Regards Sociologiques, n°20, 2000, pp. 5-25

Anne-Marie Waser Centre de Sociologie Européenne,

L'INTERNATIONALISATION DU SPORT TRANSFORMATION D'UNE ENTREPRISE UNIVERSELLE EN UN ORGANISME AU SERVICE DES INTERETS PARTICULIERS : LE COMITE INTERNATIONAL OLYMPIQUE (1894-1925)

Cet article vise à cerner les conditions so- pour les premières olympiades, aux diffé- ciales qui ont amené le Comité international rents comités d'organisation des Jeux olym- olympique à se transformer en un organisme piques (JO), la responsabilité d'édicter des au service des intérêts des différents parte- règles du jeu et de les faire respecter par les naires du sport international. En rénovant les participants. Jeux olympiques en 1894, Pierre de Cou- bertin a l'idée de faire du sport un outil de Les premières olympiades ont été un accélé- rapprochement des peuples mais aussi de rateur du processus d'internationalisation du contrôle des masses dominées. La célébra- sport : les dirigeants sportifs ont été tion de Jeux olympiques tous les quatre ans contraints de mettre en place une fédération doit permettre de diffuser et d'entretenir une nationale par sport qui veillerait à l'appli- pratique sportive régulière et une socialisa- cation de règles uniques sur l'ensemble du tion «bourgeoise» sur tous les continents. territoire, qui procéderait à la sélection des Son projet se concrétise par l'institution- athlètes les plus performants pour représen- nalisation des pratiques sportives anglaises, ter la nation lors de compétitions internatio- la reconnaissance de la valeur des titres nales et qui aurait pour mission de repré- sportifs et l'universalisation des règles spor- senter les intérêts nationaux au sein de la fé- tives. dération internationale. Les dirigeants des clubs sportifs les plus anciens ont saisi Au début du 20è siècle, la multiplication des l'opportunité de créer une fédération unique rencontres sportives, entre des clubs et des par sport et par pays et ont profité de cette équipes de nations différentes, pose la ques- occasion pour transformer une légitimé lo- tion de l'homogénéisation des règles du jeu. cale en un pouvoir national. La mise en Dans la plupart des sports, ce sont les clubs place du CIO a donné naissance à deux au- les plus anciens, très souvent anglais, qui ont tres types d'organisation : les comités olym- tenté de s'imposer comme organisations faî- piques nationaux (CNO), constitués de re- tières. La reconnaissance de la paternité du présentants du CIO dans les nations partici- jeu a donné lieu à des conflits entre diri- pant aux Jeux, et les comités nationaux des geants sportifs dès les premières éditions des sports, prenant des formes assez différentes Jeux olympiques. Dans certains sports, au selon les pays. En , le Comité natio- football notamment, ils ont persisté avec la nal des sports (CNS) a pour objectifs la dé- mise en place des fédérations sportives in- fense des intérêts du sport français et de ses ternationales (FSI ou FI). fédérations auprès des pouvoirs publics, des administrations et des fédérations étrangè- Le projet de rénovation des Jeux olympiques res1. de 1894 est singulier car il suppose l'homogénéisation des règles et la constitu- Les FSI et CNO ont très souvent exigé tion d'autorités uniques, dans chaque sport, d'être représentés au sein de l'instance au niveau national et international. Ces questions ont été inscrites à l'ordre du jour 1 A.-M. Waser, «L'ambivalence des relations entre des premières sessions et congrès de l'Etat et le sport de compétition dans les années l'organisme de tutelle des Jeux : le Comité 1920 et 1930. Conditions et effets de la création international olympique (CIO). Elles n'ont du Comité national des sports», Revue Juridique pas débouché sur des accords, laissant ainsi, et Economique du Sport, 53, déc. 1999, pp. 111- 6

olympique. Le CIO s'y est opposé mais a dagogue Thomas Arnold, sa principale réfé- concédé quelques unes de ses prérogatives. rence idéologique. Coubertin est à la fois sé- B a cédé, d'abord partiellement en 1921, duit par la culture libérale de Science Po et puis totalement en 1925, l'organisation et la défenseur de l'initiative privée. Il applique le direction technique des Jeux ainsi que la modèle de la centralisation avec un pouvoir constitution des jurys, aux fédérations spor- présidentiel fort au niveau des institutions tives internationales. L'ère qui s'ouvre après qu'il fonde et ne cache pas son admiration le congrès olympique de Prague de 1925 pour la Grèce antique qu'il tente de concilier marque une rupture. Le refus motivé par le avec les valeurs chevaleresques et le Moyen CIO du vœu des FSI d'être représentées en Age chrétien2. son sein n'est finalement pas suivi du boycott des Jeux d'Amsterdam. Les prési- Monique de Saint Martin3 souligne que sa dents des fédérations sportives internationa- famille a, de longue date, entrepris des stra- les, qui au milieu des années 1920 repré- tégies de reconversion du capital symbolique sentent les intérêts de plusieurs dizaines de et social en capital culturel et politique. fédérations nationales, n'ont pas pu exécuter , semble particulièrement leurs menaces. Il apparaît clairement que les bien placé pour entreprendre une action po- intérêts d'une participation aux JO litique en dehors des mécanismes tradition- l'emportent sur les «querelles» de pouvoir nels. En effet, il dispose tout à la fois de res- de l'administration sportive internationale. sources économiques, d'une culture politi- Les représentants des fédérations internatio- que et diplomatique acquise lors de ses étu- nales et des comités nationaux olympiques des et d'un important réseau de relations se servent du CIO comme d'une entreprise avec des hommes politiques, des diplomates, de production de ressources symboliques des officiers, mais aussi avec des directeurs universellement reconnues (les titres spor- d'établissements scolaires, des professeurs tifs) à des fins particulières, voire person- ou encore des écrivains. H a l'art de persua- nelles. L'année 1925 correspond également der et de convaincre. H entretient ce réseau à un changement de présidence du CIO : en confiant à ceux qui lui ont fait confiance, Pierre de Coubertin, se retire déçu de n'avoir des fonctions honorifiques ou de prestige pu mener à bien le travail de rénovation pé- dans les organisations qu'il met en place. Il dagogique, et laisse la place à un homme de défend les valeurs aristocratiques, le désinté- compromis, le comte Henri de Baillet- ressement et les valeurs chevaleresques de la Latour, qui renouvelle largement la façon noblesse contre le mercantilisme et lutte d'administrer et de conduire cette organisa- contre le surmenage scolaire. H est souvent tion internationale. incompris car ses prises de positions sont ambiguës et contradictoires. En effet, comme le précise Monique de Saint Martin, LA RENOVATION DES JEUX «alors qu'il s'était 'rallié' à la République comme le OLYMPIQUES: LE SPORT COMME héros de son roman, et qu'il professait une idéologie INSTRUMENT D'UNE REVOLUTION 'égalitaire', il n'en est pas moins anti-dreyfusard, PEDAGOGIQUE célèbre l'empire colonial français, avec des propos et des déclarations qui ne sont pas exempts de racisme, ne condamne jamais Hitler et appuie totalement les La trajectoire de Pierre de Coubertin Jeux olympiques de Berlin en 1936, un peu comme s'il avait consenti le minimum d'adaptation ou de Pierre de Coubertin, né en 1863 à Paris, issu concessions nécessaires aux transformations politi- d'une famille d'ancienne noblesse, profon- dément catholique et monarchiste, fait ses études chez les jésuites puis, après un court 2 Y.-P. Boulongne, La vie et l'œuvre pédagogique passage à Saint-Cyr dont il démissionne et à de Pierre de Coubertin. Ottawa. Lemeac.1975 ; L. Callebat, Pierre de Coubertin, Paris, Fayard, la faculté de droit, entre à l'Ecole libre de 1988. Science Politique où il découvre Tocque- 3 M. de Saint Martin, «La noblesse et les 'sports ville, Taine et Le Play qui sera, avec le pé- nobles'», Actes de la recherche en sciences so- ciales, nov. 1989, 80, pp. 22-32. 7

ques et sociales de l'époque pour maintenir et, si Le projet de rénovation des Jeux olympi- possible, renforcer les acquis de l'ancien ordre qui ques lui semblaient les plus importants»4. La Troisième République est porteuse d'une Au début des années 1890, Jules Simon, nouvelle justice sociale mise en œuvre dans alors ministre de l'Instruction publique, des institutions et des catégories censées confie à Coubertin, son conseiller politique, construire des espaces de liberté dans les- une mission d'études en Angleterre. De re- quels chacun devait pouvoir réussir7. Cou- tour, Coubertin est convaincu de la perti- bertin, comme un certain nombre de républi- nence du système éducatif britannique qui cains conservateurs, est convaincu qu'il faut est en œuvre depuis 1850 environ. D a l'idée une réforme radicale de l'enseignement et un de former aux taches de direction, par socle éducatif fort et stable pour imposer une l'éducation physique et le sport, les jeunes assise sociale et économique à la Républi- bourgeois français, dans le but de fortifier que. Après plusieurs séjours en Angleterre, des institutions fragilisées par le contexte il lui apparaît clairement que la puissance international, militaire et colonial de économique et militaire de la Grande- l'époque. Certains sociologues et historiens Bretagne est liée à la formation que les jeu- ont analysé cette volonté de former des «dé- nes élites reçoivent dans les public schools. brouillards» moins comme un projet huma- Il constate que le sport occupe une grande niste que comme une façon d'étendre la place dans les enseignements britanniques : puissance nationale et le principe de domi- il stimulerait l'apprentissage du courage, de nation envers les classes populaires, les peu- 5 la persévérance, de la liberté, de la discipline ples colonisés, mais aussi les femmes . et du respect. «On doit attribuer, pour une large Coubertin, qui est persuadé que la vigueur part, aux mérites de cette éducation [public schools d'une race ne dépend pas des caractéristi- britanniques] l'expansion prodigieuse de l'empire ques biologiques, veut promouvoir Britannique et le haut degré de puissance atteint par l'éducation physique dans les colonies afin les Anglais sous le règne de la reine Victoria. Il est d'imposer un savoir vivre occidental aux même curieux de constater que ces progrès coïnci- peuples africains et asiatiques condamnés, dent avec la réforme pédagogique qui s'est opérée selon lui, à la soumission politique. dans le Royaume-Uni vers 1840. Dans cette réforme, l'exercice physique tient, en quelque sorte, la pre- L'année 1916 marque un tournant important mière place»°. dans sa conception du sport. Horrifié par la Guerre, Coubertin cherche à installer le Co- Le projet de Pierre de Coubertin est de ré- mité international olympique à Lausanne et former, dans le fond, le système éducatif propose que les Jeux ne soient pas seulement français en rétablissant l'habitude de un instrument de propagande en faveur l'exercice physique et en adaptant les sports d'une pédagogie par le sport mais aussi et 6 aux conditions de vie des peuples modernes. avant tout un facteur de paix . H suggère Les clubs et les associations sont qu'en se confrontant en joutes pacifiques et l'incarnation de «la cellule de la démocra- en communiant dans le même idéal moral et tie», il est urgent pour Coubertin de créer sportif, les nations apprendront à se connaî- des associations sportives dans les écoles. Le tre et à se respecter. système éducatif et les instituteurs sont des

