA, L. DARDENNE, S. GAVA, « Le Thier d’Olne à Engis. Bilan de 12 campagnes de fouilles » in Bulletin du Cercle archéologique Hesbaye-Condroz, XXIV (1996-1999), p. 31-35. 11. C. Vernou prépare actuellement un article sur cette fouille pour les actes du colloque sur l’architecture monastique dans les Charentes, tenu à Saintes en 2005. 12. Datation C. Évin/C. Oberlin, Centre de Datation par le Radiocarbone, CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1,Villeurbanne. 13. Cf. F. BLARY, Le domaine de Chaalis, XIIe-XIVe siècles. Approches archéologiques des établissements agricoles et industriels d’une abbaye cistercienne, Paris, 1989.

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14. Sur cette fouille « L’urbanisation d’un espace au sud-ouest de Rouen au bas Moyen Âge », in P. BOUET ET F. NEVEUX (dir.), Les villes normandes au Moyen Âge, Caen, 2006, p. 195-206.

INDEX

Index géographique : France/Nevers Mots-clés : abbaye, bâtiment laïc, palais des hôtes

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Hiérarchie, ordre et mobilité dans l’Occident médiéval (400-1100) Auxerre, Centre d’études médiévales, 27-29 septembre 2006

Geneviève Bührer-Thierry

1 Les journées qui nous ont réunis à Auxerre du 27 au 29 septembre 2006 avaient pour objectif de réfléchir sur la notion de hiérarchie appliquée aux sociétés du haut Moyen Âge occidental qui, contrairement aux sociétés orientales de la même époque, ne semblent pas caractérisées par une hiérarchisation systématique. Certes, il ne s’agit nullement de sociétés égalitaires, mais de sociétés où les groupements horizontaux occupent autant de place – sinon plus – que les groupes fondés sur des liens verticaux. Il faut aussi souligner que dans ces sociétés « barbares », l’idée même de la hiérarchie ne se réfère pas à une cascade de dignités et de fonctions distribuées par l’État, comme c’était le cas dans le monde romain du Bas-Empire et comme on le retrouve dans tout l’appareil d’État byzantin. On est d’ailleurs frappé de constater que seuls Céline Martin et Stefano Gasparri, c’est-à-dire les spécialistes des régions directement héritières du monde romain, l’Espagne wisigothique et l’Italie ostrogothique, ont cherché à pénétrer le sens et la pratique de la hiérarchie dans des sociétés dont l’idéologie se réfère encore – et plus qu’ailleurs – au système mis en place par les empereurs de l’Antiquité tardive. Si on excepte également Jean-Michel Picard qui raisonne à partir de sources irlandaises reflétant une façon bien particulière de concevoir le monde et la société, tous les autres participants ont choisi de parler de la période carolingienne où émerge une véritable réflexion, d’abord théorique, sur la hiérarchie, et où le pouvoir royal tente de « mettre en ordre » la société, notamment à partir du IXe siècle.

2 C’est en effet les écrits du monde carolingien qui nous donnent accès à l’essence et aux formes de la hiérarchie telles qu’on les conçoit en Occident. Plus que la nomenclature impériale héritée du Bas-Empire, c’est vers le modèle de la hiérarchie angélique que se tournent le plus volontiers les lettrés du monde carolingien lorsqu’ils cherchent un modèle de hiérarchie, et cela bien avant l’œuvre majeure de Jean Scot Erigène qui parachève cet édifice idéologique en tentant de réconcilier la hiérarchie terrestre et la hiérarchie céleste.

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3 La hiérarchie est donc d’abord d’origine divine, elle assigne à chaque homme sa place en ce monde, tout en préservant l’idée de l’unité de la communauté. Sur ce point, les communications de Rafaele SAVIGNY, Dominique IOGNA-PRAT et Alain RAUWEL montrent bien que cette hiérarchie ne s’oppose pas à la communauté, mais est au contraire ce qui la rend possible. En même temps, on peut penser avec HANS-WERNER GOETZ qu’une théorie comme celle des trois ordres repose avant tout sur le souci de mettre en garde les élites contre une surestimation d’elles-mêmes, au profit d’un discours qui promeut la dépendance des ordres hiérarchiques les uns envers les autres, au sein de la hiérarchie voulue par Dieu.

4 En outre, si l’origine divine de la hiérarchie permet à la communauté de se constituer comme une ecclesia, sans pour autant aboutir à une hiérocratie, elle permet aussi de hiérarchiser les sociétés entre elles, la société chrétienne répondant au modèle de la hiérarchie divine étant, de ce fait, la seule qui puisse être considérée comme authentiquement humaine.

5 Cet effort de conceptualisation propre à l’époque carolingienne s’est naturellement accompagné d’une volonté de mettre en place des formes de hiérarchie efficientes au sein même de la société : tout d’abord à travers l’expérience monastique, dont Otto- Gerhard OEXLE montre qu’elle passe d’un idéal d’égalité dans la communauté à un idéal hiérarchique qui s’appuie sur le modèle clérical, dont la hiérarchie s’impose assez rapidement comme modèle de référence, tout en subissant elle-même de multiples modifications comme l’étudient Steffen PATZOLD, Alain RAUWEL et Hedwig RÖCKELEIN.

6 Enfin reste le problème de l’articulation entre la pensée hiérarchique produite par les clercs visant à fournir le soubassement idéologique à l’œuvre de « mise en ordre » propre aux Carolingiens, et les formes perceptibles de la hiérarchie sociale qui obéissent aussi à d’autres critères qui fondent la distinction sociale.

7 Ces critères reflètent essentiellement les relations qu’un individu entretient avec l’ensemble de la société et d’abord avec lui-même : ainsi, tout en bas de la hiérarchie, on trouve ceux qui ne disposent même pas de leurs propres corps, signe systématiquement interprété comme celui de la non-liberté. Doivent être également prises en compte, les relations de l’individu à l’autorité légitime qui, la plupart du temps, visent à conforter sa position sociale, mais dont on observe aussi qu’elles sont absolument nécessaires à un maintien durable dans la hiérarchie, comme le soulignent pour l’Italie Laurent FELLER et Vito LORÉ. En outre, il ne s’agit pas seulement d’appartenir à une hiérarchie publique, mais aussi de jouer un rôle d’intermédiaire entre les communautés locales et le pouvoir « central » qui, peut-être, n’a pas forcément intérêt à soutenir les élites les plus puissantes mais peut aussi privilégier un partenariat avec des élites issues d’un milieu moins prestigieux mais, de ce fait, moins remuantes, comme le propose Thomas LIENHARD.

8 On ne s’étonnera pas qu’un des critères déterminants soit la relation qu’un individu entretient avec la personne du prince : la possibilité d’accéder à la faveur du prince et la proximité royale sont à la fois un moyen de renforcer le pouvoir des élites et un puissant ferment de mobilité sociale au sein de cette hiérarchie polymorphe. Philippe DEPREUX décrit la hiérarchie aulique qui fait écran entre le roi et ses sujets, même si cette hiérarchie conserve un caractère encore fluide et peu codifié, surtout si on la compare à ses homologues byzantins. On est néanmoins frappé de l’effort fait par les Carolingiens pour instaurer un lien quasiment juridique entre le roi et ses sujets grâce à

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la généralisation du serment de fidélité qui couronne l’ensemble de l’édifice, ainsi que le montre Stefan ESDERS.

9 Enfin, la hiérarchie se manifeste également au sein des relations « horizontales » comme les guildes, étudiées par Alban GAUTIER, qui souligne que même au sein de structures appelées à promouvoir l’égalité et la solidarité entre ses membres, peuvent se développer de nombreuses stratégies de distinction. Et Charles MÉRIAUX montre bien comment la volonté de renforcer les structures hiérarchiques au sein du clergé rural a dû s’appuyer sur la récupération de solidarités ecclésiastiques horizontales.

10 Ces dernières considérations nous ont permis de revenir au début de notre propos et de montrer finalement comment le discours, qui prône un modèle hiérarchique sans opposition à la communauté, soutient une réalité sociale où les liens verticaux ne se substituent pas aux liens horizontaux, mais cherchent à les englober dans une dynamique au service de la construction du projet global qui était celui des Carolingiens.

11 Rappel du programme :

12 Hiérarchie : horizons d’une enquête collective

• R. LE JAN, F. BOUGARD, Hiérarchie : le concept et son champ d’application dans les sociétés du haut Moyen Âge • J.-M. PICARD, Christianisation et hiérarchisation de la société irlandaise des VIIe et VIIIe siècles • R. SAVIGNI, La communitas christiana dans l’ecclésiologie carolingienne • D. IOGNA-PRAT, Penser l’Église et la société après le Pseudo-Denys l’Aréopagite • H. W. GOETZ, Les ordines dans la théorie médiévale de la société : un système hiérarchique ?

13 Ordres et grades ecclésiastiques : liturgie, ecclésiologie et histoire sociale

• A. RAUWEL, La hiérarchie interne à l’ordre sacerdotal : épiscopat et presbytérat des temps patristiques à Pierre Lombard • Ch. MÉRIAUX, Les clercs ruraux et la hiérarchisation de la société carolingienne : une première enquête dans la province de Reims • S. GASPARRI, Reclutamento sociale e ruolo politico dei vescovi in Italia, secoli VI-VIII • S. PATZOLD, Créer un grade ecclésiastique : métropolitains et archevêques du royaume franc (VIIIe-IXe siècles)

14 Monachisme et hiérarchie

• O. G. OEXLE, Mönchtum und Hierarchie im Okzident • H. RÖCKELEIN, Hiérarchie et ordre dans le monachisme féminin

15 Hiérarchie et société laïque

• S. ESDERS, Fidélité et diversité juridique • L. FELLER, Hiérarchies et mobilité sociale dans le monde rural (IXe-XIe siècles) • V. LORÉ, Poteri pubblici ed elite rurali nell’Italia meridionale longobarda (Secoli IX-XI) • Th. LIENHARD, L’empereur et les élites urbaines : Charlemagne face à Salzbourg et à Rome • Ph. DEPREUX, Hiérarchie et ordre au sein du palais : l’accès au prince. • C. MARTIN, Hiérarchie et service dans le monde wisigothique : la militia des laïcs • C. LA ROCCA, Distinguersi per la ricchezza da Venanzio Fortunato a Raterio • A. GAUTIER, Discours égalitaire et pratiques hiérarchiques dans les ghildes anglo- saxonnes

16 Conclusions par G. BÜHRER-THIERRY

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INDEX

Mots-clés : hiérarchie

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Les conversions de cens au Moyen Âge Auxerre, 27-28 octobre 2006

Laurent Feller

1 Dans le cadre du programme « La circulation des richesses au Moyen Âge », le Lamop (UMR 8589, CNRS/Paris 1) a organisé à Auxerre, les 27 et 28 octobre 2006, un séminaire international portant sur la question des conversions de cens. La réunion était abritée dans les locaux du Centre d’études médiévales que nous avons plaisir à remercier de son hospitalité généreuse.

2 Laurent FELLER présentant l’introduction résume la problématique du sujet. Cette question a été abordée brièvement par Georges Duby qui, dans L’économie rurale et la vie des campagnes a imposé l’idée que, à partir du XII e siècle et jusqu’au XIV e siècle, les redevances en argent s’étaient imposées au détriment des redevances en nature et en travail. Ce processus aurait compté pour beaucoup dans l’érosion des revenus seigneuriaux. Or, l’observation ne peut être généralisée. En 1957, par exemple, Rosario Romeo remarquait, à Origgio, près de Milan, un processus inverse, puisque les redevances en nature s’imposaient à la fin du XIIe siècle. De même, les travaux de J. Ambrose Raftis et de son école montraient que l’inflation anglaise de la fin du XIIe siècle avait entraîné un retour soit au prélèvement en nature soit une transformation profonde du système de production. Enfin, dans les années 1980-1990, les travaux portant sur la seigneurie en Italie montraient, au XIIIe siècle, selon une chronologie et des modalités pouvant encore être précisées, une tendance des seigneurs à asseoir leurs revenus sur des redevances fixes en nature établies à un niveau élevé.

3 La réflexion sur ce point peut et doit progresser. Elle implique de s’interroger sur la capacité des seigneurs à agir comme des acteurs économiques rationnels, susceptibles de définir un but et de se donner les moyens de l’atteindre et à effectuer des choix qui font sens. Elle implique aussi de s’interroger sur le rapport entretenu par les seigneurs avec les marchés des denrées agricoles.

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4 La question a semblé d’un intérêt suffisant pour rassembler une dizaine de chercheurs venus de France, d’Italie, d’Angleterre, d’Espagne et d’Allemagne pour deux journées de travail qui se sont avérées intenses et, on l’espère, fructueuses.

5 En Allemagne, au XVe siècle, dans la région de Nüremberg, des cueilloirs permettent d’étudier dans le détail les versements effectués par les paysans (Julien DEMADE). La question des conversions est d’importance, entre autres parce que les redevances sont mal perçues et que les retards de paiement y sont structurels. Elles sont fréquemment converties, de l’argent étant le plus souvent accepté en lieu et place de la redevance en nature normalement exigible. Il arrive aussi que du travail soit proposé par les paysans en cas de non versement des redevances. Les versements se font donc ainsi par conversion de la valeur du produit demandé soit en argent soit en travail, ce qui pose la question du rôle du marché dans cette opération. Les différentes céréales produites par les tenures et exigées par les seigneurs n’ont pas nécessairement le même intérêt commercial.

6 Pour l’Angleterre, la période qui va de 1170 à 1220 s’avère cruciale (Philipp SCHOFIELD). C’est celle durant laquelle s’établit le high farming¸ c’est-à-dire celle de l’exploitation seigneuriale directe des domaines. Les sources toutefois montrent une difficulté majeure en ceci qu’elles informent bien sur les tenures libres durant le XIIe siècle et sont peu disertes sur les tenures serviles et que, en revanche, au XIIIe siècle, elles disent beaucoup sur les tenures serviles et peu sur les tenures libres. Il est fréquent que les redevances en nature soient converties en redevances en argent. Les corvées, pour leur part, peuvent être en partie substituées par un versement en argent. Enfin, les rentes en argent se multiplient à partir du XIIIe siècle, au fur et à mesure du retrait de seigneurs de l’exploitation directe.

7 Une comparaison entre l’Angleterre et la Normandie (Catherine LETOUZEY) à travers la documentation de la Sainte-Trinitié de Caen montre en revanche une grande stabilité dans la structure des redevances, les prestations en nature et en travail demeurant alors, dans les deux zones géographiques, majoritaires, sans altération. Ce non-choix lui réussit bien, puisque, aux XIIIe et XIVe siècles, les liquidités ne lui font jamais défaut.

8 Prenant les choses d’un tout autre point de vue, Isabelle THEILLER montre, en commentant un chirographe de 1209, que la valeur des biens sur lesquels sont assises les rentes en nature est connue grâce à une pratique normale des relations de marché. Les montants ne sont donc pas arbitraires et peuvent donner lieu à des calculs de la part des acteurs.

9 Dans les pays de l’Ouest de la France étudiés par Daniel PICHOT, le choix est précoce et massif. À partir du XIe siècle, les seigneurs exigent des cens fixes et lourds, mais en argent, les versements en nature étant très rares. Ce sont les conditions techniques de la mise en valeur qui expliquent ce fait : le seigneur évite que lui soient remises des céréales de peu de valeur ; surtout, dans une région où la jachère est très longue, le prélèvement en argent assure un revenu même quand la terre ne porte pas de fruits. Seules les terres récemment défrichées et d’un haut rapport versent des cens en nature.

10 Les comptabilités des châtelains des comtes de Savoie aux XIIIe-XVe siècles (Nicolas CARRIER) montrent une préférence marquée des princes pour les redevances fixes en nature, principalement spécifiées en céréales. Elles ne sont cependant pas versées directement, les châtelains étant dans l’obligation de les racheter à titre personnel et donc de verser de l’argent au lieu des céréales. Cette manipulation fait des châtelains

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des agents particulièrement actifs sur le marché des céréales, cela durant une période où l’offre est déficitaire. Le processus de formation des prix de ces céréales est particulièrement intéressant à étudier, dans la mesure où il diffère sensiblement du prix de marché et où leur niveau est lié à des considérations sociales et politiques davantage qu’économiques.

11 Étudiant un acte paradoxal, la conversion d’une rente en argent en une rente en vin en faveur du couvent des frères Mineurs d’Avignon en 1368, Catherine LENOBLE s’interroge sur les motivations de ce versement qui contraint les Mendiants à devenir des acteurs sur le marché, la quantité concernée étant trop importante pour correspondre à la seule consommation du couvent. La rente ainsi offerte est un droit sur un bien, non un usage ou une propriété. Elle est également légitime parce qu’elle dispense le donateur d’une transaction. Elle apparaît aussi comme un choix spirituel de la part du donateur dont les implications socio-économiques sont complexes et nombreuses.

12 Luigi PROVERO, pour sa part, choisit de considérer les chartes de franchise piémontaise sous l’angle de la conversion. Les franchises en effet transforment les anciennes coutumes, en permettant au concessionnaire de recevoir une somme fixe annuelle dont le versement est le signe de la redéfinition des rapports entre la communauté et le seigneur. C’est de la structure même du prélèvement qu’il s’agit alors : le seigneur peut à ce moment précis l’adapter à ses besoins et, s’il exige aussi à ce moment le paiement d’un fort droit, il peut en profiter, le cas échéant pour se désendetter. La conversion apparaît comme un moment privilégié dans la relation seigneurs-paysans dans la mesure où elle contraint à négocier.

13 Le Latium propose une autre situation où la conversion est, aux XIIIe et XIVe siècles, globale (Sandro CAROCCI). Il ne s’agit pas là, cependant, de négocier les relations entre la communauté juridique et son seigneur, mais de redéfinir les fondements mêmes de l’exploitation à travers l’imposition du ius serendi, du droit de semer. Le ius serendi apparaît dans le Latium au XIIIe siècle. Il repose sur une réappropriation du sol par le seigneur qui devient le seul propriétaire de terre céréalicole. Il doit donner celle-ci à cultiver aux paysans du village concerné et ceux-ci sont dans l’obligation de les mettre en valeur. Tous les ans le seigneur procède à une réattribution des champs, chacun recevant un lot en fonction de l’importance de sa famille et du nombre de bœufs et de charrue possédés : il n’y a donc pas de tenures. L’exemple des statuts de Genazzano de 1379 montre que l’apparition du ius serendi correspond à une réorganisation profonde des exploitations agraires et qu’elle permet à l’élite paysanne de consolider sa position dans l’habitat.

14 Autre situation de conversion globale, celle de la Navarre (Carlos LALIENA). Les redevances payées par les serfs, les pechas sont, aux XIe-XIIe siècles, prélevées en nature. Souvent légères, elles font l’objet, à partir de 1180, de conversions de la part des souverains qui les remplacent par une redevance unique exigée désormais en argent. La conversion s’effectue de deux façons différentes. Soit chaque famille, quelle que soit sa richesse verse la même chose. Soit la communauté est taxée d’un certain montant et répartit celui-ci entre ses membres. Les souverains, de la sorte, favorisent la monétarisation de l’économie navarraise et contraignent, indirectement, les paysans à échanger sur les marchés. Dans les cas où ils continuent de prélever la pecha en céréale, ils tirent profit de l’activité accrue des marchés urbains. La conversion, ici, sert véritablement à moderniser la vie économique en promouvant les marchés et en améliorant la circulation monétaire.

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15 En Catalogne (Pere BENITO), les redevances « d’ancien style » des Xe et XI e siècles peuvent être considérées comme lourdes. Il s’agit des agriers, tasques et champarts. Ils sont remplacés, au XIIe siècle, durant un moment de conjonctures particulièrement défavorables aux seigneurs par des redevances en nature, fixes et annuelles. Celles-ci entraînent une baisse des revenus seigneuriaux. Cette forme de paiement simplifie le prélèvement et diminue les frais de transport. Le système connaît de nouvelles oscillations au début du XIVe siècle.

16 Roland VIADER, enfin, présente les variations du système de prélèvement en Gascogne et dans le Toulousain où le système du casal s’appuie sur un type de prélèvement particulier, résumé dans la queste. L’ensemble est mis à mal par la construction de nouveaux habitats qui modifient en profondeur les règles du jeu du fait de l’apparition de nouveaux types de tenure.

17 Les actes du séminaire devraient être rassemblés au printemps 2007 pour une publication rapide.

18 Rappel du programme :

• Pere BENITO (Lamop/Univ. Paris 1) : « Ad censum reducere ». Polysémie des transformations du prélèvement coutumier dans la seigneurie foncière catalane (XIIe-XIVe siècles). • Sandro CAROCCI (Université de Rome 2) : Les conversions de cens en Italie méridionale (XIIe- XIII siècle). • Nicolas CARRIER (Université de Lyon 3) : Les rachats de redevances en nature en Savoie du Nord à la fin du Moyen Âge. • Julien DEMADE (CNRS/LAMOP) : Les versements des tenanciers d'un village franconien du XVe siècle, ou la conversion systématique de la norme seigneuriale. • Chris DYER (Université de Leicester) : Conversion of rents in kind and in labour into cash in England, 10th-13th centuries. • Carlos LALIENA (Université de Saragosse) : Les conversions de cens en Aragon et en Navarre (1180-1230). • Clément LENOBLE (Lyon 2/EHESS) : Comment l'argent se changeait-il en vin ? Un accord entre les Sade et les frères Mineurs d'Avignon à la fin du XIVe siècle. • Catherine LETOUZEY (Université de Paris 1) : Conversions de cens dans les domaines de la Sainte-Trinité de Caen en Angleterre et en Normandie. • Daniel PICHOT (Université de Rennes) : Cens de l'Ouest, cens en argent (XIe-XIIIe siècles). • Luigi PROVERO (Université de Turin) : Le trasformazioni del prelievo nel confronto tra signori e comunità (Piemonte meridionale, XII-XIII secolo). • Phillipp SCHOFIELD (Université de Aberyswyth) : Conversions de redevances en East Anglia. • Roland VIADER (CNRS/Framespa) : Affranchissements et conversions du prélèvement dans le Sud-Ouest de la France.

INDEX

Mots-clés : cens

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Le Moyen Âge vu d’ailleurs IV : Sources et concepts / La Edad Media desde otros horizontes IV. Fuentes y conceptos Buenos Aires, 1° al 4 de noviembre de 2006

Marta Madero

1 Proponer conclusiones a un encuentro que, aún respetando a grandes rasgos la convocatoria inicial, prolifera en objetos y enfoques y hace dialogar tradiciones de investigación que, más allá de indudables inspiraciones comunes, han crecido en terrenos diversos y encontrado limitaciones, obstáculos o incitaciones diferentes, no es tarea fácil. Mi intención se reducirá por lo tanto a intentar trazar algunas problemáticas comunes y pido disculpas de antemano si este gesto no da cuenta de la riqueza de los trabajos aquí presentados. Terminaré estas breves consideraciones con la evocación, ineludible y un poco melancólica de las dificultades de hacer historia de Europa en América Latina.

2 El primer tema que ordena este encuentro, el que nos remite al concepto de « fuente », cuya genealogía e implicaciones han sido analizadas aquí por Joseph Morsel, se inserta en uno de los rasgos fuertes de la historia cultural – que la intervención de Pierre Chastang ha recordado –, la que la define como la de las formas de producción, reproducción, circulación y uso de los escritos, imágenes y composiciones sonoras, planteando la centralidad de la materialidad de los objetos, de los soportes de la transmisión. Esta atención prestada a la materialidad – que nuestros colegas de letras, editores de manuscritos con más frecuencia que los historiadores, han tenido por fortuna más presente que nosotros – puede ser entendida en el marco de un gesto más vasto que caracteriza la historiografía reciente y que se podría elucidar a través del concepto de representación que ofrece la obra – fecunda y aún no traducida al castellano – de Louis Marin. La representación produce un doble efecto: el de hacer presente una ausencia, la representación da a ver el objeto ausente (cosa, concepto o persona) a través de una imagen capaz de representarlo adecuadamente, lo que Marin

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designaba como la dimensión transitiva o la transparencia del enunciado; y el efecto de exhibición de una presencia, dimensión reflexiva u opacidad enunciativa en la que toda representación se presenta representando otra cosa. Los historiadores han aprendido a ser más atentos a la opacidad de la representación, donde cesa la transparencia, lo que los obliga a detenerse en la superficie ; superficie del texto como objeto, del discurso como estrategia compleja de enunciación, del archivo o la biblioteca como resultado de una estrategia política de memoria e identidad – cabe recordar en este sentido el excelente número especial de la Revue de Synthèse dirigido por Etienne Anheim y Olivier Poncet, Fabrique des archives, fabrique de l’histoire 1 –, y este es quizás un gesto común a lo que podemos llamar historia cultural ; gesto que, en la comunicación de Daniel Russo, agrega a la opacidad el futuro – ademán implícito en la intervención de Vivian Coutinho – cuando recuerda que si la mirada del historiador tiende a observar los objetos « tels des témoignages oculaires ou des miroirs tournés vers ce qui a été et ne sera plus », no se debe olvidar que estos objetos « réorganisent chaque fois la mémoire humaine d’après la matière dont ils sont faits, le volume qui est le leur et la surface qu’ils ocuppent ».

3 Las imágenes de translucidez y naturalidad de la fuente quedan así desdibujadas en una mirada que se detiene en la opacidad y que no sólo observa artefactos sino que piensa el sentido en relación con los conceptos de uso y apropiación, interrogación que permite eludir en parte el inconveniente de método que planteaba Michel de Certeau : « semblable au Dieu de Schreber qui “n´a de commerce qu´avec des cadavres”, nos savoirs semblent ne considérer et tolérer d’un corps social que des objets inertes » 2.

4 Materialidad de los documentos escritos, eludida durante mucho tiempo por un concepto de texto desencarnada, preexistente a los objetos que lo contienen, que lo dan a ver o a leer, error que la investigación actual comete con menos frecuencia, como lo muestra el proyecto de Wanessa Asfora sobre los manuscritos del De re coquinaria de Apicius. Esta problemática, que ha sido la de la historia de la lectura primero, de la edición y de la cultura manuscrita después, marcadas por la paleografia como historia social de las escrituras, por la bibliografía renovada por las aproximaciones de la historia cultural, ha puesto de manifiesto la complejidad eludida, pero también las evidencias descartadas por los historiadores. Mas aún, si estos ámbitos de trabajo llevan ya años ofreciendo una producción ingente, sus efectos en la práctica de los historiadores no han sido de ningún modo inmediatos, tardan incluso en llegar y no parecen estar siempre presentes en quienes dirigen los proyectos de edición y digitalización hoy en día.

5 La noción de materialidad nos remite a su vez al segundo eje de reflexión que nos convoca, el de los conceptos. Si seguimos las reflexiones de Ludolf Kuchenbuch cabe recordar que la noción de « materialidad » es relativamente reciente y tiene origen en las teorías de la recepción y de los medios y el carácter « instrumental » de los mensajes escritos, pintados o sonoros que el concepto conlleva es, por ejemplo, ajeno a la Alta Edad Media 3. La advertencia me parece justa, y creo necesario no sólo pensar en los sentidos que las sociedades otorgan a la escritura – gesto que vemos en el trabajo presentado por Paola Miceli en este encuentro –, y en la materialidad como portadora de sentido – el « Form effects meaning » de Don McKenzie 4, el bibliógrafo neozelandes conocido en Francia esencialmente a través de la obra de Roger Chartier –, sino en los sentidos que una sociedad atribuye a la materialidad, ligados o autónomos de una historia de las condiciones de la percepción sensorial.

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6 Así nuestra segunda problemática, la de los conceptos, nos remite a la idea de calificación, doble desde luego, pues se trata de la calificación que nuestra documentación nos ofrece y de la que le imponemos. Michel Baxandall decía, a propósito del latín neoclásico de los humanistas que no « había sido jamás concebido como la formulación anhelante de las percepciones frescas del mundo », que como todo lenguaje era « una conjura contra la experiencia, una empresa colectiva de simplificación y disposición que tiende a transformar la experiencia en elementos manejables » 5. Analizando la calificación jurídica, Olivier Cayla recordaba que se trataba de un acto fundamental de evaluación que consiste en dar a la cosa el nombre que merece o incluso, no el que conviene a la cosa misma, sino a la suerte que se le quiere hacer correr en función de determinaciones políticas y así, se decide si un objeto merece, en materia de derechos de autor el nombre de « obra », o en derecho de trabajo el nombre de « huelga » o en derecho internacional el nombre de « situación » internacional 6.

7 Michel de Certeau decía, a propósito de la construcción del objeto y de la constitución de « cuerpos » conceptuales como resultado de una división que esta era « a la vez la causa y el medio de una lenta hemorragia. La estructura de una composición no retiene lo que representa, pero debe “aguantar” lo suficiente para que juntamente con la fuga entren de verdad en escena – “se produzcan” – lo pasado, lo real o la muerte de que habla el texto » 7. El trabajo de la calificación, la nuestra, la que observamos, remite siempre, a la vez, a lo real, al artificio y a la muerte, debe siempre ser pensada en función de calificaciones concurrentes, que no obstante aspiran siempre a darse por descripciones, « à appeller un chat un chat », olvidando no sólo los valores, la voluntad, la ideología, sino el hecho de que « si tu ne peux dire que ce que tu a vu, tu ne peux voir que ce qui est dit » 8.

8 Los historiadores no somos suficientemente concientes de esto y cuando empezamos a serlo sentimos una mezcla de vértigo e iluminación, la que hemos sentido todos ante los trabajos de Dominique Iogna-Prat sobre el concepto de « jerarquía » o de Eliana Magnani sobre el don – cuyo vocabulario remite, antes de su utilización en antropología, a un concepto de la historia del derecho del siglo XIX y al debate monumental entre romanismo y germanismo, entre propiedad y posesión –, y que también atraviesa saludablemente las presentaciones de Patrick Henriet, Néri de Barros Almeida y Alfonso Hernández en torno a la Ecclesia y las de Mário da Motta Bastos y Pascual Martínez Sopena en torno a las categorías de « señores, comunidades y Estado ».

9 El tercer eje de este encuentro es el de las relaciones entre antropología e historia. Se podría decir, por una parte, que la fecundidad del encuentro disciplinar ha sido extraordinaria, tanto es así que casi no somos conscientes del grado en que ha marcado nuestras elecciones, nuestros gestos metodológicos : diría que todas las contribuciones a este encuentro son tributarias en grados diversos del proyecto de la antropología histórica. Pero la misma riqueza comporta una dilusión y Jean-Claude Schmitt tiene toda la razón en reclamar una pluridisciplinaridad real, consciente de sus efectos conceptuales y empíricos, necesariamente sostenida por una formación inicial y continua apropiada. Tiene plena razón y las diferentes presentaciones, los diálogos que ellas suscitaron, muestran que no solamente que debemos refundar el trabajo historiador en una mejor comprensión de la antropología que de cuenta de los lazos sociales, « de ce qui fait que ça tient » – decía Joseph Morsel –, sino también una

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antropología del artificio, de la separación, de la división que, en el derecho por ejemplo, aleja de la experiencia inmediata y la recalifica. Muchos de los trabajos de quienes se consagran al análisis de la normatividad están marcados por esta doble perspectiva en la que los gestos, los rituales, la resolución del conflicto a través del arbitrage, la mediación, la transacción, no deben hacer olvidar que la alta tecnicidad del lenguaje jurídico obliga a reformular la experiencia, califica los hechos y ordena el espacio social según lógicas de institución que no reproducen de forma inmediata ni la percepción de los sujetos ni las estructuras y las dinámicas de lo social.

10 Un cuarto eje nos ha sido ofrecido por la participación enriquecedora de nuestros colegas de letras. Las intervenciones de Georges Martin, Leonardo Fúnes y Márcia Mongelli han sido fundamentales y nos han recordado, por ejemplo, la intensidad de la formulación política en el relato cronístico, lugar, avant la lettre, como el derecho, de formulación de una teoría y una práctica política. Pero sin duda las categorías de la filosofía del lenguaje, de la lingüística y de la crítica literaria han sido, a la par de la antropología, fundamentales para la historia y las ciencias sociales. No se trata desde luego de los excesos de la vulgata del giro lingüístico y la deconstrucción, sino de categorías que aún hoy siguen teniendo capacidad heurística. Jean-Claude Schmitt, en comentario al trabajo de Marcos Rubiolo Galíndez y de Gerardo Rodríguez, recordaba que se debía tratar al milagro como un lenguaje – lo que de hecho hacía Eleonora Dell’Elicine. Un lenguaje, o quizás lenguajes : el de las narrativas que lo reconocen como tal y que transforman el acontecimiento inesperado en textos que lo describen y certifican, el que hace de él el idioma de un acto misterioso y sagrado destinado a manifestar el poder absoluto de Dios.

11 Desde le punto de vista de la formación de los investigadores, dos breves comentarios parecen pertinentes en lo que concierne a la de los medievalistas que trabajan en América Latina. El primero tiene que ver con nuestra mayor carencia, carencia que las interrogaciones actuales de la medievalística en particular y de la historia en general agudizan. La atención que se debe prestar a la materialidad de los documentos escritos, la incorporación indispensable y no meramente « auxiliar » de la paleografía, la codicología, la bibliografía, en el tratamiento de estos documentos, que constituye uno de los ejes de este encuentro y de modo más general una de las interrogaciones centrales de la historia cultural, es aquella cuya ausencia es más cruel y por el momento, más difícil de subsanar – para no hablar de la arqueología !, que ha constituído desde el inicio uno de los temas que nos han convocado y que Monique Bourin ha límpidamente tratado en este encuentro. No existe en Argentina – ignoro si sucede lo mismo en el resto de América Latina pero intuyo que así es – gente formada capaz de transmitir estos conocimientos y es probable que la dificultad se perpetúe dado que la cantidad de estudiantes a los que puede interesar adquirir esta formación no parece justificar el gasto inherente a su resolución. Mientras que es probable que – con un soporte por cierto particular, pero que permite una aproximación menos mediada a los documentos – los proyectos de digitalización actual permitan consultar en la red cantidades considerables de documentos en modo imágen, es más que probable que no podamos descifrar esos documentos cuando no estén acompañados de transcripción. Reparar esta carencia debería constituír uno de nuestros objetivos básicos.

12 El segundo comentario sobre la formación de los futuros medievalistas a la vez coincide con lo dicho por Jean-Claude Schmitt a propósito del contexto francés y quizás incluso

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europeo : la necesidad de la formación rigurosa de los historiadores que se consagren a la antropología histórica no sería imposible de ningún modo en nuestros países dado que es precisamente en las relaciones con postulados teóricos de otras disciplinas que, como lo ha señalado con acierto Néri de Barros Almeida, con frecuencia hemos encontrado – no siempre para nuestro bien –, una identidad. Creo por el contrario que carecemos con frecuencia de formación más básica en historia social y la fascinación que figuras como la de Jacques Le Goff han ejercido en nuestra vida nos han inducido con frecuencia a temas cuya dificultad nos ha ocultado su prosa límpida. La mundialización tiene algunos efectos benéficos después de todo y si la disponibilidad de recursos y una política europea de fuerte presencia cultural en América Latina lo sostiene, no es sin embargo imposible que nuestros estudiantes circulen y se formen parcialmente en los países sobre los que desarrollan su investigación. La Argentina conserva casi milagrosamente una formación importante en lenguas clásicas a nivel universitario de la que carecen muchos países del subcontinente que, en el plano de la formación lingüística, nos permite por el contrario, un cierto optimismo. Desgraciadamente, el sueño magnífico de Jean-Pierre Vernant y Pierre Vidal-Naquet sobre la formación clásica escolar no parece realizable en Francia, menos aún lo es en nuestras latitudes, pero la situación no es, por el momento, desesperada en ese plano. Sí lo es por el contrario en lo que concierne nuestras bibliotecas, y aquí la catástrofe parece casi irrecuperable a pesar de los aumentos recientes de fondos destinados a la universidad y a la investigación. No se puede olvidar la enorme dificultad que implica trabajar en países como los nuestros en donde gobiernos autoritarios o populistas han vaciado durante decenios los presupuestos de las bibliotecas, las universidades, los organismos de investigación. El empobrecimiento de nuestros países, que obedece sin duda a conyunturas más complejas, es en parte responsable de esto, pero no lo es todo. Por su parte, Europa debe implicarse más en una política cultural que preserve su rol en el mundo, no porque esto sea un llamado a la restauración de los sueños coloniales, sino porque son, por su propia diversidad cultural, una salvaguarda ante la dominación de un modelo único, de una única inteligibilidad.

13 Rappel des communications :

• Histoire médiévale au Chili, Paola CORTI, Luís ROJAS DONAT • Anthropologie historique, un bilan, Jean-Claude SCHMITT • Dialoguer entre disciplines est-il possible ? Anthropologie, sociologie et histoire médiévale autour du « don », Eliana MAGNANI • « Signum vel res » ? La ponderación del milagro en la sociedad visigoda (589-711), Eleonora DELL’ ELICINE • Cristo, Lázaro y los pobres. La representación de la pobreza en la Castilla medieval, Marcos RUBIOLO GALÍNDEZ • Los milagros en la religiosidad hispánica (siglos XII al XVI), Gerardo RODRÍGUEZ • Os « Reinos Bárbaros » : Estados Segmentários na Alta Idade Média Ocidental, Mário Jorge DA MOTTA BASTOS • La aristocracia en la España Medieval, Pascual MARTÍNEZ SOPENA • Las comunidades locales en la España Medieval, Ana RODRIGUEZ LÓPEZ • De l’écriture à l’archive : le problème de la source, Joseph MORSEL • Archéologie des textes médiévaux : méthodes et enjeux pour l’historien, Pierre CHASTANG • Reflexões teóricas e metodológicas acerca dos manuscritos medievais do « De re coquinaria » de Apicius para a história da alimentação na Alta Idade Média, Wanessa C. ASFORA

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• Representar, instituir, redimir : oralidad y escritura en los textos forales, Paola MICELI • Trois chroniques pour un roi. L’historiographie du règne de Ferdinand III (1217-1252), Georges MARTIN • Elementos para una poética del relato cronístico, Leonardo FÚNES • Fremosos cantos : reflexões metodológicas sobre a lírica galego-portuguesa, Lênia Márcia MONGELLI • Hiérarchie : organisation ecclésiale et distinction sociale, Dominique IOGNA-PRAT • Destins de l’hérésie des Pères latins aux Carolingiens, Alfonso HERNÁNDEZ • Hérésies et « système d’Église » en Occident (XIe-XIIe siècles), Patrick HENRIET • « sujeito político » segundo a história da penitência na época gregoriana, Néri DE BARROS ALMEIDA • Décrire, dire et penser les objets en histoire de l’art médiéval, Daniel RUSSO • Uma análise serial de relicários antropomorfos medievais, Vivian COUTINHO DE ALMEIDA • L’apport de trente ans d’études des archives du sol en France : points de vue du médiéviste historien des textes, Monique BOURIN

14 Ont également participé : Flávio de Campos, María Inés Carzolio, Sylvia Delpy, Hilário Franco Jr., Ariel Guiance, José Rivair Macedo et Pablo Ubierna.

NOTES DE FIN

1. Revue de synthèse, 125/5a s. (2004). 2. M. DE CERTEAU, L´invention du quotidien, Paris, 1990, p. 39. La referencia es a D.-P. SCHREBER, Mémoires d´un névropathe, Paris, 1975, p. 60. 3. L. KUCHENBUCH, « Écriture et oralité. Quelques compléments et approfondissements », in J.-C. SCHMITT y O. G. OEXLE (dir.), Les tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne, Paris, 2002, p. 145. 4. D. F. MCKENZIE, Bibliography and the sociology of texts, London, 1986, p. 4. 5. M. BAXANDALL, Les humanistes à la découverte de la composition en peinture, 1340-1450, Paris, 1989, p. 68 y 64. 6. O. CAYLA, « La qualification ou la vérité du droit », Droits. Revue française de théorie juridique, 18 (1993), p. 9-10. 7. M. DE CERTEAU, La escritura de la historia, México, 1993, p. 115. 8. F. HARTOG, Le miroir d’Hérodote. Essai sur la représentation de l’autre, Paris, 1980, p. 259, en referencia al coloquio de Urbino (julio de 1977) sobre la descripción, y en particular a las intervenciones de C. Imbert y P. Hamon.

AUTEUR

MARTA MADERO Universidad Nacional de General Sarmiento (Argentine) / SIREM

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CBMA - Chartae Burgundiae Medii Aevi. I. Les fonds diplomatiques bourguignons Dijon, ARTeHIS-UMR 5594, 26 janvier 2007

Eliana Magnani et Marie-José Gasse-Grandjean

1 Cette première réunion élargie autour de la base de données CBMA - Chartae Burgundiae Medii Aevi avait un double objectif : faire le point sur l’avancement du projet et lancer une réflexion collective sur la documentation diplomatique bourguignonne.

2 Le projet CBMA a débuté dans le cadre du programme « Chartes et pouvoir » dirigé par Benoît-Michel Tock (2004-2007), dont l’un des objectifs est la réalisation de la base de données Chartae Galliae (ChaGal) réunissant des actes édités antérieurs à 1300 1. Depuis l’automne 2006, grâce au soutien de la Région de Bourgogne, il a été possible d’amplifier rapidement le contenu de la CBMA : elle comporte actuellement près de dix mille actes. En même temps, le recrutement pour la période d’un an d’une post- doctorante CNRS (Isabelle Rosé) est venu renforcer le travail scientifique autour de la CBMA. Avec la constitution d’une équipe élargie autour du projet, il s’agit maintenant d’œuvrer pour que les utilisateurs de la CBMA aient accès à une information de plus en plus précise, ce qui passe par l’actualisation des renseignements sur les chartes (datation, identification des personnes et des lieux, correction du texte, entre autres) et par l’élaboration de ‘notices-articles’ sur la documentation diplomatique bourguignonne. Ces articles seront publiés en ligne au fur et à mesure dans un volume hors-série du Bulletin du CEM. Dans une prochaine étape du projet, il sera question de créer une collection d’éditions en ligne2.

3 Quant à réalisation de la base de données CBMA, Marie-José GASSE-GRANDJEAN a exposé les étapes de l’important travail qu’elle effectue : la création d’une base de travail sur FileMakerPro, la numérisation des éditions du XIXe siècle concernant les diocèses d’Auxerre, Nevers, Autun, Langres, Chalon et Mâcon3, leur saisie par le prestataire de

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services WordPro (Pondichéry), puis le basculement des textes saisis dans la base et les enrichissements apportés progressivement à chaque fiche-document (date, analyse, références bibliographiques…). La base de travail FileMakerPro avec toute la documentation saisie est déjà accessible en ligne sur demande, et également sous la forme d’un tableau HTML4. Des fichiers documentaires en format texte (formats .txt et .doc) sont aussi mis à disposition.

4 Il se pose maintenant la question de l’interrogation efficace des textes en ligne, de leur conservation sur le long terme et donc, de la veille technologique que toute entreprise de numérisation a le devoir d’assurer. Dans cette perspective, des tests prometteurs avec l’outil informatique développé par l’École Nationale des Chartes (Gautier Poupeau) et qui est à l’origine du centre de ressources numériques TELMA (Traitement électronique des manuscrits et des archives - ENC, IRHT, CNRS)5, ont été réalisés et présagent de la mise en ligne de la CBMA sur cette plate-forme. En ce qui concerne la Bourgogne, TELMA accueille déjà, dans la collection de l’IRHT (Institut de recherche et d’histoire des textes, CNRS), l’édition du cartulaire de la seigneurie de Nesle (XIIIe siècle) réalisée par Xavier HÉLARY, qui a présenté celle-ci lors de cette réunion avec Paul BERTRAND6. Il n’en reste pas moins, comme l’a justement signalé Alain GUERREAU, que l’offre croissante de textes médiévaux sous forme numérique doit s’accompagner de la réflexion sur le traitement informatique de la masse d’informations désormais disponible et sur ses réelles retombées pour la recherche sur la société médiévale. Il faudra, entre autres, soumettre ces textes à l’expérimentation avec les nombreux logiciels libres d’analyse lexicale.

5 La Bourgogne est probablement l’une des régions de la France, voire de l’Europe, où la production de la documentation diplomatique a été la plus prolifique au Moyen Âge. Jusqu’à maintenant, cependant, aucune étude ne permettait d’avoir une vue d’ensemble et c’est ce défi considérable qu’Isabelle ROSE a relevé en s’attaquant à l’épais dossier des cartulaires bourguignons du XIe au XVIIIe siècle7. Les résultats de cette enquête, même s’ils sont encore provisoires, ont permis de dresser une première chronologie-typologie des cartulaires, avec le type « clunisien » (historiographique et mémorial) du XIe siècle, l’introduction de l’organisation topographique au XIIe siècle, notamment avec les cisterciens, l’apparition des cartulaires laïques et municipaux au XIIIe siècle, et des cartulaires organisés d’après le type de transaction au XIVe siècle. La distribution plutôt équilibrée du nombre des cartulaires entre le XIe et le XIVe siècle, suivie d’une forte poussée au XVe siècle qui doit être mise en rapport avec l’activité de l’abbé Jean de Cirey autour de Cîteaux (1476-1501), invite par ailleurs à orienter les recherches futures vers l’étude prosopographique des commanditaires des cartulaires et du contexte de leur réalisation.

6 Dans ce sens, les cartulaires de l’abbaye Saint-Bénigne de Dijon, de la cathédrale Saint- Vincent de Mâcon et de l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre ont été ensuite analysés. Karl HEIDECKER est revenu d’abord sur la nature composite de l’édition des actes de Saint-Bénigne de Dijon par Georges Chevrier et Maurice Chaume (1946 et 1986)8 en attirant l’attention sur l’indispensable travail critique qui doit précéder l’utilisation, dans une base de données ou ailleurs, de chartes publiées. Surtout, il a pu établir que le e Cartulaire de Saint-Bénigne de Dijon du milieu du XI siècle, a été relié postérieurement, en e désordre, avec une chronique de l’abbaye du milieu du XI siècle également (Dijon, Bibliothèque municipale, ms. 591). En outre, à cette époque, un cahier écrit quelques années après le cartulaire, et contenant des versions interpolées des mêmes actes, a été

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ajouté au cartulaire original. Le codex a été ensuite gravement mutilé au XVIIe siècle, perdant entre autres ses premiers et derniers folios, et relié à nouveau de façon assez anarchique. Tout cela laissa penser que le cartulaire n’était pas organisé chronologiquement, l’analyse du manuscrit incite à rétablir cet ordre chronologique et remet en cause les interprétations qui en ont été données jusqu’à maintenant.

7 Un autre cartulaire disparu du XIe siècle, celui de l’église cathédrale de Saint-Vincent de Mâcon, a été édité par E. Ragut (1864), archiviste-paléographe, d’après une copie du XVIIIe siècle9 mais avec beaucoup d’imperfections. Comme l’a indiqué Alain GUERREAU, la rédaction du cartulaire de l’église de Mâcon coïncide avec la construction du tympan de la cathédrale et toute une série d’entreprises lancées par l’évêque de Mâcon pour s’imposer face à la puissante abbaye de Cluny.

8 Les deux cartulaires du XIIIe siècle de l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre ont été présentés par Noëlle DEFLOU-LECA. Le Grand cartulaire de Saint-Germain, préparé en 1266 par Gui de Munois et transcrit par le scribe Gautier, constitue une sélection de 303 actes auxquels ont été ajoutées des continuations jusqu’au XVIIIe siècle (Auxerre, Bibliothèque municipale, ms. 161G). Il contient une préface et il est organisé en onze chapitres (bulles, actes royaux, actes portant sur Auxerre et environs, sur le doyenné, sur la chambre, sur le cellier, actes concernant Bercenay, Sommecaise, Villiers, Saint- Sauveur, et l’infirmerie). Le Petit cartulaire (ou cartulaire de la pitancerie, Auxerre, Bibliothèque municipale, ms. 162G), contenant 327 actes, a été exécuté vers 1295, quelques années après la rédaction des Gesta abbatum, et complété probablement au début du XIVe siècle. Deux dépendances de Saint-Germain, Saint-Florentin et Saint- Léger de Champeaux, ont également laissé des recueils d’actes copiés ou réunis au XVIIe siècle, correspondant respectivement à 22 et à 73 actes (Arch. dép. de l’Yonne, H 1068 et Arch. dép. de la Côte d’Or, Cart. n° 230 - ancien H 38). Pour cet ensemble, le XIIIe est le siècle le mieux représenté. Seulement 64 actes diplomatiques originaux sont conservés, dont 20 figurent dans le Grand cartulaire. Ces documents ont été édités très partiellement (environ 25%) par l’abbé J. Lebeuf (1743), et puis par M. Quantin (1854-1860, 1873)10 qui s’est appuyé sur les copies du Grand cartulaire sans se référer aux originaux.

