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En marge de l'Histoire

L'EXTRAORDINAIRE ET PÉNIBLE ÉVACUATION DE LA POPULATION DE EN AUTOMNE 1939

Un climat lourd et menaçant accablait la campagne lorraine en cette seconde moitié du mois d'août- 1939. L'ombre de la guerre pesait de tout son poids sur les populations laborieuses qui ne la souhaitaient pas. Après le 20 de ce mois; la situation, se dégradait progressivement et la tension ne cessait de monter.. Quelques mesures préliminaires lais­ saient présager le pire : mobilisation partielle des affectés spéciaux, départ des familles des militaires logés à la cité des officiers, partielle­ ment repliées dans la région d'Argentan dans l'Orne, évacuation antici­ pée de quelques personnes malades ou ii:npotentes vers l'hôpital de . Après l'invasion de la Pologne à l'aube du premier septembre, l'inévitable s'imposait. La population civile devait quitter la zone pré­ sumée des premiers combats, en avant et dans les intervalles des ouvrages de la ligne Maginot. La nouvelle he surprit personne. Chacun l'attendait sans pouvoir l'admettre. En ce vendredi du premier septembre 1939, vers onze heures du matin, l'appariteur local traversait les ruelles du village pour la der­ nière fois, invitant les habitants à quitter leurs foyers pour les deux heures de l'après-midi. L'émotion était à son comble. Tristesse et larmes envahissaient les cœurs et les visages. Le premier à se mettre en route fut le curé de la localité, Jean Ramsayer, suivi bientôt de la longue file des pauvres gens, l'un traînant une petite charrette, l'autre poussant un landau de bébé, tous chargés de leur baluchon de misère auquel ne devait manquer le masque à gaz distribué la veille. Ce premier convoi fut ��ivi aus�itôt de celui des paysans réquisi­ tionnés avec leurs chariots attelés, emmenant quelquefois leurs vaches dans la même aventure. Toutes seront abandonnées à la première halte. Comme les routes menant à la frontière étaient réservées à l'acheminement de la troupe, force fut à nos gens d'emprunter de temps en temps les chemins des champs pour poursuivre leur exode. llO

L'été avait été particulièrement ensoleillé cette année-là et ce pre­ mier septembre était très chaud. Par la route de Helling, nos réfugiés gagnèrent - qui n'était pas concerné par l'ordre d'évacuation - gravirent la côte de et, par un chemin de traverse, se rendirent à . Le convoi était accompagné par une assis­ tante de la Croix Rouge Française. Elle sera du voyage jusque dans Je département de la Vienne. A J'école de Metzeresche, nos gens firent une première halte de quelques heures, furent ravitaillés, et, dans la soirée, poursuivirent une route dont personne ne connaissait encore Je but. La nuit tomba, tiède et éclairée d'un beau rayon de June. A travers les localités à demi endormies, Je double convoi des habitants de Veckring, suivi de ceux de Helling et de , gagna Rurange, Ay-sur-, passa ladite rivière, puis par , , et Malancourt, atteignit au petit jour Montois-la-Montagne, première étape de son exode. A ce propos, M. Ramsayer écrira plus tard sur son journal de route : «Le voyage fut pénible ; l'accueil à Montois, bon ». On y resta jusqu'au mardi 5.

Les rares notes prises au cours de ce voyage, les souvenirs de vieilles personnes qui ont vécu ces journées de vadrouille, ont permis ,de reconstituer l'itinéraire de cette évacuation.

Nous résumons : 5 septembre : Départ de Montois-la-Montagne vers Jœuf, Homé­ court, Auboué, Moineville, Beaumont, Hatrize, Labry, Allamont, Moulotte, Harville-en-Meuse. Ici, Je village était rempli de soldats en route vers Je front. Il fallait l't>ger.. -dans · les ,granges.

6 septembre : Marcheville-en-Woëvre, Fresnes-en-Woëvre, Bonzée-en-Woëvre, Mesnil-sous-les-Côtes/ Meuse. En cette localité, nos réfugiés furent bien accueillis et bien logés.

7 septembre : Rupt-en-Woëvre, Génicourt-sur-Meuse, passage de la rivière, Récourt-le-Creux, Souilly, à 16 km au sud de Verdun. On y séjourna deux jours.

9 septembre : lppécourt, Fleury-sur-Aire, Foucaucourt, Triau­ court, Senars, Charmontois-l' Abbé/ .

10 septembre : C'était un dimanche. Le départ se fit tard dans la matinée. Givry-en-Argonne, Remicourt, , Vanault-les-Dames, Sogny-en-l'Angle,, Heiltz-le-Maurupt. On y arriva tard dans la nuit.

12 septembre : , Favresse, Thiéblemont, Farmont, Monsetz-l'Abbaye, Saint-Rémy-en-Bouzémont.

13 septembre : Boussy-aux-Bois, Saint-Ouen, Bréban, Dampier­ re/ Aube. Ill

En douze jours, les habitants de Veckring venaient de parcourir quelque trois cents kilomètres, effectués en partie à pied, en partie juchés sur les chariots transportant les pauvres biens indispensables à leur subsistence. A chacune de ces étapes, le même scénario se renouvelait : accueil par le maire, ravitaillement communautaire, logement chez l'habitant ou hébergement dans les granges, repos et nouveau départ le lendemain. Afin de se reposer des fatigues de cette longue route, on séjourna pendant trois semaines à Dampierre. Entre temps, les derniers espoirs d'un retour prochain en Moselle s'évanouirent définitivement. Cette étape fut marquée par le décès d'un enfant de Helling, inhumé le 7 octobre au cimetière du lieu.

9 octobre : Départ vers la gare d'Arcis-sur-Aube. Alors que les attelages sont abandonnés à Dampierre, nos habitants sont acheminés en autos vers le quai d'embarquement où attend une longue rame de wagons-4e classe qui les conduira par maints détours vers le départe­ ment de la Vienne. Le convoi démarra aux environs de midi et fut dirigé vers Troyes. Ici, d'autres réfugiés mosellans se joignirent à nos gens et le voyage se continua par Sens, Juvisy, Chartres, Orléans, Tours et Chatellerault jusqu'à Poitiers où on arriva le mercredi Il octobre dans la matinée. De là le convoi remonta vers le nord-ouest et s'arrêta définitivementen gare de Villiers, à quelques kilomètres de Neuville-en-Poitou. On tou­ chait enfin au but. Il restait encore une courte distance à parcourir et les habitants de Veckring arrivaient à leur nouvelle destination. Ce sera le bourg de Vouillé qui ies hébergéra. On les y attendait depuis des semaines. Ce matin-là, les agriculteurs du lieu s'étaient rendus avec leurs guimbardes à la gare de Villiers pour y accueillir leurs nouveaux hôtes et les conduire à leurs domiciles. A Vouillé, sur la place haute du village, nos gens furent copieusement ravitaillés avant d'être répartis dans les fermes environnantes. Une nouvelle existence débutait pour eux. Au terme de ces longues et inutiles pérégrinations, la population de Veckring s'est maintes fois interrogée sur les mobiles de son pénible et harassant périple à travers la Champagne et le Centre du pays. Alors que la plupart des populations repliées n'avaient que quelques dizaines de kilomètres à parcourir jusqu'à leur gare d'embarquement, les habi­ tants de Veckring furent soumis à rude épreuve. Erreur d'aiguillage, débordement des services administratifs chargés de l'évacuation des populations de la zone du front, oubli incompréhensible de l'autorité militaire ou carence des responsabilités locales ? A toutes ces conjectures, les archives n'ont encore pu apporter une réponse satisfaisante. Nicolas DICOP