Revue de recherche en civilisation américaine

6 | 2016 Les femmes et la bande dessinée: autorialités et représentations Women and Comics, Authorships and Representations

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/rrca/723 ISSN : 2101-048X

Éditeur David Diallo

Référence électronique Revue de recherche en civilisation américaine, 6 | 2016, « Les femmes et la bande dessinée: autorialités et représentations » [En ligne], mis en ligne le 19 décembre 2016, consulté le 16 mars 2020. URL : http://journals.openedition.org/rrca/723

Ce document a été généré automatiquement le 16 mars 2020.

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SOMMAIRE

Editorial Amélie Junqua et Céline Mansanti

Women Comics Authors in France and Belgium Before the 1970s: Making Them Invisible Jessica Kohn

L’autoreprésentation féminine dans la bande dessinée pornographique Irène Le Roy Ladurie

Empowered et le pouvoir du fan service Alexandra Aïn

Women W.a.R.P.ing Gender in Comics: Wendy Pini’s Elfquest as mixed power fantasy Isabelle L. Guillaume

A 21st Century British Comics Community that Ensures Gender Balance Nicola Streeten

Hors thème

Book review

Sabbagh, Daniel. L’égalité par le droit, les paradoxes de la discrimination positive aux Etats- Unis Paris, Economica, collection « Etudes Politiques », 2003 [2007], 458 p. Laure Gillot-Assayag

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Editorial

Amélie Junqua and Céline Mansanti

1 Aux Etats-Unis, les utilisatrices de Facebook représentent aujourd’hui 53% des utilisateurs de Facebook qui lisent de la bande dessinée, 40% de plus qu’il y a trois ans. Pourtant, moins de 30% des personnages et des écrivains de BD sont des femmes, même si ces chiffres progressent également (http://www.ozy.com/acumen/the-rise-of-the- woman-comic-buyer/63314). Le lectorat féminin représente donc un marché en expansion, qui pourrait être encore développé par un rattrapage entre productions féminines et productions masculines, ce dont les éditeurs américains semblent être bien conscients.

2 Qui sont ces auteurs féminins ? quelles productions proposent-elles ? Comment ces propositions ont-elles évolué au cours du temps ? Comment peut-on les comparer avec les productions masculines ? Comment les femmes, en particulier, sont-elles représentées par les auteurs masculins et par les auteurs féminins ? Voici quelques- unes des questions qui ont présidé à la naissance de la journée d'étude sur les femmes et la bande dessinée, organisée à Amiens en juin 2016. 3 L'invisibilisation des femmes auteures de BD s'est révélée être une donnée importante de la relation entre femmes et bande dessinée. Comme le montre Jessica Kohn, la faible présence actuelle des femmes parmi les professionnel.le.s de la bande dessinée est souvent expliquée par l'héritage presque uniquement masculin de ce médium. Pourtant, en dépouillant les illustrés franco-belges des années 1950 et 1960, Jessica Kohn a constaté que les auteures sont en fait déjà 7 % à exercer ce métier, certaines continuant d'ailleurs une carrière commencée dans les années 1930. L'histoire de la bande dessinée s'est donc construite en passant sous silence une population certes minoritaire, mais malgré tout active. Son article cherche à retrouver le nom et à retracer les carrières des auteures de bande dessinée de l'après-guerre, afin de comprendre le processus d'invisibilisation dont elles ont été victimes. 4 Une fois établie la réalité de ce processus d'invisibilisation se pose la question de la présence des femmes dans des genres de la bande dessinée traditionnellement investis par les hommes. Que se passe-t-il, notamment, lorsque des auteures s’emparent du genre pornographique pour s’y dessiner? C'est la question que se pose Irène Leroy Ladurie. Son analyse s'attache aux effets de cette prise en main sur la représentation de

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soi aussi bien que sur la réécriture d'un genre qu'elle décrit comme paradoxalement marginal et stéréotypé. Entre réinvention de soi, confession, ou tentative de métamorphose, la figure auctoriale est tout à la fois problématisée et affirmée, tandis que l'autoreprésentation pornographique féminine fait bouger les lignes d’un genre trop souvent considéré comme rébarbatif et masculin. 5 L'autoreprésentation féminine peut être envisagée comme une réponse aux représentations masculines des femmes, et notamment de leur corps, souvent chosifié par le « regard masculin », comme l'a montré Laura Mulvey dans son essai “Visual Pleasure and Narrative Cinema” en 1975. A travers l'analyse d'Empowered, Alexandra Aïn s'intéresse quant à elle à la réponse ambivalente qu'apporte Adam Warren à la question de la représentation des femmes, en particulier dans l'univers traditionnellement machiste des super-héros. Maniant la parodie, les clichés et les références multiples aux univers du et des comics, Empowered utilise les codes du fan service pour plaire à son lecteur mais les détourne également pour interroger une pratique qui tend à la chosification des héroïnes. 6 Isabelle Guillaume s'intéresse elle aussi à une œuvre ambivalente, Elfquest, de Wendi Pini, qu'elle envisage comme un compromis entre la tradition superhéroïque et le radicalisme des auteur.e.s underground: la série met en effet en scène des personnages forts et aventureux, mais dont l'apparence résonne avec les goûts et préoccupations des lectrices, permettant – comme Empowered – l'identification de l'ensemble du lectorat. A l'image du récit qui affirme l'importance de la liberté individuelle, du dialogue et de la tolérance, Elfquest, comme Empowered, selon d'autres modalités, s'éloigne d'une critique ouvertement subversive des représentations féminines pour aller inquiéter le lecteur dans ses propres ambiguïtés. 7 Enfin, c'est une praticienne, autant qu'une critique, Nicola Streeten Plowman, fondatrice du forum Laydeez do Comics, qui retrace la forte augmentation, depuis le début des années 2000, de l'activité de construction d’une communauté féminine et féministe au sein de la bande dessinée alternative au Royaume-Uni. Ce changement tient d'abord à une volonté de rééquilibrage des genres au sein de la bande dessinée alternative, comme le montre le travail de Laydeez do Comics. Il tient également à la place plus importante prise par l'autobiographique et la vie quotidienne, deux sujets qui attirent les lecteurs et les créateurs au-delà des milieux habituels de la bande dessinée traditionnelle. Nicola Streeten Plowman voit ainsi dans cette évolution une amélioration de la situation des femmes en tant que créatrices de bandes dessinées et en tant que contributrices à l'industrie de la bande dessinée.

BIBLIOGRAPHY

Bibliographie primaire (essentiellement reprise de Hillary L. Chute, Graphic Women: Life Narrative and Contemporary Comics, 2010):

Jessica Abel (Mirror, Window; La Perdida)

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Marisa Acocella Marchetto (Cancer Vixen)

Aurelia Aurita (Fraise et Chocolat)

Linda Barry (What It Is, Erny Pook’s Comeeks, etc)

Alison Bechdel (Dykes to Watch Out For, Fun Home: A Family Tragicomic, Are You My Mother?)

Gabrielle Bell (Lucky, Cecil and Jordan in New York, The Voyeurs)

Lili Carré (The Lagoon)

Giovanna Casotto (Giovanna ! Si !, Oh Giovanna !)

Sue Coe (How to Commit Suicide in South Africa, Dead Meat)

Sophie Crumb (Belly Button Comix)

Vanessa Davis (Spaniel Rage)

Diane DiMassa (Hothead Paisan)

Julie Doucet (My New York Diary, 365 Days)

Debbie Dreschler (Daddy’s Girl, The Summer of Love)

Mary Fleener (Life of the Party: The Complete Autobiographical Collection)

Ellen Forney (I was Seven in 75, I Love Led Zeppelin)

Phoebe Gloeckner (A Child's Life and Other Stories, Diary of a Teenage Girl: An Account in Words and Pictures)

Roberta Gregory (Bitchy Bitch, Bitchy Butch)

Miriam Katin (We Are on Our Own)

Megan Kelso (The Squirrel Mother)

Aline Kominsky-Crumb (Wimmen’s Comix, Dirty Laundry Comics, Weirdo, The Bunch's Power Pak Comics)

Hope Larson (Salamander Dream, Gray Horses)

Miss Lasko-Gross (Escape from “Special”, A Mess of Everything)

Erika Lopez (Lap Dancing for Mommy)

Paula Meadows (Sophisticated Ladies)

Dale Messick (Brenda Starr)

Rutu Modan (Exit Wounds, Jamilti)

Jackie Ormes (Torchy Brown, Patty-Jo 'n' Ginger)

Aude Picault (Comtesse)

Wendy Pini (Elfquest)

Lily Renee (The Werewolf Hunter, Senorita Rio)

Trina Robbins (It Ain’t me Babe: Women’s Liberation, Wimmen’s Comix)

Ariel Schrag (Awkward, Definition, Potential, Likewise)

Dori Seda (Dori Stories)

Posy Simmonds (Gemma Bovery, Tamara Drewe)

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Nicola Streeten Plowman (Billy, Me & You)

June Tarpé Mills (Miss Fury)

C. Tyler (Late Bloomer, You’ll Never Know: A Graphic Memoir)

Adam Warren (Empowered)

Lauren Weinstein (Girl Stories, The Goddess of War)

Bibliographie secondaire:

David Barnett, “Kapow! The Unstoppable Rise of Female Comic Readers”, The Guardian, 18 septembre 2015, http://www.theguardian.com/books/2015/sep/18/female-comic-book-readers- women-avengers-a-force

Linda Brewster, Rose O’Neill, The Girl Who Loved to Draw, Boxing Day Books, 2009.

Hillary L. Chute, Graphic Women: Life Narrative and Contemporary Comics, New York (NY): Columbia University Press, 2010.

Jose Fermoso, “The Rise of the Woman Comic Buyer”, Ozy, 11 septembre 2015, http:// www.ozy.com/acumen/the-rise-of-the-woman-comic-buyer/63314

Nancy Goldstein, Jackie Ormes: The First African American Woman Cartoonist, University of Michigan Press, 2008.

Tim Hanley, Wonder Woman Unbound: The Curious History of the World’s Most Famous Heroine, Chicago: Chicago Review Press, 2014.

Jehanzeb, “The Objectification of Women in Comic Books”, Fantasy, Queers Destroy Fantasy! Special Issue, n°59, December 2015, http://www.fantasy-magazine.com/non-fiction/articles/the- objectification-of-women-in-graphic-novels/

Susan E. Kirtley, Lynda Barry: Girlhood Through the Looking Glass, University Press of Mississippi, 2012.

Mike Madrid, The Supergirls: Fashion, Feminism, Fantasy, and the History of Comic Book Heroines, Ashland (Or.): Exterminating Angel press, 2009.

Mike Madrid, Divas, Dames & Daredevils: Lost Heroines of Golden Age Comics, Ashland (Or.): Exterminating Angel Press, 2013.

Lillian S. Robinson, Wonder Women: Feminisms and Superheroes, New York and London: Routledge, 2004.

Trina Robbins, The Great Women Superheroes, Northampton, Mass.: Kitchen Sink Press, 1996.

Trina Robbins, From Girls to Grrrlz: A History of Women's Comics from Teens to Zines [de 1941 à 1999], San Francisco (85 Second Street): Chronicle Books, 1999.

Trina Robbins, “Gender Difference in Comics”, Image & Narrative, Online Magazine of the Visual Narrative, n°4, September 2002, http://www.imageandnarrative.be/inarchive/gender/ trinarobbins.htm

Trina Robbins, Pretty in Ink: North American Women Cartoonists, 1896-2013, Seattle (Wash.): Fantagraphics Books, 2013.

Brett Schenker, “Market Research Says 46.67% of Comic Fans are Female”, The Beat, The Newsblog of Comics Culture, 2 mai 2014, http://www.comicsbeat.com/market-research-says-46-female- comic-fans/

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Lynne M. Thomas and Ellis, Sigrid, ed., Chicks Dig Comics; A Celebration of Comics by the Women Who Love Them, Mad Norwegian Press, 2012.

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Women Comics Authors in France and Belgium Before the 1970s: Making Them Invisible

Jessica Kohn

Introduction

1 The question of the poor representation of women amongst comics authors in Europe and the United States has been addressed repeatedly in the last decade (Groensteen, 2014; Robbins, 2013; Falardeau, 2014). However, in France, the recent studies of the États Généraux de la Bande Dessinée [EGBD], which focus on comics authors' social status, have shown the number to be widely underestimated. Indeed, when the Angoulême festival estimated that 15% of comics authors were women, the EGBD set this figure at 27%.

2 This underestimation does not only apply to the present time, but also to the history of the comics field in general. I am currently writing a social history of cartoonists and illustrators in France and in Belgium between 1945 and 1968. A seminal part of my work is quantitative: I study a population of 400 cartoonists who worked in illustrated magazines between 1945 and 1968, of which at least 80% (320) once drew in the comics form. While studying this sample, I discovered that the emergence of Claire Bretécher and Florence Cestac in the comics industry around 1968 has been mistakenly taken as a key date for women in comics history. In fact, at least 7% of comics authors were women after World War Two, some of whom had even started to work in the 1930s. 3 Few people remember the names of Manon Iessel, Marie-Mad or Nadine Forster, but their drawings did appear in illustrated magazines which children and young people would buy weekly. However, almost none of their comics work were published in book form, a fact which partly explains why they were forgotten so quickly. As a historian, I am thus confronted with a methodological challenge: there is both a need to retrieve information about these authors' careers in order to correct a blind spot in the field of comics history, and to understand why and how they were made invisible. Indeed, this

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state of ignorance is related to the issue of women's overlooked role in the labor force in general, which was acknowledged quite late in social history; but it is also linked to a cultural question, concerning women's role in modeling mass culture during the “Trente Glorieuses” (the thirty years of post-war economic growth in France). 4 Therefore, I began a social history of those women, and I tried to decipher what differences existed between their male counterparts and them, regarding their social origin, their schooling and artistic training, and their professional and personal trajectory. In the process, I discovered that women were often given subordinate tasks or associated with a certain childlike style that belied the diversity of their talents. Moreover, it seems that the specificity of the cartoonist's profession, which at the time was quite a solitary pursuit, made it difficult for them to encounter other women and build a social network made of common references. Thus, a woman's specific approach to drawing was hardly an option before the 1970s, either in the style they used, the themes they addressed or the contacts they made in the world of cartoonists. Consequently, it was not possible for them to fight the process of invisibilization they underwent.

The women who drew

The famous 5

5 When I started my research, I was told there were only five women cartoonists in France and in Belgium before the 1970s : Liliane Funcken, Suzanne André, Claire Bretécher, Manon Iessel and Marie-Madeleine Bourdin. The usual narratives concerning these women are rather bland, when they are not purely demeaning. They do not benefit from the overall fascination for 1950s-1960s Franco-Belgian comics the way male authors do in publications such as Les Cahiers de la Bande Dessinée, Hop or Le Collectionneur de Bandes Dessinées.

6 In mainstream literature, Claire Bretécher is the only woman named when talking about French comics in the 1960s. One could say she is a “Gotlib with a skirt”, in the same way Anne Sylvestre is often depicted as being “une Brassens en jupons” (Pruvost, 2016). More than an individual and a professional woman cartoonist, Bretécher has become an allegory, the exception which helps to trace the contours of a men-only field. However, her fame remains limited : while Gotlib had a 2-floor exhibition at the Jewish Art and Culture Museum in Paris in 2014, Bretécher's show in 2015 was held in the library at the Centre Pompidou, and was not half as long. Overall, she has given fewer interviews in specialized or non specialized media than most famous authors. The fact that she chose to self-produce some of her books is a telltale sign that she does not entirely fit in the professional comics world. Though she has tried to fight being described as a woman cartoonist, for many she embodies that specific characteristic. 7 Suzanne André's career was seminal as a Belgian cartoonist. If she is remembered, it is not because of her contributions to girls' magazines (such as Annette, 1945-8), but because she was a collaborator of Tintin magazine in Belgium, a status few women can claim. While, on the contrary to many other women, her presence cannot be forgotten (especially because she signed her work), we still know very little of her overall work, her career and her biography. The new Dictionnaire illustré de la bande dessinée belge

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(Lambeau, 2016, p. 22) names her husband Francis André, and cites her socialist history of the working class for the newspaper Le Peuple.

Ill 1: Suzanne André, Le Peuple, Histoire des travailleurs, 19 février 1948

8 But while we are provided with her marital status, the dictionary does not state her date of birth (maybe 1909?), what she studied or when she died. It would, however, be interesting to know how she came to work for Le Peuple and learn more about her acquaintance with the Belgian Socialist Party, as it was not common for Belgian cartoonists to adopt a political stance.

9 Liliane Schorils-Funcken has had both more and less luck. Because she was married to the cartoonist Fred Funcken, she was often interviewed with him (or about him, after his death). By means of these interviews, we know more about her daily work and her contributions to Tintin than all the other women cartoonists. But this also implies she was defined by her marriage, and given an inferior rank. This is how they both present their collaboration (Anspach, 1988) : Fred : “Thanks to her, I started drawing comics again: she literally dragged me to the World Press.” Liliane : “I started by coloring his work. But I got bored quickly. Once, Fred told me : “It'd be ideal if you drew with me”. I told him I wasn't the drawing type. […] He then asked me to ink one drawing: he entirely trusted his wife. […] We do the scenario and the setting together. Then Fred does all the penciling. He loves the penciling because it's quick and pretty, but he hates the inking. He loses patience immediately. So, I ink, apart from faces and hands.” Fred : “Apart from that [faces and hands], I don't care about inking. Liliane also helps me with colors. She taught me to harmonize colors.” 10 Unlike Fred whom she encouraged to keep drawing, she was not the one with the vocation: she would not have started drawing without him. As a consequence, she takes care of what he dislikes; it is not a surprise that she is also in charge of colors, as this was considered a woman's skill. Indeed, when Fred first showed her work to Tintin's

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artistic director, the latter thought it looked like Fred's work, only “cleaner” (Anspach, 1988). Her talent for drawing is considered a natural gift among women; and though we do not know anything about her artistic studies, she is not praised for being a self- taught cartoonist. However, when reading the minutes of Tintin's weekly meetings, I discovered that, starting in 1953, Fred was repeatedly asked to improve his coloring. Therefore, Liliane was not only good with colors; she also helped Fred to keep his job. But, in the Dictionnaire illustré, she does not have an entry of her own, but is mentioned in her husband's in one sentence : “A great part of Funcken's work must be associated with his wife, Liliane. […] Does this author [masculine form] have one specific style?” (Lambeau, 2016, p. 117). Being a wife, she is only here to help, not to develop a style of her own.

11 As for Manon Iessel (Marie-Antoinette Iessel) and Marie-Mad (Marie-Madeleine Bourdin), they escaped oblivion almost by chance. Manon Iessel's first comic, in Le Journal, in 1934, was retrieved by Franco-Belgian comics fans.

Ill 2: Manon Iessel, Le Journal, Pat et Piou, 1934 (Droits d'auteur : Claude et Alain Vautier).

12 However, even though she worked in that field weekly for 40 years, she has not been published once in comics form. Her entry in the Solo dictionary states that she is : “a cartoonist who made some humorous strips, then illustrated children's books and comics” (Solo, 2004, p. 425). As for Marie-Mad, whose career spanned over 30 years, she is one of the only women who was published before the 1970s (Schorils was published, but under her husband's name), with the children's comic, Titounet & Titounette.

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Ill 3: Marie-Mad, Titounet et Titounette dans la forêt d'automne, Fleurus, 1958 (Droits d'auteur : Marie- Mad; Éditions du Triomphe.)

13 These five women are described as : they are “bright exceptions”, “wives of”, or “children's illustrators” who indulge in comics. Is it true that the only women who dared to draw at the time were wives or mothers who accidentally stumbled upon the comic book form? If that exclusive narrative had been true, it would have meant that only 1,5% (5) of the 319 comics authors I studied were women; unsurprisingly, there happens to be more of them. As Pierre Le Goff, president of the cartoonist's union, the Syndicat national des dessinateurs de presse (SNDP), stated in an interview I conducted with him : “Oh, yes, there were other women. Ms Bretécher wasn't all by herself!” (Kohn, 2016).

The invisible 7 %

14 The BD oubliées authors' database (BD oubliées, 2016) helped me to retrieve some cartoonists' work in a number of children's illustrated magazines, drawn from “mainstream” illustrés. By “mainstream”, I mean that this database does not include any illustrés geared specifically towards girls. Therefore, I decided to include Mireille, Line, Bernadette, La Semaine de Suzette, Lisette and Fillette in my research – all of which were actually also read by young boys and had a broad audience.

15 While doing so, I was able to retrieve the names of 41 women, of whom 23 (56%) once drew comics, a figure that can be contrasted with the 80% of men cartoonists who drew comics. This number is four times higher than expected, meaning than 7.2% of comic book authors were women in France and in Belgium before 1970 (23 out of 320). On average, they published in 1.5 newspapers, while the number rises to 2 for men cartoonists.

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16 Unfortunately, I did not have the time to review comics before World War Two, nor to discover who was hiding behind unsigned work, nor to get a better look at the Belgian production. However, since that scientific bias also exists for my male population, the numbers remain correct for my period. I do know the name of Davine (Robert Velter's wive), Madeleine Gérard, Colette May-Pattinger and Mariel Dauphin (Jacque Naret's wife) who worked in the daily press. However, of the four biographical sources I use the most (Solo 2004, Osterwalder 2005, Gaumer 2010, Lambiek 2016) the Solo dictionnary, which focuses on the press, is the one which tends to overlook women the most, hence accounting for my lack of information on that medium. I also retrieved at least 5 well- known women writers in the illustrés themselves: Maud Frère, Henriette Robitaillie, Geneviève de Corbie, Isabelle Gendron and Liliane Fabris. But writers are not referenced accurately either in the Gaumer's dictionnary or in the Lambiek database. 17 About those women, little information exists. Some of them had very small entries in dictionaries, but nothing I could really use ; some were entirely forgotten. Overall, Lambiek's website remains the most complete source I used, and it only listed 10 out of my 23 comics authors. I found Camille Hallé while looking at the National School of Fine Arts archives, by mere chance; I thought Claude Soleillant was a man (as the Lambiek website stated) before I talked to her over the phone and mistakenly asked to talk to her husband; and I had no idea who “Constant” was, before Pierre Le Goff told me about his colleague “Nicole Constant” who was also a member of the cartoonists' union. 18 It is true however that most of the male cartoonists I study have also been long forgotten, especially when they were published in the Catholic press. Who, but a few fans, remembers Yvan Marié, Maurice Thomas de la Pintière or Claude Verrier? But still, their entries in the dictionaries are always bigger and more documented, even if they were not published in albums and drew only for children. Moreover, when I started my research in the illustrated magazines and had no names of cartoonists yet, I expected to end up with a population of about 400 men working in the illustration field at the time; and indeed, it is roughly what I found. If there had been as many overlooked men as there were women, I would now be struggling with 1200 cartoonists! 19 Therefore, it seems obvious that women, even though they are far less numerous than men in the field of comics, and a bit less active, have been made invisible. Their lives and careers have been forgotten, they have been restricted to their status of wives and mothers, and their work has not had the chance to be published. One of the most vivid examples is Nadine Forster, who is still famous for drawing the children's shows Casimir (L'île enchantée) and Émilie Joly, yet whose very modern comics such as Le Journal de Véronique (Lisette, 1967-1968) have been forgotten. 20 If those women who were published daily, and sometime for decades, were made invisible, what about those who published less, or in less publicized specialties? At the time, there was indeed a good amount of unsigned work, even though some of it was often of foreign importation, and there are at least 9 individuals I study of unknown gender. Moreover, the work of assistants – mainly inkers and colorists – remains anonymous, seen as a less prestigious task. If it is impossible to have statistics on them, as I did find that 15% of male authors mention their wife as a work assistant. Besides Liliane Funcken, who remembers that Madame Craenhals, Janine Le Goff, Petra van Custem, Annie Gillain-Geldhof all colored for their husbands? What about Rémi Bourlès' wife, who wrote his scenarios, or René Bonnet's wife, who apparently helped

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him to draw, and then painted with him when he retired? Some people are more forgotten than the forgotten cartoonists : their wives. 21 It is very instructive indeed to study the way these women talk about their work for their husbands, as it gives us a good sense of the alienation it entails. Nine Peyo started coloring for her husband after her own workday, and also did a bit of accounting “without liking it at all”, while she “didn't get involved in Peyo's work” though he would ask for her advice “including in the middle of the night”. Liliane Denayer thinks “cartoonists need a tough and organized 'mommy' to manage their stuff”, one who can “incidentally help out slightly with colors”. And Petra Van Custem, after 44 years of being her husband's colorist still thinks the best thing is to “see him healthy, able to keep going on with the work he loves” (Bodoï, 2006, p. 8-24).