4 Idem. p. 31. 7 P. Nord, «Les origines de la Troisième Républi- 5 F. Auger, «Une histoire politique du mouvement que en France (1860-1885)», Actes de la recher- olympique : l'exemple de l'entre-deux-guerres». che en sciences sociales, 116-117, mars 1997, pp. Thèse d'histoire, Nanterre, 1998 ; J.-M. Brohm, 53-68. C. Charle, Les élites de la Républiques Le mythe olympique, Paris, Ch. Bourgois Ed., sé- (1880-1900), Fayard, 1987. rie «Quel corps ?», 1981. ^ Les Jeux Olympiques de 1896 Athènes - rapport 6 C. Gilliéron, Les relations de Lausanne et du officiel, par le baron de Coubertin, Timoléon Phi- mouvement olympique à l'époque de Pierre de lémon, N.G. Politis et Charalambos Anninos, Coubertin, 1894-1939, Lausanne, CIO, 1993. Athènes, Charles Beck, éd., Paris, H. Le Soudier, p.22. 1896, p. 5. 8

vecteurs sûrs d'une diffusion de cet idéal lait trouver un président d'honneur qui alors que les clubs et les unions sportifs dé- puisse donner une dimension internationale veloppent la commercialisation du spectacle à l'événement : le baron de Courcel, séna- sportif et les paris conduisant à une rivalité teur réputé et ancien ambassadeur de France exacerbée. à Berlin, est pressenti. Il accepte d'ouvrir la séance par un discours dans lequel il montre En 1893, le contexte semble favorable à que les Jeux olympiques sont l'occasion de Pierre de Coubertin qui entretient depuis rassembler les nations et pourraient prendre quelques années déjà des relations avec des part à la construction de la paix entre les na- personnalités des milieux pédagogiques et tions. sportifs en Belgique, en Angleterre et aux Etats-Unis. Soutenu par quelques personna- Coubertin n'a rien négligé dans la mise en lités, Pierre de Coubertin, qui a 31 ans en scène : il a entrepris une correspondance im- 1894, s'illustre par la stratégie mise œuvre portante avec des personnalités étrangères pour donner une légitimité à un projet qui du monde politique, éducatif ou sportif, mais apparaissait soit futile, soit irréalisable. Il aussi avec des personnes connues pour dé- n'a rien négligé pour faire en sorte que la ré- fendre un mouvement international pour la novation des Jeux olympiques soit perçue paix. Dans la première lettre d'invitation, comme une entreprise sérieuse. Tout a été puis sur l'affiche du congrès, une certaine pensé, de la séance d'ouverture à la compo- discrétion entoure l'objet même de la ré- sition du Comité international olympique union intitulée : «la rénovation des jeux et la qui est créé les jours suivant la cérémonie. création d'une organisation sportive internationale». H fallait que l'objet des débats intéresse les Un appel est lancé «à toutes les sociétés de sport représentants pressentis. La lettre d'invita- du monde», celles connues par Pierre de Cou- tion insiste avant tout sur l'importance «de bertin, pour les convaincre d'envoyer un re- conserver à l'athlétisme le caractère noble et cheva- présentant à Paris, en juin 1894, pour le leresque qui l'a distingué dans le passé, afin qu'il congrès international en vue du rétablisse- puisse continuer de jouer efficacement dans l'édu- ment des Jeux olympiques. H demande le cation des peuples modernes le rôle admirable que soutien d'un de ses amis, le professeur lui attribuèrent les maîtres GrecsPuisque le Sloane de l'université de Princeton et des principe de l'amateurisme est menacé par personnes avec lesquelles il entretient une «l'esprit de lucre et de professionnalisme», une ré- correspondance suivie, comme M. Kemény forme s'impose. Il faut donc la discuter. Les en Hongrie, le général de Boutowski en destinataires de la lettre, représentants de so- Russie, M. Herbert en Angleterre et le com- ciétés de sport amateur et personnalités, sont mandant Balck en Suède. Le programme du invités à fournir des études sur la question et congrès met volontairement en avant des à envoyer les règlements qui régissent leurs questions d'ordre purement sportif et non le sociétés amateurs afin de préparer et rétablissement des Jeux car Coubertin crai- d'enrichir les débats. gnait «qu'elle n'excitât les sarcasmes ou ne décou- rageât les bonnes volontés par l'ampleur même du A la fin du mois de mai, très peu de réponses projet». Il fallait un cadre pour marquer sont parvenues et beaucoup de personnalités l'événement : «il me semblait que sous les voûtes présentent leurs excuses de ne pouvoir faire de la Sorbonne, les mots 'Jeux olympiques' résonne- le déplacement. Devant les faibles intentions raient de manière à s'imposer aux assistantsLe des organismes étrangers, Coubertin envoie recteur de l'université de Paris lui accorde des invitations avec carte-réponses en port les locaux. Coubertin écrit aux rois des Hel- payé afin de tenter d'accroître le nombre de lènes et des Belges, au prince royal de participants à Paris. Certains présidents de Grèce, aux princes de Galles et de Suède et clubs envoient leurs statuts, leurs définitions au grand-duc Wladimir pour leur offrir le ti- de l'amateurisme et leurs suggestions en vue tre de membre d'honneur du congrès. Il fal-

Lettre circulaire signée par Pierre de Coubertin et 9 Idem, pp. 5-6. datée du 15 janvier 1894. Archives du CIO. 9

d'une harmonisation des règles, mais recu- pecter un règlement intérieur découlant de la lent devant les frais de déplacement et la du- charte olympique13 rédigée par Coubertin et rée du congrès. distribué avec l'ordre du jour et le pro- gramme du congrès. Ce premier congrès Le bilan du congrès est mitigé. La représen- avait pour but d'émettre des avis sur les dif- tation étrangère a été faible et témoigne du férentes questions et de préparer, mais non peu d'intérêt des personnalités du monde des d'établir une législation internationale. Il sports par rapport au projet d'organiser des fallait attendre l'établissement d'une ins- compétitions réunissant des athlètes de diffé- tance dotée d'un pouvoir exécutif pour que rentes nationalités dans plusieurs sports. Au les résolutions deviennent des règles. niveau des unions ou associations sportives qui avaient une reconnaissance internatio- Lors des congrès suivants les résolutions ont nale, seule l'Association vélocipédique in- été prises à la majorité des voix, après sou- ternationale est représentée. Comme le sou- missions de vœux provenant des séances de ligne Norbert Miiller11, plusieurs centaines travail de commissions réunissant des mem- d'élèves, d'étudiants et d'officiers ont béné- bres du Comité international olympique ficié d'entrées gratuites afin de garnir le (CIO), des représentants des gouvernements grand amphithéâtre de la Sorbonne, permet- étrangers (ministres de l'Instruction publi- tant ainsi d'attester de l'enthousiasme que que ou d'administrations d'Etat), d'universi- suscite le projet et de couper court aux criti- taires, de représentants de collèges et des ques de la presse que Coubertin craignait. écoles de l'enseignement secondaire ou de l'enseignement primaire supérieur, des re- Deux réunions préparatoires ont permis présentants des Comités nationaux olympi- d'anticiper les questions des participants en ques (CNO) et des représentants des Fédé- vue du rétablissement des JO, notamment rations ou Unions sportives internationales celles portant sur les difficultés d'organi- (FSI). On ne trouve pas de trace dans les ar- sation des concours de sports avec des chives de débats ni sur la composition des concurrents de différents pays12. Les diffi- congressistes et sur le nombre de voix qui cultés pressenties par Coubertin concer- leur est attribué, ni sur la façon dont les ré- naient l'acceptation du principe de l'ama- solutions doivent se prendre. Le fait de ne teurisme et l'obtention d'un consensus mi- pas fixer à l'avance de règles à ce niveau of- nimum de la part des fédérations et unions fre l'avantage de garder un degré de liberté à sportives au niveau des règles sportives. Sa l'avantage des organisateurs. Il semble que stratégie était de faire en sorte que ces ques- cette technique ait fait l'unanimité chez les tions soient débattues dans des assemblées proches de Coubertin au début de l'existence de pairs (pour participer au congrès il fallait du mouvement. Les critiques sur cette façon être invité et s'inscrire) qui seules pouvaient de produire des résolutions se multiplient garantir un consensus. En s'inscrivant au avec le développement des fédérations inter- congrès, les participants s'engageaient à res- nationales. Ce n'est qu'à partir du début des années 1920, que les fédérations remettent en question le fonctionnement du CIO et 11 N. Millier, Cent ans de Congrès Olympiques, demandent à y être représentées. 1894-1994, Comité International olympique, Lau- sanne, 1994, p. 35. La conception de l'internationalisation du L'une s'est tenue au club de l'université de New York le 27 novembre 1893 : les membres, invités sport de Coubertin par Sloane, étaient des représentants des univer- sités de Harvard, Yale, Princeton et Colombia. La Coubertin s'exprime peu sur les questions deuxième réunion, tenue le 7 février 1894 au Sports-Club de Londres, était organisée par M.C. d'institutionnalisation et d'internationa- Herbert, secrétaire de l'Amateur athletic associa- lisation du sport, tant il est convaincu que tion. Coubertin sollicite la présence les organisations sportives - celles qui sont d'universitaires et non de personnalités du monde sportif pour la mise en place de son mouvement. Coubertin P. de, «L'œuvre du CIO», in Revue 13 La charte olympique définit les Jeux olympiques olympique, janv. 1901, pp. 5-6. et son administration. 10

