Introduction Le Bovarysme, Nouvelle Génération
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INTrODuCTION 15 Introduction Le bovarysme, nouvelle génération aUx soUrces dU Bovarysme C’est en s’appuyant sur le personnage central du célèbre roman de Flaubert, Madame Bovary (1857) que Jules de Gaultier développe le concept de « bovarysme », dans son traité intitulé Le Bovarysme, essai sur le pouvoir d’imaginer (1902). Ce désir de désirer, si bien décrit par Flaubert, finira mal pour l’héroïne qui, songeant aux événements de sa jeune vie, analyse ses illusions et leur cortège de désillusions et de frustrations : « Quel bonheur dans ce temps-là ! Quelle liberté ! Quel espoir ! Quelle abondance d’illusions ! Il n’en restait plus maintenant ! elle en avait dépensé à toutes les aventures de son âme, par toutes les conditions successives, dans la virginité, dans le mariage et dans l’amour, les perdant © 2012 Pearson France – Les nouveaux Bovary – Georges Lewi ST383-6532Livre.indb 15 11/07/12 16:05 16 LeS NOuVeAux BOVAry ainsi continuellement le long de sa vie, comme un voyageur qui laisse quelque chose de sa richesse à toutes les auberges de la route. » La définition du bovarysme est tout entière contenue dans ces quelques phrases du roman. « Quel espoir ! Quelle abondance d’illusions [perdues] continuellement le long de sa vie ». Belle définition d’une nouvelle génération qui se retrouve au carrefour de moments historiques ! 2010 : la crise économico-financière mondiale, la crise de l’europe, la crise des régimes dictatoriaux ouvrent la perspective d’une obligation pour cette génération de prendre son des- tin en main. Les économistes et les politiques n’ont visi- blement plus que des solutions de rafistolage. Il va bien falloir que la « génération Bovary » fabrique les nouvelles illusions qui lui permettront de « passer le cap ». et trouve en elle les solutions. Déjà, avec les mouvements des Indi- gnés, du Printemps arabe, des réseaux sociaux, de nouvelles consciences environnementales, de nouvelles voies s’annon- cent. Depuis plus d’un siècle, des dizaines d’auteurs se sont interrogés sur la portée du bovarysme, « mythification naïve d’un univers du beau » pour les uns ou au contraire « fonc- tion essentielle de l’homme et même de la vie » pour les autres. Les psychanalystes depuis Jacques Lacan1 s’orientent vers cette seconde lecture. Il s’agit d’extraire le bovarysme de son ancrage pathologique et d’affirmer l’énergie vitale d’une humanité qui cherche à améliorer son sort. 1. Jacques Lacan, « Fonction et champ de la parole et du langage en psy- chanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966. © 2012 Pearson France – Les nouveaux Bovary – Georges Lewi ST383-6532Livre.indb 16 11/07/12 16:05 INTrODuCTION 17 Depuis le romantisme et sans doute bien avant ce mou- vement littéraire, de façon moins explicite, les romanciers puis les psychiatres et les psychanalystes s’interrogent sur ce comportement qui consiste à « fuir dans le rêve l’insa- tisfaction éprouvée dans la vie2 ». Or, c’est précisément cette insatisfaction qui incite au changement, au dépasse- ment de soi, à la création. Il aura peut-être fallu attendre cent cinquante ans, les années 2010 et cette génération Facebook pour comprendre que le genre humain est dirigé par un principe « bova- ryque », un principe de vie fondé sur le devenir, fût-il minuscule. Le changement permet de retrouver et de recréer de l’intérêt pour la nouveauté souvent située au bout de la rue ou plus précisément au bout des doigts de ces « digital natives ». Ils vivent en réseaux et passent chacune de leur minute rivés à leur iPhone comme si leur vie dépen- dait des messages reçus en « non stop ». Ils attendent la surprise de l’instant, et vivent de ce principe d’espérance comme emma Bovary, dans l’attente d’une nouvelle lettre du château, espérait être réinvitée à danser au bal de la Vaubyessard. Les messages de « son réseau social » et de « ses amis » sonnent comme ceux de l’égérie de Flaubert, ils sont une parade à l’ennui, ils représentent la « bonne surprise » et chacun pourrait reprendre ces phrases de Flaubert : « Au fond de son âme, cependant, elle attendait un événement… elle ne savait pas quel serait ce hasard… Mais, chaque matin, à, son réveil, elle l’espérait pour la 2. Jules de Gaultier, Le Bovarysme, suivi d’une étude de Per Buvik, Le Principe bovaryque, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, coll. « Mémoire de la critique », 2006. © 2012 Pearson France – Les nouveaux Bovary – Georges Lewi ST383-6532Livre.indb 17 11/07/12 16:05 18 LeS NOuVeAux BOVAry journée, et elle écoutait tous les bruits, se levait en sursaut, s’étonnait qu’il ne vînt pas… » Cette génération est parve- nue à tuer le monstre de l’ennui et à recréer de ce fait l’espérance, l’illusion que tout peut toujours arriver. Même le meilleur ! On se souvient de ces vers de Baudelaire décrivant l’en- nui, concept qui disparaît du discours des nouveaux Bovary : « Mais parmi les chacals, les panthères, les lices, Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents, Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants, Dans la ménagerie infâme de nos vices, Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde ! Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes, ni grands cris, Il ferait volontiers de la terre un débris Et dans un bâillement avalerait le monde. C’est l’Ennui ! L’œil chargé d’un pleur involontaire, Il rêve d’échafauds en fumant son houka. Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat, Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère ! » Il semblerait que ce dernier vers ait été écrit pour les utilisateurs de Facebook, ainsi décrit sur Wikipédia : « Face- book permet à ses utilisateurs d’entrer des informations personnelles et d’interagir avec d’autres utilisateurs. Ces informations permettent de retrouver des utilisateurs par- tageant les mêmes intérêts. » L’essence de toute vie est dans le devenir : Homo sapiens obéit à la loi du changement. Toute sa vie, l’être humain change et changera, même s’il a des difficultés à l’admettre. Il devient autre, physiquement du bébé au vieillard, intellectuellement © 2012 Pearson France – Les nouveaux Bovary – Georges Lewi ST383-6532Livre.indb 18 11/07/12 16:05 INTrODuCTION 19 de l’enfant à l’adulte, moralement de la révolte à l’accepta- tion… Ou vice et versa. Cette génération en a conscience beaucoup plus qu’une autre car le monde dans lequel elle vit change sans cesse, et donne l’illusion d’un mouvement inces- sant, d’un temps accéléré. Le bovarysme trouve sa renaissance en 2010. Internet et surtout les réseaux sociaux y sont pour beaucoup. Comment savoir plus qu’avec Wikipédia, voir de plus près qu’avec youTube, rêver plus qu’avec expedia, comment agir mieux que sur la blogosphère, comment rencontrer plus et mieux qu’avec Meetic… Le monde fini d’hier peut sembler infini aujourd’hui. L’illusion aussi. Le bovarysme sera-t-il considéré un jour comme un nou- vel humanisme et cette génération comme l’expression d’un nouveau Quattrocento ? Dans ce nouveau contexte d’un monde digital, se débar- rasser du bovarysme devient alors impossible ; Facebook lui-même en a besoin, il l’encourage et l’exige même. La génération Facebook est cette génération « joueuse », qui assume cette contradiction et devient ainsi créative. Le marketing utilise le mot « glocal », agir localement avec des idées globales. Cette génération est non seulement mobile mais aussi « glocale ». elle vit ici et se pense ailleurs. Les experts disent qu’elle est « solomo » : sociale, locale, mobile, trois adjectifs qui expriment le paradoxe de l’ubi- quité absolue. Les nouveaux Bovary vivent ainsi, en lien permanent avec leur iPhone, lui-même connecté à tous leurs « amis », ici et partout à la fois, dans un monde dont ils sont le centre imaginaire, l’œil qui voit tout et se donne à voir avec transparence. © 2012 Pearson France – Les nouveaux Bovary – Georges Lewi ST383-6532Livre.indb 19 11/07/12 16:05 20 LeS NOuVeAux BOVAry dU silence à la transParence : ParcoUrs des générations revenons un instant sur le concept de « génération » et replaçons ces nouveaux Bovary dans leur contexte tem- porel. Les sociologues considèrent qu’une génération est un laps de temps de quinze ans environ, qui correspond à une période assez homogène sur le plan historique, économique et par conséquent sociologique. Actuellement, cohabitent quatre ou cinq générations pleines et actives : ◆ La fin de la génération d’avant la deuxième guerre mon- diale, née vers 1930 ou un peu avant et qui arrive à « maturité historique » (ce qui correspond à un événe- ment majeur) en 1945. Ce sera la génération d’une iden- tité, en particulier politique, à l’origine revendiquée puis très vite « silencieuse ». C’est, d’ailleurs, ainsi que cer- tains sociologues nomment cette génération, la génération silencieuse. ◆ La génération, dite des « baby-boomers » : née dans les années 1945-1950 et qui arrive à maturité historique en 1968. L’identité sera collective. La génération 68 est la génération de la parole par opposition à la génération précédente. ◆ La génération x (du nom de la « naissance sous x », cette nouvelle manière légalisée de donner naissance sans identité), née dans les années 1960 et qui arrive à matu- rité en 1975 avec le premier choc pétrolier, l’arrivée du chômage et les premières désillusions économiques. Cette génération assumera une identité contrainte. C’est la génération de la complainte. © 2012 Pearson France – Les nouveaux Bovary – Georges Lewi ST383-6532Livre.indb 20 11/07/12 16:05 INTrODuCTION 21 ◆ La génération y, née vers 1975 et qui arrive à maturité historique en 1989-1990 avec la chute du Mur séparant le système capitaliste du bloc communiste. Cette géné- ration sera celle d’une recherche individualiste.