LA MAFIA DU 4e POUVOIR DU MÊME AUTEUR

Les Cerdan, Editions Dargaud, 1970. Les Verts, Editeurs Français Réunis, 1971. Les Mystères du sport en RDA, EFR, 1972. Boxing Business, EFR, 1973. Le Sport en questions, en collaboration avec Guy Hermier et Michel Zilbermann, Editions sociales, 1976. Même si ça dérange, Editions Robert Laffont, 1976. Les Communistes au quotidien, Editions Grasset, 1980. Et tu seras champion, Messidor/La Farandole, 1980. A la découverte du sport, Messidor/Temps Actuels, 1981. Doumeng, du surf sur des millions de dollars, Editions Carrère- Michel Lafon, 1984. Morte par hasard, Editions Liana Levi, 1985. A cœur ouvert, Editions Messidor, 1987. Journaliste sous haute surveillance, Editions Messidor, 1987. Combats pour le sport, Editions Messidor, 1989. Sartrouville au cœur, Editions Messidor, 1989.

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays

© Éditions Messidor, Paris, 1989 ISBN 2 209 06196-2 Roland Passevant

LA MAFIA DU 4e POUVOIR

Messidor / Document

Au Petit Robert :

Mafia : coterie secrète servant des inté- rêts privés par des moyens plus ou moins illicites. « Il s'est formé une conspiration. Il s'est formé une bande complice. Il s'est formé une maffia » (Giraudoux). Coterie secrète : voir Mafia. Coterie littéraire, politique. « Les écoles, les coteries ne sont autre chose que des associations de médiocrités » (Delacroix).

Le Quatrième Pouvoir

Le pouvoir de l'information existe. Derrière celui de l'Etat, l'exécutif; des Assemblées, le législatif; et du Judi- ciaire ; le Quatrième Pouvoir est celui d'une énorme coali- tion. Celle des empires de presse du système privé, de l'Etat patron du service public, des puissances d'argent qui dispen- sent ou refusent les aides, des forces économiques qui accordent ou refusent leur soutien publicitaire. Le Quatrième Pouvoir pèse sur la vie de notre société, sur nos vies. Son influence conduit à s'interroger sur la validité, deux cents ans après, de l'article 11 de la déclaration des Droits de l'homme, adoptée le 26 août 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » Qu'en est-il du droit à l'information quand la maîtrise des médias échappe aux informateurs et aux informés ? Le Quatrième Pouvoir pèse sur la vie politique, sur les consultations électorales, sur la vie sociale, culturelle. Il règle à sa façon le traitement des droits de l'homme, des évolu- tions du monde, des affaires scabreuses, de la violence... Je vous propose un long parcours dans la jungle de l'information. Qu'en est-il de la liberté des journalistes ? Quels rôles jouent de grands quotidiens comme Le Monde, , Libération, L'Humanité ? que penser des Shows du cœur et du Bébête Show ? Qui sont Hersant, Bouygues, Maxwell ? Etranges, les manœuvres de Rousselet-Canal Plus, de Hervé Bourges tous azimuts... Patrick Poivre d'Arvor et Christine Ockrent se veulent indépendants, voyons l'expression de cette indépendance... Qu'en est-il de celle du Conseil Supérieur de l'Audio-visuel ? Comment s'organisent les sondages d'opinion ? Depuis quatre décennies, je sillonne le monde de l'infor- mation. Tant d'années de travail et d'expériences, de rela- tions et de réflexion, permettent une investigation et un témoignage sur le fameux Quatrième Pouvoir. Bien sûr, le constat ne sera pas exhaustif. L'auteur n'a pu tout lire, tout entendre, tout voir, tout analyser. Cette étude est le fruit d'un suivi sur deux années, de juillet 1987 à juillet 1989, au quotidien, des médias de presse écrite, de radio et de télévision. Ma démarche, sur le plan audio-visuel, s'oriente essen- tiellement vers Antenne 2 et FR3 (surtout A2), sur le plan des radios vers -Inter. La raison en est simple. Médias du service public, ils sont au service de la nation, ont le devoir d'informer des citoyens collectivement propriétaires par le versement de la redevance, toutes sensibilités confon- dues. Il m'arrive de faire référence à un homme que je tiens en haute estime, aujourd'hui disparu, qui a remarquablement étudié le modèle américain. Professeur à l'Université de Montréal, Jean Maynaud a notamment publié, en 1971 « La télévision américaine et l'information politique ». Je retiens de lui cette réflexion qui motive ma propre enquête : « Avant comme après la télévision, le fonctionnement de nos sociétés dépend du rapport des forces, et la distribution de l'information ne saurait échapper à ses implications. La technique peut aider à transformer ce rapport, mais elle peut aussi favoriser sa consolidation. A l'ère électronique comme

