Orocowewin notcimik itatcihowin Ontologie politique et contemporanéité des responsabilités et des droits territoriaux chez les Nehirowisiwok (Haute-Mauricie, Québec) dans le contexte des négociations territoriales globales

Thèse

Benoit Éthier

Programme de Doctorat en anthropologie Philosophiae doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

© Benoit Éthier, 2017

Orocowewin notcimik itatcihowin Ontologie politique et contemporanéité des responsabilités et des droits territoriaux chez les Atikamekw Nehirowisiwok (Haute-Mauricie, Québec) dans le contexte des négociations territoriales globales

Thèse

Benoit Éthier

Sous la direction de :

Sylvie Poirier, directrice de recherche Martin Hébert, codirecteur de recherche

Résumé

Cette recherche doctorale s’inscrit dans les champs des études autochtones, de l’anthropologie juridique et de l’ontologie politique. À partir d’une analyse du processus d’élaboration du code de pratiques chez les Atikamekw Nehirowisiwok, cette étude s’intéresse à l’articulation et à la traduction de pratiques, de processus et de principes normatifs nehirowisiwok dans un contexte de négociations territoriales et de dialogue avec les institutions étatiques. Cette recherche s’intéresse au phénomène du pluralisme juridique – à la description empirique et à l’analyse des processus de négociations, de traductions et de reformulations qui se produisent, dans un rapport souvent asymétrique, entre, par exemple, les ordres normatifs autochtones et le droit étatique.

À l’instar d’autres Premières Nations, les Atikamekw Nehirowisiwok sont engagés, depuis les dernières décennies, dans des revendications d’autodétermination visant à faire reconnaître à la fois leurs droits et leurs propres pratiques politiques et de gestion territoriale. Contrairement toutefois à d’autres Premières Nations, comme les Cris (Eeyouch / Eenouch) de la Baie James ou les Nisgaa’ de la Côte- Ouest canadienne, les Atikamekw Nehirowisiwok n’ont, à ce jour, signé aucun traité, historique ou moderne, avec les gouvernements du Québec et du Canada. Les Atikamekw Nehirowisiwok sont pleinement conscients du risque de négocier et d’utiliser les systèmes et instances politiques et juridiques de l’État pour faire reconnaître leur droit à l’autodétermination. Ils sont aussi pleinement conscients qu’ils sont confrontés à la présence inévitable de conflits ontologiques et épistémologiques. Toutefois, et en dépit des nombreux obstacles, ils demeurent mobilisés et engagés dans ces négociations inévitables avec les institutions étatiques. Dans cette mobilisation, les Atikamekw Nehirowisiwok maintiennent l’espoir de faire reconnaître leurs propres visions du politique, manières d’êtres-au- monde et aspirations. Pour reprendre le terme de Blaser (2004), ces démarches articulent et présentent des « projets de vie » autochtones fondés sur des rapports particuliers aux territoires et aux non-humains, sur des mémoires, des attentes et des désirs. Ces « projets de vie » se mobilisent concrètement dans les pratiques quotidiennes, les relations aux territoires familiaux, les activités de chasse et dans les mobilisations des Atikamekw Nehirowisiwok autour de la reconnaissance de leurs droits.

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Abstract

This doctoral research encompasses the fields of Indigenous studies, legal anthropology and political ontology. Through an analysis of the elaboration of the Atikamekw Nehirowisiwok code of practices, this study examines the articulation and translation of Nehirowisiwok normative practices, processes and principles in a context of territorial negotiations and dialogue with state institutions. This research focuses on the phenomenon of legal pluralism – the empirical description and analysis of the processes of negotiations, translations and reformulations that often take place, in asymmetrical relationship, notably between indigenous normative orders and state law.

Like other First Nations, the Atikamekw Nehirowisiwok have, over the past few decades, been involved in self-determination claims for the recognition of their rights, as well as their political and territorial management practices. Unlike other First Nations, however, such as the James Bay (Eeyouch / Eenouch) or the Nisgaa' of the Canadian West Coast, the Atikamekw Nehirowisiwok have not so far signed any treaty, historical or modern, with the governments of and Canada. The Atikamekw Nehirowisiwok are fully aware of the risk involved in such negotiations and of using the political and legal systems of the State in order to have their right to self-determination recognized. They are also conscious of the unavoidable ontological and epistemological conflicts they face. However, in spite of these obstacles, they remain mobilized and engaged in these inevitable negotiations with state institutions. In this mobilization, the Atikamekw Nehirowisiwok remain hopeful that their own political visions, as well as their ways of being-in-the-world and aspirations will be recognized. These efforts articulate and exhibit what Blaser (2004) defines as indigenous “life projects”, based on specific relations to the land and non-human agencies, on memory, expectations and desires. These “life projects” are mobilized concretely in daily practices, relationships to family territories, hunting activities and through the various mobilizations enacted by the Atikamekw Nehirowisiwok around the recognition of their rights.

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé ...... iii Abstract ...... iv Remerciements ...... ix

INTRODUCTION ...... 1 Contexte de l’étude ...... 1 Objectifs de la recherche ...... 7 Organisation de la thèse ...... 12

PARTIE I APPROCHES THÉORIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

Chapitre 1 L’anthropologie juridique et l’anthropologie ontologique Introduction ...... 19 1.1. L’émergence de l’anthropologie juridique : D’Henry Maine (1822-1888) à Max Gluckman (1911-1975) ...... 20 1.2. Les études sur la résolution des conflits et la conciliation des approches substantielles et processuelles dans l’analyse des ordres normatifs autochtones ...... 25 1.3. Les enjeux de la formalisation des droits coutumiers autochtones ...... 27 1.4. Le pluralisme juridique ...... 30 1.5. L’anthropologie ontologique ...... 37 Conclusion ...... 44

Chapitre 2 Méthodologie de la recherche Introduction ...... 46 2.1. Les connexions partielles ...... 47 2.2. L’approche ontologique et expérientielle ...... 50 2.3. La cérémonie du calumet ...... 53 2.4. Le travail du malentendu ...... 60 2.5. La recherche collaborative ...... 67 2.6. Les partenaires à la recherche ...... 71 2.7. La collecte et l’analyse des informations ...... 76 2.7.1. La recherche documentaire ...... 76 2.7.2. La recherche ethnographique ...... 78 2.8. Le biais de genre ...... 82 Conclusion ...... 86

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PARTIE II NEHIROWISIW OTIPERITAMOWIN: RESPONSABILITÉS, POUVOIRS ET DROITS TERRITORIAUX CHEZ LES ATIKAMEKW NEHIROWISIWOK

Chapitre 3 Les principes et modes de renforcement normatifs dans la littérature algonquiniste Introduction ...... 90 3.1. Miro watikosiwin : un bon comportement ...... 91 3.2. Le principe du partage des fruits de la chasse ...... 92 3.3. Le principe du respect et de la non-maltraitance à l’égard des animaux ...... 96 3.4. Le principe d’invitation (wicakemowin) ...... 102 3.5. Nehirowisiw opimatisiwin : Le principe d’ancestralité et la transmission des savoirs normatifs ...... 106 3.6. Le rôle de l’opinion publique et de l’ostracisme dans le renforcement normatif ...... 110 3.7. Rôles et statuts de l’aîné (mocom, kokom), du ka nikaniwitc et du okimaw dans le renforcement normatif ...... 115 3.8. Rôles et statuts du pamikicikotc iriniw et du ka mantowisitc ...... 122 Conclusion ...... 128

Chapitre 4 Atisokan : Ancestralité et transmission des savoirs normatifs nehirowisiwok Introduction ...... 130 4.1. La transmission des savoirs normatifs par l’entremise des atisokana ...... 132 4.2. Tipatcimowin acitc atisokan ...... 134 4.3. La documentation des récits ...... 136 4.4. Discussion autour du travail d’interprétation et de traduction des atisokana ...... 139 4.5. Notcimik kitci atisokan ...... 142 4.6. Kimocominowok : les ancêtres ...... 151 4.7. Les récits familiaux et les patronymes d’animaux ...... 157 4.8. Les récits familiaux et la culture matérielle ...... 164 4.9. Les récits toponymiques ...... 168 Conclusion ...... 172

Chapitre 5 Tiperitamowina aski : contemporanéité des responsabilités et des droits territoriaux nehirowisiwok Introduction ...... 174 5.1. L’institution des groupes de chasse et le système des territoires de chasse familiaux 177 5.1.1. Le legs de Frank G. Speck (1881-1950) ...... 177 5.1.2. Les débats autour des territoires de chasse familiaux algonquiens ...... 184 5.1.3. La territorialité nehirowisiw ...... 190 Nitaskinan ...... 192 Notcimik ...... 193

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Atoske aski / Natoho aski ...... 195 5.2. Responsabilités et droits territoriaux ...... 199 5.2.1. Tiperitamowina aski ...... 199 5.2.2. Types de chasse : natohowin / atoskewin ...... 201 5.2.3. Mohonan acitc moteskano : Suivre les traces des ancêtres ...... 207 5.2.4. Empreintes et occupation territoriale ...... 213 5.3. Les réserves à castor ...... 221 5.3.1. La création des lots de piégeage ...... 221 5.3.2. Impacts de la traite des fourrures et des réserves à castor sur les pratiques et principes normatifs nehirowisiwok ...... 225 5.3.3. Mésententes sur les pratiques de préservation et d’ensemencement du castor ..... 229 5.4. Tensions politiques et transformation des rôles des ka nikaniwitcik dans le contexte des exploitations des ressources ligneuses ...... 231 5.4.1. La coexistence (imposée) des Autochtones et de l’industrie forestière ...... 231 5.4.2. Les certifications forestières et les pratiques de consultation et de compensation . 236 5.4.3. Le nouveau régime forestier et les nouvelles responsabilités des ka nikaniwitcik .. 240 Conclusion ...... 245

PARTIE III OROCOWEWIN NOTCIMIK ITATCIHOWIN : PROJET D’ÉLABORATION DU CODE DE PRATIQUES NEHIROWISIW DANS LE CONTEXTE DES NÉGOCIATIONS TERRITORIALES GLOBALES

Chapitre 6 Relations de pouvoir dans la politique des revendications territoriales globales et les politiques de reconnaissance Introduction ...... 248 6.1. Contexte d’élaboration de la politique sur les revendications territoriales globales .... 252 6.2. L’approche axée sur les résultats et les effets des obligations de la dette ...... 254 6.3. Le fardeau de la preuve : certains problèmes liés à l’obligation de prouver l’occupation exclusive et continue du territoire ancestral revendiqué ...... 260 6.4. Le Bill C-9 et l’extinction des droits ancestraux nehirowisiwok ...... 265 6.5. Les politiques étatiques de la « reconnaissance », du « multiculturalisme » et de la « réconciliation » ...... 270 6.6. Les politiques de la reconnaissance from below et la résurgence des autochtones .. 275 Conclusion ...... 280

Chapitre 7 Orocowewin notcimik itatcihowin : Le projet d’élaboration du code de pratiques et l’articulation de projets de société nehirowisiwok dans le contexte des négociations territoriales globales Introduction ...... 282 7.1. Nehirowisiw otiperitamowin ...... 284 7.1.1. Les déclarations de souveraineté d’Atikamekw Nehirowisiw ...... 284

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7.1.2. L’application de la souveraineté d’Atikamekw Nehirowisiw ...... 288 7.2. Orocowewin notcimik itatcihowin : le code de pratiques nehirowisiw ...... 291 7.2.1. La base territoriale et les principes territoriaux ...... 291 7.2.2. Notcimik itatcihowin : règles et pratiques normatives au sein du territoire d’origine et d’appartenance ...... 294 7.2.3. Orocowewin : projet de société consensuel et retour sur la notion d’autorité ...... 296 7.3. Les enjeux liés à la traduction, à la formalisation et à l’encodage des pratiques et principes normatifs nehirowisiwok ...... 302 7.3.1. Le choix des termes et l’exercice de traduction ...... 302 7.3.2. Le passage de l’oral à l’écrit ...... 306 7.4. Nahitatowin : Nous mettons les choses à leur place ...... 314 Conclusion ...... 320

CONCLUSION / DISCUSSION L’anthropologie juridique et le pluralisme juridique de coordination ...... 324 L’apport de l’anthropologie ontologique dans l’interprétation et la traduction des savoirs normatifs autochtones ...... 326 La contemporanéité des droits coutumiers et des savoirs normatifs nehirowisiwok ...... 329 Les négociations territoriales et les projets de société nehirowisiwok ...... 331 Les contributions et les prospectives de la recherche ...... 334

Bibliographie ...... 339

ANNEXE 1: Lexique nehiromowin/français ...... 377 ANNEXE 2: Cartes de Nitaskinan (territoire revendiqué, toponymes importants, ZEC et unités d'aménagement forestier et baux de villégiature) ...... 385 ANNEXE 3: Déclaration de souveraineté d'Atikamekw Nehirowisiw ...... 389 ANNEXE 4: Panneau identifiant Nitaskinan ...... 390 ANNEXE 5: Grilles d'observations et d'entretiens ...... 391 ANNEXE 6: Calendrier des séances de travail et de collecte d'informations ...... 396

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Remerciements

Je souhaite d’abord remercier les membres des trois communautés atikamekw nehirowisiwok qui ont participé de près ou de loin à cette étude doctorale. Plus particulièrement, je remercie les membres de la famille de Cécile Ottawa-Niquay, Jean-Marc Niquay, Hervé-Richard Chachai et Gaston Moar pour le partage de moments forts agréables dans leurs foyers et au sein de leur territoire de chasse familial. Je souhaite également remercier André Awashish, Joey Awashish, Véronique Chachai et Richard Niquay qui m’ont aidé à la traduction et à la transcription des entrevues réalisées auprès d’aînés des communautés d’Opitciwan et de . Parmi les aînés, mentionnons la participation de Paul Niquay, Léon Niquay, Réal Basile, Jérôme Méguish, Agabeth Weizineau, Rose- Anna Weizineau, David Chachai, Gabriel Awashish, Michel Weizineau, Noé Chachai, Dick-Hector Niquay, René Weizineau, William Awashish, Sauterre Denis- Damée, Monique Denis-Damée et Charles Chachai. Je remercie ces aînés qui ont accepté de partager le fruit de leurs expériences et de leurs savoirs en lien avec le droit coutumier nehirowisiw et plus largement avec leur philosophie de l’existence, leurs récits familiaux et leurs pratiques territoriales. Un remerciement spécial aussi aux membres de la radio communautaire d’Opitciwan qui ont eu la gentillesse de me partager un nombre important de documents audio réunissant des récits d’aînés des trois communautés. Ces enregistrements, dont certains remontent aux années 1960, sont encore diffusés aujourd’hui dans les stations de radio des communautés atikamekw nehirowisiwok et continuent d’apporter des enseignements pour les jeunes générations atikamekw nehirowisiwok.

Cette recherche a pu être menée grâce à une collaboration étroite avec des membres du Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw. Je pense particulièrement à Christian Coocoo, Gérald Ottawa, Nicole Petiquay et Samuel Castonguay. Ces personnes ont contribué depuis le tout début du processus, m’aidant dès l’élaboration des objectifs de recherche, à l’identification des interlocuteurs-clés jusqu’à la validation des résultats de la recherche. Ces personnes ont également participé à maintes reprises à des colloques universitaires, partageant leurs riches expériences et savoirs. Christian, Gérald et Nicole ont également accepté de faire partie d’un comité visant à élaborer un

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lexique (annexe 1) qui pourra être développé et inclus dans le code de pratiques nehirowisiw et la Constitution de Nitaskinan. Ce comité, dont je faisais partie, a pu bénéficier également de l’expérience, des commentaires et des réflexions de membres de l’Équipe de négociations territoriales globales et du Comité sur le code de pratiques nehirowisiw. Des remerciements spéciaux à André Quitich, Jean-Pierre Mattawa, Jean-Paul Néashit, François Néashit, Simon Coocoo, Marcel Boivin et feu Ernest Ottawa et Gilles Ottawa pour le partage de leurs expériences en lien avec le processus de négociations territoriales globales et d’élaboration du code de pratiques nehirowisiw, projets dans lesquels ils ont été impliqués depuis les années 1980. Je tiens également à remercier les membres des conseils de bande des trois communautés qui ont accepté de me rencontrer et de valider la proposition de recherche. Malgré leur horaire chargé, ces personnes ont pris le temps d’échanger avec moi et de répondre à mes questions à différents moments du processus de recherche.

Je tiens à souligner l’importance des échanges et des contributions intellectuelles des membres de différents centres et équipes de recherche au sein desquels je me suis impliqué ces dernières années; le Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones (CIÉRA), le projet État et cultures juridiques autochtones : un droit en quête de légitimité (dirigé par Ghislain Otis), l’Équipe de recherche sur les spiritualités amérindiennes et inuit (ERSAI, dirigé par Robert Crépeau) et le Centre pour la conservation et le développement autochtones alternatifs (CICADA, dirigé par Colin Scott). Les rencontres organisées par ces centres et équipes de recherches dans lesquels les Autochtones sont représentés ont certes été bénéfiques pour faire avancer les réflexions concernant les questions autochtones dans différents contextes religieux, politiques, économiques et juridiques contemporains.

Enfin, je remercie grandement ma directrice de thèse, Sylvie Poirier, qui m’a soutenu tout au long du projet et qui, certainement, m’a vu évoluer depuis notre première rencontre en 2008. Tout au long de mon parcours d’étudiant gradué, Sylvie m’a épaulé et a facilité la réalisation de mes recherches. Je remercie également Martin Hébert, mon codirecteur de thèse pour ses commentaires

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toujours aussi constructifs et pertinents. Les échanges que j’ai pu avoir avec Sylvie et Martin ont été très certainement bénéfiques et inspirants tout au long de la rédaction de cette thèse. La révision de cette thèse a bénéficié des commentaires et suggestions de Paul Charest qui a agi à titre de prélecteur de la thèse.

Cette recherche doctorale s’inscrit dans le projet Territorialités autochtones postcoloniales, transmission et autonomie. La Nation atikamekw et l’univers forestier (CRSH 2012-2015) dirigé par Sylvie Poirier en collaboration avec le Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw. Outre l’apport de ce projet, cette recherche doctorale a pu être menée grâce à un financement obtenu de la Bourse d’études de cycles supérieurs en recherche (doctorat) du Fonds de recherche sur la société et la culture (FRQSC, 2013-2016), de la Bourse d’excellence au doctorat du Fonds facultaire d’enseignement et de recherche et du Fonds Tougas (Université Laval, 2013-2014), de la Bourse d’excellence Louis-Edmond Hamelin (2014), de la Subvention à la mobilité de la Fondation de l’Université Laval / Chaire Louis-Edmond Hamelin de recherche nordique en sciences sociales (2015) et de la Bourse de fin d’études de doctorat du Fonds Georges-Henri-Lévesque (Université Laval, 2016-2017).

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INTRODUCTION

Contexte de l’étude

Dans le contexte des négociations territoriales globales, les Autochtones du

Canada sont amenés à revendiquer leurs droits territoriaux dans des cadres bien définis par les institutions étatiques. Dans ces processus de négociation, les

Autochtones traduisent leurs rapports au territoire dans des termes qui sont compris et imposés par leurs interlocuteurs étatiques dans le but de défendre leurs propres droits et intérêts. Ils ont dû, par exemple, s’approprier les concepts de propriété et de frontière afin de circonscrire les territoires revendiqués au risque de soulever des conflits entre les familles, les communautés et les Nations autochtones voisines (Nadasdy 2002; 2012, Sletto 2009a, Thom 2009; 2014;

2015).

À l’instar d’autres Nations autochtones du Canada, les Atikamekw Nehirowisiwok1 sont engagés dans les revendications territoriales globales dans l’espoir de faire

1 Les Atikamekw Nehirowisiwok, au nombre d’un peu plus de 6000, sont majoritairement situés dans les régions de Lanaudière et de la Haute-Mauricie au centre du Québec. Ils font partie de la grande famille linguistique algonquienne regroupant plusieurs Nations, dont les Innus, les Anicinabek (Algonquins) et les Eeyouch/Eenouch (Cris). Le terme Nehirowisiw (une « personne autonome » ; Nehirowisiwok, dans sa forme plurielle) est l’ethnonyme que les Atikamekw ont toujours utilisé afin de se désigner. En 2006, le Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw a officiellement adopté cette appellation. Pour en connaître un peu plus sur la signification de cet ethnonyme, voir Gélinas (1998), Société d’histoire atikamekw nehirowisiw et Jérôme (2009) et Poirier, Jérôme et la Société d’histoire atikamekw nehirowisiw (2014). Dans cette thèse, j’utilise le nom Atikamekw Nehirowisiw lorsqu’il est question de personnes et d’organismes, et le terme nehirowisiw lorsqu’il est question de qualificatifs, de valeurs ou de pratiques.

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reconnaître leurs droits, leurs pratiques normatives et leur système d’autorité territoriale. Contrairement toutefois à d’autres Nations autochtones, comme les Cris (Eeyouch / Eenouch2) de la Baie-James ou les Nisgaa’ de la Côte-Ouest canadienne, les Atikamekw Nehirowisiwok n’ont, à ce jour, signé aucun traité historique ou moderne avec les gouvernements du Québec et du Canada. En dépit des obstacles politiques, mais aussi épistémologiques et ontologiques qu’ils doivent surmonter, les Atikamekw Nehirowisiwok demeurent mobilisés et engagés dans ces négociations inévitables avec les institutions étatiques.

Deux ans après la mise sur pied de la politique canadienne sur les revendications territoriales globales3, soit en 1975, les membres des Nations Atikamekw

Nehirowisiw et Innus ont réuni leurs efforts et leurs ressources afin de créer leur propre organisation politique, le Conseil Atikamekw–Montagnais (CAM), dont la principale mission était de promouvoir et de défendre les droits de leurs membres et d’agir comme représentant politique vis-à-vis des leurs interlocuteurs étatiques

(Charest 1992, Dupuis 1993). En 1979, le CAM amorça le processus de négociation territoriale globale et adopta une résolution « de prise en charge de tous les programmes et services actuellement assurés par les Affaires indiennes et/ou les autres organismes fédéraux et provinciaux » (CAM 1979, Charest 1992).

L’ensemble de ces démarches visait à acquérir plus de pouvoir dans la gestion de leur propre vie et du territoire. En avril 1979, le CAM déposa au ministère des

Affaires indiennes du Canada un énoncé de revendication qui comprenait onze

2 Communément nommés Cris, les Autochtones de la Baie-James s’identifient eux-mêmes comme Eeyouch (groupes de la côte) et Eenouch (groupes de l’intérieur des terres). 3 Mis en place à compter de 1973 par le gouvernement fédéral, la Politique sur les revendications globales vise à conclure des ententes finales sur des territoires revendiqués par différentes Nations autochtones du Canada n’ayant signé aucun traité jusqu’à présent. Ces ententes, également connues sur le nom de « traités modernes », ont pour but de pallier le flou juridique concernant les droits et titres fonciers que possèdent les Autochtones (voir chapitre 6).

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propositions qui devaient servir de base aux négociations territoriales globales (CAM 1979 :181-182):

1 : En tant que peuples culturellement autonomes avant l’arrivée des Européens, nous voulons être reconnus comme peuples ayant droit à disposer d’eux-mêmes.

2 : En tant que peuples autochtones, descendants des premiers habitants des territoires situés à l’est de la péninsule Québec-Labrador, nous demandons aussi que nos droits de souveraineté soient reconnus sur ces terres

3 : Nous refusons que l’extinction définitive de ces droits devienne une condition préalable à toute entente avec les gouvernements de la société dominante.

4 : Nous exigeons des dédommagements pour toutes les violations passées et actuelles de nos droits territoriaux.

5 : Nous nous opposons à tout nouveau projet d’exploitation des ressources de nos territoires par les membres de la société dominante tant et aussi longtemps que nos droits n’auront pas été reconnus.

6 : Nous voulons contrôler à l’avenir l’exploitation de nos terres et de leurs ressources.

7 : Nous voulons favoriser prioritairement le développement des ressources renouvelables de nos terres par rapport à celui des ressources non renouvelables.

8 : Nous voulons que l’assise économique que nous fournira le contrôle de l’exploitation de nos terres assure notre bien-être économique, social et culturel pour les générations à venir, comme c’était le cas avant que nous soyons envahis par les commerçants, les colons et les entreprises industrielles.

9 : Nous voulons prendre en mains notre développement à tout point de vue et ne plus le laisser entre les mains de membres de la société dominante.

10 : Nous voulons orienter notre développement en fonction de nos valeurs et de nos traditions léguées par nos ancêtres et qui ont été développées pendant des millénaires en harmonie avec notre environnement naturel et social.

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11 : Nous voulons à l’avenir traiter d’égal à égal avec les gouvernements de la société dominante et non plus être considérés comme des peuples inférieurs.

Quelques mois après le dépôt de cet énoncé de revendication, soit au mois d’octobre 1979, le gouvernement fédéral accepta d’entamer les négociations territoriales globales. Le gouvernement du Québec ira dans le même sens en janvier 1980 (Charest 2001). Depuis, le processus de négociations a eu des hauts et des bas liés à un ensemble de facteurs politiques dont Paul Charest et d’autres chercheurs ont déjà largement discutés dans leurs travaux (Charest 1992; 2001,

Cleary 1993, Dupuis 1993, Gentelet 1993, Lacasse 2004). Comme étapes marquantes dans le processus, notons, par exemple, la signature de deux ententes préliminaires (1987-1988) entre les représentants de la Nation atikamekw nehirowisiw et les gouvernements du Québec et du Canada et la signature du

Protocole d’entente politique (2002) par les représentants de la Nation atikamekw nehirowisiw appuyés par les membres des trois communautés (Charest 2001,

CNA 2012). Le Protocole d’entente politique du CNA signé à Wemotaci en 2012 dans le contexte des négociations territoriales globales visait à maintenir l’unité de la Nation atikamekw nehirowisiw, à préparer les structures d’un gouvernement autonome, à veiller sur l’intégrité, l’intégralité et l’indivisibilité du territoire national et à poursuivre les négociations territoriales globales (CNA 2012). La signature de ce protocole fait suite à une série de mesures développées par les membres de la

Nation depuis le début des années 1980.

En 1983, les Atikamekw Nehirowisiwok créaient leur propre organisation politique, le Conseil Atikamekw Sipi (qui deviendra le Conseil Atikamekw Nehirowisiw [CNA])

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qui est composé des trois chefs de bande, d’un président / Grand-Chef élu4 et d’un directeur général (Charest 1992, Dupuis 1993, CNA 2012).

Dans les premières années de sa création, le rôle du CNA était d’assurer la mise en œuvre des décisions prises lors des assemblées générales des représentants de la Nation touchant les dossiers communs aux trois communautés (Charest 1992). En 1994, lors de la dissolution du CAM5, le CNA a aussitôt pris le relais comme interlocuteur dans les négociations territoriales globales menées par les Atikamekw Nehirowisiwok avec les gouvernements du Québec et du Canada

(Charest 2001, CNA 2012).

Dans une démarche de décolonisation, de reconnaissance et d’autodétermination

(« souveraineté »), le CNA mène depuis sa création des projets de recherche et de consultation en vue de documenter et de faire reconnaître les institutions, systèmes d’autorité et droit coutumier d’Atikamekw Nehirowisiw qui devraient être appliqués pour toutes les activités se déroulant au sein de Nitaskinan, le territoire ancestral revendiqué.

Tout au long du processus de négociation territoriale globale, les Atikamekw Nehirowisiwok ont organisé plusieurs colloques territoriaux pour discuter largement des savoirs et des modes de gestion territoriaux qu’ils pratiquent et désirent faire reconnaître et appliquer par les acteurs et institutions allochtones ayant des intérêts au sein de Nitaskinan. Ces rencontres laissent toujours une place importante au partage des récits familiaux (atisokana et tipatcimowina) et au partage d’opinions et d’expériences concernant les négociations territoriales et

4 La première élection d’un Grand-Chef par suffrage universel chez les Atikamekw Nehirowisiwok date de 2002. Cette autorité politique est une initiative particulière et ne relève donc pas de la Loi sur les Indiens, contrairement aux conseils de bande. 5 Cette dissolution est survenue alors que les membres des Nations atikamekw nehirowisiw et Innus ont pris la décision de mener séparément le processus de négociation territoriale globale.

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l’établissement d’un gouvernement atikamekw nehirowisiw. Le Centre d’archives du CNA a conservé des résumés de ces rencontres, rencontres qui durent habituellement deux ou trois jours. Nous avons pu, dans le cadre de cette recherche doctorale, utiliser et étudier le contenu de cette documentation.

Pendant tout le processus de négociation, le CAM puis le CNA ont également mené d’importants travaux, comme le projet CAMROUT6 (Brassard et Castonguay

1983) (aussi connu sous le nom de la Grande recherche), visant à documenter les savoirs territoriaux, ainsi que l’occupation et l’utilisation des territoires ancestraux revendiqués (Brassard et Castonguay 1983, Castonguay 1983, Dandenault 1983, Léger 1983, Charest 1992; 2001; 2003; 2005). Le CAM et le CNA ont également mis sur pied divers organismes et associations dans le but de poursuivre ces travaux et de favoriser la diffusion des informations à ses membres. Mentionnons, par exemple, la création en 1980 de la Société de communication atikamekw- montagnais (SOCAM) dont le rôle est de diffuser quotidiennement à l’ensemble des communautés innues et atikamekw nehirowisiwok une vaste gamme d’informations reliées aux enjeux politiques autochtones (Charest 1992). Cette antenne radiophonique favorise également la transmission des savoirs ancestraux grâce à une participation importante des aînés dans les émissions, la transmission de la langue innue et nehiromowin (langue des Atikamekw Nehirowisiwok) puisque la majorité des émissions radiophoniques sont réalisées dans ces langues et enfin, la diffusion et la valorisation de la musique innue et nehirowisiw qui occupe une place importante dans la programmation musicale de la station. La SOCAM, qui est diffusée dans la majorité des foyers innus et atikamekw nehirowisiwok, contribue ainsi à l’affirmation identitaire et politique des membres de ces Nations.

6 Conseil Atikamekw-Montagnais, recherche sur l’occupation et l’utilisation du territoire (CAMROUT).

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L’Association Mamo Atoskewin Atikamekw (AMAA) créée par le CNA et qui a menée ses activités entre 1990 et 1996 a développé plusieurs recherches autour des modes de gestion et des savoirs territoriaux nehirowisiwok liés, par exemple, aux ravages d’orignaux, à la toponymie, aux comportements et contributions des animaux et des plantes, etc. Les travaux réalisés par cette association sont encore utilisés, discutés et mis à jour aujourd’hui dans le processus d’élaboration de la base territoriale (Notcimik), des principes territoriaux (Kiskeritamowina e aspictaiikw askik itekera) et du code de pratiques nehirowisiw (Orocowewin notcimik itatcihowin) (voir chapitres 5 et 7).

Objectifs de la recherche

J’ai l’opportunité dans cette recherche doctorale non seulement de mettre en dialogue mes expériences de terrains avec ces travaux réalisés par le CNA ces dernières années, mais également de suivre de près le processus et le projet collectifs (orocowewin) visant à formaliser et à mettre sous forme écrite les pratiques et principes normatifs (itatcihowin) nehirowisiwok qui régulent les activités de chasse, de pêche et de récolte des végétaux au sein de l’univers forestier nehirowisiw (notcimik). Le processus d’élaboration du code de pratiques mené par les Atikamekw Nehirowisiwok vise à la fois à assurer la transmission des savoirs et des responsabilités territoriaux et à faire reconnaître auprès des instances étatiques leurs propres conceptions du droit et de la responsabilité territoriale. Le concept de « processus » est mobilisé dans cette thèse pour décrire les dynamiques de négociation, d’appropriation et de résistance autant sociales, culturelles que politiques des Autochtones dans un contexte de dialogue avec les institutions étatiques.

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L’objectif de cette recherche doctorale est à la fois de décrire les pratiques et principes normatifs liés à la chasse dans le contexte contemporain et de créer, en partenariat avec mes interlocuteurs, des outils favorisant le dialogue interculturel dans le processus de négociation territoriale. Nous avons mis sur pied, par exemple, un comité de travail7 pour élaborer un lexique thématique visant à mettre en valeur les conceptions nehirowisiwok liées aux responsabilités et aux droits territoriaux et à bonifier les travaux entourant le code de pratiques et les négociations territoriales menés par les membres du CNA et de la Table des négociations (voir annexe 1).

Dans un esprit de consensus, les Atikamekw Nehirowisiwok désirent définir un projet commun tout en tenant compte de la pluralité des voix et des historicités individuelles, familiales et générationnelles. Lors de mes séjours au sein du nehiro aski (territoire nehirowisiw) (juin 2014-août 2015), j’ai eu la chance de participer à des assemblées communautaires, à des colloques territoriaux nationaux et de m’entretenir avec des membres impliqués de près et de loin dans le processus d’élaboration du code de pratiques nehirowisiw. J’ai ainsi pu documenter cette pluralité d’expériences et de perspectives. Enfin, cette thèse tente de mettre en valeur non pas un système de règles prédéfini, mais une pluralité de voix, de visions, qui malgré leur différence – et même parfois leur dissidence – forment un ensemble intelligible au sein d’une logique et d’une ontologie partagées.

Au sein de l’univers forestier nehirowisiw, le notcimik, les chasseurs négocient leurs pratiques et leurs modes d’être-au-monde auprès des institutions étatiques et

7 Ce comité est composé de Nicole Petiquay, techno-linguiste au CNA, Christian Coocoo, coordonnateur aux services culturels au CNA et Gérald Ottawa du Secrétariat au territoire du CNA. Ce comité a également organisé des séances de travail avec des membres du Comité sur le code de pratiques nehirowisiw et des membres de la Table des négociations.

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des membres de la société civile allochtone. Ils négocient également leurs pratiques auprès des animaux, des ancêtres et d’autres non-humains. L’ontologie politique, comme perspective, porte justement une attention particulière à ces coexistences et à ces dynamiques de négociation. Cette perspective développée par l’anthropologue Mario Blaser (2009a, 2009b, 2013a, 2013b) s’intéresse d’une part à la coexistence et au processus de négociations des pratiques entre les personnes humaines et non-humaines au sein d’un univers partagé et, d’autre part, à la coexistence et aux pratiques négociées entre les ontologies, entre les modes et potentialités d’existence. Ce que propose l’ontologie politique c’est de

« prendre au sérieux » la différence et l’altérité selon les principes ontologiques et épistémologiques des interlocuteurs (Latour 2002b, Blaser 2009a; 2009b; 2013a,

Viveiros de Castro 2009, De la Cadena 2010, Poirier 2013, Salmond 2014) et d’accepter la présence de conflits ontologiques et épistémologiques entre les institutions autochtones et étatiques à l’égard, par exemple, de la gestion des territoires et des ressources.

L’expression « prendre au sérieux » la différence et l’altérité, proposée par des anthropologues mobilisant l’approche ontologique (Op. cit.), ne suggère pas un mépris ou un rejet de l’héritage théorique et méthodologique de la discipline anthropologique. Elle suggère toutefois la nécessité d’exercer un certain recadrage conceptuel pour rendre compte des pratiques et des modes et potentialités d’existence autochtones dans des termes qui ouvrent la voie à un dialogue qui se veut plus égalitaire. Ainsi, en « prenant au sérieux » les relations, les expériences, les savoirs et les pratiques autochtones, on évite de les décrire dans des termes de « croyances » ou de simples « représentations » culturelles (Salmond 2014).

L’utilisation de ces derniers termes insinue qu’il existe une « nature » et une « vérité » universelles et une diversité de « représentations » et de « croyances »

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culturelles. L’approche ontologique ne s’intéresse pas à décrire la diversité des représentations de la réalité, mais plutôt à reconnaître les modes et potentialités multiples d’existence qui coexistent, qui s’enchevêtrent et qui se confrontent aussi parfois (Clammer et al. 2004, Blaser 2013a; 2013b, Salmond 2014, Dussart et Poirier 2017).

L’approche ontologique dans l’analyse des négociations et des conflits territoriaux s’attarde à l’étude de la coexistence et de la négociation des théories de l’existence (ce que signifie « être » ou « exister ») et à la nature des relations sociales entre les « personnes » humaines et non-humaines (Op. cit.). Dans cette thèse, j’utilise le concept de « personne » tel que défini par Hallowell ([1960]1981),

Ingold ([2000]2011) et Poirier (2008). Dans une approche relationnelle, la « personne » n’est pas une catégorie limitée à l’être humain, elle le transcende

(Hallowell [1960]1981 :21). La « personne » est ici décrite comme une entité reconnue socialement et possédant une certaine agencéité (ou pouvoir d’agir)

(Ortner 2006). Cette agencéité est reconnue soit comme faisant partie intrinsèque du statut ontologique de l’entité ou reconnu selon les relations sociales entretenues ou développées au sein d’un contexte particulier (Op. cit.). Comme le souligne Ingold (1993 :229, [2000]2011 :149): « It is not [only] by their inner attributes that persons or organisms are identified, but by their positions vis-à-vis one another in the relational field ».

Tous les conflits entre autochtones et allochtones liés aux questions territoriales ne doivent pas nécessairement être définis comme « conflits ontologiques » (Escobar 2008, Blaser 2013b). Certains conflits sont issus de divergence en matière d’intérêts, de besoins, de valeurs et de redistribution des ressources (Rioux et Redekop 2012). Toutefois, lorsque les conflits territoriaux sont l’effet d’une

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mésentente profonde entre des modes et des potentialités d’existence, il est tout à fait approprié de parler en termes de « conflits ontologiques » (Escobar 2008, Blaser 2013b). Mes expériences ethnographiques menées auprès des Atikamekw

Nehirowisiwok dans le contexte des négociations territoriales globales soutiennent la pertinence de l’approche ontologique dans l’étude des conflits territoriaux. Elle permet, selon moi, de conceptualiser et de décrire l’articulation de Nehirowisiw opimatisiwin, une philosophie d’existence, dans le contexte des revendications territoriales globales. Comme il sera souligné dans cette thèse, Nehirowisiw opimatisiwin est central dans l’ordre normatif des Atikamekw Nehirowisiwok. Dans cette philosophie d’existence, les ancêtres (humains et non-humains) participent aux relations sociales et sont impliqués, à certaines occasions, dans le renforcement normatif et le droit coutumier autochtones.

Pour résumer, cette recherche doctorale s’inscrit dans les champs des études autochtones, de l’anthropologie juridique et de l’ontologie politique. À partir d’une analyse du processus d’élaboration du code de pratiques chez les Atikamekw Nehirowisiwok, cette étude s’intéresse à l’articulation et à la traduction de pratiques et de principes normatifs nehirowisiwok dans un contexte de négociations territoriales et de dialogue avec les institutions étatiques. Cette recherche s’intéresse au phénomène du pluralisme juridique; à la description empirique et à l’analyse des processus de négociations, de traductions et de reformulations qui se produisent – dans un rapport souvent asymétrique – entre, par exemple, les ordres normatifs autochtones et le droit étatique. Ici, le concept d’ordre normatif réfère aux pratiques et principes normatifs qui assurent l’entretien d’une certaine cohésion sociale (Nader 1965; 2002, Moore 1978, Comaroff et Roberts 1981, Rouland 1988,

Leclerc 2011). Les principes normatifs comprennent les principes épistémologiques, ontologiques et éthiques partagés par les membres d’une société. Les pratiques

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normatives correspondent quant à elles aux processus dynamiques de production et de reproduction de ces principes menés par les personnes et les institutions sociales.

En articulant les réflexions et perspectives théoriques de l’anthropologie juridique avec les perspectives tant analytiques que méthodologiques de l’approche ontologique, cette étude offre une contribution certaine et originale aux études de conflits territoriaux. Articulées ensemble, ces approches permettent, par exemple, de mieux cerner et d’analyser les dynamiques de négociation ontologiques et

épistémologiques et les processus de résolution de conflits liés aux questions territoriales autochtones. Sans faire fi des rapports de pouvoir asymétriques entre institutions autochtones et étatiques, cette recherche doctorale offre des outils théoriques et méthodologiques importants pour réfléchir aux bases d’un dialogue

égalitaire dans un contexte de négociation territoriale.

Organisation de la thèse

La première partie de la thèse (chapitres 1 et 2) dresse les bases théoriques, conceptuelles et méthodologiques qui ont orienté l’approche analytique de cette recherche doctorale. Le chapitre 1 discute largement des débats qui ont eu cours dans les dernières décennies entre les chercheurs dont les travaux ont orienté l’anthropologie juridique et ont décrit le phénomène du pluralisme juridique. Les premières sections du chapitre 1 discutent notamment des travaux de Gluckman (1955), Nader (1965, 1990, 2002), Moore (1973, 1978, 1986), Merry (1988, 1991),

Comaroff et Roberts (1981), Snyder (1981), Chanock (1985), Griffith (1986), Rouland (1988) et Roberts (1998). Ces études ont alimenté la réflexion et l’analyse

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autour du processus de l’élaboration d’un code de pratiques nehirowisiw

(orocowewin notcimik itatcihowin) dans le contexte des négociations territoriales globales.

Dans cette volonté des Atikamekw Nehirowisiwok de faire reconnaître leur ordre normatif auprès des instances étatiques, les enjeux de la traduction et de la formalisation du droit coutumier autochtone sont omniprésents. Par formalisation du droit coutumier autochtone, j’entends la mise à l’écrit et la codification sous forme de lois justiciables des pratiques et principes normatifs qui sont culturellement intériorisés et qui étaient auparavant transmis principalement par le biais de la tradition orale.

Deux grandes questions concomitantes ont émergé pendant cette recherche doctorale : quels sont les motivations et les défis rencontrés par les institutions atikamekw nehirowisiwok dans leur démarche visant à formaliser un droit coutumier décrit comme étant souple, dynamique et adapté à son contexte d’application ? Comment, dans cette démarche, peuvent-elles traduire, sans trop trahir, un ordre normatif qui repose sur des principes épistémologiques et ontologiques qui ne sont pas nécessairement partagés par leurs interlocuteurs

étatiques ? L’analyse de cette démarche menée par les Atikamekw Nehirowisiwok dans le contexte des négociations auprès des instances étatiques doit nécessairement tenir compte des enjeux de la traduction et de la formalisation des droits coutumiers autochtones. Les réflexions menées par Roberts (1998),

Panikkar (1984), Jullien (2008), Salmond (2013, 2014), Cruikshank (1998), Wagner (1981) et Kirsh (2006) qui favorisent l’utilisation et la mise en valeur des conceptions normatives autochtones guident l’approche méthodologique et

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analytique développée dans cette thèse. Cette approche est discutée dans les chapitres 1 et 2.

Mettre en valeur les conceptions normatives autochtones exige de ma part – et de la part de tous les autres professionnels œuvrant auprès des Autochtones –

d’entrer en relation avec mes interlocuteurs et partenaires autochtones et de m’intéresser aux principes épistémologiques et ontologiques qui donnent sens à leurs pratiques. Ici, je ne peux me permettre de documenter ces principes comme faisant partie du domaine de la « croyance » culturelle. Pour mener correctement cette étude, je dois rendre compte des logiques et modes et potentialités d’existence autochtones, même si elles peuvent remettre en question ou contredire des interprétations ou des visions du monde que je considérais jusqu’alors comme des acquis ou des vérités universelles ou absolues.

Il y a nécessairement un travail d’humilité à faire ici et l’approche favorisée dans cette thèse est redevable tout d’abord aux Atikamekw Nehirowisiwok eux-mêmes qui m’ont enseigné depuis les huit dernières années cette humilité, d’abord et avant tout par le partage de leurs savoirs et de leurs visions, articulés en termes d’expériences et de potentialités plutôt qu’en termes de vérités universelles. Cette ouverture et cette humilité ont été nécessaires tout au long de mon cheminement de recherche. Les résultats de cette recherche n’auraient pas eu la même valeur sans cette implication et cet engagement qui ont certainement contribué à semer le doute sur ma propre compréhension du monde. Je décris, dans le chapitre 2, certaines expériences vécues lors de mes séjours dans les communautés et au sein de notcimik, expériences que je considère comme étant marquantes dans mon cheminement personnel et pour cette recherche.

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La deuxième partie de cette thèse (chapitres 3 à 5) fait état de la contemporanéité des responsabilités et des droits territoriaux chez les Atikamekw Nehirowisiwok (Nehirowisiw otiperitamowin). Le chapitre 3 dresse un bilan des études menées par les Algonquinistes en lien avec les principes normatifs véhiculés dans les pratiques algonquiennes liées aux activités en forêt. Le chapitre 4 fait part de récits

(tipatcimowina, atisokana) issus de la tradition orale qui portent des savoirs et des enseignements qui peuvent nous éclairer sur l’ordre normatif nehirowisiw. La tradition orale joue un rôle prépondérant à la transmission des savoirs normatifs au sein de la socialité nehirowisiw et peut fournir des matériaux intéressants pour l’analyse des droits coutumiers autochtones. Ce travail d’analyse, d’interprétation et de traduction apporte toutefois son lot de questionnements : Qui peut traduire, interpréter et analyser les récits autochtones et à partir de quel cadre d’analyse ? Comment écrire le droit coutumier à partir de ces récits sans trop réduire leur portée interprétative, sémantique et poétique ? Nous pourrons revenir sur ces quelques questions dans le chapitre 4.

Le chapitre 5 discute de la territorialité nehirowisiw – des relations politiques et ontologiques et des dynamiques de continuité et de transformation des rôles et des responsabilités territoriales nehirowisiwok dans le contexte contemporain. En mettant en relation la littérature existante portant sur les territoires de chasse familiaux algonquiens avec nos observations ethnographiques effectuées ces dernières années auprès des Atikamekw Nehirowisiwok, ce chapitre permet de démontrer les continuités et les transformations des pratiques et des principes normatifs liés aux activités de chasse et qui s’inscrivent dans la territorialité des Atikamekw Nehirowisiwok et des groupes algonquiens voisins comme les

Eeyouch/Eenouch (Cris), les Innus et les Anicinabek (Algonquins) qui font partie de la même famille linguistique et qui partagent des liens familiaux avec les

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Atikamekw Nehirowisiwok. Ce chapitre expose certains défis et enjeux historiques et contemporains qui se posent dans les dynamiques d’enchevêtrement des territorialités autochtones et allochtones (Dussart et Poirier 2017).

Il y a certainement des rapports de pouvoirs asymétriques entre les systèmes de savoirs et les ordres normatifs autochtones et le droit étatique que cette thèse ne peut esquiver. La troisième partie de cette thèse (chapitres 6 et 7) discute précisément de ces rapports de pouvoir qui sont manifestes, par exemple, dans tout le processus de négociation territoriale globale mené par les instances

étatiques et autochtones. Comme il a été mentionné précédemment, l’élaboration du code de pratiques nehirowisiw (orocowewin notcimik itatcihowin) est directement liée à ce contexte de négociation et au projet d’autodétermination des Atikamekw Nehirowisiwok. En discutant largement des paradigmes politiques

étatiques qui orientent de manière pratiquement unilatérale ces négociations, cette troisième partie porte un regard critique sur les défis et obstacles que rencontrent les Atikamekw Nehirowisiwok dans leur projet d’autodétermination et discute des stratégies de résistance qu’ils élaborent à leur façon pour assurer un devenir qui réponde à leurs visions et à leurs valeurs fondamentales.

Enfin, cette troisième et dernière partie vient boucler la boucle de cette thèse en effectuant un retour sur les enjeux de la traduction et de la valorisation des conceptions normatives autochtones, comme de leurs principes épistémologiques et ontologiques. Nous revenons donc à notre question de départ : Comment traduire, formaliser et faire reconnaître auprès des instances étatiques un droit coutumier autochtone qui repose sur des principes épistémologiques et ontologiques qui ne soient pas nécessairement partagés par leurs interlocuteurs étatiques ? Sans nécessairement formuler une réponse schématique à cette

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question complexe, j’espère que les réflexions et matériaux ethnographiques qui se trouvent dans cette thèse puissent apporter matière à réflexion concernant la reconnaissance possible, réelle et souhaitable des ordres normatifs autochtones par l’État et, éventuellement, contribuer à l’application de mesures politiques et législatives concrètes favorisant la conciliation entre Autochtones et Allochtones qui font l’expérience de différents univers forestiers tout en partageant le même territoire.

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PARTIE I

APPROCHES THÉORIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

Photo de mon lieu principal de résidence à l’été 2014, Kawacikamak (Opitciwan).

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Chapitre 1

L’anthropologie juridique et l’anthropologie ontologique

Introduction

Ce premier chapitre dresse les bases théoriques et conceptuelles qui ont orienté l’approche analytique de cette recherche doctorale portant sur le processus d’élaboration du code de pratiques nehirowisiw (orocowewin notcimik itatcihowin). Les quatre premières sections de ce chapitre discutent des apports des travaux marquant l’anthropologie juridique et le pluralisme juridique dans l’étude des droits coutumiers autochtones et dans l’analyse du processus de formalisation de ces droits coutumiers pour répondre aux exigences des institutions étatiques.

À l’instar d’auteurs comme Coser (1962), Nader (1965), Comaroff et Roberts (1981), Rouland (1988), Merry (2012), je privilégie dans cette thèse une conciliation entre les approches substantielles et processuelles dans la description des ordres normatifs autochtones et dans l’analyse de la formalisation des droits coutumiers dans un contexte de négociation avec les institutions étatiques. Cette conciliation entre ces approches semble nécessaire afin de décrire les pratiques et principes normatifs autochtones et d’analyser in extenso leur articulation et leur traduction dans un contexte de négociation et de dialogue avec les institutions de l’État (Comaroff et Roberts 1981, Sahlins 1981, Rouland 1988; [1985]1989; 1995; 2007, Comaroff et Comaroff 1992).

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Ce chapitre discute de certains débats entre auteurs s’étant intéressés au phénomène du pluralisme juridique, aux processus de dialogue, d’enchevêtrement et de résistance entre les ordres normatifs autochtones et le droit étatique. Sans faire fi des rapports de pouvoir asymétriques entre institutions autochtones et étatiques, la cinquième section de ce chapitre, portant sur l’approche ontologique en anthropologie, offre des outils théoriques et méthodologiques importants pour réfléchir aux bases d’un dialogue égalitaire entre les institutions autochtones et

étatiques. L’approche ontologique propose un recentrage des questions épistémologiques autour des théories de l’existence (Bird-David 1999, Viveiros de

Castro 1998, 2007, 2009, Descola 2000, 2005, 2007, Ingold 1996, [2000]2011, 2004, Brunois 2007, Clammer et al. 2004, Blaser 2009a, 2009b, 2013a, Poirier

2004a, 2004b, 2008, 2013, 2017 et Henare et al. 2007). Cette approche, discutée dans la dernière section de ce chapitre, propose un recadrage conceptuel qui permet de rendre compte des modes et potentialités d’existence nehirowisiwok à partir de leurs propres conceptions et principes existentiels.

1.1. L’émergence de l’anthropologie juridique : D’Henry Maine (1822- 1888) à Max Gluckman (1911-1975)

À l’instar de tous domaines disciplinaires, l’anthropologie juridique s’est établie à partir de diverses approches, parfois complémentaires ou opposées. Comme le fait remarquer Joan Vincent (1990), la compréhension ou l’étude du droit (et du politique) doit tenir compte du contexte historique et culturel dans lequel il émerge.

Les approches théoriques développées en anthropologie juridique sont sensiblement les mêmes que celles qui sont employées en anthropologie de manière générale. Que ce soit l’approche évolutionniste au XIXe siècle, l’approche

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culturaliste au début du XXe siècle, les approches fonctionnalistes,

(post)structuralistes ou postmodernistes des dernières décennies, les approches développées par l’anthropologie juridique s’inscrivent dans le même parcours théorique que l’anthropologie en général.

Le développement théorique et idéologique du droit occidental contemporain, que ce soit le droit civil ou la common law, est lui également redevable à des transformations historiques. Par exemple, on peut reconnaître aujourd’hui l’influence de diverses théories du droit comme celles du droit naturel (lex naturalis), du droit positiviste et du droit réaliste dans la construction des ordres juridiques étatiques contemporains (Rouland 1988, Donovan 2008, Grammond

2013). Historiquement, le droit et l’anthropologie demeurent deux disciplines dont les réflexions et les approches théoriques semblent assez distinctes, mais avec des recoupements possibles. D’ailleurs, plusieurs anthropologues ayant marqué l’anthropologie juridique sont à la fois juristes et anthropologues (Maine, Morgan,

Llewelly et Hoebel, Le Roy, Rouland, Roberts et Moore, parmi d’autres).

L’anthropologue et juriste anglais Henry Maine (1822-1888) suggérait dans son ouvrage Ancient Law ([1861]1894) le passage évolutif des ordres politico- juridiques. Selon lui, les sociétés « archaïques » demeurent dans un stade évolutif inférieur et sont coordonnées plus par les « instincts » et « sentiments » de leurs membres que par des lois (1894 : 365, je souligne). Pour Maine, chaque société se retrouve dans un moment particulier de leur processus évolutif rectiligne menant à la Civilisation telle que conçue par les Occidentaux. Selon la perspective évolutionniste de Maine, le modèle d’organisation juridique d’une société est intrinsèquement lié à son modèle d’organisation politique et religieuse. Cet auteur propose trois étapes de développement du droit : le droit théiste issu des déités, le

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droit coutumier et le droit codifié (1894). Le droit codifié serait ainsi l’apanage du modèle d’organisation étatique. La distinction entre ces trois stades de développement du droit préconise l’idée d’échelle de complexité du droit et d’une mise en inégalité des ordres normatifs autochtones et étatiques. Cette position de Maine rejoint celle de son contemporain Lewis Henry Morgan (1818-1881) qui dans son ouvrage Ancient Society ([1877]1964) distingue également trois stades évolutifs dans le développement des organisations sociales humaines : la sauvagerie, le barbarisme et la civilisation. À partir de ses études menées chez les Iroquois, Morgan ([1877]1964, [1851]1999) a largement décrit le mode d’organisation sociale et politique iroquois basé sur un système de parenté complexe. Les contributions ethnographiques et théoriques de cet anthropologue et juriste vont inspirer les travaux ultérieurs en anthropologie politique et juridique.

Vers la fin du XIXe siècle avec les travaux de Franz Boas, mais principalement au courant du XXe siècle, un nombre important de travaux ethnographiques réalisés au sein de diverses sociétés rejetteront les modèles évolutionnistes de Maine et de Morgan et les travaux ultérieurs menés en anthropologie juridique ont entrepris ce changement de paradigme. Entre les années 1920 et 1960, plusieurs anthropologues, dont Malinowski (1884-1942) et Gluckman (1911-1975), ont travaillé essentiellement dans des situations coloniales et tentaient de comprendre et de valoriser les ordres normatifs autochtones (Moore 2005 : 67). Par exemple, dans ses études menées auprès des Trobriandais, Malinowski démontre comment les rapports d’échanges réciproques, comme les échanges cérémoniels de la kula, s’inscrivent dans le domaine du règlement juridique (legal rules) et concourent à assurer les forces cohésives :

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[T]here must be in all societies a class of rules too practical to be backed up by religious sanctions, too burdensome to be left to mere goodwill, too personally vital to individuals to be enforced by any abstract agency. This is the domain of legal rules (Malinowski 1926 : 67).

À partir d’une expérience de terrain soutenue auprès des Trobriandais (Papouasie- Nouvelle-Guinée), plusieurs s’entendent pour dire que Malinowski a largement contribué au développement de l’approche fonctionnaliste en anthropologie juridique (Moore 2005, Donovan 2008). Les travaux de Malinowski, comme ceux de Gluckman, décrivant les complexités et logiques normatives autochtones, ont participé à l’élargissement conceptuel du droit.

Les travaux de Gluckman se sont intéressés à la pratique du droit coutumier chez les Barotses [Lozis] (Zambie [Rhodésie du Nord]). À partir d’études de résolution de conflits (trouble case method), Gluckman met de l’avant la notion « d’humain raisonnable » (reasonable man) qui qualifie la prise de décisions réfléchies et l’usage du jugement dans l’application de normes sociales dans le but de régler un cas de dispute (Gluckman 1955 :33) :

“Reasonable behavior” thus covers different measures of conformity with ideal norms, as envisaged by the kula. In part, it demands scrupulous observance of important modes of behavior, and some conformity with unimportant modes. Even observances of etiquette and convention may enter into it. Since Lozi courts are largely concerned with the behavior of parties occupying positions of status, each party should have conformed to the customary usages, etiquette and conventions which are appropriate to his social position in a specific relationship. Hence the reasonable man of Lozi law might be more accurately described as the reasonable and customary occupier of a specific position… (Gluckman 1955: 155).

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En s’intéressant aux logiques et aux discours juridiques tenus au sein des Cours de justice (mises en place par des agents coloniaux anglais) chez les Barotses, Gluckman décrit les logiques juridiques autochtones comme étant aussi judicieuses et raisonnées que les logiques britanniques. Il soutient toutefois que les relations entre les Barotses sont « multiplex » puisque le statut des membres de cette société se définit au sein d’un réseau social (familial, religieux, économique) complexe, contrairement aux sociétés occidentales (plus particulièrement la société anglaise) où les relations sont davantage centrées sur les intérêts individuels (Gluckman 1965 :5).

Gluckman suggère que les règles juridiques en vigueur chez les Barotses font partie de la coutume locale, définie au sein des pratiques usuelles. Il conçoit alors le droit coutumier barotse comme étant empreint de valeurs et comprenant des règles de conduite socialement reconnues et appliquées lors de la résolution de conflit (Gluckman 1955 : 236; 1963 :47). La figure du reasonable man se définit en relation à un idéal comportemental auquel les membres et institutions barotses se réfèrent pour assurer le respect des valeurs partagées et la régulation sociale.

Gluckman s’intéresse donc aux mécanismes normatifs appliqués au sein d’une société afin d’assurer la cohésion sociale d’un groupe et à la reproduction de ses structures fondamentales dans le temps et l’espace. Gluckman, dont les travaux ont porté sur les pratiques juridiques coloniales et coutumières chez les Barotses en Afrique, a été l’un des premiers anthropologues à s’intéresser à la Cour de justice comme lieu et objet d’étude ethnographique.

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1.2. Les études sur la résolution des conflits et la conciliation des approches substantielles et processuelles dans l’analyse des ordres normatifs autochtones

À l’instar des travaux de Hoebel (1954) et Llewellyn et Hoebel (1941), les travaux de Gluckman ont contribué à orienter l’anthropologie juridique vers l’étude des processus de résolution de conflits. Cette orientation influencera d’ailleurs grandement l’anthropologue Laura Nader pour qui l’étude des résolutions de conflits s’avère une voie de prédilection pour l’anthropologie juridique (Nader 1965,

1990, 2002). Nader entend le conflit autant comme produit culturel et comme source de stabilité et de changement sociaux (1965 : 16-17). L’étude de résolution de conflits permet, selon Nader, d’identifier les règles juridiques partagées par les membres d’une société et d’évaluer les rôles, fonctions et processus de jugement d’institutions juridiques comme la Cour de justice (1965 : 17).

En continuité avec les travaux de Coser (1962), Nader (1965) et Gluckman (1968), l’ouvrage de Comaroff et Roberts (1981) intitulé Rules and Process : The Cultural

Logic of Dispute in an African Context, s’intéresse à la fois aux règles de conduite partagées et aux processus normatifs menés par les institutions sociales. Selon ces auteurs, les travaux antérieurs ont été trop centrés sur les règles sociales et l’écart par rapport à ces dernières (rule-centered paradigm) et pas suffisamment sur les dynamismes et interactions sociales qui façonnent les règles et normes au sein des processus de règlement de conflit (processual paradigm). Selon les auteurs, les deux paradigmes analytiques – rule-centered paradigm et processual paradigm – renvoient à une compréhension différente du « conflit ». Ainsi, dans les travaux centrés sur la description des règles de conduite, le conflit est régulièrement décrit comme un comportement déviant ou un caractère

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pathologique : le conflit survient lorsqu’il y a une rupture dans l’application des pratiques et principes normatifs (Comaroff et Roberts 1981 : 5). Au contraire, les travaux trop centrés sur les processus juridiques décrivent le conflit comme étant omniprésent et inévitable, laissant peu de place à la description des pratiques et des principes normatifs agissant sur la cohésion sociale (Ibid.).

La distinction entre ce que Comaroff et Roberts (1981) nomment les paradigmes processuels (processual) et substantiels (rule-centered) dans les études sur la résolution des conflits, avait déjà été énoncée par Laura Nader dans son article

The Anthropological Study of Law (1965). Selon Nader, le paradigme processuel s’intéresse aux activités inscrites dans les procédures judiciaires et qui sont rattachées à des modèles d’organisation politique ou gouvernementale. Le paradigme substantiel réfère plutôt aux règles socialement définies et liées aux aspects socioéconomiques et aux principes normatifs partagés par les membres des sociétés.

Les études de Nader (1965, 1990, 2002), mettant l’accent sur les processus de résolution des conflits (paradigme processuel), ont été sans contredit déterminantes dans le développement de cette approche analytique. Pour Nader, les ethnographies juridiques devraient prendre en considération autant : (1) les contextes généraux qui englobent les phénomènes de contrôle social ; (2) la variabilité des fonctions juridiques selon le contexte culturel et ; (3) la mise en relation des considérations empiriques et analytiques (1965 :17-18). Selon

Rouland (1988), l’approche processuelle développée par Nader offre des avantages incontestables :

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D’une part, d’un point de vue anthropologique [l’approche processuelle] se prête infiniment mieux que la normative [ou substantielle] à la comparaison culturelle, et ramène dans l’orbite du droit nombre de sociétés. Sur le plan philosophique, elle conforte donc les tenants de la thèse de l’universalité du droit. D’autre part, elle est plus adaptée que la normative [substantielle] à l’étude du changement, si importante à notre époque qui voit se multiplier les phénomènes d’acculturation (Rouland 1988 : 73).

Enfin, pour Comaroff et Roberts (1981), ces deux approches (ou paradigmes) sont pertinentes pour comprendre à la fois ce que les groupes définissent comme pratiques et principes normatifs et la manière dont ceux-ci s’articulent et s’actualisent dans divers contextes. La meilleure approche se définit probablement dans une combinaison des deux approches, ce que Rouland nomme l’approche synthétique (1988 : 73). Dans le cadre de cette thèse, nous nous inspirons de cette approche synthétique, conciliant les approches substantielle et processuelle dans l’étude des ordres normatifs et dans l’analyse de la formalisation et de la traduction des pratiques et principes normatifs autochtones dans un contexte de négociation avec des instances allochtones. Il existe toute une dynamique de reproduction, de négociation et d’ « indigénisation » (ou de relecture culturelle) des savoirs normatifs autochtones que cette thèse se propose de décrire.

1.3. Les enjeux de la formalisation des droits coutumiers autochtones

Plusieurs anthropologues, dont Francis Snyder (1981), Martin Chanock (1985,

1989), Sally Falk Moore (1986) et Sally Engle Merry (1991) se sont intéressés aux processus d’élaboration et d’application de droits coutumiers africains tels que reconnus par la Grande-Bretagne. Selon Chanock (1985), la reconnaissance

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anglaise de certains droits coutumiers africains a débuté dans les années 1920 alors que les officiers coloniaux étaient de plus en plus aux prises avec des problématiques de déstructurations sociales dues au déclin des formes d’autorité traditionnelles au sein de leurs colonies. Dans les années 1930, en accord avec les principes de l’indirect rule8 des politiques coloniales britanniques, ces officiers coloniaux jugèrent nécessaire de donner une forme de reconnaissance formelle au droit coutumier autochtone. Toutefois, la formalisation par la détermination de règles finies du droit coutumier autochtone qui se veut davantage informel et flexible a été, selon Chanock (1985 :182), une forme de continuité coloniale et objet de division intertribale : « [T]he courts were to apply the customary law of each tribe, strengthening tribal divisions and drawing sharper lines between what had been fluid and conflicting spheres of local law ».

Il s’avère que certains anthropologues, comme Gluckman, ont participé directement ou indirectement à définir les droits coutumiers autochtones et à les faire reconnaître par les officiers coloniaux. En formalisant le droit coutumier, les officiers britanniques ont pris soin de sélectionner les aspects normatifs et moraux qu’ils considéraient justes et acceptables, délaissant les aspects qui contrevenaient à leurs valeurs et principes normatifs (Merry 1991 : 897). La formalisation et l’essentialisation du droit coutumier défini (comme substance et non comme processus) et reconnu par l’élite coloniale ne permettaient pas aux ordres normatifs autochtones de s’ajuster vis-à-vis des nouvelles contingences issues du colonialisme, de la modernité et des nouvelles formes d’économie de marché (Moore 1986 : 190).

8 Appliqués au sein de certaines colonies britanniques, comme des colonies en Afrique et en Inde, les régimes coloniaux suivant le principe de l’indirect rule délèguent une responsabilité administrative aux administrations locales qui demeurent incorporées aux administrations coloniales. Tandis que sous le principe du direct rule, le contrôle des affaires publiques d’une colonie est directement sous l’administration directe de l’État colonial.

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D’un autre côté, comme le démontrent Merry (1991 : 891) et Comaroff (2001 : 306-

307; 312), les travaux anthropologiques abordant les thèmes du droit et du colonialisme démontrent que le droit coutumier formalisé et intégré dans le droit

étatique peut également être utilisé par les groupes autochtones afin de résister aux pratiques coloniales comme la privatisation et la colonisation des territoires.

Comme nous l’avons vu précédemment, ces pratiques de résistance s’élaborent toutefois au sein d’un contexte politico-juridique qui demeure défavorable pour les organisations autochtones, puisque l’État colonial demeure celui qui définit les règles du jeu (Merry 1991 : 891).

Il demeure, comme l’a démontré Moore (1978) que d’autres formes de résistances intentionnelles ou non, comme le rejet partiel ou complet des règles imposées par le droit étatique, sont exercées pour assurer la continuité des principes et processus normatifs autochtones. Nous pouvons observer, par exemple, dans l’ethnographie de Comaroff et Roberts (1981), décrivant les processus de réinterprétation des principes issus du droit colonial à partir des pratiques et principes normatifs tswanas (Afrique du Sud), une forme de résistance subtile, mais importante pour le maintien des valeurs culturelles et de la cohésion sociale. Enfin, ces travaux discutés dans cette section démontrent bien la complexité des relations de pouvoir qui peuvent être exercées dans les démarches de formalisation des droits coutumiers autochtones et dans les utilisations autochtones des droits étatiques. Nous aurons la chance de revenir sur cette dynamique dans la troisième partie de cette thèse (chapitres 6 et 7) alors que nous analyserons justement l’application de dispositifs de pouvoir et de stratégies de résistance dans le processus actuel d’élaboration d’un gouvernement autonome et d’un code de pratiques nehirowisiw dans le contexte des négociations territoriales globales.

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1.4. Le pluralisme juridique

Depuis au moins le milieu des années 1950, plusieurs anthropologues et sociologues9 ont mené des travaux s’intéressant aux espaces de coexistence, de codétermination et aussi de résistance qui se déploient entre les ordres normatifs autochtones et étatiques. Pour certains, comme Griffiths (1986) et Benda-Beckmann

(2002), influencés par les travaux de Sally Falk Moore (1973, 1978), les ordres normatifs se définissent dans des relations complexes de compétition, d’interaction, de négociation et d’isolationnisme. Ainsi, les recherches portant sur le pluralisme juridique permettent d’analyser les processus de négociation et de reformulation qui se produisent – dans un rapport souvent asymétrique – entre, par exemple, les ordres normatifs autochtones et étatiques (Merry 1988).

Dans le cadre de cette section, il est impossible de faire état de tous ces travaux, mais il semble nécessaire ici d’exposer une certaine compréhension anthropologique du phénomène du pluralisme juridique et de partager certains questionnements d’auteurs sur le problème analytique de l’élargissement conceptuel du domaine juridique.

Dans son texte What is Legal Pluralism ?, John Griffiths (1986) propose une recension critique des écrits reliés au pluralisme juridique. Selon l’auteur, l’un des plus grands défis du pluralisme juridique est de se défaire de la logique du « centralisme juridique » selon laquelle le domaine du droit est intrinsèquement lié

9 Je pense notamment à Nader (1965,1990), Moore (1973, 1978, 1986), Comaroff et Roberts (1981), Benda-Beckmann (1984, 2002), Fitzpatrick (1984), Chanock (1985, 1989), Griffiths (1986), Santos (1987, 2004), Starr et Collier (1989), Merry (1988, 2000, 2001), Greenhouse (1998), parmi d’autres.

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à une idéologie et à une revendication politique et morale exclusive des États- nations modernes (1986 :1).

Cette logique du « centralisme juridique », portée par des acteurs et institutions étatiques, privilégie l’application de droits « particuliers » à des groupes

« minoritaires », droits qui sont dans les faits définis et incorporés au sein du droit étatique ou international. Cette logique est celle qui est en œuvre, par exemple, au sein des États (post)coloniaux qui reconnaissent une forme de droit coutumier autochtone encadrée par le droit étatique colonial. Comme nous l’avons vu précédemment, la formalisation du droit coutumier en Afrique (mais aussi en Inde et en Nouvelle-Calédonie) s’est réalisée, entre autres, par des officiers coloniaux qui déterminaient l’acceptabilité ou non des règles coutumières par rapport aux pratiques et principes normatifs britanniques ou français (Snyder 1981, Chanock

1985, Griffiths 1986, Moore 1986). Cette imposition de pratiques et de principes normatifs occidentaux dans les ordres normatifs autochtones produit ce que Régis

Lafargue (2003) nomme la « coutume judiciaire » et fait partie de ce que Ghislain Otis (2012) nomme le « pluralisme juridique intra-étatique », se différenciant ainsi du « pluralisme exo- (ou extra-) étatique ». Dans le pluralisme juridique intra- étatique, l’État reconnaît l’existence de divers ordres normatifs en son sein, pourvu qu’ils ne remettent pas en question le droit étatique (dans ses pratiques et principes normatifs).

Le théoricien du droit Ghislain Otis (2012, 2013) distingue trois types de pluralisme juridique : 1) le pluralisme extra-étatique ; 2) le pluralisme intra-étatique ; et 3) le pluralisme radical. Le pluralisme extra-étatique (1) sous-entend la non- reconnaissance par l’État de la pluralité des ordres normatifs. Selon ce type de pluralisme, le dialogue entre les ordres normatifs n’est aucunement

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institutionnalisé, ni même reconnu. Otis qualifie cette non-reconnaissance ou ce

« dialogue monologique » comme une forme d’« autisme juridique » (2013). Cette non-reconnaissance des droits coutumiers autochtones de la part de l’État ne signifie pas que dans la pratique ces droits coutumiers ne sont pas exercés. En fait, comme il est souligné dans cette thèse, une partie importante des pratiques et principes normatifs nehirowisiwok ne sont pas reconnus par les institutions étatiques qui ne (re)connaissent pas ou qui rejettent certains de ces principes et de ces pratiques.

Dans le deuxième type de pluralisme juridique distingué par Otis (2012) et que nous avons vu un peu plus tôt, le pluralisme intra-étatique, le droit étatique reconnaît la coexistence de divers ordres normatifs au sein de l’État. Cette reconnaissance est toutefois limitée dans le sens où l’État s’assure que ces divers ordres normatifs ne remettent pas en question l’autorité ni le système juridique de l’État. Enfin, le type de pluralisme dit radical (3) suppose que la différence ou la pluralité des ordres normatifs n’est pas possible au sein d’un État de droit puisque la reconnaissance du droit coutumier autochtone au sein du droit étatique équivaut d’ores et déjà à son absorption, à la négation de ce qui caractérisait sa différence « radicale ». Selon ce dernier type de pluralisme, l’individu est le point d’intersection entre les ordres normatifs décrits comme non coordonnés (Otis 2012, voir aussi Vanderlinden 2004 et Macdonald 2011). La différenciation de ces types de pluralisme vient en bonne partie, mais pas uniquement, des rapports de pouvoir qui sont entretenus entre les institutions étatiques et autochtones.

Dans son article, Legal Pluralism : Review Essay, Merry (1988) distingue le

« pluralisme juridique classique » du « nouveau pluralisme juridique ». Le « pluralisme juridique classique » réfère aux travaux effectués auprès des sociétés

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coloniales et postcoloniales qui proposent des analyses sur les intersections entre les ordres normatifs autochtones et étatiques (Merry 1988 : 872). Ces travaux ont pour mérite (1) d’accorder une attention particulière aux espaces de rencontres entre des ordres normatifs fondamentalement distincts ; (2) de décrire les contextes sociohistoriques de l’élaboration et de la formalisation des droits coutumiers autochtones et (3) d’expliciter la provenance de divers ordres normatifs et d’identifier les dynamiques de restructuration et de résistance qui se produisent entre les ordres normatifs autochtones et étatiques (Merry 1988 : 873).

Le « nouveau pluralisme juridique », développé au début des années 1970, s’intéresse davantage à la pluralité des règles sociales au sein des sociétés industrielles en Europe et aux États-Unis (voir par exemple les travaux de Moore

1973 ; 1978, Merry 1979, Nader 1980 et de Greenhouse 1982). Selon les tenants du nouveau pluralisme juridique, une pluralité d’ordres normatifs est présente dans toutes les sociétés. Les travaux identifiés au « nouveau pluralisme juridique » s’intéressent aux interrelations entre les ordres normatifs issus des institutions juridiques officielles et ceux qui sont issus d’organisations non officielles (Merry 1988 : 872-873). Ces travaux peuvent prendre en compte, par exemple, des règles de conduite partagées par les membres œuvrant au sein d’une corporation, du monde universitaire, des forces armées, etc. (Ibid. : 870).

Dans son texte, Merry (1988) demeure prudente dans le choix des concepts utilisés lorsqu’elle discute du « nouveau pluralisme juridique ». Régulièrement, elle préfère utiliser les termes « ordre normatif » plutôt que « droit » ou « ordre juridique ». Contrairement à Griffiths (1986), Merry considère qu’il est erroné d’inclure dans le domaine du droit tout ce qui est compris comme ordre normatif (Merry 1988 : 871 ; 878-879). L’auteur souligne que dans le « nouveau pluralisme

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juridique », aucune définition précise ne permet de bien discerner le domaine du droit des autres ordres normatifs. Cette lacune est identifiée par plusieurs autres auteurs, dont Simon Roberts (1998).

Dans son texte Against Legal Pluralism : Some Reflections on the Contemporary Enlargement of the Legal Domain, Simon Roberts (1998) est méfiant de l’approche adoptée par plusieurs anthropologues qui mettent de l’avant le pluralisme juridique. En reprenant en quelque sorte les critiques de Bohannan (1957) et de Merry

(1988), Roberts (1998) soutient que l’inclusion des phénomènes de régulation et de cohésion sociales non occidentales au sein des catégories occidentales, comme le droit, a pour effet de créer une distorsion conceptuelle et analytique. En continuité avec Bohannan (1957), Roberts privilégie la mise en valeur des conceptions locales: « we should begin that process in their own terms, not by telling them what they ‘are’ » (1998 : 105).

Selon Roberts (Ibid.), le pluralisme juridique se retrouve dans une position

épistémologique et méthodologique instable. L’élargissement conceptuel du droit par les juristes et les anthropologues a mené à une définition éclectique du droit comprenant à peu près tout ce qui englobe le domaine de la normativité sociale. Certains tenants du pluralisme juridique expliquent que l’élargissement conceptuel du droit est nécessaire pour inclure les divers ordres normatifs et pour réaliser des études comparatives (Griffiths 1986, Benda-Beckmann 2002, Santos 2004). Selon

Roberts (1998 : 105), les études comparatives en soi peuvent être intéressantes, mais les démarches entreprises doivent nécessairement tenir compte de leur propre limite, celle de travailler à partir d’un cadre d’analyse étranger aux ordres normatifs comparés:

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The problem of invoking law as a category of analysis is that it stands out in terms of both its provenance and its confident self-definition when we use it to gain purchase on adjacent forms of ordering. So much of our sense of what law ‘is’, is bound up with, and has been created through, law’s association with a particular history – early on, the emergence of secular government in Europe; later, the management of colonial expansion (Roberts 1998:98).

Ainsi, selon Roberts, l’on ne peut évacuer du concept de droit son bagage historique et culturel. Selon lui, il est difficilement concevable de définir le droit en dehors de la définition comprise par les institutions sociales et politiques l’ayant

élaboré (Roberts 1998 : 105). En ce qui a trait aux études comparatives, l’auteur préfère d’abord la mise en valeur des conceptions locales. Ce n’est qu’après avoir bien documenté ces conceptions et défini leur sens à partir des pratiques et principes normatifs locaux que l’on peut penser à les mettre en commun avec d’autres. Le défi demeure dans la transition et la traduction des univers normatifs locaux à un niveau analytique et comparatif (Roberts 1998 : 104-105). Cet exercice de traduction des normativités locales vers le juridique est toutefois nécessaire à la comparaison et à l’analyse des dynamiques d’enchevêtrement, de négociation et de résistance entre les ordres normatifs autochtones et étatiques. Inversement, l’exercice de traduction des concepts juridiques étatiques vers les normativités locales peut

également être tout à fait utile à la comparaison et à la création de nouveaux sens juridiques plus conforme aux philosophies et pratiques autochtones (Turner 2006,

Tully 2008a).

Les propos de Roberts résumés précédemment sont importants puisqu’ils nous incitent à décliner le concept et le domaine du droit, mais aussi ceux du pouvoir, de l’autorité et de la justice dans leur formation historique et dans leurs pratiques. Enfin, cela nous amènera à nous demander s’il existe ce que Panikkar (1984)

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nomme des équivalences homéomorphes entre ces domaines – selon leurs déclinaisons et leurs pratiques – et les pratiques et taxonomies autochtones ou plus précisément celles des Atikamekw Nehirowisiwok.

L’équivalence homéomorphe ne propose pas d’universaux, ni même une véritable analogie. Elle propose plutôt « une équivalence fonctionnelle particulière découverte par le moyen d’une transformation topologique. Elle est une sorte d’analogie fonctionnelle existentielle » (Panikkar 1984 :5). L’utilisation de ces homéomorphismes n’entraîne pas la réduction ou l’absorption des différences, de l’altérité, mais, au contraire, participe à leur reconnaissance et à leur mise en « dia- logue ». Je reprends ici le terme de François Jullien (2008) qui insiste sur le fait que le dialogue interculturel prend forme autant dans l’échange, le partage et l’interaction que dans la rupture et l’écart épistémologiques, d’où la présence du trait d’union qui sert à marquer la distance, l’écart épistémologique et ontologique qui subsiste dans la rencontre.

Comme le mentionnait à juste titre Robert Vachon, cofondateur et ancien directeur de l’Institut interculturel de Montréal :

[Il existe] à travers le monde, non seulement plusieurs variantes, modalités et applications de ce que l’Occident nomme le droit, mais plusieurs systèmes, ou mieux « cultures juridiques », dont les différences ne sont pas uniquement procédurales, mais se situent au niveau substantiel, à savoir au niveau profond de leurs postulats réciproques. Différences si radicales qu’on pourrait même dire qu’il n’y a même rien d’analogue entre elles. Ce sont des cultures juridiques « homéomorphes », c’est-à-dire si substantiellement différentes au niveau de leurs natures mêmes et de leurs postulats, qu’on ne saurait parler que d’équivalences fonctionnelles entre elles (…) [Dans cette perspective], l’étude du pluralisme juridique n’est pas la simple étude de

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la pluralité juridique (…) Ce n’est pas non plus du droit comparé. Il ne s’agit donc pas de multiperspectivisme, c’est-à-dire où on aurait différents points de vue culturels sur une seule et même question. Il s’agit plutôt d’un dialogue entre cultures différentes qui diffèrent justement non seulement sur la façon de poser, mais sur la nature même de la question, qui n’est pas justement une seule et même question. (1990 : 164-165; 171-172).

Cette citation résume bien, je crois, les défis comme les richesses que peut apporter le dialogue interculturel autour de la question des droits, des pouvoirs et des responsabilités. Dans un premier temps, il semble nécessaire de se donner des outils conceptuels, analytiques et méthodologiques permettant de mieux saisir l’altérité, même si cela peut provoquer une certaine déstabilisation et une remise en question de notre propre vision et compréhension du monde qui sont profondément ancrées. L’approche ontologique en anthropologie discutée dans la section suivante donne, à mon avis, ces outils permettant de réfléchir l’altérité et le dialogue interculturel.

1.5. L’anthropologie ontologique

Ce que propose l’approche ontologique c’est de considérer la différence et l’altérité selon les principes ontologiques et épistémologiques des interlocuteurs (Viveiros de Castro 2009, Poirier 2013). L’approche ontologique en anthropologie, grandement influencée par les travaux d’Ingold (1996, [2000]2011, 2004), Viveiros de Castro (1998, 2007, 2009), Bird-David (1999), Descola (2000, 2005, 2007),

Clammer et al. (2004), Poirier (2004a, 2004b), Brunois (2007), Blaser (2009a, 2009b, 2013a, 2013b), parmi d’autres, propose un recentrage des questions

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épistémologiques autour des théories de l’existence (Blaser 2013a :558, Henare et al. 2007 :8, Poirier 2013 :53) :

Ontology refers to the nature of reality, to the nature of things (persons and objects) and to the nature of their relations as conceived, lived, experienced and acted upon by a world’s social agents. The ontological turn allows us to investigate not so much the diversity of worldviews – that is varying representations of the same world – but the multiplicity of worlds (Poirier 2013: 53).