The retrieved lives of women in funnies

Drawing a social picture

22 It is one thing to retrieve names; but this does not help me understand why the few women who did make this career choice chose to do so and why they were so easily erased from the memory of comics. There is a historical and social explanation for the discrepancy between men and women in the comics field, and it has to do with the gender labor divide even more than with the way the market of comics and cartoons is organized.

23 Hence the necessity to draw a social picture of these women, before relating their lives to the world of cartoonists in general. But the search was quite disappointing, as I did not end up with a satisfactory sample. Indeed, out of 23 women cartoonists, I found the social origin of 6 of them, which means I knew their place and date of birth and was able to ask for their birth certificate, and therefore learn their parents' professions. I also know that 8 of them enrolled in art studies. But for most of them, their lives remain unknown, and I was left with what I retrieved while looking at comic books, magazines and library catalogs, which are obviously incomplete. 24 However, I can use what I know of other women who drew, even if though they did not draw comics. Indeed, there is more information on women who specialized in both adult and children's illustration, publicity and graphic art, than there is on those who worked primarily for children's magazines. Unless the comics were published in book form later on, this can partly be explained by the lack of legitimacy of children's magazines: if it was the only field a cartoonist worked in, she would be less remembered than if her (or his) work went beyond this field (fashion and graphic designers, commercial artists, and more importantly book illustrators and movie/ theater decorators) or was directly targeting an adult readership (such as editorial cartoonist). Interestingly enough, Suzanne André, who maybe drew less regularly than someone like Jacqueline Dargier or Janine Lay, has not been entirely forgotten, perhaps since she drew comics for the Belgian newspapers Le Peuple. 25 Since all those professions can be related to the global art of drawing – especially at a time when careers were heterogeneous and unspecialized – it is safe to say that I can use the information and interviews I have on the global population of 41 women. Overall, I know the social origins of 18 of them, and besides Germaine Bouret (whose parents were servants, although her father did draw as a hobby), all of them come from

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a liberal, upper middle class background: among the fathers, 2 of them are doctors, 5 of them engineers and 4 made their career in the administration or the army. Higher up on the social scale, 1 is a landlord and 2 come from an aristocratic background. One would be tempted to draw the conclusion that, in contrast to their male counterparts, the social origin of female cartoonists is less mixed, since the middle upper class is heavily represented. This would concur with the idea that drawing is part of female upper class education. Being an “art d'agrément” (a leisure, such as playing the piano, singing and embroidering), it is a talent encouraged in order to make good bourgeois wives. However, it is important not to forget we are missing half of the information for these women; indeed, the working class suffers from the same process of invisibilization as women do, and we do not know if those for whom we have no information are not, indeed, those who come from a working class background. For example, in her interviews, Marie-Madeleine Bourdin says her father was an engineer- machinist (Lehideux, 1996), while her birth certificate only specifies “machinist”: he probably climbed the social ladder; but she might also have improved the reality. 26 There is one type of profession which is easier to decipher, though. Among the fathers, one of them is an important printer and three are painters, which reminds us that these women are often related in one way or an other to the artistic world, either by their relatives or their husbands. Moreover, though only two mothers have a known profession (the rest being listed as “without profession”, though Marie-Mad says her mother was a dressmaker), they are both artistic: Claude Soleillant's mother was a fashion designer, while Albertine Deletaille's mother was nothing less than one of the portraitists of the Dutch Queen. Having such a female artistic model must have made a strong impact on one's career as a cartoonist. When Claude Soleillant wrote her acceptance speech for the prestigious award, the Décoration de Chevalier des Arts et des Lettres in 2001, she noted : “Going back through time, I started thinking about my great grand-mother […] who was a goldsmith. I'm very proud of it! Maybe she wasn't the first woman in the family to work in the art world. In the next generation, my grand-mother used her skilled hands for embroidering and lacing. […] My mum with her dexterous hands created wonderful hats […]. She was a wonder in her art. […] When I was 11 years old, I drew a fake ID card for myself, and for the profession, I stipulated : 'children's newspapers cartoonist'.” (Soleillant, 2001).

Women in the art world

27 Insisting on a bourgeois social origin might also place too much emphasis on women's fondness or calling for drawing. It is true that drawing must have been part of their female education, and they often got involved in the art world because of their relatives or their husbands. But at least 15 of them studied art, and some with great success: Nadine Forster held shows in the United States after graduating with honors from the Royal School of Fine Arts in Brussels and working as Anto Carte's assistant. Camille Hallé and Elise Million went to the School of Fine Arts in Paris, while Marie- Madeleine Bourdin and Claude Soleillant passed the test to enter the Élisa Lemonnier School of Applied Arts and ranked respectively first and second. Just like their male counterparts, they did not engage in the comics and illustration field of work without training, the various schools of Fine Arts and Applied Arts always being the starting point.

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28 However, not all the workshops and classes in the schools of Fine Arts were open to women. Women could be more easily recruited in applied arts classes and schools, especially after the creation of the Élisa Lemonnier school in 1864, which became the École Duperré in 1882. At least three of them followed that path; the others went to private schools and workshops, such as the Académie Julian or la Grande Chaumière in Paris. In any case, they benefited from the attempts to implement applied arts, lithography and publicity in the artistic curriculum after the 1940s and learned about Art Déco. The women's applied arts training was not specifically geared towards illustration: at the time, it was advocated as a way for women of the working and the middle class to earn their living in a suitable way, and for the domestic economy to prosper: the applied arts were no longer “arts d'agrément”, and women could be of use in the industrial world (Laurent, 1996). By looking at the syllabuses, one can say that the specialization in the applied art schools for women was more intense and more focused on design than in the men's equivalent: they chose a profession they would keep after graduating, while men could more easily change their specialization once they started working. Moreover, in women's schools, even though they learned about lettering and mocking-up, illustrating and lithography were rarely an option, unlike in Germain Pilon or Bernard Palissy's applied art schools, which were more open to these applied art forms. Finally, they were often expected to become art teachers. Still, those schools offered a very good training. Just before World War Two, the Paris National School of Fine Arts reformed the teaching of Applied Art and noted that “women professors who have been recruited in the last decade (and who generally come from Duperré and Fleurus school or the Decorative Arts National School) are of first rank. […] Men teachers are not as good.” (Archives nationales, AJ52). 29 Therefore, the women who worked in the cartoon and comics field might have come from a quite privileged social background and have enjoyed a good artistic environment; but they also engaged in a field that was becoming professional, and for which a good artistic and technical education was needed. Drawing was hard work indeed: Germaine Bouret died of exhaustion (Frémion, 1998); Maggie Salcedo worked as a divorced woman to feed her children (Osterwalder, 2005). It was not a woman's hobby one could do at home as, at best, a complement to her husband's salary. For those reasons, it also became harder for women to have a real place in what slowly became a workshop world: it could mean working away from home and threatening the gender work division in a “men-only” field of work which belonged to the craft world. Marie- Mad remembers having a three-hours commute to work at Coeurs Vaillants, before deciding to work from home for Bernadette; and Nadine Forster's sons recall they were different from other kids, because they had a working mother who was away all day (Kohn, 2016). But Claude Soleillant's story is even more blatant: she was asked to leave Fleurus' office as soon as she got pregnant; and even though there was still time before she would give birth, her boss decided he would rather not have a pregnant woman around. At that point, she started working from home for Fleurus and other editing houses, and never came back to an editorial office (Kohn, 2016). Even though she had great success during her career in creating craft books, she stopped drawing in the comics form afterwards; had she kept working in the editorial office, maybe she would have become more interested in that type of work. In any case, though there are not enough archives to know if women were paid less than men were, this kind of anecdote tends to prove they were treated like other women were in the world of work: even though their labor force was needed, it was considered as a complement to men's jobs

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and a potential threat. Claire Bretécher later described “guys-only meetings” in editorial offices, which were also drawn by Gotlib and photographed. She rightfully observed that above all, her presence “was hard for them” (Belleval, 1977): the sense of threat also explains the small place which was left for women to occupy. Conversely, it would be very interesting to interview Nadine Forster's male assistants whom she hired when she was working for the French television, Walt Disney and Adès, as this provides a unique example of a woman cartoonist in charge of a workshop at that time. Her lifestyle, anyhow, is a good reflection of the independence one could gain being a cartoonist: in the 1970s, after a strong devaluation of the French franc, she moved from Belgium to France to stop losing the money she was earning from French editors; her husband and her children followed her, showing that her salary was obviously the most important one in the household. 30 With that in mind, it is encouraging to note than half of these 41 women not only stayed in the illustrés industry but also experimented with the comics form. But one can also understand why many of them decided to focus on the editing and illustrating world, where the people in charge were also more often women, according to Michelle Daufresne, who, as the other women interviewed, said she gained more consideration from that world, where only the drawings were considered (Kohn, 2016). On the other hand, it is now easier to understand how women were made invisible: not only were there fewer of them, and they were less active, but their presence was not acknowledged, because it could not be accepted without challenging the definition of this specific field of work.

Drawing like a woman

A condescending tone

31 Studying the way women are talked about in the world of cartoonists is a good indicator of the invisibilization of their work, if not of their talent. Being an “art d'agrément”, the art of drawing can be reduced either to its seductive potential or, more often, to its maternal aspect. At a time when images were closely associated with education, and women with childcare, it was only natural that women would draw and write for children, and it is still how the profession is thought of today. Hence Suzanne André, whose style Frans Lambeau describes as “schematic” but with a “very didactic narrative power” (Lambeau, 2016, p.22); Marie-Mad who “love[s] childhood” and lives in a “world that's not unreal but wonderful, that [she] can feel in a tangible way” (Francq, 2013); Manon Iessel whose bibliographical entry on Babelio describes her as “a sensitive, modest artist, full of delicacy, like her drawings”. When critics write that way nowadays, they are actually reproducing outdated tones of speech.

32 As an example, one can study the tone of critics in Écho-dessin, the magazine of the French union of artist-drawers, for a 1963 exhibit. Indeed, while one can read about Alain Saint-Ogan's “fine illustrations of military scenes”, André Galland's “courthouse sketches, full of character and life” and about “caricaturists who are funny without crudeness such as Flip”, one on the contrary “notices above all [Michelle Daufresne's] portrait of a child”; learns about “Manon Iessel, very popular among girls, who exhibits pretty illustrations of Perrault's tales”, and about “Ms Pécourt [who] achieved a good colored aspect with very few means” (Écho-dessin, p. 2-3). Humor is only on the men's

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side, with scenes from political, judicial and military life; women are stuck with children's illustrations, and are, at their best, awarded the adjective “pretty”, while their sense of color remains the most important aspect which is looked upon: obviously, they draw with “very few means”. Even nowadays, when talking about her past career, Nicole Constant adopts the same condescending tone: the first thing she told me when I started her interview was that she was “very flattered to be considered a cartoonist; I did work, but it was rubbish […] and I was also very lucky.” (Kohn, 2016). But, in the same way Claude Soleillant is still angry at being fired for her pregnancy, Nicole Constant is somewhat aware when talking about her interview in 1961 for Femmes d'aujourd'hui: “I would never have shown that to my friends! 'Sweet Constant, silent Constant…' They wouldn't talk about my diplomas!” (Kohn, 2016). 33 In that atmosphere, when girls were considering drawing careers, they were probably often answered the way François Cheneval replied to Odette Thirion in Héroïc-Albums, alerting the readers with obvious condescension that “our artist is called 'Doll' by her family; we thought it was interesting to point it out”. A few months before, he had wished “good luck and success” to Serge Genneaux in the same “Bouts d'essai” section (Cheneval, 1954). Serge Genneaux became a comics author himself; of Odette Thirion, the only girl ever published in that section, we know nothing after that episode. When Nadine Forster was interviewed on the French television in 1960, the journalist, a woman herself, hints she is lucky that neither her parents nor her husband opposed her career choice. And though Nadine Forster refuses the use of the word “luck”, the journalist concludes: “Then, we'll thank you for bringing to Paris your grace, your charm, all those qualities...and furthermore, your face; because you'll admit this painter looks more like a model!” (Forster, 1960). 34 Women who drew were expected to become art teachers or children's and fashion illustrators, not newspaper cartoonists or comics artists. None of them seem to have been reading comics as young children the way their male counterparts did. The teaching exam itself included two different tests: where male candidates were supposed to be tested on their geometrical and perspective drawing, female candidates were asked to compose on a fashion model (Archives nationales, AJ52). The women I retrieved did not want to teach though: as quoted earlier, Claude Soleillant wanted to be an illustrated magazine cartoonist since she was 11 at least. More so, Nicole Constant dropped out of the École Duperré because she did not want to enroll in the teacher's course (Kohn, 2016), and Martine Berthélémy, who passed the test to be a drawing teacher, panicked on her first day of class and never went back (Lehideux, 1999).

For kids only?

35 It is indeed true – and obviously also a consequence of that construction – that women did tend to illustrate for kids rather than for adults, and their work was less heterogeneous than that of men. While 70% of my male population did illustration, 90% of the women were illustrators. Manon Iessel and Dody, for instance, were keen on fashion and drew the “poupée Bleuette” for the sewing pages in La Semaine de Suzette, or adventures related to “girls' interests”.

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Ill 4: Manon Iessel, Mireille, Le bracelet de pierres bleues, 1958 (Droits d’auteur: Claude et Alain Vautier).

36 Claude Soleillant started to work as a cellophane decorator, in a mixed team, where “boys would do more technical stuff, such as motors, airplanes, cars. Some girls would do it too, but less. Girls would draw sweeter and finer stuff. I was in charge of teddy bears, animals, flowers and birds” (Kohn, 2016). On the other hand, even in the children's illustration world, they were far from outnumbering men: in Père Castor's collection, except for Gerda Muller, Nina Morel and Lucile Butel, one reads only men's names. According to Michelle Daufresne, both genders were equally represented, and when one wanted to become a cartoonist, working for children was one of the only options. (Kohn, 2016).

37 But not all children's stories were alike, in a childlike and derogatory sense. Someone like Janine Lay also drew many adventures for children.

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Ill 5 : Janine Lay, Bernadette, Les Jumelles, 1962

38 Madeleine Berthelemy or Suzanne André adapted classics and historical events: girls illustrés would publish comics of all sorts with female protagonists.

Ill 6: Suzanne André, Line, Madame Sans Gêne, 28 Feb 1957

39 These comics were seldom published, however: comics for girls were not considered good enough; and as a consequence, people now think they never existed. And even though some women, such as Suzanne Ballivet, specialized in luxury and artistic illustrations, never working for children, it seems as if the doors of the cartoonists world were more sealed for women than they were for men, keeping them in one field of action, whereas men could come and go from various places and therefore become more easily acknowledged authors. This difference also accounts for their lesser fame, and maybe for their greater isolation in the social network.

40 The women cartoonists I interviewed seldom cite fellow cartoonists. It was a solitary job, where the social network was not wide. Nonetheless the union, later led by Pierre Le Goff, helped people to meet each other at least once a year. A woman, Joëlle Savey, was even the general secretary in the 1970s. But her best friend there, Nicole Constant, recalls that, even though she knew Joëlle, she was terribly afraid of Pierre Le Goff, and

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felt she was annoying him while he was explaining serious matters. As Claude Soleillant states, “there was, in a way, a general indifference” (Kohn, 2016). The other narratives always concern the world of editing rather than the world of magazines: Michelle Daufresne made four very good friends (Noëlle Herrenschmidt, Pascale Claude Lafontaine, Pascale Tisné and Édith Raymond), but she met them in the 1970s in editing houses or in youth authors shows. For those women, the world of children's illustration seemed to make interaction easier than the world of illustrés, especially after the 1960s. However, they rarely worked together, because their styles were “so different” (Kohn, 2016). 41 When asked to cite a cartoonist who inspired them, Manon Iessel appears to be almost the unique reference, a reference which is undoubtedly related to the world of children's illustration, through La Semaine de Suzette. In a sense, this reference is seminal, not only because she was a woman working for girls illustrés, but also because fewer male comics authors think about her when asked the same question, even though Manon Iessel was fundamental in the history of children comics, with her “very pure, very simple, very linear, and above all very expressive way of drawing” (Soleillant, 2016). Claude Soleillant and Marie-Mad did actually meet her, the latter even working with her from time to time. However, it seems complicated to point out any common references for those women, which also makes it harder to self-define themselves as women cartoonists. Furthermore, they never refer to American comics, which, on the contrary, are often considered by male comics authors as an important part of their calling for drawing comics. 42 However, Le Journal de Véronique, a comics drawn in Lisette by Nadine Forster and written by Maud Frère, shows that even in the genre of children's literature, women can work together and interpret the comics form in an original and modern way. The fluidity and modernity of Nadine Forster's drawing of Véronique's colored world, which does not respect the usual grid or succession of events, reflects the freedom of speech and action of the little girl, who would rather fight with her cousin in practical clothes than stay “still as an image” in a pretty dress, the way girls are often depicted in these magazines.

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Ill 7 : Nadine Forster, Lisette n°2, Le Journal de Véronique, 1968 (Droits d'auteur : Nadine Forster).

43 Véronique is not the first female character whose life is a daily adventure; but she might be the first one whose train of thought is the only source of information. This work comes from the collaboration of two women who met by chance on a train; Nadine Forster says this was the only time she can recall working with another woman, who also became her friend. However, she claims to have never suffered from the manly world in which she was working, as she told me fifty years later: “I never felt it. You're making me think of it only today”. After a while though, she added that in the editing houses where she worked “the chief executives were often men. But women would always take care of the rest.” (Kohn, 2016).

Conclusion

44 After World War Two, more than half of the women who drew in illustrés started drawing comics on a regular basis, at least for an obvious economical reason: if a woman wanted to be published, she had to be part of this new trend. In that regard, why were Les Jumelles or Priscille et Olivier, Janine Lay's weekly productions, so easily forgotten? How come Nadine Forster's Journal de Véronique never get any publicity or publication?

45 It is not because they did not draw as well as the men did. The talent or lack of talent, for that matter, was equally shared, at a time when a good number of pieceworkers were simply filling the pages of magazines. Even Alain d'Orange does not show a lot of enthusiasm for the field: it was a “routine”, a profession and not a calling (Blanchet and Cance, 2006). The stories in children's magazines were rather conventional, mixing adventures, historical tales and stories from daily life. They were not even truly specific to girls or boys: the characters, to some extent, can be considered gender-neutral.

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46 Women did find work more easily in children's magazines geared towards girls; and when they did so, their career was often not as long as that of their male counterparts, because it was more easily pursued in the field of children illustration. But, by emphasizing the difference between male and female comics authors, the history of comics has overlooked an important body of work which was published in magazines read by half of the young population. Women have been forgotten because there were fewer, but also and mainly because the field of comics would not acknowledge them. In that regard, their collaboration with one another was not enough to counteract a field whose history was told by men.

BIBLIOGRAPHY

PRIMARY SOURCES

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« Bouts d'essai », in Héroïc-Albums, Esseo, Bruxelles, n°33 et n°44, 1954.

Soleillant Claude. Discours d'acceptation de la Décoration de Chevalier des Arts et des Lettres, fait à la mairie de Ouistreham, le 12/06/2001, handed to the author in 2016.

Interviews made by the author: Nadine Forster, by telephone on the 6/8/2016 and at her place on the 8/3/2016; Pierre Le Goff at his place on the 8/10/2016; Claude Soleillant by telephone on the 8/15/2016; Michelle Ferrier-Daufresne at her place on the 9/12/2016 and Nicole Constant by telephone on the 9/7/2016 and at her place on the 9/14/2016.

Anspach Nicolas. Fred et Liliane Funcken's interview, Hop, n°80, 3e semestre 1988.

Belleval, Guy de. Claire Bretécher's interview, in “Clés du Regard”, Swiss television, 2/9/1977 [URL: http://www.rts.ch/archives/tv/culture/cles-du-regard/7390017-claire-bretecher.html]

Blanchet Evariste and Cance Louis. Alain d'Orange's interview, in Hop n°111, 2006.

Francq Isabelle. Marie-Madeleine Bourdin's interview “Portrait d'une artiste en autodidacte”, La Vie, n° 3543, 25 juillet 2013.

Lehideux, Guy, 1996. Marie-Madeleine Bourdin's interview, published in Hop n°143, 2014.

Lehideux, Guy. Martine Berthélémy's interview, in Collectionneur de bandes dessinées, n°89, 1999.

Comics authors' wives interviewed in “Hommes sweet hommes”, Bodoï n°100, 2006.

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DICTIONARIES AND DATABASES

Lambeau, Franz, 2016. Dictionnaire illustré de la bande dessinée belge, de la libération aux fifties (1945-1950) (Liège: Les éditions de la province de Liège).

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Osterwalder Marcus, 2005. Dictionnaire des illustrateurs, 1905-1965 : XXe siècle, deuxième génération, illustrateurs du monde entier nés entre 1885 et 1900 artistes du livre, dessinateurs de la presse et de la mode, caricaturistes, bédéistes et affichistes (Neuchâtel CH : Ides et Calendes).

Gaumer, Patrick, 2010. Dictionnaire mondiale de la bande dessinée (Paris: Larousse).

BD oubliées's database [URL: http://bdoubliees.com/].

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SECONDARY SOURCES

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Groensteen, Thierry, (ed.) 2014. “La création au féminin”, in Dictionnaire esthétique et thématique de la bande dessinée [URL: http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article727 2014].

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Pruvost, Céline, 2017. « Une femme, pas une dame » : le féminin militant des chansons d’Anne Sylvestre, to be published.

Robbins Trina, 2013. Pretty In Ink, North American Women Cartoonists, 1896-2013 (Seattle : Fantagraphics Books).

ABSTRACTS

The very masculine history of the comics world is often held to account for the small proportion of women among comics authors nowadays. However, when examining the Franco-Belgian illustrated magazines of the 1950s and 1960s, I discovered that 7% of authors were women, some of whom had started to work in the field in the 1930s. Hence, the history of comics has thus far ignored an entire population of authors who, though they were a minority, were nonetheless active. In this article, I attempt to retrieve the names and the careers of these post-war women comics authors, in order to understand the process of invisibilization they underwent, which consisted mainly in restricting them to children’s illustrations. This context made it difficult to promote the emergence of a women's network and reference system in the world of Franco- Belgian comics.

La faible présence actuelle des femmes parmi les professionnel.le.s de la bande dessinée est souvent expliquée par l'héritage presque uniquement masculin de ce médium. Pourtant, quand on dépouille les illustrés franco-belges des années 1950 et 1960, on constate que les auteures sont en fait déjà 7 % à exercer ce métier, certaines continuant d'ailleurs une carrière commencée dans

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les années 1930. L'histoire de la bande dessinée s'est donc construite en passant sous silence une population certes minoritaire, mais malgré tout active. Cet article cherche donc à retrouver les noms et retracer les carrières des auteures de bande dessinée de l'après-guerre, afin de comprendre un processus d'invisibilisation qui passe notamment par l'assignation à un style unique, celui de l'illustration pour enfants, et qui a rendu difficile l'émergence d'un réseau et d'un système de références véritablement féminin dans le monde de la bande dessinée franco- belge

INDEX

Mots-clés: bande dessinée, auteures, dessinatrices, histoire culturelle Keywords: comics, women cartoonists, cultural history

AUTHOR

JESSICA KOHN

Paris III – Sorbonne Nouvelle – Études anglophones, germanophones et européennes, (EDEAGE – ED514) – Intégration et coopération dans l'espace européen (EA ICEE)

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L’autoreprésentation féminine dans la bande dessinée pornographique

Irène Le Roy Ladurie

1 L’autoreprésentation est une figure de l’autoportrait de l’auteur en bande dessinée analysée par Thierry Groensteen (2014). Commentée par des auteurs comme Jean- Christophe Menu (2009), cette figure rhétorique de la bande dessinée classique fleurit également dans les underground comics américains des années 60 et 70. Imposée par des récits intimes de la vie quotidienne ou la retranscription de fantasmes de l’auteur, son avatar fait vaciller les codes propres aux genres bien établis, dans ce mouvement que Laurent Gerbier décrit dans l’apparition de l’autobiographie comme « arme anti- générique » (Alary 2015, page 34). De fait elle accompagne cette recherche d’authenticité dans les productions de bandes dessinées de cette époque : « Alors que les éditeurs grand public s’attachaient encore à fidéliser les lecteurs à des personnages plutôt qu’à des créateurs, la bande dessinée underground se concevait simultanément en termes de genres et d’auteurs : tel fascicule se vendait autant du fait de son contenu que parce qu’il contenait des dessins de Robert Crumb, Gilbert Shelton, Art Spiegelman, Trina Robbins ou d’autres. » (Jean-Paul Gabilliet 2005, page 103). S’inspirant peut-être de la production underground dont elle se fait le parent proche, la pornographie dessinée, gagnant en légitimité dans les années 70, offre également une série d’autoreprésentations de l’auteur dans des fictions, certes intimes, mais déconnectées d’un pacte autobiographique quelconque. Ce phénomène prend différentes formes : l’auteur se représente sous la forme d’un personnage secondaire, parfois il prend la forme d’une sorte de voyeur chez Manara, ou comme faisant activement partie de la fiction, de manière publique ou masquée, ou comme centre et narrateur de l’histoire. Les deux premiers niveaux d’apparition peuvent sembler les plus étranges, car ils supposent l’intervention d’une figure identifiable et attestée, au sein d’un espace fictif exposant et réalisant des fantasmes ou des désirs. Thierry Groensteen analyse cette interaction entre la persona de l’auteur et son ethos comme une sorte de déformation professionnelle : « L’autoreprésentation sous couvert d’identité fictive paraît constituer un moyen de resserrer les liens affectifs entre le créateur et sa créature, qui devient littéralement un « double de papier ». Elle a pu, chez Cosey ou Manara, par exemple,

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entretenir l’illusion qu’ils vivaient par procuration des aventures inspirées par une fantasmatique intime. » (Alary et alii 2015, page 53). Très courante dans la pornographie de l’âge d’or – les années 70 et 80 – avec Manara, Crepax, Varenne, Götha, elle peut surprendre de la part d’autrices. Dans un genre traditionnellement assigné au soulagement des pulsions masculines, exposer un corps féminin, c’est le présenter et le construire comme un pur objet du désir pour le lecteur. Que se passe-t-il donc quand d’un corps-objet féminin, l’autoportrait fait advenir un corps-sujet ?

