Initiatives d’affirmation et de mise en valeur des savoirs et du territoire

Mémoire

Flora Mutti

Maîtrise en anthropologie - avec mémoire Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Flora Mutti, 2020

Initiatives atikamekw d’affirmation et de mise en valeur des savoirs et du territoire

Mémoire

Flora Mutti

Sous la direction de :

Sylvie Poirier, directrice de recherche Laurent Jérôme, codirecteur de recherche

Résumé

La Nation autochtone atikamekw nehirowisiw compte aujourd’hui environ 8000 membres, qui vivent principalement dans les communautés de , Opticiwan, et , situées au Centre du Québec (Canada), dans les régions de la Haute-Mauricie et de Lanaudière. Les Atikamekw Nehirowisiwok n’ont jamais cédé leur territoire et leur souveraineté et continuent, dans le contexte néocolonial contemporain et en dépit des contraintes grandissantes, de maintenir leurs relations au Nitaskinan, leur territoire ancestral, et de transmettre leurs savoirs propres. Dans le cadre de cette recherche et lors d’un terrain à la communauté de Manawan à l’été 2019, je me suis intéressée à certaines des initiatives mises en œuvre par les Atikamekw Nehirowisiwok afin de maintenir et d’affirmer ces relations et de favoriser la transmission intergénérationnelle des savoirs locaux. Il est entre autres question des cartographies développées par les Atikamekw Nehirowisiwok ainsi que du tourisme mis en place à Manawan. Ce mémoire tente ainsi de mettre en lumière certains des défis et des enjeux que rencontrent les Atikamekw Nehirowisiwok dans leur affirmation identitaire et la mise en œuvre de leurs projets de vie.

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Abstract

The Atikamekw Nehirowisiw Atikamekw Nation today has approximately 8,000 members, who live mainly in the communities of Wemotaci, Opticiwan, and Manawan, located in Central (Canada), in the Haute-Mauricie and Lanaudière regions. The Atikamekw Nehirowisiwok Atikamekw have never ceded their territory and sovereignty and continue, in the contemporary neo-colonial context and despite growing constraints, to maintain their relations with the Nitaskinan, their ancestral territory, and to transmit their own knowledge. As part of this research and during a field trip to the community of Manawan in the summer of 2019, I became interested in some of the initiatives implemented by the Atikamekw Nehirowisiwok to maintain and affirm these relationships and promote the intergenerational transmission of local knowledge. Among other things, it is a question of the cartographies developed by the Atikamekw Nehirowisiwok as well as the tourism set up in Manawan. This brief thus attempts to highlight some of the challenges and stakes that the Atikamekw Nehirowisiwok encounter in their identity affirmation and the implementation of their life projects.

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Table des matières

Résumé ...... ii Abstract ...... iii Table des matières...... iv Liste des photographies ...... vii Liste des sigles ...... viii Remerciements ...... ix Introduction ...... 1 Chapitre 1 : Cadre théorique et conceptuel : Résurgence et savoirs autochtones en contexte néocolonial ...... 5 1.1 Une brève histoire de la dépossession autochtone au Canada ...... 5 1.2 La reconnaissance et la résurgence des peuples et des savoirs autochtones aujourd’hui ...... 7 1.3 Les systèmes de savoirs autochtones ...... 12 1.4 Les savoirs autochtones et le territoire : des modes d’acquisition et de transmission propres ...... 16 1.5 Initiatives autochtones de réappropriation des savoirs : tourisme et cartographie ..... 21 1.5.1 Le tourisme autochtone ...... 22 1.5.2 Les cartographies autochtones ...... 26 Chapitre 2 : Contextualisation : les Atikamekw Nehirowisiwok ...... 29 2.1 Les Atikamekw Nehirowisiwok : ethnonymes, identité et territoire ...... 29 2.2 Colonisation : dépossession territoriale, bouleversements socio-politiques et rupture dans la transmission des savoirs ...... 33 2.2.1 Les territoires familiaux algonquiens : polémiques et débats ...... 33 2.2.2 Les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan: changements dans les modes d’occupation du territoire ...... 36 2.2.3 La Loi sur les Indiens : l’imposition des Conseils de bande ...... 41 2.2.4 La période des pensionnats ...... 42 2.3 Revendications territoriales et souveraineté ...... 45 2.4 Initiatives atikamekw de transmission des savoirs et de développement des activités sur le territoire ...... 48 2.5 Objectifs et questions de recherches ...... 51 Chapitre 3 : cadre méthodologique ...... 52 3.1 En amont de mon terrain à Manawan ...... 52 3.2 Contexte de mon arrivée à Manawan ...... 55

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3.3 Enjeux et défis d’une recherche en milieu autochtone ...... 56 3.4 Récit d’une intégration « partielle » ...... 57 3.5 Positionnalité(s) sur le terrain et humilité ...... 62 3.5.1 Positionnalité de la femme « disponible » ...... 62 3.5.2 Positionnalité de « la touriste » ...... 64 3.6 Réflexions sur la décolonisation de la recherche ...... 66 3.7 Méthodes de collecte de données ...... 68 3.7.1 Échanges informels et entretiens semi-dirigés...... 68 3.7.2 Le travail avec les cartes...... 70 3.7.3 Observation participante ...... 72 3.8 La compilation et l’analyse de données ...... 75 Chapitre 4 : Occupation contemporaine du territoire et affirmation territoriale ...... 78 4.1 Une langue issue du territoire...... 78 4.2 Le territoire : lieu privilégié pour la transmission et l’acquisition des savoirs et des valeurs ...... 82 4.3 Savoirs et responsabilités : l’exemple des ka nikaniwitc ...... 85 4.4 Cohabitation forcée avec des acteurs allochtones en Nitaskinan ...... 88 4.4.1 Conséquences des coupes forestières et des dégradations environnementales ... 89 4.4.2 Occuper Nitaskinan et laisser des traces afin de limiter et de réguler la présence étrangère ...... 92 4.5 De l’importance que les jeunes générations passent du temps en Nitaskinan ...... 94 4.6 Cartographies et toponymes ...... 100 Chapitre 5 : Tourisme Manawan : projets et aspirations ...... 108 5.1 Tourisme Manawan (historique) ...... 108 5.1.1 Le temps des clubs privés : le travail de guide ...... 108 5.1.2 La période du « déclubage » ...... 112 5.1.3 La prise en charge du tourisme ...... 113 5.1.4 Historique des initiatives de développement du tourisme par les Atikamekw Nehirowisiwok dans les années 90 ...... 114 5.1.5 L’offre touristique actuelle ...... 116 5.2 Le tourisme comme stratégie de développement et d’affirmation ...... 125 5.3 Aspirations et projets communs ...... 128 5.4 Le site Matakan et la transmission des savoirs entre les acteurs de Tourisme Manawan ...... 134 5.4.1 La transmission de la langue nehiromowin ...... 135