9 Cette documentation et ces réflexions autour du corpus des cartulaires bourguignons ont permis de poser de nouveaux objectifs d’analyse, de déterminer des priorités de saisie de nouveaux textes, et de réfléchir plus largement aux solutions pratiques pour la gestion de corpus de textes et pour leur utilisation et exploitation, question-clé actuellement pour l'avenir de l'histoire médiévale.

10 Étaient présents à cette réunion : • Jean-Luc BENOÎT (Troyes) • Paul BERTRAND (CNRS - IRHT, Orléans) • Benoît CHAUVIN (CNRS - ARTeHIS, Dijon) • Noëlle DEFLOU-LECA (Univ. de Grenoble II) • Patrick DEFONTAINE (Univ. de Bourgogne - ARTeHIS, Dijon)) • Marie-José GASSE-GRANDJEAN (CNRS - ARTeHIS, Dijon) • Alain GUERREAU (CNRS - Paris) • Karl J. HEIDECKER (Univ. de Groningen - Pays Bas) • Xavier HELARY (Univ. de Paris IV, IRHT) • Maria HILLEBRANDT (Institut für Frühmittelalterforschung - Münster) • Dominique IOGNA-PRAT (CNRS - LAMOP, Paris)

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• Eliana MAGNANI (CNRS - ARTeHIS, Auxerre/Dijon) • Robert MARCOUX (Univ. de Laval - Québec) • Franz NEISKE (Institut für Frühmittelalterforschung - Münster) • Chantal PALLUET (CNRS - ARTeHIS, Auxerre/Dijon) • Romuald PINGUET (Univ. de Bourgogne - ARTeHIS, Dijon) • Alain RAUWEL (Univ. de Bourgogne - ARTeHIS, Dijon) • Isabelle ROSE (CNRS - ARTeHIS, Dijon) • Daniel RUSSO (Univ. de Bourgogne - ARTeHIS, Dijon) • Christian SAPIN (CNRS - ARTeHIS, Auxerre/Dijon)

NOTES

1. Ce programme a été conçu dans le cadre de l’ACI Réseau des Maisons des Sciences de l’Homme et réunit des équipes de Caen (P. Bauduin), Chambéry (L. Ripart), Dijon (E. Magnani, M.-J. Gasse-Grandjean), Lille – Nancy (B.-M. Tock) et Toulouse (P.-H. Billy). Sur ce projet, voir B.-M. TOCK, « Chartes et pouvoir au Moyen Âge », Bulletin du Centre d'études médiévales d'Auxerre, 9 (2005), p. 173-177, URL : http://cahiers.revues.org/ cem/document747.html et le site http://www.chartae-galliae.fr/ 2. Nous pensons, d’ores et déjà, à la publication des chartes de l’abbaye de Reigny (XIIe- XIIIe s.), par Marlène Hélias-Baron. 3. Les actes enregistrés sont issus des éditions suivantes : A. de CHARMASSE (éd.), Cartulaire de l'Évêché d'Autun, Paris, 1880 ; A. de CHARMASSE (éd.), Cartulaire de l'Église d'Autun, Paris, 1865-1900 ; J.-G. BULLIOT, Essai historique sur l'abbaye de Saint-Martin d'Autun, de l'ordre de saint Benoît, Autun, 1849 ; A. BERNARD, A. BRUEL (éd.), Recueil des chartes de l'abbaye de Cluny, 6 vol., Paris, 1876-1903 ; A. de CHARMASSE (éd.), Chartes de l'abbaye de Corbigny, Autun, 1889 ; E. PETIT (éd.), Cartulaire du prieuré de Jully-les-Nonnains, Auxerre, 1881 ; M.C. RAGUT (éd.), Cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon : connu sous le nom de Livre enchaîné, Mâcon, 1864 ; R. de LESPINASSE (éd), Cartulaire de Saint-Cyr de Nevers, Paris, 1916 ; U. CHEVALIER (éd.), Chartularium prioratys beatae mariae de Paredo monachorum, Montbéliard, 1891 ; R. de LESPINASSE (éd.), Cartulaire du prieuré de La Charité-sur-Loire (Nièvre), ordre du Cluni, Paris, 1887 ; M. QUANTIN (éd.), Cartulaire général de l'Yonne, 2 vol., Auxerre, 1854-1860 ; M. QUANTIN (éd.), Recueil de pièces pour faire suite au cartulaire général de l'Yonne. XIIIe siècle, Auxerre, Paris, 1873. 4. http://www.archeologie-cultures-societes.cnrs.fr/recherche/CBMA.htm 5. http://www.cn-telma.fr/ 6. X. HÉLARY (éd.), Le cartulaire de la seigneurie de Nesle [Chantilly, 14 F 22], Orléans, Institut de Recherche et d'Histoire des Textes, 2006. (Ædilis, Publications scientifiques, 6). [En ligne] http://www.cn-telma.fr/nesle/. Date de mise à jour : Première version, 26 juin 2006. Voir l’article de Xavier Hélary dans ce numéro 11 du Bulletin du Centre d’études médiévales. 7. Voir dans ce numéro également l’article d’Isabelle Rosé.

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8. G. CHEVRIER, M. CHAUME (éd.), Chartes et documents de Saint-Bénigne de Dijon, prieurés et dépendances, des origines à 1300, Tome 2 : 990-1124, publiés et annotés, Dijon, 1943 (Analecta Burgundica) et G. CHEVRIER, M. CHAUME (éd.), Chartes et documents de Saint-Bénigne de Dijon, prieurés et dépendances : des origines à 1300, Tome 1, VIe-Xe siècles, publ. et annot. par Robert Folz, Dijon, 1986. 9. Copie rédigée et collationnée en 1750 par Claude Bernard, secrétaire particulier au bailliage de Mâcon. 10. Abbé J. LEBEUF, Mémoires concernant l'histoire ecclésiastique et civile d'Auxerre et de son ancien diocèse, 4e vol, Paris, 1743, rééd. Auxerre-Paris, 1848-1855 ; M. QUANTIN (éd.), Cartulaire général de l'Yonne, op. cit. ; M. QUANTIN (éd.), Recueil de pièces pour faire suite au cartulaire général de l'Yonne. XIIIe siècle, op. cit.

INDEX

Index géographique : France/Bourgogne Mots-clés : CBMA, charte bourguignonne

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Autour de Herbert Leon KESSLER Auxerre, Centre d’études médiévales, 15-16 mars 2007

Daniel Russo, Herbert Leon Kessler, Dominique Donadieu-Rigaut, Dominique Iogna-Prat et Anne-Orange Poilpré

1 En prenant pour point de départ l’ensemble de ses travaux, thèse, études plus précises sur les grandes périodes de l’histoire de l’art, et de l’art médiéval en particulier, essais théoriques, un groupe de chercheurs s’est réuni autour de Herbert Leon Kessler pour essayer de faire la synthèse, avec lui, de ses différents apports au champ des sciences humaines. Professeur à Johns Hopkins University, Baltimore (USA), Fellow de la Medieval Academy of America (1991) et de l’American Academy of Arts and Sciences (1995), Herbert L. Kessler a développé, et développe, ses recherches en suivant trois axes principaux de réflexion : la pertinence du comparatisme entre Orient byzantin et Occident latin pour l’art du Moyen Âge ; la notion et le statut d’image ; le concept d’art dans la perspective générale d’une histoire de l’art ouverte aux sciences sociales 1.

2 Durant sa formation, et de son aveu personnel, Herbert L. Kessler a surtout conçu le goût et la nécessité de penser librement les objets qu’il étudiait. À l’Université de Princeton, il suivit les séminaires de Kurt Weitzmann (1904-1993) et d’Erwin Panofsky (1892-1968) qui, certes, orientèrent ses recherches, mais le persuadèrent de conserver toute sa liberté d’approche. Anne-Orange Poilpré y revient dans son analyse de l’œuvre de Herbert L. Kessler. Il en retira surtout deux principes qu’il s’efforça toujours de mettre en application. Le premier, à propos des ‘images’, revient à toujours les considérer sous leurs aspects matériels et, par conséquent, à ne plus employer le terme, rejoignant en cela les conceptions de certains artistes, tel Mark Rothko, à propos du ‘processus organique de l’art’2. Le second, sur l’objet d’art et ses publics, est largement fondé sur la prise en compte de la notion d’audience, telle qu’elle a été formulée par Hans Belting dans ses travaux, notamment selon la perspective d’une anthropologie de l’art3 ouverte aux sciences sociales. Deux autres apports n’ont pas peu contribué à orienter ses recherches : les travaux sur l’art contemporain, d’abord, en particulier ceux d’Yves-Alain Bois sur Mondrian, mais aussi ceux d’autres critiques sur le mouvement expressionniste aux États-Unis ; les réflexions toujours stimulantes de Michael Camille (1958-2002), ensuite, sur les franges d’un literary criticism pénétré de Gilles Deleuze, Jacques Derrida et Jean Baudrillard 4.

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3 En tenant compte de la richesse de ces approches croisées, Daniel Russo souligne comment Herbert L. Kessler renouvela l’étude des rapports entre les arts et la réforme de l’Église en s’intéressant à la question du narratif en peinture, aux modes de composition et aux emplacements dans les églises, à l’intérieur d’un espace territorialisé autour de Rome et dans Rome même, entre le XIe et le XIV e siècle. Mesurant l’exemplarité des deux anciennes basiliques de Saint-Pierre de Rome et de Saint-Paul-hors-les-murs pour douze édifices situés dans l’espace latial, Herbert L. Kessler analysa, pour chacun d’entre eux et séquence après séquence, les choix iconographiques, leur distribution sur les murs, dans la nef ou dans le chœur, leurs relations avec les autres éléments du décor et, enfin, leur rôle actif dans la production d’un sens général qui passait, alors, plutôt par une suite d’échos dans les formes et les couleurs, les figures et les motifs, que par les reprises conceptuelles ou dogmatiques. Ainsi, à Cori, dans l’église de l’Annunziata, un petit oratoire au sud-est de Rome, daté de la fin du XIVe siècle pour les décors peints, l’élément mis en valeur fut le parallélisme délibéré entre les épisodes de l’ancien et ceux du nouveau Testament, avec une nette prédominance des premiers. Sur la Croix dite de Constantin, conservée aujourd’hui dans le Musée du Latran, à Rome, les épisodes des ‘Histoires de Noé’ entretinrent, à la fin du XIVe siècle, si la datation est vérifiée, un dense tissu de relations visuelles avec les grandes réalisations monumentales de la Rome des papes. À Ceri, dans l’église San Felice, le Jugement dernier peint au revers du mur de la façade tint à peu de chose près un rôle identique. Dans le prolongement de ces études minutieuses sur les traces et les empreintes du grand art romain, de l’antiquité chrétienne jusqu’aux XIIe et XIIIe siècles, deux a priori de la recherche en histoire de l’art comme en iconographie sont sérieusement remis en cause : la notion de renovatio puis celle, concomitante, de direction des arts sous le contrôle de la Papauté. Stefano Riccioni, Simone Piazza ont, chacun à sa manière, l’un explorant Rome, l’autre l’espace compris entre le sud du Latium et le nord de la Sabine, fait également justice de ces conceptions 5.

4 En revenant sur l’apport d’Herbert L. Kessler à l’histoire de l’Église et à l’ecclésiologie médiévale, Dominique Iogna-Prat retrouve bien des éléments d’une typologie des représentations de l’ecclesia, au sens où l’entendait le père Yves Congar (1904-1995), et développe toute la question de l’‘économie du christianisme’6. Remarquant après Marie-José Mondzain que le mot ‘économie’ devient le leitmotiv appliqué à la défense iconique dans les traités de Nicéphore, Jean Damascène, Théodore Stoudite, il note son utilisation pour l’ensemble du plan incarnationnel, dans lequel on l’emploie, en particulier pour désigner tout le champ sémantique complexe régissant les rapports entre le sacré et le profane, le visible et l’invisible, le visible et le lisible, la rigueur de la loi et l’adaptabilité de la règle 7. Car c’est bien le dogme de l’incarnation que vient soutenir ce terme en même temps qu’il sert à construire tout l’édifice de la pensée sur l’icône et sur la figurabilité de l’invisible. Par ce biais très éclairant, l’on rejoint certaines des affirmations de Herbert L. Kessler sur la question de la visibilité au Moyen Âge, même si le concept d’économie lui paraît trop organiciste et fonctionnaliste, éloigné donc de ce qu’il veut démontrer pour l’art de cette époque. Dans les faits, tels que Marie-José Mondzain les analyse à Byzance, par le concept d’économie, toute l’Église est identifiée au corps du Christ dont on doit pouvoir produire la visibilité afin que le royaume terrestre puisse se constituer à l’image du royaume céleste, dont il incarnera dès lors, ‘ici-bas’, la manifestation providentielle 8.

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5 Pour Anne-Orange Poilpré, parler de l’art chrétien antique dans l’œuvre de Herbert L. Kessler, c’est remonter aux origines, mais aussi aller à quelque chose d’essentiel. En effet, son intérêt pour l’Antiquité chrétienne réside au fondement même de sa formation universitaire puisqu’il fut l’élève de Kurt Weitzmann. Sous sa direction, il mène à bien un travail de thèse sur les frontispices de la Genèse des Bibles de Charles le Chauve, qu’il soutient à Princeton en 1965, et publie dans l’Art Bulletin en 1971 9. Par son apprentissage et des années passées auprès de lui, Herbert L. Kessler a été profondément marqué. Bien après la retraite de Kurt Weitzman, professeur à l’Université de Princeton jusqu’en 1972, et après avoir entamé une carrière internationale à l’Université de Chicago, puis à Baltimore (Johns Hopkins), Herbert L. Kessler poursuit une réflexion commune et les collaborations avec son ancien maître.

6 En 1986, il collabore à l’ouvrage de Weitzmann sur la Genèse de Cotton et coécrit avec lui en 1990 la somme sur les peintures de la Synagogue de Doura Europos (1990). Parmi les thématiques artistiques et les méthodologies explorées par Kurt Weitzmann, plusieurs jouent un rôle déterminant dans la démarche de Herbert L. Kessler. Le sujet de sa thèse s’élabore grâce aux suggestions de Weitzmann dont les recherches sur les Bibles tardo-antiques, et en particulier sur l’illustration de la Septante, mettent en évidence la nécessité d’un travail réactualisé sur le corpus iconographique carolingien. Pour cela, Weitzmann met à sa disposition toute sa documentation personnelle, en particulier celle qui, alors, est encore inédite sur la Genèse de Cotton.

7 C’est d’ailleurs comme un réexamen de l’étude de Wilhelm Köhler (« a reassessment » selon l’efficace expression anglophone) d’après laquelle les manuscrits de Tours, en particulier la Bible de Saint-Paul-hors-les-murs, seraient copiés sur des manuscrits- modèles du Ve siècle, qu’est amenée la publication du livre issu de son PhD 10. D’après Köhler, les préoccupations artistiques et religieuses révélées par les thèmes iconographiques de la Bible de Saint-Paul seraient si étrangères au IXe siècle, mais au contraire si proches de celles du milieu du Ve siècle et du pontificat de Léon le Grand, que seul le truchement d’un modèle paléochrétien (formé d’une bible complète) saurait expliquer l’originalité de ces œuvres.

8 Deux aspects majeurs à cette démarche. L’un méthodologique est de démontrer ainsi la force de l’analyse iconographique contre le type d’organisation de corpus choisi par Köhler, qui raisonne par école stylistique. Pour cela, les méthodes élaborées par Kurt Weitzmann dans Illustrations in Roll and Codex 11 (paru pour la première fois en 1947) vont offrir à son travail un cadre renouvelé et dynamique. En effet, l’intérêt de Weitzman pour l’illustration des livres de la Bible depuis les origines, de la Septante en particulier, donnant au corpus iconographique grec une visibilité qu’on lui accordait peu, permet une profondeur inédite dans l’établissement d’une chronologie et dans la recherche des modèles.

9 Le deuxième aspect majeur de cette démarche est d’insister sur une certaine vision de l’Antiquité chrétienne. En effet, depuis les années 1930 qui ont vu paraître les premiers travaux de Wilhelm Köhler, la connaissance des manuscrits chrétiens antiques s’est considérablement améliorée. La connaissance de l’héritage artistique, de l’aspect de modèles aujourd’hui perdus mais perceptibles grâce à des œuvres plus tardives elles- mêmes tournées vers l’Antiquité chrétienne, permet de dresser une sorte de portrait de ces traditions illustratives anciennes.

10 La connaissance de manuscrits grecs tels que la Genèse de Cotton va, bien sûr, se révéler d’une pertinence directe et capitale, quant à l’étude et à la compréhension des

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frontispices de la Genèse dans le corpus du IX e siècle, levant un coin du voile sur un continent perdu. D’ailleurs, dès l’introduction et l’état de la question, Herbert L. Kessler souligne bien à quel point les travaux de Weitzmann sur l’illustration des différents livres de l’Ancien Testament (comme la Genèse et les Psaumes), ou bien encore celle des Actes de Apôtres, ont changé les choses et conditionné sa méthode.

11 Au cours de ces années propédeutiques, l’enthousiasme de Herbert L. Kessler, qu’orientent l’expérience et l’élan des recherches de Kurt Weitzmann, va donner à l’Antiquité une place centrale, tant dans ses démarches iconographiques que conceptuelles. Interroger le pourquoi et le comment de la représentation chrétienne, penser les médiations sensibles et symboliques par lesquelles on représente l’invisible dans l’art chrétien, passe souvent par un retour vers les phénomènes artistiques de l’Antiquité en tant qu’ils nourrissent aussi de nombreuses œuvres médiévales. On peut réitérer l’exemple des Bibles carolingiennes. Cela vaut également pour des travaux concernant l’iconographie des apôtres, en particulier Pierre et Paul. Une Antiquité chrétienne finalement pensée et vécue comme omniprésente dans le Moyen Âge, source d’inspiration, et âge d’or, temps des origines rêvées et réinventées, parfois par les historiens de l’art, mais aussi par les acteurs eux-mêmes. S’affirme ici une démarche adhérant probablement au plus juste de la complexité, la subtilité, et parfois la volatilité, des processus iconographiques et artistiques dans le Christianisme.

12 En 1990, l’étude à quatre mains sur les Fresques de Doura Europos intitulée : « Les Fresques de la synagogue de Doura et l’art chrétien » 12, dresse un portrait précis de ce qu’est précisément l’Antiquité où naît l’art chrétien. Pour Herbert L. Kessler et Kurt Weitzmann, il s’agit d’une Antiquité certes païenne, mais surtout imprégnée d’une culture, tant littéraire qu’iconographique, juive et judéo-chrétienne. Dans la partie qu’il rédige, Weitzmann reformule des thématiques et des conclusions présentes dans ses travaux depuis les années 1940 (et la parution de Illustrations in Roll and Codex). Son idée est moins d’expliquer les peintures de la synagogue en tant que telles mais de comprendre comment elles peuvent nourrir la reconstitution d’une illustration des livres de la Bible. Autour de cette œuvre exceptionnelle, il entreprend donc de reconstituer un stemma, de penser des procédés de transmissions restituant le contexte artistique et culturel, interrogeant par là l’idée d’une œuvre hapax à Doura.

13 C’est surtout l’illustration de livres juifs anciens, bibliques et littéraires, qu’attestent les peintures de Doura Europos. Weitzmann pense surtout à la version grecque de la Bible, en usage dans les milieux hellénisés juifs comme chrétiens. D’ailleurs – et c’est là un aspect important de ses conclusions – Weitzmann souligne bien la communauté de modèles d’illustrations bibliques pour les juifs et les chrétiens, dans les deux ou trois premiers siècles de notre ère.

14 Ainsi déboute-t-il la question de la priorité donnée à l’illustration « chrétienne » ou « juive » de l’Ancien Testament puisque sa préoccupation est moins chronologique que thématique, celle d’une recension des images elles-mêmes et de leur relation à un prototype, quel qu’il soit. C’est l’un des aspects majeurs des thèses de Weitzmann de penser que, au moins dans le contexte syrien de Doura, les communautés chrétiennes et juives ont échangé et partagé leurs livres en grec. Les livres bibliques ont possédé une ornementation développée au milieu du IIIe siècle, date du cycle de la synagogue de Doura, c’est tout ce qu’il est raisonnable d’avancer en matière de chronologie.

15 Autre questionnement : l’existence d’une tradition iconographique narrative dans l’art juif et chrétien, qui touche à une question fondamentale quant à la naissance de l’art

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chrétien. Weitzmann réitère la trame même de son approche depuis Roll and Codex qui situe la naissance des procédés narratifs iconographiques utilisés dans l’art chrétien non pas dans l’art chrétien lui-même, mais plus lointainement dans l’art hellénistique. En effet, les procédés capables d’organiser des cycles narratifs élaborés au IVe siècle avant J.-C. sont précisément ceux dont héritent la figuration juive comme la figuration chrétienne.

16 Ces thèses modèlent, en vérité, toute une façon de concevoir les origines de l’art chrétien dans l’Antiquité. L’iconographie qui s’élabore pendant les quatre premiers siècles du christianisme, mal connue par les œuvres, est à la fois l’objet de spéculation mais aussi le support d’une certaine idée sur la façon dont le christianisme s’est imposé dans le monde méditerranéen : deux alternatives différentes peuvent tracer le cheminement vers une réponse : un art chrétien nourri et façonné par l’univers culturel préexistant (païen, latin, hellénique, juif) ou bien doué d’une formidable capacité d’invention de son propre récit iconographique dès lors qu’il est entériné par la sphère politique.

17 Des travaux comme ceux d’André Grabar (1886-1990), savant de la même génération que Kurt Weitzmann, professent un point de vue différent. Son approche de l’Antiquité tardive et de l’art chrétien – qui jusqu’à aujourd’hui conditionne bon nombre de perspectives sur ces questions en France – donne à ce qu’il appelle les « images-signes » une antériorité chronologique par rapport aux images proprement narratives 13. Pourtant, il reconnaît bien l’originalité des Genèse de Cotton et de Vienne, et envisage la possibilité d’un modèle juif, mais pas au point d’envisager le fait que l’art chrétien manie déjà des procédés narratifs et cycliques en certaines occasions, séparant ainsi très nettement ce qui relève de l’Ancien Testament et du Nouveau.

18 Le point de vue de Weitzmann traduit plutôt une perception de l’Antiquité où se mêlent et se partagent des influences tant romaines que païennes, hellénistiques, juives, dans l’élaboration de la narration imagée chrétienne. Et cela conditionne la perception même de cette religion et de son rapport à la figuration sacrée.

19 La partie rédigée par Herbert L. Kessler dans l’ouvrage sur Doura est justement pensée en complémentarité de ces thèses de Weitzmann. En réfléchissant sur les dimensions programmatiques des peintures de la synagogue, Herbert L. Kessler propose des comparaisons avec des ensembles ornementaux paléochrétiens plus tardifs de façon à illustrer cette idée d’un héritage de la narration imagée juive. Pour lui, plus encore que les édifices chrétien, la synagogue semble détenir les clés d’une explication sur la formation de l’imagerie chrétienne. Il souligne par exemple les parentés existant entre certains modes d’organisation des images autour d’un point focal de l’édifice sacré. La présence des figures prophétiques telles que celles de Moïse, Isaïe, ou Jérémie, est relevée tant dans la partie centrale de la synagogue de Doura que dans le chœur des édifices chrétiens comme Saint-Vital à Ravenne. L’insistance sur certains objets rituels, les références symboliques appuyées au Temple de Jérusalem, évoquent également certaines iconographies chrétiennes telles que le trône vide entouré des Vivants au sommet de l’arc de chœur dans Sainte-Marie-Majeure, à Rome, au Ve siècle.

20 Par ailleurs, quant au cycle de Doura en lui-même, Herbert L. Kessler montre la pertinence symbolique de l’ensemble quant aux polémiques religieuses et dogmatiques animant les communautés juives et chrétiennes vers le milieu du IIIe siècle. En effet, lorsqu’est construite une synagogue à Doura, petite ville accueillant donc une communauté juive et une communauté chrétienne, les polémiques entre elles se

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concentrent sur trois points principaux : le Christ a-t-il accompli les prophéties messianiques de l’Ancien Testament, en étant donc lui-même le Messie ? La destruction du Temple de Jérusalem a-t-elle constitué une rupture dans l’Alliance de Dieu et du peuple Hébreu ? L’Ancien Testament doit-il être interprété et compris littéralement ou typologiquement ? Ainsi, des passages critiques de l’Ancien Testament dans cette polémique (le sacrifice d’Isaac, la bénédiction de Jacob, les prophéties concernant l’ascendance davidique du Messie) sont précisément centraux dans le décor de Doura. D’un côté invoqués en faveur d’une lecture littérale de l’Ancien Testament, parole de Dieu, de l’autre pour illustrer la nécessité d’une lecture christologique. Ainsi les citations « littérales » du texte biblique dans le décor de la synagogue de Doura sont- elles, en elles-mêmes des arguments en faveur de l’interprétation juive. Aspect majeur du travail iconographique de Herbert L. Kessler sur l’Antiquité chrétienne, l’image, en tant que telle, est un argument apporté au débat théologique. Seule une iconographie narrative fondée sur la dimension historique des textes, réunis dans la salle en une même démonstration, était à même d’appuyer la force de l’argument historique et littéral contre la perspective chrétienne.

21 En 1986, paraît enfin la somme sur la Genèse de Cotton, mûrie pendant des décennies 14. Il s’agit à nouveau d’un livre à quatre mains (avec Kurt Weitzmann), mais où cette fois les apports de chacun se confondent en un même texte. Avec cette parution accède enfin aux yeux du public une somme fondamentale sur les origines de l’illustration biblique chrétienne à travers une présentation exhaustive et critique de l’un des plus anciens cycles bibliques illustrés. Il s’agit également d’un pivot dans la réflexion menée par Kurt Weitzmann et Herbert L. Kessler depuis de très nombreuses années.

22 Le corps même de l’étude propose une analyse rigoureuse de chacun des fragments restants, la reconstitution complète de l’aspect général du manuscrit et de la disposition des cadres réservant les zones peintes, ainsi qu’une recherche des sources littéraires, iconographiques et des modèles possibles (selon la méthode élaborée par Weitzmann) : tout cela permet aux auteurs de restituer tout un paysage religieux et artistique contemporain de la réalisation du manuscrit. Cette Genèse chrétienne, datée du Ve siècle, marquée par un vocabulaire figuré chrétien déjà bien développé, aurait ainsi pour modèle un prototype des environs de 200. Cette étude développe une vision spécifique de l’art de Antiquité chrétienne – dont les publications antérieures de Weitzmann et de Herbert L. Kessler avaient donné la mesure – portée cette fois par l’une de ses œuvres majeures. Il s’agit d’une vision que l’on pourrait qualifier d’« ouverte ». Ouverte vers le passé puisque c’est bien à l’aune des procédés narratifs élaborés dans l’Antiquité païenne, entre autres dans les milieux juifs hellénisés que se construit la narration biblique chrétienne, nourrie des échanges, des controverses de l’extraordinaire dynamisme intellectuel et artistique des premiers siècles de notre ère en Méditerranée. Ouverte vers le futur car il s’agit bien ici des modèles iconographiques des Bibles complètes réalisées à partir de l’époque carolingienne et du règne de Charles le Chauve. Par ailleurs, les auteurs montrent également comme sont nombreux les emprunts à d’autres formes artistiques que l’illustration de textes : art monumental paléochrétien, sculpture sur ivoire, peintures et sculptures antiques.

23 Cette rupture fondamentale par rapport au carcan des catégories techniques et géographiques pour l’étude artistique, sous son versant iconographique en particulier, caractérise également de nombreux travaux d’Herbert L. Kessler sur l’art chrétien antique. Dans le sillage de l’exceptionnelle exposition Age of Spirituality, organisée en

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1977-1978 par Kurt Weitzmann et Margaret Frazer au Metropolitan Museum of Art, Herbert L. Kessler revient, après la parution de son livre sur les Bibles tourangelles en 1977, sur des questions d’iconographie paléochrétienne. Des publications telles que « Scenes from the Acts of the Apostles on Some Early Christian Ivories », dans Gesta en 1979 15, « Passover in St Peters », dans Jewish Art en 1986/87 16, « The Meeting of Peter and Paul in Rome », dans les Dumbarton Oaks Papers en 1987 17, ou bien « Caput et speculum omnium Ecclesiarum » en 1989 18, supportent une réflexion continue sur le caractère essentiel des phénomènes iconographiques tardo-antiques : comme constitutifs d’une iconographie chrétienne en pleine construction, mais aussi comme les références et les modèles d’un christianisme médiéval plus tardif en perpétuelle référence à son passé et à ses origines apostoliques.

24 Dominique Donadieu-Rigaut revient sur l’article intitulé « Passover in St Peter’s », paru pour la première fois en 1987 dans la revue Jewish Art, dans lequel Herbert L. Kessler se livre à l’analyse d’un cycle de fresques disparu, celui de la « première » basilique Saint-Pierre érigée au IVe siècle sous l’impulsion de Constantin, puis détruite pour laisser place à l’édifice baroque que nous connaissons tous.

25 Cette étude pourrait paraître paradoxale au sein d’une œuvre consacrée en grande partie à la question du regard au Moyen Âge, comme en témoigne plus que jamais le dernier ouvrage d’Herbert L. Kessler, Seeing medieval art (2004).

26 En effet, comment l’historien de l’art, pour qui l’observation directe, le face à face avec l’original, constitue la condition sine qua non de l’analyse des œuvres, peut-il bien procéder pour étudier des images désormais invisibles, volontairement détruites depuis des siècles ?

27 C’est tout le défi méthodologique que relève Herbert L. Kessler dans cet article, développé par quelques-unes de ses autres contributions majeures 19. Puisque l’œuvre d’un chercheur se mesure aussi à sa propension à susciter des échos chez les autres, des pistes, des interrogations, Dominique Donadieu-Rigaut prolonge (comme en un fil tiré), l’une des observations d’Herbert L. Kessler, tout à fait intrigante. Comme nous venons de le voir, en effet, l’auteur remarque que le passage de la Mer Rouge, à Cori, occupe deux séquences contiguës, situées en fin de cycle, juste avant l’invitation faite aux Élus de pénétrer au Paradis.

28 Alors que toutes les séquences narratives de ce cycle sont séparées les unes des autres par des colonnes fictives, peintes sur le mur, qui rythment et structurent l’ensemble du décor, le passage de la Mer Rouge occupe un double espace unifié, sans colonne centrale. On perçoit néanmoins, dans la composition même de cette large séquence, le souvenir d’une frontière verticale puisque la rive opposée, celle où se tiennent maintenant Moïse et les Fils d’Israël, dessine une ligne venant prolonger, avec un petit décalage, la colonne fictive qui se trouve au registre supérieur.

29 Cette particularité se retrouve dans une autre église italienne, la collégiale de San Gimignano (en Toscane, donc relativement loin de Rome). Dans cette église, il est difficile d’établir des correspondances précises et signifiantes entre le cycle de l’Ancien Testament (dans le bas-côté gauche en entrant) et celui du Nouveau Testament qui lui fait face (dans le bas-côté droit), car ils résultent de deux campagnes de décoration différentes, réalisées au XIVe siècle par deux peintres différents. D’autre part, les sens de lecture de ces deux programmes s’avèrent très peu compatibles, voire divergents, d’un côté à l’autre de l’édifice.

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30 Toujours est-il que le cycle vétérotestamentaire (constituant une unité picturale indéniable) présente une « anomalie » riche de sens au sein de la composition générale.

31 Les scènes de l’Ancien Testament sont disposées sur trois registres, qui se lisent tous les trois dans le même sens, depuis la porte d’entrée jusqu’au fond de l’église. Elles débutent en haut, au niveau des lunettes, avec la Création, pour se terminer au registre inférieur, au niveau de la 6ème travée, par l’Histoire de Job (la 7 ème travée a été endommagée par le percement d’une chapelle). Au sein de cet agencement régulier, les séquences de ce cycle se trouvent bien séparées les unes des autres par tout un système de bordures décoratives reprenant les articulations architecturales de l’édifice, à savoir les travées. Le passage de la Mer Rouge, encore une fois, fait figure d’exception. Comme à Cori, il occupe l’espace de deux panneaux mitoyens dont la séparation verticale a été supprimée.

Bartolo di Fredi, Scènes de l’Ancien Testament (détail), 1367. Collégiale de San Gimignano, bas-côté gauche.

32 Cette rupture au sein de la scansion du cycle (à laquelle l’œil s’était habitué), relève, pour reprendre un terme de Louis Marin, de la « syncope », de l’introduction d’un élément hétérogène dans une unité figurative cohérente, faisant un signe fort au spectateur. C’est en effet cette absence de limite là où l’on attendait une frontière, une résistance visuelle, qui produit le miracle en image. Aucun obstacle ne s’est élevé devant les Hébreux, aucune barrière n’est venue entraver leur passage. Ils sont déjà de l’autre côté, hommes, femmes et enfants. Moïse, quant à lui, contemple l’action divine menée en la faveur de son camp. Deux éléments, l’un interne à l’image, l’autre relevant de sa situation dans l’édifice, entretiennent néanmoins le souvenir du cadre, ou plutôt le sentiment de son absence.

33 La lisière du rivage, étonnamment fine et rectiligne, réinstaure, non pas une limite, mais un partage, une distinction entre les bons et les méchants, entre les sauvés et les noyés, à l’intérieur même de cette double image unifiée. D’autre part, l’emplacement même de ce double espace ne coïncide pas avec une travée bien précise mais se trouve au contraire « à cheval » entre la 2ème et la 3ème travée. L’idée de passage joue aussi de ce décalage par rapport aux articulations architecturales de l’édifice.

34 Plutôt que d’analyser l’omission du cadre entre les deux volets du miracle comme relevant d’une simple tradition iconographique, se répétant de site en site, comme sans y penser, je propose d’y voir un travail de la « pensée figurative » (Pierre Francastel) sur la notion de passage, de frontière, focalisé sur un épisode fondamental de la Bible incarnant précisément l’une des charnières essentielles de l’Histoire du Salut.

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35 En effet, si l’on considère maintenant les deux scènes vétérotestamentaires situées juste au-dessus du passage de la Mer Rouge à San Gimignano, on est frappé par une autre « omission » qui affecte, cette fois-ci, la continuité narrative elle-même. À gauche est représentée l’entrée des animaux dans l’arche de Noé, puis immédiatement à droite leur sortie. De façon incroyable, le Déluge, événement central de la vie de Noé (et de l’humanité pécheresse), a été totalement nié, gommé.

36 Le « vrai » déluge, celui qui extermine la mauvaise engeance, se situe en fait au registre inférieur. La disposition très habile des scènes les unes au-dessus des autres invite donc le regard, à cet endroit précis, à opérer un décrochage dans sa lecture régulière et horizontale. Ce faisant, le passage de la Mer Rouge gagne en densité biblique : il demeure bien sûr, dans la logique de son registre, l’épisode fondamental de l’Exode marquant le passage de l’esclavage à la libération, mais il devient aussi la représentation paradigmatique de la purification par l’eau dont le déluge est le premier avatar.

37 Au-delà du miracle de l’Exode, le passage de la Mer Rouge cristallise ainsi cette idée de ‘gond’ dans l’histoire du Salut, de transition entre l’état d’esclavage et celui de libération, entre l’état de péché et celui de purification. Un passage qui fonctionne par l’utilisation symbolique de l’eau mise en scène dans les images mais aussi au cours d’un rituel de renaissance, le baptême. La collégiale de San Gimignano est en effet une pieve, c’est-à-dire une église paroissiale pourvue de fonts baptismaux. Les représentations murales trouvent ainsi leur résonance et leur actualisation dans la pratique sacramentelle se déroulant à l’intérieur de l’édifice.

38 Ce travail des images sur la notion de passage liée à l’épisode miraculeux de la Mer Rouge n’est pas l’apanage des peintures murales. On le retrouve également dans les manuscrits.

39 Le fait est particulièrement flagrant dans le célèbre Psautier de Canterbury. Le feuillet qui nous intéresse ici (f° 2) fut réalisé en Angleterre vers 1200.

40 Cette pleine-page relate différents épisodes de l’Exode centrés sur l’histoire de Moïse, depuis le mariage de ses parents jusqu’au miracle du rocher de Mara et Mériba.

41 Au sein de cette image composée de douze séquences rectangulaires, bien ordonnées entre elles par trois des quatre registres, le passage de la Mer Rouge occupe encore une fois une place singulière dans la mesure où deux séquences juxtaposées lui sont consacrées. L’eau de la mer, verte et translucide, forme une véritable montagne aquatique qui se répand dans la seconde vignette, malgré la séparation géométrique entre les deux séquences. Le fin bâton de Moïse, opérateur du miracle, fait office de trait d’union entre les deux vignettes. Le caractère quasiment maléfique des Égyptiens (figures du péché), est souligné par des diablotins qui s’agitent au-dessus des flots. À droite, sous les pieds des Hébreux, bien au sec entre deux replis de terrain, la mer poissonneuse a déjà retrouvé toute sa sérénité. L’ensemble du peuple élu se retourne alors pour constater visuellement la puissante intervention de Yahvé en sa faveur.

42 Si le cadre est ici maintenu, on assiste néanmoins à sa transgression, ou plutôt à la négation de sa fonction puisque l’eau, comme le bâton efficient de Moïse, passe outre cette frontière, allègrement.

43 Parmi les multiples modalités figuratives se jouant de la limite, du cadre, de la frontière, Dominique Donadieu-Rigaut termine par un autre exemple, tiré de la Bible de Maciejowski enluminée en France du Nord vers 1250.

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44 L’enluminure occupe la quasi-totalité du feuillet 9. Elle est construite sur deux registres eux-mêmes subdivisés en leur milieu par une colonne partie prenante d’un cadre architecturé. Ces deux colonnes au fût noir départagent les fonds colorés des registres, en créant un effet de chiasme entre les fonds d’or d’une part, les fonds bleu et rouge d’autre part. Si l’on observe attentivement ces deux colonnes, qui pourtant se ressemblent, il apparaît clairement qu’elles n’assument plus du tout, par rapport au récit, la même fonction. En bas, la colonne instaure une limite entre deux épisodes, reprenant ainsi la structure narrative de la Bible : une fois la Mer Rouge franchie, Myriam, sœur d’Aaron, entame, avec ses compagnes, un hymne en l’honneur de Yahvé, qui se manifeste par des chants, de la musique, et des danses. À la droite de cette séquence est figuré l’épisode qui lui fait immédiatement suite dans le texte : l’eau de Mara. Après trois jours de marche dans le désert, les Hébreux, assoiffés, tentent de s’abreuver à la source de Mara. Les eaux étant amères et imbuvables, Moïse jette un morceau d’écorce dans la source qui devient immédiatement potable (encore une histoire d’eau).

45 Au registre supérieur, au contraire, si la colonne institue une limite, c’est pour donner plus de force à sa transgression.

46 Est dès lors bien visible un double « débordement de la bordure », derrière et devant la colonne : d’une part, l’eau de la Mer Rouge, qui n’a pas de couleur propre, semble tout à coup conférer au fond bleu de l’image, qui se présente comme un aplat, une texture singulière. Comme si la mer, en débordant, malaxait en quelque sorte le fond de l’image, le re-travaillait dans le sens d’une matérialité qu’il n’avait pas au départ, par une opération qui tient à la fois de la « dilution» et de la « coagulation ». D’autre part, les chevaux de Pharaon, sa couronne dorée, et un de ses soldats, culbutent par devant la colonne, bousculant ainsi non seulement la structure de l’image en deux séquences consécutives mais aussi l’épaisseur de l’image, puisqu’un étrange feuilletage des plans (pour reprendre ce terme à Jean-Claude Bonne), apparaît précisément à ce niveau.

47 Au total, il s’agit peut-être moins, de nos jours, pour l’historien de l’art du Moyen Âge, d’analyser l’évolution des formes que de donner du sens aux répétitions, aux duplications, aux « bégaiements » des images, sans pour autant faire fi des « petits écarts », souvent très signifiants. On ne peut certainement pas, à cet égard, élaborer une théorie unique, justifiant de la même façon tous ces phénomènes. Certains relèvent de l’impact d’un modèle prégnant, érigé en référence absolue par un pouvoir politique qui construit, dans la longue durée, un réseau ecclésial. D’autres concernent plutôt la mise en image de la notion de passage, cristallisée sur un épisode biblique qui vaut finalement pour tous les rituels de purification par l’eau, dans la perspective d’un temps chrétien téléologique. Dès lors, dans quelle mesure peut-on encore parler de « tradition iconographique » ?

48 Les enjeux anthropologiques posés par les images médiévales ne sont-ils pas plutôt ceux de la mémoire, du territoire, et de l’identité religieuse replacés au sein d’une temporalité eschatologique ? C’est à l’ensemble de ces questions qu’ouvrent les travaux d’Herbert L. Kessler dans leur richesse et toute leur originalité.

49 Rappel du programme des journées :

• Daniel RUSSO, Herbert L. KESSLER, Introduction.

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• Daniel RUSSO, Les travaux de Herbert L. Kessler et leur apport à l’histoire de l’art médiéval et à l’étude iconographique • Dominique IOGNA-PRAT, Intérêt des travaux de Herbert L. Kessler pour l’historien de l’ecclésiologie médiévale • Anne-Orange POILPRÉ, Herbert L. Kessler et l'art antique chrétien versus l’art du haut Moyen Âge • Dominique DONADIEU-RIGAUT, Herbert L. Kessler et ses apports à une réflexion sur l’art du Moyen Âge.

NOTES

1. Parmi les nombreux travaux d’H. L. KESSLER, nous citerons : The Illustrated Bibles from Tours, Princeton University Press, 1977 (Studies in Manuscript Illumination, 7) ; Studies in Pictorial Narrative, Londres, 1994 ; The Poetry and Painting of the First Bible of Charles the Bald, en collaboration avec P.E. Dutton, University of Michigan Press, 1997 ; Rome 1300 : On the Path of the Pilgrim, en collaboration avec J. Zacharias, Yale University Press, 2000 ; Spiritual Seing. Picturing God’s Invisibility in Medieval Art, Philadelphie, The University of Pennsylvania Press, 2000 ; The Frescoes of the Dura Synagogue and Christian Art, en collaboration avec K. Weitzmann, Washington, 1990 (2003) ; Seeing Medieval Art, Petersborough (Ont.), 2004 (trad. fr. en cours aux éditions Macula). 2. M. ROTHKO, The Artist’s Reality. Philosophy on Art, New Haven/Londres, 2004, en part. chap. 3, (trad. fr. par P.-E. DAUZAT, Paris, 2004). 3. H. BELTING, Bild-Anthropologie : Eintwürfe für eine Bildwissenschaft, Munich, 2001 (trad. fr. par J. TORRENT, Paris, 2004). 4. M. CAMILLE, Image on the Edge : The Margins of Medieval Art, Cambridge, 1992 (trad. fr. par B. et J.-C. B , Paris, 1997) ; ID., Master of Death. The Lifeless Art of Pierre Remiet, Illuminator, New Haven/Londres, 1996. 5. S. RICCIONI, Il mosaico absidale di San Clemente a Roma. Exemplum della Chiesa riformata, Spolète, Centro di Studi sull’alto Medioevo, 2006 ; S. PIAZZA, Pittura rupestre medievale. Lazio e Campania settentrionale (secoli VI-XIII), Rome, 2007. 6. Y. CONGAR, o. p., L’Église. De saint Augustin à l’époque moderne, ‘Histoire des dogmes’, t. 3, Paris, 1970 ; Cardinal Yves Congar, 1904-1995, (Rome, 3-4 juin 1996), A. VAUCHEZ (dir.), Paris, 1999. D. IOGNA-PRAT, La Maison-Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, Paris, 2006. 7. M.-J. MONDZAIN, « Visage du Christ, forme de l’Église », in Du visage, textes réunis par M.-J. BAUDINET, Ch. SCHLATTER, Lille, 1982 ; EAD., Image, icône, économie. Les sources byzantines de l’imaginaire contemporain, Paris, 1996, en part. p. 95-210. 8. Pour une réflexion d’ensemble, J. ASSMANN, Le prix du monothéisme, (trad. de l’all. par L. BERNARDI), Paris, 2007, en part. p. 95-139 (« Le combat des souvenirs : idolâtrie et iconoclasme »). 9. H. L. KESSLER, « Hic homo formatur : The Genesis Frontispieces of the Carolingian Bibles », in The Art Bulletin, 53/2 (1971), p. 143-160.

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10. H. L. KESSLER, The Illustrated Bibles from Tours, Princeton, 1977. 11. K. WEITZMANN, Illustrations in Roll and Codex. A Study of the Origin and Method of Text Illustration, Princeton, 1947. 12. K. WEITZMANN, H. L. KESSLER, The Frescoes of the Dura Synagogue and Christian Art, Washington (Dumbarton Oaks), 1990. 13. A. GRABAR, Les Voies de la Création en iconographie chrétienne, Paris, 1979, chap. « La scène historique », p. 85, 88, 91. Sur la portée des travaux d’André Grabar, M.-G. MUZJ, Un maître pour l’art Chrétien, André Grabar. Iconographie et théophanie, Paris, 2005. 14. K. WEITZMANN, H. L. KESSLER, The Cotton Genesis (British Library Codex Cotton Otho B. VI), Princeton, 1986. 15. H. L. KESSLER, « Scenes from the Acts of the Apostles on Some Early Christian ivories », in Gesta, 18/1 (1979), p. 109-119. 16. H. L. KESSLER, « Passover in St Peters », in Jewish Art, 12-13 (1986-1987), p. 168-178. 17. H. L. KESSLER, « The meeting of Peter and Paul in Rome : an emblematic narrative of spiritual brotherhood », in Dumbarton Oaks Papers, 41 (1987), p. 265-275. 18. H. L. KESSLER, « Caput et speculum omnium Ecclesiarum » : Old Saint-Peter’s and Church Decoration in Medieval Latium », in W. TRONZO (éd.), Italian Church Decoration of and Early Renaissance. Functions, Forms and Regional Traditions, Bologne, 1989, p. 119-146. 19. H. L. KESSLER, Old Saint Peter’s and Church Decoration in Medieval Italy, Spolète, 2002.

INDEX

Mots-clés : Kessler Herbert Leon

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Histoire de l’Art et Anthropologie. 1- Historiographie et représentations du don au Moyen Âge : pour la définition d’un champ d’études Dijon, Journée d’étude du 30 mars 2007

Eliana Magnani et Daniel Russo

1 À la rencontre des problématiques de l’histoire de l’art et de l’anthropologie, il nous a paru opportun d’organiser une rencontre sur l’historiographie et un premier ensemble de travaux portant sur le don. Nous y avons ajouté une dernière réflexion sur le monumentum chrétien qui donnait tout son sens au long processus d’inscription identitaire de la mémoire funéraire en Occident.

2 De la seconde moitié du XIXe siècle, de la rencontre de l’‘autre exotique’, datent les réflexions et les efforts de théorisation de l’anthropologie naissante sur l’art « primitif » et le don en tant que modèle d’échange en dehors de la logique du marché 1. Les origines de la conceptualisation sur le don ayant été traitées ailleurs 2, cette première journée d’études sur l’histoire de l’art et l’anthropologie, réunissant des médiévistes, visait d’abord à revenir sur l’historiographie anthropologique sur l’art, puis à partir du thème du don, devenu nodal dans la recherche en sciences sociales, à ouvrir l’interrogation sur un nouveau champ d’études, notamment dans le cadre d’enquêtes portant sur l’iconographie.

