Le Ballon d’

Le sommet le plus méridional du massif vosgien

Le ballon d’Alsace est aussi le point de Leurs moraines formant des barrages rencontre de 3 régions : l’Alsace, la ont créé des lacs. Les vents et les pluies Lorraine, et la Franche-Comté, de trois ont désagrégé les granits des sommets départements Haut-Rhin, Territoire de et lui ont donné cette large forme Belfort et . Il est situé à 22 ronde exceptionnelle qui lui vaut le kilomètres de Belfort et à 17 kilomètres nom de ballon ou de tête encore de Giromagny, à 50 kilomètres de appelée «kopf» sur le versant alsacien. et à 45 de kilomètres d’Epinal. Alors que les principaux massifs Le Ballon d’Alsace domine 4 vallées : européens sont calcaires ou la vallée de la Savoureuse au sud, la métamorphiques l’une des singularités vallée de la Moselle au Nord, la vallée du site est de posséder un sol de la Doller à l’est, la vallée du Rahin à granitique. Ligne de partage des eaux l’ouest. entre mers du Nord et Méditerranée, il pourvoit l’alimentation en eau des L’appellation de ce vaste ensemble de espaces environnants. montagnes s’étalant au nord du Ballon d’Alsace remonte à la période de César La qualité paysagère qui le dénomme «Vogesus». Vosgesus, Vosges viendrait des trois mots celtes : Le ballon d’Alsace forme un «gou» qui signifie bœuf, «gouez» qui observatoire circulaire ouvert à 360° indique aussi sauvage et «us» qui sur une magnifique variété de désigne encore montagne d’où paysages. De son sommet, on peut «Vouguerus» prend le sens de la découvrir l’ampleur des cimes, montagne où il y a des boeufs survoler à l’infini une mer de sauvages. montagnes, par vagues successives des Vosges, du Jura et des Alpes. Une Une curiosité géologique alternance de couleurs claires et foncées se développe dans l’espace à La chaîne des Vosges date de l’époque travers des plans successifs. A nos primaire, elle est l’une des plus pieds, sur la partie sommitale, les anciennes du sol français. De grands couleurs blondes des Hautes Chaumes glaciers ont recouvert toute la chaîne à d’élevage créent le contraste d’un l’époque quaternaire. L’action des milieu ouvert avec celui fermé des glaciers et celle des vents et des pluies forêts au vert soutenu. Puis, tout ainsi qu’un soulèvement modèlent et autour, les moutonnements des Vosges expliquent la forme du ballon sont d’un vert violet, plus loin encore, d’Alsace. Les glaciers ont sculpté des apparaissent les barrières bleutées du vallées en forme d’auge. Jura et enfin la silhouette des Alpes s’estompe sur l’horizon, dans les gris bleu. Le jour de notre visite était un jour de première fois l’admire, s’enivrant du grand beau temps et nous pouvions plaisir de la vue, ne craint que la nuit dont apercevoir les grands sommets il sent que l’heure approche. » vosgiens comme le Ballon de Servance, le Grand Ballon et le Hohneck, ceux du Un espace de frontière et de rencontre Jura avec le Chasseral et perdues dans le col, la ligne des crêtes est depuis les brumes du lointain, les Alpes avec longtemps un espace frontière, à le Mont-Blanc et les pointes cheval sur deux mondes : le latin et le autrichiennes. Tout cela constitue le germanique. panorama qu’on découvre à première vue et qui permet d’apercevoir aux Sans doute les légendes des flancs des montagnes mauves, des conquérants lancés vers les ors du petits lacs aux miroirs sombres qui couchant l’ont traversé, le nom de sont accrochés par endroits. En bas, les Balôn serait issu du culte que percées dessinent les espaces de plaine rendaient au Dieu Bâl (le soleil) les ; celle de la plaine d’Alsace et celle peuplades celtes primitives. aussi de la trouée de Belfort très visible, et toute proche, la vallée de la Les Lorrains découvrirent que Doller. tardivement le milieu du XIVe siècle que la montagne pouvait avoir La beauté de ce site tient dans d’autres usages que la chasse. Les l’ouverture et la fermeture qui lui comtes et abbesses de Remiremont, donnent une valeur permanente assez puis les ducs de Lorraine durent louer forte ce qui explique qu’il soit depuis des chaumes du Ballon aux Alsaciens plus de deux siècles un espace très qui les avaient défrichées. Propriété