légitimes à ses yeux - de pays qui s'illustrent porte de provoquer dans chaque pays... Nous sur le plan économique, militaire et diplo- croyons qu'un jour viendra où les élimina- matique parviendront à imposer leur défini- toires des Olympiades constitueront les plus tion et façon de faire du sport aux repré- importants concours nationaux. (...) sentants de pays qui demandent à entrer dans cette nouvelle compétition mondiale. Il Il est désirable que les épreuves s'orga- considère que le nouvel ordre international nisent. (...) Les membres du Comité interna- des sports doit être indépendant de toute les tional (...) ont éprouvé le besoin de se faire formes de pouvoir : «(...) l'internationalisme aider par de zélés collaborateurs et des co- sportif (...) est basé sur le sens des rivalités mités nationaux olympiques ont été consti- et sur l'esprit d'émulation, nullement sur tués dans plusieurs pays. (...) Mais nous l'espèce de cosmopolitisme et d'amour de croyons que pour faire une besogne efficace, l'humanité dont certains politiciens es- les comités nationaux ne doivent pas plus comptent l'avènement. Dans ces conditions, que le Comité international, être une éma- autant les rencontres sont populaires, autant nation des principales fédérations ou socié- l'ingérence étrangère dans l'administration tés sportives du pays et qu'ils doivent, en des sports nationaux paraîtrait vite intoléra- règle générale, se tenir soigneusement au- ble à ceux qui devraient la supporter. (...) dessus des querelles intestines qui existent L'ère qui s'ouvre est bien plutôt l'ère des plus ou moins en tous lieux. On doit donc les «traités de commerce» appliqués aux sports. composer de personnalités compétentes, in- C'est aux fédérations elles-mêmes à discutées et étrangères aux coteries. s'aboucher entre elles, à conclure des en- tentes qui faciliteront les rencontres, et dont Il y a tout avantage à ce que ces comités les clauses, d'ailleurs, pourront toujours être soient permanents (...). On ne saurait trop dénoncées (...) ou modifiées (...). Cela dit, insister sur le danger qu'il y aurait à faire l'unification raisonnable des règlements de d'un comité national olympique un rouage jeux et de concours, voilà le but à poursui- central et directeur de l'activité sportive vre. dans un pays. La discorde ne saurait man- quer d'en découler car les fédérations ne Le Comité international olympique (...) se- pourraient voir d'un bon œil un pareil em- rait heureux de pouvoir aider à cette unifi- piétement sur leurs prérogatives. Le rôle du cation bienfaisante, c'est pourquoi il a pris comité national est de leur venir en aide et l'initiative de convoquer un congrès (...). Si de faciliter la participation de leurs repré- le Comité olympique a cru pouvoir entrer sentants aux JO»14. dans cette voie, c'est précisément en raison de son caractère de neutralité et parce qu'il La réception du projet olympique se défend avec soin de toute ingérence dans les affaires des diverses fédérations (...). Sans prétendre cerner l'espace de la presse au tournant du siècle et sans disposer d'un Les membres du comité ne sont point les corpus exhaustif des articles parus au mo- délégués des fédérations sportives de leur ment de la rénovation des Jeux olympiques, pays auprès de l'institution olympique ; ils il apparaît que la plupart des journalistes ont sont au contraire les représentants de cette été embarrassés par cette cérémonie. Les ar- institution auprès des fédérations de leur ticles publiés dans le Figaro et le Vélo in- pays, ses ambassadeurs en quelque sorte forment sur les lieux, dates et objet du (...)• «Pour que les jeux atteignent le degré congrès fondateur et décrivent la cérémonie de valeur technique (...) il faut que chaque sans porter de jugement sur l'événement, pays prenne l'habitude d'y envoyer ses mais presque tous insistent sur la noblesse et meilleurs hommes. (...) L'appui matériel et la renommée des invités qui semblent inter- moral des gouvernements, le patronage des dire toute critique. Un seul article ironique autorités, les subventions des pouvoirs pu- blics et, surtout, d'intéressants et sérieux concours éliminatoires, voilà ce qu'il im- p. de Coubertin, «L'organisation olympique», Re- vue Olympique, juillet 1903, pp. 35-38. 11

publié dans le Figaro du 20 juin 1894 rompt ture en mettant en place des championnats la série. Le journaliste, qui ne signe pas, amateurs. Tony Mason montre combien, en rend compte des résultats du congrès par Angleterre, les rivalités entre les clubs de respect pour les personnalités qui se sont en- football britanniques et gallois sont fortes, gagées et précise que ce n'est pas à lui de rendant fade tout projet de rencontres entre commenter les décisions prises. Mais le ton des équipes inconnues du grand public15. est critique : «Pour satisfaire à ce besoin in- Les dirigeants anglais, convaincus que leurs surmontable qui le pousse à toucher à tout, joueurs ont des niveaux supérieurs à ceux à vouloir tout réglementer, l'homme inventa des autres pays où le football se développe, le Congrès. Dire qu'ils n'ont jamais servi ou ne voient pas l'intérêt d'organiser des ren- qu'ils ne serviront jamais à grand chose se- contres internationales qui occasionneraient rait beaucoup s'avancer; d'ailleurs, leur des frais et qui n'attireraient pas beaucoup but est d'émettre des vœux fort platoniques de spectateurs. La méconnaissance des qui, le plus souvent, ne se réalisent pas ; équipes sportives étrangères et le coût des mais qu 'importent aux congressistes ? Ils déplacements ne permet pas d'envisager la ont fait œuvre, cela doit leur suffire». Après création de championnats européens. Le une critique des positions patriotiques de projet de Coubertin apparaît comme irréa- Coubertin, le journaliste remet en question liste aux yeux de la plupart des dirigeants de les valeurs aristocratiques qui définissent grands clubs. l'idéal amateur dans un sport déjà largement professionnalisé. Charles Mauras, dans La Les projets des fédérations sportives Gazette de France du 20 juin 1894, reproche concurrentes également à Coubertin son «snobisme mo- derne» et une «anglomanie» qui revient à La volonté de réunir par le sport n'est pas dire que «l'internationale du sport» veut dire l'exclusivité du Comité international olym- «anglais» en rayant d'un trait les coutumes, pique. Dès la fin de la Première Guerre, des les traditions, les spécificités liées aux «ra- projets concurrents constitués par des orga- ces, latitudes, climats, volonté». nisations communistès et socialistes, désta- bilisent le mouvement olympique qui ras- Les dirigeants sportifs ne sont pas les invités semble essentiellement des pratiquants issus d'honneur du Congrès de Paris de 1894. de la bourgeoisie. En France, le développe- Coubertin se méfie des unions et des socié- ment des clubs ouvriers s'est fait hors de tés sportives les plus populaires qui ont dé- structures sportives jugées trop engagées sur veloppé des sections professionnelles. Les le plan militaire et religieux. La Fédération dirigeants de clubs qui se mettent en place à des sports athlétiques socialistes se constitue la fin des années 1890 sont assez indiffé- contre l'Union des Sociétés Françaises de rents au projet d'internationalisation du Sports Athlétiques (USFSA), ainsi que sport qu'ils pensent irréalisable en raison l'Union des sociétés gymniques de France des coûts des transports et de (USGF) ou encore contre la Fédération l'indisponibilité des athlètes salariés. Les sportive gymnique des patronage de France Jeux olympiques ne sont, dans l'ensemble, (FSGPF)i°. Les organisations sportives ou- pas perçus comme un projet concurrent aux vrières, très liées aux partis politiques, se championnats du monde ou aux compéti- multiplient en créant leur propres manifesta- tions internationales déjà existantes. tions. Certaines fédérations, comme l'Union sportive de Lúceme, qui regroupent les as- En Europe, les fédérations de sports «ri- sociations d'obédience socialiste en Europe, ches» qui bénéficient de recettes régulières proposent des compétitions entre associa- grâce aux ventes de billets au guichet, orga- nisent, souvent avec le concours de la presse, des rencontres opposant des athlètes T. Mason, «L'équipe d'Angleterre, entre clubs et professionnels de notoriété internationale. nation», Sociétés et Représentations, n°7, déc. Elles développent des sections profession- 1998, pp. 23-32. nelles à côté du sport amateur qui se struc- P. Arnaud, (dir.) et al., Les origines du sport ou- vrier en Europe, Paris, L'Harmattan, 1994, 308 p. 12

tions de différents pays. Les questions Dans ce contexte et sous la pression des fé- d'unification des règles ne semblent pas dérations internationales de plus en plus avoir posé de difficultés particulières, la fi- structurées, le CIO abandonne aux fédéra- nalité de ces rencontres sportives n'étant pas tions la direction technique des Jeux. Mais la la production de classement ou hiérarchie question de la direction du mouvement sportive. sportif international se pose chez tous ceux qui perçoivent le CIO comme un organisme Alain Ehrenberg souligne que la spécificité de reproduction des inégalités sociales. Un du mouvement sportif «rouge» est d'attirer certain nombre de dirigeants sportifs et poli- vers lui un jeune public et de forger des mi- tiques, français et anglais notamment, ré- litants forts et combatifs en leur proposant clament le rattachement du mouvement des clubs multi-sports construits pour le ren- sportif international à la Société des nations versement de l'ordre capitaliste. Le sport et que les Français et Britanniques contrôlent la gymnastique ne sont pas un but, mais un quasi-exclusivement. instrument de la lutte des classes17.

Patrice Cholley et Fabrice Auger18 montrent LA CREATION D'UN ORDRE SPOR- que des rapprochements entre certaines or- TIF INTERNATIONAL : LE CIO ganisations sportives, notamment entre les organisations socialistes et le CIO par Pierre de Coubertin, on l'a vu, conçoit le l'intermédiaire du Bureau international du Comité international olympique comme une travail, ont été établis, avant la création de entreprise devant servir les objectifs d'une l'Internationale rouge du sport en 1921 lors rénovation sociale. La célébration des Jeux du troisième congrès de l'Internationale olympiques doit permettre la rencontre de communiste. S'opposant radicalement aux jeunes adultes provenant d'horizons très di- Jeux olympiques «bourgeois», 1 vers afin qu'ils échangent et s'acceptent l'Internationale sportive de Lucerne ^ est à dans leurs différences. La reconnaissance de l'origine de la création, en 1925, des premiè- la différence, le respect mutuel devraient, à res olympiades ouvrières, les Spartakiades, terme, permettre d'éviter les conflits armés. qui ont rassemblé 19 nations. Comme le Défenseur de l'initiative privée, Coubertin montre André Gounot, si l'Internationale applique le modèle de la centralisation avec sportive de Lucerne ne donne pas de ligne un pouvoir présidentiel fort au niveau des politique forte à son mouvement, elle a du institutions qu'il fonde. Durant les premières moins une action profondément réfor- 20 années de son existence, le fonctionnement miste . Le procès verbal du congrès olym- du CIO se caractérise par l'auto-financement pique de Prague en 1925 fait état des in- et par le fait que les membres du Comité quiétudes des membres du CIO qui voient, olympique sont choisis en fonction de leurs dans ce développement rapide et très puis- dispositions à promouvoir les idées de sant car relayé par des partis politiques très l'olympisme dans leur pays respectif. structurés, une menace pour la pérennité des L'indépendance du pouvoir politique et Jeux olympiques. sportif est le mot d'ordre.

