Vibrisme et Cubisme : étude d'oeuvres à thème sportif de Rij-Rousseau dans les années 1920

Mémoire

Florence Gariépy

Maîtrise en histoire de l'art - avec mémoire Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Florence Gariépy, 2019

VIBRISME ET CUBISME ÉTUDE D’ŒUVRES À THÈME SPORTIF DE RIJ-ROUSSEAU DANS LES ANNÉES 1920

Mémoire

Florence Gariépy

Sous la direction de :

Françoise Lucbert, directrice de recherche

RÉSUMÉ

Cette étude porte sur la pratique de l’artiste française Jeanne Rij-Rousseau (1870-1956). Au début du XXe siècle, cette créatrice évolue dans les cercles d’avant-gardes parisiens. Bien que ses œuvres soient régulièrement associées à l’esthétique cubiste, elle développe une technique originale, qu’elle appelle le vibrisme, et qui lui vaut une certaine reconnaissance de son vivant. Aujourd’hui toutefois, son œuvre est tombé dans l’oubli. L’objectif de cette première étude universitaire est de contribuer à la connaissance de cette figure. Ce mémoire vise à faire ressortir la spécificité de sa production artistique. Les nombreuses représentations de l’univers du qu’elle réalise dans les années 1920 ont particulièrement contribué à la fortune critique de l’artiste. L’étude s’appuie donc sur un corpus thématique d’œuvres à thème sportif qui incarnent la recherche d’une modernité plastique : Les Courses, Les Rameurs, Géo-Charles au Vélodrome d’Hiver et Les Lutteurs. L’analyse détaillée de celles-ci permet de mettre en valeur les rapports de l’art de Rij- Rousseau avec celui des cubistes et des futuristes, et de mieux situer son apport à l’histoire de l’art moderne.

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SOMMAIRE

Résumé ...... ii Sommaire ...... iii Liste des figures ...... v Remerciements ...... x

Introduction ...... 1 Bilan historiographique et limite des sources ...... 5 Cadre conceptuel ...... 13 Méthode ...... 23 Justification du corpus ...... 25 Division du mémoire ...... 27

Chapitre 1 Étude de la réception d’une œuvre : Les Courses (1924) ...... 29 1.1. 1920 : La Section d’or ...... 31 1.1.1. Arrivée tardive, départ hâtif ...... 35 1.2. 1923 ...... 39 1.3. 1924 : « L’incident des Tuileries » ...... 40 1.4. Analyse de l’œuvre ...... 41 1.5. Effet d’entraînement ...... 44 1.6. Conclusion ...... 48

Chapitre 2 Construction : de Vibrisme (1917) aux Rameurs (1924) ...... 50 2.1. Mise en contexte : les artistes « destructeurs » ...... 52 2.2. Nouvelles géométries ...... 54 2.2.1. Le « Cubisme de Puteaux » ...... 55 2.3. Analyse des Rameurs ...... 58 2.3.1. Un sujet moderne ...... 59 2.4. Structure vibriste ...... 61 2.4.1. Géométrie du nombre d’or ...... 64 2.4.2. Vibrisme (1917) ...... 67 2.4.3. Dynamisme et lignes de force ...... 69 2.5. Conclusion ...... 72

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Chapitre 3 Lumière, couleur et mouvement ...... 73 3.1. Mise en contexte ...... 74 3.1.1. La fascination moderne pour la machine véloce ...... 76 3.1.2. Du cheval de chair au cheval de fer ...... 76 3.2. Analyse de Géo-Charles au Vélodrome d’Hiver (1924) ...... 77 3.3. Un traitement vibriste de la lumière ...... 81 3.4. Déployer le prisme ...... 83 3.4.1. Le règne de la couleur ...... 87 3.4.2. La querelle du simultanisme...... 91 3.5. Ondes rythmiques ...... 95 3.5.1. Synesthésies ...... 96 3.6. Couleur rayonnante : Les Lutteurs (1924) ...... 99 3.7. Conclusion ...... 102

Conclusion ...... 104

Bibliographie ...... 111 Illustrations ...... 122

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LISTE DES FIGURES

Figure 1. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. La Ville. 1915-1920 (?). Tapis points d’Aubusson, 127 x 107 cm. Paris, Galerie Berdj Achdjian. Photo tirée de Susan Day, Tapis modernes et art déco, Paris, Norma, 2002, p. 16.

Figure 2. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Vibrisme. Autoportrait. 1911. Graphite sur papier, 61 x 45 cm. Collection particulière. Photo tirée de Huguette Ringuenet et al., Jeanne Rij-Rousseau (1870-1956), catalogue d’exposition (Blois, Musée de Blois, 6-29 juin 1959), Blois, Musée de Blois, 1959, n. p.

Figure 3. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Vibrisme (reproduction). 1917. Technique et dimensions inconnues. Photo tirée de SIC, no 13, janvier 1917, p. 3.

Figure 4. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Le Lecteur. Non daté. Huile sur toile, 72 x 53 cm. Photo tirée des Archives Rij-Rousseau.

Figure 5. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Les Courses (dits Les Deux Cavaliers). 1924 (?). Huile sur toile, dimensions inconnues. Photo tirée de Berthe Dangennes et André Salmon. Rij-Rousseau, Exposition de tableaux, tapis, tapisseries de haute lisse, catalogue d’exposition (Paris, Galerie T. Carmine, 31 décembre 1924), Paris, s.n., 1924, n. p.

Figure 6. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Les Courses (reproduction). Photo tirée de « À propos du tableau d’une Angevine », Ouest, 6 août 1924 (Coupures de presse Archives Rij-Rousseau).

Figure 7. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Les Jockeys. 1924. Technique et dimensions inconnues. Reims, Collection particulière. Photo tirée de [en ligne] , (page consultée le 10 mai 2019).

Figure 8. PICASSO, Pablo Ruiz. Guitare. 1912. Carton, papier, fil, corde, ficelle et câble. 65,4 x 33 x 19 cm. New York, (MoMA). Photo tirée de Museum of Modern Art (MoMA), ; Guitar, [en ligne]. , (page consultée le 10 mai 2019).

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Figure 9. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Les Rameurs. 1924. Huile sur toile, 250 x 190 cm. Photo tirée de René Edouard-Joseph et al., Dictionnaire biographique des artistes contemporains. 1910-1930 (Tome III), Paris, Art & édition, 1930-1934, p. 208.

Figure 10. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Les Rameurs. 1924. Fusain sur papier, 58 x 46 cm. Pennsylvanie, Philadelphia Museum of Art. Photo tirée de [en ligne] , (page consultée le 10 mai 2019).

Figure 11. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Guitare. 1908. Pastel sur papier, 46 x 67 cm. Boston, Museum of Fine Arts. Photo tirée de [en ligne] , (page consultée le 10 mai 2019).

Figure 12. GRIS, Juan. Guitare sur une table. 1916. Huile sur toile, 92,1 x 59,4 cm. Collection particulière. Photo tirée de Christie’s Images, [en ligne], , (page consultée le 10 mai 2019).

Figure 13. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Les Rameuses. Non daté. Huile sur carton, dimensions inconnues. Collection particulière. Photo tirée de Rij-Rousseau, [en ligne], < http://www.rij-rousseau.de>, (page consultée le 10 mai 2019).

Figure 14. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Les Rameurs. Non daté. Huile sur toile, 65 x 46,5 cm. Collection particulière. Photo tirée de [en ligne], < http://www.rij-rousseau.de>, (page consultée 10 mai 2019).

Figure 15. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. au kilog de sucre. Vers 1915. Huile sur toile, 65 x 81 cm. Paris, , Musée national d’art moderne. Photo tirée des Archives Rij-Rousseau.

Figure 16. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Le Damier (dit L’Échecs[sic]). 1917. Huile sur toile, 67 x 50 cm. Collection particulière. Photo tirée de [en ligne], , (page consultée 10 mai 2019).

Figure 17. GRIS, Juan. Le Damier. 1914. Huile et papier collé sur toile, 61 x 38 cm. Photo tirée de Douglas Cooper et al., : catalogue raisonné de l’œuvre peint, Paris, Berggruen Éditeur, 1977, p. 142.

Figure 18. BALLA, Giacomo. Dynamisme d’un chien en laisse. 1912. Huile sur toile, 100 x 90 cm. New York, Albright Knox Gallery. Photo tirée de Giovanni Lista, Qu’est-ce que le futurisme? Suivi du Dictionnaire des futuristes, Paris, Gallimard, 2015, n. p.

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Figure 19. VILLON, Jacques. Soldats en marche. 1913. Huile sur toile, 65 x 92 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Photo tirée de Didier Ottinger (dir.). . Catalogue de l’exposition Le Futurisme à Paris. Une avant-garde explosive (Paris, Centre Pompidou, 15 octobre 2008-26 janvier 2009 ; Rome, Scuderie del Quirinale, 20 février-24 mai 2009 ; Londres, Tate Modern, 12 juin-20 septembre 2009). Londres, Tate Modern, 2008, p. 206.

Figure 20. SEVERINI, Gino. La Danse du « pan-pan » au Monico. 1909-1911/1959-1960. Huile sur toile, 280 x 400 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Photo tirée de Didier Ottinger (dir.). Futurism. Catalogue de l’exposition Le Futurisme à Paris. Une avant-garde explosive (Paris, Centre Pompidou, 15 octobre 2008-26 janvier 2009 ; Rome, Scuderie del Quirinale, 20 février-24 mai 2009 ; Londres, Tate Modern, 12 juin-20 septembre 2009). Londres, Tate Modern, 2008, p. 166.

Figure 21. CÉZANNE, Paul. La Montagne Saint-Victoire. Huile sur toile, 73 x 92 cm. Philadelphie, Fondation Barnes. Photo tirée de Barnes Foundation, Paul Cézanne ; Mont Saint-Victoire, [en ligne], , (page consultée le 10 mai 2019).

Figure 22. DELAUNAY, Robert. L’Équipe de Cardiff. 1913. Huile sur toile, 326 x 208 cm. Paris, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Photo tirée de Musée d’art Moderne de la Ville de Paris, ; L’équipe de Cardiff, [en ligne], , (page consultée le 14 février 2019).

Figure 23. GLEIZES, Albert. Les Joueurs de football. 1912-1913. Huile sur toile, 225,4 x 183 cm. Washington, . Photo tirée de National Gallery of Art, ; Football Players, [en ligne], , (page consultée le 10 mai 2019).

Figure 24. LHOTE, André. Rugby. 1917. Huile sur toile, 127,5 x 132,5 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Photo tirée de Musée national d’art moderne, André Lhote ; Rugby, [en ligne], , (page consultée le 10 mai 2019). Crédits photographiques : Service de la documentation photographique du MNAM - Centre Pompidou, MNAM-CCI.

Figure 25. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Géo-Charles au vélodrome d’hiver. 1924 (?). Huile sur toile, 180 x 130 cm. Échirolles, Musée Géo-Charles. Photo tirée de Musée Géo-Charles, [en ligne], , (page consultée le 14 février 2019). Crédits photographiques : Benoit Mathonnet.

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Figure 26. BOCCIONI, Umberto. Dynamisme d’un cycliste. 1913. Huile sur toile, 70 x 95 cm. Venise, Peggy Guggenheim Collection. Photo tirée de Solomon R. Guggenheim Foundation, Cycling, Cubo-Futurism and the Fourth Dimension, [en ligne], , (page consultée le 14 février 2019).

Figure 27. FEININGER, Lyonel. Course Cycliste. 1912. Huile sur toile, 80,3 x 100,3 cm. Washington, National Gallery of Art, Collection de Mme et M. Paul Mellon. Photo tirée de National Gallery of Art, ; The Bicycle Race, [en ligne], , (page consultée le 14 février 2019).

Figure 28. METZINGER, Jean. Au Vélodrome. 1912. Huile et collage sur toile, 130,4 x 97,1 cm. Venise, Peggy Guggenheim Collection. Photo tirée de Solomon R. Guggenheim Foundation, Cycling, Cubo-Futurism and the Fourth Dimension, [en ligne], , (page consultée le 14 février 2019).

Figure 29. GONTCHAROVA, Natalia. Le Cycliste. 1913. Huile sur toile, 79 x 105 cm. St-Petersbourg, State Russian Museum. Photo tirée de Didier Ottinger (dir.). Futurism. Catalogue de l’exposition Le Futurisme à Paris. Une avant-garde explosive (Paris, Centre Pompidou, 15 octobre 2008-26 janvier 2009 ; Rome, Scuderie del Quirinale, 20 février-24 mai 2009 ; Londres, Tate Modern, 12 juin-20 septembre 2009). Londres, Tate Modern, 2008, p. 254.

Figure 30. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Le Bicycliste (reproduction d’une œuvre non localisée). Photo tirée de René-Jean, « Le Salon des Indépendants – La peinture », Comœdia, 21e année, no 5134, 21 janvier 1927, p. 1.

Figure 31. METZINGER, Jean. Coureur cycliste. 1912. Huile et sable sur toile, 100 x 81 cm. Collection particulière. Photo tirée de Tour de , [en ligne], , (page consultée le 14 février 2019).

Figure 32. MÉRELLE, René. Médaille d’or de littérature, Géo-Charles. 1975 (1924). Bronze, D. : 7 cm. Photo tirée de [en ligne], , (page consultée le 10 mai 2019).

Figure 33. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Le Cavalier. Non daté. Huile sur toile, 73 x 60 cm. Collection particulière. Photo tirée des Archives Rij-Rousseau.

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Figure 34. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Le Couvent. Non daté. Huile sur toile, dimensions inconnues. Collection particulière. Photo tirée des Archives Rij-Rousseau.

Figure 35. DELAUNAY, Robert. La Ville de Paris. 1910-1912. Huile sur toile, 267 x 406 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Photo tirée de Didier Ottinger (dir.). Futurism. Catalogue de l’exposition Le Futurisme à Paris. Une avant-garde explosive (Paris, Centre Pompidou, 15 octobre 2008-26 janvier 2009 ; Rome, Scuderie del Quirinale, 20 février-24 mai 2009 ; Londres, Tate Modern, 12 juin-20 septembre 2009). Londres, Tate Modern, 2008, p. 184.

Figure 36. BRAQUE, Georges. L’Estaque. 1906. Huile sur toile, 60 x 73,5 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Photo tirée de Brigitte Léal et al. 1882-1963. Catalogue d’exposition (Paris, Grand Palais, Galeries nationales, 16 septembre 2013-6 janvier 2014 et Houston, The Museum of Fine Arts, 16 février-11 mai 2014). Paris, Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2013, p. 27.

Figure 37. DERAIN, André. Port de Collioure, le cheval blanc. 1905. Huile sur toile, 62,2 x 78,1 cm. Troyes, Musée d’art moderne. Photo tirée de Sarah Whitfield, Le Fauvisme, Paris, Éditions Thames & Hudson, 1997, p. 69.

Figure 38. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Bord de rivière. Non daté. Aquarelle et pastel sur carton, 40 x 33 cm. Collection particulière. Photo tirée de Philippe Rouillac, Hôtel des ventes de Vendôme, Ateliers d’artistes ; Rij- Rousseau, [en ligne], , (page consultée le 10 mai 2019).

Figure 39. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Les Lutteurs. 1924 (?). Tapisserie de haute-lisse, 134 x 120 cm. Collection particulière. Photo tirée de [en ligne], , (page consultée le 10 mai 2019).

Figure 40. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Lutteurs. Graphite et encre sur papier, dimensions inconnues. Collection particulière. Photo tirée de [en ligne], , (page consultée le 10 mai 2019).

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REMERCIEMENTS

J’aimerais tout d’abord remercier ma directrice de recherche, Mme Françoise Lucbert, qui m’a fait découvrir la créatrice fascinante qu’est Rij-Rousseau. Je tiens à lui exprimer toute ma reconnaissance pour sa patience, sa disponibilité et ses judicieux conseils.

Ce mémoire n’aurait pu voir le jour sans la générosité exceptionnelle de Mme Marie- Françoise Raoult et de M. Horst Traffa-Raoult qui ont accepté de partager avec moi le fruit de longues années de recherche. Nos échanges des dernières années m’ont été d’une grande aide. Je leur suis extrêmement reconnaissante de m’avoir accordé leur confiance et de m’avoir permis d’apporter mon humble contribution à la reconnaissance de cette artiste qui leur est chère.

Je souhaite également remercier mes collègues de la « Section d’or », David, Camille et Monethalie. Nos rencontres mensuelles, toujours pertinentes, ont donné un second souffle à ce beau projet.

Merci à ma merveilleuse famille et à mes amis pour leur écoute et leur patience au quotidien. Votre présence et votre soutien ont grandement contribué à l’achèvement de ce mémoire. Les moments d’évasion que nous avons partagés m’ont permis de conserver un équilibre au cours de cette dernière année riche en défis et en émotions.

Merci à ma sœur Marie-Anne, mon autre moitié, pour son écoute et sa douce folie.

Je remercie également mon conjoint, Dominique, qui, malgré la distance, a su être présent chaque fois que j’en avais besoin.

J’aimerais finalement adresser un merci tout spécial à ma sœur Catherine pour sa disponibilité, sa bonne humeur et sa générosité sans borne. Sa présence m’a été salutaire au fil des semaines.

Pour ses premiers sourires qui ont illuminé les derniers mois de ma rédaction, je dédie cette recherche à ma filleule, Sophie Lebel.

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« Défilé colorié »

Au Baron Pierre de Coubertin Rénovateur des Jeux Olympiques Fiers athlètes et musiques ! Les petits quadrilatères des Races fanions au vent défilent sous le grand drapeau international du ciel. Les gradins populaires s’écroulent vers la terre. Les tribunes battent des ailes quand passent les champions Au loin éblouissantes de ripolin les grêles tours eiffels des mâts téléphoniques scintillent. Les parterres de géraniums comme des plaques de minium éclatent. La Joie sportive enivre et chasse à grands coups d’air les vieilleries romantiques Un avion traverse le ciel de cobalt.

Géo-Charles, (poésies), 1923

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INTRODUCTION

Le 14 avril 1925, un extrait intitulé « Les peintres et sculpteurs de sport », signé par Maurice Barbelieu1, paraît dans la rubrique « La Vie artistique » du quotidien L’Homme libre2. Nous pouvons y lire ceci :

L’Art et le Sport sont faits pour vivre ensemble. Ils ne peuvent que s’aimer et s’embellir l’un l’autre. Ainsi, du moins, pense Jean Richepin3.

En tout cas le sport a séduit beaucoup de nos artistes, et ils ont eu pour en représenter les différentes manifestations d’amusantes trouvailles et de talentueuses inspirations. Toutes les attitudes de force et de soupesse [sic], depuis le bond du joueur de foot-ball jusqu’à la tension musculaire de l’athlète et du boxeur ont été étudiées, notées avec esprit et goût.

Citons spécialement les jockeys de Rij-Rousseau, hauts en couleur, pleins de vie et d’originalité. Nous avons déjà eu plusieurs fois l’occasion de remarquer les envois de Rij-Rousseau qui dénotent une belle artiste4.

Il y a quelque chose de surprenant à retrouver ainsi le nom de Rij-Rousseau parmi les peintres et sculpteurs de sport « dignes de mention », en 1925, sachant qu’il aura pratiquement été oublié de l’histoire de l’art moins de cent ans plus tard. Pourtant, cet article de L’Homme libre n’a rien d’exceptionnel. Dans les années 1920, c’est par dizaines que nous retrouvons des mentions de Jeanne Rij-Rousseau (1870-1956) et de ses œuvres

1 Nous n’avons malheureusement trouvé aucune occurrence de ce nom dans le Dictionnaire de la critique d’art à Paris (1890-1969). Nous n’avons aucune information complémentaire sur cet auteur de la rubrique « La Vie artistique ». Par ailleurs, il s’agit peut-être d’un pseudonyme. 2 Quotidien fondé par l’homme d’État français Georges Clemenceau (1841-1929) et publié durant plus de quarante ans (1913-1957). À l’aube de la Première Guerre mondiale, L’Homme libre change de titre pour L’Homme enchaîné, publié à Bordeaux, à Toulouse, puis à Paris. 3 Jean Richepin (1849-1926) est un poète, romancier et auteur dramatique français. En 1922, il signe, à titre de président de l’Association Lettres, Arts et Sports, la préface du catalogue de l’exposition Le Sport dans l’art : Art ancien et moderne, peinture, sculpture, gravure, architecture, etc. tenue à la Galerie Barbazanges du 17 au 13 novembre. Le célèbre critique d’art (1870-1943) en rédige l’introduction et le journaliste Georges Bourdon (1868-1938) la postface. 4 Maurice Barbelieu, « La Vie Artistique », L’Homme libre, 13e année, no 3186,14 avril 1925, p. 2.

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dans la presse française. En 1930, l’artiste est même évoquée dans un ouvrage colligeant de courtes autobiographies d’une sélection de femmes jugées parmi les plus influentes d’Europe5. Rij-Rousseau s’y retrouve, en compagnie de l’écrivaine Colette (1873-1954)6, comme l’une des représentantes notables de la France culturelle. Si l’amitié qui semble unir l’artiste à l’auteur7 dudit document peut avoir influencé ce choix, il n’en demeure pas moins que Rij-Rousseau connaît, de son vivant, le succès et la reconnaissance de ses pairs et du public.

Jeanne Rij-Rousseau, née Caffier, quitte sa famille et son village natal du Maine- et-Loire à l’âge de quatorze ans pour tenter sa chance à Paris8. Grâce à une tante résidant là, elle trouve rapidement un travail dans un atelier de mode de la capitale. C’est à cette époque qu’elle s’initie à la peinture, au contact des peintres de la Grande Jatte9. En 1900, elle se marie avec le négociant en vin Jean-Auguste Rousseau, dont elle fait la connaissance des années plus tôt. Ce dernier l’encourage à poursuivre sa passion. Prenant alors le nom de son mari, la créatrice commence à exposer sous celui de Jeanne Rousseau ou de Jeanne Rousseau-Caffier. Ce n’est qu’après la mort de Rousseau, en 1916, qu’elle adopte le pseudonyme Rij-Rousseau, qu’elle conservera jusqu’à la fin de sa carrière10. Dans sa quête de savoir, Rij-Rousseau entreprend plusieurs voyages dans le Sud de la France et à l’étranger, au cours desquels elle échange avec d’autres artistes.

5 Elga Kern, « Jeanne Rij-Rousseau : À propos de mon travail », Führende Frauen Europas, Munich, Verlag von Ernst Reinhardt, 1930, p. 127-128. 6 Sidonie-Gabrielle Colette est une femme de lettres française, connue surtout comme romancière. Au début du XXe siècle, sa série des Claudine rencontre un succès retentissant dans le Tout-Paris. En 1945, elle devient officiellement la seconde femme élue membre de l'académie Goncourt. Elle en devient d’ailleurs la présidente entre 1949 et 1954. Deux ans après son décès, en 1956, est fondée la Société des amis de Colette. Cette association reconnue d'utilité publique publie, depuis 1977, les Cahiers Colette, rassemblant les textes inédits de l'auteure, des témoignages et des études originales. En 2018, un film sur sa vie est porté à l’écran par le réalisateur américain Wash Westmoreland. 7 Une lettre entre Rij-Rousseau et Elga Kern conservée dans les Archives Rij-Rousseau laisse entrevoir leur amitié. 8 Les éléments biographiques de cette section sont tirés de l’article Wikipédia « Jeanne Rij-Rousseau » rédigé par les descendants de l’artiste et basé sur les différents documents biographiques auxquels ces derniers ont accès. Voir « Jeanne Rij-Rousseau », mise à jour du 28 septembre 2017, [En ligne], < fr.wikipedia.org/wiki/Jeanne_Rij-Rousseau >, (page consultée le 4 septembre 2017). 9 L’île de la Jatte, autrefois appelée île de la Grande Jatte, est une île sur la Seine située entre Neuilly-sur-Seine et Levallois-Perret. Elle fut rendue célèbre par les peintres impressionnistes qui y ont peint. Le peintre (1859-1891) en fait le sujet d’un tableau, aujourd’hui considéré comme l’un de ses chefs-d’œuvre, intitulé Un dimanche après-midi à l’Île de la Grande Jatte (1884-1885). 10 Selon Virginie Foutel, historienne de l’art et auteure de Sérusier : un prophète, de Paris à Châteauneuf-du- Faou, le préfixe « Rij » serait une contraction du prénom Marie-Jeanne, qui serait le prénom complet de Jeanne Caffier. Ses amis l’auraient fréquemment surnommée « Rijeanne », puis « Rij ». Mme Foutel, que les descendants de l’artiste ont contactée par courriel, n’a cependant pas été en mesure de nous fournir une source vérifiable pour appuyer cette théorie.

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Vers 1906-1907, elle rencontre au Bateau-Lavoir11, un jeune peintre espagnol, Juan Gris (1887-1927), de qui elle restera proche toute sa vie. Dès 1908, Rij-Rousseau expose au Salon des Indépendants et, à partir de 1911, au Salon d’Automne. Au cours des mêmes années, elle intègre l’Académie Ranson où elle fréquente l’atelier de Maurice Denis (1870- 1943) et de Paul Sérusier (1863-1927) 12.

Après une première exposition personnelle couronnée de succès, en 1924, elle participe à l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de Paris et y remporte une médaille d’or pour sa tapisserie originale et colorée, intitulée La Ville (fig. 1)13. De son temps, elle est aussi très active au sein des cercles artistiques et littéraires de la Butte Montmartre14. Elle fonde même, en 1925, le Groupe des Femmes Peintres Françaises au sein duquel elle expose pendant plusieurs années15. Rij-Rousseau présente ses œuvres dans la métropole française ainsi qu’en province et à l’étranger, notamment à Zurich, Genève, Bruxelles, Berlin, Düsseldorf, Boston et New York. Dans les années 1930, l’État français fait l’acquisition de cinq de ses œuvres et lui confère, en 1939, l’ordre d’Officier d’Académie en reconnaissance de ses mérites16.

Malgré cela, dans les années suivantes, la carrière de Rij-Rousseau connaît un déclin rapide, que son ascension ne laissait pas présager. Dès 1940, on ne fait pratiquement plus mention d’elle. À sa mort, au mois d’octobre 1956, les années de gloire sont déjà loin derrière. Quelques expositions sporadiquement tenues depuis son décès ont présenté ses créations, sans toutefois arriver à susciter un intérêt durable pour son art. Son œuvre et sa carrière sont tombés progressivement dans l’oubli et l’indifférence.

11 Situé au numéro 13 de la rue Ravignan, place Émile Goudeau, à Paris, le Bateau-Lavoir est le surnom donné à une ancienne manufacture de pianos, transformée en 1889 en ateliers d’artistes. 12 Académie fondée en 1908 par le peintre Paul-Élie Ranson (1864-1909) au 7 rue Joseph-Bara. Après le décès prématuré de ce dernier, sa veuve, France Ranson, reprend la direction de l’établissement. 13 Invitée par (1872-1938), elle-même peintre tapissière, elle séjourne tout un été à Chexbres-sur- Vevey en Suisse et devient son émule. 14 La Butte Montmartre est le nom donné à la colline du quartier Montmartre de Paris (aujourd’hui le 18e arrondissement). Dominée par la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, la Butte constitue le point culminant de la capitale. Aux XIXe et XXe siècles, elle est reconnue comme l’un des lieux phares de la scène artistique parisienne. 15 Le Groupe des Femmes Peintres Françaises fondé par Rij-Rousseau regroupe lors de sa première exposition plus d’une douzaine de femmes artistes. Il change éventuellement de titre pour Société des Femmes Artistes Modernes (FAM) sous la présidence de la peintre Marie-Anne Camax-Zoegger. 16 Distinction créée en 1808 par Napoléon 1er pour honorer les membres éminents de l’Université. L’ordre est la plus ancienne des distinctions décernées uniquement à titre civil.

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Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer cet état de fait. L’une des plus pragmatiques est directement liée au statut social de l’artiste. Le premier mariage de Rij-Rousseau lui permet de mener la vie d’artiste à laquelle elle aspire, sans avoir à se préoccuper de soucis matériels et pécuniaires. Peu après la mort de Jean-Auguste Rousseau, elle fait la connaissance de l’avocat Raoul Loiseau (1859- ?), qui devient son deuxième époux en 192217. Grâce à lui, Rij-Rousseau maintient une situation confortable et peut, une fois de plus, s’adonner pleinement à son art. Elle n’a pas à se soucier de la vente de ses œuvres, puisque sa subsistance n’y est pas directement liée. Il est ainsi possible que sa situation financière enviable ait pu nuire, d’une certaine manière, à son inscription sur le marché de l’art. Qui plus est, cette autonomie l’a peut-être aussi privée de la visibilité qu’aurait pu lui apporter l’appui d’un mécène ou d’un marchand. Nous sommes toutefois arrivée à une seconde hypothèse.

Ce qui est ressorti de nos recherches, plus que toute autre chose, c’est la tendance presque systématique à souligner le rapport de Rij-Rousseau au cubisme ; sont alors mises en avant ses relations avec les cubistes ou l’influence de l’esthétique caractéristique de ce courant sur sa pratique. Dans la presse des années 1920 particulièrement, le rapport de Rij- Rousseau au cubisme est, pour ainsi dire, abordé comme une donnée indiscutable. Pourtant, et c’est bien là toute l’ironie, il est extrêmement rare de retrouver le nom de l’artiste dans les ouvrages consacrés à l’histoire de ce mouvement. Même le récent Dictionnaire du cubisme, auquel collaborent certains des plus éminents spécialistes internationaux du cubisme, ne fait aucune mention de cette peintre et décoratrice18. Il semble qu’en étant assimilée au cubisme sans en adopter complètement les principes, Rij-Rousseau est restée dans l’ombre des figures majeures du mouvement.

À ce jour, la production de Rij-Rousseau demeure très peu étudiée. Malgré une présence active de cette créatrice sur la scène artistique parisienne au début du XXe siècle, le constat de son oubli est incontestable. Ce mémoire est donc né de la volonté de remédier à la situation en produisant une première analyse universitaire portant sur la pratique de Jeanne Rousseau. Le fait que cette dernière soit absente des ouvrages portant spécifiquement sur le cubisme, en dépit du fait que la parenté de ses œuvres avec ce

17 La créatrice conserve le pseudonyme « Rij-Rousseau » même après son second mariage, alors qu’elle devient officiellement Jeanne Loiseau. 18 Brigitte Léal et al., Dictionnaire du cubisme, Paris, Robert Laffont, 2018.

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mouvement soit fréquemment soulignée, constitue, en soi, un cadre d’analyse intéressant pour aborder sa pratique. Nous aspirons à faire ressortir la spécificité plastique et esthétique de l’artiste. Pour ce faire, nous nous interrogerons sur ses rapports avec le cubisme : quels sont, en effet, ses liens avec ce mouvement et peut-on à juste titre la rattacher à celui-ci? Il est essentiel de se poser cette question afin d’être en mesure d’évaluer son apport éventuel à cette mouvance. Grâce à cette recherche, nous espérons être en mesure de mieux situer la production de Rij-Rousseau au sein de l’histoire des avant-gardes artistiques du début du XXe siècle.

Bilan historiographique et limite des sources

La documentation scientifique sur l’œuvre de Rij-Rousseau faisant défaut, il a été nécessaire de nous tourner vers les rares sources de première main disponibles.

Nous avons d’abord eu la chance exceptionnelle d’avoir accès aux Archives Rij- Rousseau, patiemment reconstituées par les descendants de l’artiste, au sein desquelles se trouve un riche dossier de coupures de presse, datées entre 1920 et 194619, traitant de l’artiste et de sa production. De son vivant, Rij-Rousseau a fait affaire avec différentes entreprises spécialisées, telles que Le Lynx ou L’Argus de la presse, afin de recenser toutes les mentions la concernant dans la presse. Bien qu’il soit nécessaire d’aborder ces sources avec un certain recul critique, elles offrent néanmoins un outil précieux afin de retracer les participations de Rij-Rousseau à différents événements. Elles permettent également d’en apprendre davantage sur la réception des œuvres présentées et, par le fait même, aident à poser un regard plus éclairé sur la fortune critique de la créatrice. Il convient de mentionner que cette ressource comporte également des lacunes. Les coupures de presse recueillies ne sont parfois constituées que de fragments d’articles, concentrés autour du nom de Rij- Rousseau. Heureusement, la plupart de ces extraits sont accompagnés d’une fiche fournissant des informations complémentaires sur l’origine de la source. La plateforme Gallica de la Bibliothèque nationale de France, regroupant des millions de copies numériques de périodiques, nous a permis de retrouver une part importante de ces articles

19 Les coupures de presse datées entre 1930 et 1946 représentent une part négligeable du dossier de presse des Archives Rij-Rousseau. C’est d’ailleurs une des raisons qui nous a poussée à nous concentrer sur la décennie 1920 pour notre analyse. Nous y reviendrons sous peu. Voir « Justification du corpus » p. 25.

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et de compléter les données manquantes. Dans d’autres cas, toutefois, cela n’a pas été possible. Que ce soit parce que le périodique n’était pas disponible en ligne ou tout simplement parce que la coupure de presse ne possédait pas de fiche facilitant nos recherches, nous n’avons parfois pas été en mesure d’identifier l’auteur ou le contexte précis de parution des extraits conservés. Sachant que le rapport d’un auteur à un groupe artistique ou l’angle éditorial d’une publication peuvent influer grandement sur le discours, il aurait évidemment été souhaitable de posséder toutes ces informations pour analyser ces documents de manière rigoureuse. Compte tenu de la quantité limitée d’information disponible sur Rij-Rousseau, nous avons convenu de faire tout de même usage de ces sources parfois incomplètes, mais existantes, tout en demeurant critique face à elles. Dans de tels cas, la référence de l’article s’accompagnera de la note « Coupures de presse Archives Rij-Rousseau » afin d’en indiquer l’origine.

En raison du peu d’écrits laissés par l’artiste elle-même, la courte autobiographie rédigée par Rij-Rousseau pour le livre de la journaliste Elga Kern s’est avérée une ressource précieuse20. Non seulement ce texte retrace-t-il en partie le parcours de l’artiste, mais il propose un point de vue unique : celui de l’auteur sur son propre travail. En revanche, pour cette même raison, il convient d’employer ce type de source avec circonspection. Comme l’explique Philippe Lejeune, spécialiste des textes à teneur autobiographique, l’artiste autobiographe court, notamment, le risque de tomber dans l’écueil du récit de vocation, émouvant, mais souvent stéréotypé21. Par souci d’autopromotion, il arrive que l’importance ou l’innovation d’une pratique soit quelque peu amplifiée. Ne bénéficiant pas du recul que peut apporter une perspective extérieure, il convient de garder en tête que l’autobiographie n’offre souvent qu’un portrait partiel et partial de la réalité. Selon cette logique, il convient de prendre des précautions similaires vis-à-vis de sources dont des visées marchandes orientent le propos. Citons à cet égard les préfaces de certains catalogues d’expositions présentées dans des galeries d’art ou bien des sites internet liés au marché de l’art.

20 L’autobiographie de Rij-Rousseau étant publiée en allemand, nous nous référons à la traduction proposée par Marie-Françoise Raoult, [en ligne], , (page consultée le 13 novembre 2017). 21 Philippe Lejeune, L’Autobiographie en France, Paris, Armand Colin, 1998, p. 47.

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Égérie du cubisme

À ce jour, la seule étude théorique de la pratique de Rij-Rousseau qui est parvenue jusqu’à nous est publiée en 1958 par un certain de Guy Pogu22 sous le titre Rij-Rousseau. Égérie du cubisme 1870-1956. Le Vibrisme. Cet ouvrage constitue, à notre connaissance, l’unique document monographique consacré à la carrière de l’artiste23. Cette source, intéressante au premier abord, impose, à la réflexion, une certaine distance. Plusieurs éléments entourant la publication du livret invitent à se questionner sur les intentions de son auteur. Jugeant qu’il s’agit d’un enjeu important, nous prendrons ici le temps afin de fournir quelques éléments de contexte s’appuyant sur une série de lettres conservées dans les Archives Rij-Rousseau.

Peu après le décès de Rij-Rousseau, survenu en 1956 à Savigny-sur-Braye, le Dr Jean Sutter24, amateur d’art, entre en contact avec les responsables de la succession de l’artiste. Se présentant comme une connaissance et un admirateur de cette dernière, Sutter s’enquiert du sort réservé à la collection des œuvres laissées par Rij-Rousseau et propose à la famille de les rencontrer pour en discuter. À la suite de son passage dans le Loir-et- Cher, Sutter communique avec un ancien collège de l’Institut national d’études démographiques, le marchand Guy Pogu, et lui vante les mérites de l’artiste. Intéressé, ce dernier contacte à son tour la famille de Rij-Rousseau et lui fait part de sa volonté de se procurer tous les documents, tableaux, dessins, etc. lui ayant appartenu en vue d’organiser une grande exposition rétrospective dans sa galerie parisienne. Pogu se rend à Savigny- sur-Braye, lieu de la dernière résidence de Rij-Rousseau, et y fait l’acquisition de plus de

22 Nous ne savons que peu de choses de Guy Pogu. Dans l’article annonçant l’exposition rétrospective dédiée à Rij-Rousseau à la Galerie de l’Institut, ce dernier s’identifie comme « technologue », titre à connotation scientifique, mais fort imprécis, signifiant sans doute qu’il se « spécialise dans l’étude des techniques » artistiques. (La Nouvelle République du Centre Ouest, 31 mars 1958). Il publie, à compte d’auteur, Néo- impressionnistes étrangers et influences néo-impressionnistes et, en 1963, une étude monographique consacrée au peintre divisionniste Théo Van Rysselberghe. (Informations tirées de www.centrepompidou.fr). 23 Guy Pogu, Rij-Rousseau. Égérie du Cubisme 1870-1956. Le Vibrisme, Paris, s. l., s. n., 1958, 24 p. L’étude prétend s’inscrire dans le cadre des « Recherches techniques et psycho-sociales de l’art ». Puisqu’aucun éditeur n’est mentionné sur le document, il est possible qu’il s’agisse également d’une publication à compte d’auteur, privant la source de la crédibilité qu’aurait pu lui conférer une maison d’édition reconnue pour son sérieux et sa rigueur. 24 Le Dr Jean Sutter est médecin spécialiste en psychiatrie et un membre important de l’Institut national d’études démographiques de Paris. Féru d’art, grand collectionneur et spécialiste du néo-impressionnisme, il pose sur l’histoire de l’art un regard anthropologique et sociologique. Il publie en 1970 Les Néo-impressionnistes, ouvrage de référence en histoire de l’art, en plus de collaborer à de nombreuses autres publications.

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cent tableaux et documents en tous genres25. Les héritiers de la peintre, inconscients de la valeur réelle des œuvres de leur aïeule, vendent le lot pour une somme dérisoire. Les lettres échangées avec la famille ne laissent alors aucun doute sur les intentions de Pogu. L’exposition a pour objectif principal la revente des œuvres de Rij-Rousseau à des collectionneurs. Afin d’assurer le succès de l’entreprise, Pogu choisit de tenir l’événement aux mois de mars et avril, période qui, comme il l’indique, coïncide avec les grandes ventes de la Galerie Charpentier et assure une affluence de marchands étrangers à Paris26. La promotion entourant l’événement prend aussi une direction sans équivoque. Afin de susciter l’intérêt d’un public amateur, Pogu souligne l’importance de « mettre en vedette [la vie de Rij-Rousseau] au moment du cubisme et de dire ce qu’elle a été pour eux. » Le 14 février 1958, un premier communiqué de presse annonçant l’exposition réitère cette volonté stratégique d’inscrire l’artiste dans l’un des mouvements fondateurs de l’art moderne. Rij-Rousseau y est non seulement présentée comme « Égérie du cubisme », ce qui revient à dire qu’elle fut l’inspiratrice du mouvement ; on suggère même qu’elle fut la « première cubiste en date ». Si de telles revendications semblent pour le moins exagérées, il faut reconnaître que les démarches de Pogu portent fruit. L’année suivant l’exposition à la Galerie de l’Institut, une seconde exposition rendant hommage à Rij-Rousseau est présentée du 6 au 29 juin au Château de Blois27. Le catalogue de celle-ci, n’offrant au lecteur qu’une biographie truffée d’anecdotes sentimentales, ne contribue nullement à nuancer le discours de Pogu28. Malgré cela, au terme de ces deux événements, des collectionneurs français, belges et américains font l’acquisition de plusieurs œuvres de Rij-Rousseau. Un lot important de 60 tableaux est d’ailleurs vendu aux Hirsch and Adler Galleries de New York.

25 La majorité des tableaux achetés sont de Rij-Rousseau, mais, dans le lot, se trouvent également certains tableaux peints par des amis artistes, notamment Fernand Léger. 26 La Galerie Charpentier, nommée en l’honneur de son fondateur Jean Charpentier (1891-1976), est une galerie d’art ancien et moderne encore très active à Paris dans les années 1940-1960. Ses locaux du 76 faubourg Saint- Honoré sont aujourd’hui le siège de la célèbre maison de vente aux enchères Sotheby’s France. (Lettre datée du 16 septembre 1957, Archives Rij-Rousseau). 27 Huguette Ringuenet et al., Jeanne Rij-Rousseau (1870-1956), catalogue d’exposition (Blois, Musée de Blois, 6 - 29 juin 1959). 28 Ayant collaboré au projet, ce dernier se montre particulièrement contrarié des choix de la commissaire, Huguette Ringuenet, et écrit à la famille se sentir trahi par l’institution dont l’exposition, selon lui, n’apporte rien à Rij-Rousseau et ne profite qu’au Musée de Blois. À la défense de Pogu, il semble que cette contrariété soit partiellement due aux conditions déplorables dans lesquelles les œuvres sont présentées. (Lettre du 12 juin 1959, Archives Rij-Rousseau).

