COLLOQUE SCIENTIFIQUE

« DYNAMIQUES RURALES A : PERSPECTIVES SOCIALES, ECONOMIQUES ET DEMOGRAPHIQUES »

ANTANANARIVO

23-24 AVRIL 2007

Colloque organisé conjointement par : l’Institut National de la Statistique (INSTAT), la cellule du Réseau des Observatoires Ruraux de l’EPP/PADR, l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et le GIE DIAL.

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Sophie Moreau, MCF Université de Marne la Vallée, Gecko Paris X Nanterre Jean Andrianandrasana Ratsizafy, Médecin, Etudiant en Master d’Economie de la Santé, CERDI, Clermont-Ferrand.

Santé et pauvreté : se soigner dans les campagnes betsileo

L’état de santé et la pauvreté sont deux domaines associés pour décrire le niveau de développement d’une population. Un mauvais état de santé, à travers une faible espérance de vie ou une mortalité élevée, est un élément constitutif du sous-développement. Il est également admis que la santé est aussi un instrument du développement ou du sous- développement : on peut mettre en évidence une boucle de rétroactions négatives selon laquelle la pauvreté, définie comme l’insuffisance de revenus, contribue à un mauvais état de santé qui lui-même génère ou aggrave la pauvreté. Dans l’approche d’A. Sen de la pauvreté comme privation des capacités individuelles, la santé est à la fois constituant et instrument de la pauvreté.

Nous avons cherché à examiner les modalités de ce cercle vicieux dans les campagnes du Sud Betsileo, dans la région Haute Mahatsiatra, fivondronana d’, 2, et surtout , où les enquêtes les plus approfondies ont été réalisées. Au sein cette boucle, il est une étape déterminante : celle de l’accès aux soins. Avoir la possibilité de se soigner, tout en étant pauvre, serait une manière d’enrayer le cercle vicieux de la dégradation des conditions de vie, et de sortir de la pauvreté. À l’échelle malgache, la proportion de personnes malades consultant un centre de santé est basse : 39 % en 2004, mais elle est encore inférieure dans la province de Fianarantsoa qui détient le taux de consultation le plus bas du pays : 26,7%1. Comment expliquer cette situation ? C’est sur les facteurs qui influent sur l’accès aux soins modernes que nous avons concentré notre analyse, ce qui conduit à affiner les déterminants de la pauvreté. Dans un dernier temps, nous avons analysé les initiatives de l’Etat et des acteurs locaux, pour améliorer l’accès aux soins.

Notre analyse s’appuie sur des enquêtes et l’observation des campagnes betsileo que nous connaissons par des travaux scientifiques antérieurs, ou par une longue pratique médicale dans cette région. Elle nous semble valoir davantage par ses réflexions qualitatives que par sa précision statistique. En effet, hormis les relevés sanitaires des CSB (Centre de santé de base) du fivondronana d’Ambalavao, les enquêtes générales disponibles (Enquêtes par Ménages (EPM) publiées par l’INSTAT, Enquête démographique et sanitaire (EDS) 2003-2004, et les études du programme ILO) concernent des espaces plus vastes que la région étudiée, et sont donc à exploiter avec précaution.

I) Dégradation de l’état de santé et aggravation de la pauvreté en pays betsileo.

1) Aperçu de la pauvreté en pays betsileo a) D’après les indicateurs socio-économiques classiques

1 EPM 2004. 2

La plupart des données statistiques disponibles s’appliquent au niveau de la province de Fianarantsoa. Les fivondronana étudiés pèsent toutefois sur les statistiques provinciales par leur poids démographique : environ un quart de la population. La province de Fianarantsoa est avec celle de Tuléar, habituellement classée comme la plus pauvre de Madagascar, avec un IDH inférieur à 0,4 en 20012. La période 1993-1999, a été marquée par une aggravation de la pauvreté3 et la période 2002-2004, par une profonde crise économique et sociale, annulant les améliorations des années précédentes. En 2004, le ratio de pauvreté de la population rurale était de 86,7 % à Fianarantsoa, pour une moyenne nationale de 72,1%4. C’est dans cette province que la consommation par tête est la plus basse5. Sans surprise, les populations les plus pauvres correspondent aux ménages dirigés par des femmes et comptant une forte proportion de femmes, aux ménages les moins instruits, aux petits exploitants (moins de 1,5 ha), aux habitants des localités enclavées6. La pauvreté se traduit par l’importance de la malnutrition chronique. La période de soudure, durant laquelle la quantité de riz récolté par le foyer arrive à épuisement, où le riz doit être acheté et remplacé par d’autres denrées moins coûteuses (manioc, patates douces …), et où finalement la ration alimentaire diminue, est plus longue qu’ailleurs à Madagascar (5,2 mois/an pour la province)7.

Au sein de la province, le Sud Betsileo présente un profil particulier. Sur le plan écologique, il se rattache à l’ensemble des Hautes Terres, au climat rafraîchi par l’altitude. Les conditions diffèrent à l’Est, plus élevé, représentant l’amont des bassins-versants, frais et humide, et à l’ouest, de plus basse altitude, situé en aval des bassins-versants, au climat plus chaud et sec. Ces différences jouent à la fois sur la prévalence des maladies et sur la disponibilité alimentaire. Sur le plan humain, le Sud Betsileo se distingue par de fortes densités : la moyenne se situe un peu au-dessus de 75 hab/km2, mais avec des disparités entre les fivondronana (entre 97 et 100 pour les fivondronana de Fianarantsoa 2 et Ambohimahasoa, contre 35 pour Ambalavao), qui traduisent en réalité de forts contrastes entre la partie centre et est de la région, où les densités communales peuvent dépasser 100 hab/km2, et la partie ouest, où l’on peut les estimer inférieures à 10 hab/km2 8. Le peuplement en pays betsileo est dispersé, en hameaux de une à vingt maisons. Les fortes densités de la région orientale et centrale ont pour corollaire la dominante de petites exploitations de moins de 2 ha, et une forte pression sur les terres cultivées. Les systèmes agricoles sont dominés par la riziculture irriguée et les cultures vivrières, associées à l’élevage bovin.

Le Sud Betsileo semble mieux placé que le reste de la province en termes de développement humain9. L’enclavement y est moindre, puisque la région est traversée par la RN7, ponctuée de gros bourgs ruraux, d’où partent, selon un modèle en peigne, des routes secondaires non bitumées, gagnant les chefs-lieux de communes de l’est et de l’ouest. La capitale provinciale se trouve approximativement au centre de la région. Autre atout : le degré d’instruction, plus élevé que dans le reste de la province, avec des taux d’alphabétisation et de scolarisation parmi les meilleurs de l’île10. Partant d’une situation de grande pauvreté en 1993, qui a stagné

2 EPM 2001 3 Randrianarison et al, 2001 4 EPM 2004. 5 EPM 2005 6 Minten, 2003 7 Ibidem 8 A titre de réfenrence, le fivondronanana d’ à une densité de population voisine de 5 (Tableau de bord environnemental de la province de Fianarantsoa, 2002) 9 PNUD, 2001. Rapport sur le développement humain dans la province de Fianarantsoa, 2001. 10 EPM 2005 3 jusqu’en 199911, l’EPM 2005 semble traduire une amélioration en 2005 : la cartographie du ratio de pauvreté rurale basée sur les données de 1993 classe la Haute Mahatsiatra parmi la catégorie la plus pauvre12 alors que l’EPM 2005 la place dans la catégorie médiane. Certaines dynamiques positives pourraient expliquer cette progression : la diversification des activités, l’essor de l’utilisation d’engrais, l’amélioration relative du réseau de pistes, l’amélioration de l’accès au crédit, la diffusion de la radio, voire du téléphone portable... Mais l’observation de la réalité socio-économique des cinq dernières années témoigne aussi d’une détérioration du pouvoir d’achat, de difficultés alimentaires croissantes, et d’une péjoration de la situation des plus pauvres. La Haute Mahatsiatra est classée par le PAM en 2005 comme la région la plus vulnérable sur le plan de la sécurité alimentaire, avec sa voisine Vatovavy-Fitovinany13, car la malnutrition chronique y est particulièrement préoccupante. b) Comment les paysans betsileo définissent et vivent leur pauvreté ?

