ACADÉMIE ROUMAINE  REVUE ROUMAINE INSTITUT D’HISTOIRE DE L’ART « G. OPRESCU » D’HISTOIRE DE L’ART Série BEAUX-ARTS

Tome XLIV, 2007

Som m aire

Autour de 1900. Idées et motifs symbolistes roumains et européens

KATALIN GELLÉR (), Tendances symbolistes dans l’art hongrois ……… 3 IRINA GENOVA (Sofia), Images de la modernité – l’expérience avec la nature 11 ADRIANA ŞOTROPA, Entre l’héritage rodinien et la Sécession munichoise : tendances symbolistes dans la sculpture roumaine au début du XXe siècle …. 21 LAURENT HOUSSAIS (Paris), Les amitiés roumaines d’André Fontainas : Constantin Ganesco et Charles-Adolphe Cantacuzène ……………………. 29 GHEORGHE VIDA, Aspects symbolistes dans l’œuvre de quelques artistes de Transylvanie ………………………...... ………….. 37 IOANA VLASIU, Réflexions sur les arts décoratifs et la décoration en Roumanie au début du XXe siècle ……………………………………………………… 49 MARIANA VIDA, La société Tinerimea artistică de Bucarest et le symbolisme tardif entre 1902-1910 …………………………………………...... 55 CORINA TEACĂ, Images of Salomé in the Romanian Art ………………………… 67 RUXANDRA JUVARA, La société Tinerimea artistică. Sa contribution au développement de l’art roumain dans la première moitié du XXe siècle …….. 73 MATEI STÎRCEA-CRĂCIUN, La dimension symboliste de la sculpture brancusienne. Étude de cas : Le Baiser ……………………………………. 83 MARIAN CONSTANTIN, Sur quelques panneaux décoratifs de jeunesse de Mina Byck Wepper ……………………………………………………………… 89 ANGELO MITCHIEVICI, Dimitrie et Lucrezzia Karnabatt : voyages symbolistes 95

REV. ROUM. HIST. ART., Série BEAUX-ARTS, TOME XLIV, P. 1–133, BUCAREST, 2007 1 NOTES

GABRIEL BADEA-PĂUN (Paris), Michel Simonidy, la tentation d’une carrière parisienne ……...... 103

CHRONIQUE

Session annuelle du département d’art médiéval de l’Institut d’Histoire de l’Art « G. Oprescu » de Bucarest: Nouvelles données dans la recherche de l’art médiéval de Roumanie, 2006 (Dép.d’art médiéval) ……………….. 119 Antoine Bourdelle (1861-1929), vecteur de la modernité. Bucarest-Paris, une amitié franco-roumaine (Despina Haşegan) …………………………… 123

COMPTES RENDUS

ANCA OROVEANU, Rememorare şi uitare : scrieri de istoria artei (Sanda Agalides) ...... 127 MARIAN CONSTANTIN, Palate şi colibe regale din România. Arhitectura şi decoraţia interioară în slujba monarhiei (1875-1925) (Ruxandra Beldiman) ...... 129 MARIA PILLAT-BRATEŞ, Pictură şi reverie. Album (Olivia Niţis) …………… 132

2 La définition du symbolisme soulève dès son apparition des incertitudes et des contradictions liées au caractère même de la TENDANCES SYMBOLISTES DANS notion de symbolisme. La formulation des L’ART HONGROIS * traits caractéristiques du symbolisme est plus difficile dans les pays qui sont tributaires des mouvements artistiques venant avant tout de la France, de la Belgique et de l’Allemagne. Leur symbolisme est en général empreint des traditions locales, de la survivance des traditions artistiques du pays. En Hongrie, comme partout en Europe centrale, on peut parler d’une forte présence de l’art symbolique, dans un sens cependant Katalin Gellér plus large. On en décèle des traces dans (Budapest) l’œuvre de plusieurs peintres, mais en général Le pluralisme mentionné ne s’explique pas on ne le trouve pas tout au long de leur seulement du point de vue de l’esthétique, carrière, mais seulement durant une période, mais il faut également chercher ses origines où il est mêlé à d’autres tendances. Il n’y a dans l’histoire, la philosophie, la psychologie que deux grands artistes hongrois, Tivadar de cette région. Dans les courants du Csontváry Kosztka (1853-1919) et Lajos symbolisme nous reconnaissons l’influence Gulácsy (1882-1932) qui ont été marqués par des idées de Nietzsche, de Schopenhauer et le symbolisme au cours de leur carrière. de Tolstoï. Leurs idées étaient très répandues Au tournant du siècle et au début du 20e en Hongrie, de même que les idées mystiques, siècle c’est la diversité, le pluralisme des comme le bouddhisme, l’occultisme et avant styles, la symbiose des styles qui domine l’art, tout la théosophie. Étant donné notre situation qui définit les œuvres. On peut retrouver dans la Monarchie austro-hongroise, toutes les formes du réalisme et du l’aspiration à l’indépendance s’est renforcée, naturalisme, par exemple le plein air, des elle a même fait revivre certains sujets de tendances impressionnistes qui surgissent prédilection du 19e siècle, comme l’origine presque en même temps que le symbolisme orientale des Hongrois, leur parenté avec les ou l’. Le symbolisme n’est donc Huns, etc. C’est-à-dire que derrière les qu’un des nouveaux courants qui se mêle aux symboles des œuvres se cachent souvent des traditions locales. Alors son caractère références historiques. Le but de la recherche combatif s’efface, son apparence comme des pays lointains n’est pas seulement la quête réaction au naturalisme-impressionnisme de l’Eden, de la pureté perdue, mais s’affaiblit, tandis qu’il devient porteur de également la recherche des racines orientales contenus spéciaux, différents de sa source des Hongrois. Ces différentes tendances se d’inspiration. rencontrent par exemple dans la peinture de Csontváry et dans les œuvres des maîtres de la colonie de Gödöllő fondée en 1901. * Les études suivantes représentent les communications soutenues au colloque Autour de Dans ce qui suit, je vais présenter 1900. Idées et motifs symbolistes roumains et quelques thèmes typiques du symbolisme en européens qui a eu lieu à l’Institut d’Histoire de Hongrie, dont les racines se trouvent en l’Art « G. Oprescu » de Bucarest, le 26 février 2007, général dans les œuvres romantico- à l’initiative d’Adriana Şotropa et de Corina Teacă. historiques.

REV. ROUM. HIST. ART., Série BEAUX-ARTS, TOME XLIV, P. 3–10, BUCAREST, 2007 3 Le bouddhisme et l’obsession fin de siècle dans ses peintures intitulées de la mort Prière sur le tombeau, Fantôme forestier (vers 1895). Le premier cercle théosophique et Dans ses peintures de paysage, les bouddhiste s’est formé en Hongrie dans le montagnes rocheuses des Tatra et des château de la famille Mednyánszky. Dans les Carpates deviennent des êtres en souffrance, œuvres de jeunesse de László Mednyánszky emmurés dans leur silence (Paysage de (1852-1919), peintre de paysages, on peut Dunajec, début de 1900). Par le changement retrouver les traces du bouddhisme. Selon les continuel d’atmosphère il suggère une réalité Souvenirs de József Rippl-Rónai, pendant cachée, l’énergie secrète de la nature, le son séjour en France il a été en contact avec retour éternel restituant de même l’unité entre Odilon Redon (1840-1916). Dans des organique et inorganique. peintures typiquement symbolistes, comme Un autre exemple du symbole de la mort Memento, ou l’Épouvante (Fig. 1) (vers est le portrait du poète Endre Ady, (Fig. 2) 1895) Mednyánszky a poursuivi la peint par Dezső Czigány (1883­1937), poète représentation de sujets romantiques, les noirs qui s’appelait lui-même dans ses vers, « le de Mihály Zichy (1827-1906).1 On peut parent de la mort ».2 Czigány a fait plusieurs deviner les traces du mysticisme typiquement portraits représentant le poète décadent. L’un de ses dessins servait de frontispice au recueil du poète, publié en 1907, sous le titre Le Sang et l’or.3 Sur ce dessin la tête du poète semble flotter dans l’espace noir. Il apparaît comme une vision: ses grands yeux, son visage portent les traces du spleen. Il ressemble aux portraits des écrivains symbolistes dessinés par Félix Valotton (1865- 1925) entre 1890 et 1900. Le schéma de la représentation est le même dans la lithographie d’Edvard Munch (1863­1944) où nous voyons la tête de Stéphane Mallarmé sur un fond noir. Il a utilisé cette composition dans l’un de ses autoportraits. Cette représentation renvoie à l’idée du rôle de martyr des artistes, au contenu sous-entendu des tableaux de Gustave Moreau (Jeune fille Thrace portant la tête d’Orphée, 1865), d’Odilon Redon (Orphée, vers 1913-16) et de Jean Delville (Orphée, 1893) où l’on peut voir la tête coupée d’Orphée. Le sacrifice de l’artiste est comparé au martyre de St Jean Baptiste ou à celui d’Orphée.

La mythologie antique revivifiée; les rêves de l’Âge d’or

Dans la plupart des cas, le symbolisme apparaît dans les formes décoratives de l’art Fig. 1 – László Mednyánszky, Memento nouveau. Le tableau de János Vaszary 4 ou l’Épouvante, vers 1895. (1867­1939), intitulé L’âge d’or, peint en 1898, a été honoré d’une médaille d’or à l’Exposition universelle de Paris, en 1900. La scène fait penser à l’antiquité, à un sacrifice païen devant l’autel d’un dieu de l’amour. Les statues sont celles de Vénus, d’Apollon et de Diane dans un parc abandonné. Au fond du parc sauvage on peut voir des lumières. Les couleurs verdâtres et jaunâtres amplifient l’ambiance nostalgique d’une Arcadie perdue. Le tableau de Vaszary fait partie d’une série de peintures de l’époque au sujet de l’âge d’or révolu. Il est à mettre en parallèle avec le tableau du peintre allemand, Ludwig von Hofmann (1861-1945) intitulé Paysage idyllique qui a été peint deux ans après celui de Vaszary, en 1900. Tandis que la mythologie gréco-latine joue un grand rôle chez Gustave Moreau, Puvis de Chavannes, Arnold Böcklin, comme «le véhicule des émotions et des réflexions…»4, plus tard chez Gustav Klimt, Pallas Athéné devient la «protectrice» de l’art nouveau, en Hongrie ceux qui retournent aux sujets antiques cherchent plutôt la tradition solide, ou la représentation solennelle de l’harmonie de l’homme avec la nature. Ainsi par exemple Fig. 2 – Dezső Czigány, Ady, avant 1907. Károly Ferenczy (1862-1917) dans son tableau intitulé Archéologie (1896) et Orphée (1894). et il a illustré quelques-uns de ses livres. Il est aussi un des rares illustrateurs de La mythologie nationale revivifiée; Nietzsche qui ne soit pas de nationalité la légende du cerf miraculeux allemande. Les maîtres de Gödöllő ont été attirés par le mysticisme et par l’occultisme. On peut dire qu’à l’opposé du rôle Ils ont appartenu au cercle théosophique de important des mythes gréco-latins en France Henrik Jenő Schmitt, philosophe gnostique. ou en Allemagne, la plupart des artistes Pendant son séjour parisien, Sándor Nagy hongrois s’occupent plutôt de revivifier les a certainement fait connaissance avec le mythologies nationales. C’est par là que les groupe Rose-Croix. En 1892 quand Sándor artistes de la colonie de Gödöllő (1901-1920) Nagy est arrivé à Paris, leur première se rattachent aux traditions du 19e siècle.5 exposition fut ouverte. Dans le tableau intitulé Leur symbolisme peut être plutôt défini en Ave Myriam (1904) Sándor Nagy a peint son tant qu’Idéalisme caractérisé d’une part par autoportrait avec sa femme. (Fig. 3) Le un mysticisme rosicrucien, d’autre part par tableau porte les traits caractéristiques un langage dérivant des traditions. rosicruciens des corps spiritualisés à l’excès. Leurs œuvres reflètent la philosophie de Il a largement utilisé la symbolique des fleurs. Nietzsche et de Tolstoï. C’est surtout Sándor Selon la description du peintre, le tableau Nagy (1869-1950) qui a suivi de près les idées, montre le moment mystique où «à la place la façon de vivre, ainsi que l’habit de l’écrivain du lys vient la rose». Les lys du tableau russe. Il a fait figurer Tolstoï dans ses dessins d’Aladár Körösfõi-Kriesch (1863-1920) sont 5 Le mythe des origines des Hongrois, la chasse au cerf miraculeux, est représenté plusieurs fois (Sándor Nagy: sgarfitto sur la façade du théâtre de Veszprém, l’aquarelle d’Istán Zichy). Le cerf lui-même évoque le mythe sur la tapisserie de Körösfői-Kriesch (Lecerf). Étant donné qu’il est l’un des motifs de l’art populaire hongrois, on peut parfois parler de contamination des motifs folkloriques et des figures des légendes et des contes. (Fig. 5)

La symbolique de l’arbre

Tivadar Kosztka Csontváry est né en 1853, la même année que Van Gogh (1853­1890).6 Selon la typologies des peintres symbolistes, il appartient lui aussi au type «sensuel-expressif».7 Dès le commencement de sa carrière on peut remarquer qu’il a cherché des sujets pouvant exprimer la puissance supérieure, le pouvoir qui lui a donné sa vocation de peintre. Il a eu une vision: il a entendu une voix venant à la fois d’en haut et de derrière lui: « Tu seras le plus grand peintre du monde, plus grand que Raphaël.» À la recherche du motif digne de sa vocation il a parcouru les grandes montagnes de la Hongrie, les Carpates et les Tatra (La Vallée de Tarpatak dans les Tatra), la Méditerranée et le Proche-Orient. C’est dans les motifs majestueux qu’il a cherché l’équivalence plastique de son idée. Fig. 3 – Sándor Nagy, Ave Myriam, 1904. Dans sa représentation, les montagnes, les cascades deviennent des symboles de l’énergie éternelle de la nature. Sa croyance des fleurs peintes de manière naturaliste, elles dans une forme énergétique peut être sont des symboles de la pureté de leur vie ramenée par exemple aux théories monistes familiale. (Fig. 4) de Wilhelm Ostwald. On peut chercher ses La symbolique des fleurs gagne une antécédents parmi les paysages signification spéciale dans leurs œuvres. Ils panoramiques du Romantisme et aussi parmi utilisent d’une manière stylisée les motifs les peintres orientalistes qui ont été à la mode floraux de l’art populaire. Dans le panneau jusqu’en 1910. décoratif intitulé Les gens de Kalotaszeg La quête de motifs de Csontváry montre vont à l’église qui a été peint par Aladár des points communs avec celle de Paul Körösfői-Kriesch pour l’exposition Gauguin (1848-1903). Tous les deux ont internationale de Saint-Louis, en 1904, les cherché la pureté, les lieux non corrompus personnages portent des costumes par la civilisation occidentale, dans des pays populaires et on voit l’église de Kalotaszeg lointains. Quoique leurs buts de voyages soient 6 qui est devenue l’emblème de l’art national. différents, ils ont redécouvert les anciennes Fig. 4 – Aladár Körösfői-Kriesch, Les Lys, 1906. Fig. 5 – István Zichy, Hunor és Magyar (Les ancêtres des Huns et des Hongrois), 1905. mythologies révolues, qu’ils ont représentées symbolisent l’énergie éternelle de la nature et d’une manière syncrétique. des peuples. Le tableau est éclairé entièrement Dans les grands sites historiques en Italie par le soleil, le règne de celui-ci apparaissant et au Liban, Csontváry montra que les plus par des couleurs saturées de lumière. grandes civilisations ont été aussi détruites, Le motif du tableau intitulé Le cèdre mais dans leur état actuel même ces sites solitaire daté de 1907 peut être ramené aux gardent la grandeur du passé. Ce n’est pas représentations de l’arbre solitaire dans un l’atmosphère de catastrophe des peintures de paysage délaissé des peintres romantiques, ruine qui règne dans ces grands paysages, par exemple de C.D. Friedrich. Comme chez mais l’unité avec la nature et le passé les dessinateurs romantiques l’arbre est peint majestueux (Les ruines du théâtre grec à d’après une analyse détaillée du motif qu’il Taormina de 1904). élargit en une vision. Il est porteur d’une Son tableau intitulé Baalbek, daté de 1906 symbolique spéciale de même que dans les est une peinture panoramique de grande tableaux de Van Gogh, de Segantini et de dimension. Baalbek était la ville sainte de Baal, Schiele. Il le peint comme un être vivant et dieu de lumière de la Phénicie. Pendant l’ère souffrant, il l’élargit en une vision individuelle grecque Héliopolis restait la ville du dieu du et universelle, il devient l’arbre de la vie, soleil. Le panorama de la nature et l’intérêt l’arbre de la connaissance, « l’esprit absolu » historique se complètent d’une image (Béla Hamvas). cosmique. Ainsi que les grands paysages, les Il y a une unité quasiment indissociable grands bâtiments des villes historiques entre l’individualité, l’universalité; le peintre 7 s’identifie au cèdre, qui devient un autoportrait printemps. Dans un cercle plus large on voit qui suggère l’état d’âme de l’artiste, sa des Arabes, des Bedouins, des cavaliers et solitude presque suicidaire exprimée par le La Sainte-Vierge avec l’enfant. Le tableau couteau caché entre les branches agitées. reflète le syncrétisme romantico-symbolique L’arbre du Pèlerinage aux cèdres du de sa conception des mythes. (Fig. 6) Liban est un lieu de culte réunissant la terre Tandis que le cèdre solitaire a été un motif et le ciel, les dieux et les gens. Il est l’arbre à part de Csontváry, le bois sacré fut un des jumeau qui exprime l’unité des polarités, sujets préférés des peintres symbolistes. En comme vie et mort, homme et femme. Les plus des artistes allemands, les peintres Nabis figures doubles de la peinture peuvent être emploient d’identiques motifs des cultes ramenées aux anciennes représentations de mystiques, tout comme Paul Sérusier l’âge d’or. Autour de l’arbre il y a des (1864­1927) dans sa peinture intitulée la danseuses en extase, elles sont les prêtresses Présentation (1890). Si les danseuses de Dionysos ou les vierges d’une fête de extatiques de Csontváry représentent le côté

8 Fig. 6 – Tivadar Csontváry Kosztka, Pèlerinage aux cèdres du Liban, 1907. dionysiaque, les femmes blanches de Maurice L’opium était un sujet central des artistes, Denis (1870-1943) dans les Arbres verts ou des écrivains comme Géza Csáth et des les Hêtres de Kerduel (1893) sont plutôt du dessinateurs comme Attila Sassy (Aiglon) côté apollonien. (1880-1967) qui a produit un album de dessins intitulé Songes d’opium (1909). Dans le Le monde des rêves et des tableau de Gulácsy intitulé Le rêve d’un hallucinations opiomane (1913-18) les figures sont submergées par des flots de vision. Les maîtres de Gödöllõ ont été nommés Le rêve de Gulácsy s’achève par le «les préraphaélites hongrois», cette épithète commencemet de la première guerre est plutôt valable pour la peinture de Lajos mondiale. Dans ses derniers dessins il Gulácsy (1882-1932) qui tient dans ses mains traduit des angoisses, des expériences la fleur bleue des romantiques dans son irrationnelles. Il est le premier parmi les Autoportrait de 1903. Il traite des sujets peintres symbolistes hongrois qui arrive à préférés des préraphaélites, il est l’admirateur la limite du surréalisme. de Dante et de l’art italien, mais en ce qui concerne la forme, il diffère des maîtres anglais.8 Ses œuvres comme la Rencontre de Dante et de Béatrice, (vers 1907) Paolo et Francesca (1903), sont empreintes de l’atmosphère de rêve, d’un lyrisme qui lui sont propres. La composante musicale et littéraire est très importante, elle se montre dans le choix des titres, comme dans le Chant sur le plant de rose, 1904. Dans les peintures de Gulácsy les femmes se baignent dans une ambiance de pureté préraphaélite, en même temps il intègre plusieurs éléments de la femme fatale du symbolisme. Sa Salomé est un être cruel, sanglant, ivre de mort. Dans les tableaux intitulés L’enchantement ou Le jardin du magicien (1906-1907) et dans l’Extase (vers 1908) il représente l’amour idéal et l’amour érotique, l’état de rêverie et celui de l’extase. (Fig. 7) Sa peinture voulait ignorer la réalité quotidienne et faire connaître la réalité du rêve et du désir. Le passé, le Moyen-Age, la Renaissance, le rococo, l’âge romantique revivent dans ses tableaux comme des souvenirs lointains, comme des rêves, des fantasmagories. Dans une série de dessins il a créé un autre monde, un pays imaginaire, intitulé Na’Conxypan, dont le décor ressemble aux villes italiennes, où les habitants Fig. 7 – Lajos Gulácsy, L’enchantement ou Le jardin du magicien, 1906-1907. sont des figures bizarres. 9 Notes 1 Mihály Sarkantyú, Mednyánszky László 5 Katalin Gellér, Éléments symbolistes dans l’œuvre 1852­1919. Budapest, 1981; Mednyánszky. Kiállítás des artistes de la colonie de Gödöllő, Acta Historiae a Magyar Nemzeti Galériában, 2003. október 14 – Artium, 1982, tomus XXVIII, fasciculi 1-2, 2004. február 8. Szerkesztő: Markója Csilla pp. 131-174. (Mednyánszky. Catalogue de l’exposition de la Galerie 6 Lajos Németh, Csontváry Kosztka Tivadar, Hongroise Nationale, 14 octobre–8 février 2003. Corvina, Budapest, 1970 (deuxième édition). Rédactrice: Markója, Csilla) 7 D’après la typologie de Lajos Németh on peut 2 Katalin Gellér, Ady portrék (Les portraits d’Ady), distinguer cinq types dans le symbolisme du 19e siècle: Ars Hungarica, 1991/2, pp. 207-210). 1.allégorique-métaphorique (les Préraphaélites, 3 Dans un des poèmes du cycle Le Sang et l’or le ); 2. illustratif-littéraire (le culte de Dante, poète et son amante, Léda sont représentés aux visages des peintres de thèmes bibliques et mythologiques); des morts (Au bal avec Léda). Ils appartiennent au 3. panthéiste-pan-symbolique (Caspar David répertoire symboliste, comme chez Félicien Rops qui Friedrich); 4. subjectif-psychologique (Odilon Redon); a représenté souvent ses figures de femme en squelettes 5. sensuel-expressif (Van Gogh), in Lajos Németh, dansantes (La mort au bal, 1865-75). Adalékok a szimbolista festészet tipológiájához 4 José Pierre, L’univers symboliste. Décadence, (Contributions à la typologie de la peinture symboliste), symbolisme et art nouveau. Somogy, Paris, 1991, Ars Hungarica, 1976/1, 76-77. p. 114. 8 Béla Szíj, Gulácsy. Corvina, Budapest, 1979.

1 0 Au début de l’époque moderne en Bulgarie l’agitation autour de la ville et de la nature s’exprime plus nettement dans la poésie. Mais IMAGES DE LA MODERNITÉ – dans les arts de l’image, dans la peinture les L’EXPÉRIENCE AVEC LA NATURE témoignages sont moins fréquents. Pourtant il y a des œuvres, entre le réel et le fictionnel, l’expérience immédiate et l’image poétique, qui expriment d’une manière suggestive des dispositions et des habitudes citadines des temps modernes vis- à-vis de la nature. Ces œuvres sont le plus souvent marginales par rapport aux critères du prestige artistique du milieu dans lequel elles sont apparues, mais elles sont Irina Genova importantes pour notre intérêt d’aujourd’hui. (Sofia) Dans ce qui suit, nous allons nous des attitudes différentes envers la nature. Elles rapprocher de l’idée de la modernité dans des sont marquées par le personnel et l’intime. images de la nature des artistes bulgares. Je Après la Révolution française on peut propose d’examiner de près et d’interpréter observer une approche différente de la nature quelques œuvres spécifiques. dans les arts visuels. « Le sentiment de la nature » devient objet des discussions. « Impureté » et contaminations – Jacques Leenhardt écrit: « Plutôt le sentiment symbolisme / impressionnisme de la nature que la nature elle-même préoccupe la scène artistique.»3 Partie Sur une petite toile de la Galerie Nationale importante du monde intérieur, la nature de Sofia, Tseno Todorov (1877-1953) commence à être conçue comme une partie représente un artiste (soi-même) assis devant de la culture moderne et à être « regardée » son chevalet dans le Jardin du Luxembourg.1 de la perspective de la ville. C’est en même L’artiste tourne son dos au spectateur et temps que la nature est incluse dans les regarde l’objet avec intérêt. Le tableau grandes villes sous forme de parcs et de exprime les relations entre l’artiste – habitant jardins – différents par leurs formes et surtout de la ville moderne 2 – et la nature, par leurs fonctions de parcs de l’aristocratie « morceau » de nature, incorporé et mis en des XVIIe et XVIIIe siècles. scène à l’intérieur de la ville. La figure Le jardin du Prince Boris4 à Sofia est sculptée du cerf au second plan suggère conçu dès le début comme un espace public.5 l’ambiguïté entre nature / naturel(le) et art / On peut constater pourtant qu’à la fin du XIXe artificiel(le). Les leçons de l’impressionnisme siècle et au début du XXe il est rare de trouver et les dispositions symbolistes vont ensemble. des œuvres artistiques qui représentent cet Une autre toile de petit format par Tseno espace public de recréation, divertissement Todorov – le paysage Le fleuve Marne près et contacts sociaux – ce sont d’habitude des de Paris, 1907, Galerie Nationale de Sofia – peintures de petit format et des dessins. nous présente aussi des expériences Les parcs et les jardins sont un thème artistiques assimilées. préféré de l’impressionnisme et du post- Au début du XIXe siècle dans les cultures impressionnisme. Bien qu’il y ait des peintres d’Europe apparaissent dans les bulgares qui assimilent l’expérience de représentations artistiques des sensibilités et l’impressionnisme tardif, s’ils / elles

REV. ROUM. HIST. ART., Série BEAUX-ARTS, TOME XLIV, P. 11–20, BUCAREST, 2007 1 1 représentent des jardins publics ce sont des Examinons de près des images, dans parcs et des jardins dans des villes d’ailleurs lesquelles l’accent se déplace de la – à Paris, , , , etc. représentation vers l’expression, la notion de Tseno Todorov fait des études à l’intime apparaît dans des images d’une l’Académie des beaux-arts pendant la modernité dominée par l’individualisme. première décennie du XXe siècle avec une Un tableau par Nikola Petrov (1881- bourse de l’État bulgare. De retour à Sofia, il 1916) représente une femme assise sur un devient l’un des plus prestigieux maîtres du banc, vue de dos, contemplant le paysage.6 portrait de tendance réaliste et psychologique. (Fig. 1) Une fillette joue avec un petit chien C’est grâce à ces réussites dans le genre du sur l’avant-scène. L’espace du plein air de portrait qu’il est nommé professeur à l’École l’avant-plan est un espace cultivé d’un jardin des Beaux-Arts à Sofia. Ses premiers – avec de grands vases-urnes ornés, pleins tableaux représentant les rapports nouveaux de fleurs. C’est une terrasse de jardin – de des habitants de la ville avec la nature restent type esplanade, qui permet d’avoir une vue marginaux dans sa carrière artistique. panoramique sur la nature sauvage. Cette Pourtant, ces toiles de petit format sont exposition théâtrale de la nature suggère à importantes pour la représentation de la travers le motif de la distance lointaine une modernité: par les modèles thématiques et passion pour l’infini et l’évasion. stylistiques qu’ils transforment et par leur Une attitude semblable de contemplation potentiel de manifester et de suggérer l’idée de la nature inspire une peinture d’Éléna ouest-européenne de la modernité en Karamihaylova (1875-1961) – Auprès du Bulgarie. lac de Boden .7 La figure d’une jeune femme Quelques années plus tard, sur la scène en contemplation est représentée en avant- artistique bulgare apparaissent des images qui plan, aux vêtements et à la coupe des cheveux suggèrent une expérience différente par conformes à la mode urbaine, avec un parasol rapport à la nature – plus intime et affective. plié. Son regard est tourné vers l’arrière-plan

1 2 Fig. 1 – Nikola Petrov. Sur le banc. 1914, huile sur toile. Galerie municipale de Plovdiv. de manière à permettre au spectateur de voir dans la représentation des lieux naturels et son profil, ainsi qu’un fragment de ce que la des jardins (qui sont en même temps des jeune femme contemple – un lac, des arbres, espaces naturels attractifs et des lieux des de la végétation sur la rive. La composition contacts sociaux / de milieux sociaux fait penser à un cadre de photo. différents) et l’intérêt des cercles artistiques L’encadrement et la fragmentation du conservateurs pour la représentation des regard dans des scènes représentant la nature rencontres mondaines dans une ambiance et les paysages urbains sont influencés par différente – dans la nature? Dans la situation les images photographiques. La plupart des bulgare les peintures par leur sujet ne sont artistes associés à l’impressionnisme français pas suffisamment « impressionnistes » par s’intéressent à la photographie. rapport à l’expérience française. Mais cela Le motif central de représentation dans ne veut pas dire que dans les Balkans les l’ouvrage d’Éléna Karamihaylova est le œuvres qui représentent une attitude contact avec la nature dans son intimité. La différente envers la nature et la lumière ne jeune femme représentée ne communique pas sont pas aussi des images de la modernité et avec le spectateur, mais avec la nature. En de la nouvelle expérience urbaine, sans ce qui concerne le spectateur, ni la femme ni pourtant impliquer la bourgeoisie, des ouvriers le paysage ne sont complètement accessibles salariés ou des « déjeuners sur l’herbe ». à son regard (si le paysage était d’intérêt Il n’y a aucune nécessité de tenter de central, l’encadrement serait horizontal). Le distinguer l’expérience impressionniste et le contact entre la figure féminine et son entourage n’est pas uniquement une question moment symboliste. Leur interférence de disposition de l’espace. La lumière, plus mutuelle est le signe d’une attitude différente intense par les reflets et les lueurs de la envers la nature et la ville. 10 surface aquatique semble inspirer sur la figure Sofia en hiver par Nikola Petrov offre un sentiment de jeunesse et d’allégresse. un regard d’oiseau sur la ville. À l’avant-plan, L’image d’une femme en blanc est aussi liée on voit les nouveaux boulevards, larges et à l’idée de juvénilité, d’innocence, de goût pour droits, qui se croisent, pleins de véhicules et la simplicité. L’oscillation de la lumière en plein de piétons. Les lignes droites des arbres dans air, ainsi que la blancheur luisante sont en le jardin de la ville semblent encadrer un même temps un problème pictural. Au XIXe morceau de nature dans la ville. À l’arrière- siècle, le lac de Boden est très séduisant en plan, on voit le Théâtre national récemment tant que motif artistique. On peut voir des construit.11 C’est la nouvelle ambiance ouvrages appartenant à d’autres auteurs, urbaine. Mais ma réaction envers ce tableau pareils au tableau d’Éléna Karamihaylova par est définie surtout par l’attirance de la lumière leur style et par leur composition.8 argentée qui fait fondre les formes et les Sans doute, cette peinture de plein air est contours et fait naître le sentiment qu’il neige. liée à la pratique impressionniste tardive. Éléna L’intérêt pour la vie urbaine et également Karamihaylova étudie la peinture à Vienne pour les effets de lumière est habituellement (en 1895-1896) et à Munich,9 où elle habite associé à la pratique impressionniste et au avant 1910. Les particularités picturales de Paris des années 1870. Dans notre cas, cet sa peinture peuvent facilement être associées intérêt repose sur une expérience hybride – à la modification tardive de l’impressionnisme de l’impressionnisme et du symbolisme. Nikola dans les cercles artistiques munichois. En Petrov n’a pas de contact direct avec même temps, des suggestions difficiles à l’expérience artistique impressionniste. Il n’a identifier, accomplies par les effets visuels de jamais visité Paris. En 1903, il a la chance la blancheur et de la lumière, nous rappellent d’aller à Rome, et en 1905, il voyage à Lièges, l’expérience symboliste. Bruxelles, Munich, Vienne et Budapest.12 Ces Pouvons-nous,enBulgarie,discerner visites courtes ne semblent pas influencer clairement l’enthousiasme impressionniste décisivement l’artiste. Mais quelques-uns des 1 3 tableaux qu’il voit probablement, allaient en qui appartiennent à la sphère du subjectif et harmonie avec ses propres intuitions et son de l’irrationnel – les rêves, le silence, la ambiance intellectuelle à Sofia. Petrov était méditation (p. 169). Dans cette compréhension membre de la société Art moderne et auteur de la tendance symboliste, qui est relativement du design graphique de la revue Artiste, qui nouvelle et libérale, peuvent être inclus des était liée avec la société. La société ainsi que phénomènes artistiques « impurs » (parmi la revue partagent et diffusent les idées du lesquels des œuvres de Nikola Petrov). symbolisme et de l’art nouveau, tout en Selon cet article, le néo-impressionnisme incluant un ensemble beaucoup plus large est interprété aussi comme symbolisme par d’idées et de pratiques artistiques. la critique française. Voilà que les centres culturels qui inventaient les classifications Dans une autre peinture de Nikola Petrov modernes des phénomènes artistiques, L’église Sainte Sophie se disperse une lueur, commencent à renoncer aux distinctions très dont la présence définit le paysage entier. strictes au profit de la conformité aux L’intérêt pour la lumière, si présent chez phénomènes spécifiques. Nikola Petrov, ainsi que sa peinture aux touches minuscules et rythmées, étaient des Le design du livre – raisons pour la critique de le définir comme symbolisme / art nouveau un impressionniste (tardif) ou comme un post- impressionniste (pourtant il n’utilise pas Au passage du XIXe au XXe siècle, la seulement des couleurs essentielles et fait production du livre en Bulgarie est recours au noir). Mais ces assimilations ne relativement restreinte. Le design des livres suffisent pas. La lumière, comme diffusée par et des revues de luxe consiste principalement l’édifice du théâtre se rallie dans notre dans l’utilisation de vignettes et d’applications perception avec une autre expérience – celle dans le style art nouveau. Il est souvent du symbolisme. Dans ce cas, ce qui compte écclectique est sans un rapport direct avec le plus ce n’est pas l’illusion de réalité, la le texte littéraire.13 perception sensuelle, mais la suggestion de Avant les Guerres balkaniques et la l’idée de théâtre. Première Guerre Mondiale, l’assimilation et Pouvons-nous définir les paysages de la transformation de l’art nouveau, tout Nikola Petrov (ou au moins certains d’entre comme ailleurs en Europe, prend en Bulgarie eux) comme symbolistes? Ne sont-ils pas des les aspects d’un symbolisme visuel et d’une paysages, alors que les genres classiques décoration. semblent être rejetés par les symbolistes? De Le symbolisme imagé avec des plus, chez Nikola Petrov il n’y a pas de sujets caractéristiques stylistique de l’art nouveau mythologiques, religieux ou littéraires. est lié surtout aux œuvres littéraires. Dans En même temps, chez les symbolistes certains cas, l’image visuelle est en rapport l’attirance des objets représentés (par la avec l’image verbale, dans d’autres cas, elle forme – la ligne, la lumière, la couleur, etc.) l’accompagne. Dans des variantes prédomine les conventions iconographiques européennes identifiables, ce graphisme facilement reconnaissables. apparaît sur des couvertures et les pages des Dans son article sur le symbolisme, Julius recueils et des revues littéraires et artistiques. Kaplan dans The Dictionary of Art (1996) Dans le design effectué par Christo note qu’il est difficile d’en donner une stricte Stantchev (1870-1950) du recueil de poésies définition. Parmi les artistes associés au Bezsanitzi (Insomnies, 1906-1907) de Peyo phénomène, certains font recours au récit, Yavorov,14 ce qui attire l’attention c’est la tandis que d’autres – au style surtout. Ce qui légèreté et la nonchalance avec lesquelles est commun, selon l’article, c’est le désir de l’artiste fait la compilation d’éléments visuels 1 4 représenter des choses qu’on ne peut pas voir, et décoratifs étrangers (il utilise des clichés métalliques fabriqués) avec ses propres vignettes (la signature de l’auteur en témoigne l’authenticité). L’esthétique et le symbolisme visuel de l’art nouveau au niveau du design du livre dans des variantes diverses ont été facilement recevables comme références, ainsi que des réalisations des artistes bulgares. Parmi les meilleures réalisations dans le domaine du livre, on compte celles des artistes membres de la société Art moderne15 – Haralampi Tatchev, Goshka Datsov, Nikola Petrov. La couverture de Haralampi Tatchev (1875-1944) pour le livre Anthologie slave, textes réunis par Stiliyan Chilingirov (1910, éditeur S.M. Staykov) est un bon exemple de l’association de l’art nouveau avec le symbolisme. Orphée, entouré d’un cadre circulaire, joue sur une harpe, entourée d’une branche en feuilles. Le médaillon rond est flanqué de végétaux, attachés symétriquement avec les bandes. Les lettres sont dessinées à la main, faites à la ligne courbée tout en suggérant des liens avec le livre manuscrit slavon, mais aussi avec des Fig. 2 – Haralampi Tatchev. Projet pour la couverture du recueil poétique Rêve du bonheur de Pencho Slaveykov. ornements stylisés de la nature. L’anthologie Première décennie du XXe siècle. Musée national de la réunit des textes de poètes serbes, croates, littérature, Sofia.

Fig. 3 – Haralampi Tatchev. Dessin pour le recueil poétique Rêve du bonheur de Pencho Slaveykov. Première e décennie du XX siècle. Musée National de la littérature, Sofia. 1 5 tchèques, polonais et russes du XIXe siècle, de l’art nouveau est sa couverture pour beaucoup d’entre eux associés au romantisme l’année III – 1909 de la revue Artiste avec et au symbolisme. Le thème du poète / des ornements végétaux, un cadre décoratif chanteur solitaire est présent dans quelques et des lettres dessinées. Au centre, est poèmes.16 Tatchev le représente en tant représentée une jeune femme en profil, qui qu’Orphée – fils divin, chanteur et musicien tient une lyre. Le symbolique et l’aspect avec une destinée glorieuse et tragique. La décoratif sont en harmonie. Sur la page harpe, dont les sons enchantent la nature et les titulaire s’étend un paysage avec la silhouette dieux, est une image aimée par les symbolistes. de la basilique Sainte-Sophie. Le guirlandes La couverture réalisée par Tatchev de Sun de fleurs et de branches encadrent l’avant- za chtastie (Rêve du bonheur) de Pencho plan et créent l’effet d’une mise en scène Slaveykov, date de la première décennie du théâtrale – comme si le rideau végétal s’ouvre XXe siècle. (Figs. 2, 3) devant nos yeux pour nous faire voir la ville. Cette couverture, ainsi que le projet tout Le motif de la distance éloignée avec la entier de 22 compositions-vignettes n’ont pas suggestion de l’infini est ici d’une importance été imprimés, mais pour Haralampi Tatchev majeure. ils sont sa réalisation la plus importante dans Des réalistes, des romantiques, des le domaine du design du livre. Le projet de impressionnistes et des symbolistes – en Tachev est parmi les exemples les plus poésie et en images – se manifestent sur les manifestes du partenariat entre la poésie du pages de la revue Artiste (1905-1909). On symbolisme et le design du livre. traduit Nietzsche et Baudelaire. À part Nikola La composition de la couverture Petrov, on y voit d’autres artistes bulgares représente une figure masculine qui tourne comme Alexandre Bozhinov et Sirak Skitnik. son dos au spectateur, le regard fixé sur Ils élaborent des vignettes ornementales et l’horizon lointain. Est-ce qu’il est possible de figuratives. représenter visuellement la figure du héros Sirak Skitnik (1883-1943) dessine lyrique? La silhouette appartient, semble-t-il, quelques compositions (Figs. 4, 5) avec à Pencho Slaveykov, aujourd’hui connue à l’image de la mer et des voiliers. Dans l’une travers des photos. La composition rappelle d’entre elles, étendue verticalement, sur vaguement le tableau Auprès du lac de l’avant-plan se présente un arbre en feuilles, Boden, d’Éléna Karamyhailova, mais aussi qui détermine la position de notre regard. En la peinture Sur le banc de Nikola Petrov – le haut et en bas de la composition sont mis en motif de la distance lointaine, la passion pour collage des champs blancs contenant le texte l’infini et l’évasion. La couverture inspire l’état d’un poème. de contemplation et de concentration en Les eaux tranquilles et les voiliers, qui relation avec la nature. semblent glisser sur une surface de miroir, Pourtant, ici le paysage étendu nous s’inscrivent dans la ligne des symboles du influence aussi comme un désert (la couleur repos en dehors du temps (ici , dans le registre sablonneuse concourt aussi à cet effet), seul, serein). Les aventures dans la recherche des l’arbre en feuilles de l’avant-plan est porteur îles – celle des béats17, de l’immortalité – de vitalité et symbolise la vie. Dans ce cas, sont une partie importante de la suggestion les lettres du titre sont dessinées à la main, visuelle. avec des silhouettes asymétriques est des Dans une vignette horizontale, qui apparaît lignes courbées. plusieurs fois sur les pages de la revue, Dans quelques vignettes du Rêve du l’encadrement limite / restreint le champs bonheur des compositions proches à la visuel. La côte occupe l’avant-plan, l’arbre à couverture sont élaborées, cette fois-ci, gauche est représenté d’une façon horizontalement. fragmentaire – « découpé » du cadre. Plus Une réussite importante de Nikola Petrov que la moitié du panorama est remplie par 1 6 (1881-1916) sur le terrain du symbolisme et l’étendue aquatique. Fig. 4 – Sirak Skitnik. Dessin dans la revue artistique et littéraire Artiste. 1905-1906, nos 15-16.

Les voiliers et la mer, l’étendue maritime représente un arbre courbé aux feuilles qui sont liés à la passion pour l’évasion, tombent sous le souffle du vent d’automne. accompagnée d’épreuves, d’incertitude et de (Fig. 6) L’image fait directement référence découvertes. C’est aussi la métaphore de au titre.18 La police des lettres est dessinée – l’être comme une aventure sans fin et comme les lettres semblent elles aussi courbées par une découverte de soi. le vent. L’image des feuilles en chute, cinglées * est le vecteur d’un sentiment mélancolique La revue hebdomadaire artistique et automnal, symbolisant la mort inéluctable. littéraire Listopad (Chute des feuilles) (1912- Dans son ouvrage La poésie du symbolisme 1914) présente des solutions artistiques très des Slaves du sud, Albena Ivanova considère réussies dans le style de l’art nouveau et du les « feuilles » comme une expression symbolisme. L’en-tête de la revue est dans métonymique de « l’arbre de la vie », et les deux variantes différentes. La première, par feuilles tombantes – comme le symbole de Konstantin Shturkelov (1889-1961), est rupture, de l’éphémère, du périssable, de utilisée seulement pour quelques numéros et l’éparpillement des souvenirs (p. 232-236).

Fig. 5 – Sirak Skitnik. Dessin dans la revue artistique et littéraire Artiste. 1909, no 10. 1 7 Fig. 6 – Konstantin Shturkelov. En-tête de la revue artistique et littéraire Chute des feuilles. 1913, no 3.

Les vents représentent le mouvement, le d’elle en arc. Le motif avec la silhouette bouleversement, la force naturelle, qui dans féminine allongée et évanouie est préféré par cette image défeuille et dénude les branches. l’artiste dans les dessins, mais aussi dans ses La seconde variante de l’en-tête de la tableaux. Il est facilement reconnaissable par revue est faite par Alexandre Bozhinov et sa symbolique et par son style. La solution représente deux arbustes qui flanquent la graphique de Goshka Datsov est comparable partie aux lettres. L’un est courbé et aux meilleurs exemples de l’art nouveau et s’évanouit, l’autre est aux feuilles tombantes, du symbolisme d’ailleurs. Elle est en harmonie mais reste dressé et vital, tout en débordant le avec le poème de Ivan Arnaudov, encadré par cadre du dessin. La représentation symbolique le dessin, où le sentiment mélancolique de de la vie et de son cycle par des motifs de la l’automne et le motif de l’amour qui disparaît nature est liée aux images du symbolisme et à confluent. la stylistique de l’art nouveau. Un dessin, qu’on voit aussi souvent sur les Goshka Datsov (1885-1917) produit des pages de la revue, s’associe à l’assimilation vignettes et des compositions qui encadrent du corps féminin avec des formes terrestres, des poèmes dans Listopad.19 son harmonisation avec la nature, son Le saule pleureur aux branches inclinées, arrimage avec la distance et l’horizon qu’on symbole du répit éternel, apparaît sur les pages a observé dans la composition citée. de la revue, souvent en rapport avec un texte L’autre composition est une vignette de (par exemple avec le poème La tombe du paysage avec un coucher du soleil. Le dessin soldat de Dimitar Babev). semble couler vers le bas à travers le cadre. Deux des compositions graphiques de À l’avant-plan – une figure féminine aux Goshka Datsov se répètent le plus souvent cheveux ruisselant, qui cachent son visage, (en 1913-1914). L’une représente une figure et, de nouveau, des feuilles tombantes. Dans de femme gisante, à la silhouette allongée à ce cas encore, le graphisme est défini la façon maniériste, qui se déploie dans une stylistiquement et, par ses qualités, il est rare ligne d’horizon du paysage. (Fig. 7) Des pour notre milieu. branches douloureusement courbées aux Dans Le mal du siècle de Goshka 1 8 feuilles tombantes s’entrelacent au-dessus Datsov20 (huile sur carton, 22 × 21 cm) on est déjà dans le temps des guerres (1916). Au d’expression – sont une situation commune premier abord, nous sommes frappés par la pour la modernité visuelle des Balkans et pour gamme rouge en contraste avec le noir. Le toute autre modernité qui assimile activement rouge est dans la ligne symbolique de la vie et et sans un ordre strict. La variété même de la de la mort21 et s’associe au sang, au feu. Deux peinture – une mosaïque singulière profils d’un visage féminin s’entreposent, se d’expériences artistiques diverses – entend la transforment l’un dans l’autre, suggèrent un mise en évidence des éléments de la modernité mouvement dans la douleur – repentie, mais visuelle « qui s’échappent » à travers la inconsolable. Les larmes noires qui tombent, concomitance des différentes suggestions. les mèches de cheveux courbées dans une Les premières revues sont pour la plupart métaphore visuelle représentent aussi une écclectiques et marquées par le manque d’une nature en chagrin – la pluie noire, des vision artistique conséquente. L’utilisation des branches de saule pliées. désignations stylistiques et des notions, ayant * des significations définies ailleurs, mène au Les peintures examinées rassemblent des décalage dans l’interprétation des œuvres. Le conventions et des pratiques culturelles langage de la critique et des quelques diverses en ce qui concerne la représentation tentatives d’un récit historique de l’époque / l’expression. Elles ne supportent pas une s’avère inefficace dans son imprécision, interprétation conséquente, complexe et pourtant adéquate aux « infiltrations » étendue. stylistiques dans les œuvres. Il semble que Les particularités de la peinture – les les textes les plus réussis, valables aujourd’hui diverses conventions visuelles, les modèles aussi, sont les descriptions faites par le regard hybrides de désignation et de manières proche.

Fig. 7 – Goshka Datsov. Composition sur la page de titre de la revue artistique et littéraire Chute des feuilles, 1914, no 30. 1 9 Notes 1 Tseno Todorov, Le jardin du Luxembourg, 13 Cf. M. Kirov, Nasoki v razvitieto na 1904. bulgarskata ilyustratziya prez 1878-1920, 2 En 1903-1904 Todorov fait ses études à Paris. [Tendances du développement de l’illustration en 3 Jacques Leenhardt in Manifeste pour Bulgarie 1878-1920], Iz istoriyata na bulgarskoto l’environnement au XXIe siècle, Paris, 1996, p. 43. izobrazitelno izkustvo. Vol. 2, Sofia 1983. 4 Nommé d’après le Prince Boris Ier de Turnovo 14 Ibidem, p. 62-64. (852-889). 15 La Société Art moderne est fondée en 1903. 5 Le paysagiste du parc est l’architecte suisse 16 Par exemple chez le poète croate Petar Daniel Neff, le même qui a fait le projet pour le Preradovic et chez Alexandre Puchkine. jardin Cismigiu à Bucarest. Yulia Radoslavova, Les 17 Il y a un recueil de poèmes très célèbre du jardins de Sofia, in Sofia: 120 ans capitale de la poète bulgare Pentcho Slaveykov avec le titre À Bulgarie, Sofia 2000, p. 508-514. l’île des béats. On rencontre l’image métaphorique 6 Nikola Petrov, Sur le banc, 1914, huile sur des îles des béats chez Platon, La République. toile, 51 × 80 cm, Galerie municipale de Plovdiv. 18 Il y a un poème de Lyudmil Stoyanov avec le 7 Éléna Karamihaylova, Auprès du lac de même titre Listopad [Chute des feuilles]. Boden. 1914, huile sur toile, Galerie nationale, Sofia. 19 Les œuvres graphiques de Gochka Datzov 8 Par exemple Robert Weise (1870-1923). By the étaient l’objet de l’étude de l’étudiante Bogdalina Bodensee [Auprès du lac de Boden], 1904. Bratanova dans le cadre de notre cours Art J’exprime ma gratitude à Angel V. Angelov qui m’a graphique et art du livre en Bulgarie à la fin du fourni la reproduction de cette peinture. 19e et pendant la première moitié du 20e siècle in 9 À Munich Éléna Karamihaylova étudie à Nouvelle université bulgare. Son mémoire incluait l’Académie privée pour femmes. des exemples pour lesquels je lui exprime ma 10 Nikola Petrov, Sofia en hiver, 1907, huile sur gratitude. toile, 64 × 120 cm. Galerie municipale de Pleven. 20 Publiée in Sofia-Europe, Sofia 1999, p. 47. 11 Le Théâtre national de Sofia est inauguré au Sous la direction de R. Marinska, P. Chtilianov. mois de janvier 1907. 21 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, 12 Bojana Balteva, Nikola Petrov, Sofia 1989, Dictionnaire des symboles, Paris 1991, [En bulgare p. 45. – 2000].