17 A. Ehrenberg, «Aimez-vous les stades ? Archi- Objectifs et structures du comité interna- tecture de masse et mobilisation», Recherches, tional olympique n°43, 1980, pp. 25-54. P. Cholley, Pierre de Coubertin. La deuxième Le CIO est une organisation internationale croisade, Lausanne, CIO, 1996 ; F. Auger, op. cit. non gouvernementale, à but non lucratif. D L'Union internationale d'éducation physique et est l'autorité suprême du mouvement olym- sportive du travail de son vrai nom. pique qui a en charge la célébration des 20 A. Gounot, «Sport réformiste ou sport révolution- Jeux. Il se donne également comme mission, naire ? Les débuts des Internationales sportives la promotion d'un sport éducatif et d'une ouvrières», in P. Arnaud, Les origines du sport ouvrier en Europe, Paris, L'Harmattan, 1994, pp. éthique sportive. 219-245. 13

Le comité d'origine compte 15 membres is- En effet, aucun des membres n'a été élu car sus de 12 pays essentiellement choisis pour un grand nombre de personnalités pressen- leur puissance économique et militaire et ties pour faire partie du CIO n'étaient pas leur rayonnement. Ces membres sont princi- présentes au congrès. Coubertin n'a pas in- palement nobles, connus et fortunés afin de sisté pour obtenir leur présence car il préfé- garantir l'indépendance face aux pressions rait «avoir les coudées franches pour la pé- financières. Coubertin profite de leurs rela- riode du début, car de multiples conflits ne tions pour obtenir une reconnaissance auprès pouvaient manquer de naître»'2-'2-. des autorités politiques de chaque pays. Les membres doivent disposer de temps et de Après le congrès, Coubertin, Vikelas, ressources pour participer aux activités du Sloane, Callot se réunissent à Paris et rédi- CIO et s'acquitter d'une cotisation qui a été gent des lettres adressées aux personnes soi- longtemps, avec les dons, les seules recettes gneusement choisies par Pierre de Coubertin de l'organisation olympique. Coubertin cou- pour faire partie du premier Comité interna- vre, avec sa fortune personnelle, de nom- tional olympique. Ce n'est que vers le milieu breux frais. Ce n'est qu'à partir de 1924 que de l'été 1894 que le CIO se trouve ainsi les villes organisatrices payent une contri- constitué par les acceptations de ceux qui bution, certes assez minime, apportant ainsi avaient été désignés. Afin d'obtenir une re- de nouvelles ressources au CIO. présentation internationale, les membres proviennent de 12 pays différents23. Ces Le congrès international tenu à Paris, en personnalisés figurent comme membres ho- 1894, est constitutif du mouvement olympi- noraires du congrès de Paris et sont déjà im- que. Coubertin a soigneusement préparé cet pliquées dans les milieux éducatifs et spor- événement qui devait établir la célébration tifs. Cinq d'entre eux sont membres des Jeux olympiques. C'est l'Union des So- d'honneur ou honoraires de l'USFSA et en ciétés Françaises de Sports Athlétiques contact avec Coubertin depuis des années. (USFSA) qui est chargée de l'organisation de ce congrès : Coubertin en est le secrétaire Le fait que les principales associations spor- général et Léon de Janzé, le président. Le tives internationales soient peu représentées choix de l'affiche et des invitations témoi- au congrès pose la question de la validité des gnent, on l'a vu, de la crainte des organisa- résolutions. Les comptes rendus des travaux teurs d'essuyer un échec. Ce n'est justement des commissions de ce premier congrès pas la question controversée de la rénovation montrent une réelle prudence de la part de des Jeux qui est mise en avant au niveau de Coubertin. H a veillé à ce que les résolutions l'affiche et du programme du congrès inter- soient larges et qu'elles n'aient pas de ca- national, mais l'étude et la propagation des ractère d'imposition stricte. Elles sont fa- principes d'amateurisme dans le sport. H cultatives et donnent plutôt des orientations s'agit «de faire un premier effort dans la à suivre pour les fédérations et unions. Il voie de l'unification des règlements de semble toutefois que le processus d'uni- sports : ainsi se trouvera préparé, pour un fication des règles sportives soit en marche. avenir assez proche, le rétablissement des Jeux olympiques sur des bases et dans des conditions conformes aux nécessités de la 22 P. de Coubertin, Mémoires, p. 20, cité par N. vie moderne»2*. Müller, op. cit. p. 44. 23 Pierre de Coubertin, France ; Ernest Callot, France ; Démétruis Vikelas, Grèce ; Général de Ce n'est qu'après le congrès perçu comme Boutowski, Russie ; Capitaine Victor Balck, un succès par Coubertin, qu'il décide de Suède ; William M. Sloane, USA ; Jiri Guth, Bo- donner une assise juridique au CIO. Sa hème ; Ferenc Kemeny, Hongrie ; Lord Ampthill, création n'a été qu'évoquée lors du congrès. Angleterre ; Charles Herbert, Angleterre ; Dr. Jo- sé B. Zubiaur, Argentine ; Léonard A. Cuff, Nou- velle Zélande ; Comte Lûcchesi-Palli, Italie ; José Benjamin Zubiaur, Argentine. Vikelas est nommé P. de Coubertin donne les objectifs de ce premier président du CIO puisqu'une résolution stipulait congrès international de Paris dans les archives du que la présidence devait revenir au pays organi- Congrès de Paris de 1894, archives du CIO. sateur des prochains jeux. 14

Les Jeux olympiques et le CIO ont impulsé Première Guerre, les nouvelles nations nées la création de fédérations internationales24. des Empires Centraux le sont25. Si les orga- Es supposent que chaque sport soit dirigé nisations sportives ne sont pas représentées par une fédération internationale afin de en son sein, Coubertin n'a pas hésité à inter- n'avoir qu'un interlocuteur par sport. Mais peller les pouvoirs publics afin qu'ils sou- la reconnaissance d'un seul pouvoir sportif tiennent ses entreprises «éducatives». Il a n'est pas allé de soit notamment dans les demandé la reconnaissance d'utilité publi- sports qui se sont développés avant la réno- que de la plupart des institutions qu'il a fon- vation des Jeux. Le débat autour de l'uni- dées. fication des règles pose la question des ob- jectifs du sport qui se cristallise autour de la Les Comités nationaux olympiques sont les définition de l'amateur. Doit-on faire du seuls représentants du mouvement olympi- sport pour le plaisir ou est-il un spectacle que dans leur pays : ils sont seuls compé- que l'on offre au grand public ? Qui a le tents pour inscrire les athlètes aux Jeux et pouvoir de décider : le CIO ou les FSI ? organiser leur participation. Ils sont indé- pendants des pouvoirs politiques, religieux, Les caractéristiques du pouvoir du CIO économiques. Leur composition est assez variable selon les pays : ils doivent au moins Le CIO se caractérise par le fait qu'il n'est comprendre les membres du CIO de leur pas un organisme représentatif formé de dé- pays et les membres des fédérations sporti- légués des organisations sportives des diffé- ves nationales affiliées aux fédérations in- rentes nations. Le recrutement se fait par ternationales reconnues par le CIO. Les fé- cooptation de personnalités jugées «quali- dérations doivent constituer la majorité vo- fiées» conformément à la charte olympique. tante du CNO. Au début du siècle, les CNO Coubertin a voulu éviter à tout prix tout n'ont de véritables activités que lors de la système de représentation qui, selon lui, préparation des athlètes aux Jeux olympi- conduirait à la paralysie en raison des diver- ques ou lors de la célébration des Jeux dans gences de vue et d'intérêts des différentes leur pays. nations. En France, c'est une union de plusieurs fé- Après le congrès de Paris de 1894, on l'a vu, dérations sportives importantes (aviron, Coubertin institue un comité indépendant boxe, escrime, cyclisme et l'USFSA) qui dans le but de veiller de façon permanente devient le Comité national des sports au respect de l'idée olympique. Le critère (CNS)26. Lors de sa constitution, il est diri- d'appartenance au CIO est la soumission à la gé par des présidents de fédérations sporti- Charte olympique et par là, la reconnais- ves, des représentants de la France au Co- sance par le CIO. Le président, élu pour 10 mité international olympique, des représen- ans par ses pairs, a les pleins pouvoirs. Les tants des groupes sportifs du Sénat, de la membres font figures de conseillers. Le Chambre et du Conseil municipal de Paris, principe du recrutement est la coaptation qui ainsi qu'un représentant du ministère de la seule permet, selon Coubertin, la pérennisa- Guerre, de l'Instruction publique, de tion de son entreprise. Les membres sont l'hygiène, des travaux publics, des Affaires élus pour une période indéterminée. Le CIO se recrute lui-même à raison d'au moins un 25 En 1907, 23 nations et une trentaine d'hommes membre par pays et il décide l'admission constituent le CIO, 5 CNO (Suède, Allemagne, d'un nouvel Etat. D'abord les grandes puis- Angleterre, Bohème et Hongrie) ; en 1913, 32 na- sances occidentales, anglo-saxonnes et euro- tions et 48 membres ; en 1918, 42 nations et 54 membres, en 1924 : 43 nations et 60 membres ; en péennes sont représentées, puis après la 1939,66 délégués pour les 43 CNO. A.-M. Waser, «L'ambivalence des relations entre 24 Les ordres du jour de réunions et les programmes l'Etat et le sport de compétition dans les années des congrès olympiques font état de rendez-vous 1920 et 1930. Conditions et effets de la création fixés, après une session de travail, afin de consti- du Comité National des Sports», Revue Juridique tuer une fédération internationale avec les mem- et Economique du Sport, 53, déc. 1999, pp. 111- bres présents. 126. 15

