Les identités territoriales à , 15 ans après la fusion municipale

Louis-Philippe Morin

Thèse de maîtrise soumise à l’intention de la Faculté des études supérieures et postdoctorales dans le cadre des exigences du programme de maîtrise en géographie

Département de géographie Faculté des Arts Université d’Ottawa 4 juillet 2017

© Louis-Philippe Morin, Ottawa, Canada, 2017

Résumé Avant 2002, l’Outaouais urbain était composé de cinq municipalités autonomes. Or, le gouvernement du Québec a imposé la fusion de plusieurs municipalités faisant partie d’agglomérations urbaines en adoptant le projet de loi 170. En Outaouais, les villes d’Aylmer, Buckingham, Gatineau, Hull et Masson-Angers ont été regroupées pour ne former qu’une seule entité, la Ville de Gatineau. Cette recherche a pour objectif de comprendre comment les identités territoriales des citoyens qui ont vécu ce changement ont pu être influencées par la modification de la structure du territoire sur lequel se déroule une grande partie de leurs interactions sociales au quotidien. Les réponses fournies par 152 participants d’Aylmer et de Masson par l’entremise d’une enquête par questionnaire nous ont permis de dresser un portrait intéressant du point de vue des citoyens qui habitent deux secteurs périphériques de la ville de Gatineau. Somme toute, nous avons pu constater que les citoyens qui ont connu la fusion municipale ne s’identifient pas fortement à la nouvelle ville et qu’ils demeurent ancrés à leur ancienne municipalité.

Abstract Prior to 2002, the urban Outaouais region consisted of five autonomous municipalities before the government imposed the merger of several municipalities in the urban areas throughout the province by adopting the Bill 170. In Outaouais, the cities of Aylmer, Buckingham, Gatineau, Hull and Masson-Angers were combined to create the City of Gatineau. This research aims to understand how the territorial identities of the citizens who have experienced this change may have been influenced by the modification in the structure of the territory on which a large part of their daily social interactions take place. The answers provided by 152 participants from Aylmer and Masson through a questionnaire survey enabled us to draw an interesting portrait of the citizens living in two peripheral areas of the City of Gatineau. All in all, it was found that citizens do not identify strongly with the new city and remain anchored to their former municipalities.

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Remerciements Avant de présenter le fruit de mon travail, je tiens à remercier tous les participants et les participantes qui ont accepté de répondre au questionnaire. Sans votre précieuse collaboration, cette thèse n’aurait pu voir le jour. Je ne serai jamais assez reconnaissant envers Anne Gilbert et Marc Brosseau d’avoir accepté de superviser conjointement mon projet. Un immense merci ! Un immense merci pour votre grande disponibilité et vos conseils. Le calme et l’esprit critique dont vous faisiez preuve, lorsque venait le temps de dissiper mes interrogations, m’auront impressionné jusqu’à la toute fin. Je porte en haute estime les apprentissages que j’ai faits en vous côtoyant depuis les deux dernières années et je compte bien les utiliser à l’avenir. Sans vouloir minimiser la contribution de Marc, je tiens à te remercier Anne, pour l’étroit suivi que tu t’es engagée à faire avec moi dans les derniers mois. J’ai pu apprendre que la rédaction d’une thèse de maîtrise comporte son lot de hauts et de bas et tu as su me rassurer et me réorienter aux bons moments. Je tiens aussi à remercier Brian Ray et Kenza Benali d’avoir accepté de faire partie de mon jury. Vos commentaires et les discussions ayant suivi la proposition m’ont fourni des pistes de réflexion tout au long du projet. Je souhaite aussi remercier Brian pour sa disponibilité lorsqu’est venu le temps de parler de statistiques.

Je me dois également de remercier le Régime des Bourses d’études supérieures de l’Ontario pour l’appui financier qui m’a permis de consacrer tout mon temps à ce projet de recherche. Je souhaite également remercier Martin Mageau pour les cartes ainsi que Sarah Bouladier et Lisa Brunet pour la traduction du questionnaire. Je tiens aussi à souligner le regard critique porté par mon ami Francis Carrière à plusieurs moments de la rédaction. Je veux aussi remercier les nombreuses personnes qui ont contribué de près ou de loin à la concrétisation de ma thèse. En terminant, je n’aurais pas été en mesure de compléter ce projet sans le soutien moral de ma famille et de mes amis. Merci.

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Table des matières Introduction ...... 1

Chapitre 1 —L’Outaouais et les fusions municipales ...... 4 1.1. Historique d’Aylmer ...... 4 1.2. Historique de Masson ...... 6 1.3. L’Outaouais urbain de 2000 à aujourd’hui ...... 7 1.4. Les fusions municipales au Québec ...... 10 1.5. Les réactions sur le territoire gatinois ...... 12 1.5.1. Des arguments politiques...... 13 1.5.2. Des arguments économiques ...... 15 1.5.3. Des arguments identitaires...... 15 1.5.4. Des arguments linguistiques ...... 17 1.5.5. Deux courants en opposition ...... 17 1.6. Choix du nom de la nouvelle ville ...... 18 1.7. Les référendums pour la défusion ...... 20 1.8. Les fusions ailleurs ...... 21

Chapitre 2 — Identité territoriale ...... 23 2.1. Identité personnelle et collective ...... 23 2.2. Identité dynamique et plurielle ...... 24 2.3. Identité et territoire ...... 25 2.4. Le rôle du pouvoir ...... 26 2.5. Le rôle de l’imaginaire ...... 27 2.6. Éléments de réflexion ...... 28

Chapitre 3 — Cadre conceptuel ...... 30 3.1. Questions de recherche ...... 32

Chapitre 4 — Méthodologie...... 35 4.1. La collecte des données ...... 35 4.1.1. L’enquête par questionnaire ...... 35 4.1.2. La composition du questionnaire ...... 36 4.2. L’échantillon recherché ...... 38 4.3. La collecte des données ...... 40

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4.3.1. Collecte des données à Masson ...... 41 4.3.2. Collecte des données à Aylmer ...... 41 4.4. Considérations éthiques et consentement ...... 42 4.5. Conservation des données ...... 43 4.6. Analyse des données ...... 43

Chapitre 5 —D’une périphérie à une autre...... 45 5.1. Profil des participants ...... 45 5.1.1. Profil linguistique ...... 45 5.1.2. Profil démographique ...... 46 5.1.3. Origines et parcours résidentiels des participants ...... 47 5.2. Les pratiques des participants ...... 49 5.2.1. Achats ...... 50 5.2.2. Loisirs et sports ...... 51 5.2.3. Sorties ...... 52 5.2.4. Famille et amis ...... 53 5.2.5. Lieu de travail ...... 54 5.3. Les représentations de la ville ...... 56 5.3.1. Le centre-ville selon les participants ...... 56 5.3.2. Le nom de la ville ...... 59 5.3.3. Changer le nom de sa ville ? ...... 60 5.4. Degré d’identification à la ville et aux secteurs ...... 62 5.5. La fusion municipale ...... 64 5.5.1. Position au moment de la fusion ...... 64 5.5.2. Niveau de satisfaction actuel ...... 65 5.6. Un portrait de la ville mitigé ...... 66 5.6.1. Les commerces, les sports et la nature...... 67 5.6.2. Lieux peu appréciés ...... 68 5.7. Des mots révélateurs ...... 69 5.7.1. Patrimoine culturel et naturel ...... 69 5.7.2. Ambiance et milieu de vie ...... 70 5.7.3. Superficie de la ville ...... 70 5.7.4. Croissance et administration ...... 71

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5.8. Gains et pertes issus de la fusion municipale ...... 72 5.8.1. Taxes, services et commerces ...... 72 5.8.2. Statut de la nouvelle ville ...... 74 5.8.3. Facteurs administratifs ...... 74 5.8.4. Des secteurs négligés ...... 75 5.8.5. Perte d’autonomie et de représentation politique ...... 76 5.8.6. Pertes identitaires et communautaires ...... 77 5.8.7. Déception, résignation et mécontentement ...... 78

Chapitre 6 —Des centres devenus périphériques...... 80 6.1. Des Massonnois bien enracinés ...... 80 6.1.1. Préparation à la fusion ...... 81 6.1.2. Position de la municipalité ...... 82 6.1.3. Un enracinement de longue date ...... 83 6.1.4. Le centre-ville est à Masson ...... 84 6.1.5. Une grande ville à laquelle on s’identifie peu ...... 85 6.1.6. Un toponyme difficile à adopter ...... 87 6.1.7. Injustice et déficit politique ...... 88 6.1.8. Perte identitaire ...... 89 6.1.9. Une grande ville tronquée...... 91 6.1.10. La tendance d’une minorité ...... 92 6.1.11. La fusion et les Massonnois ...... 93 6.2. Un goût amer pour les Aylmerois ...... 94 6.2.1. En route vers le projet de loi 170 ...... 95 6.2.2. Un vécu révélateur ...... 96 6.2.3. Aylmer, le Plateau et Ottawa ...... 97 6.2.4. Un centre-ville périphérique ...... 98 6.2.5. Des citoyens insatisfaits...... 99 6.2.6. Des constructions résidentielles dérangeantes ...... 101 6.2.7. Perte communautaire ...... 103 6.2.8. Injustice politique ...... 103 6.2.9. Gatineau ? ...... 105 6.2.10. L’enjeu linguistique ...... 106

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6.2.11. Les Aylmerois sont mécontents ...... 107

Chapitre 7 — Réflexions et conclusions ...... 109 7.1. L’Indice relatif du bonheur (IRB)...... 110 7.2. Âge des participants ...... 111 7.3. Le centre-ville ...... 112 7.4. Un jeu de frontières ...... 113 7.5. Limites du questionnaire ...... 114 7.6. Portée de la recherche et pistes de recherches ...... 115 Bibliographie ...... 118 ANNEXE A — QUESTIONNAIRE (FRANCOPHONE ET ANGLOPHONE) ...... 127 ANNEXE B — PÉRIMÈTRE PARCOURU À AYLMER ...... 138 ANNEXE C — PÉRIMÈTRE PARCOURU À MASSON ...... 140 ANNEXE D — GRILLE DE COMPILATION ...... 142 ANNEXE E — PRÉSENTATION DU QUESTIONNAIRE ...... 144 ANNEXE F — CERTIFICAT D’ÉTHIQUE ...... 146 ANNEXE G — TABLEAUX COMPLÉMENTAIRES ...... 148

Liste des figures Figure 1-Les régions de l’Outaouais...... 7 Figure 2-Les municipalités de la CUO qui sont devenues Gatineau ...... 8 Figure 3 — Schéma conceptuel ...... 32 Figure 4 — Emplacement du centre-ville selon les Aylmerois ...... 57 Figure 5 — Emplacement du centre-ville selon les Massonnois ...... 58 Figure 6 — Degré d’identification des Massonnois à Masson selon leur degré d’identification à la Ville de Gatineau ...... 83 Figure 7 — Degré d’identification des Massonnois à la Ville de Gatineau selon leur niveau de satisfaction actuel à l’égard de la fusion municipale ...... 86 Figure 8 — Position des Massonnois envers la fusion municipale en 2002 selon leur niveau de satisfaction actuel à son égard ...... 87 Figure 9 — Degré d’identification des Massonnois à la Ville de Gatineau selon leur degré d’acceptation du toponyme Gatineau ...... 88 Figure 10 — Degré d’identification des Aylmerois à Aylmer selon leur niveau d’identification à la Ville de Gatineau ...... 96 Figure 11 — Degré d’identification des Aylmerois à la Ville de Gatineau selon leur niveau de satisfaction actuel à l’égard de la fusion municipale ...... 100

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Figure 12 — Position des Aylmerois envers la fusion municipale en 2002 selon leur niveau de satisfaction actuel à son égard ...... 100 Figure 13 — Degré d’identification des Aylmerois à la Ville de Gatineau selon leur degré d’acceptation du toponyme Gatineau ...... 106 Figure 14 — Langue maternelle des Aylmerois selon leur degré d’acceptation du toponyme Gatineau ...... 107

Liste des tableaux Tableau 1 — Portrait démographique des anciennes municipalités (2001 et 2011) ...... 9 Tableau 2 — Résultats du référendum pour le démembrement du 20 juin 2004 ...... 21 Tableau 3 — Compte-rendu du porte-à-porte à Masson ...... 41 Tableau 4 — Compte-rendu du porte-à-porte à Aylmer ...... 42 Tableau 5 — Langue maternelle des participants selon le secteur ...... 46 Tableau 6 — Sexe des participants selon le secteur ...... 46 Tableau 7 — Âge des participants selon le secteur ...... 47 Tableau 8 — Lieux où les participants ont grandi selon le secteur ...... 48 Tableau 9 — Durée de séjour des participants selon le secteur ...... 48 Tableau 10 — Durée de séjour des participants dans leur domicile actuel selon le secteur ...... 49 Tableau 11 — Lieux où les achats des participants s’effectuent selon le secteur ...... 50 Tableau 12 — Lieux où les sports et les loisirs des participants s’effectuent selon le secteur .... 51 Tableau 13 — Lieux de sorties des participants selon le secteur ...... 53 Tableau 14 — Lieux où se déroulent les activités familiales et amicales des participants selon le secteur ...... 54 Tableau 15 — Lieux de travail des participants selon le secteur ...... 55 Tableau 16 — Localisation du centre-ville selon les participants ...... 57 Tableau 17 — Degré d’acceptation du toponyme Gatineau des participants selon le secteur ..... 59 Tableau 18-Les noms que les participants auraient choisis pour la nouvelle ville selon le secteur ...... 61 Tableau 19 — Portrait détaillé des noms proposés pour la nouvelle ville ...... 61 Tableau 20 — Degré d’identification des participants à la Ville de Gatineau selon le secteur.... 62 Tableau 21 — Degré d’identification des participants à leur secteur résidentiel ...... 63 Tableau 22 — Position des participants envers la fusion en 2002 ...... 64 Tableau 23 — Niveau de satisfaction actuel des participants à l’égard de la fusion municipale . 65 Tableau 24 — Niveau de satisfaction actuel du voisinage à l’égard de la fusion municipale selon les participants ...... 66 Tableau 25 — Évolution démographique de Masson-Angers (1897-2016) ...... 80 Tableau 26 — Évolution démographique d’Aylmer (1891-2016) ...... 94

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Les identités territoriales à Gatineau, 15 ans après la fusion

En 2001, le gouvernement du Québec, alors dirigé par le Parti québécois, a adopté le projet de loi 170 dont l’un des buts était de réduire le nombre de municipalités dans la province. En agissant ainsi, le gouvernement comptait également réaliser des économies d’échelles et prévenir l’étalement urbain. Ce projet de loi a mené à la création de plusieurs grandes villes, dont Montréal, Québec et Gatineau. En effet, en date du 1er janvier 2002, les municipalités d’Aylmer, de Buckingham, de Gatineau, de Hull et de Masson-Angers, ainsi que la Communauté urbaine de l’Outaouais (CUO), au sein de laquelle siégeaient ces cinq villes, ont été regroupées en une seule entité politique qui s’est vue octroyer le toponyme Gatineau.

Le caractère forcé des fusions municipales québécoises a suscité de vives protestations dans plusieurs villes. À Montréal ce sont surtout les communautés anglophones qui ont craint pour leur participation citoyenne dans le milieu politique municipal (Douay, 2010; Pierrevelcin, 2007; Latendresse, dans Jouve et Booth, 2004). Le caractère forcé des fusions québécoises n’est pas sans rappeler celles survenues en Ontario quelques années auparavant. En effet, les villes de Toronto et d’Ottawa ont respectivement été créées en 1998 et en 2001. D’ailleurs, les arguments avancés, comme le nombre trop important de municipalités et les économies d’échelle ont aussi été mobilisés dans cette province (Frisken, 2007).

Du côté québécois, le Parti libéral du Québec (PLQ), qui agissait alors à titre d’opposition officielle, a promis aux municipalités qui s’opposaient aux fusions municipales qu’il leur permettrait de procéder à des référendums populaires s’il prenait le pouvoir lors des élections générales de 2003. Ayant remporté l’élection, le PLQ a tenu sa promesse, partiellement diront certains, et a permis la tenue de référendums populaires dans les villes désirant récupérer une partie de leur autonomie. À Gatineau, toutes les anciennes municipalités, à l’exception de celle de Gatineau, se sont prévalues de cette démarche. Toutefois, ce sont les «fusionnistes» qui l’ont emporté dans les quatre cas. Par contre, la tension est montée à un niveau plus élevé qu’ailleurs à Masson-Angers où le référendum avait initialement été remporté par les «défusionnistes», mais un recomptage judiciaire est venu renverser le résultat.

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Ce projet porte un intérêt particulier aux identités territoriales des citoyens issus des municipalités touchées par le projet de loi 170. La recherche s’intéresse spécifiquement aux anciennes municipalités d’Aylmer et de Masson-Angers où les citoyens ont manifesté une opposition plus marquée qu’ailleurs dans l’Outaouais urbain. À l’ouest, l’ancienne ville d’Aylmer était et est toujours caractérisée par la présence d’une communauté anglophone relativement importante qui forme environ 30 % de sa population. À l’est, Masson-Angers se trouve en périphérie du noyau plus urbain constitué par Gatineau et Hull et peut être considéré comme étant une banlieue. Cette recherche vise donc à observer, décrire et comprendre comment les citoyens gatinois ayant connu les anciennes municipalités d’Aylmer et de Masson-Angers vivent avec la réalité de la fusion 15 ans plus tard.

La fusion municipale de Gatineau est sans contredit d’un grand intérêt pour les sciences politiques et les études urbaines (Tindal et al., 2012; Delorme, 2005). Elle l’est aussi pour la géographie. En effet, au-delà des considérations politiques et économiques qui ont été et qui sont encore largement traitées, les fusions municipales concernent d’abord et avant tout les relations qui unissent les citoyens aux lieux et aux espaces, une question éminemment géographique. Dans cette étude, nous nous attachons à la façon dont les citoyens réagissent lorsque des changements radicaux, comme ceux créés par une fusion municipale, sont portés à la structure d’un territoire sur lequel se déroule une grande partie de leurs interactions sociales au quotidien.

C’est en donnant une place centrale au concept d’identité territoriale que nous avons décidé de mener cette recherche. Le lien entre l’identité et le territoire est indéniable (Stock, 2006; Di Méo, 2004; Cresswell, 2004; Relph, 1976). Ainsi, ce concept se prête bien au contexte des fusions municipales qui impliquent directement les citoyens et la municipalité qu’ils habitent. En effet, le caractère socialement construit du territoire, et donc par le fait même des municipalités, trouve sa pertinence dans le cadre de ce projet étant donné que c’est à l’intérieur des limites d’un ou de plusieurs territoires que la vie d’un individu se déroule. Autrement dit, la municipalité est un cadre spatial intéressant à considérer pour mieux comprendre les identités territoriales.

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Au bout du compte, ce projet accorde une importance à des dimensions moins bien connues des effets des fusions municipales, soit à leurs dimensions territoriales, pourtant centrales lorsque vient le temps de comprendre le rapport des citoyens à la ville. La recherche porte un intérêt à la façon dont les citoyens se représentent au sein de leur ville, mais aussi comment ils se représentent cette dernière à la suite des changements de structures survenus.

Une enquête par questionnaire a été menée auprès de 152 citoyens gatinois pendant l’été 2016. Les participants devaient être majeurs au moment de la fusion et avoir vécu dans les anciennes municipalités d’Aylmer ou de Masson-Angers. Ils devaient répondre à une vingtaine de questions concernant leur ville, leurs pratiques et leurs opinions concernant la fusion municipale. Il s’avérera que l’échantillon sera surtout composé d’individus âgés de plus de 50 ans.

Le premier chapitre du document qui suit présente le contexte entourant les fusions municipales ainsi qu’un bref historique des anciennes municipalités d’Aylmer et de Masson-Angers. Le second chapitre dresse quant à lui une revue de la littérature concernant les identités territoriales avant de laisser place au troisième chapitre qui annonce le cadre conceptuel ainsi que les questions de recherche qui guident le projet. Le quatrième chapitre est consacré à la description de la méthodologie employée tandis que le cinquième expose les résultats bruts. Un sixième chapitre est en fait l’analyse des résultats issus des deux anciennes villes d’Aylmer et de Masson. Finalement, le septième et dernier chapitre propose des réflexions ainsi que les conclusions tirées de cette enquête.

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Chapitre 1 —L’Outaouais et les fusions municipales Avant de présenter les résultats, ce chapitre compte informer le lecteur de ce qu’était et de ce qu’est devenue la région urbaine de l’Outaouais. Il prévoit aussi informer au sujet des fusions municipales survenues au début des années 2000. Ainsi, ce premier chapitre comprend huit sections distinctes. Les deux premières entendent dresser un bref historique des anciennes municipalités d’Aylmer et de Masson. La troisième partie a pour but de décrire la situation sociodémographique qui prévalait dans l’Outaouais urbain au tournant des années 2000, mais aussi aujourd’hui. La quatrième section propose une chronologie des évènements ayant mené aux fusions municipales québécoises issues du projet de loi 170.

En ce qui concerne la cinquième partie, elle énumère certains des arguments, favorables ou non à la fusion, qui ont été mobilisés par les citoyens des anciennes municipalités de l’Outaouais urbain. La sixième partie concerne quant à elle le débat entourant le choix du nom de la nouvelle ville qui a fait partie des enjeux importants. La septième partie traite des référendums tenus pour la défusion des municipalités. Finalement, la dernière partie fait état de cas de fusions municipales survenues ailleurs qu’à Gatineau.

1.1. Historique d’Aylmer En 1802, de nombreux Loyalistes se sont établis durablement sur le territoire qui allait devenir le canton de Hull en 18061. En 1816, l’agglomération de ce qui allait devenir Aylmer prenait le nom de Symmes Landing et était la propriété de Philemon Wright jusqu’à ce qu’il la cède à son neveu Charles Symmes en 1821 (Cournoyer, 2001; Ville d’Aylmer, 1989). Au tournant des années 1840, les lords Syndenham et Durham influencent les structures municipales en procédant à de nombreux changements législatifs. Ainsi, le village d’Aylmer est officiellement créé en 1847 (Brault, 1981).

Le site où se trouve Aylmer était stratégique pour le portage qui était nécessaire en raison de la présence des rapides situés à Hull et à Deschênes. Les routes et les chemins de fer étant peu développés dans cette région, la rivière des Outaouais était à l’époque une voie de transport majeure pour l’industrie du bois. D’ailleurs, Aylmer a été

1 Aylmer a fait partie du canton de Hull jusqu’en 1848 alors que le canton d’Aylmer est créé. 4

l’hôte de nombreux chantiers maritimes ainsi qu’une plaque tournante dans le secteur de l’hôtellerie et des diligences (Ville d’Aylmer, 1989; Brault, 1981). Pendant une bonne partie du 19e siècle, les chantiers maritimes et l’industrie du bois attirent de nombreux travailleurs de Montréal et de la Mauricie, mais aussi des immigrants irlandais.

Fondées au cours de la même période, les communautés de Hull et d’Aylmer ont longtemps été en compétition afin d’obtenir des institutions qui devaient leur procurer le statut de centre administratif (Blanchette, 2009). En 1831, le bureau de poste et le bureau d’enregistrement du comté d’York, dont fait partie le canton de Hull, sont implantés à Aylmer. En 1852, Aylmer obtient le Palais de Justice et la prison du comté (Ville d’Aylmer, 1989). Notons aussi qu’en 1849, le premier conseil municipal avait le désir d’adopter le toponyme Ottawa avant qu’il ne le soit par Bytown (Brault, 1981). Le conseil municipal aspirait aussi devenir la capitale du Canada (Blanchette, 2009).

En 1891, Aylmer obtenait le statut de ville, mais l’avènement du chemin de fer et l’énergie produite grâce aux rapides seront extrêmement favorables à Hull qui reprendra le titre de chef-lieu judiciaire au tournant du 20e siècle (Brault, 1981). Malgré tout, les relations entre l’Outaouais urbain et Ottawa continuent de grandir et le pont Champlain est construit en 1927 (Gaffield, 1994). Au tournant des années 1970, Aylmer acquiert le statut de ville de banlieue (Ville d’Aylmer, 1989). La construction de nombreuses tours à bureaux à Hull ayant créé de nombreux emplois, notamment dans la fonction publique fédérale (Gaffield, 1994), a certainement à voir avec l’important bond démographique enregistré à Aylmer entre 1971 et 1981.

Les résidents d’Aylmer goûtent aux fusions une première fois en 1975, alors que leur ville est fusionnée avec deux municipalités voisines, Lucerne2 et Deschênes3. Une autre fusion a failli impliquer la ville d’Aylmer en 1991 alors qu’un référendum a été tenu afin de savoir si les citoyens d’Aylmer, de Hull et de Gatineau désiraient se regrouper. Or, la proposition a été approuvée par les Hullois, mais pas par les Aylmerois et les Gatinois, qui l’ont rejetée de manière assez convaincante. À Aylmer, 72 % des citoyens ont rejeté la proposition (Blanchette, 2009; Gaffield, 1994).

2 Lucerne fut autrefois le canton de Hull-Partie-Sud, fondé en 1880 (Cournoyer, 2001). 3 Deschênes fut reconnue en tant que municipalité en 1920 (Cournoyer, 2001). 5

La dualité linguistique et religieuse a toujours fait partie du paysage communautaire d’Aylmer. En effet, les communautés anglophones et francophones ont toutes deux contribué à bâtir cette ville. Cette dualité a favorisé la présence d’institutions religieuses protestantes et catholiques qui pouvaient prendre la forme de lieux de culte, mais aussi d’écoles. En 1855, le monde municipal aylmerois évoluait essentiellement en anglais si l’on considère que la plupart des documents officiels étaient rédigés dans cette langue. C’est le maire Lattion qui mit fin à cette pratique en 1970 en établissant que le français et l’anglais devaient être les deux langues officielles au conseil municipal (Brault, 1981).

1.2. Historique de Masson Avant de devenir une municipalité indépendante, Masson faisait partie du canton de Buckingham. En 1887, un bureau de poste a été ouvert à Masson et les registres de la paroisse Notre-Dame-des-Neiges ont été ouverts en 1889 tandis que cette dernière n’a été érigée canoniquement qu’en 1903. À cet égard, il est intéressant de souligner que la volonté de créer une paroisse ne provient pas du clergé, mais bien des paroissiens eux- mêmes. Les moyens de transport de l’époque étant limités, l’obtention d’une paroisse allait permettre aux citoyens de posséder une chapelle sur leur territoire et ainsi leur éviter de devoir marcher jusqu’à Buckingham pour assister à la messe (Cournoyer, 2001; Centenaire 89, 1989).

L’agriculture a longtemps été l’une des principales activités de la région de l’Outaouais dont Masson fait partie (Gaffield, 1994). En 1890, on recensait à Masson 156 familles canadiennes-françaises et 18 familles irlandaises. 60 d’entre elles cultivaient la terre (Centenaire 89, 1989). En 1907, une manufacture de chaussures ouvrait sur le territoire de Masson et engageait une cinquantaine d’individus. Malheureusement, celle- ci brûla entièrement au cours de la même année (Centenaire 89, 1989). C’est toutefois à l’industrie du bois que Masson doit son essor. La famille MacLaren, dont les activités avaient déjà cours à Buckingham, y construit une usine de pâtes et papier en 1929. En fait, cette usine transformait la pâte provenant de l’usine située à Buckingham (Gaffield, 1994). En payant une part importante des taxes scolaire, MacLaren fut plus qu’un employeur pour la communauté massonnoise. En effet, la mise en place de plusieurs des infrastructures de la ville a été facilitée par la famille MacLaren. Ainsi, au cours des

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années 1940, Masson disposait d’écoles munies d’une fournaise, de l’électricité et de toilettes hygiéniques, ce qui était rare à l’époque (Centenaire 89, 1989).

À l’échelle de la région, Masson s’est vu octroyer le statut de village tardivement. En effet, Masson n’a reçu ce dernier qu’en 1897 tandis qu’Angers a reçu le sien en 1915. Buckingham possédait celui de ville depuis 1890. Ce n’est qu’en 1966 que la communauté de Masson a été érigée au rang de ville (Cournoyer, 2001; Gaffield, 1994), soit à peine quelques années avant d’être fusionnée à Buckingham (1975), en même temps qu’Angers, Notre-Dame-de-la-Salette et L’Ange-Gardien. Or, ce regroupement a été démantelé dès 1979.

1.3. L’Outaouais urbain de 2000 à aujourd’hui La région de l’Outaouais regroupe aujourd’hui cinq entités dont quatre forment des Municipalités régionales de comtés (MRC) depuis 1979 (Saint-Pierre, 1994). Il s’agit des MRC du Pontiac, de la Vallée-de-la-Gatineau, de Papineau et des Collines de l’Outaouais qui sont connues pour être plus rurales comme en témoigne leur densité de population inférieure à 25 hab/km2 (figure 1). La cinquième entité correspond à la nouvelle Ville de Gatineau dont la densité de population s’élève à près de 815 hab/km2 (Institut de la statistique du Québec, 2015). Une grande partie de son territoire se situe sur le littoral québécois de la rivière des Outaouais et se situe directement en face de la Ville d’Ottawa. Or, avant la fusion municipale de 2002, les cinq municipalités qui allaient former la Ville de Gatineau étaient indépendantes les unes des autres.

Figure 1 Les sous-régions de l’Outaouais

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L’actuelle Ville de Gatineau était formée, jusqu’au 1er janvier 2002, de cinq municipalités distinctes : Aylmer, Buckingham, Gatineau, Hull et Masson-Angers (figure 2). Elles étaient regroupées au sein de la Communauté urbaine de l’Outaouais (CUO, qui avait été créée en 1991, pour traiter d’enjeux régionaux comme l’aménagement du territoire, le traitement des eaux et des ordures et de la promotion économique de la région de l’Outaouais (Gaffield, 1994; CUO, 1994).

Figure 2 Les municipalités de la CUO qui sont devenues Gatineau

Toutes ces municipalités détenaient alors le statut de ville, mais leur portrait démographique variait grandement. En date de 2001, soit tout juste avant la fusion municipale, les trois municipalités se situant à l’ouest de la CUO étaient beaucoup plus peuplées que les deux situées à l’est (tableau 1). En effet, Gatineau et Hull comptaient respectivement 102 898 et 66 246 habitants alors qu’à Aylmer on en dénombrait 36 085. Ces chiffres contrastent avec les populations de Buckingham et de Masson-Angers où on recensait respectivement 11 668 et 9 799 citoyens (Statistique Canada, 2013). D’ailleurs, deux réalités s’observent. Il y a Aylmer, Hull et Gatineau qui s’inscrivent dans un prolongement du tissu urbain de la Ville d’Ottawa et Buckingham et Masson-Angers qui se situent à quelques dizaines de kilomètres à l’est de cette zone. Il est aussi important de mentionner que près d’une soixantaine de kilomètres séparent les deux extrémités de Gatineau.

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Tableau 1 Portrait démographique des anciennes municipalités (2001 et 2011)

Anciennes Population Population Population Population municipalités / totale anglophone (%) totale (2011) anglophone (%) Secteurs (2001) (2001) (2011) Aylmer 36 085 31 54 630 25 Hull 66 246 8 69 485 10 Gatineau 102 898 6 116 780 6 Masson-Angers 9 799 4 12 400 4 Buckingham 11 668 10 12 050 9 Sources : Statistique Canada, 2001; Ville de Gatineau, 2014a En date de 2011, la Ville de Gatineau comptait 265 350 habitants et le même contraste s’observait entre l’est et l’ouest du territoire. Dans le tableau 1, on remarque qu’Aylmer est le secteur ayant connu la plus forte hausse démographique depuis la fusion municipale. Gatineau et Masson-Angers ont pour leur part enregistré des hausses démographiques modérées. En ce qui concerne les secteurs Hull et Buckingham, leur population a légèrement augmenté, mais sans plus.

L’Outaouais est la deuxième région québécoise en importance relativement à la présence d’une population anglophone (Bensouda et Doucet, 2011). En effet, si la sous- région du Pontiac est reconnue pour être très anglophone, c’est aussi le cas de l’ancienne municipalité d’Aylmer qui se situe à la frontière de celle-ci. Même si elle ne bénéficiait pas du statut de ville bilingue, Aylmer se distinguait des autres membres de la CUO. En effet, selon le recensement de 2001, donc au moment de la fusion, c’est 31 % des Aylmerois qui avaient l’anglais comme langue maternelle. En contrepartie, les populations des quatre autres villes sont beaucoup plus francophones. La fusion a fait passer la proportion des Aylmerois ayant l’anglais comme langue maternelle à 11 % à Gatineau. De plus, la proportion de la population anglophone au sein d’Aylmer se chiffre à 25 % en date de 2011 (Ville de Gatineau, 2014a). C’est donc dire qu’en plus d’avoir diminué au sein de la ville, la proportion d’anglophones a diminué au sein même du secteur Aylmer.

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1.4. Les fusions municipales au Québec Avant d’aborder spécifiquement le cas de la fusion municipale de Gatineau, il faut savoir que l’idée de regrouper des municipalités germe depuis longtemps au Québec. En effet, pendant les années 1960 et les années 1970, le gouvernement provincial désirait réduire le nombre de municipalités et a donc encouragé des regroupements volontaires (Tindal et al., 2012; Garcea et LeSage, 2005). Cette tentative ne fut pas très populaire (Quesnel, 2000; Baccigalupo, 1990) malgré le fait qu’en 1971, le gouvernement ait adopté une loi lui permettant d’imposer des regroupements municipaux (Hamel, dans Garcea et LeSage, 2005). À cette époque, la rationalisation de la gestion guidait une telle démarche (Caldwell, 2001). D’ailleurs, c’est pendant cette période que les premiers rassemblements municipaux ont eu lieu en Outaouais. En effet, c’est à ce moment que les municipalités d’Aylmer, de Buckingham et de Gatineau ont été créées (Andrew et Chiasson, dans Bherer et al., 2005).

Bien que plusieurs idées aient été proposées entre les années 1960 et 1980, aucune réforme municipale d’envergure n’est survenue au Québec avant le tournant des années 1990 (Saint-Pierre, 1994; Baccigalupo, 1990). Depuis, plusieurs groupes de travail concernant le monde municipal ont été tenus, et différents rapports ont été produits sur la question. L’un des plus notables fut le Rapport de la commission nationale sur les finances et la fiscalité locales, plus communément appelé le rapport Bédard qui fut publié en 1999 (Hamel, dans Garcea et LeSage, 2005; Soucy, 2002). Ce dernier a grandement inspiré le Livre Blanc de la ministre Harel paru en 2000, qui allait à son tour inspirer le projet de loi 170.