3 En histoire de l’art, l’intérêt a été soulevé, il y a peu, par des recherches conduites sur l’art contemporain, celles d’Yves Michaud par exemple, comme certains des prolongements cités aux travaux sur l’histoire des images. Il y a peu, Jean-Claude Schmitt s’interrogeait sur l’importance du rythme à travers les images et la voix dans la longue durée du Moyen Âge occidental 3. Le Comité international d’histoire de l’art programmait pour l’automne 2007 une rencontre sur le thème des rapports entre l’histoire de l’art et l’anthropologie, plutôt centrée sur les périodes moderne et contemporaine. Les notions de représentation, de style, de symbolisme, sont pourtant

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fondamentales à l’art médiéval et ont été abordées soit par des anthropologues, soit par des historiens des formes symboliques.

4 Daniel RUSSO présenta trois d’entre eux, parmi les plus reconnus et les plus cités, même s’ils n’étaient pas toujours aussi lus, avec Franz Boas (1858-1942) pour la parution de son livre Primitive Art en 1927, Aby M. Warburg (1866-1929) pour ses études sur le portrait florentin (1902), notamment, et sa conférence sur les Indiens Hopis et le rituel du serpent (1923), enfin Michael Baxandall (1936-) pour son ouvrage sur l’œil du Quattrocento et la lecture qu’en proposa Clifford Geertz en termes de système culturel 4. Ayant étudié les arts des peuples dits alors « primitifs », qu’il s’agît des Indiens des Plaines ou de la côte nord-ouest de l’Amérique, des Eskimos d’Alaska ou de l’Arctique canadien, des Bochimans ou des Indiens Pueblo, Franz Boas s’efforça toujours de pratiquer une approche des faits observés à partir d’une méthode comparative contrôlée, afin de mettre en évidence tous les phénomènes d’emprunts et de diffusion sur des périodes déterminées, à l’intérieur d’aires géographiques circonscrites, et pour des sociétés en contact les unes avec les autres. Son approche de type historico- diffusionniste remit complètement en cause les théories reçues sur l’évolution d’un style figuratif à un style géométrique et l’introduisit, à l’égal de Gottfried Semper (1803-1879) ou, plus tard, d’Alois Riegl (1858-1905), à la prise en compte décisive des processus mentaux en œuvre dans les créations artistiques au sein de sociétés données 5. Dans les textes sur le portrait florentin et sur les dernières volontés de Francesco Sacchetti (1907), Aby M. Warburg découvrait dans l’art du portrait toute la richesse psychologique suscitée par une forme d’art en miniature, à Florence, au cours de la seconde moitié du XVe siècle, à destination de l’oligarchie urbaine. Dans la conférence qu’il prononça en avril 1923 sur le rituel du serpent parmi les Indiens Hopis, alors qu’il était soigné dans la clinique de Bellevue, à Kreuzlingen, il s’intéressait au passage de la nature à une forme de culture à travers l’assignation d’une angoisse non maîtrisée à des causes devenues, d’un coup, repérables et fixées. En même temps il établissait un parallèle avec ses propres efforts visant à endiguer les forces naturelles qui faisaient de lui un être en pleine dérive. Contre ‘l’orthodoxie’ admise, le sujet observateur n’était plus mis à distance de l’objet observé, puis décrit 6. Préoccupé par « l’œil » du XVe siècle sur les peintures religieuses, Michael Baxandall a retrouvé, par derrière les intentions des commanditaires et sous les mains des artistes, la capacité qu’avait le patriciat urbain en Italie de « jauger » les tableaux, de les évaluer et de saisir dans leurs compositions les formes ou relations de formes qui comptaient. Il a, de la sorte, mis en évidence ce qu’était le goût du Quattrocento et la manière dont on l’exerçait. Pour Clifford Geertz, c’est ce qui fait entrer le tableau peint dans un système culturel : toute théorisation d’une forme d’art s’avère, du coup, une théorisation des formes culturelles.

5 Abordant les études de cas, Eliana MAGNANI soulignait que, parmi les sources documentaires propres à nous renseigner sur les pratiques et les représentations médiévales du don, l’iconographie restait un domaine encore peu exploité 7. La question n’a pas en effet été abordée, ni de façon systématique, ni dans la longue durée chronologique. L’iconographie interprétée comme relevant du don ou de la donation est, d’ordinaire, interprétée par le geste de la remise d’un objet (maquette d’une église, offrandes des rois mages à Jésus). Il faudrait savoir si toute remise d’objet est un don et, à l’inverse, si le don n’est pas limité à la remise d’un objet, ou de quelque chose de tangible, alors que les « actions » (bonnes œuvres, prière, larmes, composition d’un poème, fabrication d’un objet …) sont tout autant considérées comme des dons selon

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d’autres sources. En suivant cette perspective, les images du don ne recouvriraient qu’une seule partie du champ des possibles. Par ailleurs, elles impliqueraient aussi la représentation des acteurs qui peuvent être nombreux, jouer des rôles divers en différents lieux. La façon de les disposer, leur taille, la position respective des uns par rapport aux autres, sont des indications absolues pour leur statut ou pour l’action montrée. En d’autres termes, pourrait-on indiquer au moyen de l’image le rapport social que le don est susceptible de créer, de conforter ou de transformer ? Bien sûr, l’utilisation des images n’est guère simple pour le médiéviste qui s’occupe des échanges et du don dans le fonctionnement de la société médiévale. Les différents dossiers étudiés ont ainsi explicité l’ampleur de la tâche à accomplir tout en mettant en évidence le nécessaire effort de conceptualisation.

6 La Chronique versifiée de l’abbaye de Saint-Martin-des-Champs 8, qu’analysa Eliana Magnani, posait entre autres questions celle du rapport entre l’acte diplomatique et l’image, comme formes d’enregistrement et de représentation tout à la fois des donations 9. Composée probablement dans le monastère même, vers 1067-1079, avant que la communauté de chanoines réguliers ne fût rattachée à l’abbaye de Cluny, la Chronique contient l’une des premières images d’acte diplomatique (fig. 1), alors que, par la suite, ceci se généralisera au cours du XIIe siècle en Occident, en particulier dans des cartulaires illustrés. Située dans la tradition longue des sources historiographiques (Liber Pontificalis, gesta episcoporum, gesta abbatum…), pour lesquelles les dons effectués ou reçus étaient l’un des éléments articulateurs des récits, la Chronique est organisée autour de trois actes diplomatiques qui rapportent des actions corrélées entre elles, voire comprises, comme des donations : 1) la fondation/restauration du monastère, accompagnée de la dotation de biens (en 1059-1060, par le roi capétien Henri 1er) ; 2) la dédicace de l’église couplée avec une donation (dont le rattachement à Saint-Martin de l’abbaye Saint-Symphorien et Saint-Sanson d’Orléans, par le roi Philippe 1er, en 1067) ; 3) la confirmation du don d’un parent/ancêtre, lue comme une nouvelle donation (par Philippe 1er, après et à la suite de son père Henri 1er, en 1065). Dans la Chronique, le texte versifié introduit, commente et met l’accent sur le texte des actes, en même temps que les enluminures (f°4r, 5r et 5v) font un commentaire ‘visuel’, en une sorte de tableau synthétique des actions réalisées, de leur sens, du rôle et du statut des acteurs, de leurs relations et de leur hiérarchisation (rois, chanoines, évêques, chancelier, saint Martin, saint Sanson, grands laïcs). L’importance donnée à la figure du roi, l’insistance sur ses rapports avec Martin à travers ses différents ‘rôles’ (ami/pauvre/saint/évêque métropolitain/église/communauté canoniale), dans la structure d’ensemble du manuscrit, tout ceci permet de former l’hypothèse de sa réalisation durant les années qui suivent la majorité de Philippe 1er (1065-1067), à un moment où le monastère chercherait à conforter sa place récente parmi les fondations royales. À quelques années de l’introduction de la réforme ecclésiastique dans le royaume capétien et de l’arrivée des clunisiens (1079), la Chronique réactualisait une tradition qui renvoyait aux anciennes pratiques carolingiennes de la tuitio royale, le monastère s’affichant comme point de convergences entre le roi et ses entourages, laïque et ecclésiastique, soumis toutefois à l’intercession indispensable de saint Martin en vue de la préparation de l’au- delà. Les dons qui sont à l’articulation du récit, les transferts de biens et de droits, sont d’abord les moyens de relier le monastère, Martin, avec le jeune roi capétien appelé à agir dans l’imitatio de son père.

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Fig. 1 – Le roi Henri 1er fonde l’abbaye Saint-Martin-des-Champs, y installe des chanoines réguliers et lui octroie l’immunité (libertas). Dessin de Bruno Baudoin, d’après British Library, Add. 11662 f°4r (CNRS, ARTeHIS UMR 5594).

7 En se fondant sur les différences entre images médiévales et modernes, d’autre part entre images occidentales et byzantines, Tania KAMBOUROVA suivit un mode interdisciplinaire dans l’examen des images provenant de deux manuscrits : l’un, le prototype grec du XIe siècle, le manuscrit grec 74 de la B.n.F. ; l’autre, copié d’après le premier, le manuscrit bulgare du XIVe siècle, le manuscrit Add. 39627, également à la B.n.F. À partir des deux exemples choisis, elle mit en valeur la question sur le sens global du don chrétien, et celui de ses différentes réactualisations par le truchement des personnages historiques contemporains, présents dans les images.

8 Prenant pour base de sa démonstration l’exemple des peintures murales de l’église Saint-Jean-Baptiste d’Origne, au sud de la Gironde, Mélanie TERRISSE revint sur les découvertes faites dans les absidioles nord et sud révélant, tour à tour, la Vie et le Martyre de saint Étienne, la Vie et les Miracles de saint Pierre 10. Quatre séquences furent retenues plus précisément : 1) et 2) la Conversion de Saül sur le chemin de Damas, suivie de la Bénédiction de Pierre à Paul, scène dans laquelle le don de soi apporte un gain moral et honorifique ; 3) la Guérison accomplie par saint Pierre, aidé par Jésus-Christ et donnant aux malades l’extrême onction, séquence montrant le miracle comme un don réalisé sans attente en retour d’un contre-don et affirmant, du même coup, le charisme de celui qui a donné ; 4) le Martyre d’Étienne sur le voûtain nord, en référence iconographique directe avec le sacrifice du Christ, où l’immolation consentie du tout premier ‘témoin’ permet de restaurer l’équilibre et de maintenir les structures sociales à l’intérieur du groupe menacé (en l’occurrence, le Temple) 11. Trois formes de dons sont alors isolées, en rapport les unes avec les autres : d’abord, les formes instituant une relation verticale, un groupe ou une caste dominant les autres ; puis, celles qui restructurent le groupe et lui rendent sa cohérence, en rétablissant une

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mise en relation horizontale ; enfin, celles où les dons extraordinaires sont faits en toute gratuité et s’adressent d’individu à individu, permettant de développer des rapports médians entre les membres du groupe.

9 Dans l’enluminure des manuscrits, Béatrice BEYS a pris en compte cent vingt manuscrits, répartis entre le XIIIe et le XVIe siècle, de Philippe III le Hardi à François 1er, et montré comment le don du livre avait lieu dans l’intimité du souverain, puis de plus en plus en présence de la Cour 12. L’image du don du livre est dépendante du texte, dans sa composition comme dans son insertion dans le manuscrit, visant à idéaliser le métier de roi et proposant la figure d’un nouveau Salomon, puis celle d’un nouveau César, tandis que pour la reine elle devient un miroir de beauté et de vertu.

10 De façon particulière par rapport aux problématiques développées lors de la journée, mais en relation directe avec l’anthropologie, Robert MARCOUX s’est interrogé sur la signification du monumentum chrétien 13 en rapport avec les fonctions locative et mémorielle que saint Augustin lui reconnaissait (De cura pro mortuis gerenda). À partir du milieu du XIIIe siècle, la plate-tombe qui envahit le sol des églises se démarque du reste du dallage par ses mesures grossièrement anthropomorphiques rappelant ainsi la ‘présence’ du défunt, sur le modèle de la complémentarité visuelle entre le contenant et le contenu. Le texte périmétrique et l’effigie confortent, ensemble, l’impression de ‘présence’ au monde, puisqu’ils confèrent au défunt une ‘image’ matérielle à la fois discursive et iconographique. Par son effet de matérialisation, la plate-tombe permet d’identifier le défunt par son double réseau d’appartenance, familial et social, et indique en outre le statut en transition qui est celui du défunt. Scellant la fosse, elle situe le défunt dans le temps de l’attente, ou plutôt dans celui de la gestation par rapport au Jugement dernier.

11 Rappel du programme :

• Béatrice BEYS, Le don du livre et ses modalités de représentation à la cour de France (XIIIe siècle - milieu XVIe siècle). • Tania KAMBOUROVA, Images de pouvoir, images de prières dans l’iconographie byzantine du don. • Eliana MAGNANI, Enregistrer/représenter une donation : acte diplomatique et image dans la ‘Chronique versifiée de Saint-Martin-des-Champs’ (1067-1079). • Robert MARCOUX, La conception du monumentum chrétien au Moyen Âge. • Daniel RUSSO, Histoire de l’art et anthropologie : historiographie et problématiques d’étude. Franz Boas, Aby Warburg, Michael Baxandall. • Mélanie TERRISSE, Peintures murales et donation dans le Midi de la France : pour une approche anthropologique.

NOTES DE FIN

1. D’un regard l’autre. Histoire des regards européens sur l’Afrique, l’Amérique et l’Océanie, dir. Y. LE FUR, Catalogue d’exposition (19 sept. 2006-21 janv. 2007), Paris, 2006, part. p. 12-16.

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2. E. MAGNANI, « Les médiévistes et le don, ou l’imprégnation du modèles maussien », à paraître in EAD. (dir.), Don et sciences sociales. Théories et pratiques croisées, Dijon, 2007. 3. J.-Cl. SCHMITT, « Le rythme des images et de la voix », in Histoire de l’Art, 60 (2007), n. sp. ‘Histoire de l’art et Anthropologie’, p. 3-10. 4. F. BOAS, Primitive Art, Oslo, 1927 (trad. fr. par C. Fraixe, M. Benguigui, Paris, 2003) ; A.- M. WARBURG, Gesammelte Schriften, Hambourg, 1893-1920 (trad. fr. par S. Muller, Paris, 1990, ‘L’esprit et les formes’) ; ID., Le rituel du serpent. Art et anthropologie, éd. J. L. Koerner, Paris, 2003 ; M. BAXANDALL, Painting and Experience in Fifteenth Century Italy, Oxford, 1972 (trad. fr. Paris, 1981, ‘Bibliothèque illustrée des Histoires’) ; Cl. GEERTZ, Local Knowledge. Further Essays in Interpretative Anthropology, New York, 1983 (trad. fr. par D. Paulme, Paris, 1986, ‘Sociologie d’aujourd’hui’, part. p. 129-137). 5. S. PRICE, Arts primitifs ; regards civilisés, Paris, 1995 ; M. MAUZE, « L’éclat de l’haliotide. De la conception du beau dans les sociétés de la côte Nord-Ouest », in Terrain, 32 (1999), p. 83-98. 6. L. BINSWANGER, A.-M. WARBURG, La guérison infinie. Histoire clinique d’Aby Warburg, éd. par D. Stimlli, trad. par M. Renouard, M. Rueff, Arles, 2006. 7. Une exception pionnière, la thèse de doctorat de T. KAMBOUROVA, Le don dans l’image byzantine du souverain, thèse de doctorat, dir. J.-Cl. SCHMITT, E. BAKALOVA, Paris, Sofia (Univ. St. Kliment Ohridski), 2004, à paraître. 8. Londres, British Library, Add. 11662. 9. Actuellement le manuscrit conservé est composé de cinq feuillets et a été amputé d’un feuillet (entre le f°4 et le f°5). On l’a relié au XIXe siècle, avec deux lettres de la même époque et une copie moderne du texte. La Chronique du XIe siècle a été copiée, textes et images réinterprétés, au milieu du XIIIe siècle, probablement par les clunisiens (Paris, BnF, ms. n.a.l. 1359). La copie se trouve à la source de l’édition de J. DEPOIN, Recueil de chartes et documents de Saint-Martin-des-Champs, monastère parisien, vol. 1, (Archives de la France monastique, 13), Ligugé-Paris, 1912, p. 13-23. M. PROU, « Dessins du XIe siècle et peintures du XIIIe siècle », in Revue de l’Art chrétien, 1890, p. 122-128. L’étude de la copie du XIIIe siècle est en cours. 10. M. TERRISSE, Les représentations du don et de la donation dans les peintures murales du sud de la France et du nord ouest de l’Italie, thèse de doctorat, dir. D. RUSSO, Dijon (Université de Bourgogne, ARTeHIS-UMR 5594), en préparation. 11. Pour la lecture des scènes ainsi distinguées, M. GABORIT, Des hystoires et des couleurs. Peintures murales médiévales en Aquitaine, Bordeaux, 2003, p. 198-199. 12. B. BEYS, Le don du livre et ses modes de représentation à la cour de France, XIIIe-milieu du XVIe siècle, thèse de doctorat, dir. F. ROBIN, Montpellier, Université de Montpellier III, 2005. 13. R. MARCOUX, La conception du monumentum chrétien au Moyen Âge, thèse de doctorat sous la direction de D. MEHU ET D. RUSSO, Québec (Université de Montréal), Dijon (Université de Bourgogne, ARTeHIS-UMR 5594), en préparation.

INDEX

Mots-clés : don, iconographie, anthropologie

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Les figures du musicien au Moyen Âge. Figures, discours et images Centre d’études médiévales d’Auxerre, 24-25 mai 2007

Martine Clouzot

1 L’idée d’un atelier sur « Les figures du musicien au Moyen Âge » est née à la Casa de Velasquez à Madrid en juin 2005, lors du colloque organisé par Eliana Magnani sur « Le Moyen Âge vu d’ailleurs ». Je la remercie d’avoir favorisé ainsi des collaborations scientifiques fructueuses et prometteuses, qui se concrétisent grâce au Centre d’études médiévales d’Auxerre et à l’UMR 5594 ARTeHis de l’Université de Bourgogne.

2 Les discussions de cet atelier se sont articulées autour de la question à laquelle les musicologues sont rompus et habitués à répondre : qu’est-ce qu’un musicien ? Cette question a d’emblée été pensée au pluriel, car le terme recouvre une typologie complexe de termes et de formes. Elle s’est posée en trois temps : d’abord, sur le mot, le concept, la figure ; puis sur les usages qui en sont faits selon les contextes ; enfin dialectiquement, en confrontant les vocables et leurs usages insérés dans leur contexte historique. Dès lors, la mention du « musicien » dans un document, qu’il soit d’archives, narratif, figuratif, qu’il soit l’objet lui-même, relève-t-elle d’un concept, d’une idée, a-t- elle un usage ? Quelles significations et quelles finalités ce mot, cette figure, ce personnage revêtent-ils dans le document, dans la société, dans la pensée des auteurs qui les évoquent ? Le terme n’apparaissant pas, semble-t-il, dans les documents médiévaux en français, nous sommes partis du latin : le musicus. Musicus, cantor et poète 3 Chez saint Augustin et chez Boèce, le musicus est l’homme libre qui maîtrise l’art libéral de la musica d’où il tire son nom. À partir de l’orphisme pythagoricien, puis de Platon et Aristote, ces deux autorités n’ont jamais défini la musica comme une pratique de l’art musical, mais comme un ordre transcendant que l’on approche par la spéculation théorique, par la theoria au sens de « contemplation » 1. Elle est conçue comme activité spirituelle qui repose sur la contemplation des principes mêmes de cet art. Dans l’ordre antique des disciplines du savoir, la musica est la science du Nombre, du numerus et fait partie du quadrivium, des sciences mathématiques qui mesurent et relient le monde terrestre et céleste. C’est pourquoi Boèce le platonicien a enseigné au Moyen Âge à

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penser non pas sur la musique, mais selon la musique, selon ses principes et ses signes : les trois musiques boéciennes exposent cette conception universelle : la musica instrumentalis qui est produite par l’homme et la technique instrumentale et la voix, la musica humana qui se révèle à l’homme lorsqu’il descend en lui-même et découvre dans son microcosme les lois qui gouvernent le macrocosme, enfin la musica mundana dont l’harmonie gouverne l’univers 2 - c’est le Timée de Platon.

4 Parallèlement à cette classification tripartite, Boèce a divisé l’art musical en trois types de « musiciens », dans le chapitre intitulé « Quid sit musicus » du De Musica. Le premier genre exclut les joueurs d’instruments de la spéculation musicale - c’est en quelque sorte le héraut d’armes, instrumentiste, originaire du monde des ménestrels, que Maria NARBONA a étudié à la cour de Charles III roi de Navarre au XIV e siècle. Le deuxième genre de musicus boécien regroupe les poètes qui composent par instinct naturel plutôt que par spéculation ; leurs poésies restent alors en dehors de la musique - nous trouvons là le jongleur de Silvère MENÉGALDO et les poètes du Tournois de Chauvency de Jean-Marie FRITZ. Enfin le 3e genre est celui du musicien authentique qui pense selon la musique, qui est capable de juger des modes, des rythmes, des chansons, des poèmes, incarné par les « figures de compositeurs » présentées par Eduardo AUBERT, Étienne ANHEIM, David FIALA, Gregor METZIG. Toutefois, il sera nécessaire de nuancer la part de la pensée boécienne dans la culture musicale au tournant des XIIIe et XIVe siècles.

5 L’étude d’Eduardo AUBERT sur « Figuration de la musique et musicalité de la figure : les miniatures et les neumes dans le tonaire d’Auch (BnF, ms. lat. 1118) » a en effet démontré de façon très convaincante le système dynamique et cohérent, visuel et sonore, qui structure d’une part l’écriture, l’iconographie, le chant, d’autre part les rapports de lecture dynamique et de geste musical entre le manuscrit et son lecteur. On peut penser, comme l’a proposé Daniel RUSSO, que le manuscrit a été conçu comme un objet-medium, dont l’iconographie « iconise » les mouvements du chant selon Eduardo Aubert. En avançant dans le temps, Étienne Anheim a mis en évidence le « compositeur-auteur » dont la figure émerge au tournant des années 1275 à Paris autour du fameux traité de l’Anonyme IV, qui convoque les figures d’autorité du « compositeur » que sont Léonin, Pérotin ; annonçant ainsi la « figure d’auteur » revendiquée, identifiée, exemplifiée et intériorisée, notamment par Guillaume de Machaut, Pétrarque. Étienne Anheim a montré la genèse du statut de compositeur, à partir du verbe componere (et non du mot compositor) dans l’espace canonial, puis curial du XIVe siècle. Au XVe siècle, le « compositeur » citant son nom dans ses œuvres est interprété, à juste titre, par David Fiala, comme une « figure musicale de la nomination » qui relève d’une mise en scène de l’individu, d’autoportrait, d’autobiographie musicale, notamment chez Guillaume Du Fay, Gilles Binchois, Ockeghem, Johannes Tinctoris, Josquin Desprez.

6 D’autres usages de la parole musicienne transitent par le « musicien », certes souvent au détriment de l’art musical, mais au profit d’une autre harmonie, sociale et politique. Le « musicien » est aussi le poète qui, pour composer, joint l’expérience de la theoria musicale à la connaissance technique du langage et à une sagesse inspirée 3. Le numerus est dans ce contexte l’équivalent latin du grec rhythmus ; tous deux introduisent une « rationalité musicale » dans l’écriture et la parole poétiques, par le mouvement réglé des vers, des rimes, des sonorités. C’est le mariage des arts 4, et en particulier celui de la musique du quadrivium avec la grammaire du trivium qui, depuis l’Antiquité, et surtout depuis Augustin et Boèce, unit le musicus au poète. Empreinte et science de la lettre,

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(gramma), la grammaire rend audible la parole mesurée par le rythme et le nombre, elle donne corps à l’écriture musicale par ses signes et ses figures. Le poète, ou plus exactement le « facteur », le « faiseur », « l’ouvrier » (aristotélicien), mais aussi « l’acteur », « l’aucteur », le « rimeur », le « versifieur », sont autant de termes pour nommer un autre « musicien » dont les activités sont orientées vers l’action « agere ». Le « poète » désigne ses ancêtres de l’Antiquité, les devins de la fable, les prophètes le vates. Mais l’art du « faiseur » à partir du milieu du XIVe siècle s’appelle la poésie ou « poétrie », qui raconte les histoires (fictives) les plus nobles, elles sont empruntées à la mythologie antique, à la « fiction » mythique dont le poète réactualise la mémoire. Le poète Jacques Bretel a composé son récit du Tournois de Chauvency (1285, Lorraine) comme une partition musicale, en jouant sur une large palette sonore de cris de hérauts, d’instruments de musique, de chants, de bruits de bataille, mais aussi de rythmes et de couleurs : le manuscrit est par le texte lyrique, les images et l’héraldique, un objet musical. Jean-Marie Fritz a fort bien montré comment Jacques Bretel s’est mis en scène tout au long du poème à la fois comme « narrateur », «auteur » du livre, spectateur et « acteur » du tournoi. De même, le héraut d’armes analysé par Maria Narbona joue un rôle central dans l’économie politique et cérémonielle de la cour : maître de cérémonie, il est un « maître de la parole » qui annonce, par la voix et au son de la trompette, les familles de la noblesse dont il crie et décrit les armoiries, les situant ainsi selon un protocole hiérarchique à la cour et dans la société aristocratique. Des compositeurs de haut niveau ont contribué idéalement à l’harmonie politique. Heinrich Isaac au service du pape Léon X, puis « maître de musique » de l’empereur germanique Maximilien Ier, illustre le statut politique du musicus à travers le rôle diplomatique de la musique : Gregor Metzig a démontré que la composition des motets pour l’empereur est une action politique qui vaut comme moyen de communication entre Maximilien Ier et Léon X.

7 En revanche, il est un autre type de « musicien » qui ne favorise pas l’harmonie sociale et universelle, alors qu’il use des mêmes « outils », la parole, l’instrument, la mémoire : c’est le jongleur dont Silvère Menégaldo a analysé les très rares occurrences dans la lyrique d’oïl en posant la question du statut du poète et de son œuvre ; pour saisir le mot et le personnage il faut se référer à d’autres éléments thématiques, tels que l’amour, la nature, la sincérité, la musique, la rétribution, la folle vie, la joie de vivre. Le jongleur tire ses origines des auteurs antiques. Tour à tour histrion virtuose dans la tradition de saint Jérôme, de saint Augustin, il est le concurrent du troubadour et du trouvère à partir du XIIe siècle, concurrent dans l’action de « trover », de tropare, c’est- à-dire de « tourner le langage en figure », en versus, de « renouveler la forme d’un texte ou d’une mélodie », « d’inventer », de « trouver » 5. Ses paroles sont à l’image de son jeu d’acteur : une gesticulatio terme qui a été violemment pris à partie tout au long du Moyen Âge. Contrairement au vrai poète, le jongleur est un imitateur qui n’a pas la mémoire exacte des histoires et des gestes mythiques. Il raconte avec son corps, avec sa voix et sa musique, une histoire au sens romain d’istoria, c’est-à-dire de spectacle dont les risques d’excès et d’idolâtrie ont provoqué les condamnations des moralistes, depuis Tertullien, puis saint Augustin. Le jongleur jongle avec sa voix et son corps, il chante. Il trouve en bien des points son prolongement à la Renaissance italienne chez le cantimbanco décrit par Florence ALAZARD comme le chanteur de la place publique, musicien rangé parmi les oisifs et les truands, tout en remplissant les rôles de médiateur des cultures communes et partagées entre les élites et le peuple, de porte- voix des citadins et de figure politique. Dès lors, le jongleur, serait-il une figure, non du

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jongleur en tant que personnage social, mais une figure de rhétorique : une figure du mot joculator (jongler avec les mots, les sons, les rimes), une figure de sens (tropes), une figure de style, d’éloquence corporelle, une figure de construction (qui joue sur l’inversion - des mots et du corps), une figure de pensée (allégorique, ironique) ? Comment et pourquoi sert-il à transmettre des discours sur l’âme, le corps, le salut, le plaisir, le savoir, la mémoire, l’ordre social ? Figures et discours 8 De la figure étymologique à la figure rhétorique, nous pouvons questionner le « musicien » sur ses autres figures, celle qui transcrivent leur aspect visible, leur configuration visible. Les « musiciens » sculptés dans le bois des stalles de chœur des XVe et XVIe siècles, présentés par Frédéric BILLIET à partir de sa riche base de données, appartiennent-ils à des thèmes iconographiques de la musique, sont-ils la « représentation » d’un motif anecdotique, proverbial, historique (au sens de récit) guidée par des codes iconographiques et des attributs ? Par leur fonctionnement même, par leur matérialité, leur mise en scène, l’agencement de leurs formes, les images des « musiciens » ont-elles une finalité, remplissent-elles une fonction 6, ont-elles une efficacité symbolique, provoquent-elles des effets ? Dépassent-elles leur aspect formel pour servir un discours autre ? À partir du livre d’Heures de Jeanne d’Evreux (New York, Cloisters Museum, ms. 54.1.2., vers 1325) et d’un missel conservé à Montpellier (BM, ms. 261, vers 1350), enluminés par Jean Pucelle, Béatrice BEYS a évoqué les « musiciens » hybrides et grotesques des peintures marginales. À partir de cet appareil figuratif qui encadre les feuillets, Daniel Russo a soulevé le problème essentiel du statut de l’intrument en rapport à ces livres et à ce types de “musiciens” : figure-t-on la musique pour elle-même ? Dans ce cas de figures de musiciens ne serait-il pas en effet question, d’après notre perception, de défigurer plus que de figurer, ou bien « figurer» signifie aussi « défigurer». D’où l’interprétation que donne Georges Didi-Huberman du verbe « figurer » 7 : figurer une chose, c’est la signifier par autre chose que son seul aspect visible et extérieur.

9 Les « figures » des musiciens sont certainement avant tout des modes d’accès à la compréhension d’autres formes de discours. Elles inviteraient alors à penser et à parler selon la musique, pour reprendre la formule de Boèce, et non sur les musiciens. Car les discours dépassent les « figures » tant qu’ils traitent non des musiciens en eux-mêmes, mais de la musique et de son fondement pythagoricien et platonicien : le nombre, comme principe et comme action : le mouvement rythmé. La transmission de ce principe rythmique fondamental s’est portée sur la figure des signes – l’écriture musicale, les mouvements de la main guidonienne –, sur la production des sons (la voix, les instruments) et sur leur écoute (leur réception, leur compréhension rationnelle, leur pouvoir sur les sens et les émotions). La spéculation musicale emprunte à partir du XIVe siècle d’autres voies pour manifester l’harmonie universelle, le nombre en mouvement harmonieux et bien réglé. Avec « les engrenages musiciens. L’horloge et la figuration de la musique de l’univers au Moyen Âge », Philippe CORDEZ a donné à voir des objets « merveilleux » alliant des images cinétiques à une musique audible de l’harmonie divine. Les horloges astronomiques (celles de Gdansk, Lund, Bourges) les automates d’horloges (le coq, le papotier et le gueulard de Strasbourg) et l’orgue, sont tout à la fois musica, rythme, mouvement mesuré, musici. Ces engrenages ne forment-ils pas un bel exemple de « figure » dépassée par sa propre fonction – mesurer les mouvements du temps, indiquer l’heure –, de figure transformée par ce qu’elle

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« préfigure » : sur terre, sous l’aspect visible d’une image mécanique, les automates « préfigureraient » l’harmonie du monde et de son « horloger » : la figure de Dieu musicien. Ils rappellent, par leur matérialité mathématique et sonore, que la musica est liée à l’astronomie dans le quadrivium et qu’elle est un rapport entre « tout ». Expérience théorique et technique, elle relie la terre au ciel, en invitant l’homme à contempler la beauté de l’harmonie universelle.

10 Cette présentation et cette synthèse générales des définitions de la musica et du musicus, visent à réfléchir sur un objet commun d’étude - les figures du musicien –afin d’en dégager les discours que transmettaient ces figures au Moyen Âge et ce qu’elles nous ont transmis à nous historiens de l’art, musicologues, historiens de la littérature et historiens. En partant de la musique, de sa place dans la pensée et dans la société médiévales, les « figures des musiciens » nous invitent à réfléchir sur la nature, sur la mémoire et sur les objets.

11 Chacun de ces termes pouvant être pensé et relié selon la musique, ils constitueront les axes d’un prochain atelier en 2009.

12 Rappel du programme :

• Florence ALAZARD, Le cantimbanco, figure du musicien dans les villes de la Renaissance italienne. • Etienne ANHEIM, La figure du compositeur entre le XIIIe et le début du XVe siècle. • Eduardo AUBERT, Figuration de la musique et musicalité de la figure : les miniatures et les neumes dans le tonaire d’Auch (Paris, BnF, ms. lat. 1118). • Béatrice BEYS, Vers le Paradis ou l’Enfer : les musiciens des marges de Jean Pucelle et de ses épigones. • Frédéric BILLIET, Les figures musiciennes dans les stalles de chœur. • Martine CLOUZOT, Le jongleur, serviteur ou miroir du prince aux XIIIe et XIVe siècles ? • Philippe CORDEZ, Les engrenages musiciens. L’horloge et la figuration de la musique de l’univers au Moyen Âge. • David FIALA, Le nom propre en musique : noms de compositeurs dans leurs œuvres de Du Fay à Josquin. • Jean-Marie FRITZ, Figures du musicien dans le Tournoi de Chauvency de Jacques Bretel. • Silvere MÉNÉGALDO, Les « Figures du jongleur dans la lyrique d'oïl » • Gregor METZIG, Heinrich Isaac (1450-1517). Musique et Diplomatie au service de l’empereur Maximilien Ier. • Maria NARBONA CÀRCELES, Le héraut d’armes dans les officines d’armes en Europe à la fin du XIVe siècle.

NOTES

1. R. DRAGONETTI, « Le mariage des arts au Moyen Âge », in Littérature et musique, Bruxelles, 1982, p. 59-73, ici p. 59 (Publications des Facultés universitaires Saint Louis, n° 28). 2. R. DRAGONETTI, « Le mariage des arts... », ibid., p. 61.

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3. M. Zink, Poèsie et conversion, Paris, 2003. 4. Fixé par MARTIANUS CAPELLA dans les Noces de Philologie et de Mercure au Ve siècle. 5. Voir les travaux de référence de Paul Zumthor, Michel Zink, Roger Dragonetti. 6. G. DIDI-HUBERMAN, « Imitation, représentation, fonction. Remarques sur un mythe épistémologique », in L’image. Fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, Paris, 1996, p. 59-86. 7. G. DIDI-HUBERMAN, Fra Angelico. Dissemblance et figuration, Paris, 1995, p. 232.

INDEX

Mots-clés : musicien

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Projets de recherche

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La musique, un art de gouverner. Jongleurs, ménestrels et fous dans les cours royales et princières du XIIIe au XVe siècle (France, Bourgogne, Angleterre, Empire) Projet d’habilitation

Martine Clouzot

1 Rappel du sujet : sources, problématiques et perspectives

2 « Les musiciens » ont fait l’objet d’une première recherche dans le cadre de ma thèse dirigée par Jean-Claude Schmitt à l’EHESS. Le croisement des différentes sources des XIIIe, XIVe et XVe siècles - archives (comptabilités, enquêtes criminelles, mémoires), textes théologiques et normatifs, traités scientifiques (musicaux, encyclopédiques, médicaux, astrologiques, bestiaires, etc.), sources littéraires et images (manuscrits enluminés) – a mis en évidence d’une part des types de musiciens (jongleurs, ménestrels, compositeurs, fous, frères Mendiants, clercs, rois) aux statuts et aux fonctions sociales identifiables, qui mettent en œuvre des pratiques et des performances musicales variées selon les contextes et les milieux socioculturels qui les emploient et les auteurs qui les décrivent. Au-delà des aspects sociologiques du sujet, ces mêmes sources textuelles et iconographiques présentent les musiciens comme des figures de discours porteuses de valeurs et de normes dont la destination morale et sociale dépasse de loin le seul groupe des musiciens et engage l’ensemble de la société. Toutefois, quelles qu’elles soient (de nature juridique, médicale ou lyrique), les sources sur les musiciens définissent et véhiculent toujours les fondements (antiques) de la musique : une pratique et une science qui ordonnent la société des hommes et la désordonnent dans le cadre de rituels réglés dans le temps et l’espace (urbains, ecclésiastiques, princiers) ; un savoir universel et surnaturel porté et transmis par des figures d’autorité (Orphée, Pythagore, Musica, le roi David, les anges, le poète, le cantor)

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qui servent de lien entre la société terrestre et l’ordre céleste selon une cosmologie qui vise à comprendre et à interpréter l’harmonie du monde créé par Dieu.

3 De là, d’autres personnages et figures a priori éloignés de la musique et évoluant plus spécifiquement dans l’entourage du prince, du pouvoir et des cours, apparaissent plus précisément comme les véritables détenteurs d’un savoir et d’un pouvoir qui, depuis l’Antiquité, relèvent pleinement de la musique. C’est particulièrement à partir du personnage du jongleur que le sujet s’ouvre à ces « serviteurs de la voix ». En effet, l’étude étymologique du jongleur, de ses dérivés, ainsi que la définition de ses activités peut principalement être menée à partir des sermons et des sommes des dominicains et franciscains, prédicateurs et théologiens (Pierre le Chantre, Gilles de Corbeil, Thomas Chobham, Guillaume Peyraut, Thomas d’Aquin, etc.), de la littérature mariale et miraculeuse (les Cantiques à la Vierge Marie de Gautier de Coincy, les Cantigas de Santa Maria du roi Alphonse X le Sage, le Saint Voult de Luques), de la littérature courtoise (chanson de geste, roman et poésie lyrique), et de quelques actes de la pratique (testaments, donations avec jongleurs comme témoins, fondations confraternelles, cadeaux et rémunérations princières, enquêtes et jugements de la justice criminelle) très intéressants, rares et peu connus. Dans ces textes, parfois illustrés, le jongleur est relié à l’enchanteur, au prestidigitateur, au sot, au parleur et au ménestrel, à travers lesquels les moralistes et les chroniqueurs trouvent un miroir indispensable à leurs réflexions sur l’homme chrétien, la société et son gouvernement. Les quelques études réalisées sur le jongleur 1 font cesser l’existence du personnage après le XIIIe siècle. Or je compte montrer à partir des sources littéraires et historiques (en particulier les chroniques) et des actes de la pratique (judiciaires et comptables), que le jongleur est au cours des derniers siècles du Moyen Âge toujours cité comme porteur de valeurs éthiques et sociales. Une étude approfondie dans la diachronie visera alors de mettre en perspective la figure de discours et le personnage social du XIIIe au XVe siècle. Elle est accompagnée de l’examen étymologique des personnages associés au terme jongleur. Ce travail est bien avancé, mais le manque de temps ne m’a pas encore permis de réaliser la synthèse des termes et de la typologie des jongleurs. Or sans une vision complète et globale des dénominations et donc des figures dans les différentes sources, l’aboutissement du sujet n’est guère possible. Car les « serviteurs de la voix » concernent, sous l’angle de la musique, des personnages a priori aussi divers que le fou de cour, le poète, l’astrologue ou le physicien au service du prince. Partant de l’idée directrice que c’est la musica qui est à la source d’une part de leurs compétences et de leur pouvoir (j’insiste sur ce terme), d’autre part de leur figure (mythique, antique, théologique), ces « serviteurs » de second rang, comparés aux grands officiers et aux grands conseillers, peuvent être étudiés en trois points.

4 Tout d’abord, ils ont pour « instruments » la voix. Par la voix chantée, déclamée ou incantatoire, publique ou secrète, ils délivrent une parole de vérité ou de mensonge, de sagesse ou de folie fondée sur un savoir et faisant appel à la mémoire : le poète cherche à se démarquer du jongleur au début de ses chansons en vantant sa mémoire et sa maîtrise de la rhétorique par exemple, mais il peut aussi assumer et revendiquer son rôle de fou (François Villon) ; le fou et/ou le sage (Merlin par exemple) met en garde le roi envers les mauvais conseillers, inversant l’ordre de la sagesse et de la folie au sein de la cour, etc. La voix est renforcée par les gestes et les métamorphoses du corps qui créent l’illusion de la mimesis, la tromperie, et suscitent aussi bien l’émerveillement, le plaisir que la répulsion. Les exemples du poète, du jongleur et du fou, dont les corps grotesques et la parole ludique provoquent la frénésie et le rire carnavalesques sont

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probants dans les fabliaux, les lais, la poésie satirique. Ils posent la question du statut de leurs auteurs dans la société curiale, oscillant entre le clerc et le bouffon, entre le savant et le parasite, ainsi que celle de la « performance » (cf. Paul Zumthor) aussi bien du texte écrit que de son expression orale, dont ces personnages sont les axes de communication musicale et esthétique. Le poète, le jongleur et le fou révèlent également les rapports ambigus de ces personnages doubles avec le pouvoir et l’action politique. La parole satirique et ironique traduite dans les textes littéraires instruit le prince sur la puissance et les dangers du langage, sur sa jovialité et ses leurres qui, a contrario et paradoxalement, désacralisent le pouvoir.

5 Deuxièmement, la voix de ces serviteurs correspond à des usages et à des fonctions dans le gouvernement du prince, transmis par la littérature morale et politique, les « miroirs » et les « régimes des princes ». Car la voix est révélatrice d’un pouvoir considéré comme surnaturel, divin, inspiré, voire initié, qui leur donne une autorité officielle ou officieuse, c’est ce qu’il faudra démontrer, pour conseiller le prince. Le désir de celui-ci de connaître son destin et de maîtriser son règne, ainsi que sa volonté de détenir lui aussi un pouvoir supérieur sur le commun des mortels (c’est-à-dire ses proches et l’ensemble de la société) impliquent l’acquisition de pouvoirs et de connaissances hors du commun, voire « occultes ». Le savoir du prince l’autorise à exercer le pouvoir. Cette idée aristotélicienne parcourt les textes et leur iconographie musicale : les chroniques et les mémoires (Olivier de la Marche, Georges Chastellain, Enguerran de Monstrelet, Philippe de Commynes, etc.), les encyclopédies (Le Livre du Trésor de Brunetto Latini, le Livre des Propriétés des choses de Barthélemy l’Anglais, les bestiaires, les Miroirs de Vincent de Beauvais, etc.), les romans allégoriques (le Roman de la Rose, le Roman de Fauvel, les romans arthuriens en prose, les œuvres de Guillaume de Machaut, les Ballades d’Eustache Deschamps, les poésies d’Alain Chartier, celles de François Villon, les œuvres de Christine de Pisan, etc.), les régimes des princes (la traduction du Policraticus de Jean de Salisbury par Denis Foulechat pour Charles V, celle du De regimine principum de Gilles de Rome par Henri de Gauchy, les miroirs de Christine de Pisan, Le Songe du Vieil Pèlerin de Philippe de Mézières, etc.). Il s’agira de montrer si cette idée philosophique peut paradoxalement être un facteur d’explication de la présence grandissante tout au long des XIIIe, XIVe et XVe siècles de ces personnages doubles et apparemment secondaires que sont les fous, les poètes et les astrologues auprès des princes. Les événements politiques et historiques, dont le basculement se situe au moment de la folie de Charles VI en 1393, ont accéléré cette nouveauté sociale et curiale ou, tout au moins, ont fait que les auteurs ont accordé plus d’importance ou ont eu davantage recours à ces personnages dans leur discours au service du prince. Dès lors, le fou, souvent musicien, le poète, le ménestrel, l’astrologue, sont très nettement plus présents dans les sources, notamment dans les miniatures des œuvres citées plus haut dont le répertoire thématique ne cesse de s’enrichir en particulier à partir de la fin du XIVe siècle au début du règne et du mécénat des ducs Valois en Bourgogne, à Paris et bientôt dans les Pays-Bas bourguignons.

6 Toutefois, l’étude de l’iconographie des manuscrits princiers et royaux doit être élargie à des images peut-être moins « musicales » dans les formes, mais davantage dans le sens philosophique de la musica. Il s’agit notamment des scènes de l’histoire romaine, comme celles de l’empereur recevant le conseil des sénateurs, ou celles des philosophes experts en « art magique » ; des scènes de l’histoire sainte telles que celle du roi instruit par un clerc ou un évêque, ou les vies de saint Jacques et Hermogène, de Symon l’enchanteur, de Cyprien l’enchanteur, de Josaphat, etc., et des frontispices des

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prologues de livres politico-didactiques comme par exemple la Cité de Dieu de saint Augustin dans la traduction de Raoul de Presles. Je voudrais montrer que les cycles iconographiques de ces manuscrits princiers, ainsi que les rapports entre ces images et les textes qu’elles illustrent, délivrent un véritable enseignement sur les « propriétés des choses » créées par Dieu, dont le prince doit avoir une connaissance profonde grâce aux savants de sa cour (clercs, fous, astrologues). Ainsi mise en image, cette « connaissance du monde » nécessaire au prince dans l’exercice du pouvoir vise à enseigner et à montrer que son savoir est un signe fort de sa dignité. Il se doit en effet d’être « sage parleur », maîtrisant aussi bien l’écriture que la parole efficace, afin de s’imposer par un discours conforme à la dignité de sa charge face à ses conseillers et à son peuple. La figure du roi-philosophe et musicien, initiée par Platon et Aristote, connaît des développements significatifs, particulièrement dans le contexte politique troublé des XIVe et XVe siècles. Cette figure dépasse le modèle du roi David harpiste, très répandu depuis l’époque carolingienne, pour dévoiler un roi plus humain, voire plus humaniste, dont l’art de gouverner est conçu et représenté avec toutes ses difficultés, ses défaillances et même ses vices, surtout à partir de Charles VI. Pour reconstituer l’évolution de la figure du roi à travers l’iconographie musicale, l’examen approfondi des livres politiques et didactiques enluminés des XIVe et XVe siècles doit être réalisé. Il constitue une grande partie de mes recherches à la Bibliothèque nationale de France, à la Bibliothèque royale de Belgique, à la British Library de Londres et à la Staatsbibliothek de Berlin (qui relève du Preussischer Kulturbesitz propriétaire de plusieurs précieux manuscrits flamands et bourguignons de la fin du XVe siècle). L’état actuel de l’examen des manuscrits me permet d’en rédiger une synthèse.

7 Enfin, pour expliquer les raisons de la présence des « serviteurs de la voix » auprès du prince et leurs statuts dans l’univers curial, il conviendra de définir la nature de ces personnages dans une perspective anthropologique. Car de leur nature découle la spécificité de leur savoir et, par conséquent, de leur « voix » auprès du prince. Leur « voix » en effet est de nature musicale et recèle l’essence de la musique. Science du quadrivium, la musica a pour fondement les lois mathématiques de l’univers. De nature cosmologique, elle anime et symbolise l’harmonie du monde créé par Dieu. Elle met en rapport et en mouvement non seulement le macrocosme et le microcosme, mais aussi l’être humain (corps et âme) et la Création (la Nature animale, végétale, minéral, le cycle des saisons, les vents, les humeurs, etc.). Or les personnages qui nous intéressent sont entièrement liés à la musique et aux propriétés du monde créé par Dieu. Depuis ses origines orphiques (c’est-à-dire animales, naturelles et liées du monde de morts), pythagoriciennes (le Nombre en toute chose), platoniciennes et aristotéliciennes (l’harmonie du monde et de la cité politique) et divines, la musica est tout entière synthétisée et rendue visible par ces « marginaux de la cour » à travers leurs modes de comportement (sociaux et moraux – la force quasi magique de leurs paroles et de leurs gestes, la vie dissolue, leur sociabilité marginale y compris à la cour). D’origine mi- humaine, mi-animale, c’est-à-dire surnaturelle, fous, jongleurs, astrologues, poètes dialoguent avec l’univers, avec la nature et l’au-delà : le lien qu’ils établissent entre les hommes et le monde est d’ordre musical. Que leur accès aux vérités divines et surnaturelles provienne de la simplicité de leur esprit (les fous ?), d’un savoir acquis intellectuellement ou d’une sagesse innée (le poète, l’astrologue, le conseiller, le ménestrel), ils sont considérés comme étant détenteurs d’une puissance divinatoire et prophétique, réelle ou simulée, qui leur confère une place et des fonctions à part à la

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cour. Les récits merveilleux (les mirabilia) engageant les notions de superstitio, d’ admiratio et de curiositas, insistent particulièrement sur la dimension surnaturelle et musicale des fous, des jongleurs, et autres prestidigitateurs du pouvoir. Nous touchons là à ce que Jean-Claude Schmitt avait appelé une « anthropologie du croire ».