1. De 1950 à 1953 en agences de presse (1950 : Union Française d'Information), 1950 à 1953 ; Agence France presse), de 1954 à 1981 à L'Humanité, de 1981 à 1987 à TF1, et depuis 1970 dans le monde parallèle de l'édition, pour seize ouvrages réalisés chez Dargaud, aux Editeurs Français Réunis, chez Robert Laffont, Grasset, Carrère-Michel Lafon, Liana Levi, Messidor. aux époques antérieures, il n'y a pas de libération sans combat. » Ce livre est un nouveau combat, pour la transparence de l'information, pour le pluralisme, contre la désinformation, laquelle participe, avec malheureusement trop d'efficacité, aux retards de nos indispensables évolutions de société. Robespierre et l'article 11

— « Vous ne devez pas balancer à déclarer franchement la liberté de la presse. » Sous les rires et les moqueries du côté droit de l'Assem- blée Nationale, auxquels il oppose une indifférence mépri- sante, Maximilien Robespierre vient une nouvelle fois d'ap- paraître à la tribune. Trois jours plus tôt, il y défendait la liberté individuelle. L'un de ses plus anciens biographes, Ernest Hamel, rappelle que « la liberté individuelle était, aux yeux de Robespierre, la liberté par excellence, et, selon lui, on ne saurait l'entourer de trop minutieuses garanties. L'arrestation illégale d'un citoyen, en temps ordinaire, lui paraissait un attentat contre la nation, tout le corps social étant frappé quand un de ses membres l'était ». Le 21 août 1789, devant l'Assemblée, il défend résolu- ment quatre citoyens de Marienbourg arrêtés abusivement. Le 23, avec Mirabeau, il combat toute restriction en matière religieuse. Le lundi 24 août, il intervient sur une autre question de liberté, non moins importante à ses yeux, soulevée dans la discussion sur la Déclaration des droits. Il s'agit de la liberté de la presse, à laquelle, souligne-t-on « même aux plus mauvais jours de la Révolution, nous le verrons demeurer fidèle ». Succédant au député Target, auteur d'un projet ambigu, usant de termes à double sens, Robespierre clame son indignation : « Il n'y a pas de tyran sur la terre qui ne signât un article aussi modifié que celui qu'on vous propose. La liberté de la presse est une partie inséparable de celle de communiquer ses pensées. » C'est après ces observations et celles de quelques autres membres, que l'Assemblée décide de l'adoption du texte constituant l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme, votée deux jours plus tard par l'Assemblée Natio- nale, le 26 août 1789. La liberté nouvelle conquise en 1789, voit rapidement l'éclosion de trois cent cinquante journaux, mais elle sera de courte durée. Le fameux article 11 traverse presque en sous- marin le 19 siècle, de la naissance du Premier Empire à la loi de 1881. Napoléon, à peine a-t-il jeté aux orties l'uniforme de général républicain de Bonaparte, ne s'embarrasse même pas de précautions oratoires pour casser le droit d'expression acquis en 1789, pour détruire le généreux travail de Maximi- lien Robespierre. De l'imprimerie-Napoléon à l'électronique-Mitterrand