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5.4.2 La transmission de certains savoir-être : l’exemple du partage de la viande avec l’ensemble de l’environnement ...... 136 5.4.3 La transmission de certains savoir-faire locaux ...... 137 5.5 Le site Matakan et la transmission des savoirs aux jeunes générations ...... 140 Conclusion ...... 144 Bibliographie ...... 150 Annexe A : Cartes ...... 166 Annexe B : Grilles d’entretien ...... 172

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Liste des photographies

Photographie 1 Berges du site Matakan - canots et rabaska…………………………….....117

Photographie 2 Site Matakan - Feu central………………………………………………..118

Photographie 3 Site Matakan - Poissons disposés sur la grande table près du feu central, juste après que le filet ait été relevé par des guides et des touristes ; un tipi à l’arrière-plan……..118

Photographie 4 Site Matakan – Cuisine…………………………………………………...119

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Liste des sigles

AMAA : Association Mamo Atoskewin Atikamekw

APNQL : Association des Premières Nations du Québec et du Labrador

CAM : Conseil Atikamekw-Montagnais

CAMROUT : Conseil Atikamekw-Montagnais, recherche sur l’occupation et l’utilisation du territoire

CÉRUL : Comités d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l'Université Laval

CIEREH : Comité institutionnel d’éthique de la recherche avec des êtres humains

CNA : Conseil de la Nation Atikamekw

CRSH : Conseil de recherches en sciences humaines du Canada

CRT : Centre de ressources territoriales

ONG : Organisation non gouvernementale

GER : Groupe consultatif interagences en éthique de la recherche

PADE : Pourvoirie à droits exclusifs

PADNE : Pourvoirie à droits non-exclusifs

STAQ : Société touristique des autochtones du Québec

STI : Société touristique Innu

TAQ : Tourisme Autochtone Québec

UQAM : Université du Québec à Montréal

UQAT : Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

ZEC : Zone d’exploitation contrôlée

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Remerciements

Je tiens en premier lieu à remercier l’ensemble des personnes de la communauté de Manawan qui ont participé de près ou de loin à ce projet de maîtrise. Merci pour votre temps et pour votre accueil. Je tiens particulièrement à remercier Patrick Moar pour son investissement dans la recherche et pour l’aide précieuse qu’il m’a apportée durant mon séjour. Je tiens aussi à remercier chaleureusement Gildor Echaquan, pour son accueil, pour tous ces moments passés à rire (beaucoup) et pour m’avoir fait rencontrer les membres de sa famille et ses amis. Un merci spécial à Jeffrey Niquay, Éric Flamand, Rébecca Ottawa-Bluteau et Cyril Moar pour leur amitié, et pour tout ce qu’ils m’ont appris. Mon séjour n’aurait pas été pareil sans vous, mikwetc.

Je souhaite également remercier Armand Echaquan, feu Benoit Ottawa, Mario Ottawa et Dominic Flamand pour l’ensemble des connaissances qu’ils m’ont transmises. Je ne vous remercierai jamais assez pour votre ouverture, votre temps et votre gentillesse. Merci aussi à Maria Echaquan, Ken (Tcitci) Dubé et leurs enfants pour m’avoir accueilli chez eux et m’avoir fait partager tous ces bons moments.

Je remercie aussi grandement Sylvie Poirier, ma directrice de recherche, pour sa patience, son investissement, ses conseils et son professionnalisme. Merci milles fois. Je remercie également Laurent Jérôme, mon co-directeur de recherche, pour son appui et ses commentaires, et pour avoir facilité mon hébergement et mon séjour à Manawan.

Cette recherche s’inscrit dans le projet dirigé par Laurent Jérôme, en partenariat avec Tourisme Manawan et le Conseil des Atikamekw de Manawan, et intitulé : « Le tourisme comme levier de développement et de souveraineté en milieu autochtone : histoire, pratiques et savoirs des Atikamekw de Manawan » (CRSH – programme « Développement savoir »). Cette recherche s’inscrit aussi dans le projet piloté par Benoit Éthier, en partenariat avec le Conseil de la Nation atikamekw, et intitulé : « Territorialités et cartographies autochtones : étude comparative sur les productions cartographiques des Atikamekw Nehirowisiwok (Québec) et des Coast Salish (Colombie-Britannique) dans le contexte des revendications territoriales globales » (CRSH – programme « Développement savoir »). J’ai eu la chance

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d’être embauchée comme auxiliaire de recherche sur ces deux projets et les deux contributions financières reçues du CRSH ont grandement facilité la recherche.

J’ai obtenu le prix d’excellence 2019 pour le projet de recherche octroyé par le Comité directeur du fonds de recherche et enseignement en anthropologie. Je remercie encore une fois les donateurs qui contribuent à financer ce prix.