En reconnaissant une multiplicité des mondes, l’approche ontologique va au-delà de l’universalisme (un monde/une nature humaine) et du multiculturalisme (un monde/plusieurs cultures). L’approche ontologique s’accorde plutôt au « multinaturalisme » (des mondes/des cultures) qui implique la potentialité de la coexistence de plusieurs mondes (au sens propre) (Viveiros de Castro 1998). Être conséquent avec cette approche signifie la remise en question de la suprématie de la pensée moderne et de l’ontologie naturaliste – impliquant une objectivation de la nature et une dichotomie Nature/Culture (Descola 2005)10. Ainsi, l’approche ontologique encourage d’une certaine manière ce que Bruno Latour (1991) nomme une « anthropologie symétrique », une approche selon laquelle les ontologies autochtones doivent être considérées à partir de leurs propres termes et non pas, de manière asymétrique, à partir des conceptions occidentales. Cette approche ne nie pas l’existence des rapports de pouvoirs inégaux entretenus, par exemple, par les institutions juridiques étatiques à l’égard des Autochtones. Cette approche reconnaît les tensions existant entre les projets politiques et culturels des

10 Je reprends ici la typologie développée par Philippe Descola (2005), distinguant l’ontologie naturaliste (distinction nature/culture), l’ontologie animiste (attribution d’une socialité aux non- humains, distinction entre humain et non-humain par le corps, la physicalité), l’ontologie totémiste (attribution aux humains des principes de différenciations reconnues chez les non-humains ; formation des entités claniques) et l’ontologie analogique (attribution de dualismes et de discontinuités des intériorités et des physicalités à la fois chez les humains et les non-humains).

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Autochtones et des États (post)coloniaux (Escobar 2008). L’approche ontologique, et plus particulièrement l’ontologie politique, offre néanmoins des outils théoriques et méthodologiques importants pour réfléchir aux bases d’un dialogue égalitaire entre les institutions autochtones et étatiques.

Les ontologies, nous rappellent Clammer et al. (2004 :4), se rencontrent, se redéfinissent et peuvent parfois entrer en conflits. C’est en ce sens que la rencontre des ontologies porte inévitablement une dimension politique (Clammer et al. 2004 :6). Ici, j’emprunterai la notion d’ « ontologie politique » développée par

Mario Blaser (2009a, 2009b, 2013a, 2013b) qui explicite bien, selon moi, ces dynamiques de négociations ontologiques, mais également des dynamiques de négociations entre les « personnes11 » (humaines/non-humaines) qui interagissent dans un univers de relations:

[T]he term political ontology has two connected meanings. On the one hand, it refers to the power-laden negotiations involved in bringing into being the entities that make up a particular world or ontology. On the other hand, it refers to a field of study that focuses on these negotiations but also on the conflicts that ensue as different worlds or ontologies strive to sustain their own existence as they interact and mingle with each other (Blaser 2009b :10)

La notion d’ontologie politique développée par Blaser réfère à la fois à la coexistence et aux pratiques négociées entre les personnes humaines et non- humaines au sein d’un univers partagé et à la coexistence et aux pratiques négociées entre les ontologies. La notion d’ontologie politique implique donc la reconnaissance de la multiplicité des modes et potentialités d’existence et des modes et mondes politiques. Ultimement, l’ontologie politique vise aussi à ce que

11 Voir l’introduction (page 10) pour une définition de ce concept.

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le dialogue interculturel et les négociations entre, par exemple, les Autochtones et l’État puissent s’opérer sur un mode plus égalitaire et dans le respect de la différence et des ontologies autochtones.

La notion d’ontologie politique, telle que définie par Blaser, est très près de la notion de cosmopolitique élaborée par Stengers (2003 ; 2005), Poirier (2008) et De la Cadena (2010). Le cosmopolitique, tout comme l’ontologie politique, sous- entend la multiplicité, la coexistence des mondes et l’articulation ou le dialogue entre ces mondes (Stengers 2005 : 995, Poirier 2008 :76, De la Cadena 2010 :

346). Ces mondes, ces ontologies, ne doivent pas être compris comme des ensembles homogènes et immuables. Il y a nécessairement une diversité et une multiplicité au sein d’un même monde et entre les mondes. Si le terme « cosmos » désigne les modes d’existence définis par l’enchevêtrement de valeurs et d’obligations (Stengers 2003 : 339), le terme « politique » désigne le multiple, la divergence et la négociation. Le politique demeure en fait « le lieu d’émergence des dynamismes sociaux confrontés et affrontés » (Balandier 2004 : ix). Les dynamiques politiques au sein des ontologies supposent dès lors une hétérogénéité, une négociation et une coexistence de valeurs et de pratiques.

À l’instar du cosmopolitique tel qu’entendu par les auteurs cités ci-dessus, l’ontologie politique admet également que les entités non-humaines sont potentiellement porteuses d’un pouvoir d’agir et d’intentionnalités (Stengers 2003; 2005, Poirier 2008; 2013, Blaser 2009a; 2009b; 2013a, De la Cadena 2010; 2012).

Cette potentialité a été largement documentée dans les ethnographies réalisées auprès des populations algonquiennes (Hallowell [1960]1981, Brightman

[1973]2002 ; 2007, Feit 1994 ; 2000 ; 2004, Scott 1996 ; 2007, Tanner 2004 ; 2007). Elle est par ailleurs inscrite dans la langue vernaculaire algonquienne par la

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distinction des genres animés et inanimés selon la capacité d’action de la

« personne » nommée : « Animate substantives are called those which denote beings and things that are living, or have been living, really or by acceptation»

(Baraga 1850 :18-20). Ainsi, certaines pierres, certains matériaux (comme l’écorce de bouleau), le tambour – teweikan – (voir Jérôme 2010) ou le pain bannique – pakwecikan – sont des exemples d’objets/personnes ayant le potentiel d’être vivant « par acceptation ». La différence entre les genres animé et inanimé ne relève pas de la nature même de l’objet/personne, mais de la relation que le locuteur entretient avec l’objet ou la personne désignée et du contexte spécifique de cette relation.

Dans le cadre d’un échange informel, un ami atikamekw nehirowisiw m’a raconté un de ses séjours au sein de son territoire de chasse familial où il a entendu de longs sons graves. En l’écoutant raconter son expérience, un membre aîné de sa famille lui répondit calmement que cela était très certainement le son de grosses pierres (micta asiniwok) en train de se déplacer par elles-mêmes. Selon mon interlocuteur, les pierres ont la potentialité de se mouvoir, d’être vivantes. Cette potentialité des pierres a également été décrite par d’autres interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok lors de mes séjours au sein de territoires de chasse familiaux et par des chercheurs algonquinistes, dont Jérôme (2010) et Poirier (2013) chez les Atikamekw Nehirowisiwok et Hallowell ([1960]1981) chez les

Ojibwas. Hallowell soutient également que les potentialités des pierres (ou autres objets/personnes) ne tiennent pas de la nature (de l’essence) des objets/personnes, mais des relations qu’elles entretiennent :

[T]he Ojibwa recognize, a priori, potentialities for animation in certain classes of objects under certain circumstances. The Ojibwa do not

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perceive stones, in general, as animate, any more than we do. The crucial test is experience. Is there any personal testimony available ? In answer to this question we can say that it is asserted by informants that stones have been seen to move, that some stones manifest other animate properties, and, as we shall see, Flint is represented as a living personage in their mythology (Hallowell [1960]1981 :25).

Au sein de certaines pratiques rituelles, les pierres jouent un rôle particulier. Elles sont des « grands-pères » (kimocominowok) dans les pratiques de la tente de sudation (matotasowin) (Jérôme 2010) et peuvent se mouvoir pendant la cérémonie du Midewiwin (Hallowell [1960]1981). Sur la route, les pierres peuvent

également porter des messages à ceux qui savent les écouter (Poirier 2013).

Aussi, certains matériaux ou vêtements confectionnés avec des ossements ou de la peau animale ne sont pas considérés comme étant de la matière inerte et sans vie. Au contraire, ces « matériaux » réagissent à ceux qui les travaillent et qui les utilisent. La façon dont ces « matériaux » sont utilisés, l’attention que l’on y porte dans le processus de confection de vêtements ou d’outils font partie des relations sociales entretenues entre les familles de chasseurs et les esprits-maître des animaux (awesisak okimaw).

Par exemple, un artisan qui travaille les peaux d’orignaux pour confectionner des vêtements, des mitaines et des mocassins, m’explique qu’à chacune des étapes de préparation de la peau, la peau chante. Selon lui, et je le cite :

[L]a peau chante parce que l’orignal a été bien tué et la viande et la peau n’ont pas été gaspillées (…). La vie de l’orignal continue (…). Les animaux [leur esprit] voient qu’ils sont utiles pour nous. On fait ça pour eux, pour que l’on puisse continuer à avoir de la viande pour toute la

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famille. On participe à tout ça quand on confectionne les mitaines ou les mocassins (Opitciwani iriniw, septembre 2014).

Lorsqu’on s’intéresse aux logiques nehirowisiwok, on se rend compte que les frontières tracées entre le monde du vivant et du non-vivant, entre l’objet et le sujet, peuvent être souples et dépendre du contexte et du type de relation qui est entretenue entre les personnes humaines et non-humaines. Cette logique relationnelle ouvre la voie aux modes et potentialités multiples d’existence et remet en doute l’idée qu’il existe des frontières rigides et immuables entre le monde du vivant et du non-vivant, du sujet et de l’objet. Le défi maintenant est de savoir comment les Atikamekw Nehirowisiwok peuvent faire reconnaître auprès des institutions juridiques étatiques cette logique relationnelle, où les esprits-maîtres (awesisak okimaw) des animaux et les esprits des ancêtres et les esprits de la forêt

(opwakanak) ont des pouvoirs d’agir et possèdent une forme d’autorité, de responsabilité et des droits territoriaux (tiperitamowina aski). Comme il en sera mention dans cette thèse (chapitres 3 à 5), les principes, pratiques et processus normatifs nehirowisiwok doivent être compris à travers de cette logique relationnelle entre les personnes humaines et non-humaines. L’approche ontologique et l’ontologie politique servent ici d’outil analytique pour permettre de bien comprendre les principes épistémologiques et ontologiques sur lesquels s’appuient certaines pratiques et certains processus normatifs nehirowisiwok. En même temps, l’approche ontologique mise de l’avant dans cette thèse offre des réflexions méthodologiques pertinentes pour réaliser cette « anthropologie symétrique » dont parle Latour (1991), invitant à réfléchir aux bases d’un dialogue égalitaire entre les ordres normatifs autochtones et étatiques.

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Conclusion

Ce premier chapitre dresse les bases théoriques et conceptuelles de cette recherche doctorale portant sur le processus de formalisation du droit coutumier nehirowisiw dans le contexte des négociations territoriales globales. Cette recherche doctorale s’intéresse à la fois à la description empirique des pratiques et principes normatifs nehirowisiwok et à l’articulation et à la traduction de ces principes et pratiques dans un contexte de négociation et de dialogue avec les institutions étatiques.

L’approche mise de l’avant dans cette thèse s’inspire des débats théoriques qui ont marqué l’anthropologie juridique et l’anthropologie ontologique. Cette thèse s’intéresse au phénomène du pluralisme juridique, aux espaces de dialogue, d’enchevêtrement et de résistance entre les ordres normatifs autochtones et

étatiques. La formalisation et la reconnaissance de la part des institutions étatiques des droits coutumiers autochtones entraînent inévitablement des défis d’ordre

épistémologique et ontologique. L’inclusion des droits coutumiers autochtones au sein des catégories, des logiques et des pratiques juridiques étatiques occidentales est décrite par certains anthropologues juridiques comme une forme de continuité coloniale et objet de discorde au sein des institutions autochtones (Chanock 1985, Merry 1991). D’un autre côté, des travaux ethnographiques démontrent que les Autochtones ne sont pas uniquement que des victimes de ces pratiques néocoloniales. Ils utilisent aussi, à leur façon et pour leurs propres intérêts et projets individuels et collectifs les instruments juridiques de l’État (Moore 1978, Merry 1991, Comaroff 2001, Cowan et al. 2001).

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Mettre en évidence ces pratiques de résistance déployées par les groupes autochtones ne doit pas non plus occulter les rapports de pouvoirs asymétriques entretenus par les institutions étatiques. Un des objectifs de cette thèse est justement de réfléchir aux bases d’un dialogue plus égalitaire entre les ordres normatifs autochtones et étatiques12. L’anthropologie ontologique doit servir ici d’outil analytique et méthodologique pour penser l’altérité, la coexistence et les dynamiques d’enchevêtrement.

12 Pour une discussion approfondie autour de cette question, voir notamment la section 7.4 et la conclusion / discussion de la thèse.

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Chapitre 2

Méthodologie de la recherche

Introduction

Ce deuxième chapitre présente une réflexion méthodologique sur le travail ethnographique et la traduction culturelle inspirée à la fois par l’approche ontologique (Viveiros de Castro 1998; 2004, Strathern 2004, Henare [Salmond] et al. 2007, De la Cadena 2014 et Salmond 2014) et l’approche collaborative en anthropologie (Lassiter 2005, Charest 2005, Kirsch 2006, Sillitoe 2012, Menzies

2015). L’application de ces approches vise d’abord à ce que les enseignements de mes interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok, qui m’ont en toute humilité et ouverture partagé leurs savoirs normatifs et modes et potentialités d’existence, soient considérés à leur juste valeur et ne soient pas relégués dans le domaine de la « croyance » ou de la « représentation » culturelle.

Comme il est expliqué dans le chapitre précédent, l’approche ontologique oriente aussi l’analyse ethnographique portée plutôt sur la nature des relations entre les

« personnes » que sur la nature des « personnes » ou des « objets » mêmes. Comme l’a si bien fait remarquer Salmond [Henare] (2014 :169) : « anthropology’s job is to generate relations with others and to account for alterity in ways that leave the question of « what is? » productively open ». Suivant cette approche, je discute

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dans ce chapitre de mes propres relations et de mon cheminement avec mes interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok. Je donne également des exemples issus de mes expériences de ce que Sahlins ([1985]1989) nomme le « travail du malentendu », l’articulation et la confrontation productive et créative des logiques culturelles et j’explique en quoi ces expériences et approches sont pertinentes dans le contexte de cette recherche doctorale autour de la contemporanéité des principes, pratiques et processus normatifs nehirowisiwok.

2.1. Les connexions partielles

Dans l’introduction de la thèse (page 10), nous avons vu que le concept de « personne », selon l’approche relationnelle soutenue par Hallowell ([1960]1981),

Ingold (1993; [2000]2011) et Poirier (2008), fait référence à une entité (humaine et non-humaine) reconnue socialement et possédant une forme d’agencéité ou de pouvoir d’agir. Une entité est décrite comme étant une « personne » d’abord et avant tout selon son positionnement vis-à-vis des autres au sein d’un champ relationnel (Ingold 1993 :229, [2000]2011 :149). Comme le souligne Strathern

(2004), la « personne » n’est ni singulière ni multiple, mais s’intègre dans un réseau complexe de connexions :

If ‘one’ contains ‘many’ then one is also a version of many, epitomized in the recapitulation of descent group members as one (…) Each member contains the group. At the same time, in terms of the capacity for making extensions and connections, each member potentially belongs to a matrix of radiating relations (Strathern 2004 :68).

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Pour reprendre l’image de Deleuze et de Guattari : les relations sociales se définissent comme des rhizomes à ramification extensible, « latérale et circulaire, non pas dichotomique [ou binaire] » ([1980]1997 :11-12). Cette image du rhizome développée par Deleuze et Guattari peut, selon moi, nous aider à mieux comprendre ce que Strathern (2004) nomme les « connexions partielles » et le positionnement des personnes qui ne peuvent être perçues comme des entités indépendantes et objectives ; elles font nécessairement partie de réseaux de ramification et d’institutions sociales diverses. Deleuze et Guattari ([1980]1997) distinguent l’image du rhizome (logique relationnelle et non hiérarchisée) de l’image de l’arbre-racine (logique binaire et linéaire):

Un rhizome ne commence et n’aboutit pas, il est toujours au milieu, entre les choses, inter-être, intermezzo. L’arbre est filiation, mais le rhizome est alliance, uniquement d’alliance. L’arbre impose le verbe « être », mais le rhizome a pour tissu la conjonction « et… et… et… » (…) [N]’importe quel point d’un rhizome peut être connecté avec n’importe quel autre, et doit l’être. C’est très différent de l’arbre ou de la racine qui fixe un point, un ordre (Deleuze et Guattari [1980]1997 : 36; 13).

À l’instar des rhizomes, les relations sociales peuvent être rompues, peuvent être brisées (séparées) à certains endroits et se former à d’autres, se (re)connecter à d’autres. Les processus de connexions et de mise en relation entre les différentes personnes et les différents réseaux, nous dit Strathern, sont inévitablement liés à des processus de séparations et de ruptures: « Relations are created in the separation of persons from one another » (2004 :111). Puisqu’elles sont conditionnelles à l’échange et à la relation, ces ruptures et ces séparations sont créatrices et transformatrices (Ibid. :113-114). Ainsi, dans leurs échanges,

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chercheurs et interlocuteurs s’investissent dans des relations, dans des ruptures et des transformations créatrices.

Les chercheurs et leurs interlocuteurs font partie de divers ensembles et entités : ils font partie d’une famille, d’une communauté culturelle, d’une communauté politique imaginée (Anderson 1991), d’une Nation, d’un territoire. La compréhension des pratiques culturelles doit nécessairement prendre en compte l’interconnexion entre les divers ensembles au sein desquels se positionne la personne. De manière générale, l’analyse anthropologique doit donc être en mesure de situer les univers de sens et les pratiques au sein de leur contexte et à partir des différentes échelles interprétatives et expérientielles. Le chercheur doit alors apprendre à reconnaître le (re)positionnement des interlocuteurs dans les différents contextes et réseaux (famille, communautés, Nation, territoire familial, position professionnelle) et son propre (re)positionnement (histoire culturelle, famille, position professionnelle, relations avec les interlocuteurs).

Dans le cadre de ce chapitre, je ferai état de certaines de ces ruptures et transformations survenues lors de mes séjours au sein des territoires nehirowisiwok, de divers réseaux sociaux et d’un ensemble complexe de ramifications. Ce chapitre discute a priori d’expériences personnelles vécues dans des relations sociales profitables et qui ont permis de mieux vivre et saisir les principes, pratiques et processus normatifs nehirowisiwok dans le contexte contemporain. Le chapitre fait part de « connexions partielles » entretenues avec mes interlocuteurs, de mon intégration et implication au sein des institutions et réseaux sociaux locaux, mais sans négliger ce que Sahlins nomme le « travail du malentendu » (working misunderstanding) : l’articulation et la confrontation d’interprétations culturelles issues de logiques et d’historicités différentes (Sahlins

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[1985]1989, Hartog 2003). Comme nous le verrons plus loin dans ce chapitre, ce

« travail du malentendu » a nécessairement joué un rôle sur mon propre positionnement au sein des institutions et réseaux sociaux atikamekw nehirowisiwok, m’obligeant à justifier ma présence dans des termes et dans une forme qui font sens pour mes interlocuteurs et partenaires à la recherche.

2.2. L’approche ontologique et expérientielle

Sur le terrain, je me suis retrouvé dans la position d’un apprenti, d’un néophyte. J’ai senti comme une nécessité de saisir cette invitation lancée généreusement – parfois avec méfiance – par mes interlocuteurs à expérimenter l’existence (pimatisiwin) dans une façon qui leur est familière, qui fait sens pour eux. Sur le terrain, j’ai forcément dû accepter d’être transformé, d’être projeté hors de mon entendement, hors de mes repères habituels; de relâcher mes contrôles intérieurs, de « lâcher prise », pour reprendre les termes de Johaness Fabian (2001 :31). Ce repositionnement est nécessaire selon moi, puisque comme le souligne Jean-Guy Goulet (2011a :14) : « c’est en adoptant de nouvelles positions sociales et de nouvelles façons d’interpréter le vécu que l’anthropologue décolonise son esprit afin de rencontrer l’autre sur son terrain ».

L’approche ontologique et expérientielle mis de l’avant par plusieurs auteurs, dont

D. Tedlock (1979), Turner (1985), Fabian (2001), Goulet (2004, 2011a, 2011b), Goulet et Miller (2007), Rethmann (2007) et B. Tedlock (2011), tente de réduire ou même d’abolir la séparation positiviste entre le chercheur et son objet de recherche. Cette approche encourage les expériences qui favorisent l’immersion et

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l’expérimentation intégrales des réalités sociales auparavant étrangères (Goulet

2011b :119, Salmond 2014). Cette approche permet enfin à l’anthropologue de connaître et de s’imprégner sensoriellement, intuitivement, moralement, spirituellement et mentalement des savoirs normatifs de ses interlocuteurs (Turner 1985 :205, Wilkes 2007 : 76, Goulet 2011b : 117-118).

Comme le mentionnait dans une entrevue Paul-Émile Ottawa, l’ancien chef de bande de : Ce n’est pas que l’on est contre les chercheurs, mais il y a des chercheurs qui viennent chez nous sans prendre la peine de chercher à nous connaître davantage. Ils arrivent, ils font leurs affaires, ils partent et c’est fini, on n’en entend plus parler. Mais de plus en plus, nous insistons auprès des chercheurs : « tu veux faire des choses chez nous ? OK. Prends le temps de nous connaître, fais un séjour de quelques semaines, va dans le bois avec des familles, essaie de comprendre la dynamique, essaie de comprendre la vie, la philosophie atikamekw [nehirowisiw opimatisiwin]. Après cela, si tu es toujours intéressé à faire une recherche, viens nous voir ! » (Ottawa 2012, en ligne)

Dans le cadre d’échanges informels, un interlocuteur et ami de Wemotaci, a régulièrement insisté sur le fait que les chercheurs allochtones séjournant au sein des communautés autochtones doivent faire preuve de souplesse intellectuelle : « les anthropologues qui viennent ici doivent vivre avec leurs sens, doivent se défaire de leur esprit cartésien pour s’ouvrir à nos univers, nos façons de vivre et de voir le monde » (Wemotaci iriniw, octobre 2014). Depuis que je le connais

(2008), cet interlocuteur me répète souvent ce genre de propos. Il insiste régulièrement sur cet aspect parce qu’il considère que la rationalité cartésienne et la logique binaire (vrai/faux, mythe/histoire, nature/culture) ne peuvent rendre compte adéquatement des logiques normatives nehirowisiwok. Pour lui, les études

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universitaires élaborées à partir de cette rationalité et de cette logique représentent ce qu’il nomme « la recherche coloniale ». Ces propos font échos à plusieurs autres entendus depuis mes premiers séjours dans les communautés atikamekw nehirowisiwok. À plusieurs reprises au fil des dernières années, j’ai entendu des commentaires comme : « les « blancs » [allochtones] pensent avec leur tête. Nous,

[les Atikamekw Nehirowisiwok,] on pense plus avec notre cœur ». À quelques occasions, des amis atikamekw nehirowisiwok m’ont encouragé à mettre de côté mon esprit rationnel et de me laisser porter par l’intuition, la passion. J’ai donc tenté, lors de mes séjours, de suivre ces conseils et davantage me laisser porter par mes sens et mes intuitions ; à vivre, avec mes propres limites, l’« expérience » dans son intensité, à être « présent » (Rethmann 2007) au sein de l’univers normatif nehirowisiw.

L’idée de mettre de l’avant l’approche ontologique et expérientielle n’équivaut pas à changer complètement de statut, à devenir natif (going native), ni à centrer l’expérience ethnographique sur soi-même (récit de soi), mais plutôt à reconnaître les connexions partielles, le positionnement social et politique du chercheur et d’accepter son repositionnement progressif au sein des institutions sociales et des différents réseaux dans lesquels se situent les interlocuteurs. En fait, l’idée est de dépasser ce statut d’« intrus-pologue13» sur le terrain pour se (re)positionner

13 Ce terme provient d’un interlocuteur atikamekw nehirowisiw de Manawan qui, en blague, m’a surnommé ainsi. Ce terme est bien choisi, je pense, pour décrire la manière dont les chercheurs peuvent parfois être perçus dans les communautés autochtones. À la fois étrangers et « scientifiques », les « intrus-pologues » sont réputés se promener avec leurs calepins de notes et leur caméra photo, faire des entrevues sans établir de réels liens de confiance avec leurs interlocuteurs. Ces « intrus-pologues » établissent une relation de type chercheur/objet d’études, relation liée à une approche positiviste largement critiquée par mes interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok. Durant mon terrain de maîtrise et depuis, combien de fois m’a-t-on prié de fermer mon calepin de notes pour plutôt vivre l’instant présent avec mes hôtes ? Combien de fois ai-je entendu mes interlocuteurs parler en mal des chercheurs qui vont dans les communautés recueillir des données et puis qui s’en vont sans revenir et sans dire ce qu’ils font de ces données ?

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progressivement comme personne au sein des réseaux sociaux locaux tout en reconnaissant sa propre historicité, positionnalité et socialité d’origine. En fait, l’approche ontologique et expérientielle devrait guider les chercheurs vers les

« alterstices14 », vers ces espaces de rencontres transformatrices, rendant possible une réelle co-construction et co-production des savoirs. Cet engagement me semble nécessaire dans ce processus de recherche portant sur les droits coutumiers nehirowisiwok puisqu’il me permet de saisir un ensemble de principes, pratiques et processus normatifs qui sont intimement vécus, partagés et négociés par mes interlocuteurs dans leurs rapports sociaux et institutionnels (ce qui comprend les institutions autochtones et étatiques). Sans pouvoir saisir la totalité des expériences et des savoirs normatifs autochtones, je considère que cette approche ontologique et expérientielle favorise une attitude d’ouverture et d’humilité dont j’ai dû faire preuve dans ce projet de dialogue et de traduction culturelle entre les univers normatifs autochtones et étatiques.

2.3. La cérémonie du calumet

Opitciwan, le 5 juillet 2014 : Ce matin-là une amie d’Opitciwan, est venue me chercher chez ses parents qui m’hébergeaient. Elle avait décidé de m’emmener au

Combien de fois m’a-t-on prévenu de ne pas poser trop de questions, mais plutôt de m’intégrer progressivement dans la socialité atikamekw et de réaliser moi-même mes propres expériences ? D’écouter chacune des versions d’un événement ou d’un phénomène sans chercher à les réduire à une seule ? Combien de fois m’a-t-on prié de laisser de côté mon statut de « chercheur » pour revêtir le statut d’« ami » ? (Éthier 2010, 2011). 14 Ce terme est tiré de la revue du même nom, fondée en 2010 (www.alterstice.org). Il s’agit d’une contraction d’« altérité» et d’« interstice » : « Le mot signifie « être autre, se trouver dans la différence ». Il fait référence aussi bien à la qualité d’être autre qu’à celle de se trouver dans un entre-deux, un intervalle qui transforme » (Ibid.).

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chalet de Pabo, un aîné de la communauté, situé à 60 kilomètres de la communauté. Selon ce qu’on m’a raconté, les membres de la famille de Pabo étaient allés le voir pour leur faire part de leurs inquiétudes face à divers problèmes sociaux qui affectent certaines familles de la communauté et pour lui demander s’il avait une suggestion de projets susceptibles d’aider à la guérison de ces personnes et de ces familles ; un modèle de guérison qui soit en lien avec les pratiques et principes normatifs valorisés par les aînés. Pabo a suggéré d’organiser une marche qui partirait de son chalet jusqu’à la communauté. Il s’agissait selon mes interlocuteurs d’une sorte de pèlerinage, d’une marche de prière et de guérison qui pouvait aider à resserrer les liens de solidarité entre les membres des familles et entre les familles. D’ailleurs, les trois communautés atikamekw nehirowisiwok (et même d’autres Nations autochtones15) organisent périodiquement ce genre de marche. À Manawan, il y a une marche d’organisée chaque été entre Joliette et Manawan (environ 180 km.). À Opitciwan, en plus de la marche « de l’espoir » organisée l’été, l’on retrouve la marche « Moteskano16 » qui se déroule l’hiver (février/mars) et qui demande plusieurs mois de préparations (voir chapitre 5). L’invitation de mon amie était donc de m’initier à ce genre d’expérience.

Nous étions une dizaine de personnes à participer à la marche qui s’est déroulée sur deux jours, soit le 5 et le 6 juillet 2014. Pendant la première journée, j’étais accompagné de deux marcheurs qui m’ont expliqué leurs motivations personnelles d’entreprendre cette marche. Sans entrer dans les détails, la marche devait servir pour eux à extirper en quelque sorte un mal intérieur ou à faire le point sur une

15 Voir notamment le projet Innu meshkenu inité par le Dr Stanley Vollant : http://www.innu- meshkenu.com. 16 Il s’agit du terme utilisé pour parler du « chemin parcouru par nos ancêtres ». Nous y reviendrons plus en détails dans le chapitre 5 de la thèse.

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situation qui n’avait pas été réglée. Une autre personne m’a souligné que cette marche faisait partie de son itinéraire sur le « chemin rouge », le chemin de ses ancêtres, de sa spiritualité. Il me rappelle que ses ancêtres marchaient eux aussi des journées entières dans leurs déplacements et que cette marche faisait aussi partie de leur guérison et du mode de vie traditionnel.

Certaines personnes m’ont également demandé la raison pour laquelle je faisais cette marche ; ce qui m’avait amené à entreprendre cette démarche spirituelle. Je n’avais pas de raison précise, j’ai répondu que j’avais été invité à cette marche, mais sans en connaître la raison. Une personne m’a alors répondu que j’allais le découvrir en marchant, que les esprits des ancêtres et les esprits de la forêt

(opwakanak) viendraient pour m’aider à prier.

Les heures passaient et les distances me semblaient de plus en plus longues. Après une vingtaine de kilomètres, il me semblait avoir des dizaines d’ampoules aux pieds qui me faisaient souffrir effroyablement. On me dit alors de ne pas penser à mes pieds, de ne pas penser à la marche, de ne pas penser, de prier tout simplement. Mais c’était plus fort que moi, mon attention demeurait fixée sur mes pieds, mes douleurs physiques. Le soir, je suis arrivé bien après tout le monde au site du campement. J’avançais à peine. On m’a dit qu’il y avait une tente pour moi, avec un matelas et un sac de couchage. Je m’y suis installé aussitôt. J’ai enlevé mes souliers et mes bas et je me suis endormi. Une heure ou deux plus tard, une personne m’a réveillé, pour m’offrir à manger et m’a invité à me rendre dans une tente pas très loin pour la cérémonie dédiée aux marcheurs. Après avoir terminé mon repas, je me suis dirigé vers la tente où se tenait la cérémonie du calumet

(ospwakan). Il y avait alors deux porteurs de calumet, une femme et un homme qui avaient chacun leur calumet détaché en deux parties. On m’a expliqué alors que le

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calumet comme tel, avec ses deux parties qui s’emboîtent l’une dans l’autre, représente l’union de l’homme et de la femme. La cérémonie du calumet débute toujours lorsque les deux parties sont emboîtées ensemble et se termine lorsqu’elles sont séparées.

En fumant les calumets (ospwakanak), on a invité l’esprit des ancêtres (kimocominowok, opwakanak) à venir nous aider. Avant de commencer la cérémonie, certains participants se sont affairés à préparer les offrandes : le tabac (tcictemaw), les morceaux de fruits (pommes, oranges, raisins), l’eau et le jus.

Puisqu’il n’y avait pas de feu où déposer les offrandes, une personne prit de l’écorce de bouleau qu’il a roulé en forme de cornet et dans lequel il a déposé les fruits, le tabac, l’eau et le jus. Les offrandes ont ensuite été méticuleusement déposées dans la forêt près de la tente. C’est à ce moment que nous avons commencé à chanter et à fumer les deux calumets partagés entre les participants dans le sens de l’aiguille d’une montre. On a alors invité kitce manito17 et les

17 Dans la plupart des ethnographies, le concept kitce manito est traduit par « grand-esprit » et rejoint en cela la représentation du « Dieu » catholique. La plupart de mes interlocuteurs partagent cette interprétation. Certains peuvent cependant apporter quelques précisions importantes. Le terme kitce est couramment utilisé pour parler d’une personne ou d’un objet qui est grand ou important. Les termes manito et manitowin renvoient à une entité, à une énergie, à une particule. Un de mes interlocuteurs a d’ailleurs tenté de m’expliquer le concept manitowin non pas à partir de représentations religieuses, mais à partir de représentations issues de la physique quantique ! Selon son explication, manitowin se retrouve dans tout ce qui est animé, dans tout ce qui a un certain pouvoir d’agir, qui a un effet sur le monde. On retrouve manitowin dans certaines pierres, par exemple. Le terme manitokana est utilisé pour nommer les effets ou l’application des pouvoirs attribuables au manitowin. Le concept matci manito renvoie régulièrement à la représentation catholique du « diable ». Cette traduction et représentation sont omniprésentes aujourd’hui, étant donné l’influence des missionnaires et de leur interprétation/traduction du terme. Toutefois, selon certains interlocuteurs, le concept matci manito peut aussi être employé pour identifier une « personne » (humaine ou non-humaine) malhabile, une personne qui n’a pas acquis suffisamment de savoirs ou qui est maladroite ; cette personne pouvant être critiquée par les autres parce qu’elle ne respecte pas les pratiques normatives et les codes moraux partagés par les familles et n’apporte pas une contribution adéquate à la vie en société. Il y a toutefois une distinction à faire entre une personne agissant incorrectement (matci manito) et une personne qui doit être prise en charge parce qu’elle ne peut se débrouiller seule (matci kanekew).

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ancêtres à se joindre à nous. Ce n’est que plus tard, pendant la nuit, que j’ai reçu mes propres révélations.

À la fin de la cérémonie, les porteurs de calumet séparèrent les deux parties (partie féminine, partie masculine) de leur calumet. Peu de temps après la cérémonie, tous sont entrés dans leur tente respective pour la nuit et j’ai fait de même. Pendant la nuit j’ai rêvé que j’étais dans une tente à sudation

(matotasowin). Un des deux porteurs de calumet était mon guide lors du matotasowin ; je voyais son visage et j’entendais son chant et son tambour. Je ressentis la chaleur monter de mes pieds à mes jambes et dans tout le reste de mon corps. J’ai commencé à avoir très chaud et je me suis réveillé complètement trempé, comme si j’étais effectivement dans le matotasowin. Je me suis rapidement rendormi et j’ai fait un deuxième rêve. J’ai rêvé à un ami et ancien colocataire décédé à l’été 2011. Je n’avais malheureusement pu assister à ses funérailles et n’avais pas eu la chance de lui faire mes adieux avant son départ.

Dans mon rêve, il me téléphonait et me demandait des nouvelles. Son coup de fil ressemblait également à un appel à l’aide. Le lendemain matin, lorsque je me suis réveillé, je ne ressentis plus les douleurs à mes pieds et à mes jambes. Lorsque le porteur de calumet (qui avait guidé le matotasowin dans mon rêve) m’a vu sortir de ma tente, il a tout de suite fait remarquer aux autres personnes présentes mon processus de guérison. Sans même que je lui ai fait part de mes rêves, il m’a dit que les opwakanak étaient venus me voir pour m’aider dans ma démarche spirituelle.

La veille, il était clair dans ma tête que j’allais arrêter de marcher, que j’allais repartir vers Opitciwan assis bien confortablement dans un véhicule motorisé. Toutefois, avec mon expérience de la nuit précédente, je sentais que je devais

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vivre cette marche jusqu’au bout dans un esprit qui ne m’était pas familier. Enfin, j’ai décidé de poursuivre cette expérience en me laissant guider par ces « esprits de la forêt » (opwakanak), comme cela m’a été conseillé par mes interlocuteurs.

Selon ce qui m’a été expliqué, les opwakanak sont des esprits d’ancêtres qui habitent notcimik et qui peuvent venir nous visiter dans nos moments d’éveil comme dans nos rêves. Dans leurs visites, les opwakanak apportent souvent des messages orientant les actions. Ils possèdent ainsi un pouvoir de renforcement normatif. Selon certains interlocuteurs, un des principaux rôles des opwakanak est d’assurer la protection des êtres humains et de les guider dans leurs pratiques quotidiennes.

À la fin de la marche de 60 kilomètres, qui n’a duré que deux jours, les marcheurs étaient attendus à l’entrée de la communauté. Des membres de la communauté s’étaient mobilisés pour les marcheurs, avaient préparé un feu et nous servaient du thé et du pain bannique (pakwecikan). L’arrivée fut un moment très émotif. Les marcheurs se sont réunis et, assis en cercle, ont commencé à tour de rôle à prendre la parole pour partager leur expérience de la marche. Ce partage est décrit par les participants présents comme un cercle de guérison (sakipitcikan18). Les expériences exprimées au sein du sakipitcikan étaient variées, mais étaient régulièrement décrites par les participants présents comme des expériences de prières et de don de soi pour venir en aide à des personnes proches, vivantes ou décédées (afin que leur esprit soit en paix). Certaines personnes ont profité de la

18 Le sakipitcikan est un moyen et un moment privilégiés permettant le partage d’expériences intimes et les témoignages sont souvent très émotifs. Le sakipitcikan favorise la réconciliation et la guérison personnelle et collective. Les services sociaux des communautés atikamekw nehirowisiwok organisent fréquemment le sakipitcikan à différentes occasions comme moyen « d’intervention sociale » et communautaire pour favoriser la réconciliation entre les membres des familles de la communauté. Le sakipitcikan peut également, selon les circonstances, être présent dans certaines cérémonies, comme le matotasowin.

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marche pour demander de l’aide à l’esprit de leurs parents ou grands-parents décédés afin qu’ils puissent les guider dans leur vie. La marche était une expérience personnelle à chacun, mais vécue dans un esprit collectif. Selon mes observations et mes échanges avec les participants, la marche et le sakipitcikan ont fait partie d’un processus permettant à certaines personnes de se réconcilier avec des membres de leurs familles, de faire la paix en rapport avec certains traumatismes vécus, de clarifier son esprit et d’organiser les pratiques futures selon les prises de conscience faites pendant cette expérience.

J’ai également pris la parole pendant ce cercle pour partager ma propre expérience de la marche. Mes propos ont été accueillis sans être jugés. Ma démarche personnelle, mon expérience onirique, ma guérison corporelle avaient un sens pour les autres marcheurs (et pour les autres personnes présentes sur place). Mon expérience n’était pas « ésotérique » ou « extraordinaire ». Elle faisait partie de ma réalité, interconnectée partiellement à chacune des autres réalités expérimentées lors de la marche.

À première vue, cette expérience peut paraître, pour le lecteur de cette thèse, comme une expérience quasi ésotérique, sans pertinence dans un contexte académique. J’ai personnellement longuement hésité à faire mention de ce genre d’expérience dans cette thèse, préférant la conserver dans mon bagage personnel.

J’ai cependant décidé d’intégrer cette expérience intime du terrain parce qu’elle m’a aidé à mieux comprendre certains éléments que mes interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok m’ont régulièrement partagés au cours des dernières années autour des expériences oniriques et de guérison et des relations avec les esprits des ancêtres et des esprits de la forêt, expériences et relations qui jouent un rôle dans le renforcement normatif (voir chapitre 3). En même temps, je reconnais que ce

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genre d’expériences intimes m’appartient. Elles ont toutefois été guidées et se sont inscrites dans un contexte ethnographique et dans des dynamiques sociales riches et complexes dont cette thèse doit rendre compte.

2.4. Le travail du malentendu

Comme étudiant-chercheur en anthropologie, mon premier séjour de « longue durée19» en territoire nehirowisiw remonte à l’été 2009 dans le cadre de mon projet de recherche à la maîtrise. Depuis lors, j’ai continué à m’y rendre régulièrement et à développer des liens avec mes interlocuteurs pendant les sept dernières années.

Cet engagement auprès des familles m’a permis de mieux comprendre les dynamiques familiales et communautaires, les façons de communiquer et d’échanger l’information. Cela m’a permis également de me faire connaître en tant que personne, d’approfondir mes relations avec mes interlocuteurs et de m’intégrer « partiellement » au sein de divers réseaux sociaux locaux. Malgré tout, mon statut et positionnement au sein des réseaux atikamekw nehirowisiwok sont toujours incertains. Cela s’exprime au travers de divers commentaires que je reçois, dans la façon dont certains interlocuteurs peuvent me percevoir à partir de leurs parcours de vie ou des récits familiaux et communautaires. Par exemple, à l’automne 2014, lors d’une sortie à la chasse en compagnie de l’un de mes principaux interlocuteurs, celui-ci me demande si c’était le gouvernement qui m’envoyait. Il me dit :

19 Une durée d’un peu plus de quatre mois, de juin à septembre et d’octobre à novembre 2009 dans la communauté de Manawan. Mon premier « court séjour » en territoire nehirowisiw remonte au mois d’août 2006 dans la communauté de Wemotaci.

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C’est le gouvernement qui t’envoie ? Je le connais le gouvernement, il envoie des gens pour savoir si nous occupons toujours le territoire. Il ne nous croit pas qu’on occupe le territoire. C’est pour ça qu’il envoie des gens ici. C’est pour savoir si nous sommes là. On a toujours été ici. On a toujours vécu sur notre territoire (octobre 2014).

Sur le coup, j’avoue avoir été assez surpris de cette remarque, puisque cela faisait plus de quatre mois que j’habitais chez lui, que je lui parlais de mon travail de recherche, lui faisais des comptes rendus quasi quotidiennement de mes rencontres et lui demandais régulièrement de valider certaines informations.

J’avais le sentiment d’avoir créé un certain lien de confiance avec lui et je le voyais d’abord et avant tout comme un partenaire à la recherche. J’en suis venu à me demander la raison pour laquelle il a pu penser que j’avais été envoyé par le gouvernement pour documenter la présence des Atikamekw Nehirowisiwok sur le territoire, comme s’il remettait en question les objectifs de notre travail de recherche, déjà longuement explicités. C’est en prenant un certain recul, en me remémorant ses récits de vie et en revisitant les récits familiaux, que j’ai compris un peu plus que, malgré mes bonnes intentions, mon statut et mon positionnement ne dépendent pas uniquement que de moi. Les récits locaux partagés par les familles sont réactualisés dans les évènements contemporains, comme les

évènements de rencontre interculturelle. Comme l’a déjà mentionné Laurent Jérôme dans un article discutant de sa propre expérience comme chercheur au sein des socialités nehirowisiwok :

(…) je compris rapidement que je n’arrivais pas seul. J’arrivais à Wemotaci avec le passé de la pratique ethnographique dans cette région, avec le poids des écrits anthropologiques et ethnohistoriques, avec le souvenir de maladresses et de trahisons, réelles ou ressenties, laissé dans la mémoire locale par d’autres chercheurs, anthropologues chevronnés ou étudiants (Jérôme 2008 : 183).

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En revisitant les récits d’aînés atikamekw nehirowisiwok, on se rend vite compte qu’une partie importante des histoires familiales comprennent des évènements de rencontre avec des Allochtones (arpenteurs, agents gouvernementaux, chasseurs et pêcheurs sportifs, employés d’Hydro-Québec [entreprise parapublique], employés de compagnies forestières, etc.) et que les questions territoriales ont souvent été les principaux thèmes de discussion et de discorde entre les familles atikamekw nehirowisiwok et les Allochtones (voir chapitre 5). Dans plusieurs cas, le lien entre la visite de ces « intrus » allochtones et l’envahissement du territoire par des villégiateurs, pourvoiries et compagnies forestières a été facile à faire pour les Atikamekw Nehirowisiwok. Ce qui explique en partie la méfiance que pouvait porter à mon égard cet interlocuteur.

Les propos mentionnés précédemment par mon interlocuteur sont révélateurs

également de l’importance qu’il accorde à l’occupation, la responsabilité et les droits territoriaux. Comme nous le verrons tout au long de cette thèse, et plus particulièrement dans le chapitre 5, l’occupation du territoire revêt pour les Atikamekw Nehirowisiwok un caractère politique, juridique et identitaire fondamental et dont les modalités correspondent à un ensemble complexe de pratiques et de principes normatifs.

Lors de mes séjours sur le terrain, certaines rencontres et interactions avec des familles atikamekw nehirowisiwok ont comporté leurs lots d’incompréhensions, d’interprétations divergentes ; résultant de ce que Sahlins ([1985]1989) nomme le

« travail du malentendu ». Bien souvent, ce « travail du malentendu » survient lorsque, sur le terrain, je transgresse sans le vouloir des règles sociales, des pratiques normatives qui m’étaient auparavant étrangères. C’est souvent dans ce contexte de transgression des normes locales que mes interlocuteurs remarquent

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cette rupture socioculturelle qui nous sépare. Dans ce contexte, le « travail du malentendu » n’est pas nécessairement impertinent ou quelque chose à éviter à tout prix. Il peut révéler des pratiques et principes normatifs inattendus et permet aussi la production de matériaux ethnographiques tout à fait originaux autour des relations complexes et riches entre des ordres normatifs qui s’enchevêtrent, se juxtaposent et s’opposent aussi parfois.

Pour donner un autre exemple concret : au mois de juillet 2015, je me dirigeais avec mon véhicule vers le site d’un campement familial pour donner un coup de main aux préparatifs d’un campement culturel organisé par l’équipe du projet Kinokewin20. Le campement se déroulait à Kikentac, à l’est du réservoir Gouin, à l’embouchure de Tapiskwan sipi (rivière Saint-Maurice). Il s’agit en fait du lieu où avait été établie la première réserve d’Opitciwan avant qu’elle soit inondée lors de la construction du barrage La Loutre en 1916. Quelques jours avant mon départ d’Opitciwan vers Kikentac, j’avais signalé au responsable du territoire familial (ka nikaniwitc) mon désir d’offrir mon aide à la préparation du campement. Il avait accepté mon offre et m’avait suggéré de faire la route avec son gendre. Je n’ai pas réussi à rejoindre ce dernier et j’ai demandé au responsable et à d’autres membres de sa famille le trajet à emprunter pour me rendre sur le site. Je me suis donc mis en route avec des cartes dessinées approximativement traçant le trajet à parcourir. Heureusement, des amis devaient partir d’Opitciwan avec leur véhicule pour se rendre à Wemotaci et ont décidé de suivre une partie du trajet avec moi. J’ai pu

20 Le projet Kinokewin (CRSH 2006-2010 et 2012-2015), dirigé par Sylvie Poirier (Université Laval) en partenariat avec des membres du Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw, a largement œuvré à la création d’outils favorisant la documentation et la transmission des savoirs traditionnels nehirowisiwok. Le projet a permis, entre autres, la réalisation de deux campements culturels (Manawan 2009 et Opitciwan 2015) réunissant des membres (aînés, jeunes) des trois communautés atikamekw nehirowisiwok.

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alors parcourir les quelque deux cents kilomètres de chemins forestiers entre

Opitciwan et Kikentac sans trop de complication.

À mon arrivée au campement, j’ai ressenti une certaine méfiance à mon égard. Je connaissais un peu le responsable du territoire familial, mais celui-ci n’était pas encore arrivé. Je ne connaissais pas les membres de sa famille présents au campement lors de mon arrivée; sa femme, sa fille, son gendre et leurs enfants.

Ces derniers n’avaient pas non plus été avisés de ma présence. À mon arrivée, les gens me regardaient et se demandaient ce que je faisais à leur campement familial. Je suis arrivé seul sans être attendu. J’étais un [matci] mantew. Je leur ai dit que je venais pour donner un coup de main pour la préparation du camp. Ils se sont regardés sans me répondre et sont repartis vaquer à leurs occupations. Au cours de l’après-midi et pendant la soirée, personne ne m’adressait la parole ni ne prenait le temps de me regarder, sauf peut-être un peu les enfants qui me jetaient des regards curieux.

J’ai donc installé ma tente et attendu au lendemain. Le lendemain matin, après avoir répété mon désir de donner un coup de main, la fille du ka nikaniwitc m’a demandé d’aller chercher des branches de sapin avec elle et son mari. Ils m’ont toutefois demandé d’utiliser mon propre véhicule (même s’il y avait amplement d’espace dans leur camion). Progressivement, je sentais que la méfiance et la suspicion que les gens semblaient me porter s’amenuisaient peu à peu. Elles se sont enfin dissipées au courant de cette deuxième journée, lorsque le ka nikaniwitc est arrivé au campement et a pu expliquer ma présence aux membres de sa famille. La conjointe du ka nikaniwitc m’a alors offert à manger des côtes d’orignal avec du pakwecikan. J’étais affamé! Par la suite et dans les journées subséquentes, j’ai pu prendre part à diverses activités et il me semblait que des

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barrières étaient finalement tombées; que je pouvais « entrer en relation ». Ce n’est que le dimanche, soit quatre jours après mon arrivée que j’ai appris la raison pour laquelle la famille avait été méfiante face à mon arrivée. La conjointe du ka nikaniwitc m’a alors raconté que sa famille avait eu peur de moi à mon arrivée. Ils ne s’attendaient pas à voir quelqu’un, encore moins un étranger. Elle me raconte qu’un homme d’Opitciwan était décédé quelques mois plus tôt à son campement. Son chalet est passé au feu. Il était arrivé la même chose à Mistassini (eeyou istchee) quelques semaines auparavant; un groupe de jeunes eeyouch a péri dans un chalet suite à un incendie. La femme m’a souligné qu’elle ne pouvait pas être certaine de ce qui s’est vraiment passé lors de ces incidents, mais elle a entendu certaines personnes dire qu’elles ont vu un homme seul rôder près des chalets incendiés. La nuit de mon arrivée, la fille du ka nikaniwitc n’a pas pu fermer l’œil. Elle avait peur que ma présence soit annonciatrice d’une tragédie semblable.

La présence de l’étranger, du mantew, est nécessairement interprétée à partir des expériences personnelles et des récits familiaux des hôtes. Dans la perspective des membres de cette famille, le fait qu’un étranger soit seul peut apporter un lot de questionnements et de craintes. Différents récits recueillis au cours des dernières décennies font mention de personnages malveillants circulant en solitaire en forêt et dont les actions portent de mauvaises intentions. Ces personnages peuvent être par exemple des personnes ostracisées et exclues de leurs réseaux familiaux en raison de comportements répréhensibles (selon le droit coutumier). Une fois ostracisées, ces personnes sont parfois perçues comme possédant des pouvoirs maléfiques et épris d’un désir de vengeance. Il peut s’agir aussi de ka makate icihontc21, un homme sombre rôdant dans la forêt et dont la

21 En racontant l’épisode du campement quelques semaines plus tard à un homme de Manawan, celui-ci me dit que les femmes pensaient peut-être que j’étais ka makate icihontc, (un homme

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présence est annonciatrice de tragédies. Bref, les interprétations du rôle et du statut de ces étrangers solitaires peuvent varier, mais seront nécessairement en lien avec l’expérience vécue et les récits familiaux qui réunissent un ensemble important de pratiques et de principes normatifs et peuvent fournir des matériaux importants pour mieux saisir et documenter le droit coutumier autochtone. Par exemple, comme il sera exposé dans le chapitre suivant, l’ostracisme – l’exclusion de la personne des réseaux de solidarités – s’avère être une sanction liée à une transgression des règles et à une rupture dans l’harmonie sociale des familles. Même si les effets de cette sanction sont différents aujourd’hui, l’exclusion sociale est encore pratiquée22 (voir chapitre 3).

Comme j’ai tenté de l’expliquer à partir de ces exemples, mes rencontres avec mes interlocuteurs ont parfois occasionné des incompréhensions, des malentendus. Ces malentendus peuvent toutefois être productifs (Sahlins [1985]1989, Hartog 2003, Viveiros de Castro 2004, Fassin et Bensa 2008,

Holbraad 2009, Holbraad et al. 2014 et Salmond 2014). Dans mon cas, ces malentendus, une fois travaillés et décortiqués, m’ont permis de m’ouvrir et d’entrer en relation (partielle) avec les univers de sens et les pratiques et principes

sombre qui rôde en solitaire dans la forêt autour de la communauté de Manawan). On m’explique que la visite de ce « rôdeur solitaire » est souvent le présage d’une tragédie. Des jeunes de la communauté de Manawan se sont inspirés de ce récit qu’on leur a raconté pour en faire un court métrage (voir Ka makate icihontc, Anthony Quitich-Ottawa, Wapikoni mobile, Manawan, 2015 : http://www.wapikoni.ca/films/ka-makate-icihontc-lhomme-en-noir). Dans ce vidéo, on aperçoit le rôdeur, l’homme en noir, dans la forêt et dans la communauté de Manawan. Des jeunes partent à la chasse, ils ne voient pas eux-mêmes le rôdeur, mais une tragédie survient. Par accident, un des jeunes fait feu sur un autre et ce dernier meurt. Les jeunes repartent et laissent le corps de leur ami en forêt. L’incident n’est pas commis ici par Ka makate icihontc, mais la seule présence de ce dernier annonce comme elle provoque la tragédie. 22 Pour donner un exemple récent, à l’automne 2016 le conseil de bande d’Opitciwan a voté un règlement visant à expulser de la communauté toutes les personnes pratiquant la vente de stupéfiant. À ma connaissance, la pratique de l’exclusion est encore très courante aujourd’hui. On peut expulser des communautés des personnes ayant commis des agressions sexuelles, par exemple.

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normatifs nehirowisiwok. En d’autres mots, au lieu de considérer l’incompréhension et le malentendu comme étant des obstacles au travail ethnographique, j’espère plutôt les rendre productifs et les inclure comme matériaux analytiques dans cette recherche doctorale.

2.5. La recherche collaborative

En plus de favoriser une approche ontologique et expérientielle, cette recherche doctorale s’inspire de la démarche collaborative largement développée en anthropologie. L’approche collaborative, qui partage certaines de ses caractéristiques principales avec l’approche participative, la recherche-action, l’anthropologie engagée et la community-based research, est fondée sur le désir du ou des chercheurs de développer leur recherche selon les intérêts et les savoir- faire des populations locales (Lassiter 2005, Sillitoe 2012). Cette approche implique explicitement un processus de co-construction et de co-production des savoirs. Cette approche favorise ce que Roy Wagner (1981) et Stuart Kirsch (2006) nomment l’anthropologie inversée (reverse anthropology) qui replace l’analyse selon le point de vue des interlocuteurs et des partenaires autochtones.

En ce sens, dans une approche collaborative, les chercheurs doivent faire preuve d’une certaine flexibilité intellectuelle ou d’un assouplissement de la pensée afin d’être attentifs aux orientations culturelles, aux univers normatifs et aux conceptualisations partagées par les partenaires à la recherche (Tedlock 1979,

Wagner 1981, Fabian 2001, Viveiros de Castro 2004, Kirsh 2006, Fassin et Belsa 2008, Goulet 2011b, Sillitoe 2012, Holbraad et al. 2014, Salmond 2014). Enfin, à

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l’instar de plusieurs de mes interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok m’ayant partagé leurs réflexions sur la recherche universitaire menée auprès d’eux, je pense que la réussite d’un projet collaboratif tient également et surtout au fait que tous les partenaires trouvent leur compte dans la recherche ; que les processus de la recherche comme ses retombées soient significatifs pour eux. Cela implique une certaine complicité entre le chercheur et ses interlocuteurs qui acceptent de s’ouvrir et de partager leurs visions et leurs attentes.

L’avènement de l’approche collaborative en anthropologie survient dans le tournant des années 1960 et 1970 à la suite de prises de conscience et de critiques faites par des membres de sociétés autochtones las d’être faussement représentés dans les travaux de chercheurs allochtones (Charest 2005 :116-118). Au Québec, cette approche a fait ses preuves dans la réalisation de recherches effectuées en partenariat avec des populations autochtones, comme les Innus et les Atikamekw Nehirowisiwok. Par exemple, dans le cadre du projet de recherche sur l’occupation et l’utilisation du territoire atikamekw-montagnais (projet CAMROUT) au début des années 1980, une équipe d’anthropologues était accompagnée de 54 « chercheurs locaux » agissant à titre de médiateurs culturels autochtones entre leur propre groupe et les anthropologues (Charest 2005 :121-

124). En plus de faciliter la collecte d’informations et le dialogue avec les membres des communautés innues et atikamekw nehirowisiwok, l’approche collaborative mise de l’avant dans le cadre de ce projet a permis un réel partage des connaissances et des compétences. Elle a permis à des membres de communautés autochtones de suivre une formation et de développer des compétences en recherche, comme elle a permis aux autorités politiques du

Conseil attikamek-montagnais (CAM) de documenter l’occupation et l’utilisation du

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territoire des communautés innues et atikamekw nehirowisiwok dans le cadre de leurs revendications territoriales globales (Charest 2003, 2005)23.

Ma recherche doctorale fait partie du projet de recherche collaboratif Territorialités autochtones postcoloniales, transmission et autonomie. La Nation atikamekw et l’univers forestier (CRSH 2012-2015) dirigé par Sylvie Poirier (Université Laval) en collaboration avec le Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw (CNA). Ce projet a comme objectif principal de décrire et de comprendre le dynamisme de la tradition nehirowisiw et les modalités de cohabitation et de négociation entre les

Atikamekw Nehirowisiwok et les Allochtones en lien avec les questions territoriales. Il fait suite au projet collaboratif Atikamekw Kinokewin – La mémoire vivante atikamekw. Mise en valeur et transmission des savoirs atikamekw liés au territoire (CRSH 2006-2010, programme Réalités autochtones) co-dirigé par Sylvie

Poirier et des membres du CNA, projet dans lequel s’est inscrit mon projet de recherche à la maîtrise (2008-2010). Le projet Atikamekw Kinokewin avait comme objectif principal de documenter, de réactiver et de consolider les savoirs nehirowisiwok liés au territoire et d‘en favoriser la mise en valeur et la transmission. À cet égard, il a permis de mettre en place des mécanismes de valorisation et de transmission des savoirs locaux adaptés au contexte actuel

(outils pédagogiques audiovisuels et interactifs, campement intergénérationnel au sein d’un territoire de chasse [camps Kinokewin]) et sensibles aux attentes et aux aspirations des jeunes générations autochtones (Poirier 2014, Poirier et al. 2014).

23 Comme le mentionne Paul Charest (2005), aucune publication de type académique découlant du projet CAMROUT n’a été rendue publique jusqu’à maintenant. La raison est que ces travaux demeurent la propriété du Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw (CNA) et sont utilisés et appropriés comme outil politique et juridique dans le cadre des revendications territoriales globales en cours. Les documents sont conservés au Centre d’archives du CNA et une autorisation du CNA doit être émise pour pouvoir les consulter.

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Les objectifs de ces projets de recherche ont été élaborés conjointement par des membres du CNA et la chercheuse principale (Sylvie Poirier). Le partenariat établi dans le cadre de ces projets propose une participation active des Atikamekw

Nehirowisiwok tout au long du processus de la recherche. Dans le cadre de ces projets, plusieurs étudiants atikamekw nehirowisiwok ont été embauchés afin de réaliser un travail de recherche s’inscrivant dans les orientations et les objectifs du projet, mais aussi selon les intérêts particuliers des étudiants. À certaines occasions, ces étudiants ont joué le rôle de médiateurs culturels entre les chercheurs allochtones et les interlocuteurs autochtones.

Comme nous l’avons vu dans cette section, ce processus de collaboration est issu d’une relation construite depuis la fin des années 1970 entre des anthropologues et des membres de la Nation atikamekw nehirowisiw ; relation qui a permis de consolider des liens de confiance entre les chercheurs allochtones et médiateurs culturels autochtones. L’anthropologue Paul Charest, qui possède une large expérience dans la recherche collaborative auprès des Atikamekw Nehirowisiwok et des Innus, qualifie sa démarche de recherche auprès de ces groupes non seulement comme de l’anthropologie appliquée, mais aussi de « l’anthropologie impliquée » : « une anthropologie engagée vis-à-vis des groupes minoritaires et non pas neutre, position qui sert surtout les intérêts des groupes dominants » (Charest 1982 :11 ; 2005 :121). Les liens de confiance entretenus et les efforts menés par plusieurs anthropologues et des membres du CNA depuis les années 1970, que ce soit pour favoriser le développement des compétences locales, développer les outils adéquats pour mener à terme les négociations territoriales globales et acquérir les moyens pour cheminer vers une réelle autodétermination, ont contribué et contribuent encore à ce que l’anthropologie appliquée devienne également une anthropologie impliquée (Charest 2005, voir également Asch 2001;

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2015, Waldram 2010 et Noble 2015). Dans le cadre de mon processus de recherche doctorale, je m’attarde à conserver ces liens de confiance entre anthropologues de l’Université Laval et membres de la Nation atikamekw nehirowisiw, relations qui ont mis des années à se construire et qui demeurent encore fragiles. L’approbation écrite du CNA, des conseils de bandes de Manawan et d’Opitciwan et des Comités d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université Laval (CÉRUL) a été obtenue préalablement au terrain ethnographique. Cette démarche s’accorde avec les principes énoncés dans le Protocole de recherche élaboré par l’Assemblée des Premières Nations du

Québec et du Labrador (APNQL 2014) et dans l’Énoncé de politique des trois conseils (CRSH, en ligne) qui visent à assurer l’acceptabilité sociale et scientifique de la recherche et la collaboration essentielle au transfert des connaissances entre les communautés des Premières Nations et les chercheurs.

2.6. Les partenaires à la recherche

Cette recherche doctorale a été menée en partenariat avec le Secrétariat au territoire et la Table culturelle du CNA. Dans le cadre de ce partenariat, une quinzaine de rencontres ont eu lieu avec des membres du Secrétariat au territoire, de la Table culturelle et des consultants responsables du projet d’élaboration du code de pratiques nehirowisiw (orocowewin notcimik itatcihowin) (voir calendrier des séances de travail et de collecte d’informations, annexe 6). Les premières rencontres (automne 2013 et hiver 2014) m'ont permis de discuter de mon projet et de prendre connaissance des intérêts, des besoins et des commentaires relatifs à la recherche exprimés par des membres de la Nation atikamekw nehirowisiw. Les

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rencontres effectuées à partir de l’automne 2014 et de l’hiver 2015 visaient plus précisément à documenter le processus d’élaboration du code de pratiques auprès des consultants embauchés à cet effet par le Secrétariat au territoire et à valider les informations recueillies sur le terrain. Ces rencontres m’ont permis de prendre connaissance des démarches entreprises, des étapes franchies et à franchir et de certains enjeux rencontrés dans ce processus. Les rencontres effectuées auprès de membres du Secrétariat au territoire et des consultants embauchés dans le cadre de l’élaboration du code de pratiques m’ont enfin permis d’articuler ma recherche doctorale en lien avec les démarches actuellement en cours, d’être en contact avec des interlocuteurs-clés et de participer aux activités de consultation organisées dans le cadre de ces démarches.

La démarche collaborative entretenue avec le Secrétariat au territoire et la Table culturelle du CNA vise à ce que cette recherche doctorale puisse apporter une certaine contribution à l’organisation ainsi qu’à l’ensemble des membres de la

Nation atikamekw nehirowisiw. Avec l’accord des interlocuteurs, les enregistrements audio et vidéo réalisés auprès d’aînés des communautés d’Opitciwan et de Wemotaci (voir section 2.7.2) sont transmis au Centre d’archives du CNA. Toujours avec l’accord des participants à la recherche, les enregistrements audio et vidéo effectués auprès d’aînés d’Opitciwan (voir section 2.7.2), ont également été transmis au service éducatif de l’école secondaire de la communauté avec l’idée qu’ils puissent servir d’outils pédagogiques pour les jeunes qui voudraient approfondir leur connaissance de la langue et des récits familiaux faisant partie de la sphère publique.

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Lors d’échanges informels avec des membres du CNA, il a été discuté de la pertinence d’établir un lexique nehiromowin24/français pour le code de pratiques nehirowisiw (voir annexe 1). Lors de mes séjours sur le terrain au sein des communautés, j’ai travaillé avec des technolinguistes afin d’identifier certaines conceptions normatives nehirowisiwok pouvant être homéomorphes à certains concepts juridiques occidentaux (dans la perspective d’établir des bases de comparaison). J’ai également formé un groupe de travail avec des membres du

Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw pour développer ce lexique. L’exercice mené par le groupe de travail vise à mettre en valeur les conceptions nehirowisiwok liées aux responsabilités et aux droits territoriaux et à bonifier les travaux entourant le code de pratiques et les négociations territoriales menés par les membres du CNA et de la Table des négociations. Des séances de travail avec des membres du comité sur le code de pratiques nehirowisiw et des membres de la

Table des négociations ont également eu lieu afin d’échanger avec eux sur notre exercice et de valider l’utilisation, des définitions et des traductions de termes français et nehiromowin (voir calendrier des séances de travail, annexe 6). Avec l’aide de Nicole Petiquay, technolinguiste du CNA, nous nous sommes attardés à l’étymologie de certains termes nehirowisiwok préalablement identifiés.

À partir d’une recherche aux archives, j’ai pu retrouver un document proposant des termes de référence dans le cadre du processus d’élaboration de la Constitution de Nitaskinan25. Ce document, réalisé par Gilles Ottawa pour le compte du CNA

24 La langue des Atikamekw Nehirowisiwok. 25 À l’instar du code de pratiques, le projet d’élaboration de la Constitution de Nitaskinan s’inscrit dans le processus de négociation territoriale globale et de mise en place d’un gouvernement autonome, projets dans lesquels sont engagés les Atikamekw Nehirowisiwok. Comme il est expliqué dans cette thèse, ces projets collectifs (orocowewin) se développent, prennent formes et se réactualisent sans cesse depuis plusieurs années (depuis le milieu des années 1970) dans des rencontres communautaires et intercommunautaires et dans des travaux de recherche menés par

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(1998), a été utilisé comme document de base pour entamer les discussions avec les membres du groupe de travail sur le code de pratiques (mai 2015). Ce document a été par la suite comparé à d’autres documents plus récents utilisés dans les négociations territoriales26 pour nous aider dans nos échanges sur le lexique. Ce lexique s’est élaboré en partenariat avec des membres du CNA tout au long de l’analyse et de la rédaction de la thèse, l’idée étant de mettre en valeur les conceptions normatives autochtones dans l’analyse ethnographique.

Lors de mes séjours sur le terrain (voir section 2.7.2 et annexe 6), j’ai pu prendre part à diverses assemblées et rencontres au sein des communautés : rassemblement des aînés (Manawan, septembre 2014), rencontres de consultation concernant le Bill C-9 (Opitciwan, septembre 2014 et février 2015), colloques territoriaux (Wemotaci, octobre 2014 et Opitciwan, juin 2015) et camp Kinokewin

(Kikentac, juillet 2015). Les rencontres de consultation concernant le Bill C-927 se déroulaient principalement en français puisqu’elles étaient animées en partie par un avocat (allochtone) embauché par le conseil de bande. Les autres rassemblements se déroulaient en nehiromowin, avec un service de traduction simultanée vers le français lors du colloque territorial se déroulant à Wemotaci. Il n’y avait pas de traduction simultanée pour le rassemblement à Manawan et le colloque territorial à Opitciwan, mais j’ai pu avoir l’aide d’un interprète lors de ce dernier (Opitciwan, juin 2015), ce qui a grandement facilité ma compréhension des

des consultants et assistants de recherche autochtones. Malgré les ressources (humaines et financières) limitées, ces projets participent également à la transmission des savoirs, des principes et pratiques normatifs liés aux activités en forêt. Nous y reviendrons tout au long de la thèse et plus en détail dans le chapitre 7. 26 Il s’agissait souvent de documents préparés par des consultants ou des membres de la Table des négociations dans les processus de consultation auprès des membres de la Nation atikamekw nehirowisiw. 27 Le Bill C-9 implique l’extinction des droits ancestraux autochtones sur le territoire indiqué dans la Convention de la Baie-James (1975).

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échanges puisque je ne maîtrise pas le nehiromowin. Dans le cadre de ce colloque, j’ai d’ailleurs été invité par le Secrétariat au territoire à présenter mon projet de recherche doctoral. J’avais déjà eu l’occasion de le présenter au conseil de bande d’Opitciwan (mai 2014), au chef de bande de Manawan (septembre 2014) et de Wemotaci (octobre 2014), dans une entrevue à la radio communautaire d’Opitciwan (juin 2014) et à la radio communautaire de Wemotaci (juillet 2015), mais contrairement aux autres communications – où je décrivais mes intérêts et objectifs de recherche –, la présentation effectuée lors du colloque d’Opitciwan m’a permis de faire état des résultats préliminaires de ma recherche, tout en les validant auprès des participants. Cette présentation, traduite en nehiromowin à l’aide d’un interprète, a par la suite été diffusée à la radio communautaire des trois communautés et à la Société de communication atikamekw-montagnais (SOCAM).

Ma participation à ces rassemblements a été très enrichissante. Dans l’ensemble, ces rassemblements permettent aux Atikamekw Nehirowisiwok de réfléchir et d’échanger sur leur avenir et sur les stratégies politiques et culturelles à emprunter pour eux-mêmes et vis-à-vis de leurs interlocuteurs allochtones. Les colloques territoriaux visaient à discuter du contenu du code de pratiques nehirowisiw, des moyens à mettre en place pour le faire respecter et du modèle politique souhaité d’un gouvernement autonome atikamekw nehirowisiw. Ces mobilisations offrent l’opportunité à chaque personne d’exprimer sa vision selon ses expériences personnelles et sa propre interprétation des dynamiques politiques et des relations de pouvoir entretenues à travers le temps (entre leur famille et d’autres familles, entre leur famille et l’industrie forestière, entre leur famille et les chasseurs sportifs et les pourvoyeurs, entre leur communauté et d’autres communautés, etc.). Bien que certaines expériences et interprétations des dynamiques politiques semblent

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contradictoires ou en opposition à d’autres – selon mon regard – il n’en est pas nécessairement ainsi pour mes interlocuteurs qui semblent très bien s’accommoder de la pluralité des perspectives et d’une définition de la « vérité » comme étant non pas unitaire et figée, mais multiple et dynamique, liée à l’expérience de la personne et aux récits familiaux. Ces rassemblements réunissant des membres de toutes les générations favorisent aussi le dialogue intergénérationnel et la transmission des savoirs familiaux (voir chapitre 7). Les discussions, témoignages et récits familiaux sont largement diffusés dans les communautés par le biais des radios communautaires et de la Société de communication atikamekw-montagnais (SOCAM) pour les personnes ne pouvant se déplacer à ces évènements.

2.7. La collecte et l’analyse des informations

2.7.1. La recherche documentaire

Deux types de collecte de matériaux sont mis de l’avant dans le cadre de cette étude : la recherche documentaire et la recherche ethnographique. La recherche documentaire s’est déroulée principalement au centre d’archives du CNA à La Tuque (Québec, Canada), établissement qui a conservé un nombre considérable de travaux, mémoires et rapports de recherche liés de près ou de loin aux droits coutumiers, code de pratiques et revendications territoriales chez les Atikamekw

Nehirowisiwok. Parmi ces travaux, notons les quatre rapports du Conseil Atikamekw-Montagnais (Brassard et Castonguay 1983, Castonguay 1983,

Dandenault 1983 et Léger 1983) issus de la Recherche sur l’occupation et l’utilisation du territoire (CAMROUT). J’ai pu également consulter certaines

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transcriptions manuscrites d’entrevues réalisées dans le contexte de cette recherche. Les enregistrements audio issus de cette recherche se trouvent toujours au Centre d’archives, mais la grande majorité des entrevues n’a pas encore été numérisée et la qualité des enregistrements risque de diminuer avec le temps. Il y aurait ici un travail important à faire, je pense, pour numériser et conserver ces enregistrements avant que la qualité sonore ne soit trop détériorée.

À l’instar des rapports du projet CAMROUT, d’autres travaux réalisés ou commandés par le Conseil de la Nation ont été consultés pendant cette recherche doctorale. Je pense notamment aux travaux de l’Association Mamo Atoskewin Atikamekw (1992, 1993), les travaux sur le droit coutumier et le code de pratiques

(Léger 1999, Poirier et Niquay 1999, Basile 2008, Neashit 2010a; 2010b, CNA 2015a; 2015b; 2015c) et les rapports issus de consultations et colloques territoriaux (CNA 1993, 1996, 2012). En accord avec la Politique-cadre d’accès aux archives du Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw (CNA 2006), certains de ces travaux ont pu être cités dans cette thèse et d’autres ont pu faire objet de consultation seulement et ne pouvaient être cités. Même si certains travaux n’ont pu être mobilisés et étudiés de manière approfondie dans cette thèse (en conformité avec la Politique-cadre), la consultation de ces documents a certainement été bénéfique dans cette recherche puisqu’elle m’a permis d’identifier certains enjeux et savoirs territoriaux et politiques soulevés et documentés de manière récurrente par les membres de la Nation depuis le début des années 1980. Ce qui m’a permis, dans l’étude ethnographique, d’articuler mes discussions autour de certains de ces enjeux et de produire de nouvelles données qui répondent aux projets politiques et culturels actuels de mes partenaires à la recherche. L’analyse exposée dans cette thèse est donc issue majoritairement de mes propres données ethnographiques recueillies sur le terrain et venant appuyer

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et enrichir les travaux réalisés ou commandés par le CAM et le CNA depuis le début de leurs démarches de négociation territoriale globale (1979).

2.7.2. La recherche ethnographique

La recherche ethnographique s’est réalisée auprès d’aînés28, de ka nikaniwitcik, de chasseurs des trois communautés atikamekw nehirowisiwok et de personnes impliquées dans les négociations territoriales et dans l’élaboration du code de pratiques nehirowisiw en tant que membres du CNA, de la Table des négociations, des conseils de bande ou en tant que consultants (voir grilles d’observations et d’entretiens, annexe 5). Le statut, le rôle et les responsabilités de ces personnes ne sont pas exclusifs au sens où mes interlocuteurs pouvaient à la fois être identifiés comme « aînés », « ka nikaniwitcik », « chasseurs », et « représentants politiques29 » impliqués dans les négociations territoriales et dans l’élaboration du code de pratiques nehirowisiw. D’ailleurs, et nous aurons l’occasion d’y revenir plus longuement dans les parties suivantes de cette thèse, les « aînés » et les « ka

28 Le terme « aîné » est employé par les Atikamekw Nehirowisiwok pour parler des personnes qui ont vécu le mode de vie nomade et qui séjournaient la grande partie de l’année au sein de leur territoire de chasse familial. Ces personnes n’ont jamais fréquenté les pensionnats. Dans cette thèse, je distingue « aîné » et « jeune aîné » (distinction apportée par plusieurs de mes interlocuteurs). Le concept de « jeune aîné » est utilisé pour nommer les personnes âgées dans la soixantaine et qui ont fréquenté les pensionnats autochtones. Il s’agit de la génération qui remplace graduellement les « aînés » dont le nombre diminue d’année en année. Un « jeune aîné », ayant vécu les pensionnats et un mode de vie plus sédentaire m’avait déjà fait cette remarque : « Comment on va s’appeler, nous, quand les aînés seront partis ? Est-ce que c’est nous qui allons prendre leur place ? Nous qui avons vécu les pensionnats ? Est-ce que nous pourrons, nous aussi, être des aînés? C’est la question que je me pose » (Wemotaci iriniw, juillet 2015). 29 Ici, le terme « représentants politiques » réfère aux personnes qui actuellement ou par le passé ont occupé un poste de représentant politique élu dans un Conseil de bande ou au Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw ou qui ont occupé un poste (non élu) au sein de la Table des négociations du CNA.

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nikaniwitcik » sont des personnes dans les communautés qui possèdent une parole d’influence. Les intervenants des communautés dans les divers secteurs, comme la santé, l’éducation ou la politique, vont régulièrement chercher conseils auprès de ces personnes qui sont reconnues pour leurs savoirs reliés à la vie sociale traditionnelle. Leur statut et leur parole d’influence font aussi en sorte que les actions des intervenants, lorsque soutenues par ces personnes influentes, gagnent en légitimité aux yeux des membres des communautés atikamekw nehirowisiwok. Les aînés et les responsables territoriaux avec lesquels j’ai pu réaliser des entretiens formels sont également interpellés par des membres des conseils de bande et du CNA dans le cadre de leurs travaux de consultation en lien avec différentes thématiques, mais particulièrement en lien avec les questions territoriales, les questions linguistiques et les questions politiques et identitaires. Étant donné leur statut et leurs bagages de connaissances, mes interlocuteurs sur le terrain m’ont régulièrement recommandé à ces personnes ressources.

Pendant la recherche, j’ai eu recours à des assistants et à des partenaires de recherche pour m’aider à la traduction des entrevues et des récits. Toutefois, le rôle de ces assistants et de ces partenaires de recherche a été bien au-delà de la traduction et de l’interprétation des récits des aînés. Ces assistants de recherche, qui m’ont été recommandés pour leurs capacités de traduire, mais surtout de dialoguer et de naviguer entre les savoirs autochtones et allochtones, ont apporté une contribution capitale à cette recherche. En plus de traduire et d’apporter leur aide dans le travail d’analyse et d’interprétation, ils m’ont permis de connaître les réseaux et récits familiaux, de rencontrer les aînés et d’articuler mes questions de recherche dans des termes et logiques qui avaient du sens et qui étaient adaptés en fonction de l’expertise et du rôle reconnus pour chacun des aînés et des ka nikaniwitcik rencontrés (voir chapitres 4, 5 et 7).

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À certaines occasions, ces assistants de recherche m’ont mentionné que : « les aînés choisissent à qui et à quel moment ils transmettent leurs savoirs et leurs récits. Il suffit d’être à l’écoute »… Il n’est pas dans le tempérament d’un chercheur qui fait un séjour de quelques semaines ou quelques mois dans une communauté de juste « attendre » que les interlocuteurs viennent à nous pour nous transmettre une partie de leurs expériences et de leurs savoirs. Nous arrivons déjà sur le terrain avec une longue liste de questions (souvent mal formulées) et espérons y répondre, au moins en partie. La beauté de la chose est que les expériences du terrain sont imprévisibles et même si les interrogations préalablement construites peuvent demeurer tout à fait pertinentes, il y a tout un apprentissage à faire pour savoir comment y répondre, qui aller voir, quelle approche utiliser, quels termes employer, etc. Il y a tout un apprentissage aussi à faire sur les conceptions locales de l’autorité à reconnaître et à rendre compte dans la recherche en contexte autochtone (Moore 2001, Barth 2002, Charest 2005, Éthier 2010, Ottawa 2012). Nous reviendrons sur cette question dans le chapitre 7.

Le travail ethnographique au sein des trois communautés a débuté au mois de juin

2014 et s’est échelonné jusqu’au mois de septembre 2015. Les données ont été recueillies quotidiennement dans un carnet de bord dans lequel j’ai transcrit mes observations et informations pertinentes issues de mes expériences et de mes échanges informels avec mes interlocuteurs et lors de ma participation à des activités en forêt et en communautés (annexes 5 et 6). 22 entretiens formels ont été réalisés auprès d’aînés des communautés d’Opitciwan et de Wemotaci dans leur langue maternelle (nehiromowin). La plupart de ces aînés rencontrés avaient également le statut de ka nikaniwitc. Certains, n’ayant plus la capacité physique de remplir leur responsabilité territoriale ont transmis leur responsabilité et leur statut à un membre de leur famille. Les entretiens ont été enregistrés à l’aide d’un

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magnétophone numérique et certains ont également été filmés. Dans le cadre des entrevues menées à l’été et à l’automne 2014, les interlocuteurs ont été invités à discuter des règles coutumières appliquées dans la pratique des activités en forêt.

Les interlocuteurs se référaient à leurs propres expériences de vie et aux valeurs qui leur ont été transmises. Régulièrement, dans le cadre de ces entretiens, les interlocuteurs discutaient de leur occupation territoriale, des changements survenus sur le territoire (coupes forestières, apparition des baux de villégiatures, inondations, construction de lignes électriques) et des changements survenus dans leur mode de vie (sédentarisation, nouvelles technologies, nouveaux moyens de transport) (voir grilles d’observations et d’entretiens, annexe 5). Ces informations ont permis de faire valoir le point de vue de familles atikamekw nehirowisiwok sur l’histoire, les règles coutumières reliées à la vie en forêt et sur leur relation avec le monde moderne et les acteurs et institutions allochtones.

À la suite d’une suggestion faite par un interlocuteur atikamekw nehirowisiw, me proposant de penser le droit coutumier nehirowisiw à partir des récits fondateurs (kitci atisokana), les entretiens réalisés à l’hiver 2015 (janvier et février 2015) à

Opitciwan visaient à recueillir ce genre de récits. La réponse des interlocuteurs a été positive et les données recueillies ont apporté une nouvelle dimension à cette recherche. À la même période, la radio communautaire d’Opitciwan m’a généreusement offert des copies audio d’une soixantaine de récits fondateurs (kitci atisokana) et de récits de vie (tipatcimowina) recueillis dans les dernières décennies auprès d’aînés des trois communautés. À l’aide d’un interprète, j’ai pu

écouter ces récits et en faire des résumés en français. J’ai enfin pu comparer ces récits avec ceux recueillis par d’autres chercheurs depuis les années 1930

(Documentation Cooper, Collection Camille Guy, Claude Lachapelle, Yves Léger, Services éducatifs Opitciwan). Ces récits ne sont pas analysés isolément, mais

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viennent compléter et appuyer l’analyse ethnographique présentée dans cette thèse. Comme il sera plus longuement exposé dans le chapitre 4, l’exercice de traduction et d’interprétation de ces récits comporte plusieurs enjeux dont il faut tenir compte afin d’éviter les distorsions et de respecter la flexibilité, le dynamisme et les dimensions expérientielles et politiques de la transmission des savoirs normatifs par le biais de la tradition orale (Jackson [2002]2013, 2005).