Dans ce document4, Louise Harel, ministre d’État aux Affaires municipales et à la Métropole, expose sa vision de la réorganisation municipale. Elle met clairement en évidence que le grand nombre de municipalités au Québec nuit à la bonne gestion et au rayonnement économique de ces dernières tant au plan administratif que financier. Il était donc primordial de trouver des solutions. Elle soulève notamment des lacunes concernant la coordination de différents enjeux régionaux comme l’étalement urbain, mais aussi à propos du dédoublement des dépenses dans plusieurs secteurs d’activités. En fait, elle

4 Livre Blanc : La réorganisation municipale : Changer les façons de faire pour mieux servir les citoyens (2000) 10

souligne les limites des institutions régionales (comme la CUO) en place en mentionnant que la participation des municipalités au sein de ces organismes demeure volontaire. Si une chose semblait claire, à savoir que les changements de structures étaient inévitables, encore fallait-il déterminer quelle forme ils prendraient (Gouvernement du Québec, 2000a).

Originalement, les régions métropolitaines de Montréal, de Québec et de l’Outaouais étaient ciblées par cette réforme. En ce qui concerne cette dernière, la ministre proposait initialement de créer une communauté métropolitaine regroupant les municipalités de la CUO et de la MRC des Collines afin d’augmenter la performance de la région (Gouvernement du Québec, 2000a). Toutefois, avant d’arrêter cette décision, des études et des consultations devaient être menées.

C’est dans ce contexte que la firme Roche a été mandatée pour effectuer des études d’opportunité relativement à trois scénarios de regroupement possibles. Un premier rapport, commandé par la Chambre de commerce de l’Outaouais, concernait le regroupement des villes d’Aylmer, de Hull et de Gatineau (Roche, 2000a). Ce regroupement avait déjà été proposé par voie de référendum en 1991. Or, les Aylmerois et les Gatinois avaient rejeté cette proposition (Gaffield, 1994). L’autre rapport, qui s’adressait plus directement au Ministère des Affaires municipales, présentait deux scénarios. Le premier étudiait la possibilité de regrouper Buckingham et Masson-Angers tandis que l’autre envisageait la fusion des cinq villes de la CUO (Roche, 2000b; Roche, 2000c). Finalement, la firme Roche a conclu que les fusions municipales étaient une option favorable au développement de la région. Toutefois, il est important de souligner que trois semaines avant de soumettre les deux rapports qui ont été considérés, la firme Roche en avait publié un autre beaucoup plus pessimiste quant à la rentabilité des fusions municipales (Turbide, 2001 a). En plus de ces études d’opportunité, d’autres groupes devaient se prononcer sur les différents scénarios. Parmi eux, il y avait le Comité des élus de l’Outaouais ainsi qu’Antoine Grégoire, ancien dirigeant et personnalité publique bien connue dans la région, qui s’est vu nommé mandataire par le gouvernement afin de soumettre ses recommandations pour la région de l’Outaouais.

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Une autre instance a joué un rôle important dans le dossier. Il s’agit du Comité des élus de l’Outaouais, composé d’élus des différentes villes de la CUO, mais aussi de la MRC des Collines5. Ce comité agissait à titre consultatif seulement, mais son point de vue selon lequel le renforcement des instances suprarégionales s’avérait nécessaire a été retenu. Cependant, la majorité des membres du comité a préféré ne pas se prononcer sur le scénario d’un regroupement des municipalités en une nouvelle grande ville (Comité des élus de l’Outaouais, 2000). De son côté, Antoine Grégoire a soutenu que plusieurs services devaient être régionalisés, évoquant comme exemple le service de police. Il a aussi soutenu que plus il y aurait d’échelles décisionnelles, plus le citoyen s’éloignerait du pouvoir. C’est dans cette optique qu’il propose de fusionner les cinq municipalités de la CUO, évoquant du même coup qu’avec les années, ces municipalités ont appris à travailler ensemble (Grégoire, 2000). C’est finalement ce scénario qui sera retenu par le gouvernement du Québec lorsqu’il fit adopter le projet de loi 170 le 20 décembre 2000 (Gouvernement du Québec, 2000b).

Ainsi, le 1er janvier 2002, les villes de Gatineau, Montréal, Québec, Longueuil et Lévis naissaient telles qu’elles sont connues aujourd’hui. Elles représentent la concrétisation du projet de loi 170 adopté par le Parti Québécois. Des décrets ont aussi été adoptés pour créer les nouvelles villes de Sherbrooke, Saguenay et Trois-Rivières. La province de Québec comptait à partir de ce moment neuf villes de 100 000 habitants ou plus6 (Institut de la statistique du Québec, 2017). Ces regroupements municipaux devenaient donc la concrétisation des nombreuses réflexions entretenues au sujet du monde municipal depuis des décennies (Tindal et al., 2012; Hamel, dans Garcea et LeSage, 2005).

1.5. Les réactions sur le territoire gatinois Le projet de loi 170 est loin d’avoir fait l’unanimité. Il a suscité des débats entre les politiciens ainsi qu’entre les citoyens. Si les contestations à l’échelle de la province n’ont pas atteint le même niveau qu’à Toronto où le débat avait adopté une saveur très politique (Frisken, 2007; Isin et Wolson, 1999), il n’a pas fait que des heureux. À Montréal par exemple, la contestation a surtout été marquée par la mobilisation des

5 Au départ, les élus de Buckingham et de Masson-Angers ne devaient pas faire partie de ce comité (Turbide, 2000 a). 6 Aujourd’hui (2017), 10 villes comptent plus de 100 000 habitants. 12

communautés anglophones (Pierrevelcin, 2007; Latendresse, dans Jouve et Booth 2004). En comparaison, la contestation manifestée en Outaouais a été beaucoup moins virulente, bien qu’elle fût bien présente.

En Outaouais, les journaux, dont Le Droit, permettent de bien cerner les arguments présentés par les différents acteurs. Si plusieurs citoyens se sont exprimés dans la section destinée aux opinions, ce sont surtout les élus qui ont pris la parole dans les articles. La section qui suit présente les arguments dominants en Outaouais, en portant une attention particulière aux discours provenant d’Aylmer et de Masson7.

1.5.1. Des arguments politiques Quelques arguments de nature politique ont été soulevés par ceux qui sont pour la fusion et leurs opposants. Le caractère forcé de la fusion est un facteur ayant suscité un fort mécontentement chez les citoyens. Il s’agissait pour plusieurs d’un affront aux valeurs démocratiques. Ainsi, la tenue de consultations publiques ou d’un référendum aurait été appréciée par plusieurs citoyens, mais aussi par certains élus (Turbide, 2000b). À cet effet, les Aylmerois ont vivement manifesté ce désir alors que 5 135 d’entre eux ont signé une pétition demandant le droit de se prononcer sur la fusion municipale (Rodrigue, 2000). Or, le maire de Hull, Yves Ducharme (qui allait être élu maire de la nouvelle ville) soutenait qu’«il vient un temps où il faut que tu forces pour faire avancer les choses» (Turbide, 2000b).

En réponse à cette imposition des fusions, le Parti libéral du Québec, constituant à ce moment l’opposition officielle au Québec, a promis que s’il était élu en 2003, il serait possible pour les villes désirant «défusionner» de se prévaloir d’un référendum. Un député libéral de l’Outaouais, Benoît Pelletier, a d’ailleurs soutenu qu’il était dans le droit des citoyens de préserver leur identité et qu’il était impossible d’imposer un sentiment d’appartenance (2003). Pour sa part, la conseillère municipale de la ville de Hull, Louise Poirier, déclarait que la fusion devait être le «rêve des gens, pas juste celui des élus» (Thériault, 1999).

7 Notez que, parce que le projet de loi est de portée provinciale, certains arguments dépassent l’échelle locale. 13

Un autre argument politique a concerné la perte de représentation politique. En effet, la proximité existant entre le citoyen et son élu était remise en question avec la fusion (Ouimet, 2000). À cet égard, plusieurs ont souligné les importants écarts à prévoir dans les ratios élus/citoyens. En ne considérant pas le maire, le ratio de Masson-Angers était d’approximativement un conseiller pour 1 633 citoyens8 tandis qu’à Aylmer, il était d’un conseiller pour 4 009 citoyens. Au sein de la nouvelle ville, ce ratio passerait à un conseiller pour 17 000 citoyens, sans compter le maire (Grégoire, 2000). Pour sa part, Yves Ducharme défendait l’idée selon laquelle la nouvelle ville allait favoriser la présence d’élus à temps plein et que ces derniers auraient davantage de temps à consacrer à leurs concitoyens. Raymond Ouimet, un historien s’étant prononcé dans les pages du journal Le Droit ne voyait pas la chose du même œil. En effet, selon lui, «les conseillers municipaux deviendront ainsi des politiciens professionnels, ce qui les éloignera de la population et des préoccupations quotidiennes de celle-ci» (Ouimet, 2000). Il croit aussi qu’une telle situation aurait pour effet de limiter la participation des «simples travailleurs» à la vie démocratique.

Par ailleurs, la question du poids de la Ville de Gatineau dans ses relations avec le gouvernement provincial et la Ville d’Ottawa, nouvellement fusionnée en 2001, était aussi un élément mis de l’avant par les individus favorables à la fusion. En effet, ils étaient convaincus que la nouvelle ville gagnerait en notoriété lors de ses différentes négociations puisque les disputes entre les municipalités disparaitraient (Raymond, 2000). Toutefois, certains soulignaient que, même si elle devenait une grande ville, Gatineau ne ferait pas le poids devant Ottawa. À cet effet, Roch Cholette, un député de l’Outaouais faisant partie de l’opposition officielle soutenait qu’Ottawa serait encore «trois fois plus grosse» que Gatineau (Turbide, 2000b). Il a aussi remis en question l’idée voulant qu’une grande ville puisse négocier plus facilement certaines infrastructures auprès des paliers supérieurs. Il a évoqué à ce sujet l’échec de l’autoroute 50 (Turbide, 2000b).

Le Livre Blanc soutenait que les fusions municipales devaient réduire l’étalement urbain, ce qu’Yves Ducharme croyait également. Or, certains n’étaient pas d’accord avec

8 Ce ratio provient du rapport entre la population de 2001 et le nombre d’élus dans l’ancienne municipalité. 14

cette idée. En effet, pour certains, les véritables périphéries ne sont pas incluses dans le projet de regroupement. Les citoyens pourront donc s’établir au pourtour de la nouvelle ville (Turbide, 2000b).

1.5.2. Des arguments économiques La fusion était également vue comme une façon de favoriser le développement économique de la région et de réaliser des économies d’échelle (Turbide, 2000b; Raymond, 2000). Ces économies devaient notamment être réalisées en coupant des postes et en réduisant la duplication des coûts. La fusion de Toronto réalisée en 1998 a servi de contre-argument à certains individus qui ont souligné qu’aucune économie n’avait été effectuée dans cette ville après la fusion. D’autres craignaient aussi que les fusions servent au gouvernement à transférer des responsabilités financières aux nouvelles villes comme ce fut le cas en Ontario (Turbide, 2000b).

Par ailleurs, plusieurs des arguments économiques mis de l’avant par les défenseurs des fusions ont été mis à rude épreuve par certains chercheurs. En effet, au tournant des années 1990, un rapport du ministère des Affaires municipales montrait que les économies d’échelle étaient peu probables et c’est pourquoi il a préféré défendre la diminution du nombre de municipalités et le développement économique (Caldwell, 2001). D’autres ont allégué que peu d’économies seraient réalisées lors d’une fusion puisque la population ainsi que les coûts des services augmentent inévitablement. Généralement, seules les villes d’environ 2 000 habitants peuvent espérer bénéficier d’économies d’échelle en se fusionnant alors que pour les grandes, c’est rarement possible (Desbiens, 2000). Les bienfaits des grandes villes sont également remis en question par Caldwell qui souligne que des villes comme Boston, Londres et la région de la Silicon Valley sont composées de plusieurs entités municipales (2001). Dans la même optique, Sancton soutient que «les villes-régions peuvent croître, prospérer et favoriser l’innovation lorsqu’il y a des douzaines ou même des centaines d’autres villes» (2000, p.19). Autrement dit, la fragmentation urbaine ne nuit pas nécessairement au développement économique.

1.5.3. Des arguments identitaires Si des arguments relatifs aux dimensions politiques et économiques ont été soulevés, d’autres font davantage écho au sentiment d’appartenance qu’entretiennent les 15

citoyens pour leur ville. C’est notamment le cas à Masson-Angers où on constate une grande fierté chez les citoyens lorsqu’il est question de leur ville. Plusieurs sont fiers de pouvoir compter sur des infrastructures en excellent état, et ce, sans que le compte de taxes soit très élevé. À ce sujet, certains citoyens craignaient que les taxes n’augmentent de façon significative tandis que d’autres voyaient l’éloignement géographique de leur ville par rapport au centre urbain comme une embûche potentielle à la qualité de certains services (Y. Soucy, 2002). Cette forte satisfaction manifestée par les Massonnois à l’égard de leur municipalité explique leur forte opposition à la fusion qui selon plusieurs, servirait à payer les infrastructures des secteurs qui n’ont pas su bien les gérer (Y. Soucy, 2001). Par ailleurs, un groupe prônant la défusion9 de Masson et de Buckingham avançait l’éloignement du centre, la baisse des investissements dans les infrastructures, la qualité du transport en commun comme raisons (Y. Soucy, 2002).

Peu avant la tenue des référendums, l’insatisfaction était plutôt forte dans le secteur Masson-Angers où on avait l’impression que les hausses de taxes avaient appauvri les jeunes familles (Duquette, 2003). D’ailleurs, Luc Montreuil, maire de l’ancienne municipalité devenu conseiller dans la nouvelle, a soutenu que la fusion a «[imposé] une autre culture, soi-disant meilleure que celle que nous avions…» (Verner, 2004) et que cette situation a beaucoup déçu les citoyens. Il soutient également que la grande ville s’est «acharnée à ‘’débâtir’’ Masson-Angers» (Duquette, 2004a) et que le fait que son secteur ne possède qu’un seul vote au conseil municipal ne favorisait en rien son ancienne municipalité (Verner, 2004).

À Aylmer, l’opposition à la fusion était également très forte, mais les raisons évoquées, bien qu’elles soient aussi liées au sentiment d’appartenance, diffèrent de celles exprimées à Masson-Angers. En effet, les Aylmerois craignaient que la fusion nuise à leur qualité de vie, mais dans une optique plus écologique qu’économique. La municipalité d’Aylmer étant reconnue pour ses nombreux espaces verts, des citoyens se sont inquiétés des chantiers de construction qui risquaient de s’étendre sur leur territoire en cas de fusion. Pour plusieurs, cette verdure fait partie du patrimoine de la ville et il serait dommage de le perdre (Duquette, 2003; Pilon, 2001).

9Le mot «défusion» n’existe pas dans la langue française, mais il a été amplement utilisé dans les médias dans le contexte des fusions municipales au Québec. 16

Certains soutenaient que le sentiment d’appartenance, qui était si central dans l’argumentation des «défusionnistes», ne serait pas si touché qu’on le laissait croire. En effet, la fusion touchant d’abord et avant tout la structure administrative de la ville, le citoyen n’aurait pas à s’inquiéter à propos de son identité locale puisque celle-ci est profondément enracinée. Avec le temps, voire des générations, ce mécontentement devrait s’estomper et les citoyens de la nouvelle Ville de Gatineau devraient être en mesure de construire un nouveau sentiment d’appartenance (Bergeron, 2001).

1.5.4. Des arguments linguistiques Un autre élément, propre à Aylmer cette fois, est sans contredit la forte présence anglophone. En effet, les anglophones ont joué un rôle majeur dans la fondation et l’administration de cette municipalité (Brault, 1981). Avant la fusion municipale de 2002, les citoyens anglophones bénéficiaient d’une proximité au pouvoir leur permettant de se sentir respectés ainsi que de voir leurs intérêts défendus. L’ancienne municipalité, bien que ne détenant pas le statut de ville bilingue, pourvoyait cependant plusieurs services dans les deux langues. Or, plusieurs ont craint que la dynamique développée avec le temps ne soit affectée puisque la proportion de la population anglophone allait considérablement diminuer, passant de 31 % à environ 11 % dans la nouvelle ville (Perron, 2004; Adam, 2001).

C’est donc dire que les économies d’échelle, le développement économique régional, l’équité fiscale, le poids politique, l’harmonisation des services et la réduction de l’étalement urbain constituent tous des arguments mobilisés par les défenseurs de la fusion. En contrepartie, le caractère forcé de la fusion, l’éloignement du pouvoir des citoyens, la perte identitaire, les hausses de taxes et les nouvelles responsabilités financières constituent des arguments de ceux qui s’opposent au regroupement. Les tenants des deux groupes avaient généralement un contre-argument pour chacun des arguments de leurs opposants (Turbide, 2000b).

1.5.5. Deux courants en opposition Dans un contexte plus général, notons que les discussions concernant les regroupements municipaux québécois entamés dans les années 1960-1970 concordent avec le mouvement «consolidationniste» que défendent plusieurs acteurs aux États-Unis. Ce mouvement, qui s’inspire beaucoup de la production manufacturière, défendait

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notamment l’idée voulant que des entités municipales plus grosses devaient favoriser les économies d’échelle, la collecte de taxes plus importantes, l’embauche de spécialistes et la venue de personnalités importantes sur la scène politique municipale. Les tenants de ce courant soutenaient aussi leur point de vue en évoquant que les municipalités rurales négligeaient certains services en raison de leur petite taille. Ils insistaient également sur le fait que plusieurs citoyens quittaient les villes-centres au profit des banlieues puisqu’il était moins dispendieux d’y vivre. Or, si ce mouvement encourageait les regroupements, il encourageait aussi la consultation du public (Sancton, 2001; Keating, dans Judge, Stoker et Wolman, 1995), ce qui ne fut pas nécessairement le cas pour plusieurs des nombreux regroupements survenus au Canada.

Pour leur part, les arguments des opposants à la fusion municipale cadrent davantage avec la théorie du choix public («Public Choice» en anglais) rendue populaire par Charles Tiebout en 1956 (Rodriguez et Brown, 2013). Cette théorie défend l’idée selon laquelle la fragmentation municipale est préférable parce qu’elle encourage la compétition entre les municipalités (Desbiens, 2003, dans Bherer et al., 2005), mais aussi le libre-choix des citoyens (Rodriguez et Brown, 2013). Comme le dit Desbiens, cette théorie entend «maximiser les opportunités pour les citoyens de choisir un ensemble de services en fonction du coût» (2000).

1.6. Choix du nom de la nouvelle ville La fusion des cinq municipalités de la CUO nécessitait l’adoption d’un nouveau nom pour la nouvelle ville. Ce mandat a été confié au Comité de transition de l’Outaouais (CTO) qui était chargé de préparer les fondations de la ville à naître. Ce dernier devait soumettre une liste de trois noms à la ministre afin qu’elle puisse faire son choix. Le choix du nom n’étant pas la seule préoccupation du CTO, un sous-comité ayant pour mission de proposer cinq noms au CTO fut créé (Comité de transition de l’Outaouais, 2002).

D’entrée de jeu, certains noms avaient été éliminés par le CTO en raison de certaines recommandations de la Commission de la toponymie du Québec. Ce fut notamment le cas du toponyme «Outaouais» qui semblait pourtant populaire auprès des citoyens (Turbide, 2001b). Le comité du nom a donc invité la population à soumettre ses idées afin que ses membres puissent évaluer les différentes options. Cette initiative a 18

permis de récolter près de 1 400 suggestions dont une centaine ont été considérées (Turbide, 2001c). Or, plusieurs citoyens ont remis en question le poids véritable de leur participation à la démarche. En effet, les nombreux critères établis avant même la consultation laissaient croire à plusieurs que le nom était déjà choisi10. Par ailleurs, les maires sortants se sont aussi prononcés. En effet, ceux d’Aylmer et de Masson avaient ouvertement souhaité un nouveau nom tandis que ceux de Hull, de Buckingham et de Gatineau favorisaient un des noms existants.

Pour déterminer les noms retenus, le comité du nom a appliqué un système de pointage se basant sur des critères relatifs à l’histoire, la géographie, la clarté, la prononciation, le caractère rassembleur, l’originalité et l’image projetée (Turbide, 2001d). Le critère de la notoriété qui devait initialement être considéré fut ignoré par le comité du nom, procurant ainsi un pointage moins élevé à Gatineau et Hull. Les toponymes Asticou, Montferrand, Trois-Portages, Grand-Portage et Rivemont sont ceux ayant reçu les pointages les plus élevés et qui ont été suggérés au CTO. Au bout du compte, le CTO ne retiendra pas le nom de Grand-Portage et ajoutera ceux de Gatineau et de Hull à liste des six noms finalistes (Turbide, 2001e).

Le CTO a commandé un sondage auprès de la firme Réseau Circum Inc. Afin de mesurer l’appréciation des six noms retenus. Le sondage a été effectué auprès d’un échantillon représentatif de 850 individus. Les résultats ont montré que les participants étaient pour la plupart favorables aux noms de Gatineau et de Hull. Les toponymes Rivemont et Trois-Portages avaient également suscité l’appréciation de près du tiers des participants. En fait, il s’avère que les participants de l’ouest de la nouvelle ville ont manifesté une préférence pour Hull tandis que ceux de l’est favorisaient plutôt Gatineau. Ainsi, les participants de Masson-Angers ont placé Gatineau au premier et Hull au deuxième rang. À Aylmer, Hull se classait au premier rang tandis que Gatineau se classait au quatrième, derrière Trois-Portages et Rivemont (Réseau Circum Inc., 2001).

Finalement, à la lumière du sondage, les membres du CTO ont unanimement opté pour «Gatineau» comme étant leur premier choix tandis que Hull et Trois-Portages ont été les deux autres noms retenus (Turbide, 2001f). Le gouvernement provincial a

10 C’est du moins ce qui est ressenti en lisant les sections d’opinions du journal Le Droit pendant cette période. 19

officiellement adopté le toponyme le 27 juin 2001 (Comité de transition de l’Outaouais, 2002). Or, le CTO aura suscité le mécontentement de certains citoyens jusqu’à la fin du processus en ne voulant pas rendre publics les résultats du sondage et sa liste finale rapidement (Turbide, 2001g).

1.7. Les référendums pour la défusion À son arrivée au pouvoir en 2003, le Parti libéral du Québec concrétise sa promesse électorale en adoptant le projet de loi 9 et offre la possibilité aux municipalités fusionnées désirant se séparer de procéder à un référendum populaire. Il fut établi qu’afin qu’un référendum ait lieu, il fallait que des registres soient signés par au moins 10 % des citoyens de la ville d’origine. Ensuite, pour que le référendum soit remporté, c’est-à-dire pour qu’une ville puisse se séparer, il fallait obtenir une majorité d’au moins 50 % plus un, mais aussi qu’au moins 35 % des individus se trouvant sur la liste référendaire aient voté pour la défusion11 (Gouvernement du Québec, 2003). Au bout du compte, 89 municipalités se sont prévalues de leur droit de tenir un référendum, mais seulement 31 d’entre elles l’ont cependant emporté (MAMROT, 2004).

En Outaouais, les citoyens des villes d’Aylmer, de Buckingham, de Hull et de Masson-Angers ont signé les registres dans des proportions dépassant les 10 %, leur permettant ainsi de procéder à un référendum (Duquette, 2004b). Toutefois, dans chacun des cas, c’est le statu quo qui a primé puisque la condition voulant que 35 % des citoyens inscrits sur la liste électorale aient voté pour la défusion n’a pas été respectée. La contestation a été particulièrement forte dans les villes d’Aylmer et de Masson-Angers où les résultats favorisant la séparation dépassaient le seuil des 50 % (tableau 2). D’autant plus, Masson-Angers avait de prime abord remporté son référendum, mais la décision a été annulée par un recomptage judiciaire (Duquette, 2004c).

11 Le gouvernement libéral s’est fait reprocher de favoriser le statu quo en instaurant ce critère. 20

Tableau 2 Résultats du référendum pour le démembrement du 20 juin 2004 Ville Pour la défusion (%) Nombre de signataires Taux de participation ayant voté (minimum (%) de 35 %) Aylmer 58,05 26,48 45,89 Buckingham 41,77 20,27 49,02 Hull 39,64 15,71 39,94 Masson-Angers 66,61 34,8 52,99 Source : Ministère des Affaires municipales et Occupation du territoire, 2004 1.8. Les fusions ailleurs Des fusions municipales ont aussi pu s’observer dans d’autres régions du Canada, mais aussi aux États-Unis. Bien que toutes les régions touchées par un projet de regroupement aient ses particularités, des similitudes s’observent néanmoins dans la nature des arguments véhiculés par les différents acteurs en présence. Il suffit de penser aux fusions des villes de Toronto, d’Ottawa et de Montréal qui, comme à Gatineau, ont été imposées par leur gouvernement provincial. En effet, les provinces du Québec et de l’Ontario possèdent le pouvoir d’agir en ce sens (Tindal et al., 2012; Bish, 2001) puisque les municipalités sont littéralement considérées comme des «créatures des provinces»12.

Chez les défenseurs des fusions municipales, le regroupement de plusieurs municipalités en une seule devait permettre de minimiser les dépenses gouvernementales. Par le fait même, la création d’une ville unique devait aussi restreindre la compétition entre les différentes municipalités, favorisant ainsi leur développement économique sur la scène internationale (Frisken, 2007; Latendresse, dans Jouve et Booth, 2004). Les opposants aux fusions ont également mobilisé des arguments similaires d’un endroit à l’autre. L’absence de consultations publiques et la perte de proximité entre l’élu et le citoyen composaient partout des enjeux majeurs (Frisken, 2007; Boudreau, dans Jouve et Booth, 2004).

Si, dans le cas de Toronto, le débat s’est surtout joué entre les résidents de la banlieue et de la ville-centre (Frisken, 2007), certaines villes québécoises ont aussi eu à composer avec un enjeu linguistique. Montréal est sans contredit l’endroit où les tensions linguistiques ont été parmi les plus fortes comme peut en témoigner le profil des 15 villes

12 Le projet de loi 122, adopté à l’Assemblée Nationale en juin 2017, donnera plus d’autonomie aux municipalités. 21

ayant remporté leur référendum pour la «défusion» (Pierrevelcin, 2007). En fait, les Anglo-Montréalais ont considéré le projet de loi 170 comme une atteinte à leur communauté, mais plus spécifiquement à leur identité (Douay, 2010; Pierrevelcin, 2007; Latendresse, dans Jouve et Booth, 2004). Minoritaires à l’échelle de la province et du grand Montréal, les fusions municipales portent un coup à ce qu’ils «considéraient comme leurs premiers remparts pour assurer la protection de leurs intérêts linguistiques» (Latendresse, dans Jouve et Booth, 2004, p.157-158), mais aussi à une «stratégie territorialisée d’affirmation culturelle» (Pierrevelcin, 2007, p.81). En observant le cas des Anglo-Montréalais, il est impossible de ne pas faire un lien avec les anglophones d’Aylmer même s’ils ne faisaient pas partie d’une municipalité officiellement bilingue. Plusieurs inquiétudes des citoyens anglophones vis-à-vis de la fusion municipale concernaient ici aussi la survie de leur communauté ainsi que la procuration des services municipaux en anglais.

Les questions identitaires hantent depuis toujours les débats sur les fusions. L’opposition qu’a suscitée le projet de fusion des villes de Brooklyn et de Manhattan au tournant du XXe siècle en témoigne. Le discours pro-fusion était véhiculé par la classe des investisseurs de Manhattan (Sancton, 2000; Burrows et Wallace, 1999). Les Brooklynois, en grande majorité protestants, s’y opposaient quant à eux parce qu’ils craignaient de voir leur mode de vie basculer. Les deux villes ont néanmoins été fusionnées en 1898, à la suite d’un référendum populaire tout comme ce fut le cas à Philadelphie en 1854 (Sancton, 2000).

Ces divers exemples rappellent le rôle central qu’occupe l’identité à l’échelle municipale. On observe qu’elle repose parfois sur des considérations historiques, comme la fierté des acquis, mais aussi sur des considérations culturelles, comme la langue. Qu’en est-il à Gatineau? C’est ce qu’il sera intéressant de vérifier dans le cadre de cette recherche.

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Chapitre 2 — Identité territoriale Ce chapitre entend dresser une recension des écrits à propos de l’identité territoriale. Autrement dit, les liens établis entre identité et territoire seront exposés afin de pouvoir mobiliser les concepts adéquats dans le cadre de la recherche. Le concept d’identité territoriale s’est vu prêter plusieurs définitions. Or, le concept provient essentiellement du croisement de plusieurs concepts liés à l’identité. Le présent chapitre entend établir ce que peut être l’identité territoriale.

Le chapitre se divise en six parties. La première entend définir l’identité sous différentes formes. Concrètement, ce sont les concepts d’identité personnelle et collective sont définis de manière détaillée. La deuxième partie fera état du caractère pluriel et dynamique de l’identité tandis que la troisième entre dans le vif du sujet de cette recherche en rapportant les liens existant entre identité et territoire. La quatrième partie décrit pour sa part le rôle joué par le pouvoir dans la formation des identités territoriales. La cinquième section illustre quant à elle de quelle manière l’imaginaire des individus intervient dans la construction identitaire. Le chapitre se termine avec quelques réflexions sur le caractère polysémique de l’identité.

2.1. Identité personnelle et collective Plusieurs définitions de l’identité existent. Or, un aspect demeure commun à la plupart de celles-ci : la dualité identification-différenciation. Comme plusieurs autres chercheurs, Di Méo exprime clairement cette idée en affirmant que «s’identifier, et ce n’est qu’un paradoxe apparent, revient à se différencier des autres tout en affirmant son appartenance à des catégories, des groupes, mais aussi des espaces» (dans Grandjean, 2009, p.23; Mucchielli, 2015; Deschamps et Moliner, 2008). Autrement dit, il est possible de s’identifier par ce que l’on est, mais aussi par ce que l’on n’est pas (Abdelal, 2009). Par ailleurs, on distingue souvent l’identité personnelle, l’identité collective et l’identité sociale. L’identité personnelle réfère à la perception qu’une personne a d’elle- même par rapport aux personnes qui l’entourent et auxquelles elle se compare. C’est en effet dans un rapport avec l’altérité qu’un individu consolide sa propre identité (Deschamps et Moliner, 2008). Di Méo soutient d’ailleurs que «l’identité personnelle ne se réduit pas à une qualification purement individuelle» (2002, p.176). L’identité 23

collective concerne celle d’un groupe partageant un ensemble de valeurs, tel qu’il se définit en rapport à d’autres groupes. Concrètement, il suffit de jeter un œil à la relation entre le Canada —anglais — et le Québec —français — pour constater ce rapport d’identification et de différenciation (Hamel et Lacroix, 2013; Armony, 2013). On parle d’identité sociale lorsqu’il est question de la façon dont un individu ou un groupe est perçu par les autres (Debarbieux, 2006). Des auteurs tels que Guérin-Pace (2006) rappellent qu’il est essentiel que ces trois faces de l’identité ne soient pas dissociées les unes des autres lorsque vient le moment de considérer le processus de formation identitaire dans son ensemble.

2.2. Identité dynamique et plurielle L’identité a longtemps été considérée comme étant isomorphe, c’est-à-dire fixe (Debarbieux, 2006). Il fut un moment où un seul référent social servait à définir l’identité d’un individu ou d’un groupe. C’était notamment le cas de l’appartenance ethnique (Grandjean, 2009). Aujourd’hui, le monde académique reconnaît un caractère dynamique à l’identité d’un individu ou d’un groupe (McKinnon, 2011; Lévy et Lussault, 2003). En effet, l’identité évolue constamment au gré des expériences vécues par les sujets (Di Méo, 2002). S’il est reconnu que les expériences vécues au présent jouent un rôle important sur l’évolution identitaire d’une personne ou d’un groupe (Zimmerbauer, Suutari et Saartenoja, 2012), les expériences vécues ou acquises dans le passé ne perdent pas leur signification pour autant (Di Méo, dans Grandjean, 2009; Guérin-Pace, 2006; Di Méo, 2002). L’identité est également influencée par le futur puisqu’un individu s’interroge sans cesse sur son existence à venir (Lévy et Lussault, 2003).

De plus, l’identité d’un individu ou d’un groupe n’est pas singulière, elle est plurielle (Belhedi, 2006; Lévy et Lussault, 2003; Di Méo, 2004; Di Méo, 2002). Un individu peut ressentir simultanément un sentiment d’appartenance envers «plusieurs ensembles sociaux et territoriaux» (Di Méo, dans Grandjean, 2009, p.19; Guérin-Pace et Guermond, 2006; Di Méo, 2002) et il peut choisir de privilégier une identité plutôt qu’une autre selon le contexte qui se présente à lui (Di Méo, dans Grandjean, 2009; Guérin-Pace, 2006; Di Méo, 2004). Pour le constater, il suffit de porter un regard sur la relation de la province de Québec avec le Canada. Dans certains cas, les Québécois

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désireront se dissocier du Canada alors que dans d’autres circonstances, ils se déclareront ouvertement canadiens.

Par ailleurs, certains soutiennent que la hausse de la mobilité observée dans un contexte de mondialisation accentuerait cette pluralité identitaire (Di Méo, 2004) puisque les individus seraient susceptibles d’être confrontés à un plus grand nombre d’expériences (Guérin-Pace, 2006). Cette situation aurait également pour effet de créer une perte de signification territoriale à l’échelle locale pour certains individus (Guérin- Pace, 2006; Cresswell, 2004; Appadurai, 2001).

