Dynamiques Rurales a Madagascar : Perspectives Sociales, Economiques Et Demographiques »
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COLLOQUE SCIENTIFIQUE « DYNAMIQUES RURALES A MADAGASCAR : PERSPECTIVES SOCIALES, ECONOMIQUES ET DEMOGRAPHIQUES » ANTANANARIVO 23-24 AVRIL 2007 Colloque organisé conjointement par : l’Institut National de la Statistique (INSTAT), la cellule du Réseau des Observatoires Ruraux de l’EPP/PADR, l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et le GIE DIAL. 1 Sophie Moreau, MCF Université de Marne la Vallée, Gecko Paris X Nanterre Jean Andrianandrasana Ratsizafy, Médecin, Etudiant en Master d’Economie de la Santé, CERDI, Clermont-Ferrand. Santé et pauvreté : se soigner dans les campagnes betsileo L’état de santé et la pauvreté sont deux domaines associés pour décrire le niveau de développement d’une population. Un mauvais état de santé, à travers une faible espérance de vie ou une mortalité élevée, est un élément constitutif du sous-développement. Il est également admis que la santé est aussi un instrument du développement ou du sous- développement : on peut mettre en évidence une boucle de rétroactions négatives selon laquelle la pauvreté, définie comme l’insuffisance de revenus, contribue à un mauvais état de santé qui lui-même génère ou aggrave la pauvreté. Dans l’approche d’A. Sen de la pauvreté comme privation des capacités individuelles, la santé est à la fois constituant et instrument de la pauvreté. Nous avons cherché à examiner les modalités de ce cercle vicieux dans les campagnes du Sud Betsileo, dans la région Haute Mahatsiatra, fivondronana d’Ambohimahasoa, Fianarantsoa 2, et surtout Ambalavao, où les enquêtes les plus approfondies ont été réalisées. Au sein cette boucle, il est une étape déterminante : celle de l’accès aux soins. Avoir la possibilité de se soigner, tout en étant pauvre, serait une manière d’enrayer le cercle vicieux de la dégradation des conditions de vie, et de sortir de la pauvreté. À l’échelle malgache, la proportion de personnes malades consultant un centre de santé est basse : 39 % en 2004, mais elle est encore inférieure dans la province de Fianarantsoa qui détient le taux de consultation le plus bas du pays : 26,7%1. Comment expliquer cette situation ? C’est sur les facteurs qui influent sur l’accès aux soins modernes que nous avons concentré notre analyse, ce qui conduit à affiner les déterminants de la pauvreté. Dans un dernier temps, nous avons analysé les initiatives de l’Etat et des acteurs locaux, pour améliorer l’accès aux soins. Notre analyse s’appuie sur des enquêtes et l’observation des campagnes betsileo que nous connaissons par des travaux scientifiques antérieurs, ou par une longue pratique médicale dans cette région. Elle nous semble valoir davantage par ses réflexions qualitatives que par sa précision statistique. En effet, hormis les relevés sanitaires des CSB (Centre de santé de base) du fivondronana d’Ambalavao, les enquêtes générales disponibles (Enquêtes par Ménages (EPM) publiées par l’INSTAT, Enquête démographique et sanitaire (EDS) 2003-2004, et les études du programme ILO) concernent des espaces plus vastes que la région étudiée, et sont donc à exploiter avec précaution. I) Dégradation de l’état de santé et aggravation de la pauvreté en pays betsileo. 1) Aperçu de la pauvreté en pays betsileo a) D’après les indicateurs socio-économiques classiques 1 EPM 2004. 2 La plupart des données statistiques disponibles s’appliquent au niveau de la province de Fianarantsoa. Les fivondronana étudiés pèsent toutefois sur les statistiques provinciales par leur poids démographique : environ un quart de la population. La province de Fianarantsoa est avec celle de Tuléar, habituellement classée comme la plus pauvre de Madagascar, avec un IDH inférieur à 0,4 en 20012. La période 1993-1999, a été marquée par une aggravation de la pauvreté3 et la période 2002-2004, par une profonde crise économique et sociale, annulant les améliorations des années précédentes. En 2004, le ratio de pauvreté de la population rurale était de 86,7 % à Fianarantsoa, pour une moyenne nationale de 72,1%4. C’est dans cette province que la consommation par tête est la plus basse5. Sans surprise, les populations les plus pauvres correspondent aux ménages dirigés par des femmes et comptant une forte proportion de femmes, aux ménages les moins instruits, aux petits exploitants (moins de 1,5 ha), aux habitants des localités enclavées6. La pauvreté se traduit par l’importance de la malnutrition chronique. La période de soudure, durant laquelle la quantité de riz récolté par le foyer arrive à épuisement, où le riz doit être acheté et remplacé par d’autres denrées moins coûteuses (manioc, patates douces …), et où finalement la ration alimentaire diminue, est plus longue qu’ailleurs à Madagascar (5,2 mois/an pour la province)7. Au sein de la province, le Sud Betsileo présente un profil