2.8. Le biais de genre

Les entrevues enregistrées pendant cette recherche ont été réalisées presque exclusivement avec des hommes. Les deux seules femmes ayant participé de cette manière le firent en compagnie de leur mari. Le point de vue des femmes présenté dans cette thèse est donc majoritairement issu de mes échanges avec elles dans un contexte informel. Il y a certainement un biais de genre ici que je ne peux nier et je suis tout à fait conscient que la parole des femmes atikamekw nehirowisiwok aurait mérité plus d’attention de ma part.

La sphère des négociations territoriales chez les Atikamekw Nehirowisiwok est surtout occupée par des hommes (âgés dans la cinquantaine et dans la soixantaine)30. Ces personnes se réfèrent continuellement à des aînés majoritairement masculins n’ayant pas fréquenté les pensionnats puisqu’ils sont reconnus comme détenant des expériences et des savoirs profondément ancrés

30 Il est toutefois à noter qu’en 2016 la Table des négociations du CNA était majoritairement constituée de femmes. Aussi, j’invite les lecteurs à visionner ce très beau court-métrage intitulé Kitci Nehirowiskwew (la grande femme atikamekw nehirowisiw) réalisé par Élisa Moar et Sipi Flamand et portant sur le rôle de certaines femmes dans le système d’autorité territoriale nehirowisiw : http://www.wapikoni.ca/films/kitci-nehirowiskwew-la-grande-dame-atikamekw

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dans un mode de vie traditionnel en forêt. Certaines femmes aînées sont

également consultées par les acteurs politiques dans le cadre des négociations territoriales, mais il s’agit d’une minorité. Comme l’a d’ailleurs mentionné une femme de Wemotaci lors du colloque territorial (Kicawatcitatan kistaskino) d’Opitciwan au mois de juin 2015 :

J’ai lu le document [« Principes territoriaux »] et je regrette de ne pas avoir été toujours présente durant les travaux d’élaboration de ce document. Je vais donc vous parler de quelques items que je voulais vous faire part. D’abord, concernant les principes territoriaux, ce sont les responsables de territoires familiaux [ka nikaniwitcik] qui vont en bénéficier. Mais il y a un élément qui me fait réfléchir. Je pense qu’on devrait mettre plus d’informations sur les femmes : inclure leurs savoir- faire, leurs capacités d’élever leurs enfants dans le bois. Les femmes aussi savent faire beaucoup de choses quand elles cohabitent avec leur conjoint dans le bois.

Comme l’a souligné cette femme présente au colloque, il va sans dire que les savoirs des femmes en lien avec les activités en forêt ne sont pas suffisamment pris en compte et discutés dans la sphère du politique et des négociations territoriales. L’accent est mis plutôt sur le rôle et les responsabilités des ka nikaniwitcik, statut presque exclusivement réservé aux hommes.

Sur le terrain, j’accompagnais régulièrement des hommes dans leurs activités en forêt (activités de chasse, de pistage, d’aménagement des sites de campement), mais plus rarement des femmes (sauf en présence de membres de leur famille ou d’une femme allochtone [emitcikocikwecic]). Comme il en sera mention lors des chapitres suivants, ces expériences en forêt avec mes hôtes ont été déterminantes pour cette recherche. Elles m’ont permis d’approfondir mes relations avec mes interlocuteurs au sein de leur univers forestier, de leur lieu

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d’appartenance et d’origine. Comme plusieurs interlocuteurs me le répètent souvent : « Si tu veux nous connaître, connaître notre langue, notre mode de vie, tu dois venir avec nous sur notre territoire [notcimik] ». J’ai alors avec enthousiasme accepté les quelques invitations m’ayant été lancées31.

Mes expériences de terrain au sein des communautés atikamekw nehirowisiwok m’ont enseigné que le domaine des femmes est moins accessible pour un chercheur masculin. Pour donner un exemple concret, il m’était impossible de demeurer dans une des familles d’accueil lorsque je m’y retrouvais seul avec la femme qui occupait la maison afin d’éviter toute fausse rumeur de la part des gens de la communauté. Une des familles d’accueil dans laquelle je séjourne parfois est très sensible aux rumeurs circulant dans la communauté et j’ai pu prendre connaissance de toute une série de stratégies visant à éviter l’éclosion de rumeurs négatives à leur endroit. Il y aurait certainement beaucoup d’autres choses à dire concernant l’influence des rumeurs et de l’opinion publique sur le renforcement normatif et nous y reviendrons dans le chapitre 3. Je voulais ici avant tout souligner l’influence que peut avoir ce contexte de recherche pour un jeune homme chercheur, dont l’accès à la sphère féminine est plus limité que pour une femme chercheuse.

À l’été et à l’automne 2014, je séjournais sur le terrain avec une collègue,

Christine Tougas32. Nous avons pu, durant nos séjours de quelques semaines et dans les mois qui ont suivi, partager nos impressions, discuter des défis à

31 Le fait d’avoir mon propre véhicule entre les mois de septembre 2014 et de septembre 2015 m’a également facilité la tâche puisque je pouvais offrir le déplacement à des amis qui désiraient se rendre à leur territoire ou parcourir les chemins forestiers qui traversent leur territoire de chasse. 32 Dans le cadre de sa recherche à la maîtrise en Science des religions (UQAM), Christine s’est intéressée à la vie sociale des arbres dans la cosmologie d’Atikamekw Nehirowisiw d’Opitciwan (2016).

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surmonter pour construire des liens de confiance avec nos interlocuteurs et pour mener nos recherches respectives. Tôt à l’été 2014, avec ma collègue Christine Tougas, nous avons discuté de notre intégration et du fait que l’on passait beaucoup de temps ensemble, faisant en sorte que nous partagions régulièrement les mêmes discussions avec nos interlocuteurs, nous participions aux mêmes activités et vivions dans la même famille d’accueil. Pendant cette franche discussion, il a été reconnu que cette situation pouvait être bénéfique, mais pouvait aussi nuire à nos démarches personnelles et « individuelles » à la recherche. D’un accord commun, nous avons décidé de nous distancer, d’élargir les réseaux, les ramifications sociales, sans couper toutefois les liens entre nous et tout en continuant à partager un espace de vie commun.

À l’été 2014, une autre jeune chercheuse était présente dans la communauté d’Opitciwan et, même si nous nous concentrions chacun à notre propre recherche, les membres de la communauté avaient tendance à croire que nous travaillions ensemble. Suite à des recommandations de certaines personnes de la communauté, il nous apparut approprié de nous coordonner afin de ne pas solliciter triplement la participation des aînés à nos travaux de recherche. Cette recommandation est venue d’abord de la fille d’un aîné qui a été sollicité par chacun des chercheurs afin de réaliser un entretien. D’un accord commun, nous avons chacun tenté de cibler nos réseaux privilégiés. Mon réflexe a été de cibler les aînés et les responsables de territoires, essentiellement des hommes âgés de plus de soixante ans. Les deux femmes chercheuses se sont tournées, elles, davantage vers la sphère féminine, mais pas exclusivement. L’une a davantage travaillé avec les professionnels en santé et services sociaux de la communauté et l’autre a travaillé principalement avec des jeunes femmes et leurs aïeules. Ce contexte de recherche a également influencé mon choix de travailler davantage

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avec des hommes (aînés, ka nikaniwitcik) à l’été et à l’automne 2014.

Conclusion

Ce chapitre discute de différentes approches méthodologiques favorisées dans cette étude : l’approche ontologique et expérientielle et l’approche collaborative. Ces approches, mises de l’avant par différents auteurs, partagent un projet commun : celui de décoloniser la recherche autochtone (Smith 1999, Lassiter 2005, Charest 2005, Kirsch 2006, Clammer 2008, Sillitoe 2012, Povinelli 2012,

Salmond 2014, Hobraad et al. 2014). Plus précisément dans le contexte de cette étude, ces approches visent à mettre en valeur les conceptions normatives nehirowisiwok et à décrire les enchevêtrements et négociation des pratiques, principes et processus normatifs autochtones au sein des réseaux sociaux locaux complexes et dans leur interaction avec les institution et ordres normatifs allochtones.

La langue des Atikamekw Nehirowisiwok (nehiromowin) demeure très vivante aujourd’hui. Elle est parlée et maîtrisée par une très forte majorité des membres de la Nation. La langue est un vecteur important de l’identité nehirowisiw et j’ai souhaité, dans cette thèse, mettre en valeur les concepts locaux reliés aux savoirs normatifs autochtones. À cet égard, l’approche proposée dans cette thèse rejoint ce que Roy Wagner (1981) et Stuart Kirsch (2006) décrivent comme une

« anthropologie inversée ». En favorisant l’utilisation et l’analyse des conceptions normatives locales, cette étude met en valeur les perspectives et concepts mobilisés par les interlocuteurs et partenaires autochtones à la recherche.

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Comme nous l’avons vu dans ce chapitre, le chercheur qui tente de mettre de l’avant l’approche ontologique et collaborative se doit de dépasser ce statut d’intrus (mantew) pour intégrer en quelque sorte des réseaux d’affinités. Il se doit

également de reproduire des pratiques normatives qui étaient auparavant étrangères, tout en reconnaissant que sa propre intégration dans les diverses ramifications sociales et que sa compréhension des pratiques et des principes normatifs locaux demeurent partiels. Afin de nous aider à mieux saisir ces relations, ces connexions partielles entre les personnes, institutions et ordres normatifs, j’ai utilisé l’image du rhizome comme elle a été proposée par Deleuze et

Guattari ([1980]1997). Cette image représente bien ces ramifications extensives, non linéaires et non hiérarchiques des personnes, des institutions sociales et des ordres normatifs. Avec l’image du rhizome, Deleuze et Guattari (Op. cit.) mettent en valeur d’autres formes de représentations plus en phase avec une logique relationnelle et égalitaire.

Dans le cadre de ce chapitre, je donne quelques exemples issus de mon expérience de terrain au sein de notcimik et de l’ordre normatif nehirowisiw. Ces expériences de rencontres donnent lieu à la création de nouveaux récits élaborés à partir des subjectivités, des historicités et des pratiques et principes normatifs des interlocuteurs. Ces expériences de rencontres font état des défis et des apports auxquels peut et doit mener le dialogue entre les cultures ; la reconnaissance et la mise en valeur des régimes d’historicités, des ordres normatifs, comme du travail de comparaison et de traduction transculturelles. Nous développerons encore plus, dans la deuxième et particulièrement dans la troisième partie de cette thèse, autour de ces défis et enjeux qui sont vécus quotidiennement par mes interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok dans leurs interactions avec les acteurs allochtones avec lesquels ils cohabitent au sein de notcimik et dans leurs

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processus de négociations territoriales, épistémologiques, ontologiques et internormatives auprès des institutions étatiques. À cet égard, je mobiliserai principalement les paroles et perceptions de différents interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok, comme les aînés, les responsables territoriaux (ka nikaniwitcik) et les représentants politiques atikamekw nehirowisiwok recueillies lors de cette recherche.

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PARTIE II

NEHIROWISIW OTIPERITAMOWIN: RESPONSABILITÉS, POUVOIRS ET DROITS TERRITORIAUX CHEZ LES ATIKAMEKW NEHIROWISIWOK

Photo prise lors du campement Kinokewin, Kikentac / Tapiskwan (Opitciwan), juillet 2015.

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Chapitre 3

Les principes et modes de renforcement normatifs dans la littérature algonquiniste

Introduction

Ce troisième chapitre dresse un bilan non exhaustif des travaux menés par les chercheurs qui traitent de la question des droits coutumiers chez les groupes algonquiens. Ces travaux se sont intéressés aux pratiques et principes normatifs et aux rôles et statuts de différentes figures d’autorité qui participent à assurer la cohésion sociale des groupes de chasse algonquiens (Speck 1933, Flannery 1934; 1935, Lips 1947, Mailhot et Vincent 1980; 1982, Mailhot [1993]1999, Poirier et

Niquay 1999, Lacasse 2004, Leroux et al. 2004, Tanner 2007, Leroux 2009). Ces études démontrent comment des règles non écrites faisant partie du droit coutumier algonquien régissent les rapports sociaux et politiques entretenus entre les familles et les groupes de chasse, mais également les rapports sociaux entretenus entre les personnes humaines et non-humaines (les animaux, les plantes, les ancêtres, parmi d’autres). Ces règles forment un ensemble de pratiques normatives liées, par exemple, à la transmission des territoires de chasse, à la transmission des rôles et statuts de la personne, à la résolution des conflits, au maintien des relations harmonieuses, au partage des fruits de la chasse ou de la pêche et à la préservation des « ressources ». Cette conception du droit coutumier algonquien s’intéresse autant aux codes d’appartenance

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(modalités d’inclusion de la personne au sein des groupes sociaux), aux pratiques, processus et principes normatifs qu’aux conceptions locales de l’autorité, du pouvoir et de la justice. Enfin, ce chapitre entame un dialogue entre les études portant sur le droit coutumier algonquien et nos propres données et expériences ethnographiques menées chez l’une des Nations algonquiennes, les Atikamekw

Nehirowisiwok.

3.1. Miro watikosiwin : un bon comportement

Le terme innu minototak (et sa variante : milototak) est rapporté par Speck (1933,

[1935]1977) pour caractériser les bons agissements, les bons comportements. Dans la langue nehiromowin, on utilise le terme miro watikosiwin pour parler d’une personne ayant un bon comportement, et qui contribue grâce à ses habiletés aux réseaux de réciprocité. On s’en doute, avoir un bon comportement renvoie au respect des règles de conduite véhiculées par les familles. Ces règles sont nécessairement liées à des valeurs et à des principes normatifs. Plusieurs auteurs ayant travaillé auprès de Nations algonquiennes ont voulu documenter ces principes et pratiques normatifs qui participent à l’entretien de la cohésion sociale.

Nous présenterons donc, dans les prochaines sections, certains de ces principes et pratiques normatifs qui ont déjà été documentés et qui correspondent à nos observations faites auprès des Atikamekw Nehirowisiwok. Nous discuterons notamment des travaux de John Cooper (1925-1937, 1938), Frank Speck (1933,

[1935]1977), Regina Flannery (1934, 1935), Julius Lips (1947), Josée Mailhot et Sylvie Vincent (1980, 1982), Harvey Feit (1991b, 2000), Sylvie Poirier et Jean-

Marc Niquay (1999), Jean-Paul Lacasse (2004), Colin Scott (2004, 2007, 2013) et

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Jacques Leroux (2009). Dans les prochaines sections, nous ferons donc état d’observations faites par des anthropologues sur une période d’environ cent ans, depuis les études de Speck, en rapport avec les pratiques et principes normatifs algonquiens. Nous admettons que certaines pratiques et certains principes normatifs se sont transformés à travers le temps, ce qui laisse sous-entendre que les cultures algonquiennes sont dynamiques, qu’elles redéfinissent leurs droits coutumiers dans des rapports d’appropriation, de relecture et de différenciation culturelles (Sahlins 1999 ; 2007, Poirier 2004a). Comme nous le verrons dans les prochaines sections et les prochains chapitres, il existe toute une dynamique complexe de reproduction, de négociation et de transformation des pratiques, processus et principes normatifs. Plusieurs facteurs doivent être pris en considération dans l’analyse de ces dynamiques chez les Atikamekw Nehirowisiwok. Notons par exemple, l’arrivée de nouvelles technologies et de nouvelles pressions politiques, économiques et écologiques qui influencent directement ou indirectement à la fois les substances et les processus normatifs.

3.2. Le principe du partage des fruits de la chasse

Dans son texte intitulé Ethical Attributes of the Labrador Indians, Speck (1933) discute largement des pratiques et principes normatifs qu’il a notés pendant ses séjours au sein de communautés innus, naskapis et eeyouch. Il décrit, par exemple, le principe du partage de la viande, de la peau et des os de l’animal chassé. Il démontre dans ses travaux comment l’éthique du partage des fruits de la chasse et de la pêche s’inscrit dans les rapports sociaux entretenus entre les familles et avec le non-humain (ancêtres, esprit des animaux). Les pratiques de la

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chasse participent au bénéfice commun et non uniquement au bénéfice individuel, le chasseur ne conservant qu’une partie de l’animal – parfois uniquement la tête. Speck décrit le principe du partage comme étant généralisé, se rapportant autant au partage des fruits de la chasse et de la pêche que des matériaux et des outils fabriqués par les familles autochtones ou achetés dans les postes de traite en

échange des fourrures. Selon les observations de Speck, il est rare que les articles achetés dans les postes de traite demeurent plus de deux ou trois jours dans les mains de l’acheteur. Ils sont rapidement intégrés dans les réseaux d’échanges et à ce que Speck nomme community of goods (Speck 1933 :582-583).

Speck suggère que les pratiques et principes normatifs algonquiens s’inscrivent dans un modèle de gestion des ressources qui est adapté aux réalités écologiques ; l’entraide et le partage des ressources et des territoires viennent ici jouer un rôle pour éviter les famines et les périodes de disette (1931, 1933, 1935, voir aussi Speck et Eisely [1939]1985, 1942). Pour assurer la préservation des espèces, un modèle de rotation des aires d’exploitation des ressources est également largement documenté chez les populations algonquiennes et dans la tradition orale nehirowisiw (Speck 1915a; 1915b; [1935]1977, Lips 1947, Brassard et Castonguay 1983, Flannery et Chambers 1986, Morantz 1986, CNA 1996,

Poirier et Niquay 1999). Selon ce modèle, les responsables de territoires (ka nikaniwitcik) laissent une partie de leur territoire en repos pendant quelques années afin d’assurer la reproduction des espèces animales et végétales.

Les pratiques et principes normatifs peuvent avoir à certains égards un caractère adaptatif. C’est d’ailleurs ce que les tenants de l’écologie culturelle expriment habituellement en premier plan de leurs argumentaires (Steward 1936, Rappaport

1968 ; chez les Algonquinistes, voir : Jenness 1935, Rogers 1963; 1986, Bishop

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1970; 1978). L’analyse d’entretiens réalisés auprès d’aînés atikamekw nehirowisiwok fait état du caractère pragmatique et adaptatif de ces principes et pratiques de partage et de la formation de ces communities of goods. Nos interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok soulignent aussi que ces pratiques et principes normatifs s’inscrivent dans les relations de réciprocité entre les personnes (humaines et non-humaines).

Le partage cérémoniel de la viande (makocan), par exemple, est une pratique normative liée aussi au principe de respect envers les animaux et leur esprit-maître

(awesisak okimaw). Speck (1933 :563), chez les Innus du Labrador, et Lips (1947 :389), chez les Innus du Lac Saint-Jean et les Eenouch de Mistassini, décrivent le makocan (festin) comme une pratique qui contribue au maintien des relations sociales entre les familles de chasseurs et les esprits-maîtres des animaux :

When each man present has finished singing and the beaver meat is ready, the oldest in the circle approaches the bowl with the cooked meat and, taking small pieces from all parts of it he throws them ceremoniously and slowly into the fire while he addresses the spirits of the caribou, wolves, beavers, bears, and other game animals with the words: “Here I give you this – be satisfied!” Pleased by this remembrance the spirits of the animals he called upon will now send him during the coming winter many members of their own tribes, to keep starvation away from the tent community (…) The bones of this special beaver are wrapped into a birch bark and hung up high in the trees to make sure that the dogs cannot humiliate the beaver’s spirit by eating them. If one of the bones should accidentally fall to the ground and be gnawed by a dog, misery and bad luck would befall the whole band (Lips 1947:389).

Certains aînés atikamekw nehirowisiwok m’ont dit avoir déjà participé à la cérémonie du festin de l’ours (masko makocan) dans leur jeunesse, avant la

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période des pensionnats autochtones. Cette cérémonie, également accompagnée de tambour et de chants, est une pratique visant à remercier l’esprit de l’animal, à lui démontrer que l’on apprécie sa viande et tout ce qu’il donne. Selon ces aînés, la pratique du makocan doit servir aussi à assurer que les animaux ne les abandonnent pas, qu’ils continuent à accepter d’être tués pour nourrir les familles atikamekw nehirowisiwok.

Le makocan est une pratique toujours importante aujourd’hui et se déroule à diverses occasions (fêtes d’anniversaire, mariages, enterrements, fête nationale autochtone, etc.). Cette pratique favorise le partage, l’affirmation, le maintien et la création des réseaux familiaux et de solidarité. Le makocan est constitué essentiellement de la viande d’animaux chassés, de chair de poissons pêchés et de pakwecikan (pain bannique)33. Aujourd’hui, les familles des chasseurs ne discutent plus vraiment de l’importance du makocan pour contrer la famine, mais cette pratique sert toujours à assurer une redistribution des fruits de la chasse, à assurer la cohésion sociale et les rapports de réciprocité entre les familles. Pour avoir à plusieurs reprises participé à des makocana, j’ai pu aisément observer que dans tout le processus de préparation du makocan, une attention particulière est portée à la manière dont l’animal est traité (dans le dépeçage, la préparation de la viande et la disposition des restes des animaux, par exemple).

33 Il est impensable d’organiser un makocan avec de la viande d’animaux d’élevage considérés comme des animaux de « blancs ». Comme nous le verrons un peu plus loin (chapitre 5), les animaux d’élevage, comme le bœuf, le porc, le poulet, entre autres, non pas du tout le même statut, droits et pouvoirs que les animaux « indiens » comme l’ours, l’orignal ou le castor, parmi d’autres. Voir également les travaux de Bousquet (2002, 2015) chez les Anicinabek, de Bouchard et Mailhot (1973) et d’Armitage (1992) chez les Innus et de Tanner (2004) chez les Eeyouch / Eenouch.

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3.3. Le principe du respect et de la non-maltraitance à l’égard des animaux

La grande majorité des études ethnographiques réalisées auprès de Nations algonquiennes depuis Speck discutent du principe de la non-maltraitance à l’égard des animaux entretenu par les familles algonquiennes (Speck 1933, Lips 1947, Hallowell [1960]1981, Tanner 1979, Mailhot et Vincent 1982, Feit 1991b; 2001;

2004, Mailhot [1993]1999, Ingold [2000]2011, Scott 2001, Poirier 2001; 2013; 2017, Scott et Morrison 2004, Leroux 2009). Ce principe de la non-maltraitance est présent dans une série de pratiques dans lesquelles le chasseur et son entourage s’assurent que l’animal chassé ne souffre pas, que le corps de l’animal ne soit pas maltraité, que la viande, la peau et les os ne soient pas gaspillés, mais utilisés et largement partagés entre les familles. Ces ethnographies démontrent que ces pratiques assurent également la préservation des relations de réciprocité envers les animaux chassés. Ces pratiques basées sur le principe de la non-maltraitance

à l’égard des animaux sont documentées depuis plus d’un siècle et sont encore très présentes aujourd’hui, même si de plus en plus d’éléments issus de la modernité viennent modifier certains aspects techniques de ces pratiques. Comme un chasseur de Wemotaci m’a dit à l’été 2015, et je le cite: « les outils et les moyens de transport reliés à la chasse ont changé, mais après que le chasseur ait tiré sur l’orignal avec sa carabine, tout est comme nos ancêtres ont toujours fait ».

Il parle ici des pratiques de partage de la viande, de l’organisation des repas communautaires [makocana], du respect du corps de l’animal chassé, et de l’utilisation de la peau et des ossements.

Tel que mentionné dans la section précédente, les algonquinistes ont largement documenté les pratiques normatives exercées par les familles de chasseurs

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algonquiens pour s’assurer de la clémence et de l’aide des esprits-maîtres

(awesisak okimaw) des animaux. Ainsi, les pratiques de partage des fruits de la chasse et tout le traitement accordé aux animaux chassés ont largement été décrits comme étant des pratiques normatives exercées par les familles algonquiennes pour assurer une coexistence harmonieuse avec les esprits-maîtres des animaux (Speck [1935]1977, Hallowell [1960]1981, Brightman [1973]2002, Tanner 1979, Feit 2004, Scott 2006 ; 2007 ; 2013). À partir de ses travaux chez les

Ojibway, Hallowell souligne : Since the various species of animals on which they depend for a living are believed to be under the control of “masters” or “owners” who belong to the category of other-than-human persons, the hunter must always be careful to treat the animals he kills for food or fur in the proper manner. It may be necessary, for example, to throw their bones in the water or to perform a ritual in the case of bears. Otherwise, he will offend the “masters” and be threatened with starvation because no animals will be made available to him. Cruelty to animals is likewise an offense that will provoke the same kind of retaliation.” (Hallowell [1960]1981:47).

Mes interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok discutent régulièrement de l’importance de ne pas surexploiter la faune ou de gaspiller la viande, mais également la peau et tout ce qui est utilisable et qui provient de l’animal. Cela à la fois pour respecter l’animal, éviter le gaspillage et assurer la reproduction des espèces. Tout le travail et l’attention accordés à l’animal chassé : la préparation et le partage de la viande, le tannage de la peau, l’utilisation des os ou de la peau pour la confection d’outils et de vêtements démontrent une appréciation et une reconnaissance envers l’esprit-maître de l’animal. Les familles de chasseurs ont ici des obligations et des responsabilités envers les esprits-maîtres des animaux afin d’assurer une coexistence harmonieuse avec ces derniers. Il en est de même avec certaines plantes et pierres qui possèdent une grande utilité pour la confection de

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biens matériels, pour la médecine ou pour les pratiques rituelles. Lorsque la viande est gaspillée, non partagée entre les familles ou que les utilités de l’animal ne sont pas reconnues à leur juste valeur, l’espèce peut décider de partir et de changer de milieu de vie pour aller là où elle sera appréciée. Dans un entretien réalisé il y a une quinzaine d’années dans le cadre d’une recherche sur le droit coutumier nehirowisiw

(Poirier et Niquay 1997-1999), un aîné raconte :

Il y en avait ici du caribou. Un jour, ils sont partis. Le caribou [son esprit-maître] a parlé à un homme. Il ne lui a pas parlé comme ça, mais dans son rêve. [L’esprit-maître du caribou lui a dit] : « je vais partir parce qu’il n’y a personne pour me respecter. C’est pour ça que je pars » (Manawani iriniw, 1997).

Ces propos rejoignent également ceux recueillis lors de mes séjours à Opitciwan

(2014). Selon un responsable de territoire (ka nikaniwitc) : « le grand esprit, Kitce manito, peut voir qui partage et qui ne partage pas [la viande des animaux chassés]. Les animaux ne vont pas se donner aux personnes qui ne partagent pas ».

Les esprits-maîtres des animaux voient comment sont traités les animaux. Ces derniers peuvent ne pas se donner aux chasseurs si ceux-ci ont manqué de respect dans leurs pratiques. Comme pour la viande et la peau, les ossements doivent être disposés de manière à ne pas offenser l’esprit-maître de l’animal (Speck [1935]1977, Lips 1947, Hallowell [1960]1981, Tanner 2007). Il serait inadéquat, par exemple, de laisser les chiens jouer avec les os ou de laisser les os traîner sur le sol. Disposer adéquatement des ossements qui ne sont pas ou qui ne sont plus utilisés comme outil ou comme ornement signifie les mettre dans le feu, les accrocher dans les arbres, les décorer, les enterrer ou les retourner dans la rivière (dans le cas du castor). À cet égard, les esprits-maîtres des animaux, en

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tant que personnes titulaires de droits, de pouvoirs et de responsabilités

(tiperitamok), jouent un rôle important dans la reproduction et le renforcement des pratiques normatives.

Ces pratiques normatives reliées à la disposition des ossements des animaux chassés sont encore exercées par une bonne partie des Atikamekw Nehirowisiwok aujourd’hui. Le sens donné à ces pratiques peut varier d’une personne à une autre, souvent selon son âge et son affiliation familiale. Certains diront que ces pratiques sont exécutées par respect pour l’animal, d’autres parleront de l’effet de ces pratiques sur la reproduction de l’espèce et d’autres diront tout simplement qu’ils exécutent ces pratiques parce que leurs ancêtres faisaient ainsi. Ils diront tout simplement que si leurs ancêtres ont survécu en faisant ces pratiques, c’est parce que ce sont les bonnes pratiques à faire, accordant ainsi leur confiance à l’expérience de vie de leurs ancêtres. Comme nous le verrons, il y a également certaines personnes qui ne respectent pas ces pratiques. Souvent, on dira que ce non-respect des pratiques reliées à la disposition des restes des animaux n’est pas forcément volontaire ; ce n’est pas présenté par mes interlocuteurs comme une contestation de la norme ou des règles de conduite. Ce non-respect serait plutôt lié à une rupture dans la transmission des savoirs normatifs dans certaines familles, rupture souvent attribuable à la sédentarisation et à l’épisode des pensionnats autochtones. Comme nous l’évoquerons plus loin, un des principaux objectifs de l’élaboration et de la mise en place d’un code de pratiques est justement de favoriser le partage et la transmission des savoirs normatifs liés à la responsabilité territoriale véhiculés par les aînés et les responsables des territoires familiaux, les ka nikaniwitcik.

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Le gaspillage de la viande et la maltraitance du corps des animaux chassés par des Allochtones sèment toujours la colère et l’indignation des Atikamekw Nehirowisiwok. Bien entendu, la perception de ce qu’est la maltraitance envers les animaux peut être subjective. Pour les Atikamekw Nehirowisiwok, déposer le corps d’un orignal directement sur le métal dans une boîte de camion est de la maltraitance. Les chasseurs atikamekw nehirowisiwok prennent toujours le temps de placer un tapis de sapinage dans le fond de la boîte de camion pour faire un lit au corps de l’animal. Faire parader un panache d’orignal sur le capot d’un véhicule est aussi un manque de respect envers l’animal. Couper les pattes du castor pendant le dépeçage est une autre pratique perçue comme étant de la maltraitance par mes interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok. Il s’agit de quelques exemples de pratiques normatives envers le corps de l’animal chassé que les chasseurs atikamekw nehirowisiwok désirent transmettre à leurs enfants et faire valoir auprès des chasseurs allochtones. Ces règles qu’ils veulent inscrire dans leur code de pratiques visent entre autres à ce que les chasseurs, qu’ils soient ou non Atikamekw Nehirowisiwok, puissent adopter des pratiques qui soient concordantes avec le principe de respect et de non-maltraitance envers les animaux.

Il est important également de souligner que selon mes observations, les espèces animales ne portent pas toutes le même statut et les pratiques normatives liées à la chasse, au dépeçage et à la disposition des os peuvent différer selon le statut de l’animal chassé ou du poisson pêché (et de son esprit-maître). Serge Bouchard et José Mailhot (1973) ont par ailleurs dressé une classification et une hiérarchisation des classes d’animaux chez les Innus. Selon ces auteurs, cette classification et hiérarchisation tiennent compte autant de la contribution des espèces, du statut de leur esprit-maître (awesisak okimaw), de l’habitat de l’espèce

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que de leur mode de locomotion. Il y aurait, selon ces auteurs, une classification hiérarchique des pouvoirs reconnus aux espèces et une classification spatio- temporelle des espèces selon leur habitat et leur mode de locomotion.

Selon mes observations auprès des chasseurs atikamekw nehirowisiwok, certaines espèces comme l’ours, l’orignal, le castor, le canard et l’outarde sont portées en plus haute estime et les pratiques de chasse et d’utilisation de la viande, de la peau et des os de ces animaux portent un caractère particulier. En fait, selon mes observations, le statut de ces animaux semble être lié à leur contribution (kictapatisiwin) pour les familles atikamekw nehirowisiwok. Un animal, comme l’ours, qui contribue largement par sa viande, sa fourrure, sa médecine ainsi que par ses savoirs écologiques qu’il démontre au travers de ses comportements et de ses habitudes font de lui une entité qui mérite plus de respect et d’attention. Ce respect et cette attention sont démontrés dans une série de pratiques liées autant à la chasse, au partage de la viande, à l’organisation de festins cérémoniels et à l’utilisation de la graisse34, de la peau, des griffes et des os. Les ours sont aussi reconnus par les chasseurs atikamekw nehirowisiwok pour leur grande intelligence. Certains interlocuteurs ont mentionné que les ours sont reconnus comme ayant le pouvoir de voir l’avenir (voir chapitre 4).

À l’intérieur même d’une espèce donnée, certains animaux peuvent avoir un statut distinct. C’est le cas notamment pour kitce amiskw [parfois nommé micta amiskw] (grand castor ou castor géant). Selon mes interlocuteurs, kitce amiskw est signe d’abondance. Les chasseurs espèrent toujours le rencontrer. Ils savent que s’ils le rencontrent, c’est qu’ils sont dans une région d’abondance en gibier et autres

34 La graisse de l’ours est très prisée par les familles atikamekw nehirowisiwok. Elle est reconnue pour avoir plusieurs propriétés médicinales et est utilisée autant sous forme d’onguent, de cataplasme que de bouillon (diluée dans l’eau chaude).

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ressources. Kitce amiskw est reconnu comme un reproducteur hors norme. Il ne fait pas que vivre dans un environnement luxuriant et abondant en ressources, il participe lui-même à créer cette abondance en se reproduisant de manière considérable (voir aussi le chapitre 4). Là où se trouve kitce amiskw on peut retrouver une importante population de castors. Toutefois, jusqu’à maintenant, aucun interlocuteur ne m’a mentionné avoir déjà rencontré un kitce amiskw. Je ne sais pas non plus si les chasseurs tuent le kitce amiskw ou uniquement ses petits.

Un chasseur m’a raconté avoir chassé dans un endroit qu’il pouvait décrire comme étant un lieu de résidence du kitce amiskw (sans toutefois avoir vu l’animal) et m’a parlé de l’abondance des ressources qui se trouvaient à cet endroit. Ce chasseur a tenu à me préciser qu’il avait toujours pris soin de ne pas chasser plus que ce dont il avait besoin parce que, selon lui, l’esprit du castor peut voir comment les chasseurs agissent. S’ils n’agissent pas correctement, il est pratiquement certain qu’ils ne rencontreront pas kitce amiskw. S’ils le rencontrent, les chasseurs profiteront de cette abondance pour partager plus largement les fruits de la chasse et assureront la reproduction de l’espèce (Opitciwani iriniw, automne 2014).

3.4. Le principe d’invitation (wicakemowin)

Dans la littérature algonquiniste, certains chercheurs ont souligné l’importance du principe d’invitation et de rotation de l’exploitation des aires de chasse dans le modèle de gestion territorial algonquien (Speck 1914; 1915a; 1915b; [1935]1977, Cooper 1938; 1939, Speck et Eiseley 1942, Lips 1947, Hallowell 1949, Leacock

1954, Bishop et Morantz 1986, Flannery et Chambers 1986, Scott 1986; 2004, Feit 1991a, Poirier et Niquay 1999, Leroux et al. 2004, Scott et Morrison 2004, Leroux

2009). La recherche de Poirier et Niquay (1999) menée auprès des Atikamekw

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Nehirowisiwok est sans doute celle qui approfondit et décrit le plus le principe d’invitation (wicakemowin) entre groupes de chasse familiaux et de leur importance dans le maintien des relations de réciprocité entre les familles et dans la transmission des savoirs territoriaux.

Dans le contexte contemporain chez les Atikamekw Nehirowisiwok les invitations sont normalement lancées ou acceptées par les ka nikaniwitcik des différentes familles. Dans le cas où des membres de la famille du kanikaniwitc, son fils ou son frère par exemple, désirent inviter quelqu’un sur le territoire de chasse familial, il fait part de son intention au ka nikaniwitc. Le ka nikaniwitc peut inviter des familles à venir chasser avec lui au sein de son territoire de chasse pour diverses raisons : pour venir en aide aux membres de la famille qui n’arrive plus à trouver de gibier sur son territoire ou tout simplement pour avoir de la compagnie et exercer une chasse collective (mamo atoskewin) lorsque le gibier est abondant (Poirier et Niquay 1999, Éthier 2014). Comme un aîné d’Opticiwan le souligne :

Ça a toujours été ainsi : ils s'invitaient à tour de rôle quand ils partaient sur le territoire de trappe. Ils passaient alors l'hiver ensemble jusqu'au printemps. Lorsqu'ils arrivaient à destination, c'est-à-dire au site principal de campement, le chef de territoire [ka nikaniwitc] indiquait à son invité ou à ses invités vers quelles portions de son territoire ils peuvent aller trapper. Il partageait ainsi son territoire avec ses invités. L'année suivante, il arrivait souvent que ce fût au tour de l’autre personne de lancer l’invitation à aller sur son territoire. La plupart du temps, celui-ci n'avait pas le choix d'accepter (…) Les gens s'invitent encore quand ils vont dans le bois, mais seulement sur une courte période. Sur de longues périodes, ça ne se fait plus à cause que les enfants vont à l'école maintenant (Opitciwani iriniw, juillet 2014)

Un chasseur de Manawan m’a expliqué à l’automne 2014 que le principe

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d’invitation (wicakemowin) est une partie des droits et des responsabilités

(tiperitamowina) du ka nikaniwitc. C’est aussi une partie des droits et des responsabilités (tiperitamowina) de la personne qui a été invitée. Le ka nikaniwitc a le droit, la responsabilité et le pouvoir d’inviter des gens au sein du territoire de chasse familial, de diriger ses invités au sein du territoire dont il a entretenu les sentiers et dont il connaît l’emplacement des ressources. Les invités, pour leur part, ont également des droits, des pouvoirs et des responsabilités auprès de leur hôte et au sein du territoire. Tout d’abord, ils ont le droit d’être invités, ils ont la responsabilité de suivre les recommandations de leur hôte, de lui indiquer leurs prises et d’en partager la moitié avec lui (tetawinamatowin). Éventuellement, ils ont aussi la responsabilité d’inviter leur hôte au sein de son territoire dans les années subséquentes (pas nécessairement l’année suivante).

Le principe d’invitation (wicakemowin), selon lequel des chasseurs peuvent être invités pour une période déterminée à chasser au sein d’un autre territoire familial, favorise à la fois le partage des savoirs territoriaux et familiaux et la préservation d’aires territoriales qui ne sont pas exploitées (Flannery et Chambers 1986, Poirier et Niquay 1999, Éthier 2014). Cette pratique permet d’assurer que l’ensemble des familles puisse subvenir à leurs besoins en viande sauvage, en plantes médicinales, en bois de chauffage et en matériaux d’artisanat (Poirier et Niquay 1999). Le principe d’invitation et le partage de la viande sont des pratiques essentielles au maintien du tissu social et représentent aussi une marque de respect envers l’animal chassé (Lips 1947).

Les chasseurs peuvent également reconnaître la présence d’« intrus » (mantew), de personnes non invitées au sein des territoires de chasse familiaux. Speck (1915a, 1915b) a fait mention de la pratique de sanctions liées à l’intrusion d’un

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chasseur « non invité » au sein d’un territoire de chasse familial, sanctions pouvant mener à la mort (Speck 1915b). Ces cas, comme le mentionne Speck, sont toutefois très rares et ont été très peu documentés. En fait cette intrusion peut, selon mes interlocuteurs, être permise dans certaines conditions. Il semble que la chasse de subsistance (natohowin) exercé sur des territoires de chasse familiaux voisins n’est pas punie comme telle, pourvu que cette chasse vise à assurer la subsistance de la famille du chasseur et que le chasseur explique les raisons qui l’ont amené à effectuer cette chasse auprès des membres de la famille concernée. Un chasseur ayant exercé cette chasse de subsistance (natohowin) sans avoir été préalablement invité a le devoir et la responsabilité de partager une partie de la viande avec le groupe de chasse familial responsable du territoire. Autrefois, lorsque les chasseurs conservaient des produits de la chasse sur le territoire, dans des caches, d’autres chasseurs pouvaient s’y approvisionner dans des cas de nécessité. Encore une fois, la règle est ensuite d’aller avertir les responsables du territoire pour les informer de leurs actions (Speck 1933 :578-579). Ces pratiques normatives visent à assurer la survie des familles dans le besoin et un respect mutuel entre les familles de chasseurs. Il y a ici un principe d’assistance à la subsistance qui prime sur l’autorité territoriale et le principe d’invitation.

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3.5. Nehirowisiw opimatisiwin : Le principe d’ancestralité et la transmission des savoirs normatifs

Quand tu entends rire ou entends des coups que l’on donne sur le bois, ce que tu ressens, ce sont les choses du passé, ça vient du passé. C’est soit le passé, soit le futur. Si c’est le futur, la terre existera encore longtemps pour ceux à venir. Quand j’entends ces bruits, ça me rend heureux (Manawani iriniw, 199735).

L’ancestralité, comme principe actif, suggère que les ancêtres, en tant que « personnes » à qui on reconnaît une agencéité (Hallowell [1960], Ingold

[2000]2011, Ortner 2006, Poirier 2008), participent aux dynamiques et aux relations sociales. Les ancêtres participent également à la transmission et au renforcement des savoirs normatifs nehirowisiwok.

Pour nos interlocuteurs, et plus largement dans les langues algonquiennes (Hallowell [1960]1981, Jérôme 2010, Simpson 2011), la notion pimatisiwin renvoie

à une coexistence des ancêtres, des générations actuelles et celles à venir dans les pratiques de la vie quotidienne. Nehirowisiw opimatisiwin peut être décrit comme une véritable philosophie de l’existence et de coexistence des ancêtres et des générations actuelles et futures. Cette philosophie de l’existence soutient un rapport intrinsèque entre le passé, le présent et le futur dans les pratiques quotidiennes.

En lisant une version préliminaire de cette thèse, un partenaire à la recherche de Manawan mentionne que ces relations entre passé, présent et futur sont aussi

35 Cette citation est tirée des entrevues réalisées dans la communauté de Manawan par Sylvie Poirier et Jean-Marc Niquay (1997) dans le cadre de leur recherche sur le droit coutumier d’Atikamekw Nehirowisiw.

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prégnantes dans la culture matérielle. Issu d’une famille reconnue comme spécialisée dans la fabrication de canots d’écorce (wikwas), ce partenaire explique comment la confection et l’utilisation du canot d’écorce relient autant le passé

(savoirs et ressources transmis par les ancêtres), le présent (travail de fabrication, utilisation) et le futur (récolte des fruits de la chasse et de la pêche et transmission des savoirs aux enfants pour assurer la vie et le devenir d’Atikamekw Nehirowisiw [nehirowisiw opimatisiwin]). Cet interlocuteur me souligne qu’à l’intérieur du canot, chaque membre de la famille occupe une place et un rôle précis. Le père occupe l’arrière du canot et c’est lui qui dirige le canot à la façon qu’on lui a montré alors qu’il était enfant. Les enfants sont assis au milieu et la mère est assise à l’avant du canot. C’est elle qui montre le territoire aux enfants et leur transmet les valeurs et les récits territoriaux. En reprenant un concept qu’il a lu dans cette thèse, ce partenaire spécifie que la fabrication et l’utilisation du canot d’écorce définissent en quelque sorte une « historicité » familiale, des relations profondes où s’articulent ensemble des évènements du passé, une utilisation présente et une projection vers le futur, pour les générations à venir (Manawani iriniw, été 2016).

Plusieurs ethnographies réalisées auprès de groupes algonquiens font état des relations de proximité entretenues entre leurs interlocuteurs autochtones et le monde des ancêtres, nommés respectueusement kimocominowok (Speck 1933; [1935]1977, Lips 1947, Hallowell [1960]1981, Savard 1973, Vincent 1973, Preston

[1975]2002, Ingold [2000]2011, McNally 2009, Simpson 2011, Innes 2013, Poirier 2013). Les ancêtres sont présents au sein des territoires de chasse familiaux et participent à la formation des paysages, des portages et des sentiers parcourus et entretenus par les chasseurs (Poirier 2013). Comme nous le verrons à partir de nos propres données ethnographiques dans le chapitre 4, les kimocominowok peuvent revêtir plusieurs formes et ne réfèrent pas nécessairement à l’ascendance

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généalogique. Certains astres, certaines pierres, certains récits/expériences de transformations (atisokana) peuvent être considérés comme des kimocominowok selon les relations et positionnalités des « personnes » (Hallowell [1960]1981,

Ingold [2000]2011).

Dans les ordres normatifs algonquiens décrits par certains algonquinistes (Speck 1933; [1935]1977, Lips 1947, Vincent 1973, Hallowell [1960]1981, Preston

[1975]2002, Ingold [2000]2011, Simpson 2011, Poirier 2013), les ancêtres coexistent avec les humains et communiquent avec eux de différentes façons afin de les guider dans leurs pratiques. Par exemple, les atisokana jouent un rôle important dans la transmission des pratiques et principes normatifs. Les atisokana font régulièrement mention d’entités anthropomorphes, comme le mictapeo ou micta napeo (grand humain) et apici irinic (petit humain), qui sont décrits comme faisant partie du monde des ancêtres. Ces entités, ayant la capacité de se transformer, ont le rôle précis d’aider les familles et d’assurer qu’elles puissent subvenir à leurs besoins.

Dans la littérature algonquiniste, certains auteurs décrivent le mictapeo, comme un esprit auxiliaire venant assister, guider et protéger les chasseurs et leur famille

(Speck 1933; [1935]1977, Lips 1947, Savard 1973, Vincent 1973, Preston [1975]2002). Savard (1973), Vincent (1973) et Preston [1975]2002) discutent des pouvoirs des mictapeok (au pluriel) qui peuvent orienter le comportement des familles algonquiennes, notamment dans leurs pratiques de chasse. Selon ces auteurs, les mictapeok peuvent transmettre des messages aux chasseurs à travers le rêve ou même alors qu’ils sont éveillés par l’entremise de la pratique de la tente tremblante (kosapitcikan) (Op. cit.). Dans ces messages, les mictapeok peuvent informer le chasseur de l’endroit où se trouve le gibier et de ce qu’il advient des

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familles réparties sur leur territoire de chasse. Ils peuvent avertir les chasseurs si certaines familles ont besoin d’aide, par exemple (Vincent 1973). Le chasseur a la responsabilité d’accomplir la mission qui lui est proposée par son mictapeo. Il peut

également recevoir la visite d’un mictapeo d’une autre personne qui peut lui apporter un avertissement.

Speck (1933), Lips (1947), Vincent (1973) et Preston ([1975]2002) décrivent le mictapeo comme un intermédiaire entre le monde visible et invisible et jouant un rôle important pour assurer l’application de règles de conduite et l’application de sanctions, comme l’ostracisme, la famine et la mort (Lips 1947 :477-478). Selon Speck (1933, [1935]1977), Lips (1947), Savard (1973) et Vincent (1973), mictapeo représente une entité pouvant exercer un certain pouvoir de régulation sociale et de sanction des torts.

Selon les analyses de Speck, mictapeo, qu’il nomme aussi Great Man, réside dans le corps de chaque individu et une personne hérite souvent du mictapeo d’un de ses ancêtres (Op. cit.). Le mictapeo peut changer de corps, notamment si le corps devient de moins en moins fonctionnel, si la personne ne répond pas aux attentes du mictapeo ou pour d’autres raisons inconnues (Speck [1935]1977 :39-43). Pour certains de mes interlocuteurs, les mictapeok (Opitciwan) ou les micta napeok (Manawan, Wemotaci) sont d’abord et avant tout des grands-hommes (micta- grand, napeo- homme) pouvant être identifiés comme kimocominowok (ancêtres) dans les atisokana et dont le rôle principal est d’assurer l’équilibre sur la terre et la survivance de leurs petits-enfants, les êtres humains (iriniwok) (voir chapitre 4). À l’instar des apici irinic (petits hommes), les micta napeok sont rarement visibles, mais certains de mes interlocuteurs m’ont déjà raconté avoir vu ces entités ou avoir eu connaissance de leur présence en apercevant leurs empreintes, par

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exemple, sur le territoire. Nous y reviendrons dans le chapitre suivant alors que nous développerons davantage sur nos propres données ethnographiques et ferons état d’un récit discutant de cette entité, de son rôle et de son pouvoir reconnus aujourd’hui chez certains de nos interlocuteurs.

3.6. Le rôle de l’opinion publique et de l’ostracisme dans le renforcement normatif

Dans le chapitre 2, nous avons brièvement abordé l’influence de l’opinion publique et du commérage sur les comportements des personnes. Flannery (1934) a consacré un article sur la question du commérage chez les femmes eeyouch et

Speck (1933 :579) a également abordé cet aspect en soulignant que l’opinion publique et le commérage peuvent agir comme forme punitive pour une personne ou un groupe de personnes ayant commis certaines offenses sociales du point de vue des autres membres du groupe (voir aussi Lacasse 2004 :88). Lips (1947), dans son essai sur le droit coutumier naskapi36, accorde également une place prédominante à l’opinion publique dans le maintien de la cohésion sociale :

The only machinery which regulates and, to a certain degree, enforces this part of Naskapi law, is public opinion (...) For the Montagnais- Naskapi the maintenance of the peace of the community is fundamental and the strongest preventive against violation of the peace is public opinion. (…) It works not only preventively but also punitively and it also asserts itself when the peace of the community has been violated. This comes about slowly, however, and then only when the peace of the community rather than that of the individual or family is disturbed. (…) [O]nce public opinion is aroused, it then has a totalitarian meaning because it is the opinion of the whole and which, in contrast to the multiple class opinions of modern civilizations, is a single class

36 L’étude de Lips porte sur les Autochtones du lac Saint-Jean (Innus) et de Mistassini (Eenouch).

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community with the same mutual problems, interests, and necessities. (Lips 1947:442; 471-472)

L’opinion publique, selon Lips, joue un rôle central dans l’application de certaines règles sociales. L’opinion publique pourrait exercer à elle seule un pouvoir de contrainte pour les membres des familles algonquiennes. Lips, dans sa monographie, donne plusieurs exemples en ce sens. L’opinion publique assure notamment qu’une personne ayant chassé sur le territoire familial d’une autre personne ou pris de la nourriture ou des outils d’un autre chasseur doive lui rendre en retour lorsqu’elle en aura les moyens. Dans le cas contraire, la réputation de la personne sera entachée et elle pourrait se voir exclue de certains réseaux de solidarité (1947 :473).

Lips (1947 :401-402) documente également l’influence des responsables de territoire (ka nikaniwitcik) et des chefs de bande (okimaw) dans le processus de résolution des conflits, particulièrement à la résolution des discordes territoriales.

Selon Lips (Op. cit.), le statut de ces personnes est fortement influencé par l’opinion publique. Nous reviendrons sur ces énoncés dans la section suivante.

L’opinion publique et le commérage ont un pouvoir certain de dissuasion et de renforcement normatif, mais il arrive dans certains cas que cette mesure soit insuffisante. On m’a raconté, par exemple, un épisode où un jeune chasseur de

Manawan, très habile à la chasse, avait fait fi des commentaires et des avertissements faits par les membres de sa famille et de sa communauté qui l’empressaient de diminuer le nombre de ses prises parce que sa chasse avait déjà comblé les besoins des familles. Le jeune chasseur n’a pas écouté ces recommandations et a continué à chasser jusqu’au jour où un aîné de sa famille lui confisque son arme pour une période de trois ou quatre ans. Les membres de la

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communauté et le jeune chasseur lui-même ont reconnu la légitimité et la valeur de cette sanction. Le jeune chasseur a respecté l’interdiction de chasse pour la période désignée et dit avoir appris de cette sanction.

Selon certains interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok, les familles pouvaient dans le passé prendre des mesures plus draconiennes auprès des personnes ayant commis une faute grave (ex. meurtre, jeter des mauvais sorts aux familles menant

à la famine et à la mort). Une mesure exceptionnelle face à ces fautes était l’ostracisme. La personne ostracisée, exclue de ses propres réseaux familiaux,

était alors vouée à l’errance et sa vie était largement en danger. Speck (1933) et Lips (1947) ont aussi documenté la pratique de l’ostracisme comme sanction humaine apposée suite à une faute grave d’une personne, mais dans un contexte où les rapports de solidarités et de coopérations sociales étaient nécessaires à la survie des chasseurs. Selon les observations de ces auteurs, l’exclusion de la personne par des membres de son groupe (famille élargie) pouvait être d’une durée temporaire, comme elle pouvait entraîner une rupture sociale permanente. Dans certains récits, cette personne devient à ce moment errante et peut revêtir plusieurs formes (voir chapitre 2). L’une de ces formes documentées par Speck (1933 :565-587, voir aussi Cooper 1925-1937) est le witiko. Le witiko est décrit comme un anthropophage désirant venger son exclusion sociale. Cette entité a l’apparence humaine et, dans les récits (atisokana), le bris de certaines règles

[comme des enfants qui osent eux-mêmes pratiquer la scapulomancie37] peut

37 La scapulomancie est une pratique à laquelle s’adonnait les chasseurs algonquiens pour repérer les animaux et reconnaître leur déplacement au sein du territoire. Cette pratique était effectuée habituellement avec l’omoplate de l’ours, du caribou ou de l’orignal mise dans le feu. La lecture des figures dessinées par le feu sur l’omoplate donnait les informations nécessaires aux chasseurs. Pour les Atikamekw Nehirowisiwok, il était strictement interdit aux enfants de s’adonner à de telles pratiques. Personnellement, je n’ai pas observé cette pratique. J’en ai pris connaissance au travers

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attirer le witiko (documentation Cooper, 1925-1937). Dans ces récits (atisokana) recueillis par Cooper (Op. cit.), les enfants n’appliquant pas certaines règles de conduite sont ainsi susceptibles d’être attaqués et tués par le witiko. Selon les propos véhiculés par les interlocuteurs de Speck (1933), une personne brisant le tabou de l’anthropophagie dans une période de famine devient également et irréversiblement witiko. L’esprit ou la force [mictapeo] d’un witiko est très puissante et les membres des familles en ont très peur (Speck 1933 :587). Lorsqu’ils reconnaissent la présence du witiko, les humains n’ont d’autres choix que de le tuer. Pour ce faire, ils sont aidés par la ruse et par les opwakanak, les esprits des ancêtres qui habitent la forêt (documentation Cooper 1925-1937, Speck 1933 :587, Hallowell [1960]1981 :31).

L’ostracisme représentait auparavant pour les groupes algonquiens une sanction extrême pratiquée en tout dernier recours. Selon un de mes interlocuteurs, l’ostracisme n’est plus une sanction pouvant avoir les mêmes impacts aujourd’hui puisque la vie de la personne exclue de ses réseaux familiaux n’est plus mise en danger. D’ailleurs, aujourd’hui, l’homicide est sanctionné avec un emprisonnement sévère par la justice pénale allochtone qui est aussi une forme d’exclusion et d’isolement de la personne.

L’exclusion temporaire ou permanente de la personne de ses réseaux familiaux est encore pratiquée aujourd’hui, souvent à la suite des comportements qui sont perçus par les familles comme créant une rupture dans l’harmonie sociale des familles des communautés (ex. infidélité, inceste, vente de drogues dures, etc.). À certaines occasions, ces personnes exclues doivent subir à la fois les sanctions

des récits documentés par Cooper (1925-1937) lors de ses séjours chez les Atikamekw Nehirowisiwok.

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imposées par le système pénal étatique et les sanctions imposées par leur propre famille et communauté.

L’exclusion de la personne n’a plus la même valeur aujourd’hui, puisque la personne qui subit cette conséquence de la part des membres de sa communauté peut se réfugier dans les régions urbaines et se construire de nouveaux réseaux sociaux. Pour donner un exemple contemporain, lors d’un séjour à Wemotaci, à l’été 2006, je me suis entretenu avec un jeune anicinabe que j’avais côtoyé durant mon enfance. Ce dernier m’avait alors mentionné qu’il avait été banni de la communauté et que ses réseaux familiaux avaient été rompus à cause d’erreurs qu’il a commises (sans me préciser lesquelles). Depuis, il a su se créer d’autres réseaux dans la région de Montréal et auprès d’autres autochtones vivant en milieux urbains. Ce réseautage social l’a amené à se repositionner et à s’impliquer comme un joueur de tambour (teweikan et hand drum), à suivre la route des pow wow et ainsi élargir ses réseaux dans différentes communautés autochtones du

Québec et de l’Ontario. Même s’il a été exclu par les membres de sa famille élargie et de sa communauté, la vie de ce jeune homme n’a pas été mise en danger.

Ainsi, nous pouvons affirmer à l’instar de nos interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok que la pratique de l’exclusion sociale n’a plus la même force dissuasive dans le contexte contemporain alors que la survie de chacun dépend moins des réseaux familiaux de solidarités et de coopérations.

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3.7. Rôles et statuts de l’aîné (mocom, kokom), du ka nikaniwitc et du okimaw dans le renforcement normatif

Nous avons abordé dans les sections précédentes le rôle des aînés (mocomonok, kokominok) et des responsables territoriaux (ka nikaniwitcik) dans le renforcement normatif chez les familles atikamekw nehirowisiwok. Ces personnes sont régulièrement consultées par les familles des communautés pour régler des désaccords à l’égard, par exemple, de la transmission des territoires de chasse familiaux, au partage des fruits de la chasse et du respect des règles de conduite liées à la chasse et à la pêche. Chez les Atikamekw Nehirowisiwok, les aînés demeurent des personnes dont la parole est largement respectée et influente. Régulièrement, les membres des communautés atikamekw nehirowisiwok se réfèrent aux aînés pour connaître leurs avis et suggestions à propos de questions diversifiées (langue, démarches politiques ou spirituelles personnelles ou collectives, savoirs familiaux, savoirs historiques, etc.). La parole des ka nikaniwitcik est également respectée et influente en ce qui concerne les pratiques et les savoirs au sein des territoires de chasse familiaux (atoske aski). Comme nous l’avons vu dans le chapitre 2, ces statuts (aîné, responsable de territoire familial et représentants politiques38) ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. Un aîné (mocom) peut avoir le statut de ka nikaniwitc, mais pas nécessairement. Les aînés peuvent également

être consultés lorsque vient le temps de sanctionner certaines personnes pour leur comportement fautif ou pour rappeler, par exemple, les pratiques normatives liées à la disposition des restes des animaux chassés.

Pour donner un exemple, un jeune chasseur d’Opitciwan m’a raconté à l’automne

2014 un épisode lors duquel il avait ressenti la présence d’un esprit ou d’une

38 Voir la note 25 à la section 2.7.2 pour une définition de ces statuts.

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énergie (manito, manitowin [voir chapitre 2]) dans sa maison. Il régnait alors dans la maison une ambiance désagréable qui faisait que le chasseur ne se sentait pas bien. Ne sachant trop que faire, il téléphona à un aîné de la communauté pour connaître son avis sur cette situation. L’aîné lui demanda ce qu’il avait fait des ossements de l’ours qu’il avait tué la semaine précédente. Le jeune chasseur lui répondit qu’il n’avait pas eu le temps de compléter le dépeçage et que certaines parties de l’ours étaient toujours dans la cour derrière la maison. L’aîné lui répondit que c’était probablement l’esprit de l’animal qui était dans la maison et qu’il devait faire une cérémonie à l’attention de celui-ci en guise de respect pour l’animal.

Selon l’aîné, l’esprit de l’ours, voyant que certaines parties du corps de l’ours avaient été abandonnées, exigeait une forme de réparation. Le jeune chasseur, accompagné de membres de sa famille, est alors parti sur son territoire de chasse avec les parties restantes de l’ours pour les enterrer. Avec le tambour, il a chanté pour l’ours et lui a offert du tabac en offrande. Tout en écoutant les conseils de l’aîné, il a respecté les désirs de l’esprit-maître de l’animal. Au sein de la socialité nehirowisiw, les aînés (mocomonok) jouent un rôle essentiel à la fois dans la transmission des savoirs normatifs et dans le renforcement des pratiques normatives. Ces rôles et pouvoirs des aînés leur sont conférés par leur statut au sein du système d’autorité local.

Même si la structure des conseils de bande a été imposée par le gouvernement canadien en 1876 avec la Loi sur les Indiens, son influence politique semble avoir été assez limitée chez les Atikamekw Nehirowisiwok avant la sédentarisation dans les années 1950. Plusieurs interlocuteurs disent que l’autorité territoriale reposait d’abord et avant tout entre les mains des aînés et des ka nikaniwitcik qui se visitaient entre eux pour échanger des informations sur les endroits où ils allaient sur le territoire (voir aussi chapitres 5 et 7). Certains font mention également du

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titre okimaw qu’ils traduisent par « chef ». Encore une fois le statut d’okimaw n’est pas exclusif aux statuts d’aînés et du ka nikaniwitc. Toutefois, le concept okimaw semble utilisé pour identifier plus largement les figures d’autorité que revêtent certaines personnes (humaines et non-humaines) en divers domaines (et non uniquement territorial) (Mailhot et Vincent 1980, Lacasse 2004). Selon Mailhot et

Vincent (1980 :120) :

Tout individu qui occupe une fonction qui implique l’exercice d’un pouvoir quelconque – laquelle on réfère par le verbe tipenitam – [tiperiten en nehiromowin] est appelé utshimau [okimaw en nehiromowin]. C’est le cas d’un patron que son employé appelle nutshiman « mon patron », c’est le cas du gouvernement que les Montagnais appellent tshisheutshimau, littéralement « le grand chef » et de la Reine d’Angleterre, qu’ils appellent tshisheutshimaskueu « le grand chef féminin » (…) On réfère aux êtres spirituels qui contrôlent les espèces animales par le terme aueshish-utshimaut [awesisak okimaw en nehiromowin] « chefs ou maîtres des animaux » (les soulignements sont ceux des auteures).

Mes interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok soutiennent que les okimaw étaient auparavant les personnes qui étaient les plus écoutées, que leur parole était une source d’autorité. Durant mon séjour à Opitciwan, je me suis entretenu avec le petit-fils de Gabriel Awashish qui semble être le premier grand-chef (kitci okimaw) du conseil de bande d’Opitciwan reconnu comme tel. Voici une partie de la transcription de notre entretien :

Mon grand-père a été chef (okimaw) pendant 33 ans. C’est ce que mon père disait. Il a été le premier okimaw reconnu, mais, bien avant, il y a toujours eu un chef. Avant même que le premier contact avec un homme blanc se fasse (…) Il y a très longtemps, avant même que les gens de l’extérieur sachent que nous existions, il y a toujours eu un chef chez les [Atikamekw] Nehirowisiwok. Avant que mon grand-père soit chef, son prédécesseur s’appelait David ou Thomas Chachio. Moi, je ne

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les ai pas connus, mais quand le chef était nommé à cette époque, il recevait non pas une médaille autour du cou comme aujourd’hui, mais une ceinture nommée wampum ou mikis. C’était fait en peaux d’animal et fortement orné. Donc, quand mon grand-père Gabriel a été nommé chef, il a reçu le wampum. Il a été chef de nombreuses années. Mon père disait que lors de l’élection d’un chef en ce temps-là, il n’y avait pas de crayon, de stylos, ni de bulletin de vote. Tout se faisait verbalement. Après les allocutions de chacun des candidats, ils choisissaient leur chef verbalement, j’imagine celui qui leur semblait le plus apte à diriger ou celui qui avait fait le meilleur discours. C’est ainsi que mon grand- père est devenu chef. Au cours de leurs discours, les candidats parlaient de l’avenir de la Nation, des territoires de trappe et du chevauchement des territoires avec les autres Nations comme les Cris, les Innus, les Algonquins et autres.

À cette époque, la Compagnie de la Baie d’Hudson était déjà installée où les chasseurs pouvaient vendre leurs fourrures, tels le vison et le renard. Quand les gens de la Compagnie de la Baie d’Hudson ont vu que le chef n’avait qu’une ceinture de wampum pour s’identifier comme étant le chef, le gérant de la compagnie leur a proposé une médaille de chef en leur disant « avec ceci vous serez plus fort lorsque vous irez rencontrer le gouvernement ». Et un moment donné, cette fameuse médaille s’est perdue. Le dernier chef qui l’a eu en sa possession s’appelait Léon Dubé, si ma mémoire est bonne.

Cette médaille était très belle. Je l’ai vue moi-même quand mon grand- père était le chef. D’autres chefs l’ont portée, comme Paul Méguish et aussi Élie Dubé, mais on ne sait pas maintenant ce qu’il est advenu de cette médaille (Opitciwani iriniw, août 2014).

Aujourd’hui, les Atikamekw Nehirowisiwok utilisent le terme okimaw et kitci okimaw pour nommer les chefs de bande et le grand-chef de la Nation atikamekw nehirowisiw. La nomination de ces chefs se fait par élection avec bulletin de vote tous les quatre ans. J’ai eu la chance à l’automne 2014 d’assister à l’assermentation du grand-chef de la Nation atikamekw nehirowisiw, Constant Awashish, élu par suffrage universel au début du mois de septembre 2014. Cette

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assermentation s’est déroulée sur le territoire de l’ancienne réserve de Wemotaci.

Plus d’une centaine de personnes étaient présentes. La cérémonie d’assermentation a été ponctuée de discours où le nouveau grand-chef élu parlait de l’importance de l’unité de la Nation. Lors de la cérémonie, on a remis au grand- chef (kitci okimaw) un wampum en cuir brodé et un sceptre, un bâton en bois dans lequel sont sculptés des animaux et qui est orné d’une fourrure animale. Ce bâton est détenu par le kitci okimaw qui l’apporte dans certaines occasions comme lors de la grande entrée dans les pow wow. Selon un interlocuteur ayant participé à la fabrication du sceptre, ce bâton est détenu par les kitci okimaw depuis qu’il y a

élection d’un grand-chef de la Nation (2002). Le sceptre est transmis d’un kitci okimaw à un autre. Selon cet interlocuteur, le premier grand-chef élu, Ernest

Awashish, gardait toujours le sceptre avec lui et l’apportait dans ses déplacements lors des réunions et des tables de négociation.

Il semble, d’après les informations obtenues par Julius Lips (1947 :402), que le sceptre ait déjà été utilisé par les Atikamekw Nehirowisiwok avant les années 1950 comme marqueur du statut social :

One informant does mention what seems to have been an individual addition to the insignia of office, a sort of scepter carried by a certain chief – a short walking cane of wood, carved in the shape of a caribou leg. The man who carried it was a chieftain of the Têtes de Boule [Atikamekw Nehirowisiwok] by the name of Pichikwä [Petiquay] (The Small Neck) who, following the instructions received in a dream, had personally carved this “chief cane”. “As any other Indian,” stated the informant, “he was obliged to obey the orders conveyed to him in a dream, otherwise he would have been stricken with ill luck.

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Dans son ouvrage intitulé Naskapi Law, Lips (1947) discute largement des qualités requises pour acquérir le statut de chef. Même si ses travaux ont été menés majoritairement auprès d’un groupe voisin des Atikamekw Nehirowisiwok, les

Piekuakamiulnuatsh, ses descriptions rejoignent bien celles partagées par les aînés atikamekw nehirowisiwok lorsqu’ils discutent du rôle et des qualités du okimaw et du ka nikaniwitc :

There was general agreement among the informants that the chief has to be a person of high ethical standards, conscious of his responsibilities toward his fellow-tribesmen. Above all else, a good chieftain is expected to be an excellent hunter. If he fails in this respect (perhaps on account of his advanced years), he is no longer looked upon as a chief and consequently loses his influence. (…) Besides being a skillful hunter the chief has to be a shrewd negotiator not only with the Hudson’s Bay Company but also as far as his fellow-tribesmen are concerned. His importance as a chieftain is especially evident during the short periods of assembly at the summer gathering places when the Indians come together to exchange furs for provisions, to discuss and straighten out matters of mutual interest and to enjoy social activities (Lips 1947:401).

Le concept okimaw est utilisé pour désigner une personne humaine ou non- humaine détenant un pouvoir décisionnel et de contrôle. C’est en ce sens que les chefs de bande et le grand-chef de la Nation élue sont nommés ainsi. Il en est de même pour les esprits-maîtres des animaux (awesisak okimaw) qui, comme nous l’avons vu dans les sections précédentes, jouent un rôle important dans le renforcement normatif en lien avec toutes les pratiques de la chasse et de la pêche comme du travail de la peau et de la confection des biens matériels. Même si certains objets cérémoniaux officialisant le statut du okimaw, comme le wampum et le sceptre sont encore utilisés aujourd’hui, les qualités et les rôles attendus des chefs de bande et du grand-chef de la Nation sont plus en lien avec les capacités et habiletés à entretenir une certaine unité nationale (tout en respectant

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l’autonomie des familles et des communautés) et à négocier avec les interlocuteurs allochtones (institutions étatiques régionales, provinciales et fédérales et entreprises privées) les droits et pouvoirs territoriaux. Les deux dernières personnes ayant occupé le rôle de grand-chef de la Nation atikamekw nehirowisiw (Éva Ottawa et Constant Awashish) avaient par exemple une formation universitaire en droit. Même si les chefs élus peuvent être de bons chasseurs, ce n’est plus une qualité essentielle pour recevoir le statut okimaw ou kitci okimaw, contrairement à ce qui est attendu pour les ka nikaniwitcik.

Comme nous l’avons vu plus tôt, le concept de ka nikaniwitc réfère explicitement au statut de responsable d’un territoire familial. Parfois, on traduit le concept ka nikaniwitc par « chef de famille ». Selon mes interlocuteurs, les ka nikaniwitcik sont les personnes qui connaissent le mieux leur territoire de chasse familial. Comme il sera exposé dans le chapitre 5, les ka nikaniwitcik ont plusieurs responsabilités reliées à leur statut : visites régulières au sein du territoire, recensement des ressources (tipahiskan), entretien des sentiers (mohonan, moteskano), transmission des informations sur leur occupation et sur l’état du territoire aux membres de sa famille et des familles avoisinantes, etc. Il est reconnu comme un bon chasseur qui est en mesure de répondre aux besoins en viande sauvage de sa famille élargie. C’est lui aussi qui guide les chasseurs invités au sein de son territoire et qui fait le partage des territoires de chasse entre les membres de sa famille pour éviter qu’il y ait des conflits (voir chapitre 5).

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3.8. Rôles et statuts du pamikicikotc iriniw et du ka mantowisitc

Mes séjours dans les communautés atikamekw nehirowisiwok m’ont amené à prendre connaissance d’autres personnalités possédant une forme de pouvoir, pouvant agir sur le comportement des chasseurs, des esprits-maîtres des animaux

(ka mantowisitcik) ou ayant le pouvoir de se déplacer au-dessus des arbres sur de longues distances (pamikicikotcik iriniwok). Ces personnalités ont joué et jouent toujours un certain rôle dans le renforcement normatif et dans la sanction des torts.

Je partagerai, dans cette section, certains des témoignages recueillis auprès d’aînés et de membres des trois communautés atikamekw nehirowisiwok, mais particulièrement des témoignages de membres de la communauté d’Opitciwan. Je suis conscient que le thème abordé ici est très sensible pour les membres des communautés atikamekw nehirowisiwok, qui demeurent avec raison préoccupés par l’objectivation et les interprétations déformées de ces savoirs et de ces pouvoirs.

Il faut rappeler aussi que pendant tout le processus d’évangélisation menée par l’Église catholique depuis plus de quatre cents ans, ces savoirs et ces pouvoirs ont

été diabolisés par les missionnaires et les Jésuites. Ce qui fait qu’encore aujourd’hui, des aînés atikamekw nehirowisiwok d’allégeance chrétienne considèrent d’un mauvais œil et expriment une certaine crainte liée à certaines pratiques comme le matotasowin (tente à sudation) et le kosapitcikan (tente tremblante). Pendant plusieurs décennies, ces pratiques ont été largement occultées chez les Atikamekw Nehirowisiwok. Selon mes interlocuteurs, malgré que ces pratiques aient été délaissées ou exercées secrètement pendant plusieurs années, cela ne signifie pas pour autant que les savoirs et les pouvoirs reliés à ces

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pratiques n’ont pas perduré. Selon plusieurs interlocuteurs, les savoirs et les pouvoirs reliés à ces pratiques sont ancrés dans notcimik. On peut arrêter de pratiquer et de transmettre ces savoirs rituels, mais ils continuent d’exister, ils sont latents. Ils ne sont pas une création humaine et peuvent se manifester à diverses occasions. Par exemple, un aîné d’Opitciwan m’a raconté que les gens ont arrêté de pratiquer la kosapitcikan pendant plusieurs années parce qu’ils ont arrêté de le voir en rêve. Lorsque les gens recommencent à rêver au kosapitcikan, lorsque les opwakanak (les esprits de la forêt, les esprits des ancêtres [kimocominowok]) reviennent pour enseigner ces pratiques, les gens peuvent les pratiquer. Mes interlocuteurs soutiennent que certaines familles et personnes (hommes ou femmes) ont des prédispositions à recevoir ces savoirs et ces pouvoirs, mais on ne parle pas ici de transmission de savoirs familiaux. Ce sont véritablement les opwakanak et kitce manito (grand esprit) qui transmettent ces pouvoirs et ces savoirs et qui choisissent à qui ils les transmettent.

Dans le chapitre suivant, nous partagerons le témoignage d’un aîné ayant reçu le don de la vision (matawisiwin), ce qui l’a aidé à survoler le territoire (pamikicikotc) et à mieux voir l’emplacement des animaux. Selon plusieurs interlocuteurs rencontrés, une personne ayant ce pouvoir peut l’utiliser à différents escients. Elle peut, par exemple, parcourir de longues distances dans les airs pour visiter les familles sur leur territoire de chasse afin de s’assurer que celles-ci se portent bien, qu’elles aient tout ce dont elles ont besoin39. Elle peut également surveiller le

39 Il est à noter que les nouvelles technologies, dont les nouveaux réseaux sociaux comme Facebook, sont aujourd’hui largement utilisés par les jeunes générations atikamekw nehirowisiwok pour faciliter les communications entre les familles. Un jeune d’Opitciwan (dans la vingtaine) m’avait fait remarquer à ce propos : « on n’utilise plus nos anciennes méthodes de communication, comme le kosapitcikan (tente tremblante). On a Facebook maintenant ! On communique entre nous avec Facebook et on sait quand et où une famille va chasser. On est au courant de tout ce qui se passe aujourd’hui avec Facebook » (Opitciwan, automne 2014).

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territoire de l’arrivée de gens d’autres Nations, comme les matci natowewok

(Iroquois). Dans un enregistrement audio recueilli à la radio, un aîné de Manawan raconte aussi que la personne ayant ce pouvoir peut se déplacer sur de très longues distances pour aller chercher certains matériaux venant d’ailleurs, comme une sorte de pierre utilisée pour la chasse. Ce don peut également permettre d’entrer en contact avec l’esprit de personnes défuntes. Voici par exemple un des récits recueillis à Opitciwan à l’hiver 2015 :

Je vais vous conter une histoire que ma défunte mère m’avait racontée. Ça s’est passé il n’y a pas très longtemps. Le village d’Opitciwan existait déjà. Une fois, un jeune homme est parti en canot pour monter dans le territoire. Comme provision, il n’apporte que de la farine et de la graisse et son hameçon. Il est parti seul par la rivière Saskatcewan pour se diriger vers le grand lac Kamocackak qui est situé sur leur territoire de chasse familial. L’endroit est assez loin et ça prend plusieurs jours pour s’y rendre en canot avec les rapides et les portages. Ça lui a donc pris trois ou quatre jours pour s’y rendre tout en chassant le lièvre et en pêchant du poisson pour manger.

Finalement, en arrivant au grand lac Kamocackak, il aperçoit des petits canards au bord de la plage. Il décide de les chasser et sort son fusil et tire. Il n’en tue que deux. Après avoir tiré, il entend quelqu’un lui crier son nom. La voix provenait du haut d’une montagne qui était située pas très loin au bord du lac. C’est une montagne qui était assez longue, on la voyait lorsqu’on passait par ce lac (Kamocackak). Et c’est une voix d’homme qu’il avait entendue et il l’appelait très fort.

Le jeune homme a eu très peur en se demandant ce que ça pouvait être. Il a eu très peur et a décidé de revenir immédiatement au village, même si c’était le soir et qu’il allait faire nuit. En revenant, il ramait très vite. Il entendait la voix se rapprocher de plus en plus. Il entendait la voix qui l’appelait en faisant du portage

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ou en ramant sur les lacs. Il faisait un clair de lune et il a ramé ainsi toute la nuit et se demandait ce que c’était. Est-ce un homme ou le kokotce40 ?

Tout au long de son parcours, il entendait la voix régulièrement qui se rapprochait de plus en plus. En arrivant en haut des rapides de la rivière Saskatcewan, il entend la voix qui est maintenant très très proche de lui. Et après avoir fait un dernier portage, en ramant vers le lac, il entend la voix qui est maintenant à proximité qui l’appelle à deux reprises et c’est la dernière fois qu’il l’a entendu jusqu’à ce qu’il arrive à Opitciwan.

Quand il est enfin arrivé, il était très fatigué parce qu’il avait ramé toute la nuit. Il s’est tout de suite endormi pour se reposer. À son réveil, en après-midi, vers 15h, il raconte son histoire et parle de cette voix qui l’appelait et qui lui semblait être une voix d’homme.

À l’époque, il y avait un aîné qui vivait au village qui pouvait faire de la clairvoyance (matawisiwin) et qui pouvait être en mesure d’identifier celui qui l’a poursuivi. Cet aîné était un des derniers encore vivants qui demeuraient à Opitciwan et qui pouvaient faire du Kosapitikewin (tente tremblante). On lui recommande donc d’aller voir cet aîné : « Lui va être en mesure d’identifier celui qui t’a poursuivi », lui dit-on.

Il est allé voir cet aîné et a commencé par lui raconter son aventure. Après avoir raconté son histoire, l’aîné lui dit : « Je vais essayer d’identifier qui t’a poursuivi. Quel genre de voix avait-il », lui demanda-t-il. Le jeune homme lui répond qu’il avait une voix d’homme. L’aîné est donc parti en canot pour aller au site où ils font généralement du Kosapitikewin41. Avec ce procédé, ils pouvaient ainsi identifier

40 Le kokotce est une entité anthropomorphe dont se méfient les familles atikamekw nehirowisiwok. Certains récits font mention de personnes humaines ayant le pouvoir de se transformer en kokotce pour apeurer les familles ou pour adopter un comportement violent envers celles-ci, notamment si ces familles n’ont pas respecté certaines règles de conduite, comme le partage des fruits de la chasse, par exemple (Opitciwani iriniw, février 2015; archives radio Opitciwan; Documentation Cooper; Collection Camille Guy; Notes de terrain Yves Léger 1967-1968). 41 Kosapitcikan minictikw est une île et un site patrimonial près de la communauté d’Opitciwan où se tient ce genre de pratique. Je ne suis pas certain que dans ce récit le locuteur fait référence à ce site, mais il demeure que certains lieux sont reconnus comme étant propices à ces pratiques. Toutefois, selon mes interlocuteurs, ces pratiques ne sont pas effectuées toujours en ces lieux et

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quelqu’un même si celui-ci est très éloigné. C’est donc vers cet endroit que l’aîné est parti pour essayer d’identifier celui qui a poursuivi le jeune homme. On ne sait pas combien de temps ça lui a pris, mais cela pouvait prendre plusieurs jours. Dès que l’aîné a commencé son Kosapitikewin, il constate que c’est un homme qui a poursuivi le jeune homme et non le kokotce. C’est un homme qui l’a poursuivi constate-t-il : « Il y a très très longtemps un homme est mort dans la forêt, probablement mort de faim », dit-il. L’homme avec qui il communique dans le Kosapitcikan lui dit : « Si le jeune homme avait prié pour moi quand je l’ai appelé, il ne m’aurait plus entendu crier son nom », dit l’homme qui est mort de faim dans la forêt.

Plusieurs gens du village ont donc prié pour lui à l’église puisque tel était la demande de l’homme. Il voulait que le jeune prie pour lui, pour l’aider à partir. Mais pendant quelque temps encore, on pouvait entendre sa voix aux rapides de la rivière Saskatcewan (Opitciwani iriniw, février 2015).

Selon mes interlocuteurs, certaines personnes ayant ce pouvoir de communiquer avec les opwakanak et les esprits-maîtres des animaux pouvaient s’en servir à mauvais escient en causant la famine ou la mort de personnes par un désir de vengeance. Certaines familles d’une Nation voisine aux Atikamekw Nehirowisiwok sont craintes parce qu’elles sont reconnues comme ayant ce pouvoir de causer la famine et la mort. Plusieurs récits (tipatcimowina, atisokana) en font mention, mais je partagerai ici le résumé d’un récit raconté par un aîné d’Opitciwan et diffusé à la radio communautaire. Dans ce récit, un aîné d’une Nation voisine décide de jeter un sort à la famille d’un chasseur d’Opitciwan qui a insulté cet aîné en ayant refusé de partager de la viande d’orignal avec lui. Dans le récit, le chasseur et sa famille

étaient sur leur territoire de chasse familial. Le chasseur voulait absolument tuer un orignal pour nourrir sa famille, mais le ka mantowisitc lui a jeté un sort faisant en

ne nécessitent pas toujours la structure de la tente. Un de mes interlocuteurs m’a déjà mentionné avoir eu connaissance que cette pratique ait été réalisée dans une maison sur la réserve.

