Visages de l'Algérie Sig en Oranie

André Noraz

Visages de l'Algérie Sig en Oranie

la pensée universelle 4, rue charlemagne - paris-4 © André Noraz et « La Pensée Universelle » 1983 ISBN : 2-214-05473-9 AVANT-PROPOS

Le pays où on est né, s'il n'est pas le plus beau, est toujours le plus attachant. Le cœur y reste ancré, quelles que soient les vicissitudes de la vie. C'est un oasis de jeunesse et de fraîcheur, qui fait oublier les désillusions, les rancœurs. Dans les moments de solitude et d'amertume, c'est un hâvre de paix et de sérénité. C'est le paradis perdu, dont on rêve, où on refait ses forces, où on retrempe son idéal et son espoir. Les souvenirs qu'on en a gardés, embellis au fil des ans, ont conservé une couleur de joie et de simplicité. Tels ces arbres toujours verts en dépit du froid et de l'hiver, signes d'une espérance que rien ne peut flétrir. Car le passé est la garantie du présent, et c'est lui qui sou- tient les promesses de l'avenir. Il est cette fondation sans laquelle aucun édifice ne peut tenir. Et, tant que l'homme y reste fidèle, le vent, les orages, la tempête peut survenir. Une paix solide et inébranlable le préserve de sombrer dans l'inexorable destin qui entraîne parfois sa vie. Le pays de sa naissance, qui peut l'oublier ?

CHAPITRE PREMIER

DE LOINTAINES ORIGINES

Ce que je fus dès l'origine S'est effacé avec la nuit des temps. Mais mon cœur est né en ces siècles lointains. C'est lui que tu, entends battre dans cette terre qui est la tienne.

UN PEU DE GEOGRAPHIE

L'Afrique du Nord a une étendue approximative de 4 mil- lions de km Elle regroupe : l'Algérie, la Tunisie et le Maroc. Trois pays distincts, mais qui forment malgré tout une cer- taine unité, grâce à la chaine de l'Atlas qui les traverse de bout en bout, et aux Berbères qui en ont été les premiers habitants. Le relief, de plaines, de déserts et de massifs montagneux, a la variété de l'océan, toujours différent sous la lumière du soleil. L'ensemble forme un vaste quadrilatère, serré entre les eaux de l'Atlantique, celles de la Méditerranée, et les sables du Sahara. Si, du Nord au Sud, l'accès n'est pas des plus aisé, d'Est en Ouest, par contre, les communications sont faciles. Les conquérants successifs de la Berbérie, qui l'ont toujours envahi par les points extrêmes, l'avaient déjà bien réalisé. L'Algérie recouvre une superficie de 2 381 731 km compris entre le 9 degré de longitude ouest et le 12° de longitude est, entre le 37e et le 19 parallèle nord. Limitée au Nord par la Méditerranée, elle a des frontières communes, à l'Est avec la Tunisie et la Lybie, à l'Ouest avec le Maroc, au Sud avec le Mali, le Niger et la Mauritanie. De par sa superficie, elle est le 10 pays du monde après le Soudan, et le plus étendu à la fois des pays africains et des pays arabes musulmans.

L'Oranie. Trois provinces se partagent l'Algérie : l'Algérois, l'Oranais et le Constantinois. La partie occidentale de la Maurétanie césarienne qui s'ap- pelle aujourd'hui l'Oranie, représente, avec ses 200 000 km sans les territoires du Sud, plus du tiers de la France, soit l'équivalent des treize départements qui correspondaient autrefois aux trois provinces du Languedoc, du Roussillon et de la Provence jusqu'à Digne. C'est dire la diversité des paysages, des cultures et des mentalités qu'on peut y rencontrer du Nord au Sud. Elle est située entre le 32e et le 36e de latitude nord, le 1 et le 4° de longitude ouest. C'est la partie la plus basse en longitude de toute l'Algérie : Nemours, sur le littoral, est à la même altitude qu'El Kantara, situé à 280 km de la mer en territoire constantinois. Son relief offre le même aspect général que celui de l'Algérie. Le long du littoral, ce sont les Basses Plaines, de la M'léta, entre la Sebka d' et le Tessala, du Tlelat, du Sig, de l'Habra et de la Mina. Puis ce sont les montagnes de l'Atlas Plissé, où on remarque d'Ouest en Est : — le massif de Trara, entre Nemours et Nedroma, où domine le Filouacen à 1200 m. et le Murdjadjo à 500 mètres — le massif du Tessala, dont le plus haut sommet culmine à 960 m — les monts des Ouled Ali — les Beni Chougrane — et enfin la partie ouest de l'Ouarsenis. Passées ces montagnes, on entre dans les Hautes Plaines intérieures de Marnia, , Bel Abbès, Mascara et . Au-delà, c'est l'Atlas Tabulaire, avec les monts de Tlemcen, de Bossuet, de Saïda et de Frenda qui s'élèvent jusqu'à 1 400 m. Plus bas, les Hautes Plaines de steppes couvertes d'alfa, avec, au Sud, les monts des Ksours et du djebel Amour, qui font déjà partie de l'Atlas Saharien. Tous ces reliefs et ces dépressions sont coupées par les vallées des grands oueds : — la Mina — la Tafna, qui vient du nord de Sebbou, longue de 177 km, et dont le débit annuel moyen est de 75 millions de m — le El Hammam, 264 km, qui prend sa source près de Bossuet sous le nom d'Habra. Il rejoint l'oued Sig pour for- mer la Macta et se jette dans la mer. Son débit moyen est de 120 millions de m — le Sig-Mekerra, 246 km, venu de Ras-el-Mâ, à 1 500 m. d'altitude, au Sud-Est de Bedeau, et dont le débit est de 25 millions de m Né sur les hauts plateaux, il sinue paresseusement à travers la plaine de Bel Abbès avant de s'enfoncer dans une vallée étroite terminée par une gorge profonde, d'où il débouche dans la plaine

La plaine du Sig. Entre la plaine d'Oran à l'Ouest et la plaine de Perregaux à l'Est, est enclavée la plaine du Sig. Comme ses voisines, de l'Habra et de la Mina, elle est le résultat d'un effondrement qui a été progressivement comblé par les alluvions descendues des montagnes de l'Atlas Tellien. Elle forme, avec la plaine du Ceirat, une vaste ellipse de 50 km de diamètre sur 22. Elle est entourée de tous côtés par une ceinture de mon- tagnes de l'époque tertiaire, ce qui explique les nombreux fossiles qu'on découvre un peu partout dans le sol. A l'embouchure de la Macta, on remarque une large coupure. C'est le seul point où les eaux ont accès à la mer. Il est pro- bable que cette plaine était jadis un lac salé, qui s'est peu à peu asséché au quaternaire au fur et à mesure que le niveau de la mer s'abaissait. Il en est resté la forte teneur en sel qu'on relève dans tous les terrains de la région.

