REPORT

OF THE

INTERNATIONAL COMMISSION OF ENQUIRY

INTO THE EXISTENCE OF SLAVERY AND FORCED LABOUR

IN THE

REPUBLIC OF

Monrovia, Liberia — August 1930.

Members:

Dr. Cuthbert C h r is t y , League of Nations, Chairman. Dr. Charles Spurgeon J o h n s o n , America. Hon. Arthur B a r c l a y , Liberia. 1

CONTENTS.

Page Inception of the Commission...... 5 Introduction : Terms of R e f e r e n c e ...... 7

Slavery and Analogous Practices.

A. Common or Classic Slavery : Domestic S la v e r y ...... 12 P a w n in g ...... 14

B. Oppressive Conditions analogous to Slavery : Sinoe ...... 16 Wedabo...... 19 The Traffic in “ Boys ” ...... 22 The Pressure of F in e s ...... 25 Raiding of Villages for M e n ...... 26 Libreville : Kidnapping...... 30 Testimony of Labourers...... 32 The Fernando Po Agreem ents...... 35 Statements concerning Recruiting P o lic y ...... 38 Transhipment of L a b o u r ...... 42 Pay for Repatriated L a b o u r e r s...... 44 Some Consequences of the Practice...... 46

Forced or Compulsory Labour.

A. Forced Labour for P ublic P urposes : 1. Road C onstruction...... 48 (a) No Pay for L a b o u r...... 53 (b) Tools and F o o d ...... 56 (c) Road Q uotas...... 58 (d) Road F i n e s ...... 60 (e) Ill-treatment of Labourers...... 61 (/) Intimidation and E x to r tio n ...... 69 2. Public Works : B u ild in g s...... 71 3. Porterage...... 74

B. Forced Labour for Private E nterprise : 1. Government and Private Farms ...... 75 2. Corporations and Companies : Firestone Plantations C om pany...... 77 The Commission’s F in d in g s ...... 83 Suggestions and R ecommendations...... 84

Appendices : I. Proclamation ...... 93 II. Terms of R e fe r e n c e ...... 94 Further Testimony before the Commission : III. ...... 94 IV. Sinoe C o u n t y ...... 102 V. Maryland County ...... 103 Documents, etc. VI. Proposed Shipment of Labourers A c t ...... 107 VII. The Fernando Po Agreement of 1 9 2 8 ...... 107 VIII. Radiograms relating to the Sinoe In c id e n t...... 109 IX. Paramount Chief Jeh’s C om plaints...... 112 X. Paramount Chief Broh of Frenropo’s S tatem ent...... 117 XI. President’s Decision on the Wedabo In c id e n t...... 120 XII. Paramount Chief Gofa of Topo’s C om plaints...... 121 XIII. Grievances of Chief Yarn of S u e h n ...... 124 XIV. Headmen’s Complaint of Non-payment in the Massaquoi Incident...... 126 XV. Complaint of the Nemiah People regarding theFishtown-Garroway Incidents 127 XVI. Fear of the A f t e r ...... 128 [Communiqué au Conseil N° officiel: C.658.M.272. 1930. VI. et aux Membres de la Société.]

Genève, le 15 décembre 1930.

SOCIETE DES NATIONS

COMMISSION INTERNATIONALE D’ENQUETE AU LIBERIA

COMMUNICATION DU GOUVERNEMENT DE LIBERIA

en date du 15 décembre 1930

transmettant le

RAPPORT DE LA COMMISSION

Note du Secrétaire général :

Le Secrétaire général a l’honneur de communiquer au Conseil et aux Membres de la Société une lettre, en date du 15 décembre 1930, du Délégué permanent de la République de Libéria auprès de la Société des Nations ainsi que le rapport de la Commission internationale d’enquête y annexé que, d’ordre de son Gouvernement, le Délégué permanent de la République de Libéria a transmis au Secrétaire général.

Série de Publications de la Société des Nations VI.B. ESCLAVAGE 1930. VI.B.6. — I l l —

LETTRE DU DÉLÉGUÉ PERMANENT DE LA RÉPUBLIQUE DE LIBÉRIA AU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA SOCIÉTÉ DES NATIONS

Délégation permanente de la République de Libéria auprès de la Société des Nations. L L 1072 G e n è v e , le 15 décembre 1930. Me référant à mes lettres des 16 septembre et 14 octobre 1929, des 8 et 15 février et du 14octobre 1930 j ’ai l’honneur de vous soumettre, ci-joint, copie du rapport sur l’esclavage et le travail forcé dans la République de Liberia, que la Commission internationale d’enquête, saisie par mon gouvernement le 8 avril 1930, lui a soumis, après cinq mois de travail. Ainsi qu’il découle de ce rapport, la Commission d’enquête a constaté : i° Que, bien que l’esclavage, dans son acception classique comportant l’idée de marchés et trafiquants d’esclaves, n’existe plus dans la République de Libéria, par contre, il existe des cas d’esclavage domestique d’une tribu à l’autre et au sein de chaque tribu, ainsi que des cas du système de mise en gage (Pawn system) ; 2° Que l’esclavage domestique a toujours été réprouvé et découragé par mon gouver­ nement. Tout esclave faisant appel aux tribunaux pour être affranchi, ou exerçant des poursuites contre son maître pour mauvais traitements, a toujours été déclaré libre et affranchi ; 30 Qu’il n’y a pas eu des preuves que des notables du pays aient participé à l’esclavage domestique ; par contre, il existe des preuves que des Americano-Libériens ont pris des indigènes en gage en en faisant souvent un usage abusif ; 40 Que le travail forcé ou obligatoire a été utilisé dans la République de Libéria pour des œuvres d’utilité publique (construction des routes, casernes, etc.). Mais, dans certains cas, la main-d’œuvre recrutée par les inspecteurs de comté et les commissaires de district, pour des travaux d’utilité publique, a été utilisée, à titre privé, dans les fermes et plantations des hauts fonctionnaires du gouvernement et des particuliers ; 5° Que le recrutement d’une partie de travailleurs engagés par contrat et expédiés à destination de Fernando Po et du Gabon français a été parfois accompagné de mesures de contrainte, rappelant, aux yeux de la Commission, quelques caractères de la traite d’esclaves ; 6° Que la main-d’œuvre employée pour des fins privées sur des plantations apparte­ nant à des particuliers a été recrutée avec l’autorisation de hauts fonctionnaires du gou­ vernement ; 7° Que le Vice-Président de la République, l’Honorable Sir Yancy, et d’autres hauts fonctionnaires du gouvernement ainsi que des inspecteurs de comtés et des commissaires de district ont sanctionné le recrutement forcé de la main-d’œuvre, destinée soit à cons­ truire des routes, soit à être embarquée à destination de l’étranger, soit à d’autres travaux. Conformément aux termes du mandat, fixés par mon gouvernement et que je vous ai soumis en son temps2,la Commission internationale d’enquête a formulé des recommandations et suggestions qui ont fait l’objet de toute l’attention de mon gouvernement. En effet, au reçu de ce rapport, par décrets et proclamation présidentielle du Ier octobre dernier, mon gouver­ nement s’est empressé de prendre un certain nombre de mesures et d’effectuer des réformes dont, pour le moment, je vous signale les suivantes : i° Refonte de la politique indigène, réorganisation complète de l’administration de l’intérieur du pays avec le concours et la collaboration de fonctionnaires spécialistes étrangers. 2° Inauguration de la politique de la « porte ouverte » ; suppression des barrières entre civilisés et non-civilisés et établissement de la liberté absolue de commerce. 3° Mon Gouvernement vient de prier le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique de nommer deux Commissaires spécialistes en vue d’apporter leurs concours et collaboration dans la réorganisation de l’administration de l’intérieur du pays. 4° Tous les esclaves domestiques des tribus indigènes ont été déclarés définitivement libres et affranchis, l’esclavage domestique, sous toutes ses formes, ayant été aboli, déclaré illégal et interdit par des sanctions sévères.

Soc'4t^°B °®ciels ; C.446, 1929. VI ; C.510.M.170.1929.VI ; C.613,M.239, 1930. VI ; Journal Officiel de la raj‘ es Nations : livrais, nov. 1929, pages 1682-1683 '• 1766-1767 ; déc. 1929, page 1870-1871; août 1930, p ses 975-976. jiaf. ^°ir ma lettre du 14 octobre 1929 N° officiel C.510.M.170, 1929.VI. Journal Officiel de la Société des ions, déc. 1929, pages 1870-1871.

(P.). 1-550 (A.). 1 2 / 3 0 . Imp. du J. de G. ■— ÎV —

5° Le « Pawn system » (mise en gage) a été définitivement aboli, déclaré illégal et interdit par des sanctions sévères.

6° Le système d’exportation de main-d’œuvre à destination de l’étranger a été définitivement arrêté et aboli, déclaré illégal et interdit par des sanctions sévères.

7° Mon gouvernement a pris un certain nombre de mesures sanitaires. 8° Mon gouvernement est en train d’étudier un plan de mise en pratique des autres recommandations et suggestions faites par la Commission internationale d’enquête.

Je me ferai l'honneur de vous soumettre copie des lois, décrets et proclamations de mon gouvernement au sujet de ces mesures. Je signale, en passant, que des hauts fonctionnaires de l’Etat, y compris LL. EE. le Président de la République et le Vice-Président, les Honorables Sir King et Yancy, ont donné leur démission. D’autres mesures seront, sans doute, encore prises, mon gouvernement étant fermement décidé : a) de tenir en considération, autant que posssible, la totalité des recom­ mandations et suggestions de la Commission internationale d’enquête ; b) à faire tous ses efforts en vue de la disparition de toute trace d’esclavage domestique, du système de mise en gage et du travail forcé, autre que celui pour des œuvres d’utilité publique, permis par la Convention abolissant le travail forcé, adoptée par la Conférence de 1930 du Bureau interna­ tional du Travail ; c) à prendre des mesures destinées à assurer un plus grand développement intellectuel, moral, social et économique du pays. Au surplus, je crois utile de rappeler que mon gouvernement a, depuis longtemps, ratifié la Convention de 1926 relative à l’esclavage et, sans réserve, il a accepté la Convention abolis­ sant le travail forcé, adoptée en juin 1930 par la Conférence internationale du Travail, bien que cette Convention n’ait pas été acceptée par tous les membres représentés à la Conférence. Qu’il me soit permis de rappeler ici ce que d’autres gouvernements ont déclaré au cours des travaux de l’Assemblée de la Société des Nations et des deux dernières Conférences du Bureau international du Travail : a) Il est très difficile de déraciner, en peu de temps, des mœurs et des traditions séculaires qui, en Afrique, ont fait partie du système de vie sociale, notamment des tribus indigènes ; b) que, pour certaines tribus d’Afrique, le travail forcé ou obligatoire semble constituer souvent une œuvre éducative et qu’en général, le travail forcé ou obligatoire est parfois indispensable pour des œuvres d’utilité publique, ainsi que, du reste, il a été reconnu par la dernière Conférence du Bureau international du Travail. Par l’audition d’un certain nombre de témoins, la Commission d’enquête a appris des faits isolés se référant en grande partie aux années 1919-1928 ; mais ces faits ne peuvent pas cons­ tituer une règle générale et ne semblent revêtir qu’une valeur relative, car, ainsi que la Com­ mission l’a reconnu, son travail s’est déployé à un moment peu favorable, l’esprit public étant dominé au Liberia par la campagne de l’élection présidentielle, période pendant laquelle, dans tous les pays, il peut arriver que, pour tel ou tel autre parti politique, le moindre fait devient un levier électoral. En effet, la Commission a signalé, dans son rapport, la force extraordinaire des rumeurs, l’existence de menées tendancieuses, des manœuvres secrètes, la fabrication de faux documents, etc. Or, la Commission d’enquête est-elle bien certaine qu’aucun des témoins entendus n’ait guère obéi à des mobiles politiques ou subi d’influence par la campagne électorale ? En outre, la saison des pluies, pendant trois mois, ayant augmenté les difficultés du travail de la Commission, il est à craindre que le contrôle sur l’objectivité des témoignages ait été rendu également difficile. Toutefois, loin de moi la pensée d’amoindrir les grands mérites, la remarquable valeur du travail déployé par la Commission et l’appréciation de mon gouver­ nement, je tiens à rendre hommage à ladite Commission et à réitérer ici l’expression de l’appré­ ciation et des vifs remerciements de mon gouvernement aux membres de la Commission, notamment à M. le Dr Christy, membre désigné par le Conseil de la Société des Nations, et à M. le Dr Charles Johnson, membre désigné par le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique, pour leur travail souvent difficile et délicat. D’autre part, je me vois obligé de signaler qu’une certaine presse, systématiquement hostile à la République de Liberia et soucieuse de donner des nouvelles sensationnelles, n’a pas hésité à saisir l’occasion de la présente enquête pour induire en erreur l’opinion publique par des affirmations contraires à la vérité. Pour ne citer qu’un seul parmi des nombreux cas, je signale que plusieurs grands quoti­ diens, soi-disant bien informés et jouissant d’une certaine autorité, n’ont pas hésité à annoncer au public que c’est sur demande et initiative du Gouvernement britannique que cette Commission aurait été instituée au Libéria. J’ignore où et quand le Gouvernement britannique a pris une telle initiative ; mais je sais, par contre, qu’au sein de la communauté internationale, un des gouvernements les plus respectueux de la souveraineté et de l’indépendance des autres pays, notamment des petits pays, a toujours été précisément le Gouvernement britannique. Ainsi que j’ai eu l’honneur de le faire au cours des discussions à la sixième Commission de plusieurs Assemblées de la Société des Nations, je rends ici hommage au Gouvernement de l’Empire britannique pour sa campagne contre l’esclavage, campagne qui a mérité la sympathie, l’appréciation et la reconnaissance de l’humanité. Je suis heureux de saisir encore ici l’occasion de réitérer l’expression de mon apprécia­ tion et de mes remerciements à M. le rapporteur à la session du Conseil de la Société des Nations de septembre 1929, concernant la demande de mon gouvernement de nommer un représentant pour faire partie de la Commission. Ce rapporteur fut précisément l’éminent représentant du Gouvernement britannique. — V —

Je tiens à signaler que personne n’ignore que : a) c’est la législature de la République de Libéria et mon gouvernement qui, en juin 1929, décidèrent spontanément et volontairement de saisir une Commission internationale d’enquête ; b) en juillet 1929, mon gouvernement décida la composition de trois membres de cette Commission ; c) en août 1929, mon gouvernement décida de prier le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique, ainsi que le Conseil de la Société des Nations, de désigner chacun un membre pour faire partie de la Commission, le troisième membre ayant été désigné par mon gouvernement 1 ; d) par ma lettre du 16 septembre 1929, mon gouvernement communiqua au Conseil de la Société des Nations sa décision de saisir une Commission internationale d’enquête et le pria de nommer son représentant au sein de ladite Commission ; e) mon gouvernement, spontanément et volontairement, fixa le programme, les termes et conditions de l’enquête 2 ; /) le 8 avril 1930, le Président de la République! l’Honorable Sir C. D. B. King, constitua la Commission internationale d’enquête, à l’« Executive Mansion » de . Il suffit, du reste, de parcourir, même superficiellement, le rapport ci-joint, le Journal Officiel de la Société des Nations ou n’importe quel journal impartial pour se renseigner à ce sujet. Non seulement des grands quotidiens ignorent ces faits, mais ils oublient, ce que, du reste, la presse impartiale n’a pas oublié, que, malgré les faits constatés par la Commission, mon gouvernement mérite la plus grande reconnaissance et appréciation pour avoir été le premier et le seul qui, jusqu’ici, ne se contentant pas d’envoyer de simples papiers d’informations à la Société des Nations, sur l’application de la Convention relative à l’esclavage, par un exemple de courage sans précédent, et qui mériterait d’être imité, par excès de franchise et de loyauté, a voulu, de son initiative et de sa propre volonté, saisir une Commission internationale d’enquête et encore lui conférer la compétence pour présenter des recommandations et des suggestions. Enfin, certains conférenciers n’ont pas hésité à ouvrir une campagne, à exciter l’opinion publique contre la République de Libéria, en dénonçant avec une exagération habile, les cas d’esclavage, de « pawn system », etc., constatés par la Commission internationale d’enquête, comme si ces faits n’existaient uniquement qu’au Libéria. Loin de moi la pensée d’excuser la République de Libéria en accusant les autres pays ; qu’il me soit permis de signaler que, suivant des renseignements dignes de foi, il est notoire qu’ailleurs qu’au Libéria, non seulement l’esclavage domestique et le système de mise en gage sont en vigueur, mais qu’il existe encore le système de vente proprement dite d’enfants, comme de la simple marchandise au marché ; il est notoire qu’ailleurs qu’au Libéria, le travail forcé est en pleine vigueur : dans certaine région, des malheureux êtres humains sont forcés de transporter, à dos et à la nage, des quintaux de marchandises ou des lourds bagages depuis le port jusqu'à la pleine mer où le bateau est mouillé. Il est notoire que dans une région d’environ dix millions d’habitants, l’esclavage domestique non seulement est en vigueur, mais il est toléré par le gouvernement. Il est notoire également, comme l’a du reste déclaré l’éminent représen­ tant de l’Empire britannique à la dernière Assemblée de la Société des Nations, S. E. lord Cecil, qu’il n’y a pas moins de cinq millions d’esclaves encore dans le monde. J ’ajoute que, suivant des renseignements dignes de foi, dans un seul pays signataire de la Convention relative à l’esclavage, il n’existe pas moins de deux millions d’esclaves, dans le sens classique du mot. Quelques journaux, tout particulièrement, ont évalué à 400.000 le nombre des esclaves domestiques existant au Libéria jusqu’en septembre 1930. Lors même que l’on veut admettre cette évaluation paradoxale et arbitraire, y a-t-il lieu de s’étonner, après ce que je viens de dire, surtout si l’on connait la population du Libéria (2.500.000 habitants) et si l’on sait que ]'absence de chemins de fer rend difficile le contrôle du gouvernement ? Pour conclure, je tiens à souligner, Monsieur le Secrétaire général, que presque la totalité du rapport ci-joint ne se réfère qu’à des faits de 1919-1928 et que ces faits, à l’heure qu’il est, n’existent plus ; c’est vous dire que le présent rapport n’est plus un rapport d’actualité, mats un rapport appartenant au passé. En terminant, je me fais l'honneur de réitérer, au nom de mon gouvernement, l’expression de mes remerciements à l’Honorable Conseil de la Société des Nations, à Votre Excellence, ainsi qu’aux membres de la Commission internationale d’enquête.

(Signé) Antoine S o t t il e , Chargé d’Affaires, Délégué permanent de la République de Libéria accrédité auprès de la Société des Nations.

1 Voir ma lettre du 16 septembre 1929 à Votre Excellence, N° officiel C.446.1929.\ I. 2 Voir ma lettre à Votre Excellence du 14 octobre 1929. RAPPORT

DE LA

COMMISSION INTERNATIONALE D’ENQUÊTE

SUR L'EXISTENCE DE L’ESCLAVAGE ET DU TRAVAIL FORCÉ

DANS LA

RÉPUBLIQUE DE LIBÉRIA

Monrovia, Libéria — Août 1930.

Membres:

Dr Cuthbert C h r is t y , Société des Nations, Président. Dr Charles Spurgeon J o h n s o n , Amérique. Hon. Arthur B a r c l a y , Libéria. TABLE DES MATIÈRES

Pages DÉBUT DE L’ACTIVITÉ DE LA COMMISSION...... Introduction ; termes du mandat...... 7

Esclavage et conditions analogues.

A. E sclavage courant et classique : Esclavage d om estiq u e...... 12 Mise en gage (pawn s y s t e m ) ...... 14 B. P ratiques oppressives analogues a l’esclavage : Sinoe ...... 16 W ed a b o ...... !9 La traite des « boys » ...... 22 Extorsion d’amendes é le v é e s...... 25 Exécution de raids dans les villages pour capturer des h o m m e s...... 26 Libreville : en lèvem en ts...... 30 Témoignages des travailleurs...... 32 Arrangements concernant Fernando P o ...... 35 Déclarations concernant la politique de recrutement de main-d’œuvre...... 38 Transbordement de la main-d’œuvre...... 42 Paye des travailleurs r a p a tr ié s...... 44 Quelques conséquences de ces procédés...... 46

Travail forcé et obligatoire.

A. Travail forcé pour des fins publiques : 1 . Construction de r o u t e s ...... 48 a) Absence de rémunération pour la main-d’œuvre ...... 53 b) Outils et nourriture...... 56 c) Contingents d’ouvriers pour la construction des routes...... 58 d) Amendes...... 60 e) Mauvais traitements infligés aux travailleurs...... 61 /) Manœuvres d’intimidation et extorsions...... 69 2 . Travaux publics. — Edifices...... 7i 3. P o r t a g e ...... 74

B. Travail forcé pour le compte d’entreprises privées : 1 . Fermes de l’Etat et fermes appartenant à des particuliers...... 75 2. Sociétés et Com pagnies...... 77 La Compagnie des plantations Firestone...... 77 Les constatations de la Commission...... 83 Suggestions et recommandations...... 84

Annexes : I. Proclamation du P r é s id e n t...... 93 II. Termes du mandat de la Commission internationale d'enquête...... 94 Autres dépositions faites devant la C om m issio n ...... 94 III. Comté de M ontserrado...... 94 IV. Comté de S i n o e ...... 102 V. Comté de Maryland...... 103 Documents, etc. VI. Loi proposée au sujet des envois de travailleu rs...... 107 VII. Arrangement de 1928 concernant Fernando P o ...... 107 VIII. Radiogrammes ayant trait à l’incident de S in o e ...... 109 IX. Plainte présentée par le Grand-Chef Jeh...... 112 X. Déclaration du Grand-Chef Broh de F ren ro p o ...... 117 XI. Décision du Président du Libéria dans l’affaire de Wedabo...... 120 XII. Plainte présentée par le Grand-Chef Gofa de T o p o ...... 121 XIII. Plainte présentée par le Chef Yarn, de Suehn...... •; ■ 124 XIV. Plaintes présentées par les chefs d’équipe au sujet du non-paiement des salaires dans l’affaire Massaquoi...... • • • • ■ • . • • ■ • 126 XV. Plainte présentée par la population de Nehmiah au sujet des affaires Fishtown- 127 Garroway...... 128 XVI. Craintes pour l’avenir...... ORIGINE DE LA COMMISSION.

En 1922, la troisième Assemblée de la Société des Nations a décidé, sur la proposition de la sixième Commission, d'inscrire la question de l’esclavage à l’ordre du jour de l’Assemblée suivante, et, à la suite d’une résolution du Conseil, des dispositions ont été prises en vue de l’étude de la question. Cette première étude a abouti à la création d’une Commission de l’Esclavage qui a été chargée de poursuivre les investigations à ce sujet. Le 12 juin 1924, le Conseil a désigné, pour faire partie de la Commission de l’esclavage, les personnalités suivantes : M. D e l a f o s s e (France), M. F reire d’Andrade (Portugal), M. Gohr, président (Belgique), Sir Frederick Lugard (Grande-Bretagne), M. Van Rees (Pays-Bas), le Comm. R oncagli (Italie) et M. H. A. Grimshaw (Organisation internationale du Travail). L’objet de la Commission était, entre autres, « d’assurer aussitôt que possible l’abolition de l’esclavage sous toutes ses formes » et « de prendre toutes les mesures nécessaires afin d’éviter que le travail forcé ou obligatoire n’amène une situation analogue à l’esclavage ». Tous les Etats membres de la Société des Nations et les Etats non membres, désignés par le Conseil, ont été invités à présenter des observations au sujet du programme de la Commission, à nommer des plénipotentiaires à l’Assemblée, à s’efforcer d’adopter immédiate­ ment le plus grand nombre possible de mesures conformes aux dispositions du projet de con­ vention et « à se prêter mutuellement assistance pour arriver à l’abolition de la traite des esclaves, de l’esclavage et des conditions analogues, par tous les moyens en leur pouvoir et, en particulier, par la conclusion d’accords et d’arrangements spéciaux ». En 1926, lorsque la septième Assemblée eut adopté les résolutions approuvant la Conven­ tion de l’esclavage élaborée par sa sixième Commission, tous les Etats membres et non membres furent invités à ratifier la Convention. L’Assemblée exprima, en outre, l’opinion que le recours au travail forcé, pour des fins publiques, devait être limité au minimum et renvoya à l’Organisation internationale du Travail la question des méthodes à employer pour empêcher que le travail forcé ou obligatoire n’amenât une situation analogue à l’esclavage. La discussion et la signature de la Convention de l’Esclavage ont eu, entre autres effets immédiats, celui d’amener un certain nombre de Gouvernements, comme ceux de F Abyssinie, du Sierra-Leone et des Colonies africaines portugaises, à promulguer de nouvelles lois sur l’esclavage et le travail forcé. Au cours des discussions de la Commission de l’Esclavage, le Libéria a été cité comme l’un des pays dans lesquels la situation à cet égard n’était pas sans être inquiétante. La plupart des renseignements provenaient de témoignages fragmentaires de membres de la Commission, d’ouvrages écrits sur la question et de comptes rendus de voyageurs et de savants. The Black Republic, de R e e v e s , publié en 1923, constitue un exemple intéressant d’accusation directe ; il y a lieu d’observer, toutefois, que les conditions décrites dans ce livre sont fondées sur des observations faites il y a environ vingt-cinq ans. Slavery, de Lady S im o n s , traite longuement du Libéria et conclut, d’après des témoignages de seconde main, à l’existence de l’esclavage. Au cours de ces dernières années, le témoignage le plus important est celui qu’apporte Reymond B u e l l , dans son ouvrage intitulé The Native Problem in Africa. Le grand nombre d’articles qui ont paru, tant dans la presse américaine que dans la presse européenne, au sujet de l’exis­ tence de l’esclavage ou de conditions analogues dans la République de Libéria, a prouvé que l’opinion publique commençait à s’intéresser à la question. Le fait que cette République avait été fondée pour offrir aux nègres américains, un refuge contre l’esclavage conférait une importance particulière aux accusations persistantes, devenues de plus en plus graves au cours de l’année 1929. Fidèle à la politique traditionnelle d’amitié suivie par le Gouvernement des Etats-Unis à l’égard de cette République, le Département d’Etat des Etats-Unis a adressé, le 8 juin 1929, au Ministre américain une dépêche destinée à être transmise au Secrétaire d’Etat du Libéria. Le mémorandum du Ministre contenait, entre autres, la déclaration suivante :

« J’ai l’honneur, d’ordre du Secrétaire d’Etat, de porter à votre connaissance que l’attention du Gouvernement des Etats-Unis a été attirée par certaines déclarations émanant de sources diverses et paraissant en tous points dignes de foi. Ces déclarations indiquent nettement que la situation créée par la prétendue « exportation » de main- d’œuvre du Libéria à Fernando Po a amené le développement d’un régime qui ne semble guère différer de la traite organisée des esclaves et que, dans l’application de ce régime, il est fait constamment et systématiquement appel aux services des troupes de frontière libériennes, ainsi qu’à l’aide et à l’influence de certains hauts fonctionnaires du Gouver­ nement. » — 6 —

Dans sa réponse, en date du n juin 1929, le Secrétaire d’Etat de la République de Libéria s'exprime comme suit :

« En ce qui concerne les allégations expresses qui ont été formulées, il est de mon devoir de signifier que mon Gouvernement nie solennellement et catégoriquement l’existence, dans la République, de conditions de travail justifiant les termes qui ont été employés à cet égard dans votre note et de déclarer que le Gouvernement de la Répu­ blique ne s’opposera nullement à ce que cette question fasse l’objet d’une enquête sur place, effectuée par une Commission compétente, impartiale et sans idées préconçues. » En réponse, le Département d’Etat des Etats-Unis a porté à la connaissance du Gouver­ nement libérien que « le Gouvernement des Etats-Unis a été très heureux d’apprendre que le Libéria a répondu à ses bons offices en proposant que la question soit soumise à une enquête sur place, effectuée par une Commission compétente, impartiale et sans idées préconçues ». L’offre du Gouvernement libérien d’instituer une Commission d’enquête ayant été acceptée par le Gouvernement des Etats-Unis, M. A Sottile, Chargé d’Affaires, Délégué permanent de la République de Libéria accrédité auprès de la Société des Nations, a adressé au Président du Conseil de la Société des Nations, le 16 septembre 1929, une lettre contenant les déclarations suivantes :

« Cette campagne et ces publications pouvant influencer l’opinion publique et surtout les Membres de la Société des Nations, j’ai l’honneur de vous informer qu’en vue de dissiper, une fois pour toutes, le moindre doute et de fournir à la Société des Nations et à l’opinion publique un moyen de faire la lumière, mon Gouvernement a décidé de saisir une Commission internationale d’enquête destinée à se rendre sur place et, par une enquête impartiale, sérieuse et complète, examiner s’il existe ou non au Libéria l’esclavage ou le travail forcé.

« Le Gouvernement du Libéria a envisagé une Commission internationale d’enquête formée de trois membres : un membre nommé par le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique, un membre que mon Gouvernement espère que le Conseil de la Société des Nations voudra bien nommer, un membre nommé par le Gouvernement du Libéria.

« ...Afin que les membres de cette Commission soient complètement indépendants du Gouvernement de Libéria, mon Gouvernement se fait l’honneur de proposer que les dépenses affectées à la nomination et à la fonction du membre nommé par le Conseil de la Société des Nations soient supportées par la même Société des Nations. »

La proposition ayant été acceptée par le Conseil de la Société des Nations, le Président King a chargé le Secrétaire d’Etat de fixer les termes du mandat et de prendre les dispositions nécessaires pour que la Commission soit indépendante par son caractère et internationale par sa composition. Le membre américain, le Dr Charles S. Johnson, est arrivé à Monrovia le 8 mars. Le membre de la Société des Nations, le Dr Cuthbert Christy, est arrivé dans cette ville le 22 mars. Le représentant du Libéria, l’ex-Président Arthur Barclay, de Monrovia, se trouvait déjà dans le pays. La Commission a été officiellement constituée, le 7 avril 1930, par le Président C. D. B. King, à l’« Executive Mansion », Monrovia. INTRODUCTION.

Pouvoir fut donné à la Commission constituée, le 7 avril, par le Président, pour procéder à une enquête sur la question de savoir :

a) Si l’esclavage, tel qu’il est défini dans la Convention relative à l’esclavage, existe en fait dans la République ;

b) Si le Gouvernement de la République pratique ou encourage ce régime ;

c) Si de notables citoyens du pays le pratiquent et, dans l’affirmative, quels sont ces citoyens ;

d) Dans quelle mesure le travail forcé existe en tant que facteur de l’économie sociale et industrielle de l’Etat, soit à des fins publiques soit à des fins privées, et s’il existe, de quelle manière la main-d'œuvre a été recrutée et employée, soit pour des fins publiques, soit pour des fins privées ;

e) Si le transport d’ouvriers engagés sur contrat à destination de Fernando Po, aux termes de l’accord conclu avec l’Espagne ou le transport de ces ouvriers à destination du Congo et de tout autre pays étranger, a quelque chose de commun avec l’esclavage et si le mode d ’embauchage de ces ouvriers comporte des mesures de cœrcition ;

/) Si la main-d’œuvre employée à des fins privées sur des plantations appartenant à des particuliers ou louées par eux, est recrutée par voie d’engagement volontaire ou est contrainte à ce service par le Gouvernement du Libéria ou avec son autorisation ;

g) Si le Gouvernement de Libéria a, à un moment donné, sanctionné ou approuvé le recrutement de la main-d’œuvre opéré avec l’aide et l’assistance du corps des garde- frontières de Libéria ou si d ’autres personnes occupant une situation officielle, ou employées dans les administrations de l’Etat ou des particuliers, ont été mêlées à ce recrutement avec ou sans l’approbation du Gouvernement.

En vertu des dispositions spéciales de la loi de la République (1926) définissant les pouvoirs d’une Commission d’enquête, la Commission a été autorisée à citer des témoins et, le cas échéant, à contraindre ceux-ci à comparaître. Conformément au vœu exprimé par le Président King et auquel se sont pleinement associés les membres américain et libérien, le membre désigné par la Société des Nations a été invité à remplir les fonctions de président. Etant donné le caractère particulier de la Commission et sa composition internationale, il a été décidé que, seule, une entière liberté d’action lui permettrait de poursuivre ses investigations et d’aboutir à des conclusions. En conséquence, le Président de la République écarta les instructions particulières qui avaient été données à la Commission ; toutefois, un grand nombre des directives qu’elles contenaient furent utilisées comme guide pour les membres de la Commission dans le choix de la procédure qu’ils jugeaient le plus utile d’adopter. Le Président a lancé une proclamation contenant les termes du mandat de la Commission et exposant l’objet de l’enquête ; en même temps, des avis indiquant que la Commission commencerait à siéger immédiatement ont été envoyés aux principales villes et stations de la République. La Commission a tenu ses séances à Monrovia, dans des salles du Département d’Etat, spécialement réservées à cet effet. Elle a été dotée d’un personnel comprenant un secrétaire, deux sténographes, deux messagers et deux gardes des troupes de frontière. Toutefois, ces deux gardes ont été retirés au bout de très peu de temps, leur présence ayant été jugée inutile et plutôt de nature à intimider les témoins indigènes. En raison des circonstances, le secrétaire n’a pas pu remplir entièrement ses fonctions. Le compte rendu sténographique des débats s’est avéré très utile pour les membres de la Commission, qui ont eu ainsi constamment sous les yeux un procès-verbal suffisamment fidèle des nombreuses dépositions, procès-verbal auquel la collaboration du secrétaire du membre américain a assuré encore une plus grande précision. La Commission a tenu sa première séance le 8 avril, et les séances des trois jours suivants ont été occupées par des questions de procédure. Il a été décidé que les personnes désireuses de témoigner, dans les limites des termes du mandat de la Commission, devaient être invitées à le faire et citées chacune à comparaître à une date déterminée. Les personnes que l’on croyait ou que l’on savait au courant de faits particuliers intéressant la Commission ont été citées à comparaître et interrogées sous serment. Les indigènes ne connaissant pas la langue anglaise ont été autorisés à amener des inter­ prètes. Lorsqu’on avait connaissance de documents officiels et — comme il est arrivé souvent — de documents privés relatifs à des incidents en cours d’examen, ces documents ont été mis à la disposition de la Commission, et les membres du cabinet et les chefs de service de l’Admi­ nistration de l’Etat responsables ont été appelés, au cours des séances, à témoigner sur des questions relevant de la compétence de la Commission et rentrant dans leur sphère d’activité, ainsi qu’à fournir des éclaircissements sur diverses autres dépositions. Les premières séances à Monrovia ont duré du 14 au 29 avril. Après cette date, le membre désigné par la Société des Nations et le membre américain se sont rendus à Kakata, à environ 60 milles de la côte de Monrovia, où, avec la collaboration d ’une partie du personnel, ils ont entendu les dépositions d’indigènes, de leurs chefs et sous-chefs venant de secteurs voisins, ainsi que de secteurs situés jusqu’à une distance de quatre jours de marche. Le membre libérien, M. Arthur Barclay, tout en se montrant très actif au cours des séances tenues à Monrovia, a préféré, étant donné son âge, ne pas se rendre dans les secteurs de l’intérieur. Le 10 mai, les deux membres de la Commission se sont rendus à Cap Palmas, dans le comté de Maryland, à l’autre extrémité de la République, point d’où ils pouvaient entrer en communication avec des personnes venant des districts 4 et 5 de l’hinterland, ainsi que de Maryland et de Sinoe, dans les circonscriptions de comté du littoral. De Cap Palmas, ils se sont rendus dans trois villages indigènes de la côte. A Garraway, ils ont décidé, étant donné les difficultés de transport et le peu de temps dont ils disposaient pour procéder à leurs obser­ vations, de se séparer et de suivre des itinéraires différents afin de pouvoir étendre leur enquête à une zone plus étendue. Le membre désigné par la Société des Nations s’est dirigé sur Webbo, en passant par Gydetabo et Plebo ; le membre américain s’est dirigé vers le même point, mais en partant de Grand Cess et en passant par les secteurs de Wedabo, Trempo et Barrobo. Ils sont rentrés à Monrovia le 7 juillet, date après laquelle les séances ont été reprises et ont continué jusqu’à la fin de la période de quatre mois prévue pour cette partie du programme, c’est-à-dire jusqu’au 8 août. Au cours de l'audition des témoins, on s’est efforcé tout particulièrement de créer une atmosphère garantissant pour toutes les parties l’entière liberté des dépositions. Les témoins ont été soigneusement interrogés et leurs déclarations vérifiées à l’aide de tous les documents officiels et autres dont disposait la Commission et, dans la mesure où l’a permis l’itinéraire de la Commission, à l’aide d’un contrôle personnel des témoignages dans les secteurs en question. Bien que les interprètes aient été choisis avec le plus grand soin et que les dépositions en langues indigènes aient été traduites aussi fidèlement que possible, les comptes rendus in extenso doivent nécessairement déformer quelque peu les déclarations. A Kakata, comme dans le comté de Maryland, les indigènes ont été entendus en conseil avec les chefs et les anciens du village. Ils ont choisi leurs porte-parole, ont approuvé les décla­ rations au fur et à mesure qu’elles étaient faites et ont rectifié sur-le-champ ce qui leur paraissait inexact. A Kakata, le nombre des indigènes ayant assisté à la réunion était de plus de 800. Pour les diverses réunions du comté de Maryland, le nombre des indigènes a dépassé 3.000. La Commission a formulé ses conclusions d’après les dépositions enregistrées de 109 témoins cités devant elle, à Monrovia, de 39 porte-parole pour les secteurs et villages de Kakata et de 116 porte-parole pour le comté de Maryland. Parmi ces témoins figuraient 20 grands chefs indigènes, 82 sous-chefs, 103 indigènes, 3 membres de cabinet, 26 fonctionnaires publics, y compris des juges de la Cour suprême, des sénateurs, des inspecteurs de comté, des commis­ saires de district, etc., 18 Américo-Libériens, 9 Africo-Libériens, ainsi que d’autres dont les dépositions ont atteint un total de 264. D’autre part, des conversations particulières échangées avec un grand nombre de personnes dans différentes parties du pays ont été très utiles à la Commission. Ces personnes ne figurent pas dans la liste des témoins. Pour interpréter comme il convient le contenu du présent rapport, il y a lieu de tenir compte de plusieurs facteurs. Les trois derniers mois de l’enquête ont coïncidé avec la saison des pluies. Bien que cette circonstance n’ait pas entièrement paralysé la Commission, elle a considérablement entravé ses mouvements, étant donné l’état des routes et des pistes, et le fait qu’un grand nombre d’indigènes étaient occupés aux travaux agricoles à une distance assez grande de leurs villages. L’exécution du programme de construction des routes a été suspendue dans un grand nombre de secteurs pendant toute la durée des séances de la Com­ mission et, sauf dans certains cas spéciaux indiqués dans le rapport, il n’a pas été possible d’étudier entièrement les opérations sur place. Les membres de la Commission se sont aperçu que la notification de leur présence dans un secteur quelconque avait pour effet de faire cesser certaines pratiques spéciales offrant matière à critique. En outre, étant donné l’état des archives dans un grand nombre de bureaux, il a été très difficile de confirmer ou de compléter certains témoignages, et l’absence pour ainsi dire totale d’archives ou de statistiques dans l’un quelconque des villages a rendu très malaisée toute étude des conditions sociales des indigènes. Parmi les renseignements recueillis, il en est un grand nombre qui, tout en se rapportant, par certains côtés, à l’objet de l’enquête, pourraient être considérés comme sortant des limites fixées à la Commission. C’est pourquoi on s’est efforcé de ne reproduire que les témoignages qui semblent se rapporter étroitement aux principales questions à étudier. Il convient de tenir compte d’un autre facteur non moins important et quelque peu spécial : c’est la force extraordinaire des rumeurs. La Commission croit devoir indiquer dès le début qu’elle a eu conscience de l’existence de menées fréquemment tendancieuses qui, parfois, ont abouti — 9 —

à la fabrication de faux documents officiels émanant soi-disant de gouvernements représentés dans l’enquête et révélant de prétendus desseins politiques. Afin d’éviter les complications résultant de ces manœuvres secrètes, la Commission a surtout retenu, au cours de l’enquête, les renseignements provenant de l’expérience directe des témoins. Elle a éprouvé, d'autre part, quelque difficulté, dans l’étude des conditions économiques et sociales fondamentales, à séparer les témoignages des considérations politiques qui intervenaient avec d’autant plus d’insistance que les élections présidentielles étaient proches et que les factions étaient nom­ breuses et actives. L’indication des noms dans le rapport a constitué également un problème. Les éléments à l’aide desquels a été établie la première partie du rapport, qui traite de l’esclavage et des conditions analogues, représentent pour une grande part les résultats d’enquêtes, dans diffé­ rentes régions du territoire, au sujet de situations décrites, avec mention de noms, dans les témoignages recueillis à Monrovia. Bien que les séances aient été secrètes, les noms des témoins et des personnes mentionnées dans le témoignage étaient connus. En outre, lorsqu’on a examiné à d’autres points de vue les cas envisagés, on a constaté qu’un grand nombre de ces noms avaient été cités dans des plaintes officiellement enregistrées. Par conséquent, il n’a pas été jugé nécessaire de les omettre du rapport. Toutefois, dans la partie relative au travail forcé, qui a été établie à l’aide d'élé­ ments recueillis dans les villages du littoral et de l’intérieur, au cours de voyages dans lesquels les membres de la Commission n’étaient pas accompagnés par des fonctionnaires du gouver­ nement, la question s’est posée différemment. Il aurait été manifestement inéquitable de révéler les noms de ceux qui ont témoigné. Par conséquent, il n’a pas été mentionné de noms dans cette dernière partie. La Commission a toujours eu pour préoccupation principale le bien-être futur du pays. La Commission tient à rendre hommage au Président C. D. B. King pour l’aide personnelle qu’il lui a accordée et pour les égards qu’il lui a témoignés. Elle tient également à remercier les fonctionnaires du gouvernement et les citoyens de la République qui lui ont facilité ses travaux en lui fournissant des renseignements et des documents, en lui suggérant les noms de personnes pouvant lui apporter des témoignages ou lui faciliter la compréhension de conditions spéciales. Enfin, la Commission désire exprimer sa gratitude à M. XV. D. Hines et à la Firestone Co. pour les nombreuses facilités de transport et autres qu’ils ont accordées à ses membres. Le rapport se divise en deux parties principales : a) l’esclavage et les conditions analogues et, b) le travail forcé pour des fins publiques et privées, division qui est imposée par les termes mêmes du mandat de la Commission. La Commission a qualité pour formuler des recommanda­ tions. Ces recommandations figurent à la suite de l’exposé des faits et représentent l’opinion mûrement pesée de la Commission au sujet de ces faits qui sont consignés d’une manière suffisamment détaillée pour permettre d'en dégager toute la signification. — I I —

ESCLAVAGE ET CONDITIONS ANALOGUES.

Termes du mandat de la Commission.

Rechercher :

a) Si l’esclavage, tel qu’il est défini dans la Convention relative à l’esclavage, existe en fait dans la République ;

b) Si le Gouvernement de la République pratique ou encourage ce régime ;

c) Si de notables citoyens du pays le pratiquent et dans l’affirmative, quels sont ces citoyens ;

e) Si le transport d’ouvriers engagés sur contrat à destination de Fernando Po, aux termes de l’accord conclu avec l'Espagne ou le transport de ces ouvriers à destination du Congo et de tout autre pays étranger, a quelque chose de commun avec l’esclavage et si le mode d’embauchage de ces ouvriers comporte des mesures de coercition ;

En définissant l’esclavage, les auteurs de la Convention ont évité, avec intention, toute description détaillée, afin de conserver à la formule un caractère général. Cette définition, sous sa forme actuelle, ne permet guère d’établir de distinction entre les différents degrés de la liberté restreinte, condition fréquente en Afrique, ainsi que parmi les diverses tribus du Libéria. Cette distinction présente cependant une grande importance pour l’enquête, étant donné qu’il est extrêmement difficile de distinguer certaines formes de liberté restreinte, au sens européen, de conditions résultant de régimes sociaux caractéristiques existant en Afrique. Ainsi, la formule qui définit l’esclavage comme étant l’état de l’individu « sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux » constitue une définition trop insuffisante à un point de vue et trop générale à un autre pour pouvoir s’appliquer à certaines conditions existant dans le Libéria. Ainsi, l’exercice des attributs du droit de propriété entre aussi bien en jeu dans la reconnaissance habituelle de l'autorité des chefs et du mariage indigène que dans l’adoption ou dans les formes atténuées de l’esclavage domestique en général. La conception de l’esclavage la plus courante parmi ceux qui ont écrit au sujet de l’abolition est celle d’une institution impliquant un trafic commercialisé, les razzias d’esclaves, le transfert par vente, héritage ou donation et caractérisée par l’exercice de tous les attributs du droit de propriété. Toutefois, le fait que certaines formes d’esclavage domestique et de servage, et même de travail obligatoire, sont compromises dans la définition et dans les discussions relatives à l’esclavage tend à confirmer l’importance attribuée par la Convention à ces conditions qu’elle assimile, en fait, à l’esclavage tout en les désignant parfois sous d’autres noms. En effet, l’esclavage, sous son aspect le plus rigide, avec ses méthodes inhumaines de capture et de traite, tend manifestement à disparaître en Afrique ; mais, si l’on compare certaines formes d’esclavage domestique tel qu’il est pratiqué par certaines tribus et le travail obligatoire conséquence de conditions d’exploitation directe plus civilisées, c’est ce dernier qui présente souvent le plus de brutalité à l’heure actuelle. Toutefois, il n’est pas tenu compte de l’élément temporel dans la définition. Il s’agit de savoir si la razzia, la capture et l’échange contre de l’argent, au gré du maître, c’est-à-dire des conditions exactement analogues à la razzia des esclaves, à la traite des esclaves et au trafic des esclaves, mais qui n’existent généralement que fendant une période limitée au lieu de durer pendant toute la vie de l’individu, doivent être classés dans la même catégorie que l’esclavage domestique tel qu’il est pratiqué parmi les tribus et qui, sous ses formes actuelles les plus courantes, ne paraît pas aussi inhumain. Il convient également de déterminer si des pratiques restrictives de la liberté des individus et analogues à l’esclavage, qui sont apparemment temporaires, mais qui tendent, en fait, à devenir permanentes en raison de l’absence de tout recours légal pour l’intéressé, doivent raisonnablement être considérées comme constituant l’état d’esclavage proprement dit. Le rapporteur de la Commission de l’Assemblée qui a élaboré le texte de la Convention a indiqué que les auteurs du projet avaient omis toute mention de l’esclavage domestique et des conditions analogues, parce qu’ils avaient estimé que ces conditions rentraient dans la définition de l’esclavage qui figurait à l’article premier et qu’il n’était pas nécessaire de les abolir par une autre disposition expresse. Cette remarque s’applique non seulement à l’escla­ vage domestique, mais à toutes les conditions qui ont été mentionnées par la Commission — 12 —

temporaire de l’esclavage, à savoir : l’esclavage pour dettes, l’esclavage déguisé sous forme d’adoption d’enfants et l’acquisition de jeunes filles par voie d’achat déguisé sous forme de versement de dot, etc. L’Attorney General du Libéria a récemment assimilé à la traite des esclaves un certain nombre d’actes d'une nature déterminée. A l’occasion d’un rapport signalant l’exécution de raids dans des villages et la capture d’indigènes à l’intérieur du comté de Sinoe, en vue de les expédier hors du pays, il a donné des instructions stipulant que « quiconque tenterait de contraindre des personnes par la force à fournir un travail serait arrêté et poursuivi pour traite des esclaves » et « que les travailleurs détenus par la force et privés de leur liberté devaient être relâchés sur une ordonnance du habeas corpus ». Dans deux clauses importantes de la Convention de l’esclavage signée par trente-six Gouvernements et ratifiée par le Gouvernement des Etats-Unis, il est dit que les « Hautes Parties contractantes s’engagent à poursuivre aussitôt que possible la suppression complète de l’esclavage sous toutes ses formes » et à « prendre des mesures utiles pour éviter que le travail forcé ou obligatoire n’amènent des conditions analogues à l’esclavage ». Or, en présence de ces deux clauses, la Commission, après avoir soigneusement examiné un grand nombre de renseignements recueillis dans des documents, dans des témoignages et au cours d’observations faites personnellement par les membres de la Commission dans l’hinterland, se trouve quelque peu embarrassée pour formuler ses conclusions. Tout en s’esti­ mant parfaitement fondée, étant donné les termes de la définition, à faire figurer une grande partie de ses données et observations sous la rubrique a), elle a décidé, afin de favoriser la réalisation de l’objet de la Convention qui est de « poursuivre la suppression complète de l’esclavage sous toutes ses formes », de grouper de la manière suivante les faits qui serviront de base à ses conclusions : A. Esclavage ordinaire : 1. Formes oppressives d’esclavage impliquant un trafic commercialisé et la cession des esclaves et de leurs enfants par voie de vente, de donation et d’héritage. 2. Esclavage domestique, tel qu’il est pratiqué entre tribus et à l’intérieur des tribus dans le Libéria, impliquant des droits de propriété absolus et se rattachant à l’organisation sociale des tribus en question. 3. Mise en gage. B. Pratiques oppressives, restrictives de la liberté d’autrui, constituant des conditions analogues à l’esclavage et tendant à revêtir le caractère de l’esclavage courant ou classique. La Commission est convaincue que la « définition » de l’esclavage n’importe pas autant, pour la prospérité du Libéria et de sa population, que l’étude des conditions elles-mêmes en vue de leur amélioration. Elle se fiera par conséquent à l’éloquence des faits qu’elle laissera se classer d’eux-mêmes.

A. E s c l a v a g e c o u r a n t .

La constitution de la République de Libéria interdit l’esclavage et la reconnaissance de l’état d’esclave 1.

Esclavage domestique.

Il semble que, jusqu’à ces derniers temps, la Constitution libérienne n’ait été effectivement appliquée qu’aux éléments civilisés de la population, vivant près de la côte et comptant environ io.ooo personnes. La juridiction sur les populations de l’intérieur n’a commencé à s’exercer qu’il y a vingt-cinq ans environ, et ce n’est qu’à partir de ce moment que l’on a réglementé, ou même véritablement connu, les coutumes des tribus vivant dans les limites du territoire. C’est parmi les individus faits prisonniers au cours des guerres entre tribus que se sont prin­ cipalement recrutés les esclaves, et un grand nombre de ces prisonniers restent toujours en état d’esclavage. Toutefois, il n'est pas possible d’en évaluer le nombre. Il n’existe pas dans le pays d’enregistrement des actes de l’état-civil, ni de recensement de la population, qu’il s’agisse des éléments libres ou des autres. Si l’esclavage n’est pas reconnu légalement comme tel dans le Libéria, par contre, la mise en gage a un caractère légal ; la substitution est donc facile et le résultat reste, somme toute, analogue. Les seules interventions du Gouvernement au sujet de l’esclavage domestique entre tribus et dans les tribus semblent avoir été les suivantes : a) Déclarations faites par le Président de la République au cours de diverses conférences avec les chefs et dans lesquelles il a insisté sur la disposition constitutionnelle interdisant l’esclavage, reconnu la nécessité des domestiques et autorisé la mise en gage en remplacement de l’esclavage. Ces déclarations pouvaient tout a u plus faire renoncer à la capture, à l’achat et à la vente d’esclaves, mais restaient sans effet pour la libération de ceux qui se trouvaient déjà en état de captivité. L’Attorney General de la République estime que la décision du Pré­

1 Article i, paragraphe 4. Constitution de la République de Libéria : « Il n’y aura pas d’esclavage dans la République ; il sera interdit à tout citoyen de la République ou à toute personne résidant sur son territoire de se livrer directement ou indirectement au commerce des esclaves, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la République. » — $3 — sident de la République n’a pas la valeur d’une mesure législative et ne constitue qu’un moyen provisoire en attendant la promulgation d’une loi. Cette loi a été fermement recommandée avec l’appui de certains éléments de la population. Toutefois, les chefs ayant soulevé des objections, cette tentative n’a pas eu de suite. Par conséquent, il n’existe pas de loi abolissant la condition de l’esclavage, à moins que l’on ne considère la disposition constitutionnelle déjà citée comme servant à cette fin. Dans ce cas, il semble que, depuis l’élaboration de la Constitution, le Gouvernement, ou bien n’a pas été en mesure, ou bien n’a pas eu l’intention d’appliquer ses dispositions à l’intérieur du pays. b) Libération des esclaves, lorsqu’ils sont amenés devant le tribunal. Les effets de cette disposition paraissent quelque peu illusoires, lorsqu’on prend connaissance de la déposition du fonctionnaire chargé de la Cour des appels indigènes. Celui-ci a déclaré, en effet, que le seul guide qu’il ait eu pour prendre des décisions dans les affaires de ce genre a été un ordre verbal de mettre en liberté les plaignants dans les cas où il était prouvé qu’ils avaient été victimes de mauvais traitements ; il a d’ailleurs ajouté que peu d'affaires de ce genre étaient portées devant son tribunal. Il semble inutile à la Commission de s’étendre longuement sur l’existence de l’esclavage domestique entre tribus, étant donné que le fait est reconnu dans les documents officiels de la République. En 1923, l’Attorney General de la République (Grimes) a formulé certaines observations qui ont été renouvelées devant la Commission en 1930, la situation n’ayant pas changé 1. Les tribus parmi lesquelles la servitude domestique était la plus répandue étaient celles des Vais, des Kpellis (Kpessehs), des Boosies et, dans une certaine mesure, des Bassas ; elle n’est d’ailleurs pas inconnue parmi les autres, à l’exception des Krus et des Grebos. Les indi­ vidus ainsi détenus en servitude peuvent être rachetés par leurs parents ou par d’autres per­ sonnes moyennant paiement de sommes fixées. Entre 1912 et 1920, le prix de rachat pour les femmes était de £4 et pour les hommes de £3. Depuis 1920, le prix pour les femmes est de £6 et celui des hommes de £3. Le Secrétaire du Département de l’Intérieur a déclaré que c’est exclusivement lorsque des cas sont signalés à l’attention par une plainte que la clause prohibitive est appliquée. Le juge chargé de la Cour des appels indigènes a déclaré que la seule directive dont il disposait pour prendre ses décisions dans les affaires de servitude domestique était un ordre verbal du Secrétaire du Département de l’Intérieur et le fait qu’il connaissait la déclaration faite par le Président de la République à la Conférence de Suehn. Le fait que les cas d’esclavage domestique sont fréquents et viennent à la connaissance du Tribunal de Monrovia, qui n’est compétent que pour les affaires relevant de la circonscription judiciaire du Comté, est confirmé par le cas d’un Vai demandant sa libération d’un Gollah et dont l’affaire a été soumise au tribunal dans le courant du mois pendant lequel le témoignage en question a été donné.

1 Rapport et opinion de L. A. Grimes, Attorney General du Libéria. 1923 ; page 9 : « Depuis plusieurs années, on constate un mouvement de plus en plus marqué en faveur d’unestricte application de la disposition constitutionnelle stipulant que : « Il n’y aura pas d’esclavage dans la République ; il sera interdit à tout citoyen de la République ou à toute personne résidant sur son territoire de se livrer directement ou indirectement au commerce des esclaves, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la République. » (Voir Constitution du Libéria, article r, paragraphe 4.) « Pour rendre justice à tous les intéressés, je dois déclarer : i° que la servitude domestique qui est actuellement en vigueur n’est pas limitée au Libéria, mais qu’elle est plus ou moins répandue dans toute l'Afrique occidentale et, 2° qu’elle diffère radicalement de l’esclavage tel qu'il existait en Europe et dans l'hémisphère occidental jusqu’au milieu du xixe siècle. Indépendamment des horreurs que ce «fléau des fléaux » a entraînées aux Etats-Unis, il a eu même en Afrique occidentale les effets suivants : « Le sentiment et l’hospitalité de clan s’affaiblissant, commençaient à disparaître... Le voyageur solitaire n’était plus en sûreté. Le chasseur qui s’était aventuré trop loin de chez lui en poursuivant le gibier, le fermier sur son exploitation isolée, les femmes allant au marché ou à la source, étaient impi­ toyablement capturés et vendus comme esclaves à l’étranger. Puis on vit les parents, indifférents aux liens du sang et aux sentiments les plus sacrés, vendre leurs enfants comme esclaves à des étrangers. Toutefois, au milieu des guerres et des incendies qui ont ravagé bon nombre de villages prospères, à travers les gémissements des malheureux captifs, la distinction entre les esclaves étrangers et les indigènes détenus en servage est restée bien marquée, et jamais on n’a entendu un de ces indigènes être qualifié d’esclave, de Bokor. » (Voir F. C. L. pages 7-8.) « La servitude domestique en Afrique est et a toujours été d’un caractère entièrement différent. Ici, 1 état de servitude peut naître de trois causes : i° dans le cas de paysans sans protection ou de personnes devenues pauvres et qui demandent la protection ou l’assistance d'un voisin plus puissant, en offrant leurs services en échange ; 20 dans le cas de personnes endettées qui s’offrent, elles et leurs biens, en gage à une personne en mesure de payer et disposée à le faire ; 30 dans le cas de ceux qui, en échange de quelque service important rendu à eux-mêmes, à leurs parents ou à leurs ancêtres, sont tenus de servir leur bienfaiteur et sa famille. « Bien que les services de ces personnes puissent être transférés d’un maître à un autre, les relations entre les intéressés ont plus d’analogie avec celles qui existaient entre le seigneur et le vassal à l’époque de la féodalité. Tous les individus en servage ont été traités comme des membres de la famille de leur maître et il est arrivé assez souvent que certains d’entre eux héritent des biens de leur maître. « Néanmoins, certains éléments de notre population ont fait valoir, au temps de précédents adminis­ trateurs, que toute restriction, non consentie, de la liberté devait être immédiatement interdite ; étant donné que leur revendication était légitime en droit, ils l’auraient fait aboutir, n’avait été l'opposition catégorique de la plupart des chefs aborigènes de toutes les principales tribus aborigènes. « Or, nous suggérons maintenant comme moyen d’élever progressivement nos populations aborigènes à la hauteur des principes énoncés dans notre Constitution — étant donné que toute cette partie de la popula­ tion acquiert rapidement des biens tant personnels que réels d’une valeur qui s’accroît constamment — qu il soit adopté une loi leur interdisant de mettre en gage des êtres humains et que les fonctionnaires de notre administration intérieure reçoivent l’ordre de les inciter, en cas de besoin, à engager, à la place d êtres humains, leurs biens et effets ou, si ceux-ci étaient insuffisants, à hypothéquer leurs terres. » — i4 —

On a signalé à l'attention des membres de la Commission des individus, dont un à Monrovia et un autre dans le district N3 i, qui avaient amené des jeunes gens de l'hinterland et reçu en retour pour la vente de ces jeunes gens, dont la durée de service était indéterminée, des sommes variant entre £4 et £6. Un de ces hommes a été récemment nommé grand chef. Le droit coutumier actuel reconnaît deux catégories de personnes pouvant être mises en gage, à savoir : les esclaves et ceux qui sont nés libres. Le Président King, dans son message pour 1929, a observé, à propos des allégations relatives à l’existence de l’esclavage dans le Libéria, que « le trafic des êtres humains avait disparu et ne s’était plus manifesté que dans des cas isolés qui, lorsqu’ils étaient venus à la connaissance du Gouvernement, avaient été condamnés et punis », et il a fait allusion à l’existence de conditions d’esclavage analogues dans des territoires limitrophes du Libéria. La disparition de cette forme d’esclavage est ainsi subordonnée à l’extension de la juridiction à l’hinterland, ce qui est difficile actuellement en raison de la situation financière du pays et du type de fonctionnaires dont peut disposer le Gouvernement pour le service dans l’hinterland. La Commission n’a recueilli aucun indice permettant de croire que les Americo-Libériens se livrent au trafic des esclaves ou détiennent des esclaves, au sens classique du terme, c’est- à-dire avec l’exercice de tous les attributs du droit de propriété ; néanmoins, des indices existent qu’ils ont pris en gage des indigènes, que, dans certains cas extrêmes, le système de la mise en gage a donné lieu à de très graves abus, et que, d’autre part, certaines personnalités occupant des postes éminents dans le Gouvernement ont privé de leur liberté, en usant de la force, des indigènes dans des conditions se distinguant à peine de l’esclavage le plus brutal, conditions qui seront décrites ci-après.

Mise en gage (Pawn system).

La mise en gage est admise par le Gouvernement du Libéria, à titre d’ancienne coutume indigène. Elle consiste en un accord en vertu duquel un être humain, généralement un enfant de la famille, est placé en servitude, contre une somme d’argent, pour une période de temps indéterminée sans qu’il soit accordé de compensation à la personne détenue, et sans privilège. Peuvent être ainsi mis en gage aussi bien les esclaves que les individus nés libres ; la distinction réside uniquement dans le caractère de l’objet donné à titre de preuve de la transaction (c’est- à-dire une dent de léopard pour les individus nés libres et un morceau de métal ou de natte pour un esclave), et sans lequel la transaction constitue, aux yeux du Gouvernement du Libéria, un acte de « trafic d’esclaves ». Qu’il y ait eu ou non remise d’un objet, l’effet sur la personne détenue est, bien entendu, le même. Pour ces opérations il est passé une sorte de contrat dont on trouvera ci-dessous deux exemples.

« Campement de Gbowah Bharzon, district N° 4, le 25 mai 1928. « Je soussigné, Sidi Weah, du Secteur de Gbowah, certifie avoir donné en gage une fillette et un garçon au Sergent Johnny Williams, jusqu’au moment où je lui aurai payé la somme de 13 livres sterling 10 shillings que je lui dois, aucun délai n’étant fixé pour le paiement. Le Principal Sidi Weah. Témoin : Moses : S. Weah. Approuvé. J. C. Phillips. D. C. Coast. District L. F. F. le 23 mai 1928. »

« D é p a r t e m e n t d e l ’I n t é r ie u r

Station de Bharzon, le 24 août 1928.

« Je certifie qu’un certain Mynabé du Secteur de Batu, district N° 4, a donné en gage, en ma présence, sa fille nommée Tenny au premier Sergent Johnny Williams poui la somme de £ 5, à rembourser dans un délai de deux semaines à dater du jour où la somme a été versée, ou à n’importe quel autre moment. (Signé) Le Commissaire de district par intérim. » — 15 —

Bien que le Président de la République ait stipulé en 1923 que « les personnes mises en gage pouvaient racheter leur liberté 1 », ces rachats sont rares, étant donné qu’ils exigent l’intervention d’un tiers. D’autre part, la clause selon laquelle la personne mise en gage doit donner son consentement semble ne constituer qu’une amélioration contestable, étant donné que la plupart des individus mis en gage sont des enfants et sont par conséquent, tant en vertu du droit civilisé qu’en vertu du droit indigène, incapables de donner un consentement. Les rapports qui existent entre la mise en gage telle qu’elle est pratiquée dans le Libéria et l’esclavage tel qu’il est défini dans la Convention sont les suivants :

i° La personne mise en gage ne peut être rachetée que par l’intermédiaire d’un tiers. 20 Tout le travail de la personne mise en gage appartient au détenteur du gage. 30 La durée du contrat est indéterminée. 40 Dans la pratique, il est impossible à une personne mise en gage de racheter sa liberté. 50 La seule distinction qui existe entre la mise en gage et le trafic des esclaves est, de l'avis du Gouvernement lui-même, le fait que dans le premier cas il est remis un objet à titre de preuve de la transaction. 6° Les femmes mises en gage peuvent être épousées par les détenteurs du gage. 7° Le prix d ’une personne mise en gage est le même que celui d ’un esclave. 8° Au cas où une personne mise en gage s’enfuirait ou viendrait à mourir, le détenteur a droit à la somme qu’il a versée pour le gage, ou peut exiger le remplacement du gage. q° Un gage peut être remis en gage par son détenteur. io° Dans le cas où une femme mise en gage serait épousée par une personne autre que le détenteur du gage, ce dernier a droit à une compensation de £ 3.

Dans la pratique, on peut vendre des individus, sous le couvert d’une mise en gage, en convenant secrètement que le gage ne sera jamais racheté. Il a été affirmé, de manière com­ pétente, devant la Commission que, lorsque les indigènes, dont l’organisation sociale exige des esclaves, ont appris que le Gouvernement ne reconnaissait pas l’esclavage, ils ont modifié le mode de cession des individus, sans que le résultat de l’opération ait subi le moindre chan­ gement. La mise en gage pratiquée par la suite entre tribus diminue les chances de rachat. On connaît le cas de personnes qui sont restées en gage pendant des périodes de dix, quarante ans et même pendant leur vie tout entière. On a présenté aux membres de la Com­ mission, à Kakata, une femme qui avait été détenue en gage pendant six ans, pour la somme de £ 1, puis remise en gage par le détenteur, et qui ne pouvait arriver à se libérer. On a signalé à l’un des membres de la Commission le cas d’un homme de 40 ans qui avait été mis en gage lorsqu’il était encore enfant et qui n’avait plus aucun espoir de rachat, l’emprunteur étant décédé. Les dépositions sous serment indiquées ci-après fournissent une preuve directe de la fréquence de la mise en gage et de ses effets :

a) Jadgua, un chef de Kanga, habitant près de Royesville, a été frappé d’une amende de £ 18 os. 2d. pour infractions concernant les routes et a donné sa femme et son enfant en gage à un certain Kankawah pour la somme de £ 7. La femme et l’enfant sont en gage depuis cinq ans sans perspective de rachat 2.

b) Johnny Carr, chef du village de Bengonow, frappé d’une amende de £17 12s. 6d. pour Infractions concernant les routes, a donné en gage, il y a deux ans, à un certain Kamapu, son fils et une plantation de café, sans espoir de rachat 3.

c) Varnai Quai, chef de Baimeh, frappé d’une amende de £17 5s. pour infractions con­ cernant les routes et pour n’avoir pas fourni de porteurs, a donné en gage, il y a deux ans, à un certain Karpali de Weijo, deux fils pour £8 et 7 respectivement, sans grand espoir de rachat 4. d) Jallah, du Secteur de Teh, frappé d’une amende de £ 5 pour infractions concernant les routes, a donné son fils en gage pour la somme de £ 5 pendant deux ans et quatre mois à dater du 21 avril 1930 à un certain M. Law, américo-libérien. L’enfant s’est enfui quatre mois après et les frais de justice afférents à sa restitution au détenteur ont augmenté son prix de rachat de £7 13s. Le tribunal a décidé que l’emprunteur verserait au détenteur du gage is. par jour d’absence de l’enfant 5.

e) Varnie, du Secteur de Teh, frappé d’une amende de £14 pour infractions concernant les routes, a donné sa sœur en gage à un certain Vombo à Zodie, pour la somme de £3. Elle est en gage depuis deux ans 6.

1 Voir Règlement administratif, page 5. 2 A. 160, témoignage de Jadgua devant la Commission à Monrovia, 25 avril 1930. 3 Témoignage de Johnny Carr devant la Commission à Monrovia, 25 avril 1930. 4 Témoignage de Varnai Quai devant la Commission à Monrovia, 22 avril 1930. 5 Témoignage de Jallah devant la Commission à Monrovia, 21 avril 1930. 6 Témoignage de Varnie devant la Commission à Monrovia, 21 avril 193°- — i6 —

/) Le Juge Witherspoon a reconnu que, lorsqu’il était Attorney de comté dans le Comté de Sinoe, il a libéré en vertu d’ordonnances, 14 enfants mis en gage à Nana Kru 1. g) Le grand chef Nyola de Sengbeh a donné son enfant en gage pour payer une amende de £20 qui lui avait été infligée par le Président King 2. h) Dix chefs de village et chefs de Sengbeh ont mis leurs enfants en gage afin de payer une amende de 412 dollars pour infractions concernant les routes 3. i) Le Chef Yarkpazeur, Chef du village de Boporo, frappé d'une amende de 317 dollars, a déclaré avoir donné un gage pour se procurer de l’argent en vue de payer ses amendes et ses impôts 4. j) Un chef de village du Secteur de Kakata a déclaré qu’il avait mis ses enfants en gage pour pouvoir payer des amendes et que d’autres personnes de son village avaient dû prendre le même parti. k) Un témoin cité devant la Commission à Kakata a déclaré avoir mis son enfant en gage pour payer ses impôts. I) Un chef de village du Secteur de Kakata a déclaré à la Commission à Kakata que les habitants de son village donnaient leurs enfants en gage à des Vais afin de se procurer de l’ar­ gent pour assurer leur subsistance et payer leurs amendes. m) Dans le Comté de Bassa, on a recueilli de nombreux témoignages concernant des cas de mise en gage. Il y a lieu de citer entre autres, à titre d’exemple, un procédé, impliquant des personnes civilisées, qui constitue un abus du système : Un individu prend un certain nombre de femmes en gage et les fait travailler sur sa plantation. Ces femmes sont encouragées à séduire des jeunes gens qui sont immédiatement saisis, frappés d’une amende et contraints à payer, par leur travail sur la plantation, le montant de cette amende. Les individus mis en gage peuvent adresser une demande au juge de paix : s’ils ont servi pendant une période de temps très longue et prouvent qu’ils sont victimes d’un traitement cruel, ils peuvent être libérés par le juge en vertu de principes généraux, mais sans la sanction formelle de la loi. Toutefois, il peut arriver — et des cas de ce genre ont été cités — que le détenteur d’un gage remette le gage au juge de paix en paiement des frais de justice : si le « gage » s’enfuit, le juge peut infliger une amende à la famille du « gage ». Un projet de loi, présenté par D. Twe, pour mettre fin aux pratiques de mise en gage, a été adopté par la Chambre, mais rejeté par le Sénat en 1928.

B. P r a t iq u e s oppressives , restrictives d e l a l ib e r t é d ’a u t r u i , constituant d e s c o n d it io n s a n a l o g u e s a l ’e sc l a v a g e e t t e n d a n t a r e v ê t ir l e c a r a c t è r e

DE l ’e s c l a v a g e CLASSIQUE. Sinoe. 1. Le recrutement forcé et l’expédition de main-d’œuvre indigène du Comté de Sinoe à destination de Fernando Po, avec l’aide de soldats des troupes de frontière, de messagers armés et de certains fonctionnaires du Gouvernement libérien, ont été pratiqués sous l’autorité de Samuel Ross de Greenville jusqu’en 1928, date à laquelle il a été nommé Directeur général de l’administration des Postes du Libéria. Après son transfert dans la capitale, et en qualité de Directeur général de l’administration des Postes, Samuel Ross a continué ses opérations de recrutement à Monrovia et dans le Comté de Montserrado, envoyant des indigènes à Sinoe en vue d’un transbordement, violant ou tournant ainsi la loi qui interdit les exportations de main-d’œuvre du Comté de Montserrado. On possède la preuve manifeste d’expéditions forcées, effectuées du Comté de Sinoe dès 1924, époque à laquelle des hommes ont été envoyés à M. Ross par le Capitaine Howard, sous escorte armée, avec une charge de riz soi-disant à vendre, détenus sous bonne garde jusqu’à l’arrivée du vapeur espagnol faisant le service de Fernando Po, et embarqués à bord dudit vapeur. L’incident a été signalé, la même année, au Secrétaire à l’Intérieur et au Président par P. C. Lamandine, alors Commissaire de district pour le Comté de Sinoe et résidant à Sikon. Les opérations de capture et de recrutement forcé ont été renouvelées plusieurs fois pendant la même année jusqu’à livraison d’un nombre d’indigènes évalué environ à 600 ou 800. Le Commissaire de district déclare qu’à la suite des protestations émises par lui, il a été rappelé et, par la suite, relevé de ses fonctions. 2. Entre le i"r août et le 21 septembre 1927, Ed. H. Blackett, remplissant les fonctions de « Quatermaster » auprès du Commissaire du district N° 4, M. Watson, a reçu de ce dernier l’ordre de capturer avec l’aide de soldats, dans les villages de son secteur, un grand nombre d’indigènes et de les livrer à M. Sammy Ross, à Greenville, Sinoe. Chaque indigène devait porter un panier de riz destiné à être vendu et, en outre, les provisons nécessaires à sa subsis­ tance. Blackett a ainsi capturé 330 hommes qu’il a livrés à Ross. Ils ont été transportés de l’autre côté du fleuve, enfermés dans une enceinte réservée à cet effet, et expédiés, le joui- suivant, à bord du vapeur San Carlos. Les témoignages entendus par la Commission laissent peu de doute quant à la réalité de cet incident.

1 Témoignage de l'Honorable J. Witherspoon devant la Commission, à Monrovia, 15 avril 1930. 3 Témoignage du Chef Nyola devant la Commission, 25 avril 1930. 3 Voir témoignage devant la Commission à Monrovia, 25 avril 1930. 4 Témoignage du Chef Yarkpazeur devant la Commission. — i 7 —

Il est rapporté par D. Twe dont le boy, du nom de Ganta, faisait partie du groupe d'in­ digènes attachés et expédiés à bord du San Carlos. Un passager du San Carlos, J. R. D. Padmore désireux de descendre à terre à l’escale de Sinoe, a été informé par les officiers du bord que le navire ne s’arrêterait que le temps nécessaire pour embarquer « des ouvriers pour Fernando Po ». Il a vu Ross et VHonorable Phillip F. Simpson, membre de la Chambre des représentants, et a constaté la présence d’agents de la police et vu les ouvriers en question « dont certains ont opposé de la résistance à l’embarquement ». Le Sénateur Roberts, de Sinoe, a rencontré les hommes au moment où ils étaient conduits vers l’enceinte de Ross, sous une escorte composée de « deux soldats par dix hommes ». M. Cass Pelham, gendre de Ross, accompagnait les hommes à bord. Jacob Dennis, qui a été employé par Ross comme garde a fait des déclarations analogues et a ajouté que,.en dépit de la surveillance exercée, dix des hommes avaient réussi à s’échapper de l’enceinte pendant la nuit. Le fait a eu également pour témoins le juge Grigsby, de Sinoe, alors Inspecteur du Comté, et Blackett, le « quartermaster » qui, en vertu d’instructions reçues à cet effet, a capturé, attaché et amené les hommes à Greenville et les a remis à Ross ’. Le 21 septembre 1927, Blackett a de nouveau reçu de Watson l’ordre de capturer, avec l’aide de soldats, un nombre aussi grand que possible d’indigènes du sexe masculin, sans tou­ tefois dépasser 250, et de les livrer à Sammy Ross pour être envoyés à Fernando Po. Chaque homme devait porter un panier de riz nettoyé, ostensiblement destiné à sa subsistance. Conformément à cet ordre, Blackett a capturé, avec l’aide de soldats, 250 hommes qu’il a livrés à Ross. Le chef Nomeh, de Sikon, à l’intérieur du Comté de Sinoe, a confirmé l’enlèvement forcé de ses hommes et a déclaré que Blackett avait frappé à coups de fouet et attaché tous ceux qui s’étaient refusés à le suivre et qu’il avait ainsi emmené « quatre bateaux chargés d’hommes » ; le chef a ajouté que ses gens s’étaient réfugiés dans la brousse. Par la suite, le chef lui-même avait abandonné son secteur et était venu vivre à Greenville sous la protection de M. James Roberts afin d’échapper à de nouveaux raids 2. Le Sénateur J. W. Roberts a rencontré Blackett lorsque celui-ci emmenait les hommes et lui a demandé « pourquoi ils étaient envoyés à Fernando Po ». Blackett lui a répondu qu’il se bornait à exécuter des ordres 3. Le convoi est arrivé à Greenville le 5 octobre. M. Reginald A. Sherman, alors Directeur général de l’administration des postes, arriva à Greenville, Sinoe, le 4 octobre à bord du Mesuraào afin d’inspecter le service postal de la région 4. Le navire procédait à une démonstration des avantages de la T. S. F. en communiquant avec certains points de la côte. Sammy Ross apporta à M. Sherman, à bord du navire, un radiogramme qu’il le pria de transmettre, pour lui, au Secrétaire d’Etat. Dans ce message, Ross demandait l’autorisation d’expédier des hommes qu’il avait sous la main par un vapeur allemand, au lieu du vapeur espagnol habituel, en raison de la dépense qu’entraînait leur nourriture 5. Le message fut transmis, mais au retour de M. Sherman à terre, un second message lui fut présenté par Ross, accompagné d’une offre de £25 et du paiement d’une ancienne dette personnelle de £17, en échange de son approbation de l’expédition des hommes en question. Sherman refusa et demanda à C. D. Majors, alors directeur de l’administration des postes locales, la signification de cette tentative de corruption. Il fut alors informé que les hommes étaient « expédiés de force »6. L’opinion courante était que Ross était soutenu par des personnalités influentes à Monrovia et que toute intervention pourrait être inopportune au point de vue politique. C’est pourquoi il n’avait pas été inquiété lors des expéditions antérieures. Le Directeur général des Postes, Sherman, accompagné de C. D. Majors, traversa alors la rivière pour visiter l’enceinte 7. Il trouva les indigènes étroitement gardés par les troupes libériennes de frontière et par des messagers armés appartenant au Commissaire de district, Wratson. Blackett s’opposa à l’immixtion de Sherman dans l’affaire, en prétendant qu’« elle ne le concernait pas » et renvoya Sherman à M. Ross 8. Sherman remonta à bord du « Mesurado » et envoya un radiogramme indigné à l’Attorney General du Libéria et au Secrétaire d’Etat Barclay, Président par intérim en l’absence du Président King ; il lui fut répondu que, si les hommes étaient expédiés contre leur volonté il s’agissait d’un cas de traite d’esclaves et qu’en conséquence des mesures devaient être prises pour arrêter l’opération 9. L’expédition ainsi interrompue éveilla la curiosité des habitants de Greenville et un grand nombre des citoyens les plus en vue furent amenés à se livrer à une enquête et finalement à s’adresser aux tribunaux 10.

1 Voir dépositions faites sous serment devant la Commission, à Monrovia, par D. Twe, J. R.D .Padmore, le Sénateur Roberts, Jacob Dennis, le Juge Grigsby et Ed. Blackett. 2 Voir le témoignage de Nomeh devant la Commission à Monrovia. 3 Voir le témoignage de Ed. Blackett et celui du Sénateur Roberts devant la Commission à Monrovia. 4 Voir le témoignage de l’Honorable Reginald A. Sherman devant la Commission. 5 Voir le témoignage de Sherman et également (Documents) le radiogramme au Secrétaire d Etat, qui ligure en annexe. 6 Voir témoignage de Sherman et témoignage de C. D. Majors. 7 Voir témoignage de Sherman et témoignage de C. D. Majors. 8 Voir témoignages Blackett, Bedell, Majors. 9 Voir messages radiographiques (Documents) ; voir témoignage de Sherman et également témoignage de l’Honorable L. A. Grimes, Attorney général du Libéria. 10 Voir le témoignage de l’Honorable J. J. Witherspoon. — i8 —

Des entretiens avec les travailleurs et l’enquête à laquelle procéda l’Inspecteur de comté Grigsby firent ressortir que les hommes avaient été effectivement capturés et qu’on les forçait à partir pour Fernando Po, contre leur gré Un détail sur lequel des divergences de vues se sont fait jour apparaît comme important. On avait généralement admis que les hommes, comme c’était l’usage, avaient été envoyés par le Commissaire de district Watson pour vendre du riz en vue du paiement des impôts et que Blackett s’était entendu avec Ross pour les embarquer. La lettre suivante, dont l’original signé a été soumis à la Commission par Blackett, prouve cependant que le contraire est exact :

Département de l’Intérieur. Hinterland libérien.

Tchien, H. Q. Dist N° 4, le 21 septembre 1927. Ref : « Instruction. » « M. Ed. H. A. Blackett, « Quartermaster » de District District Numéro Quatre, H.L.

Monsieur, En vertu d’instructions de l’Honorable Commissaire général John W. Cooper, de 1’Hinterland libérien R.L., ordre vous est donné de vous rendre, dès réception de la présente lettre, avec ces soldats, à Greenville (Sinoe), en emmenant autant de travailleurs que vous pourrez, sous réserve d'un chiffre maximum de 250. En arrivant à Greenville, vous les remettrez à l’Honorable Samuel A. Ross, en vue de leur transport à destination de Fernando Po, par ordre de Son Excellence le Président C. D. B. King. Chaque homme devra emporter un panier de riz décortiqué comme provision de voyage, et, après le départ, vous vendrez tout ce qui reste et vous déposerez le produit de la vente à notre Bureau, lors de votre retour, à titre de contribution au paiement du personnel. Vous êtes prié de vous conformer strictement à ces instructions. Veuillez agréer, etc.... Le Commissaire de District,

{Signé) J. B. W a t s o n .

P. S. — Vous établirez une liste complète des noms des hommes expédiés, en indiquant le district dont ils sont originaires. Idem.

N o t e . — Dans une séance spéciale de la Commission, tenue à la demande du Président de la République, celui-ci a déclaré qu’il n’avait jamais donné les ordres mention­ nés dans la lettre, mais il n’a formulé aucune autre déclaration laissant entendre que la lettre constituait un faux.

Question. — M. le Président, l’authenticité de la lettre, pour ce qui concerne son expéditeur direct, n’est donc pas contestée, ou bien estimez-vous que toute la lettre constitue un faux ?

Le Président King: Non, je ne dis pas qu’elle constitue un faux ; mes déclarations ne portent que sur le passage où il est question d’ordres du Président. Je n’ai donné aucun ordre à ce sujet. (Témoignage de Son Excellence le Président Charles D. B. King, R. L., en date du 31 juillet 1930.)