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sorte que le chasseur ne pouvait plus voir les orignaux42. Progressivement, la famille succombe à la famine. Le chasseur meurt affamé, ainsi que ses enfants. Seule la femme a survécu. Elle a pu survivre en s’alimentant à ses seins. La femme décide de partir à pied de son campement pour retrouver d’autres familles pour l’aider. C’est Gabriel Awashish (le premier kitci okimaw reconnu comme tel à

Opitciwan) qui l’a vu marcher vers la communauté sur la glace. Il s’est aperçu que la femme avait de la difficulté à marcher et a alors envoyé ses deux fils la chercher. Ils l’ont nourrie en lui donnant du bouillon jusqu’à ce qu’elle se sente mieux. C’est après avoir bu le bouillon qu’elle a pu expliquer ce qui s’était passé.

Cet aîné d’Opitciwan qui a raconté ce récit est décédé à l’hiver 2016. Il était reconnu par certains comme étant la personne qui protégeait les familles de la communauté des mauvais sorts jetés par des personnes d’autres communautés ou d’autres Nations. Il s’agissait d’une partie de sa contribution et de sa responsabilité. Certains interlocuteurs m’ont dit l’avoir déjà vu faire le kosapitcikan et avoir entendu les voix qui échangeaient entre elles43 pendant qu’il entrait en communication avec les opwakanak. À l’instar des ka nikaniwitcik, des mocomonok et des okimaw, ces personnes possèdent un statut particulier, des

42 Un interlocuteur issu d’une Nation voisine m’a raconté avoir récemment subi un sort semblable de la part d’un ka mantowisitc de sa propre communauté alors qu’il avait été invité sur le territoire de chasse de son ami apparenté au ka mantowisitc. Ce dernier revendiquait une autorité sur le territoire en question. L’occupation et l’utilisation de cette partie du territoire faisaient partie d’un contentieux entre les membres d’une famille élargie. Selon la description faite par mon interlocuteur, le ka mantowisitc a créé une sorte de voile brouillant sa vue et celle de son partenaire de chasse faisant en sorte que ces derniers ne puissent plus suivre les traces de l’orignal. Selon mon interlocuteur, le ka mantowisitc voulait les faire fuir du territoire et les punir pour avoir parcouru cette partie du territoire. 43 Dans le kosapitcikan, les différents esprits communiquent entre eux. Une personne qui assiste à cette pratique peut entendre ces voix. Dans les années 1970, l’anthropologue Richard Preston a obtenu la permission de ses informateurs eeyouch d’enregistrer les échanges oraux des esprits (qu’il identifie comme mictapeok). Ces enregistrements ont été transcrits et publiés dans l’ouvrage Cree Narrative : Expressing the Personal Meanings of Events [1975]2002.

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pouvoirs et des responsabilités qui leur sont propres et qui participent au renforcement normatif. Dans les communautés, peu de personnes se déclarent ouvertement comme pamikicikotc iriniw ou ka mantowisitc. Comme il a été mentionné un peu plus tôt, ces savoirs et ces pouvoirs n’ont pourtant jamais disparu. Ils sont demeurés présents, mais latents au sein de notcimik et dans les souvenirs des aînés. De plus en plus, ces dernières années, les aînés semblent plus à l’aise d’en parler. Selon le petit-fils de l’aîné décédé récemment : « C’est lorsque les joueurs de tambour ont recommencé à jouer à Opitciwan, c’est à ce moment que les aînés ont recommencé à parler des pratiques rituelles ancestrales. C’est comme si le son des tambours leur a fait se rappeler des souvenirs ».

Conclusion

Ce chapitre fait l’état de certains principes normatifs et modes privilégiés de renforcement normatifs décrits dans la littérature anthropologique portant sur les droits coutumiers algonquiens. Tout au long de ce chapitre, nous avons pu mettre en dialogue cette littérature avec des récits d’aînés atikamekw nehirowisiwok, de mes propres observations et expériences ethnographiques. Ce dialogue entre la littérature et nos propres observations démontre une certaine continuité dans l’observation des pratiques, principes et processus normatifs chez les Atikamekw

Nehirowisiwok en ce qui concerne la vie en forêt. En même temps, comme nous le verrons dans les chapitres suivants, certaines pratiques normatives et modes de renforcement normatif liés à la vie en forêt ont nécessité certains réajustements

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pour se conformer au mode de vie plutôt sédentaire et aux réalités politiques,

économiques et territoriales contemporaines.

Dans les chapitres suivants, nous pourrons revenir sur certains aspects présentés dans la littérature afin de démontrer les continuités et les transformations des pratiques, principes et processus normatifs liés aux activités en forêt chez les Atikamekw Nehirowisiwok dans le contexte contemporain. Nous discuterons

également de la place des kitce atisokana (récits fondateurs) et des kimocominowok (ancêtres) dans la transmission des savoirs normatifs nehirowisiwok et entamerons une réflexion concernant les enjeux d’interprétation des savoirs normatifs véhiculés dans les récits autochtones.

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Chapitre 4

Atisokan : Ancestralité et transmission des savoirs normatifs nehirowisiwok

Introduction

Ce chapitre propose une incursion au sein de notcimik, au sein d’un univers forestier dans lequel interagissent un ensemble de personnes (les humains, les ancêtres, les animaux, les plantes, etc.), en nous appuyant sur des atisokana, des récits fondateurs et de métamorphoses. Nous nous intéressons plus spécifiquement dans ce chapitre à décrire et à comprendre le rôle des atisokana dans la transmission des pratiques et des principes normatifs nehirowisiwok.

Comme il a été mentionné dans le chapitre 2 de la thèse, l’un de mes interlocuteurs, m’ayant fortement encouragé à bâtir mes propos et ma réflexion autour du droit coutumier nehirowisiw à partir de récits fondateurs (kitci atisokana), m’a par ailleurs invité à parcourir des chemins non orthodoxes : à me défaire de l’esprit cartésien (selon ses propres termes) pour m’ouvrir à d’autres univers sensibles. Cette recommandation visait sans aucun doute à ce que mon champ d’analyse ne se retrouve pas trop restreint et que je sois en mesure de considérer sérieusement les univers de sens de mes interlocuteurs. Cette recommandation visait aussi certainement à ce que cette recherche n’aboutisse pas à une codification trop restrictive, mais plutôt à une définition large du droit coutumier

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plus centrée sur les principes épistémologiques et ontologiques sur lesquels se fondent les normes sociales.

La transmission des savoirs normatifs par le biais de la tradition orale offre une flexibilité tant dans la forme que dans le contenu des savoirs transmis et acquis.

Ce mode de transmission offre aussi une forme de pouvoir au narrateur qui transmet le récit interprété selon ses propres expériences et un pouvoir aux auditeurs qui reçoivent et interprètent ces enseignements à partir également de leurs propres expériences (Bauman 1986, Cruickshank 1998, Jackson

[2002]2013). Cette dynamique que l’on retrouve dans les relations autour de la transmission des récits s’inscrit dans ce que Jackson ([2002]2013) nomme

« politics of experience ». La transmission des savoirs normatifs par le biais de la tradition orale permet aux narrateurs et aux auditeurs d’engager et de mettre en relation leurs expériences avec celles des ancêtres, comme elle permet de générer de nouvelles relations et de nouvelles expériences (Jackson [2002]2013, 2005).

Comme l’exprime bien Jackson dans son livre The Politics of Storytelling ([2002]2013:37) portant sur les processus sociaux entourant la transmission des récits: « By constructing, relating, and sharing stories, people contrive to restore viability to their relationship with others, redressing a bias toward autonomy when it has been lost, and affirming collective ideals in the face of disparate experiences. »

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4.1. La transmission des savoirs normatifs par l’entremise des atisokana

Selon l’anthropologue et juriste Norbert Rouland, les sociétés transmettent, au travers de leurs récits fondateurs, des explications fondamentales et des règles permettant la vie en société. Pour cet auteur, il y a alors un lien étroit entre les récits fondateurs des sociétés et les normes qu’elles veulent faire appliquer (1988 :188). Mes interlocuteurs m’ont également fait part de l’importance des récits pour la socialisation des personnes, particulièrement des enfants. Les savoirs normatifs transmis par ces récits permettent, par exemple, de rappeler les rôles et les responsabilités des personnes et la place de chacun au sein de l’institution familiale. Les aînés jouent un rôle de premier plan dans la transmission des récits.

Dans un entretien réalisé en 1997 à Manawan par un assistant de recherche nehirowisiw, un aîné lui dit : « C’est le mandat de l’aîné de raconter. C’est comme aujourd’hui. Tu viens me voir et je te raconte. Comme ça, on ne perd rien. L’aîné raconte ce que les autres ont raconté. C’est ça l’utilité de la vieillesse. Un jour, toi aussi, ce sera ton rôle ».

Quelques semaines avant d’écrire ces lignes, j’ai eu une discussion inspirante lors d’une rencontre avec mes partenaires à la recherche atikamekw nehirowisiwok, discussion qui a orienté l’écriture de ce chapitre. La discussion portait sur le rôle des récits et les enjeux liés à leur interprétation. Pour un de mes interlocuteurs atikamekw nehirowisiw, les atisokana racontés par les aînés transmettent des principes normatifs importants. Ces récits sont souvent adressés aux enfants et aux jeunes adultes, particulièrement les récits mettant en scènes certaines entités comme le wisaketcakw, apici irinic, micta napew et tcakapec parce que ce sont des entités souvent décrites comme taquines, mesquines et rusées et qui

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apportent un enseignement sur les comportements à éviter ou à privilégier. Dans certains récits, ces entités n’obéissent pas aux pratiques normatives et doivent subir les conséquences44 de leurs comportements déviants (ex. non-partage des fruits de la chasse, mensonge, maltraitance des animaux, etc.). Dans d’autres récits, ces mêmes entités sont décrites comme bienveillantes parce qu’elles guident les êtres humains dans leurs pratiques de chasse et de cueillette et parce qu’elles participent à la création et à la formation des paysages et des espèces animales et végétales. Ces récits/entités sont également présentés dans les toponymes, pour nommer des escarpements rocheux par exemple. D’autres entités, comme kokotce et witiko, sont par contre redoutées et sont présentes dans la tradition orale autant dans les atisokana (récits fondateurs) que dans les tipatcimowina (récits de vie). Avec l’influence du catholicisme, ces entités sont parfois décrites comme l’équivalent du diable ou des mauvais esprits « matci manito » (documentation Cooper 1925-1937, notes de terrain Yves Léger, Collection Camille Guy, Services éducatifs Opitciwan, Radio communautaire

Opitciwan, projet Atikamekw Kinokewin).

Selon un partenaire de recherche, ces récits discutant de ces entités sont d’abord destinés aux enfants et aux adolescents, les aînés ayant moins besoin de ces récits. Les aînés et les adultes vont les raconter aux enfants pour qu’ils apprennent à reconnaître les bons comportements et les comportements à éviter. Tout cela dans une forme humoristique. Les adultes et les aînés se réfèrent à d’autres récits portant surtout sur les relations avec les esprits des ancêtres (opwakanak), les esprits-maîtres des animaux (awesisak okimaw) et le grand-esprit (kitce manito). Comme il en sera mention dans les sections suivantes, ces récits sont transmis et

44 Comme conséquence, on retrouve souvent la mort ou la transformation de cette entité en espèce animale ou végétale.

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vécus dans des contextes spécifiques: lors de pratiques rituelles, lors de la transmission de patronymes familiaux et de savoirs artisanaux et toponymiques, par exemple.

4.2. Tipatcimowin acitc atisokan

Les anthropologues intéressés par les récits algonquiens ont distingué au moins deux grands types de récits : les atisokana et les tipatcimowina (Hallowell

[1960]1981, Preston [1975]2002, Vincent 1982, Brightman 1989, Jérôme 2010, Simpson 2011). Ces types de récits ne sont pas nécessairement clairement distincts l’un de l’autre. Un même récit peut être à la fois atisokan et tipatcimowin. Les auteurs précédemment mentionnés traduisent tipatcimowin par « récit de vie », faisant référence à des récits qui décrivent des évènements assez récents et qui suggèrent la présence de témoins directs ou indirects (Jérôme 2010 :187). Morphologiquement, on pourrait traduire le verbe tipatcim par « dire avec mesure », « mesurer ses paroles », « raconter », « narrer » (Cuoq 1886 :402). Dans les langues algonquiennes, le morphème tip- sert à marquer une action de mesure. Par exemple, le nom tipahikan, construit à partir des morphèmes tip- (mesurer, comparer, faire correspondre) et –kan (garder, prendre soin) est utilisé pour nommer les instruments de mesure, comme la règle métrique par exemple. Le morphème tip- peut également évoquer la comparaison ou la correspondance de deux ou de plusieurs objets ou, dans ce cas-ci de deux ou de plusieurs discours (Cuoq 1886, Mailhot et Vincent 1980). Ainsi, le verbe tipatcim pourrait aussi être traduit par « faire correspondre la parole [à un évènement ou à la parole d’une autre personne] ». Régulièrement, avant de livrer ces récits, les locuteurs

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formulent « on raconte que… », « on dit que… », « moi je ne sais pas, mais mon grand-père m’a dit que… » (Bouchard et Mailhot 1973).

Dans la littérature d’algonquinistes, les atisokana sont décrits à la fois comme des récits fondateurs, des récits de métamorphose et comme des entités anthropomorphes (Speck 1925, Davidson 1928, Guinard 1930, Hallowell [1960]1981, Preston [1975]2002, Brightman 1989, Savard 2004, Jérôme 2010,

Simpson 2011, Innes 2013). Comme nous le verrons plus en profondeur, les atisokana font mention régulièrement d’entités qui possèdent à la fois des caractéristiques humaines et non-humaines. Selon Hallowell ([1960]1981), ces entités elles-mêmes peuvent être nommées atisokana. L’anicinabe Leanne

Simpson (2011 :57) abonde dans le même sens. Par ailleurs, selon ces deux auteures, l’évocation des atisokana – la mise en récit des atisokana – invoque la présence des entités auxquelles ils font référence : « when the myths are narrated on long winter nights, the occasions is a kind of invocation: “Our grandfathers” like it and often come to listen to what is being said” (Hallowell [1960]1981:27). Ici, le terme « grandfathers » est compris dans son sens large, comprenant un ensemble d’entités (humaines et non-humaines). La traduction nehiromowin du terme est kimocominowok, terme qui peut être employé pour parler des grands-parents

(sociaux et biologiques), des ancêtres ou des esprits-maîtres d’animaux, de plantes ou d’autres entités qui sont grandement respectés. Nous y reviendrons un peu plus loin.

J’ai eu la chance d’expérimenter à diverses occasions la cérémonie de la tente suante (ou suerie) (matotasowin). Ces pratiques sont toujours guidées à la fois par un maître de cérémonie et les esprits des ancêtres (opwakanak, kimocominowok). Je ne discuterai pas en détail de ces expériences, parce qu’elles sont intimes et

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différemment vécues. Je veux simplement mentionner qu’à certaines occasions, à la discrétion du maître de cérémonie, cette pratique peut également être guidée par un atisokan qui favorise la mise en relation avec les esprits45. Selon un des maîtres de cérémonie que j’ai rencontré, l’atisokan invite à la transformation de la personne. Atiso- signifierait « transformation » et le radical –kan signifie

« s’occuper », « prendre soin ». Ce n’est pas tous les matotasowin qui sont guidés par un ou des atisokana. Néanmoins et à de telles occasions, ces récits racontent comme ils provoquent la transformation de la personne. Cela rejoint d’une certaine manière les propos de Renato Rosaldo (1989 :129) : les récits façonnent plus qu’ils ne reflètent la conduite humaine.

4.3. La documentation des récits

Comme il a été mentionné brièvement dans le deuxième chapitre de cette thèse, j’ai eu la chance durant mes séjours sur le terrain de recueillir certains récits racontés par des aînés. Les récits recueillis ont été traduits du nehiromowin vers le français par des assistants de recherches atikamekw nehirowisiwok embauchés à cette fin. Dans la plupart des occasions, ces assistants travaillaient à partir des enregistrements audio que nous avions recueillis auprès des aînés des communautés d’Opitciwan et de Wemotaci. Ils travaillaient à partir de leur maison et, quasi quotidiennement, je me rendais à leur demeure pour faire le suivi du travail de traduction avec eux. Nous discutions alors des aspects dénotatifs et connotatifs des récits dans leur ensemble. À d’autres occasions, l’assistant travaillait à la traduction alors que je me retrouvais à l’extérieur de la communauté.

45 Voir également la thèse de Laurent Jérôme (2010).

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À ces occasions, je n’ai reçu que le produit final de la traduction et très peu d’informations sur le processus de traduction en tant que tel. J’ai toutefois, à diverses occasions, pris l’initiative de faire écouter certains de ces enregistrements

à d’autres locuteurs atikamekw nehirowisiwok afin de recueillir leurs commentaires et leurs versions des récits. L’idée étant ici de valider les traductions et de recueillir une diversité d’interprétations. Cette démarche a porté certains fruits, mais pas autant que je l’aurais souhaité ; mes interlocuteurs étaient beaucoup plus intéressés à écouter les récits qu’à discuter « à chaud » de leur interprétation (particulièrement lorsque l’écoute se faisait en groupe). Il me semblait qu’il valait mieux parfois laisser le temps à mes interlocuteurs de s’imprégner des récits, d’y méditer. À certaines occasions, ces interlocuteurs me revenaient des semaines, voire des mois plus tard, et m’apportaient des explications et des éléments d’interprétation de récits que nous avions écoutés ensemble.

Enfin, comme il été mentionné dans le chapitre 2, le coordonnateur de la radio communautaire d’Opitciwan m’a généreusement offert une soixantaine de récits oraux recueillis auprès d’aînés des trois communautés atikamekw nehirowisiwok depuis les années 1960. Pour la traduction et l’interprétation de ces récits, je m’y suis pris un peu différemment. En compagnie d’un ami atikamekw nehirowisiw, nous avons écouté chaque récit un à un. Chaque soir, après le souper, je me rendais chez lui pour faire l’écoute et la traduction des récits. Nous avons mis environ une dizaine de jours pour traduire et transcrire un résumé d’une partie seulement de ces récits46. Pendant que nous écoutions les récits, mon ami s’affairait à la couture et à la broderie de peau d’orignal et de castor. Nous écoutions les récits dans son atelier parsemé de peaux, de mocassins, de

46 Nous avons fait des résumés pour une quarantaine de ces récits. Une vingtaine d’entre eux ont retenu plus notre attention et nous y avons consacré plus de temps.

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vêtements en cuir brodé et où régnait une bonne odeur de peau fumée.

L’ambiance dans laquelle nous avons effectué l’exercice de traduction était tout à fait particulière et a probablement eu un effet dans la transcription et la traduction des récits. Par exemple, notre travail de transcription et de traduction de récits de chasse, soulignant les relations intimes et de réciprocités entretenues entre les chasseurs et les animaux (leur esprit-maître), avait un sens dans le contexte où nous nous trouvions alors que mon interlocuteur et interprète décrivait ces relations d’intimité tout en s’affairant à décorer les peaux des animaux chassés par des membres de sa famille. Ces peaux, dont il a pris soin pendant plusieurs mois47, ne sont pas considérées par mon interlocuteur comme étant inertes et sans vie (voir chapitre 1). Il était approprié pour lui d’écouter et de discuter autour de ces récits de chasse transmis par des aînés tout en accordant du temps au travail de la peau animale. Aussi, pendant notre exercice, mon interlocuteur prenait le temps d’apporter ses propres savoirs et d’expliquer les sens de certains termes, dont certains ne sont presque plus utilisés par les membres des communautés atikamekw nehirowisiwok aujourd’hui.

L’exercice d’écouter et de réécouter les récits avec différents interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok dans divers contextes et environnements m’a apporté, à certaines occasions, des éléments supplémentaires venant complémenter mes propres interprétations à la fois des récits comme tels, mais aussi des savoirs normatifs nehirowisiwok. Cet exercice m’a été également important afin de m’imprégner progressivement du sens de l’humour de mes interlocuteurs.

47 La confection de vêtements à partir de la peau animale demande plusieurs mois de préparation. Pour connaître toutes les étapes de la préparation et du tannage de la peau, consultez le site www.atikamekwkinokewin.org

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L’humour et les jeux du langage sont très présents dans ces récits et le fait que ces interlocuteurs puissent partager et me traduire ces moments demeure précieux et me permet, peu à peu, de saisir une partie infime seulement des dimensions lyriques des récits et de la tradition orale nehirowisiw, dimensions qui demeurent importantes dans l’exercice d’interprétation et de traduction.

4.4. Discussion autour du travail d’interprétation et de traduction des atisokana

Certains anthropologues et juristes vont favoriser l’analyse des récits autochtones afin de faire ressortir les principes normatifs sur lesquels se fonde le droit coutumier autochtone (voir notamment les travaux de Val Napoleon et du

Indigenous Law Research Unit [ILRU])48. Le travail d’interprétation et de traduction des récits et de la tradition orale en général pose de nombreux défis et enjeux.

Plusieurs anthropologues49 s’étant intéressés aux questions d’interprétation et de traduction ont discuté de l’importance de tenir compte des contextes d’énonciation des récits, comme de leur fonction poétique. Dennis Tedlock (1983) et Dell Hymes (1981), par exemple, estiment que le travail d’interprétation et de traduction des récits se doit de considérer à la fois la dénotation et la connotation des termes utilisés par les narrateurs afin de bien refléter la dimension lyrique et le champ sémantique des récits. Il y a tout un travail aussi afin de bien saisir la place et la fonction qu’occupent la tradition orale dans la transmission des savoirs normatifs et dans les processus de règlement des conflits au sein des différentes socialités autochtones. Il existe certainement une utilisation et une perception diversifiées

48 Napoleon (2012), Napoleon et Friedland (2014, 2016). Voir également les travaux de Rouland (1988), Williams (1990), Grammond (2003), Savard (2004), Wheeler (2005), Innes (2013). 49 Voir, par exemple, Hymes (1981), Tedlock (1983), Basso (1984), Bauman (1986) et Cruickshank (1998).

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des récits normatifs issus de la tradition orale par les membres d’une même Nation autochtone. Ainsi, dans ce chapitre, je mettrai en valeur les visions et interprétations des récits exprimés par certains interlocuteurs, sachant très bien que cela ne correspond pas nécessairement aux visions et interprétations des récits partagés par l’ensemble des membres de la Nation.

Notons d’abord que plusieurs interlocuteurs et partenaires de recherche atikamekw nehirowisiwok ont insisté sur le fait que les atisokana ne sont pas des « mythes », comme nous l’entendons dans notre conception occidentale. Un de ceux-ci m’explique lors d’une réunion visant à faire le point sur mes recherches :

Pour vous, les « mythes » sont des histoires inventées, fictives. Pour nous, les atisokana ce n’est pas juste de la « croyance ». Les atisokana font partie de la réalité, de notre réalité. Les atisokana ne sont pas fictifs. Ils sont là. Quand quelqu’un raconte un récit, une expérience, on ne dit pas que ce qu’il a vécu n’est pas vrai, n’est pas réel. Les récits que les aînés racontent, on les écoute. On apprend beaucoup de choses en les écoutant. Ça nous aide dans notre propre vie .

Un autre interlocuteur assis autour de la table de réunion enchaîne :

Nos récits sont très différents des vôtres. Prenons le loup, par exemple. Dans nos récits, le loup n’est pas méchant. Ce n’est pas comme ce qu’on voit dans vos films ou vos histoires [récits occidentaux], comme le petit chaperon rouge où le loup mange la grand-mère. Il y a un atisokan qui parle des différents cycles qu’il y a sur la terre. Un moment donné, les humains et les animaux ont dû s’en aller parce que là où ils vivaient, la terre n’était plus habitable. Après un certain temps, les personnes, les humains et les animaux ont voulu savoir s’ils pouvaient retourner là où ils étaient avant. Il y a un loup qui est parti pour voir s’ils pouvaient y retourner. Les humains et les animaux ont attendu un peu et

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lorsqu’ils ont vu que le loup ne revenait pas, ils ont suivi ses traces. Ils se sont dit : « si le loup n’est pas revenu ici, c’est parce qu’il est là-bas et qu’on peut retourner vivre là ».

Une troisième personne assise à la table de réunion poursuit:

Le loup est un éclaireur. Il a beaucoup de savoirs. Lorsqu’on observe ses comportements, on apprend beaucoup de choses. Par exemple, les loups âgés, lorsqu’ils savent qu’ils sont trop vieux et qu’ils vont mourir, ils laissent les autres loups passer devant eux. Il reste derrière. C’est comme s’il disait : « je vous laisse ma place. Prenez le relais. Tracez votre chemin ». Il y a une sagesse là-dedans ! Il y a tout un enseignement à retirer de cela.

Comme l’un des partenaires a dit lors de cette séance de travail : « Il est difficile pour les Québécois de comprendre les atisokana parce qu’ils les interprètent à leur façon. Ils essaient de les mettre dans leurs petits carrés [dans leur grille d’analyse].

Nous, on ne fonctionne pas comme ça ». Me sentant interpellé, j’ai alors posé la question à savoir, si nous regardions tous le même film, nous l’interprèterions tous de la même façon ? Est-ce qu’il y aurait autant d’interprétations que de personne, ou est-ce que les Atikamekw Nehirowisiwok auraient une base commune d’interprétation qui n’est pas partagée par les Québécois. Une partenaire de recherche répond :

C’est sûr que les interprétations sont différentes entre les Québécois et nous autres. Quand on écoute un film, même si c’est un film qui vient d’Hollywood, on fait des liens avec nos propres récits. Parfois mes enfants écoutent des films américains et vont voir kokotce [entité présente dans plusieurs atisokana nehirowisiwok] dans certains personnages. Les jeunes québécois ne connaissent pas kokotce. Aussi, il y a des films qui ressemblent à nos propres récits, comme le film Avatar. Ça rejoint les Autochtones ce film. Ça rejoint ce qu’on discute lorsqu’on parle de

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notre relation au territoire. Ça parle aussi de notre histoire lorsque les « blancs », tes ancêtres (rire), viennent détruire notre territoire. Ils détruisent les Autochtones, les gens qui étaient là avant. C’est de ça dont parle le film Avatar.

Cette discussion informelle et inusitée menée avec mes partenaires de recherche m’a amené à réfléchir sur les défis que pose l’interprétation des récits, comme des chevauchements possibles entre schémas sémantiques et narratifs; quelles sont les zones de rencontres et les incommensurabilités entre les récits et les principes

épistémologiques et ontologiques occidentaux et autochtones? Comment arriver, à titre d’allochtone, à une interprétation juste et conforme des récits autochtones?

Il s’agit de questions importantes à considérer lors de la lecture et de l’analyse des atisokana que l’on retrouve dans les prochaines sections de cette thèse. Aussi, il est important de rappeler que l’analyse proposée ici prend nécessairement appui sur une description ethnographique détaillée. C’est grâce au travail ethnographique et à un exercice d’interprétation et de validation collaboratives avec nos partenaires à la recherche, je pense, que l’on peut véritablement proposer une interprétation qui soit représentative des savoirs normatifs exprimés et transmis par le biais de la tradition orale.

4.5. Notcimik kitci atisokan

Les récits fondateurs largement partagés et transmis depuis des générations par les membres de la Nation atikamekw nehirowisiw peuvent certainement nous informer sur leurs savoirs normatifs, autant au niveau de la substance des normes qu’au niveau du processus de transmission. Ici, je voudrais partager un récit qui a

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été raconté à Manawan à l’été 2009 lors du campement kinokewin50. Ce récit a été traduit et transcrit en français et en cela je suis conscient que son rendu ne peut qu’être incomplet.

Au départ, j’ai hésité à inclure une version écrite, altérée et décontextualisée de ce récit dans cette thèse. Je me questionnais également à savoir si cela pouvait offenser mes interlocuteurs. J’ai alors posé la question à un collaborateur et un ami atikamekw nehirowisiw qui participe au projet Kinokewin et qui était présent lors de la narration de ce récit. Il m’a répondu : « On peut parler ou écrire sur les atisokana, tout dépend de la manière dont cela est fait. Chaque personne interprète les atisokana à sa façon et va chercher ses propres enseignements.

C’est très personnel ».

J’ai décidé de partager la transcription en français du récit parce que, selon moi, ce récit met en place et articule un ensemble de savoirs normatifs qu’il est possible de mettre en relation avec divers autres atisokana et tipatcimowina recueillis auprès des aînés et responsables territoriaux atikamekw nehirowisiwok lors de mes séjours dans les communautés et avec mes observations sur le terrain. Ce récit fait état, par exemple, de la profondeur des relations et des savoirs entretenus entre les Atikamekw Nehirowisiwok et notcimik, le territoire d’appartenance et d’origine. Pour avoir relu cette transcription à différentes occasions dans les dernières années, ma façon d’interpréter cette transcription et traduction a évolué avec le temps selon mes expériences au sein des communautés et de notcimik et

50 Le campement kinokewin a été organisé par les membres du projet Atikamekw kinokewin (CRSH 2006-2010) dirigé par Sylvie Poirier (Université Laval) en partenariat avec des membres du Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw.

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selon mes conversations (toujours très enrichissantes) avec mes interlocuteurs et partenaires à la recherche atikamekw nehirowisiwok

Je ne proposerai donc pas une interprétation trop cadrée de cet atisokan (ni des autres atisokanana discutés dans cette thèse). Je ne prétends aucunement définir l’ordre normatif nehirowisiw à partir uniquement de ces quelques récits exposés dans cette thèse. Toutefois, mis en relation avec un ensemble d’expériences partagées avec et par mes interlocuteurs, ces récits peuvent apporter une nouvelle sensibilité, de nouvelles pistes d’explication formulées dans une forme plus ouverte et (inter)subjective. Ainsi, sans proposer une interprétation stricte d’un récit déjà décontextualisé et altéré (par l’exercice de la traduction et de la transcription), je suggère au lecteur de lire et de vivre cet atisokan en continuité et comme une partie des descriptions ethnographiques discutées dans cette thèse. Enfin, j’invite le lecteur à lire ce récit51 non pas en tant que « produit » réifié, mais plutôt à le lire et à le vivre comme une expérience tout à fait intersubjective.

51 Ce récit a été raconté par Roger Echaquan (Manawani iriniw) lors du campement Kinokewin réalisé à Manawan en 2009.

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Notcimik kitci atisokan

Là-haut, très loin là-haut, c’est de là qu’apparait une lumière. Elle s’en vient cette lumière elle vient à la rencontre de la terre. Soudain elle s’est arrêtée, cette lumière. Elle est restée là longtemps. On l’a vu là longtemps cette lumière. Puis elle est encore repartie. Elle a voyagé longtemps encore puis elle s’est de nouveau arrêtée. Pendant qu’elle s’en venait, on voyait des étincelles et c’est là que sont nées les étoiles. C’est ce qui est arrivé.

Encore une fois, la lumière a bougé et c’est là qu’elle est arrivée près de la terre. La terre n’a pas bougé, elle est restée suspendue. Cette lumière en a fait le tour une fois. Une fois qu’elle a fini de faire un tour, c’est là que la terre a bougé. Et c’est là que la vie a commencé sur cette terre. C’est là qu’il y a eu les premiers hommes. Ils étaient très grands et énormes (micta napeok). Ils ont vécu longtemps. Les animaux aussi étaient très gros. Bientôt, ils ont manqué de nourriture.

Il est arrivé quelque chose à la terre ; un tremblement de terre. Beaucoup d’entre eux sont morts : les grands hommes et les animaux aussi. D’autres sont partis vers l’océan. Ils ont changé d’apparence. Il y a eu de gros poissons. D’autres ont remonté à la surface de la terre. C’est là que sont apparus l’orignal, le chevreuil et tous les autres animaux qu’on peut voir. Dès qu’ils ont fait surface, la transformation s’est produite. Ils changeaient d’apparence dès qu’ils sortaient de l’eau.

D’autres hommes sont apparus (apici irinic). Ceux-là étaient très petits. Ils ont vécu longtemps eux aussi sur la terre.

Il est encore arrivé quelque chose à la terre. Un autre tremblement de terre. Encore là, beaucoup ont péri, mais quelques-uns de ces petits hommes sont restés vivants. Et la vie a repris. D’autres hommes d’une autre taille sont arrivés, et ça, c’est nous, des hommes à notre ressemblance. Une autre fois la terre a tremblé. Beaucoup d’hommes sont partis. Il ne restait que très peu de petits hommes. On n’en voyait que très peu.

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Un jour, des hommes de notre corpulence ont vu un feu sur une montagne. Ils ont pensé que c’était encore cette lumière qui repartait. Ils ont pensé que quelque chose allait encore se passer. Après avoir vu ce feu, ils sont partis tuer les petits hommes (apici irinic). Ils les ont presque tous tués. Un petit homme a dit : « Je vais changer d’apparence. Vous ne me verrez plus. Mon rôle sera de surveiller les hommes pour qu’il y ait toujours des hommes sur la terre. Ce sera mon rôle ».

Les grands hommes (mictanapeok, mictapeok52) aussi, quelques-uns avaient survécu. C’est ce qu’ils ont fait aussi. Ils se sont faits invisibles et leur rôle était de surveiller les animaux pour la survie des espèces. Et c’est ce que fait le grand homme. À l’automne, quand tu pars à la chasse, il te surveille pour que tu ne gaspilles pas. Pour ne pas tuer des choses pour rien. Quand il voit que tu ne fais pas attention, ta chasse va être moins bonne, tu ne tueras plus. C’est lui qui surveille les animaux qui fait ça. Ils ont vécu longtemps ceux de notre espèce. Un jour, ils ont senti un autre tremblement. Beaucoup sont morts encore. Les hommes, les arbres… on ne les voyait presque plus. Il n’y avait que l’eau et le sable. C’est tout ce qu’on voyait.

Nos grands-pères (mocomonok) et nos grands-mères (kokominok) étaient assis en cercle. L’un d’entre eux se lève et dit : « je vais changer d’apparence pour nos petits-enfants. Il le faut pour qu’on puisse les aider, pour qu’ils puissent vivre. Je vais me changer en tremble (asati) et je vais avoir des feuilles. Lorsqu’il y aura du vent et que mes feuilles se feront entendre, nos petits-enfants viendront s’asseoir en dessous et écouteront mes feuilles. C’est là que je les soignerai. Même s’il ne vente pas et qu’ils s’assoient là, je les soignerai quand même. Une autre façon de soigner sera mon écorce. Ils enlèveront de mon écorce. Ils la feront bouillir. Celui qui a mal au ventre, qui a une maladie du cœur, ce sera ça ma médecine. »

- Tu vas faire du bon travail, disent les autres.

Un autre se lève et dit : « Moi aussi je vais changer d’apparence. Je vais aider le tremble qui veut aider nos petits-enfants. Moi aussi je vais avoir des feuilles. Quand nos petits-enfants s’assoiront, je vais les soigner. Moi, je vais être le

52 Voir la description faite de ces entités dans la littérature algonquiniste (chapitre 3).

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bouleau blanc (wikwasatikw). Mon écorce sera divisée par les femmes. Elles vont voir entre les deux épaisseurs une couleur rouge et c’est ça qu’elles vont ramasser. Cette médecine aura pour effet de régulariser les menstruations. En plus, avec mon écorce, elles feront des objets utiles : des canots, des paniers pour mettre des choses pour le transport. Ils fabriqueront des raquettes avec mon bois. Ils me reconnaîtront par mon allure : droit et long. Mes branches pointeront différemment des autres pour bien plier quand ils me plieront. Il va y avoir quelqu’un qui saura se servir de mon bois. Ce sera pour le porter. Ce sera mon rôle. Et mes racines seront une médecine. Celui qui tremble, ce sera ça qui va le soigner : mes racines. ».

- C’est vrai. Tu vas faire un bon travail.

Un autre se lève : « Moi aussi je vais me transformer. Quand ils feront un long trajet, quand ils seront fatigués, ils n’auront qu’à enlever un peu de mon écorce. Ils la mâcheront pour en avaler leur salive et, dès lors, je leur enlèverai leur fatigue ». Et lui c’est le sorbier (maskominanatikw). « Je vais aussi avoir des fruits pour qu’ils puissent manger s’ils n’ont plus rien à manger. Ils feront bouillir mon écorce et frictionner les jambes des enfants pour qu’ils aient des os robustes. De même pour les femmes qui viennent de mettre un enfant au monde, elles pourront en boire pour qu’elles reprennent des forces le plus vite possible. »

- Toi aussi, tu vas faire du beau travail.

Un autre se lève et dit : « Moi aussi. Je serai au bord des rivières et des lacs. Nos petits-enfants vont me voir lorsqu’ils longeront ces rivières et ces lacs. Ils vont me voir tout de suite. Ils se serviront de mon écorce. Ils la feront bouillir. Ils se serviront aussi de mon bois qu’ils feront aussi bouillir, longtemps, jusqu’à ce que ça soit devenu gommeux. Ce sera pour ceux qui ont des problèmes cardiaques ou autres maladies. C’est comme ça que je vais les soigner. Je vais m’appeler Wikopi (saule) ».

Un autre encore se lève, une grand-mère. « Moi aussi je vais me changer. Quand nos petits-enfants seront sur leur territoire, pour leur survie, ils mettront des branches par terre. Quand ils me sentiront, ça va les aider. Ça va aider ceux qui

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ont des difficultés respiratoires. J’aurai de la gomme pour ceux qui auront des blessures ouvertes. Ça va leur enlever la douleur et ils guériront plus vite. Ils pourront mâcher cette gomme. Ça va leur donner des forces et, aussi, leur sang va être bon. Ils pourront se servir des jeunes pousses qu’ils mettront sous la langue pour ceux qui ont des problèmes cardiaques. C’est pour ça que l’ours mange l’écorce de sapin (irinact) ; à cause de la gomme, pour son sang et pour être en bonne santé. »

Un autre se lève. « La façon dont je vais aider sera pour celui qui a des difficultés avec ses intestins. Celui qui a des hémorroïdes. Il va prendre des morceaux de mon bois coupé (le cœur de l’arbre) et va s’asseoir dessus. Il devra le réchauffer avant. Je vais l’aider comme ça. Cet arbre, c’est le wisakatikw (petit merisier / cerisier de Pennsylvanie). Il sentira que je l’ai aidé, par son haleine. C’est alors qu’il saura que je l’ai aidé. »

Un autre vieil homme s’est levé. Il était grand celui-là. « Moi aussi je vais me changer. Je vais être cikokw (pin). Je serai le plus grand », dit-il. « Je suis celui qui va protéger les autres arbres afin qu’ils ne se fassent pas frapper par la foudre. Je vais être celui qu’on frappera en premier pour que la foudre ne tombe pas sur les autres arbres. Là où il me frappera, c’est là que je serai médicamenté. C’est ça qu’ils vont faire sécher. C’est cela qu’ils mettront dans l’eau. Ce sera pour ceux qui ont des brulements d’estomac. Celui qui se fait du souci, ça amène des brulements. Alors il prendra ça (bois frappé par la foudre). »

- Oui, tu vas faire du bien, lui dit-on.

Un autre grand-père se lève. « Moi aussi je vais me changer. Moi aussi je veux aider nos petits-enfants, ceux qui vont naître. Je serai sur la montagne du côté du soleil levant, au printemps. C’est là que je serai le plus fort. Ce qu’ils feront, ils mettront un bout de bois dans une entaille qu’ils auront fait et mettront quelque chose au pied ». Et c’est l’érable (irinatikw). « Je serai comme une maman. Une maman qu’on tète. C’est comme ça qu’on pensera, comme ça que je vais aider. Ils feront couler ma sève. (C’est pour ça qu’on l’appelle « terre mère », comme si on prenait son lait [note de la traductrice]). Pour être en bonne santé. »

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Un autre s’est levé et dit : « Moi aussi je vais me transformer. Je vais être un castor (amiskw) »

- Et quelle sera ton utilité ?

- Je vais manger les arbres. Je vais prendre ce qu’ils ont de médicament. Et c’est dans mes rognons que je vais les garder pour soigner nos petits-enfants. Je mangerai plusieurs sortes d’arbres pour que mon médicament soit très efficace. Je ferai vivre, je vais emporter la vie là où il y a des ruisseaux. C’est là que je ferai ma demeure. Je ferai des barrages et en même temps, prendrai soin du ruisseau. Il y aura d’autres animaux qui vivront de ça. Ils viendront manger. Les poissons viendront pour qu’ils se multiplient, pour qu’ils soient en santé.

- Oui, tu vas bien travailler.

Puis un autre encore. « Moi aussi, je vais enseigner à nos petits-enfants. Quand ils verront mes traces et qu’ils les suivront, ils vont voir la vie. Je serai un orignal. Je mangerai aussi le bois. N’importe où, je vivrai là où il y aura des arbres. Je ferai en sorte que la terre vive »

- Tu vas bien servir nos petits-enfants.

- Avec mon poil, ils feront des couches (matelas) et ils feront des broderies. Ils tanneront ma peau pour se faire des vêtements : des manteaux, des mocassins et des mitaines. Ils se serviront même de mes oreilles pour se faire des sacs. Ils les sépareront en deux. Ils se serviront aussi de mes tendons pour faire du fil. Ça leur servira aussi pour les arcs. Ils feront bouillir mes oreilles et ça servira pour renforcer leurs arcs avec la matière obtenue quand ils tireront sur d’autres animaux. Pour voir mes utilités, ils iront voir en dedans de moi « omaw » (partie des tripes de l’orignal). Ils me vireront à l’envers et verrons des petites marques comme des petits sapins qui commencent à pousser. C’est là qu’ils verront mon utilité. Même mes pattes leur serviront53. Ils se feront des outils.

53 Certains chasseurs de Manawan et d’Opitciwan m’ont parlé, par exemple, des bottes faites à partir des pattes arrières de l’orignal. Ces bottes nommées otitamaniskisin étaient surtout utilisées à l’hiver (pipon) et au pré-printemps (sikon). Selon mes interlocuteurs, certains aînés encore vivant

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Un autre se lève. « Moi aussi je vais aider nos petits-enfants. Je vais manger pour être gras et être fort pour nos petits-enfants ». Lui, c’est l’ours (masko). « Je vais manger beaucoup de bleuets pour que nos petits-enfants puissent prendre ma graisse et en fassent un médicament. La seule chose qui va m’arriver c’est que je vais dormir tout l’hiver. Je vais voir mon avenir, mon chemin pour nos petits- enfants (c’est ce qu’on dit de l’ours ; il voit l’avenir). Ils vont bien se servir de mon corps. Même avec mes pattes. Quand ils voudront savoir ce qu’ils vont tuer, comment ils vont vivre, ils n’auront qu’à lancer mes pattes en l’air. Ça leur dira où est mon semblable. C’est comme ça que je serai utilisé. »

- Tu vas être très utile.

Une très vieille dame se lève. « Moi aussi je vais me changer pour nos petits- enfants. Je vais être l’eau des rivières et des lacs. Ils vont me connaître comme ça. Je vais porter la vie. L’enfant naît dans l’eau. L’eau sera toujours bénie. Nos petits- enfants iront au bord de l’eau et ils boiront pour soigner leur corps. Toute la vie est là. Celles de nos grands-pères. Tout est là. Si vous voulez vous rappeler vos rêves, buvez un verre d’eau avant de vous coucher et aussi un verre en vous levant. Ce sera ça mon rôle. »

Un autre se lève. « Moi je serai celui où poussent les bleuets pour que nos petits- enfants en fassent la cueillette. Ils me mangeront et mes racines seront un remède pour que le sucre ne les affecte pas. Ce sera mon utilité. »

Nous voyons toutes les utilités partout où il y a des plantes sur la terre. Toutes ces choses. Même ce que j’ai apporté, « pirewominan » (nourriture de la perdrix). Nous ne nous sentirons jamais seuls lorsque nous irons dans la forêt. Toutes ces choses sont nos grands-pères qui se sont transformés pour nous. Ils ont voulu ça comme

ont déjà portés ces bottes, mais cela fait plusieurs années maintenant qu’ils n’ont pas vu de chasseur en porter. Pour imperméabiliser ces bottes, on les trempait dans une décoction faite avec une plante (oripeatikw). Ces bottes ne pouvaient être séchées près du feu, parce que la peau de l’orignal sècherait et se fissurerait. Un chasseur de Manawan m’a expliqué que lorsque le chasseur portait ces bottes lors de la chasse à l’orignal à la fin de l’hiver (février/mars), il prenait la même démarche que l’orignal, imitant l’animal dans ses déplacements et comportements. Selon lui, cela aidait le chasseur à trouver et à se rapprocher de l’animal sans le faire fuir.

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ça. Animaux, arbres, même ce qui existe, mais que nous ne voyons pas.

4.6. Kimocominowok : les ancêtres

Dans la tradition orale nehirowisiw, il existe plusieurs atisokana discutant de l’origine des animaux et des plantes et de la métamorphose des ancêtres (kimocominowok). Dans un entretien réalisé dans le cadre d’un projet de recherche sur le droit coutumier (Poirier et Niquay 1999), un « jeune aîné »54 de Manawan explique :

Il y a plusieurs histoires qui racontent les animaux avant qu’ils deviennent des animaux. Cela vient de là ; des hommes qui marchaient ensemble pour venir sur la terre, que quelques-uns deviennent des animaux. C’est pourquoi ils se sont compris quand ils se parlaient. Même chose pour les plantes. Ils se comprenaient bien. On le ressent encore ces choses-là quand on est en forêt pour une longue période, disons deux mois, trois mois. Ils doivent le ressentir encore. Les chasseurs m’en parlent. Ils ont beaucoup à raconter.

Les termes mocomonok (grands-pères) et kokominok (grands-mères) suggèrent des liens de parenté qui peuvent être biologiques et/ou sociaux. L’utilisation de ces termes pour nommer une relation avec une personne est d’abord et avant tout pour signifier le respect entretenu pour cette personne. Les mocomonok et les kokominok sont des personnes qui sont reconnues comme possédant un bagage de connaissances importantes, même indispensables. Comme nous le verrons dans cette section, il n’y a pas que les humains qui peuvent être nommés mocomonok et kokominok. Par exemple, les atisokana, fait remarquer Hallowell ([1960]1981 :150), peuvent à certaines occasions être nommés mocomonok et

54 Voir l’explication de l’utilisation de ce concept dans la section 2.7.2, note 26.

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kokominok parce que ces récits et ces entités sont porteurs d’enseignements et d’un bagage important de savoirs.

À certaines occasions, comme dans les atisokana (mais pas exclusivement), certaines entités comme des animaux, des plantes, des pierres, de la neige sont nommées par des termes de parenté. Ils sont parfois appelés nictesak (frères), mocomonok (grands-pères) ou kokominok (grands-mères). Selon un autre aîné de

Manawan ayant participé à la recherche sur le droit coutumier (Poirier et Niquay 1997) :

Nous sommes presque apparentés avec certains animaux. Ils sont facilement reconnaissables ceux qui nous sont apparentés ; ils ne se sauvent pas quand ils voient quelqu’un. Ils ne se sauvent pas. Ils restent là sans bouger. Certains animaux se sauvent. Ceux-là ne sont pas parents avec les humains. Ils ont des parents ailleurs.

Comme le récit présenté dans la section précédente en fait mention, les ancêtres présents au sein de notcimik sous forme d’animaux et de végétaux assurent la survie, l’existence et le devenir (pimatisiwin) des générations futures.

Les ancêtres ayant pris une forme végétale, par exemple, ont plusieurs utilités pour les générations successives. Ils les aident à guérir, à se réchauffer, à se nourrir, à se confectionner des objets nécessaires au déplacement, par exemple.

Ils donnent également des médicaments à l’ours et aux autres animaux. Ces médicaments sont conservés dans les graisses de l’animal et sont donnés aux humains pendant les makocana (festins) après que l’animal ait été tué et que la viande ait été bien préparée. Certaines plantes peuvent aussi donner certains pouvoirs à certaines personnes. C’est le cas pour l’un des doyens de la

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communauté d’Opitciwan rencontré à l’hiver 2015. Invité à faire part d’un atisokan, cet aîné m’a partagé une expérience de transformation qu’il a vécue. Je considère ce récit à la fois en tant qu’atisokan et en tant que tipatcimowin, parce qu’il fait état d’une expérience de transformation personnellement vécue (atiso). La parole du locuteur est correspondante à la parole d’un membre de sa famille (son fils) qui a

été témoin privilégié de l’évènement (tipatcim). Je reprends ici la traduction et la transcription du récit:

C’est vrai que le « matawisiwin » (le don de clairvoyance) a existé autrefois. Moi- même, j’en ai fait. Là au bord du lac, il y avait un très grand arbre [le plus grand arbre] et c’est là que je suis allé pour dormir. Et tard dans la nuit, l’arbre m’a réveillé et m’a dit : « nosim » (mon petit-fils). Je lui ai répondu seulement après qu’il m’eut appelé deux autres fois et qu’il me demande: « Pourquoi tu dors là ? Qu’est-ce que tu veux ? » Je lui réponds et lui demande : « à quoi sert le « matawisiwin » ? Il me répond que c’est très utile. Je lui réponds que c’est ce que je veux.

Alors il (l’arbre, son grand-père) me dit : « nosim, dis-moi ce que tu veux ? ». Je lui réponds que je ne demande pas grand-chose, je veux seulement demander comment bien chasser et le pouvoir de marcher dans les airs.

« Oui, on va te le donner », me répond-il. « Mais tu ne dépasseras pas ma hauteur quand tu marcheras dans les airs », dit-il.

Plus tard, je suis parti à la chasse à l’orignal avec mon fils Johnny et aussi pour expérimenter ce qui m’a été donné [le matawisiwin]. On suit donc les traces des orignaux. Les orignaux mangent en s’arrêtant de temps en temps, mais ne dorment pas. Ils continuent leur chemin. Puis je dis à mon fils Johnny : « C’est assez pour aujourd’hui. On va revenir les voir demain. » « Non », me dit-il. « Ils ne doivent pas être très loin maintenant. Regarde leurs traces. Elles sont très fraiches. Ça ne fait pas longtemps qu’ils sont passés par ici ».

On continue donc notre poursuite et c’est à ce moment que je décide de faire le

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« matawisiwin ». Et c’est mon fils Johnny qui a raconté plus tard ce qui s’est passé : « Quand je me suis retourné, j’ai vu mon père s’élever dans les airs et essayer de retracer les orignaux. » Et c’est exactement ce qui est arrivé. Tout ça est véridique. On a rapporté ces faits. C’est sûrement le Kitce manito qui a permis aux hommes de faire ces choses. Mais c’est seulement pour chasser le gibier et non ses semblables. Et c’est ce que j’ai fait.

Par la suite, on a toujours tué un orignal quand on allait à la chasse. Mon fils Johnny a souvent raconté ces faits en disant : « En me retournant j’ai vu mon père s’élever dans les airs ».

Aussi, quand nos pas sont trop bruyants lorsqu’on marche dans le bois, on peut inviter le cikociw (belette) [son esprit-maître] pour nous accompagner. Lui, il ne fait pas de bruit. Il marche en douceur.

Les ancêtres ayant pris une forme végétale possèdent plusieurs utilités et pouvoirs et apportent une contribution essentielle à la vie et au devenir des êtres humains. Les arbres et les plantes sont également porteurs de savoirs. Des aînés racontent qu’auparavant les chasseurs demandaient des informations aux arbres: « Ils [les chasseurs] demandaient aux arbres d’où viendrait le vent, où sont les animaux.

Ceux-ci, semble-t-il, leur répondaient. Je ne sais pas comment ils faisaient pour l’entendre… Ils [les chasseurs] n’allaient pas partout pour rien. Ils demandaient aux arbres » (Poirier et Niquay 1997).

Au même titre que certains animaux et certaines plantes, la pierre est aussi parfois nommée « mocom » (grand-père) selon le contexte et la relation que l’on entretient avec elle. Comme il a été fait mention dans le premier chapitre de cette thèse, les

Atikamekw Nehirowisiwok reconnaissent que certaines pierres ont la possibilité d’être vivantes. Plusieurs interlocuteurs m’ont mentionné avoir pris connaissance des déplacements de certaines pierres sur leur territoire de chasse. Les pierres

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dans leur déplacement laissent des traces. On peut également retrouver sur les pierres, des empreintes d’animaux ou des traces laissées par certaines entités, comme les apici irinic (petit homme) et les memekweciw (entité anthropomorphe vivant dans les falaises). C’est le cas par exemple dans la région de Manawan (à Saint-Zénon) où l’on retrouve une pierre portant les traces d’un caribou et d’un chasseur (en mocassin). Selon les empreintes laissées dans la pierre, le chasseur traînait avec lui une charge ayant elle aussi laissé ses traces dans la pierre.

Certaines pierres ont la capacité de bouger et de changer de texture pour devenir malléables. Dans un entretien réalisé à Opitciwan à l’hiver 2015, un aîné me raconte la fois où il a voyagé avec des apici irinic (petits hommes, voir également dans le récit discuté à la section 4.5 de ce chapitre). À un certain moment dans son voyage, il s’arrêta avec les apici irinic sur une grosse pierre. Les apici irinic ont planté leur bâton de bois directement dans la pierre. La pierre ayant changé de texture pour épouser la forme du bâton de bois.

Les pierres sont également utilisées dans certaines cérémonies, comme le matotasowin. Dans cette cérémonie, les pierres sont nommées mocomonok. L’entrée des pierres dans le matotasowin marque l’entrée des esprits des ancêtres qui viennent participer et guider la cérémonie. Il y a toute une préparation à cette cérémonie et j’ai régulièrement offert mon aide pour ces préparatifs. Les pierres sont récoltées en forêt et disposées près de la tente à sudation. Avant la cérémonie, il faut préparer le feu et y disposer les pierres pendant des heures, jusqu’à ce qu’elles soient entièrement rouges55.

55 Pour une description plus approfondie de la pratique du matotasowin chez les Atikamekw Nehirowisiwok, voir la thèse de Laurent Jérôme (2010).

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Pendant mes séjours à Opitciwan, j’ai développé certains liens d’amitié avec un maître de cérémonie qui m’a pris sous son aile et a voulu me transmettre des enseignements et me partager sa démarche spirituelle. Lors d’une conversation chez lui, je lui ai expliqué que plusieurs personnes m’avaient dit que les pierres étaient vivantes, qu’elles pouvaient se déplacer sur le territoire et laisser des marques de leurs déplacements. Il a acquiescé. Je lui ai demandé si les pierres que l’on faisait brûler pendant le matotasowin pouvaient ressentir la chaleur du feu; est-ce que le fait de brûler la pierre pouvait faire en sorte que celle-ci souffre? Il m’a longuement regardé avec des points d’interrogation dans les yeux et même avec une certaine déception. J’ai ressenti que ma question n’avait aucun sens pour lui. Ses yeux et son silence me disaient : « je t’ai montré les choses que je sais, mais tu n’as rien compris du tout! » Il a finalement daigné répondre à ma question: Les grands-pères (mocomonok) se donnent à la cérémonie. Ils sont contents quand on les invite, quand on organise le matotasowin. On les respecte. Lorsqu’on va chercher les grands- pères, on choisit les pierres qu’on prend. On ne prend pas n’importe quelle pierre ! On offre des offrandes là où on prend la pierre. On enlève la pierre de son milieu. On dépose du tabac là où était la pierre. Parce qu’on la prend, on l’utilise. On n’utilise jamais la même pierre deux fois dans les cérémonies. (Opitciwan, été 2014).

Dans sa réponse, mon interlocuteur signifiait qu’il avait effectué les pratiques appropriées envers les grands-pères (asini, mocomonok) pour assurer que ceux-ci se sentent respectés et reconnus pour leur contribution. Ces pratiques normatives effectuées par mon interlocuteur visaient aussi à inviter les grands-pères à offrir leur aide et leur soutien aux personnes présentes à la cérémonie. En questionnant cette pratique de brûler les grands-pères en les mettant au feu lors de la cérémonie, je mettais en doute toute la complexité de la logique et de la relation

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développées et transmises par mon interlocuteur qui m’avait pourtant, pendant les mois qui ont précédé cette bévue, expliqué et impliqué dans la mise en œuvre de ces pratiques normatives visant à démontrer la profonde relation et le respect à l’égard des ancêtres.

En travaillant avec les Atikamekw Nehirowisiwok, j’apprends à rester humble et j’apprends surtout de mes erreurs, autant dans la formulation de mes questions que dans mes interprétations des réponses qui me sont données. Pour mon interlocuteur, le raisonnement « les pierres (asini, mocomonok) sont vivantes donc les faire brûler à feu vif doit les faire souffrir » n’a pas de sens. Ces pierres possèdent un caractère sacré que je ne suis pas en mesure de bien comprendre encore aujourd’hui. On m’a expliqué que faire brûler les pierres (mocomonok) pour le matotasowin est une pratique effectuée avec et pour les ancêtres qui sont

évoqués par la même occasion. L’utilisation et l’attention portées au corps et à l’esprit d’entités non-humaines comme certains animaux, plantes et pierres dans le cadre de pratiques cérémonielles sont une démonstration faite à l’esprit de ces entités du respect et de l’attention qu’on lui porte.

4.7. Les récits familiaux et les patronymes d’animaux

Les réseaux familiaux atikamekw nehirowisiwok sont très complexes. Ils font état d’une cumulation d’alliances matrimoniales entre les grandes familles atikamekw nehirowisiwok et des familles d’autres Nations, comme les Eeyouch/Eenouch, les

Innus, les Anicinabek, les Français, les Anglais et même les Russes (la famille Izeroff, par exemple) !

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Je souhaite, dans cette section, soulever certaines pistes de réflexion issues de mes observations et échanges auprès d’interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok et reliées à l’utilisation fréquente de patronymes d’animaux (ce que Speck [1917, 1918] nomme « games totems »). Ici, je ne suis pas certain que le concept de

« totem » soit approprié, en raison de la charge connotative que peut avoir ce concept. Mes observations sont très récentes et fragmentaires. L’exposition de ces observations me semble toutefois pertinente dans la mesure où elles apportent des données supplémentaires dans la compréhension du principe d’ancestralité décrit précédemment. L’utilisation des patronymes familiaux favorise également l’actualisation et la transmission des récits familiaux, des atisokana et des tipatcimowin, et des savoirs normatifs qu’ils recèlent.

Selon mes interlocuteurs, certaines personnes portent le nom d’un animal parce qu’elles possèdent des attributs physiques ou comportementaux similaires à l’animal identifié :

Ils se donnaient des noms d’animaux. Prends Atanas Jacob. Il s’appelait Atcitcamo. Eux, ils l’ont appelé Atcitcamoc (écureuil), pourtant c’était Atcitcamo. Ils se sont donné toutes sortes de surnoms. Quand je suis allé à Opitciwan je les entendais qui s’interpellaient : Nikikw (loutre), Piciw (lynx), Mwakw (huard), Napanew (farine). On m’a raconté pour Kwekweciw (le geai gris). Tu sais ce qu’il fait le Kwekweciw quand il sait où il y a de la viande ? Il est toujours là, prêt à s’emparer d’un morceau de viande. Et bien, c’est ce que cet homme faisait. Il allait en prendre sans qu’il y ait été invité (Manawani iriniw, Poirier et Niquay 1997-1999)

Selon les observations de Speck (1917, [1935]1977), qui a aussi travaillé chez les

Wabanakis (Abénakis), les Malécites, les Penobscot, les Montagnais-Innus et les M’ikmaq, différents facteurs pouvaient expliquer l’attribution du nom d’un animal

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aux membres d’un groupe de chasse familial (institution centrale chez les

Algonquiens) : Soit par des correspondances physiques ou comportementales entre le chasseur et l’animal, soit parce que la famille était reconnue comme aimant chasser et se nourrir de l’animal et utiliser sa fourrure, soit au contraire parce qu’elle s’empêchait de consommer l’animal (tabou alimentaire). Des informateurs penobscot de Speck soulignent que certaines familles portent le nom de l’animal qui a assuré leur subsistance. Dans tous les cas, l’animal duquel la famille tire son patronyme est traité par la famille avec un grand respect et les pratiques normatives vis-à-vis l’animal visent à assurer la satisfaction de l’esprit- maître de l’animal (Speck 1917 :10). Chez les Penobscot, Speck (1917) présume qu’il existerait chez ceux-ci et parallèlement aux « games totems », des

« surnoms » temporaires que des personnes pouvaient porter pour un certain temps. Selon les interlocuteurs de Speck (Op. cit.), des personnes ayant eu une bonne saison de chasse ou une expérience particulière avec un animal pouvaient se voir attribuer le nom de l’animal (1917 :14-15). L’utilisation de ce « surnom »

évoquait alors une anecdote (idem.). Selon les observations de Speck (1917), ce n’est pas tous les groupes algonquiens qui reconnaissent des « game totems » familiaux et chaque groupe où il a pu documenter l’emploi des « game totems » propose un système qui lui est propre. Selon les études de Speck (1917), il semble que ce système soit structuré à partir de règles locales flexibles et malléables.

Ces noms d’animaux attribués à des personnes peuvent être transmis de manière patrilinéaire (Speck 1917 :10-11). Toutefois, selon mes observations sur le terrain auprès des Atikamekw Nehirowisiwok, la transmission du patronyme familial n’est pas assurée. Cela peut dépendre de la volonté du descendant de reprendre ce nom ou dépend plutôt de la volonté des autres membres de la famille élargie de le transmettre. Selon mes observations, la transmission et l’utilisation des

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patronymes d’animaux revêtent un caractère comique. La transmission et l’utilisation de ces patronymes font sourire et incitent à une certaine familiarité dans les relations sociales. En transmettant le patronyme animal d’un homme à un de ses fils ou petit-fils suite à son décès, par exemple, on fait le rapprochement entre ces personnes (traits physiques et comportementaux) et entre les membres de cette famille et l’animal. Par l’évocation des patronymes familiaux, les familles transmettent également des récits et des savoirs normatifs qui décrivent la relation de proximité entretenue avec l’animal évoqué et discutent de certaines règles de conduite à adopter vis-à-vis de l’animal et plus largement dans les pratiques de la chasse ou de la pêche.

Selon mes observations sur le terrain, des membres de familles élargies peuvent utiliser les patronymes familiaux pour s’identifier à un ancêtre et à des récits familiaux communs. C’est le cas par exemple de certains membres d’une grande famille, qui se reconnaissent comme descendant de Kinoce (brochet). Aujourd’hui, on retrouve des membres de la famille élargie de Kinoce dans les trois communautés atikamekw nehirowisiwok, mais les personnes que j’ai rencontrées et qui s’identifient comme descendant de Kinoce ont mentionné avoir des liens d’appartenance avec le Kinoce aski, un large territoire de chasse familial qui se situe dans la région de la ville de Parent et qui est sous la responsabilité de plusieurs familles descendantes de Kinoce. On m’a partagé un récit qui explique la raison pour laquelle Kinoce a été identifié à ce territoire. Sans aller dans les détails, notons que ce récit rapporte une expérience d’ostracisme. Dans une version recueillie auprès d’un membre de cette famille rencontré à Opitciwan, son ancêtre (Kinoce) aurait assassiné un de ses gendres et il aurait été expulsé par les membres de sa famille élargie. Il aurait trouvé refuge dans la région de Parent et,

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aujourd’hui, ce large territoire de chasse familial est nommé Kinoce aski, en référence à cet ancêtre.

Cette version en rejoint trois autres recueillies auprès de trois personnes différentes dans les communautés de Wemotaci et d’Opitciwan dans les années

1960 et 1970 (Collection Camille Guy et Centre de documentation du CNA). Ces autres versions racontent une expérience de métamorphose à la suite d’une altercation de Kinoce avec son gendre. Dans ces atisokana, la personne identifiée à Kinoce est décrite comme orgueilleuse et désirant démontrer sa supériorité physique auprès de ses gendres en leur lançant des défis, ces derniers trouvant la mort lorsqu’ils échouaient. L’un des gendres, connaissant bien le comportement de son beau-père, l’a défié de sauter par-dessus un rapide. Le gendre, ayant le pouvoir de se transformer en goéland, a réalisé le défi sans difficulté. Son beau- père tomba dans le rapide. Le gendre descendit alors le rapide pour voir son beau- père. Celui-ci dit à son gendre : « je vais maintenant me transformer en kinoce.

Peux-tu me trouver un ruban et me tresser les cheveux ? » Le gendre s’empressa de trouver le nécessaire et fit des tresses à son beau-père qui devint Kinoce et qui a continué sa vie sous cette forme. Kinoce plongea en disant : « Je mordrai désormais les vieux souliers que mes petits-enfants jetteront à l’eau ». Et là, il mordit à l’appât d’un hameçon. C’est cela qu’il exprimait quand il disait qu’il mordrait les vieux souliers de ses petits-enfants (Conseil de la Nation Atikamekw

Nehirowisiw, d’après le récit de Basile Awashish, Opitciwan).

Plusieurs autres récits peuvent nous renseigner sur l’utilisation des patronymes d’animaux et des liens ancestraux développés entre les personnes interagissant au sein de notcimik. Il existe, par exemple, plusieurs versions expliquant l’origine de l’ethnonyme (et patronyme) atikamekw (corégone) qui est encore utilisé

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aujourd’hui pour nommer l’ensemble des familles atikamekw nehirowisiwok occupant et utilisant le territoire du bassin hydrographique de Tapiskwan sipi56. Selon le témoignage d’un aîné57 recueilli à la radio d’Opitciwan, cette appellation tire son origine d’un atisokan. Dans son témoignage, l’aîné raconte le moment où il s’est rendu à Trois-Rivières (Metaperotinik) pour participer à une rencontre entre des membres des différentes familles atikamekw nehirowisiwok des trois communautés pour se mettre d’accord sur le nom qu’ils allaient porter. L’aîné raconte alors le récit à l’origine de cet ethnonyme et patronyme commun. Interviewé à la radio communautaire, l’aîné d’Opitciwan raconte le moment où un grand-père (mocom) est allé à la pêche au filet. Le grand-père se doutait de quelque chose. Il se doutait que quelqu’un venait voler le poisson. Il pensait savoir qui c’était. Il a caché son canot dans le bois et a surveillé le filet pour voir les personnes qui venaient prendre le poisson. Il y avait une falaise (kaopetenak). Au matin, il voit les voleurs qui étaient en dessous de l’eau. Ceux-ci sortirent de l’eau avec leur canot pour aller vers le filet. C’est à ce moment qu’il va voir le filet

(natarepew : voir le filet), il va à la rencontre des voleurs et leur demande quel poisson ils préfèrent voler. Les voleurs répondent : « Oakotca ! » en montrant un corégone (atikamekw). [Les voleurs n’étaient pas des humains et ne parlaient pas la même langue que les humains. Les voleurs étaient en fait des Memekweciw58 et

56 Il s’agit du nom nehiromowin de la rivière Saint-Maurice (Tapiskwan sipi). Ce terme renvoie à l’action de passer un fil dans le chas d’une aiguille. Cette image fait référence aux multiples rivières qui se jettent dans la rivière Tapiskwan. Pour plus d’informations concernant Tapiskwan Sipi, référez-vous au texte publié par la Société d’histoire atikamekw nehirowisiw kitci atisokan (2014). 57 Il s’agit d’un des doyens très respecté de la communauté d’Opitciwan décédé à l’hiver 2016. 58 Il existe plusieurs récits faisant mention de Memekweciw, autant chez les Atikamekw Nehirowisiwok, les Innus, les Eeyouch/Eenouch et les Ojibwas (Cooper 1925-1937, Flannery 1931, Speck [1935]1977, Arsenault 1998, Parcoret 2000, Innes 2013). L’ensemble des récits documentés concordent dans le fait que la résidence des Memekweciw se situe dans les falaises abruptes (kaopetenak) aux abords de plans d’eau (lacs). Les Memekweciw sont décrits comme des entités ayant des ressemblances aux êtres humains, mais sont plus petits et plus poilus. Les Memekweciw sont souvent vus naviguant en canot, pouvant se déplacer en dessous et au-dessus de l’eau. Ils peuvent entrer directement dans leur demeure (kaopetenak) avec leur canot. Plusieurs

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dans leur langue « Oakotca » veut dire « corégone »]. Les Memekwesiw sont repartis avec le corégone (atikamekw). Le grand-père (mocom) les regardait partir. Le canot s’enfonçait dans l’eau près de la falaise. Le mocom dit à son petit-fils de ne pas passer près de cet endroit (près de la falaise).

Selon la version de l’aîné d’Opitciwan, c’est à partir de cet atisokan que les

Atikamekw Nehirowisiwok ont décidé de porter le nom « Atikamekw ». Toutefois, selon d’autres interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok, il ne s’agit pas de l’unique explication de l’utilisation de cet ethnonyme. Il existe d’autres récits qui discutent de l’origine de l’ethnonyme « atikamekw ». Par exemple, certains interlocuteurs soulignent que le terme « Atikamekw » était utilisé comme patronyme familial pour une famille en particulier. L’utilisation de ce patronyme par des groupes autochtones voisins aurait ensuite été étendue pour l’ensemble des familles atikamekw nehirowisiwok occupant la Haute-Mauricie.

II existe certainement d’autres versions expliquant l’utilisation de cet ethnonyme et il est inutile ici de faire mention de toutes ces versions. L’objectif de cette section étant plutôt de démontrer les relations entre les patronymes d’animaux et certains récits partagés dans la tradition orale nehirowisiw. Ces récits mettent en valeur à la fois des principes normatifs qui servent de repères pour identifier les « bons » et les « mauvais » comportements à adopter, comme ils explicitent les rapports d’ancestralité développés et entretenus entre les familles atikamekw nehirowisiwok et les ancêtres avec lesquels ils cohabitent au sein d’un univers de relations interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok m’ont parlé de Memekweciw et d’autres récits ont été recueillis par John Cooper chez les Atikamekw Nehirowisiwok dans les années 1920 et 1930 (Cooper 1925-1937). À l’instar du récit présenté dans cette thèse, la tradition orale nehirowisiw présente souvent le Memekweciw comme un voleur de poissons qui se fait prendre en flagrant délit par un pêcheur. Il y a des sites abritant les Memekwesiw à divers endroits sur des territoires familiaux de différentes familles, autant à Opitciwan, à Wemotaci qu’à Manawan et ces récits sont également transmis dans l’évocation de certains toponymes.

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complexes et qui guident et assurent leur existence comme leur devenir

(pimatisiwin).

4.8. Les récits familiaux et la culture matérielle

Les atisokana transmettent des principes et un ensemble de savoirs normatifs par le biais de l’oralité. Les atisokana occupent également une place importante dans la culture matérielle des familles atikamekw nehirowisiwok. Comme il sera mentionné dans cette section, la transmission des savoir-faire artisanaux implique dans certains cas, la transmission d’atisokana et ainsi de principes et de savoirs normatifs. Selon un artisan d’Opitciwan, qui fait des raquettes à neige (asamkaniwon), les atisokana sont présents dans le tressage des raquettes. En me montrant certains des modèles de raquette qu’il confectionne, il me fait part du récit des deux femmes étoiles venues sur la terre pour rappeler aux êtres humains leurs origines et leurs responsabilités à l’égard des ancêtres (kimocominowok).

Selon le récit, ces femmes représentent le corps et l’esprit. Elles formaient deux entités, jusqu’à ce que les humains comprennent que le respect envers soi-même exige le respect envers les ancêtres. C’est après avoir porté leur message aux humains que les deux femmes étoiles, le corps et l’esprit, sont retournées au ciel.

Elles ont fusionné et ont donné naissance à l’étoile du matin (Wapanatcikoc). En me montrant le tressage, l’artisan me montre les personnages présents dans le récit, les deux femmes étoiles et Wapanatcikoc. Il s’agit d’un récit familial que son père avait également transmis en tant que maître de cérémonie dans le cadre d’une tente à sudation à laquelle j’avais participé quelques mois plus tôt. En tant que membre de cette famille, il possède donc le pouvoir et la légitimité de transmettre ce récit.

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Les récits familiaux (atisokana, tipatcimowin) et la culture matérielle des familles sont interreliés. Notons que chaque famille atikamekw nehirowisiw possède ses propres récits et sa propre signature artistique présente dans la culture matérielle.

En regardant le tressage des raquettes, les gravures dans les paniers d’écorces, les coutures et les broderies sur les mitaines ou les mocassins, la plupart de mes interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok peuvent reconnaître la signature familiale, lorsqu’il s’agit de la culture matérielle nehirowisiw. À certaines occasions, ils peuvent également reconnaître les signatures familiales des groupes autochtones voisins, particulièrement des Innus de Mashteuiatsh, des Eenouch de Mistassini et de Waswanipi et des Anicinabek de Lac Simon. Les motifs présents sur les paniers d’écorces, sur les mitaines ou sur les mocassins sont réalisés à partir de patrons qui sont transmis de génération en génération. Un jeune artisan, par exemple, m’a montré des patrons qu’utilisait son arrière-grand-mère. Le papier était jauni, mais les patrons étaient toujours utilisables.

Régulièrement, les motifs familiaux représentent des images de fleurs, mais aussi d’animaux. Comme pour ce qui est des patronymes d’animaux, il semble qu’il y ait certains rapprochements à faire entre ces motifs et les relations d’ancestralité entretenues par les familles avec les plantes et les animaux représentés. Il semble cependant qu’il y ait, depuis les dernières décennies, des transformations importantes quant aux modalités de transmission des motifs et des récits familiaux dans la culture matérielle. Selon un artisan, la transmission des récits et des motifs familiaux est plus diffuse qu’elle ne l’était autrefois. Selon cet artisan et d’autres interlocuteurs ayant abordé le sujet, de plus en plus cette transmission s’effectue à des personnes qui ne se reconnaissent pas nécessairement comme membres d’une même famille. Ce ne sont plus toutes les familles qui pratiquent l’artisanat et les motifs et récits familiaux semblent de plus en plus transmis tout simplement

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aux personnes intéressées et qui expriment le désir de faire de l’artisanat. Aussi, assiste-t-on à l’apparition de nouveaux motifs créés par des jeunes artisans comme le cercle aux quatre couleurs, le sigle d’équipes de hockey professionnelles ou autres.

Certaines initiatives viennent également favoriser la création artistique au sein des communautés. Les membres des communautés atikamekw nehirowisiwok développent plusieurs initiatives permettant aux familles de se partager des matériaux de confection (peau fumée, machine à coudre, patrons, ornementations) et de créer des espaces communs de « production » artistique. Ces espaces d’échanges et de rencontre ouverts à tous favorisent le partage des savoirs artisanaux comme des récits et motifs familiaux. D’autres projets, comme le projet Tapiskwan59 développé par des membres de l’École de design de l’Université de

Montréal en collaboration avec des membres du CNA, valorisent la création de nouveaux motifs artistiques à partir des motifs traditionnels transmis par les différentes familles atikamekw nehirowisiwok. Le projet Tapiskwan, mené à Wemotaci (2015) et à Opitciwan (2016), participe à la création de motifs originaux et contemporains à partir des motifs et récits familiaux transmis par les générations antérieures. Il serait intéressant ici de documenter l’articulation des récits familiaux avec ces nouvelles productions artistiques.

Il semble qu’il n’y ait pas de règles communes et bien définies quant au processus de transmission et de transformation des récits et des motifs familiaux. Chaque famille et chaque génération ayant sa propre vision et pratique artistiques. Autant certains artisans prennent le choix d’intégrer de nouveaux motifs issus de

59 Pour en connaître un peu plus sur le projet d’art atikamekw Tapiskwan, veuillez consulter leur page web : http://www.tapiskwan.com/.

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différentes familles, de différentes Nations mêmes avec de nouveaux supports et de nouveaux matériaux, autant certains autres choisissent délibérément de ne pas « prendre » de motifs, mais d’utiliser les motifs qui leur ont été assignés et qui correspondent aux récits familiaux qu’ils portent et qu’ils transmettent. Par exemple, une femme chez qui j’habitais à Opitciwan utilisait uniquement les motifs familiaux que sa belle-mère lui a transmis. Elle ne se disait pas intéressée à recevoir d’autres motifs et ne fréquentait pas non plus les salles communautaires allouées aux artisans. Elle travaillait à la fabrication de mocassins et de mitaines à partir de la maison, souvent en compagnie de sa fille et de sa petite-fille. Pour cette artisane, l’utilisation du motif familial transmis dans la culture matérielle, comme le mocassin ou la mitaine, définit son appartenance et sa position au sein des réseaux familiaux comme elle la lie à un ensemble de récits et de savoirs normatifs familiaux. Pour cette femme originaire d’une communauté eenou (cris), recevoir les motifs familiaux de sa belle-mère atikamekw nehirowisiw est une démonstration qu’elle est bien membre à part entière de la famille et qu’elle possède le droit, le pouvoir et la responsabilité de se conformer et de transmettre à ses enfants et petits-enfants les savoir-faire et les récits familiaux qui lui ont été transmis.

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4.9. Les récits toponymiques

Là où la carte découpe, le récit traverse (Michel de Certeau, 1990)

Dans les premiers entretiens réalisés auprès d’aînés de la communauté d’Opitciwan (juillet et août 2014), j’apportais toujours avec moi deux cartes toponymiques, l’une élaborée par le CNA et une autre par la Commission de la toponymie du Québec. Ces cartes réunissaient plusieurs centaines de toponymes nehirowisiwok recensés au sein de Nitaskinan, le territoire ancestral revendiqué. Au départ, l’idée de présenter ces cartes aux aînés était d’entamer la discussion portant sur les savoirs territoriaux et les pratiques normatives à partir d’un support matériel connu, facile à utiliser et à transporter. Les aînés étaient alors invités à nommer des lieux liés à leur territoire de chasse familial, à discuter des activités réalisées au sein de leur territoire et à parler des règles de conduite coutumières qui régissent ces activités. Je me suis rendu compte aussi que les aînés avaient été habitués à transmettre leurs connaissances territoriales à partir de ce support.

Ce genre de travail sur les cartes ayant été réalisé avec des agents gouvernementaux lors de la création des réserves à castor et avec des consultants employés par le CNA dans le cadre des projets de recherche sur l’utilisation et l’occupation territoriale, sur la toponymie et sur les sites patrimoniaux (voir chapitre

5). Dans le cadre de la Grande recherche (CAMROUT) réalisée au début des années 1980, plusieurs cartographies toponymiques ont été élaborées avec l’aide des aînés et des familles des trois communautés atikamekw nehirowisiwok. Ce travail cartographique est toujours mobilisé aujourd’hui par les membres de la

Nation à différents niveaux. Le Secrétariat au territoire du CNA a numérisé et importé dans des logiciels cartographiques les données toponymiques recueillies

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pendant la Grande recherche et les utilise dans la production de cartographies servant aux négociations territoriales et à des programmes pédagogiques visant la transmission des savoirs toponymiques aux membres des communautés.

Aujourd’hui, avec les mesures d’harmonisations forestières et les plans d’aménagements forestiers, les compagnies forestières et le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec (MFFPQ) consultent également les conseils de bande et les ka nikaniwitcik pour tracer sur des cartes des zones de ravages d’orignaux dont certaines parties pourraient être protégées des coupes forestières

(nous y reviendrons dans le chapitre 5). Un assistant de recherche atikamekw nehirowisiw qui m’accompagnait auprès des aînés m’a également recommandé cet outil lors de mes premiers entretiens (été 2014) en me soulignant que les aînés étaient habitués à travailler à partir de cartes.

Même si les cartes sont souvent utilisées pour démarquer des aires territoriales et

établir certaines frontières, l’utilisation des cartes comme outil pour recueillir les récits familiaux et les savoirs territoriaux n’est pas négligeable. Elles m’ont permis entre autres de me familiariser avec les divers territoires, récits et toponymes familiaux. Comme il en est question dans cette section, la transmission des récits toponymiques joue un rôle important dans la transmission des savoirs territoriaux et normatifs autochtones.

Chez les Atikamekw Nehirowisiwok, les toponymes servent à la fois à décrire des attributs physiques de lieux nommés, à identifier les espèces animales ou végétales présentes en ces lieux ou donner de l’information sur les déplacements des familles. Un aîné d’Opitciwan rencontré à l’été 2014 spécifie le rôle des

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toponymes dans la transmission des informations relatives aux déplacements des chasseurs:

C’est pour indiquer à quel endroit ils (les chasseurs) vont trapper quand ils partent pour le territoire. Ces noms de lieux existent depuis très longtemps. Ce sont nos grands-pères (mocomonok) qui ont nommé tous ces endroits. Ces derniers portent toujours les mêmes noms aujourd’hui. Donc, quand le trappeur dit à quel endroit il va pour trapper, on sait où il va être si on veut aller le visiter ou pour aller lui porter des provisions. C’était ça l’utilité des noms des lieux. Tous les lieux de chasse et de trappe portaient un nom à travers tout le territoire nehirowisiw (Opitciwani iriniw, juillet 2014).

Les toponymes nehirowisiwok portent également des récits (tipatcimowina, atisokana) reliés aux lieux. Comme le soulignent Poirier et Niquay (1999 : n.d.) :

« Par le biais du nom des lieux c’est non seulement un territoire qui se révèle, mais aussi les générations, les évènements qui ont façonné l’historicité atikamekw ».