« L'imprimerie, s'exclame Napoléon, est un arsenal qu'il importe de ne pas mettre entre les mains de tout le monde. Il s'agit d'un état qui intéresse la politique, et dès lors, la politique doit être un juge. » Juge, il l'est dès sa prise de pouvoir, supprimant la liberté de la presse. Ne conservant que quatre journaux nationaux, sous son contrôle direct, et des feuilles départementales également toutes contrôlées. Il s'exclame encore : « L'impri- merie est une arme qu'il ne faut pas laisser entre les mains des malheureux. » Au-delà de la nouvelle loi républicaine de 1881, asseyant définitivement la légalité de la presse, le fond ne varie guère. Le pouvoir politique, toujours étroitement lié aux puissances financières, gère le secteur de l'information en donnant délégation de pouvoir à ses maîtres des imprimeries, des journaux, des radios, qui un jour disposeront des satellites et contrôleront les réseaux de télévision, de même que la plupart des radios dites libres. Jean Maynaud, en 1971, situe encore clairement les choses, les motivations politiques, l'objectif : « ... asseoir le pouvoir de l'argent, le préserver, interdire l'évolution démo- cratique vers une information sincère, éducative, aidant véritablement au Progrès. » De temps à autre, quelques études, quelques articles surgissent, excellentes analyses, mais coquilles de noix sur un océan de sous-information. Ainsi en est-il de cette annonce sur un supplément Information et Affairisme du Monde diplomatique, réalisé par Claude Julien en août 1988 : « Libre, la presse ? Oui, à condition d'avoir accès à d'impor- tantes sources de capitaux, ce qui ne l'empêche pas de quémander les aides de l'Etat. La liberté, soumise à celle du commerce, à l'affairisme, fait une victime : le lecteur- citoyen, privé de débats sur l'essentiel. Quant au droit à la vulgarité et à la futilité, il demeure imprescriptible. Au nom de la Liberté. » Un autre supplément du même journal analyse la situa- tion de l'information dans l'Italie voisine : « La presse est dominée par les grands groupes de la finance et de l'indus- trie, qui influent ainsi sur la politique. » Sur les quatre-vingt- huit quotidiens italiens « les trois quarts sont aux mains de groupes industriels. » Même le billettiste de La Montagne, peu enclin à faire des vagues, ose cette envolée, le 20 octobre 1988 : « L'informa- tion est une arme redoutable. Certains considèrent même que la communication est une arme aussi puissante, si ce n'est plus puissante, que peut l'être l'économie, la technolo- gie ou la force militaire. » Oh ! le montagnard auvergnat retombe vite sur le rail de la futilité. Jugez du haut niveau de la conclusion de son propos, après une référence à Jean-François Revel : « ... on nous dit que 16 % des hommes et 8 % des femmes reconnaissent qu'il leur est arrivé de tromper leur conjoint. Et l'on s'empresse de nous suggérer, au regard de ces chiffres, que les femmes mentent deux fois plus que les hommes... Ce qui, vous en conviendrez Mesdames, est absolument faux. » Voilà qui nous éloigne à vitesse grand « V » des conquêtes des Montagnards de 1789. Il serait insipide de relater ici les mouvements de capitaux de la guerre médiatique. Les loups dévorent prioritairement l'agneau lecteur, auditeur, téléspectateur, mais ils se dépècent parfois entre eux, pour conforter de grands monopoles. De

1. Le Monde, 4 août 1988. 2. Supplément du Monde du 20 octobre 1988. 1987 à 1989, sans chercher à produire un inventaire complet des prises d'actions de telle grande firme dans l'affaire de telle autre, j'ai recensé près d'une cinquantaine d'interven- tions.

Au sommet de la démission nationale, l'Espagne du gouvernement socialiste de Felipe Gonzales, a manifeste- ment table ouverte pour tous les appétits étrangers. Les ogres s'appellent Rupert Murdoch l'Américain, Robert Maxwell l'Anglais, Carlo De Benedetti l'Italien, toujours prêts à tout acheter quel que soit le continent. La France spéculatrice et politique déborde aussi ses frontières, lance nos capitaux sur les marchés étrangers. Les Hersant, Lagar- dère, Rousselet chassent avec ardeur. Cette colère de Patrick Le Lay en décembre 1988, me paraît tout à fait intéressante. Le P-DG de TFl-Bouygues lève la voix à l'encontre de son actionnaire anglais Robert Maxwell. Ce rififi dans la horde des loups, lève un petit coin de voile sur les méthodes de ces grands financiers. « La situation interne du groupe Bouygues ne regarde pas M. Maxwell. Ou alors qu'il nous dise comment il finance sa dernière acquisition aux Etats-Unis, 15 milliards ! Moi, je suis inquiet. D'où vient l'argent ? Qu'est-ce que c'est, cette fondation au Liechtenstein ? » Bonnes questions. N'attendez pas de réponses. Cette colère d'un Français, accusant un Britannique de mettre son nez où il ne faut pas chez Bouygues-France, de dépenser une fortune aux Etats-Unis, et de rassembler des fonds illicites au Liechtenstein, donne une belle idée de l'étendue du terrain de chasse des grandes multinationales, et de leurs méthodes financières plus que suspectes. Tout cela fait d'excellents pilleurs de nos richesses, de dangereux contrôleurs de nos pâtures intellec- tuelles 1