D’après la déposition de Blackett, celui-ci a vendu le riz et remis l’argent à Watson. En outre, il a déclaré qu’à l’occasion de son second voyage, M. Ross lui avait confié une somme de £47.0.0 pour le Commissaire de district Watson, représentant sa part de la somme reçue pour les hommes en question. On a essayé d’intenter des poursuites contre Blackett seul, mais le Grand Jury a refusé l’autorisation, à moins que Ross ne fût également poursuivi. Le Tribunal devait statuer pendant sa session de février 1928, mais à ce moment, Ross fut nommé Directeur général des Postes, en remplacement de Sherman, le plaignant ; W’itherspoon, le jeune Attorney du Comté, chargé de l’affaire, et Grigsby, l’Inspecteur de Comté qui avait procédé à l’enquête, furent relevés de leurs fonctions 2. Le Commissaire de district WTatson occupe maintenant un poste dans le district N° 2 de 1’Hinterland libérien.

1 Voir le témoignage du Juge assesseur Grigsby, alors Inspecteur du comté de Sinoe, de l’Honorable J. J. Witherspoon, Juge du tribunal de district, de "l’Honorable J. N. Lewis, de l’Honorable A. G. Monger, actuellement Inspecteur du comté et de Mr. C. D. Majors, Directeur des Postes à Greenville. 2 Voir A. 176. — ig —

Wedabo.

Dans l’affaire concernant le recrutement d’indigènes et leur envoi à destination de l’île de Fernando Po, et qu’il convient de mentionner, des actes constituant une privation de la liberté de personnes ont été commis non seulement par l’emploi de la violence (capture, flagellation et ligotage par des soldats des troupes de frontière et par des messagers armés), mais encore par des mesures de contrainte indirecte (amendes excessives imposées aux chefs, intimidation-, corruption, extorsion, actes qui ont créé ou fait renaître d’anciennes luttes entre les tribus pour des terres ; exploitation de certaines particularités des usages des tribus). La Commission estime que, pour comprendre exactement cette situation, il est nécessaire de se rappeler les faits suivants : l’autorité que les chefs, et notamment les grands chefs, conservent encore sur leur peuplade et qui est évidemment plus forte dans certaines régions que dans d’autres ; le caractère collectif d’une grande partie des biens et des gains de ceux qui sont capables de travailler, ainsi que le droit traditionnel et, fréquemment, le pouvoir effectif du chef de leur imposer des contributions dans l’intérêt de la tribu ; le respect de la tribu pour ses anciens et pour la tradition elle-même ; l’habitude des jeunes hommes des tribus des Grebos et des Krus de la région en question du Comté de Maryland de chercher sur la côte anglaise un engagement pour une certaine période, afin de gagner la dot nécessaire pour l’achat de leurs femmes ; le sens religieux que présente aux yeux de ces indigènes la cérémonie au moyen de laquelle ils essayent de connaître, par l’intermédiaire de leurs sorciers, la volonté des dieux au sujet de leur voyage et de leur retour, et enfin, malheureusement, l’ignorance des indigènes et de leurs chefs en ce qui concerne les subtilités de la procédure des tribunaux « civilisés » devant lesquels ils comparaissent si fréquemment. Les occasions d’exploiter ces indigènes sont nombreuses et dans le secteur en question, on semble avoir rarement manqué l’occasion de leur soutirer, par l’intermédiaire de leurs chefs, l’argent qui était la propriété de la collectivité, de même qu’une grande partie de leurs produits alimentaires, de leur riz, de leur volaille et de leur bétail. La peuplade de la rivière Poo est une petite tribu enserrée, sur la côte, entre la tribu des Garroways, qui sont de souche Grebo, et la fraction de la tribu des Wedabos qui sont établis sur le littoral et sont de la même souche l. Dans le passé, de courtes luttes avaient éclaté à plusieurs reprises entre les tribus, mais il y a environ 25 ans ou même davantage, celles-ci ont réglé leurs différends et se sont engagées mutuellement à maintenir la paix. L’une des conditions de la paix était que les Wedabos, peuplade plus importante, auraient le droit de passer librement à travers le pays de la tribu de la rivière Poo pour se rendre au port maritime de Cap Palmas. En 1908, la paix a été con­ firmée grâce à la sanction judiciaire des tribunaux « civilisés » et confirmée à nouveau selon les coutumes des tribus. Toutefois, à plusieurs reprises, des membres de la tribu des Wedabos ont ultérieurement été attaqués par surprise, lors de leur passage, et tués. Au total, sept indigènes ont été tués de 1908 à 1923. Les Wedabos ont fait plusieurs fois appel à M. Allen N. Yancy, qui a été Inspecteur du Comté de Maryland de 1920 à 1928 ; il ne semble pas avoir manifesté un grand intérêt pour ces querelles entre tribus, car on prétend qu’il aurait déclaré un jour : « Vous autres Wedabos, vous êtes vraiment stupides. Lorsque vous voyez que d’autres veulent vous tuer, pourquoi ne leur rendez-vous pas la pareille au lieu de toujours vous plaindre ? »2. En 1923, un conflit éclata entre les deux tribus au sujet de la capture d’un poisson, et cette discussion provoqua un combat au cours duquel trois membres de la tribu de la rivière Poo furent tués. A cette époque, Frank Harris était commissaire de la Côte Kru et résidait à Grand Cess ; lorsqu’il eut connaissance de l’affaire, il convoqua le grand chef Tuweley Jeh qui, pendant le combat, s’était trouvé dans sa résidence de Soloken (à l’intérieur) et Togby, de même que leurs chefs et sous-chefs, au nombre de soixante. Ces chefs furent tout d’abord déshabillés sur la route, ligotés et fouettés. Les chefs furent retenus prisonniers et le grand chef Jeh fut renvoyé chez lui pour réunir une somme de £100.0.0. Cette somme fut payée. L’inspecteur Yancy eut connaissance de l’affaire et ordonna qu’elle lui fût soumise. Le Com­ missaire Harris fit une rafle et prit sept Wedabos présumés coupables, sans inquiéter les chefs qui étaient coupables. Lorsque lé chef Jeh mit au courant l’Inspecteur Yancy, on lui dit qu’il devait être assisté d’hommes de loi ; comme il ne connaissait pas de juristes américo-libériens à Cap Palmas, l’inspecteur Yancy lui recommanda les sénateurs W. V. S. Tubman et Dossen, ainsi que l’Attorney de Comté Dominy Cooper. Mais les hommes de loi exigent des honoraires ; l’ins­ pecteur dit par conséquent à Jeh de « rentrer chez lui et de leur apporter £100.0.0 ». Ce qui fut fait. L’affaire fut portée devant le tribunal et l’inspecteur Yancy déclara : « Cette somme n’est pas suffisante pour des hommes de loi ». Jeh retourna auprès de sa tribu pour lui faire part de cette exigence et la tribu lui recommanda d’emprunter la somme nécessaire auprès de la « Cavalla River Company ». Jeh emprunta £300.0.0 et remit toute la somme à l’inspecteur

! Cette peupalde de la rivière Poo se compose de Krus qui, il y a longtemps, sont descendus le long de la côte à la recherche de terres ; cette migration a probablement eu lieu avant que les tribus des Wedabos se soient établies sur les terres voisines et situées plus à l’intérieur du pays. Ils sont de la même race que les Krus au delà de Grand Cess, mais parlent maintenant un dialecte d'origine Kru, dans lequel on trouve cependant de nombreux mots Grebos. La côte des Wedabos est utilisée exclusivement comme débouché à la mer et relève du chef Wamplu. Les régions agricoles, les villages les plus importants et la capitale, Soloken, où réside le grand chef Tuweley Jeh, se trouvent à un ou deux jours de marche plus à 1 intérieur du pays. 2 Témoignage du chef principal Tuweley Jeh, du secteur des Wedabos A. 411. Voir également la décision de Son Excellence sur « l’Affaire des trois membres de la tribu de la rivière Poo tués par les XX ebados ». Décision rendue à VExecutive Mansion, à Monrovia, le 23 octobre 1924. — 20 —

Yancy. Les hommes de loi déclarèrent : « C’est parfait, l’affaire est terminée », et le tribunal, de son côté, a jo u ta « Vous êtes libre». L’Inspecteur Yancy déclara alors au chef Jeh : « Je vous ai libéré. Vous me devez des « remerciements. » Jeh rentra chez lui, réunit une somme de £60.0.0 et l’envoya à l’Inspecteur Yancy par l’intermédiaire d’un nommé Karpeh, homme de confiance et messager du chef. Le règlement de l’affaire ne donna cependant pas satisfaction à la tribu de la rivière Poo, et, l’année suivante, en 1924, elle envoya une délégation auprès du Président King 1. Le Président de la République convoqua à Monrovia le grand chef Jeh, qui s’y rendit, accompagné de son sous-chef Tarplah et de son messager Karpeh. Les ressources nécessaires pour le voyage durent être empruntées. Jeh fut autorisé par la tribu des Wedabos à demander une avance de £100.0.0 à la Woodin Company. A Cap Palmas, il rencontra l’Inspecteur Yancy et l’informa qu’il avait été convoqué à Monrovia et qu’il serait obligé d’emprunter £100,0,0 à Woodins. L’Inspecteur lui répondit : «Non, j’emprunterai cette somme pour vous». Il revint après avoir obtenu l’argent. Au lieu de donner les £100.0.0 à Jeh, il déduisit une somme supplémentaire de £40,0.0 pour l’homme de loi, le sénateur Tubman et £25.0.0 pour John Delaney qui avait rempli les fonctions d’interprète. La somme remise finalement à Jeh ne fut que de £20.0.0. Jeh se rendit alors à Monrovia. D’après le témoignage de Jeh, le Président de la République lui aurait dit : « Jeh, défends- toi. La tribu de la rivière Poo déclare que tu as tué certains de ses membres ». Jeh répondit : « C’est exact. Oui. Les hommes de la rivière Poo ont tué sept hommes de ma peuplade. Pour cette raison, je tue ces deux hommes. Mais ce n’est pas un seul homme. La foule les a frappés et tués ». Le Président fit alors savoir à Jeh pour quelle raison il l’avait convoqué à Monrovia et lui annonça qu’il le retiendrait prisonnier jusqu’au moment où Tarplah et Karpeh auraient réuni dans la tribu des Wedabos une somme de £300.0.0, qui devait être payée à titre d’amende administrative. Jeh ordonna à Tarplah et à Karpeh de rentrer, de convoquer la tribu et d’obte­ nir la permission d’emprunter la somme aux marchands européens de Cap Palmas 2. Après avoir désigné John Delaney comme interprète et avoir entendu l’exposé de l’affaire, le Président rendit une décision aux termes de laquelle la peuplade des Wedabos fut reconnue coupable du double crime d’avoir répondu au meurtre par le meurtre et d’avoir tué les messa­ gers envoyés auprès d’elle. La sentence fut la suivante :

i° « La tribu des Wedabos devra livrer les personnes qui ont tué les trois hommes de la tribu de River Poo. 2° La tribu des Wedabos doit payer une amende de trois cents livres sterling pour avoir toléré que cet acte soit commis dans leurs villages. 30 Que si les hommes qui ont assassiné les personnes en question ne sont pas livrés par la tribu de Wedabo, leurs villages du littoral dans lesquels cet acte a été commis seront rasés par le Gouvernement et leurs habitants envoyés à l’intérieur dans un lieu désigné par le Gouvernement. Cette éventualité se produira si, à l’expiration d’un délai de deux mois, les parties n’ont pas livré les personnes qui ont assassiné les trois hommes de la tribu de Po River. Le Gouvernement retiendra le grand chef de la tribu de Wedabo jusqu’à ce que les personnes qui ont assassiné les hommes de Po River aient été livrées. Si ces hommes ne sont pas livrés dans vingt ans, quarante ans ou ne sont jamais livrés, il restera entre les mains du Gouvernement pendant la même période. Mais s’il trouve ces hommes dans un délai d’environ deux mois, il sera remis en liberté. Il est bien entendu qu’indépendam­ ment du fait que lesdites personnes sont livrées ou non, l’amende de trois cents livres sterling doit être payée par la tribu de Wedabo, mais la tribu doit livrer ces hommes et le grand chef restera ici jusqu’à ce qu’ils soient livrés ; s’ils ne sont jamais livrés, leurs villages sur le littoral seront détruits. » 3

Karpeh et Tarplah arrivèrent à Cap Palmas avec les instructions de Jeh ; ils rencontrèrent l’Inspecteur Yancy qui leur demanda le résultat de leur audience à Monrovia. Il leur offrit d’avancer l’argent, comme ils n’étaient pas certains de pouvoir emprunter la somme à Cap Palmas, et il leur demanda de lui livrer, en contre-partie, un certain nombre d’hommes pour Fernando Po. Les messagers firent observer qu’ils ne pouvaient pas se substituer au chef et ne pouvaient qu’exécuter les ordres de ce dernier ; aussi se rendirent-ils dans leur pays. L’inspecteur Yancy convoqua alors une réunion de tous les chefs du pays des Wedabos à Wedabo Beach et fit un nouvel exposé de l’affaire. Le chef Martin de Gbanken déclara que Karpeh leur avait transmis le message au sujet de Fernando Po, mais qu’ils avaient décidé de se procurer l’argent d’une autre manière. L’inspecteur Yancy aurait alors répondu : « Si je vous donne l’ordre d’y aller, vous irez. La tribu semble accepter. Si vous la dissuadez, je ferai payer à votre village la somme intégrale de £300.0. pour la libération de Jeh et, en outre, une amende de £200.0.0. ». Le chef Martin se tut, mais, lorsque les autres chefs déclarèrent : « Nous ne voulons pas aller à Fernando Po, nous désirons payer », Martin répliqua : « Il vous faut y aller ». Ils accep­ tèrent donc et l’inspecteur Yancy déclara simplement : « Il me faut 500 hommes ».

1 Voir Documents et Annexes IX et XI. 2 Témoignage du grand chef Jeh. 3 Voir la décision de Son Excellence le Président du Libéria dans « l’Affaire de la peuplade des Wedabos, etc. ». — 21 —

Le chef Wamplu du village de Wedabo Beach ajouta : « Fini. Mais la rivière Poo est fermée à cause de nos différends, nous ne pouvons donc pas les faire aller à Cap Palmas pour les embarquer ». L’inspecteur Yancy promit d’amener un navire à Wedabo Beach qui n’était pas et n’avait jamais été un port d’escale. Le navire espagnol Montserrat arriva à Wedabo Beach le 8 décembre à midi. A bord se trouvaient l’inspecteur Yancy, M. P. C. Parker, Vice-Consul d’Espagne, M. John Myers Scott et un autre Libérien dont on a oublié le nom et qui était venu de Cap Palmas spécialement pour ce voyage. Les hommes n'étaient pas là. L’inspecteur Yancy, impatient, déclara : « Si les hommes ne sont pas là à 7 heures, je brûlerai ces deux villages ». Les habitants étaient effrayés et montèrent à bord du navire pour y rester comme otages jusqu’au moment où les hommes seraient livrés. Pendant la nuit, ils envoyèrent des messagers vers l’intérieur pour demander aux hommes de venir, afin de sauver leurs villages de la destruction, et, à l’aube, 316 des 500 hommes, qui avaient été recrutés dans tous les villages des Wedabos, furent dirigés vers le littoral, alors que Jeh était toujours prisonnier à Monrovia. Note. — Des preuves de cet incident peuvent être trouvées dans l’original d’une lettre envoyée par l’Inspecteur du Comté au Secrétaire d’Etat, à la date du 8 décembre 1924 et qui porte ce qui suit : « J’ai l’honneur de vous informer que le vapeur espagnol Montserrat est arrivé ce jour dans ce port, vers 4 heures et, après avoir embarqué ici 80 hommes, nous avons quitté pour Wedabo à 6 heures 30, le lendemain, en marchant à une faible vitesse ; nous sommes arrivés à midi à Wedabo où nous avons fait escale jusqu’au lendemain matin, à la demande du chef, pour prendre à bord 316 hommes. Il en restait enciron 200 à embar­ quer, mais le capitaine ne voulut pas attendre et quitta à midi. Les autres hommes seront embarqués dans ce port (je veux dire ceux qui proviennent spécialement de cette région) ». Le navire partit. Lorsqu’il arriva à Fernando Po, le Consul de Liberia, M. Gabriel Johnson, remit les hommes au « Curador » et ils furent répartis parmi les plantations. Lorsque les £300.0.0. furent versées et que les 500 hommes étaient partis, le Président dit à Jeh : « Rentre maintenant. Mais lorsque tu seras rentré tu devras remettre à l’inspecteur Yancy les hommes qui ont tué les membres de la tribu de la rivière Poo. » Lorsque Jeh arriva chez lui, il trouva ses villages vides et ses femmes en larmes et il demanda quel malheur les avait frappées. Elles lui racontèrent que 500 hommes et jeunes gens avaient été embarqués et que l’Inspecteur Yancy en avait demandé 200 de plus :. Jeh répondit : « Ils ne peuvent pas partir ; ce serait la destruction de notre pays. » Conformément aux instructions du Président King, il ordonna que trois hommes fussent remis à l’Inspecteur Yancy pour subir le châtiment. L’Inspecteur dirigea ces hommes vers sa plantation privée à Webbo où ils furent obligés de travailler. Lorsque l’inspecteur Yancy apprit que Jeh refusait de livrer un nouveau contingent de 200 hommes, il se fâcha et envoya un détachement important de soldats, sous les ordres de John Delaney, pour le châtier et pour prendre les hommes de force. Après avoir quitté Cap Palmas dans la direction du sud, le détachement, sans attaquer les premiers villages des Wedabos, continua à progresser jusqu’à ce qu’il eût atteint le dernier village ; puis il s’empara subitement du village de Julucan 2. Le détachement prit 12 des vieillards du village qui furent ligotés et battus ; en outre, les soldats tuèrent 3 vaches et 3 chèvres pour leur « ravitaillement » et exigèrent le payement d’une somme de £10.0.0. Les vieillards furent dirigés sur Soloken 3. A Soloken, John Delaney et 12 soldats firent appeler le chef. Le village avait dû fournir un si grand nombre d’hommes jeunes pour le premier transport qu’il était incapable d’en livrer beaucoup plus. Delaney arrêta alors deux des anciens et le chef du village, les fit ligoter et flageller, et exigea, en outre, trois sacs de riz, une chèvre et £5.0.0. Ensuite, il se mit en route avec les otages ; le prochain arrêt eut lieu à Jalatuen 4. Dans ce village, le détachement exigea la livraison d’hommes jeunes et « se mit à frapper les hommes, les femmes et les enfants » indistinctement. Les habitants se sauvèrent sous la brousse. Ne pouvant trouver d’hommes jeunes, le détachement prit et arrêta 12 des hommes âgés du village ; il demanda et on lui remit un sac de riz, une vache, trois chèvres et une somme de £10.0.0 pour son ravitaillement. De Jalatuen, le détachement se rendit à Gbanken 5. Il était minuit et il avait plu. Les soldats surprirent le chef et les habitants du village de Gbanken, les tirèrent de leurs huttes et, les jetant à terre, se mirent à les frapper avec des fouets. Le chef Martin demanda : « Que se passe-t-il ? Vous venez pour Fernando Po ? Premiers hommes, partis, 500. Pourquoi vous ne pas dire que vous venez pour plus ? ». Le détachement prit 15 vieillards, et s’empara de trois chèvres, d’un bœuf, de deux sacs de riz et de £17.0.0. La longue file d’hommes quitta ensuite le pays pour se rendre, par WTedabo Beach, à Garroway et, de là, à Harper. Les vieillards et les chefs furent battus au cours de la marche.' En outre, pour les punir, on les força à porter une chèvre dans leurs bras étendus, en leur interdisant de placer l’animal sur leur tête ou leurs épaules 6.

1 Voir le document et le témoignage de Jeh. 2 Voir le témoignage du chef Toklah, de Julucan. 3 Voir le témoignage du chef Key, de Soloken. 4 Voir le témoignage du chef Zibo, de Jalatuen. 5 Voir le témoignage du chef Martin, de Gbanken. 6 Voir le témoignage de M’Vlen M’CIen, jeune chef héréditaire, chef de Jalatuen. Témoignage de Pie et N ’Yenpan. --- 22 ---

Les otages furent remis à l’Inspecteur Yancy, à Harper, et jetés tout d’abord en prison où ils devaient rester jusqu’au moment où les 200 jeunes hommes auraient été livrés. Pendant la détention de ces hommes, le fils du chef Zibo, un jeune homme, se rendit auprès de l’Ins­ pecteur et l’informa qu’il ne restait pas 200 hommes jeunes dans les villages et que la déten­ tion des vieillards était inutile. Il fut aussitôt emprisonné à son tour avec les vieillards 1. Ceux-ci furent ultérieurement transférés sur la plantation de l’inspecteur Yancy, à Webbo, et employés à nettoyer le café et la cassave, à porter des troncs d'arbres et à faire des sillons pour ses caoutchoutiers. Des messagers furent envoyés dans les villages de ces hommes pour chercher leur nourriture. Les otages restèrent soumis à ce régime pendant deux mois environ, jusqu’au moment où les 200 hommes jeunes se rendirent, pensant assurer la libération des anciens respectés du village. L’inspecteur Yancy s’approcha alors du fils de Zibo et lui dit : « Tu m’as dit qu’il ne restait plus d’hommes jeunes. Tu vois bien qu’il y en a encore 200. Pour te punir, je t’enverrai à Fernando Po comme chef de ces hommes ». Les 200 hommes furent embarqués. Des 700 hommes qui étaient partis, beaucoup sont morts, d’autres sont rentrés, mais ils ont rapporté très peu d’argent. Wedabo Beach, Jalatuen, Soloken, Jalatah et Kordor du Secteur des Wedabos ont été visités par le Commissaire américain. A Soloken, la capitale, il s’est rendu, accompagné d’inter­ prètes indigènes instruits, dans chacune des 405 huttes du village, a compté les familles et a recueilli tous les autres renseignements appropriés 2. Ce village, qui était jadis assez peuplé, compte actuellement 651 habitants, et le nombre des femmes dépasse de 30% celui des hommes, c’est-à-dire on compte 130 femmes par 100 hommes, et, dans les groupes d’âge actifs de 20 à 40 ans, même 150 femmes par 100 hommes. Il semble utile de mentionner, en raison de l’importance du fait, que 91 des hommes et des jeunes gens des familles, qui restaient au village, étaient morts à Fernando Po, n’étaient pas rentrés pour une autre raison quelconque ou n’avaient pas donné de leurs nouvelles à la tribu. De ceux qui étaient rentrés, deux étaient malades et un autre avait perdu la raison. Le village de Kordor, qui se trouve environ à deux heures de marche de Soloken, a été visité et photographié. Quarante et une huttes étaient habitées à l’époque où les hommes avaient été demandés pour Fernando Po. Toutes ces huttes sont maintenant désertes ; le village est complètement envahi par les mauvaises herbes et la vigne sauvage ; les toits de chaume et les murs en pisé s’écroulent. Le tout présente un aspect de désolation. On a également visité et photographié le site où s’élevait le village de Jalatah. Tout ce qui reste, c’est un arbre à pain. Les habitations ont été démolies et, au cours des cinq dernières années, une plantation de riz a été créée sur cet emplacement. La peuplade des Wedabos a néanmoins été contrainte à payer annuellement une taxe de £60.0.0 pour les huttes qui existaient jadis sur cet emplacement et elle continue à être tenue de verser cet impôt. La traite des « boys ». En 1928, l’Inspecteur Yancy a été désigné comme Vice-Président du Libéria. Il convo­ qua une nouvelle réunion de chefs à Wedabo Beach et leur annonça : « Je viens de rentrer de Monrovia, et, d’ordre du Président de la République, je vous fait savoir que chaque grand chef doit me fournir des hommes pour Fernando Po. Chaque grand chef présent devra en livrer soixante. S’il refuse, il devra verser pour chaque homme manquant une somme de £10.0.0. Au cas où cette somme ne serait pas payée et où les hommes ne seraient pas fournis, j’enverrai des soldats et je ferai détruire le village. Quiconque doute que je suis autorisé par le Président de la République à demander des hommes peut aller à Monrovia et se renseigner lui-même. Le Président lui confirmera cet ordre 3 ». L’un des chefs répondit : « Nous n’avons jamais vu chose pareille. Si quelqu’un veut aller à la Côte de l’Or, il peut y aller lui-même. Jamais on n’a envoyé personne de force. » Un autre chef ajouta : « Depuis que nous ici, jamais été à Fernando Po, mais les Wedabos transportés là-bas pour punition ; vous envoyé beaucoup : 140 morts là. Quoi avons-nous fait pour vous vouloir envoyer nous aussi ? » 4. Jack Jarraca 5 de Grand Cess, que M. Yancy avait nommé grand chef après avoir tiré £600.0.0 des chefs du village, qui s’opposaient à la désignation de Jack Jarraca parce qu’ils le considéraient comme inapte, fit ensuite la déclaration suivante : « Comme vous avez reçu des instructions du Président de la République, personne ne refusera, et l’ordre du Président sera exécuté » 6. Enfin, le grand chef Jury, de Picannini Cess, ajouta : « M. Yancy, nous construisons des routes sans être payés ni nourris ; nous payons des impôts sans contre-partie. Nous supportons ces charges parce que c’est notre pays. Néanmoins le Président nous ordonne d’aller à Fernando Po. Comment cela se peut-il ? Nous ne pouvons pas envoyer des hommes à Fernando Po et des travailleurs pour la route. Où prendrions-nous tant d’hommes » 7? Le grand chef Broh de Frenropo envoya cependant deux messagers auprès du Président King pour lui demander s’il avait effectivement donné cet ordre au Vice-Président 8. Ces messagers étaient les nommés Solomon N’Yepan et Nyantenee. Les messagers arrivèrent à Monrovia et consultèrent des membres de leurs familles habitant le village de Kru 9.

1 Voir le témoignage du chef Zibo. 2 Voir Mémorandum spécial sur les villages indigènes. 3 voir les témoignages du chef Nimlev de Grand Cess, du grand chef Broh de Frenropo, du grand chef Jury de Picannini Cess", du grand chef Nyan (Yarn) de Suehn et du grand chef Jeh de Wedabo. 4 Voir le témoignage du grand chef Nyan (Yarn) de Suehn. 5 Voir le témoignage de Grand Cess. e Voir le témoignage de D. D. Twegby, représentant le grand chef Jack Jarraca de Grand Cess. 7 voir le témoignage du grand chef Jury, ainsi que le témoignage du chef Nimley de Grand Cess. s voir les témoignages du grand chef Broh, du grand chef Jury, du grand chef Nimley, du grand chef Nvan (Yarn) du grand chef Jeh. a Voir le témoignage de Karpeh, Gouverneur du village de Kru. — 23 —

Jim Doe et Karpeh, ancien Gouverneur du village de Kru, les conduisirent tout d'abord auprès du Secrétaire de l’Intérieur et ensuite chez le Président de la République 1. Le Président leur fit observer que les accusations étaient graves ; il déclara qu’il n’avait jamais donné cet ordre et les renvoya pour obtenir des renseignements complémentaires. Lorsqu’on sut à Cap Palmas que les messagers de Broh étaient revenus de Monrovia avec l’affirmation que le Président n'avait pas donné cet ordre, la satisfaction fut grande. Toutefois, l’Inspecteur Brooks, du comté de Maryland, le Sénateur W. V. S. Tubman et l’Honorable McBorough se rendirent aussitôt à Picannini Cess et s’informèrent auprès de Broh si, oui ou non, il avait envoyé des messagers auprès du Président et pour quelle raison il l’avait fait. Broh fut appréhendé, arrêté et transféré sur le canot à vapeur, partant pour Cap Palmas. A Grand Cess, le groupe se rendit à terre pour y passer la nuit, mais laissa le chef Broh tout sel à bord. Pendant la nuit, la mer rejeta le canot sur la grève ; le chef Broh dut rester sur un rocher jusqu’au matin. A Cap Palmas, il fut incarcéré dans la maison de l’Inspecteur Brooks et retenu prisonnier sous la garde d’un groupe de soldats des troupes de frontière, alors qu’un autre détachement de soldats était envoyé dans son pays, où il arrêta 40 hommes 2. Les soldats ligotèrent les hommes en leur attachant des bâtons derrière les jambes ; ils fouettèrent les hommes et les femmes indistinctement et tuèrent des animaux domestiques ; enfin ils détruisirent le brevet par lequel le Président avait nommé Broh grand chef3. Le détachement se rendit ensuite au village des chefs de Suehn, de Topo, de Baropo et de Wedabo. Ces grands chefs furent incarcérés avec Broh. A Suehn et à Wedabo, le détachement fit irruption pendant la nuit, ligota et fouetta les hommes et les femmes et s’empara de riz et de volaille 4. Le détachement abattit quatre vaches pour son ravitaillement, et le Capitaine Phillips demanda encore et obtint effectivement £40.0.0 « pour acheter du rhum ». L’un des douze hommes capturés à Suehn, le nommé Wyler Cojah, succomba à la suite des mauvais traitements que lui avaient fait subir les soldats. Tous les hommes arrêtés furent ensuite transférés à la plantation du Vice-Président Yancy et les chefs furent fouettés en présence de leurs hommes. Broh fut accusé de s’être moqué des autres chefs par sa manière d’agir et tous furent condamnés à des amendes :

F re n ro p o ...... £200.0.0 K palagbo...... 394.0.0 T o p o ...... 100.0.0 S u e h n ...... 100.0.0

Ces amendes furent payées 5.

Quatre hommes du secteur de Broh, les nommés : Mandoo, Keke, Doyalah et Nimini succombèrent à la suite des mauvais traitements que leur avaient fait subir les soldats de ce détachement. Pendant que les chefs étaient emprisonnés, un groupe de la peuplade des Baropos, sous la conduite du délégué Bellor, se rendit auprès du Vice-Président et obtint le règlement, dans un sens favorable, d’une querelle relative à certains territoires, qui divisait depuis longtemps les tribus. Bellor déclare 6 avoir versé plus de £500.0.0.

Question. — Est-ce que des palabres ont eu lieu récemment entre votre peuplade et d’autres tribus ? Bellor. — Oui, grande palabre avec Frenropo. Jamais fixé même endroit. Aucun accord entre nous. Question. — S’agit-il de terres ? Bellor. — Oui, monsieur. Question. — Le Gouvernement a-t-il déjà réglé cette question ? Bellor. — M. Brooks et M. Yancy étaient là et ont réglé. Question. — Le règlement donne-t-il satisfaction à la peuplade ? Bellor. — Oui, tous contents maintenant. Question. — Votre peuplade a-t-elle versé une somme quelconque à l’occasion du règlement de cette affaire ? Bellor. — Oui. Question. — Combien ? Bellor. — Moi pas pouvoir compter argent exactement, mais depuis commencement palabre plus de £500. Hommes de Cap Palmas disent Gouvernement ne trouve pas petit papier pour nous argent payé (reçu). Question. — A qui avez-vous versé cet argent ? Bellor. — AM. Brooks.

1 Voir les témoignages de Jim Doe et de Karpeh (Séances de Monrovia). 2 Voir la plainte du chef Broh adressée au Président King. 3 Idem. 4 Témoignage du chef Nyan (Yarn) de Suehn. 5 Voir le témoignage du grand chef Broh, Jury, Gofa et la plainte adressée au Président de la République par Broh, Jury, Gofa : Annexes X and XII. 6 Voir le témoignage de Bellor, A. 405. Lorsqu’il fut relâché, Broh se rendit personnellement à Monrovia avec quelques autres chefs, pour saisir le Président de la République d’une plainte ; il arriva au moment où le Prési­ dent assistait à la conférence de Kakata de 1929. Lorsque le Président fut de retour, l’accusa­ tion fut renouvelée en présence du Vice-Président Yancy. Aucun jugement ne fut rendu, mais on leur dit qu’ils devaient rentrer chez eux à Maryland et que le Secrétaire de l’Intérieur se rendrait sur place pour procéder à une enquête. Pendant l’absence des chefs, un détachement militaire fut toutefois envoyé dans leurs villages. Dans le village du chef Jury, des hommes et des femmes, entre autres la femme de Jury lui-même, furent arrêtés et ligotés, et quelques- uns furent envoyés à Cap Palmas '. Dans le pays des Topos, le détachement exigea cinq sacs de riz pour les soldats et, pour le capitaine, une vache que celui-ci emmena chez lui. Le « Speaker » Boryono Doco, remplaçant de Gofa donne le récit suivant des événements ultérieurs : « Après cela, le lieutenant Phillips nous renvoya. Il nous dit qu’il allait prendre un bain et s’occuper du déjeuner ; il nous ordonna de revenir chez lui à deux heures après- midi : à l’heure fixée, tous les hommes de la ville se réunirent devant la maison couverte de zinc qu’il occupait ; il ordonna à ses soldats de nous entourer de toutes parts, et lorsqu’il fut certain que tous les hommes étaient complètement entourés, il nous demanda : « Où est votre grand chef Gofa ? » Je me levai et lui répondis que Gofa était parti à Monrovia. Il me demanda : « Comment t’appelles-tu ? » Je lui répondis : « Je m'appelle Boryano Doco. » Alors le lieutenant Phillips dit qu’il aimait celui qui voulait bien lui dire la vérité. Alors, il brandit son grand fouet de caoutchouc et commença à me fouetter aussi fort qu’il le put, et lorsqu’il fut fatigué, il ordonna aux soldats de me jeter à terre. Les soldats me jetèrent par terre et commencèrent à me frapper. Après cette sévère fustigation, les soldats me placèrent le pied entre deux morceaux de bois dur et lièrent ensemble les deux bouts de la baguette ; plus on tirait sur la corde et plus la baguette me rentrait dans la chair. J ’ai souffert terriblement de ce traitement cruel, je garde au pied la cicatrice d’une vilaine plaie qu’une de ces baguettes m’a faite, et je puis la montrer à tout le monde. Je ne suis pas le seul à avoir été fouetté. Les soldats se sont précipités sur la foule, et ils ont battu les autres hommes de tous côtés, ils en ont ligoté autant qu’ils ont pu, et ils leur ont fait subir la même torture. Après, le lieutenant nous enferma tous dans une maison, au coucher du soleil. Yanfor et Magbé, les deux hommes les plus anciens de la tribu, qui sont même plus vieux que le grand chef Gofa, se trouvaient dans la foule ; en fait, ces deux hommes sont les propriétaires du pays. Nous ne voulions pas qu’ils couchent en prison, aussi nous allâmes supplier le lieutenant Phillips de les délivrer ; il exigea de nous dix livres si nous ne voulions pas que les deux vieillards couchent au corps de garde ; le peuple donna au porte-parole du chef Gofa, M’ma Doe, dix livres pour assurer la libération des deux vieillards, et le porte-parole remit l’argent au lieutenant Phillips ; quand il eut reçu les dix livres, il libéra les deux hommes. « Après la libération des deux vieillards, nous étions vingt-quatre hommes au corps de garde ; le lendemain matin, lorsque le lieutenant Phillips s’apprêtait' à nous emmener tous prisonniers à Harper, les habitants supplièrent le lieutenant de me libérer. Ils lui indiquèrent que, rendu malade par la fustigation sévère que j’avais reçue de ses soldats et de lui-même, je pourrais mourir en route s’il m’emmenait à Harper, parce qu’il était fort probable que ses soldats me battraient encore pendant le voyage. Il accepta de me libérer, mais il demanda aux habitants de m ’enlever de ses mains, c’est-à-dire de lui apporter quelque argent pour ma rançon. Les habitants lui donnèrent quatre livres, mais il refusa d’accepter cet argent et demanda une vache, en disant qu’il m’emmènerait si on ne la lui apportait pas. Alors, les femmes commencèrent à pleurer, et le village résonna de grands cris ; ma famille prit une vache avec son veau et les remit au lieutenant Phillips, qui me laissa partir. « Il prit les vingt-trois autres personnes et se mit en route pour Harper. Le lieu­ tenant arriva à Harper tard dans la soirée et remit les prisonniers au vice-président Yancy, qui les envoya dans sa ferme le lendemain matin peu avant l’aube. Les prisonniers furent fouettés si cruellement par les soldats pendant le voyage de deux jours qui les amena de notre village à Harper, que l’un d’eux, appelé Kohkoh Jehleh, mourut à la suite des coups reçus, deux jours après qu’il fut arrivé à la prison de la ferme du vice- président. « Lorsque nous apprîmes la nouvelle de la mort de Jehleh, mon peuple, la tribu Topo, envoya M’ma Doe comme messager spécial au vice-président Yancy, pour découvrir la raison pour laquelle les hommes que le lieutenant Phillips avait emmenés à Harper avaient été arrêtés et traités si cruellement que l’un d’eux était mort à la suite des coups reçus. Il dit qu’il avait fait arrêter les hommes parce que le grand chef Gofa, de la tribu Topo, était allé à Monrovia pour le dénoncer au président et qu’il ne libérerait les vingt- deux autres hommes que si nous lui envoyions cent livres. Nous réunîmes les cent livres, et nous les donnâmes au même M’ma Doe et à Gebo Chea ; ces deux hommes emportèrent l’argent, qu’ils remirent au vice-président. Après qu’il eut reçu cet argent, le vice-président dit aux deux hommes : « Je vois ces cent livres ; j’accepte cette somme comme une amende parce que votre grand chef est allé à Monrovia pour me dénoncer, mais je voudrais savoir ce qui a passé par la tête à vos notables pour permettre à Gofa d’aller à Monrovia. C’est pourquoi vous devez retourner pour dire à votre peuple de m’envoyer encore cent livres avant que je libère les prisonniers. » Les deux messagers revinrent nous rapporter cette nouvelle demande d’argent. Nous réunîmes cette deuxième somme de cent livres, que nous envoyâmes au vice-président par les mêmes messagers. Ils lui remirent l’argent, et le vice-président libéra les hommes qu’il fit amener chez eux par nos messagers. »

1 Témoignage du chef Jury. A. 400. — 25 —

Les membres de la Commission ont recueilli dans une vaste région et par les témoignages, qui, directement ou indirectement, se rapportent à plusieurs milliers d’indigènes, des preuves certaines, des détails des incidents tels qu’ils ont été exposés dans le présent document, à l’aide de renseignements provenant de nombreuses sources. Le Secrétaire de l’Intérieur n’aurait probablement pas été en mesure de faire des constatations différentes. Les chants des indigènes révèlent eux-mêmes la peur et la tristesse qu’a inspirées aux chefs et à leurs sujets l’envoi d’une partie des hommes à Fernando Po et à Libreville

Extorsion d'amendes élevées.

L’incident de Wedabo Beach, relaté ci-dessus, constitue aux yeux de la Commission un exemple qui prouve qu’on fait de l’autorité gouvernementale un usage qui doit nécessairement laisser supposer aux indigènes que les mesures en question sont ordonnées par le gouvernement lui-même. L’exploitation des rapports qui existent à l’intérieur de la tribu entre les indigènes et leurs chefs a constitué un moyen très efficace pour obtenir un semblant de consentement à l’embarquement ; de cette manière, on laisse au chef le soin d’exercer la contrainte nécessaire. Lorsque les chefs ont résisté, comme dans le cas cité, on peut les amener à composition en appauvrissant peu à peu toute la peuplade. L’effet est le même, que les hommes soient privés de leur liberté directement par une pression extérieure ou indirectement par une pression intérieure. On indique ci-après, d’après les récits des chefs, le montant des amendes qui leur ont été extorquées, dans l’incident de Wedabo Beach, lorsqu’ils ont résisté à la tentative faite pour obtenir des hommes :

Grand chef Jeh. Amende primitive, imposée par le Président K in g ...... £300.0.0 Versé au Commissaire de District à Grand C ess...... 100.0.0 Versé à M. Yancy pour honoraires des 3 hommes de loi (Tubman, Cooper et D ossen)...... 100.0.0 Versé à M. Yancy pour les hommes de loi susmentionnés. . . . 300.0.0 Versé à M. Yancy lors du règlement provisoire de l’affaire . . . 60.0.0 Versé par les sous-chefs à l’inspecteur Brooks...... 14.0.0 Versé au Lieutenant Phillips par le sous-chef...... 1.0.0 Versé par le sous-chef Martin au Lt. P h illip s ...... 10.0.0 Versé à M. Yancy par le Grand Chef Je h ...... 5.0.0 » » » » » » ...... 20.0.0 » » » » » » ...... 40.0.0 » » » » » » ...... 40.0.0 Versé à M. Yancy par le sous-chef Zibo...... 8 .0 .0 » » » » » 50.0.0 Versé à M. Yancy par le sous-chef M artin ...... 60.0.0 Versé à M. Yancy par la peuplade des Wedabos pour la libération de J e h ...... 140.0.0 Total des sommes versées en a rg e n t ...... £1,248.0.0 A déduire le montant de l’amende administrative. . 300.0.0 £948.0.0

En outre, les soldats, lors des raids, ont exigé la livraison de bétail et de riz (7 vaches, 1 chèvre et 3 sacs de riz).

1 L’un de ces chants, qui a été enregistré à l’aide d’un petit appareil phonographique enregistreur, sans qu’on ait eu l'intention de s’en servir pour les besoins de l’enquête, a été traduit ultérieurement et on a constaté qu’il était intitulé : « La complainte des femmes des Wedabos ». Voici le texte de ce chant : Le malheur s’est abattu sur notre tribu. Jeh a été emprisonné et mis à l’amende. C’est pourquoi Yancy est venu dans notre pays. Il a pris nos maris et nos frères, Pour les transporter à ‘Nana Poo’ Où ils meurent, Où ils meurent. D is-nous Yancy, pourquoi ? Yancy, pourquoi ? Les femmes Wedabos n’ont pas de maris, Yancy, pourquoi ? Les femmes Wedabos n’ont pas de frères, Yancy, pourquoi ? Les mères, les pères, les fils sont morts En attendant leur retour, Yancy, pourquoi ? etc., etc. Dans la suite du chant, on rappelle les noms des hommes qui sont partis depuis longtemps et on dit : ' ^ous ne pouvons pas vous blâmer de ne pas être morts glorieusement au combat. Si vous étiez tombés au combat sous le règne de Jeh, il serait responsable. Un chef est responsable de ceux qui tombent sur le champ de bataille. Mais ils ont été enlevés à Jeh. Ils ont été enlevés à leur peuple et ne sont jamais revenus. 1 ancy, pourquoi ?, etc. » — 2 6 —

Chef Yarn de Suehn. Versé au lieutenant Phillips à la suite de la menace de brûler le v i l l a g e ...... > . . . . £40.0.0 Versé à M. Yancy pour la libération des vieillards emmenés prisonniers à la suite du refus du chef d’envoyer des hommes à Fernando P o ...... 100.0.0 Versé à M. Yancy pour obtenir la libération des hommes occupés à la construction de routes, afin qu’ils puissent cultiver leurs champs 80.0.0 T o t a l ...... £220.0.0 En outre, le Lieutenant Phillips a pris, lors des raids, 3 vaches et 9 chèvres.

Chef Gofa de Topo. Versé au Lieutenant Phillips par le délégué de G ofa ...... £10.0.0 Versé à M. Yancy pour la libération de 22 hommes retenus pri­ sonniers à la suite du refus de livrer des hommes pour Fernando Po 100.0.0 Second versement à M. Yancy pour la libération des 22 hommes retenus prisonniers à la suite du refus de livrer des hommes pour Fernando P o ...... 100.0.0 Versé à M. Yancy afin d ’obtenir, pour la durée des travaux agri­ coles la libération des hommes travaillant à la construction de la r o u te ...... 80.0.0 T o ta l...... £290.0.0 En outre, 5 sacs de riz et une vache.

Chef Broh de Frenropo. Versé à M. Yancy à titre d’amende pour l’envoi auprès du Pré­ sident King de messagers dans l’affaire de la demande d’hommes pour Fernando P o...... £200.0.0 Versé à l’Inspecteur Brooks pour le canot automobile envoyé pour arrêter le chef à la suite de l’envoi de messagers à Monrovia . 72.10.0 Versé au sénateur Tubman pour une affaire qui n’a jamais été soumise au tr ib u n a l...... 110.0.0 Versé à l’Inspecteur Brooks pour le remboursement de ses dé­ penses à Grand C e s s ...... 25.0.0 Dépenses d’une commission envoyée pour procéder à une enquête sur les conflits entre trib u s ...... 75.0.0 T o t a l ...... £482.10.0

Le total des sommes payées par quatre chefs s’est élevé à £1.940.10.0 (soit plus de $9.500.00) abstraction faite du bétail, des amendes accessoires payées par d’autres chefs dans les mêmes affaires et des amendes élevées infligées aux quatre chefs susmentionnés uniquement dans l’affaire des conflits de terres qui est loin d’être réglée et fournit par conséquent l’occasion d’imposer de nouvelles amendes à l’avenir.

Exécution de raids dans les villages pour capturer des hommes.

a) En 1927, l’Inspecteur Yancy exigea du secteur de Barrabo la livraison de 100 hommes pour Fernando Po. Il transmit l’ordre au Commissaire de District Scott, qui, à son tour, le communiqua au grand chef. Le chef souleva des objections et retarda l’envoi, de sorte que des soldats furent envoyés pour s’emparer des hommes. Ceux-ci se sauvèrent dans la brousse. Il est assez fréquent que des hommes se rendent dans la région du littoral pour travailler à bord des vapeurs et même qu’ils s’engagent dans certaines colonies britanniques. Ils ont été traités d’une manière équitable et bien payés, mais à leur retour, on leur enlève une grande partie de leurs gains sous forme de droits de douane, de taxes et même de redevances illégales perçues par les gardiens de quai ; ces prélèvements atteignent quelquefois 100% de la valeur des articles et atteignent fréquemment une proportion plus élevée. Toutefois, les hommes, même lorsqu’il s’agit de travailler à bord des bateaux, ne partent pas au hasard. La coutume d u pays veut qu’ils consultent les oracles par l’intermédiaire de leurs sorciers. Si la réponse est favorable, ils partent tranquillement et volontairement ; si la réponse est défavorable, ils attendent une autre occasion. Toutefois, les demandes catégoriques exigeaient des hommes, que la volonté des dieux ait été favorable ou non. Lorsque le détachement militaire arriva à Barrabo, le grand chef, effrayé, dit : « J ’essaie. » Les soldats répondirent : « Nous les prendrons pour toi. » L e détachement arrêta et emprisonna alors des vieillards, des femmes et des enfants. Les jeunes hommes, lorsqu’ils apprirent dans la brousse ce qui s’était passé, décidèrent de se rendre, plutôt que de voir les anciens em m enes ou maltraités plus longtemps. Le groupe qui était parti en 1927 n’était pas rentré encore en 1930 au moment où le secteur fut visité '.

1 Voir le témoignage des chefs des Barrabos. A.436-7. — 27 —

b) En mars 1929, des soldats furent envoyés à Tareyteybeylu, pendant la nuit, pour prendre des hommes destinés à être expédiés à Fernando Po. Le détachement terrorisa les habitants du village, prit 10 hommes et les emmena à Webbo. Le chef fut battu, ligoté et emprisonné. Le chef d’équipe, qui demanda pour quelle raison on le forçait à aller à Fernando Po, fut cruellement battu et ne put recouvrer la liberté que moyennant le versement d’une somme de £6.0.0. c) En 1929, M. Yancy visita Manohlu et demanda des hommes pour Fernando Po. On refusa de les livrer. Le Commissaire Proud se rendit alors sur place, prit 20 hommes avec l’aide d’un détachement militaire et emprisonna le chef. Pendant que le détachement militaire visitait les huttes, quelques-uns des hommes se sauvèrent. D’autres pleuraient avec les femmes. Le Commissaire transforma une hutte en prison et incarcéra les hommes jusqu’au moment où il en eut capturé un nombre suffisant. Les hommes furent ensuite dirigés vers la ville, avec leurs mains liées derrière le dos. Ils furent détenus à Cap Palmas pendant une semaine environ et transférés à bord d'un vapeur espagnol partant pour Fernando Po 1. d) Un nommé Robert, trompette des troupes de frontière, a fait devant la Commission à Monrovia la déposition suivante : Conformément à un ordre, donné au capitaine Whisnant des troupes de frontière libériennes et demandant la livraison de 20 hommes, lui-même et d’autres soldats capturèrent le nombre requis d’hommes et les livrèrent à M. Yancy. « Ceux qui ne désiraient pas partir pour la côte furent emprisonnés à Harper et ceux qui voulaient partir furent embarqués. M. Yancy renvoya ceux qui ne désiraient pas partir » 2. e) Au cours des séances que la Commission a tenues à Monrovia, la déposition suivante a été faite, sous la foi du serment, par l’Inspecteur des travaux publics Victor Cooper de Cap Palmas : « Au mois d’avril 1929, je rentrai à Cap Palmas. Après mon arrivée, je demandai des nouvelles du chef Broh et j’appris qu’il était emprisonné dans la maison de l’Ins­ pecteur Brooks. A peu près une semaine plus tard, un soir, entre 18 h. 30 et 19 heures, je vis une grande foule se rassembler dans « Water Street ». Je me mêlai à la foule pour voir ce qui se passait. Je vis des hommes qu’on alignait deux par deux au fur et à mesure qu’ils furent amenés de Puduke à Harper par les troupes de frontière libériennes sous le commandement du lieutenant Phillips. Lorsque tous les hommes furent arrivés, on les compta ; leur nombre était de 300 environ. C’était pitié de voir ces hommes qui avaient marché pendant toute la journée et toute la nuit ; ils n’avaient rien eu à manger, mais par contre on ne leur avait pas ménagé les coups. Ce n’est qu’à une heure avancée de la nuit qu’ils étaient tous arrivés. Quelques-uns furent transférés à la salle maçonnique et d’autres dans le campement de M. Yancy. « Le lendemain, ces hommes avaient disparu. Lorsque je pris des renseignements, on me dit qu’avant l’aube, ils avaient été transférés à la plantation de M. Yancy. J ’eus hâte de me rendre à cette plantation pour voir ces hommes, parce que l’affaire m ’intéressait et que j’avais pitié d’eux, mais on me donna le conseil de ne pas y aller et on me dit que même au cas où je me rendrais sur place, on ne me permettrait pas de voir les hommes ou d’assister à l’inspection. Je décidai donc de rester. » /) En 1928, lorsqu’on constata que les requêtes des hommes contre l’envoi forcé à Fernando Po ne donnaient aucun résultat, un groupe de plusieurs centaines de femmes se rendit à Cap Palmas pour prier le Vice-Président de ne pas envoyer à l’étranger leurs maris et leurs frères ; elles errèrent misérablement dans la ville, présentèrent leur pétition sans aucun succès et retournèrent complètement découragées dans leurs villages. Cette démarche des femmes est un fait notoire ; plusieurs personnalités importantes de Cap Palmas en ont parlé devant les membres de la Commission et notamment un ancien haut fonctionnaire de l’Etat qui jouit d’un excellent renom et auquel ces femmes s’étaient adressées pour qu’il intervînt en leur faveur. Le fait a également été reconnu par M. Collins, l’un des agents de recrutement de M. Yancy, qui avait toutefois tendance à réduire l’importance de l’incident. g) Kuia, un indigène Grebo de Biabo (comté de Maryland), venant de Fernando Po, arriva à Monrovia pendant que la Commission était réunie (juillet 1930) ; il comparut devant la Commission et affirma, sous la foi du serment, qu’en mars 1929, un détachement militaire était arrivé la nuit dans son village de Suke, relevant du grand chef Kassa, qu’il avait frappé aux portes, puis arrêté et ligoté tous les hommes et toutes les femmes. Les habitants du village furent terrorisés ; beaucoup d’hommes se sauvèrent dans la brousse, mais revinrent lorsqu’ils apprirent que leurs femmes avait été emprisonnées. Les hommes, sans ravitaillement et sans vêtements suffisants, furent alors dirigés sur Cap Palmas où ils furent remis à M. Yancy. On leur dit qu’au cas où ils essaieraient de s’échapper, leur village serait incendié. M. Yancy enferma un nombre considérable de ces hommes dans une grande maison où ils restèrent jusqu’à l’arrivée du vapeur. Question. — Comment s’appelait l’homme qui vous a arrêté ? Kuia. — Il faisait nuit. Noir. Sorti épouvanté et pris aussitôt. N’ai pas pu demander le nom. Question. — S’agissait-il de soldats ? Kuia. — Oui, soldats.

1 Voir le témoignage du chef Hoto de Manohlu, A. 369. 2 Voir le témoignage de Robert, A. 81.

3 — 2 8 —-

Question. — Qu’ont-ils fait ? Kuia. — Emmené à Cap Palmas pour envoyer moi Fernando Po. M. Yancy enfermé moi dans grande maison et dit si toi partir, moi brûler ton pays. Question. — M. Yancy vous a-t-il demandé si vous vouliez partir ou non ? Kuia. — Pas demandé, simplement compté et ordonné partir pour Fernando Po. Question. — Lorsque M. Yancy vous a enfermé dans la maison avant de vous envoyer à bord du vapeur, vous a-t-il fait comparaître devant un fonctionnaire quelconque du Gouvernement ? Kuia. — Non. Question. — M. Yancy vous a-t-il dit que c’était le Gouvernement qui vous faisait arrêter ? Kuia. — M. Yancy dire ordre du Gouvernement. Cet indigène avait travaillé à Fernando Po pendant quatorze mois et revenait avec un mandat de paiement pour une somme de £1.12.3.

Gouvernement colonial.

Fernando Po.

Le travailleur Kuia, indigène de Monrovia, encaissera lors de son débarquement dans la République de Libéria la somme de £1.12.3, solde qui lui reste dû en vertu de son contrat N ° ...... en date d u ...... 192.. Cette somme lui sera remise par le capitaine du vapeur Legazzi (ou Legazpi).

Santa-Isabel, le 14 juin 1930.

Règlement — pesetas 76,25 Le Gouverneur de la Colonie, Cours fixe du change % (?) (Cachet) Somme versée pour (Signature) règlement £1.12.3

h) Le grand chef Choami, de Kronroke, déclara que le Commissaire de district l’avait appelé et l’avait informé qu’il avait reçu l’ordre de demander des hommes pour Fernando Po. Le Commissaire admit qu’au cours de son premier entretien avec les chefs il leur avait conseillé de ne pas permettre l’envoi d’hommes à Fernando Po et qu’il avait fait valoir non seulement certaines objections contre l’île, mais aussi qu’il s’efforcerait d’introduire une méthode de culture communale destinée à accroître la production de la région. Il ajouta qu’il avait toutefois reçu du Gouvernement central une lettre énergique lui annonçant que des mesures seraient prises contre les chefs en cas de refus. Le chef éleva des objections et fut aussitôt retenu pri­ sonnier. Cinquante hommes étaient demandés, mais on se serait contenté de quarante. Etant donné que de nombreux hommes étaient occupés aux travaux de la route, le chef ne fut pas en mesure de trouver le nombre demandé. Après avoir été emprisonné pendant une heure, il fut extrait de la prison et on lui demanda à nouveau de livrer des hommes. Comme il persista à refuser, le Commissaire le menaça d’envoyer des soldats pour prendre les hommes de force. Le chef demanda l’autorisation de retourner auprès de ses conseillers et d’essayer d’obtenir lui-même les hommes demandés. Il fut relâché, mais deux soldats l’accompagnèrent. Lorsque les indigènes virent arriver les soldats, ils se sauvèrent dans la brousse. Les soldats arrêtèrent alors les femmes, les ligotèrent et les emprisonnèrent jusqu’au matin. Le chef envoya ses messagers auprès des hommes, mais seuls les vieillards et plusieurs sous-chefs revinrent. Ils furent transférés dans le campement du Commissaire de district. On fit alors chercher les femmes. La suite des événements est relatée d’après les déclarations du chef Choami :

« Les chefs et les vieillards ont dit au Commissaire de district : « Nous est-il possible de quitter nos femmes et nos enfants pour aller à Fernando Po ? Fernando Po n’est pas un bon endroit ; souvent les gens y meurent. Si vous exigez que nous allions travailler sur la route ou chez Firestone, nous irons, mais non pas à Fernando Po. » « Mais vous serez obligés d’aller à Fernando Po ; si vous ne livrez pas d’hommes jeunes, on vous enverra vous-mêmes. » « Les anciens répondirent alors : « Laissez nous partir et voir si nous pouvons trouver nos jeunes hommes, mais Fernando Po est un endroit où beaucoup de gens m eu ren t et nous ne voulons pas y aller. » « Il répliqua : « Si vous refusez tous, le chef de chaque village sera retenu j u s q u ’a u moment où on aura trouvé les hommes. » Les chefs retournèrent donc en prison, tandis que les anciens se mettaient à la recherche des hommes. Lorsqu’il sortit, il rencontra toutes les femmes qui étaient parties dans la direction de Nyaake pour aller à sa rencontre puisqu’il était leur roi. — 2 9 —

« Les femmes déclarèrent : « Depuis que vous nous avez quittées hier, ils nous ont enfermées dans une petite maison et lorsque nous étions forcées de satisfaire un besoin naturel, nous étions tenues par les soldats. » « Le chef dit : « Relâchez les femmes ». « Les soldats répliquèrent : « Non, les ordres du Commissaire de district doivent être exécutés. » « Il retourna donc chez le Commissaire de district et lui dit : « Je m’en vais chercher les hommes et voir comment les soldats traitent nos femmes. » « Le Commissaire de district répondit : « Bien, si tu ne veux pas aller à Fernando Po, tu seras traité de cette manière. Dis aux femmes de faire revenir leurs maris de la brousse, ou bien elles seront obligées d’aller elles-mêmes. » « Les femmes déclarèrent : « C’est bien, nous irons, si nos maris nous l’ordonnent. » « Lorsque les soldats arrivèrent dans le village, les femmes se sauvèrent. Une femme tomba dans un fossé et se cassa la jambe. « Le lendemain matin, le Commissaire emmena trente hommes à la caserne. » « Est-ce que nous recevrons quelque chose pour les hommes que vous voulez envoyer à Fernando Po, comme pour les hommes qui vont chez Firestone ? » « Le Commissaire répondit : « Cela ne vous regarde pas. Moi, je n’ai rien à vous dire. Ils partiront pour quatre ou six mois. » « Après six mois, il se rendit donc près du Commissaire de district et lui dit : « Où sont les hommes ? » « J ’écrirai à Yancy et je vous ferai connaître la réponse. »

Le Commissaire de district fut interrogé par les membres de la Commission, au sujet de cet incident. Les renseignements étaient en général exacts ; mais il faut dire que le Com­ missaire de district en question était l’un des fonctionnaires les plus francs qui aient été ren­ contrés au cours des enquêtes effectuées sur place. Il s’était prononcé contre le recrutement d’indigènes en vue de leur envoi dans un pays étranger, mais ü se trouvait dans une situation délicate, parce qu’il était difficile de distinguer entre les ordres du Gouvernement et les ordres des fonctionnaires supérieurs qui donnent des instructions aux fonctionnaires subalternes pour des affaires privées. En décembre 1928, le Vice-Président lui envoya une communication pour lui annoncer qu’il avait reçu une lettre du Président King et qu’il était chargé de la remettre au Commissaire de district en personne et non pas par mandataire ; il l’invita donc à se rendre à Cap Palmas pour la retirer :

« Je vous envoie cette lettre pour vous faire savoir que je suis arrivé à Cap Palmas mercredi de la semaine dernière et qu’avant mon départ de Monrovia, le Président m'a remis une lettre à votre adresse, que je suis chargé de vous remettre en personne et non pas par mandataire. « Je vous serais donc obligé de bien vouloir venir à Harper, aussitôt que possible, pour retirer cette lettre. »

A cette époque, le Commissaire de district était, toutefois, malade et répondit qu’il ne pouvait descendre la rivière pour aller à Cap Palmas. Plus tard, M. Yancy lui donna l’ordre de venir le rejoindre à une certaine date à Gbolobo, mais le Commissaire de district se trouvait encore dans l’impossibilité de se déplacer, de sorte que le Vice-Président se rendit ultérieurement lui-même au bureau du Commissaire de district, à Webbo. Il apporta la lettre susmentionnée, en date du 3 décembre 1928, que le Président de la République lui avait confiée à Monrovia. Cette lettre renfermait le passage suivant :

« L’Honorable Allen N. Yancy, de Maryland, est autorisé par le Gouvernement à embarquer un nombre limité de travailleurs de Cap Palmas à destination de Fernando Po ; si, dans votre district, il y a des hommes qui soient désireux de s’engager pour ce service, je vous serais obligé de prêter à M. Yancy votre concours pour l’exécution de son entreprise. »

Après réception de ces lettres, écrites l’une et l’autre sur du papier à en-tête officiel de 1 administration supérieure, le Commissaire de district crut devoir prendre certaines mesures lorsque, le 2 juillet 1929, M. Yancy lui envoya une lettre pour lui faire savoir qu’il avait accordé à un nommé Danile une licence pour recruter 200 travailleurs de plus pour Fernando Po. Les explications données par le Chef Choami font ressortir avec quelle conscience il exécuta *fs ordres reçus tels qu’il les comprenait. Ultérieurement, une autre lettre de M. Yancy, en date du 10 juillet 1929, l’invita à rechercher et à arrêter 11 hommes de la tribu des Bassas *1U1 s'étaient sauvés d’un groupe pendant que celui-ci était transféré à Cap Palmas. Le registre des Douanes porte la mention suivante, que les membres de la Commission °nt aisément pu vérifier : — 3ô

« Liste des travailleurs envoyés du comté de Maryland à destination du Protectorat espagnol de Fernando Po par la Compagnie de Recrutement de Cap Palmas et engagés pour une durée d’un an à partir de la date indiquée ci-dessous.

A bord du navire Montevideo.

Noms Village Chef Tribu 21 Freeman Tedeke Choami Webbo 22 Monday )) » » 23 Half Dinner Tededeju » » 24 Every Day Dudu » » 25 Jacob Tarteh »» 26 Teacup )) » D 27 Sea-breeze Kono-Wodoke » )) 28 Davis )) » )) 29 Davis N° 2 » » » 30 David » » ))

252 Seydi Worteke Kliyee Gedebo N.B. — Les travailleurs Nos 76 à 137 1 de la tribu des Bassas, sont engagés pour une durée de deux ans. Pour la Compagnie de Recrutement de Cap Palmas.

(Signé) Allen N. Y a n c y Agent de recrutement, Comté de Maryland, R.L. » Enregistré le 4 janvier 1929, conformément à la loi, deux cent cinquante-deux travailleurs à embarquer à bord du navire Africano à des­ tination de Fernando Po pour la durée d’un 4 janvier 1929 (1) an, à partir de la date de la présente inscrip- O.K. tion. S. M. Perry Toutefois, les travailleurs Nos 76 à 137 de la S.C. tribu des Bassas, sont engagés pour la durée de 5.1.29 deux (2) ans à partir de la date de la présente inscription. (Signé) S. A. D. T h o m s o n , Agent de la main-d’œuvre, Comté de Maryland, R.L. Libreville.

A. Enlèvements. — Le 13 juin 1928, à Cap Palmas, 145 travailleurs appartenant en m ajeu re partie aux tribus Kru et Grebo, ont été embarqués à bord du navire Sierra Leone ; ils croyaient qu’ils seraient employés comme travailleurs sur la Côte de l’Or. Les hommes de ces tribus cherchent fréquemment du travail comme matelots de pont à bord des vapeurs, ou s’engagent dans certaines colonies britanniques. Les indigènes en question croyaient, en outre, qu'ils avaient été recrutés par M. Alhaj Massaquoi, qui était, à cette époque, agent de la « E. & H. Nissen Line », et qui leur avait fait des offres d’engagement pour la côte. Le navire, après avoir quitté Cap Palmas, au lieu de s’arrêter sur la Côte de l’Or, poursuivit sa route en pleine mer au delà des endroits que les hommes connaissaient. Les hommes commencèrent à s’inquiéter et à demander des renseignements au capitaine. Celui-ci leur fit alors savoir qu’il avait reçu l’ordre de M. Massaquoi de les transporter, non pas à Lagos, mais à Libreville, dans le Congo français. On constata en outre que le chef d’équipe savait que les hommes ne devaient pas être débarqués sur la Côte de l’Or. A leur arrivée à Libreville, 140 de ces travailleurs furent réunis en petits groupes, mis à la disposition de divers employeurs et transférés dans l’intérieur. Les indigènes ne veulent pas aller à Libreville à cause du genre de travail. Ils sont obligés de transporter de lourdes pièces de bois, et beaucoup de ces hommes, qui manquent d’entraîne­ ment, se sont gravement blessés dans l’exécution de ces travaux. En outre, les travailleurs, rentrés dans leur pays, racontent qu’ils ont eu à subir de mauvais traitements et que des actes de cruauté ont été commis. MM. E. & H. Nissen sont concessionnaires au Congo français.

1 II convient d’indiquer à ce sujet que l’embarquement des 61 travailleurs Bassas de Grand-Bassa constitue une violation directe de la loi de la République destinée à protéger ces tribus, même contre l’envoi dans un pays étranger, effectué avec leur consentement : « Article 1346. — Interdiction de transporter hors du pays les habitants des comtés de Montserrado et de Bassa. — Il est interdit de transporter au delà des frontières de la République, pour les employer comme travailleurs dans un pays ou une colonie étrangers, des citoyens libériens du comté de Montserrado, y compris le territoire de Grand Cape Mount, ou du comté de Grand-Bassa. Toute personne contrevenant à cette disposition sera frappée d’une amende de cinquante dollars par individu transporte. » — 3 i —

Pour ce qui est de ce convoi particulier, il convient de noter que 4 hommes — le chef d’équipe, son assistant et 2 travailleurs — sont rentrés. Un des hommes du groupe est mort en route. Cette question a été présentée à la Commission sous divers aspects et l’affaire a attiré l’attention, en grande partie à cause du manque de concordance entre les explications.

a) Les quatre hommes qui sont rentrés ont demandé leur salaire de matelots de pont, mais M. Massaquoi a refusé de les payer. b) Les 140 hommes ont été employés pendant quelque temps comme arrimeurs, pour le chargement et le déchargement du navire, et après un certain temps, ils ont été débarqués à Libreville. c) Ils ont prétendu que M. Massaquoi les avait délibérément induits en erreur et qu’ils n’auraient jamais consenti à aller à Libreville pour y rester pendant un laps de temps quel­ conque. d) L’affaire a fait l’objet d’une enquête du Département de la Justice, et on a décidé que le salaire devait être versé aux hommes. e) Les quatre hommes qui sont rentrés ont présenté un billet du capitaine, qui indiquait qu’ils avaient été employés comme arrimeurs pendant cinquante-cinq jours. /) M. Massaquoi a refusé de payer les quatre hommes et d’assumer une responsabilité quelconque pour les 140, en invoquant les raisons suivantes : i° Au moment où les hommes sont rentrés, M. Massaquoi avait déjà câblé sa démission au siège de la Compagnie E. & H. Nissen, à Copenhague ; toutefois, il était encore en possession de tous les documents et il restait fondé de pouvoir de la Compagnie. 2° Il ne pouvait pas recruter de travailleurs parce qu'il n’était pas titulaire d’une licence. 30 Les hommes avaient été expédiés par M. Yancy pour sa compagnie. 40 On avait spécifié qu’ils étaient engagés pour Libreville. 5° Quelques-uns des hommes avaient été recrutés par la «Cavalla River Company»1.

En ce qui concerne la responsabilité pour le recrutement des hommes, M. Massaquoi a déclaré ce qui suit : « Question. — Existe-t-il des pièces quelconques qui prouvent que les hommes savaient qu’ils étaient engagés pour Libreville ? Massaquoi. — La «Cavalla River Company» pourra fournir des renseignements sur ce point ; c’est elle qui a recruté quelques-uns des hommes et elle savait que ceux-ci devaient aller à Libreville. Question. — Vous ne saviez pas d’une manière précise si les hommes en avaient été informés ? Massaquoi. — Je le sais d’une manière précise pour ce qui concerne la « Cavalla River Company». Question. — Existe-t-il des preuves quelconques qui démontrent que les hommes savaient qu’ils étaient embarqués, non pas à destination de la Côte de l’Or, mais pour Libreville ? Massaquoi. — Je suis certain que ces preuves existent, étant donné que la « Cavalla River Company » avait des agents pour recruter ces hommes pour M. Yancy et je suis certain que ces derniers avaient été informés. »

Les membres de la Commission ont vérifié ultérieurement un grand nombre de ces points à Cap Palmas. La « Cavalla River Company» a fait les déclarations suivantes : « A aucun moment, la « Cavalla River Company » n’a participé ni directement ni indirectement au recrutement de travailleurs pour Libreville. Toutefois, nous avons^ eu des relations d’affaires avec M. Alhaj Massaquoi, se disant directeur pour le Libéria de MM. E. & H. Nissen, de Copenhague. Nous croyons savoir que M. Massaquoi a recruté plusieurs groupes de travailleurs dans cette région, en vue de les envoyer à Libreville où ils devaient travailler pour le compte de l’Union forestière africaine. M. Massaquoi nous a demandé de nous charger du ravitaillement de ces travailleurs en attendant leur embarquement et, dans quelques cas, pendant l’absence de M. Massaquoi, celui-ci nous a autorisés à verser à l’administration locale les diverses taxes à la perception desquelles donne lieu l’embarquement des travailleurs à destination de ports situés en dehors du territoire de la République. Toutes nos opérations accomplies à cet égard étaient garanties par des sommes considérables dont M. Massaquoi était créditeur sur nos livres. Nous regrettons de ne pas être en mesure de fournir des renseignements détaillés au sujet lu nombre d’hommes embarqués pour Libreville, étant donné que nous n étions intéressés à toutes ces affaires qu’en tant que fournisseurs^du ravitaillement. »

1 Voir la déposition de Alhaj Massaquoi devant la Commission à Monrovia, A 127 , D. Twe, A. 75> , Procès-verbal de l'enquête effectuée par l’Avocat général (Département de la Justice) a q d’équipe Friday, et al. — 32 —

M. Yancy a présenté aux membres de la Commission, sur cette affaire, le mémorandum suivant : « La Compagnie Nissen, représentée par M. Alhaj Massaquoi, a recruté un certain nombre de travailleurs pour le Congo, sans que j’en aie connaissance,.et a essayé de les embarquer. Mais l’Agent du Travail s’est opposé à l’embarquement parce que la Compagnie n’avait pas de licence de recrutement. M. Alhaj Massaquoi est venu me voir et m’a déclaré qu’il avait réuni ses travailleurs et qu’ils étaient disposés à partir, mais que l’Agent du Travail s'y opposait, parce que lui, Massaquoi, n’avait pas de licence. Il m’a demandé l’autorisation d’embarquer ces travailleurs en vertu de ma propre licence. Je lui ai donné l’autorisation demandée, mais les indigènes n’ont été ni recrutés ni embarqués sous le contrôle de mes agents locaux. Je n’ai eu aucune connaissance des arrangements qui étaient intervenus entre ces hommes et M. Massaquoi, mais il m’a dit qu’il avait recrutés ceux-ci pour Libreville. Je n’ai jamais eu l’idée qu’il n’avait pas dit à ces hommes à quel endroit on les conduisait, jusqu’au moment où, plus tard, quelques-uns de ces travailleurs sont rentrés et m’ont informé des agissements de M. Massaquoi. Ces travailleurs ont adressé une plainte à l’Attorney Cummings de cette ville, qui est ici, de même que le chef d’équipe, un nommé Hadago. Si vous désirez entendre ces personnes, vous pouvez les convoquer ; je serais heureux que vous vouliez bien recueillir leurs témoignages. En outre, plusieurs autres personnes seraient en mesure de démontrer que j’étais absolu­ ment étranger aux opérations de recrutement de ces travailleurs et que c’est M. Alhaj Massaquoi qui s’en est occupé, mais je ne suis pas en mesure de vous fournir des noms. » Ces hommes sont revenus en juillet 192g. En janvier 1930, à la suite d’une réclamation que le Secrétaire d’Etat a transmise à Libreville, parce que les hommes n’avaient pas été rapatriés, 206 travailleurs arrivèrent à bord d’un bateau ; personne ne semble avoir su qui ils étaient, pendant combien de temps ils avaient été au loin, et où ils avaient été.

Témoignages des travailleurs.

a) Korgbe Kley, chef d’équipe à bord du navire italien Sardinia, a déclaré devant la Commission, le 23 avril 1930, qu’il avait rencontré quelques-uns des hommes et leur avait parlé ; l’un d’entre eux était un certain Nagbe, qu’il connaissait et qui avait été incité par Massaquoi à partir pour Libreville, alors que les indigènes croyaient qu’on les embarquait pour Accra 1. b) A Gbanken, dans le pays des Wedabos, le membre américain de la Commission a rencontré, en mai 1930, 14 des travailleurs qui avaient fait partie du convoi. Johnson Broh, second chef d’équipe du groupe, a fait le récit suivant de ces événements : « Nous dans notre pays, à Wedabo, Gbanken, quand Massaquoi nous écrire et envoyer lettre demandant hommes pour Seccondy, Lagos. Nous aller Cap ; 14 hommes Wedabos de la brousse ; A Cap Palmas, 145 hommes. Nous devoir aller à Lagos et à Seccondy, deux mois, pour charger navires et puis rentrer. Nous accepter. Nous toujours aller à Lagos et à Seccondy et savoir la vie là-bas. Nous là, venir bateau. Après quatre ou cinq jours, nous pas voir Seccondy. Aller chez capitaine et dire : « Quand nous arriver Lagos ? » « Capitaine répondre : « Moi pas conduire vous Lagos ». « Où vous conduire nous ? » « Moi pas conduire vous à Lagos, mais dans Congo français. Moi pas donner ordre, mais ordre Massaquoi. » «Bateau sans travailleurs, alors nous travailler pour 2/6 les hommes et 4/- chef d’équipe. Argent promis pour travail sur bateau. Nous passer 55 jours sur bateau, du 12 juin au 6 août. Alors nous débarquer Congo français. « Nous dire à capitaine : « Toi devoir payer avant débarquer. » « Capitaine répondre : « Moi pas reçu argent pour vous. » « Nous dire : « Quoi faire ? Nous pas bien travailler ? Toi pas payer nous ? » « Lui répondre : « Tout à Massaquoi. Moi rien faire que transporter vous Congo français. » « Nous arriver Congo français le 6, au soir. Lui, alors commencer à envoyer travailleurs à terre, mettre travailleurs dans automobile et envoyer dans brousse. « Avant partir, nous dire : « Pourquoi envoyer nous dans brousse ? Nous marins. » « Capitaine répondu : « Moi exécuter ordres ». Puis commencé à nous battre et faire partir, divisés en groupes de 10 à 20. Deuxième promesse que chef d’équipe pouvait rentrer. Nous faire notre devoir ; Johnson et Friday, et deux vieux et un jeune blessé, mort sur même bateau (blessé pendant le travail à bord du bateau) ; moi monter sur bateau pour aller Monrovia. Avant arriver Monrovia, nous aller chez capitaine et demander argent. Lui dire : « Massaquoi paiera quand vous arriv er Monrovia. » « Quand nous arriver Monrovia, nous demander Massaquoi pour argent. » « Massaquoi dire : « Moi pas reçu argent pour vous tous. Moi donner argent à vice-président Yancy. » « Alors nous aller trouver à Gouvernement. Depuis que nous soumettre affaire à Gouvernement, Yancy appelé, mais nous pas reçu jugement et argent. Voilà quoi moi avoir vu. »

1 Voir le témoignage de Korgbe Kley, A.197. ~ 3 3 —

c) Fine Country (nom indigène : Debah), chef d’équipe du groupe débarqué, a déposé comme suit : « Moi parti avec hommes sur bateau, commandé par Johnson Broh. Moi conduire quelques hommes à terre. Pas bon être là-bas. Nous battus. Quand travailleurs battus, chef d équipe dire : « Qu’a fait cet homme ? » Moi aussi traité comme cela ». Eux dire : « Nous acheté vous du Gouvernement. » Quand travailleurs malades, eux refuser nourriture et dire : « Quand vous continuer à travailler, alors nourriture. » Quand quelqu’un malade, maître dire : « Laissez-les à la maison, enfermez-les. » « Deux ou trois morts quand rentrés. Moi resté un an et trois mois. Quand nous rentrés, blancs dire : « Chaque chef d’équipe £20.0.0 ; chaque travailleur £13.0.0 pour un an trois mois. » Jamais reçu argent. Quand nous rentrés, nous porter papier pour paiement à vice-président Yancy. « Lui dire : « C'est bon. Vous serez payés. » Puis : « Attendez, allez chez Massaquoi, demain. Il vous paiera. » « Quand nous aller chez Massaquoi, lui parti pour Europe. Sur 140, 15 morts. Ceux qui morts pas payés. Moi pas payé. Personne jamais payé. » B. Le 30 mai 1929 ont été débarqués à Monrovia, du vapeur allemand Warrega, 47 hommes Grebos recrutés à Cap Palmas ’. Ces hommes ont essayé de voir M. Alhaj Massaquoi pour obtenir leur salaire. N’ayant pas pu rencontrer M. Massaquoi, ils se sont adressés au procureur Sire Brownell, allié à des indigènes Grebos, qui a essayé de les faire rapatrier et d’obtenir le paiement de leur salaire. Les hommes ont affirmé que M. Massaquoi les avait engagés pour travailler sur la Côte de l’Or et qu’à leur arrivée à Libreville, ils ont été divisés en plusieurs groupes, mis à la disposition de différents maîtres, et forcés d’y rester pendant un an et cinq mois, au cours desquels ils ont été très éprouvés par les mauvais traitements et la maladie. L'affaire a tout d’abord été soumise au Bureau du Travail et ensuite au Département de l’Intérieur et au Département de la Justice. Lors de l’enquête, M. Massaquoi a présenté copie d’un télégramme et d’une lettre qu’il avait envoyés à Copenhague pour rompre ses rapports avec la Compagnie. A ce moment, il ne contestait pas qu’il eût recruté les travailleurs. Après s’être adressé au siège de la Compagnie, à Copenhague, le Consul du Danemark, M. Anthony Barclay, a reçu £5.0.0. pour assurer le ravitaillement des hommes jusqu’au moment où ils pourraient être renvoyés dans leur pays, le comté de Maryland 2. Toutefois, la Compagnie a déclaré que M. Massaquoi avait reçu £600.0.0 de Libreville ; mais cette somme ne figurait pas dans la comptabilité. Les hommes ont été renvoyés à Cap Palmas. Quoique l’affaire, dans ses détails, soit très embrouillée, la Commission est persuadée qu’on avait dit aux travailleurs qu’on les engageait pour la Côte de l’Or, alors qu’en réalité on les a envoyés à Libreville, où ils n’auraient pas consenti à aller ; la Commission estime éga­ lement que M. Massaquoi est responsable du recrutement de ces travailleurs par des manœuvres frauduleuses et que ces indigènes ont été effectivement embarqués par M. Yancy, qui possède la seule licence de recrutement pour le comté. La Commission attache moins d’importance à la question de savoir si les indigènes ont été recrutés par M. Massaquoi ou par M. Yancy qu’au fait qu’en les recrutant, on les a sciemment trompés. Il est également certain que d’autres travailleurs ont été recrutés pour Libreville et qu’ils ont formulé des plaintes analogues. a) A Soloken, les membres de la Commission ont interrogé quatre travailleurs, rentrés de Libreville, les nommés Jalateh, Nebo, Grando Klah et Weze. Ils étaient restés à Libreville pendant deux ans et sept mois. Nebo a fourni le récit suivant : « Le Gouverneur Yancy, en 1926, nous dire que, nous marins, venir et aller à Seccondy. Quand Yancy leur dire aller à Seccondy, eux envoyés tout droit au Congo français. Moi aller chez capitaine deux jours après Cap Palmas et dire : « Où toi nous conduire ? » « Capitaine répondre : « Votre Gouverneur Yancy donner ordre moi vous transporter au Congo français. Moi pas vous transporter à Seccondy. » « Quand capitaine me dire cela, moi pas pouvoir fuir ; si moi sauter à 1 eau, moi mourir. Moi aller où capitaine veut me conduire. Quand nous arrivés au Congo français, les Français nous mettre en prison et nous nourrir pour que nous forts pour le travail. Alors moi sortir de prison. Me dire : « Toi, homme fort maintenant, aller travailler. » « Quand nous obligés travailler, Français nous payer $4.00 en argent français pour un mois. Nous dire : « Nous pas vouloir argent français. Personne prend argen français dans notre pays. » , « Massa dire : « Très bien. Moi donner §2.00 et le reste garder pour acheter ton ta ac. » « Alors moi travailler. Après un an moi vouloir rentrer, juillet. » « Non », il dit. « Gouverneur Yancy dire : « Toi rester deux ans avant rentrer. » « Parce que moi dire : « Vouloir rentrer », perdre quatre semaines et me faire travai er. Quand nous travailler, battus. Quand homme malade, Massa dire . « Toi aller ravai er, pas malade. »

1 Voir la déposition faite par N. H. Sie Brownell devant la Commission à Monrovia, le 22 avril 193°. A. 182. Voir également le témoignage de D. Twe. . . . 2 Voir la déposition faite par M. Anthony Barclay, Consul du Danemark, devant la Commission, le 23 avril 1930, A. 215. — 3 4 —

« Couper arbres, charger sur train et apporter de la brousse, 140 hommes. 40 morts» 100 rentrés. Première année, riz comme dans notre pays ; deuxième année, pas beaucoup manger. Cassave moulue mise en feuilles, moi malade. Si quelqu’un avoir mal au ventre, va chez le médecin, revient, meurt. Moi travailler deux ans sept mois. Alors maître donner moi papier à Woodin pour argent. Ouvrier £22.0.0, chef d’équipe £25.0.0. Quand moi revenu à Cap, moi rencontrer Yancy sur plage. Yancy dire : « Toi avec ceux allés Congo français ? Toi pas pouvoir me laisser sans aller chez Woodin pour argent ; sinon, moi te mettre en prison. » « Yancy aller chez Woodin et dire : « Donne-moi argent et moi paierai. » « Après Yancy rencontrer moi dans la rue et dire : « Quel village es-tu ? » « Moi répondre : « Village du roi Jeh ». « Yanci dire : « Roi Jeh dénoncer moi à Monrovia. » « Personne reçu argent. « Moi dire : « Vous toujours faire la même chose ; vous ne pas vouloir donner quelque chose à nous. » « Après cela Yancy m’appeler et me donner £1.0.0. Pour hommes grands 10/- ; quel- ques-uns 6/- ; quelques-uns 5/-. » b) à Ne waken, dans le secteur des Barrabos, la Commission a interrogé le chef d’équipe Freeman et treize travailleurs rentrés de Libreville, qui étaient partis en croyant qu’ils étaient engagés pour la Côte de l’Or. Voici la liste de ces hommes :

Nom Village Sam Nanisuke Best Man Sea Breeze Takwee John Moses Johnson Tika Africa Nanisuke Joseph Tika Sea Breeze N° 2 » Friday Nanisuke Ben » Charlie Cavalla Freeman (chef d’équipe). Doboke Cette déposition a été faite par Freeman et confirmée par chacun : « On nous avait dit qu’il y avait du travail pour nous à la Côte de l’Or. Nous sommes allés à Cap Palmas et 140 d’entre nous ont été envoyés à Libreville. Travail très dur, en transportant des bois, sous la pluie, pendant toute la journée et quelquefois pendant toute la nuit ; comme nourriture on nous a donné de la cassave, et beaucoup sont tombés malades et sont morts. Les Français nous ont donné S2.00 par mois en argent français, le reste devait être envoyé à Cap Palmas. Nous nous sommes adressés à l’inspecteur Yancy, mais jusqu’à ce jour nous n’avons rien reçu. »

Deux faits, constatés par les membres de la Commission, ont confirmé la version donnée par les hommes : à) Un ordre demandant des hommes destinés à Libreville, mais non rédigé sous cette forme, fut envoyé à l’intérieur du pays, sur un imprimé de la maison Elder Dempster Ltd., portant la signature suivante : « J. B. Wilson, Directeur, pour l’agent de recrutement de Cap Palmas. »

« E lder Dempster et Cie, Ltd. Cap Palmas, Libéria, le 14 août 1928.

