Revue des Etudes et Recherches en Logistique et Développement (RERLED) | Edition 2019 – Vol 1, N°5 | ISSN 2458-5890

La réforme portuaire marocaine : une évolution dans le secteur portuaire marocain, mais au-dessous des attentes.

NAIMA ZEKRI NAOUAR ANISSER

[email protected] [email protected]

Docteur en Droit Public Enseignante chercheure

Laboratoire de recherche : Laboratoire de recherche : Gouvernance Territoriale Et Développement Durable Gouvernance Territoriale Et Développement Durable Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales, Tanger. Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales, Tanger. Université Abdelmalek Essaâdi, Maroc. Université Abdelmalek Essaâdi Maroc

Résumé : Certes que la réforme portuaire mise en place par la loi 15-02 en 2005, a introduit des mutations profondes dans le système de gestion et d’exploitation des ports marocains. Or, le secteur portuaire souffre encore de nombreux déséquilibres. Aujourd’hui, treize ans après la mise en place de ce nouveau mode de gouvernance, il est opportun de réaliser une évaluation de ce projet. L’objectif de cet article est d’évaluer les effets de la réforme sur la gestion et l’organisation du système portuaire, l’investissement et le développement des infrastructures, l’efficacité et la compétitivité du secteur et les conditions sociales (paix sociale). En effet, la future évaluation permettra de comparer les résultats atteints aux objectifs fixés par la réforme portuaire, pour soulever les insuffisances et les lacunes du secteur portuaire marocain notamment au port du capital économique du royaume. Mot clés : réforme portuaire, gouvernance portuaire, compétitivité portuaire, port de , les insuffisances.

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Abstract : It is true that the port reform implemented by law 15-02 in 2005, introduced profound changes in the management and exploitation system of Moroccan ports. However, the port sector still suffers from many imbalances. Today, thirteen years after the implementation of this new mode of governance, it is appropriate to carry out an evaluation of this project. The purpose of this article is to assess the effects of the reform on the management and organization of the port system, investment and infrastructure development, the efficiency and competitiveness of the sector and social conditions (social peace ). Indeed, the future evaluation will make it possible to compare the results achieved with the objectives set by the port reform. to raise the shortcomings of the Moroccan port sector in particular to the port of economic capital of the kingdom. Keywords : port reform, port governance, port competitiveness, port of Casablanca, the shortcomings.

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Introduction Par sa position géographique sur deux façades maritimes, en l’occurrence, la Mer Méditerranéenne et l’océan Atlantique, le Maroc est une nation maritime par excellence. Et depuis la naissance de l’ingénierie portuaire en 1260 à Salé, le secteur portuaire marocain a subi plusieurs changements, l’évolution de la demande a contribué au développement de l’offre portuaire. Tout au long de la seconde moitié du 20éme siècle le système portuaire marocain s’applique à satisfaire le trafic, plutôt qu’il ne le crée (CHERFAOUI Najib, 2009)1 . Ce n’est qu’en 1993 que l’autorité portuaire a pris conscience de la nécessité du changement et de développement du secteur portuaire pour saisir les opportunités internationales et c’est ainsi que le projet « Tanger Atlantique » a vu le jour. Dès lors, le secteur portuaire, a connu au cours des dernières années, une dynamique significative, le nouveau schéma organisationnel a bien introduit des mutations profondes dans le système de gestion et d’exploitation des ports marocains, favorisant l’émergence d’une nouvelle vision qui privilégie la recherche de la performance, de l’efficacité et de la compétitivité. Depuis la date d’entrée en vigueur de la loi 05-02, plusieurs projets, visant la mise en œuvre de ses dispositions, ont été réalisés dans les ports marocains et ont permis une évolution profonde du secteur. Le pays a opté donc pour un modèle de développement portuaire axé sur la bonne gouvernance (Réforme portuaire de 2006) et la régionalisation (stratégies portuaire à l’horizon 2030). Dans ce nouveau contexte, le rôle et les responsabilités des différents intervenants portuaires ont enregistré de véritables mutations. Treize ans après le lancement de la réforme, il est aujourd’hui nécessaire de faire une évaluation de ce qui a été réalisé. La question est de savoir si l’application de la réforme est sur le bon chemin, si on a pu réaliser, au moins, les principaux objectifs visés par la réforme, s’il y a des améliorations à faire à fin de dépasser les déséquilibres qui connait le secteur aujourd’hui. Pour répondre à ces questions, nous exposons dans un premier titre de cet article les principales caractéristiques du secteur portuaire avant la réforme. Puis nous discutons les grandes lignes d’actions adoptées par la réforme, et finalement, nous essayons d’analyser avec un esprit critique la situation du secteur aujourd’hui, après treize ans de la mise en œuvre de la réforme.

1 CHERFAOUI Najib (2009), DOGHMI Hamid, Résiliences, système portuaire du Maroc de la naissance à 2060, Casablanca, sciences de l’ingénieur. p.447. 64

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I- Situation avant la réforme : situation de monopole et sans clarification des missions. Après l'indépendance, le royaume a suivi la même approche que celle du colonisateur : la polarisation de Casablanca a été calculée au détriment du reste des régions, ce qui a augmenté la pression sur la ville –port. Cependant, le volume croissant du commerce extérieur du pays et l'exacerbation des problèmes au port de Casablanca ont incité le Maroc à adopter une politique portuaire, visant à créer de nouveaux ports et à réhabiliter d'autres ports capables de répondre au plus grand nombre d'activités de navigation. Au début des années 1960, le système de concession du port de Casablanca, accordé à la « société marocaine de manutention2 », a été supprimé et il a été remplacé par un système d’exploitation direct ou d’agence. En 1962, la Régie d’Aconage du Port de (RAPC) a été créé pour gérer temporairement3 le port de Casablanca et elle a élargi progressivement ses compétences pour inclure les ports de Mohammedia et de Kenitra en 1966, Safi en 1967, Tanger en 1969, et en 19724. En 1972, le premier terminal à conteneurs a été installé dans le port de Casablanca, caractérisé par une croissance constante depuis les années 80. En 1985, il a enregistré un taux de transit de 65 310 conteneurs d'une capacité supérieure à 803 000 tonnes5. Ce système, qui a duré 20 ans, a entraîné une crise majeure, à savoir la défaillance des ports et la perturbation de la gestion financière6. L’Etat a tenté de surmonter cette crise en augmentant la tarification des services portuaires et en augmentant les subventions aux ports, Cependant, le style de gestion RAPC a entravé la compétitivité des exportateurs et le travail des utilisateurs des ports, pire encore il a privé l'économie nationale de ses marchés traditionnels7. Après le milieu des années soixante-dix, le Maroc a compris l'importance de la multiplicité des ports dans le pays, et il a opté pour une approche politique basée sur le renouvellement des infrastructures portuaires en créant une variété de nouveaux ports dans leurs spécialités, leur taille et leur organisation. Ainsi, une nouvelle politique régionale a été lancée, visant à créer des pôles de développement et d’équilibre et de créer un port sur chaque littoral