Saint-Denis-du-Sig. La commune du Sig, qui borde la plaine, était, avec ses 12 542 km l'une des plus petites du départe- ment. Située à 50 m d'altitude et à une dizaine de km à vol d'oiseau de la mer, elle est limitée, au sud, par les monts des Ouled Ali, dont le djebel Touakes 429 m domine l'aggloméra- tion, et, dans la direction de Mascara, par le djebel Bou Sella, au-dessus de l'ex-Union, enfin, par le djebel Ben Djouane, 419 m. Des djebels dont les flancs sont le plus souvent ravinés par l'érosion, et où l'absence de forêts a provoqué de nombreux glissements de terrain. Sur les pentes, une maigre végétation de diss, de genêts épineux, d'asperges et de lavande, avec, dans les parties les plus basses, les eucalyptus, les faux poivriers, les sapindus, cactus, aloès et chênes verts. Au Sud, les mamelons des Hammar et les plateaux des Cheurfas. Au Nord, la forêt de Mulay-Ismaël et l'Ouggaz.

SIGNIFICATION D'UN NOM

Un village, une ville, c'est d'abord un nom. Un nom que la tradition lui a donné, et qui, depuis des générations, a fixé son visage et sa personnalité. Son paysage, le temps l'a modifié. Son nom, lui, reste le fidèle témoin d'une époque où l'homme vivait près de la terre, et en connaissait les moindres recoins, peuplés d'anecdotes et de légendes. D'où vient le nom de SIG ? Quelle est l'origine de ce mot, rude et sec, comme les pentes désolées des hauts djebels ? Personne ne peut le dire de façon certaine. Là aussi, le mystère du passé demeure, avec ses incertitudes et ses interro- gations auxquelles nous n'apporterons sans doute jamais de réponse définitive.

Deux opinions toutefois, semblent plus apparentées à la légende qu'à l'histoire. La première affirme que le nom de Sig viendrait d'un hom- me célèbre : Sig Ben Ahmed, qui aurait vécu dans des temps très anciens et dont le nom aurait été donné à son village. Il est fort possible que Sig Ben Ahmed ait été un homme influent et qu'il soit né au Sig, mais aucun document jusqu'ici ne permet de voir une correspondance quelconque entre son nom et celui du Sig. Pour d'autres, le nom de Sig viendrait d'un rabbin plus ou moins illustre ou d'un curé. C'est une pieuse étymologie, mais qui n'a absolument rien à voir avec la réalité.

Alors que penser ? Quel est l'avis de ceux qui se sont penché sur le passé du Sig ? Là aussi les avis sont partagés. Certains, les plus nombreux, estiment que ce nom de Sig lui vient de la rivière près de laquelle ses premières habitations ont vu le jour, et qui s'appelle d'ailleurs toujours l'oued Sig. Dans cette hypothèse, Sig dériverait soit d'une racine berbère désignant un « cours d'eau s'étendant dans une plaine où il débouche rapidement après un parcours en montagne » (Gui- chard), — soit d'un mot arabe, SIK ou SAKIH, qui s'appliquerait à une rigole ou à un fossé destiné à l'irrigation des terres. C'est l'opinion, entre autres, du docteur Shaw (Voyages dans la Résidence d'Alger, 1738, p. 234) qui fait un rapprochement avec le verbe arabe SAKA : irriguer, et avec les expressions SEQUIA ou, SEGUIA, tirées du patois espagnol de la région et qui qualifiaient les canaux pour l'arrosage des terres. Cette interprétation est la plus vraissemblable, car l'eau était pour les premiers habitants l'élément le plus important pour leur vie, et il serait logique que le Sig ait trouvé dans cette eau l'origine de son nom. Une seconde hypothèse est celle de L. Rinn, qui voit, dans le mot SIG le radical berbère SIK, qui caractérisait les cam- pements établis par les habitants d'alors pour leur habitation et leur sécurité. Le mot Sig aurait alors le sens : « d'établissement, demeure, enceinte, refuge ». « Le lieu de retraite et de défense, pour répondre à sa destination, était établi sur un emplacement réunissant certaines conditions qu'on trouve réunies au Sig : proximité des pâturages, point d'eau, accès facile pour les troupeaux en cas de retraite précipitée, dissimulation à la vue de l'ennemi, issue cachée pour la fuite, abords découverts pour la surveillance et les communications extérieures, à l'extrémité de la plaine, contre les premières pentes d'un mas- sif montagneux » (Rinn, Les premiers royaumes berbères et la guerre de Jugurtha, dans Revue Africaine, 1885, p. 172 sv. et p. 241 sv.). Citons à l'appui de cette affirmation le fait que, dans le Bas Empire, le mot latin désignait également un camp ou une forteresse. Ici aussi l'étymologie est très ancienne, mais la situation du Sig permettait-elle réellement d'établir en cet endroit un camp fortifié ?

Quant à l'appellation « Saint-Denis », elle ne vient pas, comme on pourrait le croire, du désir des premiers habitants de mettre le village sous la protection de quelque personnage céleste. Ce nom, qui date de Napoléon III, est emprunté à celui de la basilique royale, nécropole des prédécesseurs du roi Louis- Philippe, basilique gothique qui date, comme on le sait, des XII et XIII siècles. Telles sont les quelques lumières que nous possédons sur les origines de Saint-Denis-du-Sig. Elles sont loin d'être concluantes. L'histoire, comme bien d'autres disciplines, n'offre pas que des certitudes. Mais un village, une ville, dont le nom reste inexpliqué, n'est-ce pas la porte ouverte sur le rêve, un rêve que chacun peut colorer suivant les richesses de son imagination ?