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Introduction

Un système de savoirs peut être défini comme l’ensemble partagé des éléments qu’une personne utilise pour interpréter le monde et agir sur celui-ci (Barth, 1995 ; Barth, 2002). Selon Manuela Carneiro de Cunha : « La manière de transmettre les savoirs est au moins aussi importante, sinon plus, que leur substance et l’effondrement des règles d’autorité et de transmission des savoirs est aussi grave, sinon plus, que leur oubli » (Carneiro, 2012 : 728). Cette citation illustre bien que les processus d’acquisition et de transmission des savoirs, propres à chaque peuple, sont au cœur des régimes de savoirs. Or, en contexte contemporain, les peuples autochtones du monde doivent faire face à de nombreux obstacles et défis pour assurer la transmission des savoirs locaux (Poirier, 2014). Par ailleurs, les savoirs des peuples autochtones sont bien souvent indissociables des territoires et des lieux qu’ils occupent, et c’est en territoire que les modes d’apprentissages locaux ont le plus de chance d’être mis en pratique. Conscients de ces défis, plusieurs peuples autochtones s’organisent et initient des projets visant à ce que leurs savoirs continuent d’être correctement acquis et transmis en territoire, tout en se transformant face aux nouvelles conditions d’existence.

Dans le cadre de cette recherche, j’ai choisi d’explorer ce mouvement de valorisation des savoirs en territoire à la lumière d’un exemple précis, soit certaines des initiatives des Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan allant en ce sens. Il sera notamment question du tourisme et des cartographies. Les Atikamekw Nehirowisiwok n’ont jamais cessé de fréquenter et d’occuper leur territoire, et sont engagés depuis plusieurs années déjà dans des projets visant l’affirmation, la valorisation et la transmission de leurs savoirs en territoire. Afin d’obtenir des droits et des titres sur Nitaskinan [le territoire ancestral revendiqué], la Nation atikamekw nehirowisiw est également engagée depuis des décennies, dans un processus de revendications territoriales avec les gouvernements fédéral et provincial (Poirier et al, 2014 : 5). Or, tout comme Irène Hirt, je considère que dans le contexte actuel les défis auxquels doivent faire face les peuples autochtones pour mener à bien les revendications territoriales dans lesquels ils sont engagés sont indissociables des obstacles auxquels ils sont confrontés pour continuer à transmettre et à acquérir les savoirs locaux (Hirt, 2017 : 113).

Le mémoire est organisé en cinq chapitres. Le premier chapitre permet d’exposer les bases théoriques et conceptuelles qui ont guidé ma recherche. Il me semblait important de mettre

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en lumière dès le départ certains des défis auxquels sont confrontés les peuples autochtones lorsqu’ils sont engagés dans des processus de revendications avec les instances étatiques. Le premier chapitre débute donc par un bref survol historique de la dépossession autochtone du Canada. J’engagerai ensuite une discussion autour des politiques de reconnaissance du Canada, considérées par plusieurs comme étant révélatrices de la situation néocoloniale actuelle. Il sera ensuite question du courant de pensée de la résurgence autochtone. Face à l’échec des politiques de reconnaissance, plusieurs intellectuels autochtones engagés ont élaboré le courant de pensée de la résurgence. Ce courant de pensée tend à se démarquer des politiques de reconnaissance et préconise un changement de paradigme institutionnel et structurel qui doit permettre une affirmation de l’identité et des savoirs autochtones au sein des communautés. Par la suite, il sera donc question de la notion de savoir, et plus particulièrement des systèmes de savoirs autochtones. Je m’attarderai notamment sur les processus de transmission et d’acquisition des savoirs propres aux autochtones. Comme évoqué déjà, les modalités de transmission des savoirs autochtones sont au cœur des systèmes de savoirs autochtones, et constituent l’un des sujets centraux de mon mémoire. Finalement, je clôturerai ce chapitre en discutant de deux initiatives développées par certaines communautés, le tourisme et les cartographies. Je mettrai notamment en avant le fait que le tourisme et les cartographies autochtones peuvent bénéficier à la transmission des savoirs ainsi qu’au processus de revendications territoriales dans lesquels certaines Nations autochtones sont engagées.

Le deuxième chapitre donne un aperçu des réalités territoriales, historiques et sociopolitiques des Atikamekw Nehirowisiwok. Ceux-ci ont toujours tiré leur identité des relations qu’ils entretiennent avec le territoire qu’ils occupent. Sylvie Poirier parle d’ailleurs de « l’identité atikamekw du territoire » (Poirier, 2000 : 143). Au temps du semi-nomadisme, les groupes familiaux s’identifiaient à un territoire spécifique, et chaque famille dépendait également d’un territoire familial. Les territoires familiaux étaient flexibles et adaptables aux besoins des familles. Une discussion autour des débats qui ont entouré les systèmes des territoires familiaux algonquiens permettra de mieux comprendre les logiques sous-jacentes à l’occupation territoriale des nations algonquiennes en général et des Atikamekw Nehirowisiwok en particulier. La sédentarisation forcée, l’imposition des conseils de bande, les pensionnats et la réduction des territoires familiaux ont eu des impacts importants

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concernant la transmission des savoirs et l’organisation territoriale, politique et sociale des Atikamekw Nehirowisiwok. Les Atikamekw Nehirowisiwok sont très proactifs en ce qui concerne l’affirmation de leur autonomie et de leur souveraineté en Nitaskinan. Il sera donc question dans ce chapitre des défis auxquels doivent faire face les Atikamekw Nehirowisiwok pour mener à bien le processus de revendications territoriales dans lesquels ils sont engagés depuis des décennies avec les deux paliers de gouvernement. Par ailleurs, je discuterai de certaines des initiatives mises en place par les Atikamekw Nehirowisiwok et qui visent en une affirmation de leurs savoirs et de leur identité en territoire.

