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Jean Goujon et les modèles antiques: observations archéologiques sur la et la Tribune des Caryatides

BAUMER, Lorenz

Reference

BAUMER, Lorenz. et les modèles antiques: observations archéologiques sur la Fontaine des Innocents et la Tribune des Caryatides. In: Baumer, L.E., Elsig, F. & Frommel, S. Les années 1540: regards croisés sur les arts et les lettres. Bern : Peter Lang, 2015. p. 217-227

Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:44950

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1 / 1 Lorenz E. Baumer, Frédéric Elsig & Sabine Frommel (éds)

LES ANNÉES 1540 : REGARDS CROISÉS SUR LES ARTS ET LES LETTRES 

PETER LANG Bern · Berlin · Bruxelles · Frankfurt am Main · New York · Oxford · Wien Information bibliographique publiée par « Die Deutsche Nationalbibliothek » « Die Deutsche Nationalbibliothek » répertorie cette publication dans la « Deutsche Nationalbibliografie » ; les données bibliographiques détaillées sont disponibles sur Internet sous ‹ http://dnb.d-nb.de ›.



Publié avec l’appui de l’Université de Genève : Commission administrative Maison de l’histoire Faculté des Lettres Département des sciences de l’Antiquité Département d’histoire de l’art et de musicologie et de l’Equipe d’accueil Histara de l’Ecole pratique des Hautes Etudes à 

Illustration de couverture : Jacques Androuet du Cerceau, La façade de la cour carrée du par , 1579 (tiré du Second volume des plus excellents bastiments de ).

Réalisation de couverture : Thomas Grütter, Peter Lang SA

ISBN 978-3-0343-1132-8 br. ISBN 978-3-0351-0799-9 eBook

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Imprimé en Suisse Table des matières

Introduction ...... 7 LORENZ E. BAUMER et FRÉDÉRIC ELSIG

I. L’architecture et sa représentation

The 1540s: a turning point in the development of European architecture ...... 11 HOWARD BURNS

Le texte de Vitruve dans les années 1540. Autour d’un manuscrit de l’Architecture ou Art de bien bastir: le De architectura de Vitruve traduit par Jean Martin ...... 55 FRANCESCO PAOLO DI TEODORO

Jean Cousin le Père et l’architecture fictive: sa contribution à l’évolution des langages à l’antique en France dans les années 1540 ...... 87 SABINE FROMMEL

Fonctions et représentations de l’architecture dans l’Apocalypse de Jean Duvet: une figuration particulière de l’architecture dans la France de la fin des années 1540 ...... 121 GAËTAN BROS

Sinan and Bramante: analogies and differences in the evolution of Renaissance and Ottoman religious building ...... 143 CHRISTOPH LUITPOLD FROMMEL

II. Les modèles de la sculpture et de la peinture

A propos de Giorgio Vasari. Essai ...... 175 JACQUES CHAMAY 6 Table des matières

Entre théorie et pratique: le mouvement de balancier des années 1540 ...... 181 FRÉDÉRIC ELSIG

Autour de Jean Goujon: ambitions et inflexions de la sculpture française, royale et provinciale ...... 187 MARION BOUDON-MACHUEL et PASCAL JULIEN

Jean Goujon et les modèles antiques: observations archéologiques sur la Fontaine des Innocents et la Tribune des Caryatides...... 217 LORENZ E. BAUMER

Epilogue

Machiavelli, Guicciardini e Castiglione: gli anni di svolta nella cultura letteraria e politica del Cinquecento ...... 231 GIAN MARIO ANSELMI

