Bovarysme Et Tragique (Lht Fabula)
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Bovarysme et Tragique (LhT Fabula) http://www.fabula.org/lht/9/camelin.html# Accueil > LHT > Après le bovarysme > 2ossier | mars 2012 | LHT n°9 A7RX, 0E BSVARI,9E C C B T Qu’en est-il de notre relation au réel ? À la fin du e siècle, de nombreux Européens croyaient u’on finirait par conna!tre tout le réel gr#ce $ la science : on remonterait la cha!ne des causalités jus u’$ la cause supr(me, on b#tirait ainsi un système ui rendrait compte de l’ensemble de la nature ) ce ui laisserait intacte la * Chose en ,oi -, ue .ant tenait pour inconnaissable : c’est le domaine de la foi. 0es uns 1énéraient la science, les autres 2ieu, et le plus grand nombre, la science et 2ieu. Ces di1ergences se manifestaient aussi dans les arts 3 les naturalistes proclamaient * hors du réel, point de salut 4 -. 5ola, dans L’Œuvre , atta uait les illusions idéalistes : c’est pour s’(tre lui-m(me * con6u autre - et pour a1oir con6u le réel * autre - $ tra1ers des mythes et des allégories symbolistes, ue 0antier s’est pendu de désespoir. 7our des artistes comme 8usta1e 9oreau, des poètes comme 9allarmé, en re1anche, l’ennemi était le réel et tous les au-del$, philosophi ues ou religieux, sont bons $ prendre car ils sont des ailleurs. Comme * ici-bas a une odeur de cuisine :1] -, le poète chante * l’azur -. ,i le réel est insupportable, reste $ le fuir * anywhere out of the world - ou $ le * conce1oir autre - par l’imagination. Quand Emma Bo1ary se mettait $ table, * toute l’amertume de l’existence lui semblait ser1ie sur son assiette :2] - et elle s’é1adait par ses lectures, ses manigances, ses mensonges, ses r(1eries. * ,e conce1oir autre - selon l’expression de Jules de 8aultier étaitpour elle une forme d’aliénation, de * pathologie - écrit-il. 9ais le Bo1arysme peut aussi (tre puissance d’imagination, * pou1oir de mou1ement - et capacité de dépasser les limites de l’indi1idu. En ce sens, il relè1e de la métaphysi ue du spectacle de ,chopenhauer dont Jules de 8aultier est l’interprète. J’aborderai ensuite la notion d’exotisme de ,egalen, plus influencée par Aietzsche ue par ,chopenhauer, part du bo1arysme pour s’en écarter : l’exotisme correspond $ une intensification de l’existence inséparable du tragi ue de la condition humaine. 1. L B ,i le Bo1arysme est pour Jules de 8aultier une forme d’aliénation au sens propre, * le pou1oir départi $ l’homme de se conce1oir autre u’il n’est - (B. p.10 :3]E, c’est aussi un pouvoir de l’imagination. C’est une * puissance - définie $ partir de l’énergie engagée par l’indi1idu dans l’acte de * se conce1oir autre -. ,elon la première analyse tirée du * cas - d’Emma Bo1ary, le Bo1arysme préfère une énergie faible (imaginaireE $ une énergie forte (réelleE : le Bo1arysme a mené l’héroFne de Flaubert au désastre, $ cause de * la présomption idéaliste d’a1oir tenté d’asser1ir le réel $ son imaginaire - (B. p. 15E. Capti1e $ Ion1ille, elle se met sou1ent $ la fen(tre en r(1assant $ partir des sou1enirs de ses lectures de pensionnaire. Emma est incapable d’(tre en prise a1ec le réel 3 elle a du plaisir $ mentir et $ manigancer des subterfuges, des intrigues. Elle tra1erse magi uement les obstacles en s’imaginant, par exemple, a1ec son amant le long des cJtes italiennes : * au galop de uatre che1aux, elle était emportée depuis huit jours 1ers un paysage nou1eau :4]. - Elle n’in1ente rien, elle bricole sa 1ie a1ec des morceaux de fiction. ,es lectures entretiennent son narcissisme, puis u’elle n’y cherche ue * des assou1issements imaginaires pour ses con1oitises personnelles :5] -. À la différence de Flaubert, ui, en tant u’artiste, a appris $ dominer ses émotions pour construire une Lu1re, Emma r(1asse entre les lignes des li1res, * étant de tempérament plus sentimental u’artiste, cherchant des émotions plus ue des paysages :6] -. Elle est restée fixée aux émois poéti ues de sa jeunesse 3 a1ec 0éon, c’est * 0e 0ac - u’elle déclame le long de la ,eine, or, pour Flaubert, 0amartine est un * robinet - au uel * nous de1ons tous les emb(tements bleu#tres du lyrisme poitrinaire :N] -. Flaubert atta ue ce ui l’agace chez les romanti ues : le sentimentalisme et le goOt d’un pittores ue facile ) ,chopenhauer criti ue, lui aussi, * le radotage de la passion lunati ue et suprasensible :8] - des romanti ues. Emma se sert de la poésie romanti ue en tant u’adju1ant $ son excitation amoureuse, ce ui est une forme répandue de Bo1arysme : utiliser sa culture littéraire pour * se conce1oir - autre ue ce ue l’on est, * enjoli1er - son existence sous un 1ernis de références et de citations, sans ue cela constitue un 1éritable tra1ail de déplacement du sujet. 