8 Le pouvoir « médiatique » entre le visible et l’invisible de ces être doubles est perçu dans les sources, qu’elles soient archivistiques ou narratives, comme la manifestation d’un don, le don de métamorphose, qui est sans doute la raison de leur pouvoir. Dans son côté négatif, ce don de métamorphose est vu comme un simulacre, caractéristique de pouvoirs suspects et diaboliques, allant de l’accusation de tricherie chez les prédicateurs du XIIIe siècle à l’encontre du jongleur, à la suspicion de folie ou de manipulation politique à l’égard du fou et des mauvais conseillers, chez les chroniqueurs curiaux des XIVe et XVe siècles. Dans son versant positif, ce don de métamorphose est marqué par une origine divine et peut favoriser aussi bien la conversion morale (Merlin, le jongleur par exemple) que la puissance politique (l’histoire d’Alexandre le Grand dans les romans des XIVe et XVe siècles, en particulier à la cour de Bourgogne). Par leur origine surnaturelle et leur savoir « extraordinaire », fous, jongleurs et conseillers de l’ombre, astrologues sont fondamentalement liés au sacré ; qu’ils le servent ou non, dans tous les cas ils l’interprètent et en sont les media par la parole ordonnée ou par la musique du désordre. Or, le sacré étant la référence fondamentale du pouvoir, les « serviteurs de la voix » lui sont entièrement liés par leurs origines, leur nature, la musique de leurs paroles et de leurs gestes, leur connaissance de la musique et leurs dons surnaturels. Aussi existe-t-il une véritable interaction entre le prince et ces « petits serviteurs » initiés : le prince a besoin de leur voix pour gouverner, d’écouter (ou non) leur parole de savoir, de sagesse ou de folie ; en retour, leur « voix » n’a d’existence et d’influence que si elle est concrétisée, mise en acte, par l’exercice du pouvoir princier. Les rapports du politique avec ces personnages démontrent combien la musique est tout autant une science mathématique du quadrivium qu’un art du discours rhétorique du trivium. La dimension savante de la musique est entièrement envisagée et présente dans les figures du fou, du jongleur, du ménestrel, du poète, etc.

9 L’interdépendance entre ces figures et le prince évolue à travers des liens en apparence fragiles, mais les enjeux et les intérêts des protagonistes sont suffisamment fondamentaux (le pouvoir et sa sacralité) pour s’avérer solides. Nous verrons en effet que les scènes de « divertissement » en musique à la cour, décrites du XIIIe au XVe siècle dans les livres enluminés, dans les comptabilités princières et dans les sources narratives ne montrent pas seulement des « amuseurs » de cour. La musique et la danse dans la société courtoise, en particulier dans les cours de France et de Bourgogne aux XIVe et XVe siècles, relèvent davantage de l’idée d’harmonie du monde et du sage gouvernement que de la « représentation » littérale du « divertissement » dont il convient de revenir sur les définitions. L’envers de cet ordre politique et musical n’a toutefois d’égal que sa condamnation tout au long du Moyen Âge et, avec lui, le bannissement des jongleurs et autres prestidigitateurs, y compris dans les cours quand ils représentent un danger moral et politique pour le pouvoir. Nous verrons que les deux versants de ces personnages (le statut à la cour ou l’exclusion) ne s’opposent pas, mais sont l’expression d’une part des typologies des sources et de leurs auteurs, d’autre part de la chronologie des événements politiques et des transformations du pouvoir royal et princier du XIIIe au XVe siècle. Aussi l’étude de ces « serviteurs de la voix » dans le monde curial empruntera-t-elle d’autres voies que celle des grands conseillers

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et personnages officiels par lesquelles le gouvernement et le pouvoir princiers ont été étudiées depuis plusieurs générations d’historiens.

10 Ainsi, je cherche à montrer dans ma thèse d’habilitation que la musique en tant que phénomène social a pleinement sa place dans le champ de l’anthropologie historique et de l’histoire sociale. Mais, en tant qu’historienne, je ne m’attache pas seulement aux « musiciens » en tant que tels, car d’après le projet de recherche que je viens d‘exposer, il semblerait qu’ils ne sont peut-être pas les acteurs et les figures les plus intimement liés à l’essence de la musique. À partir du même type de sources documentaires nécessaires à l’étude des musiciens, j’élargis ma recherche aux « serviteurs de la voix » dans le monde curial, c’est-à-dire aux figures musiciennes dont l’existence et le statut sont conditionnés par le pouvoir princier, par ses rituels, par ses cérémonies et par ses modes de gouvernement du XIIIe au XVe siècle. Fous, jongleurs, ménestrels, prestidigitateurs, poètes, astrologues, constituent autant de figures exemplaires à destination du prince, et dont les valeurs divergent selon les contextes : figures marquées par la piété mendiante et l’idée de conversion des mœurs au XIIIe siècle ; par les développements de l’art rhétorique, du savoir humaniste et du gouvernement juste et sage aux XIVe et XVe siècles, chacune d’elles vise au gré des auteurs et des sources qui les instrumentalisent un idéal qui les dépasse. Chacune de ces figures porte un idéal de distinction morale et sociale qui lui assigne une place dans l’ordre du monde : idéal du clerc qui, en tant qu’auteur veut se distinguer du jongleur et du fou ; idéal du prince qui, en tant que détenteur du savoir et du pouvoir ne peut être fou ou jongleur ; idéal de l’harmonie du monde pensée selon les conceptions philosophiques et théologiques de la musique héritée de l’Antiquité.

NOTES

1. E. FARAL, Les jongleurs au Moyen Âge, Paris, 1910. R. MENÉNDEZ PIDAL, Poesia juglaresca y juglares, Madrid, 1924. W. SALMEN, Der fahrende Musiker im europäischen Mittelalter, A. SCHREIER-HORNUNG, Spielleute, Fahrende, Haussenseiter : Künstler der mittelalterlichen, Göppingen, 1981. W. SALMEN, Der Spielmann im Mittelalter, Innsbrück, 1983. E. SCHUBERT, « Spielmann, -leute », in Lexikon des Mittelalters, VII, 1995, p. 2112-13. W. HARTUNG, Die Spielleute im Mittelalter. Gaukler, Dichter, Musikanten, Düsseldorf-Zürich, 2003.

INDEX

Index géographique : France/Bourgogne, France, Angleterre, Empire Mots-clés : cour princière, musique, jongleur, ménestrel, fou, cour royale

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Musique et Architecture : théories, composition, théologie (XIIIe-XVIIe siècles)

Vasco Zara

1 C’est sous l’égide du Nombre que les architectes d’abord, les musiciens ensuite et les historiens en dernier, ont essayé de concilier les lois de composition architecturale avec les préceptes de la théorie musicale. Nombre sonore, ou mieux : la proportio découverte par Pythagore à l’écoute d’un forgeron. 1 : 2, 2 : 3, 3 : 4 – diapason, diapente, diatesseron : par la ratio mathématique qui établit correctement les rapports des parties, on entend résonner l’harmonia d’Apollon et ses Muses ainsi que la structure architecturale du cosmos, humano et mundano. Tel que saint Augustin semble l’avoir affirmé, musique et architecture sont donc perçues comme sciences sœurs : les seules au Moyen Âge à illustrer consubstantiellement la scission entre théorie et pratique. Mais si la science de l’espace s’y voit bientôt contrainte par les entraves du travail humain, au contraire la scientia du temps retrouve son assise légitime dans les curricula philosophiques et libérales. Ancienne déférence littéraire ou authentique héritage légué par le Quadrivium ? Si la référence musicale est explicite dans les traités d’architecture de la Renaissance (qu’il s’agisse de la concinnitas d’Alberti d’ascendance stoïcienne et cicéronienne, ou de l’organicisme des projets de Palladio), le poids se révèle autrement aléatoire : que retrouve-t-on effectivement au passage du papier à la fabrica ? Encore plus pressant apparaît le doute quant aux chantiers médiévaux, surchargés par une interprétation symbolique souvent outre mesure (du compas comme de la gamme). Les réponses – non univoques – données jusque là, esquissent néanmoins deux différentes modalités d’approche épistémologique : 1. musicologique et médiévale, parfois satisfaite d’une mystifiante traduction sonore des mesures architecturales ; 2. spécifique à l’architecture et à la Renaissance, soucieuse avant tout d’en évaluer la dette savante et intellectuelle. Les questionnements persistent1.

2 Ma contribution à ces débats sur la musique et l’architecture s’est articulée sur deux axes principaux de recherche. D’une part, l’étude d’un édifice du XIIIe siècle, Castel del Monte, au sud de l’Italie, près de Bari, objet de ma tesi di laurea. D’autre part, la question

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de la théorie des arts en France au XVIIe siècle, notamment à partir des écrits de René Ouvrard, dans le cadre de la dissertation doctorale2. Ces recherches s’ouvrent actuellement vers de nouvelles enquêtes qui s’attachent aussi bien aux processus de composition, musicaux et architecturaux, au XVe siècle, qu’aux fondements théologiques du cantus firmus. Castel del Monte, 1240 3 Édifice dont l’appellation commune, château, détourne et ne confirme pas l’identité. Octogonal dans toutes ses parties : plan, élévation, cour intérieure, tours extérieures ; symbole impérial moins périssable que le papier, pensé et commandé par Frédéric II Hohenstaufen, empereur excommunié au retour d’une croisade où il s’était autoproclamé Roi du Monde à Jérusalem. Il n’y habita jamais et le légua en héritage à son fils qui ne sut qu’en faire sinon que le transformer en prison. Palais dépourvu de tout critère de système de défense médiéval, tentorium dessiné au sol par le soleil, l’octogone est la trame d’une mathématique céleste – géométrique, arithmétique et astronomique – capable de lier le ciel à la terre. Alors où se trouve la musique (et la question contient les prodromes de la recherche), étant donné qu’elle aussi fait partie du Quadrivium ? Dans les proportions des petits nombres entiers pythagoriciens et platoniciens, engendrés par la répétition ad quadratum de l’octogone. Mais surtout dans l’architecture nue et crue de la cour intérieure, miroir des murs extérieurs, apparat iconographique exotérique et non ésotérique, où portes et fenêtres ne sont rien d’autres qu’une représentation de l’Harmonie des Sphères, où les planètes et les anges chantent, par les vestiges non d’une gamme musicale amorphe et indistincte, mais d’une véritable mélodie, avec ses pauses et ses soupirs, le Nom de Celui qui les a générés, par le biais des nombres que la cabala assigne au tétragramme YHWH. Tout cela, en gardant bien à l’esprit la leçon de Marius Schneider, capable de transformer un cloître catalan en une magnifique et imagée rota musicale, où les mouvements sont à retracer dans une improbable influence de la théorie musicale indienne, inconnue en Europe au moins jusqu’au XIXe siècle3. La recherche sur Castel del Monte ne sort pas de la cour du roi qui l’a voulu et de l’enseignement des savants qui l’ont entouré tout au long de sa vie. Ainsi, le Doctor Perplexorum de Maimonide là traduit en latin, le Liber Introductorius de Michel Scot, le De Institution Musica de Boèce, le Liber Quadratorum de Fibonnaci personnellement dédié à l’empereur, forgent le tissu connectif d’une interprétation symbolique et musicale capable alors d’offrir renfort et réconfort aux études littéraires les plus récentes quant à l’origine, mathématique, d’une forme poétique fixe apparemment surgie de nulle part : le sonetto4. Et de confirmer aussi ce qu’Émile Mâle prêchait il y a déjà un siècle :

4 « À vrai dire, je ne crois pas qu’on puisse citer une seule représentation de la Théologie dans le portail de nos cathédrales. Ce serait en effet une sorte de contresens. Les Sciences humaines, le trivium et le quadrivium, peuvent bien figurer au-dessus de la porte de l’église, parce qu’en effet elles y donnent accès, parce qu’elles sont indispensables […] ; mais la Théologie n’y a nullement sa place marquée. C’est la cathédrale toute entière, avec sa géométrie mystique, ses légendes et ses dogmes sculptés et peints, qui symbolise la Théologie5. »

5 À Castel del Monte, c’est par son lien privilégié avec la musique que l’architecture parvient à illustrer ce programme. L’Architecture Harmonique de René Ouvrard et les débats sur la théorie des arts en France au XVIIe siècle

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6 Une nouveauté absolue, une étape fondamentale dans l’étude des rapports entre musique et architecture : dans le bien comme dans le mal, puisqu’à partir de l’interprétation poussée faite par des contemporains complaisants (et pas des mineurs : François Blondel, le premier directeur de l’Académie Royale d’Architecture), en découlera le principe, faux, qui explique les dimensions architecturales comme un son musical transposable dans une partition. C’est la première fois qu’un musicien, théoricien de la musique, pédagogue – non un poids lourd (inutile d’en chercher le nom dans les histoires de la musique : on ne le trouvera pas), mais non plus un inculte, maître de musique dans la plus importante institution musicale parisienne du Seicento, la Sainte-Chapelle – écrira un traité sur l’Application de la Doctrine des Proportions de la Musique à l’Architecture6. Il s’agit par là d’un changement radical de perspective : après la tutelle séculaire exercée par les architectes et les théoriciens de l’architecture, c’est bien la première fois que la parole passe de l’autre côté. Le but d’Ouvrard est pratique : intervenir dans les débats sur le langage architectural national naissant, en quête d’indépendance vis-à-vis du patronage italien, mais dangereusement à la dérive par le refus des architectes de s’aligner sur la vétuste tradition des proportions et hâtifs au contraire d’embrasser les règles de l’accoutumance et de la fantaisie. La solution : démontrer que toutes les indications des proportions présentes dans le De Architectura de Vitruve peuvent être ramenées au rapport harmonique, donc musical. Dans la tentative extrême de concilier la physique moderne et empiriste et la prisca sapientia, le maître janséniste 7 transforme ses architectures en énormes mégaphones, machines phonurgiche jadis théorisées par le père jésuite Athanasius Kircher. Mais entre les pages on voit alors se dévoiler le profil d’un débat qui, selon l’assomption ou le refus de la filiation musicale dans la conception architecturale, anticipe d’au moins une vingtaine d’années la Querelle des Anciens et des Modernes, qui en réalité trouve là-bas ses racines et ses protagonistes 8. Depuis une telle perspective d’étude, la translatio imperii et studii ad Francos qui s’avère dans le domaine architectural ouvre le rideau sur le rôle majeur joué par le paradigme musical, et sur les fonctions, migrations et transformations de ce modèle épistémologique dans les débats sur la théorie des arts en France tout au long du XVIIe siècle. On rappellera alors l’œuvre de Nicolas Poussin et sa lettre sur les modes musicaux, la Rhétorique des Dieux, manuscrit pour luth, et le parallèle qu’il impose entre modes musicaux et ordres d’architecture par les illustrations d’Abraham Bosse via son mentor Poussin 9 ; ou encore la redécouverte toute récente d’un auteur entouré de mystère et légende comme François Bernin, dit l’abbé de Saint-Hilarion, et de son Traité des Proportions, loué par Blondel, Vauban, Félibien, Ouvrard, mais ensuite oublié par l’histoire et les historiens 10. La spéculation d’Ouvrard offre la possibilité en plus de passer au crible la vision des rapports entre musique et architecture élaborée par Rudolf Wittkower et l’École de Warburg. La filiation explicite et déclarée au Temple de Salomon esquisse les lignes d’un parcours autrement humaniste : hermétique et cabalistique, platonicien-ficinien, biblique, opérant pour une réconciliation impossible entre jésuites et jansénistes 11. Musique-Architecture : renouvellement théorique et pratiques de composition. 7 Les rapports entre musique et architecture sont envisageables dans un plan autre que l’étude iconographique ou la spéculation théorique et historique. Depuis plus de trente ans un fleuve d’encre coule à propos du Nuper rosarum flores, le motet composé par Guillaume Dufay pour la consécration de la cathédrale de Florence Santa Maria del Fiore le 25 mars 1436, et la possible filiation entre l’originale et novatrice structure

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musicale de la pièce et la structure architecturale de la Coupole érigée par Filippo Brunelleschi en rapport avec l’édifice tout entier12. Toujours problématique, la réflexion entamée peut ouvrir la voie à des interrogations majeures quant aux processus de composition, tant musicaux qu’architecturaux, au moment de la transition entre Moyen Âge et Renaissance. Il semble en effet qu’un rapport d’affinité peut subsister, à l’époque médiévale, entre une pratique de composition musicale qui a ses fondements sur la répétition de formules préétablies – les structures isorythmiques engendrées par la répétition rythmique et mélodique du cantus firmus (la mélodie du plain-chant originaire) – et une pratique architecturale fondée elle aussi sur la répétition de schémas et figures géométriques prédéterminées – la méthode ad quadratum et ad triangulum. Une fois établie la pertinence du parallèle, on pourra alors se demander quelle signification assume l’abandon de telles pratiques – évidentes tant dans le chantier florentin du Dôme que dans le répertoire de Dufay – par rapport à la conception moderne de création. Pour le Moyen Âge mathématique et théologique « solus Deus creat ; nullum corpus potest creare », tandis que même par là on reconnaît l’un des facteurs de transformation de la rupture humaniste : la capacité de l’homme non pas de créer à partir de rien (attribution de la divinité), mais de faire quelque chose de nouveau. Quand Wittkower distingue entre « l’artiste médiéval qui projette dans son image une norme géométrique préétablie et l’artiste de la Renaissance qui cherche au contraire à tirer des phénomènes naturels qui l’entourent une norme métrique », ne retrouve-t-on pas la même ligne de partage conceptuelle avec laquelle Jean de Grouchy sépare « ordinare materia praejacens » de « componere quoniam in conductibus tenor totaliter de novo fit et secundum voluntatem artificis modificatur et durat » ? L’approche interdisciplinaire vise donc l’approfondissement de la signification d’un tel changement, qui n’est pas seulement musical, ou seulement architectural, mais véritablement culturel13. La mutation, radicale, est conceptuelle avant d’être opérationnelle. Avec en perspective d’autres interrogations quant à l’un des aspects apparemment plus naturels, mais en réalité plus problématique, de la phénoménologie musicale : le statut polyphonique. Cantus firmus : l’arrière-plan théologique.

8 Indifférenciée, la notion de polyphonie a bénéficié, ou au contraire souffert (mais si tel est le cas, très peu l’on perçu), du statut préconçu évolutionniste. La plupart du temps (et ceci est encore d’actualité), on se contente de décrire la pratique polyphonique, développée en Île de France entre le XIIIe et le XIVe siècle, comme un fruit mûr germé sur la souche bien solide et plantée du répertoire liturgique : on en répertorie, justement, les agents (les mélismes et les clausules qui dilatent l’espace du discantus, de la « note contre note » ; les tropes et les insertions qui élargissent la matière textuelle), on en enregistre les effets (le passage de l’organa à deux et quatre voix des maîtres Leoninus et Perotinus à la complexité des motets à trois ou quatre parties qui deviendront la forme polyphonique par antonomase grâce aux impulsions des nouveautés de l’ars nova), mais on survole les causes. Ou plutôt : on canalise les explications entre une ligne droite où la polyphonie apparaît comme l’arrivée naturelle d’un chant monodique destiné à s’épanouir, avec toutes ses hésitations, ses révolutions et ses renversements, dans l’harmonie musicale telle qu’on la connaît aujourd’hui. Mais les élucidations technicistes, purement musicales, se révèlent, à l’aune d’un examen approfondi, fragiles : elles retracent une attitude, non les motivations aux origines de cette attitude ; tandis que les non-interprétations positivistes, qui acceptent ce processus comme un fait acquis, comme une issue naturelle de l’évolution musicale, ne semblent pas non plus soutenables. Sur la base de quelle raison accueille-t-on a priori la

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thèse d’une conduction polyphonique congénitale à la nature – musicale – humaine, et non plutôt comme une expression culturellement déterminée ? D’ailleurs, les témoignages de l’époque sont à cet égard flagrants : pour les contemporains la perception de l’exception française représentée par la pratique polyphonique de l’École de Notre-Dame est manifeste. Découvertes récemment dans le composite panorama musicologique, l’étude des outils mnémotechniques dans les pratiques d’exécution et l’étude du thème de l’infinité divine dans la définition de la notation du temps et du rythme musical, ont ouvert une nouvelle perspective de recherche14. Dans le renouvellement culturel qui rayonnait à la Faculté des Arts de Paris au début du XIVe siècle, imprégnée d’aristotélisme oxonien, le rappel à la géométrie analytique, à la philosophie naturelle et aux modèles mathématiques liés aux débats sur l’infinité divine, a été traduit, secundum ymaginationes, à l’intérieur de la problématique de la représentation dans la notation musicale des grandeurs temporelles multipliables ou divisibles à l’infini15. Mais la dimension horizontale n’est qu’un des deux aspects de l’événement sonore. Comme le premier examen des écrits de Nicolas Oresme semble le démontrer16, l’attribut de l’infinité envisagée comme l’expansion dans l’espace de la nature divine (attribution discutée seulement à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle), trouve alors un parallèle précis avec la susdite technique de composition sur cantus firmus (c’est-à-dire la mélodie fixe et intangible, tirée du répertoire liturgique, sur laquelle on ajoutait les autres voix). Et que sous-entend la pratique polyphonique sinon l’expansion dans le temps (le rapport mensurable) et dans l’espace (la superposition des voix) de cette forme mélodique autrement fixe qu’est le cantus firmus ? Et qu’est-ce qui donne à l’homme la faculté de transformer, de bouleverser quelque chose créé par Dieu et assigné par Lui-même (dès le IXe siècle l’iconographie nous rappelle que saint Grégoire n’invente rien, puisque c’est l’Esprit Saint qui, sous la forme d’une blanche colombe, s’attarde à son oreille en lui sifflant, dans un geste de communion intime, les mélodies pour la louange à Dieu), sinon la conscience de la dispersion et de la perte de la forme même de Dieu ? Puisque exactement cela signifie composer sur cantus firmus : changer ce qui est autrement immuable. Les sources réconfortent cette perspective : c’est dans les cieux, et pas sur terre, qu’on voit apparaître l’expression cantus firmus, dans le Liber Introductorius, traité d’astronomie de Michel Scot. Dante l’utilisera dans son Paradis pour décrire la danse des Anges dans le ciel de Venus, avant lui Robert Grosseteste avait déjà illustré dans son commentaire à la Genèse les trois niveaux du firmamentum comme les voix superposées du motetus. Par la fragmentation du cantus firmus on rejoint l’horror vacui, le vide cosmique par Oresme identifié avec l’infinité divine, mais où en réalité on perd la notion de mesure. Et puisque mesurer signifie créer, cette perte nous ramène directement à la distinction susnommée entre ordinare materia praejacens et componere. L’étude alors se poursuit directement sur la mise en page musicale, avec ses différentes tentatives de visualiser et spatialiser l’événement sonore polyphonique, et dont la collocation graphique sous- entend une autre conception de la synchronisation17.

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NOTES DE FIN

1. Pour une première approche des rapports entre musique et architecture, tant au Moyen Âge qu’à la Renaissance, on renvoie aux classiques : R. WITTKOWER, Architectural Principles in the Age of Humanism, London, 1949 (trad. : Les principes de l’architecture à la Renaissance, Paris, 1996) ; O. VON SIMSON, The Gothic Cathedral, New York, 1956 ; P. VON NAREDI-RAINER, Architektur und Harmonie. Zahl, Maß und Proportion in der abendländischen Baukunst, Köln, 1982 ; voir aussi un premier examen critique de la bibliographie apparue au cours du XXe siècle et une mise en perspective des différentes méthodologies de recherche, cf. : V. ZARA, « Musica e Architettura Tra Medio Evo e Età moderna. Storia critica di un’idea », in Acta Musicologica, LXXVII/1 (2005), p. 1-26 ; et ID., « Da Palladio a Wittkower. Questioni di indagine, di metodo e di disciplina nei rapporti tra musica e architettura », Le immagini della musica. Temi e qustioni di iconografia musicale, N. GUIDOBALDI (éd.), Milan, 2007, p. 149-186. 2. V. ZARA, L’intelletto armonico. Il linguaggio simbolico e musicale nell’architettura di Castel del Monte, tesi di laurea, Discipline delle arti, della musica e dello spettacolo, Université de Bologne, 1998 ; et ID., La musica assoluta. La dottrina delle proporzioni musicali di René Ouvrard (1624-1694), thèse de doctorat en Musicologie, Université de Bologne – Centre d’Études Supérieures de la Renaissance de Tours, 2004. 3. Voir : V. ZARA, « L’intelletto armonico. Il linguaggio simbolico e musicale nell’architettura di Castel del Monte », in Musica e Storia, VIII/1 (2000), p. 15-52 ; pour ce qui concerne Marius SCHNEIDER et son œuvre controversée, voir notamment : Singende Steine. Rhytmus-Studien an drei katalanischen Kreuzgängen romanischen Stils, Kassel, 1955 (trad. : Le chant des pierres. Etude sur le rythme et la significations des chapiteaux dans trois cloîtres catalans de style roman, Milan, 1976). 4. W. PÖTTERS, Nascita del sonetto. Metrica e matematica al tempo di Federico II, Ravenne, 1998. 5. E. MÂLE, « Les Arts Libéraux dans la statuaire du Moyen Âge », in Revue Archéologique, XVII (1891), p. 334-346. 6. R. OUVRARD, L’Architecture Harmonique, ou l’Application de la Doctrine des Proportions de la Musique à l’Architecture, Paris, 1679 ; et F. BLONDEL, Cours d’Architecture enseigné dans l’Académie Royale d’Architecture, Paris, 1675-1685, Cinquième Partie, 1685, Livre V, Chap. XI. Application des proportions de la musique à l’Architecture par M. Ouvrard, p. 756-768 ; Chap. XII. Suite de la même pensée, p. 758-760 ; quant à l’interprétation mystifiante mais surtout dépourvue du contexte historique des fondements théoriques d’Ouvrard cf., last but not least : G. L. HERSEY, Architecture and Geometry in the Age of Baroque, Chicago- Londres, 2000, p. 22-51. 7. Sur la fréquentation, documentée par les lettres, du cercle janséniste de Port-Royal, sur les liens d’amitiés avec son principal animateur, Antoine Arnauld, et sur l’influence exercée par ce dernier quant à la conception théorique des ouvrages d’Ouvrard, voir : V. ZARA, « Una storia della musica all’ombra di Port-Royal. La ‘Musique Rétablie’ de René Ouvrard », in Studi Musicali, XXXVI/2 (2007), sous presse (l’édition critique de la correspondance d’Ouvrard ainsi que sa biographie sont actuellement en préparation, en collaboration avec Philippe Vendrix).

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8. V. ZARA, « Antichi e Moderni tra Musica e Architettura. All’origine della ‘Querelle des Anciens et des Modernes’ », in Intersezioni. Rivista di storia delle idee, XXVI/2 (2006), p. 191-210. 9. ID., « ‘Una certa maniera all’interno del procedere’. Correspondances musicales et architecturales dans l’œuvre de Nicolas Poussin », in Musique Instrument Image. Revue française d’iconographie musicale (à paraître, 2008). 10. F. BERNIN, Traité des Proportions, D-Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Cod. Icon. 193, V. ZARA (éd.), Turnhout (à paraître, 2008). 11. V. ZARA, « D’un Songe à l’autre. La filiation secrète de l’‘Architecture Harmonique’ de René Ouvrard », in Migration, mutation, métamorphose : la réception de modèles ‘cinquecenteschi’ dans l’art français du XVIIe siècle, S. FROMMEL (éd.), Paris, 2007 (sous presse). 12. Cf. : C. W. WARREN, « Brunelleschi’s Dome and Dufay’s Motet », in Musical Quarterly, I (1973), p. 92-105 ; C. WRIGHT, « Dufay’s ‘Nuper rosarum flores’, King Solomon’s Temple, and the Veneration of the Virgin », in Journal of the American Musicological Society, XLVII/ 3 (1994), p. 395-441 ; M. TRACHTENBERG, « Architecture and music Reunited : A New Reading of Dufay’s ‘Nuper rosarum flores’ and Brunelleschi’s Work for Santa Maria del Fiore », in Renaissance Quarterly, LIV/3 (2001), p. 741-775 ; ainsi que les inédits : C. BREWER, « Defrosted Architecture : The Incommensurability of Dufay’s ‘Nuper rosarum flores’ and Brunelleschi’s Work for Santa Maria del Fiore », 1989 ; et A. R. DE KOOMEN, « Dufay’s ‘Nuper rosarum flores’ and Santa Maria del Fiore : A Case of Misinterpretation », 1989 ; aujourd’hui tous réunis en traduction italienne in : V. ZARA (éd.), ‘Ut architectura musica’. Cinque saggi sul mottetto di Dufay e la cattedrale di Firenze, Ravenne, 2007 (à paraître). 13. La recherche se base sur les thèses suggestives avancées par E. E. LOWINSKY dans « The Concept of Physical and Musical Space in the Renaissance (A Preliminary Sketch) », in Papers of the American Musicological Society, Annual Meeting 1941, G. REESE (éd.), American Musicological Society, 1946, p. 57-84 ; et « The Musical Genius. Evolutions and Origins of a Concept », in The Musical Quarterly, L (1964), p. 321-340, LI (1964), p. 476-495 (aujourd’hui réunis in E. E. LOWINSKY, Music in the culture of Renaissance and other essays, B. J. BLACKBURN (éd.), 2 vol., Chicago-Londres, The University of Chicago Press, 1989, I, p. 6-18 et 40-66) ; on reprend ici la première esquisse donnée en guise de conclusion in V. ZARA, « Musica e Architettura tra Medio Evo e Età moderna », art. cit. (on signale aussi la parution toute récente de S. R. HOUSTEEN, N. A. PETERSEN, H. W. SCHAWB, E. ØSTREM (éd.), Creations. Medieval rituals, the arts and the concept of creation, Turnhout, 2007). 14. A. M. BUSSE-BERGER, Medieval Music and the Art of Memory, Berkeley, 2005. 15. D. E. TANAY, Noting music, marking culture. The intellectual context of rhytmic notation, 1250-1400, American Institute of Musicology, 1999. 16. Voir : V. ZARA, « De la musique à la théologie. Nicolas Oresme et la revanche d’Apollon », in Musique, théologie et sacré d’Oresme à Erasme, A. CŒURDEVEY et P. VENDRIX (éd.), Éditions du Centre culturel de rencontre d’Ambronay (sous presse, 2007) (entre autres, on y trouvera aussi mon : « Un cas d’‘inésthésie’ musicale : Erasme de Rotterdam »). 17. Si pour la Renaissance la voie a déjà été ouverte par J. A. OWENS, Composers at Work. The Craft of Musical Composition 1450-1600, New York-Oxford, 1997 ; pour l’époque médiévale on ne peut citer que les tout récents : K. N. MOLL, « Folio format and musical

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organisation in the liturgical repertoire of the Ivrea and Apt codices », in Early Music History, XXIII (2004), p. 85-152 ; et H. DEEMING, « The song and the page : experiments with form and layout in manuscript of Medieval latin song », in Plainsong and Medieval Music, XV/1 (2006), p. 1-27.

INDEX

Mots-clés : musique, architecture

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Les chants des oiseaux. Musiques, pratiques sociales et représentations du XIe au XVIIIe siècle. Rencontres interdisciplinaires et internationales

Martine Clouzot, Corinne Beck, Massimo Privitera et Vasco Zara

1 Le thème du chant des oiseaux a particulièrement été bien traité par les musicologues. L’objectif de ce projet consiste à reprendre cette thématique en l’élargissant à d’autres disciplines a priori éloignées, dont les problématiques centrales touchent essentiellement aux notions de nature, de langage et de mémoire.

2 Jamais encore un projet autour d’un thème aussi étendu n’a été réalisé. L’ambition de ces rencontres interdisciplinaires et internationales vise alors à réunir les nombreux chercheurs s’étant intéressés aux « chants des oiseaux » au cours de leurs recherches.

3 Cette thématique sera traitée sur la période allant du Moyen Age au XVIIIe siècle. Les études musicologiques justifient en effet cette chronologie, mais l’objet de recherche étant commun à plusieurs disciplines, il sera intéressant, en revisitant le thème, d’observer si la période retenue est effectivement la bonne.

4 Le projet a été initié et est porté par Corinne Beck, archéo-zoologue médiéviste (UMR7041 - Paris X et Paris 1, ARSCAN, Équipe archéologies et environnements, Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie), Massimo Privitera, musicologue (XVe-XVIe siècles) (Université de Calabre, Cosenza), Vasco Zara, musicologue (UMR 5594 ARTeHIS - Université de Bourgogne) et Martine Clouzot, historienne médiéviste (UMR 5594 ARTeHIS - Université de Bourgogne).

État des lieux

5 L’étendue du sujet et l’éparpillement des travaux justifient amplement de réunir les différents chercheurs qui aborderont le sujet selon les objets, les sources, les méthodes,

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les repères chronologiques, les environnements naturels et les espaces géographiques particuliers à leur domaine de recherche et à leur période historique.

6 Le principe retenu est la mise en commun des problématiques à la fois transversales au sujet et propres à chacune des disciplines, afin de privilégier les échanges et les collaborations scientifiques entre chercheurs, entre les disciplines, entre les universités et les centres de recherches des différents pays.

Présentation du sujet

7 S’inscrivant à la croisée des sources et des regards scientifiques, ce projet cherche à mettre en présence des chercheurs issus d’horizons disciplinaires fort divers et éloignés, tant des sciences humaines et sociales que des sciences de la vie - archéologues, ornithologues, éthologues, historiens, historiens de l’art, littéraires, philosophes, sémiologues et musicologues - intéressés par les différentes définitions des « chants des oiseaux », en vue de construire un objet de recherche commun.

8 La réflexion pourrait s’articuler autour des questionnements suivants : • Savoirs scientifiques et savoirs communs d’hier et d’aujourd’hui : quels oiseaux chantent et pourquoi chantent-ils ? Comment les biologistes et les ornithologues définissent-ils les « cris » des oiseaux ? Quels enseignements fournissent les recherches en éthologie ? Selon quels critères leur chant est-il considéré comme un « chant » ? Quelles propriétés (physiologique, acoustique, biologique, esthétique, etc.) permettent de définir la « musique » des oiseaux ? Comment les percevons-nous comme un chant ? • Du chant à la musique : quel sens chacun, en fonction de ses origines disciplinaires, donne-t- il au terme « chant » dès lors qu’il est rapporté aux oiseaux ? Comment établit-on le passage du chant à la musique ? Inversement comment et pourquoi les hommes intègrent-ils le chant des oiseaux dans leurs compositions musicales ? Qui donne une valeur esthétique à ces chants ? Et comment cette dimension peut être perçue selon le système socio-culturel du locuteur ? • La nature, le langage et la mémoire : quels sont les rapports entre le chant naturel et le chant « appris » ? L’imitation vocale pose les questions d’une part de la perception que l’oiseau a de la voix humaine, d’autre part de ce qu’il mémorise. Comment et pourquoi l’oiseau imite-t-il les mélodies des hommes et les « bruits » de la nature ? Les oiseaux ont-ils toujours chanté la même chanson selon les régions et les époques ? • Une anthropologie des chants des oiseaux : quelles pratiques les sociétés, ou les groupes sociaux, ont-ils organisé dans le temps et dans l’espace en fonction des chants des oiseaux ? Comment les hommes ont-ils exprimé par l’écrit et par la musique, figuré par l’image, façonné par les objets, leurs modes de représentations des oiseaux et de leurs chants au cours des siècles, et à quelles fins ?

9 Un projet interdisciplinaire pour la construction d’un objet commun

10 Du fait des particularités scientifiques du thème, le projet est interdisciplinaire : du Moyen Âge à la fin du XVIIe siècle, il regroupe les travaux des archéo-zoologues, des ornithologues, des éthologues, des historiens, des historiens de l’art, des historiens de la littérature, des sémiologues, des zoo-sémiologues, des philosophes et des historiens de la musique, des musicologues.

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11 Le projet est également international : plusieurs universités et centres de recherches européens (France, Italie, Allemagne, en l’état actuel du projet) regroupent des spécialistes de la question.

Organisation du projet

12 L’originalité du projet résidant dans sa pluridisciplinarité, il fonctionnera, non comme un colloque magistral, mais plutôt sous la forme de tables rondes de 2 à 3 jours s’échelonnant sur 3 années, successivement en France, en Italie et en Allemagne –la première devant se tenir en France.

13 Dans le but de fédérer une communauté scientifique autour d’un objet de recherche, ces tables rondes s’adressent aux chercheurs, aux universitaires et sont ouvertes aux doctorants.

14 Les résultats et les conclusions des séminaires devraient permettre d’envisager la publication des actes de ces rencontres internationales et interdisciplinaires.

15 Un programme prévisionnel en 3 étapes : • 1ère séance : « Les chants des oiseaux ». Présentation des sources, des approches et des concepts. • 2ème séance : « Musique, nature et langage » – formalisations du passage du chant au son musical et au langage, dimension esthétique du chant émis et perçu. • 3ème séance : « Représentations, pratiques sociales et anthropologie ».

INDEX

Mots-clés : chant des oiseaux, musique, oiseau

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L’inventaire des châteaux bourguignons : bilan et perspectives

Hervé Mouillebouche

1 La castellologie bourguignonne se porte bien. Depuis de nombreuses années, les opérations de fouilles, de prospections ou d’études de bâti se sont multipliées sur les quatre départements de Bourgogne, grâce notamment au dynamisme des associations de bénévoles 1. Cette effervescence a naturellement conduit à l’arrivée de plusieurs castellologues dans les rangs d’ARTeHIS UMR 5594. Cinq chercheurs : Hervé Mouillebouche, Vasco Zara, Michel Maerten, Emmanuel Laborier et Fabrice Cayot 2 unissent aujourd’hui leurs efforts autour de quelques lignes directrices pour mener plus loin l’étude des châteaux bourguignons.

2 Les vestiges d’habitats fortifiés sont une source essentielle pour étudier le Moyen Âge. En effet, l’habitat est une image de l’habitant. Le château, la maison forte sont beaucoup plus que des lieux de défense. Ce sont aussi des moyens d’expression du pouvoir ; plutôt qu’à contrôler le territoire, ils servent surtout à imposer une marque visuelle sur le paysage. Le château est un instrument de communication, il délivre - plus ou moins consciemment - un message.

3 Dès lors, il appartient aux médiévistes d’une part d’étudier ces vestiges pour apprendre à décrypter ces messages, d’autre part - et avant tout - de les répertorier, de les décrire et de les éditer, afin que cette documentation soit accessible aux chercheurs étrangers, mais aussi aux chercheurs futurs. Les axes d’études que nous avons retenus pour les années à venir vont dans ce double sens d’inventorier et de comprendre. Un logiciel développé pour l’étude du patrimoine monumental médiéval

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4 À l’occasion de précédentes études sur les châteaux, nous avons développé un logiciel de gestion de données très sophistiqué (sous 4D), qui permet d’optimiser le travail de collectes de données et de recherches. Ce logiciel est destiné tout autant au grand public qu’aux chercheurs, puisqu’il permet aussi bien une consultation facile de la documentation qu’une utilisation pointue des outils de recherche et de calcul. Il évolue continuellement, depuis sa création en 1992, en fonction de nouvelles questions ou des nouvelles utilisations qui en sont faites.

5 La base de données, qui gère simultanément des textes, des images et des données alphanumériques, est constituée de 6 fichiers périphériques : Communes, Textes, Images, Prosopographie, Bibliographie, États séquentiels, qui sont reliés au fichier principal contenant les fiches de sites. Tous les fichiers sont interdépendants : ils peuvent être consultés un par un, et toutes les fiches liées à un même site sont consultables à partir de la fiche du site. Les requêtes peuvent se faire aussi en croisant les fichiers sur plusieurs niveaux : on peut par exemple chercher les communes qui contiennent un site qui, d’une part, a connu un état séquentiel d’occupation en 1474, et d’autre part est documenté par un texte de la série B dont un des protagonistes est une femme noble. On peut aussi faire des requêtes plus simples.

6 Le logiciel a connu une première diffusion en 2002 avec l’ouvrage d’Hervé Mouillebouche sur les maisons fortes 3. Depuis, il a considérablement évolué, par l’adjonction de fonctions intégrées d’aide à la recherche et à la saisie. • Générateur automatique de graphes. Le générateur de graphes natif du programme 4D permet de réaliser rapidement et simplement la plupart des requêtes courantes. Néanmoins, il nous a paru peu à peu nécessaire de pouvoir disposer instantanément de certains graphes très utiles, notamment celui des évolutions chronologiques. Ce graphe est désormais disponible en menu dans tous les fichiers. Une programmation plus poussée permet également d’obtenir des « pyramides démographiques » des forteresses : le programme dénombre, pour

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chaque intervalle de temps défini, le nombre de sites en activité (c’est-à-dire le nombre de sites apparus avant la fin de la période, moins le nombre de sites détruits avant le début de la période), pour en faire des diagrammes en barre, imprimables ou exportables. • Gestionnaire d’images. L’étude des châteaux nécessite la manipulation d’un grand nombre d’images : photos de prospection, photos aériennes, relevés, plans anciens, plans d’archives, etc., toutes ces photos peuvent être stockées dans la base de données. Primitivement, elles pouvaient être recherchées par site, par région, ou par un certain nombre de critères enregistrés. Le dernier développement de la base de données propose d’une part une fonction « planche contact », qui affiche sur le même écran les vignettes des images d’une sélection donnée, d’autre part une fonction de diaporama, qui permet de faire défiler, manuellement ou automatiquement, une sélection d’images. C’est en quelque sorte IPhoto et Powerpoint réinventés sous 4D. Un module de comparaison permet de garder plusieurs images simultanément à l’écran, éventuellement en les réduisant. Enfin, un module de mesure à l’écran permet d’obtenir la distance et l’angle entre deux points : distance à l’écran, sur papier, ou distance réelle si la mesure s’effectue sur un plan à l’échelle. • Système d’information géographique. Les sites, les communes, mais aussi les états séquentiels, les images et les textes sont géo-référencés. Ils peuvent être présentés sur la carte de leur département, avec différents fonds de carte. Un passage de la souris sur un point fait apparaître le nom du site. Mais le module de cartographie permet également des recherches par zone, pour trouver par exemple tous les textes compris dans un rectangle de 100 km de côté, ou toutes les photographies aériennes dans un rayon de 15 km autour d’Auxerre. La base de données intègre aussi les coordonnées du centre de chaque commune, ce qui permet de présenter à l’écran la répartition des sites (et des faux sites) d’une commune, et de calculer automatiquement la distance et la direction d’un site par rapport au centre de sa commune. • Système d’indexation automatique. Pour être manipulables facilement, les textes doivent être indexés avec des clefs d’entrées préenregistrées. Ainsi, pour travailler sur les arrières fiefs, au lieu de rechercher « Texte / Contient / « arrière-fief » ou « arrière fief » ou « arrières fief@ » ou « rere fief » ou « rière fief » ou « rere fied » ou « retro feudum » ou « retro foedum » ou… bref, vous avez compris », il suffit de chercher « Mot indexé / Est égal à / « arrière- fief ». Jusqu’à présent, l’indexation des textes se faisait manuellement, ce qui était long et pouvait conduire à des oublis. Désormais, une fonction préenregistrée analyse le vocabulaire du texte, en français, ancien français et latin, pour créer la liste des mots indexés. Prochainement, cette fonction devrait s’étendre à une indexation automatique des personnes citées dans le texte, par une recherche des occurrences des prénoms les plus courants, avec une reconnaissance des noms et des titres. • Communication et connectivité. Le logiciel 4D est réputé pour sa très grande capacité de communication avec les autres bases de données et les fonctions Internet. Actuellement, nous n’avons pas encore développé de fonctions de communications intégrées dans notre logiciel. L’échange de fichiers peut néanmoins se faire par la fonction d’importation/ exportation sous différents formats de tableurs. Ainsi, nous avons pu facilement importer des données en provenance de classeurs Excel, et exporter des sites datés et géo-référencés vers Arcview (©ESRI), ArcGis (©ESRI) ou Carto Explorer (©Bayo). Plus simplement, le logiciel offre de nombreux formats d’impression et de création de PDF.

7 Ce logiciel, qui a été développé pour l’étude des forteresses de la Côte-d’Or, est aujourd’hui opérationnel pour les quatre départements de la Bourgogne, et pourra être étendu à d’autres départements si l’occasion se présente. Le logiciel a également été adapté pour être utilisé pour d’autres inventaires de vestiges médiévaux. En changeant

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quelques noms de champs, il a pu être utilisé pour l’inventaire des hôpitaux médiévaux et pour celui des plates-tombes médiévales 4. Un inventaire en cours d’élaboration

8 Il n’existe, en Bourgogne comme ailleurs, aucun inventaire exhaustif des châteaux. Les publications qui s’accumulent depuis plusieurs siècles ne prennent jamais en compte l’ensemble des vestiges (de pierre ou de terre). Bien pire : cette longue historiographie a fait naître nombre de châteaux imaginaires, qui n’ont aucune existence historique. Un inventaire scientifique doit donc s’accompagner d’une vérification systématique sur le terrain, avec un relevé et une description précise des vestiges. Cet inventaire est inégalement mené sur les quatre départements de la Bourgogne. • En Côte-d’Or, l’inventaire a été mené par H. Mouillebouche de 1986 à 2002 ; il a été publié, sous forme d’un livre et d’un cédérom, aux Éditions Universitaires de Dijon en 2002. (664 sites) 5. Il se perfectionne lentement, au gré des découvertes et des nouvelles collaborations. Il comprend actuellement 8500 textes ou mentions d’archives, 3220 images dont 610 plans normalisés au 1/1000. • En Saône-et-Loire, l’inventaire a été mené de 1994 à 2004 par de Centre de Castellologie de Bourgogne (CeCaB) sous la direction de Michel Maerten. Il a été déposé au Service régional de l’archéologie sous la forme de 27 volumes papier. Ce travail est en cours de saisie sur la base de données. Il compte actuellement 1026 sites, 290 faux sites, 3500 textes et 3200 illustrations dont 591 plans normalisés. • Dans la Nièvre, l’inventaire a été réalisé en grande partie par Brigitte Colas en 1994 6. L’informatisation des données n’est plus qu’une question de temps (voire de moyens). • Dans l’Yonne, deux étudiants de maîtrise ont réalisé un inventaire de l’est de l’arrondissement d’Auxerre et du nord de l’arrondissement d’Avallon. Le sud de cet arrondissement est en cours de traitement par un étudiant de Master 7.