« Nous certifions, par la présente, que M. Alfred W. Collins a été invité à amener des hommes pour la Côte de l’Or ; leur nombre peut varier entre un (1) et trois cents (300). Ces hommes devront se trouver au Cap aussitôt que le chef d’équipe pourra les amener. A cette fin, la présente servira de pièce jutificative pour l’exercice des fonctions de chef d’équipe du convoi destiné à la Côte de l'Or. « Pour la Compagnie de recrutement de Cap Palmas : Le Directeur, (Signé) J. B. W ilson. » Approuvé:

Allen Yancy, Jr.

Il a été établi par la Commission que « J. B. Wilson » était le principal employé de MM. Elder Dempster et Cle. Celui-ci avait fait usage du papier à lettres de la maison sans aucune autorisation. En dehors des heures de bureau, il travaillait pour Le compte du Vice- — 3 5 —

Président Yancy. Cette lettre est de nature à induire en erreur, pour deux raisons, et très probablement elle est même destinée à cette fin : i° Elle donne l’impression que les compagnies de navigation britanniques, établies à Cap Palmas, sont en rapports étroits avec la Compagnie de recrutement de Cap Palmas, alors que le transport des hommes le long de la côte ne les intéresse manifestement qu’au point de vue commercial, en ce qui concerne le ravitaillement des hommes, leur équipement et les avances qu’on leur accorde ; 2° Elle donne probablement aux personnes de l’intérieur que l’affaire intéresse, l’assurance que les hommes sont envoyés à la Côte de l’Or, comme il est indiqué, et non pas à Fernando Po. On a affirmé que M. Yancy employait de la même manière d’autres commis des agences de navigation de Cap Palmas. b) La lettre suivante a été trouvée dans les dossiers de l’Administration des Douanes de Cap Palmas : « Bureau de l’agent de recrutement du Comté de Maryland,

le 4 décembre 1928. « Allen N. Yancy. Cap Palmas. Liberia. « Le Receveur des Douanes Port de Harper, Cap Palmas.

« Monsieur, « En vertu de la présente pièce justificative, vous voudrez bien permettre à la « Cavalla River Company, Ltd. » d’embarquer 100 indigènes, à destination de la Colonie britannique, à bord du navire Sierra Nevada, qui est attendu incessamment. Vous voudrez bien noter que toutes les taxes légales seront à la charge de notre bureau et vous seront payées par ce dernier. « Veuillez agréer ... (Signé) J. Samuel Brooks. Pour Allen N. Yancy, Agent de recrutement pour le comté de Maryland. » A cette lettre était jointe une liste des hommes qui avait été pointée par l’Administration des Douanes le 6 décembre 1928, et qui se présentait comme suit : « Liste des hommes recrutés pour Libreville, embarqués à bord du navire Sierra Nevada, etc. » Il convient de faire remarquer que, dans cette affaire, la lettre d’envoi a été signée par l'Inspecteur Brooks (à cette époque Inspecteur du Comté de Maryland, maintenant du Comté de Bassa), pour le compte du Vice-Président qui était l’agent de recrutement, Il semble utile de signaler, en passant, une disposition des lois du Libéria qui est évidem­ ment destinée à protéger ces travailleurs et qui non seulement a été violée par les agents de recrutement, mais que les fonctionnaires des douanes, le Bureau du Travail, les Inspecteurs de comté ont également omis d’observer 1.

Arrangements concernant Fernando Po.

La question du recrutement de main-d’œuvre libérienne pour l’île espagnole de Fernando Po, de même que pour les îles portugaises de Principe et de Saint-Thomas date de loin. Le mécontentement populaire au sujet des relations officieuses qui privaient peu à peu le pays de sa main-d’œuvre, la mortalité extrêmement élevée, causée par la maladie du sommeil et d’autres épidémies, l’irresponsabilité des maîtres et les excès de cruauté signalés, l’expatria­ tion permanente de sujets libériens, ont tout d’abord eu pour conséquence l’adoption de textes législatifs interdisant l’envoi d’indigènes dans ces îles. Les protestations que les habitants de ces îles ont formulées par l’intermédiaire du Gouvernement espagnol, en faisant valoir que l’arrêt des envois d’indigènes libériens entravait très gravement le développement de leur plantations, ont amené le Gouvernement du Libéria à procéder à un nouvel examen de la question et à conclure, en 1914, un accord formel avec le roi d’Espagne. Dans cet accord, on essayait cependant de protéger les travailleurs contre les abus habituels et on a stipulé : a) qu'un consul du Libéria à Fernando Po exercerait une surveillance officielle ; b) qu’un Bureau du Travail réglementerait la sortie de la main-d’œuvre ; c) que le recrutement s’effectuerait dans des ports libériens spécialement désignés, sous la direction d’agents de

1 « Article 1344. — Consul dans le port de débarquement. — Dans les ports à destination desquels sont transportés des travailleurs, il sera nommé un consul, qui non seulement remplira les fonctions consulaires habituelles, mais sera également chargé de recevoir tous les travailleurs sans distinction, qui arriveront du Libéria ; d’assurer l’exécution des arrangements pertinents et réguliers par les personnes qui desirent employer ces travailleurs ; de veiller à ce que les arrangements intervenus entre ces travailleurs et leurs employeurs soient exécutés honnêtement et scrupuleusement ; d’assurer à ces travailleurs tous droits, privilèges et immunités qui leur sont garantis par la législation du pays dans lequel ils résident et par les traités entre le Gouvernement dudit pays et celui de la République du Libéria ; de veiller a ce que les tra­ vailleurs reçoivent rapidement et intégralement la rémunération de leurs services et qu ils soient renvoies au port du Libéria où ils avaient été embarqués. » — 3 6 — recrutement espagnols qui seraient surveillés par le consul d'Espagne à Monrovia ; d) que quatre agents de recrutement seraient désignés par le Libéria ; e) que des agriculteurs de Fer­ nando Po devraient se rendre à Monrovia pour conclure avec eux les arrangements nécessaires ; /) que des copies des contrats de travail seraient fournies à l’Administration des Douanes du Libéria, au Secrétaire d’Etat, au consul du Libéria et au consul général du Libéria à Fer­ nando Po, chaque déclaration devant indiquer le nom, le comté, la ville, le district, la tribu, le chef et la durée de validité du contrat, et devant être présentée à l’Agent du Travail trois jours avant le départ du navire ; g) que la durée des contrats serait de deux ans au maximum et d’un an au minimum à dater de l’arrivée à Fernando Po et qu’aucun travailleur ne serait mis à la disposition de personnes ou de maisons de commerce qui n’auraient pas obtenu une autorisation à la fois du Gouverneur de Fernando Po et des autorités du Libéria ; h) qu’aucun travailleur ne serait mis à la disposition de certaines plantations ni de planteurs insolvables ; i) que de bons traitements seraient garantis aux travailleurs ; j) que toute extension de la durée des contrats au delà de la période indiquée serait interdite ; k) que les salaires seraient dûment payés en monnaie anglaise, la moitié à Fernando Po et l’autre moitié au retour dans le Libéria, par l’intermédiaire du Consul d’Espagne ; l) que les salaires des travailleurs morts dans l’île seraient versés aux ayants droit ; m) que chaque partie aurait le droit de mettre fin au contrat moyennant un préavis de six mois. En vertu de cet accord, plusieurs milliers d’indigènes furent recrutés et embarqués. Les registres du Bureau du Secrétaire d’Etat indiquent que, de 1919 à 1926, on a ainsi recruté au total 4.268 travailleurs Si l’on prend pour base un chiffre moyen de 600 travailleurs par an, on arrive, pour la période de 1914 à 1927, année de la fin de la convention, à un chiffre qui n’est pas inférieur à 7.268. Le transport était payé par le Gouvernement espagnol et le Gouvernement du Libéria exigeait pour chaque travailleur le versement d’une certaine taxe dont le produit constituait une source de recettes importante. En outre, 2 shillings par travailleur régulièrement engagé étaient versés par le maître et 4 shillings par l’homme lui-même pour le rapatriement. A l’expiration de la convention, en 1927, le Gouvernement du Libéria, avant de consentir à son renouvellement, a demandé un tarif préférentiel en Espagne pour ses produits, principa­ lement le café. Mais comme, dans l’intervalle, un besoin pressant de main-d’œuvre s’était fait sentir dans les exploitations agricoles de Fernando Po, deux représentants des entreprises privées de cette île, à savoir Edward Baticon et Emanuel Gonezrosa sont venus pour se procurer 3.000 hommes. En raison de l’embarras sérieux dans lequel ils se trouvaient, de la répugnance manifeste des hommes à s’engager volontairement, et de la nécessité, tout au moins en 1925, d’avoir recours à la force dans le comté de Sinoe2, ils étaient disposés à payer largement. M. Samuel A. Ross qui s’était occupé de ces expéditions, a été sollicité de figurer comme partie principale dans un nouveau contrat. Il en est résulté un contrat privé conclu entre le « Syndicato Agricola de Guinea » et un groupe de citoyens du Libéria, mentionnés comme agents recruteurs, et représentés par M. Samuel A. Ross. Le groupe de citoyens du Libéria, parties au contrat, était constitué comme suit : Thomas E. C. Pelham, Robert W. Draper, E. G. W. King, J. C. Johnson, M. A. Bracewell, C. L. Cooper. Les deux premiers sont les gendres de M. Ross, le troisième un frère du Président de la République et deux autres sont des employés. Aux termes du contrat, le syndicat promettait de payer aux agents recruteurs, pour 3.000 travailleurs, un montant de £9.0.0 par travailleur, transport compris, ainsi qu’une prime de £1.000 par convoi de 1.500 hommes et de faire faire escale à un vapeur espagnol à Greenville et à Harper pour embarquer les hommes. Sur le montant de £9.0.0. (environ S45) qui leur était alloué, les agents recruteurs avaient à payer $4 de capitation, $2,50 d’impôts, à faire des avances (une somme variable qui, d’après les témoignages, oscillerait entre 2 et 6 shillings et dans un cas serait de £1.0.0) et à fournir la nourriture consistant en une certaine quantité de riz délivrée en général par les comptoirs et variable suivant la date d’arrivée du vapeur après la livraison des hommes au port d’embarquement. Parfois, ces hommes n’y restaient qu’un seul jour et d’autres fois une semaine entière 3. Peu avant l’arrivée des deux représentants espagnols, M. D. Twe a accompagné le Président de la République dans un voyage sur la côte de Kroo 4. « Sur la côte de Kroo, nous sommes allés à Sasstown où nous avons rencontré MM. Yancy et Ross, M. Ross m’a dit : « Cette année, je vais gagner un peu d’argent. » Je lui demandai de quelle façon. Il m’a répondu : « Je gagnerai de l’argent en expédiant

1 Voir le relevé des « Travailleurs recrutés pour la possession espagnole de Fernando Po et renvoyés, de 1919 à 1927 ». Document. 2 II s’agit de l’incident de Sinoe. 3 Tel était le cas pour les convois de Sinoe. Les hommes qui faisaient partie de ces convois étaient tenus d’apporter avec eux des provisions de riz en excédent. L’excédent a été vendu après le départ du vapeur et on s’est approprié les sommes ainsi obtenues. Le coût de la nourriture indigène étant très inférieur à 1 shilling par jour, il est impossible que la dépense totale pour la nourriture prélevée sur la somme de £ 9.0.0 allouée pour chaque travailleur ait été supérieure à 7 shillings. 4 Voir le témoignage de D. Twe devant la Commission, Monrovia, le 16 avril. — 3 7 —

quelques hommes à Fernando Po. » M. Ross a ajouté que les Espagnols avaient besoin de 3.000 hommes, mais que le Président lui avait dit de partager ce contingent avec M. Yancy. J ’ai fait remarquer alors à M. Ross que cette partie du pays était dépeuplée. La conversation a pris fin là-dessus. » 1. Le contrat est entré en vigueur le 2 avril 1928. M. Yancy déclare que, dans le courant de la même année, M. Ross l’a désigné comme agent à Cap Palmas et « l’a autorisé à recruter et à embarquer 1.500 ouvriers, à valoir sur son contrat » 2. Bien qu’un groupe de 230 travailleurs eût déjà été expédié par M. Ross le 2 septembre 1927, les convois expédiés de Sinoe en vertu des nouveaux contrats ont été les suivants : Navire Date Nombre de travailleurs Isla de Panay Ier août 1928 71 Montevideo i cr septembre 1928 115 Isla de Panay 2 octobre 1928 124 Montevideo 31 octobre 1928 90 Isla de Panay 31 décembre 1928 128 Montevideo 4 janvier 1929 231 Les embarquements effectués à Cap Palmas, conformément aux nouveaux contrats, ont commencé dès l’obtention par M. Yancy, à l’automne, d’une licence spéciale de recrutement Entre 1928 et 1930, c’est-à-dire jusqu’au 31 décembre 1929, il a été embarqué en tout 2.431 3 hommes, dont 1.426 de Sinoe et 1.005 de Cap Palmas 4. M. Ross est mort subitement en novembre 1929. Le total de 1.005 donné pour Cap Palmas, où M. Yancy est le seul agent recruteur, est donné par le Département d’Etat d’après les statistiques établies pour la période prenant fin le 31 décembre 1929. Ce chiffre est supérieur de 205 à celui qui a été indiqué en juin 1930 par M. Yancy aux membres de la Commission comme étant le total des travailleurs employés par lui en vertu du contrat. Les embarquements à destination de Fernando Po signalés par les agences maritimes, pour la seule année 1929, ont été les suivants :

N avire D ate Nombre de tra\ Montevideo 5 janvier 231 Isla de Panay 2 février 87 Montevideo 4 mars 220 Isla de Panay 2 avril 68 Montevideo 7 mai 68 Isla de Panay 2 juin 121 Montevideo 1 septembre 103 Legaspi 1 novembre 68 Isla de Panay 3 décembre 23 989 Dans le courant de la même année, 22 travailleurs sont revenus de Fernando Po. Il apparaît, en outre, d’après les nouvelles suivantes publiées dans un journal local édité à titre privé par l’Agent officiel du Travail dans le comté de Maryland, que des expéditions ont eu lieu dans le courant de 1930. « Le 3 courant (numéro de mars-avril) les navires suivants, se rendant dans des ports étrangers, ont fait escale dans notre port : le vapeur W ago go (allemand) pour embarquer des matelots de pont et le vapeur Gelazfi (espagnol) pour embarquer des travailleurs recrutés à destination de Fernando Po. » Si l’organisation de la fourniture de main-d’œuvre sous le contrôle du Gouvernement a été considérée comme une grave erreur du point de vue économique, en raison des incon­ vénients pour les travailleurs, des risques de décès par suite de maladies et de 1 encouragement aux méthodes esclavagistes que ce système implique, le recrutement privé, effectué moyennant des sommes aussi élevées, payées pour chaque travailleur, apparaît comme présentant certai­ nement des inconvénients encore plus considérables. La question de recrutement mise à part comme devant faire l’objet de considérations ultérieures, il y a lieu de formuler les observations suivantes : a) Le recrutement des indigènes ainsi expédiés s’est effectué, a-t-on constaté, avec négli­ gence et d’une manière irrégulière : i° Des listes ont été dressées à cet effet, simplement pour donner une apparence de légalité. Les noms des tribus et des chefs qui doivent régulièrement suivre le nom e chaque travailleur ont été portés avec une transcription défectueuse ou entieremen omis ,

1 Témoignage de D. Twe, A. 62. 2 Voir le mémoire présenté à la Commission par le vice-président Allen N. Y ancy. 3 II se peut que le chiffre de 2.431, donné pour cette période, ne représente pas le tota e ous convois. . 4 Voir les statistiques du Département d’Etat fournies par le secrétaire d Etat à la ’ sSon demande de cette dernière, et intitulées : « Tableau du nombre de travailleurs recru P nombre des espagnole de Fernando Po et congédiés dans la période 1928-30 ; jusqu au 26 avri 93 - hommes congédiés s'élevait, au total, à 366. - 3» -

2° Il n ’existe aucun moyen efficace pour déterminer si les ouvriers expédiés à un moment donné sont bien ceux qui figurent sur les listes. Comme les noms indigènes sont habituellement remplacés par des surnoms tels que : Tin Cup, Book-Don’t Lie, Blak Man’s Trouble, John N° x, John N° 2, John N° 3, etc., il serait très difficile d'identifier les hommes en vue de leur rapatriement ou de leur paye ; 30 Les listes qui doivent être remises trois jours avant le départ des vapeurs ont été fréquemment données à la douane au moment même du départ ; 40 L’Agent du Travail n’est pas autorisé à procéder à la vérification des personnes ; il doit se borner à vérifier les listes telles qu’elles sont présentées par l’agent recruteur ; 5° Les fonctionnaires des douanes ne sont pas autorisés à vérifier l’identité des hommes ou à faire des enquêtes sur la façon dont ils sont envoyés hors du pays ; 6° Sur les listes dactylographiées, des noms ont été parfois ajoutés au crayon ou à l’encre, et cela à bord même des navires, dans les cas assez fréquents où des travailleurs envoyés de Monrovia (qui est un port d’où la sortie de main-d’œuvre est interdite) ont été amenés à bord du navire par le délégué de l’agent recruteur, ajoutés sur la liste, et dirigés sur Fernando Po. b) L’agent recruteur a insisté pour que l’argent lui soit versé et que les hommes soient payés sans le contrôle du Bureau du Travail ou de toute autre autorité gouvernementale, comme cela se fait pour les matelots de pont et comme l’exige la loi. Ce fait coïncide avec la plainte formulée par presque tous les travailleurs qui sont retournés dans leur pays et qui déclarent n’avoir pas reçu le montant qui leur était dû pour la seconde moitié de leur paie au Libéria. c) Des travailleurs ont été envoyés en provenance de zones interdites. d) Des fonctionnaires publics, des agents et des soldats sont employés systématiquement et en service commandé pour aider au recrutement de ces travailleurs. e) Les intérêts des travailleurs ne peuvent pas être protégés efficacement dans l’île où ils sont envoyés. /) Le seul profit que tire la République de cette mise à contribution de sa main-d’œuvre au détriment de son développement intérieur, consiste dans l’impôt de capitation qu’elle perçoit. g) Il n’y a pas de moyen efficace pour recouvrer, au profit de leur famille, les salaires des travailleurs qui meurent pendant leur séjour dans l’île. h) Les arriérés de l’impôt de capitation encore dus au Gouvernement sont considérables, quoiqu'ils représentent moins d’un douzième du montant total reçu de ces travailleurs. i) Un monopole a été créé par une seule personne pour le recrutement et même les tra­ vailleurs de la Côte de l’Or ne peuvent être recrutés sans l’intermédiaire de ce monopole.

j) Il n’est pas possible qu’un particulier puisse, sans la complaisance d’une autorité gouvernementale supérieure, exercer un monopole illimité de cette nature et employer im­ punément ,d ’une manière si complète et pour ses fins privées, les moyens d’action du Gouver­ nement. Le caractère arbitraire des droits prélevés par l’agent recruteur ressort de l’augmenta­ tion des taux appliqués aux convois de main-d’œuvre demandée dans les colonies britanniques. En 1924, le droit perçu par l’agent recruteur était de 7s. gd. ; en 1927, il a été porté à £1.10.0 ; en 1930, on a ajouté à ce m ontant 16s. 8d. pour la capitation, 10s. 5d. pour l’impôt sur l’agent recruteur, 4s. 2d. pour les droits d’inscription et 10s. 5d. pour un affidavit, le tout payé à l’agent recruteur qui en a versé une partie à la Direction des Douanes 1.

D éclarations c o n c e r n a n t l a p o l it i q u e d e recrutement d e m a i n -d ’œ u v r e .

Pendant une période d’environ deux mois, au cours de laquelle des observations ont été faites dans le comté de Maryland par le commissaire désigné par la Société des Nations et le commissaire américain, on a reçu trois déclarations qui méritent une attention particulière, car elles manifestent une tendance différente de la tendance générale constatée dans les témoignages recueillis au sujet de ces embarquements. L’une de ces déclarations est celle du « Speaker » Bellor, du secteur de Barrapo mentionné plus haut dans le présent rapport. Il a déclaré que les conséquences fâcheuses de l’incident de Wedabo Beach consistaient, «non pas dans les « palava » de Fernando Po, mais dans les « palava » de la route ». La seconde déclaration était celle de M. Alfred M. Wodebo Collins qui a été pendant cinq ans agent et chef du service de recrutement de la Compagnie de Recrutement de Cap Palmas. La troisième est celle du Vice-Président Yancy, qui est l’agent recruteur.

1 Les plaintes formulées par les indigènes sont corroborées par un rapport officiel adressé au Président de la République en mai 1930, dans lequel il est dit qu’une taxe de recrutement de £3.0.0 est prélevée sur les voyageurs indigènes indépendants se rendant à la côte et que des droits prélevés sur les matelots de pont embarqués à Grand Cess et dans d’autres ports sont détournés pour des fins personnelles et partagés avec les fonctionnaires subalternes locaux. — 3 9 —

M. Collins s’est présenté comme un jeune indigène apparenté par moitié aux Cavalla et aux Webbo, et ayant fait ses études à la « Cuttington Collegiate and Divinity School ». «... J’ai été, dit-il, chez moi auprès des miens et, au cours de mon séjour, j’ai entendu des bruits persistants d’après lesquels M. Yancy (de cette ville) forçait les tra­ vailleurs à se rendre à Fernando Po contre leur gré et qu’il se livrait ainsi à la traite des esclaves. Connaissant les conditions des affaires ayant trait à cette question, étant au courant comme je le suis de la procédure de recrutement et d’expédition de la main-d’œuvre de ce pays à destination des ports étrangers, et ayant été en contact avec ledit M. Yancy, j’ai estimé que je ne devrais pas prendre de répit avant d’avoir expliqué à votre honorable Commission les méthodes adoptées par la Compagnie de Recrutement de Cap Palmas dont j'ai été le directeur pendant cinq années consécutives. J ’ai estimé de plus que c’était pour moi un devoir impérieux et une obligation envers un innocent que de vous fournir une explication au sujet des rumeurs et des allégations mentionnées ci-dessus. «Pour appuyer mes déclarations, j’ai fait venir quelques-uns de mes recruteurs indigènes qui m’ont aidé dans 1 ’accomplissentent de cette tâche spéciale, à savoir : le Grand Chef Doboyu, de la tribu Tuo, » Barnie » Nyao, » Bloh » Yedewodobo, » Sie » Plibo, Garswar Charlie, alias Bassa-Man, qui sont mes témoins et qui prouveront aujourd’hui que pas un seul travailleur n’a été recruté ni embarqué par force. « Je tiens à affirmer de plus, que j’ai une grande affection pour mon peuple et que je prends à cœur ses intérêts, que j’ai toujours défendus. Pendant toute la période de cinq années pendant laquelle j’ai dirigé les opération de recrutement de cette compagnie pour le compte de M. Yancy, il n’y a pas eu un seul cas de contrainte ou d’emploi de mesures de violence à l’égard d’un travailleur ou de travailleurs embarqués à destination d’un territoire britannique, français ou espagnol. Je peux vous fournir, en outre, si vous le désirez, des copies de plusieurs des instructions reçues par moi de M. Yancy lorsque les travailleurs devaient être embarqués sous mon seul contrôle, (comme, par exemple, dans les cas où, pour surveiller l’expédition de main-d'œuvre, il se trouvait soit à Monrovia, soit à Kuno Kudi ou dans les plantations de caoutchouc de Yancy ville, dans le secteur de Gbdadeke.) M. Yancy m’avait donné des instructions précises et strictes en vertu desquelles je devais, au moment où les travailleurs étaient recrutés et amenés, les inscrire sur une liste et vérifier s’ils consentaient à aller là où ils devaient être envoyés (Fernando Po). Dans de nombreux cas, il les inscrivait lui-même et demandait s’ils voulaient bien y aller, et ce n’est qu’avec leur propre consentement qu’ils y étaient envoyés. D’ailleurs, j’ai toujours parlé avec les travailleurs dans notre propre idiome, et ils m’ont déclaré (soit dans les baraquements où ils étaient logés, soit dans les bateaux qui les menaient à bord) « Nous sommes contents d’aller à Fernando Po parce que le Gouvernement n’a pas d’autre travail à nous donner ici que la construction de routes pour automobiles ; les salaires chez Firestone sont insuffisants, puisque nous recevons un shilling par jour, avec lequel nous devons acheter notre pain quotidien et, à la fin du mois, au moment de la paie, nous ne pouvons pas nous rendre compte de ce que nous avons gagné pendant le mois, et, pour économiser sur ce shilling, nous vivons très pauvrement ; à Fernando Po, par contre, nous recevons une nourriture suffisante, dont nous pouvons même, si nous le voulons, vendre une partie, et nous recevons notre paie sous réserve d’une retenue qui est conservée pour nous jusqu’au moment de notre retour dans nos foyers. Le seul inconvénient c’est qu’ici, dans notre pays, nous n’avons pas l’argent nécessaire pour payer notre voyage lorsque nous voulons aller à Fernando Po et nous sommes forcés d’attendre jusqu’à ce que l’un des chefs nous informe que M. Yancy invite ceux qui veulent aller à Fernando Po à se trouver à Cap Palmas à une date donnée. Nous choisissons alors notre propre chef et nous allons avec lui à Cap Palmas. Il en est de même pour la tribu des Gedebo, dont les hommes se rendent d’habitude sur la côte britannique, et des indigènes Tabou qui vont sur la côte française. Quant à nous, nous voulons aller sur la côte espagnole. « Si j’ai parlé avec eux de la sorte, c'est parce que, dans deux ou trois cas, des tra­ vailleurs venant pour être embarqués ont exprimé leur répugnance à partir, en se disant malades ; parfois, ils étaient très désireux de partir, mais, comme le fonctionnaire médical ne les avait pas déclarés aptes au travail, nous avons refusé de leur procurer la possibilité de partir. J ’ai essayé de faire un choix de quelques exemples parmi les nombreux cas qui se sont présentés et j’ai fait venir ici les personnes en question pour qu elles confirment mes déclarations. Je peux (si vous le désirez) vous faire comparaître ces personnes, qui sont Chambra Gydika, Chibeo Hne, Kwia de Kie-Yiidibo. . « Je dois ajouter que pas un soldat ou officier des forces de frontière du Liberia, ni un membre quelconque de la gendarmerie de ce pays et de toute la République n ont jamais été chargées du recrutement de la main-d’œuvre par la Compagnie ou invites à y aider, ni affectés à ce service, ni employés directement ou indirectement a 1 em­ barquement de la main-d’œuvre. , , « Je dois déclarer franchement que vos chefs se sont montrés très avises et très aima­ bles en vous donnant mandat pour vérifier ces allégations, de telle sorte que lorsque vous aurez présenté votre rapport, on puisse se rendre compte de la véracité des ai eren es constatations et de la manière dont cette véracité a été contrôlée. — 40 —

« Je dois ajouter, pour conclure, qu'en ce moment je suis sans travail et que j’étais à l’intérieur avec les miens, comme je l’ai expliqué, pour faire mes paquets afin de quitter le pays et de me rendre soit à Fernando Po, soit dans l’Afrique du Sud, parce qu’il n’y a pas ici suffisamment de travail pour que l’on puisse nous employer. Quant à mes mal­ heureux parents, qui ne savent ni lire ni écrire, les conditions actuelles sont très dures pour eux. Ne pensez-vous pas qu’ils seraient heureux si on leur disait : « Voilà, je suis disposé à vous envoyer dans une localité étrangère pour que vous y travailliez et retourniez chez vous lorsque votre période d’engagement aura expiré. » Soyez certains que si vous me proposiez de m’envoyer en Europe ou en Amérique, j’y consentirais tout de suite. Vous n ’avez qu’à dire un mot et vous me trouverez chez vous demain matin avec mes effets. C’est là des raisons fondamentales pour lesquelles il suffit aujourd’hui de demander de la main-d’œuvre à destination de localités étrangères pour que les indigènes se présentent en nombre dépassant la limite fixée. Même les « civilisés » feraient de même s’ils y étaient autorisés. Peut-il être question, dans ces conditions, de travail « obligatoire et forcé » ?» 1 Trois des chefs ainsi désignés ne se sont pas présentés pour confirmer ces déclarations. Les deux autres ont comparu et les ont contestées. Au cours du dernier interrogatoire de M. Collins, ce dernier a fait des déclarations mani­ festement confuses sur la méthode de recrutement, expliquant de différentes manières que : à) avis est donné au chef annonçant l’arrivée, à une date déterminée, d’un navire espagnol et demandant que le fait soit porté à la connaissance des hommes ; b) le Commissaire du district leur procure des hommes ; c) aucune des personnes affiliées à la Compagnie de recrutement ne se rend à l’intérieur du pays et les hommes viennent de leur propre gré demander à être embarqués et s’informer de la date de l’arrivée du navire ; ils retournent ensuite pour së pré­ parer au voyage, et, d) on s’est toujours imposé comme règle de demander aux hommes avant qu’ils se rendent à bord du navire, s’ils partent de leur plein gré ou non.

Question. — Comment vous procurez-vous des hommes ? Collins. — Nous donnons un avis. J ’en ai donné moi-même. Question. — Qui est-ce qui donne au chef des ordres pour fournir les hommes et comment savez-vous que le chef a des hommes à envoyer ? Collins. — C’est que vous ne pouvez pas engager quelqu’un avant d’avoir vu le Commissaire du district. Question. — Qui est-ce qui donne des ordres au Commissaire du district ? Collins. — Nous envoyons des nouvelles, des informations aux chefs. Question. — Comment savez-vous de quels hommes et de quels chefs il s’agit ? Collins. — On sait que quiconque le veut peut partir à l’étranger. Question. — Mais vous parliez du Commissaire du district ? Collins. — Les hommes vont le dire au Commissaire du district. Question. — Tout ce que vous avez à faire quand vous avez besoin d’hommes c’est donc de dire au Commissaire du district qu’un navire est sur le point d’arriver ? Collins. — Oui, non. Pas du tout. Les gens nous envoient quelqu’un et nous l’infor­ mons alors de l’arrivée prochaine du navire. Question. — Combien de personnes viennent pour vérifier si le Commissaire du district a dit la vérité au sujet du navire ? Collins. —- Oh! six. Question. — Les hommes retournent chez eux et qu’arrive-t-il alors ? Collins. — Ils amènent des hommes. Question. — C’est donc qu’ils recrutent des hommes ? Collins. — Ils les amènent. Quand les hommes viennent, je les enregistre, j’inscris leur nom, leur village, etc., et je leur demande ensuite s’ils veulent aller à Fernando Po.

La troisième déclaration explicative a été faite par M. Yancy. « Lorsque, dit-il, je suis revenu de Monrovia après avoir été nommé par M. Ross comme son agent dans cette partie de la République pour assurer le recrutement libre et volontaire et l’embarquement de travailleurs de ce pays à destination de Fernando Po, avant de nommer des sous-agents pour s’occuper de cette affaire, j’ai demandé aux divers chefs des tribus environnantes de venir me voir. Pour ma sécurité et pour la sécurité de ces chefs, j’ai demandé à l’Inspecteur du comté et à plusieurs personnalités dirigeantes, officielles ou non officielles, de la communauté de se trouver présentes pour prendre con­ naissance de ce que j’allais dire à ces chefs. Lorsque nous nous sommes rencontrés, je leur ai dit que j’avais été chargé par M. Ross de recruter et d’expédier 1.500 travailleurs pour Fernando Po et que je me proposais d’envoyer sur place des agents recruteurs ; mais qu’avant de le faire, je les avais convoqués pour les en informer, étant donné qu’ils n’étaient pas forcés d’y aller et que seuls ceux qui voulaient bien, et non les autres, étaient invités à permettre à leurs hommes de partir. Les chefs ont déclaré avoir pris connaissance

1 Lettre adressée à la Commission internationale d’enquête par Alfred M. Wodebo Collins, Cap Palmas, le 26 mai 1930. 41 —

de ce que je leur avais dit, les uns consentirent au départ de leurs hommes et d’autres déclarèrent qu’ils ne permettraient pas à leurs hommes de se rendre à Fernando Po ; d’autres, enfin, déclarèrent qu’ils allaient étudier la question et m’informer de leur décision à ce sujet. « J’ai de plus informé les chefs que, s’ils avaient des doutes au sujet du traitement dont ces travailleurs feraient l’objet à Fernando Po, ils pouvaient prendre le bateau espagnol et se rendre eux-mêmes, à mes frais, à Fernando Po pour voir s’il n’y avait pas un danger matériel ou une objection quelconque à formuler contre l’envoi de la main- d’œuvre. Plusieurs d’entre eux agirent ainsi, et, à leur retour, ils fournirent volontairement des travailleurs qui consentirent à être envoyés dans l’île de Fernando Po. « Lorsque les agents recruteurs se sont rendus sur les lieux pour recruter et amener les travailleurs, j’ai inscrit ces derniers et j’ai vérifié s’ils consentaient à partir et, dans chaque cas, j’ai seulement permis l’embarquement des travailleurs qui avaient manifesté par des paroles et par des actes leur désir de partir. En aucun cas, les forces de la frontière libérienne ou une partie de ces forces ou un messager officiel du Gouvernement n’ont été employés ou affectés par moi au recrutement des travailleurs et à leur embarquement pour Fernando Po. Les forces de la frontière libérienne ne peuvent être mises en action dans les comtés que par l’Inspecteur et seulement pour des fins officielles. « Il y a dans chaque village des chefs indigènes que je suis prêt à amener et à faire comparaître devant vous pour réfuter toute accusation d’esclavage qui pourrait être formulée. Si vous le permettez je suis prêt à les faire comparaître. »

Au cours de son interrogatoire, M. Yancy a déclaré qu’il voulait faire venir quelques chefs dont il ne pouvait pas à ce moment se rappeler les noms et qui, sur son invitation et à ses frais, étaient allés à Fernando Po pour se rendre compte personnellement des conditions dans lesquelles vivaient leurs hommes. « Je leur ai fait comprendre, dit-il, qu’il était bon qu’ils se rendent comptent par eux-mêmes du genre de travail auquel étaient affectés leurs hommes. A leur retour, ils m’ont déclaré qu’ils étaient satisfaits. Quelques-uns de ces chefs m’ont amené eux-mêmes un plus grand nombre d’hommes et me les ont donnés en vue de leur recrutement »

Les chefs en question n’ont pas été présentés par M. Yancy aux membres de la Commission, mais il a été possible d’obtenir le témoignage de plusieurs d’entre eux dans leurs villages même.

T é m o ig n a g e d u c h e f H o to d e M a n o h l u .

« Quand je suis allé à Cap Palmas, M. Yancy m’a appelé et m’a demandé pourquoi mes hommes ne voulaient pas aller à Fernando Po. Il m’a dit que Fernando Po était un endroit tout à fait bien et qu’il n’y avait pas de guerre. Pour me convaincre, il m’a proposé de payer mon voyage pour que j’aille là-bas et pour que je voie à quel genre de travail étaient employés mes hommes. Je n’avais pas envie d’y aller. Si j’y suis allé, c’est, comme les autres, par contrainte. J ’y suis allé et je n'ai pas été du tout satisfait des conditions qui sont faites aux hommes à Fernando Po. Les Espagnols ne nous ont pas permis de voir les hommes. Nous étions deux chefs envoyés par M. Yancy pour voir nos hommes. Seul Doblah a pu voir un jour par hasard deux de ses hommes qui ont répondu par des lamentations lorsqu’on leur a demandé comment ils étaient traités. Il était descendu là-bas chez un Libérien. Le consul libérien d’alors était un certain M. Johns. Il ne nous a donné aucune aide. « A mon retour, j’ai dit à M. Yancy que l’idée de voir mes hommes aller à Fernando Po ne me plaisait pas parce qu’ils n’étaient pas bien traités là-bas. M. Yancy n’a pas voulu m’écouter. A mon retour, il m’a donné 2 livres sterling, mais je n’étais pas content et aujourd’hui encore je ne suis pas satisfait de toute cette affaire de Fernando Po 2.

La manière dont le chef a été amené à Cap Palmas avant d’être invité à se rendre à Fernando Po pour une visite d’inspection est mentionnée dans une autre partie du présent rapport, mais il est bon de la répéter ici : « Des soldats sont venus ici, m’ont pris et m’ont mis en prison. Lorsque les soldats sont venus, ils se sont mis à parcourir le village et tous les hommes ont pris la fuite, mais les soldats les poursuivaient et s’emparaient d’eux par force. C’était partout des pleurs et des lamentations, mais le Commissaire ne prêtait aucune attention à ces cris. Le Commissaire Prowd a improvisé une prison dans mon propre village et s’est servi de cette maison (montrant une maison dans le village) pour faire une prison provisoire. Puis il nous a forcés à nous mettre en route. « J ’avais les mains liées derrière le dos et c’est ainsi que j'ai été amené en prison. Cela s’est passé l’an dernier. Les hommes sont restés à Cap Palmas environ une semaine, puis à l’arrivée du bateau espagnol, ils ont été expédiés à Fernando Po. Pendant que nous attendions l’arrivée du navire, on ne nous a pas donné de nourriture. 2»

1 Compte rendu sténographique de l’entretien avec le Vice-Président Allen N. \ ancy, Cap Palmas, k 30 m ai 1930. 2 Voir témoignage du chef Hoto de Manohlu, 28 mai, 369-370. — 42 —

T ransbordement d e l a m a i n - d ’œ u v r e .

La législation interdisant la sortie de la main-d’œuvre des comtés de Montserrado, Cap Mount et Bassa constituait une mesure intérieure, d’ordre économique, prise dans l’intérêt des agriculteurs de ces régions, qui auraient été sérieusement désavantagés si la main-d’œuvre indispensable était ainsi envoyée au dehors. La Commission estime que la non-observation de la loi par les particuliers et par les fonctionnaires publics, même si elle n’est pas sujette à des sanctions pénales, a des conséquences encore graves en raison de l’indifférence dont elle témoigne pour la prospérité économique de l’Etat. Il est démontré que pendant une période, le « recrutement » se pratiquait largement et constituait une source de revenus immédiats, donnant ainsi une confirmation assez tragique à l’affirmation, formulée sérieusement par un homme d’Etat, d’après laquelle la main-d’œuvre est le principal article d’exploitation du pays. Les travailleurs recevaient la promesse d'un travail agréable et d’un salaire plus élevé que le taux habituel d’un shilling par jour. Ils étaient recueillis parfois sur le rivage, à Monrovia, où ils erraient sans travail ; parfois, ils étaient amenés des régions de l’intérieur ou débauchés des plantations Firestone ; chez d’autres, enfin, on stimulait le goût de l’aventure en leur faisant une avance de 5 ou 6 shillings sur le salaire promis. Il est évident que, du moment que le travail à l’étranger constitue une nécessité, on aurait dû prévoir un bureau officiel chargé de réglementer ce mouvement de main-d’œuvre et assurer le retour de cette main-d’œuvre avec quelques avantages pour le pays. Etant donné que toutes les dispositions expresses de la loi concernant cette question interdisent ce trafic de main-d’œuvre, il faut croire que, si des particuliers et des fonctionnaires publics s’y livrent avec tant d’empressement, c’est : a) qu’ils sont convaincus, en principe, que cette méthode est juste et satisfaisante et qu’elle vaut la peine d’être entreprise, même en violation de la loi, ou alors, b) qu’elle leur procure un bénéfice personnel. Mme Mary Ellen Bloomeyer *, signalée par l’Hon. P. F. Simpson 2 comme gardant des hommes pour le compte de M. Ross et de M. M. Yancy, a déclaré dans sa déposition que le taux, en ce qui concerne les travailleurs, était, par homme recruté, de £1, pour les « civilisés » et 5 shillings pour les indigènes. Elle a cessé ses relations avec le Postmaster General Ross lorsqu’elle s’est aperçue qu’il ne la payait, pour les hommes que d’après le taux adopté pour les indigènes. David Ross, fils adoptif de feu Samuel Ross, a déposé 3 que lui et un jeune homme connu sous le nom de Peabody portaient pour le compte de M. Ross, du gin, du tabac et du riz à la plantation Firestone N° 7, afin d ’attirer les hommes ; qu’ils ont pu décider un certain nombre d’entre eux à venir à Monrovia, mais que lorsque ces derniers apprirent qu’ils étaient enrôlés pour Fernando Po, plusieurs d’entre eux s’enfuirent. Pour la somme de 4 shillings accordée, un agent de police indigène a envoyé son propre frère à M. Ross. La Commission a recueilli à Monrovia de nombreux témoignages concernant l’embar­ quement forcé de travailleurs, de Monrovia à Cap Palmas, en vue de leur transbordement à destination de Fernando Po. a) Le 24 octobre 1929, près de 24 hommes de Kroo ont été embarqués sur un bateau plat pour être amenés à bord d’un navire. Ils devaient aller d’abord à Cap Palmas et de là à Fernando Po. Le Secrétaire d’Etat ayant été informé que les hommes étaient embarqués de force sur le bateau, en présence ou d’après les instructions de l’Hon. P. F. Simpson, membre de la Chambre des Représentants, l’ordre a été donné de ramener les hommes à terre. Le Secrétaire d’Etat a fait ranger les hommes et les a interrogés sur leurs désirs. Les uns décla­ rèrent qu’ils voulaient partir et les autres qu’ils ne le voulaient pas. Quelques jours plus tard, 24 hommes ont été envoyés à Cap Palmas. Deux des hommes qui s’étaient évadés du premier convoi ont déposé devant la Commission. Voici une citation empruntée au témoignage de Hurley *. « Je venais de Simkor. Mon frère est Kolikai. J ’ai rencontré un homme qui m’a dit qu’il voulait quelqu’un qui aille travailler à Cap Palmas. J ’ai dit : « C’est très bien. Si c’est à Cap Palmas, je veux bien y aller. » L’homme m’a dit : « Vous devez tous venir ici et attendre jusqu’à ce qu’il soit temps de partir pour Cap Palmas. » Pendant le temps que nous étions avec lui, il nous a nourris. Il nous a dit que, tant qu’il nous nourrissait, nous ne devrions pas nous promener dans les rues. Pendant que nous étions avec cet homme, nous avons entendu dire que nous devions aller à Fernando Po et non à Cap Palmas. Un soir, j’ai voulu faire une promenade sur la route. M. Yancy m’a interdit de le faire, parce que, dit-il, nous devions nous rendre à bord aussitôt que le bateau arriverait. Mon frère Kolikai, lorsqu’il vint un soir à la maison, a été pris, battu et enfermé dans les lieux d’aisance. Nous nous sommes dit alors : « Si l’on nous fait tout cela quand nous sommes encore à Monrovia, ce sera bien pire lorsque nous serons partis. » Parmi les nombreux témoignages recueillis, on a relevé les points suivants : M. J. G. Johnson 5, agent de police, a vu l’Hon. Simpson 6 faire entrer de force les hommes dans le bateau. L’Hon. Simpson, à son tour, a déposé qu’on lui avait simplement demandé com m e une faveur personnelle de constater que les hommes étaient remis au capitaine du bateau

1 Témoignage de Mme Mary Ellen Bloomeyer devant la Commission à Monrovia, 17 avril, A.120-125. 2 Témoignage de l’Hon. P. F. Simpson, membre de la Chambre des Représentants, R. L., 17 avril, A .112-114. 3 Témoignage de David W. Ross devant la Commission à Monrovia, 23 avril, A. 206-213. 4 Témoignage de Hurley devant la Commission, Monrovia, le 16 avril, A.68. 5 Témoignage de J. G. Johnson, 16 avril, A.69-A.91. 6 Témoignage de l’Hon. P. F. Simpson, 17 avril, A.112-114. — 4 3 — et qu’on n’avait pas recours à la violence. M. D. Twe 1, qui a signalé l’incident au Secrétaire d’Etat, a fait comparaître deux des hommes qui faisaient partie du premier convoi. M. Jesse Benson 2, sur les conseils duquel M. Twe a signalé le cas au Secrétaire d’Etat et qui avait accompagné alors M. Twe, a témoigné devant la Commission qu’il n'avait vu ni M. Twe ni les hommes avant que tout ne soit fini. M. W. D. Stubblefield 3, Chef de la police, a témoigné qu’en sa qualité de fonctionnaire de la police, il a instruit le cas à la demande du Secrétaire d’Etat et que huit hommes avaient déclaré qu’ils ne voulaient pas partir, mais que, « ayant reçu des avances qu’ils avaient déjà dépensées et qu’ils n’étaient pas en mesure de rembourser, ils avaient quand même décidé de partir ». Il a ordonné à ceux qui étaient désireux de partir de se faire délivrer, par le Secrétaire d’Etat, des passeports pour se rendre là où il leur plairait ,s

« Le jour suivant, je leur ai donné l’ordre de se présenter chez moi, mais il n’en vint que deux. Dans l’ensemble, sur 24 hommes, 16 ont déclaré qu’ils voulaient partir, alors que 8 ont ditqu’ils ne voulaient pas partir, mais que, voyant qu’ils n’étaient pas en mesure de rembourser l’argent qui leur avait été déjà avancé, ils partiraient quand même. »3 Mme Mary Ellen Bloomeyer 5 a témoigné qu’elle gardait les hommes, mais que tout ce qu’elle savait, c’était qu’ils étaient recrutés pour être envoyés à Fernando Po. Si l’incident a attiré l’attention, c’est que le voyage avait été interrompu. Pour ce qui est de la responsabilité des personnes mentionnées, il semble clair que la loi a été tournée et que les hommes servaient plus ou moins de « gage » dans cette transaction.

b) M. T. J. R. Faulkner a déclaré que les hommes étaient recrutés à l’intérieur et envoyés à Sinoe pour être réexpédiés par M. Ross. Cette déclaration a été corroborée par d’autres témoins.

c) Le 3 février 1930, un groupe d’hommes a été envoyé de Monrovia par le colonel T. Elwood Davis, Aide de camp du Président King. M. J. G. Handsford a témoigné à ce sujet. Le colonel Davis a expliqué que les hommes étaient venus à Monrovia et voulaient aller à Fernando Po parce que les salaires payés chez Firestone étaient trop faibles et qu’il y avait une crise de chômage. Il a signalé le fait à l’agent recruteur, parce qu’il était le seul qui fût en mesure de les envoyer. Pendant tout un mois, ils sollicitèrent du travail et, finalement, il fit un arrangement avec la Compagnie hollandaise pour leur transport à Fernando Po. Il a signalé, en outre, qu’il y avait encore dans la ville 20 hommes ou plus qui voulaient éga­ lement partir, et il a été invité à les présenter. Un groupe d’environ huit hommes est survenu quelques jours plus tard, accompagné par un homme qui avait été blanchisseur à Fernando Po. Sans révéler des intentions criminelles manifestes, le témoignage présente de l'intérêt en tant qu’il montre comment la candeur de ces hommes se prête à toutes sortes de combinaisons. Question. — Pourquoi êtes-vous venus à Monrovia ? Les hommes. — Nous chercher travail. Question. — Quel travail ? Les hommes. — N’importe quel travail. Question. — Cherchez-vous du travail ici à Monrovia ou autre part ? Les hommes. — N’importe quel travail, n’importe où. Question. — Quel genre de travail pouvez-vous faire ? (Les hommes ne comprennent pas.) Quel travail vous faire avant ? Les hommes. — Pas travail avant. Question. — Vous pas venus ville avant ? Les hommes. — Non, Monsieur. Question. — Avez-vous trouvé quelqu’un pour vous procurer du travail ? (Les hom­ mes ne comprennent pas.) Qui vous trouvé pour donner travail à vous ? Les hommes. — Au bord de la mer. Question. — Venez-vous ici tous les matins ? Les hommes. — Non, Monsieur. Question. — Vous pas demandé ici travail ? Les hommes. — Non, Monsieur.

1 Témoignage de M. D. Twe, 16 avril, A.64. 2 Témoignage de M. Jesse Benson, 17 avril, A.89, 90 3 Témoignage de M. XV.D. Stubblefield, Chef de la Police, Monrovia, 17 avril, A. 117-119. 4 Le passeport n’est exigé que pour les personnes qui quittent le pays et non pour les voyageurs se rendant d’un port du Libéria à un autre. 5 Témoignage de Mme Mary Ellen Bloomeyer, 17 avril. Les autres personnes qui ont témoigné devant la Commission au sujet de 1 embarquement force de 24 hommes, de Monrovia à destination de Fernando Po, et qui ne sont pasmentionnées dansle texte sont . a) Faulkner, T.J.R. 14 avril. b) Page, W.B. Postmaster, Monrovia, 16 avril. c) Kpalupkolo (Kpessi), 16 avril. d) Robert, boy indigène, 16 avril. e) Morris, G.D. 17 avril. /) Henson, J.L. Pointeur principal des douanes. 4 - 4 4 —

Question. — Comment faites-vous pour chercher du travail ? Les hommes (par l’intermédiaire de l’interprète). — Je demande du travail et si on me dit que je peux partir, je pars ; si on m’envoie à Cap Palmas, je pars. Partout où on me dit de travailler, je vais pour travailler. Question. — Y a-t-il un endroit en dehors de Cap Palmas où vous voulez aller ? Les hommes. — Non, Monsieur. Moi venu ici quatre semaines avant. Question. — Vous dites que vous n’avez pas travaillé jusqu'ici ; n’avez-vous jamais fait un travail quelconque ? Les hommes. — Non, pas avoir fait travail avant ; nous hommes pas savoir travailler. Question. — Voulez-vous aller sur un navire ? Les hommes. — Oui, Monsieur. Question. — Supposez qu’un navire vous prend et vous emmène ailleurs ? Voulez- vous travailler là-bas ? Les hommes. — Oui, Monsieur. Question. — Personne ne vous a dit de partir sur un bateau et d’aller travailler ailleurs? Les hommes. — Oui, Monsieur, mais nous pas savoir l’homme. Question. — Qui est-ce ? Les hommes. — Pas savoir. Question. — Où espérez-vous donc travailler ? Les hommes. — Partout où on m’envoie, je vais travailler. Question. — Vous a-t-on jamais parlé de Fernando Po ? Les hommes. — Non, Monsieur, mais nous savoir là-bas ; nous vouloir aller là-bas. Question. — Avez-vous jamais entendu des hommes parler de Fernando Po ? Les hommes (L’interprète parlant pour lui-même). — Oui, Monsieur, j’ai été là-bas. Question. —- Quand avez-vous été là-bas ? L ’interprète. — Je travaillais pour Company. Question. — Voulez-vous aller tous à Fernando Po ? Les hommes. — Oui, Monsieur. Question. — Comment vous, hommes, vous voulez aller là-bas puisque vous n’avez jamais entendu parler de cet endroit ? Comment voulez-vous aller là-bas puisqu’il en est ainsi ? L ’interprète. — Moi savoir, moi blanchisseur là-bas, laver linge. Moi blanchisseur à Fernando Po. Question. — Est-ce que quelqu’un parmi les autres hommes a été à Fernando Po ? Les hommes. — Non, Monsieur 1.

P a y e d e s travailleurs r a p a t r i é s .

Le taux des salaires payés aux travailleurs à Fernando Po est de £1.10.0 par mois, plus la nourriture. La moitié de ces salaires est payée en pesetas dans l’île même. L’autre moitié est retenue pour être versée au moment du retour au Libéria. Les plaintes formulées par les hommes revenus dans le pays, et qui sont parvenues à la connaissance de la Commission portent presque sans exception sur le fait qu’ils n’avaient pas reçu tout l’argent qui leur revenait et, parfois, qu’ils n’avaient rien reçu. Désireuse de contrôler la véracité de ces plaintes, la Commission a invité M. P. C. Parker, vice-consul d’Espagne, tout en étant citoyen du Libéria, à expliquer comment les hommes sont payés 3. « Chaque hommes, déclara-t-il, gagne 30 shillings par mois, ou 1 shilling par jour ; la moitié de son salaire mensuel est payée dans l’île et l'autre moitié à son retour ici. » Il n’est pas fait de retenue dans sesbureaux. Lorsqu’on lui a demandé quels étaient les livres tenus à cet effet et si l’on tenait la liste des hommes revenus dans le pays, ainsi que des montants qui leur ont été versés, il a répondu qu’on ne tenait aucune liste des paiements effectués. Il a déclaré ne pouvoir s’engager à établir ces listes. « Le Gouvernement espagnol, dit-il, est un gouvernement libre et ne tient pas de livres de ce genre. » Une feuille de paie est envoyée en même temps que les hommes et est retournée à Fernando Po lorsque les paiements sont effectués. « En ma qualité de vice-consul, déclara-t-il, je ne conserve pas ces listes ici. Le Gou­ vernement espagnol a assez confiance en moi. Le consul d’Espagne, qui est un h o m m e nouveau, ne peut pas non plus les fournir. Le Gouvernement espagnol ne s’embarrasse p a s d ’un tas de livres. »

1 Témoignage des hommes envoyés par le colonel Davis, 25 avril. 2 Témoignage de P. C. Parker, devant la Commission, en sa qualité de vice-consul d’Espagne, 17 avril. — 4 5 —

Lorsqu’un homme meurt, le fait est signalé directement au consul du Libéria à Fernando Po et au Secrétaire d’Etat du Libéria. Les sommes dues aux personnes décédées sont envoyées au Département d’Etat du Libéria pour être versées aux membres de la famille du défunt. Lui-même n’est pas, a-t-il dit, en mesure de fournir des renseignements à ce sujet ; il n’a rien à voir avec les avances faites aux hommes avant leur départ pour Fernando Po. Cela, a-t-il expliqué, est l’affaire des agents recruteurs. Il ne sait rien au sujet des hommes expédiés de Monrovia à Cap Palmas pour être dirigés sur Fernando Po. Lorsqu’on lui a demandé si sa nomination à Monrovia avait pour objet principal le contrôle des paiements effectués aux travailleurs revenant de Fernando Po, il a répondu : « Certainement non ! Je m’occupe des certificats sanitaires et d’autres questions. Je représente l’Espagne. Depuis l’an dernier ou l’avant-dernière année, un nouveau contrat a été passé avec l’Espagne. Je crois qu’il s’agit de 3.000 travailleurs, mais je ne suis pas fonctionnaire du Gouvernement du Libéria. La seule chose qui intéresse mon Gouverne­ ment, c’est les 3.000 travailleurs. » Interrogé sur le fait que certains hommes n’auraient reçu que £1.10.0 pour deux années de travail, il a répondu qu’il n’avait pas connaissance de ces détails. Les travailleurs revenant dans le pays avec des fiches de paiement sont rarement capables de lire, et, comme ils sont habituellement pressés de recevoir leur argent, ils ne conservent pas de fiches d’après lesquelles il soit possible de procéder à une vérification. A Cap Palmas, c’est l’agent recruteur qui effectue les paiements. Dans un cas seulement la Commission a pu voir une fiche de paiement avant qu’elle soit présentée. Ce fut dans le cas de Kuia, mentionné précédemment dans le rapport, qui avait été dans l’île pendant quatorze mois et avait rapporté une fiche établie pour £1.12.3. Il avait été, d’ailleurs, signalé au cours des séances de la Com­ mission que lorsque des hommes changent de patron dans l’île, ou lorsque, pour une raison quelconque, un patron se substitue à un autre, seul le dernier est responsable pour le paiement et il ne l’est que pour le temps passé à son service. Pour les matelots de pont et les ouvriers de la Côte de l’Or, les paiements sont effectués habituellement par l’intermédiaire du Bureau du Travail, et quoique les gains réalisés par ces travailleurs au bout d’une certaine période de service se trouvent réduits par suite de prétendues irrégularités douanières, il existe néanmoins un enregistrement officiel des opéra­ tions de paiement. Certaines de ces plaintes sont reproduites ci-après : Grebo, qui a vécu auprès de T. J. R. Faulkner, est resté à Fernando Po plusieurs années, et la valeur de son travail était évaluée à environ $700.00. Lorsqu’il présenta sa fiche, il reçut £54-2 l. L’honorable Too Wesley, ancien Vice-Président, s’est vu poser la question : « Croyez-vous que les hommes revenus de Fernando Po au bout de deux ans aient apporté avec eux une somme d’argent suffisante pour compenser la perte de main- d’œuvre ? » Sa réponse à cette question a été formellement négative 2. L’Inspecteur Brewer, du comté de Maryland, a ajouté à cette observation qu’il est presque toujours plus avantageux que les hommes restent au Libéria 3. Samuel Togba, envoyé comme représentant du chef de Sass Town auprès de la Commission à Monrovia, s’est plaint de ce que ceux des 500 hommes ou plus, envoyés par l’intermédiaire d’un certain Robert Bro, agent recruteur pour la Compagnie de Recrutement du Comté de Maryland, qui sont revenus, ne rapportaient pas grand chose après deux ans de service, et pour illustrer cette affirmation, il a cité le cas de son frère qui a dépensé tout l’argent reçu à son retour pour l’achat de 20 plants de tabac et d’un vêtement *. En raison de l’absence d’états des paiements effectués à Monrovia, ainsi que de tout contrôle officiel à Cap Palmas, il est impossible d’évaluer l’importance des sommes que les hommes prétendent avoir reçues en moins et d’expliquer la raison pour laquelle les sommes dues aux travailleurs ne sont pas payées intégralement. Les travailleurs qui reviennent de Libreville ne bénéficient même pas d’un contrôle officiel préalable, et des hommes ont dû souvent parcourir les rues pendant des journées entières, cherchant vainement à apprendre qui devait les payer. Un témoin, chef d’équipe de 140 hommes qui se sont rendus au Congo (en croyant qu’ils allaient à Seccondy), a déclaré que ces hommes avaient reçu $2.00 par semaine en monnaie française et qu’on leur avait dit que l’autre moitié leur serait versée par l’agent recruteur à leur retour. Ils n’ont pas reçu d’argent, quoiqu’ils soient revenus depuis six mois 5. Dans un autre cas encore, les hommes revenus après avoir séjourné pendant plusieurs jours dans la ville pour essayer de toucher leur salaire, ont été finalement rassemblés. Le chef d’équipe a reçu £1.0.0., les grands hommes 10 shillings et les petits 5 shillings, et on leur a dit de rentrer chez eux, ce qu'ils firent. Un médecin européen vivant à Cap Palmas a adressé à la maison E. et H. Nissen, dont le siège est à Copenhague, une réclamation au sujet de la paie de trois hommes, Joh Barzor,

1 Témoignage de T. J. R. Faulkner, 14 avril. 2 Témoignage de l'honorable H. Too Wesley, ancien Vice-Président, 12 juin, 474-477. 3 Témoignage de l’Hon. George T. Brewer, 12 juin. 4 Témoignage de Samuel Togba, Ier août 1930. 5 Témoignage de Freeman de Doboke à Tarke, 2 juin 1930. - 4 6 —

Charlie Gleio, et Nijema Kroo, qui ont été autrefois chez lui et dont, dit-il, il se considère comme le tuteur. L’un d’eux est mort à Libreville, mais aucune somme n’a été payée à ses parents. Les deux qui revinrent après 18 mois se sont vu déclarer qu’ils n’avaient plus à toucher d'argent. Pendant toute la durée de leur travail à Libreville, ils ont reçu 600 francs, soit environ £5.0.0.

Q u e l q u e s conséquences d e c e s p r o c é d é s .

Quoique tous les travailleurs envoyés à Fernando Po ne s’y rendent pas par force, il est évident qu’il a été fait usage de contrainte à l’égard d’un certain nombre d’entre eux, que l’âpreté au gain a conféré à ce trafic un caractère tel qu’il est difficile de le distinguer de l’esclavage, et que ce trafic ne pouvait s’exercer avec une efficacité aussi tragique que grâce au concours des organes et des services du Gouvernement. On pourrait parler longuement du danger qui apparaît partout pour le développement général économique du pays, des villages déserts, des exploitations agricoles abandonnées, de la « disette ». Tout au moins, un élément important de la population indigène, qui constitue, sans aucun doute, la force du pays, envisage avec tourment et inquiétude cet abus général des institutions par lesquelles la population est gouvernée. Il manifeste son mécontentement en se plaignant que la confiance dans la loi, l’ordre et la civilisation, qui pourtant aurait pu être facilement maintenue, diminue de jour en jour. Il néglige non seulement ses exploitations, mais aussi les formes d’expression artistique qui, dans certaines autres colonies, sont le résultat d’une existence heureuse. Non seulement ils ont déserté leurs villages pour se réfugier dans la brousse, qui est plus sûre, mais ils désertent aussi le pays. « Je crie à mon frère : « Je veux aller demander aux Français de nous accueillir à cause de notre grande misère. » Et plus loin : « Si la Commission n’était pas venue, nous serions partis. Nous aurions quitté le pays et nous serions allés n’importe où '. » Les membres de la Commission sont convaincus que la situation ainsi faite aux indigènes est injustifiée et témoigne d’une imprévoyance dangereuse. Cette opinion semble être partagée, ce qui n’est pas sans intérêt, par quelques citoyens du Libéria qui ont acquis une certaine expérience de l’administration et que la Commission n’a jamais entendu accuser de rapacité ou de malhonnêteté.

1 Témoignage de Garraway. - 4 7 -

TRAVAIL FORCÉ ET OBLIGATOIRE

M a n d a t d e l a C o m m is s io n .

d) dans quelle mesure le travail forcé existe en tant que facteur de l’économie sociale et industrielle de l’Etat, soit à des fins publiques soit à des fins privées, et s’il existe, de quelle manière la main-d’œuvre a été recrutée et employée, soit pour des fins publiques, soit pour des fins privées ; /) si la main-d’œuvre employée à des fins privées sur des plantations apparte­ nant à des particuliers ou louées par eux, est recrutée par voie d’engagement volontaire ou est contrainte à ce service par le Gouvernement de Libéria ou avec son autorisation ; g) si le Gouvernement de Libéria a, à un moment donné, sanctionné ou approuvé le recrutement de la main-d’œuvre opéré avec l’aide et l’assistance du corps des garde- frontières de Libéria, ou si d’autres personnes occupant une situation officielle, des fonc­ tionnaires de l’Etat ou des particuliers, ont été mêlés à ce recrutement avec ou sans l’approbation du Gouvernement. La Convention relative à l’esclavage, tout en considérant le travail forcé ou obligatoire comme rentrant pleinement dans le cadre de ses dispositions, s’est moins préoccupée de le définir que de le décrire. En raison des diverses règles de conduite adoptées, en ce qui concerne ce travail, par les Etats indépendants, les dépendances et les territoires sous mandat, il semble que l’on s’est moins préoccupé de se demander ce qu’il convenait de considérer comme un statut interdit, que de déterminer les conditions qui nécessitent le travail forcé, c’est-à-dire dans quelle mesure il peut être autorisé et avec quelle rapidité on peut réduire cette nécessité. C’est au Bureau international du Travail qu’une grande partie de cette discussion s’est centralisée, et comme on avait reconnu qu’il était nécessaire d’établir un critérium à cet égard, on a tenté d’en donner, en 1929, la définition ci-après, qui, toutefois, n’a pas, comme pour l’esclavage, été internationalement acceptée. « Tout travail ou service exigé d’une personne, sous menace d’une sanction quelconque en cas de non-accomplissement, et pour lequel l’intéressé ne s’offre pas volontairement. » Il semble que, dans cette définition, on n’établisse pas de distinction entre le travail « forcé » et le travail « obligatoire ». Dans les discussions, on reconnaît qu’il n’y a, entre ces deux termes, qu’une nuance de degré. Il importe de noter qu’on ne mentionne aucunement la manière dont cette main-d’œuvre est obtenue ou recrutée, ni d’où elle provient, et qu’il n’est pas indiqué dans quelle mesure le travail forcé risque de dégénérer en une condition impossible à distinguer de l’esclavage. Les colonies et dépendances de l’Afrique tropicale, cherchant à développer leurs ressources naturelles, et reconnaissant qu'elles ne peuvent y parvenir qu’avec le concours des efforts indigènes convenablement dirigés, se trouvent ainsi placées devant la question de l'équilibre qu’il convient de maintenir entre le besoin de ces ressources et le bien-être des populations dont l’assistance leur est absolument nécessaire. Les règles de conduite suivies ont donc varié selon les Etats et les dépendances intéressés et, au sein d’une même administration, il s’est produit des divergences d’opinions, suivant que l’on connaissait plus ou moins les coutumes des tribus. Les récentes discussions sur le travail forcé qui ont eu lieu dans les administrations les plus développées de l’Afrique tropicale ont permis de dégager certains principes, s’inspirant de l’idée qu’en dernière analyse, le travail forcé a pour effet important de décourager l’effort spontané, de détruire le désir d’acquérir des biens, et va ainsi à l’encontre de l’objet qu’il se propose ; abstraction faite du droit que possèdent les indigènes de ne pas être astreints à subir des exigences extérieures et arbitraires dans lesquelles leur propre bien-être ne joue qu’un rôle secondaire, les administrations étudient à l’heure actuelle la nature du travail pour lequel la contrainte semble être nécessaire, la question de savoir quand la contrainte est justifiée et la mesure dans laquelle elle est justifiable. Or, tandis que l’on se rend compte que, dans les Etats et dépendances de l’Afrique tropicale où des civilisations avancées et primitives se trouvent en contact, le travail forcé présente un certain avantage au point de vue éducatif, on reconnaît en même temps que l’on va à l’encontre des objets poursuivis et que le travail forcé peut dégénérer en des conditions ana­ logues à l’esclavage, si l’on s’écarte des règles de conduite rigoureuses qui imposent de traiter équitablement et avec égards les indigènes astreints au travail forcé. Parmi ces règles et principes importants, il y a lieu de signaler les suivants : a) Le travail devrait avoir un caractère public et être effectué dans l’intérêt reconnu de la collectivité. b) Ce travail doit être absolument nécessaire (certains ont été d’avis qu on ne pouvait recourir à la contrainte qu’en cas de crise soudaine et d’urgence absolue). —

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c) On devrait fixer une période de l'année, au cours de laquelle ce travail est absolu­ ment inadmissible, par exemple les mois où s’effectuent les travaux agricoles. d) Ce travail ne doit pas être imposé à l’indigène ayant à parcourir de longues dis­ tances pour s’y rendre ou devant demeurer éloigné de son foyer pendant une longue période. e) Il faut veiller à ce que les travailleurs soient convenablement logés et nourris. /) Il conviendrait de ne plus y astreindre les femmes et les enfants, exception faite toutefois des travaux reconnus par la coutume comme revenant aux femmes. g) Lorsque le recrutement est effectué par l’intermédiaire des chefs indigènes, il doit être surveillé avec une rigoureuse circonspection. h) Dans tous les cas, le travail doit être rémunéré. i) Il faut qu’il soit strictement rendu compte des amendes. Il y aurait lieu d’étudier cette question en la divisant en deux rubriques : travail force pour des fins publiques et travail forcé pour les entreprises privées.

A. TRAVAIL FORCÉ POUR DES FINS PUBLIQUES.

1. Construction de routes : a) Absence de rémunération pour la main-d’œuvre. b) Outils et nourriture. c) Contingents d’ouvriers pour la construction des routes. d) Amendes. e) Mauvais traitements infligés aux travailleurs. /) Manœuvres d’intimidation et extorsions. 2. Travaux publics; construction de bâtiments. 3. Portage.

1. Construction de routes.

Il s’agit, ici, presque exclusivement de la construction de routes pour automobiles, ayant un caractère d’utilité publique, et non pas de pistes dont, naturellement, tout un réseau couvre le pays. Comme dans d’autres régions de l’Afrique tropicale, ces pistes sont entretenues, selon la coutume immémoriale, par de la main-d’œuvre villageoise, non rémunérée, des deux sexes, sur l’ordre des chefs dans les districts desquels elles se trouvent, pour autant, tout au moins, qu’elles soient entretenues. La division entre ces deux catégories est nette. Dans la plupart des Etats et dépendances de l’Afrique tropicale, l’usage du travail forcé est autorisé pour l’exécution de travaux publics, et surtout pour la construction de routes, si l'on ne dispose pas d'autre main-d’œuvre. La période de travail forcé ne dépasse jamais trois mois par an et ne dure souvent qu’un seul mois ; le taux du salaire est, en général, légè­ rement inférieur à celui du taux du marché ou dépend de la situation du Trésor. Pendant les mois consacrés aux travaux agricoles, tous les travaux de construction de routes sont suspendus. Au Libéria, le travail obligatoire semble avoir été utilisé depuis la constitution de la République et, plus spécialement au cours de ces dernières années, pour des travaux de cons­ truction de routes. D'après le Secrétaire aux Travaux publics \ le Gouvernement a étudié depuis 1920 la construction de routes pour automobiles partant de la ville principale ou du port de chacun des cinq comtés et se dirigeant vers le nord dans l’hinterland. La route de Monrovia à Careysbourg a été commencée en 1920 par la Compagnie des ouvriers militaires du Département de la Guerre, composée de 50 hommes et d’un sergent. Mais le grand pro­ gramme de construction routière proprement dit n’a commencé qu'en 1923, au moment où le Président a discuté la question avec les chefs, lors de la Conférence de Suehn. Plus récem­ ment, vers 1926, semble-t-il, l’organisation de la main-d’œuvre employée à la construction des routes a été reprise par le Département des Travaux publics. La Commission a examiné attentivement le programme même de construction routière afin de l’étudier, en se plaçant au point de vue du principe de la nécessité, dans les diverses phases de son exécution. Comme l’ont expliqué le Président de la République et d’autres fontionnaires, le Gouvernement a eu pour objet : a) De récupérer la perte de produits et de recettes dont le marché libérien a absolu­ ment besoin en détournant le commerce de la frontière britannique et française où celui-ci se dirigeait, faute de routes pouvant servir au transport des marchandises à destination des ports du Libéria ; b) D’épargner aux indigènes les droits de douane qu’ils répugnent à payer ; c) D’établir un réseau de routes traversant les régions les plus peuplées et les plus développées et de faciliter ainsi le transport des matières premières ; d) Et, enfin, d’éliminer ultérieurement la nécessité de portage des fardeaux sur la tête.

1 Voir lettre du 9 juin 1930, « Programme de routes établi par le Gouvernement et modalités d'exe- cution ». — 4 9 —

Le principal programme de construction routière semble avoir été élaboré avant toute étude préparatoire du pays, de sa population ou de ses ressources, et mis à exécution sans l’assistance d’ingénieurs experts en la matière. En outre, voici quelles sont, ainsi que l’atteste le Secrétaire aux Travaux publics, les difficultés qu’a rencontrées la mise à exécution de ce programme : i. «Au point de vue tan t topographique que numérique, il est difficile d’établir une répartition satisfaisante ou équitable des charges publiques ; divers moyens ont été proposés et tous n’ont pas encore été essayés. . . La population étant inégalement répartie dans certains centres stratégiques situés le long des routes, le Département a dû construire des camps d’ouvriers dans ces régions. C’était le seul moyen grâce auquel le Département pensait pouvoir atteindre les objectifs nationaux précités. Dans une certaine mesure, cette méthode a fait subir aux ouvriers, ainsi qu’aux employés du Dépar­ tement de graves inconvénients et a donné naissance à des impressions erronées au sujet de nos procédés, surtout en raison du fait que certains ouvriers ont dû travailler sur la route à une grande distance de chez eux. Cette situation était très compliquée, mais toutes choses bien considérées, le Département a conclu que, vu l’aversion qu’éprouvent nos concitoyens non civilisés à payer des impôts et attendu qu’ils sont convenus entre eux de fournir de la main-d'œuvre plutôt que de payer un impôt, le seul moyen de tracer les routes à travers les régions où la population est clairsemée était d’amener les ouvriers dans ces régions » La construction des routes à travers le pays doit naturellement être tôt ou tard indispen­ sable. Sous la direction d'experts, ces routes pourraient être projetées et construites de manière à coïncider avec les voies de chemin de fer qui pourraient être établies plus tard, ce qui éviterait ultérieurement d’énormes dépenses pour les travaux de tranchées et de remblais nécessaires pour la voie ferrée. Le fait d’avoir élaboré un programme routier aussi ambitieux et de l’avoir mis à exécution sans le concours d’arpenteurs ou d’ingénieurs, nous paraît avoir constitué un grand gaspillage d’argent et de main-d’œuvre. S’il était achevé, il est douteux qu’il procurerait à l’indigène un avantage quelconque, mais il pourrait certainement assurer au Trésor du Gou­ vernement, dans les ports du Libéria, des rentrées de fonds qui, sans cela, auraient pris une autre destination. D’après ce qu’ont observé les membres de la Commission, il ne semble pas que les routes projetées et actuellement en voie de construction passent, tout au moins dans le Maryland, « par les régions les plus peuplées et les plus développées ». Dans le Maryland, la route Webbo-Barrobo-Flebo semble, en tout cas, n’avoir guère d’autre utilité que celle d’une voie d’accès à une station militaire temporaire. En parcourant la distance de 10 à 12 milles qui sépare XVebbo des chantiers de la tête de route, nous n’avons observé qu’un seul village, Wadaki, et n’avons rien vu qui ressemblât à un camp d’ouvriers. L’allusion du Se­ crétaire pour les Travaux publics à « l’aversion qu’éprouvent nos concitoyens non civilisés à payer des impôts » ne semble pas très heureuse. A la Conférence de Suehn, les chefs ne pou­ vaient guère faire moins que de consentir à fournir la main-d’œuvre pour la construction des routes puisque le Président de la République déclarait que celles-ci devaient être construites. Or, dans toutes les plaintes que nous avons entendu répéter partout, les chefs et leurs hommes n élèvent aucune objection contre les impôts, mais se plaignent du fait qu’ils doivent non seulement trouver les ouvriers, mais encore payer pour leur nourriture et pour leurs outils, acquitter de nombreuses amendes et être en butte à de mauvais traitements, tout en ne recevant aucune rémunération. On trouvera ci-après le réseau de routes envisagé :

Ressort ou zone du Comté.

Comté du Mont Grand Cap : a) Robertsport-Bendou ; b) Bendou-Karnga ; c) Karnga-Dah ; d) Dah-Cobolia-Jene Barclay. Comté de Montserrado : a) Monrovia-Kakata ; b) Brewerville-Suehn ; c) Millsbourg-Suehn ; d) Virginia-Brewerville ; e) Clayashland-Suehn ; /) Brewerville-Senjeh-Gorjeh-Kongba ; g) Kongba-Dah ; h) Mont des Plaines blanches-île Coffee Doble ; i) Kakata-Hartford. Comté de Grand Bassa : a) Buchanan-Gio ; b) Harlansville-Timbo-River Cess ; c) Hartford-Gbanga ; d) Hartford-Kakata.

1 Voir le Mémorandum adressé à la Commission par M. Morris, Secrétaire aux Travaux publics. - 5o

Comté de Sinoe : a) Greenville-Lexington ; b) Greenville-Blue-Barrer-Plahn. Comté de Maryland (ne figurant pas dans le Mémorandum du Secrétaire aux Travaux publics, mais relevé comme suit par les membres de la Commission) : a) Harper-Flebo-Gbolobo (construite) ; b) Flebo-Barrobo-Webbo (en construction) ; c) Puduke-Sodulo (construite, mais abandonnée).

Ressort de I' Hinterland.

District N° I : a) Suehn-Belle Yella-Gbaling-Zorzor-Ziggida ; b) Ziggida-Sodulo-Kolahun. District N° II : a) Kakata-Gbanga-Sanoquelle ; b) Gbanga-Garmu-St-J e an, sur la frontière ; c) Mont Coffee-Naama ; d) Gbanga-Kpai. District N° III : a) Sanoquelle-Borpley ; b) Borpley-Kpabli-Sarwulor-Gblor-Gio ; c) Gbazon ou Tappehbli-Kpai. District N° IV : a) Tawhlor-Gbazon-Tchien-Tuglor ; b) Plahn-Tchien ; c) Gbazon-Plahn. District N° V : • a) Webbo-Gleyo-Tuglor. Le programme complet envisage la construction de routes sur plusieurs centaines de milles à travers un pays africain accidenté et difficile. Bien que, pendant la période où la Commission procédait à l’audition de témoignages dans le Libéria, le programme de construction routière eût été suspendu ’, une équipe d'ouvriers a été observée au travail sur la route Webbo-Barrobo-Flebo par le membre de la Commission désigné par la Société des Nations, qui a inspecté dix à douze milles de route achevée. Cette équipe était composée d ’environ 400 ouvriers, dont 50% environ semblaient être des mineurs. Au cours de cette visite d’inspection, le membre de la Commission a été frappé surtout par la jeunesse des ouvriers, dont 200 ou plus étaient probablement âgés de moins de 16 ans, par leur aspect de découragement et de résignation, par les réclamations et les plaintes au sujet de l’insuffisance de la nourriture, par le caractère rudimentaire des outils et de l’équipe­ ment, par le tracé absolument rectiligne de la route, son aspect de montagnes russes et le déplacement de terre véritablement énorme dans les tranchées, qui aurait été, semble-t-il, tout à fait inutile si l’on avait procédé à des études topographiques préalable ; il a, en outre, noté l’insuffisance des fossés latéraux et l’absence de nivellement sur les déclivités médiocres. Tout ce qui concernait cette route, la lenteur de sa progression, l’absence de population dans la région qu'elle traverse, le fait que son tracé n’avait apparemment aucun rapport avec la politique exposée par le Gouvernement et le mécontentement des ouvriers qui y travaillaient, tout cela a contribué à donner l’impression qu’elle n’était pas réellement essentielle au déve­ loppement économique du pays et de sa population et qu’elle était construite sans égard soit aux moyens, soit aux conséquences. Malheureusement, les conséquences ont été, entre autres, un gaspillage d’argent et de main-d’œuvre et une exploitation impitoyable de l’indigène, ce qui a eu inévitablement pour résultat de faire perdre à celui-ci toute confiance dans la bienveillance et dans le bon sens du Gouvernement. Dans la région de Montserrado, la construction des routes ne devait pas être très difficile, vu la prédominance de letérite rouge dure. Dès que la couche superficielle de terre est enlevée, il reste une surface qui ne nécessite que relativement peu de travaux ultérieurs, si les fosses latéraux sont suffisants pour empêcher l’eau d’emporter la terre. Mais dans le comté de Maryland, où le programme de construction routière a, plus encore peut-être que dans n ’importe quelle autre partie du pays, été mis à exécution, sans aucun égard pour l’ouvrier, cette cons­ truction est moins aisée et, selon les observations de la Commission, devient plus difficile a mesure qu’on s’éloigne de la côte. Dans la plus grande partie de la zone de Webbo-Barrobo, par exemple, la surface dure mentionnée ci-dessus n’existe pour ainsi dire pas. On y trouve surtout une terre rouge meuble, et, par conséquent, lorsqu’elle est terminée, la route est ce qu’on appelle une « route de saison sèche», c’est-à-dire une route qui exige un grand entretien, un nettoyage constant et qui, à de nombreux endroits, est infranchissable pendant la saison humide, tout au moins pour le trafic des camions automobiles. Bien des milles de cette route

1 Ce fait a été reconnu regrettable par le Président, qui désirait que les commissaires vissent avec quelle satisfaction les ouvriers travaillent. — 5 i — ont déjà été construits dans le Maryland et perdus dans la brousse. La route Webbo-Barrobo précitée, qui est actuellement en construction et qui a été parcourue dans toute sa longueur par le membre de la Commission désigné par la Société des Nations exige, en raison de l’absence d’études topographiques bien comprises, un si grand nombre de ponceaux (il en faut plusieurs sur une distance de quelques centaines de yards), qu’avant que ceux-ci puissent être construits et que les automobiles puissent y passer, la brousse aura reconquis la route qui est déjà envahie par l’herbe à moins d’un mille de distance de l’équipe d’ouvriers. Si l’on avait tout d’abord eu recours à un conducteur des ponts et chaussées expérimenté et si la route avait été convenablement tracée, si encore un ingénieur compétent avait été chargé de la direction des travaux, on aurait évité bien des inconvénients et l’on aurait terminé à présent une longueur de route probablement quatre fois supérieure à celle qui est actuellement achevée. En outre, le mécontentement si répandu parmi la population aurait été en grande partie évité et les milliers d’indigènes employés à ces travaux pendant les dix dernières années auraient pu se livrer à la culture des produits alimentaires et autres et participer ainsi au développement du commerce général de la région. Vu la brièveté de la période durant laquelle on a essayé de contrôler les tribus de l’intérieur, vu que ces tribus ne se rendent pas pleinement compte des principes et des nécessités de l’imposition, vu que les fonctionnaires ne sont au courant ni de la topographie ni de la vie des populations de l’intérieur et que les marchés ne sont pas développés, on acquiert la ferme impression que ce projet doit avoir été conçu plutôt comme un programme extérieur ou administratif que comme une mesure d’économie intérieure. Les choses étant ainsi, il a fallu une brusque réadaptation de la part des indigènes pour les amener à admettre que le programme de construction routière leur procurerait des avantages et des commodités, au moment où la question a été présentée par le Président de la République aux chefs indigènes, en 1923, lors de la conférence de Suehn, dans d’autres réunions avec les chefs ou au cours de tournées spéciales dans les districts Nos 1 et 2. La décision de créer des routes ayant été prise au préalable, les indigènes se sont trouvés en face de deux solutions possibles : fournir la main-d’œuvre gratuitement ou payer un impôt routier pour couvrir les frais de construction et d’entretien. N’étant pas encore complètement accoutumé à la taxe sur les huttes, ils ont envisagé avec inquiétude la perspective d’une nouvelle imposition. 2. « Le Département a découvert (fait que les membres de la Commission peuvent aisément constater par eux-mêmes en posant des questions pertinentes à n’importe quel aborigène) que les indigènes répugnent à payer des impôts pour la construction des routes. C’est pourquoi le Gouvernement leur a proposé de fournir la main-d’œuvre gratuitement, au lieu de payer l’impôt '. » Le grand chef Dardo de Kakata, qui était autrefois porte-parole et avait été promu au rang de chef par le Président de la République, a formulé, non sans naïveté, l’observation suivante devant la Commission, à Kakata : 3. «Si tu aides quelqu’un à devenir grand et si tu lui donnes un ordre, il obéit. Donc, je ne peux pas refuser un ordre du Président. » Toutefois, le chef a déclaré qu’en acceptant le projet de construction routière, il a été influencé par cette déclaration : « Le chemin que tu peux faire à pied, en deux jours, l’automobile te le fait parcourir en une heure. » Malheureusement pour le succès définitif de ce vaste programme de construction routière, tous ces travaux étaient, avant 1923, devenus extrêmement impopulaires parmi les indigènes, parce que la construction était confiée au Département de la Guerre et, sans doute, en raison de la pression exercée par le sergent et les cinquante soldats en uniforme. Suivant le témoignage de chefs indigènes qui ont été examinés par la Commission et d’ouvriers qui ont été employés à ces travaux pendant ladite période, l’impopularité de cette construction n’a pas sensiblement diminué après que le Département des Travaux publics en eut été chargé, en 1926. Aujourd’hui, il semble que ce soit devenu, pour ainsi dire, le principal grief, très sérieux d’ailleurs, dans certaines parties du pays. La méthode adoptée et la pratique suivie semblent varier selon les secteurs. 4. Les secteurs des environs de Monrovia (comté de Montserrado) sont placés sous les ordres du Directeur des Travaux publics, tandis que, dans tous les autres secteurs, les travaux sont dirigés par les inspecteurs de comté. Le Secrétaire Morris. — Les inspecteurs doivent obtenir des ouvriers auprès des chefs indigènes ; ils peuvent les répartir en équipes dont certaines travaillent depuis la côte dans la direction de l’intérieur, tandis que d’autres travaillent de l’intérieur vers la côte. Question. — Quels rapports ont les commissaires de district avec les inspecteurs ? Le Secrétaire Morris. — Dans le ressort de l'hinterland, ils dirigent le recrutement des travailleurs. A proprement parler, l’hinterland ne relève pas des inspecteurs. Question. — Par conséquent, lorsque des ouvriers venant vers la côte quittent le ressort de l’hinterland, cela n’est pas conforme à la politique suivie par votre Département? Le Secrétaire Morris. — En 1929, il a été décidé de centraliser la main-d’œuvre pour la route, et, peut-être, les inspecteurs suivaient-ils cette idée ; toutefois, le Dépar­ tement a depuis lors abandonné cette intention, car on a reconnu qu’elle causait aux travailleurs de graves inconvénients.