2.3. Identité et territoire Le lien entre identité et territoire varie en intensité selon les normes et les valeurs des individus et des groupes (Di Méo, dans Grandjean, 2009; Debarbieux, 2006; Di Méo, 2004). Dans certains cas, le lien est si fort que l’individu ne peut se projeter hors du lieu qui l’a vu naître, lieu qui sera fondateur de son identité. Dans d’autres cas, les personnes ne se sentent pas d’attaches particulières au territoire. En ce qui a trait aux groupes, on observe une même diversité de situations. Le nom de certains groupes est le même que celui du territoire qu’ils occupent (Di Méo, 2004) alors que d’autres n’évoluent pas autour de lieux précis (Guérin-Pace, 2006). Des auteurs soulignent que néanmoins le territoire en révèle souvent beaucoup sur l’identité du groupe, qu’il contribue à cimenter et qui lui sert parfois de «moyen de légitimation» (Di Méo, 2002). Par ailleurs, Di Méo affirme que «les référents spatiaux sont pour l’identité collective l’équivalent du corps pour l’identité individuelle» (dans Grandjean, 2009, p.25). Di Méo soutient cette idée en raison du fait que le territoire est, comme le corps humain, un endroit qui a une existence matérielle qui s’observe concrètement (2009).

Par ailleurs, ce territoire autour duquel se module l’identité, bien qu’il soit souvent associé à un repère géographique, ne devrait pas être considéré uniquement en fonction de sa matérialité. Il doit aussi être compris comme une idée, un processus (Guérin-Pace et Filippova, 2008; Cresswell, 2004), voire un «espace socialisé» (Lévy et Lussault, 2003). Cet espace social est construit à partir d’éléments matériels, mais aussi de nombreux éléments symboliques qui font de lui «la composante identitaire, voire idéelle de n’importe quel espace» (Lévy et Lussault, 2003). Ainsi, société et territoire s’influencent

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mutuellement dans la construction des identités (Debarbieux, 2006; Cresswell, 2004; Relph, 1976). C’est ce qui explique pourquoi le nom attribué à un territoire — municipalité, comté, région, pays — revêt une telle importance pour certains groupes. Il s’agit d’un élément qui «ties residents to and constructs identification with their communities» (Soguel et Silberstein, 2015, p.978). Pour Stock, il est aussi important de considérer les pratiques des lieux. S’il fut un temps où il était commun d’affirmer «à chaque individu un seul lieu» (p.4), la mobilité sans cesse croissante d’aujourd’hui tend à mener à une «recomposition spatiale des ancrages identitaires» (2006, p.4).

Malgré tout, il faut rappeler que selon les situations, le lien entre identité et territoire peut s’avérer faible (Guermond, 2006) voire inexistant (Di Méo, dans Grandjean, 2009; Debarbieux, 2006; Di Méo, 2002). Par exemple, pour les personnes ayant immigré en France et ayant toujours leur nationalité d’origine, ce sont les liens familiaux qui priment sur ceux liés au territoire où ils résident désormais lorsque vient le temps de s’identifier (Guérin-Pace, 2009).

2.4. Le rôle du pouvoir Le rôle joué par le pouvoir dans la construction identitaire et sociale est indéniable (Bédard, Augustin et Desnoilles, 2012; McKinnon, 2011; Di Méo, 1990; Anderson, 1987). En effet, plusieurs identités sont «fabriquées» (Di Méo, 2004) par le ou les groupes au pouvoir, en ayant recours au territoire pour «fédérer les populations les plus nombreuses» (Di Méo, 2004, p.347) aux valeurs désirées (Debarbieux, 2006; Guermond, 2006) «sans beaucoup de rapport avec les concepts d’espace social et d’espace vécu» (Di Méo, 1995, p.173). Dans ces cas, le territoire peut être utilisé pour ses composantes matérielles, mais il est surtout mis de l’avant pour son caractère symbolique (Di Méo, 2002). Toutefois, même si l’État a à sa disposition des «ressources matérielles et symboliques qui lui permettent d’imposer les catégories et les schémas classificatoires» (Brubaker et Junqua, 2001, p.76) de la société, cela n’empêche pas certains groupes de résister à leur façon. Parfois, la population dominée peut aussi accepter, voire assimiler, les valeurs imposées (Di Méo, 2002) en se les appropriant.

Effectivement, malgré la volonté de certains États ou autres instances de pouvoir à imposer des paramètres, certains groupes ont réussi à (re) produire certaines de leurs

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valeurs sociales à partir du «bas» (Guérin-Pace et Filippova, 2008; Guermond, 2006). C’est donc dire que, même si un territoire est politiquement construit par un groupe dominant, ce dernier n’arrivera pas nécessairement à imposer ses vues puisque des valeurs sociales issues du «bas» peuvent toujours se greffer au processus identitaire (Di Méo, 1995). Par exemple, en Finlande, lorsque la ville de Nurmo a été fusionnée à la ville voisine, les citoyens ont continué de s’associer à leur ville d’origine malgré le fait qu’elle n’existe plus officiellement (Zimmerbauer et Paasi, 2013). Il est donc possible, en observant le cas de fusions municipales un peu partout dans le monde, de constater que des politiques ne réussiront pas toujours à «changer des représentations ancrées depuis des siècles» (Michon et Koebel, dans Grandjean, 2009, p.44). Dans ce genre de situation, les traits identitaires forgés par le «bas» sont, selon Debarbieux, une forme de résistance au système dominant (2006) et ils témoignent de l’agentivité des individus (McKinnon, 2011; Grandjean, 2009).

À l’échelle régionale, l’exemple de la France illustre les processus à l’œuvre. Effectivement, les régions françaises sont des créations essentiellement politiques (Guermond, 2006; Di Méo, 2002) qui ont nécessité des efforts prenant la forme de représentations symboliques pour légitimer cette action auprès de la population (Debarbieux, 2006; Di Méo, 2002). Aujourd’hui, des enquêtes montrent que les régions françaises, plusieurs décennies après leur création, ne sont pas génératrices d’un fort sentiment d’appartenance, mais que les Français semblent plutôt avoir développé une appartenance pour les départements qui sont souvent plus compatibles avec les anciens «pays» plus locaux (Guérin-Pace, 2006; Di Méo, 1995).

2.5. Le rôle de l’imaginaire Il est aujourd’hui admis que les territoires font beaucoup plus appel à des représentations imaginées et à des idéologies qu’aux pratiques spatiales à proprement parler (Di Méo, 2004; Appadurai, 2001; Di Méo, 1990). C’est vrai pour les groupes, mais aussi pour les individus qui les forment, qui n’imagineront et n’interpréteront pas forcément tous le territoire qui les réunit de la même façon (Bédard, Augustin et Desnoilles, 2012; Guérin-Pace et Filippova, 2008; Schetter, 2006). Au contraire, chaque individu a «une marge de manœuvre et la possibilité de se distancier des significations institutionnalisées par certains pouvoirs» (Berdoulay, 2012, p.13). Il est également

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important de souligner que l’imaginaire est souvent forgé par des souvenirs ancrés dans le territoire (Di Méo, 2004), et qu’il est susceptible d’être influencé par la mémoire (Debarbieux, 2006).

Le caractère imaginaire des représentations est reconnu depuis longtemps, mais différents médias ont permis à ce dernier de prendre beaucoup plus d’importance (Appadurai, 2001). Selon Appadurai, la mondialisation a pour effet de déterritorialiser les identités en les amenant à se composer autour de réseaux essentiellement sociaux ou dans ses termes, d’ethnoscape (2001). Pour lui, l’ethnoscape serait la clé pour comprendre la formation identitaire à l’heure de la forte mobilité des individus et des informations (Appadurai, 2001). Or, Schetter montre quant à lui que l’ethnoscape est bel et bien imaginaire, mais que le territoire y trouve encore son importance (2006). À une autre échelle, un lien peut être fait avec les frontières «mobiles» et «portatives» qui agissent dans la région d’Ottawa-Gatineau (Gilbert et al., 2014). Ces frontières illustrent la composante imaginaire du territoire. Autrement dit, l’imaginaire géographique est étroitement lié aux représentations qui sont issues d’un processus mental, mais qui demeure influencé par l’espace (Di Méo, 1990).

2.6. Éléments de réflexion L’abondante utilisation du concept d’identité a, avec le temps, mené à la formulation de plusieurs définitions qui rendent parfois sa compréhension difficile (Debarbieux, 2006; Brubaker et Junqua, 2001). C’est dans cette optique que plusieurs avertissements ont été lancés concernant une interprétation superorganique de l’identité comme ce fut le cas pour la culture (Di Méo, 2002). De plus, même s’il est admis que de s’intéresser aux individus peut permettre d’éviter le piège du culturalisme (Di Méo, 2002), il ne faut pas perdre de vue qu’il est impossible de tout expliquer à partir du point de vue individuel (Di Méo, 1990) et qu’il demeure important de considérer l’environnement social dans la formation identitaire (Guérin-Pace, 2006). Il n’en demeure pas moins que l’échelle individuelle mérite davantage d’attention de la part des géographes (Guérin-Pace, 2006; Debarbieux, 2006).

C’est donc dans le but de porter une attention accrue aux identités individuelles que cette recherche s’est concentrée sur les opinions des citoyens. D’ailleurs, étudier les

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identités territoriales des citoyens cadre bien avec le contexte des fusions municipales. En effet, ces dernières ont remanié la maille territoriale qui existait depuis de nombreuses années. Autrement dit, bien que rien n’ait changé sur le territoire, les limites administratives qui servaient de repères à plusieurs citoyens ont été abolies rapidement. Il devient donc intéressant de connaître quel(s) changement(s) sont survenus dans les représentations des citoyens concernés.

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Chapitre 3 — Cadre conceptuel La recherche a pour but de cerner les caractéristiques relatives à l’identité territoriale des résidents des anciennes villes d’Aylmer et de Masson-Angers quinze ans après la fusion municipale. Pour ce faire, le concept d’identité individuelle sera grandement mobilisé, bien qu’il soit étroitement imbriqué avec celui d’identité collective (Debarbieux, 2006).

Nous nous intéressons à la dimension territoriale de l’identité de ces citoyens, plus particulièrement à l’attachement qu’ils éprouvent envers l’ancienne structure et à la place occupée par la nouvelle dans les représentations. À cet effet, les concepts d’institutionnalisation et de désinstitutionnalisation avancés par Zimmerbauer et Paasi (2013) seront mobilisés. Ces derniers définissent l’institutionnalisation comme étant l’action de «forging the region as an established, typically administrative unit in the wider regional system and societal consciousness» (Paasi, 1991, dans Zimmerbauer et Paasi, 2013). En contrepartie, la désinstitutionnalisation représente «the dissolving of a region when it is either merged with another region or when a (larger) region splits into smaller units» (Zimmerbauer et Paasi, 2013). Par ailleurs, l’identité revêtant un caractère pluriel, il sera intéressant de vérifier dans quelle mesure ces identités se superposent ou cohabitent (Di Méo, 2002). Pour y arriver, nous vérifierons le degré auquel les citoyens s’identifient à l’ancienne puis à la nouvelle structure.

Les trois composantes de l’identité exposées par Keating seront utilisées. D’une part, il y a l’élément cognitif qui se réfère à la conscience qu’ont les individus de l’existence d’un territoire donné. D’autre part, l’élément affectif concerne le sentiment d’appartenance qu’ont les individus pour ce territoire tandis que l’élément instrumental permet de distinguer si l’individu est satisfait du territoire sur lequel il évolue (Guermond, 2006). Ces trois composantes de l’identité révèlent des facettes distinctes du processus par lequel l’identité prend forme. Dans les faits, l’élément cognitif sera observé en portant une attention aux entités territoriales qui occupent l’imaginaire des participants. L’élément affectif sera mis en lumière grâce aux degrés d’identification à différentes échelles tandis que l’élément instrumental pourra être apprécié à travers les opinions véhiculées à propos de la fusion municipale.

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Par ailleurs, ces trois composantes de l’identité sont influencées par différents facteurs, que nous étudierons dans le cadre de notre thèse. Un premier facteur concerne les cercles d’activités, qui incluent notamment le travail, la famille et les loisirs. On s’intéressera aussi aux trajectoires résidentielles qui réfèrent à des lieux significatifs dans la vie des individus tandis que l’implication communautaire des individus est un facteur pouvant également influencer l’identité territoriale.

Lorsqu’il est question de cercles d’activités, il s’agit de lieux fréquentés par les individus au gré de leurs activités quotidiennes. Les commerces, les infrastructures sportives et le lieu de travail sont notamment des endroits qui font partie du quotidien d’un individu. Or, les lieux fréquentés dans le cadre des pratiques quotidiennes ne sont pas nécessairement garants d’un fort sentiment d’appartenance. En effet, un sentiment d’appartenance se développe aussi par le biais des représentations que se font les individus d’un lieu donné. Néanmoins, il demeure important de s’intéresser aux lieux des pratiques puisqu’à force de les fréquenter, ils deviennent familiers auprès des individus. Stock va même jusqu’à affirmer que «pratiquer les lieux, c’est en faire l’expérience, c’est déployer en actes, un faire qui a une certaine signification» (2006, p.6).

Quant aux trajectoires résidentielles des citoyens, elles font état des lieux auxquels ils ont été exposés au fil de leur existence. Ces trajectoires informent sur les racines qu’ils peuvent y avoir développées. Elles deviennent d’autant plus intéressantes lorsque ces lieux subissent des transformations pouvant influencer la qualité de vie des individus.

Les composantes individuelles et collectives de l’identité étant fortement imbriquées (figure 3), nous nous intéressons aussi à la deuxième, bien que ce soit de manière plus secondaire. Nous l’aborderons par l’entremise des groupes d’appartenance des individus. Ces groupes peuvent être modelés par des facteurs économiques, sociaux et culturels. Dans notre recherche, nous porterons, autant que possible, une attention particulière aux communautés linguistiques, qui figurent parmi les éléments constitutifs des identités à Aylmer.

Tous ces éléments interviennent lorsque survient un changement de structure, telle que la fusion qui a créé le nouveau Gatineau en 2002. Et ils détermineront jusqu’à quel point l’identité territoriale des résidents de la ville sera affectée par un tel changement. Le

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schéma qui suit permet de visualiser les processus à l’œuvre. Cette recherche se concentrera surtout sur les relations entre les identités individuelles et les identités territoriales. Certes, étant donné que les identités collectives sont étroitement liées aux identités individuelles, il se peut que certains éléments les concernant soient perceptibles, mais ils ne constitueront pas un enjeu central. On voit que les trois composantes de l’identité de Keating et les facteurs l’influençant créent les identités individuelles. Ainsi, il sera possible d’observer comment des changements de structures ont un impact sur les identités individuelles et par le fait même sur les identités territoriales.

Figure 3 Schéma conceptuel

3.1. Questions de recherche Cette recherche a pour objectif de vérifier comment la fusion municipale de Gatineau, imposée par le gouvernement provincial québécois, a influencé l’identité territoriale des citoyens. Autrement dit, quinze ans plus tard, à quoi s’identifient davantage les citoyens? Est-ce que le degré d’identification des citoyens pour leurs anciennes villes est encore aussi fort? Est-ce qu’une identité gatinoise est à se développer? Les deux processus peuvent agir simultanément et ne s’opposent pas nécessairement. Alors qu’en est-il de l’intensité du degré d’identification des citoyens pour chacune des entités? Cette recherche s’intéresse aussi à ce que pensent les citoyens des anciennes municipalités d’Aylmer et de Masson-Angers de la transition vers le nouveau Gatineau. Considèrent-ils que la fusion ait transformé leur qualité de vie? Si tel

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est le cas, dans quelle mesure et comment ces changements perçus influencent-ils le degré d’identification à leur ville, ancienne et nouvelle?

Le caractère pluriel de l’identité territoriale permet d’envisager différents scénarios. Le scénario le plus plausible est que les citoyens demeurent attachés à leur ancienne municipalité. En contrepartie, il est aussi possible que des citoyens se sentent de plus en plus attachés au nouveau Gatineau. Une troisième option envisageable est que les citoyens s’attachent timidement à la nouvelle ville, mais qu’ils s’identifient encore fortement à leur ancienne municipalité. Un dernier scénario possible, mais qui serait surprenant, est que les résidents s’attachent autant à la nouvelle ville qu’à leur ancienne municipalité. Bref, après 15 ans, il est possible que certains citoyens commencent à se sentir Gatinois, mais pas encore à part entière.

Dans une optique plus secondaire, le projet de recherche permettra aussi d’identifier des éléments faisant partie de l’identité territoriale des citoyens. Par le biais des questions qui leur seront posées, il sera possible de déterminer des lieux ayant une forte signification pour eux.

Concrètement, les objectifs de cette thèse sont les suivants :

1) Vérifier les effets de la fusion municipale sur les identités territoriales des citoyens. 2) Vérifier l’intensité de l’identification des citoyens au territoire, à différentes échelles. 3) Cerner des éléments qui forgent le sentiment identitaire des Gatinois issus des localités les plus périphériques de la nouvelle ville et ayant connu la fusion municipale. 4) Exposer l’opinion des citoyens de la Ville de Gatineau sur la fusion municipale de 2002. En plus de ces objectifs, le projet de recherche vise aussi à nourrir un objectif plus global. Au moment de la fusion, des citoyens ont exprimé leur fierté d’habiter leur municipalité et s’inquiétaient de la possibilité de perdre des acquis. À l’inverse, d’autres citoyens voyaient la fusion d’un bon œil et soutenaient qu’à long terme, les citoyens construiraient une identité collective (Mazouz et al., 2003). Ce projet compte observer si

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15 ans après la fusion municipale, les craintes des citoyens en matière d’identité se sont matérialisées ou si au contraire, une vision plus optimiste vis-à-vis de la fusion semble s’être concrétisée.

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Chapitre 4 — Méthodologie Comme nous l’avons évoqué, de nombreuses études traitent des fusions municipales, mais elles s’intéressent surtout aux structures administratives qui ont été transformées. Nous avons plutôt décidé d’orienter notre recherche sur la réalité des citoyens qui ont subi ces changements de structures. Nous avons choisi le cas de Gatineau parce peu de données existaient sur les opinions de ses citoyens. Nous avons donc mené une enquête par questionnaire auprès des citoyens d’Aylmer et de Masson afin de recueillir suffisamment de données pour nous permettre de dresser un portrait appréciable de la situation. Nous avons interrogé les participants à propos de leur ville, de leurs pratiques et de la fusion municipale.

Le chapitre qui suit se divise en six parties. Dans la première, nous discutons de la pertinence d’employer un questionnaire dans le cadre d’une recherche. Dans la deuxième, nous précisons les critères inhérents à la composition de l’échantillon tandis que la troisième décrit le déroulement de la collecte des données dans les deux secteurs à l’étude. Les quatrième et cinquième parties relatent respectivement les considérations éthiques et la conservation des données. Finalement, la sixième partie annonce de quelle manière les données récoltées ont été traitées dans les chapitres 5 et 6.

4.1. La collecte des données

La première partie de ce chapitre se divise en deux parties distinctes. D’une part, nous précisons pourquoi le questionnaire s’avère être un outil pertinent pour mener un projet comme le nôtre. D’autre part, nous énumérons toutes les questions contenues dans ledit questionnaire en précisant quel était le but en les posant.

4.1.1. L’enquête par questionnaire

Aucune donnée n’existe sur les identités territoriales des citoyens d’Aylmer et Masson-Angers. Afin d’en faire un portrait général, nous avons procédé à une vaste enquête, visant le plus grand nombre d’individus possible. Cette approche nous permet non seulement de décrire et de comparer les appartenances des résidents des deux secteurs 15 ans après la fusion, mais aussi de proposer certaines hypothèses quant aux facteurs qui ont agi sur leur construction (Schutt, 2006; Lamoureux, 2006). L’approche quantitative a l’avantage de procurer des données issues d’un processus rigoureux et

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uniforme favorisant une plus grande objectivité des résultats. De plus, il est bien connu que les données chiffrées obtenues à partir d’un échantillon peuvent mieux se prêter à la généralisation (Lamoureux, 2006; Cloke, 2004; Amyotte, 2002).

Nous avons opté pour l’enquête par questionnaire, car notre recherche s’intéresse surtout aux opinions et aux attitudes des citoyens. Cet outil a permis de mesurer simultanément plusieurs variables sous différents angles (Hay, 2010). De plus, l’enquête facilite l’obtention d’un grand volume de données en peu de temps et à peu de frais, enrichissant du même coup le faible corpus de données portant sur la vision des citoyens à l’égard de la fusion municipale à Gatineau. Nous avons aussi pu réaliser une comparaison entre les communautés d’Aylmer et de Masson-Angers afin de relever les similitudes et les divergences dans leurs représentations. En posant des questions plus ouvertes, il a aussi été possible d’obtenir des données de nature plus qualitative (Lamoureux, 2006; Flowerdew et Martin, 2005; Gumuchian et Marois, 2000).

Le questionnaire a été auto-administré (Bourque et Fielder, 2003). Ainsi, les participants ont pu répondre aux questions eux-mêmes sans la présence du chercheur en plus de bénéficier du temps désiré pour le faire. Le questionnaire utilisé proposait un cadre très précis aux participants, réduisant ainsi le risque que ceux-ci interprètent différemment les questions (Lamoureux, 2006; Flowerdew et Martin, 2005). Nous avons en effet, tenté de lever toute ambiguïté en formulant les questions de la façon la plus précise possible, puisque le répondant n’avait pas accès à nous lorsqu’il complétait le questionnaire (Bourque et Fielder, 2003). Nous avons jugé que les avantages de cette méthode dépassaient de loin ses inconvénients.

4.1.2. La composition du questionnaire Le questionnaire élaboré comprenait 20 questions réparties en trois sections distinctes (annexe A). La première section, intitulée «Votre ville» en comptait sept. La première question s’intéressait aux premières impressions qu’ont les citoyens à propos de leur ville. Pour ce faire, on leur demandait d’énumérer trois mots décrivant celle-ci. Cette question visait à dégager les grands traits de la représentation du territoire des citoyens interrogés ainsi qu’à observer si ces derniers se représentent leur ville positivement, négativement ou d’une manière relativement neutre. Aux questions 2 et 3, les participants devaient inscrire trois lieux qu’ils apprécient et trois autres qu’ils n’apprécient pas sur le 36

territoire de leur ville. Ces deux questions visaient à identifier les catégories de lieux les plus prégnantes pour les participants ainsi qu’à connaître s’ils se situent dans leur secteur résidentiel ou à une échelle plus régionale. La question 4 avait pour but d’observer si les citoyens considèrent être bien représentés par le nom de leur ville alors que la question 5 entendait connaître quel nom les participants auraient choisi pour la nouvelle ville. Ensemble, ces deux questions cherchaient à cerner l’attitude des citoyens envers le toponyme Gatineau. Cette première section se terminait avec les questions 6 et 7 qui sur une échelle de Likert à cinq options, devaient mesurer le degré d’appartenance territoriale des citoyens à la Ville de Gatineau ainsi qu’à leur ancienne municipalité.

La deuxième partie du questionnaire qui se nommait «Vos pratiques» s’intéressait au vécu des participants. Les questions 8, 9 et 10 s’intéressaient à leur trajectoire résidentielle. La première avait pour but de savoir où le répondant a grandi, la deuxième, à connaître la durée de résidence dans le secteur alors que la troisième s’intéressait à savoir depuis combien de temps le participant habite sa demeure actuelle. Quant à la question 1113, elle comptait déterminer si les répondants s’impliquent dans le milieu communautaire et le cas échéant, à quel titre et à quels endroits. La question 12 cherchait à connaître le lieu de travail du participant tandis que la question 13 entendait identifier les secteurs où s’effectuent les activités courantes telles que les achats, les sports et les loisirs, les sorties et les rencontres familiales. Ces éléments s’avèrent de bons indicateurs de l’espace vécu des participants, tant à l’échelle du secteur que de l’ensemble de l’agglomération. La dernière question demandait aux participants d’encercler sur une carte l’endroit où ils situent leur centre-ville. Cette question était volontairement formulée ainsi afin d’inviter le participant à identifier son centre-ville plutôt que le centre-ville. Nous avons pensé que ceci apporterait un complément d’information sur les lieux premiers de l’appartenance des participants.

La troisième partie du questionnaire, «Vos opinions sur la fusion», offrait l’occasion d’approfondir les connaissances entourant les opinions des citoyens au sujet de la fusion municipale elle-même. La question 15 visait à connaître la position du participant à propos de la fusion en 2002. La question 16 invitait les participants à partager leur niveau de satisfaction actuelle à l’égard du résultat de ladite fusion. Le but

13 Cette question n’a pas été utilisée parce qu’elle révélait peu sur l’implication communautaire. 37

était de constater s’il y a eu une évolution entre la position du passé et le niveau de satisfaction actuelle. D’autre part, la question 17 cherchait à savoir si le participant a le sentiment de partager l’opinion des autres résidents de son quartier. En posant cette question, il devenait possible de relever des éléments relatifs à l’identité collective. Aux questions 18 et 19, les répondants étaient invités à énumérer les gains et les pertes qu’ils considèrent comme inhérents à la fusion municipale. Finalement, la question 20 laissait plusieurs lignes sur lesquelles les participants pouvaient plus ouvertement partager leur opinion à propos de la fusion municipale 15 ans plus tard. Les réponses à ces trois dernières questions de nature qualitative avaient pour but de caractériser les attitudes à l’égard de la fusion municipale de 2002. Finalement, la dernière section du questionnaire qui s’intitulait «Qui êtes-vous?» permettait de réunir des informations de base sur la composition de l’échantillon : le sexe, l’âge, la langue maternelle, la rue de résidence et le statut résidentiel.

4.2. L’échantillon recherché Pour participer à cette enquête, les citoyens devaient habiter le secteur Aylmer ou Masson avant 2002, c’est-à-dire avant la fusion. Autrement dit, ils devaient avoir vécu la transition de l’ancienne ville vers la nouvelle. Il fallait aussi qu’ils aient eu l’âge légal de voter au moment de la fusion municipale. Nous nous sommes intéressés à ces participants parce que nous estimions qu’ils étaient les mieux placés pour se prononcer sur les effets qu’a pu avoir la fusion municipale sur leur quotidien.

Comme mentionné, nous nous sommes intéressés aux citoyens des anciennes municipalités d’Aylmer et de Masson-Angers qui y habitent toujours. Le choix de ces deux secteurs a été justifié par le fait que c’est à ces endroits que la contestation s’était le plus fortement manifestée. En effet, plus de 50 % des citoyens de chacun de ces secteurs avaient voté pour la défusion de la nouvelle ville en 200414. De plus, le fait que ces secteurs se distinguent au plan culturel (Aylmer) et géographique (Masson-Angers) a aussi été un facteur déterminant ayant mené à leur sélection. De son côté, Aylmer représentait un cas intéressant en raison de son caractère bilingue et du fait qu’il s’agisse du foyer d’une communauté anglophone relativement importante. Bien que l’ancienne

14 Notez que c’est la condition voulant que 35 % des citoyens inscrits sur la liste électorale qui a coûté la victoire aux défusionnistes (voir contexte). 38

ville d’Aylmer n’ait jamais bénéficié du statut de ville bilingue, la population anglophone, en plus d’avoir contribué à la fondation de la ville, a historiquement bénéficié de nombreux services dans sa langue. Pour cette communauté, la fusion municipale de 2002 a eu pour effet de faire basculer un rapport de force relativement égalitaire vers un rapport minoritaire au sein de la nouvelle ville. D’autre part, Masson- Angers, sans pouvoir être qualifié de milieu rural, est plutôt éloigné du centre urbain. Sa localisation géographique fait en sorte que les enjeux de ce secteur peuvent varier en comparaison de ceux des secteurs plus urbains comme Gatineau, Hull et Aylmer.

Les échantillons ont été formés aléatoirement en procédant à des séances de porte- à-porte dans les quartiers les plus anciens d’Aylmer et de Masson. Nous avons ciblé les résidences du village urbain15 Des Explorateurs (annexe B), où 63 % des logements ont été construits avant 1990. Le Manoir-Lavigne a été exclu, vu son caractère plus récent : 55 % des logements du quartier ont été construits après 2006 (Ville de Gatineau, 2014b). En ce qui concerne Masson-Angers, nous avons parcouru le village urbain du Bassin-de- la-Lièvre. Toutefois, le secteur Angers et le quartier de l’Encan Larose ont été ignorés pour laisser place au cœur historique de Masson (annexe C). Cette décision se justifie par le fait qu’à Masson, 70 % des logements ont été construits avant 1990 alors qu’à Angers, la majorité l’a été après cette année (Ville de Gatineau, 2014c).

Cet intérêt pour les centres historiques s’explique par le fait qu’ils sont peuplés depuis plus longtemps. Autrement dit, nous avons posé l’hypothèse qu’il serait plus facile d’y recruter des citoyens de longue date qui répondraient aux critères de l’échantillon. Il aurait été plus difficile de trouver ces participants dans les quartiers résidentiels construits après la fusion.

Cette démarche fut payante puisque l’objectif de recueillir 150 questionnaires a été atteint sans avoir à trop élargir le périmètre initialement déterminé. Le but était en fait d’obtenir 75 questionnaires dans chacun des secteurs afin qu’il soit possible de mesurer des tendances ainsi que d’identifier des pistes servant à mieux comprendre les dynamiques observées. L’obtention d’un nombre comparable de questionnaires en

15 Un village urbain est un concept utilisé par le département d’urbanisme de la ville de Gatineau. Il s’agit d’une façon de découper le territoire municipal. 39

provenance de chacun des secteurs s’avérait cruciale afin de procéder à des comparaisons entre eux.

4.3. La collecte des données La collecte des données s’est déroulée sur une période de 36 jours, en semaine, entre 14 h et 19 h, en juin et juillet 2016. Cet emploi du temps a surtout permis de joindre des retraités.

Seules les résidences directement accessibles de la rue ont été visitées. Autrement dit, les immeubles à logements dont l’entrée des logis ne donnait pas directement sur la rue étaient ignorés. En variant les périodes de la journée durant lesquelles nous avons circulé dans les quartiers étudiés, nous avons favorisé le meilleur taux de réponse possible16.

Toutes les adresses auxquelles nous nous sommes présentés ont été systématiquement notées tout comme la fréquence des passages effectués17. Lorsqu’on nous répondait, nous mentionnions que nous étions en train de réaliser une maîtrise en géographie au sujet de la fusion municipale à Gatineau18. Nous expliquions brièvement le but du projet avant de demander à l’interlocuteur s’il habitait dans le secteur avant la fusion municipale de 2002. S’il répondait par l’affirmative, nous lui proposions de répondre au questionnaire tout en lui mentionnant que l’exercice était anonyme et confidentiel. S’il était volontaire, nous lui signalions que le questionnaire devait prendre une quinzaine de minutes à compléter et qu’il était possible d’y répondre en français et en anglais19. Nous mentionnions aussi qu’il n’était pas nécessaire de le remplir immédiatement et qu’il pouvait indiquer à quel moment il préférait que nous venions le récupérer. Plusieurs ont donc laissé leur questionnaire complété dans leur boîte aux lettres tandis que d’autres ont préféré que nous cognions à nouveau.

En procédant ainsi, 156 questionnaires ont été amassés. Seulement quatre d’entre eux ont été rejetés en raison d’un manque significatif d’informations ou encore parce que

16 Aucun porte-à-porte n’a été effectué à l’occasion des fins de semaine entourant les célébrations de la Saint-Jean-Baptiste et de la fête du Canada. 17 Voir annexe D pour voir la grille de compilation utilisée. 18 Afin de faciliter mon identification, je portais un chandail à l’effigie de l’Université d’Ottawa en plus d’accrocher ma carte étudiante à mon cou. 19 Voir annexe E pour la version anglophone du questionnaire. 40

le participant ne répondait pas aux critères de l’échantillon20. Notre analyse porte donc sur 152 questionnaires. La collecte de données ne s’est pas déroulée avec la même facilité dans les deux secteurs. C’est pourquoi les résultats des deux démarches sont présentés séparément.

4.3.1. Collecte des données à Masson À Masson, la collecte s’est déroulée sur une période de 11 jours du mois de juin 2016. Au total, 550 tentatives ont été faites sur 481 portes permettant ainsi de distribuer 96 questionnaires parmi lesquels 80 ont été retournés. Par ailleurs, 24 citoyens ayant pu participer ont refusé de le faire alors que 108 n’ont pu le faire parce qu’ils ne correspondaient pas à l’échantillon recherché. Il y a aussi 27 adresses qui arboraient l’enseigne «Pas de colporteur»21 ou qui étaient visiblement vacantes alors qu’à quatre reprises, les résidents ont refermé la porte avant que nous puissions savoir s’ils répondaient à l’échantillon. Un total de 222 portes sont demeurées sans réponse en raison de l’absence des résidents ou encore parce qu’ils ne désiraient simplement pas répondre. Considérant que deux des 80 questionnaires ont été rejetés, l’échantillon de Masson se chiffrait à 78 (tableau 3).

Tableau 3 Compte-rendu du porte-à-porte à Masson

Type de réponses Nombre Questionnaires remplis et retournés 80 Refus (y compris les questionnaires non retournés) 40 Citoyens ne satisfaisant pas aux critères de l’échantillon 108 Portes sans réponse 222 Portes non visitées (Pas de colporteur/ Résidences vacantes) 27 Pas le temps de connaître le statut 4 Total des portes 481

4.3.2. Collecte des données à Aylmer À Aylmer, la collecte de données s’est déroulée pendant 25 jours répartis entre les mois de juin et juillet 2016. Au total, 893 tentatives ont été effectuées sur 597 portes. La

20 La question 9 agissait comme un dernier filtre permettant d’exclure des participants. 21 Même si je ne vendais rien, nous avons décidé de respecter ces enseignes lorsque je les voyais. 41

démarche a permis de distribuer 98 questionnaires dont 76 ont été retournés. Par ailleurs, 17 résidents ayant pu participer ont refusé de le faire alors que 83 autres ne correspondaient pas à l’échantillon recherché. Il faut aussi souligner que 18 adresses arboraient l’enseigne «Pas de colporteur» ou étaient visiblement vacantes et qu’à six reprises, nos interlocuteurs ont mis fin au dialogue sans que nous puissions savoir s’ils correspondaient à l’échantillon. Un total de 375 adresses sont demeurées sans réponse parce que les occupants étaient absents ou ne désiraient simplement pas répondre. Considérant que deux des 76 questionnaires ont été rejetés, l’échantillon pour Aylmer s’élève à 74 (tableau 4).