La pauvreté est définie par ses effets, soit un ensemble de souffrances physiques et morales (mijaly), de difficultés multiples à surmonter pour assurer la vie quotidienne du foyer (sahirana), liées en particulier au manque de nourriture (mosare14) et d’argent ( tsy manambola). Ces termes décrivent l’impossibilité de satisfaire les besoins physiologiques majeurs et la privation de biens du fait du manque d’argent. Elle est vécue comme une honte (les Betsileo taisent leur pauvreté) et comme une source d’inquiétudes constantes.

La richesse est étroitement liée au prestige social et se perçoit à travers différents critères. Le premier est l’abondance de la production de riz, souvent dépendante de l’importance de la superficie rizicole. Les riches sont ceux qui ignorent la soudure : ils ont assez de riz pour ne pas avoir besoin d’en acheter pour leur alimentation, ni de réduire fortement leur ration alimentaire au cours de l’année, et donc peuvent vendre, prêter ou donner du riz aux autres durant la soudure. Inversement, les pauvres sont ceux qui subissent de longues soudures, plus de 6 mois, parfois 8 mois pour les plus pauvres. Ils n’ont plus de réserve de riz avant le 26 juin (la fête nationale, où l’on dépense de l’argent pour un repas copieux), une partie de leur récolte servant à rembourser les dettes contractées pendant la soudure. Ils n’en retrouveront que début janvier, au moment des premières récoltes. La majorité de la population rurale possède encore du riz au 26 juin, mais est contrainte de diminuer ses rations.

Second critère : la possession de boeufs. Le cheptel se décompose en un troupeau de parc, et pour les lignages les plus riches surtout dans le sud de la région, un troupeau destiné à l’élevage naisseur, qui pâture dans la forêt à l’est, ou dans les zones peu peuplées à l’ouest. Le cheptel a partout diminué en trente ans, aussi bien pour les grands troupeaux d’élevage naisseur que les troupeaux de parc. À la fois force de production agricole (fumier, traction), banque, monnaie des solidarités familiales, valeur esthétique, le troupeau de bovidés est signe et source de puissance économique et sociale. Viennent enfin des signes extérieurs de richesse : la taille, l’ornementation de la maison (une varanga, un toit de tôle au lieu d’un toit de chaume), la possession de lamba ou de couverture neufs…

La société rurale a conscience de l’existence d’une forte inégalité socio-économique interne. Les enquêtes selon les méthodes participatives réalisées par les ONG révèlent une tri- ou une

11 Ibidem 12 Minten 2003 13 PAM 2005 14 Mosare : Cette expression signifie que l’on manque de riz et que l’on consomme donc essentiellement du manioc, des patates douces… Cela ne signifie pas forcément que la nourriture est insuffisante en quantité. 4 quadri-partition entre une très mince fraction de « riches » identifiés par les critères précédents, une catégorie moyenne majoritaire (des ménages qui possèdent du bétail, mais n’ont pas assez de riz, et pas forcément de belles maisons), et les pauvres et très pauvres15. Les inégalités socio-économiques se traduisent au niveau des grandes familles : dans un village donné, il n’est pas rare que les riches appartiennent tous à la même famille. Les Betsileo considèrent que pauvreté et richesse se transmettent en héritage de génération en génération, perpétuant les inégalités familiales16. La pauvreté ou la richesse sont étroitement liées à l’âge, au sexe, et au statut familial. Les jeunes couples ayant plusieurs enfants en bas âge sont pauvres, à cause du déséquilibre entre les bouches à nourrir, la force de travail disponible et les terres cultivables, mais ont l’espoir d’être plus à l’aise à l’avenir. Les foyers de femmes seules sont plus pauvres que les autres.

2) L’état de santé des paysans betsileo peut être déclaré comme globalement mauvais. a) L’état de santé de la population rurale betsileo présente les caractéristiques de morbidité et de pathologies malheureusement banales des populations paysannes des pays tropicaux les plus pauvres.

On y trouve sans surprise les symptômes et pathologies de la malnutrition : insuffisance pondérale, anémie. Selon l’EDS 2003-2004, la province de Fianarantsoa est concernée par une malnutrition particulièrement sévère17. La proportion d’enfants anémiés, de 68% à Madagascar, est de 70 % dans cette province18, 54% des enfants de moins de 5 ans souffrent de retard de croissance et 36 % d’insuffisance pondérale. Les problèmes de malnutrition ont des répercussions sur la dentition.

Cette situation est due à une insuffisance alimentaire en qualité et en quantité. L’alimentation est à base de riz, consommé idéalement 3 fois par jour, accompagné d’un peu de légumes bouillis avec de l’eau salée (idéalement des haricots, souvent des brèdes, de plus en plus de pommes de terres). Elle est quasiment végétarienne : la viande de bœuf est consommée lors des fêtes traditionnelles et des funérailles. Les autres produits carnés et source de protéines animales sont rarement consommés sur place, mais vendu pour avoir de l’argent : le porc est élevé pour être vendu et modestement consommé pour les fêtes officielles du 26 juin, et du 1er janvier ; la volaille est vendue sur les marchés, ou réservée aux malades et aux accouchées ; les œufs, les produits de la pêche sont eux aussi vendus. Dans la partie orientale du Betsileo, plus élevée en altitude et plus fraîche, on ne réalise qu’une seule récolte de riz par an. À partir de la fin du mois de juin, les paysans les plus pauvres entrent dans la période de soudure, où ils achètent le riz à un prix de plus en plus élevé. Le riz cède alors du terrain au manioc et aux patates. La ration alimentaire diminue progressivement, jusqu’à se réduire pour les plus pauvres à un seul repas quotidien (manioc bouilli, manioc séché bouilli, kazaha pika). Il semble que les 5 dernières années aient été marquées, pour l’est et le centre du Betsileo en tous les cas, par une aggravation de l’insécurité alimentaire due à une succession d’alea climatiques (cyclone en 2000, puis en 2004, année excessivement sèche en 2005), à une flambée des prix des PPN particulièrement des denrées alimentaires en période de soudure, en raison de la crise politique de 2002, puis de l’augmentation des prix du carburant.

15 Freudenberger, 1999. 16 Ce qui n’est pas vérifié car il existe aussi de beaux exemples d’ascension sociale sur plusieurs générations. 17 EDS 2003-2004 : proportion la plus forte d’enfants présentant 3 points d’écart par rapport au rapport type taille-poids et poids-âge 18 EDS 2003-2004 5

La malnutrition est identifiée par les paysans comme une cause de leur mauvais état de santé. L’insuffisance de nourriture se produit au moment des plus durs travaux agricoles (novembre, décembre), les affaiblit considérablement, ce qui se traduit par des maux de ventre, de dents, une sensibilité plus grande au paludisme...

Les maladies infectieuses et transmissibles sont les plus répandues. Les Infections respiratoires aigues (IRA), représentent la première cause de consultation des CSB (26 à 36 %)19. Sur les hautes terres fraîches, on assiste fréquemment à des épidémies de grippe, comme en 2002. Au second plan, si on se fie aux statistiques des CSB, on trouve les maladies diarrhéiques et les fièvres, assimilées à des cas de paludisme20. Le paludisme est fort variable selon les localités : Plasmodium falciparum est endémique mais instable au-dessus de 1000 m, hyper-endémique à l’ouest, plus chaud et à plus basse altitude. Les diarrhées surviennent surtout au début de la saison des pluies, et sont liées à la consommation d’eau souillée.La bilharziose se répand, surtout à l’ouest plus chaud et dans les larges vallées et cuvettes topographiques en aval des bassins versants (communes rurales de Fenoarivo, d’Ankaramena et d’Ambinaniroa pour le fivondronana d’Ambalavao)21. Il n’y a pas d’informations disponibles relatives à la diffusion du sida, mais les IST sont relativement fréquentes. Enfin, on notera la présence de la tuberculose, et de foyers pesteux, qui réapparaissent d’année en année au début de la saison des pluies.

