lucas Débat animé par Yves Alion après la projection du film La Raison du plus faible, à l’École Supérieure belvaux de Réalisation Audiovisuelle de le 3 novembre 2011

Lucas Belvaux est d’abord comédien. Sa carrière commence sur les chapeaux de roues, puisqu’il a le privilège d’incarner le personnage central d’ Allons z’enfants , l’un des meilleurs films d’Yves Boisset, où il se montre à la fois curieux de tout et rétif à l’ordre social. Des qualités qui seront comme un fil rouge dans les films qu’il signera par la suite. Sa filmo d’acteur comporte une jolie brochette de films exigeants autant que réussis, dont le très acide Poulet au vinaigre , de . Mais sans définitivement cesser de jouer, Belvaux se tourne assez vite vers la réalisation. Ses débuts sont prometteurs mais ne sortent guère de la production courante. Jusqu’au jour où il relève un défi inouï : réaliser trois films en parallèle, avec des personnages communs, des films qui se recoupent sans s’inscrire dans le même genre. La trilogie Un couple parfait / / Après la vie est une réussite incontestable qui souligne la hauteur de l’ambition du cinéaste autant que sa capacité à jongler avec les codes du cinéma. Et qui accessoirement lui permet d’obtenir un César. Belvaux La Raison du plus faible peut également s’enorgueillir d’un vrai talent de directeur d’acteurs, même si la tâche est toujours plus facile quand le réalisateur est lui-même passé devant la caméra. La suite de sa carrière se poursuit de façon harmonieuse et régulière, au cinéma (le plus souvent) ou sur le petit écran (pour lequel il livre un superbe Prédateurs , sur l’affaire ELF). Notre homme fait montre d’une certaine constance, ne sortant que rarement des limites de son univers, un univers marqué par la crise économique et sociale, dans lequel il n’est pas incongru de voir un positionnement politique. Entre Jean-Pierre Melville et Ken Loach, en étant universel sans jamais perdre de vue sa belgitude, occupe en tout cas une place enviée, parmi les cinéastes francophones les plus intéressants de la décennie. I Lucas Belvaux ment dans la séquence du cycliste, paraîtraient odieux. Ce qu’ils sont effectivement, à ce moment-là. Ce sentiment ne se dégage pourtant pas sur l’ensemble du film. Ces perceptions différentes m’ont donné envie de creuser quelque chose. Elles rejoignaient une réflexion que j’avais sur les personnages secondaires. Qui sont-ils ? Comment les traiter ? Comment doivent-ils jouer ? Très souvent, plus le rôle est petit et plus l’acteur a envie de le caractériser. Il en fait parfois des tonnes. Fort de ce constat, je me suis dit que le personnage secondaire est le personnage principal d’un film dont on ne voit qu’un bout et par conséquent, il faut le traiter comme un personnage principal. À l’écriture, il faut imaginer qu’il est un autre, qu’il a quelque chose en plus. Au tournage, c’est la même chose. Il ne faut pas le laisser en faire plus que ce dont on a Entretien besoin. Puis, j’ai écrit Pour rire !, que j’ai tourné cinq ans après, suite à

Vous avez joué, dans Poulet au vinaigre, de Claude Chabrol, un rôle qui vous a valu de décrocher en 1986 le César du Meilleur Espoir masculin… Lucas Belvaux : Poulet au vinaigre est un grand film, même s’il n’est pas de la même veine que les grands Chabrol des années 60/70, tel que Le Boucher … Ce film est plus ludique, compte tenu de la truculence du personnage principal, l’inspecteur Lavardin. C’est un très grand film de par sa mise en scène. Claude traversait à ce moment-là une période assez difficile. Il venait de connaître plusieurs échecs consécutifs. La relation avec la critique n’était pas très bonne, celle avec le public non plus. C’était une période creuse, il fallait qu’il redémarre. Il avait décidé de tourner un petit film, très vite, en six semaines. Poulet au vinaigre est une

Lucas Belvaux et Jean comédie policière sous le signe de la bonne humeur, comme Poiret dans Poulet au sait le faire Claude Chabrol. Le premier jour de tournage, il avait annoncé vinaigre (Claude Chabrol, 1985). la couleur en nous prévenant qu’il tournerait sans contrechamp, qui est pourtant la figure de base de la grammaire cinématographique. Il a tenu et sa promesse. Il a été audacieux. l’échec un peu rude de Parfois trop d’amour . Pour rire ! m’a permis Jean-Pierre Léaud dans Pour rire ! d’espérer pouvoir tourner un jour la trilogie. Dès la fin de l’écriture de (1996). Votre trilogie Un couple épatant / Cavale / Après la vie (2003) est un Pour rire ! et avant même de le tourner, j’ai commencé à jeter sur papier exercice de style époustouflant. Quels ont été les obstacles en termes de les bases de cette trilogie, en partant du principe que les personnages réalisation, de production ? Comment les avez-vous surmontés ? secondaires deviendraient les personnages principaux du film qui sui - L. B. : L’idée d’une trilogie m’est venue dès le tournage de mon premier vrait. À cette époque, je lisais beaucoup Balzac. Je savourais film, Parfois trop d’amour , un film étrange, un peu raté, avec des choses le plaisir de retrouver des figurants, des personnages secon - “... les personnages très réussies et d’autres qui le sont moins. C’est l’histoire de trois amis daires d’une nouvelle, d’un roman qui avaient été person - secondaires qui décident, un samedi soir, de partir pour 24 heures à l’a - nages principaux dans d’autres histoires. Je voyais se construire deviendraient venture sur les routes du nord de la . Ils vont rencontrer un monde. Pour exemple, on retrouve Pierre Grassou, le per - plusieurs personnages secondaires… Parmi lesquels un cycliste sonnage-titre d’une nouvelle de Balzac dans La Cousine Bette les personnages et un groupe de petits vieux. En les filmant, je me suis dit que ou Le Cousin Pons , avec l’un de ses portraits au mur. Si l’on principaux du film j’aurais pu filmer ces 24 heures en donnant les rôles princi - n’a pas lu Pierre Grassou auparavant, cette indication ne veut qui suivrait.” paux au cycliste et aux petits vieux qui auraient croisé les trois rien dire. Si au contraire on le connaît, l’allusion nous raconte zouaves. J’aurais alors fait un autre film. Et les trois amis auraient immédiatement plein de choses sur le personnage. Naît alors une conni - Parfois trop d’amour (1991). été des personnages secondaires. La perception du spectateur aurait été vence entre le lecteur et l’auteur. C’est très agréable. Lorsque je me suis radicalement différente. Les trois personnages principaux, vus unique - mis à écrire, le premier problème a été de savoir comment

6 7 Lucas Belvaux intéresser les gens à ces trois films. Quel était le sens de faire trois films avec les mêmes personnages, même s’ils changeaient de statut ? Cela ne suffisait pas et ne me suffisait pas. Au cinéma, la notion de genre est très importante. Je venais de faire Pour rire !, une comédie, et j’allais enchaîner avec trois films de genres différents. Cela m’a permis de m’amuser. Est-ce qu’une scène de comédie “... j’ai écrit dans un polar est toujours drôle ? Est-ce qu’une scène de les trois scénarios polar dans une comédie fait toujours peur ? En gardant bien en parallèle.” sûr, rigoureusement la même scène. Elle est peut-être un peu plus longue ou un peu plus courte mais les dialogues, la mise en scène, la lumière sont les mêmes dans leur partie commune. L’écri - ture de ce projet a duré à peu près cinq ou six ans, je l’ai bouclé en dix ans. Car la production et la fabrication ont été très longues, même si nous avons monté les trois films en parallèle. Le principe de l’écriture était de relier les trois histoires, mais en évitant que ce soit trop théorique. Chaque film devait commencer avec des personnages principaux en couple. Dans Cavale , le couple que je forme avec n’est pas un couple amoureux, mais un couple de rencontre. Comment trois couples qui ne sont pas censés se croiser vont-ils être amenés à se ren - contrer ? J’ai envisagé que les trois femmes soient trois collègues dans un lycée. À partir de là, il n’y avait plus qu’à tisser une histoire. Cette tri - logie a été compliquée à écrire car c’était la première fois que je m’o - bligeais à avoir une idée de l’histoire jusqu’à la fin des trois films. Pour Page de gauche, être sûr que cela soit cohérent, j’ai écrit les trois scénarios en parallèle. François Morel, Lucas Belvaux et Ornella Pour que les personnages d’un scénario croisent ceux d’un autre, il Muti dans fallait toujours garder la même chronologie. C’était assez compliqué Un couple épatant (2003). car ce qui était bien pour la chronologie de la comédie ne l’était pas for - cément dans celle du polar.