Tableau 4 Compte-rendu du porte-à-porte à Aylmer

Type de réponses Nombre Questionnaires remplis et retournés 76 Refus (y compris les questionnaires non retournés) 39 Citoyens ne satisfaisant pas aux critères de l’échantillon 83 Portes sans réponse 375 Portes non visitées (Pas de colporteur/ Résidences vacantes) 18 Pas le temps de connaître le statut 6 Total des portes 597

4.4. Considérations éthiques et consentement Les droits des répondants à la vie privée n’ont en aucun temps été compromis. D’une part, le but de la recherche était clairement présenté verbalement afin que le citoyen puisse décider librement s’il voulait ou non à participer à l’enquête. D’autre part, en plus de l’explication verbale, une page expliquant le but et les implications de l’enquête permettaient d’obtenir le consentement éclairé du citoyen (annexe E).

Les participants qui consentaient à participer à la recherche se voyaient garantir la protection de leur vie privée. En effet, nous avons assuré les participants de la confidentialité de l’information transmise par la voie du questionnaire et de leur anonymat. Le questionnaire a subi une évaluation à risque minimal de la part du Bureau

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d’éthique et d’intégrité de la recherche22. La distribution des questionnaires a pu débuter dès que le certificat d’éthique a été émis le 15 juin 2016.

4.5. Conservation des données Les réponses ont été compilées dans un fichier tabulateur (Excel). Ce dernier a été enregistré sur une clé USB m’appartenant consacrée uniquement au projet de recherche. Cette clé est protégée par un mot de passe, advenant le cas où elle soit perdue. Cette clé sera conservée pour les cinq prochaines années comme le recommande le Bureau d’éthique et d’intégrité de la recherche.

Une copie de ce fichier a aussi été enregistrée sur un ordinateur auquel nous sommes les seuls à pouvoir accéder. Mis à part le chercheur, seuls ses superviseurs ont eu accès à ce fichier, essentiellement lors de discussions concernant le projet. Les versions imprimées des questionnaires ont été rangées dans un classeur, dont le chercheur a été le seul à en détenir l’accès. Elles ont été réutilisées au besoin et ont été numérisées. La clé USB contenant les fichiers sera remise aux superviseurs.

4.6. Analyse des données Les résultats sont présentés dans deux chapitres distincts. D’abord, le chapitre 5 décrit les résultats plus sobrement avec plusieurs tableaux à l’appui. Il s’agit en fait de la synthèse des réponses issues des questions fermées. Les tableaux contiennent les fréquences absolues et relatives des réponses. Bien qu’il s’agisse d’une démarche pouvant être qualifiée d’usuelle, elle a tout de même permis de préciser la composition de l’échantillon en plus de dresser un portrait sommaire des pratiques et des représentations des participants. Cette première étape du traitement des données permet d’ores et déjà d’observer le localisme et l’insatisfaction manifestés par les participants.

Dans ce même chapitre, les réponses aux questions ouvertes ont été listées, puis catégorisées afin de mettre en évidence les thèmes les plus souvent évoqués par les participants. Ces questions ont permis d’en connaître davantage sur les représentations des participants, mais aussi de connaître leur opinion à propos de la fusion municipale. Nous avons ainsi distingué les commentaires négatifs et les commentaires positifs concernant la fusion. Cette étape est venue compléter le portrait des représentations et des

22 Un exemplaire du certificat a été placé à l’annexe F 43

opinions en fournissant des significations plus concrètes aux données chiffrées issues des questions fermées.

Par ailleurs, le chapitre 6 propose une analyse plus approfondie en fournissant des interprétations aux résultats obtenus. Pour ce faire, des tableaux croisés ont été générés. Cette démarche a permis de clarifier que les individus ayant un faible degré d’identification à la Ville de Gatineau étaient aussi ceux qui étaient les plus insatisfaits de la fusion municipale. Un autre croisement a aussi établi que les participants s’identifiant le moins à la Ville de Gatineau sont ceux qui acceptent le moins le toponyme Gatineau. Nous avons aussi tenté de voir si l’avis des anglophones et des francophones divergeait selon les variables observées. Autrement dit, les croisements ont permis de clarifier le portrait des représentations des participants ainsi qu’à réfléchir sur les implications de ces dernières.

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Chapitre 5 —D’une périphérie à une autre Ce chapitre qui décrit les résultats est divisé en huit parties. La première partie dresse le profil détaillé des participants. La seconde partie porte un intérêt aux pratiques des participants. Concrètement, ce sont les lieux où se déroulent leurs achats, leurs sports et leurs loisirs, leurs sorties, leurs rencontres familiales ainsi que leur travail qui seront observés. Dans la troisième partie, c’est le domaine des représentations qui nous intéresse. L’endroit où les participants situent leur centre-ville et l’idée qu’ils ont du nom de leur ville constituent les éléments étudiés. La quatrième partie accorde une attention particulière aux degrés d’identification qu’entretiennent les participants avec leur secteur résidentiel et leur ville. En ce qui concerne la cinquième partie, elle propose d’exposer le portrait des opinions concernant la fusion municipale.

La sixième partie du chapitre propose quant à elle d’énumérer les lieux pour lesquels les participants ont éprouvé de la sympathie ou de l’aversion. La septième présente pour sa part les mots décrivant le mieux la ville des participants tandis que la huitième et dernière partie énumère les gains et les pertes issus de la fusion municipale.

5.1. Profil des participants Dans cette première partie du chapitre, nous dresserons le profil linguistique des participants. Il sera notamment question de leur langue maternelle, mais aussi de la langue dans laquelle ils ont répondu au questionnaire. Ensuite, c’est le profil démographique qui sera exposé en présentant le sexe et l’âge des participants. La dernière partie de cette section entend présenter les trajectoires résidentielles des participants. Autrement dit, où ont-ils grandi et depuis combien de temps habitent-ils leur secteur résidentiel.

5.1.1. Profil linguistique Un total de 152 questionnaires a été rempli. Parmi ceux-ci, 85 % ont été remplis en français tandis que 15 % l’ont été en anglais23. Or, la proportion de participants affirmant avoir le français comme langue maternelle ne s’élève qu’à un peu plus de 80 % alors que celle des répondants ayant affirmé que c’était l’anglais dépasse légèrement les 11 % (tableau 5). Les différences observées entre la langue de réponse et la langue maternelle

23 Voir tableau 1 de l’annexe G. 45

sont probablement imputables au fait que près de 6 % des participants ont affirmé être bilingues lorsqu’est venu le temps de mentionner leur langue maternelle. Les deux tiers des individus qui se sont déclarés bilingues ont choisi la version francophone du questionnaire.

Tableau 5 Langue maternelle des participants selon le secteur

Langue Effectif % total Effectif % Effectif % maternelle total Masson Masson Aylmer Aylmer Français 123 80,9 73 93,6 50 67,6 Anglais 17 11,2 2 2,6 15 20,3 Bilingue 9 5,9 1 1,3 8 10,8 Autre24 3 2 2 2,6 1 1,4 Total des 152 100 78 100 74 100 réponses

Sans surprise, la majorité des participants de Masson sont francophones (93,6 %) tandis qu’à Aylmer, ce groupe linguistique compte pour 67,6 % de l’échantillon. En fait, c’est dans ce secteur que se trouvent presque tous les anglophones (20,3 %) et les bilingues (10,8 %) qui ont participé à l’étude.

5.1.2. Profil démographique Les femmes et les hommes représentaient respectivement 49 et 45 % de l’échantillon (tableau 6). Les autres questionnaires ont été remplis par des couples.

Tableau 6 Sexe des participants selon le secteur

Sexe Effectif Effectif Effectif % total % Masson % Aylmer total Masson Aylmer Masculin 68 45 38 49,4 30 40,5 Féminin 74 49 36 46,8 38 51,4 Couple 9 6 3 3,9 6 8,1 Total des 151 100 77 100 74 100 réponses

Par ailleurs, près de 60 % des participants sont âgés de 61 ans ou plus alors que ceux âgés entre 51 et 60 ans comptent pour un peu plus de 27 % des individus sondés. Les répondants âgés entre 31 et 50 ans ne constituaient pour leur part qu’environ 13 % de

24 Les répondants qui ont coché «Autre» n’ont pas précisé leur langue maternelle. 46

l’échantillon (tableau 7). Ces données concernant l’âge des participants concordent avec le fait que des retraités et des individus n’occupant actuellement pas d’emploi forment près de 65 % de l’échantillon25. Cette caractéristique de l’échantillon aura possiblement une certaine incidence sur les résultats de l’enquête. Les retraités n’ont pas nécessairement les mêmes habitudes de vie que la population active. Il sera d’autant plus intéressant d’observer le rapport qu’entretient ce groupe avec leur ville. Tableau 7 Âge des participants selon le secteur

Effectif Effectif Effectif Âge % total % Masson % Aylmer total Masson Aylmer 31-40 ans 7 4,6 3 3,8 4 5,5 41-50 ans 13 8,6 8 10,3 5 6,8 51-60 ans 41 27,2 24 30,8 17 23,3 61 ans et plus 90 59,6 43 55,1 47 64,4 Total des réponses 151 100 78 100 73 100

Bien que la différence ne soit pas importante, il faut noter le fait que les participants âgés de 61 ans ou plus sont plus nombreux à Aylmer (64,4 %) qu’à Masson- Angers (55,1 %). En contrepartie, ceux qui sont âgés entre 51 et 60 ans sont plus nombreux à Masson-Angers (30,8 %) qu’à Aylmer (23,3 %).

5.1.3. Origines et parcours résidentiels des participants Nous souhaitions connaître les lieux où ont grandi les participants. Nous voulions aussi connaître depuis combien de temps ils habitent leur secteur ainsi que leur demeure actuelle. En effet, on suppose que le lieu où un individu a grandi peut influencer la représentation qu’il s’en fait. Il s’avère que près de 80 % des participants sont originaires des cinq municipalités constituant aujourd’hui la Ville de Gatineau (tableau 8). Parmi eux, un peu plus des deux tiers ont grandi dans les secteurs d’Aylmer (32,2 %) ou de Masson (34,9 %). Par ailleurs, plus de 20 % des participants sont originaires de l’extérieur de la Ville de Gatineau.

25 La proportion des retraités est calculée par rapport aux 146 réponses obtenues à la question #8 sur le lieu de travail. 47

Tableau 8 Lieux où les participants ont grandi selon le secteur

Effectif Effectif % Effectif % total % Aylmer Lieu d’origine total Masson Masson Aylmer Aylmer 48 32,2 0 0 48 66,7 Hull 10 6,7 4 5,2 6 8,3 Gatineau 5 3,4 4 5,2 1 1,4 Buckingham 4 2,7 4 5,2 0 0 Masson-Angers 52 34,9 52 67,5 0 0 Autres 30 20,1 13 16,9 17 23,6 Total des réponses 149 100 77 100 72 100

En observant séparément les données issues d’Aylmer et de Masson, on remarque qu’aucun répondant d’Aylmer n’est originaire de l’est de la ville26 et qu’aucun participant de Masson n’a grandi à Aylmer. Le fait que la majorité des participants soient originaires de leur secteur résidentiel actuel laisse supposer qu’ils connaissent bien l’environnement sur lequel ils ont été questionnés. Toutefois, on constate que quelques Aylmerois (8,3 %) et quelques Massonnois (5,2 %) ont grandi dans le secteur Hull. Certains Massonnois ont pour leur part grandi à Buckingham (5,2 %) ou à Gatineau (5,2 %). Les Aylmerois (23,6 %) originaires d’ailleurs sont plus nombreux que les Massonnois (16,9 %) qui le sont.

Considérant le grand nombre de participants originaires des secteurs à l’étude, il n’est pas surprenant qu’un peu plus de 84 % d’entre eux habitent leur secteur depuis plus de 25 ans. En contrepartie, environ 16 % y vivent depuis moins de 25 ans (tableau 9).

Tableau 9 Durée de séjour des participants selon le secteur

Durée de séjour Effectif Effectif Effectif % total % Masson % Aylmer (Secteur) total Masson Aylmer 15 ans et moins 4 2,7 2 2,6 2 2,7 15-25 ans 20 13,2 14 17,9 6 8,2 25 ans et plus 127 84,1 62 79,5 65 89 Total des réponses 151 100 78 100 73 100

Les participants de cette enquête sont donc des résidents de longue date. Or, on remarque que les individus qui habitent dans leur secteur depuis plus de 25 ans sont un

26 L’est de la ville réfère aux secteurs Masson-Angers et Buckingham qui sont voisins. 48

peu plus nombreux à Aylmer (89 %) qu’à Masson (79,5 %). Cette situation n’est probablement pas étrangère au fait que les participants aylmerois sont légèrement plus âgés que les Massonnois. Malgré tout, 17,9 % des Massonnois habitent leur secteur depuis 15 à 25 ans alors qu’à Aylmer, cette proportion n’est que de 8,2 %.

Il faut aussi souligner qu’en plus d’habiter le secteur depuis longtemps, la quasi- totalité des répondants (96 %) est propriétaire de son domicile27. Concrètement, un peu plus de 61 % des individus questionnés habitent leur demeure actuelle depuis plus de 25 ans. En contrepartie, environ 21 % d’entre eux résident dans leur foyer depuis une période s’étalant de 15 à 25 ans et une proportion d’un peu plus de 17 % vit dans sa demeure actuelle depuis 15 ans ou moins (tableau 10). Tableau 10 Durée de séjour des participants dans leur domicile actuel selon le secteur

Effectif % Effectif Durée de séjour Effectif % total % Aylmer Masson Masson Aylmer (Domicile) total 15 ans et moins 26 17,2 10 12,8 16 21,9 15-25 ans 32 21,2 20 25,6 12 16,4 25 ans et plus 93 61,6 48 61,5 45 61,6 Total des réponses 151 100 78 100 73 100

Cela dit, si la majorité des Aylmerois et des Massonnois habitent leur foyer actuel depuis plus de 25 ans, le tiers y vit depuis moins de 25 ans dans les deux cas. Parmi eux, plus nombreux sont les résidents qui y sont depuis moins de 15 ans à Aylmer (21,9 %) qu’à Masson (12,8 %). À la lumière de ces résultats, nous pouvons aisément affirmer que la grande majorité des participants sont très fortement enracinés à leur secteur et qu’ils ont bien connu la vie dans leur municipalité avant la fusion. Ils sont donc à même de porter des jugements éclairés sur les effets qu’a pu avoir la fusion municipale sur leur quotidien.

5.2. Les pratiques des participants Bien que les pratiques spatiales ne puissent expliquer les identités territoriales à elles seules, il n’en demeure pas moins qu’elles fournissent des pistes intéressantes pour les comprendre. Nous avons donc invité les participants à indiquer où ils effectuaient

27 Rappelons que seules les portes directement accessibles de la rue ont été visitées. Pour les résultats détaillés, voir tableau 2 de l’annexe G. 49

leurs achats, pratiquaient leurs sports et menaient leurs loisirs, faisaient leurs sorties ainsi que leurs rencontres familiales. Nous avons aussi demandé à celles et à ceux qui occupent un emploi d’indiquer leur lieu de travail. Certes, les réponses n’étaient pas graduées en importance, mais il a tout de même été possible de dégager l’échelle à laquelle se déroulent ces pratiques, c’est-à-dire à l’échelle locale ou régionale28.

5.2.1. Achats Effectuer des achats, peu importe leur nature, constitue une activité qui doit être répétée fréquemment en raison du fait qu’ils répondent généralement à des besoins essentiels. Ainsi, plusieurs achats s’effectuent souvent dans des commerces de proximité. Il ne faut donc pas se surprendre que près de la moitié des achats se fassent dans les périphéries de la Ville de Gatineau. En effet, 30 % des achats s’effectuent dans l’est de la ville tandis que 19,1 % ont cours à Aylmer (tableau 11). Par ailleurs, les secteurs Gatineau et Hull, qui constituent le noyau urbain central de la ville, représentent 35 % des emplettes. Il y a également près de 15 % des achats qui sont effectués à Ottawa. Tableau 11 Lieux où les achats des participants s’effectuent selon le secteur

Effectif Effectif % Effectif Achats % total % Aylmer total Masson Masson Aylmer Aylmer 70 19,1 0 0 70 39,8 Hull 52 14,2 12 6,3 40 22,7 Gatineau 76 20,8 54 28,4 22 12,5 Buckingham 69 18,9 69 36,3 0 0 Masson-Angers 39 10,7 39 20,5 0 0 Ottawa 54 14,8 14 7,4 40 22,7 Autres 6 1,6 2 1,1 4 2,3 Total des réponses 366 100 190 100 176 100

En considérant les réponses en fonction du secteur résidentiel des participants, on constate que les Aylmerois et les Massonnois tendent à magasiner localement. Ainsi, 39,8 % des emplettes des Aylmerois se font à Aylmer alors que 56,8 % de celles des Massonnois sont effectuées dans l’est de la ville. Toutefois, les Aylmerois et les Massonnois ont aussi recours aux commerces des secteurs centraux. Or, ils ne préconisent pas les mêmes alors qu’on remarque que 28,4 % des courses des Massonnois

28 Dans le contexte de ce projet, l’échelle locale désigne le secteur alors que l’échelle régionale réfère à la ville de Gatineau et ses alentours. 50

se font dans le secteur Gatineau contrairement à seulement 12,5 % de celles des Aylmerois. À l’inverse, on constate que 22,7 % des achats des Aylmerois se font dans le secteur Hull contre seulement 6,3 % pour ceux des Massonnois. Il faut également souligner que 22,7 % du magasinage des Aylmerois se déroulent à Ottawa, une habitude qui ne concerne que 7,4 % de celui des Massonnois.

En somme, on observe que l’est de la ville est impopulaire auprès des Aylmerois et qu’Aylmer ne l’est pas plus auprès des Massonnois. Il sera intéressant de savoir si un lien existe entre les lieux d’achats et la localisation du centre-ville des participants. De telles pratiques nous invitent aussi à réfléchir à la grande superficie de la Ville de Gatineau.

5.2.2. Loisirs et sports Les municipalités offrent généralement des infrastructures permettant à leurs citoyens de pratiquer plusieurs sports et loisirs. C’est donc pourquoi nous avons demandé aux participants d’indiquer où ils menaient ces activités. Ainsi, un peu plus de 85 % des sports et des loisirs sont menés sur le territoire de la Ville de Gatineau. Or, ce sont les périphéries de la ville qui sont les plus populaires (tableau 12). En effet, 29,4 % des activités se déroulent à Aylmer tandis que 31,9 % d’entre elles ont lieu dans l’est de la ville. En ce qui concerne les secteurs centraux de Gatineau et Hull, qui sont les plus populeux et qui accueillent certaines infrastructures d’envergure, 23,7 % des pratiques sportives et des loisirs y sont pratiqués. Tableau 12 Lieux où les sports et loisirs des participants s’effectuent selon le secteur Effectif Effectif Effectif Loisirs et Sports % total % Masson % Aylmer total Masson Aylmer Aylmer 57 29,4 1 1 56 59,6 Hull 22 11,3 7 7 15 16 Gatineau 24 12,4 17 17 7 7,4 Buckingham 29 14,9 29 29 0 0 Masson-Angers 33 17 33 33 0 0 Ottawa 21 10,8 9 9 12 12,8 Autres 8 4,1 4 4 4 4,3 Total des réponses 194 100 100 100 94 100

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En observant séparément les réponses des Aylmerois et des Massonnois, la préférence pour les périphéries se précise. En effet, 59,6 % des sports et des loisirs des Aylmerois se tiennent à Aylmer alors que ceux de 62 % des Massonnois se déroulent dans l’est de la Ville de Gatineau. En ce qui concerne les secteurs centraux, ils sont beaucoup moins fréquentés dans le cadre des sports et loisirs qu’ils ne l’étaient pour les achats. Toutefois, tout comme ce fut le cas pour les achats, Hull est davantage apprécié à Aylmer qu’à Masson. En effet, 16 % des sports et loisirs des Aylmerois se tiennent à Hull contre seulement 7 % de ceux des Massonnois. En contrepartie, 17 % des activités sportives et des loisirs des Massonnois se déroulent à Gatineau contre seulement 7,4 % de ceux des Aylmerois. Par ailleurs, 12,8 % des activités des Aylmerois et 9 % de celles des Massonnois se déroulent à Ottawa.

Bien qu’on ne sache pas précisément quelles activités pratiquent les participants, nous pouvons en déduire que la popularité de l’est de la ville et d’Aylmer signifie qu’ils trouvent ce dont ils ont besoin à proximité de leur domicile. Une fois de plus, il sera intéressant de vérifier si un lien existe entre cette tendance à agir localement et l’endroit où les participants situent leur centre-ville. Les lieux appréciés pourraient également fournir un indice des raisons poussant les participants à mener ces activités localement.

5.2.3. Sorties Connaître les lieux où les participants mènent leurs sorties s’avérait intéressant dans la mesure où elles peuvent représenter un spectre d’activités très large. De plus, contrairement aux achats, les sorties revêtent un caractère plus volontaire, c’est-à-dire que les participants ont le choix d’en effectuer ou non. On observe ici une plus forte attraction des secteurs centraux, alors que 40 % des sorties se font dans les secteurs Gatineau et Hull (tableau 13) tandis que les secteurs périphériques de la Ville de Gatineau sont les lieux où 34,3 % d’entre elles s’effectuent. Il y a également près du quart des sorties qui se déroulent hors de la Ville de Gatineau, notamment à Ottawa (19,7 %).

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Tableau 13 Lieux de sorties des participants selon le secteur

Effectif Effectif Effectif Sorties % total % Masson % Aylmer total Masson Aylmer Aylmer 57 19 2 1,4 55 35,5 Hull 53 17,7 23 15,9 30 19,4 Gatineau 67 22,3 49 33,8 18 11,6 Buckingham 28 9,3 28 19,3 0 0 Masson-Angers 18 6 17 11,7 1 0,6 Ottawa 59 19,7 17 11,7 42 27,1 Autres 18 6 9 6,2 9 5,8 Total des réponses 300 100 145 100 155 100

Bien que les participants d’Aylmer et de Masson ne favorisent pas les mêmes endroits pour leurs sorties, on relève que près du tiers des sorties des participants des deux secteurs s’effectuent dans leur secteur résidentiel. Nous pouvons aussi remarquer que Gatineau et Hull ne bénéficient pas de la même popularité. Si l’on considère que le secteur Hull comprend le centre-ville «officiel»29 de Gatineau, certains pourraient trouver surprenant qu’il soit la troisième destination la plus populaire, tant à Aylmer qu’à Masson. Or, on verra plus tard qu’il ne faut pas s’en surprendre puisque nombreux sont les participants qui ne situent pas leur centre-ville à Hull. Dans les faits, 19,4 % des réponses des Aylmerois et 15,9 % de celles des Massonnois placent Hull comme lieu de sorties. En ce qui concerne les sorties, le secteur Gatineau est peu populaire auprès des Aylmerois alors que 11,6 % de leurs sorties s’y déroulent. Au contraire, 33,8 % des sorties des Massonnois ont lieu dans ce secteur. Par ailleurs, 27,1 % des sorties des Aylmerois se déroulent dans la Ville d’Ottawa contre seulement 11,7 % de celles des Massonnois.

5.2.4. Famille et amis Les rencontres familiales sont des pratiques que les participants ne contrôlent pas totalement. Toutefois, le fait d’avoir des membres de sa famille résidant dans un secteur peut favoriser l’enracinement d’individus à ce dernier. C’est pour cette raison qu’il s’avérait pertinent de demander aux participants où se déroulaient leurs rassemblements familiaux. On pouvait ainsi savoir s’ils habitaient près de leur famille ou non. Nous

29 C’est du moins le centre-ville dont l’administration municipale fait la promotion et celui annoncé sur les panneaux routiers. 53

constatons donc que ces rencontres se déroulent surtout sur le territoire de la Ville de Gatineau (tableau 14). Par contre, plus de la moitié d’entre elles ont cours dans les périphéries de la ville alors que moins du tiers se déroulent à Gatineau et Hull. Il y a aussi plus de 20 % des rencontres familiales qui se tiennent dans une autre ville que Gatineau, dont 13,3 % à Ottawa.

Tableau 14 Lieux où se déroulent les activités familiales et amicales des participants selon le secteur

Effectif Effectif Effectif Famille et Amis % total % Masson % Aylmer total Masson Aylmer Aylmer 76 22 7 3,8 69 42,6 Hull 36 10,4 14 7,6 22 13,6 Gatineau 57 16,5 34 18,5 23 14,2 Buckingham 44 12,7 43 23,4 1 0,6 Masson-Angers 61 17,6 57 31 4 2,5 Ottawa 46 13,3 13 7,1 33 20,4 Autres 26 7,5 16 8,7 10 6,2 Total des réponses 346 100 184 100 162 100

À première vue, le fait que 54,4 % des rassemblements familiaux des Massonnois se tiennent dans l’est de la ville témoigne d’un important enracinement de ces derniers à leur secteur. Bien que la proportion soit moins grande, cet enracinement est aussi perceptible chez les Aylmerois alors que 42,6 % des rencontres familiales se tiennent à Aylmer. Gatineau et Hull constituent un peu plus du quart des réponses des participants de chaque secteur. Or, les rassemblements familiaux des Massonnois tendent à s’effectuer davantage à Gatineau (18,5 %) qu’à Hull (7,6 %) alors que ceux de 14,2 % des Aylmerois se tiennent à Gatineau et 13,6 % à Hull. Les racines anglophones de certains Aylmerois suggèrent quelques raisons pouvant expliquer que près de 20,4 % d’entre eux se rendent à Ottawa pour des rassemblements familiaux.

5.2.5. Lieu de travail Avant toute chose, rappelons que près de 65 % de l’échantillon est composé de retraités ou d’individus n’occupant pas d’emploi. Or, près de 65 % de la cinquantaine de participants qui travaillent occupent un emploi sur le territoire de la Ville de Gatineau (tableau 15). Les secteurs centraux constituent le lieu d’emploi de moins du tiers des participants. Le secteur Hull, reconnu comme étant le centre-ville officiel et où de

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nombreux employeurs ont pignon sur rue, reçoit 21,6 % des travailleurs. Par ailleurs, un peu moins du tiers des participants actifs sur le marché du travail occupent un emploi dans un des secteurs périphériques de Gatineau. Pourtant, la périphérie se fait souvent poser l’étiquette de banlieues et n’est pas reconnue pour offrir de nombreux emplois. Il faut aussi noter que 31 % de ces participants travaillent à Ottawa. Tableau 15 Lieux de travail des participants selon le secteur

Effectif Effectif % Effectif % Lieu de travail % total total Masson Masson Aylmer Aylmer Aylmer 10 19,6 0 0 10 40 Hull 11 21,6 6 23,1 5 20 Gatineau 4 7,8 4 15,4 0 0 Buckingham 2 3,9 2 7,7 0 0 Masson-Angers 6 11,8 6 23,1 0 0 Ottawa 16 31 6 23,1 10 40 Autres 2 3,9 2 7,7 0 0 Total des réponses 51 100 26 100 25 100

En observant les lieux de travail en fonction du secteur résidentiel des participants, il en ressort que 40 % des Aylmerois interrogés travaillent à Aylmer alors que 30,8 % des Massonnois le font dans l’est de la ville. Par ailleurs, 23,1 % des Massonnois et 20 % des Aylmerois travaillent à Hull. Pour sa part, le secteur Gatineau est le lieu de travail de 15,4 % des participants de Masson, mais celui d’aucun Aylmerois. La Ville d’Ottawa est le lieu de travail de 40 % des Aylmerois et celui de 23,1 % des Massonnois.

Comme nous avons pu l’observer pour les achats, les sports et les loisirs, on remarque que les Aylmerois et les Massonnois ne se rendent pas les uns chez les autres. Or, avec toutes les pratiques qui ont été exposées, nous pouvons d’ores et déjà observer qu’une frontière semble exister au sein même de la Ville de Gatineau30. Il devient aussi intéressant de se demander si cette faible interaction entre les Aylmerois et les Massonnois ne constituerait pas une piste pour expliquer leur faible degré d’identification à la Ville de Gatineau.

30 Cette frontière est évoquée dans l’ouvrage La frontière au quotidien d’Anne Gilbert et al. (2014). 55

5.3. Les représentations de la ville Dans cette partie du chapitre, il est davantage question des représentations des participants. Il est d’abord question du centre-ville des participants. Se situe-t-il à l’échelle de l’ancienne municipalité ou de la nouvelle ville? Nous avons ensuite voulu savoir à quel point les participants acceptent le nom de leur ville. Se sentent-ils bien représentés par le toponyme Gatineau ou si au contraire, ils ne l’aiment pas.

5.3.1. Le centre-ville selon les participants Nous avons demandé aux participants de situer leur centre-ville sur une carte. Puisqu’un centre-ville revêt généralement un caractère symbolique, nous voulions savoir où les participants situaient le leur. Autrement dit, est-ce qu’ils le situent au centre de la nouvelle agglomération, dans le centre décrété par l’administration du nouveau Gatineau ou encore, là où se trouvait le centre de l’ancienne municipalité. Ainsi, des liens ont pu être faits avec les pratiques et le degré d’identification des participants à l’égard de leur ville.

Il ressort que plus des deux tiers des participants estiment que leur centre-ville se situe dans un secteur périphérique de la Ville de Gatineau. Dans les faits, 41,1 % des participants considèrent qu’il est à Aylmer alors que 27,4 % croient qu’ils se situent plutôt dans l’est de la ville (tableau 16). On compte aussi 16,4 % des participants qui indiquent que leur centre-ville est à Gatineau tandis que seulement 8,2 % le situent à Hull. Quelques participants ont également mentionné que leur centre-ville se situait dans deux secteurs à la fois (6,2 %). Bien que la question ait eu pour but de connaître le centre- ville des participants, il était raisonnable de s’attendre à ce que le secteur Hull soit plus populaire qu’il ne l’a été puisque son territoire comprend le centre-ville «officiel».

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Tableau 16 Localisation du centre-ville selon les participants

Lieux Effectif total % total Aylmer 60 41,1 Hull 12 8,2 Gatineau 24 16,4 Buckingham 2 1,4 Masson-Angers 38 26 Ottawa 1 0,7 Plusieurs secteurs 9 6,2 Total des réponses 146 100

En observant distinctement les réponses des participants d’Aylmer et de Masson, on constate que le localisme est beaucoup plus important à Aylmer. En effet, c’est ni plus ni moins 83,3 % des Aylmerois qui situent leur centre-ville à Aylmer (figure 4). À Masson, 54,1 % des participants indiquent que leur centre-ville se trouve dans l’est de la ville, soit à Masson même ou, dans une moindre mesure, à Buckingham (figure 5). Ici, 39,2 % des participants situent leur centre-ville dans les secteurs centraux, une proportion qui n’atteint que 9,7 % chez les Aylmerois. Dans les faits, 29,7 % des Massonnois estiment que Gatineau est leur centre-ville par opposition à 2,8 % des Aylmerois. Par ailleurs, 9,5 % des Massonnois et 6,9 % des Aylmerois croient que leur centre-ville est à Hull. Figure 4 Emplacement du centre-ville selon les Aylmerois

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Figure 5 Emplacement du centre-ville selon les Massonnois

Tout compte fait, les périphéries de la Ville de Gatineau constituent le centre-ville ainsi que les principales aires d’activités des participants. Cela témoigne d’un fort localisme. Toutefois, bien qu’ils soient moins populaires, les secteurs centraux de Gatineau et Hull font aussi partie des pratiques des participants. Or, celui de Gatineau est préféré par les Massonnois tandis que celui de Hull l’est surtout par les Aylmerois, question de proximité sans doute. Il faut aussi rappeler que malgré le fort localisme des participants, ceux de Masson sont plus nombreux à situer leur centre-ville dans un des secteurs centraux.

Cette situation soulève des interrogations puisque Masson est géographiquement plus éloigné du centre. Nous pouvons déjà suggérer que les services moins nombreux offerts dans la périphérie est de la ville comparativement à ceux retrouvés à Aylmer favorisent le déplacement des Massonnois vers les secteurs centraux. Par ailleurs, en considérant l’âge des participants, nous pouvons aussi supposer que la rivalité ayant longtemps existé entre Masson et Buckingham puisse expliquer que certains Massonnois se tournent vers Gatineau plutôt que Buckingham pour certaines de leurs activités. Il ne faudrait pas non plus négliger l’importance du facteur linguistique distinct des deux secteurs à l’étude comme source potentielle d’explication. En effet, il se peut que la préférence des Massonnois pour le secteur Gatineau (plus francophone) et celle des Aylmerois pour Hull et Ottawa (plus anglophones) soit due à la langue.

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Par ailleurs, il faut aussi dire qu’Aylmer, avec ses commerces, ses cafés et sa rue principale, possède quelque chose qui ressemble un peu plus à un centre-ville que Masson. En plus, c’est un centre-ville où l’on parle sans doute plus anglais que dans les autres centres possibles de la ville. Bref, les qualités morphologiques des lieux ne sont pas sans lien avec les représentations.

5.3.2. Le nom de la ville D’entrée de jeu, en raison de l’attention médiatique qu’a suscitée le nom de la ville, il était inévitable d’aborder ce sujet. En effet, la question du nom a occupé une place majeure dans l’esprit des citoyens pendant une grande partie du processus de transition. Quinze ans plus tard, nous avons demandé aux participants s’ils considéraient que le toponyme Gatineau les représentait bien. Force est de constater que, malgré le temps qui s’est écoulé, les attitudes sont encore mitigées envers le nom de Gatineau. Plus de 60 % des répondants estiment que le nom Gatineau les représente «peu» ou «pas du tout» alors que seulement 15 % affirment qu’il les représente «beaucoup» ou «tout à fait» (tableau 17). Il faut aussi noter que près de 23 % des participants demeurent indifférents au toponyme Gatineau. Il sera intéressant d’observer si cette faiblesse du degré d’acceptation du toponyme concorde avec les différents degrés d’identification des participants. Tableau 17 Degré d’acceptation du toponyme Gatineau auprès des participants selon le secteur

Degré Effectif Effectif % Effectif % % total d’acceptation total Masson Masson Aylmer Aylmer Pas du tout 55 36,2 21 26,9 34 45,9 Peu 40 26,3 18 23,1 22 29,7 Indifférent 35 23 22 28,2 13 17,6 Beaucoup 6 3,9 4 5,1 2 2,7 Tout à fait 16 10,5 13 16,7 3 4,1 Total des réponses 152 100 78 100 74 100

Bien que l’acceptation du nom soit faible dans les deux secteurs, on constate que les Aylmerois sont plus nombreux que les Massonnois à considérer être mal représentés par le toponyme Gatineau. En effet, on note que 45,9 % des Aylmerois ne se sentent «pas du tout» représentés par le toponyme Gatineau tandis que 29,7 % d’entre eux estiment que ce dernier les représente «peu». À Masson, c’est 26,9 % des participants qui estiment

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que Gatineau ne les représente «pas du tout» et 23,1 % qui considèrent être «peu» représentés par ce nom. Par ailleurs, 16,7 % des Massonnois soulignent que Gatineau les représente «tout à fait» et 5,1 % pensent que le toponyme les représente «beaucoup». Chez les Aylmerois, cette proportion atteint moins de 7 % pour les deux catégories réunies. Il faut aussi mentionner que l’indifférence à l’égard du nom de la ville est plus grande à Masson (27,8 %) qu’à Aylmer (17,6 %).

