Le Christianisme En Maurétanie Césarienne Et La Notion D’Identité Provinciale
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LE CHRISTIANISME EN MAURÉTANIE CÉSARIENNE ET LA NOTION D’IDENTITÉ PROVINCIALE Anne Salitot Docteur en Histoire romaine Après quatre siècles de présence romaine, la Maurétanie césarienne est décrite par certaines sources tardives comme toujours en marge de la romanité1, qui ne veut pas même passer pour une région africaine2 et dont les habitants ont une vie et des mœurs de barbares bien qu’appartenant à l’Empire3 &H MXJHPHQW FRQWLQXH j LQÀXHQFHU O¶KLVWRULRJUDSKLH FRQWHPSRUDLQH PDOJUp OH SHX d’études d’ensemble qui lui ont été consacrées4, les historiens considèrent que cette province est restée barbare et en révolte constante, ce qui s’expliquerait par le maintien d’une forte présence tribale hostile à Rome à l’intérieur même des frontières provinciales. Du fait de ces particularismes supposés – sur lesquels il serait nécessaire de revenir5 –, la province romaine de Maurétanie césa- ULHQQHGDQVVRQFDGUHWDUGLI KRUV6LWL¿HQQH HVWXQWHUUDLQSURSLFHjO¶pWXGHGHODQRWLRQG¶LGHQ- WLWpSURYLQFLDOHWHOOHTX¶<YHV0RGpUDQO¶DGp¿QLHORUVG¶XQHWDEOHURQGHRUJDQLVpHSDUOH&HQWUH 0LFKHOGH%RXlUG &HQWUHGHUHFKHUFKHVDUFKpRORJLTXHVHWKLVWRULTXHVDQFLHQQHVHWPpGLpYDOHV en 20076. Pour comprendre l’importance de cette structure territoriale, il suggérait de la « saisir dans la globalité de [ses] caractéristiques, en montrant qu’[elle pouvait] même générer des phéno- mènes identitaires chez ceux qui vivaient en [son] sein7 ». Y. Modéran se demandait en effet si la province n’était pas devenue, à l’époque tardive, un échelon intermédiaire de référence pour l’in- dividu, entre celui de la cité et celui de l’Empire. Il supposait notamment que les provinces ecclé- siastiques8 nouvellement créées et leurs institutions provinciales avaient pu favoriser la cohésion des populations et, pourquoi pas, le développement d’un sentiment identitaire provincial. L’étude 1. &RQFLOHGH&DUWKDJHGH &&6/ 2. $XJXVWLQ(SLVWXODMauritania tamen Caesariensis, occidentali quam meridianae parti uicinior, quando nec Africam se uult dici… ; Lepelley 2005. 3. Expositio totius mundi et gentium LX. 4. /DGHUQLqUHpWXGHYLHQWG¶rWUHSXEOLpH+DPGRXQH 5. Salitot, à paraitre. 6. Briand-Ponsart, Modéran 2011. 7. Modéran 2011, p. 10. 8. Ibid., p. 24. 98 ANNE SALITOT de Serge Lancel sur le christianisme en Byzacène9, va précisément dans ce sens en concluant que la mise en place de son Église révèle un sentiment d’unité fondé sur l’appartenance à la province10. En revanche, c’est un phénomène différent que J. Desanges met en lumière en Numidie11OHV limites ecclésiastiques révèlent que la région a conservé la mémoire de son ancienne appartenance au royaume numide, puisque l’Église de Numidie s’est inscrite dans les limites territoriales de l’ancien royaume. Au moment de la publication de ces études, la question de la notion d’identité provinciale ne se posait pas dans les mêmes termes qu’aujourd’hui. Elles apportent pourtant des éléments qui permettent de comprendre les mentalités des populations et la façon dont celles-ci SHUFHYDLHQWODSURYLQFHXQIDFWHXUGHFRKpVLRQHQ%\]DFqQHXQVLPSOHFDGUHDGPLQLVWUDWLIHQ Numidie. Elles invitent alors à mener une enquête