N°54 MÉMOIRES DU JUIN 2020 Congo

M o é g m n o o CONGO ires du C DU RWANDA ET DU BURUNDI

30 JUIN 1960 NAISSANCE DE LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

1 Mémoires du Congo N°53 - Mars 2020 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 1 LE MOT DU PRÉSIDENT SOMMAIRE

Nous avons respecté notre engagement d’accompagner nos CARTE BLANCHE membres tout au long de la crise du COVID-19 en proposant des 04 Rôle de premier rang pour la Belgique ! programmes pour les Mardi de MdC, ainsi que la tenue de Forums virtuels. Avec le bonheur de constater un succès d’audience inat- HISTOIRE tendu, par la magie de la toile. 05 Délégation congolaise en Belgique Ce mois de juin 2020 qui devait normalement nous permettre de du 25 avril au 23 mai 1956 sortir en douceur de la crise pour nous amener vers une commé- 13 Croissance du nationalisme au Congo Belge 1956-1958 moration du 60e anniversaire de l’Indépendance du Congo aura 14 Faut il accorder dès maintenant des été celui de toutes les explosions. La mort d’un civil noir tué par droits politiques aux Congolais ? la violence de policiers blancs aux États-Unis a provoqué dans le 15 Nos amis coutumiers monde une légitime vague de protestations. Au lieu de se focaliser sur les discriminations raciales dans nos sociétés occidentales, ÉCONOMIE nous avons assisté à une relance suspecte d’un mouvement hai- 23 L’industrialisation du Congo neux contre la personne du Roi Léopold II. Cette situation a favori- sé la prise de conscience de l’urgence de donner la place à l’ensei- CULTURE gnement de l’histoire coloniale pour les jeunes générations. Dans 28 Réussite muséale exceptionnelle à Washington une récente interview dans La Libre, Mme Clémentine Faïk-Nzuji s’inquiète et avertit que ce travail requiert en premier « la compé- 30 Souvenirs du Katanga durant la seconde guerre mon- tence, la maîtrise de l’histoire et des cultures, donc des mentali- diale et de Gustave Van Herreweghe, alias Henri Drum tés des deux pays de l’époque, situés dans le contexte mondial. » 34 Rendez-vous en terre Swahilie Et redoute « que pour satisfaire les manifestants, on précipite les choses et finisse par rater de nouveau le coche. » Avertissement TÉMOIGNAGE qui sera entendu des responsables, espérons-le. Ce sera aussi à 38 À la découverte du Congo nous, Associations de Mémoires, congolaises comme belges, à maintenir la pression pour que ces exigences soient respectées. COOPÉRATION 42 De Thysville à Mbanza-Ngungu C’est l’occasion de faire état des travaux des démographes qui ont exploré, à partir de 1955, avec Anatole Romaniuk, les popula- tions du Congo belge et produit la première grande enquête sur VIE DES ASSOCIATIONS le sujet. Dans une communication d’août 2013, lors d’un congrès 46 Calendrier des activités en 2020 tenu en Corée, sur la Démographie des populations coloniales, A. Romaniuk rend hommage à l’éminent démographe congolais, URBA-KBAU le professeur Séraphin Ngondo A Pitshandenge, qui a su évaluer 47 Notre nouveau site web est né avec sérénité l’état démographique de ce pays, départager le faux 47 Une histoire plus que centenaire du vrai, et ainsi nous aider à faire une lecture plus objective de 48 Nouvelles inspirantes l’histoire d’une époque si fortement controversée. Voici des ex- traits de sa communication, présentée en 1987 : MÉMOIRES DU CONGO, DU RWANDA ET DU BURUNDI « Enfin, il faut faire état des conditions d’exploitation de l’État Indé- 49 Echos des Mardis pendant du Congo dont le caractère mercantile est suffisamment 51 Echos du Forum connu. Les cultures d’exportation imposées pour le compte des so- ciétés ont pu sans doute entraîner la négligence des cultures de AFRIKAGETUIGENISSEN subsistance, ce qui représente un danger de famine et un risque 52 Van Hannibal tot Leopold supplémentaire de mortalité. Le recrutement de plus en plus pous- sé de travailleurs a privé les milieux ruraux de leurs éléments mâles CONTACTS N°150 et créé un déséquilibre de sexes peu propice à la procréation ». 53 Une décolonisation oubliée « Mais l’honnêteté oblige à reconnaître que les effets de ces fac- teurs ont été contrebalancés, avec le temps par d’autres facteurs NYOTA agissant dans le sens contraire. La pénétration blanche a fini par 55 Notre Jacques au coeur du combat anti-esclavagiste mettre un terme à la traite des Noirs et à son insécurité, elle a mis fin aux luttes entre tribus et aux pratiques comme l’ordalie, qui ROYAL CERCLE LUXEMBOURGEOIS représentaient autant de risques supplémentaires de mortalité. DE L’AFRIQUE DES GRAND LACS Elle a permis, par une médecine moderne, de combattre avec plus 61 Patrick Nothomb, un belgo-congolais d’efficacité les épidémies traditionnelles : pian, paludisme, lèpre. La lutte contre la stérilité devait conduire de son côté au redresse- CERCLES PARTENAIRES ment de la natalité » (Ngondo, 1987). Nous reviendrons sur ces travaux essentiels pour une meilleure 63 Administrations des cercles partenaires compréhension de l’histoire dans notre prochain numéro. Thierry Claeys Bouuaert BIBLIOGRAPHIE

2 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 MÉMOIRES DU CONGO

Congo DU RWANDA ET DU BURUNDI ASBL

M PROGRAMME DES MARDIS Périodique trimestriel o é g m n o o ires du C - N° d’agrément : P914556 - N° d’agrément postal : BC 18012 N°54 - Juin 2020 Mémoires du Congo A.S.B.L Au moment de mettre sous presse, la rédaction n’est pas en mesure de com- BCE : BE 478.435.078 muniquer avec certitude les programmes des Mardis pour le troisième tri- Siège social : avenue de l’Hippodrome, 50 mestre de 2020. Traditionnellement, il n’y a pas d’activités publiques durant B-1050 Bruxelles les grandes vacances. La reprise se fait début septembre pour le Forum et Email : [email protected] octobre pour les Mardis. Les dates officielles pour le Forum en septembre Éditeur responsable : Thierry Claeys Bouuaert sont, sauf nouvel ordre, le 4 et le 18 septembre ; pour le Mardi, le 13 octobre. COMITÉ DE RÉDACTION Nos lecteurs savent déjà que la fête de Mémoires du Congo organisée depuis Rédacteur en chef et coordonnateur des revues partenaires : Fernand Hessel quelques années en août a été reportée à 2021. Correctrice : Françoise Devaux Membres : Thierry Claeys Bouuaert, Marc Il est donc vivement conseillé à nos lecteurs de consulter le site de Mémoires Georges, Françoise Moehler du Congo à la rentrée www.memoiresducongo.be, à l’enseigne bien connue : Graphisme : Idealogy. Bruxelles

Dépôt des articles : Les articles sont reçus à [email protected], à l’attention du rédacteur en chef, qui assure le suivi.

Comité des responsables thématiques Thierry Claeys Bouuaert (histoire postcoloniale), Guido Bosteels (textes en néerlandais), André de Petit clin d’œil de circonstance, plein de sagesse Maere d’Aertrycke (histoire coloniale), Marc Georges (santé), Fernand Hessel (éducation), Françoise Moehler (culture), André Schorochoff(justice) , Jean-Pierre Sonck (défense), Pierre Van Bost (économie)

CONSEIL D’ADMINISTRATION Président : Thierry Claeys Bouuaert Vice-Président : Guy Lambrette Administrateurs : Guido Bosteels, Marc Georges, Fernand Hessel, Etienne Loeckx, Françoise Moehler, Robert Pierre.

FINANCES Solange Brichaut

SECRÉTARIAT Nadine Evrard

COTISATION Cotisation ordinaire : 25 € MÉMOIRES DU CONGO, DU RWANDA ET DU BURUNDI Cotisation de soutien : 50 € Cotisation d’honneur : 100 € Cotisation à vie : 1 000 €

Tous les membres reçoivent la revue. En cas de changement d’adresse, merci de AFRIKAGETUIGENISSEN communiquer les nouvelles coordonnées. La cotisation donne droit à la revue trimestrielle : mars, juin, septembre et décembre.

CONTACTS N°150 COMPTE BANCAIRE BIC : BBRUBEBB IBAN : BE95 3101 7735 2058 avec la mention Cotisation + millésime. NYOTA Les dames, sont priées, lors des versements, de bien vouloir utiliser le nom sous lequel elles se Suggéré par Françoise Moehler. sont inscrites comme membres. Merci au Studio Village Mpangana Original Les membres des cercles partenaires sont priés ROYAL CERCLE LUXEMBOURGEOIS pour ce geste de courtoisie de verser leur cotisation au compte ad hoc de leur DE L’AFRIQUE DES GRAND LACS association (voir page 63).

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DROIT DE COPIE Un silence impressionnant est plus Les articles sont libres de reproduction dans des publications poursuivant les mêmes buts que éloquent qu’un grand bruit. l’association, moyennant (1) mention du numéro de la revue et de l’auteur, et (2) envoi d’une copie BIBLIOGRAPHIE Proverbe bantou de la publication à la rédaction.

www.memoiresducongo.org Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 3 CARTE BLANCHE RÔLE DE PREMIER RANG POUR LA BELGIQUE !

La RDC commémorera ce 30 juin 2020 son 60e anniversaire. Les festivités n’auront pas lieu dans l’euphorie. Les problèmes d’ordre sanitaire (la pandémie covid-19) et politique empêcheront le peuple (belgo-) congolais d’être en liesse. À cette occasion, apparaîtront incontestablement plusieurs études de facture historique, certaines basées sur une documentation très étendue et d’autres proposant plutôt une approche idéologique. Toutes ces pu- blications montrent que le passé de ce pays n’est pas encore une matière inanimée. Mais passons outre l’émo-his- toire dont ceux qui l’appliquent, en général, ont la vision que l’histoire du Congo ne forme qu’un seul bloc. Cepen- dant, l’État Indépendant du Congo (ÉIC) n’a vécu que durant un peu plus de vingt-trois années, le Congo belge a fini sa vie après presque cinquante-huit années, tandis que le Congo souverain aura soixante années sous peu. Il s’agit de trois périodes différentes avec chacune sa spécificité historique. PAR MATHIEU ZANA ETAMBALA Il est impérieux de constater que durant le contre la maladie du sommeil. L’adminis- Le Congo contemporain est né dans des premier quart de son existence, le régime tration coloniale belge a le soin de mettre circonstances difficiles. L’espace manque imposé aux Congolais n’a pas donné une fin au Congo à une médecine d’émi- ici pour analyser correctement cette crise grande impulsion au développement. grants, appliquée dans les pays ultrama- transitionnelle. La Première République C’est un temps de conquête et d’occupa- rins déjà au 16e siècle, et d’y introduire est extrêmement tumultueuse. Avec la tion. La politique foncière et fiscale sont à une médecine tropicale en faveur des prise de pouvoir du lieutenant-général partir de 1891-1892 à l’origine d’une éco- peuples colonisés. L’œuvre des médecins Mobutu, par un coup d’état en novembre nomie d’écumoire qui ne fait pas jouir aux ne va plus se limiter à l’accompagnement 1965, la situation s’apaise. Comme tant populations habitant le cœur de l’Afrique des expéditions militaires ni au travail d’autres jeunes leaders africains, le deu- de conditions de vie luxueuses. C’est une dans les plus grands centres politiques xième président du Congo va prôner la histoire mouvementée et sérieusement et économiques hébergeant un grand démocratie bantoue dont la philosophie perturbée par le ‘caoutchouc rouge’ que nombre d’agents coloniaux. La santé de base est l’unité : parti unique, syndicat certains appellent même le ‘caoutchouc des Congolais devient une préoccupa- unique, université unique, etc. La voix de du sang’. La souffrance des Congolais tion principale. Après la Grande Guerre, l’opposition politique est complètement est aggravée par la terrible maladie du est inaugurée une nouvelle époque au étouffée. Mobutu va également bran- sommeil qui décime de très nombreux cours de laquelle la charité va trouver le dir le flambeau d’une nouvelle identité villages à travers le pays. Une foule de chemin vers le Congo. En 1924 Edouard par un recours à l’authenticité qui im- rapports officiels et de correspondances De Jonghe, directeur au Ministère des pose aux Zaïrois des noms africains, un missionnaires en témoignent. En ce Colonies, met en œuvre une politique nouveau mode vestimentaire (à bas les qui concerne cette période de l’EIC, d’enseignement prodigieuse. Quasi une costumes : abacost), etc. Sa politique de est-il possible de parler d’une histoire quarantaine de congrégations et socié- Zaïrianisation est à l’origine d’une crise partagée entre les blancs et les noirs ? tés religieuses catholiques belges, tant économique structurelle tenace. La tran- En tous les cas, les deux communautés masculines que féminines, répondent sition vers les régimes de Kabila père et en faisaient une appréciation différente. à l’appel pendant l’entre-deux-guerres. de Kabila fils ne le cède pas en violence Dans la mémoire collective du groupe La scolarisation des Congolais est mas- à celle de 1960-1965. La guerre sans fin ethnique de ma mère, la répression san- sive. Il importe de signaler que le Congo dans l’est du pays en est la meilleure glante de la révolte des Ababua au début a apporté beaucoup à la Belgique durant preuve. La mise inattendue sur le trône du 20e siècle demeure inoubliable. Il en la Seconde Guerre mondiale. Il faut aussi présidentiel de Félix Tshisekedi a don- est de même pour les Budja et d’autres reconnaître sans ambages la valeur de né au peuple congolais, mais aussi à la groupes ethniques dont les résistances la création en 1947 de l’Institut pour la communauté internationale, une lueur à l’établissement d’un ordre colonial Recherche Scientifique en Afrique cen- d’espoir qui, malheureusement, semble ont coûté la vie à un grand nombre de trale (IRSAC) et du Fonds du Bien-Être de plus en plus se transformer en une leurs villageois. La reprise du Congo par Indigène (FBI). Le Plan Décennal pour le illusion insurmontable. Mais le 30 juin la Belgique signifie très vite un chan- Développement Économique et Social 2020 doit être une invitation pour tourner gement positif pour les populations. est également digne de mention. Il est les yeux vers l’avenir. Il faudra avant tout La Belgique s’engage immédiatement souvent question, dans l’historiographie trouver les outils adéquats pour arrêter sur une autre voie. En 1906 le budget coloniale, des Cinquante dorées. À dire l’érosion morale dont souffre le Congo pour le service sanitaire atteint à peine vrai, le fossé entre Blancs et Noirs est depuis quelques décennies. Un esprit 2% et le pays ne compte que 8 ou 9 mé- encore immense tant au niveau écono- de sacrifice du peuple et un esprit de decins. La Force Publique bénéficie alors mique que politique. Toutefois, ma mère dévouement de la classe politique se- de 36,4%. En 1910, on dénombre déjà 59 en avait gardé des souvenirs positifs. ront déterminants pour le véritable relè- médecins ! Ajoutons à cela que le roi Elle était fière d’avoir mis au monde ses vement socio-économique du pays. Ce Albert Ier, qui au cours de son voyage au enfants dans l’hôpital pour les Noirs à projet libérateur ne sera réalisable qu’en Congo avait remarqué que tout était à la Léopoldville qui, par rapport aux cli- association avec l’Union Européenne. récolte du caoutchouc et de l’ivoire, que niques qu’elle a fréquentées après l’in- Mais au cœur de l’Afrique, on attend sans beaucoup d’argent était réclamé en Bel- dépendance, était un hôtel cinq étoiles. conteste que la Belgique, avec un esprit gique et que rien n’était à dépenser au Et mon père qui a fait l’armée et puis sagace, joue un rôle de premier rang Congo même, affecte en 1914 un fonds l’administration coloniale, était un ama- pour l’émergence de la RDC. spécial de 1 million de francs à la lutte teur fou des déplacements en giro-bus.

4 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 DELEGATION CONGOLAISE EN HISTOIRE BELGIQUE DU 25 AVRIL AU 23 MAI 1956

Document de grande valeur historique que nous livre ci-après le Pr Etambala, relatif au voyage en Belgique de seize Congolais, en 1956, choisis parmi l’élite de l’époque. Le document est centré sur la figure la plus en vue du groupe qu’était Patrice Lumumba. Pareil voyage, signe manifeste d’un changement d’attitude du colonisa- teur, était nouveau dans les relations entre la Belgique et les res- sortissants congolais, dans un temps où il n’était pas encore ques- tion d’indépendance, malgré le discours du roi Baudouin de 1955. Le document était inédit jusqu’à ce que l’auteur en accorde la publi- cation, sous le titre originel de : Lumumba en Belgique du 25 août au 23 mai 1956, son récit de voyage et ses impressions, document inédit, dans la collection Congo-Meuse, Figures et paradoxes de l’Histoire au Burundi, au Congo et au Rwanda, vol. 1, AML 2002, di- rigée par Marc Quaeghebeur, avec la collaboration de Jean-Claude Kangomba et André Schmitz. Le Pr Etambala le met à la disposition de notre association, pour service rendu à la recherche historique qu’elle ne manque jamais de promouvoir, chaque information étant *Né en 1955, Zana Aziza Etambala, his- précieuse pour mieux comprendre la marche du Congo vers l’in- torien de formation, est chercheur au dépendance. Que l’auteur et l’éditeur trouvent ici l’expression des Département d'Histoire de la Katholieke remerciements de notre association. Les nombreuses notes de bas Universiteit van Leuven. Ses domaines de de page n’ont pas été retenues, pour ne pas allonger davantage recherche sont la diaspora congolaise et le encore (la règle étant de cinq pages maximum par article); il est nationalisme congolais, le Congo belge et toujours loisible au lecteur de consulter le livre. Vu la longueur du la Seconde Guerre Mondiale, l'Afrique Cen- récit (pp.191 à 229) et l’erreur que serait le caviardage du texte ori- trale aux Temps Modernes. ginel, l’article complet s’étendra pour le moins sur deux numéros. PAR ZANA AZIZA ETAMBALA*

INTRODUCTION de la main de Lumumba, est resté iné- dit jusqu’à présent. nitialement, le gouvernement colo- nial souhaite organiser ces voyages LES « SEIZE » Ià raison d’un par année. En 1954, cependant, aucun notable ou évolué Seize Congolais participent au n’est invité en Belgique. Les élections voyage de 1956. Trois d’entre eux parlementaires, qui ont lieu cette an- vivent à Léopoldville : Alphonse née-là, sont sans conteste à l’origine de Makwambala, commis au Service du cette exception. En 1955, le séjour des Travail ; Arthur Pinzi (1922-1970), secré- Congolais se déroule dans l’ombre de taire de direction au Service géologique la visite du Roi Baudouin au Congo. du gouvernement général, président de l’Association du Personnel Indigène de Dans les pages qui suivent, nous la Colonie, APIC, président du Cercle nous intéresserons particulière- Libéral de Léopoldville, co-signataire ment au voyage, réalisé en 1956, de avec Patrice Lumumba du mémoran- seize Congolais en Belgique. Patrice dum des « seize » en août 1958; et Lumumba en fait partie. Le futur -et Albert Mongita (ou Likeke Mongita né éphémère- Premier ministre congolais en 1916), commis de la Colonie et éga- a rédigé sur ce voyage un rapport dac- lement speaker à la Radio Congo belge tylographié de dix pages dont il envoya et artiste-peintre. Trois autres voya- un exemplaire au Jésuite Joseph Van geurs sont originaires de la Province Wing (1884-1970). Ce document, signé de l’Equateur: Valentin Iluku, chef

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de Secteur en Territoire de Bikoro ; Louis avait enregistré un « privé » pour six of- ces « touristes de la saison sèche » se- Bronza, ouvrier de 1re classe au Service ficiels; en 1956, il n’y a aucun représen- raient souvent complètement fausses, des Télécommunications et opérateur tant du secteur privé parmi les seize in- ironisent-ils. principal de cinéma à l’Information vités ! En second lieu, il fait remarquer à Coquilhatville; et Georges Dagwa, que les désignations paraissent être LUMUMBA ENTRE L’IDÉOLOGIE chef du Centre Extra-Coutumier (CEC) dictées par des préoccupations pure- LIBÉRALE ET LA DOCTRINE CHRÉ- de Libenge. Trois autres sont issus de ment sentimentales et politiques. Ainsi, TIENNE ? la province orientale : Patrice Lumum- les notables et évolués qui n’adhèrent ba, commis des Postes à Stanleyville et pas aux idéologies des partis au pou- Au moment où il embarque pour la Bel- vice-président de l’Union belgo-congo- voir à Bruxelles, auraient simplement gique, le journaliste Lumumba n’est pas laise; Joseph Tabalo (1921-1964), com- été biffés de la liste des candidats. Pour un illustre inconnu. Cependant, sa par- mis de 1re classe au service de la Colonie preuve, il note qu’aucun autochtone du ticipation à cette délégation le trans- à Stanleyville; et Léopold Monzikatebe, Ruanda-Urundi n’a été repris sur la liste forme en une personnalité d’envergure chef du CEC de Buta. Deux personnes car les quatre candidats présentés par insaisissable qui ne laisse personne viennent de la Province du Katanga : le vice-gouverneur Jean-Paul Harroy indifférent car il incarne l’espoir d’un Mathieu Kalenda, juge-président du ont été écartés, en raison de leur qua- peuple en quête de sa dignité, pour les CEC d’Elisabethville et Samuel Shamba, lité d’anciens élèves du Collège catho- uns, et représente le trublion à abattre, chef du CEC de Kamina. lique, d’Astrida (actuellement Butare). pour les autres.

La région du Kivu est représentée par Dans La Croix du Congo, Rémy Kandolo Lumumba, né le 12 juillet 1925 à trois hommes : Daniel Ndeze (Ruga- s’étonne que les organisateurs n’aient Hiokamende-Onalua dans le territoire bo Il Ndeze), Mwami ou grand chef de jamais songé à des assistants agricoles de Katako Kombe au Kasaï, s’est ins- Bwisha (dans le Territoire de Rutshuru), indigènes. Pourtant, à son avis, ils au- tallé à Stanleyville en juillet 1944. Dans propriétaire de plantations de café et raient ainsi pu étudier les méthodes le chef-lieu de la province orientale, de deux mille têtes de bétail ; Emma- employées en Belgique. On le devine, il commence des cours de français nuel Cherishungu Berhashirwa, com- Kandolo exerce lui-même le métier par correspondance et s’inscrit éga- mis de la Colonie et attaché au Service d’assistant agricole. lement à des cours du soir organisés des Greffes et des Parquets de Buka- par les Frères Maristes. Il lit beaucoup vu; et Thimothée Ndeze, fils de Daniel Marie-José Sombo, rédactrice à L’Ave- et acquiert une connaissance relative- Ndeze, faisant fonction de secrétaire nir -et jusqu’alors l’unique journaliste ment bonne de la langue de Molière. particulier de son père - il fut désigné noire de son temps- ne comprend pas Il devient alors correspondant de La à la dernière minute. Finalement, deux qu’aucune Eve Noire n’ait été invitée Croix du Congo (Léopoldville) et col- représentants de la région du Kasaï sont à faire partie d’une délégation de visi- laborateur de L’Afrique et le Monde également présents lors du voyage : teurs. (Bruxelles). Par ailleurs, il crée et dirige Louis Mulumba, chef de Centre adjoint L’Echo postal (Stanleyville). à Port-Francqui et André Amici, chef de Dans les milieux coloniaux, la question Secteur adjoint à Sentiri. de l’utilité de ces visites est controver- Lumumba est en outre très actif dans sée. Certains sont convaincus qu’elles la vie associative de Stanleyville. Il oc- L’organisation de ce voyage d’étude coûtent trop cher à l’Etat et que cette cupe des fonctions importantes dans suscite des critiques. Antoine Ngwenza, folle dépense ne se justifie nullement. une série de cercles et d’associations journaliste au Courrier d’Afrique, rap- D’autres sont persuadés qu’il faut qui regroupent les évolués et les no- pelle que, à la suite du voyage de 1955, au contraire développer ce genre de tables: l’Association des Evolués de les participants catholiques s’étaient voyage et permettre à un plus grand Stanleyville (AES) ; l’Association des plaints de pressions qu’ils avaient su- nombre d’Africains d’y participer. Anciens Elèves des Pères de Scheut bies de leurs mentors officiels. Ceux-ci Un moyen fort simple est avancé pour (ADAPES) ; l’Amicale des Postiers auraient été jusqu’à tenter de les em- réduire les coûts pour l’Etat : obliger les Indigènes de la Province Orientale pêcher, par intimidation, de se rendre candidats congolais à couvrir une par- (APIPO) ; l’Association du Person- à l’archevêché de Malines. Concernant tie des frais. A l’opposé, d’autres Blancs nel Auxiliaire Indigène de la Colonie ce nouveau voyage, le journaliste es- sont résolument contre et estiment (APIC) ; la Fédération des Associa- time qu’un certain favoritisme, voire que, de toute façon, ces voyages sont tions de Stanleyville (FAS), etc. Mais sectarisme a joué dans le choix des trop courts pour être utiles. Selon ces Lumumba est surtout un des promo- candidats. Il accuse d’ailleurs le gou- derniers, les Noirs -dont la formation teurs principaux du prestigieux Cercle vernement colonial de s’être livré à une est jugée trop élémentaire- n’auraient belgo-congolais, créé à Stanleyville le sélection unilatérale. en effet pas le temps nécessaire pour 8 février 1956, trois ans après celui de assimiler l’essentiel du programme. Léopoldville. Dans son acte constitutif, En premier lieu, il y aurait un déséqui- Ils comparent d’ailleurs cette espèce cette association annonce qu’elle veut libre entre les Congolais « officiels » et de séjour-éclair avec ceux des Euro- constituer une véritable communauté les Congolais « privés ». En 1955, on péens en Afrique. Et les impressions de belgo-congolaise qui serait l’aboutis-

6 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 sement de la grande œuvre désirée leyvillois. Mais cette sympathie pour blierai dans la presse congolaise, je par Léopold Il. Ce cercle interracial Buisseret et la création d’un Parti Libé- traiterai séparément [sic] de quelques se déclare prêt à lutter -bien que pru- ral à Stanleyville, ne signifient pas du problèmes particuliers que j’ai pu ap- demment- contre toute forme de dis- tout que Lumumba ait adopté une atti- profondir par mes investigations dans tinction et s’affirme passionnément tude anticléricale. D’ailleurs, il ne rom- les divers milieux, en Belgique. nationaliste, c’est-à-dire en faveur d’un pra jamais les liens d’amitié qu’il avait « Congo vraiment belge ». En outre, noués avec plusieurs Frères Maristes DE LÉOPOLDVILLE À BRUXELLES les membres fondateurs du cercle as- et n’hésitera pas à nouer des contacts surent l’administration coloniale de son amicaux avec le Jésuite Van Wing. Les seize privilégiés se rassemblent apolitisme et ce, bien évidemment, en à Léopoldville vers le 20 avril (Fig. 1). échange d’une reconnaissance offi- LE CARNET DE ROUTE DE LUMUMBA Pendant quatre jours, ils s’y promènent cielle. d’un quartier à l’autre; les réceptions ne Dans les pages qui suivent, nous re- manquent pas ! L’édition du jeudi 12 avril du Cour- produisons de larges extraits du texte rier d’Afrique annonce que l’Union de la conférence que Patrice Lumumba Le Groupement Culturel belgo-congo- belgo-congolaise avec ses septante a donnée pour l’Union belgo-congo- lais fête trois de ses membres qui font membres (dont trente Européens laise, le lundi 4 juin 1956 dans la salle partie des « seize », Albert Mongita, et quarante Africains) et le Cercle de fête de l’athénée de Stanleyville, Arthur Pinzi et Alphonse Makwambala. belgo-congolais avec ses dix-sept sous les auspices du Cercle belgo­ Un repas amical au restaurant de la membres sont en voie de fusion. congolais. Cette « causerie » détaille Mère Gaspard, dans la cité indigène, Lumumba est nommé vice-président son périple et évoque ses impressions est organisé en leur honneur. Parmi du comité provisoire. au sujet du voyage qu’il vient d’effec- les invités, on trouve Tordeur, com- tuer en Belgique. Un public nombreux, missaire de district, Scohy, président Fait important à noter, Lumumba tant européen que congolais, se presse du Groupement, William Ugeux, vice­ serait devenu, selon Omasombo et d’ailleurs pour l’écouter. président et chef des émissions afri- Verhaegen, membre du Cercle Libéral caines de la Radio Congo-Belge (RCB) d’Etudes et d’Agréments, sorte d’an- A l’issue de la conférence, quelques et la Noire américaine Jane Fairfax, dé- tenne du Parti Libéral de Belgique à questions sont posées. A l’une, léguée de l’American Friends Service Stanleyville en 1954. On suppose gé- Lumumba répond que sa décision Committee, organisme qui s’occupait aux néralement que le ministre des Colo- d’accomplir ce périple n’obéissait pas à Etats-Unis des universitaires étran- nies, Auguste Buisseret (1888-1965), a un agenda politique secret. gers. Le groupement se déclare très entraîné Lumumba dans la mouvance fier puisqu’il avait aussi eu un représen- libérale. Ils se sont en effet rencontrés Interrogé sur la situation des Belgicains tant dans les délégations précédentes : pour la première fois en octobre 1954, -les Congolais résidant en Belgique-, le Antoine-Roger Bolamba et Paul Bolya, lors du passage du ministre à Stanley- talentueux conférencier réplique que respectivement dans le premier et ville. Suite à ce contact, des rapports ceux-ci se sont tellement bien adaptés dans le deuxième voyage. On y an- de collaboration se sont tissés entre à la vie dans la Mère-patrie qu’ils ne nonce aussi qu’Albert Mongita, jour- eux. Les deux hommes se revirent éga- songent plus, pour la plupart, à revenir. naliste à la RCB, circulera en Belgique lement à l’occasion de la visite du Roi Cette attitude serait due au fait que le avec un appareil enregistreur portatif Baudouin à Stanleyville en juin 1955. racisme serait inexistant dans la mé- qui lui permettra d’envoyer des repor- tropole et que la minorité congolaise tages chaque semaine. Une lettre donne des précisions au su- bénéficierait des mêmes égards que jet de l’affiliation de Lumumba au mou- le reste de la population. « A l’image Une autre réception est organisée, en vement libéral, il s’agit d’une copie de d’une société civilisée », ajoute-t-il, l’honneur de tous les voyageurs, à la la lettre, qui annonce la création d’un « le gouvernement belge, soucieux de résidence du gouverneur de la pro- Parti Libéral à Stanleyville, envoyée au la santé morale de ses fils adoptifs a vince de Léopoldville, Babillon. Parti Libéral à Bruxelles en septembre récemment créé à Bruxelles la Maison 1955, soit près de deux mois après la congolaise (Ndako ya Biso) ». Nous avons quitté Stanleyville le 20 rencontre entre Lumumba et Buisse- avril, à 7 heures du matin, par la voie ret. Lumumba, président de ce nou- Les auditeurs apprécièrent la qualité des airs, à destination de Léopold- veau parti, y est dépeint comme un de son exposé et la clarté de ses ré- ville. A la descente d’avion, nous avons homme très dynamique. Sur la liste no- ponses. Pas étonnant, puisque son été accueillis par les représentants minative des fondateurs figurent aussi discours n’avait rien d’une philippique du Gouvernement, le Très Révérend quelques Blancs, dont Jules Gérard, le anticolonialiste! Frère Victor Lemaen, grand ami des vice-président, qui est alors l’éditeur de congolais [sic] de Stanleyville et actuel L’Echo de Stan, un journal moins colo- Aujourd’hui, je ne ferai qu’un exposé Visiteur de la Congrégation des Frères nialiste que son concurrent Le Stan- général, tandis que par des causeries Maristes au Congo belge, ainsi que par ultérieures ou des articles que je pu- de nombreux amis de Léopoldville.

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 7 HISTOIRE

HP.1956.22.116, collection MRAC Tervuren ; photo R. Stalin (Inforcongo), 1956, MRAC Tervuren Au cours de notre bref séjour de 4 jours très nombreux amis, des femmes et souvenirs sur papier. Ces documents à Léopoldville, nous avons eu l’honneur des enfants, sont réunis à l’aérodrome constituent une source privilégiée d’in- de visiter les différentes aggloméra- pour saluer leur départ. formations. tions de la capitale congolaise, le jardin zoologique, les réalisations de l’Office Nous avons quitté Léopoldville le 24 Quant à Lumumba, ses premières des Cités africaines, les services de avril, à 16 heures, à bord d’un superbe notes sont très détaillées ; il mentionne la Population Noire et les ateliers de DC-6 de la Sabena à destination de même les heures et les minutes de chemiserie de Mr. [sic] Alhadeff, grand Bruxelles, capitale de la Mère-Patrie. chaque décollage et de chaque atter- commerçant de Léopoldville bien Après 4 heures de ciel, nous avons rissage, la durée des vols, etc. Toute- connu dans tout le Congo. fait notre première escale à Kano, en fois, il se limite, au fil des jours, à ne no- Nigérie [sic], à 20h40. La distance entre ter que l’essentiel et ce, dans un style Le 23 avril, une sympathique réception Léopoldville et Kano est de 2.028 km. moins éloquent et plus hâtif. fut organisée à l’intention des voya- geurs, par Monsieur le Gouverneur de Nous avons quitté Kano à 21h50. Après Au débarquement, ce qui surprend la Province de Léopoldville et Madame 8 heures 50 de vol de nuit sur l’im- le plus les Congolais c’est le froid! Ils BABILLON. Au cours de cette réception mensité Saharienne, couvrant une dis- sont immédiatement conduits aux qui dura deux heures du [sic] temps tance de 3.543 Km, nous atterrissons à monuments du Soldat Inconnu et de nous avons pu nouer de cordiales re- Lisbonne, capitale du Portugal, à 6 Léopold II. L’aspect « patriotique » de lations avec les différentes personnali- heures. Lisbonne est une belle ville, si- ce voyage est donc clair dès le premier tés officielles, civiles et religieuses de tuée à l’embouchure du fleuve Tage dans instant. Lumumba dépeint leur arrivée Léopoldville. l’Atlantique, à 2.110 Km S.O. de Paris. A et leur première visite de la ville de Lisbonne, nous prenons notre petit dé- Bruxelles : La délégation se composait comme jeuner, et à 7h40, nous poursuivons notre suit : 3 délégués pour la Province de voyage, sous le poids des manteaux que Nous sommes accueillis à l’aérodrome Léopoldville, 3 pour la Province de nous ne quitterons que le jour de notre par plusieurs fonctionnaires du Dépar- l’Equateur, 2 pour la Province du Kasaï, retour au Congo. Après 4 heures 05’ de tement des Colonies et une déléga- 3 pour la Province du Kivu, 2 pour la vol, au cours duquel nous avons admiré tion des congolais [sic] de Belgique, et Province du Katanga et 3 pour la Pro- les paysages portugais, espagnol, fran- bien entendu, par une bonne poignée vince Orientale, soit au total 16 invités. çais et enfin belges, nous atterrissons à de journalistes et cinéastes belges. l’aérodrome de Melsbroeck le 25 mai [sic Il faisait très froid, nos mains commen- L’embarquement pour la Belgique a lieu pro: avril], à 11h45. Nous voilà donc au çaient à trembler. Dans l’après-midi, le 24 avril. Sous le titre Au revoir, bon point terminus de notre fameux voyage nous sommes allés nous incliner et voyage !, L’Avenir reproduit une pho- aérien, après 16 heures 45 de vol et un fleurir la tombe du Soldat Inconnu ain- to de l’instant émouvant du départ des parcours de 7.243 Km. si que le monument de notre grand roi « Seize », comme on les appelait cordia- Léopold II [sic], fondateur du Congo et lement à Léopoldville. Sur le cliché, on re- Pour la plupart de ces voyageurs, qui précurseur de la civilisation africaine. marque les vedettes qui prennent la pose débarquent à Melsbroeck le 25 avril, Dans la soirée, nous avons fait notre juste avant d’entrer dans la carlingue du c’est leur première aventure à l’étran- premier tour en ville et avons pu admi- DC-6. On y voit un Lumumba très sou- ger. Presque tous ont donc « couché », rer les illuminations de Bruxelles. Ce fut riant qui agite son chapeau en l’air. De mais dans des styles différents, leurs une merveille pour nous tous.

