L'amour Inconnu Lady Hester Stanhope
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^^^•^"^^^^"^^^^^^^rf^^** L'AMOUR INCONNU DE LADY HESTER STANHOPE Il y a des noms dont la puissance d'évocation est extrême, tel celui de Lady Hester Stanhope, qui, à peine prononcé, fait surgir devant nous l'ombre romantique d'une grande dame anglaise partie pour l'Orient au début du xixe siècle. Ce nom, nous l'associons à d'étranges rêves de domination, à de folles chevauchées par les cités et les déserts, de Constantinople à Alexandrie, à l'audacieuse expédition de Palmyre ; il s'identifie avec une geste de bravoure, une équipée étincelante, une fin misérable, — le tout drapé de mystère et fleurant la légende. C'est que, si de nombreux auteurs se sont intéressés à cette singulière destinée — Lamartine dans son Voyage en Orient, et Balzac dans Le Lys dans la vallée, et Musset, et Gérard de Nerval, et Barrés, et Pierre Benoit, et tant d'autres, étrangers ou français, aucun n'en a fourni l'explication. En un tel cas, le mystère est l'ami et la légende l'alliée du narrateur, à qui tous les enjolivements sont permis. N'a-t-on pas été jusqu'à émettre l'hypothèse que l'existence, d'abord si fastueuse, en ces régions lointaines, de Lady Hester Stanhope, avait été financée par les ser vices secrets britanniques, devanciers de l'Intelligence Service ? Et si Mme Paule Henry-Bordeaux, dans La Circé du Désert et La Sorcière de Djoun, a fait une enquête des plus approfondies sur cette authentique châtelaine du Liban, elle n'a pas, elle non plus, dévoilé le secret de la vie qu'elle a si méritoirement contée, — car elle a ignoré la cause qui, eh 1810, a déterminé la carrière de Lady Hester Stanhope, faute d'avoir eu accès à des sources que le hasard a récemment mis à jour. Des papiers, toute une correspondance, en effet, gisaient ignorés sous les combles d'un manoir anglais, comme les mémoires de Mathieu Mole, dans le 298 LA REVUE grenier de Champlâtreux. L'événement nous est maintenant restitué sous son véritable jour : c'est une intrigue amoureuse qui a dominé la grande aventure de notre héroïne. C'est l'inventeur du trésor qui nous le dit, le général Ian Bruce, dans The Nun of Lebanon, le livre où il a réuni tous les documents laissés par son ancêtre, le riche Michel Bruce, lequel, à vingt-trois ans, devint, à Malte, l'amant de sa fameuse compatriote, et qui fut en Orient, durant de longues années, son chevalier servant. Nous pouvons donc aujourd'hui, dissipant de fabuleuses nuées, retracer, d'une manière positive, une existence passionnante autant que passionnée. Lady H ester Stanhope était une Anglaise, de très grande famille; Elle était née en 1776. Elle était l'aînée des trois filles du premier lit du troisième comte Stanhope. Sa mère, qu'elle perdit à l'âge de quatre ans, était Hester Pitt, fille du comte de Ghatham, et sœur de William Pitt. Ghatham était lui-même le petit-fils de Thomas Pitt, gouverneur de Madras, plus connu sous le sobriquet de Dia mond Pitt. C'est ce Diamond Pitt qui, soit dit en passant, avait acheté à un Parsi, au début du xvme siècle, puis vendu pour 2.500.000 livres tournois au duc d'Orléans, le Régent, un diamant de 136 carats d'une eau extraordinaire. A présent, comme chacun sait, la pierre est au Louvre. Thomas Pitt était un homme au sang bouillant, recuit au soleil des Indes, assez original. Et c'est ce sang qui fut transmis à Lady Hester Stanhope. Son père était un homme de science, doublé d'un homme politique et d'un écrivain, qui avait, lui aussi, des par ties d'extravagance. Lorsque la Révolution française éclata, il en épousa pour un temps les idées. Il se fit appeler le citoyen Stanhope, et baptisa son château Democracy Hall. Il mit ses fils au travail manuel et Lady Hester à garder les vaches. Celle-ci, pour se distraire, montait à cheval. Elle devint une amazone émérite. Elle s'occupait de ses sœurs et de ses demi-frères du second lit de son père. Nous sommes en 1804. C'est alors que Pitt, frappé des dons exceptionnels de sa nièce, commença de s'intéresser à elle. Bientôt, il la prenait chez lui comme secrétaire. Redevenu premier ministre, et toujours célibataire, il lui confia le rôle de maltresse de maison. Agée de vingt-huit ans. Lady Hester Stanhope était dans tout son L'AMOUR INCONNU DE LADY HESTER STANHOPE 299 éclat. Elle était d'une taille exceptionnelle. Elle était blonde. Elle avait les yeux d'un gris d'acier, le profil grec, le teint mat. Elle était impérieuse comme