1 Extrait du Mémorandum adressé à la Commission par le Secrétaire aux Travaux publics, page 2. — 52 —

Question. — Oui établit les plans de la construction des routes. Est-ce votre Dépar­ tement ? Le Secrétaire Morris. — D ’une manière générale, oui. Mais pour les détails, ce sont les inspecteurs. Question. — Quel est le rôle joué par le Département dans la construction proprement dite de la route ? Le Secrétaire Morris. — Pour le comté du Maryland, le Département en a laissé le soin à l’inspecteur qui, pour la construction même de la route, a collaboré avec la société Firestone. Firestone a construit les ponts pour le Gouvernement. Le Département n’a pas fourni d’ingénieurs, mais l’inspecteur a, de temps à autre, obtenu les services de conducteurs locaux des travaux. Le Département se borne à indiquer le point de départ des routes, et la construction effective est laissée au soin de l’inspecteur 1. Sauf aux stades plus récents de la construction de la route où l'on s’est assuré le concours d’ingénieurs de la Firestone pour construire des ponceaux et des ponts, la construction même de la route a été laissée au soin de fonctionnaires, animés peut-être de bonnes intentions, mais n’ayant aucune expérience en matière de construction routière 2. Il en est inévitablement résulté un gaspillage de main-d’œuvre et d’argent, dont les indigènes se sont eux-mêmes aperçu et le fait de s’en être rendu compte n’a pas influé favorablement sur les sentiments qu’ils éprouvaient à l’égard des réquisitions de main-d’œuvre qui leur étaient adressées. La méthode employée pour tracer la route au point de départ de celle-ci, dans le secteur de Monrovia, telle que l’a exposée à la Commission l’indigène Momolu Gray, contremaître expérimenté en matière de travaux de construction routière, est caractéristique. Faisant allusion à la nécessité où il se trouvait d’obtenir la protection de soldats lorsqu’il était menacé par certains habitants pour avoir établi une sorte de servitude régalienne de passage à travers leur propriété, il a déclaré que c’était à lui qu’il incombait effectivement de tracer la route. 5 . Question. — Qui procède aux études topographiques et au piquetage ? Réponse. — Moi-même et un indigène. Question. — Vous n’employez pas de spécialiste ? Réponse. — Nous procédons au piquetage en nous servant d’une trompe. L’endroit est choisi et l’un de nous commence au point de départ, tandis que l’autre, celui qui a la trompe, reconnaît le tracé à travers la brousse. Après avoir parcouru une certaine distance, il sonne de la trompe et je suis ma ligne jusqu’à ce que je parvienne à lui ; puis, il continue son chemin, et ainsi de suite. De secteur à secteur, le nombre des ouvriers nécessaires, la durée du travail sur la route, les amendes pour fautes commises, ainsi que la méthode d’imposition et de perception de ces amendes, varient considérablement. Cela suffit à dénoter la faiblesse et souvent l’inefficacité de la surveillance et du contrôle centraux sur les méthodes suivies par les inspecteurs et les commissaires en dehors du comté de Montserrado. L’incertitude, au point de vue de la juri­ diction sur les frontières traversées par les routes, la rareté évidente de l’inspection et la négli­ gence constatée dans l’immatriculation et la tenue des livres et documents pourraient aisément entraîner l’échec complet du plus précis des programmes de construction routière élaborés par l’autorité centrale. Dans ce même ordre d’idées, il est significatif de constater que le traite­ ment des indigènes varie selon les secteurs et semble prendre un caractère de plus en plus oppressif à mesure qu’on s’éloigne de Monrovia. Le poids de la contrainte pèse le plus souvent sur les grands chefs qui « ont accepté » de fournir de la main-d’œuvre, plutôt que de payer la taxe routière spéciale. Ils se déchargent, à leur tour, de leur responsabilité sur les chefs des villages qui doivent fournir les hommes. Les hommes doivent être nourris, mais il leur est impossible d’emporter leur nourriture d’une quinzaine. Lorsque la caisse du village dispose de fonds, chaque ouvrier reçoit deux ou trois shillings pour s’acheter de la nourriture. Si les travaux continuent pendant un mois, comme cela se produit dans le comté de Bassa, certains d’entre eux reçoivent 6 ou 7 shillings, mais, en réalité, la plupart d’entre eux prennent tout ce qu’ils peuvent emporter et se fient à leur chance. Parfois, quelques provisions leur sont envoyées, mais la plupart du temps, ils se plaignent de souffrir de la faim. Ils prétendent qu’il leur est interdit de quitter le travail et d’aller eux-mêmes aux provisions pendant leurs heures de loisir ; ils sont, au nombre de 400 parfois, entassés pendant la nuit dans quelque village voisin ou dans un camp établi au bord de la route. Les chefs de village ajoutent que leurs ennuis ne sont pas terminés lorsqu’ils ont donné à ces ouvriers de la nourriture ou de l’argent pour en acheter. Ils doivent leur procurer des houes ou des bêches, des pioches et des corbeilles, etc., s’il n’y en a pas dans le village, et il est déplaisant d’avoir à pressurer les gens. Chaque homme porte un coutelas, mais les autres outils doivent être achetés ou empruntés. Les plaintes à ce sujet étant générales, il faut bien admettre que, lorsque le Gouvernement déclare que les indigènes peuvent facilement apporter ces outils, cette allégation est non seulement téméraire, mais encore réellement injuste. Même quand il a les outils, le chef de village n ’est pas encore au bout de ses difficultés. L’équipe arrive en retard au travail un lundi matin, et le surveillant inflige une amende de 2 à 12 shillings

1 Témoignage du Secrétaire Morris entendu par la Commission à Monrovia, le 21 juillet. 2 Au cours d’une conversation, le Vice-Président Yancy a dit : « Je n’ai aucune idée des études topo­ graphiques, mais en ma qualité d’inspecteur de comté, j’ai dû tracer les routes et faire de mon mieux, étant donné les circonstances. » — 5 3 — et quelquefois même de £1 par tête ; le grand chef reçoit un bordereau pour cette somme, qui lui est transmis par un messager, si les ouvriers qui travaillent à la route n'ont pas l’argent nécessaire. Il se retourne alors contre le chef de village et exige de lui, sous peine de graves sanctions, le paiement en espèces ou en nature. D’autres amendes peuvent être infligées, apparemment pour des futilités, jusqu’à ce que les villageois, accablés de dettes, soient fina­ lement obligés de vendre le bétail ou le produit de leurs fermes, d’obtenir, une avance d’un commerçant local qui prend soin de ne jamais les laisser se libérer de leur dette, ou de recourir à la mise en gage. Ce dont les indigènes se plaignent le plus amèrement, c’est que, tout en étant obligés de travailler aux routes, de se procurer leur nourriture et leurs outils, et d’être exposés à de mauvais traitements et à des amendes, ils ne reçoivent aucune rémunération. Ils semblent estimer qu’ils ont suffisamment à faire pour leur propre compte ; ils doivent, en effet, débrous­ sailler leurs fermes, planter leur riz, le récolter et le protéger contre les oiseaux. Ils allèguent qu’ils sont obligés de cultiver beaucoup plus de produits alimentaires qu’ils n’en ont besoin pour eux-mêmes, parce qu’ils sont tenus de fournir tous les mois du riz et de l’huile de palme au Commissaire du district, ainsi qu’aux postes militaires. Préparer le riz constitue un travail considérable pour leurs femmes. Lorsque le riz est mûr, il doit être moissonné, épi par épi, lié en bottes suffisamment petites, porté au village et pendu aux poutres des maisons d’habitation pour sécher. Lorsqu’on veut l’utiliser, on place chaque botte dans un mortier de bois et on la pile jusqu’à ce que le grain soit séparé de la paille et de la balle. Le riz doit encore être broyé dans un autre mortier jusqu’à ce qu’il soit complètement décortiqué. Si les approvisonnements destinés au Commissaire du district sont en retard d’un jour ou deux, les indigènes sont frappés d’une amende et les chefs peuvent être incarcérés dans la salle de garde de la station, jusqu’à ce que l’argent soit versé. Les hommes ayant été obligés de travailler sur les routes, les villageois estiment qu’ils n’ont pas assez de main-d’œuvre dans leurs rizières et dans les autres fermes pour cultiver les quantités plus considérables de produits alimentaires nécessaires à la consommation du village et à celle des ouvriers travaillant sur la route ; de plus, le temps employé à porter la nourriture à ces ouvriers réduit encore la main-d’œuvre nécessaire dans les fermes. En établissant le programme de construction routière, on voulait, entre deux points déterminés, tracer à travers les villages une grand’route suivant d’anciennes pistes. Apparem­ ment, une fois que les points eurent été fixés, on ne s’est plus guère occupé du parcours qu’elle devait suivre à travers le pays pour aboutir à son point terminus, et il en est résulté une route presque droite, passant par monts et par vaux. Dans de nombreux secteurs, la mise à exécution de ce programme a eu pour résultat de chasser les indigènes des villages situés le long de la route, s’il y en avait qui fussent plus à l’intérieur de la brousse, les faisant ainsi abandonner leurs anciens foyers pour échapper à l’exploitation et aux exigences en espèces et en nature auxquelles les exposait la procession de fonctionnaires et de soldats traversant leurs villages. Plutôt que de demeurer sous la menace constante d’amendes et de punitions de diverse nature, ils ont préféré cultiver moins de produits alimentaires ou ont essayé de quitter le pays. Des personnes bien au courant de la vie indigène et des indigènes eux-mêmes, et dont il est impos­ sible de contester le témoignage, ont déclaré qu’il y a quelques années seulement, il n’était pas rare de voir que, dans certains secteurs les habitants avaient, dans leurs granges jusqu’à quatre moissons de riz. Ils semblent avoir perdu toute envie de déployer cette activité. Leurs villages déserts sont des témoins muets de l’exactitude de ces déclarations. Entre Kakata et Ganta, par exemple, on compte effectivement 49 villages abandonnés. On doit donc recon­ naître que les moyens employés ont produit un résultat presque absolument contraire à celui qu’on voulait obtenir. Les dépositions des indigènes et de leurs chefs, qui seront citées plus loin au cours du pré­ sent chapitre, feront mieux comprendre encore la mise à exécution du programme de cons­ truction routière et ses effets sur le moral de la population indigène. Même à défaut de complé­ ment d’information, la Commission estime que l’ambitieux programme de construction routière conçu par le Département des Travaux publics devrait être ajourné ou réduit jusqu’à ce que l’on ait procédé à la réorganisation de ce Département et que l’on ait pris quelques mesures efficaces en ce qui concerne l’administration de l’intérieur du pays.

a) Absence de rémunération pour la main-d’œuvre.

Dans l’étude générale du programme de construction routière du Libéria, il a été signalé que, dans ce pays comme dans d’autres pays tropicaux, on a eu recours au travail forcé pour les travaux considérés comme d’ordre essentiellement public. La question qui semble, au Libéria, devoir être discutée, c’est moins celle de savoir si le travail est forcé ou non, que celle de l’importance primordiale du programme tel qu’il a été établi. L’insistance avec lequelle le Gouvernement a souligné « le consentement des chefs » est donc, selon l’avis de la Com­ mission, déplacée. Cette idée semble avoir fait négliger le danger d’abus, inhérent au travail forcé, ainsi que la nécessité d’un traitement humain et juste de la main-d’œuvre recrutée de la sorte. L’arrangement le plus satisfaisant et le plus profitable est celui qui assure un ‘ avantage économique aux deux parties. Les obligations tutélaires qui incombent au Gouver­ nement sont négligées lorsque l’on n ’accorde aucune attention à ces principes essentiels. Les gouvernements civilisés ont actuellement pour préoccupation d’empêcher le travail forcé de dégénérer en des conditions analogues à l’esclavage — danger réel au Libéria ^ , et cette préoccupation s’exprime dans ce que l’on peut, au point de vue pratique, considérer comme des principes reconnus, tendant à réglementer l’emploi du travail forcé. L un des plus importants de ces principes prescrit que le travail doit être rémunéré. Bien que les réquisitions — 5 4 — hebdomadaires de main-d’œuvre maintiennent sur la route plusieurs milliers d’indigènes en équipes successives pendant neuf mois de l’année, les travailleurs de la route ne sont rému­ nérés sur aucune des routes du pays Les ouvriers et les chefs de village estiment que, pour pouvoir payer les amendes auxquelles les expose inévitablement le programme de construction routière et pour pouvoir acheter les outils et la nourriture dont ils ont besoin dans la « saison de famine », c’est-à-dire lorsque la provision de riz de la saison est épuisée, ils devraient recevoir une compensation. Cette question de rémunération prend un caractère de plus grande acuité en raison du fait qu’ils sont même tenus de fournir des produits alimentaires à tous les postes et casernes du Gouver­ nement qui se trouvent parmi eux. Les indigènes prétendent — et il convient, dans les cir­ constances actuelles, de ne pas ignorer ce très réel sentiment — qu’ils ont, plus que le Gouver­ nement lui-même, contribué à la construction des routes et qu’au lieu de recevoir une rémuné­ ration, c’est eux qui, en réalité, ont payé. On trouvera ci-après copie de témoignages entendus par la Commission, qui élucideront ce point ainsi que d’autres.

6. Déposition d’un chef du secteur de Kakata.

Pas de rémuné­ « Tout ce que les gens dire, c’est tout la palabre d’ici ; encore quelque ration. chose et je veux expliquer à toi. Depuis qu’ils commencent la route de Monrovia à ici, nous n’avons pas touché un sou. Tous les mois, si nous ne trouvons pas du riz pour Gouvernement, il nous donne une amende. Tout le pays des indigènes, tous sont esclaves maintenant ; nous ne savons Livraison men­ pas où aller maintenant. Quand ils te punissent sévèrement et qu’ils disent : suelle de riz. « paie ! », et tu essaies d’aller dans un autre secteur, quand tu traverses un ruisseau, ils t’attrapent, te ramènent... Nous travaillons pour le Gouvernement et payons du riz par mois. Tu plantes le riz, construis la cuisine, sèches le riz et puis tu ne peux pas le manger. C’est ce qui nous fait misérables maintenant. Une fois, le Président il ne donne pas à nous une chose. Où sommes-nous maintenant ? Ils disent :« Libériens pas esclaves », mais nous sommes esclaves maintenant. »

En une ou deux occasions, le Président a fait aux chefs un présent en espèces. En une occasion, il a été ainsi distribué $1.000.

7. Déposition d’un chef. « Tous ces ouvriers, tous ces gens ils les ont amenés. Les vieux nés ici, mais ce qui se passe ici, nous savons pas. A cause de cette même route. Quand la route commencée de Monrovia venir ici, personne l’a faite que les ouvriers et pas un sou nous recevons. Ils ont mis des soldats pour Soldats surveiller. S’ils donnent à manger à eux, les soldats prennent et mangent avant eux. Si tu ne paies pas, ils te lient. Le même Kakata que tu vois ici, les ouvriers l’ont construit sans un sou. Nous aller nous plaindre à Pas d’aide des grands hommes et à grand Chef ; ils font rien. S’ils sont derrière eux, grands chefs. nous pas savoir. Nous donner soldats huile de palme et riz. Si tu donnes pas, ils te forcent. »

8. Déposition d’un chef de village.

Contrainte et « Nous devons donner 20 ouvriers ; si toi pas d’accord, tu reçois amende. am endes. Mes deux enfants, moi les avoir mis en gage. J ’ai été sous-chef, mais ils m’ont cassé et maintenant, je suis chef de village. Quand le Président venir ici, il dit : « Pas sous-chefs ou chefs de station. » Quand tu envoies tes ouvriers sur la route, ils leur font payer 50 cents s’ils sont en retard et ensuite travailler. Si eux pas travailler, ils les prennent, les jettent par terre et les coups de fouet sont leur paie. Le seul argent qu’ils touchent pour leur travail c’est le fouet. Ils réclament riz, et si toi pas donner à eux, ils te battent. Pas de temps pour nous faire notre travail. Si tu n’envoies pas les hommes sur la route, toi avoir amende ; ils te lient avec un long bâton sur ton dos. Si tu n’as pas d’argent, toi devoir prendre ton fils et le mettre en gage pour avoir argent pour payer et puis tu travailles dur pour avoir l’argent pour racheter l’enfant. Contingents « Avant, nous étions seulement quatre hommes dans mon village ; nous d’ouvriers. sommes maintenant six. Quelquefois, j’envoie trois ; quelquefois, ils de­ mandent deux, j’envoie deux ; quelquefois, ils demandent cinq ; où les prendre ? Nous avons été ici tous les jours. Nous envoyons des ouvriers. Une fois, Président venir ici. Les gens dire : « punition trop pour nous».

1 Une troupe rémunérée d’environ 150 hommes est employée aux derniers stades de la construction des routes dans la ré g io n de Monrovia. Cette troupe é t a i t primitivement sous les ordres du Département de la Guerre. Lorsque le Département des Travaux publics fut créé, une partie de ces hommes a c o n s t i t u e le noyau d’une nouvelle troupe d’ouvriers qui, à un certain moment, a compté 250 hommes, tandis que les autres ont été affectés aux troupes de frontière dont on augmentait l’effectif. Le type de leur uniforme les distingue du reste des autres travailleurs. 55

Toute cette construction tu vois ici, les gens ont bâtie. Quand ils envoient les ouvriers, si tu envoies deux pour couper noix palmistes pour faire manger aux hommes et ils les comptent et s’il en manque, toi avoir amende. Où nous devoir les chercher ? Mais nous devons les amener. Quelquefois, nous travaillons nous-mêmes sur la route. Quand la route venir et nous Mauvais traite­ envoyons ouvriers, les soldats et messagers sont derrière nous avec bâtons. ments. Si toi pas courir, ils mettent bâtons entre tes jambes et te jettent par terre et si tu casses quelque chose, ils te font payer. C’est la palabre que nous apportons ici. Nous sommes seulement esclaves à présent et cette maison ici, nos femmes ont travaillé à elle. Quand elles travaillent à la maison, Vexations des les soldats et messagers les piquent avec des bâtons par derrière. Si leurs soldats. maris arrivent là-bas et demandent pourquoi ils font çà, ils les battent. Mauvais traite­ ments des femmes. C’est seulement deux semaines que nous avons fini travail sur la route. Comment nous pouvons faire pour faire notre propre travail ? Alors, le Le Président a Président venir et dire : « Plus donner d’amendes à personne ». Le grand dit : pas d’a­ chef une fois nous donne amende et nous portons le rapport à Monrovia. mendes. Ils nous font tourner et jusqu’à maintenant, nous n'avons rien entendu et l’argent que nous avons payé est perdu. Juste maintenant, ils pensent à nous depuis que nous avoir vu ces blancs ici. Tout le secteur dire : Les blancs sont pour nous. Mais bientôt tous blancs s’en aller ; nous travaillerons Crainte des con­ encore sur la route. Ce que j’ai dit, j’ai peur, parce que quand toi tourné séquences. ton dos, ils m ettent le feu sur moi. »

9. Déposition d'un chef.

Pas de rémuné­ « Je suis chef de village. Ils nous punissent trop. A ce travail de construc­ ration. tion de route depuis que la route commence, nous avons payé pour le travail. Le Gouvernement ne nous paie pas un sou. Nous devons nourrir tous les ouvriers nous-mêmes et aussi donner à la station de Kakata une Pas de nourri­ provision de riz. Quand les chefs de village sont appelés ici, le Gouvernement ture. ne leur donne pas de nourriture. Le riz appartient au Gouvernement, Travail pour ils disent. Tout ce travail est fait par nous pour rien. Nous devons acheter rien. nos outils et seaux et pots pour les hommes prendre sur la route. Chaque village doit payer 5/- de taxe pour acheter les choses. Les villages ne sont pas tous dans la même place ; il y en a très loin. Beaucoup d’hommes doivent venir de loin pour travailler. Si un homme est en retard, il est fouetté et reçoit souvent 50 cents d’amende par jour. Nous rien voir de bon H om m es qui ici : tout est mauvais. Si tu vois une belle maison, elle appartient à un connaissent le monsieur qui connaît livre. Si tu connais quelqu’un qui fait argent, c’est Livre. grand chef ou sous-chef. Petits garçons sont nommés messagers, et si tu Seul le grand chef se fait de les touches, tu es mis en prison. Nous travaillons sur la route, coupons l’argent. brousse et envoyons ouvriers à Firestone et devons travailler aussi à nos Avidité du com­ fermes et envoyer encore du riz aux stations et ailleurs tous les mois. missaire de Dis­ Dans ce secteur, nous mourons. Encore pire, le Commissaire de District trict. a pris le terrain appartenant à moi, et mes chèvres, poulets et vaches, parce qu’ils étaient sur le terrain qui maintenant appartient à lui. Lui juste venir et dire la place appartient à lui. Il a mis ses canards dans l’eau que nous buvons. Je n’ai pas de ferme maintenant et dois acheter le manioc à quelqu’un d’autre. J’ai acheté pour $7 de souches à planter, mais le Commissaire de District a envoyé hommes les prendre toutes pour planter dans sa ferme. Je me plains au Commissaire de District, mais lui seulement A m endes. dire : « Si tu n’aimes pas vivre ici, vas ailleurs. » Il donne amende aux gens pour les plus petites choses. Un jour il dit mes hommes ont tué un poulet à lui et il me fait payer. Un de mes garçons trouve un porc appartenant à lui mort dans la brousse. Il me fait payer £1.10.0 apparemment sous le prétexte que le garçon l’a tué et envoie le garçon travailler sur la route. Exode. Beaucoup de mes gens sont partis maintenant, parce qu’il n’y a rien à manger. »

10. Déposition d'un témoin du secteur de. Deh.

Palabre de la « La palabre de la route veut nous faire fuir. De mon village, j ’envoie route. deux hommes toutes les semaines sur la route et leur donne 7/- par semaine. Payer pour Je nourris les hommes, le grand chef et le Commissaire de District. Quand un nourriture. des hommes est malade, Foley Massali, mort maintenant, envoie pour le remplacer et me fait payer 4/-. Si je n’ai pas l’argent, pour payer, ils me prennent et me mènent sur la route moi-même et me font payer une amende. Dis, Monsieur le Commissaire, si tu as des hommes sur la route travaillant pour rien, et un d'eux est malade, dois-tu payer de l’argent pour ça. Alors, quand Foley Massali nous fait tout ça, et nous lui disons que nous allons Plaintes au raconter la chose au Secrétaire à l’Intérieur, il dit : « Irès bien, si tu vas, Secrétaire à l’In ­ je prends un peu de l’argent des amendes pour mes dépenses pour aller térieur. devant le Secrétaire. » Nous portons l’affaire au Secrétaire, mais ne le ren­ controns pas au Bureau, mais l’employé du Secrétaire nous donne une lettre et nous dit de l’apporter au grand chef. Je dis : « Non, je veux voir — 5 6 -

le Secrétaire lui-même. » L’employé dit : « Très bien, attends le Secrétaire, mais il te dira la même chose. » Pour sûr, quand le Secrétaire vient, il nous dit la même chose. Quand nous retournons à la cour du grand chef, nous trouvons une grande chaîne prête à nous lier. Le grand chef alors nous P uni d ’une donne une amende. Nous devons travailler sur la route. La faim est dans am ende. notre pays. »

il. Déposition d’un témoin à Kakata, le 30 avril 1930. « Bien des nouvelles ici et si je te dis tout, ça prend deux semaines, mais je veux te dire un peu. Le travail que nous faisons ici, la punition que nous Palabre de la voyons ici sur la route. Depuis que la route est partie de Monrovia, pour route. venir ici, nous sommes allés commencer la route à Monrovia. Chaque chef de village envoie quatre ouvriers. Si tu ne le fais pas, ils t’attrapent. Si tu envoies quelques-uns seulement, ils te donnent une amende pour le reste. Pas de paie. Ils ne nous paient pas. Ils nous donnent 12/6 d’amende pour chaque tra­ vailleur qui manque. Nous n’avons rien pour payer. Nous l’avons fait depuis toujours jusqu’à maintenant. Ces camps d'ici à Kakata nous les avons construits. Les femmes badigeonnent les maisons. Un soldat a Le soldat et la eu ma femme ici pendant deux mois. Cette année encore, je n’ai pas de fem m e. place pour planter une seule souche de manioc. Firestone a pris la place, coupé la brousse et brûlé. La même chose continue ici. Ils nous prennent, E n prison. nous mettent en prison ici ; ce que nous faisons nous ne savons pas. Nous avons dormi ici jusqu’à 4 heures le lendemain, quand nous venons ici, P uni d ’une ils disent tous doivent envoyer 5 coussins de riz et 10/-. Cette année, nous am ende. n’aurons pas de riz parce que Firestone a pris nos terres. « Nous voulons aller ailleurs pour rester maintenant. Ce travail ici nous le faisons ; si nous ne le faisons pas, ils nous battent avec ce fouet. Quand nous disons au grand chef, il dit qu’est-ce qu’il peut faire. Tous les petits enfants, tu vois, les Vai les ont ; quand ils nous donnent amende, nous les Nous mettons mettons en gage chez les Vai pour avoir l’argent. Nous n’avons rien reçu nos enfants en quand Firestone a pris notre terrain. J ’ai été voir M. Porter de Firestone gage. pour raconter, il dit : « Pas le temps maintenant » ; chaque fois que j’y Firestone. vais, il dit « Pas le temps. »

12. Déposition d’un témoin à Kakata, le 30 avril 1930. « La fois que Président a eu palabre ici, nous bâtir la maison. Première Faulkner. fois Président et Faulkner viennent ensemble, Faulkner dit eux faire trop mal à indigènes et lui vouloir être Président et tous les gens vouloir Faulkner Président. Après ça, nous savons pas ce qu’ils font, ils disent tous nous être derrière Faulkner, alors eux vouloir taper dur sur nous. Les ouvriers et les femmes bâtissent cette maison. Le messager du grand chef quand ils les amènent ici, eux se cacher dans la brousse et si tu vas dans la brousse pour promenade, ils t’attrapent et te lient et te battent que toi plus pouvoir te reconnaître. Quelquefois, les officiers et commissaires de Portage. district passent, si tu leur donnes pas ouvriers pour porter leurs fardeaux, Le fouet. ils attrapent le chef du village et le battent. Voici le fouet. C’est toute la paie pour le travail que nous faisons (le fouet est remis aux membres de la Commission). Nos ouvriers l'apportent pour montrer. Ils l’ont battu et il l’a pris. Tu vois Monrovia propre aujourd’hui, ça y a travail ouvriers. Indigènes pas contents. Quelquefois, nous allons pour une semaine. Les Chefs pas der­ chefs sont pas derrière nous. Si nous dire à eux, eux nous battent aussi. rière nous. Où le commissaire est maintenant, c’est là je demeurais. Un jour le secré­ taire Morris me prend et me lie serré avec mes mains à mes genoux et il met manioc sur mes mains jusqu’à ma figure. Il dit lui vouloir moi être commissaire de la route. Le premier grand chef dit non. Nous ne savons Firestone. pas si les blancs ouvrent Firestone, mais la terre que nous avions Firestone l’a prise et nous n’avons pas de place pour travailler maintenant. A cause de la route, nous n'avons pas le temps de cultiver manioc. Ils disent nous devoir être ici pour faire ouvrage du Gouvernement. Le commissaire de district nous dit d’enlever les poteaux de nos fermes et planter dans sa Fernando Po. ferme à lui. Avant les gens allaient à Fernando Po. Ils ont fait savoir au grand chef et il les envoie. »

b) O u t il s e t n o u r r i t u r e .

Pendant les quatre ou cinq premières années du programme de construction routière, le Gouvernement ne fournissait pas d'outils. Les hommes étaient tenus d’apporter les leurs ou de se servir de bâtons et de corbeilles improvisées, faites de feuilles. Plus récemment, certains outils spéciaux ont été achetés. Bien qu'il ne semble pas exister de statistique du nombre des outils, un surveillant de la route en a évalué le nombre à environ 8 0 0 outils de toute sorte, utilisés sur la route de Careysbourg, y compris probablement ceux des ouvriers — 5 7 — militaires en uniforme. L’ouvrier doit apporter son coutelas et sa houe, sinon une amende lui est infligée. Sur la route de Monrovia à Careysbourg, l'une des meilleures du pays, on a ajouté à l’outillage un rouleau à vapeur sur le secteur où se trouve la maison de campagne du Président. Sur la prolongation de la route qui mène aux plantations Firestone, la société a coopéré avec le Gouvernement pour fournir des outils aux ouvriers, de manière à obtenir la meilleure route de communication possible entre ses plantations et Monrovia. Ce qui précède s’applique également à des secteurs de la route de Harper à Gbolobo, dans le comté de Maryland. Les témoins entendus par la Commission se plaignent fréquemment que les indigènes, tout en ne recevant ni salaire ni nourriture, doivent subvenir aux frais d’achat des outils, des aliments, etc. C’est ce dont se plaignent très vivement les chefs de village qui, la plupart du temps, sont rendus responsables des outils aussi bien que des hommes et prétendent avoir souvent dû mettre leurs enfants en gage pour payer leurs dettes. Ces plaintes émanaient du secteur de Gbe, du secteur de Teh, de Boropo, de Brewersville, de Kakata, de Bassa, et du secteur de Harper à Gbolobo, dans le comté de Maryland.

13. Déposition d’un chef d’équipe du secteur de Teh, devant la Commission, à Monrovia.

« Je suis chef d’équipe sur la route. Quand je suis prêt à aller chaque semaine, je dois me nourrir moi-même. Si je n’ai pas de houe, ils me donnent 1 /- d’amende. Je dois payer tout ça. J ’ai quatre frères, ils leur donnent £3.00 et 3/- d’amende chacun... Un jour ils me demandent d’apporter de l’argent pour eux acheter des pots pour cuire notre repas sur la route et tous les hommes paient chacun 1 /- pour les pots. Ils achètent les pots et depuis nous n’avons pas vu les pots parce qu’ils ne nous les donnent pas. »

14. Déposition d’un ouvrier de la route à Monrovia.

« Quans ils nous commandent sur la route et nous n’avons pas de coutelas. Nous portons notre houe et notre cognée. Si tu ne portes pas cognée, et la cognée coûte 5/- ils te donnent 5/6 d’amende alors tu apportes encore 5/- pour acheter la cognée. Si la serpe coûte 1 /-, ils te donnent 1/- d’amende et après tu apportes encore 1/- pour acheter la serpe. Si la houe coûte 2/- ils te donnent 2/- d ’amende et après tu apportes 2/- pour acheter une nouvelle houe. »

15. Déposition, devant la Commission, d’un ouvrier de route de Boporo.

« Toutes les semaines, quand les hommes sont prêts à aller sur la route, je dois donner un coutelas à chacun, une cognée et une houe. Si je ne leur donne pas ces choses, ils leur donnent quelquefois 2/- d’amende chacun. Quand ils sont prêts à aller sur la route, nous devons leur donner 2/- chacun pour nourriture. Quand ils divisent la route, ils disent aux hommes quand finir le travail. Si tu ne finis pas dans ce temps, tu dois payer £10. Quand nous demandons au grand chef d ’arrêter ça, il dit eux devoir le faire pour finir la route. Quelquefois si des hommes à moi sont malades et ne peuvent pas aller, ils ont une amende. Si tu ne vas pas, tu paies i2/6d chaque semaine. Si tu envoies un de tes hommes et qu’il ne va pas, ils envoient arrêter le chef du village et le mettent sur la route. Quand ils t ’arrêtent, le chef commande qu’ils doivent te lier et ils le font avant de mener toi au grand chef. Si tu ne paies pas, ils ne te délient pas avant que tu paies et tu dois mettre en gage ton enfant ou ta femme. »

16. Déposition d’un ouvrier de la route (de Gordie), devant la Commission.

« Nous devons acheter houe, cognée et coutelas sans cela nous avons amende. Je suis chef d'équipe pour envoyer les hommes de Gordie à la route de Boporo. Il y a 12 hommes dans le village. Toute l’amende qu’ils donnent à nous est £11.5.2. » Jour après jour, pendant qu’ils recevaient des dépositions au sujet des travaux sur la route, les membres de la Commission ont entendu, quelquefois pendant des heures entières, les mêmes griefs répétés par les ouvriers de la route. Parmi ces plaintes, l’une des principales, invariablement liée à la question du non-paiement, était la pénurie de nourriture et la nécessité où ils étaient de se la procurer eux-mêmes. Les indigènes se plaignaient tous du manque d’égards dont le personnel routier et les chefs faisaient preuve à leur égard. Ils reconnaissaient bien qu'il était, en fin de compte, utile de construire des routes. Pendant la réunion de Kakata, de nombreux orateurs ont déclaré qu’ils étaient tout à fait disposés à les construire s’ils étaient payés et traités moins durement. La Commission est persuadée que, si les indigènes étaient traités plus convenablement et avec plus d’égards, la question de la construction des routes tendrait à se résoudre d'elle- même. Normalement, si, dans un pays aussi fertile que le Libéria, on donnait aux indigènes tout le temps dont ils ont besoin pour se livrer à la culture et se servir des produits de leurs récoltes, les équipes occupées à la construction des routes seraient tout naturellement ravitaillées par les gens de leurs villages \

1 Voir également pages 52 et 53 pour de plus amples renseignements sur la question de la nourriture. - 58 -

c) Co n t in g e n t s d ’o u v r ie r s p o u r la construction d e s r o u t e s .

Choisir des équipes de travailleurs dans les villages, sans créer de mécontentement, est toujours une question qui présente de grandes difficultés. C’est en réalité un problème d’ordre général qui se pose toujours à tout administrateur de l’Afrique tropicale. Lui seul, par un travail consciencieux et par des tournées personnelles, peut atténuer les difficultés qui surgissent continuellement à ce sujet en allant visiter personnellement tous les chefs des villages de son district. Les habitudes, les coutumes et les occupations des indigènes varient d’une manière étonnante. Certains vivent en grandes tribus et, dans ce cas, un recensement numérique est relativement facile, tandis que, dans d’autres localités, les agglomérations familiales sont très disséminées. Il n’est donc pas possible d’établir un règlement rigide stipulant qu’une certaine proportion des hommes de chaque village sera réquisitionnée comme contingent du village pour la construction de la route, ou pour tout autre travail. Au Libéria, l’absence de fiches de recensement, l’apathie des Commissaires de district, et l’intérêt personnel des chefs rendent difficile un arrangement équitable. On suppose que trois à cinq personnes occupent une hutte, mais, comme il n’y a pas eu de recensement fiscal depuis sept ans, toute évaluation du nombre des hommes disponibles ne peut être basée que sur des conjectures de la part du Gouverne­ ment. La situation s’est trouvée compliquée par la création de « demi-villages » qui se consti­ tuent lorsque de petits groupes ou des familles se séparent des grands villages et installent des agglomérations de huit ou dix huttes, près ou loin du lieu de leur établissement primitif. Le grand chef ou le « speaker » peut décider en toute liberté quels sont les grands villages et quels sont les « demi-villages », sauf, toutefois, lorsqu’on sait que le chef a fait preuve de partialité en permettant à un grand village d’envoyer trop peu d’hommes. Dans la pratique, des difficultés considérables surgissent et les indigènes éprouvent un grand mécontentement qui s’est fréquemment reflété dans les plaintes exposées par les chefs devant la Commission.

17. Déposition d’un chef devant la Commission. « Quand le moment vient pour la route, nous envoyons 250 hommes à la fois pour une semaine. Ils changent chaque semaine. Ils nous taxent à 250 hommes sur la route. Ils travaillent du lundi au samedi et alors nous envoyons 250 autres. Certains villages ont donné 50 ouvriers, et certains 100. Ils se reposent une semaine avant de retourner sur la route. Chaque fois que nous envoyons les ouvriers, ceux qui restent dans le village envoient des provisions. Si c’est la saison de la faim, j’envoie de l’argent, mais la plupart du temps j’envoie des provisions. « Quand nous envoyons des ouvriers sur la route, le chef du village doit acheter les outils pour leur donner. Ce qu’il y a maintenant, c’est que si le chef du village n’a pas l’argent pour acheter des outils, où peut-il le prendre ? Nous essayons de faire de l’argent en vendant des noix de palme, etc., mais quand il est temps de donner les outils, nous devons le donner. » L’équipe du contingent de la deuxième semaine n’est pas nécessairement la même que celle de la première. La moitié, peut-être, des hommes sont remplacés et, dans la troisième équipe, il peut n’y avoir qu’un petit nombre de ceux qui se trouvaient dans la première. Presque partout le contingent est arrangé de telle sorte que les hommes de la première équipe ne soient pas obligés de retourner au chantier pendant environ un mois ; pendant huit mois de travail chaque ouvrier doit donc avoir travaillé environ deux mois. Cet arrangement ne fonctionne bien que s’il y a un nombre suffisant d’hommes dans le village. Si le contingent est trop élevé, les hommes peuvent être obligés de travailler une semaine sur deux et d’accomplir ainsi une période de quatre mois par an. Lorsque les chantiers de construction sont éloignés de leurs villages, les hommes perdent du temps et se fatiguent à voyager à la fin de chaque semaine, s’il s’agit d’une période de travail hebdomadaire ; c’est pourquoi il est plus pratique de travailler d’une manière continue pendant un mois, comme cela se pratique dans le comté de Bassa, mais, dans ce cas, la difficulté du ravitaillement est quelque peu aggravée. Au Libéria, une grande partie du mécontentement qui se manifeste est due au fait que les contingents sont trop élevés. Comme le Commissaire de district ne possède aucun moyen sûr d’évaluer le contingent exact qu’il doit exiger de chaque village, il augmente ses demandes jusqu’à ce qu’il ait, souvent sans le savoir, de beaucoup dépassé la limite. Les villageois sont alors accablés d’amendes, n’ont pas de temps à consacerr à la culture, et sont ainsi incapables de trouver l’argent pour se libérer.

18. Déposition, devant la Commission, d'un chef de village à Kakata.

« Certains villages n’ont que trois maisons, certains en ont cinq ; quand tu dis ça à ces grands fonctionnaires, ils disent, nous n’avons dit à personne de bâtir cinq maisons, et de l’appeler un village. Certains villages ont trente maisons. Ils y ramassent 6 ouvriers et 6 dans les villages de 5 huttes. Quand tu prends 3 ouvriers de chaque village, les petits villages doivent louer d’autres hommes pour travailler, à la fin de cette semaine, ils te demandent davantage d’ouvriers au villlage de 3 huttes, mais tu ne peux pas avoir les hommes. C’est à moi qu’ils demandent d’attraper les hommes et si je ne peux pas attraper, je signale, et ils me donnent ordre d’attraper les chefs des villages et de les faire payer. La fois que nous étions ici, j’étais sous-chef. J ’ai demandé au grand chef d ’avoir messagers pour porter messages et quand ils ne peuvent pas avoir les hommes, j’envoie dire au grand chef et il envoie moi pour arrêter les hommes et envoyer à lui. - 5 9 -

« Ce que je vois, je veux dire parce que vous tous aller à travers le pays, je veux pas faire erreur. Ce qu’ils ne font pas à moi, moi pas le dire. Je reste à Banga. Une caserne entre nous et les Belleyallas. Quand tous les gens du Gouvernement vont c’est là qu’ils s’arrêtent... Quand tu as des enfants et qu’ils deviennent grands, ils travaillent pour le Gouvernement. . . Aujourd’hui Capitaine Grant est sur la route avec Jimmie Miller. Il envoie dire à moi mettre 50 ouvriers sur la route. Si j’ai pas le temps d’assembler si beaucoup ils me donnent soldats pour aider assembler les ouvriers. Une autre fois l’employé du Commissaire de district Garnett vient à la caserne. Il envoie messagers à • moi et demande 100 travailleurs être prêts pour lendemain. Je dis à lui moi pas pouvoir avoir tous les travailleurs le lendemain. Je demande à Miller de dire à l’employé de me donner 3 jours. Il dit très bien. Alors il dit combien j’ai je peux les mettre sur la route. Quand la route de Boporo arrive à cet homme, tous deux nous donner boys à l’employé. « Le riz par mois nous deux donner ses 120 coussins, et alors il envoie dire à nous combien d’ouvriers nous devoir envoyer à lui. Je sais pas s’il arrête là. C’est pourquoi j’assemble les hommes pour venir au village. Quand l’employé vient il demande des ouvriers. Mon village et le village de cet autre homme ont donné 20 ouvriers. Il dit nous devons amener le reste. Je dis à lui c’est tout ce que j’ai. Il dit que je suis forcé d ’avoir les ouvriers. Tous les gens du Libéria sortir, ils demandent dans tous les secteurs des ouvriers. Quand ils envoient leurs messagers, ce que j’ai, moi donner à eux. Il dit à nous d’enlever nos habits. Je refuse. Une autre fois nous être à Kakata, nous nettoyer la route. Les ouvriers que nous envoyons ils m ettent en haut de la cuisine et quand ils les descendent ils mettent leur corde autour du corps . . . Alors nous dire, descendons au district N° 1. » Un témoin de Gordie a attesté que sur les 12 hommes de son village, il en était envoyé deux par semaine. Un témoin de Benganow déclare que sur 20 hommes du village il en a envoyé 4. Un chef d’équipe de Baimeh a signalé à la Commission qu’il avait dans le village 6 jeunes gens et hommes dont 3 pouvaient travailler. Toutes les semaines il en envoyait un des trois, pendant que les 3 vieillards restaient à la maison pour les nourrir. Un témoin du secteur de Teh avait 12 hommes dans son village et en envoyait deux par semaine sur la route. Sur ces 12 hommes, 3 étaient trop vieux pour travailler.

20. Un chef de village de Bonga envoie 3 hommes sur la route. Question. — Combien d’hommes y a-t-il dans votre village ? Réponse. — Nous avions seulement quatre, nous sommes maintenant six. Quelquefois je ne peux pas envoyer trois. Quelquefois ils demandent deux. Quelquefois ils demandent cinq. Où les prendre ? » Dans le ressort du comté de Maryland, on semble avoir adopté un principe général de sélection, mais des observations ont été présentées sur le caractère souvent arbitraire de la fixation des contingents. M. Allen N. Yancy était placé à la tête du service des routes jusqu’en 1927, date à laquelle il est devenu Vice-Président et a eu comme successeur dans ses fonctions d’inspecteur M. James S. Brooks, qui est apparemment un administrateur faible et dont les indigènes ont souvent dit : « M. Brooks est M. Y ancy. » L’importance de la main-d’œuvre gratuite exigée de la population indigène totale est indiquée par le fait que pour le seul district N° 5, 1.085 hommes doivent travailler à la cons­ truction des routes. Ce chiffre montre également quelle somme considérable on peut retirer de l'ensemble du Libéria sous forme d’amendes pour absences, retards, perte d’outils et autres prétendues fautes. La population indigène est réquisitionnée non seulement pour les routes, mais encore pour les plantations Firestone, pour Fernando Po, pour Libreville, et pour ailleurs. D’une manière générale, les petits villages situés le long de la côte sont tenus d’envoyer 20 à 60 hom­ mes et les grands villages un nombre pouvant s’élever jusqu’à 100. Les villages situés le long du littoral, dont la plupart ont été visités par les membres de la Commission, doivent fournir les contingents ci-après : Najao 30 ; Garraway 20 ; Nihwie 10 ; Fishtown 20 ; village de Wedabo Beach 20 ; Middletown 10 ; Rocktown 20 ; Pudukeh 10 ; Bigtown 20 ; Half Graway 10 ; Whole Graway 20 ; Yaakeh 10 ; Grand Cavalla 30 ; Picanini Cess 20. Tous ces ouvriers, soit 240 au total par semaine, sont requis pour la route de Harper à Gbolobo. Or, bien qu’un grand nombre d’autres villages de la zone du comté aient contribué à constituer l’effectif global de cette main-d’œuvre gratuite, il est intéressant de constater que ce secteur de la route qui est d’environ 25 milles, demandant au moins 240 hommes par semaine pendant neuf mois de l’année, est en construction depuis neuf ans et n’est pas encore achevé. C’est aux lourdes réqui­ sitions de main-d’œuvre destinée à des exploitations agricoles privées que cette situation est due en grande partie. En outre, on a signalé que ces contingents ont, dans certains cas, été augmentés à titre de punition pour avoir refusé d’autoriser l’envoi d’hommes à Fernando Po.

21. Déposition, devant la Commission, d'un chef de secteur de Kunewe. « Alors il (M. Yancy) dit : « Puisque tu refuses d’aller à Fernando Po, tu me donneras 60 hommes pour la route au lieu de 20 comme avant. Si tu ne le fais pas, tu verras ce qui t’arrivera. Si je te fais quelque chose, personne ne me fera rien. Alors il m’a mis avec mes gens dans une maison au Cap, comme prisonniers, et nous avons attendu là l’arrivée du bateau espagnol pour qu’il nous envoie à Fernando Po. Mais j’ai dit à lui aussi, lui pouvoir continuer à faire ce qu’il veut avec moi et Dieu viendra un jour m’aider. Mais les hommes de l’intérieur sont mes gens, et ils vont à Fernando Po. »

5 — 6o —

Dans certains cas relevés par les membres de la Commission, des chefs ont payé des sommes assez considérables pour être libérés de l’obligation de la construction routière, et, dans certains autres cas, ils ont été obligés de payer des sommes élevées pour que leurs hommes puissent quitter le chantier de construction pendant la saison agricole, au moment où les travaux de construction routière sont censés être suspendus. Un grand chef, par exemple, a attesté que pendant cinq ans, il a payé £60.0.0 au Vice-Président Yancy et la sixième année £80.0.0 pour que ses hommes fussent libérés et puissent travailler dans leurs plantations.

d) A m e n d e s . Parmi les plaintes enregistrées lors de la réunion de Kakata ou au cours du séjour du membre de la Commission dans le comté de Maryland et le district N° 5, il en est peu qui ne mentionnent le ressentiment éprouvé en raison de la fréquence des amendes et des abus auxquels elles ont donné lieu. Le retard, l’absence, l’insuffisance des contingents, le manque d’outils, le non-achèvement de la tâche imposée donnaient lieu à des amendes. Celles-ci pourraient être évidemment considérées comme des mesures de contrôle et de réglementation, si ce n’est que, ni les ouvriers ni les chefs de leur village ne disposent, pour payer les amendes justement ou injustement infligées, d’autres ressources que les fonds et les biens de leur village. Ils ont essayé de faire comprendre leur situation en se comparant à ce qu’ils étaient il n’y a pas encore bien longtemps, au moment où ils possédaient quelques bestiaux, des chèvres, des moutons et des poulets et où ils pouvaient raisonnablement subvenir à leurs besoins. A l’heure actuelle, ils affirment que la plupart d’entre eux ne possèdent rien, pas même des poulets. Ceux-ci, ainsi que leur bétail, sont réquisitionnés par les soldats, les messagers et les fonctionnaires auxquels ils n’osent pas opposer de refus. Ils ne sont que peu enclins à posséder un superflu visible et sont assez fréquemment disposés à réduire leurs possessions au strict minimum nécessaire à 1-existence. Quant à l’argent, ils n ’en ont actuellement presque pas. La plus grande partie, disent-ils, a été absorbée par les amendes et surtout les amendes infligées à l’occasion de la construction des routes, ainsi que par les frais que leur impose constamment l’obligation de payer la nourriture et les outils des ouvriers occupés aux routes. Ne recevant aucun salaire pour le travail qu’ils sont obligés d’exécuter et n’ayant, au cours de l’année que peu ou pas de temps dont ils puissent disposer pour eux-mêmes, ils ne peuvent naturellement pas gagner d’argent et se trouvent ainsi dans une situation très précaire. En outre, leurs femmes ne peuvent plus les aider comme auparavant, lorsqu’elles en avaient le temps. En raison des réquisitions mensuelles, sans cesse croissantes et apparemment exor­ bitantes, de riz, d’huile de palme, etc., pour le Commissaire de district ou les camps militaires, leurs femmes doivent travailler dur pendant toute la journée pour broyer et décortiquer le riz ou préparer l’huile de palme. Les ressources du village s’épuisent graduellement et les habi­ tants eux-mêmes sont en proie au découragement. En tout cas, s’il y a lieu d’ajouter quelque créance aux comptes soumis à la Commission, le Trésor de l’Etat ne tire aucun bénéfice de ces amendes. La pratique suivie autorise des abus infinis et il faudrait que le Département des recettes intérieures procédât à une nouvelle enquête approfondie. Il est incontestable que les amendes sont perçues, et pourtant le Secrétaire aux Travaux publics affirme qu'elles ne parviennent pas officiellement au Département, mais que, si des amendes sont infligées, elles vont aux grands chefs. 22. Question. — Quels sont les pouvoirs discrétionnaires que possède le surveillant de la route ? Le Secrétaire Morris. — Il a l’ordre de signaler l'insuffisance du nombre d’hommes aux chefs qui peuvent se trouver sur la route ou aux chefs d’équipes intéressés. En 1926, alors qu’il n’y avait pas de chefs sur la route, il envoyait des messagers aux chefs avec la liste des manquants. Avant que les chefs vinssent eux-mêmes sur la route, les surveillants avaient l’habitude de compter les manquants et de signaler aux chefs le résultat de leur enquête pour que les amendes fussent perçues, mais, depuis que les chefs eu x -m êm es sont sur la route, ce soin leur est laissé. Question. — Par conséquent, c’est eux-mêmes qui infligent les amendes ? Le Secrétaire Morris. — Non, le chef inflige une amende au Chef de village qui n’a pas fourni les hommes. Question. — E t il le signale à votre Département ? Le Secrétaire Morris. — A ma connaissance, les chefs infligent des amendes aux hommes et c’est eux qui gardent l’argent ’. Toutefois, il est arrivé assez fréquemment, que les chefs eux-mêmes se sont plaints de ces amendes. Il semble donc tout à fait possible que le Département des Travaux publics ignore la procédure suivie en ce qui concerne les amendes, puisque le surveillant de la route à qui incombe directement cette tâche a attesté devant la Commission qu’il percevait person­ nellement ces amendes et les portait au Département. 23- Question. Un grand nombre de personnes se sont plaintes d’avoir été soumises à une amende et fouettées. La Commission désire savoir si c’est vous ou le Chef qui faites payer des amendes ? Momolu Gray. — Par ordre du Secrétaire, quand le nombre des ouvriers envoyés est insuffisant, je le signale aux Chefs et ils infligent des amendes.

1 Voir témoignage du Secrétaire Morris devant la Commission, Monrovia, le 21 juillet 1930. - 6 i —

Question. — Nous désirons savoir ensuite à qui va cet argent qui provient des amendes. Momolu Gray. — Au Département de l’Intérieur, Secrétaire de l’Intérieur, et ensuite aux Travaux publics. Question. — Ces amendes sont-elles infligées à ceux qui ne se présentent pas au travail ? Momolu Gray. — Oui. Question. — Dites à la Commission ce qui arrive à un homme qui doit aller travailler le lundi et ne se présente que le mardi. Momolu Gray. — Tout d’abord 4/, ensuite cela a été réduit à 2/... Question. — Qui reçoit l’argent provenant des amendes infligées par les chefs et l’apporte au Département ? Momolu Gray. — Moi, Monsieur, et parfois le Commissaire du district. Question. — Est-ce vous qui fixez les amendes ? Momolu Gray. — Oui. Parfois je ne fais que prendre les délinquants 1.

e) M a u v a is traitements in f l ig é s a u x travailleurs .

Comme on l’a déjà signalé, si, dans de multiples occasions, on a dû recourir au recrutement forcé de main-d’œuvre pour la mise en valeur d’un grand nombre des Colonies et Dépendances africaines, on a toujours reconnu comme règle essentielle et inviolable, justifiant à un certain degré l’emploi du travail forcé, la nécessité de traiter ces travailleurs avec égards et avec humanité. Les plaintes réitérées des travailleurs qui ont comparu devant la Commission, tant au cours de ses séances officielles à Monrovia que dans certaines régions de l’intérieur, ont convaincu les membres de la Commission que, si l’on faisait la part de l’importance exagérée fréquemment donnée à des griefs personnels, les dépositions contenaient un certain fonds de vérité. Bien que les témoignages cités dans le présent rapport soient présentés dans une grande mesure textuellement ou tels qu’ils ont été reproduits par les interprètes des intéressés et soient entachés parfois d'une certaine incompréhension des différentes politiques et des événements importants auxquels les travailleurs étaient mêlés, il est évident que ceux-ci se rendaient très nettement compte des mauvais traitements auxquels ils étaient en butte. A Kakata, ils ont exhibé les fouets et les bâtons dont ils avaient été frappés ainsi que les traces de coups visibles sur leur personne, sans faire montre d'un esprit de révolte et de vengeance, mais plutôt à la manière de désespérés implorant la pitié. On a remarqué que ces plaintes, indépendamment de la nature de la punition, sont profé­ rées avec plus d’amertume lorsque la punition est ressentie comme une injustice. Il est très souvent arrivé que les délinquants punis d'une amende attachaient plus d’importance à l’injustice même du traitement qui leur était infligé qu’à l’importance du montant de l’amende, qu’il fût d'un shilling ou d'une livre sterling. Les plaintes des indigènes en butte à de mauvais traitements sont presque invariablement associées au fait qu’ils n’étaient pas payés et il n’est pas improbable que le sentiment de désespoir qui a poussé un si grand nombre d’entre eux à témoigner devant la Commission ne se serait pas manifesté si, même sans salaire, ils avaient été traités avec égards. Tous les fonctionnaires employés à la construction des routes, et le Président du Libéria lui-même, ont exprimé l’avis que les travailleurs étaient bien traités, satisfaits et même heureux.

Bonne humeur « Ce serait pour vous une surprise de voir avec quel entrain et quelle des travailleurs. gaîté, ils chantent pendant leur travail. On ne pourrait guère croire qu’ils Pas d ’ordres ne sont pas payés. En général, il n’y a ni peine du fouet ni punition. Seuls d’infliger la peine les chefs imposent des amendes aux membres de leur propre tribu lorsqu’ils du fouet. ne fournissent pas la main-d’œuvre nécessaire. « En fait, les Libériens sont très sensibles aux châtiments corporels, et quand un de leurs chefs leur donne quelques coups de bâton, ils se croient victimes d’une sévère fustigation. Lorsque j’étais Secrétaire à l’intérieur, Chantant toute il n’existait pas d'instructions prescrivant la peine du fouet. La population la journée. chantait toute la journée 2.»

Le Président de la République déclara, devant la Commission, qu’il avait inspecté per­ sonnellement plusieurs fois par semaine la route de Kakata en construction, qu’il avait demandé à plusieurs reprises aux hommes s’ils avaient quelques griefs et qu’on lui avait répondu qu’ils n’en avaient aucun 3. Il est évident qu’une très grande partie des faits ont échappé à l’attention de tous, sauf à celle des fonctionnaires subalternes de l’Etat. Momolu Gray, l’un des surveillants les plus connus, a déclaré devant la Commission que les travailleurs ne reçoivent pas de châtiments corporels, mais que le travail est organisé de telle sorte « qu’on affecte à une tâche déterminée un certain nombre d’hommes qui sont Punis d’une amende si la tâche n’est pas terminée ». Les quelques passages qui suivent sont extraits au hasard des témoignages de plus d’une centaine de témoins. Ils n’ont pas été choisis pour mettre en lumière les conditions de traite­ ment les plus défavorables, mais ils contiennent chacun certains détails intéressants.

1 Voir témoignage de Momolu Gray devant la Commission à Monrovia le 17 juillet 1930. 2 Témoignage du Secrétaire Morris devant la Commission à Monrovia. 3 Voir déclaration de S. E. le Président du Libéria devant la Commission à Monrocia. — 6 2 —

R é g io n d e M o n t s e r r a d o .

25. Déposition d’un chef de village, devant la Commission, à Kakata. « Mon père était un grand chef. Il m’avait laissé des biens et de l’argent, A m endes. mais tout est parti maintenant pour payer des amendes. J ’ai souffert sur la route aussi bien que mes hommes. « Je suis le chef, mais on m’a mis à travailler sur la route malgré cela 25 coups. et on m ’a donné « 25 » (coups). Si on attrape un serpent par la tête, le reste du corps vient avec. Si donc on me donne des coups à moi, quand je tra­ vaille sur la route, il est facile de deviner ce qui arrive aux autres. Nous ne pouvons pas refuser d’obéir à des ordres du Gouvernement, mais quand les hommes sont envoyés travailler à la route, c’est nous qui avons à Pas d’outils. acheter les outils et à payer les amendes, et qui recevons 25 coups par-dessus le marché Qui pourrait être content de cela ? On serait tout disposé à travailler sur la route s’il n’y avait pas les outils à acheter. Et aussi si on Pas de salaire. recevait quelque chose pour nos frais. Mais quand les amendes pleuvent sur moi, il faut que je mette des enfants en gage pour pouvoir payer. »1

26. Déposition d’un témoin à Kakata, devant la Commission. « Nous travaillons dans la campagne, ils nous battent, nous portons des charges et ils nous obligent à leur donner du riz. S’ils demandent à boire quand nous n’avons rien à leur donner à boire, ils nous font payer pour Nourriture. leur boisson. Quand nous préparons le repas sans viande ou avec un petit morceau de viande, ils disent qu’il n’y en a pas assez et nous devons payer Incendie d ’un quelque chose. Nous étions là et notre village a brûlé. Nous étions partis village. en portant des charges, et pendant notre absence, notre village a brûlé. Ils sont allés dire cela au Commissaire du district. Celui-ci est venu et il A m ende. n’a rien dit, mais il a attrapé notre chef et lui a infligé une amende de 10 livres sterling, sous prétexte que le pont qui traverse la crique près du village n’était pas entretenu. Ensuite, il a demandé 25 travailleurs et nous en avons attrapé 24. Il en fallait encore un autre. Mon frère a dit : « Attendez tous que l’autre homme vienne. » Alors ils ont attrapé mon frère et ils Coups. l’ont frappé jusqu’à ce que le sang lui sortait des oreilles. Tous les hommes ont vu cela ; je leur ai dit qu’il faut venir travailler ici à Monrovia parce que si nous devons travailler et recevoir des coups en même temps, nous irons ailleurs. »

27. Déposition d’un témoinn à Kakata devant la Commission., « Nous venons de « chez Gbilie ». Il nous rassemble comme travailleurs. Nous travaillons pour lui, il nous bat. Les quelques femmes que nous avions quand les soldats sont venus, la maison que nous construisons à Mauvais traite­ Sanoya, ils prennent les femmes de force et les font badigeonner la maison. ments infligés aux Ils mettent des bâtons entre leurs jambes. Quand ils attrapent des travail­ fem m es. leurs, ils nous font travailler. Tu vois ma tête, elle est nette à force de Transport des porter hamacs. Ils nous frappent avec un fouet, regarde la marque sur ma ham acs. peau. Quand nous portons des charges, ils nous frappent jusqu’à ce que Travail forcé. nous arrivions où nous allons. Pas à manger. Nous nous nourrissons nous- mêmes. Quand ils ramassent des travailleurs et que nous venons pour tra­ vailler sur la route, ils ne peuvent pas nous nourrir. A présent nous sommes « Esclaves. des esclaves. Mais nous sommes des hommes. Nous étions quelqu'un chez nous, et maintenant nous ne sommes rien. Nous ne travaillons pas dans Soldats. les fermes, parce que le chef nous ennuie trop. Quand les soldats viennent, ils nous attachent. Nous ne savons pas quoi faire. Que pouvons-nous faire ? »

Après avoir donné quelques témoignages anodins, le premier jour de la réunion orga­ nisée à Kakata par la Commission, le grand chef de Kakata se retira comme si, à son avis, il avait fait tout ce que l’on pouvait attendre de lui, en laissant l’impression d’avoir conseillé à ses administrés de se taire, mais de les avoir accompagnés néanmoins en constatant qu’ils étaient décidés à parler. Toutefois, le second jour, ayant appris que ses gens avaient parlé en toute franchise, il décida de revenir à la « baraza », craignant évidemment que ses administrés aient parlé trop librement, ce qui risquait de lui faire du tort. Voici comme il s’exprima :

Le Président. 28. « Nous être peuple indigène. Si toi dire un homme à Monrovia être Pré­ sident, nous être ses enfants. S’il donne un homme une fonction, cet h om m e si lui pas obéir, être mis- en prison. Ce qu’on lui dit, il le fait, et si Dieu aide, il n ’est pas puni d’amende avant son temps fini, bien sûr. J ’ai travaillé pour le Gouvernement. Je n’ai jamais eu d’ennuis. N’importe quoi le

1 Donner 25 coups signifie généralement que le délinquant est jeté à terre, le visage tourné vers la terre, et reçoit littéralement 25 coups de fouet, mais dans le Libéria, cette phrase n’est pas toujours employée au sens littéral et signifie simplement que la personne en question a reçu des coups. Par l’expression fusti­ gation (flogging), il semble qu’on veuille dire que la personne a été battue, ou poursuivie avec un bâton, ou maltraitée autrement, mais il ne s’agit pas d’une véritable fustigation au sens littéral du mot. — 63 —

Je suis Grand- Président me dit de faire, je fais. Tu demandes qui est le Grand-chef de chef. Kakata ? Je dis, c’est moi. Tout ce qui se passe je te le dis. Je ne mens pas, tout ce que je te dis c’est ce qui s’est passé. Hier, je t’ai dit je ferai venir tout mon peuple pour parler. Je n’ai empêché personne de parler. Ils Ils ne doivent ne doivent pas souffler par-dessus moi. Je suis le Grand-chef. Mais ce ne pas souffler par­ sont pas ces gens-là qui m’ont nommé ; c’est le Président qui m’a nommé. dessus moi. Si je fais quelque chose et s’ils disent au Président, il dira que j’ai mal fait, je suis sûr. Je suis Grand-chef ici. N’importe qui veut parler ici, il doit dire ce qu’il a à dire. S’ils soufflent par-dessus moi quand je vais à Monrovia et fais un rapport, tu diras : le Grand-chef a tort. Le livre que j’ai, le Pré­ sident me l’a donné Je ne l’ai pas volé. Je suis les ordres du Président. »

Malgré les avertissements du Grand-chef, ses chefs de village et son peuple n’ont pas cessé d’exposer véhémentement leurs griefs aux Membres de la Commission.

29. Déposition d’un témoin devant la Commission à Kakata.

Le fouet est « Toutes sortes de travaux ils nous donnent à faire ; le fouet est notre notre salaire. salaire. Dans notre pays, nous sommes ici comme des esclaves... Nous ne retournerons pas, parce que notre propre riz, on nous le met sur le dos et on l’appelle une charge du Gouvernement. Nous sommes des gens de la campagne. Nous ne faisons pas notre vrai travail. Nous travaillons pour Mécontentement. leur donner à manger... Si nous retournons, Jimmie Miller nous fera suspendre dans la cuisine, et allumer un feu dessous. Suspendre un homme comme ça. Et si nous nous défendons, il dira que nous combattons contre le Président. Quelquefois, des petits garçons vont là-bas et ils nous fouettent, et nous voulons riposter, mais nous réfléchissons. Juste à présent, allez voir Jimmie Miller, il a 68 travailleurs dans le village. »

L’expression « notre propre riz, on nous le met sur le dos » s’explique du fait que les indigènes sont persuadés qu’une quantité considérable du riz qu’ils fournissent chaque mois aux postes militaires et civils est envoyée à la côte ou ailleurs pour être vendue ou pour des usages privés I. Les témoignages qu’a reçus la Commission tendraient à justifier cette croyance. L’expression « nous suspendre dans la cuisine et mettre le feu dessous » a trait, bien entendu au mode de punition décrit à la section « Travaux mublics : Construction ». Le délinquant est suspendu aux poutres d’une case et littéralement fumé. De temps à autre, dans les dépositions qu’a entendues la Commission, il est fait mention de l’expression « mettre les bâtons ». Il s’agit d'un mode de détention employé dans les prisons et dans les salles de garde des postes, et parfois par les chefs des villages. Les jambes du pri­ sonnier sont maintenues entre deux lourdes pièces de bois, de telle sorte qu’il ne peut pas se tenir debout. C’est un mode de punition analogue à l’ancienne peine des « brodequins au pilori » qui était autrefois fréquemment appliquée en Europe ; ou bien parfois encore on oblige le délinquant à passer une jambe dans un trou pratiqué dans une bûche qu’il peut tout juste mouvoir s’il veut se déplacer. Peut-être s’agit-il aussi d’une invention diabolique qui consiste en deux courtes pièces de bois réunies par une corde et attachées en croix sur le devant de la jambe. La corde mouillée, en se rétrécissant, provoque une douleur intense.

30. Déposition d'un chef de village devant la Commission, à Kakata.

« Tout ce que j’ai à dire, c’est que le travail pour le Gouvernement, ici, Us nous pu- ils nous punissent pour le faire. Nous sommes tous des résidents de ce nissent. secteur et pas riches. Lorsque nous travaillons, le messager du Grand-chef est envoyé pour nous chercher. Une fois, on a voulu m’attraper et on a déchiré mon vêtement, on m’a attaché, et quand je suis venu, on m’a envoyé sur la route travailler. J ’ai eu à payer un homme pour travailler pour moi, parce que mon bras me faisait mal. J'ai payé à cet homme quatre Am ende. dollars. Le Grand-chef m ’a infligé une amende de six dollars et ils m'ont attaché une corde autour de la taille. J ’ai payé les six dollars avant qu’ils me laissent, et alors ils m’ont fait travailler. »

31. Déposition d'un témoin devant la Commission, à Kakata.

« Dans notre secteur, nous sommes esclaves, à cause de cette même route du Gouvernement. Nous sommes des petits garçons ; nos grands frères Travailler pour ne sont pas riches, et si on ne travaille pas, on n’a pas à manger. C’est le manger. Président qui a inauguré le travail entrepris sur cette route et quand nous travaillons, nous ne sommes pas payés ; nous sommes battus et c’est tout. On nous empêche de faire notre travail à nous ; on fait seulement le travail du Gouvernement. Nous travaillons ayant faim et on nous inflige une Am ende. amende, et puis il faut que nous envoyions du riz. Cela dure maintenant depuis sept ans. »

1 Voir la déposition de Blackett et autres au sujet de l’affaire de Sinoe. - 64 -

32. Déposition d’un Chef de Boporo devant la Commission, à Kakata.

« Ce travail est devenu dur pour nous. Quand nous allons travailler sur B âton s pour la route, nous avons à employer des bâtons pour bêcher la terre. Le Président outils. il dit : il faut ouvrir la route. Nous ne recevons pas d’argent. La seule paye, ce sont des coups. Dans notre secteur, depuis que nous avons commencé à travailler sur la route, on a recueilli de nous trois cent dix-sept dollars ($317.00) en trois ans. « Question. — Qui vous a pris cet argent ? « Le Chef. — Sciaffa Washington, Commissaire de district. Il est maintenant dans le secteur de Deh Senjah. »

33. Déposition d’un témoin devant la Commission, à Kakata.

« Nous sommes de pauvres gens. Nous n’avons rien. Le Gouvernement est notre père, et quand il faut faire du travail dans le pays et qu’on nous demande de faire ce travail, on devrait nous rendre contents de faire ce Pas de paye et travail et nous payer et nous nourrir. Le Gouvernement ne fait rien comme pas d’aliments. çà. Nous sommes de pauvres gens et nous devons nourrir les gens qui vont sur la route. Nous ne pouvons pas l’empêcher, nous sommes obligés de le faire. Après que nous donnons à manger aux hommes sur la route, quel­ quefois ils disent qu’ils ne viennent pas vers six heures et si ils sont en Amende et pas retard on leur inflige une amende. Le même argent que nous obtenons de nourriture. pour notre nourriture, ils le prennent. Si les hommes refusent de donner l’argent de leur nourriture, ils les attrapent et ils les fouettent. S’ils sont malades et s’ils ne vont pas sur la route pendant deux semaines, ils nous attrapent pour nous pas envoyer des hommes sur la route et nous font une Am endes. amende et nous avons à trouver nos enfants et payer l’amende. S’ils reçoi­ vent l’argent de nous, le peu d’argent que nous rapportent nos fermes, ils doivent nous permettre de manger notre propre riz. Quand j’envoie les gens de chez moi sur la route, on les bat, ils deviennent malades, et puis, Extorsion. quand ils ne peuvent pas aller sur la route, on leur inflige une amende. »

34. Déposition d’un chef de village devant la Commission, le 22 juillet 1930.

La route, source « Quand on a commencé la route, le Secrétaire Morris nous a tous assem­ du mal. blés et a dit que nous devions construire la route. Nous ne pouvions pas refuser parce que nous n’avons pas de courage, mais nous avons demandé : Si nous construisons cette route, qu’est-ce qu’on fera pour la taxe ? On R em ise de la a répondu que si nous faisons la route nous n’aurons pas à payer la taxe taxe. jusqu’à ce que la route soit finie. A peine une année après que nous avons commencé la route, on nous a réclamé la taxe. On nous fait payer une taxe pour chaque maison que nous construisons. Maintenant, nous construisons Pas de nourri- la route et nous ne sommes pas payés et nous ne sommes pas nourris. Si ture. on donnait à manger à nos hommes qui travaillent sur la route nous serions satisfaits, mais chaque fois que nous envoyons des hommes sur la route, il faut que nous leur donnions à manger. Notre Grand-chef n’est pas ici, mais je voudrais bien qu’il soit ici pour lui demander une question. Je voudrais savoir de lui s'il a reçu de l’argent pour la construction de la route, et si c’est vrai qu’est-ce qu’il en a fait. Il s’est rendu à la réunion de Kakata. Nous avons été attrapés près de la ferme de John Lewis Morris pour arriver en retard. C’est de là que nous sommes venus vous dire tout, parce que, quand vous aurez quitté la côte et que nous serons renvoyés travailler Craintes pour à la route, tout ce qui nous attend sera encore pire que ce que nous avons l’avenir. déjà vu. »

En déposant devant la Commission, les chefs ont déclaré à plusieurs reprises qu’on leur avait dit que, tant qu’ils travailleraient sur la route, ils n’auraient plus à payer de taxe d’aucune sorte. Peut-être y a-t-il à cet égard, comme dans d’autres témoignages qui ont été reçus, une certaine confusion de la part des indigènes ou des Commissaires de district entre la taxe sur les huttes et la taxe sur les routes.

35. Déposition d’un chef devant la Commission, Monrovia le 22 juillet 1930.

Discussion con­ « La population indigène n’a su qu’on projetait de construire une route cernant la route qu’après que le plan de construction a été décidé par les « civilisés ». d ’abord. Après avoir établis ce plan, on nous a fait venir. Nous sommes venus. Instructions après. On nous a dit qu’il fallait que nous défrichions la route. J ’ai répondu : tous les miens sont partis. On m’a répliqué qu’il fallait que je fournisse deux hommes. — Si je donne deux hommes, alors il faudra que je dorme tout seul dans mon village ! On m’a répété : il faut que tu donnes deux hommes. — Qu’est-ce que nous recevrons pour travailler sur la route ? — « Il faudra que vous défrichiez la route pour rien ». — — 65 —

Alors, vous ne nous paierez pas ? — Non. — Eh bien, comment ferons- nous pour manger ? — Vous vous débrouillerez vous-mêmes et d’ailleurs, si tu continues à parler comme çà, nous allons t’attacher avec des chaînes, tout de suite. » J ’ai fourni deux hommes et j’ai dû leur donner 12 shillings et 2 shillings à chacun pour se nourrir, et puis, je leur ai dit : « Regardez ma tête, elle est tout grise, je suis incapable de travailler. » Ils m ’ont dit, tu es un vieil homme, on te respecte, mais, si tu continues à parler comme çà, on va te coucher par terre et te fouetter. Les soldats ont coutume de dérober aux hommes leur nourriture, et un jour que ceux-ci allaient couper Mort après des choux-palmistes, l’un d’eux a été rattrapé et battu. Aujourd’hui, cet avoir étébattu. homme est mort par suite de coups. »

Le témoignage d’un chef Bassa montre comment le programme de construction de la route est venu à la connaissance des indigènes dans le secteur de Bassa.

36. Déposition d'un chef devant la Commission, à Monrovia. « Cette affaire de route nous cause beaucoup de souci. Quand on a commencé à la construire, on nous a tous réunis et on nous a dit : « Ecoutez bien, gens de Bassa ! Ce pays nous appartient à tous, et le travail qu’on commence sera utile pour nous tous. Alors, il faut nous mettre tous à l’ouvrage et aider le Gouvernement ». — Nous avons répondu : « Comment faut-il que nous aidions le Gouvernement ? » En fournissant des hommes pour travailler à la route. — Est-ce qu’on sera payé ? — Non. — Mais si les hommes ne sont pas nourris, comment pourrons-nous payer les taxes ? — On nous a répondu : « pendant qu’ils travailleront sur la route, on ne leur demandera pas de payer de taxes ». « Alors, on nous a montré le tronçon de la route que nous aurons à construire et on nous a dit : « Quand vous aurez construit la route jusqu’ici, vous n’aurez plus à travailler sur la route. » Pourtant, tandis que nous travaillions encore à la route, on nous a demandé de payer les taxes. Nous avons à donner à chacun de nos hommes 6 shillings pour manger. S’ils arrivent en retard au chantier, on les attrape à la ferme Morris et on leur prend leur argent. S’ils n’ont plus rien et qu’ils retournent chez eux pour manger, ils sont arrêtés par des messagers. Tout cela nous cause beaucoup d’ennuis. »

Région de Maryland.

37. Déposition d’un chef devant la Commission.

« On a attrapé les miens et on les a envoyés travailler à la route, et quand Amendes con­ l’un d’eux est malade, je suis obligé de payer une amende. Si je n’ai pas cernant la route. l’argent nécessaire sous la main, on m’attache, on me jette par terre et Mauvais traite­ on me bat cruellement. Après qu’ils ont fini de me battre, pendant tout le m ents. temps qu’ils restent dans la ville, je suis obligé de les nourrir et de leur donner ce qu’ils demandent. Depuis que l’inspecteur Smith est arrivé, nous n’avons pas construit de routes, c’est-à-dire depuis le mois de janvier de cette année. »

Tous les travaux de construction de la route cessent vers la Noël, qui marque le début de la saison des travaux agricoles. C’est l’époque à laquelle les indigènes espèrent tous pouvoir être libres pour planter le riz et les autres plantes vivrières.

38. Déposition d’un chef devant la Commission.

« A propos de cette histoire de la route, ici aussi nous sommes bien tra­ Pas de paie cassés. On n’est pas payé, on n’est pas nourri et on est obligé d’apporter Pas de nourri­ nos outils. Quand nos petits garçons vont travailler sur la route, s’il arrive ture. qu’ils apportent leur nourriture, les soldats la leur prennent et les battent par-dessus le marché. Lorsqu’un homme est malade et ne peut pas travailler, Am ende. il est puni d’une amende d’une livre. C’est très dur de trouver cette livre à payer, parce que, ici, nous ne travaillons pas pour de l’argent. »

Il est arrivé fréquemment, dans cette région, que les recruteurs de main-d’œuvre pour Fernando Po faisaient concurrence aux recruteurs de main-d’œuvre en vue de la construction de la route voisine et, dans ce cas, ni les chefs ni la population indigènes ne savaient où les hommes étaient conduits.

39. Déposition d’un chef devant la Commission.

« La chose que j’ai oublié de te dire, c’était quand nous avons eu toutes Fernando Po. les histoires à propos de Fernando Po. Les hommes ne pouvant apitoyer Supplication M. Yancy, les femmes ont déclaré qu’elles essaieraient. Elles l’ont supplié des femmes. de laisser tranquilles leurs maris, leurs frères et leurs enfants, mais celui-ci les a chassées en leur disant que si elles osaient revenir lui parler ce cette affaire-là, il les enverrait, elles aussi, à Fernando Po. — 66 —

« M. Yancy a envoyé Frederik Prowd, son représentant, dans mon village’ et comme il ne pouvait pas trouver assez d’hommes, il m’a attrapé, m’a Cruauté du attaché les mains et les pieds et m’a fait porter à Cap Palmas avec un Commissaire. bâton passé entre mes mains et entre mes pieds comme une bête. M. Prowd est un très mauvais homme. Lorsqu’il agit ainsi, et que les hommes lui demandent pardon, il les met en liberté s’ils paient trois livres sterling. A m ende. Nous ne sommes pas autre chose que des esclaves, et j’espère qu’un temps meilleur viendra. »

Les membres de la Commission ont été vivement frappés de l’attitude des indigènes qui sont venus déposer devant eux. C’est sans méchanceté aucune, mais très nettement, ce­ pendant, qu’ils se sont plaints de mauvais traitements subis avec patience depuis très long­ temps. La véracité d’un grand nombre de leurs assertions a pu être prouvée, du moins en ce qui concerne les points les plus importants. Ils se rendaient tous clairement compte qu’en proférant ces plaintes, ils risquaient de créer une fausse impression de non loyalisme. C’est ce qui explique toutes les précautions prises par eux au commencement de leurs dépositions. Il était assez facile de comprendre que tout ce qu’ils désiraient, c’était simplement la possibilité de se soustraire à un état de choses extrêmement pénible pour tous et contre lequel il ne semblait pas avoir de moyen de recours effectif. L’attitude d’esprit de quelques-uns d’entre eux ressort des observations d’un chef : 40. « On nous a dit que si nour parlons, nos villages seront incendiés. J ’ai réfléchi longtemps à cela, et maintenant, je dis : « Que ce soit un événement historique et que nos enfants apprennent que les villages du peuple de . . . ont été détruits, ce jour, parce qu’ils ont fait connaître leurs griefs. » Quelques-uns, moins pessimistes, se bornaient à espérer l’avènement de temps meilleurs ; d’autres manifestaient leur ressentiment en n’effectuant que les travaux agricoles et autres essentiellement indispensables ; d’autres encore cherchaient subrepticement à quitter le pays. La situation porte en elle-même, semble-t-il, les germes d’un grand nombre de difficultés évitables pour le Gouvernement, et dans toute recommandation ayant pour objet le bien-être de la République, on devra, avant toute chose, s’efforcer d’y remédier. Dans les environs du poste militaire de Barrobo, dans le Maryland, il semble qu’il soit expressément interdit aux indigènes de porter des vêtements khaki ; si ce n’est pas en vertu d’un ordre du Commissaire de district, c’est certainement par suite d’un arrangement entre les messagers du Commissaire de district et les soldats, dans toute l’étendue du District N° 5. Cette question a été mentionnée à plusieurs reprises dans les témoignages des chefs et des habitants des villages, devant les membres de la Commission. Tous s’accordent à montrer comment les soldats et les messagers arrêtent les hommes dans les sentiers, leur enlèvent leurs vestes et leurs culottes khaki en déclarant qu’il est interdit aux indigènes de porter des vêtements de cette couleur.