8 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 La délégation de l’Union Royale des Selon Fernand Demany, journaliste La plus précieuse pièce qui se trouve Congolais de Belgique qui attend les au Peuple, cette visite peut produire dans le Musée de Tervuren, est sans notables et les évolués sur le tarmac des résultats appréciables si elle n’est doute la pierre de marbre dans la- de l’aéroport de Melsbroek se com- pas dirigée à l’extrême et si les hôtes quelle le Duc de Brabant fit incruster, pose de Cassa, Mavakala et Daku. Une congolais ne sont pas trop systéma- lors de son retour d’Athènes en l’année réception est organisée en l’honneur tiquement « chambrés ». Dans ces 1860, un médaillon qui le représentait des visiteurs congolais dans les salons conditions, ils pourront découvrir le et autour duquel il fit graver ces mots : de l’aérogare et ceux-ci sont ensuite vrai visage de la Belgique, très diffé- « Il faut à la Belgique une Colonie ». conduits à leur hôtel. rent de celui qu’ils ont pu imaginer car Cette pierre fut offerte à Monsieur Frère­ « On peut dire hardiment de certains Orban, Ministre des Finances, qui fai- Quant au programme que les Seize Belges résidant au Congo qu’ils ne sait fonction de Premier Ministre à doivent exécuter en Belgique, les orga- représentent pas la Belgique et qu’ils l’époque. nisateurs ne font pas mystère de leur font en maintes circonstances rougir intention : présenter aux globe-trot- les Belges». Toujours selon Demany, Enfin, en 1876, le Roi Léopold II convo- ters congolais un aperçu des activi- surnommé Mort-Debout par ses adver- qua au palais de Bruxelles des savants tés belges dans tous les domaines. saires, il faut dire aux visiteurs congo- et des explorateurs de différents pays. Le programme réunit parfois l’ensemble lais que le temps est fini où l’on pouvait Un discours inaugural indiqua claire- des invités ou les divise en groupes. se permettre de considérer les Noirs ment son idée et ses vues à l’égard de Ils visitent ainsi des industries, des comme « de grands enfants » que l’on l’Afrique : écoles et des institutions publiques et peut châtier pour se faire obéir : « ces privées. Les établissements sont de enfants sont devenus adultes ! ». Il si- « Ouvrir à la civilisation la seule partie préférence choisis en Flandre orientale gnale en plus que les camarades noirs de notre globe où elle n’a pas encore mais ils sillonnent également d’autres n’exploitent pas encore les richesses pénétré, percer les ténèbres qui enve- régions. de leur pays à leur profit. loppent des populations entières, c’est, j’ose le dire, une croisade digne de ce Par ailleurs, les réceptions sont limi- Le vendredi 27 mai [sic pro: avril], nous siècle de progrès; et je suis heureux tées au strict minimum pour que cette sommes allés nous recueillir au cime- de constater combien le sentiment visite en Belgique conserve sa fonction tière de Tervuren où reposent nos 7 public est favorable à son accomplis- de voyage d’études. Bien entendu, des [sic] compatriotes qui furent invités par sement... ». Ce grand dessein, le roi moments de temps libre sont prévus le Roi Léopold II, en 1897, à aller passer Léopold II l’accomplit en quelques an- afin que les voyageurs puissent, s’ils le un été en Belgique. Après cette visite, nées avec la collaboration de Stanley, désirent, rendre visite à l’une ou l’autre nous avons été voir le fameux Musée de Valcke, de Hanssens, de Vangèle personne ou institution. du Congo belge à Tervuren. Ce Musée et nombre d’autres pionniers, dont est l’œuvre de Léopold II. En face du beaucoup reposent en ce sol congolais LA PREMIÈRE PARTIE DU VOYAGE Musée est élevé [sic] une grande sta- qu’ils ont arrosé de leur sang. tue d’Eléphant sur laquelle est monté Le 26 avril, les choses sérieuses dé- un guerrier Bangwetu. Je me suis permis de m’attarder un peu butent : sur ce point important car ce fut là pré- Le Musée comprend différents dépar- cisément le début de la grande œuvre Le lendemain matin, 26 mai [sic pro : tements, notamment : Les sciences humanitaire de Léopold II, dont nous avril], nous avons été reçus par Mon- naturelles, divisées en sections de géo- sommes les bénéficiaires. sieur le Ministre BUISSERET. Assis- logie (étude des matériaux composant taient à cette prise de contact, MM. VAN le globe), minéralogie (étude des miné- Au Musée de Tervuren, nous avons HOVE, Inspecteur Royal des Colonies, raux), paléontologie (science qui traite rencontré 14 congolais [sic], dont 7 ou- BRAUSCH, Attaché de Cabinet du Mi- des fossiles) et zoologie (étude des vriers, 1 peintre et 7 employés. Les ou- nistère des Colonies, DETRY, Directeur animaux); les sciences de l’homme, vriers ont un salaire de 100 francs par de l’Office de l’Information et des Rela- divisées en sections de préhistoire jour, tandis que les employés touchent tions publiques au Congo belge et au et d’histoire, sans oublier les salles de 4 000 à 5 000 francs par mois. Ils ont Ruanda-Urundi, HUBERT et HUBERTY, d’ethnographie, d’arts etc. Ce Musée les mêmes avantages que leurs collè- Administrateurs de territoire et char- contient, comme richesses du Congo, gues belges. gés de nous piloter au cours de nos 500.000 papillons, 6.000.000 insectes, déplacements à travers la Belgique. 80.000 ciseaux [sic pro: oiseaux], Lumumba évite soigneusement d’ex- L’après-midi fut consacré à la visite de 102.000 poissons et 10.000 espèces de pliquer « l’invitation » des Congolais l’Hôtel de Ville, de la Grand’Place [sic] bois. Toutes les richesses naturelles du et d’approfondir la question relative de Bruxelles, du Musée Communal, de Congo y sont précieusement conser- à la mort de plusieurs d’entre eux. la Collégiale Ste Gudule et de la Télévi- vées, chose à laquelle nous ne nous Or, ces sept Congolais ont fait sion Belge. attendions pas. partie des quelques deux cent

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 9 HISTOIRE

soixante-sept Congolais arrivés en Pour en revenir au voyage de 1956, Du samedi 28 au dimanche 29 avril, sé- Belgique le 27 juin 1897 pour être ex- ce jour-là, le 27 avril, les visiteurs se jour à Anvers. Nous avons visité le fa- hibés à l’Exposition Universelle de rendent également au Musée Royal meux port d’Anvers qui est un des plus Tervuren. Début juillet, un premier du Congo belge où ils sont reçus par importants du monde; les installations Congolais, du nom d’Ekia, meurt. Son le directeur, Frans Olbrechts (1899- de la Compagnie Maritime Belge (CMB), enterrement ne se déroule pas sans 1958), qui les guide à travers différentes les usines de Coninck (Coni-Congo : fa- susciter des incidents car la population salles. Lumumba se dit impressionné, brique de couleurs), le Musée Rubens, de Tervuren se montre inconvenante non seulement par toutes les collec- la cathédrale, Boerentoren, Tunnel sous et grossière à l’égard du cortège fu- tions qu’abritent ce Musée, mais aussi l’Escaut, l’Amicale des marins congolais nèbre. En effet, à divers endroits, des par le fait que les Congolais qui y sont etc. Dans la soirée du samedi 28 avril, huées éclatent et personne ne se dé- employés, gagnent le même salaire nous avons assisté à un grand spectacle couvre devant le corps, comme c’est que leurs collègues. Il convient ici de à l’Ancienne Belgique. Nous avons été pourtant la coutume. De plus, Ekia est rappeler que le but des visites au cime- ébahis de voir les artistes profession- enterré à une certaine distance des tière congolais et au Musée royal à Ter- nels jouer, et avons surtout admiré les autres fosses, dans le coin des réprou- vuren étaient de convaincre les hôtes acrobaties d’une jeune femme qui mar- vés. La presse anticléricale s’indigne africains que la Mère-patrie ne man- chait et sur sautait [sic] sur une corde quelque peu de cette affaire, tandis quait pas de respect envers le Congo, pendue en l’air; nous ne croyions pas à que la presse d’obédience cléricale ses habitants et ses cultures. nos yeux car ce fut la première fois que excuse les organisateurs en précisant nous avons eu l’occasion de voir des pa- que les « nègres » amenés en Belgique A ce propos, Justin Bomboko, corres- reils jeux. sont encore plongés dans les ténèbres pondant à Bruxelles de l’hebdomadaire du plus grossier fétichisme et que leur Mbandaka, insiste sur un aspect qui le Au moment de leur passage à Anvers, ignorance religieuse est complète ! frappe: les invités congolais auraient vingt-neuf bateaux sont en construc- redécouvert la beauté et la valeur in- tion au chantier naval de Hoboken, Le 3 août, la mort frappe une nouvelle comparables du folklore et de l’art afri- dont un paquebot qui deviendra la fois le village congolais de Tervuren : cains en visitant le Musée de Tervuren plus grande unité de la ligne maritime Gemba, une jeune Congolaise rend et en assistant à une représentation des Anvers­-Matadi. La visite se termine par l’âme. Le samedi 7 août un troisième ballets africains de Keita Fodeba. Se- un cocktail offert par la direction du Congolais du nom de Kitoukwa dé- lon lui, il n’est pas étonnant que ce soit chantier. Le soir, les visiteurs africains cède. Le mauvais temps semble fatal en Europe que les Congolais prennent sont accueillis à l’Institut Universitaire aux Congolais, puisque, le 18 août, un conscience de la richesse insoup- des Territoires d’Outre-Mer (INUTOM) quatrième habitant, Mibange s’éteint. çonnée de leur patrimoine culturel et par le lieutenant-colonel d’honneur La presse devient alors extrêmement regrette d’avouer que certains d’entre eux Norbert Laude. Des discours sont pro- critique à l’égard de la présence des avaient appris à mépriser leur culture. noncés par ce dernier, le chef Ndeze et Congolais à Tervuren et reproche Patrice Lumumba. Après le repas au aux organisateurs d’avoir transformé Par ailleurs, les Congolais sont rapi- réfectoire de l’institut, ils assistent à le camp des Congolais en morgue. dement confrontés à la grandeur de la la projection d’un film sur la vie quoti- Le nombre des morts se porte fina- Belgique dans les domaines commer- dienne dans cet établissement et sur la lement à sept. Dans le registre des cial et industriel, notamment lors de résistance de l’institut pendant la der- défunts de la paroisse Saint-Jean­ leurs flâneries dans les centres com- nière guerre mondiale. Evangéliste à Tervuren, on retrouve à merciaux de Bruxelles. ce sujet l’information qui suit : Dans la matinée du 28 avril, les voya- Toujours le 27 avril, les hôtes sont ame- geurs sont conduits aux installa- In coemeterio non benedicto sepul- nés à Anvers. Cette visite, qui dure tions portuaires d’Anvers. A la fin de ti sunt Congolenses Ekia, faemina pratiquement tout le week-end, est l’avant-midi, ils voient le SS Léopold- Gemba, Kitoukwa, M’Peia, Sambo, Zao, destinée à leur montrer que puissance ville appareiller pour Matadi. Ensuite, Mibange, 1 mense julii - talii mense au- coloniale égale puissance industrielle : ils visitent entièrement le SS Baudouin- gusti. Past. Dec. P. Decock. ville arrivé du Congo le vendredi pré- Dans l’après-midi (27 avril), visite du cédent. A dire vrai, les corps des Congolais dé- chantier naval Cockeril (sic) à Hoboken cédés ont initialement été jetés dans où l’on fabrique des navires. A l’Institut une fosse commune. Ce n’est que Universitaire des territoires d’Outre-mer Dans l’après-midi, ils vont admirer la quelques décennies plus tard qu’ils ont à Anvers où sont formés nos Administra- station maritime et les dortoirs des été exhumés et enterrés séparément teurs territoriaux, nous avons eu le plaisir marins congolais de la CMB; au début dans des tombes à côté de l’Eglise. de nous entretenir longuement avec des de la soirée, ils partent vers l’usine de Cet endroit a par la suite acquis le sta- jeunes étudiants de l’INUTOM, qui s’inté- peintures De Coninck à Merksem. Pen- tut de lieu de culte où on menait tout ressent particulièrement aux problèmes dant le dîner, le chef Ndeze remercie visiteur congolais. de l’évolution du Congo. le directeur de la fabrique de l’accueil

10 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 chaleureux. Ensuite, ils sont emmenés dans un Music­Hall.

Le 30 mai [sic pro : avril], nous avons quitté Anvers à destination de Liège, avec escale à Waterschei, où nous avons visité les charbonnages André Dumont. Vêtus en uniformes de mi- neurs, nous avons descendu à 920 mètres de profondeur pour nous rendre compte du pénible travail qui est effec- tué sous le sol par des êtres humains. C’est vraiment dur. Les charbonnages André Dumont occupent un personnel HP.1956.22.161, collection MRAC Tervuren ; photo R. Stalin (Inforcongo), 1956, MRAC Tervuren de 3.500 ouvriers.

Le lundi 30 avril, le groupe entier se di- rige vers les houillères de Waterschei où on leur propose de descendre dans les galeries souterraines. Dans un té- moignage qu’il a fait à son retour, Louis Bronza reconnaît que seuls quelques Congolais osèrent faire la descente. Ils parcoururent trois kilomètres pour voir les mineurs au travail. Bronza, qui fut parmi les plus audacieux, est émerveil- lé par l’image des ouvriers conduisant des trains dans ces profondeurs. HP.1956.22.168, collection MRAC Tervuren ; photo R. Stalin (Inforcongo), 1956, MRAC Tervuren Les Congolais montrent aussi un inté- rêt particulier pour les maisons sociales leur mère; les enfants des parents sé- donnée. Comme il s’agissait d’une ini- construites par la société à l’intention parés; les enfants délinquants qui, au tiative privée, chaque habitant de ces des miniers. Par ailleurs, dans les ins- lieu d’être envoyés dans une maison de 36 communes avait versé, au départ, tallations des mines, ils rencontrent un redressement, sont plutôt envoyés à une somme de 7 francs. C’est le pro- ingénieur qui a passé des années au la Cité de l’Enfance pour leur rééduca- duit de ces modestes cotisations qui Congo et qui maîtrise encore presque tion; les enfants des parents indigents; permit aux promoteurs du projet de parfaitement le kiswahili. Ensuite, ils les enfants des parents déchus de la réaliser cette grande œuvre humaine partent pour Liège. puissance [i. e. autorité] paternelle; les qui fait aujourd’hui l’admiration de tous enfants des parents ayant exprimé le les visiteurs étrangers. Les enfants y Le 1er mai, nous avons quitté Liège désir de confier leurs enfants à la Cité. sont nourris, habillés, logés et soignés pour Namur en faisant une magnifique comme s’ils étaient dans leurs propres excursion dans la vallée de la Meuse. L’établissement compte actuellement familles. Pour vous donner une idée de A Marche-les-Dames, nous nous 360 enfants dont 200 garçons, 100 filles l’importance qu’attachent les Belges sommes recueillis devant le rocher où et 60 bébés de moins de 3 ans. La Cité, pour l’éducation de leurs enfants, je mouru [sic] tragiquement le roi Albert. d’une superficie de 12 à 13 hectares, vous donne lecture de la déclaration comprend une maternité, un home de des droits des enfants, déclaration qui Lumumba ne s’étend pas sur ce bref vieillards [sic], un home de débiles, une est affichée à l’entrée de chaque bâti- séjour dans la cité ardente ni sur la pro- pouponniere [sic pro: pouponnière] et ment de la Cité : menade dans la vallée de la Meuse, ni un hôpital. sur la mort du Roi Albert survenue le 17 à 1. L’enfant doit être protégé en février 1934. Cette belle réalisation est l’œuvre d’une dehors de toute considération association dénommée « Intercommu- de race, de nationalité et de Le 2 mai, étape Namur-Charleroi. nale d’Œuvres Sociales pour la région croyance ; A Marcinelle, nous avons visité la su- de Charleroi », et qui groupe 36 com- per belle Cité de l’Enfance, où sont re- munes. Celles-ci se sont unies dans à 2. L’enfant doit être aidé en res- cueillis [sic pro : accueillis] les enfants un esprit de charité pour s’occuper pectant l’intégrité de la famille ; orphelins n’ayant ni père ni mère; les spécialement des problèmes de l’en- enfants ayant perdu soit leur père soit fance orpheline, délinquante et aban-

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à 3. L’enfant doit être mis en mesure A Saint-Ghislain, nous avons admi- mais ils sont vraiment chez eux. Ils de se développer d’une façon ré l’Ecole technique secondaire pour sont tous au travail et bénéficient des normale, matériellement, morale- jeunes filles. Celles-ci sortent avec le mêmes traitements et avantages que ment et spirituellement ; titre de Régente technique, après trois les employés européens de leur caté- années d’études. Après avoir reçu une gorie et de leur qualification profes- à 4. L’enfant qui a faim doit être formation générale, les jeunes filles se sionnelle. Un service spécial du dépar- nourri ; l’enfant malade doit être spécialisent, selon le goût de chacune, tement des Colonies s’occupe de leur soigné ; l’enfant déficient doit être dans les différentes sections de dessin, placement et leur accorde toute l’aide aidé ; l’enfant inadapté doit être modes, couture (confection, ménage, désirable. Ils sont l’objet d’une sympa- rééduqué ; l’orphelin et l’abandon- comptabilité). A la fin de leurs études thie et d’estime cordiales de la part de né doivent être recueillis ; théoriques et pratiques, les jeunes filles tous les belges [sic]. ont donc une très bonne instruction et à 5. L’enfant doit être le premier à une solide formation familiale et ména- Le Soir reproduit, dans son édition recevoir le secours en temps de gère. Un grand dîner, préparé par les de lundi 7 mai, une photo sur laquelle détresse ; élèves elles-mêmes, nous fut servi. figurent Mongita et Makwambala, de la délégation congolaise, et Simon Basu à 6. L’enfant doit bénéficier pleine- Les « Seize » sont de retour à Bruxelles et Léon Goma, deux Congolais habi- ment des mesures de prévoyance le 4 mai. Dans l’avant-­midi, ils se tant en Belgique qui jouent un rôle im- et de sécurité sociale ; l’enfant doit rendent à la base militaire de Chièvres; portant dans cette association. être mis en mesure, le moment dans l’après-midi,­ ils visitent des loge- venu, de gagner sa vie et doit être ments sociaux, construits par Le Foyer Le 7 mai, date de la clôture de la pre- protégé contre toute exploitation ; bruxellois, un organisme parastatal que mière partie du programme d’études Lumumba compare à l’Office des Cités de formation générale et de documen- à 7. L’enfant doit être élevé dans le africaines : tation, nous sommes allés à Bruges sentiment que les meilleures de pour assister à la procession du Saint- ses qualités doivent être mises au Le 4 mai, nous avons visité la base de la Sang. service de ses frères. Force aérienne à Chièvres. C’est terri- fiant de voir la vitesse avec laquelle dé- A suivre L’après-midi du 2 mai fut consacré à collent les avions de ces escadrilles qui la visite de l’Université du Travail de sont pourvus de mitrailleuses pouvant Charleroi. Celle-ci n’est pas une insti- tirer 800 coups à la minute environ. tution universitaire dans le sens acadé- mique du mot, mais c’est un ensemble Dans l’après-midi, visite des réa- d’enseignements techniques, où sont lisations de la Société Anonyme formés des ingénieurs civils, des ingé- « Le Foyer Bruxellois », organisme pa- nieurs techniciens etc. Cette Université rastatal du genre de l’Office des Cités compte actuellement 6.000 étudiants africaines qui construit des habitations et 600 professeurs, avec une impor- à bon marché. Le Foyer Bruxellois mène tante bibliothèque comportant 55.000 actuellement, dans la ville de Bruxelles, volumes. une lutte contre les taudis. Au cours d’une visite d’un quartier de taudis, j’ai En visitant le « Pays Noir », l’enthou- pu m’approcher d’une vieille femme siasme de Lumumba atteint apparem- âgée de 81 ans, en très bonne santé, HP.1956.22.160, collection MRAC Tervuren ; photo R. Stalin (Inforcongo), 1956, MRAC Tervuren ment son comble. Il est plein d’éloges et qui m’invita à visiter l’intérieur de sa au sujet de la Cité de l’Enfance à Mar- maison. « C’est pauvre, mais propre » cinelle et de l’Université du Travail à me dit-elle avec fierté. Je fus surpris de Charleroi. On constate d’ailleurs chez constater que, malgré le poids de son lui une insatiable curiosité pour toutes âge, cette vieille maman tient son pe- les formes d’enseignement et de for- tit appartement dans un parfait état de mation ainsi que pour les œuvres so- propreté et dans un ordre impeccable ciales. [sic].

Jeudi 3 mai, étape Charleroi-Bruxelles, Dans la soirée, nous avons été reçus avec visite de l’Ecole technique par l’Union des Congolais de Belgique. féminine du Hainaut de St Ghislain, Nos compatriotes résidant à Bruxelles et de la ville de Mons, où nous avons y étaient tous présents. Les Congolais été reçus par le Bourgmestre et tous de Belgique ne sont pas à l’étranger les membres du Conseil communal. comme d’aucuns pourraient le croire, HP.1956.22.149, collection MRAC Tervuren ; photo R. Stalin (Inforcongo), 1956, MRAC Tervuren

12 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 CROISSANCE DU NATIONALISME AU CONGO BELGE 1956-1958

L’histoire des colonisations est un chapitre essentiel de l’histoire du monde. George Martelli est un historien an- glais qui a retracé en un livre toute l’histoire de l’œuvre coloniale belge en Afrique, publié en 1964 sous le titre Leopold to Lumumba. Dans le chapitre Croissance du nationalisme il raconte comment entre 1955 et 1958 tout a basculé. Il explique que jusqu’en 1956, les Congolais évolués ne parlaient pas d’Indépendance immédiate. Nous vous en présentons ici quelques extraits. (tcb). PAR GEORGE MARTELLI

On a souvent accusé les Belges en 1949, lorsqu’il proclama qu’il ne suf- cains un statut qui assurera, pour le bon- «d’avoir commencé trop tard à pré- fisait pas d’abolir légalement la discri- heur de tous, la pérennité d’une véritable parer l’indépendance de leur colonie et mination raciale mais qu’il fallait aussi communauté belgo-congolaise et qui de l’avoir octroyée trop tôt. La seconde l’extirper des esprits. Le gouverneur garantira à chacun, Blanc et Noir, la part accusation est certainement justifiée; général du Congo belge affirma alors qui lui revient, selon ses mérites et sa ca- mais en ce qui concerne la première, qu’il n’était pas possible de concevoir pacité, dans le gouvernement du pays. on doit remarquer qu’ils ne commen- un pays sans hiérarchie sociale, mais cèrent pas plus tard que les Anglais ou quand l’évolution en cours atteindrait Pour réaliser ce grand idéal, il nous les Français. La seule différence est son plein développement, cette hié- reste encore, messieurs, beaucoup à qu’ils y mirent moins de hâte, parce que rarchie devrait être fondée uniquement accomplir. l’évolution humaine — et c’est cela qui sur des critères de compétence, d’effi- était indispensable si on voulait éviter cience et d’éducation. « À chacun, Blanc et Noir, la part qui lui des désastres — est en elle-même un revient, selon ses mérites et sa capa- phénomène qu’on ne peut trop accélé- Pendant les années qui suivirent, le pro- cité dans le gouvernement du pays...». rer. L’éducation de l’enfant commence cessus d’assimilation se poursuivit sans au foyer. Si celui-ci est primitif, la mul- changement spectaculaire. Mais, en Ces mots annonçaient l’introduction tiplication des écoles ne peut avoir 1955, le roi Baudouin se rendit au Congo. d’institutions démocratiques au Congo. qu’une influence limitée: il faut attendre Il estimait devoir prendre contact libre- Les Congolais participaient déjà à la la génération suivante, dont les parents ment avec ses sujets congolais et s’in- gestion au niveau local, mais le gou- ont eux-mêmes déjà gravi un échelon. former directement de leurs problèmes. vernement central était toujours exercé En tout cas, il ne sert à rien de compa- La gentillesse et la simplicité du jeune par un gouverneur général assisté d’un rer des pays aussi éloignés l’un de l’autre souverain firent grande impression sur Conseil consultatif dont les membres et aussi différents que ceux d’Afrique, la population indigène qui ne pouvait étaient nommés. Le premier pas vers la de même qu’on ne pourrait soutenir rai- manquer de constater le contraste avec démocratie au niveau national était de sonnablement que ce qui est bon pour l’attitude plus raide de certains fonction- rendre ce Conseil plus représentatif, ce un Bulgare doit l’être également pour naires belges. « Voici donc, disaient-ils, qui fut fait en 1957. Le second pas aurait un Gallois, puisque tous deux sont Eu- le grand chef blanc qui traite les Noirs été de donner à ce Conseil les pouvoirs ropéens. L’Afrique centrale, explorée il en égaux! » d’une assemblée élue avec droit de lé- y a un siècle, eut ses premiers contacts giférer. Le Congo aurait pu ainsi évoluer avec la civilisation plusieurs centaines De retour en Belgique, le roi, s’adres- vers un statut de «colonie autonome », d’années après les régions côtières oc- sant aux membres du « Cercle Royal ou de dominion, avec des ministres afri- cidentales et orientales. Elle ne pouvait Africain », indiqua clairement la voie cains et une prédominance africaine au pas combler ce retard en une généra- dans laquelle devait s’engager le Parlement. Avant qu’on ait pu en arriver tion. D’autre part, la seule dimension du Congo belge : à ce point, le processus fut dépassé par Congo — aussi étendu que l’Inde — et sa les événements. structure industrielle hautement dévelop- « La question essentielle qui se pose pée, créaient des problèmes autrement maintenant au Congo, je tiens à le sou- compliqués que ceux devant lesquels ligner, est celle des relations humaines se trouvaient les Puissances coloniales entre les Blancs et les Noirs. quand il s’agissait de territoires relative- ment petits et «sous-équipés» comme le Il ne suffit pas d’équiper le pays, de le Ghana, la Guinée ou le Sénégal ou même doter d’une sage législation sociale, de pays vastes comme le Nigéria ou le d’améliorer le niveau de vie de ses Tanganyika qui bénéficiaient d’une côte habitants. Il faut que les Blancs et les maritime étendue.» indigènes fassent preuve, dans leurs rapports quotidiens, de la plus large « La politique d’émancipation graduelle compréhension mutuelle. en vue de la création d’une société « non raciale », connut sa première ex- Alors sera venu le moment — dont Voir recension du livre pression officielle dans un discours du l’échéance ne peut encore être détermi- dans Bibliographie 18, en fin de numéro. gouverneur général Jungers, prononcé née — de donner à nos territoires afri-

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 13 HISTOIRE FAUT-IL ACCORDER DÈS MAINTENANT DES DROITS POLITIQUES AUX CONGOLAIS ?

En principe, tout homme a le droit de participer à la direction des affaires de son pays. Selon Jacques Maritain, le mot célèbre d’Aristote selon lequel « l’homme est un animal politique », ne signifie pas seulement que l’homme est naturellement fait pour vivre en société, il signifie aussi que l’homme de- mande naturellement à mener une vie politique et à participer activement à la vie de sa communauté. PAR PATRICE-EMÉRY LUMUMBA*

’est sur ce postulat de la nature éléments de la question avant de don- humaine que reposent la liberté ner la réponse. Les habitants du Congo, Cpolitique et les droits politiques, Belges et Congolais, ne jouissent pas Voir la recension du livre, écrit en et spécialement le droit de suffrage. encore des droits politiques. Mais ils 1956, achevé en 1957, publié en 1961 à Il est peut-être plus facile aux hommes siègent ensemble dans les différents titre posthume, in Bibliographie 18 en de renoncer à participer activement à Conseils consultatifs instaurés au fin de volume (introuvable en librairie). la vie politique, il a pu arriver que dans pays (Conseils de Province, de Gou- certains cas ils aient vécu plus insou- vernement, Députation Permanente, mande de ne pas révolutionner l'orga- ciants et plus heureux en étant dans la Conseils d’Entreprises, etc.) et où ils nisation sociale indigène par l'applica- cité comme des esclaves politiques ou s’expriment librement dans la défense tion brusque et intégrale des nouvelles en abandonnant passivement à leurs des intérêts nationaux. Les représen- méthodes démocratiques, contraires chefs tout le soin de diriger la vie de tants des indigènes à ces assises sont aux anciennes méthodes de la vie tri- la communauté. Mais alors ils aban- désignés d'office par le gouvernement bale, et qui étaient susceptibles de donnent un privilège qui convient à (sans consultation ou consentement produire des effets négatifs, si pas leur nature, un de ces privilèges qui du peuple). Des réformes sont actuel- dangereux. Il fut donc recommandé, font en un sens la vie plus dure et ap- lement à l’étude et sortiront incessam- dans l'orientation de toute politique portent avec eux plus ou moins de la- ment. Seulement, nous ne savons pas clairvoyante digne de ce nom, de tenir beur, de tension et de souffrance, mais encore quelle sera leur portée exacte. compte des nécessités traditionnelles qui correspondent à l’humaine dignité. Quant à ce qui concerne la jouissance et d'une foule de contingences locales. Un état de civilisation où les hommes des droits politiques proprement dits, désignent par un libre choix les ceux-ci n'étaient pas conférés, pour Logiquement parlant, la jouissance détenteurs de l’autorité, est de soi un des raisons de prudence, de sagesse, des droits politiques (droits de vote) état plus parfait. Car il est vrai que l’au- aux habitants de ce pays; cela ne peut suppose, de la part de celui qui doit en torité politique a pour fonction essen- pas être imputé à une mauvaise foi bénéficier, une suffisante compréhen- tielle de diriger des hommes libres vers comme d’aucuns veulent le soutenir. sion des affaires, le sens de l'intérêt gé- le bien commun, il est normal que ces néral, de la réglementation, de l'admi- hommes libres choisissent eux-mêmes Nous avons relevé, en effet, dans un ar- nistration, toutes des qualités que les ceux qui ont la fonction de les diriger : ticle paru récemment dans une revue Congolais ne possédaient pas encore c’est là la forme la plus élémentaire de américaine (le Minneapolis Time) sous à cette époque-là, et qu'une minorité la participation active à la vie politique. la signature de M. Carl T. Rowan, ces seulement possède à l'heure actuelle. C’est pourquoi, le suffrage universel, quelques critiques à l'adresse de la po- par lequel chaque personne humaine litique coloniale belge : « Cette politique Introduire prématurément par soif du adulte a comme telle le droit de se pro- vise seulement à perpétuer la domina- modernisme le ferment de la vie poli- noncer sur les affaires de la communau- tion de l'homme blanc en Afrique en tique parmi la masse ignorante et irres- té en exprimant son vote dans l’élection refusant à l'indigène la faculté de s'ex- ponsable, c'est introduire les ferments des représentants du peuple et des primer politiquement, quitte à acheter de discorde, de dissensions, car ce dirigeants de l’État, a une valeur poli- son consentement au moyen de béné- n'est pas l'idée démocratique qui aurait tique et humaine tout à fait fondamen- fices économiques et sociaux ». Est-ce prévalu ou qui prévaudrait, mais l'idée tale, et est un de ces droits auxquels une exact ? Nous voudrions le savoir. Tout clanique d'autrefois, chacun voulant communauté d’hommes libres ne sau- en ne connaissent pas les dessous de la devenir chef du « nouveau clan », d'où rait en aucun cas renoncer. politique coloniale -étant nous-mêmes­ naissance de petites querelles intes- colonisés- examinons un peu la situa- tines nuisibles à l'harmonisation des Faut-il appliquer immédiatement au tion à la seule lumière des réalités. rapports sociaux. A la place de ces bul- Congo, sans restriction, ces grands letins de vote dont le revers dissimulait principes de la démocratie euro- Au début de la pénétration belge au le désordre, la chicane, il a fallu donner péenne ? Examinons d’abord tous les centre de l'Afrique, la sagesse recom- la paix et le bonheur aux habitants.

14 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 NOS AMIS COUTUMIERS

Joseph Pholien a laissé dans La Libre Belgique, sous le titre général de Nos amis coutumiers, un précieux récit sur le périple qu’il a accompli au Congo en 1959, à la rencontre du pouvoir coutumier. Ce récit, bien au-delà de l’anec- dotique et de l’événementiel, traduit la philosophie de l’auteur en matière de stratégie politique vis-à-vis du Congo. A ce titre sa contribution à l’histoire est indéniable. Avant d’entrer dans le vif du sujet, la rédaction a obtenu de Mme Françoise Carton de Tournai, historienne et petite-fille de l’auteur, qu’elle introduise les lecteurs à sa genèse. C’est ainsi que l’article qui suit se présente en deux parties distinctes, à savoir (1) Introduction par Françoise Carton de Tournai et (2) Récit proprement dit de . De plus sa longueur exceptionnelle, contre la règle en vi- gueur qui limite les articles à quatre pages, fait que son insertion se fera en deux ou plusieurs livraisons. Il est des articles dont l’importance est telle qu’il serait malvenu de leur couper les ailes. L’illustration de l’article est offerte d’une part par les archives familiales et d’autre part par le photographe bien connu, Angelo Turconi (six livres ma- gnifiques édités jusqu’à ce jour et un septième en gestation). Les photos extraites des livres d’Angelo Turconi sont toutes postérieures à l’époque décrite par Joseph Pholien et n’ont donc qu’une simple valeur d’illustration, l’auteur en gardant le copyright. Qu’ils soient l’une et l’autre ici chaleureusement remerciés. (fh)

1. INTRODUCTION PAR FRANÇOISE En 1959, le Congo est peuplé de 13 mil- CARTON DE TOURNAI lions et demi de bantous, dont 10 millions (soit 80%) vivent en milieu rural. ntre 1946 et 1960, au lendemain de Il y a un petit pourcentage d’extra-cou- la guerre, le sénateur et ancien Pre- tumiers, les ‘clercs’ (un million) qui se- Emier Ministre Joseph Pholien fit 8 condent l’administration belge et vivent voyages au Congo « afin de pouvoir sen- dans les cités. Il y a des ‘évolués’ (selon tir les problèmes et aussi pour pouvoir le langage de l’époque) qui désirent comprendre les devoirs de la Belgique ». préparer une indépendance structu- Il en tenait un journal détaillé et un rap- rée, en collaboration avec les Belges port. (voir AGR, Archives Joseph Pholien) et dont la relation n’était pas des meil- Séance de travail à la Table ronde, en janvier 1959. leure avec les chefs coutumiers. Et il y a Le voyage de 1959, le plus important, les ‘leaders’ surnommés les ‘excités de a été effectué du 19 juillet au 19 août et Léopoldville’(4). Ce sont eux que les au- donc entre les émeutes du 4 janvier (sui- torités de Bruxelles regardaient comme vies de la déclaration gouvernementale leurs seuls interlocuteurs. L’hostilité du 13 janvier où fut prononcé le mot entre les ‘excités’ et les autorités cou- ‘indépendance’) et les événements de tumières patriarcales provenait entre l’indépendance le 30 juin 1960. Il nous autres du fait qu’une position issue du intéresse donc plus particulièrement. suffrage universel n’avait pas le poids, Ce voyage se situe également dans le pour ces autorités coutumières, de contexte particulier de l’accession à celle, ancestrale, fondée sur la relation Joseph Pholien, avec Moïse Tshombe à sa l’indépendance d’un nombre impor- clanique depuis des générations. C’est droite, Paul Bolya à sa gauche et en face le tant de pays francophones d’Afrique: ce que les ‘leaders’ cherchent à détruire grand chef des Bayeke, Munongo. en 1958, la Guinée et le Ghana; en 1959, vite et fort en ces mois cruciaux. l’AEF; en 1960, le Gabon, le Sénégal, nationales ou provinciales convenues le Niger, la Haute-Volta (Burkina-Faso Et il y a l’administration coloniale dont par les États colonisateurs. C’est pour aujourd’hui), la Mauritanie et le Nigeria, une partie des agents souhaite l’avenir donner droit et visibilité aux chefs anglophone. du Congo dans la prospérité et l’’auto- coutumiers, à leurs tribus rurales, que nomie’ (c’est le mot utilisé au Congo J. Pholien a tenu à leur donner la pa- Comme dans ses voyages précédents, l’année précédant les manifestations role, à côté des ‘leaders’. J. Pholien parcourt les 6 provinces. de 1959). Parmi eux, André Ryckmans, Dans chacune d’elles, il a à cœur de fils de Pierre Ryckmans, Gouverneur Chaque tribu possédait une organisa- rencontrer tous les niveaux de popula- général du Congo belge de 1934 à tion poussée, pyramidale avec un chef, tions et, de l’expérience de ses voyages 1946, qui fut assassiné le 17 juillet 1960. ses conseillers, ses ‘savants’, ses ‘gens successifs, il attache de plus en plus d’armes’, son sorcier, ses chasseurs..., d’importance à la réalité coutumière. Lors de l’arrivée des Européens, le toute une société dont la hiérarchie se Il constate leur loyauté à l’égard de la droit coutumier constituait le régime manifestait lors des cérémonies et des Belgique. Ces populations constituent de gouvernance répandu en Afrique danses dont J. Pholien fut plusieurs plus de 80% du pays. Du récit de 1959, subsaharienne et régissait les popula- fois l’invité, dont il nous conte les dé- nous avons choisi l’extrait intitulé Nos tions de manière variable selon la ré- tails. Rituels dont il est à craindre qu’ils amis coutumiers. gion, indépendamment des frontières aient disparu. Aujourd’hui encore,

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 15 HISTOIRE

le pays compte 250 ethnies, à l’intérieur En un mois, J. Pholien a fait le tour du 2. RÉCIT DE JOSEPH PHOLIEN desquelles il y a une multitude de Congo, de Léopoldville à Kikwit, de tribus et de clans. Il parle aussi des gé- Luluabourg à Kamina et Elisabethville, I. La force du lien clanique nérations dont les dynasties étaient à Kongolo, Kindu et Bukavu, à Paulis, connues par la seule tradition orale et en- Stanleyville et Coquilhatville. Il a par- L’une des conséquences des événe- tretenues par l’historien officiel de la tri- couru des milliers de kilomètres, avec ments du 4 janvier 1959 a été d’attirer, bu. J. Pholien rencontre encore le dernier les collègues de son bureau de travail sur notre territoire d’outre-mer, l’atten- Mwami du Rwanda voisin, Charles itinérant. D’une province à l’autre, dans tion d’un très grand nombre de nos Mutara, ainsi que le Mwami Ndézé de des contextes officiels ou informels concitoyens. L’évolution du Congo, Rutshuru. parfois incroyables, il a recueilli des té- bien que les personnes compétentes moignages. Chaque jour, c’étaient des en aient depuis plusieurs années ob- C’est lors d’un entretien (5) avec le dizaines de personnes qu’il interviewait, servé la marche, est apparue brusque- médecin de l’institut psychiatrique des notables congolais et belges, des ment aux yeux de beaucoup comme indigène de Luluabourg, le docteur bourgmestres... des groupes politiques étant un fait nouveau. Depuis quelques Merlot, qu’il découvre l’une des carac- de tous bords, des syndicats récents mois, les déclarations politiques an- téristiques de la structure coutumière : ou plus anciens de la colonie, congo- nonçant ce qu’on allait réaliser, comme dans ce continent à la nature puissante lais, belges, chrétiens, un employé de aussi celles indiquant ce qu’il faudrait et sauvage, la société bantoue est ha- banque qu’il a trouvé supérieur, des co- faire, furent nombreuses. La presse pu- bitée par une peur viscérale, constante, lons, de petits fonctionnaires belges du blie quotidiennement maints articles, et un sentiment d’intranquillité. De là bas de l’échelle, Lumumba qui annonce dont beaucoup ont le don d’étonner, est née une organisation tribale qui la fin du régime colonialiste pour la pour ne pas dire davantage, ceux qui structurait la sécurité soutenue par une même année et Kalonji, le MNC qui es- vivent dans nos territoires d’outre-mer. sévère discipline du groupe. De là l’im- saie de s’implanter et l’A.N.C. Des chefs portance du groupe, de sa hiérarchie, coutumiers, des petits chefs avec leur de son organisation, de son entraide à traducteur, le médecin psychiatre, des l’intérieur du groupe, de l’importance membres du Conseil de Province, des de la discipline, du lien ancestral et avocats, un évêque et des journalistes de sa valeur. C’est pourquoi la poli- belges à Elisabethville, des gens de tique des ‘nouveaux leaders’, soufflant l’Union minière, des grévistes, un com- promesses et menaces, reléguant les muniste, le mari d’une Noire que le mi- valeurs communautaires de la tribu, nistre Van Hemelrijck avait embrassée était appréhendée par les autorités en public. Il entend les griefs de tous coutumières comme une anarchie bords, les échos des mésententes des destructrice. Dès lors, à la suite de ses autorités belges entre elles, les sou- rencontres, J. Pholien recueille et se fait haits avec leurs solutions. En tout plus l’écho des souhaits des autorités cou- de 200 personnes. Chez les Belges, tumières concernant les engagements une opinion unanime ressort : la perte réciproques avec la Belgique, l’aide à de confiance provient de Bruxelles. l’instruction, au crédit agricole pour De ces articles, quelques-uns n’ont pas tenter de maintenir la société congo- Anecdotes révélatrices : Le sénateur plus de rapport avec les réalités congo- laise dans ses structures. Pholien se faisait si bien l’avocat des laises que n’en avaient avec l’agricul- chefs coutumiers au Congo qu’il avait ture ceux du célèbre cultivateur de Voici un extrait de la lettre qu’Antoine reçu le surnom de « Jef Coutumier » et Chicago, de Mark Twain, qui déconseil- Munongo, chef Bayeke du Katanga, lui en novembre 1959, au moment de pu- lait froidement à ses lecteurs de gauler écrit le 29 décembre 1959 : « J’ai été blier cette relation de voyage dans La les fraises et recommandait l’automne frappé par votre connaissance pro- Libre Belgique, J. Pholien a dû insister pour la cueillette des cobayes. fonde de notre coutume indigène, nous pour que son titre à lui Nos amis cou- les gens des milieux ruraux que vous tumiers soit maintenu. C’était à prendre Il semble bien que les déclarations et appelez aimablement vos ‘amis cou- ou à laisser... Et ce fut pris. discours de ceux qu’on appelle là-bas tumiers’... Si la démocratie n’a pas ici la les leaders politiques, tiennent tout même forme qu’en Europe, elle y existe, La « coutume » était une forme de so- particulièrement la rampe et que beau- elle y existe puisqu’aucun chef coutu- ciété séculaire, une forme de culture coup voient en eux le véritable symbole mier ne peut rien faire sans consulter faite d’ajustements et de sagesse, du Congo. ses notables. Notre coutume est une devenue à l’arrivée des Belges un force puisqu’elle a, durant des siècles, entre-tissage de travail, d’égoïsmes et Que les leaders et propagandistes maintenu l’ordre et la paix dans notre d’héroïsmes, une forme de vie africaine. politiques aient le droit de se faire en- Afrique et que la détruire serait plonger tendre, nul ne le contredira, mais on ne notre Congo dans la ruine. » peut oublier qu’il existe au Congo une

16 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 Kuba - Allégeance au Roi Kot a-Mbweeky III, Mweka, Kasaï, - 1981 – Livre « Infini Congo » – Silvana Editoriale. Angelo Turconi immense majorité d’indigènes vivant toutes les régions vivaient sous un ré- sation provinciale actuellement envisa- sous le régime coutumier et qui sont gime coutumier. gée, elle se concilie à la perfection avec des amis de la Belgique; ceux-là ont la notion du Congo économiquement également des droits qui ne paraissent L’origine de la coutume est difficilement un. Cette unité économique, qui est pas, dans l’opinion belge, être appré- décelable, car l’écriture était inconnue l’œuvre des Européens et une consé- ciés à leur valeur. au moment de l’arrivée de nos premiers quence de l’action de l’administration concitoyens, mais on avait suppléé à est une chose qu’il y a lieu de maintenir Veut-on quelques chiffres quant à leur cette carence par la tradition orale, mé- pour le plus grand bien de toute la po- importance ? La population totale du thodiquement organisée par les chefs, pulation congolaise. Congo est (juillet 1959) de 13.652.000 rois et roitelets et ces données ainsi habitants, dont 10.461.000 pour la po- transmises ont pu être complétées par A cet égard, l’affirmation du ministre pulation coutumière. La population l’étude approfondie de la psychologie De Schryver, à savoir que l’émancipa- urbaine s’élève à 3.199.000, mais, par- du Bantou. tion politique doit aller de pair avec le mi cette dernière catégorie, il n’en est développement et l’expansion écono- que 1.137.000 qui vivent dans les grands On le sait, sauf quelques populations miques, est pleine de sagesse. centres, c’est-à-dire les agglomérations dans le nord du Congo, qui sont des urbaines de plus de 20.000 habitants. Soudanais, dans l’est où il y a quelques L’hostilité des leaders s’explique- nilotiques, notamment à Rutshuru et rait-elle du fait que le développement Dès lors, parmi les 3.191.000 habitants Massissis, quelque 75.000 pygmées, à intellectuel de la brousse serait en re- repris ci-dessus, il en est 2.054.000 qui Beni, à Irumu et dans la forêt équato- tard ? vivent dans les petits centres encore riale; à part cela, toute la population du soumis à l’influence coutumière ou Congo est bantoue. Cet argument serait détestable et té- dans des camps de société soumis à la moignerait d’une singulière ingratitude, discipline européenne. Lorsqu’on lit les discours et les écrits car rejeter les coutumiers dans les émanant de leaders congolais, on ténèbres extérieures serait paralyser Il n’y a donc que 12 p.c. des hommes, constate une hostilité à l’égard des mi- l’essor de l’instruction qu’ils réclament femmes et enfants, qui échappent à la lieux coutumiers, hostilité que ces der- et qu’on a négligée en faveur des ex- discipline clanique et coutumière et à niers leur rendent bien d’ailleurs. tra-coutumiers, à qui l’on a donné dans la discipline des camps des grandes ce domaine, comme dans bien d’autres, sociétés. Les leaders craignent-ils que le respect des avantages grâce à l’impôt payé par des droits coutumiers doive avoir pour tous. Disons, pour le surplus, que nous La coutume effet de morceler le Congo ? Évidem- avons rencontré des chefs coutumiers ment non, car aucun chef coutumier remarquablement intelligents et pou- La coutume est un concept fort peu ne méconnaît cette vérité élémentaire vant rivaliser, à ce titre, avec n’importe compris. qu’il lui est impossible à tout point de quel leader politique. vue de vivre en vase clos. D’ailleurs le Il y a quelque 80 ans, quand les pion- respect de l’autorité coutumière peut La véritable raison de cette hostili- niers de Léopold II entrèrent au Congo, très bien se concilier avec la décentrali- té ne se trouve pas davantage dans

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 17 HISTOIRE

Angelo Turconi la « sainte passion de la démocratie », terme que certains pourraient d’ailleurs ne pas comprendre.