ﺔﻤطﺎﻓ ﺖﯾآ ،يزﺎﻐﻟا " ﻘﻋ ـ ﺪ ﺔـﻟوﺎﻨﻤﻟا ﺔـﯿﺋﺎﻨﯿﻤﻟا ﻦﯿﺑ رﺎـطﻹا ﻲـﻌﯾﺮﺸﺘﻟا ﻊـﻗاﻮﻟاو ﻲـﻠﻤﻌﻟا – ـﺳارد ﺔ ﻘﻣ ﻧرﺎ ـ ﺔ - " ، د را ﻓﻵا قﺎ ا ﺑﺮﻐﻤﻟ ﺔﯿ ﻟ ﻠ ﺮﺸﻨ 2 او ﻟ ،ﻊﯾزﻮﺘ ا طﺎﺑﺮﻟ 2013 ، ص 32. - ﺔﻤطﺎﻓ ﺖﯾآ ،يزﺎﻐﻟا ﻊﺟﺮﻣ ،ﻖﺑﺎﺳ 2013 ، ص 3Fatima AIT ALGHAZI. 8 4 Cherfaoui N., et Doghmi H., « Résiliences -Système Portuaire ... », op. cit, p. 50. 5 Arrassif, « Le Trafic Portuaire : Stationnaire en 1985 », dans Revue Interne de l’Office d’Exploitation des Ports, Septembre 1986, p. 11. 6 Cherfaoui N., et Doghmi H., « Résiliences -Système Portuaire », op. cit, p. 50. 7 Ibid. 65

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considéré comme levier de développement et de la croissance de la région8, surtout pour diminuer la pression sur le port Casablanca. Ainsi, le port, qui représentait 72,1% des échanges commerciaux du Maroc en 1970, ne représentait que 37,4% en 19989. Au début des années 1980, la sécheresse au Maroc a affecté le budget de l’État et lui a empêché de fournir des subventions aux ports, ce qui a incité le royaume d’emprunter à la Banque mondiale en 1982, qui stipulait la nécessité de collecter les revenus du port et de créer un seul organisme pour les extraire10. Conformément à cela, l'État a créé en 1984 un guichet unique pour extraire les droits portuaires et gérer les recettes, par l'Office de l'exploitation des ports (ODEP)11, qui a remplacé la régie de l'exploitation industrielle (REI). En 1994, sous l’impulsion des énormes profits qu’il a réalisé entre 1984 et 1994, l’office a commis une erreur stratégique en prenant une décision de paiement anticipé de ses prêts12. La Banque mondiale a répondu en demandant un diagnostic du statut de l’Office, qui a révélé plusieurs déséquilibres, dont les plus importants étaient les suivants 13: - Coût élevé des services portuaires. - Concentration de l’Office sur les activités de l’autorité portuaire au détriment des activités commerciales qui sont censées être le domaine de l’engagement du secteur privé. Les autorités n'ont pas abordé ces déséquilibres et ont gelé le dossier de l'Office. Et il n’a été rouvert qu'en 2003 avec l'intervention de l'Union européenne dans le cadre d'une subvention estimé à 95 millions d'euros, fournie au Maroc en contrepartie de la restructuration du secteur des transports sous toutes ses formes.14 Ainsi, Le secteur portuaire était régi par le monopole de l'Office de l'exploitation des ports, un établissement publique à caractère industriel et commercial doté d'une personnalité morale et l’autonomie financière et soumis sous tutelle et contrôle de l’État. il remplit également les fonctions d’autorité portuaire, telles que la construction des installations portuaires, la gestion des terminaux et ses annexes, l’entretien des infrastructures, des voies ferrées, des réseaux d’eau et d’électricité et l’assainissement, ainsi que l'entretien des voies terrestres menant aux

8 Le Maroc a renforcé les installations portuaires de Safi pour surmonter les obstacles causés par le transport à Casablanca et la création du port de en 1982 pour diminuer la pression sur port de Casablanca et développer la zone de Doukala, et créer le port de Beni Ansar en 1987, à 600 mètres du port de , pour ouvrir une porte de l'est du Maroc sur le monde. 9 Mustafa Nashawi, op.cit., P. 22. 10 Cherfaoui N., et Doghmi H., « Résiliences -Système Portuaire », op. cit, p. 50. 11 Le Bureau de l’exploitation des ports (ODEP) a été créé en application de la loi n ° 84-6 du Dahir n ° 1.84.194 publiée au Journal officiel n ° 3766 du 02/01/1985, p.37. 12 Cherfaoui N., et Doghmi H., « Résiliences -Système Portuaire », op. cit, p. 51. 13 Ibid. 14 Cherfaoui N., et Doghmi H., « Résiliences -Système Portuaire », op. cit, p. 51. 66