1. La liste plus importante de ce recensement partiel des mouvements de capitaux, entre fin 1987 et 1989, se trouve à la fin du livre, en Annexes : Suivez le loup. Le « moi », lui et nous

Jacques Chancel en frétille de plaisir. — Ainsi, vous avez écrit à quinze grands patrons en affirmant : « Je suis moi. J'ai vingt-neuf ans. Je désire vous rencontrer pour vous parler de mon avenir. » Et maintenant vous êtes le dauphin de Robert Hersant. Vous êtes un vrai patron. Vous pensez à l'empire Philippe Villin... supplantant Robert Hersant ? La radioscopie de ce 26 avril 1989, sur France-Inter, papillonne autour du directeur du Figaro et de France-Soir, bras droit du papivore. L'énarque Villin butine. « Pour moi, les Quality Paper sont Le Monde, Le Figaro et Libération (...). Serge July vise logiquement la clientèle du Figaro dans son projet éditorial, de maquette (...). Ce sont là les lecteurs à plus haut niveau d'éducation. » Philippe Villin se dit non intéressé à travailler dans le service public. On l'avait deviné. Comparé à ce service public privé de moyens, condamné à compter les sous, le service Hersant autorise d'autres espoirs. « Les banquiers sont très admiratifs de ce que nous faisons. Ils nous ont toujours apporté tous les appuis. » Temps poursuit ton viol. Engraisse le papivore. Condamne le service public. Robespierre se retourne dans sa tombe. Villin répond à la question « osée » de Chancel sur la succession de l'ogre. « Je souhaite rester longtemps avec Robert Hersant. Je travaille avec un homme tout à fait hors du commun, mal connu. » Mal connu Robert Hersant ? Sans doute des jeunes générations, comme elles connaissent mal la Résistance à l'occupant nazi et le rôle lamentable des collaborateurs. A qui la faute ? De la Saône-et-Loire à l'Espagne, des Yvelines à Tahiti, du Vaucluse aux Antilles, l'homme des grands safaris médiatiques ne voit jamais se lever le soleil sur l'ensemble de son empire. Je ne vous offre que les hors-d'œuvre d'un buffet pantagruélique. Passons quand même à table. Quel est donc ce personnage ? D'où vient-il ? Qui l'a rendu aussi puissant ? Gouverne-t-il seul cet empire, ou pour le compte de qui, de quel éventuel parti, de quel groupe financier ? Autant de questions qui rendent la tâche du répondeur très délicate. Robert Hersant ayant bénéficié de la loi d'amnistie, toutes révélations sur son passé tombent sous le coup de la loi, et menacent leurs auteurs éventuels de condamnation par les tribunaux. Je vous prie de croire que l'auteur, carte numéro 198.450 de combattant de la Résistance, en a gros sur le cœur de devoir user de la gomme en pareil circonstance. Il reste la question malgré tout essentielle : comment Hersant a-t-il pu construire un empire totalisant plus de cinquante titres de la presse écrite (impossible de présenter une liste à jour), la présidence de la Cinquième Chaîne de télévision, une vingtaine de radios locales (il en contrôle par ailleurs plus de cinquante) et bien sûr toutes les imprimeries et bases techniques nécessaires au fonctionnement des différents médias ? Pour situer son empire, on parle de « deux cents sociétés aux liens inextricables » (Le Nouvel Observateur, 23 septembre 1988).