Le mauvais état de santé des populations se traduit dans les indicateurs de mortalité. Les taux de mortalité infantile et de mortalité juvénile sont élevés au niveau de la province (118‰ et 198‰ pour la Province de Fianarantsoa en 2001, contre 88 et 142 pour la moyenne nationale22). Ces taux élevés s’expliquent par les maladies diarrhéiques, la malnutrition, les carences en vitamines A, le manque d’accès à l’eau potable, et le faible taux de couverture vaccinale. L’EDS 2003-2004 traduit une amélioration de cette situation : taux de mortalité infantile de 60‰, soit le second après celui de la province d’Antananarivo (53‰), et taux de mortalité infanto-juvénile de 102‰. b) Il existe cependant d’importantes nuances à ce tableau général.

La carte sanitaire témoigne d’une répartition inégale des pathologies dans l’espace, principalement, mais pas seulement, en fonction des spécificités écologiques. Ainsi, schématiquement s’opposent deux pays betsileo. Les hautes terres fraîches, au-dessus de 1000 m d’altitude, qui affrontent de longues soudures et sont plus touchées par la malnutrition, mais moins soumises aux maladies à vecteur comme le paludisme et la bilharziose. Toutefois, ces régions densément peuplées alimentent des flux migratoires saisonniers vers des régions écologiques plus favorables au paludisme, ce qui perpétue la transmission de la maladie. À l’ouest, la malnutrition est moins sévère du fait d’une double récolte de riz par an, de l’abondance de la production de manioc. Mais les maladies à vecteur sont plus vigoureuses.

La distribution des pathologies dans le temps est elle aussi inégale. Il est difficile d’identifier une saison de plus grande morbidité, tant les pathologies se relaient au cours de l’année. Toutefois, le début de la saison des pluies (novembre, décembre) voit la recrudescence des

19 Source, enquête Ratsizafy J-A., 2005. 20 Le paludisme dans les CSB n’est presque jamais diagnostiqué par goutte épaisse. Le diagnostic est donc imprécis. 21 Il y aurait 18 sites d’hyper endémicité bilharzienne sur les hautes terres dans la province de Fianarantsoa, PNUD, 2001 22 PNUD, 2001 6 maladies diarrhéiques et des fièvres, coïncidant avec une aggravation de la malnutrition et la période de gros travaux agricoles causant un état d’affaiblissement général. Le début de la saison fraîche, intervenant sur des organismes affaiblis, est favorable aux IRA, dont certaines sont aussi associées à des diarrhées. Paradoxalement, c’est la saison des récoltes et de l’abondance de nourriture.Mais l’inhalation des poussières irritantes du paddy, au moment des récoltes, pourrait favoriser les IRA, et le changement alimentaire le développement des maladies diarrhéiques. C’est aussi la saison de plus grande disponibilité monétaire, et donc la période où les consultations au CSB sont les plus fréquentes.

Enfin, la distribution des maladies varie selon les groupes sociaux. Les catégories les plus vulnérables sont les enfants en bas âge, les femmes, les personnes âgées. Les paysans considèrent en outre que les familles les plus pauvres ont aussi celles qui cumulent les problèmes de santé, car elles sont minées par la malnutrition, les préoccupations quotidiennes pour survivre, et parce que le manque d’argent les empêche de se soigner efficacement.

3) État de santé et pauvreté entretiennent des relations de causalité réciproque. Le mauvais état de santé contribue à générer de véritables cycles d’appauvrissement.

Le cercle vicieux de la pauvreté (bas revenus) et du mauvais état de santé a été décrit de manière générale par l’OMS. De manière plus concrète, en pays betsileo, la maladie, ou la malnutrition ont pour première conséquence économique d’entamer le capital humain et la productivité du travail. Elles placent les paysans dans l’incapacité de produire suffisamment de denrées alimentaires et de dégager des revenus, déclenchant un ensemble de conséquences négatives étalées dans le temps.

Ainsi, le pic de malnutrition survient au plus fort de la soudure, en novembre-décembre, saison chaude où commencent les premières pluies, où les fièvres associées au paludisme se développent. C’est aussi la saison qui demande le travail agricole le plus pénible. L’état de faiblesse ou l’incapacité à travailler provoquent un retard dans le calendrier cultural, ou un soin insuffisant aux cultures, et empêchent de se procurer des sources de revenus non agricoles (pêche, artisanat…) pour subvenir aux besoins alimentaires en achetant de la nourriture. Cette situation peut contraindre la famille à recourir à l’endettement. Six mois plus tard, l’insuffisance de la récolte a pour conséquence une baisse des revenus (une faible quantité de riz sera vendue, une partie des revenus sert à rembourser les dettes), et une soudure longue et dure, ce qui renforce le mauvais état de santé. Cette situation incite une partie des membres de la famille à migrer, en général pendant la morte-saison agricole, pour trouver ailleurs du travail salarié. Les migrants, de retour au pays en octobre-novembre, reviennent souvent porteurs de parasites, qu’ils risquent de transmettre à leur entourage, par exemple pour le paludisme.

L’accès aux soins des paysans pauvres serait le moyen d’interrompre un tel cercle vicieux. Il nous importe donc de savoir comment les paysans betsileo font pour se soigner.

II) Comment se soigne-t-on en pays betsileo ?

1) Les types d’itinéraires thérapeutiques

Pour se soigner, les paysans betsileo empruntent 3 itinéraires thérapeutiques. Le premier est l’automédication, qui consiste à se traiter soi-même, sans faire appel à un professionnel du 7 soin, en utilisant l’ensemble des connaissances et des produits disponibles au village, essentiellement des plantes sauvages et des produits agricoles23. Toutefois, la société rurale a aussi adopté certains médicaments, disponibles dans les épiceries de brousse voire chez des revendeurs particuliers, et dont l’efficacité est reconnue. C’est le cas de la chloroquine, dont la diffusion a été favorisée à la suite des épidémies de paludisme sur les hautes terres de la deuxième moitié des années 1980. Les paysans traitent les maux de tête et fièvres selon une posologie relativement complexe (doses décroissantes pendant au moins 3 jours…). Les antalgiques (paracétamol) sont disponibles chez les épiciers, et quelques antibiotiques (tétracycline) faisant l’objet d’une habitude médicamenteuse. D’autres médicaments sont en cours d’adoption, mais plus chers, ou plus difficiles à se procurer : comme l’ibuprofène, différents antibiotiques.

Le second itinéraire mène chez le tradithérapeute, terme préféré par l’OMS à celui de guérisseur ou de tradipraticien : il désigne un professionnel de la santé, membre de la société paysanne, détenant un savoir et une connaissance traditionnels, et qui utilise la phytothérapie pour guérir. Cette médecine fait une large place à l’empirisme, à l’imaginaire et à la magie. Elle explique certaines pathologies par des dysfonctionnements sociaux, et soigne en agissant de manière indirecte sur les relations sociales, à travers des remèdes qui sont aussi des charmes (ody, fanafody). Il existe en pays betsileo trois types de tradithérapeutes. Les reninjaza, soit les matrones, spécialistes des soins accordés aux femmes, pour ce qui concerne leur vie féconde, jusqu’aux soins de la mère et de l’enfant après l’accouchement. Les mpitaia kilonga, spécialisés dans le soin des enfants. Enfin les ombiasa, qui traitent l’ensemble de la population, pour des problèmes physiques et psychiques, individuels ou sociaux.

La troisième voie conduit à la médecine scientifique, représentée par un personnel spécialisé (médecin chef, sage-femme, aide-soignant, infirmier) extérieur à la société paysanne, ayant acquis dans les universités un savoir exogène. C’est une médecine qui fait appel aux méthodes scientifiques et rejette l’imaginaire. Elle soigne à partir de substances chimiques de fabrication industrielle, achetés dans des commerces spécialisés.