visité par les populations locales des Lorrains, ce sont pourtant les comme par les voyageurs européens. Alsaciens qui cultivèrent les premiers En 17701, le Marquis de Pezay, alors les «hautes chaumes». touriste venant de Paris parcours le Ballon et note dans son récit de voyage Le sommet parle d’autant plus à «le Ballon d’Alsace est la plus haute, la l’imaginaire contemporain que le plus riche et la plus curieuse des Ballon évoque l’histoire récente. En montagnes des Vosges, tant par ce que la regardant vers l’ouest on se remémore nature y a fait que par ce que les hommes y que l’Alsace fut perdue en 18702 et ont ajouté. Cette partie de la longue chaîne occupée par les prussiens. Après la qui sépare l’Alsace de la Lorraine, recèle les guerre de 1870, la frontière franco- mines du Royaume les plus abondantes en allemande passa pendant un demi- cuivre, plomb, argent. Le voyageur qui siècle sur le Ballon d’Alsace, en suivant parvient au sommet met un pied sur la ligne de partage des eaux des l’Alsace, l’autre sur la Lorraine et étend un Vosges, entre l’Alsace et la Lorraine. bras sur la Franche-Comté. Son oeil se perd avant que l’horizon se termine. Méditant, en extase, ravi de ce tableau et nécessairement exalté, celui qui pour la 2 On raconte localement que si la frontière passait autrefois par le ballon d’Alsace, cela tient à la 1 D. Feltre, Le Ballon d’Alsace, Centre ténacité du Colonel Denfert-Rochereau qui résista Départemental Pédagogique de Belfort, Belfort, plus de cent jours aux prussiens pendant la guerre sans date de 1870. C’est grâce à cette situation de Les Hautes Chaumes sont issues du frontière que les villes périphériques défrichement des hêtraies, engagé dès comme Belfort ont dû leur le VIe siècle pour l’élevage bovin. Le développement à partir de 1870. La nom : les Chaumes désigne des prospérité locale tient aux migrations pâturages sur les sommets, des terrains régulières des populations venues du maigres, stériles, isolés ou déserts qui à cœur de la riche Alsace vers l’ancien l’origine furent un lieu fréquenté par arrondissement de Belfort. les bêtes sauvages, les bisons et les aurochs. Le Ballon d’Alsace est un territoire de rencontres. Le marcaire, préposé à la garde des troupeaux est aussi chargé de la Ce point de convergence des trois fabrication des fromages et trouve régions est le véritable lieu d’échanges l’origine de son nom dans le mot entre les hommes des trois vallées et allemand «melken» qui signifie traire. leur savoir-faire. Le succès de la Avec le lait des vaches on fabrique le traditionnelle fête artisanale du fromage de Munster3. Les Hautes dimanche 19 août 2001 l’atteste. Mais il Chaumes forment ainsi un espace de faut aussi se souvenir que depuis plus landes et de pâturages montagnards de deux siècles, le massif vosgien est qui nourrissent en herbe de qualité les devenu un espace de pratique sociale troupeaux. La flore n’est pas très de grand air. L’organisation de ces diversifiée, mais on y trouve des pratiques s’est concrétisée au XIXe essences très rares comme la pensée siècle dans la formation du Club des Vosges (viola lutea), espèce Vosgien. endémique qui n’existe nulle part ailleurs et qui provient de l’héritage Des séquences paysagères singulières glaciaire. Par endroits on croise aussi la myrtille, la gentiane jaune, le lys Les chaumes sommitales, les versants Martagon, l’arnica ou la renoncule boisés, les fonds des vallons et la route dorée. d’accès au site sur le territoire de Belfort forment les ambiances Les versants du Ballon présentent des paysagères les plus significatives. espaces fermés, boisés, et des espaces semiouverts L’ensemble de ces séquences montre • les versants boisés forment des que le ballon est depuis plus de mille reliefs sculptés par le ruissellement ans un lieu cultivé et non pas un des eaux. Domaines des hêtraies- espace uniquement naturel et que ce sapinières, ils sont entretenus en patrimoine exige un entretien régulier. futaies jardinées et du côté alsacien, Les Hautes Chaumes soulignent dans autour du cirque d’Alfeld, on trouve un vaste plateau en pente légère sur les éboulis et les ravins rocheux tournée vers