2 0 En essayant de donner un aperçu de l’art roumain du début du XXe siècle, le critique Olimp Grigore Ioan écrivait en 1915 : « Dans ENTRE L’HÉRITAGE RODINIEN ET LA la sculpture, on retrouve les mêmes SÉCESSION MUNICHOISE : empreintes profondes de l’influence étrangère, bien que cet art soit pour de nombreux motifs TENDANCES SYMBOLISTES DANS LA moins accessible à une répartition par SCULPTURE ROUMAINEAU DÉBUT catégories de nationalités. Néanmoins deux e de nos sculpteurs les plus réputés, Frederic DU XX SIÈCLE Storck et Oscar Spaethe sont des disciples directs de l’école allemande qui se distingue par une certaine sévérité dans la conception et par la rigidité dans le modelé. Quant aux autres comme Constantin Brancush [sic], Adriana Şotropa Dimitrie Paciurea, Severin etc. ils se perdent littéralement dans l’ombre du grand Rodin qui plus facilement dans toute demeure et de ne exerce sur eux un pouvoir de véritable plus être alignée le long des froids couloirs ou fascination. »1 Ce constat tend à accréditer dans les salons officiels des palais ; en un mot, l’idée selon laquelle la jeune sculpture elle s’est modernisée en renouvelant les roumaine de la première moitié du XXe siècle, techniques et les genres anciens […]. »3 partagée entre deux influences, allait De formation munichoise, ces deux artistes difficilement trouver une voie d’expression comptent parmi les douze fondateurs de la originale, à l’exception de Brâncuşi. société La Jeunesse artistique et leur carrière – surtout celle de début – est Frederic Storck (1875-1944) et Oscar inséparable du destin de cette société qui Spaethe (1872-1942), les deux sculpteurs cités encourageait les tendances novatrices dans en premier lieu par Olimp Grigore Ioan, ont l’art. Citons à ce propos Constantin Prodan connu un très grand succès jusqu’à l’entrée qui, avec un recul de plus de trois décennies, de la Roumanie dans la Première guerre affirmait que Storck et Spaethe étaient « les mondiale. Si l’importance de Frederic Storck deux véritables représentants de l’esprit de est aujourd’hui reconnue, Oscar Spaethe – la Jeunesse, car tous les deux ont étudié à que Nicolae Pătraşcu appelait « […] le Munich, d’où ils ont rapporté les idées modeleur fin et imaginatif, le sécessionniste symbolistes qui les influençaient. »4 L’intérêt par excellence, avec une note presque pour le symbolisme était fortement soutenu maladive dans ses inventions »2 – reste un par la patronne de cette société, la jeune artiste méconnu. En 1903, l’historien de l’art princesse Marie, « imprégnée par le courant Alexandru Tzigara-Samurcaş voyait en eux byzantino-symboliste qu’elle encourageait les deux rénovateurs de la sculpture roumaine : dans leurs productions. Pour elle, qui « On leur doit la rénovation de la sculpture ; s’entourait de leurs œuvres, ils ont tous c’est grâce à eux que l’on pourra se travaillé. […] pour elle, Spaethe réalisa une débarrasser à jamais des mêmes bustes, qui Sainte byzantine, une Florentine ou ce seuls ornaient les expositions antérieures par lampadaire Fiat lux – une femme tenant une leur uniformité mélancolique. La nouvelle croix entre ses mains qui s’éclairait ; et Storck sculpture, se pliant aux nouvelles demandes cette Eve, Tentation ou Salomé. »5 de l’art moderne, s’est vue réduire ses Constantin Prodan associe dans la même proportions, justement pour pouvoir rentrer dynamique le symbolisme et le byzantinisme,

REV. ROUM. HIST. ART., Série BEAUX-ARTS, TOME XLIV, P. 21–28, BUCAREST, 2007 2 1 autre manifestation d’un goût pour le Moyen funéraire Gheorghieff (Bucarest, cimetière Âge que le XIXe siècle a longtemps cultivé. Il Bellu) et plusieurs bas-reliefs. Dans le même est indéniable que l’on voit apparaître un néo- esprit, Dimitrie Paciurea réalisa en 1911 La byzantinisme dans la sculpture roumaine au Dormition de la Vierge, destinée à orner la début du XXe siècle, quoique éphémère. chapelle funéraire de la famille Stolojan Spaethe exécuta dans cette veine Fiat lux (Bucarest, cimetière Bellu). Gardant une en 1903 et Sainte byzantine en 1904 certaine référence au modèle byzantin – (Fig. 1). À la même époque, entre 1902 et élongation et stylisation des formes, 1907, Storck réalisa également quelques amaigrissement du visage –, mais ayant une œuvres byzantinisantes : les quatre dimension beaucoup plus moderne que les évangélistes appartenant à l’ensemble œuvres citées, Constantin Brâncuşi réalise en 1907 La Prière. Parallèlement au néo-byzantinisme, l’influence de la Renaissance italienne, particulièrement sensible à la fin du XIXe siècle et manifeste tant dans l’œuvre de Spaethe que de Storck, est entièrement redevable à leur formation munichoise. Ainsi, les déclarations de Storck témoignent-elles de cet intérêt : « La sculpture allemande, notamment celle munichoise de l’époque […], fut surtout influencée par l’esprit de la sculpture italienne de la Renaissance et nous tous cherchions à percer les secrets des formes dans le genre de Donatello, de Verrocchio et autres. La Renaissance italienne a été notre idéal […]. Rentré dans le pays, je suis resté longtemps sous l’influence de l’atmosphère de Munich. »6 Le portrait de Florica Condrus (Fig. 2), exécuté par Storck en 1902, confirme dans une certaine mesure cette influence. Coupé aux épaules et disposé frontalement comme les portraits féminins du Quattrocento, ce portrait gagne une touche de modernité dans le souci minutieux du détail décoratif. Ainsi, pouvons-nous identifier dans l’applique du décolleté un lys emboîté dans une forme aux contours fluides typiquement Art Nouveau et sur le bord de la partie supérieure de sa blouse des motifs végétaux. Florentine (Fig. 3) fut exécutée par Spaethe entre 1901 et 1902. Ce buste est emblématique dans la carrière de portraitiste de Spaethe car il y reviendra maintes fois de manière plus ou moins stylisée. Également coupé aux épaules, mais avec un changement Fig. 1 – Oscar Spaethe, Sainte byzantine, 1904, notable dans l’orientation de la tête, le portrait 2 2 marbre, Musée National Peleş. est animé par la disposition asymétrique de la Fig. 2 – Frederic Storck, Portrait de Florica Condrus, 1902, marbre, Musée Storck. chevelure. Son traitement fluide ainsi que les mystère : « Je fus très impressionné devant fleurs de lys ornant le socle viennent compléter les œuvres de Rodin […]. J’ai été longtemps l’expression mélancolique du visage et fasciné par l’œuvre pleine de vie et soulignent la modernité de ce portrait. profondément humaine de ce grand sculpteur et je le considère à présent comme un exemple Simultanément, une tendance plus unique de la phase moderne de la sculpture. puissante que l’esprit de la Sécession se […] Il fut un sensuel dans sa sculpture, un manifeste dans l’œuvre de la jeune génération sensuel dans l’expression de la forme, dans de sculpteurs. Il s’agit de l’influence la conception plastique et un artiste d’Auguste Rodin, sensible dans les créations absolument personnel. »7 de la plupart des artistes roumains ayant Si Storck et Spaethe incarnaient plutôt travaillé au début du XXe siècle. Citons par l’école allemande, Brâncuşi et Paciurea exemple Dimitrie Paciurea (1873-1932), étaient les représentants « de l’esprit français Constantin Brâncuşi (1876-1957), issu du grand Rodin. »8 En dépit de toutes les (1887-1983), Alexandru Severin (1881-1956), différences formelles et conceptuelles, les Horia Boambă (1887-1923), Filip Marin œuvres de début de ces deux sculpteurs (1864-1928) et Anghel Chiciu (1883-1963). Il semblent se répondre et se compléter serait injuste de passer sous silence l’influence harmonieusement : aux têtes d’enfants rodinienne sur Frederic Storck, manifeste dans sérieuses de Brâncuşi de 1906-1907, Paciurea Le portrait de Cecilia Cuţescu-Storck, Le répond avec une tête d’enfant souriant, Géant ou Le Baiser. Storck n’en faisait pas caressée par la main de sa mère et avec une 2 3 sensibilité artistique plus proche de celle de Rodin. Tudor Vianu allait jusqu’à affirmer que « le croisement de ses pas avec ceux de Rodin était l’effet d’une affinité élective. Le même courant pathétique de sensibilité anime les deux artistes. Si Paciurea avait aimé partager ses théories artistiques, tel Rodin qui s’était confié à Rilke et à Gsell, nous aurions eu une intéressante esthétique du tragique immanent. Mais Paciurea était un taciturne. »12 De l’influence de Rodin sur Paciurea13, l’historien de l’art Ionel Jianu a également souligné certains aspects dont nous retenons « la facture impressionniste de son modelage » et « la portée historique de son œuvre. »14 Mais Ioana Vlasiu a plus longuement étudié cet aspect dans son article, Paciurea, le monument d’Eminescu et Rodin15, raison pour laquelle nous ne nous n’aborderons pas l’étude de ce monument important dans la création de filiation rodinienne de Paciurea. L’artiste restera longtemps tributaire de cette influence. Il faut attendre l’apparition des Chimères, dans les années 1920, pour voir apparaître une thématique et un style plus personnels, qui feront son originalité. Horia Boambă est un des sculpteurs roumains qui subit intensément l’influence de Rodin, vraisemblablement par l’intermédiaire Fig. 3 – Oscar Spaethe, Florentine [1901-1902], marbre, de son professeur, Dimitrie Paciurea.16 Musée National Peleş. Malgré sa courte vie, Boambă est un créateur original dont les œuvres ont incité beaucoup de critiques à faire ses éloges. Ştefan I. Maternité d’une extraordinaire douceur Neniţescu le présentait comme « l’idéaliste » (1907). Il est certain que cette période de de la « Jeunesse artistique »17 et Nichifor début où l’on note l’influence de Rodin et de Crainic comme un « sorcier de la matière » : Medardo Rosso, surtout chez Paciurea, fut « La manière rodinienne, nouvelle et hardie, beaucoup plus brève chez Brâncuşi. Mais de présenter seulement les parties essentielles rappelons-nous qu’en 1908 George Murnu du sujet, le reste étant assujetti à un bloc parlait encore de ce dernier comme un informe, laisse au spectateur la possibilité de disciple de Rodin : « Son langage plastique est le compléter avec sa propre fantaisie. […] directement emprunté chez Rodin : traitement Horia Boambã possède toujours cette force pittoresque et pathétique des figures, suggestive, capable de fondre en bronze une spontanéité et intensité de vie comme chez émotion et de ressusciter en marbre une l’artiste français. »9 Theodor Enescu a étudié idée. »18 Transmission de l’Idée, importance l’influence de Rodin chez Brâncuşi au travers de la suggestion, rôle actif dévolu au de l’analyse du concept de fragment.10 spectateur : autant d’éléments que l’on peut Premier sculpteur roumain à avoir adopté rattacher à l’esthétique symboliste. Le Baiser 2 4 le langage rodinien 11, Paciurea a une (Fig. 4) est une des œuvres qui prouvent sa maîtrise. De dimensions réduites, cette variantes durant sa carrière. La première sculpture n’est pourtant pas moins remonte vraisemblablement à 1908, date à impressionnante. Surgissant d’un bloc de laquelle elle fut exposée à Paris, au Salon des marbre grossièrement taillé, le couple enlacé Artistes français. Cultivant le mystère, Severin fusionne dans un baiser avec une force représente cette tête de femme – dans presque minérale. La délicatesse, le modelage laquelle on s’est plu à reconnaître la reine parfait de certaines parties anatomiques sont Marie, elle-même possesseur d’un exemplaire complétés et accentués par la matière brute en marbre de cette œuvre –,20 les yeux clos, qui encastre les deux amants dans l’instant dans une pose d’envol ou d’extase. Dans le d’un baiser éternel. même esprit, Severin a réalisé une autre Dans le sillage de Rodin, Alexandru œuvre intitulée Vers l’inconnu (Fig. 5), non Severin réalisa toute une série de têtes datée et non localisée aujourd’hui : deux torses d’expression et de portraits modelés à la féminins semblent douloureusement vouloir manière passionnée du maître français.19 La s’arracher à la matière brute qui les gaine. plus significative est probablement Vers Severin témoigna publiquement de son l’infini, dont le sculpteur réalisa plusieurs admiration pour Rodin lors d’une conférence

Fig. 4 – Horia Boambă, Le Baiser [1914 ?], marbre, Musée d’Histoire Fig. 5 – Alexandru Severin, Vers l’inconnu [1915 ?], de l’Art de la ville de Bucarest. plâtre, localisation inconnue. 2 5 intitulée Rodin et son œuvre au Cercle des différentes de ses créations officielles. étudiants roumains de Paris en 1909.21 George Oprescu parlait « des œuvres d’un À l’époque de Briar, Sfarmă-piatră et de autre genre, plus proches de ses tendances La chute des anges (vers 1915), Ion Jalea les plus intimes : La Pensée, Le Souvenir était rodinien. Ses témoignages complètent […]. »23 En 1916, Leontin Iliescu présentait ses œuvres : « Je voyais de temps en temps les sculptures de Marin comme « des Rodin car, comme tous les sculpteurs de graduations d’états d’âme où l’on trouve la l’époque, j’étais fasciné par cet homme finesse psychologique de ce maître […]. »24 extraordinaire. Je lui ai montré quelques Un cycle de statuettes réalisées dans cette photographies d’après mes œuvres et le maître même manière passionnée (Fig. 6) est m’a complimenté, chose que je trouvai inspiré par la figure et l’œuvre du poète extraordinaire. Plus tard, j’ai réalisé qu’il , pour lequel l’artiste m’avait fait ces compliments parce que j’avais envisageait une œuvre plus ambitieuse. compris son art, ses idées. »22 L’œuvre du sculpteur Anghel Chiciu25 Parmi les sculpteurs sensibles à l’influence offre, à ses débuts, un autre témoignage de rodinienne, citons aussi Filip Marin. Bien qu’il l’influence du maître français. Ses études de soit l’auteur de nombreux bustes mains (Fig. 7), ses maternités, ses têtes académiques des célébrités du début du XXe d’enfants, l’importance accordée au siècle, Marin réalisa dans les années 1910 fragment anatomique et le modelage une série de petites sculptures très « impressionniste » en sont la preuve.

Fig. 6 – Filip Marin, Eminescu et sa muse, bronze, Musée d’Histoire 2 6 de l’Art de la ville de Bucarest. Fig. 7 – Anghel Chiciu, La lutte éternelle, plâtre, localisation inconnue.

Au début du XXe siècle, certains sculpteurs époque qui cherchait ses réponses au-delà du roumains furent attirés par une esthétique et monde palpable. On y mettait plus de une thématique que l’on peut aujourd’hui sensibilité, on chargeait les titres de rattacher aux idées, aux valeurs et au langage connotations ambiguës, en insistant sur le côté du mouvement symboliste : expression de poétique et mystérieux : Melancolia, Fiat lux l’Idée, importance accordée à la suggestion, (Oscar Spaethe), Vers l’infini, Vers refus d’achever les œuvres, goût du fragment, l’inconnu, Le destin (Alexandru Severin), utilisation particulière des formes du Moyen Repentir, Tentation, Chagrin (Frederic Age et de la Renaissance, rejet du réalisme Storck). Suivant l’exemple rodinien, la littéraire et du naturalisme. Les thèmes représentation des états d’âme devint symbolistes, imposés par la littérature, repris également un des sujets de prédilection des et retravaillés ensuite par la peinture, se sculpteurs : des âmes fatiguées, désespérées, retrouvent aussi dans la sculpture : la mort, souffrantes côtoyaient des états d’extase ou l’angoisse, la rêverie, l’ineffable. Mais de douleur suprême. Les échos symbolistes suggérer le mystère, l’angoisse ou le rêve, était dans la jeune sculpture roumaine allaient effectivement plus difficile qu’en peinture. trouver un prolongement original avec les Faire de la sculpture d’idées était un rude défi Chimères de Dimitrie Paciurea dans les 26 lancé par la sensibilité exacerbée d’une années 1920. 2 7 Notes 1 Olimp Grigore Ioan, L’influence étrangère chez 13 Ion Frunzetti aborde également l’influence de les artistes roumains in L’Indépendance roumaine. Rodin et de Rosso sur l’œuvre de Paciurea, dans sa Magazine illustré, n°12287, 25 décembre 1915, p. 18. monographie, Dimitrie Paciurea. Studiu monografic, 2 Nicolae Pătraşcu, A doua expoziţie a Tinerimii Bucarest, Meridiane, 1971. artistice in Literatura şi arta română, nos 1-2, 1903, 14 Jianou, op. cit., p. 28. pp. 29-30. 15 Ioana Vlasiu, Paciurea, le monument d’Eminescu 3 Alexandru Tzigara-Samurcaş, Expoziţia Tinerimii et Rodin in Revue roumaine d’histoire de l’art, Tome Artistice in Sămănătorul, 16 mars 1903. Repris in XXVIII, 1991, pp. 17-28. Al. Tzigara-Samurcaş, Scrieri despre arta românească, 16 Francisc Şirato, « Expoziţia sculptorului Boambă », Bucarest, 1987, pp. 129-130. in Sburătorul, n°42, 31 janvier 1920, p. 382. 4 Constantin Prodan, Sculptura, pictura şi gravura 17 Ştefan I. Neniţescu, « Prin expoziţiile noastre. românească. Prelegeri ţinute la Ateneul român in zilele Sculptura », in Ideea europeană, n°91, 23-30 avril de 7, 14, 28 martie 1936, Bucarest, Imprimeria 1922, p. 3. Independenţa, 1937, p. 16. 18 N. C., « Un pictor şi un sculptor : G. Chirovici şi 5 Ibidem. Horia Boambă » in Dacia, 15 janvier 1920, n°36, p. 3. 6 Cecilia Cuţescu-Storck, Viaţa si opera sculptorului 19 Voir Adriana Şotropa, Les débuts symbolistes du Frederic Storck, precedată de un studiu despre Karl şi sculpteur Alexandru Severin (1881-1956) et le Cénacle Carol, dactylographié, p. 161, Archive Storck, Cecilia idéaliste, in Bucureşti. Materiale arheologice şi Cuţescu-Storck III, varia 8, Cabinet des Manuscrits de muzeografice, vol. XX, 2006, pp. 302-310. l’Académie roumaine. 20 Informations recueillies dans les coupures de 7 Cecilia Cuţescu-Storck, Studiu pentru o presse collées dans Album, manuscrit, inv. 867, tome monografie Fritz Storck, manuscrit, p. 152, archive I, non pag, Cabinet des Estampes du Musée National Storck, Cabinet des Manuscrits de l’Académie d’Art de Roumanie. On y apprend également que la roumaine. reine acheta le marbre en 1915, à l’occasion de 8 Prodan, op. cit., p. 16. l’exposition du « Cénacle idéaliste ». 9 George Murnu, Expoziţia anuala a Tinerimei 21 Alexandru Severin, Rodin et son œuvre. artistice, in Luceafărul, nos 9-10, 1-15 mai 1908, p. 213. Conférence soutenue en 1909, au Cercle des Étudiants 10 Theodor Enescu, Le concept de fragment chez roumains de Paris, feuilles manuscrites, non pag., Brancusi. Une introduction dans la signification contenues dans une enveloppe collée sur l’une des spirituelle de la pensée artistique de Brancusi dans le pages de l’Album de Severin, inv. 867, vol. I. contexte de l’art du XXe siècle, in Revue roumaine 22 Ion Jalea, Evoluţia sculpturii, manuscrit, Archives d’histoire de l’art, Série Beaux-arts, 2001, tome des Artistes Plastiques, Jalea I., mss 1, Cabinet des XXXVIII, pp. 33-53. Manuscrits de l’Académie Roumaine. 11 Ionel Jianou, Brancusi, Paris, Arted, 1963, p. 28 23 George Oprescu, La Sculpture roumaine, et Tudor Vianu, Sculptura românească (étude parue Bucarest, Editions en langues étrangères, 1957, p. 68. en 1938 dans la revue Arta şi tehnica grafică, n os 4-5), 24 Leontin Iliescu, « Sculptura la Salon » in in Opere, vol. 12, Bucarest, Ed. Minerva, 1985, p. 96 : Universul literar, n°21, 22 mai 1916, p. 5. « L’œuvre de Paciurea représente le moment de la 25 Sur la vie et l’œuvre de cet artiste il existe une pénétration de l’impressionnisme dans la sculpture monographie de Paul Rezeanu, Sculptorul Anghel Chiciu roumaine. Son modelage s’arrête moins sur les volumes 1883-1963, Craiova, Muzeul de Artă, 1971. ou sur le contour général, mais surtout sur la surface, 26 Voir Adriana Şotropa, Le thème de la chimère décomposée en une multiplicité de plans, sur lesquels dans l’œuvre sculpté et dessiné de Dimitrie Paciurea la lumière joue des milliers de reflets. » (1873-1932), in Histoire de l’art, n° 57, octobre 2005, 12 Idem, pp. 96-97. pp. 105-117.

2 8 Poète d’origine belge naturalisé Français, André Fontainas (Bruxelles, 1865-Paris, 1948) (Fig. 1) est aujourd’hui principalement LESAMITIÉS ROUMAINES D’ANDRÉ connu pour deux ouvrages : Mes souvenirs FONTAINAS : CONSTANTIN GANESCO du symbolisme et De Stéphane Mallarmé à Paul Valéry. Notes d’un témoin 1894- ET CHARLES-ADOLPHE 1922.1 Il serait néanmoins réducteur de CANTACUZÈNE considérer Fontainas comme un simple témoin du symbolisme et de ses métamorphoses. Sa production intéresse autant la littérature – il a signé des romans, des essais, des traductions et des critiques –, que l’histoire de l’art – on lui doit une Histoire de la peinture française Laurent Houssais e au XIX siècle (1906) et des monographies (Paris) consacrées à Daumier, Rops ou Bourdelle.2 La position de Fontainas dans le champ dramatiques sur lesquelles il est inutile de littéraire est intimement liée au Mercure de revenir ici. C’est au lycée Condorcet que France. Son nom figure aux sommaires Fontainas se lie avec d’autres férus de pendant cinquante-six ans, de 1892 à 1948. Il littérature : Georges Michel, qui signe ses fut notamment le critique d’art attitré du poésies Ephraïm Mikhaël, Pierre Quillard, Mercure de décembre 1896 à 1902, puis le Stuart Merrill, Rodolphe Darzens, René titulaire envié de la chronique poétique, à partir du 1er juillet 1919.3 L’examen du fonds d’archives familiales d’André Fontainas (Paris, Anvers, coll. part.) montre que celui-ci fut lié à deux artistes roumains, le sculpteur et peintre Constantin Ganesco et le poète Charles-Adolphe Cantacuzène. Il ne s’agit pas, dans le cadre de cette communication, de faire toute la lumière sur ces deux artistes peu documentés, mais de commenter la relation entre ces trois hommes, à partir d’archives inédites, tout en s’interrogeant sur leur rapport au milieu ou à l’esthétique symboliste.

André Fontainas et Constantin Ganesco appartiennent à la même génération, celle qui a une vingtaine d’années au moment de l’émergence et de l’affirmation du symbolisme. Fontainas effectua une partie de sa scolarité à Paris, au lycée Fontanes, actuel lycée Condorcet, de 1877 à 1883. En dépit de Fig. 1 – Félix Vallotton, Portrait d’André Fontainas, fortes attaches avec la Belgique, les parents gravure reproduite dans Remy de Gourmont, Le d’André Fontainas durent quitter Bruxelles Second Livre des masques, Paris, Société du Mercure pour Paris à la suite de circonstances de France, 1898.

REV. ROUM. HIST. ART., Série BEAUX-ARTS, TOME XLIV, P. 29–36 BUCAREST, 2007 2 9 Guilbert, qui se fera connaître sous le nom de en 1951 dans la notice nécrologique de René Ghil. Constantin Ganesco, ce dernier était, vers 1893, Il reste à vérifier si Constantin Ganesco juge à Bucarest. Cohen décrit Ganesco comme était alors inscrit dans ce qui était l’un des un « magistrat d’une indépendance et d’une établissements les plus huppés de la capitale, originalité singulières, plus au courant de toutes mais son nom apparaît dès cette époque dans les manifestations de la vie artistique et littéraire divers documents conservés dans les archives que des modernes Pandectes ».6 La lecture de familiales d’André Fontainas. Il s’agit de ce texte montre que Ganesco partage avec quatre programmes, imprimés ou manuscrits, Fontainas un même goût pour Baudelaire et de deux sociétés théâtrales constituées Verlaine. En outre, Cohen cite parmi les d’amateurs : la Société Dramaticophile (1880, principaux amateurs de l’œuvre de Ganesco 10, rue de la Victoire) et la Société Talma la famille de Paul-Émile Janson. Cet homme (1881). Fontainas et Ganesco figurent parmi politique avait notamment milité pour la liberté les acteurs. Ganesco joue Don Saluste de de l’enseignement en Belgique, combattant de Bazan dans Ruy Blas de Victor Hugo et récite ce fait l’influence de l’Église. Or ce combat L’épave de François Coppée lors d’un avait été partagé par le grand-père et le père intermède. Cette matinée, placée sous la d’André Fontainas. Le premier avait été présidence d’Alekan aîné, fut donnée le 20 bourgmestre de Bruxelles, le second échevin juin 1880. En septembre de la même année, de l’instruction publique, les deux étant des Ganesco joue Valère dans le Médecin francs-maçons notoires. On ne s’étonne guère, malgré lui de Molière et, lors d’un intermède, dans ces conditions, de voir le jeune Fontainas récite La maison de Molière de Coppée.4 fréquenter les Janson et collaborer à des feuilles Bien des années plus tard, la sculpture de libérales, assez anticléricales. Ce point a son Ganesco empruntera volontiers ses thèmes importance car il n’est pas sans influences sur et ses personnages à l’auteur de L’Avare ou la manière dont certaines sculptures de du Malade imaginaire. Ganesco seront perçues ou commentées. Après l’obtention du baccalauréat, Nous ne nous attardons pas ici sur les Fontainas obtient une bourse pour étudier le conditions dans lesquelles Constantin Ganesco droit à l’Université Libre de Bruxelles. Il fut amené à se lancer dans la sculpture à partir demeure dans sa ville natale de l’automne de 1896 environ, vivant et travaillant à Paris 1883 à l’été 1888. Ganesco lui rend visite au puis à Bruxelles. Il expose pour la première cours de cette période, visite mentionnée dans fois au Salon de la Société Nationale des une lettre à un ami commun mais il se pourrait Beaux-Arts en 1902 mais son unique cire, tout à fait que Ganesco ait lui aussi poursuivi intitulée Gens d’Église, n’a pas retenu ses études en Belgique. Interrogée sur ce point, l’attention de Fontainas, critique d’art attitré Madame Françoise Delloye, responsable des du Mercure de France pour quelques mois archives de l’Université Libre de Bruxelles, encore. Les débuts de Ganesco sur la scène a retrouvé trace d’un Constantin Ganesco artistique parisienne coïncident avec un inscrit en 1883 et reçu docteur en droit le 16 certain désengagement de Fontainas dans le juillet 1892. La date d’inscription correspond domaine de la critique d’art. Il faut, semble-t- à celle de Fontainas et le délai plus long il, attendre la Première Guerre mondiale pour s’explique par le fait que Ganesco a suivi un que le poète et le sculpteur se retrouvent et double cursus : lettres et droit.5 que l’on voit apparaître un texte vraiment À partir de cette époque et jusqu’à la significatif. Première guerre mondiale, nous ne trouvons L’on sait avec certitude que Ganesco, plus trace de Ganesco dans les archives après le déclenchement des hostilités, a quitté d’André Fontainas. Il est possible que les deux Bruxelles pour Londres. L’Institut national hommes se soient perdus de vue. Si l’on en d’histoire de l’art, à Paris, conserve une longue 3 0 croit les souvenirs de Gustave Cohen, publiés lettre de Ganesco au critique Roger Milès, lettre probablement écrite de Londres, que leurs relations sont, durant les sept puisqu’il interroge son correspondant sur premiers mois de l’année 1917, très l’opportunité d’un retour à Paris. On en fréquentes. Invitations et visites se multiplient. connaît la date – 25 mai – mais pas l’année. Il est vrai que Fontainas travaille à un article Il doit s’agir du 25 mai 1915 ou 1916 car sur Ganesco pour la nouvelle revue lancée Ganesco dit avoir reçu une « bien bonne par Louis Vauxcelles, Le Carnet des Artistes. lettre » du poète belge Émile Verhaeren – or Annoncé dès le premier numéro en février celui-ci est mort accidentellement le 27 1917, cet article ne sera publié qu’en octobre. novembre 1916.7 Cette relation Ganesco- Le titre initialement choisi par Fontainas était Verhaeren, qui remonte peut-être aux temps « Constantin Ganesco, sculpteur » mais cet de l’Université Libre de Bruxelles, mérite intitulé, conforme au contenu, fut tronqué à la assurément d’être creusée. Toujours est-il publication et curieusement accompagné de que Ganesco finit par revenir à Paris avec sa deux œuvres, sans légendes (Figs. 2, 3), famille. auxquelles le texte ne fait pas référence…8 Fontainas lui rend visite à son domicile puis Cet article ne semble pas être justifié par une à son atelier en décembre 1916. Que la guerre exposition quelconque. Fontainas propose une et les épreuves communes aient resserré des réflexion générale sur la sculpture de Ganesco, liens distendus ou qu’il ne s’agisse que de une sculpture généralement de petit format, simples retrouvailles, force est de constater en cire ou en bronze, dont le Musée National

Fig. 2 – Constantin Ganesco? œuvre repr. sans légende Fig. 3 – Constantin Ganesco? œuvre repr. sans légende dans Le Carnet des Artistes, 1er octobre 1917. dans Le Carnet des Artistes, 1er octobre 1917. 3 1 d’Art de Roumanie présente et conserve la valeur singulière et totale. Aussi maîtrisent- quelques exemplaires. ils notre attention ; ils l’envahissent et Pour Fontainas, l’œuvre de Ganesco l’obsèdent ».11 exprime moins les passions que les douleurs Fontainas, malgré son éducation libérale, humaines. La profonde sympathie qu’elle a bien compris que les ecclésiastiques sculptés exprime, au sens étymologique du mot, doit par Ganesco ne dénonçaient que « tous les être interprétée en dehors de tout cadre travers hypocrites, corrompus et malsains confessionnel : « il évoque la figure du Christ, d’une partie de la gent cléricale ».12 Son parce qu’elle résume, à ses yeux, toute la interprétation tend à faire de la sculpture de somme des souffrances, des inquiétudes Ganesco une âpre méditation sur la nature lamentables qui désolent à travers les siècles, humaine. Il se situe, de ce point de vue, dans flagellent, déchirent et torturent l’humanité la lignée de ce que Théodore Cornel écrivait entière ».9 On peut se demander si Ganesco sur Ganesco dans le catalogue du Musée souscrivait pleinement à une interprétation qui Simu.13 Georges Opresco reconnaissait pour tend à évacuer toute dimension spirituelle, sa part en Ganesco un « dénonciateur des sachant que l’artiste compare, dans la lettre tares de la société » qui dirigea sa colère « […] précitée à Roger Milès, la sculpture et le dessin surtout […] contre le clergé et ses a une « prière », à un « remerciement » représentants ».14 Sans doute faut-il nuancer adressé humblement au « Tout-Puissant ». De ce primat en raison du manque de la même manière mais sur un autre mode, documentation actuelle sur la vie et l’œuvre Fontainas souligne qu’on ne saurait faire de du sculpteur. Il est bien évident que la critique Ganesco un sculpteur littéraire au prétexte que de l’hypocrisie est d’autant plus forte lorsqu’il les titres de ces sculptures renvoient au Don s’agit d’un prêtre mais ces quelques lignes Quichotte de Cervantès, à Faust ou à Molière pourraient laisser penser que Ganesco fut un car ces figures « recèlent une vérité de tous sculpteur anticlérical. Or ce dernier n’a-t-il les temps, et ne sont pas spécialisés à une pas accepté, en 1911, de participer à époque déterminée ».10 Et lorsque prime l’Exposition Internationale de « L’art chrétien l’expression des mauvaises passions moderne »?15 Il est possible, en revanche, que humaines, Fontainas s’efforce de montrer en certaines de ses œuvres aient pu bénéficier quoi les sculptures de Ganesco dépassent la d’une lecture anticléricale tant dans le dimension satirique et les déformations contexte belge – marqué par la lutte contre facilement outrancières qu’on associe l’emprise du clergé dans l’enseignement – que volontiers à la caricature : « Certains de ses français – avec la séparation de l’Église et de ouvrages présentent, cependant, une l’État. apparence presque caricaturale. Mais qu’on Si Fontainas valorise la sculpture de se souvienne de l’outrance d’un Daumier, ou Ganesco en utilisant la notion de symbole, il le d’un Goya, ou, mieux encore, des plus fait en dehors de toute référence au sensibles imagiers du Moyen-Age, et l’on symbolisme – compris dans le sens d’un comprendra le sculpteur qui creuse si mouvement déterminé historiquement et profondément les aspects de ses corps, les esthétiquement. Ce point mérite d’être traits de ses visages, qui force si bien ses types souligné dans la mesure où certaines œuvres à révéler la vilaine, l’égoïste cruauté, la contemporaines de Ganesco peuvent être méchanceté sournoise ou hautaine des rattachées à l’esthétique symboliste (Fig. 4). appétits dont leurs âmes sont dévorées. Ils Il s’agit d’une petite peinture sur bois signée ne se dressent plus dans la réalité relative de et dédicacée en bas à droite : « à Madame leur expression particulière ; ils synthétisent Marguerite Fontainas / Ganesco ». Elle est avec la majesté d’un symbole tous les vices actuellement conservée à Paris, dans la et les hontes dont ils renferment et amplifient collection Fontainas. Le pur profil se détachant 3 2 sur un fond abstrait évoque, dans son principe, certaines figures d’Odilon Redon. L’absence de modelé et l’extrême pâleur des tons de chair tendent à désincarner cette jeune femme. L’expression, énigmatique, reste résolument introspective – aspect récurrent dans les œuvres d’orientation symboliste. On sait que Ganesco a réalisé un dessin d’après Marguerite Fontainas en janvier 1917.16 Ce dessin non localisé a peut-être servi de base à la réalisation de cette œuvre dont la fine couche de peinture, très mate, laisse saillir les veines parallèles du bois. Il est possible que Ganesco ait utilisé une technique à base de cire. Peut-être s’agit-il de la « Marguerite- Béatrice » signée par Ganesco que Fontainas évoque dans ses carnets la même année.17 Dante toujours… Il ne reste malheureusement qu’une œuvre de Ganesco dans les collections d’André Fontainas – alors qu’une sculpture en cire est documentée, ainsi qu’au moins six Fig. 5 – Constantin Ganesco, L’Ecclésiaste, Musée National d’Art, Bucarest. dessins. Les relations amicales de Fontainas et de Ganesco auraient pu déboucher sur d’autres projets : n’ont-ils pas donné lecture, en janvier 1917, des « Contes de Marguerite » « (en vue d’illustrations éventuelles par Ganesco) » ? 18 Mais, pour des raisons obscures, le sculpteur se brouilla avec le poète en janvier 1918 et nous n’avons pas retrouvé d’autres documents sur lui dans les archives de Fontainas, après cette date19 (Fig. 5).

Né à Bucarest, Charles-Adolphe Cantacuzène (1874-1949 ; Fig. 6) est issu d’une famille princière descendant de l’empereur byzantin Jean VI Cantacuzène.20 Il a publié en France dans sa jeunesse, chez Perrin, deux recueils de vers : Les Sourires glacés (1896) et Les Douleurs cadettes (1897). L’un des deux recueils a été envoyé à Stéphane Mallarmé puisque ce dernier adresse à Cantacuzène, en juin 1897, une lettre de remerciement dont nous ne connaissons qu’un très court extrait.21 Il s’agit vraisemblablement des Douleurs cadettes, 22 dont Mallarmé possédait un exemplaire. Fig. 6 – Charles Adolphe Cantacuzène, s.d., Lloyd James Austin a scrupuleusement relevé photographie, Paris, archives Fontainas. 3 3 dans ce dernier recueil les hommages directs Adam… voire même Roland Barthes à qui adressés à celui qui avait été élu, après la mort Fontainas avait donné les coordonnées de de Verlaine en 1896, « Prince des poètes ». Cantacuzène en Roumanie. Mais cet échange Cantacuzène écrit notamment : « On peut dire épistolaire témoigne surtout d’une vénération qu’aujourd’hui toute femme est un profonde et durable à l’égard de Mallarmé, Mallarmé : prononcez un arcane ». Mais le du lien filial qui unit le maître à ses disciples : poète roumain n’a pas toujours emprunté au « Le père s’est montré dans un rayon de vocabulaire des alchimistes. On le constate lune » écrit Cantacuzène en 1937, dans un en consultant l’exemplaire dédicacé et enrichi sonnet évoquant la fondation de l’Académie de poèmes manuscrits de son troisième Mallarmé.25 Dans l’une des dernières lettres, recueil : Les Chimères en danger (Paris, il évoque Mallarmé dont « tant de lignes Perrin, 1898). Le jeune poète de vingt-quatre métaphysiques et orfévrées » lui « faisaient ans s’y décrit comme « un obscur ami » de la comme un geste de mansuétude pensée mallarméenne et n’hésite pas à désespéré ».26 Il ne m’appartient pas, dans le dédicacer ainsi son volume : « Un homme au cadre de ce colloque, de mesurer les rêve habitué / à un autre homme au rêve prolongements de cette admiration dans la habitué ; à Stéphane / Mallarmé ».23 Comme poésie ou la prose de Cantacuzène. à son habitude, Mallarmé répond avec On comprend que Cantacuzène ait eu à amabilité mais sans se montrer dupe des cœur d’appartenir à l’académie Mallarmé, de enthousiasmes juvéniles de son correspondant. rejoindre, selon ses termes, « l’auguste et Cantacuzène, qui a manifestement fréquenté exquise assemblée des vieux Mallarmistes les Mardis de la rue de Rome en 1897, n’a mallarmisants ».27 Il aurait souhaité qu’il n’y sans doute jamais eu l’occasion de revoir son eut « que des vieux, en qui comme en moi, il y « Très cher Maître ». Son retour de Bucarest a encore, il y ait encore une émanation, un est annoncé pour décembre 1898, alors que attouchement de Mallarmé, un contact pour Mallarmé s’éteint le 9 septembre.24 de bon, quoi ! ».28 Fontainas, qui fut un des onze Il faut attendre l’entre-deux-guerres pour membres fondateurs de cette Académie et qui que les relations entre Charles-Adolphe a écrit sur Cantacuzène des lignes flatteuses, Cantacuzène et André Fontainas, plus familier a appuyé la candidature de ce dernier.29 Mais des Mardis de la rue de Rome que le poète celle-ci échoua : « Je n’avais osé cette folle roumain, soient documentées. Nous avons en candidature que parce que j’y avais trouvé effet retrouvé quarante-huit lettres et cartes l’idée originale de me porter à une académie postales de Cantacuzène à Fontainas dans les que le noble maître n’avait point rêvée (il en archives familiales de ce dernier, alors que était si loin) mais qui cependant pouvait rendre l’Académie roumaine ne possède que trois service à sa noble mémoire, à son noble missives de Fontainas à Cantacuzène. En souvenir… lui dédaigneux, de son vivant, de l’état actuel des recherches, il semble bien toute distinction éclatante ou officielle… Et que cette correspondance soit restée inédite. puis j’eusse avec agrément figuré parmi les Elle s’échelonne de 1921 à 1947 – seule une vieux qui l’avaient connu, moi-même obscur, carte n’est pas datée avec précision. La mais distingué par lui mais il en fut autrement, relation entre les deux hommes devient et le cadre des vieux fut outrepassé ».30 manifestement plus amicale dans les années L’enjeu était d’autant plus important pour 1930. Cette correspondance, complexe à Cantacuzène que la fondation de l’Académie étudier car tissée de multiples allusions, est Mallarmé suivait de peu le Cinquantenaire intéressante pour l’étude des milieux et des du Symbolisme, exposition qui se tint à Paris, réseaux. Cantacuzène évoque avec une à la Bibliothèque Nationale, en 1936. Garant particulière dilection divers membres du de la mémoire des poetae minores du Mercure mais aussi Pierre Quillard, André Symbolisme, elle marque un jalon dans la 3 4 Royère, Paul Valéry, Félix Fénéon, Paul reconnaissance de cette catégorie esthétique. 1 André Fontainas, Mes souvenirs du symbolisme, 15 Cette exposition était organisée par la Société de Notes préface et notes d’Anna Soncini Fratta, Bruxelles, Saint-Jean, fondée « pour l’encouragement de l’art Labor, 1991 (édit. orig. 1928) ; De Stéphane Mallarmé chrétien ». Elle comprenait dans son conseil à Paul Valéry. Notes d’un témoin 1894-1922, Paris, d’administration Henry Cochin, président, et Maurice Edmond Bernard, Éditions du Trèfle, 1928. On trouve Denis, vice président. Ganesco ne figure point parmi dans ce dernier ouvrage des notes prises au sortir des les membres titulaires de cette société, qui comprenait célèbres Mardis de Mallarmé. quatorze sculpteurs. 2 Laurent Houssais, André Fontainas (1865-1948) 16 « retour chez Ganesco (qui, durant mon absence critique et historien de l’art , thèse d’histoire de l’art a fait dessin d’après Marguerite) il montre son menée sous la direction de M. Jean-Paul Bouillon, procédé » (carnet de faits quotidiens d’André Professeur à l’Université Blaise Pascal, Clermont II Fontainas, 12 janvier 1917, Paris, archives Fontainas, (soutenue en 2003). non-pag.). Ce dessin n’est pas localisé. 17 3 Voir Paul Dirkx et Anne-Romaine Fontainas, Un Notes et scholies d’André Fontainas, Paris, regard éclectique sur la poésie de langue française. archives Fontainas, 20 février au 4 mars 1917, pp. 50- 66, cit. p. 56. André Fontainas, chroniqueur poétique du Mercure 18 de France (1919-1949), in Le livre et l’estampe, Carnet de faits quotidiens d’André Fontainas, XXXXIV, n°149, 1998, pp. 69-184. Paris, archives Fontainas, 14 janvier 1917, non-pag. 19 « Autre chose. Ganesco, par son silence d’abord, 4 On retrouve Ganesco dans le rôle d’Anténor pour par lettre ensuite qui répond à la mienne, se prétend Le coup de rasoir de Labiche et celui de l’intendant offensé par moi. Où, quand, comment, pourquoi ? dans La Ciguë (Société Dramaticophile, 20 février Quelle mouche l’a piqué ? Il a l’air de me reprocher sa 1881). Lors de la représentation donnée le 14 mai 1881 maladie de cœur !... » (Notes et scholies d’André par la Société Talma, Ganesco joue de nouveau dans Fontainas, Paris, archives Fontainas, 19 janvier 1918). Ruy Blas et dans La Grammaire de Labiche. Des Aucune correspondance de Constantin Ganesco n’a acteurs du Conservatoire ont prêté leur concours à été retrouvée dans les archives familiales du poète. cette représentation. 20 Voir Jean-Michel Cantacuzène, Mille ans dans 5 Les registres d’inscription ne mentionnent pas la les Balkans : chronique des Cantacuzène dans la date de naissance, seulement le lieu : « né à Kraiova ». tourmente des siècles, Paris, Christian, 1992 ; Henri- Or le lieu de naissance que l’on trouve dans les Louis Duby, Le Prince Poète au jardin des Lettres catalogues des expositions auxquelles Ganesco participe françaises, Charles-Adolphe Cantacuzène et son œuvre, est Bucarest. Nous remercions chaleureusement Lille, 1929. Ces références nous ont été communiquées Adrienne Fontainas pour son concours dans cette par Madame Dana Crişan, que nous tenons à remercier. recherche. 21 Lettre de Stéphane Mallarmé à Charles-Adolphe 6 Gustave Cohen, Constantin Ganesco (1864- Cantacuzène, [Valvins], [juin 1897] (Stéphane 1951), in Arts, n°308, 27 avril 1951, p. 1. Mallarmé, Correspondance, recueillie, classée et 7 Lettre de Constantin Ganesco à Léon Roger annotée par Henri Mondor et Lloyd James Austin, Milès, s.l., 25 mai [1915 ou 1916], Paris, Bibliothèque Paris, Gallimard, 1983, IX, lettre MMCDLXIII, de l’INHA, Aut. 772, G. 131. Sept autres lettres sont p. 219) ; ce fragment de correspondance a été publié conservées dans le fonds d’archives du critique comme « opinion » dans Catulle Mendès, Le (Inventaire sommaire de la correspondance du critique mouvement poétique français de 1867 à 1900, Paris, d’art Léon Roger-Milès (1859-1928), Paris, INHA, p. Fasquelle, 1903, p. 48 du Dictionnaire biographique. 22 33, aut. 772, G. 131-138). Nous tenons à remercier L’ouvrage est non dédicacé (ibid., IX, p. 219, note 2). Madame Dominique Morelon, Chef du service du 23 patrimoine, bibliothèque de l’INHA. Stéphane Mallarmé, Correspondance, recueillie, 8 André Fontainas, Constantin Ganesco, in Le classée et annotée par Henri Mondor et Lloyd James Austin, Paris, Gallimard, 1984, X, note 3, p. 233. Carnet des Artistes, n°17, 1er octobre 1917, p. 12-14 ; 24 Lettre de Charles-Adolphe Cantacuzène à Constantin Ganesco, sculpteur, manuscrit de cinq Stéphane Mallarmé, Bucarest, 5 juillet 1898, ibid., X, pages, Paris, archives Fontainas. Ce document, qui note 1, p. 234. La lettre est accompagnée d’un long poème porte la trace de rares corrections, est largement en prose, prenant comme point de départ la fêlure du conforme au texte publié. Fontainas et Vauxcelles, verre d’une montre Breguet (ibid., appendice V, p. 270). rédacteur en chef de cette nouvelle revue, doivent 25 Paris, archives Fontainas. rencontrer Ganesco le 23 mars 1917. 26 Billet de Charles Adolphe Cantacuzène à André 9 Ibid., pp. 12-13. Fontainas, 1947, Paris, archives Fontainas. 10 Ibid., p. 12. 27 Billet de Charles Adolphe Cantacuzène à André 11 Ibid., p. 13. Fontainas, 1937, Paris, archives Fontainas. 12 Ibid., p. 14. 28 Billet de Charles-Adolphe Cantacuzène à André 13 Catalog. Muzeul A. Simu, introducere de Th. Fontainas, 1937, Paris, archives Fontainas. Cornel, Bucureşti, Tipografia cooperativă « poporul », 29 Pour le relevé des critiques de Fontainas sur 1910. Cantacuzène, voir Dirkx et Fontainas, op. cit. à la note 14 Georges Opresco, La sculpture roumaine, 3, p. 132. Bucarest, Éditions en langues étrangères, 1957, pp. 30 Billet de Charles Adolphe Cantacuzène à André 74-75. Fontainas, 1937, Paris, archives Fontainas. 3 5 3 6 Dans notre étude concernant les aspects symbolistes dans l’œuvre de quelques artistes de Transylvanie nous éclairons maintenant ASPECTS SYMBOLISTES DANS seulement trois artistes: , L’ŒUVRE DE QUELQUES ARTISTES Emerich Tamás et Árpád Vida. À ceux-ci on peut ajouter d’autres noms comme par DE TRANSYLVANIE exemple: Hans Bulhardt (1858-1937) ou István Balogh (1890-1956). Pour situer ces artistes dans une typologie du symbolisme européen1 nous avons fait appel à un remarquable article publié en 1976 dans « Ars Hungarica » par le regretté historien d’art hongrois Lajos Németh,2 qui discute les diverses catégories de la peinture Gheorghe Vida symboliste. Partant du livre célèbre de Hans Bien sûr nous simplifions beaucoup cette Hofstätter3, Németh identifie cinq types de discussion pour des raisons méthodologiques. symbolisme: le premier, le type allégorique- Passons ensuite aux cas concrets. métaphorique, ayant comme modèle les préraphaélites et Max Klinger; le deuxième, Pendant toute sa courte existence, celui illustratif-littéraire, avec des motifs Octavian Smigelschi (1866-1912)5, s’est empruntés à la littérature, le Bible ou la consacré avec vigueur en vue d’instituer un mythologie; le troisième, pan-symbolique et nouveau style national, en concordance avec panthéiste ayant comme ascendant le les percepts symbolistes et aussi avec le romantisme allemand; le quatrième, le type façonnage d’un nouveau ambiant afin de motivé par la psychanalyse qui promue le rêve, réaliser une œuvre d’art total la fantaisie et la subjectivité; enfin le (Gesamtkunstwerk). cinquième a un caractère sensuel-expressif, Il serait intéressant de signaler, en ce qui ayant comme modèle l’œuvre de Van Gogh. concerne les futures sujets préférés par Selon ces modèles, nous allons démontrer Smigelschi, que l’un de ses maîtres, Carl ensuite que l’œuvres des artistes mentionnés Dörschlag (1832-1917) est l’auteur d’un grand plus haut se rallient surtout au premier type, nombre d’études d’adolescents, appréciés en allégorique-métaphorique par des formes et termes élogieux dans une lettre du grand proportions spécifiques. Octavian Smigelschi sculpteur classiciste Adolf Hildebrandt, lié est l’artiste le plus lié à ce type. Emerich avec l’esthéticien Konrad Fiedler et le peintre Tamás, qui présente aussi des similitudes avec Hans von Marées (le dernier unanimement ce type peut être inscrit plutôt dans la considéré comme précurseur du symbolisme typologie du panthéisme et du pan-symbolisme et promoteur de la « pure visualité »: « Le nu ayant comme modèle Caspar David Friedrich, du jeune homme à moitié tourné, écrivait dont l’œuvre a des échos tardifs dans l’art Hildebrandt, est en même temps charmant, des représentants de la colonie de simple, charnel et tellement prégnant comme Worpswede4 avec qui Tamás a des certes forme ».6 De cette manière, dès les années affinités. Árpád Vida peut être considéré, d’études, Smigelschi suivait intuitivement les avec quelques réserves, comme représentant deux directions, pas tout à fait divergentes, le type illustratif-littéraire dans la variante mais qui coexistaient dans l’œuvre de définie par la peinture de Hans von Marées Dörschlag et de ses talentueux élèves: le ou par celle de Puvis de Chavannes. naturalisme et le symbolisme.

REV. ROUM. HIST. ART., Série BEAUX-ARTS, TOME XLIV, P. 37–47, BUCAREST, 2007 3 7 L’amitié et la collaboration de Smigelschi de quatre: L’Ange de la Mort, Les Fées avec ses collègues de génération vivement méchantes, Le Quartette et Chorus tournés vers un symbolisme marqué lui a d’enfants. Tout comme un autre grand permis la coagulation d’une conception peintre symboliste, Gustave Moreau,10 le artistique mise en valeur aussi par les voyages labyrinthe de son œuvre est difficile à dresser effectués ensemble en Allemagne à Munich chronologiquement, l’artiste méditant à la ou en Italie. Le summum des expériences longue sur l’idée, accumulant des documents accumulées en Italie, c’est la participation de et des variantes, laissant attendre un sujet qu’il Smigelschi et d’ (1869-1912)7 reprenait avec plus d’intensité. D’une telle autour de 1900 à la colonie artistique fondé façon s’est élaboré à travers le temps L’Ange en 1890 par leur camarade Robert Wellman de la Mort, thème suggéré par la mort de (1866-1946) à Cervara, près de Rome.8 Nous son frère cadet Cornel (1892). La beauté de signalons aussi que dans cette période se l’enfant chéri lui inspira plusieurs portraits trouvait aux alentours pittoresques de Rome, exécutés de mémoire, dessins et peintures qui avec plusieurs artistes, Max Klinger, l’une des comblèrent dans une composition singulière, figures éponymes du symbolisme européen. l’Ange de la Mort, (Fig. 1) conservée dans La période formative de Smigelschi était la collection du Musée Brukenthal.11 C’est située dans une époque de transition qui une allégorie dramatique, axée sur gardait encore les forts souvenirs du l’iconographie stratifiée du symbolisme, qui naturalisme, quand on élaborait à perfection reprend l’intérêt morbide d’un Gustave Doré la composition tout en combinant par exemple, celle du célèbre image de la mort minutieusement les éléments visuelles dans de son ami, Gérard de Nerval, qui s’est suicidé des images complexes et définitives, en à Paris, rue de la Vieille Lanterne à cause réclamant les effets de résolution d’un malheur d’amour.12 photographique. En même temps se faisait Une anticipation des interprétations entendre les signes d’une conception opposée, symbolistes fin du siècle sur la mort est forcement onirique et métaphysique du présente dans l’œuvre d’Arnold Böcklin, symbolisme, né de la morbidité et de la Autoportrait avec la Mort jouant au violon décadence du fin du siècle. La philosophie de (1872, National Galerie, Berlin)13, ou l’artiste la nature et de l’esprit, anima et hyphnos fait récupérer les vanitas médievales. La l’actualisation des penchants affectifs et des thème de la mort et le passage au-delà, au correspondances, le symbolisme des couleurs pays des ombres est une constante du et des parfums, le culte du soi associé avec la symbolisme et nous rappelons, pour des récupération du fabuleux mythique et des affinités stylistiques, le « journal » sui generis légendes s’effondraient dans la houle d’un constitué des dessins dans lesquels le peintre irrémédiable pessimisme culturel Ferdinand Hodler enregistrait les ravages (Kulturpessimismus). d’une maladie qui attaquait sa bien aimé. Dans ce contexte, les choix stylistiques Dans une étape première, Smigelschi d’Octavian Smigelschi tournent vers un manie les éléments d’une iconographie simple. naturalisme tempéré, appuyé sur une solide L’Ange ailé de la Mort caresse le garçon éducation académique et un symbolisme ayant endormi sur son modeste lit de mort, dans un comme ascendant le romantisme allemand, intérieur ascétique, animé par une lumière filtré par les expériences de Böcklin ou de lunaire, centrée sur les deux êtres et sur la Klinger. Un autre artiste allemand, placé sous fenêtre qui détache par une croix les deux les signes du naturalisme et du symbolisme mondes: terrestre et céleste. Après son séjour est Hans Thoma,9 dans l’œuvre duquel nous à Rome (1910-1911), le peintre transforme apercevons des certains similitudes. radicalement la composition selon le prouve « Les sujets symbolistes sur quels Smigelschi un modèle figuratif », une sorte de moule 3 8 a travaillé le long de sa vie ont été au nombre composé du toile et du glaise sur une armature en bois, de sorte que servait à l’étude des une assimilation parfaite du drapé à l’ antique, draperies mais aussi à structurer l’image. Un de source hellénistique. corps d’adolescent est étendu sur le cercueil Le monde des phénomènes transitoires, et la description de l’usure avec la main qui des apparences et des illusions enrichissant penche – en analogie avec Marat mort, de autour de 1900 avec une composition inspirée David – est d’une précision clinique, par les légendes populaires: Les Fées semblable au Christ mort par Holbein le Jeune méchantes (Fig. 2) sujet travaillé entre autres du Musée du Bâle (œuvre qui provoqua, on par son maître Carl Dörschlag. Les Fées dit, une crise d’épilepsie à Dostoïevski). Le méchantes sont des êtres-esprits issus des professeur Virgil Vãtãþianu identifiait à son eaux qui munies par des pouvoirs magiques, tour des ressemblances détectables dans volent les âmes et sont une présence néfaste, l’œuvre de Böcklin, Klinger ou Stuck.14 Deux morbide. Smigelschi les figure ayant l’aspect génies ailés et une mère de famille attestent de jeunes filles, qui ne sont différenciées au

Fig. 1 – Octavian Smigelschi, L’Ange de la Mort [Rome, Fig. 2 – Octavian Smigelschi, Les Fées 1910-1911], toile et glaise sur charpente en bois. méchantes, [1900], dessin à la plume, Musée Photographie de l’artiste, collection Ioana Şetran, Bucarest. Brukenthal, . 3 9 point de vue sexuel des putto de la guerrier du monde (1890, Budapest, Galerie Renaissance, que par leur chevelure. La Nationale),21 un mélange subtil entre le sacre variante à l’huile, de la collection Ioana et le profane, la maîtrise picturale, dans le Şetran15 de Bucarest a été précédée par rendu de la puszta et l’atmosphère mystique beaucoup d’études à la plume, relevant créée par le surgis violent de l’épée. l’importance que Smigelschi portait au dessin. L’espérance et la virtualité latente sont les Rappelant les rondes des enfants de Runge traits qui unissent les sept garçons figurés dans ou des enfants-satyres de Rops, riant, Chorus d’enfants (Fig. 5) appartenant à la séduisant et maléfique, Les Fées méchantes collection Ioana Şetran de Bucarest.22 C’est (Fig. 3) jouent follement dans un tourbillon un autre aspect de l’œuvre de Smigelschi, celui au dessus d’un lac. La végétation, attentivement d’analyse psychologique, d’observation décrite a la consistance picturale de Bastien- attentive des profondeurs d’état d’âme. Nous Lepage, quant à la densité rocheuse du ne savons pas si les enfants psalmodient dans montagne, celle-ci envoie à Segantini. le balcon d’une église un hymne religieux ou Même que Karl Ziegler (1866-1945),16 La ils chantent des vers monotones dans un baignade des boeufs d’environ de 1890, ou internat, mais leurs têtes harmonieusement Arthur Coulin, Jeune pêcheur italien, 1911, distribuées, dans une sorte de dialogue d’esprit Smigelschi sera plus sensible au mythe de Renaissance qui transfigure le tout, gagnant l’androgyne, à la beauté de l’adolescent qui une aura. Le symbolisme de Smigelschi ne garde encore la pureté de l’enfance. Dans s’est pas forgé dans une concentration pure. l’acception symboliste, l’adolescent est un Au contraire, il s’est toujours enrichi et Adam d’avant d’être chassé d’Eden, et développé par l’extension vers de nouveaux Smigelschi essaie de le représenter dans une territoires expressifs, se transformant comme composition singulière, tranchante dans la un organisme vivant. Son intérêt porté sur les configuration de l’iconographie de l’innocence: sujets de source paysanne, tels Paysans à Le Quartette.17 Pour l’artiste naturaliste18 les l’église23 ou La Petite porte 24 est aussi moyens par lesquels il figurait avec minutie le marquant symboliste, en dépit d’une manière moment imminent, devaient être cachés, quant naturaliste rattachée à Leibl, en démontrant au symboliste la technique devint une soit la fièvre religieuse, soit une idéale problème de virtuosité comme c’est le cas de spécificité rustique. Redon, pour qui les effets sont distillés avec Auteur complexe et muni par le démon du l’attention d’un alchimiste. Une préoccupation perfectionnisme, qualité propre à sa nature semblable trahit aussi Smigelschi qui travaille pliée sur la ferveur presque mystique du avec ténacité le motif du groupe de petits travail, Smigelschi s’est approprié musiciens, leurs attitudes candides en attentivement et a fait passer par le filtre de parvenant au final d’en rythmer musicalement, sa sensibilité certains thèmes et motifs du avec des accords graves, spiritualisés, la symbolisme européen qui peuvent être structure de l’image. Au professeur Vătăşianu conjugués avec une profonde motivation les nus enfantins du Quartette (Fig. 4) personnelle d’une telle manière qu à la fin du rappellent les enfants chanteurs de Lucas XIXe et au début du XXe siècles il deviendra della Robbia de la balustrade de la tribune du l’un de nos artistes d’une modernité accusée. Dôme de Florence.19 Nous saisissons aussi des échos sublimés de l’oeuvre de Puvis de Emerich Tamás25 est né le 15 octobre 1876 Chavannes (la lisière du forêt paradisiaque) à Braşov, comme fils d’un officier de police et la mélancolie des enfants de Fritz von Uhde originaire du contrée des Szeklers et d’une du Les Glaneurs (1889, Munich, Neue paysanne de Vulcan, nommée Kasper. Issu Pinakotek).20 Une intensité similaire nous de cet milieu modeste, mais ayant un grand avons rencontrée seulement chez Iványi- désir de s’instruire et un talent hors commun 4 0 Grünwald Béla (1867-1940), dans L’épée du pour le dessin et la musique (Fig. 6) Tamás Fig. 4 – Octavian Smigelschi, Esquisse pour le Quartette [1900], dessin, Galerie Nationale Hongroise, Budapest .