41. Déposition d’un sous-chef devant la Commission. « Lorsque les soldats viennent dans les villes, ils déshabillent tous ceux La terreur du qui portent des vêtements khaki. On vous met en prison pour cela, et khaki- et on a à payer cinq poulets et cinq bols de riz pour être mis en liberté. Dans le District N° 5, seuls les soldats sont censés porter des uniformes khaki — les soldats, les messagers et d’autres. Tout ce qui est habillé en khaki est censé être un soldat. D’où la terreur du khaki. Tous ces tracas rendent actuellement la vie très difficile dans le District de l’intérieur N° 5. »

D’après le témoignage de l’un des chefs du District N° 5, un ordre interdisant le port des vêtements khaki a été édicté par le Bureau du Commissaire du district. 42. « Le Commissaire de district Scott a édicté un ordre interdisant dans tout le district le port du khaki. Si quelqu’un porte des vêtements khaki, les soldats et les messa­ gers ont l’ordre de le déshabiller et de le battre. (L’Interprète : « Cela m’est arrivé.» ) J ’ai moi-même été obligé deux fois, par le commis de Yancy, de retirer mes vêtements à Rocktown et à Harper. Mon père m’a empêché de me battre pour reprendre mes vête­ ments qu’on m’avait enlevés. On dit que c’est le Président King à Monrovia qui a donné cet ordre ; tant que les soldats des postes des frontières portent le khaki, personne d'autre ne doit acheter des vêtements de cette couleur. Les hommes qui retournent à Monrovia avec des vêtements khaki, qui leur coûtent 1 livre sterling, les vendent maintenant pour 2 ou 3 shillings. Cet ordre ne s’applique qu'au District N° 5. Dans d’autres districts on porte des vêtements khaki. Ici, seuls le Grand-chef et le « speaker » peuvent porter des vêtements de cette couleur. » Le Gouvernement central explique que cet ordre a été adressé à tous les postes parce qu’on avait signalé que des personnes n’appartenant à aucun des services militaires s’étaient pré­ sentées dans des villages, habillées en khaki, pour en imposer aux habitants. L’administration de la Société « Firestone » nous a signalé — ce qui corrobore en partie cette déclaration — qu’elle avait perdu une fois un millier d’hommes en un seul jour : deux soldats, ou tout au moins des hommes habillés en khaki, étaient entrés dans les camps des travailleurs et avaient arrêté deux hommes pour les emmener Dieu sait où. En fait, ceci se passait très peu de temps après le jour de paie. On n’a pas pu vérifier si ces soldats étaient — 67 — réellement des messagers ou des hommes appartenant aux troupes de la frontière ou d’autres personnes habillées en khaki. Mais telle est la crainte inspirée par le khaki, qu’il a suffi de répandre le bruit que les « soldats » reviendraient le lendemain incendier tous les camps pour que i.ooo hommes rentrent chez eux dans l’intérieur, alors qu’il leur était encore dû plusieurs journées de paie. « Punition de la Corbeille N° i ». — Cette punition, si fréquemment mentionnée dans les dépositions comme l’un des amusements et des châtiments favoris des soldats chargés de diriger les équipes d’indigènes qui travaillent à la construction des routes, a été décrite par un indigène de Beabo sur la rivière Cavalla, dans le District N° 5. Il a déclaré qu’une grande cor­ beille ronde, remplie de terre et de pierres lourdes, était levée à bout de bras par quatre soldats et placée sur la tête du malheureux prisonnier qui recevait alors l’ordre de marcher en portant cette corbeille, s’il le pouvait. Parfois, on lui donnait l’ordre de pirouetter sur lui-même avec cette corbeille sur la tête. Tandis qu’un soldat faisait pirouetter la corbeille plus rapidement, un autre empoignait le prisonnier, de telle sorte qu’il ne pouvait plus tourner en même temps que la corbeille. Plusieurs prisonniers ont eu le cou brisé de cette manière et sont morts immé­ diatement ; mais le plus souvent, cette punition a pour effet une blessure du cou suivie ensuite de décès. Cette corbeille a été montrée au membre de la Commission désigné par la Société des Nations alors qu’il allait inspecter la route de Webbo-Barrobo, dans le village de Taitibolu. C’est un récipient tressé en double, dont les bords sont arrondis, mesurant près de 2 pieds de diamètre et 15 pouces de profondeur, avec fond concave.

43. Déposition d’un chef du Secteur de Barrobo, devant la Commission.

« En cas d’absence d’une journée, 1 livre sterling et une corbeille appelée Corbeille N° 1. « Corbeille N° 1 », remplie de saletés et tellement grande qu’il est presque impossible de se mouvoir quand on la porte. Quatre hommes l’élèvent à bout de bras, la place sur votre tête et vous la font porter pendant que les soldats vous donnent des coups. Il y a aussi une « Corbeille Nr’ 2 ». »

44. Déposition d’un chef du Secteur de Webbo devant la Commission.

« Le Commissaire prévoit pour nous une méchante punition. Il remplit Corbeille N° 1. de saletés et de lourdes pierres une grande corbeille que quatre ou six hommes élèvent à bout de bras et placent sur votre tête. Quand cette corbeille est placée sur votre tête, on vous fait parcourir une distance de près de 100 pieds, quatre fois par jour. »

45. Déposition d’un sous-chef du District N° 5, devant la Commission.

« On nous oblige à travailler à la construction de la route. Les absents sont punis d’une amende très lourde, et si l’amende n’est pas payée, ils sont punis : on remplit un grand panier de terre et de pierres ; quatre hommes le lèvent à bout de bras, puis le placent sur la tête de l’homme puni qui est obligé de le transporter à une certaine distance. Beaucoup d’hommes ont été blessés en essayant de porter cette lourde corbeille. »

46. Déposition d’un chef du Secteur de Gyudu, devant la Commission.

« Lorsque les hommes reviennent, ils se plaignent tous de la « Corbeille N° 1 », mais le chef n’est pas assez énergique pour se rendre auprès du Com­ missaire du district et lui demander des explications au sujet de cette corbeille. Cette corbeille est là, sur la route, et sert à punir tous ceux qui déplaisent au chef d’équipe. Elle est soulevée par quatre hommes et il est impossible de la porter très loin. « Il est difficile pour le chef de se plaindre, car il a peur qu’on le fasse périr. Aussi, n’ose-t-il pas réclamer, car si des messagers viennent le voir et maltraitent ses subordonnés, et s’il se plaint au Commissaire de district, celui-ci se borne à raconter la parabole suivante : « Si tu as un homme armé d’un fusil et si tu l’envoies dans la forêt tuer un éléphant, lorsqu’il a tué l’éléphant, est-ce que tu iras lui dire de ramener l’éléphant mort dans la brousse ? »

Les plaintes qui suivent émanent de chefs qui ont déposé devant la Commission, alors que celle-ci se trouvait dans le Maryland et dans le district N° 5.

Contingent. 47. « Mon village doit fournir 20 hommes pour la construction de la route Harper-Gbolobo. On est dans son pays et on est obligé d’apporter sa Soldats. propre nourriture et ses outils. L’inspecteur envoie des soldats pour nous faire travailler sur la route. Depuis le commencement des travaux (en 1925). Décès. dix hommes sont décédés à la suite de coups et de mauvais traitements. Ce sont : Du, Sie, Dumu, Tiah, Klah, Nemle, Kine, Hoto, Wleh et \ odobah. » — 68 —

48. « C’est nous qui construisons cette route. Nous ne sommes pas payés. Nous ne recevons pas à manger. Puis, les gens nous battent et nous leur donnons à manger. Mais si on ne va pas travailler sur la route, on est A m endes. obligé de payer une amende d’une livre sterling. Quand on travaille pour un blanc, il paie. Mais celui-ci ne paie pas. Si un homme meurt, ils me disent qu’il faut le remplacer. Si je ne peux pas trouver un autre homme, je suis obligé de payer. La construction des routes cause beaucoup d’ennuis. Soldats. Les soldats nous battent. Quelquefois, lorsqu’un homme ne va pas travailler A m endes. sur la route, ils m’obligent à payer 7 livres sterling. Une autre fois, pour deux hommes, ils m’ont obligé de payer 10 livres sterling. Ils nous donnent des coups sur la route et beaucoup de gens en meurent. Dix hommes sont morts depuis le commencement des travaux. Mon propre frère est mort lui aussi sur cette route, il y a deux ans maintenant. Lorsqu’on l’a battu, Décès dans la il s’est enfui dans la brousse pendant quatre jours. Le cinquième jour nous brousse. l’avons cherché dans la brousse : il était mort. »

49. « Nous allons travailler sur la route pour rien. Si nous nous échappons, F ustigations. nous sommes battus. Quand nous sommes malades et incapables de tra­ vailler, on nous inflige une amende d’une livre chacun par semaine. Quand nous travaillons sérieusement à la route, nous sommes battus si fortement Coups. que quelques-uns meurent des coups. Quand un homme s’enfuit pour échap­ Soldats. per à la cruauté des soldats et que ceux-ci se mettent à sa poursuite, quel­ quefois ils emmènent le père en prison. Là, ils nous demandent de les nourrir tous les mois. » Forces de la 50. « Les soldats des troupes de la frontière sont toujours derrière les frontière. hommes qui travaillent sur la route et leur donnent des coups. L’année dernière, on a envoyé des hommes sur la route : un avait la fièvre. Il a été mis en prison, et le chef a dû payer trois livres sterling. » 51. « Quand nous allons travailler sur la route, les soldats prennent soin de nous et nous donnent des coups. Si on ne peut pas les nourrir, on ne Mauvais traite­ reçoit rien que des mauvais traitements. Nous faisons tout son travail ments de la part (celui du fonctionnaire) et aussi celui de sa femme au heu de travailler des soldats. à la route. »

Lorsque la Commission se trouvait à Harper, les chefs Grebo de la région de Cap Palmas, accompagnés de plus d’une cinquantaine de leurs gens, ont eu une entrevue avec la Commission le 15 mai 1930. Nous citons plus loin la déposition d’un de ces chefs (après y avoir apporté quelques légères modifications de forme) ; cette déposition, bien qu’elle soit de caractère général, est intégralement insérée. L’honorable H. Too Wesley, ancien Vice-Président de la République, avait été prié en cette occasion de faire fonction d’interprète, et en s’acquittant de cette fontion il a très heureusement traduit les sentiments de mécontentement et de désaffection que les chefs essayaient d’exprimer à la Commission.

52. « La première chose que je désire porter à la connaissance de la Commission c’est ce qui est arrivé pendant le temps où mes hommes étaient occupés à construire la caserne de Pudukeh ; c’est là que mes hommes ont Mauvais traite­ été le plus maltraités par les soldats qui, à maintes reprises, les ont frappés, ments des tra­ quelquefois avec la crosse de leurs fusils et les ont obligés de travailler en vailleurs. portant autour de leur taille des cordes de fibre indigène. Toutes les fois qu’ils s’enfuyaient le Chef ou le chef d’équipe recevait une amende ou bien était conduit quelque part et attaché. Lorsque je me suis plaint à M. Yancy, Menaces formu­ il m ’a répondu : « Si vous ne faites pas ce que les soldats vous disent de lées par M. Y ancy. faire, j’enverrai des gens pour brûler votre village. » Ceci nous a effrayés et nous avons fait de notre mieux pour construire les maisons, mais certai­ nement les hommes ont été très maltraités. On leur disait de construire d’une certaine manière qui était nouvelle pour eux et lorsqu’ils ne compre­ naient pas exactement, ils étaient battus. Le Lieutenant Isaac Roberts était toujours présent au cours des opérations de construction et prenait ses ordres du vice-président Yancy ; ceci se passait il y a quatre ans alors que M. Yancy était inspecteur du Comté de Maryland. « Je fournis chaque semaine vingt hommes de Fishtown pour travailler sur la route qui va de Cap Palmas à Getetabo ; et toutes les fois qu’un homme manque à l’appel les soldats se rendent auprès de son chef qui est puni d’une amende, et cette amende est versée au vice-président Yancy. « En une certaine occasion, dix hommes étaient absents et les soldats Arrestation du sont venus arrêter le chef, mon prédécesseur, qui était malade et faible, chef. mais nous avons persuadé aux soldats qu’il n’était pas en état de partir, Amende pour en revanche nous avons eu à payer £13. Ce chef est mort la même année. mise en liberté. Mon village est situé sur le littoral et on nous a dit que seuls les Commissaires Transport de avaient le droit d’être transportés dans des hamacs, néanmoins tous ceux ham acs. qui passent le long du littoral nous obligent à leur fournir des porteurs Femmes obli­ gées de transpor­ de hamacs. Si nous refusons, il nous en cuit plus tard ; récemment, ma ter les hamacs. propre femme a été obligée de faire fonction de porteur de hamacs. — 6g — \ « J ’ai encore autre chose à vous dire. Sur les vingt hommes que je fournis chaque semaine pour la construction de la route, dix seulement sont envoyés travailler à la route et les dix autres sont envoyés travailler à la ferme de M. Yancy où ils défrichent la brousse sans recevoir de paie. « Il n’y a pas très longtemps, le Vice-Président nous a réunis pour nous faire savoir qu’il fallait fournir des hommes pour Fernando Po et nous avons réclamé. Ayant trouvé à redire sur la façon dont le travail avait été exécuté sur la route, il déclara qu’au lieu de vingt hommes nous aurions à lui en Affaire de Fer- fournir soixante pour le travail de la route, puisque nous refusions de trouver nando Po. des hommes pour aller à Fernando Po et tous ces hommes devaient être pris dans mes villages exclusivement. Ensuite, il nous enferma dans une maison en nous disant qu’à l’arrivée du vapeur espagnol il nous enverrait tous à Fernando Po, mais heureusement, pour nous, le vapeur ne s’est pas arrêté ici ; s’il s’était arrêté nous serions maintenant à Fernando Po. Nous avons été emprisonnés dans cette maison pendant un mois. « Lorsque nous n’avons pas d’argent pour payer notre amende, quelque­ fois on nous oblige à nous adresser à une maison de Cap Palmas qui nous donne de l’argent ou qui nous fait des avances sur nos marchandises ou Emprunts pour bien quelquefois nous sommes obligés de vendre notre bétail ou nos canots payer les amendes de pêche pour nous procurer l’argent. Mais quand le chef se rend à Cap Palmas, il n’y a pas d’endroit prévu pour le loger, il est obligé de faire du mieux qu’il peut. Lorsqu’il est appelé pour prendre part à une réunion de Conseil, s’il n’apporte pas avec lui de quoi manger et boire, il ne trouvera pas une goutte d’eau pour se rafraîchir jusqu’à son retour, et le chef est obligé de pourvoir à ses besoins, mais lorsque les fonctionnaires viennent ici nous sommes obligés de tout leur fournir. Quand le Gouverneur Yancy vient il nous oblige à tuer nos vaches pour le nourrir, jamais il ne se déplace sans toute une armée de soldats et d’hommes et c’est nous qui sommes obligés de les nourrir. Les femmes doivent se dépêcher de piler du riz, de trouver de l’huile de palme et toutes les autres choses nécessaires à ces gens, et nous ne recevons pas même une pièce de six pence. Si le Gouverneur Brooks vient, il faut le traiter avec les mêmes égards que le vice-président Yancy. « Je tiens à confirmer ici toutes les déclarations de mon Chef principal au sujet des mauvais traitements que reçoivent les hommes. Lorsqu’ils reviennent du littoral, toutes les pièces d’étoffes et toutes les petites choses qu’ils apportent avec eux leur sont enlevées en compensation des lourdes taxes qui leur sont imposées par les agents des douanes, sinon ils sont obligés de payer les taxes. En général ils apportent avec eux des pièces d’étoffes, des mouchoirs, etc., pour faire cadeau à leurs femmes, tout ce qu’ils peuvent trouver d’un peu différent des articles qu’il est possible de se procurer ici. Ils consacrent à ces achats une partie considérable de l’argent qu’ils gagnent pendant l’année et il est très vexant pour eux d’avoir à revenir les mains vides (comme le savent très bien les agents de la Douane). »

53. Déposition d’un Sous-chef du District N° 5.

« Le Commissaire de district Johnson de Webbo est un méchant homme. Lorsqu’il nous tracassait afin de trouver des hommes pour Fernando Po, il envoyait des soldats pendant la nuit et tous les gens qui sortaient étaient attrapés. Oh, quelle nuit ! Dix hommes ont été attrapés de cette manière et envoyés à Webbo. Ceci est arrivé en mars l’année dernière ; ils ont été envoyés à Fernando Po et depuis nous n’avons plus entendu parler d’eux ; mais le chef d'équipe de Barney, qui est récemment revenu de l’île, nous a dit que la situation de ces hommes, là-bas, était très mauvaise, il s’est plaint aux autorités espagnoles qui l’ont congédié et renvoyé chez lui. Le Commissaire de district Johnson se procure ces hommes pour M. Yancy. Lorsque les soldats viennent pendant la journée si nous refusons de donner des hommes, je suis battu, attaché et mis en prison. Le chef d’équipe du chef Barney qui était revenu de Fernando Po, a volontairement déclaré qu’après qu’il avait été attrapé et conduit à Webbo il avait demandé au Commissaire de district : « Pourquoi un homme est-il obligé de travailler pour vous ? » En réponse, il fut battu, envoyé en prison pour quatre mois et trois semaines, et, en fin de compte, il a été obligé de payer £6 pour obtenir sa mise en liberté. »

/) M a n œ u v r e s d ’intimidation e t e x t o r s io n s .

Les amples dépositions qui sont citées dans le présent rapport, jointes à celles, beaucoup plus nombreuses encore, que possède la Commission, nous semblent nettement prouver que le Gouvernement a pratiqué et pratique encore, à l’égard des indigènes, une politique d’inti­ midation et de disssimulation des faits. Ce qu’il y a d ’inquiétant à ce sujet, c’est que les chefs, à l’intermédiaire desquels tout gouvernement agissant dans l’intérêt des administrés doit nécessairement avoir recours, sont tout aussi exposés que les autres à se voir arrêter à l’impro­ — 70 —

viste, enchaîner et traiter d’une façon intolérable pour leur dignité, traîner devant le Com­ missaire du District, qui peut les faire conduire au poste, les battre ou les jeter ignominieu­ sement en prison. Ils peuvent même être menacés d’être mis à mort par les soldats dans la brousse, comme le prouve le cas du chef Broh qui, revenant de Monrovia où il s’était plaint au Président, fut interpellé par l’inspecteur de Harper dans les termes suivants : 54. « Tu es maintenant entre mes mains. Que le Président King vienne à ton secours. Le Président King est le maître à Monrovia, mais je suis le maître ici. Si je te livre aux soldats et que ceux-ci te mettent à mort sur la route, lorsqu’on me demandera ce que tu es devenu, je dirai simplement que tu es tombé malade et que tu es mort, et l’affaire n’ira pas plus loin ». Les rapports entre les indigènes et certains fonctionnaires irresponsables ont donné lieu à de honteux abus de pouvoir et à une honteuse exploitation des indigènes. Des chefs ont été vilipendés en présence de leurs subordonnés, punis d’amende, battus et mis à la torture. 55. La Commission a eu connaissance d’un cas de ce genre dans lequel un chef du littoral de Maryland a été fustigé par des soldats qui étaient venus saisir 20 hommes dans le village qu’il administrait. Pendant qu’ils attendaient qu’on réunît le nombre d’hommes nécessaire, ces soldats se sont amusés à arracher l'un après l’autre les poils de la longue moustache de ce chef en le menaçant de lui incendier son village, comme on l’avait déjà fait en 1916. Il arrive fréquemment qu’un Chef et même un Grand chef reçoive du « contrôleur officiel des heures de travail sur la route », fonctionnaire subalterne qui n’a, bien entendu, nullement le droit de menacer de prison les chefs, des lettres analogues à la suivante :

56. « Monsieur, « En qualité de contrôleur officiel des heures de travail sur la route, je vous écris pour vous dire que les hommes de votre village devront être présents ici sur la route du Gouvernement lundi matin à 6 heures, sinon le Chef sera détenu ici et l’Inspecteur du comté de Maryland vous fera chercher pour expliquer leur retard, et ceux qui sont ici seront détenus jusqu’à ce qu’ils viennent. Faites en sorte qu’ils partent samedi, de manière à être sur place lundi matin. Le nombre d’hommes nécessaire est de 15. « Salutations en hâte. Henry D. Baker, Contrôleur officiel des heures de travail sur la route. »

57. Un chef qui revenait d’une entrevue avec les membres de la Commission a été arrêté sur la route par un employé du bureau du Commissaire de district, qui lui a demandé pourquoi il était sorti de son secteur. Mis au courant des faits, il admonesta le chef en lui reprochant de se plaindre auprès d’étrangers et il le menaça de prison s’il ne payait pas £1 immédiatement, c’est-à-dire tout l’argent que ce chef portait sur lui. Naturellement, cet employé n’avait aucunement le droit d’imposer une amende et, en tout cas, il n’avait pas à signaler les faits à ses supérieurs. 58. En une autre occasion, l’Inspecteur du comté de Maryland donna l’ordre à un Grand chef du District N° 5 de lui apporter, à Harper, le produit de toutes les taxes des huttes. En même temps, le Commissaire de district de Webbo demandait au chef de lui apporter cette même somme à Webbo. Et simultanément, un autre Commissaire pour le littoral Kroo lui demandait d’apporter cette somme à Garroway, pour l’envoyer à Cap Palmas. Très embarrassé, le Grand chef fit réunir ses sous-chefs et 15 d’entre eux se rendirent à Harper pour demander à l’Inspecteur où il fallait remettre le produit des taxes. Lorsqu’ils furent réunis et qu’ils eurent soumis ce problème à l'Inspecteur, celui-ci fit semblant de réfléchir un instant, comme il est dit dans la déposition, puis il parla : « Tous les chefs de Barobo, levez-vous et tenez-vous debout sur un pied ». Les chefs obéirent, et après les avoir admonestés, l’inspecteur leur infligea à chacun une amende de 5 livres, puis il les autorisa à remettre l’autre pied à terre et à rentrer chez eux. Outre que les chefs sont humiliés par des fonctionnaires, vilipendés par des soldats, des messagers, des commissaires, ils sont lourdement exploités et volés. Le problème foncier, comme on l’a mentionné dans ce rapport, en est un exemple et donne lieu à de fréquents abus, Il fournit une autre occasion de faire pression sur les chefs auxquels on assure qu’ils ne seront astreints à aucune corvée pour le compte des travaux publics ou qu’on menace de punir s’ils ne se montrent pas disposés à fournir la main-d’œuvre nécessaire, tant pour des fins publiques que pour des fins privées. Ce genre d’extorsion irréfléchie et parfois de caractère criminel profite rarement à la République, même si l’on a recours à cette pratique dans l’intérêt de l’Etat. On citera l’exemple suivant :

59. En 1921, une dispute relative à des questions de terrains s’éleva entre les habitants de Fishtown et ceux de Garroway. L’Inspecteur institua un Comité d’indigènes et on procéda à la délimitation du terrain en question. La décision avantageant les habitants de Fishtown, les gens de Garroway firent appel. L’Inspecteur leur fit dire que, s’ils désiraient que les limites fussent modifiées, il leur faudrait apporter £40. Plus tard, pour conclure l’affaire, il réclama une seconde somme de £40. Néanmoins, les habitants de Garroway ne purent obtenir la terre qu’ils revendiquaient. L’Inspecteur demanda encore une autre somme de £g. Toutes ces sommes furent versées. Le Commissaire Mars fut alors envoyé pour procéder à une enquête. — 7 i —

Il commença par réclamer une somme de £10 pour sa nourriture, ce qui lui fut accordé. Puis il demanda une vache ; on la lui donna. Il décida alors que la première délimitation devait être maintenue et il retourna chez lui. Sur ces entrefaites, l’Inspecteur demanda une autre somme de £40 et leur promit de leur donner la terre qu’ils demandaient. Puis, ensuite, il demanda £71 à titre d’avance pour un employé du service du cadastre. Les gens du village empruntèrent l’argent à MM. Overbeck et fournirent 40 hommes pour aider l’agent du cadastre à dresser les plans. L’Inspecteur promit de se rendre sur les lieux, mais déclara qu’il avait besoin de £10 pour héberger les étrangers qui venaient lui rendre visite pendant son absence. On lui envoya l’argent, mais il ne vint pas. Dans l’intervalle, les gens de Fishtown avaient payé £12, puis £80 pour contrecarrer l’effet des paiements équivalents des gens de Garroway, puis S400 pour lever les plans du terrain et £90 pour le terrain occupé par les gens de Nihwie. Ainsi excités les uns contre les autres, les deux tribus finirent par en venir aux mains, chaque partie soupçonnant l’autre. Sept hommes furent capturés par l’une des tribus. L’Inspecteur, à son tour, captura 7 chefs de la tribu adverse. Il demanda une somme de £100, mais les gens de la tribu ne purent trouver que £70. Pendant qu’ils s’efforçaient de réunir le solde, c’est-à-dire £30, leur village de 47 huttes fut brûlé et 5 personnes périrent dans l’incendie. Alors l’Inspecteur envoya une commission pour savoir quel côté avait pris l’offensive. Il fallut payer les dépen­ ses de la Commission. Trois des chefs qui avaient été capturés furent envoyés à la caserne et leurs gens durent payer une amende de £150 pour obtenir leur libération. Au moment de l’entrevue (juin 1930), ils n ’avaient encore pu recueillir que £8 sur les 150 dues. Les deux autres chefs sont encore en prison à Harper, en vertu d’une sentence assez étrange, selon le témoignage du chef Too, qui déclare ce qui suit : « On dit qu’ils seront pendus. On dit qu’après que les hommes de loi auront cessé de plaider, on les fera pendre. » Le total de la somme versée, d’après les témoignages des gens de Garroway, a été de £505. Celui de la somme versée par les gens de Fishtown de £207 et celui qui a été payé par les gens de Nihwie de £223. Malgré ces versements, le problème foncier dont il s’agit n’a pas encore été résolu et la question peut encore donner lieu à de nouvelles extorsions. Les missionnaires de race blanche eux-mêmes sont parfois soumis à ces humiliations et intimidations, comme le prouve le témoignage suivant qui a été corroboré par celui d’un certain nombre de personnes se trouvant sur place.

Dispute pour 60. « Dans le District N° 5, du temps du Commissaire de district Scott, paiement de taxes. 0n assure qu’un grand chef avait versé le produit des taxes de son village au commis du Commissaire de district qui, lorsqu’on lui réclama l’argent, déclara qu’on ne lui avait rien versé. D’après les dires du chef, le Commis­ saire de district lui fit réclamer l’argent une seconde fois aux habitants de ce district, tandis que le chef était emprisonné dans la salle de garde. Mais, au lieu d’envoyer un second versement, les habitants du village envoyèrent une lettre écrite par un missionnaire de race blanche, le Révérend F. A. Noach, qui témoignait de la véracité des dires du chef et faisait connaître l’opinion des gens du village. Dès qu’il eut reçu cette lettre, le Commissaire Missionnaire de district envoya des soldats arrêter le Révérend Noach. Non seulement blanc enfermé les soldats l’arrêtèrent en le soumettant au traitement le plus indigne, dans la salle de mais ils l’attachèrent avec des cordes de fibre indigène et le conduisirent 6arde- avec un chef du village et des hommes de la mission, au corps de garde où ils furent tous enfermés. Le Grand chef supplia alors le Commissaire de district de mettre le blanc en liberté. On répondit au chef que pour mettre fin à toute cette « palabre », et pour mettre en liberté le missionnaire, le Lourde amende. Commissaire de district demandait £100. D’après les témoignages, il semble que cette somme ait été versée ultérieurement, moitié par les gens de la Décès du mis- Mission et moitié par des gens du Chef, et que le missionnaire ait été autorisé sionnaire. à retourner à la mission, où il mourut la semaine suivante.

2. Travaux publics. — Edifices.

Dans les dépendances britanniques et françaises, au Congo belge et ailleurs, il est parfois permis d’avoir recours au travail forcé pour la construction de maisons et de bureaux affectés à des fonctionnaires ou pour effectuer les réparations annuelles de ces bâtiments ou d’autres travaux nécessaires du même genre. Ce travail est rémunéré à un prix nettement spécifié qui est généralement un peu inférieur au prix de la main-d’œuvre sur le marché ordinaire. Au Libéria, il semble qu’on emploie des équipes nombreuses d’indigènes fournies par les chefs de village sur ordre des inspecteurs de comté et des commissaires de district, pour cons­ truire et entretenir les logements affectés aux administrateurs civils, ainsi que les casernes, et, dans ce dernier cas, les soldats font simplement fonction de surveillants pour activer le travail, sans prendre part eux-mêmes aux travaux de construction. Cet état de choses semble indiquer que les soldats ne sont guère disciplinés ou que l’on craint de laisser passer une occasion d’exploiter les indigènes. Tous les bâtiments de la caserne de Barrobo, dans le district N° 5 de Maryland, un grand nombre de maisons et de logements pour les soldats, qui ont été inspectés par le membre américain de la Commission, ont été construits, d’après nos renseignements, grâce au travail forcé et non rémunéré d’indigènes des deux sexes. Les casernes sont précédées d’une chaussée en remblai très large et très longue, ce qui a certainement augmenté le nombre de travailleurs qu’il a fallu engager. — 72 —

61. « Monsieur, « Le Capitaine Isaac XVhistnant, des troupes du service de frontière du Libéria, m’a fait part de l'ordre qu’il a reçu de construire les casernes à Borrobo, District N° 5, en application du plan de réorganisation des Forces de frontière, au lieu de les construire à Putu, District N° 4. Je vous adresse ci-joint, sous pli séparé, les lettres dans lesquelles il est ordonné au Grand Chef de Barrobo, ainsi qu’à ceux des secteurs voisins, de vous fournir 130 travailleurs en tout pour ce travail. Vous trouverez ci-joint copie de cet ordre. Vous pouvez envoyer les lettres en question aux chefs intéressés ’. » En outre, il semble qu’on entretienne dans les casernes une équipe importante de travail­ leurs indigènes pour procéder aux réparations annuelles, ainsi qu’aux travaux du poste pendant l’année. Après l’achèvement des casernes susmentionnées, la correspondance qu’on trouvera ci-après a été échangée entre l’officier commandant la caserne et le Commissaire du district N° 5 : 62. « Objet de la présente : Main-d’œuvre. « Monsieur, « Comme les travailleurs occupés au camp King ont cessé de travailler en décembre 1929 pour cultiver leurs fermes, et que le délai prescrit pour les travaux de ferme est venu à expiration le 31 mars 1930, je vous prie par la présente de m ’envoyer le même nombre de travailleurs pour les troupes du service de frontière du Libéria qui sont stationnées ici, car il y a de nombreuses réparations à effectuer avant le commencement de la saison des pluies, et, d’autre part, la route qui part d’ici est à peine commencée. Je désirerais que ces travaux puissent être poussés assez loin avant l’arrivée des pluies. ». Veuillez me faire parvenir une réponse sur ce point par le porteur de la présente 2. « 2. En réponse à la demande que vous m’avez adressée de continuer à vous fournir le contingent de main-d’œuvre qui vous a été alloué pour la construction de casernes, le 16 octobre 1928, et a été augmenté le 15 février 1929, attendu qu’il était nécessaire, à ce moment, de loger les hommes, j’ai l’honneur de vous faire savoir que, ces travaux de construction étant maintenant complètement achevés et chaque homme étant confor­ tablement logé dans sa propre maison, je ne peux pas raisonnablement continuer à fournir ce contingent de main-d’œuvre pour la caserne militaire. « Toutefois, si, de temps à autre, vous avez absolument besoin d’un nombre limité de travailleurs, 15 à 20 par exemple, pour un travail déterminé que ni les recrues ni les soldats ne sont en mesure de terminer avant la date fixée, vous êtes autorisé à adresser par écrit une demande au présent bureau qui avisera les chefs de village conformément aux modalités réglementaires 3. » Le recours au travail forcé d’indigènes pour la construction de casernes, lorsque les soldats sont dépourvus d’instruction militaire proprement dite, n’ont pas même une idée élémentaire de la discipline et sont commandés par des hommes dont l’expérience en Afrique même n’est pas très étendue, et lorsque l'emplacement est très éloigné du quartier général, constitue, à notre avis, un procédé extrêmement regrettable. Dans ces circonstances, les abus de pouvoir risquent de demeurer impunis. Il a été démontré, à maintes reprises, à la Commission que les travailleurs étaient fustigés et que leurs femmes, employées spécialement aux travaux de badigeonnage, sont sérieusement maltraitées pendant ces opérations. C'est cependant un travail qui pourrait facilement être effectué par les soldats eux-mêmes, comme c’est le cas ailleurs. Il est d’ailleurs souvent très difficile, spécialement pendant la saison sèche, de trouver un travail approprié pour occuper les hommes dans les casernes. Dans le village d’un chef du district de Barrobo, les femmes ont confirmé la véracité des déclarations faites à la Commission par les hommes, et ont déclaré, en outre, spontanément qu’au cours des travaux de construction de ces casernes, 200 femmes, travaillant par équipes qui se relayaient, ont été occupées pendant neuf mois. « En fait — ont-elles dit —, les soldats nous traitaient comme si nous étions leurs femmes, nous qui avons chez nous nos maris et nos enfants. Nos hommes ne pouvaient pas nous protéger, car les soldats avaient tous des fusils. Or, il existe une coutume dans notre pays : une loi contre l’adultère, aux termes de laquelle, lorsqu’une femme a un enfant, elle doit prouver que son mari en est réellement le père. Nous qui avons été obligées de travailler aux casernes, nous nous sommes trouvées dans l’impossibilité de fournir cette preuve, ce qui a créé une situation épouvantable, car nous nous sommes vues dans la nécessité de tuer les enfants, et nous supplions la Commission d’empêcher qu’on nous oblige à retourner travailler là-bas. » Récemment, les indigènes ont essayé d’user de représailles. Pendant les travaux de cons­ truction de ces casernes de Bairobo, destinées aux forces de frontière, les soldats se sont fait tellement détester, ravageant les villages situés à plusieurs milles à la ronde pour y prendre tout ce qu’il y avait à manger, tendant des embûches aux femmes et aux jeunes gens dans les sentiers, pour les voler, maltraitant les hommes occupés aux travaux de construction, acca­ parant les femmes comme il leur plaisait, que les empoisonneurs de profession sont intervenus.

1 Passages d'une lettre du Commissaire de district Johnson, district N° 5, au Capitaine J. C. Phillips, des troupes du service de frontière du Libéria, 16 octobre 1928. 2 Lettre du Capitaine I. Whistnant, commandant du camp King, des troupes du service de frontière de Libéria, au Commissaire de district. District N° 5, 25 mai 1930. 3 Passage d’une lettre du Commissaire de district Johnson, District N° 5, au Commandant du 3e batail­ lon des troupes du service de frontière’de Libéria, section de Barrabo, District N° 5, 28 mai 1930. — 73 —

Comme suite à cette intervention, nous avons appris que trois hommes sont morts et que sept autres ont été gravement malades ou atteints d’incapacité de travail permanente. Le poison spécial dont il est fait usage en ce cas est appelé « Sallicoco » ' ; il semble être bien connu au Libéria, mais pas autant que le « Sass Wood ». Les soldats des troupes de la frontière sont toujours employés par le Gouvernement pour faire travailler de force les hommes recrutés pour la construction d'édifices spéciaux, tels que les logements affectés aux commissaires de district et les maisons qui doivent recevoir le Président. Sur autorisation de Son Excellence le Président de la République, le membre de la Commission désigné par la Société des Nations et celui qui représentait les Etats-Unis d'Améri­ que ont passé une semaine dans la grande maison couverte de chaume qui se trouve à Kakata. Le Colonel T. Elwood Davis, Aide de Camp du Président, a déclaré que les plans de cette maison étaient dus au Commissaire de district Carter, qui l’avait fait construire lui-même, les travaux de construction ayant pris cinq mois. Une plantation importante appartenant au Président King est contiguë, et dans le voisinage il existe une plantation analogue qui appartient au Commissaire de district Carter. A l'occasion de la visite des membres de la Commission, plusieurs centaines d’indigènes avec leurs chefs sont venus exposer leurs griefs et décrire comment ils avaient été traités au cours des travaux de construction de la route et des bâtiments. L’un des Grands chefs a déposé dans les termes suivants : 63. « La maison dans laquelle nous sommes a été construite par les habitants de ce secteur. Naturellement, personne n’a refusé de prendre part aux travaux. C’était l’ordre du Président. C’était un travail pour le compte du Gouvernement. (A ce moment quelqu’un interrompit : « Si vous voulez savoir la vérité, demandez aux gens qui ont travaillé à la construction de la maison, le Grand chef est du côté des fonctionnaires. ») Un peu plus tard, le Grand chef s’étant retiré, un certain nombre de travailleurs vinrent déposer devant la Commission. L’un d’eux s’exprima dans les termes suivants : 64. « Ils se sont emparés des hommes et des femmes et ils les ont amenés ici pour construire cette maison. Quand ils ont creusé la terre pour les murs ici, il y avait toujours des soldats derrière pour nous faire travailler plus vite. » Un autre déclara ce qui suit : 65. « Ma femme a travaillé à cette maison avec un grand nombre d’autres. Lorsque les femmes grimpaient le long des murs pour le badigeonnage, les soldats les piquaient avec des bâtons par derrière, et si les hommes s’approchaient pour les protéger, ils étaient battus. » Un troisième s’exprima dans les termes suivants : 66. « Après l’arrivée du Commissaire de district Carter, il n’y a plus eu de paix pour nous, ni pour les hommes ni pour les femmes. Quelques-uns se sont enfuis dans la brousse. Alors, le Commissaire de district a donné l’ordre d’attacher une grande branche au dos de chacun de nous avec une corde liée à la taille et au cou, de telle sorte que cette branche dépassait la tête. C’était pour nous empêcher de nous enfuir dans la brousse (une de ces branches a été montrée au Commissaire, elle était aussi épaisse qu’un poignet et avait près de cinq pieds de long). Tous ceux qui s’enfuyaient étaient toujours rattrapés et ramenés, et chaque fois le chef était obligé de payer une amende. On a aussi construit une prison ici, et j’ai été l’un des premiers qui y ait été enfermé. A un certain moment, dix-neuf chefs de village y étaient emprisonnés sur ordre du Commissaire de district Carter. » Ces assertions ont été confirmées par le témoignage d’une quatrième personne, qui a décrit comment certains des travailleurs particulièrement mal vus des soldats étaient attachés avec des cordes passées autour d’eux et hissés jusqu’aux poutres du plafond. Ensuite les soldats allumaient des feux au-dessous des prisonniers et jetaient du poivre sur le feu. C’est un mode de punition qui semble bien connu au Libéria et qui a été mentionné fréquemment sous diffé­ rentes formes, au cours des dépositions qu’a reçues la Commission. C’est ce qu’on appelle « pendre dans la cuisine » ou « pendre au-dessus du feu ». A Webbo, dans le Maryland, un chef, qui était venu d’assez loin pour témoigner devant la Commission, en décrivant l’arrestation par plusieurs messagers d’un jeune homme du village du chef, s’est exprimé dans ces termes : 67. « Le jeune homme dit : « Attendez et laissez-moi manger avant de partir » ; mais les autres refusèrent et alors deux jeunes gens du village s’écrièrent : « Pourquoi ne voulez-vous pas le laisser manger ?» — « Bon, répondirent les messagers, c’est vous que nous tiendrons responsables si l’autre s’enfuit. » Lorsque le premier jeune homme sortit pour aller manger, les messagers s’emparèrent des deux autres jeunes gens qui avaient pris parti pour leur camarade et ils les conduisirent au chef de poste (catégorie de fonctionnaires maintenant abolie). Ce dernier les attacha et les suspendit au-dessus de la fumée, raviva le feu et jeta du poivre rouge sur le feu. Pendant qu'ils étaient sus­ pendus au-dessus du feu, il leur infligea une amende de £3 qu’ils durent payer avant de pouvoir être dépendus, ensuite l’homme que les messagers étaient venus arrêter fut pris, puni d’une amende de £5 qu’il fut obligé de payer. »

1 II se peut que le sallicoco soit extrait d’une espèce de strophanthus, car cette plante se rencontre fréquemment dans les forêts de l’Afrique occidentale. L’autorisation d’administrer du « Sass Wood » doit être demandée au Gouvernement central à Mon­ rovia, mais il est illégal de l’administrer à d’autres personnes qu’à celles qui ont foi dans l’« épreuve» par le poison. — 7 4 —

3. Portage.

Les cinq comtés constituent une bande de littoral dont la largeur est de quarante milles environ. Personne n’est autorisé à se rendre dans l’intérieur du pays, au-delà des limites de cette bande de territoire, sans une permission spéciale du Président de la République. Rien ne peut donner un meilleur exemple de cette politique de la « porte fermée » qui semble ren­ contrer tant de faveur au Libéria. Les dispositions du « Règlement intérieur » tendent également à empêcher les indigènes de sortir de leur secteur. Tant qu’on appliquera une telle politique, il est impossible que les produits du pays puissent arriver jusqu’aux ports du littoral ou que les marchandises puissent parvenir dans les régions de l’intérieur. Ainsi s’explique pourquoi le portage rémunéré soit pour des fins commerciales, soit pour des fins privées, est presque inconnu dans le pays. Le nombre de porteurs alloués aux fonctionnaires de l’Etat a été récemment augmenté, et l’on a fait preuve d’une très grande générosité à cet égard, car au Libéria, comme dans un grand nombre d’autres parties de la côte occidentale, tous les fonctionnaires ou personnes de marque sont portés en hamac ; cette coutume est peut-être une survivance du temps où les chefs étaient des hommes d’importance et ne se déplaçaient jamais sans de grandes manifes­ tations d’apparat et d’autorité. Le transport des hamacs est une source continuelle d'ennuis pour les chefs et pour le peuple ; pour les chefs, parce qu’ils peuvent être appelés à l’improviste à fournir un certain nombre d’hommes pour transporter les hamacs, et pour le peuple, parce que ce travail est tout particulièrement pénible, jamais rémunéré et que les porteurs sont maltraités et considérés comme des bêtes de somme sur la route. Tous les indigènes savent que, dans d’autres régions de l’Afrique occidentale, les porteurs de hamac sont toujours payés beaucoup plus que les porteurs ordinaires. De plus, les pistes de l’Afrique occidentale dans les régions équatoriales, par suite des fortes pluies, sont ravinées par l’eau au point d’être dange­ reuses, et les pistes de l’intérieur du Libéria semblent à cet égard être plus mauvaises qu’ailleurs. Par-dessus le marché, rien ne garantit en général au chef que la personne qui voyage avec un hamac soit réellement un fonctionnaire ayant droit à des porteurs. Mais, comme les fonction­ naires sont presque les seules personnes qui se déplacent dans le pays et que les Américano- Libériens seuls sont fonctionnaires, il est obligé de trouver des hommes et, assez fréquemment, à défaut d’un nombre suffisant d’hommes, de leur adjoindre des femmes. Au cours de leur voyage, le long du littoral Kru, les membres de la Commission apprirent à Fishtown que deux hommes, apparemment des Américano-Libériens, avaient passé la veille, en déclarant qu’ils étaient les membres de la Commission d’enquête et qu’il fallait leur fournir des porteurs de hamac. Le chef semblant hésiter, ils se saisirent de deux femmes du village et eurent par ailleurs une conduite tellement répréhensible qu’il leur trouva des porteurs « afin de se débar­ rasser d’eux ». Sur le littoral, déclara le chef, ceci arrive très souvent. Si l'on continue de suivre la politique actuelle de restrictions, il se passera longtemps avant que le programme de construction des routes puisse exercer quelque effet sur l’habitude de transporter les fardeaux sur la tête.

B. TRAVAIL FORCÉ POUR LE COMPTE D’ENTREPRISES PRIVÉES.

1. Fermes de l’Etat et fermes appartenant à des particuliers. 2. Sociétés et compagnies. « Firestone Plantation Company. » On fait partout une distinction très nette entre le travail forcé pour des fins d’intérêt public et le travail forcé pour le compte d’employeurs privés ; la Convention de l’esclavage accentue cette différence. De plus, il semble universellement convenu que, dans le second cas, le travail forcé ne peut être autorisé. Presque tous les actes législatifs qui ont trait à la question du travail forcé l’interdisent pour cette fin. Néanmoins, au Libéria, il semble que cette pratique soit toujours d’usage courant. Il y a vingt ans, cette question était un sujet habituel de dis­ cussion dans les milieux administratifs de l’Afrique tropicale et même en dehors de l’Afrique. A cette époque, les diverses politiques coloniales dépendaient en grande partie des moyens utilisables pour encourager les plantations et autres entreprises et pour exploiter l’indigène à l’avantage de l’employeur qui cherchait surtout à gagner de l’argent et à quitter le pays, une fois fortune faite. L’Administration était continuellement assaillie de demandes, toutes les mêmes : « Obligez les indigènes à travailler sur nos fermes. » Les cas d’abus et de mauvais traitement devenant de plus en plus nombreux et engageant fréquemment la responsabilité du Gouvernement, il fallut procéder à une nouvelle étude du problème et reviser radicalement les méthodes adoptées jusque là. On découvrit alors le nœud même du problème ; on se rendit compte que les Européens ne pouvaient pas s’établir d’une façon permanente dans l’Afrique tropicale et coloniser le pays, même dans les régions situées à une grande altitude ; on comprit qu’il leur était impossible de réussir dans leurs entreprises ou de mettre en valeur les régions de l’intérieur sans le concours bénévole de la population indigène. C’est alors qu’on fit passer au premier plan la question de l’instruction et de la civilisation des indigènes et que la politique d’assistance officielle aux employeurs privés fut abandonnée définitivement et sans retour. L’existence d’un grand nombre de « dépendances » prospères là où, auparavant, il n’y avait que des « colonies » qui végétaient montre combien on a eu raison d’adopter cette nouvelle politique et de persévérer dans cette voie. — 75 —

i. F e r m e s d e l ’E ta t e t f e r m e s appartenant a d e s particuliers . Il n’existe apparemment, dans la République, aucune ferme ou plantation de l’Etat. Il y a un ou deux ans, sur la demande du Président King, une ferme modèle a été créée près de Monrovia ; mais peu de temps après, il a été signalé que la tentative avait échoué. Deux expériences du même genre ont été encore tentées dans d’autres régions, mais ont dû être également abandonnées au bout de peu de temps. D’autre part, il semble ressortir des constatations faites par la Commission et des témoi­ gnages qui lui ont été apportés que la plupart des hauts fonctionnaires du Gouvernement dirigent des entreprises ou des plantations pour la culture du riz. L’absence presque totale de situations en dehors des carrières officielles est incontestablement la raison pour laquelle un grand nombre de fonctionnaires songent, pendant qu’ils sont au pouvoir, à acquérir au moins une maison en ville ou une « ferme ». Lorsque la main-d’œuvre nécessaire à l’exploitation de ces fermes exige une mise de fonds pendant plusieurs années avant qu’elles ne donnent des bénéfices, comme dans le cas du caoutchouc, qui est susceptible de remplacer le café en tant que production principale du pays, la tentation est grande d’employer de la main-d’œuvre réquisitionnée et non payée, de telle façon que, du moins aux yeux des indigènes, ce travail ne se distingue pas du travail effectué pour le compte de l’Etat. A Kakata et au cours des séances de la Commission qui ont eu lieu à Monrovia, il a été souvent fait mention du Commissaire de district Carter, du Secrétaire Morris, du Président King, du Secrétaire Harris et d’autres haut-fonctionnaires, comme possédant de vastes plantations de caoutchouc, de café, de cacao ou des fermes consacrées à la culture du riz et des légumes. Un grand nombre d’hommes, qui se sont présentés pour faire part à la Commission de ce qu’ils savaient, avaient travaillé dans les fermes appartenant à ces messieurs et, s’imaginant qu’il s’agissait de travail pour le compte de l’Etat, n’attendaient aucun salaire. Dans le comté de Maryland, la situation est identique, notamment dans le voisinage de Cap Palmas. Non seulement les fonctionnaires du Gouvernement possèdent en propre des fermes pour l’exploitation desquelles ils emploient de la main-d’œuvre indigène non payée, mais encore il arrive souvent, a-t-on déclaré, qu’une fraction importante des hommes réqui­ sitionnés pour travailler sur les routes publiques est répartie entre ces fermes privées. Les noms du Vice-Président Yancy, du Rév. Cummings, du Sénateur Macborough, de l’Inspecteur Brooks, de M: " Yancy et d’un certain nombre de surveillants des travaux effectués sur les routes ont été très souvent prononcés comme étant ceux de propriétaires fonciers. Les propriétés appartenant à M. Yancy semblent être nombreuses et vastes. Un grand nombre d’indigènes n’ont cessé d’attester devant la Commission qu’ils avaient personnellement travaillé dans l’une ou l’autre de ces fermes, et la Commission s'est demandé comment, malgré une aussi sérieuse réduction de la main-d’œuvre disponible provoquée par les demandes incessantes de travailleurs pour les routes et d’hommes pour Fernando Po, ces plantations peuvent être cependant ali­ mentées en travailleurs. Si les extraits suivants de dépositions expliquent ce mystère, il semblerait que rien ne peut empêcher des personnes influentes auprès des fonctionnaires de l’Etat de s’essayer à exploiter une ferme, ou les fonctionnaires de l’Etat de se livrer au trafic de la main-d’œuvre mise à la disposition de l’Etat. Comté de Montserrado. 68. « Ils disent maintenant que nous ne devons plus travailler dans les fermes de l’Etat ; l’autre jour, quand ils ont entendu que vous alliez venir tous, ils nous ont fait cesser le travail. Ils avaient mis des soldats pour nous surveiller. Cela se passait dans la ferme du Président. Nous-mêmes, nous devions ramasser les tiges de manioc et les donner au grand chef. Le grand chef les porte à la ferme du Président. » 69. « Toutes les semaines, 250 hommes de cette section, venir ici sur cette route Quand ils ramassent tout ça, il y en a qui vont à la ferme du Secrétaire, d’autres à la ferme du Président, d’autres à la ferme du « Station Master », et ilsn ou s disent d’en amener encore. » 70. « Cette grande ferme que tu vois là, elle appartient au Président. Les travailleurs ont fait ça1. Nous envoyons 250 hommes sur la route pour travailler. Quand ils y vont, on les partage : on n’envoie pas tout sur la route. Il y en a qui vont dans les fermes. Il y en a qui vont à la ferme de David Carter, d’autres, on les envoie dans la forêt couper des noix de palme. » 71. « Ils m’ont pris, m’ont attaché et m’ont conduit chez le Commissaire du district et m'ont dit de donner 43 travailleurs. Quand ils ont eu les 43 travailleurs, le travail qu’ils ont fait pour le Commissaire, tu vas le voir dans sa ferme. » Comté de Maryland. 72. « Ces hommes qui vont sur la route, ils sont employés dans des fermes privées. Ils sont envoyés à la ferme du Vice-Président Yancy. Sur les douze hommes envoyés de cette section, six sont allés sur la route, les six autres dans la ferme du Vice-Président Yancy. » 73. « Tous les hommes qui vont travailler sur la route ne travaillent pas effectivement sur la route. Ils travaillent dans des fermes appartenant à des particuliers. Quand nous allons maintenant, au lieu de travailler à la route du Gouvernement, ils nous disent : « Les uns vont à la ferme de Yancy, d’autres vont à la ferme de la femme de Yancy. » Tous te diront la même chose. Travailler dans sa ferme et dans la ferme de sa femme aussi, sans nourriture, sans salaire. »

1 Peu après la signature du rapport, les membres de la Commission apprirent que la ferme attenante à la maison de Kakata dans laquelle la Commission avait passé plusieurs jours et qu’il avait été dit appartenir au Président King n'était pas en fait sa propriété particulière, mais la propriété du Gouvernement. 6 — 76 —

74- « Nous faisons son travail et le travail de sa femme, au lieu de la route (c’est- à-dire qu’ils travaillent à la ferme de Yancy et à la ferme de sa femme). Nous, pas faire un autre travail que pour Yancy et sa femme. Il n’y a pas de différence entre les amendes pour la route et les amendes pour ne pas travailler dans les fermes privées. Les hommes qui s’enfuient de la ferme indigène, la même chose que ceux qui ne travaillent pas sur la route, ils ont la même amende. » 75. « Quelques-uns des hommes vont dans les fermes, quelques-uns sur la route. Il y a une séparation régulière pour cela. C’est-à-dire, le même nombre qui va travailler dans les fermes doit aller sur la route. Quand nous arrivons là, on fait la séparation. Quand Yancy venir dans notre pays, lui séparer les hommes en trois parties : un tiers pour aller sur la route, un tiers à la ferme de Yancy et l’autre tiers à la ferme de la femme de Yancy. Dans la ferme de Yancy, ils travaillent à sa propre plantation de caoutchouc. Après tout ce travail, lui leur donner rien du tout. » 76. « Quand ces hommes sont appelés pour aller sur la route, ils n ’y vont pas, sur la route, mais dans des fermes privées. Les uns font les porteurs de hamacs, les autres nettoient le manioc. » 77. « Quand les travailleurs ont fini travailler sur la route, il (Yancy) renvoyait tout le monde à sa ferme à Philadelphie et à Konekre, couper des tiges, etc., pendant que les travailleurs là-bas devaient apporter leur manger, et si tu en donnes, tu dois envoyer en chercher encore. Ça s’est fait pendant un mois, environ un an après ils avaient fini travailler là-bas. Jeffrey Harris a appelé les chefs de Barrobo à Webbo. Il leur a dit, le Président King dit falloir débroussailler pour ferme pour le gouverneur et ce sera des casernes pour les militaires et un bâtiment civil. Alors les chefs d’accord. La ferme a été débroussaillée ; après, elle a été brûlée. Alors il a envoyé l'ordre que chaque Grand Chef doit trouver du riz pour planter. C’était environ 100 hommes. Alors les fem­ mes de Webbo cultivent la feime. Lui envoyer ordre au Chef de Barrobo qui doit envoyer des hommes pour faire attention aux oiseaux. Pour arracher les mauvaises herbes du riz, même nombre d’hommes, cent. Pour récolter le riz, même nombre d’hommes. Quand ces travailleurs vont à Nyaake travailler dans cette ferme du Gouvernement, ils emportent leur nourriture. En faisant attention aux oiseaux dans les champs de blé de la ferme du Gouvernement, si les hommes par hasard cueillaient un épi et le mangeaient, amende £1. Ça a duré deux ans de rude travail de cent hommes de Webbo. (Explication : en même temps que la ferme du Gouvernement était exploitée, la route allant de Harper à Plebo était en cours de construction.) Lorsque le Commissaire Jeffrey Harris est venu comme Commissaire, il n’a pas donné aux indigènes le temps de travailler aux récoltes de riz. Et puis les « Station Masters » de Barrobo ont donné un autre ordre que la ferme du Gouvernement devait être divisée chez le «Station Master ». Cela a fait deux fermes. Cette année-là, Barrobo a donné 300 hommes au Gouvernement. » 78. « Alors le Commissaire de district Harris a envoyé chercher le Grand Chef de Nyabo. Quand le Grand Chef est venu alors il dit : « Je veux une ferme du Libéria pour le Gouvernement. » Le Grand Chef a envoyé 40 hommes travailler dans la ferme du Gou­ vernement. Parfois dans ce travail, quand une branche tomber sur un homme et lui mourir et eux crier devant le commissaire du district lui dire : «Travail du Gouvernement ». « Quand la ferme a été brûlée, le Chef a ordonné d’apporter du riz pour semer. Après Jeffrey Harris, est venu un autre commissaire, Allen N. Yancy. M. Allen dire faut « couper » la ferme du Gouvernement. Recommencer. » 79. « Un grand nombre de mes hommes ont été forcés de travailler dans les fermes privées appartenant à des fonctionnaires du Gouvernement. Ils ont été forcés de travailler à la ferme de M. Yancy. « Sur les 20 hommes que je fournis pour travailler sur la route, 10 hommes vont sur la route et les dix autres vont dans la ferme de M. Yancy. » 80. « Souvent quand les hommes sont envoyés sur la route, ils sont partagés et quel­ ques-uns sont envoyés dans les fermes. En fait, M. Yancy les conduit où il lui plaît. » 81. « Les fermes de M. Yancy ont meilleur aspect que la route du Gouvernement où nous avons travaillé. La main-d’œuvre pour sa ferme est tirée de la main-d’œuvre fournie pour travailler sur la route du Gouvernement. Maintenant, en dehors de M. Yancy, il y a beaucoup d’autres Libériens qui ont des fermes et qui prennent des hommes sur la route à volonté : Le Rev. Cummings, l’Hon. McBorough, le Gouverneur Brooks, M. Smith et plusieurs autres. Moi-même j’ai travaillé dans les fermes de M. Yancy et de M. Mc­ Borough. D’habitude, nous taillons les fourrés, nous nettoyons et nous plantons. Nous venus de Garroway cette fois nous étions vingt et il nous a tous pris dans la ferme où nous sommes restés une semaine à travailler pour lui. On ne nous demande pas de dire où nous voulons aller, on nous appelle simplement et on nous partage comme il plaît à M. Yancy. Les hommes qui restent après le partage peuvent aller ailleurs. Nous allons tous nous inscrire à sa maison de Cap Palmas, là il nous répartit nous autres qui allons à Fernando Po, nous faisant travailler dans sa ferme jusqu’à l’arrivée du bateau espagnol, avant de nous expédier à Fernando Po. » 82. « Quand les hommes sont envoyés pour travailler sur la route, ils doivent tra­ vailler dans la ferme de M. Yancy, de M. Brooks et dans plusieurs fermes appartenant à des Libériens. Quand les hommes s’en vont d’ici pour travailler sur les routes, ils vont à la maison de M. Yancy et alors nous sommes partagés, les uns vont à la ferme et le reste sur la route. » — 7 7

Dans le district N° 5, à la fois les chefs et les hommes ont fait souvent allusion à des fermes exploitées par le Commissaire du district et semblaient croire qu’il s’agissait de fermes sous la dépendance du Gouvernement. Toutes les fois qu’il arrivait quelque chose d'imprévu à un travailleur, pendant qu’il était employé dans l’une de ces fermes, par exemple lorsqu’il était blessé, ce dernier était toujours consolé par l’affirmation suivante : « C’est du travail pour le compte du Gouvernement » (et, par conséquent, la faute ne retombait sur personne). Les indigènes du district N° 5 se sont plaints fréquemment qu’en plus du travail pénible qu’ils fournissent pour le compte du Gouvernement, lorsqu'ils ont, par exemple, à cultiver et à préparer une grande quantité de riz pour le Commissaire du district et pour les casernes, ils sont obligés d’assurer également l’exploitation des fermes du Gouvernement consacrées à la culture du riz, et, s’ils sont en retard d’un seul jour dans la livraison des quantités mensuelles qu’ils ont à fournir, ils sont punis d’une amende Dans une situation aussi douteuse, c’est encore le Gouvernement qui est, naturellement, accusé d’abus auxquels il ne participe pas effectivement, en tant qu’affaires du ressort de l’Etat.

2. S o c ié t é s e t c o m p a g n ie s .

Actuellement, pour autant que la Commission le sache, aucune compagnie ou société, soit agricole, soit minière, sauf la Compagnie des plantations Firestone, ne possède de terres ou d’intérêts quelconques dans le pays, en dehors des comptoirs du littoral qui sont d’un carac­ tère exclusivement commercial. La politique de la « porte fermée » et la crainte de voir s’établir l’homme blanc a, jusqu’ici, été suffisamment efficace pour empêcher l’exploitation des produits du sol ou du sous-sol, sauf dans le cas déjà cité de la « Firestone Rubber Company Ltd. » dont I sera question sous une rubrique séparée.

La Compagnie des plantations Firestone.

La Compagnie des plantations Firestone est la seule grande entreprise privée au Libéria. II s’agit là d’une tentative de grande envergure et quelque peu audacieuse, en matière de culture du caoutchouc, née en grande partie en raison des inconvénients qu’offrait, pour les consommateurs américains de caoutchouc, l’existence virtuelle d'un monopole mondial détenu surtout par des sociétés pour la culture du caoutchouc qui se trouvaient sous le contrôle britannique et hollandais. Les recherches effectuées dans l’Amérique du Sud et l’Amérique Centrale, pour y découvrir des régions se prêtant au développement de la culture du caoutchouc dans de vastes proportions, n’ayant pas donné de résultat, l’attention s’est alors portée du côté du Libéria où une première expérience, tentée en 1907 par la « Liberian Rubber Corporation », avait laissé la petite plantation de Mt. Barclay, d’environ 1.000 acres, qui constituait un noyau utile d'études. En outre, les relations paternelles qui unissent le Gouvernement américain à la République de Libéria depuis sa fondation, grâce à l’activité de l’« American Colonisation Society », cons­ tituaient une autre raison en faveur du choix du Libéria comme terrain de cette expérience. L’appauvrissement de ce petit Etat nègre indépendant, riche de ressources non exploitées, mais écrasé par des emprunts qui rapportaient peu de profit à l'ensemble de la population, les luttes de ce pays pour empêcher une agression territoriale, en un mot, toutes ces circonstan­ ces ont eu leur répercussion sur la compagnie à ses débuts, alors que le Gouvernement de la République ex geait d’elle, d’une part, des garanties contre tout contrôle injustifié sur les affaires administratives et, d’autre part, une protection pour les millions qui allaient être risqués dans une tentative où il serait, pour ainsi dire, impossible de les récupérer. Toutefois, ces mesures de précaution et de garantie ont été le plus souvent désavantageuses, et la situation politique existante a donné lieu à des irrégularités et à des malentendus fréquents. Dans l’accord finalement conclu, le Gouvernement accordait à la Compagnie un bail pour une période de quatre-vingt-dix-neuf ans sur une superficie d’un million d'acres, ou toute autre de moindre étendue, à choisir de temps à autre pendant ladite période ; la compagnie comme telle était exempte de toute imposition sur tous les produits de la plantation, sur l’ou­ tillage, les améliorations de tout genre, les intérêts du bail, etc., sauf un impôt sur les revenus, l’« Emergency Relief Fund » et l’impôt sur les véhicules ; la compagnie avait, en outre, droit à tout le bois coupé, à condition qu’il ne fût pas vendu, auquel cas elle devait payer au Gou­ vernement une redevance déterminée ; le droit de se livrer dans le pays à toute opération autre que les opérations d’un caractère agricole, à condition que, dans le cas d’entreprises minières et autres du même genre, la Compagnie se conformât aux lois de la République en vigueur quant aux concessions minières ; le droit d’installer et d’utiliser sa propre usine hydrau­ lique et hydroélectrique ; le droit de construire et d’entretenir sur tout le territoire du Gouvernement des lignes de transport de courant reliant des points déterminés, et des voies de communication pour son propre usage, mais ne devant pas servir pour les transports en commun ; le droit d’accès, moyennant un tarif de faveur, à tous les ports et à certains secteurs desdits ports ; le droit de protection et de défense du titre de la Compagnie, enfin, aide et assistance du Gouvernement pour assurer et pour maintenir la quantité de main-d’œuvre nécessaire. La Compagnie avait promis au Gouvernement de choisir et d’exploiter d’année en année des terrains se prêtant à la culture du caoutchouc et d’autres produits agricoles, en quantités convenables et d’un rendement économique sûr elle s’engageait à payer à l’avance un loyer minimum annuel de 6 cents par acre pour le terrain choisi et, au bout de six ans, un impôt sur le revenu équivalant à un pour cent de la valeur de tout le - 7 8 -

caoutchouc et des autres produits commerciaux expédiés, calculée d’après leur valeur marchande au moment de leur arrivée aux Etats-Unis ; le Gouvernement avait le privilège de fixer et de percevoir, en vertu des lois de la République, des droits sur les employés de la Compagnie jusqu’à concurrence du nombre moyen d’hommes employés au cours de l’année. La Compagnie s’engageait à ne pas faire venir de la main-d’œuvre du dehors, à moins que la main-d’œuvre locale ne fût insuffisante et, dans ce dernier cas, l’assen­ timent du Gouvernement du Libéria était nécessaire ; de même, elle s’engageait à ne jamais vendre ou transférer les droits qui lui étaient conférés par l’accord, sans avoir obtenu, au préalable, le consentement écrit du Gouvernement. Elle reconnaissait au Gouvernement le droit de construire toutes lignes de transports et de télégraphe à travers ses plantations, moyennant dédommagement pour les seuls dommages causés aux biens de la Compagnie ; elle s’engageait à exclure et à respecter toutes les réserves fixées par le Gouvernement pour les tribus, et à remettre au Gouvernement, à l’expiration ou en cas de rupture du contrat, tous les bâtiments et autres améliorations se trouvant encore en place au moment de l’expiration ou de l’annulation du contrat. La Compagnie proposait d’user de son influence pour obtenir soit des Etats-Unis, soit, avec l’approbation du Secrétaire d’Etat de ce pays, d’une autre personne ou d’autres personnes, un emprunt ne dépassant pas $5.000.000 et devant servir à des améliorations d’ordre public ; les conditions de cet emprunt devaient être approuvées par la législature du Libéria. Le fait que les travaux préliminaires entrepris par la Compagnie au Libéria ont eu un caractère hâtif, le fait que ses employés n’étaient pas familiarisés avec le genre de vie en Afrique, qu’ils disposaient d’un outillage et d’un équipement peu propres aux besoins, enfin, leur manque d’expérience dans la surveillance d’une main-d’œuvre primitive, toutes ces circonstances ont contribué à créer des difficultés qui n’ont pu être surmontées qu’après beaucoup de mois. En outre, les appréhensions du Gouvernement touchant un affaiblissement possible de son influence auprès des indigènes et la crainte d’être entraîné dans des obligations financières ont donné lieu à l’adoption de mesures dont l’application a soulevé de nombreuses difficultés, à la fois pour la Compagnie et pour le Gouvernement, notamment en ce qui concerne les dispositions de l’accord relatives aux « garanties » réciproques. Ces dispositions sont les suivantes : En ce qui concerne la Compagnie, la suggestion d’un emprunt qui aurait pour effet d’annu­ ler d’anciennes obligations empêchant tout développement et d’aider à l’adoption d’amélio­ rations d’ordre public, comme première mesure en vue de créer une atmosphère favorable au placement de millions non récupérables ; l’arbitrage des différends par un Comité de trois membres, un membre étant choisi dans le Gouvernement du Libéria, un autre dans la Com­ pagnie et un membre étant neutre ; enfin, une garantie contre la concession à une autre com­ pagnie de conditions plus favorables, auquel cas les bénéfices reviendraient à la Compagnie. En ce qui concerne le Gouvernement, il était entendu que la Compagnie n’aurait pas à son service plus de 1.500 employés blancs ; tout terrain dont le loyer ne serait pas payé ou à propos duquel la Compagnie ne tiendrait pas ses engagements ferait retour au Gouvernement ; l’absence de travaux pendant trois années consécutives éteindrait les droits de la Compagnie sur les lots de terrain déterminés ; enfin, le Gouvernement réglementerait officiellement l’afflux de la main-d’œuvre. La dernière de ces garanties semble être celle qui doit intéresser la Commission dans son enquête. En 1912, il avait été créé, sous les auspices du Département de l’Intérieur, un Bureau du Travail ayant pour but de « réglementer et de contrôler la situation de la main-d’œuvre, de procurer des travailleurs et de protéger les droits des travailleurs engagés par des Libériens et des étrangers sur le territoire de la République ». En outre, les dispositions suivantes étaient prises : tous les contrats conclus entre employeurs et employés devaient être passés par devant témoins ; il devait être créé des « Agents du Travail » (Labour Agents) ; les chefs devaient être encouragés à fournir le nombre de travailleurs nécessaires pour les travaux à exécuter dans les cultures et autres entreprises industrielles ; des registres exacts, pour l’inscription de ces transactions, devaient être tenus ; des garanties devaient être prises d’un commun accord relativement aux salaires, aux allocations et aux conditions du travail, enfin le paiement de ces gages devait être exigé des employeurs. Dès 1912, il avait été reconnu que ces mesures comportaient des dangers, et la section XI de cette loi stipule qu’« aucune disposition de la présente loi ne sera interprétée comme obligeant les travailleurs à s’engager à travailler uniquement aux termes de cette loi ». Ce bureau, bien que créé en 1912, n ’a commencé à fonctionner qu’en 1926, date à laquelle il a été considéré par le Gouvernement comme un moyen de réglementer et de contrôler l’afflux de main-d’œuvre en provenance de l’intérieur et que les nouvelles plantations Firestone promettaient d’engager en grande quantité. Des Agents du Travail devaient être désignés par le Président, et chaque employeur engageant un travailleur était tenu de verser une rede­ vance qui ne devait pas être prélevée sur les salaires ; de même, une redevance était due aux chefs de village et aux chefs d’équipe (headman) pour chaque travailleur fourni à un Agent du Travail. Lorsque l’accord fut signé, il devint évident que c’était là l’instrument devant servir de garantie au Gouvernement, à la fois dans l’établissement et dans le maintien de son contrôle sur la population de l’hinterland, qui, jusque là, n’avait été exposée à aucun contact avec une organisation industrielle moderne. Toutefois, en 1926, la compagnie proposa, de son siège situé à Akron, une « interprétation supplémentaire » de l’article de l’accord visant la fourniture d e la main-d’œuvre. Cette interprétation stipulait que la Compagnie aurait le droit d’employer autant de travailleurs qu’elle pourrait recruter et qui se présenteraient d’eux-mêmes à la Compagnie pour y trouver de l’emploi, sans que les travailleurs fussent tenus au p ré a la b le — 7 9 —

d’obtenir une autorisation du Gouvernement ou de se faire enregistrer auprès de celui-ci. La Compagnie proposait, en outre, que le travailleur fût libre de discuter avec elle son salaire et les conditions de son engagement et que la Compagnie eût le droit de rompre cet engagement à son gré et selon ses convenances. « Nous tenons à signaler au Gouvernement », déclare ce mémorandum, « que le succès de notre extension au Libéria dépend largement de l’organisation d’une main-d’œuvre per­ manente et satisfaite. Un tel résultat n’est possible que grâce à des engagements libres et sans restrictions, et à des salaires et conditions susceptibles de convenir aux travailleurs eux-mêmes. » La compagnie faisait cependant la proposition suivante : Toutes les fois que le Gouver­ nement, sur sa demande, lui fournirait de la main-d’œuvre, la Compagnie paierait un cent au Gouvernement, un demi-cent au grand chef et un demi-cent au chef, par jour de travail et par homme ainsi fourni. Quels qu’aient été les résultats de cette interprétation, il est évident qu’au cours des premières années de l’exploitation, elle a donné lieu à de nombreux malentendus en même temps qu’à de nombreuses confusions de la part des indigènes, entre le travail pour le compte de la Compagnie et le travail pour les besoins du Gouvernement. En 1927, les travailleurs fournis à la Compagnie par l’intermédiaire du bureau du Gouvernement représentaient, environ 10% de la main-d’œuvre totale, d’après M. Ross, le directeur, le reste étant constitué par des travailleurs qui se présentaient d’eux-mêmes ou qui étaient recrutés par la Compagnie elle-même, d’abord avec l’appui de chefs d’équipe et de travailleurs indigènes, plus tard grâce au personnel américain de la Compagnie. C’était la période consacrée à l’ins­ tallation des machines, aux constructions et aux travaux d’amélioration, menés de pair avec les premiers défrichements du sol en vue de la culture du caoutchouc. L’accord demeura en vigueur pendant quatre mois, puis fut annulé. Toutefois, le Gouvernement établit ensuite des restrictions quant au nombre de travailleurs pouvant être recrutés dans chacun des districts de l’hinterland. Il s’agissait là d’une mesure de précautions contre une perturbation par trop grande de la vie indigène. En effet, étant donné que la main-d’œuvre dont le Gouvernement avait besoin pour les routes et pour le transport des fardeaux n’était pas payée, le recrutement d’hommes par la compagnie pour un travail payé risquait de limiter le nombre des hommes à la disposition du Gouvernement. Par exemple, dans le district N° 5, en novembre 1928, alors qu’un agent recruteur de la Compagnie cherchait des travailleurs, le Commissaire de district engageait en même temps de la main-d’œuvre à destination de Fernando Po, tandis que le Gouvernement faisait construire de grandes casernes à Barrobo (Camp King) ; tous les secteurs étaient occupés aux plantations de riz, car ils étaient tenus de fournir 90 couffins de riz par semaine pour la nourriture des soldats. Malgré la nécessité de gagner un peu d’argent pour couvrir l’insuffisance de la production de riz, les hommes ne pouvaient obtenir du Commissaire du district la permission d’aller travailler dans la plantation. L’aspect le plus important de cette nouvelle politique a été le transfert du contrôle direct de l’enregistrement de la main-d’œuvre et du recrutement par la Compagnie du Bureau du Travail aux Commissaires de district éloignés et hors de portée. Ces Commissaires exigeaient, avec l’assentiment du Gouvernement, une redevance d’un demi-cent par homme et par jour, et cet usage a fait l’objet de l’une des réclamations les plus vives de la part des indigènes. Le Commissaire du district N° 1 déclarait : « Si nous ne limitions pas l’enrôlement des hommes qui vont travailler à la Compagnie Firestone, il y en aurait tellement qui iraient dans les plantations qu’il ne resterait plus personne pour répondre aux besoins du Gouvernement. » Ayant reçu, de travailleurs récemment employés, des plaintes d’après lesquelles un grand nombre d’hommes de la même tribu, au lieu de travailler pour le compte de la Compagnie, avaient été refoulés par des fonctionnaires de l’intérieur, alors qu’ils traversaient le district N° 2, le directeur général de la Compagnie a adressé, le 31 août 1929, la lettre suivante au Com­ missaire de ce district :

« Nous recevons, des chefs d’équipe qui nous amènent des hommes des districts N° 1 et N° 2, des plaintes d’après lesquelles ils sont arrêtés par vos ordres lorsqu’ils arrivent à Gbanga, et les hommes sont renvoyés chez eux. Avant de commencer la campagne de cette année, j’ai reçu l’assurance du Président de la République et du Secrétaire de l’Intérieur que nous n’éprouverions aucune difficulté à obtenir de la main-d’œuvre et voici que, dès le début des travaux, nous recevons déjà des plaintes. »

En décembre 1929, le Commissaire du district N° 4 a avisé la Compagnie qu’il y avait 300 hommes qui voulaient aller travailler chez Firestone et que, s’il ne recevait pas person­ nellement une certaine somme d’argent, il ne leur accorderait pas l’autorisation et les enverrait à Fernando Po. Dans les districts 4 et 5 notamment, la main-d'œuvre de l’intérieur a été pratiquement retenue de force et l’on sait que, dans certains cas, cette main-d’œuvre a été proposée au plus offrant. S’il s’agissait d’une question de salaire pour le travailleur, la situation ne serait pas considérée comme aussi grave. Toutefois, il semble que les bénéfices reviennent presque entiè­ rement aux fonctionnaires de l’intérieur. Les déclarations des travailleurs et le caractère même de la situation fournissent la preuve que les travailleurs recrutés par l’intermédiaire du Gouvernement n établissaient aucune distinction entre le travail pour la Compagnie Firestone et d’autres recrutements pour le compte du Gouvernement. En outre, ils établissaient une distinction très nette entre le fait de se présenter d’eux-mêmes chez Firestone et le fait d’y aller par ordre du Gouvernement ou du Commissaire de district. Pendant le séjour des membres de la Commission à Kakata, un groupe de 60 hommes a été amené dans les campements. Il s’agissait, apparemment, d hommes recem- — 8o —

ment engagés qui avaient été officiellement recrutés dans l'intérieur et qui, à l’exception de deux d’entre eux, ne savaient rien du genre de travail effectué à la Compagnie ou de ses méthodes. Question. — D’où viens-tu ? Réponse. — Sanoye. Question. — Quel est le nom de ton grand chef ? Réponse. -— Gbilie. Question. — Quel est le nom du Commissaire de district ? Réponse. — David Carter. Question. — Qui sont ces hommes ? Réponse. — On les recrute à Naama pour aller travailler chez Firestone. Question. — Qui les recrute ? Réponse. — Le grand chef. Question. — Leur a-t-il dit pourquoi faire on les recrutait ? Réponse. — Nous travaillons pour pas d’argent. Question. — Est-ce que ces hommes veulent aller travailler ? Réponse. — Non, ils refusent d’aller. Question. — Est-ce qu’un de ces hommes a travaillé pour Firestone auparavant ? Réponse. — Oui, j’y ai travaillé moi-même. (A ce moment, les membres de la Com­ mission ont demandé à tous les hommes qui avaient travaillé chez Firestone de sortir des rangs, bien en vue ; deux hommes se sont présentés.) Question. — Est-ce qu’ils recevaient un salaire ? Réponse. — Quand ils y vont d’eux-mêmes, on les paie, mais quand on les recrute, pas de salaire. Question. — As-tu jamais travaillé chez Firestone auparavant ? Réponse. — J ’y ai été de moi-même et on m’a payé. Question. — Quand le grand chef vous a envoyés, qu’est-ce qu’il vous a dit ? Réponse. — Il a dit que nous devons aller chez Firestone. Question. — Est-ce qu’il vous a donné des papiers ? Réponse. — Non, il nous a seulement dit d’aller là-bas travailler. Il ressort de cet exemple, comme d’un grand nombre d’autres, que, faute d’accès au travail par l’intermédiaire des agents recruteurs de la Compganie, et en raison de la limitation du mouvement des indigènes d’un secteur à l’autre, à moins d’une autorisation du Commissaire de district, les travailleurs n’avaient aucune latitude pour choisir leur travail, pas plus que la Compagnie pour choisir ses travailleurs. Un autre chef d’équipe a fait la déposition suivante : « Quand la route est arrivée, nous portons la route à un autre secteur. Quand nous avons commencé là-bas, ils ont commencé à nous battre. Le temps des cultures est arrivé et, maintenant, ils disent que nous devons aller plus vite. Ils m’ont donné 80 travailleurs pour les conduire chez Firestone. » Question. — Est-ce que les hommes y sont allés ? Réponse. — Non. Question. — Pourquoi ne veulent-ils pas y aller ? Réponse. — Parce que, quand nous allons, nous ne pouvons recevoir aucun salaire. Question. — S’ils y vont de leur propre volonté, est-ce qu’on les paie ? Réponse. — Oui ... Quand nous venions, ils nous donnaient 46 couffins de riz pour l’apporter. Question. — Où est le riz maintenant ? Réponse. — Chez le commissaire de district. Question. — A quoi sert-il ? Réponse. — Riz du Gouvernement. » Un autre chef a déclaré : « Je n’ai pas envoyé d’hommes de mon secteur chez Firestone, mais le Commissaire de district a obligé d’autres secteurs à envoyer des hommes chez Firestone. » Question. — Pourquoi le Commissaire de district n’a-t-il pas obligé ton secteur à envoyer des hommes chez Firestone ? Réponse. — Mon tour n’est pas encore venu. Question. — Est-ce que les hommes aiment aller chez Firestone ? Réponse. — On les envoie là-bas pour trois mois. x — 8 i —

Un homme qui avait travaillé chez Firestone, a déclaré : « Le Commissaire va et demande des travailleurs, on lui donne ces travailleurs, pensant qu’ils doivent travailler pour le Gouvernement, mais le commissaire les envoie chez Firestone. Le Commissaire du district envoie des messagers au chef et lui fait dire que c’est son tour d’obtenir des travailleurs. » Question. — As-tu travaillé chez Firestone ? Réponse. — Oui. Question. — Combien te payait-on par mois ? Réponse. — Parfois, je reçois 4 dollars en espèces et 2 dollars en riz. Question. — Comment y es-tu allé ? Réponse. —- J ’étais volontaire. Question. — Qu’est-ce qui te déplaît chez Firestone ? Réponse. — Quand j’ai envie d’aller chez Firestone, j’y vais.