AVANT L'HISTOIRE

On aime savoir les origines de sa famille. On aime savoir comment est né son village, quels en ont été les premiers habitants, qui en a fixé les limites, et façonné le visage. Il n'est malheureusement pas possible, dans l'état actuel de nos connaissances d'avoir une idée exacte sur le passé ancien du Sig. Les générations d'autrefois écrivaient peu, et, comme dit le proverbe : « Les paroles s'envolent ». Il n'est donc pas étonnant que peu de souvenirs nous aient été conservés de ces temps reculés où les hommes ont com- mencé de pénétrer le Maghreb. Ce qu'on sait tout au plus, c'est que 15 000 ans en arrière, des gens vivaient en Oranie. D'où venaient-ils ? D'Europe, d'Egypte ? Nous ne le savons pas. Ces hommes sont pour la plupart des nomades errants. A la bonne saison, ils habitent dans des huttes de branchages ou de terre. Lorsque vient le froid, ils se réfugient dans les grottes de la montagne. Leurs traces sont visibles encore aujourd'hui dans le Sahel d'Oran (grottes du polygone d'Ekmülh, ravin Ras-el-Aïn) ou sur les plages (Aïn-el-Turk). On les retrouve dans la Dahra, au lac de Palikao, à Tiaret, au lac de Kahar, et dans d'autres endroits. Ils taillent le silex. Plus tard, ils poliront la pierre ou l'os. Leurs poteries sont grossières et simplement décorées. On a mis à jour leurs squelettes à Rio Salado, à la Mouilah, au nord de Marnia. Ils nous donnent une idée de leur muscu- lature et de leurs occupations. On connaît, par les restes des animaux près des cendres de leurs foyers, quel était le but de leurs chasses. Et leurs dessins sur les rochers nous précisent un peu la vie de ces pêcheurs, et de ces rustres cultivateurs. Sur la commune de Sig, les stations sont nombreuses, à la Macta, dans la forêt de Mulay Ismaïl, entre Saint-Louis et l'Ouggaz... Les objets qu'on y a collectés sont surtout des haches, à bouts larges, courbes et tranchants, ou à côtés curvilignes, presque tous de l'époque Néolithique. Le musée d'Oran garde quelques-unes de ces trouvailles entre autres : une hache polie, plate, à deux tranchants opposés de 0,085 m x 0,045 m x 0,018 m. Une moitié de meule elliptique, en roche éruptive, trouvée au Petit Barrage de 0,11 m, L. 0,125 m, Ep. 0,05 m. Au III siècle avant notre ère, on dit que la région aurait été occupée par les Machusiens, des berbères pauvres et misérables. Au II siècle avant J.-C., le Sig sera incorporé au royaume des Massyles, sous le roi Massinissa. D'après Gsell, la Numidie occidentale est plus riche à cette époque que la Numidie orientale, et les villages ne devaient pas manquer, dûs au développement de l'agriculture et de la sédentarisation. Disons que, pratiquement, nous savons bien peu de choses sur ces temps reculés, et que longtemps encore sans doute la lumière se fera attendre, si tant est qu'on puisse un jour apporter un peu de clarté aux questions et aux interrogations que nous nous posons sur les premiers hommes de l'Oranie. CHAPITRE II

DES ROMAINS AU V SIECLE

L'oued coulait, paisible, dans la plaine déserte Mais des étrangers sont venus Leur visage s'est reflété dans les eaux tranquilles Et leurs pas ont résonné au long des djebels.

L'ANCIENNE TASACORRA

Un nom, c'est une signature au bas d'une lettre. C'est toute une personnalité qui transparaît, tout un passé qu'on devine et qui revit. La langue dans laquelle il est rédigé est un signe sans équi- voque de ses origines. Tasacorra, personne ne l'ignore, c'est le premier nom qu'a porté Saint-Denis du Sig (cf. le géographe de Ravenne, p. 158 et 160). Un nom qui existait bien avant l'arrivée des Romains. TASACORRA, en effet, n'est pas un nom romain. C'est un nom berbère qui dérive de deux racines : TASA, qui veut dire « défilé », CORRA : de la Mékerra. Le défilé de la Mékerra. Ainsi, les anciens Berbères, qui habitaient alors le pays, avaient-ils nommé la rivière qui leur apportait son eau, et près de laquelle ils avaient établi leurs habitations, non loin d'un gué qui leur permettait de passer d'une rive à l'autre. Mais, c'est à peu près tout ce que nous savons de cette antique cité berbère, qui n'était probablement qu'une modeste étape sur la route d'Oran à Mascara, et où les voyageurs pou- vaient trouver le gîte et la nourriture. Etape modeste surtout si on songe que la plupart des Ber- bères d'alors étaient de simples nomades. Ce qui montre — est-il encore nécessaire de le souligner — que ce sont les Berbères, descendants des anciens Lybiens, qui ont été les premiers habitants du Sig. Si l'Algérie d'avant les Français n'a jamais eu d'indépen- dance territoriale, elle a eu, sans conteste, des ancêtres et une civilisation propres, qui est la civilisation berbère.

Dès le début du 1 siècle de notre ère, les Romains pénètrent en Oranie par la côte, et s'établissent au Sig. Leur ville, la Tasacorra berbère, qu'ils ont considérablement agrandie et développée, devient un nœud de communication très fréquenté sur les voies de l'intérieur, au carrefour de deux routes, l'une qui vient d'Albulès (Aïn Témouchent) et se dirige vers Castra Nova (Perregaux-Mohamadia), l'autre qui vient de Portus Magnus (Saint-Leu), traverse la forêt du Mulay Ismaël, et, du Sig, continue vers le sud. L'emplacement de la cité romaine de Tasacorra se trouvait exactement à 18 milles (27 km) de Perregaux et à 25 milles à l'Est de Regiae (Arbal). Elle est marquée encore aujourd'hui par une forte élévation du sol. Le village romain devait s'étendre, sur la rive gauche de l'oued, entre le Petit Barrage et la rampe qui part du Moulin à vent, et probablement aussi sur la rive droite. Azéma de Montgravier nous a laissé quelques lignes sur cette Tasacorra dont il écrit qu'elle est « enfoncée depuis des siècles sous le limon du fleuve qui faisait autrefois sa richesse ». Il ne reste pratiquement rien de cette cité romaine. Les pierres ont été employées, soit par les artilleurs pour les piliers du pont, soit par les premiers Européens pour la cons- truction de leurs maisons. Sur la rive droite devait se trouver le cimetière. Les pierres funéraires ont été enlevées par les Arabes qui s'en sont servis pour marquer leurs propres sépultures. Des ruines se trouvaient sur la rive gauche de la rivière, sur les anciennes propriétés Palacio et Bibili, entre le pont et le Moulin à vent. On y voyait, paraît-il, des galeries, des traces de murs, les vestiges d'un temple et d'un tumulus. L'urbanisation, jointe à l'ignorance de l'histoire, a sans doute déjà effacé ces derniers restes de l'antique Tasacorra. Seule consolation, les quelques trouvailles qui ont été faites au siècle dernier, et qui sont conservées pour la plupart au musée Demaeght à Oran. Elles nous donnent une idée de ce qu'a pu être la présence romaine dans la région du Sig. On y remarque des pièces de monnaie de Lucius Verus, de Marc Aurèle, de Philippe, d'Antonin, de Gordien, de Constam- tin. Elles ont été mises à jour ici ou là, notamment au lieu-dit le Trou Vigouroux, que les Arabes appellent Har Karoun. On y voyait jadis des tombeaux creusés dans le gypse.