En effet, on concevrait mal une démo- cratie ayant pour conséquence de mé- connaître les vœux de plus de 80 p.c. de la population.

La vraie raison de l’hostilité des leaders politiques est qu’ils se rendent compte de la grave contradiction qui existerait entre le pouvoir conféré par voie de suf- frage universel et celui conféré en vertu du suffrage qui se fonde sur la coutume et sur une tradition millénaire. Yeke – Cérémonie du souvenir par le Mwami Godefroid Munongo, Tel est également d’ailleurs le sens pro- Bunkeya, Lualaba, 1985 - Livre « Zaïre, peuples/art/culture » - Fonds Mercator. fond de l’hostilité des coutumiers qui appréhendent de la part de ces « ga- M. Senghor répondit : Je prétends que ce n’est pas vrai. mins » (c’est le terme employé souvent Le pouvoir occulte subsiste parce qu’il par les chefs) un esprit de brimade ou, « C’est parce que ces orateurs sont est traditionnel. Qu’on le découvre, pis encore, une tyrannie à l’exemple de des déracinés qui ont perdu le sens de qu’on le place au grand jour, qu’on ce qui s’est révélé au Ghana, au Sou- ce qu’il y a de grand dans leur origine l’honore et qu’on fasse son éducation. dan, au Libéria. et qui, aujourd’hui, sont férus de tout Les résultats sont certains. Que les ce qui vient d’Europe, même s’ils n’en indigènes réforment ou transforment Un chef coutumier déclarait récem- comprennent pas toujours exactement leurs coutumes, comme ce sera le cas, ment : « Nos ancêtres ont suffisam- le sens. » même individuellement, pour les chré- ment souffert de la tyrannie arabe; tiens et, souvent aussi, pour les évo- nous protégerons par tous les moyens Peut-on mieux faire pour apprécier lués, cela n’en restera pas moins leur nos descendants contre la tyrannie de la valeur et le rôle actuel et futur des coutume. Il y a autant d’avantages à ce n’importe quelle ethnie ». coutumiers que d’invoquer l’avis de que la monogamie, par exemple, de- M. Frédéric Eboué qui séjourna pen- vienne ainsi une règle coutumière, qu’il Références dant 23 ans dans l’Oubangi et termina y aurait d’inconvénients à appliquer le sa carrière comme gouverneur général code civil à ceux qui, ayant suivi nos Nombreux sont les extra-coutumiers de l’Afrique équatoriale française ? leçons en matière de mariage reste- instruits et réfléchis qui se rendent ront pourtant fidèles à leurs traditions. compte du danger qu’il y aurait à dé- M. Eboué fut sans doute le Noir le plus L’Afrique doit garder, en le perfection- truire brutalement la coutume. éminent auquel le continent africain ait nant un droit africain. » donné le jour, et sa valeur exception- Léopold Senghor, le leader du Sénégal, nelle a mérité à sa dépouille mortelle Qu’on veuille bien rapprocher les dé- qui fut plébiscité aux dernières élec- d’être reçue au Panthéon. Or, dans une clarations de ces deux Africains de tions et est membre du gouvernement étude intitulée « La nouvelle politique grande classe des paroles prononcées français, vint à Bruxelles en janvier indigène », il déclare entre autres en par le Roi le 13 janvier 1959, paroles qui 1959 ; après une conférence sur l’avenir parlant des coutumiers : eurent et ont encore un grand retentis- de la communauté française, l’orateur sement au Congo. se rendit à « Présence africaine », rue « Si nous ne confirmons pas dans leur Belliard, et se prêta fort aimablement à fondement les institutions politiques, «... Loin d’imposer à ces populations répondre aux questions qu’on souhai- ce fondement même disparaîtra au des solutions tout européennes, nous tait lui poser. profit d’un individualisme sans frein. entendons favoriser des adaptations Je veux qu’on se mette à rechercher les originales répondant aux caractères On lui demanda : « Vous avez fait tout chefs légitimes, là où, en apparence, propres et aux traditions qui leur sont à l’heure, au cours de votre causerie, on les a laissés se cacher et qu’on les chers. A cet égard, une large décen- l’éloge de la culture bantoue, comment replace dans leur dignité extérieure. Je tralisation permettra de hâter et de di- expliquez-vous que, lors de la confé- sais ce que l’on dit : que tout cela a dis- versifier l’épanouissement des régions rence d’Accra, les leaders évolués de paru, qu’il est trop tard, qu’on tombe- selon leurs particularités... » Léo aient pris véhémentement position ra sur de pauvres gens indécrottables contre les tribus et le tribalisme ? ». dont on ne fera rien.

18 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 Au demeurant, nous avons sous par l’organisation d’une discipline sous Le Blanc se montre apte à modifier le les yeux un numéro de « L’Essor du une autorité que les anciens avaient à cours des rivières, par ses barrages. Congo », paru à Elisabethville et por- cœur de pratiquer, tandis que les chefs Il opère de façon inconnue les indi- tant la date de 22 juin 1959, résumant et les notables prenaient des disposi- gènes contre des maux considérés un voyage fait par M. Van Hemelrijck, à tions pour parer à toutes les nécessités. comme incurables jusqu’alors. Il do- cette époque ministre du Congo et du mine la forêt en la sillonnant de routes Ruanda-Urundi, à Sandoa, auprès du Comme l’expliquait un colon, installé et de sentiers et lui fait perdre son ca- Mwata Yamvo, entouré d’autres chefs au Congo depuis 57 ans, chaque tribu ractère terrible et mystérieux. coutumiers. avait son chef entouré de ses conseil- lers, d’un météorologiste, d’un mé- Si nous songeons à l’organisation cou- Le ministre aurait déclaré: decin, d’un historien, de messagers, tumière et à ses institutions et si nous de policiers. Il gouvernait au nom du comparons certaines réalisations so- « J’ai déjà pu rassurer les grands chefs peuple de sa tribu, prenant soin de la ciales de chez nous, telles les mutua- coutumiers lors de leur visite à Elisa- diriger et d’organiser ce qui devait être lités, la lutte contre le paupérisme et la bethville au sujet des milieux ruraux. Je fait à chaque occasion, notamment mendicité, les pensions de vieillesse, sais que la population de l’intérieur du pour la culture, les récoltes, la chasse, que sais-je encore, ce sont là des créa- pays représente 80% de la population la pêche, etc. tions que les coutumiers, avaient ima- totale. ginées plusieurs siècles avant nous. Les indigènes respectaient une par- Dans l’évolution politique vers l’indépen- faite discipline, et cela, dans leur inté- Nous sommes fiers de notre doctrine dance, dans l’ordre, nous continuerons rêt: le météorologiste, qui avait l’expé- de la charité chrétienne que nous ne à compter sur les chefs coutumiers... rience ancestrale, prévoyait la situation pratiquons pas toujours au mieux; les Ils garderont leur place, sans élection, atmosphérique, il avertissait le chef coutumiers ont institué l’entraide à dans une saine collaboration avec les qui, par ses messagers, et à l’aide du tous les points de vue, applicable, il est élites. Ceux des villes qui veulent aller tam-tam, informait, par exemple, les in- vrai, aux seuls membres de la tribu, et trop vite dans l’anarchie doivent être digènes que c’était le moment de com- à la condition qu’ils se soumettent à la calmés. Il n’y a pas de raison pour une mencer leurs cultures. discipline clanique, celle-ci d’ailleurs inquiétude quelconque de la part des est exercée par le chef sous le contrôle centres coutumiers, c’est la volonté du Les médecins qui, depuis de longues des vieux et des notables. Roi et du gouvernement belge de ne pas générations, s’étaient penchés sur bouleverser vos institutions. » l’étude des plantes, connaissaient de Le RP. Placide Tempels a écrit une nombreux procédés pratiques pour étude sur « La philosophie bantoue ». La philosophie bantoue soigner les malades et les blessés. Ce sont eux qui décidaient de concentrer Qu’on me permette d’en extraire Plusieurs personnes se sont penchées dans tel village des lépreux à qui on in- quelques-unes de ses observations : sur le sens de la coutume et sur la phi- terdisait de circuler. losophie bantoue, comblant dans une « Le Bantou croit en un Dieu unique, certaine mesure, par leurs observa- On peut dire que la discipline était pour créateur de tout et dispensateur de la tions, l’ignorance de la masse euro- le Noir une seconde nature qui attei- force vitale dont la conservation et le péenne. gnait quelquefois un véritable niveau développement sont la raison même spartiate. de son comportement moral. En des- Le Dr Merlot, de Luluabourg, qui est à sous de Dieu, viennent les fondateurs la tête d’un institut de psychiatrie indi- Cette discipline remplaçait, en fait, les du clan qui en sont, en principe, les gène, considère que l’Afrique, avant la principes de moralité chez les indi- protecteurs. Ceux-ci ne sont pas morts, pénétration blanche, était un continent gènes. mais continuent à vivre, invisibles. redoutable qui devait engendrer la peur Ces fondateurs, dont la mémoire dans le cœur de l’indigène : la chaleur Vivant dans une perpétuelle inquiétude est vénérée, disposent d’une puis- excessive, les tornades, les fauves, à l’égard de tous les dangers, l’indi- sance extraordinaire en tant que l’immensité mystérieuse des forêts, gène, dès ses premiers contacts avec dispensateurs du divin héritage, c’est- les maladies tropicales, les guerres tri- le Blanc, a eu pour ce dernier beau- à-dire la force humaine. bales, les razzias d’esclaves, tout cela coup de considération. La technique empêchait l’individu de vivre en sécuri- du Blanc lui permet, dans une certaine Toute force d’ailleurs est susceptible té; le Noir isolé était condamné à mou- mesure, de dominer la nature, de faire, de croître ou de faiblir. rir. C’est de là qu’est née l’idée du clan par exemple, sauter la roche la plus qui n’est, en réalité, autre chose qu’un dure, d’où l’expression « boula matari » Les autres forces de la nature ne groupement d’autochtones, organisés (briseur de roche) donnée à l’adminis- sont pas indépendantes les unes des en vue d’une protection éventuelle et tration belge. autres, tout se tient, comme dans une d’entraide, et s’assurant ces avantages toile d’araignée dont on ne peut

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 19 HISTOIRE

faire vibrer un seul fil sans ébranler Dualité impossibles, flattant ou menaçant les toutes les mailles. Congolais, annonçant leur intention La peur de rompre le lien magique avec de bouleverser la coutume et proférant Il y a une hiérarchie dans la force : les défunts rend le chef irremplaçable, des menaces pour forcer le Noir à s’af- par-dessus tout, il y a naturellement le a donc écrit le R.P. Tempels. filier à leur parti. Dieu Esprit et créateur, il a la puissance par Lui-même et donne aux autres, la On saisit le sens de cette double Les chefs se méfient de ces agitateurs, force. Le fondateur du clan à qui Dieu constatation : chez qui ils ne constatent aucune for- a communiqué sa force vitale occupe, mation universitaire et qu’ils soup- dans la conception bantoue, un rang si à 1) que les coutumiers n’ont pas çonnent de vouloir aspirer à la pratique élevé qu’il n’est plus considéré comme de considération pour ceux qui de méthodes dictatoriales à l’exemple un simple humain trépassé, lui et ses quittent le village tribal; de ce qui s’est passé dans certaines ré- contemporains appartiennent à une publiques voisines. hiérarchie supérieure et participent à 2) que les tribus n’accepteront ja- dans une certaine mesure à la force mais d’être gouvernées ou com- Les chefs déclarent que cette hâte divine. mandées par des personnes qui anormale d’acquérir l’indépendance, ont rompu le lien clanique. même au gré de l’agitation, s’explique Après ces grands ancêtres, viennent parce que les leaders ressentent une les défunts de la tribu suivant leur ordre Comprend-on, dès lors, pourquoi le crainte confuse de voir sous peu appa- de primogéniture, les vivants sur terre chef et les notables qualifient de « ga- raître des rivaux, cette fois nantis d’une viennent après les défunts; l’aîné du mins » les leaders et les politiciens vou- formation supérieure, qui les éclipse- groupement, de par la loi divine, est le lant acquérir un pouvoir politique qui ront sans doute sans difficulté. chaînon reliant les ancêtres à leur des- leur permettrait de dominer les chefs cendance. coutumiers ? Pour les leaders, pensent les chefs, le mot « indépendance immédiate » Il est essentiel, dans la pensée bantoue, On ne pourrait méconnaître la gravité de prime toute autre considération, dût le de garder le contact avec le passé et certaines menaces précises formulées Congo en subir de graves mécomptes. les défunts, ce qui rend irremplaçable, par les chefs avec l’assentiment de leurs le chef. La peur de rompre ce lien mys- notables, affirmant que l’on se débarras- Sans doute, les chefs ne connaissent- tique veut que le chef établisse la liai- sera de ces perturbateurs par n’importe ils pas Voltaire, mais d’instinct ils font son avec les ancêtres afin d’éviter les quel moyen s’ils se permettent, par leur leur cette boutade du philosophe : catastrophes que semblable rupture propagande, de troubler la sérénité tra- « Périssent les colonies, plutôt qu’un pourrait entraîner. ditionnelle du clan ou de la tribu. principe ».

Nombreux sont les chefs qui, verba- En parlant de la sorte, les chefs ne Nous n’irons pas jusqu’à penser que lement ou dans leur mémoire, ont re- songent nullement à ce nombre assez leur imagination poétique leur suggère vendiqué une origine divine pour leur élevé d’évolués qui aspirent à une indé- le combat de la chèvre contre le loup, à autorité. pendance du Congo acquise dans des l’exemple de la compagne de monsieur conditions d’ordre avec la collaboration Seguin, qui réussit à se faire dévorer. On comprend, dès lors, la valeur des des Blancs, formule sur laquelle ils sont décisions prises par le chef et la décla- d’accord, mais ils s’insurgent contre les Les coutumiers sentent probable- ration de ses subordonnés : « Le chef a leaders agités, meetinguistes et pro- ment que les loups qui guetteraient parlé, parce qu’il sait. » pagandistes promettant des choses le Congo trop tôt nanti de l’indépen- Angelo Turconi dance politique, de façon immédiate et sans méthode, sont innombrables. Ces loups s’appelleraient le désordre, la régression économique et morale, l’appauvrissement général des popula- tions, la destruction des coutumes, les guerres tribales, etc. etc.

On ne peut s’empêcher de penser qu’il existe un grand danger de briser brus- quement par des méthodes de poli- tique européenne, la société clanique à laquelle appartient le Bantou.

La famille à l’européenne compte Lega - Chef Babene. Médailles du mérite civique belge, Kampene, Maniema, 2015. Livre « Au cœur du Congo » - Stichting Kunstboek. pour peu de chose : le mariage n’est

20 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 Tshokwe - Sortie du Mwene Mwatshisenge Lwembe Ngweji Musanya III, roi des Tshokwe. Samutema, Lualaba, 2018. Angelo Turconi Livre « Au cœur du Congo » - Stichting Kunstboek. pas simplement l’union de deux êtres, considération, mais véritablement in- La coutume a évolué au point de vue mais un traité entre deux clans contre dispensable. pénal et certaines rigueurs de la ré- remise de dot pour acquérir la femme. pression ont été volontairement aban- Dans les régions où règne le matriar- Que la coutume doive évoluer, c’est données, telle l’ablation de la main en cat, c’est à l’oncle maternel, frère du une certitude. Qu’elle évolue en grande cas de vol. père de la femme, que reviennent tous partie par ses contacts avec les Euro- les droits sur les enfants, comme sur la péens, c’est un fait. Qu’on ne parle pas trop de la cruauté de dot. Rompre le lien clanique sans une ces peuples qui n’ont pris contact avec évolution normale, c’est plonger tous N’est-il pas, par exemple, préférable nous que depuis quatre-vingts ans. les ressortissants dans une véritable que la coutume adopte la monogamie anarchie en l’inscrivant dans les traditions, plu- Notre civilisation n’a-t-elle pas connu tôt que de se la voir imposer par un dé- le pilori, l’estrapade, les brodequins et II. Un attachement précieux pour nous cret si bien intentionné soit-il ? je ne voudrais pas froisser les âmes sensibles en leur faisant la narration Il faut constater qu’on s’est trouvé au Nous rejoignons ici la pensée claire- des supplices de Damien qui pour Congo en présence de deux formules ment exposée plus haut par M. Eboué. avoir attenté à la vie de Louis XV, qui ne propres à assurer l’éducation et l’évolu- s’en est pas porté plus mal, connut en tion des autochtones : Voyons le régime de la propriété ter- place publique des tenailles rougies rienne: la doctrine coutumière consi- au feu, lui arrachant des lambeaux de 1. La formule d’assimilation qui consis- dère que la terre en soi n’a pas de valeur chair, le plomb en fusion dans les plaies tait à instruire au maximum les Noirs marchande; on ne l’a jamais emportée pour aviver la douleur, et l’écartèlement en Europe et à les renvoyer là-bas. dans les migrations, disent-ils. par quatre chevaux. La conséquence fut l’implantation des mots comme indépendance et Au sens bantou, la propriété c’est la su- Le 19e siècle connaissait encore la démocratie, ce qui est un but en perficie, sorte de souveraineté en faveur marque au fer rouge pour les condam- soi à la condition qu’on atteigne cet du clan qui s’en est emparé. Certes, nés à la chaîne. objectif avec méthode. le chef des terres peut consentir des droits privatifs d’occupation, l’occupant Mis en présence du suffrage universel qui Nous l’avons dit, certains tenants de lui-même pouvant céder son droit, mais menace les chefs quelle est donc la réac- cette formule font craindre un objectif une fois que le travail incorporé au sol a tion de ceux-ci et celle des notables ? Elle autoritaire qui entraînerait un colonia- disparu, soit que la maison soit démo- est claire : « Nous ne comprenons pas lisme réalisé au profit de certains, ty- lie, soit que le champ soit retourné à la disent-ils la politique des Belges, à qui rannisant les autres. brousse, l’individu perd tous ses droits nous sommes cependant attachés. Lors- en faveur de la tribu. qu’il y a quelque quatre-vingts ans les pre- 2. L’autre méthode était l’éducation miers de vos concitoyens sont venus au- de la masse, c’est-à-dire l’adoption N’est-il pas préférable de faire évoluer près de nos ancêtres ou prédécesseurs, de méthodes évolutives de la cou- la coutume à ce point de vue en dé- il y eut, au nom du roi Léopold II, un ac- tume ancestrale. montrant avec patience et avec clar- cord suivant lequel nous reconnaissions té que les exigences font souhaiter la l’État Indépendant du Congo, mais le Elle présentait l’avantage de conserver possibilité de l’acquisition de droits pri- maintien de notre qualité de chef était une armature sociale qui, nous l’avons vatifs de propriété sur une partie du sol. affirmé. » exposé, est non seulement digne de

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Un pacte d’amitié de 1884 dans le Congo avec quelques variantes, L’un des chefs les plus instruits -il les chefs ajoutent avec une nuance de a fait des études en Belgique- chef Le grand chef Kalemba qui porte le reproche dans la voix : « Lorsque les des Bayeke dans le Katanga, Antoine titre de Roi des Luluas et qui réside à Belges (qui à l’origine n’étaient qu’une Mwenda Munongo, bien connu des au- quelque 30 km de Luluabourg nous poignée) ont eu besoin de soldats ou torités belges qu’il a toujours servies remit un extrait du pacte d’amitié que de porteurs, c’est nous qui les leur avec dévouement, demandait: « Que son prédécesseur Kalamba Mukenge avons donnés. devient le décret du 10 mai 1957 qui a conclu le 16 novembre 1884 avec déclarait en substance qu’il ne sera Wissman qui fut le fondateur de la ville Lorsqu’ils manquaient de vivres, nous pas touché aux institutions et aux au- de Luluabourg. les leur avons fournis. Nous avons tou- torités traditionnelles qui, en-dessous jours loyalement collaboré avec l’admi- du chef, continueront à exercer leurs « Kalamba - écrit Wissman (qui sa- nistration et combattu les anti-Belges. prérogatives coutumières ? ». Le chef chant seul écrire était évidemment le Munongo ajoutait que certains pensent rédacteur du procès-verbal) - nous ren- Aujourd’hui la Belgique nous sacri- que l’ensemble des fonctions coutu- dit visite en grande pompe, transporté fie pour se mettre à la remorque de mières peut aisément se moderniser et dans un hamac dans lequel il était invi- quelques agités révolutionnaires indis- avec le concours d’employés indigènes sible. Dans son entourage immédiat se ciplinés qui n’ont jamais rien su réali- constituer une véritable administration trouvait Kakoba, le chef Tschinkende et ser et dont l’instruction a été payée en communale en déchargeant l’adminis- son successeur présomptif Kalemba grande partie par des impôts que nous tration belge d’une partie de ses travaux. Tchisongo. Kakoba était le premier et avons versés. puissant ministre de Kalamba. Le budget pourrait être alimenté par Si vous nous reprochez que la brousse des ressources prélevées au niveau Il était d’origine Bangala et hostile à est arriérée, c’est votre faute, nous même de la circonscription, afin que toute pénétration blanche. Tschinkenge avons insisté et insistons encore pour l’administré congolais acquière la nette était le chef de Bakwa Tschidumba, que vous installiez des écoles chez conviction que c’est lui qui paie sa établi à quelque 25 km de là vers l’Est. nous. » propre administration et que la reven- Sangula, sœur de Kalamba fermait le dication de salaires de ses fonction- cortège avec quinze jeunes filles: elle On reconnaîtra que cet exposé est naires et agents s’adresse à sa propre portait une plante de chanvre. plein de force. bourse et non de façon imprécise à la générosité des Européens.

Pour conclure le pacte d’amitié avec A suivre Kalamba nous bûmes le « Kasjila », Angelo Turconi nous chauffâmes une bouteille de co- gnac et chacun dut y laisser tomber quelques gouttes de sang.

Kalamba se leva alors, fit un discours. Il dit entre autres : « Le feu est le plus puissant sur terre, et le chanvre est le seul moyen pour garder santé et vie ». Sur ce, Sangula, grande prêtresse du chanvre, jeta quelques brins dans le cognac bouillant, chacun en but et en- suite Kalamba nous assura de toute son aide et nous promit de nous accompa- gner dans notre prochain voyage d’ex- ploration du Kasai. Nous détachons un Européen (Wolf) à Kalamba et ce der- nier installe près de nous son cousin Tsainya avec ses gens. Lui seul avait le droit de se faire porter en hamac, les autres chefs le suivaient à dos de bœufs ou en marchant ».

La tradition ayant conservé le souvenir de ces faits qui se reproduisirent au- près des grands coutumiers, partout

Mangbetu – Danseurs, la pause bière. – Isiro, Haut-Uélé, 1985. 22 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 Livre « Infini Congo » – Silvana Editoriale. L’INDUSTRIALISATION DU CONGO ÉCO

LA MAIN-D’ŒUVRE INDIGÈNE (12/2) PLAN DE L’ÉTUDE COMPLETE L’Etat organisa et réglementa les 1 Introduction (no 42) relations entre la main-d’œuvre 2 Transports (no 43) indigène et les employeurs, impo- sant à ces derniers toute une série 3 Industries minières A UMHK (no 44) de mesures en vue d’améliorer les 4 Industries minières B (no 45) conditions de travail et la situation 5 Industries minières C (no 46) des travailleurs. 6 Sources d’énergie (no 47) PAR PIERRE VAN BOST 7 Agro-industries (no 48) 8 Industries de transformation 1.3 (no 49) : alimentation, glace, tabac LA LÉGISLATION SOCIALE 9 Industries de transformation 2.3 (no 50) : textile, chaussure, construc- our protéger les travailleurs tion et chimie congolais, une législation sociale 10 Industries de transformation 3.3 (no 51) : fabrication métallique Pfut élaborée dès le début de l’E.I.C. 11 Le colonat (no 52) et systématiquement améliorée pour 12 La main-d’œuvre indigène 1 (no 53) devenir la plus progressiste de l’Afrique noire. En effet, dès 1888, un décret pro- 13 La main-d’œuvre indigène 2 (n°54) tégeant les travailleurs fut promulgué. Ce décret instaurait, entre autres, la li- compte de l’évolution des conditions de une protection légale des travailleurs mitation de la durée de l'engagement, vie et prévoyant entre autres que les sa- en matière d’accidents et de maladies le libre consentement des engagés laires devaient être payés en monnaie professionnelles. Enfin, un décret de et leur connaissance obligatoire de la ayant cours légal. [1] A partir de 1943, 1956, institua un régime obligatoire de portée du contrat, le visa préalable de les Gouverneurs de province pouvaient pensions pour les travailleurs complé- l'autorité sur les louages de services fixer par région un salaire minimum. té, en 1957, par un système d’assurance importants, l'assurance pour les indi- Les dispositions régissant le contrat contre l’invalidité. La pension pouvait gènes recrutés de l'acclimatation éven- de travail furent révisées en 1954, obli- être touchée par le travailleur congo- tuelle et de leur rapatriement à la fin du geant l’employeur à payer à l’engagé lais dès l’âge de 55 ans s’il totalisait 30 contrat, tout comme aussi les disposi- un salaire minimum en espèces et à lui années de services. tions à assurer une stricte discipline au fournir une ration, un logement conve- travail, inconnue par les populations, nable et des objets d’équipement et de Il y a lieu de signaler que beaucoup et la répression des désertions. En couchage. Parallèlement à l’évolution d’entreprises importantes octroyaient 1908 une étape importante fut franchie de la politique salariale, en 1952, on in- à leurs travailleurs congolais des avan- lorsque la Charte Coloniale proclama le troduisit les allocations familiales pour tages extra-légaux, pensions et alloca- droit à la liberté du travail : nul ne pou- les travailleurs congolais. Le décret sur tions familiales, bien avant que ceux-ci vait être contraint de travailler pour le les contrats de travail de 1922 mettait ne soient imposés par la législation. compte ou au profit de particuliers ou déjà à charge de l’employeur les soins de sociétés. Le 16 mars 1922, la législa- médicaux des travailleurs et de leur fa- La plupart des sociétés accordaient tion fut complètement refondue tenant mille et, en 1949, un décret mit sur pied aussi des avantages destinés à

1. La paie en numéraire des ouvriers de la Compagnie des Savonneries Congolaises à Léopoldville, Ill. Congolaise, 1929.

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tous, Blancs et Noirs. Un autre fixait judice, d’actes immoraux pendant pour tous les appointés un régime l’exécution de son contrat, ou compro- unique de durée de travail et de repos mettait la sécurité de l’établissement. dominical. Restait à régler le problème Autrement, il pouvait être mis fin au des rémunérations sur base du prin- contrat moyennent le paiement d’un cipe « à travail égal, salaire égal ». Ce préavis. De son côté, l’engagé pou- pas définitif fut franchi en 1959, mieux vait rompre son contrat sans préavis valait tard que jamais, avec la promul- lorsque celui qui l’avait engagé man- gation du « statut unique » pour les Eu- quait aux obligations du contrat, lui ropéens et les Congolais, permettant à portait préjudice, se rendait coupable ces derniers d’accéder à tous les éche- de voies de fait ou d’injures. lons des administrations publiques et des entreprises privées, comme à tous L’engagé devait remplir toutes les obli- 2. Les entreprises organisèrent des cours les organes politiques et administratifs gations de son contrat. Agir conformé- professionnels pour leur personnel, et aussi des enseignements pour les du pays. A ce sujet, dans son discours ment aux ordres reçus, éviter ce qui épouses et les enfants de leurs travail- d’ouverture du Conseil du Gouverne- pourrait nuire à sa sécurité, respecter leurs. Voici, une classe dans une école ment sur l’exercice 1958, le Gouverneur les règlements de l’entreprise et resti- pour filles de travailleurs du B.C.K. Docu- Général du Congo Belge, Henri Corne- tuer, en fin de contrat, en bon état les ment B.C.K lis, pouvait annoncer : « Cette volonté outils mis à sa disposition. Quant aux d’africanisation progressive des cadres obligations de l’employeur, elles étaient améliorer le standing de vie, à délasser n’est ni gratuite, ni lointaine, mais im- de loin plus nombreuses et plus com- et à éduquer leurs travailleurs et leur médiate. En application de celle-ci, l’ac- plexes que celles de l’engagé. L’em- famille. [2] Citons parmi ces derniers cession des 459 premiers autochtones ployeur devait payer un salaire et il les visites prénatales et les rations aux grades de la 4e catégorie est chose avait, de plus, l’obligation de fournir la alimentaires spéciales pour femmes faite. La réforme apparaîtra comme nourriture, le logement et le couchage. enceintes, les primes de naissance, les plus convaincante au fur et à mesure L’employeur devait veiller à la sécurité visites de nourrissons, les réfectoires de l’intégration des universitaires. Les et à la santé des travailleurs ; il devait pour enfants ainsi que pour travailleurs nouvelles institutions et la réforme de accorder 4 jours de congé par mois, effectuant des travaux lourds, l’éta- celles qui existent ouvrent à tous, sur donner autant que possible les soins blissement de magasins mettant à la un pied de complète égalité, la fonction médicaux, payer un quart du salaire disposition des travailleurs des vivres publique dans son acceptation le plus aux blessés et malades et rapatrier divers et des objets de première né- éminente ». l’engagé vers son lieu de recrutement cessité à des prix inférieurs à ceux du à l’échéance du contrat. commerce, la mise sur pied d’un ensei- Dès 1913, avait été créée au Congo une gnement pour les enfants des travail- inspection de l’industrie et du travail LES RÉMUNÉRATIONS leurs. Les sociétés, soucieuses d’élever qui se limita longtemps à une inspec- le standing de vie de leurs travailleurs, tion de l’hygiène du travail assurée La question salariale reste encore au- organisèrent des divertissements : par des médecins. A partir de 1950, jourd’hui un des sujets les plus contro- projection de films éducatifs, radiodif- l’inspection du travail eut des pouvoirs versés de la période coloniale. Il faut fusion de programmes récréatifs ou plus étendus, veillant non seulement à savoir que pour l’indigène, le travail se éducatifs, formation de chorales, de l’observation de la législation du travail, limitait à assurer sa subsistance et il ne cliques et même de fanfares, déve- mais aussi au développement harmo- trouvait aucune raison à entreprendre loppement d’activités sportives dont nieux des rapports entre employeurs un effort en dehors de ce critère. le football – lequel connaissait un très et travailleurs. Les inspecteurs étaient grand succès auprès des indigènes – aussi appelés à émettre des sugges- Selon l’opinion publique, les indigènes organisation de fêtes populaires. tions visant à améliorer les dispositions du Congo Belge étaient sous-payés légales ayant trait au monde du travail. et la caricature du Blanc exploitant le En 1949, on avait envisagé d’unifier peuple congolais reste bien ancrée les régimes du contrat d’emploi ap- LE CONTRAT DE TRAVAIL dans les esprits. Ce cliché a encore plicable aux travailleurs européens et été renforcé par Patrice Lumumba qui celui du contrat de travail pour travail- La durée d’un contrat était de 3 ans dans sa diatribe du 30 juin 1960 décla- leurs congolais, mais la complexité de au maximum. En cours de terme tout ra : « Nous avons connu le travail ha- la question fit que les réformes consi- contrat pouvait être rompu de commun rassant exigé en échange de salaires dérées mirent dix ans à murir. Cette accord. L’employeur pouvait licencier qui ne nous permettaient ni de man- unification fut partiellement réalisée sans préavis l’engagé lorsque celui-ci ger à notre faim, ni de nous vêtir ou de dans une série de décrets signés à par- s’était rendu coupable d’improbité, de nous loger décemment, ni d’élever nos tir de 1957. Un premier décret organi- voies de fait à l’égard de l’employeur enfants comme des êtres chers... ». sa au Congo la liberté syndicale pour ou lui causait intentionnellement pré-

24 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 Il y a différentes façons d’évaluer le En ce qui concernait les salaires, il exis- montant d’une rémunération. On peut tait de grandes différences entre ceux- tout d’abord envisager sa valeur in- ci selon les époques et les régions. trinsèque : le travailleur était-il payé Ainsi, suivant les statistiques gouver- 3. Les Congolais apprirent à se vêtir et à se chausser. Les magasins de vêtements, en rapport au travail fourni, de ses nementales, en 1958, le salaire mini- de chaussures et de chapeaux jouis- connaissances, de son rendement et mum mensuel légal était de 1.250 Fr à saient d’une bonne fréquentation. que pouvait-il se procurer avec l’argent Léopoldville, de 1.125 Fr à Elisabethville, de son salaire, en d’autres mots quel de 1.000 Fr à Jadotville et à Kambove, était son pouvoir d’achat ? On peut de 875 Fr à Stanleyville, Albertville, aussi comparer ce salaire avec un ou- Kamina. Ailleurs il oscillait entre 500 et vrier exerçant un travail similaire en 750 Fr. La proportion de travailleurs bé- Belgique. néficiant d’un salaire égal ou supérieur à 110 % et 125 % du salaire minimum Au début, le travailleur indigène n’était légal en vigueur dans la région où le qu’un manœuvre auquel il était plus fa- travail s’exécutait était respectivement cile de donner une rémunération basée de 52,47 % et 36,92 %. sur le rendement. Pour ce qui est des rémunérations des travailleurs congo- D’après une étude réalisée en 1963, 4. La hausse du niveau de vie des Congo- lais occupés à la construction du che- par le Centre Scientifique et Médi- lais se notait par une progression rapide min de fer du Congo (1890-1898), voici cal de l’Université Libre de Bruxelles de la consommation de biens d’agré- quelques chiffres extraits de l’ouvrage en Afrique Centrale, le Cemubac, sur ment, tels des radios, des phonographes, d’époque de Léon Trouet : « Les tra- le revenu des populations indigènes des disques, des appareils photogra- vailleurs de couleur sont généralement du Congo-Léopoldville, le revenu an- phiques. Ci-dessus un magasin de radios à Léopoldville. Léopoldville 1881-1956. payés sur pied de Fr 37,50 à 45 francs nuel moyen par homme adulte de par mois. Les artisans sont payés à la la population indigène salariée était journée et leur salaire varie de Fr. 2,50 passé de 5.384 Fr en 1950, à 12.946 à 5 francs et même 6 francs. » A titre Fr en 1958, soit une augmentation de de comparaison, d’après l’historien 142,3 %. Ce revenu était obtenu en di- Gabriel Gysels, en Belgique, « en 1906, visant la masse salariale totale versée 65 % des ouvriers gagnaient encore à l’ensemble des indigènes salariés du moins de 3,50 Fr. par jour, alors qu’il fal- Congo Belge par le nombre de salariés. lait 5,65 Fr. à un ménage pour acheter Pendant ce même temps, le revenu chaque jour ce dont il avait besoin ». moyen par homme adulte de la popu- Il semble qu’à l’époque, les travailleurs lation indigène non salariée, c’est-à- congolais n’avaient rien à envier à leurs dire de ceux vivant d’un commerce, de homologues belges. l’agriculture, de la pêche, de la chasse, de l’exploitation d’une coupe de bois, Petit à petit, des Noirs avisés et travail- était passé de 3.701 Fr, à 5.595 Fr, soit 5. Signe du temps, de l’évolution sociale leurs ont pu monter dans l’échelle sociale. seulement une augmentation de 51,1 %. et du pouvoir d’achat, la petite reine bi- cyclette avait fait son entrée dans le dé- Les sociétés, aidées par les missions reli- cor journalier au Congo. A Léopoldville, gieuses, ouvrirent des écoles profession- De 1950 à 1958, la part des revenus à l’heure de l’ouverture des bureaux, nelles qui formèrent le personnel dont des Congolais dans le revenu global des milliers de vélos s’engageaient dans elles avaient besoin : ouvriers qualifiés, du pays était passée de 45 à 56 % ; la grande avenue qui traversait la cité électriciens, mécaniciens, machinistes, en chiffres absolus, elle avait plus que indigène. DR. bateliers, clercs, télégraphistes, mo- doublé, passant de 13,5 à 27,4 milliards niteurs, assistants de laboratoires, as- de francs. Le progrès matériel dont bé- sistants médicaux et autres auxiliaires. néficièrent les Congolais se remarqua Comment payer avec équité tous ceux surtout dans l’augmentation extraordi- qui jalonnaient la longue route séparant le naire de la consommation. simple manœuvre de l’ouvrier spécialisé ? Des systèmes de cotations, différents Dans un article paru le 16 juin 1960, suivant les sociétés, furent établis tenant « L’Essor du Congo », traitant du ni- compte de la nature de l’emploi, des ap- veau de vie des Congolais à la veille de titudes et des mérites du travailleur per- l’Indépendance, écrivait : « Les Congo- mettant de calculer son salaire en fonc- lais ont largement bénéficié de l’expan- 6. Intérieur chez un travailleur congolais tion de sa notation personnelle et de son sion économique de leur territoire. Les employé de l’U.M.H.K. à Elisabethville. ancienneté au sein de l’entreprise. résultats bienfaisants sur cette évolu- Pour sa femme, la machine à coudre tion se sont traduits par une hausse est symbole d’émancipation. Document UMHK.