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ports…15, En plus il effectue des tâches commerciales telles que le chargement, le déchargement, la manutention et le stockage de marchandises…16. En conséquence du monopole de l'Etat sur l'organisation du secteur portuaire par l’office, le secteur souffrait de plusieurs déséquilibres, qu’on peut les résumer comme suit : - La multiplicité des acteurs du secteur s'est traduite par un chevauchement des responsabilités, des conflits d'intérêts et une confusion dans la responsabilité concernant les dommages causés aux biens et aux marchandises. D’une part, L’ODEP bénéficiait du monopole de l’état (monopole de l’acconage) pour le traitement de la totalité des navires accostant sur les ports marocains. il proposait des services d’aide à la navigation, de pilotage, de remorquage, de lamage et le magasinage. En même temps il jouait le rôle de police portuaire. Par ailleurs, le coût facturé par l’ODEP a dépassé de loin le coût réel des prestations. Et d’autres part, la manutention à bord a été réalisée par des intervenants privés « stevedores »17 (oligopole de stevedoring), ces derniers réalisent d’autres activités secondaires non organisées comme le watchman et le garbage que beaucoup des transporteurs ont réclamé qu’ils étaient obligés d’accepter ses services et en cas de refus, ils doivent confrontés des arrêts ou refus de travaux imprévus. - Cette situation d’une dualité dans la responsabilité de la manutention à terre et au bord du navire, a causé une dualité de la responsabilité. En effet, la rupture de charge entre la manutention à bord et à terre a permis aux manutentionnaires d’échapper à toute responsabilité même si l’exploitation est inadaptée aux besoins. Cette situation s’aggravait par une insuffisance de la réglementation des métiers portuaires. - La situation du monopole de la manutention à terre par l’ODEP a causé également un manque de concurrence et donc un manque de compétitivité18, en effet, l’importateur n'était pas autorisé à recevoir ses propres marchandises sur le quai ou au bord du navire. Et le capitaine du navire était obligé de n’autoriser le déchargement que par l’office, ce qui a conduit au vieillissement des équipements de l’office, faiblesse de son système d’information, des retards fréquents et une multitude d’arrêts de travail due à une insuffisance d’équipements et de matériels spécialisés et à la défaillance des

15 La loi 6-84, les articles 2 et 3. 16 Loi 84.6, article 4. 17 La manutention à bord est réalisée par un nombre limité de stevedores. Sur le port de Casablanca par exemple huit stevedores concentrent l’activité. 18 La perte de compétitivité des ports marocains tient également au fait qu'ils sont mal reliés aux lignes de transport routier et ferroviaire. 67

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engins faute de maintenance périodique et préventive, temps de réparations longs ; un manque de techniciens spécialisés et qualifiés. Par ailleurs, La programmation de l’accostage des navires et l’affectation des équipements étaient contrôlées uniquement par l’ODEP, qui assurait aussi la fonction d’opérateur de terminal. Cette situation a créé un risque d’abus de pouvoir et a encouragé la corruption et le favoritisme. - le port a beaucoup souffrit aussi des problèmes sociaux notamment par les employés de l’office, le mépris de leurs demandes reflétées par leurs représentations professionnelles se répercutaient négativement sur leur productivité. Ajoutant à cela que malgré le sureffectif des dockers19, Les armateurs réclamaient un certain nombre d’abus tels que le manque de discipline et de professionnalisme, le manque de connaissances pratiques, la faible productivité, l’absentéisme sans motif apparent et le remplacement par des non- dockers, ainsi que les pannes répétitifs. - Et face à tous ces problèmes, le port de Casablanca était le plus cher, en effet, les coûts de passage portuaire étaient largement supérieurs à ceux pratiqués dans l’Europe et la traversée du Détroit était deux à trois fois supérieure à la norme pour des distances de traversée comparables. En ce qui concerne la sûreté de la chaîne logistique, l’activité portuaire était affectée par le trafic des stupéfiants et des passagers clandestins. En cas d’incident, le véhicule et la cargaison sont immobilisés par la police. Ce qui a engendré une augmentation importante des coûts directs pour les opérateurs avec un grand risque de perte de marchandise. Le transport frigorifique était très coûteux pour les exportateurs marocains puisqu’il représentait 15 à 30% de la valeur de la marchandise20. Face à cette cherté portuaire, les délais de séjour étaient très élevés,21 ce qui a provoqué une saturation portuaire et il a constitué un obstacle à la fluidité des échanges. L’attente des navires en zone de mouillage était aussi un phénomène fréquent. Ces attentes sont dues à la congestion portuaire, à la non-disponibilité des équipements, à l’arrivée tardive de la cargaison ou à des problèmes documentaires.

19 Suite à la puissance des syndicats des dockers, les Stevedores sont en effet obligés de retenir un nombre élevé de dockers. Sur le port de Casablanca par exemple 800 dockers sont recrutés alors qu’un nombre de 250 à 300 serait suffisant. Cette surcapacité engendre un taux de chômage de 40% et un accroissement de la masse salariale ce qui se répercute sur les tarifs. 20 Ministère de l’Equipement et des Transports, Stratégie nationale de développement de la compétitivité logistique, avril 2010. 21 Ce délai a atteint son seuil le plus élevé soit 13,5 jours au deuxième semestre de 2007.Ce chiffre est extrêmement élevé par rapport à une moyenne mondiale de 6jours.