2ans ce cas Bo1arysme peut rimer a1ec snobisme, comme le précise Jules de 8aultier : le snobisme est * un Bo1arysme triomphant - (B. p. 49E ui remplace la médiocrité réelle d’un indi1idu par des simulacres brillants. ,wann * con6oit - Sdette autre u’elle est, 0egrandin se con6oit lui- m(me autre : À Recherche du temps perdu , comme l’a montré Anne Uenry, uestionne la pensée de ,chopenhauer : le * monde comme représentation - (l’artE doit-il l’emporter sur * le monde comme 1olonté - (la 1ieE :9] ? 0’entreprise littéraire et humaine de la Recherche tend $ dépasser cette dichotomie. Emma, elle, * se con6oit - comme une héroFne de roman sentimental, c’est ainsi ue la 1oit aussi 0éon, mais les tableaux 1aporeux u’elle a composés l’ont menée $ la catastrophe. ,erait-elle une * 1ictime du li1re -, selon l’expression de Jules Vallès ? 0a suspicion de Vallès s’étend $ toutes les formes de lecture, scolaires et d’é1asion, mais l’aliénation 1ient-elle du li1re ? A’est-ce 1 sur 8 29/11/2017 à 17:56 Bovarysme et Tragique (LhT Fabula) http://www.fabula.org/lht/9/camelin.html# pas le lecteur ui reste soumis $ ses réactions affecti1es jus u’$ perdre la conscience du réel extérieur ? Jac ues Vingtras lit Robinson Crusoé * collé aux flancs de Robinson :Y], remué jus u’au fond de la cer1elle et jus u’au fond du cLur :11]. - Jac ues * se con6oit - marin, a1enturier, naufragé, a1ant ue son installation $ Aantes ne lui retire ses illusions sur l’existence réelle des matelots. 9ichel 7icard remar ue ue Jac ues fait * un mau1ais usage de la fiction :12] - ui ne sert ue de tremplin $ la r(1erie. 7our Jac ues, la lecture de romans d’a1enture est une é1asion opposée aux pensums du lycée et au triste * ragoOt - familial. Quant $ Vallès, * il impose de force un sens $ ses lectures, c’est-$-dire une solution artificielle $ ses propres conflits :13]. - 7ourtant la lecture joue un rJle essentiel dans la construction du sujet : en s’identifiant $ Robinson Crusoé, Jac ues a ou1ert dans sa propre 1ie des chemins de liberté ui préparent la ré1olte de * l’insurgé -. ,i empathi ue ue soit sa lecture, elle constitue un 1éritable instrument d’émancipation car elle permet * l’ou1erture d’accès et de désirs d’(tre nou1eaux :14]. - 0a pratique issue de cette lecture diffère du détachement de la métaphysi ue du spectacle schopenhauerienne. 0es extases de l’adultère d’Emma, ui ont succédé aux élans mysti ues de son adolescence, n’en relè1ent pas non plus. En termes schopenhaueriens, Emma est dominée par la * 1olonté - : * 0’homme en proie $ la passion amoureuse, tandis u’il croit poursui1re un but personnel, accomplit le 1Lu de l’espèce -, écrit 8aultier (B. p. 8NE, interprète fidèle de ,chopenhauer. Assujettie $ ses désirs, elle ne soup6onne pas ue se déli1rer de son * moi - égoFste pourrait lui permettre d’atteindre une paix intérieure. Elle ignore ue le plaisir esthéti ue exige la mise entre parenthèses de l’affecti1ité : * dans cet état, nous sommes affranchis de notre triste moi :Y] 0e monde considéré comme représentation demeure seul, le monde comme 1olonté s’est é1anoui :15]. - Emma Bo1ary et Jac ues Vingtras, chacun $ sa manière, sont tra1aillés par la 1olonté, ils recherchent une é1asion dans la lecture, la r(1erie, l’imaginaire car ils ne supportent pas le sort mes uin ui leur est échu. Ils lisent $ la manière de 2on Quichotte, a1euglé par les romans de che1alerie : * 0e che1alier subsume sous les concepts u’il a puisés dans les romans de che1alerie les réalités très hétérogènes ui se présentent $ lui 3 par exemple pour aider les opprimés, il s’a1ise de déli1rer des galériens - écrit ,chopenhauer :16]. Il y a pourtant une différence majeure entre Madame Bovary et L’Enfant . Alors ue la position de Vallès $ l’égard des illusions de la lecture et de la relation entre le li1re et le réel reste ambigu[ (le li1re, selon les cas, libère ou alièneE,celle de Flaubert 1ise $ mettre le lecteur en garde contre les prestiges de l’illusion, comme l’a fait Cer1antès :1N]. ,i maladroites, égoFstes et 1aines ue soient les tentati1es d’Emma et de Jac ues pour échapper au réel, elles ré1èlent cependant une dimension dynami ue du Bo1arysme : le refus d’une médiocrité bourgeoise ue Flaubert était le premier $ exécrer. Aux antipodes du Bo1arysme, on pourrait placer l’épilogue de Guerre et Paix de TolstoF : la comtesse 9arie * ui aspirait toujours $ l’infini, $ l’éternel, au parfait - consent a1ec la plus complète hypocrisie $ sacrifier la charité chrétienne aux intér(ts matériels de son mari Aicolas Rosto1. Ce dernier se soucie uni uement de ses affaires, de ses propriétés, de ses richesses, aussi, écrit TolstoF, * longtemps après sa mort, le peuple conser1a le pieux sou1enir de son administration -. 0éon Chesto1 commente cet épilogue dans La Philosophie de la tragédie : * il n’y a pas en Rosto1 le moindre élément d’ idée 3 c’est la matière brute, l’immobilité, l’inertie :18].