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• Cette précieuse base de données n’est pas encore disponible sur Internet. Actuellement, elle fait l’objet d’une diffusion restreinte à tous les membres du Centre de Castellologie de Bourgogne 8. Projets et axes d’études

9 Parallèlement à l’élaboration et la numérisation de la base de données, et en plus de leurs recherches personnelles, les castellologues d’ARTeHIS-UMR 5594 ont défini plusieurs axes de recherches collectives, qui tous mettent en œuvre l’exploitation de la base de données. Standardisation des forteresses bourguignonnes 10 Les castellologues connaissent depuis longtemps le phénomène de standardisation des châteaux royaux. À la fin du XIIe siècle Philippe Auguste, pour réaliser des économies de chantier, mais aussi pour imprimer une marque visible et reconnaissable de la présence royale, a demandé à ses architectes de construire un peu partout des tours « du module de la tour du Louvres » 9. Ces châteaux philippiens se reconnaissent aussi par leur rigueur symétrique : plan carré cantonné de tours rondes, tour maîtresse indépendante, porte flanquée de tours rondes, sans pont-levis. Au milieu du XIIIe siècle, un autre standard de fortification apparaît en Suisse Romande : le « carré savoyard » 10. Il s’agit d’un plan carré cantonné plus petit, plus trapu, entouré de fausses braies (type Yverdon) 11. Or, pour certains historiens, les origines de ces deux modèles pourraient être bourguignonnes : Druyes-les-Belles-Fontaines pourrait être le prototype des châteaux philippiens ; Semur-en-Auxois celui des carrés savoyards 12. Mais ces hypothèses restent fragiles, parce que les châteaux bourguignons sont mal datés. Ce serait donc un signalé service à rendre à la communauté scientifique que de pouvoir dater plus précisément ces structures, notamment par la dendrochronologie.

11 La standardisation est également illustrée par l’abondance des tours carrées à baies- créneaux.

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12 Ces tours, nombreuses en Bourgogne, sont souvent datées par une première mention remontant à la première moitié du XIIIe siècle. Certains castellologues, notamment de l’école alsacienne, pensent que les vestiges sont antérieurs aux textes et qu’il faut les dater du XIIe siècle 13. En revanche, les chercheurs de l’école suisse affirment que les baies-créneaux ne peuvent pas être antérieures à 1250 ; les mentions de forteresses avant cette date correspondraient donc à un premier état disparu 14. Enfin, tout le monde s’accorde à reconnaître que Cluny, à travers ses fortifications, mais aussi à travers ses prieurés, a eu un grand rôle dans la diffusion de ces modèles. La belle étude de Fr. Didier sur la tour ronde de Cluny constitue une étape intéressante qu’il est important de renouveler 15. Aristocratie et motte castrales, du Xe au XIIe siècle.

13 Un historien a récemment évoqué, pour qualifier la castralisation du XIe siècle, l’image d’un « brun manteau de mottes » 16. L’expression est belle, mais partiellement inexacte. Tout d’abord, parce que les mottes sont vertes. Surtout, parce qu’elles sont beaucoup moins nombreuses sur le terrain que dans la tapisserie de Bayeux et dans la bibliographie qui s’en inspire. Les inventaires menés en Bretagne, en Normandie ou en Bourbonnais, et qui ont pu accréditer l’idée d’un vaste mouvement d’emmottement, sont souvent des inventaires de chimères. Les inventaires plus rigoureux de Champagne, de Lorraine, de Savoie 17 - et bien sûr de Bourgogne, montrent que les vraies mottes sont rares, et l’ont toujours été.

14 Pour comprendre le rôle spécifique de la motte castrale par rapport aux autres formes de fortifications précoces (enceinte, castrum, oppidum), il est nécessaire de recourir à l’archéologie et à l’étude des sources écrites.

15 En ces temps de vaches maigres pour les fouilles de sauvetage, et de vaches mortes pour les fouilles programmées, les archéologues bourguignons peuvent utiliser leurs

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loisirs forcés à relire et à publier les rapports des fouilles anciennes. Ainsi, deux castellologues de l’UMR ARTeHIS, Michel Maerten et Hervé Mouillebouche, ont été sollicités par le Groupe Archéologique du Mâconnais pour coordonner l’étude et l’édition des fouilles de la motte de Loisy. Ce travail a déjà montré le côté aristocratique, mais aussi atypique de l’alimentation des occupants 18, alors qu’une analyse plus serrée des textes a permis de retrouver l’identité du bâtisseur de cette petite forteresse.

16 L’inventaire des sites de terre doit nécessairement s’accompagner de relevés topographiques. Après les relevés en coupe au niveau optique, les relevés en courbes de niveaux au théodolite, arrivent maintenant les relevés de troisième génération, au théodolite laser ou au DGPS, avec rendu en 3D et reconstitution virtuelle. De tels relevés ont déjà été effectués en Côte-d’Or, en collaboration avec le centre de Cartographie et de Géomatique de l’Université de Bourgogne, et en Saône-et-Loire par le Groupe de Recherche Archéologique de Tournus.

17 Enfin, cet inventaire de sites doit nécessairement être croisé avec les sources écrites, pour essayer de faire des recoupements entre les sites fortifiés et les anciennes familles aristocratiques. Ce travail, qui a été ébauché il y a cinquante ans par Georges Duby, avec des méthodes et des problématiques du siècle dernier, peut désormais être traité exhaustivement grâce d’une part à la base de données de l’habitat fortifié, d’autre part à la base de données des Chartes de la Bourgogne du Moyen Âge (CBMA, s. dir. E. Magnani et M.-J. Gasse-Grandjean). Châteaux, mesures et harmonie 18 Quelles relations y a-t-il entre les châteaux, les nombres et la musique ? C’est tout un, répondra le médiéviste, qui sait bien qu’au Moyen Âge, l’harmonie et la musique sous- tendent tout discours spéculatif. Ces thématiques sont au cœur des préoccupations de Vasco Zara. Ce jeune musicologue italien, qui vient d’intégrer notre UMR, a mené une étude pionnière sur l’importance des proportions musicales dans l’architecture moderne et médiévale, et notamment dans les châteaux de Frédéric II 19. Pour une telle étude, notre équipe pourra également bénéficier de la double compétence, en histoire et en musique, de Martine Clouzot, bien connue pour ses travaux sur les musiciens à la cour de Bourgogne 20.

19 Une telle étude ne nécessitera pas d’énormes investissements, mais surtout un échange de méthodes et de compétences. En effet, la plupart des plans des châteaux sont déjà disponibles dans la base de données. Il s’agit maintenant de sélectionner les châteaux princiers ou ceux des grands féodaux qui semblent avoir bénéficié d’un plan savant ; on pourra reprendre s’il le faut quelques mesures sur le terrain ; puis il faudra voir si les plans-masses et les élévations ont pu - et dans quelle mesure - être dessinés et élevés selon des proportions calquées sur les harmonies musicales. Les châteaux des Rolin 20 Les récents colloques et travaux collectifs sur Nicolas Rolin ont montré toute l’importance du chancelier dans la vie politique et artistique de la fin du XVe siècle 21 Curieusement, les châteaux de Nicolas Rolin et de ses héritiers n’ont guère retenu l’attention des chercheurs depuis le petit article, pourtant fort suggestif, de Fr. Vignier 22. L’inventaire des biens de Nicolas Rolin, dressé à sa mort, fait état d’environ 50 bâtiments fortifiés, dont 30 sont situés en Bourgogne 23.

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21 Parmi ces châteaux, certains, élevés du temps du chancelier lui-même, offrent encore des vestiges spectaculaires : c’est notamment le cas de Chazeu, Savoisy, ou Authumes 24. Les châteaux de Présilly et de Perrigny, qui ont bénéficié de fouilles archéologiques, ont fourni du mobilier datant de l’époque du chancelier 25. Une prochaine opération de « dégagement des murs » du château de La Perrière devrait également apporter des documents neufs sur le patrimoine des Rolin 26.

22 Le Centre de Castellologie de Bourgogne et les castellologues de l’UMR prévoient d’éditer une étude globale de ces châteaux en 2010 environ. Cette étude comportera une monographie de chaque bâtiment et une étude plus fine, avec relevés, des principaux châteaux élevés par le chancelier. Cette publication se fera bien sûr en collaboration avec d’autres équipes de recherches, notamment pour étudier les châteaux de Franche-Comté et du Hainaut.

23 À priori, les châteaux de Nicolas Rolin posent deux séries de questions : • La répartition : quelle était la politique d’acquisition du chancelier ? On voit bien sûr un intérêt particulier pour la région d’Autun. Mais s’agissait-il uniquement d’une opération de prestige, pour se donner des apparences de prince d’Autun, ou plutôt d’une opération stratégique, visant à contrôler la vallée de l’Arroux, et les accès de la Bourgogne du sud ? De même, les châteaux de Franche-Comté semblent plus répondre à des besoins de contrôle des voies qu’à une politique d’acquisition strictement immobilière. • La construction : le chancelier a fait élever lui-même plusieurs résidences ; il fut dans ce domaine aussi dynamique que les derniers Valois. Les châteaux de Nicolas Rolin constituent l’une des plus grosses « collections » de forteresses du XVe siècle, ce qui montre que le Chancelier s’était bel et bien lancé dans la grande compétition princière du règne de Charles VI. L’étude de ces bâtiments permettra donc de mieux connaître l’évolution de la castellologie en Bourgogne à la fin de la guerre de Cent Ans. En outre, on pourra essayer de voir si le chancelier a utilisé un ou plusieurs architectes, et si les mêmes équipes de maçons ont pu travailler sur plusieurs châteaux, et éventuellement sur ses hôtels de Dijon, Dôle et Autun, et sur l’Hôtel Dieu de Beaune.

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24 Bien sûr, cette dernière étude permettra d’intégrer les outils élaborés dans les trois études précédentes. Y a-t-il une recherche de standardisation dans les châteaux Rolin, et cette standardisation vient-elle des bâtisseurs, de la région, ou du commanditaire ? Parmi ces possessions, le chancelier tenait en fief quelques anciennes mottes castrales (mottes d’Authumes, de Flacey). Ces mottes avaient-elles encore un sens, et un intérêt, au moins symbolique, au XVe siècle ? Enfin, ce grand mécène, ami des arts, est le type même du bâtisseur qui aurait pu chercher à respecter les règles universelles de l’harmonie dans la construction de ses hôtels et de ses châteaux. Nicolas Rolin est donc vraiment la pierre de touche qui permettra de vérifier la pertinence et la cohérence des recherches de notre équipe.

NOTES DE FIN

1. Les chercheurs sont notamment issus de ARHM Fort (Association de Recherche d’Histoire Médiévale sur les Fortifications ; GAM (Groupe Archéologique du Mesmontois) ; LPO (Le Patrimoine Oublié) ; Groupe PPGR (Groupe Pluridisciplinaires des Périodes Gothiques et Romanes). Une collaboration scientifique se poursuit avec le CeCaB (Centre de Castellologie de Bourgogne), le Groupe PPGR et LPO. 2. Hervé Mouillebouche, maître de conférences en histoire médiévale ; Vasco Zara, Maître de conférences en musicologie médiévale ; Michel Maerten, enseignant, docteur en archéologie médiévale ; Emmanuel Laborier, archéologue à l’INRAP, doctorant ; Fabrice Cayot, historien libéral, doctorant. 3. H. MOUILLEBOUCHE, Les maisons fortes en Bourgogne du nord, du XIIIe au XVIe siècle, Dijon, 2002 (1 volume et 2 cédéroms). 4. Inventaire des édifices de charité médiévaux : thèse en cours par Aurore-Diane Simon, sous la direction d’A. Saint-Denis. (Voir A. SAINT-DENIS, « L’assistance en Bourgogne, Ve-XVe s. », in Bulletin du Centre d’études médiévales, 9 (2005), p. 87-90. Inventaire des plates-tombes de Bourgogne : master en cours par Guillaume Grillon, sous la direction d’A Saint-Denis et H. Mouillebouche. 5. H. MOUILLEBOUCHE, op. cit. 6. B. COLAS, Vestige d'habitat seigneurial fortifié dans l'ouest Nivernais, XIe-XVIe siècles. Dijon, 1994 (thèse de doctorat sous la direction de M. Bur, Nancy). 7. F. CAYOT, Fortifications et habitats fortifiés dans l'ouest de l'Yonne, du XIe au XVIe siècle, Mémoire de maîtrise d'histoire médiévale, sous la direction de V. Tabbagh, Université de Dijon, 1999. Th. LORAIN, L’habitat fortifié dans le Tonnerrois du XIIIe au XVIe s, Mémoire de maîtrise d’histoire médiévale sous la direction d’ A. Saint-Denis et H. Mouillebouche, Dijon, 2003. J. MARQUIS, L'habitat fortifié dans l'Avallonnais entre le XIIe et le XVIe siècle (en cours), sous la direction d’H. Mouillebouche. 8. On peut adhérer au CeCaB, et recevoir le cédérom de la Bourgogne, en contactant Gilles Auloy (105 av. de la Libération - 71210 Montchanin). 9. A. CHÂTELAIN, « Recherche sur les châteaux de Philippe Auguste », in Archéologie Médiévale, 21 (1991), p. 115-161. A. ERLANDE-BRANDENBURG, « L'architecture militaire au

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temps de Philippe Auguste : une nouvelle conception de la défense », in La France de Philippe Auguste. Le temps des mutations, Paris, 1982, p. 595-603. 10. M. GRANDJEAN, Les monuments d’art et d’histoire du canton de Vaud. t. 4, Vaud, 1965. 11. D. de RAEMY, Châteaux, donjons et grandes tours dans les États de Savoie (1230-1330). Un modèle : le château d'Yverdon, Association pour la restauration du château d'Yverdon-les- Bains, 2004 (Cahiers d'archéologie romande, 98). 12. Ch.-L. SALCH, Druyes-les-Belles-Fontaines ; les châteaux sur plan carré dans l'Yonn, Strasbourg, 2001 (Châteaux forts d'Europe, n° 17). D. de RAEMY, op. cit. 13. G. AULOY, Ch.-L. SALCH, Grands donjons romans en Bourgogne méridionale (Saône-et-Loire) XIe et XIIes., Strasbourg, 2005 (Châteaux forts d'Europe, n° 32 (2004)). 14. D. de RAEMY, « L’architecture militaire : donjons et châteaux », in A. PARAVICINI (éd.), Les pays romands au Moyen Âge, Lausanne, 1997, p. 487-509. 15. Fr. DIDIER, « Cluny, la “tour ronde” de l'enceinte abbatiale », in Bulletin monumental, IV (2004), p. 312-316. 16. J. MORSEL, L’aristocratie médiévale, Ve-XVe siècle, Paris, 2004, p. 90. 17. M. BUR (dir.), Inventaire des sites archéologiques non monumentaux de Champagne, Reims, ARERS, 4 vol., 1972 à 1997. G. GIULIATTO, Châteaux et maisons fortes en Lorraine centrale. Paris, 1992 (Documents d'Archéologie Française, n° 33). M. BOIS, M.-P. FEUILLET, P.- Y. LAFFONT, CH. MAZART, J.-M. POISSON, E. SIROT, « Approche des plus anciennes formes castrales dans le royaume de Bourgogne-Provence (Xe-XIIe s.) », in Château-Gaillard, XVI (1994), p. 57-68. 18. J.-H. YVINEC, Étude archéo-zoologique du site de Loisy, à paraître. 19. V. ZARA, Musica e Architettura tra Medio Evo e Età moderna. Storia critica di un’idea, in Acta musicologica, . 77 (2005), p. 1-26. V. ZARA, Antichi e moderni tra musica e architettura : All'origine della « querelle des anciens et des modernes », in Intersezioni, 26/2 (2006), p. 191-210. V. ZARA, L'intelletto armonico. Il linguaggio simbolico e musicale nell'architettura di Castel del Monte, in Musica et storia, 1 (2000), p. 15-52. 20. M. CLOUZOT, Images de musiciens. 1350-1500. Figurations, typologies et pratiques sociales, Turnhout, 2007. 21. B. MAURICE-CHABARD ( dir.), La splendeur des Rolin : un mécénat privé à la Cour de Bourgogne, table ronde des 27-28 février 1995, Paris- Autun, 1999. 22. Fr. VIGNIER, « Les châteaux des Rolin », in Le faste des Rolin, au temps des ducs de Bourgogn,. Dijon, 1998 (Dossier de l’art, 49), p. 98-99. 23. ADCO, E 1630 ; voir aussi J.-B. DE VAIVRE, « La famille des Rolin », in La splendeur des Rolin, op. cit., p. 19-35. J. LAURENT, Les fiefs des Rolin. Compte rendu dans les Mémoires de la Société d'archéologie de Beaune, 1931-1932, p. 85-87. 24. Chazeu : Saône-et-Loire, arr. Autun, c. Mesvres, cne Laisy. Savoisy : Côte-d’Or, arr. Montbard, c. Laignes. Authumes : Saône-et-Loire, arr. Louhans, c. Pierre-de-Bresse. 25. Présilly (Jura, arr. Lons-le-Saulnier, c. Orgelet, cne Sarrogna) fouillé, restauré et étudié depuis 1996 par J.-J. Schwien. Perrigny (Côte-d’Or, arr. Dijon, c. Chenôve), fouillé de 1993 à 1996 par E. Laborier et H. Mouillebouche. 26. La Perrière : Saône-et-Loire, arr. Autun, c. Saint-Léger-sous-Beuvrey, cne Étang-sur- Arroux.

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INDEX

Index géographique : France/Bourgogne Mots-clés : château

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Les toits de l’Europe : mise en œuvre d’une méthodologie partagée pour l’étude, la conservation et la mise en valeur des toitures historiques Participation aux ateliers de Slavonice (Rép. Tchèque), La Paix-Dieu (Belgique) et Kurozweki (Pologne)

Sylvain Aumard

1 Depuis une dizaine d’années, des archéologues et dendrochronologues de l’Université de Liège (Belgique) étudient, en collaboration suivie avec d’autres institutions belges, françaises, luxembourgeoises, allemandes, polonaises et tchèques, les charpentes de toitures de monuments historiques européens, et réfléchissent à leur conservation. De ces contacts, il ressort une volonté de travailler ensemble au sein d’un réseau européen multidisciplinaire, en partenariat étroit avec des ingénieurs, des architectes et des artisans.

2 Les objectifs du projet sont de : • démontrer aux autorités politiques et aux responsables du patrimoine que la toiture à deux versants d’un monument historique renferme quantité d’informations matérielles pour l’histoire du monument lui-même, l’histoire de l’art en général, l’histoire des techniques et de la circulation des savoir-faire en Europe, ainsi que pour la conservation du monument ; • mettre en place un réseau de spécialistes de la toiture dans le domaine de l’étude et de la conservation des monuments historiques ; • mettre en place une méthode de travail commune dans les quatre pays partenaires à partir de premières recherches ciblées sur les églises ; • créer les conditions pour élargir l’action à d’autres pays et préparer un programme pluriannuel.

3 Les trois workshops ont représenté l’activité principale du projet. Organisés, durant une semaine chacun, en République tchèque (Slavonice), en Belgique (La Paix-Dieu) et en Pologne (Kurozweki) , ils ont constitué en une série d’activités, de réunions,

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d’échanges et de réflexions, ainsi que de collectes d’informations menées sur le terrain. Environ 30 toitures d’édifices religieux ont été visitées et, conjointement, des analyses en laboratoire ont été réalisées.

4 L’autre activité du projet comprend un volet consacré à la valorisation des recherches : conférences publiques ; visites guidées (lors des Journées du patrimoine) ; démonstrations d’artisans ; publication d’un livre sur les toitures ; production d’un DVD ; création d’un site web (www.roofs.eu) à partir du site existant( www.roofs.cz) ; réalisation de panneaux d’information. La participation du Centre d’études médiévales à ce projet européen s’inscrit dans la continuité de nos recherches engagées depuis plusieurs années sur les toitures de monuments, tels que les cathédrales d’Auxerre et Sens, les abbayes de Pontigny et Quincy, ou encore les églises de Branches et de Vermenton. Alors que la présence de l’essentiel des chercheurs réunis se justifiait par leurs contributions à l’étude des charpentes anciennes, celle du Centre l’était par l’originalité de sa démarche à propos des matériaux de couverture et notamment des tuiles médiévales. La présentation de nos travaux a été suivie d’échanges enrichissants en raison de la rareté des recherches et des observations dans ce domaine. En outre, ce cadre permettra de réaliser des datations sur des charpentes anciennes de l’Auxerrois - comme celles de l’église de Branches - pour lesquelles il est particulièrement difficile de mettre en place de telles investigations. Si le projet est reconduit pour une seconde année par la Commission européenne, un workshop d’une semaine devrait être organisé à Auxerre en 2008.

Ville de Slavonice (Rép. Tchèque - novembre 2006), maisons du centre ancien avec façades-écrans (cliché S. Aumard - CEM).

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Projets de rencontres 2007-2008

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La cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre : résultats récents des recherches pluridisciplinaires et internationales Auxerre, 27-29 septembre 2007

Christian Sapin

1 Pendant plusieurs années, la cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre a fait l’objet de recherches historiques et archéologiques. Le colloque présentera, en particulier à la communauté scientifique, les résultats obtenus.

2 Avec ses différentes phases de construction encore visibles (la crypte du XIe siècle, le chœur du XIIIe siècle, la nef et les portails des XIVe et XVe siècles), la cathédrale d’Auxerre est un monument majeur non seulement pour la Bourgogne, mais pour l’étude de l’architecture médiévale et de son décor. L’importante restauration lancée en 2000 a fourni l’occasion de campagnes archéologiques de grande ampleur menées, sous l’égide du Centre d’études médiévales, par des archéologues, des historiens d’art et des doctorants attachés à ARTeHIS UMR 5594 du Centre national de la Recherche scientifique. Des campagnes de relevés des portails ont été faites avec la collaboration de l’Université de Stuttgart (Allemagne). Enfin de très nombreuses observations ont pu être réunies concernant l’origine géologique des pierres, les mises en œuvre des matériaux, le décor peint et les verrières. L’étude de la charpente a conduit au plus grand référentiel de dendrochronologie actuellement réuni en Europe ; pour celle de la toiture, des tuiles et de leur décor vernissé, le recours à de nouvelles techniques scientifiques a permis de préciser les datations.

3 C’est la première fois qu’un édifice aussi important est analysé avec des résultats pour certains spectaculaires. La présentation de ces résultats (suivie de leur publication) intéressera un public curieux de s’enrichir de nouvelles données, et les spécialistes ou intervenants sur le bâti ancien désireux de comprendre la démarche développée à Auxerre qui pourrait servir de modèle méthodologique.

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4 jeudi 27 septembre 2007

• Christian SAPIN, Accueil et introduction générale • Bruno DECARIS, Le chantier moderne, à l’origine de la recherche actuelle. • Vincent TABBAGH, La cathédrale, un bien commun. • Denis CAILLEAUX, Auxerre : les images de la cathédrale. • Présentation collective, Une nouvelle chronologie établie à partir des observations et relevés faits pendant les travaux [avec commentaire de posters]. • Visite de la cathédrale [intérieur]

5 vendredi 28 septembre : le chantier

• Christian SAPIN, À l’origine du chantier gothique : la crypte (Ve-XIe siècles). • Dieter KIMPEL, L’architecture gothique et les observations sur le chœur d’Auxerre. • Harry TITUS, La problématique de construction du chœur. • Heike HANSEN, Observations sur la structure du transept • Kristina KRÜGER, Les chapelles de la cathédrale (chronologie, fondation et aménagement). • Dany SANDRON, Analyse de la structure de la façade occidentale.

6 vendredi 28 septembre : les matériaux du bâti

• Sylvain AUMARD, Nouvelles données sur le chantier des toitures. • Catherine LAVIER, Didier POUSSET, Christine LOCATELLI, Les charpentes de la cathédrale comme référentiel de dendrochronologie et perspectives sur l’approvisionnement en bois. • Stéphane BÜTTNER et Lise LEROUX, Les pierres de la cathédrale ; l’approvisionnement du chantier. • Paul BENOIT, Philippe DILLMANN, Maxime L’HERITIER, Sylvain AUMARD, Le métal dans l’architecture de la cathédrale. • Visite de la cathédrale : façade occidentale et façades du transept.

7 Concert d’orgue par Andreas HARTMAN-VIRNICH

8 samedi 29 septembre : la sculpture

• Heike HANSEN, Présentation générale de la sculpture. • Harry TITUS, Observations sur les têtes sculptées du déambulatoire du chœur. • Marcello ANGHEBEN, L’iconographie du Jugement dernier. • Fabienne JOUBERT, Le portail central : les voussures. • Annaïg CHATAIN, Le portail du bras nord du transept.

9 samedi 29 septembre : la peinture murale et le vitrail

• Marie-Gabrielle CAFFIN, La place de la peinture murale dans le programme gothique de la cathédrale. • Isabelle BAUDOIN, Observations et étude des vitraux de la nef. • Françoise PERROT, Les verrières basses du chœur : observations et perspective de recherche. • Sylvie BALCON, Les verrières hautes du chœur : étude et perspective de recherche.

10 Table ronde conclusive : « la cathédrale, lieu de création et de liturgie ».

11 Avec la participation des intervenants et de Dominique IOGNA-PRAT, Guy LOBRICHON, Alain RAUWEL, Nicolas REVEYRON.

12 Intervenants :

• Marcello ANGHEBEN (CESCM, Poitiers) • Sylvain AUMARD (Centre d’études médiévales, Auxerre - ARTeHIS-UMR 5594) • Sylvie BALCON (Université de Paris Sorbonne, Paris IV)

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• Isabelle BAUDOIN (Restauratrice) • Stéphane BÜTTNER (Université de Bourgogne – ARTeHIS-UMR 5594) • Marie-Gabrielle CAFFIN (Université de Bourgogne - ARTeHIS-UMR 5594) • Denis CAILLEAUX (Université de Bourgogne - ARTeHIS-UMR 5594) • Annaïg CHATAIN (Université de Paris Sorbonne, Paris IV) • Bruno DECARIS (Architecte en chef des Monuments historiques) • Heike HANSEN (Université de Stuttgart) • Dominique IOGNA-PRAT (CNRS – LAMOP) • Fabienne JOUBERT (Université de Paris Sorbonne, Paris IV) • Dieter KIMPEL (Université de Stuttgart) • Kristina KRÜGER (coll. du Dehio Westphalie-Münster) • Catherine LAVIER (Centre de recherche et de restauration des musées de France) • Lise LEROUX (Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques) • Maxime L’HERITIER (CNRS – Laboratoire Pierre Süe) • Guy LOBRICHON (Université d’Avignon) • Christine LOCATELLI (Dendrochronology consulting) • Françoise PERROT (CNRS - LAMOP) • Didier POUSSET (Dendrochronology consulting) • Alain RAUWEL (Université de Bourgogne - ARTeHIS-UMR 5594) • Nicolas REVEYRON (Université de Lyon II) • Dany SANDRON (Université de Paris Sorbonne, Paris IV) • Christian SAPIN (CNRS - ARTeHIS-UMR 5594) • Vincent TABBAGH (Université de Bourgogne - ARTeHIS-UMR 5594) • Harry TITUS (Université de Wake Forest)

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« Les usages sociaux de la Bible ». Numéro de la revue Médiévales Auxerre, Centre d’études médiévales, 16-17 novembre 2007

Dominique Iogna-Prat

1 L’ambition de ce numéro de Médiévales, qui donnera d’abord lieu à un Atelier à Auxerre les 16 et 17 novembre 2007, consiste à rendre compte des recherches actuelles sur la Bible et l’exégèse au Moyen Âge, dans une double direction : • Les exploitations sociales et « politiques » de la Bible, telles qu’on peut les saisir à travers les commentaires et l’utilisation des figures bibliques au fil des siècles. Ce type d’étude s’inscrit dans la lignée d’un certain nombre de travaux anglo-saxons et italiens (concernant notamment l’ecclésiologie aux époques carolingienne et grégorienne) et des recherches initiées en France par Guy Lobrichon, puis Philippe Buc (à propos des gloses bibliques comme fondement des réflexions sur l’ordre social et le pouvoir entre les 11e et 13e siècles). On s’intéressera ici aux multiples interprétations / utilisations d’un épisode, d’un motif ou d’une figure biblique selon les époques et les milieux, en s’interrogeant sur leur pertinence sociale et sur le sens des évolutions, en portant également une attention (peut-être plus grande que dans les travaux précédents) aux rapports complexes entre le genre du texte biblique commenté, le type de modèle ou de représentation qu’il fonde et le contexte – exégétique ou non – de l’interprétation (cette dernière pouvant varier selon que l’on se trouve au sein d’une oeuvre exégétique à proprement parler ou au sein d’un autre type d’écrit). • La matrice biblique de l’institution du sens dans la société médiévale. Dans le prolongement des travaux sur les techniques intellectuelles des commentateurs de la Bible et, de manière plus profonde, sur l’herméneutique que suppose l’interprétation de la Bible au Moyen Âge (Gilbert Dahan), on s’interrogera sur l’application des méthodes de l’exégèse à d’autres textes que la Bible et à d’autres champs du savoir, ainsi que sur l’élaboration, dans le cadre de l’exégèse, d’outils et de concepts susceptibles d’être utilisés en d’autres contextes. Dans la perspective d’une histoire culturelle entendue au sens large, on pourrait également tenter de réfléchir sur le système de représentation qu’induit, de manière beaucoup plus ample dans la société médiévale, le « figurisme », pour reprendre le terme d’Erich Auerbach, caractéristique de la démarche de l’exégète.

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2 Programme provisoire du séminaire

• M. LAUWERS, Introduction. • S. SHIMAHARA, Les usages du livre de Daniel à l’époque carolingienne. • I. ROSÉ, Ananie et Saphire (Act. V, 1-11). Construction discursive d’un contre-modèle cénobitique. • E. BAIN, Les marchands chassés du Temple : interprétations et usages sociaux. • B. SÈRE, De l’exégèse biblique aux commentaires philosophiques : réemploi et transfert. • G. VEYSSEYRE et Cl. WILLE, Vers une « glosa ordinaria » des vaticinations du devin ? Stabilité et variations des gloses latines et françaises des prophéties de Merlin.

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CBMA - Chartae Burgundiae Medii Aevi. II. Les fonds diplomatiques bourguignons Dijon, ARTeHIS UMR 5594, 25 janvier 2008, 10h00-16h00

Eliana Magnani et Marie-José Gasse-Grandjean

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1 Dans le cadre du programme de recherches Chartae Burgundiae Medii Aevi, cette journée d’étude vise à approfondir la réflexion sur les cartulaires bourguignons, en faisant notamment le point sur les cartulaires encore inédits. Deux axes sont envisagés :

2 ► la mise en place d’un programme d’études des manuscrits inédits (codicologie, composition, écriture…) en vue d’une appréhension plus fine de la typologie documentaire générale et de la place de l’écrit diplomatique dans la société médiévale ;

3 ►la présentation des résultats d’études en cours ou de synthèses sur des fonds particuliers. Ces résultats compléteront les informations livrées par la base de données CBMA et feront l’objet d’articles-notices publiés en ligne.

4 Par ailleurs, l’utilisation de la base de données des chartes bourguignonnes pour la recherche, ses possibilités et ses limites, seront aussi soumises à réflexion, notamment à partir des enquêtes autour du vocabulaire de l’échange au Moyen Âge.

5 Programme provisoire : • La dîme en Bourgogne au Moyen Âge. L’enquête dans la base des données CBMA (Isabelle ROSÉ) • Les cartulaires bourguignons inédits (Marie-José GASSE-GRANDJEAN, Eliana MAGNANI, Isabelle ROSÉ) • Les cartulaires de Cluny. Essai de synthèse (Sébastien BARRET) • Les cartulaires de Saint-Cyr et de Saint-Étienne de Nevers (Diane CARRON, Marie-José GASSE- GRANDJEAN) • Le fonds de l’abbaye cistercienne de Reigny et le projet d’édition en ligne (Marlène HÉLIAS- BARON) • L’édition des actes de Saint-Étienne de Dijon (Hubert FLAMMARION)

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Présentation et mise en valeur des sites archéologiques religieux en milieu urbain Luxeuil, projet de table ronde, 25-26 avril 2008

Sébastien Bully et Christian Sapin

1 Ces dernières décennies, l’archéologie en milieu urbain est principalement devenue synonyme d’archéologie de sauvetage puis d’archéologie préventive. Les recherches ont révélé des ensembles religieux de l’Antiquité tardive et du Moyen Âge souvent méconnus jusqu’alors et qui ont largement fait progresser notre connaissance des premiers groupes épiscopaux, des monastères urbains ou péri-urbains, des basiliques funéraires ou bien encore des églises paroissiales. La qualité des vestiges et l’intérêt suscité par ces découvertes ont parfois conduit les collectivités – souvent les municipalités – à engager des travaux visant à leur valorisation. Dès lors, et au-delà des retombées scientifiques et de leur intérêt à court terme pour le grand public, la question s’est souvent posée de la conservation de vestiges souvent fragiles (tombes, enduits peints, sols…) et de leur gestion à plus long terme dans des espaces souvent découverts et au cœur des différentes contraintes de la ville (circulation, stationnement, commerces, etc.). C’est à partir de ces constats et en préalable à un projet de fouille programmée portant sur l’église funéraire Saint-Martin de Luxeuil, que nous projetons d’organiser une rencontre afin de traiter de ces questions.

2 À la lumière des expériences acquises ces trente dernières années dans ce domaine, la table ronde se propose de réunir différents intervenants (archéologues, architectes, muséographes, représentants de la maîtrise d’ouvrage) pour présenter des exemples de recherches et de mise en valeur, tant en France qu’à l’étranger (les exemples pressentis sont ceux de Limoges, la Charité-sur-Loire, Saint-Denis, Brioude, Arles, Auxerre, Grenoble, Besançon, Aoste, Genève, Tournai). Après l’exposé des résultats scientifiques, les intervenants (archéologues, architectes, élus ou représentants de villes) présenteront les choix de conservation et les différentes stratégies de valorisation mises en œuvre. Cette rencontre et les discussions qui en découleront devraient

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permettre de réfléchir à la pertinence et à l’ampleur d’une valorisation des vestiges de Luxeuil, tel que le souhaiterait la municipalité.

3 La table ronde se tiendra à Luxeuil-les-Bains et réunirait une cinquantaine de personnes.

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Images et passages à l’époque médiévale Centre d’études médiévales d’Auxerre, table ronde des 19-20 juin 2008

Dominique Donadieu-Rigaut

1 Depuis les travaux fondateurs de Louis Marin (De la représentation, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1994) et de Victor Stoïchita (L’instauration du tableau, Genève, Droz, 1999), nous savons combien le cadre a joué un rôle capital dans la formation du tableau moderne et la définition de l’espace de la représentation. Clôture de l’image, il autonomise l’œuvre par rapport au monde visible qui l’entoure, tout en imposant une manière ostentatoire d’appréhender le Représenté se donnant à voir comme tel.

2 Pour l’époque médiévale, la question se pose autrement. Même si les « cadres » n’étaient pas méconnus bien au contraire (que l’on pense par exemple aux véritables édicules de bois enchâssant les retables gothiques), ils assumaient des fonctions différentes dans la mesure où les panneaux, spécifiquement créés pour un lieu particulier (autel, chapelle, cellule…), entretenaient avec leur environnement immédiat des rapports nécessaires. En ce sens, les cadres avaient davantage pour rôle d’articuler l’œuvre à l’édifice ecclésial ou conventuel que de construire un espace pictural signifiant en le distinguant de tout ce qui relevait du « hors-cadre ».

3 Mais la problématique du cadre médiéval ne se borne pas, précisément, aux bords du panneau de bois, ni même aux seuls retables. Les images du Moyen Âge, peintes sur les murs ou dans les livres, sont elles aussi délimitées par des bordures trop souvent ignorées dans l’analyse des œuvres, les auteurs (et les photographes) se focalisant sur le « dedans » censé contenir à lui seul tout le signifiant. Pourtant, ces limites participent pleinement de l’image. Non seulement parce que ce sont elles qui délimitent, dans certains manuscrits, le « centre » de la page par opposition aux marginalia, mais aussi dans la mesure où elles concourent à établir des séquences et des rythmes visuels ordonnant le narratif dans un cycle donné.

4 Il s’agira dès lors de s’interroger sur les multiples fonctions de ces frises liminales, ainsi que sur leurs mises en œuvre, en accordant une attention particulière au caractère poreux, dynamique, voire énigmatique des frontières. Car si les bordures médiévales

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semblent au premier abord jouer exclusivement le rôle de barrières qui séparent, qui opposent de façon univoque, elles sont aussi et surtout des appels à la transgression, aux débordements. En un mot, des invitations à penser la transition et le transitoire sur un mode plus complexe.

5 Cette réflexion sera conduite selon deux axes thématiques :

6 1) Dépasser les limites : passages et transgressions de la bordure dans les images médiévales.

7 Cette première section de travaux sera consacrée à l’analyse aussi fine que possible des représentations médiévales (tous supports confondus) mettant en œuvre des phénomènes volontaires de franchissement des limites, de dépassement et de débordement du cadre. Nous nous interrogerons aussi sur la validité de la notion de « frise » qui a joué un si grand rôle en Histoire de l’art, tant pour désigner les « bords » du bâtiment que les « bords » de l’image.

8 2) Le rôle performatif des images-objets dans les rites de passage au Moyen Âge

9 En nous appuyant sur la notion « d’images-objets » définie par Jérôme Baschet (cf « L’image-objet », in L’image, fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, Paris, Cahiers du Léopard d’Or, 5, 1996, p. 7-26), nous essaierons de comprendre comment les images peuvent prendre part aux rites de passage (baptême, mort, prise d’habit, entrée solennelle…) et plus globalement aux manifestations des états transitoires, et concourir ainsi à l’accomplissement d’un devenir autre.

10 Participants pressentis : • Jérôme Baschet (EHESS, Paris) • Dominique Donadieu-Rigaut (Université de Marne-la-Vallée - ARTeHIS) • Katia Gimenez (Université de Bourgogne) • Eliana Magnani (CEM Auxerre - ARTeHIS) • Robert Marcoux (Université de Laval, Québec) • Didier Méhu (Université de Laval, Québec) • Dominic Olariu (Université de Düsseldorf) • Anne-Orange Poilpré (Université de Nancy 2) • Daniel Russo (Université de Bourgogne - ARTeHIS) • Emanuela Toma (EHESS, Paris) • Mélanie Terrisse (Université de Bourgogne - ARTeHIS)

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Bibliographie

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Exégèse et politique dans l’œuvre d’Haymon d’Auxerre 1 Thèse de doctorat de l’Université Paris IV-Sorbonne, sous la direction de François Dolbeau et Michel Sot, novembre 2006

Sumi Shimahara

1 L’exégèse biblique explicite la Loi par excellence, le message adressé par Dieu aux hommes. Le Livre est ambigu, à toutes les époques. Son interprétation est une prise de position en vue de fournir prescriptions et modèles à une société donnée. L’exégèse est donc une source riche pour l’histoire des représentations, en particulier politiques. Nous choisissons un point de vue particulier, celui d’Haymon d’Auxerre, moine qui vécut au milieu du IXe siècle et enseigna à l’abbaye Saint-Germain. Nous montrons en quoi sa culture et ses représentations témoignent d’une certaine originalité parmi les lettrés carolingiens. L’exégèse du haut Moyen Âge est marquée par le poids très important de la tradition patristique. Pour cerner les inflexions d’Haymon, ce qui fait sa personnalité, nous adoptons une démarche comparatiste à la fois synchronique et diachronique, faisant nôtre la maxime employée par différents spécialistes de l’exégèse et formulée comme suit par Philippe Buc : « Tout écart, même minime, dans la reproduction des textes reçus, est potentiellement significatif 2 ».

2 Cette minutie dans la comparaison exigeait que notre étude reposât sur un texte fiable. Nous établissons donc l’édition critique de l’Annotation brève sur Daniel, jusqu’à présent inédite, ainsi que sa traduction. Pour fonder une analyse plus générale de la pensée d’Haymon, nous élargissons ce corpus selon deux cercles concentriques. Le premier englobe trois textes proches du commentaire sur Daniel : les expositions d’Haymon sur Joël, Amos et Abdias. Nous avons systématiquement comparé ces traités à leur source majeure, les expositions de Jérôme. Notre corpus principal est ainsi suffisamment cohérent pour autoriser de fréquentes comparaisons et comprend quatre textes, ce qui permet de déterminer des constantes dans l’exégèse haymonienne, par-delà les particularités inhérentes à un texte biblique donné. Le deuxième cercle englobe le reste de l’œuvre d’Haymon, que nous avons interrogé sans en faire une étude exhaustive ni en rechercher systématiquement les sources. Nous y avons puisé des confirmations d’idées qui avaient émergé à partir de notre corpus principal et dont nous voulions

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vérifier l’importance dans l’œuvre d’Haymon mais aussi des compléments d’informations.

3 Nous définissons le terme politique au sens large comme tout ce qui a trait au mode de gouvernement d’une société donnée, plutôt que dans le sens restreint de construction d’un État. À l’époque carolingienne, la société est l’Église visible, tendue vers son achèvement eschatologique. Le politique se situe essentiellement dans une relation verticale, celle de la médiation humaine entre la royauté absolue, celle du Christ, et de son corps, l’Église. Nourri des premiers fruits de la renaissance et de la réforme carolingienne, Haymon déploie une pensée relativement novatrice au milieu du IXe siècle. Comme les autres lettrés carolingiens, il considère que le savoir doit réformer le monde ; la science, alliée à la sagesse, est un outil politique. Nous déclinons successivement trois traits de sa personnalité au cours de quatre parties.

4 Les deux premières parties de cette étude sont en effet consacrées à l’écrivain, moine à Saint-Germain d’Auxerre. Dans un premier chapitre, nous rappelons le contexte dans lequel il écrit : Auxerre est un des pôles décentrés du pouvoir royal. Nous procédons dans le deuxième chapitre à une mise au point de ce qu’on sait de sa biographie, récemment discutée, et de ses ouvrages. Le troisième chapitre apporte de nouveaux éléments sur son œuvre : nous établissons l’authenticité de l’Annotation brève sur Daniel, montrons quelles sont les recensions haymoniennes des commentaires sur Joël, Amos et Abdias et fournissons quelques éléments neufs pour affermir l’attribution du traité sur Jérémie. La deuxième partie de notre travail est consacrée à l’élaboration de notre source principale, c’est-à-dire à l’édition critique de l’Annotation brève sur Daniel dont nous donnons également une traduction annotée.

5 Dans la troisième partie, nous nous attachons au maître influent dans l’histoire culturelle de l’époque carolingienne et, plus généralement, du Moyen Âge. Un premier chapitre rappelle à la fois le rôle moteur de l’exégèse dans la réforme carolingienne et sa place dans la société : c’est à la fois une science monastique et un savoir d’élite. Nous montrons également que l’évolution de l’exégèse carolingienne témoigne de la réussite du renouveau culturel carolingien, en particulier à partir de l’exemple de l’interprétation de Daniel. Le deuxième chapitre est consacré à Haymon en tant que maître en exégèse. Nous nous interrogeons sur le degré d’assimilation des auteurs redécouverts à l’aube du IXe siècle et des méthodes élaborées alors, afin d’évaluer, à partir du moine d’Auxerre, la réalité du mouvement de renouveau. Un cas particulier fait l’objet de tout le troisième chapitre : nous y étudions le texte biblique utilisé par Haymon ainsi que ses principes philologiques afin de montrer comment l’entreprise de correction du Livre, encouragée par les souverains carolingiens, a été reçue dans l’exégèse. Cela permet de compléter les travaux sur ce sujet, fondés davantage sur les manuscrits bibliques conservés que sur leur usage. Enfin, nous montrons dans le quatrième chapitre les grands traits de la postérité médiévale d’Haymon en suivant sa trace non seulement dans les témoins subsistants mais aussi dans les catalogues de bibliothèques médiévales et, surtout, dans les écrits de toute la période.

6 Dans la dernière partie, nous traitons d’Haymon en tant que penseur et nous abordons son exégèse sous l’angle de l’histoire des représentations. Nous montrons dans le premier chapitre le rôle structurant de l’histoire du salut dans sa pensée, toute orientée vers l’attente et la préparation du jugement. Dans la lignée augustinienne, Haymon développe une conception de l’histoire qui lui permet de lire la Bible comme un guide pour ses contemporains. Le Livre est aussi miroir du monde. Cela nous permet, dans un

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deuxième chapitre, de préciser les responsabilités que le moine d’Auxerre attribue aux dirigeants de l’Église à travers les jugements qu’il porte sur la description des actions de leurs types bibliques. Nous pouvons ainsi cerner les valeurs qu’il exalte, les prescriptions qu’il donne. Dans le dernier chapitre enfin, nous étudions les moyens de gouvernement, de réforme de la société, tels qu’ils sont préconisés et mis en pratique par Haymon dans son exégèse. Il s’agit ainsi de mieux cerner la pensée d’un savant en retrait du monde mais qui s’adresse malgré tout à l’Église universelle.

7 Nos résultats peuvent se regrouper selon trois thèmes : Haymon est avant tout un moine, ce que l’historiographie avait minoré. C’est un savant ; l’étude précise de son œuvre renouvelle ce qu’on savait du renouveau carolingien. C’est aussi un réformateur qui élabore une idéologie alternative à celles des rois et des évêques. Dans ces trois aspects, Haymon est annonciateur de mouvements ultérieurs qui ont puisé à son exégèse. Si l’emprise réelle de sa prédication sur la société carolingienne elle-même est difficile à évaluer, son influence est incontestable dans la culture et dans les représentations médiévales. Un moineUn moine en retrait du siècle 8 Haymon, avant tout, est un moine. On le sait depuis les travaux d’Eduard Riggenbach mais on a eu tendance à minorer ce fait, à voir en lui essentiellement un maître. Tout son œuvre renvoie pourtant à cette réalité sociale et spirituelle. L’homme est en retrait du monde, de la cour et des honneurs. Il n’intervient pas dans les affaires de son temps, il n’est pas le conseiller proche ou lointain des rois contrairement à d’autres moines exégètes, Angélome de Luxeuil ou Raban Maur par exemple. Il ne compose aucune dédicace, pas même pour des frères. Ses commentaires nous sont transmis sans cette gangue de paratexte où l’écrivain, habituellement, parle de ses desseins et de lui-même. Ils sont nus comme l’est l’homme détaché des biens terrestres. Cet anonymat est d’autant plus remarquable qu’Haymon est un exégète prolifique. Après Raban Maur, c’est le carolingien qui a commenté le plus de livres bibliques et l’un de ceux dont l’œuvre a été le mieux diffusé tout au long du Moyen Âge.

9 En outre, Haymon enseigne et écrit dans un milieu situé dans l’orbite royale au IXe siècle. Sous Charles le Chauve, les honores auxerrois sont attribués à des proches du souverain, l’abbaye Saint-Germain est richement dotée, le roi s’y rend régulièrement. Il s’y recueille à l’occasion d’événements décisifs pour lui, par exemple après la bataille de Fontenoy en 841 ou avant d’affronter son frère Louis le Germanique, envahisseur de son royaume en 859. Charles le Chauve est suffisamment présent et attaché à Saint-Germain pour qu’Heiric, élève d’Haymon, lui dédie le récit des miracles du patron de l’abbaye. Cependant l’activité culturelle, polarisée sur la cour de Charlemagne, se déconcentre dès le règne de Louis le Pieux puis se trouve éclatée en multiples pôles sous celui de Charles le Chauve. L’impulsion centrale est peu à peu relayée à la périphérie, signe de la réussite du renouveau carolingien. L’œuvre d’Haymon, comme celui de ses contemporains Paschase Radbert ou Christian de Stavelot, témoigne de ce déploiement dans tout l’espace carolingien du savoir d’élite qu’est l’exégèse biblique. Il révèle le fonctionnement autonome de centres de culture dispersés. Paschase, Christian et Haymon écrivent librement et non sur commande royale ; tous trois, davantage que leurs prédécesseurs, impriment leur marque personnelle sur la tradition herméneutique de la Bible. Mais seul Haymon livre des textes nus, sans dédicace, justifiés par leur seul contenu. Exégèse et lectio divina

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10 Moine, Haymon l’est aussi en ce qu’il commente la Bible avant tout pour ses frères, professionnels de la prière, ruminants de l’Écriture voués à la lectio divina. Il leur offre le fruit de sa réflexion pour enrichir la leur, pour les aider à faire croître en eux la parole divine, pour leur révéler l’infinité du texte saturé de sens. Son exégèse est à l’image de cette méditation individuelle et linéaire du Livre : elle épouse les contours du texte, s’arrêtant plus longuement sur les passages qui frappent l’auteur, en évoquant d’autres de manière allusive, choisissant souvent la lecture historique, l’augmentant parfois d’une explication spirituelle. Il n’y a rien de systématique dans l’interprétation haymonienne mais toute la souplesse d’une pensée personnelle. En cela, le moine d’Auxerre se différencie de son inspirateur majeur, Jérôme, et plus encore de son contemporain Raban Maur qui s’applique à présenter avec régularité la lettre puis l’esprit. Il se distingue surtout des commentateurs du XIIe siècle : l’exégèse scolaire s’insérera alors dans un cadre assez strict, par exemple celui de séquences organisées par des quaestiones chez André de Saint-Victor ou celui du sens historique chez Pierre le Mangeur. L’explication monastique adoptera elle aussi un fil directeur plus visible que chez Haymon, souvent tropologique. La liberté du moine d’Auxerre reflète au contraire les aléas d’une réflexion spontanée, quoique pétrie de science patristique.