2 La pornographie semble déjà entretenir, à dessein, une friction entre fiction et réalité. Elle opère un double mouvement : d’une part la réalisation de l’impossible désir, ce peut être un fantasme inassouvi, un interdit radical ou bien la performance d’une identité autre que celle que la vie publique autorise, et d’autre part la tentation de subjectiviser à l’extrême la réalisation de ce désir, afin d’en mimer l’expérience au cours de l’expérience de lecture (ou de visionnage). Ainsi l’intervention d’une persona ou projection de l’auteur à l’intérieur même des histoires pornographiques relève à la fois d’un mécanisme propre au genre, la réalisation d’une « fantasmatique intime » et la subjectivisation de l’expérience, tout en pointant vers les champs de l’autobiographie et du récit intime. 3 Quant à l’autoreprésentation érotique au féminin, elle fait bouger les lignes d’un genre très souvent considéré comme rébarbatif et masculin. Provoquant l’intervention d’une « narrat[trice] actorialisé[e] » (Thierry Groensteen 2011, page 106) l’autoreprésentation imprime à l’autrice autant l’idée d’une maîtrise de l’histoire qu’une idiosyncrasie entre l’histoire et la signature graphique. Entre la fantaisie propre au genre pornographique et l’affirmation d’un vécu, l’autoreprésentation pornographique est source de questionnement à propos de l'érotisation des corps d'autrices et du pouvoir accordé à leur double de papier. Elle révèle alors les rapports que ces représentations entretiennent avec des questions sociétales, comme l’égalité hommes-femmes, le féminisme ; en suivant ses évolutions elle dit quelque chose de l’évolution de ce genre marginal à travers le siècle.

L’autoreprésentation sexuelle entre fiction et autobiographie : une histoire de la pornographie féminine en bande dessinée

« The bunch » la misère sexuelle d’Aline Goldsmith dans les bandes dessinées féministes des années 70 et 80

4 Aline Kominski participe dès les premiers numéros à Wimmen’s comix, revue féministe et satirique, dont l’une des contributrices les plus connues fut Trina Robbins. Le premier numéro publié en 1972 (d’abord intitulé It ain’t me babe) paraît en parallèle de Tits and Clits, revue de bande dessinée pornographique féminine et féministe. D’un même mouvement, des dessinatrices se sentent à la fois proches et mises à la marge du mouvement de l’underground dont le pape est Robert Crumb. L’idée des fanzines féministes est de s’emparer de cette posture underground qui consiste à dévoiler la vie intime des auteurs dans leur extrême banalité et leur complète bizarrerie. Cela retentit d’autant mieux que ces publications permettent alors de raconter la réalité féminine et d’y montrer le poids de la contrainte sociale. Aline Kominsky inaugure son œuvre – qui

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sera par la suite prolifique en anecdotes sexuelles – en dessinant le rapport complexe qu’une jeune « Goldie » entretient à son corps dans le passage de l’enfance à l’âge adulte en quelques planches. Aline Kominsky née Goldsmith, se dépeint ici dans ses mésaventures : le trait et le ton sont pitoyables, les situations teintées d’une ironie féroce grâce aux bulles de pensée (voir illustration 1).

5 La sexualisation progressive du corps de la femme la dépossède et entrave la construction positive d’une image de soi, toujours en miroir d’un regard social qui relève ou de la prédation ou du jugement moral. La sexualité oscille entre le sentiment d’une profonde solitude et exutoire par la jouissance déréglée de tous les plaisirs (drogue, alcool, sexe). Le dessin de son corps est une sismographie de l’image déplorable qu’on lui renvoie d’elle-même. Il ne s’agit pas à proprement parler de récit pornographique calibré, on constate que la représentation crue de la sexualité et des rapports amoureux est dénuée de tout enjolivement, le désir n’est pas fantasmatique. Cependant, « Goldie », avatar d’Aline-Goldsmith-Kominsky, est pionnière des écritures féminines du sexe dans la bande dessinée, et ce n'est pas un hasard si l’autoreprésentation pornographique de l'autrice prend source dans le mouvement underground. Par la suite, l’œuvre d’Aline Kominsky se pensera toujours par rapport au reflet de soi dans les cases : cela la conduira à produire avec son conjoint Robert Crumb Parlez-moi d’amour, autobiographie sexuelle à quatre mains où les autoreprésentations se mêlent aux graphismes respectifs des deux amants, dans une symbiose des corps et du style. Si le dessin de Robert Crumb échappe aux canons attendus de la beauté féminine (femmes grandes aux jambes larges et aux fesses imposantes), on peut noter à quel point ce dessin est aussi un canon idéalisant qui reconstruit le corps de la femme, le fixe et le fige. En effet, loin de la variation sensible des autoportraits d'Aline Kominsky, l'Aline de Crumb ressemble pour beaucoup aux autres géantes érotiques qui habitent l'univers de l'auteur depuis le départ. 6 Aline Kominsky fait cependant figure d’exception dans le champ du fanzine underground par la crudité et le caractère trash de ses planches autobiographiques. Elle fonde la revue Twisted Sisters, plus proche de son esthétique que Wimmen’s comix. Cette origine fonde la représentation du sexuel au féminin dans les pas d’une écriture autobiographique, mêlant désir de reconnaissance et militantisme politique.

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Illustration – Aline Kominsky, « Goldie, a neurotic woman » in Complete Wimmen’s comix, page 40

Paula Meadows et Giovanne Casotto, maîtresses du sexe

7 Alors que la décennie suivante voit des femmes se jeter et se projeter dans le genre pornographique dans la continuité des Manara, Götha et Varenne, la narration de type autobiographique semble s’amenuiser au profit de biographèmes maquillés par la fiction, et la composante politique militante semble totalement disparaître. Giovanna (2011) déclare « [se sentir] plus femminilista [notion intraduisible qui se rapproche de l’idée de féminité – ndlr] que féministe ! ». Cependant, les deux postures de Giovanna et Paula sont particulièrement originales et n’ont rien à envier aux scénarios retors de Milo Manara. Avec Sophisticated ladies publié en 1990 dans le mensuel « Bd adult’ », Paula Meadows réinvestit son passé d’actrice X dans sa passion pour le dessin : elle fait part de son attrait pour le BDSM en se peignant fidèlement dans une aventure qui ressemble à s’y méprendre à l’Histoire d’O de Pauline Réage (1954). L’héroïne a un métier, elle est artiste peintre et couche avec ses modèles, puis se fait piéger par un couple dominateur et profite, spontanément, de leur forte demande sexuelle. Elle décide de s’enfuir en particulier au moment où elle découvre des portraits de ses parents s’adonnant à des pratiques SM (voir illustration 2). Ce retournement freudien légèrement comique doit être pris au sérieux : l’autrice solde ici son passé, en montrant comment ses pulsions sexuelles sont l’héritage d’un conflit intime antérieur. Dans cette bande dessinée, Paula Meadows parvient à toucher du doigt la composante existentielle de la pratique du BDSM et contrairement à ne nombreuses productions dessinées, ce n'est pas une simple élaboration esthétique destinée à répondre en surface à des catégories commerciales et éditoriales. Il est rare de trouver un tel degré d’élaboration intime dans des bandes dessinées ouvertement pornographiques.

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Illustration – Paula Meadows, Sophisticated ladies, pages 34 et 35

8 Giovanna Casotto, elle, propose des histoires courtes dont elle incarne systématiquement le personnage principal. Les histoires ne sont jamais tristes et finissent presque toujours bien pour la protagoniste. Elles fonctionnent sur le mode du retournement comique, en se développant à partir de schémas narratifs de type vaudevillesque : un mari, sa femme, un amant. La femme fait toujours preuve d’ingéniosité pour gagner sur les deux tableaux, bien qu’elle doive mentir ou cacher à l’un ou à l’autre. Elle est presque toujours gagnante, obtenant satisfaction, maîtrisant le rapport sexuel ou faisant mourir de désir son partenaire. De ce point de vue, Giovanna ou son avatar ainsi que Paula sont des personnages-actants sur lesquels repose le cours du récit.

9 Les autrices ainsi « actorialisées » (Thierry Groensteen, 2011), en se représentant, introduisent une originalité dans le récit pornographique tout en adoptant ses codes esthétiques et graphiques. Bien que dans Le parfum de l’insivible (1997) ou Le déclic (1984) Manara se centre sur un personnage principal féminin, se cache toujours derrière elle un marionnettiste masculin qui a souvent les traits du dessinateur transalpin et dont le but est de réaliser ce qui est alors dépeint comme le fantasme masculin par excellence: une femme satisfaisant à toutes les commandes sexuelles d’un homme. Là où les « maîtres » du sexe mettent en scène une femme, les autrices se représentent comme maîtresse dans la relation et dans la création. Il n’est pas anodin que ces BD paraissent au moment où le débat sur le féminisme pro-sexe a lieu de l’autre côté de l’Atlantique, mais aucune des deux auteurs ne s’en revendique. Paula Meadows, tout comme Ovidie, était performeuse avant de passer de l’autre côté de la création, et Giovanna Casotto, en prenant appui sur un corpus de photos d’elle-même pour composer ses histoires, opère des performances sexuelles et graphiques publiques. Par ailleurs, Giovanna Casotto entretient un trouble éloquent entre son avatar et sa persona d’autrice (2011), nourrissant l’une de l’autre, et donnant d’elle l’image d’une femme à la sexualité riche et assumée : « En somme, tout ce qui me concerne transpire l’érotisme. Je m’en suis

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totalement imprégnée et quand je le peux, je partage cette passion avec autrui pour la disséminer le long de chemins de traverse, par le biais de mes dessins. » Ces créations dénuées de militantisme font l’apologie d’une sexualité libérée, mais individuelle, à la recherche d’un bien-être et d’une harmonie entre les pulsions sexuelles, le corps et l’esprit.

Fraises et chantilly : l’érotisme « girly » des autobiographies sexuelles (2000-2010)

10 Est-ce l’absence d’un débat sur la pornographie au sein du champ du 9ème art, autre que celui de la censure, qui a confiné la production pornographique à s’identifier au masculin par la suite ? Dès les années 70 les féministes du 9ème art avaient pourtant déjà violemment critiqué la pornographie au masculin, violente et viriliste (Leconte, 1977) et enjoignaient les autrices à prendre part activement à cette création. Si certaines se sont intéressées à l’écriture pornographique, parfois avec brio et esprit critique (voir illustration 3), peu ont suivi le chemin d’Aline Kominsky, puis de Giovanna Casotto et Paula Meadows en osant faire de leur corps un espace de création.

Illustration – Fevre & Clodine, « Fantasme et réalité » in Ah ! Nana n°8

11 Dans un genre éditorial miné par une dichotomie commerciale entre les rayonnages érotiques de la Fnac proposant les « maîtres » de l’érotisme et une production confidentielle et trop spécialisée comme celle des éditions Tabou et Dynamite, on trouve cependant une démarche originale de la part d’autrices de bd telles qu’Aurelia Aurita et Sibylline qui, comme un retour aux sources, mêlent autobiographie et pornographie, dans des styles jugés féminins ou pour ainsi dire « girly ». Si Sibylline ne propose pas d’autoreprésentation, Aurelia Aurita fait le récit de sa relation avec l’auteur-personnage Frédéric Boilet en se concentrant sur les aspects sexuels. En accord avec l’horizon d’attente du titre Fraise et chocolat elle mêle postures enfantines et contenu tabou réservé aux sites pour adultes. Se présentant comme « exploratrice du

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sexe » elle ne se montre pas pour autant défricheuse, l’avatar mignon étant ainsi souvent en posture d’apprentissage, face à celui qui a déjà eu de nombreuses conquêtes et en fait part dans ses ouvrages. Dans cette pornographie féminine qui se développe à l’image d’Aurelia Aurita on trouve peu d’autoportrait, mais peut être beaucoup d’allusions autobiographiques voilées, et surtout, une volonté de faire redescendre l’héroïne des fictions pornographiques sur terre, en la conformant au codes de la normalité. Dès lors, l’héroïne de La comtesse d’Aude Picault par exemple, n’est finalement, graphiquement et dans ses désirs, qu’une lointaine parente de l’autrice dans Moi je (2005). S’émancipant du genre pornographique, ces autrices libèrent également ce rapport stéréotypé de la créature au créateur, et redéfinissent les contours de l’autoreprésentation : leurs fictions pornographiques composent bien avec « une fantasmatique intime » mais plus quotidienne, plus réaliste et peut-être moins transgressive.

« Je » jouit : dessiner le désir à la première personne, un enjeu narratif

12 L’enjeu autobiographique parcourt souterrainement la pornographie féminine à travers l’ancrage underground de l’autoreprésentation. Beaucoup d’autrices n’ont pas pris ce parti, comme Melinda Gebbie avec ses Filles perdues (2008). Mais lorsque l’on s’attarde sur des autrices spécialistes du domaine pornographique, comme Giovanna Casotto ou Paula Meadows, le phénomène est prégnant. L’enjeu narratif d’un récit pornographique à la première personne repose sur un rapport plus ou moins assumé entre la fiction et les biographèmes, tendant à construire une persona d’auteure, tour à tour narratrice, actrice ou plus rarement figurante.

« moi-je », l’adhésion autobiographique des confessions sexuelles

13 D’Aline Kominsky à Aurelia Aurita, un trait peut être établi dans leur volonté respective de faire de la porn-autobiographie ; cependant des années 70 aux années 2000 quelques inflexions ont profondément changé la représentation sexuelle. A regarder les planches de « Goldie », il n’est de pornographique que la dimension explicite du propos sur la sexualité, la nudité des corps, la peinture de pulsions érotiques protéiformes : aucune mise en scène du corps ne semble s’offrir au désir du lecteur, et il n’est en aucun cas question de l’assouvissement plaisant d’un fantasme. Le corps est globalement désérotisé jusqu’ à susciter la répulsion traduisant le dégoût de la narratrice pour elle- même, et par un effet domino, sentiment lui-même suscité par le regard d’autrui (voir illustration 4).

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Illustration – Aline Kominsky, « Goldie a neurotic woman » in Complete Wimmen’s Comix, page 41

14 L’avatar d’Aline est la projection sensible tant d’un point de vue psychologique que graphique de la conscience de son corps. La labilité de sa plastique révèle les écueils du désir, ses pièges sociaux et politiques, et le risque qu’elle court à se perdre dans le regard des autres – malaise qu’elle relève en particulier à la puberté – c’est-à-dire, à voir s’estomper les frontières de son identité. Le désir sexuel et son assouvissement ne se révèlent pas bénéfiques, bien au contraire, ils dévoilent la profonde solitude et le sentiment d’a-normalité de la jeune femme. Ce choix esthétique traduit la réflexion sociale et morale qui sous-tend la naissance de la production underground et son esthétique générale. Comme le dit Jackie Ruddock (2013) dans son article sur la représentation sexuelle non standardisée dans les comics des années 70 : « Therefore some comics – texts which are acutely aware of their tenuous social position […] – might be yet another locale for thinking through sex in the queerly ethical way Warner had in mind: In those circles where queerness has been most cultivated, the ground rule is that one doesn’t pretend to be above the indignity of sex ... The rule is: Get over yourself [because] if sex is a kind of indignity, then we’re all in this together. And the paradoxical result is that only when this indignity of sex is spread around the room, leaving no one out, and in fact binding people together, that it begins to resemble the dignity of the human. » 15 D’une certaine manière, Aurelia Aurita perpétue cette tradition dans Fraise et Chocolat, où le corps de l’autrice se dépouille également des atours d’un érotisme tapageur au point même qu’il pourrait ressembler à un corps de petite fille. Cette désérotisation du corps irait dans le sens d’une lecture ironique visant à démystifier le romantisme d’une histoire d’amour telle que l’écrit son compagnon Frédéric Boilet. Ainsi, sous couvert d’une simplicité et d’un retrait de l’érotisme, l’histoire relaie pourtant les étapes d’une exploration sexuelle qui confine aux catégories du hard : sodomie et bondage par exemple. Il n’est de relation si amoureuse soit-elle qui n’échapperait alors aux topoï du

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cinéma pornographique. L’humour qui parcourt la bande dessinée rappelle à sa trivialité et à « l’indignité » le corps dans ses ébats: rougeurs, sueur, postures inélégantes. Tout se passe comme si la parfaite identité entre la narratrice et l’autrice tant du point de vue de l’identification que du point de vue du contenu narratif, excédait les cadres stricts de la pornographie : désérotisation des corps, regard critique, caricature, et conséquemment dissemblance avec le corps de l’auteure. Conformément au propos de Jean-Christophe Menu (2009, page 10), pour ces autrices, s’auto- représenter est dessiner un « symbole, un condensé hiératique » et cet avatar- archétype permet la dérision, autorise un regard amusé voire satirique sur les relations amoureuses.

moi-elle : briser les frontières de la fiction

16 L’autoreprésentation mimétique n’interdit pour autant pas toute forme d’humour: Giovanna Casotto et Paula Meadows donnent d’elles-mêmes des autoportraits à l’esthétique mimétique assumée, sans que ni l’une ni l’autre n’hésite à proposer des histoires comiques. Cependant, le ressort comique ne repose pas sur une visée caricaturale, facilement auto-critique, mais davantage sur la narration dont, nous l’avons vu, les avatars des autrices ont la maîtrise. La singularité de ces autrices repose sur la confrontation entre une fiction pornographique et un effet de réalité dans la mise en scène de la persona. En effet, il y a un effet de discordance entre la fantaisie du contenu des récits de ces deux autrices (Giovanna touche à la science-fiction et au fantastique) et l’intérêt anatomique porté à leur corps. La présence de l’autrice opère comme une performance sexuelle et graphique, faisant évoluer son avatar dans des univers qu’elle crée pour elle.

17 Ces performances, en particulier celles de Giovanna Casotto, autorisent une réflexion éthique sur la pornographie car si elle suscite une image du corps de la femme, plus idéalisé, plus figé et qui n’est pas indexée sur un donné autobiographique, elle se joue également des stéréotypes de genre. Tout d’abord Giovanna Casotto extériorise son personnage et le met à distance : dans ses discours paratextuels, elle en parle à la troisième personne du singulier et dans ses BD elle invite également le corps de ses amies. Cette mise à distance autonomise la persona qui devient personnage, et devient également le lieu de projections: Giovanna Casotto soutient que ses « femmes » ne sont pas des objets sexuels, ou le sont mais avec jeu et ironie. Quand Giovanna travaille la surface des représentations, Paula Meadows, elle, fouille les profondeurs dans une démarche plus proche de l’autofiction, où selon Doubrovsky (1977) le « moi » est travaillé, recomposé, analysé. Le travail de Giovanna Casotto se rapproche des performances de genre, où des femmes à la féminité outrée surjouent la comédie sociale de leur sexualité. 18 La limite de leur entreprise tient sans doute au cloisonnement du genre pornographique comme objet éditorial et champ culturel défini. En effet, les pseudonymes féminins sont nombreux dans les ouvrages pornographiques, et quand ce ne sont pas des masques pour cacher un auteur masculin, ils participent d’un lourd effet d’anonce, reconduisant des stéréotypes sur le féminin. Une confession érotique féminine gagne en attrait car elle pourrait enfin le voile sur le plaisir féminin construit comme un mystère. Olivier Bessard-Banquy dans son ouvrage sur la littérature contemporaine pornographique (2010) signale comment la pornographie féminine a

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gagné la littérature blanche sous la forme de confessions sexuelles, devenant alors un produit d’appel pour les maisons d’éditions généralistes. 19 Le corps des autrices est-il alors également instrumentalisé à des fins publicitaires ? Il est vrai que Giovanna Casotto se met sous la férule d’un scénariste, mais plus encore l’entrée de Paula Meadows en pornographie se trouve fortement encadrée par son mentor, Erich von Götha et son éditeur (voir illustrations 5 et 6).

Illustrations 5 et 6 – Paula Meadows, Sophisticated ladies, préfaces de Bernard Joubert à gauche et d’Erich von Götha à droite.

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20 Il faut souligner dans la rhétorique de Götha, à quel point le lien est fait entre l’autoreprésentation et l’auto-érotisme : ce lien représenté dans la figure narcissique du miroir serait le ferment du désir de projection du lecteur et de son désir en général. Le corps de l’autrice serait davantage - dans un effet de miroir - le support de projections masculine que l’expression d’une individualité pleine et entière. Enfin, dernière limite de ce dispositif : si l’avatar « moi-elle » permet toutes les expérimentations possibles en terme de scénario, de travestissement et de fantaisie, elle est également une marque de clôture. Ce corps-signature, gage d’authenticité et d’authentification, fait d’elles des autrices de désir autant qu’il suscite un désir d’auteure, faisant courir le risque de figer la création dans une certaine forme de ressassement allant jusqu’à la lassitude, phénomène que montre Laurent Gerbier dans le domaine de l’autobiographie en bande dessinée (Alary, 2015). Peut-être que Giovanna Casotto, dans la prolifération de ses nouvelles dessinées, et de ses saynètes aux schémas, certes jouissifs, mais répétitifs, courrait ce risque.

moi ?

21 Le poids de l’autoreprésentation dans la tradition du récit pornographique en bande dessinée suscite le désir d’auteur et fait miroiter au lecteur des portrait obliques à chaque coin de case, en particulier lorsque les autrices entretiennent des rapports étroits entre autobiographisme et pornographie comme Aude Picault. Pour les autrices il s'agit aussi un moyen de détruire les images stéréotypées et aliénantes des féminités impossibles de la pornographie. Pour Aude Picault, par exemple, il était important que la Comtesse de son opuscule ressemblât à une « fille normale » (Oosterlinck, 2011) et les parentés avec le corps de « moi » dans Moi-je sont frappantes (voir illustrations 7 et 8).

Illustration 7 – Aude Picault, Moi-je

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Illustration 8 – Aude Picault, Comtesse

22 Paradoxalement, ce dispositif pourrait paraître plus normatif encore, car il modèle sur le corps prétendument « normal » de l’autrice qui est une norme décrétée arbitrairement. Néanmoins elle a le mérite de tenter de faire jaillir le désir d’un corps apparemment moins spectaculaire que celui des performeuses des 9ème et 7ème arts. D’un point de vue esthétique, cependant, cela indique un tournant dans la conception de la mise en scène du désir : au lieu de se former sur la fantaisie perverse d’un esprit malicieux, la pornographie féminine se construit, chez cette auteure, sur le gage d’authenticité des expériences érotiques : un réalisme intérieur prend le dessus sur une anatomie virtuose et des architectures fantasmatiques. L’autrice persiste à entretenir le trouble entre réalité et fiction qui indique que la représentation érotique serait abreuvée par l’idée d’un vécu. L’authenticité du contenu de l’expérience érotique prend également le dessus sur la ressemblance graphique, le postulat de cette autoreprésentation pornographique est le suivant : le mimétisme est intime et non narcissique.

Incarner son corps, incarner son style ?

23 La façon de se peindre en être de désir permet de penser la pornographie dessinée : dans ce conflit entre ressemblance et authenticité, le style graphique délivre un discours sur le corps, celui-ci renvoyant à un univers, des références et un rapport au monde et à la création. Jean-Christophe Menu (2009, page 11) souligne à juste titre : « C’est le trait et le style qui sont en mesure de donner de la consistance à ce « moi de papier », et non la ressemblance […] [J’incarne très peu mon corps.] Mais en contrepartie, mon trait est incarné. […] Mon trait est-il mon véritable corps ? ».