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Face à l’ensemble de ces anomalies et dysfonctionnements, il était donc nécessaire de restructurer le secteur pour répondre aux contraintes de l'ouverture économique et aux obligations internationales des pouvoirs publics (notamment la signature du Maroc d’un accord de partenariat avec l'Union européenne - entré en vigueur en 2001 – et un accord sur la libéralisation des services sous les auspices de l'Organisation mondiale du commerce (MOC)). Il était nécessaire aussi de renforcer la compétitivité du secteur et d’améliorer la compétitivité des acteurs nationaux et l’ouverture sur les investissements privés pour la construction, la gestion et l’exploitation des infrastructures. L'État a élaboré donc une stratégie pour le développement du secteur du transport maritime en 2004 en menant une étude institutionnelle et stratégique du secteur, dont les résultats servent de base à la formulation de sa politique de réforme, tant au niveau organisationnel qu'au niveau juridique. II- Les nouveautés de la réforme : pour un changement radical du secteur En vue de mettre en place un transport maritime efficace dans le cadre d'un secteur libre, structuré et compatible avec les développements futurs et compatible avec les traités internationaux ratifiés, et afin de doter l'économie nationale d'un mécanisme d'action qui réponde à l'ambition du pays de développer son économie et d'adapter ses infrastructures logistiques aux conditions et aux normes internationales, le système portuaire a été réformé par la loi 15.02. En effet, Le législateur a envisagé la promulgation de la loi 15.02, permettant aux acteurs économiques de disposer d'infrastructures portuaires efficaces et permettant aux ports marocains d'accroître leur rentabilité et d'améliorer leur compétitivité. La nouvelle structure établie par cette loi vise à atteindre les objectifs suivants : - Moderniser le secteur portuaire national à travers la mise à niveau de la gouvernance, le développement des infrastructures et le renforcement des équipements, - Améliorer la compétitivité et l’efficience des places portuaires à travers l’amélioration des rendements opérationnels et la réduction des coûts de passage portuaire notamment face aux exigences pour la préparation à la confrontation de la concurrence notamment celle du port de Tanger Med, - Assurer le respect de la liberté de concurrence dans l'exploitation portuaire, ainsi que l'entretien, le développement et la modernisation des infrastructures portuaires afin d'accroître la compétitivité des ports22,

22 Loi 15.02, l'article précédent. 69

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- L'adoption de nouveaux modes de gestion et d'exploitation des ports et l'octroi de la flexibilité nécessaire aux organismes chargés de ces activités portuaires pour une gestion efficace et efficiente23, grâce à deux systèmes: le système de licences auquel sont soumises les activités liées à l’exploitation24 et le système de concession relatif à la gestion des ports25, - Attirer des capitaux privés pour le financement des infrastructures et des activités portuaires notamment par la mise en place d’un cadre législatif et réglementaire qui clarifie les droits et obligations et garantit la concurrence et la transparence. La nouvelle réforme a introduit donc une refonte globale du système de gestion et d’exploitation des ports marocains, intégrant des aspects à la fois d’ordre juridique, institutionnel, organisationnel, économique, financier et social. Elle a permis l’introduction de la concurrence entre les ports et au sein d’un même port notamment par le biais de la séparation des fonctions régaliennes, des fonctions de l’autorité portuaire et des fonctions commerciales, et de l’instauration de l’unicité de la manutention. Ainsi, la fonction régalienne est dévolue à l’Administration dont les missions portent sur l’élaboration et la mise en œuvre de la politique sectorielle et du cadre réglementaire et légal, ainsi que la planification et la réalisation de nouvelles infrastructures portuaires. La fonction de l’autorité portuaire incombe à une Agence nationale des ports (ANP) chargée des missions de régulation, de police portuaire, d’octroi des concessions et des autorisations, d’exercice des activités portuaires, du développement et de la maintenance et la modernisation des infrastructures et des superstructures et de la gestion du domaine public portuaire. Et les fonctions commerciales sont exercées, dans un cadre de concurrence, par des entités publiques ou privées en tant qu’opérateurs ou prestataires de services. Elles concernent essentiellement les services rendus aux navires et à la marchandise et d’autres activités connexes. III- 13 ans après la réforme : une évolution certes mais au-dessous des attentes

Certes qu’après la réforme le système portuaire marocain a enregistré plusieurs avancements, notamment l’amélioration des services portuaires, le lancement de nouveaux projets structurants, l’augmentation de la capacité des ports marocains, et leurs productivités.

23 Préambule de la loi 15.02, op. Cit. 24 Loi 15.02, article 12. 25 Loi 15.02, article 16. 70

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Cependant, on ne peut pas admettre aujourd’hui que tous les objectifs de la réforme ont été atteints. Treize ans après la réforme, on constate qu’il existe encore sur le terrain, quelques lacunes qui pèsent lourd sur la compétitivité des ports du Royaume,

1. Manque d’une concurrence inter-ports et intra-ports

Premièrement, malgré l’introduction du principe de concurrence, le marché de manutention demeure monopolistique dans les différents ports du royaume (sauf Tanger-Med26). Au port de Casablanca, par exemple, bien qu’il y ait deux opérateurs, la répartition des terminaux à capacité inégales fausse le jeu de la vraie concurrence (M.ELKHEYAT, 2014)27 Il existe, en outre, un manque de concurrence intra portuaire, le port de Casablanca étant l'unique port (sans compter Tanger Med) avec deux terminaux conteneurs, dont un des deux, celui de Somaport, ne présente pas les conditions optimales pour l'opération de navires de grandes dimensions à cause de sa profondeur (tableau 1), en plus d'être associé avec une compagnie maritime. Pour ces raisons, une grande partie du trafic est captive du terminal de Marsa Maroc. Tableau 1: Caractéristiques des terminaux de conteneurs de Casablanca et Agadir

INFRASTRUCTURE MARSA MAROC SOMAPORT MARSA MAROC CASA AGADIR QUAI (M) 600 700 280 PROFONDEUR (M) 12 9.14 10.5 GRUES PORTIQUE 8 3 3 CAPACITE (EVP) 700 000 500 000 150 000 Source : Marsa Maroc et Somaport

Le manque de concurrence entre ports est dû aussi bien à la concentration de l’activité économique à Casablanca qu'au manque de connectivité au reste des ports, du fait des tarifs de connexion plus élevés par modes terrestres et du manque d'agents et d'infrastructures logistiques qui facilitent le trafic national dans ce port.