Il existe donc deux grands systèmes de soin à la disposition des paysans betsileo, l’un endogène, l’autre exogène, qui s’opposent par leurs conceptions de la médecine et leurs moyens, mais qui, du point de vue des usagers, sont complémentaires. Les pratiques d’automédication montrent d’ailleurs une combinaison de l’un et de l’autre. Le choix entre ces itinéraires, et les modes de combinaison, sont déterminés par un ensemble de paramètres.

2) Les déterminants de l’itinéraire thérapeutique relevant de l’offre de soin.

Nous n’avons pas pris en compte la compétence des praticiens, et l’efficacité des systèmes de soin, dont il n’existe aucune évaluation sérieuse. On aurait tort de préjuger de l’inefficacité de la médecine autochtone, alors que certains tradithérapeutes élaborent des traitements efficaces pour certaines pathologies, ni de l’efficacité de la médecine scientifique, qui dans les campagnes se heurte à de nombreuses limites. En outre, c’est moins l’efficacité réelle que les représentations de l’efficacité, qui déterminent les itinéraires thérapeutiques. On peut en revanche comparer l’accessibilité des deux systèmes.

a) La médecine autochtone se distingue globalement par sa bonne accessibilité.

23 On sait que chiquer du tabac soulage les maux de dents, tel village déclare s’être prémuni contre l’épidémie de grippe qui sévissait durant l’hiver 2003 en buvant régulièrement des tisanes de fandramana (Aphloia theaeformis). 8

D’abord au niveau géographique, puisque les tradithérapeutes sont dispersés régulièrement dans les hameaux. Toutefois, des tradithérapeutes spécialisés pour telle pathologie, ou particulièrement renommés, attirent une clientèle lointaine24. On notera que certains ombiasa réalisent des consultations à domicile. On retiendra aussi leur proximité sociale et culturelle avec les patients. Ils sont immergés dans la société paysanne dont ils sont issus, ils sont eux- mêmes paysans, et sont donc confrontés aux mêmes réalités quotidiennes, ils parlent le même langage que la population locale… Cette immersion n’est pas toujours un avantage en termes de soin, et peut conduire à consulter un ombiasa relativement éloigné de son village. L’accessibilité vaut aussi pour les remèdes : les produits de base sont pour la plupart des plantes qu’ils savent identifier et qu’ils peuvent se procurer eux-mêmes. Les tradithérapeutes n’ont pas de problème de rupture de stock ou de taxation des prix des produits utilisés. Les coûts sont accessibles et peuvent faire l’objet d’un crédit, contrairement aux services de soins modernes : on paie fréquemment après la guérison. La pratique de la tradithérapie est donc le fruit d’une confiance sociale, d’une accessibilité culturelle, financière et géographique.

La disponibilité de certains médicaments vendus chez de petits revendeurs dans les villages est assez bonne, et problématique car elle échappe à tout contrôle médical. Le prix des cachets est un obstacle pour les plus pauvres, mais qui peut être contourné par des crédits auprès du revendeur, des emprunts à la famille, et parce que l’on peut acheter les comprimés à l’unité. La qualité de ces médicaments est sujette à caution (ils sont achetés à bas prix, auprès de revendeurs de rue à Fianarantsoa). Les posologies appliquées sont fantaisistes, fruit des souvenirs du revendeur local, des disponibilités financières du malade, et de son imagination. À l’avenir, cette trop grande liberté d’accès, pour des substances chimiques qui en Europe ne sont délivrées que sur ordonnance médicale risque de poser de nouveaux problèmes de santé, comme les effets pervers du mauvais usage des antibiotiques, la résistance de certaines bactéries ou parasites. b) L’accessibilité de la médecine scientifique, en dépit de l’amélioration de l’offre de soin, reste problématique

L’accessibilité géographique des centres de santé de base a été améliorée. Durant les années 1998-2002, certains CSB éloignés et peu fonctionnels ont été réhabilités (CR d’, . Tous les chefs-lieux de commune sont aujourd’hui pourvus d’un CSB de niveau 1 ou 2, où l’on dispense des soins primaires. Il s’agit pour la plupart d’établissements publics, mais on trouve aussi des établissements confessionnels, notamment dans les communes les plus difficiles d’accès (Miarinarivo). Dans certaines communes très vastes de l’ouest, où les hameaux peuvent être éloignés de 40 km les uns des autres, il existe des CSB de fokontany. Toutefois, les distances à parcourir pour les habitants des localités éloignées du chef-lieu communal restent grandes : souvent supérieures à 10 km, parfois jusqu’à 18 km, parfois encore plus dans les vastes communes de l’Ouest ou de l’extrême Est25. Les déplacements sont réalisés à pied, et parfois en chaise à porteurs, ou en utilisant des moyens de fortune (varamba, couverture tendue pour servir de brancard…). L’usage de la charrette est très peu répandu dans le Sud Betsileo. Les chefs-lieux de fivondronana sont pourvus d’un CHD1 (centre hospitalier de District de 1er niveau) pour les soins secondaires.

24 Ainsi, bien des paysans betsileo de l’Est, vont consulter des ombiasa tanala réputés plus compétents, situés à plus d’une journée de marche, alors qu’un ombiasa exerce dans leur propre hameau. 25 Pour Ambalavao : Fenoarivo, Ambinaniroa, Ankaramena, , à l’oeust, Sendrisoa Ambohimahamasina, Miarinarivo, à l’est). Pour Ambohimahasoa : la partie sud (), est (Fiadanana, , , Morafeno, Sahanimira, ) et ouest (, ). 9

Pour consulter des spécialistes, ou subir des actes chirurgicaux, les habitants du Sud Betsileo peuvent se rendre à Fianarantsoa ou à Sakalalina (Ihosy).

La disponibilité du personnel médical reste problématique. Depuis 1999, le nombre de médecins a légèrement augmenté26. Toutefois, en 2001, la région était encore moins bien pourvue que la moyenne (1 médecin pour 8685 habitants sur les hauts plateaux de la province de Fianarantsoa, contre 1 pour 6576 pour la moyenne nationale) ; en 2005, 1/3 des centres de la province de Fianarantsoa, il est vrai surtout localisés dans les régions orientales et du sud- ouest de la province, restent sans médecins27. Si la proportion de personnel qualifié semble donc légèrement améliorée, l’absentéisme sévit : le personnel médical se rend en ville, participe à des campagnes de vaccination, à des formations… Pour les CSB les plus marginaux, il est féquent que l’absence dure une semaine par mois.Malgré la réhabilitation ou la construction de CSB, l’équipement médical est insuffisant : les CSB manquent de lits, les plus périphériques ne sont pas électrifiés, ou n’ont pas d’accès à l’eau potable.

Les régions de fortes densités, où le maillage administratif est fin, sont donc privilégiées. Plus il y a de monde, plus le réseau de CSB est dense, comme le réseau de pistes. Les communes périphériques des villes le sont également, car au CSB communal, elles ajoutent un accès relativement aisé au CHD.Les CSB des régions les plus densément peuplées sont aussi les mieux équipés, et là où le personnel médical est le plus présent. On peut donc opposer les régions centrales, densément peuplées et proches de la RN7 et des villes, et les régions marginales de l’est et de l’ouest.

Hormis durant la crise de 2002, la disponibilité des médicaments a été améliorée par rapport à la situation prévalant dix ans auparavant28. Depuis 1999 l’Etat a adopté le principe du recouvrement des coûts en matière de santé, qui s’est incarné dans la participation financière des usagers (PFU). Elle contribue aujourd’hui à la hauteur du tiers au financement des dépenses de santé. La PFU a permis d’alimenter les Phagedis, pharmacies de district, qui achètent les médicaments essentiels, et les redistribuent à des officines spécialisées au niveau des CSB, les Phagecom. Ce système semble avoir permis une amélioration de la disponibilité des médicaments, mais l’approvisionnement connaît de nombreuses difficultés (ruptures de stocks, liées aux délais de commande et de livraison…) et les dépôts souffrent de pénurie temporaire, pouvant atteindre une semaine, pour les produits les plus utilisés29.