son grand-père Lord Chatham, auquel elle res semblait étonnamment, et dont elle avait, parait-il, la voix. C'était une personnalité qui, comme lui, dominait son entourage, petit ou grand, excentrique, captivante, ironique et cruellement spiri tuelle. Son salon était le centre de la société londonienne. Elle la persiflait et se fit beaucoup d'ennemis. Le fameux général Sir John Moore, qui commandait en Espagne avant Wellington, avait un profond sentiment pour elle. Altière, elle refusa ses hommages, tout en lui conservant une place parti culière dans son cœur; sa douleur en témoigna lorsque Sir John Moore, son armée bousculée par Soult, périt glorieusement à la Corogne. Moore, expirant, avait dans son dernier souffle dit à son aide de camp, qui était le demi-frère de Lady Hester : « Stanhope, je vous en prie, rappelez-moi au souvenir de votre sœur. » En janvier 1806, Pitt mourait. Il avait la satisfaction d'avoir vécu pour Trafalgar et d'avoir détourné la Grande Armée du cœur de l'Angleterre ! Pitt mourait, laissant £ 40.000 de dettes. Le Parlement paya les dettes de Pitt, et, bien qu'il eût pu reprocher à Lady Hester Stanhope, déjà étrangère aux questions d'argent, un manque absolu de contrôle dans la maison qu'elle gouvernait, — il lui consentit une pension de £ 1.200. Pour une telle femme, autant dire qu'elle était rejetée au néant. Sans un ami, Hester Stanhope se réfugia dans le pays de Galles. Elle y loua un cottage isolé. Elle y étouffait. ' Là vie n'avait plus de sens pour elle : d'où sa résolution de voyager. Au surplus, elle se portait mal et voulait changer d'air. En février 1810, sur une frégate qui escortait un convoi, elle arrivait à Gibraltar avec une petite suite, dont s'a dame de compa gnie, la fidèle Miss Williams, et son médecin, le Dr Merion. L'Europe est déchirée par la guerre. Où s'y fixer ? La voyageuse n'a pas de plans bien définis. De Gibraltar, elle passe à Malte. Elle y est reçue, comme il lui est dû, par le gouverneur et toute la société de l'île, ainsi que par d'aristocratiques voyageurs, le marquis et la marquise de Bute. Un beau jeune homme faisait partie du groupe Bute : Michel Bruce, le fils de Crawford Bruce, grand importateur de la Cité, lequel, cadet des baronnets de Stenhouse, après avoir fait aux Indes une fortune considérable, s'était établi en Angleterre. Ayant 300 LA REVUE acheté un bourg pourri, il était devenu membre du Parlement. Son ambition était de lancer son fils préféré, Michel, dans la politique. Il l'avait envoyé à Eton, puis à l'Université de Cambridge, et maintenant, tout comme les Chesterfield et les Walpole, et tant d'autres nobles anglais, Grawford Bruce souhaitait que son fils complétât son éducation sur le continent. A Malte, Michel Bruce, en mai 1810, est présenté à Lady Hester Stanhope. II a l'éclat de l'extrême jeunesse : vingt-trois ans. Elle en a trente-quatre. Ils s'éprennent l'un de l'autre, et voici ce qu'aussitôt Michel Bruce écrit à son père : « De Palerme, je vous ai envoyé deux lettres. Je vous écris d'ici pour vous informer d'un changement dans mes plans. Lors de mon arrivée à Malte, j'ai eu le plaisir d'y rencontrer Lady Hester Stan hope. Je trouve qu'elle est plus agréable, plus intelligente et mieux informée que les amis avec lesquels je voyage. C'est une femme extraordinaire, qui a hérité les dons et les qualités de son illustre grand-père. J'ai donc décidé de quitter mes amis et de me joindre à son groupe qui est composé du Dr Merion, d'une dame de compa gnie et de quelques serviteurs. » Les Bute s'en vont à la fin du mois. Le gouverneur de Malte met à la disposition de Lady Hester Stanhope le palais de San Antonio qu'ils occupaient. Bruce va y vivre auprès de la demoiselle élue. La différence d'âge, les amants n'en ont cure. Mais Lady Hester Stanhope ne perd pas la tête. Elle écrit au père dé son jeune amant : « Vous avez sans doute déjà entendu dire que j'ai fait la connais sance de votre fils. Son esprit élevé, ses qualités qui sont de l'ordre de l'homme d'Etat, ses talents, pour ne rien dire de sa magnifique personne, ne sauraient être un objet d'indifférence. Le connaître, c'est l'aimer et l'admirer and I do both, — je l'aime et je l'admire. « Tout ceci, j'entends que vous ne l'appreniez pas indirectement. J'aime mieux vous le dire, de façon à ce que vous ne vous mépreniez pas sur la nature de mes sentiments à son égard : il aurait pu tomber dans les filets d'une femme sans scrupules qui l'eût réduit en escla vage.