Il n’est pas toujours facile de produire un film. Que se passe-t-il lorsque l’on cherche à en produire trois ? L. B. : C’est le bazar. Je pensais que si l’un d’entre eux marchait, il finan - cerait les deux autres. Les financiers m’ont répondu : « Pas du tout. Si le premier ne marche pas, on perd trois fois. » Alors je me suis dit qu’avec le financement de deux, je pourrais en faire trois. Et finalement, j’ai fait trois films avec le prix d’un seul ! Cela a été long et très compliqué. J’ai changé de producteur, j’ai dû changer de voilure…

D’un film à l’autre, si les plans sont différents, les scènes sont identiques. Cela permet de gagner du temps. “Chaque film avait L. B. : On gagne un peu de temps avec la mise en place sa propre charte mais la lumière n’est pas la même. Nous tournions avec une seule caméra. Chaque film avait sa propre charte gra - graphique, sa propre phique, sa propre mise en scène. Nous retournions la mise en scène.” séquence à chaque fois. Excepté un plan tourné dans un film et monté dans un autre. Il n’y a pas eu de plans communs. Il y avait trois monteurs avec trois Avid. Chacun avait son matériel, il n’y avait pas d’échange.

8 9 Lucas Belvaux Aviez-vous vu le film d’André Cayatte, La Vie conjugale ? L. B. : Non, je ne l’ai pas vu. Je savais que ce film existait. J’ai parlé de mon projet à Claude Chabrol. J’étais, à l’époque, un peu en panne de scénarios et lui ai demandé de m’aider à les écrire. Il m’a répondu que mon idée était marrante. Il a rajouté que Cayatte avait fait quelque chose de similaire mais qu’il l’avait raté. Ce film est l’histoire d’un couple qui s’aime, se rencontre et se déchire. Le premier volet de ce diptyque présente les évé - nements de la vie du couple du point de vue du mari. Le second présente ces mêmes événements du point de vue de l’épouse. Il y a des scènes communes, des choses qui sont Marie-José Nat et vécues indépendamment de l’autre et des choses comprises Jacques Charrier dans Rashomon, La Vie conjugale différemment par l’un et l’autre. Autre exemple : de Kuro - (André Cayatte, 1963). sawa qui raconte quatre versions très différentes d’un crime. Les Diman - ches de permission, un film roumain composé de trois courts métrages. L’idée n’est pas très originale. On la retrouve aussi dans les séries. Le plus difficile était d’arriver au bout.

Avez-vous vu et que pensez-vous des films de Kie s´lowski Bleu, Blanc et Rouge ? L. B. : Ces trois films ne sont pas un croisement d’histoires, mais ils ont été pensés ensemble. C’est le cas aussi dans Le Décalogue . On voit passer des personnages. J’ai vu ces films il y a longtemps. Ma trilogie a- t-elle un rapport avec ces films ? Je ne sais pas. Je sais que je suis moins Page de droite : catholique et moins polonais que Kie s´lowski ! Ses films ont certaine - Cavale (2003) avec ment été une source d’inspiration au même titre que des centaines d’au - entre autres Catherine Frot et tres. Les influences sont diverses et multiples. Les plus fortes sont, bien Lucas Belvaux. souvent, inconscientes.

Au-delà de l’élégance de l’écriture, ce type d’histoire montre un intérêt pour la notion de subjectivité. L. B. : Le cinéma est subjectif. Ce film est éclairé d’une manière crue alors que cela ne l’est pas de façon aussi évidente dans la plupart des autres films. On peut aussi se dire, hélas, que les films sont généralement trop théoriques.

“En fait, je commence à J’ai trouvé que le film tire une grande partie de sa force dans un travail de montage extrêmement précis et penser au montage dès rigoureux. Comment approchez-vous cette partie du l’écriture du scénario, travail ? même si je sais qu’il a L. B. : Je découpe tout. Je découpe tout le temps. En peu de chance d’être fait, je commence à penser au montage dès l’écriture respecté.” du scénario, même si je sais qu’il a peu de chance d’être respecté. Je prends des notes, cela m’aide à couper dans le scénario, à le structurer. Ensuite, je découpe pendant les repérages en faisant beaucoup de photos, que je recadre avec Photo - Shop. Pendant la phase de découpage, proprement dite, j’écris beaucoup, au détriment du dessin. Ce découpage est organisé séquence par séquence,

10 11 Lucas Belvaux dans l’ordre du scénario, car le raccord d’une au lieu d’attendre le matin du tournage. Je pas trop mon truc. Pour en revenir au décou - mesure, où le troisième film était tourné à séquence à l’autre est important. Ce décou - redécoupe beaucoup, cela bouge tout le page, dans la trilogie, il y avait des décou - l’épaule, nous avions souvent des séquences page est affiné avant la préparation du film et temps ! Le découpage est l’une des parties pages très précis. De mémoire, il n’y a qu’une très longues, à deux personnages, tournées pendant le financement. Pendant la prépa - d’un film la plus agréable et la plus impor - seule séquence commune aux trois films. Par en plans-séquences. C’est-à-dire, des séquen - ration, je le reprends en dessinant à la façon tante. C’est à ce moment-là qu’il faut définir contre, plusieurs séquences sont communes ces de trois minutes en trois plans qui s’en - d’un storyboard. En beaucoup moins précis, l’espace, le décrire. à deux films, comédie et polar, polar et chaînaient. Le principe de découpage était car je dessine assez mal ! Ces dessins me drame. Le film n’est ni découpé, ni monté de de partir d’un point A jusqu’au point B puis servent de base. Puis je redécoupe à nouveau Les scènes d’action sont-elles plus difficiles la même façon. Le troisième film, Après la que le plan suivant parte du point B pour aller le matin sur le plateau pendant la préparation à tourner que les scènes de convivialité entre vie, est entièrement tourné à l’épaule, pour jusqu’au point C. Ces plans-séquences s’en - des repérages techniques avec le chef opé - copains ? des raisons un peu arbitraires. Et cela fonc - chaînaient. Plusieurs séquences ont été tour - rateur. Plus le découpage est précis, mieux L. B. : C’est pareil. Le travail repose sur ce tionne bien. La trilogie a nécessité trois mon - nées sur ce principe : et nous travaillons. Nous pouvons prévoir le que l’on veut raconter. À l’étape du scénario, tages, en parallèle et en décalage de quatre , Dominique Blanc et moi- matériel, les lumières, les axes… Mieux nous il faut se demander à quoi sert telle ou telle semaines. Le temps de faire un bout à bout. même, dans un appartement. Dans le troi - préparons, plus facile est le tournage. J’ai séquence dans le film. Ce qu’elle raconte Je ne commence jamais le montage tant que sième film, nous passions d’un personnage plus de temps pour me consacrer aux acteurs sur le personnage. Ce qu’elle amène dans le le tournage n’est pas terminé. Je veux être là à l’autre en champ contrechamp dans un et faire des prises. J’aime être précis sur le récit. Voilà en gros les questions que je me dès le premier jour du montage. Je pense que même plan. Nous faisions deux versions pour découpage. Pour rire ! est un film très pose. Et c’est la même chose pour chaque le montage d’un film se joue dans les quatre chaque plan. Il y avait toujours la possibilité découpé. Parfois trop d’amour l’est aussi, plan. Que décrit-il ? Que raconte-t-il ? Dans