Un chef de Sodokeh, dans le comté de Maryland, a formulé, en présence de la Commission, la remarque suivante : « Nous aimons travailler pour M. Firestone et pour tout homme qui nous paie notre travail. La raison pour laquelle nous n’aimons pas aller chez Firestone est que si M. ... (un fonctionnaire) apprend que tu travailles chez Firestone, il y va et prend l’argent pour lequel tu as travaillé. » Un chef de Barrake s’est plaint que, pour les 60 hommes qu’il a envoyés chez Firestone, à la demande du Commissaire, il n’a reçu aucun bénéfice. La Commission a souvent entendu parler de trafic de la main-d’œuvre qui était dirigée par l’agent recruteur sur les régions d’où il pouvait escompter le plus grand profit. En voici un exemple fourni par la déclaration d’un chef du comté de Maryland. « Le Commissaire Johnson appeler nous pour envoyer des travailleurs chez Firestone, alors l’Inspecteur Yancy va chez Firestone et dit aux hommes qu’il a reçu un livre (lettre) venant de la colonie anglaise Accra comme quoi ils ont besoin d’hommes. Alors, ils sont allés avec lui à Cap Palmas et il les a expédiés au Congo français. » Un autre chef du secteur de Barrobo a déclaré : « Nous recevoir un ordre du Commissaire de district d’amener 300 hommes à Nyaake. Quand nous arriver là-bas, le Commissaire de district a pris 200 pour Firestone et 100 pour la route des automobiles. ... Les deux cents pour Firestone ont été envoyés, sous la surveillance du « speaker » W.... L’arrangement entre le Commissaire de district Scott et Firestone était que ces deux cents hommes devaient travailler pour payer les taxes de Barrobo, parce qu’ils n’avaient pas d’argent et que ça prenait tant de temps pour payer. Quand le chef les a amenés, il a signé comme quoi les travailleurs devaient rester trois mois. Quand ce temps a expiré, à la surprise des chefs, après que les hommes avaient travaillé, le Commissaire du district Scott et l’inspecteur Yancy ont envoyé percevoir les taxes. Ces 200 hommes devaient travailler pour les taxes et toute somme en excédent devait aller aux chefs, plus la commission. Avant le jour fixé, le Gouverneur Yancy est allé à Firestone et a pris tout l’argent. Quand le jour fixé est arrivé, le grand chef et le « speaker » sont allés chez le directeur de Firestone pour voir s’il y avait un excé­ dent de l’argent pour payer les taxes. Quand les deux chefs sont arrivés là-bas, le directeur leur a dit qu’on leur avait donné l’argent et ils ont dit qu’ils verraient les chefs à Nyaake. Alors les chefs sont allés à Nyaake voir Scott et Yancy. Alors le chef est allé à Cap Palmas voir Yancy et on lui a dit d’aller à Webbo, parce que le Commissaire de district Scott avait l’argent là-bas. Alors ils sont allés à Nyaake, Webbo. Scott leur a dit de retourner chez eux et de payer les taxes. »

Question. — Est-ce qu’il a fourni une explication au sujet des hommes travaillant chez Firestone ? Réponse. — Alors, quand ils sont allés chez le Commissaire de district, il a dit : « Firestone a payé les hommes et les a nourris, et le riz coûte de l’argent. Ils étaient inscrits pour trois shillings chacun, mais le reste de l’argent a servi à payer la nourriture. Mais le directeur de Firestone leur a dit tout autre chose. » Dès 1927, les abus d ’un tel arrangement avaient été remarqués et l’on avait essayé d’y remédier. Un inspecteur divisionnaire de la plantation de Cavalla écrivait au directeur de la division : Division N° 6. 22 juin 1927. « Ce matin, un chef de palabre, délégué par l'un des chefs de (sz’c) de la tribu de 1 Etang, est venu ici et était sur le point de s’en aller avec environ 250 de mes travailleurs, lorsque je suis intervenu, pour la raison qu’il n’avait aucun papier ni rien qui m autorisât à lui remettre ces hommes. Il s’agit non pas d’hommes travaillant pour le compte du Gouver­ nement, mais d’hommes qui ont été recrutés individuellement et dont quelques-uns sont ici depuis six à sept mois. -— 8 2 —

« Après une conversation qui a duré près de deux heures, nous avons abouti à l’accord suivant : Il va essayer d’obtenir de son chef et de tous ses hommes qu’ils viennent ici pour y séjourner à demeure. En attendant, les hommes resteront ici et continueront à travailler comme auparavant. « J'ai appris de ce chef que ce n’est pas là une mesure du Gouvernement, mais une idée de M... et du Commissaire du district, grâce à laquelle ils pourront tirer un peu plus d’argent de la Compagnie Firestone, soit en exigeant des salaires plus élevés, soit au moyen d’un versement au comptant. « Je propose que la capitation, ou tout autre genre de taxe à payer pour les travailleurs, soit versée directement au Trésorier du Gouvernement du Libéria, et que les représentants du Gouvernement dans notre région en soient informés, si cette proposition reçoit l’assen­ timent de la Direction. « Je serais heureux de recevoir toutes suggestions concernant la conduite à tenir dans cette situation. » Les assertions réitérées des travailleurs, d’après lesquelles, lorsqu’on les recrutait pour les envoyer travailler, ils ne recevaient aucun salaire, soulèvent un problème que les membres de la Commission ont éprouvé de grandes difficultés à comprendre. L’examen des feuilles de paye de la Compagnie, dont chaque feuillet est contresigné par quatre personnes, les mentions « payé » et l’indication des distributions de riz, qui revenaient régulièrement, ainsi que le témoi­ gnage des fonctionnaires, prouvent incontestablement que chaque travailleur reçoit lui-même tous les mois son salaire. La taxe sur les huttes, payée au Gouvernement d’après le nombre de travailleurs engagés ainsi que les redevances dues aux chefs et au Gouvernement, ne sont pas déduites du salaire du travailleur. Dans le secteur de Cap Palmas, il semble que les indigènes ont eu quelque raison de se plaindre du fait d’un arrangement adopté par la Compagnie, et qui consistait à concéder par contrat le défrichement, selon la méthode des plantations de caoutchouc du « Middle East ». Le recrutement des travailleurs était assuré par les conces­ sionnaires, dont deux au moins étaient des membres influents du Gouvernement, mais les travailleurs n’étaient pas payés. La chose s’est produite à une époque où des milliers d’hommes étaient employés et, lorsqu’ils retournaient dans leurs villages, ils répandaient le bruit que la Compagnie ne payait pas. On renonça à cet arrangement au bout de quelques mois, lorsque les premières plaintes se firent entendre. La redevance à verser à l’agent recruteur officiel et l’occasion de régulariser le débit de la main-d’œuvre rendent possible les abus et il est facile de les commettre au nom du Gou­ vernement. Dans certains secteurs, on a eu fréquemment recours à cette pratique et il en est résulté une situation telle que la compagnie, pour obtenir de la main-d’œuvre, doit se soumettre à un grand nombre d’exigences, aussi étranges que difficiles à satisfaire, de la part des commissaires de districts. En particulier dans la région de Cap Palmas, l’attrait de la prime versée aux agents recrutant des travailleurs à destination de Fernando Po, qui est de £10 par travailleur, est si grand que les entreprises locales se trouvent de toute nécessité fortement désavantagées. Une nouvelle explication possible de la difficulté qu’éprouvent les travailleurs à comprendre la question des salaires, qui semble, plus que tout autre question, refléter les hésitations de la politique suivie par la compagnie à ses débuts, réside dans l’existence du système de travail à la tâche. Tel qu’il a été établi par quelques-uns des sous-directeurs, ce système a été considéré comme excessif. Bien que le directeur général, M. Ross, ait essayé de déterminer ce système d’après le rendement moyen et que les membres de la Commission n’aient guère entendu de commentaires sur cette question dans le vaste secteur Du, celle-ci a fait l’objet de discussions dans le groupe du bas Cavalla, notamment en ce qui concerne un secteur de cette plantation. On peut signaler en passant que ce secteur fait appel à des tribus dont les mœurs et les habitudes de travail diffèrent totalement de celles des tribus de la division Du. D’après les déclarations qui ont été faites, les travailleurs qui ne parvenaient pas à accomplir la tâche qu’on leur avait assignée, étaient inscrits comme n’ayant travaillé qu’une partie de la journée, et il a été enre­ gistré un grand nombre de plaintes pour retenues sur les salaires à la fin du mois. Au début, les travailleurs étaient payés à raison d’un shilling par jour dans les deux secteurs, puis, sur l’avis de fonctionnaires du secteur de Cavalla qui ont déclaré qu’ils étaient au courant des besoins de la main-d’œuvre, le salaire a été de £ i par mois, plus la nourriture. Les travailleurs ont vu dans ce changement une réduction de leur salaire et se sont plaints. «A Cap Palmas, nous avions adopté, au début, le même système ; mais les fonc­ tionnaires de la région nous ont déclaré que nous serions beaucoup plus populaires auprès des indigènes si nous leur donnions 20 shillings par mois et deux bols de riz par jour. Nous nous sommes aperçus que cette méthode ne donnait pas de résultat satisfaisant et nous avons changé. Je leur ai donné l’autorisation d’y renoncer, étant donné que les demandes émanaient des hommes eux-mêmes. » 1 On est revenu récemment à l’arrangement sur la base d’un salaire, dans la division Du, d’un shilling par jour de travail effectif et de distribution de riz au tarif d’un shilling les cinq pintes. Le riz est importé en grande quantité et vendu aux hommes au-dessous du prix courant. Les hommes sont libres de demander autant de riz qu’ils veulent, mais la quantité moyenne est de dix pintes par semaine. Il est opéré une déduction équivalente à la quantité de riz distribuée et, dans un grand nombre de cas, les travailleurs voient dans cette opération une réduction de leur salaire. A l’occasion, on leur donne un bol de riz et parfois même deux, en guise de gratification (dash) pour un salaire supplémentaire.

1 Déposition devant la Commission de M. D. Ross, directeur de la <• Firestone Plantation ». - 8 3 -

Le tarif normal du salaire des travailleurs dans la plantation est d'un shilling par jour ; les travailleurs plus habiles reçoivent 1/6 et les chefs d’équipe et les surveillants indigènes touchent de 4 à 8 shillings par jour, parfois même 10 shillings, selon leur habileté et leur expé­ rience. Ce sont là les salaires en vigueur dans le Libéria et, en fait, dans la plupart des régions de la côte occidentale. Le salaire payé aux matelots de pont à bord des navires, dans des cas isolés et peu nombreux, est un peu plus élevé et comprend la nourriture. Peu d’hommes, en dehors de ceux qui vivent sur la côte ou à proximité, ont l’occasion de faire un tel métier. Dans l’intérieur, chez les Buzies, Gizies, Kpessehs, Monahs, Gios, Bassas, Vheys, Golahs, Gbondis et Bellis, les occasions d’obtenir de la main-d’œuvre payée sont rares, et au début de l’exploitation, il fallait tous les jours, à la fin de la journée, payer le contingent entier des travailleurs afin de leur donner confiance dans les intentions de la Compagnie. Le message annuel du Président de la République pour 1929 mentionne que £1.024.050 ont été consacrés, en 1928, au payement des salaires des travailleurs libériens et £800.000 en 1929. La différence entre les deux années, soit 224.050 dollars, était déplorée par le Président qui lui attribuait en partie la dépression générale dont souffraient les marchands et autres commerçants. On n’a pas la preuve que la Compagnie exerce une contrainte quelconque sur la main- d’œuvre ou emploie, en connaissance de cause, de la main-d’œuvre sur laquelle une contrainte a été exercée. Il n’est plus conclu de contrats avec des concessionnaires indépendants et il n’existe aucun arrangement contractuel entre la Compagnie et les travailleurs, qui sont libres de cesser leur travail à leur gré. Les hommes logés sur les plantations ne sont astreints à aucune obligation en ce qui concerne le nombre de jours pendant lesquels ils doivent travailler durant le mois. Le nombre de travailleurs inscrits sur les feuilles de paie du groupe Du et du « New Development » était de 9.077 au 30 juin 1930. La moyenne quotidienne des présents était de 5.627, soit un peu plus de 60%. Dans le comté de Maryland, le nombre d’hommes inscrits sur les feuilles de paie du groupe Cavalla était de 1.316, avec une moyenne quotidienne de 811 présents, soit environ la même proportion. Pendant le plein développement des premières opérations de la Compagnie, le nombre maximum de 18.000 travailleurs a été atteint. Il fallait défricher le terrain, travail qui exige en général une main-d’œuvre considérable ; les routes et les bâtiments étaient en cours de construction. A ce jour, environ 55.000 acres, soit près de 85 milles carrés, ont été défrichés pour être exploités ; le rythme de la mise en exploitation de nouvelles régions dépend des besoins de l’industrie, des disponibilités de main-d’œuvre et de la situation économique du pays. Il est matériellement impossible de mettre simultanément en culture la superficie maximum prévue pour les quatre-vingt-dix-neuf années du bail ; une fois le défrichement achevé, le nombre d’hommes nécessaire correspond au nombre de travailleurs dont on a besoin pour planter les arbres, les soigner, et recueillir le latex, soit à peu près un homme pour six acres. L’état actuel des travaux exige la présence d’environ 10.000 travailleurs ; mais, l’année dernière, la compagnie a réduit son personnel, et cette diminution a frappé à la fois les travailleurs indigènes et les employés américains. A cet égard, un fait peut-être signi­ ficatif est la baisse extraordinaire du prix du caoutchouc, en même temps qu’un accroissement de la production dans d’autres régions consacrées à la culture du caoutchouc. Au début des opérations, en 1925, le prix du caoutchouc avait dépassé Si.40 par livre. Actuellement, le prix est à seize cents. Ce taux est au-dessous du prix de revient normal. Bien qu’il soit possible que des fluctuations aussi arbitraires des prix du caoutchouc n’exercent plus aucune répercussion grave sur la compagnie nationale, il n’est pas encore certain actuellement que l’immense étendue couverte par les plantations rapporte les bénéfices ou les excédents que l’on escomptait au début.

LES CONSTATATIONS DE LA COMMISSION. a) L ’esclavage, tel qu’il est défini dans la Convention relative à l’esclavage, existe-t-il en fait dans la République ? La Commission constate que, bien que l’esclavage, dans son acception classique qui com­ porte l’idée de marchés d’esclaves et de trafiquants d’esclaves, n’existe plus comme tel dans la République de Libéria ; par contre, l’esclavage, tel qu’il est défini par la Convention de 1926 relative à l’esclavage, existe dans la mesure où l’on constate l’existence d’un esclavage domes­ tique d’une tribu à l’autre et au sein de chaque tribu. La mise en gage est également admise dans le régime social de la République. b) Le Gouvernement de la République participe-t-il à Vapplication de ce régime ou Vencourage-t-il ? La Commission constate que l’esclavage domestique est réprouvé par le Gouvernement en ce sens que tout esclave qui fait appel aux tribunaux pour être affranchi peut recevoir sa liberté sur délivrance d’une ordonnance d’habeas corpus ou à la suite de poursuites directe­ ment exercées contre son maître ou son propriétaire. Des témoignages apportés à la Commission ont révélé que, dans certains cas, des esclaves domestiques avaient obtenu leur liberté en prouvant qu’ils avaient subi de mauvais traitements. c) Des personnalités éminentes du pays participent-elles à Vapplication de ce régime et, dans Vaffirmative, quelles sont ces personnalités ? La Commission constate qu’il n’y a pas eu de preuve que des notables du pays participent à l’esclavage domestique ; par contre, il existe des preuves qu’un certain nombre d Americano- Libériens prennent des indigènes en gage et que, dans certains cas, ils ont fait un abus criminel de ce système, pour des fins personnelles, en prenant des femmes comme gage et en les taisant servir à attirer des travailleurs du sexe masculin sur leurs terres. - 84 -

d) Dans quelle mesure le travail forcé existe-t-il en tant qu’élément de Véconomie sociale et indus­ trielle du pays, soit pour des fins publiques soit pour des fins privées, et, dans Vaffirmative, de quelle manière la main-d’œuvre en vue d’un travail forcé a-t-elle été recrutée et employée pour des fins publiques ou privées ? La Commission constate que le travail forcé a été utilisé, dans le Libéria, principalement pour la construction de routes pour automobiles, de bâtiments civils et de casernes, etc., ainsi que pour le portage. Elle a constaté que le recrutement et l’utilisation immodérés de cette main-d’œuvre sont souvent accompagnés de mesures d’intimidation systématique ainsi que de mauvais traitements de la part des fonctionnaires du Gouvernement, des messagers et des soldats des troupes de frontière. Elle constate que, dans un grand nombre de cas, la main-d’œuvre recrutée par les inspecteurs de comté et les commissaires de district pour des fins publiques, a été utilisée, à titre privé, dans les fermes et plantations de hauts fonctionnaires du Gouvernement et de particuliers ; que jamais cette main-d’œuvre n’a été payée, bien que le travail payé puisse exister dans les plantations, et que, d’autre part, dans le Maryland, certains travailleurs ont été obligés de verser de fortes sommes aux propriétaires de plantations pour être libérés d’un engagement durant lequel ils ne recevaient ni salaire ni nourriture. e) L ’expédition de main-d’œuvre, en vertu d’un contrat, à destination de Fernando Po, conformé­ ment à Varrangement conclu avec VEspagne, ou Vexpédition de cette main-d’œuvre à destination du Congo ou de tout autre territoire étranger, présente-t-elle quelque rapport avec Vesclavage, et le mode de recrutement des travailleurs en question comporte-t-il une contrainte quelconque ? La Commission constate que le recrutement d’une grande proportion des travailleurs engagés par contrat et expédiés à destination de Fernando Po et du Gabon français, en pro­ venance des comtés du sud du Libéria, a été accompagné de mesures de contrainte criminelles, qui se distinguent à peine des razzias et de la traite des esclaves ; en outre, les travailleurs sont fréquemment trompés sur le lieu de leur destination. f) La main-d’ œuvre employée pour des fins privées sur des plantations privées ou prises a bail, est-elle recrutée par voie d’inscriptions volontaires, ou est-elle contrainte de fournir ce travail par le Gouvernement du Libéria ou en vertu de pouvoirs conférés par ce dernier ? La Commission constate que la main-d’œuvre employée pour des fins privées sur des plantations appartenant à des particuliers a été recrutée avec l’autorisation de hauts fonction­ naires du Gouvernement. Elle n’a pas eu la preuve que la Compagnie des Plantations Firestone emploie, en connaissance de cause, de la main-d'œuvre qui ne soit pas volontaire, pour la faire travailler à la culture du caoutchouc dans ses plantations à bail. Toutefois, tel n a pas toujours été le cas lorsque le recrutement s’effectuait en vertu de règlements du Gouvernement sur lesquels la Compagnie n’exerçait que peu de contrôle. Enfin, elle constate que tous les travailleurs de la Compagnie sont libres de cesser leur travail à volonté. g) A un moment quelconque, le Gouvernement du Liberia a-t-il sanctionne ou approuve le recru­ tement de la main-d’œuvre avec l’aide des troupes de frontière libériennes, ou d’autres personnes occupant des postes officiels ou employees dans les administrations de l Etat, ou des particuliers, ont-ils été associés à ce recrutement, avec ou sans Vapprobation du Gou­ vernement ? La Commission constate que le Vice-Président Yancy et d’autres hauts fonctionnaires du Gouvernement du Libéria, ainsi que des Inspecteurs de comté et des Commissaires de district, ont sanctionné le recrutement forcé de la main-d’œuvre destinée soit à construire des routes, soit à être embarquée à destination de l’étranger, soit à d’autres travaux, et que ce recrutement s’est effectué avec l’aide et l’assistance des troupes de frontière libériennes ; qu’ils ont permis l’utilisation de ces troupes en vue d'exercer une contrainte physique sur les hommes travaillant à la construction des routes, en vue d’intimider les indigènes des villages, d'humilier et d’avilir les chefs, d’emprisonner les habitants, de convoyer jusqu’à la côte des groupes d’indigènes capturés et, une fois là, de les garder jusqu’au moment de l’embarque­ ment.

SUGGESTIONS ET RECOMMANDATIONS.

La Commission est fortement d’avis que la politique de la « porte fermée », qui semble depuis si longtemps avoir été favorisée par le Gouvernement du Libéria, ne correspond pas aux intérêts réels de la République et qu’en fait, cette politique est à l’origine des grandes difficultés financières et autres dans lesquelles le pays se débat actuellement. Elle s’oppose à tout développement, en masquant la mauvaise administration, en décourageant toute recherche, en retardant le progrès de la civilisation et de l’enseignement, en empêchant la concurrence et, d’une manière générale, en étouffant toute entreprise commerciale. La phase enviable d’indépendance financière à laquelle sont parvenues quelques-unes des dépendances et colonies de l’Afrique tropicale n’a pu être atteinte que par des efforts énergiques et féconds tentés en commun par l’administration et par la population, et grâce à la reconnaissance pleine et entière du fait, aujourd’hui évident, que l’Afrique tropicale ne pourra jamais se développer, que ses ressources agricoles, minérales et autres, ne pourront être utilisées et qu’on ne pourra compter sur un excédent des revenus de l’Etat, sans la colla­ boration et l'assistance spontanées de la population indigène. Il est aujourd’hui de plus en plus admis par les administrateurs de toutes les régions de l’Afrique tropicale qu’on ne peut espérer atteindre à la prospérité financière que si l’on prend des mesures pour civiliser les indigènes, pour assurer leur instruction et pour gagner leur confiance, et non pas pour les asservir et pour les exploiter.

L ’enseignement vient maintenant en tête des plans de développement. Les écoles sont de la plus haute importance, non pas seulement pour ce qui est d’apprendre à l’indigène à lire et à écrire, mais encore pour améliorer sa condition sociale ; des instructeurs spécialistes sont indispensables pour lui ouvrir les idées, lui enseigner la valeur marchande des choses et l’usage qu’il peut faire des innombrables produits économiques et des matières premières qui l’entourent. Avec de tels stimulants, le commerce et les relations pacifiques ne tardent pas à s’établir. L’indigène dont l’âme est simple, apprend quelque chose du monde extérieur, et ses besoins augmentent. Le missionnaire, le maître d’école, le commerçant, lui enseignent ce qu’il peut acheter avec de l’argent, et alors il veut savoir ce qu’il peut faire fructifier, ce qu’il doit faire, où il doit travailler pour gagner de l’argent, et il en résulte que le commerce se développe, que les marchands du littoral s’enrichissent, que les recettes de l’Etat augmentent et que l’argent ne tarde pas à affluer, permettant la création de nouvelles écoles, la construction de routes, de nouvelles facilités de transports, le paiement de salaires et l’adoption de nouvelles méthodes pour le développement général du pays. Une politique de répression et d’isolement par peur de la concurrence, c’est-à-dire la politique de la porte fermée, ne peut avoir pour effet qu’un développement retardé, la faillite et, pour finir, un échec complet. La Commission estime également qu’une telle politique encourage fatalement les mauvais traitements, les abus d’autorité et les exactions à l’égard des indigènes. Avec une telle politique, l’indigène n’ayant personne à qui s’adresser dans l’espoir qu’il lui sera fait justice, ne peut faire autrement que de continuer à se laisser exploiter avec le sentiment qu’il est véritablement un esclave. Au Libéria, l’homme qui a eu l’avantage d’aller à l’école, qui a appris à lire, ou sait quelques rudiments d’anglais, est appelé une personne civilisée, ce qui le distingue de l’indigène, simple paysan dénué de toute connaissance acquise dans les livres. Tous, qu’ils soient indigènes de l’hinterland, habitants du littoral ou Américano-libériens, sont officiellement désignés sous le nom de « citoyens », appellation singulièrement prématurée et inappropriée. Au Libéria, l’homme « civilisé», en application de la politique d’isolement, est encouragé à abandonner son milieu indigène pour vivre, soit dans une station du Gouvernement ou à proximité, soit dans des quartiers « civilisés » mis à sa disposition par le Gouvernement, de telle sorte qu’il puisse avoir moins de chances d’aider ou de conseiller les chefs et les paysans indigènes ou de les exciter contre l’administration. « Si le Gouvernement, par l’intermédiaire des Commissaires, ne les centralisait pas, on risque de les voir devenir un danger pour la bonne administration. Il ressort d’un grand nombre des enquêtes que le Gouvernement devrait, en temps opportun, prendre des mesures pour empêcher finalement toute confusion. » 1 Cette attitude est exactement à l’opposé de la politique actuellement en honneur dans les colonies et dépendances africaines. Dans les régions reculées du Congo belge, on encourage les indigènes à quitter leur village perdu pour s’installer le long des routes principales, afin qu’ils puissent tirer profit de leurs rapports avec les blancs, prendre part au trafic de la route, se rendre dans les marchés et pour d’autres raisons encore, au lieu de les isoler dans la crainte d’une sédition, sous prétexte qu’ils ont déjà une certaine connaissance de ces aspects de la civilisation. Nous sommes convaincus que, plus tôt seront abolies les distinctions de classes entre les peuples civilisés et les peuples non civilisés, et plus tôt les indigènes de l’intérieur recevront un statut égal à celui des habitants du littoral, mieux cela vaudra pour tous les intéressés. Un chef ou tout autre indigène de l’intérieur devrait avoir le droit d’élever ses enfants comme il lui plaît. Un grand chef de Maryland, après avoir raconté comment il avait été puni et condamné à une amende de 10 livres sterling par son Commissaire de district pour avoir osé utiliser les services d’un jeune garçon qui savait lire et écrire, a déclaré aux membres de la Commission : « La somme dont je viens de parler a été payée en plus des 10 livres sterling que j’ai dû verser pour avoir écrit la lettre. Le Commissaire de district m’a dit que, dorénavant, aucun homme civilisé ne devait être vu auprès de moi. Il a dit que nous ne devons avoir aucun rapport avec nos enfants si nous les envoyons à l’école. Ils ne devraient avoir aucune relation avec nous pour éviter qu’ils ne nous fassent voir clair. Alors qu’est-ce qui peut nous encourager à envoyer nos enfants à l’école s’ils ne peuvent nous montrer comment nous devons agir à l’égard du Gouvernement ? Voilà ce que je vous prie de rapporter aux nations à votre retour en Europe ; dites-leur que les indigènes du Libéria souffrent. » Lorsque fut célébré, en 1930, à Monrovia, l’anniversaire de l’indépendance de la République du Libéria, un Ministre de pure race indigène, mais doté d’une expérience européenne, a déclaré dans un remarquable discours : « Nos expériences coloniales n’ont servi qu’à nous préparer à de plus hautes destinées... Que ferons-nous pour améliorer notre propre sort et celui des millions de frères indigenes dont Dieu nous a confié la charge ? »

1 Rapport adressé par l’Honorable J. J. Harris, Secrétaire de l’Intérieur, à son Excellence C. D. B. King, en date du 5 mai 1930, et relatif à la situation dans le Maryland. - 8 6 —

Que la République ait atteint sa quatre-vingt-cinquième année d’existence et qu’elle ait pu survivre aux crises graves qui se sont produites au cours de cette longue période, c’est déjà là un grand résultat. Il semble toutefois que ce résultat ait été obtenu au profit des habi­ tants du littoral, et surtout des Américano-libériens et de leurs descendants, aux dépens des populations indigènes de l’intérieur, sans le concours desquelles toute tentative en vue de développer la richesse potentielle de l’hinterland serait vaine. Dans le plupart des autres administrations de l’Afrique tropicale, les tribus indigènes de l'intérieur ont fait l’objet d’une attention toute particulière, tandis qu’au Libéria, elles ont été, au contraire, assujetties, ainsi que nous l’avons déjà dit, à une exploitation et à une servitude grossières, état de choses qui ne peut durer indéfiniment. Cette situation devra, un jour ou l’autre, amener un rude réveil, s’il n’est procédé sans retard à une réorganisation complète du Département de l’Intérieur et si l’on n’adopte pas les réformes nécessaires. D’après M. Buell \ le Département d’Etat américain, dans une note énergique en date du 4 avril 1917, a déclaré que le nombre des Commissaires de district devait être limité après entente avec le Conseiller financier et qu’aucun fonctionnaire ne devait être désigné pour occuper un poste dans l’intérieur du pays sans l’approbation du Conseiller financier. Cette note ajoutait que le Gouvernement du Libéria, devait, en outre, élaborer pour l’administraiton de l’intérieur un plan simple et efficace, dans lequel il ne fallait pas perdre de vue le droit coutumier des indigènes ; que, dans la mesure du possible, les impôts devaient être perçus par l’entremise des chefs ; enfin qu’une fraction équitable de ces impôts devait être consacrée aux travaux publics présentant des avantages directs pour les indigènes. Le Département d’Etat terminait en déclarant qu’« il ne se contenterait pas seulement de promesses et que des résultats tangibles et permanents devaient suivre ». Il semble, toutefois, qu'aucun résultat permanent n’ait suivi. Afin d’étouffer l’indigène, de s’opposer à son instruction, de l’empêcher de prendre conscience de ses facultés et de ses limites, et de lui enlever toute occasion de s’affirmer, afin d’avantager la race dominante et colonisatrice qui, d’ailleurs, à l’origine, provenait de la même souche africaine que ces indigènes, une politique d’intimidation et de répression brutales a été pendant maintes années, systématiquement appliquée et encouragée. De toute apparence, l’intimidation a toujours servi et sert encore de mot d’ordre à la politique indigène du Gouvernement. Non seulement les populations indigènes des villages ont été intimidées et terrorisées par la force, la cruauté et la répression, mais les chefs eux-mêmes, vers qui, il n’y a pas si longtemps, les indigènes se tournaient, qu’ils étaient heureux de servir, sur qui ils comptaient pour être protégés — quelque pénible que cela fût parfois —, ces chefs qui ne se déplaçaient jamais sans une escorte et le déploiement d’une pompe barbare, ont été systématiquement humiliés, avilis et dépouillés de leur pouvoir à tel point qu’ils sont réduits aujourd’hui à l’état de simples intermédiaires payés par le Gouvernement pour s’opprimer et spolier la population. Les mots développement, progrès social sont inconnus, la servitude et l’esclavage ont pris leur place. Au cours des négociations en vue d’un emprunt qui ont eu lieu avec le Gouvernement du Libéria à Paris et à Washongton, au lendemain de la guerre mondiale, les Etats-Unis ont de nouveau insisté sur une réforme de la politique indigène du Libéria, et, lors de l’accord conclu en 1921 en vue d’un emprunt, ils allèrent jusqu’à demander la nomination de com­ missaires indigènes américains. Il ressort clairement de ce qui précède que la situation actuelle de l’administration dans l’intérieur du pays à dû persister de nombreuses années. Il ressort de l’ensemble du présent rapport qu’aujourd’hui, les résultats sont désastreux. Les villageois n’ont cessé d’être intimidés par les soldats des troupes de frontière et par les messagers des grands chefs et des Commissaires de district, à tel point qu’ils sont forcés de travailler, la majeure partie de l’année, sur les routes en construction, dans des fermes privées ou dans des fermes du Gouvernement, et d’exécuter d’autres travaux qui ne leur laissent aucun répit, de telle sorte qu’ils n’ont même pas le temps de cultiver le peu dont ils ont besoin pour leur nourriture. En fait, ils doivent, soit mener une existence de bêtes de somme à demi affamées, soit quitter le pays. Un très grand nombre d’indigènes en sont réduits à cette dernière solution. A maintes reprises, les membres de la Commission, alors qu’ils parcouraient le pays, ont traversé des villages aban­ donnés et ont pu voir les emplacements d’autres villages aujourd’hui envahis par la végétation. Il se peut très bien que quelques-uns de ces villages aient été normalement abandonnés, au profit de régions plus fertiles ou d’un sol moins appauvri, ou à la suite de la mort d’un chef, ou pour toute autre cause. Toutefois, dans les exemples que la Commission a eu sous les yeux, l’explication fournie était, d’après l’histoire locale, toute différente. Il a été rapporté à maintes reprises aux membres de la Commission que, dans d’autres parties du pays, des villages étaient abandonnés par vingtaines et tombaient en ruine et que des jardins étaient envahis par la brousse. Les indigènes n’ont aucun recours, aucune personne à qui ils puissent exposer leurs plaintes. Les grands chefs reçoivent leur mandat du président et sont, par conséquent, des fonctionnaires de l’Etat ; les commissaires de districts sont durs et malveillants à l’égard des indigènes qui n’ont pas le droit de voyager d’un secteur à l’autre et ne peuvent donc porter leurs plaintes ailleurs. Aussi, n’est-il pas surprenant qu’ils émigrent au delà des frontières. Dès 1922, le Président, dans son adresse au Parlement, a déclaré : « Notre politique est d'en­ courager par tous les moyens légitimes le retour des populations qui se sont enfuies du pays ». Aujourd’hui, tout le monde semble d’accord pour reconnaître que la situation a encore empiré au cours de ces dernières années.

1 R aym ond L. B u e l l : Le Problème des indigènes en Afrique, 1928. - 87 -

Etant donné les circonstances, la situation actuelle semble exiger une réorganisation urgente et complète de l’administration de l’intérieur du pays, si l’on veut assurer la stabilité future de la République ou, tout au moins, la sauver d’un échec. Toutefois, avant de proposer un changement quelconque, il convient au préalable d'exposer l’organisation existante. En premier lieu, la République comprend une bande côtière de 40 milles de large, divisée en cinq comtés maritimes, placés chacun sous l’autorité d’un Inspecteur de comté l. Le reste de la République est divisé en cinq districts qui correspondent plus ou moins à l’hinterland, de chacun des cinq comtés et, à la tête de chaque district, se trouve un Commissaire de district. A l’exception des Vais, race qui se distingue des autres par son courage et ses tendances avan­ cées, et qui vit sur la frontière du Sierra Leone, les nombreuses tribus d'indigènes Bantou qui habitent ces cinq districts de l’intérieur sont plus ou moins arriérés dans l’échelle de la civilisation générale et ont peu ou point de chances de progresser en se mêlant aux habitants de la côte. En fait, conformément à la politique de répression du Gouvernement, elles n’ont pas le droit de sortir du secteur assigné à chaque tribu et les règlements intérieurs font défense aux habitants des comtés de se rendre dans les districts sans une autorisation spéciale. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’ils portent leurs produits au delà des frontières au lieu de les apporter sur le littoral. Le premier changement radical que nous préconisons est la destitution des cinq Commissaires de district résidant actuellement dans l’hinterland : ce sont des fonctionnaires malhonnêtes et corrompus, qui ne sont habiles qu’à inventer des moyens d’intimidation afin de soutirer de l’argent aux indigènes, et à faire naître des occasions de leur en arracher davantage encore. Nous proposons de les remplacer par des fonctionnaires d’un grade supérieur remplissant les fonctions de Commissaire de district ou à'Administrateur de district. Chacun d’eux aurait sous ses ordres des commissaires adjoints qui pourraient être choisis soit dans la République, soit en Amérique. Au bout d’un certain temps, ces derniers pourraient être désignés pour les postes supérieurs. Les Commissaires jouiraient du même statut que les magistrats des comtés et auraient le droit de choisir, pour leur poste, une localité centrale appropriée. Ils auraient à encourager les relations avec la population de leurs districts par tous les moyens en leur pouvoir et en tenant quotidiennement audience pour connaître des cas qui leur seraient signalés par leurs adjoints ou par d’autres personnes. En sus d’un traitement considérable, ils auraient droit à des indemnités de déplacement et autres et seraient tenus de passer trois mois au moins par an à parcourir leurs districts. De même, leurs adjoints, jouissant chacun du statut des juges de paix, seraient installés à des points stratégiques et tiendraient, eux aussi, des audiences ouvertes, pour le règlement des cas soumis par les grands chefs ; ils auraient à encourager les marchés hebdomadaires et seraient tenus d’effectuer des tournées dans leurs propres secteurs ou dans les limites du district pendant trois mois par an. Le succès de cette réforme doit dépendre du caractère du Commissaire supérieur de chaque district, qui doit être honnête, impartial et intègre. A notre sens, il devrait être Européen ou Américain. Les adjoints du Commissaire supérieur, comme lui-même d’ailleurs, devraient être choisis parmi les candidats ayant passé avec succès un concours administratif (Civil Service), qui pourrait avoir lieu en Europe et en Amérique et, étant donné que le niveau général exigé pour ce concours serait celui d’Europe ou d’Amérique, il ne serait peut-être pas expédient d’admettre comme candidats les jeunes gens ou personnes qui n’auraient pas fait un séjour dans l’un ou l’autre de ces continents. Il va de soi que les candidats au poste de Commisssaire supérieur seraient tenus de passer un examen beaucoup plus sévère que celui des adjoints. Une condition essentielle est que ces fonctionnaires soient des hommes d’une haute moralité et capables de regagner la confiance des indigènes que les fonctionnaires actuels ont perdue. A cet effet, ils devraient possé­ der déjà une connaissance des affaires indigènes et quelques éléments de Y administration indirecte courante dans les pays tropicaux. En tout premier lieu, ils devraient avoir pour tâche de rétablir le prestige des grands chefs qui ont été systématiquement humiliés et avilis, ou tout au moins des plus dignes d’entre eux, et pour cela, de leur rendre leur ancienne puissance locale et leur autorité sur les chefs et les populations des villages. Ils devraient ensuite enseigner aux chefs à exercer comme il convient leurs pouvoirs, leur inculquer les principes d’une ad­ ministration urbaine et rurale animée de l’esprit de progrès, en combattant les mauvaises coutumes et en encourageant les bonnes. En même temps, les chefs, rétablis dans leurs préro­ gatives, auraient pour devoir de collaborer de leur mieux avec le Commissaire de district en faisant ouvrir et améliorer les routes les plus directes et les meilleures conduisant au littoral, en faisant régner l’ordre sur ces routes, en encourageant le commerce et les commereits, ainsi que le libre transport des matières premières et des produits jusqu’au littoral ,^wut en assurant, à l’entrée, la sécurité des marchandises destinées aux commerçants. Les traitements des Commissaires de district devraient être suffisamment élevés pour attirer des candidats qualifiés. Jusqu’à présent, ces traitements n ’ont pas été suffisants pour écarter la tentation d’infliger des amendes en vue de couvrir les dépenses régulières afférentes à 1 entretien de leurs stations. Les Commissaires supérieurs ne seraient responsables que vis-à-vis du chef de leur dépar­ tement et auraient la faculté, en cas de nécessité, de déplacer leurs adjoints ou de demander leur déplacement. Sauf en cas d’urgence, dont ils seraient seuls juges, ils n auraient pas e droit de faire appel aux troupes de frontière pour un secours ou un service quelconque, sans

1 Dans cette bande vivent les 8.000 ou 10.000 Américano-Libériens, ou plutôt leurs e mêlés entre eux, notamment à Monrovia et dans d’autres villes; tous appartiennent a a a j ’ y ont appartenu ou y appartiendront. Aucun d’eux 11e fait partie du monde des a air • ^ lirlltlp d'intérêts dans une entreprise commerciale ; en réalité, la plupart d entre eux sem e . 1 occupation définie, sauf peut-être quelque occupation pseudo-juridique ou un vague p F Gouvernement. — 8 8 —

une autorisation du pouvoir central, et aucun soldat des troupes de frontière ne devrait avoir le droit de pénétrer dans un village du district sans être accompagné d’un sous-officier ou d’un autre gradé, ou sans être muni de pièces prouvant qu’il se déplace en service commandé. En ce qui concerne l’enseignement dans les districts, celui-ci incomberait au service central de l’Enseignement, mais le Commissaire devrait disposer de fonds permettant d’enseigner, à l’école ou autrement, l’utilisation des produits économiques africains, etc. Le secrétaire du commissaire devrait être un comptable expérimenté, capable de tenir les livres et les comptes de son ressort administratif et d’enregistrer toutes les amendes. Il ne suffirait pas d’instituer de simples changements dans l’intérieur du pays. Les comtés du littoral devraient nécessairement suivre le mouvement et, à cet égard, nous proposons à l’examen du Gouvernement une refonte des divisions politiques du pays, qui offrirait de grands avantages : chacun des cinq districts devrait fusionner avec le comté correspondant, de façon à arriver à la suppression complète de la bande côtière et de sa séparation implicite des popu­ lations indigènes de l’intérieur. Chacun des comtés s’étendrait alors, sous le nom de province, depuis le littoral jusqu’à la frontière, et leur administration dépendrait également des Commis­ saires supérieurs qui prendraient alors le nom de Commissaires de province. Dans ces conditions, ces derniers ne seraient responsables que devant le Président. Cette mesure permettrait de réaliser, à bien des égards, des économies dont on a grandement besoin et, mieux que toutes les réformes, aurait pour effet d’aider au développement des richesses de l’intérieur de la Ré­ publique, en encourageant les communications et le commerce et en favorisant une meilleure entente entre les populations de la côte et celles de l’intérieur. Du point de vue de la superficie, les subdivisions que forment les comtés et les districts sont insignifiantes, comparées aux régions administratives d'autres pays, et, si les anciennes divisions étaient maintenues, les Commissai­ res supérieurs, dont nous avons suggéré la nomination pour les districts de l’intérieur, estime­ raient probablement que les comtés qui les séparent de la mer constitueraient un obstacle sérieux à la politique du Gouvernement tendant à ouvrir un accès à la mer, si cette politique est adoptée. L’exposé qui précède est un bref aperçu de la politique qui, croyons-nous, pourrait être adoptée par le Gouvernement du Libéria en ce qui concerne la réforme radicale de l’adminis­ tration de l’hinterland. Si l'on permet au Libéria de persister dans ses pratiques d’humiliation des chefs, d'intimidation, de répression, d’exaction et de mauvais traitements de la population, ce pays pourra s’apercevoir que sa place au sein des nations civilisées est compromise l.

Ainsi qu'il a été signalé dans le corps du rapport, l'esclavage ordinaire ou tel qu’il est connu dans son acception classique n’existe plus aujourd’hui au Libéria, mais d’autres formes, telles que l’esclavage domestique et la mise en gage constituent encore des pratiques courantes. Tant que ces formes d’esclavage seront reconnues comme des institutions existantes de la vie sociale du Libéria, la flétrissure de l’esclavage sera attachée à la République. Il est recommandé de la façon la plus urgente que, préalablement à une abolition totale, des mesures soient prises immédiatement pour rendre ces deux formes illégales. La Commission ne saurait attirer trop fortement l’attention du Gouvernement du Libéria sur la question de l’embarquement des travailleurs à destination de Fernando Po et autres lieux. Il se peut que les conditions de la main-d’œuvre à Fernando Po aient été considérable­ ment améliorées au cours des dernières années ; des renseignements dignes de foi nous informent même que cette amélioration est effective. Néanmoins, étant donné les conditions existant actuellement dans l’hinterland du Libéria, et plus spécialement en raison de l’absence, comme nous le croyons, de toute forme efficace de gouvernement dans cette région et, par conséquent, du manque de garanties qu’il ne se produira pas d'abus de pouvoir tant physique qu’officiel en matière de recrutement, nous sommes d’accord pour préconiser la cessation immédiate des embarquements organisés de travailleurs à destination de Fernando Po et autres lieux. A notre avis, si une telle mesure n’est pas prise et strictement appliquée, le Gouvernement du Libéria risquerait d’encourir un opprobre qui n’est guère à désirer, car la majorité des personnes douées de sens critique ne peuvent faire dans leur esprit, aucune différence entre le trafic commercialisé de la main-d’œuvre, tel qu’il a été pratiqué en provenance du Maryland et d’ailleurs, des conditions analogues aux razzias et à la traite des esclaves. Ce trafic a eu l’appui des plus hauts fonctionnaires de la République et été organisé et dirigé par le Vice-Président Yancy qui s'est servi de ses subordonnés pour le développer à son profit, étant donné qu’il en était lui-même le principal bénéficiaire. Si l’on songe que ce trafic s’accom­ pagne, en outre, de cruautés et entraîne une désorganisation profonde de la vie sociale des indigènes, ainsi que la perte du prestige du Gouvernement, le danger de son maintien est manifeste. Les mauvais traitements infligés à la population de l’intérieur, l’abandon des cultures dans les villages indigènes, l’exode hors du pays et le mécontentement général, sont, à notre avis, dus en grande partie aux brigandages auxquels se livrent les soldats des troupes de frontière qui d'après les déclarations des indigènes, agissent souvent sans être accompagnés de leurs officiers ; d’ailleurs, les officiers, lorsqu’ils les accompagnent, semblent encourager une politique générale d’intimidation. Nous recommandons que les hommes faisant partie de ce corps soient placés sous une surveillance beaucoup plus efficace qu’elle ne l’est à présent et que l’on désigne, pour commander dans les postes de l’intérieur des officiers d’un niveau moral plus élevé ;

1 Pacte de la Socété des Nations, article 23 b) : «... sous la réserve et en conformité des dispositions des conventions internationales actuellement existantes ou qui seront ultérieurement conclues, les Membres de la Société s'engagent à assurer le trai­ tement équitable des populations indigènes dans les territoires soumis à leur administration. » - 8 9 - nous recommandons également que, sous aucun prétexte, ce corps de troupes n’ait recours au travail forcé indigène pour des travaux de construction ou autres, comme il le fait à présent. Ces travaux devraient être exécutés par les soldats eux-mêmes, comme c’est habituellement le cas dans les autres pays. Sous aucun prétexte, les hommes ne devraient être autorisés à pénétrer dans les villages sans leurs officiers, à moins d’être porteurs d’une pièce intelligible pour le chef et prouvant clairement qu’ils sont en service commandé ; ils devraient recevoir leurs vivres de leurs postes, auxquels les chefs indigènes des villages environnants fournissent par ordre du Commissaire de district, des approvisionnements considérables de riz et d’autres denrées. Tous les cas d’intimidation de la population ou de démêlés avec les indigènes sur les pistes ou sur les routes, et la part des soldats des troupes de frontière ou des messagers de district, devraient, sitôt signalés, faire l’objet de sanctions sévères. Nous estimons qu’à cet égard des mesures devraient être prises pour abroger le passage suivant de la section 1082 : « Devoir des troupes de frontière » du chapitre XXXIX des Statuts de la République de Libéria : « Maintenir les routes ouvertes au commerce et à la circulation, appliquer les lois et règlements en vigueur ou qui pourront être ultérieurement promulguées, relativement à la population aborigène... et ouvrir une route allant de l’intérieur au littoral. » Pendant le séjour de la Commission dans le Maryland, le membre désigné par la Société des Nations a eu l’occasion d’observer une importante équipe de travailleurs occupés à la construction d’une route. Il a été frappé par la qualité inférieure des ouvriers, les conditions pénibles dans lesquelles ils travaillaient, et leur mécontentement. Etant donné l’inutilité d’une grande partie des travaux accomplis et les clameurs générales provoquées par la poursuite de ces travaux dans le Maryland, la Commission recommande que l’ambitieux programme routier du Département des travaux publics soit, sinon entièrement abandonné, du moins réduit, sauf dans le comté de Montserrado, où il peut faire l’objet d’une surveillance plus efficace, et ne soit pas repris tant que les indigènes n’auront pas eu le temps de se remettre des effets des abus qui ont accompagné l’exécution de ce programme et tant qu’il n’aura pas été procédé à une certaine réorganisation du Département de l'Intérieur. Nous recommandons qu’au lieu d’entraver l'immigration en provenance des Etats-Unis, les types supérieurs de nègres instruits soient, au contraire, encouragés à immigrer ; en effet, ils perm ettront l’établissement de liens éducatifs plus étroits avec le monde des affaires en Amérique. La Commission ne saurait exprimer avec trop de force sa conviction qu’en ce qui concerne la plupart des fonctionnaires, de simples conseils en vue d’obtenir une plus grande probité et une plus grande honnêteté dans l’accomplissement de leur tâche seraient insuffisants. La tolérance accordée à une malhonnêteté criante dans leurs fonctions, leur ignorance générale de l’intérieur du pays et de sa population, le manque de moyens d’éducation dans les provinces et leur absence totale dans l’hinterland, sauf dans les rares endroits où des missionnaires sont installés, l’influence puissante du népotisme parmi les fonctionnaires exécutifs du Gouverne­ ment, dont un petit nombre seulement ne sont jamais sortis du pays, enfin l’absence de toute largeur de vues, ces facteurs réunis rendent vain tout espoir d’amélioration, dans les circonstan­ ces actuelles, si l’on n’introduit pas dans l’administration du pays des spécialistes étrangers, si l’on ne diminue pas le nombre des emplois inutiles et si l’on ne prend pas d’autres mesures draconiennes d’ordre intérieur.

R é s u m é d e s suggestions e t recommandations .

Politique de la « porte ouverte ». Enseignement pour tous sans distinction. Refonte radicale de la politique indigène. Suppression des barrières entre les civilisés et les non civilisés. Abandon de la politique de répression. L’humiliation et l’avilissement des chefs doivent cesser. Rétablissement de l’autorité des chefs sur les tribus. Réorganisation complète de l’administration de l’intérieur du pays. Destitution des Commissaires de district actuels. Leur remplacement par des commissaires européens ou américains, aidés de commissaires- adjoints. Création d’un corps de fonctionnaires recrutés par voie de concours. Réorganisation des divisions politiques du pays. A titre de mesures préliminaires à l’abolition totale de l’esclavage, la mise en gage et l’esclavage domestique doivent être déclarés illégaux. L’expédition de travailleurs à destination de Fernando Po doit cesser. Le programme de construction de routes doit être réduit. Exercice d’une surveillance beaucoup plus stricte sur les soldats des troupes de frontière. Les devoirs imposés aux soldats des troupes de frontière doivent faire 1 objet d un nouvel examen. L’immigration américaine doit être encouragée. ANNEXES. — 9 3 —

Annexe I.

PROCLAMATION DU PRÉSIDENT.

A t t e n d u q u e , à la suite des accusations portées contre le Gouvernement de la République de Libéria, en ce qui concerne l’esclavage et le travail forcé, le Président a proposé de créer une Commission d’enquête pour procéder à des investigations sur la prétendue existence de ces conditions sociales dans le Libéria, et en vue de donner effet à cette proposition ainsi que d’assurer à l’enquête l’impartialité requise et au rapport l’autorité nécessaire a invité le Secré­ tariat de la Société des Nations et le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique à désigner chacun un membre pour siéger à la Commission envisagée par le Gouvernement du Libéria ;

A t t e n d u q u e les Assemblées législatives de la République de Libéria, en vertu d’une résolution commune du Sénat et de la Chambre des Représentants, approuvée le 12 décembre 1929, ont ratifié l’initiative du Président de la République et ont autorisé ce dernier à prendre toutes les mesures nécessaires en vue de la réalisation de l’objet de la Commission d’enquête ;

A t t e n d u q u e , conformément à la demande adressée comme il est dit ci-dessus au Secrétariat de la Société des Nations et au Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique, lesdits Secrétariat et Gouvernement ont désigné, pour siéger à la Commission, les personnalités suivantes, qui ont été agréées par le Gouvernement de la République de Libéria, à savoir :

Le Dr Ch a r l e s S. J o h n s o n , pour les Etats-Unis, et Le D r C u t h b e r t Ch r is t y , pour la Société des Nations.

Je, soussigné, C h a r l e s D u n b a r B u r g e ss K i n g , Président de la République de Libéria, proclame par les présentes et porte à la connaissance de la population du Libéria et de toutes les personnes résidant dans les limites de la République, que la Commission d’enquête, com­ posée des membres suivants : Pour la République de Libéria :

L’Honorable A r t h u r B a r c l a y , Pour le Gouvernement des Etats-Unis :

Le Dr Ch a r l e s S. J o h n s o n , Pour la Société des Nations :

Le Dr Cu t h b e r t Ch r is t y , a été constituée, ce jour, sous la présidence du Représentant de la Société des Nations et a reçu pleins pouvoirs pour procéder à une enquête sur toutes les questions rentrant dans les limites des termes du mandat qui lui a été conféré, en ce qui concerne la prétendue existence, dans la République de Libéria, de l’esclavage, en tant qu’élément de l’éconnomie sociale et industrielle de la République, et du travail forcé dans des conditions autres que celles qui sont admises par la Convention Internationale de 1926 sur l’Esclavage. A cette fin, ladite Commission d’enquête, en vertu des dispositions d’une Loi des Assemblées législatives du Libéria, approuvée le 6 décembre 1926, a reçu le pouvoir de citer des témoins, de faire prêter serment et de recueillir des dépositions, d’obliger les témoins à comparaître et de punir les témoins défaillants. J ’invite, en conséquence tous les citoyens à se présenter loyalement devant la Commission lorsqu’ils seront cités à comparaître et à se comporter de manière à faciliter l’enquête. A cet effet, je conseille à la population de s’abstenir de discuter toutes questions rentrant dans les termes du m andat de la Commission d’enquête tels qu’ils ont été indiqués ci-dessus, au cours de réunions publiques ayant lieu pendant la durée de la Commission.

F ait de ma main et sous le sceau de la République dans la Ville de Monrovia, le 7 avril de la mille neuf cent trentième année (L. S.) de Notre Seigneur et de la quatre-vingt troisième année de la République. C. D. B. K ing. Par le Président,

Edwin B a r c l a y Secrétaire d'Etat. Annexe II.

TERMES DU MANDAT DE LA COMMISSION INTERNATIONALE D’ENQUÊTE.

1. « Le Gouvernement de Libéria, en vue de dissiper tout doute au sujet de l’existence, dans les territoires de la République, de l’institution de l’esclavage telle qu’elle est définie dans la Convention de 1926 relative à l’esclavage, propose d’établir une commission inter­ nationale d’enquête, munie de pouvoirs spéciaux, en vue de déterminer : a) si l’esclavage, tel qu’il est défini dans la Convention relative à l’esclavage, existe en fait dans la République ; b) si le Gouvernement de la République pratique ou encourage ce régime ; c) si de notables citoyens du pays le pratiquent et dans l'affirmative, quels sont ces citoyens ; d) dans quelle mesure le travail forcé existe en tant que facteur de l’économie sociale et industrielle de l’Etat, soit à des fins publiques soit à des fins privées, et s’il existe, de quelle manière la main-d’œuvre a été recrutée et employée, soit pour des fins publiques, soit pour des fins privées ; e) si le transport d’ouvriers engagés sur contrat à destination de Fernando Po, aux termes de l’accord conclu avec l’Espagne où le transport de ces ouvriers à destination du Congo et de tout autre pays étranger, a quelque chose de commun avec l’esclavage et si le mode d’embauchage de ces ouvriers comporte des mesures de coercition ; /) si la main-d’œuvre employée à des fins privées sur des plantations appartenant à des particuliers ou louées par eux, est recrutée par voie d’engagement volontaire ou est contrainte à ce service par le Gouvernement de-Libéria ou avec son autorisation ; g) si le Gouvernement de Libéria a, à un moment donné, sanctionné ou approuvé le recrutement de la main-d’œuvre opéré avec l’aide et l’assistance du corps des garde- frontières de Libéria, ou si d’autres 'personnes occupant une situation officielle, des fonc­ tionnaires de l’Etat ou des particuliers, ont été mêlés à ce recrutement avec ou sans l’approbation du Gouvernement. 2. La Commission sera autorisée à citer des témoins et à obliger ceux-ci à comparaître, aux termes des dispositions de la loi de 1926, définissant les pouvoirs d’une commission d’enquête ; 3. La Commission aura qualité pour présenter au Gouvernement de Libéria, au sujet des constatations qu’elle aura faites, les recommandations qui pourront lui paraître appropriées et nécessaires en ce qui concerne l’objet de son enquête ; 4. L’enquête sera terminée dans un délai de quatre mois et les conclusions de la Commission seront déposées auprès du Secrétaire d’Etat de Libéria, au plus tard un mois après ». Département d’Etat, Monrovia, Libéria, le 3 septembre 1929.

Autres dépositions faites devant la Commission.

Annexe III.

COMTÉ DE MONTSERRADO.

TÉMOIN ENTENDU PAR LA COMMISSION, A KAKATA. Nous travaillons nos fermes, mais nous ne pouvons pas manger ce qu’elles produisent. Tous les jours, nous portons des paniers. Ils ont besoin d’ouvriers pour travailler à Belleyalla, Boporo, Monrovia et Firestone. C’est nous qu’ils envoient et pas d’argent. Quand nous donnons du riz aux ouvriers pour venir, ils viennent et ils n’ont rien à manger. Les soldats prennent le riz. Quand ils envoient des messagers, il faut leur donner deux seaux de riz et deux poulets. Quand ils nous envoient chercher pour porter des fardeaux et quand nous arrivons, ils nous m ettent dans la cuisine et mettent le feu dessous. Cela, c’est le district N° 1, Commissaire de District Garnett. Nos pères avaient de l’argent et ils nous ont donné nos femmes. Quand nous avons nos femmes, les soldats viennent, ils nous donnent des coups de fouet et ils emmènent nos femmes. Il n’y a plus d’hommes dans le village. Le Président nous a dit que le Commissaire de District a seulement deux messagers, cette fois, on nous dit que le Commissaire de District a 60 messa­ gers. Le Commissaire de district a un commis et un « station master » et d’autres gens. Nous ~ 9 5 — devons les porter dans des hamacs. Nous devons leur donner à manger. Une chèvre, 10 paniers de riz, une boîte d’huile de plame, et après cela il faut leur donner les provisions du mois. Comme cela, le Président King fait de nous des esclaves. Le Président dit que quand les Amé­ ricains viennent dans l’intérieur, ils devraient marcher sur la grande route, mais maintenant ils vont dans la brousse. Ça, mon frère. Ils l’ont blessé et ils lui ont donné une amende de £5. La seule femme qu’il avait, il a dû la mettre en gage parce que nous n’avons pas d’argent. Ils lui ont donné une amende parce qu’il ne nettoyait pas la route. C’est son village à lui. Il les a fait rester là, mais il n’a pas nettoyé la route et ils lui ont donné une amende de £5. Il a dû mettre sa femme en gage. Le Président King nous a dit de ne plus porter de paniers, mais maintenant quand les gens vont dans l’intérieur, ils nous font porter leurs fardeaux. Si nous ne voulons pas, ils nous donnent une amende. Quand le Commissaire de District, ses commis et le « station master » vont dans l’intérieur, ils nous font du mal. Tout le travail qu’ils nous donnent, le fouet est notre paie. Dans notre pays à nous, nous sommes des esclaves. Maintenant que nous vous voyons, vous êtes notre père et nous devons vous raconter. Nous ne voulons plus retourner là-bas, parce qu’ils nous fouettent. Notre riz à nous, ils le mettent sur notre dos et l’appellent charge du Gouvernement. Nous sommes des hommes de la cam­ pagne. Nous ne faisons pas notre travail à nous. Nous travaillons pour leur donner à manger.

D é p o sit io n d ’u n t é m o in e n t e n d u pa r la C o m m issio n a K a k a t a .

Témoin. — Nous travaillons ici pour le Gouvernement, nous avons une ferme à nous et nous faisons un travail d’ouvrier et puis nous portons des fardeaux. Quand l’affaire du riz du Gouvernement arrive, ils viennent nous chercher. Quand nous sommes assis pour rien, si nous travaillons nos fermes pour nous, c’est assez pour nous, mais beaucoup trop travaillent ici maintenant. Mais quand le riz du mois et le riz des soldats est fini, alors ils nous emmènent comme ouvriers. Quand nous arrivons dans le village, ils nous font porter des fardeaux. Une fois, quand ils nous ont alignés ici, nous étions 100 ouvriers, ils nous ont envoyés à Careysburg. Quand ils nous ont envoyés là, les couteaux que nous avons pour travailler, ils nous les ont pris et les gens" qui travaillaient là, ils leur ont donné les outils. Le Grand Chef et son « speaker » nous ont dit de leur donner les outils à garder et ils nous ont dit que quand nous revenons ils nous rendent nos outils. Je leur ai dit que je n’ai qu’un couteau, parce que nous faisons ce travail tous les jours. Et nos plantations que nous coupons, c’est pour les autres. Si je laisse mon couteau ici, je ne le vois plus quand je reviens, parce que tous les jours ils nous forcent et quand nous allons, ils disent que nous devons apporter des outils du Gouvernement. Depuis que le travail du Gouvernement a commencé, ils disent que nous devons trouver nos outils et ils nous ont pris nos outils et nous ont remis au messager qui est venu nous chercher. Question. — Quand les hommes apportent leurs propres outils, les retrouvent-ils jamais ? Témoin. — Quelquefois, on les retrouve, mais pas la dernière fois. Quand nous sommes revenus, nous n’avons pas retrouvé nos outils. Quelquefois, on apporte sa hache et ils la pren­ nent. Voilà le mal qui nous arrive ici. Nous sommes des ouvriers et nous devons tout vous dire. Quand on vient ici pour travailler avec le Commissaire de District David Carter, on nettoie la cour avec les doigts, on n’a rien à manger et tout le paiement, c’est des coups. Ses soldats nous battent.

D é p o sit io n e n t e n d u e pa r la Co m m issio n a K a k a t a .

L’homme qui a ouvert le secteur de Kakata était Gbantooba. Ce secteur ici, il appartient à nous, mais ce qu’ils font à nous dans ce secteur, nous avons peur de dire. Ce que nous dirons, nous regretterons ; c’est parce que nous avons entendu que vous être tous ici que nous sommes venus au village. Je suis dans la brousse maintenant. Ce Libéria a fait des esclaves de nous. Nous sommes des esclaves dans ce pays maintenant. Ce secteur était à nous avant, mais nous sommes des esclaves depuis que ce Gouvernement a commencé ; nous portons des charges et le travail d’ouvrier a commencé. Quand ils viennent, ils nous demandent des ouvriers pour porter des charges. Nous fournissons nous-mêmes notre nourriture et alors les messagers et les soldats nous battent. Une fois, ils ont tellement battu un homme qu’ils l’ont fait mourir. C’était là où le Commissaire de District demeure. Nous avons dit au Président, mais lui n’a rien fait. Nous ne savons pas si le Grand Chef a fait dire quelque chose au Président. Ils nous ont dit seulement d’enterrer l’homme et nous avons fait comme ils ont dit. Quand nous tra­ vaillons ici, nos fermes ne nous appartiennent pas parce qu’ils prennent le riz et alors nous travaillons sans ferme. Ils nous forcent à leur donner le riz et nos femmes plantent le riz. Quand le riz est mûr ils font couper le riz par les femmes et les hommes construisent la cuisine. Maintenant ils ont une cuisine pleine de riz tout près d’ici. S’ils nous tiennent comme cela et coupent le riz, est-ce qu’ils ne peuvent pas nourrir les soldats avec ce riz ? Cette maison-là, c’est nous qui l’avons construite. Quand les femmes badigeonnent la maison, ils les piquent avec des bâtons par derrière. Quand nous avons raconté cela au Grand Chef, il nous a dit de sortir. Ça c’est la palabre méricaine. Quand le pays était ici, quand Faulkner était ici, les hommes qui ont dit qu’ils étaient pour Faulkner, ils ont parlé pour la dernière fois. Et c est pourquoi nous avons peur. Quand vous partirez tous d’ici, ils nous attraperont de nouveau. Maintenant ils ont écrit une lettre au Président. C’est le Grand Chef qui a écrit la lettre, vous voyez comment tout va. Vous comprenez que nous ne pouvons pas être tranquilles dans no re secteur ? C’est nous qui avons ouvert ce secteur, mais nous sommes des esclaves main enan . Quand vous venez nous demander comment les choses vont, voilà ce que nous avons a ire. — g 6 —

D é p o sit io n e n t e n d u e f a r la Co m m issio n a K a k a t a .

Je suis de ce secteur. Avant, ici, il n’y avait pas de village, excepté Kakata. Le frère de mon père, quand il tuait des éléphants, a fait cette route lui-même. Quand les gens du pays mar­ chaient, ils devaient faire d’abord leur route. Depuis que cette affaire du Libéria a commencé, il y a déjà huit ans, nous allons toujours et nous ne pouvons pas nous asseoir. Nous avons travaillé comme des ouvriers. Nous sommes allés jusqu’à Sanoquelle — et rien à manger pour nous. Quand il y a eu les impôts, ils ont pris mon père qui était chef. Il était sourd et il ne voyait que d’un œil. Où pouvait-il prendre l’argent ? Un homme Kroo est venu et mon père a dit à l’homme Kroo de lui prêter £2. L’homme lui a prêté les £2 et il a mis un garçon en gage. Je suis allé à Monrovia et j’ai travaillé pour les £2. Et il a rendu l’argent à l’homme Kroo et a racheté le garçon. L’homme a emporté l’argent, mais les soldats l’ont pris sur la route, l’ont battu et nous ne l’avons pas vu depuis. Ils l’ont pris comme ouvrier. Ils m’ont emmené à Banga. Je suis resté là une semaine avec rien à manger. Ils ont pris mon frère et l’ont battu. Quand il est revenu, il a rendu du sang et il est mort. C’est pourquoi je ne fais que marcher, je ne peux pas rester à une place. Et puis, ils nous ont renvoyés et chaque fois nous travaillons sur la route et ils nous donnent des coups de fouet et quand vous quittez la route, vous êtes presque mort =— rien à manger. J ’ai une sœur et elle est en gage. C’est moi qui travaille pour racheter l’enfant de mon oncle qui est en gage. Nous travaillons pour le Gouvernement, j’ai mon fusil à moi. Je suis allé me promener dans la brousse un jour. J’ai rencontré les soldats, ils ont pris mon fusil, ils m’ont battu et voici encore la marque sur ma cuisse. Quand nous faisons du travail d’ouvrier, ils nous battent. Quand nous récoltons notre riz, ils nous battent. Les soldats m’ont pris mon fusil, m’ont attaché et m’ont donné une amende de £4. Mon oncle a mis quelqu’un en gage pour me libérer. Quand nous avons descendu la route, l’équipe d’ouvriers sur la route m’a pris mon riz. Nous n’avons pas de vêtements. Un jour, Faulkner est venu ici et il a appelé tous les gens de la campagne. A Kakata, ils m’ont battu. Regarde la marque sur mon pied. Nous ne travaillons sur aucune ferme. Quand nous travaillons, ils nous font payer le riz du mois et l'huile de palme. Nous souffrons... (icile témoin s’interrompt et déclare : Les Grands Chefs étaient forts à la dernière Conférence, mais ils peuvent rien faire contre le Gouvernement).

D é p o sit io n d ’u n t é m o in d e B a n g a e n t e n d u p a r l a Co m m issio n a K a k a t a .

Je suis venu vous voir. C'est le même travail de Gouvernement qui nous a fait protester. La fois que j’étais ici, on faisait du travail d’ouvrier ; on portait des charges et il y avait un homme du Libéria qui s’appelait Finsabbu. Une fois, on lui a donné des travailleurs. Ma part était petite et ils étaient derrière nous et ils nous ont fouettés. Ils m’ont attrapé et ils m’ont battu. Ils m’ont donné une lanterne à porter et j’ai mis la lanterne sur la route et quelqu’un est venu la prendre. Après que nous sommes partis, le lieutenant est venu et a demandé pour­ quoi les hommes avaient pris sa lanterne. J’ai payé £6 pour cette lampe. Je l’ai dit au Grand Chef. Alors le lieutenant a envoyé un messager au village et ils nous ont pris et nous ont emmenés au camp. J’étais assis, un de mes frères est venu me dire qu’ils avaient pris tout le monde pour payer les £6 et j’ai mis un garçon en gage pour payer la somme. L’homme Mandingo à qui j’ai donné le gage voulait emmener le garçon à Monrovia, alors je l’ai suivi jusqu’à la ferme du Secrétaire Cooper et j’ai prié l’homme de libérer l’enfant. Voilà ce que je voulais dire. Quand vous êtes assis dans votre maison, les soldats viennent dans le village et demandent du vin de palme. Si vous n’en avez pas, ils vous jettent par terre et vous donnent 25 coups. Sinon, ils entrent dans votre maison et prennent tout ce qu’il y a. La ferme que j’ai cette année, si je ne travaille pas dur, il n’y a personne pour gratter (pour planter.) Ce travail qu’ils nous donnent, il y a des villages qui ont quatre hommes et ils nous disent d’en envoyer deux et ensuite ils demandent des poulets, du riz et de l’huile de palme. Et quand ils viennent chercher ces choses, ils restent assis là et ils ne s’en vont pas avant de les avoir. Je leur ai donné une fois quatre baquets d’huile de palme et un baquet de riz. Ils m’ont attrapé et ils m’ont dit qu’ils avaient demandé six baquets et non pas quatre, ils m’ont mis une corde autour de moi et ils m’ont battu. Le vêtement que j’avais sur moi, ils l’ont pris et ils ont pris mon chapeau parce qu’ils ne veulent pas que les prisonniers gardent quelque chose. Je suis un gentlemen, je suis né à Banga, mais quand ils nous punissent dans notre secteur, nous ne pouvons pas rester là. Si vous alliez plus loin, vous verriez quelque chose, mais là où ils nous punissent, nous devons nous enfuir. Quand les soldats viennent dans le village et voient un petit garçon, ils le prennent. Ils prennent le petit garçon et ils le mettent au-dessus de nous — les grandes personnes. Quand ils ont fini de manger le riz dans le village, ils appellent les garçons et ils les emmènent.

D é p o sit io n e n t e n d u e p a r la Co m m issio n a K a k a t a .

Je suis du secteur de Kakata. Quelque chose est arrivé, alors je suis venu. Nous étions dans le secteur de Naifokol et nous sommes restés là jusqu’à ce que ce travail de Gouvernement a commencé et nous travaillons tous encore. Ils nous ont fait démolir un petit village et cons­ truire un grand village. Il y avait un chef ici qui s’appelait Fahn. Il est allé dans le secteur de Naifokol et a parlé au chef, là, de la palabre de la route. Il est resté là et ils ont envoyé des messagers dans notre village et ils ont démoli notre village. C’est le frère de Momo Gray qui a fait ça. Nous dormions dans la brousse et faisions le travail. Nous n’avions pas d’endroit — 97 — pour dormir. Tous les jours, ils couraient après nous et nous attrapaient. Un jour, quand ils ont abattu un arbre à coton, ils l’ont laissé tomber dans le village. Quand vous restez là, le soleil se lève, ils vous demandent pourquoi vous les laissez rester là et ils vous laissent rester assis sur l’arbre à coton jusqu’à ce que vous payez un poulet. Nous faisons du travail pour le Gouvernement et pas de paiement. Quelquefois, si nous sommes en retard, ils nous font payer i dollar. Ils ont pris notre père et il est allé à Monrovia. Ils l’ont pris la nuit, ils l’ont porté sur la route et lui ont demandé pourquoi il ne construisait pas le village. Une fois, ils ont pris un chef et ils lui ont donné des coups de fouet. Nous ne savons pas qui lui a donné des coups de fouet, et après cela il a été malade. Nous avons dû prendre l’homme dans la brousse où nous dormons. Je suis allé le dire à son fils et aussitôt que je suis parti, la nuit, l’homme est mort. Alors je suis venu ici pour le dire à un homme qui a fait chercher le mort et l’a porté chez lui. La femme et les gens du chef sont venus aussi. Je suis allé raconter la chose à Daniel Walker, l’ancien Grand Chef. Nous avons laissé le travail de côté quand nous avons enterré l’homme. Un homme appelé Kolmingro a apporté un shilling et une feuille de tabac et les a portés au Grand Chef pour lui dire que l’homme était mort. L’homme était à Monrovia. Ils sont allés le dire à sa femme. Il n’a envoyé personne. Quand vous êtes dans un secteur et quelque chose arrive à des gens de chez vous et ils le disent au Grand Chef, il doit aller voir. Après que nous avons enterré l’homme, nous n’avons rien vu d’autre, mais le Chef a envoyé prendre la propriété de l'homme mort. Nous avons raconté la chose à Walker et il a arrêté les gens, et quand le Commissaire de district Collins est venu, nous lui avons raconté aussi. Ils prennent des ouvriers et les forcent à construire des maisons. Comme ils nous traitent ici, nous ne sommes pas contents. On nous a fait venir ici de force. Et nous sommes revenus. Quand le Commissaire de District Watson est revenu, nous lui avons raconté la chose. Ils nous ont pris et emmenés à Kakata et ne nous ont pas donné le temps de parler, mais ils nous ont renvoyés au village. Nous sommes allés au village de Weblu et il nous a dit que tous les hommes qu’il avait pris et amenés là il devait leur faire prêter serment pour qu’ils ne s’en aillent pas, mais je ne leur ai pas fait prêter serment. Le Grand Chef leur a dit de venir et de me prendre et j’ai dû mettre ma mère en gage pour être libre. Ils ont dit que si nous ne voulons pas construire la maison, ils nous mettront les brodequins. Puis, ils nous ont attaché une corde autour de la taille et ils nous ont fait travailler le dimanche. C’est le « speaker » Klimibioko qui a fait tout cela. Parce qu’ils m’ont gardé si longtemps, je suis maintenant messager. Quand ils nous ont pris, ils nous ont fait construire des maisons. Question. — Votre mère est-elle encore en gage ? Réponse. — Oui. Question. — Depuis combien de temps l’avez-vous mise en gage ? Réponse. — Moi pas mis elle en gage. Un de mes parents, ils l’ont mis en gage pour £2 et avec les droits du Grand Chef, cela fait £4. Question. — Où est le garçon ? Réponse. — Il est avec l’homme. Ils m’ont donné une amende de £4/10 et avec les frais, cela fait £8/10. Question. — Combien devez-vous maintenant ? Réponse. — £6.

D é p o sit io n e n t e n d u e p a r la Co m m issio n a K a k a t a .

Nous sommes ici, nous restons ici. Depuis que cette palabre du Gouvernement venir, ils ont fait trop. Ils nous font trop. Si nous voulons travailler notre ferme, nous ne pouvons pas. Tout allait bien avant que cette palabre de route commence. Si un homme manque un jour, si un ouvrier veut se reposer, s’il est malade, il doit payer 60 cents. Si nous manquons une semaine, 12 shillings. Un homme ici a dû payer £2 d’amende. Un jour, quelqu’un vient et dit qu’il veut le riz du mois du village, 4 paniers de riz. Si nous ne le donnons pas, ils nous prennent1 ils nous battent et ils nous attachent. Le nom de notre Grand-Chef est Sikfie. Quand le riz du mois est fini pour un village, c’est une boîte d’huile de palme. Si nous ne la donnons pas, ils nous battent. Le moment de travailler sur la ferme est venu et maintenant ils nous disent d’aller plus vite. Ils m’ont donné 80 ouvriers à emmener chez Firestone. Les hommes ne veulent pas aller, parce que quand nous allons, on ne nous donne pas d’argent. Quand nous sommes descendus, ils nous ont donné 46 paniers de riz à porter. Ils sont chez le Commissaire de district maintenant. C’est du riz du Gouvernement. Nous avons entendu parler de vous, nous venons vous voir et vous demander si nous devons aller. Le chef de village de notre secteur est chez le Commissaire de District ici. Le « speaker » l’a poursuivi et il est allé chez le Commissaire de District pour parler la palabre.

D é p o sit io n e n t e n d u e p a r la Co m m issio n a K a k a t a .

Tous les mois, le riz qu’ils prennent chez nous, nous l’envoyons ; ils ne sont pas contents. Quand les messagers laissent le riz ici et s’en vont, quand ils arrivent là-bas, ils disen que nous devons les nourrir encore. Nous leur demandons pourquoi ils laissent le riz a a ra a et reviennent chez nous chercher du riz. Si nous ne leur donnons pas le riz, us sauten sur nous - 9 8 - et nous battent. Aucun de ces indigènes ici, même si vous le payez, ne se battra avec les messa­ gers. Même s’il est chef et s’il se bat avec les messagers, il doit rester en prison jusqu’à ce qu’il paie l’amende qu’ils lui donnent. Quand nous achetons de l’alcool à Monrovia et nous l’appor­ tons ici, les soldats le prennent. Si nous achetons de la poudre, ils nous la prennent et quand ils viennent ici, ils demandent de la viande ; nous ne savons pas où aller chercher la viande, parce que nous n’achetons plus de poudre pour l’apporter ici. Ces pantalons khaki, les blancs font de la toile pour que nous la portions, et si vous n’étiez pas tous ici, les soldats m’auraient pris mes pantalons. Les gens de ce secteur, les vieux les envoient sur la route ; quand ils les battent, si vous les voyez, vous aurez du chagrin. Quand ils envoient des hommes et ils voient tout ce malheur, ils ne veulent plus aller. Maintenant, ils nous ouvrent le chemin pour Fernando Po. Depuis que les gens sont allés, ils ne reviennent pas. Cette grande ferme du Président que vous voyez là, des ouvriers ont fait le travail. Ils ne les envoient pas tous sur la ferme, ils les divisent. Il y en a qui vont chez David Carter et il y en a d’autres qu’ils envoient dans la brousse pour cueillir des noix de palme. Pendant que nous avons bâti ce camp, aucun Méricain n’a apporté de tige de manioc ici. Les indigènes ont fait tout le travail.

D é p o s it io n e n t e n d u e p a r la Co m m issio n a K a k a t a .

Nous sommes des indigènes. La route a commencé depuis que nous sommes ici. Elle n’est pas arrivée tout de suite à Kakata. Elle a commencé à Monrovia et ils ont envoyé un message pour dire de rassembler des hommes et nous les avons envoyés. Maintenant, la route arrive ici. Nous envoyons tout le temps des ouvriers sur la route et nous leur donnons à manger. Nous devons leur donner des couteaux et une hache. Nous prenons de l’argent pour acheter ces choses et les envoyer sur la route. Quand nous envoyons les hommes sur la route, ils les prennent et les attachent. Quand ils ont fini avec eux, ils reviennent et font leur rapport. Alors nous racontons la chose au Grand Chef parce qu’il a dit que nous devons envoyer des ouvriers sur la route. Le Grand Chef dit que c’est l’ordre du Gouvernement. La route est arrivée ici à Kakata. Toutes les semaines, 250 hommes de ce secteur sont sur la route. Quand nous rassemblons tous ces hommes, quelques-uns vont sur la ferme du Secrétaire, d’autres sur la ferme du « station master » et ils nous disent d’en amener encore. Si nous ne le faisons pas, ils nous donnent une amende et les anciens qu’on a laissés dans le village prennent des femmes et les mettent en gage pour avoir l’argent et payer l’amende. Depuis que la route a commencé, nous payons des amendes. Après cela, le Commissaire de District est venu ici. Il a dit que nous devons construire tout ce camp. Les femmes ont pris de la boue et ont badi­ geonné les murs. Les femmes et les ouvriers doivent venir travailler ; s’ils ne viennent pas, ils les attrapent et leur mettent un long bâton sur le dos, un bâton comme celui-ci (un baton est remis à la Commission). Quand ils ont construit ce camp, nous avons dû payer les femmes et les ouvriers pour construire la maison. Nous devons le faire. Si nous allons quelque part, ils nous remènent pour le faire. Voilà la palabre ici. Nous avons une prison pour nous ici. J ’y suis allé aussi. Nous étions 19 chefs de village enfermés. Parce que nous n’avions pas envoyé le riz du mois. Je suis resté là, et chaque village a envoyé 5 paniers de riz avec 10 shillings en espèces, pour tout le secteur pour acheter de l’huile de palme. Après cela, nous devons encore faire tout le travail. Nous ne voyons jamais d’argent et avant de recevoir 1 cent, nous devons prendre nos fils et les mettre en gage pour payer les amendes. Qui est-ce qui serait content de mettre son enfant en gage pour avoir de l’argent ? Tout cela maintenant. Voilà les nouvelles de ce secteur.

D é p o s it io n e n t e n d u e p a r la C o m m issio n a M o n r o v ia .

David W. Ross, que l’on dit être le fils adoptif de l’Honorable S. A. Ross, ancien Directeur général des Postes, a fait devant la Commission la déclaration suivante : Dans l’incident de Sinoe, mentionné si souvent, les hommes ont été envoyés du secteur de Tabien. Le Commissaire de District Watson, les a envoyés avec 150 corbeilles de riz. Ils étaient accompagnés de messagers et d’une lettre indiquant que le riz était le propriété du Gouvernement. Quand le riz est arrivé à Sinoe, il a été vendu à diverses personnes. Les hommes ont été logés de l’autre côté de la rivière. J ’ai été envoyé ici par bateau à rames avec une lettre pour le Consul d’Espagne, lui demandant de prendre des dispositions afin d’envoyer un vapeur à Sinoe. Lorsque le vapeur est arrivé, les hommes ont été poussés de force dans les bateaux ; quelques-uns ont sauté par-dessus bord et ont regagné la rive à la nage. Ils ont tous été envoyés à Fernando Po. En venant à Sinoe, les hommes étaient accompagnés de messagers chargés de les empêcher de fuir. Les messagers étaient commandés par Blackett. M. Collins a également aidé à garder les hommes. Un certain contingent d'hommes n’a jamais été envoyé à Fernando Po. M. Sherman a empêché leur expédition. Quand M. Ross est arrivé à Monrovia et a été nommé Directeur général des Postes, il a commencé à expédier des hommes à Fernando Po. Il les envoyait à Sinoe chez son beau-frère Pelham, agent de recrutement de l’endroit. Quelquefois, ils étaient expédiés d’ici à Sinoe sur un vapeur allemand. Parfois, aussi, un vapeur britannique embarquait à Bassa pour Sinoe un autre contingent d’hommes expédiés par l’Inspecteur, mais c’est le vapeur espagnol qui les transportait de Sinoe à Fernando Po. Les personnes civilisées qui envoyaient les hommes à M. Ross recevaient de lui, £1, mais les hommes envoyés par des indigènes ne touchaient que 4 shillings. — 9 9 —

Pendant la conférence de Kakata, M. Ross a écrit au Commissaire de District Watson pour lui demander des hommes. C’est Peabody et moi-même qui avons porté la lettre. Mais M. Watson a répondu que le Secrétaire à l’Intérieur était là et qu’il lui était impossible pour le moment de fournir les hommes. Nous avons alors porté du gin, du tabac et du riz à la plan­ tation N° 7 de Firestone, en vue du recrutement. Nous avons dit aux hommes qu’on avait besoin d’eux pour travailler sur les bateaux. Quand ils ont appris que leur destination était Fernando Po, quelques-uns se sont enfuis. M. Simpson, Secrétaire à l'Administration générale des Postes, nous a procuré un certain nombre d’hommes et le Colonel T. Ellwood Davis nous en a fourni d'autres. Nous recevions 4 shillings par homme. Des agents de police et d’autres ont envoyé leurs frères et ont touché 4 shillings par homme pour Fernando Po. Le vapeur espagnol venait généralement vers le 20 du mois et amenait l’argent pour les hommes. Au début, M. Ross touchait £8 par homme, puis le prix s’est élevé à £9 ou £10. Après l’arrivée du bateau espagnol, M. Ross allait toujours à la banque pour y déposer l’argent. Une fois, nous avons emporté 16sacs de £100 chacun. Une partie de l’argent arrivait en or et une autre partie par chèques. Il empor­ tait toujours l’argent chez lui et le soir même ou le jour suivant, le Président lui rendait visite. Au moment de partir, le chauffeur du Président portait toujours de l’argent à la voiture, mais je ne pourrais pas dire combien. Le Colonel T. Ellwood Davis venait aussi pour les mêmes raisons et parfois touchait l’argent du Président ; une somme d’argent était toujours envoyée à M. Pelham. Alfred, le fils de M. Ross, était souvent présents et pourrait confirmer tout ce que je viens de dire. Je peux jurer et je jure que de l’argent était emporté. Je l’ai moi-même quelquefois remis au chauffeur.

E x t r a it d e la déclaration f a it e p a r l e P r é s i d e n t K in g a u c o u r s d ’u n e r é u n io n

s p é c ia l e d e la Co m m issio n c o n v o q u é e s u r sa d e m a n d e , le 31 j u il l e t ,

a l ’« E x e c u t iv e M a n s io n ».