Le troisième chapitre présente l’ensemble du processus de recherche ainsi que les aspects méthodologiques qui ont orienté ce dernier. Cette recherche s’inscrit dans une approche qualitative, qui laisse une part importante à l’intersubjectivité dans le processus de production de connaissances. Cette recherche s’inscrit également dans le cadre de la décolonisation de la recherche. Or, dans le cadre de la décolonisation de la recherche en milieu autochtone, le chercheur est amené à repenser ses rapports avec les Premières Nations (Jérôme, 2008 : 180). A la lumière de ces éléments, le lecteur sera invité dans ce chapitre à prendre connaissance de mon expérience de terrain, qui s’est déroulé à l’été 2019 dans la communauté de Manawan, ainsi que des enjeux et des limites auxquelles j’ai été confrontée. Les méthodes de collectes et d’analyses de données auxquelles j’ai eu recours seront aussi présentées.

Le quatrième et le cinquième chapitres discutent de certaines des logiques sous-tendant l’occupation contemporaine de Nitaskinan par les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan. Mon expérience de terrain m’a démontré à quel point les modalités d’acquisition et de transmission des savoirs locaux sont indissociables des relations qu’entretiennent les Atikamekw Nehirowisiwok avec Nitaskinan. Dans le contexte néocolonial contemporain, les Atikamekw Nehirowisiwok font preuve de résistance et d’adaptabilité face aux conditions nouvelles d’existence et continuent à affirmer leurs savoirs et leur identité en territoire. Plusieurs exemples issus de mes observations et de mes échanges viendront illustrer et démontrer ces propos. Dans le quatrième chapitre, il sera question de la langue nehiromowin, de l’expérience personnelle et de l’observation directe, deux modes d’acquisition et de transmission des savoirs privilégiés par les Atikamekw Nehirowisiwok, ainsi que du lien entre savoirs et responsabilités. J’évoquerai également quelques-unes des initiatives prises

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par les Atikamekw Nehirowisiwok pour limiter certaines des conséquences néfastes engendrées par la présence et les activités étrangères en Nitaskinan. Je donnerai ensuite quelques exemples d’initiatives locales visant à ce que les jeunes générations fréquentent Nitaskinan. Enfin, une discussion autour des cartographies et des toponymes viendra conclure ce chapitre.

Le cinquième chapitre sera quant à lui consacré au tourisme mis en place à Manawan. Afin de contextualiser le développement actuel du tourisme à Manawan, il m’a semblé important d’effectuer en premier lieu un historique du tourisme à Manawan. Il sera donc question au début du chapitre du temps des clubs privés, de la période du déclubage, de la période de la prise en charge du tourisme, de quelques initiatives de développement du tourisme par et pour les Atikamekw Nehirowisiwok dans les années 90 et finalement de l’offre touristique actuelle. Sur la base de mes échanges, je mettrai ensuite en lumière que le tourisme est aujourd’hui considéré comme une stratégie de développement et d’affirmation. Aujourd’hui, et comme nous le verrons, les Atikamekw Nehirowisiwok s’organisent pour que les personnes soient placées au cœur du processus décisionnel lié au tourisme. J’évoquerai donc certaines des aspirations et des attentes de personnes de la communauté envers le développement du tourisme. Par la suite, sur la base de mes observations et de mes échanges, j’évoquerai certains des processus de transmission des savoirs à l’œuvre entre les acteurs du tourisme sur le site Matakan [le lieu d’accueil des touristes en territoire communautaire]. Pour conclure ce chapitre, j’évoquerai le sujet de la transmission des savoirs aux jeunes générations sur le site Matakan.

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Chapitre 1 : Cadre théorique et conceptuel : Résurgence et savoirs autochtones en contexte néocolonial

Dans ce premier chapitre, j’exposerai les bases théoriques et conceptuelles qui ont guidé ma recherche. Je commencerai tout d’abord par un bref survol historique de la dépossession autochtone au Canada. J’exposerai notamment certains des défis et des contraintes auxquels doivent faire face les peuples autochtones lorsqu’ils sont engagés dans des processus de revendications avec les instances étatiques. J’expliquerai ensuite en quoi les politiques de reconnaissance du Canada s’inscrivent dans la situation néocoloniale actuelle, puis j’évoquerai le courant de la résurgence autochtone. Le courant de pensée de la résurgence autochtone, qui constitue une des expressions de la résistance autochtone, a été élaboré par plusieurs intellectuels autochtones notamment en réaction face à l’échec des politiques de reconnaissance. Comme je l’expliquerai, ce courant de pensée préconise notamment une affirmation de l’identité et des savoirs au sein des communautés autochtones. Il sera donc ensuite question des systèmes de savoirs autochtones ainsi que des principes épistémologiques et ontologiques sur lesquels ils reposent. Par la suite, je m’attarderai sur l’un des sujets centraux de mon étude soit les modes d’acquisition et de transmission des savoirs propres aux autochtones. J’exposerai notamment le fait que pour la plupart des peuples autochtones les modes d’acquisition et de transmission des savoirs sont intrinsèquement liés aux territoires qu’ils occupent. Je mettrai ensuite en lumière le fait que les défis auxquels doivent faire face les peuples autochtones engagés dans des processus de revendications territoriales sont indissociables des défis auxquels ils sont confrontés pour se réapproprier certains savoirs. Je m’attarderai donc sur deux initiatives développées par certaines communautés autochtones, soit le tourisme et les cartographies. En effet, selon moi, le tourisme et les cartographies sont deux « stratégies » qui, lorsqu’elles sont initiées par les communautés autochtones, peuvent favoriser la transmission des savoirs tout en bénéficiant au processus de revendications territoriales.

1.1 Une brève histoire de la dépossession autochtone au Canada

En 1973, l’arrêt Calder marque une évolution importante pour les droits des Autochtones du Canada. Il reconnait en effet que les Autochtones ont des droits sur le territoire et que ces droits découlent du seul fait qu’ils l’occupaient bien avant l’arrivée des Européens (Dupuis, 1997 : 67-68). En ce sens, l’arrêt Calder marque les prémisses de la reconnaissance des droits territoriaux ancestraux par le gouvernement du Canada. Ces droits avaient déjà été reconnus par la Proclamation de 1763 mais jusqu’ici ils pouvaient être éteins ou annulés sans presque aucune formalité. Cela se faisait le plus souvent de manière unilatérale et « quel que soit le moyen utilisé, il importait seulement que l’intention gouvernementale d’éteindre ces droits soit énoncée clairement et expressément » (Dupuis, 1997 : 68).