11 La pensée d’Haymon est pourtant structurée par l’idéal de perfection sur lequel il a les yeux rivés : c’est la Jérusalem céleste, la cité de Dieu que le moine cherche à rejoindre en s’arrachant à sa condition d’homme terrestre. L’Église ici-bas est mixte, les deux cités y sont inextricablement mêlées, mais Haymon rappelle avec force leur existence réelle, leur distinction définitive et visible, promise pour le jugement dernier. L’histoire des hommes est celle de leur salut, celle de la lutte entre corps du Christ et corps du diable. Tout fait sens dans le monde car tout est voulu par Dieu. Mais les raisons de ce dernier sont impénétrables, sauf par la Bible. C’est là que se concentre le message que Dieu a confié à l’humanité par la voix d’élus inspirés. C’est dans le Livre que se trouve la clé de lecture permettant de comprendre l’univers et les modalités de la lutte récurrente entre les deux cités. En soulignant ce qui, dans l’histoire biblique, montre l’appartenance à l’une ou l’autre, motive les actions de l’une et de l’autre, signifie les attentes et le jugement de Dieu, le moine d’Auxerre fait de la Bible un miroir reflétant la dichotomie du monde et un guide de conduite pour ses contemporains. Ses commentaires constituent donc une exhortation permanente à la quête de perfection, à l’imitation des élus réunis au ciel. Un idéal monastique 12 De l’exégèse d’Haymon émerge un idéal que les moines sont supposés incarner au mieux. La vertu qu’il exalte avant toutes les autres est l’humilité, prégnante dans les représentations carolingiennes. Il lui associe la sagesse, la chasteté et la piété, toutes alliées dans un même dessein, celui de se détacher des choses terrestres. C’est au nom de l’humilité qu’Haymon appelle à une conversion permanente. La pénitence sauve en lavant des péchés, elle est le moyen par excellence du salut dans la mesure où le libre- arbitre, la décision d’accepter la grâce miséricordieuse du pardon divin, est la seule marge de liberté dont les hommes disposent sur terre. La pratique pénitentielle exaltée par Haymon est une conversion quotidienne, intense, absolue : il s’agit de se tourner vers Dieu, de s’offrir en sacrifice à lui en se purifiant par une ascèse faite de jeûne, de componction, de larmes et de prière. Tout le culte, l’alliance renouvelée jour après jour avec Dieu consiste en cette offrande de soi ; sa qualité réside dans l’intention du fidèle

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et non dans les seuls gestes. La spiritualité qu’Haymon propose à ses contemporains est donc profondément monastique.

13 La valorisation très appuyée de l’homme intérieur au détriment de l’homme extérieur, façonnée par l’esprit bénédictin tout autant que par les écrits d’Augustin et de Grégoire, conduit Haymon à fustiger avec vigueur le comportement des hommes du siècle. Il critique particulièrement les puissants et leur exercice du pouvoir, visant surtout les rois mais aussi les évêques et, parfois, les abbés. Sa méfiance et sa réprobation vont plus loin que celles de ses contemporains religieux et lettrés dans la mesure où elles ont des conséquences sur son ecclésiologie. Haymon minore la responsabilité du pôle temporel de gouvernement dans l’Ecclesia, le cantonnant à un rôle de coercition et de défense des fidèles. Il rend plus étanche la frontière entre les deux sphères de pouvoir. Seules les autorités religieuses régissent la société, l’admonestent. Parmi elles, les moines ont un rôle capital : ce sont les prédicateurs par l’exemple, ils incarnent un modèle que tous les fidèles sont invités à imiter. Haymon offre ainsi une idéologie politique alternative à celles que défendent les rois, les évêques et le pape au milieu du IXe siècle et prépare l’élaboration d’une conception monastique de l’Église. Un inspirateur de la pensée et de l’exégèse monastique médiévales 14 Les idéaux d’Haymon ont en effet influencé Heiric, son disciple : ce sont eux, probablement, qui l’ont poussé à remodeler le schéma des trois ordres afin de formaliser la prépondérance des moines dans la société. De même, les mouvements clunisiens et grégoriens ont sans doute puisé chez Haymon une part de leurs valeurs : la lecture du moine d’Auxerre est attestée dans ces milieux. On avait jusqu’alors considéré qu’Haymon était un précurseur de l’exégèse scolaire. En réalité, il est également influent parmi les moines, comme l’atteste la présence de ses traités dans les catalogues de leurs bibliothèques au Moyen Âge. Nombreuses sont les œuvres émanant du cloître qui s’inspirent des commentaires d’Haymon, surtout ceux sur le Cantique des cantiques, Isaïe ou l’Apocalypse, mais aussi sur les Épîtres pauliniennes. Williram d’Ebersberg et Robert de Tombelaine se réapproprient sa pensée : ils utilisent ses expositions comme trame des leurs. Rupert de Deutz et Hildegarde de Bingen lui empruntent plus ponctuellement. Moine, Haymon est en effet aussi un homme de science qui instruit l’Église universelle et écrit pour toucher, au-delà de l’époque carolingienne, toute l’humanité. Un savant Le savoir, distinctif de l’élite 15 Alors que pour Haymon, l’idéal monastique de sainteté est théoriquement accessible à tous, la sainteté savante, la plus prestigieuse, distingue une élite d’élus inspirés par Dieu. La connaissance de toutes choses est réservée à Dieu, répète inlassablement Haymon. Mais à chaque époque Dieu inspire quelques élus, leur octroie une compréhension exceptionnelle du monde, un charisme prophétique qui leur confère une position de médiateur entre le roi unique, Dieu, et ses fidèles. Seuls ceux qui bénéficient de cette intelligence supérieure des desseins divins peuvent guider les autres vers le salut. Pour avoir la fermeté nécessaire à cette tâche, ils doivent en outre être mûris par une certaine expérience de la vie et des hommes. Haymon valorise la composante intellectuelle de la sagesse et de la sainteté, se démarquant en cela d’un de ses inspirateurs majeurs, Grégoire le Grand. Il affirme la supériorité de l’admonition doctorale, écrite, donc destinée à un auditoire plus vaste, dans l’espace comme dans le temps, que la prédication orale. Nul doute que cette inflexion vient d’un esprit façonné

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dans une atmosphère de renouveau des études. Nous pensons qu’Haymon a probablement été oblat ; il aurait été élevé au monastère, à une époque où les lettres refleurissent à l’ombre du cloître. Un maître en sciences scripturaires 16 Haymon est lui-même devenu maître en sciences scripturaires, les plus prestigieuses dans la pyramide du savoir. Volontiers didactiques, ses commentaires sont relativement brefs et manifestent une recherche de clarté. Le prédicateur et l’enseignant ne font qu’un : Haymon délimite avec précision les contours de l’orthodoxie, s’attardant sur les passages difficiles, pointant les interprétations erronées qu’il faut éviter. C’est une sentinelle, un veilleur qui anticipe les dangers et corrige les fautes. Par touches légères mais régulières, il rappelle les principaux éléments du dogme, évoque surtout les fins dernières et la toute-puissance de Dieu, sa prescience et la prédestination au bien, la permission qu’il accorde à tout ce qui se fait. Haymon insiste aussi sur la théologie trinitaire et l’unicité de la divinité dans le sillage des controverses carolingiennes. La présentation alternée et parfois hiérarchisée de plusieurs autorités sur une même question exégétique ou dogmatique a fait la célébrité du moine auxerrois. Cela se produit surtout dans son Commentaire sur les Épîtres pauliniennes. Sur les prophètes, Haymon est plus bref mais son exégèse a indéniablement une dimension catéchétique.

17 Ses expositions démontrent la réussite de la renovatio culturelle mise en œuvre par les carolingiens. D’une part, Haymon dispose manifestement d’une bibliothèque assez riche : il a accès à des œuvres patristiques mais aussi à des glossaires et à des ouvrages de l’antiquité classique, telle l’Histoire naturelle de Pline. D’autre part, le moine d’Auxerre a profondément assimilé un enseignement patristique qu’on s’est efforcé de redécouvrir et de comprendre depuis un demi-siècle. En cet espace de temps, le genre exégétique évolue notablement. Au début, la redécouverte des Pères conduit à la constitution de florilèges comprenant des extraits plus ou moins longs de leurs œuvres. L’étape suivante voit la juxtaposition de plusieurs interprétations d’un même verset dans des compilations anthologiques à but encyclopédique, par exemple celles de Claude de Turin ou de Raban Maur. Cela débouche sur l’élaboration de synthèses personnelles, où l’auteur reformule ses sources, synthétise la pensée de plusieurs Pères. Les commentaires d’Haymon sur Daniel, Joël et Amos témoignent de cette assimilation profonde de l’esprit d’Augustin et de Grégoire le Grand ; c’est elle qui conduit le moine d’Auxerre à modifier la trame hiéronymienne, sans qu’il ait besoin de s’appuyer sur une compilation exhaustive. Haymon a sans doute eu accès dès sa jeunesse à la pensée patristique ; il a réellement pu se l’approprier au fil des ans.

18 Haymon est également philologue : il s’intéresse à la correction du texte biblique, indique des leçons variantes et la valeur qu’il faut leur accorder. L’établissement de l’édition critique de l’Annotation brève sur Daniel nous permet de mieux approcher le texte qu’il privilégie. La plupart des indices montrent qu’il s’agit de la révision théodulfienne, sans doute dans une recension tardive, donc assez aboutie. Ce fait est remarquable pour deux raisons. D’une part, l’édition de Théodulfe s’apparente à un travail critique hiérarchisant un grand nombre de variantes. C’est une entreprise scientifique à la pointe de la recherche carolingienne. D’autre part, et peut-être en raison de ce caractère, l’œuvre philologique de l’évêque d’Orléans a la réputation d’avoir été peu influente, contrairement à celle d’Alcuin. Seul Jean Scot aurait recouru à la révision théodulfienne. L’étude du texte de Daniel utilisé par Haymon remet en cause

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à la fois le monopole de la correction alcuinienne et l’échec de celle de Théodulfe. Il faudrait bien entendu étendre l’enquête à d’autres expositions du moine d’Auxerre et à d’autres traités exégétiques carolingiens pour mesurer la réception réelle de ces versions dans les expositions carolingiennes. D’autres indices, chez Raban ou chez Paschase, montrent que le texte d’Alcuin ne semble pas avoir été aussi répandu qu’on l’a dit.

19 Le comportement philologique d’Haymon révèle en outre les rapports entre exégèse, liturgie et philologie : le moine d’Auxerre privilégie la leçon qui donne le meilleur sens à ses yeux mais il lui arrive de la gloser en la « traduisant » dans le texte liturgique vieux-latin. Il choisit donc de commenter le texte le plus savant mais recourt parfois pour cela à celui que les moines utilisent quotidiennement, ou encore aux leçons transmises par la tradition patristique. La correction biblique, dans son esprit, n’exclut donc pas la plupart des variantes : ces dernières, quand elles ne sont pas des erreurs qu’il condamne sans appel, reflètent l’infinité de la parole divine, imparfaitement traduite dans le langage des hommes. Elles constituent autant de tentatives pour approcher la plénitude du sens du Livre. Cela peut en partie expliquer la résistance que semble rencontrer la diffusion du psautier gallican, souhaitée notamment par Alcuin. Notre enquête sur le psautier utilisé par Haymon repose sur des indices trop peu nombreux pour autoriser des conclusions définitives mais elle corrobore ce qu’Andrea Macaluso observe à la même époque à Fulda : la version romaine semble résister, probablement en raison de la place des psaumes dans la vie quotidienne des moines. Il était naturellement difficile d’imposer des modifications à un texte aussi incorporé à la liturgie monastique que le psautier. Dans l’ensemble cependant, l’œuvre d’Haymon témoigne d’une incontestable réussite du renouveau scolaire carolingien. Une autorité médiévale reconnue 20 Transmis sans dédicace et souvent de manière anonyme, les textes d’Haymon posent des problèmes d’attribution. Dès le Xe siècle, il leur arrive de circuler sous le nom de Remi d’Auxerre. Ce fait, joint aux recensions variées du texte d’Haymon, a conduit à voir dans ces états différents des remaniements rémigiens. L’étude de notre corpus principal, composé de cinq commentaires sur les prophètes, ne corrobore pas cette interprétation. Il est possible qu’Haymon ait lui-même régulièrement amendé ses textes, tout en autorisant leur diffusion à des états intermédiaires, au gré des voyages d’études de ses élèves par exemple. La comparaison entre les vestiges de son enseignement et ses commentaires authentiques montre que ces derniers ont bénéficié d’un degré d’élaboration supérieur : il ne s’agit pas de la simple mise en forme de ses leçons, mais bien d’œuvres réfléchies, méditées, mûries. Si le nom de Remi a remplacé celui d’Haymon dans certains manuscrits, c’est probablement parce que le premier a largement contribué à la diffusion des traités anonymes du second. Il fallait un nom ; on a donné celui de Remi qu’on connaissait et qu’on rattachait au texte, même s’il ne l’avait pas modifié.

21 Pourtant Haymon est reconnu en tant qu’autorité au Moyen Âge. Heiric célèbre la science de son maître en constituant deux recueils inspirés de son enseignement. L’un est sans doute un vademecum ; il s’agit de gloses bibliques. L’autre en revanche est une véritable publication qui assemble les scolies des leçons d’Haymon et de Loup de Ferrières et fait leur éloge. C’est cependant l’exégèse scolaire du XIIe siècle qui élève définitivement Haymon au rang d’autorité. Abélard recourt explicitement et abondamment au commentaire d’Haymon sur les Romains. La Glose ordinaire puise

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largement dans l’œuvre du moine d’Auxerre, sans toujours le citer. Directement ou non, d’autres savants lisent Haymon, tels Pierre Lombard et Pierre le Mangeur. Il est ensuite mentionné en tant qu’autorité par de prestigieux universitaires, tels Albert le Grand, Thomas d’Aquin, Alexandre de Halès. Les correctoires bibliques du XIIIe siècle, par exemple celui d’Hugues de Saint-Cher, utilisent ses remarques philologiques. À l’aube des temps modernes, les humanistes Laurent Valla et Érasme font également référence à Haymon, de même que Jean Hus. Selon les cas, on lui emprunte des notices savantes ou une argumentation théologique. La brièveté, le ton didactique, l’esprit synthétique de ses commentaires séduisent les maîtres dès la fin du XIe siècle et jusqu’au XVe siècle. Chaque époque de renouveau de l’exégèse, le XIIe puis le XVe siècle, vivifie la lecture et la réception de l’œuvre d’Haymon. Quelle meilleure preuve de succès, pour celui qui se voulait docteur de l’Église universelle, que cette reconnaissance de son autorité ?

22 Un des transmetteurs les plus efficaces de l’exégèse haymonienne est la Glose ordinaire. C’est elle en effet qui accompagne généralement la lecture du texte biblique dans les milieux scolaires puis universitaires : le Livre est désormais corseté dans son interprétation. Or Haymon occupe une place prépondérante dans cet apparat herméneutique, même s’il n’y est pas toujours cité. Le noyau dur de la Glose ordinaire sur les prophètes est façonné par Gilbert l’Universel. Un temps clerc à Auxerre, il y trouve l’œuvre d’Haymon et la pille. Il est possible que son entreprise ait phagocyté la diffusion directe de l’Annotation brève sur Daniel. Quoi qu’il en soit, la faible transmission manuscrite du traité haymonien éclaire la genèse de la Glose ordinaire sur Daniel. Il est en effet improbable que le commentaire d’Haymon ait été directement connu par les responsables du modelage définitif de la Glose : il n’est pas attesté à Paris et sa région. Les variantes qu’on observe dans les manuscrits précédant « la standardisation » de la Glose montrent que plusieurs abréviations du noyau gilbertien ont alors été confectionnées : certaines gloses d’origine haymonienne sont absentes des manuscrits anciens et présentes dans des témoins plus tardifs. Il nous paraît donc impossible de soutenir la thèse d’une genèse de la Glose par accumulation linéaire de matériel interprétatif. C’est à partir d’un noyau dur, diversement remodelé au cours du XIIe siècle, que se constitue ensuite le texte « standardisé » de la Glose sur Daniel. La réception de l’œuvre du moine d’Auxerre contribue donc à clarifier un élément important de l’histoire culturelle du XIIe siècle. La science d’Haymon, qui lui octroie à ses yeux une fonction de recteur dans l’Église universelle, a été appréciée tout au long du Moyen Âge. Mais la force du message réformateur qu’il adresse aux chrétiens a également contribué au succès de l’œuvre d’Haymon. Un réformateur 23 Au XIe siècle, à l’ouest de l’Europe, Robert de Tombelaine, l’ermite grégorien intransigeant réfugié sur un îlot normand en signe de protestation contre la simonie de son abbé, s’inspire du commentaire d’Haymon sur le Cantique des cantiques pour composer le sien. Au XVe siècle, à l’est de la chrétienté, l’universitaire tchèque Jean Hus puise abondamment à l’exégèse haymonienne. Comme eux, le moine d’Auxerre est en effet un réformateur. Nous avons montré qu’il est bien l’auteur de l’Annotation brève sur Daniel et très probablement celui du Commentaire sur Jérémie. Ce n’est pas un hasard si, à la différence de ses contemporains, il choisit de commenter tous les prophètes de l’Ancien Testament et l’Apocalypse. Il se considère comme leur successeur, c’est-à-dire comme un prédicateur inspiré par Dieu, chargé d’admonester son peuple. L’histoire est

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récurrente, l’actualité du récit biblique est permanente. En clamant la parole révélée à Daniel, Joël, Amos et Abdias, Haymon en actualise avec vigueur les lamentations, les injonctions, les menaces, les accusations à l’encontre de ses contemporains. L’interprétation essentiellement littérale qu’il donne d’Amos équivaut à une reprise absolue de son discours, celui de la critique sociale. Au cœur d’une époque troublée, marquée par les conflits voyant les frères s’affronter, les honneurs changer de mains au gré de la faveur des souverains, les trahisons et complots se multiplier, le moine d’Auxerre renouvelle les visions de Daniel et la parole d’Abdias. Dénonçant les luttes fratricides, soulignant l’impermanence de la gloire terrestre et des alliances, il enjoint de se préparer au vrai royaume, immuable et parfait, celui du ciel. Il transpose dans le présent de l’Église carolingienne les exhortations de Joël et ainsi appelle à la conversion de tous, à l’expiation collective du peuple pécheur, à la réforme de l’homme par la pénitence. C’est un message d’avertissement, de condamnation parfois, mais aussi de réconfort et d’espoir qu’il délivre.

24 Membre de l’élite savante, Haymon s’adresse prioritairement à ses frères, aux lettrés, aux grands. De même que les livres prophétiques mettent en scène l’admonition de l’homme de Dieu et les résistances qu’elle rencontre, l’exégèse d’Haymon est motivée par la distorsion entre son idéal monastique et la réalité de l’exercice du pouvoir. Il dénonce la superficialité des valeurs aristocratiques, l’importance accordée à l’apparat et à l’apparence, le système du don qui favorise les puissants et viole la justice, l’appât du gain qui conduit à opprimer les plus faibles. À propos de la vision de l’arbre coupé en Dn 4, Haymon rappelle que la sanction qui frappe le pécheur détenteur d’une charge publique est sa destitution, fut-il roi. Il fait peut-être allusion, alors, à la déposition de Louis le Pieux en 833. La peine est assimilée à un ensauvagement ; seule une pénitence sincère, profonde, rend forme humaine au souverain. L’instrument par excellence de la réforme, de la purification qui restaure l’homme dans l’état de son baptême et le débarrasse de la bestialité du pécheur est en effet la pénitence, entendue comme une conversion perpétuelle.

25 De même qu’Haymon a bénéficié du renouveau carolingien des études puis l’a fait fructifier, de même sa pensée témoigne de la réussite du mouvement de réforme religieuse de l’Empire. Son enfance, probablement dans un monastère où les préceptes conciliaires sont à peu près respectés, pourrait lui avoir inculqué les valeurs dont sont si fortement empreints ses commentaires. On ne sait dans quelle mesure il incarne l’idéal qu’il exalte. Sa science est certaine ; son retrait des affaires, son anonymat relatif suggèrent un détachement des choses terrestres. Il exprime surtout une idéologie qui, finalement, se retourne contre ceux qui en sont les initiateurs : les rois. C’est grâce à ces derniers et à l’impulsion centrale du palais que la discipline est améliorée dans les monastères, que les lettres y sont cultivées. Mais Haymon, pétri des valeurs du cloître, dénie aux souverains la responsabilité pastorale, l’admonestation qui en avaient fait des réformateurs. La recherche de la perfection monastique et du savoir ont pris chez lui un tour suffisamment puissant pour qu’il rejette toute association avec les hommes du siècle, qu’il leur refuse toute participation à la vraie fonction de gouvernance, celle des âmes. À la différence de Raban qui défend un idéal de coopération entre les pôles spirituel et temporel de la société, Haymon adopte et exalte le modèle du prophète, ce prédicateur « extérieur » à la société, cet homme de Dieu sans cesse affronté à la société terrestre.

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26 Le moine, le savant et le réformateur sont ainsi unis dans la figure du pasteur idéal de l’Église universelle qu’Haymon s’efforce d’incarner, rejoignant ceux qui « auront eu une sagesse complète et qui auront instruit les autres non seulement en personne, mais aussi par leurs écrits, chaque jour, dans l’Église, comme les apôtres et leurs successeurs, Augustin, Jérôme, et beaucoup d’autres docteurs » : ceux qui « BRILLERONT, comme le soleil et la lune ou bien comme le firmament entier avec toutes les étoiles3 ».

NOTES DE FIN

1. La thèse a été soutenue le 20 novembre 2006 à l’Université de Paris IV-Sorbonne devant un jury composé de François Dolbeau et Michel Sot (co-directeurs de thèse), Dominique Iogna-Prat, Mayke de Jong, Michel Lauwers et Jacques Verger. 2. Ph. BUC, L’ambiguïté du Livre. Prince, pouvoir, et peuple dans les commentaires de la Bible au Moyen Âge, Paris, 1994, p. 42. 3. HAYMON D’AUXERRE, Annotation brève sur Daniel 12, 3 : QVI DOCTI FVERINT, id est plenam sapientiam habuerint et alios non solum presentialiter docuerint, sed etiam scriptis cotidie in #cclesia, ut apostoli et eorum sequaces Augustinus Ieronimus et alii multi doctores, FVLGEBVNT sicut sol et luna, uel sicut totum firmamentum cum omnibus stellis.

INDEX

Index géographique : France/Auxerre Mots-clés : Haymon d’Auxerre, exégèse

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Cluny en Auvergne Thèse de doctorat de l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, sous la direction de Michel Parisse, mai 2006

Arlette Maquet

1 Dans l’histoire de Cluny, l’Auvergne représente un espace particulier, compte tenu de l’importance et du nombre de communautés monastiques dans cette région. Pourtant, quand on évoque Cluny, on pense immanquablement à la Bourgogne, presque autant à la Provence, plus rarement à l’Auvergne. Cependant, des rapports ont existé entre ces deux entités depuis les débuts : tout d’abord, une communauté de gouvernement en raison de l’origine du fondateur, Guillaume le Pieux, et ensuite les liens personnels des abbés avec la région. Avec autant de motifs, on est tenté de regarder Cluny depuis l’Auvergne.

2 L’espace concerné par cette étude correspond donc au diocèse de Clermont et lorsque Cluny s’implante en Auvergne, cette zone est au cœur de grands bouleversements. Au début du Xe siècle, le diocèse est intégré dans le domaine guillelmide. La mort de Guillaume le Pieux, suivie de la disparition rapide de ses neveux et successeurs, marque en effet la fin de la dynastie des Guillelmides et la dislocation de leur territoire1. Cela ouvre la voie aux lignages dépendants qui vont désormais jouer leurs propres cartes sur la scène locale. Certains vont s’imposer et imposer en même temps le monachisme clunisien, d’autres ne seront que d’éphémères interlocuteurs. La présence de sources documentaires rares, permettent d’observer la constitution d’un système hiérarchisé de maisons.

3 Nous disposons en effet d’un corpus documentaire constitué d’actes de la pratique, très inégal en quantité et en qualité, problème habituel de l’historien. Nous conservons d’abord le cartulaire de Sauxillanges, somme monumentale de l’histoire clunisienne qui est aussi de manipulation difficile. À l’inverse, la disparition du cartulaire de Souvigny et la mise au pilon de sa bibliothèque nous privent d’une source que ne compensent pas les fragments préservés par le Thesaurus Sylviniacensis. Les sources sur Mozac, Thiers, La Voûte et même Saint-Flour ne se composent que d’éléments fragmentaires. La faiblesse de cette documentation nous a incité à recourir à d’autres types de sources écrites, comme par exemple les vitae. Mais nous avons aussi recherché d’autres données, comme celles fournies par l’archéologie. La richesse révélée par la fouille de Souvigny

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démontre tout l’apport de cette source à une analyse historique ; mais ce qui est mené dans le cadre d’un établissement est difficilement réalisable pour tous. L’Auvergne et ClunyUne terre et des espaces 4 L’Auvergne est une terre de contrastes, entre hautes et basses terres, zones vides et peuplées, offrant des paysages diversifiés. Le climat relativement doux des zones de plaines contraste nettement avec celui plus rude de la montagne. L’influence du relief est très nette, même si celui-ci n’est pas nécessairement très élevé.

5 Le relief et le réseau hydrographique jouent un rôle capital dans l’implantation des établissements monastiques. En effet, ceux-ci nécessitent de l’eau, indispensable selon la règle bénédictine, aux besoins quotidiens. Les communautés se sont donc localisées, non pas immédiatement à proximité des cours d’eau mais à légère distance, pour bénéficier à la fois des facilités de transport (ou pour les gérer) et éviter des variations de flux fréquemment dangereuses. Elles utilisent le relief de la même manière ; les installations se sont pratiquées majoritairement à mi-pente de coteaux bien exposés, de manière à bénéficier de terroirs et de ressources complémentaires. Les plaines sont souvent marécageuses ou peuvent être parcourues par des hommes d’armes, alors que les hauteurs présentent des conditions d’exploitations plus rudes. Une situation intermédiaire se révèle ainsi plus saine. Un espace religieux 6 Le cadre choisi pour cette étude reprend les limites de l’ancien diocèse de Clermont. Il comprend une partie de l’actuel département de l’Allier, la totalité de ceux du Puy-de- Dôme et du Cantal et une partie de celui de la Haute-Loire. Le département de l’Allier est donc partagé entre plusieurs diocèses : Bourges à l’ouest, Nevers au nord-est, Autun à l’est. La Haute-Loire se partage entre les diocèses du Puy et de Clermont.

7 Selon la tradition, la région aurait été évangélisée si l’on en croit Grégoire de Tours par saint Austremoine, envoyé en Gaule avec la mission des sept au moment de la persécution de Dèce, vers 250, mais le premier évêque (Vénérand) n’est pas attesté avant 407. Austremoine aurait réparti ses disciples dans les bourgs du secteur : Nectaire à Champeix, Genès à Thiers, Flour à Indiciac, Mary dans le Cantal2. L’Église d’Auvergne possède des structures et des pratiques particulières qui diffèrent des modèles du nord. Elle est empreinte de romanité comme l’ont montré les travaux de Christian Lauranson-Rosaz3 ; cette romanité se rencontre dans les lectures des clercs du chapitre cathédral qui pratiquent autant les Anciens que les Écritures, mais aussi dans des habitudes de fonctionnement. C’est sans doute au palais d’Ébreuil, une des résidences préférées de Louis le Pieux (selon son biographe l’Astronome) en tant que roi d’Aquitaine, que l’abbé de Saint-Chaffre, Ductran a rencontré le chapelain du roi, Claude, futur évêque de Turin4. La cour de Louis passait pour réunir les plus grands lettrés de son temps.

8 L’évêque Étienne II (942-984) est lui-même abbé d’un monastère, celui de Conques en Rouergue et il conserve cet abbatiat alors même qu’il occupe le siège épiscopal de Clermont. Étienne est aussi épaulé par un chorévêque, successeur désigné de l’évêque, qu’il assiste également dans son action. Le système doit empêcher les troubles et les difficultés engendrées par une nomination parfois mal acceptée. C’est toujours la stabilité de l’institution qui est en cause et cela permet d’imposer une volonté politique sur un territoire. Ainsi on retrouve Bégon aux côtés d’Étienne II dans quelques actes du cartulaire de Sauxillanges ; il lui succèdera aussi comme abbé de Conques.

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9 Un autre particularisme de l’Église d’Auvergne est sa pratique du culte des saints et des reliques. Les saints sont nombreux en Auvergne (comme ailleurs), pourtant Austremoine, « l’évangélisateur », n’est pas inhumé à Clermont, mais à Issoire, lieu de son martyre supposé (son existence n’est pas attestée avant les écrits de Grégoire de Tours, lequel n’évoque pas le martyre, mentionné seulement dans la vita secunda) avant d’être transféré à Volvic puis à Mozac. Le culte des saints a pris en Auvergne des formes particulières (statues ou majestés comme celles de saint Pierre à Bredons, de saint Baudime à Saint-Nectaire, de saint Césaire à Maurs5, de saint Chaffre au Monastier, de sainte Foy à Conques ainsi que la plus célèbre pour notre étude, la Majesté de Marie que l’évêque Étienne II fait réaliser par l’orfèvre Alleaume pour sa cathédrale de Clermont6), souvent choquantes ou étrangères aux hommes des autres contrées. Les monastères clunisiens sont des réceptacles de reliques, à commencer par Cluny même. Nous constatons d’ailleurs le même phénomène dans les autres maisons ; ainsi la fondation de La Voûte est assortie de la constitution d’un trésor imposant. On note, d’après les inventaires, le même effet d’accumulation de reliques à Souvigny. Les clunisiens ont aussi développé à Souvigny le culte des abbés Mayeul et Odilon.

10 Cluny ne s’installe pas dans un milieu monastique vierge, loin de là7. De nombreuses communautés monastiques sont attestées dans l’espace auvergnat depuis les débuts de la christianisation. Ainsi Ménélée aurait fondé une communauté à Menat restaurée au début du IXe siècle. Entre le Ve et le VIIIe siècle, le diocèse de Clermont connaît donc une vie religieuse diffuse mais variée. Outre ces communautés éparses, il existe un grand centre religieux, Brioude, où un chapitre a été établi au début du IXe siècle (Br. 339) dans une église qui connaît depuis le Ve siècle un pèlerinage important sur les reliques de saint Julien. Celui-ci a été martyrisé au début du IVe siècle et son culte est favorisé par les écrits de Sidoine Apollinaire et de Grégoire de Tours. Le pèlerinage, qui se déroule de Clermont à Brioude – reliant ainsi les deux pôles, la capitale épiscopale et la ville sainte8 – est évoqué par Grégoire de Tours (538-vers 594) 9. L’installation clunisienne, plus tardive, est donc a priori interstitielle. Pourtant, si beaucoup de ces anciens monastères disposaient de biens immenses, ils n’avaient pas beaucoup de dépendances Des liens privilégiés 11 Le premier lien est celui qui s’établit entre Guillaume le Pieux et Géraud d’Aurillac. Géraud et Guillaume ont tous deux placé leur fondation monastique sous la protection de Rome moyennant un cens recognitif. Tous deux sont issus du même monde empli de tradition antique et de la même région géographique, l’Aquitaine. Il n’est donc pas étonnant de retrouver des points communs entre les deux établissements et Guillaume a pu s’inspirer de la fondation d’Aurillac pour Cluny. Le modèle de Géraud peut se diffuser simplement parce que c’est un élément régional.

12 Le deuxième facteur de l’extraordinaire essor clunisien en Auvergne tient aux origines des abbés. En effet, quatre abbés de Cluny ont à des degrés divers des relations particulières avec la région. Odilon, Hugues et Pierre le Vénérable sont à des niveaux variés originaires de la région. Mayeul et Odilon sont morts et inhumés à Souvigny et le lien créé par la présence de leur sépulture commune est encore plus fort.

13 Odilon est issu du milieu aristocratique auvergnat, il appartient au vaste lignage des Mercœur10. Né vers 961-962, Odilon est tout d’abord chanoine de Brioude. Ce choix n’est pas étonnant compte tenu de l’ampleur et de la puissance de ce chapitre en Auvergne, ainsi que de la générosité de sa famille envers ce lieu. Il connaît donc bien les

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tensions et mouvements qui l’agitent ainsi que la situation politique locale ; il est également par sa carrière canoniale empreint de fortes traditions religieuses. Ces deux composantes sont constitutives de sa personnalité et préfigurent la parfaite insertion de Cluny dans le milieu aristocratique de son temps. Son successeur à la tête des monastères, de 1049 à 1109, Hugues, est un membre de la famille de Semur possessionnée au sud de la Bourgogne dans le Brionnais, une région proche du diocèse de Clermont. Sa famille a contracté des alliances matrimoniales importantes, en particulier avec les comtes de Chalon. Mais une autre alliance nous intéresse ici puisqu’elle établit un lien avec l’Auvergne : la grand-mère d’Hugues appartient à la famille des Dalmas de Brioude11. De plus une des sœurs d’Hugues, Aêlis ou Adélaïde, a épousé un certain Dalmas de Châtel-Montagne, membre d’un petit lignage du nord-est du diocèse de Clermont, où s’établira par la suite une dépendance. Né en 1092 ou 1094, Pierre le Vénérable est entré comme oblat à Sauxillanges, il fait profession à Cluny en 1109, peu de temps avant la mort de l’abbé Hugues. Pierre appartient à la famille de Montboissier12, un puissant lignage d’Auvergne (dans Sx. 907 et 908, Hugues de Montboissier n’hésite pas à se faire appeler princeps), très représentée dans le cartulaire de Sauxillanges. L’expansion clunisienne dans le diocèse 14 La première phase intervient dès le Xe siècle et se poursuit pendant l’abbatiat d’Odilon, mais les communautés vont connaître des destinées différentes. Des établissements vont devenir des têtes de réseau, comme Souvigny, Sauxillanges et Saint-Flour. D’autres demeureront des obédiences de taille modeste à l’exception de Ris qui sera un peu plus importante. La différence d’évolution tient à l’implication autour de la première catégorie de lignages aristocratiques : les Bourbons à Souvigny, les Clermont à Sauxillanges et les Brezon à Saint-Flour. Par leurs donations, leurs actions ces familles contribuent au développement d’un temporel conséquent et entraînent avec eux les milites qui gravitent dans leur entourage. Ceux-ci à leur tour participent par d’autres dons. Tous intègrent ainsi le système clunisien (une même famille) qui les protège de l’oubli grâce aux prières des moines pour les morts inscrits dans les rouleaux mortuaires. Chacun de ces monastères va développer son propre réseau, établissant ainsi une hiérarchie d’installations.

15 Ces grandes maisons ponctuent le diocèse et le réseau se développe sur un axe nord/ sud qui correspond à la vallée de l’Allier et à ses affluents.

16 Durant l’abbatiat de saint Hugues, entre 1049 et 1109, nous assistons à un accroissement considérable des possessions clunisiennes dans le diocèse. L’abbatiat d’Hugues correspond également au transfert sous l’autorité de Cluny de l’ancienne abbaye de Mozac, au nord de Clermont. Ce monastère possédait déjà son propre réseau qui intègre donc l’ecclesia cluniacensis, complétant ainsi le maillage de l’espace en Basse- Auvergne. Le centre du diocèse est devenu un véritable monde clunisien, ne laissant que peu d’espaces disponibles pour les autres communautés monastiques. Cluny effectue une véritable mainmise sur l’espace central de l’Auvergne. L’expansion se réalise également à l’est et à l’ouest, dans des zones jusque-là non colonisées par les clunisiens, où les terroirs sont plus médiocres et l’altitude plus élevée. L’abbatiat de Pierre le Vénérable met en évidence l’arrêt de l’expansion des réseaux et la stagnation. Un seul réseau rejoint l’espace clunisien, celui de Menat13. Nos sources concernant cette ancienne abbaye située sur les marges nord-ouest du diocèse, sont limitées.

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17 Au XIIe siècle, les difficultés s’accumulent, les donations se raréfient et les donateurs potentiels se tournent vers d’autres formes de spiritualité, de nouveaux ordres qui correspondent mieux aux nouveaux besoins des populations. Mais le mouvement ne s’arrête pas pour autant et il serait vain de penser que Cluny avait fait l’unanimité au cours du siècle précédent. Les donateurs ont toujours partagé leurs dons entre les grands établissements. A la mort de l’abbé Pierre le Vénérable, les possessions du diocèse de Clermont se trouvent dans une situation très convenable ; leurs droits sont respectés et strictement appliqués. Si les temps deviennent difficiles, la crise n’est pas encore d’actualité. SauxillangesLe cartulaire 18 L’édition du cartulaire d’H. Doniol14 comporte 979 actes. Certains comportent des dates de temps et de lieu précises, mais un grand nombre de chartes n’indique que la mention d’un abbatiat. Surtout, une importante quantité de documents n’est qu’un résumé évidemment non daté, avec précision réduites à leur plus simple expression, lors de la réécriture du cartulaire ou de compilations de plusieurs épisodes. Nous ne disposons que d’une partie des actes qui constituaient le trésor des chartes de la communauté. En effet, certains actes font référence à d’autres, dont nous n’avons pas de trace. Un choix a donc été réalisé dans ce qui nous est parvenu, sans oublier bien sûr les aléas des temps, responsables également de certaines disparitions. L’analyse du cartulaire nous permet de proposer des datations pour un certain nombre d’actes ou de réviser celles qui étaient traditionnellement attribuées. Les actes ne sont pas présentés selon un classement géographique ou chronologique. Le cartulaire se compose des différents types d’actes diplomatiques que l’on rencontre habituellement dans cette catégorie de document : les donations en constituent la majeure partie. Le don est aussi un moyen pour le laïc de démontrer sa puissance, d’affirmer son prestige, de s’assurer une reconnaissance. D’autres documents15, des censiers (13), des ventes16 ou achats, des accords17, des prêts, des déguerpissements18 mettent en évidence les problèmes quotidiens de la communauté dans ses rapports avec ses voisins.

19 L’étude nous renseigne sur tout ce qui constitue l’environnement des chartes et la pratique de la promulgation : les serments, les jours, les lieux. Ainsi Sx. 297 bis (vers 1096-1103 ?) signale que la charte est posée sur l’autel des saints Pierre et Paul le jour de la translation de saint Benoît, qu’on passe ensuite dans la salle du chapitre, et l’importance des témoins, affichant ainsi la volonté de joindre les puissances respectives de ces différentes forces tutélaires et de faire respecter les droits de Sauxillanges face à un donateur récalcitrant, comme peut l’être Amblard de Nonette. Les serments sont donc l’objet d’une certaine mise en scène, d’une théâtralisation du geste, destinées à rendre l’acte sacré et à marquer les esprits, dans l’espoir, vain parfois, d’éliminer une difficulté, un opposant.

20 Les motifs des actes ont ensuite été analysés. Ils montrent d’abord la volonté de placer « un fils au monastère » pour l’éduquer jusqu’à 5 ou 10 ans à Sauxillanges ou dans une obédience. Ces jeunes sont issus des familles de milites de la région ; par contre, il faut noter l’absence des grandes familles seigneuriales comme les Clermont. Parmi ces chartes, il nous manque la plus célèbre, celle qui concerne Pierre de Montboissier, qui deviendra Pierre le Vénérable, abbé de Cluny. Le désir de sauver son âme, de bénéficier des prières des moines est un souci majeur et se traduit par le désir d’être inhumé dans le cimetière ou la salle capitulaire de Sauxillanges. Par ses dons à la communauté, aux apôtres Pierre et Paul, titulature clunisienne par excellence, la société auvergnate

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entend se constituer sa part d’éternité en profitant des bienfaits clunisiens. Le don d’une refectio (servie pour l’anniversaire du défunt) en céréales (seigle, blé) mais aussi en vin, mouton et fromage, en fèves et poissons ou en viande pour l’infirmerie nous rappelle l’ordinaire monastique amélioré parfois avec du poivre, du piment et du miel. La communauté de Sauxillanges 21 Le cartulaire nous permet enfin d’examiner la constitution de cette communauté installée dans une cour carolingienne appartenant aux Guillelmides. La naissance de cette communauté est presque aussi prestigieuse que celle de Cluny puisque la « fondation » est du à Acfred, le neveu de Guillaume. La charte de donation (Sx. 13, 927) est un acte interpolé vers 946 par l’incorporation d’un censier, il comporte dans sa version du cartulaire C de Cluny19 une variante avec la mention de canonici et non de monachi contenue dans Sx. 13. Il semble donc qu’Acfred ait eu la volonté de constituer une communauté de chanoines comme c’est le cas à Brioude dont les Guillelmides étaient abbés laïcs ; la transformation en communauté monastique serait alors le fait de l’évêque Étienne II de Clermont, personnage central de l’histoire de l’Auvergne. Le temporel est conséquent avec un noyau resserré et des biens plus lointains (Cantal).

22 Le cartulaire permet de procéder à la reconstitution du réseau des obédiences, à la mise en place des doyennés (2e moitié du XIe siècle). Les Clermont, vont entraîner derrière eux leurs parents mais aussi toutes les strates de la société locale, le prestige grandissant de Cluny aidant. La modélisation part donc de la volonté d’un puissant de constituer une entité monastique à même de satisfaire ses besoins : inhumations, prières et ainsi entretien de la mémoire du lignage. L’étude prosopographique de ces familles montre leur implication et les entrées au monastère où ils occupent fréquemment des postes-clés. Des églises intègrent également le temporel, ce qui permet de diffuser dans la société le modèle clunisien tout en assurant des rentrées financières. À terme, cette politique provoque des tiraillements avec l’autorité épiscopale. Le soutien du ou des puissants peut se restreindre, quand la communauté a reçu d’autres appuis moins prestigieux certes, mais dont l’effet cumulatif augmente la portée. La communauté peut aussi vivre et poursuivre son expansion par ses propres moyens. Il est évident que cette croissance n’est pas linéaire au cours de la période et que le chemin est parfois rude, ponctué de conflits avec ces mêmes donateurs. Mais Sauxillanges fait aussi de ces difficultés des arguments de son expansion, car les fauteurs de troubles viennent à rémission et s’acquittent de leurs peines dans un subtil jeu relationnel. Ainsi les plus trublionnes de ces familles finissent par fournir les meilleurs arguments de l’expansion, pensons ici aux Montboissier, dont Pierre le Vénérable est issu. Cet abbé était effectivement très à même de faire emprunter à Cluny une nouvelle voie. À la fin de son abbatiat, Sauxillanges est effectivement une puissante maison qui arrive à maintenir et à faire respecter ses droits dans le diocèse. Mais une limite se profile, les possessions de Sauxillanges ne débordent pas les frontières du diocèse ; il est d’ailleurs difficile de l’expliquer. Il semble que Sauxillanges n’en ait jamais éprouvé le besoin. Son temporel est important, mais pour une communauté monastique, nous savons bien que le temporel n’est jamais assez important. Doit-on conclure à un repli sur elle-même ? Peut-être, mais sans certitude. Doit-on aller plus loin et développer l’idée que Cluny a une politique de développement plus vaste et que le relais est alors pris par d’autres maisons dans d’autres secteurs ? Souvigny

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23 L’influence clunisienne dans le nord du diocèse de Clermont s’articule autour de Souvigny, pôle majeur de la spiritualité avec les reliques des deux saints abbés Mayeul et Odilon qui attirent les pèlerins et enrichissent la communauté, permettant la construction d’un édifice de grandes dimensions sur le modèle de Cluny.

24 Cette communauté est le résultat d’une donation établie par un certain Aymard au profit de Cluny, en mars 915 ou 920, comprenant entre autres une villa avec une église. Cet Aymard est le premier ancêtre connu de la famille des Bourbons. Les débuts de l’histoire de Souvigny sont marqués par les rapports tantôt favorables, tantôt conflictuels avec cette famille. Mais les sources sont peu abondantes et elles sont mêlées de falsifications de dates visant à doter les Bourbons d’ancêtres plus prestigieux. L’archéologie est venue heureusement au secours de cette documentation textuelle. La découverte en 2001 du tombeau des abbés Mayeul et Odilon de Cluny dans la 2e travée à l’ouest du transept occidental de la priorale a permis de revenir sur la question de l’inhumation des saints et du culte qui leur était rendu. La succession des aménagements a pu être croisée avec les récits de miracles et les vitae. L’ensemble de ces données procure une nouvelle vision de la répartition et de la gestion des espaces de l’édifice. Les abbés constituent la part la plus importante du trésor de reliques accumulées dans l’église. L’abbé Hugues a fortement entretenu et développé le culte de ses prédécesseurs. Il a réalisé une construction de la sainteté clunisienne et tout en maintenant le culte de Mayeul (l’abbé idéal) et en assurant celui d’Odilon (l’organisateur de l’ecclesia, celui qui permet l’aboutissement d’un système social et religieux) il entreprend celui d’Odon (le lien avec l’église carolingienne). Mais la lecture de cette sainteté est complexe et peut se faire à deux niveaux ; la vision des saints dans l’ecclesia, plus intellectuelle et la vision des saints à Souvigny, le saint guérisseur étant plus commun, répondant aux aspirations immédiates du peuple.

25 L’influence de Souvigny dépasse largement les frontières du diocèse en raison de sa localisation aux marges de ceux de Bourges, Nevers et Autun, comme en témoignent les possessions de Souvigny, malgré les limites infligées par le rayonnement d’autres communautés Les autres communautésMozac 26 Mozac20 apparaît comme un enjeu important en Auvergne, dans les relations entre le comte et l’évêque pendant toute la période concernée, ce qui n’empêche pas l’abbaye d’avoir, dans ce contexte, son jeu personnel face aux autorités qu’il s’agisse du comte, du roi, de l’évêque ou de l’abbé de Cluny. Les reliques d’Austremoine, l’évangélisateur légendaire de la Basse-Auvergne, se trouvent à Mozac et non dans sa capitale épiscopale.

27 Mozac constitue dans notre documentation un cas particulier, puisque ce n’est pas une fondation clunisienne, mais aussi parce qu’elle ne réagit pas comme les autres communautés intégrées à l’ecclesia (comme Thiers). Dès l’origine (1095), le monastère semble résister à Cluny et cette tendance se maintenant par la suite, il ne faut pas y voir seulement un refus d’obéissance ou un relâchement de la discipline. Cette abbaye joue de son « antiquité » (sa fondation par Calmin, un sénateur romain) pour démontrer par des faux son origine « royale ». Elle nous révèle ainsi que le « corps idéal », que constituent les dépendances par rapport à Cluny, est loin d’être homogène et que des dissensions internes existent, provoquant un véritable mouvement centrifuge21.