1. S'il vous plaît de suivre Robert Hersant dans une partie de ses œuvres, dans sa conquête des entreprises de presse, des médias, je vous renvoie aux Annexes : Un grand chasseur, Robert Hersant. 2. Voici une liste non à jour des propriétés Hersant de presse écrite : Quotidiens : Le Figaro-L'Aurore, France-Soir, Nord-Matin, Nora-Eclair, Paris- Normandie, Le Havre libre, Le Havre-Presse, La Liberté du Morbihan, Presse- Océan, L'Eclair, Centre-Presse, Paris-Turf, Le Midi libre, Le Dauphiné libéré, Le Progrès de , Lyon-Matin, Loire-Matin-La Dépêche, Le Journal quotidien Rhône-Alpes, L'Espoir et La Tribune de Saint-Etienne, Les Dépêches de , L'Indépendant de Louans, Vaucluse-Matin, L'Union de , France-Antilles, La Un exemple du poids de la presse Hersant, celui d'un samedi où vous achetez, pour vingt francs, Le Figaro, avec ses suppléments imposés, qui ne peuvent être vendus à part. J'ai pesé le « service ». Le Figaro 44 pages, le Magazine TV 76 pages, Le Figaro Madame 208 pages, et Le Figaro Magazine 256 pages, soit un total de 584 pages, dont 345 de publicité. L'ensemble, sur la balance, pèse 1,440 kg. Sachez que la moyenne de lecture de papier dit « culturel », par habitant, est de 1 kg pour l'Afrique, 2 kg pour l'Asie, 3,5 pour l'Amérique du Sud. Ma source : Le Monde diplomati- que de juillet 1988. A l'intérieur de son empire, le papivore procède à des regroupements, des fusions, appauvrissant ainsi la plura- lité des titres, des styles, des sensibilités politiques et régionales. Depuis janvier 1989, les éditions dominicales du Progrès et de Lyon-Matin paraissent sous un titre commun, Dimanche. Dans un premier temps, Hersant avait regroupé les informations locales dans des pages communes. Il annonçait, dès septembre 1988, que « Le Courrier de Saône- et-Loire serait regroupé avec l'édition départementale du Progrès dans une société commune ». Les exemples pour- raient se multiplier de cette collectivisation capita- liste. Robert Hersant contrôle 40 % de la presse quotidienne de Paris et 20 % de celle de province. En janvier 1986, au moment du rachat de L'Union de Reims, quotidien issu de la Résistance (quelle souillure !), Claude Lecomte écrit : « Pourtant cette situation de monopole, une loi l'avait

Dépêche de Tahiti, Les Nouvelles de Tahiti (il faut lire en Annexes l'opération Tahiti, elle vaut son pesant de manoeuvres politiciennes). Au Soir (Bruxelles) Robert Hersant est membre du conseil d'administration. Il y acquiert 42 % du capital en mai 1989. En Espagne, il a pris de puissantes actions. Hebdomadaires : Le Figaro Magazine, Figaro-Madame, France-Soir Magazine, Jours de France, TV Magazine, Carrières et Emplois, France-Amérique (en français, distribué aux Etats-Unis). Bihebdomadaires : Le Pays d'Auge, Le Journal d'Elbeuf, Les Nou- velles de Falaise, La Renaissance du Bassin, La Voix-Le Bocage, Le Courrier de l'Eure, L'Action républicaine, France-Guyane. Bimensuels : L'Auto-Journal, Nep- tune-Yachting, Sports-Auto, La Pêche et les Poissons, Revue nationale de la Chasse, L'Ami des Jardins, Market. Bimestriels : Votre Tricot Magazine, La Bonne Cuisine. condamnée. Votée par l'Assemblée en septembre 1984, après de multiples incidents de séance, où déjà l'on avait vu poindre la constitution d'un " intergroupe Hersant ". Mais, immédiatement, le Conseil constitutionnel avait rectifié le texte excluant toute rétroactivité et plaçant le groupe Her- sant d'alors à l'abri de cette loi. Le dévoreur de journaux devait y trouver confirmation d'appuis touchant les milieux politiques, communistes exclus, de la droite à la gauche. N'y eut-il pas des tractations entre l'Elysée et lui pour un éventuel rachat de France-Soir ? Aussi, sûr de l'impunité, jonglant de rachat en rachat, mettant en place ses candidats pour les prochaines élections, Robert Hersant poursuit ce qui devrait être une " irrésistible ascension Il suffirait d'appliquer la loi ! Il suffirait, sans doute, aussi de vérifier l'origine des fonds qui permet à un seul homme de s'emparer en un tour de main de titres valant des millions de francs. Et pourtant, le gouvernement laisse faire. » La veille, en page « une » du Figaro, Hersant s'est payé le luxe d'un article titré : « Je suis le premier », véritable pied de nez à l'ordonnance du 26 août 1944, laquelle stipulait qu' « un seul homme ne peut pas diriger, personnellement ou par le biais d'un directeur délégué, plus d'un quotidien ». En quarante-huit heures, les 3 et 4 janvier 1986, Hersant s'assoit dans le fauteuil de P-DG du Progrès de Lyon, rachète la société éditrice Delaroche SA lui offrant cinq nouveaux titres sur Lyon, Saint-Etienne, Dijon, Louhans ; et le tribunal de commerce de Reims lui donne le feu vert pour le rachat de L'Union par l'intermédiaire de son fils Philippe. L'Empereur Hersant a le vent gouvernemental en poupe. Quel que soit le gouvernement, de droite ou socialiste.