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Si le contexte entourant la publication du livret de Pogu, Rij-Rousseau. Égérie du cubisme 1870-1956. Le Vibrisme, invite à se questionner, le contenu du document soulève également plusieurs problèmes de rigueur29. L’ouvrage inclut des retranscriptions des cahiers personnels de Rij-Rousseau dans lesquels elle aurait vraisemblablement colligé ses réflexions et observations au fil des ans. Pogu renvoie apparemment à ces propos, les présentant comme des citations, sans toutefois en mentionner les références30. Ces documents ayant aujourd’hui disparu, il nous est impossible d’en valider le contenu. De plus, aucune bibliographie n’accompagne le texte. Le seul élément d’intérêt à retenir de cette étude est le terme « vibrisme », néologisme inventé par Rij-Rousseau et repris par Pogu afin de qualifier la technique particulière de celle-ci. Ce choix de l’auteur n’étant certainement pas étranger à ses lectures de notes de l’artiste, il nous conforte dans notre propre décision de faire du vibrisme le concept général de sa production31. Confrontée, pour le reste, à l’incertitude des faits relatés et aux intentions mercantiles qui ont motivé la rédaction de cette étude, nous avons préféré écarter cette source.

Or, malgré nos réserves sur le texte de Pogu, il faut reconnaître qu’il a un impact indéniable dans le discours postérieur sur l’artiste. Dans la Revue Arts et Lettres, par exemple, le critique d’art Raymond Charmet choisit d’intituler son article sur l’exposition à la Galerie de l’Institut « Rij-Rousseau cubiste oubliée32 ». Évidemment, ce n’est pas le seul angle choisi pour mettre en valeur l’art de Rij-Rousseau. L’hebdomadaire La Nouvelle République du Centre Ouest, mise, pour sa part, sur des considérations régionalistes pour promouvoir l’événement33. L’auteur y souligne à plusieurs reprises les vertus de l’artiste, qu’il associe directement à son héritage angevin. Il ne manque pas non plus de souligner la contribution du président de la Société des Angevins, Henry Coutant, à la reconnaissance de Rij-Rousseau, soulignant que ce dernier l’avait découverte bien avant

29 La hiérarchie dictée par le titre à trois niveaux Rij-Rousseau. Égérie du cubisme 1870-1956. Le Vibrisme, choisi par Pogu rend bien compte de l’importance accordée à chaque élément. L’étude porte sur Rij-Rousseau (sa vie, sa carrière), mais cherche visiblement à la présenter comme membre important du cubisme et ensuite seulement à définir le vibrisme. 30 Dans sa correspondance avec la famille de Rij-Rousseau, Pogu mentionne l’acquisition de plusieurs documents personnels, lettres et cahiers de notes. 31 Voir la section « Vibrisme » du cadre conceptuel, p. 21. 32 Raymond Charmet, « Rij-Rousseau cubiste oubliée », Revue Arts et Lettres, 26 mars 1958, page inconnue. (Archives Rij-Rousseau). 33 Pierre des Tuffeaux, « Une Exposition à la Galerie de l’Institut rendra un hommage posthume à une artiste- peintre angevine Rij-Rousseau (1870-1956) », La Nouvelle république du Centre Ouest, 31 mars 1958, page inconnue.

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1958. Au final, toutefois, les expositions de 1958 et 1959 ne suscitent pas le regain d’intérêt souhaité par Pogu.

Après neuf années de silence, c’est finalement un critique d’art suisse, Edmond- Henri Zeiger-Viallet (1895-1994), aussi connu sous son nom d’architecte Edmond-Henri Zeiger de Baugy, qui revient sur Rij-Rousseau dans un article pour le Sisteron-Journal en novembre 1967. Ce dernier a bien connu l’artiste de son vivant. Il a fait sa connaissance alors qu’elle étudiait à l’Académie Ranson et a suivi sa carrière pendant plus de 30 ans. Aussi est-il déçu de lire la courte notice du Nouveau Dictionnaire de la Peinture française (1967) consacrée à Rij-Rousseau. Il se désole du peu de crédit qui lui est accordé :

[…] Quant à Mme Loiseau, née Jeanne Caffier, dite Rij-Rousseau, (décédée à Savigny près de Vendôme et non à Paris) ; pourquoi n’avoir pas dit : qu’elle fut première artiste à inventer la triangulation (non le vibrisme), et première à s’intéresser aux tapisseries d’Aubusson, qu’elle a l’honneur d’avoir dirigé les premiers pas de , hé oui! Et conseillé plus tard, son ami Juan Gris, au Bateau-Lavoir, et encore fondé le premier groupe des femmes peintres et sculpteurs… Rendons à César ce qui lui est dû34!

Ce dernier se montre fort critique quant à l’ouvrage de Pogu, dont il qualifie les théories de « pures inventions » et de « très hautes fantaisies d’un courtier parisien farfelu »35. Il n’est pas étonnant, à la lecture de ce passage, que ce même critique ait saisi l’occasion de rectifier la situation, au mois de mars 1975, en publiant, pendant trois semaines consécutives, une série d’articles sur la vie et la carrière de Rij-Rousseau. Ces derniers, sous-titrés « 1870-Rij-Rousseau-1956, Artiste peintre novateur : Notes biographiques, critiques et documentaires -inédites- » comportent une biographie fort singulière, en ce qu’elle dresse un portrait assez peu flatteur de Rij-Rousseau. Si les propos de Zeiger-Viallet semblent teintés par sa relation personnelle peu harmonieuse avec l’artiste36, certains détails enrichissent néanmoins les éléments fournis par son autobiographie de 1930. Zeiger-Viallet demeure sceptique quant aux théories formulées sur l’art de Rij-Rousseau.

34 Zeiger-Viallet attribue à Rij-Rousseau la fondation du premier « groupe » de femmes peintres et sculpteurs, à ne pas confondre avec l’Union des femmes peintres et sculpteurs (UFPS), dont la création revient à l’artiste Hélène Bertaux à Paris en 1881. De fait, Rij-Rousseau fonde en 1925 le Groupe des Femmes Peintres Françaises, dont le nom semble exclure la présence de sculptrices. (E.-H. Zeiger-Viallet, « Billet de Paris » dans Sisteron-Journal, 67e année, no 1134, 18 novembre 1967, p.1) 35 Zeiger-Viallet, « 1870 Rij-Rousseau 1956. Artiste peintre novateur », Sisteron-Journal, 75e année, no 1505, 8 mars 1975, p. 1. 36 « Jamais nous n’avons rencontré une personne plus égoïste, plus méprisante, plus intransigeante ; incapable de bonne camaraderie envers ses jeunes collègues des Salons. […] Elle n’a jamais aimé que sa petite personne ». Henri Zeiger-Viallet, « 1870 Rij-Rousseau 1956. Artiste peintre novateur », Sisteron-Journal, 75e année, no 1504, 1er mars 1975, p. 1.

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Selon l’auteur, cette dernière aurait effectivement recherché, dès les débuts du cubisme, un renouvellement esthétique. Toutefois, prétendre que le vibrisme répond à des règles mathématiques et physiques complexes serait une imposture. Selon lui, les triangulations de Rij-Rousseau ne relèveraient pas d’une profonde étude scientifique de la couleur, mais plutôt d’une « pratique primaire, à l’échelle de la plus grande simplicité, prétentieuse exagérément37 ». Il ajoute, avec une certaine condescendance : « R.-R, peignait comme elle le pouvait… fit des « triangles » pour ne pas faire des « cubes38 ». L’interprétation de Zeiger-Viallet, faisant de la pratique de Rij-Rousseau une simple modulation géométrique des principes cubistes, est peu convaincante. Néanmoins, l’intérêt de celle-ci est de rappeler la parenté, réelle ou perçue par des contemporains de l’artiste, entre l’art de Rij-Rousseau et le cubisme.

Au cours de nos recherches, nous avons consulté plusieurs dictionnaires d’artistes à la recherche d’informations pouvant enrichir notre réflexion. Malheureusement, ces derniers, basant pour la plupart leur propos sur les documents décrits jusqu’à présent, n’offrent pas réellement de nouveau matériel d’analyse. Comme il est d’usage dans ce type d’ouvrage, on ne fait souvent que relever quelques faits marquants de la vie de l’artiste. Le Dictionnaire biographique des artistes contemporains, 1910-1930 de René Edouard-Joseph a la particularité de fonder son propos sur l’autobiographie parue dans le livre dirigé par Kern39. Ce dictionnaire, relativement ancien dans la mesure où sa parution précède le décès de l’artiste, se montre fidèle au texte de Rij-Rousseau. Edouard-Joseph n’y mentionne ni cubisme ni vibrisme, mais souligne la fondation par Rij-Rousseau, en 1925, du Groupe des Femmes Peintres Françaises Modernes, un fait souvent négligé. Dans le Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays d’Emmanuel Bénezit, c’est le peintre et historien Jacques Busse (1922-2004) qui signe l’entrée « Rij-Rousseau ». S’appuyant sur le catalogue de l’exposition Jeanne Rij-Rousseau de 1959 tenue au Château de Blois et le catalogue de celle de 1984 à la Wally Findlay Gallery, Busse choisit de qualifier l’art de Rij-Rousseau en ajoutant la mention « cubiste » sous son nom. Raymond Charmet, quant à lui, construit visiblement sa

37 Zeiger-Viallet, art. cit. 38 Ibid. 39 René Edouard-Joseph et al., Dictionnaire biographique des artistes contemporains, 1910-1930 (Tome III), Paris, Art & édition, 1930-34, p. 208-209.

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notice du Dictionnaire de l’art contemporain40 de 1965 sur l’étude de Pogu, mentionnant de ce fait l’influence que Rij-Rousseau a eue sur le cubisme. La créatrice ayant régulièrement exposé dans les divers salons parisiens, le Dictionnaire des Indépendants, 1884-191441 de Dominique Lobstein, ainsi que le Dictionnaire des Indépendants, 1920-195042, le Dictionnaire du Salon d’Automne, 1903-194543 et le Dictionnaire du Salon des Tuileries, 1923-196244 de Pierre Sanchez, ont été, pour leur part, fort utiles afin de retracer ses participations et envois. Rappelons que Jeanne Rousseau n’adopte le pseudonyme Rij- Rousseau qu’autour de 1916. Il a donc été nécessaire d’étendre nos recherches aux différents noms sous lesquels elle s’y identifie : « ROUSSEAU, Mme C. Jeanne », « ROUSSEAU-COFFIER [sic], Jeanne » et « ROUSSEAU, Mlle Jeanne »45.

En 2000, avec la parution de La Section d’or, 1912-1920-1925, dirigé par Cécile Debray et Françoise Lucbert, le nom de Rij-Rousseau refait finalement surface dans le cadre d’une étude spécialisée46. Le présent mémoire est directement redevable à cet ouvrage qui propose, pour la première fois, d’intégrer Rij-Rousseau au cubisme à partir de sa participation concrète à l’un des événements marquants de l’histoire du mouvement. La mise en commun des divers textes qui y sont proposés permet de bien saisir la logique associative ayant dicté la mise sur pied des expositions rassemblées sous le titre de « Section d’or ». L’étude se démarque par la qualité et la nouveauté des réflexions qui y sont soulevées. Les essais principaux s’accompagnent également d’une série d'exposés succincts où sont présentés, avec un grand souci de faire valoir la contribution de chacun, les collaborateurs des différentes éditions. Lucbert signe la notice « Rij-Rousseau » du

40 L’auteur ne mentionne pas Pogu en bibliographie, mais certains passages presque identiques des deux ouvrages ne laissent pas de doute sur la source de la notice. Raymond Charmet, Dictionnaire de l’art contemporain, Paris, Larousse, 1965, p. 243. 41 Dominique Lobstein, Dictionnaire des Indépendants, 1884-1914, vol. III (N-Z), Dijon, L’Échelle de Jacob, 2003 (réédition), p. 1499 et 1503. 42 Pierre Sanchez, « RIJ-ROUSSEAU, Jeanne », dans Dictionnaire des Indépendants, 1920-1950, vol. III (Ro- Z), Dijon, L’Échelle de Jacob, p. 1230. 43 Pierre Sanchez, « Rousseau, Ry[sic] » et « RIJ-ROUSSEAU, Jeanne », dans Dictionnaire du Salon d’Automne, 1903-1940, vol. III (MF-Z), Dijon, L’Échelle de Jacob, pp. 1201 et 1178. 44 Pierre Sanchez, « RIJ-ROUSSEAU, Jeanne » dans Dictionnaire du Salon des Tuileries, 1923-1962, vol. II (H- Z), Dijon, L’Échelle de Jacob, 2007, p. 637. 45 Dans ce dernier cas, il est intéressant de noter que Rij-Rousseau semble conserver le titre de « Mlle ». 46 Cécile Debray est conservatrice en chef du patrimoine et directrice du musée de l’Orangerie de Paris. Elle a été responsable des collections modernes du Musée national d’Art moderne du Centre Pompidou de Paris de 2008 à 2017. Françoise Lucbert est professeure titulaire à l’Université Laval de Québec. Spécialisée dans l’histoire de l’art européen des XVIIIe-XXe siècles, elle s’intéresse particulièrement aux écrits sur l’art, à l’histoire des expositions, de même qu’aux relations artistiques entre la France et les autres pays européens. Ses travaux actuels portent sur les manifestations tardives du cubisme.

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document, s’appuyant sur les rares sources alors connues, soit le catalogue de l’exposition au Château de Blois en 1959 et la préface de l’exposition des Wally Findlay Galleries de 1984.

Depuis, d’importantes recherches ont été entreprises par les descendants de l’artiste. Ces derniers s’attachent depuis plus d’une décennie à retracer les œuvres et cahiers de Rij-Rousseau, aspirant à la publication d’un premier catalogue raisonné. Au cours des dernières années, ils ont patiemment dépouillé les archives européennes et américaines en quête de registres de ventes et de mentions de Rij-Rousseau47.

En 2015, l’historien de l’art et spécialiste du futurisme italien Giovanni Lista publie Qu’est-ce que le futurisme? suivi du Dictionnaire des futuristes, dans lequel, à notre étonnement, il consacre deux passages à Rij-Rousseau48. Les audacieuses propositions de Lista, dont nous discuterons plus en détail dans les prochains chapitres, intègrent Rij- Rousseau au récit du futurisme italien. Selon Lista, les essais de vibrisme s’inscrivent dans les recherches plastiques qui traduisent l’hybridation entre les différentes esthétiques des cercles d’avant-garde des années 1920.

Cadre conceptuel

Notre analyse de la pratique de Rij-Rousseau s’appuie sur certains concepts fondamentaux qu’il convient ici de définir.

Modernités

S’attaquer aux débats complexes qui sous-tendent la notion de « modernité » n’est pas une tâche aisée. Nous n’aspirons pas ici à rendre compte de la variété des théories relatives à

47 Les archives de la Hirschl & Adler Galleries de New York, la bibliothèque Kandinsky, la bibliothèque du Musée d’Orsay et la bibliothèque de l’INHA de Paris, la Kunstbibliothek de Berlin et la bibliothèque d’État de Berlin (Staatsbibliothek zu Berlin) de l’Université d’Humbolt font partie des archives consultées par les descendants de l’artiste. Ceux-ci nous ont considérablement aidée à réaliser notre étude en nous livrant le fruit de leurs nombreuses recherches. Nous leurs sommes, à cet égard, extrêmement reconnaissante. 48 Giovanni Lista est, depuis 1974, Membre de l’International Association of Art Critics (A.I.C.A.). Il est également, depuis 1988, éditeur en chef du périodique Ligeia, dossiers sur l’art. Lista se spécialise dans l’étude de l’art et de la culture des avant-gardes du XXe siècle (futurisme, cubo-futurisme, etc.). Il est l’auteur d’une impressionnante collection de livres, d'articles et de catalogues sur le sujet.

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ce concept, mais simplement à clarifier l’emploi du terme dans le cadre de ce mémoire. Il convient d’abord de souligner que « modernité », selon le contexte dans lequel il est employé, peut englober différentes notions. Dans Vocabulaire d’Esthétique, cette pluralité de sens est exprimée par la distinction établie entre la modernité (ce qui définit l’idée générale de moderne) et les modernités (ce qui semble moderne aux yeux des contemporains). La première définition renvoie à une notion plus objective, celle de la modernité comme « période » historique, marquée par différentes révolutions de nature politique, philosophique, sociologique, plastique, etc. Les modernités, quant à elles, se spécifient selon le domaine (technique moderne, science moderne, etc.). Elles relèvent alors d’une dimension plus subjective, semblable à celle proposée par le Trésor de la langue française, qui associe, par exemple, la modernité telle qu’appliquée au domaine des arts à l’« ensemble des caractères exprimant les goûts, les tendances de l'époque moderne, et qui se manifestent dans l'œuvre d'un écrivain, d'un artiste49 ». Afin d’éviter toute confusion, nous distinguerons visuellement ces deux concepts par l’emploi de la majuscule lorsque Modernité est entendue comme moment historique spécifique.

Toutefois, il existe différentes acceptations de ce que constitue l’époque moderne. Certaines d’entre elles, courantes en histoire (moins en histoire de l’art), font remonter le commencement des « Temps modernes » aussi loin qu’à 1492, soit à la découverte de l’Amérique. Il nous semble important de circonscrire quelque peu cette notion. Dans le cadre de cette étude, le terme Modernité sera employé pour désigner un moment historique associé au renouveau des arts vers le début du XXe siècle et s’étalant sur environ un siècle. Il englobe de ce fait la période d’Entre-deux-guerres où s’inscrit notre corpus. Ces dates coïncident, par ailleurs, avec la période couverte par l’imposante étude de l’historienne Béatrice Joyeux-Prunel, Les avant-gardes artistiques : une histoire transnationale50. Cet ouvrage remarquable, tant pour la justesse des observations qui y sont proposées que pour sa rigueur scientifique, s’est avéré particulièrement utile dans la phase de conceptualisation de ce mémoire.

49 « Modernité », dans Trésor de la langue française informatisé [en ligne] , page consultée le 26 avril 2019. 50 Béatrice Joyeux Prunel, Les Avant-gardes artistiques 1848-1918: une histoire transnationale, Paris, Gallimard, 2015 et Béatrice Joyeux Prunel, Les avant-gardes artistiques 1918-1948: une histoire transnationale, Paris, Gallimard, 2017.

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Joyeux-Prunel y mène en introduction un exercice de définition exemplaire duquel nous empruntons notre seconde définition de modernité. Selon l’auteure, la notion de modernité s’ouvre à des considérations à la fois esthétiques, sociales et historiques ; par conséquent, l’emploi de ce terme devrait être admis comme moyen « d’affirmer, sa différence, son originalité51 ». Ainsi, et c’est également en ce sens qu’est entendu le terme dans notre étude, la modernité constitue une « valorisation de l’avenir, s’exprimant généralement par la recherche de l’innovation52. » Cette définition ne restreint donc pas la modernité de l’œuvre à des principes esthétiques spécifiques. En cela, nous tenons à la distinguer de l’usage du mot « moderne », tel que souvent employé en peinture, qui se réduit à « désigner une pratique héritée des techniques réalistes et impressionnistes53 ». La modernité peut ainsi servir à qualifier toute production ou recherche originale qui soit symptomatique de la Modernité et de ses changements historiques.

Ce mémoire est enfin redevable à des ouvrages tels que celui de l’historien d’art Kenneth E. Silver, Vers le retour à l’ordre : l’avant-garde parisienne et la Première Guerre mondiale, 1914-1925, dont l'analyse des répercussions de la Grande Guerre sur le goût français permet de démontrer la relation étroite existant entre art et société54. En retraçant les changements intervenus dans l’art durant cette période historique, l’auteur contextualise le renouveau de l’art français et souligne le rôle de premier plan qu’y ont joué les milieux d’avant-garde, notamment le cubisme. Cet ouvrage nous a permis de saisir comment la modernité artistique se manifeste en France au début des années 1920 et comment le cubisme a été modelé par les événements suivant sa création. Les observations de Silver nous ont permis d’aborder la réception et l’œuvre de Rij-Rousseau à travers le prisme d’une Modernité en évolution.

Rij-Rousseau, artiste moderne

Au terme d’une longue recherche, il nous est apparu évident que la pratique de Rij- Rousseau témoigne d’un grand intérêt pour la nouveauté caractéristique de l'époque qui est

51 Béatrice Joyeux Prunel, Les Avant-gardes artistiques 1848-1918: une histoire transnationale, Paris, Gallimard, 2015, p. 31. 52 Ibid. 53 Ibid. 54 Kenneth E. Silver, Vers le retour à l’ordre à l’ordre : l’avant-garde parisienne et la Première Guerre mondiale, 1914-1925, Paris, Flammarion, 1991.

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la sienne. Dans la période de l’Entre-deux-guerres, un désir de nouveauté se fait sentir. Dans son premier numéro de janvier 1916, le rédacteur en chef de la revue SIC55, Pierre Albert-Birot (1876-1967), interroge ses lecteurs : « Afin d’avoir quelques données au sujet de l’influence que la guerre pourrait exercer sur l’art, SIC serait heureux que ses lecteurs mobilisés veuillent bien lui exposer leurs idées sur cette question. » Les réponses semblent alors unanimes : la guerre ne pourra qu’être bénéfique pour l’art français. Plusieurs semblent y voir une occasion de plus de se renouveler. L’un d’eux écrit : « (…) cette guerre enracine nos sensations, nos sentiments, nos idées. Les unes et les autres reposeront sur des réalités, non plus sur des rêves, ni sur des souvenirs. […] Nous daterons de cette guerre, pivot d’histoire, au lieu de dater d’un passé trop lointain56. » Évidemment, une telle vision positive de la guerre, favorisée par les nationalismes, est amenée à changer au fur et à mesure qu’on découvre les horreurs de la Première Guerre mondiale.

Néanmoins, chez Rij-Rousseau, la volonté de modernité s’exprime par la représentation du monde présent, voire par une idéologie généralement favorable aux techniques nouvelles. Le signe le plus concret qu’on en retrouve chez l’artiste, outre ses recherches plastiques, réside selon nous dans son choix de représenter l’un des phénomènes historiques et sociologiques significatifs du début du XXe siècle : l’avènement des sports athlétiques. Nous avons donc choisi d’en faire un concept central de notre mémoire.

Le sport français au début du XXe siècle

Comme le remarque le philosophe Jean Baudrillard, l’essor prodigieux des sciences et des techniques ayant marqué la Modernité comme l’ère de la productivité est suivi d’une « intensification du travail humain et de la domination humaine sur la nature »57. Progressivement, la société évolue d’une civilisation du travail et du progrès à une civilisation de la consommation et du loisir. Conséquemment, dès la fin du XIXe siècle, le sport occupe une place de plus en plus importante dans la société française. La création en 1889 de l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques marque, selon l’historien

55 La revue SIC, sous-titrée Sons, Idées, Couleurs, Formes est une revue d’avant-garde parisienne publiée de janvier 1916 à décembre 1919 sous la direction du poète Pierre Albert-Birot. Ce dernier est considéré comme l’un des défenseurs du futurisme et du cubisme. 56 Gabriel Boissy (un soldat du « Secteur 39 »), SIC, no 4, avril 1916, n. p. Cité dans Kenneth E. Silver, op. cit., p. 23. 57 Jean Baudrillard, « MODERNITÉ », Encyclopædia Universalis, [en ligne], , (page consultée le 20 avril 2019).

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Georges Vigarello, la naissance du sport en France58. Pendant la Première Guerre mondiale, la presse en fait un instrument de propagande, érigeant en icônes de la nation ses sportifs partis combattre au front. La figure de l’athlète devient un outil fort efficace pour alimenter l’esprit nationaliste qui anime alors la patrie. Après la guerre, le sport fait office d’élément rassembleur et offre un spectacle profane qui parle aux masses. Pendant longtemps, les Jeux Olympiques de l’ère moderne ont comporté des concours artistiques, ce qui suggère un lien fort entre art et sport dans l’imaginaire de cette époque.

Afin d’analyser efficacement les œuvres à thème sportif de Rij-Rousseau à la lumière de l’engouement populaire pour le sport, nous avons consulté plusieurs ouvrages qui ont contribué à cerner l’intérêt sociologique de cette thématique spécifique. Le Sport et la guerre, XIXe et XXe siècles59 de l’historien Luc Robène s’est, à cet égard, révélé un outil de réflexion majeur. Ce dernier y aborde les enjeux politiques et idéologiques que recouvre l'utilisation du sport et de ses champions dans les nouvelles formes d'affrontement qui surgissent au XXe siècle. Bien que l’ouvrage ne renvoie pas directement au domaine des arts, les observations qu’il contient nous ont permis de réfléchir à la figure héroïque du sportif comme vecteur sociologique de modernité et à la place accordée au sport dans la production des différentes avant-gardes artistiques.

Notre travail doit aussi beaucoup au livre de l’historien Georges Vigarello, Une Histoire culturelle du sport. Techniques d’hier… et d’aujourd’hui60. Ce dernier y aborde l’évolution des techniques corporelles et la transformation culturelle du sport. L’approche sociologique et historique proposée a nourri notre réflexion sur la représentation du corps en mouvement et sur l’évolution des disciplines sportives. L’étude de Vigarello nous a également renseignée sur les transformations issues de la science, de la technologie et de la culture sur l’univers du sport. En cela, elle a facilité un rapprochement entre sport et modernité et a permis de souligner l’intérêt plastique des sujets sportifs.

58 Georges Vigarello, Du Jeu ancien au show sportif : la naissance d’un mythe, Paris, Éditions du Seuil, 2002, p. 57. 59 Luc Robène (dir.), Le Sport et la guerre, XIXe et XXe siècles, actes du colloque international éponyme, 14e carrefour de l’histoire du sport (Université de Rennes 2/Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan, 28-30 octobre 2010), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012. 60 Georges Vigarello, Une Histoire culturelle du sport. Techniques d’hier… et d’aujourd’hui, Paris, Éditions Robert Laffont, 1998.

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Avant-garde

Comme nous l’avons annoncé précédemment, c’est sous l’angle de leur rapport au cubisme que nous aborderons certaines des œuvres à thème sportif produites par Rij-Rousseau dans les années 1920. Or, remettre en question ce rattachement initial ne pouvait se faire sans une analyse préalable de certains regroupements artistiques de l’époque. La notion d’avant-garde s’est ainsi imposée à nous comme essentielle à la compréhension des réseaux culturels du XXe siècle.

En 1912, le critique Roger Allard, promoteur d’un cubisme classique et français, proteste : « Et d’abord, qu’est-ce qu’un art « d’avant-garde »? (…) L’art est l’art, tout simplement. Pour ce qui est des artistes on peut, s’y l’on y tient, qualifier peintres d’avant- garde ceux qu’on peut appeler plus simplement : peintres jeunes ou peintres nouveaux. La jeunesse et la nouveauté sont des réalités61. » Visiblement, Allard relève une distinction entre « l’ » avant-garde, au sens de groupe d’individus, et un art « d’ » avant-garde, comme caractéristique d’une esthétique particulière. Nous avons donc déterminé, afin de clarifier ce concept, de nous appuyer, une fois de plus, sur une définition proposée par Joyeux- Prunel. Ainsi :

« Par avant-garde on entend dans ces pages, dans une perspective sociologique, des groupes d’artistes qui se présentèrent comme des avant-gardes, utilisant parfois le terme, s’exprimèrent en rupture avec les modes de penser de la culture et les arts de leur époque, valorisaient l’innovation esthétique, réclamaient une reconnaissance et entendaient participer à l’aventure internationale de la modernité62. »

Lorsque Joyeux-Prunel décrit la notion d’avant-garde comme entrant en « rupture avec les modes de penser de la culture et de l’art de l’époque », elle l’oppose en fait à une « tradition moderne » héritée du réalisme et de l’impressionnisme et portée par un système social de sélection de moins en moins ouvert à l’innovation63. En admettant la recherche de nouveauté comme symptomatique de la modernité, comme nous le faisons dans ce

61 Roger Allard, La Cote, 22 octobre 1912. Cité dans David Cottington, in the Shadow of War: the Avant- Garde and Politics in Paris 1905-1914, New Haven, Yale University Press, 1998, p. 206-207. 62 Béatrice Joyeux Prunel, Les Avant-gardes artistiques 1918-1948: une histoire transnationale, Paris, Gallimard, 2017, p. 13. 63 Ibid., p. 31.

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mémoire, tous les courants d’importance allant en ce sens constituent autant d’avant-gardes spécifiques. Le cubisme est le mouvement qui retiendra le plus notre attention.

Le cubisme dans les années 1920

Lors de sa conférence au Salon de la Section d’or en 1912, le poète et chroniqueur expose les derniers développements du mouvement cubiste et en souligne l’évolution protéiforme en lui apposant le nom de « cubisme écartelé » 64. Comme le souligne l’historien de l’art Pierre Brullé : « cette dénomination (…) évoque en effet parfaitement ce stade du cubisme, où ce dernier est soudainement partout, au cœur de l’actualité artistique, servant continuellement de référence aux critiques d’art et bien sûr aux artistes eux-mêmes qui lui manifestent leur allégeance ou leur hostilité65. » Or, le terme employé par Apollinaire exprime aussi un éclatement du cubisme vers des formes d’expressions qui, bien qu’elles partagent des sources communes, évoluent vers des esthétiques de plus en plus variées. En ce sens, évaluer le rapport entre le cubisme et des œuvres réalisées presque dix ans après ce constat d’évolution peut sembler anachronique, voire insensé. Rappelons que, déjà en juin 1918, le critique Louis Vauxcelles, sous le pseudonyme Pinturrichio, annonçait, non sans une certaine satisfaction, la « fin » supposée du cubisme : « Le cubisme intégral est en train de s’épuiser, de s’évanouir, de s’évaporer66. »

Il nous est apparu nécessaire de tenir compte de cet état des choses en tentant de définir et de circonscrire le concept de cubisme. Dans Le Cubisme : une révolution esthétique, sa naissance et son rayonnement, publié en 2012, l’historien de l’art Serge Fauchereau propose, à ce titre, une démonstration probante de la difficulté toujours présente, un siècle plus tard, de mener cette entreprise, « faute d’un manifeste ou de déclaration claire de quelque chef de file reconnu67». Si 190768 est généralement admise comme année marquant le début de l’aventure cubiste, il n’existe malheureusement pas

64 Guillaume Apollinaire, « L’Écartèlement du cubisme », conférence donnée le 11 octobre 1912 dans le cadre de l’exposition de la Section d’or. Cité dans Debray et Lucbert (dir.), op. cit., p. 102. 65 Pierre Brullé, « La Création de Kupka et le cubisme « écartelé » de la Section d’or : un rapprochement problématique. », dans La Section d’or, 1912-1920-1925, Paris, Cercle d’art, 2000, p. 92. 66 Pinturrichio (Louis Vauxcelles), « Le carnet des ateliers », Carnet de la semaine, 9 juin 1918, p. 9. Cité dans Christopher Green, Cubism and its enemies, op. cit., p. 7. 67 Serge Fauchereau, Le Cubisme : une révolution esthétique, sa naissance et son rayonnement, Paris, Flammarion, 2012, p. 6. 68 Date correspondant à la réalisation des Demoiselles d’Avignon par le peintre espagnol Pablo Ruiz Picasso.

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de consensus quant à sa fin. Fauchereau le montre bien en listant les événements énumérés par différents historiens de l’art pour établir la borne finale du cubisme69. Ne prétendant pas résoudre cette question, nous avons néanmoins retenu de Fauchereau une périodisation qui, si elle n’est pas définitive, ouvre la réflexion aux années suivant la Grande Guerre. Ce dernier pose les bornes de la « période de recherche et de pleine vigueur » du cubisme dans la décennie 1908-191870. En 1920, année de participation de Rij-Rousseau à l’exposition organisée par l’association « la Section d’or », le cubisme n’est plus une nouveauté. Cette périodisation est en accord avec les recherches de l’historien de l’art Christopher Green qui, dans son ouvrage de référence Cubism and its Enemies, décrit le cubisme d’après-guerre comme entrant dans une étape de consolidation, mais constituant un enjeu central pour les artistes français pendant quelques années encore71. Selon Green, et c’est ce qui fait de cette étude une assise théorique importante pour notre mémoire, deux événements viennent contredire, en 1920, l’idée d’une « mort du cubisme » : Le Salon des indépendants et la Section d’or72. D’ailleurs, déjà à l’époque, la présence au Salon des Indépendants de presque chaque artiste considéré comme cubiste avant la guerre mène certains critiques à réaliser qu’ils ont sans doute été trop prompts à annoncer la fin du mouvement73.

La remarque de Green permet d’introduire une nuance fondamentale à la compréhension de la fortune critique de Rij-Rousseau. « Cubiste » semble à l’occasion employé dans un sens plus « associatif » qu’« esthétique ». Le premier sens permet de considérer comme cubiste tout artiste qui participe aux expositions et échanges organisés par les groupes identifiés à ce mouvement. Le second sens, et c’est celui que nous prioriserons dans ce mémoire, entend le cubisme comme une esthétique spécifique.

69 « Certains ont voulu l’arrêter avec la déclaration de guerre de 1914, considérant qu’on n’a fait ensuite que constituer une école et développer des formules (J. Golding, G. Habasque) ; d’autres, les plus nombreux, repoussent cette fin dans les premières années d’après-guerre, se donnant pour limite Les Trois Musiciens (1921) de Picasso ou les premières réactions contre le cubisme, purisme ou dadaïsme (P. Cabanne, D. Cooper, P.W. Schwartz). Sans tomber dans l’excès et ne voir de fin au cubisme que dans la mort de ceux qui l’ont pratiqué (P. Descargues), on peut encore admettre 1925 comme date extrême (E. Fry, M. Guiney) où paraissent ses derniers avatars. » Serge Fauchereau, ibid., p. 8. 70 Ibid., p. 9. 71 Christopher Green, Cubism and its Enemies: Modern Movements and Reaction in French Art, 1916-1928, New Haven and London, Yale University Press, 1987, p. 7. 72 Ibid., p. 46. 73 « Dans le premier secteur, nous trouvons les cubistes en nombre imposant. On s’est peut-être trop pressé d’annoncer la mort du cubisme. » Jean-Gabriel Lemoine, « On a inauguré aujourd’hui le Salon des Indépendants », L’Intransigeant, 41e année, no 14422, 29 janvier 1920, p. 1. Cité dans Green, ibid., p. 46.

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Le chapitre d’introduction du Dictionnaire du cubisme, rédigé par l’historienne de l’art Brigitte Léal, aide à faire ressortir certaines des caractéristiques plastiques généralement admises comme appartenant au cubisme. Comme le souligne Léal, l’interprétation strictement formaliste du cubisme « repose sur un développement logique en deux phases, la première concentrée sur le problème de la forme et la seconde sur son éclatement et la résolution de la couleur74. » Si ces deux étapes sont abordées plus en détail dans les chapitres 2 et 3 du mémoire, il est toutefois possible de proposer dès maintenant un bref survol de ces recherches plastiques. Celles-ci incluent, sans s’y limiter, la réduction du sujet à des formes simples géométrisées, la fragmentation des motifs en facettes prismatiques, l’abandon de la perspective illusionniste, l’insertion dans l’image de repères figuratifs (signes, lettres et chiffres) et l’introduction d’objets réels sous forme de collages et de papiers collés.

Le cubisme des années 1920, toutefois, repose sur un ensemble de contributions diversifiées qui font évoluer la compréhension du mouvement pour permettre d’inclure des propositions variées et originales des principes mis en place par Picasso et Braque dans la première décennie du XXe siècle. C’est pourquoi nous avons décidé d’étudier le rapport qu’entretient la production de Rij-Rousseau au cubisme en nous basant sur des sources qui se sont précisément intéressées à la diversification du mouvement. Deux d’entre elles nous ont particulièrement servi. En premier lieu, l’ouvrage de Cécile Debray et Françoise Lucbert, La Section d’or : 1912-1920-1925 offre un point de départ incomparable dans la mesure où il propose à la fois des observations générales sur l’évolution du cubisme et des études de cas offrant des outils de comparaison précieux sur lesquels construire notre analyse. En second lieu, les actes du colloque Le Cubisme tenu en 1971 à l’Université de St-Étienne ont également retenu notre attention. Bien que daté, cet ouvrage demeure unique et propose des réflexions encore pertinentes aujourd’hui. Il permet toujours de poser des questions fondamentales sur le cubisme et invite à la remise en question des idées reçues sur ce mouvement. Ces études permettent d’envisager le « vibrisme » comme étant l’apport spécifique de Rij-Rousseau au cubisme.

74 Brigitte Léal (dir.), « Introduction », dans Dictionnaire du cubisme, Paris, Robert Laffont, p. VII.

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Vibrisme

Nous avons inclus le vibrisme à notre cadre théorique afin de clarifier quelque peu l’emploi de ce terme. Si la diffusion de l’appellation « vibrisme » dans les notices de dictionnaires et dans quelques catalogues d’exposition doit certainement à la théorie publiée par Pogu, ce mot étrange est inventé par Rij-Rousseau des décennies plus tôt. En effet, bien que ce néologisme ne se retrouve ni dans l’autobiographie de l’artiste ni dans les critiques des coupures de presse auxquelles nous avons accès, le terme a existé du vivant de l’artiste. Nous connaissons au moins deux occurrences concrètes de son emploi. Rij-Rousseau inscrit elle-même le mot en caractères d’imprimerie dans les compositions Vibrisme. Autoportrait (fig. 2) et Vibrisme (fig. 3). De la même manière, le nom de l’artiste se retrouve dans les deux œuvres sous la forme d’un élément graphique autonome75. Puisque Vibrisme est reproduit dans la revue SIC en 1917, nous pouvons vraisemblablement faire remonter l’invention du mot à cette date. Vibrisme. Autoportrait, dont la reproduction à laquelle nous avons accès paraît légèrement tronquée, semble même comporter au bas la date « 1911 ». Cela signifierait qu’au moment où le public découvre le cubisme dans la salle 41 du Salon des Indépendants, Rij-Rousseau conçoit déjà sa pratique comme originale76. Il demeure cependant difficile de savoir si l’emploi du mot « vibrisme » désigne un procédé technique particulier à certaines de ses œuvres ou si l’artiste associe l’ensemble de son esthétique personnelle à ce néologisme. Le seul indice dont nous disposions qui tend vers cette seconde hypothèse est un livre dédicacé par une amie, la poète et écrivaine Berthe Dangennes, qui adresse cette note à l’artiste : « Madame Rij Rousseau, mon amie véritable. À la belle artiste vibriste. En témoignage de grande amitié. Berthe Dangennes77. » Pour les besoins de cette analyse, nous avons choisi de retenir le vibrisme comme concept général utilisé par l’artiste elle-même pour rendre compte de ses recherches plastiques dès 1917 (voire 1911) jusqu’aux années 1920.

75 Elle inscrit dans Vibrisme. Autoportrait « Rij-Rousseau » et dans Vibrisme « Rousseau » uniquement. 76 Le cubisme naît de la collaboration de Braque et Picasso dès 1907, mais ne sera réellement connu du public et de la critique qu’au Salon des Indépendants de 1911. Braque et Picasso étant liés au marchand Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979) par un contrat d’exclusivité, seuls quelques initiés avaient eu l’occasion de découvrir leur plus récente production avant cette date. Le terme « cubistes des salons » est souvent employé pour désigner Delaunay, Gleizes, Metzinger, Le Fauconnier, Léger, etc., ces artistes qui ont contribué à la visibilité du cubisme en présentant leurs essais dans les Salons officiels. 77 Berthe Dangennes, Les Forces cachées qui nous entourent et nous défendent, Paris, Éditions Nilsson, 1917, s. p. (Archives Rij-Rousseau).

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Méthode

Afin de répondre aux questions d’identité esthétique précédemment soulevées, nos recherches se sont concentrées sur un cas d’étude précis : certaines œuvres à thématique sportive de Rij-Rousseau. Nous avons également choisi de limiter notre analyse aux années 1920. Cette période commence au moment de la participation de Rij-Rousseau à l’exposition parisienne de l’association « la Section d’or » et s’étend sur toute la décennie, afin d’englober la phase au cours de laquelle sa carrière connaît la plus grande visibilité. La décision d’interrompre notre étude en 1930 s’explique par la diminution substantielle du nombre d’articles consacrés à l’artiste après cette date. De plus, l’année 1928 marque la parution d’une des dernières mentions, dans la presse, d’une influence cubiste dans l’une de ses œuvres à thème sportif78.

Comme il n’existe pratiquement aucune documentation historique ou théorique sur la pratique de Rij-Rousseau, notre réflexion reposera avant tout sur une analyse formelle et contextuelle d’un corpus d’œuvres à thème sportif. Une méthode comparative sera ensuite employée afin d’associer les œuvres de Rij-Rousseau à d’autres tableaux réalisés par des collègues de la Section d’or, ou produits par des artistes ayant, eux aussi, évolué au sein des cercles d’avant-garde parisiens. Une recherche approfondie de la réception critique des œuvres sélectionnées a également été effectuée de manière à ancrer cette production de Rij-Rousseau dans le paysage culturel de son époque et à appuyer efficacement nos interprétations.