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Une ressemblance problématique : la laideur comme réflexion

24 Dans le champ que nous analysons, seule Aline Kominsky accepte de proposer un portrait véritablement repoussant d’elle-même : ce faisant, elle rompt avec les partis pris esthétiques d’une Trina Robbins, avec laquelle elle était en désaccord sur la représentation du féminin et qui réinvestit le dessin de pin-up afin de le détourner pour proposer des récits de femmes puissantes. Aline Kominsky se fonde sur des représentations plus proches de l’esthétique de Zap comix, ce dessin potache des marges de cahier, elle s’approprie un style underground où l’harmonie des corps, les règles de la perspective et les notions de décence ne sont absolument pas respectées. La laideur de son corps est autant un effet poétique qu’un manifeste esthétique. L’effet poétique consiste à proposer le corps comme reflet, et non pas comme donné anatomique, or le reflet social du corps de Goldie dans l’Amérique consumériste et standardisée des années 60 la fait saillir comme un furoncle qui grossit et se métamorphose au gré de ses transgressions et de l’intériorisation de son statut de marginale. Ce que la poésie underground du corps nous dit dans cet autoportrait en éléphant (voir illustration 4) c’est qu’il s’agit moins de dessiner trash pour choquer, pour détruire ou blasphémer que pour révéler à quel point ces images ordurières sont le fruit même des contraintes sociales d’une Amérique hypocrite et pudibonde. L’autoreprésentation est davantage politique dans ces planches où le récitatif parmi ces images disparates tente de créer le lien narratif autour de la figure énonciative du « je » (première personne du singulier) à l’identification problématique. La diversité des images d’un soi toujours transgressif trouve son explication dans cet autoportrait à la courgette, où le personnage principal se demande si elle n’est pas complètement folle, et seule à pratiquer cet auto-érotisme déviant : or, la possibilité de trouver la cohérence dans l’instabilité d’un moi malmené par le regard social, se trouve dans la linéarité du medium séquentiel, faisant le récit d’un « je » problématique, et assumant dans ce genre aux apparences modestes, la modestie d’une laideur banale et quotidienne.

Subvertir le style mâle dans les récits féminins

25 Là où Aline Kominsky proposait un style en adéquation avec sa trajectoire de dessinatrice amateure, et fidèle à la pulsation des émois de son avatar, les maîtresses du sexe tentent quant à elles de rentrer dans des canons au genre pornographique, se risquant à perdre en originalité graphique et créative. Giovanna Casotto et Paula Meadows adoptent un style graphique plus conventionnel, malgré l’originalité de leur démarche : leur dessin est académique, le découpage des planches peut également sembler classique. Un point les relie toutefois : l’usage du noir et blanc et des modelés en dégradés de gris. Ce choix se fonde sur un paradigme photographique, qu’il soit ouvertement revendiqué chez Giovanna Casotto ou reposant sur une technique graphique plus discrète chez Paula Meadows.

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Illustration 9 – Giovanna Casotto, Giovanna ! Si !

26 Poussé à l’incandescence chez Giovanna Casotto le choix d’une chair grise peut au premier abord sembler anti-érotique, d’autant que les codes pornographiques reposent davantage sur la couleur rose, prototypiquement attachée à la peau nue et aux organes génitaux. On peut expliquer le phénomène de plusieurs manières : dans le cas de Meadows, peut-être que la première publication de Sophisticated ladies dans des revues spécialisées, mais de petite envergure ne permettait pas une publication en couleurs, trop onéreuse. Par ailleurs, les planches ayant été détruites, il aurait été par la suite été impossible de les re-coloriser. Chez Giovanna Casotto, il semblerait que ce soit un choix esthétique délibéré. Rompant avec la tradition picturale de la Renaissance italienne et l’idéal de la mollesse des chairs et de la sensualité de la carnation, la morbidezza (Nadeije Laneyrie-Dagen 1998, page 137) ce choix a des implications esthétiques fortes. Manara qui se veut héritier du prestige de la Renaissance italienne a repeint ses planches érotiques et travaille l’aquarelle pour parvenir à cet effet de délicatesse de la chair. Au contraire, les chairs grisées se parent d’un voile d’irréalité, d’une plastique sculpturale presque frigide : les joues ne rosissent pas, les sexes ne se gorgent pas de sang ; la physiologie du corps est débarrassée de ses humeurs, exception faite du sperme et peut-être d’un peu de salive. S’il arrive qu’un corps saigne, c’est que Casotto est entrée dans le genre du polar. Les corps de Giovanna sont des sculptures qui accrochent la lumière, mais la chair est incolore : elle semble digne et toujours saine, bien qu’un peu angoissante dans sa fixité. L’esthétique de soi se fait à l’inverse de la poésie trash de l’ underground. Le corps est magnifié et partant, presque abstrait. Les aspérités que représentent les poils abondamment présents dans ses BD – incongrus dans une production pornographique plus standardisée – sont intégrés à cette esthétique grise- argentée, et trouvent leur place dans la célébration du corps de l’auteure assumé et libre ainsi artificialisé. De même les lèvres de l’auteure, souvent d’un rouge vernissé, ne déparent pas ce corps devenu archétype.

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27 La rupture avec les couleurs, et notamment le rose, participe également d’un refus d’une esthétique considérée comme trop féminine, fait que souligne la postface anonyme de Giovanissima (Casotto, 1998) : « son trait vigoureux et puissant pourrait presque être défini comme « masculin » (c’est évident par exemple dans le contour net, dans le sens plastique des volumes, dans les rendus des muscles, dans les types d’ombres et de nuances) ». Jusque dans la représentation plastique de son propre corps, Casotto cherche à subvertir les codes d’une esthétique pornographique mâle, de même que le modèle de la pin-up créée par et pour des hommes, qui détone avec beaucoup de malice dans ces récits renversant les rôles de genre traditionnels.

Illustration 10 – Giovanna Casotto, Oh Giovanna ! 2006

28 Meadows, elle, s’inspire d’une pornographie intellectuelle à la fois littéraire (Histoire d’O est le sous texte de Sophisticated ladies), ainsi que graphique, puisque les grandes adaptations de ces textes canoniques reviennent en bande dessinée à Guido Crepax avec Emmanuelle (1978) et Histoire d’O (1975). L’architecture graphique et sophistiquée de la planche rappelle en effet la filiation crepaxienne, bien que le découpage reste sage par rapport aux audaces du dessinateur italien. Les deux autrices se retrouvent dans des postures à la fois subversives et sérieuses, malgré la dimension comique qui pointe chez l’une comme l’autre.

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Invasion du girly dans la pornographie : quelles conséquences ?

Illustration 11 – Aurelia Aurita, Fraise et Chocolat

29 A contrario, le dessin girly d’une Aurelia Aurita ou d’une Aude Picault, est-il le signe d’un manque de sérieux ? L’autoreprésentation ludique et modeste de ces deux autrices se font l’écho d’une réflexion sociale et politique sur la pornographie, tout comme dans les années 70s Aline Kominsky traitait avec dérision de problèmes sérieux. Si l’on s’appuie sur cette planche d’Aurelia Aurita dans Fraise et chocolat, on note une rhétorique de l'immédiateté entre l’acte, l’effet et le commentaire : le contour des bulles s’estompe, et contrairement à Meadows, l’architecture de la planche disparaît au profit d’une page flottante, où le regard peut errer d’une image à l’autre dans une continuité qui n’est plus celle dictée par un découpage séquentiel classique. Les pensées de la narratrice actorialisée ne correspondent ni à une situation ni à une autre, elles se dégagent librement de l’action parcellisée représentée sur la planche : le dispositif souligne la continuité quasi-organique du texte et de l’image. La réversibilité des deux matériaux graphiques fonde une narration sensible, ayant le souci de relayer l’immédiateté de l’impression, mimétique de la sensation tactile : le moindre contact entre les amants révèle ainsi des questionnements spontanés mais non pas moins sérieux. Le dévoilement du torse de l’amant soulève dans les pensées de l'autrice dessinée leur différence d’âge. La présence organique de l’autrice dans ses gestes, sa figure et ses pensées restituent une individualité pleine et entière dans un genre critiqué pour la déshumanisation qu'il à des corps-machines dont on nierait les affects et la dignité (Sandra Laugier, 2005). Dans la critique qu’en font McKinnon et Dworkin, la pornographie nierait à la femme la dignité d'être de verbe, capable d’affirmer et de dire, or, dans cette esthétique de l’immédiateté, Aurelia Aurita prétend lier acte de chair et acte de verbe dans un continuum entre dessin pornographique et parole personnelle. Et c’est en empruntant son style graphique au genre autobiographique : ce

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corps plus « symbole » (Jean-Christophe Menu, 2009) que mimétique, cette plastique ronde et enfantine familière aux lecteurs de blog-bd, qu’Aurelia Aurita fait trembler les codes du genre pornographique en offrant son avatar comme terrain d’expérimentation des tropes pornographiques (sodomie, fellation) qu’elle tente à son tour de démystifier. En ce sens elle rejoint la posture première des féministes américaines et d’Aline Kominsky, le style graphique trash en moins.

Illustration 12 – Aude Picault, Comtesse

30 Aude Picault, elle, propose un récit sans parole dans la collection « BD Cul » initiée par Les Requins Marteaux renouant avec la nostalgie des formats poche de la bande dessinée porno bon marché. Le style graphique de la Comtesse consiste en un trait continu et bleu différant légèrement du style graphique habituel de l’auteure, qui dessine en noir. On peut l’interpréter comme une variation autour du style « interdit » de la pornographie : la littérature dite « rose », se métamorphose en bande dessinée « bleue ». Cette couleur réfère aussi à l’époque invoquée : de manière assez attendue, le 18ème siècle libertin devient le théâtre des passions sexuelles des protagonistes. Plus que du libertinage noir de Sade, la comtesse vit un libertinage léger, tel que notre époque le fantasme au travers des représentations mignardes des peintres précieux comme François Boucher et Jean-Baptiste Greuze. La transgression – temporaire – de la hiérarchie des états au sein de l’espace du château renvoie également à l’héritage du théâtre du 18ème siècle de Beaumarchais et Marivaux ; en somme, elle réinvestit tous ces mouvements parallèles qui insufflent au siècle des Lumières ce que Jean Starobinski appelle « L’invention de la liberté » dans l’ouvrage du même nom (1964). Le récit se pare d’un féminisme en demi-teinte où l’héroïne trouve sa liberté dans l’absence du mari, dans la transgression des barrières sociales mais également dans une rêverie érotique où les matières répondent à des parties du corps et où le décor naturel est propice aux élans du désir. Si ces éléments peuvent dresser le portrait d’une érotique féminine stéréotypée : présence de la nature, sensualité exacerbée (Marie-France Hans & Gilles Lapouge, 1980) l’originalité de l’entreprise d’Aude Picault est de nouer cette

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esthétique «girly » à une représentation profondément crue et explicite de la sexualité. Aucune partie du corps n’est cachée, de longues stases graphiques et des planches de pleine page nous plongent dans l’intimité des organes. Son dessin métaphorique opérant des correspondances avec la matière du monde rappelle l’entreprise d’Araki à l’époque contemporaine. Le pot de confiture devient un sexe béant où l’on aime à passer le doigt, le dos qui se penche offre les fesses à la pénétration même la plus bestiale. Ainsi le dessin souple et libre prend ici tout son sens, il importe les codes « girly » dans la bande dessinée pornographique et par son pouvoir de simplification et de synthèse il métamorphose le décor pour laisser libre cours à une pornographie totale, où tout devient objet de désir. En cela l'obliquité de l'autoportrait de l'autrice affecte la posture générale de l’artiste par rapport à la pornographie : le désir se dessine dans le détour, qu’il soit historique, esthétique ou métaphorique. Imposant ainsi les codes du journal intime féminin dans le graphisme porno, Aude Picault contribue elle aussi à le renouveler. Entre canon et marginalité, l’autoportrait pornographique au féminin contribue à dépoussiérer les formes d’un genre très souvent attaqué pour sa complaisance à l’égard des stéréotypes et des images figées. Hybridant le sexe entre œuvre à consommation érotique et confession autobiographique, l’autoportrait féminin questionne aussi la dimension politique et sociale d’un genre problématique.

Illustration 13 – Aude Picault, Comtesse

31 J'aimerais ainsi conclure sur les étonnants transferts que suscitent les apparitions d'autrices dans la BD pornographique. Subvertissant les codes traditionnels de la pornographie, déjouant les attentes du lectorat, important de nouveaux codes et affirmant la place et l'autorité de la femme dans la relation au corps pornographique, ces autrices ont un discours singulier sur la pornographie et lui assignent des fonctions originales. Il faut noter comment chez Giovanna Casotto l'autoreprésentation et le portrait pornographiques sont des actes de chair et de care susceptible d'apporter une forme plaisir non érotique, ainsi que le medium d'une possible sororité dans la

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pornographie (Casotto, 2011) :« Être dessinée par une femme, dessiner des femmes : qu’est-ce que cela signifie ?[Sarah Rania] Au risque de vous paraître naïve, j’ai toujours cru à la solidarité entre femmes. Je déteste la rivalité, j’ai toujours essayé de la combattre, même si cette volonté de m’y soustraire m’a value [sic] de bien mauvaises expériences, et m’a souvent meurtrie. »

BIBLIOGRAPHIE

CORPUS

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OUVRAGES ET ARTICLES DE REFERENCE

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Ruddock, Jackie. ‘Depicting ordinary And nonstandard intimacies in public: Sex, romance and humour in women’s porn comics’ in Intensities. The journal of Cult Media, July 22, 2013, Issue n°5, URL de reference: https://intensitiescultmedia.files.wordpress.com/2013/07/depicting-ordinary- and-nonstandard-intimacies-in-public-sex-romance-and-humour-in-women_s-porn-comics- jackie-ruddock.pdf

Warner, Michael 2000. The Trouble With Normal: Sex, Politics, and the Ethics of Queer Life (Cambridge Massachusetts: Harvard University Press)

RÉSUMÉS

Quand des autrices s’emparent du genre pornographique, que se passe-t-il lorsqu’elles décident de s’y dessiner? Dans un genre qui suscite une projection fantasmatique de soi, les autrices délivrent également de leur statut dans des autoportraits frontaux ou obliques. Des bandes dessinées féministes des années 70 à la production contemporaine, les corps actorialisés des autrices ne sont plus simplement des objets de performances sexuelles. Conférant une matière nouvelle aux récits pornographiques, l’autoreprésentation est aussi une signature singulière dans un champ paradoxalement marginal et stéréotypé. Entre réinvention de soi, confession, ou tentative de métamorphose, la figure auctoriale est tout à la fois problématisée et affirmée. Les trajectoires de ces autrices dévoilent également en creux une petite histoire du genre pornographique dont la composante originelle, la transgression du tabou sexuel, se trouve dans les productions contemporaines, disséminée dans les genres autobiographiques.

What happens when feminine authors investigate porn-comics and draw themselves in it ? Self- depiction of feminine authors conveys something original in a field where it usually is a way to express a private fantasy. From feminist comics of the 70s to the most recent porn comics, authors’ bodies are not sex objects anymore, they are the subject of a narration. Self-depiction is a new material for porn-comics and gives sincerity to the stories, it may be a way to express political views. Self-fantasy, sex confession or physical metamorphosis are the multiple ways self-depiction provides the feminine author to strengthen her authorship. Implicitly those self- depicted porn-authors draw up an inventory of the porn-comics genre : while the explicit content tends to invade others genre, pornography is more and more akin to intimate autobiographies

INDEX

Keywords : pornography, erotics, comics, underground, feminist studies, gender studies, autobiography, self-depiction, self-portrait, body, humor Mots-clés : pornographie, érotisme, bande dessinée, underground, fanzine, féminisme, autobiographie, autoportrait, autoreprésentation, corps, esthétique, humour, genre

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AUTEUR

IRÈNE LE ROY LADURIE

Université de Bourgogne, laboratoire CPTC, école doctorale LECLA

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Empowered et le pouvoir du fan service

Alexandra Aïn

Introduction

1 Le fan service est une pratique qui consiste à combler les désirs des fans, à leur faire plaisir, en ajoutant des éléments superflus à l’intrigue, tels que des références à d’autres séries ou bien des personnages dans des situations à connotation érotique. Ainsi, le fan service qualifie de manière globale un « service » rendu aux fans en leur donnant ce qu’ils attendent. Cette pratique peut servir à fidéliser l'audience. Inversement, le fan service peut être à double tranchant. Si sa présence est trop forte ou s'il est introduit dans un contexte qui ne s'y prête pas, il peut desservir l’œuvre et provoquer une réaction négative de la part du fan et lecteur.

2 Souvent associé à la culture japonaise (, manga), le fan service ne se limite pas à ce cadre et peut être associé à d'autres supports comme les comics. Ici, le fan service concerne surtout l'apparence de certains protagonistes féminins dont les costumes et les attitudes sont hyper sexualisés. Ainsi, certaines de ces tenues ont plusieurs fois été remarquées et dénoncées, notamment sur le site Hawkeye Initiative, comme incommodes, inadéquates ou hors de propos, et n’ayant d’autre but que celui de titiller le lecteur masculin hétérosexuel. Les héroïnes ou antagonistes féminines ne bénéficient pas forcément du même traitement que leurs homologues masculins. 3 Cette critique est importante car elle pointe des dérives dérangeantes et sexistes qui reflètent davantage un souci de plaire à un lectorat masculin qu’une prise en compte de l’intérêt de ces personnages. Certains auteurs se sont remis en cause en supprimant le procédé, quand d’autres, tel Adam Warren, s’en servent pour mieux le dénoncer en jouant avec les clichés du genre. Il en résulte Empowered, un comics dont le fan service, tel qu'il est utilisé par son auteur, est dérangeant et amène à se questionner sur son acceptabilité.

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4 C’est à travers l’étude du travail d'Adam Warren, et plus particulièrement de son comics Empowered, que nous examinerons cette question. En observant la façon dont l'auteur détourne le fan service, ainsi que l’ambiguïté de celui-ci, nous nous demanderons comment le fan service masculin et féminin est abordé dans cette œuvre, au travers de divers clichés, fantasmes mais également par le biais de la fan fiction et de la forte présence d'une imagerie érotique tirant sur le BDSM.

Adam Warren

5 Adam Warren est un auteur de comics américain qui officie depuis 1988 et dont la particularité est de mélanger les styles manga et comics autant sur le plan esthétique que narratif, avec des personnages et des références empruntés aux deux univers. En faisant côtoyer ces deux mondes, Adam Warren montre qu’il en maîtrise les codes mais plus encore, il se permet, à partir de là, de les déconstruire. Les œuvres qui l'ont influencé (Dirty Pair, Gunsmith Cats, Akira, Ghost in the Shell...) ont en commun de présenter des personnages féminins forts et complexes, loin de certains stéréotypes comme la demoiselle en détresse.

6 Il en résulte qu'une majorité des œuvres de l'auteur a pour héros principal une ou des héroïnes. Empowered, sa dernière œuvre originale en date, est issue d’une longue lignée d’héroïnes et d’influences diverses venues des mangas et des comics. Dans ce comics, qui compte actuellement neuf tomes chez Dark Horse (dont seuls quatre sont parus en français), nous suivons les aventures, ou plutôt les mésaventures, d'Empowered dite Emp (de son vrai nom Elissa Megan Powers), qui fait partie, en tant que membre associé, des superhomeys (traduit en français sous le nom de super bande), un groupe de super héros très populaire, principaux défenseurs de la ville. Le pouvoir de la jeune fille se trouve être son super costume, sorte de membrane qui lui colle à la peau, aussi puissante que fragile. En effet, au moindre accroc à son costume, notre héroïne est sans pouvoir. A partir de là, elle se retrouve souvent dans des situations délicates, mais elle s'en sort par d’autres moyens. En effet, elle utilise généralement sa tête plus que ses pouvoirs : souvent elle distrait les malfaiteurs en les apitoyant sur son sort, afin de gagner du temps jusqu'à ce que ses collègues interviennent. Elle essaie également de trouver des tactiques alternatives, de telle sorte que les truands abandonnent tout en la laissant à son sort. En définitive, le fait de ne pas être prise au sérieux par les malfrats lui permet de s'en sortir et de rester en vie car, pour eux, elle ne représente pas une menace. 7 Le comics Empowered est qualifié par son auteur de « sexy comedy », ce qui annonce d’emblée le contenu de l’œuvre et lui permet une grande liberté de ton. Le lecteur y retrouve bien des super héros, de la comédie et bien entendu des éléments sexy. Ce dernier point est surtout incarné par son héroïne principale : une jeune femme blonde plantureuse, gentille et un peu naïve, dont la tenue est aussi moulante que révélatrice et qui se retrouve souvent dans des situations à caractère coquin prompt à titiller le lecteur. Le fan service est bien présent, de manière graphique pour mettre souvent l’accent sur certaines parties du corps du personnage d'Emp, notamment son fessier, mais également par l’utilisation abondante de certains clichés, particulièrement celui de la demoiselle en détresse.

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Le fan service masculin

8 Le comics Empowered de Warren donne à voir divers clichés et fantasmes issus de la pornographie et des japonais. Ces clichés sont d’ailleurs présents dans d’autres œuvres de Warren antérieures à Empowered, comme Magical Drama Queen Roxy, œuvre qui reprend de manière parodique les personnages du comics Gen 13 sur lequel Warren a travaillé. Des stéréotypes tels l’infirmière, la bibliothécaire, la soubrette, l’écolière japonaise, la femme chat (nekomimi), ou encore la kunoichi (femme ninja) parsèment les œuvres de l’auteur. Incarnés par plusieurs personnages féminins, ils sont dépouillés de leur fonction première afin de les rendre plus érotiques que purement fonctionnels ; ainsi, ils sont censés plaire à un lectorat masculin hétérosexuel. Empowered, de plus, inclut des pratiques sexuelles spécifiques comme le bondage et plus particulièrement le shibari, l’art d’être attaché avec des cordes ou des chaînes.

9 Néanmoins, certains de ces clichés sont détournés, voire démontés, mis en parallèle avec d'autres clichés. Ainsi, dans Empowered, c’est un homme, Maidman (l’homme de ménage), qui endosse le costume de soubrette. Ce personnage, qui apparaît pour la première fois dans le volume quatre dans le chapitre « Of Maids and wet blankets » (soubrettes et torchons mouillés), est présenté comme un homme extrêmement musclé, engoncé dans un costume trop étroit et trop court, laissant apparaître ses dessous. Affublé de bas et de talons hauts, il n’a pour toute arme qu’un balai. Cependant, ses capacités physiques et son sens aigu de la justice compensent cet aspect incongru. Adam Warren tourne ainsi en ridicule le fantasme de la soubrette cher au fan service en réemployant certains procédés qu'il avait déjà utilisés dans d'autres de ses précédentes œuvres comme Magical Drama Queen Roxy. Si l’apparition de ce personnage remplit clairement une fonction comique, l’auteur parvient à le rendre plus crédible que l’image qu’il véhicule. En effet, contrairement à l’héroïne, jamais son apparence n’est remise en question ou n'est la cible de moqueries de la part des autres personnages. De plus, Maidman est représenté comme un héros compétent et redouté, malgré son absence de pouvoirs, mais il est également d’un soutien sans faille pour Empowered qu’il épaule régulièrement. 10 Ainsi, Adam Warren montre ici le grotesque du fantasme de la soubrette, en déplaçant une imagerie érotique (talons aiguilles, bas, jarretelles, jupe courte) typiquement associée à des personnages féminins, sur des personnages masculins; avant de s'intéresser à Maidman, l’auteur avait en effet déjà expérimenté ce procédé d’échanges de costumes entre personnages de sexes opposés dès le premier volume dans un court chapitre intitulé « All mine » (Rien qu’à moi). Dans ce dernier, un antagoniste masculin non nommé réussit à voler le costume de l’héroïne pour se l’approprier. Or, comme il l’a été maintes fois indiqué au préalable au lecteur, le costume qu’elle endosse est affreusement moulant, ce qui produit un effet particulièrement inesthétique sur un personnage de l’autre sexe. 11 L’auteur utilise les mêmes effets pour ce personnage masculin que ceux appliqués à son héroïne (brillance du costume, plans sur les différentes parties du corps, et notamment les fessiers). Les lecteurs habitués à voir des héroïnes en costumes seyants et révélateurs, peuvent se retrouver, comme Emp, rebutés, voire écœurés, devant un personnage masculin au corps serré dans ce genre de tenue. Cette situation, qui participe à l'humour de l’œuvre, permet également d'interroger la différence entre

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costumes masculin et féminin chez les personnages de comics, ainsi que la forte disparité entre hommes et femmes. Le fan service se trouve ainsi remis en cause. 12 Adam Warren semble vouloir montrer que ce n’est pas le costume qui fait le héros et que le lecteur doit voir au-delà des apparences pour se concentrer sur les compétences des protagonistes. L’auteur emploie un procédé similaire en revisitant le fantasme de l’infirmière dont il superpose les versions masculines et féminines. Adam Warren fait d’abord apparaître la version féminine du personnage de l’infirmière, dont l’apparence est sexualisée par des modifications du costume (jupe courte, décolleté, haut moulant) ainsi que par le recours à un trait et à une mise en page qui permettent de mettre en avant certaines parties du corps de son personnage féminin. L'aspect outrancier de ce costume est renforcé par la présence d’infirmiers masculins qui portent un accoutrement similaire.