SUR LA VOIE ROMAINE D'ARBAL

Un peu avant 1911, des ouvriers découvrent à la ferme Deloupy, route d'Oran, à 2 km du pont du Sig, une colonne brisée. L'emplacement où elle a été trouvée est situé entre la grand- route et la voie ferrée, au centre d'un triangle formé par la ferme Deloupy, la ferme Boj et la maisonnette du chemin de fer, n° 201. Cette colonne est demi-cylindrique, taillée dans un calcaire à lithothamium. La carrière qui l'a fournie est éloignée d'un kilomètre à peine. La hauteur de la colonne est de 1,60 m et le diamètre 0,35 m. L'inscription qu'elle porte est profondément gravée, en lettres régulières. C'est l'époque des belles inscriptions romaines.

IMP CAES DIVI NERVAE F NERVA TRAIANUS AUG. GER DA OP MAX TRPPPCONS / / COS VI A TASACO RA AD REGIAS MIL P XXVI

La fin de la première ligne est difficilement lisible. La fin de la quatrième est impossible à déchiffrer. Mais la partie principale, qui nomme Tasacorra et Regias se lit très bien. Les 5 et 6e lignes sont très nettes. En voici la traduction : « L'empereur César Nerva Trajan, fils du divin Nerva auguste, germanique, dacique, très bon, grand pontife, honoré de la puissance tribunitienne, père de la patrie, pronconsul... consul pour la sixième fois : de Tascorra à Regias, XXVI mille pas ». D'après l'itinéraire d'Antonin, il y a 27 mille pas entre Tasa- corra et Regias (Arbal). Cette borne miliaire est donc la seconde du Sig à Arbal. L'empereur Trajan, dont il est question ici, né en 52, fut adopté par Nerva en 97. Son règne dura de 98 à 117. Le qualificatif de « germanique » lui fut acquis alors qu'il commandait les légions du Bas-Rhin en 97. Le titre de « dacique » lui a été décerné à la suite de deux expéditions qu'il avait dirigées contre les Daces en 101-102 et 106. Et c'est en 114 qu'il fut appelé « très bon » par le Sénat de Rome. Cette borne a été vraisemblablement gravée en 114, car le titre de « parthique » qui fut donné à Trajan en 115 n'y figure pas. Cette inscription apparaît ainsi comme la plus ancienne de la province d'Oran, et sans doute des Maurétanies. Après sa découverte, elle avait été plantée à l'entrée d'une cour de ferme pour préserver le mur du choc des charrettes. Vers 1931, elle attira l'attention du maire du Sig. C'est ainsi qu'elle fut conservée. Elle est depuis 1923 au musée d'Oran.

FIERS SICAMBRES

Lorsque les Romains arrivèrent au Sig, ils connurent, comme tous les envahisseurs des problèmes épineux de sécurité. Les Berbères, qui les considéraient comme des intrus, leur menait la vie dure avec d'incessantes razzias, il fallut dès le début assurer la tranquillité des colons, que les Romains avaient installés pour cultiver la terre. D'où une présence militaire, qui devint très rapidement per- manente, de soldats dont le rôle était de protéger la cité et de maintenir l'ordre. Quels étaient les soldats romains qui occupaient le Sig ? Nous le savons par une inscription (n° 21 604 du C.I.L.) trou- vée à un kilomètre de la ville, sur l'emplacement du marché (B.S.O., 1882, p. 47) et qui mesure 0,70 m de longueur, 0,25 m de large, avec des lettres de 0,60 m. En voici le texte original : 21604 (= Eph. V n. 1051 alta m 0,70 litteris cm 6 Demaeght. Rep. St. Denis du Sig à 1 heure de la ville, sur l'emplacement du marché, déposé à la mairie. Ibi extat in horto. incohatum ? CONSVMAVII..... par coh iiii by GAMBRORVM . CVrasit ...... REGULUS . PRAEire pron. m. caes Contulit Purgold ; ex ectypo photographico, quod exhibuit Demaeght, descripsi ipse. Demaeght Poinssot, bull. des antiq. afr. I, 1882, p. 47.

Cette inscription très incomplète ne semble pas antérieure au règne de l'empereur Gordien (III siècle). La 2 ligne fait mention de la 4 cohorte des Sicambres, dont le dépôt était à Césarée () (B.S.O., 1932, p. 219, n° 215). Elle nous apprend que deux siècles après l'implantation romaine, la pacification au Sig est loin d'être achevée, puis- qu'une cohorte entière y a été détachée. Le Prefectus qui la commandait, a même le titre de « prae- positus classibus » (cf. Wilmanns, Exempla, n° 1270), c'est-à-dire de préposé à la surveillance des vaisseaux qui stationnaient dans le port de Césarée (mais on pense que ce n'était là qu'une délégation temporaire). A la 3e ligne, le Regulus que l'inscription qualifie de Praeses de la Maurétanie Césarienne, nous est inconnu. Son Cognomen n'a été porté en Afrique que par des gens obscurs. C'était un des Cognomen de la Gens Livineia (cf. Etude du Chanoine Fabre., B.S.O., 1911, p. 207 ; Doumergue, Musée Demaeght., B.S.O., 1935, p. 203 ; Demaeght, Géographie comparée de la Maurétanie Césarienne correspondant à la province d'Oran, p. 58). Rappelons que la cohorte était un corps d'infanterie romaine, et qu'il correspondait à la dixième partie de la légion, soit 600 hommes. Chaque cohorte était elle-même répartie en mani- pules et en centuries. 600 hommes de troupe au Sig, c'est un signe de l'importance que la ville a déjà acquise dans cette région sud de l'Oranie.