étrangères et des finances qui y siègent27. respect de l'esprit sportif (fair play, etc.) et Les principaux objectifs du CNS sont la dé- des principes de l'amateurisme. fense des intérêts du sport et de ses fédéra- tions auprès des pouvoirs publics, des admi- L'analyse des comptes rendus des discus- nistrations et des fédérations étrangères. sions et des correspondances entre les repré- Pour garantir l'unité au sein du Comité, les sentants des fédérations internationales et dirigeants cherchent à obtenir la reconnais- des comités nationaux olympiques donne le sance d'un seul pouvoir sportif par sport ou sentiment d'une grande préparation de la groupe de sports. En clair, il ne peut y avoir part de Coubertin et de ses fidèles collabo- deux fédérations qui gèrent le football. rateurs qui usent de toutes les techniques pour aboutir à des règles qui soient en Même si le Comité a tout pouvoir pour tran- conformité avec la Charte olympique. Les cher les différends entre les fédérations affi- présidents de séances sont choisis afin de di- liées, il n'a pas de pouvoir de direction vis- riger les débats dans le «bon» sens. Des pro- à-vis des organismes qui le composent. Il a positions de résolution sont lancées lorsque été constitué pour représenter le sport des les opposants à la ligne défendue par Cou- organismes membres. bertin sont déstabilisés ou du moins mis en minorité. Grand manipulateur, Coubertin fait Les techniques de production de l'unité usage des techniques à l'œuvre dans les as- semblées politiques où des groupes Contrairement à ce qu'indique Christian d'intérêts se forment pour prendre et mono- Gilliéron28, Coubertin n'est pas convaincu poliser la parole, mettre en valeur ou au que la concurrence internationale poussera contraire discréditer certains intervenants. Dans une séance portant sur l'amateurisme naturellement à l'uniformisation des règles 29 dont la disparité fait obstacle au développe- qui se prolonge et semble s'enliser, un de ment des compétitions. L'analyse des archi- ses fidèles arrête le débat en demandant aux ves du CIO permet de reconstruire quelques délégués de ne pas s'écarter de l'ordre du unes des phases du processus d'unification jour. Au moment de voter la résolution, des règles impulsé par le CIO. Coubertin réclame la priorité et l'obtient. Il parvient à faire adopter une définition de Les questions de la fabrication de l'unité l'amateur qu'il a manifestement préparée de sont à l'ordre du jour de presque tous les longue date et soumise, par avance, à ses congrès. Elles prennent des formes diverses proches afin qu'elle apparaisse d'emblée et font l'objet d'investigation et de traite- comme une résolution collective. Les for- ment soigneusement élaborés. Plusieurs en- mules révérencieuses et de politesse quêtes internationales ont été lancées afin de qu'échangent certains membres entre eux recueillir les avis d'experts constitués par les durant les séances et le fait que les proposi- présidents de clubs sportifs et les représen- tions de Coubertin ne sont presque jamais, ni tants des comités olympiques nationaux dont discutées, ni repoussées, sont le résultat la plupart sont en voie de constitution au dé- d'une orchestration minutieuse des séances but du siècle. La diversité des réponses re- de travail (choix des invités, des ordres du cueillies conforte Coubertin dans son idée de jour, des règlements, choix des présidents de ne définir les concours sportifs internatio- séances, de la composition des sous- naux que par quelques grands principes en commissions, etc.). comptant sur la socialisation des athlètes et dirigeants sportifs pour ce qui concerne le Après les congrès, Coubertin reprend l'ensemble des comptes rendus et les retra- vaille afin de les publier dans la Revue 27 Articles 5, 6 et 9 des statuts du CNS in R. Berge- ron, «Le sport phénomène social, sa réglementa- tion. Le problème de la responsabilité», thèse, fa- culté de droit, université de Lyon, 1936. 28 C. Gilliéron, Les relations de Lausanne et du mouvement olympique à l'époque de Pierre de 29 Procès verbal de la commission «amateur», Coubertin, 1894-1939, Lausanne, CIO, 1993. Congrès de Paris, 1894. Archives du CIO. 16

olympique30 en leur donnant ainsi un côté la Grèce, la Hongrie, l'Allemagne, la France officiel. Si les écarts entre les libellés for- et l'Angleterre33. mulés dans les comptes rendus et ceux pu- bliés dans la Revue olympique sont parfois L'imposition des règles, anglaises pour significatifs, ils ne semblent pas avoir heurté l'essentiel, ne semble pas avoir posé de pro- les représentants les plus critiques du mou- blèmes majeurs. Est-ce parce que le nombre vement olympique. d'athlètes était réduit à Athènes (quelques dizaines de concurrents étaient inscrits à Les règles du jeu des clubs anglais chaque épreuve) ? Ou est-ce parce qu'ils s'imposent étaient issus de pays qui appliquaient déjà ces règles ? En effet, les nations les mieux Lors des premières olympiades, le comité représentées dans le tableau d'honneur des chargé de l'organisation technique des jeux de la première olympiade sont : la concours fait appel aux associations sporti- Grèce, les Etats-Unis, l'Allemagne, la ves les plus anciennes et qui font très sou- France et l'Angleterre. vent office d'instances internationales afin qu'elles proposent leurs règles du jeu et L'amateurisme est une question centrale leurs principes d'organisation des compéti- puisque l'acceptation du professionnalisme tions3'. dans le sport transforme les objectifs de la pratique définie dans la charte. Le projet de Pour les premiers Jeux d'Athènes qui ont développer un spectacle commercial sus- lieu en avril 1896, le prince héritier de Grèce ceptible d'attirer le grand public et qui crée, début 1895, des commissions spéciales puisse entretenir des athlètes rémunérés est chargées de l'étude préparatoire de chaque aux antipodes du projet de la pratique dé- concours (commissions des jeux athlétiques sintéressée conçue par Coubertin. Renoncer et des exercices de gymnastique, de tir, des à ce principe, c'est renoncer à l'esprit de la jeux nautiques, d'armes et d'escrime, des charte et donc abandonner l'idée olympique. courses vélocipédiques et des jeux de pe- louse32). Le prince sollicite un groupe de Si l'on se réfère aux prises de position de Coubertin dans les débats des commissions personnes pour leurs compétences en ma- 34 tière de sport et pour l'autorité qu'elles re- du congrès de Paris de 1894 , il apparaît présentent par rapport aux dirigeants de so- clairement qu'il est partisan d'une définition ciétés qui enverront des athlètes en Grèce. souple qui permette à un grand nombre Les «autorités» des Jeux sont constituées de d'athlètes de participer. Il souhaite aussi S.A.R. le Prince héritier qui est le président, pouvoir mettre au programme des sports d'inspecteurs dont le prince Georges, de qu'il pense digne de l'olympisme comme maîtres de gymnastique, de professeurs l'escrime, l'aviron, les sports équestres, les d'université et de capitaines d'artillerie. Les courses vélocidépiques, les courses à pied. jurys sont composés de personnalités issues Or certains de ces sports ont développé des de pays les plus engagés dans l'olympisme : formes professionnelles. Une définition stricte de l'amateurisme, comme celle de l'Amateur Rowing Association qui interdit la pratique aux ouvriers et travailleurs ma- nuels, risquait de ne pas pouvoir retenir 30 La Revue Olympique est éditée de janv. 1901 à juillet 1914. Après la Guerre, elle s'intitule Bulle- tin officiel du CIO et paraît de 1926 à 1938. 33 Les Jeux Olympiques de 1896 Athènes - rapport 31 A. Wahl, La fondation de la FIFA, Revue juridi- officiel, par le baron de Coubertin, Timoléon Phi- que et économique du sport, 46, 1998, pp. 107- lémon, N.G. Politis et Charalambos Anninos, 114. A.-M. Waser, «Tennis in France, 1880- Athènes, Charles Beck, éd., Paris, H. Le Soudier, 1930», International Journal of the History of 1896. Voir notamment l'introduction par Timo- Sport, 2, vol. 13, aug. 1996, pp. 166-176. léon J. Philémon, pp. 11-22. 32 II est décidé de ne pas organiser de concours hip- 34 Congrès international athlétique de Paris tenu du pique car la Grèce ne développe aucune race de 16 au 24 juin 1894 au palais de la Sorbonne. Ar- chevaux et ne possède pas d'hippodrome. chives du CIO. 17

l'aviron dans le programme des Jeux ou fiées. Plus de 150 pièces sont versées au dé- d'interdire aux meilleurs athlètes du moment bat et publiées dans une suite de 40 numéros de concourir. (15 octobre 1908 au 20 mai 190935). Ce volumineux document permet d'établir que Coubertin n'ignore pas que les sports ont les représentants des organisations sportives des histoires très différentes et qu'un consultées souhaitent une définition de consensus sur une définition relève de l'amateur qui soit uniforme pour tous les l'impossible. La formule qu'il propose au sports, mais qu'ils sont sceptiques sur les congrès montre qu'il compte sur le temps chances de solutions. pour enrayer les pratiques professionnelles : «Le congrès estime que la tendance de tous Après les Jeux de Londres en 1908, une les sports doit être vers l'amateurisme pur et commission est nommée à Berlin en 1909 qu'il n'y a aucun motif permanent et dura- pour étudier à nouveau la question de ble dans aucun sport pour légitimer des prix l'amateurisme. Elle se compose du profes- en espèces. Mais le congrès considère qu'en seur Sloane (USA), Jules de Musza (Europe ce qui concerne les courses de chevaux, le centrale) et Théodore Cook (membre du tir et le yachting, la définition générale de British Olympic Council). Elle décide de l'amateur ne leur est momentanément pas lancer une nouvelle enquête par question- applicable». naire adressée aux fédérations et sociétés sportives des différents pays participant aux H faut attendre l'organisation des Jeux de Jeux. Cinq questions sont posées : Saint-Louis en 1904 pour voir la mise en place d'un dispositif un peu plus instrumenté - Etes-vous d'avis qu'on ne doit pas pou- d'élaboration de règles communes. C'est le voir être professionnel dans un sport et début du lancement de plusieurs consulta- amateur dans un autre ? tions auprès des organisations sportives in- ternationales. L'idée du CIO est de réunir le - Etes-vous d'avis qu'un professeur peut plus grand nombre de définitions et d'avis au contraire être amateur dans les sports sur la pratique amateur, d'en faire une syn- qu'il n'enseigne pas ? thèse sous forme de principes acceptables par le plus grand nombre d'organisations - Etes-vous d'avis que l'amateur devenu sportives. Ces principes deviendraient les professionnel ne doit pas pouvoir recou- règles communes dont le CIO aurait mission vrer sa qualité d'amateur? Admettez- de faire respecter par le simple fait qu'ils vous des exceptions à cette règle ? Les- sont appliqués dans un certain nombre de quelles ? pays. - Admettez-vous le remboursement aux En prévision du congrès de Bruxelles en amateurs des frais de transport et des 1905, un questionnaire portant sur la défini- frais d'hôtel ? Jusqu'à quelle limite ? tion de l'amateur rédigé en trois langues (anglais, français, allemand) est envoyé à - Admettez-vous qu'on puisse perdre la toutes les sociétés connues du CIO. Peu de qualité d'amateur par le seul fait de réponses parviennent aux enquêteurs et la concourir contre un professionnel ? question n'est pas solutionnée lors de ce congrès. Devant la difficulté de constituer Les réponses sont exposées dans un rapport une définition acceptable par le plus grand rédigé par Théodore Cook, qui fait état de nombre, un grand journal anglais, le Spor- divergences telles qu'il «semble impossible ting Live, a pris l'initiative de cette nouvelle que toutes les associations se mettent consultation. Le rédacteur en chef fait un d'accord pour accepter une seule formule travail d'investigation. Il rassemble d'abord les éléments pour une discussion : les rè- glements en vigueur dans les sociétés les plus en vue, les avis des personnes quali- Articles du Sporting Live dans le dossier «amateu- risme», archives du CIO. 18