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 25 ÉCO

7. Une part croissante des salaires était versée en espèces aux travailleurs qui apprenaient à en économiser une partie. Un bureau de postes et de Caisse d’Epargne dans un camp des travailleurs de l’Union Minière.

appréciable de leur niveau de vie... 650.000 bicyclettes, alors qu’en 1951 il pays africains au point de vue social. Entre 1950 et 1958, la consommation n’y en avait que 304.000 ». Un autre ar- Certes, les salaires n’y sont pas ceux des Congolais a augmenté de 76 %... ticle très prisé par les Congolais, signe des U.S.A. ou des pays de l’Occident, La consommation indigène des pro- de l’évolution, était la machine à coudre mais ils n’en restent pas moins les plus duits alimentaires a augmenté de 58 % mécanique qui fit son apparition dans élevés de l’Afrique. Ils dépassent ceux par habitant. Les progrès ont porté beaucoup de foyers indigènes. [5, 6] du Sud de l’Espagne ou de la Yougosla- spécialement sur les produits tels que vie. Aucun pays africain ne compte une le sucre, la viande et la margarine. Bien Autre fait significatif du bien-être des telle proportion d’autochtones proprié- que le niveau absolu de départ soit Congolais, en 1957, 781.000 autoch- taires d’une maison en matériaux durs, faible, les progrès de la consommation tones, dont 140.000 femmes, avaient d’une voiture ou même simplement de lait sont réels. La hausse du niveau déposé à la Caisse d’Epargne, un mon- d’un vélo. Aucun pays africain ne voit de vie a entraîné un phénomène dans tant total dépassant les 590 millions de sa population aussi bien vêtue que la les textiles : la consommation d’articles francs. [7] nôtre ». de friperie a baissé au profit de produits nouveaux et de meilleure qualité, en Le développement économique du Si on compare le revenu moyen an- particulier les tissus de soie artificielle. Congo avait apporté à ses populations nuel d’un salarié congolais avec celui L’augmentation de la consommation un niveau de vie comparable à celui, à d’un homologue effectuant le même de chaussures est un autre indice de la l’époque, des pays de l’Europe méditer- travail en Belgique, on constatera que hausse du niveau de vie. Dans le sec- ranéenne. Cette opinion était partagée la soi-disant exploitation du peuple teur des biens durables, la consomma- par le Suédois Kai Curry-Lindahl, pre- congolais est un des nombreux mythes tion témoigne d’une évolution significa- mier intendant du jardin zoologique de propagés par la propagande antico- tive : au cours de la période 1948-1955, Stockholm qui fit plusieurs séjours au loniale. En 1954, la comparaison des la demande des articles d’utilité cou- Congo Belge et qui, en 1961, dans un rémunérations de la M.O.I. à l’Union rante – les ustensiles de ménage, les article publié par le journal « Svenska Minière du Haut-Katanga avec celles lanternes et les produits de l’horlogerie Dagbladet », en réponse à ceux qui ac- payées en Belgique aux ouvriers em- – n’ont pas progressé aussi rapidement cusaient la Belgique d’avoir négligé le ployés dans l’Industrie des Fabrica- que la demande de biens d’agrément Congo pendant les dizaines d’années tions Métallurgiques, pour des tra- – les phonographes, les disques et les qu’elle en avait eu la garde, déclara: vailleurs mariés ayant deux enfants appareils photographiques ». [3, 4] « On salit ainsi l’œuvre accomplie par à charge, montrait que le salaire du un pays qui a haussé le niveau éco- manœuvre congolais atteignait 56 % En 1957, le journaliste néerlandais Wim nomique et social des Congolais à un du salaire belge, celui d’un ouvrier qua- Hornman, de retour d’un voyage au degré qui ne retrouve aucun équiva- lifié à 78,5 % et, à l’échelon supérieur Congo Belge, parlant du coût de la vie lent dans nulle autre région de l’Afrique de cette catégorie, le salaire de l’Afri- écrivait dans son journal qu’à Léopold- tropicale ». A la même époque, le cain rejoignait le salaire belge de l’ou- ville des centaines de Congolais possé- « Courrier d’Afrique » de Léopoldville, vrier qualifié de 1re catégorie. On peut daient une voiture bien que la bicyclette sous le titre « Le Congo était le pays dire qu’en fait, à l’époque, le manœuvre constituât le mode de locomotion par le plus avancé d’Afrique » écrivait : congolais était surpayé, car son ren- excellence des indigènes. « En 1954 il y « il faut reconnaître que le Congo oc- dement de travail n’atteignait que 20 à avait pour l’ensemble du Congo plus de cupe également la première place des 30 % de celui du manœuvre belge, par

26 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 contre l’ouvrier congolais qualifié était justement payé au regard de son ren- dement. Le rendement élevé de l’ou- vrier belge et le rythme de travail rapide qu’il soutenait avaient d’ailleurs surpris les Congolais qui, lors de séjours en Belgique, avaient visité des exploita- 8. La distribution quotidienne de panade et de biscuits au centre tions industrielles. Ce fut entre autres social de l’Otraco à Léopoldville, en 1950. Document Otraco. l’opinion du premier sergent-major Nzoku qui fit partie du détachement de la Force Publique envoyé à l’Exposition de Bruxelles en 1958 et qui déclara au journal « Le Soir » : « Ce qui nous a frappé particulièrement, c’est l’ardeur au travail du Belge. Ce sera pour nous un exemple car ce labeur incessant nous a impressionnés ».

Au 1er janvier 1959, avec l’entrée en vigueur du statut unique, on appliqua aussi des barèmes uniques. A travail égal, Blancs et Noirs touchaient le même salaire de base, les Européens bénéficiant toutefois encore de primes 9. A Kongolo le 1er juillet 1951, Jean Van Bost, chef de la 3e circonscrip- d’expatriation. tion du C.F.L., et l’Administrateur du Territoire de Kongolo, Monsieur Geerts, remettent des distinctions honorifiques à des travailleurs mé- LES RATIONS ALIMENTAIRES ritants de la Compagnie des Chemins de Fer des Grands Lacs. VB.

La ration ne doit pas être confondue Avec la ration légale accordée heb- Comme supplément à la ration, l’em- avec le salaire, bien qu’elle était en domadairement au travailleur, les em- ployeur était tenu de fournir à ses tra- quelque sorte une seconde rému- ployeurs remettaient généralement des vailleurs le bois de chauffage nécessaire nération payée en nature que l’em- rations extracontractuelles à sa femme à la cuisson des aliments ainsi que de ployeur était tenu de fournir à l’engagé. et à ses enfants légitimes. [8] l’eau potable en quantité suffisante. Sa nature, son montant et le moment du payement étaient fixés par les auto- Après la Deuxième Guerre mondiale, RÉCOMPENSES rités provinciales et territoriales. une ration type hebdomadaire pour un travailleur comportait 6 kg de fa- En témoignage de satisfaction et d’es- L’idée d’octroyer une partie de la ré- rine, 1 kg de haricots ou de pois, 0,6 kg time pour les travailleurs méritants, en munération en nature était d’assu- d’arachides, 0,4 kg d’huile ou 0,4 kg raison de leurs qualités profession- rer l’alimentation aux travailleurs et à de viande fumée ou 0,9 kg de viande nelles, des services rendus et de leur leur famille déplacés vers des centres fraiche, 0,105 kg de sel et 1,05 kg de bonne conduite, les sociétés distri- industriels et miniers situés dans des fruits et légumes. buaient annuellement d’une manière régions où l’agriculture était insuffi- solennelle, en présence des autorités samment développée. Cela permet- Une femme recevait par semaine 3 kg officielles, des « Brevets d’aptitude tait aussi de veiller au bon équilibre de farine, 0,5 kg de haricots, 0,5 kg professionnelle » et des « Certificats alimentaire par des distributions de d’arachides, 0,3 kg de poisson séché, de bons services ». A ces brevets et rations établies d’après des données 0,05 kg de sel. certificats étaient attachés des avan- de diététique moderne dûment codi- tages matériels et moraux. Ces der- fiées. De plus, l’indigène manquant de Une ration spéciale était octroyée aux niers étaient souvent plus appréciés prévoyance, cela évitait qu’il ne dé- femmes enceintes. Celles-ci recevaient que les avantages matériels, tout aussi pense l’entièreté de son salaire à des par semaine 2 kg de riz, 1 kg de hari- importants qu’étaient ceux-ci. Les tra- futilités ou en boissons alcoolisées, cots, 1 kg d’arachides, 0,4 kg d’huile, vailleurs portaient avec fierté les mé- laissant sa famille dans le besoin. Mais 0,105 kg de sel, 0,5 kg de sucre, 1 kg de dailles qui leur étaient accordées. [9] petit à petit, l’éducation et l’expérience fruits et 0,5 kg de poisson séché ou 1 kg ont rendu un grand nombre de Congo- de viande. Cette ration était distribuée lais capables de gérer un budget et pendant 9 mois, soit depuis le 3e mois ils touchèrent dès lors en espèces la de la grossesse jusqu’au 3e mois après contre-valeur de leur ration. la naissance.

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 27 CULTURE

Le musée de Washington.

RÉUSSITE MUSÉALE EXCEPTIONNELLE À WASHINGTON

Le « National Museum of African American History & Culture » à Washington est un musée exemplaire à tous égards. Il est l’aboutissement de plusieurs décennies visant à porter témoignage de la place des Afro-Américains dans l’histoire et la culture des Etats-Unis. Lancé par George W. Bush en 2003, il a été inauguré par Barack Obama en septembre 2016, dans un grand consensus national. PAR JEAN-LOUIS LUXEN

PLUS QU’UN MUSÉE, UN LIEU récentes. Il héberge aussi le centre de s’inspire de formes d’architecture de CULTUREL ET UN CENTRE DE recherche spécialisé lancé dès les an- bois du Nigeria et fait référence au RECHERCHE. nées 1990 pour penser et programmer geste des bras levés vers le ciel, geste le musée, centre de recherche œuvrant habituel des communautés chrétiennes e musée est un lieu vivant et spa- en liaison avec plusieurs universités et pionnières dans la promotion des « co- cieux, plus qu’un musée, un centre associations de défense des droits ci- lored people ». L’enveloppe est consti- Lculturel où l’exposition de docu- viques. L’accès du musée est gratuit. tuée de centaines de panneaux ajourés ments et d’objets est accompagnée Sa fréquentation est telle qu’il n’est en aluminium de couleur bronze, sur le de manifestations culturelles et artis- quasi accessible que sur réservation. modèle des ferronneries des Afro-Amé- tiques. Les idées contemporaines de ricains de la Nouvelle-Orléans. La lo- la muséographie se conjuguent avec le L’immeuble qui l’abrite est en soi une calisation du musée, à proximité im- recours aux technologies interactives œuvre d’art. Sa structure générale médiate du Washington Monument,

28 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 empiète sur l’espace protégé du Mall, Indien que vers l’Atlantique). Des cartes d’une solidarité avec la longue marche entre le Capitole et le Lincoln Memorial. géopolitiques illustrent la multiplici- d’émancipation des Afro-Américains. Cette implantation a été possible suite té de royaumes et principautés, aussi Ceux-ci peuvent, quant à eux, se sen- à une décision tout à fait exception- bien en Europe qu’en Afrique. tir satisfaits de la reconnaissance des nelle de dérogation urbanistique qui en injustices commises à leur égard et dit long sur la dimension symbolique Un paradoxe est mis en évidence: la légitimement fiers de leur apport dé- que la nation voulait donner à ce mu- manière dont les grands libéraux de terminant à l’histoire et à la culture des sée-mémorial tant attendu. l’indépendance américaine, comme Etats-Unis et du monde. Tous se re- Washington, Jefferson et d’autres, trouvent dans une méditation apaisée Les galeries d’exposition à elles seules prônaient la démocratie, tout en ayant sur la marche de l’Histoire et sur leurs couvrent dix mille mètres carrés. eux-mêmes des esclaves. Le fait responsabilités respectives. Un parcours historique mène de l’es- que des Afro-Américains émancipés clavage à l’émancipation légale, de la avaient, eux aussi, des esclaves. L’ac- UN SITE DE CONSCIENCE. discrimination et des violences raciales cent est mis sur la sujétion particulière à la reconnaissance des droits civiques de la femme, à cette époque, aux Etats- Le « National Museum of African Ame- en 1966, des mouvements de la popula- Unis aussi bien qu’en Europe ou en rican History & Culture » fait partie de tion noire du sud rural vers les grandes Afrique. la Coalition Internationale des Sites villes industrielles du nord, ainsi que de Conscience. Une organisation des conditions de vie actuelles des De manière générale, une grande rete- non-gouvernementale basée à New Afro-Américains. Certains sont plei- nue prévaut dans la présentation et les York à laquelle adhèrent quelque 250 nement émancipés et ont rejoint les explications relatives aux épisodes par- sites dans une cinquantaine de pays. élites. Mais la majorité subit encore ticulièrement injustes et douloureux. Elle s’inspire de la démarche « Vérité sujétion et discrimination. Objets et Les règlements Jim Crow maintenant et Réconciliation » prônée par Nelson documents illustrent ces différentes dans les faits, après les lois d’émanci- Mandela. L’intention est de faire mé- phases historiques. pation, une discrimination raciale sé- moire de situations dramatiques et de vère. La ségrégation à l’armée, jusqu’à lieux témoins de violation des droits UNE DÉMARCHE INCLUSIVE DE la deuxième Guerre Mondiale. Les lyn- humains. Une liaison est établie avec TOUTES LES PARTIES CONCERNÉES. chages du Ku Klux Klan. La proportion les problématiques contemporaines, actuelle très élevée d’Afro-Américains dans un dialogue inclusif impliquant Deux tiers des espaces d’exposition dans les prisons. Une présentation tous les acteurs concernés. Le scienti- sont consacrés aux contributions de sobre et objective des faits suscite leur fique afro-américain Lonnie G. Bunch, la communauté afro-descendante condamnation bien davantage que ne Directeur-fondateur du Musée de à l’histoire et à la culture des Etats- le ferait un langage revendicateur ou Washington, fait partie du « Cercle des Unis. L’engagement militaire durant militant. Ambassadeurs » de la Coalition. la Guerre de Sécession et les deux Guerres Mondiales, la contribution à la Les présentations les plus éclai- révolution industrielle, les mouvements rantes sont, sans conteste, celles qui d’émancipation, aussi bien pacifiques, illustrent les contributions majeures avec un Martin Luther King, que radi- des Afro-Américains à la culture des caux, avec le Black Power. Un étage Etats-Unis. Et souvent, à travers l’in- entier illustre des contributions déci- fluence internationale des Etats-Unis, sives dans quasi tous les domaines : ces contributions ont eu une portée sport, musique, mode, arts de la scène, mondiale. Le domaine de la musique spiritualité, science, arts visuels, media. est assurément le plus impressionnant. La démarche de ce musée est tout par- A nouveau, les faits sont présentés, ticulièrement exemplaire en ce qu’elle sans commentaires superflus, comme est hautement inclusive et veille à des évidences. refléter la diversité des situations, re- placées dans leur contexte, en prenant Le résultat de cette démarche muséale en compte les perceptions des diverses exemplaire est que tout visiteur, quelle parties prenantes. que soit sa communauté ou sa nationa- lité, quitte le musée avec le sentiment Ainsi, pour donner le cadre de la traite d’une expérience forte et enrichis- transatlantique, au XVIIème siècle, il sante. Avec aussi une meilleure prise est fait référence aux formes d’escla- de conscience d’une histoire doulou- vage pratiquées aussi bien en Europe reuse et d’événements dramatiques. (Empire ottoman) qu’en Afrique (traite Le sentiment prévaut d’une dette de interne, tant vers le Nord et l’Océan reconnaissance envers l’Afrique et La statue de Mexico.

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 29 CULTURE SOUVENIRS DU KATANGA DURANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE ET DE GUSTAVE VAN HERREWEGHE, ALIAS HENRI DRUM

Retrouvée récemment dans mes archives, cette note dactylographiée m’avait été envoyée par Louis Rouche en janvier 1998. Il avait appris que nous étions sur les traces des « papiers » qu’aurait pu laisser Gustave Van Herreweghe, écrivain colonial connu sous le nom de plume de Henri Drum1. Cette note sans titre se présente sous la forme de 6 feuillets dactylographiés, que nous avons retranscrits2 sans en supprimer la clausule à caractère plus personnel : cette dernière témoigne, en effet, à la fois du contexte de rédaction et de l’esprit gentiment ironique qui était le style de Louis Rouche dans sa correspondance. PAR PIERRE HALEN

ustave Van Herreweghe, en lit- où il collabora à la préparation du pa- nacle réputé « négrophile » dont l’im- térature Henri Drum, est né à villon du Congo de l’Exposition de portance reste encore à étudier. G Bruxelles en 1898 ; c’est aussi à 1958, et plus tard, avec André Scohy Bruxelles qu’il s’établira à la fin de sa qu’il avait fréquenté à Léopoldville, Cette « note » de Louis Rouche nous carrière coloniale: on verra que ce dé- devint rédacteur pour un magazine de éclaire à propos d’un détail de l’his- tail géographique, corroboré par son l’Ambassade d’Arabie saoudite. On ne toire culturelle congolaise : qui est le bilinguisme3, n’est peut-être pas sans connaît pas la date de son décès, que mystérieux Italien qui, en quelque sorte, importance. Il enseigna d’abord le je situerais, pour l’avoir rencontré à importa au Congo le théâtre de marion- latin et le grec à , et chercha en- cette époque, à la fin des années 1980. nettes ? C’est précisément Henri Drum suite sa voie avant de partir, à 30 ans, On ignore malheureusement aussi ce qui en parla jadis, mais sans préciser pour le Congo avec le statut d’agent que seraient devenues ses archives, l’identité du personnage4 : nous voilà territorial de 2e classe, donc en bas et singulièrement les cahiers toilés où à présent renseignés, ou plutôt rensei- de l’échelle administrative. Il fut long- étaient consignées à peu près sept an- gnés à demi, puisque le nom de celui-ci temps en poste à Bukama, sur les nées de programmation des émissions nous échappe encore. (Pierre Halen) rives du Lualaba, dans ce qui est au- de la Radio Congo Belge, la première jourd’hui la province du Haut-Lomami. radio du continent à émettre en lan- En 1940, un nommé Lacane5 administrait Il réussit plus tard les examens de gues africaines, où il officia avec de à Kasenga le district du Haut-Luapula. l’École coloniale et devint administra- jeunes collaborateurs congolais dont le C’était un Hutois. Je le revois grand et teur territorial de 2e classe à Kasenga, nom n’est pas oublié au pays : surtout mince. Sa femme parlait et riait beau- à la frontière avec la Zambie actuelle. Albert Mongita, auteur dramatique, coup. L’écusson qui ornait les casques Promu à la première classe en 1944, il peintre et futur directeur du Ballet du Service Territorial, elle l’appelait : fut chargé, à Léopoldville, de mettre National du Zaïre, mais aussi Maurice « la plaque à poules »6, y voyant le sur pied les programmes en langues Kasongo, Pauline Lisanga. Henri Drum, moyen de se faire vendre des poules africaines de la Radio Congo Belge. à Léo, joua aussi un rôle, avec le poète bon marché par les paysans indigènes. Après 9 termes au Congo, il mit fin à sa et journaliste André Scohy et les pré- L’idée paraissait saugrenue, elle ne tar- carrière coloniale en 1955 ; alors rema- sentateurs congolais de la RCB, dans le da pas à s’éclaircir. rié (ou nouvellement marié ?), et père petit Groupe culturel belgo-congolais d’une petite fille, il s’établit à Bruxelles qui constitua dans la capitale un cé-

1. Voir : http://mukanda.univ-lorraine.fr/auteurs/henri-drum 2. Sauf des détails qui étaient de toute évidence des coquilles ou des fautes d’inadvertance, nous avons transcrit le texte sans modification autre que dans les noms propres : Mgr de Hemptinne au lieu de « d’Hemptinne », Vanderlinden au lieu de « Verlinden », Ryckmans pour « Rijckmans », graphie assu- rément plus correcte mais rarement usitée. 3. En 1940, Henri Drum a déjà publié, principalement, Ces coloniaux ! en 1931 et Luéji ya kondé en 1932, sans avoir rencontré autre chose qu’un succès d’estime. Plus tard, il collabore autant avec la revue des Wallons du Congo (Raf !), qu’avec la revue Band, celle des Flamands (mais aussi avec La Revue nationale à Bruxelles ou Jeune Afrique à Élisabethville, etc.). À noter que les éditions de L’Harmattan viennent de republier Luéji ya kondé, avec un inté- ressant commentaire de Thérèse De Raedt, qui enseigne à l’Université de l’Utah. 4. Drum (Henri), « Les marionnettes au Congo », in : Jeune Afrique, (Élisabethville), 4e an., n°11, mai-juin 1950, p. 23-29 ; Drum-Van Herreweghe (Henri), « Les Marionnettes », in : L’Art nègre du Congo belge. (Bruxelles) : COPAMI ; Éditions du Chat qui pêche, 1951, p. 153-162. 5. Nous n’avons pas réussi à identifier ce Lacane. Un Maurice Lacanne est signalé par les Annuaires comme Administrateur territorial à Léopoldville avant la guerre, mais il ne s’agit vraisemblablement pas de lui. Il est possible que Louis Rouche ait utilisé un pseudonyme pour ce personnage dont la réputation ne sort pas grandie de ce récit. 6. Il est difficile d’établir une origine exacte pour cette expression bien connue des témoins de l’époque, et dont l’usage, essentiellement oral, semble très ancien. S’y superposent un sens politique ou administratif : le casque des administrateurs territoriaux était orné d’une plaque, signifiant l’autorité de l’État, donc du « Boula Matari » (l’origine de cette dernière expression est, elle aussi, ancienne et controversée : le surnom était utilisé pour Stanley, puis pour ses successeurs et représentants) ; en raison de la proximité sonore entre Boula et poule, le casque est devenu casque-à-poule, par allusion au fait que les agents en tournée demandaient aux villageois des poules pour leur ravitaillement. Enfin, comme on le verra ci-dessous à propos de G. Van Herreweghe (qui cependant ne portait pas le fameux casque), une troisième couche de sens, d’ordre érotique, pouvait être également active. L’une ou l’autre acception pouvait être mobilisée selon le contexte. 30 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 Le Portugais Da Camara tenait le seul rait la liaison Kasenga-Kilwa-Pweto, gler derrière les hautes herbes. Tout le bistrot de Kasenga, village de pêcheurs – un bateau à fond plat que propulsait monde ? En tout cas, mon père, le clerc, grecs où presque seuls étaient belges une roue à aubes, exactement comme c’est-à-dire l’employé noir au français le sabre et le goupillon, l’Administration les bateaux du Mississipi. C’est curieux, cérémonieux, toute la Force publique, et la Mission. À la suite d’une querelle d’autant plus qu’ils se connurent plu- tous les pêcheurs grecs, sans oublier avec Lacane, il gagna Élisabethville, se sieurs années, alors que, de Lacane, Da Camara appliqué sans nul doute à fit recevoir au Parquet et débita tout l’affaire éclatait comme nous arrivions comptabiliser. ce qu’il savait sur lui. C’est ainsi que d’Afrique du Sud. Kasenga vit apparaître un personnage Madame Kapaépi, je crois qu’elle était nommé Substitut. Comme toujours au Mais c’est ainsi. Mon père était peut- russe d’origine. Je la revois trapue Congo, il se déplaçait en famille, avec être solitaire et ombrageux, déçu que comme une héroïne soviétique, voire sa femme et son fils, un petit garçon les agents territoriaux ne pussent de- aux pommettes saillantes. Mon père appelé Géo. Je jouai quelquefois avec venir administrateurs10, faisant aussi le l’appelait Pî-di-stouf : en wallon du pays celui-ci. Il me fut recommandé de ne complexe du non-universitaire dans un de Herve, ces mots signifient Pied-de- lui parler jamais du travail de son papa. milieu où il y a des universitaires : Van poêle, par allusion à ses mollets larges Bientôt on sut que Lacane razziait les Herreweghe devait sortir de l’École co- autant que ses cuisses. Je n’ai aperçu villages d’alentour, se faisant céder, loniale. En revanche, il ne se plaignit ja- qu’une fois l’intérieur de sa maison. pour rien ou à vil prix, des œufs, des mais de lui, et jamais, au grand jamais, De sa fille, jamais entendu parler11. poules, des chèvres. Il avait même ne lui imputa de méfaits comparables à construit dans la brousse des enclos où ceux de Cane-poule-et-plaque. De vraies plaintes sur lui, j’en ai enten- il engraissait poules et chèvres avant du ailleurs : à la Mission franciscaine de de les revendre plus cher. La dernière Il se bornait à plaisanter de lui. Je Kilwa. On y trouvait le Père Alphonse12, fois qu’on le vit, il partait pour É’ville sus que les Noirs le surnommaient mieux connu sous le nom de Peau-de- menottes aux poings, entre deux sol- Kapaépi, parce qu’il fumait de courts Fesse. Il avait emprunté son langage dats de la Force Publique. brûle-gueule. Était-ce du kiswahili ou et sa pensée au Père Martial Lekeux13, du kibemba ? Cela voulait dire, paraît-il, franciscain célèbre avant la guerre tant Gustave Van Herreweghe vint alors je ne « petite-pipe », mais je ne reconnais par son verbe inconvenant que par sais plus d’où7, petit, maigre, les lèvres aucun composant. Faudrait-il couper ses cris d’alarme devant le nazisme. pincées, des lunettes sur un nez aussi ka-paépi et voir dans paépi (ou païpi) le Cela, en toute fidélité à l’Église. Un jour proéminent que le menton, la chéchia mot pipe, peut-être l’anglais pipe(ful) ? que mon père se risquait à dire que le rouge sur la tête – il ne portait pas le Cardinal Van Roey14 n’était après tout casque colonial. On racontait qu’il avait Il le plaisantait aussi sur sa vie privée. qu’un flamingant comme les autres, il un oncle dignitaire au Vatican et qu’il À l’en croire, il avait couché avec toutes obtint à peu près la réponse suivante : écrivait des livres. Il ne parla jamais de les Africaines sous tous les palmiers de « Nom de Dieu ! Van Roey, une peau- ces choses. Je crois que mon père8, la brousse. Toutes ? En tous cas, plu- de-fesse de flamingant ! Si tu te fous agent territorial et son subordonné im- sieurs. Quand Kapaépi, l’air important, dans la tête une nom de Dieu d’idée médiat, n’eut avec lui que des rapports une petite serviette sous le bras, la pareille, tu te fous le doigt dans l’œil professionnels et corrects. C’est cu- chéchia rouge sur le crâne et le brûle- jusqu’au trou de balle. Peau-de-fesse ! rieux, s’agissant des deux seuls Belges gueule au bec, quittait le Bureau du Van Roey ! Un nom de Dieu d’embo- laïcs du coin, si l’on excepte Verbois9, Poste en annonçant : « J’ai quelques ché ! Merde alors ! ». Il y avait aus- le transporteur de poisson, ravitaille- affaires judiciaires à régler », tout le si le Père Olivier, un grand mince à ment et voyageurs, ainsi que le vieux monde avait compris qu’il s’agissait grosses lunettes, l’air timide, qui aimait Devos, capitaine du bateau qui assu- d’affaires peut-être judicieuses à ré- aller s’asseoir sur les rochers pour

7. De Bukama peut-être, ou d’un dernier congé passé en Belgique juste avant la guerre ? Peut-être d’un congé passé en Afrique en raison du conflit mondial, comme cela semble le cas de la famille Rouche : « comme nous arrivions d’Afrique du Sud ». 8. Jean François Joseph Rouche, né le 5 septembre 1900, entré au service territorial le 15 janvier 1926, a été agent territorial à Kongolo (Annuaire du Congo Belge, 1938), puis à Kasenga. 9. L’ Annuaire du Congo Belge, 1938, ne signale qu’un seul Verbois, agent du CSK à Élisabethville. 10. Comme le montre la carrière de Gustave Van Herreweghe, ce n’est pas tout à fait exact. Ce dernier est légèrement plus âgé que Jean Rouche, mais il a en fait deux ans d’ancienneté de moins. 11. Françoise Van Herreweghe, vraisemblablement née d’un remariage dans les années 1950. 12. L’Annuaire des missions catholiques, dans la section consacrée au Vicariat apostolique Lulua-Katanga, évoque un R.P. Alphonse Martinet ; cf. Van Wing, J. (s.j.) ; Goemé, V. (s.j.). Annuaire des missions catholiques au Congo Belge et au Ruanda-Urundi [3e éd.]. Bruxelles : L’édition universelle, 1949, 671 p. ; p. 630. 13. Martial Lekeux (1884-1962), prêtre franciscain, auteur de nombreux ouvrages, dont plusieurs vies de saints, et le célèbre Mes cloîtres dans la tempête (1922), qui connaitra d’innombrables rééditions et de nombreuses traductions. 14. Archevêque et primat de Belgique, successeur du cardinal Mercier depuis 1926. Connu notamment pour avoir clairement incité ses ouailles à ne pas voter pour le parti rexiste en 1937, mais néanmoins aussi pour avoir béni, dans des conditions qu’on peut qualifier de particulières, le remariage du roi Léopold III avec Liliane Baels sous l’Occupation.

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 31 CULTURE

contempler le lac Moëro. Il alla un jour grâce aux obscures manœuvres du On appelait – en chuchotant et tenir la Mission de Lukonzolwa, où un vil Kapaépi. Un jour, celui-ci vint en dans le dos des gens – les mauvais seul Père vivait en ermite ; il permutait inspection à Kilwa. Détenteur du sabre, Flamands des flamingants et n’importe ainsi avec le Père Bertrand, sans doute il se devait de rendre visite au Père quel mauvais un emboché. Jamais un à bout de solitude. À celui-ci, on faisait Alphonse, détenteur mal embouché du léopoldiste. Sacré, le nom du Roi ne une réputation d’érudit. On lui attribua goupillon. se prononçait pas. Si un « Anglais » la paternité, sous pseudonyme, d’un – à savoir un anglophone, issu par roman de science-fiction paru en feuil- On vit le Père Alphonse sortir de la exemple d’Afrique du Sud – le glissait leton dans L’Essor du Congo. À côté Mission les mains dans les poches (les dans son français avec l’air d’interroger, des Pères, qui priaient, prêchaient, Franciscains ne portaient pas la sou- un couperet s’abattait sur la conversa- lisaient, pensaient, enseignaient, il y tane.) Il fit quelques pas nonchalants, tion : « Il est prisonnier, Monsieur ». avait un Frère qui faisait le reste, c’est- obligeant le représentant de Boula Entre Belges, il paraît que des officiers à-dire le potager, l’élevage des poules Matari à franchir la plus grande dis- de la Force Publique avaient au début et du cochon, les repas, l’intendance... tance. Il s’immobilisa, cracha par terre, échangé des coups de poing au Cercle Souriant, modeste et doux, il répondait lança : « Tiens, il me semble que je Albert d’Élisabethville. Puis, voulu sans et correspondait au nom de Chérubin. vous ai déjà vu quelque part, vous », et doute par Pierre Ryckmans, le silence Il se permettait la fantaisie de mettre tendit une main molle. était tombé. son casque en arrière ou sur l’oreille. À Kilwa, l’on était wallon. On approu- Si une réputation d’« embochés » pe- On pressentait la même division chez vait le Gouverneur général Ryckmans. sait sur les Bénédictins de Kasenga, ils les Salésiens du collège Saint-François Le Congo devait continuer la guerre devaient la tenir de leur léopoldisme de Sales, à Élisabethville, où j’ai fait ma aux côtés de nos alliés. Pour les com- et d’être bien en cour auprès de Mon- seule année scolaire à peu près nor- munistes, on verrait après. D’abord se seigneur d[e] Hemptinne. On sait au- male. Dans la classe de cinquième, je débarrasser des nazis. Voilà pourquoi jourd’hui combien le Vicaire Aposto- connus le premier Juif. Mon compa- le grand chien fauve de la Mission, qui lique résista de l’intérieur à l’effort de gnon de banc s’appelait Bernard Tursch rossait tous les chiens du voisinage, guerre congolais. (Voir la biographie et parla un jour de synagogue. Tiens, tu était honoré du nom d’URSS. En hom- de Pierre Ryckmans, Gouverner pour es Juif, toi ! Ce fut pour moi une révé- mage à son embonpoint, le cochon fut servir, de V[and]erlinden, historien à lation : grand liseur et notamment de baptisé Churchill. l’U.L.B.16). Conformément aux vues de Bibles scolaires, je ne me représen- Léopold III, il voulait un Congo neutre, tais jusqu’alors les Juifs que vivant au La Mission de Kasenga était tenue – déjà, l’Union Minière les inventait temps du Roi Salomon. Pour fréquenter par des Flamands. Bénédictins, ils toutes pour exercer son négoce aussi régulièrement une école, j’avais bien construisaient. Ils inaugurèrent un jour profitablement avec l’Axe qu’avec les Al- choisi mon époque. Ce fut celle des des locaux. Il y eut fête grégorienne liés. Pour comble, Grégoire-le-Bâtisseur congés : 44-45. À chaque ville belge et folklorique pendant trois jours et, avait pour voisin un Italien géniteur libérée, congé. À la fin du troisième d’É’ville, vint spécialement un petit répétitif et fasciste. Ce médecin avait trimestre, défilé de la victoire, où par- Père Boniface, qui fit un sermon ges- refusé de signer une promesse de ne ticipaient les enfants des écoles, nous ticulé et décerna le titre de Bâtisseur prendre les armes ni contre la Belgique autres, chargés de représenter l’his- au Père Grégoire. Dit Barberousse ou ni contre ses alliés. Où l’interner avec toire de la Belgique : répugnant à mar- encore Parachute, Grégoire était supé- sa famille nombreuse ? On imagina de cher au pas, je faisais Charlemagne. rieur de la Mission, portait une longue l’assigner à résidence comme médecin Or, le 8 mai, on n’avait pas eu congé barbe rouge et se vêtait d’amples sou- de la Mission. Il appelait ses enfants pour la chute de Berlin. Désappoin- tanes kaki. Son ventre les gonflait et tantôt Vittorio tantôt Benito. Je revois tement. À côté de moi, Bernard, entre la sueur lui marquait les aisselles de encore Benito dans son berceau, à l’abri ses dents serrées, sifflait avec rage : vastes macules noires. Un Père Atha- d’un arbre : ses yeux marrons luisaient « Les curés sont furieux parce que c’est nase tout en blanc se taisait à côté de intensément dans l’ombre. L’aînée des l’Armée rouge qui a pris Berlin ». Il pa- lui. D’où venait l’argent de ces moines sept ou huit, une grande bringue de raît que le vieil économe, originaire de hantés d’un rêve d’abbaye ?15 treize ans, chantait le Deutschland Saint-Vith, allongeait sa figure jusque über alles dans le jardin, bras tendu. par terre. D’après les missionnaires de Kilwa, une Pendant ce temps-là, les Grecs trans- seule réponse : les subventions de la formaient Mussolini en Mussalani, ce En octobre ou novembre, deux jeunes Colonie allaient tout entières à Kasenga, qui veut dire chiotte en swahili. Salésiens étaient arrivés de Belgique.

15. L’ Annuaire des missions catholiques de 1949 signale Charles Coussement, en religion Dom Grégoire, ainsi qu’Alphonse Lietaert, en religion frère Athanase ; cf. Van Wing, J. (s.j.) ; Goemé, V. (s.j.). Annuaire des missions catholiques au Congo Belge et au Ruanda-Urundi [3e éd.]. Bruxelles : L’édition universelle, 1949, 671 p. ; p. 452. 16. Vanderlinden (Jacques), Pierre Ryckmans (1891-1959) : coloniser dans l’honneur. Avec un libre propos de Jean Stengers. Bruxelles : De Boeck-Wesmael, coll. De Boeck Université, 1994, 802 p. L’auteur faisait effectivement partie des enseignants de l’ULB, mais en droit, ce qui ne l’a pas empêché de s’inté- resser à l’Histoire.

32 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 Tableau de Régine Thiange, suggéré par Robert van Michel

Durant quatre ans, personne n’en était Ainsi, en 1946, je devins Européen. Une conflit mondial, dans l’édition 1940- venu et il était temps de prendre la re- trentaine d’années plus tard, un jour 1941, mais cela ne suffit pas à identi- lève de ceux qui tenaient à bout de bras que je feuilletais l’annuaire de l’Asso- fier l’individu, aucun médecin n’étant le Congo : mon père était déjà malade ciation des Écrivains belges, je tombai affecté, selon cette source, à Kasenga. depuis plusieurs mois et allait mou- sur le nom de Gustave Van Herrewe- Il n’est pas sûr non plus que cette édition rir à son retour en Belgique, au début ghe. Encore vingt ans, et je lus le docto- de l’Annuaire, sans doute publiée début de 46. Les nouveaux venus attiraient rat de Pierre Halen, qui avait rencontré 1940, ait pu tenir compte des décisions les regards par leur allure juvénile : Gustave Van Herreweghe. Sinueuses prises au Congo du fait de la guerre. longtemps qu’on n’avait pas vu cela. sont les voies du Seigneur : de wege Un prénom comme Goffredo, évidem- En outre, ils avaient vécu la guerre et van de Heer. ment, cadrerait avec le Deutschland l’Occupation : une espèce de mythe über alles dont il est question dans se faisait chair. L’un d’eux, Berkmans, *** les souvenirs de Louis Rouche, mais était wallon, de Namur. Il ne se gênait l’indice est évidemment bien mince... pas pour déclarer : « Ici, l’État-Major Qui est cet « Italien géniteur répétitif D’autres investigations seront donc né- est vieux et réactionnaire. Nous on est et fasciste » ? Difficile à dire. Les An- cessaires. (PH) communistes ». nuaires du Congo belge17 de la période nous renseignent, en 1938, les noms Qu’en pensait Monseigneur d[e] d’une petite trentaine de médecins Hemptinne ? Communiste comme cela, qui, d’après leurs noms, étaient d’ori- mon père l’était depuis longtemps. gine italienne, un chiffre qui témoigne Et Bwana Kapaépi ? Je ne sais pas. de l’importance relative des Italiens L’éducation est l’arme Il était toujours à Kasenga, tétant au Congo : Egidio Corti, Alfonso Li- son brûle-gueule et sautant les « né- cheri, Goffredo Linaro etc., mais le- la plus puissante pour gresses ». quel est le bon ? Ce nombre diminue changer le monde. fortement, sans doute pour cause de Nelson Mandela *

17. Annuaire du Congo Belge : administratif, commercial, industriel et agricole. Livre d’adresses 1940. Bruxelles : s.n.e., 1940, 888 p. ; Ministère des Colonies.- Annuaire officiel pour 1940-1941 / Officieel Jaarboek voor 1940-1941. [Bruxelles : Lesigne], [1940], 1626 p.

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 33 CULTURE RENDEZ-VOUS EN TERRE SWAHILIE

Pour terminer en beauté la série d’articles sur la civilisation swahilie parue dans les numéros 47 à 50 de la présente revue, sous la plume d’Emily Beauvent, voici le récit du voyage organisé dans la foulée en mars 2020, à la décou- verte des vestiges swahilis sur la côte orientale de l’Afrique, plus précisément à Kilwa, Mafia et Zanzibar, avec tout naturellement comme guide l’auteur des articles. PAR FRANÇOISE DEVAUX

Lundi 2 mars : un groupe de 13 per- sonnes se retrouve à Zaventem pour s’envoler vers la Tanzanie. L’excitation de retrouver l’Afrique est quelque peu assombrie par la menace de Corona- virus qui plane déjà au-dessus de nos têtes.

Mardi 3 mars : dès l’arrivée à l’aéroport de Dar es Salaam et ensuite à l’hôtel, je suis légèrement rassurée au vu des mesures de protection déjà mises en place : prise de température des voya- geurs venant d’Asie, gel hydro-alcoo- lique disponible partout et utilisation de masques par beaucoup d’habitants. Un chauffeur nous attend pour nous 1. Ile de Songo Mnara : ruines. conduire en minibus à l’hôtel Serena. Il emprunte une série de grandes artères où les marchés à ciel ouvert attirent une foule grouillante. Nous passons également devant d’anciens bâtiments de style ‘colonial’ qui abritent pour beaucoup des administrations tanza- niennes. L’après-midi à l’hôtel vient à point pour récupérer de la nuit blanche dans l’avion, en profitant de la piscine ou du jardin tout en sirotant une bière locale bien fraîche.

Mercredi 4 mars : le groupe est fin prêt pour rejoindre l’aéroport d’où un petit avion, affrété pour nous, s’envolera vers l’île de Kilwa. Au moment où nous laissons la terre derrière nous, Emily 2. Bienvenue au lait de coco. nous fait remarquer que nous survo- lons le delta du fleuve Rufiji au sortir de la réserve de Selous. L’atterrissage dessus des genoux pour atteindre le tre de taille appréciable et une piscine à Kilwa se fait sur une piste herbeuse. rivage. Heureusement, le soleil aidant, octogonale. Des locaux réservés au Les bagages une fois récupérés, les vêtements sèchent rapidement. commerce et aux enchères complètent nous rejoignons, par des chemins de Un escalier ancien fait de calcaire co- l’ensemble. L’après-midi, visite d’une brousse dégradés par les pluies ré- rallien mais très dégradé nous amène autre partie de l’île, mieux conservée. centes, l’hôtel Kilwa Beach Resort situé au palais d’Husuni Kubwa, des ruines Elle donne à voir des mosquées (dont au bord de l’océan. Accueil chaleureux qui nous donnent une idée de la cité une remarquable du XVè siècle), le fort accompagné d’un lait de coco siroté à originale, bien organisée. Il y avait les de Gereza reconstruit par les Omani sur même la noix. quartiers du sultan et sa famille ainsi des ruines portugaises, et un ensemble que ceux réservés aux domestiques et urbain avec maisons, places publiques, Jeudi 5 mars : transfert en canot aux gens d’armes. Viennent ensuite la nécropoles et autres bâtiments. à moteur vers l’île de Kisiwani. Pas partie ‘administrative’ de la cité avec la de ponton de débarquement donc salle d’audience du sultan ainsi que la Vendredi 6 mars : transfert vers l’île nous pataugeons dans l’eau jusqu’au partie ‘récréative’ avec un amphithéâ- de Songo Mnara à 1h30 de bateau.