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Suite à ce jugement, le gouvernement s’est empressé d’adopter la Politique dite des revendications territoriales globales en 1973. Comme cela sera détaillé dans le chapitre 2, les Atikamekw Nehirowisiwok sont engagés dans ce processus de négociation depuis quarante ans (1979). Par le biais de la Politique des revendications globales, l’État canadien entend clarifier sa position de souveraineté sur le sol canadien en négociant avec les Autochtones l’abandon de leurs droits ancestraux non-cédés sur le territoire (Asch et Zlotkin, 2008 ; Dupuis, 1997 : 69, Dupuis, 2001 : 103). Les Autochtones quant à eux sont fermement opposés à cette clause d’extinction de leurs droits ancestraux au sein de leurs territoires. Les Autochtones qui se sont engagés dans le processus des revendications territoriales globales aspirent au contraire à ce que l’État leurs reconnaissent le droit à l’autodétermination. Les peuples autochtones souhaitent donc, entre autres, faire reconnaitre leurs droits et leurs relations aux territoires tels qu’incarnés dans certaines pratiques dont leurs pratiques de gouvernance (Asch et Zlotkin, 2008).

Par ailleurs, l’article 35 de la loi constitutionnelle de 1982 marque aussi un tournant pour les droits des Autochtones. Cet article vient en effet reconnaitre et confirmer les droits ancestraux ainsi que le titre aborigène des peuples autochtones (Otis, 2005 : 901). La reconnaissance constitutionnelle de 1982 ne reconnait pas cependant le droit à l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones. Néanmoins, la constitutionnalisation de ces droits ouvre une voie légale non négligeable aux revendications autochtones quant à leurs droits et à leurs titres sur leurs territoires.

Malgré ces quelques avancées, les Nations autochtones engagées dans des processus de revendications territoriales doivent prouver l’occupation suffisante et exclusive du territoire par leurs ancêtres. Ils doivent également démontrer que cette occupation était antérieure à l’affirmation de la souveraineté du Canada (Otis, 2005 : 215). Le fardeau de la preuve leur revient donc entièrement (Poirier, 2000 ; 142). Ce chemin semé d’embûches, par lequel les Autochtones doivent passer, s’ils désirent obtenir des droits et des titres sur leurs territoires, rappelle que ce n’est pas grâce aux gouvernements que les droits des Autochtones ont été rendus constitutionnels mais bien du fait des Autochtones eux-mêmes. C’est en effet face à un activisme politique et juridique grandissant et prônant les droits autochtones que le gouvernement s’est vu « contraint » de reconnaitre ces droits (Green, 2004 : 22).

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Si aujourd’hui – et contrairement à une époque pas si lointaine - les peuples autochtones ont retrouvé un droit à la parole et à des formes de reconnaissance, ils doivent cependant le faire à l’intérieur des paramètres et des institutions imposées par l’État canadien (Nadasdy, 2003). Les peuples autochtones réclament un droit à la différence et la reconnaissance d’un statut distinct (Poirier, 2000 : 137), mais ces revendications sont incompatibles avec les politiques canadiennes fondées sur un « constitutionnalisme moderne » qui s’oppose à la diversité culturelle (Tully, 1999). En effet, le « constitutionnalisme moderne » applique indifféremment des principes eurocentristes et impose des institutions hégémoniques à tous les citoyens. Or selon James Tully : « Traiter les candidats à la reconnaissance « exactement comme le reste d’entre nous » ne revient pas à les traiter avec justice. Cela correspond à les traiter à l’intérieur des conventions et des institutions impériales qui ont été érigées pour les exclure, dominer, assimiler ou exterminer » (Tully, 1999 : 94-95).

Dans la section suivante, j’exposerai plus en détails en quoi les négociations entreprises par les peuples autochtones au Canada avec les institutions étatiques sont révélatrices de la situation néocoloniale actuelle. J’évoquerai ensuite le courant de pensée de la résurgence autochtone. Ce courant de pensée tend à se démarquer d’un autre courant mis de l’avant par le gouvernement canadien, soit celui des politiques de la reconnaissance. En effet, le mouvement de la résurgence autochtone, porté par différents intellectuels autochtones, préconise un changement de paradigme institutionnel et structurel pour que puisse se réaliser une affirmation de l’identité et des savoirs autochtones au sein des communautés.

1.2 La reconnaissance et la résurgence des peuples et des savoirs autochtones aujourd’hui

Comme esquissé précédemment, les politiques de reconnaissance des peuples autochtones et de leur droit à la différence, revendiquées par ceux-ci depuis les années 70, dans le contexte mondial de décolonisation de l’époque et afin d’obtenir leur autodétermination, ont peu de chance d’aboutir dans le contexte actuel. En effet, les négociations de quelques natures que ce soit, comme c’est par exemple le cas des revendications territoriales dans lesquelles sont engagés les peuples autochtones au Canada, mais aussi à travers le monde, sont pour le

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moment biaisées, puisque fondées sur des relations de pouvoir inégalitaires. Effectivement, l’État canadien, incarné dans ses institutions, prend pour acquis que les peuples autochtones s’engagent dans les processus de négociations en adoptant un langage, une façon de penser, et une façon de faire propre à la société majoritaire (Nadasdy, 2003 : 9).