Conclusion

Une décennie qui innove sans oublier… ...... 251 SABINE FROMMEL 7

Introduction

Dans la pratique de l’histoire, le découpage du temps est généralement fon- dé sur des moments de fracture, dont l’impact se mesure dans la durée : une épidémie, une guerre ou un changement de régime. Fruit d’une interpréta- tion, il permet de comprendre les phénomènes du passé en fonction de la «période» à laquelle ils se rattachent et qui en déterminent la lecture, selon une logique circulaire. Il peut ainsi paraître vain d’isoler une décennie dans le flux continu de l’histoire et de lui consacrer tout un ouvrage, en croisant les regards de spécialistes dans différents domaines. Pourtant, à y regarder de plus près, les années 1540 se prêtent parfaitement à une telle lecture. Elles constituent, certes, une décennie riche en innovations durables. Ce- pendant, loin de correspondre à un moment de rupture, elles se définissent avant tout comme un temps d’accélération, une période dans laquelle on prend pleinement conscience de l’acquis des générations précédentes. L’un des aspects les plus emblématiques de la décennie s’observe dans la publication croissante de traités théoriques sur l’architecture et sur les arts. Ces traités, qu’ils soient antiques (Vitruve, Pline) ou modernes (Alberti, Serlio, Vasari), prennent en compte la production contemporaine, évoquée à travers les catégories classiques et dont ils infléchissent le cours, en pas- sant du descriptif au prescriptif. Ils entraînent ainsi une double prise de conscience. La première, chronologique, concerne la relation à l’Antiquité et se traduit par une observance accrue des modèles hellénistiques. La se- conde, géographique, correspond à la constitution d’identités culturelles qui se définissent par un principe d’opposition: Rome par rapport à Venise; l’Italie par rapport à la Flandre. Dans cette dynamique, le royaume de France constitue un cas exemplaire entre la fin du règne de François Ier et le début de celui de Henri II. En procédant par une assimilation sélective, il cherche à produire un idéal de synthèse entre les traditions septentrionales et le modèle italien, un idéal que se chargent d’exalter des architectes et des artistes français : Philibert Delorme, Jean Goujon ou Jean Cousin Père. Issu d’un colloque organisé à l’Université de Genève les 11 et 12 avril 2011, le présent ouvrage se propose d’analyser le phénomène. Il se divise en deux parties. La première explore les questions liées à l’architecture et à sa représentation. Analysé par Howard Burns, le tournant que constituent les années 1540 s’observe bien dans la relation entre la pratique et la théorie, notamment dans les textes fondateurs de Vitruve, dont Francesco Paolo Di Teodoro étudie la réception à travers la traduction française de Jean Martin 8 Introduction et, plus précisément d’un exemplaire illustré par Jean Goujon. Les nou- veaux modèles de l’architecture sont également représentés dans les dessins, estampes et peintures qui en donnent une lecture reflétant la perception des contemporains. Sabine Frommel en décrypte ainsi la figuration dans la pro- duction de Jean Cousin Père; Gaëtan Bros dans celle de Jean Duvet. Enfin, Christoph Luitpold Frommel ouvre la champ géographique en étudiant les relations entre l’architecture de la Renaissance occidentale et celle de l’Em- pire ottoman. La seconde partie de l’ouvrage se concentre sur la peinture et sur la sculpture. Elle est introduite par un bref essai de Jacques Chamay qui met en évidence l’adoption des catégories antiques par Giorgio Vasari. Ce mou- vement de balancier entre la théorie et la pratique est analysé par Frédéric Elsig à travers des exemples empruntés à la peinture. Le cas tout à fait em- blématique du sculpteur Jean Goujon fait l’objet de deux articles. D’une part, Marion Boudon-Machuel et Pascal Julien replacent l’artiste dans un contexte plus large qui permet d’en saisir le rôle central sur le plan stylis- tique. D’autre part, Lorenz E. Baumer se focalise sur la culture archéolo- gique de Jean Goujon à travers l’analyse de deux de ses œuvres majeures: la Fontaine des Innocents et la Tribune des Caryatides. En guise d’épilogue, Gian Mario Anselmi démontre que les années 1540 ont également consti- tué une période charnière dans la culture littéraire et politique de l’Italie qui renoue avec d’importants tournants qui se sont profilés dans les décennies pré cè dentes. Enfin, Sabine Frommel met en perspective un certain nombre de résultats des différents articles dans une réflexion conclusive. Qu’il nous soit permis de remercier ici les auteurs du volume, qui ont apporté de nouveaux éléments à la réflexion sur le tournant des années 1540. Nous tenons à exprimer notre reconnaissance à la Faculté des Lettres de l’Université de Genève, à l’unité d’archéologie classique et à celle d’histoire de l’art, ainsi qu’à l’équipe d’accueil Histara de l’Ecole pratique des Hautes Etudes à Paris. Enfin, notre gratitude va à Imola Kiss et à Carmen Decu Teodorescu qui ont assuré le suivi éditorial du volume.

Lorenz E. Baumer et Frédéric Elsig 217

Jean Goujon et les modèles antiques: observations archéologiques sur la Fontaine des Innocents et la Tribune des Caryatides

LORENZ E. BAUMER

Fig. 1. Représentation de la fontaine des Saints Innocents. Recueil édité sous le règne de Louis XIV (1643-1715). Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon. Agence Photographique de la Réunion des musées nationaux.

La Fontaine des Innocents près des Halles à Paris (fig. 1) et la Tribune des Caryatides (ou des musiciens) du Louvre (p. 197, fig. 3) partagent plusieurs aspects dont un surtout retient l’attention de l’archéologue: leur décor sculp- té, réalisé par Jean Goujon vers le milieu du XVIe siècle, montre de claires références à la sculpture antique, mais reprend des modèles plutôt inhabituels en introduisant des changements assez remarquables. Ces particularités 218 LORENZ E. BAUMER demandent une explication, car, en principe, suite à l’engagement de Prima- tice qui a moulé sur ordre de François Ier dans les années 1540-1543 les principaux chefs-d’œuvre des collections pontificales à Rome, un grand nombre de moulages et de fontes d’après l’antique auraient été disponibles à Paris et des reprises beaucoup plus précises facilement possibles. Se pose alors la question du message que le sculpteur et son commanditaire ont voulu donner par ce choix fait visiblement à dessein.