34 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 Après débarquement dans la mer, nous sirote dans une noix de coco mais les rejoignons les ruines en suivant un plus assoiffés s’empressent d’y ajouter sentier serpentant au milieu des co- une bière : Serengeti, Kilimanjaro ou cotiers, qui se transforme en ruisseau Safari... [2] quand nous traversons la mangrove. Les fouilles ont permis de mettre au Dimanche 8 mars : trajet en bateau jour les vestiges de cinq mosquées, un vers l’île de Chole, ses ruines et son vil- ensemble palatial, quelque trente-trois lage où certain(e)s font des emplettes, habitations domestiques construites robes, chemises et autres souvenirs. en calcaire corallien et en bois, à l’in- Les conditions météo ayant reporté térieur d’un mur d’enceinte. [1] Nous une visite au lendemain, l’après-midi pouvons bien imaginer ce qu’était se passe ‘pole pole’ à se dorer au so- cette cité car, contrairement au palais leil après un plongeon dans la piscine d’Husuni Kubwa, de nombreux bâti- ou à profiter de massages relaxants. ments sont encore debout et certains Surprise en soirée : le personnel a dé- ont été partiellement restaurés. Beau- placé tables et chaises sur la plage coup d’arbres, dont de beaux bao- pour un dîner au clair de lune, d’autant babs, atténuent les ardeurs du soleil et plus agréable que la pleine lune brille rendent la visite moins pénible. Un des de tous ses feux. accompagnateurs m’a confié que des chercheurs et des étudiants viennent Lundi 9 mars : la matinée se passe parfois planter leurs tentes sur l’île pour sous l’eau pour un groupe de nageurs poursuivre leurs recherches. Eux mis à voulant profiter de la beauté du parc part, il n’y a que peu de visiteurs. Les marin qui entoure l’île et observer la deux sites de Kilwa Kisiwani et Songo faune et la flore sous-marine. Début Mnara sont classés par l’Unesco. d’après-midi, un canot à moteur nous 4. Ancienne porte typique. emporte vers l’île de Juani qui abrite Samedi 7 mars : après le petit dé- les ruines d’une ancienne cité swahili, jeuner, départ vers l’aérodrome pour Kua, l’un des sites médiévaux les plus sister au coucher du soleil précède la prendre l’avion à destination de l’île de importants d’Afrique de l’est: palais, dernière soirée sur l’île, pendant que Mafia où nous atterrissons après 35’ maisons, mosquées, hammam ou ‘ma- le personnel, qui a mis les petits plats de survol de l’océan couleur turquoise. drassa’ (école coranique), cimetière. dans les grands, prépare un repas fes- En route vers l’hôtel ‘Pole Pole’ nous L’ensemble du site, malgré l’aide de di- tif à déguster à la lueur des bougies en reconnaissons ici des fleurs ou arbres, verses associations, se dégrade un peu bordure de la plage. là des fruits ou légumes, pour lesquels plus chaque année. Nos pérégrinations le chauffeur nous donne le nom en dans les herbes hautes nous amènent Mardi 10 mars : c’est le cœur gros langue swahili. L’ensemble de l’hôtel à un très vieil arbre non loin duquel se que nous quittons ce merveilleux en- se niche au milieu de palmiers, arbres dresse un pilier funéraire swahili [3], droit où la direction et le personnel et buissons arbustifs qui procurent un caractéristique de cette culture ; nous ont tout fait pour rendre notre séjour ombrage toujours agréable. Encore en avions vu quelques-uns à Kilwa des plus agréable. Encore une fois, une fois, notre boisson de bienvenue se Kisiwani. Une balade en mer pour as- nous survolons l’océan pour rejoindre l’île de Zanzibar. A l’aéroport, accueil sanitaire : contrôle de la température corporelle ; nettoyage répété des mains au gel hydro-alcoolique. Un minibus nous conduit au Serena Inn, situé au cœur de la vieille ville, par des avenues aussi bondées que la rue de la Loi à l’heure de pointe !

Mercredi 11 mars : visite de Stone Town, la vieille ville, par ses ruelles étroites où l’on peut admirer d’an- ciennes maisons, à plusieurs étages. Leurs portes en bois, sont souvent décorées de gros clous en cuivre em- pruntés à l’Inde, où ils devaient préve- nir les attaques d’éléphants. Seuls les

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 35 3. Cité de Kua : pilier funéraire swahili. CULTURE

montants et les linteaux sont décorés de motifs sculptés : chaîne (sécurité), dattier (abondance), poisson et fleur de lotus (fécondité). [4] Après être pas- sés devant la maison natale du fameux Freddy Mercury transformée en musée à sa mémoire, nous arrivons au Vieux Fort qui n’est plus qu’un lieu de vente d’objets touristiques. Nous visitons le Musée du Palais et admirons en pas- sant la Maison des Merveilles (nyum- ba ya moto en swahili), en réfection, vaste bâtiment à étages construit par le Sultan Bargash à la fin du 19è siècle 5. Dispensaire Ithnasheri (style indien). sur le site d’un palais plus ancien. Ce fut le premier bâtiment à être équipé d’électricité en Afrique orientale. Tout en longeant le port, nous arrivons au Dispensaire Ithnasheri [5] qui semble flambant neuf bien qu’il fut construit en 1890 par un marchand travaillant pour la douane des Sultans. En 1899, il trans- forma sa maison en dispensaire. C’est grâce à l’aide de l’Aga Khan que ce ma- gnifique bâtiment, de style indien, fut restauré en 1995.

Après le centre historique, nous ar- rivons à la cathédrale anglicane qui expose un crucifix fait dans le bois de l’arbre sous lequel le Dr. Livingstone mourut en 1873 et au pied duquel son cœur est enterré (Chitambo, Zambie). Un peu plus loin, le triste sort des es- claves est évoqué par un ensemble sculpté proche du bâtiment où nous 6. Palais Maruhubi. descendons dans une cave où ils étaient entassés en attendant leur des- tination future.

Les jeudi 12 et vendredi 13 mars se passent à sillonner l’île à la décou- verte de l’architecture swahilie. Emily fut agréablement surprise de constater les diverses restaurations récentes (ou encore en cours) effectuées par le gou- vernement de Zanzibar. Malgré cela, beaucoup d’endroits ne présentent plus que des ruines. Certains sites pour- tant, comme le palais de Maruhubi [6], auquel on accède par une allée plan- tée de manguiers centenaires, ou celui de M’Toni, permettent d’en imaginer la taille, la beauté et la richesse. La maison de campagne de Bi Khole, une fille du Sultan, vient d’être entièrement remise à neuf... et meublée. Encore fermée au public, le gardien nous la laisse visiter

36 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 7. Bains de Kidichi. pour notre grand plaisir car les ruines visitées précédemment ne peuvent rendre compte de la manière de vivre de l’époque. Visite aussi de ‘bains’ dont ceux de Kidichi [7] construits par le Sultan Said pour son épouse persane qui aimait venir s’y rafraichir après des parties de chasse ou le voyage depuis la capitale.

Mais il n’y a pas que l’architecture swahilie. Un jeune guide nous fait parcourir un petit jardin botanique en nous détaillant le nom et l’utilité d’un grand nombre d’arbres, de plantes et d’épices. Nous nous rendons ensuite à la forêt de Jozani, petit reliquat de la forêt de tecks qui recouvrait autrefois une grande partie de l’île avant qu’elle ne soit détruite pour y cultiver les gi- rofliers et autres épices. Au détour d’un sentier, nous avons la chance d’obser- 8. Colobe rouge. ver longuement une famille de Colobes rouges [8], singes qui ne vivent qu’à Ce voyage, bien qu’éprouvant en rai- Malheureusement, les années ont eu Zanzibar. son de la chaleur humide, a été une raison des constructions de l’époque réussite grâce à la préparation et l’or- swahilie et il ne reste que des vestiges Tout au sud de l’île, nous visitons la pe- ganisation d’Emily Beauvent. Nous ne sur certains sites ou des ruines en plus tite mosquée de Kizimkazi datant du XIIe pouvons que l’en remercier, de même ou moins bon état. Malgré tout, nous siècle, la plus ancienne d’Afrique orien- que l’ensemble du groupe qui a mon- avons pu nous faire une idée de la fa- tale. Elle est encore utilisée, nous ôtons tré son intérêt tout au long des nom- çon de vivre des Swahilis il y a quelques donc nos chaussures avant d’entrer et breuses visites, dans la bonne humeur centaines d’années. les femmes se couvrent la tête et les et la bonne entente. épaules. Le responsable venu nous ou- vrir a fort à faire pour répondre aux nom- breuses questions à propos de l’architec- ture, des rites et des livres exposés.

Pour parfaire notre culture, l’hôtel avait invité un ensemble de musique ‘taa- rab’ conduit par le directeur d’une des écoles de musique accompagné de quelques élèves qui jouaient du vio- lon, de l’accordéon, du qanum (cithare arabe trapézoïdale) et une sorte de gui- tare. Cette ancienne musique de cour mêle des influences arabe, indienne et swahili et est très populaire sur l’île. Un autre soir, c’était un groupe local chantant en kiswahili qui se produisait, assez bruyant, mais qui a donné l’oc- casion de danser au bord de la piscine.

Le samedi 14 mars : Trois d’entre nous s’envolent vers la réserve de Se- lous pour un petit safari tandis que les autres passent une dernière journée à Stone Town avant le voyage de retour vers l’Europe. 9. Notre groupe.

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 37 TÉMOIGNAGE À LA DÉCOUVERTE DU CONGO

Une de nos collaboratrices est partie au Congo, il y a quelques temps, avec son mari. Nous commençons ici la relation de leur voyage, qui ne s’est pas déroulé sans une bonne part de contretemps, assez plaisants en général, avouons-le. Dorénavant, notre collaboratrice nous enverra régulièrement ses impressions sur la vie dans notre colonie. Libelle, qui compte déjà tant de lectrices au Congo, possèdera ainsi son propre avant-poste dans la colo- nie, et notre revue ne négligera rien pour tenir toutes nos lectrices de la mère-patrie au courant de la vie dans la brousse, qui rend si captivante l’existence de la femme coloniale. PAR DAISY VER BOVEN

e peut-il que nous soyons vrai- goûté la désinvolture avec laquelle elle ment au bout de nos misères ? s’était assise sur un sac de ciment – vê- SS’avérera-t-il réellement l’ultime tue de son manteau tout neuf ! – et la de nos soucis, le dernier obstacle à pas- voici maintenant qui pleure à chaudes ser, ce douanier froidement indifférent larmes. La pauvre – ses nerfs ont pris le qui dévaste avec application la belle dessus, cela se voit. Nous en sommes ordonnance de nos valises, à laquelle tous là, d’ailleurs. Aussi bien la mesure nous avons consacré tant de peines est pleine : ce voyage interminable et de temps ? Résignés, passifs, nous dans le train, ce repas hâtif à midi, et avons assisté à la ruine de ce qui nous ici, maintenant, cette attente fiévreuse, a coûté tant d’efforts, soutenus par la les jambes lasses et les pieds gelés par conviction que c’est bien là la fin du cal- les courants d’air. Par-dessus tout, la vaire que nous eûmes à gravir au cours tension nerveuse, nos efforts lamen- des derniers mois écoulés. Il nous a fal- tables pour maintenir malgré tout une lu produire des certificats, remplir des atmosphère de gaieté factice. bordereaux, solliciter nos passeports et nos titres de transport... Personne Comme nous évitons avec soin que ne s’imagine la quantité de documents nos regards se rencontrent ! Un vrai nécessaires pour se rendre au Congo supplice... « Ca y est ? » demande Ma- (le tout en double ou triple expédition). man. Pauvre Maman ! Elle a fait un ef- Heureusement c’est fini maintenant, fort louable pour donner à sa voix un bien fini ! Ou pas encore ?... « Monsieur, ton paisible et assuré, mais personne s’il vous plaît – pourrais-je voir votre li- n’en est dupe. « Pas encore », lui dis- Libelle, lancement du reportage de Daisy Ver Boven cence d’exportation ? » Là ! il fallait je, « Jean avait encore à soumettre bien s’y attendre. Le personnage coiffé quelques papiers... ». Nous nous tai- ces sanglots qui montent obstinément. de la casquette galonnée d’or, venu se sons tous. Chacun poursuit ses propres Nous voici en route tout de même, poster à côté du douanier, vient de dé- pensées, tout en contemplant distraite- entre une haie de gens aux regards couvrir le revolver de Jean, tout au fond ment les autres passagers déjà libérés tantôt curieux, tantôt compatissants, de la valise. Mon mari fouille conscien- des formalités. Il y en a qui s’agrippent qui bordent le chemin vers la passe- cieusement dans sa serviette, puis en sanglotant à leurs parents tout aussi relle. dans son portefeuille... « Chérie, n’au- désolés. Enfin voici Jean avec son frère, rais-tu pas mis ce papier dans ton sac, chacun traînant une lourde valise. Comme j’aurais aimé me retourner par hasard ? » « Bien sûr que non, je une dernière fois, lancer un ultime sa- n’ai eu garde de conserver le moindre « Nous y sommes ! » nous annonce- lut de la main, ainsi que cela se fait... document officiel. » Jean s’énerve, et t-il. « Tout est en règle. » Cela fait l’ef- Mais je porte sous le bras droit mon m’énerve par contagion. Nous en ve- fet d’une sentence. Personne ne paraît sac à main et ma main gauche sou- nons à des paroles qui ne pèchent pas capable de proférer une parole. Il le tient un volumineux bouquet de fleurs. par excès d’aménité. Certaine de ne faudrait pourtant. Le silence persiste Et puis, la passerelle est humide, et glis- pas avoir ce document sur moi, je pré- pendant quelques interminables se- sante... Nous éprouvons une sensation fère m’éloigner, remontant avec peine condes, se fait pénible... « Allons » se de bien-être et de soulagement quand le flot d’êtres humains qui s’avance. décide Jean. « Cela va être l’heure, nous arrivons sains et saufs au pied Je cherche à découvrir l’endroit où, n’est-ce pas ? ». Ses paroles rendent d’un escalier particulièrement raide et tout à l’heure, nous avions laissé les la vie à notre groupe figé. Des bras qu’un salon brillamment éclairé s’étend membres de notre famille venus nous m’entourent, des bouches s’appuient devant nous. C’est très intime, ma foi accompagner. Enfin, je les retrouve sous sur mes joues, tout en murmurant des – un vrai chez soi. Nous nous sentons le hangar : Papa et maman, les jeunes paroles d’encouragement et de conso- comme caressés par la douce chaleur frères et sœurs, ainsi que quelques lation... Finissons-en ! vite ! Il y a une des radiateurs. Les tables exhibent des amis. Christiane vient de récolter une buée géante devant nos yeux, et nos nappes d’une blancheur éblouissante, verte réprimande de Papa, qui a peu gorges ne sauraient retenir longtemps où se détachent des vases gaîment

38 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 fleuris. La jeune femme qui nous pré- Je pointe soigneusement : Cabine cède dans la file – car nous faisons de B, D, F... Me faudra-t-il continuer ainsi nouveau la queue – se retourne pour jusqu’à U ? Le couloir se faufile sous des m’adresser un sourire Je comprends escaliers, longe une énorme cuisine, parfaitement qu’elle aussi jouit de cette traverse un nouveau salon... Saurai-je atmosphère de tiède intimité. Tout le jamais revenir à mon point de départ ? monde ne partagera pas notre joie, Des gens vont et viennent, entretenant pour autant ! On va nous le démontrer un trafic intense, qui comporte même tout à l’heure... L’escalier paraît gémir, ses encombrements et ses collisions. et nos regards surpris découvrent une Sans doute sont-ils à la recherche de volumineuse dame revêtue d’un man- parents égarés. Enfin j’aperçois la lettre teau de pluie en nylon. Haletante, elle U. J’ouvre la petite porte en fer et me franchit les dernières marches. « Juste voici donc dans le logement qui abri- ciel, Pierre, quel moche bateau ! Et dire tera mon sommeil pendant la quin- qu’il va falloir faire tout ce voyage là-de- zaine à venir. Je suis terriblement dé- dans. C’est une honte, vraiment ! ». çue. Une collection impressionnante Ces observations malveillantes me font de lits s’entasse là-dedans. Et je parle l’effet d’une injure personnelle. Pour littéralement – car les couchettes sont ce qui est du Pierre en question, il est superposées, deux à deux. Au chevet bien trop occupé pour réagir devant les de chaque lit, une vilaine petite armoire plaintes de son épouse. Ensuite, nous métallique, et c’est tout. Sur tout cela sommes distraits par une sorte de pan- luit la lumière de l’unique lampe rouge démonium qui éclate derrière nous. au plafond. L’ambiance est déplaisante, Un monsieur a bien failli descendre voire inquiétante. J’ai l’impression de l’escalier plus vite qu’il n’en avait l’in- m’être fourvoyée au beau milieu d’un tention, le passage étant obstrué par film de guerre. les cinq rejetons d’une famille nom- Daisy Ver Boven breuse lesquels ont découvert là un En hâte, je pose ma valise sur la cou- terrain de jeu inespéré. chette n° 5 qui m’est destinée, (un « rez- rents. Il suffit, en somme, d’avoir de la de-chaussée », heureusement !) et me chance ! Eux nous aperçoivent éga- Dans le fond du salon, la stewardesse mets en devoir de retrouver mon mari. lement tout de suite. Nous nous pen- officie : « Monsieur...Cabine T, tout au Je me trompe deux fois de chemin, si chons par-dessus le bastingage, et bout du couloir, à gauche. Par ici, s.v.p... bien que Jean m’attend déjà avec impa- nous nous évertuons à amorcer une Et pour Madame, Cabine U. C’est par tience. Une telle foule se presse main- conversation. Hélas, la distance est là... « Comment ? Nous ne serons donc tenant dans la grande salle à manger trop grande, et personne n’arrive à s’en- pas ensemble ? « Hélas, non » explique- où nous étions entrés, qu’il serait vain tendre. Le langage des yeux peut seul t-elle, avec un petit sourire malicieux. d’essayer de s’y frayer un chemin. Nous nous aider, et nous nous contentons « Jeunes mariés ? » « Dépêchons-nous » cherchons une issue possible, tâtant donc de river notre regard sur les chers intervient Jean, qui souffre le martyre de plusieurs autres escaliers. C’est ain- visages tendus vers nous, déjà si loin ! dès que quelqu’un fait mine de se mê- si que nous débouchons à l’improvis- Le sourire émouvant de Maman, telle- ler de nos affaires privées. « Nous al- te dans une cuisine, où se préparent ment triste, bien qu’elle cherche visible- lons jeter un coup d’œil ! en vitesse et en ce moment de gigantesques mon- ment à nous remonter le moral – la sil- remonter sur le pont ensuite. » « Enten- tagnes de pommes frites. Le visage houette de Papa, qui me paraît soudain du, mon chéri. Veux-tu que nous nous de mon mari s’épanouit à ce spectacle avoir vieilli et qui s’appuie avec lassi- retrouvions ici-même ? » Là-dessus gargantuesque, et il m’annonce qu’il se tude sur sa canne. Et cette chère écer- nous nous glissons chacun de notre sent une faim d’ogre. Enfin, nous aper- velée de Christiane, qui éprouve le be- côté, dans un étroit couloir. Evanoui, cevons un petit carré de ciel au-dessus soin de se balancer sur le câble servant notre beau rêve d’une jolie petite ca- de nos têtes et, par une sortie qui m’a de clôture... Mes mains se cramponnent bine bien aérée, avec vue sur la mer, où tout l’air d’un tuyau, nous parvenons à désespérément au bastingage. De nous aurons vécu quinze jours d’intimité l’air libre. folles pensées se bousculent dans ma délicieuse... Soit ! En premier lieu, nous tête : la passerelle n’est pas encore en- ne sommes pas mariés depuis hier et, Mais ce n’est pas encore cela. Nous levée, il est temps encore... je pourrais par ailleurs, notre bateau servait vail- sommes bien trop haut ici. Il faut re- retourner... Et, pendant ce temps, je me lamment, il n’y a guère, au transport de descendre par le tuyau. Après bien des tiens immobile au côté de Jean, exté- troupes, et il serait malséant d’exiger de efforts inutiles, notre persévérance se rieurement calme, et je souris. lui tout le confort prodigué par les pa- trouve soudain récompensée et nous quebots modèles. sortons sur le pont, juste en face de Voici la sirène du navire qui déchire l’endroit où attendent toujours nos pa- l’air. Longuement. C’est lugubre...

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 39 TÉMOIGNAGE

La passerelle d’embarquement est tirée verre accroché au lit. Je soupçonne ce sur le quai. De nouveau la sirène hurle verre d’être là pour un tout autre usage. pour un dernier avertissement. Lente- Mal de mer et catastrophes similaires... ment, très lentement, l’immense coque Mes vêtements disparaissent dans le se détache de la terre ferme. Je fixe ce petit meuble métallique, dont la clé mur qui s’éloigne de nous, cette bande manque. A peine ai-je terminé que le d’eau qui s’élargit graduellement, puis gong retentit pour le diner. « Fameux », mes yeux retrouvent le quai. Les voix s’exclame Jean, dont les émotions ré- de ceux qui nous regardent partir centes ne paraissent pas avoir chassé le s’unissent en un adieu collectif véhé- souvenir alléchant des frites. Autour de Képi de douanier ment, auquel répond plus faiblement la grande table, où nous trouvons place, le bruit de nos voix. Des chapeaux on- une conversation animée règne déjà. dulent à bout de bras, des mouchoirs Un sujet d’actualité ! « Est-il vraiment Après le dessert, un monsieur en face blancs s’épanouissent au-dessus si pénible d’avoir le mal de mer ? » La de moi s’enquiert aimablement de mes des têtes... Nous répondons de notre belle blonde qui se serre anxieusement impressions. « Cela va toujours ? » mieux, comme hébétés. Les visages contre son mari pâlit à cette seule évo- demande-t-il avec un sourire un peu s’estompent, à ne plus être déjà que cation. « Que vous dirais-je, Madame ? malicieux. « Qu’espériez-vous donc ? » des taches claires, les contours se C’est très relatif, n’est-ce pas ? » L’in- lui rétorqué-je. « Il n’y a pas encore le perdent dans la masse... Heureuse- terpellé, un monsieur maigre, au visage moindre tangage. » « Désolé de vous ment, il me reste le petit manteau rouge émacié et basané, fronce les sourcils. contredire, Madame, » riposte-t-il. de Christiane pour fixer mon regard. On voit qu’il pèse soigneusement ses Cela tangue, je vous assure. Regardez Ensuite, je ne puis plus me contenir. paroles. « Personnellement je n’ai ja- donc à la fois cette bordure peinte sur Les sanglots si longtemps refoulés se mais été malade, comprenez-vous ? le mur et le vase de fleurs sur la table. libèrent en larmes brûlantes... Je jette un Il faut manger, bien manger, c’est en- Vous m’en direz des nouvelles. » J’écar- coup d’œil à la dérobée sur mon mari. core mieux. » Tout en émettant son quille des yeux étonnés, car réellement, Son visage est étrangement pâle, ses oracle, il joint l’exemple à la parole et je n’en puis plus douter. Les fleurs se yeux ont quelque chose de hagard. se sert copieusement du plat qu’un meuvent sous une impulsion alterna- Son bras vient entourer mes épaules. garçon, à peau d’ébène, lui tend. Igno- tivement ascendante et descendante. « Courage, chérie ! nous l’avons vou- rait-il que d’autres passagers espèrent Donc, la table doit en faire autant. lu, pas vrai ? ». Le quai se retire de se servir après lui ? Une dame aux che- Et nous aussi. « Mais c’est horrible » nous toujours plus. Bientôt, ce n’est veux décolorés, assise à côté de Jean, susurre la demoiselle maigre, tout en plus qu’une vague masse noire dans le s’émeut devant ce spectacle. « Manger changeant hâtivement de point de crépuscule brumeux. Un vent froid et beaucoup pour éviter le mal de mer ? vue. Mais là aussi, il y a des fleurs... humide souffle du large. Je me cache le Quelle horreur ! C’est au contraire de Nous cherchons tous un point qui se- visage dans les mains et pleure. la dernière imprudence. Il ne faut rien rait encore fixe, mais rien n’y fait. Les manger, voyons ! Quand l’estomac est meubles, les gens, tout est entré dans « A combien sommes-nous là-de- vide, on est à l’abri des surprises désa- la danse et vient d’épouser le mou- dans ?...Seize ? Mais c’est affreux ! »... gréables. » Les avis fusent de toutes vement ondulant ambiant. « Si nous La volumineuse anatomie du « moche parts. montions sur le pont ? » proposé-je en bateau » (c’est ainsi que j’ai baptisé hâte. « Ça manque un peu d’air ici, ne la dame en question) s’encadre étroi- Il faut bien que les « anciens » fassent trouves-tu pas ? » tement dans l’ouverture de la porte. bénéficier les nouveaux de leur expé- Impossible de me glisser à côté d’elle. rience. Les récits qu’ils nous servent Dehors règne un froid glacial, et la nuit Il me faut donc attendre patiemment sont franchement terrifiants, et bien est d’un noir d’encre. Je ne quitte pas qu’elle se décide à entrer. L’aspect de des cœurs novices doivent se serrer la main de Jean, pendant que nous la cabine n’est, à vrai dire, nullement d’angoisse. Le visage de la petite dame nous dirigeons au hasard vers le bas- séduisant. Malles, valises, vêtements, blonde, déjà bien pâle, rivalise main- tingage. Il s’agit de trouver un endroit chapeaux, casques coloniaux, fleurs, tenant avec la blancheur de la nappe. abrité du vent. Il y a peu de monde sur tout s’emmêle. Dans ce chaos, un « Je ne pense pas, pour ma part, que le pont. Quelques rares couples se de- groupe de dames de tous âges s’affaire je serai incommodée, » déclare une vinent, immobiles. Seuls s’entendent et s’évertue à se créer individuellement demoiselle d’âge mur, au physique le gémissement du vent et le clapotis un ilot désordonné. Etourdie, je m’as- plutôt ingrat. « Je me sens en tous cas des vagues contre la coque du bateau. sieds sur mon lit, et ma tête éprouve merveilleusement disposée pour le Nous avons relevé le col de nos man- aussitôt la dureté du deuxième lit qui moment. » « Quoi d’étonnant ? » teaux. Le vent s’acharne sur le carré le surmonte. Expérience douloureuse, grogne quelqu’un. « Puisque nous ne de soie que j’ai mis sur mes cheveux. mais très instructive. J’entreprends sommes pas encore en mer ? Le pilote Cela claque comme un drapeau. Nous de ranger mes affaires. Mes fleurs n’est même pas parti. » regardons devant nous, au-dessus trouvent accueil dans un récipient de de l’eau, cherchant à percer l’obscu-

40 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 rité. Des lumières rouges et vertes gens que nous rencontrons partout. Je ne saurais dire comment je me suis surgissent par moments, pour vite se Certains nous dépassent en courant, déshabillée et mise au lit. En tout cas, dissoudre dans la nuit. Nous parlons nous bousculent sans penser à s’excu- me voici couchée. Le lit étroit, part à peu, le vent s’empare de nos rares pa- ser. Leurs visages présentent une pâ- bâbord, puis à tribord... Je m’agrippe roles et les emporte dans sa course. leur cadavérique. D’autres, plus mal en comme je peux et enfonce la tête au Puis, ce que nous aurions aimé nous point encore, s’appuient à la paroi, qui creux de l’oreiller, afin de ne plus rien dire n’est pas fait pour être crié à tue- ne cesse pour autant son mouvement voir, ne plus rien entendre. Mon phy- tête. Nos pensées tournent en rond. oscillatoire. sique se révolte désagréablement. Tan- tôt mon corps semble se dilater, tantôt Toujours la même idée centrale : que Par moments, un gémissement déses- se comprimer à l’extrême. Les portes la séparation peut être pénible, et péré les fait se redresser en sursaut des petits meubles métalliques dont la comme l’inconnu qui est devant nous, et ils courent alors vers de lointains clé manque claquent sans arrêt. Ouvert nous paraît soudain décevant et lourd locaux consacrés à la toilette... Je me – fermé – ouvert – fermé, chaque os- de menaces ! A l’horizon, les phares sens de plus en plus écœurée. De ma cillation du navire est accusée par un clignotent inlassablement, et voici la vie je n’ai connu sensation semblable. claquement violent. Des seaux roulent pluie qui reprend. « Il vaut mieux aller « Tu vas te coucher, mon petit » tranche sur le pont, des chaînes cognent ra- en bas » opine Jean. C’est comme une Jean. « Laisse-moi te conduire. » geusement contre les cloisons, sur le descente aux enfers. Il fait une chaleur A peine avons-nous fait quelques pas sol de la cabine le tintement des verres insupportable, et l’air, épais, semble en direction de ma cabine, qu’il s’ar- tombés se mêle au concert. Personne devenu irrespirable. Quant au petit rête, comme pétrifié. « Tu pourras ne songe à ramasser les fleurs coû- couloir où nous nous sommes enga- continuer seule, dis ? » profère-t-il teuses qui gisent lamentablement, un gés, il paraît vouloir tourner autour de avec difficulté, et d’une voix que je ne peu partout, dans les flaques d’eau. son axe longitudinal, comme pour nous lui connaissais pas encore. « Je vais offrir l’occasion de marcher tantôt sur faire un dernier tour sur le pont, je... » Je suis à me demander si je vais mourir, le sol, tantôt sur le plafond. « Jean... ! » Et le voilà qui monte déjà l’escalier le ou bien perdre la raison, quand je me fais-je, en me cramponnant à son bras. plus proche, franchissant trois degrés à sens glisser dans un sommeil fiévreux, « Tu ne vas pas avoir déjà le mal de chaque enjambée. Il m’a été impossible tout meublé de visions fantastiques et mer, chérie ? Ce serait excessif ! ». par la suite d’apprendre si cette course invariablement terrifiantes. Il m’examine d’un regard légèrement précipitée avait pour origine l’envie narquois, mais où il y a tout de même irrésistible de revoir une dernière fois le A suivre suffisamment de sollicitude. « Non... fin pinceau de lumière des phares, ou Je ne sais pas » dis-je, mais mon cœur s’il fallait l’attribuer à des motifs beau- se soulève. A chaque pas, il faut nous coup plus prosaïques. écarter, pour éviter la collision avec les

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020SS Tervaete41 COOPÉ- RATION DE THYSVILLE A MBANZA-NGUNGU

Témoignage d’un officier du groupe de la quinzaine d’officiers de réserve en rappel volontaire mis à la disposition du Ministère du Congo Belge et du Ruanda-Urundi, à la date du 16 juillet 1959, pour aller renforcer la Force Publique (FP). Il en ressort que la révolte de la FP n’était pas une fatalité mais un fatal enchaînement de circonstances. Dès janvier 1961 d’ailleurs l’officier a repris du service à la même FP, avant de prendre du service à la coopération bel- go-congolaise. Voici son parcours. PAR MICHEL-JEAN NICOLAY

’urgence ne permettant pas de étrangers qui accepteront de conseiller Hardy au cadre de l’école : le 1Lt An- nous assurer une formation en les autorités nouvelles bénéficieront dré MASSON, polytechnicien, pour les Belgique même, elle commence- de leur protection et connaîtront, ipso maths et les sciences, et moi-même L er ra sur le Baudouinville le 1 août ‘59 en facto, une paix royale. pour le français et l’histoire. Elle n’a pas ce qui concerne le lingala assuré par pu s’ouvrir à cette date. un officier FP retour de congé (Lt Jean En septembre ‘59, suite au départ de CREMER). son titulaire, le Comd Jean POWIS de Fin ‘59, circule une information anodine TENBOSSCHE, le Cercle d’Etudes pour beaucoup : la mise sur pied d’un Arrivée à Thysville (via Lobito et Matadi) pour Evolués, appelé Cercle d’Etudes jury central provincial qui devait fonc- le 17 août. Affectation : le ème2 Escadron Major Rouling (du nom d’un ancien tionner en juillet ‘60. Ce jury permettait, de Reconnaissance (2 Esc Rcn), unité officier luxembourgeois), est sans entre autres, aux certifiés PP 2 (deux de la 4ème Brigade Indépendante (4 Bde « Conseiller militaire ». Le Comd de la années de post-primaires) d’atteindre Indep) du Camp Hardy de Thysville. 4 Bde, le Colonel Henri MARTEL et son le niveau PP 4 (études moyennes). Il y Accueil convivial de nos nouveaux officier S2, le Comd Yvon THIBAUT, me avait quelques PP 2 au Cercle d’Etudes chefs. Attribution de logement (je parta- confient cette charge un peu particu- et ils se disaient très intéressés. Le gerai, jusqu’en juillet ‘60, une villa à trois lière. Il s’agit, en accord avec le pré- problème est d’organiser des cours. chambres avec deux collègues, dont Al- sident du groupe, de prévoir et animer J’en parle à mes deux chefs qui ac- phonse SCHOONBROODT). une réunion mensuelle (dans un local ceptent et appuient cette initiative. situé à l’étage de la cantine Troupe) au Les cours se donneront, le soir, dans A l’Escadron, comme presque tous cours de laquelle seraient étudiés no- la salle de réunion de la Bde (à une les cadres de la Force Publique (FP), tamment les problèmes soulevés par vingtaine de mètres du bureau du j’occuperai deux fonctions : chef de les membres. Qui étaient, le plus sou- Comd Bde !). Je contacte un mis- peloton et S4 (logistique). La matinée vent, des miliciens, dotés de certificats sionnaire tournaisien, le RP Jacques est réservée aux activités de l’Esc, scolaires de divers niveaux et appelés TARWE, directeur de l’Institut St Clé- l’après-midi étant consacrée à notre à servir un certain nombre d’années au ment (niveau études moyennes) qui formation : cours (lingala, structures sein de la FP. Le président est un tech- m’assure de sa collaboration et s’oc- et fonctionnement de la FP, règle- nicien agronome que j’aurai plaisir à cupera du programme et de recruter ment sur le « Maintien et Rétablis- revoir, quelques années plus tard, à la des enseignants. Ceux-ci seront à la sement de l’Ordre Public, M.R.O.P., tête d’une station agricole de la région. charge exclusive des « élèves ». Gros etc.) et conférences (initiation à notre L’atmosphère des quelques réunions succès de participation : +/- 30 candi- nouveau milieu, situation politique...). que nous avons eu l’occasion de tenir, dats de diverses unités, y compris des Un des conférenciers marque spé- est confiante. Mais une question va commandos et des soldats de la Com- cialement les esprits. Il s ‘agit d’André revenir, lancinante « Un évêque congo- pagnie en Service Territorial (Cie en RYCKMANS, administrateur territorial lais, Mgr Pierre KIMBONDO, vient ST qui deviendra la gendarmerie) dont assistant principal (ATAP) à Madimba d’être nommé au diocèse (voisin) de les camps sont fort éloignés du Camp (où l’administrateur territorial -AT- est Kisantu. Pourquoi n’y a-t-il pas encore Hardy. Les cours seront assurés jusque Antoine SAINTRAINT). Les Bakongo, de sous-lieutenant à la FP ? » La ques- fin juin. Mais le jury n’a pu se réunir à la surtout à travers leur association poli- tion de la promotion au grade d’offi- date prévue. tico-culturelle, l’Alliance des Bakongo, cier qui sera, notamment, au coeur de l’ABAKO, manifestaient, par des diffi- la future révolte, était à l’étude depuis Suite aux évènements, je rentre en cultés de tous genres, de plus en plus quelque temps. L’ouverture d’une école Belgique en juillet. En septembre, je clairement et fermement leur volonté de sous-lieutenants était d’ailleurs pré- reçois une lettre du RP TARWE qui me de voir le système colonial disparaître. vue en 1959 à Luluabourg. Mais devant fait part de sa décision de transformer Ceci entraînait dans l’esprit de tous les réactions négatives d’un grand son Institut en Collège St Clément par les étrangers un sentiment de « ter- nombre de gradés, le Comd de la FP, l’aboutissement d’une filière « scienti- minus », aucune perspective politique le Général Emile JANSSENS, décida fique » (6 ans) et par la création d’un collective ne venant les rassurer. André de la postposer. Le dossier sera repris section gréco-latine dont il voulait, à RYCKMANS, lui, est très clair dans ses par le Comd BEM Jacques MATTHYS, terme, me confier les cours de latin et convictions : lorsque les Bakongo au- adjoint G3, et l’école devait s’ouvrir en de grec. Fort de la « prophétie » d’An- ront acquis leur indépendance, tous les septembre ‘60. Deux officiers du Camp dré RYCKMANS et de l’appui de ma

42 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 future épouse, je n’ai pas réfléchi long- Patrice LUMUMBA, emprisonné de- tions de Léo, la population étrangère va temps avant de lui envoyer mon accord. puis quelque temps au Camp. Loin revenir en nombre. Signe d’un retour au Je serai donc prof jusqu’en ‘66. Période de moi l’idée que son influence était calme. En plus des religieux, religieuses de travail important mais de satisfac- nulle, car je pouvais la ressentir dans et commerçants, diverses coopéra- tions profondes. Avec la confirmation les commentaires d’un abbé, assumé tions enverront des techniciens. Ainsi, que la culture est universelle. comme aumônier du Camp, avec le- des février ‘61, trois militaires belges (le quel je partageais la table le midi à la Capitaine José H., l’A.C. Louis J. et l’A. Je reviens à Thysville dans les premiers Mission Sainte-Thérèse. Mais une autre Richard W.) seront affectés à la Bde, jours de janvier ‘61. Dans l’attente de explication a eu cours, plus prosaïque. avant-garde d’autres équipes (fran- l’attribution de la maison-Etat n° 46 sur Le Camp est distant de deux à trois çaises et belges) en appui notamment l’Avenue circulaire, maison que nous kilomètres du centre commercial, dit au Génie et à l’Ecole des Blindés qui quitterons en ‘77, je m’installe provisoi- « la ville », mais la différence d’alti- va se développer. Dans l’agriculture, ce rement à la mission du Sacré-Coeur. tude entre les deux est relativement qui était le « Marché Commun » enver- Première visite d’importance : le Colo- importante. Pour faciliter l’obligation ra une équipe importante. La Coopéra- nel BOBOZO, Comd du Camp Hardy. qu’avaient tous les OSO (officiers et tion Technique Belge (CTB) apportera Ancien instructeur de l’Ecole Centrale sous-officiers) et leurs familles d’al- son appui au développement de la mé- (de la FP) de Luluabourg, il avait été ler s’y ravitailler, une ou deux fois par canisation agricole. A l’atelier OTRA- muté au Camp Hardy et avait fait par- semaine, un bus militaire, qui servait CO, des équipes (françaises et belges) tie, avec quelques autres, de la promo- d’autre part à l’école primaire du Camp assureront un support technique es- tion trimestrielle de mars ‘60 comme et à véhiculer le cadre entre domicile sentiel. Dans l’enseignement, outre les adjudant. Dans les premiers jours de et bureau matin, midi et soir (du moins équipes CTB, UNESCO et ATG au Col- juillet, il avait été promu commandant pour ceux qui ne voulaient pas utiliser lège St Clément, à l’Athénée, à l’Ecole du Camp. Il voulait me saluer à mon leur véhicule personnel), ce bus condui- des Sœurs, à l’Ecole protestante et au retour et demander au RP TARWE de sait les épouses des OSO en ville pour Collège kimbanguiste, l’implantation m’amener au Camp le lendemain sa- leurs emplettes. Ce système et cette (en ‘72) d’un ISP (Institut Supérieur medi, jour du salut au drapeau de toute faveur furent maintenus après l’indé- Pédagogique de niveau universitaire) la Bde. Il tenait à informer la troupe de pendance. Avec les distorsions que l’on amènera une équipe belge étoffée et mon retour, mais dans l’enseignement. devine entre les promus comme OSO dynamique. Toutefois, il clamera, en accentuant et les autres, ces distorsions étant at- bien toutes les syllabes, « a-ko-ko-ta tisées par les épouses. D’où l’explosion Ces renforts permettent une reprise na ka-ti na camp » (il entrera au camp du 13 janvier. Qui sera très rapidement d’activités sociales communes. Dans quand il voudra). J’y suis retourné, maîtrisée. la foulée de l’implantation de l’Alliance bien sûr pour répondre à des invita- française, se crééra dès ‘64 une « Ami- tions officielles, mais aussi pour des Après les six premiers mois de ‘61, où la cale (belgo-congolaise) de Thysville » visites privées notamment chez les qualité de thysvillois nous ouvrait prio- (avec carte de membre !) qui mettra deux ex-collègues restés au Camp en ritairement les portes des administra- sur pied des excursions (Zongo, ‘60 : le 1Lt Alphonse SCHOONBROO- DT et l’A. Fernand REYERS (qui, dans le cadre de l’Armée Nationale Congolaise -ANC- seront promus respectivement Comd et 1Lt ce qui, entre parenthèses, les dispensait d’une série d’obligations de salut). J’ai été profondément recon- naissant au Colonel BOBOZO d’avoir pris l’initiative de cette présentation of- ficielle qui facilitait ma réinsertion (dont il est souvent venu se rendre compte le dimanche après-midi). J’ai toujours, jusqu’à son départ pour Léo vers 1963 (?), ressenti de sa part un souci de protection et une totale confiance.