particulier. Sur le plan écologique, il se rattache à l’ensemble des Hautes Terres, au climat rafraîchi par l’altitude. Les conditions diffèrent à l’Est, plus élevé, représentant l’amont des bassins-versants, frais et humide, et à l’ouest, de plus basse altitude, situé en aval des bassins-versants, au climat plus chaud et sec. Ces différences jouent à la fois sur la prévalence des maladies et sur la disponibilité alimentaire. Sur le plan humain, le Sud Betsileo se distingue par de fortes densités : la moyenne se situe un peu au-dessus de 75 hab/km2, mais avec des disparités entre les fivondronana (entre 97 et 100 pour les fivondronana de Fianarantsoa 2 et Ambohimahasoa, contre 35 pour Ambalavao), qui traduisent en réalité de forts contrastes entre la partie centre et est de la région, où les densités communales peuvent dépasser 100 hab/km2, et la partie ouest, où l’on peut les estimer inférieures à 10 hab/km2 8. Le peuplement en pays betsileo est dispersé, en hameaux de une à vingt maisons. Les fortes densités de la région orientale et centrale ont pour corollaire la dominante de petites exploitations de moins de 2 ha, et une forte pression sur les terres cultivées. Les systèmes agricoles sont dominés par la riziculture irriguée et les cultures vivrières, associées à l’élevage bovin. Le Sud Betsileo semble mieux placé que le reste de la province en termes de développement humain9. L’enclavement y est moindre, puisque la région est traversée par la RN7, ponctuée de gros bourgs ruraux, d’où partent, selon un modèle en peigne, des routes secondaires non bitumées, gagnant les chefs-lieux de communes de l’est et de l’ouest. La capitale provinciale se trouve approximativement au centre de la région. Autre atout : le degré d’instruction, plus élevé que dans le reste de la province, avec des taux d’alphabétisation et de scolarisation parmi les meilleurs de l’île10. Partant d’une situation de grande pauvreté en 1993, qui a stagné 2 EPM 2001 3 Randrianarison et al, 2001 4 EPM 2004. 5 EPM 2005 6 Minten, 2003 7 Ibidem 8 A titre de réfenrence, le fivondronanana d’Ikalamavony à une densité de population voisine de 5 (Tableau de bord environnemental de la province de Fianarantsoa, 2002) 9 PNUD, 2001. Rapport sur le développement humain dans la province de Fianarantsoa, 2001. 10 EPM 2005 3 jusqu’en 199911, l’EPM 2005 semble traduire une amélioration en 2005 : la cartographie du ratio de pauvreté rurale basée sur les données de 1993 classe la Haute Mahatsiatra parmi la catégorie la plus pauvre12 alors que l’EPM 2005 la place dans la catégorie médiane. Certaines dynamiques positives pourraient expliquer cette progression : la diversification des activités, l’essor de l’utilisation d’engrais, l’amélioration relative du réseau de pistes, l’amélioration de l’accès au crédit, la diffusion de la radio, voire du téléphone portable... Mais l’observation de la réalité socio-économique des cinq dernières années témoigne aussi d’une détérioration du pouvoir d’achat, de difficultés alimentaires croissantes, et d’une péjoration de la situation des plus pauvres. La Haute Mahatsiatra est classée par le PAM en 2005 comme la région la plus vulnérable sur le plan de la sécurité alimentaire, avec sa voisine Vatovavy-Fitovinany13, car la malnutrition chronique y est particulièrement préoccupante. b) Comment les paysans betsileo définissent et vivent leur pauvreté ? La pauvreté est définie par ses effets, soit un ensemble de souffrances physiques et morales (mijaly), de difficultés multiples à surmonter pour assurer la vie quotidienne du foyer (sahirana), liées en particulier au manque de nourriture (mosare14) et d’argent ( tsy manambola). Ces termes décrivent l’impossibilité de satisfaire les besoins physiologiques majeurs et la privation de biens du fait du manque d’argent. Elle est vécue comme une honte (les Betsileo taisent leur pauvreté) et comme une source d’inquiétudes constantes. La richesse est étroitement liée au prestige social et se perçoit à travers différents critères. Le premier est l’abondance de la production de riz, souvent dépendante de l’importance de la superficie rizicole. Les riches sont ceux qui ignorent la soudure : ils ont assez de riz pour ne pas avoir besoin d’en acheter pour leur alimentation, ni de réduire fortement leur ration alimentaire au cours de l’année, et donc peuvent vendre, prêter ou donner du riz aux autres durant la soudure. Inversement, les pauvres sont ceux qui subissent de longues soudures, plus de 6 mois, parfois 8 mois pour les plus pauvres. Ils n’ont plus de réserve de riz avant le 26 juin (la fête nationale, où l’on dépense de l’argent pour un repas copieux), une partie de leur récolte servant à rembourser les dettes contractées pendant la soudure. Ils n’en retrouveront que début janvier, au moment des premières récoltes. La majorité de la population rurale possède encore du riz au 26 juin, mais est contrainte de diminuer ses rations.