NAZIS AU MOYEN-ORIENT NOUVELLESRÉVÉLATIONS

Recruté par l'Egypte en 1949 pour réformer l'armée, Artur Schmitt (à dr.), ex-général dans l’Afrika Korps – ici sur un ancien char de Rommel dans le désert d’El-Alamein – se met vite à dos l’état-major égyptien, dont il a souligné l’incompétence.

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Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir, la doctrine nationale- socialiste inspire des leaders panarabes. Cette influence persiste après la guerre, quand la Syrie et l’Egypte recrutent des centaines de cadres nazis pour réformer leur armée et leurs services secrets. Nouvel éclairage sur les liens entre croissant et croix gammée.

PAR OLIVIER ROGEAU

e retour à Berlin après avoir expatriés, comptait une forte présence passé deux mois au Caire, allemande dès le début du XXe siècle. Géraldine Schwarz ne cache Dans les années 1930, les Allemands pas sa satisfaction : son enquête d’Egypte ont adhéré au nazisme et rejeté sur l’influence du national- de leur communauté les Juifs, dont l’ar- socialisme dans le monde arabe chéologue Ludwig Borchardt, décou- prend une nouvelle dimension. vreur du buste de Néfertiti en 1913. Les La journaliste et réalisatrice membres des antennes locales du parti Dfranco-allemande avait déjà re- national-socialiste n’hésitaient pas à constitué, dans un film docu- parader au Caire en uniforme. » menté par des archives exclusives des En Egypte, et plus encore en Syrie, en services secrets ouest-allemands, la Irak et en Palestine, beaucoup éprouvent fuite de cadres nazis au Moyen-Orient alors de l’admiration pour le IIIe Reich. après la Seconde Guerre mondiale (Exil « L’intérêt des dirigeants arabes pour le nazi, la promesse de l’Orient, 2014). A national-socialisme est apparu bien avant présent, elle travaille sur un nouveau la création d’Israël en 1948, constate la documentaire, centré cette fois sur la réalisatrice. C’est moins l’anti sémitisme fascination exercée par le IIIe Reich sur d’ que sa virulence contre les les mouvements nationalistes arabes de sanctions imposées à l’Allemagne par le l’entre-deux-guerres à 1945. Traité de Versailles de 1919 qui retient leur Au Caire, l’auteure a recueilli les témoi- l’attention. Ce rejet du “diktat” des vain- gnages de fils ou petits-fils de personnes queurs a un écho positif dans le monde ayant été en contact avec d’anciens of- arabe. On y cherche un allié objectif contre ficiers, scientifiques et agents de rensei- l’Angleterre et la France, puissances co- gnement de l’Allemagne hitlérienne : loniales qui, dans les années 1920, se sont « Maadi, quartier aisé de la banlieue sud partagé les vestiges de l’Empire ottoman du Caire, aujourd’hui encore prisé des au lieu d’accorder l’indépendance aux Arabes en récompense de leur soutien

PG Géraldine face aux Turcs. Les diatribes d’Hitler Schwarz travaille contre le colonisateur britannique, qui sur un nouveau “ne fait qu’opprimer et exploiter les petites documentaire. Il est centré sur nations”, séduisent des peuples arabes l'influence de en plein éveil nationaliste. » l'idéologie nazie dans le monde Rituels mystiques, culte du chef... arabe avant et En 1933, à peine Hitler arrivé au pouvoir, pendant la guerre un journaliste irakien traduit en arabe de de 1940-1945.