Dans la semaine qui a suivi mon re- Moment de fierté pour le 2 Esc Rcn qui remporte, début ‘60, une course de relais tour, le 13 janvier, une seconde muti- par équipes de 10 hommes, course dotée de la coupe du Commissaire de Dis- nerie éclate à Hardy avec, au Camp, le trict des Cataractes. Entourant les athlètes et le trophée, le cadre de l’Esc avec même genre d’excès qu’en juillet, mais quelques OSO : (de gauche à droite) AC Jacobs, AC Wolfs, Cpn Walleghem, Lt Van sans impact en ville. On a pu invoquer Elslander, AC Denaeghel, Slt De Belder (?) et Slt Nicolay. Debout à droite, le gradé d’élite de l’Esc, le Premier Sergent-major MUYA. Au premier rang, à gauche, le l’influence de l’ex-Premier Ministre gradé du 4 Pl, le Premier Sergent BOSIO, futur Comd Esc.

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 43 COOPÉ- RATION

Lovo...), des conférences et séances de cinéma et même une soirée dan- sante. Elle relancera quelque peu, à côté du « Cercle Otraco » -toujours ac- tif et incontournable pour le cinéma- le « Cercle sportif » et son bowling. Un petit club de tennis refera surface.

Mais, pour permettre à chacun de vivre en famille avec au moins ses enfants en âge de scolarité primaire, en plus d’une garderie d’enfants, nous avons créé, dès ‘70, une « Ecole primaire à programme belge » (EPPB) avec l’ap- Le siège du Centre belge de coopéra- pui de la Coopération belge (un en- tion à Thysville/Mbanza-Ngungu. seignant CTB des « Ecoles belges »), l’appui du Territoire qui nous a fourni gracieusement le local et l’influence du « Consul honoraire de Belgique » que sera M. ANTOINE, directeur du CBC/ CFK. En 1965, une mission de l’Admi- nistration Générale de la Coopération au Développement (AGCD) était venue à Thysville étudier la possibilité d’ouvrir un centre de formation pour les agents de l’administration. Ce centre ouvre la même année sous la direction de M. EELENS. Ma succession étant as- surée au Collège, je rejoins l’équipe en 1966. Sous le second directeur, Mr. Florent ANTOINE, je suis en charge de l’administration de ce « Centre Belge de Coopération » (CBC) qui devien- dra, en ‘71 lors de la zaïrianisation, le Drapeaux nationaux. Celui de la RDC est celui de la Deuxième république. « Centre de Formation Kitala » (CFK). Coopération certes avec les ministères sentiel et reconnu mais qui n’a pu être taient la villa isolée près du Belvédère. concernés (surtout Finances, Travail poursuivi faute d’un renouvellement de Avec aussi le bonheur d’avoir gardé un et Intérieur) mais aussi avec l’équipe l’accord de partenariat entre le Zaïre et maximum de temps en famille nos deux belge du CPA (Centre de Perfection- la Belgique, Je clôturerai le Centre fin fils, Vincent arrivé au Congo à l’âge de nement de l’Administration) auprès de 1975 puis, dès février ‘76, je remplirai 4 mois et Pierre né à Kisantu. Et d’avoir la COPAP (Commission Permanente diverses fonctions administratives à la tissé des amitiés durables. de l’Administration Publique qui gère Mission Belge de Coopération (MBC) la Fonction publique), avec l’équipe auprès de l’Ambassade de Belgique à Dans un second article, l’auteur livrera du BIT auprès du Ministère du Travail Kinshasa, tout en gardant ma famille à son vécu du terrible mois de juillet 1960 ainsi qu’avec les spécialistes belges Thysville, devenue Mbanza-Ngungu. qui a vu le Congo vaciller sur ses bases en «techniques de groupe» du CFP tout juste jetées. (Centre de Formation et de Perfection- Je quitterai Mbanza-Ngungu et le nement des Cadres), organe de forma- Zaïre en mai 1977. S’il fallait caractéri- tion du CADICEC. Très nombreuses ser ces 18 années passées à Thysville/ sessions pour comptables publics et Mbanza-Ngungu, je dirais que, au-de- contrôleurs de comptabilité ainsi que là des journées de juillet ’60, ce fut une pour inspecteurs et contrôleurs du période féconde, la vie sociale active Travail. Importante session (fin ‘68) propre aux petites communautés avec pour tous les commissaires de district ses réunions festives, ses joies mais Que vos choix et premiers bourgmestres de la Répu- aussi parfois ses tristesses comme, reflètent vos espoirs blique, ainsi qu’une session pour tous en janvier 1973, la mort dramatique de les cadres des directions (centrale et deux collègues, les époux Fernand et et non vos peur. provinciales) des Douanes. Travail es- Ginette LECAT-DEBACKER, qui habi- Nelson Mandela

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15€ FAITES UN PLONGEON DANS L’HISTOIRE DU CONGO BELGE AROBASE ÉDITION IDEALOGY

Le temps est venu de (re)montrer l’épopée colonisatrice de la Belgique en Afrique centrale. Le terme même de colonisation est aujourd’hui synonyme de honte pour les tenants de la pensée politiquement correcte. C’est oublier les sommes de courage, voir d’hé- roïsme, d’abnégation, de sacrifice, d’obstination et de volonté qu’il a fallu déployer pour construire. Tout devait être construit puisqu’il n’y avait rien. Des chemins de fer, des routes, des hôpitaux, des aéroports, des ports, des ponts, le télégraphe, le téléphone, tout...

Pour toutes informations concernant cet ouvrage n’hésitez pas à nous contacter : Arobase édition (Idealogy) 48 avenue Huart-Hamoir - 1030 Bruxelles T: 02 242 05 10 - @ : [email protected] CALENDRIER DES ACTIVITÉS EN 2020 Pour toute insertion ou correction, téléphoner au 0496 202 570 ou écrire à [email protected] Données d'avant le confinement.

Associations Janvier Fevrier Mars Avril Mai Juin Juillet Août Sept. Oct. Nov. Déc. ABC (Alliance belgo-congolaise – Kinshasa) 00 243 904177421 - [email protected] AFRIKAGETUIGENISSEN [email protected] AP-KDL (Amicale des pensionnés des réseaux 26.FP 5.J 15.J 28.H ferroviaires Katanga-Dilolo-Léopoldville) - 04 253 06 47 ARAAOM (Association royale des anciens d’Afrique et d’outre-mer de Liège) - 0486 74 19 48 26.FP 10.M Au moment de mettre 5.E 4.L 11.E 13.D sous presse, les règles ASAOM (Amicale spadoise des anciens d’outre-mer de Spa) - 0496 20 25 70 9.AB d’application en ce tri- 4.L BOMATRACIENS (Les Bomatraciens et les amis du Bas-Fleuve) mestre de pandémie, 0471 50 10 05 - [email protected] bien qu’allégées, ne CONGORUDI (Anciens du Congo et du Ruanda-Urundi) - 02 511 27 50 permettent toujours CRAA (Cercle royal africain des Ardennes de Vielsalm) - 080 21 40 86 5.M pas à nos associations 5 D CRAOCA-KKOOA (Cercle royal des anciens officiers des campagnes d’Afrique) 0494 60 25 65 de donner des infor- mations définitives sur 20 L CRAOM – KRAOK (Cercle royal africain d’outre-mer), fondé en 1889 - www.craom.be 17.C 18.B le calendrier restant 31 P 31 S 26 C de 2020. CRNAA (Cercle royal namurois des Anciens d’Afrique) - 061 260 069 - 081 23 13 83 CTM (Cercle de la Coopération technique militaire) Les colonnes de mars FRABELCO (Fraternite belgo-congolaise - België-Congo Verbroederd) [email protected] à juin n’ont pas connu KKVL (Koninklijke koloniale verenigin van Limburg) - 011 22 16 09 11.D d’activités, sauf les 3.B MAN (Musée africain de Namur) - 081 231 383 - info@muséeafricain.be rencontres virtuelles, comme à Mémoires MANONO Jean Thiriar, 02 653 20 15 / 0475 22 15 19 du Congo dont il est 2O 10.O 7.0 fait état en pp. 49 à 51. 4.O 6.O 4.O MDC (Mémoires du Congo et du Ruanda-Urundi) 02 649 98 48 24.O 11.KB 18.O 13 KB 10.KB 8.KB 21.0 16 O 20.O 18.O Il est fort à parier que MOHIKAAN (DE) (Vriendenkring West-Vlaanderen) - 059 26 61 67 - [email protected] 17.A 15.N le second semestre NIAMBO 0475 323 742 - [email protected] de 2020 connaisse 8.OU www.sites.google.com/site/niambogroupe également des modifi- 9.J N’DUKUS na Congo - 02 346 03 31 - 02 351 18 47 - 02 653 58 33 - [email protected] cations importantes. OMMEGANG - 02 759 98 95 11.E 28.M 21.EV 4.M 8.A 20.M 15.E asbl ABVCO www.Compagnons-Ommegang.com 24.J OS AMIGOS DO REINO DO CONGO Retrouvailles luso-belgo-congolaises au- Portugal Le calendrier présenté REÜNIE CONGO-ZAÏREVRIENDEN Sint-Denijs-Westrem - 09 220 69 93 ici pour le second ROYAL CERCLE LUXEMBOURGEOIS DE L’AFRIQUE DES GRANDS LAC semestre de 2020 est Président : Roland Kirsch - 063 38 79 92 celui qui a été com- SIMBA (Société d’initiatives montoises des Belges d’Afrique) muniqué avant que la 0475 42 25 29 (présidence) - 065 22 59 12 (secrétariat) pandémie ne sévisse. UNAWAL Union en Afrique des Wallons et Bruxellois francophones 18.G 8.P (depuis 1977) – Président Guy Martin La rédaction espère URCB (Union royale des Congolais de Belgique) Fondée en 1919 - 0484 13 72 16 pouvoir donner à ses lecteurs un calendrier URFRACOL (Union royale des Fraternelles coloniales) actualisé fiable dans URBA (Union Royale Belgo-africaine), ex-UROME fondée en 1912) 17.M son édition de sep- - Koninklijke Belgisch Afrikaanse Unie (KBAU) [email protected] tembre 2020 (n°55). VÎS PALETOTS (Association du personnel d’Afrique de l’UMHK) - 02 354 83 31 18.B VVFP (ex-AMI-FP-VRIEND West-Vlaanderen) Vriendenkring Voormalige Force 1.V 4.F 8.G 16.AW 2.EQ 2.F 7.F 11.E 2.T Publique - 059 800 681 - 0474 693 425 21.E 15.E

A : assemblée générale/ réunion statutaire - B : moambe - C : déjeuner-conférence - D : Bonana - E : journée du souvenir ou de l’amitié/ hommage/ commémoration, Te Deum / défilé -F : gastronomie G : vœux, réception/ cocktail/ apéro - H : fête de la rentrée, fête patronale - I : invitation - J : rencontre annuelle, Retrouvailles, anniversaire - K : journées projection(s), conférence(s) - L : déjeuner de saison (printemps/été/automne) - M : conseil d’administration - N : fête anniversaire - O : forum - P : voyage/activité culturelle/historique/film/théâtre - Q : excursion ludique, promenade - R : office religieux S : activité sportive - T : fête des enfants, St-Nicolas - U : Rencontre/réunion mensuelle - V : barbecue - W : banquet/ gala/ Déjeuner / lunch - X : exposition - Y : jubilé - Z : biennale

MDC remercie d’avance toute association qui accepte de contribuer à la mise à jour et/ou à la rectification du tableau. En outre l’accord est acquis d’office pour une large diffusion de celui-ci dans les publications propres aux associations, avec un remerciement anticipé pour la mention de la source : Extrait de Mémoires du Congo et du Ruanda-Urundi, n°53 de mars 2020. Merci également de faire tenir un exemplaire de la revue emprunteuse à la rédaction de MDC. Il est à noter qu’en sus des activités des associations ici répertoriées il existe un grand nombre de rencontres informelles d’anciens qui d’année en année perpétuent leur passé africain, sans pour autant se structurer en association sur base de statuts. Il s’agit de rencontres purement amicales, ne publiant ni programme ni compte-rendu, et partant difficiles à reprendre dans le présent répertoire.

46 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 URBA-KBAU UNION ROYALE BELGO-AFRICAINE KONINKLIJKE BELGISCH-AFRIKAANSE UNIE N°20 NOTRE NOUVEAU SITE WEB EST NÉ !

près avoir défini son mission sta- propose une foire aux questions qui tement lors de l’Université d’été, n’élude aucune question dérangeante, Amis ses statuts en conformité répertorie des archives photos et RENIER NIJSKENS BAUDOUIN PEETERS avec la loi et renouvelé ses organes de cartes d’un grand intérêt et offre sur- gestion au prix d’un bel exercice démo- tout une partie documentation qui cratique, l’URBA-KBAU se devait de reprend de manière très complète l’his- disposer d’outils de communication à toire des trois pays amis que sont le jour. Congo, le Rwanda et le Burundi. Cette Président / Voorzitter : Renier Nijskens partie, réalisée avec les contributions Le confinement a permis de finaliser le de plusieurs sources académiques, est Administrateur-Délégué / site web qui était en chantier depuis fé- un excellent résumé pour qui veut se Gedelegeerd Bestuurder : vrier ! www.urba-kbau.be remémorer notre histoire commune et Baudouin Peeters ensuite les 60 dernières années depuis Conseil d'Administration / l’indépendance. Raad Van Bestuur : Renier Nijskens, Baudouin Le site permet aussi d’écouter les Peeters, Guido Bosteels, hymnes nationaux dont l’inoubliable Luc Dens, Fernand Hessel, « Vers l’Avenir » tellement entraînant, Philippe Jacquij, Afata Litombo, Jean-Paul Rousseau, Paul Vannès chers à de nombreux lecteurs. Conditions d’adhésion : Enfin, sa section actualités reprend les (1) agrément de l’AG dernières prises de position de l’as- (2) Cotisation annuelle minimum : 50 € Un site web au design moderne et qui a sociation. Ce site est aussi le vôtre : fière allure est proposé dans 3 langues n’hésitez pas à nous communiquer vos Compte bancaire (français, néerlandais et anglais). Outre informations pertinentes, nous nous fe- Cotisations et soutiens : un historique détaillé (voir encadré), rons un plaisir de les relayer. BE54 2100 5412 0897 il reprend les associations membres, Pages URBA Rédacteurs : Baudouin Peeters et Fernand Hessel Contact UNE HISTOIRE PLUS QUE CENTENAIRE [email protected] www.urba-kbau.be e 1er juin 1912 se constituait à II, avait fait inscrire au budget de 1912 Copyright Bruxelles, la Royale Union Colo- un crédit extraordinaire en faveur de Tous les articles sont libres de Lniale Belge qui allait fédérer les la nouvelle association qui devenait reproduction moyennant mention cercles de vétérans de l'Etat Indépen- propriétaire de l'immeuble sis au 34 de la source et de l’auteur dant du Congo déjà créés dans diffé- rue de Stassart. Parmi les fondateurs, rentes localités du pays, ainsi que les outre , on découvre MEMBRES DE L’URBA/ associations qui allaient suivre. notamment les noms de , LEDEN VAN KBAU Ministre des Colonies, le Ministre de La Royale Union Coloniale Belge fut la Justice de Landsheere, le député 1 ABC-Kinshasa fondée avec le concours généreux, Louis Franck qui deviendra Ministre 2 ABIA d'abord de S.M. le Roi Albert I qui ac- des Colonies de 1918 à 1924 et le dé- 3 A/GETUIGENISSEN 4 AMI-FP-VRIEND corda personnellement au nouvel puté Frans Van Cauwelaert. Le comité 5 AP/KDL organisme une large subvention, en- supérieur de la Royale Union Coloniale 6 ARAAOM suite par celui de puissantes sociétés sera présidé d'abord par Auguste Beer- 7 ASAOM commerciales et enfin par une parti- naert et, après le décès de ce dernier, 8 BOMATRACIENS cipation officielle du Gouvernement par Gérard Cooreman, président de la 9 CCTM de l'époque. Le Ministre d'Etat Au- Chambre des Représentants. Après 10 CONGORUDI guste Beernaert, qui avait été l'un des l’accession des territoires d’Outre-Mer 11 CRAA plus fidèles soutiens du Roi Léopold à l’indépendance dans les années 60 12 CRAOM

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 47 les cercles se sont ouverts aux coopé- repenser son avenir et assurer sa pé- 13 CRNAA rants et l’association changea de nom rennité. C’est ainsi qu’au terme d’un 14 FRABELCO pour s’appeler « Union Royale Belge processus démocratique et participatif, 15 MAN pour les pays d’Outre-Mer », en abrégé l’Association a été renommée "Union 16 MDC 17 N’DUKUS Urome. Royale Belgo Africaine – Koninklijke 18 NIAMBO Belgisch-Afrikaanse Unie" (en abrégé 19 RCLAGL En 2019, la nouvelle direction de l’as- URBA-KBAU). 20 SIMBA sociation a organisé la première Uni- 21 URCB versité d’Eté de l’association pour 22 VIS PALETOTS

MEMBRES D’HONNEUR

Justine M'Poyo Kasa-Vubu, NOUVELLES INSPIRANTES André de Maere d’Aertrycke, André Schorochoff et Robert Devriese. DES CRÉATIONS AU DESIGN SAVOIR-FAIRE ANCESTRAL ET BELGO-CONGOLAIS MODERNITÉ AGENDA TRIMESTRIEL

lle rêvait d’être architecte, elle Ses collections sont le reflet de l’histoire Activités internes est devenue designer. La Bel- de leur créatrice, de ses voyages entre 18/06 Réunion du CA Ego-congolaise Fifi Kikangala l’Afrique et l’Europe, de son héritage par vidéo conférence Omoy, une femme pleine de talent et culturel et des influences modernes d’audace, fondatrice de Omoy Interior qui l’ont nourrie. Les pièces mixent des Activités externes Design, travaille avec des artisans des formes élégantes et contemporaines AG : reportée à la fin de l’été, en res- deux pays pour livrer des créations qui à des matériaux naturels, bruts, fabri- pect des consignes ministérielles subliment la tradition congolaise... qués à la main selon un savoir-faire an- cestral. Ces pièces uniques se marient A L’ATTENTION DE NOS A 20 ans, elle quitte la République harmonieusement entre elles, créant MEMBRES Démocratique du Congo et s’installe une ambiance alliant chaleur et moder- à Bruxelles. Son diplôme en poche, nité et conférant un supplément d’âme En raison de la crise sanitaire, tous après quelques expériences dans des aux intérieurs contemporains. nos rendez-vous ont été postposés cabinets d’architecte et des enseignes ou annulés. La santé et le respect des de décoration, elle décide de rentrer La collection Kuba est la collection règles sanitaires sont notre priorité. dans son pays alors en pleine recons- phare de la marque. Le tapis Kuba, Nous avons aussi, à notre grand regret, à vous annoncer l’annulation truction. De retour à Kinshasa, détermi- l’essence même de cette ligne, est un du concert commun entre le née à exercer en tant que décoratrice textile très particulier, tissé à partir de Philarmonic et l’Orchestre Sympho- d’intérieur, elle commence par lancer raphia issu des branches du palmier, nique Kimbanguiste prévu le 30 juin à un service de conciergerie privée, pre- par les femmes de la tribu Royal Kuba. Flagey. Cette première historique est mière étape pour se faire connaitre Ce textile que les occidentaux reportée à des jours plus favorables. et se constituer un carnet d’adresses. appellent « tapis » est en réalité un Elle se fait très vite remarquer et colla- vêtement porté par les chefs de tribu bore avec les plus grandes entreprises pour les grandes occasions. Les mo- du Congo en tant que scénographe, tifs ont une signification symbolique. Il designer et décoratrice. Il n’en faut pas s’agit de tout un langage! Chaque tapis plus pour que les particuliers fassent Kuba est différent et permet de créer appel à ses services pour l’aménage- des pièces uniques, entièrement faites ment et la décoration de leur intérieur. à la main. Pendant tout ce temps, son envie de créer sa propre marque de mobilier n’a La collection Mbila - signifiant palmier cessé de grandir et avec elle, cette vo- en lingala - est consacrée au travail de lonté de faire connaitre les trésors de la lumière avec une série d’élégants son pays, de transmettre un héritage. photophores profilés et d’imposants lampadaires à l’abat-jour en tissu ou Tout commence au centre de la Répu- en métal cuivré. Réalisée à partir de blique Démocratique du Congo, dans branches de palmiers poncées et ver- la province du Kasaï. L’histoire se pour- nies, cette collection met à l’honneur suit en Belgique, dans une petite ville cet arbre tropical qu’on trouve partout de la Wallonie, entre les mains expertes en Afrique, pour mieux le sublimer. d’un atelier artisanal à qui la créatrice Le travail donne la priorité à l’expres- Info : www.omoy-interiordesign.com a choisi de confier la finalisation de sion de la matière brute et au contraste ces pièces d’exception. Un atelier qui avec un style résolument moderne. fait de l’insertion sociale de personnes handicapées, ce qui ajoute un supplé- L’histoire comune façonne ment d’âme à ses créations. les amitiés Renier Nijskens 48 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 Congo MÉMOIRES DU CONGO,

M o é g DU RWANDA ET DU BURUNDI m n o o ires du C

N°14 ECHOS DES MARDIS

A peine le n°53 de mars 2020 avait-il réussi à se mettre à jour avec les comptes rendus des Mardis mensuels et des sessions bimensuelles du Forum qu’un nouvel obstacle vint se dresser avec une rare brutalité devant l’équipe rédactionnelle, d’un angle tout à fait inattendu et sous l’effet d’un acteur d’une taille insignifiante : le coronavirus et son cortège d’interdits.

PAR FERNAND HESSEL

MARDI VIRTUEL DU 12 MAI 2020 gage de la bande dessinée, parti- culièrement Tintin au Congo ; es responsables, assistés des vir- tuoses de l’informatique, peuvent à Court-métrage sur les creuseurs, Lêtre plus que satisfaits de leurs ef- qui n’ont pas bonne mine. forts de mobilisation pour l’innovation. Le partage fut suivi par des dizaines de Vu le caractère exceptionnel de la com- fidèles. Et, encouragement bienvenu, munication, un focus spécial est mis sur un grand nombre de nouveaux intéres- l’interview du sénateur Léon Engulu. sés s’était joint à la base ; en réponse à Le texte est largement inspiré par le une mobilisation tous azimuts, si bien mémo d’Etienne Loeckx, responsable que cette campagne publicitaire d’un des Mardis. La rédaction ne peut que Léon Engulu en 1960 Collection nouveau type incite à repenser la stra- se réjouir de pareille initiative et estime MRAC Photo H. Goldstein Sofam tégie pratiquée jusqu’ici pour mobiliser que le principe d’un mémo ainsi conçu le public potentiellement intéressé par devrait faire tradition. nations. Formé à la Territoriale, il fut les activités de Mémoires du Congo, plusieurs fois ministre, vice-premier du Rwanda et du Burundi. Notre as- L’interview est conduite par Thierry ministre, trois fois gouverneur de ré- sociation ne peut pas ne pas réagir à Claeys Bouuaert, en présence de l’am- gion (Équateur, Kivu et Katanga). Né la contre-publicité pour l’œuvre des bassadeur Louis Jaspers, le 29 juin 2018, à Coquillathville (Mbandaka), le 1er Belges en Afrique, toutes périodes et mise en images par Daniel Depreter. avril 1934, Léon Engulu fait ses ma- confondues, dont sont de plus en plus ternelles chez les Sœurs de la Charité coutumiers nos médias, au point d’être Le lecteur trouvera également une in- et ses primaires chez les Frères des suspectés de manipulation. terview du sénateur dans le livre de Luc écoles chrétiennes, ensuite six années Beyer et Françoise Germain Robin : de secondaire. A la territoriale, il gravit Le programme de ce premier Mardi vir- Congo, Mémoires à vif. La réflexion de l’échelle, pendant trois ans, chez trois tuel ne différait pas substantiellement Léon Engulu en rapport avec la pro- administrateurs de territoire différents. des Mardis habituels, sauf que chacun blématique des excuses réclamées à Dans un premier temps à côté de l’ad- restait confiné chez lui : (1) vidéo pui- la Belgique par certains Congolais, qui ministrateur, il apprend la brousse. Il sée parmi les centaines enregistrées reprend force par moments dans les sait qu’une route est une route lors- depuis des années par les équipes en relations belgo-congolaises, témoigne qu’on peut y circuler à 70 km à l’heure. charge ; (2) conférence sur un sujet à elle seule de la hauteur de vue de Il est soumis à l’obligation des 21 jours dans le vent de l’actualité ; (3) film d’in- l’interviewé et de sa capacité à faire de d’itinérance par mois, pour le travail térêt congolais ou africain. l’histoire de son pays, particulièrement d’éducation de la population, pour les de sa période coloniale, une analyse études ethniques et les contacts avec Seul le fumet de la moambe manquait apaisée : « Ce n’est pas à vous de vous les Conseils de notables. Il apprend au menu du jour, que voici : excuser mais bien à nous, devant les à connaître le déroulement des jours Congolais, pour ne pas avoir su gérer dans les postes détachés, en y partici- à Témoignage du sénateur Léon l’héritage. » pant. A 19 ans, il est à Bukunga ; en 1953, Engulu (86 ans), mais encore aux Affaires intérieures de la province. toute sa verve et sa précieuse Le parcours de Léon Engulu démontre A 23 ans, il se pose la question : aller mémoire tout à fait intacte ; qu’il joua un rôle éminent dans la ou ne pas aller étudier à Lovanium. En marche de son pays vers l’indépen- 1956, il est à l’université de Lubumbashi. à Conférence du professeur Pierre dance et dans les difficiles années de A Kinshasa, où il rencontre Kanza, il dé- Halen, grand spécialiste du lan- son lancement dans le concert des couvre un milieu différent. A l’ouest,

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 49 il n’y a pas de ségrégation, grâce à la s’est pas rendu compte présence des Portugais. Par contre, au de l’ampleur de la tâche. Katanga, la ségrégation est plus évi- Les Congolais n’avaient dente. pas de programme. Ce fut une énorme fai- Allocution du gouverneur Engulu à Mbandaka en 1966 Monographie Equateur MRAC Il entre en politique. 1956 est l’année du blesse. Il n’a pas com- refus par l’Abako du plan Van Bilsen. pris quelles seraient les Il reste à Coquilhatville et renonce à conséquences des revendications. Le négatif : l’absence de libertés fon- l’université, préférant s’occuper des Il pensait simplement « les esclaves damentales, l’absence d’une classe Affaires intérieures de sa province. vont se libérer ». En 1959 éclatent les moyenne capable de doter le pays d’un En 1956, l’Association des Amis émeutes pour s’opposer au système véritable tissu économique à portée du Progrès voit le jour. Au sein du colonial. Les émeutiers s’attaquent aux des autochtones, le manque d’élites à cercle des évolués à Coquilhatville, couvents, aux Portugais, aux magasins. l’administration, la tendance au triba- Lumumba critique le système colo- Kasa-Vubu se replie de plus en plus sur lisme, le manque d’esprit de dévelop- nial. Léon Engulu devient SG du comi- sa province natale, le Bas-Congo. L’atti- pement... té national du MNC pour la province. tude du gouvernement belge et du Roi Le fractionnement s’opère entre les gens est à la tergiversation. Si le voyage du Après 1960, ce manque d’esprit de dé- du nord de la province de l’Équateur qui Roi Baudouin en 1955 visait à améliorer veloppement associé à un manque sont des Bangala et ceux du sud des les rapports entre Noirs et Blancs, celui d’éthique, malmenés par un leadership Mongo (l’Union Mongo), sans oublier de 1959 fait comprendre au Roi qu’on incompétent, auront pour effet de plon- les Pygmées dans le sud, les mal consi- va vers l’indépendance. Peut-on en- ger le pays dans la stagnation. Pour dérés. Il va à la messe chez les protes- core la différer alors qu’il y a la guerre Léon Engulu, il y avait une éthique de tants le jour de l’indépendance du Gha- d’Algérie ? Quid des discriminations, la colonisation : l’administration est dis- na en 1957. La voix du congolais où il des deux statuts... ? Lors de sa ren- ciplinée, il n’y a pas de pot-de-vin, les écrit est l’objet de censure. contre avec le Roi, celui-ci lui demande budgets sont affectés correctement. quel est son âge et celui des membres L’exemple vient d’en haut, à commen- A l’extérieur du Congo, la contestation de la délégation (24 ans - il ne s’y cer par le gouverneur général. La ges- du système colonial grandit : confé- trouve qu’un vieux de 40 ans !). Le Roi tion est sérieuse. Léon Engulu a été rence de Bandung, en 1955, Nasser leur souhaite : « Bonne chance ». gouverneur des provinces suivantes : nationalise le canal de Suez, indépen- Equateur, Kivu, Katanga. Il sait de dance du Ghana en 1957, Félix Eboué Léon Engulu avoue ne pas s’être beau- quoi il parle. Chaque année, il fallait est nommé gouverneur de l’AEF. coup occupé d’économie. « C’est ce qui une appréciation du mérite (« bon », En 1954 les bibliothèques sont ac- manquait à nos analyses ». Il y avait « excellent », « exceptionnel »). cessibles. Léon Engulu y apprend à une règle : ne pas concurrencer les Aujourd’hui, c’est le favoritisme, le clien- faire la critique des choses. Le ma- plantations des colons. Il n’y a donc pas télisme, le pot-de-vin qui ont cours. Ce- nifeste de Conscience africaine mo- eu de création d’une classe moyenne. lui qui est choisi, c’est l’homme du clan, bilise de plus en plus de jeunes. du territoire, de la province. Personne Le Plan de 30 ans est accepté par Malula. Le 30 juin 1960, les discours contra- ne vote pour les qualités de l’individu. Lumumba depuis Kisangani se lance dictoires de Kasa-Vubu et Lumumba Et la gouvernance reste largement im- dans la bataille pour la présidence du enveniment d’un seul coup la situation. productive. MNC, qui revient en définitive à Kalonji. Lumumba s’acharne contre les aspects Le MNC se divise en MNC-K et MNC-L. négatifs de la colonisation, faisant l’im- La vidéo de l’interview est accessible sur Sur le plan intérieur, Lumumba voyage. passe sur les aspects positifs. notre site : www.memoiresducongo.be Kasa-Vubu et Kalonji ne voyagent pas. - [email protected], comme Lumumba dénonce avec une force Le positif : les infrastructures exem- un grand nombre d’autres documents grandissante le système colonial. Léon plaires, le niveau de bien-être (l’achat de mémoire. Engulu est actif dans le Groupe de tra- d’un vélo est possible), la gratuité de vail Pétillon, en charge de divers dos- l’éducation et de la santé, la disponibi- Un petit tour sur notre site est toujours siers : les deux statuts, les croyances, lité des vivres... plein de découvertes intéressantes. le couvre-feu, le fouet, l’égalité salariale (début de l’africanisation des cadres), NE MANQUEZ PAS DE CONSULTER NOTRE SITE, la relégation, les prisons, le racisme, la MIS A JOUR SANS DISCONTINUER première classe pour les Blancs dans les bateaux, les cercles et les paroisses financés par les Affaires intérieures. Il est nommé Rédacteur.

Le défi qui se pose est de prendre le relais des Belges. Léon Engulu ne

50 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 ECHOS DU FORUM

Comme pour le Mardi, habituellement organisé en direct, dans le grand auditoire de CAPA/Tervuren, le Forum a également eu recours au virtuel pour maintenir son Forum bimensuel, et cela sans trop tarder. Seules les séances de mars-avril ont été sacrifiées au Coronavirus. Puis il a fallu un certain temps pour mettre au point les procédures et faire les essais indispensables. Dès le 1 mai le Forum put redémarrer sur le mode virtuel.

287 (01.05.20) sort cependant du débat qu’un certain rangement et de localisation de son nombre de lecteurs, loin d’être majori- stock de livres et autres documents Marc Georges reprend son fauteuil vir- taire, trouve la couverture un peu terne. (reçus, acquis ou réalisés). L’expérience tuel de facilitateur et Guy Dierckens Idealogy qui est notre nouveau gra- du MAN apparaît comme très utile. J.-P veille à la fluidité des échanges. phiste sera invité à peaufiner les cou- Rousseau, actif dans la bibliothèque La participation est d’entrée de jeu leurs de la couverture. Pour le reste des du Man, offre ses services. Le parent d’une quinzaine de participants, nombre pages, l’éloge est unanime. pauvre, qu’il serait pourtant aisé d’enri- qui ne variera que peu pour les séances chir, reste la Bibliographie de la revue, suivantes. Et Michel Weber poursuit son L’ordre du jour passe ensuite comme avec ses douze titres habituels. Dans travail de rapporteur, en nous concoc- une lettre à la poste. Le mode vir- le n°53 par exemple le rédacteur en tant des comptes rendus les plus ra- tuel n’empêche pas de faire toutes chef a été amené à rédiger les douze massés possibles (à peine deux pages les petites annonces. Deux apports recensions, ce qui n’est pas une bonne en moyenne). que seule la Toile a rendu possibles publicité pour une revue qui se veut sont à épingler : l’intervention depuis dynamique, et qui est sensée pouvoir La séance d’un nouveau type doit mal- Lubumbashi de Marcel Yabili, ami fidèle compter sur des dizaines de bénévoles. heureusement commencer par une mi- de MDC&RB, qui parle entre autres du nute de silence pour Andrée Willems, livre qu’il prépare sur Léopold II, et de 289 (29.05.20) notre fidèle participante, qui avec un Thierry Michel, l’auteur de films incom- grand dévouement a servi le café de la parables sur le Congo, qui parle depuis Les participants sont invités à rendre matinée, si cher à l’administration, et qui Liège, de sa production, en particulier hommage à la mémoire de la maman se chargeait en sus de mettre à la dispo- de son film sur Chebeya, que seul un ci- de F. Devaux qui vient de mourir (voir sition des invités les livres et les revues néaste étranger était capable de mener p. 63). Tous les participants s’associent souhaités. Hélas ! Andrée ne sera plus à bien, affirme-t-il. au message de condoléances adressé jamais au rendez-vous. à notre collaboratrice et à sa famille par 288 (15.05.20) M. Georges.

S’agissant de la revue, l’encre du n°53 Le Tronc commun du n°54 de la revue a tout juste eu le temps de sécher que est annoncé comme terminé et déjà déjà le numéro de juin (54) s’annonce. déposé chez la graphiste Louise. Le L’éditeur lance un appel pour que les problème de l’illustration, qui se mani- membres du Forum contribuent à la ré- feste à chaque fin de trimestre, au plus daction de la revue, sous forme d’articles grand dam de la rédaction, n’a pas en- relatifs aux secteurs pris sous la loupe. core trouvé toutes les solutions. Il reste Pour l’heure la contribution directe à difficile d’obtenir un projet d’article dans la rédaction reste mince, en dehors de sa présentation idéale, à savoir : texte celle du rédacteur en chef : un article en WORD, arial 10, petites marges, ac- sur la démographie en EIC par Marc compagné d’une illustration en JPEG Georges, un article sur la découverte du de bonne définition (minimum 500 ko) Congo par Daisy Ver Boven (paru dans par page. C’est ainsi qu’à chaque paru- Libelle en 1948), un article sur le voyage tion il faut opérer dans l’urgence. Dans en terre swahilie en 2020 organisé par la foulée la problématique de la photo- Emily Beauvent, signé F. Devaux - ap- thèque revient dans le débat ; peu de Le n°53 de la revue vient d’arriver dans puyé en fin de session par un PPS de photos sont disponibles pour un usage les boîtes, avec toutes ses innovations grand talent réalisé par A. Filée. Pour immédiat dans la revue. Des pistes sus- (changement d’éditeur, changement de le reste les apports viennent de rédac- ceptibles de rendre la photothèque plus graphiste), essentiellement formelles, teurs extérieurs, heureusement de haut fonctionnelle sont à ouvrir, car elle doit le contenu n’ayant pas subi de modifi- niveau (Pr Etambala, Pholien, Pr Halen, être plus qu’un simple dépôt d’archives. cations, toutes les rubriques habituelles Luxen) ou d’auteurs chevronnés comme Toujours au plan médiatique, nos pres- restant présentes. Il faut dire qu’il pour- P. Van Bost ; un seul article seulement tations sur Facebook ne répondent pas rait difficilement en être autrement, la sur le Congo souverain de Nicolaï cen- pleinement aux attentes. Ph. Renson revue balayant autant que faire se peut tré sur Mbanza-Ngungu ex-Thijsville. sera appelé par le CA pour faire des tout le champ de notre mémoire de propositions d’amélioration. Par contre, l’Afrique centrale. Le forum virtuel n’est Un sujet intéressant est abordé en ma- un bel effort est fait par N. Watteyne pas l’exercice idéal pour traiter d’un ma- tière de bibliothèque. Depuis toujours pour améliorer la qualité et la visibilité gazine de 68 pages bien pleines. Il res- MDC a des problèmes de fichier, de de notre site. (fh)

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 51 AFRIKAGETUIGENISSEN NIEUWSBRIEF

Zetel : Jan van Ruusbroeclaan 15, 3080 Tervuren N°25 VAN HANNIBAL TOT LEOPOLD

Vanwaar deze vreemde associatie van twee historische figuren die door meer dan 2000 jaar geschiedenis van elkaar gescheiden zijn? Wel, merkwaardig genoeg is het in onze legendarische Reisgids voor Belgisch Congo, uitgegeven door het toenmalige Inforcongo, dat het antwoord op deze vraag verscholen zit. DOOR GUIDO BOSTEELS

et valt natuurlijk niet te verwon- blijkbaar wisten die deren dat in deze merkwaardige uit Indië geïmpor- Hreisgids ook aandacht is besteed teerde olifanten zich aan Gangala na Bodio (in het district bijzonder slecht aan Ituri) waar ten tijde van Leopold II een te passen aan de zekere commandant Laplume aan het Afrikaanse bodem. werk was gezet om olifanten af te rich- Hadden zij last van ten. Hoewel de koning nooit zijn Congo heimwee of wat dan had gezien, was hij wel bewust gewor- ook, maar binnen het den van de grote behoefte aan energie jaar waren deze vier die nodig was om de infrastructuur van dieren gestorven. het land tot ontwikkeling te brengen. Toch had comman- Daar de Dieselmotor rond de eeuw- dant Laplume zich wisseling nog in de kinderschoenen de gepast techniek 17 août 1946 Arrivée à Léopoldville de 11 éléphants do- mestiqués à Gangala na Bodio T. Claeys Bouuaert stond, had de schrandere vorst aan eigen weten te ma- het voorbeeld van Indië gedacht, waar ken. Die bestond erin een eeuwenoude cultuur van afge- een jong wild dier uit richte olifanten bestond. Derhalve had een kudde te isoleren hij een viertal dergelijke dieren uit dat en dit aan een ge- land laten overkomen met de idee dat temd dier – zijn mo- zulk revolutionair voorbeeld bevorder- nitor – vast te binden lijk zou zijn om de Afrikaanse bodem te om het geleidelijk ontginnen. vertrouwd te maken met de menselijke Revolutionair mag men dit initiatief wel aanwezigheid, meer noemen vermits de auteurs van de ge- bepaald met de man noemde Reisgids wisten te vertellen die zijn persoonlijke dat men op Afrikaanse bodem twee- kornak zou worden. duizend en tweehonderd jaar had moe- Geregeld werd het Collection G. Bosteels ten wachten tot men daar opnieuw op dier omringd door het idee zou komen om gebruik te ma- zingende mannen die het moesten af- hem niet afschrikken noch ruw behan- ken van de kracht die olifanten in zich wrijven en strelen en vergasten op al- delen. Ook voor te sterke zonnehitte dragen. Inderdaad is er de Carthaagse lerlei lekkers. Eerst leert het op bevel te moet hij worden beschut. veldheer Hannibal geweest die er in gaan liggen en op te staan, later wordt de jaren 218-201 v. Chr. tijdens de zo- het bereden en gaat het wandelen, nog Het aantal afgerichte olifanten nam in genaamde Punische oorlogen, in ge- steeds in gezelschap van zijn monitor. Gangala na Bodio snel toe: van 3 in slaagd was het machtige Romeinse Slechts na tien maanden kan men be- 1902, was men al aan 55 exemplaren in Rijk aan het wankelen te brengen na- ginnen met het leren werken en wor- 1907 en aan 70 in 1942-44. Ettelijk tien- dat hij er met zijn legermacht, versterkt den geleidelijk zwaardere inspannin- tallen werden door het Gouvernement met 42 “gemilitariseerde” olifanten, in gen aan het dier opgelegd, tot het bij in huur gegeven of aan dierenparken geslaagd was de Alpen over te trekken machte is een last van 400 kg. te slepen toevertrouwd. Tegen de verwachtingen en de stad Rome te gaan bedreigen. en boomstammen te verplaatsen. De in, heeft men zich ter plaatse ook kun- Afrikaanse olifant heet gedwee en ver- nen verheugen in de geboorte, in ge- Keren we nu terug naar de 20ste eeuw: standig te zijn maar schuw: men mag vangenschap, van een aantal jongen.