SOUS LE REGNE D'HADRIEN

Parmi les pièces de monnaie trouvées ici ou là, sur le terri- toire du Sig, figure, au musée d'Oran, une pièce de l'empereur Hadrien. Hadrien était un des meilleurs lieutenants de Trajan, Espa- gnol comme lui, et peut-être le plus remarquable de la lignée des Antonins. Il lui succèdera en 117. Sa personnalité complexe s'alliait chez lui avec des dons et des qualités exceptionnelles. Doué d'une très forte mémoire, il possédait des connais- sances très étendues, et il s'intéressait à tous les arts. Il se montra un chef d'armée énergique et un diplomate né. Mais il sera surtout un grand administrateur. Très orgueilleux, hautain et cassant, sans aucune complai- sance pour ceux qu'il combattait, il finira détesté de tous. Erudit, grand voyageur, il s'attache avant toute chose à faire régner la paix dans l'empire. Il réorganisa l'armée, créa des corps de cavalerie lourde et légère, et améliora le sort du soldat. Il modifia le système de l'impôt et favorisa la mise en valeur du domaine impérial par l'extension du colonat. L'empereur Antonin lui succèdera en 138. Sans doute, l'empereur Hadrien resta-t-il ignoré de la plu- part des indigènes qui vivaient à son époque. Mais, beaucoup, sans s'en douter connurent les conséquences de sa politique sur l'administration des affaires locales.

DIEUX ET GENOUN

Chaque peuple a ses croyances, ses divinités, ses cultes, qui, dans leur diversité, se rejoignent dans la même certitude que l'univers est gouverné par des dieux proches des humains, et dont il faut veiller à apaiser la colère et à obtenir la protection. De tout temps, en Afrique comme ailleurs, le culte des morts a été peut-être le premier de ces rites par lesquels l'homme affirmait sa croyance dans l'immortalité. Et la variété des sépultures ne fait que confirmer cette foi universelle dans un au-delà où continuent de vivre ceux qu'on a aimés. Il serait trop long ici d'énumérer toutes les croyances des peuples primitifs d'Afrique du Nord. Bornons-nous à nous situer dans cette période d'occupation romaine que connaît le Sig depuis le début de notre ère. Bien sûr, les Romains ont apporté avec eux leurs usages religieux et leurs divinités. Bien sûr également, comme tout homme qui vit hors de son pays, beaucoup d'entre eux ont subi l'influence religieuse des indigènes. Au milieu de cet amalgame de cultures et de rencontre de civilisation, règnait une grande confusion, qu'accentuait encore, au fil des années, la décadence de Rome. On verra même, l'empereur Claude introduire — ô sacri- lège ! — le culte d'Attis, et Neron, celui de Mithra. Finalement, ce que recherchent les fidèles, ce sont, plutôt que des dieux lointains, des protecteurs individuels, des divi- nités compatissantes et qu'ils puissent aimer. A l'extrême, il s'agirait plutôt de « religiosité » que de « religion » à proprement parler, tant la superstition tend à y remplacer la foi. C'est dans cette atmosphère qu'il convient de placer une autre inscription trouvée au Sig, non datée, et dédiée au « génie du fleuve » et dont voici le texte original (n° 9749 du C.I.L.) :

9749 S. Denis du Sig. NVMINI / / CO GENIO . FLVMI NIS / / / / / / / / / / / / Montgravier apud Renierum n. 3838 'inscription presque illisible'. Cave ab interpolatione. CAT restituait ainsi cette inscription : « NUMINI (Tasac) CO (rae) GENIO FLUMINIS » Azéma de Montgravier, lors de son passage à Sig, le 20 novembre 1843, a lu une inscription identique, qui était peut- être celle-ci (cf. Excursion archéologique d'Oran à Tlemcen. Mémoire de la Société Archéologique du Midi de la France, t. V, 1841-1847, p. 316 et sv). Cette dédicace au génie du fleuve s'inscrit tout naturelle- ment dans les rites d'une population, encore primitive, et pour qui l'eau est le premier élément nécessaire à la vie. MONTGRAVIER écrira d'ailleurs : « ... Le Sig et ses affluents sont éminement utiles, par les dépôts que laissent leurs débor- dements, qu'ils ont reçu des Arabes le titre quelque peu empha- tique de Bahr-el-Nil (fleuve du Nil). (Azéma de Montgravier op. cit.). Dans ce pays, au climat rude, aux pluies souvent rares, aux inondations fréquentes et dévastatrices, n'était-il pas de pre- mière importance de se préserver l'assistance du Génie du fleuve, de qui dépendait la vie de leur bétail et l'irrigation de leurs terres ? Si le Génie du Fleuve était vénéré par les Romains, comme, sans doute par les premiers Berbères, le Genoun, lui, est resté singulièrement présent dans la mentalité des habitants de la contrée. Réalité ou superstition ? Qui saurait le dire ? Mais nombreuses sont les histoires que les vieux racontent, où le Genoun s'est manifesté, et où, le plus souvent, il a pro- voqué la peur et la crainte. L'histoire suivante nous a été racontée par la personne qui l'a vécue. Elle s'est passée au Petit Barrage : C'était la nuit. Au Petit Barrage tout était calme. La maî- tresse de maison était seule avec ses enfants. Et voici qu'elle entend, dans le silence, un long hurlement de femme dont l'écho résonne étrangement le long de la col- line. Un cri lugubre, qui la remplit d'épouvante. Elle ferme précipitamment les fenêtres et la porte. Par bonheur, les enfants, qui dorment déjà, n'ont rien entendu. Elle se couche, et de nouveau, quelque temps plus tard, le même hurlement. C'est alors qu'elle entend frapper à la porte. Elle croit rêver, et hésite à ouvrir. Non, ce sont seulement des ouvriers, qui passaient la nuit un peu plus bas. — C'est toi qui a crié, lui demandent-ils, que se passe-t-il ? — Ce n'est pas moi... c'était plus bas vers la rivière... — C'est le GENOUN disent les ouvriers qui s'en retournent apeurés. Le lendemain, la femme se renseigne au douar... Tous ont entendu... Et comme elle demande d'où ce cri pouvait venir, on lui répond : « Une femme, un jour, a été violée, étranglée, et jetée dans la rivière. Et parfois, le Genoun fait entendre le cri qu'elle a poussé lorsqu'on l'a jetée dans l'eau ». MARCUS FELICIANUS, SOLDAT ET CAVALIER