l’ouest la forme ronde presque tendre du sommet. La partie sommitale est encadrée par les lisières 3 Xavier Thiriat, Gérardmer et ses environs, Paris, des massifs forestiers qui masquent la Imprimerie Tolmer, 1882, précise que dans les transition brutale avec les fortes fermes auberges “ Maicaireries ” d’autrefois : “ On préparait les fromages façon gruyère et un fromage pentes. plus mou de la nature du Géromé des érableraies à côté de frênes et que partout un cheval peut y galoper tant à d’ormes. Ces paysages boisés se la montée qu’à la descente». La photo caractérisent par l’intimité de leur aérienne qui la représente montre toute ambiance et la variété des couleurs la qualité de son dessin dans le site. qui tient tant à la végétation qu’aux couleurs de la roche. Le granit Elle comprend une collection montre une couleur rosâtre. Le d’ouvrages de grande qualité, un végétal offre les verts tendres des patrimoine savant et soigné en pierres feuillus au printemps, les verts appareillées : ponts, ponceaux et murs sombres des sapins, sans oublier la de soutènements. Elle traverse par pureté blanche avec l’unification du ailleurs une très belle hêtraie sapinière massif sous la neige en hiver. et forme un circuit de paysage agréable d’accès au site. • Les espaces ouverts ou semi-ouverts des vallons, avec la présence des Des Hommes et des métiers. fermes auberges qui gèrent autour Des hommes et des métiers ont fait d’elles le paysage, côté alsacien, le vivre ces paysages ; d’abord les bergers vallon du Wagenstallbach et celui ou les marcaires liés aux chaumes, les du lac d’Alfeld présentent des bûcherons, les schlitteurs et les clairières constituées de prairies charbonniers liés à la forêt, puis les ouvertes. Les fonds des vallons sont militaires et enfin les touristes. Pour le domaine de l’habitat forestier comprendre ces paysages, il convient humide avec des aulnaies, fresnaies. de les évoquer. Le régime des cours d’eau est

souvent à caractère torrentiel Les bergers ou les marcaires. comme les cascades du Rummel. Ce paysage est ponctué par des Le marcaire ou le berger provient du tourbières à Molinie et de multiples mot allemand qui signifie traire. Ils espèces de Carex. étaient presque tous alsaciens ou

parfois suisses. Ils vivaient La route en venant de Belfort se frugalement, vêtus simplement avec présente comme une magnifique voie des habits en grosse toile de chanvre, formant un développé harmonieux de des sabots à leurs pieds nus et pour lacets. C’est typiquement une route couvre-chef une calotte de cuir. Il d’ingénieurs paysagistes, tracée au possédaient aussi une pochette de cuir XVIIIe siècle, et réhabilitée au XIXe qu’ils attachaient volontiers à leur siècle, elle offre un dessin parfait qui ceinture et qui contenait du sel et des épouse avec soin toutes les courbes de herbes aromatiques pulvérisées utiles niveau. pour la santé des bêtes. Ils étaient La route fut commencée4 en 1752 et attachés à leur liberté et à leur terminée en 1763. Le Marquis de Pezay indépendance et ne se plaignaient pas évoque alors «le chemin tellement trop de la solitude à laquelle ils étaient ménagé, sa coupe si savante et les spirales contraints durant plusieurs mois. qu’il forme, dessinées si admirablement,

4 Voir sur ce point les recherches présentées par D. Feltre, op. cit., p. 31. Ils avaient plaisir à dire et à chanter5 on y trouvait là, entassés, tous les que «Sur les montagnes, il fait bon habiter ustensiles utiles à la traite ; une table, qand elles sont couvertes de fleurs, je me un banc, une étagère. L’autre pièce sens plus grand que le plus puissant des était une chambrette avec un lit. princes ». Les pâtres montaient sur les L’étable était située soit sous le même «hautes chaumes» vers le 25 mai. toit que la fromagerie, soit un peu à l’écart. Elle mesurait 3 à 6 mètres et Le marcaire avait déjà porté ses pouvait atteindre 30 m de long si le ustensiles à la métairie de montagne. troupeau était important. On Le bétail grimpait tôt le matin par les rassemblait deux fois par jour les chemins boisés, dans le tintement des vaches qui étaient attachées par le cou clochettes, avec en tête du troupeau la