52 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 CONTACTS AMICALE SPADOISE DES ANCIENS D’OUTRE-MER Avec le soutien du centre culturel de Spa N°150 UNE DECOLONISATION OUBLIEE

Les pages de Contacts sont sans informations propres. Si le confinement invite à penser, il n’incite apparemment pas à écrire. De plus, la matière même fait défaut, toutes les manifestations qui font d’office une bonne part de l’ordinaire de notre revue étant supprimées ou, dans le meilleur des cas, encore fort incertaines ou suspendues. Comme le lecteur peut le constater en page 46, le tableau des activités des associations pour 2020 fait triste mine. La rédaction est donc allée à la pêche aux informations ayant un lien avec l’Afrique centrale. PAR FERNAND HESSEL

gens à lâcher l’outil, surtout qu’ils imagi- pillages en 1991 et 1993, renversement naient bien qu’il n’y avait pas beaucoup du régime en 1997, au terme de 32 ans de place pour eux dans les limites des d’absolutisme, rébellions à l’est impli- frontières belges. Bref, pour la grande quant le Rwanda et l’Uganda, résistible majorité le temps de la débrouillardise marche vers la démocratie et de l’état venait de commencer, dans un tout de droit... et la litanie n’est sans doute autre esprit que celui qui avait prévalu pas entièrement écrite ! sous les tropiques, avec ses ciels magni- fiques, sa main-d’œuvre abondante et bon marché, sa population accueil- lante, et la créativité en mobilisation permanente.

L’Etat belge se sentant responsable de t a déniché pour vous un sujet qui, l’aventure belge en Afrique, depuis Léo- s’il n’a pas de rapport direct avec pold II, ne croisa pas les bras. D’abord, El’Ardenne, est en phase avec le une fois éteints les flonflons de la fête Congo et la Belgique. L’affaire contée et usé le disque Indépendance cha- ci-après est la conséquence de l’exode cha, les Congolaises et les Congolais massif des Belges en 1960, du Congo ne tardèrent pas à prendre conscience vers l’inconnu. Par un brusque retour- que l’avenir de leur pays était doréna- nement de situation, les expatriés à vant entre leurs mains. Certes Lumum- l’œuvre au Congo depuis quelques dé- ba dans son tonitruant discours du 30 Parmi les initiatives prises par la Bel- cennies furent priés (le mot est plutôt juin n’avait pas manqué de faire ap- gique pour reclasser ses anciens impropre) de plier bagages. La panique pel à la coopération des Belges. C’est d’Afrique, il faut citer – et c’est le succéda à l’incertitude, et le pont aé- ainsi que par centaines les anciens se véritable objet de la présente note – rien fit le reste. Quelques rares Belges muèrent en coopérants dans différents l’opération Monte Alegre au Brésil. eurent l’audace de tenir tête à la Force secteurs, principalement la formation, Prenant exemple sur les Pays-Bas qui publique en débandade, comme le Dr à tous les niveaux et dans toutes les avaient réussi à aménager un vaste ter- Jacques Courtejoie par exemple, Sta- enceintes (bureaux administratifs, es- ritoire pour ses ressortissants, égale- velotain d’origine, qui refusa d’aban- trades des écoles, auditoires des uni- ment en mal de terre, le Gouvernement donner ses malades - soixante ans versités, foyers sociaux...). Assez vite belge fit appel à l’expertise du voisin. plus tard il vit toujours à l’ombre de également le secteur productif vint re- son hôpital de Kangu (Mayumbe) et lancer ses machines. Jusqu’au conflit Il apparaîtra assez vite que l’ex- de son centre de promotion de la san- suivant. La liste infernale ne cessera pert, en plantant ses bornes près té. D’autres lorgnaient vers le sud de pas hélas de s’allonger : sécession du du village de Monte Alegre, près de l’Afrique. L’aventure était trop belle pour Katanga de 1960 à 1963, rébellion des Botucatu en plein milieu de l’Etat de ne pas consentir quelques sacrifices. Simba en 1964, révolte des mercenaires Sao Paulo, au sud du Brésil, s’était La grande majorité rentra au pays, par- en 67, zaïrianisation des entreprises en trompé de terre. Malgré l’enthousiasme ticulièrement l’administration envers 1973, guerres du Shaba en 1977 et 1978, de nos compatriotes, qui venaient de qui l’Etat belge avait des obligations rupture avec la coopération internatio- partout en Belgique, impatients de se contractuelles. Les privés n’étaient pas nale, principalement belge, en 1990, remettre à l’agriculture qu’ils avaient

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 53 pratiquée au Congo, l’entreprise se larmes. Sa patrie est là où est son cœur ! servi d’argument à la demande d’expa- solda par un échec complet, la terre triation. Le découragement gagna l’un manquant de l’élémentaire fertilité. Et Il est intéressant de s’attarder un après l’autre, surtout que le bénéfice ce n’est pas par manque de bonne vo- moment à l’implantation du projet et à ne fut pas à la hauteur des espérances. lonté, ni par excès de nostalgie du pa- l’installation de ses coopérateurs, ve- Le patron et fondateur de Holambra radis perdu en Afrique. Tout fut mis en nus du Congo avec dans la gorge le devint très vite la cible de tous les re- œuvre pour produire et se ménager un goût amer d’une tranche de vie ratée, proches. L’économie montera quelque avenir sur ces terres inconnues : agri- au terme d’une paire d’années d’at- peu en puissance, surtout après que la culture, élevage, fromagerie, brasse- tente impatiente dans la mère-patrie, coopérative lâcha l’agriculture au bé- rie, jusqu’à apporter dans ses bagages qui n’avait pas réussi à le faire passer. néfice de l’élevage. En dépit des efforts, des gaufriers pour vendre les bonnes On ne peut pas dire a priori que le Gou- la réussite ne fut pas au rendez-vous. gaufres belges, hélas refusées à la vente vernement belge n’a pas quelque mé- par les autorités. rite dans l’initiative, lui qui se trouvait Puis le gouvernement belge, qui n’ad- d’un seul coup avec une pléthore de mettait pas d’avoir été trompé sur la Au bout de quelques dizaines d’années, chômeurs potentiels sur les bras, sur- marchandise, se rattrapa en créant un de guerre lasse, la coopérative finit par tout qu’il devait se remettre d’une indé- fonds social pour les coopérateurs, un être délaissée : les uns rentrèrent en pendance plutôt bâclée. Se laisser ten- système de bourses d’études pour les Belgique, d’autres s’intégrèrent à la so- ter par l’exemple réussi des Pays-Bas, enfants et subventionna la construc- ciété brésilienne. Il ne reste plus sur le à deux cents kilomètres à peine de la tion d’une série d’équipements aptes campus que l’un ou l’autre descendant, fazenda Monte Alegre à Botucatu (qui à stimuler l’économie de la fazenda : parmi lesquels une grand-mère arrivée signifie bon climat en tupi), fondé en puits artésien, château d’eau, laiterie, avec la première vague. La marque de 1948, sous le nom de Holambra, pour fromagerie, trois écoles dont une école la bière a survécu, la Belco, mais rache- Holland-America-Brazil. On ne peut maternelle, une église, une usine à riz, tée par un autre groupe. Il est vrai que pas dire non plus que c’était le désert, deux silos, des transformateurs d’élec- pour ce qui est de bière brésilienne, puisque le propriétaire de la fazenda tricité. Aucun village au Congo belge c’est encore une brasserie belge qui avait réussi à y cultiver un million de n’avait bénéficié de pareille assistance, forme le plus grand groupe brassicole pieds de café, sur 9.704 hectares. en si peu de temps. du monde. La fazenda d’origine (mot par lequel les Brésiliens désignent une La Belgique en fit l’acquisition pour La vie à Monte Alegre ne ressemblait grande exploitation agricole) n’est plus 650 millions de dollars et y fondit la en rien à de la relégation. Des visites que ruine. Sur les photos que l’on peut Sociedade Cooperativa Agropecuaria prestigieuses furent l’occasion d’une saisir sur Internet on peut encore dis- Belgo-Brasileira, SCABB en sigle, le 22 remontée du moral ; le Roi Léopold III tinguer une habitation dans le style de septembre 1961. Pendant les dix pre- et la Princesse Liliane en 1962, des am- l’époque et l’église, toujours desservie. mières années d’activité 361 Belges y bassadeurs belges, des hauts fonction- Le site, pour abandonné qu’il soit, vit ont posé leurs valises, 40 enfants y ont naires de la coopération belge... encore dans la mémoire de ceux qui vu le jour, 6 personnes y ont perdu la s’y sont mis à rêver d’un nouvel avenir, vie et 14 mariages y ont été célébrés. Sources : Reportage de la RTBF & Inter- après l’échec de l’épisode congolais. Chaque coopérateur reçut 50 hectares, net ; photos Priscila Vaes-Messagli Il n’a pas entièrement disparu des mé- nombre qui montera à 150, après le re- moires. En 2011, le Centre culturel de tour au pays d’une partie des colons la commune de Botucatu a organisé dès 1963. Même si les primo-arrivants A méditer une exposition photographique sur le furent reçus en grande pompe par la thème de Les Belges de Botucatu, sous municipalité de Botucatu, la surprise « Le défi reste de repérer les ruptures, la direction de Joao Carlos Fugueroa. fut de taille pour un grand nombre. mais aussi le long fil des généalogies La RTBF il y a quelques mois consacra Ce n’était plus le Congo belge : popula- qui, en Afrique, comme ailleurs, relient tout un reportage au passé des Belges tion différente, relation avec la Belgique le présent au passé » à Monte Alegre. différente, langue nouvelle, logistique in Jean-Luc Vellut, moins accessible. Bref, les tensions ne Congo Ambitions et désenchantements On peut y voir un Anversois qui pose furent pas longues à naître. 1880-1960, Karthala, 2017 devant la maison de style colonial où il était arrivé en 1965, à l’âge de 12 ans Plus grave encore, peu d’immigrants et qu’il avait quittée 20 ans plus tard, et avaient de réelles compétences en qui ne peut s’empêcher de fondre en agriculture, alors que l’agriculture avait

54 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 NYOTA Cercle Royal africain des Ardennes

N°182 NOTRE JACQUES* AU CŒUR DU COMBAT ANTI-ESCLAVAGISTE

Le 60e anniversaire du Congo souverain offre une belle occasion d’interroger l’histoire qui fut celle de sa lointaine fondation. La carte qui nous est familière pourrait faire croire que la RDC a toujours existé et qu’il a suffi qu’un Roi plein d’ambition en dessine les frontières en 1885, en marge de la Conférence de Berlin. Pour réaliser ce que fut le combat contre les forces esclavagistes à l’œuvre à l’est de l’EIC en 1885, menaçant gravement l’unité du pays qui venait de naître, vidant la moitié des terres de ses forces vives, perpétuant la pra- tique de l’esclavage sans égard ni pitié pour les autochtones, mieux vaut puiser la vérité auprès de ceux qui acceptèrent le combat. Voici, sous la plume d’Edmond van Eetvelde, alors ministre de l’EIC, un large extrait du rapport au Roi Léopold II (Bulletin officiel de l’EIC, 1895, 1 & 2, pp. 100 à 119) ; il révèle en filigrane une véritable épopée, qui nous change de Drapeau belge portant l’habituelle rengaine sur le prétendu génocide, et nous sert en passant une intéressante dans le coin supérieur tranche d’histoire, encore insuffisamment connue. Le lointain fondateur de notre cercle de gauche les couleurs de l’Ardenne y est cité parmi les braves. Il ne faut pas que le souvenir s’en perde, ni de la part l’EIC des Congolais, ni de la part des Belges.(fh) ni la grandeur du péril, ni l’importance le Maniema et le Katanga, jusqu’aux des ennemis contre lesquels la civili- frontières les plus éloignées de ses sation avait à lutter. Ceux-ci avaient en possessions. Les camps de Basoko et effet pris possession de toutes les pro- de Lusambo ont été déplacés vers l’est, vinces orientales et ils exerçaient leurs et c’est aujourd’hui que sont établies, déprédations jusque vers le centre de au cœur même des régions ravagées l’État. C’est à ce moment que l’Europe, autrefois par les chasseurs d’hommes, s’étant émue des horreurs de la traite les stations fortement occupées, afin africaine, une Conférence diploma- d’y assurer l’extinction définitive du tique s’ouvrit à Bruxelles, qui adopta fléau. L’administration judiciaire a suivi après de mûres délibérations l’Acte parallèlement une marche progressive. Général du 2 juillet 1890. L’objet de ce Au début, l’action de la justice régulière rapport est d’exposer à Votre Majesté se bornait aux districts du Bas-Congo; comment l’Etat du Congo a entendu actuellement, des magistrats ont le réaliser, pour sa part, les prescrip- siège de leur juridiction dans le Haut- tions de l’Acte de Bruxelles. Le premier Congo, notamment à Léopoldville et à moyen que préconisait l’article premier Nouvelle-Anvers. En ce qui concerne pour combattre efficacement la traite à les services religieux, l’Etat a pour- Léopold II en tenue d’apparat (1935- l’intérieur de l’Afrique, était l’organisa- suivi sa politique de protection et de 2009), roi des Belges de 1865 à 1909, chef de l’Etat indépendant du Congo tion progressive des services adminis- sympathie active à l’égard des œuvres de 1885 à 1908 tratifs, judiciaires, religieux et militaires. des missions. Il lui a été ainsi donné de Sous ce rapport, l’État n’avait qu’à per- contribuer ces derniers temps à l’ins- Sire, Il y a cinq ans qu’étaient sou- sévérer dans la voie des initiatives dont tallation, sur ses territoires, des Pères « mis à Votre Majesté des rapports nous avons fait l’exposé au Roi dans Jésuites, des Trappistes et des Sœurs sur les mesures que l’Etat Indépendant notre rapport du 16 juillet 1891. de Notre-Dame qui collaborent au- du Congo avait prises, ou comptait jourd’hui, avec les missionnaires de la prendre, tant dans le domaine légis- Je n’ai pas besoin de faire ressortir les Congrégation de Scheut et les Sœurs latif que dans l’ordre politique et mili- progrès considérables qui ont été ac- de la Charité, à l’œuvre de propagande taire, pour amener, dans ses territoires, complis par l’État dans cet ordre d’idées et d’instruction religieuse entreprise conformément aux prescriptions de depuis cinq ans. Alors que les points ex- par les Belges au Congo. Plusieurs l’Acte de Berlin, la suppression de l’es- trêmes occupés à cette date étaient les établissements ont été créés ces der- clavage et de la traite des noirs. Stanley-Falls et Lusambo, l’action poli- nières années à Nouvelle-Anvers, à tique et militaire de l’État s’étend main- Borna, aux environs de Léopoldville et à Le Gouvernement ne dissimulait pas à tenant par plusieurs chaînes de postes, Luluabourg où l’on recueille et élève les cette époque les difficultés de la tâche, le long de l’Uélé, de l’Aruwimi, à travers enfants libérés.

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 55 Vue intérieure du pavillon du Congo à l’exposition universelle d’Anvers de 1894 ; tirée de Lemaire, Ch., Congo-Belgique, Bruxelles, Imprimerie scientifique, 1894

spiritueux. La Conférence de Bruxelles Ce décret a de la sorte complété les avait prescrit la prohibition complète dispositions de notre Code pénal ga- des boissons distillées dans les ré- rantissant la liberté individuelle. gions où l’usage n’en existait pas ou ne s’en était pas développé. En de- Applicable dans tout le territoire de hors de cette zone, elle avait frappé les l’Etat, c’est en exécution de ses ar- spiritueux d’un droit de 15 francs par ticles que les conseils de guerre, dans hectolitre à 50° centigrades. Depuis le Haut-Congo, ont eu à juger et à La Conférence de Bruxelles a signalé le 1887 déjà, nous avions visé à prévenir condamner à la peine capitale certains rapport étroit qui rattache, en Afrique, les abus de ce trafic en le soumettant chefs de bandes convaincus d’avoir di- au commerce des esclaves, le trafic dans le territoire de l’État au-delà de rigé de multiples opérations de traite. des armes et des spiritueux. Déjà en l’Inkissi, d’abord à des droits de licence 1888 et 1889, il avait été donné à l’État élevés, puis même à une prohibition ab- La crainte des sévérités de la loi pé- du Congo de prendre en ces matières solue, la libre importation n’étant plus nale n’eut pu, à elle seule, impression- des mesures prohibitives ou restric- ainsi autorisée que dans une région cô- ner les chefs esclavagistes. Il fallait de tives dont la Conférence de Bruxelles a tière très circonscrite, où les nécessités plus leur inspirer le sentiment que l’État cru pouvoir s’inspirer. du commerce n’en permettaient pas la était assez fort pour leur imposer sa loi, suppression radicale. Ce régime fut châtier leurs crimes et protéger les po- L’importation des armes perfectionnées complété par l’établissement des droits pulations. Sous ce rapport, l’extension et de leurs munitions avaient été interdite d’entrée auxquels l’Acte de Bruxelles graduelle de son occupation leur était dans la totalité des territoires; l’introduc- avait soumis les spiritueux. En l’ab- déjà un avertissement. Ses stations tion de toutes armes quelconques était sence de données statistiques sur l’im- se multipliaient et se renforçaient; de défendue dans le Haut-Congo et ses af- portation des alcools, antérieurement nouveaux postes étaient fondés sur les fluents en amont du confluent de l’Uban- à l’établissement de ces droits, le Gou- rives du Congo, sur la Mongala, l’Itimbi- gi et dans le bassin du Kassaï. vernement ne pourrait évaluer la dimi- ri, la Lulu, l’Aruwimi, le Bomu, le Sanku- nution actuelle de cette importation. ru, et ses affluents. La flottille de l’État Ce système a été repris par l’Acte Il estime toutefois que dans la zone, était augmentée : en 1889, elle com- de Bruxelles qui a consacré, dans la d’ailleurs restreinte, où la consomma- prenait onze vapeurs, elle en compte zone qu’il détermine, l’interdiction tion des spiritueux est tolérée, ce com- aujourd’hui douze sur le Haut-Congo de l’importation des armes et muni- merce n’a pas été enrayé sérieusement et sept sur le bas fleuve. L’on s’occupe tions, sauf des fusils à silex non rayés et que des droits plus élevés seraient d’installer, dans des conditions ap- et des poudres de traite destinées à nécessaires pour atteindre ce fléau propriées, des embarcations sur le des régions non atteintes par la traite. dans le Bas-Congo. Je crois devoir Haut-Ubangi, sur le bief de Kibonge Il nous a suffi pour mettre notre législa- faire remarquer à Votre Majesté que à Nyangwe, le Sankuru et le Kwango, tion en complète harmonie avec l’Acte ces droits seront majorés le 2 avril pro- de manière à relier les postes par des de Bruxelles, d’organiser sévèrement chain en vertu de l’Acte de Bruxelles. communications ininterrompues et à le régime d’entreposage qu’il édictait. La situation actuelle se résume donc en assurer le prompt ravitaillement. Ce fut l’objet du décret du 10 mars 1892 en ce que tout le Haut-Congo a pu être La construction du chemin de fer entre et de ses arrêtés d’exécution, et nous prémuni contre les abus de l’alcoolisme Matadi et Stanley-Pool se continue pouvons constater que l’introduction par les lois sévères édictées par l’Etat dans des conditions qui permettent des armes par nos ports a été effica- en quelque sorte au lendemain de sa de prévoir son complet achèvement et cement contrôlée, et n’a pas, en règle fondation; dans le Bas-Congo le mal d’escompter les multiples avantages générale, dépassé les limites des dis- n’est pas entravé, et au cas même où d’ordre économique qui en seront la tricts où elle est autorisée. Les armes les obligations internationales autori- conséquence: accès facile aux régions perfectionnées que les particuliers ont seraient l’établissement d’un régime intérieures, substitution d’un mode été autorisés à importer, ne consti- prohibitif, il serait peut-être difficile d’y de transport rapide au portage par tuent que des exceptions; les relevés recourir sans bouleverser le commerce l’homme, modifications nécessaires statistiques transmis au bureau inter- et faire naître des difficultés. dans les conditions actuelles du com- national constatent un chiffre de 1.800 merce ; toutes circonstances appelées armes pour un laps de temps de près L’article 5 de l’Acte de la Conférence, à exercer leur influence sur l’extinction de deux ans et demi. Si la contrebande imposant l’obligation d’édicter une loi définitive de l’esclavage et de la traite. n’a pas toujours pu être enrayée sur pénale applicable aux faits de traite, a Dans ce même ordre d’idées, le Gou- nos limites intérieures, la cause en est reçu également son exécution par la vernement a pris les premières mesures dans les difficultés d’une surveillance promulgation du décret de juillet 1891 en vue de l’établissement de lignes efficace sur le grand développement qui réprime la capture, le convoiement télégraphiques, établissement que la de nos frontières, difficultés auxquelles et la traite, le transport ou le recel des Conférence de Bruxelles avait préco- n’échappent pas nos voisins. Le Gou- esclaves, l’association formée dans un nisé comme un moyen propre à com- vernement n’a pas moins cherché à but de traite, les attentats contre les li- battre la traite; une ligne télégraphique réprimer les abus du commerce des bérés, les mutilations, etc. a été décrétée entre Boma et le lac

56 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 Tanganyika, et les travaux sont entre- présence des Arabes sur le cours su- vers le lac Matumba et au-delà de la pris pour la première section de cette périeur de la Maringá, sur l’Uélé jusque Lubilasch. On ne pouvait se dissimuler ligne, le long du chemin de fer jusque chez Djâbir et sur l’Itimbiri. qu’ils étendaient chaque jour davan- Léopoldville. Entre-temps, des expé- tage le théâtre de leurs déprédations. ditions étaient organisées et dirigées C’est pendant cette période de tem- Il était de plus démontré que les mé- vers les régions les plus menacées par porisation que se placent les premiers faits mis à leur charge n’avaient pas été la traite. Les camps étaient approvi- engagements entre les troupes et les exagérés. Leur œuvre de destruction sionnées d’hommes et de munitions, bandes d’Arabes esclavagistes. Vers et de violence était méthodique, leurs et, conformément à leurs instructions, le Sankuru, M. Descamps, comman- modes de procéder, uniformes. groupaient sous leur protection les dant intérimaire du camp en vient aux populations indigènes et les rassem- prises avec les hommes de Gongo-Lu- blaient en noyaux compacts. Les plus tete qu’il met en déroute. Sur l’Itimbiri, grands efforts étaient faits pour se M. Duvivier que les Arabes essayaient préparer, si c’était nécessaire, à une d’affamer, attaque leur poste et l’enlève. lutte décisive contre les bandes escla- Sur le Bomokandi, enfin, M. Ponthier vagistes. Le Gouvernement ne voulut est amené à prendre l’offensive contre pas cependant arriver à cette extrémité un gros d’Arabes envahisseurs et les tant qu’il conservait un espoir de rame- disperse. Mais, déjà, le Gouvernement ner les Arabes esclavagistes dans les avait cru indispensable pour détermi- voies de la civilisation et du commerce ner en toute connaissance de cause, la honnête. Sa politique fut d’abord, à politique définitive à employer vis-à-vis leur égard, toute de conciliation et des Arabes esclavagistes de faire pro- d’expectative. Il chercha d’abord à les céder à une enquête générale sur leurs empêcher d’entrer dans de nouvelles tendances, leurs vues et leurs projets, régions et assigna, pour limite de leur leur système de domination et leurs occupation, le cours du Lomami et de procédés vis-à-vis des populations in- Couverture de l’autobiographie du l’Aruwimi. digènes. Ce n’est pas seulement qu’il Dr Meyers. Par sa lecture on entre de voulut ajouter un témoignage officiel plain-pied dans la bataille. Livre vive- ment recommandé par la Rédaction Ses instructions de l’époque recom- à tous ceux qui, depuis Livingstone, mandaient aux agents d’entraver avaient dénoncé leurs pratiques. l’expansion arabe dans de nouvelles La mission qu’il confia à un fonction- Toutes les dépositions recueillies dans zones et de montrer aux populations naire de l’ordre judiciaire, avait pour l’enquête sont concordantes. Elles indigènes, chaque fois que l’occasion objectif de réunir toutes les données donnent un tableau saisissant de leur s’en présentait, que l’Etat entendait de nature à caractériser l’action de ces système : être le seul et véritable maître du pays. bandes. Les résultats de cette enquête Ils devaient éviter une conflagration devaient malheureusement enlever Lorsque les chefs esclavagistes sont générale tout en s’attachant à établir toute illusion. Elle s’adressait à toutes sûrs de leur supériorité, ils entourent et à maintenir notre prestige par la ré- les sources d’information : agents de de toute part le village convoité, la nuit pression des actes de violence que les l’Etat, agents commerciaux, Arabes le plus souvent, attaquent vivement et esclavagistes commettraient en dehors eux-mêmes, anciens esclaves libérés. font le plus de prisonniers possibles. des limites qui leur étaient assignées. Elle établit d’abord qu’on se leurrait en Au contraire, si la bande s’es- espérant que les Arabes esclavagistes time trop faible pour s’emparer de Les faits vinrent malheureusement ruiner reconnaîtraient, autrement qu’en pa- vive force du village, elle essaye de l’espoir caressé de voir les bandes arabes roles, l’autorité de l’Etat; non seule- nouer avec les indigènes des re- limiter leurs mouvements. Des points de ment ils n’avaient pas cessé un instant lations d’amitié, et à la première contact, pour ainsi dire inévitables, furent de violer les engagements pris de ne occasion, elle attaque à l’improvis- pris entre elles et nos forces. pas dépasser en bandes armées les li- te le village où elle reçoit l’hospitalité. mites qu’ils avaient acceptées, mais ils Les massacres qui accompagnent ces Il résultait d’ailleurs des rapports de n’avaient pas discontinué de miner au- attaques sont chose horrible. J’ai vu, nos agents que les Arabes sortant en près des indigènes l’influence de l’État. dit un témoin, des quantités énormes bandes armées de la zone imposée de cadavres jetés dans le fleuve et em- prenaient pied chez les Bassongos Au Nord de l’Aruwimi, ils avaient dirigé portés par le courant. D’ordinaire, dit entre le Lomami et le Sankuru, et ten- leurs expéditions jusque l’Itimbiri qu’ils un autre, on tue à coups de fusils; mais, taient de se rapprocher de la rivière avaient dépassé en plusieurs points. lorsqu’il n’y a pas beaucoup de poudre, Lukenié; le chef Gongo-Lutete avait Ils avaient envahi la vallée de l’Uélé et de les hommes, les femmes sont attachés notamment poussé à l’Ouest, jusque ses affluents, la M’bima et le Bomokandi, les uns aux autres comme une longue vers le Sankuru, après avoir détruit tous atteignant même les tribus Azandé; vers chaîne et jetés à l’eau; les enfants sont les villages de la grande forêt que tra- l’ouest, ils avaient ravagé les rives du aussi formés en chaîne mais la corde verse le Lubéfu. On constatait aussi la Lopori. Ils faisaient des razzias jusque au cou et pendus. En règle générale,

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 57 toutefois, on ne tue que les hommes de l’Etat, une certaine correction de l’Etat dans les régions exposées aux adultes, les enfants et les femmes sont procédés, en même temps qu’ils cher- chasseurs d’hommes. Au reste, les évé- emmenés comme esclaves et sont diri- chaient par la menace et la contrainte, nements se précipitaient. En mai 1892, gés sur les points où opèrent d’autres à détacher d’eux les indigènes. Ils se le chef Arabe Gongo-Lutete, s’avançait bandes, qui les utilisent comme valeur montraient paisibles dans les environs de nouveau vers le Sankuru. Dhanis d’échange. C’est ainsi que lors de l’af- immédiats de nos postes, tels que Ibe- repoussait ses bandes à Mona-Kialo faire du Boraokandi, l’on y trouva un rabo, Basoko, les Falls, Lusambo et ce et à Balubenghé. Au même moment grand nombre de captifs étrangers au n’était que vers les régions intérieures, se plaçait entre Riba-Riba et Be’na Ka- pays et de races les plus diverses. loin des regards des Européens, qu’ils raba le massacre de l’expédition Hodis- donnaient libre cours à leurs violences. ter. Michiels et Noblesse étaient tués Les prisonniers sont d’habitude atta- Et ils faisaient circuler le bruit dans le à Riba-Riba. A Kassongo, deux agents chés deux par deux par des anneaux pays qu’ils allaient tuer les blancs et de l’Etat, MM. Lippens et De Bruyne en fer fermés au marteau et réunis par massacreraient les populations qui leur étaient mis en captivité et Emin Pacha une barre de fer. A peine nourris, ils resteraient fidèles, comme ils l’avaient était assassiné par les Arabes. sont torturés avec des raffinements de fait en 1886 aux Falls. cruauté; les chefs ont recours au sup- Ceux-ci jetaient le masque et entraient plice du feu et de la mèche à poudre; A maintes reprises ils attaquèrent des ouvertement en révolte. Enserrés de ils coupent aux prisonniers les oreilles villages indigènes sous prétexte qu’ils toutes parts, acculés dans leurs der- ou les poignets ou leur font subir étaient amis des blancs. Telles furent niers retranchements, sentant leur do- d’autres mutilations. Dans la vallée du les données de cette enquête, menée mination compromise, obligés de choi- Bomokandi, on ne rencontre plus que sur place à Basoko, aux Stanley-Falls et sir entre une soumission à l’Etat, cette des manchots. Ce fut un lugubre dé- sur les rives du fleuve. fois loyale et complète, et la rébellion filé que celui des indigènes estropiés déclarée, ils prenaient ce dernier par- et mutilés, que le magistrat instruc- Tous les indigènes, chefs de villages, ti. Les faits militaires de la campagne teur interrogea, preuves vivantes des d’origines diverses et étrangers les Arabe sont encore présents à la mé- atrocités sans nom; les uns privés de uns aux autres, ou esclaves venus de moire de tous. Elle débute par la som- tel ou de tel membre, les autres affreu- partout et recueillis dans nos stations, mation adressée aux agents de l’Etat, sement martyrisés. C’était un horrible tous, dit le rapport du magistrat, nous par Sefu et Moharra, les chefs Arabes spectacle de troncs sans bras et de apportent les mêmes renseignements ; de Kassongo et de Nyangwe, d’avoir à têtes sans oreilles. Il semblait vraiment on pourrait recueillir des centaines de évacuer tout le territoire entre le Lomami que leur esprit de destruction ne put témoignages semblables. Les conclu- et le Sankuru, et c’est alors que Dhanis, jamais être satisfait. Il est merveilleux, sions de l’enquête judiciaire étaient usant d’une initiative à laquelle ou ne disent les témoins oculaires, avec quel corroborées par les rapports de nos saurait trop rendre hommage, et de- art consommé ces brigands savent dé- agents administratifs et militaires. Ils vançant l’arrivée de l’ordre de marche, vaster; rien, absolument rien de ce qui abondaient en preuves de la dupli- prit lui-même l’offensive. Grâce à la peut servir aux indigènes ne demeure cité et de la mauvaise foi des Arabes garnison du camp de Lusambo, aux debout, pas même les bois utiles dans esclavagistes, qui considéraient les renforts que lui amenèrent le lieute- les forêts ; les villages sont incendiés, Européens comme des ennemis im- nant Michaux et le sergent Cassart, les plantations et les bananeraies sont placables et subissaient leur joug avec à l’appoint que lui fournit Gongo-Lu- détruites ; les arbres à étoffes, cou- impatience, alors seulement que leur tete devenu son allié, le Commandant pés. C’est un système; ils réduisent les intérêt ou leur faiblesse le leur com- Dhanis disposait, en troupes régulières indigènes par la ruine complète, la mandait. et en milices indigènes, d’une force misère et la faim et les obligent ainsi considérable. Sans entrer dans les dé- à se mettre à leur merci. Et si, par ex- tails de sa campagne militaire, il nous ception, ils jugeaient utile au succès de suffira de marquer ici sa marche victo- leurs expéditions, d’épargner certaines rieuse en avant. Il bat successivement, tribus qu’ils avaient terrorisées, leur le 19 novembre 1892, Sefu à Angoï sur influence était toute démoralisatrice : la rive gauche du Lomami; le 28 dé- favorisant les coutumes de canniba- cembre, Munie Pemba, fils de Munie lisme et d’anthropophagie en nourris- Extrait d’une note autographe du Moharra, entre le Lomami et le Lualaba, sant les indigènes de chair humaine, général Dhanis traduisant l’âpreté des et le 9 janvier 1893, Munie Moharra lui- leur donnant l’exemple du mépris de combats. Le Dr Meyers réussira à fran- même à N’Goï Kapoka où celui-ci est chir nuitamment la rivière et mettra en la femme en violant les captives, leur fuite les insurgés, libérant Kabambare ; tué. Ce triomphe est assombri par la enseignant la haine des blancs, en les tiré de A nos héros coloniaux..., Ligue nouvelle de la mort de Lippens et de menaçant de représailles s’ils avaient du Souvenir congolais, 1930-31 De Bruyne, qu’après sa défaite Sefu fait ou conservaient des relations avec les assassiner à Kassongo; le châtiment Européens. C’était, en effet, une de leur La preuve était faite, et il fallut désor- ne se fit pas attendre. A la fin de jan- tactique de simuler, vis-à-vis des agents mais agir et asseoir la domination de vier 1898, le Commandant Dhanis était

58 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 devant Nyangwe qui tombait entre ses et, après une rencontre indécise, par- dont elles disposaient n’ont pas permis mains le 4 mars; le 22 avril il s’emparait vint à s’emparer de leur camp; dix- de s’opposer à l’envahissement des de Kassongo. Entre-temps les forces neuf chefs Arabes furent passés par bandes venues de la rive occidentale du camp de Basoko étaient entrées en les armes. Quelques jours après, le 6 des lacs, elles ont tout au moins conso- scène. Le capitaine Chaltin, remontant avril 1898, le commandant infligeait à lidé les postes de la rive gauche, forcé le Lomami, put constater la débandade Kibonge et à Rachid une nouvelle dé- l’ennemi à diviser ses forces et maintenu des Arabes qui avaient évacué Yanga faite non loin de la Lowa. Puis il prenait la tranquillité dans le voisinage immé- et Béna-Kamba et s’étaient concentrés le chemin de Kassongo où il opérait le diat des stations. Leur action contre au camp du Chari, entre Béna-Kamba 25 septembre sa jonction avec Dhanis. les esclavagistes a été marquée de et Lhomo. Il suffit de l’apparition de l’ex- plus d’un fait d’armes heureux, no- pédition (avril 1893) pour que les Arabes tamment de l’enlèvement du boma évacuassent ce camp qui fut détruit. que les Arabes avaient établi en face d’Albertville. Le Gouvernement n’a fait Le 26 avril la colonne débouchait de- qu’accomplir les prescriptions de l’Acte vant Ikaraba où avait péri Hodister et de Bruxelles et se conformer à ses de- atteignait Tomé où le gros des Arabes voirs en donnant à la Société antiescla- s’était de nouveau réuni. Le succès vagiste des témoignages d’une active des armes fut encore favorable à nos sympathie qu’elle n’a pas cessé de méri- troupes admirablement servies par ter et en lui assurant son aide en argent l’artillerie. La déroute de l’ennemi fut et en hommes, lorsque les circons- complète. Bientôt Riba-Riba, que le tances le permettaient. Les renforts chef Mserrerra avait abandonné, fut à Couverture de l’évocation de la carrière amenés au lac par les troupes de l’État son tour occupé. Les événements qui congolaise du capitaine Alphonse Indépendant ont imprimé un nouvel es- Jacques, par Joseph Verhoeven, 1929 se passaient aux Falls arrêtèrent la (Remarquez le dessin d’Hergé). sor aux opérations antiesclavagistes ; marche triomphante de Chaltin. Le 4 l’occupation de la partie septentrionale avril, Rachid avait donné sa démission Un dernier adversaire surgissait mena- du lac a été complétée; les communi- de Vali des Falls. Des renforts lui arri- çant ; c’était Ruma Liza, le chef d’Udjiji, cations entre Albertville et Kabambarré vaient, notamment de Kibonge. qui, traversant le Tanganyika et ralliant ont été assurées par une série de trois les débris des forces Arabes, s’était postes échelonnés. Le 14 mai M. Tobback, en présence des fortement retranché à Kabambarré. démonstrations armées des troupes de Vers le milieu d’octobre quelques ren- Des résultats non moins considérables Rachid se fortifiait sur la rive gauche du contres eurent lieu vers la Luama dont ont été obtenus par les expéditions que fleuve. Du 15 au 17 mai, se succédèrent l’une couta la vie au vaillant Ponthier. l’État a dirigées vers le Nord-Est de ses quelques engagements où M. Tobback L’ennemi, harcelé, transporte son camp possessions. Le péril qu’il importait se défendit brillamment contre des sur la rive droite de la Lulindi où il ne avant tout d’éviter dans ces parages, troupes supérieures en nombre ; le 18 tarde pas à être bloqué par Gillain, c’était la jonction des Arabes venus du l’arrivée de Chaltin, avec trois cents Lange, Lothaire et de Wouters. Le 14 Sud avec les bandes mahdistes agis- hommes et deux canons, décide défi- janvier 1894, le boma était bombardé sant dans le Nord. Ce fut l’objet prin- nitivement de la victoire. Rachid prit la et incendié et nombre d’Arabes y trou- cipal des instructions données aux fuite. A la même époque, l’Inspecteur vèrent la mort. Lothaire et de Wouters officiers opérant dans cette région et d’État Fivé délogeait les Arabes des po- mettaient à profit ce succès en mar- ce but fut heureusement atteint, grâce sitions qui leur restaient sur le Congo, chant à étapes forcées sur Kabambarré à l’habile direction de Van Kerkhoven, en aval des Falls, à Isangi, Yououami et à qui se rendait à merci (25 janvier 1894). Ponthier et Baert. Les communica- la Romée. Il restait à expurger les deux Quinze jours plus tard, les deux officiers tions y furent d’abord assurées entre rives du fleuve depuis les Falls jusque rejoignaient, sur le Tanganyika, les l’Itimbiri et l’Uélé et un poste retranché Nyangwe. Ce fut la tâche du capitaine agents de la Société antiesclavagiste. fut installé à Ibembo, servant à la fois Ponthier. A cette dernière revient l’honneur de point d’appui pour les expéditions et d’avoir maintenu au fond de l’Afrique de dépôt pour le ravitaillement. Parti le 28 juin des Falls, Ponthier se des postes avancés, seuls représen- dirigea vers Kirundu où il parvint le tants de la civilisation, au moment où En même temps que des succès mi- 8 juillet après une première escar- toute la région était submergée par litaires assuraient le prestige de nos mouche à Kwebe et un engagement le flot envahissant des esclavagistes. armes, d’habiles négociations nous plus sérieux à Mabanga, où Rachid fut Les expéditions qui furent envoyées ralliaient les puissants sultans du Nord, de nouveau défait et mis en fuite. Pon- successivement au Tanganyika, avec tels que Djâbir, Rafaï et Semio dont la thier entre à Kirundu évacué et, pour Jacques, Long et Descamps, ont bien fidélité ne se démentit pas un instant empêcher les forces de Kibonge de se mérité de la noble cause qu’ils ont dé- et dont le concours fut précieux par reconstituer, se met à leur poursuite. fendue et de l’État dont ils ont servi l’appoint des forces indigènes consi- Il les rejoignit le 10 juillet à Kima-Kima de grands intérêts. Si les ressources dérables qu’ils apportèrent à nos