Dès lors, nous pouvons nous demander si cette indifférence est due au fait que les participants n’ont pas développé d’attaches envers le nouveau Gatineau. Ou serait-elle plutôt attribuable à leur difficulté de répondre à la question? Par ailleurs, l’origine linguistique des toponymes est une piste à considérer pour tenter de comprendre les raisons de ce rejet. En effet, Aylmer est un toponyme anglophone tandis que Gatineau en est un francophone. Se pourrait-il que les Aylmerois aient de la difficulté à s’identifier à un toponyme francophone qui représente également une communauté originalement francophone? Cette idée est d’ailleurs traitée dans l’ouvrage portant sur la frontière (Gilbert et al., 2014).

5.3.3. Changer le nom de sa ville ? Nous avons aussi demandé aux participants d’inscrire le nom qu’ils auraient donné à la nouvelle ville. Il s’agissait ici d’une autre manière de mesurer le degré d’attachement au toponyme choisi, Gatineau. Avant toute chose, il faut préciser que près du tiers de l’échantillon n’a pas répondu à cette question. Nous pouvons interpréter de différentes manières ce faible taux de réponse : s’il peut refléter une certaine indifférence face au nom de la ville — rappelons qu’un peu plus de 7 % des participants ont mentionné être indifférents quant au nom de la ville — il peut aussi signifier qu’ils sont en accord avec le toponyme Gatineau. Bref, la discussion demeure ouverte quant à l’interprétation pouvant être faite de ce faible taux de réponse. Malgré tout, les participants qui ont répondu auraient favorisé un nom différent de celui de Gatineau pour leur nouvelle ville. En effet, près de 78 % des noms proposés diffèrent du nom choisi alors qu’un peu moins de 15 % ont approuvé le toponyme Gatineau (tableau 18).

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Tableau 18 Les noms que les participants auraient choisis pour la nouvelle ville selon le secteur

Nom de la Effectif Effectif Effectif % total % Masson % Aylmer ville total Masson Aylmer Gatineau 16 14,4 12 25 4 6,3 Autre nom 87 78,4 32 66,7 55 87,3 Indécis 8 7,2 4 8,3 4 6,3 Total 11131 100 48 100 63 100

S’il est clair que la majorité des réponses témoignent d’une préférence pour un autre nom que celui de Gatineau, elles montrent aussi que le toponyme Gatineau est mieux accepté à Masson qu’à Aylmer. En effet, alors que 87,3 % des réponses fournies par les Aylmerois proposaient un autre nom que Gatineau, cette proportion s’abaissait à 66,7 % à Masson. Est-ce que le fait de situer son centre-ville à Gatineau pour un plus grand nombre de Massonnois les réconcilierait avec le nom de la nouvelle ville?

Les noms autres que Gatineau proposés par les participants éclairent sur leur appartenance : il s’avère que près de 40 % d’entre eux diffèrent de celui des cinq municipalités qui ont été fusionnées pour former la nouvelle Ville de Gatineau (tableau 19). Le toponyme Outaouais a été le plus mentionné alors que ceux d’Asticou, de Montferrand et de Trois-Portages l’ont été dans une moindre mesure. Par ailleurs, le tiers des réponses témoignaient du désir des participants de conserver le nom de leur ancienne municipalité (Aylmer ou Masson). Enfin, le toponyme Hull comptait pour 23 % des réponses, ce qui traduit bien que, dans la carte mentale de nombre de participants, Hull reste bel et bien le centre de l’agglomération. Tableau 19 Portrait détaillé des noms proposés pour la nouvelle ville

Effectif Effectif Effectif Noms proposés % total % Masson % Aylmer total Masson Aylmer Nouveau nom 35 40,2 10 31,3 25 45,5 Secteur résidentiel 29 33,3 11 34,4 18 32,7 Hull 20 23 10 31,3 10 18,2 Pas Gatineau 3 3,4 1 3,1 2 3,6 Total 87 100 32 100 55 100

31 Un total de 111 réponses a été fourni par 104 participants. 61

5.4. Degré d’identification à la ville et aux secteurs Afin de déterminer jusqu’à quel point les participants avaient développé une appartenance régionale, et de comparer la force du sentiment régional à l’appartenance plus locale, on leur a demandé de se prononcer sur le degré d’identification qu’ils entretenaient tant envers le nouveau Gatineau qu’avec leur secteur résidentiel. Aussi, on comptait vérifier jusqu’à quel point les deux pouvaient aujourd’hui cohabiter aujourd’hui chez une même personne. Une de nos hypothèses était qu’un lien existe entre les identités territoriales et l’espace d’activités des participants. Du même coup, on se donnait aussi l’opportunité de vérifier si l’identification des participants à l’un ou à l’autre territoire concordait avec leur position à l’égard de la fusion. Ainsi, nous constatons que près du tiers des participants ne s’identifient «pas du tout» à la Ville de Gatineau tandis qu’environ 43 % s’y identifient «peu» (tableau 20). En contrepartie, à peine 11 % ont affirmé s’identifier «beaucoup» ou «tout à fait» à Gatineau alors que 12,7 % des participants sont demeurés indifférents à cette question.

Tableau 20 Degré d’identification des participants à la Ville de Gatineau selon le secteur

Degré d’identification Effectif Effectif % Effectif % % total à la Ville de Gatineau total Masson Masson Aylmer Aylmer Pas du tout 49 32,7 22 28,6 27 37 Peu 65 43,3 33 42,9 32 43,8 Indifférent 19 12,7 8 10,4 11 15,1 Beaucoup 13 8,7 10 13 3 4,1 Tout à fait 4 2,7 4 5,2 0 0 Total 150 100 77 100 73 100

Tant à Aylmer qu’à Masson, les participants s’identifient faiblement à la Ville de Gatineau. En effet, 43,8 % des Aylmerois et 42,9 % des Massonnois s’identifient «peu» à leur ville. On note aussi que 37 % des Aylmerois affirment qu’ils ne s’identifient «pas du tout» à Gatineau, une proportion qui s’abaisse à 28,6 % chez les Massonnois. En contrepartie, 13 % des Massonnois s’identifient «beaucoup» à leur ville alors que seulement 4,1 % des Aylmerois le font.

L’enquête révèle un portrait diamétralement opposé en ce qui concerne le degré d’identification au secteur résidentiel. En effet, près de 87 % des participants s’identifient

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«beaucoup» ou «tout à fait» à leur secteur résidentiel (tableau 21). En contrepartie, la proportion de participants dont le degré d’identification au secteur est faible est quant à elle inférieure à 7 %. De plus, le nombre d’indifférents est deux fois moins important qu’il ne l’était concernant le degré d’identification à la Ville de Gatineau. Pourrait-on penser que, comme ce fut le cas pour les propositions de toponymes, cette situation témoigne d’un certain malaise des participants à se prononcer sur la nouvelle ville? Ou se pourrait-il que cette indifférence provienne d’un certain détachement des participants vis- à-vis de cette dernière?

Tableau 21 Degré d’identification des participants à leur secteur résidentiel

Degré % d’identification pour Effectif % Total Effectif Effectif % Masson le secteur résidentiel total Masson Aylmer Aylmer Pas du tout 1 0,7 1 1,3 0 0 Peu 9 5,9 7 9 2 2,7 Indifférent 10 6,6 6 7,7 4 5,4 Beaucoup 65 42,8 39 50 26 35,1 Tout à fait 67 44,1 25 32,1 42 56,8 Total 152 100 78 100 74 100

S’il ne fait aucun doute que la forte identification locale est largement partagée par les participants, elle ne s’exprime pas de la même manière dans les deux secteurs à l’étude. En effet, 56,8 % des Aylmerois s’identifient «tout à fait» à Aylmer tandis que seulement 32,1 % des Massonnois s’identifient «tout à fait» à Masson. On observe aussi que 50 % des Massonnois s’identifient «beaucoup» à leur secteur résidentiel contre 35,1 % des Aylmerois. À l’inverse, 9 % des Massonnois qui s’identifient «peu» à leur secteur résidentiel, une proportion qui diminue à 2,7 % chez les Aylmerois.

C’est donc dire que les Aylmerois et les Massonnois s’identifient davantage à leur secteur résidentiel qu’à leur ville. Or, cette tendance au localisme est légèrement plus forte chez les Aylmerois qui ne s’identifient pratiquement pas à la grande ville. Ils sont également ceux qui acceptent le moins le toponyme Gatineau. Chez les Massonnois, ce localisme est bel et bien la tendance dominante, mais on remarque qu’une minorité d’entre eux manifeste une attitude un peu plus favorable à l’égard de la Ville de Gatineau. C’est du moins ce que laissent croire les réponses concernant le degré d’acceptation du

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toponyme et dans une moindre mesure, le degré d’identification à la Ville de Gatineau. Il sera intéressant de vérifier si un ou des liens pourront être dressés entre les pratiques et les représentations des participants.

5.5. La fusion municipale Dans cette section du chapitre, nous souhaitions connaître quelle était la position des participants par rapport à la fusion municipale au moment de cette dernière. Autrement dit, nous voulions savoir si les participants étaient pour ou contre la fusion en 2002. Nous avons ensuite voulu mesurer le niveau de satisfaction des participants à l’égard de la fusion municipale aujourd’hui. Sont-ils satisfaits ou non de ce que la fusion a apporté à leur ville.

5.5.1. Position au moment de la fusion La fusion telle que vécue par les participants est au cœur de notre étude. Dans un premier temps, nous avons voulu connaître ce qu’avait été la position des participants à l’égard du projet, tel qu’il leur avait été présenté il y a 15 ans. On désirait ainsi être en mesure d’observer jusqu’à quel point leur niveau de satisfaction actuel face au grand Gatineau était lié à la position qu’il défendait alors. Sachant déjà que les Aylmerois et les Massonnois ont été parmi les plus favorables au démembrement lors du référendum de 2004, il ne faut pas se surprendre que près de 85 % des participants fussent contre la fusion (tableau 22). En contrepartie, moins de 10 % des participants ont affirmé qu’ils approuvaient le projet et un peu plus de 6 % soutiennent avoir été indifférents à la proposition de fusionner les villes dans une seule grande municipalité. Tableau 22 Position des participants envers la fusion en 2002

Effectif Effectif Effectif Position (2002) % total % Masson % Aylmer total Masson Aylmer Contre 106 70,2 52 66,7 54 74 Plutôt en défaveur 22 14,6 11 14,1 11 15,1 Indifférent 10 6,6 7 9 3 4,1 Plutôt en faveur 5 3,3 2 2,6 3 4,1 Pour 8 5,3 6 7,7 2 2,7 Total des réponses 151 100 78 100 73 100

Bien que l’opposition à la fusion municipale ait été très marquée dans les deux secteurs, celle des Aylmerois était légèrement plus prononcée que celle des Massonnois.

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En effet, 89,1 % des Aylmerois se positionnaient en défaveur de la fusion il y a 15 ans contre 80,8 % des Massonnois. Au contraire, 10,3 % des participants de Masson se sont prononcés en faveur de la fusion alors que 6,8 % des Aylmerois l’ont fait. De plus, les Massonnois (9 %) ont été plus nombreux que les Aylmerois (4,1 %) à se montrer indifférents au projet de fusion.

5.5.2. Niveau de satisfaction actuel Dans un deuxième temps, nous voulions connaître le niveau de satisfaction des participants à l’égard de la fusion municipale aujourd’hui. L’enquête révèle que près de 75 % des participants se disent insatisfaits de la fusion. Au contraire, seulement 10 % des participants ont affirmé être «plutôt satisfaits» alors qu’il n’y en a aucun à s’être dit «très satisfait». Par ailleurs, un peu plus de 15 % de l’échantillon a soutenu être ni satisfait, ni insatisfait du résultat de la fusion municipale (tableau 23). Tableau 23 Niveau de satisfaction actuel des participants à l’égard de la fusion municipale

Niveau de Effectif Effectif Effectif % total % Masson % Aylmer satisfaction total Masson Aylmer Très insatisfait 51 34 25 32,5 26 35,6 Plutôt insatisfait 61 40,7 31 40,3 30 41,1 Ni satisfait, ni insatisfait 23 15,3 12 15,6 11 15,1 Plutôt satisfait 15 10 9 11,7 6 8,2 Très satisfait 0 0 0 0 0 0 Total des réponses 150 100 77 100 73 100

Les participants des deux secteurs témoignent de la même insatisfaction face à la fusion. On discutera, plus loin dans le document, des différentes sources de ce mécontentement.

Nous avons aussi demandé aux participants de se prononcer sur ce qu’ils croyaient être le degré de satisfaction de leurs concitoyens à l’égard de la fusion municipale. Nous avons agi ainsi en partant de la prémisse voulant qu’un individu puisse avoir plus de facilité à s’exprimer sur ce que pensent les autres plutôt que sur ce qu’ils pensent eux-mêmes. Il en est ressorti que la majorité des participants (67,4 %) croient que leurs voisins sont tout comme eux insatisfaits de la fusion municipale alors qu’un peu plus de 28 % pensent qu’ils demeurent relativement indifférents à la situation. Moins de

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5 % des répondants croient que leur voisinage est plutôt satisfait vis-à-vis de la fusion (tableau 24).

Tableau 24 Anticipation du niveau de satisfaction actuel du voisinage à l’égard de la fusion municipale selon les participants

Satisfaction Effectif Effectif envisagée du Effectif % total % Masson % Aylmer Masson Aylmer voisinage total Très insatisfait 32 22,7 15 20,3 17 25,4 Plutôt insatisfait 63 44,7 32 43,2 31 46,3 Ni satisfait, ni insatisfait 40 28,4 21 28,4 19 28,4 Plutôt satisfait 6 4,3 6 8,1 0 0 Très satisfait 0 0 0 0 0 0 Total des réponses 141 100 74 100 67 100

De manière générale, les participants d’Aylmer et de Masson ont l’impression que le sentiment d’insatisfaction de leurs concitoyens est semblable au leur. De plus, le degré d’indifférence perçu serait aussi le même (28,4 %). Seuls quelques Massonnois (8,1 %) croient que leurs concitoyens ont une attitude plus positive que la leur à l’égard de la fusion alors qu’aucun Aylmerois ne le pense.

Nous constatons que, tant chez les Aylmerois que chez les Massonnois, l’échantillon est essentiellement composé d’individus qui s’opposaient à la fusion municipale. Dans l’ensemble, on remarque aussi que les participants sont insatisfaits de ce que la fusion municipale leur a procuré. Il sera intéressant de vérifier si des participants qui s’opposaient au regroupement sont aujourd’hui satisfaits du dénouement. Or, le très faible nombre de participants satisfaits ne laissent pas présager un tel glissement vers la satisfaction.

5.6. Un portrait de la ville mitigé32

Les participants ont ensuite été invités à indiquer les lieux qu’ils apprécient et ceux qu’ils apprécient moins sur le territoire de leur ville. Or, ce qui était entendu par «ville» n’a pas été défini, laissant donc les participants libres d’interpréter celle-ci à l’échelle désirée. Ainsi, nous avons pu vérifier si les participants avaient une préférence

32 Notez que 145 participants ont répondu à la question 18, 143 à la question 19 et 146 à la question 20. 66

ou une aversion pour des lieux situés dans leur environnement local de même que pour ceux se situant ailleurs sur le territoire de la Ville de Gatineau. Notre compilation révèle une certaine ressemblance dans les réponses des participants des deux secteurs. Certes, ils ne nomment pas les mêmes lieux, mais la fonction de ces derniers est souvent similaire. Les lieux commerciaux, culturels, récréatifs et naturels ont été parmi les plus mentionnés.

5.6.1. Les commerces, les sports et la nature À première vue, nous pouvons affirmer que l’appréciation des participants pour les commerces est partagée. En effet, on remarque que près d’une vingtaine d’entre eux apprécient les centres commerciaux et les restaurants qui se situent dans leur ville. Chez les Massonnois, l’Encan Larose a été mentionné par une douzaine de participants tandis que l’ont été par un peu moins d’une dizaine de participants provenant des deux secteurs à l’étude. Les lieux ludiques, c’est-à-dire ceux voués au divertissement33, sont aussi appréciés par un peu plus d’une dizaine de participants. En contrepartie, on dénombre plus d’une vingtaine de participants qui, plutôt que d’énumérer des lieux qu’ils n’apprécient pas, en ont profité pour dénoncer le manque de commerces de proximité34 ou encore leur disparition. Une autre dizaine de participants a signifié ne pas apprécier les commerces de leur ville sans toutefois préciser lesquels ni pourquoi.

D’autres participants ont choisi d’inscrire des lieux ayant une valeur patrimoniale. Il suffit de penser aux Aylmerois qui ont été plus d’une vingtaine à apprécier le Vieux Aylmer et la rue Principale. Nous avons également constaté que les lieux faisant la promotion des arts et de la culture sont populaires auprès des participants. Ainsi, près d’une quarantaine de participants apprécient les salles de spectacle35, les bibliothèques et les musées36 tandis qu’un peu moins d’une dizaine aime bien les églises. Par ailleurs, les lieux à vocation sportive comme les arénas et les piscines sont des lieux qui ont une résonnance particulière chez une quinzaine de participants tandis qu’un peu moins d’une dizaine d’entre eux sont ravis de la présence de nombreux terrains de golf sur le territoire de leur ville et dans ses alentours.

33 Les cinémas et le casino étaient parmi les plus populaires. 34 Notez qu’une quincaillerie a ouvert ses portes près du quartier d’Aylmer qui a été parcouru pendant la collecte de données. 35 La Maison de la Culture (Gatineau) est la salle de spectacle la plus populaire, surtout auprès des participants de Masson. 36 Le Musée canadien de l’Histoire a été mentionné à quelques reprises. 67

Il n’en demeure pas moins que les lieux récréatifs extérieurs sont les plus populaires comme en témoigne la centaine de réponses en faisant mention. Parmi celles-ci, plus d’une cinquantaine font directement référence à la marina d’Aylmer et au parc Des Cèdres tandis qu’une quinzaine concerne le Parc de la Gatineau37. Il y a aussi une vingtaine de participants qui a affirmé apprécier les parcs sans toutefois préciser lesquels. Il est également impossible de passer sous silence la vingtaine de participants qui ont inscrit les pistes cyclables38 comme faisant partie de leurs lieux favoris. D’ailleurs, la popularité des parcs et des pistes cyclables témoigne de l’appréciation que vouent de nombreux participants à la nature. En effet, en plus des parcs, les paysages naturels comme les cours d’eau et leurs littoraux ont été soulignés par une vingtaine de participants provenant surtout d’Aylmer. Le grand intérêt porté à la marina d’Aylmer et celui, moins important, porté au parc Jacques-Cartier cadre tout à fait dans ce contexte.

5.6.2. Lieux peu appréciés Si des lieux sont portés en haute estime, certains le sont moins. Il suffit de penser au secteur Hull qui est peu apprécié des participants. En effet, en plus des quelques participants qui n’aiment pas le secteur lui-même, une dizaine d’autres soutiennent ne pas aimer le quartier du Vieux-Hull. Il y a aussi une poignée de participants qui n’apprécient pas le quartier du Plateau. Au contraire, seuls cinq participants ont soutenu apprécier le Vieux Hull. Pour sa part, le secteur Gatineau, qui occupe lui aussi une position centrale dans la grande ville, n’est pas apprécié par près d’une dizaine de participants aylmerois. La faible popularité manifestée à l’égard de Gatineau et Hull fournit une première piste pouvant expliquer pourquoi les Aylmerois et les Massonnois y pratiquent peu d’activités et qu’ils sont peu nombreux à y situer leur centre-ville. Par ailleurs, l’impopularité de Gatineau auprès des Aylmerois a aussi été relevée dans l’ouvrage La frontière au quotidien (Gilbert et al., 2014) alors que les auteurs mentionnent la réticence des Aylmerois à traverser la rivière Gatineau.

La mauvaise apparence de certains lieux semble également être un facteur poussant des participants à ne pas les apprécier. En effet, les lieux abandonnés ou

37 Le parc de la Gatineau relève de la juridiction de la Commission de la Capitale Nationale (CCN) et non de celle de la Ville de Gatineau. 38 La piste cyclable reliant Masson et Buckingham a été mentionnée à plusieurs reprises. 68

négligés sont nombreux sur la liste des participants. Il suffit de considérer la dizaine de réponses mentionnant la vieille gare de Masson ou encore les cinq mentions de l’aréna Robert-Guertin39. Plusieurs routes font également l’objet de vives critiques en raison de leurs conditions. En effet, près d’une trentaine de participants ont évoqué des lieux ou des situations liées aux routes. Par exemple, près d’une quinzaine de participants ont mentionné la piètre qualité des routes, allant même jusqu’à affirmer qu’il est «presque honteux» d’avoir des routes «en démanche» et parsemées de nids-de-poule. Par ailleurs, une dizaine de Massonnois ont dénoncé les conditions du chemin de Montréal Est40, certains la qualifiant même de «route à vaches». Quelques autres participants ont également noté le mauvais état du boulevard Saint-Joseph41 dans le secteur Hull. Finalement, la signalisation routière déficiente sur certaines artères et les bouchons de circulation sur les ponts ont été mentionnés par près d’une trentaine de participants, mais surtout par les Aylmerois.

5.7. Des mots révélateurs En plus de devoir indiquer des lieux qu’ils apprécient ou non dans leur ville, les participants ont été conviés à inscrire des mots qui la décrivent le mieux. Les réponses issues de cette démarche avaient pour but d’apporter un éclairage sur les représentations qu’ont les participants de leur ville. Certes, il a parfois été difficile de saisir le sens de certains des termes utilisés, mais des thématiques claires ont tout de même pu être dégagées. Les termes positifs et négatifs concernant l’ambiance et l’apparence de la ville ont été mentionnés à de nombreuses reprises et de manière relativement équivalente. Les structures administratives ont surtout été décrites négativement par les participants.

5.7.1. Patrimoine culturel et naturel Dans un premier temps, signalons que les Massonnois ont été très peu nombreux à évoquer les thèmes concernant cette section. Il faut donc garder en tête qu’il s’agit essentiellement des mots évoqués par des Aylmerois. Nous notons que le patrimoine occupe une place importante chez ces derniers. En effet, près d’une vingtaine d’entre eux ont relevé le caractère «historique», «artistique» et «rustique» de leur ville. Même que

39 Cet aréna sera détruit lorsque le nouvel amphithéâtre qui se situera probablement dans le secteur Gatineau sera construit. 40 L’asphalte du chemin Montréal Est a été refait pendant le traitement des données. 41 L’asphalte d’un tronçon du boulevard Saint-Joseph doit être refait pendant l’été 2017. 69

quelques-uns ont souligné la vocation «touristique» de celle-ci. Certains ont également référé au fait qu’elle fasse partie intégrante de la région de la capitale nationale. Il faut aussi noter qu’un peu plus d’une dizaine de participants ont fait état du caractère «diversifié», «bilingual» et «francophone» de leur ville. Il y a donc lieu de se demander si ce patrimoine n’est pas une façon pour certains de signaler un attachement pour le passé de la ville.

Si une importance est accordée au patrimoine culturel, la nature est aussi souvent évoquée par les Aylmerois. Pour près d’une trentaine d’entre eux, la «nature», la «verdure», les «espaces verts», le fait d’avoir «beaucoup d’arbres», les «parcs», la «rivière», le «beautiful waterfront» et la «plage» sont des éléments marquants lorsqu’ils décrivent leur ville. Nous pouvons donc en déduire qu’en plus des «belles résidences» et du «character» offert par leur ville, les «jolis paysages» et l’aspect «pittoresque» du territoire marquent l’imaginaire de plusieurs participants. Sous toutes réserves, nous pouvons penser que les participants font ici davantage référence à Aylmer qu’à Gatineau dans son ensemble.

5.7.2. Ambiance et milieu de vie Les participants ont aussi été nombreux à décrire l’ambiance chaleureuse vécue dans leur ville. En effet, plus d’une trentaine de participants ont affirmé que leur ville était «belle», «paisible», «tranquille», «sereine», «familiale», «amicale» et «agréable» alors qu’une dizaine d’autres jugent habiter dans une ville «propre». En contrepartie, une vingtaine d’entre eux ont tenu à souligner que leur ville est «laide», «décourageante», «décevante», «disapointing» et «ridicule». Il y a aussi près d’une dizaine de participants qui ont souligné que leur ville était «négligée», «délaissée» et «oubliée»42. Pour quelques autres, c’est le caractère banlieusard qui a été évoqué lorsqu’ils ont qualifié leur ville de «dortoir», d’«endormie» d’«ennuyante» et d’«amorphe».

5.7.3. Superficie de la ville Près d’une trentaine d’individus ont évoqué la superficie de leur ville. S’il y a bien parmi eux quelques participants qui ont affirmé que leur ville était «trop grande», il est plus difficile de savoir si la quinzaine de participants ayant qualifié leur ville de «grande»

42 Il faut garder en tête que certains participants faisaient peut-être référence à leur secteur résidentiel. 70

l’ont fait dans une optique positive ou négative. Une poignée de participants ont aussi évoqué la grande superficie de leur ville en affirmant qu’elle était «disjointed», «éclatée», «étalée», «étendue», «disparate» et «éparpillée». D’ailleurs, nous pouvons aussi supposer que cette grande superficie favorise la tenue de propos comme ceux de répondants qui considèrent que leur ville est «sans âme», «froide», «anonyme» ou qu’elle n’a «pas d’identité». Ces éléments de réponses seront intéressants à mettre en relation avec les différents degrés d’identification des participants. Ils portent également à réfléchir sur la capacité du nouveau Gatineau à fusionner ce qui était séparé. À première vue, les propos tenus par les participants semblent laisser croire que la fusion est perçue comme quelque chose d’artificiel ou encore l’agrégation d’unités spatiales disjointes.

5.7.4. Croissance et administration Près d’une dizaine de participants soutiennent qu’ils habitent dans une ville «en développement», en «croissance» et «prospère». Malgré tout, une dizaine d’autres estiment que leur ville souffre d’un manque de commerces et d’infrastructures tandis que quelques autres considèrent qu’il est «dispendieux» d’y vivre.

Les participants ont aussi utilisé plusieurs mots relatifs à l’appareil politique et administratif de leur ville. Les participants qui les ont évoqués ne l’ont pas fait de manière très positive. Certes, les «bons services», la «compétence» et l’«organisation» sont les mots qui venaient en tête d’une poignée de participants pour décrire leur ville. Or, les antonymes de ces qualificatifs étaient beaucoup plus nombreux alors que plus d’une dizaine de participants croient que leur ville est «désorganisée», qu’elle est «mal gérée» et qu’elle ne fournit «pas de services». Près d’une dizaine d’autres participants ont pour leur part témoigné de la nature «trop politique» de leur ville en mentionnant notamment la mauvaise représentation des citoyens, la faveur accordée aux mauvaises priorités, les règlements ainsi que le «manque de leadership».

À partir de simples mots évoquant leur ville, nous constatons que les participants perçoivent leur ville en tant que cadre de vie, mais aussi en tant qu’entité politique. On ne peut clairement pas tout expliquer à partir de ces mots et de ces lieux, mais il n’en demeure pas moins qu’ils permettent de dresser un premier portrait plutôt intéressant de ce que pensent les participants à propos de leur ville. Quoi qu’il en soit, les commentaires

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négatifs sont plus nombreux que ceux qui relèvent du positif. Nous pouvons dès lors s’interroger sur la source des qualificatifs négatifs attribués à la ville.

5.8. Gains et pertes issus de la fusion municipale En plus d’avoir interrogé les participants sur leur ville de manière générale, nous voulions connaître ce qu’ils pensaient de la fusion municipale. Nous leur avons donc demandé d’identifier quels étaient selon eux les gains et les pertes issus du regroupement entré en vigueur en 2002. Nous leur avons également demandé de partager leur opinion au sujet de la fusion municipale. Le ton des réponses avait préalablement été annoncé dans la section concernant la ville. Malgré tout, cette section a permis à des participants d’étayer leur opinion. Ils ont d’ailleurs fourni des pistes intéressantes permettant de mieux comprendre certaines pratiques et représentations.

La section suivante expose les éléments positifs et négatifs issus de la fusion municipale. En prenant connaissance de ces éléments, il devient possible de déterminer si les externalités de la fusion municipale influencent l’attitude qu’ont les participants envers leur ville. Il est notamment question de la culture, de la nature et des loisirs, des services et des taxes et des facteurs administratifs. Les commentaires ont aussi permis de constater qu’un sentiment de négligence est ressenti par plusieurs participants tandis que d’autres évoquent la perte de leur autonomie en tant que communauté et de leur représentation politique en tant que citoyens. Plusieurs mentionnent aussi avoir subi des pertes identitaires et communautaires. Il est d’ailleurs possible de le constater à travers les propos des Aylmerois qui acceptent mal la manière dont le développement résidentiel s’effectue dans leur secteur.

5.8.1. Taxes, services et commerces D’une part, il va sans dire que la hausse «régulière» des taxes municipales a été fortement remarquée par les participants alors qu’une quarantaine d’entre eux l’ont évoquée. La plupart des participants qui ont inscrit «hausse de taxes» l’ont fait dans le cadre de la question concernant les gains issus de la fusion municipale. Ces hausses de taxes semblent attirer beaucoup d’attention si l’on se fie à un répondant qui soutient avoir gagné une «grosse facture de taxes» et à un autre qui affirme que les «taxes augmentent comme ça a pas d’allure». D’autres établissent un lien entre la hausse des taxes et la

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baisse du niveau de services en affirmant qu’ils payent «a lot more taxes for less services» ou «plus de taxes pour absolument rien». Sans vouloir amoindrir le mécontentement à l’égard des augmentations de taxes, on constate que le mécontentement manifesté à l’égard de la baisse de la qualité des services est encore plus marqué, près d’une soixantaine de participants l’ayant abordée.

Plusieurs participants ont fait état d’une perte de «services municipaux» sans en préciser la nature. Or, d’autres ont clairement identifié les services ayant subi une détérioration. Visiblement, le déneigement a souffert du regroupement municipal alors qu’une vingtaine de participants affirment avoir observé une baisse de la qualité et de la rapidité à laquelle ils étaient habitués avant 2002. Pour près d’une quinzaine d’autres participants, la qualité de l’entretien de la voirie se serait détériorée. Certains estiment même avoir gagné des nids-de-poule. Bien que cela ne constitue pas proprement une perte de services, une quinzaine de participants ont le sentiment d’avoir été dépouillés de biens qu’ils avaient collectivement acquis avant la fusion. La centralisation des équipements municipaux vers les garages centraux43 semble encore déranger des citoyens en raison du fait qu’ils ne soient plus à proximité de leur domicile. Près d’une dizaine de participants ont également mentionné avoir perdu en matière de transport en commun depuis la fusion.

Bien qu’ils aient été moins nombreux à le faire, plusieurs participants ont identifié des gains positifs issus de la fusion. Ainsi, près d’une vingtaine d’entre eux considèrent que le regroupement a permis aux citoyens d’accéder à davantage de services liés aux loisirs et à la culture. Parmi eux, près d’une dizaine ont souligné la qualité du réseau de bibliothèques tandis que quelques autres ont vanté les mérites de la carte Accès Gatineau qui permet à ses détenteurs d’accéder à plusieurs services et activités. Pour une dizaine d’autres, la fusion aura permis à leur ville de posséder des corps professionnels de policiers et de pompiers44. Finalement, certains ont admis avoir accès à de meilleurs services alors que des poignées de participants ont respectivement mentionné des gains

43 Les participants évoquaient souvent des équipements relativement neufs (ex : camions d’incendie). 44 Avant 2002, les municipalités étaient patrouillées par plusieurs corps policiers et la sécurité incendie était, dans quelques cas, assurée par des pompiers volontaires. 73

en matière d’infrastructures récréatives, un meilleur transport en commun, une meilleure collecte des matières résiduelles ainsi que le service téléphonique 3-1-145.

Bien que ce ne soit pas des services offerts par la ville, il faut mentionner que plus d’une trentaine de participants pensent que la fusion municipale a causé la perte de nombreux commerces de proximité dans leur secteur. Près d’une dizaine d’entre eux en profitent même pour dénoncer le fait qu’ils sont forcés d’utiliser leur voiture pour effectuer des achats tandis que quelques autres soutiennent que la hausse de taxes municipales est en grande partie responsable de la disparition de leurs commerces.

5.8.2. Statut de la nouvelle ville Une douzaine de participants en ont aussi profité pour souligner que la fusion municipale leur a procuré «le sentiment d’habiter une ville d’importance». Quelques-uns d’entre eux ont d’ailleurs indiqué qu’ils faisaient maintenant «partie d’une grande ville» tandis que d’autres ont clairement indiqué qu’ils vivaient dans la 4e ville en importance dans la province de Québec. Cette notoriété acquise de la fusion municipale laisse croire à certains que leur ville bénéficie désormais d’une «meilleure reconnaissance», d’une «meilleure visibilité» et d’un «rayonnement accru». Pour quelques autres, la nouvelle taille de la ville lui permet de devenir une «masse urbaine critique» en plus de lui offrir «davantage de pouvoirs de négociation face à la ville d’Ottawa» ainsi qu’aux autres paliers gouvernementaux.

5.8.3. Facteurs administratifs Nous constatons que près d’une dizaine de participants sont déçus de ne pas avoir vu les économies d’échelle promises se concrétiser alors qu’il s’agissait d’un des arguments largement utilisés par les promoteurs du regroupement. Au contraire, plutôt que d’économiser, plus d’une quinzaine de participants s’inquiètent de la croissance de la dette municipale qui «finit pas de grossir». En effet, pour les citoyens des plus petites villes, la dette municipale atteint des proportions inhabituelles comparativement au «niveau d’endettement acceptable» autrefois connu dans leur municipalité. À cet égard, un répondant déclare qu’«avant, c’était petit et mieux administré». Quelques-uns d’entre eux ont d’ailleurs l’impression d’avoir hérité d’une dette qu’ils n’auraient pas eu à payer

45 Le service téléphonique 3-1-1 permet aux citoyens de formuler des plaintes ou d’acquérir des informations concernant leur ville. 74

sans fusion municipale. Pour quelques autres, la ville voit «trop grand» et procède à un «gaspillage d’argent» en dépensant «plus que [ses] moyens» le lui permettent.