Ainsi, lorsque les peuples autochtones s’impliquent dans des négociations avec les institutions étatiques dans le but d’obtenir certains droits sur la base de leur différence et de leur occupation ancestrale, leurs systèmes de savoirs ainsi que leurs épistémologies et leurs ontologies1 propres sont niées et ignorées. La société majoritaire, en présupposant de la supériorité de son ontologie et de son monde, entend par là même l’imposer à tous les autres. Cette logique hégémonique nie par le fait même les différences culturelles et le point de vue de l’Autre (Battiste et Henderson, 2000 : 36-37). Pour décrire ce phénomène, Marie Battiste, Mi’kmaq et professeure à l’Université de Saskatchewan, reconnue pour son travail sur la question de l’éducation en milieu autochtone, et son mari Younglood Henderson, un avocat et professeur de droit à l’Université de Saskatchewan, membre des Nations chickasaw et cheyenne, utilisent le terme « d’impérialisme cognitif » (Battiste et Henderson, 2000 : 36- 37). Par le biais des négociations entreprises avec les peuples autochtones, l’État canadien continue donc d’imposer son impérialisme et un rapport de domination aux peuples autochtones. Il est alors possible de parler d’une situation néocoloniale.

Par conséquent, afin que les politiques de reconnaissance culturelle aboutissent, il est nécessaire que la société occidentale en général cesse de prétendre à l’universalité et donc à l’hégémonie de son système de savoirs propre. Il ne s’agit pas d’adhérer et de croire aux systèmes de savoirs autochtones. Mais il s’agit d’être dans une démarche réflexive de véritable reconnaissance de l’altérité. Il est nécessaire d’accepter qu’au même titre que son propre système de savoirs, les principes épistémologiques et ontologiques autochtones puissent être légitimes.

1Selon Sylvie Poirier, le concept d’ontologie réfère « aux théories de la réalité et de l’être-dans-le-monde. L’ontologie réfère ainsi à la nature de la réalité, à la nature des choses (êtres humains et non-humains, et objets) et à la nature de leurs relations (incluant leur existence, leur enchevêtrement et leur devenir communs) telles que conçues, vécues et mises en actes par les acteurs culturels / agents sociaux » (Poirier, 2016b : 1).

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Face à l’échec des politiques de reconnaissance culturelle et aux rapports de domination néocoloniale qu’entretient encore aujourd’hui la société majoritaire avec les différents peuples autochtones, plusieurs intellectuels des Premières Nations, Inuit et Métis du Canada ont élaboré le courant de la résurgence autochtone (Paquet, 2016 ; 80). Ce courant de pensée constitue l’une des expressions actuelles de la résistance autochtone, qui a toujours existé au Canada, sous des formes diverses (Charest et Tanner, 1992). Comme le soulève d’ailleurs Nicolas Paquet dans son mémoire Reconnaissance et résurgence : la nécessité d’une approche ascendante dans le contexte colonial canadien :

La résurgence définit 1' ensemble de gestes initiés par et pour les Indigènes sans que 1 'État ou le groupe majoritaire ne soit directement impliqué. Toutefois […] je note que la résurgence ne se distingue pas clairement de la résistance. Elle contient également des actes de résistance «internes» nécessaires à la revitalisation des valeurs traditionnelles. Par exemple, la restauration d'un rapport harmonieux avec le territoire passe par une contestation des modes intensifs d'exploitation des ressources, modes qui sont ceux qu'appuient plus souvent qu'autrement les gouvernements provinciaux et fédéraux et qui caractérisent l'action des grandes compagnies extractives (Paquet, 2017 :52).

La résurgence autochtone est donc perçue comme un projet « interne » aux communautés autochtones qui doit avoir comme effet final de modifier en profondeur les relations entretenues entre les peuples autochtones et l’État (Simpson, 2011 : 17), ceci devant mener enfin à une coexistence juste entre ces derniers (Coulthard, 2014 :129 ; Paquet, 2016 : 81, Simpson, 2004 : 373). Le courant de pensée de la résurgence aspire à ce que les Autochtones choisissent par eux-mêmes les objectifs, les projets et les « changements » à mettre en œuvre au sein des communautés afin que ces projets de vie autochtones (Blaser, 2004) soient reconnus par la suite par la société majoritaire (Coulthard, 2007). La résurgence autochtone s’inscrit ainsi dans une démarche de décolonisation des relations entre les Autochtones, l’État et la société majoritaire. Ces projets doivent être fonction des valeurs, de l’histoire, des pratiques politiques traditionnelles ainsi que des principes épistémologiques et ontologiques propres à chaque peuple autochtone (Coulthard 2007 ; Coulthard, 2018 [2014]). Il s’agit de revitaliser les pratiques traditionnelles de gouvernance, les langues, les systèmes de connaissances, les modes d’existences et les modes de vie autochtones (Simpson, 2011 : 17- 18).

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Bien que les positions politiques des penseurs de la résurgence soient variées, ce courant de pensée tend à se démarquer du discours de la reconnaissance, porté majoritairement par l’État canadien et les instances non-Autochtones. Selon Glen Coulthard et Taiaiake Alfred, deux intellectuels autochtones engagés, les politiques de reconnaissance ne font que renforcer la domination (néo)coloniale (Coulthard, 2018 [2014] ; Alfred, 2018). En effet, selon ces deux auteurs la politique de la reconnaissance ne fait pour le moment que reproduire - de manière plus ou moins dissimulée – les rapports de domination (néo)coloniaux qui sont fondamentalement racistes mais aussi sexistes (Coulthard, 2018 [2014] ; Alfred, 2018).