Reste le problème de l’accessibilité financière des soins. La PFU signifie que les malades doivent payer comptant et à prix fixe la consultation médicale, les médicaments, les éventuels frais d’hospitalisation. Or, le coût des soins est élevé par rapport aux ressources financières moyennes de la population30. Le coût des consultations et du traitement des pathologies simples, des accouchements et des vaccinations, demeure accessible, de manière générale. Toutefois, ce sont alors les problèmes d’accessibilité géographique qui vont jouer, ou bien des facteurs propres à la société paysanne (manque de disponibilité monétaire durant la période de l’année, ou facteurs socio-culturels). Par contre le traitement des pathologies complexes,

26 OMS, 2005. 27 Minten B. 2005, 28 Selon un rapport de la Banque Mondiale de 1996 fréquemment cité, le système de soin public ne pouvait alors fournir que 25 % des médicaments. 29 OMS 2005. 30 Dans la province de Fianarantsoa, la consommation moyenne par tête est de 167 000 Ar en 2004, et de 201 000 Ar en 200530. Or, le coût médian de la consultation et du traitement de la fièvre est évalué à 1500 Ar, mais le traitement d’un paludisme grave est estimé à 19 000 Ar. Les tarifs pour une intervention chirurgicale dépassent tous 100 000 Ar. 10 aggravées, tout ce qui nécessite hospitalisation, ou intervention chirurgicale demeure hors de portée de la majorité, ou demande de recourir à de complexes stratégies de prévisions.

Aux coûts des soins s’ajoutent ceux du transport, de la nourriture et de l’hébergement en cas d’hospitalisation. Le coût direct du déplacement au CSB est en général nul, car on s’y rend à pied, mais leur coût indirect s’élève, si le malade habite loin (le temps du déplacement est perdu pour le travail). En cas de transfert au CHD, les coûts de transport grimpent. Si le malade est grabataire, on est obligé de louer une voiture taxi-brousse (autour de 100 000 Ar la location). Ces coûts sont démultipliés par la coutume betsileo d’accompagnement du malade par sa famille. Un ray amandreny malade sera accompagné de son épouse, d’au moins un de ses fils, de ses brus qui ont la charge de veiller sur lui, parfois de petits-enfants, soit un groupe de cinq à dix personnes au chevet du malade.

Payer les soins représente un défi pour la population paysanne. C’est le principal obstacle à la consultation médicale évoqué par la population et par le personnel médical, et sans doute le grand facteur expliquant la faiblesse du taux de consultation (26,7 % des malades de la Province). L’obstacle financier joue encore davantage pour les catégories les plus pauvres, dont le taux de consultation est encore plus bas31. Cette situation remet en cause la participation financière des usagers, qui apparaît néanmoins nécessaire au financement du secteur santé32. Vu du côté des paysans, l’accès au CSB sera donc étroitement conditionné à la capacité de dégager des revenus monétaires.Toutefois, l’accessibilité des consultations et des médicaments pour des pathologies simples laisse penser qu’il existe des facteurs autres que les ressources monétaires jouent sur l’accès aux soins des patients.

3) Les déterminants de l’accès aux soins relevant des usagers. a) Les déterminants culturels forment une toile de fond sur laquelle s’organisent les itinéraires thérapeutiques des paysans.

On examinera ici le rôle des représentations de la maladie et de la médecine. Interviennent d’abord la peur, le désintérêt ou la défiance pour la médecine moderne. Certaines familles interprètent les maux comme le résultat de la sorcellerie, et négligent donc la médecine scientifique. Les familles plus instruites, qui ont déjà fait l’expérience de la médecine scientifique, la redoutent moins, et reconnaissent son efficacité, du moins pour certaines pathologies, et seront plus enclines à se tourner vers elle. Il y a donc un apprentissage sur plusieurs générations de la médecine scientifique, une acculturation sanitaire dont l’adoption de certains médicaments par la société rurale témoigne bien.Comme instruction va souvent de paire avec diversification des activités, ouverture sur l’extérieure, relative richesse, on conçoit que les populations les plus aisées font davantage appel à la médecine moderne que les plus pauvres, qui se replient dans l’automédication et la médecine traditionnelle.

La maladie est définie par les paysans de manière conséquentialiste, par ses effets socio- économiques : on est malade quand les souffrances physiques placent l’individu dans l’incapacité de travailler et de vaquer à ses occupations habituelles. La maladie ne sera sérieusement prise en compte que lorsqu’elle empêche de travailler, et considérée comme grave lorsqu’elle semble mettre en jeu la vie de la personne (alitement prolongé, perte de connaissance…). Certaines pathologies spécifiques sont perçues comme banales et sans

31 Glick et al, 2000. 32 Education et santé, une voie pour sortir de la pauvreté, Ilo, 2003. Gruenais et al, 2000. Audibert et al, 2005. 11 gravité, et traitées par automédication, sans faire l’objet d’une consultation : « sery vitan’anamalaho, tsy amonoana vantotr’akoho » (si on guérit par des brèdes mafana, on ne tue pas une poule). Cette perception de banalité s’applique notamment aux fièvres : la visite au CSB n’intervient qu’après aggravation des symptômes, comme un coma résultant de la complication d’un paludisme. Il se dégage des EPM que plus la population est pauvre, et moins elle est éduquée, moins elle se déclare malade, soit plus elle perçoit la maladie comme une banalité bénigne, et moins elle a tendance à consulter.

La position sociale des malades joue également. Le cas des femmes est à ce titre très intéressant. La santé des femmes est souvent négligée. En pays betsileo, une bonne épouse est une femme travailleuse et courageuse ; les femmes ont tendance à taire leurs problèmes de santé, jusqu’à ce que la pathologie atteigne un stade sévère. Il est en outre difficile d’apprécier la gravité de la maladie de la femme : le « mañeloñelo » (céphalées, fatigue) est considéré comme en rapport avec le cycle menstruel, et sans gravité. En revanche, la société betsileo accorde grande attention à tout ce qui touche à la maternité et au soin des enfants en bas âge, dans un contexte où la forte fécondité est toujours valorisée. Dans le système médical traditionnel, il existe un suivi des femmes enceintes et des jeunes enfants, avec des visites régulières chez la reninjaza, puis le mpitaia kilonga, selon le calendrier lunaire. Les femmes après leur accouchement restent alitées et « réchauffent » leur nourrisson pendant 1 mois, durant lequel elles ne travaillent pas, et souvent quittent le foyer pour être prises en charge par leurs parents. Il est possible que ce sérieux se transfère de la médecine traditionnelle vers la médecine moderne, dans le contexte d’une amélioration de l’offre des CSB. Le personnel des CSB témoigne d’un afflux spectaculaire, voire d’un encombrement, pour les consultations prénatales, et l’ESD 2003-2004 rend compte pour la province de Fianarantsoa d’une amélioration de la proportion de femmes visitant le CSB pour des consultations néo-natales, d’une augmentation des accouchements au CSB, et d’un progrès de la vaccination.En revanche, l’accouchement au CSB est relativement peu pratiqué, à cause de l’éloignement géographique, et des dépenses annexes à l’accouchement en tant que tel (achat d’une couverture, de vêtements pour la mère et l’enfant, de vaisselle…). Par la suite, la santé des jeunes enfants est confiée aux femmes, qui, au sein de la famille, accomplissent donc les visites les plus fréquentes aux CSB. b) L’éloignement géographique, déjà évoqué, pèse lourd sur les itinéraires thérapeutiques des paysans.

C’est, avec le problème du coût des soins le grand facteur évoqué pour justifier de la non- consultation. Il existe indiscutablement une rente de localisation, en ce qui concerne l’accès aux soins : les habitants des régions les plus densément peuplées, ceux qui vivent à proximité des villes secondaires, ou des chefs-lieux de communes, sont mieux placés par rapport aux établissements de soin, et donc seront plus enclins à faire appel à la médecine scientifique.