La Fontaine des Innocents

Quand Henri II fit son entrée officielle à Paris en 1549, son parcours a été décoré avec de nombreux monuments érigés à cette occasion, dont seule la Fontaine des Innocents (fig. 1) était destinée à subsister1. Située à côté du cimetière des Innocents et adossée à l’église des Saints-Innocents, la fon- taine occupait jusqu’au dernier quart du XVIIIe siècle l’angle de la rue Saint-Denis et de la rue aux Fers (aujourd’hui rue Berger), avec une façade asymétrique de deux arcades et d’une seule sur la rue Saint-Denis2. Sur un haut soubassement et un orthostate portant des bas-reliefs3 s’élevaient des arcades qui étaient encadrées par des piliers décorés avec des doubles pi- lastres et des représentations de nymphes en bas-relief. Les chapiteaux co- rinthiens des pilastres portaient une frise basse d’acanthes et de dauphins, surmontée d’un attique décoré de trois bas-reliefs. Des écus aux armes royales et le chiffre d’Henri II complétaient le décor sculpté du monument dont des plaquettes placées entre les pilastres donnaient le nom: Fontium Nymphis. A l’origine, trois petits frontons triangulaires couronnaient le bâtiment qui a depuis changé de forme et qui se termine aujourd’hui en une coupole: ayant perdu sa base avec la destruction de l’église et mise en péril, la Fontaine des Innocents fut soigneusement démontée grâce à une inter-

1 P. du Colombier, Jean Goujon, Paris, 1949, pp. 53-73, pl. V-IX; N. Miller, «The form and meaning of the Fontaine des Innocents», Art Bulletin, 50 (3), 1968, pp. 270- 277; N. Miller, , New York, 1977, pp. 121-150, 388- 398, fig. 82-87, 89, 92-96; J. Thirion, «La Fontaine des Nymphes», dans Les Saints- Innocents, éd. M. Fleury et G.-M. Leproux, Paris, 1990, pp. 121-143. 2 Voir les gravures chez N. Miller, «The form and meaning…», 1968, fig. 2-4; N. Mil- ler, French Renaissance…, 1977, pp. 388-391, fig. 82, 85-87; J. Thirion, «La Fon- taine…», 1990, fig. 114-117. 3 Les bas-reliefs ont été enlevés en 1810 et déposés quelques années plus tard au Louvre: J. Thirion, «La Fontaine…», 1990, p. 127. Jean Goujon et les modèles antiques 219 vention de Quatremère de Quincy en 1787 et transformée pour sa nouvelle utilisation au centre du marché aux Herbes en un lanternon carré dont le décor sculpté sur le quatrième côté fut complété par Augustin Pajou4. Un autre déplacement fut rendu nécessaire par la construction des Halles dès 1854, et la fontaine a trouvé enfin sa place actuelle au centre du square des Innocents, aujourd’hui place Joachim-Du-Bellay5. Alors que l’architecture de la Fontaine des Innocents a été parfois attri- buée à Pierre Lescot, on considère aujourd’hui comme certain que Jean Goujon en fut à la fois l’architecte et le sculpteur6. Reprenant la caractéri- sation de la fontaine proposée par Naomi Miller7, Jacques Thirion l’a ré- cemment décrite comme un «monument d’un classicisme très pur [qui] avait l’aspect d’une élégante loggia destinée à servir de tribune aux specta- teurs privilégiés et aux notables sur le parcours triomphal du souverain»8. Présentant dans son premier état «beaucoup d’architecture pour peu d’eau»9, le décor sculpté de la fontaine a été interprété par Naomi Miller d’une part comme une référence à l’eau qui se refléterait dans les représentations des nymphes; se référant d’autre part aux bas-reliefs de l’attique dans lesquels le sculpteur aurait repris des éléments iconographiques du monde dionysiaque, elle a proposé d’y reconnaître un lien avec la mort et le cimetière des Saints- Innocents10. Selon Miller, dans cette combinaison de l’eau avec la mort «the ephemeral is transposed into something everlasting which in turn is con- stantly eroded by the everlasting stream»11.

4 Pour les compléments de Pajou voir J. Thirion, «La Fontaine…», 1990, pp. 139-142, fig. 135-137. Pour l’intervention de Quatremère de Quincy, voir E. Pommier, «Une intervention de Quatremère de Quincy», dans Les Saints-Innocents, éd. M. Fleury et G.-M. Leproux, Paris, 1990, pp. 145-157. 5 Voir le commentaire par F. Chr. Girot, «La fontaine des Innocents, Paris», Les car- nets du paysage, 1, printemps 1998, pp. 45-64, et les contributions concernant le dé- veloppement ultérieur du quartier dans M. Fleury et G.-M. Leproux, Les Saints-In- nocents, Paris, 1990. 6 Voir la discussion chez J. Thirion, «La Fontaine…», 1990, pp. 121-126. 7 N. Miller, «The form and meaning…», 1968, pp. 270-277; N. Miller, French Renais- sance…, 1977, pp. 121-150. 8 J. Thirion, «La Fontaine…», 1990, p. 126. Pour le possible modèle de la fontaine qui a été identifié sur une planche publiée par Serlio en 1537: P. du Colombier, Jean Gou- jon, 1949, pp. 56-57, pl. LXXVIII b-c; N. Miller, «The form and meaning…», 1968, fig. 17; N. Miller, French Renaissance…, 1977, p. 405, fig. 105; J. Thirion, «La Fon- taine…», 1990, pp. 126-127. 9 J. Thirion, «La Fontaine…», 1990, p. 126. 10 N. Miller, «The form and meaning…», 1968, pp. 276-277; repris par J. Thirion, «La Fontaine…», 1990, p. 127. Voir pour le cimetière et son histoire les contributions le concernant dans M. Fleury et G.-M. Leproux, Les Saints-Innocents, 1990. 11 N. Miller, «The form and meaning…», 1968, p. 276. 220 LORENZ E. BAUMER