Ill 1: Adam Warren, Empowered, Dark Horse Comics, Inc.

13 Autre exemple de cette sexualisation: Emp doit endosser la tenue de la bibliothécaire sexy dans le cadre de son travail afin d’appâter et de mettre hors d’état de nuire le super vilain Idea Man dans le chapitre « Smart Girl » (l’intello) du second volume. Dans le cas présent, l’héroïne doit, en tout point, répondre aux exigences spécifiques émises par le super vilain en question, exigences qui correspondent au cliché de la bibliothécaire sexy. Les réflexions d’Emp mettent en évidence le caractère irréaliste de sa tenue et son articulation avec l’imaginaire véhiculé par les films pornographiques. L’auteur indique, au travers des réactions des personnages témoins, qu’il n’y a que les protagonistes masculins pour trouver cette tenue séduisante et qu’ainsi l’héroïne est passée au crible de leurs regards. La mise en page s’arrête sur les diverses parties de son corps morcelé, faisant d’elle une femme sans tête et déshumanisée. Ces mises en scène renvoient au « male gaze » (le regard masculin), ce point de vue masculin implicite mais omniprésent, théorisé par Laura Mulvey en 1975. En effet, Laura Mulvey

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dénonce la façon dont sont mises en scène les figures féminines afin de satisfaire les pulsions voyeuristes du spectateur masculin. Comme nous l'avons vu, cette critique est prolongée, dans Empowered, par la transposition de ce « male gaze » à des personnages masculins.

14 D'autres éléments, dans Empowered, contribuent au rééquilibrage des représentations hommes/femmes. Il en va ainsi des rapports de l’héroïne avec son petit ami Thugboy (le Sbire). Thugboy s’est reconverti en homme au foyer dont l’activité principale est d’être un soutien psychologique sans faille pour sa compagne. Gentil et prévenant, il la rassure, la réconforte dans les moments difficiles, l’aide à prendre confiance en elle, lui voue une admiration et un dévouement exemplaires. Lors de leurs ébats amoureux, Emp et Thugboy revêtent chacun le costume qui fait fantasmer l’autre (la bibliothécaire pour le Thugboy, le spartiate pour Emp). Engagé dans la sphère du privé entre adultes consentants, le costume, montré dans d'autres circonstances comme humiliant, est réinvesti de manière positive. 15 Adam Warren, très influencé par la culture japonaise, se sert également de certains fantasmes japonais comme l’écolière, la nekomimi, ou encore de certaines pratiques comme le shibari. Le/la nekomimi, dérivée du mot neko (chat) et mimi (oreille), est issue de la production manga. La/le nekomimi est un personnage arborant des attributs de chats (oreilles et queue le plus souvent, avec parfois des griffes). Bien que n’ayant pas de genre spécifique, les nekomimis sont souvent des personnages féminins. Ce fantasme de la femme chat est présent dans Empowered et apparaît sous deux formes : sous les traits d'Ocelotina, une super héroïne féline, puis sous les traits d’Emp dans le chapitre « Schrödinger's Catgirl » (La petite chatte de Schrödinger). Ces apparitions félines sont à chaque fois questionnées par d’autres protagonistes afin de déterminer si l’image véhiculée est avilissante ou non, que ce soit pour les femmes ou les animaux. 16 Ocelotina, en particulier, retourne le potentiel avilissant de sa caractérisation. En effet, elle se sert de cette représentation, associée au bondage, pratique très fortement connotée sexuellement, pour vendre ses produits et gagner sa vie. L'aspect subversif du personnage d'Ocelotina trouve un écho dans les réflexions des personnages qui l'entourent. En effet, ceux-ci questionnent ce qui plaît au public masculin dans cette représentation, alors que tout semble fait pour apparaître dégradant. À travers les questionnements des personnages, l'"empowerment" d'Ocelotina interroge donc le lecteur, mais il touche aussi Emp. En effet, Ocelotina est une ancienne antagoniste (sinon la seule de sexe féminin) reconvertie en héroïne. Elle a été inspirée par le travail d'Emp à qui elle voue une grande admiration. Mais à la différence d’Emp qui subit, Ocelotina se sert des fantasmes masculins pour gagner sa vie, s'épanouir sur le plan personnel et devenir une héroïne populaire et riche. Quant à Emp, la référence au chat de Schrödinger sert à illustrer la perception contradictoire qu’elle a de son propre corps: elle se sent à la fois belle mais aussi hideuse et repoussante. 17 Une autre façon d'interroger la soumission sexuelle dans Empowered est le bondage. Pratique tirée du BDSM, le bondage est partie intégrante d'Empowered, voire sa marque de fabrique. Le comics explore plus spécifiquement un type de bondage emprunté à la culture japonaise : le shibari (attaché avec des cordes/chaînes). En effet, Emp, se voit régulièrement capturée et attachée de façon bien spécifique, notamment avec les mains dans le dos (ushiro takate kote shibari). À cela s'ajoute le komon sarashi shibari, à savoir l’exhibition indécente des femmes, dénudées avant d’être attachées (la nudité était considérée comme la pire des humiliations pendant l’ère Edo) et exposées en

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public. Le sarashi est un érotisme marqué par la honte. Emp est régulièrement déshabillée pour être dépossédée de ses pouvoirs et attachée ; elle est d'autant plus humiliée qu'elle a échoué en tant qu'héroïne auprès de ses pairs comme auprès du public. Mais l'aspect potentiellement érotique de cette situation est vite désamorcé par le fait que la honte subie par l’héroïne est présentée comme perturbante, pour elle comme, du coup, pour le lecteur. Il n’y a rien d’aguichant à la voir en larmes, son amour propre détruit. De plus, elle n’en tire aucun plaisir érotique.

Le fan service féminin

18 Si le fan service pour le public masculin occupe une grande place dans Empowered, l’auteur réserve aussi une place au fan service à destination d’un public féminin. Ce dernier est présent sous diverses formes : outre le fait qu'il montre régulièrement certains personnages masculins, notamment Thugboy, torse nu ou en sous-vêtements, Adam Warren utilise la culture alternative de la fan fiction et du yaoï, qui exposent les désirs et fantasmes féminins sous un angle plus psychologique que visuel.

19 La fan fiction ou fan fic désigne des fictions écrites par des fans qui s’appuient sur un univers issu d’une série TV, d’un film, d’un roman, d’un anime, d’un manga, d’une BD, ou encore d’un jeu vidéo. Elle a pour but de prolonger, d’améliorer ou de transformer l’univers de base créé par le ou les auteurs. La fan fiction peut être considérée comme du fan service dans le sens où elle est créée pour faire plaisir aux fans : ces derniers produisent du contenu qu'ils souhaitent voir. Pour les fans, la fan fiction n’est pas seulement une façon de s’approprier des univers qu’ils apprécient mais aussi le moyen, pour certains, de représenter, dans une communauté soudée, des individus marginalisés (communauté LGBT, femmes…). De nombreuses fan fictions se trouvent être à caractère sexuel, souvent homosexuel. Il s’avère qu’une majorité des personnes derrière la fan fiction sont des femmes1. Il en va de même avec le yaoï, qui est un genre du manga représentant des relations sexuelles entre hommes ; le yaoï est dessiné par des femmes pour des femmes, à l’inverse du bara qui est dessiné par des hommes pour des hommes. 20 Cette incursion dans cette partie de la culture japonaise se fait dès le premier volume d’ Empowered, son héroïne en est très friande, au même titre que d’autres personnages féminins de la série. En effet, Emp est une lectrice assidue de fan fiction, et notamment de slash2. La fan fiction slash questionne la masculinité des personnages, leur stature héroïque ainsi que les constructions de la sexualité masculine auxquelles les lecteurs sont habitués au travers des médias et de la pornographie (Jenkins 2013, p.188). 21 Mais Emp est également autrice. Ses écrits se concentrent particulièrement sur le Major Havoc (Major Ravage), un de ses collègues masculins, décrit comme odieux et désobligeant à son égard. L’écriture permet à Emp de mettre en scène et de s’approprier un personnage qu’elle n’apprécie pas et sur lequel elle projette ses fantasmes, comme de le voir se faire humilier symboliquement lors d’actes homosexuels fictifs. Il y a donc un revirement de situation. Ainsi, en tant qu’héroïne, Emp est généralement sujette au mépris de ses collègues masculins, tout en étant un objet de fantasme pour eux. Dans l’univers de la fan fiction, c'est au tour de ces personnages masculins de devenir des objets de fantasmes. 22 Il s’avère également que le Major Havoc écrit des fan fictions sur sa propre personne afin de se glorifier, notamment sexuellement. Cependant, son intrusion dans cet

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univers ne se fait pas sans heurts car elle est très mal reçue par la communauté qui lui reproche de n'avoir pas compris l’essence de son propre personnage ainsi que son homo-érotisme sous-jacent. L’un de ses détracteurs les plus virulents est en réalité Emp. Que ce soit par la lecture ou par l'écriture, la fan fiction est ici présentée comme un moyen d’évacuer des frustrations, qu'elles soient morales, dans le cadre du travail, ou sexuelles, lorsque l’héroïne est en froid avec son petit ami. La fan fiction est généralement perçue comme de la pornographie pour femmes. Elle permet à ces dernières d'explorer les désirs et fantasmes féminins de manière alternative à travers des relations « hors-normes ». Néanmoins, les écrits de l’héroïne restent au stade de la fiction et n’ont pas d’impact réel sur les personnes concernées contrairement à la chosification qu’elle vit au quotidien. 23 De ce point de vue, l'ambivalence du recours, par Emp, à la fan fiction, se retrouve dans l'utilisation qu'elle fait du yaoï. Les mangas yaoï présentés dans Empowered mettent en scène des héros masculins dans des actes sexuels entre hommes très codifiés avec dominant et dominé. Emp se sert de ces œuvres comme moyen de représailles contre ses collègues masculins afin de leur montrer comment ils peuvent, comme elle, être représentés et traités comme des objets sexuels.

Ill 2: Adam Warren, Empowered, Dark Horse Comics, Inc.

24 Ce passage issu de « ObjectiFINE » (objectif mieux) du troisième volume, donne lieu à un concert de protestations de la part des personnages masculins impliqués qui, contrairement aux personnages féminins, trouvent, au départ, ces œuvres humiliantes et dégradantes. Ils parviennent néanmoins à retourner la situation à leur avantage lorsqu’ils découvrent que ce sont des femmes qui dessinent et apprécient ce genre. Ce qui est dégradant devient alors flatteur et signe de popularité. Ils sont certes chosifiés sans le savoir mais cela n’a aucun impact réel sur eux, physiquement ou mentalement et cela n’a pas non plus d’incidence sur leur carrière, ce qui n’est pas le cas de l’héroïne qui vit la chosification au quotidien. Ces personnages masculins arrivent à dévier ces

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appropriations féminines pour se les réapproprier. L’auteur nous met de nouveau face à une forme d’injustice et de déséquilibre homme/femme.

25 Enfin, la présentation de Thugboy comme l'archétype du petit ami idéal, toujours disponible pour sa compagne, comme évoqué précédemment, fait également partie du fan service à destination des femmes.

La critique du fan service

26 Adam Warren nous expose dans Empowered l’envers du décor des super héros. En dehors de Thugboy, le petit ami de l’héroïne, et de Maidman, les autres personnages masculins, héros comme antagonistes, ne sont pas présentés comme des personnages positifs. Ils ne montrent que peu d’égard envers l’héroïne, se moquent d’elle et la rabaissent sans cesse, qu'elle soit ou non présente. Ils n’hésitent pas non plus à la traiter comme un objet sexuel au même titre que d’autres personnages féminins comme Ocelotina. Le Major Havoc, un des collègues masculins d'Emp, illustre bien cette attitude. Héros reconnu et adulé, son comportement vis à vis de sa collaboratrice féminine est loin d'être héroïque. Il collectionne des photos d’elle pour satisfaire ses désirs onanistes, il lui fait revêtir des tenues provocantes sous des prétextes fallacieux afin de l’humilier et d’en tirer un plaisir sexuel, et il n’hésite pas à la comparer à d’autres personnages féminins en compagnie de ses confrères masculins.

27 À travers ces personnages, l’auteur nous décrit des situations entrant dans le cadre du harcèlement sexuel et moral dans et en dehors du milieu du travail. Des groupes de héros lorgnent avec insistance certaines parties du corps d'Emp dans la rue. Cette dernière reçoit aussi régulièrement des fessées dites amicales de la part de pairs. Toutefois, les protestations qu’elle émet, visant à souligner le caractère déplacé de ces comportements, ne reçoivent que mépris et condescendance puisqu’il s’agit de plaisanteries, voire de compliments. Les réactions négatives de l’héroïne ne font que souligner, pour ses compagnons de travail masculins, son manque d’ouverture d'esprit. Plus généralement, les héros sont décrits à plusieurs reprises comme de parfaits goujats, imbus d’eux-mêmes, plus occupés par leur propre apparence et leur célébrité que par le fait de sauver les civils ou leurs propres camarades. Ainsi, l’auteur nous place face à des situations dérangeantes car ayant des échos dans le monde réel: le fan service revêt donc ici un aspect plus critique, et sort du cadre du divertissement. 28 De fait, Adam Warren rapporte avoir reçu des plaintes de la part de fans mécontents. Ces derniers expliquaient apprécier le comics, notamment pour son fan service et son héroïne malmenée, mais en étaient venus à ne plus y prendre plaisir parce qu’ils affectionnaient justement l’héroïne. À force de la voir se faire régulièrement attachée et humiliée, ils avaient fini par avoir de la sympathie pour elle au même titre que plusieurs personnages du comics, dont ses ennemis. Ces lecteurs avaient désormais beaucoup de mal à lire et accepter les traitements subis par Emp ; ce qui était au départ excitant ne l’était plus ; les lecteurs n’étaient plus capables de soutenir des personnages censés représenter le bien au vu de leurs comportements déplacés, voire indignes de leur fonction de héros. 29 Le fan service dans Empowered est ainsi poussé à sa limite, puisqu'il n’est plus au service du fan. Employé volume après volume, le fan service lasse le lecteur qui en est écœuré. De plus, les apartés de l’héroïne entre les chapitres, lieux où elle brise allègrement le

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quatrième mur, lui permettent de notifier aux lecteurs l’existence de ce fan service trop présent et les préjudices que cela lui cause en tant que personnage. Emp, créée en premier lieu comme un objet de fan service pur, s’est éloignée de ce postulat pour gagner en consistance. Réitéré à outrance par la répétition des préjudices commis à l'encontre d'Emp, ce fan service se banalise et devient ennuyeux. 30 Adam Warren arrive à questionner sa présence dans son œuvre. Les dialogues et réflexions des personnages sur le sujet ponctuent régulièrement les volumes d’ Empowered et viennent nous interroger, nous lecteurs.

Ill 3: Adam Warren, Empowered, Dark Horse Comics, Inc.

31 Certains antagonistes s’inquiètent des connotations sexuelles liées au fait d’attacher Emp à moitié nue sur une chaise et réfléchissent à un moyen de contrer cette action. De même, ils tentent d’éviter de la regarder avec trop d’insistance ou bien essaient de proscrire blagues sexistes et homophobes. Une loi tacite, et qu’ils suivent scrupuleusement, leur interdit même d’abuser d’une héroïne. Dans Empowered, les personnages présentés comme particulièrement sexistes ne sont pas ces antagonistes mais bien les héros et camarades de l’héroïne. Seule Emp semble posséder un esprit héroïque et noble qui reflète les valeurs généralement attribuées aux super-héros.

32 De ce fait, dès les premiers chapitres, les moqueries et réflexions sur son physique et ses capacités ont un impact sur elle. Le lecteur la voit souvent pleurer, perdre confiance en elle, chercher du réconfort, ce qui influe directement sur ses capacités en tant qu'héroïne. Un lecteur qui s’amuserait des mésaventures d'Emp, qui se réjouirait avec le groupe des superhomeys de ses malheurs, participerait à sa dégradation et sa chosification en tant que personnage féminin de comics. 33 Dans une interview publiée en 2015 dans le Weekly Comic Book Review, Adam Warren a avoué s’inspirer de ses proches pour créer ses personnages. Il s’est aperçu que, parmi les femmes qu’il côtoie, la plupart ont une image faussée d’elles-mêmes. Ce sont leurs angoisses et leurs problèmes qu’il a insufflés à son héroïne Emp mais aussi aux autres personnages féminins d’Empowered : ainsi Ninjette, la meilleure amie de l’héroïne, qui a des problèmes d’alcool découlant d’une relation conflictuelle et abusive avec son père, et qui a peur de ne pas être à la hauteur malgré ses capacités indéniables ; tout comme Sistah Spooky, super héroïne de couleur, lesbienne, traumatisée dans son adolescence car sortant de la norme ; ou encore Mindfuck et sa peur constante de faire du mal aux

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personnes qui lui sont chères, au point de se mutiler volontairement. Toutes possèdent des blessures qui ont créé chez elles un profond mal être et un manque d’estime de soi. 34 Emp elle-même échoue souvent malgré ses efforts, de manière comique certes, mais néanmoins désolante pour le lecteur, qui pourtant la voit évoluer et prendre confiance en elle au fil du temps. Le lien avec le lecteur est renforcé par les interventions directes d'Emp pendant les interchapitres. Au lieu de rappeler brièvement l’histoire ou d’expliquer ce qui va se passer, Emp reproche fréquemment au lecteur ses tendances de voyeur : elle est effarée, voire révoltée, à l’idée que certains puissent trouver excitantes les pages où elle est attachée. Elle va même jusqu’à reprocher à l’auteur de n’avoir été créée, dans un premier temps, que comme objet de fan service, tout en étant heureuse d’avoir été par la suite étoffée. Par ce biais, Adam Warren lance quelques piques à ceux de ses lecteurs qui lui demandaient fréquemment des filles sexy attachées. 35 Néanmoins, les interventions d'Emp sont limitées puisque l’héroïne ne semble pas avoir conscience d’être un personnage en dehors de ces interchapitres et elles ne modifient en rien la narration, au contraire des interventions d'un autre personnage, the Caged Demon Wolf (le prince démon emprisonné). Ce super vilain, apparu pour conquérir le monde dans le chapitre « Demonwolf on DVDs » (le prince démon en DVD) du premier tome, s'est vu capturé et enfermé par l'héroïne dans une ceinture. Il occupe désormais la table basse du salon de cette dernière, lieu à partir duquel il commente l'histoire de manière omnisciente. Il sait ce que les personnages pensent et ce qui va se dérouler dans les chapitres suivants, tout en prenant grand soin d’en dévoiler le moins possible. De plus, il dialogue régulièrement avec le spectateur en plus des autres personnages. Il aime titiller le lecteur avec des images de scènes torrides qui n’existent que dans son imagination pour la plupart, bien loin de la réalité que le lecteur découvre à la page suivante. Ici, l’auteur joue avec le lecteur en exposant des scènes qui pourraient sortir tout droit d’une fan fiction à caractère purement sexuel: en dessinant des scènes qui ne sont pas censées exister, Warren les fait exister quand même. 36 La même ambiguïté caractérise les cartes de vœux et fausses couvertures de comics qu'Adam Warren crée et que le lecteur peut apercevoir en fin de chaque volume dans les suppléments. La plupart des dessins présentés étaient destinés aux personnes abonnées à la liste de diffusion de l’auteur. Si les commentaires de l’auteur, associés à certains dessins présentés, admettent l’aspect et le goût douteux ces cartes, cela ne l’empêche pourtant pas de les concevoir. Ces suppléments peuvent être perçus comme ambigus dans la mesure où, bien que l’aspect parodique humoristique et sexy soit notable, l’auteur les a créés dans le but de remercier les fans plus que dans un esprit critique. Ce sont des cadeaux, une rétribution aux personnes qui le suivent et le soutiennent, que cela soit en s’abonnant sur son site ou en achetant ses œuvres. Il s’agit là de fan service pur. Adam Warren dessine donc ce que ses lecteurs attendent, tout en ne cachant pas son plaisir lorsqu’il conçoit ces cartes.

Conclusion

37 À travers Empowered, Adam Warren questionne notre rapport au fan service ainsi qu’à certains tropes et clichés établis. Il les tourne en dérision et les remet en question pour permettre aux lecteurs et lectrices d’en prendre conscience. Le fan service subi par Emp n’est pas sans conséquence pour le personnage qui le vit relativement mal et entraîne le lecteur dans ce mal être.

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38 Le fan service d’Adam Warren peut tout de même être perçu comme ambigu car même si l’auteur dénonce à plusieurs reprises certains clichés et conventions dans ses comics, il n’hésite cependant pas à les utiliser avec un plaisir non dissimulé et n'évite pas certaines maladresses3 qu'il semble pourtant dénoncer. L’ambiguïté d'Empowered vient du fait que Warren joue sur les deux tableaux : le divertissement et la critique. 39 Cependant, il serait dommage de passer à côté de ce que l’œuvre propose comme réflexion autour du fan service et du traitement de la femme. En travaillant une création qui s’étoffe au fil des années et qui a su développer son univers et ses personnages, Adam Warren a su s'attacher une majorité d'admiratrices parmi ses fans. Ces dernières apprécient de suivre les aventures d'une héroïne qui, malgré ses failles, se bat sans relâche pour trouver sa place dans un milieu masculin et machiste. L'aspect sexuel et même érotique de l’œuvre ne lui nuit en rien, notamment dans la mesure où son héroïne fait preuve d’une sexualité épanouie et assumée. Empowered porterait ainsi bien son nom, en prenant pour héroïne une empowered woman qui se bat pour être reconnue comme individu et pour être perçue comme une égale, notamment par la gente masculine.

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. En 2011, le site FFN Research (fan fiction statistics) établissait qu’en 2010, 78% des membres du site fanfiction.net étaient des femmes. 2. Dans le vocabulaire de la fan fiction, le slash désigne une relation (amoureuse et/ou sexuelle) entre deux personnages. Le terme slash renvoie à l’élément typographique qui sépare les deux noms : Harry Potter/Drago Malefoy. Cette appellation est surtout utilisée pour indiquer une relation entre personnages du même genre. 3. Lors de la publication du second volume d'Empowered, Adam Warren reçut de nombreuses plaintes et commentaires concernant le chapitre « The Aryan Ideal of Shoulder Candy ». Dans le chapitre en question, celle qui deviendra par la suite Ocelotina capture l'héroïne et en profite pour abuser d'elle sexuellement. Beaucoup de lecteurs et lectrices furent mécontents devant la légèreté du traitement de la scène et le fait que l'auteur dérogeait lui-même aux règles qu'il avait établies de ne pas abuser d'une héroïne. Adam Warren admit cette maladresse de sa part et s'excusa auprès des fans. Les scènes en question furent redessinées par l'auteur et sont désormais disponibles sur son site.

RÉSUMÉS

Adam Warren est un auteur américain de comics, dont les œuvres mélangent des influences diverses issues des univers manga et comics. Il manie la parodie, les clichés et les références multiples aux deux genres. Son œuvre Empowered est connue pour son utilisation du fan service à outrance, mais elle questionne sur l'utilisation de cette pratique qui tend à la chosification des héroïnes. En s'appropriant les codes du fan service, Adam Warren explore notre rapport avec ce dernier, aussi bien du côté du lectorat masculin que féminin. Il s'agit ici d'étudier les différents types de fan-service mis en place par Warren dans son œuvre, sa manière d'aborder la sexualité de ses personnages et comment il détourne les codes du fan-service.

Adam Warren is an American comics author whose work combines various influences from manga and comics. He handles parody, clichés and references to both genders. His comic Empowered is well-known for its use of excessive fan service; however, it questions the use of a

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practice which tends to the objectification of female heroines. By distorting the codes of fan service, Adam Warren explores our relationship to fan service both from the masculine and feminine readership’s point of view. We will study the different types of fan-service established by Warren in his work, his approach of his characters' sexuality, and how he twists the fan service codes.

INDEX

Mots-clés : super-héros, comics, fan service, chosification, costume Keywords : superhero, comics, fan service, objectification, costume

AUTEUR

ALEXANDRA AÏN

Université Bordeaux Montaigne MICA (Média Information Communication Art)

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Women W.a.R.P.ing Gender in Comics: Wendy Pini’s Elfquest as mixed power fantasy

Isabelle L. Guillaume

1 Elfquest is a long-running high fantasy comics series by Wendy and Richard Pini, a couple who met through comics letter columns, married in 1972, and proceeded to create comics together for the next 40 years. Although the two of them are credited for Elfquest, the series is predominantly Wendy's brainchild: while Richard acts as editor, co-plotter and general facilitator, she is the one who actually writes, draws, inks and letters the series1.