Fig. 5 – Octavian Smigelschi, Esquisse pour le Fig. 6 – Emerich Tamás, Autoportrait. 1900, crayon, Quartette [1900], dessin, Galerie Nationale Musée Brukenthal, Sibiu, inventaire 794/21. Hongroise, Budapest. 4 1 termine les cours du célèbre lycée Honterus En 1899 il travaille à Braşov, journellement de Braşov et puis il s’inscrit, à l’aide d’un avec une ardeur extraordinaire, dessinant des mécène local, à Budapest pour suivre les cours figures des paysans saxons, surtout vieillards, de l’École pour les instituteurs et professeurs leurs foyers, des paysages avec des champs de calligraphie (1896-1900). Loin d’être avec des arbres sans feuilles ou des content comme professer dans l’un des autoportraits d’une hallucinante acuité, le tout villages du pays, Tamás aspire plus haut et inspirant une tristesse mélancolique et la travaille sans cesse en parcourant solitude. fiévreusement les étapes du programme Les amis lui organisèrent une petite académique. Il arrive à une maîtrise suprême exposition ou se relève la mesure de son talent. au dessin – et ses œuvres le prouvent –, pour On ne sait pas quand il est parti pour Munich aboutir petit à petit à un naturalisme saisissant, et combien de temps il est resté dans la à la manière de Leibl et aux effusions capitale de la Bavière. Une mention faite sur romantiques et enfin, à un symbolisme accusé, un carnet d’esquisses indique l’année 1901 dans les moules du Sécessionnisme, qui est celui de sa mort. À Munich ou à Braşov quelquefois même expressionnistes (Fig. 7). il élabora, avec l’imagination nourrie par le milieu munichois une série de compositions allégoriques ayant une forte composante symboliste autant par la thématique et par l’expression ambiguë, avec de multiples connotations littéraires. C’est à notre avis la partie enregistrant le sommet de valeur dans sa création artistique. Personnages ou couples dans le paysage, les uns jouant de la harpe, des milieux végétaux ou au contraire des villes tentaculaires, motifs de source romantique avec de puissants accents dans la poétique symboliste sont sans cesse repris, soit par un âpre dessin linéaire, soit par les effets molasses de l’estompe. Quelquefois ces esquisses allégoriques peuvent être rapprochées des œuvres des membres de la colonie de Worpswede (subtilement commenté par Rilke dans une célèbre monographie),26 ceux du visionnaire Heinrich Vogeler ou des paysages de Otto Modersohn. Des affinités spéciales lient ses dessins à ceux de Kubin. Il est difficile à présumer si Emerich Tamás a connu l’activité déployée à Worpswede, mais il y a une série de frappantes similitudes à en tenir compte. Ainsi, un certain reapprochement d’un symbolisme du paysage de source nazaréenne, caractéristique pour Worpswede éloigne Tamás de l’un de ses maîtres de , Simon Hollosy promoteur d’une transcription réelle de la nature (Fig. 8). Les rapports de Tamás avec Fig. 7 – Emerich Tamás, Homme assis. [1900], la Sécession munichoise qui évoluent vers le 4 2 crayon, Musée Brukenthal, Sibiu, inventaire 794/42. Jugendstil ne sont pas encore élucidés. Deux Fig. 8 – Emerich Tamás, Femme travaillant à la machine à coudre [1900], crayon, Musée Brukenthal, Sibiu, inventaire 227.

projets d’affiche, vraisemblablement pour la tragique de 1900, ses œuvres (surtout en revue « Jugend » (fondée en 1896) sont les dessin ou gravure, car il est moins hardi en seuls signes de ces rapports. Un inventaire couleur) jalonnent le chemin parcouru par une dressé sur les motifs et leurs filiations, une sorte individualité torturée, un étrange mélange de de carte topographique du mémoire figurative candeur et de lucidité tourmentée. Ces de l’artiste sera l’une des tâches futures autoportraits se rapprochent, toute proportion d’une monographie dédiée à ce peintre et gardée, de ceux de grands solitaires comme dessinateur d’une incontestable originalité. Friedrich ou Böcklin. « Je n’ai jamais connu Un autre chapitre fondamental de l’œuvre un homme qui soit par sa nature tellement de Tamás est constitué par le grand nombre explosif et en même temps tellement retiré d’autoportraits, l’artiste faisant partie de la dans sa coquille comme Tamás », confessait catégorie intitulée par les expressionnistes l’écrivain de Braşov, Adolf Meschendörfer.27 allemands « ichkünstlers » ou explorateurs Ce témoignage nous relève la nature bipolaire impitoyables de leur personnalité. Les de l’un des plus doués artistes de Transylvanie e autoportraits naïfs de jeunesse jusqu’à celui de la fin du XIX siècle (Fig. 9). 4 3 Fig. 9 – Emerich Tamás, Feuille d’un carnet d’esquisses [München, 1901], crayon, Musée Brukenthal, Sibiu, 4 4 inventaire 795. D’un remarquable talent, Árpád Vida conservent au Musée d’Art de Târgu Mureş (1884-1915),28 artiste originaire de Târgu (Fig. 11). Le sujet de ces composition est Mureş, mort jeune est encore aujourd’hui peu concentré autour du thème de « l’age d’or » connu par l’historiographie d’art (Fig. 10). (admirablement étudié par Werner Sa force picturale hors du commun, sa Hofmann)31 et ont été conçues probablement sensibilité chromatique se manifeste surtout pour décorer le Palais de la Culture de Târgu dans l’aquarelle, mais ces valeurs se relèvent Mureş. Le concours pour ce projet a été gagné aussi dans le nombre restreint de ses peintures. par Körösföi Kriesch Aladar (1863-1920).32 Il a été influencé au début par le symbolisme Les images de Vida Árpád présentent une ascétique, sombre, mystérieux de Whistler monde atemporel, celui de la jeunesse (voir le portrait de ses parents),29 puis sa palette éternelle et de l’harmonie arcadienne entre devint plus lumineuse. Maintenant il assimile l’homme dans sa nudité originaire et la nature le style dit « au pointillé » du Jozsef Rippl- virginale. Les analogies immédiates se Rónai,30 mais il travaille avec de grandes tâches trouvent dans les œuvres de Hans von de couleur superposées. Il est donc maître de Marées33 illustrant la théorie de « la pure la suggestion et il incorpore des couches visualité » de Konrad Fiedler. On peut trouver blanches dans la matière de ses peintures, en aussi des similitudes avec l’œuvre de Puvis stimulant la participation du public. de Chavannes. Cette vision intègre aussi des Nous allons présenter quelques projets de éléments décoratifs synthétiques du peinture murale de petite dimension exécutés Sécessionnisme. Dans l’une des compositions à la gouache et aquarelle sur papier, qui se on reconnaît « Le Jugement de Paris » où la

Fig. 10 – Árpád Vida, Autoportrait [1913-1915], aquarelle, Musée d’Art de Târgu-Mureş, inventaire 323. 4 5 Fig. 11 – Árpád Vida, Le Jardin d’Eden [1910], tempéra et aquarelle, Musée d’Art de Târgu-Mureş, inventaire 964.

silhouette de Paris envoie aux modèles de la segments évoque les trois âges de l’humanité. statuaire antique. Trois autres scènes sont des Nous ne pouvons que soupçonner le variantes pour « Le Jardin d’Éden » où la développement aux dimensions réels de la richesse de la végétation n’encombre pas le construction de ces motifs. Les esquisses de modelage robuste, monumental des Árpád Vida démontrent les possibilités d’un personnages. Leurs têtes abaissés suggèrent artiste de grande envergure en plein essor une méditation profonde sur l’existence. Enfin, pour dépasser le provincialisme de l’art de une autre composition articulée de trois Transylvanie (Fig. 12).

4 6 Fig. 12 – Árpád Vida, Projet de fresque [1910], tempéra et aquarelle, Musée d’Art de Târgu-Mureş, inventaire 965. 1 Conformément aux dernières recherches, le 15 Gheorghe Mândrescu et Nicolae Sabău, op.cit., p. 67 Notes symbolisme peut être situé précisement entre le 18 (ancienne collection Magdalena Sluşanchi), Hora septembre 1886, c’est-à-dire avec la publication du Ielelor, huile sut carton, 0,943 × 0, 628 m. manifeste symboliste par Jean Moréas et 1905 avec 16 Voir Otto Folbert, Karl Ziegler, in Sie prägten unsere les premiers mouvements d’avant-garde. Apud Jean Kunst, op. cit., pp. 158-164. Clair, Lost Paradise. Symbolist Europe [Catalogue], 17 Gheorghe Mândrescu et Nicolae Sabău, op.cit., p. 66. The Montreal Museum of Fine Arts, June, 8-October Dans les collections de la Galerie Nationale Hongroise 15, 1995, p. 17. Voir aussi pour l’ensemble des se trouvent six esquisses à la gouache, au crayon et à la problèmes du symbolisme, Le Symbolisme en Europe craie pour le tableau Le Quartette. [Catalogue], Paris, Grand Palais, Mai-Juillet, 1976. 18 À voir Gabriel Weisberg, Beyond . Sur la situation spécifique de Transylvanie, voir: The Naturalist Impulse, New York, 1992, le chapitre: Marius Tătaru, Art et Histoire: étapes du The Creation of the Naturalist , p. 24-47. 19 développement dans la culture visuelle de la Virgil Vătăşianu, Octavian Smigelschi, 1982, p. 34. 20 Transylvanie du XIXe siècle, in RRHA, I, 1980, Eberhard Ruhmer, Fritz von Uhde, in Neue p. 47­83, II, 1981, pp. 55-67. Pinakothek.Katalog, München, 1989, no. 9117; voir 2 Lájos Nemeth, Adalékok a szimbolista fesztézet aussi: Fritz von Uhde. Vom Realismus zum tipológiájához (Contribution to the Typology of Impressionismus [Catalogue edité par Dorothée Symbolist Painting) in “Ars Hungarica”, Budapest, Hansen], Neuen Pinakothek, München, 25 Juni bis 19 1/1976, pp. 73-88. September, 1999. 21 3 Hans H. Hofstätter, Symbolismus und die Kunst der Voir Malonyay Dezsö, A fiatalok, le chapitre Jahrhundertwende, Verlag M. Du Mont Schauberg, Grünwald Béla, pp.70-100 et aussi Telepy Katalin, Iványi Grünwald Béla, Képzömüvészeti Kiadó, 1985. Köln, 1965. 22 4 Pour la colonie de Worpswede, à voir entre autres Gheorghe Mândrescu et Nicolae Sabău, op.cit., p. 66. Le tableau (huile sur toile, 0,880 × 1,540 m) figurait Worpswede. Aus der Künstlerkolonie [Catalogue par autrefois dans la collection de l’architecte Victor GünterBusch], Austellung Kunsthalle Bremen, 2. Smigelschi de Bucarest. August bis 13 September, 1970. 23 Gheorghe Mândrescu et Nicolae Sabău, op.cit., p. 64 5 Pour Octavian Smigelschi à voir: Virgil Vătăşianu, Ţăran şezând (Paysan assis, deux esquisses pour le Pictorul Octavian Smigelschi, Krafft and Drottleff tableau Paysans à l’église, huile sur carton, 0,915 × S.A., Sibiu, 1936; Virgil Vătăşianu, Octavian 0,635 m et pastel sur papier, 0,470 × 0,430 m Musée Smigelschi, Bucureşti, 1982; Gheorghe Vida, Aspecte Brukenthal, Sibiu). simboliste în opera lui Octavian Smigelschi, in Sub 24 Gheorghe Mândrescu et Nicolae Sabău, op.cit., p. 69, zodia Vătăşianu.Studii de istoria artei, Cluj-Napoca, Portiţa [1891-1892], huile sur carton, 0,980 × 0,695 2002, p.175-180. 6 m, ancienne collection Octavian Smigelschi, Bucarest. À voir cette lettre in Victor Roth, Carl Dörschlag, in 25 Pour Emerich Tamás à voir: Gheorghe Vida, Emarich Sie prägten unsere Kunst, Dacia Verlag, 1985, p. 182. Tamás, in “Arta”, n°3, 1987, pp.13-14; Emerich 7 Voir Harald Kraser, Arthur Coulin, Bucureşti, 1970; Tamás. 1876-1881 [Catalogue par Iulia Mesea et Elena Walter Myss, Kunst in Siebenbürgen, Wort und Welt, Popescu], Muzeul de Artă Braşov, décembre 2001. Thaur bei Innsbruck, p. 100-106. 26 Rainer Maria Rilke, Worpswede, Bielefeld und 8 Voir Walter Myss, op. cit., p. 106 Leipzig, 1905. 9 Pour Hans Thoma, voir entre autres: Fritz von Ostini, 27 Adolf Meschendörfer, Emerich Tamás in “Die Thoma, Bielefeld und Leipzig, 1910. Karpathen”, anul I, caiet 18, iunie 1908, pp. 562-565. 10 Ary Renan, Gustave Moreau (1826-1898), Gazette 28 Voir Vida Árpád [Catalogue avec une introduction des Beau-Arts [extrait], Paris, 1900. par M.Kiss Pál] Târgu Mureş, 1970; M.Kiss Pál, Vida 11 Gheorghe Mândrescu et Nicolae Sabău, Catalog de Árpád in: Erdélyi magyar művészek XVIII—XX. lucrări in Virgil Vătăşianu, Octavian Smigelschi, században (Artistes hongrois de Transylvanie au Bucureşti, 1982, p. 64, Îngerul morţii, huile sur XVIIIe –XXe siècles), pp. 64-80. panneau de bois, 0,800 × 0, 600 m. 29 Mes parents.1909, aquarelle, 0,550 × 0,580 m, 12 Un exemplaire rare de cette lithographie, avec Musée d’Art de Târgu-Mureş, inventaire n° 114. l’autographe de l’auteur se conserve au Cabinet de 30 Pour Rippl-Ronai, à voir: Jozsef Rippl-Rónai’s dessins et de gravures du Musée National d’Art de Collected Works [Catalogue edité par Mária Bérnath, Bucarest. Voir Ars et Tekhné. Exposition d’art graphique et Ildiko Nagy], Hungarian National Gallery, 12 March- symboliste et Art Nouveau [Catalogue de Mariana Vida], 6 September, Budapest, 1999. Bucarest, décembre 2001– mars 2002, cat.10. 31 Werner Hofmann, Das irdische Paradies, Prestel, 13 Nationalgalerie Berlin [Catalogue par Barbara München, 1974, pp. 244-249. Dietrich, Peter Krieger, Elisabeth Krimmel-Decker], 32 Katalin Keserü, Körösföi-Kriesch Aladár, Corvina Brüder Hartmann, 1976, Berlin, p. 67-68 Kiadó, Budapest, 1977. 14 Voir aussi Virgil Vătăşianu, Octavian Smigelschi, 33 Voir Kurt Liebmann, Hans von Marées, Verlag der 1982, p.32. Kunst , 1972. 4 7 4 8 En 1898, Léon Bachelin, historien et critique d’art suisse, résidant en Roumanie en sa qualité de bibliothécaire du roi Carol Ier et ayant RÉFLEXIONS SUR LES ARTS ainsi l’opportunité de suivre de près le DÉCORATIFS ET LA DÉCORATION EN phénomène artistique roumain, écrit pour e l’Indépendance roumaine un feuilleton de ROUMANIE AU DÉBUT DU XX SIÈCLE cinq articles sur l’Art Nouveau en Roumanie.1 Une partie de l’information provenait de l’article qu’Eugène Grasset avait publié dans la Revue des arts décoratifs une année auparavant. Cet aperçu général est l’occasion pour Bachelin d’insister sur la renaissance en Europe de ces arts appelés mineurs, sur la passion avec laquelle les peintres et les Ioana Vlasiu sculpteurs s’étaient tournés vers les arts appliqués, et de saluer la manière dont les en sculpture ; en revanche, Bachelin laissait salons et les expositions accueillent ces beaucoup plus de chances aux arts appliqués produits qu’à l’époque on qualifiait d’art en raison de l’existence en Roumanie d’une industriel. Bachelin fait des affirmations longue tradition encore vivante des métiers nettement avant-gardistes qui n’ont paysans qu’il admirait sans réserve. Il certainement pas été sans surprendre le milieu constatait que « le peuple livré à lui-même artistique roumain : « La vérité, dit-il, c’est que stylise à merveille sans le savoir ».5 Ce l’on a assez de l’art pour l’art, du tableau de principe de stylisation, qu’il plaçait à la base chevalet fait pour être accroché n’importe où de l’art nouveau, il le retrouvait à l’œuvre dans et qui n’a peut-être aucun sens où qu’il serait la broderie des blouses paysannes, dans le placé. »2 Cette idée ne sera reprise que vingt- décor de la poterie vendue dans les foires de cinq ans plus tard par M.H. Maxy, lorsque, Bucarest, où il se plaisait à suivre l’histoire sur un ton radical, il parlera de la mort du de la céramique qui s’offrait à lui dans un tableau.3 Bachelin n’oublie pas de citer singulier abrégé. Il était persuadé que dans Gottfried Semper, ce qui est une première cinquante ans la Roumanie pourrait même dans les publications roumaines, et de souligner devenir une exportatrice d’art appliqué, que « l’art actuel a comme règle fondamentale n’ayant plus besoin d’en importer. « De toutes celle de produire un objet en conformité avec les utopies, aucune n’est plus réalisable que les exigences imposées par sa fonction, par celle-ci », était-il d’avis.6 la matière et les moyens avec lesquels il fut À un moment où les obsessions identitaires exécuté ».4 Autrement dit, la fonction, la étaient à l’ordre du jour, un point de vue technique et la matière mettent leur empreinte comme le sien ne pouvait, sans doute, être sur la forme de l’objet, principe qui fera une que des plus stimulateurs pour tous ceux qui extraordinaire carrière dans les décennies à réfléchissaient aux chances d’un style venir. Les considérations de cet historien de national. l’art avisé méritent une attention plus Dans les années 1900, le discours sur la particulière. Concernant l’art roumain, décoration et les arts décoratifs battait son récemment entré dans le circuit de l’art plein partout en Europe. Les écoles d’arts occidental, il le considère moins préparé à décoratifs et les revues dédiées à ce domaine assimiler les tendances artistiques modernes, proliferaient. Le concept de décoration est, à telles qu’elles se manifestent en peinture et ce moment-là, un carrefour de questions a

REV. ROUM. HIST. ART., Série BEAUX-ARTS, TOME XLIII, P. 49–54, BUCAREST, 2007 4 9 visées idéologiques. La décoration se trouve mouvement des arts décoratifs, qui devait à l’antipode de l’imitation, donc elle se situe bientôt influencer l’Europe entière, en en opposition avec l’art académique. D’autre Roumanie le progrès modeste de l’industrie part, le même concept renvoie aux grandes était loin de menacer par des inconvénients époques d’art collectif du passé, donc il sert comparables, mais ne pouvait offrir non plus d’argument contre l’individualisme. Enfin il les avantages d’une production importante. s’avère être un outil très approprié pour En revanche, l’ambiance roumaine est contester la hierarchie officielle des arts. La sensible à l’élargissement des frontières Roumanie suit le pas, ce qui est tout à fait artistiques par l’accueil des arts primitifs, remarquable si l’on pense à l’intérêt théorique exotiques et populaires, qui peu à peu quittent tout récent pour ce domaine artistique chez le domaine de l’archéologie et de nous. l’ethnographie. Ceux qui les revendiquent sont Alexandru Tzigara-Samurcaş, historien de les historiens de l’art, qui y voient un nouveau l’art formé à Munich et à Berlin, le créateur territoire d’investigation, les amateurs d’art, qui du Musée d’Art National (aujourd’hui Musée y voient une nouvelle source pour leurs du Paysan Roumain), comparait la situation collections, mais surtout les artistes, qui, eux, y des arts décoratifs en Roumanie au début du voient la chance d’enrichir leur vocabulaire XXe siècle avec la situation de l’Angleterre artistique. Ce changement de goût a été une centaine d’années avant. Et c’était là une favorable à l’art roumain, qui, en l’absence appréciation optimiste. Si en Angleterre d’une tradition artistique comparable à la l’industrialisation avait engendré une réflexion tradition occidentale, pouvait mettre à profit et sur l’art appliqué et le développement d’un réhabiliter son propre passé artistique.

Fig. 1 – Nae Petrescu-Găină, À l’occasion de l’exposition «Tinerimea Artistică». De gauche à droite: Arthur Verona, Nicolae Grant, Kimon Loghi, G.D. Mirea, Fr. Storck, Gh. Petraşcu, Ştefan Popescu, 5 0 in Zeflemeaua, 23 mars 1903. Alexandru Tzigara-Samurcaş, qui avait rêve Alexandru Tzigara-Samurcaş sont pris dédié ses efforts surtout à l’étude de l’art en Angleterre, en Belgique, en France. Il cite paysan, étant un passionné collectionneur en en exemple l’école de Sommerset House, vue de l’organisation de son musée, se fait en l’école auprès du musée de South Kensington, même temps l’avocat des arts décoratifs, qu’il le premier musée industriel du monde, soutient en écrivant des articles, mémoires, précise-t-il. En 1900, il se rend à Paris pour interventions qu’il adresse directement aux visiter l’école d’Eugène Grasset et l’école des autorités ; il y signale l’importance arts décoratifs de Lecoq de Boisbaudran, en économique, mais aussi morale, des arts vue de la réorganisation de l’école des Beaux- décoratifs, étant persuadé, suite à son contact Arts de Bucarest. C’est peut-être grâce à ce avec l’art populaire, que « tout objet utilitaire contact que plusieurs années plus tard, en doit aussi avoir un aspect esthétique ». De 1908, Grasset écrira dans sa revue Art et quoi cet art nouveau devait-il avoir l’air? decoration9 un article, poli mais réservé, sur Quelle serait la part de la tradition et jusqu’où l’école des arts décoratifs de Bucarest. La pourrait-on accepter la modernité? Où tracer médiocrité des œuvres reproduites dans son la ligne qui assure l’équilibre délicat entre les article explique son manque d’enthousiasme. valeurs du passé et la participation au présent? L’ effort de Tzigara-Samurcaş vise Voici autant de questions qui alimentaient des constamment à triompher d’une tradition très débats souvent confus.7 enracinée, qui distinguait nettement entre « les Suite à sa participation au IIIe Congrès arts dits supérieurs, seuls dignes à être d’art public de Liège, Alexandru Tzigara- exposés, et les arts inférieurs, décoratifs ou Samurcaş adresse un rapport à Spiru Haret, industriels ». ministre de l’instruction publique, pour lui Il est très significatif à ce propos de montrer la nécessité d’une réforme de rappeler qu’en 1906 Alexandru Tzigara- l’enseignement dans le sens d’une éducation Samurcaş donnait à son musée nouvellement plus soutenue du regard. Sa démonstration créé le titre prolixe de : « Musée d’ethnologie, s’appuie sur l’idée que l’art peut jouer un rôle d’art national, d’art décoratif et d’art social important. Alexandru Tzigara-Samurcaş industriel », qu’il n’entend pas de changer en insiste sur la force morale de l’art, mais aussi « Musée de notre passée », comme on lui sur les avantages économiques que l’on proposait ; car il voulait justement insister sur pourrait tirer d’une production artistique le rapport entre l’art paysan et l’art du présent, importante et de bonne qualité. d’où l’ajout, dans le nom du musée, du concept La fonction sociale de l’art et son insertion d’art industriel, qui ne correspondait à aucune dans les structures du quotidien sont aussi des réalité dans l’art roumain et encore moins sujets de réflexion pour Sextil Puşcariu, le futur dans les collections du musée. Ce nom contient savant linguiste, qui envoie depuis l’Allemagne en revanche une dimension prospective, des correspondances très bien informées ; correspond à une option, indique une direction quant à Marin Simionescu-Râmniceanu, il à suivre, parce que, comme Alexandru écrivait sur l’art industriel et la « psychologie Tzigara-Samurcaş le disait très bien, « chez de l’ornement ». À Bucarest on était au nous tout reste encore à faire ». courant de l’idéologie Jugendstil grâce à En même temps que les idées Jugendstil plusieurs sources d’information, notamment et les initiatives visant à collectionner et à des revues commes Art et Décoration, Revue étudier l’art roumain ancien et l’art paysan – des arts décoratifs, Kunst und Dekoration, par exemple la collection qu’Alexandru Bellu que l’on recevait directement à la rédaction de avait ramassée à Urlaţi, ou la célèbre la revue Ileana, en 1900-1901, pendant la collection d’Al. Bogdan-Piteşti, au sein de brève période de son apparition.8 laquelle les œuvres des artistes modernes Les modèles devant servir à la réforme roumains et étrangers avoisinaient les objets de l’enseignement des arts décoratifs dont d’art paysan –, les artistes s’impliquent 5 1 ouvertement dans les efforts de créer un style portant sur les bras des inscriptions en à la fois moderne et roumain. En Roumanie, caractères cyrilliques. Ştefan Popescu, comme en Europe, à l’origine de ces « chercheur enthousiaste et connaisseur de recherches se trouvent les mêmes débats l’art du pays » selon l’appréciation autour du concept du style et de l’élaboration d’Alexandru Tzigara-Samurcaş10, expose dès d’un style moderne qui soit aussi bien celui de 1901 des études d’éléments d’architecture l’art et de la vie, et qui mette fin à l’éclectisme ancienne ou d’objets d’art populaire historiciste. En ce sens, la contribution de deux esquissées directement d’après le modèle – artistes, Ştefan Popescu et Apcar Baltazar, a « décoration, peinture, ornements, sculpture été particulièrement remarquable. en bois et en pierre, architecture, ornements Après 1900, Ştefan Popescu faisait déjà rustiques » (Figs. 2,3) – qu’il intitule figure de chef d’école à Bucarest ; il s’agit Recherches sur le style roumain. Il de cette école que certains critiques appelaient présentera des études semblables à son néobyzantine, et d’autres roumaine. Une exposition personnelle ouverte à Paris, à la caricature (Fig. 1) le montre ascète émacié galerie Bernheim Jeune, et puis, la même

Fig. 2 – Ştefan Popescu, Ornements en pierre et bronze Fig. 3 – Ştefan Popescu, Détails de peinture murale. (Monastère (Monastère de Hurez), gouache. Musée National d’Art, Bucarest. de Hurez), gouache. Musée National d’Art, Bucarest.

5 2 année, au Grand Palais, au Salon des les préjugés du milieu artistique roumain contre orientalistes. « Cela est d’une énorme les arts décoratifs. Si l’on compare les idées importance, parce que des gens compétents d’Apcar Baltazar avec celles de William auront l’occasion de se prononcer sur notre Morris, par exemple, on constatera que les art ancien et rustique. Je crois que les Français différences sont importantes. William Morris, y seront très intéressés. »11, écrit-il de Paris avec son idéal d’inspiration médiévale, veut à Ion Bianu, le directeur de la Bibliothèque que celui qui conçoit l’objet d’art en soit aussi de l’Académie. Ştefan Popescu ne se l’exécuteur, tandis que le peintre roumain trompait peut-être pas, surtout si l’on pense dissocie l’idée et le projet de la mise en œuvre, qu’il venait à un moment où le revival byzantin, comme devant appartenir à des personnes placé entre 1890 et 1914, était à son apogée, différentes (Figs. 4,5). et que sa démarche se situait à la confluence D’une part, Baltazar soutient qu’il faut en de la mentalité historiciste et de l’Art finir avec la distinction entre les arts majeurs Nouveau. En parallèle, il conçoit des projets et les arts mineurs, d’autre part, inconséquent, de peinture murale – la grande fresque de il cautionne la rupture entre l’artiste et l’Athénée roumain devait être un abrégé de l’artisan. Bien que ses réflexions soient mythologie et d’histoire roumaine –, des nourries du rapprochement entre les deux œuvres inspirées des contes populaires, et élaborées « dans le genre décoratif », comme il disait. Comme beaucoup d’autres artistes de son temps, Ştefan Popescu croyait que la renaissance de la peinture murale, décorative, était la seule capable de donner à l’art une justification et une plate-forme sociale. Les chercheurs qui se sont penchés sur l’art 1900 en Roumanie12 ont souligné à juste raison que le concept de décoration, en tant qu’art d’idées en oposition avec le naturalisme et le trompe- l’œil, est un point principal dans le programme des nouvelles orientations du début du XXe siècle. Fidèle au programme de l’art nouveau, Ştefan Popescu fait aussi des projets de meubles, qu’il présente aux expositions de l’association Tinerimea Artistică (La Jeunesse Artistique), et également des meubles exécutés d’après ses projets dans l’atelier de l’École d’arts et métiers. Malheureusement, les pièces décoratives de style roumain créées au début du XXe siècle n’ont pas été de nature à susciter l’intérêt des historiens de l’art, ce qui explique leur absence de nos musées. Apcar Baltazar est un peintre qui a eu aussi une importante activité de critique et historien de l’art. Il s’intéresse aux modalités d’encourager le développement d’un style roumain de décoration, qui soit compatible Fig. 4 – Apcar Baltazar, La légende de Făt-Frumos, avec la modernité et il se consacre de ce fait projet de vitrail, aquarelle. Musée des Collections à une activité systématique visant à combattre d’Art, Bucarest. 5 3 Fig. 5 – Apcar Baltazar, Les coqs, projet de vitrail, aquarelle. Musée des Collections d’Art, Bucarest.

modèles traditionnels dans l’art roumain – « le insuffisamment assimilées ; en revanche, ils modèle religieux et byzantin, et le modèle sont écrits avec cette passion singulière, rustique » –, Baltazar est plutôt préoccupé par génératrice d’émulation. les motifs que l’on pourrait puiser dans l’art du Dans quel mesure Brancusi, issue de la présent, et moins par les problèmes ayant trait même promotion de l’École de beaux-arts à l’éthique du travail et de la création, thème bucarestoise qu’Apcar Baltazar hérite de majeur pour le mouvement Arts and Crafts. cette problématique me semble bien évident. Baltazar a exprimé dans de nombreux articles13 Ses meubles taillés par lui-même, des ses considérations sur les arts décoratifs, sculptures en bon droit, confondent esthétique industriels, et sur les chances qu’un style et utilité. C’est Brancusi qui accomplit le rêve roumain pouvait avoir, mais malheureusement d’égalité des arts majeurs et mineurs cher aux ceux-ci sont pleins de contradictions et d’idées artistes et théoriciens de 1900.

9 Notes  L. Bachelin, L’Art Nouveau et la Roumanie. I-V, in Eugene Grasset, L’Ecole d’art decoratif “Princesse Marie”, in Art et decoration, avril, 1908, L’indépendance roumaine, 30 aout-18 septembre 1898. p.131. 2 Ibidem. 10 Al. Tzigara-Samurcaş, op.cit., p.133. 3 M.H. Maxy, Cronometraj pictural, in 11 Lettre inédite à Ion Bianu du 17 février 1904. Contimporanul, décembre 1924. Bibliothèque de l’Académie Roumaine, Section 4 L. Bachelin, art.cit. Manuscrits. Quelques-uns de ces dessins se trouvent aujourd’hui au Musée National d’Art, voir Repertoriul 5 Ibidem. graficii româneşti din secolul al XX-lea, Muzeul 6 Ibidem. Naţional de Artă al României, Cabinet de dessins et 7 Al. Tzigara-Samurcaş, Scrieri despre arta gravures, vol. V, Bucureşti, 1998. românească, Bucureşti, 1987. 12 Voir Paul Constantin, Arta 1900 în România, 8 Pour ces questions voir aussi Theodor Enescu, Bucureşti, 1972; Amelia Pavel, Idei estetice în Europa şi arta românească la răscruce de veac, Cluj, 1972; Simbolismul şi pictura. Un capitol din evoluţia picturii Th. Enescu, op.cit. şi a gustului artistic la sfârşitul secolului al XIX-lea şi 13 A. Baltazar, Convorbiri artistice. Prefaţă şi 5 4 începutul secolului al XX-lea, Bucureşti, 1974. antologie de Radu Ionescu, Bucureşti, 1974. Manifesté avec vigueur dans la littérature, par les œuvres de , Ştefan Petică ou Ion Minulescu, le symbolisme LA SOCIÉTÉ TINERIMEA ARTISTICĂ s’affirme d’une surprenante manière DE BUCAREST ET LE SYMBOLISME synchronique en Roumanie avec le reste de l’Europe. Le poète Macedonski se souvenait TARDIF ENTRE 1902-1910 d’avoir participé en 1877 à la première manifestation symboliste à Liège promue par Albert Mockel dans la revue «wagnérienne » « La Wallonie ».1 Sa théorie poétique sur l’instrumentalisme dans laquelle les sons jouent le rôle des images n’a pas eu un équivalent dans le domaine des arts plastiques. Mais, l’ouverture en février 1898 de l’exposition Mariana Vida internationale de la Société Ileana pour le développement des arts plastiques en d’étudiants des beaux-arts à Paris, puis Roumanie, en témoigne des convictions et des transférée à Bucarest, le 3 décembre 1901 et aspirations symbolistes similaires avec celles les noms des 12 fondateurs, les peintres: d’Europe.2 Kimon Loghi, Ipolit Strâmbu, Gheorghe Le groupe d’artistes réunis sous le titre Petraşcu, Ştefan Popescu, Ştefan Luchian, significatif de Tinerimea Artistică a été la , Constantin Artachino, première association qui a introduit en Arthur Verona, Nicolae Grant et les Roumanie l’esprit de corporation sur le sculpteurs: Frederic Storck, Oscar Spaethe modèle du mouvement « Arts and Crafts » et et Dimitrie D. Mirea. Nous signalons leur celui du Sécessionnisme manifesté en Europe camaraderie, leur formation professionnelle Centrale. Cultiver les professions artisanales solide, leur maîtrise et leurs hauts étalons de revèle les essais encore timides mais niveau européen, le programme moderne et constants, surtout des architectes roumains, la disponibilité envers les jeunes, acceptés en vue de créer un style national fondé sur le graduellement dans la société selon des « revival » du répertoire décoratif de critéres de valeur, aussi leur diplomatie et bon l’architecture de l’époque de Brancovan et management mis en évidence par celui de l’art populaire. C’est la conception l’organisation d’expositions, la publication de idéale de l’Art Nouveau sur l’œuvre d’art catalogues ou l’acquisition d’un espace totale (Gesamtkunstwerk), issue du propre. L’idée de mettre les expositions sous romantisme tardif et des théories de Richard le haut patronage de la princesse de couronne, Wagner, la synthèse de l’art que le Marie, la future reine, elle-même aquarelliste symbolisme touche constamment dans les habile des fleurs (lys et iris) fut de bon augure. zones de frontière, souvent prises pour « le Les deux animateurs des arts de cette style Bing ».3 époque, Theodor Cornel,7 le conseiller du L’historique de la Société Tinerimea mécène Anastase Simu8 et le collectionneur Artistică a préoccupé une série de Alexandru Bogdan-Piteşti9 sont les chercheurs entre autres Paul Constantin,4 personnalités de grande portée, concernant Petre Oprea5 ou Marian Constantin,6 de sorte les types du connaisseur symboliste, selon le que nous ne revenons plus à ce qu’on a déjà modèle préconisé par Huysmans dans son établi (Fig. 1). Nous précisons la date de célèbre roman À rebours. Les deux ont naissance de la société conçue par un groupe bénéficié de la passion avec laquelle le

REV. ROUM. HIST. ART., Série BEAUX-ARTS, TOME XLIV, P. 55–66, BUCAREST, 2007 5 5 Nicolae Grigorescu et surtout de Gheorghe Petraşcu on trouvait presque toutes les noms des artistes exposants à la société Tinerimea Artistică. Nous rappelons cet intérieur autour de 1900 qui prédispose à rêver en saisissant une tradition sui generis, l’intérêt que le maître- peintre Theodor Aman (1831-1891) portait, dans la seconde moitié du XIXe siècle, aux arts décoratifs et sur le mobilier qu’il façonnait lui- même pour sa demeure conçue sur ses plans selon la mode historisante.11 Ensuite nous allons montrer quelques aspects spécifiques du symbolisme, dans une version tardive et « internationalisée » qui se manifestent aux expositions de la Société surtout entre 1902 et 1910, période que feu Theodor Enescu identifiait comme la date de « prise de conscience »12 du modernisme du début du siècle, car maintenant à l’exposition ouverte au mois d’avril figurait la sculpture La Sagesse de la Terre par Brancusi, exemplaire par le laconisme du langage et par le travail percutant de la pierre. Quoique impropre, l’adjectif provincial parachève les manifestations assez éclectiques des artistes roumains, motivés plutôt par une tempérance structurale que par une hardiesse des Fig. 1 – Ary Murnu Sphinx (la couverture du catalogue de la Dixième exposition de peinture et de sculpture de la Société Tinerimea Artistică, principes. Après 1910 les manifestations [Catalogue], Bucarest, 1911. symbolistes sont rares et d’intensité modeste. Le problème d’une définition du regretté savant Theodor Enescu a étudié symbolisme roumain reste encore à discuter l’époque, les goûts et les mentalités en considérant la complexité du phénomène du dressant des contributions essentielles, point de vue stylistique, des interférences avec récemment publiées. l’Art Nouveau ou d’une puissante couleur Selon la perspective créée par Huysmans, locale née des goûts et mentalités d’un pays ajoutons à l’atmosphère que des Esseintes située aux Portes de l’Orient. Il n’y a pas des érigea dans son château de Fontenay aux expressions stylistiques pures, mais des Roses, celle conçue par l’écrivain et le critique concentrations différentes de celles-ci. Cela d’art Nicolae Petraşcu, le frère du peintre, est plus révélateur au cas du symbolisme à qui bâtit, sur ses projets avec l’architecte cause de l’utilisation massive des concepts et Cegăneanu, élève de Mincu, un splendide des symboles qui traversent l’imagerie de hôtel sur l’ancien boulevard Lascăr Catargiu l’humanité. Tout comme le romantisme, le n° 2.10 Chaque détail avait été étudié à fond symbolisme développe un état d’âme, une dans cet intérieur sophistiqué: les matériaux, ambiguïté entre le rêve et la réalité qui chasse les décorations, les tapis, les lambris et surtout le rendu naturaliste et favorise l’assemblage des peintures et des sculptures l’indétermination, le vague, la prééminence des de la collection du propriétaire étant parsemés valeurs sentimentales. Le mystère, l’extase, 5 6 de telle manière qu’à côté des œuvres de l’amour, la mort maniés par les femmes, groupées en deux catégories : la femme fatale (Le Boulevard Pake en hiver ou Le Chemin ou la femme fragile.13 vers Cernica) avec un puissant sentiment de Citadin par excellence, névrosé et solitude.16 dépendent du bohème, l’artiste symboliste est Peintre qui travaille surtout à l’aquarelle, décadent, envahi par la morbidezza et Nicolae Grant (1868-1950)17 s’est dédié à l’érotisme, persuadé par la souffrance, représenter la contrée de Muscel, où il s’établit dédaignant la vie bourgeoise. Les bijoux, les en 1910. Il fait ses études à Bucarest et à pierres luisantes, les fleurs exotiques Paris. Inspiré aussi par la Bretagne, il expose (l’orchidée ou le lys), les parfums, les à la Société des intérieurs et des types bretons, obscurités et les lumières spectrales mettent compositions sensibles et appliqués, proches en valeur une thématique qui vise les sens et comme vision de celle de Lucien Simon et des synesthésies percutantes. Ce sont des Charles Cottet.18 traits récurrents qu’on retrouve aussi chez les Originaire de Macédonie, Kimon Loghi artistes roumains. Quant à la forme, les (1873-1952)19 (Fig. 3) a étudié à Bucarest et moyens d’expression s’attachent pour la à Munich avec Fritz von Stuck, de même qu’à plupart aux vieilles méthodes académiques de Florence et à Paris. C’est l’un des plus sorte que la stylistique symboliste ressemble symbolistes peintres de la Société. Son art était à un cumul de recettes utilisées pour en rendre assimilé par les contemporains au romantisme, un monde imaginaire. Le réalisme de Courbet, mais en fait, il avait comme ascendance le naturalisme de Bastien-Lepage, l’admiration manifeste envers Böcklin. Loghi l’impressionnisme tardif de Liebermann ou le nourrit ses compositions du mystère des synthétisme de Gauguin perdent leurs naïades et des tritons du maître allemand, à sonorités novatrices et fondent dans qui s’ajoutent de propres éléments identitaires l’élaboration des messages idéals. Nous allons ayant les sources dans l’antiquité grecque et commencer par présenter alphabétiquement byzantine. Idylle de 1904,20 Princesse de les membres fondateurs, puis les nouveaux 190821 ou l’Ondine [1910]22 sont des images reçus parmi les membres (sociétaires) et les invités étrangers. Constantin Artachino (1870-1954),14 ancien élève de Theodor Aman à l’École des Beaux-Arts de Bucarest reçoit une bourse d’études du banquier Zerlenti et part pour Paris ou il suit les cours de l’Académie Julian. Ici, parmi autres il étudie avec le célèbre peintre mondain William Bouguereau. Il travaille à Barbizon et à Fontainebleau et voyage à Londres, Milan et Venice. Ami de Luchian avec qui exécuta de la peinture murale, Artachino sera un maître du paysage et du portrait. Réalisés avec exactitude au crayon conté ou à la sanguine, ses portraits (surtout féminins) ont été comparés par les contemporains à Ingres. En 1904 il présente une composition symboliste, Le Fée du lac,15 (Fig. 2) le visage fascinant d’une bohémienne couronnée de nénuphars. C’est la femme maléfique, rappelant l’Égypte et l’origine Fig. 2 – Constantin Artachino Le Fée du lac [1904]. mystérieuse de son peuple. La même année Huile sur toile. 38 × 46 cm. Musée National d’Art il expose aussi des paysages couverts de neige de la Roumanie, inventaire 1212. 5 7 qui mélangent le rêve et la réalité, tout en gardant une robuste prégnance des formes. Ştefan Luchian (1868-1916)23 est le représentant le plus complexe du symbolisme tardif qui se manifeste au sein de la Société et où il expose substantiellement (en 1902 avec onze œuvres, en 1903 avec 13, en 1904 avec 19, etc.). On prétend que l’artiste symboliste assume pour la plupart des éléments d’autres styles, n’étant pas un novateur. Au contraire, Luchian adopte la technique du pastel et, par la force de son caractère expressif, par le modelée saillant des estompes, par le jeu subtil des opacités et transparences et par le tracé fin des contours, l’artiste transfère ce procédé à un répertoire technique symboliste sui generis. Citons le paysage de 1904, Le Kiosque de Filantropia,24 dans lequel le critique Tzigara- Fig. 3 – Kimon Loghi Princesse byzantine, 1908 Reproduit dans la Samurcaş saisissait « la pauvreté du sujet et Septième exposition de peinture et de sculpture de la Société Tinerimea le raffinement de l’exécution »25 les Artistică, [Catalogue], Bucarest, 1908, cat. 42

Fig. 4 – Ştefan Luchian Les Trois cousins, 1904. Pastel. 0,50 × 0,70 cm. Ancienne collection de 5 8 Alexandru Bogdan-Piteşti. compositions inspirées par la vie domestique (Les Trois cousins (Fig. 4) à la manière d’Eugène Carrière, autrefois dans la collection de Bogdan-Piteşti),26 ou enfin les sujets religieux datant de 1902-1910. tels La Route du Croix27 ou Apôtres parmi les paysans.28 Par les typologies de source préraphaélite, quelques-unes résultées directement de l’œuvre de Georges de Feure (1868-1943)29 et l’ambiance florale, son art se rattache au symbolisme mais aussi aux confins de l’Art Nouveau, rangé toujours sur les fondements d’une vision originale. Gradué de l’École des Beaux-Arts de Bucarest avec G. D. Mirea, George Petraşcu (1872-1949) a fréquenté l’atelier de Nicolae Grigorescu par l’entremise de son ami Ipolit Strâmbu. Pareil à son aîné Luchian, Petraşcu sera pendant toute sa vie, un admirateur de l’œuvre de Nicolae Grigorescu. D’ailleurs, il aida son maître à préparer et exposer les toiles. À son tour, Grigorescu épaula sa candidature auprès le ministre Spiru Haret pour obtenir une bourse d’enseignement à Paris. Par conséquent, après être passé par Munich, Petraşcu s’inscrit aux cours l’Académie Julian où il resta quatre années, jusqu’en 1902, sous la direction de William Bouguereau. Cette première période, située sous le signe des voyages formatifs, en Fig. 5 – Gheorghe Petraşcu Le Malade (Autoportrait). 1903. Conté, aquarelle et gouache blanche sur papier ocre-brun. 32 × 24 cm. Musée Europe et même en Égypte, est comme au National d’Art de la Roumanie, inventaire 622. cas de Pallady assez peu connue par l’histoire de l’art. Des œuvres d’un grand impact visuel, qui ont l’air des vitraux tels Le Malade dans le contexte moderne. Pareil à Gysis (un (Fig. 5) de 190430 (un autoportrait sur la de ses modèles et auteur de projets thème de la souffrance), ou Femmes sur la d’affiches, médailles diplômes, etc.), Ştefan plage31 de la même époque, placées dans une Popescu est l’auteur d’une série de cartes atmosphère nocturne, spectrale fondent en postales avec sujets roumains. En 1900 il arrive commun éléments symbolistes et à Paris pour compléter ses études et, dans expressionnistes. l’atelier de la bohème de la rue Vaugirard il Pendant sept années Ştefan Popescu deviendra l’un des membres fondateurs de la (1872-1948)32 a étudié à l’Académie d’Art Société Tinerimea Artistică. À l’exposition de Munich débutant par la classe de dessin de 1903 il présente un grand projet décoratif du maître Nikolaos Gysis (1812-1901). inspiré par un conte roumain, Les 12 filles Maintenant il prend conscience de l’art des d’empereur et le palais ensorcelé,33 (Fig. 6) musées et aussi des problèmes de l’art relevant d’une veine concentrée sur la contemporain qu’incitait la Sécession de récupération du folklore et des arts populaires Munich et commence à se préoccuper dans l’interprétation magique du symbolisme. d’intégrer la tradition de l’art médiéval roumain 1903 est l’année quand il travaille en Bretagne 5 9 Fig. 6 – Ştefan Popescu Les douze filles de l’empereur et le palais ensorcelé. 1903. Gouache, or et crayon sur carton. 50,8 × 97 cm. Musée National d’Art de la Roumanie, inventaire 3108.