Malgré tout, quelques participants estiment que la fusion municipale a permis à leur ville de disposer d’une scène politique «plus démocratique» et plus «transparente». La fusion aurait également mis fin à «l’esprit de clocher» qui régnait entre les cinq municipalités de la CUO. Bien que certains considèrent que la ville «semble bien gérée», quelques-uns des citoyens interrogés soutiennent qu’«il reste beaucoup de travail à faire malgré les bons coups» et qu’«une grosse entreprise est plus difficile à gérer». Autrement dit, ces répondants demeurent optimistes que la situation se stabilisera à long terme. Malgré tout, une poignée de participants croient qu’encore aujourd’hui, «tous les secteurs tirent la couverture de leur bord» et qu’il y a «plus de chicane au conseil municipal».

Par ailleurs, d’autres voient leur ville d’un œil beaucoup plus critique. En effet, la bureaucratie «écrasante» et «nuisible», la «mauvaise administration» et les «services pourris» constituent des gains pour près de dix participants. Selon les dires de certains, il y a «trop de paperasse» à remplir lorsque vient le temps de procéder à l’octroi de permis ou d’effectuer le suivi d’une plainte. Cette insatisfaction à l’égard de l’administration laisse penser à certains qu’il y aurait «beaucoup trop d’employés qui [ne] foutent pas grand-chose». Certes, certains ont noté les bienfaits du système téléphonique 3-1-1, mais en contrepartie, quelques autres considèrent qu’il est difficile de «connaître les réponses à nos questions».

5.8.4. Des secteurs négligés Comme nous avons pu le constater, la centralisation des services et des décisions suscite des inquiétudes et du mécontentement chez les citoyens interrogés. Or, en plus de déplaire, cette centralisation donne l’impression à près d’une trentaine de participants que leur secteur est négligé depuis la fusion municipale. En effet, le sentiment voulant que la fusion ait profité aux secteurs centraux de Gatineau et Hull est largement partagé par les participants d’Aylmer et de Masson. Ce sentiment d’infériorité se base surtout sur des arguments économiques que viennent illustrer les propos de deux répondants. Un individu d’Aylmer affirme que son secteur est une «money machine for Hull and Gatineau» alors qu’un participant de Masson estime que le sien «est une vache à lait pour

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[les] secteurs Gatineau et Hull». Cette impression de contribuer financièrement à des projets situés ailleurs que chez eux en amène certains à se percevoir comme étant des «orphelins»46. Un participant va même jusqu’à déclarer que «c’est comme si on ne fait pas partie de Gatineau».

Parmi ces participants, plusieurs ont l’impression que les citoyens de leur secteur «[passent] en dernier», qu’ils sont «devenu [s] une quantité négligeable», qu’ils sont «laissés dans les oubliettes» et qu’ils ne sont «pas prioritaire dans les décisions». Autrement dit, le sentiment voulant que «tout se passe ailleurs» d’un participant résume relativement bien la situation. Des participants vont même jusqu’à affirmer qu’on pense à leur secteur uniquement lorsque vient le temps de récolter les taxes.

5.8.5. Perte d’autonomie et de représentation politique Bien que nous ne puissions pas établir un lien direct entre la négligence ressentie et la représentation politique, cette dernière soulève beaucoup de commentaires. D’une part, près d’une quinzaine de participants estiment que leur communauté a perdu l’autonomie et l’indépendance dont elle disposait avant la fusion. D’ailleurs, des répondants d’Aylmer et de Masson ont mis en lumière la faiblesse du «poids de la décision» dont bénéficie leur ancienne municipalité au sein de la nouvelle ville47. Autrement dit, plusieurs ne considèrent plus avoir une si grande influence dans la vie démocratique de leur ville, se considérant même par moment comme des «intérêts politiques».

Cette perte d’autonomie politique occasionnée par la fusion municipale est d’autant plus visible à Aylmer. En effet, plus d’une vingtaine d’Aylmerois ont évoqué, selon plusieurs points de vue, le développement résidentiel qui a cours sur le territoire de leur ancienne municipalité. En effet, certains ont mis l’accent sur le fait qu’un tel développement favorise l’étalement urbain et profite aux promoteurs immobiliers. Nous y reviendrons d’ailleurs au chapitre suivant.

Par ailleurs, plus d’une dizaine de participants ont mentionné que la proximité et l’accessibilité aux élus se sont dégradées, ce qui aurait eu pour effet de dépersonnaliser

46 À Aylmer, quelques participants ont dénoncé le projet RapiBus ayant bénéficié au secteur Gatineau. 47 Aylmer compte 3 conseillers alors que Masson-Angers en compte 1 sur un conseil municipal de 18 conseillers (excluant le maire). 76

«les liens privilégiés» entretenus avec le maire, les conseillers et l’administration municipale. D’ailleurs, l’incapacité de quelques répondants à participer aux séances du conseil municipal en raison de l’âge et de l’emplacement du nouvel hôtel de ville témoigne aussi d’une perte de proximité avec le pouvoir. En effet, plusieurs répondants ne peuvent se déplacer dans le secteur Hull pour toutes les séances du conseil municipal48.

En constatant le recul démocratique exposé par les participants, nous pouvons comprendre pourquoi certains voient la nouvelle ville comme une «grosse machine» dans laquelle les citoyens ne «sont pas informés des priorités». Ce manque de considération s’illustre aussi par les propos d’autres individus affirmant avoir perdu «[leur] mot à dire» et leur «souveraineté décisionnelle». D’ailleurs, le fait que «tout [soit] à huis clos» illustre un certain retrait des citoyens du processus démocratique. En effet, nous pouvons supposer que le fait d’ignorer certains détails puisse ternir le lien entre la population et son administration. Certains ont aussi affirmé que la nouvelle ville était «trop grosse» et qu’elle avait «soif de grandeur» et qu’au bout du compte, le fait d’être «bigger is not better».

5.8.6. Pertes identitaires et communautaires D’ailleurs, près d’une quarantaine de participants soutiennent avoir perdu leur sentiment communautaire, mais aussi leur sentiment identitaire. Parmi eux, une quinzaine ne passent par aucun détour pour signifier qu’ils ont perdu leur «identité» d’Aylmerois ou de Massonnois. Pour près d’une dizaine d’autres, c’est la municipalité qu’ils ont connue qu’ils ont perdue. Autrement dit, la municipalité qui offrait «quiétude», «paix» et «tranquillité» a perdu de son «cachet» en laissant place à une ville «trop grande». Selon un répondant, la fusion, c’est la disparition de «la tranquillité d’une petite municipalité qui s’est fait envahir par un développement résidentiel sauvage». Un autre soutient pour sa part que les nouveaux projets domiciliaires ne correspondent pas à «l’image» qu’il avait de son secteur lorsqu’il y a emménagé. Il semble que ce qui en dérange plusieurs soit la perte du «cachet unique» attribué aux petites villes ou encore les «acquis» de leur ancienne municipalité.

48 Il faut mentionner que les séances du conseil municipal de Gatineau se tiennent dans les quatre autres secteurs une fois par année. 77

Pour une dizaine de participants, le regroupement a mis fin au «sentiment de proximité avec les voisins» laissant ainsi place à «une ville remplie de gens qui ne se parlent plus». À cet égard, plusieurs répondants d’Aylmer soutiennent que les nombreux Ontariens s’établissant sur le territoire gatinois ne favorisent pas la continuité de cet esprit communautaire. Tout compte fait, la fusion a mené à la perte d’un «sense of community» ou du «sentiment (...) d’avoir une communauté qui était fière de [sa] ville». En considérant cette perte de «fierté» et d’esprit communautaire, nous ne pouvons être surpris du faible attachement que vouent les participants à la Ville de Gatineau. Toutefois, quelques participants croient que la fusion a favorisé le regroupement des gens.

À la disparition de cet esprit communautaire s’ajoute une perte identitaire plus marquée bien qu’elle s’observe de manière beaucoup plus symbolique. En effet, le changement du nom de la ville en a dérangé plusieurs dans la mesure où le titre venant avec ce dernier disparaissait officiellement. Par exemple, bien que certains admettent qu’ils s’identifient encore en tant qu’«Aylmerite», cela ne les empêche pas de signaler qu’ils ont malgré tout officiellement perdu leur gentilé. Le changement de nombreux noms de rues a aussi dérangé quelques participants qui le perçoivent comme une perte. En effet, la nouvelle ville a dû changer le nom de 457 de ses 2 141 rues (Comité de transition de l’Outaouais, 2002). À Masson, cette perte identitaire est illustrée dans les propos de quelques participants qui affirment que leur municipalité est devenue une «ville-fantôme» depuis la fusion municipale.

5.8.7. Déception, résignation et mécontentement Au bout du compte, bien que quelques participants aient relevé certains bienfaits de la fusion, c’est surtout le mécontentement qui domine le discours de ces derniers. Ce mécontentement est d’autant plus perceptible lorsque nous portons un intérêt à l’opinion qu’ont les participants de la fusion municipale. En effet, lorsqu’ils ont été questionnés à propos des gains issus de la fusion, plus de 80 participants ont inscrit «rien», «absolument rien» ou «pas grand-chose». Certains d’entre eux ont même mis l’accent sur la calligraphie (utilisation de lettres majuscules) et la ponctuation (points d’exclamation ou de points de suspension) pour manifester leur mécontentement. Par ailleurs, quelques

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participants ont affirmé que «les points positifs sont difficiles à trouver» ou qu’«[ils cherchent] toujours» s’il y a réellement eu des gains.

Il y a aussi plus d’une vingtaine de participants qui ont vivement critiqué la fusion municipale. Plusieurs d’entre eux remettent en question sa légitimité en affirmant que c’était «a bad idea and still is» et qu’elle «should have never happened». Bref, le message est clair, la population «aurait pu s’en passer». Plusieurs autres participants ont discrédité la fusion en la qualifiant de «flop», de «désastre», d’«erreur», de «gros gâchis», de «fiasco» ou d’«échec total». Des réponses de ce genre en disent long à propos de l’attitude négative qu’entretiennent plusieurs participants à l’égard de la fusion municipale.

Quelques-uns ont aussi rappelé le fait que cette fusion leur avait été imposée en soulignant que «we did not have a choice». Si quelques individus ont ouvertement déclaré être favorables à la tenue d’un référendum pour se séparer, une dizaine de participants semble être résignée et avoir accepté la situation. En effet, certains considèrent qu’il est «trop tard» pour changer quoi que ce soit, qu’«on ne peut rien y faire» et qu’«on finit par s’y faire».

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Chapitre 6 —Des centres devenus périphériques Maintenant que les résultats ont été présentés indépendamment les uns des autres. Il s’avère intéressant et pertinent de comprendre comment ces différentes variables interagissent entre elles. Le but du prochain chapitre est de dresser le portrait le plus clair possible des identités territoriales des Massonnois et des Aylmerois. Les cas de Masson et d’Aylmer sont présentés distinctement puisqu’il ne s’agit pas d’une comparaison en bonne et due forme, mais bien d’une analyse croisée. En effet, plusieurs éléments étaient trop similaires afin qu’il soit possible de comparer systématiquement les deux secteurs. Malgré tout, Masson et Aylmer partagent le fait d’être tous les deux des périphéries. Ainsi, les deux situations mises ensemble permettent d’éclairer sur la réalité et les représentations des citoyens qui habitent dans les périphéries situées aux extrêmes géographiques de la Ville de Gatineau.

6.1. Des Massonnois bien enracinés Comme il l’a été vu au chapitre 1, Masson a longtemps été une ville ouvrière et agricole avant de devenir une banlieue pour de nombreux employés de la fonction publique fédérale (Centenaire 89, 1989). La croissance démographique a été relativement constante tout au long du 20e siècle, mais l’avènement de MacLaren en 1929 constitue un tournant dans l’histoire de cette communauté (tableau 25).

Tableau 25 Évolution démographique de Masson-Angers (1897-2016)

Année Population Année Population Année Population Année Population

1897 829 1931 2 015 1971 2 335* 2001 9 799 1901 1 012 1941 1226 1981 4 624* 2006 11 066 1911 1 034 1951 1465* 1991 5 753 2011 12 397 1921 950 1961 1 933* 1996 7 989 2016 ND

Sources : Recensements du Canada 1986-2011, Gaffield, 1994 *L’effectif de ces années a été obtenu en soustrayant la population de Buckingham (Lapointe, 1990) à celles de Masson et Buckingham réunies (Gaffield, 1994).

La communauté de Masson a longtemps milité pour acquérir le statut de paroisse. Ses citoyens désiraient posséder leur propre paroisse plutôt que d’être associés à celle de Saint-Grégoire-de-Naziance à Buckingham. C’est en 1889 que leur vœu est exaucé alors

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que les registres de la paroisse Notre-Dame-des-Neiges sont ouverts (Centenaire 89, 1989).

Plusieurs décennies plus tard, en 1975, les villes de Masson, d’Angers, de Notre- Dame-de-la-Salette et de l’Ange-Gardien étaient fusionnées à Buckingham. Or, pas plus tard qu’en 1979, des pressions populaires ont mené à la séparation de ces municipalités et c’est à ce moment que Masson et Angers ont été réunies sous la même administration. Toutefois, ce n’est qu’en 1992 que le toponyme Masson-Angers fut officiellement adopté (Cournoyer, 2001). C’est donc dire que l’idée d’une fusion, d’une défusion et de tous les tiraillements que cela suscite n’était pas totalement nouvelle pour les Massonnois.

6.1.1. Préparation à la fusion Dans les préparatifs entourant le projet de loi 170, une étude d’opportunité a été menée par la firme Roche à l’intention du Ministère des Affaires municipales et de la Métropole. Publiée en septembre 2000, cette étude visait surtout à dégager les impacts financiers d’un regroupement entre Buckingham et Masson-Angers, mais aussi ceux d’un regroupement entre les cinq villes de la Communauté urbaine de l’Outaouais (CUO). Même si les auteurs soutiennent qu’une fusion ne relève pas seulement du domaine financier, c’est tout de même ce dernier qui occupe une place centrale dans les scénarios présentés. Ils affirment qu’un regroupement de ce genre bénéficie aux citoyens puisqu’il leur procurera des services municipaux auxquels ils n’auraient pas accès autrement. Selon eux, pour que ce soit une réussite, tous les acteurs impliqués doivent en sortir gagnants à court et à long terme (Roche, 2000b).

La firme Roche conclue que les deux scénarios de regroupement à l’étude, c’est-à- dire celui de deux villes et de cinq villes «n’entrainerai [en] t point d’impacts négatifs significatifs au niveau social et de l’organisation municipale, mais permettrai [en] t plutôt certains avantages indéniables» (Roche, 2000b, p.102). En se basant sur quelques indicateurs issus du recensement de 1996, ils soulignent aussi que Buckingham et Masson-Angers forment une «communauté relativement homogène» (Roche, 2000b, p.11). Ils concluent également que des impacts financiers négatifs sont à prévoir pour Masson-Angers. Ils tempèrent le tout en soutenant que la croissance démographique de 109 % qu’a connue la municipalité entre 1981 et 2000 aurait tôt ou tard rattrapé les Massonnois (Roche, 2000b). 81

Aussi, il a été établi qu’avant la fusion, Masson-Angers bénéficiait d’un plus grand potentiel fiscal et d’une flotte de véhicules récents, bien qu’elle soit peu diversifiée comparativement à celle de Buckingham. Buckingham était sur le point d’investir dans son réseau d’infrastructures, ce qui n’était pas le cas pour Masson-Angers. Advenant un regroupement entre les deux villes, il était prévu que Buckingham soit le centre de services et que Masson-Angers assume un rôle de milieu résidentiel. Dans le cas du regroupement des cinq villes, la firme Roche estime que seuls les secteurs résidentiel et commercial de Masson-Angers subiront des hausses fiscales (Roche, 2000b).

6.1.2. Position de la municipalité Au moment des commissions parlementaires entourant le projet de loi 170, l’administration municipale de Masson-Angers en a profité pour y déposer un mémoire. Dans ce dernier, elle en profite pour vanter la grande qualité des services, la bonne gestion et l’attractivité financière de sa communauté. Les auteurs mentionnent aussi que la population y a doublé depuis 10 ans en raison de l’arrivée de plusieurs jeunes familles (Mémoire de Masson-Angers, 2000).

Du même coup, la municipalité signifie ses craintes à l’égard de la fusion municipale. D’une part, elle craint qu’une fusion ait pour effet de créer un recul du bénévolat ainsi qu’une hausse de taxes accompagnée d’une baisse des services. Le mémoire évoque également le changement de statut qu’occasionnerait un aussi gros regroupement. En effet, la nouvelle ville posséderait plus de 100 000 habitants et se verrait imposer de nouveaux engagements financiers en vertu des lois provinciales. Autrement dit, des subventions seraient perdues. Ayant encore la fusion de 1975 en mémoire, il est clairement annoncé que les Massonnois ne désirent perdre aucun acquis dans un nouveau processus de regroupement (Mémoire de Masson-Angers, 2000).

Toutefois, si Masson-Angers a laissé entendre au gouvernement provincial qu’elle rejetait la fusion avec Buckingham, elle demeurait ouverte à un renforcement de la CUO pourvu que la vie communautaire, la qualité des services et le caractère local des cinq villes soient préservés. Parmi les autres conditions posées, il y a le gel des taxes municipales pour une période de 10 ans ainsi que l’implantation d’un système d’arrondissements. Pour Masson-Angers, la préservation identitaire et la conservation des acquis des Massonnois nécessitent un système d’arrondissements. Masson-Angers a 82

également demandé au gouvernement de procéder à une consultation populaire concernant le choix du nom de l’éventuelle nouvelle ville (Mémoire de Masson-Angers, 2000).

6.1.3. Un enracinement de longue date Le projet de loi 170 aura finalement octroyé le toponyme Gatineau à la nouvelle ville. Quinze ans après son entrée en vigueur, force est de constater que les Massonnois s’identifient davantage à leur ancienne municipalité (tableau 21). En effet, 72,1 % d’entre eux s’identifient «tout à fait» ou «beaucoup» à Masson. Nous avons aussi été à même d’observer qu’ils s’identifiaient faiblement à leur nouvelle ville alors que 71,5 % d’entre eux s’identifient «peu» ou «pas du tout» à la Ville de Gatineau (tableau 20). En fait, nous remarquons que les deux phénomènes se superposent. En effet, la majorité des Massonnois qui s’identifient «beaucoup» à Masson s’identifient «peu» à la Ville de Gatineau. À l’inverse, nous pouvons voir que les Massonnois qui ne s’identifient «pas du tout» à Gatineau s’identifient «beaucoup» ou «tout à fait» à Masson (figure 6).

Figure 6

Degré d'identification des Massonnois à Masson selon leur degré d'identification à la ville de Gatineau, en nombre absolu 25

20 Pas du tout 15 Peu 10 Indifférent Participants 5 Beaucoup 0 Pas du tout Peu Indifférent Beaucoup Tout à fait Tout à fait Degré d'identification à Masson

Pour comprendre ce fort sentiment d’appartenance à l’échelle locale, plusieurs pistes doivent être considérées. Dans un premier temps, il ne faudrait pas négliger qu’en plus d’être en grande partie des retraités, la majorité des participants de l’enquête ont grandi à Masson ou dans ses alentours. En plus d’y avoir grandi, nombreux sont ceux qui n’ont vraisemblablement jamais quitté le secteur puisqu’ils y habitent depuis plus de 25 ans. Ainsi, des participants affirmaient être de «vrais» Massonnois au moment où nous vérifiions leur éligibilité à faire partie de l’échantillon.

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Dans le questionnaire lui-même, certains participants ont pris la peine de rayer la portion «Angers» pour préciser qu’ils avaient grandi à Masson et non pas à Masson- Angers qui existe officiellement depuis 1980 et dont le toponyme fut reconnu en 1992 (Cournoyer, 2001). Cette action peut sembler banale, mais elle s’avère plutôt révélatrice de l’ancrage local des identités. En effet, dans l’optique où certains ont cru bon de distinguer ces deux secteurs qui constituaient a priori une même municipalité, la faible identification à la Ville de Gatineau constitue une moins grande surprise. Ce fort degré d’identification des Massonnois pour Masson trouve aussi des explications dans leurs pratiques. En effet, nous remarquons que les Massonnois préfèrent mener un grand nombre de leurs activités dans l’est de la ville, c’est-à-dire à proximité de leur domicile. Lorsque seul le secteur Masson-Angers est considéré, nous constatons qu’il est la destination favorite des participants lorsque vient le temps de pratiquer leurs sports et leurs loisirs ainsi que de tenir leurs rencontres familiales. D’ailleurs, la tenue d’un grand nombre de rencontres familiales dans leur secteur résidentiel contribue potentiellement à l’enracinement des participants à leur milieu.

De plus, lorsque vient le temps d’effectuer leurs achats, les Massonnois sont nombreux à le faire à Buckingham, qui se situe à l’est du grand Gatineau. Sa popularité auprès des Massonnois n’est certainement pas étrangère au fait qu’une dizaine d’entre eux ont vivement dénoncé la perte de commerces de proximité depuis la fusion municipale. Ce manque de commerces peut également expliquer pourquoi les Massonnois préfèrent sortir dans les secteurs Gatineau et Buckingham.

6.1.4. Le centre-ville est à Masson Un centre-ville est généralement un endroit où se concentrent les principales activités économiques et culturelles d’une municipalité créant ainsi une attraction pour ses citoyens et visiteurs. Or, nous observons que dans le cadre de leurs achats et de leurs sorties, les secteurs Gatineau et Buckingham sont plus populaires auprès des Massonnois que Masson-Angers. Évidemment, nous ne pouvions nous attendre à ce que toutes les activités se déroulent à Masson-Angers, mais généralement, les sorties se concentrent dans le centre-ville ou du moins dans un lieu concentrant une offre commerciale

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considérable, ce qui n’est pas le cas du quartier de Masson49. D’ailleurs, les pratiques et les commentaires des Massonnois ne correspondent pas à cette représentation de Masson- Angers comme un centre-ville. En effet, l’absence de commerces de proximité, qui devraient généralement se situer dans un centre-ville, a été vivement critiquée. Malgré tout, 51,4 % des Massonnois ont situé leur centre-ville à Masson-Angers. Se pourrait-il que le fort degré d’identification manifesté à l’égard de Masson crée chez ses résidents une représentation idéalisée de la réalité?

Il est d’autant plus surprenant que plus de la moitié des Massonnois situent leur centre-ville à Masson si nous considérons les commentaires plutôt négatifs formulés par ces derniers à l’égard de leur quartier. Rappelons qu’en plus d’avoir vivement dénoncé l’absence de commerces de proximité les obligeant à magasiner ailleurs, d’autres ont plutôt témoigné de l’état de décrépitude de certains bâtiments (dont l’ancienne gare) et de certaines routes. Quelques-uns ont même qualifié leur ancienne municipalité de «village fantôme». Autrement dit, la moitié des Massonnois situent leur centre-ville dans un secteur auquel ils s’identifient fortement, mais qu’ils fréquentent peu en raison du manque de commerces et possiblement en raison de l’apparence «négligée» qu’il offre.

Toutefois, il faut garder en tête que la manière dont la question concernant le centre-ville a été posée ne permet pas de déterminer avec exactitude à quel quartier du secteur Masson-Angers les participants font référence. Ainsi, deux scénarios peuvent être envisagés. D’une part, si l’on se fie à la liste de lieux appréciés des Massonnois, il est probable que plusieurs participants pensaient au quartier du marché de l’Encan Larose et non à celui du vieux Masson. En contrepartie, s’ils pensaient au vieux Masson, nous pouvons avancer que ces participants sont nostalgiques de leur ancienne municipalité ou encore qu’ils aimeraient voir leur quartier redevenir un lieu important pour leur communauté.

6.1.5. Une grande ville à laquelle on s’identifie peu Comme il a été possible de le voir dans le tableau 20 du chapitre précédent, les Massonnois s’identifient faiblement à la Ville de Gatineau. Ils sont également insatisfaits de ce que la fusion municipale leur a apporté depuis 15 ans. Or, en croisant ces deux

49 Il faut garder en tête que les nouveaux tronçons de l’autoroute 50 ouverts en 2012 ont pu influencer cette situation. 85

variables, nous constatons que les Massonnois qui ne s’identifient «pas du tout» à la Ville de Gatineau sont pour la plupart ceux qui sont «très insatisfaits» de la fusion. Nous notons aussi que les Massonnois s’identifiant «peu» à la grande ville sont surtout ceux qui sont «plutôt insatisfaits» du résultat (figure 7). Nous pouvons donc supposer que le faible degré d’identification à la nouvelle ville est alimenté par le haut niveau d’insatisfaction à l’égard de la fusion municipale. Par le fait même, cette situation favoriserait le maintien de la forte identification à Masson.

Figure 7

Degré d'identification des Massonnois à la ville de Gatineau selon leur niveau de satisfaction actuel à l'égard de la fusion municipale, en nombre absolu 20

15

Très insatisfait 10

Plutôt insatisfait Nombre 5 Ni satisfait, ni insatisfait

0 Plutôt satisfait Pas du tout Peu Indifférent Beaucoup Tout à fait Degré d'identification à la ville de Gatineau

Avant de poursuivre, rappelons que lors du référendum ayant pour enjeu la défusion de 2004, les Massonnois étaient parmi ceux qui s’étaient le plus opposés au projet de loi 170. Quinze ans plus tard, nous aurions certainement pu envisager que des participants qui se positionnaient alors contre la fusion soient aujourd’hui satisfaits de ce qui en a découlé. Or, il n’en est rien. Au contraire, la satisfaction manifestée à l’égard de la fusion municipale est à ce point faible (tableau 23) que les participants qui sont «ni satisfaits, ni insatisfaits» de celle-ci sont légèrement plus nombreux que ceux qui sont «plutôt satisfaits». D’ailleurs, aucun Massonnois n’a affirmé être «très satisfait». L’insatisfaction des participants ne faisant aucun doute, nous remarquons toutefois que les Massonnois qui étaient «contre» la fusion municipale en 2002 sont aujourd’hui les individus les plus insatisfaits (figure 8). Visiblement, les avis n’ont pas changé puisque cette insatisfaction était palpable sur le terrain alors que des participants critiquaient la fusion et la ville avant même de connaître le contenu du questionnaire. 86

Figure 8

Position des Massonnois envers la fusion municipale en 2002 selon leur niveau de satisfaction actuel à son égard, en nombre absolu 25

20

15 Très insatisfait 10

Nombre Plutôt insatisfait 5 Ni satisfait, ni insatisfait 0 Contre Plutôt en Indifférent Plutôt en Pour Plutôt satisfait défaveur faveur Position à l'égard de la fusion (2002)

En supposant qu’une insatisfaction aussi forte n’encourage pas le développement d’une appartenance à la Ville de Gatineau, nous pouvons avancer que cette insatisfaction contribue au maintien ou au renforcement du fort degré d’identification à Masson. Certes, les mécontents sont essentiellement les Massonnois qui étaient contre la fusion municipale en 2002. Certains pourraient affirmer que les plus ardents opposants à la fusion sont fidèles à leur position d’hier et qu’ils n’admettront jamais les retombées positives de ce projet. C’est une éventualité. Or, les réponses laissées par les Massonnois éclairent sur les raisons pour lesquelles ils n’ont jamais vraiment adhéré à la grande ville qui leur a été imposée.

6.1.6. Un toponyme difficile à adopter Sans surprise, les Massonnois qui ne s’identifient «pas du tout» à la Ville de Gatineau sont ceux aussi qui ne se sentent «pas du tout» représentés par le toponyme Gatineau. Par ailleurs, la plupart des Massonnois s’identifiant «peu» à la Ville de Gatineau sont aussi ceux qui se sentent «peu» représentés par la dénomination Gatineau ou qui demeurent «indifférents» vis-à-vis de cette dernière (figure 9). Nous observons aussi que plusieurs Massonnois auraient préféré le statu quo, c’est-à-dire celui de ne pas fusionner et de conserver le nom de Masson-Angers. D’autres auraient plutôt été favorables à un nom différent de celui d’une des cinq municipalités fusionnées.

87

Figure 9

Degré d'identification des Massonnois à la ville de Gatineau selon leur degré d'acceptation du toponyme, en nombre absolu

15

Pas du tout 10 Peu

5 Indifférent Participants

0 Beaucoup Pas du tout Peu Indifférent Beaucoup Tout à fait Tout à fait Degré d'identification à la ville de Gatineau

Nous pouvons donc admettre que, 15 ans plus tard, le nom de la ville, qui a fait l’objet de nombreux débats à l’époque, est encore un sujet chaud. Le toponyme choisi pour rallier les citoyens à leur nouvelle ville n’est encore aujourd’hui pas ou peu accepté. Considérant le peu d’importance accordée aux citoyens dans le processus du choix du nom50, peut-on vraiment se surprendre que le toponyme retenu soit si impopulaire 15 ans plus tard? Certes, un toponyme ne définit pas à lui seul le sentiment d’appartenance d’une collectivité, mais il demeure tout de même un levier symbolique important. Si le toponyme avait été plus populaire auprès des Massonnois, il est permis de croire que le degré d’identification à la nouvelle ville aurait pu être plus important pour certains participants.

6.1.7. Injustice et déficit politique Cette faible identification à la Ville de Gatineau n’est pas surprenante si nous considérons que les Massonnois ont l’impression de contribuer financièrement pour les autres et qu’ils sentent leur secteur délaissé. En effet, plusieurs sont convaincus que «la fusion a beaucoup aidé les villes de Gatineau et Hull». En fait, lorsque des participants affirment que «nos sous profitent à d’autres» et que les taxes servent à financer «des infrastructures que nous n’avons même pas», ils illustrent les propos de ceux qui perçoivent Masson comme «une vache à lait pour le secteur Gatineau et Hull». Autrement dit, ils croient que la fusion profite surtout au noyau urbain et qu’elle a «nui aux plus petites villes, qui elles, sont maintenant laissées à elles-mêmes». Les

50 Les lecteurs du journal Le Droit ont été nombreux à manifester leur mécontentement dans la section «À vous la parole». 88

Massonnois ont réellement l’impression qu’il n’y a «aucun investissement apparent à Masson» et que la fusion a grandement nui au «développement de [leur] secteur». Cela rejoint le propos de ceux qui considèrent que «tout se passe ailleurs» et que leur secteur «passe en dernier», n’est pas «pris en considération» en plus d’être «oublié» et «négligé».

Des Massonnois croient aussi que la nouvelle ville les a privés du niveau de services dont ils bénéficiaient sous la gouverne de leur ancienne municipalité. À cet effet, s’ils sont nombreux à applaudir la création de corps professionnels dans la sécurité publique et le réseau de bibliothèques, les Massonnois sont dominés par le sentiment d’avoir perdu davantage qu’ils n’ont gagné. La médiocrité du déneigement et de l’entretien de la voirie sont les services qui semblent avoir le plus écopé depuis la fusion municipale. En plus des équipements municipaux qui profitent aujourd’hui à la grande ville, ils soutiennent avoir perdu «l’expertise de [leurs] employés municipaux». Ces derniers étaient auparavant beaucoup plus près des citoyens facilitant ainsi l’accomplissement des tâches dans des délais plus raisonnables. Les Massonnois ont aussi formulé de nombreuses critiques à l’égard de l’administration et du fonctionnement de la nouvelle ville. En effet, nous constatons que de nombreux Massonnois pensent que «tout est maintenant trop compliqué» en raison de la «paperasserie administrative» faisant même allusion à une «structurite aiguë». En se faisant imposer la fusion, les Massonnois ont l’impression de s’être vus retirer leur autonomie en tant que communauté. Autrement dit, ils ne sont plus les seuls maîtres de leurs décisions et par le fait même de leur avenir. D’ailleurs, des Massonnois ont l’impression de faire partie d’une «grosse machine» et n’ont plus le «sentiment de prendre [leur] place sur l’échiquier politique». Dans les faits, la fusion a occasionné un amoindrissement de la représentation politique des Massonnois en leur octroyant un seul élu au conseil municipal. Cette faible représentation n’est certainement pas étrangère au fait que les Massonnois estiment avoir perdu la proximité et l’accessibilité qu’ils avaient avec leurs élus. 6.1.8. Perte identitaire Les pertes subies dans le domaine politique se doublent du sentiment perçu par un grand nombre de Massonnois d’avoir perdu leur identité. Par ailleurs, nous pouvons aussi

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suggérer que la mauvaise qualité des services évoquée par plusieurs contribue au haut niveau d’insatisfaction.

Pour certains, la fusion municipale était «la meilleure façon de perdre notre identité». Effectivement, en plus d’avoir l’impression que Masson est devenue «une quantité négligeable», les Massonnois estiment que leur municipalité a perdu les «avantages d’une petite ville». Un participant illustre bien cette situation en affirmant que «les besoins des citoyens qui habitent dans cette ville [Gatineau] sont trop différents». Ainsi, nous comprenons que plusieurs Massonnois se sentaient bien dans leur petite ville aux apparences de «village campagnard». Masson ne fonctionnait pas comme Gatineau et Hull, des villes sensiblement plus importantes sur le plan de la population et des infrastructures. C’est donc dire que les Massonnois ont été intégrés à un nouveau système de fonctionnement contre leur gré, c’est-à-dire à celui d’une agglomération urbaine d’envergure. Or, les Massonnois n’étaient peut-être pas prêts à un tel changement, du moins, pas de façon aussi abrupte.

Cette impression qu’ont les Massonnois de ne pas cadrer dans la nouvelle ville fournit une piste d’explication quant à la raison pour laquelle plusieurs d’entre eux prétendent avoir perdu leur identité ou leur appartenance. Certains Massonnois ont l’impression d’avoir perdu leur «identité» tandis que d’autres ont soutenu avoir perdu «notre identité». Quoi qu’il en soit, la formulation de ces réponses témoigne du caractère communautaire qui habitait et qui habite probablement encore les Massonnois. D’ailleurs, un participant illustre bien cet aspect collectif en affirmant que la fusion lui a fait perdre «la flamme qui nous unissait entre nous». En effet, le sentiment de faire communauté avec son voisinage se serait aussi dissipé depuis la fusion. Tout compte fait, les Massonnois qui affirment avoir perdu leur identité ou leur appartenance permettent de se demander pourquoi ils continuent à s’identifier aussi fortement à Masson.