26 Le port Tanger Med, qui a été créé après la réforme, n’est pas concerné par ce dernier, il a un statut tout à part. 27 ELKHAYAT Mustapha, la compétitivité du port de Casablanca en question, In Daniel LABARONNE (coord), Villes portuaires au Maghreb : Acteurs du développement durable, paris, presse des mines, collection développement durable, 2014, p 139-157. 71

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2. Création d’un nouveau monopole Marsa Maroc sous l’unicité de la manutention

La consolidation du principe de monopolisation est l’un des développements les plus récents de la loi 15.02, qui a mis fin à la duplication des opérations qui caractérisait les services commerciaux des ports depuis deux décennies. Toutefois, cette exigence a suscité l’indignation des acteurs privés du secteur portuaire, en ce sens qu’elle confère des privilèges spéciaux à la société d’exploitation portuaire, ce qui contribue à la marginalisation des autres entreprises opérant dans le domaine du traitement et crée une situation d’égalité des chances28. Il convient de noter que la société d’exploitation portuaire exerce ses fonctions conformément à un contrat de concession qui lui a été accordé par l’Agence nationale des ports après un appel à la concurrence29. Ajoutant également que conformément au chapitre 42, le législateur a exclu les activités entreprises par la société de Marsa Maroc de se soumettre aux dispositions l’article 17. Un statut qui a incité certains experts30 des affaires portuaires à constater que le Maroc, par sa loi du 15.02, est revenu au statut de 1984 et il a remplacé un monopole (EX-ODEP) par un autre monopole. En effet après la nouvelle loi, le secteur a passé d’une situation de monopole de l’Office d’exploitation des ports pour les activités portuaires sur les quais sous la duplication de la manutention, à un monopole, plus large, de la société Marsa Maroc sur les activités portuaires sur les quais et sur les navires sous l’unicité de la manutention31. Par ailleurs, l’opérateur portuaire marocain vit des difficultés financières et de gestion32, L’Etat marocain a décidé dernièrement de mettre en bourse 40 % des actions de la société Marsa Maroc. L’introduction de Marsa Maroc en bourse est la conséquence directe d’une erreur monumentale commise par l’Etat33. Après les manquements constatés au niveau de la

28 Après que la société d’exploitation portuaire ait obtenu la concession d’exploitation des activités portuaires en 2007, elle a obtenu en 2009 la concession pour l’exploitation du terminal à conteneurs 4 du port de Tanger Med II et il a signé l’accord de concession de l’utilisation du terminal à conteneurs TC3 au port de Casablanca en 2013. 29 Article 17, la loi 15-02 30 Cherfaoui N. et Doghmi H., « Résiliences -Système Portuaire », op. cit, p. 52.

ﺔﻤﯿﻌﻧ ا ،يﺮﻛﺰﻟ " ﺔﻧﺎﺳﺮﺘﻟا ﺔﯿﻧﻮﻧﺎﻘﻟا ﺔﻤﻈﻨﻤﻟا ﻞﻘﻨﻠﻟ يﺮﺤﺒﻟا بﺮﻐﻤﻟﺎﺑ ﻦﯿﺑ ﻊﻗاو عﺎﻄﻘﻟا تﺎﻧﺎھرو ﺔﯿﺤﯿﺗاﺮﺘﺳﻻا ﺔﯿﻜﯿﺘﺴﺟﻮﻠﻟا ﺔﯿﻨطﻮﻟا " ، ﺔﺣوﺮطأ 31 ﻞﯿﻨﻟ هارﻮﺘﻛﺪﻟا ﻲﻓ نﻮﻧﺎﻘﻟا ،مﺎﻌﻟا ﺔﻌﻣﺎﺟ ﺪﺒﻋ ﻚﻟﺎﻤﻟا ،يﺪﻌﺴﻟا ﺔﯿﻠﻛ مﻮﻠﻌﻟا ﺔﯾدﺎﺼﺘﻗﻻاو ،ﺔﯿﻋﺎﻤﺘﺟﻻاو ،ﺔﺠﻨﻄﺑ ﺔﻨﺴﻟا ﺔﯿﻌﻣﺎﺠﻟا 2016-2017 ، ص49. 32 la CMA-CGM, troisième groupe mondial de transport maritime par conteneurs, gère un terminal à conteneurs plus contraignant au port de Casablanca (-9 mètres contre – 12m pour le terminal Est et -14 mètres pour le TC3), avec un investissement de moins de 25 % par rapport à Marsa Maroc, avec trois portiques au lieu de 11 pour Marsa Maroc, et pourtant, CMA-CGM réalise un chiffre d’affaires équivalent à elle pour l’activité conteneurs, ce qui est surprenant. 33 L’opérateur portuaire marocain a fait savoir, qu’il a besoin de fonds pour réaliser les travaux de deux terminaux au port de Casablanca et avoir droit de cité parmi les zones portuaires d’Afrique du Nord et de l’Ouest. 72

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conception et de la construction des ports de Tanger Med 1 et de Tanger Med passager, il a été question de créer Tanger Med 2. Au départ, ce nouveau projet a été confié au groupement PSA-Port of Singapur Authority, SNI et Marsa Maroc. Mais les choses ont mal tourné puisque PSA s’est retiré du projet lorsqu’un de ses navires a failli chavirer à Tanger Med 1. Le hic, c’est qu’aucune entreprise n’a manifesté son intérêt par la suite vers du nouveau projet, ce qui a poussé l’Etat à confier ce dernier à Marsa Maroc sans pour autant procéder par appel à manifestation d’intérêt ou appel d’offres. L’Etat a confié donc à Marsa Maroc une mission qui ne fait pas partie de ses compétences, puisque l’opérateur marocain n’est qu’un exploitant de terminaux portuaires chargé d’offrir des services de manutention, de stockage et de la logistique portuaire ainsi que des services aux navires. Cette nouvelle mission34 a lourdement impacté les finances de la société qui aura besoin d’un 1 milliard de DH pour équiper Tanger Med 2. Ceci d’autant plus que cette aventure n’est pas rentable puisqu’avec Med 2, il n’y aura plus de situation de monopole pour Marsa Maroc dans les neuf ports où elle est présente puisqu’il y aura d’autres opérateurs. A cela, il faut ajouter que l’entreprise en question ne dispose pas d’armateurs comme c’est le cas à Casablanca où il y a un fort trafic maritime. Par ailleurs, plusieurs grands projets de Marsa Maroc enregistrent aujourd’hui un énorme retard. Le terminal de Tanger Med 2 piétine encore et son programme d’investissement n’est pas encore engagé huit ans après son lancement. C’est le cas également du terminal TC3 dont l’annonce de la mise en exploitation a été programmée pour 2015 et qui a été rapportée à octobre 2016, et puis en 2019. Idem pour le projet de Nador-west-Med prévu depuis 2006 et lancé à plusieurs reprises (2009, 2012, 2018…). 3. Absence d’un cadre juridique régissant le contrat de la manutention Malgré le changement radical provoqué par la consolidation du principe de l’unicité de la manutention portuaire dans les ports marocains, la loi 15.02 était dépourvue des dispositions régissant le contrat de la manutention au port35. Bien que ce principe soit très important, il reste limité s’il n’est pas accompagné d’un cadre juridique régissant les contrats de manutention. En fait, Les marchandises qui sont chargées et déchargées par l'entrepreneur