“Je ne suis pas opposé à ce les acteurs changent le texte. “Plus le découpage est précis, mieux nous travaillons. Mais il faut en parler avant.” Nous pouvons prévoir le matériel, les lumières, les axes…” mais différemment car c’était mon premier une scène d’action, c’est la même chose. Est- premières semaines. De mémoire, nous avons de monter le plan dans sa longueur ou de film. Quand je dis très découpé, cela signi - il indispensable ? Bien sûr, quand les per - fini le tournage aux alentours du 15 novem - remonter à l’intérieur du plan en passant fie très pensé au niveau du découpage. Cela sonnages sont assis autour d’une table, c’est bre. Nous avons commencé à monter la d’une prise à l’autre. C’était assez excitant. ne veut pas forcément dire beaucoup de un peu plus fastidieux. Mais une scène d’ac - comédie, Un couple épatant , le 1 er décembre. Cela donne un découpage à la fois très précis plans. Je crois qu’il y a moins de 300 plans tion peut aussi être fastidieuse… Le deuxième film, Cavale , le 1 er janvier et le et très libre pour les acteurs. Des plans très montés dans Parfois trop d’amour . Ce n’est troisième, Après la vie, le 1 er février. Pendant longs pouvaient être montés très courts. pas beaucoup. Dans la trilogie, il doit y en Vous n’improvisez pas. Pas même au bar, le montage de Cavale, je consacrais quoti - avoir un peu moins de 800 par film. Sur le quand nous ne comprenons pas tout ce que diennement deux heures au montage de la Tournez-vous toujours en 35 mm ? tournage, avec les acteurs, il m’arrive de les personnages de La Raison du plus faible comédie. Et lorsque nous avons monté le troi - L. B. : Le premier film était en super 16, la tri - redécouper encore. Parfois, je ne découpe racontent dans un français un peu approxi - sième film, je réservais du temps à Cavale et logie aussi. Depuis, je tourne en 35 mm. pas certaines séquences avant. Je suis guidé matif pour nous autres Parisiens ! au premier film. Le premier montage du troi - par deux ou trois principes… S’agira-t-il d’un L. B. : Effectivement, il y a très peu d’impro - sième film a ainsi été plus long que celui des Pensez-vous à tourner en numérique ? plan-séquence ? S’agira-t-il d’un champ visation. Voire aucune, je déteste cela car en précédents. Les trois films avaient leur propre L. B. : Oui, bien sûr. Pour la première fois, j’ai contrechamp ? Jouera-t-on large ou plus général, c’est moins bien que ce que j’écris. monteur, qui n’avait pas le droit de voir le étalonné en numérique 38 témoins , le film serré ? Il faut que je sois capable d’en faire C’est moins précis. Je ne suis pas opposé à montage des autres, tant qu’ils n’avaient pas que je viens de finir car son exploitation va part au chef opérateur pendant la prépara - ce les acteurs changent le texte. Mais il faut fini leur propre « bout à bout ». Avec le musi - être majoritairement en numérique. Un éta - tion. Cela n’a pas beaucoup de sens de en parler avant. Je suis persuadé qu’un texte cien, j’étais le seul à voir les trois montages, lonnage photochimique n’a plus de sens. Je découper davantage ces séquences car je appris, su, bien assimilé et éventuellement à connaître l’état d’avancement des trois films. pense qu’en termes de qualité, il faut encore sais qu’avec les acteurs tout sera modifié. Je réécrit est meilleur qu’une improvisation. Quand la monteuse du troisième film a enfin tourner en 35 mm. Avec un scan 4K, on découpe certaines séquences la veille, voire Généralement les improvisations génèrent de pu voir le montage du second, nous avons arrive à obtenir une très belle définition. Cela l’avant-veille, avec les acteurs quand elles longs temps, des euh… et impliquent des complètement remonté une séquence, qui permet de garder la définition du 35 mm, sont très longues, avec beaucoup de textes, plans-séquences. Elles peuvent fonctionner était commune aux deuxième et troisième même avec un étalonnage numérique. Mais beaucoup de déplacements. Il est préférable sur des plans-séquences pris à l’épaule, que films, en gardant à peu près le même prin - je pense qu’aujourd’hui la pellicule 35 mm d’anticiper la mise en place de ces scènes l’on va reprendre plusieurs fois. Bref, ce n’est cipe de montage d’un film à l’autre. Dans la reste supérieure au numérique.

12 13 Lucas Belvaux Votre film m’a paru extrêmement influencé par le cinéma de Fritz Lang. J’ai même cru que le scénario était une réécriture de l’un de ses films. L. B. : Fritz Lang est l’un de mes cinéastes de chevet. Si l’on veut élargir le champ des influences, je peux aussi citer Lubitsch, Wilder et la Nou - velle Vague, qui avait aussi ces maîtres-là.

Lorsque vous écrivez un rôle que vous allez interpréter, le savez-vous à l’avance ou cela est-il le fruit du hasard ? L. B. : Lorsque j’ai tourné mon premier film, dans lequel je ne jouais pas, je m’étais promis de ne jamais faire l’acteur dans mes propres films. Je croyais qu’il n’était pas possible de jouer avec ses partenaires et de les regarder en même temps. Et pour finir, je croyais qu’il y aurait un manque d’objectivité au montage. Je pensais que les acteurs avaient droit à avoir un metteur en scène à part entière.

Nombreux pourtant, sont les contre-exemples… L. B. : Certes. Ce que je viens de vous dire ne s’appliquait qu’à moi. Il y a, effectivement, un certain nombre de grands réalisateurs qui ont été de grands acteurs. Je ne me sentais pas capable d’en faire autant. Et j’ai fait mes deux premiers films sans jouer dedans. Sur la trilogie, j’ai cumulé les galères. Au fur et à mesure de sa préparation, j’ai perdu mes rôles prin - cipaux masculins. J’ai dû remplacer le premier puis le deuxième. Quand ce fut le tour du troisième, c’était la troisième fois que je perdais un Page de gauche : comédien pour lequel j’avais écrit un rôle. Je devais réserver le rôle à un Gilbert Melki et Dominique Blanc dans acteur belge pour des raisons de coproduction et que les autres rôles Après la vie (2003). étaient déjà distribués à des acteurs français. J’ai passé un temps fou à chercher un acteur belge correspondant à ce que j’attendais. Celui que j’avais trouvé avait omis de me dire qu’il était engagé ailleurs, pensant qu’il pourrait s’arranger. Je n’avais plus d’acteur et nous étions à trois semaines du tournage. Je commençais à en avoir marre. C’est là que l’idée de jouer ce rôle a germé puisque je le connaissais, et que je suis acteur et belge. Fier de ma trouvaille, je l’annonce à mon producteur qui me répond qu’il n’est pas sûr que cela soit une bonne idée. Il ne doute pas de mes qualités d’acteur mais pense qu’il serait très lourd de jouer et de tourner trois films en même temps. Je lui propose de faire des essais. J’appelle les actrices pour savoir si cela ne leur pose pas de pro - blème. Au contraire, elles se disent ravies. Par ailleurs, je me suis rendu compte qu’en jouant dans mes films, ma casquette d’acteur était perçue comme un engagement supplémentaire, une façon de me jeter à l’eau avec les acteurs. Tout le monde avait le trac avant de démarrer ce tour - nage. Ces trois films se sont faits très rapidement. C’était physique et dur. Mais j’y ai pris un très grand plaisir. Cela a été en quelque sorte une révélation. Par ailleurs, cela me dégageait de la direction d’un des acteurs principaux. Être avec les acteurs, sentir le plan de l’intérieur était agréable, même si je n’avais pas écrit ce rôle pour moi. Dans la mesure où j’ai pris plaisir à jouer ce personnage, à partager l’esprit de troupe, j’ai décidé de m’écrire un rôle dans mon prochain film pour passer d’un côté à l’autre de la caméra, en permanence, sans me poser

14 15 Lucas Belvaux de questions. Il y a un mur entre les acteurs et l’équipe technique. Les comédiens ont un statut à part. On leur parle, on les protège, on fait attention à ce qu’on leur dit. On les dorlote alors que l’on est plus rude entre techniciens. Lorsque le chef opérateur me disait : « Lucas, tu n’es pas dans tes marques », il s’adressait à moi comme si j’avais été du même côté de la caméra que lui. Et rapidement, nous avons parlé de la même façon aux acteurs, aussi directement. Il n’y avait pas de raison de faire autrement. Cela a fini par créer un esprit de troupe très fort, faisant tomber la barrière entre acteurs et techniciens. La communication était très bonne. Je n’ai pas joué dans mes deux derniers films et à nouveau je commence à ressentir ce rideau. Rien que pour le faire tomber, j’ai - merais bien à nouveau faire l’acteur.