Avant de revenir sur l’interprétation du monument et d’essayer de cer- ner son message, il semble utile d’étudier son décor un peu plus précisé- ment, en tenant aussi compte de son organisation dans l’architecture avec laquelle il forme un ensemble12. Les sculptures de la fontaine telles qu’elles furent conçues par Jean Goujon se divisent en quatre catégories: dans l’at- tique, les trois bas-reliefs montrent des amours sans ailes, assis sur des co- quilles et se divertissant avec des instruments de musique et leurs man- teaux13. Juste en-dessous, des victoires peuplent les angles de chaque arche14. Plus bas encore, et soigneusement adaptées à l’espace restreint entre les pilastres, cinq nymphes sveltes arrosent le sol15, alors que les trois bas- reliefs de l’orthostate montrent des Néréides allongées ou agenouillées dont celle de la façade de la rue Saint-Denis est associée à un Triton16. Chacune est par ailleurs accompagnée par un ou deux amours chevauchant des monstres marins. En somme, le décor sculpté de la fontaine montre dans son ensemble une structure hiérarchique et bien organisée. Comme on l’a constaté depuis longtemps, plusieurs figures de la fon- taine font une référence directe ou indirecte à l’art antique17. A part les victoires qui s’inspirent probablement de l’arc de Titus à Rome18, l’exemple le plus évident est présenté par le relief d’orthostate du côté de la rue Saint- Denis qui montre la reprise d’un sarcophage romain de Grottaferrata19. Le relief antique est représenté dans le Codex Escurialenses, et la composition de Goujon est si proche du dessin que celui-ci en avait probablement donné le modèle20. On constate néanmoins dans la comparaison du relief avec le dessin quelques changements qui méritent attention: le plus flagrant est le

12 On consultera en parallèle les descriptions détaillées et les illustrations que donne J. Thirion, «La Fontaine…», 1990, pp. 127-139, fig. 123-130, 132-134. 13 J. Thirion, «La Fontaine…», 1990, pp. 136-139, fig. 132-134. 14 P. du Colombier, Jean Goujon, 1949, pl. VIIIa; N. Miller, French Renaissance…, 1977, p. 398, fig. 96. 15 P. du Colombier, Jean Goujon, 1949, pl. VI; N. Miller, French Renaissance…, 1977, p. 393, fig. 89 (en mauvais ordre); J. Thirion, «La Fontaine…», 1990, pp. 127-131, fig. 123-127. 16 P. du Colombier, Jean Goujon, 1949, pl. VII; N. Miller, French Renaissance…, 1977, pp. 395-397, fig. 93-95; J. Thirion, «La Fontaine…», 1990, pp. 130-135, fig. 128-130. 17 Voir J. Thirion, «La Fontaine…», 1990 (n. 12) avec une discussion des propositions. 18 P. du Colombier, Jean Goujon, 1949, pl. LXIX. 19 P. du Colombier, Jean Goujon, 1949, pl. LXVIIb; A. Rumpf, Die Meerwesen auf den antiken Sarkophagreliefs, Die antiken Sarkophagreliefs (ASR) V, 1, Rome, 1969,

p. 66, no. 151, pl. 56; Ph. P. Bober et R. Rubinstein, Renaissance Artists & Antique Sculpture. A Handbook of Sources, Oxford, 1986, pp. 133-134, no. 102, fig. 102. 20 P. du Colombier, Jean Goujon, 1949, pl. LXVIIc-d; A. Rumpf, Die Meerwesen…,

1969, p. 3, no. 8, fig. 7; Ph. P. Bober et R. Rubinstein, Renaissance Artists …, 1986, p. 134, fig. 102a; J. Thirion, «La Fontaine…», 1990, p. 132, fig. 131. Jean Goujon et les modèles antiques 221 fait que Goujon a changé la coiffure et la position de la Néréide qui se tourne sur le bas-relief vers le Triton à son côté. On notera aussi le change- ment de la main gauche qui pointe vers son sein, un motif bien connu dans la sculpture antique en particulier pour des représentations d’Aphrodite ou de Vénus. Goujon a enfin modifié la tête du Triton qui porte sur le bas-relief une chevelure beaucoup plus longue et une couronne de roseaux. Ce dernier élément intrigue, comme les roseaux n’indiquent d’habitude pas dans l’art antique l’eau en général, mais plus précisément le Nil: on les trouve dans cette fonction sur des monnaies et des bas-reliefs, dans la pein- ture murale et les mosaïques, et enfin sur la base du fameux Nil du Vatican qui fut moulé peu avant la création de la Fontaine des Innocents par Prima- tice et était alors connu à Paris21. Il faut donc s’attendre à ce que le sculpteur ait utilisé le motif des roseaux – qui se retrouve par ailleurs de manière emblématique aussi au centre du bas-relief de l’attique de ce même côté – en connaissant leur connotation antique. Mais avant de passer à l’interprétation de la fontaine, il est essentiel d’étudier aussi les autres parties de sa décoration sculptée. Naomi Miller a proposé de reconnaître pour les amours assis ou agenouillés sur des co- quilles une référence aux sarcophages dionysiaques et ainsi à la mort. Mais même si cette proposition semble à première vue bien séduisante, il faut constater que des amours assis ne se trouvent en effet qu’assez rarement sur les sarcophages romains: on les voit d’habitude debout et occupés à toutes sortes de travaux, soit à la chasse, aux vendanges ou tenant des guirlandes22. Des représentations des amours en position assise n’apparaissent que dans deux catégories: tout d’abord, mais beaucoup moins souvent que l’on pour-