Si la 4 cohorte des Sicambres cantonnait au Sig, elle n'était pas la seule à préserver les intérêts de Rome dans cette contrée de l'Oranie. Une inscription, elle aussi trouvée aux abords de la ville et non datée, nous signale en effet qu'un corps de cavalerie sta- tionnait également au Sig (N° 9750 du C.I.L.). 9750 S. Denis du Sig. D M S MGNIVS FLLICIANVS DVpli CIARIVS alE MILIARIe VIXit ANIS XXX / / MESES X ET / / 5 D XXI MG EMERIVS ET MC/ / MOSA F PATRI BENE Meren TI FECERVNT a P / / / / / / Montgravier apud Renierum n. 3839. 2 fin. DVR..., 3 MEMILIARIF, 5 EMERIVS trabuntur ; emen- davit Renier. C'est l'épitaphe d'un certain Magnus Felicianus, dont il est dit qu'il était Dupliciarus, c'est-à-dire soldat à double ration, de l'Alae Miliariae. La raison de son décès ne nous est pas précisé. Est-il mort de mort naturelle, ou dans une des embuscades que les Ber- bères se plaisaient à tendre à l'occupant ? Personne n'est là pour le dire. Mais, cette épitaphe, ce nom, cette sépulture d'un simple cavalier, ne donne-t-elle pas à penser qu'il est mort vaillant au combat, et que son sacrifice devait servir d'exemple et de courage ? SIG, TERRE CHRETIENNE

Dès le milieu du II siècle, le Christianisme pénètre en tribusAfrique berbères. où il semble avoir eu un grand succès auprès des Depuis 197, l'église de est dirigée par le grand Tertullien. Né dans cette ville vers 160, il était avocat à Rome lors de sa conversion en 196. Ses qualités exceptionnelles en firent un des Pères de l'Eglise les plus remarquables de son temps. Il mourut en 230. Le Christianisme a fait alors d'immenses progrès puisque, cette même année, le Concile de Carthage — le premier concile africain dont l'histoire fasse mention — groupera, autour de l'évêque d'Hippone Agrippinus, 70 évêques de Proconsulaire et de Numidie. En même temps que l'essor de l'église catholique, c'est le déclin de Rome. L'année 235 marquera en effet un tournant dans l'histoire de l'empire romain. Trente ans d'anarchie vont suivre l'assassinat du dernier des Sévère : Alexandre. En Berbérie, les troubles obligent l'empereur Gordien à dis- soudre en 238 la fameuse Legia Augusta, cantonnée à Lambeze et qui assurait jusqu'alors la sécurité de la région. Déclin de l'autorité romaine qui s'accompagne tout natu- rellement d'une prise de conscience et d'un sursaut national de l'élite berbère. Pour l'église catholique c'est la dure période des persécu- tions. En 250 celle de l'empereur Décius, suivie de celle de Valérien durant laquelle Cyprien, évêque de Carthage mourra martyr (258), enfin, celle de l'empereur Dioclétien qui ne sera pas une des moins terribles. Crise politique, qui entraîne une crise profonde de l'écono- mie, avec la raréfaction de l'or. C'est toute la vie publique qui est désorganisée. Désordre dont tirent parti les Berbères au fil des soulève- ments qui ne vont plus guère cesser. Mais, dans les rangs des chrétiens, nombreux sont ceux qui se sont compromis lors des persécutions. Donat, évêque de Case-Noire, en Numidie, veut en purifier l'église. Soutenu par une grande partie du peuple de Carthage, il casse l'élection du nouvel évêque Caecilianus. Survient l'Edit de Milan (313). L'empereur Constantin prend le parti de Caecilianus. Au Concile d'Arles (314) il fait condam- ner les Donatistes, comme on appelle les disciples de Donat. Et c'est la chasse aux hérétiques, de 316 à 321, avec, en 345, la dure répression décrétée par l'empereur Constantin. Donat meurt en 355. En 391, Théodose déclare le christianisme religion d'Etat. Mais les Donatistes demeurent encore puissants puisqu'en 394, le concile de Bagaï réunira 310 de leurs évêques. C'est l'époque où Augustin est nommé évêque d'Hippone (Bone). D'ascendance berbère, il est né en 354 à (Souk-Ahras). Après de brillantes études, il est devenu pro- fesseur de réthorique à Carthage, puis à Rome, enfin à Milan où il se convertit en 387. Ordonné prêtre en 391 il est évêque quatre ans plus tard. Dès 393 il s'attaque à la doctrine donatiste. En 405 il par- viendra à son but : la faire ranger parmi les hérésies. Dès lors, ce ne sont que poursuites et que massacres... En 413, grâce aux efforts de l'évêque d'Hippone, le Donatisme sera définitivement vaincu. C'est ainsi que nous arrivons au Sig, en ce milieu du V siècle, où nous trouvons la plus ancienne épitaphe chrétienne. Elle a été exécutée en 442 mais le décès remonte à 429 : 9751 S. Denis du Sig. MEMORIA ELI MVGIARi qui n OS PRECESSIT in PAce DO MINICA VICXIT A / / / / di SCESSIT XV / / / A / / ccc a. 429 5 XC ET / / / / / SOD / / / LIVS VIXCIT AN P M /// M / DISCESSIT IDVS MARSAS ELIVS SOSSANVS VNA CVMPATRIBVS SVIS 10 TITVLVM POSVERVNT AN CCCCIII a.442 Montgravier apud Renierum n. 3840. 9 fratibus proponit Renier. Quelques années plus tard, c'est une double épitaphe, l'une concerne une jeune chrétienne de 15 ans, Juliae Puliae, décé- dée en 450, l'autre, une dénommée Decimiae Pusinne, morte à 27 ans (cf. Chan. Fabre, p. 205 ; Toulotte, Géographie de l'Afrique chrétienne ; Demaeght, Maurétanie, p. 156). 9752 S. Denis du Sig. MEMORIAE IV MEMORIA LIAEPVLLAEQV IERSIENE qune NOS I NOS PRAESES PRECESSIT IN PACE SIT IN PACE DOM DOMINICA ET VIXT 5 VIXIT ANI P M XV ANNI PLV M XCI ET ET DISC / / / / IDVS AV DIISCESSIT / / IDVS GVST ANN PRO CCCCXI AVGVS /////// ANNOPRO CCCCET / / Montgravier apud Renierum n. 3841. Enfin, un ex-voto, trouvé par M. Maupassant sur la propriété Bibili : 21603 (= Eph. VII n. 545) in ruderibus nno fere chil. distanti- bus a St. Denis du Sig sitis in fluvii Sig ripa sinistra, propriété Bilili, repperit Maupassant. — Nunc ibi ubi ea qune sequitur PVRG. DEDITOLIB ANIMO Descripsit Purgold. Demaeght bull. des ant. afr. II 1884, p. 102, n. 350. Grâce à ces inscriptions, il est permis de penser qu'une communauté chrétienne vivante, sinon très nombreuse, s'était implantée au Sig.