2 In 1978, after facing rejection from publishers large and small, Elfquest went on to become a major success in the United States as a self-published comic, blazing the trail of “alternative” productions to come. The series took off spectacularly thanks to its reliance on direct distribution to comics shops. By the 1980s, its estimated sales figures were close to 100.000 copies per issue (Weiner 26). 3 Since then, the publishing history of Elfquest has been rather complicated, switching from W.a.R.P. (the couple’s imprint, whose name stands for Wendy and Richard Pini) to mainstream publishers like Marvel's Epic, DC Comics, and currently Dark Horse. Thankfully, the entire run up to 2014 is available online for free (albeit in its coloured version, as opposed to the original black and white) on the Pinis' website, Elfquest.com, which makes it easily accessible to scholars and new readers2. 4 Elfquest's reception is something of a paradox. First, in spite of its huge success, the series remains marginalised even among the alternatives. As Wendy Pini puts it, “ Elfquest is something of a comics industry wallflower, having received only a handful of awards over the years, none major. In a superhero-saturated, male-dominated industry, a pretty fantasy comic written and drawn by a woman was highly suspect.” (Fletcher n.p.) 5 But strangely enough, despite its female creator and its wide female audience, Elfquest has also gone unnoticed by gender studies, probably for analogous reasons: the

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“prettiness” of the drawings and the fact that it serves a fantasy narrative addressing young people as well as adults may seem to downplay the subversive potential of the work in the eyes of critics. Indeed, within comics studies, specialists focus mostly on “graphic novels” – highly legitimate productions – or underground comics – subversive texts with an overtly political agenda. In terms of genre, the dominant works are all memoirs (Art Spiegelman's Maus, Marjane Satrapi's Persepolis) and/or narratives of trauma, often dealing with gender and sexuality (Alison Bechdel's Fun Home, Phoebe Gloeckner's A Child's Life), while “minor” genres such as fantasy remain under- represented. 6 In academic writing, Elfquest is frequently referenced as one of the earliest successes in self-publishing (Gabilliet 83-84, Lopez 124), with special mention to its large female readership (Weiner 26). The series is even included in Beaty and Weiner's Heroes and Superheroes, whose goal is to survey “130 [...] graphic novels and core comics series that form today's canon.3” However, Elfquest's “canonical” dimension is dubious at best, as there is virtually no academic material focusing specifically on the series. Online searches yield very few results – a couple of academic theses (Kaipainen, Russel), one anecdotal seminar presentation (Brosch), and no published articles. Moreover, these few works are scattered chronologically (1987, 2008, 2015) as well as geographically (one author is Finnish, one is American, the third is German), which attests to the international readership of the series and to its ability to attract new readers in the 21st century, but also shows how scholarly interest in Elfquest remains limited, and hinges on personal initiative only. 7 My hypothesis is that Elfquest's relative invisibility in academia and the comics world is linked to the Pinis' unusual treatment of gender, which clearly goes against established norms of the American comics market, but is not radical enough to attract gender critics. I suggest reading Elfquest as a mixed power fantasy, that is to say a tale whose heroes and heroines invite identification regardless of the reader's gender. This strategy is a way of welcoming women into a traditionally male mode of comics consumption, but without seeking to overthrow traditional conventions coming from that field.

Defining the power fantasy

8 The term “power fantasy” is commonly used to describe a certain type of cultural productions, whose readers are meant to identify with the main character and derive enjoyment out of his or her display of power. When not associated with young children, the term can be disparaging, meant to deride a certain category of readership – usually male teenagers identifying with the character's raw expression of strength. However, some adult readers defend the need for escapism inherent to the power fantasy. Needless to say, superhero comic books are the archetypal power fantasy, designed for a male audience and staging the extraordinary deeds of a manly character.

9 This situation is, of course, evolving rapidly. Over the last decade, thanks to online activism and a rise in public awareness, superhero readership has moved closer to parity and opened up to more women-friendly representations. This is also linked with the rise of female creators operating within the mainstream superhero genre, who re- appropriated the notion of a power fantasy, reminding people in the field that the desire for empowerment is largely a female drive too, and can be tapped into in order to

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create new narratives. In this regard, writer Kelly Sue DeConnick has played a particularly important role in putting forward a more gender-balanced view of superheroes, notably through her work on Captain Marvel. She says : “I'm a five foot tall woman who's always looked like a child; I can teach any man you meet about power fantasy; that is not an inherently masculine trait.” (Stotter) 10 However, things were not always so. In the heyday of Elfquest, superhero comics attracted mainly boys and men; a survey found that as late as the 1990s, approximately 91% of the readership of DC Comics was male (Draper Carlson). Therefore, my hypothesis is that in such a context, other comics genres were more suited to the expression of other forms of power, which might resonate more strongly with the realities of girls' and women's lives. Elfquest, with its diverse cast of characters and its complex narrative which combines high-stakes adventure with ample character development, is indeed a book read by all genders, while still relying on the concept of identification to the characters. Indeed, according to Richard Pini, most readers expressed a desire to “be elves, or be like elves” (Fletcher n.p.), which supports my reading of Elfquest as power fantasy.

Plot summary

11 Elfquest takes place on the World of the Two Moons, a planet with an indigenous human population, at a stage resembling our own prehistory. But this world is also home to various tribes of elves and trolls, descended from alien ancestors whose spaceship crashed on the planet thousands of years before. This sci-fi premise lays the ground for a high fantasy tale dealing with a group of woodland elves called the Wolfriders, who face the brutality and prejudice of fanatical human tribes. The plot then develops into a quest for knowledge, in which the group departs in search of their lost origins and finds other tribes of elves, discovering new lifestyles and new ways of seeing the world. There is specific emphasis on the individual progress of Cutter, the tribe's chief, as he faces his own challenges as a leader, falls in love, starts a family, and learns to adapt his old ways to a changing world.

12 In other words, the narrative strategies of Elfquest are almost diametrically opposed to those of traditional superhero stories. As Eco explains in “The Myth of Superman,” a classical superhero story is based on the return to the statu quo 4, to things that are already known, such as origin stories; it is circular and always features the same protagonist, at the same age, with the same mindset. On the contrary, Cutter and his tribe are clearly inscribed in linear time, what Eco calls the “structure of possibility,” (Eco 141) a narrative paradigm which allows for change: deaths, births, irretrievable loss and life-changing discovery are what propels the narrative of Elfquest forward. Similarly, although their appearance changes very slowly due to their elfin nature, the characters undergo many psychological changes and do indeed change drastically over the course of the books5.

A visual power fantasy

13 The atypical appearance of Pini's characters is certainly part of what makes Elfquest such an outsider in the comics industry. Pini stated in several interviews that her style was derived from two main influences: on the one hand, the graphic idiom of superhero

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comics (specifically what Neil Cohn calls “kirbyan” (139), after creator Kirby), and on the other hand, the elaborate style that is predominant in shoujo manga aimed at young girls.

14 The notion of mixing superheroes and shoujo may seem outlandish, for their respective graphic styles are almost diametrically opposed. Superhero comics, as we have seen, form a genre which was predominantly drawn by and for men. It is usually characterised by its kinetic style, emphasizing bodies and the power they stand for. Kirbyan also features sexual dimorphism: men and women have extremely different features and appearances, with an emphasis on sexual characteristics in the case of women. These elements are consistent with a predominantly male, heterosexual readership, constituting what has been called the “male gaze” in feminist critique. 15 On the other hand, shoujo manga is created and read mostly by women: its focus is on faces as much as bodies, which are frequently androgynous. The style itself is aestheticised and contemplative; empirically, it is designed to appeal to young girls and women. From Pini's Western point of view, comics convey a sense of “otherness.” In an interview, she says that “their heroes, heroines, and, frequently, their have an idealised, mask-like, androgynous beauty,” (Fletcher n.p.) and goes on to praise the fascination that arises from “sexual ambiguity” in oriental tradition. 16 Pini's style is therefore based on a deliberate strategy of hybridisation, where manga influences are meant to balance out the “macho” style (Fletcher n.p.) of superhero comics. Her elves, regardless of gender, have perfectly muscled bodies, fit for their frequent battles which are depicted with much dynamism; they look young and attractive, and their power invites identification. Because the characters possess more than a hint of sexiness, there are also passages which depict them as objects of (visual) desire, in a way consistent with the conventional treatment of females in superhero comics. But in Elfquest, both sexes are indiscriminately shown in elaborate poses and attitudes, sometimes semi-naked or nude, when the plot requires it (see for example Skywise's depiction in the short story "The Heart's Way" p. 3). In this regard, the data collected by Russell shows that the proportion of males to females shown nude is approximately 50/50. (Russel 22) 17 Yet the influence of manga is also clearly visible through Pini's expressive faces, which are often androgynous, with neotenic proportions. A number of elements such as the large eyes, luxuriant hair and general frailty of the characters, who are much smaller than humans, may be seen as a way to move the emphasis away from physical strength, allowing young girls and women to relate more easily to the elves. Therefore, it seems that manga elements are used by Pini as a way to balance out the Western tradition, creating characters to which readers of any age or gender can identify6.

Narrative treatment of gender roles

18 Let us now consider gender roles and the way they are dramatised. The star couple of the series, Leetah and Cutter, may appear stereotypical at first sight: she is a healer who refuses to fight, while he is an able swordsman leading his tribe into battle. However, the act of healing is frequently presented as another form of battle, fought on a different level. For example, during the war waged against the trolls, most warriors (of both sexes) depart, while Leetah is left alone to try and bring back to life a tribe member (Elfquest 18;31). She is depicted in a narrow vertical panel, which echoes the

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horizontal group picture of the warriors: the layout gives the impression that, although severed from the rest, she is still part of the group. The narrative box also reinforces this impression through the use of metaphor, stating that “her own private battle begins” (my italics), and through the insistence on the knife that she needs in order to open the sheath surrounding the body. This passage is framed as a battle against death itself, and suggests the extent of her healing powers, which can not only preserve life but perhaps also try to reclaim it. The importance given to the practice of magic can, once again, be seen as a strategic shift away from physical strength, which may allow some girls to identify more easily with the narrative situation.

19 Moreover, Cutter and Leetah's relationship is also grounded in a subversion of heterosexual violence against women, for their first encounter is played out as a parody of the stereotypical “rapt of the helpless female”. In the second issue of the comics, the Wolfriders are exhausted and traumatised after their three-day forced walk across the desert; a half-starved Cutter rides into the village intending to steal some water for his tribe and, mesmerised by Leetah's beauty, he carries her away instead (Elfquest 2;16). However, he turns out to be comically inept at keeping his fierce prisoner (2;21), and swiftly asks for forgiveness once it has been made clear that the two tribes mean no harm to each other. The whole passage is framed as a meditation on the need to communicate instead of trying to take things by force. Never is there any harm done to the female character. More broadly, although the series features many scenes of battle and sometimes implies torture, the absence of sexual violence against women throughout the story7 certainly contributes to creating a safe environment for female readers, where trauma is not the reason propelling a character forward, as is so often the case in other mature narratives. 20 What is more, Cutter and Leetah are surrounded and balanced out by other characters who defy gender expectations, the canonical example being the couple formed by Nightfall and Redlance, where she is the fighter, while he would rather take care of plants and children. One episode is particularly significant in this regard: at one point, Redlance is left to watch over the tribe's children, while the rest of the elves has to wage war on assailants. However, his hideout is invaded, and Redlance is forced to fight in order to protect the children. Upon returning, the others find him shell-shocked and Nightfall tries to soothe him by promising: “Let me wash you clean of […] deeds you should never have had to do! I am the sword, the spear, the arrow. You are the flower, the tree, the vine! Never will I, or anyone, force you to be other than what you are! [Elquest 20;4]”. The ternary rhythm, repeated twice, imbues the speech with incantatory force, driving Nightfall's point home: a person's identity (“what you are”) is not predicated on gender, and a man should never be forced to perform stereotypical masculinity if that is not what he wants. 21 Incidentally, the story begins with a subversion of the “, for it is Redlance who needs to be rescued after having been captured by humans (Elfquest 1). Actually, the data collected by Russel shows that overall, two thirds of the characters who are being rescued in the narrative are males (Russel 23). Pini therefore uses her sci-fi/fantasy world to conjure up a society where there is less prejudice, and where task division is not predicated on gender but rather on individual tastes and abilities. The predominance of individual choice over social conventions is also visible in Pini's depiction of gender and sexuality.

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Gender and sexuality

22 Gender codes in Elfquest are more fluid than in our world, and so is sexuality in general: the elves do not have an equivalent of marriage, and exclusivity is purely a matter of individual choice (sex and reproduction are also decorrelated). Furthermore, the fantasy setting allows Pini to reconfigure the words used to speak of love and sex: the characters have their own lexicon, and talk of “lovemates”, “lifemates” or “soulmates” to assess their degree of proximity. The Pinis insist that none of these relationships is limited to two people, or to people of different genders.

23 In an interview, it is also made explicit that “Morally, they don’t follow the same rules we do; they’re pan-sexual, not hung-up on taboos.” [Fletcher n.p.] However, since the series is intended to remain “family-friendly”, and therefore accessible to children as well as adults, there are no explicit representations of the sexual act, and the heterosexual model remains largely dominant. Thus the subversive dimension is pushed to the background, but adult readers will easily find it there; overall, the comics' outlook to sexuality is overwhelmingly positive and celebrates consent, tenderness and the acceptance of diversity. 24 Although the main character of the story is deeply attached to his lifemate Leetah, with whom he has two children, this heterosexual model is destabilised by the ambiguous relationship between Cutter and his sidekick Skywise. Pini makes it clear that the two are deeply bonded. In the folklore of the series, the most intimate link there can be between two people is the exchange of their secret “soul names,” which embody the very essence of a person; Cutter and Skywise have known each other's soul names since they were teenagers. Their relationship is consistently shown to be one of deep love and care; moreover, they share more than a hint of physical intimacy although they both have relationships with women. In the In All But Blood spinoff, Skywise uses the following metaphor: “male wolves mount each other for sport, it's true… But I prefer what maidens have,” (57) thus confirming that his heterosexual tastes are not incompatible with occasional intercourse with men, and specifically with Cutter. 25 Finally, gender are explicitly addressed in the narrative and dramatised as ignorant prejudice that must be overcome. A good example would be when Leetah, who is from a peaceful desert tribe, asks Wolfrider Dewshine not to go hunt, because as a female she seems too frail and unfit for the task (Elfquest 5;12). This is particularly jarring given the fact that Leetah has been consistently established before as a self- driven character who will not let other people make decisions for her (a good example being her rebuke of Rayek's telling her that he “forbids her” to go help the Wolfriders, because it is dangerous[Elfquest 2;26]). 26 Thus, in the discussion that ensues between Leetah and Dewshine, it becomes obvious that what Leetah hastily assigns to gender (women should not take risks) is in fact a cultural construct (the Sun Folk in general are adverse to risk). Moreover, the narrative voice sides with Dewshine, insisting that even though she does eventually get hurt during the hunt, she is “not a child but a Wolfrider, free to run and hunt with the pack as she chooses” (Elfquest 5;23). 27 This episode is particularly interesting in the sense that it involves two women, both of whom are strong, positive characters. Leetah herself has established early in the narrative that she cannot be controlled or pushed into a relationship against her will;

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the fact that she, of all people, should have to deal with her own prejudices, reflects the complexity of feminist issues and the debate they trigger even within feminist communities. Therefore, the women are never pitted collectively against the men, but are instead made to voice a diversity of opinions, discuss them among themselves, and occasionally revise their judgment. Thus, Elfquest is presented as a truly polyphonic work, favouring diversity.

Birth-giving and parenthood

28 A good example would be the polyphonic treatment of birth and motherhood which is developed by the Pinis. In the diegesis, births are a crucial event because the elves' fertility is very low. But more interestingly, the series frequently features mothers in the act of giving birth,8 thus expressing a diversity of approaches to female bodies and female experience.

29 The first newborns of the series are Leetah's twins, Amber and Suntop (Elfquest 6;8). Their birth constitutes the culmination of the story arc dealing with Cutter and Leetah's romance, and is presented as an analepsis, which creates added suspense as to how and when the twins were born. The passage does not actually focus on the moment of birth but rather on the cultural clash that surrounds it. While the Sun Folk's custom is to leave the mother alone with the midwife, Cutter insists on being at Leetah's side, and she also desires his presence. Faced with a refusal, he is led, uncharacteristically, to draw his blade on the midwife, a threatening act which reflects his initial impulsiveness, and is only partially attenuated by the humorous treatment of their attitudes in this quasi-silent panel. He enters, and the next panel shows the two lovers sharing the same speech balloon, which conveys the union between the two of them, and through them, of their respective tribes. Cutter's ability to move in and out of the hut is symbolic of this cultural rift being bridged, because the Sun Folk were previously shown to live indoors, while the Wolfriders dwelt in caves outside their town. Thus birth-giving becomes a locus of reunion and acceptance of the other, and this integration is made manifest through the birth of the twins, a girl and a boy who each share features of the two tribes. 30 More recently, in the latest instalments of the series, Leetah helps her foster daughter Shuna, a human, to give birth to her own child (Final Quest 1;2). The episode is treated as an echo of this initial birth scene, and sheds new light on it, since Leetah is now a more mature character. This time, the presence of the father is actively refused by Shuna who wishes to follow her custom, and seeks instead the presence of female friends. Her human body is represented as far less idealised than the elves', emphasizing the physicality and suffering of her condition. The psychological anxieties of motherhood are also developed and act as a call back to Leetah's own pregnancy; like Shuna, Leetah once feared for her freedom, and worried about her ability to raise a child. On a more subtle level, the passage suggests a meditation on personal choice as Leetah tries to impose her healing on her foster daughter, who refuses her help, showing her that good intentions do not give one the right to interfere with a woman's feelings and wishes regarding her own body. 31 In other cases, the child who is born literally embodies the will of the mother; so it is with Kahvi, chieftess of a Northern tribe, as she gives birth to the daughter of Rayek, a former lover who turned against her (Siege at Blue Mountain 4;1). The daughter is

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destined to live on after Kahvi is dead, and to perpetuate her desire to put an end to Rayek's world-threatening ambitions. Becoming a mother is an act of defiance for this warrior character; the emphasis is purely on her, and on the heroism she displays as she gives birth without a midwife, surrounded by her male warriors. The drawings convey Kahvi's pain through the two initial close-ups on her face, but they also show her victorious, standing up in front of her baby, and stating “That answers that,” a sentence suggesting that this birth is a form of retaliation against Rayek. All these elements show that there is no incompatibility between Kahvi's maternity and her role as a war leader. Thus, the character goes beyond the role of the passive victim and supports the reading of birth-giving as a display of power. 32 All these scenes portray different ways of engaging with an essentially feminine activity, without implying that motherhood is the only purpose of a woman's life (the Pinis themselves having chosen to prioritise their joint career over raising children). Different approaches coexist, but the final decision is always up to the woman concerned. This diversity fits the general moral implied in the comic; that enlightened individual choice must prevail over prejudice and restrictive cultural codes. The comic embraces diversity and acceptance. It displays a form of cultural feminism which is quietly militant; this makes the work suitable for different age and gender groups, but it also downplays the importance of the comic on the feminist critical scene in favour of creators with more explicit views and themes.

Conclusion

33 The series reappraises qualities seen as “typically feminine” by placing them at the center of the elves' lifestyle: community, family, animality, sexuality, but also physical beauty, mannerism and a certain dose of mysticism are endowed with positive value. Moreover, typically female activities are presented as acts of power in their own right.

34 It could be argued, therefore, that Elfquest is rooted in a non-radical brand of feminism, one which is closer to the cultural feminist approach, but which also welcomes male readers. Traditional feminine characteristics are revisited and infused with a new sense of personal freedom. The Pinis refrain from passing judgment by developing a large cast of characters with different interests and sensitivities, defending individual free will while also putting forward the importance of community and tolerance.

BIBLIOGRAPHY

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NOTES

1. Originally at least. Due to the series' success, the Pinis occasionally delegated ink and lettering work to other artists. Moreover, a number of spinoffs are not drawn by Pini herself. 2. In this article, I shall provide in-text reference to the online comics as follows: (story arc, issue number; page number). 3. My emphasis. The quotation is taken from the book's abstract featured on the publisher's website : http://www.salempress.com/press_titles.html?book=251. 4. Obviously, Eco's analysis does not take into account “revisionist” superhero narratives such as Alan Moore's and Frank Miller's, which precisely sought to place the superhero within a “realistic” timeframe. 5. It is true that the story has not yet reached a definite end, and that its episodic nature produces a sprawling narrative, full of one-shots and spinoffs. In that sense, Elfquest is rhizomatic rather than linear. In any case, however, there is always a clear sense of temporality, with situations and characters constantly evolving. 6. As we shall see later on, Elfquest is a book for all ages. It features mature themes and character development, but much is implied rather than shown or told straight away, making it suitable for children. In keeping with this, the original comic was marketed at a modest price that children could afford, but whose size (larger than a regular comic book[Costain]) and absence of colour implied an adult target readership. 7. There is, however, one instance of sexual abuse perpetrated by villainous Winnowill (female) on Rayek (male). Images alone do not suggest lack of consent, but the narrative box which provides internal focalisation on the thoughts of Clearbrook, who witnesses the scene, shocked at what she terms “a violation – such callous manipulation of another's needs and weaknesses.” (Siege at Blue Mountain 7;5)

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8. Non-exhaustive list: birth of Amber and Suntop (Elfquest 6;8), of Venka (Siege at Blue Moutain 4;1), of Tyleet (Kings of the Broken Wheel 7;10), of Shukopek (Final Quest 1;2), and finally of Korafay (Final Quest 1;21).

ABSTRACTS

Elfquest made history as one of the first successful alternative comics of the late 1970s. It is set apart by its large female readership, its non-superheroic themes and the unusual graphic style of its author, Wendy Pini. However, Elfquest has drawn very little attention among gender critics, who prefer to devote their efforts to openly subversive material. In this paper, I argue that Elfquest is in fact a halfway house between the mainstream comics tradition and the all-out radicalism of the feminist underground. The series can be read as a mixed power fantasy which combines Kirby's graphic heritage with Eastern influences, thus creating strong characters whose appearance resonates with female tastes and experience. In a move reminiscent of cultural feminism, the series reappraises traditionally feminine values; yet it is never essentialist. Pini's fantasy narrative creates a safe space for female readers and affirms the importance of tolerance, solidarity, and individual freedom.

Elfquest, l'un des premiers comics alternatifs de la fin des années 1970, se distingue par son lectorat largement féminin, ses thématiques typiques de la fantasy et le style graphique inhabituel de son auteure, Wendi Pini. Cependant, Elfquest reste peu étudié par la critique féministe, laquelle se concentre sur des créatrices ouvertement subversives. Nous suggérons qu'Elfquest constitue un compromis entre la tradition superhéroïque et le radicalisme des auteur.e.s underground. Graphiquement, la série doit autant à Jack Kirby qu'à la bande dessinée orientale, et met en scène des personnages forts et aventureux, mais dont l'apparence résonne avec les goûts et préoccupations des lectrices, permettant l'identification de l'ensemble du lectorat. Dans la lignée du féminisme culturel, Elfquest revalorise les éléments traditionnellement liés à la féminité sans pour autant tomber dans l'essentialisme, car le récit affirme l'importance de la liberté individuelle, du dialogue et de la tolérance.

INDEX

Keywords: Elfquest, women, comics, fantasy, gender, representation Mots-clés: Elfquest, femmes, bande dessinée, fantasy, genre, représentation

AUTHOR

ISABELLE L. GUILLAUME

Université Bordeaux Montaigne

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A 21st Century British Comics Community that Ensures Gender Balance

Nicola Streeten

The Graphic Memoir

1 In order to understand the popularity of autobiographical graphic memoirs today in North America and Britain, I begin by highlighting the influence of the publication in 1986 of Maus by North American writer and artist, Art Spiegelman (2003). This work, ‘… a shattering memoir of his father’s experiences in the Holocaust and a formal triumph of cartooning…made waves beyond the comics world as a book’ (Wolk 2007, p.8). It tells the story of Spiegelman’s parents, Vladek and Anja Spiegelman, from their first meeting in pre-war Poland to their survival of the death camps at Auschwitz and Dachau and their move to New York after the war. Part of the success and innovation, though also controversy of the book is the portrayal of the characters as animals. The Jews are mice, the Germans cats, the Poles pigs and the Americans dogs. It first appeared in 1972 in comic strip form in Spiegelman’s experimental comic RAW that he co-edited with his partner Françoise Mouly. It was later published in two volumes in 1986 and 1991. Maus has become a publishing phenomenon, selling over two million copies worldwide. Speaking to James Naughtie on BBC Radio 4’s Bookclub, Spiegelman referred to the difficulty he had convincing a publisher to produce it at that time. Publishers were concerned the depiction trivialised the seriousness of the subject matter, but the eventual success following publication paved the way for the acceptance of autobiographical comics about serious subject matters today (BBC Radio 4 2012).