Est-ce plus facile de jouer un rôle que l’on a écrit ? “Quand je joue, L. B. : Forcément, et au montage les choses sont évidentes. Cela je connais le m’est plus difficile de choisir une prise pour un acteur que pour cadre, les tenants moi. Mes choix sont pratiquement toujours en accord avec ceux et aboutissants.” des différents monteurs avec lesquels j’ai travaillé. Par ailleurs, un acteur comprend mieux et plus vite le plan qu’il a lui-même mis en place. Il sait ce qu’il y a dans le cadre. J’invite les acteurs à regarder dans le cadre de la caméra, pour qu’ils sachent dans quel espace ils s’inscrivent. La plupart du temps, ils n’aiment pas cet exercice. Quand je joue, je connais le cadre, les tenants et aboutissants. Un réali - sateur qui joue rend les acteurs plus dociles car il y a des choses qu’ils n’aiment pas faire, tricher par exemple. Certaines choses peuvent paraî - tre extrêmement fausses lorsqu’on les joue. On demande à l’acteur de tricher son regard. C’est une chose qu’il déteste car il pense que cela se verra au cadre. Convaincre l’acteur que cela ne se verra pas est tou - jours très long. Quand je joue, je triche le regard si c’est nécessaire. Et l’acteur le voit. Il le fera alors de même de bonne grâce. Être avec les acteurs dans le plan, permet de mieux communiquer avec eux.

Êtes-vous derrière le combo pendant les prises, quand vous ne jouez pas ? L. B. : J’ai fait mes premiers films sans combo. J’ai résisté très longtemps à cause de l’idée de ne pas avoir le metteur en scène à côté de la caméra. Puis un jour, sur un téléfilm, j’ai testé le combo. Et j’ai trouvé cela extraordinaire, essentiellement pour des Lucas Belvaux sur le raisons de découpage. C’est un formidable outil qui ne gêne plus tournage de La Raison les acteurs. du plus faible . Certains metteurs en scène sont extrêmement présents même s’ils ne jouent pas. L. B. : Le réalisateur peut être au combo, dans la même pièce que les acteurs, et parler. Personnellement, je le fais souvent. J’aurais même tendance à le faire plus, parce que je les regarde dans le cadre. C’est idéal, pour des questions de rythme, pour donner le départ, pour des plans silencieux… La Raison du plus faible (2006) avec entre autres Natacha Régnier, Éric Caravaca et Lucas Belvaux.

16 17 Lucas Belvaux Le fait d’être belge simplifie-t-il la production ? L. B. : Oui. Je suis un réalisateur belge, ça permet de monter des copro - ductions plus naturellement. Ça donne accès à des sources de finance - ment supplémentaires, belge notamment, comme les tax shelters ou la télévision, mais aussi européennes, comme Eurimage. Mais ce n’est pas automatique.

La Raison du plus faible a manifestement été tourné en Belgique . L. B. : À 100 %. Il a été tourné à Liège. Le cinéma a la particularité de posséder une réglementation qu’un film peut être à la fois 100 % fran - çais et 100 % belge. Pour être français, le financement ou les dépenses d’un film ne doivent pas nécessairement être à 100 % made in France.

Qu’en est-il de ce film ? L. B. : Ce film est 100 % les deux pays. Le calcul est fonction du pour - centage des dépenses faites en France et en Belgique. La postproduction peut se faire en France alors que le tournage est en Belgique, par exemple. Dans le cas présent, il y a plus de techniciens français que belges, bien que le tournage ait eu lieu en Belgique. Il s’agit d’un jeu d’équilibre. Durant toute la préparation, il faut passer son temps à compter les points. Les Prédateurs (2007), téléfilm de Lucas Un chef opérateur c’est tant de points, un acteur c’est tant, idem pour Belvaux sur l’affaire Elf, avec entre autres le tournage en Belgique, la postproduction... Il faut passer son temps à , Aladin compter pour arriver au financement le plus intéressant possible. Et Reibel et Claude Brasseur. parfois accepter de perdre d’un côté pour gagner de l’autre.

Qu’est-ce qui vous a incité à raconter l’histoire du baron Empain dans Rapt ? Pourquoi ce fait divers ? L. B. : Je baigne dans les faits divers. Celui-ci a réellement existé. Bien que les personnages soient différents, c’est tout de même du grand bandi - tisme. Cela s’est passé de la même façon. Rapt est un mélange de choses vraies et de fiction. Lorsqu’Empain avait été kidnappé en 1978, je m’étais un peu réjoui. Il y avait la bande à Baader en Allemagne, les Brigades Rouges en Italie, Action Directe en France. Le combat politique de l’époque était très violent. Empain est alors un grand patron, un playboy, et il est baron, il représente le capital dans ses pires aspects. Il est l’équivalent de Lagardère aujourd’hui. « Il se fait kidnapper. Il n’a que ce qu’il mérite ». Lorsqu’on lit la presse de l’é - poque, c’est un peu le sentiment qui se dégage. Empain venait de perdre en une nuit ce que ses ouvriers gagnent en deux ans. Je me suis aussi réjoui lorsqu’il a été libéré. Au fond de moi, je pensais que cet épisode lui servirait de leçon. Dix ans plus tard, j’avais un peu vieilli. Les temps avaient changé quand j’ai vu sur France 3 le documentaire Paroles d’otages, qui met en scène le témoignage de trois otages qui n’ont aucun point commun, hormis leur enlèvement : Jean-Paul Kauffmann, kidnappé pendant trois ans par des intégristes chiites du Hezbollah, Gehrard Vaders, capturé pendant treize jours, en 1975, dans le détournement d’un train aux Pays-Bas par les indépen - dantistes sud-moluquois, et Édouard-Jean Empain, victime pendant

18 19 Lucas Belvaux soixante-trois jours d’un rapt non revendiqué, en 1978, à la sortie de Pourquoi ne pas avoir appelé votre film : L’Affaire Empain ? son domicile parisien. Les enlèvements et les conditions de détention L. B. : Parce que ce n’est pas une reconstitution de cette affaire. C’est une des otages – la tente, la cave, le train – sont racontés très précisément. Bien fiction qui se passe à une autre époque et j’ai fait exprès de donner un que très différentes, les trois histoires sont épouvantables. Quels que nom différent au personnage. Bien que ce film soit proche des faits réels, soient les ravisseurs, la condition d’otage ne varie pas. Ce documentaire je ne voulais pas que l’on puisse faire des comparaisons. Le contexte dif - de Patrick Volson et Jean-Claude Raspiengeas m’a donné envie de faire férent est ma façon d’assumer la fiction. Je sais qu’un policier était Rapt . Bien que l’histoire d’Empain est celle qui a laissé le moins de présent 24 heures sur 24 au domicile d’Empain. En revanche, je ne sais séquelles, que le personnage est le moins sympathique des trois, c’est pas ce que la femme d’Empain disait à ce policier, je ne connais rien des son histoire qui m’a le plus touché. Il raconte sa séquestration dans le coffre relations qui ont dû se nouer. Je sais aussi que cela s’est très mal passé d’une voiture, son doigt coupé, la peur de mourir au quotidien, l’en - avec ses filles lorsqu’il est revenu, mais je n’en sais pas plus. Je sais ce qu’Empain a raconté, mais je n’ai pas la trace de ce qui s’est dit pendant les faits. J’ai assumé la fiction. C’est pour cela que j’ai pris un petit brun alors qu’Empain était un grand blond. J’ai choisi Yvan Attal car je pensais qu’il avait à la fois l’arrogance et la fragilité du personnage.