similaire sur le développement du christianisme HQ0DXUpWDQLHFpVDULHQQHD¿QGHYpUL¿HUVLO¶RUJDQLVDWLRQHFFOpVLDVWLTXHGHODSURYLQFHSHXWFRQWUL- EXHUDX[UpÀH[LRQVDFWXHOOHVVXUODQRWLRQG¶LGHQWLWpSURYLQFLDOH Nous avons connaissance de chrétiens en Maurétanie césarienne dès le début du IIIe siècle, quand Tertullien évoque une persécution menée par un gouverneur de la province dans un traité adressé à Scapula, le proconsul d’Afrique12. Mais il ne précise ni la localisation de la persécution, ni les lieux de vie des chrétiens ou leur nombre. Cette brièveté caractérise les premiers témoignages chrétiens, notamment les documents littéraires, comme une lettre de Cyprien du milieu du IIIe siècle13FHOXLFLGHPDQGHjO¶pYrTXH4XLQWXVGHGLIIXVHUODSRVLWLRQGHO¶eJOLVHG¶$IULTXHVXU le baptême des hérétiques auprès de ceux qui sont « là-bas », c’est-à-dire auprès des autres évêques de la province. Les documents archéologiques14 et les récits de martyres15 ne sont pas plus précis. La seule communauté attestée avec certitude au début du IVe siècle, parce que son évêque est pré- sent au concile d’Arles en 31416, est celle de Caesarea. Il est toutefois probable qu’une autre 9. Lancel 1964. 10. Ibid., p. 152. 11. Desanges 1980. Dupuis 2014 a proposé une autre hypothèse pour tenter d’expliquer cette singularité des limites ecclésiastiques de la province. Elles feraient référence à la circonscription domaniale de Theveste. Ces deux hypo- thèses montrent que la province ne devait être qu’un simple cadre administratif pour les populations qui préféraient s’en référer soit à l’héritage numide, soit à la structure qui organisait leur vie quotidienne. 12. Tertullien, Ad Scapulam,9Nam et nunc a praeside Legionis, et a praeside Mauritaniae uexatur hoc nomen, sed gladio tenus, sicut et a primordio mandatum est animaduerti in huiusmodi. Sed maiora certamina maiora sequuntur praemia. 13. Cyprien, Epistula 71. 14. À Altaua et à Castellum TingitanumODGDWHG¶pGL¿FDWLRQGHVEDVLOLTXHVHVWDPELJXsHWHPSrFKHG¶DWWHVWHUDYHFFHUWL- tude l’existence d’un évêque, et donc d’une communauté, dans ces deux localités au début du IVe siècle. La construc- tion de la basilique de Castellum TingitanumDXUDLWWRXWMXVWHFRPPHQFpHQCIL VIII 9708 ; Février 1990, p. 27. La dédicace d’AltauaVHSODFHUDLWHQWUHHW0DUFLOOHW-DXEHUWQo 19 ; Duval 1982, p. 412-417. Mais pour OHVGHX[FLWpVDXFXQpYrTXHQ¶HVWFRQQXDYDQWOD¿QGXVe siècle. Une épitaphe d’Auzia datée de 318 (CIL9,,, pourrait être la première attestation de chrétiens dans la cité. Mais la religion du défunt n’est pas assurée. L’évocation aux Dieux Mânes est en effet suivie de l’expression donis memoriae spiritantium. La présence du participe issu du verbe spiritareHQIHUDLWXQVLJQHGHFKUpWLHQWp0RQFHDX[/DVVqUHS¬Sufasar a été retrouvée O¶pSLWDSKHGHGHX[PDUW\UVSHXWrWUHGRQDWLVWHVGDWpHGH0DLVODSUpVHQFHGHPDUW\UVQHVLJQL¿HSDVQpFHVVDLUH- PHQWTX¶XQHFRPPXQDXWpH[LVWDLWAÉ 1979, 689 (Sufasar /HYHDXS 15. Par exemple celui de Typasius à TigavaBHL 8354 ; Dearn 2001. 16. Concilium Arelatense a. 314 &&6/ *X\RQet al. 2016. Cette communauté se serait précocement consti- LE CHRISTIANISME EN MAURÉTANIE CÉSARIENNE 99 communauté ait existé à Tipasa où la fouille de la basilique17 de l’évêque Alexandre a révélé la présence de neuf sarcophages qui pourraient être les tombeaux des prédécesseurs de l’évêque18. 