lucas Débat animé par Yves Alion après la projection du film La Raison du plus faible, à l’École Supérieure belvaux de Réalisation Audiovisuelle de Paris le 3 novembre 2011 Lucas Belvaux est d’abord comédien. Sa carrière commence sur les chapeaux de roues, puisqu’il a le privilège d’incarner le personnage central d’ Allons z’enfants , l’un des meilleurs films d’Yves Boisset, où il se montre à la fois curieux de tout et rétif à l’ordre social. Des qualités qui seront comme un fil rouge dans les films qu’il signera par la suite. Sa filmo d’acteur comporte une jolie brochette de films exigeants autant que réussis, dont le très acide Poulet au vinaigre , de Claude Chabrol. Mais sans définitivement cesser de jouer, Belvaux se tourne assez vite vers la réalisation. Ses débuts sont prometteurs mais ne sortent guère de la production courante. Jusqu’au jour où il relève un défi inouï : réaliser trois films en parallèle, avec des personnages communs, des films qui se recoupent sans s’inscrire dans le même genre. La trilogie Un couple parfait / Cavale / Après la vie est une réussite incontestable qui souligne la hauteur de l’ambition du cinéaste autant que sa capacité à jongler avec les codes du cinéma. Et qui accessoirement lui permet d’obtenir un César. Belvaux La Raison du plus faible peut également s’enorgueillir d’un vrai talent de directeur d’acteurs, même si la tâche est toujours plus facile quand le réalisateur est lui-même passé devant la caméra. La suite de sa carrière se poursuit de façon harmonieuse et régulière, au cinéma (le plus souvent) ou sur le petit écran (pour lequel il livre un superbe Prédateurs , sur l’affaire ELF). Notre homme fait montre d’une certaine constance, ne sortant que rarement des limites de son univers, un univers marqué par la crise économique et sociale, dans lequel il n’est pas incongru de voir un positionnement politique. Entre Jean-Pierre Melville et Ken Loach, en étant universel sans jamais perdre de vue sa belgitude, Lucas Belvaux occupe en tout cas une place enviée, parmi les cinéastes francophones les plus intéressants de la décennie. I Lucas Belvaux ment dans la séquence du cycliste, paraîtraient odieux. Ce qu’ils sont effectivement, à ce moment-là. Ce sentiment ne se dégage pourtant pas sur l’ensemble du film. Ces perceptions différentes m’ont donné envie de creuser quelque chose. Elles rejoignaient une réflexion que j’avais sur les personnages secondaires. Qui sont-ils ? Comment les traiter ? Comment doivent-ils jouer ? Très souvent, plus le rôle est petit et plus l’acteur a envie de le caractériser. Il en fait parfois des tonnes. Fort de ce constat, je me suis dit que le personnage secondaire est le personnage principal d’un film dont on ne voit qu’un bout et par conséquent, il faut le traiter comme un personnage principal. À l’écriture, il faut imaginer qu’il est un autre, qu’il a quelque chose en plus. Au tournage, c’est la même chose. Il ne faut pas le laisser en faire plus que ce dont on a Entretien besoin. Puis, j’ai écrit Pour rire !, que j’ai tourné cinq ans après, suite à Vous avez joué, dans Poulet au vinaigre, de Claude Chabrol, un rôle qui vous a valu de décrocher en 1986 le César du Meilleur Espoir masculin… Lucas Belvaux : Poulet au vinaigre est un grand film, même s’il n’est pas de la même veine que les grands Chabrol des années 60/70, tel que Le Boucher … Ce film est plus ludique, compte tenu de la truculence du personnage principal, l’inspecteur Lavardin. C’est un très grand film de par sa mise en scène. Claude traversait à ce moment-là une période assez difficile. Il venait de connaître plusieurs échecs consécutifs. La relation avec la critique n’était pas très bonne, celle avec le public non plus. C’était une période creuse, il fallait qu’il redémarre. Il avait décidé de tourner un petit film, très vite, en six semaines. Poulet au vinaigre est une Lucas Belvaux et Jean comédie policière sous le signe de la bonne humeur, comme Poiret dans Poulet au sait le faire Claude Chabrol. Le premier jour de tournage, il avait annoncé vinaigre (Claude Chabrol, 1985). la couleur en nous prévenant qu’il tournerait sans contrechamp, qui est pourtant la figure de base de la grammaire cinématographique. Il a tenu Tonie Marshall et sa promesse. Il a été audacieux. l’échec un peu rude de Parfois trop d’amour . Pour rire ! m’a permis Jean-Pierre Léaud dans Pour rire ! d’espérer pouvoir tourner un jour la trilogie. Dès la fin de l’écriture de (1996). Votre trilogie Un couple épatant / Cavale / Après la vie (2003) est un Pour rire ! et avant même de le tourner, j’ai commencé à jeter sur papier exercice de style époustouflant. Quels ont été les obstacles en termes de les bases de cette trilogie, en partant du principe que les personnages réalisation, de production ? Comment les avez-vous surmontés ? secondaires deviendraient les personnages principaux du film qui sui - L. B. : L’idée d’une trilogie m’est venue dès le tournage de mon premier vrait. À cette époque, je lisais beaucoup Balzac. Je savourais film, Parfois trop d’amour , un film étrange, un peu raté, avec des choses le plaisir de retrouver des figurants, des personnages secon - “... les personnages très réussies et d’autres qui le sont moins. C’est l’histoire de trois amis daires d’une nouvelle, d’un roman qui avaient été person - secondaires qui décident, un samedi soir, de partir pour 24 heures à l’a - nages principaux dans d’autres histoires. Je voyais se construire deviendraient venture sur les routes du nord de la France. Ils vont rencontrer un monde. Pour exemple, on retrouve Pierre Grassou, le per - plusieurs personnages secondaires… Parmi lesquels un cycliste sonnage-titre d’une nouvelle de Balzac dans La Cousine Bette les personnages et un groupe de petits vieux. En les filmant, je me suis dit que ou Le Cousin Pons , avec l’un de ses portraits au mur. Si l’on principaux du film j’aurais pu filmer ces 24 heures en donnant les rôles princi - n’a pas lu Pierre Grassou auparavant, cette indication ne veut qui suivrait.” paux au cycliste et aux petits vieux qui auraient croisé les trois rien dire. Si au contraire on le connaît, l’allusion nous raconte zouaves. J’aurais alors fait un autre film. Et les trois amis auraient immédiatement plein de choses sur le personnage. Naît alors une conni - Parfois trop d’amour (1991). été des personnages secondaires. La perception du spectateur aurait été vence entre le lecteur et l’auteur. C’est très agréable. Lorsque je me suis radicalement différente. Les trois personnages principaux, vus unique - mis à écrire, le premier problème a été de savoir comment 6 7 Lucas Belvaux intéresser les gens à ces trois films. Quel était le sens de faire trois films avec les mêmes personnages, même s’ils changeaient de statut ? Cela ne suffisait pas et ne me suffisait pas. Au cinéma, la notion de genre est très importante. Je venais de faire Pour rire !, une comédie, et j’allais enchaîner avec trois films de genres différents. Cela m’a permis de m’amuser. Est-ce qu’une scène de comédie “... j’ai écrit dans un polar est toujours drôle ? Est-ce qu’une scène de les trois scénarios polar dans une comédie fait toujours peur ? En gardant bien en parallèle.” sûr, rigoureusement la même scène. Elle est peut-être un peu plus longue ou un peu plus courte mais les dialogues, la mise en scène, la lumière sont les mêmes dans leur partie commune. L’écri - ture de ce projet a duré à peu près cinq ou six ans, je l’ai bouclé en dix ans. Car la production et la fabrication ont été très longues, même si nous avons monté les trois films en parallèle. Le principe de l’écriture était de relier les trois histoires, mais en évitant que ce soit trop théorique. Chaque film devait commencer avec des personnages principaux en couple. Dans Cavale , le couple que je forme avec Catherine Frot n’est pas un couple amoureux, mais un couple de rencontre. Comment trois couples qui ne sont pas censés se croiser vont-ils être amenés à se ren - contrer ? J’ai envisagé que les trois femmes soient trois collègues dans un lycée. À partir de là, il n’y avait plus qu’à tisser une histoire. Cette tri - logie a été compliquée à écrire car c’était la première fois que je m’o - bligeais à avoir une idée de l’histoire jusqu’à la fin des trois films. Pour Page de gauche, être sûr que cela soit cohérent, j’ai écrit les trois scénarios en parallèle. François Morel, Lucas Belvaux et Ornella Pour que les personnages d’un scénario croisent ceux d’un autre, il Muti dans fallait toujours garder la même chronologie. C’était assez compliqué Un couple épatant (2003). car ce qui était bien pour la chronologie de la comédie ne l’était pas for - cément dans celle du polar. Il n’est pas toujours facile de produire un film. Que se passe-t-il lorsque l’on cherche à en produire trois ? L. B. : C’est le bazar. Je pensais que si l’un d’entre eux marchait, il finan - cerait les deux autres. Les financiers m’ont répondu : « Pas du tout.
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