pour la traite. plus belle vache laitière, ornée de fleurs. Le berger et son garçon Le troupeau appartenait au marcaire suivaient, tous deux portant sur le dos qui était néanmoins contraint de louer des seaux à lait, ce qui ne les chaque été un certain nombre de bêtes empêchaient pas de saluer au passage supplémentaires pour obtenir une la nature qui allait les accueillir près de quantité suffisante de lait. Une vache quatre mois. Le marcaire était très donnait à peu près durant l’alpage superstitieux, il croyait aux esprits, aux d’été un quintal de fromage et un lutins et aux feux-follets. Il avait un hectare de terrain pouvait nourrir une talisman : la gentiane. Jamais il tête de bétail. C’étaient des bêtes de n’invitait son épouse sur les chaumes. choix plus robustes que les animaux de Il lui était interdit de boire du vin et de plaine ; traditionnellement la vente l’alcool, car il devait garder toute sa s’effectuait à Bâle. tête ; de même son chien ne devait en aucun cas faire peur aux bêtes pour Chaque jour, le lait des traites du soir conserver au lait toute sa qualité. et du matin était versé dans un chaudron de cuivre, chauffé à 30-37°C. Arrivés dans les pâturages, le marcaire Il fallait environ 6 litres de lait pour et son valet s’installaient dans la obtenir 1 kg de fromage. On y ajoutait métairie, construite près d’une source, 5 cm3 de présure et en deux heures faite en maçonnerie et troncs de sapins l’ensemble était caillé. A l’aide d’un non équarris, très basse, au toit aplati grand couteau de bois (le sabre à lait), et consolidé de grosses pierres pour on coupait la partie solide, puis on mieux résister aux tempêtes. La remplissait les moules à fromages, en hauteur ne dépassait pas 2,25 m ; elles bois percés de trous pour permettre un étaient de forme carrée. Les plus meilleur égouttage. Cette opération spacieuses atteignaient 4 m de côté. s’effectuait dans la salle à fromage où Des tampons de mousse étaient la température était maintenue entre enfoncés dans les interstices pour 15° et 20 °. Au bout de trois ou quatre arrêter le vent. L’intérieur se composait jours, les fromages étaient salés et mis de deux pièces. L’une servait de en cave pour 5 ou 7 semaines. cuisine, de fromagerie, et d’habitation ; Autrefois, le sel, très cher, était remplacé par de la cendre mélangée à de l’urine d’enfant.

5 Voir sur ce point D. Feltre, op. cit., p. 18 Des lavages et brossages réguliers à dans le grenier à foin, pour passer la l’eau tiède et un lent affinage dans la nuit. Il y avait affluence, surtout le jour cave faisaient lentement roussir les de la fête des pâtres, le dimanche de la fromages. Le marcaire fabriquait du Saint-Jean. Au plus tard, le 29 beurre et du fromage (géromé ou septembre, les marcaires quittaient les munster). Un valet ou un aide chaumes avec les troupeaux, au son descendait à la fin de chaque semaine des clochettes. Les métairies dans la vallée pour vendre ces abandonnées pour la mauvaise saison produits. par leurs locataires ont été parfois détruites par les guerres ou laissées à L’origine des fromages est très l’abandon. Certaines de ces métairies ancienne mais le fameux munster sont néanmoins devenues aujourd’hui n’apparaît véritablement qu’au XVe des fermes-auberges qui continuent à siècle. Après la guerre de Trente ans, accueillir et à faire vivre le territoire du les Suisses et les Tyroliens vinrent Ballon d’Alsace. Elles ont souvent s’installer sur les «hautes chaumes» et conservé les secrets de fabrication apportèrent avec eux le «cor des Alpes», séculaires du «munster» ou du «l’Alphorn», qui étaient pour eux un «géromé». moyen de communication entre marcaires car le son du cor porte La forêt Vosgienne jusqu'à 10 km ; il constituait aussi pour le berger un instrument de musique Les Vosges longtemps couvertes de qui distrayait sa solitude. Les chansons forêts attiraient déjà à l’époque de d’époque témoignent de leur vie Charlemagne de nombreux chasseurs simple et de leur gaieté : qui poursuivaient les bêtes sauvages. « Mon bonheur est sur la montagne, A la fin du XVI e siècle, la forêt Ma joie est sur la montagne, couvrait encore des espaces Non, nous ne