3DUFHTXHOHVVLqJHVGHVpYrTXHVQHVRQWSDVSUpFLVpVRXTX¶LOVQHVRQWSDVLGHQWL¿DEOHVHWGHPHXUHQW GHVOLHX[LQFRQQXVSDUFHTXHOHVGRFXPHQWVVRQWLVROpVLOHVWGRQFGLI¿FLOHGHSUpVHQWHUXQpWDWGHV communautés chrétiennes de Maurétanie césarienne au début du IVe siècle, contrairement à la Pro- FRQVXODLUHHWjOD1XPLGLHRSOXVLHXUVFRPPXQDXWpVVRQWGpMjLGHQWL¿pHV19. Les documents mau- rétaniens montrent néanmoins la présence de chrétiens dans différentes régions20 de la province. Il faut attendre le début du Ve siècle pour pouvoir mesurer le développement du christianisme et son essor, grâce notamment aux Actes de la Conférence de Carthage en 41121. Des communautés chré- WLHQQHVRUJDQLVpHVVRQWDLQVLSUpVHQWHVGDQVXQHYLQJWDLQHGHFLWpVHWGDQVGHVWHUULWRLUHVUXUDX[j Mecheraa Asfa22, à Bourkika23, à la Kherba des Aouissat24 et à Mediouna25. Il n’est toutefois pas possible d’en conclure à l’existence de communautés chrétiennes organisées en ces lieux, contrai- rement à d’autres dont les communautés sont représentées par un évêque à la Conférence26. Le christianisme s’est donc développé dans les cités, dans les campagnes, mais aussi dans des terri- toires marqués par les traditions libyques27. Certains évêques pourraient en effet être les représen- tants d’une agglomération ou d’une communauté aux origines tribales, tel l’évêque de la plebs Milidiensis28, peut-être la gens Milidiorum d’une inscription de Mechtras29, ou celui de Numidia30, un village dépendant de la cité de Sufasar qui se serait constitué autour d’un petit groupe tribal. tuée au cours du IIIeVLqFOHCIL VIII 9585 (dédicace d’un tombeau collectif où parmi les défunts se trouvait la mère d’un presbyter HWCIL VIII 9586 (poème épigraphique concernant une concession funéraire pour la communauté FKUpWLHQQH +DPGRXQHS 17. /DEDVLOLTXHDXUDLWpWpFRQVWUXLWHjOD¿QGXIVe siècle ou au début du Ve siècle, ce qui ferait remonter le plus ancien évêque au milieu du IIIe siècle. Cette datation, fondée sur le style des mosaïques et des inscriptions, ne permet pas une datation précise de la construction. Février 1986, p. 793 ; Hamdoune 2018, p. 216. 18. CIL VIII 20903 (Tipasa CIL VIII 20905 (Tipasa 19. *X\RQet al. 2016, p. 101. 20. Voir supra note 14. 21. Lancel 1972a. 22. 7URLVpSLWDSKHVFKUpWLHQQHVRQWpWpUHWURXYpHVGDQVFHWWHORFDOLWpDXVXGGHO¶2XDUVHQLVCIL9,,, 23. AÉ 1921, 37 (Bourkika, IVeVLqFOH $XGpEXWGXXXe siècle ont été découverts à 5 km de Bourkika, dans la plaine de la Mitidja, entre Tipasa et CaesareaOHVVRXEDVVHPHQWVG¶XQpGL¿FHVHPLFLUFXODLUHTXLDEULWDLWODWRPEHGH deux martyrs. La sobriété du formulaire de la dédicace souligne la rusticité des dédicants et le caractère sans GRXWHPDMRULWDLUHPHQWUXUDOGHV¿GqOHVTXLSRXYDLHQWOHXUUHQGUHXQFXOWHRXTXLVHVRQWIDLWHQWHUUHUjOHXUVF{WpV Duval 1982, p. 384-386. 24. eSLWDSKHGHPDUW\UVG¶LQWHUSUpWDWLRQGLI¿FLOHHQUDLVRQG¶XQHSLHUUHEULVpHHWG¶XQFRQWH[WHGHGpFRXYHUWHLQFRQQX BCTHS&&, .KHUEDGHV$RXLVVDW 'XYDOS 25. Table de calcaire trouvée à Mediouna, commune située à 3,5 km de Renault, portant la dédicace d’un monu- ment funéraire, peut-être une chapelle, en souvenir d’un groupe de martyrs, CIL9,,, 0HGLRXQD Duval 1982, p. 402-405. 26. Hamdoune 2018, p. 243-244. 27. Ibid., p. 246-248. 28. GestaO S 29. AÉ 0HFKWUDVRX 30. GestaO