simple qui définirait la qualité d'amateur. aux remboursements de frais revendiqués par certaines fédérations internationales, la FBFA notamment, tente de faire passer une L'application d'une définition uniforme à mesure qui, avec le temps, pourrait régler tous les sports conduirait donc à la ruine des cette question qui monopolise les débats : le pratiques de loisir de la noblesse et de la serment. Malgré les nombreuses critiques, bourgeoisie qui se caractérisent par une Coubertin parvient à faire instituer le ser- multitude de codes et d'usages. ment par le congrès olympique technique de Prague en 1925. D consiste en une déclara- Devant l'impossibilité d'établir une défini- tion sur l'honneur nécessaire pour la qualifi- tion universelle de la catégorie de l'amateur cation aux Jeux olympiques. La formule chargée de garantir l'égalité des chances proposée est : «Je soussigné déclare sur dans l'épreuve sportive, les conclusions du l'honneur être amateur conformément aux rapport Cook visent à imposer une définition règles olympiques de l'amateurisme». Au- concernant la qualification des athlètes aux cun autre moyen de contrôle en dehors de Jeux. C'est aux fédérations de garantir la ceux prévus par les règles générales n'est qualité d'amateur et il appartient au CIO de préconisé. Pourtant, dans les comptes rendus susciter une unité dans les idéaux sportifs. des débats, la notion de serment n'a de loin Par l'introduction de la notion de «qualifi- pas fait l'unanimité. De nombreux congré- cation», le comité laisse aux fédérations in- ganistes ont souligné que le serment n'était ternationales le contrôle de la définition et pas une garantie suffisante. les dote ainsi d'un pouvoir de sanction qu'elles n' avaient pas jusque là. Au congrès olympique de Prague, après une longue discussion, il est décidé l'interdiction Après 1920, les questionnaires se rallongent, du paiement du manque à gagner et la limi- les définitions se complexifient avec des re- tation des remboursements de frais alors que vendications de plus en plus fortes de la part la FIFA, dans son congrès, adopte une règle des fédérations les plus puissantes qui de- autorisant le paiement du manque à gagner, mandent l'acceptation du manque à gagner qui provoque d'ailleurs la démission des pour la qualification aux Jeux. Les crises se quatre fédérations britanniques. Une conven- multiplient et se traduisent par des menaces tion temporaire est conclue avec le CIO afin de boycott des Jeux d'Amsterdam de la part que le football puisse tout de même être de la FIFA et par le retrait de la fédération maintenu aux JO de 1928. C'est le début internationale de tennis des Jeux. C'est dans d'une série de compromis explicites ou im- ce climat de tension que se crée un contre- plicites que les FI et le CIO acceptent, tant pouvoir avec la constitution du Bureau per- leurs intérêts particuliers sont liés au déve- manent des fédérations internationales en loppement du sport international. 1921 qui revendique, comme on le verra ci- dessous, une représentation au niveau du CIO. TRANSFORMATION DU CIO: UN ORGANISME DE GESTION DES La question de l'amateur se complexifie par PARTICULARISMES celle du manque à gagner que revendiquent très fortement les athlètes, les clubs et les La conjoncture sociale et politique de représentants des fédérations. Loin de chez l'Entre-deux-guerres, les tensions entre les eux et pour une durée assez longue, quel- pays belligérants, sont propices au dévelop- ques semaines, les pères de famille souhai- pement du nationalisme36. Le sport de com- tent ne pas perdre leurs revenus habituels pétition et les tournois internationaux sont pendant qu'ils représentent leur pays à l'occasion d'une exhibition de la puissance l'étranger. Afin de permettre la pratique de ceux qui ne disposent pas de fortune person- E. Hobsbawn, Nations et nationalisme depuis nelle (jeunes, employés, ouvriers), Coubertin 1780, 1990, pp. 182-186 ; - L'âge des extrêmes. qui n'était pas opposé au manque à gagner et Histoire du court XXè siècle, Ed. Complexe, Le Monde diplomatique, 1994. 19

nationale37. Certains gouvernements déli- tives demandent que leur sport soit au pro- vrent des aides pour préparer les athlètes à gramme olympique. Les fédérations olym- ces rencontres. En France, c'est le ministère piques revendiquent l'inscription d'épreuves des Affaires étrangères qui est en charge de supplémentaires, notamment d'épreuves fé- cette nouvelle forme de représentation na- minines, afin d'accroître leur visibilité. Elles tionale. Les athlètes qui ont des obligations se servent des Jeux olympiques comme d'un de résultats sont, très souvent, largement instrument de promotion. soutenus par leurs clubs et leur fédération. Après les Jeux de Londres en 1908, alors Coubertin cherche à maintenir l'indépen- que les comités nationaux se structurent et dance la plus grande possible de son mou- les fédérations internationales se dévelop- vement tant il appréhende les nouvelles for- pent, le CIO redéfinit les rapports entre les ces émergentes (socialiste ou démocratique, différentes instances du sport international. pacifiste ou féministe) qui se servent du Avant 1912, les comités d'organisation des sport pour se développer. Pris en tenaille JO avaient le pouvoir de décision sur le pro- entre les revendications des fédérations gramme des compétitions et sur les condi- sportives internationales et les aspirations tions générales de participation. Le congrès des fédérations «démocratiques» qui lancent de 1913 établit un règlement uniforme met- des concours parallèles, le mouvement tant ainsi fin à des avantages dont le pays olympique est menacé d'implosion. organisateur pouvait s'octroyer et qui étaient sources de conflits entre les représentants L'accès relativement aisé du football aux des délégations étrangères. Le programme classes moyennes et aux ouvriers favorise le des Jeux est désormais établi par le CIO. Le développement des clubs britanniques, fran- congrès de 1914 donne davantage de pou- çais, italiens et la mise en place de cham- voir aux CNO et aux FI. En effet, il établit pionnats nationaux et de compétitions inter- que, 1- seuls les sportifs répondant aux critè- nationales (Coupes du Monde, Tour de res d'amateurisme de leur FI sont admis aux France, etc.)38. La difficulté de l'homogé- JO ; 2- les CNO se portent désormais ga- néisation des règles, on l'a vu, met en évi- rants de la qualité d'amateurs des compéti- dence la nécessité d'une organisation recon- teurs ; 3- l'inscription des participants aux nue et dotée d'un pouvoir fort, au niveau JO est de la compétence exclusive des d'une nation et au niveau international. La CNO ; 4- le jury d'appel est assuré par les FI mise en place de ces instances se heurte à la respectives alors que l'arbitrage est l'affaire définition de la catégorie du joueur amateur des pays organisateurs. Les années 1921 et qui divise profondément le milieu sportif et 1925 sont marquées par la délégation des qui est largement entretenue par la crois- aspects techniques, d'abord partielle, puis sance des enjeux liés à la production et à la totale, aux FSI de la part du CIO. reconnaissance de hiérarchies dans le sport international. Le développement de la com- Le sport devient une affaire d'Etat mercialisation du spectacle sportif accentue les oppositions entre les défenseurs du sport Dès 1920, le gouvernement français crée un désintéressé et ceux qui cherchent à en tirer Service de l'éducation physique et du sport des profits commerciaux. rattaché au ministère de l'Instruction publi- que39 qui «répond au désir de promouvoir le Dans les années 1920, la popularité des Jeux sport de haut niveau afin de restaurer est telle que de nombreuses fédérations spor- l'image de la France dans le monde»40.