Voici certains exemples de récits historiques et cocasses présents dans des toponymes à Opitciwan recueillis avec les cartes toponymiques :

Ici, c’est le lac Mitimos sakihikan. L’histoire de ce lac c’est qu’autrefois, un trappeur était venu s’approvisionner à Opitciwan et à son retour vers son campement d’hiver, en voulant traverser le lac, il a vu quelqu’un de très gros qui était au milieu du lac. Voyant cela, le trappeur a eu peur et a longé sur le bord du lac pour l’éviter et pour continuer son chemin. En fait, dans ce temps-là, il arrivait qu’ils puissent se jeter des sorts pour se venger et même se détruire. (…) Il y a une montagne ici et ça se nomme Kakakewpokitenan. L’histoire de ce lieu c’est qu’autrefois, quelqu’un passait par le flanc de la montagne et a effrayé une corneille qui était perchée là. Et quand la corneille a rapidement pris son envol, ses ailes ont fait comme un bruit de pet. C’est pour ça qu’ils ont appelé cet endroit comme ça. (…) Ici, cet endroit se nommait autrefois Ockijecoc. Puis l’appellation a changé pour Jecocki. Il y a très

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longtemps de cela, ils ont vu le kokotce marcher le long de la rive de l’autre côté du lac. C’est pour cela qu’ils ont nommé l’endroit ainsi. (Opitciwani iriniw, août 2014).

Comme il est mentionné plus tôt, depuis le début des années 1980 le CNA et la

Commission de la toponymie du Québec documentent les toponymes nehirowisiwok (voir la carte toponymique du CNA, annexe 2). Dans ces travaux, on retrouve les toponymes, mais peu de place est accordée aux récits qu’ils portent. Il y aurait ici tout un travail à faire à l’aide de nouveaux outils cartographiques afin de faire valoir la richesse des récits toponymiques nehirowisiwok et de leur importance dans la transmission des savoirs normatifs. Dans le cadre du projet

Kinokewin, nous avons entamé des démarches en ce sens – démarches qui pourront être développées dans le cadre de projets futurs. Le projet est ici de développer des cartes toponymiques web à l’aide de la base de données toponymiques nehirowisiwok offerte gracieusement par la Commission de la toponymie du Québec et à l’aide des informations toponymiques fournies par le Secrétariat au territoire du CNA.

Ces informations m’ont permis de créer des cartes toponymiques interactives dans

Google60. Comme logiciel cartographique de base, la carte Google permet d’ajouter des informations à la carte toponymique à partir de différents supports.

Par exemple, sur cette carte web, nous pouvons aisément ajouter du contenu audio-vidéo aux toponymes sélectionnés sur la carte. Cet outil, que nous n’avons malheureusement pas encore suffisamment exploité, permettrait de mieux faire valoir les récits toponymiques et les savoirs normatifs nehirowisiwok qu’ils

60 https://www.atikamekwkinokewin.org/fr/territoire/toponymes-et-itineraires. À la demande des partenaires atikamekw nehirowisiwok du projet, l’accès à ce site web est limité. Une demande d’accès doit être faite à l’administrateur du site.

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contiennent sur un support internet accessible aux jeunes générations. D’autres

Nations autochtones comme les Anicinabek61 et les Innus62 ont développé ce genre de matériel et des projets similaires se concrétisent également chez les

Autochtones de l’ouest du Canada (voir notamment le projet Innovations in Ethnographic Mapping and Indigenous Cartographies dirigé par Brian Thom

[University of Victoria] et financé par le CRSH et Google)63. Ces outils cartographiques qu’utilisent de plus en plus les Autochtones proposent certainement des possibilités intéressantes pour mettre en valeur et transmettre leurs récits toponymiques et savoirs normatifs comme ils servent de moyens pour faire reconnaître auprès des vis-à-vis étatiques leur occupation ancestrale des territoires revendiqués dans le cadre de négociations territoriales. Il s’agit d’outils qui mériteraient selon moi d’être davantage développés.

Conclusion

Ce chapitre aborde la question de l’ancestralité et de la transmission des savoirs normatifs nehirowisiwok à partir d’atisokana, de témoignages (tipatcimowina) et d’observations réalisées au sein de notcimik et dans les communautés atikamekw nehirowisiwok. La tradition orale et la culture matérielle sont des moyens privilégiés pour assurer la transmission des savoirs normatifs nehirowisiwok. Elles permettent d’identifier et d’apprécier un ensemble de pratiques et de principes normatifs qui sont partagés par les membres des familles.

61 http://www.algonquinnation.ca/toponym/ 62 http://www.nametauinnu.ca/fr/culture/territoire/detail/48 63 Pour plus d’informations concernant ce projet, consultez le site web : http://www.uvic.ca/socialsciences/ethnographicmapping/

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Nous avons vu, dans ce chapitre et dans le chapitre précédent, que les mocomonok et les kokominok sont les noms donnés aux grands-parents biologiques, mais aussi aux grands-parents sociaux ; à des personnes (humaines ou non-humaines) avec lesquelles on entretient une relation de proximité, un respect profond et que l’on reconnaît leur contribution dans le partage des savoirs normatifs. Les mocomonok et les kokominok ont la responsabilité, le droit et le pouvoir de transmettre ; c’est leur tiperitamowin. Dans des contextes particuliers, des personnes non-humaines (atisokana, pierres, animaux, plantes, vents, neige) peuvent recevoir cette appellation (mocom, kokom). En attribuant cette appellation

à ces personnes (humaines et non-humaines), on leur attribue également une forme d’autorité (lié à leur bagage de connaissance et à leur pouvoir) et de responsabilité (lié à la transmission des connaissances et à leur contribution [matérielle et immatérielle]). Peu importe la forme qu’ils prennent, les ancêtres

(kimocominowok), en tant que « personne » dont on reconnaît l’agencéité (Hallowell [1960], Ingold [2000]2011, Ortner 2006, Poirier 2008), font partie des relations sociales et jouent un rôle certain dans la transmission des savoirs et dans le renforcement normatif.

Comme nous avons vu dans ce chapitre, le travail d’interprétation et d’analyse des savoirs normatifs autochtones présents dans la tradition orale et dans la culture matérielle doit nécessairement tenir compte des zones de rencontre et des incommensurabilités entre savoirs normatifs autochtones et allochtones. En même temps, il existe une certaine hétérogénéité et dynamique de reformulation des savoirs normatifs et des récits familiaux entre les générations qui les adaptent et les interprètent dans leur contexte d’application. Les prochains chapitres discutent justement de ces dynamiques de coexistence, de reformulation et de traduction des savoirs normatifs dans le contexte des négociations territoriales.

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Chapitre 5

Tiperitamowina aski : contemporanéité des responsabilités et des droits territoriaux nehirowisiwok

Introduction

Ce chapitre porte sur la contemporanéité des responsabilités et des droits territoriaux chez les Atikamekw Nehirowisiwok. Par contemporanéité des droits et des responsabilités territoriaux, j’entends la relecture et la synthèse culturelles des pratiques et principes normatifs en usages et ancrés historiquement. La notion de

« contemporanéité », empruntée à l’anthropologue Sylvie Poirier (2000), est appropriée ici dans le but de reconnaître les dynamismes des ordres normatifs autochtones dans leurs interactions et négociations avec la modernité et les institutions étatiques.

Tout d’abord, ce chapitre présente et analyse les orientations, les discussions et les débats concernant les systèmes des territoires de chasse familiaux et l’institution des groupes de chasse familiaux chez les algonquinistes depuis le début du XXe siècle. Il sera mention notamment des travaux de Frank Speck, de David Davidson, de Julius Lips, de John Cooper, d’Irving Hallowell, d’Eleanor

Leacock, de Toby Morantz, d’Adrian Tanner, de Colin Scott, d’Harvey Feit, de Sylvie Vincent, de Paul Nadasdy et de Sylvie Poirier64. Les travaux et les débats

64 Voir la bibliographie pour les notices complètes.

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concernant les régimes fonciers algonquiens et leurs transformations à travers le temps ont été déterminants dans l’orientation de la recherche anthropologique menée chez les Algonquiens. L’ensemble de ces travaux a permis de documenter et de débattre, par exemple, à propos des modèles « traditionnels » d’organisation sociale et territoriale et des transformations historiques survenues principalement depuis l’intensification de la traite des fourrures à compter du XVIIIe siècle. Ces travaux ont joué et jouent toujours un rôle dans les négociations territoriales autochtones puisqu’ils permettent de documenter l’occupation et l’utilisation des territoires ancestraux revendiqués par les groupes algonquiens. Dans la première partie de ce chapitre, nous reviendrons sur ces travaux autour des territoires de chasse familiaux algonquiens en spécifiant les contextes politiques et idéologiques qui ont guidé et influencé l’approche ethnographique et la perspective analytique des auteurs.

La coexistence négociée avec les acteurs allochtones depuis les premiers contacts et les transformations anthropiques de Nitaskinan (le territoire ancestral revendiqué, voir carte annexe 2) qui se sont intensifiées au XXe siècle avec les coupes forestières et les inondations causées par la construction de barrages, par exemple, ont provoqué des réajustements au niveau des responsabilités territoriales chez les ka nikaniwitcik. Plusieurs études récentes65 ont traité des rapports de pouvoir entre les ka nikaniwitcik, les institutions étatiques régionales, provinciales et fédérales et les acteurs économiques, dont les compagnies forestières66. Ces travaux démontrent que les intérêts et les modes d’utilisation des

65 Charest 1982 ; 1992 ; 2005, Brassard et Castonguay 1983, Gentelet 1993, CNA 1996 ; 2001 ; 2012, Poirier et Niquay 1999, Gélinas 2000 ; 2003, Poirier 2001 ; 2013 ; 2014, Wyatt 2004, Morissette 2007, Houde 2011 ; 2014, Wyatt et Chilton 2014, Fortier et Wyatt 2014, Fortier 2016 ; 2017. 66 Notez que des travaux récents portant sur ces mêmes thèmes ont été réalisés aussi chez les Eeyouch/Eenouch, les Innus et les Anicinabek, Nations autochtones voisines des Atikamekw

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ressources naturelles diffèrent d’un acteur à un autre. Les pratiques et les projets portés par ces acteurs peuvent se rejoindre parfois, mais les logiques et les objectifs poursuivis par les chasseurs atikamekw nehirowisiwok et l’industrie forestière ou les institutions étatiques au niveau du mode de gestion des ressources, par exemple, sont parfois incompatibles et demandent continuellement

à être négociés.

Ce chapitre discute notamment des dynamiques à la fois de continuité et de transformation relatives aux pratiques et principes normatifs survenues tout au long du XXe siècle. De telles dynamiques sont dues en partie à l’influence accrue d’acteurs et d’intérêts allochtones au sein de Nitaskinan, aux transformations des modes d’exploitations des ressources par l’industrie forestière, à l’imposition de nouvelles catégories administratives sur les territoires de chasse familiaux

(réserves à castor, CAAF, ZEC67, pourvoiries) et à l’incorporation de nouvelles technologies dans les activités de subsistance. Certains chercheurs, dont Claude

Gélinas (2000, 2003), ont largement documenté ces transformations historiques chez les Atikamekw Nehirowisiwok à partir de sources écrites provenant de la

Compagnie de la Baie d’Hudson, des Jésuites et d’autres documents d’archives (voir également les travaux de Toby Morantz [1986, 2002] chez les

Eeyouch/Eenouch de la Baie-James). Enfin, ce chapitre souhaite mettre en dialogue cette littérature avec des récits (tipatcimowina, atisokana) recueillis dans les dernières années au sein des communautés atikamekw nehirowisiwok.

Nehirowisiwisok et qui font face à des enjeux politiques et territoriaux sensiblement similaires (voir les travaux de Feit 1982; 1991b; 1998; 2001; 2004, Scott 1988; 1996; 2001, Samson 1999; 2001; 2004; 2016, Bousquet 2002, Morantz 2002, Lacasse 2004, Leroux et al. 2004, Scott et Morrison 2004). 67 Voir notamment les cartes des zones d’exploitation controlées (ZEC), d’unités d’aménagement forestier et des baux de villégiatures à l’annexe 2.

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5.1. L’institution des groupes de chasse et le système des territoires de chasse familiaux

5.1.1. Le legs de Frank G. Speck (1881-1950)

Nous avons choisi de commencer ce chapitre en discutant brièvement des travaux de Frank G. Speck (1881-1950), étant donné que ceux-ci ont été déterminants dans le développement des études portant sur les modes de gestion et les systèmes d’autorités territoriaux menées auprès des Nations algonquiennes du Nord-est américain (Deschênes 1981). Sur une période de près de 50 ans, Speck a travaillé avec diverses Nations algonquiennes, dont les Pequots, les Ojibwas, les Anicinabek, les Innus, les Mi’kmaqs, les Naskapis et les Eeyouch/Eenouch. Nous tenterons donc ici d’exposer les grandes lignes de sa contribution en lien avec les modes de tenure foncière chez les Algonquiens en tenant compte de son approche, de son engagement et du contexte dans lequel il a réalisé ses travaux68.

Certains thèmes de recherche approfondis par Speck ont été largement discutés et débattus, particulièrement ses travaux portant sur les territoires de chasses familiaux algonquiens. Ces discussions ont par ailleurs joué un rôle dans le développement de notre propre réflexion et démarche de recherche. Il nous semblait alors pertinent ici de discuter de ces débats et de contribuer à ces discussions entourant les régimes fonciers et les conceptions des droits et des responsabilités territoriaux en faisant valoir les conceptions nehirowisiwok

68 Noté qu’un exercice similaire a été mené par plusieurs auteurs, dont certains collègues de Speck : Irving Hallowell (1951), Ernest Dodge (1991), William Fenton (1991) et John Witthoft (1991). Jean-Guy Deschênes (1979) a consacré son mémoire de maîtrise à l’analyse des travaux de Frank G. Speck et Roy Blankenship (1991) a dirigé un ouvrage collectif sur la vie et sur le contexte sociopolitique dans lequel se sont inscrits les travaux de Speck.

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articulées dans les travaux menés auprès des aînés par le Conseil de la Nation

Atikamekw Nehirowisiw et dans les entretiens et discussions réalisés auprès des partenaires à la recherche.

La démarche ethnographique de Speck cadre très bien avec la perspective émique favorisée par son mentor, Franz Boas (Wallace 1951 :286, Deschênes 1981 :206; 207; 219). Speck est décrit comme un anthropologue de terrain engagé et soucieux d’entretenir des relations sur le long terme avec ses interlocuteurs, réalisant des visites récurrentes au sein des communautés sur une période de près de 50 ans. Il utilise le concept d’« ethnologie créative » pour caractériser son approche : une démarche interprétative basée sur la comparaison de matériaux récoltés sur une longue période de temps (Speck [1935]1977 :19). Sa contribution est davantage d’ordre ethnographique que théorique, privilégiant la description des activités, des modèles d’organisation sociale et territoriale et des matériaux (techniques, styles artistiques) (Hallowell 1951 :68, Chute 1999 :485).

L’œuvre de Speck est volumineuse et diversifiée, traitant autant de la mythologie, des chants cérémoniels, de l’art et de la culture matérielle algonquienne que de l’ethnozoologie. La contribution majeure de Speck se rapporte cependant à ses descriptions des groupes de chasse familiaux, institution qu’il décrit comme étant prédominante chez différentes Nations algonquiennes, et aux modes de tenure foncière algonquiens. Pendant près d’un demi-siècle (1908-1950), Speck a documenté les règles de transmission des territoires de chasse, les règles de préservation de la faune, le système de rotation dans l’exploitation des ressources, les formes de propriété familiale et communale du territoire, les pratiques et principes normatifs liés à la chasse et aux rapports entre les groupes de chasse familiaux. Ses travaux ont véritablement orienté les études ethnographiques

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ultérieures et même, jusqu’à un certain point, la définition des « preuves » anthropologiques quant à l’occupation et l’utilisation territoriales chez les Autochtones dans les instances politiques et juridiques canadiennes (Deschênes

1979; 1981, Feit 1991a).

Speck décrit le groupe de chasse familial en tant qu’unité sociale et politique, présentant les caractéristiques d’une institution sociale au sein de laquelle les membres ont un statut, des droits et des responsabilités (1915a, 1915b). Parmi ces « droits » et « responsabilités » décrits par Speck, notons les droits à la propriété territoriale et la responsabilité d’assurer la préservation des animaux au sein du territoire de chasse familial (Speck 1915b). Dans ses propres termes, le groupe de chasse familial représente :

[A] kinship group composed of folks united by blood or marriage, having the right to hunt, trap, and fish in a certain inherited district bounded by some rivers, lakes, or other natural landmarks. These territories, as we shall call them, were, moreover, often known by certain local names identified with the family itself. The whole territory claimed by each tribe was subdivided into tracts owned from time immemorial by the same families and handed down from generation to generation. The almost exact bounds of these territories were known and recognized, and trespass, which, indeed, was of rare occurrence, was summarily punishable. These family groups or bands form the social units of most of the tribes, having not only the ties of kinship but a community of land and interests. In some tribes these bands have developed into clans with prescribed rules of marriage, some social taboos and totemic emblems (…) Another feature of economic importance in the institution of the family hunting territory is the conservation of resources practiced by the natives. In their own regime this means the conservation of the game (Speck 1915b :290 ;293).

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Il est important ici, nous semble-t-il, de distinguer l’institution du groupe de chasse familial du système des territoires de chasse familiaux. Même si cette institution et ce système sont dans la pratique intrinsèquement reliés et indissociables, cette distinction pourra nous permettre, dans notre analyse, de différencier la description des modèles d’organisation sociale des modèles d’organisation territoriale. Il nous semble que le fait que Speck n’ait pas explicité une telle distinction ait pu créer une certaine confusion; les critiques de Speck étant davantage liées à sa description du système des territoires de chasse familiaux (territoires circonscrits, décrits dans des termes de « propriété »), plutôt qu’à ses analyses de l’institution du groupe de chasse familial (règles de conduite mises de l’avant pour assurer la cohésion sociale entre les membres des familles et la coexistence harmonieuse avec les non-humains). Nous y reviendrons un peu plus loin dans ce chapitre.

Pour l’instant, je souhaite discuter du contexte dans lequel les travaux de Speck se sont inscrits. Cela nous permettra notamment de comprendre un peu mieux le caractère politique de ses travaux et de saisir l’importance qu’il a accordée à définir le système des territoires de chasse familiaux algonquiens et à circonscrire sur des cartes l’étendue de ces territoires lors de ses séjours auprès des familles et membres de communautés autochtones. Ainsi contextualisés, nous pourrons un peu mieux comprendre les raisons ayant motivé son choix dans l’utilisation de termes comme « propriété territoriale » dans sa description des systèmes de territoires de chasse familiaux algonquiens.

Les travaux de Speck se sont inscrits dans le contexte de l’accaparement des territoires autochtones pendant une période d’expansion coloniale dans le Nord-est américain. Cette période était en outre marquée par des politiques coloniales et la doctrine de l’évolutionnisme social, doctrine très influente dans l’anthropologie à

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l’époque69 et contre laquelle s’insurgeaient plusieurs chercheurs, dont Speck et son directeur de thèse Franz Boas (Feit 1991a :125).

En 1914, dans ses premiers textes traitant des territoires familiaux algonquiens, Speck répondit à la vision historique proposée par Theodore Roosevelt dans The

Winning of the West (1889) dans laquelle l’homme d’État américain soutenait que les Autochtones (qu’il qualifiait de « squalid savage ») n’ont pas plus de droits territoriaux que n’importe quel autre « squatter » allochtone (cité dans Speck 1914 :35). Dans cette missive, Roosevelt défend les politiques de colonisation territoriale; l’accaparement et la privatisation des territoires autochtones dans le dessein de servir les intérêts économiques nationaux et privés (ibid.). Face à cette vision, Speck (1914) fait valoir les bases d’un modèle de gestion territoriale organisée autour du système des territoires de chasse familiaux. Ce système, dans l’argumentaire de Speck, présente une forme de propriété qui est aussi valable et légitime que la forme de propriété privée mise de l’avant par les politiques étatiques dans le contexte de colonisation.

Au début de sa carrière (1908, suite au dépôt de sa thèse de doctorat), Speck a reçu un financement de la Anthropological Division of the Geological Survey of

Canada et a travaillé avec le chef Aleck Paul de la communauté de Temagami (anicinabe) sur les questions territoriales. Dans leurs entretiens, Aleck Paul tente d’expliquer à Speck les règles de préservation de la faune et de transmission des territoires de chasse en utilisant certaines analogies :

69 Voir, par exemple, les travaux d’Henry Maine ([1861]1894) et de Lewis Henry Morgan ([1877]1964). Voir aussi le chapitre 1 de cette thèse.

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We would only kill the small beaver and leave the old ones to keep breeding. Then when they got too old, they would be killed, just as a farmer kills his pigs, preserving the stock for his supply of young. The beaver was the Indians’ pork ; the moose, his beef ; the partridge, his chicken (…) All these formed the stock on his family hunting ground, which would be parceled out among the sons when the owner died. He said to his sons, « You take this part ; take care of this tract ; see that it always produces enough (…) If another Indian hunted on our territory, we, the owners, could shoot him (…) Sometimes an owner would give permission for strangers to hunt for a certain time in a certain tract. This was often done for friends or when neighbours had a poor season. Later the favour might be returned (Aleck Paul cité dans Speck 1915c :294-295).

Les comparaisons dressées par Paul entre les animaux « indiens » et les animaux de « blancs » et entre les chasseurs autochtones et les fermiers blancs ne sont pas anodines. Ce genre de comparaison ou d’analogie a été repris dans différents travaux dans l’objectif de créer un espace de dialogue entre Autochtones et

Allochtones et en tant que stratégie discursive de la part d’Autochtones dans des contextes de négociations territoriales (voir par exemple Feit 2001 et Nadasdy

2011). Dans l’ensemble de son œuvre, Frank Speck a établi des bases importantes favorisant ce dialogue entre Autochtones et Allochtones (Chute

1999 :486). Speck utilisera cette métaphore de l’élevage énoncé par Paul pour expliquer dans des termes familiers aux Allochtones les modes de gestion des ressources fauniques et le système des territoires de chasse familiaux chez les Algonquiens. Il décrit ce système dans les termes de « propriété territoriale autochtone », mode de propriété équivalent et non inférieur au mode de propriété territoriale occidental. Ce ne sera que vers la fin de sa carrière qu’il explicitera ce choix conceptuel. Il explique, notamment, que ses travaux concernant le système des territoires de chasse familiaux algonquiens « must inevitably be troubling to those who like Morgan (…) would see the culture of lower hunters as representing

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a stage prior to the development of the institution of individualized property »

(Speck and Eisely 1942:238).

Notons que Speck n’est pas le premier à avoir écrit sur le système des territoires de chasse familiaux algonquiens. Certaines facettes avaient déjà été décrites par des organisations autochtones dont les Ojibwa dans les années 1860 et les Mi’kmaq dans les années 1885 dans le cadre de leurs revendications territoriales auprès des instances allochtones et par le géologue A. P. Low (1896) (Speck 1915b, Chute 1999). Toutefois, les travaux de Speck consacrés à cette question ont contribué à faire connaître plus largement ces systèmes de gestion foncière et à ce qu’ils soient considérés dans les discussions entourant la gestion et l’exploitation territoriales des Autochtones auprès des institutions étatiques. La description approfondie des territoires de chasse familiaux et de l’institution des groupes de chasses familiaux devait alors servir de levier pour les Autochtones dans leurs revendications territoriales auprès des acteurs allochtones (Feit 1991a).

D’ailleurs, certains travaux de Speck sont utilisés encore aujourd’hui par des groupes autochtones, avec lesquels il a travaillé. C’est le cas notamment pour la communauté anicinabe de Temagami (Feit 1991a).

Comme nous le verrons dans les sections suivantes, les ethnographies ultérieures70, s’intéressant aux modèles d’organisation territoriale algonquiens et à ses transformations historiques, interrogent l’utilisation du concept de « propriété » par Speck. Sans nécessairement proposer d’autres équivalences conceptuelles, ces auteurs vont un peu plus loin dans leur description des modes d’utilisation et

70 Voir notamment : Jenness (1935), Steward (1936), Cooper (1939), Leacock (1954), Scott (1979, 1986, 1988), Tanner (1979), Mailhot et Vincent (1980, 1982), Feit (1982; 1991b), Morantz (1986) et Mailhot ([1993]1999).

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d’occupation territoriales algonquiennes, apportant des nuances qui s’avèrent importantes dans la démonstration de la complexité des modèles de gestion territoriale algonquienne, tant sur le plan de la flexibilité et de l’adaptabilité des frontières que des modes d’exploitation des ressources fauniques et halieutiques.

Dans les prochaines sections, nous reviendrons sur les travaux de Speck. En lien avec les travaux d’autres algonquinistes, nous discuterons du débat entourant les systèmes des territoires de chasse familiaux, de la territorialité nehirowisiw et de la contemporanéité du système d’autorité territorial et des pratiques, principes et processus normatif d’Atikamekw Nehirowisiw. Comme nous le constaterons tout au long de ce chapitre, les travaux portant sur la territorialité et les droits coutumiers algonquiens ont largement été influencés par le travail de Speck. Cette section se voulait en quelque sorte un hommage à cet homme engagé, mais

également une introduction aux sections suivantes de ce chapitre dans lesquelles nous approfondirons des thèmes de recherche et des débats dont Speck a été un important instigateur.

5.1.2. Les débats autour des territoires de chasse familiaux algonquiens

Speck prétend que le système des territoires de chasse familiaux tel qu’il le décrit est d’origine précolombienne, qu’il est effectif depuis des « temps immémoriaux » (1915a, 1915b). Cette interprétation a été longuement critiquée et débattue, d’abord par Diamond Jenness (1935), Julian Steward (1936), Alfred Bailey (1937) et par Eleanor Leacock (1954). Ce débat tenu entre chercheurs algonquinistes sur l’origine du système des territoires de chasse familiaux a fait couler beaucoup d’encre. En 1986, la revue Anthropologica a d’ailleurs consacré un numéro

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complet visant à faire le point sur ce débat (voir Bishop et Morantz [dir.] 1986)71.

Dans le cadre de cette section, nous revenons rapidement sur ce débat qui a permis de faire avancer les connaissances et d’affiner la description ethnographique des modèles algonquiens de gestion territoriale et de leurs transformations ou adaptations historiques. Cela nous permettra tout au long de ce chapitre de mettre en dialogue notre propre description ethnographique avec les travaux antérieurs portant sur ces questions et de prendre un certain recul par rapport à nos observations sur le terrain et de les situer dans leur contexte historique, politique et communautaire. En d’autres mots, la considération des travaux majeurs et des débats liés au système des territoires de chasse familiaux algonquiens nous permettra de saisir un peu mieux toute la complexité et la flexibilité de ces systèmes qui se veulent à la fois structurants et dynamiques.

Dans son texte paru dans le numéro thématique d’Anthropologica dirigé par Bishop et Morantz (1986), Adrian Tanner distingue deux phases dans les interprétations ethnologiques qui ont marqué le débat sur les modes de gestion territoriale chez les Algonquiens. La première phase, qu’il nomme la phase

« classique », est marquée par les travaux de Speck, Lowie, Davidson et Cooper. Dans leurs travaux, ces auteurs décrivent l’institution des groupes de chasse familiaux et le système des territoires de chasse comme structurant la vie sociale, les pratiques et le mode de gestion foncière algonquien. Comme nous l’avons vu précédemment, cette institution et ce système sont décrits par ces auteurs comme étant établis « depuis des temps immémoriaux », avant le début de la traite des fourrures au XVIIIe siècle. Ces auteurs, dans leurs travaux, ont dressé des cartes, documentant ainsi les territoires de chasse familiaux et leurs frontières. Ces

71 Un numéro soulignant les 30 ans de cette parution est prévu à l’été 2017 dans la revue Anthropologica (Chaplier et Scott (dirs.), à paraître). Certains passages de ce chapitre devraient par ailleurs faire partie d’un article inclus dans ce numéro (Éthier et Poirier, à paraître).

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travaux ont permis d’identifier les aires d’occupation et d’utilisation territoriales des familles. Les travaux menés par Speck, Davidson, Cooper et Lips ont également traité d’un modèle de transmission patrilinéaire des territoires de chasse familiaux et d’un modèle d’organisation sociale et politique décentralisé et basé sur la famille élargie. Ces aspects continueront à être documentés dans les ethnographies inscrites dans ce que Tanner nomme la phase « postclassique », mais y sont décrits davantage comme un effet de la traite des fourrures.

Selon Tanner (1986), les travaux de Diamond Jenness (1935) et d’Eleanor

Leacock (1954) marquent le début de la phase « postclassique » des interprétations ethnologiques reliées au système des territoires de chasse familiaux algonquien. Les travaux72 ayant marqué cette phase remettent en question l’origine précolombienne du système des territoires de chasse familiaux.

Le système des territoires de chasse familiaux tel que décrit par Speck, Cooper et Davidson serait plutôt un effet de la traite des fourrures. Selon Leacock, les documents historiques écrits par les missionnaires au XVIIe siècle décrivent le modèle de gestion territoriale algonquienne comme étant davantage fluide et communal (sous l’égide de la bande) (Leacock 1954 :14). Leacock soutient que l’institution centrale précolombienne chez les Innus du Labrador était la bande, un regroupement de familles élargies. Elle fait remarquer que la traite des fourrures a eu pour effet de réduire la démographie des groupes de chasse et a provoqué un modèle de gestion territoriale individualisée et privatisée, transformant les relations entre les membres de la bande, passant d’un modèle coopératif d’exploitation des ressources à un modèle plutôt compétitif et centré sur la chasse aux animaux à fourrure (Leacock 1954). Toujours selon Leacock, la traite des fourrures aurait contribué à l’instauration de limites territoriales et des territoires de chasse

72 Voir notamment les travaux de Jenness (1935), de Leacock (1954) et de Rogers (1963).

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familiaux. La marchandisation des fourrures, principalement du castor et de la martre, a eu des effets sur les pratiques de la chasse et du partage des fruits de la chasse. La traite des fourrures a incité des chasseurs à accentuer la chasse au castor et certains auraient profité de la vente des fourrures pour accumuler des objets matériels, créant ainsi certaines inégalités socioéconomiques et inégalités basées sur le genre (idem). Ces aspects sont documentés également en ce qui concerne les Atikamekw Nehirowisiwok (Gélinas 2000, 2003). Comme nous le verrons un peu plus loin dans ce chapitre, certains interlocuteurs font mention, par exemple, des impacts de la traite des fourrures, de l’implantation des réserves à castor par le gouvernement du Québec entre les années 1930 et 1950 et de l’exploitation des ressources ligneuses faite par l’industrie forestière sur leur modèle de gestion territoriale et sur les rôles et responsabilités des ka nikaniwitcik. Il y a nécessairement une dynamique de continuité et de transformation dans les modes de gestion foncière que cette étude ne peut esquiver.

Outre les travaux de Jenness et de Leacock, d’autres auteurs se sont intéressés aux dynamiques de transformation des modes de gestion territoriale algonquiennes ou au caractère adaptatif de ces modes. Speck lui-même a reconnu, une quinzaine d’années après ses premiers travaux, que le système des territoires de chasse familiaux a un caractère adaptatif. Dans ses premiers travaux, Speck décrivait ce système comme étant statique ; des territoires familiaux comprenant des frontières naturelles déterminées et qui sont transmis de manière patrilinéaire de génération en génération. Ce n’est que vers les années 1930, suite aux travaux de Julian Steward (1936) et de ses séjours au sein des communautés innues du Labrador, que Speck, tout en maintenant la centralité de l’institution des groupes de chasse familiaux, reconnut le caractère dynamique et adaptatif du système des territoires de chasse familiaux (Speck 1931, Speck et Eiseley

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[1939]1985, 1942). À l’instar de Speck, Cooper (1938 :55-58) suggère que les groupes de chasse familiaux organisent leur gestion territoriale en fonction d’un ensemble de critères relatifs au type de chasse et à la variation des ressources fauniques disponibles. Les groupes de chasse familiaux peuvent ainsi passer d’un mode de gestion « communal » du territoire à un mode de gestion plus « privé ».

Le groupe de chasse familial, comme institution, demeure ici central dans l’organisation sociale algonquienne, mais les modes d’occupation et d’utilisation territoriales se veulent plus flexibles, plus complexes et adaptés, entre autres, aux conditions écologiques, à la démographie et aux relations familiales et matrimoniales. Speck avait d’abord élaboré sa description du système des territoires de chasse familiaux auprès des Anicinabek, des Mikma’k, des

Eeyouch/Eenouch et des Innus des terres (woodland). La grande partie de ces groupes avaient une économie centrée sur la chasse au castor et à l’orignal

(animaux n’ayant pas de grands cycles migratoires et se déplaçant en nombre restreint). Ses séjours au sein des communautés innues de la toundra, qui ont une

économie basée autour de la chasse au caribou (animal migratoire se déplaçant en troupeau), l’ont amené à nuancer les modes de gestion territoriale algonquiens et à considérer le mode de gestion « communal » comme étant observable dans certains contextes (Speck 1931 :576-577, voir également Deschênes 1981 :211-

212, Morantz 1986 :86 et Feit 2009 :54-55).

Dans ses études menées également chez les Innus du Labrador, et plus spécifiquement chez les innus de Shesatshit, José Mailhot (1986, [1993]1999) soutient que les modes d’utilisation et d’occupation territoriales innues sont basés sur ce qu’elle nomme le « nomadisme structuré ». Dans ce modèle, la circulation des personnes au sein des territoires de chasse « communautaire » est déterminée par la composition des réseaux d’appartenances familiales (Mailhot

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1986, [1993]1999). Ici encore, Mailhot fait référence surtout à la chasse au caribou, animal qui se déplace en troupeau. Il est possible, comme le soulignent Rogers (1963) et Bishop (1970, 1978), que les modes d’utilisation et d’occupation territoriales algonquiens puissent s’adapter selon, par exemple, le type de chasse exercé.

Ces derniers auteurs (Rogers et Bishop) ont décrit le caractère adaptatif des modèles de gestion en milieu forestier en lien avec des considérations environnementales et culturelles : changements climatiques, cycles migratoires des animaux, distribution spatiale des ressources, démographie humaine, organisation sociopolitique, rapports interfamiliaux, etc. À l’instar des travaux de

Jenness (1935), de Steward (1936), de Leacock (1954) et de Mailhot ([1993]1999), Rogers (1963) et Bishop (1970, 1978) ont également abordé les influences des rapports entre Autochtones et Allochtones (postes de traite, marché des fourrures, missionnaires, agents gouvernementaux) dans la transformation des modes de gestion territoriale algonquiens. Ces travaux ont permis d’apporter certaines nuances sur le système des territoires de chasse familiaux décrits par Speck,

Cooper et Davidson dans la première moitié du XXe siècle. Dans les prochaines sections, nous discuterons des dynamiques et des relations politiques, ontologiques, économiques et symboliques entretenues par les membres de la Nation atikamekw nehirowisiw concernant les territoires de chasse familiaux et le territoire ancestral revendiqué dans leurs rapports avec les institutions étatiques et les membres de la société civile allochtone.

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5.1.3. La territorialité nehirowisiw

Les travaux ethnohistoriques des dernières décennies démontrent une continuité dans les modèles de gestion territoriale chez les Algonquiens (voir par exemple Morantz 1986 ; 2002, Gélinas 2000 ; 2003, Leroux et al. 2004, Leroux 2009). Le système des territoires de chasse familiaux décrit par Speck, Cooper et Davidson n’est pas à rejeter. Des nuances doivent toutefois être apportées, d’abord en ce qui concerne l’utilisation des concepts de propriété, de frontière et de droit territoriaux. Ces conceptions occidentales sont chargées de sens politiques et juridiques, sens qui sont à la fois historiquement et culturellement construits73. L’utilisation de ces concepts s’inscrit d’ailleurs dans des dynamiques politiques particulières et dans des rapports de pouvoir et ce sont ces dynamiques politiques qui sont intéressantes à analyser et non seulement la description et la définition du concept de « propriété territoriale algonquienne » (Scott 1988, Feit 1991a, Nadasdy 2002).

Les travaux plus récents74 (voir Bishop 1986, Mailhot 1986; [1993]1999, Scott 1988 ; 2004, Feit 1991a ; 2001, Nadasdy 2002 et Scott et Morrison 2004), sans rejeter la centralité de l’institution des groupes de chasse familiaux discutent des dynamiques de continuité et de transformation dans les modes de gestion

73 Pour en connaître un peu plus sur l’évolution du concept de « propriété territoriale » sur les plans symboliques, juridiques et politiques en Occident depuis le Moyen-Âge, voir par exemple le texte d’Aubin et Nahrath (2015). 74 Dans l’épilogue du numéro thématique « À qui appartient le castor ? » de la revue Anthropologica, Edward Rogers (1986) discute du développement d’une troisième phase dans les interprétations ethnologiques qui ont marqué le débat sur les modes de gestion territoriale chez les Algonquiens. En plus des phases « classique » et « postclassique » décrites par Tanner (1986), Rogers suggère que les textes présents dans le numéro thématique tracent la voie à une troisième phase qu’il nomme « néoclassique ». Les travaux de Scott (1979, 1986, 1988), Mailhot et Vincent (1980), Feit (1982, 1991b, 1998, 2004), Mailhot [1993]1999, Samson (1999), Poirier (2000, 2013), Nadasdy (2002, 2003, 2007), pourraient être considérés comme des travaux marquant cette phase.

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territoriale. Ces auteurs ne décrivent plus ce système dynamique en des termes de

« propriété », mais plutôt en des termes de « territorialité » et de « territorialités enchevêtrées » ; s’intéressant tout d’abord aux relations (ontologiques, politiques,

économiques et symboliques) et aux rapports de pouvoir entretenus par les différents acteurs interagissant au sein des territoires (Bishop 1986, Dussart et

Poirier 2017).

La territorialité nehirowisiw se décline différemment dépendamment des relations politiques et ontologiques au sein desquelles sont engagés les chasseurs, les familles, les communautés et la Nation. Les Atikamekw Nehirowisiwok sont impliqués dans différents types de négociations territoriales. Celles, d’une part, auprès des institutions étatiques aux niveaux régional, provincial et fédéral pour la reconnaissance de droits spécifiques ; et celles, d’autre part, auprès de familles de

Nations autochtones voisines, dont les Eenouch de Mistissini et de Waswanipi, les Innus de Mashteuiatsh et les Anicinabek de Kitigan sipi et de Lac Simon, avec lesquelles ils négocient des accès à des territoires de chasse mitoyens. Les familles atikamekw nehirowisiwok négocient également leur occupation et leurs droits territoriaux entre elles et auprès des ancêtres, des animaux (et leur esprit- maître) et d’autres non-humains qui coexistent au sein d’un même univers forestier. Les Atikamekw Nehirowisiwok utilisent différents termes pour qualifier et distinguer justement ces différentes relations politiques et ontologiques qu’ils vivent quotidiennement au sein de leurs territoires de chasse familiaux. Dans cette thèse, nous utilisons quatre de ces termes fréquemment utilisés par les Atikamekw

Nehirowisiwok : notcimik, atoske aski, natoho aski et Nitaskinan75.

75 Pour une description plus détaillée de l’utilisation de ces termes, vous pourrez vous référer à notre texte à paraître dans la revue Anthropologica (numéro spécial sur les territoires de chasse familiaux algonquiens, C. Scott et M. Chaplier (dirs.)). Publication prévue à l’été 2017.

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Nitaskinan

Traduit littéralement, Nitaskinan signifie « notre territoire ». Nitaskinan comprend l’ensemble des territoires de chasse familiaux des Atikamekw Nehirowisiwok. Il fait référence au territoire ancestral de la Nation atikamekw nehirowisiw dans leur rapport politique et territorial avec les institutions et les acteurs allochtones et les Nations autochtones voisines (voir cartographies, annexe 2). Il s’agit notamment du terme utilisé dans le cadre des négociations territoriales entre les instances politiques atikamekw nehirowisiwok et les instances politiques étatiques. À certaines occasions, dans le cadre de colloques territoriaux organisés pour les membres de la Nation, les Atikamekw Nehirowisiwok utilisent également le terme kitaskino qui signifie également « notre territoire ». La différence entre les deux termes vient du pronom personnel qui y est rattaché. Les langues algonquiennes distinguent le nous inclusif (ki-) du nous exclusif (ni-) selon que l’interlocuteur est concerné ou non. Ainsi, kitaskino « notre territoire » réfère à un territoire partagé par les interlocuteurs tandis que Nitaskinan indique que le territoire est investi par le locuteur, mais pas par ses interlocuteurs (Poirier 2014 :156).

L’utilisation du terme Nitaskinan dans les négociations territoriales auprès des institutions étatiques suggère que ces instances n’ont pas, du point de vue des

Atikamekw Nehirowisiwok, de droits légitimes sur le territoire occupé par les Atikamekw Nehirowisiwok. Ce terme ne renvoie pas à une forme de propriété territoriale exclusive comme il est entendu dans le droit étatique, le Code civil ou la common law. Les chasseurs atikamekw nehirowisiwok n’en reconnaissent pas moins une forme d’autorité territoriale aux personnes qui occupent le territoire et qui possèdent un bagage important de savoirs, une responsabilité et une relation de réciprocité à l’égard du territoire, des animaux et des ancêtres. Une

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responsabilité également à l’égard de la transmission des récits toponymiques et des pratiques et des principes normatifs.

Notcimik

Littéralement notcimik pourrait être traduit par « l’endroit d’où je viens ». L’utilisation de ce terme fait état d’une appartenance territoriale, d’une proximité et d’un ensemble de savoirs. Les Atikamekw Nehirowisiwok décrivent notcimik comme un milieu de vie, un lieu d’intimité et de bien-être. Comme une technolinguiste me le soulignait, « Quand on dit notcimik, on parle de l’endroit où on se sent bien ; notre place. Dans le concept notcimik, on peut entendre le mot otehi [cœur] : notehimik [l’endroit de notre cœur] ». Dans un entretien réalisé par

Chantale Awashish dans le cadre du projet Kinokewin, un aîné d’Opitciwan témoigne :

On est en paix quand on est dans le bois. On ne parle pas, car on écoute les arbres. On réfléchit beaucoup et c’est là qu’on apprend l’enseignement atikamekw. Je pense beaucoup à mes ancêtres quand je suis dans le bois. Même quand j’escalade une montagne, je me dis que je ne suis pas le premier à passer ici. Mes ancêtres sont passés avant moi. (Opitciwani iriniw, 2006)

Lorsqu’une personne dit qu’elle s’en va dans notcimik, elle veut parler du territoire de chasse parcouru, entretenu et transmis par ses ancêtres. Notcimik est un territoire imprégné de souvenirs et de récits familiaux. Certains de mes interlocuteurs deviennent très émotifs lorsqu’ils me font part de ces récits et de leur attachement à notcimik. Notcimik ne peut être traduit par « forêt » ou « territoire ».

Pour mes interlocuteurs, ce ne sont pas tous les territoires de chasse familiaux qui

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sont notcimik. Ce terme renvoie explicitement à leur(s) territoire(s) de chasse familial, leur(s) territoire(s) d’appartenance et duquel ils reçoivent une partie de leur identité.

Certains interlocuteurs me parlent de leur difficulté de vivre dans la réserve et dans une maison construite à partir d'un modèle architectural allochtone. Même si plusieurs personnes se disent heureuses des facilités et du confort offerts dans les maisons au sein des communautés (électricité, eau courante, internet, télévision), certains interlocuteurs se disent souvent nostalgiques de la vie dans une tente au sein de notcimik. Vivre l’expérience régulière dans une tente au sein de notcimik est décrit comme important pour l’identité et pour la transmission des savoirs territoriaux. Un aîné rencontré à Wemotaci à l’été 2015 a dit à ce propos : « Moi, je sais que je suis un Atikamekw Nehirowisiw, car j’ai toujours vécu dans une tente ».

Pour avoir vécu dans une tente pendant quelques mois lors de mon premier séjour

à Opitciwan au printemps et à l’été 2014, je pense comprendre cette distinction que mes interlocuteurs font de la tente et de la maison. Régulièrement, en soirée, des amis atikamekw nehirowisiwok dans la trentaine venaient me visiter dans la tente et me faisaient incessamment remarquer à quel point ils appréciaient l’odeur de sapinage qui se dégageait à l’intérieur de la tente en toile et à quel point ils dormaient mieux dans la tente au sein de notcimik que dans la maison sur la réserve. Dans la tente on entend les sons et on respire l’odeur de la forêt. Il y a ici une proximité sensorielle (odorat, ouïe) à la forêt que l’on ne retrouve pas dans la maison.

L’accès des Atikamekw Nehirowisiwok au notcimik est plus limité depuis les dernières décennies à cause de l’éducation obligatoire des enfants, des emplois

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salariés en ville ou dans la communauté et à cause de la diminution des aires de chasse. Ce qui était, avant la sédentarisation dans les années 1950, un mode de vie nomade76 en forêt, s’est réduit pour plusieurs à une pratique de la « vie traditionnelle » en forêt. Même si quelques chasseurs passent encore la majeure partie de leur temps au sein de leur territoire de chasse, cela n’est plus le cas pour la majorité des Atikamekw Nehirowisiwok qui partagent leur temps entre la communauté, la ville et notcimik. Depuis les dernières décennies, notcimik est devenu moins un milieu de vie permanent qu’un lieu de ressourcement et de guérison pour les membres des familles nehirowisiwok (Jérôme et Veilleux 2014).

Atoske aski / Natoho aski77

Les termes atoske aski et natoho aski réfèrent tous deux explicitement au territoire de chasse familial, mais réfèrent à deux types de chasse différents : atoskewin et natohowin. Comme il sera expliqué à la section 5.2.2, les pratiques normatives diffèrent selon le type de chasse, mais retenons ici que pour les deux types de chasse, on reconnaît une forme d’autorité territoriale (tiperitamowin aski) aux ka nikaniwitcik, autorité qui accompagne aussi un ensemble de droits et de responsabilités qu’ils ont hérité des ancêtres pour assurer leur existence et celle de leurs descendants.

76 Par « nomadisme », j’entends le déplacement des familles sur une partie de l’année selon le cycle annuel des saisons. Dans les cas des Atikamekw Nehirowisiwok, avant les années 1950, les familles se déplaçaient, à l’automne vers leur territoire de chasse familial et au printemps vers les sites de rencontres estivaux. Pendant l’hiver, elles pouvaient déplacer leur campement au sein de leur territoire de chasse ou visiter d’autres territoires de chasse pour combler leurs besoins et désirs alimentaires et pour maintenir les liens de solidarité et de convivialité entre les familles. 77 Il me semble important ici de souligner la contribution de Gérald Ottawa, membre du Secrétariat au territoire du Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw, dans la définition des concepts atoske aski et natoho aski et à la description des types de chasse atoskewin et natohowin. Ces nuances démontrent toute la complexité et la richesse aussi des systèmes des territoires de chasse familiaux telles que définit par les institutions familiales atikamekw nehirowisiwok.

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Natoho aski réfère au territoire de chasse familial dans un contexte de chasse de subsistance (natohowin). Comme il sera décrit plus en détail à la section 5.2.2, cette chasse n’est pas nécessairement effectuée par les membres d’une famille ayant une autorité territoriale reconnue sur ledit territoire. Il peut s’agir d’une chasse réalisée par des membres d’une famille ayant un territoire de chasse contigu ou tout simplement de passage sur le territoire dans leur déplacement. À cet égard, natoho aski désigne habituellement les parties des territoires de chasse familiaux qui sont régulièrement utilisés dans les déplacements (sentiers estivaux, hivernaux ou sites de portages). L’utilisation de ces territoires pour la chasse de subsistance s’accompagne toutefois de règles à respecter envers les membres des familles ayant une autorité sur le territoire en question, comme le partage des fruits de la chasse et des règles de réciprocités.

Atoske aski réfère au territoire de chasse familial dans le contexte où les pratiques exercées sur ce territoire sont représentatives de la chasse atoskewin. Dans ce cas-ci, ce sont les membres de la famille ayant des droits et responsabilités territoriaux qui s’assurent du respect de leurs droits liés, par exemple, au partage des fruits de la chasse, aux invitations (wicakemowin), à l’entretien des sentiers (mohonan, moteskano), à la transmission des savoirs territoriaux, etc. Comme il sera décrit un peu plus loin, les familles et les ka nikaniwitcik qui ont une autorité reconnue au sein de atoske aski ont également des droits et responsabilités à l’égard de l’utilisation des ressources. On retrouve au sein du territoire de chasse de certaines familles de Manawan, par exemple, l’érable à sucre. Ces familles ont une certaine autorité et responsabilité sur la récolte de l’eau d’érable. On retrouve des bouleaux blancs dans le territoire de certaines familles des trois communautés

Atikamekw Nehirowisiwok. Ces familles ont développé et transmettent une expertise liée au travail de l’écorce de bouleau, comme le canot d’écorce, les

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paniers d’écorces, etc. D’autres familles sont également reconnues pour la qualité de leur travail du bois (sculpture, fabrication de rames) ou du cuir (tannage, broderie). Ces objets, encore aujourd’hui, circulent largement dans les réseaux d’échanges interfamiliaux entre les communautés et entre les membres des différentes Nations autochtones. Les données archéologiques et ethnohistoriques démontrent également que ces vastes réseaux d’échanges de matériel étaient bien ancrés avant l’arrivée des Européens dans les Amériques (Lips 1947, Gélinas

2000).

Mis à part les ressources végétales, les ressources cynégétiques et halieutiques sont également différemment distribuées au sein des territoires de chasse familiaux. Dans le cas du poisson, les familles ont des accès faciles à certaines espèces plus qu’à d’autres. On retrouve de la truite dans le territoire familial de certaines familles de Manawan et de l’esturgeon dans le territoire de familles d’Opitciwan. Ces familles ont développé un ensemble de savoirs et de responsabilités envers ces espèces de poisson. À l’instar des produits artisanaux, les fruits de la pêche, de la chasse et de la récolte d’arbres et de végétaux s’inscrivent dans les réseaux d’échanges réciproques entre les familles. Par exemple, dans les festins communautaires (makocana) réunissant plusieurs familles, on retrouve cette diversité de poissons et de viandes partagés par les familles. Les mariages, les décès, les fêtes communautaires sont des évènements propices à l’organisation de makocana. Il s’agit de moments appropriés pour partager les mets cuisinés à partir des viandes et des poissons chassés et pêchés au sein d’atoske aski. Ces fêtes sont aussi l’occasion de partager des savoirs et des récits sur les chasses et les pêches effectuées ; la provenance des gibiers et des poissons, les anecdotes liées à la chasse et à la pêche. Les makocana permettent de tisser et de consolider des liens entre les familles. Il s’agit également

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d’un moment propice pour des chasseurs de lancer des invitations à des membres de la famille élargie ou à des amis à chasser ou à pêcher au sein d’un territoire de chasse familial (voir chapitre 3, principe d’invitation).

L’occupation et l’utilisation des territoires de chasse familiaux demeurent très importantes dans le contexte actuel pour les différentes générations qui maintiennent que la fréquentation du territoire de chasse familial joue un rôle déterminant dans leur affirmation identitaire (voir aussi chapitre 7). Avec la hausse démographique des dernières décennies, la présence de l’industrie forestière et des villégiateurs allochtones, certains territoires de chasse familiaux ont été subdivisés pour assurer que l’ensemble des familles puisse fréquenter et utiliser une partie du territoire ancestral. Comme nous le constaterons plus loin dans ce chapitre, les responsables territoriaux (ka nikaniwitcik) ont un rôle à jouer dans la subdivision du territoire et dans la répartition des membres de la famille élargie au sein des territoires familiaux. Toutefois, ce n’est pas tous les membres de la Nation qui peuvent prétendre avoir un accès privilégié à un territoire de chasse familial. Pour cette minorité de personnes, le principe d’invitation est alors très important parce qu’il leur permet de fréquenter divers territoires de chasse familiaux et d’acquérir un certain droit et des responsabilités territoriales (voir section 3.4).

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5.2. Responsabilités et droits territoriaux

5.2.1. Tiperitamowina aski

Nous discuterons, dans les sections suivantes, du point de vue des ka nikaniwitcik

(responsables territoriaux) concernant la contemporanéité de leurs droits, de leurs pouvoirs et de leurs responsabilités au sein des territoires de chasse familiaux

(tiperitamowina aski). Comme le souligne Nicolas Houde, dans sa recherche doctorale menée auprès des Atikamekw Nehirowisiwok (201178), les rôles, les responsabilités et les pouvoirs territoriaux (tiperitamowin aski) des ka nikaniwitcik sont ancrés dans la « tradition », mais sont également tournés vers l’avenir et se redéfinissent dans le contexte contemporain. Avant de développer cette discussion autour de la contemporanéité des droits, des responsabilités et des pouvoirs territoriaux (tiperitamowina aski) des ka nikaniwitcik, permettez-moi d’abord d’expliquer l’utilisation du concept tiperitamowin aski chez les Atikamekw

Nehirowisiwok.

Pour mes interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok, la locution ni tiperiten aski79 renvoie à une sorte de relation au territoire, relation qui comprend certains droits et certaines responsabilités. La locution ni tiperiten aski pourrait être traduite par « je suis garant de ce territoire », « j’ai une responsabilité envers ce territoire ». C’est en ce sens que les Atikamekw Nehirowisiwok peuvent utiliser ce concept pour mettre

78 La thèse intitulée “Experimenting with what will become our traditions” : Adaptative co- management as a bridge to an Atikamekw Nehirowisiw post-treaty world in Nitaskinan, Canada, s’inspire de l’approche adaptative dans les démarches de co-gestion et dans la négociation des traités territoriaux entre les institutions étatiques et les Atikamekw Nehirowisiwok. Une partie de la thèse documente justement la manière dont les rôles et responsabilités des chefs de territoires et des chefs de famille s’ajustent dans le contexte contemporain. 79 Ni (première personne du singulier), tiperiten (forme verbale du nom tiperitamowin), aski (terre, territoire).

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de l’avant leur relation « juridique » au territoire. On retire par ailleurs de ce concept, la locution nehirowisiw otiperitamo[so80]win que l’on pourrait traduire par la « responsabilité de soi », la « souveraineté » ou l’« autonomie de la personne ».

Dans un rapport soumis au Conseil Atikamekw-Montagnais, José Mailhot et Sylvie

Vincent (1980) font état de leur analyse de l’utilisation du terme tiperitamowin81 à partir de témoignages de chasseurs innus. L’analyse morphologique du terme effectuée par José Mailhot et Sylvie Vincent (1980, 1982) concorde avec les traductions faites par nos interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok, mais va un peu plus loin. Selon leur analyse morphologique, le concept tiperiten [tipenitam] serait formé du morphème tip- et du morphème –enit. Le morphème tip- peut être traduit par « mesurer », « comparer », « faire correspondre » (voir aussi section 4.2) et le morphème –enit renvoie à la « pensée du sujet », à une « activité mentale ».

Il est inutile ici de faire un état détaillé de l’analyse morphologique du terme par

Mailhot et Vincent, mais retenons que le concept tiperitamowin est essentiellement utilisé par les chasseurs innus et atikamekw nehirowisiwok pour parler de l’influence, du contrôle ou de la maîtrise qu’exerce une personne. Dans la perspective de mes interlocuteurs, c’est cette influence et cette maîtrise qui donnent à la personne des droits, des pouvoirs, mais aussi des responsabilités. Il y a ici un lien direct entre l’influence ou la maîtrise de la personne sur une chose ou dans un domaine particulier et ses pouvoirs, son autorité, ses droits et ses responsabilités. Mes interlocuteurs insistent aussi sur le fait que le pouvoir et l’autorité reliés à la maîtrise ou à l’influence de la personne ne sont pas exclusifs à l’être humain. Les esprits-

80 La particule –so placée avant le suffice –win dans le nom verbal, renvoi à une intériorisation, à une autoréflexion : « à soi », « vers soi ». 81 Tipenitamun dans la langue innue. Voir aussi Lacasse (2004) qui reprend essentiellement l’analyse linguistique de Mailhot et Vincent.

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maîtres des animaux (awesisak okimaw) et les opwakanak (les esprits de la forêt, les esprits des ancêtres) possèdent également une certaine forme de pouvoir, d’autorité et de responsabilité. Ils sont, étant donné leur capacité, leur influence et leur maîtrise, des tiperitamok ; à la fois des « responsables », des « propriétaires » et des « personnalités juridiques » selon la logique nehirowisiw. L’ensemble de ces entités apporte sa contribution à la vie sociale au sein de notcimik, atoske aski et natoho aski.

5.2.2. Types de chasse : natohowin / atoskewin

Comme indiqué précédemment (5.1.3), les Atikamekw Nehirowisiwok distinguent deux types de chasse : natohowin et atoskewin. La chasse atoskewin est décrite comme la chasse régulière. Il s’agit d’une chasse préparée et déterminée selon le cycle annuel des saisons82. Cette chasse s’effectue au sein des territoires de chasse familiaux (atoske aski) et est coordonnée selon les savoirs que les chasseurs et les ka nikaniwitcik possèdent de la démographie et de la répartition des ressources sur le territoire.

Nous avons vu précédemment que le castor est normalement trappé à l’automne

(takwakin) et à l’hiver (pipon) puisque sa viande a un meilleur goût, sa fourrure est

82 Les Atikamekw Nehirowisiwok découpent le cycle annuel en six saisons : pipon (hiver), sikon (pré-printemps), miroskamin (printemps), nipin (été), takwakin (automne) et pitci-pipon (pré-hiver). À chacune des six saisons correspond une série d’activités reliées à la chasse, la pêche, la récolte des fruits, des plantes ou des arbres et à la confection de matériaux, de vêtements et autres… Le chercheur atikamekw nehirowisiw autodidacte Gilles Ottawa a recensé plusieurs centaines d’activités en lien avec les six saisons. Une partie importante de ses recherches se trouve au Centre d’archives du Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw et sur le site web du projet Kinokewin : https://www.atikamekwkinokewin.org/fr/savoirs/six-saisons

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plus belle et sa peau (le cuir) est de bonne épaisseur83. Pour les mêmes raisons que le castor (amiskw), l’orignal (mos) et le lièvre (wapoc) sont aussi chassés à l’automne et à l’hiver. L’orignal, par exemple, mange plus de feuilles dans les arbres pendant l’été. À l’automne, il mange des branches et des herbes dans la tourbière. La viande de l’orignal change selon son alimentation et sa peau et sa fourrure changent aussi selon le climat. L’outarde (niska) est chassée le printemps et l’esturgeon (namew) est pêché au printemps. On dit de l’esturgeon et du brochet

(kinoce) qu’ils sont des poissons paresseux à l’été et lorsqu’on en mange, on s’endort rapidement. Avec humour, certains interlocuteurs disent que c’est un bon repas à offrir aux enfants quand ils sont trop agités.

La chasse atoskewin exercée selon le cycle annuel des saisons est coordonnée selon un ensemble de savoirs approfondis reliés aux comportements des animaux, de leurs habitudes alimentaires et de leurs utilités ou contributions. Selon le type de chasse atoskewin, les chasseurs sont très patients. Ils vaquent normalement à leurs occupations sur le territoire et prennent le temps d’observer les comportements des animaux. Par exemple, pendant mon premier séjour à

Opitciwan entre juin et novembre 2014, j’ai eu la chance d’accompagner régulièrement un chasseur atikamekw nehirowisiw au sein de son territoire de chasse. Ce chasseur, reconnu comme ka nikaniwitc, fréquente régulièrement son territoire. Il y passe la majeure partie de son temps. Lors des séjours passés avec lui sur son territoire de chasse, on s’est promené régulièrement pour aller recueillir des ressources servant à l’entretien des routes (sable, pierres), à la rénovation des bâtiments et au bois de chauffage (arbres). Pendant ces activités, mon interlocuteur me montrait à certaines occasions des pistes d’orignaux et m’indiquait

83 À ce sujet, un artisan m’a déjà dit qu’il pouvait savoir, juste en touchant la peau tannée d’un orignal ou d’un castor, le moment dans l’année auquel l’animal a été chassé, au début de l’automne ou dans les grands froids à l’hiver.

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l’endroit où il pensait que l’orignal était. Avec son garçon (âgé dans la fin vingtaine), nous avons suivi des pistes d’orignaux et sommes allés voir des barrages de castors pendant l’été sans apporter d’arme de chasse. Ensemble, père et fils s’échangent les informations qu’ils ont recueillies sur le territoire et discutent des déplacements, des comportements et de la démographie d’espèces comme l’orignal et le castor.

Au début de l’automne (vers le début du mois de septembre), alors que l’orignal changeait son alimentation, mon interlocuteur commençait à l’appeler. Ce dernier m’a dit qu’il appelait l’orignal juste pour s’assurer qu’il demeure sur place. Pour ne pas qu’il s’en aille trop loin. Il le tuera un peu plus tard. C’est à ce moment que j’ai compris que la chasse (atoskewin) à l’orignal n’est pas une question de semaines, mais plutôt une question de mois. Pendant toute la période estivale et peut-être même plus tôt, le chasseur apprend à reconnaître les déplacements de l’orignal. Il ne va pas nécessairement essayer d’aller vers lui pour le tuer. Le chasseur prend le temps de regarder les comportements de l’orignal, ses déplacements. Plusieurs mois avant la chasse, le chasseur peut savoir le nombre d’orignaux qui se déplacent sur son territoire, s’il s’agit de mâles, de femelles ou de jeunes orignaux d’un ou de deux ans. Selon mon interlocuteur, les orignaux reconnaissent la présence humaine. Il y a toute une relation qui se développe entre le chasseur et l’orignal qui cohabitent au sein d’un même territoire pendant des semaines, voire des mois. La chasse atoskewin exige de la patience de la part du chasseur qui entretient une relation de proximité avec l’animal et son esprit-maître. Selon mon interlocuteur, les animaux et les chasseurs peuvent se rencontrer et s’échanger des informations dans leurs rêves. Avant la période de la chasse, il m’a d’ailleurs dit : « lorsque tu rêveras à l’orignal, tu écouteras ce qu’il te dit. Il te montrera où et quand aller le tuer. Tu seras alors un bon chasseur » (Opitciwan, septembre 2014).

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Ce même interlocuteur se dit déçu de voir que les jeunes générations démontrent moins de patience à la chasse. Selon lui, le fait que les jeunes vont moins en forêt à cause de l’école ou de leur emploi fait en sorte qu’ils ne pratiquent plus la chasse

à l’orignal comme leur ont montré leurs ancêtres. Selon lui, auparavant les chasseurs prenaient le temps d’appeler l’orignal et attendaient que celui-ci vienne

à eux. Aujourd’hui : « les jeunes ne sont pas patients. Ils se promènent un peu partout en suivant les traces jusqu’à ce qu’ils tuent l’orignal. Ils vont le traquer au lieu de l’appeler et de prendre le temps de le laisser venir jusqu’à eux » (Opitciwan, septembre 2014).

Comme nous l’avons évoqué précédemment, la chasse atoskewin, la chasse régulière déterminée par le cycle annuel des saisons, diffère de la chasse de subsistance (natohowin). Natohowin est décrit comme une chasse de subsistance effectuée lors des déplacements au sein du territoire (natoho aski), autour des principaux axes de circulations. Il s’agit d’une chasse décrite comme

« improvisée » et non spécifique. Le chasseur tue ce qu’il rencontre sur son trajet alors qu’il se déplace d’un point A à un point B. En d’autres mots, selon la chasse atoskewin, les Atikamekw Nehirowisiwok ne vont pas planifier une chasse à l’orignal, au castor ou au lièvre pendant l’été, mais, selon la chasse natohowin, s’ils rencontrent ces animaux pendant leur déplacement sur les principaux axes de circulations et qu’ils ont leur arme à feu, certains chasseurs peuvent en profiter et tuer l’animal.

Aujourd’hui, avec les déplacements en véhicules motorisés, cette chasse peut survenir sur les principaux axes de circulation routière tracés et entretenus, par exemple, par les entreprises forestières lors des coupes. Il peut s’agir des axes routiers utilisés pour se déplacer entre la communauté et le territoire de chasse

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familial du chasseur ou entre la communauté et des villes et villages. Les régions de la Haute-Mauricie et de Lanaudière sont parsemées de routes forestières que les Atikamekw Nehirowisiwok n’hésitent pas à utiliser pour se rendre à leur territoire de chasse ou pour se rendre dans les centres urbains. Il est à noter ici que mes interlocuteurs décrivent les principaux axes de circulation comme étant des « territoires communautaires »84. Les utilisateurs de ces axes de circulation ont un certain droit de chasse, mais devraient normalement informer les familles responsables du territoire environnant et partager une partie de la viande et de la peau avec celles-ci.

Plusieurs aînés rencontrés pendant cette recherche doctorale ont mentionné être de plus en plus inquiets par rapport à la chasse natohowin. Selon certains, « les jeunes qui ont des véhicules vont parcourir différents territoires. Il y a tellement de chemins partout… Quand ils voient un orignal, ils le tuent et le ramènent chez eux ». Ils ajoutent : « des fois, ils ne savent même pas sur quel territoire (familial) ils sont. Il y en a qui ne respectent même plus ça » (Opitciwan, automne 2014).

Selon mes interlocuteurs, il n’y a pas nécessairement de sanction sévère pour la personne qui ne respecte pas ces règles coutumières liées à la chasse natohowin, mais quand l’information circule entre les familles, on prend la peine de rappeler ces pratiques normatives à la personne en faute. Souvent ces manquements à la

84 Selon les communautés, il existe différents « territoires communautaires ». Ces territoires sont habituellement près des réserves actuelles et des anciens sites de rassemblement estivaux et sont utilisés par les voyageurs des différentes communautés et Nations autochtones pendant leur déplacement. Avant les véhicules à moteur, ils étaient aussi utilisés par les aînés et les personnes qui ne pouvaient se déplacer sur de longues distances, ne pouvant pas retourner au sein de leur territoire de chasse familial à l’automne et à l’hiver. Même si les modes de déplacement et le mode de vie nomade des familles ont changé dans les soixante dernières années, ces « territoires communautaires » sont encore reconnus et utilisés aujourd’hui par les familles des trois communautés atikamekw nehirowisiwok.

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règle sont discutés entre les familles qui en profitent pour se moquer du fautif. La moquerie agit ici d’une manière subtile et délicate pour faire passer un message sans trop se prendre au sérieux. Dans ce cas, l’opinion publique joue un rôle important dans le renforcement normatif (voir aussi chapitre 3). Habituellement, le fautif reconnaît la situation en riant de lui-même. Voici un exemple provenant d’un témoignage d’un chasseur de Manawan réalisé dans le cadre de la recherche sur le droit coutumier (Poirier et Niquay 1997-1999) :

Un bon jour en canot, j’ai tué un castor. J’étais avec mon jeune beau- frère Henri Ottawa. Je lui avais dit de ne rien dire. C’était avant que [la chasse au] castor ne soit [permise]. Lui, il l’avait dit à son père, c’est-à- dire mon beau-père. C’était l’ami de Claude. Il a dit à son vieil ami : « Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas vu les castors. Il y en a un, seulement un, l’autre je ne sais pas où il est ». Mon beau-père dit alors : « On m’avait dit de ne rien dire, mais c’est mon gendre qui l’a abattu ». Ils sont partis à rire. « C’est un bien mauvais garnement ton gendre ». Lorsque quelqu’un tuait un animal sur le territoire d’un autre sans son autorisation : on leur disait simplement de ne plus recommencer, qu’ils doivent le rapporter, que tout soit correct.

Comme il a été mentionné dans le chapitre 3 de la thèse, les aînés rencontrés disent que le non-respect de la part des jeunes des pratiques normatives reliées à la chasse atoskewin ou natohowin n’est pas forcément volontaire, mais plutôt le résultat d’une rupture dans la transmission des savoirs normatifs chez certaines familles. Le projet d’élaboration du code de pratiques nehirowisiw (orocowewin notcimik itatcihowin) est un moyen que se donnent les familles et les membres de la Nation pour assurer la transmission et le respect des pratiques normatives liées aux activités en forêt. Le projet vise aussi à ce que ces pratiques normatives transmises par les ancêtres soient adaptées au contexte contemporain : aux nouveaux modes de locomotion, aux nouvelles réalités démographiques,

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économiques et sociales, à la présence au sein du territoire des chasseurs sportifs allochtones et de l’industrie forestière, etc.

5.2.3. Mohonan acitc moteskano : Suivre les traces des ancêtres

Dans le contexte actuel, la plupart des familles atikamekw nehirowisiwok fréquentent leur territoire de chasse familial que quelques semaines par saison pour la chasse, pour l’inventaire des ressources et pour des activités de ressourcement et de transmission des savoirs. Souvent, les membres de familles nucléaires se déplacent ensemble pour accéder à leur territoire de chasse, ce qui fait qu’il ne semble pas avoir une disparité générationnelle marquée dans l’occupation territoriale. Les aînés ayant moins les capacités physiques pour se déplacer ont moins la chance de se rendre dans leur territoire de chasse et lèguent habituellement leurs responsabilités territoriales à un membre de leur famille. Les responsables de territoires (ka nikaniwitcik), habituellement des hommes âgés de quarante à soixante-dix ans, sont habituellement les personnes qui utilisent et occupent le plus régulièrement le territoire familial sur des périodes de quelques jours ou de quelques semaines.

Pour la majorité des familles, leur territoire de chasse familial est facilement accessible et près de leur communauté, ce qui fait qu’elles peuvent faire un aller- retour en camion ou en motoneige dans la même fin de semaine. Comme il en a

été mention précédemment, les modes de locomotion ont beaucoup changé depuis les cinquante dernières années. Un trajet qui pouvait prendre des jours à la marche peut prendre quelques heures en véhicule à moteur. L’ouverture des nouvelles routes forestières a créé de nouveaux axes de circulation et l’accès

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facilité à des véhicules motorisés a transformé considérablement les façons de parcourir les territoires de chasse. Ces transformations, ajoutées aux coupes forestières et aux inondations causées par la construction des barrages hydroélectriques, ont eu des effets importants sur la préservation et l’utilisation des sentiers tracés par les ancêtres depuis plusieurs générations ; autant pour les sentiers estivaux (mohonan) que pour les sentiers hivernaux (moteskano).

Selon une interlocutrice rencontrée à Opitciwan, le terme moteskano ne peut pas être traduit simplement par « sentier » parce qu’il renvoie à une action exercée par les ancêtres. Le terme nehiromowin pour « sentier » ou « chemin » est meskanaw. Selon l’interlocutrice, le terme moteskano insinue que le sentier a été parcouru et entretenu par les ancêtres. Il y a ici des relations historiques et de proximité entretenues entre les familles atikamekw nehirowisiwok et les moteskano. Nous pouvons certainement en dire autant pour les mohonan et les sites de portage (onikam). Certains interlocuteurs reconnaissent la présence des esprits de la forêt et des ancêtres (opwakanak) au sein des territoires de chasse familiaux et autour de certains sites de portage. Il y a certains sites qui sont reconnus comme étant des lieux où habitent des opwakanak. Selon un interlocuteur d’Opitciwan : « Les gens savent qu’il y a un esprit (opwakan) qui vit là [site de portage]. C’est l’esprit de la personne qui demeurait dans ce coin-là. Les gens le savent maintenant. Ils respectent l’esprit. Ils font attention pour ne pas trop le déranger et vont lui parler quand ils passent par-là » (Opitciwani iriniw, hiver 2015). Parcourir ces sites, c’est aussi reprendre contact avec les ancêtres.

Dans les dernières années, les familles et membres des communautés atikamekw nehirowisiwok ont mis des efforts afin de transmettre aux jeunes générations les savoirs et les expériences reliées à l’utilisation « traditionnelle » des mohonan et

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des moteskano. Par exemple, des membres de la communauté d’Opitciwan participent chaque année à la marche hivernale Moteskano qui se déroule pendant environ deux semaines à la fin du mois de février et au début du mois de mars.

Dans la préparation de la marche Moteskano, les membres des familles se réunissent pendant l’été et l’automne pour décider, avec l’aide des aînés du trajet à emprunter. Les aînés partagent leurs savoirs reliés aux moteskano sur leur territoire de chasse en prenant compte des transformations territoriales qui ont eu lieu sur ces territoires.

D’autres initiatives similaires à la marche Moteskano sont organisées par des membres des différentes communautés atikamekw nehirowisiwok. Il y a également des initiatives développées conjointement par des membres de plusieurs communautés. C’est le cas du projet Tapiskwan qui a été organisé à l’été 2015 et

à l’été 2016 par des membres des trois communautés atikamekw nehirowisiwok. À l’instar de la marche Moteskano, le projet Tapiskwan vise à transmettre les savoirs reliés aux voies navigables et aux sites de portages (onikam) empruntés par les ancêtres. Pendant le projet Tapiskwan, les membres de la Nation85 sont invités à parcourir en canot une partie du bassin hydrographique de Tapiskwan sipi (rivière Saint-Maurice) entre la communauté d’Opitciwan et les communautés de

Wemotaci et de Manawan. Dans le cadre du projet Tapiskwan, les familles de chacune des communautés sont responsables de cartographier l’itinéraire à emprunter en canot ainsi que des sites de portage et les sites de campement. Pour ce faire, les aînés jouent encore ici un rôle important pour indiquer les mohonan et

85 La plupart des participants sont âgés entre 15 et 40 ans, mais tous les membres de la Nation peuvent y participer. À l’été 2016, un couple d’aînés âgés de plus de 70 ans a d’ailleurs fait une partie du trajet avec les jeunes. À noter également que l’ensemble des familles est impliqué directement ou indirectement à l’organisation, la préparation et la réalisation du projet Tapiskwan (préparation du trajet, des sites de campement, du matériel, transport de matériaux, soutien moral et financier, etc.)

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les sites de portage à emprunter. Les ka nikaniwitcik sont aussi impliqués et consultés pour les itinéraires et pour les accès à leur territoire de chasse familial. Des rencontres ont lieu dans chacune des communautés pour mettre en commun ces savoirs familiaux en lien avec les mohonan et les onikam afin de tracer l’itinéraire approprié et pour s’assurer de l’entretien des sites de portages et de campement.

À ce jour, ces initiatives récentes86 n’avaient pas encore été documentées. La description qui est faite de ces pratiques ici vient de mes observations personnelles et d’échanges informels entretenus avec des membres impliqués de près ou de loin à l’organisation de ces projets. Selon mes observations et

échanges avec mes interlocuteurs, ces projets interfamiliaux et intercommunautaires autour des mohonan et des moteskano ne visent pas uniquement la préservation et la transmission des savoirs familiaux reliés aux itinéraires, aux sites de portage et de campements provisoires ou semi- permanents des familles atikamekw nehirowisiwok. Ces projets encouragent d’abord et avant tout les familles à vivre ces expériences de la vie nomade en forêt comme elle a été pratiquée par leurs ancêtres. Plusieurs interlocuteurs m’ont mentionné avoir été transformés par ces expériences, d’être revenus à leurs sources. En racontant leurs expériences, mes interlocuteurs sont souvent très émotifs. Ils mentionnent par exemple que leur expérience leur a permis de prendre contact avec qui ils sont en tant que personnes et en tant qu’Atikamekw Nehirowisiw. Il y a tout un processus de guérison individuelle et collective, d’affirmation identitaire et territoriale et une fierté qui est prégnant à ces expériences.

86 La première édition de la marche Moteskano s’est tenue à l’hiver 2014 et la première édition de l’expédition Tapiskwan s’est réalisée à l’été 2015.

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Par ailleurs, ces expériences demandent énormément de préparation. Les familles participantes à ces projets prennent plusieurs mois à confectionner et à réunir le matériel nécessaire. Dans le cas de la marche Moteskano, les participants prennent le soin de confectionner leurs propres mocassins, leurs propres raquettes et d’ornementer leurs vêtements (souvent avec l’aide des membres de leur famille). Dans ce processus de confection, les membres des familles n’hésitent pas à mettre à contribution les savoirs artisanaux des aînés de la communauté.

Comme nous l’avons vu dans la section 4.8, toute cette préparation et la confection des vêtements, des mitaines et des mocassins revêtent un sens profond, mettant en valeur les motifs et les récits familiaux transmis par les ancêtres et démontrant un profond respect envers les animaux qui ont fourni les matériaux nécessaires. Les marcheurs disent que les mocassins en cuir d’orignal et les raquettes tressées à partir de lanières de cuir d’orignal sont essentiels à la marche moteskano. Selon une artisane, « ces matériaux sont compatibles ensemble, contrairement à la botte en caoutchouc qui glisse de la raquette à neige

(asam) ».

Ces préparatifs et ces expériences de la marche font aussi ressortir un ensemble de récits familiaux liés aux itinéraires et aux déplacements des ancêtres. Les aînés et les jeunes aînés discutent des souvenirs de jeunesse. Ils expliquent comment ils s’y prenaient pour se déplacer sur de longues distances l’hiver en raquette et l’été en canot. Par exemple, alors que sa femme s’affairait à broder une paire de mocassins pour la marche Moteskano, son mari, un « jeune aîné87 », me raconte comment son père se déplaçait sur son territoire selon le cycle annuel des saisons. L’hiver, sa famille habitait au sein de leur territoire de chasse familial. Les membres de sa famille pouvaient régulièrement déplacer leur campement pendant

87 L’utilisation de ce terme est expliquée au chapitre 2 (section 2.7.2 à la note 26).

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cette saison pour ne pas épuiser toutes les ressources à un endroit et aussi pour diversifier leur alimentation (plusieurs aînés m’ont raconté qu’ils changeaient souvent leur site de campement l’hiver et le printemps selon les désirs alimentaires de leur femme). Mon interlocuteur me racontait qu’avant de déménager le campement l’hiver, son père partait seul en raquette vers le prochain site de campement pour « taper » la neige et tracer le sentier (moteskano) qu’ils allaient emprunter. Il revenait ensuite au campement et préparait le déménagement de la tente, du matériel, de la nourriture et de la famille. Les sites de campement n’étaient pas nécessairement les mêmes chaque hiver. Même si sa famille a toujours chassé dans la même région, dans le même territoire de chasse familial, elle exerçait une forme de rotation dans les aires territoriales occupées. Ceci dans le but d’assurer la préservation des ressources et de diversifier leur alimentation (voir chapitre 3). L’été, sa famille restait à Opitciwan ou sur la portion de leur territoire familial qui était près de la communauté (assez près pour pouvoir s’y rendre à moins d’une journée de marche).

Chaque territoire familial comprenait et comprend encore aujourd’hui plusieurs mohonan et moteskano utilisés et entretenus par les familles. L’entretien de ces mohonan et de ces moteskano est sous la responsabilité des ka nikaniwitcik, des personnes qui fréquentent le plus et qui connaissent le mieux le territoire. Si l’on traduit le terme littéralement, ka nikaniwitc signifie « celui qui est en avant », « celui qui trace la voie ». Il s’agit de la personne qui assure l’entretien des mohonan et des moteskano et qui guide les activités de chasse et de récolte au sein du territoire. Les savoirs cumulés par la fréquentation régulière de leur territoire de chasse familial donnent aux ka nikaniwitick ses tiperitamowina, ses droits, ses pouvoirs et ses responsabilités. Les projets communautaires et intercommunautaires contemporains, comme la marche Moteskano et le projet

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Tapiskwan, favorisent l’implication des ka nikaniwitcik et des aînés dans la transmission des savoirs familiaux reliés aux mohonan, moteskano et onikam présents au sein des territoires de chasse.

5.2.4. Empreintes et occupation territoriale

Les aînés ont laissé des traces sur le territoire. C’est à eux. Les animaux aussi ont laissé des traces sur le territoire ; l’orignal, le castor, etc. C’est aux animaux le territoire. C’est aux animaux. C’est aussi à nos ancêtres et à nos enfants. C’est les [Atikamekw] Nehirowisiwok qui étaient là. C’est nous qui avons laissé des marques sur le territoire. Les « blancs » [emitcikociwak] ne les ont jamais vues. Ils n’ont jamais écouté. Ils ont fait à leur tête. Les « blancs » n’ont jamais laissé de traces, sauf des traces de cochons (rire). (Opitciwani iriniw, colloque Waskamanakokatan kitaskino88).

Depuis le siècle dernier, mais de manière beaucoup plus intensive depuis les cinquantes dernières années, les chasseurs atikamekw nehirowisiwok remarquent la présence d’acteurs allochtones sur leur territoire89. Les Allochtones laissent leurs traces sur le territoire et les chasseurs atikamekw nehirosiwok sont à même de bien reconnaître leurs empreintes. Dans le cadre d’un entretien, un aîné

88 Waskamanakotatan kitaskino est le nom qui a été donné au colloque territorial qui a eu lieu entre le 29 septembre et le 1er octobre 2014 sur le site de l’ancienne réserve de Wemotaci et réunissant des membres des trois communautés atikamekw nehirowisiwok. Lorsque l’on décompose Waskamanakotatan kitaskino l’on peut faire ressortir plusieurs unités signifiantes. Ainsi, waskam- réfère à l’environnement, à l’horizon ou à ce qui se déroule autour. Ce terme se rapproche du nom wasko, qui veut dire « ciel ». Manakotatan signifie à la fois « prendre soin » et « prendre conscience », tandis que le terme kitaskino signifie « notre territoire ». Le but de ce colloque était de discuter d’enjeux reliés à l’utilisation et à l’occupation des territoires de chasse, de faire état des divers travaux réalisés par le Secrétariat au territoire du CNA en lien avec le régime territorial (wectatowin aski) nehirosiw et les négociations territoriales (voir chapitres 2 et 7). 89 Voir, par exemple, la carte des baux de villégiature accordés par le gouvernement provincial, annexe 2).