Compte tenu de la distance que vous avez voulu mettre avec les faits réels, comment avez-vous géré les rela - “Je voulais garder tions avec la famille ? L’avez-vous rencontrée ? la liberté que donne L. B . : Je ne voulais pas faire lire le scénario au baron la fiction. J’ai, Empain avant le tournage. Je ne voulais pas qu’il puisse par conséquent, choisi me dire que cela ne s’était pas passé comme ça. Je de me décaler.” voulais garder la liberté que donne la fiction. J’ai, par conséquent, choisi de me décaler. Je voulais être en mesure de prendre des libertés avec la vérité. D’un autre côté, je ne voulais ni l’accabler ni enjoliver les faits. Seulement donner mon point de vue sur cette his - toire avec le recul nécessaire. Par ailleurs, si je lui avais demandé le droit d’adapter son livre et qu’il me l’eût refusé, je n’aurais pas pu mener mon projet à bien. J’ai lu son livre, regardé le documentaire, consulté toute la presse de l’époque. J’ai gardé un certain nombre de choses, je me suis débarrassé d’autres et j’ai fait ma propre adaptation. Je n’ai pas inventé grand-chose, presque rien, mais j’ai adapté en fonction de l’époque ou des moyens dont je disposais. Je n’ai pas demandé d’autorisation. Ce film s’appelle Rapt . Ce n’est pas l’histoire du baron Empain stricto sensu . Évidemment, dès l’annonce de sa sortie sur les écrans, l’information a fait le tour d’Internet, sous l’étiquette de l’en - lèvement du baron Empain. Bien sûr, Empain a été mis au courant, il a été blessé que je ne lui demande pas son avis. En revanche, la moindre des choses était de lui montrer le film avant sa sortie. Cela s’est plutôt Rapt (2009), avec Alex Descas, Yvan Attal et chaînement… une vraie barbarie des temps modernes. Je découvre aussi bien passé. Il a trouvé le film juste. Aucun des protagonistes ne pouvait Anne Consigny. son retour. Je lis son livre. À ce moment-là, je ne me sens plus très fier se sentir blessé. de m’être réjoui lors de sa séquestration. Je décide de raconter son his - toire. Sans concession, car je pense qu’on n’a pas le droit d’infliger de tels Lorsque le spectateur découvre, à la fin, le mot de passe, Calipso, il a sévices. Aujourd’hui, quand on voit comment Kadhafi, Saddam Hussein, l’impression que le personnage est reparti pour un tour. Est-ce vrai ? Ceausescu sont morts, on ne peut pas accepter la façon dont ils ont été L. B. : Effectivement, le baron Empain a reçu une demande de rançon massacrés, malgré toutes les horreurs qu’ils ont pu faire. J’ai fait ce film codée qu’il n’a pas payée. Les ravisseurs ont fait sauter son bureau. Cela pour parler de cela. C’est peut-être une sorte de film de mauvaise cons - signifiait que toute la bande n’avait pas été arrêtée. On n’a jamais connu cience. La violence n’est jamais légitime, en démocratie. L’est-elle dans exactement le nombre de ravisseurs. une dictature ? Cela mérite d’y réfléchir…

20 21 Lucas Belvaux Que cherchiez-vous à montrer aux spectateurs en finissant le film ainsi ? faisait pas forcément consciemment. Le film noir raconte son époque dans L. B. : L’idée que cela ne finira jamais, que le personnage ne s’en sortira ce qu’il a de plus souterrain ou qui ne peut pas être entendu, puisqu’il pas. L’histoire avec les ravisseurs s’est terminée. Il y a eu un jugement. n’y a plus de censure maintenant. J’essaie de distraire en faisant passer Mais le personnage ne s’en est jamais complètement remis. des messages.

N’est-ce pas le problème des otages en général ? Dans La Raison du plus faible , nous sommes dans le moule le plus clas - L. B. : Oui, je pense. Quand on est resté des jours et des jours, voire sique. Impossible de ne pas penser à Quand la ville dort, avec son casse des mois ou des années, comme Jean-Paul Kauffmann, séquestré, mal - préparé par des gars qui ne sont pas taillés pour. Ils rêvaient de s’en traité, humilié, en danger de mort en permanence, on ne sera évidem - sortir. Malheureusement, les dés étaient pipés dès le départ. ment plus jamais le même homme. L. B. : C’est pour cela que La Raison du plus faible est un film noir, dès le départ. Tous les personnages et les faits sont inspirés de la réalité. Mais dans ce cas-là aussi, j’ai tiré le fait divers vers la fiction. Les personnages que je décris ne sont pas les mêmes que ceux du fait divers ori - ginal. Je les ai changés radicalement. De truands, j’ai fait des ouvriers licenciés. Du crime crapuleux, j’ai fait une révolte sociale, politique. J’ai reconstruit les personnages en Quand la ville dort m’inspirant de gens que j’ai connus. En revanche le personnage que je (John Huston, 1950). joue n’est habité que par le film noir. Ce gars-là n’existe pas. Il existe dans les films noirs et apporte la fiction.

C’est un mélange extrêmement étonnant entre des choses réalistes, voire naturalistes et une certaine mythologie digne de Melville avec des per - sonnages presque abstraits, qui viennent du théâtre grec à la rencontre d’un destin funeste… L. B. : Oui évidemment. Jean-Pierre Melville est à rajouter à mes références conscientes. Cavale en est une illustra - tion. Le destin est parfois plus grand que la vie. C’est le cas dans Le Deuxième Souffle . Alors que le pauvre Gu peut partir avec sa copine et du fric, il préfère rester pour venger son honneur. Bien que le héros veuille échapper à la mort, il y va quand même ! Il n’y a pas qu’au cinéma que les per - Lino Ventura dans sonnages sont plus grands. Un des truands du fait divers dont je me suis Le Deuxième Souffle inspiré pour La Raison du plus faible et qui s’est fait tuer, aurait pu se (Jean-Pierre Melville, 1966). rendre dix fois. Il a préféré mourir.

La notion de genre semble vous tenir à cœur. Comment l’abordez-vous ? L. B. Yvan Attal dans Rapt : Il est important de ne pas se tromper. Il faut définir ce qu’est un (2009). Le personnage principal dans Cavale est un militant d’extrême gauche. film de genre. Par moments, y compris pour moi, c’est un peu du mar - Vous traitez ensuite les affaires Empain et Elf. L’abandon économique, keting. Il y a eu un phénomène de mode. Sur la trilogie, Cavale est un la violence criminelle semblent être un terrain qui vous est particuliè - film de genre, avec ses formes imposées. Un couple épatant , égale - rement cher. ment, qui est une comédie, alors qu’ Après la vie est un film dont le L. B. : Ou qui m’a interpellé. Je crois que c’est une des composantes genre n’est pas défini, ce n’est donc plus un genre. Vous parliez de du film noir depuis toujours. Même quand cela n’est pas affirmé. Le drame. Est-ce que drame est un genre ? À l’époque je parlais de mélo. film noir, à la différence du film policier, raconte toujours de façon clan - Par exemple, polar ne veut rien dire. Alors que le film noir est un genre destine quelque chose de son époque. C’est une façon de dire des choses assez précis. J’ai « vendu » Après la vie en tant que mélo, alors qu’il à un public qui n’ira pas forcément voir des documentaires et des films n’en est pas complètement un. Je voulais que cette trilogie reflète trois politiques. Je pense à l’œuvre de Simenon, même si le romancier ne le genres. Je confesse avoir un peu triché.