En raison du type de corpus choisi, l’étude s’appuiera sur les conclusions de plusieurs ouvrages portant sur les caractéristiques et l’évolution du sport à l’aube du XXe siècle. La décision de proposer une analyse iconographique et thématique des œuvres découle de ce choix. Des ouvrages récents et d’autres contemporains à la production de Rij-Rousseau ont été mis à contribution afin de poser un regard sociologique sur les œuvres. Nous avons jugé pertinent de contextualiser cette production particulière dans la mesure où elle répond

78 En 1946, le critique Henry Coutant, dans un article où sont notamment mentionnés des cavaliers en course, relève les débuts cubistes de Rij-Rousseau. Considérant la date particulièrement tardive de ce commentaire, nous l’avons exclu de notre analyse.

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vraisemblablement à un phénomène de société. Cela explique en partie le choix de traiter d’un tel sujet, mais aussi l’accueil positif réservé à ce corpus thématique.

Art au féminin

La présence de Rij-Rousseau dans un ouvrage dédié à des femmes influentes d’Europe79 et son rôle de fondatrice du Groupe des Femmes Peintres Françaises nous a poussée, au début de nos recherches, à vouloir aborder sa pratique sous un angle féministe. Dans cet esprit, nous avons consulté plusieurs publications consacrées aux femmes artistes du XXe siècle80, tentant d’y retrouver Rij-Rousseau et de mieux saisir le contexte dans lequel elle a évolué. Nous sommes arrivée à un constat décevant : malgré l’augmentation significative, depuis les années 1970, du nombre d’essais et d’ouvrages s’intéressant aux femmes artistes de toutes les époques, Rij-Rousseau demeure, encore aujourd’hui, absente de la grande majorité d’entre eux. On aurait espéré que la présence soutenue de l’artiste sur la scène artistique parisienne dans les années 1920 prévienne un tel effacement, mais la réalité est toute autre. Même l’étude spécialisée de Gill Perry, Women Artists and the Parisian Avant-Garde, ne fait aucunement mention de Rij-Rousseau81. Un constat similaire s’est imposé pour les ouvrages traitant d’art décoratif. Si Rij-Rousseau se distingue dans ce domaine lors de l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925, la seule étude sur le sujet où nous la retrouvons ne fait que reproduire l’une de ses tapisseries, sans rien dire de la créatrice82. Malheureusement, la littérature consultée, dont nous espérions tirer de nombreux éléments d’analyse sur Rij-Rousseau, s’est avérée plutôt insatisfaisante.

79 Rij-Rousseau, art. cit. 80 En ordre chronologique de publication : Linda Nochlin, « Why Have There Been No Great Women Artists? », Art News, (janvier 1971) ; Gill Perry, Women Artists and the Parisian Avant-Garde, Manchester, New-York, Manchester University Press, 1995 ; Marie-Jo Bonnet, Les femmes dans l’art: qu’est-ce que les femmes ont apporté à l’art?, Paris, La Martinière, 2004 ; Marie-Jo Bonnet, Les femmes artistes dans les avant-gardes, Paris, Éditions Odile Jacob, 2006 ; Paula Birnbaum et Anna Novakov, Essays on Women's Artistic and Cultural Contributions 1919-1939 : Expanded Social Roles for the New Woman Following the First World War, New York, Edwin Mellen Press, 2009 ; Katy Deepwell, Women Artist Between the Wars : a Fair Field and No Favour, Manchester, Manchester University Press, 2010 ; Paula Birnbaum, Women Artists in Interwar France : Framing Feminities, Franham, Ashgate, 2011 ; Séverine Sofio, Artistes femmes : la parenthèse enchantée : XVIIIe-XIXe siècles, Paris, CNRS éditions, 2016. 81 Gill Perry, Women Artists and the Parisian Avant-Garde, Manchester, New-York, Manchester University Press, 1995. 82 Susan Day, Tapis modernes et art déco, Paris, Norma, 2002. L’œuvre La Ville (fig. 1) de Rij-Rousseau y est reproduite sous le titre La Cité éclatée.

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Après réflexion, il nous est apparu clair que son absence systématique de toutes ces études pouvait s’expliquer très simplement : cette créatrice est encore méconnue, même des spécialistes. Il nous a, dès lors, semblé essentiel, avant d’aspirer à la réinsertion de Rij- Rousseau dans l’histoire de l’art moderne, de nous intéresser d’abord à l’aspect le plus concret sa pratique, c’est-à-dire aux œuvres qu’elle a produites. Au demeurant, dans la mesure où ce mémoire propose la première étude universitaire de l’œuvre de cette artiste femme, nous croyons qu’il s’inscrit forcément dans une volonté d’écrire une histoire de l’art au féminin.

Justification du corpus

Notre analyse porte principalement sur quatre œuvres à thématique sportive datant probablement toutes de 1924 : Les Courses (fig. 5), Les Rameurs (fig. 9), Géo-Charles au Vélodrome d’hiver (fig. 25) et Les Lutteurs (fig. 39). Dans la mesure où cette production ne représente qu’une fraction de l’œuvre de Rij-Rousseau, le choix d’un tel corpus peut sembler arbitraire. Ce n’est toutefois pas le cas. D’une part, un relevé statistique des thèmes choisis par Rij-Rousseau montre que le sport est un sujet récurrent dans son travail. Sur un lot de près de 500 tableaux, tapisseries et esquisses réalisés par elle, les œuvres à thème sportif, en incluant les scènes de chasse à courre, représentent une cinquantaine de documents, soit environ 10% de la production de l’artiste, ce qui n’est pas négligeable. D’autre part, nous avons voulu sélectionner les œuvres offrant les outils d’analyse les plus variés et ce fut le cas pour celles représentant l’univers du sport. Nous devions, rappelons- le, composer avec les informations partielles disponibles, ce qui n’était pas toujours simple. Par exemple, nous n’avons souvent eu accès qu’à des reproductions en noir et blanc des tableaux. De plus, nous avons été confrontée à des problèmes de datation : dans la majorité des cas, les œuvres ne sont pas datées, ce qui ne nous autorise pas à les aborder de manière chronologique.

Les œuvres finalement choisies permettent de pallier certaines de ces lacunes en offrant d’autres éléments utiles à notre analyse. À défaut d’être représentatif de la variété des sujets traités par Rij-Rousseau, notre corpus rend en effet compte de l’importance des thèmes sportifs dans son œuvre et, plus largement, sur sa carrière. D’une part, la variété et la visibilité des expositions lors desquelles ces œuvres sont présentées alimentent la

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parution de nombreux articles s’intéressant à l’artiste. Parmi ceux-ci, un nombre remarquable de commentaires est consacré directement aux œuvres à thème sportif, permettant ainsi d’enrichir nos analyses. De plus, à défaut de connaître la date précise de leur réalisation, nous avons tenté une datation des œuvres choisies en nous appuyant sur ces mêmes sources. Les sujets liés au monde du sport comptent également pour une part considérable des « principaux tableaux » de l’artiste listés dans le Dictionnaire biographique des artistes contemporains83. Plus significatif encore, Rij-Rousseau elle-même souligne l’influence de cette production sur sa fortune critique : « Ils [les plus notables parmi les nombreux critiques d’art qui ont écrit sur son œuvre] remarquent cette joie de vivre, ce plaisir de lutter que j’ai essayé d’exprimer dans mes grandes compositions comme “ Les rameurs ”, “ Les lutteurs ”, “ Les cavaliers ”, “ Le joueur de ” et “ Les aviateurs”84 . »

Enfin, chacune des œuvres choisies permet d’aborder un aspect particulier de la pratique de Rij-Rousseau. Grâce aux Courses, un des événements les plus marquants de la carrière de l’artiste sera retracé. Les Rameurs, bien qu’aujourd’hui connus seulement par une reproduction en noir et blanc, nous apparaissent comme une composition idéale pour aborder le problème de la construction du tableau. De surcroît, comme l’esquisse préparatoire de cette toile a été conservée, nous pouvons mieux comprendre les étapes de sa réalisation. Géo-Charles au Vélodrome d’Hiver, rare œuvre sur le thème du sport dont une image en couleur est disponible, offre une occasion unique d’analyser la part chromatique de la technique de Rij-Rousseau. Finalement, nous donnerons une idée de la variété de médiums explorés par l’artiste en nous arrêtant sur Les Lutteurs, peinture ayant été convertie en tapisserie. En somme, un tel ensemble offre un panorama varié, utile pour faire ressortir les caractéristiques de l’art de Rij-Rousseau et son éventuelle spécificité. Nous pourrons alors tenter une comparaison entre les procédés « vibristes » et certaines recherches cubistes antérieures ou contemporaines.

83 « Principaux tableaux : Les Rameurs, Les Lutteurs, Les Cavaliers, Le Lecteur, L’Hydravion, Chevaux dans la campagne, L’Église de Montigny, Les Jockeys, Annecy, Monte-Carlo, La Creuse, Nature morte. ». René Edouard-Joseph, op. cit., p. 208-209. 84 Jeanne Rij-Rousseau, art. cit. (traduction libre).

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Division du mémoire

Afin de situer la pratique vibriste de Jeanne Rij-Rousseau par rapport au cubisme des années 1920, nous avons découpé notre démonstration en trois temps. Chaque chapitre s’accompagnera de l’analyse d’œuvres particulières qui fera ressortir la spécificité du vibrisme.

Le premier chapitre se veut avant tout une introduction au parcours de Rij-Rousseau, depuis sa participation à la Section d’or de 1920 jusqu’au retrait remarqué de ses Courses lors du Salon des Tuileries de 1924. Ces deux étapes charnières au sein de sa carrière sont essentielles à la compréhension de la façon dont son travail a été perçu. Nous nous intéresserons, dans un premier temps, au contexte entourant sa présence à l’exposition parisienne de l’association la « Section d’or ». Nous interrogerons la logique associative qui dicte la formation des réseaux culturels de l’époque afin de contextualiser l’inscription de Rij-Rousseau dans l’épopée cubiste. Dans un second temps, nous retracerons les événements entourant ce qui a été appelé « l’Incident des Tuileries ». Cette étape sera suivie de l’analyse des Courses, tableau au cœur du différend, appuyée sur la réception critique de celles-ci. Au terme de cette étude, nous mettrons en évidence certaines caractéristiques notables de la production de Rij-Rousseau. Ces dernières permettront de structurer l’étude formelle et comparative visant à cerner la spécificité de ce que Rij- Rousseau a elle-même appelé « vibrisme ». Cette étude sera menée en deux temps dans les chapitres suivants.

Le deuxième chapitre sera consacré à un premier aspect essentiel de l’art de Rij- Rousseau : la fragmentation. À travers l’étude des différentes étapes de la construction de l’œuvre, nous tenterons de mettre en lumière ce qui définit la structure vibriste. Pour ce faire, nous nous appuierons sur l’esquisse préparatoire du tableau Les Rameurs et sur une reproduction de l’œuvre peinte. Nous tenterons de mettre les procédés de fragmentation vibristes en parallèle avec certaines des théories qui ont inspiré la restructuration de l’espace et la décomposition de la forme chez les cubistes. L’œuvre intitulée Vibrisme nous permettra d’observer l’évolution de la composition chez Rij-Rousseau dans les années 1920. Nous montrerons finalement comment la grille développée par l’artiste est utilisée pour dynamiser l’œuvre et ordonner les jeux de couleurs et de lumière.

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Le troisième et dernier chapitre portera sur un second aspect essentiel du vibrisme : l’utilisation de couleurs éclatantes et lumineuses. L’analyse sera alors principalement consacrée à l’étude du tableau Géo-Charles au Vélodrome d’Hiver. Nous tenterons de comprendre les principes qui dictent, chez Rij-Rousseau, l’emploi de la couleur et de la lumière. Nous nous intéresserons à la façon dont le vibrisme, comme la pratique de certains cubistes, est tributaire de certaines théories de la couleur. Nous analyserons les propriétés dynamiques des jeux chromatiques mis en place par la créatrice en les comparant à d’autres recherches similaires. Nous conclurons sur l’analyse de la tapisserie Les Lutteurs, afin d’aborder certaines applications spécifiques de la couleur et de comprendre comment les procédés coloristes « vibristes » se transcrivent dans la matière tissée.

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CHAPITRE 1 ÉTUDE DE LA RÉCEPTION D’UNE ŒUVRE : LES COURSES (1924)

Il est de ces événements dans la carrière d’un artiste qui marquent les esprits au point où on en vient presque, dans la durée, à ne retenir qu’eux. Comment expliquer autrement qu’une artiste au parcours aussi sinueux que Jeanne Rij-Rousseau, ayant fréquenté nombre de cercles artistiques et littéraires de son temps, ne semble aujourd’hui exister dans l’histoire de l’art qu’à travers d’occasionnelles mentions de son passage dans le cubisme ?

Il existe plusieurs raisons pouvant expliquer que la production d’une artiste telle que Rij-Rousseau, appréciée en son temps, ait pu se perdre dans les méandres de l’histoire de l’art moderne. Des spécialistes de cette période, telle que l’historienne de l’art Françoise Lucbert, se sont intéressés à ces destinées d’artistes oubliés. Dans un récent ouvrage, Lucbert se penche sur le parcours de (1885- 1925), un artiste ayant lui-aussi participé au mouvement cubiste au début du XXe siècle. Elle y propose plusieurs pistes de réflexion quant à la pérennité de l’œuvre de ce dernier qui peuvent, en partie, s’appliquer à notre sujet d’étude. Dans Par-delà le cubisme, Lucbert suggère d’abord qu’il y aurait plusieurs lacunes au cœur même de l’historiographie du cubisme, concentrée avant tout sur le rôle fondateur de Pablo Picasso et de Georges Braque, laissant peu de place aux pratiques plus hétérogènes85. Toujours selon elle, « l’enfermement de l’histoire de l’art dans un « grand récit » moderniste rythmé par la succession de mouvements d’avant-garde bien définis laisse peu de place aux formes d’expression qui s’insèrent mal dans les principales catégories utilisées pour décrire l’art moderne86 ». En ce sens, le rattachement initial d’un artiste à un mouvement, dans notre cas le cubisme parisien, et son progressif détachement par rapport à celui-ci, peut nuire à l’inscription de l’individu dans l’histoire de l’art87.

85 Françoise Lucbert et Yves Chevrefils Desbiolles, dir., Par-delà le cubisme. Études sur Roger de La Fresnaye, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 15. 86 Ibid., p. 16. 87 Ibid.

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Un exercice similaire à celui proposé par Lucbert a été entrepris par l’historienne de l’art Catherine Bock-Weiss dans son ouvrage : Modernist Against the Grain. Cette dernière remet en question non pas la modernité des œuvres de Matisse, mais le concept même de modernité. Ce faisant, elle interroge la validité des catégories souvent trop rigides dans lesquelles sont enclavées les productions artistiques88 : « [e]xclusionary, ideologically selective narratives are no longer adequate to account for the heterogeneous and nonsynchronous unfolding of the arts of the last century89. » C’est pourquoi il est pertinent de s’interroger sur la réelle appartenance de l’art de Rij-Rousseau au mouvement cubiste. Il importe de démontrer que sa pratique, comme celle de plusieurs de ses confrères et consœurs de la Section d’or, s’est enrichie au contact des expérimentations cubistes, mais, à terme, n’en a retenu que certains éléments. Le cubisme devient alors, indépendamment de son importance, une source d’influence parmi plusieurs autres. Il contribue au développement du style personnel de Rij-Rousseau sans le limiter. Afin de mener une analyse approfondie du lien unissant les œuvres de Rij-Rousseau au cubisme, il convient d’abord de mettre en contexte les participations de cette dernière aux activités des artistes rattachés à cette mouvance.

La contribution de Rij-Rousseau à l’exposition de la Section d’or de 1920 à Paris constitue, selon nous, la pierre angulaire de son attachement au cubisme. Jalon significatif de sa carrière sur le long terme, cette association autorise une meilleure compréhension de sa fortune critique. Bien que nous ignorions la nature des œuvres qu’elle présente lors de cette exposition, un article du critique Florent Fels confirme néanmoins sa participation90. Ce premier chapitre suivra un parcours chronologique divisé en deux temps. Nous tâcherons d’abord de situer le contexte de cette nouvelle exposition de la Section d’or de 1920 et de la participation de Rij-Rousseau. Nous progresserons ensuite jusqu’en 1924 afin

88 Catherine Bock Weiss, Henri Matisse: Modernist Against the Grain, Pennsylvania, Pennsylvania State University Press, 2009. Catherine Bock-Weiss est professeure émérite d’histoire de l’art à l’École de l’Art Institute de Chicago. 89 Ibid., p. 3. 90 Le catalogue de l’exposition parisienne de la Section d’or de 1920 demeure à ce jour introuvable. En revanche, Florent Fels, dans un article pour la revue belge Sélection, présente la Section d’or invitée à Bruxelles et joint une liste des participants à l’exposition à la Galerie la Boétie au mois de mars 1920. Nous y retrouvons en ordre alphabétique les artistes Angiboult, Archipenko, Buchet, Braque, Férat, Gleizes, Gontcharova, Hellesen, Irène Lagut, Laurens, Lambert, Larionoff, Léger, Marcoussis, Rij-Rouseau, Survage, Tour Donas, Vassilieff, Jacques Villon, R. Duchamp-Villon. Y est aussi mentionnée la participation des compositeurs , Auric, Durey, Honegger, Darius Milhaud, Poulenc et Germaine Tailleferre à un concert organisé par les soins de Pierre Bertin. Florent Fels, « La Section d’or », Sélection. Chronique de la vie artistique (Bruxelles), no 5, 15 décembre 1920, non paginé, cité dans Cécile Debray, « La Section d’or, 1912-1920-1925 », dans La Section d’or, 1912-1920- 1925, Paris, Cercle d’art, 2000, p. 32.

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de nous intéresser au tableau Les Courses et à sa réception. Nous tenterons finalement de déterminer en quoi les événements entourant la présentation de cette œuvre ont eu des répercussions concrètes sur la reconnaissance de Rij-Rousseau. Ce premier chapitre se veut donc une introduction à la carrière de cette dernière, appuyée par une étude de sa fortune critique au début des années 1920.

1.1. 1920 : La Section d’or

La Section d’or de 1920 concrétise les expérimentations esthétiques menées par Rij- Rousseau depuis 1908 et vraisemblablement inspirées par ses échanges avec des artistes participant activement au cubisme. Sa rencontre avec le peintre espagnol Juan Gris, l’un des protégés du marchand d’art Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979), fut peut-être à l’origine de son incursion dans le mouvement cubiste. Ironiquement, Juan Gris, considéré aujourd’hui comme l’un des « vrais » cubistes, demeure critique quant à sa propre participation au mouvement91. En 1925, dans une entrevue pour le Bulletin de la vie artistique, il explique : « Le cubisme ? Ne l’ayant pas adopté d’une façon consciente après mûre réflexion, mais ayant travaillé dans un certain esprit qui m’a classé dans cette tendance, je n’ai pas médité sur ses causes et son caractère, comme celui qui l’a observée de loin ou qui a réfléchi sur elle avant de l’adopter92. » Peut-être est-ce dans une dynamique semblable que Rij-Rousseau entre dans les rangs cubistes, alors que ses essais sur la division fragmentée de l’image rappellent la phase synthétique du mouvement. Les cercles artistiques de Paris se recoupant souvent entre eux, nombre de rencontres ont pu découler de l’amitié de Gris et de Rij-Rousseau. Par exemple, les deux artistes se retrouvent régulièrement dans le Sud de la France, à Céret, notamment chez un ami commun, le peintre et sculpteur catalan Manolo (1872-1945). Ce dernier, ami de Braque et Picasso, initiateurs du cubisme, aurait pu servir d’intermédiaire entre les artistes93. Les liens que tisse

91 Pour certains historiens de l’art, notamment Douglas Cooper, les seuls « vrais » cubistes seraient les fondateurs du mouvement, Georges Braque et Pablo Picasso, l’Espagnol Juan Gris et le Français Fernand Léger, tous les quatre membres de « l’écurie Kahnweiler », c’est-à-dire du groupe de peintres liés au marchand d’art Daniel-Henry Kahnweiler par un contrat d’exclusivité. 92 Juan Gris, « Chez les cubistes », Bulletin de la vie artistique, Paris, 6e année, no 25 (1 janvier 1925), p. 15. 93 Nous ne savons pas clairement si Rij-Rousseau eut l’occasion d’échanger avec Braque ou Picasso. Néanmoins, leurs amitiés communes avec des artistes tels que Gris, Manolo, Léger, etc., laissent supposer qu’ils se connaissaient bien. Dans un extrait d’entrevue, l’affichiste Alain Carrier (1924- ), proche de Rij- Rousseau dans les dernières années de sa vie, corrobore cette impression en relatant des anecdotes impliquant Rij-Rousseau et Picasso. Nous retrouvons également le nom de Rij-Rousseau (1907) parmi les artistes et

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Rij-Rousseau avec des collègues de l’Académie Ranson, dès les années 1910, peuvent également s’ajouter à ce riche réseau, caractéristique du dynamisme culturel de la capitale française à cette époque.

La collaboration de Rij-Rousseau à la revue SIC, en 1917, témoigne également de la richesse et de la variété de ses contacts. Il est possible que cette collaboration soit le résultat d’un lien plus ancien entre Rij-Rousseau et des amis de l’éditeur du mensuel, Pierre Albert-Birot94, car ce dernier se construit, dès 1916, un cercle de connaissances enviable qui, assurément, comprend certains des artistes fréquentés par Rij-Rousseau depuis plus d’une décennie. Comme le relate l’historienne de l’art Marie-Louise Lentengre dans son ouvrage Pierre Albert-Birot. L’invention de soi, Albert-Birot, fort du succès de SIC et de ses rencontres fructueuses, notamment avec le peintre (1883-1966), va rapidement s’inscrire au cœur de la vie artistique et littéraire parisienne95 : « Albert-Birot, qui jusqu’en janvier 1916 ne connaissait personne, allait en quelques mois connaître tout le monde96. » Il s’agit là, certainement, d’une exagération. Bien que la nature introspective et solitaire d’Albert-Birot le tienne longtemps à l’écart de l’actualité culturelle parisienne, il développe tout de même certaines amitiés au cours de sa formation artistique97. Il n’en demeure pas moins que ce n’est qu’à partir de la publication de SIC que ce dernier se met réellement au diapason de la vie artistique98.

Bien qu’il soit difficile d’établir hors de tout doute une filiation entre l’éditeur de SIC, Rij-Rousseau et d’autres artistes, penseurs ou poètes, on peut supposer que la revue et,

peintres ayant fréquenté le Bateau-Lavoir et listés par le musée Jacquemart-André. Voir Le Bateau-Lavoir : berceau de l’art moderne, Musée Jacquemart-André, Paris, Musée Jacquemart-André, 1975, p. 18. 94 Pierre Albert-Birot, surnommé PAB, est le nom de poète de Pierre-Albert Birot. Il prend ce pseudonyme, subtile variation de son nom, dès 1915, alors qu’il travaille à un projet de revue qui, comme il l’exprime lui-même, est pour lui comme une renaissance : « la revue SIC, ma fille, et une fille pas ordinaire puisqu’elle a trouvé le moyen de me mettre au monde. » (Pierre Albert-Birot, « Entretiens Pouey », Arts, 5-11 juin 1952, cité dans Marie-Louise Lentengre, Pierre Albert-Birot. L’invention de soi, Paris, Éditions Jean-Michel Place, 1993, p. 14.) 95 Arrivé à Paris en 1906, Severini a déjà derrière lui plusieurs « années de combat et d’évolution dans les recherches d’art ultra moderne » lorsqu’il rencontre PAB. Il introduira ce dernier à plusieurs de ses amis et connaissances, dont Serge Férat, , Juan Gris et André Lhote. Apollinaire et Severini sont d’ailleurs parmi les premiers collaborateurs de SIC. (Marie-Louise Lentengre, Pierre Albert-Birot. L’invention de soi, Paris, Éditions Jean-Michel Place, 1993, p. 95. 96 Ibid., p. 104. 97 Au début des années 1890, Pierre Albert-Birot reçoit une formation de peintre et de sculpteur à l’École des Beaux-Arts de Paris. Par la suite, il suit sporadiquement les classes des peintres Gustave Moreau (1826-1898) et Léon Gérôme (1824-1904), avant de se consacrer à sa passion pour la poésie. Lentengre dresse du jeune Pierre Albert-Birot le portait d’un homme ébranlé par les nombreux écueils d’une vie difficile. 98 Ibid., p. 103.

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bientôt, les rendez-vous hebdomadaires rue de la Tombe Issoire99, furent particulièrement propices aux rencontres. En effet, le samedi, dès 20 heures, Albert-Birot organise des soirées où se réunissent, entre autres, les divers collaborateurs de SIC. Le poète Guillaume Apollinaire y participe régulièrement, accompagné de certains de ses amis100 : André Salmon, Louis de Gonzague Frick, , Serge Férat, Roch Grey101, , et Blaise Cendrars102. Apollinaire connaissant déjà Rij-Rousseau depuis quelques années au moment de la parution de la revue, il est possible que ce soit par son entremise que la créatrice fasse la connaissance de PAB103. Cela dit, ajouter Rij-Rousseau à la liste de ses collaborateurs permet à Albert-Birot d’enrichir sa publication de la contribution d’une figure active de l’avant-garde. En échange, faire partie du cercle d’Albert- Birot permet à Rij-Rousseau de profiter des contacts qu’il lui permet d’établir, des idées qu’il fait circuler, bref, de toute son influence104. À une époque où, comme l’explique Lentengre, « les carrières littéraires (et artistiques) naissaient et se consolidaient dans les cafés de Montmartre et, de plus en plus, dans ceux de Montparnasse105 », de telles rencontres n’ont rien d’anodin. Il n’est donc pas surprenant que, de ces réguliers des « soirées SIC », plusieurs collaborent, en 1920, à une nouvelle exposition organisée par l’association la Section d’or.

Pour retracer la genèse de cette seconde édition, il faut remonter au mois d’octobre 1919, alors que Léopold Survage (1879-1968), Albert Gleizes et (1887-1964) créent une association de la Section d’or où se côtoient désormais plusieurs cercles : les néo-cubistes, les cubo-futuristes russes de Paris, les artistes réunis autour de Gleizes, de Léger et du modernisme défendu par leur marchand Léonce Rosenberg et sa galerie L’Effort Moderne et, pour un court moment, les dadaïstes106. Parmi eux se retrouvent

99 Lentengre énumère entre autres le critique Gaston Picard, l’actrice Louise-Marion, les artistes Chana Orloff, Survage, Zadkine, Severini et les poètes, encore inconnus, Aragon, Soupault, Tzara et Radiguet. (Lentengre, Ibid., p.103-104.) 100 C’est Severini qui présente, en 1916, le poète Guillaume Apollinaire à Albert-Birot. De cette rencontre naît une sincère amitié qui se poursuit jusqu’au décès d’Apollinaire en 1918. (Lentengre, Ibid., p. 100.) 101 Roch Grey est l’un des multiples pseudonymes de la Baronne Hélène d’Oettingen (1875-1950). Écrivaine et artiste, elle utilise également le nom Léonard Pieux pour sa poésie et Francois Angiboult pour sa peinture. 102 Ibid., p. 104. 103 On retrouve le 3 mars 1914 dans les chroniques d’art d’Apollinaire une mention de « Mlle Rij-Rousseau », qui suivrait les pas de Juan Gris. Guillaume Apollinaire, Chroniques d’art (1902-1918), Paris, Gallimard, p. 432. 104 Lentengre observe cette même dynamique d’influence bénéfique entre Apollinaire et Albert-Birot au moment de leur rencontre. (Lentendre, op. cit.) 105 Ibid., p. 103. 106 Cécile Debray, art. cit., dans Debray et Lucbert (dir.), op. cit., p. 31.

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quelques « vétérans » de 1912, notamment Gleizes, Léger et Archipenko, mais également (1878-1941) et Jacques Villon107. Si la première édition de la Section d’or, en 1912, démontre à quel point le cubisme tel que conçu originalement par Braque et Picasso a évolué depuis 1907, l’exposition de 1920 a ses propres objectifs.

Les motivations menant à cette initiative sont exprimées dans les statuts déposés au mois de mars 1920, quelques jours seulement avant l’ouverture d’une nouvelle exposition à la Galerie La Boétie : « Il est formé à Paris, sous le nom de « La Section d’or », une association de peintres, sculpteurs, musiciens et écrivains de toutes nationalités, en vue d’organisations d’expositions et d’auditions d’œuvres en France et à l’étranger108». Ainsi, la Section d’or de 1920 traduit non seulement un cosmopolitisme assumé, mais aspire à conforter les grands principes d’une esthétique moderne109. Le journaliste et écrivain d’art Florent Fels110 (1891-1977) explique comme suit les intentions de cette exposition :

Recréer les valeurs plastiques des objets et des formes sans le secours de l’anecdote (académisme) ou de l’ambiance (impressionnisme). Construire et non commenter, œuvrer et non limiter, enfin donner à l’œuvre d’art sa fonction et sa vie personnelle. Platon célébrait la beauté abstraite des plans et des lignes pures ; tel vœu se réalise dans la plastique moderne111.

Il ne s’agit donc pas d’un salon « cubiste », mais plutôt d’une exposition mettant en valeur la modernité et ses diverses formes d’expression. Cette mise à l’avant-plan des principes sur lesquels s’appuie le modernisme des années 1920 attire la collaboration des grands mouvements d’avant-garde : , le constructivisme russe, le futurisme italien112. Devant une telle mixité d’affiliation, le lien entre cubisme et Section d’or en 1920 peut sembler ténu. Pour Cécile Debray, l’héritage du cubisme de la Section d’or de 1912 tient principalement de l’orientation en faveur d’une modernité formelle, liée ou non à l’abstraction, qui se dessine

107 Ibid. 108 Paris, Documentation générale du Musée national d’art moderne (MNAM), fonds Survage, tel que cité dans Debray et Lucbert (dir.), op. cit., p. 31. 109 Debray, art. cit., p. 32. 110 De son nom complet Ferdinand Florent Felsenberg, il signe parfois aussi ses textes de son pseudonyme Florent Fels. Figure importante de la presse artistique parisienne au début du XXe siècle, il fonde en 1920 la revue de philosophie et d’art Action en collaboration avec le poète Marcel Sauvage (1895-1988) et, en 1922, la revue artistique bimensuelle L’Art vivant. Il entretient des relations étroites avec plusieurs écrivains proches des cubistes, tels que Max Jacob et André Salmon. Le poète sera un ami commun à Rij-Rousseau et à lui. 111 Florent Fels, art. cit. 112 Debray, art. cit.

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alors et des apports théoriques de l’ouvrage Du « Cubisme », conçu par Gleizes et Metzinger, dont bon nombre des exposants se réclament113.

1.1.1. Arrivée tardive, départ hâtif

Cette orientation de la Section d’or en faveur d’une modernité formelle plastique pourrait à elle seule expliquer la participation de Rij-Rousseau à l’exposition de Paris. Connaissant l’intérêt marqué de l’artiste pour les expérimentations plastiques et les recherches scientifiques liées à l’art, il n’est pas surprenant que cette association d’intellectuels et d’audacieux l’ait interpellée. Toutefois, il semblerait que la présence de Rij-Rousseau à Paris soit le fruit d’un concours de circonstances.

Contrairement à la manifestation de 1912, qui se posait à l’avant-garde de la scène artistique, celle de 1920 réunit les protagonistes des avant-gardes d’avant la Grande Guerre. Lorsque l’artiste (1879-1953) est invité à rejoindre la nouvelle Section d’or par Gleizes114, c’est d’abord avec enthousiasme qu’il tente de rallier les autres membres de à Paris. Or, dès la première réunion en novembre 1919, des tensions se font sentir dans le groupe. L’attitude « anti-art » des Dada heurte les artistes de la Section d’or115. Suite à plusieurs débats portant sur les positions esthétiques du groupe et une ultime assemblée générale à la Closerie des Lilas116 le 2 février 1920, les différends irréconciliables entre les membres du groupe, notamment entre Survage et le porte-parole du groupe Dada, Ribemont-Dessaignes117, mènent plusieurs d’entre eux à se retirer du projet. Picabia et ses confrères dadaïstes rompent définitivement avec le groupe. Dans un article paru dans Les Cahiers du Musée national d’art moderne, Cécile Debray relate ce qui sera connu sous le

113 Ibid. 114 Sur les rapports de Picabia et de la Section d’or, voir l’essai d’Arnauld Pierre, « Une Traversée du cubisme. Picabia et la Section d’or », dans Debray et Lucbert (dir.), op. cit., p. 77-83. 115 Debray, art. cit., p. 34. 116 La Closerie des Lilas, située au 171 avenue Montparnasse, est un café, restaurant, brasserie, devenu, au XXe siècle, l’un des lieux de rassemblement favori des artistes et intellectuels de Paris. 117 Cécile Debray, « L’affaire dada », Les Cahiers du Musée d’art moderne, no 88, août 2004, p. 105.

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nom de « L’affaire dada118 ». Au terme d’une rencontre « qui dégénère en pugilat119 » à la Closerie des Lilas, les artistes regroupés votent l’expulsion des représentants de Dada et le remplacement des membres démissionnaires par des cubistes rassemblés pour faire front. Si l’on se fie à l’extrait suivant, Rij-Rousseau est de ces derniers : « Dada ex-pul-sé, la séance de la Section d’or, réformée, se poursuivit par des élections. Certains, fiévreux, étaient en bas, et n’attendaient qu’un appel pour monter. C’est ainsi qu’Angiboult, Irène Lagut, Lambert, Rij-Rousseau, Léger, Valmié, Braque et Laurens prirent les sièges dadaïstes encore tièdes120. »

Rij-Rousseau, tout comme Irène Lagut (1893-1994), peut davantage être considérée comme une « amie des cubistes » que comme une cubiste « pure » en raison de sa pratique. Il est fort possible que Pierre Albert-Birot soit à l’origine de leur ajout à la liste des exposants, car toutes les deux avaient, par le passé, collaboré avec lui121. Toujours est-il qu’en 1920, l’apport de nouveaux artistes et de leurs esthétiques personnelles enrichit l’exposition proposée et démontre la foisonnante postérité du cubisme.

« À travers la production des artistes étrangers résidant à Paris – russes, slaves et nordiques – le langage cubiste s’est enrichi d’une hybridation introduisant une figuration archaïsante et hiératique, une liberté expressive de la couleur et de la composition pour les œuvres de Férat, de Survage, d’Angiboult ou de Vassilieff, une stylisation froide et précise et un raffinement de coloris pour les peintures de Hellesen, de Tour Donas, de Buchet ou de Van Doesburg122. »

La seconde Section d’or, bien qu’elle porte l’héritage du cubisme, apporte une nouvelle dimension coloriste qui, comme le remarque Lucbert : « la rend certes moins austère, mais pas forcément facile à intégrer dans le contexte du cubisme »123. Citant en

118 « L’affaire dada » est le titre d’un long article qui paraît dans le numéro d’avril 1920 de la revue Action, dirigée par Florent Fels. Gleizes, qui en est l’auteur, y déploie une analyse sociologique et politique du mouvement dada, esquissant une équivalence entre Dada et le capitalisme moderne et l’individualisme. Le tout est rédigé dans le ton injurieux et vindicatif typique des publications liées à cette affaire. Voir Albert Gleizes, « L’Affaire dada », Action, no 3, avril 1920, p. 26-32. Cité dans Cécile Debray, « L’Affaire dada », Les Cahiers du Musée d’art moderne, no 88, août 2004, p. 107.) 119 Cécile Debray, ibid., p. 101. 120 Paul Dermée, « Premier et dernier rapport du secrétaire de la Section d’or. Excommuniés », 391, no 12 (mars 1920), reproduit dans Francis Picabia, 391 (réédition Michel Sanouillet, dir.), Paris, Le Terrain vague Losfeld/Pierre Belfond, 1960, p. 84. 121 Irène Lagut réalise en 1917 les costumes pour l’adaptation théâtrale des Mamelles de Tirésias de Guillaume Apollinaire, mis en scène pat Albert-Birot. (Ariane Coulondre, « Albert-Birot, Pierre », dans Dictionnaire du cubisme, Paris, Robert Laffont, p. 9.) 122 Cécile Debray, « La Section d’or, 1912-1920-1925 », dans Debray et Lucbert (dir.), op. cit., p. 34. 123 Françoise Lucbert, « Du Succès de scandale au désenchantement. La réception contrastée de la Section d’or », La Section d’or : 1912-1920-1925, Paris, Cercle d’art, 2000., p. 56.

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exemple les nouveaux membres que sont Survage, Gontcharova, Larionov, Vassilieff, Férat, Angiboult, Buchet, Tour-Donas et Hellesen pour appuyer son propos, Lucbert n’inclut toutefois pas Rij-Rousseau dans cette liste, sans doute en raison de la retenue qu’impose l’absence d’information concernant son envoi. Difficile pourtant, à l’étude de ses œuvres et des critiques qui les accompagnent dans les années 1920, d’imaginer que Rij-Rousseau n’ait pas, elle aussi, contribué à la diversification de la palette cubiste des artistes de la Section d’or.

Il faut mentionner que l’affirmation d’une continuité avec le cubisme après la rupture historique et idéologique de la guerre place les artistes de cette seconde Section d’or dans une position d’équilibre précaire. Tel qu’exposé par l’historien Kenneth E. Silver, le retour à l’ordre dans la période d’après-guerre est un phénomène qui s’exprime par le regain d’un certain académisme et qui peut expliquer, en partie du moins, l’accueil très confidentiel que sera celui de l’exposition de la Galerie La Boétie en mars 1920. Dans un rare article de l’époque, on semble néanmoins se rappeler l’importance de la Section d’or de 1912 et admettre la place toujours présente du cubisme en 1920 :

Le cubisme ou le mouvement d’art qu’on a surnommé ainsi est en pleine période d’évolution. Le cubisme continue avec Gleizes, Metzinger, Léger, Marcoussis, Braque, Laurens, etc., car le cubisme ne peut plus mourir ; le cubisme représente trop fervemment ce dégoût de notre génération pour la peinture sensualiste qui a abouti à Bouguereau ; le cubisme subsiste au moins sous son aspect de négation. Mais son système constructif subit la crise universelle de désorganisation que nous traversons. Chaque cubiste expose son cas individuel et c’est comme la confession publique de l’impossibilité où nous sommes aujourd’hui d’admettre un ordre, une hiérarchie fondée en sens commun124.

Lucbert, dans son étude de la réception de l’événement, souligne le ton plutôt pessimiste employé par l’auteur qui exprimerait ici certaines réticences envers le « néo-cubisme » présenté à la Galerie La Boétie. C’est, en effet, sous une bannière hétérogène que se rassemblent les exposants de cette nouvelle Section d’or au cubisme plus « écartelé » encore qu’en 1912. La chose est traduite plutôt habilement par l’écrivain Florent Fels lorsqu’il écrit : « La Section d’or fait bloc, impose sa foi généreuse, concentre et coordonne les efforts parallèles des jeunes talents, lesquels ne sont astreints à aucun credo esthétique, aucune contrainte dogmatique, et gardent toutes leurs individualités125. » Au premier abord,

124 Jean-Gabriel Lemoine, « Les Arts. La Section d’or (Galerie La Boétie) », L’Intransigeant, 41e année, no 14472, 19 mars 1920, p.2. Cité dans Françoise Lucbert, art. cit., p. 56. 125 Florent Fels, art. cit.

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il peut être surprenant que Rij-Rousseau soit considérée comme faisant partie des « jeunes talents, car elle approche la cinquantaine au moment de l’exposition. Toutefois, comme l’explique Joyeux-Prunel : « la « jeunesse », plus encore qu’une question de choix esthétique, était aussi une question d’âge artistique - lié à la date à laquelle on était entré sur la scène de l’art moderne126 ». En ce sens, les avant-gardes étaient effectivement jeunes, mais pas nécessairement par l’âge et, grâce à cela, Rij-Rousseau peut être considérée comme faisant partie de ces « jeunes talents » qui apportent nouveauté et vitalité à cette nouvelle édition.

Si Rij-Rousseau arrive tardivement à la Section d’or, elle la quitte aussi rapidement puisqu’elle ne participe pas à l’itinérance de l’exposition qui se prolonge sur près de deux ans et se déplace dans toute l’Europe127. Prenant tardivement le train de la Section d’or et descendant à sa première gare, Rij-Rousseau participe à ce que Debray qualifie de « fin du mouvement »128. La troisième exposition parisienne de la Section d’or, en 1925, se présente avant tout comme la célébration d’une épopée disparue129. Archipenko, dans un témoignage postérieur, rend bien la nostalgie que suscite pour ce « vétéran » de 1912 cette nouvelle édition : « En 1920 nous reprîmes nos activités. J’organisai personnellement l’exposition de la Section d’or à Genève, à Rome et à Bruxelles. Puis ce chapitre historique fut clos. La Section d’or fut la plus belle étincelle de génie créateur et de solidarité. Ces hommes ont jeté les fondations d’une ère nouvelle de l’art. Certains ne sont plus, certains sont encore vivants, certains sont immortels130. » Pour Archipenko, la participation de certains artistes, dont Apollinaire qui est décédé en 1918 rappelons-le, a permis de placer leur nom sur la liste des inoubliables de l’époque. Le passage, bref et intense, de Rij-Rousseau dans la Section d’or marque un point d’orgue dans sa carrière.