34 Il n’y a pas que le projet de Tanger Med 2 qui a bousculé les prévisions financières de Marsa Maroc. Les investissements de 2,65 milliards de dirhams pour la mise en service, au second semestre, du nouveau terminal à conteneurs TC3 à Casablanca y sont aussi pour quelque chose. Le ticket d’entrée au projet de TC3 a été de 1,8 milliard TTC sans compter les 850 millions de DH destinés à la mise à niveau des infrastructures et des équipements. En d’autres termes, ce terminal et le terminal S ont coûté à Marsa Maroc 5,2 milliards, ce qui dépasse de très loin le montant préalablement estimé. Il y a eu donc une sous-estimation du capital investi 35 Naima ZEKERI, op, cit. p. 49. 73

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portuaire aux ports marocains peuvent être soumises à des contraintes ou à des pertes pour lesquelles la responsabilité doit être déterminée. Si la loi du 15.02 définissait la responsabilité comme une conséquence directe du principe de l’unicité de la manutention, elle ne définissait pas ses règles et sa nature, notamment en l'absence d’un cadre juridique pour la conclusion du contrat de manutention dans le Dahir de 1919 (contrairement à la législation française du 18 juin 1966 et à la législation égyptienne de 1990). A cet effet, il faut s’interroger si l'exploitant portuaire bénéficie-t-il de la même limitation légale de la responsabilité du transporteur maritime, et donc des mêmes cas de renonciation à la responsabilité ? Quelle est la nature de la responsabilité de l'exploitant portuaire marocain : s'agit-il d'une responsabilité contractuelle ou délictuelle ? Et Comment la responsabilité de l'opérateur portuaire sera-t-elle déterminée en vertu du « principe de la détermination de la responsabilité» ? Ajoutant également que la loi 15-02 n’a rien ramené du nouveau concernant la police portuaire, Mais elle se réfère tout simplement aux dispositions du dahir du 28 avril 1961 régissant le contrôle des ports de commerce et réglementant la police portuaire par des dispositions obsolètes qui ne suivent pas la tendance internationale qui considère que la mise en place de bases de sécurité portuaire comme un élément clé de la compétitivité internationale du port. Agé de plus de cinquante-deux ans, le dahir du 28 avril 1961 pêche par des lacunes et une faiblesse normative qu’on peut résumer comme suit : - Le texte ne traite pas tous les aspects liés à la police portuaire tant du point de vue gestion efficiente des ports que du point de vue sûreté, sécurité et environnement. A titre d’exemple, l’épineux problème des bâtiments saisis, abandonnés, et épaves n’y est pas ou peu abordé. - Les pénalités qui y figurent sont dénuées de tout caractère coercitif eu égard à leur modicité. - Le dahir du 28 Avril 1961, prévoit, par référence à l’article 124 du DCCM36, une limitation de responsabilité de l’armateur en cas de dommages causés aux infrastructures et installations portuaires. De même, l’activité de pilotage37 a connu un retard au niveau de la mise en concurrence, Le pilotage portuaire continue d’être régi concurremment par un dahir datant de 1937 et la

36 Code de commerce maritime (28 joumada II 1337) (B.O. 26 mai 1919 et rectif. 15 août 1930). Livre premier : Du régime de la navigation maritime. 37 L’activité de pilotage portuaire au Maroc est régie notamment par le Dahir du 20 février 1937 portant réorganisation du service de pilotage du port de Casablanca. Ce Dahir continue à ce jour à produire ses effets juridiques notamment en ce qui concerne la réorganisation de la station de pilotage au port de Casablanca, les 74

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nouvelle loi 15-02 sur la réforme portuaire. Celle-ci ne l’a pas abrogé38 bien qu’il consacre un statut particulier à la station de Casablanca. Ce qui est contradictoire avec les règles de la libre concurrence.

4. Tarifs portuaire et transit time encore élevés

Le coût de passage pour le client ne comprend pas seulement le prix qu’il doit payer aux différents intervenants du processus de transit portuaire (FARRELL, S. (2009)). Le temps de transit est tout aussi critique : en effet si un navire est retardé par de l’attente en rade, par des arrêts de travail, par des grèves ou par de la manutention lente, cela implique des coûts de transport supérieurs (frets) liés à l’immobilisation du navire, qui vont gonfler le coût des marchandises à l’import ou à l’export. Par ailleurs, l’attente des navires en rade ou même à quai reste une problématique majeure au port de Casablanca malgré les efforts déployés. Cette inefficience se répercute directement sur les taux de fret facturés au chargeur. Elle cause ainsi un renchérissement des produits sur le marché local et un déficit de la balance commerciale. En outre, bien que le délai de séjour de marchandise ait bénéficié d’une attention toute particulière de la part de la communauté portuaire pour atteindre 6,2 jours en octobre 2015. Ce chiffre n’est qu’une moyenne et les écarts demeurent très élevés et éclatent dans les périodes de congestion. En effet, La dépendance du transbordement au Maroc, la concentration de l'offre sur trois compagnies maritimes ainsi que les efficacités et les volumes existants finissent par se traduire par des coûts de transport et des temps de transit plus élevés que dans d'autres zones avec une plus grande offre de transport. Le tableau ci-dessous montre quelques exemples qui permettent de remarquer que relier Casablanca à certaines destinations peut être jusqu'à 30% plus cher que dans d'autres zones avec des distances similaires. Nous observons aussi que les temps de transit peuvent mettre jusqu'à deux jours de plus que dans des zones comparables.