21 Rome, Musei Vaticani, Braccio Nuovo, inv. 2300: F. Haskell et N. Penny, Taste and the Antique. The Lure of Classical Sculpture 1500-1900, New Haven-Londres, 1981,

pp. 272-273, no. 65, fig. 142; Ph. P. Bober et R. Rubinstein, Renaissance Artists…, 1986, pp. 103-104, no. 67, fig. 67; M. Swetnam-Burland, «Egypt embodied. The Vat- ican Nile», American Journal of Archaeology, 113, 2009, pp. 439-457, fig. 1, 7-10. La fonte de Primatice: Paris, Musée du Louvre, inv. 3092. Pour les représentations an- tiques du dieu Nil en général voir M.-O. Jentel, «La représentation du dieu Nil sur les peintures et les mosaïques et leur contexte architectural», Echos du monde classique – Classical Views, 6, 1987, pp. 209-216 et M.-O. Jentel, dans Lexicon Iconographi- cum Mythologie Classicae (LIMC), VI, Zurich-Munich, 1992, pp. 720-726, article ‹Neilos›. 22 Voir P. Kranz, Die stadtrömischen Eroten-Sarkophage I: Dionysische Szenen mit Ausnahme der Weinlese- und Ernteszenen, Die antiken Sarkophagreliefs (ASR) V,2,1, Berlin, 1999 (scènes dionysiaques); D. Bielefeld, Die stadtrömischen Eroten-Sarko- phage II: Weinlese- und Ernteszenen, Die antiken Sarkophagreliefs (ASR) V,2,2, Berlin, 1997 (vendages); K. Schauenburg, Die stadtrömischen Eroten-Sarkophage III: Zirkusrennen und verwandte Szenen, Die antiken Sarkophagreliefs (ASR) V,2,3, Ber- lin, 1995 (cirque). 222 LORENZ E. BAUMER rait l’attendre, sur les sarcophages dionysiaques où ils chevauchent toutes sortes d’animaux, en particulier le tigre de Dionysos23. Ils sont beaucoup plus nombreux sur les sarcophages avec des Néréides et des monstres ma- rins dont plusieurs exemplaires étaient connus au XVIe siècle24. Les co- quilles aussi sur les bas-reliefs de l’attique ne renvoient pas au monde diony- siaque, mais se retrouvent surtout sur les sarcophages romains à scènes marines, et là d’habitude en combinaison avec des représentations de Vé- nus25. Selon cette tradition iconographique antique qui était à l’évidence connue au XVIe siècle, les amours assis sur leurs coquilles n’indiquent pas le monde de Dionysos et la vie heureuse dans l’au-delà, comma l’a proposé Naomi Miller, mais l’eau, importante pour la richesse d’un pays, et l’amour, le royaume de Vénus. Aussi l’analyse des nymphes, étroitement encadrées par les pilastres, fait découvrir quelques éléments qui n’ont pas encore attiré l’attention. On retiendra surtout que seulement quatre des cinq nymphes sont en train de verser de l’eau de leurs amphores, alors que celle qui est au centre de la fa- çade longue a déposé son vase au sol et tient dans ses mains un gouvernail. Il s’agit ici d’une figure d’une signification particulière, comme le révèle sa tête: alors que les autres nymphes portent des coiffures simples avec des boucles ondulées et des couronnes de roseaux, celle-ci est coiffée d’une per- ruque beaucoup plus complexe et d’un diadème. On notera enfin qu’elle ne regarde pas comme les autres le sol, mais tourne sa tête vers la gauche, en direction de la rue Saint-Denis. L’analyse montre que la composition des nymphes est dirigée par une symétrie assez stricte où celle qui est au centre de la façade de la rue aux Fers se distingue sous plusieurs aspects. L’importance particulière de cette figure est enfin confirmée par deux autres détails qui la relient en même temps à la Néréide du bas-relief d’or- thostate du côté de la rue Saint-Denis: les deux femmes ne portent pas seulement la même coiffure et le même diadème, mais se correspondent aussi dans le geste de leur main indiquant le sein nu, où Goujon a changé, comme on l’a vu plus haut, le modèle du sarcophage de Grottoferrata. Ce double parallèle qui distingue ces deux figures des autres femmes de la fon- taine ne peut pas être dû au hasard. Il ne s’agit ici probablement pas de pures figures de genre, mais elles font peut-être allusion à un personnage bien précis, ce qui pose – même si c’est nécessairement de manière assez spéculative – la question de sa possible identité.