2 However, Canadian comics scholar Bart Beaty (2009) considers Iranian-born Paris based Marjane Satrapi’s best selling graphic novel Persepolis (2007) as representing the full critical and financial success of autobiographical comics. Like Maus, it was published in two volumes. Persepolis 1, 2004, is a memoir documenting Satrapi's childhood

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experience growing up in Iran during and after the 1979 Iranian revolution. Persepolis 2, 2005, depicts Satrapi’s high school years in Austria and her return to Iran where she attended college, married, and later divorced before moving to France. It uses a simple line and black shading to present her story of Tehran in the Khomeini years – a story that is complex and that most Western readers do not know. She read Maus in 1995, which introduced her to the possibilities of the comic form to tell a story (Jamieson 2013). Published in a complete volume in 2007, it has sold over 1,500,000 copies worldwide. The hand animated film version of Persepolis won the 2007 Cannes Film Festival Jury Prize. 3 These successes were a result of the introduction of the form to a non-traditional comics reading public. The outcome of this was an association between comics and serious subjects (Beaty 2009, p. 231-2). The insistence of “truth” through the autobiographical voice applied to the comics form introduced it as an appealing platform for women’s personal stories. Since the phrase “The personal is political” from Carol Hanisch’s 1969 essay of the same title (Hanisch 1969), “the field of autobiography has become a central preoccupation and testing-ground for Feminism” (Cosslet et al 2000, p. 2). In the triumvirate of financially and critically successful graphic novels, the third was American cartoonist Alison Bechdel’s Fun Home (Bechdel 2006), documenting the autobiographical story of her sexual identity as a lesbian and her relationship with her father a closet homosexual. The appeal of Fun Home was particularly to the lesbian community that had included a loyal following of Bechdel’s regular comic strip, Dykes to Watch Out For since the 1980s. The work was also of interest to literature scholars, because of Bechdel’s literary references throughout Fun Home. Thus, her work invited a readership from two new areas. 4 Both in terms of the visual and the subject matter, these three works represented a change in direction from their provenance of underground comix. They challenged both the DIY aesthetic of the underground press of previous decades and the subject matter of sex, drugs and rock ‘n’ roll. Although both mainstream and alternative comics had dealt with adult subject matter, this was moving into a new area and a new definition of adult subject matter that dealt directly with everyday human experience. To publishers they symbolised a form that had the potential to be highly profitable. The legacy of these three works in the UK was the introduction of the autobiographical graphic novel, or graphic memoir, to a new and ever widening readership and to publishers that may not have previously considered comics as a lucrative form. 5 But in Britain a significant impact was created in 2001, when North American Chris Ware won The Guardian First Book Award with his autobiographical graphic novel, Jimmy Corrigan, The Smartest Kid on Earth (Ware 2001). The narrative in Jimmy Corrigan is of an abusive relationship between a man and his son. Ware’s artistic style draws heavily on graphic design and typography, and the clear line tradition of comics rather than the stylised crosshatched look of mainstream superhero comics. A “liberal quality daily” (Magforum 2016), The Guardian’s readership was much larger and more diverse than the traditional comics fan base creating a new audience for comics that included women. 6 The import of these comics works to Britain sparked a new readership, but also attracted the beginnings of a new comics community. In considering how and why this took place, I draw attention to the shared characteristic of the four works mentioned, or more specifically their creators. All five artists mentioned (Spiegelman, Mouly, Satrapi, Bechdel and Ware) were university educated. Their works reflect influences

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from fine art, design and the humanities, as well as evidencing a professional approach. Arguably more innovative and influential than Maus, was Spiegelman and Mouly’s production of RAW magazine. Emerging from the alternative or small press scene, it contrasted to the hand made aesthetic of the zine. It was a designed and high production quality anthology presenting experimental comics as art from North American, European and Japanese artists, and pushing the boundaries of the comics form. Spiegelman and Mouly’s training was evident in their approach and introduced a distance from the mainstream comics industry. I argue the reliance of the mode of production on a DIY ethos gave the future publication and success of Maus an authenticity which validated the comic’s commercial success. At the same time it implied a route to a similar level of financial success for alternative comics creators. It is this element that I propose injected the DIY ethos into the formation of a community in Britain. That is, the idea that you could publish your own work as a route to financial and critical success. The growth of the Internet and technological developments made communication global, effecting the production, distribution and consumption of cartoons and comics. Most importantly it enabled information exchange and a platform that nurtured virtual communities and reinforced physical ones.

The British Comics Community

7 Examples of alternative comics community activity in the early 2000s in the UK revolved around the sale of handmade zines and small press publications. Many of these publications incorporated an autobiographical subject matter. Activity also included a social element, such as musical events and poetry readings. Examples include London Underground Comics (LUC) set up in 2007 by comics creator and university student Oli Smith. He co-ran a stall at Camden Lock Market with other small press creators: Sean Azzopardi, Phil Spence, Oliver Lamden and Emma Price. They also ran one-day events until 2009. In 2008 LUC teamed up with Paul Gravett to co-host Comiket, a small press comics market at the Institute of Contemporary Art (ICA), London. Paul Gravett, writer, curator, critic, and leading British authority on comics co-directed Comica with Peter Stanbury, established in London in 2003 to host a series of annual events including a small press fair at the ICA in London. Comiket operated under the Comica umbrella. In 2008, another group of London based artists led by Jimi Gherkin and Peter Lally set up Alternative Press, “dedicated to encouraging creativity through self-publishing, zine-making, and beyond” (Alternative Press 2016). They ran an average of two events each year aimed at promoting the activity of the UK small press and zine activity and providing platforms for artists, zinesters and comix makers to show and sell their publications. Events also included talks, workshops, poetry readings and live drawings. In 2007 Thought Bubble was formed as a non-profit-making organization, becoming the biggest festival of its kind in the UK. Its aim was to provide “an annual celebration of sequential art in all its forms, including everything from superhero comics to independent and small-press artists and writers” (Thought Bubble 2016). Although women participated in this small press activity, it was mainly male led and/or attention to gender balance was not at this stage a consideration.

8 In 2003 Ladyfest Bristol and Manchester (2005) curated the first UK art exhibition of women comics-makers, entitled The Cave of Comic Queens including established small

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press comics artists Lorna Miller, Lee Kennedy, Jeremy Dennis and Carol Swain. The Ladyfest Manchester festival programme, 2003 stated: Comics are just so overlooked, as an art form, as a narrative form; and because they are completely male-dominated. Walk into any comic bookshop and look on the shelves and in the racks, how many women artists can you find? You'd never guess the wealth of talent there is in this country alone (Blase 2007). 9 Red Chidgey et al argue this activity offers insight into the conditions of production for feminist activity of the 2000s. The defining features of collaboration and often anonymously produced works seem to echo the approach of second wave feminist activity. However, feminist writers Jane Pilcher and Imelda Whelehan note an individualistic tone, which they viewed as a “radical suspicion of the politics of identity and a marked shift to “lifestyle politics” (Pilcher and Whelehan cited in Chidgey et al 2009, p.5). I agree that the individualistic tone was present, and that some creators used the grassroots platform as a springboard, or testing ground for publication for a wider audience. In such cases an aspiration became publication by larger publishers. In much zine activity by women there was a concentration on the more whimsical and humorous aspects of the everyday and the mundane, or “lifestyle politics”. For example, Birmingham based comic illustrator Liz Lunney began self-publishing zines in 2005 producing cartoons with lighthearted reflections on food and pets.

10 However, in many cases there was a mix of styles and topics and an interest in the community and social aspect in the mode of production were emphasised. For example in 2001, Selina Lock, a comics writer and creator, co-founded small publishing press, Factor Fiction with Jay Eales. In 2008, she edited the first in a series of anthologies, The Girly Comic Book 1 “with no other guiding principle than having every strip feature a female lead” (Bruton 2009). The decision not to restrict the comic to work by women was because most submissions were from men. She therefore aimed to produce a “girl- centered, girl-positive comic written and illustrated by anyone” (Lock 2008). With a wide variety of topics and styles, the series included works by established cartoonists from the small press, such as Lee Kennedy, Jeremy Dennis and Jenny Linn-Cole. At the same time the anthologies introduced works by many younger artists such as Kate Brown, Asia Alfasi, Karen Rubins, Karrie Fransman and Laura Howell, who was the first female artist to have worked on The Beano comic. The series ran until 2011. 11 Selina Lock and Jay Eales were also active in running Caption Comics Festival established in Oxford in 1992, “…a unique, friendly event that brings comics creators, manga artists, comic-book readers and professionals together to mingle and discuss their work” (Caption Comics Festival 2016). Comics artist, Jeremy Dennis, also working under the name Jeremy Day was active in organizing Caption Comics Festival Comics as well as contributing to numerous small press publications. In 2003, she co-founded Whores of Mensa comics anthology with artists, Mardou, Lucy Sweet and later Ellen Lindner. They wanted to create, “a different kind of anthology comic, something that was a long way from the regular crush-them-in underground comic with its long contributor list, short story length and quick and dirty strips” (Day 2016). Mardou made two stipulations, “it must be sexy, and it must be clever” (Day 2016). In 2011, Ellen Lindner took over editorship of the anthology under the new name of The Strumpet. An extensive list of contributors to both versions of the anthology included: Sally-Anne Hickman, Cliodhna Lyons, Francesca Cassavetti, Patrice Aggs, Sarah McIntrye, Kripa Joshi, Tanya Meditzky, Hannah Berry, Julia Scheele, Megan Kelso, Sofia Niazi, Tanya Meditzky.

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12 In 2009 Glasgow based comics creator Gill Hatcher founded Team Girl Comic a collective of Scottish based creators that met to talk about comics and to produce two comics anthologies a year. The social or community element was an important emphasis of the collective. The aim was: to showcase women and girls in the alternative comic scene, as well as to entertain!...strictly non-elitist and invite anyone female-identified in or from Scotland to contribute to the comic, whether they create art professionally or just fancy giving it a go (Team Girl Comic 2016). 13 In 2009 the London Zine Symposium hosted over 1,000 attendees and included talks from British academics Professor Roger Sabin and Professor Teal Triggs. Their research included zines and alternative press, published in 2001 in Below Critical Radar: Fanzines and Alternative Comics From 1976 to Now (Sabin and Triggs 2001). The use of the word “symposium” in the event’s title introduced an academic tone. However, the Zine Symposium was firmly located within a DIY and anarchist political ethos. Co-founder, London based artist and designer Edd Baldry had launched an online zine Rancid News in 2001 which became a print version. In 2005 this was reformed as Last Hours, an anti- authoritarian collective, publishing a fanzine and a series of books. The collective also founded the London Zine Symposium “celebrating DIY culture, zines and comics” (London Zine Symposium 2016). These ran annually until 2011.

14 The event was free to attend and depended on the Internet to disseminate information. It was hosted at The Rag Factory, a former clothing factory turned artists’ studios (including British artist Tracey Emin’s) in the East End of London. In 2009 it was being run as a charity offering rehearsal space to actors at low cost. The Zine Symposium was the first public event hosted there. 15 The previous year on 23 February 2008, the first symposium on the graphic novel took place in London as a Graphic Novels’ Study Day at Birkbeck College, University of London. This was organised by Dr Kasia Murawska Muthesius (Birkbeck, University of London) in association with Paul Gravett and Comica. The panel of invited speakers was an all male line up. On 6 June 2008 Paraliterary Narratives Conference took place at the University of Northampton. On 14 November 2008 The Victoria & Albert Museum hosted the first One Day Comica Symposium and announced its first Comic Illustration Residency at its newly-opened Sackler Centre for arts education, which was awarded to cartoonist Karen Rubins. 16 This sudden swell of academic activity in the UK gathered a small group of people who would be key in injecting and reinforcing a new approach into comics in the UK. They would also be at the heart of what by the end of the decade had become a burgeoning community. There were people gathered from a variety of backgrounds. Paul Gravett, already mentioned was at the centre of the connections. Ian Rakoff was the founder of the Victoria and Albert Museum comics archive and an expert on romance comics and Dr Mel Gibson was an academic at Northumbria University specialising in girls’ comics. Dan Berry, an animator and illustrator, had set up the first illustration for graphic novels BA course at Glyndwr̂ University that launched in 2008. Corinne Pearlman was a cartoonist who had contributed to Sour Cream and Fanny and set up Comics Company in the 1990s. She was working as the creative director at Myriad Editions publishing company that had begun with a specialism in political maps and was currently producing prose fiction. Myriad launched its graphic novel titles in 2006 with Funny Weather by cartoonist Kate Evans and in 2008 published cartoonist Woodrow Phoenix’s

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Rumblestrip. In 2011 their third publication was my own work Billy, Me & You, the first graphic novel to receive a British Medical Association award in 2012.

Laydeez do Comics

17 It was through the academic connection that I attended these events, having enrolled on a practical master’s degree in 2007 at the University of Lincoln with the intention of working on a graphic novel based on the experience of the death of my child. It was at the first graphic novel symposiums in the UK that I met and befriended artist Sarah Lightman who had begun a PhD at Glasgow University researching autobiographical comics. She was also working on The Book of Sarah, an ongoing drawn autobiographical work. In July 2009 we met at the Wellcome Collection in London to look at the exhibition of work by British artist, Bobby Baker (Bobby Baker’s Diary Drawings, 2009). The exhibition was of loosely drawn line and watercolour drawings, which incorporated text. The drawings were based on Baker’s personal experience of her depression. Works such as this we realised, was what “comics” could be. We decided to set up a group for the discussion of comics works with a loose remit that the focus would be on life narrative, the drama of the domestic and the everyday. Our decision was prompted by the lack of anything equivalent existing in the UK and the isolation of working on our own creative projects. Small comics groups did exist, but often they were held in pubs, which we felt historically symbolised male spaces. There were also practical drawing groups that were taking place, but what we were searching for was critical response, similar to the art school critical sessions model. However, we were keen to reshape this historically male aspect of the art school experience, and were keen to inject characteristics of the traditionally female. These, we felt were the small but important joys of the everyday, such as tea, cake, convivial conversation and laughter. The name reflected this. It symbolised light-heartedness and a reflective self- mockery of our middle class, older women status of ladies “doing lunch”. The spelling of “Laydeez” was a nod to Trina Robbins’ Wimmins Commix and their use of “grrrz” rather than to the later Riot Grrrls, since our ages dictated a closer alignment to the early American women comics artists of the 1970s. The main incentive was to meet socially and find out what other people were working on. The drawing and writing of the name, or “logo”, as shown in Figure 1 was a caricature of the two of us. The low- tech drawing style signified that we were not an institution and that we were challenging the mainstream comic drawing styles. This included traditional male dominated superhero style as well as the polished art school aesthetic. It was the content of the works that was important to us, and the comics that we liked were often created by autodidacts. We also supported the democracy of a philosophy that anyone could make comics and attend our meetings.

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Figure 1: Original logo for Laydeez do Comics, 2009 (Source: Streeten 2009)

18 It was in this way that we co-founded Laydeez do Comics, “like a combination between a book club and a series of TED talks” (Davis 2013). Our meetings were held monthly at The Rag Factory, a venue introduced to us by the earlier Zine Symposium event. This was the first graphic novel salon to have existed; women led but not women only, it has welcomed everyone, strictly ensuring a gender balance in the invited guests. Modelled on a book group format to begin with, it quickly developed to become a platform for invited guests to present their works. Advertised online to a public audience it has always been free of charge to attend, although a £1 donation is asked for the cake. It first attracted around 20 people and escalated to around 100 each month by the end of the decade (Laydeez do Comics 2016), establishing itself as a hub of the small British comics community. The emphasis has been on providing a space to test new works and ideas, where emerging artists can present their work alongside more established practitioners. Guests are not restricted to comics creators but have included academics, filmmakers, writers, animators, artists and publishers. The audience too, is not restricted to comics enthusiasts and has been an important component of the activity. The aim has been to make everyone feel comfortable and welcome and to introduce the comics form to people who may be new to it. To this end, the serving of cake is an important addition, hand baked by Lightman. Another feature we introduced was “the question” that we have begun each meeting with. Everyone in the audience is invited to tell us their name, what they do and to respond to a question. An example of a question is, “have you ever won anything?”

19 It has been a grassroots activity based on goodwill with an interest in stressing the importance of social interaction. Yet it has been promoted widely and globally through the Internet and social media. We have ensured each event has been documented and archived online through guest bloggesses’ drawn recordings that have been posted on the blog. It is activity that has added to the professionalisation and academisation of the comic. Both Lightman and myself were brought to the comics form through academia; the social activity has became an essential element of both my own and Lightman’s academic research, and approach to academia. As Lightman noted,

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“creating in real life what you may be studying” (Lightman 2010). It soon became a series of events that national and international publishers, critics, festival organisers and academics from the industry have frequented to discover new works, so enhancing the industry. At the time of writing, Laydeez do Comics has spurred branches in Leeds, Bristol, Glasgow, Birmingham, Dublin, Chicago, San Francisco and Israel with pop ups in Brighton and New York.

Graphic Medicine

20 Another pivotal grass roots activity that has escalated the comics community in the UK, supported the feminist message and been an injection from outside the comics industry is Graphic Medicine. Ian Williams, a general practitioner based in North Wales who then studied fine art at postgraduate level and completed a Masters Degree in Medical Humanities, initiated Graphic Medicine in 2007. He had begun a personal blog to record the comics works he was becoming aware of that conveyed the personal experiences and emotions of patients. He had begun to build a following and noticed evidence of a growing interest in the subject and in the potential of the application of comics within healthcare. In the late 1990s, American physicians such as Rachel Naomi Remen and Rita Charon had been publishing and lecturing on the benefits of patient narratives within medical practice, establishing the term “Narrative Medicine”. Charon stated: "Sick people need physicians who can understand their diseases, treat their medical problems, and accompany them through their illnesses." (Charon R 2001, p. 286). The first Master’s program in Narrative Medicine was established at Columbia University Medical Centre in 2009 (Columbia University Medical Centre Program in Narrative Medicine College of Physicians and Surgeons 2016). Familiar with Narrative Medicine, Williams adopted the term “Graphic Medicine” to differentiate the focus. Dr Michael Green and Dr Susan Squier From Penn State University were both using comics as teaching aids within the context of medical humanities and approached Williams in 2009. Williams proposed that he lead on a Graphic Medicine Conference in London. Organised with fellow postgraduate students Columba Quigley, who was studying for a Masters degree at Kings College, London and Dr Maria Vaccarella, Research Fellow at the Centre for the Humanities and Health, King’s College, London. The conference took place in June 2010 at the University of London, receiving financial support from the Wellcome Trust. Williams was then approached by MK Czerwiec, RN, MA, a North American trained nurse and comics creator going by the name of “Comics Nurse” who had completed a Masters degree in Medical Humanities and Bioethics at Northwestern Feinberg Medical School, where she then served as Artist in Residence. Following the conference a Graphic Medicine committee was established with international university partners, including Dr Michael Green, Dr Susan Squiers and Dr Kimberly Myers from Penn State University and Dr Shelley Wall, from the University of Toronto (Graphic Medicine 2016). Czerwiec also joined the committee and organised the second conference in Chicago. From 2012 Czerwiec also ran the Chicago branch of Laydeez do Comics. The Graphic Medicine conferences have been held annually since 2010. What has been unique about the conferences is the interdisciplinary mix of presentations and attendees. They included participants who were creators, academics and people working in healthcare professions as well as patients. As with Laydeez do Comics, the activity was started by an individual who was a creator and entered comics through higher education at postgraduate level. Graphic Medicine professionalised comics,

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widening the reach and possibilities, becoming global through the website and social media. Yet it began as a grassroots activity. In 2015, Graphic Medicine established a line of publications in association with Penn State Press.

21 A number of women creators attended Laydeez do Comics and were inspired to tell their stories in comics form. Through Laydeez do Comics some were introduced to publisher Myriad Editions, who at the time of writing have expanded their graphic novel list to twenty-one graphic novel titles. With a mission to support emerging authors, they have earned a reputation of publishing experimental and innovative works. Penn State University Press will publish American editions of some of these titles. To conclude my paper, I will present a brief overview of seven works by women that have been published in the UK, to demonstrate the variety of styles and subject matters appearing. 22 In Becoming, Unbecoming (Una 2016), comics artist Una tells an autobiographically based story of being slut shamed as a teenager during the 1970s. Set in Leeds, in the North of England, the narrative presents the context of the Peter Sutcliffe attacks. Dubbed by the press as the “Yorkshire Ripper”, Peter Sutcliffe sexually attacked and murdered thirteen women across Yorkshire between 1975 and 1980. Mythologised by the media the attacks introduced a climate of fear for women. Una draws on feminist texts to reflect on the impact on women and society at the time.

Figure 2: A page from Becoming, Unbecoming (Source: Una 2016, p.77)

23 Henny Beaumont’s graphic memoir, Hole in the Heart (2016) tells the story of Beaumont’s experience of giving birth to and raising a child with Down’s Syndrome. Her honest account of living with a child who has special needs, speaks to society’s response to disability and in particular to attitudes within the medical profession in the UK.

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Figure 3: An image from Hole in the Heart (Source: Beaumont 2016, p.28)

24 Red Rosa is a graphic biography of the German socialist revolutionary Rosa Luxemburg written and drawn by cartoonist Kate Evans (2015). Luxemburg overcame physical infirmity and the prejudice she faced as a Jew to become an active socialist revolutionary. Her philosophy enriched every aspect of her life, from friendships and sexual intimacies to her love of science, nature and art.

Figure 4: An image from Red Rosa (Source: Evans 2015)

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Figure 5: Image from The Inflatable Woman (Source: Ball 2015)

25 Rachael Ball’s graphic novel The Inflatable Woman (2015) is a poetic, surreal and humorous response to her experiences with breast cancer.

Figure 6: Image from (Source: Talbot 2012, p.83)

26 Writer Mary Talbot's part biography and part autobiographical Dotter of her Father’s Eyes (2012) interweaves two father-daughter relationships, that of her own and that of Lucia Joyce, daughter of legendary novelist James Joyce. Cartoonist Bryan Talbot's drawings move the reader between gritty postwar Britain and the swinging Paris of the 20s and 30s. This was the first graphic novel to receive a 2012 Costa Biography Award.

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Figure 7: Image from Lighter than my Shadow (Source: Green 2013, pp.124-5

27 Katie Green’s graphic memoir Lighter than my Shadow (2013) narrates her experience of living with anorexia nervosa. Using a beautiful drawing style she develops the story to convey the trauma of sexual abuse she experienced from a therapist she saw for treatment.

Figure 8: Image from Billy, Me & You (Source: Streeten 2011, p.13)

28 My own graphic memoir Billy, Me & You (2011) is based on my experience of grief following the death of my two-year-old son. Using humour, I explore the taboos surrounding death and the social discomfort around bereavement.

29 This is a small selection of a greater number of new works appearing recently in book form in the UK. The ones listed have received critical acclaim. Yet, the international landscape for women in comics continues to be male dominated. This was evidenced most strikingly in 2016 at the third biggest comics festival in the world, The Angoulême International Comics Festival. In a list of 30 prize nominees for the prestigious Grand Prix d’Angoulême, there were no women included. The prize is a lifetime achievement award at the festival, and the winner is named president of the following year’s event. In Angoulême’s 43-year history, just one woman – the French artist, Florence Cestac has won (Chrisafis 2016).

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30 In response, a number of grassroots women led comics groups have combined forces to ensure an international presence of women comics artists at the 2017 Festival. These include Ladies of the Night Anthology (USA), Laydeez do Comics (UK); Comic Book Slumber Party (UK) and FEMSKT (Finland). Organised events will be part of the 2017 festival as well as an event at the École Européenne Supérieure de l’Image, Angoulême. Such activity reflects a global expansion of the community building I have presented as taking place in the UK. As with the emergence of Laydeez do Comics and Graphic Medicine, the proceedings have been initiated by independent creators gathering together with a shared motivation of establishing gender balance within comics.

BIBLIOGRAPHY

Illustration Sources

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Beaumont, Henny (2016). Hole in the Heart. Brighton: Myriad Editions.

Evans, Kate (2016). Red Rosa. London:Verso Books.

Green, Katie (2013). Lighter than my Shadow. London: Jonathan Cape.

Streeten, Nicola (2009). Laydeez do Comics logo artwork.

Streeten Nicola (2011). Billy, Me and You. Brighton: Myriad Editions.

Talbot, Mary and Bryan (2012). Dotter of her Father’s Eyes. London: Jonathan Cape.

Una (2016). Becoming, Unbecoming. Brighton: Myriad Editions.