126 Béatrice Joyeux-Prunel, op. cit., p. 29. 127 La seconde Section d’or organise une série d’expositions, la première se déroulant à Paris au mois de mars 1920 et se déplaçant ensuite successivement à Rotterdam, La Haye, Amsterdam, Bruxelles, Genève et Rome, où elle aboutit au mois de mai 1922. Chose intéressante, Rij-Rousseau, durant la période où la Section d’Or se déplace à Genève (23 décembre 1920 – 25 janvier 1921) y est, elle aussi, pour l’Exposition Internationale d’Art Moderne se tenant là-bas du 26 décembre 1920 au 25 janvier 1921. On ignore cependant ce qui a pu la motiver à ne pas renouveler son association au groupe de la Section d’or (indépendance, engagement antérieur, etc.). 128 Cécile Debray, op. cit., p. 35. 129 L’exposition de 1925, contrairement aux précédentes, n'est pas conçue par les artistes eux-mêmes, mais par deux jeunes marchands, Max Berger et Alfred Daber, qui montent une reconstitution de la Section d’or de 1912 pour inaugurer leur nouvelle galerie, la galerie Vavin-Raspail. (Ibid.) 130 Archipenko, ministère de la Culture, Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, Bruxelles, 198, p.18. Cité dans Debray, op. cit., p. 34.

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1.2. 1923

Après 1920, nous perdons quelque peu la trace de Rij-Rousseau. Bien qu’elle continue d’exposer aux salons d’Automne et des Indépendants, c’est seulement en 1923, alors qu’une de ses œuvres bénéficie d’une visibilité inattendue, que nous pouvons réellement rejoindre son parcours. Le Lecteur131 (fig. 4), présenté au Salon des Indépendants de 1923, est filmé, puis diffusé aux actualités du Journal Gaumont à travers les salles de cinéma parisiennes dans une capsule promotionnelle ayant pour titre « Le vernissage du salon des Indépendants attire de nombreux visiteurs »132. Grâce à la couverture médiatique dont jouit Le Lecteur, le nombre de critiques et de commentaires traitant de la production de Rij- Rousseau augmente significativement. Dans un article du quotidien Ouest de février 1923, l’auteur, dont nous n’avons pu valider l’identité, laisse transparaître un certain inconfort à l’endroit de la production de Rij-Rousseau. Il écrit :

Une seule artiste s'est nettement affranchie de la modération qui caractérise, dans leur ensemble, les envois de nos compatriotes, et elle s'est hardiment rangée de l'autre côté de la barricade, en plein cubisme. C'est Mme Rij-Rousseau, de Candé (salle 40). Déjà, l'an dernier, au Salon des Artistes Angevins, elle avait légèrement déconcerté notre vision. Cette année, elle achève, avec ses deux Paysages et son Lecteur, de bouleverser notre conception coutumière. Loin de moi la pensée de nier la science du dessin chez cette artiste sûre de sa technique, mais son crayon me paraît avoir suivi une pente que je considère comme dangereuse et la couleur a malheureusement suivi le mouvement133.

Cet extrait d’un périodique généraliste nous rappelle qu’en 1920, parmi les critiques et le public, une majorité d’individus demeure réfractaire à de telles œuvres modernes. D’une certaine manière, cette chronique laisse présager les événements de l’année suivante.

131 Le thème du lecteur fut repris par Rij-Rousseau dans des compositions similaires à plusieurs moments au cours des années 1920. Bien que la datation de ces œuvres demeure incertaine, nous savons que son œuvre l’Écrivain a été vendue en 2001 aux Hirschl & Adler Galleries de New York et qu’une toile intitulée Le Lecteur, figure au catalogue Impressionist and Modern Art, Ceramics and Silver by Twentieth Century Artists de la maison de vente Sotheby’s (16 octobre 1991). Aucune critique d’art connue ne fait toutefois mention de l’une ou l’autre de ces œuvres. Selon le chroniqueur Edmond Zeiger-Viallet, Le Lecteur serait un portrait du second époux de Rij-Rousseau, Maître Loiseau (Zeiger-Viallet, « Billet de Paris », Sisteron-Journal, 75e année, no 1505, 8 mars 1975, p. 1). 132 Gaumont Actualités, « Le Vernissage du Salon des indépendants attire de nombreux visiteurs », France, Journal Gaumont, 1923, film 9.5, 1 min. 133 Auteur inconnu, Ouest, 17 février 1923 (Coupures de presse Archives Rij-Rousseau).

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1.3. 1924 : « L’incident des Tuileries »

L’œuvre Les Courses (fig. 5) marque un tournant dans la carrière de Rij-Rousseau. Le tableau se retrouve au cœur d’un différend entre l’artiste et le directeur du Salon des Tuileries. Le conflit, abondamment couvert par la presse de l’époque, est alors présenté sous l’expression « l’incident des Tuileries ».

Lorsque Rij-Rousseau soumet Les Courses au comité organisateur du Salon des Tuileries, elle a espoir, comme plusieurs autres artistes, de rencontrer dans cette nouvelle instance une exposition artistique qui soit ouverte sur son époque. Le Salon des Tuileries vient tout juste d’être créé, au mois de juin 1923, à la suite de la scission d’un groupe d’artistes d’avec le Salon de la Société nationale des beaux-arts134. Dès sa première édition, les esthétiques d’hier et d’aujourd’hui y cohabitent dans une dynamique inclusive où toutes les écoles sont admises. Dans une critique du Salon des Tuileries de 1923, Maurice Raynal, l’un des premiers à avoir soutenu la mouvance cubiste avant 1914, écrit : « La nouveauté la plus curieuse du Salon des Tuileries est certainement constituée par l’aimable voisinage de l’Institut et du cubisme. Chaque époque, chaque génération a sa figure, ses tendances […]135. » Ce nouveau salon fondé par quelques artistes dissidents de la Société nationale des beaux-arts, dont le peintre Albert Besnard (1849-1934) et le sculpteur Antoine Bourdelle (1861-1929), a la particularité d’exposer à la fois des indépendants de renom et une nouvelle génération de peintres qui se sont révélés après la guerre136. Dans la même chronique, Raynal mentionne plusieurs noms familiers : Roger de La Fresnaye, Jean Metzinger, Albert Gleizes, Louis Marcoussis, Jean Lurçat et bien d’autres137. Plusieurs artistes étrangers, habitués du Salon des Indépendants, se joignent également en 1924 à la liste des exposants des Tuileries. Parmi eux, mentionnons certains anciens confrères du Salon de la Section d’Or, tel Mikhaïl Larionov et Natalia Gontcharova. Comme l’explique l’historienne de l’art Chantal Beauvalot dans l’introduction d’un ouvrage consacré au Salon des Tuileries, ce

134 Salon annuel organisé par la Société nationale des beaux-arts, aussi surnommée La Nationale. 135 Maurice Raynal, « Le Salon des Tuileries », L’Intransigeant, 44e année, no 15625, 17 mai 1923, p. 1. 136 Claire Maingon, L’Âge critique des salons : 1914-1925. L’école française, la tradition et l’art moderne, Mont- Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2014, p. 94. 137 Les peintres mentionnés dans l’article sont : Roger de la Fesnaye [sic], Jean Metzinger, Albert Gleizes, Marcoussis, Lurçat, Bosshard, Valentine Prax, Mme Halicka (Alice), Geneviève Gallibert, Lewina, Guindet, Zingg, Lacoste, Albert André, Kisling, Flandrin, Medgyès, André Lhote, Mondzain, Hayden, Kohn, Georges Kars, André Utter, Clairin, Robert, Ripolin, Durey, Ekegerdth, Charbonnier, Suzanne Valadon, Reno, Raymonde Heudebert et Chériane.

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dernier « se voulait un salon libéral, éclectique, représentatif de toutes les tendances de l’art contemporain où chacun avait la possibilité d’exprimer sa propre vision esthétique138 ». Le critique d’art suisse François Fosca exprime bien cette réalité lorsqu’il écrit que Le Salon des Tuileries est un « Salon de conciliation » ; qu’on peut y voir « Le Sidaner et Aman-Jean, non loin de cubistes notoires tels que Gleizes et Robert Delaunay […]139. » L’esprit d’inclusion qui semble marquer l’exposition rend d’autant plus déplorable l’incident qui s’ensuit. Lors du vernissage de 1924, alors que le président, Albert Besnard, passe en revue l’accrochage de l’exposition, la vue de la toile Les Courses de Rij-Rousseau interrompt son inspection. Selon ce qui a été rapporté aux journalistes de l’époque, Besnard aurait été choqué par les couleurs de la toile et en aurait exigé le retrait140.

1.4. Analyse de l’œuvre

Afin de mieux saisir la décision du président Besnard, prenons un instant pour nous pencher sur l’objet de sa désapprobation. Nombreuses sont les œuvres produites par Rij- Rousseau portant le titre Les Courses. Si on sait que son second mari était un grand amateur de ces événements à la fois sportifs et mondains, la récurrence du motif des courses équestres dès 1910 permet de suggérer que Rij-Rousseau entretenait cet intérêt avant même leur rencontre. Une coupure de presse du périodique Ouest (fig. 6), datée du 6 août 1924, présente une photographie de la toile en complément de l’article « À propos du tableau d’une Angevine » et nous permet heureusement d’identifier l’œuvre dont il est question dans cette affaire. Le tableau original ayant disparu, nous ne possédons malheureusement pas de version en couleur de celui-ci. La reproduction, dans Ouest, est accompagnée de la légende suivante : « LES COURSES, par Mme Rij Rousseau, une Angevine. Ce tableau vient de provoquer un incident au Salon des Tuileries ». Pourtant, a priori, Les Courses, par leur thème et leur composition, ne semblent pas particulièrement

138 Chantal Beauvalot, « Histoire de la création d’un Salon dissident : le Salon des Tuileries », dans Dictionnaire du Salon des Tuileries (1923-1962) : répertoire des exposants et liste des œuvres présentées, Dijon, L’échelle de Jacob, 2007, p. XXII. Il est à noter que Chantal Beauvalot est également la petite-fille du président de ce salon : Albert Besnard. Elle est auteure de plusieurs ouvrages lui étant consacrés et fondatrice de l’association « Le temps d’Albert Besnard » (2003). 139 François Fosca, « Le Salon des Tuileries », La Gazette des beaux-arts, juillet-août 1924, p. 87. Cité dans Claire Maingon, L’âge critique des salons : 1914-1925, Mont Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2014, p. 33. 140 L’événement est relaté, par exemple, dans le Paris-Journal, Mercure de France, la revue Comœdia, le Chicago Tribune, Les Annales africaines, Ouest et Cap.

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choquantes si on les compare à d’autres œuvres exposées au même Salon. Pour reprendre une expression du critique Gustave Kahn, Les Courses proposent, d’une certaine manière, « du cube nouveau sur du motif antique141». Le sport hippique, rappelons-le, était déjà apprécié dans l’Antiquité et ne constitue pas un thème moderne à proprement parler. Le tableau présente deux jockeys sur leur monture en course s’élançant vers la gauche. La composition, dynamique, suit une diagonale descendant du coin supérieur droit au coin inférieur gauche du tableau. Les chevaux, figés dans la tension du moment, semblent planer au-dessus d’une imposante haie. Derrière eux, les traits grossièrement esquissés d’un paysage et la démarcation d’une clôture posent les limites de la zone de course. L’espace devant la haie est difficile à identifier sans le concours de la couleur. Si l’on se fie au reflet de la haie, il pourrait s’agir d’une surface recouverte d’eau. Cette hypothèse se confirme vraisemblablement à la lecture de l’extrait d’article publié dans Ouest : « Il avait pour titre « Les courses » et représentait deux jockeys faisant franchir à leurs chevaux, allongés dans un joli mouvement, une rivière que des critiques impitoyables auraient peut-être trouvée un peu taillée en losanges – simple observation de détails qui, d’ailleurs, ne saurait nuire à l’ensemble142. » Notons que l’auteur, Henry Coutant, semble davantage ici identifier les divisions géométriques de la surface comme élément susceptible de contrarier le spectateur plutôt que le coloris de l’œuvre.

La couleur demeurant au cœur même de la polémique, nous nous autorisons l’étude d’une autre œuvre sur le même sujet pour appuyer notre analyse. Dans cette différente version des Courses intitulée Les Jockeys (fig. 7), le « sens tout à fait rare du coloris143 », expression employée par Henry Coutant, journaliste et chroniqueur de Ouest-France, pour souligner l’emploi audacieux de teintes vives chez Rij-Rousseau, est clairement exprimé. L’œuvre est rendue dans une palette de couleurs particulièrement vives et souvent arbitraires. Le cercle chromatique en entier s’y déploie. À l’arrière-plan, des teintes de rouge atténué et de rose font progressivement place aux jeux d’orangés du centre, qui passent à leur tour par

141 L’expression est employée en 1912, par le critique, pour décrire, dans la célèbre toile La Ville de Paris de Robert Delaunay, l’union d’un sujet classique à une facture moderne ;« […] M. Delaunay, un peintre doué, qui, dans une allégorie de Paris, cubise en somme l’ancien Besnard aux trois femmes symboliques ; ici, au lieu du décor de fêtes de Besnard, autour des trois femmes se sont les dures matières du fer et de la pierre qui s’élèvent sec; c’est un peu sommaire et en somme du cube nouveau sur du motif antique. » Gustave Kahn, « L’Art », Mercure de France, t. XCVI, no 355, 1er avril 1912, p. 60. Cité dans Françoise Lucbert, « Regards symbolistes sur le cubisme », Gustave Kahn : un écrivain engagé, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, p. 195. 142 Henry Coutant, « Une Angevine soulève un incident au Salon des Tuileries », Ouest, 6 août 1924 (Coupures de presse Archives Rij-Rousseau). 143 Ibid.

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la gamme des verts pour laisser la place aux bleus. Le fondu prismatique créé par la succession des couleurs est repris dans une suite inversée sur les figures des plans antérieurs. Ces derniers se retrouvent ainsi superposés en une série de contrastes de complémentaires. Rij-Rousseau joue aussi sur le niveau de détails pour hiérarchiser les éléments de sa composition. Au premier plan, la musculature de l’animal et les traits du visage du jockey sont rendus avec beaucoup plus de précision que ceux de leurs compétiteurs qui, eux, se déclinent en camaïeux de bleus et de violets. Dans les gradins, la foule est traduite par un assortiment de touches colorées dont certaines, claires et arrondies, se lisent comme les visages des spectateurs. Seules quelques silhouettes sommairement tracées se découpent de l’ensemble, globalement homogène. Les teintes chaudes du centre de la composition s’opposent aux teintes froides des côtés, dans un assemblage intriqué d’aplats géométriques. L’image paraît filtrée par des rayons de lumière colorée. Même en supposant l’emploi d’une palette aussi variée dans l’œuvre controversée, les couleurs de Rij-Rousseau ne se comparent pas aux teintes acidulées et saturées que le fauvisme proposait au tournant du siècle. Il est donc étonnant que Les Courses aient pu susciter un tel émoi strictement à cause des teintes choisies par l’artiste.

Pour Albert Besnard, dont le parcours académique est plutôt classique, ces « extravagances » furent néanmoins bien mal reçues. La sensibilité artistique du président du Salon, ancien étudiant de l’École des beaux-arts de Paris et fils du peintre d’histoire et élève d’Ingres144 (1780-1867) Louis-Adolphe Besnard (1812-1867), a sans doute peu en commun avec celle de Rij-Rousseau. Cela peut partiellement expliquer son dédain pour les couleurs vibrantes et les formes anguleuses des toiles de cette dernière. D’ailleurs, dans un article de 1924 consacré à la seconde édition du Salon des Tuileries, le critique Robert Rey propose une division plutôt intéressante des artistes qui participent cette année-là. Selon lui, il existe à ce salon deux catégories distinctes d’exposants : ceux qu’il associe aux « avant-gardes » et les « conservateurs »145. Sans surprise, Besnard fait partie de la seconde catégorie146. Il demeure néanmoins que sa réaction entre en contradiction avec la mission que s’est donnée le Salon lors de sa fondation. Encore plus étonnant, à l’occasion d’un banquet tenu le 29 juin 1923, quelques jours après le vernissage de la première mouture du salon des

144 L’un des fondateurs du mouvement cubiste, Pablo Picasso, considérait en quelque sorte Jean Auguste Dominique Ingres, célèbre peintre néoclassique, comme leur maître à tous et lui rend hommage dans sa toile La Grande Odalisque (selon Ingres) de 1907. 145 Robert Rey, « Le Salon des Tuileries », Art et Décoration, 1924, tome XLVI, juillet-décembre 1924, p. 41. 146 Ibid.

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Tuileries, Besnard prononce une allocution lors de laquelle il insiste sur l’obligation de prévoir des règlements sans rigidité, sur l’importance d’accepter les recherches les plus osées147. Ce discours fait état d’un flagrant manque de cohérence, puisque les mots ne s’arriment pas aux actions de Besnard. On peut donc douter de la sincérité de son propos.

1.5. Effet d’entraînement

Choquée par la demande de retirer son tableau de l’exposition, Rij-Rousseau fait circuler une lettre dénonçant l’attitude du président Besnard ainsi que les propos tenus par ce dernier148. Dans la missive publiée dans le journal Comœdia, Rij-Rousseau relate l’incident :

Monsieur,

J’ai lu votre article de Comœdia dédié au public des Salons artistiques. En ce qui me concerne, les visiteurs ont dû chercher vainement mon tableau « Les Courses », no 1.350 du catalogue, car, le jour même du vernissage, M. le Président du Salon des Tuileries, devant qui j’avais été conduite, et qui n’avait à régler qu’une question d’accrochage inexécuté (la place ne manquant cependant pas), a refusé, non seulement de le faire accrocher, mais il a porté sur ce tableau des appréciations tellement blessantes pour l’œuvre et l’artiste que je l’ai retiré séance tenante149.

J’ai protesté le jour même et je proteste encore contre un pareil procédé d’élimination préjudiciable à l’artiste et même offensant pour le jury, qui m’avait invitée et avait accepté mon tableau.

Recevez, Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs. Jeanne Rij-Rousseau, 86, rue Notre-Dame-des-Champs150.

Il importe de noter que lors du deuxième Salon des Tuileries, le mode de recrutement a changé. Les artistes souhaitant exposer devaient être invités par le comité du Salon. Ainsi, contrairement à la procédure en place dans la plupart des autres Salons, les œuvres n’avaient pas, à proprement parler, à être soumises à un jury151. Rij-Rousseau ayant reçu

147 Chantal Beauvalot, op. cit. 148 Rij-Rousseau parle de propos « fort blessants », mais ne donne pas davantage de détails. Dans une telle situation, il est difficile de porter un réel jugement sur les propos du président. Étaient-ils réellement insultants ou Rij-Rousseau s’est-elle vexée démesurément? 149 Bien que le président Besnard ait demandé le décrochage de l’œuvre de Rij-Rousseau, il semble que la décision finale du retrait ait été prise par l’artiste offensée par la requête de ce dernier. 150 Lettre de Jeanne Rij-Rousseau dans Le Rapin, « Au Salon des Tuileries », Comœdia, 7e année, no 4221 11 juillet 1924, p. 3. 151 Chantal Beauvalot, op. cit., p. XXVIII.

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une invitation en règle, il est compréhensible qu’elle ait très mal reçu le « droit de veto » dont a semblé se prévaloir Besnard152.

Bien que fâcheux, l’événement, qui aurait pu se limiter à cette lettre de protestation, prend alors des proportions que Besnard n’avait certes pas anticipées. Le récit de l’incident, porté par le texte de Rij-Rousseau, fait le tour de la scène artistique parisienne et suscite, sur son passage, la révolte des collègues et amis de l’artiste. L’écho de leur indignation retentit même jusque dans la presse américaine, repris par l’édition parisienne du Chicago Tribune, qui en diffuse la nouvelle : « Mme. Rij Rousseau, cubist painter, sent her painting entitled « Les Courses » to the Tuileries show this year and it was accepted, but, strange to say, was not hung in spite of the fact that many modern works were shown. As this action was unprecedented, she was left to wonder at the decision taken by the president, M. Besnard153. » Il est intéressant de noter que l’auteur choisit d’ajouter la mention « cubist painter » au nom de Rij-Rousseau. Pour le lecteur étranger à la pratique de l’artiste, cette épithète permet d’associer l’esthétique de la créatrice à un mouvement connu, soulignant l’arbitraire de l’exclusion de son tableau dans un contexte artistique où le cubisme est de moins en moins perçu comme révolutionnaire.

En août, l’événement alimente toujours les conversations. Henry Coutant rédige un article engagé portant le titre accrocheur: « Une Angevine soulève un incident au Salon des Tuileries »154. Coutant, lui-même angevin, en fait pratiquement un enjeu régionaliste, misant sur le sentiment d’appartenance de ses lecteurs. La subjectivité de l’auteur est aisément perceptible alors qu’il parle d’« héroïne », qui mérite d’être mieux connue de ses « compatriotes ». Il dresse un portrait flatteur de l’artiste, qu’il décrit comme audacieuse et intègre155. Soulignant au passage l’assagissement récent de l’art de Rij-Rousseau, il appelle ses potentiels détracteurs à lui « accorder l’attention sympathique due à tout artiste

152 Nous ne possédons comme source relatant l’incident que la lettre de Rij-Rousseau et les articles qui s’en suivent. Puisque faire scandale était à l’époque une manière efficace de se faire remarquer, il n’est pas à écarter que l’incident ait pu, sinon être inventé de toutes pièces, du moins donner lieu à un récit exagéré. Nous préférons donc, ici, faire preuve de prudence. 153 L’article, publié dans un ouvrage anglophone, ne reproduit pas la lettre de Rij-Rousseau, sans doute parce qu’elle est rédigée en français. Phil Sawyer, « In Color and Clay », Chicago Tribune (édition européenne), no 2,561, (21 juillet 1924), p. 4. Nous ne possédons pas d’information supplémentaire sur cet auteur. Pour en apprendre davantage sur l’édition européenne de ce quotidien voir Ronald Weber, News of Paris : American Journalists in of Light Between the Wars, Chicago, Ivan R. Dee, 2006. 154 Henry Coutant, op. cit. 155 Ibid.

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qu’inspire une foi ardente et sincère pour ce qu’elle croit être la Vérité. »156 Le mois suivant, c’est dans la revue CAP157 que sont rapportées les protestations de l’artiste lésée. L’article, signé par Marcel Hiver, rédacteur en chef de la publication et ami de Rij-Rousseau, accompagne la lettre rédigée par celle-ci d’un message de profonde solidarité : « Nous nous associons entièrement aux revendications de Mme Rij-Rousseau, qui se trouve victime d’une insupportable injustice. L’attitude prise en cette circonstance par M. ALBERT BESNARD, Président du Salon des Tuileries, n’est aucunement admissible. Elle n’a pas été, en tout cas, celle d’un homme d’esprit, ni même simplement d’un homme bien élevé158. » Ici, ce n’est plus seulement au rôle de président de l’exposition qu’on s’attaque, mais bien à l’individu, transportant de ce fait le conflit vers la sphère personnelle.

Comme le système des Salons implique pour les artistes de devoir affronter de fréquents refus, les réactions vives des artistes rejetés sont choses plutôt communes. Chez ceux qui jouissent de bonnes relations avec le monde littéraire, l’ampleur des protestations est parfois décuplée. C’est ce que souligne l’historienne Séverine Sofio lorsqu’elle explique qu’« à partir des années 1840, de véritables campagnes sont lancées dans la presse autour d’artistes ou d’œuvres refusées, jugées emblématiques de l’impéritie et de l’arbitraire des juges159. » En revanche, plusieurs artistes, dont justement Rij-Rousseau, savent alors tirer un certain profit de leur fâcheuse situation. La visibilité donnée à l’incident, grâce aux articles mentionnés, fait résonner le nom de celle-ci sur la scène artistique parisienne et contribue à susciter l’intérêt de la presse pour la toute première exposition solo de l’artiste.

Ainsi, ce qui se présentait comme un mauvais tour du sort se transforme en formidable publicité. Forte du soutien de ses collègues littéraires et artistes, Rij-Rousseau présente à la Galerie T. Carmine, à la fin de 1924, une exposition de trente de ses tableaux, tapis et tapisseries. Cette dernière, tenue du 16 au 31 décembre, est vue et commentée par un nombre notable de critiques. Les Courses ne figurent cette fois pas sur la liste des

156 Ibid. 157 CAP est un acrostiche composé des premières lettres des mots « critique », « art » et « philosophie ». Fondée en 1924 par Marcel Hiver, qui en reste le directeur et l'un des principaux rédacteurs jusqu'en 1927, la revue a pour sujet l’état de la peinture et de la critique contemporaines. À partir de novembre-décembre 1924, le ton s’y fait plus polémique, accompagnant la redéfinition de la revue en un « instrument d'élucidation, un outil intellectuel, un engin de combat », pour le spirituel et « contre la politique ». Rij-Rousseau figure parmi les collaborateurs de la publication (Source : https://agorha.inha.fr/inhaprod/ark:/54721/003141906). 158 Marcel Hiver, « Une protestation légitime », CAP, septembre 1924 (Coupures de presse Archives Rij- Rousseau). 159 Séverine Sofio, Artistes femmes. La parenthèse enchantée, XVIIIe-XIXe siècle, Paris, CNRS éditions, 2016, p. 282.

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œuvres exposées160. Peut-être était-il trop tôt pour soumettre une fois de plus son œuvre au jugement de la critique, mais aussi du public. Pourtant, exception faite de la controverse qu’a pu susciter la toile Les Courses, les œuvres à thème équestre de l’artiste sont généralement très bien reçues. La presse mentionne en termes élogieux ses jockeys et ses chevaux au galop dans bon nombre de chroniques161. Au Salon d’Automne de 1924, un journaliste ne manque pas de souligner positivement l’influence cubiste qu’il perçoit dans un tableau de l’artiste : « Les deux jockeys de Mme Rij-Rousseau, chez qui le souvenir du cubisme n’est pas qu’un bon rêve, sortent élégamment du paddock162. » Maurice Raynal décrit, quant à lui, dans L’Intransigeant les « jockeys tumultueux de Mme Rousseau163 », qu’il classe parmi les bons morceaux du salon. Maurice Barbelieu, journaliste au quotidien L’Homme libre, mentionne « deux cavaliers » en décembre 1924, les décrivant comme « bondissants et bariolés […] spirituels et jolis164. » Au mois d’avril 1925, le même auteur renchérit : « Citons spécialement les jockeys de Rij-Rousseau, hauts en couleur, pleins de vie et d’originalité. Nous avons eu déjà plusieurs fois l’occasion de remarquer les envois de Rij-Rousseau qui dénotent une belle artiste165 ». Les mots « couleurs somptueuses166 », « vif et vrai agrément esthétique167 » sont employés par le critique Gustave Kahn pour décrire ses scènes de cavaliers et de courses de chevaux. C’est néanmoins dans Les Annales africaines que paraît une des critiques les plus élogieuses168. L’auteure, écrivaine et poétesse Berthe Dangennes (18 ?-1940) y écrit : « On apprécie fort les Jockeys de Rij- Rousseau qui s’affirme tous les jours comme un de nos meilleurs peintres sportifs de l’école

160 Une certaine ambiguïté subsiste à cet égard. Aucun tableau intitulé Les Courses ne fait partie de la liste des œuvres présentées. Toutefois, dans le catalogue de l’exposition, la reproduction d’une œuvre presque identique à celle publiée dans Ouest figure sous le titre Les Deux Cavaliers. Nous n’avons pas été en mesure d’établir avec certitude s’il s’agit du même tableau. Par ailleurs, une toile portant le titre Les Courses est exposée par l’artiste au Salon des Tuileries de 1939. 161 En 1924, des œuvres à thème équestre sont mentionnées dans une dizaine de publications dont le Chicago Tribune, Le Quotidien, L’Intransigeant et La Nouvelle Revue. 162 Auteur inconnu, « Salon d’Automne », Les Partisans, 1 novembre 1924. (Coupures de presse Archives Rij- Rousseau) 163 Maurice Raynal, « Salon d’Automne », L’Intransigeant, 45e année, no 16170, 12 novembre 1924, p. 4. 164 Ibid. 165 Maurice Barbelieu, « La Vie artistique », L’Homme libre, 13e année, no 3186, 14 avril 1925, p. 1-2. 166 Gustave Kahn, Le Quotidien, 7 décembre 1925. (Coupures de presse Archives Rij-Rousseau). 167 Gustave Kahn, « Salon d’Automne », Mercure de France, 36e année, no 656, 15 octobre 1925, p. 519. 168 Les Annales africaines, sous-titrées « revue hebdomadaire de l’Afrique du Nord » paraît de janvier 1907 à janvier 1937 sous la direction du journaliste Ernest Mallebay (1857-1939). L’Afrique du Nord, ou Afrique française du Nord, comprend les territoires de l’Algérie, du protectorat français de Tunisie et du protectorat français au Maroc. Ils demeureront sous autorité française de 1830 à 1962. Berthe Dangennes y tient une rubrique intitulée « À Paris », qui couvre l’actualité culturelle parisienne.

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moderne169. » S’il faut reconnaître que le propos a pu être biaisé par l’amitié de Rij- Rousseau avec l’auteure170, on ne peut nier que l’opinion semble partagée par plusieurs autres critiques. Rij-Rousseau fait indubitablement partie, dans l’esprit de ses contemporains, des « peintres et sculpteurs de sport171 ».

1.6. Conclusion

Ce chapitre de contextualisation nous a permis de mieux comprendre les circonstances entourant la participation de Rij-Rousseau à l’exposition de la Section d’or de 1920 et, au passage, de retracer certains des événements ayant marqué sa fortune critique. Il nous a également permis de situer Rij-Rousseau dans les milieux d’avant-gardes parisiens. Nous avons esquissé un portrait des réseaux d’artistes et de penseurs au sein desquels elle évolue. Nous avons constaté qu’en tissant des liens avec des acteurs influents des cercles artistiques et littéraires de Montmartre, Rij-Rousseau devient à son tour une figure active du Paris culturel. Nous avons montré que sa participation à la Section d’or de 1920 est, en un sens, circonstancielle, et résulte avant tout de ses collaborations antérieures avec des membres de l’association éponyme. De plus, la Section d’or de 1920 présente une variété de propositions esthétiques dépassant le cadre du cubisme. En ce sens, elle ne constitue pas une raison suffisante d’associer l’art de Rij-Rousseau à ce mouvement. Nous nous sommes également intéressée à ce qui a été appelé « l’incident des Tuileries ». En analysant l’œuvre Les Courses et sa réception critique, nous avons mis en évidence les principales caractéristiques de l’esthétique vibriste aux yeux des contemporains de l’artiste : la structure fragmentée et les jeux colorés et lumineux. Les

169 Berthe Dangennes, « Concernant le Salon d’Automne », Les Annales africaines, no 48, 28 novembre 1924, p. 763. Berthe Dangennes est l’un des nombreux pseudonymes de l’écrivaine Berthe Blanchard. Elle signe également ses textes sous les noms de Yoritomo-tashi, John Dick, Sankara et Xanthès. Créatrice de la Société des auteurs dramatiques féminins, dite « La Halte » elle est connue entre autres pour ses essais de « savoir- vivre » féministes. En 1909, elle préside aux côtés de l’écrivaine Judith Gautier (1845-1917), fille du poète et romancier Théophile Gautier et première femme à entrer à L’Académie Goncourt, en 1910, et de la comédienne Sarah Bernhardt (1844-1923) un « concours de pièces en un acte pour toute femme auteur dramatique ». 170 Rij-Rousseau et Berthe Dangennes entretiennent une longue amitié au cours de leur vie. Cette dernière lui dédicace l’une de ses poésies et collabore au catalogue de l’exposition de Rij-Rousseau à la Galerie T. Carmine. L’artiste et l’écrivaine auraient pu se rencontrer par l’intermédiaire de Pierre Albert-Birot. En 1917, ce dernier invite Rij-Rousseau à collaborer à l’édition de janvier de sa revue SIC, dans laquelle apparaît également une référence à l’un des ouvrages de Berthe Dangennes, Le Manuel de la Volonté (Paris, Éditions Nilsson). 171 Maurice Barbelieu, « La Vie artistique », L’Homme libre, 12e année, no 3075, 24 décembre 1924, p. 2.

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chapitres suivants seront ainsi consacrés à une analyse formelle en deux étapes successives visant à faire ressortir la spécificité de l’art de Rij-Rousseau.

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CHAPITRE 2 CONSTRUCTION : DE VIBRISME (1917) AUX RAMEURS (1924)

Le terme « construction », familier au domaine de l’architecture, l’est aussi à celui des arts plastiques. Il n’y a qu’à penser au mouvement du constructivisme russe pour s’en convaincre172. Mais ce terme est aussi employé dans le vocabulaire de la critique d’art, d’une manière générale, pour « désigner la tendance artistique à donner à une œuvre des structures vigoureuses et nettes173». Le mot « construction » est employé par différents acteurs et critiques du cubisme pour commenter le procédé par lequel l’artiste organise ses compositions. Ces derniers insistent sur la « construction logique » de l’art de Rij- Rousseau174. Encore en 1928, Coutant s’enthousiasme devant la production de l’artiste: « [...] (S)es six toiles attestent la solidité de construction, le sens aigu du mouvement et de la couleur que j’ai maintes fois déjà loués chez cette artiste si personnelle.175 ». À la manière d’un architecte, la créatrice choisit, pièce par pièce, les éléments qui, une fois joints, servent de fondation à la composition finale. Par ailleurs, nous tenons à distancier notre définition du terme « constructions » employé dans le Dictionnaire du cubisme pour décrire les « sculptures-constructions » de Braque et Picasso ; pratique empruntant aux techniques du collage et de l’assemblage176, dont l’œuvre Guitare (1912-1914) (fig. 8) est l’un des plus célèbres exemples. Dans Vocabulaire d’esthétique, la philosophe Anne Souriau note une distinction entre l’approche très architecturale du concept de construction et celle qui renvoie davantage à l’agencement des éléments qui composent la toile177. L’auteure juge nécessaire que soit établie une distinction entre structure et construction ; ce dernier terme

172 Influencé par des mouvements aussi divers que le cubisme, le symbolisme, le futurisme et le suprématisme de Malevitch, le constructivisme russe est animé par des artistes qui ont voulu « substituer aux “ compositions ” plastiques du passé qui agençaient avec goût et avec sensibilité des formes empruntées aux apparences de la nature, des “ constructions ” rigoureuses d’éléments inventés par l’homme ». (Noémi Blumenkranz, « Constructivisme », dans Vocabulaire d’esthétique, p. 487-488). 173 Ibid. 174 « Les plus notables parmi les nombreux critiques d’art qui ont écrit sur mon œuvre insistent sur la construction logique de mes compositions […]. » Jeanne Rij-Rousseau, art. cit., p. 128. 175 Henry Coutant, « titre inconnu », Ouest, 7 juin 1928 (Coupures de presse Archive Rij-Rousseau). 176 Ariane Coulondre, « Constructions », dans Dictionnaire du cubisme, p. 173. 177 Anne Souriau, « Construction/Construire », dans Vocabulaire d’esthétique, p. 487.

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n’implique pas que le résultat final de la création, mais plutôt l’ensemble de sa conceptualisation178. Nous nous autorisons à englober indifféremment dans le nom « construction » ces deux derniers concepts, puisque dans le cadre de cette analyse, nous ne pouvons qu’émettre des suppositions quant au processus de réflexion de Rij-Rousseau.

Dans le premier chapitre, l’étude de l’œuvre Les Courses (1924) nous a permis de contextualiser l’avènement de Rij-Rousseau sur la scène artistique parisienne au milieu des années 1920 et de faire ressortir les aspects de sa production qui retiennent davantage l’attention des visiteurs : la structure fragmentée et la couleur éclatante. L’œuvre Les Rameurs (fig. 9) est un exemple probant du travail rigoureux de composition dans lequel s’investit Rij-Rousseau. Comme elle l’exprime dans son autobiographie, sa « façon originale de composer, d’organiser » constitue une part essentielle de l’« essence et [de l’]âme179 » de son art. D’ailleurs, plusieurs critiques reconnaissent dans sa technique l’expression d’une certaine « science du dessin »180.

Les Rameurs sont exposés à la Galerie T. Carmine au début de l’année 1925 parmi un lot d’œuvres abordant des thématiques sportives, comme la course, le cyclisme ou la lutte. Quelques mois plus tard, la toile est de nouveau présentée, cette fois dans le cadre du Salon des Indépendants. Certains critiques s’avouent alors charmés de retrouver, dans le contexte du Salon, ce tableau qui les avait déjà séduits lors de leur passage à l’exposition individuelle de l’artiste. Parmi eux, Henry Coutant, fidèle défenseur de Rij-Rousseau, en profite pour réitérer son appréciation, et deux fois plutôt qu’une181. La toile est également reproduite dans la revue L’Art vivant du mois de mars 1925, probablement sur l’initiative de l’éditeur en chef de la publication, Florent Fels182. Celui-ci semble suivre avec attention le travail de cette ancienne collègue de la Section d’or de 1920183.

178 Ibid. 179 Jeanne Rij-Rousseau, « Jeanne Rij-Rousseau : À propos de mon travail », dans Elga Kern, Führende Frauen europas : Neue Folge, Munich, Verlag von Ernst Reinhardt, 1930, p. 127-128. 180 Trois critiques mentionneront la « science exacte » ou la « science du dessin » de Rij-Rousseau. (Nussy, La Vie en chemin de fer, février 1923 ; Marthe Maldidier, « Carnet des Arts », La Lanterne, no 17659, 9 février 1925, p. 3 ; Henry Coutant, Ouest, 17 février 1923). 181 « J’ai retrouvé non sans plaisir en belle place les « Rameurs », de Mme Rij-Rousseau (de Candé), que j’avais étudiés lors de l’exposition particulière de cette artiste si personnelle. » (Henry Coutant, Le Petit courrier et Ouest, 24 mars 1925). 182 Florent Fels, « Le Salon des Indépendants », L’Art vivant, vol. 1, no 6, 20 mars 1925, p. 19. 183 Florent Fels est notamment du nombre des critiques qui publient d’élogieuses recensions de l’exposition de Rij-Rousseau à la Galerie T. Carmine.

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Ce chapitre propose, notamment, une analyse de deux stades de réalisation des Rameurs afin de faire ressortir les procédés qui sous-tendent la construction de l’œuvre chez Rij-Rousseau. Nous espérons ainsi montrer que l’artiste, si elle est sensible aux recherches structurelles des cubistes qu’elle a rencontrés, développe néanmoins une approche moins radicale de l’espace que la majorité d’entre eux. Nous présenterons dans un premier temps certaines des recherches qui ont mené à la fragmentation de la forme l’art des cubistes des Salons dès 1911, en tentant de les lier à la découverte de nouvelles conceptions de la géométrie et à leur impact sur la structure des images. Dans un second temps, nous étudierons les dessins Vibrisme et Autoportrait. Vibrisme afin de cerner l’évolution des procédés développés par Rij-Rousseau dès les années 1910. À travers l’analyse de l’esquisse préparatoire (fig. 10) et d’une reproduction de la version peinte des Rameurs, nous tenterons de saisir l’évolution de la structure vibriste de Rij-Rousseau dans les années 1920 et de la mettre en parallèle avec celle d’autres membres de la Section d’or. Cet exercice nous permettra également d’aborder l’importance de la construction sur l’effet que le tableau produit sur le spectateur.

2.1. Mise en contexte : les artistes « destructeurs »

Au début du XXe siècle, l’idée de construction ne fait pas l’unanimité chez les artistes. Certains préfèrent même s’identifier à des « destructeurs ». C’est le cas, entre autres, de Pablo Picasso qui, lors d’une entrevue avec l’historien de l’art Christian Zervos184, en 1935, remet le processus de construction de l’œuvre en question. Il affirme: « Auparavant, les tableaux s’acheminaient vers leur fin par progression. Chaque jour apportait quelque chose de nouveau. Un tableau était une somme d’additions. Chez moi, un tableau est une somme de destructions. Je fais un tableau, ensuite je le détruis185. » Il est vrai que l’acte de « destruction » que mentionne Picasso semble se concrétiser dans la phase analytique du cubisme, où la forme, de plus en plus morcelée, subit nombre de fragmentations. D’ailleurs, le vocabulaire entourant ces deux termes renvoie généralement à une idée d’accident, voire

184 Christian Zervos est l’auteur de l’ouvrage Pablo Picasso par Christian Zervos, aussi surnommé « le Zervos », un imposant catalogue raisonné des œuvres de Pablo Picasso réunies en plus de trente volumes. Il demeure à ce jour un ouvrage de référence sur l’artiste. 185 Pablo Picasso tel que cité dans Christian Zervos, « Conversation avec Picasso », Cahiers d’Art, Vol X cité dans Richard Friedenthal, « Pablo Picasso dans une conversation avec Christian Zervos », Lettres des grands maîtres. Tome second : de Blake à Picasso, Londres, Thames & Hudson, 1963 (réédité 1965), p. 256.

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de perte186. Or, la fragmentation, dans l’art moderne, est un acte volontaire et un enjeu majeur du travail de nombreux artistes. Comme l’observe l’urbaniste Judith Epstein dans son article « La fragmentation du regard », au XXe siècle, ce processus permettra aux artistes de la mouvance cubiste de faire éclater leurs perceptions et de revisiter leur approche du monde moderne187.