Le Président King. — Bon. Tout ce que je sais, c’est que ces déclarations ont été faites et qu’il serait peut-être nécessaire de fournir quelques explications complémentaires, bien que les avis aient été partagés quant à la question de savoir s’il était nécessaire que je prenne cette mesure. Toutefois, étant donné que la Commission a eu ces déclarations sous les yeux et a provoqué des contre-investigations, j’ai jugé nécessaire de fournir quelques éclaircissements. Premièrement, en ce qui concerne les déclarations faites par le jeune Ross, je puis affirmer catégoriquement qu’elles sont inexactes. Il n’y a jamais eu de transactions financières entre M. Ross et moi et je puis le prouver. J ’ai pris la peine de faire faire des déclarations par d’autres personnes qui ont signé des affidavits, pour contredire les allégations en question. A ffidavit. République de Libéria, Comté de Sinoe. Bureau du Juge de paix, Greenville, Comté de Sinoe. En ma qualité de juge de paix pour le Comté de Sinoe, je certifie qu’Alfred Ross s’est présenté devant moi en personne et a déclaré sous serment avoir appris qu’un certain David W. Ross, son frère de lait, a signalé, entre autres choses, à la Commission internationale d’enquête que le dit Alfred Ross était présent au domicile de feu son père, l’Honorable S. A. Ross quand S. E. C. D. B. King y est venu à la tombée de la nuit, après le passage du vapeur espagnol, le 21 ou le 22 du mois, et que le Président King et feu son père partageaient l’argent qui était retiré de la Banque par le père, pendant la journée, dans des sacs de £100 chacun, que le Président emportait sa part en quittant la maison, qu’en outre, le Colonel T. E. Davis venait également chercher sa part et qu’enfin, une partie de l’argent en question était envoyée ici à M. Pelham. Or, Alfred Ross a affirmé qu’à sa connaissance, lesdites déclarations étaient sans fondement et que, bien qu’il eût vu le Président venir souvent le soir dans la demeure de feu son père, lorsque celui-ci était en vie, il ne les avait jamais vus se partager de l’argent et n’avait jamais vu le Président emporter de l’argent en partant. Fait sous serment et signé devant moi le 23 mai A.D. 1930.

(Signé) William R. D r a p e r . Juge de paix du comté de Sinoe. (Signé) Alfred Ross Déclarant.

Affidavit. Je soussigné, Jonathan Chuku Labor, 17 Hill Street, Freetown, dans la Colonie de Sierra Leone, chauffeur, déclare sous serment ce qui suit : x. Au mois de décembre 1929, j’étais au service de S. E. Charles Dunbar Burgess King, Président du Libéria, en qualité de chauffeur depuis plus de cinq ans. 2. Je n’ai jamais, pendant mon service en qualité de chauffeur auprès du Président King ou à n’importe quel autre moment, reçu de feu l’Hon. M. Samuel A. Ross, Directeur général des Postes du Libéria, soit directement, soit par l’intermédiaire d’une autre personne, une somme d’argent ou son équivalent, pour être remise au Président King ou être utilisée d une manière quelconque pour le compte du Président King. — 1 0 0 —

3- Lorsque j’ai conduit le Président King à la demeure dudit M. Ross ou à n’importe quel autre moment, je n'ai jamais reçu ou laissé mettre dans l’automobile conduite par moi ou dans tout autre véhicule, une somme d’argent quelconque ou n’importe quelle autre valeur équivalente à de l’argent. 4. Pendant la durée de mon service en qualité de chauffeur auprès du Président King ou à n’importe quel autre moment, je n’ai jamais été envoyé chercher, et ne suis jamais allé chercher, chez ledit M. Ross une somme d’argent ou l’équivalent quelconque d’une somme d’argent. 5. Au cours de mon service en qualité de chauffeur auprès du Président King ou à n’importe quel autre moment, je n’ai jamais reçu de David Ross, fils de feu M. Samuel A. Ross, soit directement, soit par l’intermédiaire d’une autre personne, une somme d’argent ou son équi­ valent, et ledit David Ross n’a jamais déposé de somme d’argent ou l'équivalent d’une somme d’argent dans une automobile conduite par moi ou dont j’ai eu la garde. 6. Il m’a été dit, et je crois réellement que ledit David Ross a déclaré m’avoir donné une fois une boîte pleine de pièces d’or destinée à être remise au Président King. Ledit David Ross ne m’a jamais remis de boîte ou autre récipient contenant des pièces de monnaie quelconques. (Signé) Jonathan Chukur L a b o r . Fait sous serment le 5 juillet 1930, devant moi :

(Signé) W. E. M a c a u l a y . Commissaire des Affidavits, dûment autorisé à faire prêter serment.

D é p o s it io n e n t e n d u e p a r la C o m m issio n a M o n r o v ia .

Ils m’ont dit qu’on allait à Cap Palmas pour travailler. C’est pourquoi moi et Hurley (témoin) on a décidé d’aller. C’était un mensonge. Ils ne nous ont pas dit que nous allions à Fernando Po. Ce sont des gens du dehors qui nous l’ont dit. J ’ai déclaré que je ne voulais pas aller à Fernando Po, et on m’a dit que, dans ce cas, il faudrait que je rembourse la valeur en argent de ce que j’avais mangé. J’ai demandé qu’on me donne du temps pour trouver l’argent. Quand je suis sorti pour essayer de trouver de l’argent, ils ont lancé la police sur moi. Ils m’ont fait fouetter ; ils m’ont ligoté et ils m’ont mis dans les latrines. Je me suis débattu, j’ai crié et ils m’ont fait sortir. J ’ai entendu dire que le vapeur était arrivé. Ils m’ont fait entrer de force dans une barque et j’ai été amené jusqu’au vapeur sur les ordres de M. Yancy. Plus tard, nous avons été ramenés à la côte. Quand nous avons débarqué, on nous a conduits à la station de police et on nous a dit que ceux qui ne voulaient pas aller à Fernando Po pou­ vaient retourner chez eux. Maintenant, nous apprenons qu’une commission d’enquête est ici et nous venons vous raconter nos malheurs. Quand des hommes sont envoyés à Fernando Po et meurent là-bas, leurs amis du Libéria n’ont aucun moyen de savoir ce qui leur est arrivé. Le Gouvernement devrait remettre à chaque homme un passeport pour qu’on puisse retrouver sa trace si c’est nécessaire. Les Libériens nous expédient, nous autres Kpessehs, comme ils expédient leur café, et nous vendent comme ils veulent. Comme M. Twe les a empêchés, à cette occasion, d’agir ainsi avec nous, ils ont brisé sa carrière. Ils lui ont retiré son emploi. Si nous vivons à l’intérieur du pays, les Commissaires nous obligent à les nourrir Si nous donnons deux paniers (une charge) de riz, ce n’est pas assez ; nous pouvons être ligotés et fouettés. Aussi vrai que je suis ici maintenant, mon père était chef de quinze villages ; mais ces villages n’ont plus d’habi­ tants maintenant. La population les a entièrement désertés pour passer du côté français. Nous autres, comme « boys », sommes venus à la côte pour chercher du travail d’arrimage dans les ports, et ils essaient de nous expédier à Fernando Po. Et parce que M. Twe nous a aidés à nous tirer d’affaire, ils l’ont accusé de faire le mal.

D é p o s it io n e n t e n d u e pa r la C o m m issio n a M o n r o v ia .

Un des boys de M. Yancy, nommé Johnson, m’a dit qu’on avait besoin d’hommes pour aller de Monrovia à Cap Palmas, pour travailler sur la ferme de M. Yancy. J ’ai décidé avec d’autres d’y aller. Quand nous sommes arrivés à la maison de M. Yancy, à Monrovia, nous sommes restés là, et des amis que nous avons rencontrés dehors nous ont dit qu’on allait nous envoyer à Fernando Po, et non pas à Cap Palmas. Nous avons refusé d’aller à Fernando Po et Kpalukpolo, qui était avec moi, est parti. Quand M. Yancy a appris qu’il était parti, il l’a envoyé chercher et il a dit : « Conduisez-le en bas et attachez-le. » Quand il a été attaché ils l’ont battu, et il a crié si fort que M. Yancy l’a fait amener dans la cour et lui a demandé ce qu’il avait. Il a répondu : « Ils me battent. » M. Yancy a dit : « C’est de ta faute ; tu as décidé de travailler pour moi ; je t’ai donné Si et je t’ai trouvé de la nourriture. Si tu ne veux pas aller, tu dois me payer le dollar et le prix de ta nourriture. » Kpalukpolo a répondu : « Très bien. Je vais aller chercher de l’argent et je le rapporterai aussitôt que je l’aurai ; mais je ne veux pas aller à Fernando Po. » Pendant tout ce temps il est resté attaché et il criait, et M. Yancy a dit : « S’il continue à faire ce bruit, mettez-le dans les latrines. » Plus tard, on l’a retiré de là, quand un Méricain appelé Simpson est venu. Il parlait bien Kpessi et il a servi d’interprète à M. Yancy, qui nous a raconté un tas de belles histoires et nous a donné beaucoup de courage. 101 —

M. Yancy a dit : « Dans ce pays je gagne beaucoup d’argent, moi et le Président King. Le jour où M. King aura fait son temps, ils me mettront à sa place dans la « Mansion » ; c’est pourquoi beaucoup de gens ne m’aiment pas, et c’est pourquoi on vous dit que vous allez à Fernando Po. Ils vous racontent des mensonges pour me faire du tort aux prochaines élections. » Puis, ils ont détaché Kpalukpolo et nous ont dit de retourner nous asseoir et que demain le vapeur viendrait. Le matin de bonne heure, Kpalukpolo s’est encore sauvé. M. Simpson nous a amenés au port et nous a dit d’entrer dans le bateau. A ce moment Kpalukpolo était ramené par deux agents de police et par Johnson, le boy de M. Yancy. Les agents de police lui donnaient des coups de fouet, et il criait. Ils l’ont mis dans le bateau et nous sommes montés à bord du navire, où ils nous ont comptés quatre fois. Après quoi, le chef de la police est venu à bord et a dit que M. Twe avait fait une plainte au sujet de nous. Il nous a ramenés à terre, et à la station de police nous avons entendu dire que c’était parce qu’ils avaient employé la force. On a dit à ceux qui ne voulaient pas aller à Fernando Po de sortir des rangs, et ils ont été renvoyés. Je suis parti avec eux.

D é p o sit io n e n t e n d u e p a r la Co m m issio n a M o n r o v ia .

Je suis venu de Sinkor à Monrovia avec mon frère (un ami), et nous avons rencontré un homme qui nous a dit qu’il avait besoin d'hommes pour Cap Palmas et qu’il fallait aller et rester chez lui jusqu’à ce que le bateau arrive. Nous avons été d’accord, et il a dit que, pendant qu’il nous donnait à manger, nous ne devions pas sortir et nous promener dans les environs. Au bout de quelque temps nous avons entendu dire que nous n’allions pas à Cap Palmas, mais à Fernando Po. Nous voulions aller marcher sur la route, mais M. Yancy n’a pas voulu, parce que le vapeur pouvait venir à n'importe quel moment et il faudrait monter à bord. Nous avons refusé d’aller à Fernando Po. Cette nuit, quand Kilikaï, mon ami, est retourné à la maison, il a été saisi, fouetté et enfermé dans les latrines. Alors, nous avons pensé : s’ils nous traitent comme cela ici, à Monrovia, qu’est-ce qu’ils nous feront à Fernando Po ? Nous avons été ensuite envoyés sur le bateau. Plus tard, M. Twe, qui avait su notre histoire, nous a fait rechercher. Nous ne savons pas qui a donné les ordres, mais nous avons été ramenés à terre. M. Yancy nous a dit que des gens luttaient contre lui parce qu’ils ne voulaient pas nous laisser gagner de l’argent.

D é p o sit io n e n t e n d u e p a r l a C o m m issio n a M o n r o v ia .

J ’étais au bord de l’eau. J ’ai entendu du bruit au quai ; alors je suis allé de ce côté, et j’ai vu un homme qui travaillait pour M. Yancy pousser des hommes dans un bateau. Je lui ai demandé pourquoi il les forçait à partir, et il m’a répondu que c’était parce que M. Yancy et M. Simpson avaient dit qu’ils devaient aller. Alors M. Simpson est venu et a donné l’ordre de faire partir le bateau. Je lui ai demandé des explications, mais il ne m’a pas répondu. Puis, M. Twe est arrivé, et nous sommes allés ensemble chez l’inspecteur de police. Pendant que nous étions là il y a eu un coup de téléphone, et nous avons compris que l’inspecteur avait reçu l’ordre d’envoyer quelqu’un à bord du navire pour ramener les hommes. Je suis allé à bord avec M. Twe, et un des hommes m’a dit qu’ils ne voulaient pas être envoyés à Fernando Po.

D é p o sit io n f a it e p a r M. F r a n k l in W a l k e r d e v a n t la C o m m issio n a M o n r o v ia .

M. Walker, du territoire de Marshall, interrogé sur la main-d’œuvre employée à la construction des routes, a déclaré : En 1926, me rendant de Schieflin à Monrovia, j’ai rencontré M. Samuel Wheaton, à Du Port. Il essayait de se rendre à Bassa. Il avait des ordres pour entreprendre la construction d’une route pour automobiles en cet endroit et m’a dit que si je voulais l’aider à se rendre à Bassa, il me donnerait un emploi de surveillant. Mais j’ai refusé. Toutefois, comme il m'assurait que la place était bonne, et que je gagnerais beaucoup d’argent, j’ai accepté. Il m’a nommé commis et nous sommes allés à Grand Bassa ensemble. Il est allé trouver M. Smith, l'inspecteur du Comté de Grand Bassa. M. Smith nous a donné une maison et M. Wheaton a pris la direction de tous les ouvriers qui travaillaient sur la route. On m’a dit que j’étais commis de la route et que je devais encaisser toutes les amendes infligées. Les hommes qui travaillent sur la route sont généralement changés tous les lundis. Chaque petit village (demi-ville) a envoyé deux hommes. Une fois, certains des hommes n’ont apporté ni couteau ni hache ; d’autres étaient en retard d’un jour. Ces derniers ont été punis d’une amende de 2 shillings chacun et, les premiers, d’une amende de 1 shilling. J ’ai préparé la note au nom de leur chef et je l’ai envoyée à celui-ci. Il a été amené à la route et 011 lui a mis les chaînes. Il a dû travailler enchaîné et a prié M. Wheaton de le relâcher pour pouvoir aller chercher de l’argent, ce qu’il a fait ensuite. Plus tard, ils ont amené un autre chef, nommé Zokagch de Yoyukon. Il était riche et ils lui ont donné une amende de £2 parce que tous ses hommes étaient en retard. Ses gens sont arrivés immédiatement et ont payé l’argent. Après ça je suis tombé malade et j ai dû quitter la route. — 102 —

Pendant que j’étais absent, ils ont mis le Grand Chef Dugboba en prison parce qu’il n’avait pas envoyé d’hommes. Un de ses chefs de village, nommé Dorsen, du village de Dwarzon, est venu chez ma mère et l’a prié de le garder. Il avait reçu une amende, et, comme tous les hommes du village s’étaient sauvés, il ne pouvait pas trouver d’argent. Ils l'ont envoyé chercher, l’ont fait battre et l’ont mis en prison ; mais il a trouvé une caution pour sa mise en liberté provisoire, et il devait se mettre en quête des hommes ou de l’argent. Les surveillants de la route sont nommés par le Département de l’Intérieur. C’est ce département qui est chargé de la construction des routes. Le commis tient compte du nombre des hommes et du nombre de journées de travail qu’ils font. Il tient également une liste des outils, etc. Il ne tient pas la comptabilité des amendes, mais le surveillant garde l’argent. Quelquefois il m’a chargé d’encaisser les amendes et de les lui remettre. Le surveillant, dans ce cas, était M. Walter Ford. Les gens de Bassa l’appelaient « Beh », ce qui veut dire poivre, parce que c’était un mauvais homme. L’amende pour ceux qui ne veulent pas travailler sur la route est de S3 par trimestre, d’après la loi écrite ; mais les travaux de construction dans lesquels j’étais employé à Bassa ne sont pas régis par la loi écrite, car je l’ai demandé à M. Wheaton. Cette route part de l’abri du marché à Buchanan, et conduit au secteur de Gio. Quelquefois, quand les amendes n’étaient pas payées tout de suite, les hommes, au lieu d’être autorisés à partir à midi le samedi, étaient gardés sur la route jusqu'à ce que les amendes soient payées, et très souvent ils étaient très malheureux, parce qu’ils n’avaient pas de quoi manger.

D é p o sit io n d ’u n g r a n d c h e f d e v a n t la Co m m iss io n .

La palabre est chez nous. Nous sommes entre les casernes. Le Commissaire de district à Boporo nous fait travailler, nous bat, nous fait porter des hamacs et nous traite durement. Actuellement, personne ne veut travailler dans le pays. La quantité de riz que nous donnons chaque mois est de cent paniers pour Boporo à Belleyala, et, pendant que nous le transportons, ils nous battent. Quand nous transportons les paniers à Boporo, ils nous battent tout le long du chemin et nous donnent des amendes. Pendant que les paniers sont sur nos têtes ils n’arrêtent pas de nous battre. Voilà comment on nous paie pour les paniers que nous portons, (le témoin montre un fouet). Voilà le paiement que nous recevons pour les paniers que nous transportons à la fin de la semaine. Cet homme est chef d’un village ; regardez son dos ; quand le commis du Commissaire de District Garnett est venu, l’autre jour, voilà la marque qu’il a laissée sur son dos. Ils l’ont fouetté jusqu’au sang. Quand nous payons le riz du mois au Commissaire de District, le jour où les soldats du Commissaire de District passent par le village nous devons aussi les nourrir. Quand nous leur donnons du riz ils nous disent de le faire cuire. Quelquefois, quand nous leur donnons de la nourriture, ils mangent la viande et jettent le riz. Quand nous leur redonnons de la nourriture, ils demandent du vin de palme et, si nous n’avons pas de vin de palme à leur donner, ils nous donnent des coups de fouet. S’ils donnent des lettres à porter aux messagers quand ils viennent dans notre village, nous portons leurs paniers. Maintenant nous travaillons. Personne dans notre pays n ’a de ferme maintenant. Pour cette palabre de route, quand le Commissaire de District Garnett est venu il nous a donné une amende de £15 pour la route. Nous avons nettoyé la route il y a une semaine. Quand nous allons travailler sur la route, ils ne nous donnent pas de pelles ; nous devons nous servir d’un morceau de bois comme pelle. Ils ne nous donnent pas de houe ni de pioche ; nous devons les apporter nous-mêmes. »

Annexe IV.

COMTÉ DE SINOE.

E x t r a it d e la d é p o s it io n f a it e p a r P. C. L a m a n d in e d e v a n t la C o m m iss io n .

J’étais Commissaire dans le district de Sinoe en 1924. Durant mon mandat, un grand nombre d’hommes ont été envoyés de l’intérieur par le capitaine Howard à M. Ross pour être expédiés à Fernando Po. Ils portaient du riz et étaient conduits par une escorte militaire ; ils ont été retenus par M. Ross qui a placé une garde armée pour les surveiller jusqu'à l’arrivée du bateau. J’étais alors Commissaire à Sikon, près de Sinoe, et l’affaire fut portée à ma connaissance. J ’étais l’un des commissaires les plus anciens du comté. J ’ai déposé une plainte auprès du Président de la République et du Secrétaire à l’Intérieur. Ces communications sont demeurées sans réponse et je fus relevé de mon poste peu après. M. Ross était en fonctions (Inspecteur de comté) et il me dit : « Vous regretterez votre façon d'agir ; je vais vous donner une leçon ». Un grand nombre d’hommes ont été envoyés sous escorte à Sinoe en 1924. Six cents ou huit cents ont été recrutés dans ma circonscription. Comme commissaire, j’ai essayé de mettre fin à ces agissements et d ’empêcher que l’on se serve d ’une escorte militaire. Mais, pendant que j’étais dans une région, M. Ross s’arrangeait pour envoyer les hommes par un autre endroit. Ces hommes ont été envoyés sous escorte militaire, non pas par moi, mais par le capitaine Howard. Ce recrutement pour Fernando Po a commencé en 1924 sur la demande de M. Ross. X

— 103 —

Les autorités militaires du pays sont très dures pour les indigènes ; on oblige les indigènes à travailler depuis le mois de janvier jusqu’au mois de décembre, hommes et femmes, et on leur inflige en outre des amendes. On les fait sortir de leurs habitations et on les fait travailler avec des soldats derrière eux ; on leur fait planter, moissonner, décortiquer, transporter le riz, construire des routes, déterrer les souches sans outils, couper des branches et construire des ponts et des casernes. Le travail ne cesse jamais et les indigènes n’ont pas de loisirs. On fait porter des fardeaux aux femmes avec leurs enfants sur le dos. On constate tous ces faits et bien d’autres encore, et toutes les plaintes ont été inutiles. Je vous rédigerai bien volontiers une note sur cette question, comme vous le demandez, mais les indigènes eux-mêmes pourront bien mieux vous expliquer tous ces détails que moi-même. Comme Commissaire de district, je devais faire travailler les indigènes au nettoyage des pistes et aux plantations de riz qui servent à nourrir les soldats et les messagers de mon poste et d’autres postes. Aucune route carrossable n’a été construite dans mon district et je n’ai pas fourni d’hommes pour des travaux de construction. J ’ai essayé d’avoir les soldats bien en main et de leur faire réparer leurs maisons eux-mêmes, et de surveiller les équipes de nettoiement des pistes, afin qu’ils soient toujours occupés.

Annexe V.

COMTÉ DE MARYLAND

U n c h e f S o d o k e h d é p o s e d e v a n t l a C o m m is s io n a Ca p P a l m a s

(l ’h o n . H . T oo W e s t l e y f a is a n t f o n c t io n d ’i n t e r p r è t e ) : Je suis très heureux d’être ici parce que j’ai beaucoup de griefs à vous présenter. D'abord, on nous fait payer tous les ans une taxe sur les huttes dont nous ne tirons aucun profit. On ne nous délivre pas non plus de reçu pour notre argent. Nous apportons l’argent à M. Yancy et, lorsque nous lui demandons un reçu, il nous renvoie. Dans mon village, je suis obligé de payer la taxe sur les huttes tous les ans pour des gens qui sont morts et pour des emplacements où il n ’y a pas de maison. Depuis l’année dernière, le Vice-Président Yancy me demande des hommes pour Fernando Po. J ’ai refusé de lui en fournir et le Vice-Président Yancy a déclaré ouvertement qu’il me punirait pour ce refus. Il envoya le Commissaire Frederick Prowd pour m’arrêter et je fus ligoté et emmené à Cap Palmas. (Le récit est repris par le « speaker ».) Cela nous a effrayé car la façon dont notre chef a été emmené à Harper était terrible. Aussi, tente hommes et femmes environ s'enfuirent et traversèrent la rivière pour se rendre sur la rive française. Avant la guerre, lorsque nous allâmes à Fernando Po, beaucoup d’entre nous y moururent. Seulement dix sur trente-cinq revinrent. Nous sommes obligés de travailler maintenant à la route, et nous avons surtout à nous plaindre du travail des routes et de Firestone. Quand nous travaillons à la route, nous avons peu à manger et nous devons apporter nos outils. Lorsque l’un de nous est malade et incapable de venir travailler, on lui inflige une amende d’une livre sterling. Quand nous travaillons, nous sommes battus et on ne nous laisse pas suffisamment de temps pour cultiver nos terres. Lorsque les oiseaux sont nombreux, nous n’avons pas d’hommes pour garder les rizières. (Le chef reprend ici le récit.) Je suis le chef de mon village, et je vais vous conter mon expérience personnelle. En 1926, on m’ordonna de fournir des herbes sèches pour couvrir le toit des habitations et, comme je ne pouvais pas en recueillir suffisamment dans le délai fixé, le Vice-Président Yancy m’in­ fligea une amende de £6 et me mit en prison pendant un mois. Après ma libération, je rentrai chez moi en pensant que l’incident était clos. Mais je m’aperçus bien vite que mes malheurs n’étaient pas terminés. Le Commissaire du district, M. Prowd, constatant que je n’étais pas bien en cour auprès de M. Yancy, me mit en prison pour des motifs tout à fait insignifiants. Lorsque les gardes-frontières venaient dans mon village, ils demandaient du riz, des volailles, de l’huile et d’autres choses encore, et, pendant que mes femmes allaient chercher cela, les soldats me battaient malgré mes cris. Nous devons travailler continuellement pour le Gouvernement sans aucune rétribution. Si nous ne travaillons pas, on nous inflige des amen­ des. Ils trouvent le moyen de nous infliger des amendes pour la moindre chose. Si le Gouver­ nement nous payait pour le travail des routes, nous travaillerions de bonne grâce et avec zèle. Même si on ne nous payait pas en espèces, mais si l’on nous dégrevait de la taxe sur les huttes, nous travaillerions à la route et nous serions contents. Nous n’avons pas d’argent et, pourtant, nous devons nourrir ces gens qui nous traitent comme des esclaves.

U n c h e f G r e b o d é p o s e d e v a n t l a Co m m is s io n . La première chose que j’ai à dire est la suivante : L'année dernière, le Vice-Président Yancy m’a envoyé à Wedabo, qui n’est pas un port d’entrée ; il en fit de même pour Grand Cess, Picanini Cess, pour la tribu Tupo, Suehn, etc. Pour le rencontrer, je suis allé à cette réunion. Le premier mot que Yancy dit était qu’il avait reçu des instructions du Président King et que le Président King et le Gouvernement espagnol avaient conclu un accord pour envoyer des hommes d’ici à Fernando Po. Grand Cess devait donner 60 hommes, Picanini Cess 80, les tribus Wedabo et Kplepo devaient donner plus que les deux premiers. Les villages du chef Broh, 100. Barrobo, le village du chef Bellor, 100. La tribu du chef Jeh, 150 ; Suehn, 60 ; Tupo, 60. Et si l’une quelconque de ces tribus envoyait moins d’hommes, c'est-à-dire si elle envoyait 59 hommes au lieu de 60, elle aurait à payer 10 livres pour chaque homme manquant. C était en 1928. Et si l’on refusait de payer l’amende, déclarait Yancy, il enverrait des soldats pour brûler le village. Le Gouvernement désignait John Delaney comme Commissaire de district — 104 - et il devait veiller l’arrivée des. bateaux espagnols et saisir les hommes de force. Si quelqu’un refusait, il devait aller parler au Président King, s’y rendre en bateau ou envoyer une lettre ; parce que, d’après les dires du Vice-Président Yancy, c’était le Président qui l’avait ordonné. Le grand chef Jac Jaraca dit alors : « Puisque vous avez reçu les ordres du Président, personne ne refusera d’y obéir. Puisque le Président l’a ordonné, cela sera exécuté. » Le grand chef de Picanini Cess, Jurah, fit quelques remarques et Yancy dit : « Grand chef Jurah, as-tu entendu ce qu’a dit le Vice-Président. Tu dois dire à ta tribu ce que tu as à lui dire et ne pas t ’inquiéter de ce que ces gens-là doivent faire. » Moi, le chef, j’étais là et j’ai entendu ; je comprends aussi l’anglais, mais je ne peux pas le parler ni l’écrire. Tous ne partirent pas. Quand Yancy eut parlé, les gens furent troublés et allèrent à Monrovia. Lorsque les gens de la tribu Kpelepo (les gens de Broh) allèrent voir le Président à Monrovia, Yancy se fâcha et envoya des soldats pour ennuyer les gens et leur prendre leurs biens, leur bétail, leurs chiens, bref, tout ce qu’ils pouvaient trouver. Le Vice-Président les envoya chercher et leur dit qu’ils ne devaient pas le dénoncer au Président King. Lorsque le rapport fut envoyé à Monrovia, Yancy cessa d’agir ainsi et n’envoya plus de soldats. En outre, Yancy, quand il fut Inspecteur de ce comté, nous envoya l’ordre d’aller à Cap Palmas pour faire une route carrossable. Ma femme était malade. Il me dit que je devais aller aussi ; je répondis : « Non, ma femme est malade. » Cela me rend furieux et je dirai tout ce que j’ai sur le cœur. J ’ai envoyé mon fils à Cap Palmas pour y travailler. Ma femme, elle est morte pendant que j’étais avec lui à Cap Palmas, l’ayant laissée à la maison. On l’a enterrée. Je ne l’ai jamais revue. Lorsque l’on vous désigne pour la route, chaque homme apporte son riz, quelquefois deux sacs. Ceux qui vont à la route le partagent. Tous les quinze jours, on envoie une nouvelle équipe. Nous envoyions vingt personnes tous les quinze jours. La première équipe revient et une nouvelle part. Et cela continue. Le Gouvernement ne nous nourrit pas et ne nous paie pas. Quand nous y allons maintenant, au lieu de travailler à la route du Gouvernement, on nous dit : « Les uns iront à la ferme de Yancy, les autres à la ferme de la femme de Yancy. » Cultiver sa ferme et la ferme de sa femme par-dessus le marché, sans avoir rien à se mettre sous la dent ! Pas de salaire. Les hommes ne mangent pas. Ils doivent se rassembler le matin de bonne heure, sans avoir rien mangé, pour porter des hamacs. S’ils ne trouvent personne au village suivant, ils doivent aller jusqu’à Garraway. Le Commissaire est ici John Delaney. Nous le nourrissons, nous lui donnons cinq livres douze shillings tous les mois pour sa nourriture, la circonscription de Grand Cess à elle seule. Pendant toute une année, je suis allé trouver John Delaney. Je l’ai supplié, je lui ai dit : « Nous en avons assez de cette charge, c’est trop lourd à porter, ça coûte trop cher. Vous dites 3 livres 8 shillings, puis vous dites 5 livres 12 shillings et vous avez sous votre contrôle 15 grands chefs ; combien voulez-vous ? » Nous payons cette somme (4 livres 12 sh.) toute une année. J’avais coutume de porter l’argent, le chef ... me donnait la somme. Vous demanderez aux gens si je mens. Depuis lors, jusqu’à maintenant, il a réduit la somme à 2 livres 10 shillings. Maintenant, nous payons 2 livres 10 shillings tous les mois pour la nourriture. L’inspecteur Brooks est venu ici. Quand il est reparti, nous lui avons fourni des hommes pour les hamacs. Lorsque les porteurs eurent atteint Wedabo, ils eurent faim, ils s’enfuirent, parce qu’en portant les fonctionnaires du Gouvernement, on transporte généralement les gens d’un village à l’autre. L’inspecteur Brooks en fut très fâché et il infligea une amende de 20 livres à Grand Cess. Cela se passait en 1929, le 19 mai.

U n chef du comté de Maryland dépose devant la Commission a Cap P almas

Je désire parler en mon nom. Mon « speaker » parlera au nom de la tribu. J ’ai reçu toutes les communications de M. Yancy lorsqu’il était Inspecteur. Une fois, un de mes hommes souffrait d’une hernie et ne pouvait pas aller travailler à la route. Je l’ignorais. Pour cela, 15 soldats sont venus m’arrêter dans la nuit. Bien qu’il y ait une route le long de la côte, je fus emmené dans l’intérieur, par surcroît de tracasseries. Lorsque nous arrivâmes cette nuit-là à l’habitation de M. Yancy, il sortit et se rendit à la véranda, une lanterne à la main. Mes gardiens lui annoncèrent qu’ils m’avaient amené. Alors il éteignit sa lanterne et dit : « Em­ menez-le à Puduke. » Lorsque nous y fûmes arrivés, on m’apporta un grand seau plein de sable et on me dit de le porter à la mer. Quand nous fûmes arrivés à la côte, on me le fit reporter au village. On me tourmenta ainsi pendant quinze jours, et le Gouvernement ne me donnait rien à manger. Cela s’est passé l’année dernière, lorsque M. Yancy était Inspecteur. Lorsque les hommes n’étaient pas au complet pour travailler à la route, il m’écrivait pour m’ordonner de venir, moi et mes chefs, pour compter les hommes. Je partais alors avec 15 de mes chefs. Quand nous étions rendus, M. Yancy appréhendait ces 15 chefs et les emmenait à Barrobo après avoir dit : « Tu rentreras seul et ces chefs sont mis en prison. » Mon ancien « Speaker » vous a dit que nous travaillions à la route sans recevoir ni nourriture, ni outils, ni salaire. Mais ce qui me cause encore plus d’ennui est ceci : le Gouvernement m’a dit que nous devrions faire de la culture et nous avons obéi. Quand nos récoltes sont mûres, les Libériens viennent nous les voler. Ils arrivent avec des fusils et quand nous voulons parler, ils nous mettent en joue et disent : « Si tu parles tu es un homme mort. » Nous cultivons généralement du manioc, du riz, du plantain, du cacao, des ignames, etc. Je ne connais pas le nom des gens qui sont venus ici pour voler nos récoltes, mais je sais que ce sont des gardes-frontières qui sont venus m’arrêter. C’était M. Yancy qui les avait envoyé m’appréhender. Il y a quelque temps, M. Yancy a envoyé M. Brooks qui est actuellement Inspecteur à Bassa, pour imposer les cases de mon village, et comme je lui demandais pourquoi il ne m’avait pas averti, M. Yancy se fâcha et m’infligea une amende de 10 livres, que je payai. — 105 —

En cette occasion, M. Yancy n’est pas venu à mon village, il a envoyé M. Brooks qui nous a dénoncés et on m’a infligé cette amende de 10 livres. Lorsque j’étais à la caserne de Puduke, je n’ai pas eu d’amende, mais j’ai été maltraité tout le temps et ma tribu a été obligée de mendier pour moi avant que je sois relâché. Lorsque quelqu’un fait quelque chose de mal, il doit être cité devant le tribunal, et s’il est condamné, il doit être puni. Mais un de mes hommes fut trouvé dans les locaux de M. Yancy et M. Yancy le tua ; après l’avoir tué, il traîna son cadavre dans la rue, où on le trouva le len­ demain matin. La seule explication que M. Yancy eut à donner fut de dire que l’homme était venu pour voler et qu’il l’avait tué parce qu’il pensait qu’il avait de mauvaises intentions et qu’il aurait été lui-même tué s’il ne s’était pas défendu. Cet incident a eu lieu il y a environ quatre ans.

D éclaration d ’un ch ef du d is t r ic t .N° 5, Ma r y la n d .

Les Libériens ont des soldats et cela nous cause beaucoup d’ennuis. Ces soldats viennent à n’importe quel moment et se conduisent dans mon village comme s’ils étaient chez eux. Ils prennent tout ce qu’ils voient ; s’ils veulent quelque chose que je ne peux pas leur donner, ils me maltraitent et me ligotent. Un jour, ils ont pris des hommes pour Fernando Po et ils ont rossé les gens si brutalement qu’un homme a été perdu dans la brousse et y est mort. Ils revinrent ensuite pour prendre d’autres hommes et ils réussirent à s’emparer de 15 indigènes. Je n’ai eu aucune discussion avec le Gouvernement et je ne sais pas pourquoi on me traite de cette façon. Ces soldats viennent piller mon village et prendre mes femmes pour la brousse. Lorsqu’il y a des officiers avec eux, les soldats sont pires que lorsqu’ils sont seuls. Les officiers ne disent rien et semblent encourager les soldats. Parfois, lorsque nous allons leur chercher de quoi manger, ils volent toute notre volaille. Ils sont armés de poignards et de fusils. Le capitaine Whisnant, qui est le commandant de la caserne, vient souvent avec les soldats ; il voit tout ce qu’ils font, sans intervenir. La caserne n’est qu’à un jour et demi de marche et mon village se trouve sur la route directe de Cap Palmas. On fait le voyage en un jour et demi en partant d’ici. Nous livrons tous les mois à la caserne une grande quantité de notre riz pour les soldats, mais ils nous obligent à les nourrir lorsqu’ils passent par notre village et ils sont quelquefois 20 ou plus. Nos femmes doivent se rendre au centre commerçant le plus proche, qui est Flebo. Si les soldats les rencontrent sur la route, ils les arrêtent et les emmènent dans la brousse. Cela arrive souvent maintenant.

E n t r ev u e avec des c h efs de H alf G a r r o w a y , a G a r r o w a y .

Un chef dit : « Nous devons trouver 10 hommes chaque semaine pour les travaux de construction des routes, mais, très souvent, certains des hommes que nous envoyons ne tra­ vaillent pas à la route, mais sont envoyés pour travailler dans les fermes du Gouvernement, ou des fonctionnaires du Gouvernement ou même de particuliers. Parfois, on les oblige à faire le métier de porteurs de hamacs. M. Yancy dispose de ces hommes comme il lui plaît. Les hommes n’aiment pas faire le porteur de hamacs. Le travail est ennuyeux et fatiguant. Sur la côte anglaise, les porteurs de hamacs sont toujours payés plus cher que les porteurs ordinaires et ils reçoivent un pourboire. Ici, ils ne reçoivent rien du tout, ni salaire ni pourboire. II y a peu de temps ; M. Yancy est venu à Garroway ; ils nous a réunis et nous a dit que nous devions lui fournir des hommes pour Fernando Po, autrement, dit-il, nous n’aurions pas de terres (faisant allusion à un procès relatif à des terres qui est maintenant devant les tribunaux libériens). Mais nous avons refusé de rechercher des hommes pour Fernando Po, bien qu’on nous oblige d’habitude à aller n’importe où. Nous avons résolu de ne pas céder et, jusqu’à présent, nous n’avons pas été obligés de modifier notre décision. Nous n’avons refusé qu’une fois de fournir des hommes pour le travail des routes. Pour cela, on a envoyé des hommes au village, qui nous ont appréhendés et nous ont obligés de payer 10 livres pour les 10 hommes. Cette somme a été payée rapidement. Même si un homme est malade et ne peut pas aller travailler à la route ou s’il va chercher de la nourriture parce que ses aliments ont été enlevés par les soldats et qu’il a faim, on lui inflige une amende d ’une livre. Pour payer les amendes, on doit prendre l’argent sur le travail des femmes, ou, surtout, des hommes qui gagnent bien à charger et décharger les bateaux dans les divers ports de la côte ; si l’amende est très forte, nous devons vendre du bétail ou des produits, ou nous devons avoir recours aux prêts sur gage, système qu’on rencontre très souvent quand on remonte le long de la côte ; d'après ce système on conduit sa fille ou sa servante à quelqu’un qui la conserve contre versement d ’une somme en espèces, jusqu’à ce que l’on puisse libérer le gage.

Un grand chef dépose devant la Commission a Garroway.

C’était en 1919, lorsque M. Brewer était Gouverneur ; nous étions tous heureux quand, brusquement, on nous a fait tous chercher, on nous a emmenés à Sodolu, et on nous a mis dans un trou creusé dans le sol, à la caserne de cet endroit. On nous a dit que l’on allait faire de nous des esclaves. Une semaine après, on nous sortit du trou et on nous fit travailler (à ce moment, un des hommes du chef désire fournir quelques renseignements sur le trou de Sodolu). Il déclare : « J ’ai été mis dans ce trou ; le traitement qu’on nous a infligé pendant que nous étions dans ce trou a été horrible ; c’était environ en 1919, lorsque M. Howard était Président. Cela avait certains rapports avec la politique du désarmement général des indigènes, bien que la plupart — lob —

des tribus aient rendu leurs armes en 1916. Beaucoup d’entre nous moururent par suite de l’emprisonnement dans ce trou et des mauvais traitements que les soldats nous ont infligés. Les prisonniers étaient battus sans pitié et l’un des soldats a coupé avec un poignard la longue barbe et les moustaches d’un chef en manière de plaisanterie. L’état sanitaire était horrible dans ce trou. Un vieux chaudron de cuivre faisait office de latrines. Si vous aviez sur vous quelque charme ou un juju pour vous protéger — ce sont de petites babioles auxquelles nous croyons, nous autres, indigènes —, on vous obligeait à le manger et à l’avaler. Quelquefois, on obligeait un prisonnier à manger ses cheveux, et s’il hésitait, un coup de crosse de fusil lui enlevait rapidement ses doutes. Certains de ces jujus contenaient, je crois du poison. Je n'avais pas d’amulette sur moi et j’ai ainsi échappé à l’épreuve. Peu après, je fus relâché, lorsque le Président King entra en fonctions pour la première fois, et nous allâmes tous à Monrovia. Après son installation officielle, il reçut tous les chefs et leur demanda s’ils avaient des plaintes à présenter. Je lui signalai l’affaire du trou de Sodolu et il chargea le colonel Young d’examiner l’affaire. Le seul résultat fut, je crois, que le Président ordonna au Gouver­ neur de ne plus recommencer. Depuis que nous sommes désarmés, nous sommes pour ainsi dire des esclaves. Les choses allaient un peu mieux quand nous avions des fusils. On bâtit maintenant une caserne à Barabo, et l’on emploie toujours tant de main-d’œuvre que le district est dans le marasme. Les indigènes ne peuvent rien faire pour eux. On ne peut pas transporter sur les pistes des produits comme les noix de palme ou l’huile de palme, parce que les soldats arrêtent les gens et leur enlèvent ce qu’ils portent. Si on a la chance de passer sans incident et de revenir avec un peu d’argent, les soldats disent que cela ne vous appartient pas et vous le prennent. Ils maltraitent les femmes et battent les hommes. Un autre motif de plainte est la taxe sur les huttes. Nous sommes obligés de payer un dollar par case. Cet impôt est très raisonnable, mais si un homme meurt ou quitte une habi­ tation, elle demeure inoccupée et tombe en ruines. Néanmoins, le village doit toujours payer la taxe pour cette habitation et pour son emplacement lorsque l’habitation a disparu. Si le chef veut discuter avec le Gouverneur quand il paie la taxe semestrielle, il arrive qu’on l’em­ prisonne ou qu’on le ligote et qu’on l’envoie quelque part. Le père du chef actuel est mort il y a plusieurs années, mais nous devons continuer à payer au Commissaire de district Diggs l’impôt pour la maison ou son emplacement. Souvent, on ne veut pas nous donner un reçu contre le paiement de la taxe. Lorsque le Commissaire Diggs est venu ici pour la première fois, il a dénombré toutes les maisons et nous avons payé l’impôt d’après son évaluation. Mais, lorsque le Gouverneur Yancy l’apprit, il fit venir le Commissaire de district et nous fûmes obligés de payer l’impôt d’après les vieilles listes du registre. Pour pallier à cette injustice, nous construisons des maisons plus grandes, qui logent plus de monde. Autrefois, il y avait plus de maisons et plus d’habitants que maintenant. Nous devons même payer l’impôt pour les habitations que les gens de Fishtown ont brûlé lors des troubles occasionnés par la question des terres. Cette question des terres nous cause beaucoup d’ennuis. Les terres que mes hommes ont cultivées pour moi pendant de nombreuses années m’ont toutes été enlevées par le Vice- Président Yancy, de même que celles qui appartenaient à d’autres personnes d’ici, et elles ont été données aux gens de Fishtown parce qu’ils payaient au Vice-Président une somme d’argent plus forte. Ma plantation de café et beaucoup d’autres choses m’ont été enlevées en même temps que les terres. Le Président Barclay a pris, il y a longtemps, une décision en notre faveur sur cette affaire des terres ; mais les gens de Fishtown n’ont pas voulu s’incliner et ils ont donné de l’argent à M. Yancy pour les aider à reprendre ces terres qui, après tout, nous appartenaient primitivement. Récemment le Gouvernement a donné la plupart des terres aux gens de Nihwie, qui vivent à mi-chemin entre nous (Garroway) et les gens de Fishtown Cela dépassait toutes les bornes et nous avons porté l’affaire devant le Président à Monrovia. Cela fâcha tellement le Gouverneur Yancy, qu'il dit que si nous poursuivions cette affaire des terres, il enverrait des soldats pour brûler nos villages. Après cela, le Président vint lui- même ici et, si étrange que cela paraisse, il approuva les actes de M. Yancy. Il nous dit que si nous avions l’audace de revenir à Monrovia, il nous ferait jeter en prison. C'est pourquoi nous désespérons que justice nous soit jamais rendue. Nous voudrions partir dans un autre pays, et si nous n’avions pas entendu dire que le Commissaire arrivait, je crois que nous serions partis et que vous n’auriez trouvé personne ici. Les gens veulent quitter le pays. Dès que vous aurez quitté le Libéria, nous redeviendrons tous des esclaves si nous restons. En ce qui concerne Fernando Po, on nous a créé beaucoup d’ennuis. La population refuse nettement d’y aller, malgré les tentatives qui ont été faites pour l’y envoyer. Le chef continue en disant : Ce qui m’ennuie beaucoup, c’est que je n’ai pas de port. Mon port d’entrée a été fermé. Aucun bateau n’est autorisé à venir ici pour prendre nos produits. Je veux que mon port soit rouvert. C’était naguère une localité importante, mais qui est actuel­ lement dans le marasme. Maintenant les produits, pour être expédiés, doivent être transportés par voilier à Cap Palmas ; c’est une traversée qui dure parfois trois jours, et un bateau, avec dix hommes d’équipage, cela coûte de l’argent. Nous produisons du café, de la fibre de piassava, des noix de palme, etc. A Grand Cess, on peut voir partout des progrès réalisés, qui sont dus surtout à l'existence d’un port d’entrée libre. Nous avons donné beaucoup d’argent pour essayer d’obtenir que notre port soit ouvert, mais les avocats n’ont pas pu nous aider. — 107 —

Annexe VI.

Loi po rta n t abolition d e la pra t iq u e du recrutement e t du tra n spo rt d ’in d ig è n e s DE LA RÉPUBLIQUE POUR UN SERVICE A L’ÉTRANGER, EN DEHORS DES LIMITES DU TERRITOIRE.

Le Sénat et la Chambre des Représentants de la République de Libéria, réunis en assem­ blée législative, ont adopté la loi ci-après : Article premier. — Dès l'adoption de la présente loi, le recrutement et le transport de travailleurs de la République à destination d’un pays étranger quelconque par une ou plusieurs personnes, une firme, une société, un syndicat, ou un agent desdites organisations, seront et demeureront illicites. Article 2. — Toute infraction à la présente loi sera punie d’une amende qui ne dépassera pas cinq mille dollars ($5.000), ou d ’une peine d’emprisonnement de cinq ans. Article 3. — Les dispositions de la présente loi ne portent pas atteinte aux stipulations des contrats en vigueur pour le recrutement d’ouvriers devant travailler en pays étranger, à moins que ces contrats contiennent une stipulation expresse qui donne à ces actes une durée supérieure à six mois à dater de l’adoption et de la promulgation de la présente loi ; en d’autres termes, tous les contrats conclus avant la date de l’adoption et de la promulgation de la présente loi prendront fin et cesseront d’avoir des effets juridiques après expiration d’un délai de six mois à dater de la promulgation de la présente loi. Pour être admis au bénéfice du présent article, toute partie aux contrats susvisés doit, dans un délai de trente jours à dater de la promulgation de la présente loi, déposer et faire enregistrer, auprès du Secrétaire à l’Intérieur, une copie fidèle et complète dudit contrat ; faute de quoi, une amende de cinq cents dollars sera infligée, après poursuite devant la « Circuit Court » d’une circonscription judiciaire de la République. Article 4. — Durant la période de six mois accordée pour la mise à exécution des contrats en vigueur, aucune partie à un contrat susvisé ne devra recruter, en vue de leur transport, des travailleurs dans les zones interdites, à savoir les territoires de Grand Cape Mount et de Marshall, et les comtés de Montserrado et de Bassa ; toute personne qui, directement ou indi­ rectement, personnellement ou par personne interposée, recrutera des indigènes dans l’une quelconque des zones interdites précitées et les convoyera dans d’autres ports, avec l’intention de les réexpédier, sera passible, après instruction et jugement sommaire, de la peine prévue à l’article 2 de la présente loi. Article 5. — Aucune disposition de la présente loi ne pourra s’appliquer aux gens de mer tels qu’ils sont définis à l’article premier de la loi portant interdiction de réaliser des gains illicites sur le salaire des gens de mer, adoptée le 14 février 1928, lesquels sont employés spé­ cialement à des travaux à bord des navires et ont l’intention de rentrer dans leur pays avec leur navire. Article 6. — La présente loi entrera immédiatement en vigueur, et sera promulguée par voie d'imprimés distribués, nonobstant toute disposition législative contraire.

Note. — Cette loi a été votée à la Chambre des Représentants, le 23 octobre 1928, et rejetée au Sénat le lendemain. Cette loi a fait l’objet d’un nouveau vote au Sénat en octobre 1929 ; mais, comme les voix étaient partagées, le sénateur M. T. Van Pelt, Président par intérim, du Sénat, a provoqué son rejet en votant contre la loi.

Annexe VII.

A r r a n g em en t de 1928 co n c er n a n t F er n a n d o Po.

Le présent contrat a été conclu le 2 avril de l’an de grâce mil neuf cent vingt-huit, dans la ville de Monrovia, République de Libéria, entre MM. Barclay et Barclay, avoués, agissant par procuration spéciale, pour et au nom de M. Thodomiro Avandano, Président du « Syndicate Agricola de los Territorios Espanoles del Golfo de Guinea », ayant son siège à Santa Isabel, Fernando Po, désigné ci-après sous le nom « Le Syndicat », d’une part, et MM. Thomas E. C. Pelham, Robert W. Draper, E. G. W. King, J. C. Johnson, M. A. Bracexvell, et C. L. Cooper, citoyens de la République de Libéria, agents de recrutement, représentés par M. S. A. Ross, conseil des agents de recrutement, qui seront désignés ci-après sous le nom « Les Agents de recrutement », d’autre part. Le Syndicat convient de verser aux agents de recrutement neuf livres sterling, en rem­ boursement de la capitation, des taxes, des avances, de la commission et de la nourriture ; autrement dit, toutes les dépenses, à l’exception du prix du passage pour Fernando Po, qui incombe au Syndicat, indépendamment des neuf livres sterling précitées. Le Syndicat demande aux agents de recrutement de recruter et d’envoyer 1.500 hommes aux autorités espagnoles de Fernando Po, conformément aux dispositions législatives et réglementaires du Libéria sur l'envoi de travailleurs. s — io 8 —

Lorsque ces hommes arriveront à Fernando Po chez le Curador, le Curador et le Consul de Libéria loueront les services de ces hommes au Syndicat, lequel s’engage à veiller à ce que la procédure soit conforme à la législation espagnole ; le Consul de Libéria sera présent et contrôlera l’engagement de ces travailleurs, conformément à la législation de la Colonie. Les 1.500 hommes susvisés devront être embarqués dans un délai de douze mois, à dater de la conclusion du présent accord, et les agents de recrutement feront tout leur possible pour que l’embarquement ait lieu dans ce délai. Les hommes ainsi embarqués par les agents de recrutement sont engagés pour une période de deux ans ; chacun d’eux recevra une année de salaire en espèces, à Fernando Po et le salaire de l’autre année, lorsqu’il reviendra au Libéria, sous forme de chèque tiré sur la « Bank of British West Africa Ltd. » à Monrovia, ou dans les succursales de Sinoe ou de Cap Palmas. Le Syndicat s’engage à ne pas infliger de punitions inhumaines à ces hommes, mais à les traiter avec bonté, à les nourrir convenablement, à leur fournir un logement, et, en cas de maladie, à leur donner des soins médicaux convenables. Le'Syndicat autorise les agents de recrutement à avancer à chaque homme une somme ne dépassant pas trois livres sterling, qui sera prélevée sur les £9 précitées, et qui représentera la seule somme imputable à l’homme engagé. Toutes les autres sommes comprises dans le montant de £9 ne sont pas imputables à l’homme engagé et sont versées par le Syndicat. En outre, le Syndicat convient de verser tous les mois, en espèces : au chef de chaque équipe de 25 hommes la somme de dix dollars en monnaie de la colonie et à chaque travailleur la somme de six dollars en monnaie de la colonie. De plus, à l’expiration du contrat, les tra­ vailleurs devront être reconduits au lieu où s’est effectué leur embarquement au Libéria. En cas de décès d’un travailleur, toutes les sommes qui lui sont dues lors de son décès seront remises au Consul de Libéria. En outre, le Syndicat et ses ayants droit conviennent d’autoriser le Consul de Libéria à visiter à tout moment, s’il le désire, toute ferme où ces travailleurs sont engagés, dans un but d’inspection et en vue de veiller à leur bien-être, ainsi qu’à leurs intérêts, et ce, sans aucune objection de la part du Syndicat ou de ses ayants droit. En outre, le Syndicat convient de remettre sans faute, comme convenu, aux agents de recrutement la somme de neuf livres sterling, par l’entremise de la « Bank of British West Africa Ltd. », pour chaque travailleur engagé, au retour du navire transportant ces travailleurs à Fernando Po. Ledit chèque sera établi au nom de M. S. A. Ross, Conseil des agents de recru­ tement. Le Syndicat convient de verser au Conseil des agents de recrutement la somme de mille livres sterling, à titre de bonus, lors de la signature du présent Accord, et il convient, en outre, de verser une nouvelle somme de mille livres sterling en monnaie britannique, aux agents de recrutement, pour tout envoi supplémentaire de 1.500 hommes au Syndicat. En contre-partie des stipulations ci-dessus, les agents de recrutement conviennent de recruter et d’envoyer au Curador à Fernando Po 1.500 travailleurs ou plus, si possible, confor­ mément aux lois de la République de Libéria, tant que le Gouvernement ne sera pas intervenu pour interdire le recrutement des travailleurs à destination de Fernando Po. Lesdits travailleurs devront être embarqués dans un délai de douze mois à dater de ce jour. En outre, les agent de recrutement acceptent du Syndicat la somme de mille livres sterling à titre de bonus pour les 1.500 travailleurs devant être embarqués lors de la signature du présent Accord, et conviennent également d’accepter du Syndicat un autre montant de mille livres sterling pour tout envoi supplémentaire de 1.500 travailleurs, quelle que soit la date de leur départ, comme stipulé ci-dessus dans l’Accord. De plus, les agents de recrutement s’engagent à recruter les travailleurs et à les envoyer au Curador de Fernando Po dans un délai de deux années, à condition que le Gouvernement de Libéria ne s’y oppose pas. Après ce délai de deux ans, chacune des parties peut, si elle n’est pas satisfaite, notifier à l’autre partie, par écrit, son intention de mettre fin au présent Accord. Si le Syndicat a, lors de l’expiration du présent Accord, une dette envers les agents de recrutement, cette dette sera éteinte ; de même, toute somme due par les agents de recrutement au Syndicat sera remboursée. Il est, en outre, convenu que les agents de recrutement pourront exiger, si le Syndicat ne présente pas avant la signature du présent Accord un certificat indiquant son statut, que cette garantie soit donnée par le Consul espagnol dûment accrédité auprès du Gouvernement de Libéria à Monrovia. Il est convenu que le Syndicat prendra les mesures nécessaires pour que le bateau espagnol fasse escale aux ports de Greenville et de Harper, ou à tout autre port des comtés de Sinoe et de Maryland, que les agents fourniront des cartes appropriées des localités où les travailleurs peuvent être recrutés, conformément à la législation du Libéria, et qu’aucun retard ne sera provoqué de la part du Syndicat du fait que le dit bateau ne ferait pas escale. Tous les bateaux espagnols feront relâche lorsque les agents de recrutement les auront avertis, et le Syndicat convient par les présentes de payer tous les dommages qu’occasionnerait un retard de bateau. Ces dommages et retards seront fixés par voie d’arbitrage (les arbitres sont désignés suivant la procédure légale habituelle). Il est convenu que les agents de recrutement opéreront également dans le comté de Maryland, soit en personne ou par désignation d’agences dans le comté de Maryland, en vue d’exécuter le présent Accord, e t feront tout ce qui sera en leur pouvoir pour recruter et e n v o y e r à Fernando P o un contingent supplémentaire de 1.500 travailleurs, soit un total de 3.000 tra­ vailleurs, conformément à la législation de la République de Libéria, tant que le Gouvernement du Libéria ne soulèvera pas d’obstacles à cet égard. •— lo g —

Le Syndicat convient de verser aux agents de recrutement la somme de neuf livres sterling par homme pour toutes dépenses encourues du chef des travailleurs du Comté de Maryland, comme énoncé ci-dessus, et de verser, en outre, une somme de mille livres sterling en monnaie d’or ou d’argent, à titre de bonus pour ce service, soit au total deux mille livres sterling, à verser lors de la signature du présent Accord. En foi de quoi, les parties au présent Accord ont apposé leur signature et leur cachet, ce deux avril mil neuf cent vingt-huit. Pour le Syndicate Agricola de Fernando Po : (Signé) B arclay & B arclay. Pour les Agents de recrutement : (Signé) S. A. Ross. Témoins : J. A. Dougan. E. A. Monger. J. W. Howard.

Annexe VIII.

R adiogrammes ayant trait a l ’in c id e n t d e Sin o e .

5 octobre 1927. Du Secrétaire d’Etat à Hon. S. A. Ross. Sinoe.

Regrette annoncer que bateau a passé Monrovia samedi. Ai notifié Gouvernement espagnol arrêt embarquements. Toutefois cela pourra être arrangé à nouveau. (Signé) B arclay. 18 heures.

5 octobre 1927. A Hon. Ross, Sinoe. Secrétaire Etat a arrêté recrutement travailleurs pour Fernando Po comme vous ai déjà annoncé. Lui montrerai votre câblogramme et lui remettrai toute l’affaire. Bateau espagnol a passé direction Fernando Po samedi. Si Secrétaire Barclay d’accord enverrai bateau allemand à Sinoe chercher hommes. (Signé) P a r k e r . 18 h. 45.

5 octobre 1927. A . Reçu votre télégramme. Hommes été recrutés bien avant vingt et un septembre. Cent cinquante hommes de Sasstown étaient prêts et ont été nourris lorsque San Carlos était ici. Puisque bateau espagnol était parti ne pourrions-nous pas envoyer hommes par bateau allemand annoncé ? Avons maintenant trois cents hommes. Dois-je les conserver ou les laisser partir ? Avons eu dépenses énormes. (Signé) D avies et Ross.

5 octobre 1927. A Parker, Vice-Consul Espagne, Monrovia. Reçu votre télégramme. Barclay m’a informé que l’on peut arranger à nouveau recrute­ ment. Voudrais savoir si je dois renvoyer les trois cents hommes actuellement à ma disposition ou si je dois les laisser partir et aux frais de qui ? Voyez Guyatt pour qu’il télégraphie Compagnie hollandaise pour nourrir les hommes car le riz manque. Envoyez immédiatement par bateau allemand ou hollandais remises de l’envoi San Carlos. (Signé) Ross.

5 octobre 1927. A Hon. S. A. Ross, Sinoe. Bateau allemand fera relâche pour prendre trois cents hommes Fernando Po. C’est là le dernier envoi autorisé à titre de faveur pour vous. (Signé) B a rclay. 22 heures. — 1 1 0 —

A u Secrétaire Barclay, 5 octobre 1927. Monrovia. Ross a télégraphié hier demandant que travailleurs soient embarqués sur bateau espagnol, vous prie refuser cette demande. Je suis informé que l’on fait venir les travailleurs de l'hinter- land sous couleur de leur acheter le riz qu’ils apportent ; on les dépouille de leur riz, on les conduit à bord de force comme au temps de l’esclavage. Plus de 300 hommes sont ici actuelle­ ment avec du riz, de l’autre côté de la rivière et sont gardés par les soldats du Gouvernement en attendant le bateau. Est-ce conforme aux termes de notre contrat que des soldats soient utilisés pour garder des hommes libres et les entraîner de force hors du territoire pour travailler à développer un autre pays ? N’est-ce pas contraire à notre devise : « C’est l’amour de la liberté qui nous a conduit ici » ? Devons-nous, nous dont les pères ont fondé ce pays pour garantir la liberté de leurs enfants, encourager cette pratique honteuse et maudite qui ruine notre pays ? En faisant garder les travailleurs par des soldats du Gouvernement ne semble-t-on pas avouer que le Gouvernement encourage et facilite le trafic d’esclaves ? Songeant à notre conversation au sujet de Fernando Po, je suis certain que Votre Excellence n’accordera pas une telle autorisation. Si vous me donnez des instructions dans ce sens, je réunirai des preuves pour établir les faits précédents. J ’expliquerai plus à fond la situation quand je reviendrai.

(Signé) Sh e r m a n . 17 h. 30.

A u Secrétaire Barclay, 5 octobre 1927. Monrovia. Comme suite à mon radiogramme relatif à l’envoi de travailleurs à Fernando Po, j’ai traversé la rivière et j’ai vu les travailleurs. Monsieur le Secrétaire Barclay, le trafic des esclaves s’est en vérité établi à cet endroit ! Les hommes m’ont dit qu’on les avait chassés, arrêtés et conduits ici de force en vertu d’un soi-disant ordre supérieur. On les a fouettés et j’ai vu de mes propres yeux des cicatrices fraîches sur leur dos et les traces de cordes sur leurs poignets. Ne pouvez-vous pas ordonner que l’on mette fin à une telle pratique ? Les pauvres malheureux sont parqués et surveillés par des gardes-frontières et des messagers. Parce que certains me parlaient, des messagers du chef de poste Blackett les ont dispersés en les bousculant et les ont frappés en ma présence. Mon sang bouillait et je suis certain que, si vous aviez été là, vous auriez relevé Blackett de ses fonctions et ordonné la libération de ces hommes. Monsieur le Secrétaire, je vous adresse un appel au nom de tout ce qui est sacré, au nom de la justice, de la liberté et de l’humanité, et je vous supplie pour l’amour de Dieu de remettre ces pauvres gens en liberté, de ne pas autoriser qu’on les arrache à leurs foyers et qu’on les traite avec brutalité et d’ordonner à l’inspecteur Grigsby de les faire reconduire chez eux. Cette pratique ruine notre hinterland ; elle aura des effets néfastes pour le commerce, l’agriculture et le Gouvernement de notre pays. Elle souillera notre réputation de pays libre et tournera en ridicule notre déclaration d’indépendance. Ross affirme par T. S. F. que les dirigeants du pays touchent leur part de l’argent qu’il reçoit pour cette pratique abominable et il a eu l’audace de m’offrir £25 pour que j’envoie un télégramme en sa faveur. Pour l’amour de Dieu, ne l’autorisez pas à envoyer les travailleurs, mais exigez qu’ils soient reconduits dans leurs foyers. (Signé) Sh e r m a n . 17 h. 45.

A VAttorney général, 5 octobre 1927. Monrovia. Des indigènes sont conduits de force pour être envoyés à Fernando Po, ils sont maltraités et faits prisonniers. Dois-je poursuivre les délinquants et le Gouvernement est-il intéressé dans l’affaire ? Demande réponse immédiate. (Signé) William W it h e r spo o n . Attorney pour le Comté de Sinoe. 18 heures.

A Monsieur Sherman, Directeur des Postes, 5 octobre 1927. à Sinoe. Croyant que Ross agissait de bonne foi, je lui ai accordé l’autorisation d’envoyer 300 tra­ vailleurs. Ces travailleurs étaient censés être des hommes s’engageant volontairement pour ce travail. Votre message révèle une chose inique. J ’annule l’autorisation. Vous donnerez à Grigsby, en mon nom et en celui du Gouvernement, l’ordre de relâcher immédiatement ceux qui sont détenus contre leur volonté. En cas de besoin, faites poursuivre tous les délinquants. Cet ordre est péremptoire. Blackett doit être relevé de ses fonctions. (Signé) B arclay. Secrétaire d’Etat. 22 heures. — I l l —

5 octobre 1927. Hon. S. A. Ross. Sinoe. Ayant été averti officiellement des méthodes iniques que vous employez pour recruter des travailleurs pour Fernando Po, j’annule l’autorisation qui vous a été accordée aujourd’hui. L’inspecteur est autorisé à relâcher tout homme détenu par vous contre sa volonté.

(Signé) L e Secréta ire d ’E t a t. 22 heures.

5 octobre 1927. Au Commandant de la Caserne, Greenville. Je vous ordonne d’indiquer immédiatement qui vous a autorisé à employer des soldats pour garder de prétendus travailleurs pour M. Ross. (Signé) B a rclay, Secrétaire d’Etat. 22 heures.

5 octobre 1927. A Monsieur le Secrétaire d’Etat, Monrovia. Ai reçu avec très grand plaisir votre réponse. Les citoyens se sont réjouis aujourd’hui de ce que je vous aie mis au courant et étaient certains que vous désapprouveriez une pratique aussi néfaste. Acceptez mes remerciements les plus cordiaux pour avoir justifié la confiance que nous avions placée en vous. Je verrai l’inspecteur pour cette affaire avant de partir demain. Salu­ tations très sincères. (Signé) Sh e r m a n . 22 h. 20.

6 octobre 1927. Au Secrétaire Barclay, Monrovia. L’inspecteur Grigsby a fait enquête ce matin. Tous les hommes ont déclaré qu’ils ont été, soit circonvenus, soit pris de force, ligotés et fouettés. L’inspecteur a demandé à voir ceux du secteur de Wehjah qui ont été fouettés. Six environ se sont levés et ont montré des cicatrices sur leur dos. Quoique l’inspecteur ait essayé de les amadouer afin qu’ils restent à travailler pour Ross, ils ont tous refusé et ont dit qu’ils préféraient rentrer chez eux. Inspecteur semble chercher à éviter de poursuivre les auteurs de ces atrocités. Il a promis toutefois de voir les hommes cet après-midi. Les citoyens me demandent de vous remercier très cordialement et demandent à Dieu de vous bénir. Ross vous avait diffamé de manière scandaleuse, j’ai dû m’opposer à ces calomnies et votre radiogramme a montré à tous que vous aviez été diffamé avec malignité. C’est trop scan­ daleux pour que je vous l’indique par télégramme. Je vous dirai tout cela ainsi que le nom des témoins dès mon retour. Les hommes se sont mis à danser et ont voulu me porter chez moi. Ils m’ont demandé de vous remercier en leur nom. Ross a essayé de les gagner avec de l’argent, mais ils lui ont joué le mauvais tour d’aller en justice. Ross a enfermé presque tous les hommes Juwaszon et l’inspecteur a dû ordonner qu’on les libère. Je vous informerai des mesures que prendra l’inspecteur cet après-midi. Ross a essayé de calomnier le Président ; j’ai dû réfuter énergiquement ces calomnies. Il a essayé de faire impression sur les gens en disant que votre radiogramme serait annulé, pour faire croire que vous étiez facilement influencé par lui ou que je serai bientôt changé. Les hommes partent pour se rendre chez eux dans la matinée. Quelle décision prendre au sujet du riz qu’ils ont apporté ? N’est-ce pas un bien du Gouvernement ? Veuillez y aviser. Mes sincères salutations. (Signé) S h er m a n .

6 octobre 1927. Au Secrétaire d’Etat, Monrovia. Sur question de savoir si les travailleurs étaient envoyés à Fernando Po volontairement ou contre leur volonté, ai constaté qu’ils étaient envoyés sans aucun doute contre leur gré et les ai relâchés suivant instructions. Recevez nos félicitations pour avoir donné l’ordre ; le Président l’a exigé et personne ne pouvait le contester. (Signé) G rig sby , Inspecteur du Comté de Sinoe. 21 h. 30. — 1 1 2 —

9 octobre 1927. A VAttorney du Comté de Sinoe. Reçu votre radiogramme. Les personnes essayant d’exercer pression sur les travailleurs doivent être arrêtées et poursuivies ; les personnes séquestrées doivent être remises en liberté sur mandat d’habeas corpus dont vous devez solliciter la délivrance.

(Signé) L ’A t t o r n e y g én éra l d u L ib é r ia , via R.Z.F.

9 octobre 1927. A Hon. Ross, Sinoe. Secrétaire Barclay a retiré permission d’envoyer travailleurs ; fais bagages et prêt à venir comme convenu. Ne puis rien comprendre. Secrétaire dit que rapports officiels de Sinoe l’ont obligé hier soir d’annuler la permission accordée hier. Remise envoyée banque.

(Signé) P a r k e r , via R.Z.F. Cap Palmas.

Annexe IX.

DOCUMENT ÉMANANT DU GRAND CHEF JEH.

Monrovia, Libéria, le 6 décembre 1929.

A Son Excellence C. D. B. King, Président de la République de Libéria, Executive Mansion, Monrovia. Nous, les Chef et Sous-Chefs de Wedabo, présentons très respectueusement nos griefs à la considération de Votre Excellence en vous priant de faire pour nous tout ce que vous consi­ dérerez comme juste. Pour vous dire la vérité sans aucune réserve, Monsieur le Président, nous avons été réduits dans notre propre pays à un état de servitude par les fonctionnaires de Cap Palmas. Nous ne sommes plus des hommes libres à en juger par la façon dont nous sommes traités. Que se passe- t-il ? Ne sommes-nous pas des frères ? Nous vous supplions, vous qui êtes notre Père, de nous entendre et de nous faire restituer l’argent et le bétail qui nous ont été enlevés injustement. En vérité, nous croyons que, si vous n’étiez pas si loin de nous et si nous pouvions, par un moyen quelconque, vous adresser rapi­ dement des informations, nous n’aurions pas été traités aussi mal ni aussi durement. Nous nous adressons maintenant à vous comme notre Père et notre dernier recours, en ayant pleine confiance que vous prendrez notre requête en considération et que vous remédierez à l’état de choses qui existe dans la région de Webado. Nous demeurons les très humbles serviteurs de Votre Excellence.

(Signé) Tuveley J e h , (Grand-Chef) (une croix).

(Signé) Toe Z e b o , (Sous-Chef) (une croix).

(Signé) Jeh Ma r t in , (Sous-Chef) (une croix). Témoin pour les signatures : (Signé) K. J. N ’Y e p a n .

P l a in t e a d r e ssé e a Son E x c e l l e n c e l e P r é s id e n t d e la R é p u b l iq u e par le grand Ch e f J e h e t les Ch e fs d e la T r ib u W ed a b o d u Comté d e M a r y l a n d .

Je suis le grand Chef de la tribu Wedabo, avec le consentement de mon peuple et du Gouvernement, et pendant de nombreuses années, j’ai servi mon pays fidèlement et loyalement depuis bien avant la présidence de Son Excellence Arthur Barclay, jusqu’à aujourd’hui. Une grande rivière sépare mon pays de Pool River, la tribu la plus proche ; nous sommes sur la rive droite et ils sont de l’autre côté. Vers les années 1922 et 1923, une bataille, ou plutôt une petite échauffourée, a eu lieu entre les gens du village de Pool River, de l’autre côté, et — i i 3 —

les gens qui occupent le village de mon côté. La raison de cette lutte était qu’un très grand poisson avait été amené à la rive de mon côté de la rivière. Mais il avait été découvert ou vu en premier par un homme de Pool River. Par conséquent, d’après la loi indigène, le poisson appartenait réellement à l’homme qui l’avait trouvé. Mais quand les gens de Pool River sont venus pour emporter le poisson à leur village de l’autre côté, mon peuple a dit qu’il devait être découpé de notre côté et qu’on devait leur donner leur part. C’est pourquoi, on a prétendu qu’ils avaient refusé de laisser les gens de Pool River emporter le poisson. Cela provoqua une grande lutte corps à corps entre les deux tribus, au cours de laquelle quelques personnes furent tuées. J ’étais dans mon village loin de la rive, lorsque cet incident se produisit près de la rivière. Le Vice-Président Yancy, qui était à cette époque Inspecteur du comté de Maryland, vint sur les lieux et me fit chercher lorsqu’il eut connaissance de l’incident. J ’essayai de lui prouver que l’affaire s’était passée entre Pool-River et le village de Wedabo, sur la rive, et que ma responsabilité n’était pas engagée. Il me répliqua que, comme grand Chef du pays, j’étais responsable des actes des hommes de WTedabo qui vivent sur la rive ; en conséquence, lorsque mon peuple fut reconnu coupable, après enquête, ce fut moi et non le sous-chef Wonplu, qui était propriétaire du village sur la rive et dont les gens étaient directement impliqués dans l’affaire, que l’inspecteur envoya devantVotreExcellence en même temps que les douze hommes de la tribu de Pool River, demandeurs en cette affaire, afin que je rende compte des actes commis par les Wedabos. Après avoir examiné avec soin l’affaire, vous avez jugé que mon peuple avait tort. A la suite de quoi, Votre Excellence m’a infligé une amende de 300 livres en ma qualité de grand Chef pour les actes commis par les hommes de Wedabo et vous avez ordonné que ce montant soit payé intégralement avant que je puisse être autorisé à quitter Monrovia pour rentrer chez moi. Quand je fus informé de cette décision, je renvoyai Karpeh et Tarplah comme messagers pour annoncer aux gens de Wedabo d’avoir à réunir l’argent pour l’apporter à Monrovia. Lorsque l’inspecteur Yancy apprit cette nouvelle, il suivit les messagers à Wedabo, où il arriva environ une semaine après qu’ils furent rentrés.

Le Sous-Chef Jeh Martin. — Comme nous réunissions l’argent pour l’envoyer à Monrovia, mission pour laquelle le grand Chef nous avait envoyés, l’Inspecteur Yancy arriva au village de Wonplu, le village Wedabo situé sur la rive, et nous ordonna de le rejoindre. Lorsque nous arrivâmes, il dit : « Je vous ai fait appeler pour vous dire que vous êtes tous des paysans et que je ne pense pas que vous puissiez réunir assez rapidement l’argent de l’amende de 300 livres infligée à votre grand Chef pour qu’il puisse revenir vite. Laissez-moi payer l’amende à votre place, mais je veux que vous me donniez des hommes pour aller à Fernando Po, après que j’aurai payé les 300 livres. » Je lui répondis que nous n’avions pas d’hommes pour Fernando Po et que nous allions donc essayer de réunir l’argent nous-mêmes. En réponse à cela, il déclara que, si je disais aux habitants de ne pas aller à Fernando Po, mon village devrait, à lui seul, payer les 300 livres. Cela me fit peur. Aussi, je me tins coi et je ne dis plus rien contre son idée. Alors, nous nous consultâmes et nous tombâmes d'accord qu’il devait payer l’amende et que nous lui donnerions des hommes pour être envoyés à Fernando Po. Il dit que nous devrions donner 700 hommes. Nous acceptâmes de les prendre dans notre région. Après avoir conclu cet accord, l’Inspecteur Yancy déclara qu’il enverrait sans retard les 300 livres à Monrovia et que notre chef reviendrait bientôt. Il nous pria toutefois de lui donner d'abord 100 hommes par village avant le retour du chef. En conséquence, on réunit des hommes dans les villages suivants :

Soloken ...... 100 hommes M a rk a n g b o ...... 100 » Jalalugbo...... 100 » Beach-Town ...... 100 » Juluken...... 100 » Total .... 500 hommes

Peu après le départ du premier contingent de 500 hommes, le grand Chef fut libéré et il revint chez lui.

Le Sous-Chef Zebo. — Lorsque le chef revint et qu’il vit la région déserte, il demanda pourquoi nous avions laissé emmener un si grand nombre de jeunes gens ; il dit qu’il nous avait donné l’ordre de réunir 300 livres en espèces et de les lui envoyer, mais non pas d’expédier des hommes à l’étranger. Nous lui expliquâmes que l’inspecteur était venu pendant que nous essayions de réunir l’argent, et qu’il avait insisté pour que nous lui donnions 700 hommes et qu’il avait offert de payer les 300 livres. Nous dîmes au chef que nous devions donner encore 200 hommes à l’inspecteur ; le chef répliqua que si on envoyait encore ces hommes, le pays serait absolument ruiné. Après avoir entendu les paroles du chef, nous convînmes avec lui qu’il avait raison ; nous décidâmes donc que les 500 hommes que l’Inspecteur Yancy avait pris dans notre région pour les envoyer à Fernando Po compensaient largement l’amende qu’il avait payée pour notre chef. Nous décidâmes donc de ne pas donner les 200 hommes que nous devions lui fournir encore, parce que nous voyions que l'on ruinerait le pays en lui donnant ces hommes. Lorsque l’Inspecteur Yancy apprit cette résolution, il envoya le Commissaire i i 4 —

J. B. Delaney dans notre pays pour s’emparer de force des 200 hommes. Il entra dans mon village, de nuit, prit cinq notables, rayonna dans la région et s’empara d'autant de notables qu’il pouvait en trouver. Il leur mit une corde autour de la taille et il les emmena à l’Inspecteur Yancy. Son intention était de conserver les notables à Cap Palmas jusqu’à ce que nous donnions les 200 hommes. Mon fils, qui avait eu l’audace de dire à M. Yancy que notre pays était désert et qu’il n’y avait pas d’hommes pour Fernando Po, fut immédiatement arrêté par lui et envoyé comme prisonnier dans l’arrière pays de Harper où il demeura en prison jusqu’à ce que les 200 hommes eussent été trouvés. Lorsque les 200 hommes eurent été réunis de force, prêts à être embarqués, Yancy fit venir mon fils de la prison et lui dit : « Tu as la tête dure, tu m’as dit qu’il n’y avait pas d’hommes à Wedabo, mais j’y ai trouvé suffisamment d’hommes, aussi je vais te nommer chef et t’envoyer à Fernando Po avec ces hommes. » Sur les 700 hommes de Wedabo que M. Yancy envoya à Fernando Po, 100 moururent là-bas et il n’en revint que 600. Ainsi se termina la première affaire de Fernando Po dans notre pays. Nous ne rappelons pas cette histoire pour renouveler le litige. Nous comprenons que c’est à cause de cet incident où il y eut des tués et où nous n’eûmes pas le dessus que nous dûmes remettre à Cap Palmas, à l’Inspecteur Yancy, 100 livres en espèces, 170 grands sacs de noix de palme et 1.400 balles de piassava avant que le litige entre Pool River et nous-mêmes fût porté à Monrovia, qu’une amende de 300 livres fût infligée à Monrovia au grand chef, que le grand chef fût détenu et que la malheureuse affaire de Fernando Po prît naissance. Nous racontons cette histoire afin de permettre à Votre Excellence de comprendre ce que nous sommes venus lui soumettre à Monrovia.

Le grand Chef. —-Je vais maintenant dire quelques mots au sujet des deux demandes d’hommes que le Vice-Président Yancy nous a faites en vue de leur embarquement pour Fernando Po, demandes auxquelles vous avez fait de très fortes objections. Les ennuis et les désagréments occasionnés par ces deux demandes nous obligent à revenir à Monrovia en vue de soumettre l’affaire à Votre Excellence pour obtenir quelque réparation. Cette année-ci, le Vice-Président Yancy est venu de Monrovia et il a réuni tous les gens de Wedabo, de Piccanini Cess, de Grand Cess et de Kpalapo et nous a demandé de lui donner des hommes pour Fernando Po. Il déclara qu’il fallait 60 hommes par village et, de plus, que c’était un ordre du Président de la République qui devait être exécuté et qu’enfin tout chef qui ne voudrait pas laisser partir ses hommes n’en serait dispensé que s’il versait 10 livres par homme manquant. Le Vice-Président nous expliqua que, si quelqu’un mettait ses paroles en doute, il pourrait aller à Monrovia pour demander confirmation au Président. Je n’assistais pas moi-même à cette réunion, parce que je souffrais alors d’une enflure au genou, mais, lorsque mes représentants revinrent et me mirent au courant ainsi que les notables auprès de moi, toutes les femmes se mirent à pleurer en apprenant la nouvelle. Elles dirent : « Que faut-il faire pour échapper à tous ces ennuis ? Il y a peu de temps, 100 de nos fils et de nos maris sont morts à Fernando Po ; maintenant, pour la deuxième fois, on nous demande d’envoyer nos fils à Fernando Po ; s’ils partent, il se peut qu’ils meurent tous et qu’ils ne reviennent plus. » Les cris et les pleurs des femmes dans toute la région mirent une grande tristesse partout, et moi, le grand chef, j’étais troublé et incapable de manger. J ’avais perdu mon appétit pour longtemps. Tous les notables m’entourèrent et me dirent avec force que le pays était déjà vide d’hommes et désolé et qu’on ne pouvait plus donner d’hommes pour Fernando Po ou un autre endroit, même si l’on devait nous tuer. Cette décision des vieillards en cette affaire ranima un peu les femmes. La décision définitive de la tribu de Wedabo fut que les hommes ne pouvaient pas aller à Fernando Po cette fois-ci. Si le Vice-Président veut qu’ils quittent le pays, ils sont disposés à chercher de nouvelles terres plutôt que d’envoyer un seul homme à Fernando Po. Le chef Broh envoya des messagers à Monrovia pour vérifier s’il était exact que Votre Excellence avait donné l’ordre que nous allions à Fernando Po. Lorsque les messagers revinrent, le chef Broh nous appela dans son village et nous informa que vous n’aviez pas donné l’ordre de demander des hommes pour Fernando Po. Cette nouvelle ramena la joie dans tout le pays et toutes les femmes dansaient en prononçant les louanges de Votre Excellence. Peu après, le Vice-Président Yancy envoya l’Inspecteur Brooks dans mon pays, avec des soldats. Il ne passa pas par mon village pour m’avertir de sa mission, mais il fit un détour et entra dans le grand village qui est au-dessus du mien. Il fit arrêter les notables du village, les fit ligoter et leur extorqua 5 livres. Il relâcha les vieillards après qu’ils eurent payé les cinq livres. De ce village, il envoya les soldats chez moi, sans venir lui-même, et, lorsqu’ils arrivèrent, ils me demandèrent cinq livres en disant que c’était l’ordre de l’Inspecteur Brooks. J ’assemblai mes notables pour leur demander de réunir l’argent, mais les soldats trouvèrent que j’allais trop lentement et ils me saisirent par mes habits et commencèrent à me bousculer. Ils me donnèrent une charge et voulurent m’obliger à la porter pour eux jusqu’au prochain village. Je leur dis avec énergie que j’étais le grand chef de mon pays et que je n’avais jamais porté de fardeau de ma vie pour personne et que je ne porterais cette charge sous aucun prétexte. En même temps, ils bousculèrent un des vieux notables du pays, qui tomba et se fit une blessure grave au pied. Je payai les cinq livres et les soldats quittèrent mon village pour retourner auprès de l’Inspecteur Brooks.

