LEXIQUE LA SAGOUINE F Faine : Gland De Hêtre
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LE CAHIER DES CURIEUX LA SAGOUINE UN TEXTE D’ANTONINE MAILLET, MIS EN SCÈNE PAR PATRICK OUELLET ABÉCÉDAIRE DE L’UNIVERS J. « Je me penche sur Radi, ma mémoire, l’enfant que je n’ai jamais cessé de traîner DE LA SAGOUINE avec moi et qui fait semblant de ne pas voir venir la fin. » « J’ai pris la décision de fermer les portes de mon cerveau, de laisser vraiment parler mon - A. Maillet, tiré du documentaire inconscient, mon subconscient, de laisser venir de Ginette Pellerin ce qui allait sortir d’instinct, que je possédais Radi, c’est son double, c’est Madame Maillet enfant et qui était moi. Je me suis dit : si j’ai vraiment avec qui elle discute souvent. L’enfant qui la ramène quelque chose à dire, ça va venir, si j’ai rien sur le droit chemin, qui la corrige. à dire, ça viendra pas et je me tairai. C’était mon test ultime. Et j’ai écrit La Sagouine. » Radi, c’est l’alter ego d’Antonine Maillet âgée de 10 ans qui apparaît dans une de ses premières oeuvres, A. Maillet On a mangé la dune, en compagnie de Radegonde, sa version adulte et vieillissante. Antonine Maillet, A. Acadie qui a l’habitude de dialoguer avec ses personnages, y met en scène cette relation qu’elle entretient avec D’abord habité par les peuples Mi’kmaq et Malécites, eux. le territoire acadien est identifié par des explorateurs européens au XVIe siècle qui l’appelle « Arcadie » Radi est certainement le personnage qui l’habite le qui signifie « paradis » en grec antique. Il inclut alors plus avec qui elle discute le plus. Assurément, elle la Nouvelle-Écosse, Terre-Neuve et le Nouveau- est dans sa tête, mais l’entend-elle vraiment ? Quoi Brunswick actuel. C’est en Acadie, sur l’île de la qu’il en soit, il s’agit très certainement d’un mélange Croix, située en plein cœur de la Rivière de la Croix, entre créer ce qu’elle entend et entendre de ce qui sépare le Nouveau-Brunswick du Maine, que qu’elle crée. les premiers colons s’installent en compagnie de Samuel de Champlain et Pierre Du Gua en 1604. K. Kent L’hiver est désastreux et ils décident de s’installer à Nommé en l’honneur de Prince Edward, duc de Kent Port-Royal de l’autre côté de la baie en 1605. et de Strathearn, le comté de Kent, au Nouveau- En 1613, les guerres territoriales commencent entre Brunswick est celui qui englobe la municipalité de les Anglais et les Français alors que des Anglais Bouctouche. La municipalité compte une population remontent la côte en partance de la Virginie. Ils de 2 361 âmes dont 90 % d’entre elles sont franco- appellent l’Acadie « Nouvelle-Écosse » et y chassent phones au moment du recensement de 2016. Dans les colons français pour y installer des colons écos- tout le comté, 69 % des 30 475 citoyens s’expriment sais. Le territoire repassera des mains des Anglais fièrement en français. Le territoire, d’abord occupé aux mains des Français et vice versa à six reprises par les Mi’kmaqs et d’autres premières nations, entre 1632 et 1713. Cent ans pendant lesquels les accueille ensuite les premiers colons français : les Acadiens sont toujours pris entre les deux clans et Acadiens. Il sera ensuite occupé par les Anglais, évitent de prendre parti pour ne pas s’attirer de repré- qui le peupleront avec les loyalistes venus du sud et sailles. En 1713, à la signature du traité d’Utrecht, les des immigrants irlandais et écossais. Il sera finale- Français cèdent l’Acadie aux Anglais, ce qui équivaut ment repris par les Acadiens lors de leur retour dans alors au territoire de l’actuelle Nouvelle-Écosse, du les années 1760. Cette succession d’occupants fait Nouveau-Brunswick, de la Gaspésie et du Maine. Ils en sorte qu’aujourd’hui, l’héritage est vaste dans le conservent donc l’Île Saint-Jean ( maintenant l’Île-du- comté de Kent où la tradition orale recèle encore Prince-Édouard, appelée Epekwitk par les Mi’kmaq ) plusieurs secrets. et l’Île Royale ( actuelle Île du Cap-Breton ) et y L. Langue de la Sagouine installent leur nouveau poste de pêche à Louisbourg, la nouvelle capitale. Au début du XIXe siècle, les Acadiens n’ont encore aucune institution qui leur est propre, les écoles fran- Jusqu’en 1744, l’Angleterre ne fait presque aucun cophones sont rares et les enseignants sont pour la effort de colonisation, ce qui permet à la population plupart des maîtres d’école itinérants se promenant acadienne de s’accroître très rapidement. À partir de de village en village. Le transfert de savoir acadien 1745, les tensions se raniment entre les deux pays se fait donc oralement. Ayant été isolés, autant des rivaux, poussant les Anglais à investir davantage les Français que des