règles du pilotage (telles que l’obligation de soumettre les navires au pilotage), les conditions que les pilotes doivent remplir pour l’exercice de cette fonction ainsi que la définition de leurs missions. 38la loi 15-02 relative à la réforme portuaire n’a pas abrogé le Dahir de 20 février 1937 suscité mais elle a défini le mode et les conditions d’exploitation des activités portuaires tel que le pilotage en stipulant, entre autres, dans ses articles 12, 13 et 14 que (i) le pilotage, qui revêt un caractère de service public industriel et commercial, fait partie des activités portuaires qui sont soumises au régime de l’Autorisation, (ii) l’autorisation d’exercice de l’activité de pilotage est accordée par l’Agence Nationale des Ports après appel à la concurrence et (iii) cette autorisation est accordée à toute personne morale qui s’engage à respecter les clauses d’un cahier des charges qui définit les conditions de cette autorisation. 75

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Tableau 2: Coût de transport entre le port de Casablanca et les autres ports

Coût total Jours Transit Port Transbord. Casablanca - Hong 2800 USD 34 Tanger Med Kong

Algésiras - Hong Kong 2100 USD 34 Singapour Casablanca - Singapour 2300 USD 27 Tanger Med Algésiras - Singapour 2000 USD 25 - Casablanca - Santos 4400 USD 23 Tng/Algésiras Valencia - Santos 4200 USD 20 Algésiras Source : Maersk Line

D’autre part, bien que l'objectif de l'augmentation des tarifs (hausse de 70%) a été justifiée par le nouvel horaire de travail (24h/24), plusieurs intervenants estiment qu’il est impossible de pratiquer ce nouveau mode de travail. La chaîne d'évacuation n'est pas outillée pour réaliser un travail en continu (flotte de camions insuffisante, minoteries refusant de réceptionner les céréales pendant la nuit, administration absente, problèmes sociaux au sein des silos, congestion permanente des voies d'accès au port). Les importateurs mettent en garde contre l'impact de l'augmentation des tarifs sur la tarification du blé tendre (dont le prix de cession à la minoterie est fixé par l'Etat) et des matières premières nécessaires à la fabrication de l'aliment de bétail. L'instauration d'un monopole au profit d'intérêts privés, va se faire au détriment des deniers publics et du consommateur marocain.

Concernant la réglementation des tarifs de pilotage, les tarifs tels qu’ils sont fixés en février 2001 par décision du ministre de l’économie sociale, des petites et moyennes entreprises et de l’artisanat, sur avis de la commission interministérielle des prix, sont toujours en vigueur dans les ports de Casablanca et Jorf Lasfar et n’ont connu aucune révision depuis cette date. 5. La paix sociale au port

L’omission de facteurs liés à l’état des relations professionnelles est notamment présentée comme la source potentielle de problèmes de spécification dans l’analyse des mesures de la performance économique des entreprises, telle que la productivité et l’efficacité du travail

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(Kleiner et al., 2002: 215-216). Plusieurs auteurs ont considéré l’activité de grève39 comme un indicateur pertinent du climat ou de la qualité des relations industrielles (Kleiner et al., 2002; Flaherty, 1987)40. En effet, les perturbations que connaissent depuis quelque temps les deux terminaux céréaliers au port de Casablanca commencent à peser sérieusement sur l’activité des importateurs de céréales. Et ces derniers tirent d’ailleurs la sonnette d’alarme par la voix de la Fédération nationale des négociants en céréales et légumineuses (FNCL)41. Ce duel opposant les importateurs céréaliers à l'Agence nationale des ports (ANP) est à cause de l’attente d'une quinzaine de navires en rade au large de la côte de la ville. Selon l'autorité portuaire l’ANP les causes d’une telle situation sont des facteurs exogènes à l'exploitation du port. Parmi eux, l’autorité cite ; le manque de moyens d'évacuation mobilisés par les importateurs, leurs capacités logistiques limitées, l'arrivée massive des navires sur le seul port de Casablanca, malgré l'existence de capacités de traitement et de stockage céréaliers au niveau des ports de Jorf Lasfar, Nador, Safi et Agadir. Alors que selon la FNCL, cette situation est due à la saturation des deux silos dédiés aux céréales. Selon la même source les véritables causes de la congestion sont dues au monopole de fait accordé par l'ANP à des opérateurs privé au détriment de l'intérêt général du pays. En effet, l’origine du problème de conflit entre l’autorité portuaire et la fédération remonte à la promulgation de deux décisions inscrites dans le cadre de la réforme portuaire. D'une part celle du 1er juillet 2009 fixant les tarifs plafonds autorisés pour la manutention et le magasinage des céréales transitant par le port de Casablanca (les prix ont augmenté de 70%).

39 La grève est la forme de conflit du travail qui a suscité le plus de travaux dans la littérature économique. Relativement à la littérature très étendue sur les déterminants de la grève, l’étude de ses effets sur la productivité a donné lieu à peu de travaux empiriques. La nature de l’effet des grèves sur la productivité des firmes est au centre d’un débat théorique, comparable à celui observé dans la littérature sur les effets microéconomiques des syndicats. Les auteurs s’accordent généralement sur l’existence d’effets directs négatifs de la grève, tels que présentés dans les premières études empiriques consacrées à cette question (e.g. Flaherty, 1987; McHugh, 1991). La grève a un effet direct négatif, essentiellement de court terme, sur la productivité des firmes, car source de perturbations dans le processus de production (e.g. Flaherty, 1987; Naples, 1988; McHugh, 1991; Dickerson & Geroski, 1997). 40 L’intérêt dominant pour cette expression collective de conflit, dans la littérature, s’est pendant longtemps justifié par sa plus grande visibilité et sa mesure consécutivement plus aisée par la statistique publique, face à des expressions individuelles de conflit plus difficilement mesurables telles que l’absentéisme, l’indiscipline et les griefs des salariés (e.g. Katz et al., 1983; Norsworthy & Zabala, 1985; Ichniowski, 1986; Kleiner et al., 1995). Le déclin des grèves et autres actions collectives, dans la plupart des pays industrialisés, a entraîné une diminution de intérêt pour ces expressions ouvertes de conflit, dans la littérature. 41 La F.N.C.L représente le secteur marocain du négoce des céréales et produits dérivés. C'est une association professionnelle à but non lucratif régie par les dispositions du Dahir n°1-58-376 du 3 joumada 1-378/15 Novembre 1958 réglementant le Droit d'Association, tel qu'il a été modifié ou complété.