1. L'Humanité, 4 janvier 1986. Le parrainage du Parrain

Il faut répéter ce propos devenu célèbre de Robert Hersant : « Quand je rencontre la première fois la rédaction d'un journal que je viens d'acheter, je demande aux journa- listes la permission d'aller pisser. La deuxième fois, je vais pisser sans rien dire. La troisième fois, je leur pisse dessus. » Comment un tel personnage fut-il hissé sur son trône ? Une partie de la réponse tient dans cet écrit de Denis Perrier- Daville, ancien président de la Société des rédacteurs du Figaro : « Pour des raisons politiques tout a été fait pour qu'il reste seul candidat à l'achat du Figaro, et pour décourager les autres éventuels acquéreurs (...). C'est par un plan concerté qu'a été frayée la voie à Robert Hersant. » De quelle concertation s'agit-il? Quels en sont les acteurs ? On a beaucoup parlé, à l'époque, d'un dîner dans les locaux du Parisien libéré, alors rue Réaumur, avec , Raymond Barre et Marie-France Garaud. L'irruption des ouvriers du livre, entre les plats, a permis aux photographes de camper nos hauts personnages ébahis, devant leurs confortables langoustes. Hersant se vantera ensuite d'avoir acheté Le Figaro avec cinq valises contenant 55 080 billets de cinq cents francs ; opération évidemment impossible sans complicité bancaire. Il y aura aussi, dans le marché suivant, la complicité de l'ancienne direction de France-Soir, et de plus solides appuis. On note, dans l'ordre, en 1976 : un dîner Jacques Chirac- Hersant ; la réticence de Hersant à acheter France-Soir, Le Figaro lui donne de gros soucis financiers ; le forcing de Chirac s'engageant à régler le problème avec les banques ; et le refus de Giscard d'Estaing, président de la République, de recevoir les journalistes de France-Soir, inquiets devant les menaces pesant sur leur journal. On peut lire, dans Le Monde du 23 juin 1976 : « Depuis des mois, chaque fois que les élus syndicaux posaient des questions, la direction répondait : " Nous ne savons rien. " Il a fallu la grève du 17 juin 1976 pour que la direction réunisse en catastrophe, et dans des conditions irrégulières, un Comité d'entreprise pour annoncer le vendredi matin que la vente serait signée l'après-midi même (...). Les salariés sont vendus avec les murs et avec les meubles. » La droite Chirac-Giscard-Barre a fourni la logistique, créé le monopole Hersant. Qu'a fait la gauche socialiste en revenant au pouvoir ? Les chiffres répondent. Après mai 1981 , l'ordonnance de 1944 contournée, Hersant qui avait acheté auparavant 38 journaux, va en acquérir 16 autres sous le premier septennat Mitterrand. La loi nouvelle ne porte pas préjudice au magnat de la presse. L'Union des Syndicats de Journalistes perd le procès intenté à Hersant. Le politique Hersant a évidemment l'échiné souple. Il fut successivement député avec le « Front Républicain » de Guy Mollet en 1955, admiratif de Mendès France, puis gaulliste l'heure venue, réélu en 1958 sur une liste UNR (Union pour la Nouvelle République, successeur de l'ex-RPF, et prédé- cesseur du RPR) ; réélu encore en 1962, toujours UNR, mais cinq ans plus tard, il revient à gauche sous l'étiquette de la FGDS (Fédération de la gauche démocrate et socialiste). Hersant siège alors au Parlement dans le même groupe que François Mitterrand. En juin 1968, après les événements, Hersant réintègre la droite, soutenu par Jean Lecanuet. Avant de donner d'autres coups de barre, notamment à gauche de 1981 à 1986, puis de jouer le jeu de Chirac redevenu chef du gouvernement. Voici comment évolue Hersant avec le second septennat de Mitterrand : « La palme revient au Figaro Magazine, qui est pourtant l'aile droite, et parfois extrême droitière, du groupe Hersant. Le samedi 14 mai, beaucoup de lecteurs ont dû, de saisissement, laisser tomber leur hebdo favori en découvrant cette conclusion de l'édito désabusé signé par Louis Pauwels, directeur et maître à penser du Fig-Mag : " Si à sa campagne (celle de Mitterrand) vidée de tout sens idéologique succède un art de gouverner sans parti pris, et s'il ne reste du socialisme que des mots capables de fatiguer les conflits sociaux, alors nous nous garderons de tomber dans l'opposition aveugle et têtue qui console illusoirement d'une défaite. Dans cette singulière expectative, prenons de l'air et de la distance. »1 La suite de l'actualité donne à Hersant et Pauwels les assurances souhaitées. Le 24 octobre 1988, une photo montre Jack Lang, en extase, serrant la main de Robert Hersant. Le gouvernement Rocard a prêté les salons de la pyramide du Louvre au papivore, pour qu'il y reçoive trois mille invités fêtant les dix ans du Figaro Magazine dirigé par Pauwels. Quant à l'espoir qu'il « ne reste du socialisme que des mots capables de fatiguer les conflits sociaux », Hersant et Pauwels ne peuvent qu'admirer le jeu de Rocard, qui en fait vraiment beaucoup. Le 30 novembre 1988, à l'Assemblée Nationale (Robespierre si tu voyais), Michel Delebarre, ministre socialiste chargé du social, brandit France-Soir et ses titres antigrève, pour stigmatiser le mouvement à la RATP. Tant de publicité mérite bien un effort du France-Soir de Hersant. Cinq jours plus tard, sur toute sa première page, il titre : « Grèves : le PC prend le Père Noël en otage ». Les décisions successives des gouvernements Fabius 1985 et Chirac 1986, sous Mitterrand, font se côtoyer à la direction de la Cinquième chaîne de télévision, Hersant président, proche du Parti socialiste italien, et Jérôme Seydoux proche du Parti socialiste français. Robert Hersant sait user de tous ses pouvoirs médiati- ques. Pour écarter du Figaro Magazine un journaliste, Hervé de Talhouet, coupable d'un reportage réaliste sur le couple