22 23 Lucas Belvaux Mon premier film était un faux film de genre. C’était un road-movie, meurent ?, lui-même inspiré de l’affaire Kitty la table de montage. Plus nous avançons et qui se passait entre Paris, Douai, dans le Nord, et Paris sur 24 heures. Genovese. Ce roman raconte un fait divers plus je suis exigeant car cela devient de plus C’est un film de genre français. L’échec du film a été tel que j’ai été qui s’est passé aux États-Unis en 1963/64. en plus précis. Jusqu’à maintenant, je suis obligé pour mon second film, Pour rire ! , de rentrer dans le système. Si L’assassinat d’une jeune fille qui rentre la plutôt content du résultat. j’avais dit que j’allais refaire un film dans la même veine que le premier, nuit chez elle, après son travail. À des degrés je n’aurais eu aucune chance de refaire un film un jour. À l’époque, ce divers, 38 personnes sont témoins de ce qu’il La musique est particulièrement bien réussie qui marchait et qui se produisait le plus facilement était la s’est passé. Aucune n’est intervenue, alors dans La Raison du plus faible. comédie. J’appelle le film Pour rire ! . Au début, c’est un nom de que si l’une d’entre elles avait seulement pris L. B. : La musique est effectivement très code. Je me disais que je trouverai le titre du film après l’avoir son téléphone, la fille ne serait pas morte. bonne. J’ai une anecdote sur cette musique écrit. Les premiers titres souvent s’imposent. Celui-là n’était pas J’ai transposé ce fait divers aujourd’hui. Mon de ce film. Ludo Troch, qui est le monteur si mal. Il me rappelait que j’écrivais une comédie, une comédie film est à la fois très loin du livre de Decoin, de ce film ainsi que de Cavale , de mon un peu mélancolique. Ce n’est pas la première du genre. La tout en en conservant son essence, la situa - dernier film et de l’un des épisodes des Pré - Garçonnière, de Billy Wilder est très triste jusqu’à deux minutes tion de départ. dateurs est musicien amateur. Il a, ,dans sa Jack Lemmon et Shirley MacLaine de la fin. Ce film reste extrêmement noir. Toute cette période de la jeunesse, fait de la sonorisation de concerts. dans La comédie est nourrie de noirceur. Pour rire ! se réfère à cela. Citons aussi Quelle est votre degré d’implication pour la Il a l’oreille absolue. C’est d’ailleurs parfois Garçonnière (Billy Wilder, 1960). Lubitsch, la Nouvelle Vague avec Godard, les comédies italiennes… musique de vos films ? Travaillez-vous beau - assez troublant, bien que très utile. Dans La coup avec le musicien, ou au contraire lui Raison du plus faible , nous étions partis sur On parle de genre, de code. Certains jugent votre cinéma un peu théo - laissez-vous beaucoup d’autonomie ? l’idée d’un piano préparé. C’est-à-dire un rique. Qu’il manque un peu d’émotion. L. B . : J’ai l’habitude de travailler avec piano un peu bricolé avec des bouts de L. B. : Oui, je pars souvent de la théorie. Sur la trilogie c’est évident. Je Ricardo Del Fra, sauf exceptions : mon cartons et des morceaux de bois dans les réfléchis en termes de théorie. premier film, Parfois trop d’amour , dans cordes pour assourdir le son, changer un peu

Est-ce que ce manque à gagner peut se rattraper sur “On peut discuter, on l’émotion ? Peut-être êtes-vous en désaccord avec ce “En ce qui concerne la musique, cela vient en cours de route. peut ne pas aimer. On qui se dit ? C’est fonction de ce que le musicien va me proposer.” peut ne pas être ému… L. B. : Je n’ai pas à être d’accord ou pas d’accord. Si On peut ne pas rire aux certains l’ont ressenti, de leur point de vue, ils ont raison. comédies.” D’autres ne l’auront peut-être pas ressenti. Une fois que lequel il n’y avait pas de musique originale la sonorité. Ricardo nous a proposé des le film est fait, le réalisateur ne maîtrise rien. Je n’ai pas et 38 Témoins . Je connais Ricardo depuis maquettes avec des longueurs, des accords, de problème avec ces remarques. J’ai des problèmes avec les « har - longtemps, à l’époque où je jouais au théâtre. des mélodies. Et à côté de ces propositions, gneux crétins ». On peut discuter, on peut ne pas aimer. On peut ne Il n’avait jamais écrit de musique de films nous avions d’autres morceaux avec des pas être ému… On peut ne pas rire aux comédies. À chacun ses goûts. avant que nous travaillions ensemble. Nous cordes dans les aigus, des tonalités et des Il y a plein de cinéastes admirés que je n’aime pas et vice et versa. Si on pouvons dire que nous avons appris à en rythmes qui n’avaient rien à voir avec ceux sent un peu la théorie, c’est que le film est un peu raté. En principe, la faire ensemble. Parmi les gens avec lesquels du piano préparé. Puisque la technique nous théorie ne doit pas se sentir. Dans la trilogie, c’est tellement théorique je travaille, il est l’un des premiers à lire le le permet, Ludo et moi avons eu envie de à la base que l’on ne peut pas en faire fi. Même ceux qui aiment ces films, scénario, c’est-à-dire bien avant le tournage. superposer ces deux musiques, ce qui faisait voient que c’est théorique à la base. Je ne trouve pas que La Raison du Il commence à réfléchir à la musique. Nous comme un nouveau morceau, que l’on a plus faible soit un film très théorique. Rapt est-il théorique ? Je n’en sais travaillons chacun dans notre coin. Je lui calé sur une séquence. Puis on a montré ce rien. Je l’ai beaucoup entendu sur le scénario de mon dernier film, 38 montre les rushes. Il me propose un flot de montage à Ricardo pour qu’il réfléchisse à Témoins . Je verrai comment le film sera accueilli. maquettes avec des couleurs, des rythmes, quelque chose dans cet esprit-là. Et ce que Kitty Genovese. des mélodies parmi lesquels nous choisis - Ricardo nous a proposé n’était finalement Quelques mots sur votre dernier film. Par rapport au film pré - sons ce vers quoi nous voulons aller. J’ai éga - pas très loin de notre montage. cédent, il est dans la même veine de criminalité d’un point de lement des idées de musique, d’orchestration. vue sociologique. Je lui donne des indications, telles que rajou - Pour la musique comme pour la bande-son, L. B. : 38 Témoins est un film noir. Ce n’est pas un film poli - ter de la trompette ou au contraire, opter avez-vous déjà des idées avant ? Ou vous cier. Il y a des flics mais il n’y a pas d’enquête. Plus précisé - pour un son très dépouillé… Toutes mes laissez-vous inspirer par les images ? ment, elle est périphérique. Ce scénario est une adaptation remarques servent à nourrir sa réflexion. L. B. : En ce qui concerne la musique, cela du dernier roman de Didier Decoin Est-ce ainsi que les femmes J’écoute ses propositions plus détaillées sur vient en cours de route. C’est fonction de ce

24 25 Lucas Belvaux que le musicien va me proposer. J’aurais très Est-ce que les voix sont toujours en direct envie de jouer un jour avec des trompes des ou sont-elles postsynchronisées ? Alpes. Je trouve cela très joli. Mais un peu L. B. : Il y a un peu de postsynchronisation dur à placer ! Il serait opportun de tourner dans mes films. Je ne suis pas un maniaque en Suisse. Je ne sais pas si le contexte s’y du direct. Quand la prise du son n’est pas prêtera… Pour revenir à la trompette dans bonne, tant pis. Nous la refaisons en post- le film. C’est moi qui ai eu l’idée. Parce que synchro. Avant, nous courrions un risque au j’en ai joué. Parce que Miles Davis a fait niveau de la qualité de la prise du son. Main - Ascenseur pour l’échafaud . Sur Rapt , j’ai eu tenant, les acteurs ont pratiquement en per - envie d’un trombone. Je trouve que l’instru - manence des micros HF qui permettent de ment est beau, qu’on ne l’utilise pas assez restituer un peu de présence. Lorsque nous souvent. Pour le son, j’ai déjà des idées au faisons les postsynchronisations avec, à la moment de l’écriture ou de la préparation. fois, une perche et des micros HF, nous arri - J’ai aussi quelques manies. Des choses que vons à retrouver la tonalité du tournage. Le j’aime, des choses que je n’aime pas. Cela se résultat est tel que si je ne me souviens plus joue un peu à la prise de son et beaucoup où il y a eu de la post-synchro lorsque je au mixage. revois le film, je ne l’entends même pas. Sa qualité permet maintenant de monter deux

“Il y a un peu de postsynchronisation dans mes films.”