Dans un compte rendu du Salon des Indépendants de 1925, l’écrivain et critique Gustave Kahn observe que parmi les exposants « beaucoup cherchent sérieusement à construire (bien qu’) il leur arrive de confondre l’abréviation et la construction […]188. » Il est alors d’autant plus appréciable de constater que, selon un commentaire du même critique publié l’année suivante, Rij-Rousseau compte parmi les exposants dont les explorations mènent à un résultat satisfaisant189. Comme le remarque Epstein, au tournant du siècle, la volonté séculaire de représenter les objets et les personnages de façon cohérente fait place à un nouveau regard fractionné qui brouille les repères traditionnels190. Toutefois, cette observation ne rend pas justice à la complexité des remises en question qui motiveront, chez les adeptes du cubisme, l’adoption de géométries non euclidiennes. Par ailleurs, la rupture des artistes avec les modes de représentation traditionnels ne se fait pas sans obstacle. Comme le rapporte Guillaume Apollinaire dans ses Méditations esthétiques : « On a vivement reproché aux artistes-peintres nouveaux des préoccupations géométriques. Cependant, les figures géométriques sont l’essentiel du dessin. La géométrie, science qui a pour objet l’étendue, la mesure et ses rapports, a été de tout temps la règle même de la peinture191. » Il convient de reconnaître que tenter de convertir sur une surface bidimensionnelle les éléments du réel impose généralement l’emploi de procédés géométriques liés aux proportions, à la perspective, etc. Selon Anne Souriau, « cette transfiguration géométrique constitue une manière intellectualisée de saisir le monde192. »

186 Selon le dictionnaire Larousse, la définition de fragmenter serait : « Partager, réduire quelque chose, en fragments, en multiples morceaux » [en ligne] < www.larousse.fr>, page consultée le 29 avril 2019. 187 Judith Epstein, « La fragmentation du regard », Les Annales de la recherche urbaine, 1983, no 18, p. 13. 188 Gustave Kahn, « Art : Les Indépendants », Mercure de France, no 644, 15 avril 1925, p. 518. 189 « M. Rij-Rousseau, avec un hydravion et son aviateur, d’un sens moderne et de forte construction. » (Gustave Kahn, « Article non titré », Le Quotidien, 11 mars 1926). Fervent défenseur du néo-impressionnisme en son temps, Kahn démontre un penchant pour les courants d’avant-garde qui le rend particulièrement enclin à apprécier l’art singulier de Rij-Rousseau. On remarque d’ailleurs dans ses articles l’inclusion de certains mouvements ou esthétiques avec lesquels il est certainement familier (cubisme, divisionnisme, etc.). 190 Epstein, art. cit., p. 13. 191 Guillaume Apollinaire, Les Peintres cubistes : Méditations esthétiques, 1913, éd. Pierre Cailler, Genève, 1950. 192 Anne Souriau, « Cubisme », dans Vocabulaire d’esthétique, p. 832.

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En ce sens, la destruction dont se réclame Picasso peut renvoyer à cette manière si particulière qu’ont eue les adeptes du cubisme de transposer, par le morcellement de la surface picturale, l’expérience sensible de l’univers les entourant. Braque exprimait d’ailleurs avec éloquence le rapport intrinsèque qu’entretient le cubisme avec les questions d’espace. Lors d’une entrevue pour la revue Art et critique il explique :

Ce qui m’a beaucoup attiré – et qui fut la direction maîtresse du Cubisme – c’était la matérialisation de cet espace nouveau que je sentais […]. La fragmentation me servait à établir l’espace et le mouvement de l’espace et je n’ai pu introduire l’objet qu’après avoir créé l’espace. […] Les Fauves, c’était la lumière, le Cubisme l’espace193.

Chez les cubistes, la construction revêt une valeur fondamentale. L’étude des Rameurs nous permettra d’aborder cette dimension de la pratique de Rij-Rousseau.

2.2. Nouvelles géométries

Comme le remarque l’historienne de l’art Ariane Coulondre dans le récent Dictionnaire du cubisme, « en lui-même, le terme “ cubiste ” rend compte de la place centrale qu’occupe la géométrie, au sens de l’étude de la forme et de l’espace, dans les recherches des jeunes artistes du début du siècle194. » S’appuyant sur l’imposant ouvrage de Linda Dalrymple Henderson, The Fourth Dimension and Non-Euclidean Geometry in Modern Art, et sur son chapitre « Cubism and the New Geometries », Coulondre réalise un remarquable travail de synthèse en retraçant les acteurs et moments influents de cette transition majeure. Dans Cubisme et culture, les historiens de l’art Mark Antliff et Patricia Leighten consacrent tout un chapitre aux « philosophies de l’espace et du temps », dans lequel ils retracent, eux aussi, la genèse du phénomène. Ils expliquent :

La connaissance scientifique venait de dépasser les capacités perceptives de la vision humaine au moment même où étaient attaqués les postulats positivistes qui avaient justifié l’empirisme au XIXe siècle. Cette attaque inspira aux cercles cubistes le rejet de la géométrie euclidienne et du schéma artistique qu’elle avait engendré, la mesure

193 Georges Braque, « Braque, la peinture et nous », dans Dora Vallier, L’Intérieur de l’art. Entretiens avec Braque, Léger, Villon, Mirό, Brancusi, Paris, Éditions du Seuil, 1982, p. 35. 194 Ariane Coulondre, « Géométrie », dans Dictionnaire du cubisme, p. 306.

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quantitative de l’espace et la perspective qui, inventée à la Renaissance, était depuis restée une « donnée » indiscutée dans la peinture académique195.

Selon Henderson, les avancées scientifiques qui modifient la perception du monde sont nombreuses et variées. Elle cite les suivantes:

These included Wilhelm Röntgen’s discovery of the X-ray (1895), J.J. Thomson’s identification of the electron (1897), Marie and Pierre Curie’s isolation of radioactive elements (1898), Ernest Rutherford’s work on radioactivity and the structure of the atom in the following years, and the emergences of wireless telegraphy in the late 1890s, based on the electromagnetic waves Heinrich Hertz had identified in the 1880s196.

C’est en écho à ces théories qui remettent en question le caractère objectif de l’espace et du temps, qu’on voit les règles de perspective classique se subordonner à des déformations qui tentent de rendre compte d’une expérience plus complexe, mais aussi plus complète du monde. Rappelons que la peinture de Cézanne avait amené des artistes tels que Picasso à joindre de multiples points de vue dans une même toile, comme dans Les Demoiselles d’Avignon, tableau qu’Henderson qualifie de « protestation initiale contre la perspective197 ». À cela s'enchaînent des propositions aussi audacieuses que les théories d’une quatrième dimension198, souvent associée au « temps », qu’il conviendrait d’inclure dans la représentation. Alors que Picasso et Braque suivent la voie qui les mène toujours plus loin dans la dématérialisation de la figure, d’autres artistes reviennent progressivement à un style plus volumétrique et moins morcelé.

2.2.1. Le « Cubisme de Puteaux »

De 1911 à 1914, l’atelier de Jacques Villon, au 7, rue Lemaître à Puteaux, attire nombre de passionnés qui s’y retrouvent pour échanger sur les dernières théories scientifiques et artistiques. En référence au lieu de leurs rencontres, les membres de ces assemblées

195 Mark Antliff et Patricia Leighten, « Philosophies du temps et de l’espace », Cubisme et culture, Paris, Thames Hudson, 2002, p. 68-99. 196 Linda D. Henderson, The Fourth Dimension and Non-Euclidean Geometry in Modern Art, (nouvelle édition revue et augmentée), Cambridge, MIT Press, 2013, p. 15. 197 Ibid. 198 Dans ses « Notes d’art » d’avril 1912, Apollinaire mentionne une « nouvelle mesure de l’espace » connue sous le nom de « quatrième dimension », ce qui tend à indiquer que le concept avait déjà circulé dans les cercles parisiens. (Guillaume Apollinaire, « La Peinture nouvelle : Notes d’art », Les Soirées de Paris, no 3, avril 1912, p.90.) De plus, le Traité élémentaire de géométrie à quatre dimensions d’Esprit Pascal Jouffret est cité dans les notes de pour Le Grand Verre (1915-1923) (Linda D. Henderson, op. cit., p. 174). Le terme fut également popularisé par l’écrivain Gaston de Pawlowski qui l'inclut dans le titre de son roman Voyage au pays de la quatrième dimension, publié, un chapitre à la fois, dans la revue Comœdia entre 1911 et 1912.

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fortuites seront connus sous le nom de « Groupe de Puteaux », malgré le fait qu’on puisse également les croiser dans l’atelier de Gleizes, à Courbevoie, ou encore à la Closerie des Lilas. Il semble alors se développer un « Cubisme de Puteaux », en parallèle de ce que l’historien de l’art Pierre Cabanne nomme le « Cubisme de Montmartre », c’est-à-dire le cubisme tel que pratiqué par Braque, Picasso et, jusqu’à un certain point, Gris199. Une part de ce nouveau savoir qui alimente les échanges des cubistes serait arrivé par l’intermédiaire de , surnommé « le mathématicien du cubisme200 », un actuaire d’assurance au fait des nouvelles géométries. Ce dernier a fait connaître à Picasso et à deux théoriciens majeurs du cubisme, André Salmon et Apollinaire, les conceptions du mathématicien, physicien, philosophe et ingénieur français Henri Poincaré (1854-1912). À la fin du XIXe siècle, Poincaré avait critiqué le caractère arbitraire des modèles géométriques enseignés. Pour lui, la perspective euclidienne n’était qu’une configuration parmi d’autres, tout aussi valables, dont l’adoption répandue n’était justifiée que par des conventions201. Les théories de Poincaré, au nom évocateur de « conventionnalisme », sont particulièrement appréciées par les cubistes regroupés à Puteaux qui s’en servent pour appuyer leur liberté de créer un espace pictural exprimant des notions de subjectivité. Les écrits du mathématicien allemand Georg Friedrich Riemann sont également reçus avec beaucoup d’enthousiasme202. Grâce à ses théories de courbures dans un espace sphérique, les figures, libérées de la rigidité de l’espace euclidien, peuvent dorénavant changer de formes et de propriétés en se déplaçant. Dès 1912, les idées de Poincaré sont, pour ainsi dire, accessibles à tous les cubistes. C’est peut-être à travers elles que Rij-Rousseau explore, pendant un moment, de nouvelles conceptions de la géométrie et de l’espace. Sa toile Guitare (1908) (fig. 11), qui présente par ailleurs une ressemblance certaine avec l’œuvre Guitare sur une table (1916) (fig. 12) de Juan Gris, témoigne de ces essais de déformation.

Les réflexions du philosophe français Henri Bergson stimulent aussi la créativité de plusieurs artistes. Ceux qu’Antliff et Leighton identifient comme « cubistes bergsoniens » – Gleizes, Metzinger, Le Fauconnier – sont captivés par la lecture de

199 Juan Gris se joint plus tard au Groupe de Puteaux et participe aux échanges sur les nouvelles géométries. Pierre Cabanne, Les 3 Duchamp : Jacques Villon, Raymond Duchamp-Villon et Marcel Duchamp, Paris, Bibliothèque des arts, 1975, p. 228. 200 Pierre Brullé, « Puteaux (groupe de) », dans Dictionnaire du cubisme, p. 622. 201 Mark Antliff et Patricia Dee Leighten, op. cit., p. 71. 202 Albert Gleizes et Jean Metzinger suggèrent dans Du « Cubisme » que « (s)i l’on désirait rattacher l’espace des peintres à quelque géométrie, il faudrait en référer aux savants non-euclidiens, méditer longuement certains théorèmes de Rieman [sic]. » (Albert Gleizes et Jean Metzinger, Du « Cubisme » (réédité), Paris, Hermann, 2012, p. 20).

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l’Évolution Créatrice (1907) et par la notion d’« élan vital » qui y est présentée. Antliff et Leigthen expliquent ce phénomène : « Pour les cubistes, leurs aptitudes artistiques étaient la conversion de l’élan vital en formes de production culturelle203. » Il est possible que ces échanges autour de la pensée du philosophe aient aussi inspiré Rij- Rousseau et l’aient encouragée à traiter de sujets sportifs. En effet, la « conversion de l’élan vital » pouvait également se faire par le biais d’activités « masculines » – telles que le rugby et la boxe – ce qui expliquerait que l’on retrouve souvent des représentations de ces sports dans les tableaux cubistes204. Comme Antliff et Leighten l’expliquent : « Bergson avait lui-même décrit en 1912 le regain d’intérêt pour le sport dont témoignent alors les Français comme une preuve de la “ volonté créatrice ” qui animait la jeune génération205 ». Cette « volonté créatrice », Rij-Rousseau semble l’exprimer alors qu’elle affirme que, si l’éminent critique Guillaume Apollinaire avait dit qu’elle était une « chercheuse », dorénavant, elle « réalise »206. Cette remarque, bien qu’elle soit datée de 1929, semble indiquer que l’artiste considère, dès la fin des années 1920, avoir atteint un style dans lequel se synthétiseraient les dernières années de recherche.

En 1926, dans un article consacré à la grande exposition célébrant les trente ans du Salon des Indépendants, l’historien et critique Charles Mascaux, sous le pseudonyme Charles Fegdal, offre une observation intéressante sur l’art de Rij-Rousseau. Il écrit : « Jeanne Rij-Rousseau va d’un cubisme intégral à un cubisme personnel qui vaut par la lisibilité et le martèlement rythmique des masses colorées207. » Nous avons la chance, dans ce cas particulier, d’avoir accès à la liste des œuvres présentées par l’artiste lors de l’événement, mais, malheureusement, la récurrence dans la pratique de Rij-Rousseau d’un même titre pour identifier plusieurs compositions différentes, s’ajoutant aux difficultés de datation, il nous est impossible de relier critique et œuvre de manière certaine. Le commentaire de Fegdal n’en demeure pas moins intéressant, car il souligne, dans la pratique de Rij-Rousseau, la cohabitation d’éléments typiquement associés au cubisme et d’autres, originaux, peut-être propres au vibrisme. L’expression « cubisme personnel » utilisée par Fegdal rappelle le caractère souvent superficiel des rapports établis entre

203 Mark Antliff et Patricia Dee Leighten, Cubisme et culture, Paris, Thames & Hudson, 2002, p.143. 204 Ibid. 205 Antliff et Leighten, op. cit., p. 144. 206 Jeanne Rij-Rousseau, art. cit., p. 128. 207 Charles Fegdal, « Trente ans d’Art Indépendant », La Revue des beaux-arts, no 449, 1 avril 1926, p. 2.

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l’esthétique d’une œuvre et le cubisme. L’historien de l’art Max Kozloff formule, à ce sujet, une remarque éclairante : «Throughout the commentary on the movement, there have been ritual complaints about the inadequacy of the label «Cubism», for it rather literally isolated only the fugitive aspect of the artists’ practice – a geometric approach to the process of representation208». À cet égard, la présence de formes géométriques dans le traitement d’une œuvre ne constitue pas une preuve suffisante pour établir son adhésion à l’esthétique cubiste. C’est pourquoi il convient d’approfondir notre analyse des caractéristiques formelles de l’art de Rij-Rousseau afin de mieux saisir un tel rapprochement.

2.3. Analyse des Rameurs

Dans Les Rameurs (fig. 9), cinq hommes prennent place l’un derrière l’autre à bord d’un bateau de course209. Le premier rameur, les jambes allongées devant lui, cambre le torse légèrement vers l’arrière, fixé dans le déploiement de son geste. Son visage, sur lequel s’esquisse un sourire, ne laisse transparaître aucun effort. Chaque athlète revêt un costume semblable, composé d’un short et d’un maillot à manches courtes. Sur le maillot du chef de nage, nous distinguons la représentation d’un drapeau tricolore que nous supposons être celui de la France210. Chaque rameur tient un aviron dont l’orientation témoigne de la position de l’athlète dans l’embarcation. Ce faisant, on ne voit que la poignée de deux des avirons. Les pelles de ces derniers se perdent hors du champ de la composition. Le canot, élément central, trace une diagonale descendante qui parcourt la moitié inférieure du tableau. La rive de droite, parallèle à la coque, suit la même inclinaison et aboutit dans la section supérieure du tableau. Sur cette même rive, se découpe le profil heurté d’une ville rythmée par les pointes de ses tourelles. Au second plan, le paysage s’élève à l’horizon et coupe à mi-hauteur la zone d’eau. Les arbres et bosquets reçoivent un traitement

208 Max Kozloff, Cubism/Futurism, New York, Charterhouse, 1973, p. 3. 209 La disposition des rameurs dans l’œuvre de Rij-Rousseau ne semble pas tout à fait correspondre à la réalité de la discipline. Bien qu’il puisse parfois y avoir cinq athlètes par embarcation, l’un d’eux, le barreur, ne possède habituellement pas d’aviron et est placé de manière à faire face à l’avant du bateau. C’est lui qui est responsable de diriger l’embarcation et de communiquer des instructions aux autres rameurs. On parle dans un tel cas d’une formation « Quatre avec barreur ». Pour plus d’information, voir le site de la Fédération française d’aviron [en ligne] . 210 Comme nous ne possédons pas de reproduction couleur de l’œuvre, nous ne pouvons identifier qu’avec réserve le drapeau représenté. La succession d’un gris profond, presque noir, du blanc et d’un gris moyen correspondrait fort bien au rendu en tons de gris du bleu, blanc et rouge qui composent le tricolore français.

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géométrique qui rappelle les enseignements de Cézanne211. Près de l’eau, un personnage tenant au bout d’une perche un petit fanion semble marquer la fin de la course. Le ciel sans nuages est traversé à gauche par un biplan qui prend de l’altitude. N’ayant pas accès à une version en couleur, nous pouvons néanmoins imaginer la version colorée de l’œuvre en substituant au noir et blanc de la reproduction la palette décrite par un critique de l’époque :

J’arrive aux rameurs de Rij Rousseau, qui m’ont particulièrement plu, une grande toile, en hauteur ; à droite, la ville perchée sur une colline que baigne une rivière ; à gauche et au fond, la verdure des arbres ; au premier plan, dans leur canot, les rameurs ; le tout est conçu en prismes, chaque prisme étant d'une couleur qui va de l'ocre de la ville au vert des arbres en passant par l'orangé des rameurs ; l'effet en est très curieux et c'est fort original tout en restant très plaisant à l’œil212.

Même dans la reproduction en noir et blanc du tableau, la composition s’impose par l’énergie se dégageant des nombreuses diagonales qui s’y s’entrecoupent. Les lignes parallèles formées par le manche des avirons contrebalancent les obliques tracées par les bords de l’embarcation et de la rive. Chaque élément de la composition semble trouver sa contrepartie dans l’image. La forme triangulaire que prend la végétation à gauche se prolonge de la crête de la colline au rivage. Du côté droit, les édifices de la ville se massent vers le ciel et tracent à leur tour une diagonale ascendante suivant le reflet du paysage sur la surface de l’eau. Même l’avion, par son mouvement, oppose perpendiculairement l’envergure de ses ailes au tracé de son ascension. Rij-Rousseau privilégie un cadrage serré qui tronque la poupe et l’extrémité des avirons, simulant le mouvement et renforçant l’impression que l’embarcation vient de faire irruption dans l’image.

2.3.1. Un sujet moderne

Ce n’est pas la seule œuvre de Rij-Rousseau qui a pour sujet des rameurs. On lui connaît au moins deux autres compositions sur ce thème, dont une ayant la particularité de présenter des « rameuses » (fig. 13 et fig. 14) 213. Il faut souligner que ces autres tableaux partagent presque exactement la même composition. Dans les deux cas, l’artiste privilégie un cadrage serré qui coupe en partie les embarcations positionnées à l’horizontale. On reconnaît également au second plan les mêmes bâtisses, ce qui suggère soit que l’endroit

211 Dans une lettre adressée à son ami Émile Bernard, Paul Cézanne recommande de : « Traiter la nature par le cylindre, la sphère et le cône […] ». 212 Daniel Lehs, « Article non titré », La Revue nouvelle, 15 avril 1925. 213 Femina Sport, premier club omnisport comptant un club d’aviron féminin, est fondé en 1912. Dans l’œuvre de Rij-Rousseau il est cependant difficile de déterminer s’il s’agit d’aviron de compétition.

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était un lieu propice à l’observation de rameurs, soit que les deux œuvres procèdent de la même étude, modifiée selon les désirs de l’artiste. Aucune des critiques d’art auxquelles nous avons eu accès ne semble mentionner l’une ou l’autre de ces versions. Il faut reconnaître que les brèves descriptions proposées suffisent rarement à différencier les trois tableaux. Quoi qu’il en soit, la récurrence de ce sujet témoigne de l’enthousiasme pour cette pratique, tant récréative que compétitive, dans la sphère sportive française214.

Bien que des courses de canotage puissent être recensées dès 1834 à Paris et ailleurs en France, elles sont progressivement remplacées par des courses d’aviron inspirées du modèle anglais. En 1924, lors des Jeux olympiques à Paris, les courses d’aviron ont lieu dans un bassin de la ville d’Argenteuil. Sans que nous puissions clairement identifier la ville à l’arrière-plan dans Les Rameurs, Kahn nous aide à situer l’action près de la métropole : « Mme Rij-Rousseau se plaît à décrire les sports modernes. Elle enlève vigoureusement le mouvement régulier et cadencé d'une équipe de rameurs, dans un joli paysage de banlieue de Paris215 ». L’artiste choisit également de représenter un biplan, l’un des plus importants symboles de la Modernité, surplombant la ville. Ce symbole témoigne de la fascination de l’époque pour la conquête de l’air, dont les artistes se font les porte- étendards216.

Pour arriver au style qu’il nous est possible d’observer dans Les Rameurs, l’art de Rij-Rousseau passe vraisemblablement par différentes « phases » plus ou moins proches des expérimentations cubistes. Durant ses années de formation, elle expérimente, en effet, certains procédés de « déformation ». L’observation de toiles telles que Nature morte au kilog de sucre (fig. 15) ou Le Damier (fig. 16), permet d’identifier certains de ces essais. Dans la première œuvre, le sujet traité avec une perspective rabattue rappelle les natures mortes de Cézanne. Le morcellement des couleurs en formes géométriques se fait plutôt discret et semble avant tout servir à souligner des jeux de lumière sur les objets posés sur

214 Comme le note l’historien Alain Corbin, dès la monarchie de Juillet, le canotage, « pratique quasi citadine, technique, outillée », rejoint nombre d’amateurs passionnés de construction nautique et de calcul. Voir Alain Corbin, « canotiers et flâneurs », L’Avènement des loisirs : 1850-1960, Paris, Flammarion, 2009 (réédition de Paris, Aubier, 1995), p.258. 215 Gustave Kahn, « Art : Les Indépendants », Mercure de France, 36e année, no 644, 15 avril 1925, p. 518. 216 Citons en exemple L’Hommage à Blériot (1914) de Robert Delaunay ou même la présence discrète d’un biplan dans L’Équipe de Cardiff (1913-1914). Rij-Rousseau produit d’ailleurs, en plus des Rameurs, quelques tableaux faisant honneur aux dernières avancées en matière d’aviation. (Voir L’Hydravion ou Les Aviateurs). Sur le sujet, voir entre autres Françoise Lucbert et Stéphane Tison (dir.), L’Imaginaire de l’aviation pionnière : contribution à l’histoire des représentations de la conquête aérienne, 1903-1927, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016.

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la table. Le Damier, pour sa part, comporte plusieurs points communs avec les œuvres produites pas Juan Gris dans la phase « synthétique » du cubisme. Le motif du damier revient d’ailleurs souvent dans les compositions de ce dernier au milieu des années 1910 (fig. 17). Dans le tableau de Rij-Rousseau, une part de la composition semble avoir été pivotée vers la gauche, créant des zones sombres dans trois des coins. L’horizontale formée par le bord de la table divise le tableau sur la hauteur et rééquilibre légèrement la composition. Le plateau de jeu est rabattu et déformé en losange. Derrière, le dossier d’une chaise se décompose en structures juxtaposées de noir et de blanc. Ainsi, bien qu’il demeure impossible de tenter une approche chronologique de la pratique de Rij-Rousseau, il nous est néanmoins possible de proposer quelques rapprochements entre l’aspect de certaines de ses œuvres et différentes « phases » du cubisme. Si, en 1924, sa manière de diviser la surface picturale en facettes polygonales ne semble plus répondre aux mêmes impératifs, on peut tout de même supposer que les recherches des cubistes ont contribué à l’élaboration de la structure « vibriste ».

2.4. Structure vibriste

Sans accès aux notes de l’artiste, il est risqué de prétendre qu’une quelconque théorie mathématique dicte la construction du tableau chez Rij-Rousseau. L’observation attentive de la manière dont elle organise les éléments permet néanmoins de mettre en évidence certaines idées directrices. L’impact de formules mathématiques sur la structure des œuvres à travers l’histoire de l’art a intéressé en 1963 le peintre français Charles Bouleau. Ce dernier, observant l’évolution de la composition et la récurrence de certains principes régulateurs, a consacré un essai à la géométrie qui sous-tend les œuvres217. L’auteur y retrace les grandes théories qui, depuis le Moyen âge, ont forgé le rapport des artistes à l’espace – celui qui les entoure et celui de leur création. S’appuyant sur des bases historiques, Bouleau cherche à recréer, pour chaque œuvre étudiée, « l’ambiance intellectuelle de son temps »218. Jugeant l’exercice pertinent en ce qu’il permet de contextualiser l’application de certaines théories mathématiques, nous avons entrepris, à la manière de Bouleau, d’étudier la construction des Rameurs de Rij-Rousseau, afin d’en

217 Charles Bouleau, Charpentes : la géométrie secrète des peintres (préface de Jacques Villon), Paris, Éditions du Seuil, 1973. 218 Jacques Villon, « préface », dans Charles Bouleau, ibid., p. 1.

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faire ressortir la « charpente ». Ici, ce terme, qui renvoie à l’architecture, n’est pas employé au sens littéral afin de désigner une réalité matérielle, mais bien au sens métaphorique, conceptuel, de « structure interne de l’œuvre ». Nous avons d’abord tenté de retracer la grille des verticales et horizontales qui ordonnent la composition. Nous avons ensuite fait ressortir les lignes qui répondent au principe de perspective à point de fuite et qui contribuent à l’illusion de profondeur. Finalement, nous avons souligné les diagonales qui ne sont soumises, en apparence du moins, à aucune autre logique qu’au fractionnement de la surface.

Il ressort de cette analyse que Rij-Rousseau semble entamer la construction de son œuvre de manière plutôt « classique », c’est-à-dire en y plaçant des repères verticaux et horizontaux ayant pour effet de quadriller la surface en un ensemble de rectangles plus ou moins réguliers.

Schéma 1. Horizontales et verticales dans Les Rameurs (fig. 9)

Dans cette structure, elle dessine, par la suite, les lignes fuyantes de la perspective, dont le point de croisement se situe dans la marge de gauche, un peu au-dessus du centre. La grille de base ainsi posée lui permet finalement d’inscrire les éléments figuratifs dans la composition.

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Schéma 2. Diagonales associées à la perspective linéaire dans Les Rameurs (fig. 9)

Un ensemble de diagonales d’apparence arbitraire, qui traversent le tableau et découpent les éléments en mosaïque anguleuse, viennent alors compléter les repères existants. Dans le passage de l’esquisse à l’œuvre peinte, nous remarquons que l’artiste apporte quelques correctifs afin d’harmoniser l’ensemble. Par exemple, l’amas de végétation qui fermait le côté gauche de la rive est remplacé par un monticule triangulaire qui prolonge la diagonale tracée par la berge. À l’arrière-plan, les toitures du village forment maintenant un alignement presque parfait suivant une nouvelle ligne invisible. L’ensemble de ces lignes, qu’elles soient bien visibles ou simplement suggérées par les arêtes des formes géométriques, fait éclater le motif en facettes polygonales. Les éléments du tableau sont alors rehaussés de jeux de lumière que nous arrivons à discerner à travers les nuances de gris de la reproduction.

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Schéma 3. Ensemble des principales diagonales dans Les Rameurs (fig. 9)

On retrouve dans la construction des œuvres de Rij-Rousseau des principes s’apparentant à ce que l’auteur et critique britannique John Berger décrit comme un « diagramme », c’est- à-dire « a visible, symbolic representation of invisible processes, forces, structures219. » Chez Rij-Rousseau, ce « diagramme », manifeste dans l’esquisse, transparaît dans le tableau. Dans Le Quotidien, un critique, probablement Kahn, interprète même comme un signe de « coquetterie » cette manière qu’a l’artiste de « laisser voir ses préparations et son souci de construction »220. Ici, nous remarquons que la fragmentation de l’image semble occuper des fonctions plus « ornementales » puisque, contrairement au morcellement cubiste de la surface, elle ne détruit pas le motif.

2.4.1. Géométrie du nombre d’or

Il demeure difficile de faire ressortir de ce monceau de lignes un système géométrique clairement établi. Dans la préface qu’il rédige pour l’ouvrage de Bouleau, Villon décrit, de façon élégante, la « charpente » de l’œuvre comme « sa poésie la plus secrète –

219 John Berger, The Moment of Cubism: and Other Essays, New York, Pantheon Books, 1969, p. 21. 220 Auteur inconnu, Le Quotidien, 5 juin 1929 (Coupures de presse Archives Rij-Rousseau).

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et la plus profonde221 ». Faire ressortir la structure du tableau afin de l’analyser constitue un exercice laborieux. Conscient des limites d’une analyse strictement formelle, Bouleau cite, à ce sujet, une mise en garde de l’historien de l’art Rudolf Wittkower. Ce dernier écrit : « En cherchant à prouver qu’un système de proportions a été délibérément appliqué par un peintre, un sculpteur ou un architecte, on est facilement entraîné à trouver dans une œuvre donnée justement les rapports que l’on cherche. Le compas, dans la main du chercheur, ne se révoltera pas222 ». Sans valider l’application d’une quelconque ordonnance géométrique, la participation de Rij-Rousseau à l’exposition parisienne de la Section d’or en mars 1920 soulève des questions quant au rapport de l’artiste aux théories du « nombre d’or ».

L’influence de ces théories sur l’art de Rij-Rousseau est complexe à établir, d’autant que, selon l’historienne de l’art et spécialiste de la Section d’or Cécile Debray, rares sont les artistes qui, dans leurs œuvres, appliquent réellement les principes de composition dictés par le nombre d’or et la « divine proportion » 223. Sachant toutefois que Rij-Rousseau passe par l’académie Ranson au cours de sa formation, il est probable qu’elle ait été initiée à ces règles par son professeur Paul Sérusier224. L’intérêt de ce dernier pour le nombre d’or n’est pas négligeable225. Dans son ABC de la peinture (1921), Sérusier reprend et résume les idées qu’il a développées dans les années précédentes. Lorsqu’il explique que l’homme, doté de deux yeux qui forment deux images, intervient par l’esprit en construisant, à partir de ces dernières, une troisième image qu’il sera possible de transposer sur la surface plane de la toile226, il souligne également qu’il devient nécessaire de représenter le relief perçu ou de le supprimer227. Il propose alors comme solution ce qu’il appelle les « formes de qualité

221 Jacques Villon, préface de Charles Bouleau, Charpentes : la géométrie secrète des peintres, Paris, Éditions du Seuil, 1963. 222 Rudolf Wittkower, Architectural Principles in the Age of Humanism, Londres, Tiranti, 1942, p. 100. Cité dans Charles Bouleau, op. cit., p. 81. 223 Cécile Debray explique que l’exposition de 1912 présentait peu d’œuvres véritablement construites sur le principe de la section d’or, titre qu’elle qualifie de « plus emblématique et poétique que programmatique ». (Cécile Debray, « La Section d’or, 1912-192-1925 » dans La Section d’or : 1912-1920-1925, Paris, Cercle d’art, 2000, p. 30). 224 Plusieurs sources, dont Henderson, mentionnent que Sérusier enseignait les théories du nombre d’or à l’Académie Ranson. Selon Lucbert, il n’est pas impossible que ce soit l’influence décisive qu’a eu sur Rij- Rousseau la lecture du texte majeur de Paul Sérusier sur l’esthétique de Beuron que cette dernière finit par embrasser la cause cubiste. (Françoise Lucbert, « Rij-Rousseau », Debray et Lucbert, op. cit., p. 248). 225 Il semble que ce soit au contact du Père Didier (Desiderius Lenz) du monastère bénédictin de Beuron que Sérusier s’initie à ces règles. Comme le mentionne Bouleau, pour Lenz, ces nombres d’or devinrent l’essentiel des fameuses « Saintes Mesures » qui forment le crédo artistique du monastère. (Voir Charles Bouleau, op. cit., p. 224). 226 Paul Sérusier, ABC de la peinture : suivi de Fragments de lettres et propos sur l’histoire, la théorie et la technique artistiques, La Rochelle, Rumeur des âges, 2015 (1921), p. 10. 227 Ibid.

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supérieure », un « langage universel s’appuyant sur la science des nombres, surtout des nombres simples, la Mathématique, dont l’application à l’art plastique, forcément spatial, est la géométrie228». Les formes créées par les diagonales présentes dans l’œuvre de Rij- Rousseau pourraient répondre à ce principe.

Si la mise en parallèle entre la technique de Rij-Rousseau et l’enseignement de Sérusier peut paraître anachronique compte tenu de la publication tardive de l’ABC de la peinture, il y a fort à parier que les réflexions s’y retrouvant étaient déjà en germe à l’époque où Rij-Rousseau étudiait à l’Académie Ranson. Tentons alors d’appliquer certaines d’entre elles à la composition des Rameurs. Dans son traité, Sérusier associe la notion d’équilibre à la présence de lignes droites horizontales et verticales dans l’œuvre229. Ce dernier précise que ces « lignes » n’existent pas réellement dans la nature et qu’elles proviennent davantage des conceptions de notre esprit230. Cette description semble correspondre aux règles de construction que Rij-Rousseau applique à son œuvre. La composition des Rameurs est dictée par une grille de droites perpendiculaires toujours visible dans la version peinte. La surface du tableau se trouve marquée d’une alternance régulière de lignes verticales et d’horizontales qui assure, selon le critère de Sérusier, une apparente stabilité. Il faut également souligner la manière dont Rij-Rousseau « corrige » à l’occasion les courbes de la nature pour mieux répondre aux contraintes de rigueur imposées par la composition. Sérusier poursuit son discours sur la structure en s’intéressant cette fois aux lignes obliques. Ce dernier met en garde contre ces éléments qui tendent à rompre l’équilibre du dessin231. Pour rétablir la situation, il n’est d’autre choix que d’opposer à toute oblique une ou plusieurs obliques de sens opposé232.

L’intérêt présumé de Rij-Rousseau pour les géométries du nombre d’or lui a peut- être aussi été inspiré par sa fréquentation du « Groupe de Puteaux ». Dans l’atelier de Villon, les nouvelles conceptions de l’espace et de la géométrie sont l’objet de nombreux échanges. On y discute d’art, de science ou encore du rapport de la création contemporaine à la tradition233. Comme l’explique l’historien de l’art Pierre Brullé : « L’intérêt porté à des

228 Ibid., p. 12. 229 Ibid., p. 17. 230 Ibid. 231 Ibid. 232 Ibid. 233 Pierre Brullé, op. cit., p. 623.

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sujets scientifiques, telle la décomposition du mouvement et la chronophotographie, les rayons X, la géométrie non euclidienne ou encore la quatrième dimension, est redoublé par les spéculations d’ordre ésotériques auxquelles [les artistes] se prêtent234». Parmi celles-ci, les réflexions entourant le « nombre d’or » ont le plus grand retentissement, menant entre autres à l’adoption du nom symbolique de Section d’or235 pour désigner le Salon éponyme de 1912 et l’association d’artistes qui exposent ensemble en 1920. L’artiste visiblement à l’origine de ce nom, Jacques Villon, prétendait d’ailleurs que « (l)à où le cubisme déracine, dans le même terrain la Section d’or enracine. Pendant que l’un refuse la perspective, l’autre se charge d’en découvrir les plus grands secrets236 ». Chez Rij-Rousseau, un éventuel intérêt pour le nombre d’or pourrait expliquer un retour à la perspective linéaire, mais ne suffit pas à rendre compte de la complexité de la structure.

2.4.2. Vibrisme (1917)

Les formes géométriques tracées par l’artiste circonscrivent la couleur et dictent l’organisation d’effets de lumière s’apparentant à des vibrations lumineuses. On peut supposer que c’est en raison de ce procédé d’opposition de tons que Rij-Rousseau invente le terme « vibrisme » pour désigner sa technique singulière. Une description particulièrement intéressante de son art est proposée dans le Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs. De sa pratique, Busse écrit :

Sa peinture porte fortement l’empreinte cubiste, non celle de l’éclatement généralisé des formes du cubisme analytique, mais celle, tempérée à la manière de Juan Gris ou des membres du groupe de Puteaux, de la géométrisation des volumes et de l’espace. [….] Autre singularité, elle introduisit parfois dans sa facture une technique de hachure, qu’elle appelait le « vibrisme », qui peut rappeler les hachures des Demoiselles d’Avignon ou le « rayonnisme » de Larionov et Gontcharova […]237.

L’« empreinte cubiste tempérée » et la « technique de hachures » mentionnées ici sont toutes deux identifiables dans l’esquisse préparatoire des Rameurs (fig. 10). Il devient dès lors d’autant plus intéressant de comparer les procédés mis en place pour « faire vibrer » Les Rameurs avec le dessin paru dans SIC en 1917 et dont le titre, Vibrisme, nous

234 Ibid. 235 C’est suite à la lecture du Traité de la peinture de Léonard de Vinci que Jacques Villon aurait proposé le titre de Section d’or. 236 Jacques Villon, « Intelligence de Jacques Villon », cité dans Dora Vallier, op. cit., p.118. 237 Jacques Busse, op. cit.

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renseigne sur cette technique développée par l’artiste bien avant la période qui nous intéresse. Cette dernière œuvre suggère une lecture plus structurale du terme.

Dans Vibrisme (fig. 3), Rij-Rousseau propose un dessin à la lecture brouillée par un enchevêtrement de lignes se croisant à angles variés, qui découpe la surface en aplats géométriques. Avec un effort, nous arrivons à reconnaître des lettres dans la composition. Ainsi, dans le coin supérieur droit, on retrouve le nom de l’artiste « Rousseau » et, au bas, suivant une courbe, le mot « vibrisme » apparaît. L’apparence très morcelée du motif, jointe à l’intégration de typographie, rappelle les procédés du cubisme analytique de Braque et Picasso. Une observation plus minutieuse dévoile un visage dissimulé sous le maillage intriqué des diagonales. Cette présence d’un élément identifiable assure le caractère figuratif de l’œuvre et rappelle un peu l’esthétique du dessin intitulé Vibrisme. Autoportrait (fig. 2).

Contrairement aux Rameurs, ces deux compositions n’imposent pas de perspective linéaire. Les sujets sont représentés sur un fond rythmé par le seul motif triangulaire des diagonales qui construisent l’image. Jointes au tracé du dessin, ces lignes fragmentent le sujet en polygones. À l’intérieur des zones délimitées, Rij-Rousseau ajoute des hachures de différentes inclinaisons et densités. Dans Vibrisme. Autoportrait, les valeurs de tons créées répondent partiellement aux volumes des éléments représentés. D’autres, cependant, semblent contrevenir à la logique du clair-obscur. Si l’on compare l’esquisse des Rameurs (fig. 10) à ces œuvres antérieures, on remarque que le travail de la ligne y a gagné en souplesse et que les hachures marquent avec moins d’intensité les écarts entre les zones. Dans la version peinte (fig. 9), celles-ci ne sont plus perceptibles que sur l’eau. Les contrastes de tons obéissent majoritairement à un traitement volumétrique de la lumière. Il n’y a que le premier aviron qui, passé la « dame de nage », semble se marbrer aléatoirement de parcelles sombres.

Or, si les titres Vibrisme et Vibrisme. Autoportrait indiquent que le « principe » du même nom, s’il en est un, y est exprimé, on se doit de souligner qu’aucun de ces dessins ne comporte, à notre connaissance, de couleur238. Cela autorise l’hypothèse selon laquelle ce serait d’abord dans le dessin que sont nés les effets vibratoires chez Rij-Rousseau. Le traitement fragmenté en valeurs de tons engendre un effet semblable à celui du phénomène

238 Comme il s’agit d’une reproduction, nous ne pouvons pas savoir si Vibrisme, avant sa parution dans la revue SIC, comportait de la couleur ou non.

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d’optique physique de « vibrations lumineuses »239. Sans affirmer que la technique de Rij- Rousseau repose sur des principes avancés de physique optique, notons simplement que la juxtaposition d’éléments de dimensions similaires et d’intensité lumineuse variable produit des interactions visuelles entre ces zones pouvant être décrites comme des vibrations. Chez Rij-Rousseau, la construction géométrique fait du tableau une « architecture pour la lumière » et introduit le mouvement dans ses compositions240. Une telle transposition visuelle du mouvement n’est pas sans rappeler les procédés développés quelques années plus tôt par ceux qu’on appelle « cubo-futuristes ».

2.4.3. Dynamisme et lignes de force

Le néologisme « cubo-futurisme » apparaît pour la première fois dans le catalogue de la dernière exposition péterbourgeoise du groupe avant-gardiste « L’Union de la jeunesse » en 1913-1914241. Cette nouvelle esthétique tire son originalité de la combinaison des principes plastiques et iconographiques du cubisme (reconstruction de l’espace pictural à partir de la déconstruction de l’objet, géométrisation des éléments figuratifs) et du futurisme (représentation du mouvement, thématique urbaine et industrielle)242.