et se rattache au groupe dit de la « bande noire », les peintres de la Bretagne, Lucien Simon et Charles Cottet. Maintenant il expose à Bucarest dans le magasin de Gebauer, une peinture-réclame pour la Société « La Jeunesse Artistique ». Il est possible qu’il s’agisse de la Femme en rouge34 du Musée d’Art de Constanţa, œuvre qui reflète les échos de la Sécession réunis à ceux de l’époque parisienne d’Alphonse Mucha. Collectionneur passionné des tissus de la contrée de Gorj en Olténie, Ipolit Strâmbu (1871-1934)35 a étudié à Bucarest avec G.D. Mirea. En 1896 il gagne une bourse d’enseignement et va ensuite passer cinq années à Munich à l’Académie royale de Bavière, sous la direction de Carl von Marr, peintre d’origine américaine établi en Allemagne, spécialiste des intérieurs somptueux peuplés de femmes élégantes peintes à la manière romantique de Menzel. Strâmbu sera attaché lui aussi aux sujets dédiés à la femme qu’il traite dans son milieu moderne: le boudoir (voir Devant le miroir de 1908),36 lisant à la lampe ou plus souvent dans le jardin, en plein air (Fig. 7). Aux expositions de la Société il figure aussi avec des scènes animées par des bergers idylliques à la manière de Grigorescu. Personnalité Fig. 7 – Ipolit Strâmbu Devant le miroir. Reproduit dans la Septième exposition de peinture et de complexe qui trouva son but dans la carrière sculpture de la Société Tinerimea Artistică, 6 0 didactique, Ipolit Strâmbu simplifie petit à petit [Catalogue], Bucarest, 1908, cat. 108. sa démarche vers une interprétation moderne de l’iconographie de la femme, élément important de l’iconographie symboliste. Nicolae Vermont (1866-1932)37 a étudié à Munich et aussi à Paris avec le graveur Diogène Maillot. La diversité de ses sujets (portant surtout sur la peinture anecdotique et sociale de source munichoise telle la célèbre toile Les Émigrés de 1902) présente quelquefois des éléments symbolistes. Ce sont les scènes inspirées par la Bible exposées dès 1910 (Triptyque)38 et 1912 (La Crucifixion),39 qui ramènent au jour les ombres mystérieuses de Rembrandt ou les effets violents de lumière propres au maniérisme. Vermont est aussi l’auteur de la composition ayant comme personnage principal la femme nue, la femme fatale comme en prouvent Les Muses40 de 1910 ou Salomé41 de 1913 (Fig. 8), rappelant l’imagerie similaire de Félicien Rops ou Anders Zorn. Arthur Garguromin Verona (1868-1946)42 suit des études très poussées à Vienne et en Italie, puis à Munich avec Fritz von Uhde et Simon Hollosy et enfin à Paris avec Bouguereau et Georges Ferrier à l’Académie Julian. Son enseignement astucieux amplifie sa vision originale très proche d’un réalisme Fig. 8 – Nicolae Vermont, Salomé, 1913. Reproduit dans la Douzième perçant de la nature. En 1910 il reçoit la exposition de peinture et de sculpture de la Société Tinerimea Artistică, médaille d’or à l’exposition internationale de [Catalogue], Bucarest, 1913, cat. 180. Munich. Aux expositions de la Société il présente des sujets inspirés par la Bible Société d’exposer à côté d’eux. En 1904 la (Automne 1903, Jésus et la samaritaine Société invite plusieurs artistes grecs (les 1911), des scènes avec paysans de peintres N. Gheranistis, N. Lytras et l’artiste Bessarabie rappelant la peinture russe et des décorateur Anna Papadopol) et nomme pour paysages dont nous signalons le sombre l’exposition internationale d’Athènes, Kimon Paysage d’hiver à Herţa43 de 1915 (Fig. 9) Loghi comme commissaire et Apcar Baltazar, avec église et corbeaux inspiré toujours par Jean Al. Steriadi et Alexandru Satmary le par son pays natale. comme exposants. Malheureusement les Les sculpteurs, Oscare Spaethe (Fig. 10) informations sur cet événement sont pauvres, ou Fritz Storck essaient, pour la plupart dans de même que pour la présence de la Société les portraits de leurs femmes, de dépasser les en 1905 à la IXe exposition internationale des confins trop rigides d’un réalisme Beaux-Arts de Munich. photographique, quant à D.D. Mirea, le frère Un participant actif aux expositions de du peintre, il s’est spécialisé à reproduire un Bucarest est le sculpteur américain d’origine type sentimental de berger-bibelot à l’instar suédoise Carl Millès (1875-1955). Il de Grigorescu. commence à figurer dans les catalogues dès Un mot doit être dit sur les artistes 1903 lorsqu’il subissait encore l’influence de étrangers invités par les membres de la Rodin. Un autre invité a été le sculpteur 6 1 Fig. 9 – Arthur Garguromin Verona, L’Hiver à Herţa. Reproduit dans la Quinzième exposition de peinture et de sculpture de la Société Tinerimea Artistică, [Catalogue], Bucarest, 1915, cat. 282

autrichien Gustav Gurschner (1873-1971) spécialisé dans la petite plastique. Quant aux peintres, signalons en 1911 Henri Martin (1860-1943) avec une superbe pièce L’Été,44 travaillée selon les percepts du néo- impressionnisme, aux touches superposées et couleurs claires (Fig. 11). Un artiste encore mystérieux est l’allemand Heinrich Haberl présent à l’exposition de 1909 et dont l’œuvre graphique (douze pièces travaillés à la pointe et à l’eau-forte se trouvent aujourd’hui au Cabinet des dessins et des gravures du Musée National d’Art de la Roumanie)45 prouve un symbolisme marquant à la manière de Klinger. Il y avait au sein de la Société un vrai culte pour Nicolae Grigorescu qui a soutenu de son vivant les jeunes artistes (il figure avec deux oeuvres en 1903 et sept en 1904 et 30 pour le commémorer en 1912). Dans les portraits de femmes, cousant ou rêvant dans les pénombres de l’intérieur ainsi que dans les œuvres dites de la « période blanche » nous

Fig. 10 – Oscar Spaethe Sainte byzantine. Reproduit dans la Troisième exposition de peinture et de sculpture de la Société Tinerimea Artistică, 6 2 [Catalogue], Bucarest, 1904, cat. 219. apercevons un symbolisme subtile et encombrant, caché sous les effets de la maîtrise picturale. L’autre grand peintre dont les mérites furent mis en évidence par les membres de la Société fut Ioan Andreescu, qui jouit d’un exposition de 26 pièces en 1910. Dès 1903 la Société s’enrichit de nouveaux membres tels Apcar Baltazar, Pericle Capidan ou Jean Al. Steriadi. Mort jeune, préoccupé tant par la peinture que par les arts décoratifs, Baltazar (1880-1909) est l’auteur d’un tableau emblème pour l’iconographie symboliste, datant de 1907-1909,46 la mort d’un vieux vagabond dans une rue de banlieue, dans une attitude qui rappelle le personnage mort de la rue Transnonnain de Daumier. Toujours lui, en 1909 expose une pièce de facture symboliste et d’inspiration biblique: Jésus pleurant les citadelles.47 À son tour, avec Fig.11 – Henri Martin L‘Été. Reproduit dans la Dixième exposition de La Juive du Salonic,48 Pericle Capidan peinture et de sculpture de la Société Tinerimea Artistică, [Catalogue], (1869-1966) fait appel à l’atmosphère plongée Bucarest, 1911, cat. 2. dans l’ombre de l’œuvre de Rembrandt. Jean Al. Steriadi (1880-1956)49 est un cas différent, Le graveur Gabriel Popescu (1866-1937)53 il est l’adepte, tout comme son confrère commence à exposer à la Société dès 1904. Dimitrie Hârlescu, de la peinture inspirée par Ses études approfondies à Paris, avec Jules le monde des humbles personnages Jacquet, ancien élève d’Henriquel Dupont, le (Armeleutemelerei). Il adopte une vision mènent à expérimenter non seulement les symboliste quand, en 1918, à la demande de procédés classiques de gravure, le burin et Bogdan-Piteşti, il fait lithographier le portrait l’eau-forte mais aussi le monotype, genre dans d’après nature d’Alexandru Macedonski.50 lequel il obtint des résultats remarquables. Steriadi connaissait le poète par sa première Dans les deux planches exposées à la Société femme Nora Condrus, originaire du milieu (Le cîme Vârful cu Dor, interprétation au aristocratique d’Olténie, d’où provenait aussi burin et à l’eau forte d’après la peinture de G. Macedonski. Malade, à la figure émaciée, le D. Mirea datant de 1900, et Le Sphinxe, eau- personnage montre encore l’élégance forte d’après la sculpture de Dimitrie Paciurea ostentatoire par laquelle Macedonski de 1912),54 l’artiste traduit avec sensibilité la exaspérait ses contemporains. rêverie et l’iréel de l’atmosphère symboliste. Figure proéminente des milieux artistiques Trois sont les artistes qui seront adoptés au début du XXe siècle et après, Cecilia par la Société sous les auspices symbolistes, Cuţescu-Kunzer-Storck51 débute comme Dimitrie Paciurea (1873-1932) en 1907, Ion peintre aux ascendances symbolistes. Ses Theodorescu-Sion en 1909 et Theodor Pallady modèles bohémiens sont figurés dans des en 1911, chacun suivant des maîtres espaces neutres animés seulement par des symbolistes reconnus comme Rodin pour feuilles succulentes qui mettent en valeur le Paciurea, Fantin-Latour pour Sion, Gustave dessin onctueux des formes. Salomé, Moreau et Puvis de Chavannes dans le cas composition de 1910 est un thème de de Pallady (Fig. 12) (Fig. 13). prédilection pour les symbolistes, que l’artiste Le catalogue de 1910 s’ouvre avec deux traite par une surprenante juxtaposition des textes introductifs signés, un par George têtes.52 Murnu et l’autre par Theodor Cornel.55 Après 6 3 Fig. 12 – Ion Theodorescu Sion Lux in tenebris lucet. Reproduit Fig. 13 – Theodor Pallady L’Automne (panneau décoratif). dans la Neuvième exposition de peinture et de sculpture de la Reproduit dans la Quinzième exposition de peinture et de Société Tinerimea Artistică, [Catalogue], Bucarest, 1910, cat. 222. sculpture de la Société Tinerimea Artistică, [Catalogue], Bucarest, 1915, cat. 120.

avoir fait appel à une devise du philosophe la bonne tradition symboliste, « l’idéal c’est la Charles-Victor Cherbuliez, sur l’action force motrice de l’âme, il ramasse autour de civilisatrice de l’art, Murnu évoque la lui les énergies, les renforcent et les pousse merveilleuse action du groupe d’artistes de la vers le victoire ».56 Ces mots constituent, dans Société Tinerimea Artistică motivés et réunis un certain sens, la clôture d’une époque par la force de l’idéal. Car affirme­t­il, selon marquée décisivement par le symbolisme.

Notes 1 Voir Adrian Marino, Viaţa lui Alexandru 3 Pour « le style Bing », à voir entre autres Gabriele Macedonski (Vie d’Alexandre Macedonski), Bucureşti, Fahr-Becker, Jugendstil, Könemann, Köln, 1996; 1966, pp. 430-431. Jugendstilgraphik [Editéur Thomas Walters, biographies par Gabriele Sterner], DuMont 2 Voir Theodor Enescu, Luchian şi primele Taschenbücher, Köln,1980. manifestări de artă independentă în România. Eseu 4 Paul Constantin, Arta 1900 în România, Bucureşti, asupra gustului artistic la sfârşitul secolului al XIX­lea 1972. in Scrieri despre artă, Ed. soignée par Ioana Vlasiu, 5 Petre Oprea, Date despre activitatea Societăţii 6 4 vol. I, Bucureşti, 2000, pp. 95-116. Tinerimea Artistică între 1902 şi 1916, in SCIA, 2, 1963, p.466-472; Societăţi artistice bucureştene, româneşti din secolul al XX-lea, D-K, vol. II, Muzeul Bucureşti, 1969. de Artă al R.S.R., Bucureşti, 1981. 6 Buni artişti, buni camarazi [Catalogue par Marian 18 Pour Cottet et Simon, voir Léonce Bénedite, La Constantin], Muzeul Naţional Cotroceni, Bucureşti, peinture au XIXe siècle, Paris, s.d., p. 210 et 213. 18 mai–30 iunie 2001. 19 Voir Theodor Enescu, Simbolismul şi pictura, in 7 Amelia Pavel, Orientări în critica românească de Scrieri despre artă, vol I, op.cit., p.160-163. artă:Th.Cornel, in SCIA, XII, 1965, pp. 285-298. 20 Societatea Tinerimea Artistică. A treia exposiţie 8 Pour Anastase Simu voir Remus Niculescu, de pictură şi sculptură, op.cit., (1904), n°50. Bourdelle et Anastase Simu in Antoine Bourdelle (1861- 21 A şeaptea expoziţie de pictură şi sculptură a 1929) vecteur de la modernité, Bucarest-Paris, une Societăţii Tinerimea Artistică [Catalogue] 9 martie-1 amitié franco-roumaine [Catalogue] Musée National mai, 1908, no. 42. 22 d’Art de la Roumanie, 2006, p. 61-91. Les Couleurs du jardin dans le paysage roumain 9 Pour Alexandru Bogdan-Piteşti voir Theodor [Catalogue par Rodica Matei, Denia Mateescu et Enescu, Primul muzeu de artă românească modernă: Ruxandra Dreptu], Muzeul Naţional de Artă al Colecţia Alexandru Bogdan-Piteşti, in Scrieri despre României, Bucureşti, 2006, cat. 79. 23 artă, II, Ed. soignée par Ioana Vlasiu, Bucureşti, 2003, Pour Luchian voir Theodor Enescu, I. Formaţia p. 29-163. lui Ştefan Luchian et II. Semnificaţia picturii lui Ştefan 10 Nicolae Petraşcu, Icoane de lumină, Bucureşti, Luchian, in Scrieri despre artă, vol I, op.cit., p.15- 1972, p. 85-89. 255 et aussi Petru Comarnescu, Luchian, Bucureşti, 11 1954. Voir Gheorghe Vida, Istorismul şi pictura 24 românească din a doua jumătate a secolului al XIX­lea Societatea Tinerimea Artistică. A treia exposiţie şi începutul secolului XX (L’historisme et la peinture de pictură şi sculptură, op.cit., (1904), n°181.Variante du célèbre pastel executée en 1907-1908, repr. in roumaine de la deuxième moitié du XIXe siècle et du Luchian.Peisajul şi compoziţia în aer liber (Luchian.Le commencemment du XXe siècle), in Artă românească. paysage et la composition au plein air), [Catalogue par Artă Europeană. Centenatr Virgil Vătăşianu, Oradea, Ştefan Diţescu], Muzeul de Artă al RSR, Bucureşti, 2002, p. 323-329. 1968, n°53 12 Theodor Enescu, Momentul 1910 în istoria artei 25 Alexandru Tzigara Samurcaş, Expoziţia Tinerimii moderne româneşti, in Scrieri despre artă II, op.cit., artistice II (1904), in Scrieri despre arta românească, p. 9-28. ediţie îngrijită, studiu introductiv, cronologie, 13 Hans H. Hofstätter, Symbolismus und die Kunst bibliografie şi nore de C.D. Zeletin, Bucureşti, 1987, der Jahrhundertwende, Verlag M. Du Mont Schauberg, p.134. Köln, 1965; Le Symbolisme en Europe [Catalogue], 26 Pastel, aujourd’hui dans la collection dr. I. Capota Paris, Grand Palais, mai-juillet, 1976; Lost Paradise. de Tecuci, voir Theodor Enescu, Scrieri despre artă, Symbolist Europe [Catalogue], The Montreal Museum II, op.cit, p. 130 n°12 (25). of Fine Arts, June, 8-October 15, 1995. Pour les 27 À voir Expoziţia retrospectivă Luchian, collections roumaines, voir aussi Ars et Tekhné. Expoziţie [Catalogue par Virgil Cioflec], Academia Română, de grafică simbolistă şi Art Nouveau [Catalogue par Bucureşti, 1-31 martie 1939, no.1 Mariana Vida], Muzeul Naţional de Artă al României, 28 Elena Mateescu, Maria Grigorescu, Doina Bucureşti, decembrie 2001–martie 2002. Stoian, Stela Ionescu, Rodica Teodorescu, Repertoriul 14 Voir Petre Oprea, Constantin Artachino, in Scrieri graficii româneşti din secolul al XX-lea, L-O, vol. III, despre arta românească, Bucureşti, 1971, p. 7-24; [1985] nr. 5654,5689. Liza Damadian, Mariana Văzdăuţeanu, Doina 29 Voir Georges de Feure (1868-1963, [Catalogue Penteleiciuc, Repertoriul graficii româneşti din secolul par Ian Millman], Van Gogh Museum Amsterdam, al XX-lea, A-C, vol. I, Muzeul de Artă al R.S.R., Waanders Uitgevers, Zwolle, 1993. Bucureşti, 1978. 30 Societatea Tinerimea Artistică. A treia exposiţie 15 Constantin Artachinio (1870-1954) [Catalogue de pictură şi sculptură, op.cit, (1904), n° 192.Voir aussi par Ruxandra Dreptu], Muzeul Naţional de Artă al Gheorghe Patraşcu desenator şi gravor [Catalogue României, Bucureşti, 2004, cat. 2. Le tableau a été par Mariana Văzdăuţeanu], Muzeul de Artă al RSR, reproduit dans « Calendarul Minervei », Bucureşti Bucureşti, s.d. [1972], n°1. 1904. Apud Georgeta Răduică, Nicolin Răduică, 31 Musée d’Art de Tulcea, huile. Calendare si Almanahuri româneşti. 1731-1918. 32 Voir entre autres pour Ştefan Popescu, Expoziţia Dicţionar bibliografic, Bucureşti, 1981. de grafică Ştefan Popescu [Catalogue par Liza 16 Societatea Tinerimea Artistică. A treia exposiţie Damadian], Muzeul de Artă al RSR, Bucureşti, 1969 de pictură şi sculptură [Catalogue], 14 martie–1 mai et aussi Ene Elena, Vida Mariana, Gravura în relief. 1904, cat 1-3. Artişti din România. 1900-1950, Muzeul Naţional de 17 Muzeul Toma Stelian. Catalog (Pictură, Artă al României, Bucureşti, 1997. sculptură şi desen), Casa Şcoalelor, Bucureşti, 1939; 33 Dana Bercea, Liana Mateescu, Repertoriul Elena Mateescu, Maria Grigorescu, Florica Arsenie, graficii româneşti din secolul al XX-lea, P, vol. V, Doina Stoian, Stela Ionescu, Repertoriul graficii Muzeul Naţional de Artă al României, Bucureşti, 1998. 6 5 34 Muzeul de Artă Constanţa. Expoziţia permanentă 46 Voir La mort de Lumânărică, in Apcar Baltazar [Catalogue coordonné par dr. Doina Păuleanu], [Catalogue par Dana Herbay], Musée National d’Art Chimprest, Constanţa, 1998, p. 34 et 165 (donation de la Roumanie, Bucureşti, 1980-1981, n°33. Le cadre du dr.Gh.Vintilă pour le Musée d’Art de Topalu). décoré avec des bougies s’éteindrant fait semblant à la 35 Petre Oprea, Ipolit Strâmbulescu, artist şi mort et au nom du vieux clochard. profesor, in Scrieri despre arta românească, op.cit., 47 A opta expoziţiune de pictură si sculptura a p. 73-85. Sociatăţii Tinerimea Artistică [Catalogue], 15 martie- 36 A şeaptea expoziţie de pictură şi sculptură a 15 aprilie 1909, n°15. Societăţii Tinerimea Artistică, op.cit., (1908), n°108. 48 A şeaptea expoziţie de pictură şi sculptură a 37 Voir Theodor Enescu, Nicolae Vermont in Scrieri Societăţii Tinerimea Artistică, op.cit. (1908), n°28. despre artă II, op.cit., p. 152-156. 49 Voir Călin Dan, Steriadi, Bucureşti, 1988. 38 A noua expoziţiune de pictură şi sculptură a 50 Jean Al. Steriadi. Litografii [Catalogue par Societăţii Tinerimea Artistică [Catalogue], Bucarest, Mariana Vida], Musée National d’Art de la Roumanie, 11 aprilei 1910, n°165. aprilie-octombrie 2005, n°6. 39 A unsprezecea expoziţiune de pictura si sculptură 51 Voir surtout les mémoires de Cecilia Cuţescu- a Societăţii Tinerimea Artistică [Catalogue], Bucureşti, Storck, Fresca unei vieţi, Editura Vremea, Bucureşti, 1912, n°355. 2006 et aussi Marin Mihalache, Cecilia Cuţescu-Storck, 40 A noua expoziţiune de pictură şi sculptură a Bucureşti, 1969. Societăţii Tinerimea Artistică, op.cit., (1910), n°103. 52 Pour ce thème à voir Hugo Dassner, Salomé, 41 A douăsprezecea expozitiune de pictură şi Hugo Schmidt Verlag München, s.d.[1912]. sculptură a Societăţii Tinerimea Artistică, Bucureşti, 53 Gabriel Popescu.1866-1937. Expoziţie 31 martie 1913, n°180. retrospectivă [Catalogue par Stela Ionescu], Muzeul 42 Voir Ion Zurescu, Verona, Bucureşti, 1957. de Artă al RSR, Bucureşti, 1969. 43 A cincisprezecea expoziţiune a Societăţii 54 Ibidem, n°5 et 7. Tinerimea Artistică [Catalogue], Bucureşti, 29 martie 55 Theodor Cornel, Cuvânt despre frumos in A noua 1915, n°282. 44 A zecea expoziţiune de pictură şi sculptură a expoziţiune de pictură şi sculptură a Societăţii Tinerimea Societăţii Tinerimea artistică [Catalogue], 23 aprilie, Artistică, op.cit., (1910). Signalons les vignettes réalisés 1911, repr. n°2. par Cecilia Cuţescu-Storck pour ce texte. 56 45 Elena Mateescu, Maria Grigorescu, Florica George Murnu [Introducere], in A noua Arsenie, Doina Stoian, Stela Ionescu, Repertoriul expoziţiune de pictură şi sculptură a Societăţii Tinerimea graficii româneşti din secolul al XX-lea, D-K, vol. II, Artistică, op.cit., (1910). Cette fois les vignettes nr. 3901-3912. appartiennent à Ary Murnu.

6 6 The theme of the femme fatale – a reference in fin-de-siècle culture, not only captured social meanings (connected to women’s fight IMAGES OF SALOME IN THE for emancipation) but maybe also represented an opportunity to impose the symbolic model ROMANIAN ART of a feeble and spoilt masculinity. Synchronic to the feminist movements from the Western area, the subject step out the bounderies of aesthetics by its bias to present. Charles Turgeon, professor of political economy at the Law School of the Rennes University, who in 1902 analysed rigurously the French feminist movement, used to consider it as a reality of the contemporary times.1 The subject used to include questions of civil rights, a woman’s Corina Teacă career, and so on. Seen from this point, the woman’s attitude was perceived as strong and forces. Writers as Rachilde (Marguerite strange, and maybe hence it follows her Aymery), Joris-Karl Huysmans, Charles demoniac treats. The symbolist-decadent Baudelaire, Oscar Wilde, or – in the literature gave a sublimed mirror-image of the Romanian area – Adrian Maniu, Mateiu woman, who is described in two contradictory Caragiale, Dimitrie Anghel, etc., explored in ways: one side repressive, sensual and cruel, their works the different angles of the subject. under the figure of a despisable human being; Raoule de Vénérande, the heroine of the the other side innocent, pasive, ghostlike: an outrageous novel of Rachilde4 – Mr. Venus – immaterial character whose pure nature made (published in Brussels in 1884), or Salome the her intangible. In the Viennese ambiance the main character of the homonymous play of relation masculine-feminine used to challange Wilde, belong to this category. The novel of authors as Rosa Mayreder, Rudolf Lothar or Rachilde – judged as obscene –, shocked the the Russian-native Lou Salome-Andreas. public opinion by its concept of sexual and Rosa Mayreder remarked in her male power inversion. It was a reverse perspective contemporaries a certain effeminacy in to the established social laws, unacceptable contrast with the active, dynamic position of for that time, a private order where the woman the modern woman. The virile expression of takes control of the relation, dominating the the contemporary woman seems to go man physically and mentally, assuming together with an increasing devitalization of masculine fundamental social attitudes and the male. The transformations she noticed positions: seduction, violent sexual possession, regarding the essence of genders, modified – financial support.5 This mental cast of the she suggested – their perception.2 In his turn, dominating, detached woman (a real fact Rudolf Lothar identifies the existence of a considered also by the misogynist Otto feminine imprint over the sensibility of the Weiniger in his book),6 competes with an time; he talks about a woman’s will of power ambiguous masculine pattern, perverted by having as a consequence the transmission contamination with feminine treats: this is the of the female’s hyper-sensitiveness of the crossing point of literary fiction and real life. gaze, pleasure, thinking, feeling Weiniger’s assessement that there is a overwhelming the man.3 In painting and correspondence between the female’s sculpture themes as Salome evoke this emancipation and the masculine side of her discourse related to the partition and the personality7 responds to the current opinion. instable balance of masculine and feminine On the other hand, the decadent texts reveal

REV. ROUM. HIST. ART., Série BEAUX-ARTS, TOME XLIV, P. 67–71, BUCAREST, 2007 6 7 a particular feminine pattern, a fragile, Stuck or that of Hans von Marees,13 but also spectral appearance whose existence is in the split composition. The image combines related to the process of creation; her real – the dancing Salome – and fantastic troubled, artifical image is destined to induce elements: the spectral face in the background and stimulate the artist’s capacity to dream. and the male presence in the lower part, which Not the natural beauty but the beauty of a in this context has the significance of the reign painting – Salome by Gustave Moreau – of eternal life. Possibly not only the saint’s makes des Esseintes – the hero of À rebours head on the dish but also the other two by J.K. Huysmans – dream, experince real masculine appearances were interpreted by emotions. “Dans l’œuvre de Gustave the painter as representations of St. John; so, Moreau, conçue en dehors de toutes les he appears as a threatening ghost (the données du Testament, des Esseintes voyait spectral face), as an inanimate body (the enfin réalisée cette Salomé, surhumaine et head on the dish), and as an immortal soul étrange qu’il avait rêvée.” In the same line (baptized in the waters of the Jordan, a hint to could be meant the relation of Dorian Gray eternal life). The pose of St. John with rising with the young actress Sybil Vane, a woman hands sends to a Böcklinian type: the central who stirs up his passions only by her talent; panel of the triptych Fertur Lux in Tenebras and only performing on the stage she exceeds (1881, Berlin, Nationalgalerie).14 By contrast, her condition becoming a living piece of art.8 the glamourous Salome is dancing excited by This passive significance of the woman, her victory. Her figure evokes that permeable and dependent to imagination spiritualism of Luxuria characteristc to the stimuli, contrasts deeply with those embodied end of the XIXth century15 which Rita Thiele by Salome.9 decoded in the writings of J.K. Huysmans.16 The Romanian artists showed a superficial The scene reaches a morbid level, by offering interest in this subject:10 there are only few a metaphorical image of the vampire-woman. works in the public collections and others are An identical interpretation could be found in known by means of printings;11 these works Fr. Storck’s Salome (Fig. 2). The sculptor were never interpreted in the context of the develops this treat on the background of the subject and scarcely included in individual theme of the femme fatale, adding a note of contexts of the creation. animalism: her strongly erotic flowing corporal Among the firsts in this category are those attitude a recalls a the feline enjoying its prey. realized by Nicolae Vermont who painted at Those works are still unique in the Romanian least twice on the subject. Both pictures art. The critics never included them in their represented Salome as a passionate dancer comments and so we are forced to assume in the episode of the dance of the seven veils. that they were simply attempts to synchronize Although involved in the independant their creation to the most recent tendencies movement of the mid’ 90s together withŞtefan or they were executed for a very exclusive Luchian and other young artists of his public addicted to the symbolist movement. generation, Vermont – by his work in general In the literature such attempts are not ignored: – took a distance from . This is the Ilarie Chendi writing on the poetry of the reason why his biographers would find symbolist Iuliu Cezar Săvescu, rejects the similarities in style with Ludwig von Loefftz,12 aesthetics polluted by strange pathologies: “Ce his master in the Munich Academy, a păcat că idei atât de poetice, frumoase cu conservative artist known especially as a toată ciudăţenia lor, sunt întunecate landscape and genre painter. Symbolist adeseori de o notă patologică, de acel attempts in Vermont’s work are limited to a senzualism nesănătos, care imprimă few paintings and drawings, among them those poeziilor lor erotice un caracter abject!”17 already mentioned. In the first of these two In a different expressive way, but in the (Fig. 1) the mark of the Munich artistic same line of the discourse on the relation ambiance is obvious: not only in a certain dark erotism-dream/death are the two nudes 6 8 violence reminding the painting of Franz von rounded by flowers (Figs. 3,4), realized by Theodor Pallady after 1910; the vertical one, another gloss on the femme fatale theme, served as a cover illustration for Adrian Maniu’s poem Salome (published in 1915). Here, the invasion of the vegetal reign has a sexual meaning. The accent on the corporal, the clarity of the nude refer to seduction, to an erotism related by the theme of death. Every contextual detail, every possible connection to the Bible’s text or to the literary fiction are absent. Since the beginning Pallady avoided the forms enslaved to a literary source, preferring the suggestion as a mode of visual comment. Maybe this painting was not designed as a cover illustration but we have to admit that he assumed it: such a conclusion is imposed by the last cover of the book, illustrated with another image belonging to him – Abel (The prodigal son),18 creating a coherent discoursive path with all the aspects implied by the images: seduction, devotion, ascetism. Between these representation limits emblematic for the subject, the text of the poem runs, having as a final sequence, the death of Salome. In the horizontal copy, the relation dream/death-love is presented in a more delicate way, connecting the same sensual feminine type, abbandoned to the dream, with the flower, that here is pointing to her erogenous zones. Another example of the same connection is given by the painting of Kimon Loghi Post-mortem laureatus (ca. 1896) (exhibited in 1913 at the exhibiton of Fig. 1 – Nicolae Vermont, Salome, reproduced in Ileana I, nos5-6, 1901.

Fig. 2 – Friedrich Storck, Salomeea, bronze, Storck Museum, . 6 9 the society Tinerimea artistică),19 where the female dominating the image, keeps a cranium in her hands, exposed here as a sacrifice gift or a prize. Between 1910-191620 Cecilia Cuţescu Storck worked a series of pastels having Salome as a subject.21 Her interpretation ignores the common places of the time, the female artist transforming the devouring character into a penitent, a meaning taken over from her hubsband Fritz Storck (Pocăinţa, bronze, 1903, Căinţa, bronz 1903).22 She avoids the cliché of dancing Salome and reduces the story to two moments, both implying the theme of sorrow: a collective lamentatio (known in two forms) – a composition breathing a certain emphasis of sufferance, detached perhaps from such readings as the play of Wilde or the poem in prose of Maniu; the other one (Fig 5) superior in my opinion, known in three variants, cuts off from the extended story a relevant fragment, that of the kiss, a scene that could be related to the leitmotif of Wilde’s Salome: Je baise ta bouche Iokanaan, je baise ta bouche. Despite these possible connections, the influence of the literary source is strictly limited. Their point is to revalue the possiblilities of the iconic representation and to reinforce Fig. 3 – Theodor Pallady, Nude. the Christian message of the subject.

7 0 Fig. 4 – Theodor Pallady, Nude, oil on canvas, National Art Museum, Bucharest. 1 Charles Turgeon, Le Féminisme français. 9 Another case is that of Mme Chantelouve, the Notes L’Émancipation individuelle et sociale de la Femme, character in another novel of Huysmans Là-bas Paris, 1902, p. 4: Nous sommes donc en présence, non (1891): [...] simplul fapt că o cunoştea o făcea mai d’une simple agitation de surface, mais d’un courant puţin ispititoare, mai banală; accesibilul întrezărit profond qui, se propageant de proche en proche et uccidea himera. In J.-K. Huysmans, Liturghia neagră, s’élargissant de pays en pays, pousse le jeunes filles et Bucureşti, 2003. 10 les jeunes femmes vers les sphères d’élection, – études Another work having the same title was realized scientifiques et carrières indépendantes, – jusque-là by Dimitrie Serafim, work probably exhibited at the réservées au sexe masculin. exhibition Cercul artistic in 1907. The image returns 2 Rosa Mayreder, Zur Kritik der Weiblichkeit, us to Italian models of the XVIth century. 11 Essays. Jena-Leipzig, 1905, chap. IV: Von der See Catalogul Expoziţiei oficiale a artiştilor în viaţă in 1914; there are mentioned two works with Männlichkeit, apud Jacques le Rider in Modernitatea this subject: Salomeea by N. Grimani (cat. 77) and vieneză şi crizele identităţii, Iaşi, 1995, p. 112. Dansul Salomeei (The Dance of Salome) by Petre 3 Rudolf Lothar, Kritik in Frankreich, 1891 apud Troteanu (cat. 212). Gotthart Wunberg, Das Junge Wien, Tübingen, 1976, 12 Amelia Pavel, Radu Ionescu, Nicolae Vermont, vol I; p. 211. 4 Bucureşti, 1958. Rachilde wrote further novels where she analyzed 13 Also that of the Swiss painter Arnold Böcklin, this question under various forms: La Marquise de connected in his turn to the German artistic Sade, Madame Adonis, etc. environment. 5 Vassiliki Lalagianni, Sangsualité, vices et révolte 14 Dorothea Christ, Christian Geelhar, Arnold perverse: une lecture de La Marquise de Sade in Le Böcklin. Die Gemälde im Kunstmuseum Basel, fin-de-siècle dans le contexte européen. Actes du Öffentliche Kunstsammlung Basel, Basel, 1990. colloque international, 23-24 oct. 1998, Cluj-Napoca, 15 Lalagianni, op. cit., p. 67. ed. Napoca Star, Cluj-Napoca, 1999. For Lalagiani the 16 Huysmans Konzeption des Satanismus als reversibility masculine-feminine in this novel of „spiritualisme de la Luxure” findet eine Entsprechung Rachilde consists in the conversion of the epheb into a auf theoretisch-äesthetischer Ebene im Programm des mistress and simultaneously of the woman into the spiritualistischen Naturalismus. Rita Thiele, person who posseses him. p. 68: « D’une ‘délicate Satanismus als Zeitkritik bei Joris-Karl Huysmans, perversité’, comme le disait Barrès, le récit de Frankfurt a. M., Bern, Cirencester, 1979. Monsieur Venus met en scène l’amour étrange et 17 [What a pitty that so sublime ideas, beautiful voluptueux qui unit Raoule de Vénérande et sa despite their oddities, are often blurred by a ‘maîtresse’, l’ephèbe Jaques Silvert. » pathological connotation, by that insane animalism that 6 Otto Weininger, Sex şi caracter, Bucureşti, 2002; lends their erotic poems a loathsome spirit.] Ilarie the theory of Weiniger is based on the idea of the Chendi, Scrieri, Bucureşti, 1989, p. 74. 18 bisexuality of the human being. Toate particularităţile Also anterior. 19 sexului masculin se regăsesc la sexul feminin într-un Eventually a copy of the original; it knows Kimon stadiu mai slab de dezvoltare şi invers. (p. 44). ... Loghi, as other artists used to revisit various subjects sexualitatea nu se limitează la organele genitale şi la from his creation, so that there are two paintings glandele sexuale. (p. 52) Sexul nu este ceva care-şi are Orientala, one of them belonging to Peles Museum in Sinaia, and the other one to the National Museum of centrul într-un punct dat sau care se manifestă printr- Art in Bucharest (unfinished); at the same exhibition un anume organ; sexul acţionează asupra întregii fiinţe Loghi presented another symbolist painting Orpheus. şi, în consecinţă, se manifestă în fiecare punct în parte. 20 According to her biography, Fresca unei vieţi, (p. 53) Bucureşti, 1944. 7 Ibidem, p. 126. 21 In the collection of the museum “Frederic Storck 8 From a feminist point of view Regenia Gagnier şi Cecilia Cuţescu-Storck” in Bucharest. identifies in Sybil Vane an alter ego of the writer himself. 22 See Liliana Vârban, Ionel Ioniţă, Dan Vasiliu, [Wilde] ‘was really Sybil Vane, the actor who could Catalogul operelor de artă ale artiştilor din familia play any part’ Regenia Gagnier, Idylls of the Storck aflate în patrimoniul muzeului „Frederic Storck Marketplace: Oscar Wilde and the Victorian Public, şi Cecilia Cuţescu-Storck”,Bucureşti, 2006. The forms Stanford University Press, Stanford, 1986 apud John of the two sculptures recall also models from Gaugain’s M.L. Drew, Introduction in Oscar Wilde, The Picture paintings and engravings (the cycle Manao tupapau), of Dorian Gray, Wordsworth, Hertfordshire, 2001. In but integrated in to a different context. It must be fact, it confirms the translation masculine-feminine not mentioned that Fr. Storck returned a few times to this just inside the work but also in his life. For the discourse theme: there is an Art deco Salome since 1931, detached on artificiality and, by contrast, the disdain for the from this cycle whose decorative features hide away nature, see Lalagiani, op.cit., p. 68. or even cancel the Christian meaning of the first work. 7 1 7 2 Contraintes à répondre, vers la fin du siècle dernier, aux questions complexes qui ont accompagné le parcours accidenté de l’art LA SOCIÉTÉ TINERIMEA ARTISTICĂ. plastique roumain, les investigations des SA CONTRIBUTION AU dernières décennies se sont souvent arrêtées sur l’activité des sociétés artistiques, étudiant DÉVELOPPEMENT DE L’ART leur contribution à la transformation de la ROUMAIN DANS LA PREMIÈRE mentalité culturelle autochtone, leurs ėfforts e de coordonner le rythme de l’évolution de MOITIÉ DU XX SIÈCLE l’art national avec l’ample pulsation qui caractérise en même temps le monde moderne contemporain. Les études dues à des chercheurs tels que Al. Busuioceanu, A. Pavel, P. Comarnescu, Ruxandra Juvara B. Brezianu, Th. Enescu, P. Oprea, etc. ont mis en évidence les réactions favorables ou progressistes tels que Alexandru Odobescu les oppositions suscitées autour de leur ou Constantin Exarcu. Ceux-ci se constitution, les changements d’orientation préoccupaient non seulement des advenus et leurs échos survenus au long de témoignages attestant l’ancienneté du peuple leur existence, le statut et les conditions roumain, mais aussi de son l’instruction. En offertes aux artistes, enfin la mesure dans lui créant les conditions nécessaires à la laquelle elles ont aidé ou non à l’éclosion de réception d’œuvres d’art jusqu’alors personnalités marquantes de notre art inaccessibles au large public, par un contact moderne. direct avec des expositions périodiques, on Fondées donc, dès la huitième décennie envisageait une certaine impulsion revigorante du XIXe siècle au nom de quelques de la vie spirituelle et artistique roumaine. aspirations d’organisation et artistiques Même si elles provenaient plutôt d’un pressantes, les premières associations enthousiasme unificateur spontané visant à professionnelles se trouvent à Bucarest,1 la intégrer notre pays dans un essor européen capitale gardant la priorité, vu les initiatives, concordant que d’une évaluation lucide de durant la première moitié du siècle suivant, la situation des mouvements artistiques sur bien que surtout après la première Guerre le plan interne ou externe, ce désir de se Mondiale et parfois même avant, d’autres réunir, aussi peu vigoureux qu’il puisse villes de Roumanie, comme par exemple paraître, témoignait pourtant d’une intention Iassy, ou les grandes villes de Transylvanie régénératrice certaine, perceptible dans le (Braşov, Tg.-Mureş, Cluj) fussent entrées programme souvent utopique, aux prétentions aussi en compétition, offrant aux artistes des disproportionnées par rapport aux données milieux culturels propices à leur affirmation.2 pratiques immédiates que s’étaient proposées Etant donné que le moment quand l’utilité ces premières associations hétérogènes, effective de telles démarches s’est fait sentir rassemblant artistes plastiques, architectes, se situait à une époque historique marquée écrivains, amateurs d’art.3 par des transformations fondamentales dans Les artistes cherchaient à augmenter leurs tous les domaines, c’était normal que ces forces pour soutenir le prestige de la associations reflètent à l’origine les élans corporation et acquérir en même temps une patriotiques doublés d’aspirations meilleure appréciation individuelle, capable de éducationnelles des intellectuels aux vues les aider à améliorer les conditions matérielles

REV. ROUM. HIST. ART., Série BEAUX-ARTS, TOME XLIV, P. 73–81, BUCAREST, 2007 7 3 précaires de leur vie. Les éventuels avantages déclaraient ouvertement irrités par la présence auraient compensé, dans une certaine mesure, d’œuvres aux velléités modernistes, l’indifférence des gouvernants qui, contraints symbolistes surtout, au détriment d’œuvres à résoudre d’autres priorités, se montraient représentatives pour notre art national, peu intéressés à cette époque-là par l’éclosion comme celles de Grigorescu.5 des arts et les difficultés des artistes. Selon Gh. Petraşcu, Ştefan Popescu, Ipolit D’ailleurs, leurs réticences visaient également Strâmbulescu, Kimon Loghi et Frederik Storck les décisions des jurys officiels accusés de – les quatre derniers arrivés à Paris après subjectivisme non seulement dans la sélection des études à l’Académie des Beaux-Arts de et la présentation des œuvres, mais aussi par Munich – la manière dont s’était présentée rapport aux prix accordés. C’était donc la Roumanie devant les autres pays européens légitime que les objectifs principaux de ces était décevante, fait qui éveillait le désir d’un groupes répondent à leurs nécessités raccord véritable aux préoccupations et aux immédiates concernant l’aménagement idées qui donnaient à ce fin de siècle un parfum d’expositions supérieures à celles de l’État, spécifique, exaltant et décadent, aussi propice dans des espaces appropriés convenables à l’éclosion de la fantaisie qu’a la pour mettre en valeur les œuvres présentées concrétisation des projets de démarches et offrir l’opportunité d’un profit matériel régénératrices. espéré. D’ailleurs, les jeunes artistes roumains Bien sur, d’un point de vue actuel, les réunis à Paris avaient réussi à se faire plus inconvénients implicites issus de leur nature ou moins remarquer. Lauréat dans plutôt hybride et les maladresses dont se font l’exposition Münchener Secession de 1898 coupables les premières sociétés artistiques pour un portrait à résonance préraphaélite, – la Société des Amis des Beaux-Arts (1872- Kimon Loghi avait également manifesté ses 1876), le Cercle artistique littéraire Intim-Club penchants symbolistes dans une de ses (1885-1886), le Cercle artistique (fondé en œuvres, reproduite dans une revue du pays, 1890) et même Ileana, Société pour la un visage wagnérien, plutôt fruit de propagation du goût artistique en Roumanie l’imagination de l’artiste qu inspiré d’une étude (1897-1899) – justifient leur rapide d’après modèle. démembrement dû à des causes multiples: la Ştefan Popescu, à son tour, très intéressé diversité d’opinions des participants et surtout par des formules romantiques décadentes et l’inexistence de critères suffisamment clairs raffinées, avait souvent atteint des problèmes affectant autant l’organisation des expositions de style dans une correspondance soutenue que le jugement concernant l’appréciation de avec Dobrogeanu-Gherea et A.D. Xenopol la valeur des œuvres. Leur mérite essentiel, ou dans un article publié dans Arhiva de Jassy, en échange, réside dans l’agitation en 1898. Il faut mentionner qu’une année plus intellectuelle provoquée autour d’elles.4 tard, il avait peint lui-même une allégorie de La présence, en 1900, de la Roumanie à la musique en esprit Sécession, qui avait été l’Exposition universelle de Paris avec une acquisitionnée par le ministre Tache Ionescu sélection consistante d’œuvres de peinture, pour le lycée de Brăila. de sculpture et de graphique, avait suscité un Ipolit Strâmbulescu, lui aussi, laissait profond mécontentement autant parmi les derrière soi, en arrivant à Paris, une activité jeunes artistes roumains qui étudiaient alors digne d’attention. En dehors des chroniques dans la capitale de la France que parmi tous détaillées sur les expositions d’art de Munich ceux restés à la maison. Si les premiers, au concernant les maîtres de la Sécession, datées courant des démarches novatrices, de 1897 et 1899, publiées en Roumanie, il avait reprochaient l’incohérence de la sélection, les déjà réalisé quelques-unes de ses peintures autres, artistes ou commentateurs enclins à remarquables portant l’empreinte du goût fin- 7 4 soutenir les traditions autochtones, se de-siècle.6 Enfin, Fritz Storck, après avoir solidement distance qualitative entre la facture de celui- assimilé, à Munich, les subtilités de ci – la seule effectivement moderne – et le l’enseignement académique, se trouvait modernisme hésitant, avec des réminiscences maintenant à Paris, à la recherche de ces académiques, de ses confrères.7 Avec le représentations symbolistes souhaitées temps, les mêmes incertitudes allaient affecter convaincantes, capables d’exprimer des états inévitablement le parcours de la nouvelle d’âme ombrageux, tels que la douleur, la société qui, à la veille du nouveau siècle, pénitence ou le repentir. s’apprêtait à promouvoir, au nom des mêmes Etant donné que leurs options pro- aspirations exaltantes mais en fait sans réelle modernistes ne se retrouvaient pas dans la consistance, un art « libre et sincère », sélection d’art roumain présentée dans conservant plutôt, le règne de la même l’Exposition de Paris – celle ci, réalisée en confusion des valeurs. hâte, ne laissait pas entrevoir une orientation Ressentant les promesses que le début du bien définie – le projet contestataire de fonder, siècle paraissait offrir et surtout mus par la de retour au pays, une société artistique généreuse impulsion de stimuler ainsi le capable de mettre en évidence les aspects progrès et la prospérité de l’art roumain, les les plus vigoureux de notre art et de se montrer contestataires de Paris se réuniront à en même temps ouverte aux recherches les Bucarest, le 3 décembre 1901, dans une salle plus récentes dans tous les domaines de la de la fameuse brasserie Gambrinus, rue création, s’avérait en concordance avec leurs Câmpineanu, où, sous la formule incitante de préoccupations. Certes, une analyse « bons artistes, bons camarades », seront rigoureuse du climat culturel spécifique de la votés et signés les statuts de la nouvelle Roumanie aurait été également nécessaire société Tinerimea artistică.8 Sous afin d’attirer l’attention des cercles cultivés l’influence, probablement, de la fondation, en sur un tel groupe, surtout après la faillite des 1890, à Paris, de l’escomptée alternative du tentatives révolutionnaires, trop timides et Salon officiel – la Société Nationale des inconséquentes, de l’Ileana. Une telle Beaux-Arts, accusée par la suite de fournir analyse aurait considéré plus attentivement les mêmes kilomètres d’œuvres dépourvues les fautes et, pour installer plus fermement la d’intérêt – ou, plus probablement, sous nouvelle société sur le fondement solide des l’influence des expositions beaucoup plus expériences accumulées, aurait renforcé une stimulantes organisées ces dernières années exigence qui manquait et, en plus, imposé chez Durand-Ruel, la nouvelle association un impératif de la qualité conditionnant roumaine se voulait forte et indépendante, « la l’accès des membres seulement en fonction plus forte et la plus riche de toutes les de l’originalité de l’expression, de la associations conçues auparavant par nos pertinence de leurs créations sur le plan artistes du pays ». Pour que ce but soit atteint, spirituel. les fondateurs avaient projeté habillement, de Il faut remarquer qu’à cette époque-là, en la faire protéger dès le début contre les dépit du fait qu’on publiait fréquemment des attaques des officiels à l’aide diplomatique chroniques sur les expositions d’art, la plupart d’un mécénat aussi avantageux que puissant. des commentaires parus dans les périodiques En ce sens, le patronage de la Princesse du temps étaient subjectifs à l’excès, d’un Marie, sollicité au moment même de la goût relativement douteux et les affirmations, fondation de la Tinerimea artistică la plaçait souvent naïves, étaient sentencieuses ou d’emblée sous la protection d’un l’intérêt hyperboliques. Même les articles d’Al. mondain, suscité par la présence implicite de Bogdan-Piteşti ou L. Bachelin, les voix les l’élite au milieu des artistes, intérêt qui, à plus autoritaires du moment, qui s’étaient l’avenir, allait entraîner de soi-même des arrêtés sur le talent exceptionnel de Luchian, commanditaires et des amateurs appartenant ne rendaient pas suffisamment perceptible la à la haute volée, en garantissant ainsi autant 7 5 la survie de la société que sa reconnaissance principes de direction, membres de officielle en tant que personne morale, ce qui l’association, obligations et privilèges des s’accomplira effectivement par le décret du futurs membres – l’absence de tout critère 21 avril 1908.9 programme à destination limitative ou Bien sur, l’autorité de la Princesse signifiait restrictive concernant les artistes : ceux-ci la protection officielle, anticipant un probable n’avaient au début que l’obligation de bien-être matériel qui aurait pu assurer à soumettre leurs œuvres au jugement d’un jury l’avenir l’indépendance désirée et la qui, pour ceux devenus sociétaires par la perspective convoitée de l’affirmation par fréquence des participations, n’était plus l’intermédiaire de participations collectives nécessaire. La nouvelle association se situait aux expositions internationales, toujours plus sans doute dans la succession de la société nombreuses, organisées à l’étranger. Ileana, prenant parti pour l’art nouveau, Judicieusement anticipées, les conséquences s’avérant sincère, ouvert à la réalité, de ces prémisses favorables cachaient, préoccupé de capter les émotions, de rendre nolens-volens, le piège dans lequel les affects, de transmettre les états d’âme s’embourbera irrémédiablement, par des d’une nostalgique ambiguïté, en concordance cessions et des compromis, la jeune avec les tendances qui, chez nous, autour de association, ce qui mènera à la diminution de 1900, étaient perceptibles dans le domaine cet intérêt pour les expositions qu’on littéraire surtout. On décelait des tendances percevait jadis autour des manifestations des similaires dans les tentatives littéraires ou premières années. Car, en dépit de artistiques de la Princesse Ileana qui l’enthousiaste exaltation qui accompagne participera aux premières expositions de d’habitude tout début, les aspirations Tinerimea avec des pièces de céramique ou communes tendaient à mettre en ombre les de mobilier, des aquarelles aux fleurs ou des différences profondes qui existaient en fait vignettes dans le style ornemental typique de entre les artistes qui, du point de vue théorique, l’art nouveau. Ce goût métaphorique, aux étaient d’accord sur la nécessité de soutenir inflexions passéistes, réceptif aux aspects des affinités d’expression et des idéaux enrichis d’une empreinte légendaire esthétiques semblables. Ainsi, membres médiévale, sera agréable aux cercles sélects fondateurs ou sociétaires, ceux ci n’étaient et aura une influence notable sur les artistes pas, au fond, réunis véritablement par des occupant des positions de base dans considérations directement liées aux Tinerimea artistică, tel que Kimon Loghi. caractères plastiques de leur art, ce qui aurait Cette appétence pour les sujets à teinte établi sans équivoque ce changement notable sentimentale se retrouve chez d’autres par rapport aux réunions précédemment membres de la société également, de dissoutes ou aux associations qui Strâmbulescu et Verona jusqu’à Şt. Popescu fonctionnaient parallèlement (Cercul artistic, et Vermont. par exemple). La raison principale de On remarque en même temps une autre l’association, basée surtout sur le refus de direction qui, quoique épigone, sera souvent l’art officiel, sera assez vite quittée, perçue dans les expositions de la première directement ou indirectement, par le manque étape d’existence de Tinerimea artistică et de critères clairs pour l’admission des très appréciée par les amateurs riches nouveaux sociétaires, par leur marginalisation perméables aux références à la peinture du et même l’ignorance, pendant la première maître national, N. Grigorescu. Détournés décennie d’après guerre, des tentatives ainsi, en quelque sorte, de l’admiration qu’ils modernistes les plus hardies. portaient auparavant au style académique de D’ailleurs, les déficiences mêmes du statut G.D. Mirea, par exemple, ils dirigeront leurs de Tinerimea artistică sont significatives: préférences vers les artistes mentionnés ou 7 6 l’insistance sur les aspects administratifs – vers les membres de Tinerimea, situés à l’ombre du grand prédécesseur, tels que différences d’études, de virtuosité technique C. Artachino, Aricescu, N. Grant, etc. ou de dotation, et même les orientations Peu à peu la scission entre les stylistiques diverses ne restèrent pas représentants de Tinerimea, orientés vers inobservées. En général, d’une part sont des rêveries symbolistes, fournisseurs de classés ceux qui, conservant l’essentiel de la paysages idylliques de la campagne, de manière étrangère apprise, cherchent à s’en portraits «de caractère» situés en plein air ou dégager au profit d’une expression propre, sous la lumière d’une lampe, travaillés la comme Luchian, Vermont, Artachino ou plupart dans une manière réaliste, avec des Verona. D’autre part, ceux qui, restés fidèles suggestions impressionnistes et les aux formules qui les ont consacrés, les promoteurs de recherches individuelles, appliquent à des sujets d’invention souvent considérés choquantes par les personnelle, ou à des motifs « véritablement chroniqueurs, va s’accentuer. roumains », comme Şt. Popescu, Kimon Loghi En suivant les expositions d’une année à ou Strâmbulescu. Les mêmes tendances sont l’autre, on assiste malheureusement à un consignées dans les sculptures de Fritz Storck regrettable cantonnement des talents, et O. Spaethe. La présence de Gh. Petraşcu, prometteurs au début, dans l’une ou l’autre le seul artiste authentique qui restera, même de ces formules possibles ou à leur passage après la disparition de Luchian, un des artistes trop facile de l’une à l’autre, en fonction du de base de la société, en dépit des critiques moment ou des préférences des bénéficiaires, les plus dures, se faisait remarquer par sans un engagement spirituel effectif de l’originalité de sa peinture vigoureuse, à la l’artiste, sans que l’effort de l’élaboration fois impressionniste et dramatique et qui mène à un approfondissement et, annoncait une personnalité d’exception. éventuellement, à un enrichissement des Quoique comptant parmi les fondateurs, solutions individuelles de langage plastique. le peintre N. Grant et le sculpteur D. Mirea Pourtant, aussi sévère que soit la restaient presque inobservés. perspective du temps, il ne faut pas ignorer Bien qu’il n’y eût pas une scission le flux d’enthousiasme que déclenchera proprement dite entre un style «nouveau» l’apparition de ce ferment régénérateur, opposé à un art officiel, la présence de l’écho tout à fait étonnant qu’eurent les Luchian et de Petraşcu aurait été justement premières manifestations de Tinerimea le ferment le plus fertile qui devait ętre mis artistică. en évidence et fortifié à l’avenir. Ni les La première exposition collective de la principaux sociétaires de Tinerimea, ni les nouvelle société, précédée pendant l’automne critiques n’étaient réellement prêts à identifier de 1901 par une exposition en quelque sorte dans l’expression stylistique des œuvres de d’épreuve, sera inaugurée dans une festivité Luchian la fusion des antécédents spirituels organisée le 1er mars 1902.10 Parmi les de l’art roumain moderne avec les éléments meubles et les étoffes aux formes décoratives les plus révolutionnaires de langage plastique, réalisées selon les projets de la Princesse captant seulement au niveau superficiel des Marie, l’aménagement dénotait une attention références d’ordre thématique ou formel dans particulière pour l’aspect général de la le style fin-de-siècle, allemand ou français. présentation, un ensemble dans lequel les On pourrait dire que la réception de l’ainsi commentateurs avaient presque unanimement dénommé style 1900, aussi complexe et varié décelé une forte influence de l’école qu’il se présentait au niveau européen, trouvait sécessionniste munichoise. Quoique chez nous rien que la voie la plus accessible considérée nettement supérieure par rapport du réalisme bourgeois et de l’académisme à d’autres manifestations aux intentions naturaliste, aux accents plus ou moins similaires, l’aspect inégal, les différences impressionnistes, présents dans les salons visibles entre les douze participants, officiels de l’époque. Les versions roumaines, 7 7 symbolistes ou post-grigoresciennes, sont, en Theodorescu-Sion, R. Maniu, etc. Au nombre effet, moins choquantes que la vision bizarre, toujours croissant de membres vont contribuer «sommaire» et violemment poétique d’un ceux qui, aujourd’hui étiquettés « plutôt Petraşcu ou, plus tard, la rupture indiscutable artisans qu’artistes » seront considérés plus avec le passé proposée par Brâncuşi. ou moins responsables pour la dévitalisation Par conséquent, les expositions suivantes de la société, pour l’aspect terne de la de Tinerimea, organisées annuellement à Tinermea de l’après guerre, tels Al. Poitevin l’Athénée et régulièrement ouvertes au Scheletti, Al. Satmari, C. Aricescu, Leon Biju, printemps, avec le même faste, consigné Stoica Dumitrescu, etc. Malgré sa longévité, d’une manière élogieuse par les chroniques, elle faillit être abandonnée tour à tour par tous surtout lorsque la Princesse elle-même y ceux qui l’avaient auparavant rendue prenait part, ne seront pas trop différentes fameuse. de la première par l’accent prioritaire mis sur D’ailleurs, dans le chœur des voix ceux qui y étaient d’habitude présents. Les contradictoires qui avaient accompagné au douze membres fondateurs, groupe de base début l’ouverture de ces véritables ou Longhi, Strâmbulescu, Verona et Vermont événements, s’envenimait la confrontation gardaient leurs positions privilégiées, entre le clan des adeptes et défenseurs fidèles conserveront le droit de participer avec un des voies connues et les partisans des nombre accru d’œuvres dont on choisissait « balbutiements » et des « atrocités » de l’art aussi celles qui allaient être reproduites dans nouveau. Une intelligence clairvoyante les catalogues.11 comme celle de Mihai Dragomirescu voyait Quant aux changements, en manque de déjà en 1908 l’intensification de la révisions foncières, ils résultaient de la discordance entre les œuvres superficielles, présence accidentelle des invités d’honneur ternes et froides de Longhi, Artachino, (Grigorescu en 1903 et 1904 et qu’on avait Strâmbu, Aricescu, Bassarab, etc. et la vigueur pourvu d’une salle spéciale pour 30 de ses artistique, l’expression hardie et incisive des œuvres en 1912; Luchian, gravement malade, véritables créateurs – Luchian, Petraşcu, avec 15 œuvres, en 1910 – quand on Steriadi, Paciurea, Brâncuşi.12 Al. Bogdan- organisera aussi une exposition rétrospective Piteşti attirait également l’attention, l’année de 30 tableaux, dans une salle individuelle, suivante, en 1909, sur la contamination Andreescu) ou de la participation, anémique, progressive de la société par l’accueil de tous en 1904 et 1906, de quelques artistes les « non-avisés », ce qui plaçait sérieusement étrangers venus d’Athènes, de Vienne ou de le niveau des expositions sous un signe Paris, tous des artistes mineurs, ignorés d’interrogation.13 Remarquons que 1910 avait d’habitude par les commentaires. marqué un moment crucial dans l’histoire de Exceptionnelle la présence, en 1903, du Tinerimea artistică, enfin placée dans un sculpteur norvégien symboliste Carl Milles qui local propre – « Panorama Griviţa », se trouvait alors dans la capitale de la France, également connu sous le nom de « Panorama celle du peintre Henri Martin (un seul tableau) Braun » – par l’accueil dans l’exposition en 1911, celle du peintre anglais Frank d’śuvres d’un modernisme radical. Il s’agissait Brangwin (avec quelques gravures), en 1912. des sculptures de Brâncuţi La sagesse de la Cela n’empêchera pas l’amplification terre et Le baiser qui déclenchèrent des continue de la société grâce aux nouveaux protestations et des remarques fulminantes.14 membres cooptés, noms sonores de l’art Le professeur Al. Tzigara-Samurcaş avançait roumain, tels que les peintres J.Al. Steriadi, męme la suggestion qu’il fallait que le jury de Th. Pallady, Fr. Şirato, C. Ressu, Iosif Iser, Tinerimea artistică refusât de telles œuvres, N. Dărăscu ou les sculpteurs D. Paciurea, compte tenu du rôle éducatif que l’exposition C. Brâncuşi, Abgar Baltazar, C. Cuţescu- devrait avoir.15 Affecté, sans doute, par les 7 8 Storck, E. Stoenescu, S. Mutzner, I. articles des conservateurs, par les assertions malveillantes, même irrévérencieuses, la révolutionnaire signification initiale, en la provoquées par la présentation de la première remplaçant inexorablement par le règne de Măiastra, dans l’exposition de 1913 et « l’analphabétisme artistique ».18 franchement irrité par les critiques suscitées Même l’exposition jubilaire de 1928, par les cinq œuvres – La prière, Danaïde, aménagée plus soigneusement au Pavillon des Danaë (Portrait de Mlle Pogany), La muse arts, rue Kiseleff, fût âprement critiquée pour endormie et Le baiser – exposées en 1914, l’abondance des produits second hand (le le sculpteur décide de quitter le pays et poète Adrian Maniu avait parlé de la réédition s’installer définitivement à Paris.16 de la «grotte» de l’année passée) bien que la En fait, même avant la guerre, on ne pouvait société eût pu être fière d’avoir rassemblé pas empêcher le processus qui causait la perte aussi quelques śuvres des plus remarquables : d’éclat des expositions de la société – ce à côté des peintures de Luchian, Petraţcu, « grand sanatorium d’œuvres petites, E. Stoenescu, C. Cuţescu-Storck, S. Mutzner, malades », contentes de cohabiter dans une R. Maniu, E. Popea, J.Al. Steriadi, Şt. « mélodieuse somnolence », écrivait Arghezi.17 Constantinescu, se trouvaient aussi des La diminution de l’exigence des jurys sculptures de Paciurea (Chimère de l’air, favorisait l’afflux des pseudo-valeurs au Chimère de la nuit, Le dieu de la guerre, détriment des artistes de qualité qui, encore Méditation) et de Brâncuşi (Maiastra, en 1916, honoraient la Tinerimea de leur Mademoiselle Pogany, Tête d’expression, présence : Marius Bunescu, C. Ressu, L’amour, pièces qui se trouvent dans la J.Al. Steriadi, Gh. Petraşcu, E. Stoenescu, collection Storck), des gravures et des dessins I. Theodorescu-Sion, C. Medrea, etc. de Gabriel Popescu. Un souffle nouveau D’autant plus après la guerre, les semblait animer de nouveau la vieille difficultés augmentent à la suite de la Tinerimea artistică.19 démolition du Panorama Braun, imposant le La présidence de Kimon Loghi, charge retour obligatoire aux conditions modestes accomplie plus d’une décennie, a été permises par l’espace moins généreux offert rétrospectivement considérée salutaire par Al. par la rotonde de l’Athénée, ce qui peut Busuioceanu, car, ayant enfin l’intuition des motiver le retrait progressif des grands artistes voies progressistes, le peintre le plus à mesure que les perspectives des nouveaux réfractaire peut-être au renouveau du milieu groupes (Arta română, par exemple) artistique contemporain a réussi à appliquer s’avèrent très séduisantes. Par conséquent, « adroitement et fermement, avec tact et le déclin du niveau des expositions annuelles élégance » une autre stratégie et, en rouvrant de Tinerimea sera tel, qu’en 1926, à les portes fermées de la « vénérable » société, l’occasion de la 24e manifestation de la a fait place de nouveau à la jeune société, on ne retrouvera à côté de Petraţcu génération.20 Même si les expositions et les que L. Biju, C. Isachie, N. Mantu, J. Neylies, pages des catalogues continuent à recevoir, D. Pherekyde, etc. comme d’habitude, à côté des fondateurs les L’opposition manifestée vis-à-vis de représentants de la vieille garde, ce seront l’aggravation de la situation de la société à les nouveaux venus qui vont régénérer été signalée dans des comptes rendus dus à l’atmosphère en donnant aux expositions un des artistes importants, tels que Ţirato ou air d’actualité. Tonitza, à des intellectuels et des poètes Dans les années trente, nous découvrons admirateurs des arts, tels que T. Arghezi, M. parmi les membres de Tinerimea artistică Simionescu-Râmniceanu, O.W. Cizek, P. les peintres Lucian Grigorescu, Vasile Comarnescu, Al. Busuioceanu, etc. On blâme Popescu, Olga Greceanu, P. Iorgulescu-Yor, sans ménagement ces expositions Tache Soroceanu, Şt. Constantinescu, Adam «monotones, anémiques, dépourvues de goût» Bălţatu, O. Angheluţă, I. Ţuculescu, etc., les qui avaient réussi à nier à Tinerimea artistica sculpteurs Céline Emilian, Mac 7 9 Constantinescu, C. Baraschi, Ion Irimescu, dont elle était doucement rapprochée par B. Caragea, Ion Jalea, C. Medrea, Miliţa l’échec des «braves» de jadis qui, en dépit de Petraşcu et beaucoup d’autres encore. leur ancien idéalisme violent et tourmenté, Ce sont les années d’une période étaient à présent arrivés à ce résultat relativement fructueuse, période qui se «anémique, inexpressif et terne». prolongera jusqu’en 1947, lorsque les En conclusion, quoique la structure de la expositions accumulent de nouveau des société Tinerimea artistică ne se fût jamais centaines d’œuvres, mais sans jamais libérée du fardeau de la médiocrité, ni à son renoncer au fardeau insignifiant que la société époque de gloire, lorsque Th. Cornel saluait a sans cesse emmené avec soi. Reste « le merveilleux éclat » des formes nouvelles mémorable la chronique de T. Arghezi au avec des « expressions de plus en plus salon de 1943, lorsque les intentions diverses, plus étonnantes », elle représenta rétrospectives des organisateurs avaient peut-être justement cette confrontation avec éveillé l’ironie amère du poète, ses le mal nécessaire par rapport auquel, contre méditations lucides sur l’ancienne génération lequel les grandes valeurs de notre art révolutionnaire, sa déception face au présent moderne se sont définies, en gagnant leur «mariage» de la société avec le Salon officiel, vigueur et leur indépendance.21