Il y a des bandes-son réalistes tandis que mots seulement dans une phrase, voire une 38 Témoins (2012), d’autres permettent de s’évader… avec entre autres Nicole syllabe. Sur mon dernier film par exemple, un Garcia, Sophie Quinton L. B. : Comparé à ce qu’il se pratique en acteur disait un mot de façon tellement et Yvan Attal. général, je fais des bandes-son avec très peu approximative que l’on comprenait autre de fond d’air. Un fond d’air n’est rien de plus chose. Il disait : « beau travail » au lieu de qu’un grand « pchuuuuut ». Les ingénieurs du « bon travail », ce qui ne voulait plus rien son et les mixeurs démentiront. Le fond d’air dire dans le contexte. Nous avons changé le a une fonction, depuis que l’on a le Dolby, mot dans la phrase très facilement. La couture le mixage avec 90 pistes et une multitude de ne s’entend pas ! sons d’origines diverses. Si nous ne voulons pas tout noyer dans la musique, il faut lier Qui était le personnage principal dans La tous les sons et leur donner une existence Raison du plus faible ? Vous, Éric Caravaca commune. Tous les sons ne proviennent pas ou la bande ? de la même source ni du tournage, faute de L. B. : Je ne me pose pas la question. Avec ce temps. Par ailleurs nous sommes tentés de genre de films, c’est le spectateur qui choisit rajouter plein d’éléments au mixage, c’est le le personnage principal. Quand nous nous boulot du monteur-son. Pour les lier, il y a ces posons la question, c’est qu’il n’y en a pas fameux fonds d’air. On en met un, puis deux vraiment. Le personnage principal est celui et trois pour donner de la profondeur. Je auquel le spectateur s’intéresse le plus. La déteste qu’il y ait des sons partout. Depuis perception peut changer de l’un à l’autre. la trilogie, j’essaie de faire des sons les plus légers possible. Voire, parfois, de ne pas Quel type de producteur Robert Guédiguian mettre de fonds d’air du tout, pour provo - est-il ? quer une sensation d’apnée dans la salle et L. B. : Je ne travaille pas directement avec dans la scène. Parfois il n’y a plus de son, lui. Je travaille avec Patrick Sobelman, chez sur la bande-son. Et c’est mieux ainsi. Agat Films & Cie, un collectif de producteurs.

26 27 Lucas Belvaux Lorsque tout va bien, chaque producteur faut appeler le producteur qui a vu le film savoir ce qu’il fallait que j’écrive et comment y parvenir ? Comment produit ses films et laisse l’autre travailler. étalonné et trouve que cela ne va pas du tout. produire ce film ? Et comment le mettre sur le marché ? Car le cinéma En cas de difficultés – difficulté majeure, Très étonnée, l’étalonneuse lui demande est aussi une question de marché. C’est de l’épicerie. Encore plus main - risques à prendre, lourds problèmes à résou - quand a eu lieu la projection du film. Ce à tenant qu’à l’époque. En revanche, il n’y a pas d’incompatibilité entre dre – les producteurs prennent des décisions quoi son interlocutrice lui répond qu’elle être très honnête avec ce que l’on fait et s’inscrire dans une production collectivement. Robert est l’un des produc - n’en sait rien. Le fin mot de l’histoire était industrielle. Les réalisateurs dont nous avons parlé teurs historiques d’Agat Films. À ce titre, sa que le producteur avait vu le film sur son précédemment, des références absolues, Lubitsch, voix est prépondérante, mais les décisions iPhone. Un producteur qui se permet d’é - Wilder, Ford et d’autres, plus récemment, étaient se prennent à huit. Sans Robert, la trilogie mettre un avis sur un étalonnage après avoir autrement plus contraints que nous aujourd’hui, en ne se serait pas faite. C’est un producteur regardé le film qu’il produit, sur un iPhone France. Cela ne leur a pas empêché de faire des réalisateur généreux. Il aime les autres réali - n’est pas très sérieux. Il faut qu’il cherche films, de très grands films, qui n’appartenaient qu’à sateurs. Il s’intéresse à leur travail. Il voit leur des sous, signe des chèques et qu’il la ferme ! eux et qui leur ressemblaient. J’ai considéré qu’il y film, il en parle. Et il n’est jamais intrusif. Il n’est pas acceptable de travailler dans de avait un système et quoi que j’en pense, c’était dans telles conditions. Quand on ne sait pas de ce système-là que j’allais être obligé de travailler si Sous-entendez-vous que d’autres produc - quoi on parle, il ne faut rien dire. Voilà le je voulais faire des films. L’autre possibilité était teurs le sont ? style de mésaventure à laquelle un réalisateur d’accepter la marge absolue. D’autres, des copains L. B. : Oui bien sûr, il y a des crétins. Je vais peut être confronté. parfois, ont fait ce choix. Le problème est qu’ils ne vous raconter une anecdote qui m’a beau - font que très rarement des films ou plus du tout. Il coup fait rire. Je travaille avec Patrick Sobel - Quand on regarde la ligne directrice de votre fallait que je trouve une voie, viable économique - man depuis dix ans. Depuis la trilogie, en carrière, exceptée une petite interruption ment et dans laquelle je me retrouverais quand même. Dorénavant, à chaque fois que je fais un film, je pense à ce qu’il va devenir après. Dit comme “Un producteur qui se permet d’émettre un avis cela, on peut penser que c’est une concession. Je To be or not to be (Ernst sur un étalonnage après avoir regardé le film qu’il produit, le vis au contraire comme une exigence, une contrainte. Sur mon dernier Lubitsch, 1942) et L’Homme tranquille, sur un iPhone n’est pas très sérieux.” film, les acteurs vedettes devaient être Yvan Attal et Charlotte Gains - (John Ford, 1952). bourg. Initialement, c’est Yvan qui est venu me voir avec l’idée de faire ce film. Il avait trouvé le bouquin passionnant et m’avait proposé de 2001. Bien qu’il puisse y avoir parfois après le premier film, vous faites preuve l’adapter. Par ailleurs, il voulait le jouer avec Charlotte. Pourquoi quelques tensions, je pense être un réalisa - d’une grande régularité. pas ? Cela me semblait être une bonne idée. Le film se serait financé teur qui appartient à la catégorie des ceux L. B. : Effectivement, d’autres carrières sont sur l’idée du couple. Il y avait longtemps qu’ils n’avaient pas tourné qui respectent les producteurs. Le cinéma plus accidentées ! J’ai une théorie, sur la ensemble. Cela aurait dû être simple. Et cela n’a pas été le cas. Le film est un travail d’équipe. Je fais les films. Je façon de faire des films. Elle vaut ce qu’elle est extrêmement noir. Je suis, tout de même, arrivé à le financer à hauteur prends les décisions artistiques. Et c’est tou - vaut… Après l’échec de Parfois trop d’amour , du niveau souhaité. Ce film n’était pas plus cher que Rapt , alors que jours moi qui les prendrai. Par contre, je suis échec très rude, j’aurais eu tort de ne pas me l’on avait deux stars au lieu d’une. En cours de préparation, très soucieux de la viabilité des productions, remettre en question. J’ai eu, malgré tout, la pour des raisons X, n’a plus voulu “À chaque fois que du plan de travail. Les décisions écono - chance que ce film soit soutenu par une asso - faire le film. Nous étions à deux semaines et demie du je fais un film, miques passent forcément par un choix artis - ciation de réalisateurs, l’ACID, qui m’a tournage. À ce moment-là, le financement était fini. Nous tique. À ce moment-là, nous décidons permis, malgré l’échec, de montrer le film avons été obligés de rappeler tous les gens, qui avaient je pense à ce qu'il va ensemble. Si j’ai besoin d’un hélicoptère et dans beaucoup de salles, à différents publics investi dans ce film, pour leur dire que l’argent qu’ils devenir après.” que le producteur me dit que c’est trop cher, – parfois très réduits, il nous est arrivé de avaient misé sur le couple Attal/Gainsbourg se passerait soit je trouve une autre solution, soit j’éco - projeter pour deux spectateurs seulement – de Charlotte et pour leur demander s’ils étaient toujours d’accord de nomise sur d’autres postes. Je peux dire que et d’organiser de nombreux débats. J’ai pu financer ce film à la même hauteur. Par chance, nous avons quasiment nous travaillons vraiment main dans la main ainsi comprendre que si le film ne marchait gardé le même financement. Les acteurs, les vedettes ne font pas tout. avec la directrice de production. Je travaillais pas, cela n’incombait pas uniquement au Il faut en permanence trouver la cohérence, l’équilibre du film. Un film il n’y a pas très longtemps avec une étalon - public et au distributeur, mais à moi, car sera cher ou pas, indépendamment des prétentions financières de chacun, neuse qui reçoit un coup de fil pendant que j’avais mal travaillé. J’ai pris conscience qu’il en fonction du projet global. Si j’avais voulu faire 38 Témoins avec X nous étions en train de travailler. Son inter - y avait un problème sur le film. Il fallait que millions d’euros en plus, j’aurais pu rajouter autant de stars que je locutrice lui dit qu’elle est très embêtée, qu’il j’y réfléchisse. La deuxième question était de voulais, je n’y serais jamais arrivé. Le nombre de stars n’aurait rien