Cette perte identitaire évoquée par les Massonnois peut aussi être interprétée comme étant la perte d’une manière de vivre et de gérer, c’est-à-dire à la perte de l’autonomie et de l’indépendance de leur communauté. Tout compte fait, Masson demeure ancrée dans l’imaginaire de ses citoyens de longue date même s’ils sont conscients qu’un retour aux conditions antérieures n’est pas vraiment envisageable.

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D’ailleurs, la forte identification éprouvée pour Masson peut être perçue comme étant l’expression d’une volonté d’affirmer sa différence. Les Massonnois ne se reconnaissent pas ou peu à Gatineau parce qu’ils sont d’abord et avant tout des Massonnois. La persistance des Massonnois à s’identifier à Masson malgré la désintégration des institutions ayant contribué à forger une portion de leur identité témoigne du caractère arbitraire des limites administratives (Zimmerbauer et Paasi, 2013; Guermond, 2006). En effet, les instances politiques et administratives sont loin d’être les seuls leviers contribuant au développement d’une identité et le fort degré d’identification à Masson l’indique. Nous pouvons aussi avancer qu’il est difficile de s’identifier à une ville lorsqu’on n’a pas l’impression d’en faire partie. Ainsi, nous comprenons mieux pourquoi les Massonnois éprouvent certaines difficultés à s’associer à la nouvelle ville. Maintenant, il serait intéressant de se pencher sur l’opinion des citoyens des autres générations. Est-ce que les jeunes ayant grandi dans la municipalité de Masson-Angers partagent le même avis que leurs parents et grands-parents? Avec le temps, est-ce que cette forte appartenance pour Masson glissera vers une appartenance plus importante pour la Ville de Gatineau? 6.1.9. Une grande ville tronquée Les Massonnois sont nombreux à visiter le secteur Gatineau dans le cadre de plusieurs de leurs activités. Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils sont les plus ouverts au grand Gatineau pour autant. En fait, le secteur Gatineau constituerait une frontière urbaine puisque la majorité des Massonnois se déplacent peu ou pas au-delà de ce dernier dans le cadre de la plupart de leurs activités. Ainsi, deux des cinq secteurs de Gatineau, c’est-à-dire Hull et Aylmer, ne font pas réellement partie du quotidien des Massonnois questionnés.

Si une faible proportion de Massonnois fréquente le secteur Hull dans le cadre de leurs sorties (15,9 %), le secteur Aylmer est pour sa part littéralement ignoré. Aylmer et Masson se situent aux extrémités géographiques de la Ville de Gatineau qui s’étend sur une soixantaine de kilomètres. La grande distance les séparant explique probablement cet état de causes. Le fait que des résidents d’un secteur n’en visitent pas un autre n’est pas surprenant. En effet, il n’est normalement pas nécessaire de parcourir de grandes distances afin de trouver les commerces répondant à ses besoins. Malgré tout, il serait

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intéressant de demander aux Massonnois pourquoi ils ne fréquentent pas le secteur Aylmer. Nous pouvons déjà supposer que l’absence d’un réel point de convergence rend difficile la création d’une identité englobante. Nous pourrions aussi vérifier si des facteurs d’ordre culturel ou linguistique peuvent expliquer cette réticence des Massonnois à visiter le secteur Aylmer.

De plus, même si la popularité du secteur Gatineau auprès des Massonnois ne fait aucun doute, comme en témoigne le fait que près du tiers d’entre eux situent leur centre- ville dans ce dernier, nous pouvons nous demander s’ils le visitent par nécessité ou par attachement. Considérant que les Massonnois ont vivement critiqué le manque de commerces de proximité dans leur secteur, se pourrait-il que la présence de nombreux commerces à grande surface situés dans le secteur Gatineau soit la principale raison pour laquelle ils magasinent à cet endroit? En fait, ils le faisaient sans doute avant la fusion, mais ils allaient ailleurs, dans la ville voisine, ce qui, dans leurs représentations de la région, n’a somme toute pas vraiment changé. Pour éclaircir cette réalité, il faudrait se pencher sur les motifs poussant un individu à choisir une destination plutôt qu’une autre, ce que les réponses recueillies dans le cadre de cette enquête ne permettent pas de faire.

6.1.10. La tendance d’une minorité Malgré tout, tous les Massonnois n’ont pas la même vision. En effet, il est possible de remarquer qu’une minorité d’entre eux ont manifesté une certaine ouverture envers la nouvelle ville, une situation qui ne s’observe pratiquement pas chez leurs concitoyens d’Aylmer. En effet, bien qu’ils soient peu nombreux, près de 20 % des Massonnois s’identifient à la Ville de Gatineau et un peu plus de 20 % d’entre eux se sentent bien représentés par le toponyme Gatineau. D’ailleurs, plus du quart des Massonnois approuvent Gatineau comme nom de leur ville.

Les pratiques de certains Massonnois témoignent également de cette ouverture pour la Ville de Gatineau. En effet, près de la moitié des sorties des Massonnois se font dans les secteurs plus urbains de la région (y compris Ottawa). Il y a également un peu plus du quart des achats des Massonnois qui se déroulent dans le secteur Gatineau. Nous pouvons supposer que ces derniers ont développé un certain attachement pour le secteur Gatineau. En effet, certains lieux situés dans ce secteur, tels que les Promenades Gatineau et la Maison de la Culture, sont tenus en haute estime par les Massonnois. Nous pouvons 92

aussi avancer que Masson demeure un secteur périphérique et que ses citoyens n’ont d’autres choix que de fréquenter les milieux plus urbains pour répondre à leurs besoins.

Même si le secteur Gatineau constituait un lieu d’intérêt pour les Massonnois bien avant la fusion municipale, nous pouvons nous demander si celle-ci n’aurait pas pu légitimer une identification plus importante chez certains d’entre eux. Toutefois, il ne faudrait pas se méprendre en amalgamant systématiquement la sympathie manifestée à l’égard du secteur Gatineau à une ouverture à la nouvelle Ville de Gatineau. Malgré tout, les Massonnois n’ont pas de barrière linguistique qui s’oppose au développement d’un plus grand sentiment d’appartenance avec Gatineau. Dans ce contexte, il est permis de supposer que quelques Massonnois puissent entretenir un germe d’appartenance pour la Ville de Gatineau. Or, il demeure difficile de dresser un portrait clair de ceux-ci en raison de leur faible nombre. 6.1.11. La fusion et les Massonnois En somme, nous constatons que pour la plupart des Massonnois, la fusion n’a pas eu pour effet de changer l’idée qu’ils avaient de leur municipalité. Dans leur esprit, Masson occupe encore une place centrale même s’ils reconnaissent que plusieurs choses ont changé. Nous pouvons supposer que la forte insatisfaction des participants à l’égard de la fusion municipale contribue à la forte identification à Masson et au faible degré d’identification à la Ville de Gatineau. En effet, les promoteurs de la fusion avaient promis une amélioration de la qualité de vie et il s’avère que les Massonnois constatent et ressentent le contraire. Nous remarquons également que les activités des participants de Masson déclinent en importance au-delà du secteur Gatineau auquel ils semblent vouer une appréciation. Nous pouvons aussi souligner que l’identification à la Ville de Gatineau semble germer chez une minorité de Massonnois. Il est même possible de supposer que cette tendance pourrait grandir si les Massonnois étaient plus satisfaits. Le fait que des Massonnois s’identifient simultanément, bien qu’à différents degrés, à Masson et à la Ville de Gatineau témoigne de l’existence d’une identité plurielle. Rappelons aussi que les participants sont plutôt âgés et que cette situation peut occasionner un certain conservatisme ou de la nostalgie de leur part. Les jeunes nés et ayant grandi dans la nouvelle Ville de Gatineau auront peut-être des attitudes différentes à propos de leur ville.

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6.2. Un goût amer pour les Aylmerois Aylmer, nous l’avons vu au chapitre 1, est un milieu où la dualité linguistique et religieuse a toujours été présente, mais où le conseil municipal a longtemps été unilingue anglophone (Brault, 1981). Nous avons aussi vu qu’elle fait partie des premières municipalités à avoir été fondées dans l’Outaouais urbain, ce qui lui confère des racines historiques profondes. De plus, nous pouvons constater qu’Aylmer, bien qu’elle ait été en compétition avec Hull pour la reconnaissance d’un statut de centre administratif, a occupé un rôle important dans la région (Blanchette, 2009). Cette municipalité a toujours eu de grandes aspirations pour sa communauté comme en témoigne son désir d’adopter le toponyme Ottawa (Brault, 1981) et son intention de devenir la capitale du Canada (Blanchette, 2009). Comme il l’a été mentionné dans le premier chapitre, Hull a repris le titre de chef-lieu judiciaire au tournant du 20e siècle (Brault, 1981).

Au tournant des années 1970, Aylmer devient une ville de banlieue (Ville d’Aylmer, 1989). Ce changement se remarque dans l’évolution démographique de la ville entre 1971 et 1981 (tableau 26). La construction des nombreuses tours à bureaux à Hull dans les années 1970 est l’élément ayant contribué à cette croissance (Gaffield, 1994).

Tableau 26 Évolution démographique d’Aylmer (1891-2016)

Année Population Année Population Année Population Année Population 1891 1 945 1931 2 835 1971 7 198 2001 36 085 1901 2 291 1941 3 115 1981 26 695 2006 41 532 1911 3 109 1951 4 375 1991 32 244 2011 54 630 1921 2 970 1961 3 047 1996 34 901 2016 ND Source : Recensements du Canada; Gaffield 1994.

Lorsque l’idée d’une fusion fut lancée au tournant de l’an 2000, il ne s’agissait pas d’un projet totalement nouveau pour les Aylmerois. En effet, en 1975, ils avaient connu la fusion avec Lucerne et Deschênes, les villages voisins. De plus, la proposition d’une fusion de la zone urbaine de l’Outaouais germait déjà dans l’esprit de certains dans les années 1970 (Blanchette, 2009). D’ailleurs, les Aylmerois furent appelés à se prononcer par référendum sur la fusion des trois villes urbaines, c’est-à-dire Aylmer, Hull et Gatineau, en 1991. Si la proposition a été approuvée par les Hullois, les Aylmerois et les

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Gatinois l’ont rejetée de manière assez convaincante. À Aylmer, le plus haut taux de participation a été enregistré et 72 % des citoyens ont rejeté la proposition (Blanchette, 2009; Gaffield, 1994).

Selon Gaffield, quatre raisons peuvent expliquer ce rejet de la fusion de 1991. La première concerne les banlieues, voire ici Gatineau et Aylmer, qui ne désiraient pas payer pour les dépenses du centre (Hull). La deuxième serait que les promesses non tenues concernant les baisses de taxes lors de la fusion de Gatineau en 1975 auraient influencé le vote. La crainte de la population anglophone de voir sa proportion réduite drastiquement constituerait une troisième raison tandis que certains arguments ayant pu être considérés comme étant trop abstraits pour l’électorat pourraient être la quatrième (1994). Plusieurs experts ont également expliqué l’échec de ce regroupement par «l’absence d’une identité régionale et d’une vision collective» (Blanchette, 2009, p.142), ce qui n’en a pas empêché certains de prédire qu’un tel projet «pourrait resurgir dans quelques années» (Gaffield, 1994, p.756). Il s’avère que la prédiction de ces derniers s’est avérée.

6.2.1. En route vers le projet de loi 170 Afin de connaître les impacts d’une éventuelle fusion entre Aylmer, Gatineau et Hull, la chambre de commerce de l’Outaouais a commandé une étude d’opportunité à la firme Roche. Dans son rapport publié en septembre 2000, elle établit que la ville d’Aylmer a développé des règlements d’urbanisme distincts. En effet, la protection du patrimoine et le caractère familial de la ville d’Aylmer étaient au centre de leur plan. Les infrastructures en eau potable, les aqueducs et le réseau routier étaient en bon état à Aylmer. En fait, seuls les égouts et la flotte de véhicules nécessitaient des investissements au moment de fusionner. Les auteurs du rapport ont également mentionné qu’Aylmer, tout comme Gatineau, offrait beaucoup d’espaces à développer alors que la ville de Hull était saturée à ce niveau. Il a également été relevé que 91 % des logements étaient des maisons unifamiliales et que l’utilisation du sol à Aylmer était peu diversifiée. La firme Roche conclue en affirmant que «les contribuables d’Aylmer sont ceux qui, à court et long terme, bénéficieront le plus du regroupement» (Roche, 2000 a, p.95). Les auteurs de ce rapport ont également soutenu que «les trois villes forment une seule et même agglomération et que la fragmentation administrative du territoire ne correspond plus à aucune réalité économique ou sociale» (Roche, 2000 a, p.108).

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Pendant la commission parlementaire entourant le projet de loi 170, la ville d’Aylmer a manifesté ses inquiétudes relativement au caractère forcé et antidémocratique de la démarche adoptée. Pour l’administration municipale aylmeroise, ce projet de loi mettait en péril quatre des principales valeurs fondamentales de la communauté d’Aylmer : la proximité avec les élus, la qualité de vie locale, la qualité et le niveau de services ainsi que la cohabitation harmonieuse de deux langues (Mémoire d’Aylmer, 2000). Même si aucun référendum n’a eu lieu, la ville d’Aylmer a organisé des consultations publiques pour expliquer le processus à venir et discuter de différents enjeux.

6.2.2. Un vécu révélateur D’entrée de jeu, rappelons que 91,9 % des Aylmerois s’identifient «beaucoup» ou «tout à fait» à Aylmer (tableau 21) et que 80,8 % d’entre eux s’identifient «peu» ou «pas du tout» à la Ville de Gatineau (tableau 20). Or, force est de constater que les Aylmerois qui s’identifient très fortement à leur ancienne municipalité sont ceux qui s’identifient très faiblement à la nouvelle ville. L’identité revêtant un caractère pluriel, il aurait été possible que des participants s’identifient fortement aux deux. Au contraire, nous constatons que les Aylmerois qui s’identifient «beaucoup» ou «tout à fait» à Aylmer sont aussi ceux qui s’identifient «peu» ou «pas du tout» à la Ville de Gatineau (figure 10). D’ailleurs, rappelons qu’aucun Aylmerois ne s’identifie «tout à fait» à la Ville de Gatineau de la même manière qu’aucun d’entre eux ne s’identifie «pas du tout» à Aylmer.

Figure 10

Degré d'identification à Aylmer des Aylmerois selon leur degré d'identification à la ville de Gatineau, en nombre absolu 20

15 Pas du tout 10

Peu Nombre 5 Indifférent 0 Beaucoup Peu Indifférent Beaucoup Tout à fait Degré d'identification à Aylmer

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Cette forte identification manifestée à l’égard d’Aylmer n’est certainement pas étrangère au fait que la majorité des participants aient grandi à Aylmer. En effet, en plus d’y avoir grandi, 88 % d’entre eux habitent Aylmer depuis plus de 25 ans. Ainsi, la plupart des participants sont des retraités âgés de plus de 50 ans qui ont vécu la plus importante partie de leur vie dans la municipalité d’Aylmer. D’ailleurs, au moment d’effectuer le porte-à-porte, plusieurs participants étaient fiers d’annoncer qu’ils étaient des résidents de longue date. Qu’on le veuille ou non, habiter aussi longtemps dans un milieu donné influence certainement le degré du sentiment d’appartenance que l’on développe envers ce dernier.

6.2.3. Aylmer, le Plateau et Ottawa Les pratiques des Aylmerois fournissent également des pistes d’interprétation intéressantes de cette forte identification à Aylmer. En effet, nous remarquons qu’Aylmer est très populaire auprès des Aylmerois pour toute une gamme d’activités. C’est notamment le cas des sports et des loisirs qui sont près de 60 % à être pratiqués à Aylmer. Aylmer est également le lieu où s’effectuent plus du tiers des sorties de plus du tiers des Aylmerois alors que moins de 20 % d’entre elles se déroulent à Hull. C’est aussi à Aylmer que se tiennent de nombreuses rencontres familiales (42,6 %). Or, cette popularité d’Aylmer ne peut expliquer à elle seule l’ancrage local des Aylmerois, mais il en témoigne certainement.

En ce qui concerne les achats, près de 40 % de ceux des Aylmerois se font à Aylmer alors que seulement près du quart d’entre eux se déroulent à Hull. Ceci a de quoi surprendre puisque l’offre commerciale est beaucoup moins diversifiée à Aylmer qu’elle ne l’est à Hull. Ainsi, nous pouvons nous demander si la part des achats effectués à Hull n’est pas sous-estimée au profit de celle d’Aylmer. En effet, la manière dont la question était posée aux participants ne permettait pas de connaître avec précision à quel quartier d’un secteur ils faisaient référence. Or, il s’avère que Hull comprend plusieurs pôles commerciaux importants dont l’un d’eux, le Plateau de la Capitale, est très près du secteur Aylmer, qui en fait même partie.

Si certains Aylmerois ne semblent pas aimer le Plateau parce qu’ils doivent s’y rendre en voiture pour répondre à leurs besoins, nous supposons que d’autres pourraient involontairement avoir réduit le poids de Hull en assimilant ce quartier à Aylmer. 97

Advenant que ce soit le cas, le caractère local des achats des Aylmerois serait un peu moins marqué. Il y a quelques années, cette réflexion n’aurait même pas été digne d’intérêt puisqu’aucun lien routier d’importance n’existait entre Hull et Aylmer à cet endroit. Aujourd’hui, les abords du boulevard des Allumettières, du boulevard du Plateau et du chemin Pink constituent un tissu résidentiel continu entre le boulevard Saint- Raymond (Hull) le chemin Vanier (Aylmer).

Nous avons aussi pu remarquer que la Ville d’Ottawa fait partie du quotidien de nombreux Aylmerois. En effet, 22,7 % des achats, 27,1 % des sorties et 20,4 % des rencontres familiales des Aylmerois se déroulent de l’autre côté de la rivière des Outaouais. Cette situation est peu surprenante considérant la dualité linguistique présente à Aylmer. Les fuites commerciales que semble subir la ville de Gatineau au profit de la Ville d’Ottawa sont probablement favorisées par la présence du pont Champlain qui permet aux Aylmerois d’atteindre plusieurs centres commerciaux de l’autre côté de la rivière des Outaouais (Gilbert et al., 2014).

Par ailleurs, bien que ce soit une tendance moins répandue, les achats, les sorties et les rencontres familiales de quelques Aylmerois se tiennent à Gatineau. Enfin, il faut noter qu’à l’exception de quelques Aylmerois qui visitent l’est de la ville dans le cadre de rencontres familiales, les Aylmerois ne se rendent pratiquement pas à Buckingham et Masson-Angers. La grande distance géographique l’explique assurément. Visiblement, le territoire de la plupart des Aylmerois s’arrête à Hull puisqu’ils fréquentent peu ou pas Gatineau et l’est de la ville. L’existence d’une telle frontière vient corroborer l’ancrage à l’échelle locale des Aylmerois.

6.2.4. Un centre-ville périphérique Un autre élément témoignant de la fibre locale des Aylmerois est sans contredit l’endroit où ils situent leur centre-ville. En effet, un peu plus de 83 % d’entre eux situent leur centre-ville dans leur ancienne municipalité. Le fait que les Aylmerois soient aussi nombreux à situer leur centre-ville à cet endroit n’est pas étonnant en considérant les lieux qu’ils apprécient. En effet, une cinquantaine de participants ont évoqué la marina d’Aylmer et plus d’une vingtaine d’autres la rue Principale et le Vieux Aylmer lorsqu’est venu le temps d’inscrire les lieux qu’ils apprécient dans leur ville. Près d’une dizaine

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d’autres ont également évoqué le marché du dimanche qui se situe dans le même périmètre que les deux premiers lieux.

L’importance accordée aux lieux se situant dans le cœur historique d’Aylmer témoigne d’une représentation qui place le centre-ville à la périphérie de la grande ville. Malgré tout, plus d’une vingtaine d’Aylmerois soutiennent que leur secteur a besoin de davantage de commerces de proximité. À ce sujet, certains participants évoquent que «tout semble être rapatrié sur le Plateau» et que cela «nuit aux commerces dans le centre d’Aylmer». Nous pouvons toutefois affirmer que cette forte proportion d’Aylmerois situant leur centre-ville à Aylmer concorde avec leur fort degré d’identification à leur quartier et leur faible degré d’identification à la Ville de Gatineau.

Avec un centre-ville aussi populaire à Aylmer, il n’est pas surprenant de constater que le centre-ville officiel de la Ville de Gatineau, situé à Hull, n’est pratiquement pas perçu comme tel. Nous aurions pourtant pu nous attendre à ce que le secteur Hull soit davantage reconnu comme centre-ville par les Aylmerois étant donné qu’ils en sont voisins. Il ne faut pas oublier la relation entretenue par plusieurs Aylmerois avec la Ville d’Ottawa. En effet, nous pouvons supposer que la popularité de la capitale fédérale auprès des Aylmerois ne favorise pas la légitimation du statut de centre-ville du Vieux- Hull.

6.2.5. Des citoyens insatisfaits Pour mieux comprendre les ressorts des différents degrés d’identification, nous pouvons nous pencher sur le haut niveau d’insatisfaction manifesté à l’égard de la fusion municipale. En effet, ressentir une forte insatisfaction ne favorise certainement pas le développement d’une appartenance à la Ville de Gatineau. D’ailleurs, nous observons que les Aylmerois qui ne s’identifient «pas du tout» à la grande ville sont ceux qui manifestent le plus haut degré d’insatisfaction. Dans le même ordre d’idées, ceux qui s’identifient «peu» à la Ville de Gatineau ont pour la plupart affirmé être «plutôt insatisfaits» ou dans une moindre mesure «très insatisfaits» de la fusion. Ce sont également des Aylmerois qui s’identifient peu à Gatineau qui affirment être «ni satisfaits, ni insatisfaits» du regroupement (figure 11). En contrepartie, nous pouvons constater que les Aylmerois qui s’identifient fortement à Aylmer sont aussi les plus insatisfaits. Nous

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observons donc que les Aylmerois insatisfaits s’identifient faiblement à la Ville de Gatineau et fortement à Aylmer.

Figure 11

Degré d'identification des Aylmerois à la ville de Gatineau selon leur niveau de satisfaction à l'égard de la fusion municipale, en nombre absolu 20

15 Très insatisfait 10 Plutôt insatisfait Nombre 5 Ni satisfait, ni insatisfait 0 Pas du tout Peu Indifférent Beaucoup Plutôt satisfait

Degré d'identification à la ville de Gatineau

Il s’avère aussi pertinent de s’interroger sur l’opinion défendue par ces individus insatisfaits en 2002. Nous savons qu’à ce moment, plus de 85 % des participants s’opposaient à la fusion. Nous aurions pu imaginer qu’après 15 ans, davantage de bénéfices auraient pu être perçus. Il n’en est rien. Les Aylmerois qui sont «très insatisfaits» étaient littéralement tous contre la fusion. Nous constatons également que la majorité des Aylmerois qui sont «plutôt insatisfaits» étaient eux aussi contre le regroupement municipal. Tout au plus peut-on observer le glissement de quelques individus qui se positionnaient contre la fusion en 2002 vers une légère satisfaction ou une indifférence relative (figure 12).

Figure 12

Position des Aylmerois envers la fusion municipale en 2002 selon leur niveau de satisfaction actuel à son égard, en nombre absolu 30

25 20 15 Très insatisfait

10 Plutôt insatisfait Participants 5 Ni satisfait, ni insatisfait 0 Contre Plutôt en Indifférent Plutôt en Pour Plutôt satisfait défaveur faveur Position adoptée envers la fusion (2002)

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La manifestation d’une insatisfaction aussi forte à l’égard de la fusion provenant des Aylmerois qui se positionnaient contre la fusion en 2002 tend à conforter le faible degré d’identification à la Ville de Gatineau. Du même coup, ces insatisfaits sont aussi ceux qui s’identifient le plus fortement à Aylmer. Toutefois, nous ne pouvons affirmer avec certitude si l’insatisfaction a exacerbé le sentiment d’appartenance pour Aylmer ou si ce dernier a tout simplement été maintenu. Une chose demeure claire, les Aylmerois s’identifient encore majoritairement et fortement à Aylmer.

Certains diront que ces mécontents, qui s’opposaient à la fusion dès le départ, sont d’irréductibles contestataires. Certains le sont peut-être, mais n’empêche que lorsque la parole leur a été donnée, ils avaient plusieurs arguments à offrir pour justifier leur insatisfaction. La hausse des taxes municipales et la baisse de la qualité des services reçus sont des exemples probants. Parmi ces services, la qualité du déneigement et de l’entretien de la voirie ont régulièrement été critiqués. D’autres ont plutôt évoqué le transport en commun «pourri» et la «farce» que constitue le Rapibus pour les Aylmerois.

6.2.6. Des constructions résidentielles dérangeantes Si la mauvaise qualité des services constitue l’une des principales sources du mécontentement, d’autres éléments revêtant un caractère plus identitaire contribuent aussi à exacerber l’insatisfaction, mais surtout les différents degrés d’identification. C’est notamment le cas du développement résidentiel qui est sans contredit un enjeu majeur pour les Aylmerois qui ont été très nombreux à en parler dès qu’ils en avaient l’occasion.

En effet, les maisons unifamiliales de faible densité ont toujours été au cœur du développement des quartiers résidentiels d’Aylmer. Nous supposons donc que ce modèle de développement plaisait à plusieurs Aylmerois puisqu’une vingtaine d’entre eux ont signifié qu’ils n’apprécient pas les nombreux condominiums51 qui sont apparus dans le paysage de leur secteur. En effet, les nouvelles constructions comprennent essentiellement des habitations de moyenne densité et «a few single family homes». En fait, les Aylmerois ont le sentiment de s’être fait «envahir par un développement résidentiel sauvage». Par ailleurs, près d’une vingtaine d’autres participants sont très déçus que les projets domiciliaires se soient construits «au détriment des espaces verts».

51 Quelques répondants ont fait référence au quartier du Plateau. 101

À cet égard, certains ont mentionné avoir l’impression que les «Aylmer green spaces are being sold and developed». Certains admettent et acceptent la croissance démographique qui survient dans leur secteur, mais déplorent que l’implantation des infrastructures de base n’ait pas suivi le rythme de construction. Un participant rapporte qu’il y a donc «now more population and still same access out», ce qui engendre des problèmes de circulation routière.

Ce vent de changement dans la manière de développer les quartiers d’Aylmer n’est pas étranger à l’intégration des cinq plans d’urbanisme en un seul découlant de la fusion municipale. À ce que nous pouvons comprendre, les Aylmerois ne s’opposent pas à toute forme de développement, mais ils sont plutôt mécontents d’avoir perdu l’autonomie qu’ils détenaient sur l’aménagement de leur territoire en tant que communauté. Plusieurs ont mentionné qu’autrefois, ces terrains étaient protégés par leur municipalité. Les Aylmerois ont donc la ferme impression d’avoir perdu le contrôle lorsqu’ils qualifient le développement résidentiel d’«anarchique» et de «sauvage». D’autres considèrent que «Gatineau sold Aylmer to the highest bidders» et que «Hull voulait se développer [et qu’] ils l’ont fait à notre détriment». Certains soutiennent aussi qu’ «Aylmer has lost its uniqueness» et «ressemble désormais à la laide Gatineau».

De ces propos, il ressort que les Aylmerois se sont sentis envahis et lésés, ce qui a pu contribuer à entretenir un niveau d’insatisfaction à l’égard de la fusion municipale. Sans trop craindre de nous tromper, nous pouvons avancer qu’une telle insatisfaction ne favorise pas le développement d’une identification forte à la Ville de Gatineau. En effet, même si les Aylmerois sont conscients que leur ville grossit, ils auraient souhaité voir leur secteur prospérer dans le respect des valeurs qu’ils ont toujours défendues, c’est-à- dire le respect du patrimoine et de l’environnement. Cette hausse des constructions résidentielles nous permet également de faire un lien avec la «growth machine theory» de Logan et Molotch. Ces derniers conçoivent «the city as a machine whose sole purpose is growth» (Chen et al., 2013, p.53) en plus d’identifier une «growth coalition» qui aurait intérêt à ce qu’un tel développement perdure. Selon eux, ce regroupement d’acteurs peut entre autres être composé du gouvernement local, des banquiers et des promoteurs immobiliers (Chen et al., 2013). Certes, les données récoltées à Aylmer ne permettent pas

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d’établir avec certitude que cette théorie y est à l’œuvre, mais il est tout de même permis d’y réfléchir.

6.2.7. Perte communautaire La multiplication des projets résidentiels alimente le sentiment d’une perte d’autonomie de la communauté aylmeroise. D’autres éléments y concourent aussi. En effet, des Aylmerois soutiennent que la fusion leur a enlevé «our identity as a town» tandis que d’autres l’ont plutôt perçue comme occasionnant la perte de leur identité «as an Aylmerite». Quoi qu’il en soit, l’identité collective des Aylmerois aurait été directement affectée par la fusion municipale. Ainsi, certains évoquent le fait d’avoir perdu «the ‘’small town’’ feel» ou le «cachet unique» autrefois associé à Aylmer. Ce cachet correspond probablement à «la paix et la tranquillité qu’on avait avant» et au «sentiment que nous avions d’avoir une communauté qui était fière». Certains estiment que le sentiment communautaire se serait grandement effrité depuis la fusion.

Soulignons également la diminution de la proportion d’anglophones, tant à l’échelle de la Ville de Gatineau, qu’à celle du secteur Aylmer. En effet, Aylmer a connu une croissance démographique rapide qui a possiblement accéléré le processus de minorisation linguistique des anglophones. Il ne faut également pas oublier comment la notion de communauté se vit différemment dans le monde anglo-saxon (Pierrevelcin, 2007).

Évidemment, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte lorsque vient le temps d’expliquer pourquoi les participants ont cette impression. Dans les faits, les quartiers n’ont pas été physiquement touchés par la fusion municipale, c’est-à-dire que les individus ont conservé les mêmes voisins. Or, pour qu’un aussi grand nombre de participants soutiennent que le cachet propre à leur ancienne municipalité a été perdu, nous pouvons nous demander si la centralisation de plusieurs services n’aurait pas eu un impact indirect sur le milieu de vie des citoyens. Il est aussi possible que les participants attribuent à tort cette situation à la fusion municipale.

6.2.8. Injustice politique Cette perte d’autonomie s’observe également dans le domaine politique où les Aylmerois considèrent avoir été désavantagés. En effet, ils estiment que la fusion

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municipale les a éloignés du pouvoir et qu’ils sont «maintenant des intérêts politiques». Ils sont d’ailleurs nombreux à dénoncer l’effritement de la proximité avec leurs élus. Pour un participant, «the further decision making is from your community, the less influence your community has». Ces propos illustrent bien le sentiment que partagent de nombreux Aylmerois. En effet, ils sont nombreux à considérer qu’ils ne décident plus réellement de leur sort depuis qu’ils font partie du grand Gatineau. Ils estiment que la fusion leur a fait perdre leur «droit de parole» et leur «mot à dire», ce qui a sensiblement nui à leur capacité à participer aux affaires municipales. En perdant «our right to make our town better», les Aylmerois se sentent exclus du processus décisionnel.

Par ailleurs, bien que tous les citoyens soient les bienvenus aux séances du conseil municipal, quelques Aylmerois ont partagé leur déception de ne plus pouvoir y assister dans leur ville. Ainsi, d’autres ont aussi considéré comme une perte la disparition de leur hôtel de ville. Nous pouvons donc supposer que les Aylmerois étaient très attachés aux institutions décisionnelles de leur municipalité. En centralisant le tout, la fusion a eu pour effet d’éloigner des citoyens engagés, ou à tout le moins intéressés, de la scène politique municipale.

Les Aylmerois ont aussi la perception qu’«Aylmer n’est pas prioritaire dans les décisions du conseil». En effet, certains ont évoqué la réduction du nombre d’élus qui est passé de 7 à 3 après la fusion municipale. Un lien peut être établi entre cette impression et le fait que les Aylmerois pensent que la Ville de Gatineau favorise davantage les secteurs Gatineau et Hull. En effet, certains ont dit que la fusion était une «money machine for Hull and Gatineau» et qu’«Aylmer is a second-class citizen in a bigger machine». Nous constatons que les Aylmerois considèrent que des secteurs «sont plus favorisés». Pour illustrer cette situation, des Aylmerois ne se gênent pas pour mentionner le cas du Rapibus qui profite surtout aux citoyens du secteur Gatineau. Ainsi, nous pouvons conclure que toutes ces pertes répertoriées par les Aylmerois n’aident certainement pas ces derniers à s’identifier plus fortement à la Ville de Gatineau. Au contraire, nous pouvons même penser que les Aylmerois continuent à s’attacher à leur ancienne municipalité parce qu’ils ne se reconnaissent pas dans le fonctionnement de la nouvelle ville.

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6.2.9. Gatineau ? Un autre facteur pouvant permettre de comprendre la faible identification des Aylmerois à la Ville de Gatineau est le degré d’acceptation de son toponyme. La question du nom adopté par la nouvelle entité municipale avait suscité de vives réactions au moment de la fusion. Ainsi, nous constatons que près de 80 % des Aylmerois estiment que le nom «Gatineau» les représente «peu» ou «pas du tout». Par ailleurs, le tiers des participants aylmerois auraient opté pour un nom totalement nouveau tandis que près du quart d’entre eux auraient conservé celui d’Aylmer et n’auraient pas fusionné. En dépit de l’important rejet de Gatineau, certains Aylmerois se sont montrés un peu plus ouverts au toponyme Hull qui revêt une consonance anglophone. Cette situation n’est pas sans rappeler ce que l’ouvrage sur la frontière (Gilbert et al., 2014) a illustré. En effet, il a été établi que les Anglo-Québécois ont recours à une frontière mobile qui redéfinit leur carte mentale. Autrement dit, des facteurs culturels et de classe font en sorte que les Anglo- Québécois de la région n’apprécient pas du tout Gatineau et redessinent les frontières dans leur imaginaire. Il est établi que pour eux, la rivière Gatineau est une frontière plus importante que la rivière des Outaouais dans la mesure où Gatineau représente un milieu francophone et de cols bleus (Gilbert et al., 2014). L’existence de cette frontière mobile laisse donc supposer que des facteurs linguistiques et de classe pourraient expliquer le rejet du toponyme Gatineau par les Aylmerois.