Notes 1 La première association artistique – Societatea l’exposition biennale de Venise (I), in Rev. Roum. Hist. amicilor bellelor arte – fût fondée à Bucarest en juin Art, Série Beaux-Arts, Tome XXV, p. 71-81. 1872; la capitale verra aussi, jusqu’en 1947, l’ouverture 6 Pour l’étude approfondie des implications annuelle des expositions des sociétés Cercul artistic et symbolistes contenues dans les œuvres réalisées à Tinerimea artistică auxquelles s’ajoutent aussi, parmi Munich ou à Paris par Kimon Loghi, Strâmbulescu, d’autres, celles de l’association Arta . Pour un panorama Ştefan Popescu et présentes aussi dans leurs écrits, rapide sur l’ensemble des associations artistiques de cf. Theodor Enescu, Simbolismul şi pictura, in Pagini Bucarest (fondation, objectifs, expositions), voir: Petre de artă modernă românească, Bucureşti, 1974, Oprea, Societăţi artistice bucureştene, Bucureşti, 1969. p. 13-17, 23. 2 Plutôt réunion libre qu’association proprement 7 À propos du rôle joué par Al. Bogdan-Piteţti au dite, l’école de Baia Mare, initiée par Hollosi Corbul, long des années, vers la fin du XIXe siècle et le attira autant des artistes provenant de Transylvanie commencement du siècle suivant, voir Th. Enescu, que de l’Empire austro-hongrois et même d’ailleurs, Luchian..., op.cit. depuis 1896, Cf. Paul Constantin, Arta 1900 în 8 Sur les circonstances concernant la fondation de România, p.172 et suiv.; Raoul Şorban, O viaţă de la Societé Tinerimea artistică, voir A XXIV-a expoziţie artist între München şi Maramureş, Bucureşti, 1986, de pictură şi sculptură. Aniversarea a 25 de ani de la p. 68 et suiv., 143 et suiv. înfiinţare. Catalogue, préface par George Murnu, 3 Relativement aux conditions qui ont favorisé leur Bucureşti, mars 1926, p. 5 et suiv.; P. Oprea, Societăţi..., constitution et leur activité et surtout pour l’analyse op.cit, p. 41-44 et suiv.; à propos de l’état de l’art des causes qui ont déterminé leur dissolution, cf. roumain et des expositions ouvertes à l’Athénée à la Theodor Enescu, Luchian şi primele manifestări de veille de la fondation de Tinerimea voir aussi: Léo artă independentă în România. Eseu asupra gustului Bachelin, L’Art en Roumanie, I et II, p. 246-249, et III, artistic de la sfârşitul secolului al XIX-lea, in Studii şi pp. 428-429, in La Renaissance Latine, Ière Année, n° 2 cercetări de istoria artei, nr.3-4, 1956; Petre Oprea, , 15 juin 1902. Societatea „Cercul artistic” şi rolul ei în mişcarea 9 La loi sera publiée dans Monitorul Oficial du 8 artistică de la finele secolului trecut, in Studii şi (21) avril 1908. Signée par le Roi (Carol Ier), par le Cercetări de Istoria Artei, nr.1, 1959. Ministre des cultes et instruction publique (Spiru 4 Cf. Manifestul Expoziţiei internaţionale a Haret), et par le Ministre de la justice (T. Stelian); Societăţii Ileana (Bucureşti) 1898 , Th. Enescu,op.cit., n° 1048. p. 203 et suiv. 10 Nombreux, les comptes rendus visant cette 5 En ce qui concerne la présence de l’art roumain à première manifestation réunissent des échos mondains, l’exposition universelle de Paris, en 1900, et les des opinions pour et contre les tendances sécession réactions suscitées à Bucarest, voir: Ruxandra Juvara- (voir aussi B. Brănişteanu, Secession, dans Adeverul, Minea, La présence à l’étranger de l’art roumain au XV, n° 4532, 12 mars 1902) entrevues dans les œuvres premier quart du XXe siècle – la participation à des participants. Citons, parmi d’autres: 8 0 B. Brănişteanu, Expoziţia Tinerimii artistice, dans détracteurs, soutenu par Cecilia Cuţescu-Storck et N.D. Adeverul, XV, n° 4522, 2 mars 1902, p. 1; J.B. (Jules Cocea – véhément adversaire « des notions courantes Brun), Tinerimea artistică, in La Roumanie. Journal sur la beauté, une beauté banale et plate, comme celle conservateur quotidien, année V, n° 990, vendredi 8 agréée par notre bourgeoisie friande d’art » (B. Brezianu, (21) mars 1902, pp. 1-2; A. Costin, Expoziţia Tinerimii op.cit). artistice, in Literatura şi arta română, année VI, mars 16 Voir Theodor Enescu, Tudor Arghezi critic de 1902, pp. 211-212. artă, in S.C.I.A. seria Artă Plastică, Tome 11, 2, 1964. 11 Les petits catalogues qui accompagnent 17 Arghezi avait, déjà en 1911, une opinion exécrable d’habitude l’ouverture des expositions représentent concernant l’attitude qu’avait adoptée, manquant ainsi une source documentaire essentielle (nom des aux promesses initiales, la Société soi-disant jeune, participants, œuvres exposées, choix des images ). Les prématurément « ridée » apte seulement de promouvoir, chroniques et les comptes rendus, présents les ridiculement, « l’enfance sénile » de la plupart de ses premières années dans presque toutes les revues et les membres. D’ailleurs, l’œuvre qui trônait au beau milieu journaux importants, deviendront de plus en plus rares de la Xe exposition était le portrait (figure entière) de la après la guerre, quand les expositions de Arta Română reine Elisabeth, par Oscar Spaethe, une sorte de (association projetée à Jassy en 1917), se situeront « poupée en tôle, disproportionnée, balourde et raide », sur un niveau nettement supérieur. On prêtera une qui lui révèle « le génie de l’idiotie ». Non moins nouvelle attention, parfois non exempte d’ironies, corrosives, ses remarques visant Kimon Loghi, quand l’association « vieillie », « officielle », acceptera Aricescu, Strâmbu, Verona, etc. et justes, celles qui, en d’intégrer un souffle novateur (quatrième décennie). revanche, apprecient les peintures d’Iser et de Ressu. 12 Les commentaires de Mihail Dragomirescu Voir Tudor Arghezi, Expoziţia de pictură a Societăţii visant les œuvres de Brâncuşi (ses analyses sur les Tinerimea artistică, publiée in Facla, mai 1911, et idem, expositions de 1907 et 1908 in Convorbiri, 15 avril Expoziţia Tinerimii artistice (Note), in Facla, mai 1911; 1907 et Convorbiri critice, 15 mai 1908) sont les deux reproduites in Pensula şi dalta, p. 11-13, 14­19. mentionnés aussi in Barbu Brezianu, Brâncuşi în 18 Tonitza admettait, ironiquement, que durant ses cultura şi critica românească 1898-1914, vol. Pagini 25 ans d’existence, la Tinerimea avait apporté des de artă modernă românească, p. 71-74. « services incontestables » à l’art roumain, mais 13 Voir Al. Bogdan-Piteşti, Note de artă: Expoziţia qu’effectivement « tous nos talents ont été sinon societăţii Tinerimea artistică, in Anuarul presei române chassés tout au plus à peine supportés » au cœur de la şi al lumii politice, Bucureşti, 1910, p. 310 –311 et B. susdite association. Voir Tonitza, Scrieri despre artă, Brezianu, op.cit., p. 77-78. Bucureşti, 1964, p. 90-91 (apud Tinerimea artistică. 14 Citons seulement les chroniques de D. Karnabatt, Reflexii inoportune, publié in Universul literar, 21 mai Expoziţia Tinerimii artistice, in Seara, Ire année, n°310, 1926). 20 novembre, n°315, 25 nov., et surtout (idem, Luchian, 19 Voir Adrian Maniu, Expoziţia Tinerimii artistice, Artachino, Spaethe şi alţii) n° 328, 5 décembre 1910, in Rampa, XIIIe année, n° 3234, jeudi 1er nov.1928 pour ses opinions rétrogrades, pour le manque .Tout de même, les convictions sur l’art du poète d’intuition qui le pousse à considérer La sagesse de la s’avèrent plutôt conformistes si on tient comte du fait terre plutôt l’œuvre d’un fou que celle d’un génie. qu’il considère Brâncuşi présent seulement avec les 15 Comptant parmi les adversaires déclarés de la mêmes œuvres connues depuis dix ans, dont rien que Sagesse…,qu’il trouvait « en contradiction directe avec « le bizarre chapiteau d’un primitivisme qui reste encore toute la tradition esthétique » une sorte de « blague intéressant dépassant les singeries de la mode » (le inaccomplie, un égarement, une négation volontaire de Baiser) lui plaît encore. Quant aux chimères de Paciurea, l’art qu’on ne peut pas accepter », le professeur même s’il les mentionne, il ne les honore pas de Tzigara-Samurcaţ considérait qu’une telle œuvre commentaires. « conçue pour troubler les idées » devait être désavouée 20 Voir Al. Busuioceanu, Expoziţia Tinerimii au nom d’une « conscience accrue du rôle éducatif que artistice, 1941 in Revista Fundaţiilor, février 1941, les expositions étaient censées avoir sur les masses » p. 426-427. voir Al. Tzigara-Samurcaş, Cronica artistică. Expoziţia 21 Un regard rétrospectif assez juste, qui s’arrête Tinerimii artistice, in Epoca, 20 avril 1910 (chronique regrettablement, après l’exposition de 1926, in Petru reproduite exactement in Convorbiri Literare, avril Comarnescu, Însemnări despre Tinerimea artistică, in 1910 et mentionnée aussi in B.Brezianu, Brâncuşi şi S.C.I.A., seria Arta Plastică, n° 12, 1963 p. 610-617 et cultura… op.cit., p. 80-81); le contrepoids des 654-655.

8 1 8 2 Il y a près de onze ans, Simon Morley dans un commentaire sur la retrospective Brancusi ouverte à Paris en 1995, observait que la LA DIMENSION SYMBOLISTE DE LA recherche sur l’œuvre de Brancusi s’est SCULPTURE BRANCUSIENNE. polarisée au cours du temps selon deux directions.1 ÉTUDE DE CAS: LE BAISER La réception américaine, qui s’articula la première, dès la deuxième décennie du vingtième siècle, allait atteindre son réel épannouissement durand la deuxième moitié des années ‘60, à la faveur du minimalisme. À l’époque, Donald Judd saluait en Brancusi un précurseur – le créateur de l’objet spécifique. La composition brancusienne, Judd la voyait épurée des Matei Stîrcea-Crăciun derniers vestiges de classicisme et de effectivement rattacher aux doctrines symbolisme. symbolistes, sinon dans quelle mesure elle les La critique américaine, explique Morley, complète et les développe, exige le préalable sut mettre en lumière la façon dont Brancusi d’évaluations ponctuelles sur la teneur s’appropria des filons exotiques, notamment symbolique de chaque motif, voire de chaque africains et asiatiques, pour en exploiter à œuvre.3 fond les suggestions formelles, tout en les Sans doute, les conclusions d’un tel projet épurant de leurs charges culturelles et d’envergure fourniraient-elles d’importants historiques. L’artiste – affirme-t-on outre- renseignements, permettant de mieux Atlantique – s’engagea progressivement dans positionner l’esthétique brancusienne en une quête de la pureté absolue et, son art, rapport avec le symbolisme. sous-tendu par une forte dimension Et c’est dans cet esprit que notre prospective, s’imposa comme un répère communication se propose de présenter, à titre esthétique à part et influença plusieurs d’exemple, une exégèse inspirée par des générations d’artistes. methodes d’analyse de l’imaginaire pratiquées Morley souligne toutefois qu’en Europe, en anthopologie symbolique.4 l’intérêt à sonder la charge symbolique de la sculpture brancusienne l’emporte et finit par Le Baiser de Brancusi (1907) (Fig. 1) a configurer une direction de recherche souvent suscité des comparaisons avec le alternative. Baiser d’Auguste Rodin (1888-1889), Dans une synthèse que Ioana Vlasiu a tellement différent quant à sa manière et à consacrée, à la même époque, aux rapports son message (Fig. 2). de Brancusi avec le symbolisme, il est fait La composition de Rodin engage par mention que, dès 1958, Carola Giedion- empathie celui qui la contemple à s’identifier Welcker avait remarqué que « la manière aux personnages sculptés : le spectateur brancusienne d’animer et de réduire la participe mentalemement à une scène forme à son essence est, dans une certaine séduisante par sa beauté franche qui mesure, tributaire du symbolisme. »2 revendique, au fait, tout espace calme et accueillant. La question de savoir dans quelle mesure Par contre, dans le Baiser de Brancusi, la création brancusienne se laisse l’exigence de la figuration soignée perd son

REV. ROUM. HIST. ART., Série BEAUX-ARTS, TOME XLIV, P. 83–88, BUCAREST, 2007 8 3 importance, et les corps des amants sont reproduits dans la pierre de façon schématique, comme si l’artiste cherchait à dessein à subordonner l’expérience esthétique de la contemplation à un autre jeu de priorités. « Tandis que l’œuvre de Rodin représente deux amants assis sur un rocher, observe Ann Temkin, dans la version de Brancusi, les amants sont le rocher, n’ayant d’autre existence spatiale ou temporelle que la leur. »5

« La création du Baiser, notait à son tour Sidney Geist, imposa l’abandon d’un talent que Brancusi avait mis dix à développer. »6 Le sculpteur roumain eut la chance de travailler dans l’atelier de Rodin et de se rendre familier aux thèmes de son œuvre, il émula pour un court temps la virtuosité du Fig. 1 – Constantin Brâncuşi, le Baiser, pierre, 1907- maître et parvint même à gagner sa 1908, Musée de Craiova. confiance. Et pourtant, par des compositions telles le Baiser; Brancusi vient faire subitement volte-face et s’engage dans une polémique tacite mais virulente contre Rodin. * Dans le bois peint de Peter Behrens, (Fig. 3) le Baiser, 1898, les yeux des amants restent fermés, alors que l’embrassement l’artiste l’exprime par l’attouchement des bouches qui se cherchent, par le croisement des nez qui frémissent au sentir de l’odeur de la chair et surtout par les entrelaces de mèches de cheveux disposés en couronne, comme s’elles avaient le pouvoir de protéger l’intimité des amants contre toute intrusion. Il reste que la saillie du nez, au plan de la face, fait généralement obstacle à l’attouchement des joues lors d’un baiser. Brancusi tranche ce problème de la façon la plus radicale puisqu’il figure ses personnages comme s’ils navaient pas de nez. Et commes les deux visages parviennent ainsi à s’affronter parfaitement, le baiser des amants en est un des yeux plutôt que des bouches. Leurs regards hypnotiques pointés droit devant, dégagent l’énergie incandescente d’un arc voltaïque. Ce n’est toutefois point la Fig. 2 – Auguste Rodin, le Baiser, marbre, 1888, Musée joie séductrice de la contemplation réciproque 8 4 Rodin, Paris. que le sculpteur retient comme sujet de son œuvre, pas plus que l’abandon dont s’accompagne l’expérience érotique. À l’encontre des scènes imaginées par Rodin ou par Behrens, les amants de Brancusi tiennent leurs yeux largements ouverts. Alors même que le champ optique pour chacun d’eux se réduit à ne dévisager que les yeux de son partenaire. Qui plus est, l’ommission des nez et des oreilles7 dans la figuration des deux visages traduit, au fait, la suppression allégorique de l’olfaction et de l’ouïe avec, pour effet, de faire croître, encore d’avantage, le poids des regards qui se croisent. C’est bien dans ce contexte qu’il convient de reconnaître combien le rapprochement exacerbé des orbites confère aux yeux une valeur symbolique cardinale dans l’économie de la composition. Brancusi choisit de se placer à l’antipode du discours sensuel sur l’amour. Il importe de souligner combien chaque détail de l’allégorie qu’il construit vient répondre au dessein de retrouver dans l’art une vision de l’amour totalement affranchi de l’emprise du sensoriel – où n’interviennent ni les odeurs, ni les voix, ni même la tactilité puisque le couple est figé dans l’immobilisme.

Cependant, à bien regarder la sculpture, Fig. 3 – Peter Behrens, le Baiser, bois peint, 1898. on s’aperçoit qu’aucun indice morphologique sauf les bras n’explique la force exceptionnelle de cet embrassement8. Il est surprenant de dehors du temps aussi bien qu’au-delà de constater combien les bras des amants sont l’espace. frêles et comment ils conservent C’est comme si, au moment où il travaillait pratiquement inchangée leur épaisseur depuis la sculpture, Brancusi avait expressément eu l’articulation de l’épaule et jusqu’à la poigné. à l’esprit un verset du deuxième chapitre de Et puisque le sculpteur estompe toute la Genèse qui explique l’idée générique suggestion de muscles et d’os dans la d’accouplement: « C’est pourquoi l’homme figuration des bras, il rend d’autant plus laissera son père et sa mère, et il se joindra étrange cette étreinte tellement puissante à sa femme, et ils seront une même chaire. » qu’elle amène les visages àpresque fusionner (Genèse, 2.24) l’un dans l’autre. Acceptons, à titre d’hypothèse, que la Mais l’insolite des postures ne compromet composition a recours au détail insolite de point ici la crédibilité de la composition, si tant l’attouchement frontal des visages afin est que l’idée sous-jacente a en vue une notamment de traduire en langage plastique métaphysique de l’accouplement. Plutôt que l’action des époux de « se joindre » et de de dépeindre l’accouplement dans les termes devenir « une même chaire ». En d’autres d’une apothéose de l’introversion érotique, mots, acceptons l’idée que le Baiser l’artiste crée l’image d’un couple évadé en brancusien ait eu pour source d’inspiration 8 5 un texte de la Bible. Certes, la lecture en clef de leur dynamisme inhérent. Par contre, mythologique du symbolisme du Baiser l’amour, dans sa dimension de pérennité stable, prétend pour devenir crédible qu’elle soit rien ne saurait l’évoquer avec autant corroborée par quelque autre détail d’éloquence que la mase lourde d’un bloc allégorique de la même nature. rectangulaire en pierre. Dans le cas du Baiser De fait, un tel détail n’est pas difficile à de 1923 (Fig. 4), de la collection du Centre identifier. Considérons, par exemple, les Georges Pompidou, la forme légèrement quatre doigts réunis de chaque main qui arrondie des têtes évoque l’érosion de la pierre retrouvent, en les touchant à peine, les quatre comme pour faire allusion à l’érosion, que doigts réunis de la main opposée. Les pouces produit sur les humains, la vieillesse. n’y apparaissent jamais, comme s’ils étaient Dans une véritable antithèse de la danse retractés vers l’intérieur des paumes. Le motif érotique et de l’amour carnal, le Baiser des mains réunies est reproduit de façon évoque l’histoire d’un couple uni pour symétrique du côté droit et du côté gauche l’éternité, deux êtres enlacés qui fusionnent, de la sculpture. Et bien que l’angle sous lequel corps et âme, au point de se métamorphoser les mains sont inclinées diffère d’une variante en un bloc de pierre. Brancusi exalte la à l’autre, bien que la conformation des doigts pérénité de l’amour dans les termes de varie, elle aussi, notamment pour ce qui est l’inaltérabilité de la pierre, car, au fait, son de la longueur des doigts et de leur épaisseur, effort consiste précisément à les expliquer l’un le sculpteur conserve inchangée la figuration par le truchement de l’autre – l’acception de des mains aux doigts réunis. l’amour en tant que valeur cardinale dans la Il n’est peut-être pas dépourvu d’intérêt de société il l’éclaire dans les termes d’un attribut rappeler que dans les jeux d’ombres, cette essentiel de la pierre.9 position particulière de la main, au pouce Et il n’y a qu’à considérer la façon dont le rétracté, produit l’ombre d’une tête de serpent. sculpteur travaille le grain de la pierre dans Mais, il se trouve que le contour presque plusieurs variantes du Baiser pour se cylindrique des bras semble également censé convaincre que l’érosion mimée de la pierre faire allusion au corps cylindrique de serpents. ne s’adresse pas à l’œil, autrement dit que Or, cette suggestion subliminale à un serpent l’apparence d’objet ancien comporte plus enroulé autour du corps des amants renvoie, qu’une valeur purement esthétique. Il elle aussi, inévitablement à la scène de la convient d’y reconnaître une métaphore tentation d’Adam et Ève au jardin de l’Éden matiériste. Le Baiser se veut un symbole de puisqu’elle y introduit l’avatar de Satan. l’amour qui perdure à l’instar de la pierre qui Il s’ensuit que l’exégèse dispose ainsi d’au résiste à l’érosion du temps – à l’instar aussi moins deux raisons qui indiquent comme de la légende sur le couple d’Adam et Eve source d’inspiration du Baiser un texte qui traversa l’histoire pour imposer l’archétype biblique. de l’union entre l’homme et la femme. Brancusi substitue à dessein le carré ou Et quant à considérer l’impact esthétique le rectangle au cercle dans la structure de la de cette composition, il importe de relever composition (la prévalence des formes comment, cette fois, l’empathie est réctangulaires y est évidente) afin délibérément éliminée du processus de précisément de dresser un éloge à la réception. L’artiste ne pousse pas le constance de l’amour face aux épreuves de spectateur à s’identifier à la sculpture. Il lui l’existence. L’amour véritable, pour Brancusi, offre seulement un répère d’émultation qui se veut statique. Il n’y a d’amour, affirme-t­il se veut fascinant autant qu’intangible. dans le Baiser, que lorsque l’écoulement du Dans le Baiser de Brancusi, aucun temps ne lui porte pas atteinte. Et quant aux élément morphologique ne vient troubler la formes rondes, elles lui paraissent non plénitude candide autant que mûre du baiser 8 6 conformes dans ce cas, en raison notamment que se donnent les amants. Or l’expulsion de toute charge maléfique semble entièrement délibérée dans ce cas. L’anti-manichéisme du discours plastique transcende le scrupule esthétique pour se réclamer une dimension axiologique. « Chez Rodin, la tête de l’homme est au- dessus de celle de sa compagne, observe Sidney Geist; la différence absolue entre les sexes est symbolisée par le fait que les plans de symétrie des têtes se rejoignent à un angle droit. Dand l’œuvre de Brancusi, aucun personnage ne domine l’autre. Ils sont égaux dans le baiser .»10 Le sculpteur réitère avec insistence, par chaque nouvelle variante du Baiser (1907-1945), que la femme est l’égale de l’homme. Et les dimensions parfaitement égales des deux silhouettes énoncent, en termes physiques, une équivalence dimensionnelle qui intéresse le registre spirituel. Dans une lettre adressée au Maharajah d’Indore, Brancusi s’explique: « La hauteur d’une œuvre ne veut rien dire par elle- même. C’est pareil pour la longueur d’une pièce de musique. Par contre, les proportions intimes de l’objet font tout ».11 Par exemple, dans le Baiser de Craiova, haut de 28 centimètres, la proportion intime de Fig: 4 – Constantin Brâncuşi, le Baiser, pierre brune, 1923, Centre la composition, l’unique qui y compte, se laisse Georges Pompidou, Paris. facilement établir. Le rapport des personnages est 1:1. Et c’est peut-être bien là la formule maîtresse de l’amour qui perdure. Lorsque dans ses notes d’atelier il proteste rudement contre l’abus de sensualité À savoir que chaqu’un des époux soient l’égal 12 de l’autre. dans les arts du temps – on dévine qu’il Sans doute, l’austérité inhabituelle de ce reproche aux artistes de négliger la vocation discours allégorique soulève-t-elle la question majeure et pérenne de l’art, laquelle de savoir si le Baiser se voulait-il tributaire consisterait à édifier l’esprit plutôt qu’à le des visons théologiques sur la chasteté dans divertir. Le ludique et l’érotique sont, pour lui, l’amour. Et il convient d’approcher ce tolérables aussi longtemps que le discours des problème en prenant appui sur les données arts n’en est pas dominé. strictement biographiques concernant la Et si par le Baiser, le sculpteur parvient conception existentielle de Brancusi – laquelle ainsi à construire un exemple axiomatique d’un faisait une large part aux attitudes libérales art où l’abstraction retrouve pleinement les vis-à-vis des rapports d’amitié et d’affection acceptions qu’aller lui prêter Worringer en entre hommes et femmes – pour affirmer que référence aux œuvres de l’antiquité et du l’austérité de cette composition se veut Moyen Âge, le véritable grand mérite de exprimer une prise de position responsable Brancusi consiste à avoir mis en lumière les notamment au sujet de la condition laïque de ressources du discours plastique matièriste en l’art en tant qu’institution vecteur des libérant sa composition « mythologique » du structures axiologiques de la société. ballast des réitérations platement livresques. 8 7 * découvertes brancusiennes dans ce domaine. « La matière, explique Brancusi, ne dois Cependant, les discours convergeants pas être employée seulement pour servir finissent toujours par s’intersecter. Et ce n’est le but de l’artiste, elle ne dois pas être guère une simple coïncidence si Paul Neagu sujette à une idée préconçue et à une – qui passa pour maints critiques britanniques forme préconçue C’est la matière elle- pour le plus important sculpteur roumain même qui doit suggérer et le sujet et la d’après Brancusi – se déclare-t-il forme; les deux doivent provenir de explicitement redevable aussi bien à Brancusi l’intérieur de la matière et ne pas lui être qu’à Bachelard.15 imposée de l’extérieur ».13 Il convient de Il n’y a pas de conclusions à tirer, fussent- rappeler, en prolongement de cette citation, une note d’André Salmon où il est fait mention elles provisoires, à l’issue de cette étude de que « Brancusi fut le premier à imposer le cas. Car les problèmes que posent respect pour la matière ».14 l’assimilation correcte des contributions C’est bien regrettable que, pour avoir été esthétiques de Brancusi à l’edifice de l’art essentiellement centrées sur l’exploration de moderne sont trop complexes et prétendent textes littéraires, les études de Gaston – pour être extrapolables aux maints artistes Bachelard sur l’imagination matérielle ont qui subirent son influence – l’appui d’un manqué de tirer pleinement profit des ensemble plus riche de données.

Notes 1 Simon Morley, On the Myth and the Man: 9 « jamais reproduit en bronze, observe Marielle Brancusi, Art monthly, London July, 1995, p. 17. Tabart, (le Baiser) sera le premier motif à être 2 Ioana Vlasiu; L’exégèse de Brancusi et le développé de manièere thématique. Il devient l’emblème Symbolisme, Rev. Roum. Hist. Art, Série Beaux-Arts, du sculpteur. », cf. Marielle Tabart, L’atelier comme Tome XXXII, Bucarest, p. 96. lieu de mémoire in L’atelier Brancusi,Paris, 1997, p. 3 Le texte de cette communication est tirée d’un 70. volume en cours de parution (Matei Stircea-Crăciun, 10 Geist, Le Baiser, p. 17. Brancusi – L’intensité de la matière, Une approche de 11 Athena T. Spear, Brancusi’s Birds.New York symbolisme hylésique) qui réserve des analyses University Press 1969,... (version roumaine: aux Ed. ponctuelles à chaque motif analysé. Meridiane, 1976, p. 106-107.) 4 Voir notamment les recherches sur l’imaginaire 12 L’art qui se laisse excessivement séduit par les de Gaston Bachelard et de Gilbert Durand aussi bien pulsions tantôt érotiques tantôt pathétiques, il le définit que celles de Claude Lévi-Strauss. dans les termes les plus sévères: “C’est l’exposition des 5 Ann Temkin in Constantin Brancusi,1876-1957, femmes et des cauchemares réunis ou la masturbation (ed. Friedrich Teja Bach, Margit Rowell, Ann Temkin), generale.”, voir: Doina Lemny et Cristian-Robert The MIT Press, 1995, p. 90. Velescu, Brâncuşi inedit, Însemnări şi corespondenţă 6 La description morphologique très soignée donnée par Geist n’envisage pas de développements românească, Bucureşti, 2004, p. 68. 13 dans le plan du symbolisme de la forme. (Sidney M.M., Constantin Brancusi, A Summary of Many Geist, Le Baiser de Brancusi in Les carnets de l’Atelier Conversations, The Arts, vol. IV, No. 1, July 1923, Brancusi, Le Baiser, Centre Georges Pompidou, 1999, p. XX; La Dation Brancusi, Dessins et archives, p. 14.) (Marielle Tabart, Doïna Lemny ed.), Centre Pompidou, 7 Ibid. 2003, p. 98. 8 Il est difficile d’accepter le commentaire lyrique 14 Doina Lemny et Cristian-Robert Velescu, op.cit., de Geist qui fait intervenir « l’échange des regards, p. 454. l’attouchemement des lèvres » pour expliqer 15 Voir: Matei Stircea-Craciun, Paul Neagu, Nine l’accollement serré des amants. (op.cit., p. 13.) Catalytic Stations, A Study in Hylesic Symbolism, Anastasia Publ. House, Bucharest, 2003.

8 8 Née le 14 avril 1900 – année qui définit le courant Art Nouveau – et affirmée aux Salons officiels de l’entre-deux-guerres «par SUR QUELQUES PANNEAUX des peintures et dessins de facture DÉCORATIFS DE JEUNESSE traditionnellement réaliste, avec une légère morgue lyrique»,1 il va de soi que DE MINA BYCK WEPPER l’appartenance de Mina Byck Wepper au «courant» symboliste d’autour de 1900 ne peut être soutenue avec des arguments convaincants. D’ailleurs, peu nombreux sont les auteurs qui ont fait référence après 1990 à l’œuvre de l’artiste – je rappelle ici Amelia Pavel,2 Tudor Octavian,3 Ioana Cristea et Aura Popescu4 – et qui l’ont intégrée, sans Marian Constantin exception, au mouvement plastique d’après 1921, l’année de sa première exposition jusqu’à l’obtention de nouvelles évidences, personnelle. Les quelques illustrations imprudent de se hasarder à lui faire rejoindre, reproduites dans les albums de ces auteurs, même partiellement, le symbolisme d’origine toutes représentatives pour son activité de allemande. l’entre-deux-guerres, démontrent une Trois panneaux décoratifs de grandes peinture caractérisée par une plasticité dimensions, à nous signalés par un vigoureuse, appuyée sur un dessin ferme et collectionneur de Bucarest, nous découvrent une chromatique bien mise en valeur, toutefois une Mina Byck réceptive aux développée dans les limites d’un réalisme tentations d’un art de facture symboliste. objectuel, hérité, lato sensu, du Nous allons commencer leur présentation par postimpressionnisme, d’où ne manque pas le seul panneau qui peut être identifié l’intérêt pour la problématisation des formes, également par l’anné de sa réalisation. Haute encore nonassocié à une problématisation du de 2,10 m et large de 1,00 m, signée à droite, contenu thématique. en bas, en couleur brune «Mina Byck» et Le seul élément de la biographie de datée (1)918, l’œuvre est réalisée par la l’artiste qui pourrait permettre de la placer technique de l’aquarelle sur papier. La sous la «constellation» du symbolisme serait composition nous montre une jeune femme la période des études en Allemagne, quand – dans un paysage, surprise dans un état nous dit-on – elle a fréquenté l’atelier de Franz d’abandon estatique. La jeune femme est Stück. Il faut cependant remarquer qu’aucun représentée de front, en position assise, avec des exegètes mentionnés n’a fourni des le tronc légèrement incliné vers le côté droit. précisions sur le temps passé pour son Le bras droit est fléchi par dessus la tête, apprentissage en Allemagne, pour nous qu’il entoure, lui servant en même temps rendre éventuellement l’identification plus d’appui. Le bras gauche, également levé aisée, à l’époque, d’analogies avec l’œuvre jusqu’au niveau de l’épaule, attire après lui du maître munichois ; d’autre part, nous un voile rouge, aux plis circulaires (Fig. 1). n’avons pas retrouvé dans les œuvres de Le peintre a repésenté son modèle avec le l’artiste qui sont en circulation aujourd’hui sur buste dénudé, vêtu d’un voile de couleur ocre. le marché d’art bucarestois, des parentés Une colonne torsadée et un petit groupe avec le style, la vision ou l’iconographie du d’arbustes sont les principales composantes fantasque allemand. Il serait, par conséquent, de l’ambient de cette scène. Au premier plan

REV. ROUM. HIST. ART., Série BEAUX-ARTS, TOME XLIV, P. 89–94, BUCAREST, 2007 8 9 de l’image surprend une très riche végétation terre idéale, un « autre monde ». Les florale composée d’iris, de campanules, de personnages, partiellement dénudés, sont pâquerettes, de mirabilis…, c’est-à-dire des vêtus de longs voiles vaporeux qui n’évoquent plantes de jardin et de serre également, ce pas la mode ou les mœurs d’un temps qui indique un paysage imaginaire. Nous historiquement reconnaissable, faisant pensons que les arbustes du second plan ont toutefois, comme dans le cas précédent, une été inventés dans le même but de créer un allusion à un paganisme possible. effet « d’ailleurs ». Alors que pour le premiers ouvrage S’il nous fallait déduire le sujet de analysé, l’attitude « aquatique » pourrait être l’ouvrage à partir de l’analyse de l’attitude déduite à partir d’éléments accessoires – de l’héroïne, nous dirions que dans la vision formels et stylistiques en tant que de l’artiste a primé tout simplement réminiscences du langage de l’Art Nouveau, l’expression d’un état d’extase provoqué (ou elle est maintenant explicite et significative. bien renforcé) par la nature paradisiaque Nous avançons la supposition que le thème environnante. La jeune femme semble de cet ouvrage pourrait « raconter » l’histoire s’abandonner pour de bon à la rêverie, ayant de la source sacrée, ou de la sacralisation de l’air de flotter sur une couche de fleurs, portée celle-ci, ou bien, par extension, l’histoire de vers une terre ineffable et perdue dans le l’eau en tant qu’origine de la connaissance temps. À cette impression contribue l’aspect spirituelle. Tandis que le personnage féminin du vêtement qui – ainsi qu’on peut observer, répand la matière divine au-dessus de l’eau n’est ni moderne, ni historique, ni à ou bien répand de « l’eau vive » dans la proprement parler antique – tandis que nature la pubère s’incline dans un geste de l’impression de fluidité est évoquée par vénération sur la source, recevant dans quelques autres éléments formels : les courbes l’auget des mains la source bénite. Les en spirale de la colonne, les plis ondulés du visages de nos héroïnes sont sérieux et sereins voile, le contour serpenté du feuillage, et, et leurs gestes démontrent la solennité certainement, l’aspect de la guirlande de inhérente à un rituel. Deux accessoires liserons, qui se répend en cascade vers le sol. vestimentaires ayant une charge symbolique, L’idée de suggestion, de « sentiment renforcent cette dernière hypothèse : le ruban poétique » qui se transmet à l’observateur qui entoure la tête du « novice » « évoque la vient surtout du caractère énigmatique qui se participation à une action généreuse », et la dégage de l’attitude ambiguë du personnage, ceinture du même personnage a une « valeur dont les fantaisies restent vouées à l’intuition. initiatique sacralisante », étant « la La seconde composition, signée à droite, matérialisation d’un engagement (…) d’un en bas « Mina Byck », nondatée, haute de serment sacré »5; symboles de protection et 2,14 m, ayant beaucoup de similitudes avec de purification, les deux bandeaux à forme la première (ce qui nous amène à avancer circulaire indiquent l’aspiration à la perfection, toujours 1918 en tant qu’année de son l’accomplissement d’une promesse sacrée. élaboration) est configurée autour de deux Au-delà de la symbolistique présupposée, ce personnages : une jeune femme debout, au second ouvrage est aussi suffisamment centre de la composition, et, devant elle, un éloquent pour être attaché à une vision personnage pubère agenouillé au bord d’une symboliste. source (Fig. 2). Enfin, appartenant à la même zone de Le cadre naturel de l’image, tout aussi préoccupations et, croyons-nous, étant donnés abondant et divers que dans le premier les éléments communs du langage plastique, panneau, accumule des espèces végétales à la même période, le troisième panneau autochtones et exotiques, ce qui démontre à décoratif a pour protagonistes trois nouveau l’intention de l’artiste de figurer une personnages féminins. Exception faite d’un 9 0 terrain plus accidenté au plan rapproché et début. Elle a consigné pour cette année ses d’un horizon couvert de profondeur, le cadre premières expositions à Bucarest : une du paysage n’est pas différent de celui des « collective » dans le local de l’Université et œuvres précédentes. Conforme aux la première exposition personnelle. Après descriptions antérieures est aussi l’attitude des avoir rappelé les étapes de sa formation au héroïnes de cette scène, de nouveau réunies pays – l’école primaire et secondaire dans au bord d’un cours d’eau (Fig. 3). un établissement de religieuses à Bucarest Si par leurs physionomie et vêtements les et l’École des Beaux-Arts de Bucarest – elle personnages en position verticale pourraient note avoir fait des « études spéciales » à suggérer une simple scène exotique, le nu du Munich et à Dresde, sans spécifier les dates premier plan situe le discours dans le registre de celles-ci. Malgré cela, nous avons déduit de la méditation. Présentée dans la bien- qu’elle a étudié en Allemagne pendant les connue position réflexive rodinienne, la années 1921 et 1922, période où elle signale femme (appelons-la « la néophyte ») est ses seuls « voyages » à l’étranger. Voilà des assise au bord de l’eau, sur un rocher informations, précieuses, sans doute, mais pas recouvert d’une draperie rougeâtre (couleur assez concluantes pour la période que nous ayant une vieille charge initiatique). «Isolée» étudions. par sa propre nudité – qui peut être une note C’est à peine la rubrique « critiques » – de renvoi à l’idée de purification – absorbée c’est-à-dire des chroniques plastiques dédiées par de profondes pensées, elle semble avoir à son œuvre – qui dissipe l’incertitude qui a été surprise dans l’acte solitaire préalable à jusqu’ici plané sur le début, par la consignation l’initiation, qui va la propulser vers la à la fin de 1918 de « l’exposition de fin transgression de la condition profane. (Fig. 4) d’année ». À la suite de notre documentation Nous insérons ici également l’hypothèse qui à la Bibliothèque de l’Académie, nous avons nous a été suggérée pendant le colloque, constaté qu’un article de la revue Scena du suivant laquelle le thème de l’ouvrage serait 9 juillet 1918, dont le titre intégral nous les trois âges de l’humanité», quoique le nu – « dévoile » le maître, c’est-à-dire le modèle qui devrait repésenter la vieillesse, l’âge de Mina Byck, fait référence à ladite auquel nous abandonnons nos vêtements exposition –, organisée par les étudiants : profanes – ne porte pas de signes évidents « L’exposition de fin d’année de l’École des de la sénescence. Nous n’allons pas insister Beaux-Arts (section décorative), classe de sur les spéculations sur ce thème, qui ne M-me le professeur Cuţescu-Storck »6. peuvent être confirmées par des preuves D’ailleurs, Misu Teişanu, auteur de suffisantes, nous bornant à enregistrer cette l’article, part de la constatation que les création également située sur la direction de résultats méritoires des élèves sont dus pour l’art d’orientation symboliste. la plupart « au zèle et au travail savant de Il nous reste cependant à déchiffrer les M­me Storck », l’influence du professeur sources de l’œuvre de jeunesse de Mina Byck « étant transparente et se dégageant Wepper, autres que littéraires, auxquelles partout ». Teişanu s’arrête au début sur les nous pensons qu’elle aurait pu accéder grâce œuvres exposées, en mentionnant de à la bibliothèque de son père, le fameux prévisibles études décoratives qui reflètent linguiste Jacques Byck. Examinant « la fiche l’appropriation par les étudiantes de de création » de son dossier à l’Union des techniques et de thèmes d’atelier. La Artistes Plastiques, complétée par l’artiste deuxième partie de l’article est réservée elle-même, nous avons identifié un fil qui nous exclusivement à « M-lle Minna Byck (sic) » a permis de cerner les débuts symbolistes de dont l’auteur pense qu’elle se détache du reste l’artiste – d’ailleurs, elle a noté elle-même des exposantes autant par la précision de l’année 1921 comme étant son véritable l’exécution que par le talent surtout qui 9 1 l’anime : «ses œuvres (…) témoignent d’une prononcé des formes anatomiques, le rapport âme soumise à la passion noble et accentué lumière-ombre, la mise en relief désintéressée de l’art», ce qui dans le langage quasiplasticisante de la végétation et, surtout, de Teişanu pourrait signifier que l’agréable la consistance de la perspective aérienne sont décoratif a été dépassé par une orientation des facteurs qui mettent en évidence un type idéaliste. Le chroniqueur la considère déjà de « formulation » encore indécis, qui pendule une virtuose des « décorations abstraites » visiblement entre la manière de l’exppression (probablement, des compositions stylisées en aplatie, propre aux precepts ornementaux et partant des motifs naturels : «les jeux variés la tentation de la picturalité. de fond avec des cafards, des papillons, des À la différence de Teişanu, qui ne se fleurs et des assiettes stylisées, des motifs déclare pas contrarié par l’ambiguïté de de vases dans des styles différents »), mais il l’expression de l’artiste, deux années plus tard, s’arrête finalement sur les « 2 compositions Nicolae Tonitza, plus avisé, va ammender plus solides, en aquarelle – Le printemps et sévèrement l’équivoque du discours dans la L’automne – exécutées avec une chronique concernant Les expositions : munificence de coloris artistique», dans Vermont, Mina Byck, Saulescu, Mircescu.7 laquelle il entrevoit « ses futurs traits de Après avoir consigné que « M-lle Byck (…) paysagiste subtile ». est une débutante dans l’arène des arts Nous apprécions que les panneaux roumains », Tonitza scrute ses œuvres sans décoratifs que nous venons de décrire ménagements : « l’exposante aborde s’inscrivent dans la catégorie de ces également – avec un réel acharnement – le «compositions solides» signalées dans genre décoratif grand (n.s.), sans avoir, au l’exposition de fin d’année car, tout comme moins jusqu’à présent, le nerf nécessaire à dans celles-ci, des sujets au sens caché, dans cet art qui, par excellence, suppose une vision lesquels se manifeste la prédilection pour le synthétique, une riche et pourtant ordonnée genre du paysage, sont caractérisés par des fantaisie, mais surtout une profonde science dispositions en page hardies, un coloris riche du dessin et des lois du coloris ». et fin en même temps. Et nous nous hasardons L’exposition a été inaugurée en avril 1920, même d’identifier dans le premier panneau au Cercle « Libertatea », rue C.A. Rosetti et, analysé (datant de 1918) l’étude de l’exposition compte tenu de ses ambitions (« les pièces intitulée Le printemps, dont fait mention trop nombreuses »)8 et des dimensions des Teişanu. L’héroïne de celui-ci, débordant de œuvres exposées (« le genre décoratif jeunesse et de fraîcheur, entourée d’espèces grand »), l’auteur a dû la préparer solidement, végétales printanières, pourrait être toujours en tant que sa première exposition interprétée en tant que l’allégorie de la saison représentative.9 Les critique âpres, mais du réveil de la nature. Les yeux à peine pertinentes de Tonitza – celui-ci lui reproche entrouverts, les bras levés pour les dégourdir, justement l’ignorance des règles avec un sourire suave, prometteur d’un fondamentales du genre : la synthèse des nouveau commencement – toute son formes et l’ordre compositionnel – l’ont sans expression suggère le réveil à la vie (Fig. 4). doute déterminée plus tard de l’effacer de Si, en ce qui concerne l’iconographie, son palmarès, en conservant comme année l’influence du professeur sur Mina Byck est de sa première « personnelle » 1921, «transparente», ce n’est pas la même chose lorsqu’elle a eu, paraît-il, plus de succès.10 qu’on peut dire sur les éléments de langage Quelques photos conservées par le même plastique. À une analyse plus attentive, nous collectionneur nous font savoir que pendant constatons que le vocabulaire décoratif n’est les années de l’après-guerre elle n’a pas perdu pas le point fort de ces compositions de son intérêt pour l’art des «correspondances» grandes dimensions. Le modelé assez et qu’elle a sondé l’univers équivoque et 9 2 grotesque du carnaval, parallèlement au Son œuvre fut tout aussi « militante ». En « retour » temporaire à l’imaginaire exotique. 1918, les « fresques » de l’atelier de sa maison Pourtant, la direction la plus précisée de son étaient finies et leur exemple sera plus œuvre pendant la deuxième moitié des années qu’inspirateur pour les étudiantes. ’20 et au cours des années ’30 nous est Configurées autour d’une iconographie avec montrée dans les tableaux au sujet féminin prépondérance féminine, elles représentent (L’enfant, 1927, Maternité S.O. de 1930, La une véritable profession de foi qu’elle a essayé religieuse – S.O. 1931, Maternité S.O., de transmettre à ses disciples de l’École des 1932, Maternité – exposition personnelle de Beaux-Arts : « entrer dans son atelier signifie 1939) lorsque nous la percevons affiliée aux entrer dans un paysage symboliste peuplé par tendances dans lesquelles fusionnaient le des femmes mystérieuses (…) dépourvues modernisme de l’expression, l’intérêt pour le de sensualité, sereines et spirituelles – de spécifique national et le féminisme à charge véritables méditations sur l’âge, l’amitié, le solennelle. passé et l’avenir ». Or, justement l’aspect féminin de sa Mina Byck fut parmi les étudiantes ayant création avait été la seule qualité que Tonitza assimilé aussi le sens des leçons reçues, non avait consenti à reconnaître lors de l’exposition seulement les preceptes techniques des cours de 1920 : « malgré l’aspect de dilettantisme, d’art décoratif. Par son origine et par sa les œuvres de M-lle Mina Byck sont, parfois, formation, elle était capable d’assimiler des captivantes par leur note éminemment sous-entendus interdits aux profanes, et féminine, par la discrétion dans le choix des l’exposition de la fin de l’année prouve que motifs, par une certaine grace, etc…»11 madame Storck a encouragé ses élans vers Il est clair, «la note éminemment féminine» l’abord des sujets indéchiffrables, même s’ils a constitué l’héritage le plus solide de son ne portaient pas toujours «le vêtement» le illustre professeur. L’influence de Cecilia plus approprié. Nous supposons que c’est Cuţescu-Storck sur ses premières générations d’étudiants a été, sans aucun justement le féminisme contenu de ces projets doute, détérminante et elle dépasse l’autorité qui l’a surtout attirée et qu’elle a participé à du mentor. Devenue dès 1916 l’une des l’atmosphère d’émulation de l’entourage de premières femmes d’Europe ayant une chaire Cecilia Cuţescu-Storck. L’idée d’appartenir d’art, elle fut parmi les artistes les plus originels à un cercle restreint, peut-être même du début du XXe siècle, un véritable pionnier exclusiviste, dans lequel l’on prêchait les de l’art féminin de Roumanie. En 1916, elle a vertus spirituelles de la femme, l’a sans doute organisé, à côté de Nina Arbore et Olga captivée, en laissant des traces durables dans Greceanu, la première exposition des son œuvre ; nous la retrouvons tout aussi «femmes peintres et sculpteurs» de chez marquante dans les compositions solides de nous. En 1918, elle a fondé «L’Association ses années d’études, dans ses premières roumaine pour l’émancipation civile et politique expositions personnelles, ainsi que dans les des femmes», son activisme culminant entre œuvres exposées dans les années ’30, 1937-1939, lorsqu’elle fut le président des lorsque, stylistiquement, elle va aborder Sindicats des beaux-arts. d’autres modèles.