MAHMOUD SABIT larges extraits de , publiés ➜

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➜ en feuilleton dans la presse irakienne. « Plus significatif : les rituels mystiques, le culte du chef, la glorification de la force, de la jeunesse et l’importance accordée à la culture populaire et aux ancêtres sont des aspects du fascisme et du nazisme qui fascinent alors au Moyen-Orient, comme dans d’autres régions du monde », signale l’auteure. Au point d’inspirer, dans l’entre-deux- guerres, la création de nouvelles forma- tions politiques arabes, dont trois exis- tent encore aujourd’hui : le Parti social nationaliste syrien (PSNS), qui arbore toujours son emblème d’origine, une hé- lice à quatre pales avec les couleurs in- versées du drapeau à croix gammée des nazis ; les Phalanges libanaises, parti chrétien fondé par Pierre Gemayel, mi- litarisé depuis la guerre civile de 1975 au Liban ; et une branche du futur parti Baas en Syrie.

Nazisme et islamisme Entre-temps, l’afflux croissant de Juifs Un Arabe lit une brochure de propagande européens en Palestine mandataire ou- pro-Hitler (avec la photo du Führer). vre un nouveau terrain de convergence La propagande nazie était très active entre les idéologues hitlériens et certains au Moyen-Orient pendant la guerre. nationalistes arabes. « L’antisémitisme DR nazi, avec son obsession d’un complot juif mondial destiné à dominer la pla- Reich, qu’un instrument utile à sa pro- nète, s’est engouffré dans cette brèche, pagande. » DR souligne Géraldine Schwarz. Il est relayé par des figures de l’islam intégriste, Afrika Korps contre « joug anglais » tel le réformiste salafiste Rachid Rida, Pendant la guerre, les nazis diffusent intellectuel syrien installé au Caire. des millions de tracts antisionistes dans De même, le grand mufti de Jérusalem, les pays arabes, en Turquie et en Iran. Amin al-Husseini, fer de lance de l’agi- De même, une radio, Berlin in arabic, y tation antibritannique en Palestine, propage, sous la direction, entre autres, s’exile à Berlin en novembre 1941 et glisse du grand mufti, la haine des Juifs et l’idée vers une collaboration concrète avec le d’une profonde affinité entre les idéaux Reich et une adhésion à l’antisémitisme du national-socialisme et de l’islam. En nazi. En octobre dernier, le Premier mi- 1941, la propagande hitlérienne veut nistre israélien, Benyamin Netanyahou, faire croire aux peuples arabes qu’« une l’a accusé d’avoir inspiré à Hitler la « so- victoire de l’Axe libérerait les pays du lution finale ». Des historiens du monde Moyen-Orient du “joug anglais” et don- entier, y compris israéliens, ont dénoncé nerait une réalité à leur droit à l’autodé- ce détournement de l’histoire. « Le termination », relève l’historien Jeffrey Alois Hudal, l'évêque autrichien dignitaire musulman avait peu d’in- Herf dans Hitler, la propagande et le à Rome, a aidé des dizaines de cadres nazis à fuir, notamment vers la Syrie. fluence à Berlin, confirme la réalisatrice monde arabe (Calmann-Levy, 2012). Cer- franco-allemande. Il n’est, aux yeux du tains milieux nationalistes arabes ont