La résurgence autochtone est un projet anticolonial (Corntassel, 2012 :89). Il s’agit pour les peuples autochtones de se défaire de l’identité qui leur a été imposée par la société occidentale et une succession de politiques coloniales qui ont tenté méthodiquement et pendant des siècles d’éradiquer les façons qu’ont les peuples autochtones d’interagir avec le monde, de voir et d’être (Wilson, 2004 :359). La dépossession territoriale, la sédentarisation dans les « réserves », la marginalisation, les politiques coloniales comme la Loi sur les Indiens puis la fréquentation forcée des pensionnats par les enfants autochtones, entre la fin du XIXème siècle et jusqu’à la fin du XXème siècle, sont autant de politiques coloniales qui ont grandement contribué à une « cassure » dans la vie des peuples autochtones, ainsi qu’à une rupture dans les relations intergénérationnelles (Bousquet, 2002), et donc dans les processus de transmission des savoirs. Au Québec, les premiers pensionnats ont ouvert après 1949, donc relativement tard par rapport aux autres Provinces canadiennes (Bousquet, 2017). Comme l’écrit Marie-Pierre Bousquet, « les pensionnats d’Ontario, pour prendre un exemple, ont ouvert entre 1838 et 1949 » (Bousquet, 2017 : 22). Les Atikamekw Nehirowisiwok ont quant à eux fréquenté les pensionnats entre 1954 et 1970 (cf. chapitre 2).

C’est ainsi que la réappropriation des savoirs tout comme le développement de nouvelles stratégies de relations avec le territoire sont considérés comme des éléments clés du mouvement de la résurgence autochtone. Selon Alfred, il faut privilégier une réappropriation et une transmission des savoirs qui se fera au sein même du territoire et rétablir la présence des familles au sein de celui-ci (Alfred, 2009a :57). Le simple fait d’aller se promener en territoire peut consister en un acte de résurgence, amenant à une réappropriation de son passé, de ses valeurs et de ses savoirs étant donné que le territoire et les lieux qui le constituent sont

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porteurs de récits, de mémoires et de traces des ancêtres. D’ailleurs, le territoire est lui-même porteur de résurgence (Simpson, 2011 : 18). Il faut néanmoins insister sur le fait que nombreuses sont les familles atikamekw nehirowisiwok qui n’ont jamais cessé de fréquenter leur territoire.

Lorsque Alfred parle de la nécessité actuelle pour les peuples autochtones de se réapproprier les savoirs, il s’agit de le faire selon un « traditionalisme conscient », qu’il définit comme « an approach which sees culture as dynamic process, and traditionalism as a constant referencing back and forth between what is remembered of the past and what is demanded by the exigencies of the present » (Alfred, 1995 : 75). Il est donc nécessaire de mettre en place de nouvelles pratiques et de nouveaux modes de transmission des savoirs qui trouvent leurs sources dans les traditions, mais qui sont aussi adaptées aux contextes sociaux, politiques et économiques contemporains ( Alfred, 1995 : 179, Alfred, 2009b [1999]: 16).

En s’impliquant activement dans la mise en place d’activités et de pratiques favorisant la transmission intergénérationnelle des savoirs et en renouant des liens avec le territoire auxquels ils appartiennent, les peuples autochtones réaffirment leurs identités. Ce mouvement de réaffirmation constitue un acte de résurgence et de résistance « culturelle », que l’on définira comme les stratégies de transformations et de continuité culturelles mises en place par les groupes minoritaires dans des contextes de rapports de pouvoir inégaux (Poirier, 2010 : 42). C’est donc cet acte de résistance qui doit précéder l’affirmation de l’identité autochtone dans l’espace public (Paquet, 2016 :80), et permettre à terme un véritable dialogue d’égal à égal avec l’État et la société dominante. En soi, le mouvement de revalorisation des savoirs locaux est une démarche tout à la fois politique et culturelle.

Afin de mieux comprendre le processus de réappropriation des savoirs à l’œuvre au sein des communautés autochtones, il est nécessaire de comprendre ce que sont les systèmes de savoirs autochtones et certains des principes épistémologiques et ontologiques au fondement de ceux-ci.

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1.3 Les systèmes de savoirs autochtones

Avant d’essayer de comprendre et de définir ce que sont les savoirs autochtones, il faut avant tout préciser ce que l’on entend d’une façon plus générale par le concept de « savoir ».

Selon Frederik Barth, le savoir est l’ensemble partagé des éléments qu’une personne utilise pour interpréter et agir sur le monde. Ces éléments sont : les sentiments, les pensées, les aptitudes, les taxinomies et les autres particularités linguistiques. Ce sont en fait tous les moyens que nous pouvons utiliser pour mieux comprendre et expérimenter notre réalité (Barth, 1995 : 66 ; Barth, 2002). La définition que donne Christian Jacob des savoirs est assez proche de celle exposée par Barth. Selon Jacob, les savoirs sont « l’ensemble des procédures mentales, discursives, techniques et sociales par lesquelles une société, les groupes ou les individus qui le composent, donne sens au monde qui les entoure et se donne les moyens d’agir et d’interagir avec lui » (Jacob, 2014 :24).

Manuela Carneiro da Cunha, une anthropologue portugaise, donne une description complémentaire des systèmes de savoirs, de celles que nous venons de voir. Selon elle, ce qui caractérise un régime particulier de savoirs ce sont, entre autres, « le statut et la nature des savoirs, ce qu’ils sont, quels sont leurs genres et leurs espèces, leur hiérarchie ; leurs forces d’attribution et de validation ; les droits et les devoirs qui les ordonnent ; leurs conditions d’accès, de transmission, de circulation et de mémoire » (Carneiro da Cunha, 2012 : 725). Par la suite, elle donne une définition plus synthétique des régimes de savoirs et les définit ainsi : « Ce sont entre autres choses, les normes historiques et sociales d’acquisition, d’attribution, de transmission, de mobilisation, de mémorisation, de droits, d’autorité, associées aux formes sous lesquelles on pense les savoirs » (Carneiro da Cunha, 2012 : 728).

À l’instar d’autres auteurs, Carneiro da Cunha insiste particulièrement sur le dynamisme et l’adaptabilité des systèmes de savoirs (Carneiro da Cunha, 2012 :725 ; Berliner, 2010 ; Choron-Baix, 2000). De plus, comme esquissé précédemment, le processus de transmission des savoirs est indissociable et au cœur des régimes de savoirs. La transmission que l’on définira comme ce qui consiste à « faire passer quelque chose à quelqu’un » (Treps 2000 : 362) est « une dynamique subtile, traversée de contradictions, entravée par les obstacles, les interférences, les brouillages et autres ratages, mais capable aussi d’engendrer de la création

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et de la récréation » (Choron-Baix, 2000 : 359). Cette dernière citation est particulièrement éloquente en ce qui a trait au processus de transmission des savoirs en contexte autochtone néocolonial.