1 Amelia Pavel, Pictori evrei din România, 1848-01948, 4 Ioana Cristea, Aura Popescu, Doamnele artelor Notes Bucureşti, 1996, p. 35. frumoase româneşti afirmate interbelic, Bucureşti, 2 Ibidem. 2004. 3 Tudor Octavian, Pictori români uitaţi, Bucureşti, 5 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dicţionar de 2003. simboluri, Bucureşti, 1994. 9 3 6 Nous devons l’identification de l’article à M. Petre 10 Dans son dossier de création Mina Byck note, en Oprea auquel nous sommes très reconnaissants. Il nous désaccord avec les mentions antérieures, que sur « cette a également signalé le nom du critique (signé T) qui est première exposition » (de 1920) ont écrit Dem. Misu Teişanu. 7 In Izbânda, an II, n°489 du 22 avril, 1920, p. 3. Teodorescu et Eugen Titeanu. 8 Ibidem. 11 N. Tonitza, op.cit. 9 L’exposition est aussi signalée in Dimineaţa du 8 12 Apud Shona Kellestrup, Art and Design in . avril 1920, p.4 : « Dimanche a été ouverte l’exposition 1866-1927. Local and International Aspects of the de peinture et d’art décoratif de M-lle Mina Byck, aux salons du Cercle Libertatea, 77, rue Clemenţei. Search for National Expression, East European L’exposition sera ouverte jusqu’au 1er mai ». Monographs,, Colorado, 2006, p.133.

9 4 Qui sont Dimitrie et Lucrezzia Karnabatt? DIMITRIE ET LUCREZZIA Dimitrie Karnabatt, poète symboliste très KARNABATT: VOYAGES connu dès la fin du XIXe siècle, dont la poésie aux importants traits décadents a été SYMBOLISTES injustement oubliée est doublé à l’époque par un critique d’art compétent, mais plutôt raffiné que productif. Il appartient au cercle des poètes, des écrivains, des artistes réunis autour d’Alexandru Bogdan-Piteşti qui a également joué à l’époque le rôle de Mécène et devient un journaliste fidèle de Seara, de 1910 jusqu’en 1916. Karnabatt est une Angelo Mitchievici présence constante dans plusieurs publications, parmi lesquelles se trouve artistique), ou les articles politiques (Dimitrie Ilustraţia română (L’Illustration roumaine) Karnabatt), pendant surtout la guerre et il réalise un volume très intéressant sur la roumano-bulgare (1913) ou les considérations bohème bucarestoise d’autrefois : Bohema en marge de faits divers ou d’événements de altădată. Lukkrezzia Karnabatt se fait mondains. Mais la collaboration des également connue en tant qu’écrivain, sous Karnabatt avec Seara se focalise sur les le pseudonyme Calina, grâce à ses chroniques impressions de voyage, les deux relatant les mondaines et au volume de portraits littéraires expériences sensibles liées à un tour à travers Artiştii noştri : siluete şi fantezii (Nos quelques villes importantes d’Europe, parmi artistes : silhouettes et fantaisies). En tant que lesquelles une place importante occupent romancière, elle a publié quelques romans Bruges et Venise. Selon la taxonomie décadents, parmi lesquels Venera şi porcul proposée par Tzvetan Todorov dans Noi şi (Venère et le porc), Sexul de vis-à-vis (Le ceilalţi,1 Dimitrie et Lukrezzia Karnabatt se sexe de vis-à-vis), Dyonisia : roman de placeraient dans la catégorie des voluptate şi durere (Dyonisia : roman de « impressionnistes », opposée à celle des volupté et de douleur), Femei de teatru touristes. « L’impressionniste » est un touriste (Femmes de théâtre), Demoniaca (La très perfectionné, il reste le seul sujet de son démoniaque). Ce dernier, dont le titre porte expérience et se trouve à la recherche d’un probablement l’empreinte de l’influence du cadre adéquat pour ses expériences, un cadre volume de Barbey d’Aurevilly, Les capable à correspondre à son sensibilité diaboliques, est d’abord paru en feuilleton (Charles Baudelaire, L’invitation au en 1922 dans le journal Rampa. La voyage). L’auteur considère que thématique des articles des deux critiques- « l’impressionnisme » entretient une solide écrivains occupe un spectre large, des petites relation avec l’individualisme qui, dans séquences surprises en filligrane, des coins l’univers des arts, est fortement mis en de ville, des impressions de voyage, la évidence. Mais, à la différence de la description de paysages souvent décrochés typologie, « la galerie de portraits » proposée ou en relation avec la peinture jusqu’aux par Tzvetan Todorov, « les impressionnistes » articles critiques concernant les toiles Dimitrie et Lukkrezzia Karnabatt sont plutôt exposées au Salon Officiel ou les expositions intéressés par les monuments et les œuvres de Tinerimea artistică (La jeunesse d’art et par les spectres esthétiques et moins

REV. ROUM. HIST. ART., Série BEAUX-ARTS, TOME XLIII, P. 95–102, BUCAREST, 2007 9 5 par les gens, par les êtres vivants, malgré le Voyage en Cythère goût pour la vie quotidienne, seulement dans la mesure où celle-ci entretient la moindre Au XVIIIe siècle, l’invitation au voyage a petite relation avec l’art. parmi les lieux privilégiés l’île de Cythère, île Dans le micro-journal de voyage intitulé grecque dédiée à Aphrodite, déesse de Pe drumuri umblate nous trouvons l’amour. Hérodote mentionne même également une mise en abîme du type de texte l’existence d’un temple de celle-ci. Au XVIIIe abordé par Dimitrie Karnabatt, celui des siècle, l’île a une signification autant impressions de voyage qu’il considère comme géographique – le voyage n’est pas réel – une simple prose de notation, dépourvue qu’allégorique-mythologique, elle représentait d’exigences, fluide, avec un accent sur le topos idéal des délices amoureuses, une l’anecdotique, sur le conflit, qui n’est ni radical, place pour les fastueuses fêtes galantes que ni confronté à des barrières insurmontables, les nobles français du temps de Louis XV entre les mentalités et les civilisations organisaient dans les parcs des domaines différentes. En qualité de voyageurs, les personnels. La mode a été reprise à la cour Karnabatt s’avèrent sérieusement informés des tsars, Catherine la Grande organise à son sur la culture des pays visités, grâce, peut- tour de telles fêtes épicuriennes qui être, dans une plus petite ou plus grande apparaissent ensuite comme un reflet mesure aux Baedaecker honnêtes.Ils n’ont nostalgique dans les peintures de Konstantin pas du tout le complexe du provincial timoré, Somov, peintre appartenant au groupe Mir comme, par exemple, le boyard Dinicu Iskustva (Le monde de l’art). Dans ses Golescu dans son Însemnare a călătoriei peintures, Antoine Wateau a immortalisé ces mele făcută în anul 1824-1825, 1826, et fêtes avec une forte allure carnavalesque, sont capables à se délecter comme des Pèlerinage à l’île de Cythère (1717) en est connaisseurs. Le voyageur-écrivain-critique un exemple. Il y a aussi d’autres peintres, d’art peut même servir en tant que guide comme Bernard Picart qui aborde ce thème avisé, sensible et subtil, avec une sensibilité en vogue : Embarquement pour l’île de qui apparaît d’une façon romanesque sur le Cythère (vers 1715-1720). L’île de l’amour, parcours d’un voyage qui traverse les musées Cythère, constitue le lieu des rendez-vous d’Europe, pour qu’ensuite il renonce à la improvisés entre les personnages des romans digression didactique de guide pour goûter pastoraux, tels que Arminia, Tircis ou les pleinement l’impression produite par les personnages de la Commedia dell’arte, tels différentes œuvres d’art. Dans ce feuilleton que Pierrot, Arlequin, Colombina, etc. Ces de voyage à travers les musées d’Europe, rendez-vous galants sous l’anonymat d’un les époux Karnabatt introduisent rarement des masque, dans des lieux retirés, représentent personnages, autres que les peintres disparus une sorte de célébration libertine de l’amour qui reviennent spectralement dans libéré de conventions et placé sous le signe l’atmosphère qui conserve l’esprit du siècle, du jeu et du hasard. Le pèlerinage vers ainsi que les tableaux et les décors citadins. Cythère, île de l’amour, n’est qu’une formule Avec Lukrezzia Karnabatt, l’auteur euphémique désignant ce genre de fêtes raconte son expérience de voyage au long de carnavalesques, en prêtant les éléments de l’Europe du nord, des Pays-Bas avec quelques la mythologie antique, comme le fait Wateau localités, Anvers, Bruges, Bruxelles, la France dans son tableau ayant ce thème. L’île de et surtout Paris, l’Allemagne où il visite l’amour en tant qu’île des plaisirs est le Munich (il mentionne Lenbach et Franz von territoire magique de la séduction et de la libre Stuck, chef de la Secession munichoise), la initiative amoureuse, où tout est permis. Suisse, se dirigeant vers l’Europe centrale et Baudelaire se trouve parmi les premiers à du Sud-Est, sur le cours du Danube, avec une transformer radicalement le voyage de plaisir 9 6 escale à Budapest, capitale de la Hongrie. vers Cythère en voyage subminé par le mal des sensibilités décadentes du poète. Loin de la mort ou, plus précisémnt, un méprisable d’être l’île des plaisirs, avec le paysage artefact, le cadavre d’un pendu. Le poète charmant des taillis, des kiosques et des s’identifie avec ce pendu, son image est pavillons de chasse, des flirts dans des coins devenue un avatar de sa propre condition, et retirés, des fêtes galantes et du libertinage, la le voyage acquiemert maintenant seulement nouvelle Cythère est devenue un territoire son sens initiatique, allégorique : Hélas ! Et rocheux, désert et stérile. Dans sa poésie Un j’avais, comme en un suaire épais,/ Le voyage à Cythère, Baudelaire suggère même cœur enseveli dans cette allégorie./ Dans un diptyque, dans lequel le volet galant, extrait ton île, ô Venus ! Je n’ai trouvé debout/ de la mythologie de la frivolité de cour du Qu’un gibet symbolique où pendait mon XVIIIe siècle français entre dans un image…3 contraste violent avec le volet symboliste- décadent du XIXe siècle. À la place de la Le voyage symboliste-décadent prêtresse de Vénus dans une tenue légère, le et l’Île des morts voyageur découvre « un objet singulier », le cadavre d’un pendu picoré par les oiseaux. La toile d’Arnold Böcklin, L’Isle des L’île de l’amour s’est transformée dans une morts (1880), est révélateur pour ce que île de la mort, et le voyage vers Cythère dans repésente le voyage onirique. Il s’agit d’un un voyage macabre. Le poète avait été inspiré tableau destiné au rêve : ce sont les mots avec par l’histoire du voyage de Gérard de Nerval lesquels la jeune veuve Marie Berna, future qui se trouve dans le volume Voyage en comtesse Oriola, l’avait commandé au peintre. Orient, où celui-ci raconte un tel rendez-vous L’œuvre allait servir à une delectatio macabre en tant que fait réel dans lequel morosa, à une méditation funèbre en dehors réside la curiosité romantique pour l’insolite. des objets de dévot. Bröcklin invente à la « Cythère n’était qu’un terrain des plus place d’un souvenir irréel un topos destiné à maigres,/ Un désert rocailleux troublé par un exercice anamnétique de la sphère de la des cris aigres./ J’entrevoyais pourtant un mort, une extension de son royaume, une objet singulier ! / Ce n’était pas un temple ouverture onirique pour le voyage macabre. aux ombres bocagères,/ Où la jeune Le voyage s’accorde avec un rappel vers sa prêtresse, amoureuse des fleurs,/ Allait, le propre intériorité sur une double filière corps brûlé de secrètes chaleurs,/ Entre- archéologique-philologique telle que la bâillant sa robe aux brises passagères ; / propose Rodolphe Rapetti au cas du peintre Mais voilà qu’en rasant la côté d’assez suisse : « A l’opposé du voyage en Italie, qui près/ Pour trobler les oiseaux avec nos dans la tradition académique française voiles blanches,/ Du ciel se détachant en relevait d’une conception dominée par la noir, comme un cyprès./ De féroces oiseaux référence au modèle renaissant, nous perchés sur leur pâture/ Détruisaient avec sommes là en présence d’une tradition issue rage un pendu déjà mûr,/ Chacun plantant, de l’archéologie et surtout de la philologie ».4 comme un outil, son bec impur/ Dans tous D’ici le voyage onirique supprime la frontière les coins saignants de cette pourriture. »2 entre l’espace géographique et l’espace Le poète retient l’image obsédante du livresque, tout comme le voyage romantique cadavre pourri, détruit par les becs des de Gérard de Nerval, le voyage allégorique- oiseaux de proie, au milieu d’un territoire frivole des peintres du XVIIIe siècle en hostile à la vie. L’île des morts devient par Cythère ou le voyage culturel dans l’Italie de excellence un topos décadent du voyage, la tradition académique se transforment dans c’est tout ce qui reste de Cythère, le macabre un voyage spectral, soit complètement a pris la place de la frivolité, tout comme à la imaginaire, introspectif, un voyage onirique place des précieuses prêtresses de Vénus se tel que celui dans la Cythère baudelairienne, présente au rendez-vous un avatar dérisoire soit réel dans un lieu qui satisfait la demande 9 7 formulée par la comtesse Oriola : un lieu La Cythère décadente : propice au rêve. Ce voyage du rêve, dans le Bruges-la-morte rêve, est toujours initiatique et a toujours comme objectif un espace qui cache, qui Une telle ville revient avec obstination aux déguise en fait l’île des morts böcklinienne. thèmes et images obsédants dans les Dans le tableau, le personnage central qui se fragments des impressions de voyage de trouve dans une barque, debout, tournant le Dimitrie et Lukrezzia Karnabatt : il s’agit de dos au spectateur, conserve dans sa raideur Bruges la morte, que le poète belge Georges une dignité spectrale amplifiée par le linceul Rodenbach immortalisait dans un livre de blanc qu’il porte et par le cercueil placé à ses référence pour l’esthétique décadente et que pieds. Le paysage s’ouvre vers une ville- le poète-voyageur mentionne plusieurs fois. temple, des blocs massifs en marbre ou Karnabatt avait découvert ses affinités avec calcaire se détachent du rocher et les fentes la poésie de Georges Rodenbach avant ce des entrées dans l’hôtel de la mort se laissent voyage. Son volume de 1906, Poemele entrevoir. Aucun oiseau, aucun mouvement visului,6 divisé en plusieurs « chapitres » (Les n’animent le paysage, au centre de l’île se poèmes des yeux, Les poèmes des couleurs, trouvent des arbres gigantesques qui Les poèmes des cygnes, Les poèmes de suggèrent l’aspect solennel de temple de toute l’automne, Miserere !) s’ouvre avec un motto «la ville» : c’est le dernier voyage, le cadavre signé par Rodenbach : « Mon Dieu, se trouve cette fois-ci dans la barque, et non donne-moi mon rêve quotidien !» Le rêve pas sur l’île, comme chez Gérard de Nerval, ou la rêverie offrent à celui qui voyage cette en attendant de débarquer. ouverture initiatique. Une partie de ses poésies Dans la poésie Veneţia, publiée dans portent l’écho de Rodenbach avec Le règne Cuvântul liber, D. Karnabatt imagine un du silence7 (1891). «Or mes yeux sont aussi voyage böcklinien en qualité de mort. Il ne les vitres condamnées/D’une maison en s’agit pas du cadavre décadent, entré en deuil du départ des années/Et c’est putrefaction, de l’allégorie baudelairienne, pourquoi, du fond de ces lointains du mais plutôt d’une figure idéalisée, spiritualisée nord/ Je me sens regardé par ces yeux sans de la mort symboliste. Une gondole porte son envie/ Qui ne se tournt plus du côté de la cercueil vers Venise, une autre ville morte, vie/ Mais sont orientés du côté du ville de la décadence. Le poète pénètre dans tombeau…»8 la ville au cours d’une cérémonie funèbre Ferdinand Khnopff évoque les deux fastueuse, la ville est assimilée à une femme regards sur la ville et, inversement, de la ville en deuil, prête à accueillir l’illustre mort en sur celui qui regarde dans une peinture comme tant que son amant.5 La poésie diffère du ton I lock my door upon myself (1891), inspirée de compassion de la philippique des Nuits de par le poème homonyme de Christine Rosetti. Macedonski, où le poète imagine le convoi Du tableau, destiné à nous faire rêver, lui funéraire accompagnant son dernier voyage aussi, un personnage féminin étrange, au et sur lequel il jette l’anathème avec un dégoût regard décoloré, semble nous regarder, mais princier. Ce qui surprend dans ce poème c’est il est en même temps plongé dans ses propres justement la réhabilitation des sens, le rêveries. Au fond, à travers une fenêtre paysage est accessible en détail, le corps du ouverte apparaît un petit découpage de la ville défunt semble garder un contact encore solide avec la silhouette solitaire d’un moine et avec ce qui l’entoure, il constate, par exemple, quelques bâtiments. Le vue sur la ville est l’intensité de la lumière. En dépit de tout cela, entremise par ce regard translucide, lointain le dernier voyage n’est pas quand-même un de la femme du premier plan, ce qui voyage moins onirique vers une île des morts transforme le cadre citadin dans une possible qui est Venise, la ville-lagune, la ville de la projection onirique du personnage, telle qu’elle 9 8 décadence par excellence. est suggérée par la présence des trois fleurs de coquelicot, ainsi que d’un buste d’Hypnos, prolongé de son amante, le fantôme corporel dieu du sommeil. L’ouverture vers l’image de celle-ci. Le titre même du roman conserve de la ville se fait par l’intermédiaire de la cette ambiguïté : Bruges est en même temps rêverie, une rêverie qui repésente un rappel la ville de l’alter-ego de l’épouse morte de vers sa propre intériorité, comme le suggère Viane et une ville relique, une île des morts. le titre, également. Le voyage symboliste se « Bruges était sa morte. Et sa morte était fait sur les ailes de la rêverie ou du rêve, même Bruges. Tout s’unifiait en une destinée lorsque apparemment le pied est solidement pareille. C’était Bruges-la-Morte, elle-même assis sur le pavement d’une rue. Dans un mise au tombeau de ses quais de pierre, avec autre tableau de Knopff (avec Grégoire le les artères froidies de ses canaux, quand avait Roi), Mon cœur pleure d’autrefois9 (1889), cessé d’y battre la grande pulsation de la le rêve apporte dans le miroir l’image de la mer.»12 H. Fierens-Gevaert, l’ami de ville morte Bruges, un effet narcissique Rodenbach, met en discussion le projet initié suggéré aussi par la femme qui embrasse son avec celui-ci visant d’écrire un livre de voyage propre image derrière laquelle se trouve la à Bruges, voyage réduit aux proportions d’une ville. La ville inconnue, celle de l’île des morts, promenade. « La publication devait consister apparaît ainsi comme une projection onirique- à une série de Promenades dans la ville et thanatologique dans laquelle le voyageur ses musées. Chaque promenade eût rempli insolite acquiert une une fonction sacerdotale. une livraison. Rodenbach dans le premier Il y a un certain éclairage spectral dans les fascicule aurait parlé du Lac d’Amour et du tableaux de Knopff et surtout dans ceux où Béguinage dans le second numéro je devais apparaît la ville aussi. Le paysage devient une guider les lecteurs au musée de l’Hôpital sorte de memento mori implacable, une sorte devant les tableaux de Memling.»13 Les de vanitas où à la place du crâne on a mis le tergiversations d’un éditeur, ainsi que la mort miroir infaillible d’une ville lithique. Le voyage prématurée du poète, n’empêchent H. symboliste ne met pas en scène des touristes, Fierens-Gevaert de réaliser « le voyage » tout mais des poètes et des écrivains. seul, voyage qu’il dédie à son ami, en En 1892, apparaissait un célèbre roman s’éloignant de la conception initiale du projet, de Georges Rodenbach, Bruges-la-Morte, tel qu’il était envisagé par Rodenbach. que Dimitrie Karnabatt découvre chez un H.Fierens-Gevaert ne fait pas un voyage aux antiquaire. Camille Mauclaire qualifie accents poétiques-oniriques, mais un voyage l’écrivain comme « l’historien moral et documentaire, similaire à une psychologie de matériel de Bruges »10, inscrivant la cité dans la ville ou, plutôt, une monographie, une la biographie intime de celui-ci : « Rodenbach histoire qui rime en même temps avec une a été l’amant fidèle d’une ville morte, et il démarche d’histoire de l’art «en passant en n’a écrit que pour elle. Il y a ainsi des revue, avec tous les moyens de l’érudition attirances mystérieses des choses. (…) Son moderne, les grandes époques historiques de âme, ses facultés d’expression, son esprit, son la cité.»14 L’historien ne conserve qu’un goût coïncidaient exactement avec Bruges : réflexe de la conception animiste du poète : du jour qu’il la vit, il y concentra son existence « Les artistes ont raison. La ville est un être morale. »11 De ce point de vue, Bruges-la- humain. (…) Comme l’être humain, elle a ses Morte représente l’île des morts böcklinienne élans magnifiques, ses hésitations, ses colères, matérialisée. Rodenbach, aussi bien que ses troubles.»15 Karnabatt, transforment l’ancienne ville Bruges apparaît comme une citadelle flammande dans une ville-spectrale, grâce à mystique, en fait une cité de l’art, d’autant son aspect fantasmatique. Dans son roman, plus séduisante qu’elle semble conserver, à Georges Rodenbach fait apparaître, au cadre côté de la gloire des siècles qui ont connu un de la ville, pour le malheureux veuf Hugues bien-être économique et artistique significatif, Viane, attaché obstinément à un deuil une décadence qui a atteint la ville quelques 9 9 siècle auparavant, lorsque son rôle de port à semble-t-il, avec la couleur translucide des la mer a cessé. Dimitrie Karnabatt a devant feuilles du livre, en fragilisant jusqu’à la soi le tableau proposé par Rodenbach dans confusion la texture végétale. Les deux son roman Bruges-la-Morte. La ville est milieux s’entrepénètrent dans une raffinée morte au point de vue économique, il y a texture hybride qui relève sa fragilité et qui quelques siècles, ce qui reste est une ville est porteuse d’un message venu d’un temps fantôme, une ville musée qui conserve passé.17 presque intacte l’atmosphère d’un autre L’image se retrouve dans la poésie de temps qui se dissout lentement. L’image de Rodenbach qui laisse de côté la décomposition la décomposition si caractéristique à la du cadavre baudelairien en proie des oiseaux sensibilité décadente apparaît ici transfigurée sur la Cythère décadente, pour cette artistiquement, dans un registre délicat, celui corporalité inéffable, transfigurée, angélisée de l’exfoliation végétale, tout comme le dans une profondeur symboliste de l’élément visiteur böcklinien se trouve à l’antipode de floral. « Vieilles maisons de qui les toitures l’infamant voyageur damné, du pendu. La ville minées/ Voient dépérir, autour des noires semble se décomposer dans une harmonie cheminées,/ Les tuiles rouges qui s’effeuillent musicale qui est celle créée par ses cloches. lentement/ Comme un jardin de grands Sur le fonds de l’eau se reflètent non géraniums qui meurent,/ O déclin des seulement les silhouettes des cygnes, mais maisons ! Ruine ! Dénouement !»18 L’image aussi celles des religieuses, ce qui amplifie, de la décomposition si caractéristique pour la paraît-il, la solitude propre à la ville. sensibilité décadente esr récupérée sur le Dimitrie Karnabatt découvre la fascination versant symboliste d’une manière idéale. de la cité morte, Venise du Nord. À Munich,16 Dimitrie et Lucrezzia Karnabatt ont devant il avait découvert Franz von Stuck, à Bruges, eux le modèle livresque, le voyage s’ouvre Rodenbach, dont le roman lui sert de guide. avec le livre de Rodenbach, se déroule selon Le poète prête même le style de Rodenbach la carte des sensibilités et les affinités. Les pour décrire la ville, il y a ici non seulement éléments qui composent le quotidien citadin une affinité stylistique, mais aussi une qui vient définissent aussi la marque artistique de la sur une filière poétique et que nous ville, des pictogrammes réunis dans un texte découvrons en lisant parallèlement les paysagiste dont la principale figure, ayant un fragments concernant le paysage urbain chez sens presque métaphysique, est l’ekphrasis. les deux écrivains : la même sensibilité, les Le paysage ne peut être recomposé sans la mêmes objets intensément focalisés qui silhouette des beffrois, le son des carillons, composent la géographie intime de la ville des images reflétées des bâtiments ou des morte. Le critique officie un culte de la beauté cygnes, etc. Lucrezzia Karnabatt, dans son macabre de l’immobilité qui transforme le article La ville morte souligne la situation paysage urbain en tableau : les cygnes insolite de la ville dont la décadence mélancoliques, les canaux tristes, les tours des économique et l’isolement provoqué par des églises, les silhouettes des béguines, le befroi, raisons naturelles la revendique comme les cloches, etc. musée, pareil à un autre centre de pouvoir Karnabatt évoque la cité de la mort en maritime de jadis : Venise. La ville supporte découvrant dans le livre de Rodenbach, autant une décadence économique qu’une Bruges-la-Morte (1892), acheté décadence esthétique. probablement chez un antiquaire, des fleurs C’est un canal, un canal vénitien qui d’hortensia (hydrangea hortensis) séchées. gonfle ta poitrine, par les chauds Le poète décrit l’effet pictural obtenu par la souvenirs de la mer ! Sans un frisson le dilution et l’effacement par pression des voyage rêveur emportant dans son cristal couleurs vives, intenses, la contamination, le blanc sillon d’un cygne… Et au fond du 100 canal quelques algues échevellées au-dessus de la ville plane l’ombre de la mort, renvoient le reflet vert de leur source… Et présente dans l’esthétisme floral qui ne peut il est impossible de décrire l’impression masquer complètement les signes de la que fait sur toi la fusion du noir et du bleu décrépitude. Le sens de la sensibilité pâle du paysage, le mutisme des murs décadente se fait connaître par l’association séculaires, la dévotion des tours des d’éléments opposés, en relevant le contraste monastères et l’écoulement timide et si bleu et en esthétisant en même temps ce rapport. de l’eau. Partout, le suave frémissement La beauté des fleurs utilisées cosmétiquement des notes de cloches du beffroi !…19 amplifie l’artificialité. L’épisode composant Karnabatt développe – dans le sens de le premier volet du diptyque décadent est l’animisme poétique du poète belge – une destiné à offrir une nouvelle norme esthétique intéressante comparaison entre la cité morte de la vie, tenant à surprendre le contenu et un dandy épuisé qui insiste à conserver esthétique des catégories négatives par leur son élégance et le déclin physiologique avec surenchère en contraste, analogie et une persévérance mélancolique et à l’aide des transfiguration. Le deuxième volet de ce fleurs. De ce tableau de la décrépitude on diptyque est constitué par l’image de la ville peut extraire les éléments d’une esthétique morte. La beauté de la dégradation se décadente : l’artificialité cultivée contre le retrouve autant dans l’aspect d’asile de la ville, naturel, le maladif, les thèmes macabres que dans sa métamorphose due aux gerbes esthétisants, les personnages spécifiques, le de fleurs qui tombent avec des mouvements dandy et la femme fatale, etc. Ce tableau, tel lascifs de courtisane, analogue décadent du qu’il est filtré par la sensibilité décadente du dandy.20 Les fleurs donnent au corps dégradé prosateur, relève le caractère d’une mise en de la ville une vie étrange, mais animée par scène avec ses préméditations. La beauté, une vitalité maladive, léthale, sanguine, de tout comme le répulsif dans l’équation courtisane. Les géraniums ont quelque chose décadente sont toujours scrupuleusement de carnivore, mais aussi voluptueux, l’entier encadrés, de telle manière que l’objectif laisse tableau est basé sur le contraste fort entre transparaître parfois une note d’artificiel, mais l’aspect funéraire, triste des bâtiments – qui n’a rien à voir avec des considérations Karnabatt n’enregistre pas ou tout d’ordre éthique et, en dehors de tout cela, simplement n’est pas intéressé par la constitue autant un pretexte pour la rêverie, présence humaine – et la chromatique pour la suggestion qu’un de leurs produits. vitaliste-charnelle de l’élément floral Dans son voyage, Dimitrie Karnabatt évoquant la dimension d’une féminité découvre cet homme âgé habillé très dévoratrice. L’énergie de la ville, sa vitalité correctement, mais d’une élégance semble drainée justement par l’exubérance légèrement vétuste, portant à sa boutonnière vénérique des fleurs. La ville est d’autant plus des roses blanches, rouges ou des morte que ces fleurs saprophites sont plus chrysanthèmes, en fonction de la saison. De vivantes et d’un irrépressible charme. Il y a nouveau, la décrépitude se retrouve dans une ici un échange de substance, une transfusion : dimension purifiée par l’aspect horticole. Pour la ville extrait de ces fleurs le charme qu’elle l’automne, le vieil homme choisit des pésente ensuite spectaculairement. Karnabatt chrysanthèmes, fleurs de la mort, en hiver il décrit ce vampirisme floral médusant de la préfère les camélias qui suggèrent à l’écrivain beauté construite sur la décomposition, des une présence mystérieuse des femmes exfoliations et des dissolutions dans les eaux fatales. L’esthétique statuaire s’assortit à léthales. Le voyage symboliste surprend ici l’atmosphère lithifiée de la ville qui se reflète l’aspect décadent des «monstres délicats» dans les eaux apparemment immobiles de ses baudelairiens, captifs dans le musée dont le canaux. Au-dessus de l’homme, tout comme guide avisé est le voyageur esthète. 101 Notes 1 Tzvetan Todorov, Noi şi ceilalţi : despre l’édition originale de 1892, Choix de variantes par diversitate, traduit par Alex.Vlad, Institutul European, Christian Berg, préface de François Duyckaerts, lecture Iaşi, 1999. de Christian Berg, éd.Labor-Bruxelles, 1986, p.47). 2 Charles Baudelaire, Les fleurs du mal, Bucureşti, 10 Camille Mauclaire, L’Art en silence, Paris, 1901, 1992, p.113 p.125. 3 Ibidem, p.115. 11 Ibidem, p.120, 121. 4 Rodolphe Rapetti, Le symbolisme, Paris, 2005, 12 Georges Rodenbach, op.cit. (voir note 9, p.26). p.48. 13 H.Fierens-Gevaert, Psychologie d’une ville. Essai 5 D. Karnabatt, Veneţia, in Cuvântul liber, I, n°38, sur Bruges, Paris, 1901, p.I, II. 15 août 1920, p.23. 14 Ibidem, p.II. 6 Dimitrie Karnabatt (D.Karr.), Poemele visului, 15 Ibidem, p.IV. Stabilimentul de arte grafice Progresul, Ploieşti, 1906. 16 D. Karnabatt, Pe drumuri umblate. În muzeul 7 Georges Rodenbach, Le règne du silence, Paris, Lenbach, in Seara, I, n°286, mercredi 27 octobre 1910, 1911. p.1. 8 Ibidem, p.83. 17 D. Karnabatt, Ortensias, in Seara, I, n°261, 9 Cet «autrefois» revient également chez Georges samedi 2 octobre 1910, p.1. Rodenbach dans le syntagme La ville d’autrefois, cette 18 G. Rodenbach, Le règne…, p.76. Bruges-la-Morte qui se retrouve dans le manuscrit « Ce 19 Ibidem, p.1. n’était pour lui la ville d’Autrefois, ce n’était plus la 20 D. Karnabatt, Taina florilor, in Seara, II, n°431, ville morte.» (G.R., Bruges-la-Morte, texte établi d’après vendredi 23 mars 1911, p.1.

102 Dans un article dédié à l’Exposition Simonidy NOTES organisée par la galerie Georges Petit en septembre 1926, le réputé critique Arsène Alexandre s’étonnait de l’absence du peintre à l’Exposition de l’Art Roumain organisée au MICHEL SIMONIDY, LATENTATION Jeu de Paume une année auparavant. Et il D’UNE CARRIÈRE PARISIENNE* ajoutait : « Nous préférons attribuer à sa modestie, à son amour du travail acharné à l’écart des rafales de la vogue, plutôt qu’à un oubli des organisateurs cette un peu singulière lacune. Quoi qu’il en soit, si son nom n’est pas inscrit au catalogue de cet ensemble de l’art en Roumanie, il sera certainement gravé Gabriel Badea-Păun parmi les plus brillants Maîtres de ce pays au (Paris) catalogue plus définitif de l’histoire. Son œuvre épanouie, d’une vie intense alliée à un l’article précédemment cité, qu’il travaille sentiment poétique de la chair en pleine avec une certaine lenteur.5 lumière, fera un équilibre, à un pôle opposé, Ce premier article biographique qui lui est avec celle plus rustique, plus âpre, de cet autre consacré essaie de rassembler le plus grand grand artiste que j’ai eu l’honneur de connaître nombre d’œuvres de Simonidy, localisées ou à mes débuts : Grigoresco. »1 non, citées dans les articles le concernant ou Pourtant cette réévaluation si nécessaire dans les catalogues d’expositions. Nous avons de la place de l’art de Michel Simonidy dans essayé de donner systématiquement le titre le contexte de l’art roumain ou de l’art utilisé lors de la première exposition ou de la français manque encore. Il reste tantôt première publication de l’œuvre. Cependant méconnu, tantôt méprisé. Aucune étude ou les titres identiques de plusieurs paysages, article ne lui a en effet été consacré depuis l’absence d’étiquette d’exposition ou de sa mort ! Il est vrai que, récemment encore, description précise dans les comptes rendus peu de ses œuvres étaient connues. Les d’expositions, nous ont parfois empêché collections publiques françaises (le Musée d’établir avec certitude l’identité de l’œuvre. d’Orsay et le Musée National d’Art Moderne, Lorsque cette identification a été possible, Centre Georges Pompidou2) ne possèdent que nous l’avons mentionnée dans nos notes de deux œuvres de l’artiste, jamais exposées. bas de page. La datation exacte des œuvres Quant aux Musée National d’Art de la appartenant à la dernière manière de l’artiste, Roumanie, il conserve dans ses réserves une après la Grande Guerre, est parfois une dizaine de ses œuvres de jeunesse, mais entreprise très ardue, puisque l’artiste ne s’en aucune des œuvres de sa maturité. Cependant préoccupait jamais à cette époque. De plus, la récente dispersion, à l’Hôtel Drouot, du une toile commencée une année au printemps fonds de son atelier, le 3 mars 2004, par le pouvait être continuée l’année suivante à la ministère de Maître Ferri, assisté par l’expert même saison ou encore plus tardivement. Frédéric Chanoit,3 ainsi que la fréquence avec Simonidy se voulait tributaire de la nature et laquelle ses œuvres apparaissent de nos jours de son rythme, en particulier du soleil et de sur le marché de l’art parisien,4 semblent cette fine luminosité du Midi, dont la traduction indiquer que l’artiste a beaucoup peint, même heureuse est une des caractéristiques de ses si Arsène Alexandre nous rappelle, dans créations. La plupart de ses œuvres sont

REV. ROUM. HIST. ART., Série BEAUX-ARTS, TOME XLIII, P. 103–115, BUCAREST, 2007 103 signées SIMONIDY. Pourtant l’artiste a Julian, sans doute pour préparer le concours employé aussi comme signature, surtout sur d’entrée à l’École des Beaux-Arts où il est ses affiches, l’abréviation SIM ou les lettres admis le 8 juillet 1893 sur la proposition de M et S entrelacées. William Bouguereau (1825-1905) et de Gabriel Ferrier.17 Pourtant leur enseignement n’est Peu d’éléments biographiques touchant pas exclusif et dans le livret du Salon de 1893, l’artiste nous sont connus. Dans un article le jeune Simonidy déclare à leurs côtés le qu’il lui dédie, en 1926, Maurice Feuillet avoue portraitiste Léon Bonnat (1834-1922), dont il que le peintre éprouve « une secrète copie fragmentairement le célèbre Portrait répugnance à livrer au public les détails de de Victor Hugo (1879, huile sur toile, Paris, sa vie, vouée à des recherches constantes et Musée Carnavalet).18 C’est aussi de cette à la passion du beau ».6 Menelas Simonidy époque que doit dater une Descente de croix, qui transformera son prénom en Michel lors huile sur toile de grandes dimensions, restée de son arrivée à Paris, est né à Bucarest le dans son atelier et vendue avec celui-ci en 6/18 mars 1872.7 Il est le fils de Théodore 2004,19 avec plusieurs dessins d’Académies.20 Simonidy et de son épouse Catherine, née Trois ans plus tard Simonidy débute au Cotadi. Après un premier mariage avec Alice Salon de la Société des Artistes Français avec Nathalie Groupat morte à une date inconnue, une ambitieuse composition historique de il épouse en secondes noces, à Noisy-le-Sec, grandes dimensions représentant la Mort de le 2 avril 1928, Adrienne Yvette Brochard Mithridate21 (Musée National d’Art de la (Troyes, 1908–Paris, 2003).8 Elle était son Roumanie) (Fig. 1). Le sujet a été souvent modèle et aussi peintre amateur.9 traité pour les concours de l’École des Beaux- Arts. Abandonné de tous, autant par le pays En 1888, Simonidy entre dans l’atelier de que par ses soldats, Mithridate roi du Pont Théodore Aman (1831-1891) à l’École des (132-63 av. J.-C.) apprend que Panticapée, Beaux-Arts. Les premières œuvres sa capitale, a ouvert ses portes aux rebelles, conservées de l’artiste datent de cette période et qu’enfermé dans son palais, il va leur être de formation : un Paysage nocturne,10 une livré. La dernière heure ayant sonné pour le modeste Tête de fille11 (les deux au Musée vieux roi, il veut du moins finir comme il a National d’Art de la Roumanie) et un Portrait vécu: femmes, concubines et filles, et parmi de chasseur,12 passé dans la vente aux celles-ci les jeunes fiancées des rois d’Égypte enchères du 16 mars 2006 de la Maison Alis et de Chypre, il les condamne toutes à subir à Bucarest. Le peintre se fait remarquer en les horreurs de la mort. Elles vident la coupe décembre 1889 au concours du premier empoisonnée, avant qu’il ne la prenne lui- semestre de l’année scolaire 1889-1890, en même. Et comme le breuvage n’agit pas assez emportant une médaille d’argent de deuxième vite, il tend la gorge à un soldat celte, Bituit, classe pour la peinture d’après nature, une qui l’achève. C’est ce moment que l’artiste mention de deuxième classe pour le dessin choisit de montrer. Mithridate gît sur les d’après l’antique, et une mention de troisième marches de son palais, la poitrine classe à l’épreuve de modelage, tête ensanglantée, avec à ses côtés son bourreau d’expression.13 Il récidive au concours de fin et une de ses femmes. Après le Salon, le d’année en emportant une médaille d’argent tableau est envoyé, conformément au de deuxième classe pour la peinture d’après Règlement de l’École des Beaux-Arts22 de nature.14 1883, à l’École des Beaux-Arts de Bucarest En septembre 1891, Simonidy gagne le qui le dépose à la Pinacothèque de l’État. concours destiné à obtenir une bourse à Paris. C’est sans doute pour ce début au Salon On le retrouve inscrit pendant la première que Simonidy prépare aussi deux autres partie de l’année 1892,15 dans l’atelier de tableaux de grandes dimensions au sujet 104 Gabriel Ferrier (1847-1914),16 à l’Académie historique ou mythologique, moins réussis, et qui ne sont pas exposés : Les gladiateurs dans l’arène23 et une Allégorie24 marine aux accents symbolistes (tous les deux au Musée National d’Art de la Roumanie). Il reprendra ce dernier motif dans son envoi de l’année suivante ayant pour thème: Amphitrite (non localisé à présent). Malgré leur composition hardie et les gestes véhéments trop théâtraux des personnages, on ressent dans la construction des deux vastes toiles, l’influence des plafonds de Gabriel Ferrier, qu’on aurait sans doute dû retrouver aussi dans l’envoi au Salon de la Société des Artistes Français de 1898 : un plafond intitulé La Danse, qui est non localisé à présent. Si ces premiers envois passent pratiquement inaperçus au Salon, la raison en est simple: les œuvres d’un jeune artiste se perdent facilement parmi les mille toiles de différents formats. Olivier Merson résumait assez bien cette situation dans son compte rendu des Salons de 1899 : « Que peut-on faire seul, contre les 7859 numéros catalogués cette année aux livrets des deux Sociétés réunies ! »25 En effet l’accrochage des œuvres était une opération particulièrement délicate. On les superposait ainsi sur trois, quatre ou cinq niveaux. Du sol au plafond, les murs étaient littéralement tapissés de tableaux. L’exercice, plus mathématique qu’esthétique, consistait à loger tout le monde, et peu importait les voisinages malheureux. Fig. 1 – La Mort de Mithridate. Le premier envoi remarqué de Simonidy est celui du Salon de la Société des Artistes Français de 1899 intitulé: Parfums d’Hiver parmi d’autres, représentaient aussi des (localisation actuelle inconnue) (Fig. 2). Il jeunes filles cachées sous des manteaux de dégage une saveur de coquette nostalgie et fourrure, prétexte à peindre des matières reçoit une mention d’honneur. Avec cette riches et très graphiques. Le corps du modèle, œuvre, Simonidy change radicalement de telle une arabesque, se cache dans un sujet et de style. L’académisme aux motifs manteau fluide, dont le brun intense et très historiques ou mythologiques laisse la place soyeux s’oppose à un froid paysage hivernal. à un naturalisme qui s’inspire de la vie L’artiste reprend le même motif plusieurs fois, moderne, rehaussé d’accents symbolistes même si c’est sous une forme légèrement (Fig. 3) ou mondains (Fig. 4).26 Le peintre différente, comme dans cette toile de la reproduit dans cette œuvre un motif très Guariasco Gallery de New York. populaire de la fin de siècle : La Frileuse. Le succès du tableau est si grand que Louise Abbema (1853-1927), Jacques-Émile Charles Baude (1853- ?) en tire une gravure Blanche (1861-1942), Jean Béraud (1849- pour le Monde Illustré.27 Il lui ouvre ainsi 1935) ou Antonio de La Gandara (1861-1917), les portes d’une carrière d’illustrateur pour 105 les revues artistiques, opportunité non négligeable pour tout jeune artiste. C’est ainsi que le Figaro28 lui commande en 1900 une série de six affiches lithographiées pour la promotion du journal figurant des types de ses lectrices : la parisienne, la parisienne en rouge, la hollandaise, l’espagnole, la japonaise et la russe (qui curieusement a les traits de la princesse Marie de Roumanie).29 Simonidy poursuit cette carrière d’illustrateur de revues, même si c’est de façon sporadique. En 1895, il signe une affiche pour Sarah Bernhardt incarnant la Mélisande de la Princesse lointaine d’Edmond Rostand.30 Il renouvellera l’expérience en 1903 et créera une affiche de la grande Sarah en Théodora, personnage principal de la pièce de Victorien Sardou (Fig. 5).31 Ses dernières couvertures sont celles des numéros 2 et 3 de la revue Comoedia Illustré du 15 janvier et du 1er février 1909. Il est aussi l’illustrateur de l’Histoire de Minoutchehr selon le Livre des Rois par le poète persan Abou’Ikasim Firdousi, dans la traduction de Jules Mohl, livre tiré à 500 exemplaires par L’Edition d’Art Henri Piazza en 1919.

Le succès au Salon du Parfums d’Hiver Fig. 2 – Parfums d’Hiver I. en impose au monde artistique bucarestois.