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d’Opitciwan me souligne qu’il est facile pour lui de reconnaître les empreintes d’un

« blanc » (emitcikociwak) en forêt juste par sa façon de marcher. Selon lui, les Allochtones (chasseurs sportifs, arpenteurs et travailleurs forestiers) ont cette tendance à marcher dans une direction. Partant d’un point A à un point B sans faire de détour, prenant toujours le chemin le plus court. Selon cet interlocuteur, les chasseurs atikamekw nehirowisiwok n’ont pas cette démarche. Ils vont faire plusieurs détours parce qu’ils font une reconnaissance du territoire et des ressources dans son ensemble (tipahiskan).

Par ailleurs, un aîné de Wemotaci m’a raconté un épisode où la femme d’un aîné a acheté des bottes de travail à son mari. Il s’agissait de bottes manufacturées en cuir avec une semelle en caoutchouc. L’aîné a toujours refusé de porter ces bottes parce qu’il disait que les autres chasseurs allaient penser qu’il est un « blanc » à cause des empreintes qu’il laisserait au sol. À cette époque, les chasseurs atikamekw nehirowisiwok utilisaient toujours des mocassins pour aller dans le bois.

Ils reconnaissaient alors facilement la présence des emitcikociwak par les empreintes laissées par leurs bottes.

Les empreintes laissées par les différents acteurs au sein des territoires familiaux indiquent un ensemble précieux d’informations à qui sait les décoder. Elles révèlent, par exemple, un mode d’occupation territoriale et d’utilisation des ressources. Comme il en a été mention dans la citation placée au tout début de cette section, laisser ses marques sur le territoire porte chez les Atikamekw

Nehirowisiwok un sens politique profond. Comme le soulignent Poirier et Niquay (1999 :n.d.) dans leur rapport sur le droit coutumier nehirowisiw : « Marquer un territoire, y laisser des traces, c’est d’ores et déjà signifier que l’on a un droit sur ce territoire et que l’on exerce ce droit ». Les chasseurs et les ka nikaniwitcik laissent

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leurs traces et des marques sur le territoire pour affirmer leur présence et leur droit et leur responsabilité territoriale. Ainsi, les chasseurs atikamekw nehirowisiwok « laissaient des marques et les autres aussi faisaient des marques là où ils se rencontraient. (…) C’est comme ça qu’ils savaient où ils avaient été. (…) Comme ça, ils savaient jusqu’où allaient leurs voisins. Ils n’allaient pas inutilement à une place qui avait déjà été visitée » (Manawani iriniw, Dans Poirier et Niquay 1997- 1999).

Au fil des saisons, les responsables de territoire (ka nikaniwitcik) circulent au sein des territoires de chasse (atoske aski) afin d’en évaluer les ressources (tipahiskan) et transmettent les informations aux membres de leur famille et auprès d’autres responsables territoriaux (Poirier et Niquay 1999, Wyatt 2004, Wyatt et Chilton 2014). Ils peuvent également laisser des signes sur des arbres (nametawin) afin d’indiquer leur présence aux autres chasseurs et d’affirmer leur rôle de responsable ou de gardien du territoire (Poirier et Niquay 1999). En laissant des marques sur les arbres, ils indiquent aux autres familles que cette partie du territoire est sous leur responsabilité et qu’ils veillent à ce qu’il n’y ait pas de surexploitation des ressources.

Il y a tout un système de signes de présence et des indications laissées par les responsables territoriaux (ka nikaniwitcik) à la fois pour affirmer aux autres chasseurs leur occupation du territoire, indiquer lorsqu’un animal est tué, pour avertir les autres chasseurs ou pour orienter les autres chasseurs invités par le responsable territorial afin qu’ils puissent bien suivre les sentiers tracés par ce dernier. Selon les observations de Lips (1947 :474) chez les Pekuakamiulnuatsh

(Innus du lac Saint-Jean), les chasseurs pouvaient également mettre des signaux

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sur les axes de circulation pour informer les passants lorsqu’ils ont besoin d’aide, soit parce qu’ils ont eu un accident, soit parce qu’ils sont en pénurie de nourriture.

Dans le cadre du projet Kinokewin, Chantale Awashish a réalisé des entretiens auprès d’aînés de la communauté d’Opitciwan afin de documenter les anciennes formes d’écritures nehirowisiwok et les signes de communication laissés au sein des territoires. L’une des aînées rencontrées décrit les signaux laissés sur les mohonan (axes de circulation estivale) pour faciliter le déplacement des voyageurs:

(…) ils utilisaient des morceaux de bâton. Ils prenaient un sentier et quand il y avait du portage à faire, ils arrachaient un morceau de bois et il le mettait juste avant de traverser le lac et l’autre, il le mettait à la sortie du lac. Ensuite, ils mettaient deux morceaux de bâton pour dire combien de kilomètres ils ont encore à faire. La personne qui allait passer dans la même direction allait trouver ce message. Aussi, ils écorçaient un morceau de bois pour s’écrire un message. Ils mettaient les morceaux de bâton en forme de croix, et ceci, pour indiquer combien de kilomètres ils font et le lieu de leur campement (Opitciwani iriniw, 2006).

Les pratiques décrites ci-dessus par une aînée d’Opitciwan étaient plus courantes avant la fin des années 1960-1970, mais certains aînés et « jeunes aînés » exercent et enseignent toujours ces systèmes de signes. Les arbres et les branches servaient et servent encore pour certains chasseurs de support qui leur permet d’inscrire des messages et des codes à l’intention des autres chasseurs et aussi à l’intention des animaux (mantokatcikan)90. À l’instar de l’entretien des

90 Pour en connaître davantage sur la pratique de la transmission de messages à l’intention des animaux (mantokatcikan), les lecteurs sont invités à visionner ce court métrage réalisé par Élisa Moar et Sipi Flamand de la communauté atikamekw nehirowisiw de Manawan et disponible sur le site internet du Wapikoni mobile : http://www.wapikoni.ca/films/mantokatcikan.

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mohonan et des moteskano, l’inscription de signaux de repérage est décrite comme une partie des responsabilités et contributions des ka nikaniwitcik.

Mes interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok ne comprennent pas pourquoi les Allochtones (chasseurs sportifs, villégiateurs, travailleurs forestiers) ne reconnaissent pas leur présence au sein de leurs territoires de chasse familiaux. Pourtant, les chasseurs atikamekw nehirowisiwok laissent leurs traces ! Pour les chasseurs atikamekw nehirowisiwok, c’est comme si les Allochtones faisaient semblant de ne pas voir les empreintes et les traces qu’ils laissent. Les territoires ancestraux sont pourtant parsemés de traces laissées par les familles atikamekw nehirowisiwok; des tentes, des chalets, des sentiers, des carcasses de voiture, des jeux pour enfants, etc. Des Allochtones diront que les Autochtones polluent l’environnement ou qu’ils se laissent traîner. Les Atikamekw Nehirowisiwok disent que les « blancs » sont aveugles parce qu’ils ne voient pas que les territoires sont déjà occupés et que ses occupants, les humains et les animaux, ont des droits et des responsabilités liés à cette occupation.

Les échanges recueillis lors des colloques territoriaux nehirowisiwok, les témoignages offerts par les aînés et les ka nikaniwitcik pendant mes terrains et mes recherches documentaires menées dans les archives du CNA font état d’une préoccupation soutenue des chasseurs atikamekw nehirowisiwok à démontrer et à faire reconnaître leur occupation territoriale vis-à-vis des emitcikotciwik. Pour eux, les droits, pouvoirs et responsabilités territoriales sont intrinsèquement liés à l’occupation et aux savoirs acquis au sein des territoires. Régulièrement, les chasseurs atikamekw nehirowisiwok vont dire : « il faut occuper notre territoire parce que les « blancs » vont venir s’installer » (Manawani iriniw, Commission territoriale nehirowisiw, 29-30 octobre 2012, La Tuque). Ou encore :

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On doit quand même faire ce qui est en notre pouvoir pour conserver notre territoire ; on doit faire ce qu’on peut. On doit aussi interdire la surexploitation de la forêt. Ne pas en interdire l’exploitation complètement, mais qu’ils en laissent un peu. Il faut penser aux animaux de la forêt (…) C’est pour ça que je disais, même s’il n’y avait plus rien, nous devons quand même faire ce qui est en notre pouvoir pour conserver notre territoire parce que les animaux vont un jour revenir (…) Ceux qui se construisent par le lac, c’est un moyen. C’est bon ça ce qu’ils font là. En se construisant, ils conservent ainsi leurs territoires. Ce serait bon que l’on fasse ça un peu partout. Un autre moyen, c’est de ne pas arrêter des activités traditionnelles telle l’eau d’érable. Aller faire ça loin en forêt pour y laisser des traces de passage. Ce serait bon. Il y a des choses qu’on peut faire. Mais il faut faire ces choses ensemble, y aller lentement (Manawani iriniw, 1997, Poirier et Niquay 1997-1999)

Je me demande pourquoi les « blancs » ne savent pas qu’ils sont en territoires autochtones. Je me pose souvent cette question. Mais c’est le gouvernement qui les autorise à venir s’installer. C’est pour ça qu’ils viennent (…) Même Madame Marois a dit à ses gens d’aller dans le bois. Je l’ai entendu moi-même aux nouvelles alors qu’il était question de négociations territoriales. C’est peut-être pour ça qu’il y a beaucoup de pourvoiries et de clubs sur notre territoire. Partout ailleurs, les territoires ancestraux sont menacés (Opitciwani iriniw, juillet 2014).

Plusieurs de mes interlocuteurs m’ont fait part de leurs inquiétudes face aux motivations réelles d’Allochtones ayant parcouru les territoires nehirowisiwok dans les dernières décennies. J’ai mentionné dans le chapitre 2 qu’un des interlocuteurs avec qui j’ai passé une bonne partie de mon temps lors de mes séjours à Opitciwan (séjournant régulièrement avec lui au sein de son territoire de chasse) m’a, après plusieurs mois de cohabitation, demandé si c’était le gouvernement qui m’envoyait pour documenter l’occupation territoriale des Atikamekw

Nehirowisiwok. Pour cet interlocuteur et d’autres interlocuteurs rencontrés sur le terrain, le gouvernement allochtone fait des études sur les Autochtones afin de

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connaître leur occupation territoriale pour pouvoir s’approprier des territoires non occupés. Dans un entretien, un aîné d’Opitciwan souligne : « Autrefois, il n’y avait pas de « blanc » dans le territoire. C’est le gouvernement ou l’agent du gouvernement qui a envoyé des délégations pour essayer de connaître le mode de vie des Autochtones pour savoir si ceux-ci fréquentaient les territoires de trappe »

(Opiticiwan iriniw, juillet 2014). Les traces, les marques que le gouvernement ou les chasseurs sportifs allochtones laissent sont, pour mes interlocuteurs, des signes que ceux-ci tentent de s’approprier le territoire. Dans le cadre du colloque territorial tenu à Wemotaci à l’automne 2014, un aîné d’Opitciwan mentionne : « Le gouvernement, ça fait bien longtemps qu’il veut être propriétaire. Ça fait longtemps qu’il nous envoie les arpenteurs, qu’il veut être propriétaire. C’est chez nous ça. Ils mettent des plaques de métal sur notre territoire inscrit : « gouvernement du Québec ». » (Opitciwani iriniw, octobre 2014).

Les relations entretenues entre les chasseurs atikamekw nehirowisiwok et les chasseurs sportifs allochtones qui possèdent des droits de chasse au sein des terres publiques du Québec sont également parfois tendues. Une partie importante de Nitaskinan est considérée comme « territoire publique » ou « territoire non organisé » pour le gouvernement du Québec et les Atikamekw Nehirowisiwok et les chasseurs sportifs allochtones doivent, selon le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFPQ), partager le territoire dans « un esprit de cohabitation harmonieuse et de comportement éthique » (MFFPQ, en ligne). Ces « comportements éthiques » définis par le MFFPQ ne considèrent pas nécessairement les pratiques et principes normatifs des chasseurs atikamekw nehirowisiwok qui se sentent exclus et non respectés pendant cette période de la chasse qu’ils qualifient comme étant la période annuelle d’ « invasion » de leur territoire.

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Pendant la période allouée par le gouvernement provincial pour la chasse à l’orignal chez les Allochtones, les chasseurs atikamekw nehirowisiwok se tiennent souvent à l’écart, délaissant provisoirement leur territoire de chasse au profit des chasseurs sportifs. Les chasseurs atikamekw nehirowisiwok font ces compromis afin de ne pas inciter les rapports conflictuels qu’ils pourraient avoir avec les chasseurs allochtones. La présence des chasseurs sportifs dérange les chasseurs atikamekw nehirowisiwok, particulièrement lorsque ceux-ci mettent des barrières cadenassées sur certains axes routiers et affichent des pancartes où ils écrivent « x chasseurs à l’affut ». Les familles atikamekw nehirowisiwok sont offusquées de retrouver ces barrages routiers et ces affiches laissées par des chasseurs sportifs allochtones sur leur propre territoire de chasse familial. Souvent, pour éviter toute confrontation, ils attendent tout simplement que les chasseurs sportifs allochtones partent après la période de chasse autorisée par le gouvernement du Québec pour retourner au sein de leur territoire. Il demeure qu’avec la présence grandissante des chasseurs sportifs allochtones91, le nombre impressionnant de pourvoiries et de coupes forestières au sein de Nitaskinan, les familles atikamekw nehirowisiwok sont largement inquiètes de leur avenir. Ils sentent que leurs droits, leurs pouvoirs et leurs responsabilités territoriales ne sont pas reconnus et respectés.

91 Voir notamment la carte des baux de villégiature, annexe 2.

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5.3. Les réserves à castor

5.3.1. La création des lots de piégeage

À la fin des années 1920, le marché des fourrures à castor était en déclin étant donné la baisse démographique de l’animal. Afin de raviver le marché des fourrures qui était une source de revenus pour le gouvernement du Québec, ce dernier a mis en place les réserves à castor entre les années 1932 et 1954

(Morantz 2002, Feit 2004, Poirier 2004c, Scott et Morrison 2004, MFFPQ en ligne).

À l’exception de la réserve à castor du Saguenay, seuls les Autochtones avaient des droits de chasse (avec quota) à l’intérieur des limites des réserves (MFFPQ, en ligne). C’est dans les années 1940 et 1950, avec la création des réserves à castor de l’Abitibi (partie sud-est de Nitaskinan, créée en1943), de Manouane

(1951)92, de Roberval (1951), de Bersimis (1951) et de Saguenay (1954), qu’une partie importante du territoire nehirowisiw est ciblée par cette politique

(Castonguay 1983, MFFPQ en ligne). Comme il en sera mention dans cette section, cette politique a eu pour effet de créer de nouvelles délimitations frontalières, de réduire la superficie des territoires de chasse familiaux et d’imposer une logique exogène pour expliquer le déclin du castor et pour assurer sa reproduction (CAM 1986, Castonguay 1983, Mattawa 1985, CNA 1996, Poirier 2000, 2004c, Scott et Morrison 2004).

Les réserves à castor sont subdivisées en lots de piégeage, dont certaines correspondent plus ou moins à la superficie des territoires de chasse familiaux

92 La réserve à castor de Manouane a été intégrée à la réserve à castor de l’Abitibi en 1967 (Castonguay 1983).

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atikamekw nehirowisiwok (CAM 198693, Dandenault 1983). Un nombre important de territoires de chasse familiaux n’ont pas été considérés lors de la création des réserves à castor et certains territoires de chasse familiaux se sont retrouvés en dehors de celles-ci (Op. cit.). Lors de la délimitation de ces lots de piégeage, les agents gouvernementaux ont rencontré certains ka nikaniwitcik pour dresser des cartes et délimiter les lots de piégeage (Castonguay 198394). Cependant, même si certaines familles ont été consultées pour la délimitation des lots de piégeage, cela n’a pas été le cas pour toutes les familles et certaines de celles-ci se sont vues attribuer des lots de piégeage sur des territoires qu’elles n’avaient jamais fréquentés (Castonguay 1983, Dandenault 1983). Le travail de délimitation des lots de piégeage effectué par les agents gouvernementaux avec l’aide de responsables territoriaux (ka nikaniwitcik) a été l’occasion d’un des premiers contacts des Atikamekw Nehirowisiwok avec la cartographie occidentale (Poirier 2004c :136).

Lors d’un entretien réalisé à Opitciwan, un aîné me raconte ses souvenirs liés à la préparation des délimitations des lots de piégeage des réserves à castor: Quand j'étais enfant, je n'ai jamais vu mon père tenir une carte dans ses mains. C'est seulement après l'arrivée des arpenteurs du gouvernement, soit vers 1940-1945 que les premières cartes sont apparues. Je me souviens de l'arrivée de ces arpenteurs. Il y en avait un bon nombre. Ils parcouraient le territoire avec des traîneaux à chiens. Ils sont venus aussi dans notre coin. Quand ils eurent terminé, un garde- chasse qui venait d'Amos est venu montrer aux gens les premières cartographies de leurs territoires sans plus d'explication. Plus tard, ce même garde-chasse est revenu à Opitciwan. Il a distribué du papier et des crayons à tous les ka nikaniwitcik et à tous les trappeurs leur demandant de dessiner une carte de leurs territoires avec les lacs et les rivières, d'indiquer sur la carte jusqu'à quel endroit ils vont quand ils vont trapper ou chasser.

93 Chez les Eeyouch/Eenouch (Cris), voir les travaux de Morantz (2002) et de Feit (2004). 94 Cette pratique a également été exercée chez les Eeyouch/Eenouch (Feit 2004).

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J'ai vu aussi mon père se faire remettre un crayon et du papier. On lui a expliqué comment faire pour identifier les lacs et les rivières. Quand tous eurent terminé ce qu'il leur avait été demandé, le garde-chasse a ramassé leur travail et est parti avec. Un an plus tard, le garde-chasse est revenu avec les cartes que les trappeurs avaient dessinées de leurs territoires et ça correspondait exactement avec les cartes des arpenteurs qui étaient venus dans les années 1940. Ils ont tous indiqué sur leurs cartes le nombre de lacs et de rivières et ils ont même indiqué les noms de ces lacs et rivières. Par la suite, chacun a eu son numéro de territoire (lot de piégeage). Par exemple, nous autres on a le numéro 22. Chacun a eu son numéro de territoire. Ceci complète l'historique des cartes de territoires nehirowisiwok (Opitciwani iriniw, juillet 2014).

Aujourd’hui à Opitciwan, les familles vont parfois nommer leur territoire de chasse

à partir du numéro du lot de piégeage qui leur a été attribué par les agents gouvernementaux suite à la création des réserves à castor. Toutefois, cette habitude de nommer le territoire à partir de ces numéros n’est pas généralisée pour les membres des trois communautés. Aussi, pour les communautés de Wemotaci et de Manawan, les délimitations tracées par les lots de piégeage ne correspondent pas nécessairement aux territoires familiaux tels qu’ils sont attribués aujourd’hui (CNA 1996, 2004c). Il y a donc ici un certain décalage entre les territoires de chasse familiaux et les lots de piégeage définis par les réserves à castor. Il faut dire aussi qu’une partie des territoires de chasse familiaux des communautés atikamekw nehirowisiwok se trouve à l’extérieur des réserves à castor (Mattawa 1985, CNA 1996).

La traite des fourrures et l’implantation des réserves à castor par le gouvernement du Québec entre les années 1930 et 1950 auraient eu selon mes interlocuteurs des incidences sur leur régime territorial et le mode politique qu’ils favorisent. Des lots de piégeage numérotés ont été délimitées à partir des territoires de chasse familiaux. Or, ces derniers ont toujours eu des frontières flexibles, s’adaptant selon

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différentes contingences environnementales, sociales et démographiques (Poirier

2000, 2004c95). Selon les témoignages recueillis depuis la fin des années 1970 jusqu’à aujourd’hui (ce thème de discussion revient incessamment dans les colloques et discussions « politiques » des Atikamekw Nehirowisiwok), les aînés et chasseurs des trois communautés s’accordent pour dire que les limites territoriales imposées avec les réserves à castor ne sont pas prééminentes, le système des territoires de chasses familiaux transmis par les ancêtres a préséance sur les lots de piégeage délimités par les réserves à castor (voir aussi CNA 1996). Comme il en sera question dans une section ultérieure de ce chapitre (section 5.4.3), cette prépondérance des systèmes de territoires de chasse familiaux impacte les pourparlers avec les compagnies forestières et les agents du MFFPQ qui développent encore aujourd’hui leur plan d’aménagement et leurs « consultations » à partir des lots de piégeage délimités par les réserves à castor.

Les chasseurs atikamekw nehirowisiwok sont encore aujourd’hui plus à l’aise avec la logique des frontières souples et adaptatives et aussi avec une occupation non exclusive des territoires. Les Atikamekw Nehirowisiwok, comme plusieurs autres

Nations algonquiennes, sont familiers avec la question des chevauchements territoriaux entre les familles et les Nations autochtones voisines. Ces chevauchements ont toujours fait partie des réalités sociopolitiques des membres des Nations de tradition nomade algonquiennes (Poirier 2017). Toutefois, l’imposition par le gouvernement du Québec de frontières et de catégories administratives par l’entremise, par exemple, des réserves à castor, des concessions forestières, des contrats d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF) et des plans d’aménagement forestier tactique (PAFIT) ou

95 Ces dynamiques ont élé également largement documentées chez les Eeyouch/Eenouch (Cris). Voir notamment les travauxe de Morantz (2002), Scott et Morrison 2004) et Feit (2004). Voir aussi la section 5.1.2.

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opérationnel (PAFIO), ont des effets indéniables sur les pratiques et la territorialité nehirowisiw, les chasseurs devant conjuguer leur propre régime territorial (wectatowin aski96) aux régimes et aux catégories administratives imposés par les institutions étatiques (Poirier 2000, 2004c).

Dans les décennies suivant l’implantation des réserves à castor, d’autres régimes territoriaux (parcs et réserves fauniques, zones d’exploitation contrôlée [ZEC], pourvoiries, propriétés privées, etc.), ayant chacun leurs propres modalités de gestion, se sont superposés aux lots de piégeage délimités par les réserves à castor (CAM 1986). Ainsi, près de la moitié de la superficie des lots de piégeage au sein de Nitaskinan est sujette à l’une de ces modalités de gestion, dont chacune a des règles précises qui sont imposées aux Atikamekw Nehirowisiwok (Op. cit.). Ainsi, les familles dont le territoire de chasse se situe à l’intérieur d’une

ZEC, doivent payer un droit d’accès et respecter les horaires d’ouverture du site (Op. cit.).

5.3.2. Impacts de la traite des fourrures et des réserves à castor sur les pratiques et principes normatifs nehirowisiwok

La commercialisation des ressources, comme la traite des fourrures et l’exploitation forestière, a également eu des incidences importantes sur le régime territorial et sur les rapports politiques entretenus entre les chasseurs atikamekw nehirowisiwok. Selon les informations qui me sont partagées par mes interlocuteurs et dans les documents archivés au CNA, la traite des fourrures et

96 L’utilisation du concept wectatowin aski sera explicitée dans la partie trois de la thèse.

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l’établissement des réserves à castor ont certainement influencé les pratiques de chasse, la fréquentation des territoires et les modèles de gestion de la faune. La traite des fourrures et les pratiques et règles imposées par la politique des réserves à castor ont également eu des incidences sur les rapports économiques entretenus entre les trappeurs autochtones, dont certains ont développé une certaine conception de la « propriété » liée aux fourrures. Ils pouvaient se dire entre eux « tes fourrures », « tu disposes de tes fourrures » (Wemotaci iriniw, été

2015). Ce sont les trappeurs qui étaient responsables de vendre les peaux de castor ou de déléguer une personne pour procéder à la vente et à l’achat de matériel. Les informations recueillies auprès de mes interlocuteurs sur le terrain rejoignent en partie les travaux de Leacock (1954) réalisés chez les Innus. Comme il en a été mention au début de ce chapitre (section 5.1.2), la traite des fourrures semble avoir eu des incidences sur une certaine différenciation subtile de classes chez certaines familles. Selon un interlocuteur rencontré à Wemotaci : « Il y en a toujours eu [des trappeurs atikamekw nehirowisiwok] qui ont voulu s’enrichir avec

ça [la traite des fourrures] ». Il faut toutefois noter que les trappeurs n’agissaient pas tous de la même façon. Cet interlocuteur soutient plus loin que les biens matériels reçus en échange des fourrures étaient utilisés par le réseau familial du trappeur et pas seulement par celui-ci. Il y avait alors une certaine redistribution des richesses obtenues par la vente des fourrures.

Aujourd’hui, selon mes observations, avec le déclin de ce commerce depuis les années 1950, les peaux et fourrures sont très rarement marchandisées. Lorsqu’il tue un animal, le chasseur conserve la peau ou la donne à un membre de sa famille qui va la nettoyer et la tanner pour en faire des mocassins, des mitaines ou autres choses. Ces objets artisanaux peuvent parfois être vendus à des gens de l’extérieur en visite dans les communautés lors d’évènements comme le pow wow,

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mais en général ils sont conservés par l’artisan ou redistribués dans les réseaux familiaux.

Selon les témoignages recueillis auprès des trappeurs et des chasseurs atikamekw nehirowisiwok depuis la fin des années 1970 et dans mes échanges auprès de chasseurs atikamekw nehirowisiwok des trois communautés, la commercialisation des fourrures à castor n’a pas entraîné nécessairement une intensification de la chasse au castor. À l’instar de plusieurs autres ethnographies menées auprès de populations algonquiennes (Tanner 1979, Feit 1982, 1991a,

Scott 1988, Gélinas 2000, 2002, Mailhot 1986; [1993]1999), les témoignages des membres des trois communautés atikamekw nehirowisiwok démontrent que pendant la traite des fourrures, les chasseurs atikamekw nehirowisiwok n’ont jamais abandonné la chasse régulière (atoskewin) et de subsistance (natohowin) d’autres animaux convoités, comme l’ours, l’orignal, l’outarde, le doré, le brochet, le canard, la perdrix, le lièvre, etc. Les Atikamekw Nehirowisiwok n’exerçaient pas une chasse intensive du castor pendant toute l’année pour la vente des fourrures : « quand les fourrures sont belles, c’est là qu’ils trappaient (…) ils trappaient jusqu’aux Fêtes (…) Ce n’est pas ce mois-ci (septembre) que nous trappons ; seulement au mois de novembre. Ils disaient quand il neigeait : « la fourrure va

être belle, il neige. C’est là qu’ils commençaient le trappage » (Manawani iriniw, 1997).

Les trappeurs ont continué à exercer leurs pratiques selon le cycle annuel des saisons et les ka nikaniwitcik ont continué à parcourir le territoire et à faire le suivi des ressources. Toutefois, avec l’implantation des réserves à castor, les ka nikaniwitcik se sont vu octroyer de nouvelles responsabilités ; celles de calculer le nombre de prises, de faire un inventaire chiffré des populations de castors au sein

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de leur territoire et d’en faire rapport auprès des agents gouvernementaux

(Castonguay 1983, Mattawa 1985). Selon les données recueillies sur le terrain par les ka nikaniwitcik, les agents du gouvernement ajustaient les quotas pour chaque lot de piégeage. Dans certains cas, les agents pouvaient interdire la chasse au castor pour deux ou trois ans sur certains lots afin d’assurer la reproduction de l’espèce (Mattawa 1985).

Les témoignages recueillis auprès des aînés suggèrent que les directives énoncées par les agents gouvernementaux étaient respectées à la lettre par les ka nikaniwitcik, sauf celles concernant les limites imposées par les réserves à castor. Ces derniers soutiennent avoir toujours fait le calcul des castors présents au sein de leur territoire et divulgué l’information à l’agent gouvernemental attitré. Les ka nikaniwitcik avaient déjà la responsabilité de faire les suivis des ressources au sein de leur territoire de chasse. Cette responsabilité donnée par les agents gouvernementaux faisait donc sens pour eux.

Les ka nikaniwitcik disent également avoir respecté les interdictions complètes de la chasse au castor et avoir respecté aussi les limites des quotas des prises lorsque l’interdiction était levée :

(…) Après, le gouvernement a levé l’interdiction de le trapper après cinq ans. Puis, quand la trappe au castor fut rouverte, on nous a imposé un quota de 15 castors par personne. Quand j’en avais 15 de tués, je ne pouvais plus en trapper. Il fallait que je fasse une nouvelle demande et je recevais un papier d’autorisation (Opitciwani iriniw, août 2014).

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5.3.3. Mésententes sur les pratiques de préservation et d’ensemencement du castor

Même si les trappeurs atikamekw nehirowisiwok disent avoir toujours respecté les règles émises par les agents gouvernementaux en lien avec le suivi de la démographie du castor et les quotas de trappe, les explications liées à la diminution de la démographie du castor et les moyens à prendre pour y remédier ont été imposés par les institutions étatiques. Ils ne correspondent pas nécessairement aux logiques et aux façons de faire des trappeurs atikamekw nehirowisiwok (Poirier 2004c). Par exemple, un aîné respecté de Manawan a dit dans un entretien réalisé en 1997 (Poirier et Niquay 1997-1999) :

On ne tuait rien, on ne tuait pas de castor parce qu’il n’y en avait pas. Les aînés avaient dit : « Un jour, le castor reviendra, il reviendra. Il a plongé », disaient quelques aînés : « il a plongé, mais un jour, il va refaire surface, il refera surface » (…) Ils (les agents gouvernementaux) ont pris des castors, les ont ensemencés malgré ce que les ancêtres avaient dit. Je réfléchis à ça. Je me dis: ils n’ont pas pensé à ce que les aînés leur avaient dit autrefois ; qu’ils attendent, que le castor allait revenir. Le gouvernement n’aurait pas diminué la grandeur de leur territoire. Ils en ont perdu beaucoup avec ce qu’ils ont fait, l’ensemencement du castor.

Pour certains aînés atikamekw nehirowisiwok, le castor n’était pas « en voie de disparition ». Il était tout simplement parti ailleurs. Il existe dans les témoignages recueillis auprès des aînés plusieurs explications reliées à la diminution du castor. Certains disent que le castor « avait plongé », qu’il était resté profond dans l’eau et qu’il allait revenir. D’autres disent qu’il est parti sur la montagne pour ne pas se faire déranger. D’autres encore disent que les castors ont été noyés par les inondations causées par la construction de barrages hydroélectriques des

« blancs », comme le barrage Gouin. Les chasseurs atikamekw nehirowisiwok

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n’allaient plus trapper le castor parce qu’ils savaient qu’il était parti. Dans les témoignages recueillis, plusieurs trappeurs soutiennent qu’ils attendaient tout simplement que le castor revienne de lui-même pour se donner aux chasseurs

(voir aussi Poirier 2004c).

Comme il est spécifié dans la citation ci-dessus, plusieurs aînés atikamekw nehirowisiwok continuent aujourd’hui de remettre en question la pratique d’ « ensemencement » de castors qui a été effectuée lors de la création des réserves à castor dans les années 1940. L’idée d’ « ensemencer » le castor et de déplacer les colonies de castors à l’aide d’avions ne fait pas nécessairement sens pour les trappeurs atikamekw nehirowisiwok et malgré que ces pratiques ne soient plus exercées depuis plus de soixante ans, les aînés continuent de s’interroger sur celles-ci. Pour les trappeurs atikamekw nehirowisiwok, l’ « ensemencement» et le contrôle du castor représentent un manque de respect pour l’animal puisqu’il ne tient pas compte de la capacité de l’animal de se reproduire et de choisir son milieu de vie en fonction des critères choisis par l’animal. Pour les Atikamekw Nehirowisiwok, le castor n’a pas à être domestiqué, à devenir un animal de

« blanc ».

À l’instar de l’orignal, de l’ours, du caribou et de l’outarde, le castor est considéré comme un « animal indien », en opposition aux « animaux blancs » qui sont les animaux domestiqués. Plusieurs algonquinistes ont documenté cette distinction faite par différentes Nations algonquiennes en lien avec les « animaux blancs » et les « animaux indiens », ces derniers étant les animaux inclus au sein du système social algonquien possédant par le fait même un statut social, une agencéité et une âme ou un esprit-maître (Bouchard et Mailhot 1973, Armitage 1992, Bousquet 2002; 2015, Tanner 2004). Les « animaux indiens » sont décrits comme étant des

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animaux libres qui possèdent le pouvoir de prendre leurs propres décisions.

Enfreindre cette liberté, dicter à l’animal son habitat, est lui enlever son autonomie et lui manquer de respect. Pour plusieurs de mes interlocuteurs rencontrés sur le terrain, par ce contrôle exercé sur les animaux et sur la forêt en général, les « blancs » se donnent beaucoup trop de pouvoir : ils agissent comme si c’était eux qui avaient créé les animaux et qu’ils leur appartenaient (Opitciwani iriniw, octobre 2014).

5.4. Tensions politiques et transformation des rôles des ka nikaniwitcik dans le contexte des exploitations des ressources ligneuses

5.4.1. La coexistence (imposée) des Autochtones et de l’industrie forestière

Les relations entre les organisations autochtones et l’industrie forestière sont complexes et diversifiées d’est en ouest du Canada. Chaque Nation autochtone ayant ses stratégies, relations et intérêts particuliers avec le territoire et les acteurs de l’industrie, il est difficile de décrypter les mécanismes de pouvoir tellement les pratiques et stratégies sont diversifiées et hétérogènes (Wyatt 2004; 2006, Hébert et Wyatt 200697). Plusieurs membres de Nations autochtones participent de plein gré ou non à cette industrie, soit comme ouvrier ou encore en créant leur propre compagnie forestière (Op. cit.). Des organisations autochtones mettent également sur pied des institutions et des forums – comme le Forum forestier des peuples autochtones – dans le but de partager leurs expériences et de développer des

97 À cet égard, le numéro thématique « Les premières nations et la forêt » publié en 2006 dans la revue Recherches amérindiennes au Québec offre plusieurs contributions originales faisant état de cette diversité de contexte et de stratégies à l’égard de la foresterie autochtone.

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stratégies visant à améliorer les pratiques de l’industrie afin qu’elles soient plus conformes à leurs principes et pratiques (Hébert 2006). Par ces différents engagements et initiatives, certains membres et organisations autochtones tentent ainsi d’améliorer l’industrie afin de la rendre plus compatible avec leurs intérêts et modes de gestion territoriale (Wyatt 2004; 2006, Hébert 2006, Hébert et Wyatt

2006).

Cette section n’a pas l’ambition d’analyser en profondeur les paradigmes qui ont marqué l’histoire forestière canadienne et québécoise. Il s’agit plutôt ici de décrire quelques aspects de ces rapports complexes qu’entretiennent une partie des membres de la Nation atikamekw nehirowisiw qui est engagée (volontairement ou non) dans les processus de dialogue, de cooptation et de négociation avec l’industrie forestière98. Les descriptions et analyses faites ici sont alors majoritairement issues de discussions avec des membres des conseils de bandes qui sont embauchés pour travailler sur ce dossier ou des responsables territoriaux

(ka nikaniwitcik) qui sont impactés par les coupes et impliqués (dans une faible mesure) dans la négociation et l’identification des aires de préservation (comme les ravages d’orignaux ou les sites patrimoniaux).

Depuis les années 1990, les Atikamekw Nehirowisiwok ont développé plusieurs projets visant à s’impliquer dans l’industrie forestière et à améliorer les pratiques de l’industrie afin de les rendre plus compatibles avec leurs modes de gestion et leur système d’autorité territoriale. On peut penser aux projets de créer des scieries autochtones dans les communautés de Manawan, Wemotaci et

98 Pour des études approfondies portant sur l’évolution des paradigmes forestiers et leurs effets sur les pratiques territoriales et sur l’implication des Atikamekw Nehirowisiwok dans les processus de cogestion et de consultation, voir la thèse de Stephen Wyatt (2004) et celle de Jean-François Fortier (2017).

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Opitciwan99 qui ont orienté leurs pratiques d’exploitation territoriale en respectant le plus possible les systèmes locaux d’autorité territoriale. L’une des initiatives documentées par Wyatt dans sa thèse (2004) est le Projet d’harmonisation développé par le Conseil de bande de Wemotaci qui a mis sur pied la Table d’harmonisation réunissant des responsables territoriaux de la communauté et des représentants de compagnies forestières. L’objectif de ce projet était de favoriser le dialogue entre les familles autochtones touchées par les exploitations forestières et les membres de l’industrie afin d’ « harmoniser » les pratiques d’exploitation et de gestion territoriale. Le projet visait à assurer la continuité des modes d’occupation et d’utilisation territoriales des familles atikamekw nehirowisiwok, la protection de sites patrimoniaux et la transformation des pratiques d’exploitation de l’industrie forestière pour les rendre plus acceptables pour les familles (Wyatt 2004).

Dans sa thèse, Wyatt (2004) souligne que plusieurs initiatives menées par les

Atikamekw Nehirowisiwok ont contribué à améliorer les relations des Atikamekw Nehirowisiwok avec l’industrie forestière. Même si dans les faits, l’industrie forestière demeure assujettie aux diverses pressions économiques et aux normes et pratiques du régime forestier québécois et aux lois provinciales (Op. cit.). Parmi les initiatives développées par le Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw (CNA), mentionnons la création de l’Association Mamo Atoskewin Atikamekw

(AMAA) créée en 1990100. AMAA a été une association importante pour les Atikamekw Nehirowisiwok ayant développé plusieurs recherches autour des modes de gestion et des savoirs territoriaux nehirowisiwok. Deux documents principaux développés par l’Association (« Identification et protection de l’usage

99 De ces scieries, seule la scierie d’Opitciwan est actuellement fonctionnelle (depuis 1999). 100 L’association a dû arrêter ses activités en 1996 à cause de manque de fonds.

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atikamekw de la forêt, phases 1 et 2 » et « Gestion intégrée des ressources ») recensent un ensemble de savoirs normatifs et de savoirs territoriaux recueillis auprès d’aînés et de responsables territoriaux des trois communautés. On y retrouve, par exemple, des informations reliées à l’occupation et l’utilisation territoriale de différentes familles, au système d’autorité territoriale, aux modes locaux de gestion des ressources, aux zones de ravages d’orignaux et aux sites patrimoniaux (AMAA 1992a; 1992b; 1994, Wyatt 2004). Dans les années 1990, les acteurs impliqués dans cette association avaient déjà approché des membres du gouvernement du Québec et de compagnies forestières pour les inviter à prendre connaissance des modes de gestion et du système d’autorité territoriale nehirowisiw et à les faire reconnaître et appliquer au sein de Nitaskinan (Wyatt

2004, Wemotaci iriniw, juillet 2015). Selon un interlocuteur atikamekw nehirowisiw ayant pris part à ces rencontres, les représentants du gouvernement et des compagnies ont rapidement décliné leur demande affirmant que les règles coutumières nehirowisiwok contenus dans ces documents (« Identification et protection de l’usage Atikamekw de la forêt, phases 1 et 2 » et « Gestion intégrée des ressources ») allaient à l’encontre des lois québécoises sur les forêts et tant qu’aucun traité spécifiant la teneur des droits territoriaux nehirowisiwok n’est signé, il ne sera pas possible d’appliquer le droit coutumier nehirowisiw en lien avec les activités territoriales (Wemotaci iriniw, juillet 2015. Voir aussi Wyatt 2004).

Malgré que le travail de l’Association n’ait pas eu les effets escomptés dans la reconnaissance des pratiques et principes normatifs nehirowisiwok de la part de l’industrie forestière, les travaux effectués par l’Association sont encore utilisés, discutés et mis à jour aujourd’hui dans différents projets menés par les membres de la Nation dont le projet autour de l’élaboration de la base territoriale (Notcimik), des principes territoriaux (Kiskeritamowina e aspictaiikw askik itekera) et du code

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de pratiques nehirowisiw (Orocowewin notcimik itatcihowin) que nous discuterons dans le chapitre 7.

Dans un article co-écrit avec Stephen Wyatt et paru dans la revue Recherches amérindiennes au Québec (2014), Jean-François Fortier s’intéresse à la participation des Atikamekw Nehirowisiwok aux tables locales de gestion intégrée des ressources naturelles et du territoire (GIRT) mises sur pied en 2010 suite à la nouvelle Loi sur l’aménagement durable du territoire du gouvernement du Québec. Ces tables réunissent un ensemble d’acteurs régionaux, des membres de l’industrie forestière et d’associations qui possèdent des intérêts liés à l’utilisation et à l’exploitation des ressources de Nitaskinan. Dans cet article, Fortier et Wyatt

(2014) démontrent que les représentants atikamekw nehirowisiwok exercent une forme de résistance dans ces processus de cooptation. Étant considérés comme un acteur parmi d’autres au sein de Nitaskinan, les représentants atikamekw nehirowisiwok reconnaissent les limites de ces processus et refusent d’y jouer le jeu que l’on attend d’eux (Op. cit.). Ils y jouent un rôle d’observateur, mais choisissent stratégiquement de s’investir dans les processus de négociation et de consultation directement auprès des gouvernements du Québec et du Canada (Op. cit.).

Dans la perspective de plusieurs interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok concernés par l’exploitation des ressources naturelles au sein de Nitaskinan, l’industrie forestière doit en faire beaucoup plus pour que leurs pratiques soient respectueuses des pratiques, système d’autorité et modes de gestions locaux. Les différentes initiatives de « cooptation » et les négociations dans lesquels sont engagés les Atikamekw Nehirowisiwok avec l’industrie forestière a toutefois favorisé le développement de certains mécanismes de consultation qui respectent

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minimalement certaines attentes des membres de la Nation (Wyatt 2004, Fortier et

Wyatt 2014, Fortier 2017). Par exemple, elles ont permis à ce que certaines compagnies forestières développent des processus de consultation avec les conseils de bande et les responsables des territoires familiaux (ka nikaniwitcik) lorsque des coupes forestières sont prévues sur leur territoire de chasse (Op. cit.).

5.4.2. Les certifications forestières et les pratiques de consultation et de compensation

Selon des interlocuteurs œuvrant au conseil de bande d’Opitciwan, il y aurait une dizaine de compagnies forestières qui possèdent des droits de coupe sur les territoires familiaux de membres de la communauté. Chacune des compagnies a développé au fil des ans des politiques différentes de consultation et de dédommagement auprès des familles atikamekw nehirowisiwok et du conseil de bande. Selon ces interlocuteurs, certaines compagnies donnent de l’argent directement aux familles et d’autres, comme la scierie d’Opitciwan (opérée par

Gestion Saint-Maurice), s’engagent à ce que les compensations soient remises au conseil de bande qui doit redistribuer la plus grande partie du montant en argent ou en biens (matériaux de construction, essence) par la suite aux ka nikaniwitcik. Ces derniers doivent à leur tour s’assurer du partage équitable de ces ressources monétaires ou matérielles aux membres de leur famille (Opitciwani iriniw, automne 2015).

Avec l’accréditation du Forest Stewardship Council (FSC), les compagnies forestières passent désormais de plus en plus par le conseil de bande puisqu’il s’agit d’un modèle de consultation favorisé par ce label environnemental (FSC en

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ligne, Fortier 2016). Le FSC est une accréditation reconnue sur la scène internationale et que détiennent les principales compagnies forestières ayant des droits de coupes forestières au sein de Nitaskinan (Fortier 2016). Plusieurs entreprises, dont Rona, Home Depot et IKEA, exigent que leurs fournisseurs possèdent cette certification (Shields 2015). Pour obtenir la certification FSC, la compagnie forestière doit respecter 10 principes, dont le principe du respect des « droits des populations autochtones » (principe 3) selon lequel la compagnie

« doit identifier et soutenir les droits légaux et coutumiers des populations autochtones en matière de propriété, d’utilisation et de gestion des sols, des territoires et des ressources concernées par les activités de gestion » (FSC, en ligne). Les 4 critères correspondant au principe 3 sur les droits des peuples autochtones sont:

3.1. : Indigenous peoples shall control forest management on their lands and territories unless they delegate control with free and informed consent to other agencies;

3.2.: Forest management shall not threaten or diminish, either directly or indirectly, the resources or tenure rights of indigenous peoples ;

3.3.: Sites of special cultural, ecological, economic or religious significance to indigenous peoples shall be clearly identified in cooperation with such peoples, and recognized and protected by forest managers;

3.4.: Indigenous peoples shall be compensated for the application of their traditional knowledge regarding the use of forest species or management systems in forest operations. This compensation shall be formally agreed upon with their free and informed consent before forest operations commence. (FSC, en ligne)

Il n’est pas rare que les pratiques des compagnies forestières accréditées ne répondent pas aux critères et aux principes du label (Christian Awashish, communication personnelle, automne 2014, Fortier 2016). Dans le cadre des

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renouvellements des accréditations aux compagnies, le FSC Canada tente de rejoindre les organisations autochtones dont les territoires ancestraux sont touchés par les coupes de ces compagnies afin de savoir si celles-ci respectent les critères liés, par exemple, à la consultation et au dédommagement. À l’automne 2014, Christian Awashish, le chef de bande d’Opitciwan, a utilisé ce pouvoir auprès de

FSC Canada afin d’inciter la compagnie Produits forestiers Résolu (PFR)101 à changer ses pratiques de consultation. FSC Canada a été réceptif aux demandes et aux démarches menées par le chef Awashish qui était appuyé par les membres du conseil de bande. Au mois de mars 2015, l’organisme de certification met en demeure la compagnie et exige qu’elle revoie ses pratiques afin de respecter les critères identifiés par la certification (Shields 2015). La compagnie avait alors un an pour se conformer et le renouvellement de sa certification devait être conditionnel à ce réajustement (Radio-Canada 2015). Suite à cette exigence du FSC, la compagnie s’est tournée vers le Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ) pour contester cette condition imposée du FSC Canada. Comme moyen de pression et en appui avec la compagnie, les membres du CIFQ avaient alors menacé de larguer en bloc leur cotisation (et leur certification) au FSC, ce qui priverait ainsi l’organisme de certification d’environ 28 millions de dollars (Radio- Canada 2014, Tremblay 2015a ; 2015b). Dans une lettre endossée par 29

« joueurs importants » de l’industrie forestière au Québec, le CIFQ soutient : « Si les entreprises doivent choisir entre le maintien de la certification FSC ou le maintien de leurs approvisionnements, elles privilégient celui de leurs approvisionnements (…) [les membres du CIFQ] considèrent que le gouvernement

[du Québec] est le seul à pouvoir promulguer des lois et des règlements pour encadrer la gestion des forêts publiques » (Tremblay 2015a).

101 Notons que selon le chef Awashish, il ne s’agit pas de la seule compagnie certifiée ayant des droits de coupe au sein de Nitaskinan qui ne respecte pas les critères de FSC Canada (Radio- Canada, 2015).

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Pendant cette « crise », le CIFQ est allé chercher l’appui auprès du gouvernement du Québec, plus précisément du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs

(MFFPQ). En réponse à cet appel de l’industrie, le ministre du MFFPQ, Laurent Lessard, a demandé à FSC Canada d’assouplir ses critères à l’égard du consentement des organisations autochtones (Tremblay 2015a, 2015b). Dans le cadre d’un Forum international sur les forêts et paysages forestiers tenu par FSC en Allemagne auquel il participait, le ministre Lessard aurait spécifié en référence aux pressions faites par Opitciwan que des organisations autochtones profitaient du levier de la certification FSC dans le cadre de leurs négociations territoriales globales (Tremblay 2015b, 2016). À cette même occasion, le ministre Lessard souligne : « Le [gouvernement du] Québec croit qu’il doit y avoir des efforts pour augmenter la certification, mais que les organismes de certification comme FSC n’ont pas à se substituer à l’État pour établir les lois qui encadrent l’aménagement forestier » (Tremblay 2015b). Reprenant ainsi presque mot à mot, les propos du

CIFQ dans sa lettre publiée quelques semaines plus tôt.

Il est encore trop tôt pour évaluer les impacts réels des démarches entreprises par le conseil de bande d’Opitciwan auprès du FSC. Démarches qui visent certainement à ce que les membres de la Nation puissent détenir un plus grand pouvoir décisionnel dans l’exploitation des ressources exercée au sein de

Nitaskinan, le territoire ancestral. Ces démarches entreprises auprès du FSC sont concomitantes à plusieurs autres démarches, comme le rappelle d’ailleurs le ministre Lessard, menées par les Atikamekw Nehirowisiwok qui développent différentes stratégies visant à pratiquer leur souveraineté, leurs droits et leurs responsabilités au sein des territoires façonnés et transmis par les ancêtres. Nous y reviendrons dans les prochains chapitres. D’abord, je voulais discuter brièvement

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des effets du nouveau régime forestier sur les rôles et responsabilités des ka nikaniwitcik.

5.4.3. Le nouveau régime forestier et les nouvelles responsabilités des ka nikaniwitcik

Depuis la mise en place du nouveau régime forestier en vigueur avec l’application de la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier le 1er avril 2013, le ministère provincial des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFPQ) est responsable de la préparation des plans d’aménagement forestiers intégrés

(PAFI102). Avec ce régime, le MFFPQ a le mandat de consulter la ou les personnes attitrées aux conseils de bande qui jouent habituellement le rôle d’intermédiaire entre le ministère et les responsables territoriaux atikamekw nehirowisiwok pour faire approuver le plan d’aménagement forestier et négocier des aires de préservation (ravages d’orignaux, sites patrimoniaux). À certaines occasions, un ingénieur forestier du ministère peut se déplacer dans les communautés pour rencontrer directement les ka nikaniwitcik dont les territoires sont touchés par les coupes forestières prévues dans les plans d’aménagement. Certains détails techniques (déviations de routes forestières, aménagement ou déplacements de site de campement) peuvent toutefois être négociés par les familles (via les conseils de bande) directement avec les compagnies forestières (Opitciwani iriniw, automne 2014). Il est à noter qu’autant dans l’ancien et que dans le nouveau régime, les volumes de bois à couper ne sont pas négociables et demeurent quantifiés selon les besoins de l’industrie (Op. cit.).

102 Ceux-ci comprennent les plans d’aménagement forestier intégré tactique (PAFIT) révisés tous les 5 ans et les plans d’aménagement forestier intégré opérationnel (PAFIO) révisés selon les besoins pour y intégrer de nouveaux secteurs d’intervention (MFFPQ, en ligne)

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Selon les informations obtenues par certains ka nikaniwitcik et par des employés responsables de ce dossier au sein de conseils de bande atikamekw nehirowisiwok, certaines compagnies forestières sont plus facilitantes que d’autres quand vient le temps de négocier des déviations de routes, de l’aménagement ou le déplacement de site de campement. Il est difficile pour un ka nikaniwitc de négocier et de dialoguer directement avec les travailleurs forestiers sur le terrain, même dans le cas où le ka nikaniwitc désire simplement s’assurer que l’entente prise avec la compagnie et avec le MFFPQ soit respectée. Dans les faits, certaines des ententes négociées avec le ministère et les compagnies ne sont pas nécessairement communiquées aux travailleurs forestiers et lorsqu’elles le sont, les directives acheminées aux opérateurs forestiers sont parfois déformées dans la chaîne de communication au sein des entreprises forestières. Ce qui fait que, concrètement, la déviation de la route, la préparation ou le déménagement d’un site de campement ou la préservation d’une aire territoriale peut ne pas se faire au bon endroit. Ce genre d’erreur, me souligne un membre du conseil de bande d’Opitciwan, est commis par exemple par les opérateurs de la compagnie Kruger qui fait affaire avec plusieurs sous-traitants pour effectuer les travaux de coupes et d’aménagement forestiers, ce qui complique les communications et fait en sorte que les ententes sont souvent non respectées. Cette situation accentue les frustrations, les mésententes et les dissensions entre les membres des communautés, les conseils de bande, les compagnies et le MFFPQ.

Des membres atikamekw nehirowisiwok impliqués dans ces dossiers m’ont expliqué aussi qu’avec ces processus de négociation avec l’industrie forestière et le MFFPQ, les ka nikaniwitcik reçoivent de nouvelles responsabilités liées, par exemple, à la négociation et distribution de compensations (monétaires ou matérielles) pour les coupes ou pour identifier les zones de préservation au sein de

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leur territoire familial, considérées comme des sites patrimoniaux ou des ravages d’orignaux. En contrepartie, les coupes forestières font en sorte que les ka nikaniwitcik délaissent une partie importante de leurs responsabilités et de leur autorité reliées, par exemple, à l’entretien des mohonan et des moteskano et à l’utilisation et le partage des ressources de leur territoire. Nous avons vu dans ce chapitre que les familles atikamekw nehirowisiwok ont certaines responsabilités, droits et pouvoirs reliés à leur occupation territoriale et à leur utilisation des ressources fauniques, halieutiques et végétales présentes au sein de leur territoire de chasse familial (atoske aski). La transformation du territoire due aux coupes forestières vient brimer les droits et responsabilités des ka nikaniwitcik liés à leur utilisation et au partage des ressources et à la transmission des savoirs familiaux.

Par exemple, un interlocuteur de Manawan m’explique qu’une famille de la communauté ne peut plus désormais assurer ses droits et responsabilités vis-à-vis la récolte et la distribution d’eau d’érable parce que les érables à sucre présents au sein de son territoire de chasse ont tous été coupés. Selon cet interlocuteur, la famille doit donc se départir d’une partie de ses droits, pouvoirs, responsabilités (tiperitamowina) et de sa contribution (kictapatisiwin) pour une période de quarante

à cinquante ans sur le territoire exploité. Ainsi, avec cette coupe forestière cette famille de Manawan perd une partie importante de son rôle, de son utilité sociale et de sa responsabilité liés à l’utilisation des ressources et à la transmission des savoirs familiaux au sein de son territoire de chasse.

Par ailleurs, avec son nouveau rôle de négociateur auprès du conseil de bande, des compagnies forestières, du MFFPQ et des membres de sa famille avec qui il partage le territoire de chasse, le ka nikaniwitc a de nouvelles responsabilités qui peuvent parfois être difficiles à porter. Il joue alors un rôle d’intermédiaire pour s’assurer que les compensations reçues soient distribuées aux membres de sa

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famille et que les zones territoriales protégées soient respectées par les compagnies. Par exemple, un ka nikaniwitc rencontré à Opitciwan me souligne certains compromis qu’il a dû faire pour accommoder les membres de sa famille suite à une coupe forestière sur leur territoire de chasse :

Quand la compagnie est venue chez moi l’an dernier (2013). Elle nous a dit qu’elle nous donnait 10% [de la valeur commerciale du bois coupé]. Quand je suis allé voir les autres familles sur le territoire, un me disait : « je veux avoir ça », un autre : « je veux avoir ça »… Ça fait qu’on n’a pas eu assez. La grandeur du territoire que la compagnie a coupé c’est beaucoup et la famille qu’on a est grande aussi. Comme moi j’ai un chalet et ma fille a un chalet. C’est nous qui avons déboursé de nos poches pour construire les chalets. Auparavant, la compagnie ne nous donnait rien. L’an passé, elle a coupé et nous a donné un montant. Mon garçon voulait avoir un chalet lui aussi. Il a fait sa demande et d’autres familles aussi ont fait la demande. On a eu 5000$. Ça va vite ! On a eu 5000$ seulement. J’ai fait une demande pour peut-être faire rénover mon chalet, mais il n’y avait plus d’argent. (…) On ne se chicane pas encore (rire), mais… De plus en plus c’est une question d’argent. Des fois, ça peut arriver que la chicane prenne. C’est une question d’argent.

La question des limites territoriales et des chevauchements territoriaux entre les groupes de chasse familiaux se pose aussi dans les processus de négociations entre les familles, le conseil de bande, le MFFPQ et l’industrie forestière. Un membre du conseil de bande d’Opitciwan qui s’occupe de la négociation des ententes entre les compagnies, le MFFPQ et les familles atikamekw nehirowisiwok, travaille à partir d’une carte découpant les territoires de chasse familiaux selon les tracés des lots de piégeage des réserves à castor élaborés et actualisés depuis les années 1950. Il soutient toutefois que les limites des territoires varient selon les familles et qu’il doit sans cesse ajuster les limites des territoires familiaux selon les exigences de

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celles-ci. Habituellement, les membres des territoires familiaux adjacents ont des liens de parenté. Selon mes interlocuteurs, il semble que ces familles avoisinantes aient normalement tendance à bien s’entendre entre elles et à ne pas trop entrer en conflit concernant les limites territoriales et les compensations liées aux coupes forestières. Mais, comme le témoignage précédemment cité l’indique, l’entretien des rapports harmonieux entre les familles semble parfois fragile et il se peut que cette nouvelle responsabilité donnée (imposée) aux ka nikaniwitcik devienne aliénante pour ce dernier qui désire éviter les dissensions. Certains interlocuteurs m’ont confié que ces nouvelles responsabilités attribuées aux ka nikaniwitcik incitent même certaines personnes à renier leur statut ou à transmettre leurs responsabilités afin de ne pas être confrontées à ces éventuelles polémiques entre les membres des familles. En d’autres mots, les rapports entre les membres de la Nation atikamekw nehirowisiw et l’industrie forestière peuvent provoquer diverses tensions politiques entre les membres des communautés qui tentent malgré tout de s’ajuster et de tirer leur épingle du jeu. Ce qui est peut-être le plus important à retenir ici c’est la manière dont ces relations entretenues et négociées par les membres de la Nation atikamekw nehirowisiw avec l’industrie forestière et le MFFPQ s’articulent dans des univers sociaux, politiques et normatifs qui sont complexes et dynamiques. Comme il est mention dans ce chapitre et dans les chapitres suivants, ces dynamiques de négociation, d’enchevêtrements et de résistance entre les systèmes d’autorité territoriale et ordres normatifs autochtones et allochtones caractérisent certaines facettes de la contemporanéité des droits et des responsabilités territoriaux des Atikamekw Nehirowisiwok.

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Conclusion

Ce chapitre dresse un portrait d’une partie de la littérature algonquiniste, depuis les travaux de Frank Speck, qui porte sur les systèmes de territoires de chasse familiaux chez les groupes algonquiens. Nous avons vu que ces travaux avaient une portée politique importante et demeurent utilisés par les organisations autochtones dans le contexte des négociations territoriales pour faire reconnaître leur occupation et utilisation ancestrales du territoire revendiqué.

Dans le cadre de ce chapitre, nous avons abordé certains aspects faisant partie du régime territorial nehirowisiw (wectatowin aski). Nous avons discuté, par exemple, de l’importance de l’occupation et de l’utilisation du territoire et des ressources dans l’acquisition des droits, des pouvoirs et des responsabilités (tiperitamowina) territoriales chez les familles atikamekw nehirowisiwok. L’entretien et l’utilisation des itinéraires estivaux (mohonan), hivernaux (moteskano) et des sites de portage (onikam), l’entretien des relations de réciprocité et de respect envers les animaux, les plantes et les ancêtres et envers les membres des territoires familiaux contigus sont inhérents aux droits, pouvoirs et responsabilités nehirowisiwok. Comme il a

été discuté dans ce chapitre et les chapitres précédents, les familles atikamekw nehirowisiwok ont chacune des responsabilités spécifiques selon, en bonne partie, les ressources disponibles au sein de leur territoire de chasse familial (atoske aski). Chaque famille apporte sa contribution (kictapatisiwin) dans les différents réseaux de solidarité et de réciprocité. Une partie de leur tiperitamowin est d’assurer la transmission des savoirs familiaux et de les partager aux membres de leur famille élargie.

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Nous avons largement discuté dans ce chapitre des relectures et synthèses culturelles des droits, des pouvoirs et des responsabilités territoriales nehirowisiwok en concentrant notre analyse autour de la contemporanéité des rôles et des statuts des ka nikaniwitcik. Nous avons vu, par exemple, leurs rôles lors de la création des réserves à castor par le gouvernement provincial autour des années 1940-1950 et lors des processus de consultation menée par les compagnies forestières et par le ministère provincial des Forêts, de la Faune et de

Parcs (MFFPQ). Les familles atikamekw nehirowisiwok et les ka nikaniwitcik sont contraints, dans le contexte contemporain, à négocier leurs droits, pouvoirs et responsabilités avec des institutions étatiques et des acteurs allochtones ayant des intérêts divergeant en rapport au Nitaskinan, le territoire ancestral revendiqué. Des exemples discutés dans ce chapitre démontrent que le dialogue et les terrains d’entente sont possibles entre Autochtones et Allochtones. Ces dialogues et ententes ne sont pas nécessairement l’effet d’une acculturation ou d’une subordination d’une partie par rapport à une autre; il arrive parfois que les parties puissent s’entendre sur des pratiques particulières tout en ayant des intérêts et des objectifs divergents.

Dans les prochains chapitres de la thèse, nous discuterons de dialogues, des dynamiques politiques et des relations de pouvoir qui opèrent dans le processus de négociation territoriale globale au sein duquel sont engagés les Atikamekw

Nehirowisiwok avec les gouvernements du Québec et du Canada. Ces chapitres portent une attention particulière aux motivations et aspirations des Atikamekw

Nehirowisiwok comme aux pratiques de résistance créatrice qu’ils mettent en œuvre.

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PARTIE III

OROCOWEWIN NOTCIMIK ITATCIHOWIN : PROJET D’ÉLABORATION DU CODE DE PRATIQUES NEHIROWISIW DANS LE CONTEXTE DES NÉGOCIATIONS TERRITORIALES GLOBALES

Photo prise lors de l’assermentation du Grand-Chef (Kitce Okimaw), Wemotaci, le 28 septembre 2014.

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Chapitre 6

Relations de pouvoir dans la politique des revendications territoriales globales et les politiques de reconnaissance

Introduction

En 1973, le gouvernement canadien met en place la Politique sur les revendications globales (Comprehensive Land Claims Policy) visant à conclure des ententes finales sur des territoires revendiqués par différentes communautés autochtones au Canada n’ayant signé aucun traité jusqu’à présent (AADNC, en ligne, Charest 1992; 2001, Dupuis 1993, Lacasse 2004, Grammond 2013). L’objectif poursuivi par le gouvernement canadien par cette politique est ainsi d’affirmer juridiquement son titre de souveraineté sur le territoire canadien qui soit libéré des droits ancestraux détenus par les Autochtones (Charest 1992; 2001,

Cleary 1993, Dupuis 1993). Ces derniers sont alors encouragés à négocier des aires territoriales précisément délimitées sur lesquelles ils obtiendront des droits spécifiques. En échange, les populations autochtones cèdent, de manière définitive, leur titre foncier ancestral (la clause d’extinction) sur lesdits territoires et sur les autres territoires occupés lors de la signature de la Proclamation royale de 1763 (Dupuis 1993, Asch 2008).

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À l’instar d’autres organisations autochtones du Canada, les Atikamekw

Nehirowisiwok ont fait le choix de s’engager dans les négociations territoriales globales dans l’espoir de faire reconnaître leurs pratiques, droits, responsabilités et système d’autorité territoriaux. Dans cette démarche, les membres de la Nation ont participé à la mise sur pied du Conseil Atikamekw-Montagnais (CAM) (1975-1994) et du Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw (CNA) (1983 à ce jour). Suite à la dissolution du CAM en 1994, le CNA a été mandaté pour défendre les droits et intérêts des Atikamekw Nehirowisiwok, de négocier auprès des instances gouvernementales canadiennes et québécoises des ententes issues de revendications territoriales et de faire la promotion de l’autodétermination des Atikamekw Nehirowisiwok (Charest 1992 ; 2001 ; 2005, CNA 1996 ; 2012). À ce jour, aucune entente n’a encore été signée et le processus de négociation est toujours en cours103.

Il existe plusieurs raisons expliquant la longueur de ces négociations. D’abord, comme il est mentionné dans cette thèse, dans le contexte des négociations territoriales globales, les organisations autochtones doivent formuler les revendications autour de leurs droits ancestraux dans un langage et dans un mode politiques, juridiques, mais aussi épistémologiques et ontologiques, imposés par le droit étatique. Elles doivent, par exemple, articuler leurs revendications à partir du concept de « propriété territoriale » comme il est compris par le droit étatique; conception qui ne représente pas bien les relations que les membres de différentes organisations autochtones entretiennent avec leur territoire (Nadasdy

2002 ; 2003, Thom 2014). Les principes ontologiques et épistémologiques sur

103 Selon mes informations, une entente de principe entre les trois paliers de gouvernement (Atikamekw Nehirowisiw, Canada, Québec) pourrait être signée au printemps 2017. Si elle est signée, cette entente de principe servirait de base importante pour la conclusion d’une entente finale.

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lesquels s’appuient les catégories, les pratiques et les processus normatifs nehirowisiwok peuvent, à certaines occasions, sembler incompatibles aux principes et aux catégories juridiques étatiques. En fait, ces pratiques, catégories et processus coexistent et s’interpénètrent dans des dynamiques complexes d’assimilation, d’appropriation, d’« indigénisation » et de différentiation (Sahlins

1999; 2007, Clammer et al. 2004, Poirier 2004a; 2008; 2013; 2017, Escobar 2008; 2010, Blaser 2009a; 2009b; 2013a). De là toute l’importance des ethnographies fines des relations de pouvoir dans des contextes de négociation entre institutions autochtones et étatiques (Ortner 1995).

Ce chapitre adresse un regard critique sur les dispositifs déployés dans la politique canadienne des revendications territoriales globales. Plus précisément, le chapitre aborde les mécanismes de pouvoir relatifs à l’approche « axée sur les résultats », aux clauses d’ « extinction », à la « certitude juridique », au « fardeau de la preuve » et aux « obligations de la dette » qui sont prégnants au processus de négociation territoriale globale. Une attention particulière est portée aux relations de pouvoirs asymétriques entretenues entre les institutions étatiques et autochtones dans le contexte de ces négociations.

À l’instar d’auteurs comme Comaroff et Comaroff (1992), Ortner (1995, 2001, 2006), Sahlins (1999) et Comaroff (2001), le « pouvoir » réfère ici aux capacités des personnes et des institutions à mettre en œuvre leurs volontés et intentions. Le « pouvoir » réfère à la capacité des personnes et des groupes de réaliser leurs buts, leurs projets (Boulding 1989, Charest 1992, Charest et Tanner 1992). Les relations de pouvoir sont comprises ici en tant que processus dialectique : les personnes (ou « acteurs sociaux ») et les institutions articulent et négocient un pouvoir d’agir et des intentionnalités permettant à la fois la reproduction et la

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transformation des régimes et des dispositifs en place (Tully 2000; 2008a; 2008b,

Comaroff 2001, Ortner 2006).

Ortner (2001; 2006) distingue l’« agencéité du pouvoir », organisé autour de la dialectique domination/résistance, de l’« agencéité du projet », organisé autour des projets, des intentions et des désirs formulés selon les logiques et termes locaux. Sans perdre de vue les effets pernicieux de certains dispositifs de pouvoir présents dans la politique des négociations territoriales globales, ce chapitre et le chapitre suivant décrivent la manière dont ces deux types d’agencéité prennent forme dans les processus de revendication et les projets d’autodétermination nehirowisiwok.

En nous inspirant de l’ontologie politique de Blaser (2009a, 2009b, 2013a, 2013b) et de la littérature autochtone autour de la « résurgence » (Alfred 1995; 2005,

Borrows 2002; 2010, Coulthard 2007; 2014a; 2014b, Harris et al. 2011, Simpson 2011, Napoleon et Friedland 2014; 2016, Simpson et Smith 2014) nous verrons en quoi les démarches autochtones, et plus particulièrement celles des Atikamekw Nehirowisiwok, entreprises autour de la reconnaissance de leurs droits et des négociations territoriales globales portent et soutiennent des désirs, des aspirations et des projets de sociétés qui leur sont chers. Cette section démontre que l’expression des concepts, des valeurs, des épistémologies et des ontologies autochtones dans le contexte des négociations auprès des instances étatiques se décline, dans une certaine mesure, sous une forme d’agencéité à la fois « du pouvoir » et « du projet ». Pour reprendre le terme de Blaser (2004), ces démarches articulent et présentent des « projets de vie autochtones » fondés sur des rapports particuliers aux territoires et aux non-humains, sur des mémoires, des attentes et des désirs. Ces « projets de vie » se mobilisent concrètement dans les pratiques quotidiennes, les relations aux territoires familiaux, les activités de

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chasse et dans les mobilisations des Atikamekw Nehirowisiwok autour de la reconnaissance de leurs droits.

6.1. Contexte d’élaboration de la politique sur les revendications territoriales globales

La Politique sur les revendications territoriales globales (Comprehensive Land Claims Policy) est décrétée suite à un jugement de la Cour Suprême du Canada

(arrêt Calder 1973) qui stipulait que les titres fonciers autochtones découlent de l’occupation antérieure des Autochtones sur le territoire actuel de l’État canadien.

Lors de l’arrêt Calder, la Cour suprême du Canada confirmait également que les droits ancestraux et titres aborigènes étaient inaliénables et ne pouvaient être

éteints que par l’entremise d’une législation explicite ou d’une entente formelle, comme un traité, avec les détenteurs de ces droits et titres (voir aussi arrêt

Delgamuukw 1997, par. 113).

Suite à l’arrêt Calder (1973), le gouvernement canadien a dû mettre en place une politique visant à négocier des ententes trilatérales104, également nommées

« traités modernes », avec les Nations autochtones et gouvernements provinciaux afin d’affirmer son titre de souveraineté sur le territoire canadien qui soit libéré des titres fonciers des organisations autochtones n’ayant jamais signé de traités jusqu’à présent (Charest 1992; 2001; à paraître, Cleary 1993, Dupuis 1993; 1997, Samson 1999). Cet objectif est inscrit dans la clause de « certitude » (certitude du titre de souveraineté de l’État et des droits d’usages et de propriété territoriaux

104 Dans le cas où les territoires ancestraux revendiqués font partie du territoire d’une province. Dans le cas où ces territoires ne font pas partie d’une province (ex. Yukon, Territoires du Nord- Ouest, Nunavut), les organisations autochtones négocient directement avec le gouvernement fédéral.

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autochtones) et dans la clause d’ « extinction » (extinction des droits ancestraux autochtones sur le territoire compris dans le traité). Même si la politique sur les négociations territoriales globales a été mise à jour à quelques reprises depuis

1973 (en 1986 et en 2014), ces clauses demeurent au centre de la politique105. Dans les termes du ministère des Affaires autochtones et du Nord Canada

(AADNC), ces clauses visent à assurer un climat favorable et approprié au développement économique basé sur l’exploitation des ressources naturelles dont les retombées sont censées être profitables pour l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens (AADNC 2014; en ligne, Charest 2001, Harris 2004, Preston 2013,

Samson 2016).

Un autre objectif de cette politique gouvernementale est de conclure des ententes hors Cour et ainsi de réduire les coûts liés aux processus juridiques et d’éviter le risque de perdre les causes au profit des organisations autochtones. À l’instar des traités numérotés signés par le gouvernement canadien et les groupes autochtones entre 1871 et 1921, les « traités modernes » incluent des compensations monétaires, des droits de propriété, des droits d’usufruit et de pratiques d’activités traditionnelles sur une partie circonscrite du territoire ancestral. À cela s’ajoutent d’autres droits et compensations qui n’étaient pas présents dans les traités numérotés pour favoriser la création et le développement d’institutions autochtones visant une prise en charge des services publics par les membres des communautés (Charest 1992; 2003; à paraître, Grammond 2013).

105 Il est à noter que dans les dernières années plusieurs organisations autochtones, dont le Regroupement Petapan – regroupant trois communautés innues de la Côte-Nord (Mashteuiatsh, Essipit et Nutashkuan) –, ont fait des pressions importantes afin d’abroger la clause d’extinction d’un éventuel traité (Charest, à paraître). Il sera intéressant de voir si les efforts portés en ce sens porteront leurs fruits…

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Une autre différence majeure entre les « traités modernes » et les « traités numérotés » est la substance des documents produits par ces ententes. Pour donner un exemple, l’entente de principe signée entre les Innus du Labrador

(Tshash Petapen) et les gouvernements fédéral et provincial compte 436 pages incluant un nombre important de clauses et de sous-clauses (Samson 2016). En comparaison, les traités numérotés faisaient environ une page à une page et demie (entre 550 et 650 mots) (AANDC, en ligne). Ces ententes développées dans le cadre de la politique sur les négociations territoriales globales apportent des précisions légales sur un ensemble beaucoup plus vaste de domaines, comme les droits d’utilisations des territoires divisés par catégories, les droits spécifiques de prélèvement des ressources, le partage des bénéfices liés à l’exploitation des ressources, la mise en place et l’organisation des institutions autochtones locales, les modes d’administration et de « gouvernance » locale, etc. (Charest 1992; 2003;

à paraître, Grammond 2013).

6.2. L’approche axée sur les résultats et les effets des obligations de la dette

Depuis 2012, le gouvernement canadien favorise une approche « axée sur les résultats » afin d’accélérer les processus de négociations et d’assurer à ce que les ententes arrivent à terme le plus rapidement possible. Avec cette nouvelle approche, le gouvernement fédéral se permet de cibler les projets de négociations qui lui semblent les plus près d’une entente et de mettre de côté les autres projets qu’il considère, selon ses propres critères, comme étant difficilement réalisables

(AADNC, en ligne). Sur les projets de négociations ciblés, le gouvernement évalue

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annuellement leur progrès et si l’avancement ne correspond pas à ses attentes, il peut se retirer de la Table des négociations et se concentrer uniquement sur les négociations qui lui semblent profitables (Op. cit.). Un membre atikamekw nehirowisiw de la Table des négociations spécifie : « Le gouvernement finance les négociations. Tous les 3 mois, le gouvernement regarde ce qu’on a fait. Il vérifie si les versions changent. Eux, ils disent qu’on change de version. Si on ne fait pas assez de choses (consultations, recherches, ententes), le gouvernement peut arrêter les négociations » (colloque territorial Waskamanakotatan kitaskino, Wemotaci 2014).

Lorsqu’on prend connaissance de l’approche axée sur les résultats, il est permis de penser que les objectifs de cette approche sont louables; le but étant d’accélérer le processus et de diminuer les coûts liés aux négociations territoriales globales. Toutefois, avec cette approche le gouvernement se donne un pouvoir accru dans les négociations en sélectionnant ses interlocuteurs, en imposant des ultimatums et en brandissant la menace constante de mettre fin aux négociations si son vis-à-vis n’est pas prêt à faire les concessions souhaitées et à suivre les démarches proposées.

La complexité de ces ententes et le fait qu’elles sont souvent négociées par un nombre restreint de représentants autochtones pour accélérer le processus font que certains chercheurs et certaines organisations autochtones décrivent ces démarches comme « antidémocratiques » dans la mesure où, même si l’entente est votée par référendum par les membres de la communauté ou de la Nation concernée, ceux-ci n’ont pas nécessairement accès à toute l’information nécessaire pour prendre une décision éclairée (Samson 2016, Charest, à paraître).

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Les droits ancestraux revendiqués sont définis comme des droits collectifs, mais comme le questionne Grammond (2013 :219-221) : qui, au sein des organisations autochtones, a l’autorité et la compétence de négocier ces droits collectifs et de conclure ces ententes ? Les représentants autochtones à la table de négociation ont le devoir et la responsabilité de faire circuler l’information, mais bien souvent ils sont soumis au dictat du silence par les juristes et négociateurs avec qui ils travaillent (Samson 2016).

Comme nous le verrons dans le prochain chapitre, certaines communautés et

Nations engagées dans le processus de négociation, comme les Atikamekw Nehirowisiwok, mettent en place des mécanismes de consultation auprès de leurs membres pour faire circuler une partie seulement de l’information décrite comme « publique » et recueillir leurs commentaires et suggestions. Toutefois, dans d’autres cas, ces processus de négociations se réalisent pratiquement en vase clos et l’information ne circule pas. Dans certains cas, comme le mentionne

Samson (2016), les membres autochtones participant à des tables des négociations ne diffusent pas toujours les détails des discussions et des ententes qu’ils mènent avec leurs partenaires étatiques aux membres de la ou des communautés. Cette manière de fonctionner, visant à accélérer le processus de négociation peut, dans certains cas, inciter ce que Taiaiake Alfred (1999, 2005) décrit comme l’émergence d’une « nouvelle élite autochtone capitaliste », portée à la recherche du profit et du développement économique plus qu’au respect de leurs obligations ancestrales envers le territoire et les autres membres de la communauté. Qui plus est, ces ententes sont souvent rédigées dans une langue (anglais ou français) et dans des termes juridiques qui ne sont pas maîtrisés par l’ensemble des membres des communautés autochtones touchées. L’exercice de traduction et de valorisation des conceptions et de pratiques politico-juridiques

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autochtones n’étant pas un exercice jugé pertinent par les interlocuteurs étatiques.

Pourtant, comme nous le verrons au chapitre suivant, il s’agit d’un exercice qui pourrait, s’il est mené correctement, entraîner un rééquilibrage dans les relations de pouvoir.

Dans le but d’accélérer le processus des négociations et avoir l’appui de leurs membres, certaines organisations autochtones choisissent d’utiliser des moyens qui peuvent être critiquables. Par exemple, dans le cas de l’entente de principe signée entre les Innus du Labrador et les gouvernements terre-neuvien et canadien, Samson (2016) fait remarquer que lors du référendum portant sur l’entente, les représentants innus ont remis un montant de 5000$ à chaque

électeur pour les inciter à aller voter même s’ils n’avaient qu’un accès partiel au contenu de l’entente et n’avaient pu participer directement à son élaboration.

L’argent remis aux électeurs suite au référendum « gagnant » provenait du prêt octroyé par le gouvernement canadien dans le cadre de sa politique de revendication territoriale globale (Op. cit.). Il s’agissait alors d’une avance sur la future compensation que devait recevoir l’organisation autochtone suite à la signature du traité.

Les communautés et Nations autochtones n’ont pas les ressources financières et humaines nécessaires pour rencontrer les exigences en matière de recherches et d’expertises juridiques imposées par le gouvernement canadien dans sa politique de revendication territoriale globale. Le gouvernement octroie donc des prêts aux organisations autochtones qui prennent la décision de s’engager dans ces négociations. Advenant la signature d’une entente, le montant des prêts octroyé est déduit à même le montant des compensations inscrit dans l’entente.

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Les organisations autochtones font régulièrement appel à des historiens et des anthropologues qui travaillent à produire les savoirs « experts » afin de fournir les « preuves » recevables par le droit étatique de leur occupation et utilisation soutenues du territoire ancestral revendiqué par les Autochtones (Charest 1982; 2003, CNA 1996, Grammond 2013). Ces productions de savoirs engagent des coûts et mobilisent des ressources humaines et matérielles importantes, pouvant entraîner et perpétuer le cycle de l’endettement et les obligations de la dette des organisations autochtones envers le gouvernement fédéral qui est à la fois leur créancier et leur « partenaire » dans le processus de négociation.

Les obligations de la dette, donc les obligations liées aux ententes de remboursement entre le débiteur (organisations autochtones) et le créancier (gouvernement fédéral), s’avèrent un mécanisme profitable pour le gouvernement fédéral qui s’octroie un pouvoir supplémentaire. D’ailleurs, un des objectifs de la nouvelle approche « axée sur les résultats » du gouvernement fédéral est de régler les obligations de la dette des groupes autochtones ayant, dans les dernières décennies, accumulé une dette importante en lien au processus de négociation territoriale globale (AADNC, en ligne).

Pour les membres de la Nation atikamekw nehirowisiw, la dette qu’ils accumulent pendant le processus de négociation territoriale globale est pernicieuse. En même temps que l’organisation accumule des dettes visant à financer la production de la preuve de leur existence et de leurs droits sur leur territoire ancestral revendiqué, le gouvernement du Québec accumule des redevances liées à l’exploitation par des intérêts publics ou privés allochtones des ressources naturelles sur le territoire revendiqué. Comme un ancien conseiller du Conseil de bande de Wemotaci l’a souligné lors d’un colloque territorial (2014):

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Dans le cadre des négociations, nous avons accumulé 32 millions de dollars en dette. Le gouvernement reçoit 53 millions de dollars par années de la chasse. Combien d’argent Hydro-Québec retire du territoire [ancestral nehirowisiw]? Combien le gouvernement du Québec retire des baux de villégiatures ? Et nous, on s’endette pour rencontrer les gouvernements?

Avec les obligations de la dette, le gouvernement s’assure d’« avoir le gros bout du bâton » dans les négociations; les communautés et Nations autochtones étant prises dans un cycle perpétuel d’endettement orchestré par ses interlocuteurs à la table des négociations. Selon Samson (2016), la clause d’extinction des droits ancestraux est intrinsèquement liée à ces obligations de la dette présentées dans la politique de revendication territoriale globale; l’extinction des droits ancestraux

étant une condition sine qua non à l’annulation de la dette.

Parmi les raisons de la lenteur des négociations, la clause d’extinction est majeure ; elle est aussi inacceptable pour les Atikamekw Nehirowisiwok et d’autres

Premières Nations (Dupuis 1993, Gentelet 1993, Charest 2003, Asch 2008, Asch et Zlotkin 2008). Par ailleurs, le fait que ce soient obligatoirement les Autochtones qui possèdent le « fardeau de la preuve » et qui doivent donc démontrer et faire reconnaître auprès de la société coloniale leur occupation précoloniale du territoire au sein duquel ils exercent leurs activités « ancestrales » est souvent critiqué par certaines organisations autochtones, dont le CNA106.

Bref, pour accélérer le processus de négociation et conclure une entente finale visant l’extinction des droits ancestraux en échange de compensations, de droits spécifiques et d’annulation de la dette, les représentants autochtones, pressés par

106 À noter que cette critique avait déjà été formulée par le CAM dans leur énoncé de revendication publiée dans la revue Recherches amérindiennes au Québec (CAM 1979).