37 L. Arnaud, P. Arnaud, «Les premiers boycottages de l'histoire du sport», Revue juridique et écono- 39 Décret du 20 janvier 1920. mique du sport, 44, pp. 99-109. p. Arnaud, A. Wahl, Sports et relations interna- 38 «Football et sociétés», Sociétés et Représenta- tionales, Centre de recherche histoire et civilisa- tions, 7, déc. 1998, G. Vigarello, «Le Tour de tion, Université de Metz, 1993 ; P. Arnaud, J. France», in Lieux de mémoire, III ; Les France, 2, Riordaa, Sport et relations internationales (1900- Traditions, Paris, Gallimard, 1992, pp. 884-925. 1941), Paris, l'Harmattan, 1998, pp. 280-286. 20

«Assurer le prestige de la France devient empêchent le passage de concurrents, etc. Ils alors un objectif prioritaire et le sport peut y sont la conséquence des appétits de victoires contribuer, d'où l'idée que c'est : Au minis- des grandes puissances et d'une animosité tère des Affaires étrangères qu'incombe la persistante entre anciens belligérants44. Les charge et la responsabilité des relations exté- excès de patriotisme sont dénoncés, mais le rieures de la France et que, par conséquent, favoritisme, la triche et la non impartialité aucune action politique, économique ou in- des juges sont monnaie courante. La victoire tellectuelle ne peut être ni provoquée, ni sportive est perçue comme l'expression poursuivie à l'étranger sans l'intervention de d'une supériorité nationale. La publication ce ministère et en dehors du contrôle de nos des résultats des Jeux, sous forme de tableau agents diplomatiques (,..)»41. d'honneur mentionnant les noms, par ordre alphabétique, des six meilleurs athlètes, est Une section de tourisme et de sport est créée désuète. La presse édite les noms et les na- afin de véhiculer une bonne image de la tionalités des vainqueurs de chaque épreuve France et d'attirer les étrangers et leurs devi- et établit des classements par pays, contri- ses. En 1920, elle est attachée au Service des buant ainsi à faire de la compétition sportive œuvres françaises à l'étranger (SOFE) qui a une compétition entre les nations. pour mission de réorganiser la propagande française en direction de l'étranger et témoi- Pierre de Coubertin dénonce ces pratiques gne de l'intérêt croissant du sport chez les ainsi que celles des gouvernements qui ac- hommes politiques. En effet, au moment où cordent des sommes considérables en vue de la délégation française part aux Jeux l'entraînement et de la compétitivité de leurs d'Anvers en 1920, , directeur concurrents favorisant ainsi le nationa- du Service de l'éducation physique confirme lisme45. A partir des Jeux d'Amsterdam, le que «nos champions d'athlétisme donneront sport devient une question de spécialistes en le meilleur d'eux-mêmes pour doter la raison des nouvelles orientations prises par France sportive d'un prestige aussi grand les fédérations les plus puissantes qui déve- que celui de la France intellectuelle et ar- loppent des sections professionnelles im- tistique (...) le sport n'est plus en effet, une portantes comme la fédération de football, simple affaire de particuliers, une modeste de tennis, de boxe, de cyclisme et de tir. La initiative privée : le sport est devenu une commission exécutive du CIO, qui bénéfi- affaire d'Etat : il a un caractère officiel»42. cie, dès le début des années 1920, d'une L'Etat offre un crédit de 200 000 F pris sur certaine assise et qui peut désormais envisa- le budget du ministère des Affaires étrangè- ger la pérennité du mouvement olympique, res et réparti sur les différentes fédérations prononce l'exclusion des sports ne pouvant pour que la France soit dignement représen- ni garantir la qualité d'amateur de leurs tée à Anvers. Selon Gaston Vidal, la France concurrents, ni engager les meilleurs joueurs est le seul Etat au monde à aider ses athlètes du moment. C'est ainsi que le CIO prend la pour qu'ils figurent dans les grandes com- décision impopulaire de rayer le tennis, puis pétitions internationales43. le football du programme olympique.

Comme le note Fabrice Auger, les épreuves Le projet de rattachement à la Société des sportives se déroulent dans un climat de Nations violence et, entre 1928 et 1936, les incidents olympiques se multiplient : des bagarres gé- Profitant de ce climat de crise du sport inter- nérales éclatent, des spectateurs chauvins national, Gaston Vidal, soutenu par des diri- geants sportifs ralliés à la mouvance radical Rapport à la Chambre des députés du budget du socialiste, tente de déstabiliser le Comité ministère des Affaires étrangères, exercice 1920, international olympique : JORF, n°820 du 28 avril 1920, cité par P. Arnaud, J. Riordan, op. cit., p.281. Le Miroir des sports, 29 juillet 1920, cité par P. 44 F. Auger, op. cit. p. 273. Arnaud, J. Riordan., op. cit., p.282. 45 Procès verbal de la session de Prague, 27 mai 43 P. Arnaud, J. Riordan, op. cit. p. 282. 1925. Archives du CIO. 21

Le projet de Vidal est d'édifier un organisme mement à la tutelle de la SDN perçue souverain à Genève, assemblant des déléga- comme trop démocratique47. tions désignées par les Etats eux-mêmes, en- core exclues du CIO, en présence de repré- Les objectifs de Vidal sont plus politiques. sentants des FSI. D envisage la création d'un La question de la diffusion du sport est utili- Bureau international d'éducation physique et sée comme prétexte afin d'entamer une ré- de sport qui serait une institution de rappro- forme radicale de l'administration du sport chement entre les peuples pouvant assurer la international et de ses structures. Comme le paix dans le monde. Cette proposition, pré- montre Fabrice Auger, Pierre de Coubertin sentée pour garantir des fins pacifiques, a et Henri de Baillet-Latour entretiennent, très aussi pour objectif principal de déposséder habilement, des relations cordiales avec la le CIO de son objet. Vidal critique le carac- SDN en dépit de divergences importantes tère peu démocratique du CIO. Ses positions (sport aux colonies), en cherchant à mettre sont largement reprises dans la presse fran- en place une institution dont l'objet serait la çaise, dans L'Auto notamment. Au nom du promotion de la pédagogie par le sport. Ils gouvernement français, Vidal propose à la utilisent également le succès des JO Société des Nations (SDN), nouvellement d'Anvers et de Paris qui conforte le pouvoir créée, d'absorber le mouvement sportif in- du CIO les autorisant désormais à procla- ternational. Entre 1922 et 1925 plusieurs mer des formules tendant vers l'universalité tentatives de rapprochement échouent46. «ail sports for ail ou ail sports, ail nations».

A la fin de l'année 1926, la SDN se penche La question de la tutelle du mouvement sur les questions d'éducation physique et sportif international est occultée par la crise sportive. Par l'intermédiaire de Frantz Rei- économique des années 30 qui débute en chel, les autorités françaises s'adressent au 1929 aux Etats Unis et qui touche l'Europe à Bureau International du Travail (BIT) pour partir de 1931. Le chômage, la paupérisation étudier les possibilités d'incorporation des des colonies et les protestations nationales institutions sportives à l'organisation inter- préoccupent davantage les gouvernements nationale nouvellement fondée. Ces initiati- que les affaires du sport et de l'éducation ves sont soutenues par les gouvernements physique. A partir de septembre 1931, la tchécoslovaque, japonais et américain, mais SDN est mise à rude épreuve. La tutelle du n'ont pas d'effet immédiat. Frantz Reichel, sport international est loin d'être une priorité secrétaire général du COF, préoccupé par pour la SDN. l'accessibilité du sport à tous les niveaux de la société, propose d'utiliser les structures Revendications des FSI les plus puissan- sportives existantes. La rencontre entre Fer- tes : compromis et arrangements nand Maurette (BIT) et Frantz Reichel au COF, à Paris en 1927, vise à étudier la fai- Le succès des compétitions internationales sabilité d'une structure pour l'organisation encourage le développement de la profes- des loisirs des travailleurs. Coubertin sionnalisation des athlètes. Les records du s'oppose fermement à ce projet car il voulait monde se multiplient et impliquent des éviter de complexifïer l'organisation olym- charges d'entraînement importantes. Des pique en mélangeant les sports des bour- mercenaires du sport apparaissent dans toute geois avec les loisirs des ouvriers. l'Europe, sur les rings, les vélodromes et L'administration du sport international par dans les stades. En 1920, l'amateurisme la SDN ou le BIT inquiète le CIO. La plu- marron est une réalité difficile à cacher. Il part des délégués du CIO s'opposent fer- semble illusoire de le combattre tant les clubs, les fédérations et les représentants de l'Etat pratiquent le double discours. 46 Cf. F.Auger, «Une histoire politique du mouve- ment olympique : l'exemple de l'entre-deux- guerres». Thèse d'histoire, Nanterre et P. Cholley, Pierre de Coubertin. La deuxième croisade, Lau- 47 Archives du BIT à Genève : N14/1/0.7 ; sanne, CIO, 1996. N12/1/59/1 ; N14/1/22/2. 22

A partir des années 1920, certaines fédéra- nationales sont, pour la plupart, des hommes tions internationales expriment leurs désac- dotés de nombreuses ressources (réseau de cords avec les décisions prises par le CIO relations important avec des hommes politi- dont elles critiquent le fonctionnement anti- ques, élus de circonscription, capitaines de démocratique. Elles réclament des repré- l'industrie, etc.) : leur opposition pèse et est sentants au sein de l'instance de décision du prise au sérieux. Le gouvernement français CIO et souhaitent prendre part aux décisions prend position et demande «qu'un accord concernant l'organisation du sport interna- s'établisse entre l'absolu et aristocratique tional et la production de règles. Certaines Comité [olympique] et les fédérations inter- fédérations suffisamment puissantes, qui ont nationales de tendance plutôt démocratique, très souvent mis en place leurs propres et qu'une sorte de constitution sanctionne championnats du monde, font monter la cet accord»48. Mais le gouvernement, qui pression afin de faire admettre des principes n'oublie pas les services rendus par Couber- plus souples au niveau de l'amateurisme en tin durant la guerre, ne fait pas obstacle à menaçant de boycotter les Jeux olympiques. son entreprise, il souhaite que le CIO déve- loppe ses actions en parfait accord avec les Au début des années 1920, Pierre de Cou- fédérations. bertin envisage une rupture des relations avec les fédérations internationales car La volte-face de l'union des FI l'acceptation de leurs revendications conduit à renoncer aux principes énoncés dans la En 1921, après une suite de réunions solli- charte. Mais il n'est pas suivi par les mem- citées par le CIO, sous l'impulsion de Paul bres de la commission exécutive qui jugent, Rousseau, président de l'Union cycliste in- au contraire, que la collaboration entre les FI ternationale (UCI), une des fédérations in- et le CIO est nécessaire puisque les actions ternationales les plus anciennes, la création des unes renforcent celles des autres. Même d'une union des FI, officieusement présentée si leurs objectifs ne se confondent pas, des comme un contre-pouvoir face au CIO, est compromis sont trouvés afin que les Jeux envisagée. L'Union cycliste internationale aient lieu. La difficulté de la mise en place prend l'initiative, en mai 1921, lors du du bureau permanent des FI est révélatrice congrès olympique de Lausanne, de réunir de la double contrainte dans laquelle évo- les FI afin de fonder une Union des FI dont luent les fédérations : elles souhaitent à la l'autorité aurait concurrencé celle du CIO. fois faire profiter leur sport de la popularité Paul Rousseau, Jules Rimet (président de la des Jeux et imposer plus de libéralisme dans FIFA) et Frantz Reichel (secrétaire général les règles concernant l'amateurisme. du COF) sont favorables à l'organisation de cette Union, alors qu'une majorité de petites Fabrice Auger indique que vers la fin 1920, fédérations propose de former un comité ou le ministre des Affaires étrangères informe bureau de cinq membres. la Section de propagande de tourisme et des sports du gouvernement que les fédérations Lors de la première réunion, il est décidé internationales «se proposent de détrôner que ce ne sera pas une Union des FSI, mais Coubertin dans une guerre plus ou mois dé- simplement un bureau dont l'objet est de re- clarée». La revendication des FI est d'avoir cueillir et de communiquer tous les docu- une organisation plus démocratique et non ments et informations intéressant les FI. La un «sénat olympique» sous le contrôle quasi proposition de l'UCI de créer une Union des exclusif de Coubertin. D'autres points de di- FI est largement rejetée. En effet, un certain vergence sont annoncés. Les fédérations qui nombre de présidents sont réticents à l'idée autorisent la participation des femmes sou- de créer une fédération de fédérations qui haitent qu'elles soient également présentes servirait essentiellement les intérêts des FI aux Jeux. Les FI demandent que leur défini- tion de l'amateurisme soit celle qui définisse les conditions de participation des athlètes Note du ministre des Affaires étrangères à Albert aux JO. Les présidents des fédérations inter- Milhaud, décembre 1920, carton 85, MAE Nan- tes', cité par F. Auger, pp. 128-129. 23