28 En revanche, l’édification de l’abbatiale qui comporte nombre de remplois antiques s’inscrit pleinement à la fois dans le schéma général de l’Auvergne mais également dans

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celui de Cluny. L’antiquité des pierres constitue un élément d’une légitimation du pouvoir et Mozac n’est pas un cas isolé. La Voûte 29 Le monastère de La Voûte22 s’inscrit véritablement dans le paysage, le site de méandres permettant une manifestation visuelle de la puissance de la communauté, telle que l’avait voulu son créateur l’abbé Odilon. Pourtant, la communauté est restée relativement modeste, ne totalisant que 18 églises ou dépendances dans son réseau. C’est peu comparé à Souvigny ou Sauxillanges. Malgré sa naissance prestigieuse, La Voûte a peu de possibilités de développement. Elle ne peut prétendre s’étendre vers le sud-ouest en raison de l’existence du réseau de Saint-Flour. Vers le nord, elle se heurte à Brioude. Enfin, le relief, particulièrement accidenté du secteur ne favorise pas le développement du temporel. On ne retrouve pas ici l’équilibre des réseaux du nord et du centre du diocèse, où on peut disposer de possessions en plaine, à mi-pente et sur les plateaux, possessions qui fournissent des revenus complémentaires.

30 Il est difficile de mesurer l’impact de la collection de reliques dont Odilon a doté sa fondation. Les reliques sont connues par un récit intitulé Histoire anonyme de la fondation de Lavoûte-Chilhac par Odilon abbé de Cluny23 . Le texte originel doit avoir été rédigé entre 1031 et 1049, probablement par un moine proche d’Odilon. Dans le cas de La Voûte, on se trouve face à une collecte réfléchie de reliques destinées à soutenir la nouvelle communauté et au premier rang desquelles figure un fragment de la Croix. Nous avons cherché à préciser l’origine de ces reliques. Ainsi, la fondation de La Voûte constitue une étape importante dans la progression de la pensée d’Odilon sur la question des reliques en général, et de la Croix en particulier : dans cette création qui lui tient particulièrement à cœur, l’abbé insère La Relique par excellence.

31 Dans quelle mesure cela a-t-il attiré des donateurs ? L’absence de cartulaire, encore une fois, ne permet pas de répondre à cette question. Il n’est toutefois peut-être pas nécessaire de chercher une autre solution. L’abbé souhaitait seulement établir une communauté pour assurer les services mémoriaux de sa famille, et qu’il a voulu doter d’un patrimoine liturgique fort avec les saintes reliques. En même temps, cette communauté contribue également à ponctuer l’implantation clunisienne dans un diocèse déjà bien pourvu. Odilon favorise une mainmise clunisienne dans une région qui est la sienne. Saint-Flour 32 Le cas de Saint-Flour24 est particulier dans notre documentation puisque le monastère disparaît à la fin de la période médiévale, après le démembrement du diocèse de Clermont en 1317, portant création de l’évêché de Saint-Flour25. La communauté monastique devient un chapitre et un prieur en prend la tête. Une bulle de Sixte IX du 8 janvier 1476 le transforme en chapitre séculier de 28 chanoines26. Les liens avec Cluny ne disparaîtront pas pour autant, puisque le deuxième évêque de Saint-Flour au XIVe siècle, Henri de Fautrières, était auparavant abbé de Cluny. En dépit de cet avenir limité, les possessions de Saint-Flour ont contribué à étoffer l’emprise clunisienne dans le sud du diocèse de Clermont.

33 Un monastère avait été fondé à Indiciac, auprès du corps de saint Flour, évangélisateur de la Haute-Auvergne. Cet établissement fut donné en 999 à Cluny par Eustorge, surnommé « Taureau rouge », de la famille de Brezons. Cette donation se réalise dans un contexte violent – « la guerre de la Planèze », épisode des conflits qui marquent en Auvergne le début du XIe siècle. Le cartulaire de Saint-Flour, publié par M. Boudet,

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rapporte le processus de mise en place de la communauté et de son temporel, mais cette source a été très retravaillée. Conclusion 34 Cluny est la plus importante communauté monastique présente dans le diocèse de Clermont. La répartition des maisons assure une maîtrise de l’espace du diocèse. En effet, ces localisations, pour être en apparence à l’écart du monde, ne sont en fait jamais très loin du grand axe de circulation qu’est la vallée de l’Allier. Les communautés clunisiennes ont aussi favorisé le développement d’autres voies de communication, celles qui relient entre eux les différents établissements. Certaines maisons semblent d’ailleurs avoir cette seule fonction d’étape, comme Arrones27 dans la vallée du Sichon qui est une voie de pénétration vers le diocèse de Lyon, à travers la Montagne Bourbonnaise. Par leurs actions les moines mettent en contact des espaces. Cette maîtrise de l’espace s’opère à plusieurs niveaux. Dans un premier temps, elle consiste en réseaux d’établissements. Ainsi, le premier cercle de dépendances d’une maison-mère se trouvent à distance de circulation et donc de gestion qui correspond approximativement à une journée de déplacement. Pour les maisons plus éloignées, il faut envisager des étapes intermédiaires. Les temporels, qui constituent des ensembles conséquents, sont localisés uniquement dans le diocèse, à l’exception de Souvigny.

35 C’est aussi une des grandes forces de Cluny que d’avoir possédé la capacité d’intégrer des pratiques locales : l’attachement à l’Antiquité indiqué par le remploi de sarcophages ou l’utilisation de matériaux, l’accumulation et la valorisation des reliques (théâtralisation de la présentation, culte local), la préservation de la mémoire des liens avec des origines prestigieuses (sénateur, saint de l’antiquité tardive ou matières). Ces pratiques ne sont sans doute pas uniques en leurs genres mais leur conjonction produit un résultat remarquable. Ainsi, Cluny propose un mode de vie qui séduit d’abord la population d’Auvergne et qui a favorisé son implantation dans le diocèse. Cluny reprend et développe des pratiques propres à l’Église d’Auvergne avant de les proposer à l’ecclesia cluniacensis. Ces pratiques (réseau, entretien de la mémoire, liturgie) deviennent des éléments constitutifs autour desquels s’organise plus généralement le développement clunisien. En cela, l’Auvergne est un modèle, que nos sources ont permis de mettre en lumière, même si la progressive constitution des réseaux autour des maisons-mères doit certainement se retrouver dans d’autres zones.

NOTES DE FIN

1. Ch. LAURANSON-ROSAZ, L’Auvergne de l’an 1000, in M. ZIMMERMAN (éd.), Les sociétés méridionales autour de l’an 1000, Paris, 1992, p. 19-20. 2. Champeix, dép. du Puy-de-Dôme, ch.-l. c ; Thiers, dép. du Puy-de-Dôme, ch.-l. c., ; Indiciac, actuellement Saint-Flour, dép. du Cantal, ch.-l. de c.,. 3. Ch. LAURANSON-ROSAZ, L’Auvergne et ses marges… op. cit., particulièrement le chapitre 3.

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4. Id. et P. GANIVET, Saint-Chaffre, des origines au lendemain de l’an 1000 : une abbaye en marge, in Les bénédictins de Saint-Chaffre-du-Monastier, actes du colloque des 7-9 novembre 1997, Le Monastier-Saint-Chaffre, 1998, p. 27-43. 5. Maurs apparaît en 941 dans B. B., n° 532 et semble une abbaye de fondation récente. 6. Archives départementales du Puy-de-Dôme, 3 G, suppl. 15, fol. 32, Inventaire des reliques de saint Austremoine et autres reliques contenues dans le reliquaire construit par l’évêque Étienne « in ymagine matris domine et in ymagine filii ei ». La littérature concernant ces bustes-reliquaires est considérable, on peut se reporter à l’un des ouvrages les plus récents La France romane au temps des premiers Capétiens (987-1152), catalogue de l’exposition du Louvre, Paris, 2005. 7. M. PARISSE (dir.), Atlas de la France de l’an Mil, Paris, 1994. Espace de la France du centre, p. 65-72. 8. Brioude, dép. de la Haute-Loire, ch.-l. c... SIDOINE APOLLINAIRE, Carmen … op. cit. Les premières études sont celles de G. FOURNIER, Les origines de Brioude, in Almanach de Brioude, 40 (1960), p. 9-58 ; et ibid., 41 (1961), p. 31-42 ; Id., Le peuplement … op. cit., p. 160 et suivantes ; et de B. Fizellier-Sauget. Des fouilles archéologiques ont été reprises en 2003 et sont encore en cours sous la direction de F. Gauthier de l’INRAP. 9. B. BEAUJARD, Le culte des saints chez les Arvernes aux Ve et VIe siècles… op. cit. 10. Odilon de Mercœur, Cluny et l’Auvergne. La paix de Dieu et l’Europe de l’an Mil, actes du colloque de Lavoûte-Chilhac, des 10-12 mai 2000, Nonette, 2002. Voir particulièrement l’article de M. de FRAMOND, Les Mercœur, ibid., p. 83-115. 11. A. KOHNLE, « Abt Hugo von Cluny », in Beihefte der Francia, 32 (1993), p. 21 et tableau généalogique en annexe. 12. Montboissier, dép. du Puy-de-Dôme, c. de Pont-du-Château,. Ch. LAURANSON-ROSAZ, L’Auvergne et ses marges … op. cit., p. 151 pour le tableau généalogique. 13. Menat, dép. du Puy-de-Dôme, ch.-l. c.,. 14. H. DONIOL (éd.), Cartulaire de Sauxillanges, Clermont-Ferrand, 1864. L’édition est réalisée à partir d’une seule copie, celle du manuscrit de la BnF latin 5454 (copie sur papier du XVIIe siècle ; l’original, vraisemblablement du XIIe siècle, étant perdu). Nous disposons d’une autre transcription, également du XVIIe siècle (?), disponible aux Archives nationales sous la cote LL 1014. 15. Sx. 218, Sx 43. 16. Par exemple, Sx. 52 : vente d’une vigne, vers 942-954. 17. Ainsi Sx. 22 (fin Xe s. ?), qui est un accord concernant un échange de biens ou Sx. 565 et 844. 18. Sx. 598, 1049-1109, déguerpissement d’une dîme tenue injustement. 19. B.B., T. I, n° 286. 20. Dép. du Puy-de-Dôme, c. de Riom-Ouest,. En 1790, l’orthographe de Mozat a été retenue et est restée valide jusque dans les années 1870. 21. F. CYGLER, « L’ordre de Cluny et les rebelliones au XIIIe siècle », in Francia, 19/1 (1992), p. 61-93. 22. Actuellement Lavoûte-Chilhac, dép. de la Haute-Loire, ch.-l. c.,. 23. P.-Fr. FOURNIER, Histoire anonyme de la fondation du prieuré de Lavoûte-Chilhac … op. cit., p. 103-115. L’étude en a été reprise récemment par E. BOZOKY, « Les reliques de La Voûte », in Odilon de Mercœur ... op. cit., p. 175-191, particulièrement p. 185-187 pour la liste des reliques. 24. Dép. du Cantal, ch.-l. c.,.

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25. A. RIGAUDIÈRE, Saint-Flour ... op. cit., p. 66, estime que s’il y avait des considérations géographiques, ce démembrement correspondait surtout à une volonté de partage de la province de Bourges. 26. M. BOUDET (éd.), Cartulaire du prieuré de Saint-Flour ..., Monaco, 1910 , p. 477. 27. Arronnes, dép. de l’Allier, c. du Mayet-de-Montagne,.

INDEX

Index géographique : France/Souvigny, France/Cluny, France/Auvergne, France/Sauxillanges, France/Mozac, France/La Voûte, France/Saint-Flour

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Recherches sur la diplomatique cistercienne au XIIe siècle. La Ferté, Pontigny, Clairvaux, Morimond Thèse de doctorat en histoire médiévale, sous la direction de Michel PARISSE, Paris I/Panthéon-Sorbonne, 2005

Marlène Hélias-Baron

1 Mon hypothèse de départ était que l’idéal cistercien d’unanimité s’appliquait aux actes et qu’il existait de ce fait une diplomatique proprement cistercienne.

2 Pour la corroborer ou l’infirmer, j’ai décidé de mener l’enquête dans les fonds des quatre premières filles de Cîteaux, ce choix se justifiant par leur proximité géographique et chronologique. Très vite un premier obstacle s’est présenté : malgré une évolution similaire du nombre d’actes, les quatre chartriers sont loin d’avoir une composition identique. En effet, ceux de La Ferté, Clairvaux et Morimond contiennent de très nombreuses pancartes, alors que celui de Pontigny se caractérise par l’absence de ces documents et par la présence d’un cartulaire rédigé dès le milieu du XIIe siècle. Des points communs existent néanmoins : la présence massive d’originaux, le recours systématique à l’écrit à partir des années 1150, ainsi que les tâtonnements des moines pour organiser leurs archives. Ces quatre fonds n’ont pas été les objets exclusifs de ma recherche, de nombreux autres chartriers ont servi d’éléments de comparaison. Plusieurs axes ont structuré l’avancée de mes travaux. D’abord, il a fallu déterminer si les pratiques de l’écrit rencontrées dans les quatre monastères susdits leur sont spécifiques, propres à l’ordre dans son ensemble ou influencées par des habitudes extérieures. Savoir comment les moines blancs gèrent leurs chartriers a représenté un autre champ d’investigations. A ces deux points, s’ajoute la nécessité de savoir si la personnalité des « auteurs d’actes », les types d’actions et le rang social des disposants ont un impact sur leur production diplomatique. En fait, l’étude envisagée permet d’éclairer d’un jour nouveau les relations entre l’ordre et la société.

3 Les Cisterciens ont longtemps dépendu presque exclusivement de leur évêque diocésain. Dans le même temps, ils sont en quête d’autorités civiles ou ecclésiastiques

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reconnues, d’où leur intérêt pour les papes. De ce fait, même si un document était produit par leur propre scriptorium, les scribes monastiques devaient se conformer aux usages locaux pour que leurs titres soient valables, d’où l’emploi de formules identiques se répétant d’actes en actes. C’est pourquoi les documents cisterciens ne présentent aucune originalité ni dans le dictamen, ni dans la scriptio. Jusqu’aux années 1170, l’écriture des actes est livresque, preuve de l’implication directe des moines dans l’élaboration de leurs actes. Les différentes mains sont très difficiles à distinguer les unes des autres, ce qui laisse supposer l’existence d’une « formation-maison ». A la fin du siècle, apparaît une écriture gothique, de facture bien plus diplomatique. Cette évolution correspond à une prise en charge de plus en plus fréquente de la rédaction des actes par les services des auteurs. Finalement, les Cisterciens se soumettent aux usages locaux dans le domaine de la production diplomatique. Les chapitres généraux n’ont pas édicté de règles précises et contraignantes. Les monastères sont laissés libres de leurs choix. La rédaction des fameuses pancartes n’a donc pas été imposée par une directive venue de Cîteaux.

4 Les pancartes représentent l’aspect le plus intrigant des chartriers cisterciens, même si tous n’en ont pas été pourvus. Actes de grande taille, rédigés par les moines eux-mêmes avant d’être pourvus du sceau épiscopal, elles rassemblent sur une même feuille de parchemin un nombre variable d’actions juridiques écrites sous forme de courtes notices. Elles sont les réceptacles de notices, de chartes, voire d’autres pancartes, parfois transcrites bien des années auparavant. Si certaines, principalement à Clairvaux, rassemblent des actions juridiques hétéroclites, la majorité récapitule des dons faits sur un même domaine, devenu progressivement grange. Les pancartes offrent en fait un bilan relativement complet du patrimoine monastique à un moment donné. La présence de ces actes de grande taille n’est pas propre aux Cisterciens, même s’ils en ont systématisé la pratique. De nombreux autres monastères en possèdent, dont la majorité est née du renouveau monastique de la fin du XIe et du début du XIIe siècle. Ces monastères n’ont en effet pas obtenu le transfert de domaines de grande taille, mais d’une multitude de parcelles situées en marge des terroirs. L’émiettement a conduit à l’adoption de ce modèle diplomatique. Les pancartes sont de véritables originaux, mais par certains aspects elles ressemblent à des cartulaires. Du cartulaire, elles ont le côté rassembleur avec une volonté indéniable de présenter sur un même support le plus d’actions possible pour mieux gérer le patrimoine. De l’acte original, elles ont l’authenticité et la validité grâce à la présence du sceau. Les pancartes cisterciennes sont des copies authentiques, en un sens elles préfigurent le rôle rempli au XIIIe siècle par les vidimus. Elles ont disparu en même temps que le XIIe siècle.

5 Dernier point crucial : la gestion des archives, règne de l’empirisme. Les Cisterciens ne sont pas non plus dans ce domaine des novateurs. Ils ont plié et annoté les documents, généralement au moment de leur entrée dans le chartrier ou lorsqu’ils les ont sortis pour les consulter. C’est ce qui explique la présence au verso de nombreuses marques de lecture ou de courtes analyses. Parmi ces mentions dorsales, peu de séries véritables sont observables et les notes de classement sont relativement tardives ; à Clairvaux, elles datent du XVe siècle. Si les actes sont rangés avec soin, pliés pour éviter les dégradations et pour harmoniser le chartrier, ils ne sont pas classés ni inventoriés avant la fin du Moyen Âge. Les cotes ne sont pas non plus systématiques. Le classement des actes repose sur les granges, preuve d’une conception cistercienne de l’espace, peu innovante, mais finalement fort pratique pour un gestionnaire avisé. Les sceaux, enfin,

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ont été relativement bien conservés à Pontigny et à Clairvaux. A La Ferté et à Morimond, en revanche, ils ont été perdus dans leur grande majorité.

6 Les usages observés dénotent davantage une grande capacité d’adaptation aux pratiques locales que le suivi d’un mot d’ordre venu du chapitre général. Les Cisterciens sont libres de produire des chartes comme ils l’entendent mais cette liberté est limitée par des impératifs de validité. Ainsi, comme dans de nombreux autres domaines de la vie monastique, ce n’est pas l’unanimité mais la diversité qui règne dans les pratiques diplomatiques des Cisterciens. La présence de pancartes prouve cependant que certains usages se sont diffusés entre les monastères, même s’ils sont davantage liés à la structure particulière du patrimoine qu’à un programme diplomatique préétabli. Le rythme soutenu des donations et leur importance souvent médiocre ont bien davantage influencé les pratiques diplomatiques que l’appartenance au seul monde cistercien. Confrontés à un engouement similaire, les autres ordres nouveaux ont proposé des réponses proches. Arrouaise, Anchin, Prémontré… ont bénéficié du même climat propice à l’austérité affichée. La genèse de leur temporel a influencé la structure de leur chartrier et les a poussés à adopter des solutions similaires. Plus que d’usages communs à l’ordre fondé par Robert de Molesme, il faudrait parler de pratiques diplomatiques communes aux ordres nouveaux.

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Peuple de saints et pèlerinages dans les diocèses d’Autun et de Nevers, du temps des martyrs aux temps des réformes (IVe-XVIIIe siècles) Thèse de doctorat de l’Université de Bourgogne ARTeHIS-UMR 5594, sous la direction de Vincent Tabbagh, décembre 2006

Diane Carron

1 Les recherches portant sur certains lieux sacrés, les cimetières ou encore les autels, constituent un axe fort des domaines d’investigation actuels. Les lieux de pèlerinage retiennent en particulier l’attention des chercheurs, notamment aux Pays-Bas et en Italie où des inventaires systématiques des lieux de pèlerinage ont été dressés. En France, une enquête collective de portée nationale sur l’inventaire des lieux de pèlerinage est coordonnée par C. Vincent (Université de Paris X-Nanterre) depuis 2002, au sein du Groupement de recherche SALVÉ (GDR 2513 du CNRS). C’est dans le dessein d’analyser une partie des anciens diocèses de Bourgogne sur la question des pèlerinages que ce travail de doctorat a été entrepris.

2 L’étude conduite ici s’inscrit dans le cadre géographique de deux diocèses voisins, mais structurellement assez différents. Le diocèse d’Autun dépend de la province ecclésiastique de Lyon ; il est vaste et ouvert sur d’importantes voies de communication entre les espaces septentrionaux et méridionaux. Sa création date de la première vague de christianisation en Gaule au IVe siècle, ce qui confère au siège épiscopal d’Autun un rôle majeur dans cette aire où il se situe par ordre de préséance immédiatement après celui de l’église métropolitaine. Des sites de pèlerinage exceptionnels par leur rayonnement se sont développés dans cet espace, à Vézelay ou encore à Alise-Sainte- Reine.

3 Le cas du diocèse de Nevers diffère du précédent, il appartient à la province de Sens, enclavé entre les diocèses d’Autun, d’Auxerre et de Bourges. Sa création est plus récente, puisqu’elle résulte des conflits politiques et territoriaux entre les Francs et les

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Burgondes au VIe siècle. Le diocèse est donc beaucoup plus modeste que celui d’Autun, tant sur le plan du prestige historique que de sa richesse. Les sites de pèlerinages qui ont existé sur ce territoire étaient peu connus. Enfin, le fond documentaire nivernais a souffert d’importantes destructions au cours du XIXe siècle.

4 En faisant porter l’analyse sur deux diocèses, l’idée était de vérifier si les grandes tendances de l’évolution des pèlerinages étaient globalement analogues en dépit des différences structurelles énoncées. Il s’agissait aussi de voir dans quelle mesure les modèles de sainteté proposés à la vénération étaient comparables ou non dans des territoires ayant des passés distincts, dont les référents cultuels pouvaient être dissemblables.

5 Le choix de traiter deux diocèses adjacents ne soulève a priori pas de problème de principe. Celui des bornes chronologiques de l’enquête est, certes, moins immédiatement évident. Le cadre temporel du sujet envisagé est la très longue durée, puisqu’il couvre environ mille cinq cents ans depuis l’Antiquité tardive jusqu’à la veille de la Révolution. Il ne s’agissait bien évidemment pas de prétendre réaliser au cours de ce travail une investigation poussée pour chaque grande période historique. Un regard porté plus strictement sur la seule époque médiévale, par exemple, aurait sans doute été éclairant, cependant il aurait laissé l’origine de certains lieux et leur devenir dans l’ombre, sans permettre d’apprécier leur enracinement relatif, dans l’espace et le temps. Le parti pris ici était de tenter de comprendre les caractéristiques et les fluctuations de cette forme du sentiment religieux dont la pratique est, précisément, d’une exceptionnelle longévité.

6 Sur ce cheminement, des jalons étaient déjà posés. Au point de départ se trouvait le dossier réuni autour du site exceptionnel d’Alise-Sainte-Reine dans le diocèse d’Autun, envisagé précisément sur la longue durée par une vingtaine de chercheurs 1. Un travail de synthèse nécessitait toutefois d’être entrepris pour replacer ce pèlerinage ainsi que d’autres sites prestigieux comme celui de Vézelay, dans un panorama global des sites de pèlerinage en Bourgogne. Une étude régressive pouvait également être menée à partir de plusieurs inventaires dressés pour certains sanctuaires actifs au XXe siècle et grâce à deux récentes synthèses portant sur les pèlerinages de Côte-d’Or 2 et du Morvan 3 au XIXe siècle.

7 La documentation disponible pour réaliser cette étude présentait néanmoins quelques difficultés méthodologiques. Méthode 8 L’académicien Jean Richard, alors archiviste adjoint de Côte-d’Or en 1948, appelait déjà de ses vœux une histoire des pèlerinages de Bourgogne. Il précisait que pour y parvenir, il conviendrait dans un souci d’exhaustivité de « tenir compte de tous les renseignements qu’apportent les documents anciens », et de citer, tour à tour, pour le seul Moyen Âge classique des fonds hétéroclites tels que les archives judiciaires, la comptabilité ducale, la toponymie 4. En effet, pour dresser un inventaire des lieux de pèlerinage, le dossier documentaire ne repose pas sur une série spécifique qui n’existe en tant que telle que depuis le siècle dernier. Il a été construit d’après la recension d’une abondante documentation de nature et de finalité variées mentionnant de façon très inégale, d’un texte à l’autre, l’existence d’un lieu de pèlerinage. Les informations fournissant des datations précises font souvent défaut. Pour cette forme de manifestation de la piété, il n’y a pas dans la région considérée d’actes de fondation ou de promulgation de statuts, mais seulement une convergence d’indices qui signale

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qu’une dévotion a rencontré l’adhésion collective à un moment donné et qui trace seulement une chronologie relative aux contours souvent incertains. Les sources de première main glanées sur ces deux diocèses, ne permettent de préciser la chronologie qu’à une cinquantaine d’années près, tandis qu’une volumineuse historiographie cléricale produite au XIXe siècle pèse de tout son poids sur ce domaine et tend, au contraire, à lui conférer un caractère immémorial dont l’historien ne peut se satisfaire.

9 Ces sources sont tout d’abord narratives, essentiellement de nature hagiographique. Les vitae composées entre le VIe et le IXe siècle soulèvent diverses questions quant à leur datation, les modalités de leur production et les finalités du discours qu’elles élaborent. Ensuite, la production diplomatique composée entre le VIIIe et le XIIIe siècle a été soumise à une analyse détaillée dans le but d’identifier les mentions relatives au culte des saints, tant par la mention de tel lieu chargé de sacralité que de telle fête d’un saint local. Quatre cartulaires ont fait l’objet d’une étude de leur composition respective afin de mettre en évidence les stratégies monastiques mises en œuvre pour rappeler leurs origines : ceux des abbayes de Flavigny, de Corbigny, de Vézelay et de Saint-Étienne de Nevers. Le reste des sources consultées est de diverses natures : une série de vingt-trois calendriers liturgiques permet d’étudier la base et l’évolution des sanctoraux diocésains depuis la recension gallicane du martyrologe hiéronymien datée du VIe siècle jusqu’aux calendriers du XVIe siècle ; ces documents sont réunis en annexe. Les délibérations capitulaires de quelques centres de pèlerinages, dont les collégiales de Saulieu et de Châtel-Censoir, tenues entre le XIVe et le XVIIIe siècle livrent les coulisses de la pratique. De très précieuses mais tardives visites pastorales du diocèse d’Autun ont offert une sorte de « photographie » de la pratique religieuse dans les années 1660-70. Enfin d’autres pièces, plus sporadiques, ont complété le dossier : des indulgences accordées pour la visite d’un lieu de pèlerinage ; les rares archives comptables qui jettent un éclairage sur la dimension économique notamment dans le cas du pèlerinage d’Avallon ; les archives judiciaires apportent des renseignements complémentaires sur la place du pèlerinage dans la société.

10 L’inventaire des sites de pèlerinage repose donc sur la compilation de ces sources. Tous les lieux de pèlerinage identifiés ont fait l’objet d’une description historique détaillée dans le second volume. Le contenu de ces annexes est en cours de versement dans la base de données en ligne de l’enquête nationale5.

11 Pour apprécier l’originalité ou la conformité des sites de pèlerinage par rapport aux autres formes du culte des saints, il convenait de replacer les pèlerinages dans un plus large contexte à partir d’autres indices, aussi contemporains que possible des mentions de pèlerinages, afin de tenter de caractériser les préférences de la piété et cerner l’évolution globale de la vénération pour les saints dans ces deux diocèses. Les critères d’études sériels homogènes constitués à partir d’une sélection de données comparables tels que les titulaires d’autels, la constitution des reliquaires, la composition des propres diocésains et les représentations artistiques de thèmes religieux fournissaient une base de travail solide pour pallier l’éparpillement des sources. Résultats 12 L’inventaire des lieux de pèlerinage clairement identifiés s’élève à une centaine de sites, inégalement dispersés dans l’espace et le temps, dont les caractéristiques générales sont assez mouvantes d’une époque à l’autre. L’évolution chronologique et typologique des pèlerinages dans ces deux diocèses s’est déroulée en trois moments principaux qui forment les trois parties de la thèse.

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13 Dans un premier temps, celui de la construction mémorielle, la vénération s’est portée vers des modèles théoriques de sainteté réunis dans le « cycle de Bourgogne » dont l’assise littéraire a été élaborée à partir du Ve siècle et s’est continuée jusqu’au IXe selon un procédé de transposition des modèles orientaux. Dans cette phase, la figure des premiers évêques/premiers martyrs missionnaires/premiers abbés qui se seraient dressés contre les païens dans le courant du IIIe siècle, topos de la littérature hagiographique, a offert à l’église de Burgondie un référent fédérateur durant les guerres territoriales, aussi bien dans le diocèse d’Autun que dans celui de Nevers. Les principaux acteurs qui ont promu l’émergence des pèlerinages autour de saint Andoche et Thyrse de Saulieu, de sainte Reine d’Alise ou de saint Aré de Decize, ont été les clercs puis les moines, soutenus par la grande aristocratie.

14 Au cours du haut Moyen Âge, la fixation du lieu du pèlerinage s’est imposée uniquement dans l’église en tant que construction matérielle et théologique, lieu unique des manifestations de la piété vers laquelle les fidèles convergeaient. Pour cette première période, moins d’une dizaine de sites a pu être identifiée, mais certains peuvent encore nous échapper, compte tenu de la rareté de la documentation.

15 Un lent tournant pastoral et civique s’est produit dans ces deux diocèses à partir des dernières décennies du XIe siècle et tout au long du XIIe siècle. Il se caractérise par un effacement de la suprématie du modèle monastique au profit d’un encadrement des pèlerinages par le clergé séculier dont l’organisation est désormais mieux encadrée par les dispositions conciliaires. Le lieu du pèlerinage reste certes, dans la plupart des cas strictement associé à l’église qui demeure le lieu normalisé du pèlerinage. On note toutefois une diversification des lieux ecclésiaux où ils se développent : église cathédrale, paroissiale ou encore collégiale.

16 Ce mouvement a, parallèlement, été fortement marqué par un fort investissement des laïcs qui n’ont pas seulement adhéré à un modèle proposé mais se sont peu à peu appropriés cette forme de piété. L’utilisation progressive des langues vernaculaires a en effet entraîné un glissement du discours hors des cloîtres, alors que la production littéraire s’est rapprochée du milieu de la cour ducale. L’engagement laïc tout comme le développement d’une religion civique dans les derniers siècles du Moyen Âge ont également marqué l’évolution des sanctuaires, ces faits sont bien visibles dans l’innovation que constituèrent les pèlerinages à caractère judiciaire, imposés par les souverains.

17 Ce processus global engagé depuis le XIIe siècle a gagné du terrain dans les derniers siècles du Moyen Âge y compris dans la petite unité de la vie religieuse, l’autel secondaire ou la chapelle isolée d’un hameau ou d’un quartier. Parallèlement à cette diversification des lieux de culte, la fin du Moyen Âge est marquée non seulement par une augmentation du nombre de pèlerinages mais aussi par un net renouvellement des lieux, tout particulièrement près des villes. Celle de Nevers disposait de cinq lieux de pèlerinage au XVe siècle, tous méconnus aux Xe-XIIIe siècles.

18 La multiplication des lieux de pèlerinage dans les deux diocèses a entraîné une facilité d’accès aux sites, l’idée de voyage lointain se dissipe un peu au profit de déplacements collectifs intra-diocésains qui ont pris la forme de processions soudaines vers les lieux de culte parmi lesquels les sites de pèlerinage, de sorte qu’il est parfois délicat de démêler les pèlerinages du phénomène plus vaste du culte divin ou culte des saints.

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19 À de rares exceptions près, les modèles régionaux de sainteté bâtis durant le haut Moyen Âge offraient un secours moindre que les saints de l’Écriture dont ceux de la « fratrie de Béthanie ». Saint Lazare à Avallon et à Autun et sainte Marie-Madeleine à Vézelay sont les intercesseurs privilégiés auprès de quelques autres grandes figures universelles du premier millénaire, au premier rang desquelles, la Vierge Marie.

20 La dernière période considérée est marquée par une profonde crise spirituelle liée aux poussées d’autres religions, à l’intérieur de la Chrétienté face à l’expansion de la religion réformée et à l’extérieur aux guerres contre les musulmans de l’Empire Ottoman.

21 Ces crises ont imposé un renouvellement de certaines figures fédératrices. Tout d’abord, les sanctuaires de la Vierge Marie représentèrent la moitié des pèlerinages dans l’espace considéré ; cet engouement traduit l’attachement commun à la Vierge, à qui l’on a dévolu le rôle de protectrice universelle de la Chrétienté. Plusieurs figures du sanctoral local, Reine, Magnance, Révérien, Eulade, ont par ailleurs été remises en valeur, d’un point de vue matériel et spirituel. Ces saints régionaux qui sur le plan des pratiques pérégrines, avaient ainsi été délaissés au Moyen âge central, incarnèrent de nouveau, comme ils l’avaient fait durant le haut Moyen Âge, le poids de l’enracinement historique des communautés et de l’idée de reconquête catholique face aux idées nouvelles et réformées.

22 Plusieurs facteurs ont favorisé l’élan dévotionnel, on peut citer en premier lieu les réponses apportées à cette crise par le concile de Trente, parmi lesquelles la légitimation du culte des saints. Sur le plan local, l’autorité épiscopale, mais aussi les mauristes, ainsi que les réseaux religieux voués à l’éducation et à la charité ont également joué un rôle dans la reprise en main de l’encadrement spirituel des fidèles au XVIIe siècle. Ces nouveaux cadres ont considérablement concouru à l’émergence des pèlerinages ; quelques figures issues de leurs rangs ont d’ailleurs elles-mêmes été momentanément vénérées. C’est le cas du prêtre Étienne Litaud à Nevers ou de la carmélite Marguerite du Saint-Sacrement à Beaune.

23 Le XVIIe siècle est apparu comme le grand siècle des pèlerinages sur le plan numérique, avec une moyenne d’un lieu de pèlerinage pour onze à douze paroisses. Un tiers d’entre eux n’était jusque-là pas signalé dans la documentation. Cet engouement semble sans précédent, toutefois il faut le nuancer car la remarquable série de visites pastorales du diocèse d’Autun offre un éclairage plus détaillé que nul autre type d’archives consulté. À l’époque moderne, un nombre encore plus varié de lieux de culte est recherché par les pèlerins : églises monastiques, collégiales, conventuelles, paroissiales, mais aussi chapelle castrale, cimetériale ou encore les ermitages. Non seulement tout lieu consacré est donc susceptible d’accueillir un pèlerinage, mais tout lieu naturel frappé d’un événement miraculeux peut devenir consacré ; et c’est là une nouveauté dans l’histoire des pèlerinages.

24 Ensuite avec l’affaiblissement du souffle post-tridentin au XVIIIe siècle, le nombre de lieux ne se renouvelle plus et le genre faiblit jusque dans les années 1850.

25 Les dévotions dans les églises de pèlerinage de ces deux diocèses de Bourgogne se caractérisent par un attachement du clergé et des fidèles aux restes corporels des saints en majorité, puis aux statues représentant principalement la Vierge Marie. Dans le choix des modèles de sainteté, les sanctoraux diocésains donnent paradoxalement l’impression d’une atonie vis-à-vis de figures postérieures à l’époque carolingienne,

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notamment des chefs d’ordre monastiques, dont l’histoire de Bourgogne est pourtant si féconde 6.

26 La proportion que représentait le contingent régional par rapport à la sainteté universelle dans les lieux de pèlerinage n’a pas été linéaire au fil du temps. Ce constat, appliqué ici au cadre autunois et nivernais, mériterait d’être comparé à d’autres provinces. C’est notamment l’articulation de cet espace avec d’autres, le monde méridional par exemple, qui serait intéressante, dans la mesure où des types d’institutions tels que les ordres mineurs, y ont davantage exercé leurs marques spirituelles sur les pèlerinages.

27 Le panorama des pèlerinages des diocèses d’Autun et de Nevers forme un ensemble dynamique qui a évolué concomitamment aux aspirations contemporaines de la société. À chaque époque, le genre a fait preuve d’une grande souplesse pour offrir une réponse aux angoisses et aux attentes des fidèles. Cette souplesse a été aussi sa fragilité, puisque bon nombre de lieux n’ont pas fonctionné plus d’une ou deux générations, le clergé n’ayant ici pas développé une forte pastorale autour de la vénération des saints.

28 Au-delà du seul prisme de la dévotion, l’étude des pèlerinages soulève enfin la question de la perception du cadre diocésain dans le processus de construction sociétal. En effet, lors du bouleversement de la géographie ecclésiastique après la Révolution, le scellement des nouveaux cadres diocésains par rapport aux départements administratifs est passé par une redistribution des reliques des saints locaux importants, pour recréer une référence historique commune à partir des sanctoraux respectifs de chacun des anciens diocèses.

NOTES DE FIN

1. P. BOUTRY, D. JULIA, (dir.), Reine au Mont-Auxois. Le culte et le pèlerinage de sainte Reine des origines à nos jours, Dijon, 1997. 2. S. MILBACH, Prêtres historiens et pèlerinages du diocèse de Dijon (1860-1914), Dijon, 2000. 3. L. PINARD, Les mentalités religieuses dans le Morvan au XIXe siècle (1830-1914), Dijon, 1997. 4. J. RICHARD, « Pour connaître les anciens pèlerinages bourguignons », in Annales de Bourgogne, 20 (1948), p. 212-213. 5. Le site hébergé au Centre d’Anthropologie Religieuse Européenne de l’EHESS est consultable à l’adresse : http://www.coldev.org/sanctuaires 6. V. TABBAGH, (dir.), Les clercs, les fidèles et les saints en Bourgogne médiévale (XIe-XVe siècles), Dijon, 2005, p. 7-10.

INDEX

Index géographique : France/Nevers, France/Autun Mots-clés : saint, pèlerinage

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Le chapitre cathédral d’Autun du XIe au XIVe siècle Thèse de doctorat de l’Université de Bourgogne sous la direction de Vincent Tabbagh, mars 2007

Jacques Madignier

1 Le voyageur qui aujourd’hui parvient jusqu’au val d’Arroux après s’être écarté des grands axes routiers et avoir emprunté les départementales sinueuses de l’Auxois et du Morvan, se trouve confondu par la vue qui s’offre à lui. La citadelle d’Autun lui apparaît brutalement, se détachant à peine des pentes boisées de la montagne morvandelle. Hérissée de tours et de clochers, dominée par les hauts murs de la cathédrale, ceinturée de remparts, elle lui livre une impression de puissance qu’il ne retrouve que partiellement dans le reste de la ville qui s’étire en contrebas le long de la rivière. Il sait ce que fut la gloire de l’Antiquité encore présente par de nombreux vestiges que met en valeur l’office du tourisme. Il sait ce que fut le passé des évêques symbolisé par la cathédrale Saint-Lazare et le palais épiscopal. Il sait peut-être moins ce que fut l’importance du chapitre cathédral, de cette communauté de clercs qui vivait dans l’entourage du prélat. Cette étude qui s’inscrit volontairement dans le temps long (du XIe au XIVe siècle) s’est donnée pour objectif de démontrer l’empreinte que ces clercs laissèrent dans l’histoire et le tissu urbain de la cité. Elle prend place aussi dans la longue suite de recherches commencées depuis plusieurs décennies sur les chanoines et poursuivies par l’équipe des Fasti Ecclesiae Gallicanae conduite par Mme Hélène Millet. Elle contribue à préciser l’image de ces communautés canoniales qui au-delà de la règle commune et des injonctions pontificales présentaient une grande diversité. Elle se donne l’ambition de renouveler l’étude des sociétés cléricales médiévales trop longtemps perçues à travers leurs seules fonctions d’oratores.

2 Les chapitres cathédraux naquirent de la volonté des autorités laïques et ecclésiastiques de mieux structurer les clercs qui se tenaient dans l’entourage des évêques. La communauté autunoise n’a pas échappé à la règle. Du IXe au Xe siècle, les évêques furent les principaux artisans de son organisation et de son émancipation. Ce sont eux qui en définirent les contours numériques, contours amples conformes à un diocèse qui était le second de la province ecclésiastique de Lyon et qui se voulait

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l’héritier des traditions éduenne, romaine et chrétienne. Ce sont eux qui assurèrent son indépendance économique en la dotant d’un généreux patrimoine rural et en favorisant son emprise sur une part du castrum d’Autun. Ce sont eux qui veillèrent à la qualité des offices et des liturgies, n’hésitant pas à enrichir le trésor cathédral de nombreux livres. Du XIe au XIVe siècle, le chapitre autunois connut une sorte d’apogée que traduit l’abondance des sources. Le temps de la maturation et de la maturité (XIe-dernier tiers du XIIIe siècle)

3 Au cours de cette longue période durant laquelle les pouvoirs laïcs se recomposèrent et retrouvèrent une certaine stabilité, la communauté canoniale d’Autun s’affirma comme l’un des principaux pouvoirs constitués de Bourgogne. Son autorité et son influence reposaient sur des structures stables et protégées.

4 L’institution canoniale formait d’abord une communauté nombreuse comptant une cinquantaine de chanoines 1. En son sein les dignitaires constituaient un groupe imposant, représentant un cinquième de l’effectif global ; ils regroupaient les responsables du chapitre – doyen et chantre mais aussi prévôts de Sussey et de Bligny -, les auxiliaires de l’évêque – archidiacres d’Autun, Beaune, Avallon et Flavigny -, les détenteurs de quelques institutions sécularisées qui avaient vu le jour dans les siècles antérieurs – abbés de Saint-Pierre l’Étrier et de Saint-Étienne l’Étrier- ; après moult conflits, leur hiérarchie avait été définitivement arrêtée au début du XIIIe siècle 2. Autour de ce noyau canonial de chanoines et de dignitaires gravitait tout un ensemble de clercs de second ordre, organisé aussi en subtiles hiérarchies parmi lesquels on distinguait le vicaire de chœur et le détenteur du petit prieuré de Saint-Racho, les chapelains des chapellenies et les chapelains commensaux, les curés des paroisses du cloître et les prêtres de chœur, les clercs de chœur et les enfants d’aube auxquels s’ajoutait tout un personnel de clercs et des laïcs attaché à la gestion quotidienne du temporel 3. Au total, la familia canonialis regroupait plusieurs centaines d’individus dans une cité qui, au demeurant, apparaissait modestement peuplée (2000 habitants dans le premier décompte de feux de la fin du XVe siècle) 4.

5 La stabilité de la communauté tenait aussi à son recrutement géographiquement et socialement étroit. Le recrutement, sans qu’il fût totalement d’essence aristocratique, était en adéquation avec l’élite féodale et urbaine du diocèse. Les petits lignages locaux vouaient leurs cadets à l’état clérical dans l’espoir de les voir entrer au chapitre. Les grands lignages détenteurs de puissantes seigneuries – les Marigny, les Châteauneuf, les Corrabuef - accaparaient les dignités. Les plus prestigieux d’entre eux, plus enclins à multiplier les solidarités à l’image des Vergy, occupaient l’épiscopat 5. Dans ces strates sociales étroites, la formation intellectuelle était réduite aux acquisitions élémentaires, la familiarité avec les livres restreinte, l’accession aux ordres sacrés limitée malgré les recommandations pontificales. Ce recrutement était d’autant plus stable que la collation des bénéfices de la communauté était partagée entre l’évêque et le chapitre lui-même : à l’évêque revenait la nomination des archidiacres, abbés et prévôts ; au chapitre, celle du doyen, chantre et autres chanoines 6. Ce type de fonctionnement resta en place jusqu’au début du XIVe siècle. Le caractère immuable du recrutement et l’observance de la règle conduisaient à maintenir une vision pérenne de l’institution canoniale. La communauté se reconnaissait dans la tenue régulière des assemblées capitulaires 7 ; elle s’identifiait dans le port du vêtement canonial constitué de la chape à chaperon qu’elle affichait lors des fêtes liturgiques, des processions ou des entrées solennelles des évêques 8 ; elle revendiquait le droit de vivre noblement entourée d’une

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abondante maisonnée. Autant de signes à la fois concrets et symboliques qui dessinaient les contours de l’ordre canonial et généraient entre ses membres une identité de mentalité et une certaine solidarité.

6 De plus, la stabilité de la communauté autunoise reposait sur une puissante assise temporelle. Ainsi l’avaient voulu les évêques qui à compter du IXe siècle avaient multiplié les donations de domaines agricoles de type carolingien 9. Aux Xe et XIe siècles la générosité épiscopale céda la place à la générosité princière, en l’occurrence celle du duc de Bourgogne qui se montra en la matière moins prodigue 10. Le temps des grandes donations cessa au début du XIIe siècle et ouvrit sur le temps de la croissance autonome marqué par l’acquisition calculées de rentes et de gageries spéculatives, par la réception de fondations d’anniversaires et de petits legs valorisés par une gestion minutieuse. En ce domaine les chanoines autunois firent montre d’une grande adaptabilité passant de l’exploitation directe à l’exploitation indirecte, s’ouvrant au numéraire sans renoncer aux redevances en nature. En ce sens le recensement de l’ensemble des biens du chapitre entrepris en 1283 par le doyen Clérembaud de Châteauneuf est unique et exemplaire11. Il traduisait en cette fin de siècle des préoccupations nouvelles en matière de comptabilité et en même temps la volonté de ne rien laisser échapper des redevances les plus variées, dont quelques-unes remontaient aux temps carolingiens. De ce patrimoine foncier subsistent encore aujourd’hui de nombreux vestiges que nous nous sommes efforcés de recenser.

7 La puissance temporelle du chapitre s’inscrivait aussi dans la ville haute d’Autun. C’était là qu’elle prenait son aspect le plus visible. Lorsque les chanoines s’affranchirent au XIe siècle de la fréquentation permanente du monasterium blotti près de l’église-mère et de la maison épiscopale, ils étendirent leur influence sur une zone plus importante du castrum. La construction d’un nouveau sanctuaire dédié à saint Lazare 12, la dispersion des clercs dans des maisons individuelles contribuèrent à créer un vaste claustrum fermé de murs et de portes 13 et doté d’une immunité confirmée par les autorités religieuses et civiles 14. C’était là que s’ancrait l’assise territoriale la plus tangible de la communauté canoniale, matérialisée par l’élévation d’un chaffaud de bois et la présence de fourches. L’exemple d’Autun confirme combien la présence des chapitres fut déterminante dans la construction du modèle urbain des villes de cathédrales.

8 Un tel patrimoine assurait aux chanoines des revenus faits de gros fruits (prébende) et surtout de distributions, revenus qui bien que modestes leur permettaient de vivre noblement et de remplir les missions que leur assignait la règle d’Aix.

9 La stabilité de l’institution reposait enfin sur la régularité et la permanence avec lesquelles les chanoines assuraient leurs charges de prière, d’enseignement et d’assistance. Individuellement ils se consacraient avec plus ou moins de bonne volonté à la récitation des heures et à la célébration des fêtes du Temporal et du Sanctoral. La multiplication des distributions les incitait sans doute à plus de constance. L’originalité des liturgies canoniales autunoises naquit de deux faits. Ce fut d’abord l’arrivée au IXe siècle dans la cité éduenne du sacramentaire de Marmoutier ; son introduction au XIe siècle au chapitre cathédral fut déterminante pour l’établissement d’un cérémonial stable et cohérent 15. Ce fut d’autre part la venue à Autun des reliques de Lazare aux environs du Xe siècle. Le culte des reliques n’était pas chose rare en Bourgogne. Nombre d’institutions religieuses au cours du premier Moyen Âge avaient été fondées sur le culte de reliques saintes. Dans la cité épiscopale, le culte du ressuscité de Béthanie

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supplanta le culte de Nazaire et prit une ampleur considérable 16. Au XIIe siècle, l’édification d’un sanctuaire reliquaire pour abriter le corps du saint et la transformation du dit sanctuaire en cathédrale furent sans doute vécues par les chanoines comme une intrusion et ils manifestèrent peut-être même une hostilité. Comment comprendre le mur qu’ils firent élever entre le chevet de la cathédrale et le quartier canonial 17 ? Comment interpréter leurs réticences à rejoindre des zones de sépultures qui s’étendaient désormais au pied de la nouvelle église 18 ? Par la présence des saintes reliques, Autun devint rapidement un centre de pèlerinages renommé vers lequel convergeaient à date régulière les pèlerins, où affluaient aussi les demandes d’intercessions, les fondations d’anniversaires et les élections de sépultures. Les chanoines participèrent à la mise en place autour du saint d’un ensemble liturgique décliné en une multitude de fêtes et de processions. Dépositaires de reliques et choisis comme intercesseurs qualifiés, ils comprirent tout l’intérêt qu’ils pouvaient tirer des multiples demandes qui leur étaient adressées. En revanche ils ne se préoccupèrent guère des autres missions qui leur incombaient. La modeste école cathédrale ne dispensait qu’un enseignement de base, propre à satisfaire la formation des clercs subalternes ou à éloigner vers des foyers intellectuels plus prestigieux (Paris ou Orléans) ceux qui avaient davantage d’ambition. La pastorale ne les intéressait guère. Durant longtemps leurs œuvres de charité se contentèrent de gérer avec parcimonie la matricule fondée au VIIe siècle par l’évêque Léger 19. Au XIIIe siècle la communauté accepta de fonder sa propre maison-Dieu au pied de la ville haute. Mais l’établissement demeura bien modeste dans ses capacités d’accueil et les legs qui étaient censés le faire vivre 20. Le temps du repli (dernier tiers du XIIIe-fin XIVe siècle)

10 Dans les ultimes décennies du XIIIe siècle, cette réussite si brillante commença à vaciller quelque peu. En moins de vingt ans, le chapitre autunois, comme beaucoup de communautés cléricales, se trouva confronté à des difficultés qui ne cessèrent de s’accentuer. Entre 1282 et 1298, l’institution dut faire face à trois menaces qui commençaient à poindre.