Du point de vue des paysans, l’accessibilité géographique varie aussi selon les saisons. Dans les hautes terres orientales, les crachins de la saison fraîche en juillet-août dissuadent d’entreprendre une longue marche à pied, surtout si on est malade. Les inondations de la saison des pluies en janvier-février coupent les pistes et rendent impossible le passage des rivières durant plusieurs jours. Dans l’ouest du Betsileo, l’insécurité engendrée par les voleurs de bétail est encore un autre obstacle aux déplacements. L’éloignement est aussi relatif aux capacités des populations à se déplacer : les petits enfants et les personnes âgées sont encore plus pénalisés que les autres catégories. 12 c) Le manque d’argent demeure toutefois le principal facteur limitant identifié par la population paysanne pour accéder aux soins du CSB.

Cette situation amène à s’interroger sur les moyens dont disposent les paysans pour dégager des revenus susceptibles de financer leurs soins.

La première source de revenus provient de la vente des produits agricoles, des produits d’artisanat, de la pêche et de la cueillette.

Le premier produit agricole vendu est le riz. La vente survient au moment des récoltes, de janvier à mai, durant la période dite asotry, qui est aussi traditionnellement celle des réjouissances. Cette période est pour les Betsileo celle de l’abondance d’argent, ce que traduit aussi le dynamisme des marchés ruraux des mois de mars à juin. Une partie de cet argent peut être consacrée à financer des dépenses de santé. Certaines familles élaborent des stratégies sanitaires, plusieurs mois, voire plusieurs années à l’avance, réservant cette période de disponibilité financière pour les soins coûteux comme une opération.

Toutefois, on doit relativiser l’importance de cette source de revenus pour les dépenses de santé. On notera en premier lieu que les prix de ces denrées sont bas durant la période des récoltes. Les 4 dernières années semblent en effet avoir vu le pouvoir d’achat des paysans décliner. Certes les prix du riz ont été revalorisés, mais les écarts entre les prix de récolte et les prix de soudure se sont amplifiés. Suite à l‘augmentation du prix du carburant, tous les prix des PPN ont également été revus à la hausse. Cette situation profite aux gros producteurs, et à ceux qui vivent à proximité des centres urbains qui souffrent moins de la hausse des coûts de transport, mais elle aggrave la situation des plus pauvres. D’autre part, il semble que les paysans aient tendance à vendre une portion de plus en plus réduite de leur récolte. La succession de mauvaises récoltes, suite à des aléas climatiques (cyclone en 2000 en et 2004, ou sécheresse en 2005, et en 2006), les écarts entre les prix de vente du riz à la saison des récoltes et le prix d’achat en saison de soudure (atteignant plus du double du prix de vente dès le mois de juillet en 2004), rendent la situation alimentaire de plus en plus vulnérable, ce qui dissuade les paysans de vendre leur riz et les incite se replier dans des stratégies d’autosubsistance. On continue néanmoins à vendre un peu de riz, mais l’argent obtenu passe dans le remboursement des dettes, dans l’achat de vêtements neufs. En réalité, seuls les gros producteurs, soit les « gros » propriétaires terriens, vendent une quantité importante de riz, mais les sommes obtenues passent dans l’achat d’engrais.

Comme source de revenus, le riz est concurrencé par d’autres produits vendus « en gros »: dans les régions fraîches (Sendrisoa), la pomme de terre ; dans les régions plus chaudes de l’ouest et du sud (Ankaramena), le manioc. Ces filières commerciales relativement récentes fournissent des revenus qui succèdent à ceux du riz dans le temps : les pommes de terres sont vendues à la fin de la saison froide, le manioc plus tard encore. Elles sont toutefois étroitement localisées dans l’espace à des régions relativement bien reliées à la RN7.

Autre source de revenu issu de l’agriculture : la vente d’un boeuf, qui fournit une grosse somme (300 000 Ar pour un animal adulte mâle). Le bœuf constitue en effet une épargne, dans laquelle on peut puiser en cas de coup dur. La vente d’un bœuf est un moyen de financer des dépenses de santé exceptionnelles, comme une maladie grave, qui menace la vie d’un individu, et nécessite une consultation à Fianarantsoa, une intervention chirurgicale. On retrouve là le parallélisme établi dans le Sud-Betsileo entre la vie humaine et la vie du bœuf : Ny añaombe ro fiandoha, fitohiza ara fiafaran’ny fiaiña, ou la vie commence, continue et se 13 termine avec les bœufs. Toutefois, cette source d’argent a elle aussi tendance à se réduire. Les cheptels familiaux se sont étriqués, à la suite des vols de bétail (surtout dans le sud), des maladies du bétail, de l’appauvrissement des populations. Surtout, on réserve les boeufs au travail agricole, et aux obligations sociales (funérailles essentiellement).Pour bien des familles, il vaut mieux garder son bœuf plutôt que de s’en séparer pour financer des soins coûteux, dont on ne sait s’ils seront efficaces : le malade risque de décéder sans que l’on puisse sacrifier de bœufs pour ses funérailles, ce qui est un déshonneur trop grand pour les vivants et une offense à l’ancêtre.

Reste la vente de produits frais (légumes, fruits, écrevisses, poisson, miel…), de la volaille, et des objets en vannerie sur les marchés hebdomadaires. Ces produits sont pour la plupart issus du travail des femmes, et commercialisés par les femmes. Les ventes s’étalent tout au long de l’année, exceptée durant les périodes de fortes pluies où les déplacements sont difficiles. Il s’agit donc d’une ressource financière continue, mais qui ne rapporte que de petites sommes rarement plus de 4000 Ar par foyer et par semaine. En période de soudure, ces modestes gains servent à acheter des produits alimentaires pour nourrir la famille durant une semaine. En période d’abondance, ou chez les foyers plus riches en riz, l’argent peut être consacré à de petites dépenses de santé. Par exemple, une femme se rend au marché avec son enfant malade et des marchandises (poule, natte…) : Si elle en tire un bon prix, elle peut emmener son enfant à l’hôpital, sinon, elle rentre chez elle.

Les sources de revenus non agricoles, provenant d’activités commerciales, d’activités salariées, souvent associées à la migration saisonnière, semblent de plus en plus importantes. C’est une pratique ancienne en pays betsileo, aujourd’hui très répandue, tant par les femmes que par les hommes, surtout dans les régions de fortes densités où les superficies rizicoles sont faibles. Elle représente une réponse face au rétrécissement des sources de revenus agricoles, et à la vulnérabilité alimentaire33. L’archétype du paysan betsileo spécialiste de la riziculture irriguée et attaché à ses bœufs devrait être corrigé, en ajoutant commerçant-migrant et ouvrier salarié. Il s’agit pour les populations les plus pauvres, de véritables migrations de la faim, parce qu’il y a trop de bouches à nourrir aux villages, pour des ressources locales trop faibles. Elles prennent deux grandes directions : l’est, pour la récolte du café, direction qui cède du terrain par rapport à l’ouest, avec Ilakaka, où les hommes et les femmes vont s’employer comme porteurs d’eau, laveurs de linge... Les plus riches et les plus entreprenants se lancent dans de véritables stratégies d’accumulation d’argent, via des trafics lucratifs portant sur le tabac, le toaka gasy, les fripes, les porcs, parfois les fruits et légumes, qui rapportent des sommes conséquentes.

Toutefois, là aussi, on doit relativiser l’impact de ces revenus sur les dépenses de santé. Les migrations des plus pauvres permettent d’atténuer l’intensité de la soudure, en diminuant les bouches à nourrir au foyer, et en rapportant un peu d’argent pour acheter de quoi manger après le retour. Une grande partie des acteurs qui s’engagent dans les stratégies migratoires ou le commerce informel sont des hommes ou des femmes jeunes, qui partent plusieurs mois, pour soulager leur famille, et/ou pour accumuler assez d’argent pour acheter un bœuf pour les hommes, ce qui favorisera la création de leur propre foyer, ou des vêtements, des biens de consommation dont l’usage se répand, comme un poste de radio-cassette... L’argent du trafic de toaka ou de tabac passe souvent dans des dépenses festives : on boit le toaka, on achète un poste de radio, des vêtements… En réalité, seuls les ménages déjà relativement aisés, qui ont la capacité de se lancer dans des stratégies capitalistes, réalisent de véritables profits. Ces

33 Minten, B. 2003 14 familles sont en général les plus instruites, les plus ouvertes sur la ville, et réinvestissent leurs gains dans la scolarisation des enfants, l’achat d’engrais.