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D'autre part, la décision du 1er octobre 2009 donnant « le monopole » du transit aux seuls silos portuaires. Aujourd’hui, même si la situation au port s’est relativement calmée, il reste encore quelques poches de résistance qui menace la paix sociale. Les travailleurs du terminal Somaport à Casablanca réclament des droits syndicaux pour éviter toute sorte d’intimidation, suspensions et licenciements pour des travailleurs qui se battent pour obtenir des droits syndicaux, suite à un nouveau système d’organisation imposé par la direction CMA-CGM, considéré inacceptable, et contraire à la convention collective et aux normes professionnelles. De ce fait, les conflits sociaux déclenchés au port, appelle de notre part une réflexion commune pour pouvoir dégager ses répercussions et l’impact durable de ce mouvement sur l’activité du port et son développement42. Une réflexion qui nous pousse à s’interroger, qu’il est le rôle de l’autorité portuaire face au conflit social au port ? Elle ne devrait pas être se positionner comme, à la fois, manager et avocat de la communauté portuaire43 pour gérer notamment ce genre de problème, et défendre les revendications des déférents acteurs au port (DE LANGEN PW., 2007). De l’autre côté, les syndicats doivent reconnaitre eux aussi, que leur action se situe généralement en aval des problématiques44. Ils ne se manifestent que trop tard, lorsque le problème est posé alors qu’il serait plus judicieux pour eux de réfléchir comment pallier les insuffisances d’un code du travail qui ne peut être invoqué que par ceux qui cherchent à créer des problèmes plutôt que de trouver des solutions. Un SMIG sectoriel propre au secteur portuaire, aurait ainsi permis de ne pas laisser la porte grande ouverte à l’opportunisme de certaines multinationales, en se basant sur le même code du travail qui est aujourd’hui invoqué par les syndicats, permet d’embaucher des opérateurs portuaires avec le même SMIG que celui d’une simple ouvrière du textile, sachant que la pénibilité du travail n’est pas du tout la même.

42 L’expérience du port Italien Gioia Tauro peut être considérée la meilleure à suivre en termes de dialogue social, où les systèmes de relations professionnelles reposent sur la coopération ou le consensus sont la norme. Le recours au dialogue entre partenaires sociaux pour les questions de formation (Van de Voorde (2013)). Alors que l’expérience Espagnole a montré une rigidité des syndicaux sociaux du port d’Algésiras. Les opérateurs espagnols sont représentés par un syndicat au ton dur qui n’a pas hésité à bloquer le nouveau terminal du port d’Algésiras par une grève sauvage (thèse Naouar ANISSER). 43 Naouar ANISSER, « contribution à l’analyse de la compétitivité du port à conteneur : cas du port Tanger Med », thése pour l’obtention du doctorat en sciences de gestion, Université Abdelmalek Assâadi, Faculté de sciences juridiques, économiques et sociales de Tanger, Année Universitaire : 2014-2016, p. 125. 44 Naouar ANISSER, op, cit. p. 126. 78

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Conclusion Avant la réforme, les ports du Maroc souffraient d’une organisation défaillante qui affectait la productivité de l’ensemble des intervenants. La situation est tout à fait alarmante, la non- compétitivité est affirmée en termes de coût, de délai et de sécurité. La nouvelle réforme portuaire a donné des résultats certes, notamment en ce qui concerne l’amélioration des services portuaires, le lancement de nouveaux projets structurants, et l’augmentation de la capacité des ports marocains, mais les principaux objectifs de la réforme n’ont pas été atteint notamment la suppression du monopole ODEP qui a été remplacé par un nouveau monopole Marsa Maroc en lui a contribué des privilèges spéciaux d’exploitation au port de Casablanca. Et ceci va à l’encontre de l’un des objectifs principaux de cette réforme à savoir la création de réelle compétitivité portuaire. En outre, parmi les objectifs escomptés de la réforme portuaire, figure celui relatif à la mise en place d’un arsenal de textes législatifs et réglementaires à même de répondre au développement croissant des ports et aux contraintes liées à leur gestion. Dans ce contexte, la caducité, voire même la faiblesse normative de certains textes impose leur revue en vue de les réadapter à la réalité actuelle. Il faut donc mettre en place une plateforme légale pour ouvrir les ports à la concurrence en dotant ces ports d’un cadre législatif adéquat permettant d’en assurer la gestion et l’exploitation dans les meilleures conditions ; notamment un cadre juridique régissant les activités de la manutention, une réforme de l’activité de pilotage, la police portuaire, la tarification portuaire… Et en tant qu’émanation de l’Etat, l’autorité portuaire marocaine doit réacquérir la confiance des entreprises de la communauté portuaire45, directement soumises à la concurrence internationale et qui subissent souvent les aléas des politiques nationales (réforme portuaire) et leurs conséquences locales (DENKTAS-SAKAR, G., KARATAS-CETIN, C., (2012)). A cet effet, l’autorité portuaire doit également se positionner sur une attitude défensive, en jouant le rôle d’« avocat de la communauté », en relayant les revendications des entreprises des ports et ses employés auprès des pouvoirs publics. Elle doit également défendre la performance, signaler les défaillances et déterminer les besoins vis-à-vis du gouvernement en vue de préparer une politique portuaire répondant aux exigences de différents intervenants au port, tout en assurant le développement de ce dernier.

45 Naouar ANISSER, op.cit. p.225. 79

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Références

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