Anglais suite à la colonisation et territoires par crainte d’une éventuelle invasion. En à toutes les guerres de territoires, les Acadiens ont 1755, commence la déportation des communautés conservé le même français que celui des premiers acadiennes ( voir Déportation ) qui dure jusqu’à la colons arrivés au début du XVIIe siècle. victoire des Anglais, en 1763. Les Anglais s’appro- prient alors le territoire et éliminent tout l’héritage Dans le cadre de ses recherches de doctorat, acadien et autochtone. Ils commencent par unifier Madame Maillet entreprend un voyage autour de le territoire pour former la Nouvelle-Écosse ( N.E. ), l’Acadie pour aller à la rencontre des gens et de mais vont finalement y détacher l’Île Saint-Jean en leur langue. En conjuguant l’étude de Rabelais 1769 ( qui deviendra l’île du Prince-Édouard ( I.-P.-É ) ( 1494-1553 ), auteur humaniste de la renaissance, en 1799 ). Le Nouveau-Brunswick ( N.B. ) sera aussi et la tradition orale acadienne, elle découvre que la séparé en 1784. Les Acadiens vont revenir tran- langue acadienne comporte au moins 500 mots qui quillement et reprendront péniblement possession sont propres à l’époque de Rabelais. Contrairement de leurs terres à partir de 1763. Quarante ans plus au chiac, qui emprunte à l’anglais, l’acadien est une tard, ils sont environ 8500 répandus au N.-B., en langue qui descend directement du français du N.-E. et à l’I.-P.-É. Au tournant du siècle suivant, on XVIIe siècle et à laquelle les Acadiens ont ajouté en compte alors 140 000. Malgré leur étendue, les un accent particulier, un accent de la mer comme communautés acadiennes s’unissent en convention l’explique l’autrice. à partir de 1881, ce qui leur permettra de discuter d’enjeux comme le développement agricole, l’édu- « Quand elle ( la Sagouine ) dit Barguigné, elle ne cation en français et le clergé acadien, permettant le traduit pas de bargain, elle donne le vieux mot, ainsi le maintien d’une communauté unie et forte. Ils qui était barguigné que les Anglais nous ont pris. » mettront sur pieds la Société nationale de l’Acadie, se doteront d’un drapeau, d’une fête nationale, d’une A. Maillet, en entrevue avec devise et d’un hymne national, symbole de leur fierté Marie-Louise Arsenault. et résilience. L’acadien de la Sagouine est aussi teinté par sa B. Bouctouche classe sociale, son statut et son éducation. Ce sont les mêmes distinctions que les Québécois font « Il y avait tout à Bouctouche pour aussi avec leur français, le joual, qui se décline en stimuler la créativité » plusieurs variétés et plusieurs niveaux de langue. La Sagouine joue ainsi un rôle fondamental dans l’élar- A. Maillet, en entrevue avec gissement de la vision qu’on se fait du français, et Marie-Louise Archambault permet à différentes variétés d’exister. Inspiration première d’Antonine Maillet pour tous ses M. Maillet, Antonine personnages, cette petite ville côtière du Nouveau- Brunswick est celle qui a vu naître et grandir l’autrice. Le parcours impressionnant d’Antonine Maillet Son nom, à l’origine Chebooktoosk, a été donné par débute à Bouctouche le 10 mai 1929. Née dans la communauté Mi’kmaqs. Il signifie « grand petit une famille de neuf enfants, elle est entourée de havre » puisque le village est le plus grand des petits parents qui l’encouragent dans sa créativité. Enfant, havres de pêcheurs. Comme ses personnages, elle raconte déjà des histoires et elle se met à l’écri- Antonine Maillet est, elle aussi, grandement influen- ture dès qu’elle le peut. Ses deux parents, maîtres cée par son environnement, et son village, devenu d’école, lui donnent une éducation riche et l’encou- ville au fil du temps. Encore aujourd’hui Madame ragent à développer sa curiosité. Elle deviendra Maillet confie que tous ses rêves prennent vie dans ainsi enseignante, suite à l’obtention de son bacca- la cuisine de sa jeunesse à Bouctouche. lauréat, en acceptant la mission de participer à la survie de l’Acadie. Avant son départ pour Montréal en 1970, Antonine Maillet se concentrera davantage « C’est dire qu’i’ y a de quoi, dans la terre qui t’a mis sur sa carrière académique ; les années 60 seront au monde, qui te r’semble. consacrées à ses études aux cycles supérieurs Une parsoune, c’est un petit brin coume un âbre ou lors desquels elle approfondira ses recherches sur un animau : a’ finit par prendre la couleur de la terre Rabelais et la tradition acadienne. Elle partira pour qui l’a nourrie. J’avons la peau brune et un petit brin Paris en 1962, puis reviendra au Nouveau-Brunswick craquée ; et à mesure que je vieillizons, j’avons des pour poursuivre l’enseignement à l’Université de seillons dans la face coume un jardinage.