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 59 troupes régulières. Les rives de l’Uélé en tant que force coalisée, ne sont plus L’exposé qui précède m’autorise à dire furent expurgées des hordes escla- à redouter, il est certain qu’il y en a en- à Votre Majesté que, dans les divers vagistes qui s’y étaient installées et qui core quelques-unes, sans importance, ordres d’idées préconisés par l’Acte furent rejetées au-delà de l’Aruwimi ; et qui, fuyant devant nos troupes, se sont de Bruxelles, les résultats atteints par rappelons que c’est au cours de cette réfugiées dans l’intérieur des terres, à l’Etat ont été considérables. Sa tâche campagne que fut livré ce combat du l’abri des poursuites. cependant n’est pas complètement Bomokandi, au confluent de cette rivière terminée. Comme je l’ai fait remarquer et du Mokongo, qui datera dans la car- Elles ont tout naturellement cher- plus haut à Votre Majesté, il lui reste à rière militaire de Ponthier. Il put alors être ché asile dans cette région, entre le consolider son pouvoir politique dans procédé, sur l’Uélé, à l’établissement de Lualaba et le lac Albert-Édouard et les régions de l’Est et à soumettre dé- toute une série de postes militaires, Bo- Albert-Nyanza, que la récente guerre finitivement les dernières bandes qui mokandi, Amadis, Dongu, rendant dé- n’a pas eu pour théâtre. Celles-là pourraient s’y être installées. Dans ce finitivement impossibles les points de restent encore à ramener à l’État, soit but, il est indispensable que ces pro- contact entre Arabes et Derviches. par la persuasion, soit par la contrainte. vinces restent soumises à une police Il reste aussi à continuer l’organisa- sévère et à une étroite surveillance; il Une tentative de ces derniers a été re- tion administrative et militaire des ter- sera possible d’y parvenir, grâce aux poussée au mois de mars dernier, à ritoires du Haut-Lualaba et du Haut camps fortement occupés qui exercent Mundu, par le commandant Delanghe. Lomami jusqu’au Tanganyika méri- leur action au centre même de nos pos- La campagne était terminée et l’on dional. Vers le Sud, consolider nos sessions, à Kassongo et à Kabambarré, peut dire que ses résultats dépassent victoires par une surveillance inces- et, sur l’Uélé, à Dungu, actuellement la les espérances les plus optimistes. sante et une vigilance toujours en citadelle de la civilisation dans le Nord. Il semble, cette fois que la puissance éveil; vers le Nord-Est, déloger de leurs des chasseurs d’hommes est définiti- derniers repaires les esclavagistes qui Les chaînes de postes aujourd’hui vement anéantie et qu’il serait impos- chercheraient à reconquérir leur in- échelonnés jusqu’aux limites orientales sible qu’elle se relevât encore. fluence perdue : tel est le programme des territoires devront être conservées, qu’imposent les événements et dont la en vue à la fois de prévenir de nou- Les chefs ont disparu, sont morts ou réalisation rendra entièrement féconds velles incursions des bandes escla- en fuite. Sefu, Munie Moharra, Mserrer- les résultats déjà acquis. Ces résultats, vagistes et de mettre fin à l’infiltration ra ont péri dans la tourmente. Rachid la Belgique peut le dire avec un légi- d’armes et de munitions de ce côté. est gardé prisonnier dans le Kassaï; time orgueil, c’est à la bravoure et au Cette tâche est relativement aisée et la plupart des autres chefs ou sous- courage de ses officiers qu’ils sont dus. son accomplissement se concilie avec chefs arabes ont reçu le châtiment de Il n’en est pas un qui, pendant cette pé- l’exécution des mesures qui ont pour leurs forfaits. Sans guides, les bandes nible campagne, n’ait été digne d’elle. but la formation de l’armée nationale et arabes, décimées par de multiples dé- Tous ont bien mérité de leur patrie, et comme conséquence, la réduction des faites, chercheraient en vain à se ravi- ont fait preuve, chacun dans sa sphère, dépenses publiques. »** tailler depuis que leurs anciennes posi- d’un égal dévouement et d’une même tions les Falls, Riba-Riba, Bena-Kamba vaillance : ce sera l’honneur de l’armée et surtout Nyangwe et Kassongo, ces belge de compter ces braves dans ses boulevards de l’esclavagisme, sont dé- rangs et d’avoir prouvé qu’en toutes cir- truites ou aux mains de l’État. Sans res- constances le pays peut se fier à elle. sources assurées, car les populations Le Gouvernement du Congo est heu- natives qu’ils terrorisaient jadis, se sont reux de pouvoir lui donner ici un public naturellement tournées vers leurs li- témoignage de ses hauts faits. Il rend bérateurs, sans communications entre un hommage ému à ceux qui ont payé eux, sans approvisionnements d’armes de leur vie leur collaboration à la cause ni de munitions, il leur sera difficile de se sacrée : aux Van Kerkhoven, Ponthier, Hommage aux pionniers Lippens & De réorganiser et de reprendre l’offensive. de Heusch, Michiels, De Bruyne, Lip- Bruyne, sur la digue à Blankenberge, Toutefois, si les bandes esclavagistes, pens, de Wouters d’Oplinter, Vritoff. en 2016, F. Hessel

*’Notre Jacques’ était le nom affectif que les soldats des tranchées de l’Yser donnaient au capitaine Jacques, qui sera anobli en 1923 pour son comportement héroïque au front. Piégé dans la ville de Dixmude, faisant fi de ses blessures, il réussit à empêcher l’ennemi de traverser l’Yser, laissant ainsi à l’éclusier Kogge le temps d’inonder la plaine et de préserver jusqu’à la fin de la Grande Guerre le dernier carré de Belgique. Il fut anobli au rang de baron et entra dans l’histoire comme Baron Jacques de Dixmude. Un imposant monument fut érigé en souvenir de cette résistance. Au front, les soldats confondant nom et prénom, l’appelèrent ‘Notre Jacques’, ‘Onze Jaak’ en néerlandais, ôtant ainsi toute véracité à la légende selon laquelle des Flamands seraient tombés parce qu’ils ne comprenaient pas les ordres donnés en français. Avec un passé aussi prestigieux, au Congo comme en Belgique, il est tout naturel qu’il soit honoré comme la figure emblématique de notre cercle d’anciens d’out- re-mer, comme il est impératif d’aller fleurir chaque année le monument dédié à tous les Salmiens qui ont combattu pour la liberté au Congo. ** La graphie des noms propres est celle du texte original.

60 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 ROYAL CERCLE LUXEMBOURGEOIS DE L’AFRIQUE DES GRANDS LACS

N°15 PATRICK NOTHOMB, UN BELGO-CONGOLAIS

La dernière fois que j’ai eu l’opportunité de rencontrer notre président d’honneur, Patrick Nothomb, c’était, un peu par hasard, mais toutefois sur son lieu de repos préféré à Habay-la-Neuve, sur son banc, au pied de sa forêt ardennaise, à une centaine de mètres de son domicile, sur son site historique de prédilection du Pont d’Oye. Il était accompagné de son épouse Danielle, qualifiée par lui de co-diplomate, car elle l’a soutenu professionnel- lement tout au long de sa vie de représentant de la Belgique à travers le monde. PAR ROLAND KIRSCH

e banc, d’apparence banale, Maison », nom de l’établissement sans roïque à Stanleyville en 1964, et pen- était en réalité d’une valeur doute inspiré à ses propriétaires par dant mes études universitaires par C symbolique forte. Il était orien- le titre d’un roman de la fille ainée de mon camarade Benjamin Tshombe, té de façon telle qu’il donnait une vue Patrick, Juliette, née en 1963 à Léopold- frère cadet du leader katangais Moïse, imprenable sur le lac – ô combien ro- ville. (Les sept canailles de la Bleue je ne l’ai pas rencontré, pas même, mantique – du Pont d’Oye – avec ses Maison – édition Memory) plus tard au début de ma carrière pro- canards colverts, ses cygnes, hérons, fessionnelle de juriste, en tant qu’at- cormorans, entouré d’une riche nature Docteur en droit de l’université ca- taché ministériel auprès de son oncle propice aux rêves. tholique de Louvain en 1957, Patrick Charles-Ferdinand Nothomb, Ministre Nothomb s’est donc révélé, à défaut de des Affaires Etrangères, qui avait le Si Patrick a choisi ce banc spéciale- pouvoir faire une carrière militaire dans même âge que lui, à trois semaines ment, c’est évidemment pour se facili- les para-commandos, au sein de la près. ter un recueillement, une réflexion sur diplomatie belge de 1960 à 2001. le monde. Son parcours de diplomate C’est la renaissance du Cercle pendant 42 ans à New-York, en Italie Il est le petit- fils de l’écrivain, poète et Africain Luxembourgeois en 2016 qui mais en Asie principalement (Chine, homme politique Pierre Nothomb qui a m’a permis de le connaitre, et finale- Birmanie, Thaïlande, Laos, Bangla- acquis le prestigieux domaine du Pont ment, de bien le connaitre : il a accepté desh) et surtout à deux reprises au d’Oye et son château tutélaire au mitan de patronner notre association comme Japon, à Osaka puis à Tokyo pendant des années 1930. Pierre Nothomb est président d’honneur. En fait, il en est treize années l’a amené à entretenir enterré dans une petite clairière, sous devenu l’une des chevilles ouvrières. une émotion, une atmosphère person- un banc de pierre entre la forêt et le lac. A tel point qu’au cours de l’été 2018, il nelle, sous la forme inattendue, mais Enfin, Patrick est aussi le descendant nous a accompagnés à Namur pour théâtrale de chanteur dans les drames de l’un des fondateurs de la Belgique être reçu par le président du Cercle lyriques japonais du « Nô » ... en 1830, Jean-Baptiste Nothomb. Africain Namurois Jean-Paul Rousseau. Ce dernier après nous avoir fait visiter Son fils André, ingénieur Solvay, s’est Si notre diplomate a publié deux le MAN a prêté une salle où devant concentré par contre sur un seul pays livres, « Dans Stanleyville, journal d’une les membres namurois et luxembour- asiatique, la Corée du Sud. prise d’otage », éd. Duculot 1993 et geois réunis, Patrick a exposé dans une « Intolérance zéro : 42 ans de carrière conférence remarquable les évène- Attention cependant, le choix de ce diplomatique » avec J-M Mersch – éd. ments de Stanleyville. banc particulier par Patrick avait aussi Racine, Bruxelles 2004, la postface de une vocation pratique relationnelle, car, ce dernier ouvrage a été rédigée par sa Cet amoureux du Congo et des enfin, installé paisiblement sur celui-ci, célèbre fille cadette Amélie. Cette der- Congolais a brusquement disparu il était en mesure de répondre avec nière a été évidemment animée dans le 17 mars 2020 à Habay-la-Neuve. sa bonhomie habituelle aux questions ses romans par la vie diplomatique de Les hommages se sont succédé. des promeneurs locaux et autres ran- son père, notamment, au Japon, dans Le plus émouvant m’a été confié par donneurs, pêcheurs ou amateurs de la ses livres Stupeurs et tremblements ou un de nos membres congolais du nature, mais aussi aux interrogations Ni d’Eve ni d’Adam, chez Albin Michel. Luxembourg, l’écrivain et économiste de la clientèle internationale passante Kassa-Kassa Bokomba (Les enjeux issue du restaurant gastronomique Si j’ai entendu parler de Patrick dans de la réhabilitation du pouvoir cou- voisin « Les plats canailles de la Bleue mon adolescence pour son action hé- tumier congolais, éd Lokole Asbl)

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 61 qui m’a avoué : « beaucoup de Belges ville, il est consul général à Montréal et nifeste que les paras avaient débarqué, sont nos oncles, mais, Patrick, lui, c’était Osaka, chargé d’affaires à Pékin –avec les Simba se sentant pris au piège ou- un frère ! » Simon Leys comme attaché culturel–, vrirent le feu à l’aveugle, laissant le bi- conseiller à la Délégation permanente tume couvert de sang et de morts.(fh) ARRÊT SUR IMAGES de la Belgique à l’ONU, ambassadeur au Bangladesh et en Birmanie, direc- Un livre a fait entrer dès sa parution teur Asie-Océanie au siège à Bruxelles, Patrick Nothomb dans la littérature ambassadeur en Thaïlande et au Laos, belgo-congolaise, tout comme dans puis le couronnement pendant 9 ans la littérature universelle traitant des ambassadeur au Japon, pour finir am- grandes prises d’otages dans le monde bassadeur au Vatican avec juridiction : Dans Stanleyville, titre on ne peut plus sur Malte et l’Albanie. parlant car la ville pendant les quatre mois que dura la prise d’otages tint lieu Mais la chemise pleine de taches du de prison. Il a connu deux éditions : sang de ses compatriotes qu’il portait chez Duculot en 1993 et chez Masoin le 24 novembre 1964 lui restera collée en 2011. à la peau sa vie durant. Sitôt sa retraite commencée, il se mettra au service de La photo de la couverture de l’édition la mémoire de la Belgique au Congo, de 1993 est celle de Patrick Nothomb en participant jusqu’à la limite de ses en personne, prise sur le vif par Jean forces aux manifestations où il devint Kestergat (le fameux JK de la Libre rapidement indispensable, d’Arlon à Belgique), au petit matin du mercredi Ostende. 24 novembre 1964. Les paras belges venaient de débouler dans la ville. Sur ces entrefaites, la première édition Cette photo nous offre un magnifique de son récit s’épuisa. Bien que beau- portrait du héros du jour. Le visage coup de douleurs aient eu le temps mêle le sourire de la libération, la ré- de s’apaiser dans les familles, que la probation du massacre, la résistance mémoire de la prise d’otages ait per- à la cruauté. Sans doute la plus belle du de sa vivacité, que les relations photographie d’un homme mû par la elles-mêmes entre la Belgique et son dignité. ancienne colonie se soient progressi- vement distendues, le besoin de lire à Le livre, écrit en 1966, ne fut autorisé à la source la relation des événements la publication qu’une petite trentaine de 1964 resta vif. Les Editions Masoin d’années après les faits, le Ministère mirent en chantier en 2011 une réédi- des Affaires étrangères belge auquel tion, en tous points semblable à la pre- appartenait l’auteur ayant refusé l’im- mière quant au fond. Seuls quelques primatur jusque-là, conformément aux détails ont été davantage précisés. conventions auxquelles sont soumis Et une pochette de photos historiques les diplomates. pleines d’intérêt est venue l’enrichir. La couverture cette fois rappelle la fusil- Le jeune consul plein de fougue de- lade de la rue Lothaire, qui relie l’hôtel viendra vieil ambassadeur plein de Victoria, où un grand nombre d’expa- talent et de sagesse, mais jamais il triés avaient trouvé refuge, à la route n’oubliera les heures tragiques vécues de l’aéroport de Simi-Simi. Les otages au cœur de l’Afrique en 1964. Il sillon- avaient été amenés de force dans la rue nera le monde, avec un attachement pour former un bouclier humain sur la particulier pour l’Asie : après Stanley- route de l’aéroport. Puis quand il fut ma-

Intermède

« L’Afrique noire n’a pas à avoir honte de son passé ou d’en prendre ombrage, au point de vivre constamment sur la défensive et dans la susceptibilité, ses rapports avec ses interlocuteurs. Le perpétuel déni de la réalité historique constitue un des freins à l’essor de nos sociétés. On ne peut qu’être d’avis avec Albert Camus quand il dit « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » Oulatta Gaho dit Pierre in L’Afrique noire victime de ses péchés L’Harmattan Côte d’Ivoire, 2020

62 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 ADMINISTRATIONS DES CERCLES PARTENAIRES

Président : Fernand Hessel Rédacteur de la revue Contacts : Fernand Hessel - Tél. 0496 20 25 70 / 087 77 68 74 - Mail : [email protected] Vice-président : José Welter Siège social : ASAOM - Vieux château, rue François Trésorier : Reinaldo de Oliveira Michoel, 220 - 4845 Sart-lez-Spa (Jalhay) Place Achille Salée, 9 - 4900 Spa Tél. 087 56 07 45 & 0477 75 61 49 Nombre de membres : Au 31.12.19 : 104 Mail : [email protected] Présidents d’honneur : Joseph Houssa et André Voisin Secrétaire & Porte-drapeau : Françoise Devaux Membres d’honneur en 2019 : Mme Nelly Bultot, Mme Marcelle Char- Tél. 0478 46 38 94 / 02 345 88 60 lier-Guillaume, Mme Odette Craenen-Hessel, Vérificateur des comptes : José Welter La Pitchounette à Tiège, M. et Mme André & Michèle Voisin-Kerff, & M. José Welter Autres membres : Paul Cartier et Marie-Rose Utamuliza Compte : BE90 0680 7764 9032

Président : Freddy Bonmariage [email protected] Autres membres : Henri Bodenhorst, Pierre Cremer, Didine Voz Vice-président : Guy Jacques de Dixmude Rédacteur de la revue Nyota : Fernand Hessel [email protected] Tél. 086 40 12 59 / 0489 41 79 05 Siège social : CRAA - Grande Hoursinne, 36 - 6997 Érezée Secrétaire & Trésorier : Herman Rapier - rue Commanster, 6 - 6690 Vielsalm - Tél. 080 21 40 86 Nombre de membres : Au 31.12.19 : 40 [email protected] Président d’honneur : Roger Marquet Porte-drapeau et Fêtes : Denise Pirotte Compte : BE35 0016 6073 1037 Vérificateur des comptes : Paul Chauveheid

Président : Roland Kirsch Éditeur du Bulletin : Roland Kirsch Vice-président : Gérard Burnet Siège social : RCLAGL - 1, rue des Déportés - 6780 Messancy - Tél : 063 38 79 92 ou 063 22 19 Secrétaire & Trésorier : Anne-Marie Pasteleurs 90 – Mail : [email protected] Vérificateur des comptes : Marcelle Charlier-Guillaume Nombre de membres : Cercle en formation Autres membres : Jacqueline Roland, Thérèse Présidents d’honneur : Baron Patrick Nothomb et Marcelle Vercouter Charlier-Guillaume Compte : BE07 0018 1911 5566

NÉCROLOGIE : Les cercles partenaires ont le profond regret de devoir faire part du décès de trois membres et apparentée. Ils ont à cœur de présenter aux familles éprouvées leurs sincères condoléances

CRAA Le commandant Jacques Choque (1931-2020), nous a quittés douce- ment à Vielsalm, le 16 avril. De la lointaine base de Kamina jusqu’au reposant village ardennais où il posa ses valises, il eut pour devise le service. Il allia partout où il passait amabilité et disponibilité. Sa mis- sion de pilote durant l’évacuation en 1960 reste dans les mémoires. Qu’il soit ici remercié. CRAA Notre président honoraire Freddy Marquet (1931-2020), après avoir fourbi ses armes pendant 14 ans dans le secteur privé au Congo, est rentré au pays en 1983 où il assuma la présidence et le destin du Par sympathie Cercle africain des Ardennes jusqu’en 2009. Sa politique de fraterni- Janine Raeymaekers (1934-2020) nous sation entre cercles voisins fut remarquable. Tous nos remerciements a quittés, dans la paix d’une maison de l’accompagnent. Qu’il soit ici remercié. retraite à Verviers, le 12 avril 2020. Qu’elle ASAOM soit ici honorée et remerciée spécialement Notre dévouée secrétaire a conduit à sa dernière demeure sa ma- pour les éminents services rendus à la man, Marie-Madeleine Devaux (1922-2020), décédée paisiblement sauvegarde de nos souvenirs africains. à Villers-la-Ville le 27 mai. En rendant un hommage à la mère, nous tenons à adresser aussi nos remerciements à la fille qui se dévoue de manière exemplaire à la cause de la mémoire africaine, à MDC&RB, à NIAMBO, à l’ARAAOM... et surtout à l’ASAOM.

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 63 BIBLIOGRAPHIE

N°18

Livre plaisant, servi par un passionné de voyages valorisants, avec juste le détachement né- cessaire pour permettre au lecteur de mettre ses propres pas dans ceux de l’auteur. Sans N°1 surcharge mais sans négliger pour autant le détail pittoresque, sans pédantisme mais avec le désir de coller à l’histoire, l’auteur, chirurgien de son état, nous promène en Afrique cen- trale, en compagnie de sa famille par moments, ce qui ajoute une note affective à la quête des sources du Nil. Dans les pas de l’auteur mais aussi et surtout dans les pas (on ne saurait user d’un mot plus adéquat) des quelques aventuriers avides de gloire et d’exotisme, prêts à tout pour découvrir en premier les mythiques sources. Le XIXe avait sans aucun doute besoin de matières premières, mais il avait aussi besoin de percer les secrets de la planète. Marc Clemens nous évoque ces duels de titans, qui pas à pas se sont enfoncés dans l’in- connu, qui le plus souvent avait la densité de la forêt vierge, avec un groupe de fidèles, pour déterminer l’endroit précis d’où giclait le Nil. Le lecteur chemine tour à tour avec Burton, Baker, Livingstone, Speke, Stanley, Cameron, sans oublier le guide Bombay. C’est Stanley, que nous les Belges connaissons bien, qui décrochera la timbale. Et pour rendre son récit plus convivial, Marc se fait aider de son fils Olivier pour illustrer son récit de 49 belles aqua- relles. L’éditeur Frison-Roche fera le reste, pour le plaisir du lecteur. A lire absolument (fh) Clemens, M., Les duels du Nil, Récit de la dramatique aventure victorienne à la recherche des sources du Nil, Paris, Frison-Roche, 2020 ; Broché, en couleurs, 200x245 mm, 110 pages, 28 €.

N°2 Né en 1915, Jean écrit son enfance et son adolescence jusqu’en p. 29. Université coloniale, service militaire, amours, montée des rexisme, fascisme et nazisme jusque p. 48. En juillet 1937, Jean scelle son sort : sa vie active sera africaine. L’invasion allemande empêche son retour en Belgique. Porté volontaire au corps expéditionnaire basé à Stanleyville, l’autorité militaire le juge plus utile maintenu colon, cette fois au service du nerf de la guerre : retour à la récolte obligatoire du caoutchouc. Dans le même temps, le décès au Congo de son cousin colon le désigne coadministrateur des biens ruraux du défunt : terres, bâtis, cheptel, jusqu’à majorité des 2 enfants métis, séparés de leur mère, mis en pension chez les Sœurs et des- tinés à la Belgique sitôt libérée. La suite mérite mieux d’être lue que commentée. Jean allie énergie, empathie pour Blancs et Noirs, ressources inventives inépuisables pour contourner l’adversité, immense souci de maintenir son épouse et ses enfants dans le bien-être. La vie d’un colon belge à l’âme bien née. A titre anecdotique, sont brièvement et avantageusement évoqués : - le père de Thierry Claeys Bouuaert, haut fonctionnaire en poste à Djugu ; - le père d’André Schorochoff, géomètre de passage à Stanleyville ; - la tante paternelle de Nadine Watteyne, dite « Tante Agnès » par les Belges du cru, qui garde dans sa maison de Mu- ramviya (Burundi) les enfants de colons en voyage. Jean-Paul Ramboux Mathieu, J., Trente ans d’aventure africaine (1937-1967). Editions TTB Virginal Belgique, 2003, 515 pages Congo-Meuse réunit ici une collection d’études d’une grande valeur historique ; avec la col- N°3 laboration d’une équipe au fait des réalités prises sous la loupe, appartenant à un large éven- tail, le tout sous la direction de Marc Quaghebeur. Les textes sont d’un intérêt historique évident. Le fait que ceux-ci appartiennent à un passé déjà lointain n’enlève rien à leur poids d’information. Ce n’est du reste pas la première fois que MDC&RB puise dans le même trésor. Deux tomes intéressent particulièrement notre revue, les numéros 5 et 6, par la parole qu’ils donnent à une série d’acteurs, culturels, politiques et religieux, « croisant » selon la spéci- ficité de la collection « le corpus africain et belge (francophone) ». L’article relatif à la visite d’une délégation congolaise en Belgique en 1956 (voir pages 5 à 12 du présent numéro) est tiré du tome 1. Les deux tomes comprennent pas moins de 40 articles, en ce compris l’article introductif du directeur de la collection, ordonnés selon quatre axes qui révèlent la démarche chronologique adoptée : (a) L’ordre colonial, (b) A travers la force des indépendances, (c) Ponctuations d’écrivains et intellectuels africains, (d) Du fond du chaos politique et sociétal, (e) Perspectives. Des intervenants de haut niveau confèrent à cet ensemble d’articles une garantie de qualité. Même notre rédactrice en chef, Marie-Madeleine Arnold, signa en son temps un article relatif à la presse d’hier et d’aujourd’hui. Congo-Meuse, Figures et paradoxes de l’Histoire au Burundi, au Congo et au Rwanda, Ar- chives et Musée de la Littérature, Editions L’Harmattan 2002, Deux volumes, brochés 135x215 mm ; 65 € pour la paire.

64 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 N°4 Au moment où les accusations de racisme blanc-noir prennent une dimension planétaire, la mondialisation ne se limitant pas au commerce, il est utile de se pencher sur quelques réalités historiques qui influent encore en notre siècle sur les relations intercommunautaires, comme par exemple l’esclavage qu’a connu au cours des siècles une grande partie de l’humanité. L’esclavage, basé sur l’ancienne hiérarchie des races, condamné par la Déclaration univer- selle des Droits de l’homme mais toujours en vigueur de-ci de-là, a véritablement paralysé l’Afrique subsaharienne dans ses élans de développement. Il prit le continent en étau pendant de longs siècles, beaucoup plus longtemps à l’est qu’à l’ouest (à l’est : 13 siècles et 17 millions de victimes ; à l’ouest : 4 siècle et 10 millions de victimes). Et pourtant les livres d’histoire se taisent le plus souvent sur la déportation orientale, simplement parce qu’une bonne partie de l’Afrique est devenue musulmane et que mieux vaut faire silence sur ce passé criminel. Voilà comment une fraternité religieuse finit par tordre le cou à l’Histoire. Et voilà pourquoi dégager la vérité historique n’est pas chose aisée. Un Africain, Tidiane N’Diaye, franco-sénégalais de naissance et vivant en Guadeloupe, a eu le courage de faire une enquête historique sur la question et d’en livrer le résultat dans un livre paru en 2008 chez Gallimard, et édité en format folio. Un livre à lire absolument pour rétablir autant que faire se peut la vérité. Notre Julien Nyssens, un homme de sagesse et de mesure, le recommande chaudement.(fh) N’Diaye, T., Le génocide voilé, Enquête historique, Editions Gallimard, 2008 - Collection Folio 2017, quelques photos en NB. Collé, 110x180mm, 312 pages.

Ces “récits de voyage, d’aventures et d’exploration” nous font traverser une grande partie du Congo, qui n’était pas encore belge quand l’auteur l’a sillonné. Ses écrits furent rédigés N°5 lors de son retour du Katanga, longtemps avant leur publication en 1922. Il fallait une bonne dose d’audace, de courage et de goût de l’aventure, pour se lancer, à moins de 20 ans, sur les chemins d’une vie aussi mouvementée. Les neuf premières années se passent principale- ment à commercer, notamment en tant que gérant à Boma d’un établissement de la maison française Daumas-Béraud & Cie qu’il transformera plus tard en comptoir principal des établis- sement français au Congo. Parti à l’aventure en 1874, il retourne au Congo en 1883 avec une mission et un but déterminé : représenter le Comité d’Etudes dans le Bas-Congo et diriger les transports entre Banana et Vivi, conjointement avec la charge de directeur de la maison belge établie à Boma. A partir de 1888, il effectue un travail de reconnaissance économique du Haut-Congo, pour déterminer la navigabilité des nombreuses rivières et repérer des lieux propices à l’établissement de futurs postes. En octobre 1890, il entame un périple, connu sous le nom “d’expédition Delcommune”, qui l’amènera à explorer le Lomami avant d’arriver au Katanga. Son retour à Kinshasa se fera le 5 février 1893. Ces récits constituent une manière agréable d’apprendre une partie d’histoire qui n’est pas enseignée dans les écoles. Ils sont instructifs aussi sur des plans tels que la géographie, l’habitat et les coutumes des diverses ethnies, ainsi que certaines pratiques des esclavagistes au temps de l’EIC. Françoise Devaux Delcommune, A., Vingt années de Vie africaine, Récits de Voyages, d’Aventures et d’Explo- ration au Congo Belge 1874-1893, Ed. Vve Ferdinand Larcier, Bruxelles, 1922, Disponible sur www.forgottenbooks.com Tome 1: 346 p.; Tome 2: 598 p.; avec illustrations en NB; 180x242mm.

N°6 Le Congo doit son existence à deux personnes : Stanley et le roi Léopold II. C’est Léopold qui a conçu et mis à exécution un plan grandiose de construire un Empire en Afrique pour apporter un débouché à son petit pays surpeuplé. Comment il y parvint malgré les grandes puissances et les égoïsmes de toute sorte ? Comment il céda ce royaume personnel à l’État belge ? Comment cette colonie devient le pays le plus prospère de l’Afrique Centrale ? George Martelli apporte les réponses les plus précises à toutes ces questions, en retraçant avec une précision toute britannique tous les épisodes de cette histoire où se côtoient le pittoresque, le dramatique et l’héroïque. Le chapitre sur la croissance du nationalisme, 1956-1958, offre une clé de lecture de premier plan pour comprendre l’enchainement des évènements qui ont suivi. G. Martelli démontre à quel point l’année 1956 fut une année cruciale pour le Congo. Et comment les forces conjointes internes, avec les revendications sociales et politiques, et externes, avec les pressions des USA, les avancées de la et de l’Angleterre dans leur propre colonies d’Afrique ont pesé. Ce n’était pas le fait « d’arriver trop tard avec trop peu ». C’était un ouragan qui rendait le bateau de l’État ingouvernable. (tcb) Martelli, G., De Léopold à Lumumba, une histoire du Congo belge. Éditions France Em- pire, 1964 (traduction française de Leopold to Lumumba) Broché, 320 pages, 140x190mm, quelques bonnes illustrations, 15 € (difficile à trouver)

Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 65 Par cette nouvelle biographie de son père, Justine, la propre fille du Président fondateur de N°7 la République démocratique du Congo, surprend agréablement tous les amis du Congo et de son histoire. Une nouvelle évocation du parcours, familial et politique, de celui qui osa réclamer, à la Table Ronde de 1960 à Bruxelles, l’indépendance pour tout de suite n’est certes pas de nature à déplaire. La première biographie, parue en 1985, sous le titre de Joseph Ka- sa-Vubu, mon père, (Editions de Chabasoll, Bruxelles, 287 pages) avait fini par être épuisée. On ne peut donc que se réjouir qu’à l’approche du 60e anniversaire, l’auteur a pris l’initiative d’une réédition, d’abord parce qu’elle possède le talent pour le faire, ensuite parce que sur ces entrefaites des éléments nouveaux sont venus enrichir le récit. Sa propre carrière politique lui a permis de creuser certains aspects du parcours de son père, depuis le lointain grand sémi- naire de Kabwe à la retraite forcée de Boma. Le changement de sous-titre est révélateur du mûrissement de la pensée politique de l’auteur : de la naissance d’une conscience nationale à l’indépendance à biographie d’une indépendance. On ne peut pas être plus clair. Il va sans dire que les deux livres sont écrits avec la même rigueur scientifique et bien sûr avec la même intensité affective, et par-dessus tout avec le même amour du pays. Quiconque a lu le premier se doit d’acquérir le second, et garder précieusement les deux sur le rayon privilégié des livres traitant de la naissance d’un Etat. (fh) M’Poyo Kasa-Vubu, J., Kasa-Vubu, biographie d’une indépendance, Edition Samsa, 2020 ; broché, 155X250 mm., 350 pages, avec illustrations en NB, 30€.

Sandra Federici dirige, en Italie, une belle revue, Africa e Mediterraneo (https://www.laimo- N°8 mo.it/editoria/ ), qui parait partiellement en français et dont le dernier numéro (90) porte sur des « Rencontres congolaises ». Elle s’est aussi spécialisée dans la bande dessinée africaine et dans le soutien à ses auteurs, pour lesquels elle a organisé des expositions, notamment à Bruxelles. Cette longue expérience lui a permis de soutenir une thèse consacrée à la manière dont les dessinateurs africains et/ou issus du continent africain ont plus ou moins bien réussi à se tailler une place au soleil. Non pas le grand soleil de l’Équateur, mais celui du marché de la bande dessinée dite « franco-belge », celui qui compte si l’on veut « percer » et vivre de son talent. Un artiste congolais un peu homme-orchestre comme Barly Baruti, bien connu à Bruxelles, est le meilleur exemple d’une réussite dans un parcours qui reste, pour beaucoup de dessinateurs, assez difficile : combien d’artistes, ainsi, ont été bloqués, ne serait-ce que par le manque de papier, ou par l’absence d’éditeur dans leur pays ? Cette réflexion à propos de l’« entrance » des dessinateurs africains traite tour à tour des revues, des éditions, des salons, des prix artistiques, des sites et des blogs, bref de ce qui permet à un dessinateur talentueux de se faire connaître et, parfois, de collaborer à des albums remarquables : c’est le cas des Congolais Baruti et Masioni. Ou de connaître, même, de sensibles succès en librairie, comme la Franco-Ivoirienne Marguerite Abouet. Pierre Halen Federici, Sandra. L’Entrance des auteurs africains dans le champ de la bande dessinée euro- péenne de langue française (1978-2016). Paris, L’Harmattan, coll. Logiques sociales - Études culturelles, 2019, 360 p. – 37€

Avant de devenir l’homme politique mondialement connu, Patrice Lumumba s’intéressait N°9 beaucoup à la presse. Qui servit d’école à l’autodidacte qu’il était. Il a été un correspondant de presse assidu de 1948 à 1956 de La Croix du Congo, période durant laquelle il fait ses armes, s’intéresse à tous les aspects de la vie sociale, particulièrement les rapports entres Belges et Congolais. Dans sa lettre à l’éditeur il motive les buts poursuivis. Soit traduire la pensée et les aspirations des Congolais sur les problèmes d’ordre économique, social et politique, dont la solution conditionne la réussite de l’œuvre coloniale belge. Il suggère aux responsables belges de la politique africaine des réformes indispensables pour éviter crise et perte de confiance des populations africaines administrées. Il prévient aussi : « A franchement parler, l’Avenir du Congo est chargé de nuages. A cela, à ces hésitations, à ces confusions, à ces doutes, mon livre veut apporter une solution, en même temps qu’un remède, car la réalisation à un délai relativement court des réformes que j’y ai préconisées, aplanira, dans une grande mesure, les difficultés actuelles qui opposent Blancs et Noirs au Congo ». Il évoque son sou- hait de voir une entente fraternelle aboutir entre Belges et Congolais. Pouvons-nous imagi- ner qu’il était encore dans l’état d’esprit de sa rencontre de juin 1955 avec le roi Baudouin à Stanleyville, qui lui accorda un long aparté ? (tcb) Lumumba, P., Le Congo terre d’avenir est-il menacé, Bruxelles, Office de publicité, 1956. Bro- ché, 217 pages, format 215x135, à chercher chez les bouquinistes.

66 Mémoires du Congo N°54 - Juin 2020 La lecture du livre de Blandine Sibille & Tuan Tran Minh s’impose de toute évidence, même s’il N°10 s’agit ici du Congo d’en face. Rien que par la mise en contexte et l’abondance des illustrations déjà il mérite toute notre attention, même s’il s’agit d’une entreprise qui n’aboutira que 36 ans après l’arrivée en gare de Kinshasa du train de Matadi, voulu par Léopold II, pour ouvrir son Etat indépendant du Congo, à l’exportation des matières premières, à l’importation des équipe- ments, aux voyages de personnes et à la civilisation du Monde (1898 pour le rail Matadi-Léo- poldville au terme de 8 ans de travaux (366 km) - 1934 pour le rail Pointe-Noire-Brazzaville au terme de 12 ans de travaux (511 km). Il est vrai que le chemin de fer Congo-Océan (CFCO) était plus long de 145 km. Pour les deux constructions, les problèmes fondamentaux étaient les mêmes : énormes difficultés pour recruter de la main-d’œuvre et pour assurer la santé des travailleurs. Les temps avaient cependant fortement changé. L’opinion publique française s’était émue du nombre de morts : 20.000 du côté français, 2000 du côté belge. De grands auteurs s’emparèrent du scandale ; André Gide se rendit sur le chantier avant d’écrire Voyage au Congo, Albert Londres en fit le sujet de prédilection de ses attaques. L’opus fort bien édité est incontournable pour quiconque s’intéresse au développement de l’Afrique centrale. (fh) Sibille, B. & Tran Minh, T., Congo-Océan, De Brazzaville à Pointe-Noire (1873-1934), Paris, Editions Frison-Roche, 2010. Broché, 142 pages, 240x280mm, 39 €.

S’il est un titre qui a la faveur du public belge, particulièrement le public qui a un passé congo- N°11 lais, c’est bien le Léopold II de Jean-Pierre Nzeza, et plus encore le sous-titre Le plus grand chef d’Etat de l’histoire du Congo. Le récent sursaut de l’animosité contre le souverain de l’EIC, jusqu’à s’en prendre à son effigie cinq générations plus tard, donne à l’auteur une audience par- ticulière. Mais l’opus, aussi lucide que courageux, est beaucoup plus qu’un phénomène de sin- gularisation. Il met le monarque dans une tout autre lumière que celle dans laquelle le commun des simplificateurs de l’histoire le placent depuis plus de cent ans : génocidaire ou presque, vautour de la finance, exploiteur, dictateur qui n’a pas daigné visiter son royaume ! Rarement dans l’abondante littérature qui fleurit autour de la personne de Léopold II trouve-t-on des qua- lificatifs aussi flatteurs que visionnaire, développeur, unificateur. C’est que l’auteur se tourne résolument vers l’avenir de son pays, et qu’il axe ses recherches sur le potentiel que représente l’exemple de Léopold II pour tracer son futur. Pour Jean-Pierre Nzeza Léopold II doit être réha- bilité dans l’opinion congolaise, dans l’enseignement, dans la statuaire... Bien sûr il n’a pas la naïveté de croire que Léopold II était le chevalier blanc. Il ne fait pas l’impasse sur les bavures de certains de ses administrateurs, sur les mesures malheureuses de l’Etat, simplement il y oppose le silence, pour aller de l’avant. A lire absolument, en ces temps où la rue s’ingénie à renverser la statue du fondateur du Congo. Voir aussi la recension de Jacqueline Robert, N° 48, page 64. (fh) Nzeza Kabu Zex-Kongo, J.-P., Léopold II ; Le plus grand chef d’Etat de l’histoire du Congo, Paris, L’Harmattan, 2018. Broché, 200 pages, 155x240mm, 21,50€.

Qui dit Mélanges dit par définition un ensemble de textes d’auteurs différents qui s’unissent pour mettre à l’honneur un des maîtres de leur discipline. Ainsi le 89e numéro des Cahiers africains (ex-CDAF, collection basée MRAC) est offert au Pr Jean-Luc Vellut, grand connais- N°12 seur de l’Afrique. Son domaine d’investigation est extrêmement large, puisqu’il va de 1700 à 2010. Les sujets traités sont d’une grande variété. Pour s’en persuader, voici les cinq premiers textes, comme mise en bouche : à La grand commerce du fleuve Congo et la création de savoirs nouveaux en Afrique équatoriale aux XVIIIe et XIXe siècles de Jérôme-Emilien Mumbanza mwa Bawele ; à Bula Matari et son Congo (1885-1960) : coloniser dans la peur, de Pamphile Mabiala Mantuba-Ngoma ; à Regards féminins sur une entreprise coloniale controversée. Les sœurs de Notre- Dame de Namur et l’Etat indépendant du Congo 1894-1904, d’Anne Cornet ; à Une figure singulière et méconnue du monde colonial belge : le colonel Alexis Bertrand (1870-1949) et son action « réformiste » dans l’entre-deux-guerres, de Guy Vanthemsche ; à Contribution à l’histoire du lac Edouard : enjeux socio-économiques et environ- nementaux autour des ressources halieutiques (vers 1920-1960), de Patricia Van Schuylenbergh ... Autant d’éminents docteurs en histoire, pleins d’intérêt pour tous ceux que le sujet passionne, qui permettent de « lire autrement l’histoire ». La collection des Cahiers africains est une mine d’informations, tabous et non.(fh) Cahiers africains, La société congolaise face à la modernité (1700-2010). Mélanges euroafri- cains offerts à Jean-Luc Vellut, Direction Pamphile Mabiala Mantuba-Ngoma et Mathieu Zana Etambala. MRAC & L’Harmattan, 2016. Broché, 155 x 280 mm, 380 pages, 38 €

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