Le Sous -Chef Martin. — Après avoir quitté la résidence du grand chef, l’Inspecteur Brooks et les soldats vinrent à mon village. Quand il entra dans le village, l’Inspecteur me dit qu’il venait chercher les travailleurs pour Fernando Po que le Vice-Président Yancy nous avait ordonné de fournir. En réponse à ces paroles, je lui dis que l’ordre avait été donné publiquement à beaucoup de chefs, mais pas d’une manière spéciale, que je ne pouvais pas comprendre pourquoi il laissait tous les grands chefs et venait directement chez moi alors qu’il, savait que — U S — je n ’étais pas un grand chef. Il me dit que ma réponse ne valait rien, se mit en colère et m ’infligea une amende de 8 livres pour lui avoir posé cette question. Je lui donnai l’argent ; après quoi, il quitta mon village pour se rendre au village voisin.

Le Sous-Chef Zebo. — En quittant Martin, l’Inspecteur et ses soldats vinrent à mon village. Je n’étais pas chez moi quand il arriva ; j’étais à ma ferme avec mes ouvriers, mais il refusa de descendre de son hamac et il resta dans son hamac reposant sur la tête des porteurs pendant que l'on m’envoyait chercher à la ferme et il reposait toujours sur leur tête quand j’arrivai. Quand il me vit arriver, il me dit qu’il ne restait pas, mais qu’il allait coucher direc­ tement à Kpalapo. Il m’ordonna de le rejoindre le lendemain et de lui apporter sa nourriture ; il laissa deux soldats qui devaient coucher chez moi et me conduire vers lui. A l’aube, je prix avec moi trois hommes et j’allai le rejoindre. Je portais une livre sterling en espèces pour sa nourriture. Lorsque nous fûmes arrivés près du village où il se trouvait, les soldats mirent une corde autour de la taille d’un des hommes et le ligotèrent. Je demandai quelle en était la raison. Ils me dirent qu’ils exécutaient l’ordre de l’Inspecteur. L’homme avait toujours une corde autour de la taille lorsque nous atteignîmes le logement de l’Inspecteur. Je lui demandai pourquoi il avait autorisé les soldats à lier l’homme. Après une longue discussion, il le libéra, comme il ne pouvait donner aucune raison pour punir cet homme, mais il m’ordonna de lui payer huit livres. Je lui dis que s’il ne pouvait pas me donner de bonnes raisons pour la punition de mon homme, je ne lui payerai pas un centime. Je revins à mon village sans donner l’argent. Deux ou trois jours après, l’Inspecteur vint à mon village pour chercher l’argent. Dès qu’il fut arrivé, il me demanda où étaient les huit livres. Je lui dis que je ne payerai pas cette amende. Là-dessus, il me menaça en me disant qu’il me le ferait payer cher à moi et à mon peuple, et que nous ne pourrions pas cultiver nos terres cette année. Là-dessus, il s’en alla. Lorsque le chef Broh fut arrêté et emmené à Cap Palmas, tout le pays était en grande agi­ tation. Aussi, lorsque ses messagers et ses sous-chefs partirent pour Monrovia, j’envoyai trois hommes avec eux pour connaître directement de Votre Excellence ce que le Gouvernement avait décidé de faire pour nous libérer de cette hantise du travail à Fernando Po afin de nous permettre de mieux nous reposer et dormir dans notre pays. Lorsqu’on apprit à Cap Palmas que j’avais envoyé trois messagers au Président, le Vice-Président Yancy envoya le lieutenant Phillips avec des soldats dans mon pays. Lorsque le lieutenant entra dans le village du sous- chef Zebo, Zebo envoya chercher des sièges pour les soldats, mais ils lui demandèrent pourquoi il n ’allait pas chercher lui-même les sièges, le saisirent et le fouettèrent sans pitié. Ce fut la garde qui commit ces excès. Quant au lieutenant Phillips, il était resté en arrière et il n’était pas présent. Lorsqu’il arriva sur les lieux, au lieu de réprimander les soldats pour leur acte, il dit : « Dis donc, Zebo, il me faut une chèvre, une grosse vache et un sac de riz pour nous nourrir. » Zebo donna immédiatement ce qu’on lui demandait, mais le lieutenant se retourna tout de suite et demanda dix livres en espèces que Zebo lui remit. Tandis que les soldats étaient en train de fouetter Zebo, toutes les femmes et tous les enfants de son village s’éparpillèrent dans toutes les directions en criant aussi fort qu’il pouvaient et s’enfuirent vers mon village. L’un des fils de Zebo, qui s’était décidé à rester pour voir ce qu’il adviendrait de son père pendant que les soldats le fouettaient, fut également appréhendé et fouetté par les soldats et on dut verser 10 shillings pour que les soldats le libèrent. Du village de Zebo, le lieutenant Phillips se dirigea vers le village de Martin. Dès qu’il y fut arrivé, il ordonna à Martin de réunir tous les habitants dans un endroit. Lorsque les hommes furent réunis devant l’habitation de Martin, les soldats se précipitèrent sur la foule et commen­ cèrent à fouetter et à ligoter les habitants. Martin lui dit : « Lieutenant Phillips, vous m’avez dit de réunir les hommes et vous me les arrachez et vous les liez, et j’aurai demain l’ennui de les délier. » Le lieutenant ordonna à Martin de payer dix livres. L’argent fut immédiatement versé et le lieutenant fit délier tous les hommes, sauf vingt et un. Après, le lieutenant Phillips demanda six vaches et deux grands sacs de riz qui lui furent donnés sur-le-champ. Après cela, ce lieutenant Phillips libéra ses soldats qui se mirent à pénétrer de force dans les maisons, à ouvrir les coffres et à piller tout le village. Ils volèrent de l’argent, des vêtements et tout ce qui appartenait aux habitants ; le village a été complètement ruiné. Après qu’ils eurent pillé le village, le lieutenant Phillips et ses soldats emmenèrent les 21 hommes comme prisonniers, retournèrent à Cap Palmas et remirent ces hommes au Vice-Président, qui les envoya en captivité dans sa ferme. J ’envoyai deux messagers au Vice-Président avec cinq livres pour lui dire que le lieutenant Phillips avait pillé un de mes villages et lui demander pourquoi les vingt et un hommes avaient été arrêtés. Lorsqu'il reçut les cinq livres, le 'V ice- Président demanda aux messagers où je me trouvais. Il lui répondirent que je souffrais d’une enflure au genou. Il dit aux messagers : « Allez dire à Jeh que je veux le voir et que s’il ne peut pas aller vite, il doit aller lentement pour venir me trouver ». Lorsque ce message me parvint, je fus très inquiet. Alors mon peuple me donna vingt livres et me dit de marcher lentement pour aller le voir. Je pris les vingt livres et je les remis au Vice-Président, qui regarda mon genou et dit q u ’il croyait que j ’étais vraiment malade : « Mais, me dit-il, Jeh, je vois ces vingt livres, je vais les mettre de côté. L’impôt pour le vieux village que ton peuple a abandonné pour aller à ton village n’a pas été payé, aussi tu devras faire chercher encore 40 livres. » Je lui dis que ma tribu avait quitté ce village il y avait six ans et que nous avions cultivé sur l’emplacement même où se trouvait le village, et que nous avions mangé le riz pendant deux ans, et je lui demandai comment, dans ces conditions, je pouvais payer cet argent. Il refusa d’écouter mes explications et exigea l’argent. J ’envoyai les messagers dans mon pays, mon peuple réunit les 40 livres et me les envoya pour que je les remette au Vice-Président. Le lendemain matin, après avoir payé cette somme, j’allai prendre congé du Vice-Président et lui dire que je rentrais chez moi. A ma grande surprise, il me dit : « Jeh, j ai le regret de te — n 6 —

dire que tu ne peux pas encore rentrer chez toi. Tu dois rester ici et payer 100 livres avant d’aller n’importe où ». Je lui demandai pourquoi je devais payer cet argent ; il me dit qu’il avait appris que j’avais envoyé des messagers à Monrovia pour le dénoncer au Président, et que je devais en conséquence payer une amende de 100 livres. Je lui dis que j’avais effective­ ment envoyé des messagers au Président et que s’il voulait que je paie 100 livres pour cela, je n’y pouvais rien. J ’ai à le payer. Je convins donc de payer cette somme. Mais je lui demandai de m’autoriser à rentrer chez moi et de me donner du temps pour chercher l’argent. Il y con­ sentit, mais il ne m’accorda qu’une semaine. Je quittai Harper et je rentrai chez moi. Dès mon arrivée, je réunis mon peuple et je lui soumis la question ; mon peuple réunit de suite 40 livres qu’il me donna ; je portai cet argent à Cap Palmas moi-même et je le remis au Vice-Président avant la fin de la semaine qu’il m’avait accordée, ce qui laissait un solde de 60 livres.

Le Sous-Chef Zebo. — A ce moment, l’Inspecteur Brooks interrogea les deux hommes de Wedabo qui étaient en prison dans la ferme du Vice-Président et découvrit que je n’étais pas parmi les prisonniers. Il envoya un message par Bellor, homme de Kpalagbo, pour dire que l’Inspecteur m’ordonnait de venir à Cap Palmas pour être mis en prison. En apprenant cette nouvelle, je fus fort alarmé et troublé, les femmes et les enfants de mon village pleuraient, mais je ne pouvais pas quitter mon pays et mes enfants pour m’enfuir. Aussi le lendemain je pris 8 livres en espèces et un grand bœuf, et je partis pour Cap Palmas, m’apprêtant à être emprisonné par l’Inspecteur pour une raison que je ne connaissais pas. Monsieur le Président, la triste histoire des traitements cruels que nous autres, les indigènes du comté de Maryland, subissons constamment de la part des fonctionnaires de ce comté est interminable. Dès mon arrivée, je me rendis chez le Vice-Président pour lui annoncer ma venue. Je lui donnai le bœuf et les 8 livres. Il me remercia et me dit que Brooks m'avait fait chercher pour me mettre en prison, mais que, comme j'avais été le voir en premier, il ne me laisserait pas mettre en prison, mais que je devais lui apporter 100 livres. Je dis au Vice-Président que le lieutenant Phillips, lorsqu’il était venu dans mon village, avait tout pris ce que j’avais et m’avait laissé sans le sou, et que je ne pouvais donc pas trouver les 100 livres. Après toutes ces supplications et ces explications, je fus néanmoins obligé de payer 50 livres, je fus libéré et je rentrai chez moi.

Le Sous-Chef Martin. — Je me rendis chez le Vice-Président et je lui dis que les 21 hommes qui avaient été arrêtés et emmenés à Cap Palmas par le lieutenant Phillips étaient de mon village et je le suppliai de les faire sortir de prison et de me les rendre. Il me dit qu’il regrettait beaucoup que les soldats aient pillé mon village et l’aient désolé, et que je devais donc lui apporter 60 livres, après quoi il libérerait les prisonniers. Je lui donnai 40 livres en espèces et 20 livres en piassava. Il me rendit les 21 hommes que j’emmenai à mon village.

Le Sous-Chef Zebo. — Je vais maintenant raconter un des incidents les plus graves qui se sont passés dans le pays de Wedabo et que mon peuple m’a particulièrement chargé de sou­ mettre à Votre Excellence. Le premier grand chef que Dieu a donné au pays s’appelait Tuweley. Dieu lui-même l’avait béni et consacré, car, pendant son règne, les femmes étaient très fécondes, le riz poussait en abondance, le pays regorgeait de nourriture, la maladie et la mort reculaient et surtout le pays de Wedabo n’était jamais battu dans aucune guerre livrée contre nos ennemis. Depuis la mort du vieillard, lorsque nous avons un chef qui est bon et bienveillant à l’égard de son peuple, et qu’il sait comment diriger le pays, nous nous réunissons tous et nous changeons officiellement son nom pour celui du vieux chef. C’est là le plus haut témoignage de respect que nous puissions offrir à un chef dans notre pays. Or, notre grand chef actuel s’appelle Tuweley Jeh. D’après les explications précédentes, vous comprendrez sans peine que nous l’aimons et que nous avons pour lui la plus haute estime. Conformément à nos coutumes, il désigna un certain Wonplu comme sous-chef du village des Wedabos sur la rive. Cet homme Wonplu trafiqua ultérieurement pour le compte du Vice-Président Yancy ; il a fait ce métier depuis le moment où Yancy était inspecteur jusqu’à l’heure actuelle. Le meurtre des habitants de Pool River, pour lequel le chef Jeh a été emmené à Cap Palmas par l’Inspecteur Yancy et ensuite à Monrovia où Votre Excellence lui infligea une amende de 300 livres, a été commis par les gens de Wonplu, alors que le chef Jeh était dans son village. Le grand chef a été arrêté et rendu responsable des actes des gens de Wonplu parce que ce sont des hommes de Wedabo et que Jeh est le grand chef pour tout le pays. Mais, à la grande déception et au grand regret de tout le pays, l’Inspecteur Yancy, peu après le règlement de l’affaire précitée, releva le grand chef de ses fonctions et lui enleva son mandat — mandat qu’il avait reçu de vous — pour le donner au sous-chef Wonplu dont il fit le grand chef de Wedabo. Ce qui est encore pire, l’Inspecteur Yancy infligea au chef Jeh une amende de 140 livres après l’avoir relevé de ses fonctions. On ne nous a jamais expliqué pour quel motif le chef avait été relevé de ses fonctions et avait dû payer une si forte amende. Les 140 livres ont été payées par l’entremise du Commissaire J. B. Delaney. Monsieur le Président, je suis chargé par le peuple de Wedabo de vous informer qu’il désire que son grand chef lui soit rendu. Ils ne sont pas satisfaits de l’état actuel des choses. Le pays a été désorganisé et continue à être désorganisé depuis que le grand chef Jeh a été brusquement relevé de ses fonctions sans aucun motif justifié. En conséquence, nous vous supplions d’examiner l’affaire et de la régler une fois pour toutes. Wonplu est parmi les personnes à qui vous avez donné l’ordre de retourner chez eux, mais de revenir à Monrovia au mois de septembre. Lorsque nous étions prêts à nous rendre à votre — i i 7 — appel, Wonplu est allé trouver le Vice-Président Yancy. Je ne sais pas exactement ce qu’ils ont pu dire, et quels conseils on lui a donnés, mais il rentra chez lui et refusa de se rendre à Monrovia comme vous l’aviez ordonné. Je vous prie de faire chercher Wonplu afin qu’il com­ paraisse devant vous avec nous, pour que vous puissiez régler cette affaire.

(Signé) Tuweley Jeh, (une croix) Grand chef T oe Ze b o , (une croix) Sous-Chef J eh Ma r tin , (une croix) Sous-Chef G bade Y e e n . (une croix) Témoin pour les signatures : S. K. J. N ’Y e p a n .

Annexe X.

D éclaratio n d u G rand Ch e f B roh d e F r e n r o po , (Comté de Maryland).

Lorsque le Vice-Président Yancy est revenu l’an dernier de Monrovia, il a ordonné aux chefs et aux hommes de Picaniny-Cess, Grand Cess et Wedabo, moi et mes hommes y compris, d’aller le voir au cours d’une grande réunion à Wedabo, sur la rive. Je n’étais pas en assez bonne santé pour aller à cette réunion ; j'y ai donc envoyé mes représentants. Lorsqu’ils revinrent, ils me dirent que les chefs de Picaniny-Cess, Grand Cess et Wedabo se trouvaient tous à la réunion ; les hommes m’ont également rapporté que lorsque l’assemblée s’est trouvée réunie, le Vice-Président Yancy a déclaré aux assistants qu’il venait de rentrer de Monrovia et qu’il apportait pour nous un message du Président. Le Vice-Président a dit que le Président King l’avait chargé de nous dire que nous devions lui fournir des hommes pour Fernando Po et sur ce, il a assigné les contingents suivants aux villages représentés :

Picaniny-Cess...... 60 hommes Grand C e s s ...... 60 hommes W edabo...... 60 hommes

Mais lorsqu’il a été question de mes gens, il a divisé mon village natal en quatre sections, exigeant 60 hommes de chaque section. Il a ajouté qu’il n’allait pas me forcer à envoyer des hommes, mais que si je ne les lui fournissais pas, j’aurais à payer la somme de dix livres sterlings (£10) pour chaque homme que je refuserais d’envoyer et qu’autrement, il enverrait des soldats si je refusais de payer. A ce moment de la réunion, la question suivante fut posée au Vice-Président Yancy : « Est-ce là tout ce que le Président King vous a chargé de nous dire ?» Il a répondu par l’affir­ mative et a ajouté que si les gens ne voulaient pas croire à sa parole, ils pouvaient envoyer quelqu’un à Monrovia pour vérifier ses dires auprès du Président lui-même. Tout cela a été dit à mon représentant, que j’avais envoyé pour prendre part à l’assemblée. Sur ce, j ’ai convoqué tous mes hommes et je leur ai soumis la question. Ils ont définiti­ vement refusé de fournir des hommes pour deux raisons, à savoir : i° parce que de 30 hommes envoyés il y a quelques années de notre pays à Fernando Po, pas un n’est encore revenu et, 2° parce que j’avais reçu une fois l’ordre d’envoyer des hommes pour travailler aux routes et qu’une partie de ces hommes avaient été envoyés pour travailler dans les plantations de Firestone. Après avoir travaillé plusieurs semaines sans avoir reçu de rémunération pour leurs services, ils se sont adressés au directeur pour réclamer leur salaire. Le directeur de la plantation a aussitôt congédié les hommes, qui n’avaient pas été payés ; ces hommes sont rentrés chez eux sans un sou. En présence de ces objections, qui étaient très fondées, je n’ai pas pu insister auprès de la tribu pour qu’elle fournisse des hommes pour Fernando Po. J ’ai envoyé ensuite deux messagers à Monrovia, auprès du Président King, pour exposer ce que le Vice-Président Yancy avait déclaré et pour demander si cela était vrai. Le Président a répondu qu’il n’avait jamais donné d’ordre pour que nous fournissions des hommes pour Fernando Po, mais que quiconque voulait y aller pouvait le faire de son plein gré. Cette nouvelle a causé une grande joie dans ma tribu et les autres tribus se sont également réjouies en enten­ dant les nouvelles apportées de Monrovia par mes messagers. Lorsque l’on a appris, à Cap Palmas, que j’avais envoyé des gens auprès du Président King et que mes messagers étaient revenus, apportant à tous les intéressés les nouvelles en question, l’Inspecteur Brooks, W. V. S. Tubman et McBorough sont venus à Picaniny Cess. A leur arrivée, ils m’ont fait chercher. Lorsque je suis allé chez eux, l’Inspecteur Brooks m’a demandé s’il était vrai que j’avais envoyé des messagers à Monrovia. J ’ai répondu par l’affir­ mative, en ajoutant que j’avais envoyé des hommes auprès du Président King parce que je le considère comme notre père à tous. J ’avais à peine dit cela que je fus arrêté et envoyé à bord de la chaloupe à vapeur qui les avait amené de Cap Palmas. Au cours du voyage de Picaniny Cess à Cap Palmas, l’Inspecteur Brooks et les gens de sa suite se sont arrêtés à Grand Cess et sont descendus à terre pour y passer la nuit, me laissant seul à bord de la chaloupe. A minuit, — n 8 —

la mer devint très agitée, au point que la chaloupe fut jetée sur un banc. N’ayant pas été blessé, j’ai pu sortir de la chaloupe et aller sur un rocher où je suis resté jusqu’au jour. Le lendemain matin, nous nous sommes rendus à Cap Palmas. Pendant mon séjour à Cap Palmas, j’ai été gardé dans la maison de l’Inspecteur Brooks, sans être autorisé à me promener librement. Pendant que j’étais détenu à Cap Palmas, l’Inspecteur Brooks a envoyé le lieutenant Phillips, des forces de frontière du Libéria, avec un détachement de soldats, pour me garder ; d’autres sections ont été envoyées pour arrêter les hommes et les amener à Cap Palmas. Ils ont arrêté 40 hommes de ma section et un nombre à peu près égal d’hommes des autres sections, mais je ne peux pas donner le chiffre exact de ces hommes. Les hommes arrêtés dans ma section ont été amenés et fouettés cruellement par le lieu­ tenant Phillips et les soldats. Parmi ceux de mes hommes ainsi fouettés, l’un est mort des suites de ce traitement. Un ou deux autres hommes sont également morts, mais ils n’appar­ tenaient pas à ma section. En plus de ce traitement cruel, appliqué à mes hommes, les villages ont été pillés parles soldats. Un certain nombre d’hommes qui se trouvaient parmi les personnes arrêtées sont ici avec moi et peuvent donner, s’il y a lieu, des renseignements de première source. Lorsque le lieutenant Phillips et les soldats sont revenus à Cap Palmas, avec un grand convoi d’hommes arrêtés par eux, il était déjà tard et il faisait nuit ; mais le lendemain, avant le lever du jour, tous les prisonniers, parmi lesquels je me trouvais également, ont été envoyés à la ferme du Vice-Président Yancy. Moi, qui ai été reconnu par le Gouvernement du Libéria, représenté par le Chef de l’Exécutif, et confirmé comme Grand Chef de ma tribu, j’ai été humilié au point d’être fustigé en présence de mes hommes, auxquels j’ai le droit de commander, ainsi qu’en présence de mes collègues. A notre arrivée à la ferme, le Vice-Président et l’Inspecteur Books nous ont convoqués. Le Vice-Président m’a dit entre autres : « C’est vous, Broh, qui avez envoyé des gens à Monrovia pour me dénoncer ? Qu’est-ce que le Président pour vous ? Est-ce un de vos parents ? Savez- vous quelle entente secrète il y a entre le Président et moi ? Vous êtes maintenant entre mes mains. Que le Président King vienne vous délivrer. Le Président King est à Monrovia et c’est là qu’il gouverne, mais moi, je gouverne à Cap Palmas. Si je veux vous envoyer à Fernando Po, je peux le faire ; qui pourrait m’en empêcher ? Je peux vous remettre aux soldats pour qu’ils vous conduisent dans les baraques de l’intérieur et leur donner ensuite l’ordre de vous tuer en route. Lorsque la chose sera rapportée à Monrovia, j’écrirai simplement pour faire savoir au Président que vous êtes mort de maladie et, quelle que puisse être l’explication que je donnerai de votre mort, elle sera acceptée par lui. » Le Vice-Président a dit ensuite aux autres : « Vous avez permis à Broh de vous persuader d’adresser à Monrovia une plainte contre moi et maintenant, vous allez tous recevoir le même châtiment que celui que je vais lui infliger. J ’exigerai de chaque section le paiement des amendes suivantes : F re n ro p o ...... £200 K p alag b o ...... 394 T o p o ...... 100 S u e h n ...... 100 Wedabo (amende non mentionnée)

J ’ai payé mon amende intégralement et les tribus de Topo et de Suehn firent de même, mais je ne saurais dire si les tribus de Kpalagbo et de Wedabo ont payé l’amende qui leur a été imposée. Lorsque j’eus payé cette amende illégale, le Vice-Président m’a dit que la chaloupe à vapeur envoyée par lui à cause de moi à Picanini Cess lui avait coûté £72.10.0 et que j’avais à payer ce montant avant que moi et mes hommes soyons remis en liberté ; j’ai été dans l’obligation d ’envoyer une seconde fois quelqu’un chez moi et dans les différents villages pour réunir la somme exigée par le Vice-Président Yancy. Cette somme ayant été payée intégra­ lement, il a ordonné de nous mettre en liberté, moi et mes hommes. Les Kpalagbos s’étaient joints à moi pour envoyer la première plainte au Président ; mais, après la punition et l’amende qui nous avaient été infligées à la ferme du Vice-Président, ils m’ont blâmé, à notre retour dans nos foyers, pour le traitement qu’ils avaient subi et l’argent qu’ils avaient dû payer. Voyant que l’envoi de plaintes à Monrovia ne crée que des ennuis, ils décidèrent de s'arranger avec le Vice-Président Yancy pour avoir un peu de répit ; c’est parce que j’ai insisté sur la plainte que j’ai adressée au Président que la tribu de Kpalagbo, qui habite avec moi, sur mes propres terres sur lesquelles je lui ai permis de construire il y a quelque dix-sept ans, m’a gardé rancune. Un jour, quelques-uns de mes gens ont rencontré quelques chefs Kpalagbos qui se rendaient à Cap Palmas. Lorsque mes hommes leur ont demandé pourquoi ils étaient ainsi en route, ils ont répondu que le Vice-Président les avait envoyé chercher. Je ne sais pas exactement ce qui leur a été dit et quelles étaient les instructions qui leur ont été données, parce qu’ils n’ont pas voulu parler comme ils le font d’habitude. Mais j’ai remarqué que leur attitude avait complè­ tement changé et qu’ils commençaient à nous chercher querelle pour la moindre vétille. L’emplacement que j’avais cédé à la tribu des Kpalagbos pour qu’elle construise ses demeures est à proximité immédiate de mon village, les deux villages étant séparés par une petite rivière fangeuse dans laquelle les enfants des deux villages vont pêcher de petits poissons, ainsi que des grenouilles pendant la saison des pluies. Un jour, pendant que les enfants étaient en train de pêcher des grenouilles, j’ai entendu un grand bruit de voix. J ’ai dit à l’un des hommes du village d’aller s’enquérir de la cause de ce tumulte. Cet homme a vu un certain nombre de Kpalagbos qui étaient en train d’abattre quelques bananiers plantés sur le bord de la rivière appelée Kbo, aux abords mêmes de mon village. Ils étaient armés de coutelas et de — i i g — lances. Les hommes de mon village, qui n’étaient pas armés, ont invité les hommes de l’autre village à cesser d’abattre les arbres et se sont efforcés en même temps d’avoir des explications. Sans fournir la moindre explication, un des hommes de la tribu Kpalagbo est venu vers l’homme de mon village et l’a frappé de son coutelas. Là-dessus, les enfants se sont dispersés en courant et en criant « Guerre ! Guerre ! », ce qui a provoqué une vive excitation. D’autres hommes de mon village qui revenaient à ce moment de leurs fermes accoururent sur le lieu de l’incident. Comme eux non plus n’étaient pas armés, ils furent attaqués et quelques-uns d’entre eux blessés. L’un d’eux est mort à la suite de sa blessure et a été enterré par le Commissaire de district qui avait constaté le décès à Picanini Cess. L’homme qui avait blessé la victime a été arrêté par le Commissaire du district qui lui fit mettre les menottes. Le coupable s’est évadé et est rentré dans son village. Pendant l’enquête faite à Cap Palmas et à Grand Cess, il se trouvait présent, mais aucune nouvelle tentative n’a été faite pour l’arrêter de nouveau. Lorsque le Commissaire du district fut mis au courant du combat qui avait eu lieu entre les deux tribus, il nous a mandé de venir et d ’amener avec nous tous les blessés et les morts. Les hommes de Kpalagbo prétendirent que l’un de mes hommes avait blessé l’un des leurs avec une lance, mais lorsque le Commissaire du district leur ordonna de faire comparaître le blessé, ils ne purent le faire, mais dans les quatre jours qui suivirent, ils déclarèrent que l’homme qui avait été blessé par les miens était mort. La relation du combat a été reçue plus tard à Cap Palmas. L’Inspecteur Brooks, accompagné du Sénateur Tubman et du Représentant McBorough, est venu à Grand Cess où nous nous trouvions alors. A notre arrivée le jour suivant, je suis allé voir l’Inspecteur Brooks pour cette affaire. Au cours de notre conversation, il m’a dit : « J ’ai appris avec regret que vos hommes ont été blessés ; mais c’est là une question qui est du ressort des tribunaux supérieurs et je vous conseillerai de prendre un avocat. » Il m’a ensuite recommandé le Conseiller Tubman qui était présent. Lorsque je me suis adressé au Conseiller, il a consenti à défendre nos intérêts et a demandé une avance de dix livres sterling que j’ai payée. Le lendemain matin, l’Inspecteur a entendu l’affaire. Lorsque les deux parties furent admises à faire leur déposition, l’Inspecteur a déclaré qu’il tiendrait parole. Il a annoncé ensuite que l’affaire devait être portée à Cap Palmas et il a exigé des deux parties une somme de £25 (vingt-cinq livres sterling) pour couvrir les dépenses faites à Grand Cess. Nous avons reçu l’ordre de nous trouver à Cap Palmas dans une semaine. Le Conseiller Tubman, mon avocat, a chargé mon secrétaire de me dire qu’il demandait £100 pour me repré­ senter à Cap Palmas et qu’il exigeait que je remette cette somme au Commissaire Diggs qui devait nous accompagner à Cap Palmas. En me rendant à Cap Palmas, j’ai remis à Garroway, audit Commissaire la somme de cent livres sterling pour le Conseiller Tubman, mon avocat. Deux jours après notre arrivée à Cap Palmas, l’affaire a été entendue par l’Inspecteur. Les deux parties firent leur déposition devant l’Inspecteur et le Conseil. Dans ma déposition, j’ai affirmé et expliqué que les gens de Kpalagbo ont traversé le bras de la rivière Kpo qui coule près de leur village et sont venus sur le secteur de la rivière qui coule à proximité immédiate de mon village. (La rivière Kpo a deux bras qui coulent entre les deux villages en forme d’Y, laissant ainsi une petite parcelle de terrain entre les deux bras. Les gens de Kpalagbo ont prétendu que nous les avons attaqués les premiers. Ils ont demandé à l’inspecteur d’envoyer quelqu’un pour faire les constatations sur les lieux. Il a été fait droit à cette requête, et le Vice-Président Yancy, le Sénateur Dossen, l'honorable D. B. Cooper, l’Attorney du comté Shannon et le Commissaire Diggs ont été désignés pour se rendre sur place. Les deux parties ont été invitées à payer chacune £75 et à fournir chacune trente porteurs pour couvrir les dépenses et assurer le transport des commissaires. J ’ai payé intégralement ma quote-part et j’ai fourni les porteurs. Quelques-uns des hommes des commissaires m’ont dit qu’étant donné la disposition des lieux où s’est déroulé le combat, il était manifeste que c’étaient les Kpalagbos qui avaient été les agresseurs. Pourtant, lorsque nous sommes revenus à Cap Palmas, j’ai vu, à ma grande surprise que, pour une raison que j’ignore, les choses s’étaient retournées contre moi. Il y avait, en outre, contre moi, les griefs que j’avais provoqués en portant plainte ou en demandant des explications au président à Monrovia, au sujet de la fourniture d’hommes pour Fernando Po. L’inspecteur a tranché l’affaire en me condamnant à une amende de mille cinq cents dollars (1.500). J ’ai contesté ce jugement et fait appel à Monrovia parce que j’avais le sentiment que j’avais fait l’objet d’un traitement injustifié. La tribu des Kpalagbos habite sur la rive gauche de la rivière Hargba (le grand cours d’eau qui coule à proximité du village de Grand Cess du côté de Piccanini Cess). Nous autres, nous habitons sur la rive droite de la même rivière, du côté de Piccanini Cess. Nous avons cédé à la tribu des Kpalagbos un emplacement pour qu’elle construise ses demeures sur notre côté de la rivière ; c’est là que les Kpalagbos ont construit leur village de Seeter, dont il est question dans cette affaire. Le reste des Kpalagbos habitent encore dans leur pays d’origine, sur la rive gauche de la rivière Hargba. (Signé) B r o h , Grand Chef de la Section de Frenropo du Comté de Maryland, R. L. ■— 120 —

Annexe XI.

Décision de Son Excellence le Président du Libéria dans l’affaire de l ’assassinat de trois hommes de la tribu de Po River par la tribu de Wedabo, rendue au Palais de l’Exécutif, a Monrovia, le 3 octobre 1924.

Le Président ayant désigné M. John Delaney comme interprète, a rendu la décision suivante dans l’affaire de la plainte de la tribu de Po River contre la tribu de Wedabo qu’elle accuse d’avoir assassiné trois de ses hommes : « Dites aux hommes de Po River que nous sommes heureux de voir qu’ils ont fait appel, dans cette question, au Gouvernement central. C’est ce que nous avons toujours essayé de faire comprendre à tout le monde, qu’en cas de difficulté, les parties devraient s’adresser, en dernier ressort, au Gouvernement central. « Dites également aux hommes de Wedabo que nous leur savons gré d’être venus à Monrovia à l’appel du Gouvernement. Il est vrai qu’ils sont venus un peu tard et que l’autre partie les a attendus ici pendant longtemps. J’ai cependant reçu une lettre de l’Inspecteur du Comté de Maryland attestant que le vapeur qui les amenait à Monrovia avait eu à bord un cas de variole, de sorte que leur excuse est valable. « Voici maintenant ma décision, prise au sujet de cette affaire, après avoir entendu les deux parties : Je vous ai dit à tous, le premier jour où l’affaire a été appelée, que l’Ancien Libéria a vécu et qu’il y a aujourd’hui un nouveau Libéria. Les choses qui se passaient autrefois sur la Côte Kroo du Libéria ne peuvent plus se produire aujourd’hui. C’étaient de sombres jours. En ce temps, lorsqu’un homme avait une dette envers un autre et que le débiteur passait par le pays du créancier, ce dernier se saisissait du débiteur ; alors, les gens du village du débiteur capturaient les hommes venant du village du créancier et disaient, pour se justifier : « Vous avez fait telle et telle chose à nos hommes. » Tout cela est m aintenant fini. « Ce que nous avons entendu dire dans cette affaire, du côté des Wedabos, fait croire qu’ils sont toujours imbus des mêmes anciennes idées. Lorsque nous les avons convoqués pour rendre compte de l’assassinat des hommes de Po River, ils ont commencé par nous remercier de leur avoir donné l’occasion de plaider leur cause. Ils ont remonté jusqu’à quinze ans dans le passé et ont expliqué comment, à cette époque, les hommes de Po River avaient tué leurs hommes à eux et comment, en 1918, ils en avaient également tué un autre. Je leur ai demandé alors pourquoi ils remontaient si loin dans le passé et si c’était là la raison pour laquelle ils avaient tué les hommes de Po River au sujet desquels est faite la présente enquête. Ils m’ont répondu : « Oui. » C’est pour cela que je dis que les hommes de Wedabo sont encore imbus des vieilles idées, c’est-à-dire que lorsqu’une tribu commet un acte qu’ils considèrent comme injuste, ils attendent jusqu’à ce qu’ils aient l’occasion d’agir envers les hommes de cette tribu comme bon leur semble. « Ils ont déclaré que les hommes de Po River ont tué trois des leurs. Ils ont porté l’affaire à Cap lorsque ces différents cas se sont produits et chaque fois l’affaire n’a eu aucune suite. Lorsque cette vieille affaire a surgi de nouveau, ils se sont dit : « Nous allons nous rendre justice nous-mêmes », et ce n’est pas quatre, dix, vingt ou quinze personnes qu’ils ont tuées, mais trois, c’est-à-dire exactement le nombre d’hommes de leur tribu que, d’après leurs dires, les hommes de Po River avaient tués. Cela prouve qu’ils entendent tuer autant d’hommes de la tribu de Po River que les gens de Po River auraient tué des leurs. « Nous ne pouvons plus désormais tolérer cet état de choses. Lorsque les gens de Po River ont tué des Wedabo et que ces derniers, ayant porté l’affaire à Cap Palmas, n’ont pas reçu satisfaction, ils auraient dû faire comme ceux de Po River ont fait dans le cas présent, et porter l’affaire à Monrovia. Lorsque cette affaire a surgi, elle a été portée d’abord devant le Commissaire, puis à Cap Palmas, et comme les gens de Po River n’ont pas reçu satisfaction, ils nous ont écrit et nous avons fait chercher les gens et les avons fait venir à Monrovia pour discuter l’affaire. Vous, Wedabo, vous n’avez pas agi ainsi ! « Nous n’allons pas remonter à des affaires qui datent de quinze ans, mais nous allons nous borner à l’affaire des trois hommes de Po River tués par les hommes de Wedabo. Les gens de Wedabo reconnaissent qu’ils ont tué deux personnes alors que les gens de Po River déclarent que trois personnes ont été tuées ; les gens de Wedabo reconnaissent également que ces hommes ont été tués dans leur village, et c’étaient des messagers envoyés chez eux qui ont été ainsi tués. Ils savent que, d’après la coutume de leur pays, les messagers ne peuvent pas être tués, même en temps de guerre et, à plus forte raison, lorsqu’il n'y a pas de guerre. Les hommes de Wedabo ont donc commis deux sortes de crime. Le premier est celui d’avoir dérogé à un principe fondamental admis non seule­ ment par les peuples civilisés, mais également en honneur dans leurs coutumes locales, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas respecté le caractère sacré du messager même en temps de guerre. C’est là un principe admis non seulement chez nous, mais dans le monde entier. Vous ne pouvez même pas arrêter un messager ; à plus forte raison vous ne pouvez pas le tuer. « Le deuxième crime consiste à avoir tué ces hommes, ce qui est contraire à la loi du pays. Les hommes de Wedabo ont donc tort sur tous les points. « Nous les invitons à désigner les hommes qui ont commis cet assassinat et qu’ils prétendent ne pas connaître. Nous ne pouvons pas admettre que les choses en restent là. — Î 2 Î —

Nous avons demandé au chef de la tribu de Wedabo pourquoi il n'a pas pu découvrir les assassins et les livrer au Gouvernement. Il a répondu qu’il n’avait pas pu les trouver. Or, le Gouvernement ne peut pas tolérer qu’une tribu ou un groupe d’hommes capture et assassine les gens sur la grande route.

« En conséquence , l e G ouvernement d é c id e :

« i° Que la tribu des Wedabo doit livrer les personnes qui ont tué les trois hommes de la tribu de Po River ; « 2° Que la tribu des Wedabo doit payer une amende de trois cents livres sterling pour avoir toléré que cet acte soit commis dans leurs villages ; « 3° Que si les hommes qui ont assassiné les personnes en question ne sont pas livrés par la tribu de Wedabo, leurs villages du littoral dans lesquels cet acte a été commis seront rasés par le Gouvernement et leurs habitants envoyés à l’intérieur dans un lieu désigné par le Gouvernement. Cette éventualité se produira si, à l'expi­ ration d'un délai de deux mois, les parties n ’ont pas livré les personnes qui ont assassiné les trois hommes de la tribu de Po River. « Le Gouvernement retiendra le grand chef de la tribu de Wedabo jusqu’à ce que les personnes qui ont assassiné les hommes de Po River aient été livrées. Si ces hommes ne sont pas livrés dans vingt ans, quarante ans ou ne sont jamais livrés, il restera entre les mains du Gouvernement pendant la même période. Mais s’il trouve ces hommes dans un délai d’environ deux mois, il sera remis en liberté. Il est bien entendu qu’indépendamment du fait que lesdites personnes sont livrées ou non, l’amende de trois cents livres sterling doit être payée par la tribu de Wedabo, mais la tribu doit livrer ces hommes et le grand chef restera ici jusqu’à ce qu’ils soient livrés ; s’ils ne sont jamais livrés, leurs villages sur le littoral seront détruits. « Nous avons pour devoir de faire connaître aux tribus de la côte que le Gouvernement est décidé à maintenir la loi, l'ordre et la paix et que nous ne pouvons permettre à per­ sonne, même à la tribu de Po River, de tuer ou de commettre un acte préjudiciable aux autres. Nous agirons envers quiconque commet ces actes de la même manière qu’envers la tribu de Wedabo. Tous sont nos enfants et nous n'avons pas le droit de préférer les uns aux autres. « Nous garderons le chef jusqu’à ce que les véritables assassins de ces hommes aient été livrés ; le Gouvernement donne à la tribu de Wedabo un délai de deux mois pour les livrer ; autrement, leurs villages sur le littoral seront détruits. »

(Signé) C. D. B. K in g , Président, R. L. « Certifié conforme à l’original.

(Signé) M. G. W. Y a n c y , Secrétaire de section du Comté de Maryland. »

Annexe XII.

P l a in t e p r é s e n t é e p a r l e G r a n d Ch e f G o f a d e T o p o , Co m té d e M a r y l a n d ,

A Son Excellence le Président du Libéria, 5.X II.1929. Peu avant la période des cultures, cette année-ci, lorsque le Vice-Président Yancy revint de Monrovia, il se rendit à la résidence de Wonplu, le village de Wedabo, situé sur la rive, et il convoqua les grands chefs, les sous-chefs et le peuple Grand Cess, Piccanini Cess, W edabo et les quatre circonscriptions Kpelepo dont l’une est constituée par mon pays, Topo. Le Vice-Président dit qu’il venait de rentrer de Monrovia et que le Président lui avait dit que nous devions lui donner des hommes pour envoyer à Fernando Po ; il déclara que tous les villages devaient fournir chacun soixante hommes ; en apprenant cette nouvelle, mon peuple refusa d’obéir ; il invoqua comme motif le fait que peu de temps auparavant un grand nombre des hommes Wedabo que le Vice-Président avait envoyés à Fernando Po, lorsqu il était inspecteur du Comté de Maryland, étaient morts et que beaucoup n’étaient pas rentrés dans leur pays. En réponse à cette objection de mon peuple, le Vice-Président dit : « Parfait ! Si le peuple refuse d’y aller, les chefs devront me donner 10 livres par homme ou 600 livres par village. » Il déclara en outre que tels étaient les ordres du Président et que si 1 un des chefs mettait sa parole en doute, il n’avait qu’à envoyer un messager à Monrovia pour demander au Président si c’était vrai. , ,. , Alors, le grand chef Broh de Frenropo envoya deux messagers à Monrovia pour s informer directement auprès du Président et savoir la vérité sur cette affaire de Fernando Po. Le c e Broh ne nous dit pas qu’il avait envoyé ces messagers à Monrovia ; nous n en savions donc — 122 — rien, mais lorsque le messager revint avec la nouvelle que le Président n’avait pas envoyé le Vice-Président pour réunir des travailleurs pour Fernando Po et qu’il ne lui avait pas dit d’infliger une amende au peuple comme on avait annoncé, et que Son Excellence enverrait bientôt le Secrétaire à l’intérieur pour remettre les choses en état dans notre pays, le chef Broh nous fit tous chercher et le messager nous dit ce que le Président lui avait déclaré ; le message du Président au chef Broh causa une grande joie dans tout le pays et le peuple cessa toutes ses occupations et l’on se mit à chanter et à danser ; les femmes et les enfants étaient heureux et se réjouissaient. Lorsqu’on apprit à Harper que les messagers du chef Broh étaient de retour et que ce chef avait réuni tout le monde pour lui dire ce que le Président avait déclaré au sujet du travail à Fernando Po, et qu’en apprenant cette nouvelle le peuple de la circonscription de Broh, comme celui des autres circonscriptions, étaient tous en train de battre du tambour et de danser, l’Inspecteur Brooks, accompagné du Sénateur Tubman, des représentants McBorrough et John Dunham, se rendit à Picanini Cess, arrêta le chef Broh et l’emmena à Harper. Le lendemain, on annonçait que l’Inspecteur allait envoyer des soldats pour s’emparer de tous les chefs et de tous les notables des autres circonscriptions qui avaient mis en doute les paroles du Vice-Président et qui dansaient et se réjouissaient à cause du message reçu de Monrovia. En apprenant cette nouvelle, certains des chefs et des notables des autres circons­ criptions — j’étais du nombre — s’enfuirent à Monrovia pour aller trouver le Président. Nous nous enfonçâmes dans la brousse de l’arrière-pays de Grand Cess et nous marchâmes pendant quinze jours jusqu’à notre arrivée à Grand Bassa, où nous prîmes un bateau et nous arrivâmes à Monrovia par mer.

Le porte-parole Boryono Doco — Je vais maintenant raconter ce qui s’est passé pendant l’absence du grand chef Gofa, après qu’il eut quitté le pays et qu’il se fut enfui à Monrovia pour voir le Président. Après que le chef Broh fut arrivé à Harper et fut enfermé comme prisonnier, comme on vient de le dire, le Vice-Président Yancy envoya le lieutenant Phillips, du corps des gardes- frontière libériens, avec un grand nombre de soldats dans notre pays. Lorsqu’il arriva au village du chef Gofa, le lieutenant nous réunit tous et nous dit : « Apportez-moi de la nourriture pour mes soldats. » Nous obéîmes et nous lui donnâmes d’abord 5 sacs de riz décortiqué. Après, il nous ordonna d’apporter la soupe pour accompagner le riz, avant qu’il ne s’attable. Nous lui donnâmes immédiatement un grand taureau, mais il nous dit que le taureau avait des testicules et que lui, le lieutenant Phillips, avait aussi des testicules ; c’est pourquoi il refusa d’accepter le taureau et demanda une vache. Nous lui donnâmes une vache avec son petit. Il emmena la vache et il ne la tua pas pour les soldats. Après cela, le lieutenant Phillips nour renvoya. Il nous dit qu’il allait prendre un bain et s’occuper du déjeuner ; il nous ordonna de revenir chez lui à deux heures après midi : à l’heure fixée, tous les hommes de la ville se réunirent devant la maison couverte de zinc qu’il occupait ; il ordonna à ses soldats de nous entourer de toutes parts, et lorsqu’il fut certain que tous les hommes étaient complètement entourés, il nous demanda : « Où est votre grand chef Gofa ? » Je me levai et lui répondis que Gofa était parti à Monrovia. Il me demanda : « Comment t ’appelles-tu ? » Je lui répondis : « Je m’appelle Boryano Doco. » Alors, le lieutenant Phillips dit qu’il aimait celui qui voulait bien lui dire la vérité. Alors, il brandit son grand fouet de caoutchouc et commença à me fouetter aussi fort qu’il le put, et lorsqu’il fut fatigué, il ordonna aux soldats de me jeter à terre. Les soldats me jetèrent par terre et commencèrent à me frapper. Après cette sévère fustigation, les soldats me placèrent le pied entre deux morceaux de bois dur et lièrent ensemble les deux bouts de la baguette ; plus on tirait sur la corde et plus la baguette me rentrait dans la chair. J ’ai souffert terriblement de ce traitement cruel, je garde au pied la cicatrice d’une vilaine plaie qu’une de ces baguettes m’a faite et je puis la montrer à tout le monde. Je ne suis pas le seul à avoir été fouetté. Les soldats se sont précipités sur la foule et ils ont battu les autres hommes de tous côtés, ils en ont ligoté autant qu’ils ont pu et ils leur ont fait subir la même torture. Après, le lieutenant nous enferma tous dans une maison, au coucher du soleil. Yanfor et Magbé, les deux hommes les plus anciens de la tribu, qui sont même plus vieux que le grand chef Gofa, se trouvaient dans la foule ; en fait, ces deux hommes sont les propriétaires du pays. Nous ne voulions pas qu’ils couchent en prison, aussi nous allâmes supplier le lieutenant Phillips de les délivrer ; il exigea de nous 10 livres si nous ne voulions pas que les deux vieillards couchent au corps de garde ; le peuple donna au porte- parole du chef Gofa, M’ma Doe, 10 livres pour assurer la libération des deux vieillards et le porte-parole remit l’argent au lieutenant Phillips ; quand il eut reçu les 10 livres, il libéra les deux hommes. Après la libération des deux vieillards, nous étions vingt-quatre hommes au corps de garde ; le lendemain matin, lorsque le lieutenant Phillips s’apprêtait à nous emmener tous prisonniers à Harper, les habitants supplièrent le lieutenant de me libérer. Ils lui indiquèrent que, rendu malade par la fustigation sévère que j'avais reçue de ses soldats et de lui-même, je pourrais mourir en route s’il m’emmenait à Harper, parce qu’il était fort probable que ses soldats me battraient encore pendant le voyage. Il accepta de me libérer, mais il demanda aux habitants de m’enlever de ses mains, c’est-à-dire de lui apporter quelque argent pour ma rançon. Les habitants lui donnèrent 4 livres, mais il refusa d’accepter cet argent et demanda une vache, en disant qu’il m’emmènerait si on ne la lui apportait pas. Alors, les femmes commencèrent à pleurer et le village résonna de grands cris ; ma famille prit une vache avec son veau et les remit au lieutenant Phillips, qui me laissa partir. Il prit les vingt-trois autres personnes et se mit en route pour Harper. Le lieutenant arriva à Harper, tard dans la soirée et remit les prisonniers au Vice-Président Yancy qui les envoya dans sa ferme le lendemain matin peu avant l’aube. Les prisonniers furent fouettés si cruelle-ment par les soldats pendant le voyage de deux jours qui les amena de notre village à Harper, que l’un d’eux, appelé Kohkoh Jehleh, mourut à la suite des coups reçus, deux jours après qu’il fut arrivé à la prison de la ferme du Vice-Président. Lorsque nous apprîmes la nouvelle de la mort de Jehleh, mon peuple, la tribu Topo, envoya M’ma Doe comme messager spécial au Vice-Président Yancy, pour découvrir la raison pour laquelle les hommes que le lieutenant Phillips avait emmenés à Harper avaient été arrêtés et traités si cruellement que l’un d’eux était mort à la suite des coups reçus. Il dit qu’il avait fait arrêter les hommes parce que le Grand Chef Gofa, de la tribu Topo, était allé à Monrovia pour le dénoncer au Président et qu’il ne libérerait les vingt-deux autres hommes que si nous lui envoyions 100 livres. Nous réunîmes les 100 livres et nous les donnâmes au même M’ma Doe et à Gebo Chea ; ces deux hommes emportèrent l’argent, qu’ils remirent au Vice-Président. Après qu’il eut reçu cet argent, le Vice-Président dit aux deux hommes : « Je vois ces 100 livres ; j’accepte cette somme comme une amende, parce que votre Grand Chef est allé à Monrovia pour me dénoncer, mais je voudrais savoir ce qui a passé par la tête à vos notables pour per­ mettre à Gofa d’aller à Monrovia. C’est pourquoi vous devez retourner pour dire à votre peuple de m’envoyer encore 100 livres avant que je libère les prisonniers. » Les deux messagers revinrent nous rapporter cette nouvelle demande d’argent. Nous réunîmes cette deuxième somme de 100 livres, que nous envoyâmes au Vice-Président par les mêmes messagers. Ils lui remirent l'argent et le Vice-Président libéra les hommes qu’il fit amener chez eux par nos messagers. Nous travaillons à la route du Gouvernement sans avoir ni salaire, ni outils, ni nourriture ; nous faisons ce travail librement et de bonne grâce ; cependant, on nous oblige tous les ans à payer 60 livres quand nous voulons que les hommes quittent la route pour rentrer à la maison pour soigner les terres à la saison des cultures. Conformément à cette pratique, le Vice-Président fit ranger les vingt-deux hommes libérés qui s’apprêtaient à quitter Harper et me dit : « Vos hommes travaillent ici à la route du Gouvernement et c’est la saison des cultures ; lorsque vous rentrerez à votre village, dites à votre peuple que s’il veut que je les libère pour travailler aux terres, il doit m’envoyer 80 livres, sinon je ne les laisserai pas partir ». Les hommes lui demandèrent où le peuple pourrait trouver l’argent pour payer les 80 livres, étant donné les sommes impor­ tantes qu’il avait déjà versées. A cela il répliqua : « Votre peuple a suffisamment d’argent pour envoyer leur Grand Chef à Monrovia pour se plaindre de moi, mais il n’a pas d’argent à verser pour libérer les hommes qui travaillent à la route ; c’est très bien, je ne les libérerai pas tant que je n’aurai pas vu la couleur de votre argent. » Nous réunîmes 40 livres, que nous lui envoyâmes, en lui demandant un délai pour payer le solde. Il y consentit, accepta l’argent, renvoya les hommes chez eux et nous donna du temps. Pour nous procurer ces importantes sommes d’argent, nous fûmes obligés de vendre cette année-là toutes nos semences de riz et, par suite, un grand nombre de nos terres demeurèrent en friche, ce qui causa une famine et des malheurs dans tout le pays. Nous réunîmes l’argent de l’impôt sur les huttes pour 1929 et nous remîmes cet argent au Commissaire Diggs à Grand Cess ; mais, en ce qui concerne le solde de 40 livres, que nous devions pour la libération des travailleurs de la route, le Vice-Président Yancy se rendit à Grand Cess et préleva 40 livres sur l’impôt que nous avions versé au Com­ missaire. Il ordonna ensuite de recouvrer 40 livres sur nous pour compenser les 40 livres qu’il avait prises. Nous dûmes trouver encore une fois 40 livres pour compléter le paiement de notre impôt avant que le Commissaire Diggs nous permette de quitter notre pays. Cela explique que nous n’ayons pu arriver à Monrovia à la date fixée par Votre Excellence. Depuis que le Vice-Président Yancy a été Inspecteur jusqu’à maintenant, nous n’avons jamais reçu un centime à titre de commission sur tous les impôts que nous avons payés, bien que l’on nous aie dit que la loi du pays accorde aux Grands Chefs une commission sur tous les impôts qu’ils versent. Monsieur le Président, vous pouvez voir sans peine d’après tout ce que nous avons raconté que nous subissons de cruelles souffrances ; c’est pourquoi nous nous adressons à Votre Excellence pour qu’elle remédie à notre triste état. Quant à l’exactitude de nos griefs, nous sommes prêts à être confrontés avec le lieutenant Phillips et avec les autres personnes dont le nom a été indiqué, pour éclaircir l’affaire devant vous.

S a r l e G ofa (une croix), Grand, Chef.

B o r y o n o D oco (Sa marque), Porte-parole. Témoins aux signatures :

G o fa S u n d a y . (une croix)

T a n o y e n i p o . (une croix) S. K. J. N’Yepan.

T o po M a r n o r . — 124 —*

Annexe XIII.

D o c u m e n t é m a n a n t d u C h e f Y a r n d e S u e h n .

Monrovia (Libéria), A Son Excellence Charles D. B. King, le 6 décembre 1929. Président de la République de Libéria, « Executive Mansion », M onrovia. J ’ai l’honneur de soumettre très humblement à Votre Excellence un exposé écrit des griefs du peuple de mon pays, que j’ai été chargé de présenter au Gouvernement par le Grand Chef Yarn, comme représentant spécial. Je ne viens pas ici comme messager ordinaire ; je suis un qui est près du chef (sic) et j’ai une connaissance personnelle de la plupart des faits qui vous sont soumis ; à dire vrai, je suis l’une des victimes. Monsieur le Président, la situation dans laquelle nous nous trouvons dans le Comté de Maryland est affreuse ; lorsque vous aurez lu nos plaintes jusqu’au bout et que vous aurez vu quelles sommes d'argent importantes nous sommes constamment obligés de verser sans motif, vous ne pourrez pas vous empêcher de constater que nous sommes réellement opprimés ; ces lourdes amendes nous ont réduit à un état de pauvreté absolue. Comme notre situation empire chaque année, nous vous envoyons des messagers pour vous informer de ces faits au début de l’année, mais ces démarches nous ont coûté beaucoup d’argent et ont rendu notre situation pire qu’avant. Si nous sommes punis et si on nous inflige des amendes simplement parce que nous allons à Monrovia lorsque nous sommes opprimés, que devrons-nous faire et à qui devrons-nous nous adresser ? Nous sommes ici à vos ordres pour confirmer l’exactitude de nos griefs et pour vous adresser, à vous notre père à tous et notre dernier recours, un appel, et nous avons pleine confiance que Votre Excellence nous entendra avec une sympathie paternelle. Enfin, nous vous sollicitons de prier les fonctionnaires de Cap Palmas de ne plus envoyer sans cesse des soldats à notre pays, comme ils l’ont fait ; cette pratique maintient le pays dans un état de terreur constante. Nous vous prions d’empêcher les gens de Kpalagbo de traverser le fleuve Doe, limite tracée entre nos deux peuples par le Commissaire John Dunham, pour venir couper notre brousse sur la rivière qui nous appartient. Nous prions Votre Excellence de mettre fin à cette pratique une fois pour toutes. Nous joignons un exposé de nos griefs, à titre d’information pour Votre Excellence. Nous demeurons les très humbles serviteurs de Votre Excellence.

T a n o F e r ip q , pour le Grand Chef Yarn. (Sa marque)

T och M a r n e r , Témoins aux signatures : Représentant des habitants du village.

G o fa S u n d a y . (une croix)

B o r y o n o D o co . (une croix)

S. K. J. N ’Y e p a n .

[Copie.]

P l a in t e p r é s e n t é e p a r l e G r a n d Ch e f Y a r n d u P a y s d e S u e h n , c o m té d e M a r y l a n d , p a r l ’e n t r e m is e d e s o n représentant s p é c ia l Y e n i p o .

Lorsque le Vice-Président Yancy revint de Monrovia, au début de cette année, il nous convoqua au village Wedabo sur la rive et nous dit que nous devions lui donner des hommes pour Fernando Po. Il nous demanda 60 hommes par village et nous dit que si une tribu ne voulait pas y aller elle devrait payer dix livres par homme et l’affaire serait classée. Il nous dit qu’il agissait sur l’ordre du Président. Nous déclarâmes nettement au Vice-Président que nous ne voulions pas aller à Fernando Po parce qu’un grand nombre des hommes de Wedabo qui y étaient allés y étaient morts et que très peu en étaient revenus. Il déclara que si quelqu’un doutait que l’ordre vienne du Président, il n’avait qu’à aller à Monrovia pour demander au Président ce qu’il en était. Quand nous apprîmes cette nouvelle, le chef Broh envoya des messagers à Monrovia pour avoir des précisions de la part du Président. Lorsque les messagers revinrent en annonçant que le Président avait dit qu’il n’avait pas donné l’ordre d’envoyer des gens à Fernando Po, ni d’infliger des amendes à ceux qui refusaient d’y aller, nous fûmes tous contents et nous jouâmes et dansâmes pendant plusieurs jours. Lorsqu’on apprit à Cap Palmas que les messagers étaient revenus et que nous nous réjouissions, l’inspecteur Brooks se rendit à Picanini Cess pour arrêter le chef Broh et l’emmener à Cap Palmas. Alors que le chef Broh était en prison à Cap Palmas, le chef Yarn envoya Sunpon avec les vieillards qui s’enfuirent et se rendirent à Monrovia pour savoir la vérité du Président et informer notre peuple. — 125 —

Pendant que les chefs étaient à Monrovia, le lieutenant Phillips se rendit dans notre pays avec des soldats et nous dit qu’il avait été envoyé par le Vice-Président Yancy. Le lieutenant et les soldats arrivèrent à notre village dans la matinée et ils entrèrent dans notre village si furieux que les femmes et les enfants s’enfuirent dans toutes les directions en les voyant. Le chef Yarn demanda au lieutenant ce qu’il avait fait pour qu’il amène des soldats dans son village. Le lieutenant répondit qu’il ne le savait pas mais qu’il avait été envoyé par le Vice- Président Yancy. Le lieutenant Phillips déclara que le grand chef Yarn devait lui donner 40 livres pour sa boisson, avant qu’il s’installe, sinon qu’il mettrait le feu au village. Le chef fut effrayé par ces paroles ; il réunit donc l'argent et me le donna ; je remis les 40 livres entre les mains du lieu­ tenant Phillips, devant la maison du chef. Après quoi, le lieutenant déclara : « Chef Yarn, je vois l’argent pour la boisson, mais il me faut quatre vaches pour le déjeuner ». Le chef dit qu’il ne pouvait pas trouver quatre vaches mais il en donna deux ; le lieutenant, après avoir reçu les deux vaches, envoya ses soldats par le village pour attraper la première vache qu’ils trouveraient ; les soldats sortirent et attrapèrent une vache qu’ils lui apportèrent si bien qu’en tout le lieutenant prit dans notre village trois vaches. Ensuite, le lieutenant Phillips dit : « Je vois bien ma boisson et ma nourriture, mais vous tous vous devez apporter de la nourriture pour mes soldats. » Nous lui donnâmes six grands sacs de riz décortiqué, mais cela ne suffit pas. Il exigea neuf chèvres pour la soupe des soldats et un bélier pour lui ; nous lui donnâmes ces animaux sur le champ pour éviter que le village ne soit brûlé. Tout fut réuni et remis au lieutenant Phillips par le grand chef par mon entremise. Je suis prêt à le confronter n’importe quand. Après tous ces incidents, le lieutenant Phillips fit arrêter douze de nos notables et les emmena à Cap Palmas. Je dois avouer qu’il ne lia, ni ne battit aucun des notables pendant le voyage de notre village à Harper où ils arrivèrent de nuit. Dès qu’il apprit leur arrivée près de la côte, le Vice-Président Yancy s’y rendit. Dès son arrivée — je ne sais pas si ce fut ou non sur ses ordres — les soldats se précipitèrent sur les prisonniers et commencèrent à les fouetter en sa présence. Ce renseignement nous a été fourni par les hommes qui ont été battus. A l’aube, le Vice-Président envoya tous les prisonniers à sa ferme où ils furent enfermés. Deux jours après que les vieillards eurent été emmenés comme prisonniers, le chef Yarn envoya ses messagers spéciaux : Doe Geeray et Chea Wreh Muna pour demander au Vice- Président le motif de ces arrestations. Le Vice-Président déclara au messager : « Le chef Yarn dit qu’il ne sait pas ce qu’il a fait ? N’est-ce pas lui qui a envoyé des messagers à Monrovia pour se plaindre de moi ? Allez lui dire que je ne libérerai pas les prisonniers tant qu’il ne m’aura pas envoyé 100 livres. » Lorsque les messagers revinrent, nous réunîmes les 100 livres et nous lui envoyâmes par les mêmes messagers et le Vice-Président libéra les hommes lorsqu’il eut reçu l'argent. En outre, il se servit des hommes qui avaient apporté l'argent pour nous dire que si nous voulions que nos travailleurs, occupés à la route du Gouvernement, soient autorisés à cultiver leurs terres, nous devions lui envoyer 80 livres, sinon, il ne les libérerait pas. Sur cette somme, nous versâmes 40 livres comptant ; il libéra les hommes et nous donna du temps pour payer le solde. Nous avons payer le premier montant de 40 livres, lorsque nous avons planté le riz et et le second montant de 40 livres lorsque nous l’avons récolté. On nous dit que les chefs du Comté de Monserrado et d’autres régions du pays reçoivent des commissions du Gouvernement pour tous les impôts qu’ils versent. Mais le grand chef Yarn n’a jamais reçu un centime à titre de commission sur tous les impôts sur les huttes que nous versons périodiquement. Il y a quelque temps, le Commissaire John Dunham a réglé un différend qui avait surgi entre le chef Yarn et le peuple Kpalagbo à propos de terres ; il avait décidé qu’une rivière, appelée Doe, constituerait la limite entre les deux tribus. Le règlement de cette question était très bien (sic) et la paix régnait dans le pays puisqu’il n’y eut plus de différends entre nous par la suite. Les gens des deux côtés rentrèrent chez eux et se tinrent tranquilles. Mais cette année-ci, les gens de Kpalagbo annoncèrent au chef Yarn que le Vice-Président Yancy leur avait dit qu’ils pouvaient traverser la rivière et passer de notre côté pour récolter et ils dirent qu’ils traverseraient la rivière à la prochaine saison, c’est-à-dire après Noël de cette année. Nous supplions Votre Excellence de régler aussi rapidement que possible cette affaire ainsi que les autres affaires ci-mentionnées parce que mon pays se trouve dans une situation très troublée et parce que nous ne sommes pas en paix comme nous devrions l’être. En vue de vérifier l’exactitude de nos griefs, vous pouvez envoyer de Monrovia un homme dans mon pays pour interroger des douzaines d’autres personnes qui ne peuvent pas venir à Monrovia et vous ramener un rapport confirmant l’exactitude de nos assertions.

T a n o Y a n ip o (une croix) pour le Grand Chef.

T och M a r n o r , Représentants des habitants du village. Témoins à la signature :

G o fa S u n d a y . (une croix)

B o r y o n o D o c o . (une croix) S. K . J. N’Yepan. ______— 126 —

Annexe XIV.

P l a in t e s p r é s e n t é e s p a r l e s c h e f s d ’é q u i p e a u s u j e t d u n o n p a ie m e n t

DES SALAIRES DANS L’AFFAIRE M a SSAQUOI.

Bassa Community Heights.

Monrovia, Libéria,

I er juillet 1930. A Son Excellence C. D. B. King, Président de la République de Libéria, « Executive Mansion », M onrovia.

Monsieur le Président,

Nous vous écrivons cette lettre pour vous présenter une plainte très grave : Nous avons été embarqués à bord du Loke, vapeur norvégien, par l’« Atalanta Steamship Company » pour le cabotage et on nous avait promis de nous payer les sommes qui nous étaient dues 48 heures après le retour du bateau. Nous sommes revenus à Monrovia depuis plus de trois mois et jusqu’à présent on ne nous a rien payé. L’histoire de toute l’affaire est la suivante : Ces bateaux norvégiens sont, dit-on, affrétés par la maison E. & H. Nissen, de Norvège et leurs agents dans notre pays, sont chargés de fournir des hommes d’équipage et de veiller à ce qu’on les paie rapidement après le retour du bateau. Il se trouve que ces bateaux appar­ tiennent à diverses personnes. A l’aller, pour cette traversée particulière, le Loke avait été consigné à M. Alhaj Massaquoi au lieu de M. Jaih Massaquoi qui est actuellement l’agent de l’« Atalanta Steamship Company ». Néanmoins, le câblogramme tomba entre les mains de M. Jaih Massaquoi alors que son frère Alhaj Massaquoi se trouvait à Cap Palmas ; nous fûmes désignés pour conduire le bateau à Libreville et revenir. Lorsque le navire revint, M. Alhaj Massaquoi était arrivé à Monrovia et il vint à bord. On sait pertinemment que l’argent de notre salaire lui avait été envoyé par câblogramme et se trouvait à ce moment-là déposé à la banque. Mais quand il s’est agi de nous payer, Alhaj Massaquoi prétendit que le Dr Lee avait fait une avance aux hommes et que son frère Jaih lui avait donné l’ordre écrit de rembourser l’avance au Dr Lee ; pour éviter toute contestation, l’argent ainsi avancé a été versé au Bureau d e ...... par Jaih Massaquoi, étant donné qu’Alhaj Massaquoi prétendait qu’il avait versé au Dr Lee la somme en question. Alhaj Massaquoi doit encore verser le solde au bureau pour que nos salaires nous soient payés, ce qui n’a pas encore été fait jusqu’à maintenant. Or, nous avons épuisé tous les moyens à notre disposition pour obtenir qu’Alhaj Massaquoi verse cet argent au bureau mais ce fut sans résultat. Nous avons écrit à l’Attorney général par l’entremise du chef de la Côte, nous avons adressé une plainte au Secrétaire à l’Intérieur, mais cela ne nous a pas donné satisfaction. L’Attorney général nous a répondu que nous devrions chercher à obtenir réparation par une action civile devant les tribunaux. Notre point de vue est le suivant : Puisque le Gouver­ nement a établi un bureau pour la protection des travailleurs sur le territoire de la République de Libéria, nous estimons que ce bureau devrait se servir du Département de la Justice de la République pour nous faire obtenir satisfaction. En outre, on sait qu’Alhaj Massaquoi a déclaré que si nous avions un procès avec lui, il emploierait ses influences pour faire traîner indéfiniment la procédure. Dans ces conditions, nous nous adressons à vous pour voir quelle aide vous pouvez nous donner en cette affaire. Nous en arrivons à penser que le Bureau du travail ne nous offre aucune protection et aussi que nous ne sommes pas convenablement protégés en cette matière par le Gouvernement. Comme citoyens loyaux, nous ne désirons pas nous faire rendre justice nous- mêmes, ce qui serait antipatriotique, mais nous estimons que si nous donnons notre appui au Gouvernement, il doit de la même façon nous accorder la protection désirable. Confiants que vous nous aiderez d’une façon ou d’une autre aussitôt que possible, nous demeurons vos humbles serviteurs. D a v id B r o w n (une croix) alias Zodeh Gar, Chef.

W h e a B e s t m a n (une croix) deuxième chef. Une lettre identique sera également adressée à : Hon. D. E. Howard, F. E. R. Johnson, Arthur Barclay, E. J. Barclay — 1 2 7 —

Liste des trente-quatre hommes embarqués par le « Luka » comme matelots Je pont.

1. David Brown, Chef 18. Menyorgar 2. Whea Bestman, deuxième Chef 19. Dieh 3. Two Cents 20. Boaryou 4. Tinway 21. Toe 5. Beer Case 22. Weakpee 6. Frank 23. Doe 7. Nyarmee 24. Kaiser 8. Barwen Freeman 25. Johnny Faulkner 9. Barhn 26. Bai-Gebsey (Mormor) 10. Jim 27. Boima 11. Tarngbor 28. Boima-Kpenah 12. Gborwiaye 29. Gblor 13. Wehnyou 30. Wruha 14. Karwoh 31. Fronwoe 15. Zoryouway 32. John Davis 16. Willie 33. Johnny 17. Karngar 34. Joegar Total trente-quatre (34) hommes.

Je certifie que j’ai fait subir aujourd’hui un examen médical aux 34 matelots de pont précités et que je n’ai découvert aucun symptôme de maladies infectieuses. Ils sont tous vaccinés. Monrovia, Libéria, le 5 février 1930.

Annexe XV.

P l a in t e p r é s e n t é e p a r la p o p u l a t io n d e N e h m ia h a u s u j e t d e s a f f a ir e s

F is h t o w n -G a r r o w a y . Nehmiah. Aux Membres de la Commission, Nous, vos humbles serviteurs, roi et chefs de Nehmiah ou Half Garroway, venons déposer plainte auprès de vous contre le Vice-Président Allen N. Yancy pour les actes qu’il a commis lorsqu’il était inspecteur du Comté de Maryland. Notre grief est le suivant : il nous enleva nos terres pour les donner aux gens de Fishtown en 1909, 25 février ; ces gens appelés gens de Fishtown allèrent trouver un inspecteur appelé Inspecteur Tornes et lui demandèrent de nous faire venir pour que nous leur donnions une partie des forêts. Nous acceptâmes. Alors l’Ins­ pecteur Tornes envoya une commission composée de membres de diverses tribus. Trois membres de Fishtown, à savoir Heayude Doxve, Gbenohne et H. Too Wesley. La tribu de Klebo envoya six membres, à savoir Dano Dowe, Dewedo Hodo, Nmaanypo, Sobodenyema, Nwanesie, Nemletia. De notre côté, nous envoyâmes trois membres, Gbododiebe, Negbe Yue et Gyidetoo. L’Inspecteur Tornes envoya de son côté un géomètre appelé M. Hyes. Lorsque ce comité arriva, nous détachâmes une partie des forêts pour les donner à la tribu de Fishtown qui déclara être satisfaite. Depuis cette date, les gens de Fishtown ne vinrent plus nous trouver pour mendier des terres. Or, en 1921, lorsque M. Allen N. Yancy fut nommé Inspecteur, il nous dit que les tribus de Fishtown s’étaient plaintes que nous avions traversé la limite et coupé leur portion de terres. Alors nous lui répondîmes que cela n’était pas. Et nous lui expliquâmes, puisqu’il était Gouverneur depuis peu, comment nous avions donné une partie de nos terres lorsque M. Tornes était inspecteur. Mais il n’accepta pas cette explication et il dit : Je veux faire une autre limite. Cette nouvelle limite qu’il dit il allait faire n’est pas une limite. Mais il nous enleva les tenures que nous avions et donna à la tribu nos plaines et nos brousses des collines. C’est comme ça depuis 1921. Comme vous autres blancs vous le savez, nous peuple Ivroo, nous vivons sur les terres que nous cultiver. Nous mangeons du riz et du manioc. Depuis ça nous ne coupons jamais nos récoltes. Nous achetons avant de manger. Eh bien, nous n’avons pas assez pour donner à nous tous, affamés et dispersés. Aussi maintenant nous sommes allés le trouver pour modifier sa décision. Alors il nous dit : C’est bien, allez me chercher 40 livres parce que les gens de Fishtown me donnent de l’argent. Et nous payons cet argent mais il ne nous a pas donné de terres. Quand l’année se termina, alors il convoqua de nouveau notre roi et lui dit qu’il avait le reçu de nos terres, mais qu’on devait lui apporter 40 livres pour le signer et nous payâmes encore cet argent mais il ne changea pas ; à nouveau en 1928 il convoqua notre roi et lui dit : J ’en ai assez de votre affaire des terres, apportez-moi 40 livres je vais maintenant à Monrovia quand je reviendrai je vous les donnerai. Ouand il revint il nous dit : nous avons nommé un inspecteur M. Mars ; quand il reviendra de Monrovia il vous restituera vos terres. Quand ce fonctionnaire arriva à Cap Palmas, alors nous allâmes le trouver. Mais ce fonctionnaire ne nous donna pas nos terres. Alors l’année dernière il dit : il conviendrait que vous fassiez arpenter vos terres. Alors il nous demanda de payer 71 livres au géomètre et nous avons payé cette somme. Alors il nous ordonna d’envoyer 36 porteurs et nous demanda d’envoyer dix livres en même temps que les porteurs. Mais lorsque les porteurs revinrent ils nous annoncèrent que — 128 —

Yancy dit qu’il ne pouvait pas venir. C’était cette année-ci le 27 janvier 1930. La semaine suivante, nous eûmes une bataille avec les gens de Fishtown. Pour cette échauffourée le Gouvernement nous fit venir et nous lui expliquâmes l’affaire. Mais le Gouvernement fit mettre en prison notre roi et cinq autres chefs. Et les gens du Gouvernement nous obligèrent à payer £154.4.6 avant de libérer nos prisonniers. Mais nous ne savons pas comment payer cet argent. Tout cela a été fait par l’hon. A. N. Yancy qui a vendu nos terres, qui les a cédé aux gens de Fishtown. Aussi nous venons vous exposer notre malheureuse situation afin que vous l’examiniez et que vous fassiez enquête. Parce qu’un arbre sans racine ne peut pas vivre. De même nous ne pouvons pas vivre sans nourriture. Aussi nous vous demandons à vous qui êtes un comité venu de l’étranger de nous mettre à l’abri de ce danger. Nous avons l’honneur d’être, Messieurs, vos très humbles serviteurs

Le Roi et les chefs de Nehmiah.

Annexe XVI.

Cr a in t e s p o u r l 'a v e n i r .

« Le Grand chef dit qu’il vous remercie et il dit qu’il est plus qu’heureux de vous voir, mais qu’aussi vrai que vous êtes ici, il y a un bateau qui attend pour vous emmener chez vous. Il s’expliquera, mais les puissances qui l’entourent l’anéantiront demain, c’est pourquoi il a peur. » « Il convient aux autres de raconter leurs griefs. Vous êtes venus pour connaître nos soucis. Nous sommes heureux que vous soyez ici. Nous regrettons que l’homme ne soit pas ici lui- même pour le voir. Nous expliquerons tout, mais aujourd’hui ou demain, vous serez partis. Alors nous craignons que le lion se précipite sur nous. Où faudra-t-il nous enfuir, nous, nos femmes et nos enfants ? Où aller ? Dans quel pays ? » « Vous serez bien loin . . . Ils vont nous chercher querelle et amener la guerre. Rien ne pourra nous aider. » « Le Grand chef dit que quelque chose trouble son âme. Quand vous serez partis, ils l’anéantiront pour avoir témoigné. » « J ’ai déclaré ce que je sais. Je n’ai rien d’autre à dire. Je demande votre protection quand vous partirez parce que Yancy et ses fonctionnaires nous puniront. Nous n’avons rien. Yancy dit qu’il sera Président après C. D. B. King. » « M. Yancy fait toutes ces choses pour nous faire souffrir, mais il dit toujours quelque chose qui nous fait du chagrin : « Lorsque je vous dis quelque chose, vous essayez d’ergoter, de refuser. Avez-vous des ailes pour voler en l’air et m’échapper, ou bien y a-t-il quelqu’un au-dessus de moi qui peut dire non ? » Cette chose nous chagrine beaucoup. » « Je vous remercie beaucoup. Moi, né dans ce pays, dans le territoire de Picanini Cess. Comme la Société des Nations vient ici maintenant, nous allons parler et expliquer tout ce qui est dans notre cœur, mais ils recommenceront à nous tuer lorsque vous serez partis. » « Ils disent maintenant que lorsque vous serez partis, les Libériens enverront une armée ici pour nous maltraiter. Que ferons-nous ? » « Le Grand Chef dit qu’il vous remercie et il dit qu’il est plus qu’heureux de vous voir, mais qu’aussi vrai que vous êtes ici, il y a un bateau qui attend pour vous emmener chez vous. Il s’expliquera, mais les puissances qui l’entourent l’anéantiront demain, c’est pourquoi il a peur. » « Vous dites que vous êtes venus et que vous voulez savoir les griefs des indigènes. Oui. Je puis dire ce qui est arrivé, mais j’ai peur. Le Grand Chef dit qu’il pourrait parler, mais que vous partirez demain et qu’il sera pris entre trois feux. Ayant dit qu’il a peur et ayant raconté toutes les circonstances, il est rempli de joie. Il va parler. Les gens par qui il est entouré, leur traitement de l’autorité du Gouvernement du Libéria, il va maintenant le raconter. » « Nous rendons grâce à Dieu, car il nous paraît y avoir quelque espoir. Vous êtes mainte­ nant celui qui est la confiance de l’âme et du corps pour nous délivrer de l’esclavage. Donnez- nous protection, autrement, lorsque vous reviendrez, vous trouverez le pays vide. » « Le peuple de Barabo dit que vous les laissez dans le feu. Il a peur. Il y a la caserne où vous avez été hier. Il y a le commissaire de district et l’inspecteur du Comté. Vous les laissez entre ces trois choses. Il faut que vous leur disiez quelques paroles de réconfort. Ils craignent que leurs maisons ne soient brûlées. Nous devons avoir peur, connaissant l’activité des gens. » « Quoique le grand chef ait dit la vérité, ils peuvent dire : « Maintenant que vos blancs sont partis, qu’allez-vous faire ? » » « Nous entendons tout ce que vous dites, mais nous avons plus peur que les autres tribus, parce que nous sommes dans la circonscription où se trouve la caserne. » « Ceci est une partie de nos griefs et il y en a d’autres, mais nous avons peur de les dire, car nous serons ligotés après le départ des commissaires. » « Nous sommes venus pour vous dire tout, parce que lorsque vous aurez quitté ces rives et que nous serons renvoyés de nouveau à la route, les mauvais traitements que nous verrons seront pires que ce que nous avons déjà vu. » « Le capitaine Grant a dit que tous ceux qui ont donné des informations à la Commission seraient arrêtés et mis en prison. Le moment est déjà venu pour nous de payer l’impôt sur les — 1 2 0 — ■ huttes, mais nous n’avons pas la possibilité de descendre en ville pour vendre notre riz et gagner l’argent de l’impôt. Je l'ai entendu dire au capitaine Grant lui-même et il a dès main­ tenant certains de nos habitants en prison. » « Si je devais dire tout ce qui a été fait, vous n’auriez plus la place de vous asseoir. Nous avons juré, mais nous craignons que si l’on ne fait pas quelque chose pour maintenir le pays en ordre, nous ne savons pas ce que ces gens nous feront. »

Monrovia, Libéria, le 17 août 1930. A la Commission Internationale d’Enquête, Monrovia.

Messieurs, Me référant à ma convocation du 24 avril qui me demandait de me présenter devant vous le 25 dudit mois, j’ai l’honneur d’attirer votre attention sur la menace que contiennent pour moi les lignes ci-après : i° M. S. V. Parker, Commissaire de district de ma circonscription, a dit au Président du Libéria que j’étais venu vous trouver de ma propre initiative et sans que vous en ayez été informés, pour vous parler de l’existence du travail forcé au Libéria, qui n’existe pas d’après lui, et en particulier pour vous parler de l’amende qui m’avait été infligée par le Président d’une manière illégale ; 23 Que je n ’obéissais à aucun ordre donné par le Gouvernement, mais que je n’écoutais que vos instructions. De toutes façons, dit-il, on s’occupera de moi dès que vous aurez quitté le Libéria. Maintenant, sur ces fausses allégations de M. Parker, on me fait chercher pour m’obliger à démissionner. Bien que l’on puisse m'enlever mon poste, je m'adresse à vous en ce moment pour vous prier très respectueusement de convoquer M. Parker, afin que nous puissions nous trouver face à face, vous, lui et moi, et qu’il répète les termes mêmes qu’il a employés. J’exprime l’espoir que vous examinerez favorablement ma demande et que vous lui donnerez suite immédiatement. Veuillez agréer, Monsieur, mes salutations respectueuses.

{Signé) N jo l a Ca r m o , Grand Chef de Dey-Sen, Circonscription de Jeh, Gola, Libéria.

Note. — Le Chef Njola fut convoqué par la Commission. La Commission apprit, le 6 sep­ tembre 1930, que le Président lui avait retiré son mandat de grand chef et qu’il avait été banni à la suite de la protestation du Commissaire de district Parker.

Greenville, Comté de Sinoe, ce 9 juillet 1930.

Aux chefs de Yerpo, Little Kru, Settra Kru, Krobah, Nua Point, Nana Kru et alliés, King William Town et alliés, Nimroh, Carr, Tatay, Soboe, Wesepo, Du, Butrah Boroh, et alliés, Niffit, Getu, Sasstown et alliés. Par suite des intentions de rebellion que vous avez formulées à notre connaissance contre le Gouvernement, il vous est ordonné, par les présentes, de comparaître immédiatement devant MM. Z. B. Russ et W. R. Draper, juges de paix du Comté de Sinoe, pas plus tard que le lundi 14 juillet de l’an de grâce 1930, à 8 heures précises du matin, et d’amener avec vous trois de vos notables, afin de rendre compte aux citoyens du Comté de Sinoé des actes de désobéissance et de rébellion commis par vous, ainsi que des menaces de guerre que vous avez adressées au Gouvernement. Tout défaut de comparaître sera à vos risques et périls.

(Signé) Thos. E. Ce s s P e l h a n e , Secrétaire de VAssemblée des citoyens du Comté de Sinoe. Pour légalisation : (Signé) Z. B. Russ,

(Signé) William R. D r a p e r , Juges de paix du Comté de Sinoe. — 130 —

S ig n é

Monrovia, Libéria, le 8 septembre 1930.

(Signé) Cuthbert Ch r i s t y , Président, Société des Nations.

Charles Spurgeon J o h n s o n , Amérique.

Arthur B a r c l a y Libéria.