Il s’avère aussi intéressant d’observer qui sont ceux qui rejettent davantage le toponyme Gatineau. Ainsi, nous constatons que les Aylmerois ne s’identifiant «pas du tout» à la Ville de Gatineau sont ceux qui ne se sentent «pas du tout» représentés par le toponyme Gatineau. Nous remarquons aussi que les Aylmerois qui s’identifient peu à la Ville de Gatineau se sentent pour la plupart «peu» représentés par le nom Gatineau (figure 13).

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Figure 13 Degré d'identification à la ville de Gatineau des Aylmerois selon leur degré d'acceptation du toponyme Gatineau, en nombre absolu 25 20

Pas du tout 15 Peu 10 Nombre Indifférent 5 Beaucoup 0 Pas du tout Peu Indifférent Beaucoup Tout à fait

Degré d'identification à la ville de Gatineau

6.2.10. L’enjeu linguistique Bien que l’acceptation d’un toponyme ne puisse tout expliquer, il fournit tout de même un bon indice de l’attachement qu’éprouvent certains individus pour leur ville. Dans ce cas-ci, nous observons clairement que les Aylmerois, dont 20,3 % se sont affirmés anglophones, ne s’associent pas vraiment à la Ville de Gatineau. Un désaveu aussi important du nom de la ville serait-il dû à la présence d’une importante communauté anglophone à Aylmer? Dans les faits, nous constatons qu’aucun participant anglophone n’accepte le toponyme Gatineau, affirmant même que ce nom ne les représente «pas du tout». À cet effet, un participant a affirmé que «being an Aylmer lifer, I find very difficult to say I live in Gatineau 15 years later». Nous pouvons d’ailleurs faire le pont entre cette affirmation et celles de certains Anglo-Québécois qui continuaient d’utiliser «Aylmer, Quebec» pour leur courrier (Gilbert et al., 2014). D’autre part, les francophones considèrent que le toponyme Gatineau les représente «peu» ou «pas du tout» dans une proportion équivalente. Nous remarquons également qu’ils sont plus nombreux que les anglophones à demeurer indifférents à la question de l’acceptation du toponyme (figure 14).

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Figure 14

Langue maternelle des Aylmerois selon leur degré d'acceptation du toponyme Gatineau, en nombre absolu 20

15 Pas du tout 10 Peu

Nombre 5 Indifférent Beaucoup 0 Anglais Français Autre Bilingue Tout à fait Langue maternelle

En travaillant sur Aylmer, nous envisagions que la dualité linguistique nous permettrait d’observer des divergences dans les réponses des francophones et des anglophones. Certes, nous avons remarqué que les anglophones avaient une opinion plus marquée, mais leur faible proportion n’a pas permis de noter des différences notables. De fait, tant les anglophones que les francophones d’Aylmer ont manifesté une grande insatisfaction à l’égard de la fusion municipale.

6.2.11. Les Aylmerois sont mécontents Pour conclure, les Aylmerois s’identifient très fortement à leur ancienne municipalité au point où la majorité d’entre eux y situent leur centre-ville. En contrepartie, ils s’identifient très peu à la Ville de Gatineau, comme en témoigne le faible degré d’acceptation du toponyme du même nom. Nous constatons aussi que des Aylmerois entretiennent des liens plus étroits avec Ottawa qu’avec les autres secteurs du grand Gatineau. À cet effet, le fait qu’Aylmer soit relié à Ottawa par le pont Champlain peut être une piste d’explication plausible. Le contexte linguistique doit lui aussi être considéré comme piste d’explication. Or, les données récoltées ne permettent pas de développer davantage cette avenue.

Le fait que la majorité des participants aient grandi à Aylmer et qu’ils y passent encore aujourd’hui beaucoup de temps aide à comprendre le fort degré d’identification qu’ils entretiennent pour Aylmer. En contrepartie, nous pouvons supposer que le haut niveau d’insatisfaction manifesté à l’égard de la fusion municipale contribue à la faible

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identification des Aylmerois à la Ville de Gatineau. En fait, se pourrait-il que cette insatisfaction ait renforcé l’ancrage des Aylmerois à l’échelle locale? En effet, ils ne semblent pas accepter que Gatineau fasse maintenant partie de leur quotidien. Les Aylmerois semblent attribuer à la fusion, et par le fait même à la nouvelle ville, tous les changements négatifs survenus dans leur ville. Autrement dit, les Aylmerois n’ont pas l’impression de faire partie de la nouvelle Ville de Gatineau. Nous pouvons donc dire que la fusion municipale a procuré davantage d’éléments négatifs aux Aylmerois. C’est du moins ce que laisse croire le discours de ces derniers. Force est de constater que les bons coups ont suscité peu d’enthousiasme auprès des participants ou qu’ils sont littéralement passés inaperçus auprès d’eux. Bref, 15 ans plus tard, les Aylmerois ne semblent guère heureux de ce que la fusion leur a procuré.

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Chapitre 7 — Réflexions et conclusions En fin de compte, nous constatons que 15 ans après la fusion municipale, les identités territoriales des Aylmerois et des Massonnois demeurent fortement ancrées à l’échelle locale. En effet, le degré d’identification des participants à la Ville de Gatineau est peu élevé. Toutefois, une minorité de Massonnois semble plus ouverte à la nouvelle ville que les Aylmerois chez qui le rejet est plutôt catégorique. Par ailleurs, cet ancrage local s’observe dans les pratiques et les représentations de la plupart des participants. Effectivement, ils semblent privilégier les périphéries dans le cadre de plusieurs de leurs activités, mais aussi lorsque vient le temps de situer «leur» centre-ville. En ce qui a trait à la fusion municipale elle-même, nous constatons que les participants sont très insatisfaits de ce qu’elle leur a procuré. Même si des améliorations ont été notées dans le domaine de la culture, ce sont les hausses de taxes et la dégradation de la qualité des services qui retiennent le plus l’attention. Par ailleurs, la fusion municipale a eu pour effet de transformer le statut des anciennes municipalités d’Aylmer et de Masson-Angers. En effet, ces deux municipalités sont passées d’une position centrale dans laquelle elles étaient maîtresses de leur destinée vers une position périphérique où elles contrôlent peu de choses. Ce n’est donc pas un hasard si les participants des deux secteurs ont l’impression de contribuer financièrement pour les autres et d’être négligés depuis la création de la nouvelle agglomération. Cette enquête a également mis en lumière un certain nombre d’éléments. Par exemple, l’attitude qu’ont eue les Aylmerois envers le développement résidentiel et la nature témoigne de leur fibre environnementale et patrimoniale. Cette caractéristique n’était pas inconnue, mais le fait qu’elle ressorte aussi clairement tend à confirmer qu’il s’agit toujours d’enjeux chers aux yeux de la population aylmeroise. Certes, les participants composant l’échantillon étaient pour la plupart contre la fusion municipale. Toutefois, force est d’admettre que 15 ans après la fusion, plusieurs des arguments avancés par les «défusionnistes» au moment de la fusion semblaient justifiés ou, tout au moins, demeurent pertinents. Autrement dit, les participants sont en mesure d’identifier les arguments de l’époque qui se sont avérés et ceux qui ne se sont pas concrétisés. À ce sujet, nous pouvons noter la hausse régulière des taxes qui devaient supposément être maintenues ou réduites ou encore l’avènement des nombreux projets domiciliaires à Aylmer. 109

Par ailleurs, les composantes de l’identité établies par Keating ont pu être observées à différents degrés (Guermond, 2006). En effet, l’élément cognitif, qui réfère à la conscience qu’ont les individus de l’existence d’un territoire donné a pu être observé. Ainsi, les participants sont bel et bien conscients qu’ils vivent dans la Ville de Gatineau même s’ils ne s’y identifient pas vraiment. En fait, c’est ici qu’entre en jeu l’élément affectif de l’identité qui concerne le sentiment d’appartenance des individus envers leur territoire. Effectivement, ils s’attachent encore à un territoire qui n’existe plus (en tant que territoire municipal doté de pouvoirs propres) au sein d’un autre territoire qu’ils n’ont pas désiré. Autrement dit, ils affectionnent un territoire qui a été désinstitutionnalisé (Zimmerbauer et Paasi, 2013), mais qui revêt un caractère symbolique fort et dans lequel ils ont planté des racines.

C’est donc dire que leur territoire, tant matériel que symbolique, n’est jamais disparu. Seule la façon dont il est administré et planifié a été modifiée. L’élément affectif permet donc d’observer que les habitants d’un territoire ne se plient pas nécessairement aux territoires imposés par le pouvoir (Debarbieux, 2006). Finalement, l’élément instrumental de l’identité qui permet de distinguer si l’individu est satisfait du territoire sur lequel il évolue est probablement celui qui a été le plus clairement exprimé. En effet, le niveau d’insatisfaction et les commentaires négatifs que les participants ont formulés à l’égard de leur ville tendent à concorder avec le fait que le degré d’identification à la Ville de Gatineau soit faible.

7.1. L’Indice relatif du bonheur (IRB) Cet élément instrumental de l’identité porte à réfléchir sur ce qui rend les gens heureux dans une ville. À cet égard, Pierre Côté a créé l’Indice relatif du bonheur (IRB) qui a notamment servi à dresser un palmarès des villes où il fait bon vivre au Québec52 (2017). Aux vues des résultats qui ont été obtenus dans le cadre de notre enquête, il s’avère intéressant de constater que les principaux éléments devant procurer une bonne qualité de vie urbaine selon l’IRB ont été évoqués par nos participants. Or, ils ne l’ont pas tous fait positivement.

52 En complément, cet organisme a demandé à 1 277 Québécois d’indiquer les caractéristiques d’une bonne qualité de vie urbaine (2008). 110

En tête de liste se trouve la présence de parcs, d’espaces verts et de pistes cyclables, qui ont été abondamment mentionnés par les participants de notre enquête sous la rubrique des lieux appréciés. La sécurité est le second élément le plus recherché, nous pouvons donc dire que cela rejoint les propos des participants qui ont salué la professionnalisation des services policiers et d’incendie. Une bonne qualité de vie urbaine nécessiterait «une multitude de services à proximité»53, élément qui n’a pas été mesuré dans le cadre de notre recherche.

Les évènements et les activités culturelles, les «bons services de base» et les bonnes infrastructures sportives et de loisirs sont les éléments suivants sur la liste (IRB, 2017). À l’exception des services, les participants ont eu de bons mots pour l’offre culturelle et les infrastructures sportives. Dans une moindre mesure, les Québécois recherchent aussi un bon réseau de transport, un faible taux de taxation ainsi qu’une bonne offre commerciale (IRB, 2017). Les deux derniers éléments ont été parmi les plus critiqués par les participants de notre recherche.

Cet indice n’est qu’une façon parmi tant d’autres de mesurer le bonheur ou la satisfaction. Malgré tout, nous constatons qu’interroger les participants sur leurs identités territoriales a permis de relever plusieurs caractéristiques relatives à leurs activités courantes. Il ne faut toutefois pas oublier que les deux secteurs à l’étude sont les périphéries d’une grande ville et que l’échantillon comprenait surtout des retraités. Un échantillon composé d’individus d’une autre catégorie d’âge pourrait révéler un portrait différent.

7.2. Âge des participants D’abord, rappelons que 86,8 % des participants sont âgés de plus 50 ans et que près de 60 % d’entre eux sont âgés de plus de 60 ans. Cet aspect n’a pas été traité de manière détaillée au cours de l’analyse puisque les croisements ne révélaient rien d’intéressant. Or, dans le contexte du vieillissement de la population, il aurait été négligent de ne pas aborder ce thème, qui occupe déjà une place d’importance dans la société. À Gatineau seulement, la ville prévoit que la proportion d’aînés habitant sur son territoire représentera 23 % de sa population en 2031 alors qu’elle s’élevait à 12 % en

53 Cet élément fait davantage référence aux services de santé et d’éducation. 111

2011 (Ville de Gatineau, 2017). D’ailleurs, la Ville de Gatineau est reconnue comme étant une Municipalité amie des aînés (MADA), un programme affilié avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Ministère de la Famille du Québec (Ville de Gatineau, 2017). C’est donc dire que les participants de notre étude qui sont âgés de la cinquantaine sont les aînés de demain.

Le fait que cette enquête se soit penchée sur les pratiques et les représentations d’individus qui sont ou qui seront des aînés revêt un intérêt particulier. En effet, nous pouvons nous demander si l’environnement urbain dans lequel ils habitent répondra à leurs besoins. Certes, plusieurs retraités continuent à occuper leur temps comme auparavant et les infrastructures en place satisfont à leurs besoins. Nous supposons toutefois qu’à un certain moment, certains ne font plus ou ne peuvent plus mener le même train de vie et voient ainsi l’expérience qu’ils font de leur ville changer. Des individus peuvent avoir des besoins qui ne correspondent plus à ceux de la majorité de la population. C’est notamment pourquoi il faut considérer les enjeux d’accessibilité aux services et aux structures (Carstairs et al., 2009).

7.3. Le centre-ville Si nous avons pu constater que la plupart des participants situaient leur centre- ville dans leur secteur résidentiel, nous avons aussi pu observer qu’ils étaient plus ou moins nombreux à le situer dans le secteur Hull. Certes, le plan d’urbanisme de la Ville de Gatineau définit celle-ci comme étant polycentrique (2015). Or, le Vieux-Hull demeure un quartier dont le conseil municipal fait beaucoup la promotion. Il est donc permis de réfléchir sur les raisons qui poussent un aussi grand nombre de participants à ne pas considérer Hull comme étant leur centre-ville. En fait, ils l’ont aussi peu considéré lorsqu’est venu le temps d’indiquer les lieux de plusieurs pratiques. D’abord, il faut revenir sur la manière dont la question a été formulée. En effet, une perspective exploratoire a guidé la formulation de cette question. Nous avons utilisé le support cartographique comme plage de réponse en espérant soutirer les résultats différemment. En somme, nous avons bel et bien pu recueillir le résultat brut, c’est-à-dire identifier le secteur où le participant situe son centre-ville, mais rien de plus précis. Ainsi, l’utilisation d’une carte dans un questionnaire autoadministré ne s’avérait peut-être pas la meilleure des options. De plus, la formulation de la question a pu mener au biais des

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réponses qui ne sont pas moins pertinentes. Effectivement, en demandant aux participants d’identifier «votre centre-ville», nous avons pu induire le participant à répondre à l’échelle locale. Toutefois, la question a été posée ainsi afin d’éviter le contraire, c’est-à- dire d’inciter le participant à fournir la réponse la plus commune c’est-à-dire Hull (ou qu’il cherche à donner la réponse attendue par l’enquêteur). Si un tel biais est survenu, il faut considérer que le secteur Hull est possiblement sous-représenté dans les réponses. Malgré tout, l’importance de l’échelle locale dans la localisation du centre-ville concorde avec le haut degré d’identification aux périphéries et aux lieux les plus populaires dans les pratiques des participants. Avec le recul, il aurait été préférable que cette question en constitue au moins deux. Par exemple, l’une d’entre elles aurait pu être «Où situez-vous votre centre-ville?» tandis que l’autre aurait pu se lire «Où situez-vous le centre-ville?». Toutefois, puisque le questionnaire était autoadministré, la confusion aurait pu gagner certains participants. Une question aurait aussi pu demander directement aux participants s’ils considéraient le Vieux-Hull comme étant leur centre-ville. Somme toute, la question du centre-ville de Gatineau aurait valu une recherche à elle seule. En effet, avec tous les projets d’aménagement qui sont sur la table, la question du centre-ville occupera une place importante au cours des prochaines années. À cet effet, il suffit de penser à la construction du nouvel amphithéâtre Robert-Guertin qui passera vraisemblablement du secteur Hull au secteur Gatineau. Toutefois, il faut garder en tête que ce projet de recherche ne traitait pas spécifiquement du centre-ville et que la question le concernant servait surtout à mieux mesurer l’échelle des représentations des participants afin de mieux saisir leurs identités territoriales.

7.4. Un jeu de frontières À la lumière des résultats obtenus, nous pouvons affirmer que les participants s’identifient à un territoire désinstitutionnalisé comme Zimmerbauer et Paasi (2013) ont pu le constater dans leur étude de cas portant sur deux villes finlandaises. En effet, nous pouvons nous aussi supposer que les anciennes limites administratives municipales établissaient une différence symbolique et institutionnelle plus nette entre un «nous» Aylmerois et un autre Gatinois par exemple. La fusion a forcé l’adoption d’un «nous» gatinois générique, auquel les Aylmerois et les Massonnois ne semblent pas vouloir

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adhérer. La fusion a en quelque sorte diminué le pouvoir symbolique de séparation, de différentiation ou encore de distinction, entre les anciennes villes devenues simple secteur. Autrement dit, avant la fusion, des «nous» aylmerois et massonnois servaient d’éléments d’autodéfinition et de différenciation auquel tiennent ces derniers. Leur refus relatif de la nouvelle ville constitue alors une forme de résistance symbolique qui s’appuie sur les anciens territoires identitaires (Berdoulay, 2012).

Par ailleurs, les réponses concernant les pratiques des citoyens ont également permis d’évoquer la frontière que constitue la rivière Gatineau pour les Aylmerois (Gilbert et al., 2014). En effet, nous constatons que les activités de peu d’Aylmerois se déroulent à Gatineau, Masson-Angers ou Buckingham alors que celles des Massonnois se déroulent peu à Hull ou à Aylmer. Certes, la distance contribue probablement à freiner les déplacements des participants, mais nous ne pouvons pas non plus négliger les facteurs linguistiques et de classe évoqués dans l’ouvrage La frontière au quotidien (Gilbert et al., 2014). D’ailleurs, les fusions municipales «auraient activé ce processus de déplacement imaginaire de la frontière» (Gilbert et al., 2014, p.175).

7.5. Limites du questionnaire Hormis les limites rencontrées entourant la question concernant le centre-ville, quelques autres éléments ont limité la profondeur des résultats. Ce fut notamment le cas pour les trois premières questions qui s’intéressaient aux mots décrivant la ville et aux lieux appréciés et moins appréciés de la part des participants. En effet, ces questions ont procuré un contenu plutôt riche, mais il était parfois difficile de saisir l’échelle géographique à laquelle le participant faisait référence, ce qui aurait pu enrichir l’analyse. En demandant quels mots décrivaient le mieux «votre ville», il devenait parfois difficile de savoir si les adjectifs qualificatifs inscrits faisaient référence à la Ville de Gatineau ou au secteur résidentiel du participant. Pour remédier à cette situation, la question aurait dû être doublée afin de demander les mots décrivant le mieux Gatineau et ceux décrivant le mieux Aylmer ou Masson. Ainsi, une comparaison plus affinée aurait pu être effectuée. La même démarche aurait pu être répétée pour les questions concernant les lieux.

D’ailleurs, ces questions concernant les lieux appréciés et peu appréciés des participants n’ont pas toujours répondu à leur objectif. En effet, nous nous attendions à ce que des lieux précis soient indiqués, mais dans plusieurs cas, des participants ont plutôt 114

vanté ou dénoncé des situations qu’ils vivaient dans leur quartier. Une fois de plus, le fait que le questionnaire ait été autoadministré a contribué à cette lacune relative.

Quant à elles, les questions portant sur les pratiques ont permis de relever quels endroits étaient populaires auprès des participants. Toutefois, en raison de la formulation de la question, il s’est avéré impossible de graduer l’importance des destinations. Il a également été impossible de mesurer la fréquence et de connaître les motifs qui incitaient les participants à fréquenter un secteur plutôt qu’un autre. Nous n’étions également pas en mesure de déterminer à quel quartier d’un secteur le participant faisait référence. Avec le recul, poser les questions différemment aurait certainement permis de dresser un portrait plus détaillé. La tenue d’une étude concernant les origines et les destinations des participants à propos de leurs différentes activités pourrait éclaircir la situation. Ainsi, l’ambiguïté observée par rapport au quartier du Plateau pourrait être dissipée.

L’utilisation du questionnaire comme outil de collecte de données a nécessité de limiter le nombre de questions. Ainsi, nous favorisions un meilleur taux de réponse. Des entrevues ou des «focus groups» auraient certainement fourni un éclairage différent, mais le but de cette recherche était de dresser un portrait général des identités territoriales 15 ans plus tard. On persiste à croire que le questionnaire était l’outil approprié pour débroussailler les phénomènes qui sont en jeu dans les secteurs d’Aylmer et de Masson- Angers. Ces thèmes fournissent des pistes intéressantes et variées à propos de sujets qui pourront inspirer les recherches subséquentes.

7.6. Portée de la recherche et pistes de recherches Il aurait été bien illusoire de croire que les identités locales se seraient effritées après seulement 15 ans. Au contraire, comme Pierre Bergeron l’avait noté dans ses éditoriaux (2000), il faudra probablement plusieurs générations avant que cette fibre locale laisse une plus grande place à une nouvelle identité. Malgré tout, cet ancrage local et cette dissociation de la grande ville manifestés par des participants ayant connu la fusion indiquent qu’ils ne s’y sentent pas vraiment chez eux. Leurs trajectoires résidentielles feront peut-être en sorte qu’ils ne s’identifieront jamais fortement à la Ville de Gatineau. Or, ne serait-il pas possible que ces citoyens puissent être encouragés par les orientations de la ville dans laquelle ils vivent? Pourraient-ils demeurer contre le principe

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de la fusion municipale tout en étant satisfaits des services qu’ils reçoivent? La perte identitaire semble pourtant avoir le dessus sur tout le reste.

Cette recherche a une portée sur les plans scientifique et empirique. Dans le premier cas, elle contribue à enrichir la compréhension des effets que peuvent avoir des changements de limites territoriales sur la façon qu’ont les citoyens de s’identifier. Elle a notamment permis d’exposer empiriquement des caractéristiques de l’identité individuelle et du caractère pluriel de l’identité. De plus, elle a permis d’élaborer un questionnaire visant à mieux saisir les identités territoriales à partir de ses dimensions imaginaires, mais aussi pratiques. Grâce à la perspective géographique, la recherche a permis de montrer que la question des fusions municipales est bien plus qu’une simple question administrative et que les enjeux soulevés ne concernent pas que les taxes, les services ou la gouvernance municipale. Elle touche à des questions plus fondamentales liées aux rapports que les citoyens entretiennent avec leur espace de vie, rapport que la notion d’identité territoriale a permis de bien mettre en lumière.

D’un point de vue empirique, ce projet de recherche a permis d’identifier les effets de la fusion municipale chez certains Gatinois 15 ans plus tard. Dans le même ordre d’idée, il a été possible d’observer sur quoi se construit le sentiment d’appartenance de Gatinois résidant dans deux secteurs périphériques de la ville. À cet effet, nous pouvons observer que la culture administrative et communautaire était très importante pour l’échantillon qui était essentiellement composé de retraités. De plus, le portrait dressé par cette recherche met au jour des enjeux susceptibles d’être traités dans le cadre d’autres recherches.

Bref, ce projet de recherche a fait la lumière sur les représentations et les pratiques d’un échantillon relativement homogène composé de retraités qui habitent les périphéries de la Ville de Gatineau. Plusieurs questions demeurent en suspens et mériteraient d’être explorées. D’une part, il serait intéressant de porter une attention aux identités territoriales des autres générations, notamment celles des jeunes qui ont grandi dans les anciennes municipalités. La perspective de deux autres groupes mériterait également d’être considérée : les citoyens qui se sont établis à Gatineau après la fusion ainsi que les jeunes qui sont nés sur le territoire de la nouvelle Ville de Gatineau. D’autre part,

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l’opinion des citoyens des autres secteurs de la ville serait aussi d’un grand intérêt. Que pensent les citoyens de Gatineau et Hull de la fusion municipale? Partagent-ils le même discours que leurs concitoyens des périphéries? Éprouvent-ils eux aussi, le sentiment de payer pour les résidents des anciennes municipalités? Ont-ils au contraire le sentiment qu’ils occupent désormais le cœur d’une ville beaucoup plus importante? Les recherches de demain auront intérêt à se pencher sur ces questions, questions dont la pertinence est confirmée par les résultats de cette étude.

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126

ANNEXE A — QUESTIONNAIRE (FRANCOPHONE ET ANGLOPHONE)

127

Les identités territoriales à Gatineau, 15 ans plus tard Rappelez-vous qu’il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses. SECTION 1 — VOTRE VILLE 1. Quels sont les trois mots qui décrivent le mieux votre ville?  ______ ______ ______2. Nommez trois lieux de votre ville que vous appréciez.  ______ ______ ______3. Nommez trois lieux de votre ville que vous n’appréciez pas.  ______ ______ ______4. Est-ce que le nom de la ville (Gatineau) vous représente bien?

Pas du tout Peu Indifférent Beaucoup Tout à fait

5. Quel nom auriez-vous choisi pour la nouvelle ville? ______

6. Jusqu’à quel point vous identifiez-vous à la nouvelle ville de Gatineau? Pas du tout Peu Indifférent Beaucoup Tout à fait

7. Jusqu’à quel point vous identifiez-vous à Aylmer? Pas du tout Peu Indifférent Beaucoup Tout à fait

128

SECTION 2 — VOS PRATIQUES

8. Dans quel secteur de la ville avez-vous grandi?

Aylmer Buckingham Gatineau Hull

Masson-Angers Ottawa Autres villes (spécifiez) : ______

9. Depuis combien de temps habitez-vous dans votre secteur?

15 ans et moins 15-25 ans 25 ans et plus

10. Depuis combien de temps habitez-vous le lieu de résidence que vous occupez présentement?

15 ans et moins 15-25 ans 25 ans et plus

11. Êtes-vous membre d’un organisme communautaire?

Oui (spécifiez) : ______Non

Si vous avez répondu «Oui», dans quel secteur menez-vous vos activités?

Aylmer Buckingham Gatineau Hull Masson- Ottawa Autres Angers (spécifiez)

______

À quel titre? (Fonction) : ______

12. Où se situe votre lieu de travail?

Aylmer Buckingham Gatineau Hull Masson-Angers

Ottawa Je suis à la retraite Je ne travaille pas Autres

129

13. Dans quel secteur menez-vous vos activités? (Vous pouvez cocher plus d’une

réponse)

:

-

Activités

pas

Hull

Autres Autres

Angers Ottawa

Aylmer

Masson

Gatineau

(précisez)

______

Buckingham Ne s’applique s’applique Ne

Achats Loisirs et

Sports Sorties Famille et

Amis

Autres (précisez) : ______

14. Identifiez votre centre-ville sur la carte qui suit. (Encerclez la zone qui y correspond)

130

SECTION 3 — VOS OPINIONS SUR LA FUSION

15. Au moment de la fusion municipale de 2002, étiez-vous pour ou contre ce projet?

Contre Plutôt en Indifférent Plutôt en faveur Pour défaveur

16. Aujourd’hui, dans quelle mesure êtes-vous satisfait du résultat de la fusion municipale?

Très insatisfait Plutôt insatisfait Ni satisfait, ni Plutôt satisfait Très satisfait insatisfait

17. Aujourd’hui, dans quelle mesure croyez-vous que vos voisins sont satisfaits du résultat de la fusion municipale?

Très insatisfait Plutôt Ni satisfait, ni Plutôt satisfait Très satisfait insatisfait insatisfait

18. Qu’avez-vous gagné avec la fusion municipale de 2002?

______

______

______

______

______

______

131

19. Qu’avez-vous perdu avec la fusion municipale de 2002?

______

______

______

______

______

______

20. 15 ans plus tard, quelle est votre opinion concernant la fusion?

______

______

______

______

______

______

SECTION 4 — QUI ÊTES-VOUS?

Sexe Masculin Féminin Autre (précisez) :______

Âge 30 ans et moins 31-40 ans 41-50 ans 51-60 ans 60 ans et plus

Langue maternelle Anglais Français Autre (précisez):______

Rue de la résidence (le numéro d’immeuble n’est pas nécessaire) :______

Statut résidentiel Propriétaire Locataire

MERCI POUR VOTRE TEMPS! C’EST TRÈS APPRÉCIÉ!

132

Territorial Identities in Gatineau, 15 years later Remember that there is no right or wrong answer SECTION 1- Your City 1. What three words best describe your city?

 ______ ______ ______2. Name three places in your city that you enjoy.

 ______ ______ ______3. Name three places in your city that you do not enjoy.

 ______ ______ ______4. Does the name of the city (Gatineau) represent you well? Not at all A little bit Indifferent A lot Totally

5. What name would you have chosen for the new city?

______

6. To what extent do you identify with the new city of Gatineau? Not at all A little bit Indifferent A lot Totally

7. To what extent do you identify with Aylmer? Not at all A little bit Indifferent A lot Totally

133

SECTION 2- Your background information

8. In which sector of the city did you grow up?

Aylmer Buckingham Gatineau Hull

Masson-Angers Ottawa Other cities (specify) : ______

9. How long have you lived in Aylmer?

15 years or less 15-25 years 25 years or more

10. How long have you lived at your current address?

15 years or less 15-25 years 25 years or more

11. Are you a member of a community organisation?

Yes (Specify):______No

If you answered ‘’Yes’’, can you indicate the sector where you practice your activities?

Aylmer Buckingham Gatineau Hull Masson- Ottawa Others (specify) Angers

______

Responsibilities: ______

12. Where do you work?

Aylmer Buckingham Gatineau Hull Masson-Angers

Ottawa I am retired I don’t work Other (specify):______

134

13. In which sector do you carry out the following activities? (More than one answer

is possible)

:

-

Hull

Others Others

Angers Ottawa

Aylmer

Masson Gatineau

Activities (Specify)

______

Buckingham Not applicable Not

Shopping

Recreation and Sports Outings

Family and Friends Others (specify) :

______

14. Identify which area best represents your idea of downtown (Circle the corresponding zone).

135

SECTION 3- Your Opinions about the Gatineau amalgamation

15. At the time of the Gatineau amalgamation of 2002, were you for or against it?

Against Somewhat Indifferent Rather in For against favor

16. Currently, how satisfied are you with the outcome of the amalgamation? Really Somewhat Not satisfied Rather Really dissatisfied dissatisfied nor satisfied satisfied dissatisfied

17. Currently, how satisfied do you believe your neighbours are with the outcome the amalgamation?

Really Somewhat Not satisfied Rather Really dissatisfied dissatisfied nor satisfied satisfied dissatisfied

18. What have you gained with the amalgamation of 2002?

______

______

______

______

______

______

136

19. What have you lost with the amalgamation of 2002?

______

______

______

______

______

______

20. 15 years later, what is your opinion about the amalgamation?

______

______

______

______

______

SECTION 4- Who are you?

Gender Male Female Other (specify):______

Age 30 years or less 31-40 years 41-50 years 51-60 years 60 years or more

Mother tongue English French Other (specify):______

Street name (civic number is not required) :______

Residential Status Owner Tenant

THANK YOU FOR YOUR TIME! YOUR INPUT IS GREATLY APPRECIATED!

137

ANNEXE B — PÉRIMÈTRE PARCOURU À AYLMER

138

Périmètre parcouru dans le secteur Aylmer

Source : Google Maps

139

ANNEXE C — PÉRIMÈTRE PARCOURU À MASSON

140

Périmètre parcouru à Masson

Source : Google Maps

141

ANNEXE D — GRILLE DE COMPILATION

142

Grille de compilation

Q Adresse Réponse Décision Retour Commentaires Remis #/Rue Oui Non Acc. Ref. N/A Cogner Extérieur Moment, etc.

143

ANNEXE E — PRÉSENTATION DU QUESTIONNAIRE

144

Gatineau, 15 ans plus tard est une enquête qui a pour but de vérifier les effets de la fusion municipale de Gatineau sur les identités territoriales des citoyens d’Aylmer et de Masson. Elle s’adresse aux résidents qui habitaient dans l’un de ces secteurs au moment de la fusion. Votre participation consiste à répondre au questionnaire qui devrait vous prendre une quinzaine de minutes. Notez qu’une fois le questionnaire rempli, votre participation à la recherche est terminée.

En acceptant de participer à cette recherche, vous contribuerez à une meilleure compréhension des identités territoriales des Gatinois. Les informations que vous partagerez seront traitées en toute confidentialité et de façon anonyme. Je serai le seul, avec mes superviseurs, à accéder à vos résultats. Soyez assurés qu’en aucun temps votre identité ne sera dévoilée. Je vous serais reconnaissant si vous m’accordiez votre consentement afin que je puisse traiter vos résultats dans le cadre de cette enquête.

Mes salutations, Louis-Philippe Morin, étudiant à la maîtrise à l’Université d’Ottawa

,

Si vous avez des questions à la suite de mon passage, veuillez me contacter :

Louis-Philippe Morin, étudiant à la maîtrise; Courriel

Vous pouvez aussi contacter l’un ou l’autre de mes superviseurs :

Marc Brosseau, professeur titulaire Tél. : 613-562-5800, poste 1058 Courriel : [email protected] Anne Gilbert, professeure titulaire Tél. : 613-562-5800, poste 1224 Courriel : [email protected] Département de géographie, Université d’Ottawa

Pavillon Simard, pièce 047, 60, rue Université, Ottawa, ON, Canada, K1N 6N5 Tél. : 613-562-5725

Ou encore le Bureau d’éthique et d’intégrité de la recherche :

Pavillon Tabaret, pièce 154, 550, rue Cumberland, Ottawa, ON, Canada, K1N 6N5 Tél. : 613-562-5387 Courriel : [email protected]

145

ANNEXE F — CERTIFICAT D’ÉTHIQUE

146

147

ANNEXE G — TABLEAUX COMPLÉMENTAIRES

148

Tableau 1 Langue du questionnaire des participants selon le secteur résidentiel

Langue du Effectif % total Effectif % Masson Effectif % Aylmer questionnaire total Masson Aylmer Français 129 85 78 100 51 68,9 Anglais 23 15 0 0 23 31,1 Total 152 100 78 100 74 100

Tableau 2 Statut résidentiel des participants selon le secteur résidentiel

Statut Effectif % total Effectif % Masson Effectif % Aylmer résidentiel total Masson Aylmer Propriétaire 146 96,1 76 97,4 70 94,6 Locataire 6 3,9 2 2,6 4 5,4 Total 152 100 78 100 74 100

149