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leurs interlocuteurs, sont incités à mettre de côté leur idéal du consensus et de la transparence et à prendre des moyens douteux, comme celui décrit précédemment dans l’entente signée avec Tshash Petapen. Ici, il ne s’agit aucunement de prêter des mauvaises intentions aux membres de cette table des négociations, mais plutôt de présenter certains effets de pouvoir entretenus dans la politique des négociations territoriales globales.

6.3. Le fardeau de la preuve : certains problèmes liés à l’obligation de prouver l’occupation exclusive et continue du territoire ancestral revendiqué

Le cycle de l’endettement est, comme nous l’avons vu précédemment, subséquent

à l’obligation de la part des organisations autochtones à s’investir financièrement pour documenter leur occupation ancestrale, continue et exclusive des territoires revendiqués. Les organisations possèdent ainsi le fardeau de la preuve dans le processus de négociation territoriale lors duquel ils doivent prouver qu’elles sont potentiellement titulaires de droits ancestraux non éteints. Pour se faire reconnaître un droit ancestral, les organisations autochtones doivent, entre autres, prouver leur occupation soutenue et exclusive du territoire revendiqué avant la souveraineté de l’État canadien107, la continuité des pratiques traditionnelles sur le territoire en question et du système de droit foncier autochtone (Dupuis 1991, arrêt Delgamuukw 1997, Charest 2001; 2003, Grammond 2013).

107 Établie avec la Proclamation royale de 1763 (Acte constitutionnelle 1982, arrêt Delgamuukw 1997).

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Le processus de négociation territoriale globale est élaboré à partir d’une vision en droit étatique de la propriété territoriale qui n’est pas nécessairement partagée par les membres des organisations autochtones. Un des problèmes relevés fréquemment est l’obligation des organisations autochtones engagées dans ces négociations à démontrer leur occupation exclusive du territoire ancestral revendiqué au moment de la souveraineté de l’État canadien ou, du moins, à démontrer le pouvoir historique et continu des organisations autochtones à exclure du territoire les non-membres de leur organisation (Burke 2000, Charest 2001; 2003, Nadasdy 2012, Grammond 2013, Thom 2014). Dans l’arrêt Delgamuukw

(1997), le juge Lamer évoque l’idée de considérer un titre exclusif partagé, titre de propriété déjà reconnu dans la common law. Ce titre permettrait à des organisations autochtones de diverses Nations de partager un titre aborigène sur un même territoire avec un pouvoir d’exclure d’autres Nations ou organisations de ces territoires. À ce jour, toutefois, aucun cas dans la jurisprudence canadienne n’a reconnu un titre exclusif partagé entre plusieurs organisations autochtones au sein d’un même territoire (Grammond 2013, Thom 2015).

Démontrer une occupation exclusive du territoire pour les groupes de tradition nomade comme les Atikamekw Nehirowisiwok s’avère une embûche à la progression des négociations territoriales globales. Par exemple, dans les négociations actuelles, les représentants des gouvernements du Québec et du

Canada ne sont pas prêts à reconnaître aux Atikamekw Nehirowisiwok des parties du territoire ancestral revendiqué sous prétexte que certaines parties sont aussi revendiquées par d’autres organisations autochtones (partie Sud, Cawanok) ou qu’une entente ait déjà été signée par d’autres peuples autochtones lors de la

Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) ayant pour effet d’éteindre les droits ancestraux relatifs au territoire conventionné. Nous

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reviendrons sur ce litige occasionné par la signature de la CBJNQ dans la prochaine section.

Dans le cas de la partie Sud (Cawanok) du territoire ancestral revendiqué par les Atikamekw Nehirowisiwok, il faut noter que cette partie est largement occupée par des non-autochtones. On y retrouve d’ailleurs la présence de centres urbains et industriels comme Trois-Rivières (Metaperotinik), Shawinigan (Acowinikan) et

Grand-Mère (Kokominanik). Selon des membres atikamekw nehirowisiwok de la Table des négociations, leurs vis-à-vis rejettent d’emblée l’idée de reconnaître des droits de propriété autochtones sur cette partie de territoire qui recense un nombre important de terrains privés.

Un autre problème qui survient avec la revendication de droits de propriété autochtones dans Cawanok (partie Sud du territoire ancestral) est l’obligation de la part des Atikamekw Nehirowisiwok de prouver une occupation continue du territoire depuis la souveraineté de l’État canadien. Étant donné que les familles atikamekw nehirowisiwok ont été repoussées depuis le XIXe siècle de Cawanok par les mouvements euro-canadiens de colonisation, il est difficile de prouver leur occupation et utilisation soutenues du territoire colonisé. De plus, les colons euro- canadiens installés dans Cawanok ont développé une économie largement centrée sur l’exploitation des ressources forestières, brimant l’accès soutenu et l’utilisation des territoires ancestraux par les familles atikamekw nehirowisiwok (Gélinas 2000, colloque territorial Wemotaci 2014).

Dans les ententes subséquentes à la signature de traités modernes, les parties s’entendent habituellement pour « découper » par catégories et délimiter les territoires ancestraux autochtones. Par exemple, la Convention de la Baie-James,

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signée le 11 novembre 1975 par les Eeyouch/Eenouch et les Inuit et les gouvernements du Québec et du Canada108, divise le territoire conventionné en trois catégories. Le territoire identifié comme « catégorie 1 » est décrit comme

étant à l’usage exclusif des membres autochtones. Il s’agit du territoire où sont situées les communautés autochtones et régies par des administrations locales

(1A) ou des corporations autochtones (1B). Dans le territoire de « catégorie 2 », les autochtones ont des droits exclusifs de chasse, de pêche et de piégeage et participent à la gestion de ces activités en partenariat avec le gouvernement du Québec et les intérêts privés. Le gouvernement du Québec a le pouvoir de donner le feu vert à des projets de développement sur ce territoire à des non-Autochtones moyennant des compensations aux membres autochtones signataires du traité.

Enfin, le territoire de « catégorie 3 » est défini comme une terre publique du Québec sur lequel les Autochtones et non-Autochtones ont des droits de chasse et de pêche (AADNC, en ligne).

L’objectif avec cette catégorisation et délimitation du territoire est de clarifier les droits et juridictions territoriaux à la fois pour les Autochtones, pour les gouvernements et pour le secteur privé. Ainsi, les gouvernements s’assurent de clarifier leurs droits de redevances liés à l’exploitation des ressources naturelles

(particulièrement le gouvernement provincial puisqu’il détient la compétence sur les ressources naturelles et les droits de propriété). Comme le soulignent Nadasdy

(2002, 2012), Egan (2013) et Thom (2014), cette délimitation et catégorisation du territoire font partie d’un mécanisme ayant pour effet de modeler les territoires ancestraux autochtones sur le modèle de la propriété privée pour faciliter la croissance des capitaux liée à la marchandisation des territoires et des ressources

108 Les Naskapis ont signé une convention similaire (Convention du Nord-Est québécois) le 31 janvier 1978.

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naturelles dans une logique capitaliste. Ce mécanisme a également pour effet d’inciter les Autochtones à réimaginer leur territoire ancestral et leurs relations avec celui-ci et à se redéfinir une identité ethnoterritoriale similaire au nationalisme

étatique (Nadasdy 2002; 2012, Egan 2013, Thom 2014).

Comme le mentionnait un négociateur du Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw, impliqué depuis plus de vingt ans dans les négociations territoriales, lors d’une rencontre à Wemotaci en 2014 :

On [membres atikamekw nehirowisiwok à la table des négociations] a expliqué notre vision de notcimik. Eux (les négociateurs des gouvernements) voient juste le bois, les arbres, les animaux. Ils veulent savoir combien d’argent ils font avec eux. Le gouvernement nous dit : « si votre territoire diminue, vous aurez plus d’argent. Si votre territoire grandit, vous aurez moins d’argent ». Nous, la forêt c’est notre survivance. On a toujours été sur le territoire. (…) Moi, je pense au territoire de nos ancêtres (…) le gouvernement nous dit d’oublier notre passé, notre identité. J’aimerais savoir pourquoi (Opitciwani iriniw, colloque territorial Waskamanakotatan kitaskino, Wemotaci 2014. Traduction simultanée nehiromowin/français par Edouard Chilton).

Tel que démontré dans cette thèse, les conceptions et les modes de relations entretenues par une partie importante des membres de la Nation Atikamekw Nehirowisiw avec leur territoire ancestral – notcimik, atoske aski, natoho aski et

Nitaskinan – sont peu compatibles avec les conceptions et les notions occidentales de territoire et de propriété privée. Notre étude portant sur les droits et responsabilités territoriales (tiperitamowina aski) nehirowisiwok dans le contexte contemporain démontre plutôt que les relations territoriales se définissent par un réseau complexe d’obligations réciproques entretenues entre les familles atikamekw nehirowisiwok, les animaux, les ancêtres et d’autres entités non-

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humaines visibles et invisibles. Les analyses des processus de négociations territoriales proposées par Nadasdy (2002) et par Thom (2014), par exemple, démontrent bien que la reconnaissance des droits de propriété autochtones par les institutions de l’État dans le cadre de ces négociations ne tient pas compte de ces relations complexes entretenues par des membres d’organisations autochtones au sein des territoires ancestraux revendiqués. Cependant, comme le souligne Brian Thom (2014 :3-4), malgré que certaines organisations autochtones décident de mobiliser dans leurs revendications les concepts de propriété privée, de frontières et de catégories des terres imposées par leur vis-à-vis étatique afin de faire reconnaître leurs droits territoriaux, elles tentent par la même occasion de faire reconnaître leurs propres conceptions et modes de relations territoriales à leurs interlocuteurs et de redéfinir les modèles d’organisation politique, juridique, sociale et économique de manière à ce qu’ils fassent sens pour elles.

6.4. Le Bill C-9 et l’extinction des droits ancestraux nehirowisiwok

La signature par les Eeyouch/Eenouch, les Naskapis et les Inuit de la Convention de la Baie-James (1975) et de la Convention du Nord-est québécois (1978) a eu pour effet d’éteindre les droits ancestraux autochtones au sein du territoire conventionné. À l’instar des Innus et des Anicinabek, les Atikamekw Nehirowisiwok109 revendiquent une partie du territoire conventionné duquel les droits ancestraux ont été éteints. Ces Nations autochtones n’ont jamais été consultées et n’ont jamais donné leur accord pour la signature de cette convention.

109 Ce sont principalement des familles membres de la communauté d’Opitciwan qui sont touchées par l’extinction des droits ancestraux sur une partie de leur territoire ancestral.

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Elles n’ont reçu aucune compensation liée à l’extinction de leurs droits sur cette partie de leur territoire ancestral.

Dans les dernières années, les Atikamekw Nehirowisiwok ont organisé plusieurs assemblées de consultation publique auprès de leurs membres pour connaître leur avis sur d’éventuelles démarches juridiques à entreprendre face à cette situation. Pour avoir assisté à quelques-unes de ces assemblées pendant mes séjours à

Opitciwan en 2014 et 2015, j’ai pu prendre connaissance de certains enjeux liés à cette démarche et des craintes ou appréhensions exprimées par certains membres de la communauté.

Les démarches juridiques pour renverser le Bill C-9 portant sur l’extinction des droits ancestraux adopté lors de la signature de la Convention de la Baie-James sont coûteuses, longues et le résultat est incertain. S’engager dans cette démarche exige des ressources de plusieurs millions de dollars afin de faire la preuve de l’occupation soutenue et exclusive du territoire dont les droits ancestraux sont déjà éteints. Les Atikamekw Nehirowisiwok doivent aussi faire la preuve qu’ils formaient avant la souveraineté de l’État canadien une Nation organisée et distincte par rapport à leurs voisins Eeyouch/Eenouch, Innus et

Anicinabek. Pour donner raison à la partie atikamekw nehirowisiw dans cette cause, le juge devrait nécessairement revenir sur la Convention et revoir la clause d’extinction des droits ancestraux sur une partie du territoire conventionné qui se veut un territoire mitoyen entre les familles des communautés eeyouch et atikamekw nehirowisiwok. Selon un avocat présent lors d’une assemblée, en plus de la Convention de la Baie-James, d’autres ententes (Paix des Braves, Loi sur la gouvernance) viennent compliquer la situation du chevauchement territorial avec les Eeyouch/Eenouch. Bref, emprunter la voie juridique s’avère être un risque

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coûteux. Cette démarche est coûteuse en temps et en argent, mais la démarche juridique peut également engendrer une extinction pratiquement irréversible du titre ancestral, et ce sans compensation, si les preuves juridiques sont considérées comme insuffisantes. Comme l’a mentionné un avocat lors d’une assemblée publique tenue à Opitciwan à l’automne 2014 : « En politique, tu peux avoir deux gagnants, deux parties qui font des compromis. Dans un procès, tu as nécessairement un gagnant et un perdant. »

La question des chevauchements territoriaux et de l’extinction des droits ancestraux autochtones causée par le Bill C-9 de la Convention de la Baie-James est revenue dans les manchettes ces dernières années avec la mobilisation formée par des représentants des Nations innus, atikamekw nehirowisiwok et anicinabek affectés par l’extinction des droits ancestraux sur le territoire conventionné. Suite à une rencontre tenue à Mashteuiatsh, les 8 et 9 octobre 2014, des représentants de ces organisations ont décidé de former une coalition afin de coordonner leur stratégie.

Le 13 novembre 2014, la coalition atikamekw nehirowisiw, innu et anicinabe a tenu une conférence de presse à Montréal pour contester l’extinction de leurs droits ancestraux sur le territoire couvert par la Convention de la Baie-James. Lors de la conférence de presse, les membres de la coalition ont clairement exprimé l’intention d’entamer des poursuites judiciaires envers le gouvernement du Québec et du Canada110. Les membres de cette coalition ont spécifié que leur requête ne vise pas à renverser la Convention, mais bien à faire reconnaître que la clause d’extinction est inapplicable pour les Nations autochtones non signataires. Un

110 Je tiens ici à remercier ma collègue Christine Tougas qui a pris la peine d’enregistrer et de me partager le document audio de la conférence de presse.

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recours devant les tribunaux n’est donc pas exclu par les membres de la coalition pour contester la clause d’extinction qui les affecte.

Les démarches entreprises par les Atikamekw Nehirowisiwok et les membres de la coalition ne visent pas directement les Eeyouch/Eenouch et les Inuit, signataires de la Convention, mais il semble que c’est la clause d’extinction des droits ancestraux contenue dans la Convention qui est la source du problème. Les membres de la coalition savent très bien que la vision de la propriété et de la catégorisation territoriale promue dans la Convention n’est pas celle de la majorité des Eeyouch/Eenouch, mais celle de leurs interlocuteurs étatiques.

Sur le terrain, les familles atikamekw nehirowisiwok qui possèdent des territoires mitoyens avec les familles eeyouch disent entretenir de bonnes relations et ne pas se fier aux limites tracées par la Convention, mais plutôt faire comme ils ont toujours fait : c’est-à-dire respecter l’autonomie des familles de chasseurs et entretenir les relations de réciprocité avec elles. Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, respecter l’autonomie des familles signifie respecter et reconnaître les droits, pouvoirs et responsabilités territoriales des familles ayant des relations ancestrales et intimes avec le territoire. Les concepts de « frontière » et de « propriété » tels que définis dans le droit étatique, même s’ils peuvent être utilisés dans le contexte des négociations territoriales, ne sont pas les plus appropriés pour discuter des visions et des relations juridiques, politiques, sociales et économiques entretenues par une partie importante des membres de Nations algonquiennes aujourd’hui. Comme l’a fait remarquer Christian Awashish, chef de la communauté d’Opitciwan lors de la conférence de presse de la coalition

(Montréal, 2014): « En vertu de la déclaration qui nous unit, nous affirmons vouloir entrer dans un processus de règlement sur le partage territorial en réaffirmant que

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le principe de frontières n’a jamais été un concept utilisé par les anciens et nous entendons respecter cet héritage ».

Le problème lié à l’extinction des droits ancestraux nehirowisiwok sur le territoire conventionné survient principalement lorsque des projets de développement et d’exploitations minières ou forestières ont cours sur ces territoires touchant les territoires familiaux eeyouch, atikamekw nehirowisiwok, innu ou anicinabek. Les acteurs allochtones ayant des intérêts privés liés à l’exploitation des ressources sur ce territoire s’en tiennent à respecter leurs droits et obligations affirmés par la

Convention de la Baie-James, mais n’ont aucune obligation à consulter et à s’entendre avec les membres des Nations atikamekw nehirowisiwok, innus et anicinabek étant donné que leur titre ancestral sur le territoire a été éteint par le traité. Pour reprendre les propos de Christian Awashish exprimé lors de la conférence de presse de la coalition :

On se fait imposer des règles du jeu issues de la Convention, de la Paix des braves… Nous, on est comme un peu des spectateurs. On subit les dommages faits au territoire. Les familles nous le rapportent continuellement. On fait quoi pour arrêter ça ? Il n’y a pas de volonté politique (de la part des gouvernements). Est-ce qu’on va devant les tribunaux? Est-ce que c’est vraiment les recours devant les tribunaux qui vont nous donner une aide morale, politique, juridique ? C’est vraiment une situation injuste (Montréal, le 13 novembre 2014).

Comme l’a fait remarquer un avocat lors d’une séance de consultation tenue à Opitciwan (octobre 2014), le Bill C-9 compris dans la Convention éteint les droits ancestraux autochtones pour les organisations non signataires, mais n’éteint aucunement les droits de propriété ou d’usage des Allochtones. À cet égard, selon l’avocat, le Bill C-9 peut être perçu comme anticonstitutionnel puisqu’il pourrait être décrit comme discriminatoire lorsqu’on se réfère à la Charte canadienne des droits

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et libertés et à la Déclaration des droits de l’homme qui garantissent l’égalité des droits. L’utilisation de cet argumentaire pour contester le Bill C-9 n’est pas exclue par les membres de la coalition innue, anicinabe et atikamekw nehirowisiw qui réfléchissent toujours à l’idée d’entreprendre des poursuites judiciaires (Sioui 2014, St-Pierre 2014).

6.5. Les politiques étatiques de la « reconnaissance », du « multiculturalisme » et de la « réconciliation »

Dans les dernières décennies, les revendications d’autodétermination autochtones ont régulièrement été formulées dans des termes de « reconnaissance » : reconnaissance des droits inhérents à l’autodétermination, reconnaissance des droits autochtones, reconnaissance des territoires ancestraux autochtones, reconnaissance de relations de « Nations à Nations », reconnaissance des obligations fiduciaires de la Couronne à l’égard des Autochtones, etc. (Tully 1995, Commission royale des peuples autochtones 1996, AADNC 1997; 2005, APN

2005, Coulthard 2007; 2014a; 2014b, ONU 2007, Povinelli 2012, Grammond 2013, Hébert 2013, Eisenberg et al. 2014, Williams 2014, Samson 2016). Cette stratégie discursive menée par des organisations autochtones au Canada et ailleurs dans le monde est liée au développement des « politiques de reconnaissance » au sein d’États de droit comme le Canada et d’organisations internationales comme l’Organisation des Nations Unies. Ces politiques et stratégies discursives s’appuient également sur tout un pan de littérature scientifique consacrée à réfléchir la coexistence, le respect et l’« accommodation » des groupes minoritaires et marginalisés, dont les Autochtones (Taylor 1992, Taylor et al. 1994,

Fraser 1995, Fraser et Honneth 2003).

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Pour Taylor (1992), Taylor et al. (1994), Fraser (1995) et Fraser et Honneth (2003), les politiques de reconnaissance doivent viser à équilibrer les relations de pouvoir entre les sociétés majoritaires et minoritaires et à améliorer substantiellement les pratiques de la justice distributive. En ce qui concerne les Autochtones, Glenn Coulthard (2014a) souligne que ces politiques tendent à renouveler les relations juridiques et politiques entre les Autochtones et les institutions étatiques, tout en incitant une forme de délégation de certains pouvoirs liés à la gouvernance territoriale et administrative de l’État vers les organisations autochtones. Pour Taylor (1993), Taylor et al. (1994) et Coulthard (2014a :3), les politiques de reconnaissance s’inscrivent dans le modèle du pluralisme libéral visant la « réconciliation » des nationalismes autochtones avec les nationalismes et souverainetés étatiques. Dans cette optique, les politiques de reconnaissance, comme décrites dans un large pan de la littérature depuis les travaux de Charles

Taylor, devraient permettre aux Autochtones de préserver leur « intégrité culturelle » et d’obtenir des pouvoirs de gestion accrus au sein des États de droits comme le Canada (Taylor et al. 1994, Tully 1995, Day 2000; 2001, Fraser et Honneth 2003).

Le problème soulevé par plusieurs auteurs (Tully 1995, Alfred 1999, Ivison et al.

2000, Povinelli 2002, Coulthard 2007; 2014a; 2014b, Simpson 2011, Hébert 2013, Williams 2014) est que dans la pratique, les politiques de reconnaissance appliquées par les États de droit comme le Canada ou l’Australie sont inscrites dans un régime où les rapports de pouvoir demeurent inégalitaires; où le ou les groupes « minoritaires » et « subalternes » se voient reconnaître des droits spécifiques et circonscrits par le ou les groupes « majoritaires » et « dominants ».

En prenant appui sur les travaux de Fanon (1967), Coulthard (2014a : 16-17) souligne : « recognition is not posited as a source of freedom and dignity for the

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colonized, but rather as the field of power through which colonial relations are produced and maintained » (emphase de l’auteur).

Dans ce contexte de pouvoir asymétrique, les droits et pouvoirs reconnus aux Autochtones sont encadrés par les institutions qui assurent que les principes et valeurs fondamentaux du ou des groupes dominants ne soient pas remis en cause. En fait, les limites imposées par les politiques de reconnaissance sont

établies en relation directe avec les intérêts et stratégies des États dans le maintien de leur souveraineté et dans la croissance économique (Povinelli 2002,

Coulthard 2007; 2014a, Hébert 2013, Williams 2014).

Régulièrement, les relations de pouvoirs inégalitaires entretenues par les institutions étatiques visent à faire perdurer un schème socioéconomique porté sur l’accumulation des capitaux grâce à l’exploitation des ressources naturelles présentes au sein des territoires autochtones (Op. cit.). Les droits autochtones peuvent être reconnus par les instances étatiques à la condition qu’ils ne briment pas les intérêts économiques et politiques de l’État (Tully 1995, Samson 1999;

2016, Nadasdy 2002, Povinelli 2002, Hébert 2013, Coulthard 2014b, Williams 2014,). Pour reprendre de nouveau les propos de Coulthard (2014b :169) :

[T]he primary mechanism through which the state has sought to secure [the colonial-capitalist expansion] has been a carefully circumscribed politics of recognition, one that demands indigenous peoples surrender their full political right to self-determination in exchange for the recognition of a limited set of cultural rights to be exercised solely within the parameters of state sovereignty and the capitalist mode of production.

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Selon Povinelli (2002), les formes libérales qui sont données aux politiques de reconnaissance, du multiculturalisme et de la réconciliation prennent leur source dans ce qu’elle nomme, la « sensibilité morale » ; le sentiment de culpabilité et le sentiment de « se sentir obligé de réparer les torts relatifs à l’histoire coloniale ». Mais ces politiques d’ « accommodement de la différence », nous rappelle l’auteure, servent surtout à assurer le maintien des structures de pouvoir politiques et économiques tout en « donnant bonne conscience » à ce que Povinelli (2002) nomme « les sujets juridiques libéraux », les individus et les institutions investis dans le projet néolibéral.

Dans son ouvrage The Cunning of Recognition (2002), Elizabeth Povinelli démontre comment dans la pratique les politiques de reconnaissance des gouvernements australiens ont pour effet de perpétuer l’hégémonie des idées libérales ou ce qu’elle nomme la « diaspora libérale » qui produit une certaine sujétion des Autochtones dans leurs processus de négociation et limite leur potentiel créatif. L’auteure discute de la manière dont ces politiques d’« accommodement à la différence » sont appliquées dans le contexte de négociation territoriale entre les Aborigènes et les institutions étatiques australiennes. Povinelli (1998, 2002) décrit bien les limites des négociations territoriales entre les Aborigènes et les institutions étatiques et dans différents jugements récents de la Cour suprême en lien avec le titre aborigène (« native title ») [arrêts Mabo (1992) et Wik (1996)]. Dans ces exemples, la portée du titre aborigène est restreinte par les exigences néolibérales liées à la croissance

économique et à l’exploitation des ressources naturelles.

À l’instar de Tully (1995), Povinelli (2002) souligne que les revendications autochtones autour de la « reconnaissance mutuelle » sont souvent articulées

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dans les termes et le langage imposés du constitutionnalisme moderne; langage faisant autorité et ayant pour effet insidieux d’exclure l’altérité radicale – la différence considérée « nocive » et « répugnante » (selon les termes de l’auteure) – et de justifier une uniformité ou une « altérité acceptable » construite sur la base des valeurs néolibérales. Ces politiques de reconnaissance et d’autodétermination en œuvre depuis les années 1970 sont la plupart du temps décrites comme des « politiques d’autogestion » où les Autochtones apprennent davantage à gérer leur dépendance face à l’État qu’à définir et mettre en place leurs propres projets de société (Op. cit.).

Comme plusieurs organisations autochtones engagées dans les processus de négociations et dans la stratégie discursive de la reconnaissance, une partie importante des membres de la Nation atikamekw nehirowisiw est bien au fait de ces risques. Dans ces conditions, qu’est-ce qui pourrait bien motiver les organisations autochtones, comme le Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw,

à poursuivre dans cette voie ? Étant donné les relations de pouvoirs inégalitaires et les risques causés par la voie des négociations, pourquoi les organisations autochtones mettent autant d’efforts et d’énergies à définir et à se faire reconnaître un titre aborigène basé sur un système de droit coutumier avalisé par l’État ? Ces questionnements ne sont pas nouveaux et sont régulièrement soulevés par les chercheurs travaillant en contextes autochtones au Canada, en Australie ou ailleurs. Ces questions sont aussi régulièrement soulevées par les organisations autochtones, comme le Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw, qui choisissent consciemment de prendre le risque de s’engager à leur manière dans cette voie. Dans la section suivante et plus en détail dans le chapitre suivant, nous porterons un regard sur les démarches entreprises par les Atikamekw Nehirowisiwok; les stratégies, les désirs, les visions et les projets pensés et mis en

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pratique par les Atikamekw Nehirowisiwok dans un contexte de négociation territoriale et un projet d’autodétermination.

6.6. Les politiques de la reconnaissance from below et la résurgence des autochtones

Comme nous l’avons vu précédemment, les relations de pouvoir sont définies par cette corrélation agonistique entre sujétion et libération dont chaque personne et organisation sont porteuses (Comaroff 2001, Ortner 2006, Tully 2008a; 2008b).

Cela rejoint par ailleurs les propos de Lamba (2014) alors qu’elle analyse les relations de pouvoir entretenues entre les groupes minoritaires et les institutions

étatiques au travers des politiques de reconnaissance dans divers contextes nationaux. Selon Lamba (2014), les politiques de reconnaissance favorisent l’application de dispositifs qui peuvent être à la fois « disciplinaires » et « émancipateurs ». Le pouvoir disciplinaire est présenté dans les techniques néocoloniales de domination selon lesquelles, les institutions étatiques assurent le maintien d’une hiérarchisation des pouvoirs au travers de leurs politiques (Op. cit.).

Malgré les dispositifs de pouvoir asymétrique que présentent les politiques de négociations et de reconnaissance, certaines organisations autochtones et auteurs comme James Tully (1995, 2008a, 2008b), Glen Coulthard (2007, 2014a), Rinku Lamba (2014), Jakeet Sinh (2014) et Melissa Williams (2014) soulignent toutefois les possibilités émancipatrices et de résurgences que possèdent les Autochtones dans les revendications et négociations articulées autour des politiques de reconnaissance.

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Comme le souligne le philosophe politique James Tully (1995, 2008a, 2008b), les demandes autochtones articulées autour de la reconnaissance de leurs droits à l’autodétermination doivent être comprises à partir de leurs propres critères et termes de références. Selon Tully, les Autochtones engagés dans ce processus dialectique travaillent non pas tant à « jouer le jeu » passivement des institutions

étatiques, mais à critiquer, repenser et réviser autant la forme que le contenu des politiques et des procédures de négociation avec leurs vis-à-vis étatiques. Par cet exercice d’appropriation, de différenciation et d’ « indigénisation », les organisations autochtones exercent une « agencéité du projet » et une « agencéité du pouvoir » (Ortner 2006). Il y a ici toute une série de stratégies discursives et dialectiques dont font preuve à la fois les membres d’organisations autochtones et

étatiques dans leurs processus de négociation et dans le développement de leurs orientations politiques. L’idée ici n’est pas tant de faire une analyse substantielle de ces pratiques et stratégies, mais plutôt de souligner l’importance de celles-ci dans la transformation et le maintien des mécanismes de pouvoir qui présentent à la fois une facette « disciplinaire » et « émancipatrice ».

James Tully (1995, 2008a, 2008b) et Jakeet Singh (2014) soulignent l’importance d’une approche from below qui tient compte des pratiques et des projets de reconnaissances portés par les acteurs non étatiques, dont les membres des organisations autochtones. Cette approche suggère que l’analyse des relations de pouvoir produites et entretenues par les politiques de reconnaissances ne doit pas considérer uniquement les conditions et cadres imposés par les institutions

étatiques concernant l’ « accommodement à la diversité culturelle », mais aussi prendre en compte les utilisations et appropriations culturelles des politiques :

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Paying attention to a politics of recognition and self-determination from below, in particular, is crucial because it sheds light on the praxis of those most marginalized by, and often most resistant to, dominant norms and institutions – those whose hardships, practices, capabilities, insights, and movements for change are easily and routinely ignored, overlooked, misunderstood, or underestimated (Singh 2014:69).

Cette analyse from below des politiques de reconnaissance, rejoint ce que

Coulthard (2007 : 456, 2014a :17-18) nomme self-recognition et resurgent politics of recognition; qu’il définit comme un processus de réévaluation critique, de créativité et de déploiement des principes et pratiques normatifs autochtones dans un contexte de négociation avec les institutions étatiques. La continuation et la transmission des savoirs normatifs autochtones peuvent ainsi être décrites comme une composante d’une politique de « reconnaissance émancipatrice » et d’un

« travail de (re)constitution de soi » (Williams 2014 :6). Cette approche de la reconnaissance from below rejoint de très près le mouvement actuel autour de la résurgence autochtone, mouvement porté, entre autres, par plusieurs auteurs, intellectuels et activistes autochtones du Canada, dont Taiaiake Alfred (1999,

2005), John Borrows (2002, 2010, 2016), Glenn Coulthard (2007, 2014a, 2014b), LaDonna Harris et al. (2011), Leanne Simpson (2011), Val Napoleon (2012), Val

Napoleon et Hadley Friedland (2014, 2016), Audra Simpson et Andrea Smith (2014), pour n’en nommer que quelques-uns.

Cette littérature autour de la résurgence autochtone élaborée par des auteurs et intellectuels autochtones met l’accent sur une forme de résistance autochtone basée sur l’affirmation des philosophies autochtones comme praxis transformative servant de force médiatrice et d’alternative politique. Cette résurgence autochtone dans les politiques de reconnaissance implique que les Autochtones se positionnent eux-mêmes comme « créateurs des termes et des valeurs à partir

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desquels ils doivent être reconnus » (Coulthard 2007 :450, ma traduction). Les

« politiques résurgentes de la reconnaissance », pour reprendre les termes de Coulthard (2007, 2014a), trouvent ainsi leur fondement dans les historicités, les traditions, les épistémologies et ontologies autochtones. Elles supposent ainsi une affirmation et une régénérescence de la langue, de la tradition orale et des systèmes politiques et d’autorités territoriales ancestraux. En ce sens, les politiques résurgentes de la reconnaissance sont vues par certains intellectuels autochtones comme proposant des alternatives au projet (post)colonial néolibéral (Coulthard 2007, Simpson 2011). Ces politiques résurgentes représentent, selon les termes de Blaser (2004), l’expression de « projets de vie autochtones », basés sur les principes épistémologiques et ontologiques autochtones et se mobilisant concrètement dans les pratiques quotidiennes et dans les mobilisations autochtones autour de la reconnaissance de leurs droits.

L’auteur et activiste anicinabe Léanne Simpsons (2011) souligne l’importance de la régénérescence (Aanji Maajitaawin) dans le processus de réconciliation et de résurgence autochtones. L’auteure appelle aux valeurs, philosophies et

épistémologies autochtones pour cheminer vers ce rééquilibrage, ce re- balancement des pouvoirs. Dans son optique, Aanji Maajitaawin, est central dans la philosophie et le processus politique anicinabek de rééquilibrage des relations de pouvoir. En ceci, elle rejoint d’autres auteurs et intellectuels autochtones comme LaDuke (1992), Alfred (1999, 2005), Borrows (2002, 2010, 2016), Coulthard (2007, 2014a, 2014b), Napoleon (2012), Napoleon et Friedland (2014,

2016) qui reconnaissent le potentiel émancipateur des langues, philosophies, valeurs et savoirs normatifs autochtones.

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Par exemple, l’auteure autochtone Winona LaDuke (1992, en ligne) discute de la portée philosophique et pratique du concept anicinabe minobimaatisiiwin (miro pimatisiwin en nehiromowin) :

« Minobimaatisiiwin » - it means both the « good life » and « continuous rebirth ». In minobimaatisiiwin, we honor one another, we honor women as the givers of lives, we honor our Chi-Anishinabeg, our old people and ancestors who hold the knowledge. We honor our children as the continuity from generations, and we honor ourselves as a part of creation. Implicit in minobimaatisiiwin is a continuous habitation of place, an intimate understanding of the relationship between humans and the ecosystem and of the need to maintain this balance.

Miro pimatisiwin (en nehiromowin, selon l’orthographe standardisée) réfère à une philosophie de l’existence et de coexistence harmonieuse des ancêtres et des générations à venir. Comme nous l’avons vu dans les chapitres 3 et 4, cette philosophie de l’existence soutient un rapport intrinsèque entre le passé, le présent et le futur dans les pratiques quotidiennes (nehirowisiw opimatisiwin). Les réflexions partagées par les Atikamekw Nehirowisiwok autour de la signification profonde du miro pimatisiwin rejoignent de près les propos tenus par l’anicinabe Winona LaDuke citée précédemment et les propos de l’anicinabe John Borrows

(2016) et de l’Ojibwa Michael McNally (2009) qui traduisent ce terme comme « bien-vivre » ou « vie équilibrée, en mouvement et dynamique ». D’une certaine façon, le terme miro pimatisiwin rejoint le concept miro watikosiwin discuté dans la première section du chapitre 3. Ce dernier concept est utilisé pour parler d’une personne qui a un bon comportement ou de bonnes habiletés et qui apporte une contribution à la vie sociale et aux réseaux de solidarités nehirowisiwok.

Miro pimatisiwin propose une philosophie de l’existence qui se trouve au cœur de l’ordre normatif nehirowisiw. Cette philosophie fait appel à un ensemble de

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pratiques et de principes normatifs dont nous avons déjà discutés dans les chapitres 3 et 4, mais ce qui semble déterminant à retenir ici c’est que l’exercice de cette philosophie de l’existence peut possiblement servir de base à une politique résurgente de reconnaissance autochtone. Nous poursuivrons cette réflexion dans le chapitre suivant à partir des enseignements transmis par nos partenaires à la recherche dans le cadre du projet collectif d’élaboration du code de pratiques nehirowisiw et de la Constitution de Nitaskinan.

Conclusion

Ce chapitre adresse une réflexion critique sur les mécanismes de pouvoir présents dans la politique des négociations territoriales globales et aussi plus largement dans les politiques néolibérales de reconnaissances autochtones. Nous discutons, par exemple, des effets de l’approche axée sur les résultats, des obligations de la dette, du fardeau de la preuve et de la clause d’extinction des droits ancestraux.

Nous avons vu que ces mécanismes présents dans le processus de négociation vers la signature d’un traité moderne sont interreliés et s’autolégitiment.

Le chapitre propose une analyse des relations de pouvoir qui sont décrites comme dynamiques parce qu’elles se définissent dans l’interaction entre personnes et institutions qui négocient, reproduisent, « indigénisent » et transforment des régimes et des dispositifs en place (Sahlins 1999; 2007, Tully 2000; 2008, Comaroff 2001, Ortner 2001; 2006). Même si, comme nous l’avons vu dans ce chapitre, les politiques étatiques de reconnaissance s’inscrivent dans un paradigme néolibéral limitant la portée émancipatrice des Autochtones, ces

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derniers ne possèdent pas moins la capacité d’exercer une forme de résistance reliée à l’expression créative de leurs propres visions et philosophies. En articulant leurs revendications, à la fois dans leurs propres termes (selon leurs principes ontologiques et épistémologiques) et dans les termes de l’État, ils exercent une forme de résistance organisée autour de leurs projets d’autodétermination. Ils expriment ainsi de manière concomitante une « agencéité du pouvoir » et une « agencéité du projet » (Ortner 2006).

Dans le chapitre suivant, nous développerons un peu plus sur les visions et stratégies articulées par les Atikamekw Nehirowisiwok parallèlement et en relations étroites avec les politiques de négociations territoriales globales et les politiques de reconnaissances. Plus particulièrement, nous ferons état des discussions et des réflexions exprimées par les membres de la Nation atikamekw nehirowisiw autour du projet d’élaboration du code de pratiques nehirowisiw et de la Constitution de Nitaskinan, démarches devant mener à la création et à la reconnaissance de la part de l’État canadien d’un gouvernement atikamekw nehirowisiw autonome. Ces projets sont portés par des visions et des pratiques d’autodétermination, de pouvoir et de responsabilité territoriale (nehirowisiw otiperitamowin) concordante avec une philosophie de l’existence (nehirowisiw opimatisiwin) favorisant l’équilibre dans les relations entre les ancêtres et les générations futures et entre les humains et les non-humains. Ces projets visent aussi à assurer un devenir qui répond aux valeurs et aux savoirs normatifs nehirowisiwok.

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Chapitre 7

Orocowewin notcimik itatcihowin : Le projet d’élaboration du code de pratiques et l’articulation de projets de société nehirowisiwok dans le contexte des négociations territoriales globales

Introduction

Ce dernier chapitre de la thèse dresse un portrait de la démarche actuelle des Atikamekw Nehirowisiwok autour de l’élaboration de leur code de pratiques visant la transmission intergénérationnelle des savoirs normatifs liés aux activités en forêt et la documentation et la reconnaissance de leur droit coutumier dans le contexte des négociations territoriales globales. Dans un tel contexte de négociation, les Atikamekw Nehirowisiwok désirent, à l’instar d’autres peuples autochtones du

Canada, faire reconnaître leur droit coutumier en tant que source non négligeable de leurs droits ancestraux et titre aborigène.

Comme il a été discuté dans le chapitre précédent, cette démarche comporte plusieurs enjeux et défis reliés étroitement à des politiques étatiques qui favorisent l’entretien des rapports de pouvoir asymétriques. Dans ces relations de pouvoir, les Atikamekw Nehirowisiwok ne sont pas des sujets passifs, ils travaillent depuis des décennies à mettre en œuvre leurs « projets de vie » (Blaser 2004) et à développer des stratégies communes de résistance créatrice visant la transformation progressive des relations de pouvoir et la reconnaissance de leur système d’autorité territoriale. Ils élaborent, par exemple, divers mécanismes afin

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de donner une place importante aux aînés et aux responsables territoriaux (ka nikaniwitcik) dans les prises de décisions politiques (Houde 2011, 2014). Je définis ici le concept de « résistance créatrice » comme une forme de résistance diversifiée et innovatrice organisée autour des projets multiples dans lesquels les personnes et institutions sont engagées et autour de la multiplicité des façons dont ces projets se nourrissent et se rencontrent. Cette forme de résistance mettant de l’avant une « agencéité du projet » (Ortner 1995) est produite en relation étroite avec les valeurs et principes ontologiques et épistémologiques fondamentaux pour les membres d’organisations autochtones. En même temps, les pratiques de résistance sont créatives en ce sens qu’elles s’expriment dans des démarches contemporaines de négociations et dans des contextes politico-juridiques spécifiques et dynamiques. Cette forme de résistance organisée autour d’une « agencéité du pouvoir » et des « projets de vie autochtones » suggère que, dans ces démarches de négociations, les organisations autochtones ont la capacité de faire leur propre relecture culturelle des principes et pratiques juridiques étatiques et contribuent à la création de pratiques et de discours de résistance (Blaser 2004, Ortner 2006). En ce sens, le concept de résistance créatrice rejoint de très près le concept de « contemporanéité autochtone » développé par Poirier (2000) et discuté dans le chapitre 5 de cette thèse. La résistance créatrice est un terme mieux choisi, je pense, que le terme de « résurgence » qui sous-entend un délaissement et une recrudescence de la tradition culturelle. Ce processus linéaire de perte et de réaffirmation ne correspond pas, selon moi, à la vision des Atikamekw Nehirowisiwok de leurs propres démarches d’autodétermination

(souveraineté), de transmission des savoirs normatifs et de reconnaissance de leur système d’autorité territoriale.

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7.1. Nehirowisiw otiperitamowin

7.1.1. Les déclarations de souveraineté d’Atikamekw Nehirowisiw

Dites-leur que nous n’avons jamais cédé notre territoire, que nous ne l’avons jamais vendu, que nous ne l’avons jamais échangé, de même que nous n’avons jamais statué autrement en ce qui concerne notre territoire. (César Néwashish, le 7 avril 1994)

Le 8 septembre 2014, les chefs de bande des trois communautés et le Grand-chef de la Nation atikamekw nehirowisiw ont organisé une conférence de presse à l’Assemblée nationale du Québec lors de laquelle ils ont déposé officiellement la

Déclaration de souveraineté d’Atikamekw Nehirowisiw (Nehirowisiw otiperitamowin) (voir annexe 3) qui a été adoptée à l’unanimité par les représentants élus de la Nation. Les représentants politiques atikamekw nehirowisiwok ayant orchestré cette déclaration sont clairs : il s’agissait d’une affirmation d’un état de fait, les Atikamekw Nehirowisiwok n’ayant jamais cédé leur souveraineté territoriale. Depuis plusieurs décennies, ils développent des outils et des stratégies politiques afin d’affirmer leurs responsabilités, pouvoirs et droits territoriaux, éléments qui sont indissociables à l’exercice de leur souveraineté.

Le concept nehirowisiw otiperitamowin a été largement mobilisé dans cette thèse pour faire valoir les conceptions nehirowisiwok de droit, de responsabilité, d’autorité et de pouvoir. Il s’agit du même concept qui est utilisé par les représentants politiques du CNA lorsqu’ils discutent de « souveraineté » (nehirowisiw otiperitamowin) ou de « souveraineté territoriale » (tiperitamowin aski). Nous aurons la possibilité dans les prochaines sections de ce chapitre, de revenir sur ces conceptions nehirowisiwok et de discuter des enjeux liés à leur

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traduction. Pour l’instant, je pense qu’il peut être nécessaire de mettre en contexte la déclaration de souveraineté qui a fait les manchettes dans les médias à l’automne 2014 et qui a presque aussitôt été reléguée aux oubliettes par les médias et les membres de la société civile allochtone qui, encore une fois, n’ont pas pris au sérieux cette déclaration. D’ailleurs, au lendemain de la Déclaration, le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, a fait une sortie publique pour assurer aux membres de la société civile et aux industries ayant des intérêts sur le territoire revendiqué que la Déclaration n’avait aucune force de droit et que le gouvernement du Québec conservait sa juridiction sur l’ensemble du territoire de la province.

La conférence de presse du 8 septembre 2014 au sujet de la Déclaration de souveraineté d’Atikamekw Nehirowisiw survient quelques jours après l’élection du

Grand-Chef et quelques mois après le jugement Williams (juin 2014) qui reconnaît un titre aborigène au sein du territoire ancestral Tsilhqot’in au Nord de Vancouver en Colombie-Britannique. Ce jugement souligne que tout projet d’exploitation des ressources sur le territoire doit obtenir le consentement des représentants de la

Nation autochtone ayant un titre ancestral reconnu. L’arrêt Tsilhqot’in (2014), à l’instar de l’affaire Guérin (1984), spécifie que les titres aborigènes sur les territoires ancestraux sont décrits comme étant un droit sui generis, droit tirant sa source non pas dans la common law ou le droit civil, mais dans les régimes juridiques autochtones préexistants111 (Lacasse 2004, Grammond 2013, Borrows 2002; 2016).

111 Dans l’arrêt Delgamuukw (1997, par. 186) par contre, le juge suggère plutôt que le titre aborigène doit être défini à la fois par la perspective juridique de la common law et des régimes juridiques autochtones (voir également la Commission royale sur les peuples autochtones 1993 :20).

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Ce jugement de la Cour suprême a encouragé les représentants politiques atikamekw nehirowisiwok à poursuivre leur démarche autour de l’affirmation et de la reconnaissance de leur souveraineté, de leur ordre normatif et de leur système d’autorité territoriale. Comme l’a souligné Constant Awashish, le Grand-Chef de la Nation atikamekw nehirowisiw suite à la Déclaration de souveraineté de 2014 et en référence au jugement Williams : « Il est fini le temps de la négation des droits non cédés par les Atikamekw, au profit d'un État qui impose ses règles comme si ces droits n'existaient pas. Notre juridiction, nos règles et nos conditions devront désormais être respectées » (Radio-Canada, en ligne). Quelques mois après la

Déclaration de souveraineté de 2014, le Grand-Chef et les représentants élus de la Nation ont décrété que le 8 septembre serait dorénavant considéré comme la journée de la Fête nationale d’Atikamekw Nehirowisiw. Ce jour férié pour les travailleurs et pour les étudiants au sein des trois communautés permet l’organisation d’activités sociales et culturelles et l’affirmation de la souveraineté d’Atikamekw Nehirowisiw. Par exemple, le 8 septembre 2016, à l’occasion de la

Fête nationale, le CNA a dévoilé les nouveaux panneaux qui ont commencé à être placés sur Nitaskinan, le territoire ancestral revendiqué, pour affirmer leur présence aux Allochtones (voir annexe 4).

Pour plusieurs de mes interlocuteurs des communautés, ce n’est pas la première fois que les Atikamekw Nehirowisiwok déclarent publiquement leur souveraineté.

Certains disent que la citation de César Néwahish mise en exergue au début de cette section constituait également une véritable déclaration de souveraineté.

Cette déclaration avait été faite par César, un aîné de Manawan respecté des membres des trois communautés, quelques jours avant son décès. Des membres de l’équipe des négociations étaient allés le visiter à l’hôpital pour le consulter. C’est alors qu’il a fait cette déclaration qui a été et est encore souvent

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commémorée à différentes occasions dans les colloques territoriaux et lors des allocutions publiques des représentants politiques atikamekw nehirowisiwok.

La Déclaration de souveraineté faite le 8 septembre 2014 par des représentants politiques élus des Atikamekw Nehirowisiwok n’a pas fait l’unanimité au sein des membres de la Nation. Pour certains, les représentants politiques n’avaient pas à « déclarer » une souveraineté qui n’a jamais été cédée. Pour d’autres, les propos tenus par César Néwashish quelques jours avant sa mort constituent la véritable Déclaration de souveraineté d’Atikamekw Nehirowisiw. Ces propos de César ont pour certaines personnes plus de poids que la Déclaration effectuée par des représentants élus aux conseils de bande et au CNA. Certains autres membres de la Nation ne critiquent pas tant la Déclaration comme telle, mais auraient préféré que cette initiative soit prise de manière consensuelle par l’ensemble des membres de la Nation et non uniquement par les représentants élus. Pour ces personnes, cette déclaration du 8 septembre aurait dû être faite différemment, de manière collective afin que tous soient engagés dans cette démarche. Comme nous le verrons dans les sections suivantes, cette recherche du consensus est fondamentale dans la réalisation du projet d’autodétermination d’Atikamekw Nehirowisiw.

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7.1.2. L’application de la souveraineté d’Atikamekw Nehirowisiw

On n’a rien à négocier ou faire reconnaître quoi que ce soit. On doit seulement continuer à faire ce que l’on a toujours fait. On n’a pas à demander la permission de le faire. On peut tout simplement exercer nos droits ancestraux, notre souveraineté (Opitciwani iriniw, colloque territorial d’Opitciwan).

Le chapitre 5 de cette thèse discute de la territorialité et des régimes territoriaux nehirowisiwok (wectatowin aski). Il fait mention, par exemple, de l’importance de l’occupation territoriale comme moyen à la fois de connaître les dynamiques du territoire et d’acquérir une forme d’autorité et de souveraineté territoriale

(tiperitamowin aski). Dans cet esprit, occuper le territoire, notcimik, atoske aski, kitaskino, Nitaskinan, et y laisser ses traces est une expression de la souveraineté territoriale. Les panneaux dévoilés par le CNA le 8 septembre 2016 visent en quelque sorte à affirmer l’occupation des familles atikamekw nehirowisiwok au sein de Nitaskinan, le territoire revendiqué.

Les membres des communautés et du CNA ont développé plusieurs initiatives dans les dernières années pour favoriser l’occupation et l’utilisation des territoires de chasse familiaux, et ceci pour différentes raisons : pour assurer la transmission des savoirs territoriaux, de la langue et de l’autorité territoriale, pour la pratique de rituels ou pour la guérison et le bien-être. Le chapitre 5 discute aussi largement des initiatives communautaires et intercommunautaires liées à l’entretien et à l’utilisation des mohonan et des moteskano, les axes de circulation entretenus et transmis par les ancêtres. Dans le chapitre 5, il est également discuté la revalorisation des ka nikaniwitcik dans les processus décisionnels reliés aux questions territoriales. Notons, par exemple, les démarches menées par le Conseil

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de la Nation Atikamekw Nehirowisiw et les conseils de bande depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000 dans le but créer un Conseil de territoire dont la structure doit être formalisée dans la Constitution de Nitaskinan112 (Poirier

2010, Houde 2011; 2014, CNA 2015c). Ce genre d’initiatives menées par les Atikamekw Nehirowisiwok visant à mobiliser les ka nikaniwitcik dans différentes démarches de gestion et de co-gestion territoriales peuvent être comprises comme une forme de résistance créatrice dans la mesure où ces initiatives s’accordent à des pratiques et principes ancestraux dans le contexte actuel de négociation et de coexistence territoriales113.

Depuis les années 1980, les membres des communautés atikamekw nehirowisiwok organisent entre deux et quatre semaines culturelles pendant l’année scolaire (à l’automne et au printemps) lors desquelles les familles séjournent au sein de leur territoire de chasse familial. Pendant cette période, les écoles, les conseils de bande et les services sociaux des trois communautés atikamekw nehirowisiwok ferment leurs portes. Ceci pour encourager les employés et les jeunes à fréquenter leur territoire. Tout au long de l’année, plusieurs autres initiatives familiales et communautaires sont entreprises pour favoriser l’occupation des territoires, la transmission des savoirs normatifs et les démarches individuelles et collectives de guérison et de bien-être (voir aussi chapitre 5).

112 Il existe actuellement un Conseil provisoire du territoire, dont la structure et l’implication sont déterminées contextuellement. Les discussions et assemblées de consultation autour du code de pratiques et de la Constitution de Nitaskinan visent, en partie, à définir et à formaliser la structure du Conseil de territoire, aussi décrite comme une « coalition » de chefs de territoire (CNA 2015c). 113 Ce genre de démarches est mené également d’autres communautés et Nations autochtones du Québec et du Canada. Par exemple, dans les années 1990, les Innus de Mashteuiatsh se sont dotés d’un Bureau des services territoriaux qui avait le mandat de régler les problèmes d’accès et d’utilisation des territoires ancestraux des chasseurs innus (Côté 1994). Dans l’objectif de permettre aux membres de la communauté d’acquérir un pouvoir de gestion territoriale supplémentaire qui leur soit délégué par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, le Bureau a développé 4 codes de pratiques et a formé des agents territoriaux innus (Op. cit.). Les codes de pratiques ont subi des révisions mineures au fil des années (Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, en ligne).

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Ce genre d’initiatives exprime une forme d’« agencéité du projet » où les membres de la Nation exercent dans la pratique un certain pouvoir, une mise en œuvre de leurs volontés (Ortner 2006). Ce pouvoir est organisé autour de « projets de vie autochtones » menés en étroites relations avec les valeurs, aspirations et principes épistémologiques et ontologiques locaux (Blaser 2004). En même temps, ces initiatives sont l’expression d’une résistance créatrice, diversifiée et innovatrice en ce sens qu’elles sont définies de manière collectives et hétérogènes par les membres de la Nation et qu’elles sont mobilisées directement et indirectement dans les démarches de négociation territoriale auprès des institutions étatiques.

Ces quelques initiatives et projets exposés précédemment revêtent un sens qui est

à la fois politique, identitaire et spirituel. La fréquentation régulière du territoire permet d’acquérir et d’utiliser les savoirs territoriaux transmis par les aînés. Elle permet aussi d’acquérir une certaine autorité et souveraineté territoriale. Fréquenter le territoire de chasse familial permet aussi de vivre une expérience intime avec un lieu d’appartenance et d’origine (notcimik), territoire qui est façonné par les ancêtres et qui est aussi le lieu d’appartenance et d’origine pour les générations à venir. Cette relation intergénérationnelle au notcimik est décrite comme essentielle au maintien de l’équilibre social et à une philosophie de l’existence (nehirowisiw opimatisiwin) fondée sur une ontologie relationnelle.

Notcimik accueille également la pratique de certains rituels comme la tente de sudation (matotasowin), la tente tremblante (kocapitcikan) ou le « rain dance », pratiques qui favorisent l’entretien des relations avec les esprits des ancêtres (kimocominowok, opwakanak) présents au sein de notcimik et qui portent et transmettent des enseignements aux personnes qui sont engagées dans cette démarche. Ces pratiques et types de relations intimes et spirituelles entretenues

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avec les ancêtres et les entités non-humaines de notcimik s’avèrent également l’exercice d’une forme d’autorité et de souveraineté territoriale.

Dans cette thèse, nous avons abordé principalement les pratiques et principes normatifs reliés aux activités de chasse, de pêche et de récolte des végétaux que les membres du CNA documentent dans le processus d’élaboration du code de pratiques nehirowisiw. Les pratiques rituelles mentionnées ci-dessus

(matotasowin, kocapitcikan et « rain dance ») proposent également un ensemble important de règles qui ne sont pas incluses dans le code de pratiques actuel. Il s’avère que la mise à l’écrit de ces savoirs dans un contexte de dialogues avec les institutions étatiques pose plusieurs risques liés à la distorsion et à la dérision potentielle des savoirs rituels par les vis-à-vis étatiques. Dans les prochaines sections, nous approfondirons ces questions autour de la mise à l’écrit, de la traduction et de l’interprétation du droit coutumier nehirowisiw à partir du travail mené autour du code de pratiques nehirowisiw (orocowewin noticimik itatcihowin).

7.2. Orocowewin notcimik itatcihowin : le code de pratiques nehirowisiw

7.2.1. La base territoriale et les principes territoriaux

Les processus de consultations menés tout au long du projet d’élaboration du code de pratiques ces dernières années ont conduit à la rédaction de plusieurs documents qui sont toujours identifiés comme « document de travail » ou

« document pour consultation seulement ». Lors du colloque territorial auquel j’ai

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participé à Opitciwan au printemps 2015, trois documents principaux étaient discutés : outre le code de pratiques (« orocowewin notcimik itatcihowin ») (CNA 2015a), qui réunit un ensemble de règles reliées aux activités de chasse, de pêche et de récolte des végétaux, un document titré « Notcimik » (CNA 2015b) que l’on identifie comme la « base territoriale » et un document portant sur les principes territoriaux (« Kiskeritamowina e aspictaiikw askik itekera ») ont été distribués et discutés lors du colloque.

Le premier document (« Notcimik »), réunissant un ensemble de savoirs liés aux animaux (leurs comportements, l’utilisation des leurs parties corporelles), aux plantes (leurs caractéristiques, leurs utilisations), au climat (marqueurs de changement de climat sur les animaux, insectes, neige, eau, influences de la lune et des vents sur le climat), est le plus volumineux des trois. Le document sur les principes territoriaux (« Kiskeritamowina e aspictaiikw askik itekera ») décrit les valeurs guidant les activités de gestion territoriale (tipahiskan) et le système d’autorité et de responsabilité territoriales (tiperitamowin aski) basé sur les savoirs territoriaux (kaskina nehirowisi kiskeritamowina). Le document souligne, par exemple, le rôle des ka nikaniwitcik dans la résolution des litiges territoriaux et dans la transmission et la distribution des territoires de chasse familiaux.

L’emphase est mise sur la flexibilité du système des territoires de chasse familiaux qui tient compte « de l’histoire familiale, des décès et des alliances tissées à travers le temps » (CNA 2015c). Dans ces processus de transmission et de distribution des responsabilités et des droits territoriaux, la tradition orale demeure importante. Elle assure le maintien de cette flexibilité et une forme d’ « autonomie

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relative » (Morphy 2011, Morphy et Morphy 2013114) des institutions locales et du droit coutumier dans le contexte contemporain.

Comme pour le document sur la base territoriale et les principes territoriaux, le code de pratiques (Orocowewin notcimik itatcihowin) demeure encore à ce jour à la phase de proposition et considéré comme un « document de travail ». Il fait état surtout d’un ensemble d’obligations visant à assurer le respect des animaux et des plantes et la préservation des relations équilibrées avec ces derniers. Ce document comprend un certain nombre d’interdictions de comportements pouvant

être jugés irrespectueux envers les plantes et les animaux, pouvant réduire la disponibilité des ressources ou pouvant nuire au maintien des réseaux de réciprocité entre les familles.

Ces travaux sont étroitement liés les uns aux autres. En fait, l’exercice mené ces dernières années visait à ce que le code de pratiques soit le résultat d’une mise en commun des savoirs territoriaux (contenus dans la base territoriale) et des principes territoriaux. Pour les membres du groupe de travail portant sur le code de pratiques, il était essentiel de mettre en relation les règles de conduite concernant les activités de chasse, de pêche et de récolte avec les savoirs reliés aux comportements des animaux, des utilités et utilisations des plantes et en lien aussi avec les principes guidant les formes d’autorité territoriale transmises par les ancêtres.

114 Le concept d’ « autonomie relative » est utilisé par Howard et Frances Morphy pour désigner cette articulation complexe des savoirs locaux dans les dynamiques d’enchevêtrement, de coexistence, de résistance et de négociation au sein des institutions et systèmes locaux (intra- systémique) et entre les institutions et systèmes locaux et exogènes (inter-systèmique) (Morphy 2011, Morphy et Morphy 2013).

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Ces trois documents ont été réalisés selon un processus de consultation auprès des aînés et des ka nikaniwitcik des trois communautés. Les colloques territoriaux organisés à Wemotaci (2014) et à Opitciwan (2015, 2016) visaient à discuter de ces travaux, d’en valider le contenu et d’y apporter des ajouts ou des modifications. Les échanges tenus dans ces colloques ont été enregistrés et diffusés dans les trois communautés et aux membres vivants à l’extérieur des communautés via les radios communautaires et la Société de communication

Atikamekw-Montagnais (SOCAM), ce qui fait qu’une partie importante des membres de la Nation a accès aux informations et peut participer aux échanges directement ou par l’entremise d’un représentant de leur famille. D’abord, l’ensemble du processus a permis aux membres de la Nation de mettre en commun un ensemble d’expériences et de savoirs familiaux. Cette démarche a permis également aux membres de la Nation de discuter d’un projet de société et d’élaboration d’un gouvernement atikamekw nehirowisiw qui soit issu des valeurs et principes normatifs véhiculés par les aînés et les responsables territoriaux.

7.2.2. Notcimik itatcihowin : règles et pratiques normatives au sein du territoire d’origine et d’appartenance

Nous avons vu au chapitre 3 que le concept miro watikosiwin est utilisé en nehiromowin pour nommer une personne ayant un bon comportement. Ce concept rejoint celui de miro pimatisiwin qui signifie « bonne existence », « qui a une vie équilibrée » ou « art de bien vivre ». Dans le cadre de cette thèse, je discute également de la locution orocowewin notcimik itatcihowin qui est le concept utilisé par les membres du Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw (CNA) pour « code de pratiques ». Cette traduction semble s’être standardisée assez

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récemment (printemps 2015) et est utilisée dans le cadre des derniers documents de travail et de consultation élaborés par les membres du CNA (2015-2016), documents qui pourront être intégrés à la Constitution de Nitaskinan115 sur laquelle s’appuierait éventuellement un gouvernement autonome atikamekw nehirowisiw.

Dans les dernières années, plusieurs autres concepts ont été utilisés pour parler du code de pratiques. Ces concepts se rejoignent intimement, ce qui fait que leur traduction en français ne semble pas être suffisante pour les distinguer clairement (même si cet exercice a été répété à plusieurs occasions auprès des technolinguistes atikamekw nehirowisiwok et d’autres interlocuteurs). Avant le printemps 2015, j’utilisais régulièrement le concept notcimik itatisiwin, concept plus englobant faisant référence au mode de vie au sein de notcimik. Après plusieurs échanges auprès des membres du comité de travail sur le code de pratiques, il est ressorti que le concept itatcihowin est plus adéquat. Selon mes partenaires à la recherche, ce concept est plus précis, renvoyant à une « manière de vivre » basée sur l’application de règles de conduite (irakonikewin) partagées par les institutions familiales. Il y a ici une nuance très subtile entre les concepts « itatisiwin » et

« itatcihowin » qui est difficile à expliquer (et à comprendre) en français. Pour résumer et pour simplifier, nous pouvons dire que la locution notcimik itatcihowin est utilisée par les Atikamekw Nehirowisiwok pour discuter des pratiques normatives; des comportements respectant les règles du bien-vivre ensemble au sein de leur univers forestier, au sein de notcimik. Tandis que la locution notcimik itatisiwin renvoie largement à un « mode de vie » qui n’implique pas nécessairement l’application de pratiques normatives. Ainsi, dans le processus d’élaboration du code de pratiques nehirowisiw, il semblait important pour mes

115 Il s’agit de la Constitution territoriale élaborée par les membres de la Nation atikamekw nehirowisiw (le travail autour de la Constitution est toujours en cours ; voir chapitre 2).

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partenaires à la recherche, membres du CNA, d’utiliser et de faire valoir un concept (notcimik itatcihowin) plus en phase avec leur conception du « comportement normatif » en lien avec les activités au sein de notcimik.

Le concept orocowewin inclus dans la locution orocowewin notcimik itatcihowin renvoie à une prise de décision consensuelle. Littéralement, orocowewin pourrait être traduit par « ce qui est décidé ensemble ». Ce concept peut également référer à un grand projet collectif, d’ordre politique ou autre ou à une orientation à prendre (un chemin de vie). Certains documents du CNA (1998, 2009) élaborés dans le contexte des revendications d’autonomie gouvernementale et d’élaboration de la Constitution de Nitaskinan traduisent ce concept par : décision, règlement, loi, résolution, arrêt, décret. La locution orocowewin notcimik itatcihowin pourrait être traduite en français par : « projet de société d’élaboration des règles du vivre-ensemble au sein de notre univers forestier ; lieu d’origine et d’intimité ». En d’autres termes, le processus d’élaboration du code de pratiques nehirowisiw se veut un projet collectif et consensuel visant à actualiser les pratiques, principes et processus normatifs de manière cohérente et en conformité avec les principes

épistémologiques et ontologiques transmis par les ancêtres.

7.2.3. Orocowewin : projet de société consensuel et retour sur la notion d’autorité

Les structures politiques imposées avec la Loi sur les Indiens ont nécessairement eu des effets sur les modèles d’organisations politiques autochtones, ayant dû s’adapter aux exigences étatiques (Morissette 2004, 2007). Le système des

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conseils de bande imposé aux Premières Nations avec la Loi sur les Indiens

(1876) est un appareil administratif élaboré par le gouvernement fédéral dans l’objectif d’uniformiser et de contrôler l’organisation politique et administrative des réserves autochtones (Op. cit.).

Selon des membres du Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw, la rupture dans la transmission des savoirs due à la période des pensionnats autochtones a

également eu un effet sur les manières de faire la politique de certaines personnes qui ont délaissé les modes traditionnels de prise de décisions. Il y a une certaine critique énoncée par des membres de la Nation envers des représentants de conseils de bande ou de la Table des négociations au CNA qui auraient par le passé pris des décisions sans consulter les aînés et les membres des communautés. Selon des interlocuteurs, certaines « crises » politiques sont survenues chez les Atikamekw Nehirowisiwok dans les dernières années et dernières décennies parce que certaines personnes n’ont pas respecté le système de prise de décision qui correspond au système d’autorité transmis par les ancêtres. Pour ces personnes, les pensionnats ont eu un rôle de déstructuration culturelle, mais aussi de déstructuration politique parce qu’ils ont entravé la transmission d’un savoir-faire et d’un savoir-être politique qui est pourtant toujours valorisé aujourd’hui par une partie importante des membres de l’organisation. Pour certains, ce n’est pas tant les dirigeants politiques qui sont pointés du doigt, mais plutôt leur méconnaissance des savoirs-faire et des savoirs-être politiques transmis par leurs aïeuls. Ces savoirs politiques sont liés étroitement à un système d’autorité qui favorise une décentralisation et diffusion des pouvoirs au travers des institutions familiales. Les projets collectifs autour des négociations territoriales globales et du code de pratiques nehirowisiw ont permis aux représentants

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politiques de la Nation atikamekw nehirowisiw de mieux connaître et de mettre en pratique ces savoirs politiques transmis par les aînés.

À différentes occasions, j’ai eu la chance de discuter avec des interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok ayant eu un rôle à jouer comme représentants politiques

(dans les conseils de bande ou au CNA) et comme chercheurs autodidactes dans le contexte des négociations territoriales. Ces interlocuteurs ont, depuis les années

1980, rencontré les aînés des trois communautés dans le but de réaliser des travaux portant sur l’occupation et l’utilisation des territoires de chasse ancestraux.

Ces chercheurs et représentants politiques ont agi à titre de médiateurs culturels, tentant de formuler leur recherche de manière à faire sens pour les aînés, tout en répondant aux attentes des anthropologues, des avocats et des négociateurs embauchés pour mener à terme les négociations territoriales (Charest 2003,

2005).

Un des chercheurs et ancien représentant politique atikamekw nehirowisiw ayant contribué aux travaux de la Grande recherche (CAMROUT) (1981-1983) et qui travaille en ce moment sur le code de pratiques nehirowisiw et les négociations territoriales globales m’a fait part de certains défis et enjeux qui se sont posés à lui alors qu’il devait rencontrer les aînés dans le cadre des recherches et des consultations :

Quand on rencontre les aînés, parfois ils ne veulent pas trop parler. Ils nous dirigent vers d’autres aînés et disent : « demande à lui ; lui, il pourra te le dire ». Les aînés ne veulent pas trop répondre à nos questions par peur de représailles des autres familles. Ils ne veulent pas qu’on leur reproche d’avoir dit telle ou telle chose lorsque le document [sur le code de pratiques] sera complété. Même pendant la Grande recherche c’était comme cela. Les aînés ne répondaient pas

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tout de suite. Ils allaient se consulter. Lorsque l’aîné disait au chercheur : « va voir un tel », il allait lui-même voir cette personne et lui demandait ce qu’il avait dit au chercheur ou ce qu’il allait lui dire. Dans les négociations, il faut procéder de cette façon. Il faut de la consultation. Ce sont les chefs de territoire qui sont responsables du territoire. Ce sont eux qui ont l’autorité territoriale. Ce sont les habitudes et les habitudes sont difficiles à changer (Wemotaci iriniw, juillet 2015).

Les membres des communautés atikamekw nehirowisiwok tiennent à ce que les décisions politiques d’envergure, comme la mise en place d’un code de pratiques, de la Constitution de Nitaskinan, de la signature d’un traité moderne ou de la création d’un gouvernement autonome atikamekw nehirowisiw, soient prises de manière consensuelle, qu’elles soient l’œuvre d’un réel projet de société (orocowewin). Cette volonté est généralement bien entendue parmi les membres du CNA et des conseils de bande des communautés qui tentent de respecter à la fois les exigences des membres des communautés et les exigences de leurs vis-à- vis étatiques. Dans les processus politiques valorisés par les membres des communautés et du CNA les aînés et les ka nikaniwitcik doivent jouer un rôle de premier plan dans les prises de décisions et dans les consultations.

Dans ces démarches, les ka nikaniwitcik jouent le rôle de représentants familiaux et font part des questionnements, craintes et volontés exprimées par les membres de leur famille pour toutes les questions relatives à la gestion des territoires de chasse familiaux. Pour certains interlocuteurs, les conseils de bande ne devraient tout simplement pas prendre des décisions concernant les questions territoriales. Pour eux, ce sont les ka nikaniwitcik qui possèdent la responsabilité territoriale et qui sont en mesure de prendre des décisions sur ce qui les concerne. Selon un ancien conseiller élu du conseil de bande de Wemotaci et aussi impliqué depuis plus de trente ans dans les négociations territoriales:

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Ce n’est pas le conseil de bande qui a l’autorité territoriale. Ce sont les responsables des territoires familiaux [ka nikaniwitcik]. Ce sont eux qui peuvent prendre des décisions en lien avec leur territoire. Le conseil [de bande] est responsable de la gestion des argents des gouvernements pour veiller au fonctionnement de la communauté, des maisons, des écoles, des services sociaux, de la santé… (Wemotaci iriniw, été 2015)

Dans les projets qu’ils élaborent, les membres du CNA travaillent régulièrement en comité avec les aînés et responsables de territoires familiaux (ka nikaniwitcik).

Comme nous l’avons vu plus tôt, les travaux issus de ces comités sont par la suite discutés dans le cadre de colloques ou d’assemblées réunissant un ensemble d’acteurs politiques des conseils de bande et du CNA et des responsables de territoire familiaux. On y retrouve également des représentants jeunesse et d’autres membres des communautés. Le but de ces assemblées est de tenir compte de la pluralité des expériences afin de travailler à la construction d’un projet commun qui respecte la pluralité des perspectives. Certains de mes interlocuteurs impliqués dans l’organisation de ces rassemblements soulignent que, pour être réalisés, des projets comme le code de pratiques ou la Constitution de Nitaskinan doivent nécessairement être issus d’un consensus : « On ne peut pas arriver avec un code de pratiques déjà écrit. Les gens vont tout de suite le rejeter. Les gens doivent sentir que ça vient d’eux, que ce soit consensuel »

(Wemotaci iriniw, juillet 2014).

La forme que prennent ces colloques et assemblées est elle-même assez flexible. Comme le souligne l’un des organisateurs du colloque territorial tenu à Wemotaci en 2014 :

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Quand on organise des rassemblements, on n’écrit pas toute la programmation. On parle de thèmes que l’on voudrait aborder avec les gens, le pourquoi que nous voulons organiser un rassemblement, mais on ne fait pas vraiment une programmation définitive. Ce n’est pas de l’improvisation, mais on fait confiance aux gens. On a confiance que chacun puisse amener quelque chose, une contribution. Il y a des leaders [chez les Atikamekw Nehirowisiwok]. On fait confiance aux leaders. Ils vont apporter quelque chose. On aborde informellement des sujets qu’on voudrait discuter, mettre en pratique, mais chacun apporte sa propre contribution. Ce n’est pas moi qui décide de ce que les gens vont faire ou dire, mais je fais confiance et les choses se font par elles- mêmes et de la bonne façon (Wemotaci iriniw, 2014).

En nehiromowin, on utilise le concept natokiskeritamowin, pour annoncer la tenue d’une assemblée de consultation visant à réunir une diversité de points de vue et d’expériences. Le terme natokiskeritamowin pourrait être traduit par la « mise en commun des savoirs » ou encore l’ « inventaire des connaissances ». De mon point de vue, en s’appuyant sur les savoirs politiques des aînés, les Atikamekw

Nehirowisiwok exercent dans leurs pratiques de consultation une forme de résistance à l’émergence et à l’établissement d’un pouvoir centralisé. Ils démontrent plutôt un penchant vers une prise de décisions consensuelles qui respecte la pluralité des perspectives et des expériences vécues, comme de l’autonomie de chaque personne à vivre ses propres expériences et à acquérir ses propres connaissances. L’important, dans tous ces processus de consultations menés par les Atikamekw Nehirowisiwok, n’est pas tant d’arriver à une vision unique et homogène, mais d’assurer un espace de partage des savoirs et des expériences. Il s’agit également d’un moment important pour rappeler les paroles et les visions portées par les aînés afin d’assurer une certaine cohésion dans les actions présentes et futures, actions cohérentes avec les visions, valeurs et pratiques des ancêtres.

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7.3. Les enjeux liés à la traduction, à la formalisation et à l’encodage des pratiques et principes normatifs nehirowisiwok

7.3.1. Le choix des termes et l’exercice de traduction

Dans le cadre des négociations territoriales, il y a nécessairement un travail de traduction à faire pour rendre intelligible les pratiques et conceptions politico- juridiques nehirowisiwok à leurs interlocuteurs allochtones et, inversement, de rendre intelligible les pratiques et conceptions politico-juridiques étatiques aux membres des communautés atikamekw nehirowisiwok. Ce travail de traduction est en soi laborieux pour les Atikamekw Nehirowisiwok qui doivent s’assurer d’utiliser des équivalences qui ne soient pas uniquement fonctionnelles, mais bien homéomorphes ; des analogies conceptuelles qui tiennent compte des écarts épistémologiques et ontologiques des cultures (Panikkar 1999, Eberhard 2013). Selon le philosophe François Jullien (2008 : 135), les problèmes de traduction conceptuelle se posent nécessairement à chaque tentative de correspondance et de comparaison transculturelles. Selon lui, cet exercice de comparaison et de traduction doit tenir compte à la fois de la présence de l’écart obligé entre les cultures comme de zones de rencontres où l’on peut admettre la présence d’un certain sens commun sans cesse réactualisé au travers d’un processus d’intelligibilité (2008 : 158-159).

Comme il est discuté dans cette thèse, les concepts nehirowisiw otiperitamowin et tiperitamowin aski sont régulièrement utilisés par mes interlocuteurs pour décrire les conceptions de la responsabilité et des droits territoriaux. Mes interlocuteurs savent très bien que le concept tiperitamowin n’est pas analogue ni au concept occidental de droit ni au concept occidental de propriété. Il s’agit plutôt d’une

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conception homéomorphe – qui présente une analogie fonctionnelle, mais qui est d’une nature tout à fait différente.

Dans le contexte des négociations territoriales, les Atikamekw Nehirowisiwok doivent traduire non seulement des mots, mais aussi des valeurs, des principes

épistémologiques et ontologiques (Nadasdy 2002, Poirier 2004b; 2013; 2017, Blaser 2009a; 2009b; 2013a). Nous avons vu dans le chapitre 5 et le chapitre 6 que le concept de « propriété territoriale » est central dans ces négociations autour de la reconnaissance des droits ancestraux autochtones et dans l’élaboration des traités modernes. Comme le souligne Nadasdy (2002), la conception de la « propriété territoriale », comme entendue par le droit étatique, n’est pas nécessairement compatible avec les types de relations développées et entretenues par les Autochtones participant au processus de négociation.

Toutefois, même si ces conceptions ont pu influencer les représentations et les pratiques autochtones vis-à-vis le territoire, l’utilisation du concept par les membres d’organisations autochtones dans le cadre des négociations ne suggère pas nécessairement qu’ils renient leurs propres valeurs et modèles de relations sociales entretenues avec le territoire. Ce concept peut également être compris et exprimé par les membres des organisations autochtones à partir de leurs propres visions et pratiques territoriales. Les processus de traduction doivent alors inévitablement s’intéresser aux utilisations empiriques des termes dans ces contextes de négociation à la fois politique et ontologique (Op. cit.).

Spécifions, dans un premier temps, la difficulté vécue durant mon étude à cerner des termes nehirowisiwok qui pourraient être homéomorphes aux concepts de

« droit » ou de « justice ». Cette difficulté, également partagée par des linguistes atikamekw nehirowisiwok et par des membres atikamekw nehirowisiwok de la

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Table des négociations territoriales, provient d’abord du fait que ces conceptions demeurent largement abstraites et issues d’une logique ou d’une rationalité particulière. Par ailleurs, entamer le dialogue à partir des terminologies occidentales n’est peut-être pas la démarche souhaitable en vue de donner une place réelle aux épistémologies et aux ontologies autochtones.

En désirant inclure les concepts nehirowisiwok dans cette recherche doctorale, j’ai dû fréquemment les valider et m’assurer que leur utilisation et leur traduction soient acceptées par les « experts » en linguistique. Toutefois, il n’est pas toujours

évident de savoir qui sont les « experts ». Lorsque je travaille avec des technolinguistes atikamekw nehirowisiwok, il y a un certain nombre de concepts qu’ils peuvent me traduire et m’expliquer. Dans le cadre de leur travail, les technolinguistes font régulièrement appel aux aînés pour valider et s’assurer de leur bonne compréhension des termes nehirowisiwok, même s’il s’agit de termes issus de leur langue maternelle. Lorsque je discute avec des technolinguistes des concepts nehirowisiwok pouvant se rapporter aux domaines des négociations territoriales ou au code de pratiques, les gens se montrent plus prudents. Une technolinguiste rencontrée m’explique : « L’équipe des négociations territoriales vient tout juste de nous demander cela. Je ne sais pas comment traduire les concepts français [en nehiromowin]. Ce sont eux [membres de l’équipe de négociation] qui sont les mieux placés pour faire ces traductions. Ce sont eux qui savent ce qu’ils entendent par là. Ils parlent la langue [nehiromowin] eux aussi » (Opitciwani iskwew, février 2015).

Dans les réunions organisées par les membres du comité de travail sur le lexique, nous avons souvent eu des discussions autour de ces enjeux de la traduction. Comme membre du comité et comme chercheur, nous avons toujours des

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questionnements à savoir : qui possède l’autorité pour traduire? Qu’est-ce qui peut

être traduit ? Comment peut-on traduire afin de respecter les conceptions autochtones sans les amputer de leurs sens profonds ? Comment traduire tout en respectant les valeurs, l’épistémologie et l’ontologie nehirowisiwok ? Comment utiliser les concepts juridiques étatiques pour faire valoir les valeurs et principes nehirowisiwok ?

Ces questionnements ne sont pas nouveaux ni en anthropologie ni pour les Atikamekw Nehirowisiwok qui sont engagés depuis quelques décennies déjà dans ces démarches de traduction culturelle dans le contexte des négociations territoriales globales. Par exemple, l’idée d’élaborer un lexique des termes de négociation avait déjà été discutée lors du colloque sur l’autonomie gouvernementale à Trois-Rivières du 6 au 8 mai 1993 et le Conseil de la Nation

Atikamekw Nehirowisiw a déjà mandaté des chercheurs autodidactes atikamekw nehirowisiwok pour réaliser ce genre d’exercice. Ces lexiques développés depuis les années 1990 sont disponibles au Centre d’archives du CNA et ont été utilisés par notre groupe de travail. Ces lexiques, comme pour plusieurs autres travaux, sont décrits comme « documents de travail » ou « documents non officiel ». Au travers des échanges avec les autres membres du comité sur le lexique, j’ai pu constater que les traductions et les utilisations des concepts changent avec le temps. Ces changements dans les utilisations des concepts et dans les exercices de traduction ne sont pas nécessairement liés à une « meilleure » utilisation de la langue, mais à des changements sur les manières de vivre, de penser et de percevoir les relations de pouvoir avec les interlocuteurs étatiques. Nous aurons la chance d’y revenir avec des exemples concrets dans la section 7.4.

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7.3.2. Le passage de l’oral à l’écrit

Dans certaines décisions116, la Cour suprême du Canada a invité les juges à considérer le contenu des traditions orales autochtones comme source légitime de preuve reliée à l’occupation ancestrale du territoire et au droit coutumier autochtones. Selon ces décisions, les récits autochtones117 devraient pouvoir, en Cour de justice, donner des éléments de preuves servant à illustrer les modèles d’occupation territoriale, les normes de conduite et les régimes fonciers autochtones (Miller 2011, Grammond 2013). Comme le mentionne le juge de première instance David H. Vickers dans la décision Tsilhqot’in c. Colombie- Britannique de 2007 :

Many of the oral histories and oral traditions I was privileged to hear in this case were woven with history, legend, politics and moral obligations. This form of evidence is a marked departure from the court’s usual fare and poses a challenge to the evaluation of the entire body of evidence. Courts generally receive and evaluate evidence in a positivist or scientific manner: a proposition or claim is either supported or refuted by factual evidence, with the aim of determining an objective truth. However, in cases such as this, the “truth” which lies at the heart of the oral history and oral tradition evidence can be much more elusive (par. 137).