11 La première menace était d’ordre économique. Était-ce le basculement de conjoncture qui rendait les revenus moins abondants ? Était-ce l’irruption de l’économie monétaire qui exigeait de nouvelles dépenses et la mobilisation de nouvelles ressources ? Toujours est-il qu’en quelques années, les autorités capitulaires entreprirent le recensement de tous leurs biens, la refonte de l’obituaire et la réorganisation des services comptables 21. Cette première difficulté entraîna sans doute entre les membres de la communauté certains conflits d’intérêts qui rejaillirent lors de la désignation du titulaire du siège épiscopal.

12 La seconde menace venait du désir du pape de contrôler les collations des bénéfices. Par deux fois, les querelles autunoises lui donnèrent l’occasion d’intervenir et d’imposer son arbitrage. La seconde fois, en 1298, Boniface VIII saisit l’occasion pour imposer l’un des ses proches 22. Après la collation de l’épiscopat, il était prêt à s’emparer de la collation des canonicats.

13 Dans un tel contexte, les ambitions non dissimulées des autorités laïques paraissaient tout aussi dangereuses. Pour y faire face, le chapitre cathédral convoquait en 1282 toute la familia canonialis pour témoigner devant les représentants du Parlement de Paris des droits et usages qu’il possédait dans le cloître 23. Mais tout cela semblait bien dérisoire.

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Que pouvait faire la communauté face au duc de Bourgogne et ses officiers qui n’entendaient aucunement se soumettre aux décisions des cours souveraines ?

14 Dans les troubles du XIVe siècle, ce qui n’était que menaces se mua en périls et le chapitre fut durablement affecté.

15 La dégradation des ressources s’accentua au point que le doyen dut à plusieurs reprises solliciter la générosité des évêques pour que la communauté puisse continuer d’assumer décemment les missions qui étaient siennes 24.

16 L’intrusion des papes dans le domaine des collations canoniales, même si elle fut à Autun plus tardive qu’ailleurs n’en fut pas moins brutale. Dès 1315, le chapitre perdit le contrôle d’une partie de ses canonicats, de la quasi-totalité de ses dignités, à l’exception de la chantrerie et du décanat qui furent affectés à partir de 1330-1370 25. Les clercs de recrutement local, qui dans les siècles antérieurs assuraient la stabilité de l’institution cédèrent la place aux clercs de l’entourage des papes, des cardinaux, des princes dont l’objectif était de cumuler les prébendes plutôt que de résider à Autun. Les Bourguignons devinrent minoritaires. Ils tentèrent de s’adapter à ces temps nouveaux. Ils s’efforcèrent de s’appuyer plus encore sur leurs réseaux de solidarités ; ils apprirent à connaître les rouages de l’administration pontificale ; ils comprirent le rôle que devaient jouer désormais les études. L’école cathédrale améliora son enseignement. Les livres entrèrent plus nombreux dans le trésor de la communauté. La fréquentation des universités s’imposa comme une nécessité encouragée par la générosité épiscopale. Un petit groupe de Bourguignons parvint ainsi à se maintenir dans l’ordre canonial. Cependant certains d’entre eux, gagnés par l’esprit de carrière n’hésitèrent pas à rejoindre les administrations apostoliques, royales ou princières au détriment au chapitre.

17 Les prétentions ducales sur la cité épiscopale et le cloître canonial redoublèrent, plus particulièrement dans la seconde moitié du siècle lorsque l’épidémie, la guerre et les compagnies s’abattirent sur l’Autunois. La présence militaire ducale nécessaire à la défense de la ville devint oppressante pour les habitants et les chanoines. Le chapitre fut contraint d’accepter la protection ducale et de renoncer à un certain nombre de privilèges 26. Dans cette situation, ce furent paradoxalement les chanoines au service du duc qui se montrèrent les meilleurs défenseurs des intérêts canoniaux.

18 Durant cette période troublée, le chapitre se réduisit à une quinzaine de membres qui résidaient en permanence dans le cloître et qui tant bien que mal assuraient avec l’aide de nombreux auxiliaires les missions de prière, d’enseignement et d’assistance. La communauté ne sortit pas indemne de ces épreuves, car à l’image de nombre d’institutions religieuses, elle s’était laissée aller à des abus et à de multiples manquements à la discipline. Le grand Schisme, crise profonde de l’autorité pontificale, fut paradoxalement à Autun un moment de réforme et de reconstruction. La remise en ordre fut portée par l’évêque Nicolas de Toulon 27. Les souverains pontifes soucieux de se forger des appuis, en revinrent au recrutement local avec l’assentiment du pouvoir politique, en l’occurrence du pouvoir ducal. Les Bourguignons réinvestirent les prébendes canoniales autunoises et le siège épiscopal ; ce que confirma par la suite le retour à la collation de l’ordinaire provoquée par la soustraction d’obédience de 1398 28. Le temps des faux semblants (XVe siècle)

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19 Au sortir de ce siècle de tourmente, le chapitre cathédral d’Autun semblait ne pas avoir retrouvé son dynamisme et la totalité de son rayonnement. L’absence de sources abondantes et cohérentes en est la démonstration.

20 Certes la richesse temporelle demeurait suffisante pour assurer la permanence des heures, la solennité des liturgies. La rédaction d’un certain nombre de processionnaux à la fin du siècle l’atteste 29. L’influence de la communauté restait intacte. Les chanoines revendiquaient le privilège d’être les uniques gardiens des reliques de Lazare vers lesquelles convergeaient toujours autant de pèlerins ; ils se voulaient les uniques dépositaires des dons et fondations offerts à l’Église. Ce privilège bien protégé les conduisait à écarter tout risque de concurrence. Mendiants et prêcheurs n’avaient pas réussi à prendre pied dans la cité épiscopale 30. La collégiale d’Avallon qui avait osé prétendre détenir le chef de Lazare avait été contrainte d’en rabattre 31.

21 Et pourtant tout avait changé. Le recrutement avait perdu sa stabilité et sa cohérence d’autrefois. Les dignitaires et évêques étaient issus des lignages aristocratiques qui devaient leur fortune au roi ou au duc de Bourgogne. Les chanoines étaient tous des hommes nouveaux, ambitieux et instruits, venus d’horizons divers, sortis des rangs de la bourgeoisie ou de la petite noblesse de service. Les ressources financières de la communauté s’étaient sans doute affaiblies. Le projet de reconstruction de l’église- mère de Saint-Nazaire était suspendu. Les chanoines eux-mêmes avaient pris le parti de la médiocrité de leurs prébendes et s’en allaient quérir quelques compléments de revenus dans les cures ou les collégiales du diocèse, dans la proximité des puissants.

22 Au XVe siècle, le chapitre cathédral d’Autun semblait déclinant. Il battait au rythme d’une cité que marginalisaient peu à peu les transformations des États bourguignons et que ne parvenait à redynamiser le mécénat de quelques brillants évêques 32.

NOTES

1. En 858, l’évêque Jonas augmentait le patrimoine de l’Église d’Autun pour la subsistance d’une cinquantaine de chanoines (cf. A. de CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun, Paris-Autun, 1865-1900, t. I, p. 33). Cet effectif d’une cinquantaine de clercs est conforme à ce que l’on rencontrait dans nombre de chapitres cathédraux du Nord de la France. 2. En 1197, l’évêque Gautier intervenait dans les querelles hiérarchiques et assurait au chantre la primauté sur le prévôt (A. de CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun, op. cit., t. II, p. 14). 3. La communauté cléricale constituée des chanoines et des clercs subalternes nous apparaît fréquemment dans les testaments du XIIIe siècle, tel celui de Jacques Boisserand, abbé de Saint-Étienne en 1281 (cf. A. de CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun, op. cit., t. I, p. 226-233). 4. La recherche de feux de 1494 dénombrait 404 feux dans la « ville, cité et faubourgs d’Ostun » et 91 pour les « paroisses sises hors du rempart » (cf. Arch. dép. de la Côte- d’Or, B 11510).

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5. Au XIIIe siècle, le lignage de Vergy occupa le siège épiscopal autunois avec Gui de Vergy (1224-1245), Gérard de la Roche Beauvoir, son neveu (1253-1283) puis Jacques de la Roche, issu du même lignage (1283-1286). Au XIIe siècle, la tentative d’accaparer l’épiscopat vint de la famille ducale : en 1140, Robert de Bourgogne, fils de Hugues II devint évêque d’Autun ; de 1147 à 1170, ce fut Henri de Bourgogne, frère dudit Robert, tandis que leur troisième frère Gautier occupa le siège de Langres de 1161 à 1179. 6. Ph. GAGNARRE, Histoire de l’Église d’Autun, Autun, 1774, p. 301. 7. Statuts et règlements de l’Église d’Autun datant du XVIIIe siècle, titre neuvième « des assemblées capitulaires » (cf. Arch. dép. de Saône-et-Loire, 5 G 7). 8. La description des vêtements canoniaux est fréquente dans les testaments ou les règlements établis par le chapitre. Ainsi le traité passé entre l’évêque et le sénéchal en 1304 décrit par le menu la garde-robe que le prélat chaque année devait remettre au chanoine sénéchal qui lui servait de majordome (cf. A. de CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun, op. cit., t. II, p. 138). 9. Donations au cours des VIIe, IXe et Xe siècles des domaines de Tillenay, Marigny-sur- Yonne, Chenôve, Marcheseuil, Bligny-sur-Ouche, Sussey, Auxy… Donations des domaines plus spécifiquement viticoles de Sampigny, Volnay, Aloxe, Échevronne, Perreuil. 10. Donation de la terre de Poligny par Adélaïde de Bourgogne en 922, veuve de Richard le Justicier, duc de Bourgogne. La dite terre de Poligny étant par la suite échangée contre le domaine de Meloisey. 11. Recensement de tous les biens du chapitre initié par le doyen Clérembaud de Châteauneuf, Arch. dép. de la Côte-d’Or, G 748. 12. La construction de l’église reliquaire de Saint-Lazare débute après 1120, date à laquelle le duc Hugues II céda à l’Église l’emplacement dans la ville haute qui faisait face au monasterium canonial (cf. confirmation de cette donation par le pape en 1132 (cf. A. de CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun, op. cit., t. I, p. 5). En dehors de ce texte nous ne disposons étrangement d’aucun texte fondateur de cette église nous indiquant qui fut à l’origine de cette construction. 13. Transaction passée entre le chapitre et le duc de Bourgogne Eudes IV décrivant avec précision les limites du cloître dans sa partie sud et ouest (cf. A. de CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun, op. cit., t. II, p. 172-176). 14. L’immunité dans le domaine judiciaire était remise dès le IXe siècle à la communauté canoniale par les souverains carolingiens, Louis le Pieux et Charles le Chauve (cf. A. de CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun, op. cit., t. I, p. 7 et 31). 15. J. DÉCREAUX, Le sacramentaire de Marmoutier dans l’histoire des sacramentaires carolingiens du IXe siècle, 2 vol., Rome, 1985. 16. J. DÉCREAUX, « Le culte de saint Nazaire dans les martyrologes français et autunois », in Mémoires de la Société Éduenne, 54 (1979), p. 33-49. A. STRASBERG, De Béthanie à Autun, les reliques de saint Lazare. Leur culte, ses manifestations et son cadre, texte dactylographié d’une conférence, Autun, 1996. 17. Donation du duc Hugues III en 1178 (cf. A. de CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun, op. cit., p. 109-111). 18. Alors que l’église de Saint-Lazare fut consacrée en 1146 et le saint transféré en 1147, ce n’est qu’un siècle plus tard que les chanoines se décidèrent, peut-être poussés par la nécessité de la reconstruction de la cathédrale Saint-Nazaire de quitter les zones de sépultures proches de l’église-mère pour rejoindre les abords de Saint-Lazare.

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19. Donation de l’évêque Léger en 677 pour la fondation d’une matricule (cf. A. de CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun, op. cit., t. I, p. 80-82). 20. Terrier des pauvres de la maison-Dieu du Chastel d’Autun, Arch. dép. de Saône-et- Loire, hors cote. 21. Recensement de Clérembaud de Châteauneuf de 1290 (Arch. dép. de la Côte-d’Or, G 748) ; obituaire de 1286 (Arch. Dép. de Saône-et-Loire, 5 G 1) ; comptabilité du début XIVe (Arch. Dép. de Saône-et-Loire, 5 G 304). 22. Cf. lettres pontificales des registres de Martin IV, 323 et des registres de Boniface VIII, 2982. 23. Déposition en 1282 de 127 témoins en faveur de l’Église d’Autun contre les prétentions du duc Robert II et arrêt du Parlement de Paris en 1286 (cf. A. de CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun, op. cit., t. I, p. 234-253 et 260-265). 24. Donation des églises de la Tagnière, Laisy, Étang-sur-Arroux et Sanvignes en 1306 puis des églises de Monthélie et de Saint-Gervais-sur-Couches en 1311 (cf. A. de CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun, op. cit., t. II, p. 131 et 140). 25. La chantrerie d’Autun fut attribuée par Jean XXII à Jean Moret de Bourbon (lettre commune de Jean XXII, 49548). En 1367, le décanat fut transmis par permutation de Guillaume Martelet à Bernard Magaud, avec l’assentiment d’Urbain V (lettre commune d’Urbain V, 19033/34), puis en 1371 de Bernard Magaud à Olivier de Martreuil avec l’assentiment de Grégoire XI (in Analecta Vaticana Belgica, 11 (1083)). 26. Les relations troublées entre le chapitre cathédral d’Autun et le bailli ducal Robert de Martinpuits ont été étudiées par A. de CHARMASSE, « Précis historique », in H. de FONTENAY, Autun et ses monuments, Autun, 1889. 27. Ph. GAGNARRE, Histoire de l’Église d’Autun, op. cit., p. 436-437 28. H. MILLET et E. POULLE, Le vote de la soustraction d’obédience de 1398, Paris, 1988. 29. Processionnal avec notes du XVe siècle, Autun, B.M., ms. S 181. 30. Appel aux mendiants de Dijon pour venir prêcher durant le Carême à Autun (cf. comptabilité de 1377, 1384, 1394, 1401 in Arch. dép. de Saône-et-Loire, 5 G 304). 31. Enquête touchant au chef de saint Lazare (Processus de capite beati Lazari) 1482, Archives de la Société éduenne, série D 1, registre 27. 32. La référence à Jean Rolin évêque et cardinal, qui occupa le siège autunois de 1436 à 1483, est obligatoire. Cf. La splendeur des Rolin. Un mécénat privé à la Cour de Bourgogne, actes de la table ronde des 27-28 février 1995, réunis par B. MAURICE-CHABARD, Paris, 1999.

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Étude pétrographique de la pierre d’Asnières et de son utilisation dans l’agglomération dijonnaise Master 2 Professionnel Archéosciences de l’Université de Bourgogne sous la direction de Jean-Pierre Garcia et Stéphane Büttner

Cécile Montel

1 L’objet de cette étude a été, dans un premier temps, d’établir un nouveau référentiel pétrographique de la pierre d’Asnières sur des échantillons récoltés en carrière lors de la surveillance archéologique réalisée dans le Bois des Grottes 1. Dans un deuxième temps, nous avons pu repérer les emplois de la pierre d’Asnières, essentiellement dans l’agglomération dijonnaise et ainsi proposer un diagramme chronologique de l’utilisation de ce type de calcaire. La pierre d’Asnières-lès-DijonLes différents faciès pétrographiques 2 La pierre d’Asnières est un calcaire blanc, très pur, à grain fin, tendre, gélif et d’aspect crayeux. Elle appartient à l’étage du Kimméridgien inférieur (Jurassique supérieur), dans les faciès calcaires dits « Séquaniens ». Cette formation affleure en plusieurs endroits autour de Dijon 2 : à l’est d’Ahuy, à l’est de Savigny-le-Sec (bois de Norges), au sud d’Asnières-lès-Dijon dans les carrières souterraines du Bois des Grottes et des Crais, mais également vers Lux. La carte géologique indique que l’affleurement géologique s’étend essentiellement au nord de Dijon (on la trouve ponctuellement au sud-est et au nord-ouest, dans la région d’Orville à Champlitte).

3 La pierre d’Asnières est caractérisée par la présence de bioclastes, toutefois relativement rares 3. On y trouve essentiellement des débris d’algues ; des foraminifères et quelques ostracodes.

4 Trois microfaciès ont été définis à partir des lames minces réalisées dans le cadre de ce stage. D’une manière générale, il s’agit de micrites et de microsparites à bioclastes et pellets, parfois très légèrement oolithisés, avec une tendance à une micritisation qui homogénéise les faciès. Les analyses du LRMH (Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques) mentionnent un aspect microscopique d’oosparite avec

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quelques rares bioclastes (foraminifères bisériés essentiellement). La définition des microfaciès de la pierre d’Asnières n’est donc pas tout à fait fixée pour le moment. Les carrières 5 Les carrières les plus réputées se situent sur la commune d’Asnières-lès-Dijon, dans le Bois des Grottes 4. Il s’agit de carrières souterraines. On en connaît deux grandes cavités, sur une surface totale de 10 000 m² environ 5. Aux alentours, la topographie des lieux évoque également un profil d’extraction à ciel ouvert.

Fig 1. Diaclases sur ciel de carrière d’Asnières dans la grande grotte (cl. P. Rat).

6 Les exploitations des deux carrières souterraines sont probablement contemporaines. Il n’est pas possible dans l’état actuel des recherches de préciser la datation de l’activité d’extraction. La dernière exploitation pourrait correspondre aux restaurations du chœur de Saint-Bénigne en 1887, réalisée par Charles Suisse. On a utilisé en tout cas massivement la pierre d’Asnières au moins depuis le XIIIe siècle (cf. infra), si ce n’est depuis l’Antiquité. L’exploitation à ciel ouvert, si elle est avérée, serait la plus ancienne et pourrait être antique.

7 D’autres carrières se situent également plus au nord, dans le bois de Norges (commune de Savigny-le-Sec). Elles ont été exploitées à ciel ouvert, parfois en longues tranchées suivant le tracé des failles. Toutefois, aucun prélèvement de vérification n’a pu être effectué car les bancs de calcaire crayeux sont actuellement recouverts par des déblais ou les carrières ont été transformées en décharges. Ces carrières ne sont jamais mentionnées dans les textes. Il pourrait peut-être alors s’agir, là encore, d’exploitations anciennes.

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Fig. 2. Bancs supérieurs des carrières du Bois de Norges (cl. C. Montel).

8 La pierre d’Asnières au sens propre du terme devrait désigner uniquement le calcaire blanc et crayeux extrait dans les carrières d’Asnières-lès-Dijon du Bois des Grottes ou à proximité immédiate. Toutefois, la plupart des auteurs utilisent ce terme de manière beaucoup plus générale : il peut en effet s’agir de pierre extraite sur l’ensemble de l’affleurement du Kimméridgien au nord de Dijon. Nous adopterons le terme pierre d’Asnières pour désigner, au même titre, tous les calcaires du même type, comme cela est généralement accepté. Toutefois, on gardera bien à l’esprit qu’il ne s’agit pas nécessairement du calcaire d’Asnières-lès-Dijon, mais d’une pierre pouvant provenir d’un peu plus loin (Norges, etc.). Utilisation et chronologieÉléments sculptés 9 La pierre d’Asnières est essentiellement connue par son utilisation pour les éléments sculptés des XIVe et XVe siècles. Claus Sluter en a généralisé l’emploi dans ses œuvres pour son grain fin et ses qualités de taille. Les réserves du Musée archéologique de Dijon abritent de nombreuses œuvres dont le matériau a été identifié comme étant de la pierre d’Asnières 6. Cette étude n’a pas pu se faire sur l’ensemble de la collection mais a dû se concentrer sur les éléments provenant des édifices majeurs de l’agglomération dijonnaise.

10 La gargouille aux trois visages de la façade occidentale de Notre-Dame de Dijon, initialement mise en place dans le premier quart du XIIIe siècle, n’a pas pu faire l’objet d’un prélèvement mais semble macroscopiquement être réalisée dans de la pierre d’Asnières.

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Fig. 3. Dijon, gargouille aux trois visages de la façade occidentale de Notre-Dame, réserves du musée archéologique (cl. C. Montel).

11 C’est surtout à partir de la fin du XIVe siècle que l’on privilégie la pierre d’Asnières pour la sculpture en ronde-bosse. Ainsi, à la Chartreuse de Champmol, plusieurs observations vont dans ce sens. D’une part, les sculptures du portail de la chapelle datent de 1390. Derrière les statues ducales aujourd’hui disparues, Claus Sluter ajoute celles de saint Jean-Baptiste et de sainte Catherine, puis celle de Marie, au trumeau. Francis Robaszynski, pour le compte de la Faculté polytechnique de Mons (Belgique), a caractérisé la pierre du saint Jean-Baptiste. Il pense qu’il s’agit de pierre d’Asnières 7. Le catalogue Sculpture médiévale indique la possibilité que les dais surmontant la statue de Sainte Catherine, actuellement conservés au musée archéologique, soient en pierre d’Asnières.

12 D’autre part, de très nombreuses recherches ont été menées sur le puits de Moïse, tant sur les sculptures entourant le puits lui-même, que sur la croix et le Christ le surmontant. L’ensemble a été conçu à partir de 1393 par Claus Sluter. D’après les Archives départementales 8, ce dernier aurait pris ses dispositions pour que de la pierre d’Asnières et de la pierre de Tonnerre (pour la croix, la flèche de croix, et le soubassement de celle-ci) soient acheminées sur le chantier en 1396. En 1399, le maître d’œuvre s’approvisionne encore en pierre d’Asnières pour les consoles, les chapiteaux du piédestal et une partie du programme figuré (dont les anges). De même en 1400, six autres gros blocs de pierre d’Asnières sont fournis au chantier pour sculpter une partie des prophètes du piédestal 9.

13 Le LRMH a réalisé une identification des pierres utilisées pour tout le niveau inférieur de l’ensemble (puits, sculptures, socle, baldaquin) : d’après le rapport, il s’agit de pierre d’Asnières 10. D’autre part, nous avons pu observer quelques pièces conservées de cet ensemble (deux sur les treize initialement découvertes) : les jambes croisées du Christ

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(cat. 66, Inv. Arb. 1324) et deux bras de femme également croisés, probablement ceux de la statue de Marie Madeleine (cat. 67, Inv. Arb. 1325). Nous n’avons pas pu réaliser de prélèvement. Une observation macroscopique nous a amené à penser qu’il pouvait s’agir de pierre d’Asnières. L’utilisation au moins ponctuelle de la pierre d’Asnières est donc attestée en 1395 par les archives et par l’étude menée par le LRMH. Le reste du Calvaire a été réalisé en pierre de Tonnerre (dont la grande croix mais aucun fragment n’en est aujourd’hui conservé). Le banc de pierre de Tonnerre équivalent à celui de la pierre d’Asnières est nettement moins diaclasé que le ciel de la grande carrière du Bois des Grottes et permettrait donc peut-être d’extraire des blocs de plus grandes dimensions.

14 L’étude du Calvaire du grand cloître de Champmol montre qu’on privilégie la pierre d’Asnières pour des travaux fins, nécessitant une pierre docile, mais qu’on lui préfère sans doute la pierre de Tonnerre pour les pièces de grandes dimensions.

15 Cette même pierre a été utilisée également pour des sculptures du château de Germolles 11. On la trouve aussi à Genève, pour les fragments du tombeau du cardinal de Brogny (vraisemblablement sculpté à Dijon, par Jean Prindale 12) et ponctuellement ailleurs en Bourgogne (pressoir de Chenôve 13, église d’Auxonne par exemple 14).

16 En parallèle de la sculpture en ronde-bosse, la pierre d’Asnières a également été utilisée à de très nombreuses reprises pour des éléments architecturaux sculptés. Plusieurs fouilles ont permis de mettre au jour des tronçons du castrum antique de Dijon construit à la fin du IIIe siècle (crypte de Saint-Étienne, rue Courtépée. Ce rempart est construit essentiellement en blocs remployés. Il s’agit pour la plupart de blocs de maçonnerie, moulurés ou sculptés, de très grandes dimensions. Trois d’entre eux ont pu être échantillonnés et l’analyse des lames minces a montré qu’il s’agissait de pierre d’Asnières. On peut donc en conclure que ce calcaire a été employé avant le IIIe siècle de notre ère pour la construction monumentale et le décor et dans des proportions certainement très importantes.

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Fig. 4. Dijon, castrum, crypte Saint-Étienne (cl. C. Montel).

17 On connaît très mal l’utilisation de la pierre d’Asnières pendant la période du haut Moyen Âge mais certains chapiteaux ou des plaques de chancel, conservés au musée archéologique, datant des IXe-Xe siècles pourraient avoir été réalisés en pierre d’Asnières.

18 L’utilisation de la pierre d’Asnières pour les éléments de décor architectural se développe à nouveau considérablement à partir du XVIe siècle : elle occupe une place très importante dans la façade occidentale de Saint-Michel de Dijon, entre 1529 et 1551. Puis, on l’utilise en quantité relativement importante pour les chapiteaux, les frises et les moulures de la façade de Saint-Étienne achevée en 1721.

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Fig. 5. Dijon, façade occidentale de l’église Saint-Michel avec repérage des pierres d’Asnières (d’après relevé Colette, 1990).

Maçonnerie

19 Même si la pierre d’Asnières se prête plus à la sculpture tant par le volume pouvant être extrait des carrières supposées que par son grain très fin, nous avons pu relever son utilisation en maçonnerie à plusieurs reprises : la maçonnerie des tourelles d’escalier de Notre-Dame de Dijon, construites dans le courant du XIIIe siècle sont probablement en pierre d’Asnières, contrairement aux marches qui semblent être en pierre dite de Dijon.

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Fig. 6. Dijon, église Notre-Dame, tourelle sud de la façade occidentale (cliché C. Montel).

20 Mais c’est dans le chœur de l’abbatiale Saint Bénigne qu’elle est le plus employée, en moyen appareil 15. Construit entre 1281 et 1287, il semble l’avoir été entièrement en pierre d’Asnières, comme nous le fait supposer un prélèvement réalisé à l’arrière du triforium. Cela correspond à un volume de matériaux très important. La question de leur provenance se pose alors : on peut se demander si ces pierres proviennent de l’exploitation des carrières du Bois des Grottes (à ciel ouvert ou déjà souterraines), ou bien plutôt des carrières du bois de Norges. Aucun texte relatif à la construction de l’édifice ne mentionne les questions d’approvisionnement du chantier.

21 Le clocher de Saint Michel, construit au XVe siècle, serait également en pierre d’Asnières. Conclusions 22 L’utilisation de la pierre d’Asnières dans l’agglomération dijonnaise ne semble donc pas régulière à la fois dans le temps, en quantité et dans la façon de l’employer (cf. diagramme). L’étude a permis de montrer que ce calcaire était employé dès l’Antiquité, au moins avant le IIe siècle de notre ère pour de petits éléments architecturaux (dalles de couverture par exemple) mais aussi pour des blocs de dimensions beaucoup plus importantes à fonction notoirement décorative. Cela implique des sites d’extraction considérables pour l’instant méconnus.

23 Une lacune dans l’utilisation s’observe entre le IVe siècle et le IXe siècle, voire jusqu’au XIIe siècle. Celle-ci peut être attribuable à une réelle diminution de l’exploitation, mais aussi à un manque de données archéologiques.

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Fig. 7. Diagramme d’utilisation de la pierre d’Asnières.

24 Au XIIIe siècle, on la trouve en pierre d’appareillage dans le chœur de Saint-Bénigne, ponctuellement à Notre-Dame, et en façade d’hôtels particuliers. Les chapiteaux du porche occidental de Notre-Dame ont également été identifiés comme étant en pierre d’Asnières.

25 Les sculpteurs lui portent un intérêt certain à partir du XIVe et surtout du XVe siècle pour sa finesse de taille. C’est plus particulièrement à cette période que cette pierre a été utilisée en ronde-bosse à Dijon. On peut ainsi se demander si cette évolution de l’utilisation de la pierre d’Asnières à cette époque n’a pas pu impliquer le passage d’une exploitation à ciel ouvert à une exploitation souterraine.

26 Il s’agit donc de se demander dans quelle mesure l’utilisation et l’extraction de la pierre d’Asnières ont évolué depuis l’Antiquité. Des investigations doivent se poursuivre dans ce sens afin de pouvoir répondre à ces questions de transmission du savoir lié au travail de la pierre et de continuité des exploitations de l’Antiquité au Moyen Âge.

NOTES DE FIN

1. E. LABORIER, Asnières-lès-Dijon (21), Le Bois des Grottes, lot n° 13, rapport de surveillance archéologique Inrap, Dijon, 2005, 24 p. 2. P. RAT, Notice explicative de la carte géologique au 1/50000 de “Mirebeau” XXXI-22 (n° 470), BRGM, Orléans, 1978, 41 p. 3. A. PASCAL, Étude sédimentologique et stratigraphique du Jurassique supérieur de la région de Dijon, thèse de doctorat, Université de Bourgogne, 1971, 151 p. 4. TAISAND, « Sur la nature, la propriété et la manière d’exploiter la Pierre des carrières de Dijon, pour rendre les Édifices auxquels elle est employée plus solides et plus durables », in Mémoire présenté à l’Académie des sciences, arts et belles lettres de Dijon, Dijon, 1769, 26 p ; DRIOTON, « Les cavernes de la Côte-d’Or », in Mémoires de la Société de Spéléologie, 8 (1897), plan ; R. RATEL, « Les grottes d’Asnières », Sous le plancher, Spéléo-

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club de Dijon, fascicule ronéoté, 3 (mai-juin 1955), p. 7-16 ; P. RAT, « Les plus anciennes carrières avec lesquelles on a bâti Dijon », in Mémoires de la Commission des Antiquités de la Côte d’Or, 37 (1993-1996), p. 197-216 ; M. PINETTE, Les carrières de pierre gallo-romaines dans le Nord-Est de la France, mémoire de maîtrise, Université de Bourgogne, Dijon, 1978, 151 p. 5. ANTEA, Étude géologique du bois des Grottes à Asnières (21), rapport définitif, septembre 1999, 18 p. ; B. GIEN, Le Bois des Grottes, Relevé altimétrique souterrain, Dijon, 1999. 6. Sculpture médiévale en Bourgogne, collection lapidaire du Musée archéologique de Dijon, M. J ANNET-VALLAT et F. JOUBERT (dir.), Dijon, 2000, 422 p. 7. F. ROBASZYNSKI, « Éléments en vue de cerner l'origine de la pierre ayant servi à sculpter une statue de Saint Jean-Baptiste », Premier rapport sur l’état d’avancement au 12 mars 1998 des recherches effectuées pour le compte de Monsieur Guy Folkner, Mons (Belgique), 1998, 6 p. 8. Archiv. dép. de Côte-d’Or, B 11672 et B 11673. 9. S. NASH, « Claus Sluter's 'Well of Moses' for the Chartreuse de Champmol reconsidered : part II”, in The Burlington Magazine, CXLVIII (juillet 2006), p. 456-467. 10. M. CHATEIGNERE, « Problèmes posés par la restauration du Puits de Moïse (aspects techniques) », in Actes des Journées internationales Claus Sluter, Dijon, 1992, p. 85-96. 11. P. BECK (coord.), Vie de cour en Bourgogne à la fin du Moyen Âge, éd. A. Sutton, Saint- Cyr-sur-Loire, 2002, 128 p. 12. D. BORLEE, La clôture du chœur de l’église abbatiale Saint-Bénigne de Dijon : étude des fragments sculptés du couronnement, mémoire de maîtrise d’histoire de l’art médiéval et d’archéologie médiévale, université de Bourgogne, Dijon, 1990, 83 p. 13. P. BECK et alii, La cuverie et les pressoirs des ducs de Bourgogne, Histoire, archéologie et ethnologie (XIIIe-XXe s.), Image du patrimoine n° 190, Dossier de l’art, hors série n° 1, Dijon, 1999, 64 p. 14. C. CHEDEAU, Les Arts à Dijon au XVIème siècle : les débuts de la Renaissance (1494-1551), Aix-en-Provence, PUP, vol. I, 1999, 386 p. 15. P. RAT, « Les pierres de la cathédrale de Dijon », in Mémoires de la Commission des Antiquités de la Côt- d’Or, 37 (1993-1996), p. 323-355.

INDEX

Mots-clés : pierre Index géographique : France/Asnières

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L’édition électronique du cartulaire de la seigneurie de Nesle - http:// www.cn-telma.fr/nesle/

Xavier Hélary

1 L’édition du cartulaire de la seigneurie de Nesle vient d’être mise en ligne sur la plate- forme TELMA (Traitement En Ligne des Manuscrits et des Archives), commune à l’École nationale des chartes et à l’Institut de recherche et d’histoire des textes (IRHT, CNRS). L’objectif de cette plate-forme est de présenter des exemples d’édition électronique en proposant les outils nécessaires.

2 Jean, seigneur de Nesle (Côte-d’Or, arr. Montbard, cant. Laigne), a fait compiler ce cartulaire en plusieurs étapes échelonnées de 1269 à 1282 environ. Dans son état actuel, le manuscrit compte, sur 117 folios, 83 actes, auxquels il faut ajouter un censier, dressé en 1271. Il est aujourd’hui conservé au Musée Condé, à Chantilly 1. Après l’extinction de la famille de Nesle, le hasard des successions a fait passer la seigneurie de Nesle dans le patrimoine des Condé, recueilli par le duc d’Aumale. Le chartrier, dont le cartulaire et de rares pièces isolées, toutes postérieures au cartulaire, a suivi le destin de la seigneurie.

3 Le cartulaire se présente sous la forme d’un petit manuscrit soigné, en parfait état, qui ne présente pas de traces d’utilisation 2. La reliure, aux armes du duc d’Aumale, est moderne. Un court prologue en moyen français précède la table des actes ; suivent les actes 1 à 81 puis le censier, lui-même précédé d’un bref prologue, et les deux derniers actes (82 et 83).

4 Les actes, datés de 1217 à 1282, concernent dans une très large mesure le patrimoine propre de Jean de Nesle. Autant qu’on puisse en juger, celui-ci semble avoir eu une part déterminante dans la compilation du cartulaire, particulièrement en ce qui concerne le tri des documents qui devaient être transcrits ou non. Une grande partie du chartrier de Jean de Nesle, non pertinente au regard du projet qui présidait à la rédaction du cartulaire, nous échappe donc. Le cartulaire ne montre par ailleurs aucune volonté de faire mémoire des ascendants de Jean, très peu évoqués. C’est une visée strictement

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utilitaire qui domine : la connaissance la plus fine possible du patrimoine du seigneur de Nesle au moment où il faisait rédiger son cartulaire et le censier qui l’accompagne.

5 En raison de son lieu de conservation exotique, le cartulaire de Nesle n’a guère été utilisé par les historiens de la Bourgogne. Il n’a pas échappé, cependant, à la sagacité de Jean Richard qui l’utilise dans sa thèse sur les ducs de Bourgogne 3.

6 L’intérêt principal du cartulaire de la seigneurie de Nesle est d’éclairer d’une vive lumière le patrimoine d’une famille de la moyenne noblesse, en Bourgogne, dans la deuxième moitié du XIIIe siècle. Les terres, les droits, les dépendants qui composent le patrimoine de Jean de Nesle peuvent ainsi être décrits dans le détail. Pour l’époque, il est exceptionnel de pouvoir atteindre un tel degré de précision.

7 L’édition électronique, dont la partie technique a été conçue et réalisée par Christophe Jacobs, sous la direction de Paul Bertrand, responsable de la section de diplomatique, comprend le texte de chaque acte, précédé d’une analyse et dûment indexé, avec, en regard, la photographie numérique de la page correspondante du manuscrit.

8 À terme, les quelques actes du XIVe siècle appartenant au chartrier de Nesle et conservés au Musée Condé devraient également être mis en ligne, de même que plusieurs actes des XIIe et XIIIe siècles, relatifs à la famille de Nesle mais provenant des chartriers des abbayes avec lesquelles les seigneurs de Nesle étaient en rapports étroits (Fontenay et Quincy particulièrement). Réuni, l’ensemble devrait permettre de reconstituer en bonne partie les destinées de la famille de Nesle de la fin du XIe siècle à la fin du XIVe siècle.

NOTES DE FIN

1. Musée Condé, série GB, registre XIV F 22. 2. H. STEIN, Bibliographie des cartulaires français, Paris, 1907, n° 2710. 3. J. RICHARD, Les ducs de Bourgogne et la formation du duché du XIe au XIVe siècle, Paris, 1954 (Publications de l’Université de Dijon, XII).

INDEX

Mots-clés : cartulaire, seigneurie Index géographique : France/Nesle

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La Maison Dieu : une aventure auxerroise (1997-2006)

Dominique Iogna-Prat

D. Iogna-Prat, La Maison-Dieu. Une histoire monumentale de l’Eglise au Moyen Age, Paris, Le Seuil, 2006.

1 Dans un travail global sur l’histoire occidentale de la notion de “territoire”, c’est-à-dire d’espace où se définissent des communautés d’appartenance, quelle part attribuer au Moyen Âge et, plus particulièrement, à ce qui est alors la principale structure d’encadrement social, l’Église ? Telle est la question générale au cœur du travail de recherche collectif implanté au Centre d’études médiévales d’Auxerre pendant près de dix ans sous le titre, “La spatialisation du sacré dans l’Occident médiéval (Ve-XIIIe siècles)”, qui recoupe largement des interrogations chères à la médiévistique anglo- américaine actuelle, par exemple le problème de la construction sociale de l’espace au cœur du livre de B.H. Rosenwein, Negotiating Space (Ithaca-Londres, 1999).

2 Fait à première vue surprenant, les premiers chrétiens, préoccupés d’eschatologie pour demain, ont négligé la question de la matérialisation du sacré en un endroit donné. Aux IVe et V e siècles, la géographie administrative et politique de l’Empire romain est encore efficiente sur le terrain. La préoccupation des premiers Pères latins est de spiritualiser la société, non pas de lui donner de nouveaux cadres territoriaux. Le terme

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d’Église se réfère alors à la congrégation des fidèles, sans équivoque possible avec l’église, assemblage de pierres. Il faut attendre l’époque carolingienne, puis les XIe-XIIe siècles, pour que les clercs tentent d’ébaucher une conception de l’espace « hétérogène et polarisé » (A. Guerreau). L’enjeu de cette construction spatiale est de donner les atours d’une pratique chrétienne immémoriale à un phénomène nouveau affectant la Chrétienté : la fixation des hommes au sol et l’ancrage des pouvoirs dans une terre considérée comme “sainte” ou “sacrée”. L’Église n’ouvre pas simplement la porte du ciel ; elle est à l’origine des formes d’encadrement (église, cimetière, paroisse, royaume chrétien, Chrétienté) et à la genèse de la notion moderne de “territoire”.

3 Le travail entrepris a d’abord consisté à examiner les notions-clé du vocabulaire de l’espace et du sacré au Moyen Âge (locus, Terra sancta, sedes, Christianitas, patria...). La seconde phase du travail a été consacrée aux principaux éléments de fixation du sacré : l’autel (fixe ou portatif), les reliques et surtout le bâtiment ecclésiastique. Sur ce dernier point, le but de la recherche était de déterminer les phases de la constitution d’une doctrine du lieu de culte dans l’Occident latin entre l’âge des Pères latins et l’œuvre des grands liturgistes et canonistes des XIIe-XIIIe siècles. Le travail réalisé dans le livre se limite à une étude du discours clérical ou, si l’on veut, à une ecclésiologie du lieu de culte, l’intérêt porté aux textes pour eux-mêmes permettant de bien prendre la mesure des difficultés de lecture des descriptions monumentales à des fins strictement spécialisées par l’archéologue ou l’historien de l’art monumental.

4 Les résultats présentés dans La Maison Dieu peuvent se résumer comme suit, avec l’indication des grandes articulations de l’ouvrage. L’examen, en « préludes » (I), des « fondements de la sacralité chrétienne » permet de montrer qu’aux origines de l’Église l’ancrage ici-bas de la communauté chrétienne est un problème secondaire et largement négligé. La Cité terrestre n’a de raison d’être que d’ouvrir au plus vite vers une humanité bienheureuse impossible à localiser et inaccessible aux représentations. Le lieu de l’assemblée – d’appellations diverses : maison du Seigneur, basilique, église… – n’a pas de valeur en lui-même et le rituel de consécration de cet espace reste longtemps minimal, se limitant à une première messe. Quatre siècles plus tard (II), la construction d’un Empire chrétien, avec les Carolingiens, représente un tournant capital au cours duquel l’Église, force d’encadrement et de structuration de la société, gagne en visibilité terrestre à travers la constitution de lieux considérés comme spécifiques ; c’est à ce moment que le terme ecclesia s’impose comme terminus technicus pour désigner l’église-monument, lieu consacré suivant les termes d’un rituel qui se fixe dans les années 840 ; c’est à ce moment aussi que les exégètes (spécialement les exégètes de la liturgie) commencent à s’interroger sur la portée de la confusion (métonymie) entre contenant et contenu, église et Église. Mais ce n’est qu’à l’âge de la Réforme de l’Église (III), dans le cadre de la grande controverse eucharistique suscitée par les thèses de Béranger de Tours et les polémiques anti-hérétiques, que l’église acquiert le statut de lieu propre parce que le sacrifice y est accompli réellement. Le rituel de la consécration d’église est alors en passe de devenir le plus fastueux de la liturgie latine ; la consécration, en tant que « baptême » de l’église, est désormais considérée comme le préalable obligé à l’accomplissement dans l’église des sacrements qui engendrent la communauté chrétienne. Dès lors, l’église a vocation à contenir l’Église et ses sacrements constitutifs – une conception synthétique que Roger van der Weyden illustre plus tard (vers 1440/1444) avec force dans son Triptyque des sept sacrements, qui met en scène les sept sacrements (baptême, confirmation, eucharistie, mariage, ordre, confession et onction des malades) dans le cadre d’une église. Suivant cette logique, les

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traités destinés à parler de l’Église (spécialement les écrits des théologiens des sacrements et des exégètes-canonistes de la liturgie, dont la longue tradition aboutit à l’œuvre de Guillaume Durand, à la fin du XIIIe siècle) prennent la forme architecturée de Sommes, comme si la seule façon d’aborder, dans le discours et les représentations, la question de la société chrétienne supposait d’entrer dans le monument à la fois instaurateur du lien communautaire et révélateur des fonctions constitutives de l’Église, sous forme de places inscrites entre les murs des basiliques, avec une division de base entre la topographie fonctionnelle des clercs et celle des laïcs. Pour finir (IV), la prise en considération de quelques contrepoints permet de montrer, à l’étude de la part que prennent les laïcs dans la construction ecclésiale et de la dialectique personne/ communauté au cœur de cette construction, que le mouvement global d’inclusion du social dans l’ecclésial par croissance infinie du pôle sacré, un peu comme une grande montagne destinée à emplir l’univers, a été moins univoque que ne le laisse penser le discours des clercs.

5 Ce livre ne saurait se lire sans prendre en considération d’autres publications générées en totalité ou en partie par le travail collectif sur “la spatialisation du sacré”, spécialement l’essai de Michel Lauwers, Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval (Aubier, Paris, 2005) et les actes de la rencontre d’Auxerre (juin 2005) organisée par Didier Méhu, Mises en scène et mémoires de la consécration d’église au Moyen Âge (à paraître chez Brepols en 2007, dans la Collection d’études médiévales de Nice).

INDEX

Index géographique : France/Nevers

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La Bourgogne romane

Christian Sapin

La Bourgogne romane,

Christian SAPIN, avec Chantal ARNAUD et Walter BERRY, Dijon, Éditions Faton, 2006.

1 En préparation depuis plusieurs années dans le cadre d’une demande initiale des éditions Zodiaque, ce livre de synthèse et de notices doit beaucoup à la collaboration du Centre d’études médiévales d’Auxerre qui a fourni notamment la documentation graphique (travaux sous la responsabilité de Gilles Fèvre, avec l’aide de Jérôme Mercier et Olivier Juffard). C’est sur la base d’investigations de terrains et de réflexions menées en équipe depuis des années que les auteurs fournissent un volume destiné à comprendre la diversité des églises romanes d’une région. Les photographies en couleur changent le regard traditionnel sur un riche patrimoine longtemps perçu en noir et blanc avec ses pierres apparentes. C’est une autre idée de l’architecture qui s’impose aux nouvelles générations d’historiens de l’art et d’archéologues. À côté des incontournables grands sites de la Bourgogne romane (Autun, Cluny, Vézelay…), le lecteur visiteur pourra rencontrer des édifices méconnus tels que Laizy, Fixey, Parly ou Garchizy par exemple et se déplacer sur des terres peu explorées à la recherche d’une architecture de pierre où le décor sculpté, l’enduit et la peinture sont également présents. Au-delà de l’approche esthétique, la connaissance des techniques permet de comprendre plus intimement la mise en œuvre et la maîtrise architecturale des constructeurs bourguignons aux XIe-XIIe siècles. En outre, l’ouvrage a cherché à dégager les motivations de ce renouveau architectural qui ne répond pas seulement au

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remplacement d’un édifice parfois vétuste mais apparaît comme le témoignage d’une société à la fois politique et religieuse en plein renouveau spirituel et économique.

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Stucs et décors de la fin de l’Antiquité au Moyen Âge (Ve-XIIe siècle)

Christian Sapin

Stucs et décors de la fin de l’Antiquité au Moyen Âge (Ve-XIIe siècle), actes du colloque international tenu à Poitiers du 16 au 19 septembre 2004, Ch. SAPIN (dir.), Turnhout, Brepols, 2006 (Bibliothèque de l’Antiquité Tardive, 10).

1 Le stuc, un art à part entière

2 La connaissance du stuc comme matériau et processus de décor a longtemps été ignorée. En même temps que l’exposition consacrée au Stuc, visage oublié de l’art médiéval, montée par le Centre d’études médiévales (Bénédicte Bertholon-Palazzo, Gilles Fèvre, Christian Sapin ) et le Musée de Poitiers (Dominique Simon-Hiernard) à l’automne 2004, s’est tenu au même lieu un important colloque sur le même thème. Les diverses contributions à ce colloque ici publiées permettent pour la première fois de saisir la portée de cet art sur une longue durée. Avec ses origines antiques ou moyen- orientales, ses croisements avec la peinture ou la sculpture, sa diversité dans une grande partie de l’Europe, sa présence est perçue désormais comme durable entre le IVe et le XIIe siècle. Une meilleure connaissance de sa fabrication grâce à de nombreuses analyses en laboratoire, une relecture d’ensembles jusque-là peu étudiés comme Disentis (Suisse) ou redécouverts par l’archéologie. Vouneuil-sous-Biard,

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Bordeaux ou Arles-sur-Tech illustrent mieux aujourd’hui cette conception particulière de l’art du relief transmise et sans cesse renouvelée depuis l’Antiquité tardive.

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