23 Pour des exemples, voir P. Kranz, Die stadtrömischen…, 1999. 24 A. Rumpf, Die Meerwesen…, 1969 (Néréides) et pour l’iconographie des Néréides en général N. Icard-Gianolio et A.-V. Szabados, dans Lexicon Iconographicum Mythol- ogie Classicae (LIMC), VI, Zurich-Munich, 1992, pp. 785-824, article ‹Nereiden›. 25 Voir la note précédente pour des exemples. Jean Goujon et les modèles antiques 223

Dans sa description de la fontaine, Jacques Thirion a proposé avec quelque prudence que la fillette du bas-relief de l’attique de la rue Saint-De- nis et un des garçons-amours pourraient faire allusion aux deux premiers enfants du couple royal, le futur François II, né en 1544, et Elisabeth, née en 154626. La décoration sculptée de la fontaine symboliserait ainsi, outre l’eau qu’elle dispensait, «une image de la pérennité – souhaitée – de la dy- nastie»27. Selon cette proposition, il semblerait possible d’identifier la Né- réide du bas-relief de le rue Saint-Denis et la nymphe au centre de la façade de la rue aux Fers avec la reine Catherine de Médicis. Mais plusieurs éléments parlent plutôt en faveur de , maîtresse du roi et puissante rivale de la reine28. A part le rapprochement des deux figures en question avec Vénus dont le domaine est souligné par les amours, c’est la référence à l’Egypte comme elle se révèle dans les roseaux, qui favorise une telle interprétation: le pays du Nil est par exemple évoqué par les sphinges qui portent son sarcophage au Château d’Anet29 et, comme on le verra plus bas, aussi dans la Tribune des Caryatides. En somme, et sans pouvoir en donner une preuve définitive, il ne semble pas exclu de reconnaître dans la Néréide du bas-relief d’orthostate de la rue Saint-Denis et dans la nymphe centrale de la rue aux Fers une allusion à Diane de Poitiers. Quoi qu’il en soit, la composition soigneuse du décor sculpté ainsi que l’utilisation et l’adaptation visiblement réfléchies des modèles antiques soulignent la qua- lité de cette œuvre majeure de la sculpture française du XVIe siècle.

La Tribune des Caryatides

De pareilles questions se posent aussi pour les sculptures qui ornent la Tribune des Caryatides (p. 197, fig. 3) que Jean Goujon s’engagea à tailler en 155030. Le fait que les quatre statues féminines qui portent sur leur tête le poids de la balustrade sont inspirées – de manière directe ou indirecte – des Caryatides

26 J. Thirion, «La Fontaine…», 1990, p. 139. 27 J. Thirion, «La Fontaine…», 1990, p. 139. 28 Un lien de la Fontaine des Innocents avec Diane de Poitiers a été évoqué pour d’autres raisons aussi par N. Miller, «The form and meaning…», 1968, p. 276.

29 J. S. Curl, The Egyptian Revival. Ancient Egypt as the Inspiration for Design Motifs in the West, Milton Park-New York, 2005, p. 122, pl. 46. 30 P. du Colombier, Jean Goujon, 1949, pp. 95-98, pl. XXII-XXIII; J.-M. Pérouse de Montclos, «La tribune dite des Caryatides au Louvre. Essai d’interprétation », Revue de l’Art, 157, 2007, pp. 57-58; Y. Pauwels, «Athènes, Rome, Paris: la tribune et l’ordre de la Salle des Caryatides au Louvre», Revue de l’Art, 169, 2010, pp. 61-69. 224 LORENZ E. BAUMER de l’Erechthéion sur l’acropole d’Athènes est évident, alors que leur interpréta- tion n’a pas encore fait l’unanimité. Un problème particulier réside dans les vêtements que Goujon n’a pas repris des statues antiques, et qui ont suscité des interprétations divergentes dont on ne résumera ici que les plus récentes. Dans un article publié en 2007 dans la Revue de l’Art, Jean-Marie Pé- rouse de Montclos propose d’interpréter les statues comme des reprises par- tielles des copies romaines des Caryatides athéniennes qui ornaient le forum d’Auguste à Rome31. Avec cette référence romaine, le roi de France aurait voulu s’inscrire dans la tradition impériale romaine: comme dans la façade du Louvre «Henri II, qui prétendait à la couronne impériale, est présenté comme un nouvel Auguste»32. Dans l’ensemble sculpté se manifesterait par ailleurs «l’ambition des artistes de la Pléiade d’être reconnus comme des légitimes héritiers des Grecs, à l’instar d’Auguste et de Vitruve»33. L’argument a été partiellement modifié par Yves Pauwels dans un article publié dans cette même revue: refusant comme Pérouse de Montclos l’idée que Goujon et Lescot – ce dernier responsable de l’architecture de la Tribune – auraient pu avoir une connaissance directe du monument grec et proposant d’identifier l’habit des Caryatides de Goujon comme une stola, les statues à Paris seraient «habillées comme des matrones romaines, et n’ont rien de grec dans le vêtement»34. Après une analyse du décor architectonique pour lequel les meilleurs parallèles se trouvent à Rome, Pauwels conclut que

[…] la tribune des musiciens est donc beaucoup plus que la ‹tribune des caryatides›. Création composite associant de multiples références archéologiques, basilica Æmilia, temple de la ‹Fortune Virile›, temple de Mars Ultor et baptistère de Constantin, elle renvoie, au-delà des statues féminines elles-mêmes, à un ensemble de références ro- maines et impériales35.

