• Robert Hersant, roi du zapping donnera l'impression de courir après cette ré- mars 1986, sur Chirac. Pour comprendre le jeu habilitation dont il prétend n'avoir que faire. du patron du « Figaro », il suffit de lire les pages Le partage du Midi Lorsque François Mitterrand est élu le politiques du quotidien. Chacun des grands Une autre partie se joue dans un autre décor, 10 mai 1981, Hersant, dont la situation finan- leaders de la droite est couvert par un ou plu- celui de la principauté de Monaco : la vente, cière est précaire — son endettement dépasse sieurs journalistes proches de lui. L'un d'eux couplée, de Télé - Monte-Carlo et de Ra- 400 millions de francs —2 prend peur. Certes il résume : « Le journal soutient Chirac, dont le dio - Monte-Carlo. La semaine dernière, connaît le nouveau président. Il se flattera service de preste téléphone chaque matin pour pour un franc symbolique Europe 1 a re- même auprès de ses proches d'avoir eu, dès le dire ce qui est important et ce qui ne l'est pas. Il vendu ses 30 . 7o de TMC à km.c. Avec sou- 11 mai, une conversation de vingt minutes est gentil avec Giscard, ne fait pas de peine à Le lagement: TMC étant un gouffre financier avec lui. Les deux hommes ont été élus avec Pen et se méfie de Barre. » Lorsque la droite se dont Europe 1 se refusait depuis un an déjà à l'étiquette du Front républicain en 1956, puis divise, par exemple à propos de l'affaire Stasi, régler sa quote-part. Dorénavant, la Sofirad, avec celle de la FGDS (Fédération de la Gauche le journal se montre discret, à la demande de holding de l'Etat français qui contrôle RMC, démocrate et socialiste) en 1967;N'empêche, Charles Rebois, le chef du service politique, peut mettre aux enchères ses arpens audiovi- Hersant se méfie. Il ne fait pas traverser dont la formule est alors-: « Est-ce bien notre suels du Sud. En se désengageant complète- l'Atlantique à ses capitaux comme Jimmy rôle de mettre de l'huile surie feu ? » Pourquoi ment. La mise à prix de RMC et TMC de- Goldsmith, le patron de « l'Express ». Il fait cette méfiance à l'égard de Barre ? Pour les uns, vrait se monter à 500 millions de francs envi- seulement parcourir quelques milles marins à parce que le député de connaît l'origine ron. con bateau aui Quitte Cannes pour l'Italie. des fonds du groupe Hersant : c'est lui qui a Après le 16 mars, Matignon avait caressé Pour la gauche, il le sait, il est devenu un géré le dossier financier lorsque Hersant était l'idée de vendre le « package » de gré à gré à symbole politique : il a sacrifié le journalisme à en difficulté entre 1976 et 1981. Pour les au- Jean-Claude Decaux et à son associé la Com- la technique, les idées à l'argent, le pluralisme à tres, la brouille remonte à 1979. Barre, per- pagnie générale des Eaux. Mais François la concentration. Il nargue les lois, achète les suadé qu'Hersant avait participé à un complot Léotard, son ami Pierrick Borvo, nouveau consciences. Bref, c'est l'homme à abattre. Le mené contre lui par quelques barons giscar- directeur général de RMC, et Antoine pouvoir socialiste tente d'abord de racheter diens qui voulaient le remplacer -à Matignon Schwartz, le président de la Sofirad, s'y sont « -Soir ». Hersant feint de céder, fait par Jean-François Deniau, avait tenu publi- opposés. C'est que l'écurie de Jean-Claude traîner les négociations pendant huit mois et, quement des propos très durs contre le patron

Decaux, proche de , n'est pas brusquement, pose des conditions inaccepta- du « - Figaro ». Aujourd'hui encore, Hersant seulement en lice. Sur les rangs, il y a aussi la bles. L'affaire ne sera jamais signée. Entre- est persuadé que si le député du Rhône était élu famille Douce (les héritiers de Jacques Douce temps, sans que personne ne le sache, il a pris président de la République en 1988 son empire qui fut le tout-puissant vice-président de contact, par l'intermédiaire de son bras droit de presse serait en danger. Havas) et ses partenaires : le patron de Per- André Audinot, avec Jean-Baptiste Doumeng, Après le 16 mars 1986, Hersant est plus que rier, M. Leven, et celui des chaussures An- le Milliardaire rouge. Vendre « France-Soir »- jamais en position de force. Les ordonnances dré, M. Descours. Candidats également : au PC : une provocation bien dans la manière de 1944 sur la presse vont être abrogées. Il a Jimmy Goldsmith et les Editions mondiales. Menant. Mais le quotidien était trop cher gagné le combat qui l'opposait depuis des an- Pourquoi cet