Enfin, il reste une dernière manière de se procurer de l’argent : en demander aux autres, soit faire appel aux solidarités sociales, essentiellement à base familiale. Ces solidarités sont fortes en pays betsileo : les pratiques de dons, d’aide, de cotisations, en nature ou en espèces, sont coutumières lors des fêtes et des funérailles34. L’existence d’un vaste réseau de solidarités va jouer un rôle important en faveur de l’accès à la médecine scientifique. Il permet de lever certains goulets financiers (payer les soins), ou des goulets logistiques : avoir un parent qui possède une voiture permet de se déplacer, avoir de la famille en ville permet d’envisager une hospitalisation à Fianarantsoa en solutionnant le problème de l’hébergement des accompagnateurs du malade.

Presque toutes les familles bénéficient d’un réseau de solidarités. Mais ce réseau est plus ou moins puissant économiquement, et plus ou moins intéressant sur le plan de la géographie sanitaire. Les familles favorisées sont capables de mobiliser un réseau social étendu entre la campagne et la ville, surtout la capitale provinciale, voire Antananarivo, et relativement puissant économiquement. Il s’agit de familles qui depuis une ou plusieurs générations ont misé sur l’éducation, pour avoir accès à des emplois citadins dans l’administration, l’armée, le commerce, voire des emplois informels. On y retrouve, mais pas exclusivement, les familles des lignages puissants, des notables locaux, et leurs alliés.

Pour conclure cet inventaire, nous insisterons sur quelques points.

D’une part, en milieu rural, les revenus disponibles pour financer des dépenses de santé sont saisonniers donc discontinus dans le temps, localisés essentiellement durant la période d’asotry, parfois jusqu’à octobre pour les revenus non agricoles. Il n’est donc pas étonnant que cette période corresponde au pic de fréquence des consultations au CSB.

De manière générale, il semble que l’argent soit de moins en moins disponible pour financer les dépenses de santé, parce que de grosses sources de revenus traditionnelles comme la vente des récoltes de riz ou la vente de bœuf s’amenuisent, même si d’autres prennent le relais (trafic, vente sur les marchés).Mais ces derniers revenus sont souvent consacrés à des dépenses prioritaires pour subvenir aux besoins vitaux (manger) et sociaux (funérailles, fêtes) de la famille, ainsi qu’aux dépenses de scolarisation des enfants. Or, ces dépenses vitales paraissent de plus en plus élevées, à cause de la détérioration du pouvoir d’achat des producteurs de riz.

Il existe des nuances à ce constat pessimiste. Il reste des familles qui auront la capacité économique de financer leurs soins et parfois même de prendre en charge des soins coûteux. Ces privilégiés sont ceux : - qui possèdent de vastes terres agricoles, et donc produisent des denrées alimentaires de base (riz, manioc) en grosse quantité, leur épargnant des soudures difficiles et permettant de dégager des surplus commercialisables. - qui sont engagés dans des filières commerciales et /ou migratoires lucratives : commerce de pomme de terre, de tabac, de toaka, de fripes…

34 Selon l’EPM 2005, c’est dans la province de Fianarantsoa que les transferts de revenus entre particuliers sont les plus importants. 15

- dont le réseau social est puissant économiquement, et vaste géographiquement, mettant en relation la ville et la campagne. Les capacités financières de ces familles restent de toute façon limitées. Elles ne permettent pas de prendre en charge les dépenses de santé de la famille élargie, mais de recourir plus souvent que les autres aux soins primaires du CSB, et de financer une dépense de santé exceptionnelle, pour un membre privilégié de la famille.

Pour le reste de la population, il est difficile de financer les soins même de base, hors période de récolte. Cette situation peut contribuer à déclencher un cycle d’appauvrissement à travers l’endettement auprès de la famille élargie. Non seulement la famille du malade doit faire face à une pauvreté accrue, du fait de la nécessité de rembourser les prêts, ou de rendre les dons. Mais la famille élargie dans son ensemble subit une perte de ressources agricoles et financières (vente de riz, de bœuf…) fragilisant son équilibre économique déjà précaire. Dans ce cas, le soin, au lieu de briser le cercle vicieux de la pauvreté et de la maladie, risque au contraire de l’aggraver, et de l’étendre géographiquement et socialement. Il devient alors donc économiquement et socialement plus intéressant de ne pas se soigner.

En reprenant les différents obstacles qui empêchent la société paysanne de se soigner, compte tenu de l’offre de soins proposée, on aboutit à une définition de la pauvreté qui s’explique par 4 grandes formes de marginalisation : - marginalisation culturelle : fermeture à l’égard de la médecine scientifique moderne et de ses capacités, repli sur la médecine autochtone - marginalisation économique : ne pas pouvoir dégager des revenus, souvent faute de ne pouvoir se brancher sur une filière commerciale et de ne pouvoir participer au commerce informel. - marginalisation sociale : ne pas disposer d’un réseau de solidarités puissant et vaste. - marginalisation géographique : vivre dans un espace enclavé, loin des centres de santé de base, loin des réseaux de circulation et d’échanges, loin de la ville.

III) Comment améliorer l’accès aux soins ?

Faire en sorte que les populations se soignent mieux apparaît donc comme une voie nécessaire pour diminuer la pauvreté des paysans. Sur ce point, de nombreuses initiatives ont été prises à la fois par la puissance publique, et par les acteurs locaux, en particulier dans le domaine du financement des soins.

1) Nous évoquerons certains aspects de la politique de santé, en particulier les réformes récentes du financement de la santé.

Depuis 2002, la politique de santé malgache a entrepris d’améliorer l’accès financier aux médicaments, et ceci dans un contexte socio-économique difficile rendant encore plus délicate l’application du recouvrement des coûts. La crise politique puis socio-économique de 2002 s’est traduite par une baisse significative du taux de fréquentation hospitalière. Après la crise, l’Etat a été obligé de suspendre le système de recouvrement des coûts pour rendre les soins plus accessibles. Il semble que cette levée temporaire ait diminué la qualité des soins car elle est à l’origine d’une sur-utilisation des structures hospitalières, entraînant une pénurie de médicaments. Elle a aussi suscité un sentiment de déception de la population, quand le recouvrement des coûts fut rétabli, en fin d’année 2003, avec l’adoption du système FANOME (Fandraisan’Anjara no mba entiko). Le FANOME est la nouvelle dénomination 16 du fond issu de la participation financière des usagers. Il est alimenté par une partie de la marge bénéficiaire (135%) de la vente de médicaments aux usagers au niveau de la Phagecom du CSB, la vente des consommables, les frais d’hébergement en cas d’hospitalisation et les actes opératoires dans les CHD et CHRP (Centre Hospitalier de Référence Provincial). Le fonds disponible sert à acheter des médicaments à la centrale d’achat SALAMA. Le FANOME permettrait en théorie d’assurer la disponibilité permanente en médicaments essentiels. Il se heurte pourtant toujours à des dysfonctionnements : livraison, délai de commande, transports….

L’institution du FANOME a été suivie de la création d’un Fonds d’équité au niveau de chaque commune, destiné à prendre en charge les frais de santé des « démunis », soit leur fournir des soins et des médicaments gratuitement. Le Fonds d’équité est alimenté par une partie du (6/135%) coût direct des soins, ce qui garantit l’existence d’un fonds de caisse. S’y ajoutent les subventions publiques de l’Etat et de la collectivité (Etat, Provinces Autonomes, Communes). La politique de décentralisation menée depuis 1999 accorde des pouvoirs financiers croissants à la commune, qui, en collaboration avec le Comité de Gestion du Phagecom et le Comité de Santé, peut procéder à des levées de fonds. Le statut de « démunis » est défini à partir de 8 critères. Ils doivent être identifiés au niveau du fokontany mais leur nombre est à fixer par la Commune en concertation avec le CSB, car il dépend du volume de fonds mobilisables. Ceux qui auront été reconnus comme tels reçoivent une carte de santé, qui leur permet de se faire soigner gratuitement.