106 Fig. 3 – Au bord du lac. C’est ce qui explique que le nom de Simonidy soit évoqué pour réaliser le plafond de la Salle de Conseil du nouveau palais de la Caisse d’Épargnes et Consignations de Bucarest, récemment achevée, d’après les plans de l’architecte français Paul Gottereau (1843 ­ ?). Le 3 juillet 1899 le Conseil d’Administration de l’institution approuve l’exécution de trois peintures pour le plafond central de la Salle de Conseil. Une vaste composition allégorique intitulée : À la suite de l’Indépendance, la Fortune distribue ses bienfaits à la Roumanie et deux compositions plus réduites : la Renommée et l’Étoile de la Roumanie lui sont commandées pour la somme non négligeable de 4000 lei.32 La première idée pour la composition centrale, aujourd’hui conservée au Musée Fig. 4 – La Bal. National d’Art de la Roumanie (Fig. 6), est à mi­chemin entre les compositions allégoriques d’Édouard Detaille (1848-1912) et de Gabriel Ferrier. L’Indépendance ailée et armée, annoncée par la Renommée, domine plusieurs charges de cavalerie qui évoquent les batailles de la conflagration de 1877-1878, tandis que, dans le coin inférieur de droite un paysan laboure un champ, signe de la future prospérité. Envoyé à Bucarest, cette première pensée n’est pas retenue, car peut-être considérée comme trop belliqueuse. Si dans la composition finale le génie de l’Indépendance a été conservé, la place des charges de cavalerie a été remplacée par une allégorie de la Fortune maternelle et généreuse à laquelle une paysanne présente les fruits de son travail pendant qu’un guerrier s’offre en sacrifice. La toile exposée à l’Exposition Universelle rapporte à son auteur une médaille d’argent et la décoration de la Légion d’Honneur au rang de Chevalier.33 Elle est marouflée à sa place en 1901. Mais les deux autres toiles latérales n’arriveront qu’en 1902, après de nombreuses interventions, auprès du peintre, de Grigore E. Golescu, le président de la Caisse. La décoration de la salle sera complétée plus tard par les portraits du Roi Carol Ier (1839­1914) et de la Reine Elisabeth (1843­1916), commandés à Simonidy en Fig. 5 – Sarah Bernhardt dans Théodora de Byzance. 107 d’Administration, sans doute par souci de garder l’unité stylistique de l’ensemble, est d’accord pour attribuer la décoration des plafonds à Simonidy à condition que le peintre soumette des sujets plus appropriés, pour lesquels ils devra d’abord présenter des esquisses. Sa réponse ne se laisse pas attendre longtemps, et en avril 1905, le directeur général annonce au Conseil d’Administration que le peintre a réalisé, pour les deux grandes voussures du hall central, deux compositions représentant, l’une Le Travail et l’autre L’Abondance. Simonidy accompagne ses modellos d’une lettre où il les décrit comme suit : « Dans Le Travail, j’essaierai de figurer le Labeur par un groupe d’hommes travaillant le fer sur l’enclume et des paysans labourant la terre, ainsi que l’Esprit par un penseur, le tout dans un paysage sauvage. Bateaux et pêcheurs complètent la fresque. Dans la deuxième lunette, l’Abondance est figurée par plusieurs groupes de femmes, une récolte des pommes, tandis qu’une autre représente le Repos et la Maternité, auprès d’elle une autre femme tire le lait d’une chèvre, tandis qu’un jeune berger joue de la flûte. » Le programme Fig. 6 – Première pensée pour le plafond de la salle du conseil de la Caisse iconographique très recherché proposé par d’Épargnes et Consignations. Musée National d’Art de la Roumanie. Simonidy emprunte ses éléments à l’idiome artistique de Puvis de Chavannes (1824-1898) et c’est en effet celui cultivé par les grands 1907,34 après un premier échec avec Franz décors républicains parisiens des années von Lenbach (1836-1904)35. Les deux œuvres 1880-1900. Il ne faut pas oublier que c’est le n’arriveront à Bucarest qu’en 1912 à la suite moment où sont construites et décorées la de nombreuses interventions de la Légation plupart des mairies parisiennes, ainsi que roumaine à Paris auprès de l’artiste (Figs. 7,8). l’Hôtel de Ville, brûlé pendant les En 1905, Simonidy propose de peindre les mouvements de la Commune.37 Les figures voussures du hall central et le plafond de humaines représentées, à l’élan lyrique et au l’escalier central. Pour les voussures du hall hiératisme grave, veulent exprimer un certain central le peintre avait imaginé deux esprit civique, la mentalité d’une époque qui compositions de grandes dimensions (vingt- se veut et se voit à la fois patriote et énergique, quatre mètres carrés) ayant pour sujets : La juste, stable et réfléchie. Cependant elles sont paix consolant l’Humanité et La Guerre aussi un prétexte à peindre des nus, regardant son œuvre. 36 Les sujets académies d’hommes, allégories du Travail provoquent étonnement et hilarité lors de leur ou des nus féminins suaves et sensuels, présentation devant le Conseil d’Admi- symboles de L’Abondance et de La nistration de la Caisse, car leur choix est loin Maternité. L’utilisation de teintes pastel, d’illustrer la mission d’un établissement respectueuses de la tonalité plus ou moins grise 108 bancaire: ils sont rejetés. Cependant le Conseil de la pierre, l’absence de profondeur, la Fig. 7 – Le portrait du roi Carol Ier pour la salle du conseil Fig. 8 – Le portrait de la reine Elisabeth pour la salle du conseil de la Caisse d’Épargnes et Consignations de Bucarest. de la Caisse d’Épargnes et Consignations de Bucarest.

substitution de la ligne au modelé, tous ces seront payées, en trois tranches, 30 000 lei. principes hérités de Puvis de Chavannes, Le Travail n’arrivera qu’après beaucoup de visent à respecter la surface du tableau, à déboires38 en 1912, mais L’Abondance ne adapter celui-ci au mur et à assurer son sera jamais livrée, à cause de la première insertion dans un ensemble décoratif. guerre mondiale qui avait éclaté. Après la Le Conseil d’Administration se rallie à ces conflagration, il semble que le Conseil nouvelles propositions, car il lui paraît évident d’Administration renoncera au projet. que, en insistant sur le décor, le public sera Avec les décorations pour le hall central conduit à faire du tout nouveau palais de la de la Caisse d’Épargnes et Consignations, Caisse des Épargnes et Consignations, le Simonidy délaisse une fois encore sa manière, symbole de l’avenir et de la stabilité volontiers banale, mais vive de propos, où il économique du pays. Le Conseil établit que s’était révélé comme l’observateur sincère la date de livraison sera 1907 et que les toiles d’une réalité anecdotique souvent montrée 109 avec beaucoup de sensibilité – comme dans Popesco (1872-1948) et Petre Iorgulescu-Yor Parfums d’Hiver ou Rêverie au bord d’un (1890-1939) qui font aussi de longs séjours lac39 – au profit d’une création animée dans la région, le premier en 1913 et le second d’idéal, sans abandonner pour autant ses en 1920. mises en page rigoureuses qu’il gardera À Hyères, tout est source d’inspiration jusqu’à la fin de sa vie. pour Simonidy. La nature qu’il peint est comme pour les autres symbolistes dont il Si Simonidy habite Paris en hiver dans la partage la vision. N’est-il pas proche du poète Villa des Arts (Fig. 9), située au 15, rue Francis Vielé-Griffin (1867-1937) dont il fait Hégésippe Moreau, dans le 18ème arrondis- le portrait?40 Son œuvre n’est pas sans sement, immeuble d’ateliers pour les artistes rapport avec celles d’Alphonse Osbert41 construit en 1890 où vécurent aussi Eugène (1857-1939), de René Menard (1862-1930) Carrière (1849-1906), Jules Pascin (1885- ou de Jean Francis Auburtin (1866-1930) 1930) ou Henri de Toulouse-Lautrec (1864- malgré les différences visibles de leurs 1901), dès les beaux jours « il descend » en factures. Simonidy est plus vigoureux, plus Provence, surtout dans les îles d’Hyères où proche d’André Dauchez (1870-1948). La il a peut-être croisé ses compatriotes Stefan nature est en premier lieu un paysage poétique, idyllique chargé d’une grande valeur émotionnelle. Ses paysages évoquent des sentiments de douce rêverie ou de mélancolie comme dans sa toile la plus connue, La Lecture, acquise par l’État français pour le Musée du Luxembourg en 1912 (Fig. 10).42 Pour Simonidy la nature est la plupart du temps, à l’exception notable de La Lecture, une nature des premiers âges, mythologique, prélude à la civilisation, où on ne retrouve aucune trace, aucune évocation du labeur. L’artiste dépasse le simple stade de la narration picturale pour exprimer ses propres pensées grâce à un répertoire d’images symbolistes aux accents coloristes néo- impressionnistes.43 Ses paysages méditer- ranéens comme le remarque Raymond Bouyer à propos de son exposition chez Georges Petit en 1926 sont « remplis d’un souffle homérique... dans une sereine exaltation de la forme ».44 Des quatre saisons, Simonidy privilégie toujours l’été. Il va donc trouver un lien entre la philosophie de la nature, ses propres sentiments et leur expression picturale. Il cherche ainsi à rendre avec toute l’intensité possible les splendeurs troublantes de la nature et sa peinture suggestive exprime toujours ses sentiments. En effet l’artiste rejette l’idée du progrès, ressuscitant la puissance émotionnelle et la Fig. 9 – Paris. La Villa des Arts où Simonidy signification des mythes de l’âge d’or. Comme 110 avait son atelier-maison. l’explique Hans Hofstätter dans son essai sur de campagne tranquille, comme dans la Vue du viaduc de Quimperlé (localitation actuelle inconnue).48 Dans ce monde souvent représenté dans sa pureté primitive, paysages et personnages sont en totale osmose. Profitant des accents d’une lumière méditerranéenne au rôle symbolique, il module délicatement les corps de ses personnages. Tout y est harmonie, le Beau y prédomine, tant dans l’évocation de la nature que dans celle de ses baigneuses qui les habitent, comme dans sa Femme aux rochers (localisation actuelle inconnue)49 ou dans son pastel des Trois grâces (Fig. 12)50. Les études réalisées sur le motif sont nombreuses tout au long de la vie de Simonidy. Fig. 10 – La Lecture, Musée du Luxembourg. Elles prouvent un sentiment vrai de la nature, que le goût des promenades en plein air et un sens aigu de l’observation et du pittoresque 45 L’iconographie de la peinture symboliste ne cessent d’alimenter. «l’art symboliste, par définition, propose des Le paysage est presque toujours habité images contraintes à la réalité visible et à de figures féminines. Les hommes, les l’exploration scientifique, afin de montrer qu’il enfants et les vieillards sont en principe existe une réalité cachée que l’on peut au exclus, sauf dans ses décorations murales moins concevoir si on ne peut lui reconnaître pour la Caisse d’Épargnes et Consignations une véritable existence.» L’étude de de Bucarest. Mais les personnages ne l’iconographie dans l’œuvre de Simonidy relèvent jamais de l’anecdote ou de la morale. s’inscrit dans cette visée. Occupant une place privilégiée, la femme L’eau a pour le peintre une importance s’associe naturellement à la Nature, elle n’est primordiale. Le paysage se situe presque toujours au bord d’une zone aquatique. Simonidy se plaît en effet à faire scintiller la surface de l’eau, la rendant encore plus lumineuse, suggérant une idéalisation, une rêverie, comme dans les Baigneuses au bord de la mer46 (Fig. 11). L’eau unit et équilibre le ciel et la terre. Elle fascine et attire les regards vers l’inconnu qu’elle incarne. Dans les toiles de Simonidy, la surface de l’eau devient le miroir du soleil. Et comme le remarquait Feuillet dans son compte rendu de l’exposition de l’artiste organisée chez Georges Petit, « La mer y joue souvent le premier rôle, faisant courir ses eaux tumultueuses, les brisants sur les récifs en gerbes magnifiques, fouettant l’air de leur écume, ou les laissant s’apaiser dans des criques profondes, serties de rocs 47 escarpés.» Pourtant on retrouve aussi dans Fig. 11 – Baigneuse au bord de la mer, l’œuvre de Simonidy de très rares paysages (Paris, collection particulière). 111 Fig. 13 – Maternité.

saines bêtes maternelles. La distinction pédantesque entre l’animal et l’animans n’a point raison d’être. On est l’un et l’autre à la fois. Notre race humaine semble vouloir, dans la vie moderne, reconquérir l’idéal de la beauté physique, et par ainsi elle retrouvera Fig. 12 – Les trois grâces, Paris, collection particulière. sa puissance expansive des temps antiques. Voilà pour notre premier terme. Nous disons pas une vierge comme pour les symbolistes, aussi que ces riches peintures constituent un mais plutôt une figure maternelle comme dans poème de volupté. Cela se voit sans qu’il soit Maternité51 (Fig. 13) ou sensuelle comme nécessaire de beaucoup de paroles. Ces cette Harmonie en noir, jaune et bleu superbes corps, qui n’ont rien de mièvre, de (Fig. 14).52 Dans son compte rendu de cet abominable caractère pathologique qui a l’exposition de Simonidy chez Georges Petit ravagé une partie de la peinture actuelle, ce en 1926, Arsène Alexandre écrivait : sont des créatures, ou des créations, qui « M. Simonidy, avec ces quelques chants portent, comme un fruit mûr, le poids et la d’animalité féminine, aura composé tout un saveur de leur beauté. Ah ! ce n’est certes poème de volupté. Mais tous ces mots ont pas „le troupeau languissant des bêtes besoin d’être un peu expliqués et justifiés. Par d’hôpital” dont nous parle Baudelaire. Et c’est animalité, nous n’entendons rien de pour cela que nous avons qualifié de poétique défavorable – au contraire ! Les divinités de le sentiment qui les anime dans leur la Grèce sont d’admirables, de divins frémissement parmi les vagues opalines, les animaux ! Elles n’ont pas cet aspect émacié, rochers embrasés par le soleil, ou dans leur ascétique, de l’élément divin qui le détrôna. repos et leur obscure méditation. Poétique On pourrait même soutenir que les puissantes aussi la sensation qu’elles nous apportent, madones de Raphaël sont, nous ne dirons pas semble-t-il, des époques où Rome essaimait 112 avant tout, mais après tout, de robustes et dans cette partie de l’Europe Latine, qui a Fig. 14 – Harmonie en noir, jaune et bleu. prolongé jusqu’à aujourd’hui les charmes de chicanes d’écoles, insensible à leurs théories la femme et qui nous est toujours restée si fantasques, folles ou perverses, il s’achemine 53 fra te rn e lle .» vers son but, car il sait où il va. Le voici déjà parvenu à ces hauteurs où la matière devient L’œuvre de Simonidy, écrivait Maurice l’esclave de la pensée radieuse. Son œuvre, Feuillet, « affirme deux principales rayonnante de lumière intérieure, par son style tendances : la recherche du style et la vie. À classique très pur, sa couleur vibrante, sa la fois classique et moderne, il essaie de puissance et sa poésie, attestent que le génie tempérer sa fougue par la raison et y parvient gréco-latin est encore vivace. Elle restera souvent. Cette force retenue donne à ses comme une des plus audacieuses et plus belles peintures une puissance extrême et la manifestations de l’art contemporain.»54 contrainte volontaire à laquelle il s’astreint les Même si les motifs de Simonidy paraissent rend plus vigoureuses. Il obéit aux lois qui revenir inlassablement dans les années vingt devraient régir ceux qui veulent s’exprimer et trente, il possède une grande qualité, une clairement : l’instinct qui guide, la raison qui fougue, une « furie de pinceau », qui font construit, enfin la sensibilité sans laquelle tout écrire au chroniqueur du journal Le Temps reste glacé et sans âme. Le corps souple qui signait avec les initiales G.J. qu’il « peignait d’une courtisane qui se cambre dira son [comme] les maîtres d’autrefois, avec une orgueil, ses jambes épaisses de sensualité, ses impétuosité surprenante, et cependant si yeux mi-clos la volupté… La sensibilité est infaillible, si sûres de l’effet à produire, si un don de naissance qui fait partie du lot de lucides dans leur élan qu’elles donnent aux vertus et de défauts mystérieusement répartis spectateur l’heureux et rare sentiment d’une dans chacun d’entre nous. On parvient à la parfaite sécurité dans l’audace. L’artiste, qui perfectionner, à l’affiner, mais jamais à dessine avec une souplesse et une délicatesse l’acquérir. Volontairement étranger aux remarquables, qui modèle ses nus généreux 113 et riches avec une plénitude et une largeur 1905, Paris, Grand Palais, XVe Salon de la exceptionnelles, joint à cette virtuosité la Société Nationale des Beaux Arts, avril-30 juin, peintures : n°1116 Portrait de Mlle. de B… ; n°1117 raison la plus sûre. Il sait faire des sacrifices. Après l’orage (Paysage). N’accorder aux parties secondaires de l’objet qu’il exprime que le degré d’intérêt qu’elles 1907, Paris, Grand Palais, XVIIe Salon de la Société Nationale des Beaux Arts, 15 avril- méritent pour ne point partager l’attention du 30 juin, peintures : n°1085 Portrait du Prince spectateur avec les accents principaux. M. Charles-Adolphe Cantacuzène ; n°1086 Portrait du Simonidy n’appartient pas, évidemment, à peintre Desiré Lucas. l’école de la pochade. Ses toiles attestent une 1908, Paris, Grand Palais, XVIIIe Salon de la longue préparation, celle qui se fait avant Société Nationale des Beaux Arts, 15 avril-30 juin, l’exécution, et qu’opère le jugement.»55 peintures : n°1062 Quimperlé ; n°1063 Baigneuse.56

1909, Paris, Grand Palais, XIXe Salon de la Expositions auxquelles a participé Michel Société Nationale des Beaux Arts, 15 avril-30 juin, Simonidy de son vivant : peinture : n°1068 Le Travail. Michel Simonidy a participé à un relativement grand nombre d’expositions, bien qu’irrégulièrement, 1910, Paris, Grand Palais, XXe Salon de la du Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts de Société Nationale des Beaux Arts, 15 avril- 30 juin, 1892 jusqu’à sa mort en 1933. De son vivant, il a peintures : n°1131 Le poète Francis- Vielé Griffin57; organisé quatre expositions de ses œuvres dans des n°1132 Portrait de S.E. Take Ionesco58. galeries parisiennes: en décembre 1922 à la Galerie Barbazanges, puis en novembre 1926, en mars 1929 et 1911, Bucarest, A zecea expozitiune de pictura si février 1930 aux Galeries Georges Petit. Ses œuvres sculptura a Societatei Tinerimea Artistica în localul ont été rarement exposées à Bucarest. Les expositions propriu lânga Primaria Capitalei, [La Dixième sont citées en ordre chronologique aussi précisément Exposition de Peinture et Sculpture de la Société la que le permet l’état actuel des recherches. Nous avons Jeunesse Artistique dans ses locaux près de l’Hôtel de indiqué dans les notes de bas de page toutes les œuvres Ville], peinture: n° 140 Portretul D-lui Take Ionescu reproduites dans les livrets d’expositions ou dans les [Portrait de M. Take Ionesco]59. comptes rendus publiés dans la presse. 1911, Paris, Grand Palais, XXIe Salon de la 1896, Paris, palais des Champs-Elysées, 114e Société Nationale des Beaux Arts, 15 avril- 30 juin, Salon de la Société des artistes français, peinture : n°1168 Portrait de M.L.R… mai, peinture : n°1835 Mort de Mithridate. 1912, Paris, Grand Palais, XXIIe Salon de la 1897, Paris, palais des Champs-Elysées, 115e Société Nationale des Beaux Arts, 15 avril-30 juin, Salon de la Société des artistes français, peintures: n 1175 La Lecture60; n°1176 Baigneuse61. mai, peinture : n°1564 Amphitrite. 1912, Paris, Grand Palais, XXIIIe Salon de la 1898, Paris, palais des Champs-Elysées, 116e Société Nationale des Beaux Arts, 15 avril-30 juin, Salon de la Société des artistes français, peinture: n 1159 L’Abondance. mai, peinture : n°1862 La Danse, plafond. 1922, Paris, Galerie Barbazanges, Exposition 1899, Paris, palais des Champs-Elysées, 117e Simonidy, 1er – 16 décembre 1922, peintures : n°1 Salon de la Société des artistes français, La Vague ; n°2 Printemps, n°3 Aurore ; n°4 Pastorale ; mai, peinture : n°1812 Parfums d’hiver. n°5 Crépuscule ; n°6 Amours aux frondaisons, n°7 Femme endormie ; n°8 L’Enfant ; n°9 Tulipes ; n°10 1900, Paris, Grand Palais, Exposition Tulipes ; n°11 Nu ; n°12 Nus aux rochers ; n°13 Universelle, Roumanie, groupe II, classe 7, mai- Marine ; n°14 Femme accroupie ; n°15 Jeunesse ; n°16 juin, peintures : n°58 A la suite de l’Indépendance, Dos de femme ; n°17 Nu ; n°18 Nu ; n°19 Liseuse ; la Fortune distribue ses bienfaits à la Roumanie ; n°59 n°20 Figure au vase ; n°21 Etude ; n° 22 Invocation ; Parfums d’hiver et aquarelle : n°60 Ovide. n°23 Paysage – Iles d’Hyères ; n°24 Sous les Pins ; n°25 Alpes-Maritimes ; n° 26 Paysage ; n°27 Paysage, 1903, Paris, Grand Palais, XIIIe Salon de la n°28 Vignes ; n°29 Voilier près des îles ; n°30 Le Société Nationale des Beaux Arts, 16 avril-30 juin, Rocher ; n°31 Marine ; n°32 Marine ; n°33 Voilier ; peintures : n°1194 Dans la vallée ; n°1195 Silence de n°34 Voilier au large ; n°35 Bateaux de pêche ; n°36 114 soir ; n°1196 Portrait de M.L. en crispin. Voiles oranges ; n°37 Port de Douarnenez ; n°38 ; La Baie ; n°39 Thonier ; n°40 Thoniers ; n°41 Barques à nues ; n°3 Baigneuses80 ; n°4 Nu au vase noir ; n°5 voiles ; n°42 Marine ; n°43 Marine ; n°44 Marine ; Pastorale81 ; n°6 Nu au bord de la mer ; n°7 Le Vieux n°45 Quimperlé ; n°46 Le Viaduc ; n° 47 Pommier ; n° Port de Giens (îles d’Hyères)82, n°8 Marine (Alpes- 48 Tempête ; pastels, gouaches et dessins : n°49 Maritimes), n°9 Grenades et raisins ; n°10 L’Enfant83 ; Invocation ; n°50 Etude de nus aux rochers ; n°51 n° 11 Persane ; n° 12 Dos de femme ; n°13 Sous les Confidences ; n°52 Femme endormie ; n° 53 oliviers ; n° 14 Paysage provençal ; n°15 Le Voilier ; Hermione ; n°54 Buste de femme ; n°55 Amour à la n°16 Nu assis84 ; n°17 Les Alpes sous la neige85 ; n°18 guirlande ; n°56 Amour aux nuages ; n°57 Etude Chaumière aux oliviers ; n°19 Dahlias ; n° 20 d’amour ; n°58 Nu ; n°59 Mère et enfant ; n°60 Figure Printemps ; n° 21 Confidence ; n°22 Dahlias et au voile ; n°61 Figure à la guirlande ; n°62 Egyptienne ; marguerites ; n°23 Marine (îles d’Hyères) ; n°24 Pot n°63 Nu ; n°64 Paysage ; n°65 Marine ; n°66 Thonier ; de fleurs ; n°25 Marine (île d’Hyères) ; n°26 Buste de n°67 L’Escalier des Plaideurs. femme ; n°27 Baigneuse ; n°28 Les Arbousiers ; n°29 1925 Buenos Aires, exposition personnelle dont Le Langoustier ; n°30 Marine ; n°31 Fleurs des on n’a pas retrouvé le catalogue, mais à cette occasion champs ; n°32 Paysage ; n°33 Buste de femme, fond un de ses Nu au pastel a été acquis par le Musée des bleu ; n°34 Nu gris et or ; gouaches et dessins : n°34 Beaux-Arts de la ville62. Etude de baigneuses86 ; n° 36 Récifs ; n° 37 Etude de nu87 ; n°38 Baigneuse ; n°39 Paysage des Alpes- 1926, Paris, Galeries Georges Petit, Exposition Maritimes ; n°40 Sous les pins. Simonidy, 10 – 25 novembre 1926, peintures : n°1 Récifs au crépuscule63 ; n°2 Nu aux rochers64 ; n°3 1930, Paris, Galeries Georges Petit, Quelques Aurore ; n°4 Iles coralliennes ; n°5 Pastorale65 ; n°6 œuvres par Simonidy, février, peintures : n°1 Nu au Rochers66 ; n°7 Baigneuse ; n°8 Tulipes fanées ; n°9 vase bleu ; n°2 Marine ; n°3 Marine ; n°4 Marine ; Courtisane ; n°10 Tulipes rouges ; n° 11 Bacchante67 ; n°5 Nu debout ; n°6 Persane ; n°7 Fruits d’Orient ; 68 n°12 Paysage ; n°13 Iles d’Hyères ; n°14 Les Pins ; n°8 Petite Figure ; n°9 Paysage ; n°10 Baigneuse ; n°11 n°15 Marine ; n°16 Marine ; n° 17 Baigneuse ; n°18 Fleurs ; n°12 Villeneuve-lès-Avignon ; n°13 Marseille 69 70 71 Nu ; n°19 Femme endormie ; n°20 Nu ; n°21 et sa rade ; n°14 Paquebots dans le port de Marseille ; Torse ; n°22 Nu au vase72 ; n°23 Orientale ; n°24 n°15 Nu assis ; n°16 Le Langoustier ; n°17 Baigneuse ; Tulipes au vase noir ; n°25 Fruits ; n°26 Nu assis ; n°18 Le Sommeil ; gouaches : n°19 Récifs ; n°20 Sous n°27 Nu au miroir ; n°28 Baigneuse ; n° 29 Marine, n°30 Rochers73 ; n°31 Marine ; n°32 Récifs ; n°33 les pins ; n°21 Alpes-Maritimes ; n°22 Baigneuse ; Marine ; n°34 Iles d’Hyères74 ; n° 35 Etude75 ; n°36 dessin : n°23 Baigneuse. Persane76 ; n°37 Tête77, n°38 Buste de jeune fille ; pastels : n°39 Baigneuse78 ; n° 40 Odalisque ; n°41 1931, Paris, Grand Palais, XXXVIIIe Salon de Hermione79 ; n°42 Buste de femme. la Société Nationale des Beaux Arts, 1er mai-30 juin, peintures: n 1900 Nu au rocher ; n° 1901 Les pins de 1929, Paris, Galeries Georges Petit, Simonidy, la forêt ; n° 1902 Sous les oliviers ; dessin : n° 1903 mars, peintures : n°1 Le Bain ; n°2 Deux Figures Etude de baigneuse.

 Toute ma gratitude va à Mesdames Denia Simonidy et A. Istrati – N. Dumitresco in Revue Notes Mateescu et Mihaela Varga, ainsi qu’à Messieurs Petre roumaine d’histoire de l’art, série Beaux-Arts, Oprea et Adrian-Silvan Ionescu pour leurs précieux Bucarest, t. XLI-XLII, 2004-2005, p. 143-148. conseils et aides. Mes remerciements à Madame 4Voir pour ses œuvres passées en vente depuis Chantal Beauvalot et Monsieur Thierry Pain qui ont 1980 son dossier à la Documentation du Musée eu l’amicale patience de revoir mon manuscrit. d’Orsay. 1 Arsène Alexandre, L’Exposition Simonidy chez 5A. Alexandre, art.cit., p. 639. Georges Petit in La Renaissance de l’Art français, 6Maurice Feuillet, Exposition Simonidy in Le septembre 1926, p. 638. Gaulois Artistique, n°1, 10 novembre 1926, p. 4. 2L’œuvre, huile sur toile, 46 × 38 cm, a été achetée 7 Tous les dictionnaires d’artistes, de Thieme- par l’État français par l’arrêté du 2 décembre 1926 et a Becker à Edouard-Joseph et Bénézit, donnent 1870 été payée 3000 francs le 11 novembre 1927. Elle a été comme année de naissance de l’artiste. Pourtant son déposée au Musée du Jeu de Paume d’où elle a été matricule à l’École des Beaux-Arts, ainsi que l’extrait transférée au Musée National d’Art Moderne, Centre de son acte de décès indiquent 1872. Dans l’extrait du Georges Pompidou, dans les réserves duquel elle est registre des décès de la Mairie du 18ème arrondissement conservée à présent. de Paris (n°728, copie en notre possession), on peut 3 Gabriel Badea-Păun, Autour des deux ventes aux lire : « Le sept février mil neuf cent trente-trois, onze enchères à l’Hôtel Drouot de Paris, les ateliers M. heures, est décédé en son domicile 15 rue Hégésippe 115 Moreau Michel SIMONIDY, né à Bucarest 19 G. Badea-Paün, art.cit., p. 145, lot n° 205 et (Roumanie), le six mars mil huit cent soixante-douze, 206. artiste peintre, fils de Théodore SIMONIDY, et de 20 Ibidem, lots 270 et 271. Catherine COTADI, époux décédés. Veuf en premières 21 Huile sur toile, 220 × 168 cm, signée et datée en noces de Alice Nathalie GROUPAT, et époux en bas, à droite : M. Simonidy, 1896. secondes noces de Yvette Adrienne BROCHARD. 22 A.-S. Ionescu, op. cit., p. 349-360. Dressé le huit février mil neuf cent trente-trois, neuf 23 Huile sur toile, 88, 5 × 130 cm ; signée, datée et heures dix, sur la déclaration de Félix BOUDET, localisée en bas, à droite : M. Simonidy, Paris, 96. Il soixante-deux ans, employé, 79 rue du Mont Cenis, provient du Musée Kalinderu. qui, lecture faite a signé avec Nous, Etienne Ardely, 24 Huile sur toile, 88 × 130 cm ; signé et daté en adjoint au Maire du 18e arrondissement de Paris, bas, à droite : M. Simonidy, Paris, 1896. Bucarest, Chevalier de la Légion d’Honneur. » collection particulière, en dépôt au Musée National 8 Mairie de Troyes, Extrait des registres de l’État d’Art de la Roumanie. civil, naissance, 00 566, Brochard, Yvette Adrienne : 25 Olivier Merson, Les Salons de 1899 in Le Monde « Le neuf juin mil neuf cent huit à 08 heures, est née en illustré, 5 juin 1899, p. 46. notre commune Adrienne Yvette BROCHARD, du sexe 26 Aquarelle et gouache sur papier, 10 ¾ × 15 1/8 féminin/ EN MARGE : Mariée à Noisy-le-Sec le 02 cm, signé en bas, à gauche : M. Simonidy ; datée ’99 avril 1928 avec Michel SIMONIDY. Répertoire civil II ; New York, Doyle Auction House, 29 septembre N°2000-440. Mentionné le 19 décembre 2000. Certifié 2004, lot n°2074. le présent extrait conforme aux indications portées au 27 Bibliothèque Nationale de France, Département registre, par Nous officier de l’état civil soussigné. des Estampes, SNR3/ Michel Simonidy, planche non Troyes, le vingt deux mars deux mil six. » numérotée. 9 Dans le Fonds municipal d’art contemporain de 28 A ce moment Le Figaro avait un autre illustrateur la Ville de Paris se trouve une œuvre d’Yvette Simonidy, roumain, le pastelliste Nicolas Gropeano, mais les une Nature morte, huile sur toile, 64 × 79 cm, achetée relations entre les deux artistes, si elles ont existé, nous en 1955, Inv. CMP 10332. D’autres de ses modestes sont inconnues. compositions ont été vendues avec le fonds de l’atelier 29 Quand la presse s’affiche, catalogue de l’artiste, voir notre article, Autour des deux ventes…, accompagnant une exposition au Musée de la Seita, p. 146, lot n°272. Paris, mars, 1984, p. 33. Une autre affiche, pour les 10 Huile sur toile, 135, 50 × 80,3 cm, signé en bas lecteurs allemands du même journal et intitulé : Das à gauche avec rouge : M. Simoindy elev ; daté en bas à frühe Plakat, lithographie, 70,5 × 113 cm, est passée gauche avec rouge : 1888. en vente à l’Hôtel Drouot, Etude PIASA, Estampes et 11 Huile sur toile marouflée sur carton, 23 × 15 cm, affiches, jeudi, 27 avril 2003, lot. N°343. On remercie signé et daté en haut à droite avec brun : Simonidy ’89. l’expert de la vente, Madame Hélène Bonafous-Murat 12 Huile sur toile, 47 × 24,6 cm, signé en bas, à pour nous l’avoir signalé. droite avec blanc : M. Simonidy, lot n°43. Le Cabinet 30 On ne connaît aucun exemplaire de cette des Estampes de la Bibliothèque de l’Académie lithographie sur papier bistre, 61,5 x 49 cm, signée et possède une aquarelle, 29,2 × 19,4 cm, signée et datée datée 1895. Pourtant une épreuve a figuré dans 1892 reprenant cette composition. BAR n° inv. 14374. l’exposition L’art et la vie en France à la Belle Époque, 13 Adrian-Silvan Ionescu, Învăţământul artistic Fondation Pierre Ricard, Paris, septembre-octobre românesc (L’enseignement artistique roumain), 1971, n°92. Bucarest, 1999, p. 190-191. 31 On ne connaît de cette lithographie qu’un seul 14 Ibidem, p. 191. exemplaire conservé au Cabinet des Estampes de la 15 Le Musée National d’Art de la Roumanie Bibliothèque Nationale de France, cote SNR3/Michel possède une petite huile sur toile, 24 × 14 cm, Simonidy, 60 × 46 cm, signé et daté, en bas, à droite : représentant une Parisienne dans la manière de Louise Michel SIMONIDY, mars 1903. Abbema ou d’Henri Somm. Signé, daté et localisé en 32 Ştefan Kirson, Istoricul CEC-ului, Bucarest, bas, à droite : M. Simonidi, 93, Paris. Il provient du 2004, p. 205. Musée Kalinderu. 33 Il a été nommé Chevalier de la Légion d’honneur 16 Catherine Fehrer, The Julian Academy, Paris par décret du 28 janvier 1901. L’information nous a été 1868 – 1939, Exposition à la Shepherd Gallery, New fournie par le secrétaire Général Adjoint de la Grande York, printemps, 1989, p. non numérotée. Chancellerie de la Légion d’honneur. 17 Archives Nationales, Paris, École des Beaux- 34 Ş. Kirson, op. cit., p. 206 et 211. Des esquisses Arts, série AJ 52*236, matricule n° 5786/ 8 juillet préparatoires de ces deux portraits ont été vendues 1893. Parmi les autres élèves admis le même jour figure avec le fonds de l’atelier de l’artiste, voir notre article, le Nabi Henri Évenpoel. lot n° 262. 18 Huile sur carton, 35 × 27 cm, Signé en bas, à 35 Lenbach, le portraitiste allemand le plus connu droite : M.Simonidy. Musée National d’Art de la vers 1900 avait déjà réalisé vers 1873 un Portrait de la 116 Roumanie ; il provient du Musée Toma Stelian. princesse Elisabeth de Roumanie, œuvre exposée lors de l’Exposition Universelle de Vienne de la même année, S.A. , Hotel de Ventas, Buenos Aires, Argentine, octobre à présent conservée par SAS le prince Ulrich zu Wied. 1998, lot n° 7, estimation 3500-4500 $, non vendu. 3 6 Apud. Ş. Kirson, op. cit., p. 205. 5 2 Localisation actuelle inconnue. Une photo de 3 7 Sur l’époque et les grands décors peints sous la cette œuvre dans le dossier Simonidy à la Bibliothèque Troisième République voir l’excellent essai de Thérèse Nationale de France, Cabinet des Estampes, SNR1/ Burollet, Prolégomènes à l’étude du mur républicain Simonidy. in Le triomphe des mairies, Grands décors républicains 5 3 A. Alexandre, art.cit., p. 639-640. à Paris, 1870-1914, catalogue accompagnant une 5 4 M. Feuillet, art.cité, p. 4. exposition au Musée du Petit Palais, Paris, 8 novembre 5 5 G .J., L’exposition Simonidy chez Georges Petit 1986–8 janvier 1987, p. 23-42. in Le Temps, 19 nov. 1926, p. 3. 3 8 S. Kirson, op. cit., p. 206. 5 6 L’œuvre a été reproduite dans le livret du Salon, 3 9 Huile sur toile, 14 × 25 inches, signé en bas, à p. ? ; La Réunion des Musées Nationaux conserve le gauche : Michel Simonidy, non datée. En 2005 le cliché sur verre d’après cette œuvre par François tableau était à vendre aux Clarke Galleries, Stowe, Vizzavona, RMN 44 583, cote cliché 97-027562. Vermont, États-Unis. 5 7 Voir note 42. 4 0 Huile sur toile, 150 × 140; signé et daté en bas à 5 8 L’œuvre a été reproduite dans le livret du Salon; gauche: Simonidy/1910. Le tableau est conservé à La Réunion des Musées Nationaux conserve le cliché présent au Musée des Beaux-Arts de Tours. L’œuvre sur verre d’après cette œuvre par François Vizzavona, a été reproduite dans le livret du Salon, p. 78. La RMN 36839, cote cliché 97-018644. Réunion des Musées Nationaux conserve le cliché sur 5 9 Remarqué dans Mihai Burileanu, Tinerimea verre d’après cette œuvre par François Vizzavona, artistică, in Epoca, 3 mai 1911. RMN36840, cote cliché 97-018647. Pour une notice 6 0 L’œuvre a été reproduite dans le livret du Salon; plus approfondie sur la biographie du personnage et La Réunion des Musées Nationaux conserve le cliché son portrait par Simonidy voir aussi Véronique sur verre d’après cette œuvre par François Vizzavona, Moreau, Peintures du XIXe siècle 1800-1914, catalogue RMN 36841, cote cliché 90-000988. raisonné, vol. 2, H-Z, anonymes, supplément, Tours, 6 1 L’œuvre a été reproduite dans le livret du Salon; Musée des Beaux-Arts; Azay-le Ferron: château, 2001, La Réunion des Musées Nationaux conserve le cliché p. 564-565. Madame Moreau suppose que le portrait sur verre d’après cette œuvre par François Vizzavona, a été réalisé lors d’un séjour du poète au bord de la RMN 36842, cote cliché 97-018652. Méditerannée. 6 2 M. Valotaire, art.cit., p. 370. 4 1 Véronique Dumas, Le peintre symboliste 6 3 L’œuvre est reproduite dans M. Feuillet, Alphonse Osbert (1857-1939), Paris, 2005, p. 163­164. 4 2 Huile sur toile, 130 × 135 cm, Paris, Musée Exposition Simonidy in Le Gaulois Artistique, n°1, 10 novembre 1926, p. 4. d’Orsay. Archives Nationales, F21/4341, dossier 6 4 d’achat de l’œuvre, daté du 24 mai 1912. Elle a été Ibidem, p. 5. 6 5 payée 1500 francs. Plusieurs croquis préparatoires L’œuvre est passée en vente à l’Hôtel Drouot, pour cette composition se trouvaient dans le lot n°279 Etude H. Baudou et Maurice Ader, 27 avril 1933, lot de la vente Simonidy, voir notre article, p. 146. n° 110, Huile sur toile, 73 × 100 cm, signé et daté, en 4 3 Huile sur carton, 65 × 81 cm. bas à droite : Simonidy ’25, voir cette notice à la 4 4 Raymond Bouyer, Deux expositions d’ensemble Documentation du Musée du Louvre, dossier Simonidy 6 6 in Bulletin d’art ancien et moderne, décembre 1926, L’œuvre est reproduite dans A. Alexandre, p. 292. art.cit., p. 640 et dans M. Feuillet, art.cit., p. 4. 6 7 4 5 Hans H. Hofstätter, L’iconographie de la L’œuvre est reproduite dans R. Bouyer, art.cit., peinture symboliste, dans le catalogue de l’exposition p. 291. Le Symbolisme en Europe, Paris, 1975-1976, p. 11. 6 8 L’œuvre est reproduite dans M. Feuillet, art.cit., 4 6 Huile sur toile, dimensions inconnues, signé en p. 4. bas, à droite: Simonidy, non daté. 6 9 L’œuvre est reproduite dans M. Valotaire, 4 7 M. Feuillet, art.cit., p. 5. art.cit., p. 368. 4 8 Une photo de cette oeuvre figure dans le dossier 7 0 L’œuvre est reproduite dans A. Alexandre, Simonidy à la Bibliothèque Nationale de France, art.cit., p. 638 et dans M.Feuillet, art.cit., p. 7. Cabinet des Estampes, SNR1/Simonidy. 7 1 L’œuvre est reproduite dans M. Valotaire, 4 9 Une photo de cette œuvre figure dans le dossier art.cit., p. 369. Simonidy à la Bibliothèque Nationale de France, 7 2 Ibidem, p. 639. Cabinet des Estampes, SNR1/Simonidy. 7 3 Ibidem, p. 370. 5 0 Pastel sur papier, 29 × 22,5 cm., signé en bas à 7 4 L’œuvre est reproduite dans M. Feuillet, art.cit., droite Michel Simonidy, p. 6. 5 1 Huile sur carton, 47,5 × 39 cm, signé en bas, à 7 5 Ibidem, p. 3. droite : Simonidy, Collection Dolores Santamarina de 7 6 Ibidem, p. 3. Pereyra Iraola, passé en vente chez J.C. Naón & Cie 7 7 Voir note 2. 117 7 8 L’œuvre est reproduite dans A. Alexandre, à la Documentation du Musée du Louvre, dossier art.cit., p. 639. Simonidy. 7 9 L’œuvre est reproduite dans M. Feuillet, art.cit. 8 1 L’œuvre est reproduite dans F. de Miomandre, p. 7. art.cit., p. 262. 8 0 L’œuvre est reproduite dans Francis de 8 2 Ibidem, p. 263. Miomandre, « Simonidy », dans L’Art et les Artistes, 8 3 Ibidem, p. 264. mai 1929, p. 260. L’œuvre est passé en vente à l’Hôtel 8 4 Ibidem, p. 259. Drouot, Etude H. Baudou et Maurice Ader, 27 avril 8 5 Ibidem, p. 263. 1933, lot ,° 109, huile sur toile, 116 x 89 cm, signé et 8 6 Ibidem, p. 265. daté, en bas à gauche : Simonidy ’28, voir cette notice 8 7 Ibidem, p. 264.

118 La troisième session annuelle du département d’art médiéval a déroulé ses travaux les 14 et 15 décembre CHRONIQUE 2006, tout en conservant le thème des sessions antérieures, à savoir, la mise au jour dans le circuit scientifique des découvertes récentes du domaine de l’art médiéval en Roumanie. La séance du premier jour a débuté avec les communications concernant l’art de Valachie. Dans sa communication Hypothèses concernant le programme iconographique du porche de la bolnitsa de Hurezi, SESSION ANNUELLE DU DÉPARTEMENT Corina Popa a analysé quatre scènes, trois placées D’ART MÉDIÉVAL DE L’INSTITUT D’HISTOIRE dans les tympans du porche de la bolnitsa (l’infirmerie) – Le martyre de saint Etienne (sud), La dormition DE L’ART « G. OPRESCU » DE BUCAREST : d’Éphrème le Syrien (ouest), Le navire de la chrétienté NOUVELLES DONNÉES DANS LA RECHERCHE (nord) – et la quatrième, située sur le mur est : La vie D’ART MÉDIÉVAL DE ROUMANIE (2006) du véritable moine. Ce sont des scènes allégoriques, ayant un contenu moralisateur et éducatif, composantes courantes de l’iconographie athonite, illustrant (Le navire de la chrétienté) la polémique ensembles antérieurs de Valachie. Il s’agit d’un court dogmatique de la deuxième moitié du XVIIe siècle. Les cycle de la vie du juste Joseph, inclus dans le cycle de scènes mentionnées n’ont pas seulement un message la Passion, ainsi que de scènes associées : le figuier éducatif pour la communauté des religieux, mais, aussi, stérile, les dix vierges, Zachée le douanier, la femme eschatologique, tel qu’il apparaît dans la représentation pécheresse qui a couvert de myrrhe les pieds du Christ, du feu de l’Enfer dans les scènes Le navire de la l’Anapeson. La disposition de ces scènes dans le cadre chrétienté et La vie du véritable moine, ainsi que du cycle de la Passion qui entoure le naos et domine la l’illustration de certaines séquences de l’Apocalypse voûte et le tympan de la travée d’ouest a sa source dans Le navire de la chrétienté, et la figuration de la dans le Triode, suivant l’ordre des lectures bibliques et Jérusalem, encore une fois dans Le navire de la du Synaxaire de la Semaine de la Passion : lundi, chrétienté ainsi que dans Le martyre de saint Etienne. l’histoire du très beau Joseph et la parabole du figuier Les sources littéraires de ces deux scènes complexes et stérile; mardi, la parabole des dix vierges ; mercredi, la composites sont l’Apocalypse, l’Évangile apocryphe femme pécheresse ; Zachée le douanier n’appartient de Nicodème, le « Pedalion » (Le navire de la pas au Triode, mais certaines catéchèses considèrent chrétienté) et le Ménée pour le mois de décembre (saint cet épisode comme appartenant à la période de Etienne). Quoique apparemment atemporelles, elles préparation du Grand Carême ; l’Anapeson renvoie à étaient lues dans l’esprit des inquiétudes de l’époque, la prophétie du patriarche Jacob (Genèse 49, 9), où la propagande catholique et calvine menaçaient mentionnée dans le texte du Threnos (Lamentation sur l’Église orthodoxe et ses dogmes. Ce fait était perçu le corps de Jésus mort) (I, 38). Le cycle iconographique dans une perspective apocalyptique, seule la foi de la Passion, inspiré, à Polovragi, par le système de pouvant sauver l’âme. La synthèse iconographique est lectures du Triode, réservé à la Semaine de la Passion, probablement due à l’archimandrite Jean, dont on est, probablement, dû à l’archimandrite Jean de Hurezi retrouve le portrait dans le porche, accompagné d’une – ici, ispravnic (surveillant des travaux) – s’inscrivant, invocation à la Vierge, ayant un sens eschatologique. en même temps, dans la tendance de la peinture L’unité de contenu de ces scènes est réalisée justement brancovane d’illustrer des thèmes hymnographiques. par le message eschatologique qui semble avoir comme Dans son intervention Aspects de la restauration point de départ les écrits d’Éphrème le Syrien sur des peintures murales de l’église du monastère l’arrivée de l’Antichrist. Les écrits mentionnés se Surpatele, Anca Nicolaescu a fait une brève histoire trouvaient dans les bibliothèques des monastères de des dégradations et des réparations, suivie par la Bistriţa et de Curtea de Argeş ; le supérieur de ce dernier présentation de la récente restauration de la peinture collaborait avec l’archimandrite Jean à la peinture de murale de l’église Sainte Trinité du monastère Surpatele l’église du couvent de Fedeleşoiu. (dép. de Vâlcea). Ancienne fondation des boyards Elisabeta Negrău a cherché à analyser les sens Buzeşti, datant de 1512, entièrement refaite en 1706 cachés des images du Cycle de la Passion dans le naos par la princesse Marie Brancovan dans le style de l’église du monastère de Polovragi. Sa spécifique de l’époque brancovane, elle a été peinte communication s’est arrêtée sur quelques aspects afresco par des représentants de « l’école » de particuliers qui ne se retrouvent plus dans d’autres Constantinos de Hurezi : André, l’hiéromoine Joséph, ensembles de peinture brancovane, ni dans les Hranite et Etienne. La restauration des peintures

REV. ROUM. HIST. ART., Série BEAUX-ARTS, TOME XLIII, P. 119–123, BUCAREST, 2007 119 murales de Surpatele (interventions exécutées entre de l’Annonciation, représentées dans les tympans, 2003-2004) concerne, en dehors des problèmes rappellent toujours de l’iconographie du narthex. spécifiques aux monuments de cette époque-là, Partant de la découverte, pendant les années 60 du l’élimination des graves fractures structurelles causées siècle passé, des icônes royales de l’église en bois de par les tremblements de terre de 1940 et 1977, qui, Zagon, dép. de Covasna, signées « Ioan Zugravul », combinées avec les glissements de terrain et l’action Ioana Cristache-Panait, dans Témoignages des eaux souterraines, spécifiques pour la zone, artistiques d’un certain zôgraphe Ioan du sud des représentent les causes majeures des dégradations du Carpates, partout en Transylvanie (milieu du XVIIIe monument – à ce moment-là, seulement partiellement siècle), a identifié, à partir des consignations résolues (de l’extérieur). La collaboration entre documentaires et des témoignages artistiques, des architectes, ingénieurs et restaurateurs a été essentielle, œuvres appartenant à ce peintre originaire de la zone autant pour la sauve-garde physique de l’entier de Gorj, répandus non seulement en Transylvanie, mais monument que pour la récupération de son authenticité. aussi dans le Banat serbe. La communication présente La présentation esthétique finale des zones avariées a des icônes et des églises peintes par Ioan Zugravul, été une opération tout aussi importante pour la artiste formé dans l’ambiance stylistique réception ultérieure de l’ensemble des peintures postbrancovane, durant une période de presque deux murales. Le projet de restauration de la peinture murale décennies, depuis sa présence en 1740 à Şcheii du monastère Surpatele a été coordonné par l’expert Braşovului et jusqu’en 1757, lorsque, toujours à Şchei, restaurateur Silviu Petrescu, tandis que la coordination il signait deux icônes de facture traditionnelle. Pendant des opérations antérieurement établies et de l’équipe ce temps, Ioan Zugravul fut présent autant en Valachie, de restaurateurs tout au long des travaux a été mise où il peignit l’église de Vădeni (Târgu Jiu), à côté de dans la charge des restaurateurs Simona Pătraşcu et son maître Vasile Diacon, et l’église de Şomăneşti (Gorj), Anca Nicolaescu. en 1750, qu’en Banat, à Mănăştiur, où il peignit l’église Dans sa communication L’ermitage Păpuşa : avec Toma, un autre zôgraphe valaque, ou l’église de l’iconographie de la peinture murale, Vlad Bedros a Sântandrei (Simeria), dont il réalisa les icônes royales réalisé la description succinte d’un matériel en 1756. Avec Iancu Zugrav, son collaborateur de iconographique inédit (la peinture de l’ermitage Păpuşa, Şomăneşti, Ioan a orné la chapelle de la grande église de dép. de Vâlcea, datant de 1712) et sa mise en relation Şcheii Braşovului (1752), et, tout seul, il a signé en avec l’ambiance artistique de l’époque ; les zôgraphes 1756 les icônes de Groşi (Zarand), aujourd’hui, dans la qui ont travaillé ici sont également attestés à la bolnitsa collection du monastère d’Arad-Gai. de Bistriţa (la peinture du porche) et à Govora. Les Trois communications concernant des découvertes dimensions réduites de l’église ont imposé un discours dans le domaine de l’architecture et de la peinture de iconographique très concis qui présente pourtant la région ouest de la Roumanie et de Transylvanie quelques options intéressantes. Dans la conque de furent présentées au début du second jour de la session l’abside de l’autel, par exemple, la Vierge à l’Enfant est scientifique. Suzana Móré Heitel, dans son figurée mi-corps (Blacherniotissa) – choix rare dans le intervention Sur la datation de l’église du chapitre contexte de l’époque qui préférait le type de la Platytera d’Arad, a abordé le sujet du chapitre collégial d’Arad, trônant, même dans des espaces réduits. Dans les fondé probablement par le roi Bella II (1131-1141), absides latérales ne sont représentées que six scènes qui fonctionnait déjà en 1156, lorsqu’on fait mention de Fêtes, mais leur sélection est suggestive. Au sud, du prépositus Primogenitus. L’information sous la Transfiguration, sont groupés la Nativité et le documentaire concernant la consécration de l’église Baptême – le thème de la théophanie est évident – en 1224 mène à l’hypothèse selon laquelle elle n’a été tandis qu’au nord, sous la Descente aux Limbes, se terminée qu’au début du XIIIe siècle, ayant tenu trouvent côte à côte la Présentation au Temple et compte, également, de la possibilité que la l’Entrée à Jérusalem – deux illustrations d’un adventus consécration respective ait eu lieu à la suite d’une Domini ; la prophétie de Syméon renvoie, aussi, au éventuelle reconstruction. Les ruines de la grande église thème de la Passion, dont le dimanche des Rameaux (ayant une longueur extérieure d’environ 62 mètres) est le prologue, et la Résurrection l’épilogue. Quoiqu’il se trouvent à côté d’Arad, dans la commune sous- ne soit pas illustré, le cycle de la Passion est indiqué urbaine Vladimirescu (l’ancienne commune Glogovăţ), de cette façon, indirectement, dans le naos, où on où se trouvait le premier noyau de la ville médiévale. retrouve encore le registre des saints martyrs et des Elles indiquent une basilique à deux tours sur la façade moines et le tableau votif sur le mur ouest. Une ouest, transept et déambulatoire autour de l’abside particularité architecturale de l’église est le petit porche de l’autel, déambulatoire qui suppose l’existence dans attaché directement au naos, partiellement muré au l’église d’Arad de prestigieuses reliques à l’époque nord et à l’ouest, mais dont l’iconographie est du Moyen Âge. Mais ces vestiges ne conservent plus spécifique au narthex. Dans la calotte, Christ Emmanuel in situ des éléments architecturaux capables à est figureé dans un médaillon comprenant aussi une permettre la délimitation d’éventuelles phases de prière de l’Octoïque – iconographie qui apparaît aussi construction, et les quelques fragments de sculpture 120 dans le porche de Govora. Les six scènes de l’Acathiste en pierre provenus de l’église peuvent s’encadrer soit au XIIe siècle (bases de colonne et un chapiteau), soit La restauration des fresques du naos de Voroneţ a au début du XIIIe siècle (éléments de voûte). À la permis de nouveaux déchiffrements de l’iconographie datation de l’église contribuent indirectement les de la peinture intérieure. Dans sa communication, Jean, résultats des fouilles archéologiques de 1969-1970 et l’empereur des Perses, Constanţa Costea a identifié, 1983-1984. Les vestiges de l’église plus ancienne par référence à l’illustration des manuscrits et à l’aide découvertes alors au-dessous du monument présenté des fragments d’inscriptions murales, « les lieux jusqu’ici, se constituent dans un terminus post quem imprécis » dans les représentations à la base de la tour pour son placement chronologique. Les données de la nef. La signification reconstituée de l’iconographie concernant cette église, récemment publiées, indiquent des lunettes et des pendentifs met dans une nouvelle une nef carrée, une abside demi-circulaire à l’est et lumière le cycle de la Passion, dont la cohérence – des murs très épais (entre 3 et 4 mètres). Supposant contestée par beaucoup de commentateurs – est à qu’au début chaque côté a été pourvu d’une abside, chercher, paraît-il, dans la relation avec la figure cette église présenterait une analogie avec l’église de couronnée du registre des saints militaires, Jean, Feldebrő, de Hongrie, datant du XIe siècle. Son l’empereur des Perses. La vie de celui-ci – relatée dans existence à cette époque-là est indirectement deux manuscrits slavo-roumains du XVe siècle – est confirmée par la datation à la fin du même siècle des celle du calif du Babylon Mavia, du IXe siècle, converti fragments de sculpture en marbre avec un décor au christianisme par Théodore, évêque d’Édesse et figuratif et végétal, réalisé dans la technique de bâptisé Jean. La confession de foi faite par l’empereur l’incrustation, fragments découverts pendant les des Perses – avec l’élévation de la croix – devant les fouilles déjà mentionnées et présentées pour la peuples rassemblés, permet l’inclusion de sa figure de première fois dans la présente intervention. militaire couronné dans l’iconographie moldave de la Les communications d’Adriana Stroe, L’histoire croisade, conçue à Voroneţ dans le contexte de la d’une maison de Sighişoara – la Ville d’en haut et de Passion, tandis qu’à Pătrăuţi elle est conçue dans un Romeo Gheorghiţă, Sighişoara, nouvelles contexte eucharistique. découvertes : composantes artistiques, peinture murale Maria-Magdalena Drobotă, dans Étude laïque, stucature, concernent le monument situé dans concernant la conservation des pigments azurite et la rue de l’École no13 : il s’agit d’un bâtiment dont le malachite. Aspects particuliers rencontrés dans la noyau remonte au XVIe siècle, avec des extensions et peinture du narthex de l’église du monastère Saint Jean des modernisations de la fin du XVIIe siècle, de la le Nouveau de , a exposé les résultats du travail deuxième moitié du XVIIIe siècle et de la fin du XIXe – de recherche entrepris pendant ses études de mastère, début du XXe siècles. Il faut remarquer les voûtes de élaborées sous la coordination du professeur Oliviu l’intérieur aux arêtes entrantes, décorées avec des Boldura, à l’aide du laboratoire de chimie de la section stucatures, et l’inscription de datation sur la façade de Conservation-Restauration de l’Université Nationale principale, en cours de restauration. d’Art de Bucarest. Le thème de la conservation des La dernière partie de la session a été réservée à pigments ayant à la base le cuivre, dans la peinture l’art de Moldavie. Dans sa communication murale, est axé sur trois objectifs d’étude qui se Interventions sur la peinture murale de l’église Saint trouvent dans une serrée interdépendance : 1) des Nicolas de Popăuţi, réalisées par la CMI (Commission données concernant la technique d’application des des Monuments Historiques) entre 1926-1927, pigments ayant le cuivre azurite et le vert malachite à Carmen Solomonea a présenté de nouveaux aspects la base ; 2) l’action sur ces pigments des matériels des dégradations qui ont affecté le long du temps couramment employés dans le processus de l’architecture et la décoration murale de cette fondation conservation-restauration de la peinture murale ; 3) la d’Étienne le Grand de 1496. L’intervention datant de corrélation des informations obtenues à la suite de 1926-1927, dénommée « renouvellement », a été initiée l’étude sur des échantillons avec les résultats de et coordonnée par la Commission des Monuments l’analyse in situ, concernant l’état de conservation des Historiques. Les actions entreprises à cette occasion surfaces peintes avec les pigments azurite et malachite. sur la peinture murale constituent aujourd’hui une L’application in situ relève aussi certains aspects dus importante source documentaire concernant les aux interventions subies dans le temps par la peinture méthodes utilisées dans le domaine de la restauration à murale qui décore le naos de l’église Saint Georges du cette époque-là. La communication présente le monastère Saint Jean le Nouveau de Suceava. document qui mentionne l’intervention de La communication de Maria Dumbrăvicean, « renouvellement » de la peinture murale au début du Détails concernant la technique d’exécution dans la XXe siècle, des données artistiques et stylistiques, des peinture intérieure du monastère de Humor, dép. de éléments techniques spécifiques à la peinture murale, Suceava, a présenté les résultats de la campagne de des particularités d’exécution, la description du restauration de 2006, à l’occasion de laquelle on a mis concept de « restauration », selon l’équipe de la CMI, en évidence de nouveaux éléments concernant la des opérations comprises dans la méthodologie adoptée technique d’exécution et, implicitement, la et des manières de présentation esthétique des lacunes compréhension des causes de la dégradation des des couches de préparation et de peinture. peintures murales intérieures. La structure du support 121 présente un premier crépi, composé de pâte de chaux les portraits de saint Jean-Baptiste, du fondateur Luca et sable de rivière, imitant les assises en pierre et brique, Arbore, y compris sa main, et deux lacunes au niveau et une deuxième couche de crépi, en fait, le support sur du vêtement du fondateur. Ces zones ont été repeintes lequel se réalise l’image, composé toujours de pâte de dans plusieurs étapes, différant par la manière d’abord chaux et des matériaux non homogènes. Les giornate de la surface. Une dernière fois on est intervenu, afin et les pontate, surfaces de travail délimitées, sont de compléter les lacunes (intervention d’urgence en facilement détectables en lumière rasante et surprennent 1974) par l’application du mastic au niveau des lacunes par leurs dimensions impressionnantes (par exemple, de la couche support avec un mortier à base de chaux. la scène de la Dormition, du tympan ouest, exécutée La deuxième intervention, Recherches sur une surface de maçonnerie de 10,2 m carrés). La stratigraphiques et technologiques sur la peinture de préparation du support en vue de la peinture a été l’église du monastère de Voroneţ, propose une faite d’une manière différenciée : les fonds de ciel, reconsidération de l’aspect de l’église au temps architecture, groupes de personnages ont bénéficié d’Étienne le Grand : on remet, ainsi, en discussion la d’une première préparation, afresco, tandis que les peinture conservée sous la charpante, a l’intérieur de portraits, les mains et les vêtements ont été travaillés l’église, peinture qui représente une ceinture décorative les derniers, la peinture se terminant a secco. Les aux éléments végétaux, telle une couche de peinture, analyses chimiques de laboratoire ont relevé la présence qui a initialement couvert la façade de l’église de d’un liant organique. L’analyse de la couche de couleur Voroneţ, jusqu’au moment où Grigorie Roşca a ajouté a mis en évidence les tons de base, appliqués d’une l’exonarthex. Cette peinture a un correspondent dans façon compacte, sur lesquels se superposent des la partie inférieure du mur, cette fois-ci, sous la forme tonalités de couleur pure ou avec un surplus de chaux. d’une draperie placée sous la couche de peinture qui Les portraits sont réalisés par la superposition des couvre aujourd’hui l’exonarthex. Dans l’étape de tonalités de proplasma brune foncée, rouge et brique restauration de 2006, par le décapage du mortier de et le contour est en brun et noir. Les vêtements sont réparation, on a découvert des fragments appartenant enrichis de perles réalisées en lait de chaux et caséine. à une peinture murale effectuée afresco, conservée dans Les pigments employés sont : noir de charbon, vert de l’espace de l’épaisseur du mur, autant vers le sud que terre, vert malachite, bleu azurite, ocre rouge, ocre vers le nord; c’est la preuve que l’entière façade ouest jaune, cinabre, minium de plomb et lait de chaux. La de l’église d’Étienne le Grand a été couverte de peinture, présence du rouge minium de plomb ou du bleu azurite, décoration murale qui a été enlevée au moment où pigments sensibles aux changements de microclimat, l’exonarthex fut peint. Le décapage d’un mortier de ont déterminé l’apparition des transformations de réparation sur la façade sud de l’église, au niveau du nature chimique, parfois irrémédiables. bandeau décoratif suggérant des cristaux, a déterminé Oliviu Boldura a présenté deux communications la découverte d’une autre couche de peinture murale concernant certains résultats des campagnes récentes afresco, qui représente une draperie, peut-être, comme de restauration des églises d’Arbore et de Voroneţ. La une suite à celle de l’exonarthex. première, La restauration du tableau votif de l’église Quant à la datation de la peinture du narthex de d’Arbore, met en évidence le fait que cette composition Voroneţ, Oliviu Boldura est d’accord avec les résultats est marquée par des interventions dans le temps – en des recherches publiées par Ecaterina Cincheza-Buculei six étapes – certaines d’entre elles, détérminées par (RRHA, BA, XXX, 1993) ou communiquées par des gestes de vandalisme, visibles sur la surface sous la Carmen Solomonea (voir Chronique, in RRHA, BA, forme de coups tranchants. Dans une intervention XLII, 2006) : ainsi, la date de 1550, qui apparaît dans importante dans l’image votive, intervention d’une l’inscription sur le mur est, ne concerne pas l’entière nature différente, couvrant une surface étendue (la peinture du narthex, contemporaine d’ailleurs à celle famille du donateur, la maquette de l’église, une partie du naos et de l’autel (fin du XVe siècle), mais seulement des vêtements de saint Jean-Baptiste, patron de l’église, la dorure et la décoration végétale de la ceinture et de l’ange) est mise en évidence la transposition au périmétrale. Les arguments de l’auteur sont la limite de poncif du dessin préparatoire, dessin repris ensuite en la giornata identifiée au niveau du bandeau qui délimite lignes noires, tout comme d’autres particularités le motif décoratif sur lequel est marqué le texte, la techniques (la charge excessive des portraits et des décoration a secco de la ceinture et la négligence avec mains avec des tonalités qui se ressemblent comme laquelle on a appliqué le mixtion et la feuille métallique, valeur et chromatique, une touche circulaire différente par rapport à la finesse de la peinture murale. à celle obtenue par des tracés amples dans la peinture Oliviu Boldura et Anca Dină, dans «L’offrande originelle). En comparant la peinture refaite avec les du baldaquin» de l’église Saint Georges de Suceava. éléments conservés de la peinture originelle, nous Nouveaux éléments identifiés pendant la restauration, observons une réduction du groupe central de ont signalé que l’étude de cette composition, placée personnages et une modification de la représentation dans le naos de l’église Saint Georges de Suceava, sur le du kivot. Selon la première image, la fondation de Luca mur sud, près de l’iconostase, s’est développée peu à Arbore aurait eu sur le naos une tour surétagée et sur peu, au cours du processus de restauration et par la 122 l’autel, un toit séparé. Les autres éléments concernent recherche du matériel historique documentaire. On a ainsi identifié des éléments stylistiques comparatifs des inscriptions au dos des croix (et des molenia, dans concernant les auteurs de la peinture et la datation de le cas de Voroneţ) sont corroborées avec le résultat de la scène. Boldura et Dină considèrent que les auteurs l’analyse de la peinture des icônes et avec les de cette fresque sont les mêmes zôgraphes qui ont observations préliminaires de l’étude comparative de peint l’église du monastère de Suceviţa, grâce à des la sculpture des frises décoratives qui séparent les analogies de détail avec la scène de La déposition des registres d’icônes. Finalement, on constate que reliques de saint Jean le Nouveau à Suceava de l’iconostase de Voroneţ, dont on conserve encore les l’exonarthex de ce dernier monument (les vêtements et portes royales, les frises décoratives sculptées, la croix le placement des personnages, la manière de peindre de la Crucifixion et les molenia, est la donation de les couronnes voïvodales ou la draperie, les étoiles à 1581, faite par le moine Cassian, tandis que les registres six rayons inscrites dans un cercle incisé). De plus, les des icônes des Fêtes et des apôtres ont remplacé les analyses chimiques comparatives ont identifié dans la pièces originales, probablement, pendant le deuxième composition de la couche support le même type de tiers du XVIIe siècle, occasion avec laquelle on a ajouté chaux riche en sulfates, ainsi que l’usage des étoupes aussi les médaillons avec des prophètes. De l’ancienne en tant qu’agrégat. Pour la couche de couleur, on a iconostase de Humor, contemporaine, paraît-il, avec particulièrement employé le rouge cinabre et le bleu la construction de l’église (1535 env.) on ne conserve émail. Quant à la datation de la composition L’offrande que les portes, les icônes royales et le registre La du baldaquin, les auteurs considèrent que celle-ci a été grande Déisis, tandis que la grande croix et les molenia, réalisée avant la peinture de Suceviţa. Très importants datées par inscription en 1590, ont été offertes par le dans le soutien de cette idée sont les détails métropolite Gheorghe Movilă. Le choix de certains technologiques qui indiquent, dans le premier cas, le motifs décoratifs, style Renaissance, ainsi que la qualité fait que les peintres ne maîtrisaient pas très bien la exceptionnelle de l’exécution artistique plaideaient pour technique de travail afresco et qu’ils prêtaient la datation de la décoration sculptée de l’iconostase de beaucoup d’attention aux détails, selon la pratique des Humor dans la première moitié du XVIe siècle ; peintres d’icônes. D’autres détails techniques et de pourtant, les ressemblances d’ordre technique et composition découverts au niveau de plusieurs scènes stylistique de celle-ci – menant, dans certains cas, indiqueraient que le baldaquin donné par la famille jusqu’à l’identité – avec l’iconostase de Voroneţ, Movilă, afin d’y déposer les reliques de saint Jean le déterminent finalement l’auteur à accepter l’hypothèse Nouveau, a été initialement placé dans la zone entre de sa datation à la fin du XVIe siècle. l’iconostase et le pilier sud. La communication de Marina Sabados, La Département d’art médiéval datation des iconostases de Humor et Voroneţ, présente le stade de la recherche sur la datation de ces deux Ce texte a été redigé à partir des résumés présentés Note pièces. Les informations offertes par le déchiffrement par les auteurs des communications.