La tribune en tant que telle serait à interpréter comme un «portique» sous la forme d’un arc de triomphe qui affirmerait «la transcendance de la mo- narchie française qui, non contente de revendiquer l’héritage impérial ro- main, prétend le dépasser»36. Même s’il n’est pas possible de revenir ici en détail sur ces deux inter- prétations, notons cependant que l’allusion proposée à un arc triomphal

31 Selon J.-M. Pérouse de Montclos, «La tribune…», 2007, p. 58: «A la Renaissance, certaines de ces statues [du forum d’Auguste] étaient encore visibles sur le site. […] Le modèle des Parisiennes devait être réduit à un torse, ce qui expliquerait que celles-ci ne ressemblent aux Athéniennes que par leurs parties hautes.» 32 J.-M. Pérouse de Montclos, «La tribune…», 2007, p. 58. 33 J.-M. Pérouse de Montclos, «La tribune…», 2007, p. 58. 34 Y. Pauwels, «Athènes, Rome…», 2010, p. 65. 35 Y. Pauwels, «Athènes, Rome…», 2010, pp. 66-67. 36 Y. Pauwels, «Athènes, Rome…», 2010, p. 68. Jean Goujon et les modèles antiques 225 romain surprend étant donnée l’absence de tout parallèle antique37, et s’il est probable que les copies du forum d’Auguste à Rome ont en effet livré le modèle concret, il faut s’attendre à ce que Goujon ait eu au moins une connaissance générale des Caryatides de l’Erechthéion d’Athènes, dont la première représentation conservée se trouve dans le Codex Berolinensis, réalisé en 1548 ou peu après38. Demeure néanmoins le problème posé par la transformation du péplos que portent les caryatides à Athènes et à Rome en un chiton avec des manches cousues, alors qu’un manteau couvre dans les sculptures de Goujon les jambes et les fesses et cache le sexe avec un grand nœud. Yves Pauwels propose d’identifier ce costume avec une stola romaine comme celle représentée sur le folio XIII du Teutsch de Walther Hermann Ryff, dont Goujon aurait eu connaissance39. Mais la stola – lar- gement fantaisiste – que propose la gravure est en réalité un péplos qui, fixé uniquement sur les épaules et laissant les bras nus, est combiné avec un manteau couvrant seulement le dos. La similitude de la gravure avec les caryatides du Louvre se réduit alors au nœud avec lequel les plis de l’apop- tygma du péplos sont resserrés devant les jambes et qui ne ressemble que de manière générale à celui qui noue les bouts du manteau des statues à Paris. En somme, la similitude semble trop ponctuelle pour qu’elle puisse justifier pour les caryatides de Goujon l’identification avec une stola. Une comparaison plus convaincante est fournie par le manteau noué de l’Ariane endormie du Vatican, connue à Paris par la fonte en bronze réali- sée par Primatice pour le château de Fontainebleau, comme l’a évoqué Hen- ri Lemonnier déjà en 190640. Dans la sculpture antique, le motif du man- teau noué devant le sexe est souvent utilisé pour des représentations de

37 Y. Pauwels («Athènes, Rome…», 2010, p. 68) propose que le trône du roi aurait été placé «sous son ‹tibunal› traité à la manière d’un arc de triomphe évoquant peut-être l’arc d’Auguste sur le Forum», ce qui aurait impliqué «de passer encore un stade dans l’élévation symbolique en imaginant des formes inédites illustrant le sublime de la monarchie française». Mais on peut se demander si cette allusion est compréhensible pour un spectateur connaissant des arcs de triomphes traditionnels avec lesquels la Tribune ne partage aucun élément. 38 Voir pour la bibliographie Y. Pauwels, «Athènes, Rome…», 2010, pp. 68-69, n. 24. 39 Y. Pauwels, «Athènes, Rome…», 2010, pp. 63-64, fig. 6. 40 H. Lemonnier, «Jean Goujon et la salle des cariatides au Louvre», Gazette des Beaux- Arts, 1906, 1, pp. 177-194 (p. 192): «mais surtout, si l’on examine l’Ariane couchée, rapportée par le Primatice, on y trouve presque le même agencement avec le nœud au côté droit». La proposition a été reprise par Fl. Bardati («Les Bronzes d’après l’antique de Fontainebleau et la sculpture française au milieu du XVIe siècle», Gazette des Beaux-Arts, 136, 2000, pp. 159-168) pour argumenter en faveur d’une influence sty- listique de Primatice sur Goujon. Pour l’Ariane voir aussi F. Haskell et N. Penny, Taste

and the Antique…, 1981, p. 4, fig. 5 et pp. 184-187, fig. 96; Ph. P. Bober et R. Rubin- stein, Renaissance Artists…, 1986, pp. 113-114, no. 79, fig. 79. 226 LORENZ E. BAUMER