Pour le moment, ce système semble mal fonctionner et ne pas avoir d’impact réel sur l’accès aux soins des plus pauvres35. En 2005, en Haute Mahatsiatra, dans la majorité des CSB, le système de la carte de santé n’était pas fonctionnel. Une partie des CSB ne l’ont pas encore adopté pour des motifs financiers, parce qu’ils ne disposent pas du fonds de départ, évalué à 100 000 Ar. Certains rencontrent des difficultés pour établir la liste des démunis. Les critères retenus pour définir l’indigence (par exemple, ne pas avoir de maison) ne sont pas bien adaptés à la population rurale.Mais le principal obstacle reste que le statut d’indigent est perçu comme honteux, et que la majorité des pauvres refuse d’être catégorisée comme tel. Il apparaît en outre que les relations entre la commune, qui, à la suite de la politique de décentralisation dispose de pouvoirs financiers croissants et les CSB, sont source de tension, rendant l’élaboration du budget des CSB de plus en plus difficile. En effet, les communes souffrent de l’insuffisance des fonds qui leur sont transférés par l’Etat central, ou de l’irrégularité des décaissements. Ces fonds financent d’abord des travaux de réfection (voirie, écoles, CSB…).

Pour évoquer les autres aspects de la politique de santé, on mentionnera l’augmentation du recrutement de personnel médical sur les dernières années. On se penche actuellement sur la redéfinition du rôle de ces médecins de brousse, qui pourraient évoluer vers la médecine familiale36. Dans le fivondronana d’Ambalavao, les années 2005 et 2006 ont été marquées par un effort au niveau de l’équipement des CSB, avec l’électrification par panneaux solaires, ou par générateur à carburant. Beaucoup reste toutefois à faire sur ce plan : certains CSB n’ont pas accès à l’eau potable, les lits et le matériel médical sont insuffisants…

Enfin, on peut déplorer la faiblesse des actions entreprises dans le domaine social et culturel. La médecine autochtone et la médecine scientifique restent deux domaines cloisonnés, en

35 Minten, 2005 36 Desplat et al, 2004. 17 dépit de quelques réalisations. La formation de matrones a permis de mieux encadrer leur travail, et de jeter une passerelle entre les deux médecines. Toutefois, elles se considèrent parfois comme des vraies sages-femmes, et retiennent les femmes enceintes chez elles au lieu de les envoyer au CSB. On cherche aussi à s’appuyer sur les ombiasa comme veilleurs sanitaires pour alerter les CSB en cas d’apparition de rougeole, de peste.La promotion de la santé a été longtemps délaissée par l’Etat et est laissée à l’initiative des ONG oeuvrant dans le domaine sanitaire. Or, elles sont depuis quelques années polarisées sur la lutte contre le sida, au détriment des autres pathologies. Depuis quelques années, les communes ont eu obligation de mettre sur pied un réseau de responsables sanitaires par fokotany, dont la charge est de véhiculer aux populations des consignes d’hygiène, de les informer sur les campagnes de vaccination, sur les maladies et leur traitement. On notera enfin la multiplication des émissions sur la santé37, qui rencontrent un grand succès auprès des paysans, mais restent souvent focalisées sur le sida, et l’hygiène.

Enfin, compte tenu de la complexité des déterminants de l’accès aux soins des populations, il est évident que l’Etat dispose de nombreuses voies d’influer sur l’accès aux soins des paysans, à travers les politiques de transport, d’éducation…

2) Les initiatives locales en faveur du financement des soins : les mutuelles de santé

Les plus originales relèvent de l’organisation de pharmacies communautaires, voire de mutuelles de santé, pour permettre à la société rurale de financer ses dépenses de santé. En pays betsileo, ces initiatives remontent à une trentaine d’années, à la crise socio-économique vécue par le pays après 1972. L'Etat n'avait alors plus le pouvoir d'approvisionner en médicaments les hôpitaux périphériques. La population betsileo fut alors victime de différentes endémies, notamment la rougeole. Les femmes de Mandalahy, localité proche d’Ambohimahasoa, les premières sensibles à la dégradation de la situation sanitaire, se groupèrent au sein du mouvement local de la Croix-Rouge, puis, à l’initiative du responsable sanitaire local appuyé de certains leaders communautaires, ont finalement mobilisé la population pour collecter des fonds destinés à acheter des médicaments. Ce système fut formalisé et institutionnalisé, évoluant en pharmacies communautaires locales (PHACOM). Elles permirent d’améliorer l’approvisionnement en médicaments en les achetant aux pharmacies de gros privées, et même de prendre en charge le transport des malades. Le dynamisme communautaire fit tache d'huile et après 1977, bénéficia de l’appui de la coopération suisse, qui approvisionnait les mutuelles en médicaments.

En 1999, lorsque l’Etat malgache a prôné l’établissement d’un système de recouvrement des coûts, le système non-étatique en matière d’approvisionnement en médicaments a connu un ensemble de dysfonctionnements. Certains considèrent que ce système a été « victime de la mondialisation »38, dans la mesure où il constituait un secteur protégé et parallèle d’approvisionnement en médicaments, qui pouvait concurrencer le circuit contrôlé par le ministère. Le système communautaire a donc décliné, en dépit de ses avantages : l’implication des usagers à travers l’affirmation de leur volonté à payer, l’augmentation de leur capacité à payer, donnant lieu à une extension du cercle de la demande en matière de santé. En leur temps, les membres des PHACOM ont acquis une expérience et un savoir dans la négociation et le contrôle des prestations offertes par les prestataires de service. Les tensions apparues

37 Ratsizafy J-A., 2002. 38 Burnier, 2001. 18 entre les PHACOM et le Ministère de la santé à la suite de l’adoption du recouvrement des coûts, ont amené la communauté à négocier et à se contractualiser avec le Ministère de la santé en 2001. C’était un début d’empowerment, et un début de contractualisation dans le domaine de la santé, deux éléments qui sont aujourd’hui reconnus pour leur rôle moteur dans la lutte contre la pauvreté, et l’amélioration de l’accès aux soins39.

Devant la persistance du problème de l’accès aux soins, les solutions communautaires et participatives, passant par la création de mutuelles de santé, sont aujourd’hui revalorisées, et reçoivent le soutien de bailleurs de fonds bilatéraux, Union Européenne, et Etats-Unis, et multilatéraux. En pays betsileo comme ailleurs à Madagascar, de nouvelles mutuelles éclosent aujourd’hui. Il s’agit pour le moment surtout de projets pilotes, testant différentes formules (variation du montant des cotisations, cotisation par individu ou par ménage, couverture portant sur l’ensemble des soins ou sur certains médicaments seulement, sur toute l’année ou sur la période de soudure…). Du côté des agents de santé et des dépôts de médicaments, elles représentent un gros travail administratif et de paperasserie. Ce système est accueilli pour le moment de manière prudente par la population paysanne. À la différence de la situation antérieure, ces nouvelles mutuelles ne partent pas de l’initiative locale, mais sont imposées par les communes aux paysans. Or bien des paysans répugnent à cette nouvelle obligation : ils acceptent de payer pour leur santé, mais pas pour celle des autres ; les médicaments essentiels couverts par les mutuelles sont les moins coûteux, qu’ils considèrent comme à leur portée… Comme toute innovation, il va donc falloir du temps pour que les mutuelles de santé paysannes fassent leur preuve, et l’on doit espérer que les autorités le leur laisseront.

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Illustrations : 21

Figure 1 : Le calendrier de la morbidité en pays betsileo

Figure 2 : Le cercle vicieux de la pauvreté et de la santé, d’après l’OMS.

Source : WHO 01.376/F