intérêt pour une chaîne de télé- pour Doumeng. nées aux syndicats de journalistes. Il peut, avec vision en pleine déconfiture ? A cause des Les socialistes s'énervent : avec les banques son petit groupe de parlementaires tout à sa possibilités d'association soit avec la Cinq, nationalisées, le gouvernement ales moyens de dévotion, faire et défaire la (courte) majorité. Il soit avec la Six. Télé - Monte-Carlo devien- faire plier le patron du « Figaro », pensent-ils. veut TF 1. Qui pourrait l'en empêcher ? Et drait alors la station régionale du Grand-Sud, Mais lorsque le pouvoir se penche sur l'aspect pourtant, des voix s'élèvent dans la nouvelle avec des émetteurs à Lyon, , Bor- financier du dossier, il est trop tard. Dès le majorité. Celle de Barre qui prend position deaux, Toulouse. Une chaîne affiliée à un 7 juillet 1981, Hersant a réuni ses banquiers et contre les concentrations abusives. Celle plus réseau national qui proposerait par décro- obtenu le rééchelonnement de ses dettes sur feutrée de François Léotard. Trop c'est trop : et chage un programme de complément. Elle sept ans — la durée du mandat présidentiel. Le si demain Hersant devenait le véritable maître vivrait de ses recettes de publicité locale et gouvernement Mauroy ne peut que constater de la droite ? régionale, et d'une quote-part des recettes l'opacité d'un montage financier extraordinai- Le patron du « Figaro » devra renoncer à la nationales du réseau. rement complexe et prendre acte de l'hostilité Une. Il fait dire qu'au fond il n'en voulait pas et A qui TMC s'inféodera-t-il ? Tout dépend. des banquiers — même lorsqu'ils sont proches que la Cinq, moins chère, est plus rentable. Et

Si la CNCL décide que la Six doit conserver du nouveau po-avoir — à toute mesure de rétor- déjà, il rêve à de nouvelles conquêtes. Il sou- son format « jeunes musical » et l'attribue à sion financière. Avec la loi anticoncentration tient ainsi, pour la Six, le projet de chaîne TV 6 ou à TFM, la logique inciterait alors à de 1984 qui vise Hersant, les socialistes connaî- musicale (TMF). Ce qui lui permettrait de signer avec Hersant, probable patron de la tront un nouvel échec. Non seulement Hersant s'insérer sur cette chaîne grâce aux décrocha- Cinq. Hersant a en effet l'intention de se ne cède aucun titre, mais il rachète « le Dau- ges régionaux. forger un réseau de stations régionales FR 3. phiné libéré » et « le Progrès » de Lyon. Et il se Il s'inquiète aussi. si, à son tour, la Cinq En revanche, le choix se complique si la CLT pose en défenseur des libertés. lui échappait ? Il craint que la CNCL (Com- et la Lyonnaise des Eaux, associées aux édi- R. H., qui s'est engagé à fond dans le combat mission nationale de la Con -imunication et des tions Amaury, remportent la Six. Elle de- contre les socialistes, contribue à la radicalisa- Libertés), après l'attribution des chaînes pu- viendrait alors une chaîne généraliste à visée tion du débat politique. C'est sous la gauche, en bliques à des amis de Matignon, veuille affir- régionale et la lutte serait sanglante avec la fait, que son groupe prend son envol, notam- mer son indépendance. Si, comme elle le de- Cinq de Hersant. En attendant les résultats ment avec « -Magazine », qu'il a en- vrait, elle ne se satisfait pas de comptes consoli- des courses, que l'on connaîtra le 24 février, tièrernent conçu et dont il a lui-même dessiné la dés, si elle exige le détail des bilans de chacun TMC a déjà déposé sa candidature à des maquette. Il salarie d'anciens ministres, place des vingt et un quotidiens et des seize périodi- fréquences dans les grandes villes du sud de la sés hommes et lui-même sur les listes d'opposi- ques du groupe, Hersant n'est pas en mesure de Loire. Philippe Gavi tion aux législatives. La droite ne fait plus la les lui fournir. C'est toujours un colosse aux fine bouche. Giscard, qui le snobait, le reçoit à pieds d'argile. son domicile rue de Bénouville, et il vi dîner Décidément, Hersant a la baraka : le gou- chez lui. Belle revanche. Pour Robert Hersant vernement en lui refusant la Une lui a rendu un le cynique, la politique a toujours été un outil. fier service. Elle était trop chère pour lui. Peu importe l'étiquette : au centre-gauche ROBERT SCHNEIDER • jusqu'en 1967, à droite depuis, Hersant ne (avecAlain Choufran) croit qu'aux rapports de forces. (1) « H... comme Hersant », par Dominique Pons, Alain Avant 1981, il misait sur Giscard. Depuis Moreau, 1977. 32 LE NOUVEL OBSERVATEUR 'FRANCE