46 LE VIF • NUMÉRO 27 • 08.07.2016 espéré obtenir l’indépendance grâce à Fischer ». « Il forme les services secrets l’Afrika Korps, le corps expéditionnaire syriens aux méthodes de torture de la d’Erwin Rommel. , indique la réalisatrice. Pendant L’influence nazie au Moyen-Orient ne la guerre d’Algérie, il est proche d’un ré- disparaît pas avec la chute du IIIe Reich. seau de trafic d’armes à destination du Après la guerre, de zélés serviteurs du FLN, en lutte contre la France. » Brunner régime hitlérien réussissent à échapper serait mort à Damas en 2010, à l’âge de à la justice internationale. Beaucoup 98 ans. Jusqu’à la fin de sa vie, il a béné- partent pour l’Amérique du Sud – Ar- ficié de la protection du régime baasiste. gentine, Paraguay, Brésil, Chili... – grâce à des filières d’exfiltration. D’autres, « les Expertise nazie en Egypte plus aventureux », estime la réalisatrice, Entre-temps, sous le coup de la débâcle gagnent la Syrie et l’Egypte, destinations arabe de 1949 face à Israël, l’Egypte et restées méconnues jusqu’il y a peu. les dirigeants de la Ligue arabe élaborent « Parmi eux, on compte d’anciens SS, un plan secret : mettre sur pied une ar- dont des criminels de guerre recherchés DR mée panarabe d’un million d’hommes, par la justice, ou qui craignent d’être dé- A une terrasse du Caire, Artur Schmitt, dotée d’un commandement unifié. « La l’ancien général de l’Afrika Korps, recruté noncés et poursuivis, explique-t-elle. Il tâche chimérique est confiée à Artur par l’Egypte au temps du roi Farouk. y a aussi des spécialistes désœuvrés, ex- Schmitt, ex-général de l’Afrika Korps, pilotes de la Luftwaffe, officiers de la Croix-Rouge internationale, procure des précise l’auteure. Toutefois, l’officier se Wehrmacht ou agents de sécurité, qui papiers à une cinquantaine de volon- met vite à dos l’état-major égyptien, dont estiment n’avoir plus d’avenir dans leur taires nazis en partance pour la Syrie. il a souligné l’incompétence. » L’Egypte pays, dévasté et occupé par les Alliés et Parmi eux, le capitaine SS , ne renonce pas pour autant à l’expertise les Soviétiques. Ils ne se reconnaissent ex-chef des camps d’extermination de allemande : en mars 1951, arrivent au pas dans la nouvelle Allemagne fédérale Sobibor et Treblinka, et son adjoint à Caire le général Wilhelm Fahrmbacher, démocratique. Ils préfèrent mettre leurs Sobibor, l’adjudant SS . l’homme qui a tenu la poche de Lorient compétences au service de pays arabes, (Bretagne) face aux troupes américaines où ils savent que leurs convictions fas- protégé de Damas jusqu’au 8 mai 1945, et Wilhelm Voss, cistes ne seront pas mal vues. » Fraîchement émancipée de la tutelle française, la Syrie veut se doter d’une Rome, plaque tournante armée efficace. Infiltré dans les rangs Rome, refuge de nombreux fidèles du syriens, un agent du Mossad, le service Führer en cavale, est alors la plaque tour- secret israélien, révélera à ses supérieurs nante de ce recrutement. Des nazis en que les divisions syriennes engagées quête d’une nouvelle vie y sont embau- dans la guerre de 1948 contre Israël chés par les agents de Damas afin de ré- étaient commandées par des officiers former l’armée et les services de rensei- allemands ! Après la défaite de la coali- DR gnement syriens. « La Syrie, qui vient tion arabe, à la mi-1949, un coup d’Etat L’ancien colonel SS a été, d’acquérir sa totale indépendance, rejette renverse le pouvoir à Damas et les colla- en 1948, l’organisateur de la filière toute idée de faire appel aux conseillers borateurs allemands du régime déchu qui a permis à une cinquantaine des anciennes puissances coloniales sont chassés de Syrie. Rauff et les hommes de volontaires nazis de rejoindre la Syrie. pour combler ses faiblesses », remarque qu’il a enrôlés mettent alors le cap sur l’auteure. La filière des Allemands re- l’Amérique du Sud. crutés par Damas est animée par l’ancien D’autres nazis ne tardent pas à les rem- colonel SS Walter Rauff. En 1941, ce lo- placer, dont l’ex-bras droit d’Adolf Eich- ancien haut responsable du conglomérat gisticien était l’organisateur du déploie- mann, Aloïs Brunner, tenu pour respon- industriel d’Hermann Göring, ministre ment des camions à gaz destinés à l’ex- sable de la déportation de 120 000 Juifs de la Guerre du Reich. termination des Juifs de Russie. européens vers les camps d’extermina- Ils sont chargés de recruter une cen- En juillet 1948, Rauff, avec l’appui de tion. Après avoir trouvé refuge en Egypte, taine de conseillers militaires allemands, l’évêque catholique autrichien Alois l’ancien officier SS débarque à Damas vétérans de l’Afrika Korps, de la marine, Hudal et sous le nez du Vatican et de la en 1954 sous son nom d’emprunt, « Georg du front de l’Est..., pour moderniser ➜