chantons pas pour rien, considérables qui présentaient un Non, nous ne chantons pas en vain. paysage dont le Marquis de Pezay Jodler, crier de joie, siffler, chanter6 » donne en 17707 une image littéraire : «Temples austères, élevés sous le souffle de Jusqu’en 1930 les fermiers continuaient Dieu, consacrés par le culte de nos toujours à jouer de cet instrument. Au ancêtres, nos profondes forêts des Vosges, fil des ans avec le développement du dans le calme solennel de leurs massifs tourisme, un dansoir fut installé à côté impénétrables à la lumière d’en haut, de la marcairie. En 1906, les 5650 impriment au visiteur sensations de animaux côtoyaient régulièrement les religieux, respect, plus intenses et plus vifs touristes sur les chaumes du versant que tous les édifices voués au culte divin alsacien. On recevait alors les par la main de l’homme»8. dimanches et jours de fête une jeunesse Au coeur de la montagne, les habitants qui venait s’exercer au violon et à la des vallées venaient librement et clarinette. Sur les hautes Chaumes, Le régulièrement y chercher leur bois de visiteur trouvait toujours un bon chauffage. accueil : un repas frugal fait de fromage et de pain de seigle l’attendait et s’il le souhaitait, il trouvait une place 7 Cité par D. Feltre, op. cit., p. 20. 6 Cité par D. Feltre, op. cit., p 18 8 Cité par D. Feltre, op. cit., p. 20. Puis plus tard, les marcaires en tirèrent sur le monde. Le bouleau possède de la aussi sans contrôle, leur bois de grâce avec sa tige à l'écorce satinée et construction. Cette forêt a néanmoins ses branches qui flottent légèrement. donné lieu à des règlements forestiers Le tilleul dévoile sa silhouette à sévères. Pour comprendre l’intérêt et l'écorce grise marquée de longues surtout le sentiment que les gerçures, aux nombreux rameaux lisses populations portaient à ces espaces, on et luisants, et dont la cime forme une doit nécessairement aller en forêt. De sphère. La flèche droite du sapin et son toutes les saisons, c'est sans doute feuillage sombre, vibrant, résistant à l'hiver qui nous révèle l'aspect le plus l’orage et aux tempêtes, inspire le secret de la nature sylvestre. Eclairée calme. Le sapin était d’autant plus par la douceur du soleil, filtrée par les vénéré par les populations des brumes, la coloration des bois en hiver montagnes vosgiennes qu’on taillait présente une variété de tons délicats, dans son bois les solives et les murs qui va des gris lumineux au noir des métairies des chaumes, ou les réchauffé de bistre des écorces, des cabanes des bûcherons, il servait aussi verts argentés des mousses, aux verts à édifier de nombreux hameaux. laqués du houx, jusqu'au vert sombre L'intimité que les hommes des ronces. Les feuilles desséchées et entretenaient avec les arbres tenait au rousses des chênes, le dessin dentelé fait que leur existence même était du lierre, l'ivoire jauni des tiges sèches dépendante de la forêt: : « ... Dans cette des graminées enrichissent de diverses forêt qui le matin (...) a l'air de fondre en couleurs cette palette délicate. Sous nos pleurs campent plusieurs corps de métier : pieds, les feuilles forment un épais les bûcherons, les charbonniers…»9. tapis, mais chacune isolement montre La forêt fournit aux populations toutes son essence d’origine. On y retrouve le sortes de nourriture. Les fruits jaune paille de la feuille des érables sauvages, particulièrement les dont les lobes dessinent une main myrtilles ont fait la renommée des dentelée, la feuille ovale vernissée délices du Ballon d’Alsace. Les rouge de l'alisier, le blanc grisâtre de la champignons qu'on ramasse en longue feuille de saule. Mais pour automne, surtout les bolets, les saisir la véritable personnalité d'un chanterelles ont longtemps été la base arbre, parmi les autre essences de la nourriture de ceux qui vivent forestières, il faut le voir sans feuilles directement de la forêt. lorsqu'il montre l'ordonnance habituellement cachée de sa Les bûcherons physionomie, l'élancement de son fût, Sur la coupe, adossée à un l'armature de ses branches. On escarpement rocheux, se dressait la reconnaît le hêtre à la superbe rondeur cabane du bûcheron. C’était