Le penchant évident de Rij-Rousseau pour la représentation de sujets modernes et vigoureux comme les courses d’aviron, rend tout naturel de tenter de tisser des parallèles entre sa pratique et celle des artistes membres du futurisme italien, mouvement artistique porté par les innovations mécaniques et le dynamisme du XXe siècle. Il faut toutefois reconnaître que les scènes de sport captées par Rij-Rousseau présentent une composition nettement plus statique que celle de ses prédécesseurs. En ce sens, il peut sembler difficile de les lier aux œuvres d’un autour de 1912 dont les compositions, encore figuratives à l’époque, décomposent le mouvement. Citons, par exemple, le célèbre Dynamisme d’un chien en laisse (fig. 18). Ce procédé, inspiré des recherches chronophotographiques du physiologiste Étienne-Jules Marey (1830-1904) et du photographe Eadweard Muybridge (1830-1904), a certainement un impact important sur le

239 Sur la représentation des ondes électromagnétiques dans l’art, voir l’article de Linda Dalrymple Henderson, « Vibratory Modernism : Boccioni, Kupka and the Ether of Space », From Energy to Information: Representation in Science and in Technology, Art and Literature, Stanford, Stanford University Press, 2002, p. 126-150. 240 Pierre Cabanne utilise cette expression pour décrire la façon dont Jacques Villon fragmente ses compositions afin de circonscrire les jeux de lumière. Pierre Cabanne, op. cit., p. 57. 241 Jean-Claude Marcadé, « Cubo-futurisme », dans Dictionnaire du cubisme, p. 196. 242 Ibid.

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développement de la pratique de nombreux cubistes et futuristes. Rij-Rousseau semble toutefois s’en distancer. Si elle s’intéresse peut-être quelque temps à la chronophotographie pour assurer la justesse anatomique et mécanique du dessin de ses sportifs en mouvement243, elle ne persévère pas dans cette voie.

Chez les futuristes, de nombreuses œuvres incorporent à leur titre l’idée de « dynamisme ». Le Dynamisme d’un chien en laisse de Balla, précédemment cité, en est un exemple, mais nous pensons également au Dynamisme d’une automobile (1912-1913) de Luigi Russolo ou au Dynamisme d’un cycliste (1913) (fig. 26) d’. Or, ces peintres emploient différents procédés afin de suggérer le mouvement dans leur tableau. La traduction picturale du dynamisme ne se limite donc pas à une technique spécifique. Selon Anne Souriau, « une œuvre d’art est dynamique quand elle a de l’intensité, de la vivacité, de la force, et soit un mouvement rapide, soit une grande capacité à suggérer le mouvement et la vitesse244. » Une telle définition convient bien à la production que nous étudions. Chez Rij-Rousseau, l’éclatement de la surface picturale à l’aide de lignes diagonales permet de créer des tensions dans l’image et d’« animer » ses compositions. Elle n’est d’ailleurs pas la seule à employer un procédé semblable. Chez son collègue Jacques Villon, la fragmentation et les effets lumineux témoignent aussi d’une volonté d’exprimer la synthèse du mouvement par la continuité245. C’est sans doute pour cette raison que sa célèbre œuvre Soldats en marche (1913) (fig. 19), établie sur une progression de diagonales divergentes, est perçue par le spécialiste du futurisme italien Giovanni Lista, comme l’un des « tableaux exemplaires » d’une nouvelle esthétique hybride : le cubo- futurisme parisien246.

Le rapprochement qu’il est possible de faire entre Rij-Rousseau et le futurisme italien tient, entre autres, de l’évolution que décrit Henderson, selon laquelle « increasingly, Futurist art and theory moved away from its earlier emphasis on expressing the

243 Lors des Jeux Olympiques de 1900, Marey dirige le Comité d’hygiène et de physiologie mis en place afin de soumettre l’événement sportif à l’investigation scientifique. L’entreprise fut rendue possible par les recherches chronophotographiques menées par Marey entre les années 1880 et 1885, lesquelles posaient les bases de la biomécanique humaine. L’étude se concentra sur sports athlétiques et, accessoirement, sur l’aviron et le cyclisme. (André Drevon, Les Jeux Olympiques oubliés : Paris 1900, Paris, CNRS, 2000, p. 173. 244 Anne Souriau, « Dynamique/Dynamisme », dans Vocabulaire d’esthétique, p. 655. 245 « Ils [les futuristes] conçoivent le mouvement décomposé en bonds successifs, ce qui est tout à fait un procédé cinématographique, dira Villon, alors que moi, je veux exprimer la synthèse du mouvement par la continuité. ». Cité dans Cabanne, op. cit., p. 73. 246 Giovanni Lista, op. cit., p. 307.

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“ simultaneity of states of mind ” toward a greater concern with formal problems and particularly the painting of “ force-lines ”247». L’utilisation de lignes-forces, qu’elles soient liées au rendu de la perspective ou au rythme de la surface chez les futuristes aussi bien que chez Rij-Rousseau « transforme la grille cubiste en système de vecteurs dynamiques248 ». Le morcellement qui en découle permet de souligner les tensions entre les différents éléments du tableau. Le contraste de couleur ou de luminosité entre deux zones adjacentes est mis en évidence par les diagonales franches qui les définissent.

À ce titre, il aussi intéressant de comparer les compositions vibristes de Rij- Rousseau et certaines œuvres cubo-futuristes de Gino Severini (1883-1966)249. Celui-ci développe, vers 1913, ce qu’il appelle le « divisionnisme de la forme », procédé qu’on peut observer dans une œuvre telle que La Danse du « pan-pan » au Monico (1912) (fig. 20)250. Tel que le souligne l’historienne de l’art Christine Borel, Severini « fragmente les formes en facettes schématiques engendrant un effet rythmique et chaotique251 ». Elle ajoute : « Les petites surfaces sont aussi chargées de concentrer le pouvoir des couleurs pures252. » L’idée de circonscrire dans des zones géométriques les teintes afin de faire jouer leur complémentarité semble commune à Severini et à Rij-Rousseau. Le terme « divisionnisme » choisi par Severini nous rappelle qu’il est un héritier du néo- impressionnisme qu’il a abordé au contact des œuvres de Georges Seurat et de . De la même manière, il est possible que l’intérêt néo-impressionniste pour les effets optiques, créés par la juxtaposition de couleurs pures, soit ce qui inspire Rij-Rousseau à développer son approche « vibriste » de la couleur.

247 Linda Dalrymple Henderson, op.cit., p. 224. 248 « With force-lines» the Futurists transformed the Cubist grid into a dynamic system of vectors. » (Linda Dalrymple Henderson, op. cit. p. 224). 249 Gino Severini entre officiellement dans l’« écurie cubiste » du marchand Léonce Rosenberg en 1919 à la suite de l’exposition organisée par ce dernier à la galerie L’Effort Moderne. (Gabriella Belli et al., Gino Severini, 1883-1966 : futuriste et néoclassique, catalogue d’exposition (Paris, Musée national de l’Orangerie, 27 avril au 2 juillet 2011), Paris, Musée d’Orsay, 2011, p.158). 250 Au cours de la période comprise entre 1916 et 1920, Severini revient aux règles de la peinture ancienne et aux principes mathématiques qui gouvernent le nombre d’or et la perspective. (Ibid., p.176). 251 Ibid., p. 58. 252 Ibid.

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2.5. Conclusion

Ce chapitre s’est attaché à comprendre la manière dont l’œuvre se construit chez Rij- Rousseau, de la réalisation de Vibrisme à celle des Rameurs. Par l’analyse des principes régissant la structure de ses compositions, nous avons mis en évidence le grand souci du dessin chez l’artiste. L’étude des explorations structurales ayant mené aux modulations de la forme dans l’esthétique cubiste nous a aidée à poser un regard plus éclairé sur les procédés que l’artiste appelle « vibristes ». À la lumière des théories de l’espace et du temps développées au début du XXe siècle, notamment par les mathématiciens Poincaré et Riemann, nous avons démontré que le traitement en facettes de Rij-Rousseau ne semble pas suivre les mêmes règles que les déconstructions de Braque, de Picasso ou de certains cubistes de Puteaux. Sa manière vibriste ne s’attaque que rarement à l’intégrité de la forme. De plus, si l’artiste a pu s’inspirer des principes d’équilibre et de construction enseignés pas Sérusier, il n’a pas été possible de prouver l’application des théories du nombre d’or dans ses œuvres. La fragmentation, chez Rij-Rousseau, semble, avant tout, dicter l’organisation de la lumière dans la composition. Ainsi, la « science du dessin » que certains critiques reconnaissent à l’artiste, et qui est certainement le fruit de longues recherches et expérimentations, sert en partie à repenser la planéité de la surface picturale. Grâce aux vibrations lumineuses, Rij-Rousseau dynamise ses compositions. L’étude des Rameurs, malheureusement, ne permet pas de développer notre analyse vers les questions relatives à la couleur. Elle a néanmoins servi à aborder plus en détail un aspect fondamental du processus créatif de l’artiste et à proposer un schéma à l’intérieur duquel Rij-Rousseau orchestre les interactions de tons et de teintes. L’emploi original de la couleur et de la lumière constituant, selon nous, un autre élément essentiel de l’esthétique vibriste, il convient de poursuivre notre analyse formelle en nous y intéressant.

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CHAPITRE 3 LUMIÈRE, COULEUR ET MOUVEMENT

Quand, à la fin de l’année 1924, Rij-Rousseau présente son exposition à la Galerie T. Carmine, plusieurs critiques se déplacent pour observer et commenter sa production. On perçoit alors, dans leur propos, l’écho de la récente controverse du Salon des Tuileries. Ils prennent donc généralement position sur les choix de couleurs faits par l’artiste. Le poète et critique d’art André Salmon donne déjà le ton dans la préface du catalogue. Se référant directement aux derniers événements, il écrit :

Au Salon des Tuileries, les placeurs les plus huppés – je veux dire ceux dont la huppe est blanchissante – ne s’effrayaient-ils pas des couleurs de Mme Rij- Rousseau ? Comme si ces couleurs devaient bouter le feu à l’ambitieux Palais de Bois. Mieux informés, plus sensibles aux tourments de mes amis (les peintres de L’Art vivant253), ils eussent aussi bien pu redouter que les hardiesses de son dessin fissent craquer les planches254.

Évidemment, le sarcasme de Salmon est d’abord dirigé vers Besnard qui, comme nous l’avons vu, a exigé le retrait du tableau Les Courses de Rij-Rousseau du Salon des Tuileries, plus tôt la même année. La mention du Palais de Bois, où a lieu le Salon, ne laisse aucun doute à ce sujet255. Toutefois, le critique semble également prévenir tout futur détracteur du ridicule de la position du vieux maître. Lorsqu’il cible « ceux à la huppe blanchissante », il suggère que seuls les esprits rétrogrades ne savent apprécier la valeur d’une peintre telle que Rij-Rousseau. Ainsi, dans L’Homme libre, le critique Maurice Barbelieu prend soin de faire connaître sa position en spécifiant que si les couleurs de Rij-Rousseau « peut-être effrayeront un certain public », il sait, pour sa part, en reconnaître l’intérêt256.

253 Rappelons-le, Florent Fels est le rédacteur en chef de L’Art vivant, revue bimensuelle sur les arts et la littérature. 254 André Salmon, préface de Rij Rousseau, Exposition de tableaux, tapis et tapisseries de haute lisse, catalogue d’exposition (Paris, Galerie T. Carmine, 51 rue de Seine, 31 décembre 1924). Le texte est repris, avec quelques modifications, dans André Salmon, « Les arts et la vie », La Revue de France, mars-avril 1924, p. 581-584. 255 Le Palais de Bois est le nom donné à la grande bâtisse temporaire construite près de la porte Maillot par les frères Perret. L’espace d’exposition, qui accueille le Salon des Tuileries, doit son nom à sa structure presque entièrement faite de bois. 256 Maurice Barbelieu, « La Vie artistique », L’Homme libre, 12e année, no 3075, 24 décembre 1924, p. 2.

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L’étude des Rameurs, réalisée au deuxième chapitre, a permis d’étendre notre compréhension du vibrisme à des considérations d’ordre structurel. La grille structurale de l’œuvre étant posée, il est maintenant possible de nous intéresser à l’application de la couleur et aux effets de celle-ci. Ce troisième chapitre propose une réflexion sur l’utilisation de la couleur dans l’art de Rij-Rousseau. Nous visons à faire ressortir l’impact de la théorie vibriste sur les propriétés chromatiques de l’œuvre. Notre objectif est de démontrer, notamment à travers l’analyse de Géo-Charles au Vélodrome d’hiver, que Jeanne Rij- Rousseau développe une pratique picturale coloriste qui lui est propre, mais qui demeure, à de nombreux égards, cohérente avec la production cubiste de confrères et consœurs de la Section d’or. Dans un premier temps, nous retracerons le parcours de Rij-Rousseau et de différents acteurs du cubisme afin de comprendre l’importance fondamentale de la couleur dans le développement de leur art. Nous tenterons ensuite de lier le vibrisme aux explorations d’une catégorie de cubistes dite « coloriste257 », mais aussi aux recherches d’autres groupes d’avant-garde. Nous conclurons avec l’étude de la tapisserie Les Lutteurs afin de nous pencher sur une autre application des procédés « vibristes » liés à la couleur.

3.1. Mise en contexte

En 1958, Pogu écrivait à propos de Rij-Rousseau que « c’est par la couleur surtout qu’elle se distinguera des Cubistes258 ». Il est vrai que ses couleurs pures ont peu à voir avec les palettes de teintes terreuses souvent associées au cubisme d’avant-guerre, en particulier celui de Picasso et de Braque. Pourtant, si l’on tend à lier cubisme et palette restreinte, c’est simplement parce que l’art de Braque, Picasso et, dans une moindre mesure, de Juan Gris, progresse entre la période cézanienne et analytique du cubisme vers des toiles quasi monochromes259. Après tout, le peintre Paul Cézanne, considéré comme le « père du cubisme », employait une palette de teintes relativement vives que nous pouvons apprécier dans ses lumineux paysages de l’Estaque et de la montagne Sainte-Victoire (fig. 21). Et

257 Le terme coloriste est employé lors du Salon d’Automne de 1910 pour désigner une catégorie d’artiste qui se démarque par l’utilisation de couleurs vives et vibrantes. (Léandre Vaillat, « L’Art décoratif allemand au Salon d’Automne », L’Art et les Artistes, no 12, novembre 1910, p. 76. Cité dans Nancy J.Troy, Modernism and the Decorative Arts in France: Art Nouveau to Le Corbusier, New Haven, Yale University Press, 1991, p. 67). 258 Guy Pogu, Rij-Rousseau. Égérie du Cubisme. Le Vibrisme, Paris, 1958, p. 19. 259 Michel Hoog, « Le cubisme et la couleur », dans Le Cubisme. Actes du premier colloque d’Histoire de l’Art Contemporain, (Saint-Étienne, 29-21 novembre 1971), éd. par Centre interdisciplinaire d'études et de recherche sur l'expression contemporaine, Université de Saint-Étienne, 1971, p. 42.

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tout bien considéré, la couleur n’est exclue du parcours d’aucun des fondateurs du cubisme. Picasso, au tournant du siècle, connaît ses périodes bleue et rose, tandis que Braque, avant de se lancer dans l’aventure cubiste, expérimente, lui aussi, des teintes éclatantes lorsqu’il prend part au fauvisme. C’est progressivement que les toiles de Braque et Picasso se réduisent à des tons d’ocre, de bleu et de vert afin de laisser toute l’importance à la ligne, au volume, à la composition et à la lumière. Le monochromatisme, tout compte fait, n’arrive qu’à la période dite « analytique » du cubisme et se raréfie, dès 1912, dans la phase dite « synthétique ».

À cette époque, porté par les cubistes des Salons, le mouvement semble profiter d’une nouvelle importance attribuée à la couleur. Pour les historiens de l’art Mark Antliff et Patricia Leighten, les sujets modernes favorisent le choix d’une palette composée de couleurs contrastées, propres à suggérer le dynamisme de la ville260. Étant donné que les sports athlétiques sont pratiqués essentiellement dans les grandes villes, la population y étant plus dense, sport, modernité et couleur semblent naturellement aller de pair. Au début du siècle, l’espace sportif devient un terrain d’innovation et le signe d’une Modernité conquérante261. L’abondance d’œuvres à thème sportif, qui arborent en général des palettes vives, témoigne de ce phénomène. Rappelons-le, c’est au début des années 1910 que le peintre Robert Delaunay présente au Salon des Indépendants les différentes versions de L’Équipe de Cardiff (1912-13) (fig 22). Ces œuvres de grand format, aux couleurs acidulées, représentent l’univers du « football-rugby262 ». À la même époque, Albert Gleizes réalise Les Joueurs de football (1912-13) (fig. 23) qui, bien que peints dans une palette plus sobre, marquent une transition importante dans son art par l’utilisation localisée des couleurs primaires, presque pures. N’oublions pas non plus les parties de rugby aux vifs coloris peintes par André Lhote entre 1917 et 1925 (fig. 24)263. À la lumière de ces toiles, une œuvre multicolore telle que Géo-Charles au Vélodrome d’hiver (fig. 25) de Rij-Rousseau semble s’inscrire parfaitement dans l’esprit des recherches plastiques de

260 Antliff et Leighten, op. cit., p. 150. 261 Sylvain Villaret et Philippe Tétart, « Espaces et temps du sport (1870-1936): de l’exception à la banalisation », dans Philippe Tétard, dir., Histoire du sport en France : du Second Empire au régime de Vichy, Paris, Vuibert, 2007, p. 269. 262 Antliff et Leighten, op. cit., p. 146. 263 Dans le cadre de la Coupe du monde de rugby, le Musée Fabre a présenté une exposition intitulée Rugbysme, le rugby et l’art moderne (7 septembre au 24 novembre 2007), mettant en parallèle les œuvres réalisées par Delaunay et Lhote sur ce thème.

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ses contemporains. L’emploi de teintes vives, s’il n’est pas exclusivement réservé à la représentation de scènes sportives, semble particulièrement bien s’y prêter.

3.1.1. La fascination moderne pour la machine véloce

Dans les années 1890, alors que les courses équestres continuent de soulever les passions, le cyclisme, discipline sportive la plus dynamique de la décennie, connaît un véritable « âge d’or264 ». Déjà en 1869, un article paru dans Le Petit Journal traduisait la montée de l’engouement populaire pour ce sport: « Qu’est-ce que le vélocipède, qui fait fureur aujourd’hui? C’est une satisfaction donnée à ce besoin universel d'aller vite […]265! » Pourtant, ce n’est que tardivement, soit près de vingt ans plus tard, que se multiplient les représentations du sport vélocipédique chez les artistes des différentes avant-gardes : Umberto Boccioni (Dynamisme d’un cycliste, 1911) (fig. 26), Lyonel Feininger (Course Cycliste, 1912) (fig. 27), Jean Metzinger (Au Vélodrome, 1912-13) (fig. 28) et Natalia Gontcharova (Le Cycliste, 1913) (fig. 29). Dans les dernières années, plusieurs spécialistes se sont penchés sur le lien unissant l’art et le cyclisme par le biais d’expositions et d’études comparées266. Que ce soit pour la vitalité inhérente au cyclisme ou par intérêt personnel pour cette discipline, les artistes sont nombreux à proposer des interprétations de ce sujet267. Nous verrons que pour Rij-Rousseau, la machine-véloce offre un terrain propice à l’exploration de la couleur.

3.1.2. Du cheval de chair au cheval de fer

Fréquentant régulièrement les stades de courses équestres en compagnie de son second époux268, Rij-Rousseau a d’abord démontré un enthousiasme pour l’univers hippique avant

264 Alex Poyer, Les Premiers temps des véloce-clubs : apparition et diffusion du cyclisme associatif français entre 1867 et 1914, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 305. 265 Auteur inconnu, « Les Dératés », Le Petit Journal, 7e année, no 2347, 5 juin 1869, p. 1. Cité dans Philippe Gaboriau, Le Tour de France et le vélo. Histoire sociale d’une épopée contemporaine, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 10. 266 À titre de référence, voir les deux expositions suivantes : Erasmus Weddingen, Cycling, Cubo-Futurism and the 4th Dimension. Jean Metzinger « At the Cycle Track », Peggy Guggenheim collection, 9 juin au 16 septembre 2012 ; Elisabeth Chambon, Art et Bicyclette, Musée Géo-Charles, 19 juin au 3 novembre 2013. 267 Feininger et Metzinger, par exemple, étaient tous deux cyclistes. Voir à ce sujet Bernard Vere, « Pedal- Powered Avant-Gardes: Cycling Paintings in 1912-13», The International Journal of the History of Sport, vol. 28, no 8-9, mai-juin 2011, p. 1157. 268 « De nombreuses toiles sont inspirées des courses de Longchamp et d’Auteuil. R.-R. accompagnait toujours Maître Loiseau, enragé turfiste […] ». Zeiger-Viallet, « Billet de Paris », Sisteron-Journal, 75e année, no 1507, 22 mars 1975, p. 1.

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de s’attacher au parent moderne de cette discipline : les courses vélocipédiques. À notre connaissance, cette dernière a produit, au cours de sa carrière, au moins deux toiles et une gravure sur ce thème. Si Géo-Charles au Vélodrome d’hiver ne figure pas sur la liste des œuvres présentées lors de l’exposition à la Galerie T. Carmine, un Cycliste y est néanmoins accroché. Pour différentes raisons, il n’est pas à exclure qu’il puisse s’agir d’un seul et même tableau présenté sous des titres différents. À ce jour, les recherches des descendants de l’artiste n’ont pas permis de recenser une toile portant le titre Géo-Charles au Vélodrome d’hiver dans des expositions tenues du vivant de l’artiste. Un tableau intitulé Le Bicycliste fait partie de l’envoi de Rij-Rousseau au Salon des Indépendants de 1927, mais une reproduction de l’œuvre (fig. 30), imprimée dans le journal Comœdia, nous permet de confirmer qu’il ne s’agit pas de Géo-Charles au Vélodrome d’hiver269. Il y a fort à parier que Le Cycliste de la Galerie T. Carmine et Le Bicycliste sont deux compositions distinctes puisque le critique Gustave Kahn, qui commente l’exposition de 1924, rédige également une critique du Salon des Indépendants en 1927. Appréciant Le Bicycliste qui y est exposé, Kahn observe qu’il y a « toujours quelque intéressante nouveauté » dans la façon qu’a Rij- Rousseau de fixer l’intérêt plastique du sport270. À la lumière de ce commentaire, il semble peu probable qu’il s’agisse de la même œuvre qu’en 1924. Finalement, bien que rien ne confirme que ce premier cycliste soit Géo-Charles au vélodrome d’hiver, nous savons qu’il est plutôt commun de voir le titre d’une œuvre changer avec le temps271.

3.2. Analyse de Géo-Charles au Vélodrome d’Hiver (1924)

Alors que la plupart des compositions à thème sportif de Rij-Rousseau portent des titres génériques n’indiquant que la discipline représentée, Géo-Charles au Vélodrome d’Hiver fait exception en offrant une description beaucoup plus précise du sujet. Comme indiqué, la scène prend place dans un espace sportif moderne : le Vélodrome d’Hiver. Dès 1885, Paris, comme plusieurs grandes villes, connaît un véritable essor des vélodromes272. Grâce

269 René-Jean, « Le Salon des Indépendants – La peinture », Comœdia, 21e année, no 5134, 21 janvier 1927, p. 1. 270 Gustave Kahn, « Les Indépendants », Mercure de France, Tome CXCIV, 15 février 1927, p. 211. 271 Il semble d’ailleurs que ce fut le cas avec Les Courses, présentées aux Tuileries, qui reviennent sans doute à la Galerie T. Carmine sous le titre Les Deux cavaliers. 272 L’essor des vélodromes succède à celui des hippodromes. Pendant plusieurs années, afin de répondre à une carence en matière d’installations sportives, les champs de courses font l’objet d’une sollicitation régulière

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à ces nouvelles installations, la tenue d’événements sportifs est facilitée et leur fréquentation, décuplée. Sous l’initiative d’Henri Desgrange273, le premier Vélodrome d’Hiver ouvre ses portes en 1903. Le succès est immédiat. En 1909, la galerie devant être détruite pour libérer la perspective du Champ-de-Mars, un nouveau vélodrome est construit près du boulevard de Grenelle. Avec ses gradins de brique et de béton pouvant accueillir jusqu’à 17 000 spectateurs274, le nouveau « Vél’ d’Hiv » devient rapidement l’un des hauts lieux du sport parisien.

Rij-Rousseau n’est évidemment pas la seule à situer l’action d’une composition associée à l’univers du vélo dans un tel espace. Géo-Charles au Vélodrome d’Hiver rappelle à cet égard Au Vélodrome (fig. 28) et Coureur Cycliste (1912) (fig. 31) du peintre Jean Metzinger. Dans ces toiles, la figure d’un cycliste en course occupe presque l’entièreté de l’image et le stade est facilement identifiable grâce aux estrades peintes à l’arrière-plan. Or, si Metzinger utilise des éléments typographiques, tel que les mots « Paris-Roubaix », pour situer ses scènes, le stade de Rij-Rousseau est anonyme. Sans le concours du titre, la structure des loges et le peu d’informations complémentaires disponibles rendraient presque impossible l’identification du lieu représenté. Néanmoins, la décision de représenter un cycliste au vélodrome témoigne de l’importance du stade dans l’histoire des manifestations sportives modernes275. Au XXe siècle, le cyclisme perd progressivement son statut « élitiste » et devient de plus en plus accessible aux classes moyennes. Dans l’œuvre de Rij-Rousseau, les silhouettes des spectateurs, parmi lesquelles nous devinons celle d’un enfant, témoignent de la variété du public attiré par les courses cyclistes. Le vélodrome est véritablement un espace pour tous. D’ailleurs, la symbolique populaire du lieu est exaltée par les origines modestes de plusieurs champions du cyclisme, régulièrement issus de

des coureurs et des cyclistes. Leur piste plate, entourée de tribunes, apparaît comme le lieu idéal pour organiser les premiers concours et s'entraîner. Voir Villaret et Tétart, op. cit., p. 268-269. 273 , à l’origine clerc de notaire, puis chef de publicité chez le fabricant de cycles Adolphe Clément (cycles La Française), est un cycliste de haut niveau. Il établit plus de dix records du monde sur piste de 1893 à 1895. Sa passion le mène à devenir directeur de vélodrome ; puis il crée le sien, dans la « prairie du Parc des Princes », et fait de la défense de la pratique sportive son cheval de bataille. Il tient aussi la rubrique cycliste pour La Bicyclette et Paris-Vélo. Il devient directeur de L’Auto-Vélo, journal omnisport « d’idées et d’action » le 16 octobre 1900. Voir Philippe Tétart, « De la balle à la plume. La première médiatisation des passions sportives, 1854-1939 », dans Philippe Tétard, dir., Histoire du sport en France: du Second Empire au régime de Vichy, Paris, Vuibert, 2007, p. 302. 274 Alex Poyer, op. cit. 275 Sur le sujet, voir Georges Vigarello, Du Jeu ancien au show sportif : la naissance d’un mythe, Paris, Seuil, 2002.

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milieux ouvriers (ramoneurs, bouchers, etc.) 276. Dans Géo-Charles au Vélodrome d’Hiver, c’est toutefois du milieu littéraire que provient l’athlète représenté.

Le cycliste en course est une connaissance de Rij-Rousseau, l’écrivain et poète français Charles-Louis Prosper Guyot (1892-1963), mieux connu sous son nom de plume « Géo-Charles ». Ce dernier, passionné de sport, en fait le sujet de plusieurs de ses textes. Il remporte d’ailleurs, en 1924, le concours de littérature des Jeux Olympiques, à Paris, avec ses poésies intitulées « Jeux Olympiques ». Personnage influent des cercles culturels de Paris, Géo-Charles compte parmi ses amis de nombreux poètes et littérateurs, notamment Blaise Cendrars et Jean Cocteau277 (1889-1963). Il entretient également des liens avec plusieurs artistes, dont le peintre d’origine japonaise Foujita278(1886-1968). Dans l’œuvre de Rij-Rousseau, le visage peint de Géo-Charles, quoique relativement schématique, affiche des traits qui confirment son identité. Bien qu’il puisse s’agir d’une simple coïncidence, le portrait que peint Rij-Rousseau est similaire à celui apparaissant sur la médaille de littérature, frappée à l’effigie du poète, afin de souligner sa distinction aux Jeux de 1924 (fig. 32). Grand amateur d’art, Géo-Charles accumule, au cours de sa vie, une vaste collection d’œuvres. Elles sont aujourd’hui conservées au musée éponyme consacré à l’art, à la littérature et au sport français279. Il est possible que le tableau Géo-Charles au Vélodrome d’hiver, à mi-chemin entre la peinture de sport et le portrait, résulte d’une commande personnelle. Si c’est effectivement le cas, le titre original a pu être modifié afin de souligner le lien du poète à cette œuvre. Cette hypothèse expliquerait peut-être l’ambiguïté entourant l’identification du « Cycliste » présenté en 1924. Elle expliquerait aussi pourquoi le tableau possède un titre beaucoup plus détaillé que celui d’autres compositions de Rij-Rousseau.

276 Eugen Weber, France, Fin de Siècle, Cambridge, MA et Londres, Belknap Press of Harvard University Press, 1986, p. 200. Cité dans Bernard Vere, art. cit., p.1162. 277 Aux côtés de Paul Husson, le poète fonde en 1914 la revue Montparnasse, consacrée aux arts et à la littérature. Cette dernière est parrainée par Guillaume Apollinaire qui, usant de sa notoriété, offre à la publication, en exclusivité ou non, poèmes, calligrammes ou comptes rendus. Voir Yves Chevrefils Desbiolles, « Anch’io son editore » dans Rossella Froissart Pezone et Yves Chevrefils Desbiolles, dir., Les Revues d’art : formes, stratégies et réseau au XXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 14. 278 Un portrait du poète réalisé par l’artiste Foujita en 1924 est reproduit dans le recueil de poésie Jeux Olympiques. 279 Le Musée Géo-Charles d’Échirolles, en France, abrite les collections et les archives reçues en donation, en 1982, par la veuve du poète, Mme Lucienne Géo-Charles. À l’occasion du 100e anniversaire du Tour de France, le musée a tenu du 19 juin au 3 novembre 2013 une exposition intitulée Art et Bicyclette.

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À la manière des Rameurs précédemment analysés, la peintre place le sportif à la limite du cadre, renforçant ainsi l’effet de déplacement du sujet dans l’espace. La posture dynamique de Géo-Charles, campé sur son vélo, traduit le mouvement de celui-ci, alors que son regard perçant et ses sourcils légèrement froncés laissent transparaître la concentration et l’effort. L’athlète porte un maillot long280 et des lunettes de protection relevées sur le front. Bien que le cadrage isole le cycliste, nous imaginons aisément l’action se déroulant autour de lui. La piste est définie par une bande extérieure qui trace une série de diagonales ascendantes au centre de la composition.

Schéma 4. Diagonales dans Géo-Charles au Vélodrome d’Hiver (fig. 25)

Au-delà du dessin qui délimite les pourtours des figures et des lieux selon les règles de la perspective linéaire, d’autres diagonales parcourent l’œuvre et fractionnent les surfaces en petites zones polygonales. Au bas du tableau, l’imposante signature de l’artiste, élevée au rang d’élément graphique autonome, répond aux lignes qui structurent l’image.

280 Jusqu’à la fin des années 1880, le costume des cyclistes emprunte plusieurs éléments à celui des jockeys, notamment la casaque et la toque. Avec le temps, le costume change et les cyclistes français adoptent morceau par morceau le vêtement anglais, constitué d’un maillot, d’une culotte courte et de chaussures à pointes. Voir Frantz Reichel, dir., Les Sports athlétiques, Armand Colin, 1895, p. 19.

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L’œuvre est recouverte de facettes géométriques multicolores. Dans une audacieuse opposition de complémentaires, les verts et jaunes acidulés du vélodrome répondent à de vibrants rose-violets et orangés. Même le visage hâlé du sportif, où domine l’orangé, est juxtaposé à la surface bleu outremer de son costume. Les éléments du tableau sont traités avec une grande économie de détails, se limitant presque à des aplats de couleurs. Sur la section antérieure du bras gauche de Géo-Charles, un brassard ou un détail publicitaire sur le tissu de la manche est réduit à une masse colorée. Rij-Rousseau peint le cycliste sur une toile de très grand format de 180 x 130 cm. La présentation verticale favorisée par l’artiste semble inscrire le tableau dans la grande tradition du portrait en pied. Le plan rapproché, centré sur le sujet, ajoute de l’importance au personnage au sein de la composition. L’ensemble, à certains égards, rappelle la symbolique de l’athlète comme héros de l’histoire moderne.

3.3. Un traitement vibriste de la lumière

Par ailleurs, le traitement de la lumière joue un rôle fondamental dans ce tableau, comme c’est souvent le cas chez Rij-Rousseau. Rappelons que des effets de valeurs de tons, produits par des successions de hachures, existent même dans les applications monochromes des principes vibristes281. L’importance accordée à la lumière n’est pas sans rappeler un commentaire d’Albert Gleizes publié en 1923 dans La Vie des lettres et des arts. Ce dernier y explique le rapport particulier qu’entretenait, selon lui, le cubisme à la couleur : « De la couleur, il n’y avait que le côté lumière qui nous préoccupait. La lumière et l’espace sont deux choses qui se touchent […]282. » Ainsi, la façon de faire « concourir l’éclairage à la composition283 », que le critique Waldemar-George note chez Rij-Rousseau, démontre une sensibilité partagée avec le cubisme. Cet intérêt pour les rendus lumineux, toutefois, semble précéder les explorations cubistes de Rij-Rousseau et prendre racine dans des recherches inspirées par l’impressionnisme. La technique préconisée par les acteurs de ce mouvement consiste à traduire les variations de la lumière par juxtaposition de touches de couleurs. Chez Rij-Rousseau, certaines œuvres datant du début du siècle rappellent en ce

281 Voir section 2.4.2. Vibrisme (1917). 282 Albert Gleizes, « La Peinture et ses lois. Ce qui devait ressortir du cubisme », La Vie des lettres et des arts, vol. 3, n° 3 (mars 1923), p. 32. 283 Waldemar-George, L’Amour de l’art, février 1924 (Coupures de presse Archives Rij-Rousseau).

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sens les rendus impressionnistes. C’est le cas, par exemple, de la toile Le Cavalier (fig. 33), dont les taches de couleurs, sans mélange, présentes dans l’eau rappellent même un peu le divisionnisme. On sent aussi dans Le Couvent (fig. 34) l’influence de peintres postimpressionnistes, tel que Vincent Van Gogh (1853-1890)284. En cela, Rij-Rousseau se rapproche de son collègue Fernand Léger. Ce dernier peint dans un style plutôt impressionniste avant de réorienter sa pratique vers le rendu des volumes à la suite de son passage à la rétrospective de Cézanne de 1907. Même Delaunay, avec sa célèbre toile La Ville de Paris (fig. 35), traduit, selon Severini, « l’intention claire d’exprimer la lumière d’une façon différente de celle des impressionnistes, tout en restant liée à une base impressionniste285 ».

Dans les rangs des cubistes des Salons, certains artistes se montrent plus critiques à l’endroit de ce qu’ils qualifient d’« emploi trop expressif » de la couleur. C’est notamment le cas des théoriciens Gleizes et Metzinger qui, dans leur ouvrage fondateur Du « Cubisme », formulent plusieurs mises en garde à l’endroit de la sensualité de la couleur. Pour eux, l’approche impressionniste est un « non-sens286 ». Ils reprochent, entre autres, aux petites touches juxtaposées caractéristiques de ce mouvement, de corrompre la luminosité des œuvres. Comme ils l’énoncent : « […] la couleur est en art une qualité de la lumière et […] on ne divise pas une qualité287 ». Gleizes et Metzinger suggèrent que, pour traduire la lumière sur la toile, il est toujours préférable de dégrader ; de juxtaposer des éléments de même teinte et d’inégale intensité pour donner à la couleur une « fort séduisante animation288 ». Lorsque Rij-Rousseau décline les couleurs en variations de tons, elle crée sur la surface des effets lumineux. Ces derniers suivent une logique similaire à celle qui dicte sa façon d’accentuer les contrastes de ses dessins « vibristes » à l’aide de hachures. D’ailleurs, nous remarquons que ces dernières ne disparaissent pas complètement dans le tableau Géo-Charles au Vélodrome d’Hiver. À plusieurs endroits, notamment au bas de l’œuvre, de longs coups de pinceau, appliqués en angle, reproduisent

284 Il est possible que Rij-Rousseau ait découvert la pratique de Van Gogh lors de l’exposition d’œuvres de ce dernier à la Galerie Bernheim Jeune en 1901. Une part de la correspondance entre ce dernier et son frère Théo a également été reproduite dans le Mercure de France entre 1893 et 1895. On retrouve les retranscriptions de certaines de ces lettres dans les carnets de Rij-Rousseau, témoignant de l’intérêt de cette dernière pour les recherches plastiques de Van Gogh. 285 Gino Severini, La Vie d’un peintre, Paris, Hazan, 2011, p. 139. 286 Albert Gleizes et Jean Metzinger, Du « Cubisme », Paris, Hermann Éditeurs, 2012 (1912), p. 15. 287 Ibid., p. 22. 288 Ibid., p. 23.

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cet effet. Son traitement de la couleur semble ici correspondre aux théories cubistes de Gleizes et Metzinger. Ces derniers enseignent une nouvelle façon d’imaginer la lumière, dans laquelle toute inflexion de la forme se double d’une modification de la couleur et toute modification de la couleur engendre une forme289. Pour expliquer comment doit s’organiser la couleur, ils spécifient qu’aux formes simples, siéent les données fondamentales du spectre, alors qu’aux formes fragmentées, conviennent mieux les jeux chatoyants290. Dans cette perspective, si le choix même de diviser la toile en petites structures polygonales correspond à certains procédés cubistes, le traitement en valeurs de tons de Rij-Rousseau répond également à la manière dont plusieurs artistes rattachés au cubisme expriment leur vision de la couleur.

3.4. Déployer le prisme

Le travail de la lumière n’est pas le seul héritage de l’impressionnisme qui nous semble avoir fait son chemin jusqu’à l’art de Rij-Rousseau. Il convient de noter que le travail des néo- impressionnistes, bien qu’il ait comme principal objectif de traduire l’instabilité d’une atmosphère lumineuse, passe par un traitement où la couleur pure est privilégiée. Lorsque le critique Gustave Kahn note que l’artiste « accentue les mouvements dans la lumière et pratique une sorte de divisionnisme simultané de la ligne et de la couleur291 », il semble associer la technique de Rij-Rousseau au néo-impressionnisme. Rappelons que Kahn défend cette esthétique dès l’époque de son émergence, soit à la fin des années 1880. Partisan des « colorations hardies », des « papillotements de tons » et des « oppositions heurtées » présentés au Salon d’Automne de 1925, Kahn décrit l’envoi de Rij-Rousseau comme un « vif et vrai agrément esthétique » 292. Le critique remarque aussi la manière dont les reflets dans l’œuvre produisent une sorte de « sertissement [sic] linéaire293 ». Géo- Charles au Vélodrome d’Hiver exprime bien cette idée. Pour le démontrer, observons la manière dont les teintes de rose-violet et de vert, dans le haut de la toile, sont modulées par la structure fragmentée de l’œuvre. Sans raison apparente, les aplats de couleurs vives de

289 Ibid., p. 25. 290 Ibid., p. 25. 291 Gustave Kahn, « Art – Le Salon d’Automne », Mercure de France, 36e année, no 656, 15 octobre 1925, p. 519. 292 Ibid. 293 Ibid.

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la toile éclatent en formes géométriques à l’intensité chromatique variable. La diversité de la palette, jointe à ces déclinaisons de tons, donne de la vivacité à la toile. Chez Rij- Rousseau, le dessin structure la couleur. Cette dernière observation de Kahn peut être comparée aux remarques de Waldemar-George sur le peintre Fernand Léger. Celui-ci attribue à l’esthétique fauve l’inscription de la couleur dans un réseau de sertis linéaires294. De manière similaire, la faveur accordée par Rij-Rousseau, à l’instar de plusieurs de ses collègues de la Section d’or, aux couleurs éclatantes pourrait, par conséquent, emprunter des éléments au fauvisme.

Déjà au début des années 1910, plusieurs collègues de Rij-Rousseau, dont Léger, Delaunay et Gleizes, réalisent des œuvres d’esprit cubiste où l’analyse des formes n’est pas incompatible avec l’emploi de couleurs vives295. En 1971, dans un article ancien, mais toujours stimulant, présenté lors du colloque Le Cubisme, l’historien de l’art Michel Hoog se penche sur la genèse du mouvement et expose le problème particulier de la couleur. Il propose qu’une période « pré-cubiste » soit admise pour rendre compte de l’évolution de la pratique de nombreux acteurs du cubisme à partir de 1907296. Il mentionne, pour appuyer cette idée, que les recherches menées par les peintres précédemment nommés portent alors sur la géométrisation des formes et la réduction de la gamme colorée à quelques tons sourds297. Hoog suggère d’ailleurs qu’il serait avisé de les lier non pas tant à l’influence de « l’art nègre » ou de la peinture de Cézanne, qu’à une rupture dictée par un passage préalable dans le fauvisme, dans le néo-impressionnisme, voire, pour certains, dans les deux298. Il est significatif qu’avant d’évoluer vers le cubisme, ces peintres ont tous appris à manipuler et à intégrer « la couleur vive, violente et expressive299 » à leur pratique. Qu’ils s’en écartent par la suite ou, comme Rij-Rousseau, qu’ils choisissent d’en faire un aspect intégral de leur esthétique importe finalement assez peu. Tous ont en effet été tributaires d’une réflexion de fond sur l’usage de la couleur.