Vénus: les seins ronds avec leurs mamelons prononcés41 ne renvoient pas alors à la sculpture de tradition grecque ou romaine proprement dite, mais évoquent des modèles de l’art égyptisant des périodes gréco-romaines. On rappellera enfin que l’Ariane endormie fut identifiée au XVIe siècle comme une représentation de Cléopâtre, reine d’Egypte, célèbre pour sa grande beauté et pour ses qualités érotiques. Avec cette double allusion à l’Egypte et à Vénus, se pose aussi pour la Tribune des Caryatides la question d’un lien possible du monument avec Diane de Poitiers. Un argument additionnel en sa faveur vient d’un détail iconographique qui n’a pas encore suscité d’intérêt, à savoir le voile que portent sur leur tête les Caryatides du Louvre et qui manque chez leurs sœurs à Athènes et à Rome42. Dans l’iconographie antique, la tête voilée indique d’habitude un contexte religieux ou cultuel, ce qui pose la question de l’utilisation de ce motif par Goujon. Une information utile dans ce contexte vient des sources littéraires sur la ville de Carya. Alors que Vitruve ne fait guère mention de la ville dans ses Dix livres sur l’architecture43, nous en trouvons une description détaillée chez Pausanias dans sa Description de la Grèce44:

Au troisième détour à main droite vous verrez un sentier qui mène à Caryès et à un temple de Diane; car tout ce lieu-là est consacré à Diane et aux nymphes; on y voit même une statue de Diane Caryatis qui est exposée à l’air, et autour de laquelle toutes les filles de Sparte viennent danser à certains jours de l’année, car ces danses sont pour elles un acte de religion. 41 Mises en évidence sur la photographie de profil que publie Y. Pauwels, «Athènes, Rome…», 2010, p. 66, fig. 12. 42 Voir l’image mentionnée dans la note précédente. 43 Voir la traduction française de Jean Martin, illustrée par Jean Goujon et dédiée en 1547 à Henri II: «Carya ville de Peloponnese, ou selon aucuns de la Morée region d’Asie la mineur, feit iadiz alliance avec les Persans communs ennemys de la Grece: parquoy les Grecz estans retournez victorieux de ceste entreprise, & a leur singulier honneur deliurez de ce grand danger, d’vn commun accord denoncerent la guerre aux Caryens: puis leur ville prise a force d’armes, les hommes meurdriz sans aucune mercy, & la ville entierement razee, les vainqueurs emmenerent femmes & filles en seruitude, & ne leur voulurent permettre de despouiller leurs habitz de dames, afin qu’elles ne feussent menees en vn seul triumphe, ains pour eternel exemple de captivité, estant chargees d’iniures & opprobres, feussent veues porter la peine de leurs parens, alliez, & mariz. A l’occasion de quoy, ceulx qui pour le temps d’adonc estoient Architectes, meirent en leurs edifices publiques les images de ces dames comme destinees a suppor- ter le faix, afin que la punition du forfaict des Caryens, feust congneue, & serueist d’exemple a toute la posterité.» (Vitr. I 1,5). Pour cette édition voir aussi T. Uetani et H. Zerner, «Jean Martin et Jean Goujon en 1545. Le Manuscrit du Premier livre d’Architecture de Marc Vitruve Pollion», Revue de l’Art, 149, 2005, pp. 27-32. 44 Paus. 3.10.7 ; voir aussi Paus. 4.16.9. Je remercie François Queyrel de m’avoir rappelé ce passage. Jean Goujon et les modèles antiques 227

Le texte de Pausanias était connu en Europe à partir du XVe siècle et a trouvé sa première édition intégrale imprimée et traduite en latin par Ama- seo en 154745; il faut alors s’attendre à ce qu’il ait été connu à Paris. Avec l’ajout du voile, Goujon a éventuellement voulu donner une référence encore plus concrète aux danseuses de Carya qui honoraient les nymphes et sur- tout Artémis-Diane dans leur culte. On rappellera en même temps que la tribune des Caryatides (ou ‹des musiciens›) – quelle que soit sa fonction précise46 – a décoré une salle de bal et de danse. Il semble presque inutile de souligner le lien qui s’établit ainsi entre l’Artémis-Diane de Carya et Diane de Poitiers, représentée à plusieurs reprises comme Diane chasseresse. Si cette lecture est confirmée, les Caryatides de Jean Goujon présentent plusieurs éléments qui les lient à la personnalité de Diane de Poitiers, en évoquant Vénus, l’Egypte et enfin la déesse homonyme. Comme dans les sculptures de la Fontaine des Innocents, il ne s’agit pas d’une simple reprise d’un modèle antique, mais d’une adaptation réfléchie pour honorer discrè- tement l’influente maîtresse du roi.

45 C. Guilmet, «The Dissemination of the Periegesis in Print, 16th-17th Centuries», dans Following Pausanias. The Quest for Greek Antiquity, éd. M. Georgopoulou et al., Athènes, 2007, pp. 88-95 (p. 88, fig. 1-2). 46 Y. Pauwels, «Athènes, Rome…», 2010, p. 68: «du reste, il devait être bien compliqué d’y faire monter des musiciens».