une de sa colonne gris argenté et l'élégante construction simple, composée de architecture de ses fines ramures. Le troncs de sapins et d’écorces qui grand chêne, atteint l'âge adulte à 100 servaient pour couvrir le toit. ans, la maturité à 200 ans et devient un vieillard superbe au tronc noueux, aux branches noires et farouches agitées par on ne sait quelles vastes réflexions 9 André Thieuret, La vie rustique, Paris, Launette, 1888, p. 52. A l’intérieur, pas de fenêtre, le foyer L’arbre abattu était tronçonné, débité était aménagé dans un coin, contre le en morceaux de 4 mètres. Les grosses rocher et un trou dans le toit branches étaient transformées en bois permettait aux fumées et aux vapeurs de chauffage, les petites en fagots. de se dégager. Une planchette retenait L’ensemble était pris en charge par les les cendres du foyer. Le lit en bois était schlitteurs et ensuite les voituriers. cadré par des planches mal équarries, le bûcheron n’avait ni matelas, ni Les Schlitteurs couverture et se couchait tout habillé sur les ramilles de sapin entassées dans Les troncs abattus par les bûcherons le cadre du lit. Quand le jour baissait, étaient ensuite transportés dans la l’ouvrier rentrait au gîte pour préparer vallée par les schlitteurs qui comme les le repas du soir, celui-ci se composait bûcherons accomplissaient un dur de pommes de terres rôties sous la travail pendant de très longues heures. cendre ou cuites à l’eau. Parfois il Ils commençaient à cinq heures du mangeait une soupe agrémentée d’un matin, au petit jour, pour achever leur morceau de lard, du pain noir et un besogne à la nuit tombante à huit peu de fromage. Il buvait de l’eau mais heures du soir ; ils faisaient ainsi en bénéficiait parfois d’un peu d’eau-de- moyenne des journées de quinze vie provenant de la distillation de heures. Le schlitteur dessinait et pommes de terre ou de blé. Il mangeait édifiait lui-même la voie pour évacuer sur ses genoux, car il n’y avait pas de le bois comme le traîneau qui va le table dans sa cabane. Il ne rentrait dans porter. Ce traîneau pesait entre 15 à 25 sa famille que le dimanche. Le métier kg et devait être à la fois solide et léger, était dangereux en particulier dans le car depuis la vallée, l’homme le cadre des opérations d’élagage et remontait sur son dos. Pour construire d’abattage des arbres. Pour élaguer, l’engin, le bois était choisi avec travail qui lui était imposé, il grimpait attention : du frêne pour la charpente, au tronc à l’aide de crochets de fer aux de l’érable pour les brancards. Les pieds. De la main droite qui portait la semelles du véhicule, aussi en bois, hache, il coupait les branches souvent à s’usaient rapidement, brûlées par le une hauteur de 25 à 35 m au dessus du frottement, elles semblaient comme sol. Chaque année cette besogne brûlées. Le chemin de schlitte était entraînait la mort d’hommes. formé de traverses régulièrement L’abattage se pratiquait en toutes espacées de 30 à 35 cm, apposées saisons mais de préférence en hiver. Il contre des piquets ou fixées sur 2 nécessitait la présence de deux lignes de troncs d’arbres couchés à bûcherons qui taillaient à la hache terre. Ce chemin avait l’apparence toute la circonférence sur une hauteur d’une interminable échelle, long de 4 à de 1,50 m pour supprimer le 7 km. Sa largeur était de un mètre, de renflement dû à la naissance des deux mètres dans les tournants. Parfois racines. Six heures de travail le terrain exigeait la confection de préparatoire étaient alors nécessaires et ponts et de viaducs édifiés avec des seulement une demi-heure pour piles et des madriers. abattre l’arbre avec la scie « passe- partout». Six, huit, dix traîneaux pouvaient se vivre ainsi un grand nombre de gens suivre sur un chemin de schlitte, autour de petits métiers : les chacun conduit avec adresse par son fabriquants de sabots, de tuyaux de conducteur. Le schlitteur chargeait sur fontaines, de balais, de bardeaux. sa luge 2 à 3 stères de bois qui Avant le XVIe siècle, les scieries comprenant le bois de chauffage, les s’étaient spécialisées dans la grumes… Seuls les grands troncs fabrication de bardeaux. Après le XVIe étaient traînés