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➜ et entraîner l’armée nationale. Parmi eux figure l’ex-commandant de la Waf- fen-SS, Gerhard Mertins, qui s’attache à enseigner les techniques de guérilla. D’autres experts, sous les ordres de Voss, sont chargés de jeter les bases d’une in- dustrie de l’armement. « Quand Chur- chill, le Premier ministre britannique, dont les troupes occupent encore l’Egypte, s’en inquiète auprès d’Ade- nauer, le chancelier lui répond qu’il n’a pas de prise sur ces initiatives privées, raconte Géraldine Schwarz. En fait, la jeune République fédérale recourt elle- même aux services de plusieurs de ces cadres nazis pour gagner de nouveaux DR marchés au Moyen-Orient. Mertins de- Alois Brunner (à g.), bras droit d', en Syrie. viendra ainsi le représentant de Mer- Il arrive à Damas en 1954 et aidera à « former » les services de sécurité syriens. cedes-Benz au Caire. Très lié à la CIA, le BND, le service de renseignement alle- se fait appeler « Ali al-Nahar » ; Joachim recrutés par les régimes autoritaires mand, recrute certains de ces exilés pour Deumling, ex-responsable de la Gestapo moyen-orientaux sont restés des nazis s’implanter dans la région. Il est toujours à Düsseldorf, aide à réorganiser les ser- convaincus jusqu’à la mort, note Géral- très actif aujourd’hui en Syrie. » vices de renseignement ; , dine Schwarz. Nombre d’entre eux se le célèbre officier commando est, depuis convertiront à l’islam. » ◆ Von Leers, alias « Omar Amin » 1953, conseiller militaire auprès du gé- En 1956, l’arrivée de Nasser à la tête du néral égyptien Naguib ; l’ex-capitaine SS pays provoque le départ de Fahrmbacher, Wilhelm Boeckler, qui a participé à la li- Voss et d’autres instructeurs allemands, quidation du ghetto de Varsovie, vit de- effrayés par les sympathies socialistes du puis 1949 en Egypte sous le nom d’« Abd nouveau raïs. D’autres anciens nazis pren- al-Karîm » et forme, avec d’autres exilés nent la relève : le colonel SS Leopold Gleim nazis, des terroristes palestiniens... forme les cadres du service de sécurité et De même, dès 1956, d’anciens collabo- rateurs de Joseph Goebbels, le ministre DR d’Hitler, jouent un rôle dans l’appareil de propagande antisioniste de Nasser. Pour les superviser, le ministère égyp- tien de l’Information recrute l’un des idéologues du IIIe Reich, . Protégé par Goebbels et proche d’Himmler, il défend l’idée d’un lien étroit entre nazisme et religion musul- mane, forgé par leur commune hostilité aux Juifs. De 1950 à la chute du régime de Perón, en 1955, von Leers réside en Argentine, avant de fuir au Caire avec femme et enfants. En Egypte, cet anti- Gerhard Mertins est recruté en 1951 sémite fanatique organise, sous le nom par l’Egypte pour y former une unité DR d’« Omar Amin », la diffusion d’émis- de parachutistes. Nazi convaincu, Un article d'un magazine égyptien il travaillera aussi pour le BND, les sions de radio multilingues et encourage de l'époque est consacré aux experts nazis services de renseignement allemands. les mouvements néo-nazis dans le recrutés par l’Egypte. En photo : monde. « Les conseillers allemands Wilhelm Voss, le chef du groupe.

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