294 Waldemar-George, « Fernand Léger », L’Amour de l’art, no 8, août 1926. Cité dans Yves Chevrefils Desbiolles, Waldemar-George, critique d’art : cinq portraits pour un siècle paradoxal : essai et anthologie, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2016, p. 134. 295 Ibid. 296 Michel Hoog, « Cubisme et couleur », dans Le Cubisme. Actes du premier colloque d’Histoire de l’Art Contemporain, (Saint-Étienne, 29-21 novembre 1971), éd. par Centre interdisciplinaire d'études et de recherche sur l'expression contemporaine, Université de Saint-Étienne, 1971, p. 41. 297 Ibid. 298 À ceux-ci Hoog ajoute les noms de , Maurice Vlaminck et Othon Friesz. Hoog, ibid. 299 Ibid., p. 42.

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Selon Zeiger-Viallet, dès 1900, Rij-Rousseau peint avec de grands aplats colorés et privilégie les couleurs qui « parlent à l’esprit »300. Cette remarque rappelle la valeur symbolique et le caractère expressif que (1848-1903) et ses successeurs reconnaissaient à la couleur. C’est d’ailleurs, à l’époque, ce qui les motive à l’utiliser dans sa formule la plus pure, sans mélange301. Lorsque Rij-Rousseau intègre l’Académie Ranson302, ses enseignants, Maurice Denis et Paul Sérusier, l’initient certainement aux principes esthétiques symbolistes du groupe des nabis303, dont l’art s’inspire de l’usage arbitraire de la couleur propre à Gauguin. Dans la peinture des nabis, les couleurs pures et complémentaires sont souvent traitées en grandes surfaces planes pour fixer les aspects fugitifs de l’émotion304. Il en va de même chez les fauves qui vont s’attacher au travail de la couleur pure traitée en larges surfaces de teintes éclatantes. Selon Waldemar-George, l’organisation fauve de la couleur devait aboutir soit aux mosaïques colorées d’un Matisse, soit à l’art d’ordre architectonique d’un Picasso, d’un Braque ou d’un Léger305. Chez les cubistes, le critique distingue également deux catégories. Il y a, d’un côté, ceux qui modulent les surfaces pour lier les plans des formes polyédriques, et de l’autre, ceux qui procèdent par contrastes de couleurs et opposent sans transition les bleus, les rouges, les verts, les blancs et les noirs306. À nos yeux, une troisième catégorie s’impose pour rendre compte des pratiques dans lesquelles les contrastes de couleurs répondent justement à l’organisation fragmentée de la surface. Le vibrisme, par exemple, utilise le morcellement de la couleur afin de créer des oppositions de teintes, sans pour autant détruire le motif.

Dans l’étude de Hoog déjà citée sur le cubisme et la couleur, l’auteur souligne la tendance de l’histoire de l’art à opposer sur ce point fauvisme et cubisme. Hoog reproche à

300 Zeiger-Viallet, « Billet de Paris », Sisteron-Journal, 75e année, no 1504, 1er mars 1975, p. 1. 301 Rodolphe Rapetti, Le Symbolisme, Paris, Flammarion, 2007, p. 118. 302 L’Académie Ranson est une école de peinture et de sculpture fondée à Montparnasse au 7 rue Joseph-Bara, en 1908, par le peintre Paul-Elie Ranson (1864-1909). Dans ce type d’académie indépendante, on prône une plus grande liberté de création en plus d’offrir une opportunité de formation sans précédent aux femmes artistes. L’Académie Ranson bénéficie de l’enseignement de plusieurs peintres nabis, dont Ranson, qui ont, à leur époque, fréquenté l’Académie Julian. Malgré les efforts déployés et les changements de direction, l’Académie Ranson ferme définitivement ses portes en 1955 pour des raisons financières. 303 Le terme de « nabi », d’un mot hébreu signifiant « prophète », est adopté en 1889 par de jeunes peintres indépendants qui veulent s’affranchir de l’enseignement traditionnel. Formé notamment de Paul Sérusier, Maurice Denis, Félix Vallotton, Ker-Xavier Roussel, Pierre Bonnard et Édouard Vuillard, ce groupe partage la même admiration pour le symbolisme littéraire, Paul Gauguin, Odilon Redon et les préraphaélites anglais. Voir Noémi Blumenkranz, « Nabi », dans Vocabulaire d’esthétique, p. 1111. 304 Noémi Blumenkranz, « Nabi », op. cit. 305 Waldemar-George, art. cit., p. 134. 306 Ibid.

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cette opposition binaire sa négation du caractère évolutif de l’art. Participant lui aussi au colloque Le Cubisme, l’historien de l’art Marcel Giry reprend cette idée en s’intéressant, entre autres, au problème du fauvisme comme source du cubisme. Réticent, pour sa part, à utiliser un terme tel que « pré-cubisme », Giry appuie tout de même l’idée selon laquelle la loi de la continuité historique n’épargne pas le cubisme, indépendamment de ses innovations307. Pour lui, tout artiste qui a été témoin ou acteur des mouvements artistiques précédant le cubisme en a certainement subi les influences. Dans la perspective de notre mémoire, c’est le cas de Rij-Rousseau et il nous semble donc logique de comparer son parcours à celui d’artistes comme Braque et Derain. Si L’Estaque (1906) (fig. 36) du premier montre qu’il étudia minutieusement la touche néo-impressionniste308, particulièrement celle qui caractérise les surfaces fragmentées et vibrantes des œuvres de Collioure (André Derain, Port de Collioure, le cheval blanc, 1905 (fig. 37))309, certaines esquisses de Rij- Rousseau, telles que Bord de rivière (fig. 38), rappellent ce même emploi lumineux des couleurs primaires. Il y a là, peut-être, des traces persistantes des années de formation de Rij-Rousseau sur sa production des années 1920.

De ses enseignants à l’Académie Ranson, celui qui aura le plus d’ascendant sur Rij- Rousseau est sans doute Paul Sérusier310. Si nous avons déjà abordé les théories relatives à la construction de l’œuvre développées par ce dernier, il est aussi possible que ses réflexions sur les règles régissant la répartition de la couleur aient marqué Rij-Rousseau. En effet, Sérusier est convaincu que les impressionnistes utilisaient en vain les couleurs pures en mélange optique afin d’éviter la perte lumineuse des tons rompus311. Il propose, dans une logique similaire à celle formulée par Gleizes et Metzinger, de ne pas mélanger les couleurs de la gamme froide à celle de la gamme chaude, mais d’employer plutôt deux palettes distinctes au moment de peindre. Chez Sérusier, cette technique a pour objectif d’éviter l’impureté du « gris sale qui [selon lui] a dominé la peinture du XIXe siècle312 ».

307 Marcel Giry, « Le style géométrique dans la peinture vers 1907. Contribution au problème du fauvisme comme source du cubisme », dans Le cubisme. Actes du premier colloque d’Histoire de l’Art Contemporain, p. 29. 308 Dans Les Peintres cubistes, Apollinaire écrit à propos de l’apparition du cubisme : « Cette esthétique nouvelle s’élabora d’abord dans l’esprit d’André Derain. » Guillaume Apollinaire, les Peintres cubistes, p. 22. Cité dans John Golding, Le Cubisme, Paris, Éditions René Julliard, 1968, p. 260. 309 Sarah Whitfield, Le Fauvisme, Londres, Thames and Hudson Ltd, 1997, p. 136. 310 Rij-Rousseau développe avec Sérusier une franche amitié dont témoignent des œuvres réalisées à Paris et à Pont-Aven (Le Bois de Kermoal, 1910). 311 Paul Sérusier, ABC de la peinture : suivi de Fragments de lettres et propos sur l’histoire, la théorie et la technique artistique, La Rochelle, Rumeur des âges, 2015 (1921), p. 21. 312 Ibid.

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Évidemment, le peintre n’est pas le premier à préconiser un emploi particulier des gammes chromatiques. Comme il est noté dans Cubisme et culture, les peintres académiques avaient déjà abordé la question. Il est couramment enseigné, à l’Académie des Beaux-Arts, que les couleurs chaudes (rouge, orange, jaune), semblant s’avancer vers l’œil du spectateur, doivent être posées sur le premier plan et les couleurs froides, qui produisent l’effet inverse, sur les objets plus éloignés313. Bien qu’il soit difficile d’affirmer que Rij- Rousseau suit à la lettre ces instructions, sa manière de cantonner certaines couleurs à des zones clairement définies paraît traduire un souci de respecter cette opposition. Ce n’est toutefois pas toujours le cas. Rappelons que dans Les Jockeys (fig. 7), les nuances chaudes et froides se retrouvent sur chacun des plans, opposées à leur complémentaire. Il semble alors juste de considérer que c’est principalement dans l’organisation des rapports des complémentaires entre elles que Rij-Rousseau innove. Par ailleurs, elle ne semble pas aussi réfractaire aux couleurs rompues que Sérusier. Un extrait des notes rédigées par Rij- Rousseau est expressément consacré aux « gris » créés par le mélange des couleurs des gammes chaudes et froides. L’artiste y organise les rapports de complémentaires entre elles et réserve une place de choix aux gris colorés obtenus par leur mélange314. Au bas d’une page, nous pouvons lire : « Un excellent ton de gris est celui qui a pour base le vert émeraude c’est une coul[eur] d’une finesse extrême, excellent p[ou]r les gris lumineux pour les ciels315. » C’est probablement pourquoi nous retrouvons un usage fréquent des jeux de tons dans ses productions.

3.4.1. Le règne de la couleur

L’évidente importance de la couleur dans des œuvres de facture « cubisante » exposées dans des Salons d’avant-guerre s’est avérée un casse-tête pour plusieurs théoriciens de la peinture. Apollinaire, parmi les premiers, exprime ce problème dans ses Méditations esthétiques. L’éminent critique propose alors d’enrichir la définition du cubisme de catégories ciblant de nouvelles formes d’expression colorée. Il suggère de baptiser l’une

313 Antliff et Leighten, op. cit., p. 55. 314 Rij-Rousseau établit une liste de couleurs et leur adjoint la « recette » servant à créer leur complémentaire. Elle ajoute à cette liste les mélanges nécessaires à la réalisation des gris. Au vert, par exemple, elle associe une complémentaire de violet rouge, composé de 6 parts de violet pour 4 parts de rouge. En mélangeant le vert et le violet rouge, on obtient, selon ses propres termes, « le gris pour le vert ». 315 Extrait d’un cahier de notes de Rij-Rousseau (Archives Rij-Rousseau).

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de ces variantes « orphisme316 ». Cette appellation, explique-t-il, réunit des peintres de caractère assez différent qui tous, dans leurs recherches, sont arrivés à une vision plus intérieure, plus poétique de l’univers et de la vie317. Il présente l’orphisme comme le résultat d’une évolution lente et logique de l’impressionnisme, du divisionnisme, de l’école des Fauves et du cubisme318. Tous ces courants, de fait, marquent l’évolution artistique de Rij-Rousseau.

Selon Apollinaire, l’orphisme constituerait une nouvelle étape, plus vivante, plus riche dans l’histoire de l’art. Sur un ton presque prophétique, il écrit à la fin du mois de mars 1913 : « Si le cubisme est mort, vive le cubisme. Le règne d’Orphée commence319. » À une époque où le vibrisme de Jeanne Rij-Rousseau n’en est peut-être qu’à ses balbutiements, un tel changement de direction n’est pas négligeable. Le principal représentant de ce nouveau cubisme coloré décrit par le poète est Robert Delaunay. C’est, d’ailleurs, en réponse à la découverte d’œuvres telles que Fenêtres (1912), où Delaunay met de l’avant son idée de donner une forme plastique à la lumière, qu’Apollinaire juge nécessaire de redéfinir les catégories du cubisme. Au début de la carrière de Delaunay, les théories de la couleur du chimiste Michel-Eugène Chevreul (1786-1889) et les écrits du physicien Odgen Nicolas Rood (1831-1902) servent de fondation à son esthétique « divisionniste »320. Comme les néo-impressionnistes avant lui, Delaunay se passionne pour le contraste des couleurs.321 Il nous semble vraisemblable, considérant l’accessibilité des ouvrages de Chevreul et de Rood et leur impact sur le développement de nombreux peintres, que Rij- Rousseau, elle aussi, les ait lus. Georges Roque, philosophe et historien de l’art spécialisé dans les théories de la couleur, s’est intéressé aux écrits de Chevreul et à leur relation avec la pratique des peintres, particulièrement aux XIXe et XXe siècles. Dans un ouvrage récent, il propose une étude approfondie des recherches du chimiste et de son influence sur des

316 Ce nom fait sans doute référence à son poème Orphée de 1908. Ce texte traite de poésie pure, sorte de « langage lumineux » auquel Apollinaire semble associer les jeux colorés de Robert Delaunay. 317 Guillaume Apollinaire, « Le Salon des Indépendants », L’Intransigeant, 33e année, no 11941, 25 mars 1913, p. 2. 318 Ibid. 319 Guillaume Apollinaire, « Le Salon des Indépendants », Montjoie !, 29 mars 1913. Voir Guillaume Apollinaire, Chroniques d’art, 1902-1918, Paris, Gallimard, 1993 (1960), p. 383. 320 Ogden Nicolas Rood publie en 1879 Modern Chromatics où il démontre que la couleur est composée de trois paramètres : la pureté, la luminosité et la couleur. Il travaille également en collaboration avec James Maxwell et Eugène Chevreul. Contrairement à ce dernier, Rood s’intéresse aux couleurs optiques et aux seules couleurs pigments. Sur l’importance de ces théories pour le cubisme voir notamment John Golding, op. cit., p. 336. 321 Serge Fauchereau, Le Cubisme : une révolution esthétique, sa naissance et son rayonnement, Paris, Flammarion, 2012, p. 140.

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générations d’artistes322. Des théories développées par Chevreul, celles sur la complémentarité et les effets subjectifs de la perception de la couleur sont, selon nous, les plus susceptibles d’avoir attiré l’attention de Rij-Rousseau.

Appelé en 1824 comme chimiste aux Manufactures royales de tapisseries et de tapis des Gobelins, Chevreul est confronté à des clients mécontents qui reprochent à certaines couleurs leur manque de stabilité et aux noirs leur manque de profondeur. Chargé de la qualité des teintures, il examine la source de ces critiques. S’il reconnaît les problèmes de stabilité de certains bleus, violets et gris, il n’arrive pas aux mêmes conclusions quant à la vigueur défaillante des noirs323. Le chimiste cherche alors à comparer ses produits à ceux d’autres ateliers, mais ne leur trouve pas de lacune supplémentaire324. À ce moment, il a une révélation. Il écrit : « Je vis que le défaut de vigueur reproché aux noirs tenait à la couleur qu’on y juxtaposait, et qu’il rentrait dans le phénomène du contraste des couleurs325. » Roque explique la portée de la découverte en ces mots : « Cette hypothèse allait entraîner un changement total d’orientation dans ses recherches. […] il découvrit, grâce à l’application systématique de sa méthode, qu’en réalité le problème qui lui était soumis n’était pas d’ordre chimique, mais psychophysiologique326. » Cette constatation constitue la base des recherches de Chevreul sur la Loi du contraste simultané des couleurs. Il ne s’agit plus seulement de reproduire telle lumière ou telle nuance, mais de tenir compte des interactions entre les couleurs et de l’effet de ces interactions sur la perception du spectateur. On connaît bien l’impact de ces théories sur les impressionnistes et les néo-impressionnistes, mais son rapport avec le vibrisme de Rij-Rousseau gagne à être mis en relation avec l’art de certains confrères et consœurs de l’artiste qui nous intéressent ici. Nous avons choisi, parmi les peintres passionnés, comme Rij-Rousseau, par les théories de la couleur, de nous attarder à deux d’entre eux, également reconnus pour avoir traité du sport dans leurs œuvres : Robert Delaunay et Fernand Léger.

322 Georges Roque, Art et science de la couleur : Chevreul et les peintres, de Delacroix à l'abstraction, Paris, Gallimard, 2009. 323 Ibid., p. 59. 324 Ibid. 325 Ibid., p. 60. 326 Ibid.

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Au nom d’orphisme utilisé pour désigner son art, Delaunay préfère celui de « simultanisme », hérité des leçons d’optique professées par Chevreul327. Comme l’explique l’historien de l’art Serge Fauchereau, Delaunay cherche à désigner par ce terme, outre une façon de traiter les couleurs, une façon de traiter des thèmes328. Bien qu’Apollinaire semble se concentrer avant tout sur les couleurs de Delaunay, il n’en demeure pas moins que le critique qualifie, en 1913, L’Équipe de Cardiff (fig. 22) de « toile la plus moderne du Salon329 ». Pour Apollinaire, il y a dans le mouvement que donne le peintre à ses œuvres, une qualité difficilement égalée. Il écrit : « Rien de successif dans cette peinture où ne vibre plus seulement le contraste des complémentaires découvert par Seurat, mais où chaque ton appelle et laisse s’illuminer toutes les autres couleurs du prisme330. »

Contrairement aux œuvres diaprées de Delaunay, les compositions de Léger se limitent généralement aux couleurs primaires. Dès 1912, la peinture de Léger évolue toutefois, elle aussi, par l’intermédiaire de la théorie des contrastes331. Chez lui, la fragmentation des formes issue du cubisme se transforme en une recherche systématique d’opposition des éléments picturaux, ayant pour but de faire surgir une dynamique propre à la toile. Il réalise une série d’œuvres qu’il nomme « Contrastes de formes », expression abrégée de « contrastes de formes et de couleurs ». Pour Léger, l’emploi de couleurs non mélangées devient une façon d’exprimer la modernité. Il est d’ailleurs intéressant de mentionner qu’à la fin de sa carrière, Léger exploite à son tour le thème du cyclisme dans des compositions où les masses de couleurs primaires se voisinent. Dans une logique s’apparentant à celles de Delaunay et Léger, Rij-Rousseau utilise les couleurs pures, non pas pour parvenir à une vision unifiée obtenue par mélange optique, mais, plutôt, pour parvenir aux contrastes les plus forts et les plus lumineux possible. Comme le démontre la Loi du contraste simultané de Chevreul, la contiguïté des couleurs influe sur la perception de chacune d’entre elles, puisque l’œil est toujours à la recherche de la complémentaire332.

327 Pascal Rousseau, « Simultanisme » dans Dictionnaire du cubisme, p. 723. 328 « […] C’est bien ce qui frappe en effet dans une toile comme L’Équipe de Cardiff : outre les contrastes de couleurs, une juxtaposition d’éléments divers que l’œil ne pourrait dans la réalité embrasser simultanément : les joueurs de rugby, un avion, des placards publicitaires, la tour Eiffel, la Grande Roue. » (Serge Fauchereau, op. cit., p. 141). 329 Guillaume Apollinaire, « À travers le Salon des Indépendants », Montjoie !, 18 mars 1913 ; Chroniques d’art, 1912-1918, p. 380). 330 Ibid. 331 Léger et Delaunay travaillent très près l’un de l’autre au cours de ces années. Voir John Golding, op. cit., p. 341. 332 Pascal Rousseau, « Simultanisme », dans Dictionnaire du cubisme, p. 723.

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La particularité de Rij-Rousseau nous semble résider en partie dans le choix de conserver la perspective linéaire comme premier ordre structurant de ses œuvres. Chez Delaunay la profondeur est avant tout engendrée par la perspective des couleurs. Celles-ci sont à la fois forme et sujet et assurent la construction autonome du tableau333. Là où Rij-Rousseau et lui se rejoignent, c’est dans l’utilisation d’aplats de couleurs juxtaposées qui, par l’interaction de leur contraste, engendrent vibrations et mouvement334.

3.4.2. La querelle du simultanisme

Une fois de plus, le dynamisme des œuvres de Rij-Rousseau impose un rapprochement entre vibrisme et futurisme italien. Il est d’ailleurs significatif de constater que, des rares ouvrages qui mentionnent Rij-Rousseau, l’un des plus récents est justement consacré à l’étude de cette mouvance. Dans Qu’est-ce que le futurisme ?, l’historien de l’art spécialiste du futurisme italien Giovanni Lista associe tout naturellement les recherches de Rij- Rousseau à celle des futuristes. Pour l’auteur, le vibrisme n’est qu’une manifestation de plus de l’influence des futuristes italiens sur les avant-gardes parisiennes. En fait, Lista prétend qu’exception faite de Picasso et de Braque, il est impossible, dès la fin de 1912, de qualifier uniquement de « cubiste » la peinture parisienne335. Le vibrisme serait donc – pour reprendre le néologisme du critique Marcel Boulenger – un « cubo-futurisme336 ». Si certaines des revendications de Lista nous paraissent contestables, voire exagérées, certains aspects de son interprétation nous semblent dignes d’intérêt.

L’hybridation « cubisme-futurisme » est proposée par Boulenger le 8 octobre 1912, soit la veille du vernissage du Salon la Section d’or, lors duquel Apollinaire présente son discours sur l’écartèlement du cubisme. Celle-ci n’est pas sans rappeler la catégorie du cubisme orphique337, proposée par le célèbre critique et représentée, entre autres, par

333 Ibid. 334 Ibid. 335 Giovanni Lista, Qu’est-ce que le futurisme? suivi de Dictionnaire des futuristes, Paris, Gallimard, 2015, p. 262. 336 Le critique Marcel Boulenger, dans l’édition du 8 octobre 1912 du Gil Blas rédige un article consacré à la situation de la peinture nouvelle intitulé « Causons de ces cubo-futuristes ». Par cela il officialise le terme, déjà en circulation dans les milieux de l’art pour définir la tendance générale de l’art à Paris, à cette date. Voir Lista, op. cit., p. 262. 337 Selon Lista, op. cit., p. 286, le nom « orphisme » donné par Apollinaire serait également inspiré des futuristes. Il explique que l’écrivain Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944), en 1912, republie dans le quatorzième tract futuriste diffusé à Paris un article d’Auguste Joly intitulé « Le Futurisme et la Philosophie » où le critique, après avoir visité l’exposition futuriste à Bruxelles, nomme explicitement les « orphiques » pour parler des futuristes

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Delaunay. Le concept même de « simultanisme », dont se réclame Delaunay, renvoie, selon plusieurs représentants du futurisme, aux explorations menées par le groupe au début des années 1910. L’article de Montjoie !, dans lequel Apollinaire associe « orphisme » et « peinture pure, simultanéité », provoque d’ailleurs une violente irritation chez les futuristes de Milan338. L’idée même qu’on puisse parler de « simultanéité » sans faire mention du futurisme scandalise le peintre et théoricien Umberto Boccioni. Quelques jours après la parution de l’article d’Apollinaire, Boccioni riposte en publiant dans la revue Lacerba un article intitulé « Les futuristes plagiés en France », où il revendique l’antériorité de l’usage du terme339. Celui-ci s’empresse d’écrire à son ami Gino Severini, installé à Paris, pour lui communiquer son mécontentement par rapport à cet emprunt, selon lui, évident340.

Or, si Boccioni tient à faire valoir la préséance des futuristes sur les recherches liées à la simultanéité, Lista dresse, pour sa part, une impressionnante liste d’innovations plastiques qu’il juge également redevables aux recherches italiennes. Selon ce spécialiste reconnu du futurisme, tous les éléments suivants proviennent directement du futurisme : les rythmes colorés, le vitalisme des dissonances chromatiques, les sujets urbains, les décompositions du mouvement, le fractionnement dynamique, les séquences cinématiques et les formes redoublées, entrelacées et interpénétrées. Toutefois, à la lumière des réflexions menées jusqu’ici, certaines de ces revendications nous semblent discutables. En particulier, nous nous interrogeons sur la filiation par trop directe que Lista établit entre la pratique de Rij-Rousseau et ce mouvement341. Lista affirme, en outre, que le néologisme « vibrisme » trouve son origine dans un article du critique Adolphe Basler, paru en 1912 dans Die Aktion342. Basler y écrit : « Les futuristes qui ont créé une nouvelle version du vibrisme combinée aux expériences des cubistes, ont interprété ces nouvelles aspirations de la peinture dans leurs œuvres de manière beaucoup plus originale que ne l’avaient fait Gleizes et Metzinger dans leur ouvrage Du cubisme [sic]343. » S’appuyant sur cette

en écrivant que le futurisme lui apparaît comme une « forme nouvelle du mysticisme ancien ». Voir Lista, op. cit., p. 286. 338 Guillaume Apollinaire, « À Travers le Salon des Indépendants », Montjoie !, 3e année, no 3, 18 mars 1913, p. 1 ; Chroniques d’art, 1912-1918, p. 380. 339 Pascal Rousseau, art. cit. 340 « C’est un déguisement de l’influence futuriste qu’ils ne veulent pas reconnaître. Chauvinisme! […] Tâte le terrain chez Picasso, Kahnweiler, à la Closerie des Lilas, Sagot, Canudo, Apollinaire. Ce qu’ils pensent de cet Orphisme, ce qu’ils en disent si on remarque que c’est notre influence ». Cité dans Severini, op. cit., p. 138. 341 Lista, op. cit., p. 263. 342 Ibid. 343 Adolphe Basler, Die Aktion. Cité dans Lista, ibid.

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remarque, Lista associe les tableaux présentés par Rij-Rousseau au Salon de la Section d’or à des principes cubo-futuristes. Selon lui, le vibrisme propre à notre artiste renvoie directement à la « vibration dynamique et entrecroisée des lignes et des profils » que les futuristes ont introduite en peinture en s’inspirant de Léonard de Vinci et de Marey344. D’abord, le manque de nuance de cette affirmation nous semble problématique dans la mesure où nous ignorons tout de l’envoi de Rij-Rousseau à la Section d’or de 1920. Ensuite, il semble que, pour Lista, toute notion de dynamisme présente dans le cubisme, voire tout art avant 1914, ne peut qu’être le fruit d’un contact avec le futurisme. Finalement, si Rij- Rousseau utilise le terme « vibrisme » dès 1911, comme le laisse supposer Vibrisme. Autoportrait, ce ne peut évidemment pas être dû à un article qui ne paraît qu’en 1912. En revanche, le fait qu’elle emploie (ou non) le mot « vibrisme » avant Basler n’empêche pas qu’elle ait pu être influencée par les futuristes.

À cet égard, il convient de reconnaître que le vibrisme de Rij-Rousseau emploie certaines solutions plastiques pouvant être liées aux idées exprimées par Boccioni345. Les réflexions de ce dernier, publiées au début mars 1914 dans un livre intitulé Dynamisme plastique. Peinture et sculpture futuristes346, sont résumées par Lista. Comme l’explique l’auteur, afin de circonscrire le champ opérationnel de ses théories, Boccioni introduit en particulier la distinction entre « le mouvement relatif et le mouvement absolu », c’est-à-dire entre la séquence du déplacement d’un corps à travers l’espace et le travail de l’énergie au sein d’un corps immobile347. Pour souligner la différence des deux approches, Lista ajoute qu’« à la décomposition analytique du cubisme, qui implique la multiplicité mesurable et spatialisée de points de vue séparés, le futurisme oppose l’intuition de la vie énergétique de la matière […]. »348 Chez Rij-Rousseau, le travail dynamique de la ligne et de la couleur s’apparente, selon nous, à cette notion de « mouvement absolu349 ». Plutôt que de proposer des déformations ou des décompositions de la forme visant à traduire le mouvement de ses

344 Ibid. 345 Apollinaire signe en juin 1913 L’Antitradition futuriste. Manifeste synthèse qui rend justice à l’influence des futuristes, et particulièrement de Boccioni, sur l’art parisien. D’autres critiques, tels qu’André Salmon, continuent néanmoins de s’opposer à cette filiation. Voir Lista, op. cit. p. 414. 346 Bien que publié en 1914, ce livre présente essentiellement les principes de « dynamisme plastique futuriste » exposés en 1913 par Boccioni dans une série d’articles publiée dans la revue florentine Lacerba. Voir Lista, ibid., p. 414. 347 Ibid., p. 416. 348 Ibid., p. 417. 349 « En s’écartant du cubisme et en réagissant au futurisme, Jeanne Rij-Rousseau crée le vibrisme dont la théorie préconise la prise en compte de la valeur énergétique des couleurs et des ondes dynamiques qui se propagent à partir d’une forme ou d’un point immobile dans l’espace. » Lista, ibid., p. 557.

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sujets, Rij-Rousseau s’appuie principalement sur les interactions de la couleur pour insuffler à ses compositions un certain dynamisme. En cela, le traitement de Géo-Charles au Vélodrome d’Hiver (fig. 25) diffère des procédés favorisés par d’autres artistes. Comme le remarque l’historien de l’art Bernard Vere dans une analyse comparative d’œuvres sur le thème du cyclisme350, Metzinger, dans Au Vélodrome (fig. 28), dédouble des éléments de la composition, décomposant le mouvement selon une technique reprise à plusieurs occasions par les futuristes italiens351. Quant à lui, Boccioni abandonne la technique du dédoublement de la forme, devenue trop commune, et lui préfère un traitement fragmenté et coloré. Dynamisme d’un cycliste (fig. 26), bien que beaucoup moins lisible que Géo- Charles au Vélodrome d’Hiver, présente des teintes très vives et des oppositions de complémentaires qui appuient le dynamisme du dessin aux lignes éclatées.

Il est également intéressant de lier l’œuvre de Rij-Rousseau à un dernier tableau analysé par Vere : Course Cycliste (fig. 27) de Lyonel Feininger. Le traitement en facettes anguleuses que Feininger applique à ses sportifs rappelle quelque peu les triangulations du vibrisme. Bien que ce dernier schématise le corps des athlètes au point de les réduire à un assemblage de formes anguleuses beaucoup moins réalistes que ceux de Rij-Rousseau, nous remarquons dans sa manière de rendre les effets lumineux une fragmentation polygonale qui peut rappeler Géo-Charles au Vélodrome d’Hiver. Par exemple, les ombres sur le torse et les bras de Géo-Charles, de même que les reflets des estrades, découpent les aplats de couleurs en mosaïques de valeurs de tons. Lista observe, pour sa part, que le traitement privilégié par Feininger s’éloigne du rendu volumétrique des formes et rappelle davantage l’illustration ou la gravure352. Chez Rij-Rousseau, les corps ne subissent pas de simplification bidimensionnelle. Toutefois, la grille de fragmentation qui recouvre la surface de l’œuvre, malgré les contrastes entre les zones claires et les zones sombres, rompt parfois avec l’effet de trompe-l’œil et souligne la planéité du tableau. Chez Feininger, le sens tridimensionnel réside presque uniquement dans les structures prismatiques qui décomposent la surface en facettes géométriques353. Giovanni Lista associe aussi ce

350 Bernard Vere, « Pedal-Powered Avant-Gardes: Cycling Paintings in 1912-13 », The International Journal of the History of Sport, vol. 28, no 8-9, mai-juin 2011, p. 1157-1173. 351 Vere mentionne également Le Cycliste de Natalia Gontcharova qui multiplie les lignes de contour du cycliste et de sa bicyclette. 352 Le même effet peut être observé dans ses Baigneurs sur la plage (1912) où l’harmonie du corps est rompue par le dessin en lignes brisées. Lista, op. cit., p. 565. 353 Ibid., p. 565.

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traitement de la lumière à l’approche de Boccioni354. Il semble donc qu’au contact du futurisme, le cubisme s’enrichisse de nouveaux moyens d’exalter le dynamisme de la vie moderne. En 1912, témoignant de cette évolution, le critique Olivier Hourcade note : « L’intérêt des toiles cubistes ne réside pas seulement dans la présentation des objets principaux, mais dans le dynamisme qui se dégage de la composition des toiles. […] Je proposerais même que le titre trop faux de cubisme que l’on donne à l’école de ces peintres soit remplacé par celui, plus juste, de dynamisme355. » Le cubo-futurisme, ici encore, semble répondre à cette recherche d’un nouveau titre pour qualifier la traduction du mouvement au moyen des procédés cubistes.

3.5. Ondes rythmiques

Lorsque le cubo-futuriste Severini, en 1913, explique l’évolution de sa pratique, il introduit dans le concept de dynamisme des considérations presque musicales. Il écrit : « […] par le contraste simultané des zones colorées, des lignes, des formes, je commençais à réaliser enfin la peinture du dynamisme total, des bruits et des sons. » Une nouvelle piste d’interprétation du vibrisme est tracée : la vibration sonore des ondes colorées. Dès le milieu des années 1880, l’idée d’une analogie entre musique et arts se trouve liée à l’introduction d’éléments non figuratifs dans la peinture. C’est notamment le cas chez Signac, qui prend l’habitude, dans la période où il tend vers le symbolisme, d’assortir les titres de ses œuvres à des indications de tempo et de numéros d’opus (Concarneau, Adagio, Opus 221. Calme, 1891, New York, Museum of Modern Art)356. Les références à la musique sont nombreuses dans les œuvres des artistes cubistes, mais, comme le remarque Christine Laloue, conservatrice en chef du Musée de la musique à la Cité musique-Philharmonie de Paris, la réflexion sur le cubisme et la musique ne doit pas se réduire à quelques exemples iconographiques, c’est-à-dire à la représentation d’éléments empruntés à l’univers de la musique357. Artistes et compositeurs se fréquentent et échangent dans les cercles culturels. Il n’y a qu’à penser à la collaboration des compositeurs du groupe des Six, ancien groupe

354 Ibid., p. 565-566. 355 Olivier Hourcade, Paris-Journal, 23 mars 1912. Cité dans Lista, op. cit., p. 263. 356 Rodolphe Rapetti, op. cit., p 160. 357 Christine Laloue, « Musique », dans Dictionnaire du cubisme, p. 506.

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des Nouveaux Jeunes, au vernissage de l’exposition de la Section d’or de 1920358. Comme l’explique Laloue : « s’est ainsi développée une théorie visant à l’adéquation art visuel-art musical, concernant une certaine mouvance du cubisme qui lie son et couleur, met en valeur le lyrisme et la perception directe de l’art par le spectateur359 ». Suivant ce raisonnement, le rapprochement entre vibrisme, cubisme et musique ne tient pas de la représentation d’une guitare ou d’un violon dans l’une ou l’autre des œuvres de Rij-Rousseau, mais davantage des composantes rythmiques qu’elle intègre à ses compositions. Le rapport entre art et musique dépasse donc le cadre du futurisme.

3.5.1. Synesthésies

L’association couleur-musique trouve également écho dans un état psychophysiologique particulier faisant qu’un individu peut éprouver des sensations colorées en entendant des sons. Ce phénomène neurologique hors du commun, appelé « synesthésie », inspire plusieurs artistes contemporains de Rij-Rousseau, dont Wassily Kandinsky et Henry Valensi, pour ne nommer qu’eux. Bien que Rij-Rousseau, à notre connaissance, ne possédait pas ce « don », la recherche de correspondances entre les couleurs et la musique n’en demeure pas moins une avenue intéressante à explorer pour comprendre ce qu’elle nomme le vibrisme. Les rapports entre son et couleur et, concrètement, entre peinture et musique, captivent les peintres cherchant à établir une théorie scientifique sous-jacente à leur art. Gauguin, par exemple, écrivait à ce sujet : « Pensez aussi à la part musicale que prendra désormais la couleur dans la peinture moderne. La couleur qui est vibration de même que la musique est à même d’atteindre ce qu’il y a de plus général et partant de plus vague dans la nature : sa force intérieure360. » Il y aurait donc dans l’étude des ondes lumineuses, comme dans celle des ondes sonores, une avenue à explorer afin de traduire le dynamisme de l’œuvre. En repoussant la compréhension de la couleur hors de ses limites habituelles, les artistes enrichissent leur pratique de nouveaux niveaux de lecture.

358 Laloue spécifie toutefois que, malgré leur association, aucun musicien ne peut être qualifié de « cubiste ». Laloue, op. cit. 359 Ibid., p. 507. 360 Paul Gauguin, « Mars 1899 », Lettres de Gauguin à André Fontainas, Paris, Librairie de France, 1921, p. 19.

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L’intérêt de Rij-Rousseau pour la musique a peut-être grandi au contact de son professeur Maurice Denis. Surnommé le « nabi polichrophilharmonique361 », Denis joint fréquemment les disciplines que sont la peinture et la musique, et n’hésite pas à décrire des œuvres picturales à l’aide de termes musicaux. À ce titre, le livre de l’historienne de l’art Delphine Grivel, consacré à l’aspect musical de la production de Denis, s’avère particulièrement utile à notre analyse362. S’il est vrai qu’un vocabulaire technique commun existe entre musique et arts plastiques, Denis se sert avant tout de cette ambivalence pour appuyer ses théories de la couleur. Rappelons que le chromatisme existe aussi bien en musique qu’en peinture, correspondant à la division de l’octave en intervalles égaux. De la même manière, le chromatisme en peinture désigne l’ensemble des couleurs divisées en tonalités. Déjà, en 1906, Denis écrit : « Le secret de la couleur, c’est peut-être le chromatisme. Musicalement? Il n’y a pas de couleur du contraste. C’est du rapprochement de deux couleurs de même valeur et voisines de ton que naît l’impression de couleur et que se détermine une tonalité363. » Denis poursuit : « Nous disions, après Verlaine, De la musique avant toute chose… et Delacroix n’avait pas attendu le symbolisme pour remarquer que l’essentiel n’est pas le sujet du tableau, mais la musique, l’émotion confuse que donnent les éléments proprement plastiques du tableau : suggérer au lieu de décrire364. » Le lien entre Denis et Rij-Rousseau nous semble encore plus probant lorsque ce dernier parle des « vibrations de surface » créées par les modulations de la teinte plate par la touche et le ton qui, dans la chapelle des Saints-Anges de Saint-Sulpice, enrichissent et vivifient la matière colorée365. Comme l’observe Grivel, « nous comprenons dès lors que “ la musique du tableau ” ne concerne pas les aspects figuratifs de la toile, mais bien l’agencement des formes et des couleurs en “ un certain ordre assemblés ” 366 ». Au milieu des années 1880, l’idée d’une analogie entre musique et arts se trouve liée à l’introduction d’éléments non figuratifs dans la peinture367. Le cubisme ne fait pas exception. Comme le souligne Françoise Lucbert : « l’un des courants les plus novateurs traversant la Section d’or de 1912 [est] la volonté d’ajouter mouvement, couleur et musique au cubisme plus orthodoxe que

361 Paul Ranson, Lettre à Maurice Denis, (1892). Cité dans Gilles Genty et Brigitte Ranson Bitker, Paul Ranson (1861-1909), japonisme, symbolisme, Art nouveau. Catalogue raisonné, préface de Caroline Boyle-Turner & Emmanuel Leroy Ladurie, Paris, Somogy, 1999, p. 399. 362 Delphine Grivel, Maurice Denis et la musique, Lyon, Symétrie, 2011. 363 Maurice Denis, Journal, tome II, p.47 (octobre 1906). Cité dans Grivel, op. cit., p. 205. 364 Maurice Denis, conférence présentée à Louvain le 23 janvier 1933. Cité dans Grivel, ibid. 365 Maurice Denis, « Delacroix à Saint-Sulpice », Le Correspondant, CCCXV, 25 juin 1929, p. 822-833. Cité dans Grivel, ibid., p. 206. 366 Maurice Denis, Histoire de l’art religieux, Paris, Flammarion, p. 287-288. Cité dans Grivel, ibid. 367 Rodolphe Rapetti, op. cit., p. 160.

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pratiquent alors Picasso et Braque368 ». Le vibrisme, par ses couleurs vives et ses effets de vibrations, semble s’inscrire dans cette quête d’innovation.

Dans le Journal des débats politiques et littéraires, à la suite de la tenue de l’exposition de Rij-Rousseau à la fin de l’année 1924, nous pouvons lire le commentaire suivant : « À la galerie Carmine, Mme Rij-Rousseau chante avec énergie la gloire du sport. Les mouvements se décomposent et la lumière semble vue à travers un prisme. Mais, dans le champ de la toile, tout s'ordonne sous l'action d'une volonté à laquelle il faut rendre hommage […]369. » Le vocabulaire choisi par le critique renvoie, ici, directement à l’univers de la musique. L’idée d’une prosodie de la couleur et de la ligne dans la peinture sportive de Rij-Rousseau évoque une réalité que nous n’avons qu’effleurée jusqu’ici. Si Rij-Rousseau est considérée comme une peintre de sport dans les années 1920, des compositeurs modernes tentent eux aussi de traduire la vitalité du sport dans leurs œuvres, rappelant, une fois de plus, les intérêts partagés par les peintres et les musiciens. Dans un article de 1927 paru dans L’Intransigeant, le critique Marcel Sauvage370 raconte les explorations musicales du compositeur suisse Arthur Honegger (1892-1955) sur ce thème371. Ce dernier est membre du groupe des Six, lequel contribue à la soirée d’ouverture de l’exposition de la Section d’or de 1920. Lorsqu’on demande à Honegger en quoi consistera sa pièce intitulée « Rugby », il répond : « Je voudrais non pas reconstituer, transposer, telle ou telle phase précise d’une rencontre officielle, mais tout simplement tenter d’exprimer dans mon langage de musicien l’action et la réaction, le rythme et la couleur d’un match comme on en note chaque semaine au stade de Colombes…372 ». Pensé comme une ode à l’exploit physique, Rugby, sous-titré « mouvement symphonique », traduit en musique l’atmosphère dynamique du match. Dans le langage qui est propre à chacun, Honegger et Rij-Rousseau tentent de rendre les mêmes aspects. Les staccati d’Honegger deviennent lignes brisées dans les toiles de Rij-Rousseau et les trompettes résonnent comme vibre l’éclat des couleurs pures.