par les animaux de trait siècle, cette fabrication fut délaissée au jusqu’au chemin des voituriers. Pour profit des tuiles pour le revêtement des ne pas multiplier le nombre de courses toits. Ces dernières étaient en effet le schlitteur chargeait au maximum devenues meilleur marché et étaient son traîneau, ce qui rendait le métier aussi moins dangereuses en cas dangereux et les accidents nombreux. d’incendie. Malheur à celui dont le genou plie ou dont le pied glisse sur une traverse car Les charbonniers il est renversé et son corps comme ses membres peuvent être broyés sous le Au XVIe siècle dans les forêts du poids du chargement. Le schlittage massif vivaient aussi quelques était tributaire des températures et du charbonniers. Ceuxci travaillaient à climat. Une grande chaleur, avec les plusieurs kilomètres de leur lieux semelles qui sous le frottement d’habitation et ils traitaient avec leur charbonnent, peut entraîner le traîneau client par des contrat signés. Sur le à prendre feu. La pluie au contraire chantier, leur premier souci était de expose le schlitteur à glisser et s’il construire une cabane, sorte de hutte survient une ondée l’homme doit en bois rudimentaire entourée de abandonner son traîneau et le laisser plaques d’écorce avec juste une perdre pour éviter tout risque. Lorsque ouverture servant de porte. A tous les produits de la coupe étaient proximité, le charbonnier plaçait les descendus (troncs, fagots, souches ou fourneaux à l’abri des grands vents écorces…), le chemin était abandonné pour y entasser 30 à 40 stères de bois à pendant 10 ou 15 ans. On récupérait consumer. Huit jours étaient alors les traverses qui avaient servi à la nécessaires pour obtenir construction du chemin pour en du charbon de bois tout en surveillant vendre le bois. Tous ces bois provenant constamment le feu. Pour le refroidir des coupes des montagnes vosgiennes complètement on devait attendre 24 étaient déposés sur un chantier dans heures. Les sacs qui contenaient le une prairie où venait aboutir une route charbon pesaient de 100 à 120 kg, ils carrossable. Avant la construction des étaient emmenés dans une grande routes et des chemins de fer, le bois benne en noisetier de 7 mètres de long était transporté par flottage dans les jusqu’à la gare la plus proche . torrents jusqu’aux villages et villes comme Strasbourg. Les Mineurs

De nombreuses scieries étaient La forêt des Vosges a aussi été peuplée installées au bord des torrents au cœur autrefois par une population de de la montagne, alimentées à profusion mineurs. Les débuts de l’exploitation par le bois des forêts. La forêt faisait minière datent probablement du XIIe siècle. Ce sont les princes de la Maison qui ferait désirer qu’ils perfectionnent de Montbéliard qui avaient fait puisque les institutions sociales ont rendu exécuter les premiers, des recherches l’or nécessaire. Du fond de ce dédale minières dans le sous-sol de la vallée ténébreux où tant d’hommes ont péri pour de la Savoureuse. Une charte des orner de quelques paillettes de plus les archiducs d’Autriche en fait état en habits de quelques-uns de leurs semblables, 1387 et indique : « que l’on doit j’ai remonté au dessus de la surface . J’ai continuer à rechercher et travailler le trouvé belle l’invention de ces puits minerai d’argent de Masevaux. » Cette profonds qui transmettent l’air industrie minière exige une main- indispensable à des êtres qui s’en privent d’oeuvre spécialisée ; les villages de pour six sols par jour. J’ai vu et j’ai admiré Giromagny et Lepuix-Gy prennent à comment ces mêmes ouvertures permettent cette époque leur essor tandis que de faire mouvoir des pompes et des roues ingénieuses qui portent, à la surface, l’eau d’autres se créent comme Auxelles- gagnant sans relâche au fond de ces riches Haut autour de cabanes de bois abîmes où, par un danger toujours présent, construites à la hâte pour les accueillir. elle rend la force et l’activité à tant de Des galeries sont ouvertes à malheureux, bravant mille morts pour Giromagny, Lepuix-Gy, Auxelles-Haut gagner leur vie »10… et de 1590 à 1594, une tonne d’argent est extraite. Ainsi au XVIe siècle Colbert et Louis XIV ont