28 29 Lucas Belvaux changé au projet. Par contre, tel qu’il a été financé, nous sommes arrivés moindre idée de ce que ce métier sous-entendait. J’étais guidé par ce que à le tourner dans de bonnes conditions financières. j’avais vu à l’écran. Je préférais le cinéma au théâtre. Je voulais être Alain Delon ou Jean-Paul Belmondo ! Je n’avais jamais vu de films de Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’être réalisateur ? Jean-Luc Godard, que j’ai découvert en arrivant à Paris à la fin des L. B. : J’ai passé mon enfance à la campagne, en Belgique, dans l’in - années 70, dans la revue L’Avant-Scène Cinéma . J’avais ternat où mon père travaillait. Chaque semaine, je voyais un film, en trouvé chez les bouquinistes deux numéros consacrés, de “Je n’avais jamais vu copie 16 mm. La programmation était en fonction des goûts des sur - mémoire, aux Carabiniers et à Pierrot le fou . Mes copains veillants qui n’étaient pas spécialement des cinéphiles. C’était pour eux m’emmenaient voir des films, dont je n’avais jamais de films de Jean-Luc un moyen comme un autre de faire passer deux heures à des gamins. Une entendu parler auparavant, dans des salles telles que le Godard, que j’ai semaine sur quatre, c’était à tour de rôle une comédie, un film de guerre, Châtelet Victoria qui repassait en boucle des films tels que découvert dans la Dersou Ouzala ou ceux de Cassavetes. Petit à petit, j’ai revue L’Avant-Scène eu envie de faire du théâtre. Et c’est là que je me suis Cinéma .” formé. Je ne savais pas, pour autant, ce qu’était la mise en scène. Pour moi, un film c’était une histoire avec des acteurs. En faire, me semblait être un métier « rigolo ». J’ai découvert ce qu’était la mise en scène en étant acteur dans des films. Et j’ai pris conscience que

Émilie Dequenne et Loïc Corbery dans Pas son ma vocation d’acteur était fausse. Au début, jouer me plaisait beaucoup genre (2014). et me procurait du plaisir. Sur la durée, ce métier ne me plaisait pas tant que ça. Au fur et à mesure, je me suis rendu compte que la mise en scène me conviendrait beaucoup plus. Et à partir de là, j’ai commencé à écrire. Par ailleurs, le fait d’avoir été acteur est, je pense, primordial pour faire de la mise en scène. C’est une voie idéale pour apprendre à faire des films. J’en - “Ma référence était Pas son genre (2014). En haut : Émilie un western et un film historique. C’est ainsi que nous avons vu autant courage les futurs réalisateurs à jouer dans les films de Rivette, bien que très Dequenne entourée de Charlotte Talpaert et de nanars que de chefs-d’œuvre absolus. La programmation d’un épisode leurs camarades avant de se lancer dans la mise en dur en tant que Sandra Nkaké. Au- des Gendarmes de Jean Girault pouvait suivre ou précéder celle de scène. La direction d’acteurs ne s’apprend pas. Si on directeur d’acteurs, dessous, Loïc Corbery. Quand passent les cigognes de Mikhaïl Kalatozov. Tous ces films, l’apprend, c’est avec beaucoup d’expérience. En tant alors que ma nature est montrés sans aucun discours, sans point de vue cinéphilique, m’ont qu’acteur, j’ai travaillé avec des metteurs en scène, qui plutôt chabrolienne.” nourri pendant dix ans. Chaque semaine sans exception, je voyais un film, tournaient depuis trente ans et qui ne savaient pas parfois deux, lorsqu’il avait été décidé de passer un film facile pour les comment fonctionne un acteur. Ils en avaient peur, ils enfants du primaire et une programmation un peu plus sérieuse pour ne savaient pas leur parler. Il n’y a pas deux acteurs identiques. Il y a des les lycées. Souvent, j’allais voir les deux. C’était une sorte de cinéphi - choses que l’on ne peut pas comprendre tant que l’on ne les a pas faites. lie sauvage. Après, il y a eu la télé… Comme j’étais un peu sale gosse Un acteur c’est d’abord un physique, un corps exposé qui parfois souffre. et cancre, j’ai voulu arrêter l’école et devenir acteur. Je n’avais pas la Tant que l’on n’a pas eu l’expérience de vivre : « Silence, moteur,

30 31 Lucas Belvaux on tourne, partez ». Puis après « Coupez » et voir arriver le réalisateur qui dit : « C’est pas mal, on la refait », on ne comprend pas ce qui se Filmographie passe. À ces moments-là, l’acteur est tout seul ou avec son partenaire. Je ne m’en suis pas rendu compte sur mon premier film, car j’étais plein Lucas Belvaux est né le 14 novembre 1961 à Namur (Belgique). d’ a priori à l’époque. Mes grandes expériences ont été avec Chabrol et Rivette. Les tournages avaient été longs, les rôles importants. Ce sont 1991. PARFOIS TROP D’AMOUR deux réalisateurs historiques. J’ai aussi tourné avec d’autres grands tels . Avec que Ferreri, Boisset ou Assayas dont c’était le premier film. Ma réfé - Joséphine Fresson, Bernard Mazzinghi, rence était Rivette, bien que très dur en tant que directeur d’acteurs, alors que ma nature est plutôt chabrolienne. Je David Martin. 1996. POUR RIRE ! Avec me suis plutôt inspiré de ce que faisait Rivette et il m’a , Jean-Pierre Léaud, Antoine fallu un film pour comprendre que l’on ne reproduit pas une façon de travailler. On a beau apprécier celle d’un Chappey. 2001. MÈRE DE TOXICO (TV). réalisateur, on ne pourra jamais la reproduire. Sa façon de Avec Valérie Mairesse, Jérémie Renier, Jean-Pierre Léaud et faire sera forcément intime et personnelle. Au fur et à mesure Ornella Muti dans de mes films, je me suis rendu compte que je travaillais plutôt comme 2003. UN COUPLE ÉPATANT / CAVALE/ APRÈS LA VIE Pour rire ! Francis Frappat. . Avec Chabrol et Truffaut. Peut-être un moins radical dans l’approche et plus drôle. J’ai eu l’occasion de m’en rendre compte sur le tournage de Pour François Morel, Ornella Muti, Gilbert Melki, Lucas Belvaux, Dominique Blanc, rire ! . J’avais affaire à de grands acteurs ! Ornella Muti et Jean-Pierre Catherine Frot. 2004. (TV). Avec Lucas Belvaux, Léaud. Je n’avais pas d’expérience pour approcher de tels des acteurs. Mais ça s’est très bien passé… I Raphaële Godin, Catherine Mouchet. 2006. LA RAISON DU PLUS FAIBLE . Avec Éric Caravaca, Lucas Belvaux, Claude Lucas Belvaux à l’ESRA avec Yves Alion. Semal. 2007. LES PRÉ - DATEURS (TV). Avec Aladin Reibel, Claude Brasseur, , Nicole Garcia. 2009. RAPT . Avec Yvan Attal, Anne Consigny, André Marcon. 2012. 38 TÉMOINS . Avec Yvan Attal, Sophie Quinton, Nicole Garcia. 2014. PAS SON GENRE . Avec Émilie Dequenne, Loïc Corbery, Sandra Nkake. I

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