CHAPITRE III

VANDALES, ARABES ET TURCS (du V au XIX siècle)

Telles les nuées de l'orage, qui assombrissent la terre, L'ombre des conquérants a obscurci le soleil. Mais un jour la lumière jaillira de l'espoir et du courage qui ne se sont pas éteints.

L'EVEQUE DU SIG EN EXIL

Lorsque survint l'invasion des Vandales, en 428, Tasacorra eut sans aucun doute à subir leurs exactions et leurs pillages. « Le roi des Vandales, écrit Procope, dépouilla les Africains de leurs terres les plus étendues et les plus fertiles, et les partagea entre ses sujets ». Comme presque tous les Barbares de l'époque, les Vandales sont des Aryens (bien que disciple du Christ, ils ne recon- naissent pas sa divinité). Leur influence religieuse fut profonde, et leur intransigeance vis à vis des catholiques amènera de dures persécutions. Le fils de Génséric, Hunéric (477-484) se montrera un tyran sans pitié et un aryen fanatique. Il n'hésitera pas d'exiler chez les Maures plus de 4000 fidè- les, dont l'évêque catholique du Sig. (Tasacorra était alors le siège d'un évêché, ce qui dénote la pénétration chrétienne dans cette région). C'était un certain Poequarius. Il fut le 108 des évêques de Maurétanie césarienne à être conduit en exil, faute d'avoir accepté d'embrasser la religion aryenne. De nombreux chrétiens du Sig eurent vraissemblablement à subir le même sort. Néanmoins, la ville survécut au désastre. Il sera en effet encore question de l'évêché du Sig au concile de Carthage en 484. Quant aux Berbères, profitant de l'affaiblissement de la puissance romaine, et de l'occupation épisodique des Barbares, ils en profitaient pour redevenir les maîtres du pays.

ANARCHIE ET MISERE

Succédant aux Vandales, les Arabes font bientôt leur appa- rition en Oranie. Leurs premières incursions ne sont qu'une suite de razzias plus ou moins meurtrières, où riches et pauvres font les frais d'une conquête sans pitié. Progressivement les Arabes s'installent dans les grands centres qu'ils occuperont jusqu'au XI siècle. C'est alors que la région aurait été habitée par la tribu zénatienne des Beni Houmi ou Yaloumen qui « ... avait comme principales villes El Batha, Sig, Cirat et El Djabat » (Trous- sel, Kalaa des Beni Rached, dans B.S.O., 1927, p. 29). Mais le sultan marocain Abd El Moumen l'Almohade envahit à son tour le pays, et réduit à l'impuissance les Beni Houmi qui doivent se soumettre à son autorité. D'autres Berbères, les Houara ou Howara, venus du Sahara tripolitain, supplantent bientôt le sultan du Maroc. Cette situation dure jusqu'au début du XIII siècle où la tribu des Beni Rached, originaire du djebel Amour, arrive en Oranie. La lutte contre les Houara fut longue. Elle amena au Sig les tribus arabes qui devaient définitivement s'y fixer : Beni Amer et Sowayd (cf. l'Agrément du lecteur ; et G. Faure-Biguet, Histoire de l'Afrique septentrionale sous la domination musul- mane). Les Sowayd, Soueid ou Souid, étaient la plus puissante des tribus Ben Malek Ben Zeyan ou Zochba. Pendant longtemps, dès le milieu du XIII siècle, ils recueil- lirent les impôts du pays de Sirat, El Batha et Houara. Le roi de Tlemcen, Yar Moracen Ben Zeyan leur ayant gracieusement donné son accord. Pour ce qui est des Beni Amer, après avoir erré de pays en pays, ils finirent par se fixer dans le territoire compris entre Tlemcen, l'Ouarsenis, le golfe d'Arzew et le Chott ech Chergui (plaines de Bel Abbès, Mascara, Cidour, Sig et Abra). Les tribus berbères se faisant perpétuellement la guerre, les pillages avaient ruiné la terre. El Beckri, célèbre polygraphe espagnol, né en 1028, écrit que la région était devenue « inculte et déserte. La crainte avait fait fuir tous les habitants » (El Beckri, Description de l'Afri- que septentrionale, p. 143). Mais le désastre fut encore plus grand lorsque les Hillals envahirent le pays. Car, non seulement ils apportèrent avec eux la destruction et la mort, mais ils propagèrent chez les Ber- bères : « ... cet islamisme fataliste qui tue l'énergie, méprise le travail, et professe que la civilisation ne vaut pas les efforts qu'elle coûte » (Marcais, op. cit., p. 701). Bientôt, tout le pays sombra dans l'anarchie et la misère.