essayé de s’ouvre une ère de prospérité grâce à relancer l’exploitation des puits du l’exploitation de l’argent, encouragée Ballon d’Alsace. Bien que l’extraction par les ducs de Lorraine. A partir de ait été facilitée par l’utilisation de la 1520, les mineurs viennent de partout poudre comme explosif, ce qui et leur nombre atteint 3000 en 1545. Ils soulageait les mineurs. Les mines creusent au burin et ouvrent dans la s’épuisent au fil des ans et leur déclin vallée de Sainte-Marie aux Mines, plus se profile lentement. A la veille de la de 600 mines représentant 70 km de révolution, il ne reste que cent galeries. Douze fonderies travaillant cinquante mineurs jour et nuit leur sont attachées et la production d’argent pur dépasse alors Les touristes. 3 tonnes par an. La renommée du lieu sera renforcée par d’exceptionnelles Comme le dit M. Feltre : «dans le Ballon trouvailles : un bloc d’argent de 300 kg d’alsace, tout est curiosité. Chaque pierre, qui est offert à Charles Quint en 1539, chaque construction, chaque tournant de tandis qu’en 1581 on découvre un route presque a son histoire, enjolivée autre bloc de 592 kg. Le travail dans la souvent par la tradition populaire.» On ne mine était très pénible : des galeries de peut par conséquent s’étonner qu’au 2 m de haut et de 60 à 70 cm de large XVIIIe siècle déjà les voyageurs en obligent à un déplacement difficile. faisaient l’ascension et que la L’extraction du minerai se fait à la promenade était devenue une main à l’aide d’un marteau et d’une promenade littéraire sinon obligée du pointerolle. Le marquis de Pezay en moins fréquente pour l’élite cultivée. donne un témoignage : « J’ai descendu 300 pieds sous terre, pour admirer ce qu’il eut été peut être à souhaiter que l’avarice n’eut pas fait inventer aux hommes, mais 10 D. Feltre, op. cit., p. 51 Madame de Sabran en relate le montagnes que le panorama donnait à parcours en septembre 1787 dans une voir. Au fil des ans le Ballon était lettre au chevalier de Boufflers : « me devenu pour les trois régions une voici à St-Maurice, dans une assez jolie promenade habituelle. On le voit, au fil petite auberge pour un endroit aussi des années, se sont croisées diverses sauvage. Nous venons de manger populations qui ont su tirer parti des d’excellentes truites. Il est 7 heures du soir potentiels du Ballon d’Alsace. La et nous allons nous coucher pour nous beauté du paysage, la situation lever avant une heure du matin afin de géographique particulière comme les devancer le jour sur cette fameuse ressources que ce site conserve sont montagne (…). Nous nous sommes mis en autant d’atouts pour un avenir qui marche à 1 heure du matin, la lune brillait reste à inventer autour de nouvelles de son plus doux éclat… sur les trois activités que l’intelligence humaine ne heures, nous sommes venus sur la cime.. Je manquera pas de trouver. n’ai peut-être de ma vie autant souffert de froid et du vent qui était insupportable... Il fallait attendre le jour, voir le lever du soleil, comme nous l’avions projeté... Une belle aurore préparait l’arrivée du soleil pour notre plaisir, et semait son chemin de topazes et de rubis… Insensiblement, il parut à nos yeux comme un globe de feu, d’où s’échappa en peu d’instant un foyer de lumière que l’œil ne pouvait plus fixer, et devant lequel j’étais tentée de me prosterner d’admiration. quel éclat ! Quelle majesté ! En vérité, je crois que c’est le Dieu du monde… »

Au début du vingtième siècle malgré cette admirable réputation, le tourisme était encore réduit dans le massif. Il ne prit que très lentement son essor. Pour cela il fallut baliser les sentiers et avec ce premier effort, des itinéraires pédestres dont on fit la promotion, attirèrent les amateurs de marche à pied et de plein air, dans la région belfortaine. Dès 1886 on partait le plus souvent du Saut de la Truite pour accéder au sommet. Bientôt grâce aux efforts de la section d’Epinal du C.A.F. les principaux sentiers furent balisés et de nombreux poteaux indicateurs les jalonnèrent. Tout en haut, à proximité de la statue de la Vierge, une table d’orientation donnait la direction des villes voisines et des sommets des