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ABSTRACTS

In this paper I show how since 2000 there has been a surge of community building activity within the alternative comics “world” in the UK. This, I argue, has positively impacted the position of women as comics creators and as contributors to the comics industry. I maintain that the reason for the surge has been an increasing regard for gender balance in the activity. I focus on the work of Laydeez do Comics and Graphic Medicine to support this. Another cause I propose has been the focus on the autobiographical and/or everyday, domestic subject matter, which has attracted readers and creators from a variety of backgrounds, beyond a traditional comics readership. I begin by considering the influence of works by Art Spiegelman, Marjane Satrapi, Alison Bechdel and Chris Ware in the popularity of the “graphic novel”, more specifically the “graphic memoir” in the UK. I continue by outlining the activity within the comics community in the early 2000s to establish the context in which Laydeez do Comics and Graphic Medicine emerged.

Dans cet article, je montre comment il y a eu, depuis 2000, une forte augmentation de l'activité de construction d’une communauté féminine et féministe au sein du monde de la bande dessinée alternative au Royaume-Uni. Cette nouvelle donne a un impact positif sur la situation des femmes en tant que créatrices de bandes dessinées et en tant que contributrices à l'industrie de la bande dessinée. Une raison de ce changement tient à une volonté de rééquilibrage des genres au sein de la bande dessinée alternative ; pour cela, je m’appuie notamment sur le travail de Laydeez do Comics. Une autre piste que j’explore afin d’expliquer ce phénomène est la place prise par l'autobiographique et la vie quotidienne, deux sujets qui attirent les lecteurs et les créateurs au-delà des milieux habituels de la bande dessinée traditionnelle. L’article s’ouvre sur une discussion de l'influence des œuvres d’Art Spiegelman, Marjane Satrapi, Alison Bechdel et Chris Ware dans la popularité du « roman graphique », plus particulièrement de « l’autobiographie graphique » au Royaume-Uni. Il se poursuit par la description de l'activité au sein de la communauté des auteurs de bande dessinée au début des années 2000 pour établir le contexte dans lequel Laydeez do Comics et Graphic Medicine ont émergé.

INDEX

Mots-clés: histoire de la bande dessinée, bandes dessinées britanniques, femmes et bande dessinée, bandes dessinées féministes, communautés, Laydeez do Comics, Graphic Medicine, romans graphiques, genre et bande dessinée Keywords: comics history, British comics, women’s comics, feminist comics, comics communities, Laydeez do Comics, Graphic Medicine, graphic novels, gender and comics

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AUTHOR

NICOLA STREETEN

University of Sussex

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Hors thème

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Book review

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Sabbagh, Daniel. L’égalité par le droit, les paradoxes de la discrimination positive aux Etats- Unis Paris, Economica, collection « Etudes Politiques », 2003 [2007], 458 p.

Laure Gillot-Assayag

RÉFÉRENCE

Sabbagh, Daniel. L’égalité par le droit, les paradoxes de la discrimination positive aux Etats- Unis. Paris, Economica, collection « Etudes Politiques », 2003 [2007], 458 p.

1 Les débats sur l’affirmative action n’ont rien perdu de leur véhémence aux Etats-Unis. En témoigne le très récent procès Fisher v. University of Texas. Abigail Fisher, étudiante blanche, avait été refusée à l’entrée de l’université du Texas d’Austin en 2008. Elle avait attaqué l’université car elle considérait être pénalisée par le programme d’affirmative action. Selon elle, ce dernier contrevenait au principe d’égalité ancré dans la Constitution. Depuis 1997, le Texas avait en effet créé un Top Ten Percent Plan qui garantissait automatiquement une place à l’université du Texas aux élèves classés dans les dix premiers pourcents de leur classe.

2 Les arguments présentés au cours du procès par les différentes parties témoignent des oppositions fondamentales entre les tenants de l’affirmative action et ses détracteurs. Ainsi, le conservateur Antonin Scalia, juge de la Cour Suprême jusqu’en 2016 et farouche opposant de l’affirmative action, avança l’idée que l’affirmative action était contre-productive ; elle nuirait, selon lui, à la réussite des minorités en les obligeant à suivre des cours d’un niveau trop élevé dans un environnement compétitif alors que leurs résultats seraient supérieurs dans de moins bonnes écoles à l’atmosphère plus détendue (mismatch theory). L’avocat de l’université du Texas, Gregory Garre, souligna

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au contraire que la solution n’était pas de réserver aux minorités des écoles d`un niveau inférieur et qu’Abigail ne se trouvait pas dans les dix premiers pourcents de sa classe, comme stipulé par la législation. Il précisa également que de nombreuses études démontraient une réduction de la diversité de fait lorsque les programmes raciaux étaient abandonnés aux Etats-Unis. La Cour donna finalement raison en 2016 au programme d’affirmative action de l’université, en assortissant cependant le jugement de précautions oratoires. Le juge Kennedy insista en ce sens sur le besoin d’équilibrer les demandes de diversité avec le traitement égal promis par la Constitution. Ce sont précisément les stratégies discursives favorables ou défavorables à l’affirmative action qui sont l’objet du livre de Sabbagh. Comment formuler la nécessité de ces programmes dans une société qui se revendique aveugle aux différences raciales (colorblind society) ? Paru il y a quelques années déjà, l’ouvrage a donc conservé toute sa pertinence pour comprendre l’actualité des débats sur l’affirmative action aux Etats-Unis. 3 A l’époque où Daniel Sabbagh, désormais directeur de recherche du CERI à Sciences Po, publie L’Egalité par le droit : les paradoxes de la discrimination (2003), l’action positive (ou affirmative action) ne fait pas l’objet d’une investigation scientifique en France. Ce livre, issu de sa thèse de sciences politiques, dépasse le constat simpliste qui chercherait à identifier l’affirmative action à une variable institutionnelle du communautarisme. Publié aux éditions Economica, dans la collection « études politiques », traduit en anglais en 2007 sous la forme d’une version augmentée, l’essai se trouve au croisement de la sociologie du droit et de l’histoire des idées. 4 Sabbagh entreprend d’analyser les facettes de ce phénomène extrêmement paradoxal, dont la date de naissance est traditionnellement fixée dans les années 1960. Pourtant, selon Sabbagh, les politiques d’affirmative action sont l’aboutissement d’une longue histoire politique et jurisprudentielle américaine, qui remonte à l’affaire Dred Scott (1857) et au Treizième amendement. Quelle est la généalogie des pratiques et des discours de légitimation de l’affirmative action ? Quels sont les facteurs endogènes et exogènes qui expliquent les décisions de justice et la formulation d’une telle politique ? Quel est le rapport entre discrimination positive, migration et multiculturalisme ? Sabbagh cherche à tester la validité de l’hypothèse suivante : l’homogénéisation et l’exigence d’abstraction inhérente à la qualification juridique rend difficile la formulation d’une irréductible singularité liée au désavantage des Noirs ou d’autres minorités. Cette difficulté du droit à dire et statuer sur la discrimination induit des stratégies d’énonciations implicites ou de dissimulation. 5 Une introduction permet à Sabbagh de définir ce qu’il entend par affirmative action, soit « l’ensemble des dispositions, de nature publique ou privée, adoptées pour la plupart à partir de la fin des années 60 à l’initiative de différents organes de l’appareil administratif fédéral qui octroient aux membres de divers groupes définis suite à un processus d’assignation identitaire –et ayant été soumis dans le passé à un régime juridique discriminatoire d’ampleur variable- un traitement préférentiel dans la répartition de certaines ressources rares, génératrices de gratifications matérielles et symboliques » (p. 2-3). Cette définition générale met en jeu plusieurs notions (traitement préférentiel des individus définis par assignation identitaire discriminatoire) et doit être enrichie par la distinction entre deux types d’affirmative action liés à un contexte historique. D’une part, l’affirmative action des années 1960 correspondant à une acte antidiscriminatoire visant à augmenter le nombre de candidat noirs dans l’attribution des marchés publics et l’emploi ; d’autre part, la

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politique d’affirmative action des années 1970 qui est la différenciation par un mode de sélection, notamment pour les admissions à l’université. Un état de l’art sur la notion d’ affirmative action lui permet de placer sa démarche à la fois en continuité et en rupture avec les travaux précédents, classés en plusieurs catégories : les ouvrages descriptifs, sociologiques, les études quantitatives d’économistes, les réflexions spéculatives et normatives à dimension philosophique, et les études comparatives. Son analyse se distingue des études précédentes, dans la mesure où l’objet de son livre est d’analyser les rapports complexes entre le droit, la politique et le monde social, et les répercussions du droit dans l’univers extra-juridique. Sabbagh qualifie lui-même cette méthode comme l’étude de « la juridicisation du politique et la politisation du droit » (p. 7). 6 La première partie du livre retrace la genèse de l’affirmative action, en suivant son évolution politico-administrative. Sabbagh rappele brièvement l’ordonnancement particulier du pouvoir judiciaire aux Etats-Unis, comme la tradition de la common law, le système de jurisprudence dépendant de la règle du précédent, la multiplicité des instances juridictionnelles, et le rôle de la Cour Suprême. Inversant un récit dominant et canonique, il montre ainsi que le Civil Rights Act de 1964 n’est que l’aboutissement d’une longue histoire qui émerge avec le Treizième amendement (1865) qui abolit l’esclavage et les Civil Rights Cases (1883), qui interdit la discrimination par les individus et les organisations plutôt que par l’Etat. Ces derniers marquent l’éloignement de la Cour Suprême par rapport aux amendements de la Reconstruction et la réactivation du clivage entre autorités fédérales et fédérées. C’est cependant dans les années 1940 que le pouvoir judiciaire mène une offensive indirecte contre les pratiques discriminatoires. Le principe d’adoption d’une norme antidiscriminatoire applicable au secteur privé est cependant très controversé, dans la mesure où elle va à l’encontre de l’autonomie locale, chère à l’idéologie libérale américaine. 7 Ce tournant des années 1940 s’explique par des facteurs endogènes aussi bien qu’externes, le plus massif étant la participation américaine à la Seconde Guerre mondiale. Le combat contre le nazisme conduit en effet le gouvernement à mettre l’accent sur l’idéal démocratique et égalitaire, dont l’effet est visible par la multiplication des Executive Orders sur les droits civiques. Pourtant, l’implication américaine dans la guerre n’a pas pour effet de marquer la disparition de l’idée de la supériorité de la race blanche anglo-saxonne – simplement, les processus de discrimination et subordination des afro-américains deviennent un enjeu de politique étrangère jusqu’à la Guerre Froide. Contre une lecture triomphaliste de la prise de conscience des injustices raciales, Sabbagh rappelle que les Executive orders (par exemple l’Executive Order de 9381 du président Harry S. Truman sur l’abolition de la ségrégation dans les forces armées) procèdent surtout de calculs politiques pragmatiques à court terme –capter les suffrages de l’électorat noir dans les Etats du Nord- et sont souvent adoptés sous la pression des organisations noires. 8 Certes le Civil Rights Act du président Lyndon D. Johnson (2 juillet 1964) est un événement fondateur, car il interdit aux entreprises de secteur public de refuser d’embaucher ou de licencier en raison de la race, couleur, religion, le sexe ou l’origine nationale, et la loi est étendue en 1972 par l’Equal Employment Opportunity Act aux entreprises de 15 à 25 salariés. Cependant, la question afro-américaine n’est pas désignée dans sa spécificité, puisqu’elle est d’emblée mise sur le même plan que la

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discrimination en fonction du sexe, un amendement ajoutée in extremis par Howard Smith, afin de garantir l’universalité de la formulation du droit. 9 Sabbagh donne deux explications possibles pour comprendre la genèse de cet acte et plus globalement des politiques d’affirmative action des années 1970 : elles correspondent soit à la logique d’urgence des émeutes raciales américaines (notamment les émeutes de Watts en 1965), et font de l’affirmative action un moyen de préservation d’un ordre libéral menacé. Ou bien, elles ont une dimension conservatrice et résulteraient d’un compromis entre les membres de classe moyenne des élites blanches et des dirigeants des organisations noires et hispaniques. Sabbagh préfère la première explication à la seconde, car les émeutes noires dévoilent au contraire le déclin de l’autorité des leaders de ces mouvements. Pour Sabbagh, les innovations de l’ affirmative action sont donc motivées par la préservation pragmatique de la paix civile. 10 Sabbagh analyse ensuite la remise en cause de la politique d’affirmative action, qui suit trois phases successives : la première est l’adoption par la Cour Suprême de 2 décisions charnières, San Antonio Independent School District v. Rodriguez (1973) et Washington v. Davis (1976). La deuxième phase est l’échec des premières offensives sous Ronald Reagan, tandis que la troisième est le démantèlement partiel de la discrimination positive sur les marchés publics et l’admission aux enseignements supérieurs dans les années 1990. Pour les six Etats où la discrimination positive est démantelée (Texas, Mississipi, Louisiane, Californie, Washington, Floride), on assiste systématiquement à un déclin spectaculaire du nombre de noirs et d’hispaniques, une réduction à la fois du taux d’admission et de leur taux d’inscription effective. En ceci, l’affirmative action semble avoir des effets positifs, au moins sur le court terme et la suppression des programmes d’affirmative action est prise par les minorités comme une manifestation d’hostilité à leur égard. 11 Le chapitre 2 retrace alors la généalogie du principe de colorblindness, qui est une clef d’explication pour comprendre l’inachèvement des politiques d’affirmative action. Le Quatorzième amendement marque le début d’une clause de non prise en compte des catégories raciales. Cependant le maintien de la ségrégation scolaire est parfaitement compatible avec cette clause d’égale protection, car la conception dominante est l’idée selon laquelle les races doivent recevoir des modes d’éducation différenciés, étant donné que les facultés sont inégalement réparties selon les races. Le Freedmen’s Bureau (1865-1872) est un antécédent partiel de l’affirmative action : dispositif d’assistance destiné aux esclaves récemment libérés, il permet la création d’établissements d’enseignement à leur intention, et des mesures protectrices justifié par leur exclusion des noirs du corps électoral dans les Etats de la Confédération. Le Quinzième amendement, garantissant le droit de vote aux anciens esclaves, marque donc logiquement la fin du Freedmen’s Bureau. 12 Plessy v. Ferguson (1896) est l’acte de naissance de la colorblindness : il est alors déclaré que la Constitution est aveugle à la couleur de peau. La Cour, influencée notamment par le Juge Harlan, rend son jugement sur la base de « separate but equal » : les Etats sont autorisés à imposer par la loi des mesures de discrimination raciale, comme l’assignation des passagers noirs à des emplacements isolés. Cet événement conduit pas à pas les organisations noires à adopter un virage argumentatif majeur puisqu’elles passent de la dénonciation des inégalités à la dénonciation de la constitutionnalisation progressive d’une norme de colorblindness. Pourtant, Sabbagh remarque avec subtilité la désignation d’éléments fondateurs, présentés comme archétypes de la décision juste,

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comme le mythe de Brown v. Board of Education, déclarant la ségrégation raciale inconstitutionnelle dans les écoles publiques, a un moindre intérêt. En revanche, la réelle question est celle de la détermination du rapport exact entre Plessy et Brown v. Board of Education. Le fait que la Cour prenne délibérément le parti de ne pas se prononcer sur la validité originelle de Plessy illustre le compromis tacite des juges pour éviter que Brown soit perçu comme une condamnation du mode de vie des Blancs du Sud. 13 Sabbagh élargit également la perspective de l’affirmative action au-delà de la sphère du droit proprement dite. En ceci, il ne fait pas fi du déterminant idéologique, c’est-à-dire la cristallisation du racisme aux Etats-Unis dans la seconde moitié du XIXe. La compatibilité apparemment paradoxale entre le principe d’égalité civile du Quatorzième amendement et de la ségrégation raciale procède de la conviction que les classifications raciales sont raisonnables. Sabbagh souligne très justement que l’abolition de l’esclavage n’induit pas la destruction de l’idée selon laquelle blancs et noirs sont inégaux. Les dirigeants américains (Jefferson, Grant) ont eux-mêmes poussé à l’émigration des noirs, bien que cette tendance séparatiste soit également présente chez certains leaders noirs dès les années 1850 (Martin Delany, Alexander Crummell, et plus tard le panafricain Marcus Garvey). La racialisation du nativisme en 1880 influence également le domaine de l’immigration et la politique étrangère, notamment lors de la guerre hispano-américaine (avril-août 1898), puisque l’affirmative action concerne également les étrangers et les immigrants qui peuvent également profiter de ces programmes destinés au départ à venir en aide aux noirs américains. Après Brown, la déracialisation de l’action publique est laissée délibérément inachevée. Sabbagh nuance son avis, en indiquant que l’inachevé n’est pas synonyme de déficience. En vertu de l’exigence de désingularisation et d’universalité qui définit le juridique, le colorblindness met en euvre une représentation déshistoricisée de la race, conçue comme un élement superficiel, réduite à une apparence. Or, la discordance entre la race comme apparence et race comme statut explique la complexité des discours de justification de l’affirmative action, une difficulté explicitée dans le chapitre 3. 14 Sabbagh montre à cette occasion comment l’affirmative action est présentée comme une compensation restauratrice ou une justice corrective (corrective justice) pour remédier à un défaut de symétrie, de proportionnalité et reconnaître une responsabilité de la société (accountability). Pourtant, l’affirmative action est conçue comme une mesure transitoire destinée à accélérer l’égalisation des conditions entres noirs et blancs. Au paradigme de la compensation succède le paradigme de la diversité, moins vulnérable à l’objection de l’inéquité de la répartition des avantages, suite aux plaintes des personnes lésées au début des années 1970. Par exemple, lors de Regents of the University of California v. Bakke, Allan P. Bakke est refusé d’admission dans une école de médecine. Le juge Lewis F. Powell confirme que l’affirmative action est autorisée dans la Constitution et le Civil Rights Act, mais initie la fin des quotas pour les minorités à UC Davis. 15 Le chapitre 4 explore les stratégies de légitimation de l’affirmative action –sa différence avec le chapitre 3 est cependant peu marquée et peu justifiée. Pour Sabbagh, la difficulté de l’énonciation publique pour les partisans du dispositif est l’exigence de neutralité du discours juridique. L’objectif de déracialisation qui commande à sa mise en place est susceptible d’être entravée par des effets pervers, tels que la stigmatisation

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des bénéficiaires, l’intériorisation répétée par les minorités des déficiences expliquant l’adoption d’un régime d’exception en leur faveur. L’implicite des stratégies liées à l’affirmative action est la dimension antiméritocratique, délibérément peu mentionnée dans les discours en faveur de l’affirmative action. Sabbagh recense ensuite les différentes stratégies de soutien argumentatif à l’affirmative action. 16 La première justification est la thèse de Ronald Dworkin, philosophe et juriste américain, qui propose une approche conséquentialiste et stratégique de l’affirmative action conçue un instrument plus ou moins efficace de déracialisation de la société américaine. La seconde justification pourrait être le versant manipulateur et antilibéral de la thèse de Dworkin : l’affirmative action permettrait de modeler les perceptions réciproques des blancs et des noirs, une meilleure régulation des rapports interraciaux et la destruction des stéréotypes. S’il a été prouvé par des études que la mise en contact d’étudiants blancs et noirs entraîne la réduction des stéréotypes raciaux, cette vision utilitariste de la discrimination positive dépersonnalise les individus et en fait des moyens de renforcer une action de l’Etat, selon Sabbagh. La troisième justification est d’ordre psychologique : catalyseur, l’affirmative action permettrait de rehausser le niveau d’attente et d’aspiration des Noirs américains, qui peuvent alors évaluer les probabilités d’ascension sociale. Si la justification conséquentialiste a sa préférence, Sabbagh ne cache pas les difficultés de perversion de ce système de justification, autant qu’il montre la difficulté à délimiter exactement une communauté, qu’il s’agisse des récipiendaires de l’affirmative action, ou de la majorité blanche dont les références souvent accusatoires impliquent nécessairement une simplification réificatrice. 17 Comment ménager l’amour propre des bénéficiaires d’un dispositif nécessaire, quand la récurrence des indices socio-économiques indique une précarité certaine des Noirs américains ? Comment allier l’indispensable diversification du curriculum obtenue de haute lutte par les mouvements étudiants minoritaires des années 1960 pour former les ethnic et les women studies et les remarques sur la fragmentation et la spécialisation indue de l’enseignement ? Dans un dernier temps, Sabbagh souligne l’apport de la pensée de l’historien David Hollinger, qui remet en cause l’extension abusive d’une nomenclature raciale destinée à un domaine civilisationnel trop éloigné. Hollinger interroge également à nouveaux frais la confusion tendancielle entre race et culture, qui suppose une vision réductrice de la culture et obscurcit la logique de l’action antidiscriminatoire. Sabbagh conclut son propos en rappelant les mesures prises pour contrecarrer le déclin du nombre d’étudiants noirs et hispaniques après la jurisprudence Hopwood v. Texas, première réussite légale de contestation du système d’affirmative action après Bakke. Ainsi, des assemblées, comme au Texas, ont imposé l’obligation de prendre à l’université tous les diplômés de l’enseignement secondaire qui figuraient dans les 10% d’élèves mieux classés à l’échelle de l’établissement d’origine ce qui a accru effectivement le pourcentage d’étudiants noirs et hispaniques. 18 L’intérêt du livre de Sabbagh est de replacer les débats de l’affirmative action dans la longue durée de l’histoire juridique et politico-administrative, sans tomber dans l’ornière morale de la condamnation ou de l’éloge, un travers courant des discours sur l’affirmative action. Sabbagh arrive ainsi à déployer la complexité de ce sujet extrêmement polémique qu’est l’affirmative action pour conserver un discours rigoureusement scientifique. Sa connaissance des arrêts et des procès est particulièrement fine et témoigne d’une maîtrise du système juridique américain. Son analyse sur l’injonction paradoxale constituée par la colorblindness est particulièrement

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pertinente et subtile : à partir de textes philosophiques sur la phénoménologie de la conscience de soi, comme ceux de Jon Elster, il montre que l’absence d’intentionnalité revendiquée par le concept de colorblindness contredit l’intentionnalité du désir de faire advenir un état aveugle aux différences raciales, semblable en cela à l’« effort attentif d’indifférence » paradoxal dont parle également Erving Goffman (Goffman 1975, p. 57). Le recours à plusieurs méthodes d’analyses et disciplines (sociologie du droit, études quantitatives, philosophie) lui permet d’élaborer une argumentation extrêmement riche et d’orienter son discours en un sens inédit, c’est-à-dire questionner les tentatives d’occultation juridique de l’affirmative action. 19 Cependant, il est regrettable que la colorblindness soit présentée comme une norme progressivement institutionnalisée par la Constitution, mais que cette affirmation ne soit pas prouvée ou précisée. La colorblindness est-elle un terme né dans un discours populaire ou a-t-elle été l’œuvre de juristes ou de spécialistes tels Daniel P. Moynihan, comme Sabbagh semble le suggérer ? Comment et par qui s’est opéré ce passage entre différentes sphères ? Peut-on affirmer avec évidence que la colorblindness a une signification similaire entre l’arrêt Plessy v. Ferguson, qui est son avènement, et la colorblindness de l’époque contemporaine ? D’autre part, les dissensions entre minorités sur l’affirmative action (par exemple entre les Asian Americans qui considèrent en payer le coût au prix fort et les hispaniques ; entre les femmes blanches de classes moyenne et les hommes blancs, dont la moyenne aux examens d’entrée des universités est majorée pour permettre un ratio homme-femme plus équilibré) ne sont que mentionnées. 20 Il apparaît enfin que l’hypothèse initiale est présentée comme un argument, alors qu’elle est selon nous peu convaincante voire contradictoire : le droit américain, ou common law, est plus que tout autre système juridique un droit jurisprudentiel, c’est-à- dire qui fait de singularité, par la règle du précédent, une institution normative. En ceci, la distinction opérée par Sabbagh entre jugement sociologique particularisant et exigence formelle d’universalité du discours juridique n’est pas un « obstacle » à la formulation de l’affirmative action, mais le fonctionnement même de toute décision juridique. Cette tension entre universalité et singularité du jugement n’est pas une opposition, ni même une contradiction logée au cœur du droit comme le sous-entend Sabbagh, mais bien la condition de possibilité du rendu d’un jugement. Malgré cette affirmation qui aurait mérité une plus grande précision, le livre de Sabbagh rappelle avec intérêt que le rôle de la politique est la distribution des coûts et des bénéfices sociaux, et confirme l’importance de l’affirmative action dans le contexte étatsunien, en dévoilant aussi ses limites et ses non-dits.

BIBLIOGRAPHIE

Goffman, Erving. 1975. Stigmate : les usages sociaux des handicaps (Paris: Editions de Minuit)

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AUTEURS

LAURE GILLOT-ASSAYAG

Sciences Po, Ecole Doctorale d’histoire

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