ANTOINE BOURDELLE Lemoine (attaché au service de conservation) et de la (1861-1929), VECTEUR DE LA part du Musée National d’Art de Bucarest: Roxana Theodorescu (directeur général), Rodica Matei MODERNITÉ. BUCAREST-PARIS, (directeur adjoint), Octavian Boicescu (chef du dép. UNE AMITIÉ FRANCO-ROUMAINE d’Art européen), Dana Crişan (chef du dép. d’Art graphique), Ana-Zoe Pop (conservateur au dép. d’Art Ouverte au Musée National d’Art de la Roumanie roumain moderne), Malina Contu et Cristinela entre le 27 septembre 2006 et le 4 février 2007 et Dumitrache (conservateurs au dép. d’Art européen), incluse parmi les manifestations dédiées à l’Année de Elena Olariu (conservateur au dép. d’Art graphique) la Francophonie en Roumanie, l’exposition Antoine et Raluca Bem Neamu (chef dép. Éducation, Bourdelle (1861-1929), vecteur de la modernité. Communication et Projets culturels). Bucarest-Paris, une amitié franco-roumaine a été L’exposition a eu comme but de présenter 67 réalisée en collaboration avec le Musée Bourdelle de œuvres de l’artiste (sculptures en bronze, en plâtre, Paris. Le public roumain a eu l’occasion de visiter la en marbre, des œuvres de graphique), 9 photographies première exposition monographique dédiée au grand exécutées par lui-même pendant son travail aussi bien sculpteur français organisée chez nous et réunissant que d’illustrer les relations d’Antoine Bourdelle avec aussi des œuvres du musée parisien qui participent la Roumanie et surtout son amitié avec le pour la première fois à un tel événement en dehors des collectionneur Anastase Simu, ainsi que l’influence frontières de la France. exercée sur l’art roumain; dans ce sens, l’exposition a Les membres du commissariat de la part du Musée inclus 17 œuvres appartenant à 5 de ses élèves Bourdelle ont été: Juliette Lafon (directeur) et Colin roumains: Irina Codreanu, Margareta Cosăceanu- 123 la figure de cet important collectionneur et de faire revivre le souvenir du musée qu’il a fondé. Ce n’est pas par hasard que l’exposition a été aménagée dans la Salle à manger de l’ancien Palais Royal, espace qui conserve la décoration originale de l’entre-deux-guerres (lorsque le roi Carol II a confié à l’architecte Niculae Nenciulescu les travaux de reconstruction du bâtiment du Palais) et dont l’atmosphère nous rappelle les salles du Musée Simu. À l’entrée, les panneaux avec des textes et des images d’époque, la vitrine avec des photographies et des documents offrent au visiteur l’occasion d’apprendre toute une série d’informations sur l’artiste et sur sur amitié avec Anastase Simu. Parmi les premières œuvres qui nous accueillent dans l’exposition, se trouvent les deux bustes en marbre blanc de Pyrénées d’Hélène et d’Anastase Simu; le collectionneur roumain a commandé à l’artiste le buste de sa femme en 1913 et ce moment a marqué le début de leur correspondance et ensuite de leur amitié, interrompue seulement par la mort du sculpteur. Au long des années, Anastase Simu a acquisitionné de nombreuses sculptures et aquarelles portant la signature de l’artiste qui allaient se joindre aux œuvres d’autres sculpteurs français importants tels que: Barye, Carpeaux, Frémiet, Dalou, Rodin. Toute sa collection, installée dans le musée qu’il avait construit lui-même, a été présentée au public en 1910 ert donnée à l’État roumain en 1927; pendant le régime communiste, le testament de Simu n’a pas été respecté et les collections ont été supprimées et transférées vers d’autres musées, principalement, au Musée d’Art de la R.P. Roumaine et au Musée d’Art de la Ville de Bucarest, et en 1964, la construction même, en forme de temple du Musée Simu a été démolie. Après plus de 40 ans, la présente Fig. 1 – Bourdelle dans son atelier. exposition réunit dans le cadre d’une ample démarche la plupart des œuvres de l’artiste français de la collection Anastase Simu; il s’agit de 7 sculptures – dont l’une Lavrillier, Céline Emilian, Mihai Onofrei et Vasile est un plâtre: Petite tête rieuse au grand chignon; les Vasiliu-Falti. La plupart des œuvres proviennent du deux bustes en marbre des époux Simu; quatre bronzes: Musée Bourdelle de Paris, les autres sont dans le Le fruit, Héraklès archer, Centaure mourant, La tête patrimoine du Musée National d’Art de la Roumanie, de Beethoven; et 3 œuvres de graphique, aquarelle et conservateur des œuvres de Bourdelle provenues de encre – dont une illustration pour La reine de Saba de la collection de l’ancien Musée Simu. J.C. Mardrus, Icare; et 2 œuvres appartenant au projet L’exposition met également à la disposition du de fresque pour le Théâtre Champs-Elysées: Le poète public un catalogue, précieux instrument de travail, et Pégase, respectivement, Muse et Pégase. dans une édition bilingue, richement illustré et bien Les oeuvres de la collection Simu marquent documenté, réunissant les articles de quelques d’ailleurs quelques-uns des thèmes les plus importants importants chercheurs du phénomène de l’art moderne: de la création de l’artiste, tels qu’ils sont formulés par Thierry Dufrêne, Ioana Vlasiu. Les organisateurs ont les organisateurs de l’exposition; l’ample démarche eu l’idée heureuse d’y inclure aussi l’étude de Remus illustre l’évolution de l’art de Bourdelle de l’influence Niculescu Antoine Bourdelle et Anastase Simu, publiée de Rodin dans ses œuvres de jeunesse jusqu’à dès 1966 dans la Revue Roumaine d’Histoire de l’Art. l’originalité et la distinction des créations de maturité, Le catalogue a été réalisé par Colin Lemoine en caractérisées par la monumentalité et l’économie des collaboration avec Octavian Boicescu, Dana Crişan et moyens d’expression. Nous retrouvons ainsi Ana-Zoe Pop, pour les œuvres appartenant au Musée l’influence de Rodin dans les œuvres en bronze réalisées d’Art de Roumanie. pour le Monument aux combattants et défenseurs du L’illustration des relations d’amitié entre Antoine Tarn-et-Garonne 1870-1871 de Montauban, datant de Bourdelle et Anastase Simu a d’ailleurs représenté une 1895-1902; parmi celles-ci se trouvent Le masque 124 bonne occasion d’apporter de nouveau devant le public d’Hercule, La guerre, Trois têtes hurlantes, Grand guerrier avec jambe; la volupté et le symbolisme, se font remarquer les bustes en bronze de Rodin au l’esprit fin-de-siècle sont également présents dans les travail, véritable effigie de surhomme, dans les termes bronzes Baiser au volubilis, La nuit, aussi bien que de Louis Vauxcelles, et Anatole France, métaphore de dans le plâtre de la collection Simu Petite tête riante. la sagesse méditative. Les effigies de Beethoven (les La rupture esthétique avec Rodin est évidente déjà bronzes Beethoven pensif, Beethoven à la croix ou La en 1909, lorsqu’il va sculpter La tête d’Apollon (bronze); pathétique, La tête de Beethoven ou Hébrard), figure le sujet choisi, la patine dorée renvoient à un temps qui a souvent inspiré l’artiste, représentent un visage archaïque, mais la structuration synthétique anticipe ravagé par l’inquiétude, une image de la solitude; avec le modernisme des compositions futures. Un rôle de une intuition certaine, Anastase Simu a fait en 1908 manifeste, déclarant la libération de sous l’influence une première acquisition Bourdelle, il s’agit de La tête du grand sculpteur est attribué à la plus connue de ses de Beethoven ou Hébrard. Dans la même catégorie des œuvres, Héraklès archer; le bronze de 1909 est la hommages s’inscrivent quelques études en bronze version agrandie de la composition de 1906 et a rendu rélisées pour de différents monuments: Le monument célèbre son auteur au Salon de la Société Nationale des à Adam Mickiewicz de Paris et Le monument à Alvear Beaux-Arts de Paris, en 1910; nous remarquons la de Buenos Aires, commandé en 1913 par la République présence dans l’exposition de Héraklès tendant son d’Argentine à l’honneur du général Alvear. arc, la quatrième étude ou la première composition, Nous avons gardé pour le final la mention sur le acquisitionné par Anastase Simu. Le thème portrait en bronze intitulé La Roumaine et qui mythologique reste une constante de la création représente Fanny Moscovici, son élève et future d’Antoine Bourdelle dans sa fébrile recherche de épouse du docteur Fainsilber. L’oeuvre est encore un l’archaïque, du primitif, de l’universel; en fait, une témoignage des relations serrées qu’avait Bourdelle avec particularité de son style est la note de mélancolie (la la Roumanie, autant par l’amitié avec Anastase Simu mort du centaure signifie la disparition de l’entier que par la présence des élèves roumains dans son atelier univers antique), doublée parfois d’une autoréférence de l’Académie Grande Chaumière. Nous nous arrêtons – l’artiste s’auto-représente soit sous la forme du ainsi sur un dernier aspect illustré par l’exposition: les centaure, soit sous le visage d’Héraklès archer luttant œuvres des disciples roumains. pour sauver l’art. Ce thème des mythologies est Pendant l’entre-deux-guerres, Bourdelle a eu une richement illustré dans cette exposition; parmi les influence considérable sur nos sculpteurs, dans le œuvres les plus importantes se trouvent Le fruit contexte d’une critique plus dure à l’adresse de Rodin; (également connue comme Pomona et provenant de la un rôle extrêmement important dans la diffusion des collection Simu), Pénélope, Centaure mourant (la conceptions sur la sculpture revient à ses élèves. Dans deuxième étude en bronze a été acquisitionnée par l’art roumain, ce rôle a été attribué à des artistes comme Simu), L’esprit maîtrisant la matière ou Centaure et Irina Codreanu, Margareta Cosaceanu-Lavrillier, Céline Minotaure, Daphné changée en laurier, toutes réalisées Emilian, Mihai Onofrei, Vasile Vasiliu-Falti, Milita en bronze. Une mention spéciale mérietnt les deux Petrascu, Fanny Moscovici-Fainsilber, Oscar Han, Ion bas-reliefs en bronze exécutés pour le Théâtre Jalea… Mais dans l’exposition on retrouve des œuvres Champs-Elysées: Le poète et Pégase, respectivement, appartenant aux 5 premiers des disciples mentionnés, Muse et Pégase qui notre attirent attention sur cette car seulement dans leur cas il y a des documents qui démarche artistique moins connue; intéressante pour attestent qu’ils ont fréquenté l’atelier de Bourdelle. le public roumain est la découverte de Bourdelle en C’est l’argument qui motive l’absence surprenante, tant que dessinateur, graphicien dans les travaux peut-être, des œuvres de Ion Jalea ou Oscar Han, figures préparatoires pour la décoration du théâtre parisien importantes de l’art roumain et adeptes de l’esthétique (fresques, 5 bas-reliefs en marbre et une frise); toujours bourdellienne, absence qui rend pourtant plus pauvre dans cette catégorie sont incluses les 3 aquarelles cette section réservée aux œuvres des élèves roumains. appartenant à Anastase Simu. Les 17 œuvres exposées (terre cuite et bronzes de Une autre catégorie importante d’œuvres ont petites dimensions) représentent surtout des figures comme thème la figure de la femme dans laquelle, plus féminines et des portraits (dont nous rappelons Le d’une fois, nous reconnaissons Cleopatra Sevastos, portrait d’Antoine Bourdelle de Céline Emilian) portent celle qui allait devenir sa seconde femme (Femme décisivement l’empreinte du style et de la personnalité sculpteur au repos, Femme sculpteur au travail, du maître. Mais l’information écrite vient dans une bronzes); il y a aussi deux nus féminins, Baigneuse tentative de compenser la désillusion provoquée accroupie et Le nuage (œuvres en bronze), très hardis surtout au passage de la salle Bourdelle, formulée d’une par l’érotisme délibéré, la modernité et les solutions manière si cohérente et si riche, vers la présentation personnelles. plus aérée du deuxième espace de l’exposition; nous Une section spéciale est réservée dans l’œuvre retrouvons ici, dans la zone de l’entrée, un panneau d’Antoine Bourdelle aux portraits et aux hommages qui offre aux visiteurs des données sur les artistes dont dédiés à des personnalités de la culture et de l’histoire. les œuvres sont présentées, ce qui constitue une bonne A côté des bustes en marbre des Simu, d’admirables méthode de les placer de nouveau à l’attention du exécutions contribuant à un nouveau succès de l’artiste public. 125 Antoine Bourdelle (1861-1929) vecteur de la personnalité du sculpteur est complétée par sa qualité modernité. Bucarest-Paris, une amitié franco-roumaine de maître devant ses disciples, les fruits de cette a été la première exposition monographique de émulation bénéfique se déchiffrant jusque tard dans Roumanie dédiée au célèbre sculpteur français. Plus l’art roumain moderne. Tous ces éléments attestent le que l’exposition de quelques unes des plus title d’événement de cette exposition et la importyantes de ses œuvres, les organisateurs ont recommandent comme modèle pour des initiatives réussi à faire revivre le souvenir d’une amitié spéciale, futures. l’image d’un collectionneur cultivé et généreux et l’histoire d’un musée aujourd’hui disparu; la Despina Haşegan

126 ANCA OROVEANU, Rememorare şi uitare: scrieri de sitoria artei (Remembrance and Oblivion: COMPTES RENDUS Writings of Art History), Bucharest, Humanitas, 2005, 278 p.

This is a selection of Anca Oroveanu’s texts published between 1981-2004. The first part focuses on subjects concerning western art between Renaissance and postmodernism; the second part introduces topics of Romanian art in the 80’s and 90’s; texts on photography, film and contemporary videotapes are included in the third part. The contents of the book conveys a widespread range of interests. With an awareness of what she calls in the introductory note the “dispersion” of her production of visual arts literature supplied by the concerns, the author points out to a choice rather than international academic machine. Determined by an accident. Indeed, matched by the careful selection institutional norms, this type of inert reading turns its of the texts, the theme of memory and oblivion back on the relation between sources and users. While announced in the title provides coherence to dispersion, it is hard to sample out of context Anca Oroveanu’s in fact disperses it. In 1989 a text by Anca Oroveanu ways of reading, a process which combines pleasure titled “Re-membrance and Oblivion” appeared in the and what I would call moral attention, the three art magazine Arta. The XXIXth international congress interviews included in the book (two with artist Horia of art history held in Amsterdam in 1996, where Anca Bernea and the third occasioned by the exhibition Ex Oroveanu presented her “History of Art Shaping Art” Oriente Lux seen in Bucharest in 1994), bring to the (included in the volume), was titled Remembrance & forefront a feature all-present in her reading-writing Oblivion. The book here reviewed suggests that the mode, namely, its speech-like, intercommunicational overlapping of these thematic concerns was not character. This way of reading allows public access to coincidental. the inquisitive yet respectful intimacy between the However, even after acknowledging the productive author and her sources and endows Anca Oroveanu’s interaction between its diverse subjects and the theme arguments with structural and persuasive energy. Like of memory, the hybrid makeup of Anca Oroveanu’s M.C. Escher’s graphics, Anca Oroveanu’s layered book remains intriguing. Although her texts do not approach to reading opens eccentric at times belong to the typical academic discourse, the author hypertextual fields of view which invite the reader to still captions them in the title “writings of art history”. participate in and take sides with regard to the subject While this option permits her to preserve, formulate of inquiry. and raise specific art historical questions at the time Although its investigative manner does not when the discipline is undergoing changes, Anca conform to normed types of discourse (including the Oroveanu’s reference to visuality and the iconic, interdisiciplinary) the book is soundly lodged in the addresses the more recent areas of visual or cultural visual arts territory and needs to be considered from studies. As a result both disciplines are enriched and, this standpoint. Influenced by, and in turn influential one might say, also destabilized. Since Anca Oroveanu’s in the late 20th century postmodern theories of culture, approach is hard to classify, “process” seems to be a art history abandoned earlier models of research which more appropriate word, I will take a closer look at the classified the visual arts according to the essential means that let her engage in subjects pertinent to the determinations of their signifying practises. As a above mentioned types of inquiry from a position consequence of the argumentative postmodern which endows it with autonomy in relation to both. revisions modernist “truth” was relativized, its power- One of her main operating tools, suggested driven record book voided, its edifice of prescriptions obliquely by Anca Oroveanu in the introductory note shattered. Offspring of this climate, the visual or and verified by the writer of this review, is reading. As cultural studies areas contributed to these changes. all great inventions rely on what appears to be, in Yet, not surprisingly, given the shifting ground on which retrospect, commonplace solutions, Anca Oroveanu’s culture exists new simplifications beset the acts of reading on display ubiquitously evidence an postmodernist effort, generating once again doubtful investigative practice at work. certainties. How to avoid the traps of postmodernist This understanding of reading as “performance- a priori? To this question Anca Oroveanu proposes in-search-of-meaning” stands in striking contrast to “enconstructive” answers. I am suggesting this modifier the type of expeditious scanning that feeds the ongoing of the familiar post-structuralist “deconstruction”, in

REV. ROUM. HIST. ART., Série BEAUX-ARTS, TOME XLIII, P. 127–133, BUCAREST, 2007 127 order to distinguish Anca Oroveanu’s inclusive rather unable to answer the question), the onlookers were than exclusive position with regard to the paradigms invited to consider the manipulative effects on our preceding postmodernism. This perspective opens a collective imagination of commercial, cultural and wider angle toward the cultures of modernity; it political advertising. Answering the riddle made new suspends the polarized divisions between its various consciousness possible. segments and turns the postmodernist non-negotiable Dimitrijevic’s art work seems to owe its design to exclusions into provisional disagreements which allow postmodernist ideas; yet, ideas and themes of reflection receptiveness concerning earlier texts or images. developped by the medium- and mass media-conscious The need to find a special name for Anca modernists transpare through its makeup as well. In Oroveanu’s writings of art history suggests their her essay, which ends with a small but substantial original standing within the continuum of the troubled anthology of texts on the subject of photography, Anca multiplicity of derives which occurred in Eastern Oroveanu proposes a history of image-making that Europe before and after the end of the cold war. Her suspends the traditional chapter divisions and dissolves “150 years of photography 1839-1989”, a text written theoretical a priori. on the occasion of the centenary of the invention of “Enconstruction” at work appears in the other photography is an example of “enconstruction” at essays included in the book. The author turns her work. attention to themes of visuality in the western post- Because of its mimetic capabilities, photography Renaissance tradition such as temporality, containment became as soon as invented an immensely attractive of the image by line, the relation between the idea and medium as well as a troublemaker; its entry as a strong the materiality of the art work. The shifting, at times comepetitor in to territories previously occupied by mutating understandings and art status of images and painting in the western tradition of the visual arts image-making are introduced at the crossing point of stirred intense sidetaking debates. Anca Oroveanu attentive examinations of art historical sources which revisits these debates in order to situate photography’s include evaluative and theoretical propositions, the position among the games people play with pictures artists’ own statements, specific examples of image- after one hundred years of contentious history. making and, recurrently, reference to the pertinent According to the modernists, the apparatus of the philosophical formulations concerning the relation camera was limited by its nature to recordings and between cognition and images. All the texts in the prevented a photographer’s creative intervention. volume (including the interviews), suggest an open and Exiled from the esthetic preserve, photography could elastic definition of the complex and often conflictiual perform its recording tasks as the poor relative of compound of desire and institutional power called painting; freed from its mimetic tasks, the latter could visuality; while Anca Oroveanu’s explorations are all turn to expressive creativity. Although this dramatic situated within an art historically circumscribed terrain, search for essences was at times very insightful, Anca they carry specific demands that alter or inflect the Oroveanu exposes its blindness to the fact that both areas mapped by the visual or cultural studies. painting and photography share the basic condition of The themes of tradition, heritage, memory and producing images whose tradition is genealogically cultural temporality which intersect all the texts in linked to the Renaissance quasi-mathematical system Anca Oroveanu’s volume, become the central topic in of representation of three-dimensional objects on a her “ The History of Art Shaping Art”, presented in two-dimensional surface. Taking into consideration this 1996 at the International Congress of the History of genetic bond resolves many of the “paradoxes” which Art titled Memory & Oblivion, in the panel The Memory troubled previous theories; it explains for example the of the Art Historian. “paradox” of advertising where iconic recordings of It is perhaps difficult to disagree with propositions “reality” become the activators of an entirely imaginary that question characterizations of the history of art as world blocking “the viewer’s access to the ‘real world’” a neutral repository of knowledge and charge it with (p. 229). Seen from the standpoint of their common an active role in shaping art. However, when argued iconic heritage, the history of western painting and with specific examples the subject becomes complex photography appears as a dynamic sequence of picture- and provocative. games, restlessly testing the boundaries of Anca Oroveanu begins by revisiting a passage from representation. G.P. Lomazzo’s “Idea del Tempio della Pittura”. As As an example of the more recent uses of imagined by Lomazzo, this late 16th century temple photographic images Anca Oroveanu mentions a project would have housed paintings whose perfection by Bosnian artist Braco Dimitrijevic. The project consisted in their being selective imitations of the High involved the posting of several monumental Renaissance masters such as Michelangelo, Titian, photographic portraits in various parts of the city of Raphael, Correggio. Zagreb. Instead of featuring well-known public figures, Implicit in Lomazzo’s Mannerist ideas, and the large scale pictures were portraits of anonymous significant to Anca Oroveanu’s argument, was the inhabitants of Zagreb. If only momentarily puzzling perception that a particular art cycle has been 128 over who might have been the portraits’ sitters (and completed. As the history of art grew into an authoritative academic discipline, its prescriptive The history of art survived its postmodernist mission prevailed over its descriptive tasks, especially ending. On the threshold of total virtualization and of during certain periods of European art when the feeling the disappearance of time and space as traditionally of endings was dominant. Anca Oroveanu introduces experienced, the reading of the “History of Art Shaping two instances of periods when art historical memory Art” in conjunction with “Aspects of Temporality in became oracular with respect to the production of art: Painting” in the same volume, charts the specific socialist in Soviet Russia and the late 20th complications and challenges that confront today’s art century revivalist postmodernism. In the first case, historian and the art public at large, as well. the political ideology enlisted the artistic canon of the Although by no means journalistic (the past (it included such masters as Rembrandt, Rubens bibliographic range of her sources, which combines and Repin), in a program designed to control options scholarship and invention, is farther than ever from and tightly restrict artistic innovation. On its side, present-day journalism), the intercommunicational postmodernism turned the storage house of the art quality of Anca Oroveanu’s reading-writing manner, historical past into a resource for pluralist revivals mentioned earlier in this review, may very well explain whose program was largely activated by critical the original appearance of the texts in publications objections to the modernist idea of progress. Both ranging from exhibition catalogs, art journals or cultural socialist realism and postmodernism embraced the sections of newspapers, to proceedings of international theme of endings, although the former maintained faith congresses of the history of art. Anca Oroveanu is the in its own mythology of progress. scientific director at the New Europe College and As Anca Oroveanu’s examples suggest, the uses professor at the National Art University in Bucharest. of art historical memory are multiple (in more subdued While teaching might be an activator of her versatile ways art history is always performative); attached to her examples, and mentioned in her essay, are a range and spirited practice of art history, its art critical of wider questions which relate to our confused global component which ties genetically her study of the present: questions concerning the vanishing of utopias, past with an awareness of the present, is an important linear or cyclical time, questions regarding the end of factor. Finally, since it seems so difficult to exhaustively art history itself. The dangers of too much memory explain the scope and effects of Oroveanu’s acts of are matched by the excesses of forgetting and the reading at work in her writings, one would have to turn balance between historical, as well as art historical to ostention: the reading of the book itself. remembrance and forgetting, between retrospection and prospection seems more desirable than attainable. Sanda Agalides

MARIAN CONSTANTIN, Palate şi colibe regale din or as an artist like Queen Maria). The author’s argument România. Arhitectura şi decoraţia interioară în is based on a dual analysis: the historical background, slujba monarhiei (1875-1925), ed. Compania, which one considers as extremely important, at least Bucureşti 2007, p. 231 and ill. for the first part of the study concerning Carol I and the artistic quest, seen from nowadays point of view. This Marian Constantin’s book, as well as that of Shona allows a new evaluation of the topic. The starting point Kallestrup1 are to be considered, as the most recent is in a way, the acknowledged formula of “the style publications in the field of Romanian architecture and represents the person”. decorative arts for the end of the 19th and beginning of The study is based on five main chapters/ the 20th centuries. Marian Constantin’s PhD thesis, problems: Where is the palace ?, Old palaces – the Royal palaces and huts in Romania. Architecture and princely “houses”, Legitimacy and patrimony cult, interior decoration serving the monarchy (1875-1927) Gründerzeit in the Mount Carpaţi. Opera Garnier in represents a significant contribution to the topic of Bucharest. Garden versus Fortress. Marian Constatin royal patronage to Romanian architecture and starts by making a brief survey of former princely decorative arts until the 1930s. residences in Romania of the end of the 18th century– The two main characters of the book are King Carol beginning of the 19th century, and by pointing out I of Romania (1866-1914),2 to whom a major part of the that the idea of the official palace seemed to be study is dedicated and Queen Maria of Romania (1914- compromised at that time. Starting with prince 1927). The study is conceived as a permanent parallel Alexandru Cuza (1859) and until 1927,3 the Golescu between two historical figures, of two different house, which became 1837 the official residence of the generations (King Carol I – uncle and Queen Maria – head of the State, will keep its function but will continue niece), with different origins and education, both with a to stay under the sign of transformation, enlargement determinant role in the country’s history, but also in its and refurnishing. architectural and decorative art history, on which they Carol I’s question on his arrival in 1866, “But, both had an immense influence (by building, patronizing, where is the palace ?”, seems to show the perplexity 129 of an aristocrat with taste, in front of a building and a etc., will be hired for this huge amount of work. We façade which, did not correspond to the “classical” seem to be confronted here to two main tendencies, image of a residence-symbol of power, as the so-called that of the Prince and of the government, as well as of palace had no distinctive decoration and was lacking a major part of the society, which are not simple monumentality. The interior, on the other hand, questions of styles, but cultural and educational ornamented in various styles, was to be for the royal differences and, of course, political models and visions. lodger, his first image of European civilization A chapter is dedicated to Carol’s interest for the standards in Romania. Marian Constantin sees here a Orient, and a parallel is made between the Orient (his form of disapproval, coming from a representative of visit 1864) and Romania in the 1860s, when the prince a culture which did not accept differences between started to rule. Interested in architecture and arts, also form and content, here the in- and outside. He also a man of taste and a connaisseur, the prince started to underlines, once again, the historical context, which collect, from the very beginning, oriental art (paintings, made possible such discrepancy in Bucharest. In time, engraving, ceramics, weapons, etc.), Romanian ceramic, Prince Carol will transform both official residences, religious paintings and peasant costumes, rugs and that of the capital, as well as the summer residence, European great masters’ paintings, he placed in his the Cotroceni palace nearby Bucharest, which had palaces. On many occasions he presented some of this stood, between 1810-1866 under the sign of artifacts at temporary exhibitions. Constantin sees in improvisation. Prince Carol’s interest for the Orient, a way for an But, the building showing his architectonical view easier understanding of the Romanian culture. He also of a princely residence, charged as well with an entire underlines the idea of the palace-a place-to-exhibit- symbolical and political programme, was to be Pelesh art-objects, as the center from where identity images Castle in the Carpathians, one of the most important were to be sent to the country. historical monuments in our country, representative Another topic which has preoccupied the author for the historicist phenomenon. Carol’s ruling concept in time, was, weather Queen Elisabeta, known under and intentions, as well as his own person, did not her pen-name Carmen Sylva, Carol’s wife, had been impose himself to the , a situation due also involved in the works for the decoration of Pelesh to the pro-French attitude and culture of the high Castle. At least for spaces which were “hers”, as a society. Constantin argues that it was one of the patron of art and maecena, the theater as well as the reasons which made him think of building a new music hall, both decorated with paintings by Gustav residence, charged with the authority of the Western Klimt and Dora Hitz. The paintings by Dora Hitz European symbols of civilization. The Prince conceived seem to express the Queen’s openness to new forms Pelesh Castle from the very beginning as a symbol of of expression of modern art, as well as her desire to power, and legitimacy as well, as the idea of a new stay in contact with artists of her homeland. We may dynasty needed an architectonical support. The quest accept the fact that Carmen Sylva had an influence on for the style/styles of the residence, in its first this occasion. And if for the German painter, it would appearance (1875-1882) due to architect Johannes be easy to say that she was the Queen’s protégée and Schulz, finds its end in a decoration representative for make so a specific connection between the artist and the neo-German Renaissance and the answer to this the mecena, we may not affirm the same thing on question shows that Carol I was connected to the Gustav Klimt. In our article on Gustav Klimt and the debates on this style in his homeland. Starting with Künstlerkompagnie. Works for Pelesh Castle,4 we 1894, the building will be transformed, enlarged and actually pleaded in favor of a more pregnant influence redecorated in several neo-styles (neo-Italian of the royal husband. Renaissance, neo-Austrian Baroque, neo-Moorish, Queen Maria’s and her artistic quest, as a painter, neo-German Renaissance), as well as in Art Nouveau interior designer, a patron of the arts and especially of style, according to the plans of architect Karel Liman. the young artists, is a topic which preoccupies more The presence of Art Nouveau style is explained not and more Romanian art historians. The present study only by the openness to new stylistic solutions of the explains Queen Maria’s5 special quest for beauty and times, but also by financial opportunity, which allowed art, in a general political context, as well as in the private cheaper costs for those interiors. Another parallel is one, related to her family situation and especially her made between what the head of the State was building difficult relationship to her uncle, the very strict and for himself – a residence in German Gründerzeit style –, severe king Carol. Although at the very beginning Maria and his official residencies in Bucharest, representative of Romania was opposing the interiors and decoration for the Opera Garnier style, strongly connected to of King Carol I, in time, as a mature person, she will the French cultural influence. An exception is made change her opinion, not from the stylistic option, but here, for the rooms used by Carol I, which will be as a general view on the arts. The author proposes a decorated again, after German models (the King’s division concerning her artistic creation, the dream office, bedroom, etc.). Famous German and French houses referring to the years of the quest (1893-1910), interior decoration companies, like Heymann in and the second moment, the major one until the 1930s. 130 Hamburg, August Bembé in Mainz, Kriéger from Paris, Her permanent quest led to the creation of the style Queen Maria, which is in our opinion subject to the Romanian provinces to the Kingdom rules by her three phases of the development of her taste and husband Ferdinand. The architect in charge with those interest. important works was Grigore Cerchez.9 The Queen’s She will have to be recorded as an unconventional taste changes little by little and she becomes a great interior designer, for her singular decoration until 1910, fan of white walls decorated with old and for interiors at the Cotroceni Palace,6 or the Pelishor sculpted columns in old Romanian style. Her two Castle.7 (the golden dormitory, golden boudoir, the favorite residences Bran and Balcic were representative Norwegian room), etc. The author is pointing out the for the loisir category as they seem to make reference fact that, by that moment, Princess Maria had no to a rustically simplicity, due to Maria’s interest in old serious knowledge of art history, nor of the styles Romanian vernacular architecture “the glorified peasant which were promoted by The Studio, one of her favorite house” as she calls it herself. But which, like in the interior decoration magazines. They were in his opinion case of the last one, managed to be a result of a mixture a bizarre and less comprehensive combination, between between Romanian, Italian, Greek as well as Turkish her inventivity and the published sources (Celtic, architectural elements. If interiors previous to 1911 Norvegian, etc. styles). According to him, this gives where heavy, populated by many objects, the walls the respective rooms no real identity. We would rather decorated with stucco motives, etc, in this last phase call it a period of quests, of experiments. The presence we see a completely different scenography. The white of Princess Maria’s first nests, imagined shortly after walls, which may remind the cell of a monk, are 1900, the Maori cottage and the Juniperus, is of decorated only with orthodox icons or paintings by importance, as both will play an important role in the the artists from Tinerimea Artistică. Some rooms development of a vocabulary and more coherent vision present as a special decorative feature fragments of of the royal author. Her first major interest went to the medieval sculpted columns. The furniture is partly a Art Nouveau, as she was much influenced by her mixture between old peasant objects, Turkish and connection to Darmstadt, where her brother-in-law, Italian. But the flowers are the main figures in all her Duke Ernst Ludwig of Hesse was supporting the artistic interiors, from beginning to end. colony. Together with her family members she worked Marian Constantin also mentions, in a less in a studio, doing painting, blueprints for furniture, consistent part, other aspects of Queen Maria’s pyrogravure, etc. She also had the chance to meet connection to the arts, as a painter, as a Maecenas of architects like Baillie Scott, and his presence will have, the arts and organizer of charity bazaars where she we agree, a major influence on her. Later on he was was selling her works (paintings, rugs and furniture asked to work for her in Romania and made blueprints created after her drawings). The royal artist became in for the Juniperus. Not very well known are her smaller her youth the head of the young artistic movement houses at Copăceni or Scrovişte (both near Bucharest), (Tinerimea Artistică), as she seemed concerned by the the latter one she will arrange for her royal husband, of status of the arts in Romania. She was also part of no great artistic value, but part of her journey in her those who promoted the Romanian national style. By artistic quest. As a conclusion one can use the terms of exposing together with the members of the Tinerimea improvisation and confusion, to characterize her Artistică, she did not only support them, but also decorative visions of the very beginning. But, she was encouraged the high society to be interested in actually aware of the fact that, in her position, she was contemporary art and to collect. This position was able and had to dare a change, and show freedom in not very often explained in articles or books dedicated spirit and action. to the Tinerimea Artistică, first of all for political When in the 1920s, now a mature person, she will reasons during the communist regime, but also because start to redecorate Cotroceni and Pelishor, she will use it was considered her art had no value. also styles prior to the Renaissance. Representative Although we agree in many cases with Marian for her style and crystallization of thoughts and views Constantin’s opinions and theories, we have to say are, except Cotroceni, other famous residences, like that the first part of the study is more carefully and the medieval residence Bran and her villa in oriental thoroughly discussed and argued than the second one. architectonic style, at Balcic,8 on the Black Sea Coast. A conclusion of the study is that the two monarchs, Her interest in old Romanian art, as well as of local King Carol I and Queen Maria, whose action in the tradition went hand in hand with changes of the cultural field of arts, mostly architecture and interior design phenomenon. A new wing was added 1913 to the between 1875-1925, had led to the construction or Cotroceni Palace. The transformation of the old decoration of major historical monuments in the structure led to a representative building for the country, saw in their artistic projects also an extremely National style. The changes continued supported by efficient way to legitimate themselves. This at a Queen Maria after the first World War. Halls and rooms moment when the Romanian nation was trying to forge decorated previously in neo styles, became its own identity. The author may be considered as a representative for the National style, The White Hall forerunner in Romania in that field, as no one has until was a response to the political changes – the unification now published a book on the royal influence on the of Bucovina, Bessarabia and , old Romanian architecture and interior decoration, from 131 the point of view of an art historian. The research the study in an extremely significant way. The book reveals itself interesting but fascinating as well. It shows becomes in our opinion a solid reference point, for new aspects and points of view on the topic, together future researches. with carefully chosen photographs and drawings, the latter due to painter Marilena Murariu, which complete Ruxanda Beldiman

Notes 1 Shona Kallestrup, Art and Design in Romania 5 The references to Princess Maria and Queen 1866-1927. Local and International Aspects of the Maria, the one and same person, point to the two main search for National Expression; East European periods of her life in Romania: 1893-1914 Crown Monographs Columbia University Press, Boulder, princess and 1914-1927 Queen of Romania and 1927- Colorado, 2006. 1938 Queen Mother. 2 Carol I was ruling prince from 1866-1881, and 6 Cotroceni palace will be, starting with 1892, her became king 1881 and remained until his death in 1914. and her husband’s, King Ferdinand official residence. This is to explain why we refer to Prince Carol I and 7 Pelishor castle, situated close to Pelesh castle, King Carol I, as well. 3 became 1905 their summer residence in Sinaia. The Golescu house, since 1881 a royal palace, 8 which had suffered major transformations (1880-1910), Now in Bulgaria. 9 but still kept the original chore, was almost completely For the National style as well as architect’s Grigore destroyed in a fire in 1927. Cerchez work, see also Carmen Popescu, Le style 4 Ruxanda Beldiman, Gustav Klimt şi National Roumain. Construire une Nation à travers Künstlerkompagnie. Comenzi pentru Castelul Peleş, l’architecture 1881-1945, Presses Universitaires in Revista Muzeelor 1-6/2001 ; 1-2/ 2002. Rennes et Simetria, Rennes, 2004.

MARIA PILLAT-BRATEŞ, Pictură şi reverie. Album portraits and still life with impressionist and post- impressionist influences. The album, published at In the second half of the 19th century in a world Universalia Publishing House in 2006, edited by Monica dominated by a patriarchic system it was difficult for Pillat and Doina Uricariu, is meant to represent a women to find their way in arts. The beginning of the cultural restitution in a long chain of necessary 20th century in Romania limited women’s carrier within recoveries in a country where the idea of contemplating the artistic area to one “option”: drawing teaching. It the past often comes with the nostalgia of sufficiency. was unacceptable for a woman to have access to the “Painting and reverie”, the album title, includes over “grand art” which seemed to belong exclusively to men. 140 images of watercolors signed by Maria Pillat-Brateş Maria Pillat-Brateş is part of the group who initiated and all of her graphics, illustrations and miniatures in Romania the women painters and sculptures discovered so far. The title, chosen by Monica Pillat, movement aiming and proving to succeed that art the artist’s grand-daughter, holds something from the quality is beyond sex and gender. Important names, atmosphere of the past, and although it may seem somehow still left out to a comfortable amnesia, were expressive and suitable for a title from a literary looked upon with attention: Olga Greceanu, Cecilia perspective, it can also be regarded as too soft, too Cuţescu-Ştorck, Milita Petrascu, Nina Arbore and nostalgic from an art historical point of view. others. The work of these artists determined art critics Unfortunately the quality of the texts written by and historians to look back at a time when the Romanian important authors, art and literary critics, are art scene was indeed connected to the Western changes undermined by the quality of the reproductions and and artistic movements. Therefore different the choice for the album’s cover. We can observe with retrospective studies and research contributions were this other example that the artistic discourse and the published, even though these acts of restitution literary one are different, although multidisciplinary occurred isolated in time: Elena Mateescu’s study1 in acts are welcomed on the cultural scene and their success 1979 and the more recent studies by Ioana Vlasiu2 and is in many cases granted. Still we must admit that we monographic albums by Ioana Vlasiu,3 Gheorghe Vida,4 do not know it all and that we should consider taking Adina Nanu and :Ştefania Iancu-Ciovarnache.5 There the advice of a specialist every time we approach a was also an exhibition completed with a catalog subject which could be a bit out of our domain of “Doamnele artelor frumoase româneşti afirmate expertise. iterbelic” by Ioana Cristea and Aura Popescu in 20046. Maria Pillat-Brateş had a special inclination Analyzing Nina Arbore’s work one could find links towards watercolors, perhaps not a choice made by to Marie Laurencin, Suzanne Valadon, and Cézanne. chance, but a response to a traditional attitude also 132 The painting of Maria Pillat-Brateş is dominated by followed by her husband, Ion Pillat in his poetry. The family had profound roots in traditional values and minds. For instance Ion Buzdugan reveals a few this characteristic was obviously revealed in paintings, defining elements underlining the constructed and the often having peasants in traditional costumes, pre-determined portrait of the women artist: her ethnographic portraits and ambiance as favorite watercolors are “filled with patriarchic poetry”,9 she subjects. Even the choice of her name I. Brateş (her paints grandmothers with small melancholic eyes, real name was Procopie-Dumitrescu and became Pillat traditional houses with traditional trees, with after marriage) as a debutant at the Tinerimea Artistică traditional people doing traditional activities (women Salon in 1914, represented the deep connection with peasants passively and nostalgically spinning). Menny her national affinities: Brateş was the name of a river Toneghin cannot oppress the question: “how is it close to Havarna, her parent’s estate. Maria Pillat- possible that a refined woman’s hand can prove such Brateş was the exponent of a traditional system in directness and dynamism?”,10 while Olga Greceanu, which the Queen supported artistic activities along aware of the speculative directions and the challenges with embroidery and knitting, the social reflex inherited of the epoch, underlines the evident artistic qualities by women through centuries related to certain of the artist and the fact that she “strongly knows preoccupations within the private space. As a what she wants” and “she imitates nobody”.11 This consequence, the women painters and sculptures chapter presented in a chronological perspective is movement was not recognized as a feminist one, though probably the most interesting for it presents the artistic principles and motivations of the feminist artistic reality of a period, the impact of Maria Pillat-Brateş’ movement abroad were quoted: “Talented women were work, the background of an epoch in which functioned not accepted anywhere. (…) …intelligence as well as a series of mechanisms of thinking, of criticism, of art has no sex.”7 prejudice inherent to every period and historical time. The album contains special documentary The process of comprehension is permitted along this contributions, diverse excerpts of correspondence, itinerary traversed by a woman, a well-known artist especially letters between the artist and her daughter during in the inter-wars time, with her unusual, from 1947 to 1970, precious photography, the raisonné deliberately ambiguous choice of the name (I. Brateş) catalogue and descriptions of the house interiors where through the care for accurate information, the concern the artist had lived and worked. In addition, two for a cultural restitution regarding a destiny which chronological chapters with information on exhibitions involves injustice and marginalization. In 1949 the artist are representative for the reconstruction of the epoch’s was arrested and locked up in a penitentiary in background, for the cultural and political context. In Botoşani, exiled for 5 years to Miercurea-Ciuc, respect to the artist’s accurate biography the album forgotten by her fellow artists although re-admitted as corrects the year of birth8 and brings out many other a Fine Arts Union member in 1957. Maria Pillat-Brateş biographic data. These elements come as a positive lost almost all her works during communism. Her and important contribution to this album which is collectors were deprived of their goods and values. too eclectic and lacks the professional quality of a Therefore this album cannot offer a complete carefully structured monograph with a coherent perspective on her work. It is only a glimpse of the chronological part. artistic results of an artist, a woman artist. We must I was personally drawn to a few texts concerning appreciate the intention of restitution, in a world where Maria Pillat-Brateş’activity in the 20s and 30s the interest for conservation and restoration is low, published as reviews in literary magazines. There is an where research is not strongly motivated, and where obvious differentiating manner in commenting a the need for recovery remains predominant. woman’s artistic creation, yet supported by a reality which managed to dominate and influence people’s Olivia Niţiş

1 Grupări artistice feminine şi unele aspecte ale 6 Ed. Regia Autonomă „Monitorul Oficial”. Notes graficii româneşti interbelice, in SCIA, Artă Plastică, 7 See the monograph Nina Arbore, pp. 6-7. 1979, tome 26, pp. 53-88. 8 Presented in different chronologies as 1983 2 Strategies of integration in the artistic milieu: the All-Women Exhibitions, Bucharest, 1916 to 1927, in instead of 1892. Revue Roumaine d’Histoire de l’Art, Beaux-Art series, 9 Ramuri (Drum drept – XVI, no 48 – Craiova 31 tomes 26-27, 1999-2000, published by the Romanian dec. 1922) in Painting and Reverie – Maria Pillat- Academy, pp. 67-79. 3 Brateş, ed. Universalia, Bucharest, 2006, p. 81. Miliţa Petraşcu, ed. Arc, Chişinău, 2004. 10 4 Nina Arbore, ed. Arc, Chişinău, 2005. Revista scriitoarelor şi scriitorilor români, VII, 5 Olga Greceanu, ed. Centrului de Cultură Palatele nos. 9-10, Sept.-Oct. 1933, 134 in ibid., p. 102. Brâncoveneşti, Bucureşti, 2004. 11 See pp. 114-115 133 134