Les juges reconnaissent que la tradition orale autochtone peut être utilisée comme source valide de preuves reliées à l’occupation territoriale, par exemple, mais comme il est explicité par le juge de première instance118 dans la décision

116 R. c. Van der Peet (1996), Delgamuukw c. B.-C. (1997), Mitchell c. M.N.R (2001). 117 Sous la forme de témoignages d’aînés devant la cour, d’enregistrement audio ou de transcription écrite (Grammond 2013 :242). 118 Pour toutes les causes, les éléments de preuves juridiques doivent nécessairement être déposés par la poursuite à la Cour de première instance qui juge de la validité de la preuve. La poursuite ne peut déposer de nouvelles preuves à la Cour d’appel ou à la Cour Suprême. Dans la

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Tsilhqot’in de 2007, le fait que les versions historiques présentées par la tradition orale soient changeantes et non homogènes d’un locuteur à un autre pose un sérieux défi à la Cour qui doit trancher sur des « degrés de probabilités » (par. 147

à 166). Comme le soulignent Cruikshank (1998), Poirier et Niquay (1999), Miller (2011) et Grammond (2013), malgré cette ouverture, la tradition orale autochtone doit, pour être prise au sérieux, trouver une certaine correspondance auprès des « savoirs experts » des historiens et des anthropologues, par exemple, qui utilisent un langage et une rhétorique qui sont familiers aux juges. Souvent, soulignent ces auteurs, la tradition orale autochtone n’est pas prise au sérieux parce que les versions historiques présentées par les aînés autochtones, ayant pourtant une autorité reconnue au sein des organisations autochtones, sont souvent déstabilisantes pour les juges qui ne sont pas prêts à accorder une valeur à des évènements qu’ils considèrent comme surnaturels ou contradictoires aux versions

« officialisées » de l’histoire119. Dans cette situation, le juge peut avoir tendance à discréditer la preuve parce qu’elle ne correspond pas, selon lui, à une production rigoureuse de la « vérité ». Pour pallier cet écueil, Grammond (2013) suggère que les juges ne devraient pas avoir à juger de l’objectivité ou de la véracité du contenu de la tradition orale, mais devraient tout simplement tenir compte des relations subjectives et intersubjectives au territoire exprimées par le biais de la tradition orale. N’empêche que pour le juriste Grammond (2013), le droit étatique est actuellement beaucoup plus à l’aise d’élaborer ses jugements à partir de preuves

écrites qui sont validés par des « experts » reconnus (historiens, anthropologues, criminologues, etc.). L’adoption, par les organisations autochtones, de l’écrit et

décision Tsilhqot’in de 2007, les preuves orales ont été admises, mais articulées avec les preuves historiques et ethnohistoriques, proposant une représentation unifiée de l’histoire de l’occupation territoriale. 119 Dans la décision Tsilhqot’in de 2007, le juge distingue par exemple les « légendes » des « histoires d’événements réels » (par. 435).

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d’un langage juridique familier pour les praticiens du droit étatique facilite donc, selon Grammond (2013 :373), la reconnaissance des ordres normatifs autochtones par le droit étatique.

L’exercice de la traduction, de l’interprétation et de la mise à l’écrit du droit coutumier autochtone porte en soi un risque de distorsion lorsqu’il est interprété par un juge allochtone formé en droit étatique et n’ayant pas les connaissances suffisantes des ordres normatifs autochtones. Selon l’utilisation qui en est faite, la mise à l’écrit du droit coutumier peut également venir transformer les systèmes d’autorité en place réduisant, par exemple, le rôle et le statut des aînés dans la répartition et la transmission des savoirs normatifs et des responsabilités territoriales.

Dans les discussions autour de l’élaboration du code de pratiques nehirowisiw, certains interlocuteurs ont mentionné leur malaise à écrire et à formaliser des « règlements » dans une forme qui n’est pas la leur. Certains ont le sentiment qu’une fois écrit, ce code ressemblerait à ce que les institutions étatiques (allochtones) « imposent » à ces citoyens, ce qui viendrait limiter leur autonomie et non la défendre.

Selon son utilisation, le droit coutumier autochtone, une fois mis sous forme écrite et formalisé, peut venir figer et circonscrire des règles et des pratiques normatives qui se veulent pourtant souples et adaptées au contexte d’application. Comme le mentionne Cruikshank (1998 : 70), le droit coutumier (non écrit) met l’accent sur le

« processus juridique » de résolution des conflits plutôt que sur le « produit juridique », encodé puis réifié. Le droit coutumier exprimé à travers la tradition orale peut alors être compris comme « activité sociale » qui s’articule et

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s’adapte selon le contexte d’application et le rôle et statuts des acteurs concernés

(Rouland 1988, Cruikshank 1998).

Comme il a été mentionné dans cette thèse, certains interlocuteurs privilégient la transmission des savoirs et des règles de conduite par le biais de la tradition orale.

Selon ces interlocuteurs, les récits partagés par leurs ancêtres contiennent les éléments nécessaires afin d’assurer la transmission des savoirs normatifs liés à la vie et aux valeurs nehirowisiwok. Assurer le respect et la transmission de ces savoirs par le biais de la tradition orale est en soi un acte d’autonomie, de pouvoir et de responsabilisation. Selon l’auteure et activiste anicinabe Léanne Simpson (2011), le fait de transmettre ces récits peut même être interprété comme un acte implicite ou explicite de résistance ; une manière d’assumer sa souveraineté et sa différence en dépit des rapports de pouvoir inégaux et des politiques assimilatrices. Ce mode de transmission s’inscrit par ailleurs dans le système d’autorité local.

Dans mes échanges avec mes partenaires à la recherche atikamekw nehirowisiwok, on m’a souvent expliqué que les aînés, qui sont représentés comme figures d’autorité et gardiens des savoirs, choisissent à qui et à quel moment ils transmettent leurs connaissances et leurs récits (voir également chapitre 2)120. Aussi, selon mes partenaires à la recherche, les porteurs de savoirs ne vont pas transmettre l’ensemble de leurs connaissances à une seule et unique personne. Ils partageront une partie de leurs savoirs à différentes personnes,

120 À cet égard, j’invite les lecteurs à visionner le court métrage « Rien sur les mocassins » réalisé par Eden Mallina Awashish de la communauté d’Opitciwan par l’entremise du Wapikoni mobile. Dans ce vidéo, la réalisatrice essuie un refus de sa grand-mère invitée à partager ses savoirs sur les mocassins, prétextant que le contexte n’était pas approprié. Le film ne porte donc pas tant sur les savoirs artisanaux, mais sur les modalités coutumières de transmission des savoirs et des systèmes d’autorité nehirowisiwok : http://www.wapikoni.ca/films/rien-sur-les-mocassins

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habituellement aux personnes auxquelles ils ont également transmis une partie de leur responsabilité territoriale et familiale. Ce sont les aînés qui choisissent quelle partie de leurs savoirs ils transmettent et à qui ils la transmettent. Selon certains, ce mode de transmission des savoirs est lié à une philosophie profonde qui repose sur l’équilibre, la cohésion sociale et la répartition équitable des savoirs et des pouvoirs. L’idée dans cette façon de faire est d’abord de répartir les savoirs et les responsabilités et d’amener les personnes et les familles à travailler ensemble, à

échanger et à apporter leur propre contribution. En ce sens, ce modèle de transmission des savoirs participe à assurer une cohésion sociale et à une répartition équitable des droits, des pouvoirs et des responsabilités.

La transmission des savoirs par le biais de la tradition orale est également étroitement liée à la transmission des rôles, des statuts et des responsabilités.

Comme il a été évoqué dans cette thèse (particulièrement dans les chapitres 3, 4 et 5), les Atikamekw Nehirowisiwok reconnaissent le statut, la contribution et l’autorité des personnes dans des domaines particuliers. Ces rôles, pouvoirs et responsabilités sont souvent transmis au sein des familles et en lien direct aux savoirs familiaux développés et transmis au sein des territoires de chasse familiaux. Dépendamment de l’utilisation qui en est faite, la mise à l’écrit des savoirs des aînés a pour effet de modifier en partie ce mode de transmission des savoirs, de l’autorité et des responsabilités.

Dans les différentes rencontres et dans les échanges informels, certains membres de la Nation ont donc exprimé un certain scepticisme face à la mise à l’écrit de leur droit coutumier qui devrait venir définir leurs droits ancestraux – exprimant la crainte, par exemple, que cet exercice vienne limiter leurs droits ancestraux plutôt

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que d’assurer leur application légale. Certains disent aussi que cet exercice est un désaveu à l’égard du rôle et de l’autorité des aînés.

Lors du colloque territoriale tenu à Opitciwan en 2015, un jeune de la communauté exprime sa crainte que la mise à l’écrit du code de pratiques vienne transformer le système d’autorité territorial traditionnel:

Ce que je pense de ce document : on a transcrit tout ce que les aînés ont raconté, leurs connaissances, etc. C'est comme si on les a trompés. Quand on aura effectué notre travail sur le code et si on l'adopte sans qu'on connaisse vraiment son contenu, alors le gouvernement sera le premier à se réjouir de notre décision. Il n'y a pas très longtemps, avant les fêtes, j'ai fait un rêve. J'ai rêvé que nos trois communautés habitaient maintenant dans un seul et gros village. Nous cohabitions maintenant dans un seul et même endroit. Puis on a entendu des rumeurs qui annonçaient l'arrivée du kokocew qui venait pour saccager notre village. Les aînés ont alors dit aux gens de se préparer, de préparer tout ce qui nous est utile et de préparer aussi tout notre stock de nourriture traditionnelle, gibier, viande, etc., et d'aller cacher tout ça dans les bois pour ne pas qu'il soit détruit. Puis le kokocew arrive au village, il ressemblait à un chien et était tout en métal et son visage ressemblait à celui d'un homme qui avait les yeux très clairs. Il s'en va voir en premier ceux qui l'ont aidé pour les tuer et il était très content de les tuer. Après, il a saccagé le gros village, je vois des femmes fuir dans les bois avec leurs enfants. Puis moi aussi, je me prépare pour fuir quand deux femmes viennent me voir pour me donner leurs mocassins qu'elles gardaient depuis longtemps en me disant : prends ces mocassins pour les amener avec toi, ce sont nos seuls biens qu'il nous reste. C'est ça qui a été mon rêve. Et quand je réfléchis aux documents qu'on est en train de discuter, je me demande où cela va nous mener. Je ne sais pas quelle décision va être prise quand le travail sur le code sera terminé, mais je ne peux pas dire que tout ça soit très bon. Ça peut être très néfaste pour nous si on réfléchit de son impact sur notre avenir, si on tient compte de toutes les barrières que le gouvernement veut nous imposer. C'est tout ce que je voulais dire pour l'instant dans notre assemblée. Je vous remercie de m'avoir écouté.

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L’hésitation reliée à la mise à l’écrit du droit coutumier vient certainement d’une crainte liée à son utilisation par des institutions allochtones. Il faut dire que l’héritage colonial a affecté lourdement la confiance que les membres de la Nation atikamekw nehirowisiw accordent au gouvernement et aux institutions allochtones en général qu’ils peuvent comparer ici à kokocew, une entité anthropomorphe cannibale. La crainte exprimée est que l’utilisation à mauvais escient du code de pratiques vienne limiter la souveraineté, les droits et les responsabilités territoriaux nehirowisiwok et, même, déstructurer le système d’autorité territoriale nehirowisiw, dont les aînés et les ka nikaniwitcik occupent un rôle de premier plan.

En même temps, la plupart des aînés et des ka nikaniwitcik ne sont pas nécessairement réfractaires à ce qu’une partie de leurs savoirs soit mis à l’écrit et soit disponible pour l’ensemble des membres atikamekw nehirowisiwok. D’ailleurs, ils ont souvent participé à l’enregistrement de leurs récits et savoirs dans le cadre de différents projets de recherche (dont cette recherche doctorale) et projets communautaires de valorisation et de transmission des savoirs. Les enregistrements réalisés dans de tels contextes ont largement circulé dans les radios communautaires et dans les écoles à l’attention des jeunes des communautés. La portée de la mise à l’écrit de leurs récits n’est pas si différente que celle de ces enregistrements audio, pourvu que l’utilisation de ces récits et de ces savoirs soit fait à bon escient. C’est davantage la codification et la fixation de règles à partir des savoirs des aînés qui pose problème et non simplement la mise à l’écrit de ces savoirs.

Il est important de noter que plusieurs aînés rencontrés pendant cette étude doctorale ont participé de plein gré au processus d’élaboration du code de pratiques, visant à mettre sous forme écrite les savoirs territoriaux (document

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« Notcimik »), les principes territoriaux (document « Kiskeritamowina e aspictaiikw askik itekera ») et enfin les règlements territoriaux (document « Orocowewin notcimik itatcihowin »). La participation et la volonté exprimée d’aînés atikamekw nehirowisiwok dans le projet d’élaboration du code de pratiques donnent une légitimité au projet. Cette participation entraîne également une mobilisation importante des membres de la Nation et des représentants politiques des conseils de bande et du CNA.

Il n’existe donc pas une unanimité entre les membres de la Nation concernant le code de pratiques nehirowisiw, ni d’ailleurs autour du projet de traité qui est discuté depuis plus de 35 ans maintenant. Il s’agit possiblement d’une des raisons faisant en sorte que l’élaboration du code de pratiques et que les démarches de négociations territoriales globales demeurent en cours depuis tant d’années. Ce qui est important toutefois à retenir ici c’est toute la richesse du processus et le dynamisme mené par les membres de la Nation autour de ces projets. Tout au long de ces années, des aînés, des responsables territoriaux et des membres des conseils de bande et du CNA ont été mobilisés pour travailler ensemble et pour organiser des colloques territoriaux avec les membres de la Nation pour discuter du projet de règlement territorial et d’autodétermination. Même si aucun traité n’a

été signé, même si les savoirs territoriaux, les codes de pratiques et les lexiques liés aux négociations demeurent des « documents de travail », des

« documents pour consultation seulement », ces projets collectifs ont permis aux membres de la Nation de partager et de transmettre des savoirs familiaux et territoriaux dans une forme qui leur est appropriée; en respectant leur propre système d’autorité et de transmission des savoirs normatifs qui soit adapté au contexte contemporain. Ces projets expriment à cet égard une « agencéité du projet » et une forme de résistance créatrice.

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À travers des échanges, des discussions et du partage d’expériences et de savoirs issus de ces projets collectifs, les membres de la Nation réalisent d’une certaine manière certains objectifs qu’ils s’étaient donnés, soit : la transmission des savoirs normatifs reliés aux activités de chasse, de pêche et de récolte des végétaux et l’adaptation des pratiques et des principes normatifs au contexte contemporain.

Les processus de consultation permettent aussi d’affirmer une solidarité, une cohésion et une appartenance intergénérationnelles entre les familles atikamekw nehirowisiwok. L’un des objectifs n’ayant pas été atteints, toutefois, demeure la reconnaissance et le respect, de la part de leurs interlocuteurs allochtones et des institutions étatiques, de leur système d’autorité territoriale et de leurs savoirs normatifs.

7.4. Nahitatowin : Nous mettons les choses à leur place

L’ensemble des démarches entreprises par les Atikamekw Nehirowisiwok autour du code de pratiques et des négociations territoriales globales vise à mettre en valeur et à mettre en pratique leurs propres visions du politique, leurs propres manières d’être-au-monde et leurs propres aspirations. Ces démarches articulent et présentent des life projects, des projets de vie autochtones fondés sur des rapports particuliers aux territoires et aux non-humains, sur des mémoires et des désirs qui soient cohérents avec les principes épistémologiques et ontologiques transmis par les ancêtres (Blaser 2004). Ces projets de vie expriment des « visions du souhaitable » et se mobilisent concrètement dans les pratiques quotidiennes et dans les mobilisations autochtones autour de la reconnaissance de leurs droits.

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En dressant un portrait des responsabilités et des droits territoriaux des Atikamekw

Nehirowisiwok dans le contexte contemporain, cette thèse s’intéresse aux régimes territoriaux (wectatowin aski), aux relations de pouvoir et aux négociations politiques qui s’inscrivent dans les dynamiques territoriales et dans la socialité contemporaine nehirowisiw. Wectatowin aski est traduit en français par « régime territorial » ou « entente territoriale » dans les documents politiques du CNA. Toutefois, mes interlocuteurs m’expliquent cette locution davantage comme une démarche politique ; comme un processus de recherche de solutions à partir d’objectifs communs (natowe wectatowin). Certains interlocuteurs utilisent le terme nahitatowin (« nous mettons les choses à leur place ») comme un synonyme de wectatowin. D’ailleurs, la locution nahitatowin naskamowin est traduite par les membres de notre équipe de travail sur le lexique en lien avec le code de pratiques nehirowisiw comme homéomorphe au concept « Constitution ». Littéralement, nahitatowin naskamowin pourrait être traduit par « réponse à nos échanges ». Selon une technolinguiste, le sens du nom verbal naskamowin (« réponse »,

« retour ») est très près du sens du verbe naskamo (« je te remercie »)121.

Dans un lexique nehiromowin/français élaboré par des membres de la Nation à la fin des années 1990 dans le contexte des négociations territoriales, le concept

« négociation » était traduit par ka natipictwatananiwok122. Ce qui signifie littéralement : « être assis et approcher sa chaise de son interlocuteur ».

L’utilisation de ce terme pour parler des négociations a fait sourire les membres du comité sur le lexique que nous avons mis sur pied parce qu’il donne l’impression

121 Selon Jean-Paul Lacasse (2004 :83), le concept innu neshtetatun pourrait être traduit par « entente » et le concept innu neshtetatenanuen pourrait être traduit par « nous nous comprenons ». Ces concepts rejoignent de très près les concepts nehiromowin naskamowin et nahitatowin naskamowin. 122 Il s’agit d’un terme qui avait été identifié dans le document de travail « Termes de référence en Atikamekw pour la Commission sur la Constitution Atikamekw » (CNA 1998).

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qu’il n’y a qu’une seule partie qui bouge, ce qui fait d’elle une partie quémandeuse.

Ce terme peut être employé par exemple pour décrire un enfant qui quémande quelque chose à ses parents. Dans les discussions autour du lexique, il a été convenu de revoir la pertinence d’utiliser ce terme comme étant équivalent ou homéomorphe au concept de négociation, parce qu’il supposait d’ores et déjà une relation inégalitaire entre le locuteur (autochtone) et son interlocuteur (gouvernement).

Des membres du comité de travail sur le lexique et de la Table des négociations ont proposé d’utiliser le concept nahitatowin (« nous mettons les choses à leur place ») pour traduire le concept de « négociation ». L’utilisation de ce concept représente mieux les visions et démarches actuelles que proposent mes partenaires à la recherche concernant les négociations territoriales globales, qui doivent être menées plus dans un mode d’affirmation identitaire et moins dans une relation de pouvoir inégalitaire. Il semble, en effet, qu’il y ait eu chez les Atikamekw

Nehirowisiwok un changement important d’attitude dans les dernières années (ou dernière décennie) par rapport aux négociations territoriales et politiques vis-à-vis des instances étatiques. Cela se perçoit notamment dans les stratégies politiques déployées par le Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw et par les membres de la Table des négociations. Les démarches politiques (consultations publiques, mobilisation des aînés et des ka nikaniwitcik dans la consolidation et la transmission des savoirs normatifs et territoriaux, etc.) réalisées dans les dernières décennies ont certainement joué en faveur de ce changement d’attitude – de cette affirmation identitaire et de cette nouvelle confiance que démontrent les membres de la Nation dans les négociations territoriales. Il y a certainement plusieurs autres facteurs qui pourraient expliquer ce changement d’attitude et il serait intéressant ultérieurement de décrire et de décrypter plus en détail cette dynamique.

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Concentrons-nous pour l’instant sur les enseignements apportés par les conceptions normatives nehirowisiwok réfléchies et travaillées dans le contexte actuel des négociations territoriales et de l’élaboration du code de pratiques.

Comme mentionné précédemment, la locution nahitatowin naskamowin (« réponse à nos échanges ») propose une étymologie semblable au verbe latin constituere

(« établir ensemble ») duquel est issu le terme « constitution ». Selon Borrows (2016), il serait pertinent de retenir cette forme verbale pour mieux cerner l’aspect processuel du droit qui se veut dynamique et en constante négociation et ajustement. À l’instar des droits coutumiers autochtones, les droits constitutionnels

étatiques sont interprétés contextuellement à partir de valeurs et de principes qui sont pour la plupart non écrits (Borrows 2016, voir aussi Ewald 1986 et Latour

2002a).

La jurisprudence canadienne démontre que le droit étatique est dynamique et peut,

à un certain degré, favoriser la transformation de certains dispositifs de pouvoir. La décision rendue en 2004 pendant l’Affaire Haida, par exemple, oblige dorénavant le gouvernement provincial et fédéral à consulter et à accommoder les Autochtones avant d’autoriser toute activité pouvant avoir un impact négatif sur la pratique de leurs droits ancestraux potentiels. Ici, les organisations doivent fournir une preuve prima facie des droits ancestraux qui se veut beaucoup moins détaillée que ce qui était habituellement exigé auparavant (Grammond 2013 :315-322). Depuis ce jugement, les pratiques liées à l’exploitation des ressources naturelles au sein des territoires ancestraux autochtones ont été quelque peu modifiées. Les organisations autochtones sont davantage impliquées dans la planification des projets d’exploitation et reçoivent, à certaines occasions, une forme de redevance liée à ces projets de développement (idem). Pour Grammond (2013 :317), cette

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obligation de consulter les membres des organisations autochtones, ayant potentiellement des droits ancestraux au sein de territoires visés par l’exploitation de ressources, représente une avancée importante dans les démarches de réconciliation entre autochtones et membres de la société eurocanadienne.

Du point de vue de mes interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok, toutefois, le chemin pour parvenir à cette « réconciliation » est encore parsemé d’obstacles.

D’abord, la forme que prend cette « obligation de consulter » dans la pratique ne rejoint pas les attentes des Atikamekw Nehirowisiwok et des transformations beaucoup plus profondes devront être apportées. Un des membres ayant largement travaillé dans les négociations territoriales et sur les tables de consultation a d’ailleurs exprimé sa déception quant à la portée réelle de cette obligation de consulter:

Ce matin, j'ai eu connaissance qu'on ait parlé de consultation et d’accommodement. On avait demandé aux gouvernements de n'entreprendre quoi que ce soit dans nos territoires sans notre consentement. Mais eux, ils veulent utiliser leurs politiques qui préconisent la consultation et l’accommodement. Moi je ne prends pas et ne reconnais pas leurs politiques. Le gouvernement du Québec, lui, ne nous encourage pas tellement qu'on ait notre propre code de pratiques. C'est pour ça qu'il veut s'occuper de nous autres. Lui, il préconise la consultation. Même quand on lui dit, « tu ne peux pas couper à tel endroit », il va y aller quand même (Wemotaci iriniw, juin 2015).

À différentes occasions, lors de colloques territoriaux ou lors d’assemblées publiques, certains participants ont questionné le sens du concept « consultation », concept qu’ils entendent incessamment de la bouche et des écrits d’interlocuteurs allochtones. Dans la pratique, l’ « obligation de consulter » ne résonne pas nécessairement de manière positive pour les Atikamekw Nehirowisiwok qui y

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voient plutôt une stratégie discursive de la part de leurs interlocuteurs pour continuer sans remords leurs pratiques d’exploitation des ressources. Le modèle de consultation mis de l’avant par les institutions étatiques canadiennes ne rejoint pas le modèle de consultation favorisé par les membres des communautés atikamekw nehirowisiwok qui repose avant tout sur le partage des expériences et des savoirs (natokiskeritamowin) transmis par les ancêtres (kimocominowok) par le biais, par exemple, de la tradition orale, des atisokana et de la fréquentation des territoires de chasse et des sentiers de portage. Dans ce modèle de « consultation », ce sont les démarches et le processus de mise en commun des expériences et des savoirs qui priment. Les ancêtres sont impliqués, d’une certaine manière, dans ces processus de mise en commun des expériences et des savoirs (Poirier 2008, 2013).

À première vue, nous pourrions penser que les démarches de consultation favorisées par les Atikamekw Nehirowisok visent l’atteinte d’un consensus (et c’est possiblement le cas). Mais, pour avoir assisté régulièrement à ces rencontres et assemblées, il me semble que ce n’est pas tant l’idée de prendre une décision unanime qui est importante. En fait, je n’ai perçu aucune tentative de la part des participants à ces rencontres de convaincre qui que ce soit ou d’orienter les prises de décision. Ces rencontres sont animées plutôt par une dynamique de respect mutuel des visions, des expériences et des perspectives qui peuvent parfois, d’un regard extérieur, être perçues comme divergentes ou même contradictoires. Ces rencontres de consultation permettent aussi aux aînés et aux responsables territoriaux de mettre en commun leurs savoirs et, de par leur statut, d’influencer les orientations des projets collectifs. Encore une fois, je pense que ces démarches de consultation (natokiskeritamowin) menées par les Atikamekw Nehirowisiwok nous enseignent qu’il est possible de travailler ensemble, de

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partager les savoirs et les expériences dans un mode plus égalitaire et dans le respect des différences de visions et de perspectives. Les politiques étatiques de consultations gagneraient à s’inspirer un peu plus de ces modèles politiques autochtones où prévaut la réciprocité plutôt que la représentativité (Poirier 2008, 2013, 2017).

Plusieurs recherches menées par des anthropologues, s’intéressant aux dynamiques politiques autochtones dans divers contextes, ont décrit les différentes stratégies et pratiques de résistances créatives de sociétés autochtones face à l’émergence d’un pouvoir centralisé et hiérarchique (voir par exemple les travaux d’Edmund Leach 1965, de Pierre Clastres [1974]2011 et de James C. Scott 2009).

L’analyse du processus d’élaboration du code de pratiques nehirowisiw démontre également cette propension de la part des Atikamekw Nehirowisiwok à développer leur projet collectif de manière consensuelle et en dehors des cadres imposés par les institutions étatiques. Comme il est démontré dans cette thèse, les savoirs normatifs et les modèles d’organisations politiques (et territoriales) décentralisés favorisés par les Atikamekw Nehirowisiwok mériteraient d’être reconnus à leur juste valeur et d’être mobilisés pour repenser et pour redéfinir les bases d’un dialogue plus égalitaire entre les institutions autochtones et étatiques.

Conclusion

Ce dernier chapitre porte sur le processus d’élaboration du code de pratiques nehirowisiw visant à réguler les activités de chasse, de pêche et de récolte des végétaux dans le contexte contemporain des négociations territoriales globales. L’étude de ce processus démontre comment les Atikamekw Nehirowisiwok

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mènent, malgré les mécanismes de pouvoir entretenus par la politique des négociations territoriales globales, un projet de société en respect avec les valeurs et systèmes d’autorités ancestraux. En ce sens, dans tout le processus d’élaboration du code de pratiques nehirowisiw et de la Constitution de Nitaskinan les Atikamekw Nehirowisiwok expriment une « agencéité du pouvoir » et une

« agencéité du projet » et démontrent, ce que j’ai nommé, une forme de « résistance créatrice », proposant une certaine relecture culturelle des pratiques et principes juridiques de l’État à partir de leurs propres savoirs normatifs.

Les Atikamekw Nehirowisiwok n’ont jamais cédé leur souveraineté territoriale (tiperitamowin aski) et continuent à la mettre en pratique dans le quotidien en assurant, par exemple, l’occupation et l’utilisation soutenues des territoires de chasse familiaux (atoske aski), le maintien et la transmission du système d’autorité territoriale ancestral adapté au contexte contemporain, aux nouveaux outils de communication et aux structures politiques des conseils de bande et du conseil de la Nation. Dans ce chapitre, il est question des initiatives contemporaines menées par les Atikamekw Nehirowisiwok pour inciter les familles à occuper, à utiliser et à affirmer leurs droits et responsabilités territoriales. Dans le contexte actuel, les familles atikamekw nehirowisiwok fréquentent de manière ponctuelle leurs territoires de chasse familiaux. Pendant l’année scolaire, c’est majoritairement les fins de semaine et lors des semaines culturelles que les familles séjournent au sein de notcimik, leur territoire d’appartenance. Lors des périodes de chasse, à l’automne et à l’hiver, certains chasseurs réalisent des séjours de quelques semaines en forêt. Ces périodes sont marquées par l’abondance et par la distribution des produits de la chasse (viande, peaux, os) entre les membres de familles élargies et les réseaux de solidarité. Pendant l’année, différents projets familiaux, communautaires et intercommunautaires sont organisés et assurent la

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fréquentation de Nitaskinan et des territoires familiaux, que ce soit des marches sur les sentiers des ancêtres (moteskano, mohonan), des ateliers de guérison ou des ateliers intergénérationnels de transmission des savoirs. Ces projets organisés par les familles et souvent appuyés financièrement et matériellement par les conseils de bande, les services sociaux et de santé des communautés et le

Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw, participent à la valorisation et à la transmission des savoirs normatifs et à l’affirmation des droits, des responsabilités et des pouvoirs territoriaux.

En plus de revenir largement sur le concept nehirowisiw de droit, de souveraineté et de responsabilité (nehirowisiw otiperitamowin) déjà discuté dans la seconde partie de la thèse (chapitres 3 à 5), ce chapitre met également de l’avant les conceptions nehirowisiwok en lien avec les démarches de consultation

(natokiskeritamowin), de l’élaboration de projets de société (orocowewin), de la négociation (nahitatowin) et de la Constitution (nahitatowin naskamowin). Nous avons tenté, dans ce chapitre, d’expliquer, à l’aide de données ethnographiques, comment s’articulent ces démarches de consultation et de négociation dans la pratique, notamment dans le processus d’élaboration du code de pratiques nehirowisiw.

Le partage et la mise en commun des savoirs (natokiskeritamowin) nehirowisiwok se réalisent dans différents contextes : dans les activités en forêt, dans les mokocana, dans les colloques territoriaux, dans les services offerts par les conseils de bande, dans les radios communautaires et de la SOCAM, etc. Natokiskeritamowin est une démarche qui vise le partage des expériences et d’une pluralité de perspectives. Cette démarche ne sert pas à juger de la véracité ou non des perspectives ni à les homogénéiser. La richesse des échanges pendant ces

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rencontres et rassemblements vient justement de cette diversité d’expériences et de points de vue qui ne sont pas nécessairement perçus comme contradictoires, mais comme des potentialités ou comme des vérités intersubjectives et contextualisées. Comme les aînés l’enseignent dans leur façon de partager leurs connaissances, c’est la mise en commun des expériences et des savoirs qui permet une forme de cohésion sociale et une répartition équilibrée des droits et des responsabilités territoriaux. Cette mise en commun est nécessaire aussi au processus d’élaboration de tout projet collectif dont l’élaboration du code de pratiques nehirowisiw (Orocowewin notcimik itatcihowin) et de la Constitution (Nahitatowin naskamowin123) de Nitaskinan.

123 À noter qu’il ne s’agit pas ici du nom officiel et consensuel donné à la Constitution de Nitaskinan, mais plutôt de ma propre traduction.

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CONCLUSION / DISCUSSION

Cette recherche doctorale porte un regard analytique sur les pratiques et les enjeux relatifs à la traduction et à la reconnaissance des ordres normatifs autochtones dans un contexte de négociations avec les institutions étatiques. Plus précisément, cette étude décrit le processus d’élaboration du code de pratiques chez les Atikamekw Nehirowisiwok (Haute-Mauricie, Québec) dans le contexte canadien des négociations territoriales globales (Comprehensive Land Claims) dans lesquelles ils sont engagés depuis 1979.

L’anthropologie juridique et le pluralisme juridique de coordination

La première partie de la thèse (chapitres 1 et 2) discute des perspectives théoriques et méthodologiques mobilisées dans notre approche analytique. Le premier chapitre dresse un portrait d’études et de certains débats qui ont marqué l’anthropologie juridique depuis les travaux d’Henry Maine (1822-1888). Cette brève revue de littérature démontre, entre autres, que les démarches, enjeux et obstacles reliés à la formalisation et à la reconnaissance étatiques des droits coutumiers autochtones sont récurrents dans l’histoire coloniale britannique et française.

En continuité avec Coser (1962), Nader (1965), Gluckman (1968) et Comaroff et

Roberts (1981), cette recherche mobilise à la fois les approches substantielle et processuelle dans l’étude de l’articulation des savoirs normatifs autochtones dans un contexte de négociation territoriale. Ensemble, ces approches permettent de mieux comprendre et d’analyser ce que les groupes définissent comme pratiques

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et principes normatifs (approche substantielle) et la manière dont ceux-ci s’articulent et s’actualisent dans les processus de résolution des conflits (approche processuelle). Les ordres normatifs autochtones, tout comme les droits étatiques, présentent un ensemble de règles, de principes et de pratiques qui sont historiquement ancrés et qui s’actualisent, se renouvellent et se transforment dans leurs contextes d’application. Selon les contextes et selon des dynamiques complexes, les pratiques et principes normatifs autochtones et les droits étatiques coexistent, s’interpénètrent et se différencient. Il n’en demeure pas moins que les dynamiques de négociation entre les ordres normatifs autochtones et étatiques s’exercent souvent dans un rapport de pouvoir asymétrique (Snyder 1981, Chanock 1985; 1989, Moore 1986, Merry 1991).

Certaines perspectives théoriques du phénomène du pluralisme juridique, aussi discutées dans le premier chapitre, peuvent contribuer à repenser et à mettre en pratique un dialogue plus égalitaire entre les ordres normatifs autochtones et

étatiques. Nous avons identifié dans cette thèse différents types de pluralisme juridique selon les degrés de reconnaissance étatique des ordres normatifs autochtones : le pluralisme extra-étatique, intra-étatique et radical (Otis 2012, 2013). Outre ces trois types, le juriste Ghislain Otis (2010 :22) discute ailleurs d’un autre type qu’il nomme le pluralisme juridique de coordination. Il s’agit d’un type de pluralisme qui, théoriquement, suppose une reconnaissance mutuelle des ordres normatifs autochtones et du droit étatique. S’il était appliqué en pratique, ce pluralisme juridique de coordination devrait soutenir des relations de pouvoir

égalitaire entre les ordres normatifs autochtones et les droits étatiques qui interagiraient « sous le signe de la coopération, l’équilibre ou la coordination plutôt que la subordination ». Ce type de pluralisme juridique pourrait ici être entendu comme une visée à atteindre pour un rééquilibrage et un réajustement substantiel

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des dispositifs de pouvoir. Ce réajustement pourrait entraîner, par exemple, une refonte des structures juridiques et législatives canadiennes et des programmes de formation en droit pour assurer que les praticiens de droits autochtones et

étatiques puissent obtenir une formation qui soit appropriée et qui leur permettrait de considérer à juste titre les ordres normatifs autochtones comme étant aussi valables que le droit étatique. Cette refonte des structures juridiques et législatives canadiennes va bien au-delà des simples politiques d’accommodement et de reconnaissances appliquées depuis les dernières décennies par l’État canadien. En fait, elle forcerait le droit étatique à considérer les savoirs normatifs autochtones à partir de leurs propres principes épistémologiques et ontologiques, comme de leurs systèmes d’autorité et de leurs savoirs-faire politiques.

L’apport de l’anthropologie ontologique dans l’interprétation et la traduction des savoirs normatifs autochtones

L’interprétation des ordres normatifs autochtones par un juge non-autochtone peut entraîner un risque de distorsion des savoirs normatifs autochtones au bénéfice souvent de la société majoritaire allochtone (Borrows 2010, Grammond 2013,

Napoleon 2012, Napeolon et Friedland 2014; 2016). L’approche du pluralisme juridique de type de coordination suppose que les praticiens du droit étatique fassent preuve d’une sensibilité, d’une ouverture et d’une connaissance adéquate des savoirs normatifs autochtones. À cet égard, l’approche ontologique en anthropologie peut offrir des outils conceptuels, analytiques et méthodologiques pour repenser l’altérité et pour faire valoir les savoirs normatifs autochtones tels qu’ils sont vécus et expérimentés par ces derniers et cela à partir de leurs propres procédures et conceptions normatives.

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L’approche ontologique s’intéresse aux théories de l’existence et de la coexistence et à la nature des relations sociales entre les personnes humaines et non- humaines. La mobilisation de cette approche dans cette thèse a permis d’exercer un recadrement conceptuel permettant de mettre en valeur les potentialités et les conceptions normatives nehirowisiwok. Cette approche a facilité, par exemple, la description et l’interprétation de Nehirowisiw opimatisiwin et de miro pimatisiwin qui réfèrent à une philosophie de l’existence basée sur le principe d’ancestralité selon lequel les ancêtres (kimocominowok) jouent un rôle déterminant dans la transmission et le renforcement normatifs (voir chapitres 3, 4 et 6).

Le recadrage conceptuel favorisé par l’approche ontologique, insistant sur les

« modes et potentialités d’existence » plutôt que sur les « croyances et représentations culturelles », s’avère important, selon moi, dans l’exercice d’interprétation et de traduction des savoirs normatifs autochtones dans un contexte de dialogue avec le droit étatique. Comme le rappelle Amiria Salmond

(2014), l’exercice d’interprétation, de comparaison et de traduction demeure de prime abord un exercice de mise en relation d’univers de sens. En même temps, souligne l’auteure, l’altérité ontologique est adressée par l’entremise de ces types de relations. Ce qui est souhaité dans cet exercice d’interprétation, de comparaison et de traduction c’est de générer des alliances productives et créatives, alliances qui sont en réajustement et en constantes négociations. Pour

Salmond (2014), en continuité avec De la Cadena (2014), ces formes d’alliances génératives, productives et créatives sont le fruit inévitablement d’une « ouverture ontologique » vis-à-vis des potentialités physiques et métaphysiques exprimées et expérimentées par nos interlocuteurs autochtones. L’approche ontologique suggère de « prendre au sérieux » ces potentialités et expériences comprises comme des savoirs contextualisés aussi valables que les savoirs experts

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allochtones (Latour 2002b, Blaser 2009a; 2009b; 2013a, Viveiros de Castro 2009,

De la Cadena 2010, Poirier 2013, Salmond 2014). À cet égard, la mobilisation de l’approche ontologique et de l’ontologie politique dans cette étude autour de la contemporanéité des droits coutumiers autochtones est sans aucun doute l’apport le plus important et original de cette thèse.

Cette étude doctorale s’est engagée à approfondir la réflexion autour de la traduction des savoirs normatifs autochtones dans un contexte de négociation avec les institutions étatiques du Canada et du Québec. L’exercice d’interprétation, de comparaison et de traduction culturelles est un exercice de mise en relation, de transformation et de rupture aussi. Comme il est décrit dans le chapitre 2 de la thèse, ces dynamiques relationnelles peuvent entraîner à certaines occasions ce que Sahlins ([1985]1989) nomme « le travail du malentendu » qui se définit comme l’articulation et la confrontation de logiques et d’historicités différentes. En donnant des exemples concrets de ma propre démarche sur le terrain, j’explique en quoi ce

« travail du malentendu » peut être tout à fait productif et créatif. Cette démarche autour du « travail du malentendu » rejoint par ailleurs celle de plusieurs anthropologues contemporains, comme Viveiros de Castro (2004), Holbraad (2009) et Salmond (2014), pour lesquels le rôle de l’anthropologue n’est pas tant de « parler au nom » des autochtones ou de « traduire les cultures » autochtones, mais plutôt de s’engager dans des relations productives et transformatives avec les interlocuteurs autochtones. Démarche selon laquelle les alliances, les ruptures et les malentendus entre les partenaires de recherche deviennent des matériaux ethnographiques pertinents.

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La contemporanéité des droits coutumiers et des savoirs normatifs nehirowisiwok

La deuxième partie de la thèse (chapitres 3 à 5) dresse un portrait des pratiques et des principes nehirowisiwok et de leurs différents modes de transmission. À partir d’une approche collaborative, cette partie tente de mettre en valeur les conceptions et pratiques contemporaines des responsabilités et des droits territoriaux (tiperitamowina aski) chez les Atikamekw Nehirowisiwok. Les savoirs normatifs nehirowisiwok sont dynamiques et s’ajustent aux différents contextes d’application.

L’idée avec cette description ethnographique des savoirs normatifs n’est pas d’encoder et de figer un ensemble de règles, mais de décrire l’application d’un ensemble de principes dans les processus de résolution de conflit et de travail à l’harmonie sociale (inclusive aux non-humains) à partir d’exemples concrets.

Comme il est mentionné dans le chapitre 3 de la thèse, plusieurs travaux menés auprès des peuples algonquiens ont abordé la question de l’application de certaines règles de conduite valorisées en ce qui a trait aux activités en forêt. C’est le cas particulièrement des travaux de Speck (1933), de Lacasse (2004) et de Mailhot et

Vincent (1980, 1982) chez les Innus, de Lips (1947) chez les Naskapis, de Poirier et Niquay (1999) chez les Atikamekw Nehirowisiwok et de Leroux (2009) et Leroux et al. (2004) chez les Anicinabek. Ces études démontrent comment ces règles de conduite transmises par les institutions de la famille et de la bande régissent les rapports sociaux et politiques entretenus entre les familles et les groupes de chasse, mais également les rapports sociaux développés entre les personnes humaines et non-humaines (animaux, plantes, esprits des ancêtres). Dans l’ensemble, ces travaux décrivent les droits et responsabilités territoriaux de ces groupes comme étant un ensemble de pratiques, de principes et de processus normatifs liés par

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exemple à la transmission des territoires de chasse, à la transmission des rôles et statuts de la personne, au règlement de conflits, au maintien de la paix, au partage des fruits de la chasse ou de la pêche et à la préservation des « ressources ».

À l’instar de ces travaux, cette thèse discute de pratiques, de principes et de processus normatifs que j’ai pu documenter lors de mes séjours au sein des trois communautés atikamekw nehirowisiwok (Manawan, Opitciwan, Wemotaci) entre

2009 et 2015. Les données ethnographiques présentées ici sont issues majoritairement des observations et des entretiens réalisés auprès d’aînés et de responsables territoriaux (ka nikaniwitcik) des trois communautés, personnes reconnues comme ayant une parole d’influence et jouant un rôle important dans la transmission des savoirs normatifs et dans le processus d’élaboration du code de pratiques et de la Constitution de Nitaskinan.

Certains récits, comme les atisokana issus de la tradition orale portent des enseignements normatifs. Le chapitre 4 de la thèse discute de la portée de ces récits dans le processus de transmission des savoirs normatifs autochtones.

Articulés avec les données ethnographiques, les atisokana peuvent également nous renseigner sur un ensemble de principes, de pratiques et de processus normatifs locaux. La tradition orale, comme mode de transmission des savoirs normatifs, permet une flexibilité et une forme de pouvoir pour le narrateur et les auditeurs qui transmettent et interprètent les récits à partir de leurs propres expériences tout en générant de nouvelles relations et expériences (Jackson[2002]2013, 2005). Ce chapitre aborde alors une réflexion à poursuivre autour des démarches d’interprétation et de traduction des atisokana et de la tradition orale autochtones.

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Le chapitre 5 discute des espaces de rencontre entre normativités autochtones et

étatiques, menant souvent à des transformations à la fois pernicieuses et créatives des pratiques et des principes normatifs autochtones. À cet égard, l’analyse proposée dans ce chapitre mobilise le concept de « contemporanéités autochtones » développé et définit par Sylvie Poirier (2000) comme étant une démarche de synthèse et de relecture des pratiques et des principes normatifs autochtones dans un contexte d’interaction et de négociation avec les institutions

étatiques. En portant un regard sur ces dynamiques de coexistence et de négociation entre les univers normatifs autochtones et étatiques reliées aux questions foncières, ce chapitre met de l’avant les savoirs et expériences des chasseurs et des responsables territoriaux (ka nikaniwitcik) en lien aux dynamiques de coexistence. D’abord, en décrivant de manière plus substantielle le système d’autorité territoriale valorisé par les interlocuteurs autochtones, ce chapitre discute ensuite de la transformation historique et contemporaine des rôles et des statuts des ka nikaniwitcik à partir d’exemples concrets. Nous avons souligné notamment l’implication des ka nikaniwitcik lors de la création des réserves à castor et lors des processus de consultation menés par l’industrie forestière et le ministère provincial des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFPQ).

Les négociations territoriales et les projets de société nehirowisiwok

Le chapitre 6 de la thèse démontre que les organisations autochtones du Canada font des compromis importants, engageant le dialogue avec les institutions étatiques en utilisant des dispositifs qui perpétuent des mécanismes de pouvoir inégalitaire. Des organisations autochtones, comme les Atikamekw Nehirowisiwok, s’engagent dans ces démarches de reconnaissance de leur ordre normatif, régime

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foncier et système d’autorité territoriale dans des termes de « propriété » et de

« droits territoriaux » définis par les institutions étatiques. Les travaux de Feit (1982, 1991a, 1998, 2004), de Scott (1979, 1986, 1988), de Tanner (1979, 2004,

2007), de Nadasdy (2002, 2003, 2007), de Poirier (2000, 2013), de Thom (2004, 2005, 2014, 2015) et de Samson (1999, 2016), entre autres, ont largement discuté du contraste entre des logiques autochtones et des logiques d’institutions étatiques canadiennes concernant les « droits territoriaux autochtones » dans des contextes de négociation territoriale. Comme il est discuté dans les chapitres 5, 6 et 7 de cette thèse, ces contrastes présentent des divergences à la fois épistémologiques et ontologiques. À l’instar des auteurs mentionnés précédemment, cette thèse démontre que l’utilisation des concepts occidentaux comme « propriété » et

« droits territoriaux » dans les stratégies politiques autochtones n’est toutefois pas nécessairement représentative d’un effet d’ « acculturation » ou d’ « assimilation».

Au contraire, cette présente thèse souligne que dans le cadre de leurs négociations territoriales, les Atikamekw Nehirowisiwok « traduisent » leurs propres rapports (leurs pratiques et principes épistémologiques et ontologiques) au territoire dans des termes compris (et imposés) par leurs interlocuteurs étatiques dans le but de défendre leurs propres intérêts, autonomie et système d’autorité territoriale.

Les enjeux et les défis de la traduction, de la mise à l’écrit et de l’interprétation des pratiques, principes et processus normatifs autochtones se posent nécessairement dans les contextes de négociation territoriale avec les interlocuteurs étatiques. Le chapitre 7 de la thèse soulève une réflexion autour de ces enjeux et de ces défis que rencontrent les Atikamekw Nehirowisiwok qui sont engagés depuis quelques décennies déjà dans ces processus de négociations et qui connaissent très bien les risques encourus par cet exercice de traduction, de mise à l’écrit et

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d’interprétation. À l’instar de plusieurs autres Nations autochtones du Canada, les

Atikamekw Nehirowisiwok acceptent de jouer le jeu des négociations tout en (re)définissant dans leurs propres termes leur projet de société. Par une description empirique du processus d’élaboration du code de pratiques nehirowisiw et de la Constitution de Nitaskinan, le chapitre 7 de la thèse discute de prospectives créatives des démarches de négociation et de traduction culturelles menées par les membres de la Nation. Dans cet esprit, les membres de la Nation exercent dans ces démarches une forme d’ « agencéité du projet » et une forme de « résistance créatrice » diversifiée et innovatrice organisée autour des projets multiples et hétérogènes. En même temps qu’elles s’inscrivent au sein d’une ontologie relationnelle mettant l’emphase sur l’autonomie et la réciprocité entre les personnes humaines et non-humaines, ces démarches actuelles dans lesquelles sont engagées les Atikamekw Nehirowisiwok sont appropriées, contestées et négociées par les membres de la Nation. Ces démarches offrent aussi et surtout l’occasion pour les membres d’échanger, de partager et de mettre en commun leurs expériences et leurs savoirs (natokiskeritamowin) dans une démarche collective (orocowewin) d’identification de pratiques et de principes normatifs liés à la vie en forêt (notcimik itatcihowin).

Dans ces démarches contemporaines, les Atikamekw Nehirowisiwok réfléchissent, expriment et négocient, d’abord entre eux et ensuite auprès des institutions

étatiques, une philosophie de l’existence et de coexistence (nehirowisiw opimatisiwin) harmonieuse avec les ancêtres, les non-humains et les générations à venir. Comprise dans une ontologie relationnelle, cette philosophie de l’existence accorde une place importante à l’autonomie et à la réciprocité entre les personnes humaines et non-humaines. Elle est centrale aussi dans les pratiques et processus normatifs d’Atikamekw Nehirowisiw.

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Ces démarches collectives de transmission et d’actualisation des savoirs normatifs nehirowisiwok sont toujours en cours à l’heure actuelle et il n’y a pas de raison valable de croire qu’elles doivent prendre fin un jour ou l’autre. À l’instar des droits

étatiques, les droits coutumiers autochtones sont dynamiques, largement non écrits et s’ajustent selon les divers contextes d’application et les mobilisations politiques et culturelles. Cette thèse décrit plusieurs limites et mécanismes de pouvoir inégalitaires qui sont entretenus entre les institutions étatiques et autochtones, dont la politique canadienne des négociations territoriales globales. Par contre, cette thèse ne décrit pas les Autochtones, plus précisément les

Atikamekw Nehirowisiwok, comme des victimes de cet héritage colonial et des paradigmes politico-juridiques de l’État canadien. Au contraire, les initiatives et les pratiques quotidiennes au sein de leur univers forestier (notcimik, kitaskino, atoske aski) et les démarches collectives visant à assurer l’application, la reconnaissance et la transmission des savoirs normatifs liés aux activités en forêt expriment une forme d’ « agencéité du projet » et une forme de « résistance créatrice ». Ces démarches et pratiques de résistance s’exercent à la fois dans la perspective d’assurer la transmission et l’application d’un mode d’être-au-monde hérité des ancêtres et dans l’optique d’un rééquilibrage des relations de pouvoir. Pour reprendre un terme discuté dans le dernier chapitre de cette thèse, ces démarches collectives de résistance créatrice visent d’une certaine manière « à remettre les choses à leur place » (nahitatowin).

Les contributions et les prospectives de la recherche

En articulant les réflexions et perspectives théoriques de l’anthropologie juridique avec les perspectives tant analytiques que méthodologiques de l’ontologie

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politique, cette thèse offre une contribution certaine et originale aux études consacrées au phénomène de l’internormativité autochtone dans un contexte de dialogue et de négociation interculturels. Articulées ensemble, ces approches permettent, par exemple, de saisir et décrire les principes épistémologiques et ontologiques sur lesquels s’appuient les pratiques et les processus normatifs autochtones et d’analyser les dynamiques d’enchevêtrement, de négociation, d’appropriation et de rejet qui se produisent entre les savoirs normatifs autochtones et étatiques.

Nous avons vu, par exemple, que dans les ontologies relationnelles les personnes non-humaines peuvent être potentiellement des « personnalités juridiques » en ce sens qu’elles peuvent détenir à la fois des droits, des responsabilités et des pouvoirs, selon leur statut défini de manière intersubjective. Ainsi, la frontière qui existe entre l’objet et le sujet et entre le vivant et le non-vivant se trace différemment au sein de cette logique relationnelle et ouvre la voie à des pratiques et principes normatifs basés sur des savoirs, des expériences et des philosophies de l’existence pouvant parfois être difficilement compatibles avec les principes et pratiques du droit étatique. Les institutions autochtones et étatiques développent à cet égard des démarches créatives, mais souvent dans des rapports de pouvoir inégaux, afin d’établir des espaces de dialogue entre les ordres normatifs.

Comme nous l’avons vu dans cette thèse, l’articulation de l’approche ontologique dans les études des conflits territoriaux propose un certain recadrement conceptuel qui vise à rendre compte des savoirs normatifs autochtones dans des termes qui soient plus ouverts et qui soient plus en phase avec les modes et potentialités d’existence autochtones. L’articulation de l’approche ontologique et de la perspective du pluralisme juridique de coordination (Otis 2010) permet, selon

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moi, de repenser les bases d’un dialogue plus égalitaire entre les savoirs normatifs nehirowisiwok et le droit étatique dans le contexte des négociations territoriales globales. Ce dialogue égalitaire ou ce que James Tully (2016) nomme « dialogue authentique » (genuine dialogue) doit être ancré dans son contexte empirique et ne peut s’élaborer à partir de règles et de finalités prétendument universelles.

Comme James Tully (2016) le souligne, il n’existe pas de « mode d’emploi » à prescrire pour arriver à un « dialogue authentique » (ou égalitaire) pouvant être applicable à tous les contextes de coexistence et de négociation. À la lumière de cette étude doctorale, il est toutefois possible de cerner des principes généraux sur lesquels pourrait se développer un tel dialogue entre les institutions étatiques et nehirowisiwok. Notons, par exemple, la reconnaissance mutuelle d’une forme d’autorité territoriale (tiperitamowin aski) organisée autour des expériences, des savoirs et des contributions des personnes dans les pratiques territoriales. Notons aussi l’élaboration de politiques de consultation (natokiskeritamowin) qui permettent le partage et la mise en commun d’une pluralité de perspectives issus des savoirs, des expériences et de philosophies d’existence (Nehirowisiw opimatisiwin) et non sur une vision homogène et imposée de « la réalité ». Ici, la mobilisation de la contemporanéité des conceptions normatives et des systèmes d’autorité locaux est essentielle à la création et à la production d’un dialogue

égalitaire et authentique.

Le dialogue égalitaire, suggéré ici, s’entend comme la reconnaissance mutuelle des modes et des potentialités d’existence des parties concernées. Cela sous- entend la reconnaissance mutuelle des conceptions et des savoirs normatifs autochtones et étatiques, de leurs dynamiques d’enchêtrement et de leurs connexions partielles. Comme nous venons de le voir, cette démarche favorise ainsi à ce qu’une attention particulière soit portée aux analyses, aux conceptions,

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aux pratiques et aux principes normatifs autochtones dans leur contexte empirique.

À cet égard, cette démarche rejoint de très près celle proposée et influencée par différentes approches mobilisées dans cette thèse (ontologique, expérientielle, collaborative et l’anthropologie inversée) qui favorisent l’utilisation et la mise en valeur des conceptions et savoirs normatifs autochtones dans la production d’alliances génératives, créatives et transformatrices (Kirsch 2006, Salmond 2014). La création et la production d’un dialogue égalitaire et authentique ouvre une voie vers une coexistence plus harmonieuse entre institutions autochtones et étatiques (Tully 2016).

Pour résumer, cette thèse doctorale met à la disposition des acteurs concernés une étude faisant état des modes et des potentialités d’existence, des territorialités, des intérêts et des structures de pouvoirs qui sont sous-jacents aux processus de négociations territoriales autochtones et plus précisément chez les Atikamekw Nehirowisiwok. Cette recherche permet donc d’identifier à la fois certaines causes menant au conflit et de documenter le processus de négociation territoriale – les défis, les enjeux et les prospectives de ces négociations qui sont en cours depuis déjà plus de 35 ans. En mobilisant la perspective du pluralisme juridique de coordination et l’approche ontologique, cette étude milite aussi pour un rééquilibrage et un réajustement substantiel des dispositifs de pouvoir entre institutions autochtones et étatiques dans leurs rapports de négociation.

Cette recherche doctorale développée en relation et en continuum avec les projets collectifs menés par les partenaires à la recherche atikamekw nehirowisiwok participe, selon moi, de manière productive et créative au processus de valorisation, de transmission et de reconnaissance des savoirs normatifs nehirowisiwok. J’espère que cette recherche puisse contribuer d’une manière ou

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d’une autre à sensibiliser les Allochtones et les institutions étatiques aux types de relations profondes entretenues entre les membres de la Nation atikamekw nehirowisiw et leur univers forestier (notcimik) qui se veut à la fois un lieu d’intimité, d’appartenance et d’origine. La finalité de cette démarche est de contribuer à l’élaboration et éventuellement à l’application de mesures politiques et législatives concrètes favorisant la conciliation et le dialogue égalitaire et authentique entre autochtones et allochtones partageant le même territoire. Concrètement, je souhaite que cette étude puisse être lue et utilisée à bon escient par des actuels et futurs praticiens en droits étatiques à qui est confiée la tâche énorme et ardue d’interpréter, lors de différentes causes, les ordres normatifs autochtones qui sont pour la plupart non-écrits. Un message peut-être à ces praticiens de droits

étatiques : prendre au sérieux les ordres normatifs autochtones peut s’avérer un exercice déconcertant, certes, mais combien enrichissant !

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Guérin c. La Reine [1984] 3 R.C.S. 1010 (Cour Suprême du Canada)

375

Nation Tshilqot’in c. Colombie-Britannique [2014] (Cour Suprême du Canada)

Nation Tshilqot’in c. Colombie-Britannique [2007] (Cour Suprême de la Colombie- Britannique)

Mitchell c. M.N.R, [2001] 1 S.C.R. 911 (Cour Suprême du Canada)

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The Wik Peoples v. the State of Queensland, [1996], (High Court of Australia)

376

ANNEXE 1

LEXIQUE

Réalisé avec l’aide de Nicole Petiquay, Christian Coocoo et Gérald Ottawa

CONCEPTIONS NORMATIVES EN LIEN AVEC LES ACTIVITÉS TERRITORIALES

Atoske aski : territoire de chasse familial / territoire de trappe familial (chasse coordonnée selon le cycle annuel des six saisons)

Atoskewin : chasse régulière coordonnée selon le cycle annuel des six saisons.

Itatisiwin : mode de vie

Itatcihowin : comportement normatif

Irakonikewin : application des règlements

Ka mantowisitc : personne qui agit sur les esprits des chasseurs et des animaux

Ka natipictwatananiwok : être assis et s’approcher de son interlocuteur pour faire une demande (négociation)

Ka nikaniwitc (forme plurielle : ka nikaniwitcik) : responsable territorial, la personne qui est devant et qui trace la voie (chef de territoire)

Kano atoske iriniw : personne qui connaît la chasse, le gibier (garde-chasse)

Kaskina nehirowisi kiskeritamowina : savoirs territoriaux communs

Kictapatisiwin : contribution

Kiskeritamowina e aspictaiikw askik itekera : principes territoriaux

Kitaskino : notre territoire (nous inclusif)

377

Matci kanekew : personne qui doit être prise en charge parce qu’elle ne peut se débrouiller seule.

Miro pimatisiwin : bonne existence, vie équilibrée

Miro watikosiwin : avoir un bon comportement, être habile

Nahitatowin : Nous mettons les choses à leur place (négociation)

Nahitatowin naskamowin : réponse à nos échanges (Constitution)

Nametawin : laisser des signes de présence sur les arbres pour la transmission d’informations et du patrimoine

Naskamowin : réponse, retour

Natohowin : chasse de subsistance

Natoho aski : territoire de chasse familial dans le contexte de la chasse de subsistance

Natokiskeritamowin : partage des expériences et des savoirs

Natowe wectatowin : un processus de recherche de solutions à partir d’objectifs communs

Nehiro aski : territoire des nehirowisiwok

Nehirowisiw otiperitamasowin : responsabilité de soi, la souveraineté ou l’autonomie de la personne

Nehirowisiw otiperitamowin : droit, responsabilité, autorité, pouvoir

Nitaskinan : notre territoire (nous exclusif)

Ni tiperiten aski : je suis garant de ce territoire, j’ai une responsabilité envers ce territoire

Notcimik : lieu d’origine, d’appartenance

378

Okimaw : chef

Orocowewin : projet de société

Orocowewin notcimik itatcihowin : projet collectif d’élaboration des règles du vivre- ensemble au sein de notre lieu d’origine et d’appartenance (code de pratiques)

Pimatisiwin : existence

Pimatcihitisowin : subvenir à ses besoins, prendre conscience de sa propre existence, autonomie

Sakipitcikan : cercle de guérison

Tetawinamatowin : partage égal, moitié-moitié

Tip- : mesurer, peser

Tipahiskan : instrument de mesure, de gestion. Recensement des ressources

Tipahiskan iriniw : personne qui parcourt le territoire et qui évalue les ressources territoriales

Tipaskonam : entourer/isoler pour juger, pour mesurer

Tipaskonike : isoler, mesurer/juger les actes

Tipaskonike iriniw : personne qui juge, qui isole (avocat, juge)

Tipatcim : informer, raconter, appuyer ses propos

Tipatcimowin (forme plurielle : tipatcimowina): récit de vie qui réfère à des événements récents et en présence de témoins directs ou indirects

Tiperitamok : responsables, ayants droits

Tiperitamowin (forme plurielle : tiperitamowina): influence, responsabilité ou maîtrise qu’exerce une personne (droit, pouvoir, autorité)

379

Tiperitamowin aski (forme plurielle : tiperitamowina aski) : responsabilité territoriale, souveraineté territoriale

Wampum (mikis) : ceinture brodée de perles ou de coquillages (portant des récits et servant à la diplomatie)

Waskamanakotatan kitaskino : prendre soin, prendre conscience de son environnement et du territoire

Wectatowin : recherche de solution

Wectatowin aski : régime territorial

Wicakemowin : principe d’invitation

AUTRES CONCEPTS UTILISÉS DANS LA THÈSE

Acowinikan : Shawinigan

Amiskw : castor

Apici irinic : petit homme

Asam : raquette à neige

Asamikaniwon : fabrication de raquettes à neige

Asati: peuplier faux tremble

Atcitcamoc / anikotcac: écureuil

Atikamekw : corégone

Atisokan (forme plurielle : atisokana): récit/expérience de métamorphose, récit d’entités anthropomorphes

Awesisak okimaw : esprits-maîtres des animaux

Cawanok : Sud / partie Sud du territoire ancestral revendiqué

380

Cikokw / cikwokw : pin

Emitcikociwic (forme plurielle : emitcikociwak): un homme « blanc » (allochtone)

Emitcikocikwecic : une femme « blanche » (allochtone)

Irinact / irinacit: sapin baumier

Irinatikw : érable à sucre

Ka makate icihontc : homme sombre qui rôde en solitaire

Kaopetenak : falaise

Kinoce : brochet

Kinoce aski : territoire de chasse de la famille kinoce

Kitce manito : grand-esprit

Kitci okimaw : grand-chef

Kitci atisokana : récits fondateurs

Kimocominowok : les ancêtres

Kokom : grand-mère

Kokominanik : ville de Grand-Mère

Kokotce : entité anthropomorphe maléfique

Kosapitcikan : tente tremblante

Kosapitcikan minictikw : île de la tente tremblante

Kosapitikewin : pratique de la tente tremblante

Kwekweciw : geai bleu

381

Makocan (forme plurielle :makocana): festin collectif

Manawani iriniw : membre de la communauté de Manawan

Manito : esprit

Manitowin : entité, énergie. Se retrouve dans tout ce qui est animé, dans tout ce qui a un certain pouvoir d’agir

Manitokana : effets attribuables au manitowin

Mantew : étranger

Mantokatcikan : transmettre des messages à l’attention des animaux

Masko : ours

Maskominanatikw : sorbier, nourriture de l’ours

Masko mokocan : festin de l’ours

Matawisiwin : don de la clairvoyance

Matci manito : mauvais esprit

Matci natowewok : Iroquois

Matotasowin : tente à sudation

Meskanaw : chemin

Metaperotinik : Trois-Rivières

Naskamo : je te remercie

Mictapew (mictanapew): grand homme (géant)

Mocom : grand-père

Mohonan : sentiers estivaux et voies navigables ancestraux

382

Mos : orignal

Moteskano : sentiers hivernaux ancestraux

Mwakw : huard

Namew : esturgeon

Natarepew : voir le filet

Nikikw : loutre

Nictes (forme plurielle : nictesak): mon frère aîné

Nipin : été

Niska : outarde

Omaw : partie de l’estomac de l’orignal

Onikam : site de portage

Opitciwani iriniw : membre de la communauté d’Opitciwan

Opwakan (forme plurielle : opwakanak) : esprit d’un ancêtre, esprit de la forêt

Ospwakan : calumet, pipe

Otehi : cœur

Otitamaniskisin : botte faite avec les pattes arrière de l’orignal

Pakwecikan : pain bannique

Pamikicikotc iriniw : personne qui se déplace au-dessus des arbres

Piciw : lynx

Pipon : hiver

383

Pirewominan : nourriture de la perdrix

Pitcipipon : pré-hiver

Sikon : pré-printemps

Sikosiw : belette

Takwakin : automne

Tapiskwan sipi : rivière Saint-Maurice

Tcakapec : personnage dans les récits fondateurs

Tcictemaw : tabac

Wapanatcikoc : étoile du matin (Vénus)

Wapoc : lièvre

Wemotaci iriniw : membre de la communauté de Wemotaci

Wikopi : saule

Wikwas : canot d’écorce

Wikwasatikw : bouleau blanc

Wisakatikw / pohominanatikw : petit merisier, cerisier de Pennsylvanie

Wisaketcakw : entité anthropomorphe rusée et coquine. Personnage dans les récits fondateurs.

Witiko : entité anthropomorphe cannibale

384

ANNEXE 2

NITASKINAN – TERRITOIRE ANCESTRAL REVENDIQUÉ

31/1/2016 Nitaskinan_Attikamekw.png (638×825)

http://laforetacoeur.ca/blog/wp-content/uploads/2014/09/Nitaskinan_Attikamekw.png 1/1

385

TOPONYMES IMPORTANTS

Kamcockotecik [ Ka mickockotecEik aicinikateki e aitaskamikak atikamekw askik [ Toponymie atikamekw des lacs, rivières, localités et lieux importants Ka wacekamicik [ ¯ Nikatisiniw sipi [ Nikatisinik [ Ashuapmushuan sipi Masko [ Otirokekan Paskekamaw sipi [ [ *#Opitciwan Mekiskan [ Wapano sipi Eckan sipi [ Micta Kipahikan [ [ [ [ Paskekamaw Kinocew Oskiskekak ! Wetigo sipi Ka wakak sakihikan =!= [ [ Kikentac [ Tapiskwan sipi *#Kropak Tiripan sipi Parak [ *# *#Wemotaci Mos otonanew sipi Manawan sipi *# [ [ *# Ka wapak pawictikw Ka mitcikamak [ Kokokac Wapictan [Acopekahikan sipi [ Nemickaci [ *#Capetciwotakanik Macamekosi sakihikan [ [ Mokocanikamokw Weiakamak Katino sipi ! [ Ma*#nawan = [ Sesikinakak Mikinakw sakihikan [

Matawak sipi Wapoco sipi [ Toro sakihikan [ [ [ Sesekatino sipi Kitikan aski *# [ Kokominanik Okaw sakihikan *# Matawok *# # Acowinikan*# * Mos powactikok ! Kitci ickote = [Kitci sipi *# *# Maniwaki Metaperotin [Metaperotin sakihikan

[ Sipi, sakihikan (lacs et rivières) Conseil de la Nation Atikamekw Projection: UTM NAD83 Zone 18 Secrétariat au territoire *# Atikamekw oteno, oteno (localités) Source des données: CNA La Tuque =! Lieux importants Source du fond de carte: Basemap ESRI Juin 2014 30 15 0 30 km 615.43 ef CNA Secrétariat au territoire CNA juin 2014 c o p i e

386

ZEC ET UNITÉS D’AMÉNAGEMENT FORESTIER

387

BAUX DE VILLÉGIATURE

388

ANNEXE 3

DÉCLARATION DE SOUVERAINETÉ D’ATIKAMEKW NEHIROWISIW

DÉCLARATION DE SOUVERAINETÉ D’ATIKAMEKW NEHIROWISIW

Nous, Atikamekw Nehirowisiw, sommes une Nation à part entière en vertu d’Atikamekw Tiperitamowin, la gouvernance atikamekw. Nous, Atikamekw Nehirowisiw, maintenons notre souveraineté sur Nitaskinan, territoire ancestral légué par nos ancêtres depuis des temps immémoriaux.

Nitaskinan est notre patrimoine et notre héritage des plus sacrés. Notre Créateur a voulu que nous puissions vivre en harmonie avec Nikawinan Aski, notre Terre Mère, en nous accordant le droit de l’occuper et le devoir de la protéger. Nitaskinan a façonné notre mode de vie et notre langue; c’est ce qui nous distingue des autres Nations. Atikamekw Nehiromowin, cette langue commune qui nous unit et véhicule toute notre existence, est une expression de notre héritage. La transmission de notre culture, de nos valeurs et de nos connaissances fondamentales se poursuit depuis la nuit des temps par le biais de notre tradition orale. C’est ainsi que le patrimoine et l’héritage d’Atikamekw Nehirowisiw se perpétuent. Ce sont des richesses que nous voulons léguer à nos futures générations. L’application de notre souveraineté se traduit par notre occupation de Nitaskinan, la pratique de nos activités traditionnelles et l’établissement de relations avec les autres Nations tel que véhiculé par nos traditions orales et par les Wampums. Atikamekw Nehirowisiw a su entretenir des relations harmonieuses avec les Nations voisines : les Innu à l’est, les Eeyou au nord, les Abanaki Iriniw, au sud et les Anishnabe à l’ouest. Atikamekw Nehirowisiw entend maintenir et exercer sa gouvernance territoriale sur l’ensemble de Nitaskinan. Pour ce faire, Atikamekw Nehirowisiw a la volonté de faire de son peuple une instance politique et économique incontournable. Le consentement d’Atikamekw Nehirowisiw est une exigence pour tous développements, usages et exploitations de ressources situées dans Nitaskinan. La pérennité des ressources de Nitaskinan devra être assurée et l’occupation traditionnelle d’Atikamekw Nehirowisiw respectée. La protection de Nitaskinan, la défense de son mode de vie et de ses aspirations animeront en tout temps les actions d’Atikamekw Nehirowisiw et de ses institutions actuelles et futures. À cet égard, Atikamekw Nehirowisiw utilisera tous les moyens qu’il jugera appropriés pour la défense de ses droits et de ses intérêts. Nous ne sommes pas Canadiens, nous ne sommes pas Québécois, nous sommes Atikamekw Nehirowisiw. Atikamekw Nehirowisiw appartient à Nitaskinan. Nisitomokw, prenez acte,

Atikamekw Nehirowisiw, Nitaskinan

389

ANNEXE 4

PANNEAU IDENTIFIANT NITASKINAN - LE TERRITOIRE ANCESTRAL

390

ANNEXE 5

GRILLES D’OBSERVATIONS ET D’ENTRETIENS

Observations et entretiens auprès des chasseurs atikamekw nehirowisiwok

Profil de l’interlocuteur 1. Nom : 2. Rôle et statut de l’interlocuteur (profession, membres de sa famille élargie) : 3. Âge : 4. Nom de la communauté dont l’interlocuteur est membre :

Utilisation et occupation du territoire de chasse familial par l’interlocuteur 5. Territoire de chasse familial (emplacement géographique): 6. Rôles et responsabilités de l’interlocuteur par rapport au territoire de chasse familial: 7. Nom des utilisateurs atikamekw du territoire de chasse familial : 8. Utilisation et occupation du territoire par l’interlocuteur : 9. Fréquence d’occupation du territoire par l’interlocuteur : 10. Obligations réciproques entre les utilisateurs atikamekw du territoire : 11. Provenance de ces obligations et manières dont elles s’appliquent : 12. Résultants du respect des obligations entre les utilisateurs atikamekw du territoire : 13. Résultants du non respect des obligations entre les utilisateurs atikamekw du territoire : 14. Transformations historiques liées à l’essence de ces obligations et à la manière dont elles sont appliquées: 15. Principes atikamekw de transmission des rôles et responsabilités liés au territoire : 16. Transformations historiques liées à la dimension et emplacement du territoire : 17. Transformations historiques liées à la faune et à la flore au sein du territoire :

Relation de l’interlocuteur avec le territoire : 18. Toponymes familiaux connus par l’interlocuteur (signification en langue locale):

391

19. Histoires familiales en lien avec le territoire : 20. Conception du territoire : 21. Relations avec les animaux, les végétaux et les autres non-humains qui occupent le territoire :

Perception sur les réglementations sur les activités halieutiques et cynégétiques : 22. Règles de conduite atikamekw à respecter dans la pratique des activités en forêt (chasse, pêche, prélèvement de plantes, etc.) : 23. Provenance de ces règles de conduite et manière dont elles s’appliquent : 24. Résultants du respect des règles de conduite atikamekw en lien avec les pratiques des activités en forêt : 25. Résultants du non respect des règles de conduite atikamekw en lien avec les pratiques des activités en forêt : 26. Transformations historiques liées à l’essence de ces règles de conduite et à la manière dont elles sont appliquées : 27. Perceptions sur les réglementations imposées par les institutions allochtones :

Relation de l’interlocuteur avec les familles atikamekw des territoires de chasse familiaux voisins 28. Délimitation des territoires de chasse familiaux avoisinants : 29. Nom des membres des territoires familiaux avoisinants : 30. Rigidité/flexibilité des frontières entre les territoires de chasse familiaux: 31. Histoires liées aux relations entre les familles et groupes de chasse : 32. Obligations réciproques entre les familles : 33. Provenance de ces obligations et manières dont elles s’appliquent : 34. Résultants du respect des obligations entre les différentes familles: 35. Résultants du non respect des obligations entre les différentes familles : 36. Transformations historiques liées à l’essence de ces obligations et à la manière dont elles sont appliquées:

Relation de l’interlocuteur avec les Allochtones (chasseurs et pêcheurs sportifs, agents de la faune, travailleurs forestiers, villégiateurs) 37. Présence et activités des Allochtones au sein du territoire de chasse familial : 38. Rapports entretenus avec les Allochtones au sein du territoire de chasse familial :

392

Points de vue de l’interlocuteur sur les revendications territoriales globales 39. Connaissance du dossier politique en lien avec les revendications territoriales globales : 40. Participation aux consultations publiques organisées par le CNA et les conseils de bandes des communautés : 41. Participation aux travaux de recherche sur l’occupation et l’utilisation du territoire : 42. Points de vue sur le processus et les aboutissants des revendications territoriales globales :

393

Observations et entretiens auprès des membres atikamekw nehirowisiwok ayant un rôle actif dans le cadre des négociations territoriales globales

Profil de l’interlocuteur 1. Nom : 2. Rôle et statut de l’interlocuteur (profession, membres de sa famille élargie) : 3. Âge : 4. Nom de la communauté dont l’interlocuteur est membre :

Rôle de l’interlocuteur dans le processus de revendication territoriale globale 5. Rôle au sein de l’Équipe de négociation du CNA : 6. Rôle dans l’organisation des consultations publiques au sein des communautés : 7. Participation aux travaux de recherche sur l’occupation et l’utilisation du territoire :

Relation de l’interlocuteur aux territoires ancestraux atikamekw : 8. Délimitation des territoires ancestraux des Atikamekw Nehirowisiwok : 9. Rigidité/flexibilité des frontières entre les territoires de chasse familiaux, entre les communautés atikamekw, entre les autres Nations autochtones et entre les autres Nations (Québec, Canada): 10. Conception du territoire : 11. Relations avec les animaux, les végétaux et les autres non-humains qui occupent le territoire :

Perception sur les réglementations sur les activités halieutiques et cynégétiques : 12. Règles de conduite atikamekw à respecter dans la pratique des activités en forêt (chasse, pêche, prélèvement de plantes, etc.) : 13. Provenance de ces règles de conduite et manière dont elles s’appliquent : 14. Résultants du respect des règles de conduite atikamekw en lien avec les pratiques des activités en forêt : 15. Résultants du non respect des règles de conduite atikamekw en lien avec les pratiques des activités en forêt : 16. Transformations historiques liées à l’essence de ces règles de conduite et à la manière dont elles sont appliquées :

394

17. Perceptions sur les réglementations imposées par les institutions allochtones :

Points de vue de l’interlocuteur sur les revendications territoriales globales 18. Connaissance du dossier politique en lien avec les revendications territoriales globales : 18. Objectifs des revendications territoriales globales : 20. Points de vue sur le processus et les aboutissants des revendications territoriales globales : 21. Points de vue sur les relations et négociations auprès des équipes de négociation des gouvernements du Québec et du Canada : 22. Enjeux et défis liés au processus de revendications territoriales globales 23. Perception face à la clause d’extinction et alternatives :

395

ANNEXE 6

CALENDRIER DES SÉANCES DE TRAVAIL ET DE COLLECTE D’INFORMATIONS

PÉRIODE / ACTIVITÉ OBJECTIFS DATE Été 2013 (4 1 séance de travail avec Travailler autour des cartographies au 6 juin) les membres du toponymiques nehirowisiwok à partir Secrétariat au territoire des cartes du CNA pour développer des du Conseil de la Nation cartographies interactives pour le site Atikamekw Nehirowisiw internet du projet Atikamekw Kinokewin (CNA) (www.atikamekwkinokewin.org)

Automne 1 rencontre à La Tuque Prendre connaissance des projets 2013 (19 avec des membres du menés par les membres du CNA et décembre) (CNA) et des personnes discuter des contributions potentielles impliquées dans les de la recherche doctorale pour les négociations territoriales membres de l’organisation globales et le projet de code de pratiques nehirowisiw Hiver 2014 2 rencontres à La Tuque Présenter les objectifs de la recherche avec des membres du doctorale, faire valider le projet de CNA recherche et obtenir l’approbation écrite du CNA Hiver 2014 1 séjour de recherche Repérer les documents pertinents pour dans les fonds la recherche, faire la demande d’accès d’archives du CNA à l’information auprès de membres du CNA, lecture de documents conservés aux fonds d’archives Été 2014 1 rencontre avec les Présenter les objectifs de la recherche (1er juin) membres du Conseil de et obtenir l’approbation écrite du bande d’Opitciwan Conseil de bande d’Opitciwan Été 2014 Collecte d’informations Prendre connaissance des réseaux (observation participante familiaux, participer aux activités et entrevues) auprès des communautaires et familiales, identifier membres de la et prendre contact avec des communauté interlocuteurs-clés et des assistants de

396

d’Opitciwan recherche, rédiger un journal de bord pour faire état d’observations, d’expériences et d’échanges informels réalisés avec des membres des communautés lors des différentes activités, faire des entrevues avec des aînés concernant les droits et responsabilités territoriales Automne 1 rencontre avec les Présenter les objectifs de la recherche 2014 membres du Conseil de et obtenir l’approbation écrite du (septembre) bande de Manawan Conseil de bande de Manawan Automne Collecte d’informations Participer aux activités communautaires 2014 (observation et familiales au sein de la communauté participante, entrevues) et des territoires familiaux, rédiger un auprès de membres des journal de bord pour faire état communautés de d’observations, d’expériences et Manawan et d’Opitciwan d’échanges informels réalisés avec des membres des communautés lors des différentes activités, faire des entrevues avec des aînés concernant les droits et responsabilités territoriales Automne Participation au colloque Prendre connaissance des savoirs, 2014 territorial des aînés expériences, besoins et préoccupations (septembre) organisé par le CNA au exprimés par les aînés lors du colloque, sein du territoire discuter de manière informelle avec les ancestral d’une famille membres de la Nation présents à de Manawan l’événement Automne Participation à Prendre connaissance des savoirs, 2014 l’assermentation du expériences, besoins et préoccupations (octobre) Grand-Chef de la Nation exprimés par les aînés et les ka et au colloque territorial nikaniwitcik (responsables territoriaux) organisé par le CNA sur lors du colloque, discuter de manière l’ancienne réserve de informelle avec les membres de la Wemotaci Nation présents à l’événement Automne 2 séjours de recherche Lecture et photocopie de documents et 2014 dans les fonds travaux pertinents pour la recherche d’archives du CNA à La Tuque Hiver 2015 1 rencontre avec des Valider et discuter des données (29 janvier) membres du CNA et des recueillies auprès des familles et

397

membres impliqués dans membres des communautés, discuter l’élaboration du code de du processus et du développement du pratiques nehirowisiw code de pratiques nehirowisiw, discuter du projet de développer un lexique nehiromowin / français autour des savoirs normatifs nehirowisiwok Hiver 2015 Collecte d’informations Participer aux activités communautaires (observation participante et familiales, rencontrer des aînés et et entrevues) auprès de recueillir des récits (atisokana), écouter membres de la et analyser les récits ancestraux communauté conservés par la radio communautaire d’Opitciwan d’Opitciwan, avec l’autorisation des aînés, travailler avec les technolinguistes de la communauté autour de la traduction et l’interprétation des récits et travailler avec des membres du service éducatif pour réunir et mettre en valeur ces récits dans des activités scolaires pour les jeunes Été 2015 1 rencontre avec des Discuter des avancements de la thèse, (19-20 mai) membres du Secrétariat identifier des concepts-clés sur lesquels au territoire du CNA, de travailler pour le lexique nehiromowin / la technolinguiste du français, préparer l’organisation du CNA et de membres colloque territorial à venir à Opitciwan impliqués dans l’élaboration du code de pratiques nehirowisiw Été 2015 Participation au colloque Prendre connaissance des savoirs, (juin) territorial au sein d’un expériences, besoins et préoccupations territoire communautaire exprimés par les membres des d’Opitciwan communautés lors du colloque, présenter un résumé de mes travaux de recherche, discuter de manière informelle avec les membres de la Nation présents à l’événement Été 2015 1 rencontre avec les Présenter les objectifs de la recherche (juillet) membres du Conseil de et obtenir l’approbation écrite du bande de Wemotaci Conseil de bande de Wemotaci Été 2015 Collecte d’informations Participer aux activités communautaires

398

(juillet-août) (observation participante et familiales, faire des entrevues avec et entrevues) auprès de des aînés et des personnes ayant joué membres de la un rôle de premier plan dans les communauté de négociations territoriales globales Wemotaci Été 2015 Participation au Aider à l’organisation, participer aux (juillet) campement kinokewin activités et assiter aux conférences offertes par des aînés Hiver 2016 1 rencontre avec des Travailler sur le lexique : identifier des (11 février) membres du CNA et concepts-clés, travailler sur la personnes impliquées morphologie des termes et leur sur la Table des traduction, identifier les contextes négociations territoriales d’application des termes identifiés Hiver 2016 1 rencontre avec des Travailler autour des récits (atisokana) : (12 février) membres du CNA leur traduction et leur interprétation

Hiver 2017 1 rencontre avec des Travailler autour de la traduction et de (9 février) membres du CNA l’interprétation des concepts normatifs nehirowisiwok et des récits territoriaux

399