les plus puissantes. Celles qui n'ont pas les gligé d'ici Lisbonne pour concilier les deux moyens de mettre en place un championnat points de vwe»49. du monde souhaitent ne pas se couper des promoteurs des Jeux olympiques. Ces der- Lors de la session de Lisbonne en 1926, les niers sont utilisés par les dirigeants sportifs FI demandent l'entrée en vigueur des vœux pour rassembler et faire de l'unité dans leur de Prague ainsi que la participation aux dé- propre discipline très souvent tiraillée entre bats sur les questions pédagogiques. Les plusieurs camps. délégués du CIO expriment le regret du co- mité de ne pouvoir retenir le vœu exprimé à Lors du congrès olympique de Prague en Prague. A l'issue de la session de Lisbonne 1925, les FI demandent à l'unanimité (moins en mai 1926, Baillet-Latour, le nouveau pré- une voix) qu'un représentant par FI soit sident du CIO, adresse une lettre à nommé au sein du CIO. Elles revendiquent l'ensemble des présidents des FI afin d'être dans l'instance de décision du CIO et d'expliquer le refus du CIO de toute forme ne veulent pas seulement être consultées. d'élection représentative. Il argumente en Cette opposition est menée par Vidal qui montrant que le succès du CIO est dû à son veut faire échec au CIO. Il obtient un accord autonomie par rapport aux pouvoirs politi- de principe de certains présidents de fédéra- ques et sportifs. H rappelle qu'il n'y a pas de tion pour le boycott des Jeux d'Amsterdam représentants aux CIO, les membres ne re- au cas où le CIO n'admettrait pas les vues présentent pas leur pays : ils prennent des FI. La tendance du CIO à réduire auto- l'engagement formel de n'accepter de leur ritairement le programme olympique, et pays aucun mandat : ils doivent se considé- donc à interdire la participation de certaines rer comme ambassadeurs du CIO auprès de disciplines sportives aux Jeux, était une rai- leurs compatriotes. Si des membres des FI son supplémentaire à cette Union des FI étaient élus, ils ne devraient alors prendre d'exister. aucun mandat de leur fédération50.

A Prague, Pierre de Coubertin met en garde Les représentants du bureau permanent des contre les effets des enjeux financiers, alors FI, Vidal et Rousseau, qui ont annoncé leur que Gaston Vidal, porte parole des FI, dé- intention de boycotter les JO d'Amsterdam fend le spectacle qui permet de collecter des de 1928 se retrouvent coupés de leur base. taxes en vue de la construction de stades : On assiste à une volte-face des représentants seul moyen selon lui de promouvoir une vé- des FI les plus puissantes (football notam- ritable politique de l'éducation physique. ment). Les propositions émises par certaines fédé- rations sont discutées : la Fédération inter- Le modus vivendi entre les FI et le CIO : nationale de lawn-tennis demande que le vers un partage des bénéfices symboliques CIO soit composé de personnes nommées par les CNO et les FI. L'UCI demande que Jules Rimet, président de la FIFA, est mis- le statut de l'amateur soit établi par les FI. sionné par sa base pour tempérer. En effet, de nombreuses fédérations nationales sou- Respectant les consignes de Coubertin qui haitent ne pas boycotter les Jeux de 1928. pensait que le temps jouerait en sa faveur L'intérêt de ces dernières est d'obtenir les puisque les FI n'apparaissaient pas comme meilleurs conditions de participation des un front uni, les membres du CIO se équipes ou athlètes aux compétitions inter- contentent d'enregistrer les velléités des re- nationales. Elles n'ont pas été, dans présentants des FI sans apporter de réponse. l'ensemble, favorables à un boycott des Jeux Le CIO annonce qu'il souhaite étudier ces d'Amsterdam, mais souhaitent faire adopter questions afin de soumettre, lors du prochain congrès, des propositions : «rien ne sera né- Procès verbal de la réunion de la CE du CIO à Pa- ris les 3-6 nov. 1925, archives du CIO. 50 Congrès de Prague, 1925 et Bulletin officiel du CIO, 3, 1926. Archives CIO 24

dans le règlement général des dispositions Seule la Fédération internationale de lawn- qui leur sont favorables. C'est le cas de Jules tennis (FILT), qui organise depuis 1900 la Rimet qui est contraint par les fédérations Coupe Davis, décide d'interdire la partici- nationales (menaces de démission de certai- pation de ces joueurs aux Jeux d'Amsterdam nes fédérations) de présenter au CIO les dé- car «la compétition olympique vient inutile- cisions prises à Rome lors du congrès de la ment surcharger un programme déjà fort FIFA sur le manque à gagner. Cette décision important». A la suite d'un rapport de la place la commission exécutive du CIO dans FILT présenté à la commission exécutive du l'obligation d'accepter le remboursement du CIO, cette dernière décide de «recommander manque à gagner si elle veut que le football au CIO que dans le programme des JO ne soit représenté aux Jeux d'Amsterdam. En soit plus compris les sports où l'on n'ait pas août 1927, la commission exécutive du CIO la certitude de pouvoir compter sur la parti- fait un communiqué après une rencontre en- cipation des meilleurs athlètes du monde»52. tre la FIFA et le CIO : Après Lisbonne, le bureau permanent des «Uniquementpréoccupé de l'intérêt mondial fédérations internationales ouvre un congrès des JO, considérant que le football est l'un dont le but est d'établir ses droits au sein du des sports les plus universellement répan- mouvement. L'élection d'un nouveau prési- dus ; considérant que la question de dent conciliateur, le colonel Peter Scharroo, l'amateurisme sera remise à l'ordre du jour membre du bureau directeur de la Fédération du prochain congrès olympique, la CE du internationale d'athlétisme amateur CIO réunie à Paris enregistre, en ce qui (l'IAAF), délégué du CIO pour la Hollande concerne le manque à gagner, la déclaration depuis 1924, vice président du Comité de principe de la FIFA votée à Rome et qui d'organisation des JO d'Amsterdam est ré- correspond à celle du congrès international vélateur de la volonté du bureau des FI de olympique de Prague ; dans un but de composer avec le CIO plutôt que de s'y op- conciliation, elle accepterait une suggestion poser. Scharroo ne cherche pas à faire en qui lui serait faite par la FIFA d'autoriser le sorte que les FI s'introduisent dans le CIO football à participer aux JO aux conditions puisqu'une quinzaine de membres ne peu- suivantes : 'Les indemnités prévues par les vent s'opposer à une soixantaine de mem- règles édictées par le Comité exécutif de la bres d'une quarantaine de pays. Elles se- FIFA seront versées entre les mains des em- raient constamment en minorité. Le CIO ployeurs, les athlètes ne touchant directe- conserve la totalité de ses privilèges, mais ment aucune compensation pour salaire s'ouvre aux compromis. Le CIO accepte la perdu. (...) Il est décidé que tous les cas liti- participation des femmes, en nombre res- gieux sur le règlement du manque à gagner treint certes, aux épreuves d'athlétisme. H seront jugés par la FIFA '»51. abandonne, en 1921, aux CNO et aux FI une partie de son pouvoir dans l'organisation Il y aura donc du football aux JO de 1928. technique des Jeux : ce sont les fédérations Le CIO renonce à sanctionner le manque à qui précisent les règles, contrôlent les ins- gagner accordé aux joueurs de football. tallations, désignent les jurys de terrain et Cette décision contribue bien évidemment à d'appel, reçoivent et statuent sur les récla- la division des fédérations internationales mation, décident du nombre d'épreuves, dé- qui n'obtiennent pas les mêmes avantages de cident du nombre d'engagement, etc. En la part du CIO. Cette réunion marque la li- 1925, le CIO cède toutes les questions tech- mite de cette union des fédérations interna- niques aux FI. tionales représentées par des personnes qui ont reçu des mandats de leurs fédérations La reconnaissance des titres sportifs comme nationales. valeur universelle fait du sport une entre-

Procès verbal de la Commission exécutive du CIO à la Haye le 31 juillet 1926, in Bulletin officiel du 51 Archives du CIO. CIO, 4, oct. 1926. 25

prise de fabrication de titres illimités, dont servent dès lors du CIO et des Jeux olympi- politiques, industriels et presse tirent partie. ques pour promouvoir leurs causes, leurs Un des effets est le renversement progressif sports ou leur pays au devant de la scène in- du rôle des mandataires des instances inter- ternationale. nationales du sport et en particulier du CIO : ce ne sont plus les institutions faîtières qui La perte d'autonomie du pouvoir sportif envoient des représentants dans les pays consécutive à l'interpénétration des pouvoirs membres, mais les pays membres qui de- économiques, politiques et médiatiques dans mandent à ce que leurs intérêts soient repré- le sport a permis la reconnaissance du mou- sentés dans les comités directeurs. Ce ren- vement sportif comme «banque centrale» de versement conduit à la démission de Cou- capital symbolique par les autres formes de bertin du CIO en 1925, au gigantisme des pouvoir. Cette reconnaissance laisse entre- Jeux olympiques et à l'expression des natio- voir la permanence de la plupart des fédéra- nalismes. Les représentants des fédérations tions désormais dotées d'un monopole par- internationales et des comités olympiques se tagé.