368 Françoise Lucbert, « Henry Valensi », dans Cécile Debray et Françoise Lucbert (dir.), op. cit., p. 262. 369 P.F., « Les Petites Expositions », Journal des débats politiques et littéraires, 137e année, no 1, 1er janvier 1925, p. 4. 370 En 1920, Marcel Sauvage (1895-1988) fonde la revue Action aux côtés de Florent Fels. 371 Arthur Honegger pratique lui-même plusieurs sports, dont le football, le tennis et la nage. Parmi ses œuvres musicales sur des thèmes sportifs, notons sa collaboration avec Fernand Léger à la réalisation du ballet Skating Rink. 372 Marcel Sauvage, « Le Chant du match – Symphonie sportive », L’Intransigeant, vol. 48, no 17574, 1er décembre 1927, p. 2.

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3.6. Couleur rayonnante : Les Lutteurs (1924)

Pour comprendre la variété des propositions colorées développées par Rij-Rousseau, il convient de rendre compte d’un dernier aspect du traitement de la couleur dans les œuvres étudiées. À l’occasion, les scènes peintes par l’artiste semblent littéralement baigner dans la couleur, comme si elles étaient vues à travers des filtres colorés. Bien que ce ne soit pas tout à fait le cas de Géo-Charles au Vélodrome d’Hiver, ce rendu particulier peut être observé dans une autre composition à thème sportif : Les Lutteurs (fig. 39). Cette scène de sport présente un dynamisme inhérent au sujet, que la peintre a pris soin d’exalter par un traitement singulier de la lumière et de la couleur. Les Lutteurs, dont une illustration se retrouve en couverture du quotidien L’Auto, au mois de février 1924, sont reproduits dans différents médiums, notamment la tapisserie. La version tissée est exposée à la Galerie T. Carmine en 1924. Elle y reçoit un chaleureux accueil critique, comme il en va, par ailleurs, de l’ensemble des tapis et tapisseries de l’artiste lors de cet événement.

L’œuvre, comme son titre l’indique, présente deux lutteurs captés en pleine action. L’un s’agrippe à la nuque de son adversaire pendant que l’autre, campé fermement sur ses jambes, contrebute la poussée de son opposant373. Le visage de l’athlète de gauche, aux traits schématiques, cache celui de son adversaire. Leurs corps, joints dans le geste, forment des diagonales qui se rencontrent au centre de la composition. Dans l’une des études réalisées par Rij-Rousseau sur ce thème, le corps des lutteurs forme les arêtes d’un triangle presque parfait complété par la présence, à l’arrière-plan, d’une tour d’horloge au toit pointu (fig. 40). Le cadrage est serré sur l’action, au point de tronquer le pied droit d’un des lutteurs. Derrière, s’étire une ligne d’horizon ponctuée de structures géométriques difficilement identifiables. Les deux hommes revêtent le costume type du sportif : l’un est torse nu et porte un short, l’autre est vêtu d’un collant de lutte. Dans l’espace les séparant, un ensemble de sphères, vraisemblablement des poids, est déposé au sol. La signature de l’artiste, une fois de plus, est traitée comme un élément graphique. Elle s’intègre au réseau de lignes et de formes qui découpent la composition et devient un élément visuel à part entière.

373 Il est intéressant de mentionner que, selon une annotation de coupure de presse de la revue Montparnasse conservée dans les Archives Rij-Rousseau, les deux lutteurs représentés ne seraient nul autre que Marcel Hiver et Géo-Charles.

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Au-delà du sujet traité, la manière dont Rij-Rousseau joue avec la couleur et la lumière afin de souligner la tension de la scène est remarquable. L’œuvre est essentiellement composée de couleurs vives, arbitraires par endroits, donnant encore cette impression de regarder à travers du verre coloré. La tapisserie se découpe en prismes multicolores, dans une gradation allant de l’ocre au violet. Comme pour souligner l’affrontement entre les adversaires, la composition est marquée en son centre par la rupture entre une palette chaude à une plus froide. Ainsi, la carnation des lutteurs adopte des tons aux harmonies contraires, l’un dans des teintes rouges et dorées ; l’autre dans un camaïeu de rose violacé. À ce contraste chromatique s’ajoutent des effets de lumière qui, pour reprendre les mots de Coutant, donnent à ces « athlètes splendides, de musculature vigoureuse » un « éclat incomparable »374. Le corps des Lutteurs est en quelque sorte « sculpté » par les effets lumineux qui en marquent les volumes par des facettes géométriques claires ou sombres. La jambe droite du lutteur de gauche reçoit un traitement particulièrement audacieux. Les écarts de tons créés par le passage de rayons de lumière fractionne la couleur de cette dernière en une série de motifs triangulaires. Rij-Rousseau semble pratiquement habiller son lutteur avec un collant d’Arlequin. De tels jeux chromatiques déstabilisent, mais enchantent la critique :

Mais quand l’œil s'est acclimaté à ces couleurs heurtées et dures et à la bizarrerie des détails, il ne pourra s’empêcher d'admirer l'atmosphère singulièrement lumineuse, la lumière se répandant à flots et surtout l'éclat et le mouvement si recherché dans ces dernières années par les artistes désirant trouver une formule nouvelle375.

Ce traitement singulier de la lumière est décrit, dans le Le Petit Bleu, par un journaliste qui indique que Rij-Rousseau « fait passer des rayons rouges et bleus de projecteurs sur des aviateurs376 ». L’analyse que propose Lucbert dans La Section d’or : 1912-1920-1925, fait écho à cette remarque. Lucbert observe une parenté, ne serait-ce qu’esthétique, entre la technique de Rij-Rousseau et le rayonnisme de ses collègues de la Section d’or des années 1920, et Natalia Gontcharova377. La définition du rayonnisme proposée par l’historienne de l’art Dorothea Eimert rend d’autant plus pertinent un rapprochement entre

374 Henry Coutant, « Les Toiles et les tapisseries de Mme Rij-Rousseau », Ouest, 3 janvier 1925 (Coupures de presse Archives Rij-Rousseau). 375 Noussy, La Vie en chemin de fer, 15 février 1925 (Coupures de presse Archives Rij-Rousseau). 376 Auteur inconnu, Le Petit Bleu, 7 novembre 1922 (Coupures de presse Archives Rij-Rousseau). Le critique parle sans doute ici de l’œuvre L’Hydravion dont nous ne possédons malheureusement pas de reproduction couleur. L’œuvre est également reproduite dans le Crapouillot d’avril 1926 sous le titre Les Aviateurs. 377 Françoise Lucbert, « Jeanne Rij-Rousseau » dans Cécile Debray et Françoise Lucbert, dir., op. cit., p. 248.

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cette dernière esthétique et le vibrisme. Selon Eimert: « Le Rayonnisme rassemble les courants européens contemporains : le Cubisme et le Futurisme, en ce qu’il éclate et dynamise les surfaces, et l’Orphisme, en ce qu’il accomplit la dynamisation de la lumière par le contraste des couleurs378. » Ainsi, l’interprétation de Lucbert nous paraît particulièrement perspicace. Le rayonnisme englobe, à quelques exceptions près, toutes les influences abordées dans notre analyse du traitement vibriste de la couleur et de la lumière. Dans sa notice consacrée au rayonnisme dans Vocabulaire d’esthétique, la spécialiste des avant-gardes Noemi Blumenkranz explique que « les rayons de lumière contrariés ou parallèles créent des « formes-rayons » traitées en des plans transparents au moyen d’une couleur prédominante et de ses complémentaires »379. Selon Blumenkranz, le lyrisme découlant de ces « nouveaux objets immatériels » rendrait les toiles « comparables à des compositions musicales »380. De cette façon, les réfractions prismatiques qui morcellent les œuvres de Rij-Rousseau ponctueraient ses compositions comme des notations de rythme dans une partition, l’énergie des couleurs se propageant dans l’espace vibriste sous forme d’ondes rayonnantes. C’est probablement ce qui pousse le critique Gustave Kahn à écrire des tapisseries de Rij-Rousseau qu’elles sont « d’un bon effet sonore et neuf381 ».

L’enthousiasme que suscitent les tapis et tapisseries présentées par Rij-Rousseau à la Galerie T. Carmine est tout sauf anodin. À cette occasion, un critique de La Vie en chemin de fer, s’émerveille des « peintures de laine » de l’artiste, ces retranscriptions de tableau dans lesquelles « chaque coup de pinceau est fidèlement reproduit »382. Selon ce même critique, on retrouve dans les tapisseries de Rij-Rousseau « une profondeur, un velouté et une splendeur de coloris, dotant les teintes plates de la peinture de vibrations nouvelles et inattendues »383. La technique picturale vibriste développée au fil des ans par l’artiste semble atteindre tout son potentiel vibratoire dans le chatoiement de la fibre textile. Convertis en tapisseries, les tableaux de Rij-Rousseau s’enrichissent, selon Gustave Kahn, d’une « note neuve, intéressante et harmonieuse384 ». À l’occasion de l’Exposition des

378 Dorothea Eimert, L’Art du XXe siècle, New York, Parkstone international, 2016, p. 80. 379 Noemi Blumenkranz, « Rayonnisme », dans Vocabulaire d’esthétique, p. 1272. 380 Ibid. 381 Gustave Kahn, « Art. Exposition Rij-Rousseau: galerie Carmine », Mercure de France, 36e année, no 638, 1er janvier 1925, p. 506. 382 Auteur inconnu, La Vie en chemin de fer, 10 janvier 1925 (Coupures de presse Archives Rij-Rousseau). 383 Ibid. 384 Gustave Kahn, « Art », Mercure de France, 37e année, no 671, 1er juin 1926, p. 460.

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Décorateurs au Grand Palais, en 1926, le même critique souligne à ce titre la « richesse de relief » que confère la laine à la production de l’artiste385. À la lumière de ces commentaires, il n’est pas surprenant que l’une des récompenses les plus importantes remportées par Rij-Rousseau dans sa carrière soit pour une telle tapisserie. Rappelons-le, l’artiste remporte une médaille d’or pour sa tapisserie La Ville (fig. 1) à l’Exposition des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925. Lors de cet événement, on dit de la créatrice qu’elle « brûle de l’encens sur l’autel des sports » en « glorifi[ant] le ring dans un vigoureux panneau au point d’Aubusson »386. Ce virage décoratif que prend l’art de Rij-Rousseau dans les années 1920 permet à celle-ci, pendant un moment, d’obtenir la reconnaissance du monde de l’art parisien.

3.7. Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons réévalué l’idée avancée par Pogu selon laquelle c’est par l’emploi de teintes éclatantes que Rij-Rousseau se distingue des cubistes. Nous avons démontré que l’esthétique cubiste, malgré certaines phases durant lesquelles la palette se réduit considérablement, n’écarte pas l’utilisation de couleurs vives. Au contraire, comme nous avons pu le constater, dès 1910, la couleur gagne en importance chez plusieurs collègues de Rij-Rousseau. À ce titre, les scènes de sport richement colorées produites par Delaunay, Gleizes et, bien sûr, Rij-Rousseau nous ont semblé répondre à une volonté de représenter le dynamisme de la vie moderne. Par l’analyse de Géo-Charles au Vélodrome d’Hiver, nous avons mis en évidence que le morcellement de la surface permet à l’artiste de créer des effets colorés et lumineux qui dynamisent ses compositions. Sur la toile, les différentes zones de teintes complémentaires s’opposent entre elles. Les aplats de couleurs sont fragmentés en variantes de tons qui donnent à l’ensemble une impression de chatoiement lumineux. Cette technique que développe Rij-Rousseau témoigne d’expérimentations proches de celles des impressionnistes et sans doute inspirées de la Loi du contraste simultané des couleurs de Chevreul. Par l’intermédiaire de l’ouvrage de Lista, nous avons rapproché les procédés « vibristes » de ceux visant à traduire du mouvement chez les futuristes italiens. Nous avons constaté que le traitement dynamique de la lumière et de la couleur chez Rij-Rousseau rappelle le principe de mouvement absolu chez Boccioni.

385 Ibid. 386 Auteur inconnu, « Exposition des Arts décoratifs », 1925. (Coupures de presse Archives Ri-Rousseau).

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Considérant l’intérêt de plusieurs contemporains de Rij-Rousseau pour l’analogie entre art et musique, nous avons également tenté un rapprochement entre vibrations lumineuses et ondes sonores afin d’enrichir notre interprétation du vibrisme. Par l’analyse des Lutteurs, nous avons finalement abordé les cas particuliers où les œuvres de Rij-Rousseau semblent vues à travers des filtres colorés. Nous avons tissé un parallèle entre ce traitement particulier et le rayonnisme de Larionov et Gontcharova. Nous avons suggéré que les explorations colorées de Rij-Rousseau culminent dans le médium de la tapisserie. De fait, le chatoiement de la fibre textile y exalte les jeux de lumière mis en place par l’artiste et les couleurs semblent interagir avec encore plus d’intensité. Au terme de ce chapitre, il nous apparaît évident que le vibrisme se définit non seulement par sa structure fragmentée, mais également par un emploi de couleurs pures rehaussées par des variations de lumière.

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CONCLUSION

Ce mémoire avait pour objectif principal de remédier à l’oubli dans lequel a sombré Rij- Rousseau au fil des ans, en s’intéressant à sa pratique dans le cadre d’une étude universitaire. Nous souhaitions poser un regard objectif sur sa production des années 1920 afin de faire ressortir certaines des caractéristiques propres à son esthétique, dite « vibriste ». Nous aspirions, en outre, à remettre en question le rattachement de l’artiste au cubisme et à souligner les aspects originaux de sa pratique. Pour ce faire, nous avons analysé différentes œuvres à thème sportif, toutes réalisées vers 1924 : Les Courses, Les Rameurs, Géo-Charles au Vélodrome d’Hiver et Les Lutteurs. Ce choix s’explique, notamment, par l’importance de la thématique sportive dans la fortune critique de l’artiste. De plus, de tels sujets semblent incarner un aboutissement des recherches plastiques menées par Rij-Rousseau depuis le début du siècle jusqu’à ce moment où, rappelons-le, elle déclare ne plus chercher, mais réaliser387. Les œuvres sélectionnées, présentées lors d’événements marquants pour sa carrière, sont abondamment commentées dans la presse de l’époque. Ainsi, l’étude s’est appuyée sur l’analyse formelle et sur la réception critique de ce corpus. Tentant d’en formuler une première interprétation d’ensemble, nous avons soulevé des questions de nature historique, sociologique et esthétique. Nous avons employé une méthode comparative : l’examen des rapports entre la production de Rij-Rousseau et d’autres œuvres, contemporaines ou antérieures, traitant d’un même sujet ou présentant une parenté stylistique, a permis de lier la notion de « vibrisme », développée par l’artiste elle-même, à différents courants présents dans le paysage culturel de l’époque.

Au début de cette recherche, nous avons posé l’hypothèse que l’épithète cubiste, à elle seule, ne suffisait pas à rendre compte de la variété des recherches structurelles et chromatiques ayant mené à la création de l’esthétique vibriste. Nous avons donc questionné les assises contextuelles et plastiques sur lesquelles s’appuie cette association fréquente de Rij-Rousseau au mouvement cubiste. Nous avons montré que la production de l’artiste, ressemblant sur ce point à celle de plusieurs cubistes, évolue

387 Jeanne Rij-Rousseau, « Jeanne Rij-Rousseau : À propos de mon travail », dans Elga Kern, Führende Frauen europas, Munich, Verlag von Ernst Reinhardt, 1930, p. 128.

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rapidement et s’enrichit de nouvelles influences dont il faut tenir compte afin d’être en mesure de définir ce qu’est le vibrisme.

Mais il fallait d’abord situer Rij-Rousseau dans son milieu artistique et littéraire. Le premier chapitre a, d’une part, retracé les événements menant à sa participation à l’exposition parisienne de l’association la Section d’or de 1920. D’autre part, l’étude du tableau Les Courses, réalisée à un moment charnière de sa carrière, a mis en évidence le discours des critiques d’art sur l’artiste. L’incident qui accompagne l’envoi des Courses au Salon des Tuileries de 1924 consolide les relations développées par l’artiste dans les décennies précédentes et contribue activement à sa reconnaissance. La remarquable vague de solidarité que lui témoignent collègues et amis légitime sa pratique et favorise sa visibilité. À la fin de la même année, la première exposition solo de Rij-Rousseau à la Galerie T. Carmine profite de ce battage médiatique et retient l’intérêt de la presse. Cette période d’effervescence se poursuit, avec une diminution graduelle, jusqu’au début des années 1930. Ce sont, dès 1924, ses œuvres à thème sportif qui reçoivent l’accueil le plus chaleureux et qui inspirent les commentaires les plus nombreux. Le chapitre 1 a servi à contextualiser la fortune critique de Rij-Rousseau. Les chapitres 2 et 3 se sont ensuite attachés à l’analyse des caractéristiques plastiques de sa production à thème sportif. En voici les principales conclusions.

Au contact de certaines figures de proue de la modernité artistique européenne, Rij- Rousseau développe un style très coloré qui semble emprunter au cubisme ses surfaces géométriques et fragmentées. Auprès de ses enseignants de l’Académie Ranson, Paul Sérusier et Maurice Denis, elle poursuit sa formation professionnelle et s’intéresse à de nouveaux éléments plastiques. Durant ces mêmes années, Rij-Rousseau fréquente des cercles variés et tisse des amitiés sincères avec nombre de peintres, poètes et écrivains de Montmartre. Progressivement, on devine qu’elle devient elle-même une figure active de la scène artistique parisienne. Nous avons tenté de recomposer virtuellement le réseau au sein duquel elle évolue alors. Nous avons constaté à quel point ses nombreuses relations – que ce soit avec les artistes du Bateau-Lavoir, que lui présente son ami Juan Gris, ou avec les collaborateurs de SIC, rassemblés autour de Pierre Albert-Birot – lui sont profitables. Nous avons tenté de réexaminer la participation de Rij-Rousseau à l’aventure cubiste à la lumière de ses collaborations avec certains acteurs influents de l’avant-garde parisienne. Nous avons observé que sa participation à la Section d’or de 1920, bien qu’elle marque son association la plus concrète à un projet lié à l’histoire du cubisme, repose

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partiellement sur un concours de circonstances. Par ailleurs, elle semble se joindre in extremis à l’exposition parisienne, et ne participe pas à l’itinérance du projet. Néanmoins, sa présence au sein du groupe contribue certainement à cristalliser, dans l’esprit de ses contemporains, son rapport au cubisme.

À travers l’étude des remarques formulées par les critiques d’art sur la production de Rij-Rousseau, le deuxième chapitre a ouvert une série d’analyses formelles, qui se sont poursuivies au chapitre suivant. Il nous a semblé logique de débuter cette partie par des questions d’ordre structurel. L’étude de la manière dont Rij-Rousseau construit ses œuvres, de ses inspirations cubistes jusqu’au développement d’un style plus personnel, s’est organisée autour de la toile Les Rameurs. Une comparaison entre l’esquisse préliminaire du tableau et une reproduction de la version peinte a mis en lumière les différentes étapes menant à l’établissement de la structure « vibriste ». Nous avons constaté que la fragmentation du tableau, ici, ne répond pas au processus de déconstruction de l’image propre aux compositions cubistes de Braque et de Picasso. Au lieu de morceler la surface en profondeur pour faire éclater les objets autant que la perspective, Rij-Rousseau fragmente certains éléments du tableau sans détruire le motif. Demeurant en surface, une telle fragmentation peut s’observer dans Les Rameurs. Malgré une structure en apparence éclatée, la construction repose sur des principes classiques de perspective linéaire et de profondeur illusionniste. Alliant habilement tradition et modernité, l’artiste superpose un ensemble de diagonales au schéma constructif de l’œuvre. En résulte un morcellement superficiel du motif en une multitude de petites facettes polygonales. Cette « grille » semble répondre à des règles d’équilibre et de construction proches des théories développées par Sérusier.

En étudiant le dessin intitulé Vibrisme, paru dans la revue SIC, nous sommes arrivée à la conclusion que les procédés vibristes ne résident pas uniquement dans l’interaction des couleurs entre elles, mais également dans les vibrations lumineuses préliminairement réfléchies et organisées dans le dessin. En ce sens, les recherches vibristes peuvent se concrétiser dans des œuvres monochromes. Rij-Rousseau emploie alors des hachures pour souligner les écarts entre les différentes zones. En découpant la surface en facettes géométriques, elle multiplie les jeux de lumière résultant de l’opposition de valeurs de tons. La juxtaposition de petites zones d’intensité lumineuse variable procure à l’ensemble un effet de vibration optique. Le dynamisme visuel généré par ces procédés nous a permis de tisser un parallèle entre vibrisme et cubo-futurisme,

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langage hybride empruntant des éléments à la fois au cubisme et au futurisme italien. En effet, le fractionnement de surface chez Rij-Rousseau n’est pas étranger au « divisionnisme de la forme » développé par le peintre Gino Severini. Nous avons constaté que, dans les deux cas, le morcellement de la structure concentre le pouvoir de la lumière et des couleurs.

Le troisième et dernier chapitre avait pour objectif de comprendre la relation entre structure, lumière et couleur. Les effets de vibration mis en place dans Géo-Charles au Vélodrome d’Hiver et Les Lutteurs procèdent d’une application particulière de la couleur à l’intérieur d’un cadre structurel préalablement établi. La couleur revêt d’ailleurs un rôle fondamental dans les recherches plastiques de Rij-Rousseau. Rappelons que c’est son emploi de couleurs vives qui choque au Salon des Tuileries de 1924. Nous avons montré que les teintes éclatantes privilégiées par l’artiste sont communes à plusieurs peintres dès 1910. Leur palette richement colorée répond à la volonté de représenter la vie moderne et le dynamisme de la ville. Il n’est donc pas étonnant de constater que parmi les nombreuses œuvres représentant l’univers du sportif, plusieurs toiles cubistes arborent des teintes saturées et contrastées. Rij-Rousseau ne fait donc pas exception avec son tableau Géo- Charles au Vélodrome d’Hiver, dont les teintes acidulées accentuent l’énergie inhérente aux courses vélocipédiques. En choisissant un tel thème, l’artiste rend compte de l’importance de ce phénomène social et sportif clairement associé à l’idée de modernité. Sur la toile, les oppositions de complémentaires et les variantes de tons donnent une impression de chatoiement lumineux. Sensible à la technique impressionniste, où la lumière est rendue par la juxtaposition de touches de couleur pure, Rij-Rousseau délaisse toutefois la tache pour privilégier la facette géométrique. Cette modulation de la forme correspond aux réflexions des théoriciens Gleizes et Metzinger qui suggèrent, dans Du « Cubisme », de « dégrader » la couleur pour éviter d’en corrompre la luminosité.

Comme plusieurs générations d’artistes avant elle, Rij-Rousseau trouve dans les théories de Chevreul et de Rood une source d’inspiration pour développer son usage de la couleur. Chez elle, il ne s’agit plus seulement de mélange optique ou d’oppositions marquées de complémentaires, mais bien de tension entre les éléments colorés et, ultimement, de vibration. En cela, sa technique s’apparente à celle de certains de ses confrères, dont Robert Delaunay, également adepte des théories de Chevreul. En revanche, les procédés vibristes ne répondent pas à la simultanéité prônée par Delaunay ; ils rappellent davantage les contrastes de formes proposés par Fernand Léger, voire les

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« rayons » de lumière colorée qui donnent leur nom au rayonnisme de Mikhail Larionov et Natalia Gontcharova. Par ailleurs, la notion de vibration incite à un nouveau rapprochement avec le futurisme italien. Le concept même de vibrisme rappelle les théories du mouvement absolu et relatif d’Umberto Boccioni. Cependant, contrairement aux futuristes, Rij- Rousseau ne dédouble pas les formes pour suggérer le mouvement d’un corps dans l’espace. Le dynamisme de ses tableaux à thèmes sportifs tient surtout des diagonales qui structurent la composition et des effets de vibration suscités par la manière d’appliquer la couleur. Nous avons même émis l’hypothèse que ces vibrations colorées comportent une certaine musicalité, qui n’est pas peut-être pas sans lien avec les échanges évidents entre musiciens et artistes au sein de la Section d’or.

Au terme de notre recherche, il semble clair que, dans les années 1920, le lien entre Rij-Rousseau et cubisme demeure fondamental, puisqu’il permet de reconnaître l’influence des expérimentations cubistes sur l’évolution de son esthétique. Pour autant, il ne peut plus être envisagé comme l’unique épithète pour décrire sa pratique. La fragmentation de la surface en facettes géométriques, trace la plus évidente d’un passage de l’artiste dans le cubisme, ne suffit pas à rendre compte de la spécificité de sa démarche. Celle-ci semble reposer avant tout sur une recherche d’interactions lumineuses et colorées, dans laquelle le morcellement de la forme joue un rôle relativement accessoire. En abordant la pratique de Rij-Rousseau à travers le prisme du cubisme, nous avons interrogé la place des figures plus hétérogènes de l’histoire de l’art dans le grand récit des avant-gardes européennes. En développant une pratique « vibriste » qui emprunte des éléments au cubisme, mais sans s’y limiter, l’artiste a su se démarquer par une production originale dont nous avons souhaité démontrer l’intérêt. Puisque notre étude s’appuyait principalement sur l’étude d’œuvres, mais que l’accès à celles-ci demeure à ce jour difficile, il est certain que nous ne pouvons que spéculer sur certains éléments qu’il aurait fallu observer au contact des toiles originales. En ce sens, l’état embryonnaire des recherches sur Rij-Rousseau ne nous a pas permis de tracer un portrait complet de son parcours professionnel ou du développement de son style. Il s’agit, néanmoins, d’un premier pas vers la réintégration de Rij-Rousseau à l’histoire de l’art moderne.

Ce mémoire poursuivait aussi un objectif parallèle: valoriser l’apport artistique d’une peintre aujourd’hui oubliée et améliorer la visibilité d’une artiste de sexe féminin. Nous avons réalisé une analyse formelle détaillée afin d’inscrire Rij-Rousseau dans l’histoire de la modernité artistique. L’apport de notre recherche à la connaissance de l’artiste réside à

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ce niveau : elle offre une réévaluation des spécificités de son œuvre au sein des divers courants d’avant-garde du XXe siècle en général, et du cubisme en particulier. Le contexte singulier des avant-gardes artistiques, bien qu’il présuppose une liberté nouvelle et sans borne, semble continuer d’occulter la contribution des femmes. Comme le souligne l’historienne de l’art Gill Perry, bien que les recherches féministes en histoire de l’art aient pu valoriser l’apport de femmes à l’impressionnisme ou à l’art de la fin du XIXe siècle, il reste beaucoup à faire dans le cas de leur participation au fauvisme et au cubisme388. En cela, notre étude contribue au mouvement de réhabilitation et de réinsertion des femmes dans l’histoire de l’art français amorcé depuis quelques décennies.

D’un point de vue féministe, il y aurait beaucoup à dire sur le rapport de Rij- Rousseau à la décoration et son accomplissement dans cette sphère particulière de l’art. Il resterait à aborder dans toute sa complexité psychologique, sociologique, et même, philosophique, le contexte historique de sa production en arts appliqués. Si ses tapisseries, par exemple, lui valent de son vivant un certain succès, il est possible, paradoxalement, que le caractère décoratif de sa pratique l’ait éloignée de la reconnaissance de l’histoire de l’art moderne du XXe siècle. Comme le remarque Perry, parmi les figures féminines exclues ou marginalisées par l’histoire de l’art traditionnelle, nombreuses sont les artistes qui, en plus de la peinture, pratiquent les arts décoratifs389. Trop souvent, leur apport à l’art de leur époque a par la suite été réduit à cette catégorie d’art, encore jugée secondaire par rapport à la peinture ou à la sculpture390. Il serait, à ce titre, intéressant de nous pencher sur la participation active de Rij-Rousseau à des regroupements de femmes artistes. L’historienne de l’art Tamar Garb souligne à cet effet la dynamique sociale particulière qui encourage les artistes femmes à devenir membres de groupes séparatistes, telle l’Union des Femmes Peintres et Sculpteurs391 ou, dans le cas de Rij-Rousseau, le Peintres Françaises, dont elle est elle-même la fondatrice. Nous n’avons pas été en mesure d’approfondir cette question digne, en soi, d’une étude poussée.

388 Perry, op. cit., p. 2. 389 Ibid. 390 Ibid. 391 Tamar Garb, « Reason and Resistance: Women Entry into the École des Beaux Arts », Sisters of the Brush : Women’s Artistic Culture in Late Nineteenth-century Paris, Yale University Press, New Haven and London, 1994, p. 70. Cité dans Perry, op. cit., p.13.

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Notre mémoire pourrait se prolonger sur de nombreuses pages, car nous n’avons pas pu traiter de toutes les questions que nous avons soulevées. Nous espérons toutefois avoir contribué à susciter un intérêt durable pour l’œuvre de Rij-Rousseau. Nous concluons ainsi cette étude sur la même note, pleine de promesses, formulée en 1977 par le journaliste Henri Zeiger-Viallet : « Nous en reparlerons le moment venu. Bientôt !392 »

392 E.-H. Zeiger-Viallet, « Billet de Paris », Sisteron-Journal, 77e année, no 1647, 26 octobre 1977.

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BIBLIOGRAPHIE

Étant donné le peu d’études portant sur Rij-Rousseau, nous avons choisi de présenter d’abord les rares documents (hormis les articles de presse) portant spécifiquement sur elle.

1. Sur Rij-Rousseau

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2. Sources primaires

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3. Sources secondaires

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121

ILLUSTRATIONS

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122

Figure 2. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Vibrisme. Autoportrait. 1911. Graphite sur papier, 61 x 45 cm. Collection particulière. Photo tirée de Huguette Ringuenet et al., Jeanne Rij-Rousseau (1870-1956), catalogue d’exposition (Blois, Musée de Blois, 6-29 juin 1959), Blois, Musée de Blois, 1959, n. p.

123

Figure 3. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Vibrisme (reproduction). 1917. Technique et dimensions inconnues. Photo tirée de SIC, no 13, janvier 1917, p. 3.

124

Figure 4. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Le Lecteur. Non daté. Huile sur toile, 72 x 53 cm. Photo tirée des Archives Rij-Rousseau.

125

Figure 5. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Les Courses (dits Les Deux Cavaliers). 1924 (?). Huile sur toile, dimensions inconnues. Photo tirée de Berthe Dangennes et André Salmon. Rij-Rousseau, Exposition de tableaux, tapis, tapisseries de haute lisse, catalogue d’exposition (Paris, Galerie T. Carmine, 31 décembre 1924), Paris, s.n., 1924, n. p.

Figure 6. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Les Courses (reproduction). Photo tirée de « À propos du tableau d’une Angevine », Ouest, 6 août 1924 (Coupures de presse Archives Rij-Rousseau).

126

Figure 7. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Les Jockeys. 1924. Technique et dimensions inconnues. Reims, Collection particulière. Photo tirée de [en ligne] , (page consultée le 10 mai 2019).

127

Figure 8. PICASSO, Pablo Ruiz. Guitare. 1912. Carton, papier, fil, corde, ficelle et câble. 65,4 x 33 x 19 cm. New York, Museum of Modern Art (MoMA). Photo tirée de Museum of Modern Art (MoMA), Pablo Picasso ; Guitar, [en ligne]. , (page consultée le 10 mai 2019).

128

Figure 9. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Les Rameurs. 1924. Huile sur toile, 250 x 190 cm. Photo tirée de René Edouard-Joseph et al., Dictionnaire biographique des artistes contemporains. 1910-1930 (Tome III), Paris, Art & édition, 1930-1934, p. 208.

129

Figure 10. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Les Rameurs. 1924. Fusain sur papier, 58 x 46 cm. Pennsylvanie, Philadelphia Museum of Art. Photo tirée de [en ligne] , (page consultée le 10 mai 2019).

130

Figure 11. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Guitare. 1908. Pastel sur papier, 46 x 67 cm. Boston, Museum of Fine Arts. Photo tirée de [en ligne] , (page consultée le 10 mai 2019).

Figure 12. GRIS, Juan. Guitare sur une table. 1916. Huile sur toile, 92,1 x 59,4 cm. Collection particulière. Photo tirée de Christie’s Images, [en ligne], , (page consultée 10 mai 2019).

131

Figure 13. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Les Rameuses. Non daté. Huile sur carton, dimensions inconnues. Collection particulièrel. Photo tirée de [en ligne], < http://www.rij-rousseau.de>, (page consultée 10 mai 2019).

Figure 14. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Les Rameurs. Non daté. Huile sur toile, 65 x 46,5 cm. Collection particulière. Photo tirée de [en ligne], < http://www.rij-rousseau.de>, (page consultée 10 mai 2019).

132

Figure 15. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Nature morte au kilog de sucre. Vers 1915. Huile sur toile, 65 x 81 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Photo tirée des Archives Rij-Rousseau.

133

Figure 16. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Le Damier (dit L’Échecs[sic]). 1917. Huile sur toile, 67 x 50 cm. Collection particulière. Photo tirée de [en ligne], , (page consultée 10 mai 2019).

134

Figure 17. GRIS, Juan. Le Damier. 1914. Huile et papier collé sur toile, 61 x 38 cm. Photo tirée de Douglas Cooper et al., Juan Gris : catalogue raisonné de l’œuvre peint, Paris, Berggruen Éditeur, 1977, p. 142.

135

Figure 18. BALLA, Giacomo. Dynamisme d’un chien en laisse. 1912. Huile sur toile, 100 x 90 cm. New York, Albright Knox Gallery. Photo tirée de Giovanni Lista, Qu’est-ce que le futurisme? suivi du Dictionnaire des futuristes, Paris, Gallimard, 2015, n. p.

Figure 19. VILLON, Jacques. Soldats en marche. 1913. Huile sur toile, 65 x 92 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Photo tirée de Didier Ottinger (dir.). Futurism. Catalogue de l’exposition Le Futurisme à Paris. Une avant-garde explosive (Paris, Centre Pompidou, 15 octobre 2008-26 janvier 2009 ; Rome, Scuderie del Quirinale, 20 février-24 mai 2009 ; Londres, Tate Modern, 12 juin-20 septembre 2009). Londres, Tate Modern, 2008, p. 206.

136

Figure 20. SEVERINI, Gino. La Danse du « pan-pan » au Monico. 1909-1911/1959-1960. Huile sur toile, 280 x 400 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Photo tirée de Didier Ottinger (dir.). Futurism. Catalogue de l’exposition Le Futurisme à Paris. Une avant-garde explosive (Paris, Centre Pompidou, 15 octobre 2008-26 janvier 2009 ; Rome, Scuderie del Quirinale, 20 février-24 mai 2009 ; Londres, Tate Modern, 12 juin-20 septembre 2009). Londres, Tate Modern, 2008, p. 166.

137

Figure 21. CÉZANNE, Paul. La Montagne Saint-Victoire. Huile sur toile, 73 x 92 cm. Philadelphie, Fondation Barnes. Photo tirée de Barnes Foundation, Paul Cézanne ; Mont Saint-Victoire, [en ligne], , (page consultée le 10 mai 2019).

138

Figure 22. DELAUNAY, Robert. L’Équipe de Cardiff. 1913. Huile sur toile, 326 x 208 cm. Paris, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Photo tirée de Musée d’art Moderne de la Ville de Paris, Robert Delaunay ; L’équipe de Cardiff, [en ligne], , (page consultée le 14 février 2019).

139

Figure 23. GLEIZES, Albert. Les Joueurs de football. 1912-1913. Huile sur toile, 225,4 x 183 cm. Washington, National Gallery of Art. Photo tirée de National Gallery of Art, Albert Gleizes ; Football Players, [en ligne], , (page consultée le 10 mai 2019).

Figure 24. LHOTE, André. Rugby. 1917. Huile sur toile, 127,5 x 132,5 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Photo tirée de Musée national d’art moderne, André Lhote ; Rugby, [en ligne], , (page consultée le 10 mai 2019). Crédits photographiques : Service de la documentation photographique du MNAM, Centre Pompidou, MNAM-CCI.

140

Figure 25. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Géo-Charles au vélodrome d’hiver. 1924 (?). Huile sur toile, 180 x 130 cm. Échirolles, Musée Géo-Charles. Photo tirée de Musée Géo-Charles, [en ligne], , (page consultée le 14 février 2019). Crédits photographiques : Benoit Mathonnet.

141

Figure 26. BOCCIONI, Umberto. Dynamisme d’un cycliste. 1913. Huile sur toile, 70 x 95 cm. Venise, Peggy Guggenheim Collection. Photo tirée de Solomon R. Guggenheim Foundation, Cycling, Cubo-Futurism and the Fourth Dimension, [en ligne], , (page consultée le 14 février 2019).

142

Figure 27. FEININGER, Lyonel. Course Cycliste. 1912. Huile sur toile, 80,3 x 100,3 cm. Washington, National Gallery of Art, Collection de Mme et M. Paul Mellon. Photo tirée de National Gallery of Art, Lyonel Feininger ; The Bicycle Race, [en ligne], , (page consultée le 14 février 2019).

143

Figure 28. METZINGER, Jean. Au Vélodrome. 1912. Huile et collage sur toile, 130,4 x 97,1 cm. Venise, Peggy Guggenheim Collection. Photo tirée de Solomon R. Guggenheim Foundation, Cycling, Cubo-Futurism and the Fourth Dimension, [en ligne], , (page consultée le 14 février 2019).

144

Figure 29. GONTCHAROVA, Natalia. Le Cycliste. 1913. Huile sur toile, 79 x 105 cm. St-Petersbourg, State Russian Museum. Photo tirée de Didier Ottinger (dir.). Futurism. Catalogue de l’exposition Le Futurisme à Paris. Une avant-garde explosive (Paris, Centre Pompidou, 15 octobre 2008-26 janvier 2009 ; Rome, Scuderie del Quirinale, 20 février-24 mai 2009 ; Londres, Tate Modern, 12 juin-20 septembre 2009). Londres, Tate Modern, 2008, p. 254.

145

Figure 30. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Le Bicycliste (reproduction d’une œuvre non localisée). Photo tirée de René-Jean, « Le Salon des Indépendants – La peinture », Comœdia, 21e année, no 5134, 21 janvier 1927, p. 1.

146

Figure 31. METZINGER, Jean. Coureur cycliste. 1912. Huile et sable sur toile, 100 x 81 cm. Collection particulière. Photo tirée de Tour de France, [en ligne], , (page consultée le 14 février 2019).

147

Figure 32. MÉRELLE, René. Médaille d’or de littérature, Géo-Charles. 1975 (1924). Bronze, D. : 7 cm. Photo tirée de [en ligne], , (page consultée le 10 mai 2019).

148

Figure 33. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Le Cavalier. Non daté. Huile sur toile, 73 x 60 cm. Collection particulière. Photo tirée des Archives Rij-Rousseau.

149

Figure 34. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Le Couvent. Non daté. Huile sur toile, dimensions inconnues. Collection particulière. Photo tirée des Archives Rij-Rousseau.

150

Figure 35. DELAUNAY, Robert. La Ville de Paris. 1910-1912. Huile sur toile, 267 x 406 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Photo tirée de Didier Ottinger (dir.). Futurism. Catalogue de l’exposition Le Futurisme à Paris. Une avant-garde explosive (Paris, Centre Pompidou, 15 octobre 2008-26 janvier 2009 ; Rome, Scuderie del Quirinale, 20 février-24 mai 2009 ; Londres, Tate Modern, 12 juin-20 septembre 2009). Londres, Tate Modern, 2008, p. 184.

151

Figure 36. BRAQUE, Georges. L’Estaque. 1906. Huile sur toile, 60 x 73,5 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. Photo tirée de Brigitte Léal et al. Georges Braque 1882- 1963. Catalogue d’exposition (Paris, Grand Palais, Galeries nationales, 16 septembre 2013-6 janvier 2014 et Houston, The Museum of Fine Arts, 16 février-11 mai 2014). Paris, Réunion des musées nationaux – Grand Palais, 2013, p. 27.

Figure 37. DERAIN, André. Port de Collioure, le cheval blanc. 1905. Huile sur toile, 62,2 x 78,1 cm. Troyes, Musée d’art moderne. Photo tirée de Sarah Whitfield, Le Fauvisme, Paris, Éditions Thames & Hudson, 1997, p. 69.

152

Figure 38. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Bord de rivière. Non daté. Aquarelle et pastel sur carton, 40 x 33 cm. Collection particulière. Photo tirée de Philippe Rouillac, Hôtel des ventes de Vendôme, Ateliers d’artistes ; Rij-Rousseau, [en ligne], , (page consultée le 10 mai 2019).

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Figure 39. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Les Lutteurs. 1924 (?). Tapisserie de haute-lisse, 134 x 120 cm. Collection particulière. Photo tirée de [en ligne], , (page consultée le 10 mai 2019).

154

Figure 40. RIJ-ROUSSEAU, Jeanne. Lutteurs. Graphite et encre sur papier, dimensions inconnues. Collection particulière. Photo tirée de [en ligne], , (page consultée le 10 mai 2019).

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