LES TURCS RELEVENT LE BARRAGE

En 1509, les Espagnols s'emparent d'Oran. Mais les Turcs ne tardent pas à arriver. Nous sommes en 1518. Les envahisseurs succèdent aux envahisseurs... triste des- tinée pour un pays où jamais les habitants ne peuvent cultiver ou élever leur bétail en paix. Les Espagnols combattent les Turcs mais sans jamais vrai- ment chercher à les évincer du pays. La découverte récente de l'Amérique leur paraît bien plus digne d'intérêt. Aussi se contenteront-ils des environs immé- diats d'Oran, du port de Mers-el-Kebir, et de la ville de Mosta- ganem. Période mouvante et incertaine, où les tribus s'allient tantôt aux uns, tantôt aux autres, suivant leur profit ou leur intérêt. La population de Sig, qui se consacrait alors surtout à l'élevage, aurait dû logiquement composer avec les Espagnols qui possédaient la plaine. El Bekri ne nous dit cependant rien à leur sujet. Nous ne savons pas quel a été leur attitude à l'égard de l'occupant.

En 1708, la région de Sig tombe définitivement sous la domi- nation turque. Les Espagnols tenteront bien une deuxième pénétration, de 1732 à 1792, mais celle-ci n'aura guère plus de résultats que la première. Les Turcs demeurent les maîtres. « La plaine de Midley, écrit Schaw, op. cit., p. 248, appartenait au vice-roi de la pro- vince, et les terres étaient cultivées pour son compte ». Sig jouissait ainsi, au milieu du désordre général, d'un rela- tif régime de faveur. Une des premières préoccupations des Turcs fut d'assurer l'irrigation des terres. Mais la fragilité du barrage existant, et les crues violentes de l'oued, ne favorisaient guère leur dessein. Aussi de 1720 à 1786, durent-ils relever trois fois le barrage, une dernière fois en 1795 (cf. l'Enquête administrative sur les travaux hydrauliques en Algérie, sous la direction de Gsell, fasc. VII, p. 8 et 9). Il est sûr que les barrages de l'époque n'avaient rien de la solidité des ouvrages d'aujourd'hui. Faits « de moellons bruts et de mortier de chaux grasse et pouzzolane de briques pilées », ils étaient essentiellement constitués d'un mur qui arrêtait les eaux de la rivière, la rele- vait jusqu'à la hauteur de la plaine. Accolée au barrage, exis- tait sur la rive gauche une prise d'eau « et, à la suite, un canal qui venait traverser le Chabat-EL-Maïs sur un aqueduc ». Cet aqueduc avait trois arches. On en voit encore les ves- tiges au-dessous du barrage actuel. A 40 mètres de là environ, le canal se séparait en deux bran- ches, l'une traversait l'oued sur un aqueduc plus important et empruntait sur quelques centaines de mètres le tracé du canal de la rive droite, l'autre arrosait la rive gauche. Nous savons, toujours par Schaw, quelles étaient les cul- tures qu'on pratiquait : « du riz, du maïs, et une espèce de millet blanc que les Arabes appellent DRAH (probablement le DOURHA) et qu'ils préfèrent à l'orge pour engraisser leur bétail ». On conservait les récoltes dans des sortes de magasins. De Martimprey signalait sur la rive droite du Sig, d'anciens magasins turcs appelés « Bordj Tchelabi » (cf. Souvenirs d'un officier d'Etat Major, p. 85). Il s'agit probablement des silos et de la construction en ruines au-dessus de l'Union et connue sous le nom de « ruines d'Abd-el-Kader ». De grandes étendues de terres étaient consacrées à la culture des oliviers. Il y avait de nombreux moulins à huile. Azéma de Montgravier affirme en avoir aperçu « les restes sur une éminence voisine de la route ». A la suite des Romains, les Turcs ont donc cherché à mettre en valeur la plaine de Sig. C'est dans ce but qu'ils avaient implanté dans la région une colonie, celle des Ferragas, à la fois gendarmes et paysans, qu'ils avaient établis sur les terres du Belyck (Etat). L'ordre était garanti par les guerriers gharrabas, qui, moyen- nant quelques avantages, assuraient la tranquilité des habi- tants et faisaient rentrer les impôts. Ces impôts étaient très lourds. Souvent les paysans se révol- taient. Mais les Turcs étaient impitoyables. C'est la raison pour laquelle les habitants de Sig renoncèrent peu à peu à certaines cultures, comme l'olivier, qui n'enrichis- saient que le bey. Ils recherchèrent les productions les moins imposées, et, bientôt, ne travaillèrent que pour assurer leur propre subsis- tance. On comprend qu'avec un pareil état de choses, le pays devint de plus en plus pauvre. Les quarante dernières années de l'occupation turque, furent des années de misère. André Noraz est Savoyard d'origine. Après de solides étu- des à Grenoble, il vit, durant de longues années, à Bour- goin-Jallieu. Correspondant de presse, sa première monographie d'his- toire locale : « Maubec et son passé », est suivie d'une série d'articles sur les châteaux et maisons fortes en Dauphiné, un pays qu'il aime et auquel il s'est profondément attaché. En 1978, à l'occasion du bi-centenaire de la mort de Jean- Jacques Rousseau, il fait paraître : « J.-J. Rousseau à Mau- bec en Dauphiné, 1769-1770 », une période encore jamais étudiée de la vie du grand écrivain, celle pourtant où il va rédiger la 2 partie des Confessions. Il est élu membre de l'Académie Delphinale, et reçoit la médaille du Mérite et Dévouement français. En 1979, il s'établit dans les Alpes de Haute-Provence, où son mariage avec une Pied-Noir, l'amène à écrire : « Visa- ges de l'Algérie : Sig en Oranie ». Au travers d'exemples vécus et de témoignages, c'est toute l'histoire de la colonisation française en Algérie qu'on retrou- vera dans ce livre, écrit dans un style très simple, accessible à tous, et qui intéressera tous les amis de l'Algérie. Ouvrage d'histoire, mais aussi recueil de souvenirs, où chaque famille redécouvrira ses racines et ses lointains ancêtres, en même temps qu'il comprendra mieux ce pays où il a vécu avant d'en être cruellement séparé. « L'Histoire du Sig », un document que beaucoup tien- dront à conserver pour que les générations à venir n'ou- blient pas le passé, ni ce pays où les anciens ont donné le meilleur d'eux-mêmes, et qu'ils ne pourront jamais effacer de leur mémoire.

LA PENSEE UNIVERSELLE 4, rue Charlemagne - Paris 4 - 887.08.21 ISBN 2-214-05473-9 Prix : 123,10 T.T.C.

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