1. Le Canard Enchaîné, 18 mai 1988. politiquement protégé, Chantal Goya/Jean-Jacques Debout, le super-patron fait appel à sa télévision. Ce que relate Le Canard : « Le 13 mai dernier, sur la Cinq, à l'émission " Bains de Minuit ", Jean-Jacques Debout — qui passait par hasard — s'est arrêté au micro de Thierry Ardisson. Et, pendant presque dix minutes, il a descendu en flammes le journaliste du Fig-Mag, personnellement pris à partie sans que les animateurs de l'émission bougent le petit doigt. Une consigne de silence avait même dû circuler, puisque, pendant les quatre jours séparant l'enregistrement de cette émission de son passage à l'antenne, tout le monde, à la Cinq, s'est bien gardé de prévenir le confrère. » Telle est la morale du premier patron de presse de France, rendu puissant parce que strictement au service des puis- sants.

1. Le Canard Enchaîné, 22 juin 1988. parti de Gaston Flosse (...) proche du RPR, ne cache pas tous les espoirs qu'il fonde dans l'OPA menée par Robert Hersant... » La Croix, 11 avril 1989. « La Corrida d'Hersant. » C'était prévisible, Hersant n'a pas renoncé. Il débarque pour la troisième fois en Espagne. « En deux jours, ce week-end, Robert Hersant a racheté par étapes 30 % du capital du second groupe de presse espagnol, Grupo 16. Les hostilités sont engagées. » Le Monde, 14 avril 1989. « Pour contrer l'offensive du groupe Hersant, Grupo 16 saisit le gouvernement espagnol. » Hersant se heurte « à la ferme résistance des dirigeants d'Impulsa, le holding qui contrôle le groupe de presse ». Mais Hersant possède des appuis, pour avoir « acquis par surprise le week-end dernier » 31,4 % du capital de Grupo 16. Son conseiller délégué en Espagne affirme que « l'opération était totalement légale », assure que « le projet de M. Hersant est purement d'association professionnelle et nous le souhaitons en totale coordination avec le président du Grupo 16. D'ailleurs, nous n'avons aucun doute d'arriver à un accord avec lui parce que nous lui proposons un grand projet européen ». Etonnant, non, une association « purement professionnelle » réglée « par surprise » sur un week-end, sans l'accord du parte- naire détenteur de la société agressée, et avec pour objectif « un grand projet européen ». Ainsi va le « papivore », assuré de tous les soutiens politiques, économiques et bancaires. Un jour condamné, mais vraiment amnistié, lui.