Comment peut-on alors définir les savoirs autochtones ? Notons tout de suite qu’il est difficile de donner une définition générale et englobante de ce qu’est un « système de savoirs autochtones ». En effet, il n’en existe pas un mais une multitude. Les savoirs autochtones ne sont pas un concept uniforme pour tous les peuples, ce sont des savoirs diversifiés qui se propagent différemment selon chaque groupe (Battiste et Henderson, 2000 : 35 ; Battiste, 2005 : 11). De plus, ces savoirs sont si intrinsèquement liés au clan, à la bande, à la communauté ou même à chaque individu qu’ils ne peuvent être compris hors contexte et codifiés dans une définition (Battiste et Henderson, 2000 : 36). Par ailleurs, ces savoirs sont intégrés au sein de cosmologies complexes et prennent appui sur des principes épistémologiques et ontologiques spécifiques auxquels il est nécessaire de s’intéresser pour mieux comprendre la façon d’être-au-monde des différents peuples autochtones.

En prenant cette approche en considération, la définition la plus proche qui pourrait permettre de décrire les savoirs autochtones pourrait être la suivante :

Knowledge is the expression of the vibrant relationships between the peoples, their ecosystems, and the other living beings and spirits that share their lands. These multilayered relationships are the basis for maintaining social, economic, and diplomatic relationships – through sharing with other peoples. All aspects of this knowledge are interrelated and cannot be separated from the traditional territories of the people concerned (Battiste et Henderson, 2000: 41).

Les savoirs des peuples autochtones seraient donc à la fois indissociables des territoires qu’ils occupent mais également indissociables de leurs relations avec tous les « habitants » de ce territoire : les humains, tous les êtres vivants (incluant les plantes et les animaux), les défunts et les esprits mais aussi les « forces naturelles » et les corps célestes. Les savoirs autochtones ainsi définis s’intègrent au sein de la cosmologie animiste, si on la considère en tant qu’épistémologie et ontologie et non pas simplement comme un système de croyances. Selon Descola, l’animisme est « l’imputation par des humains à des non-humains d’une intériorité identique à la leur » (Descola, 2005 :83). Hallowell, quant à lui, est le premier à avoir mis de l’avant l’importance de l’aspect relationnel de l’animisme (Hallowell, 1926, 1960).

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Plutôt que de parler de cosmologie animiste, Bird-David, préfère parler « d’épistémologie relationnelle » (Bird-David, 1999). L’épistémologie relationnelle part du présupposé que les « personnes » ne sont pas simplement incarnées dans les humains. L’épistémologie relationnelle c’est dire que « les animaux, les plantes et les roches, les entités animées ou inanimées, les lieux, les êtres non humains ou encore les entités ancestrales sont considérés comme des êtres sensibles, dotés d’intentionnalité, qui participent avec les humains, au savoir, au déploiement et au devenir du monde » (Poirier, 2000 :150).

Les savoirs autochtones sont indissociables de ces épistémologies et de ces ontologies relationnelles « qui postulent que le savoir ce n’est jamais « savoir de » mais « savoir à partir de » » (Andrade-Pérez et al. 2018 : 17) et qui définissent une façon d’être, au sein d’un monde où les humains et les non-humains possèdent tous une intentionnalité et une capacité d’agir propre, et au sein duquel tous interagissent avec chacun (Martin, 2016). Dans les ontologies relationnelles, nous dit Arturo Escobar, « il n’y a pas « d’individus » mais des personnes en relation continue avec l’ensemble du monde humain et non-humain » (Escobar, 2018 : 101). C’est dire aussi que dans les ontologies relationnelles « des liens de continuité s’établissent entre ce que nous appelons les mondes biophysiques, les mondes humains et les mondes surnaturels : ils ne sauraient constituer en effet des entités séparées » (Escobar, 2018 : 101). C’est en fait l’ensemble des relations entre les différentes entités, humaines et non-humaines, qui façonnent et qui constituent un monde/une ontologie relationnelle.

Contrairement à l’ontologie dualiste de l’Occident moderne, les ontologies relationnelles n’opèrent donc pas de distinction absolue entre la « culture » et la « nature », entre les « humains » et les « êtres de la nature » ((Blaser, 2009a ; Blaser, 2014[2012] ; Blaser 2013 ; Escobar, 2018). L’ontologie dualiste de l’Occident moderne – aussi appelé « ontologie naturaliste » par Philippe Descola (Descola, 2005) – est en effet caractérisée par son dualisme (Larrère, 2016 : 38). De plus, comme l’écrit Escobar, l’ontologie dualiste postule de « l’unité de la réalité », c’est donc dire que :

[…] il n’existe qu’un monde naturel. Ensuite, on postule de l’existence de multiples conceptions de ce monde, c’est-à-dire de « cultures » qui « connaissent » cette réalité unique de diverses manières […]. Et finalement, toute cette opération se trouve légitimée par l’existence d’une supranationalité - la « raison universelle » - que l’Occident serait la seule à posséder à son degré le

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plus haut, et qui constituerait l’unique garantie de vérité à propos de cette réalité (Escobar, 2018 : 105).

C’est de l’ontologie dualiste que découle l’approche positiviste de la science moderne, qui n’est envisageable que parce la distinction entre « Nature » et « Culture » est acquise. Cette approche consiste à avancer qu’on peut connaitre la réalité du monde grâce à une voie logique à partir de données sensorielles (Carneiro da Cunha, 2012 : 726). Aujourd’hui, les sciences de la nature sont fermement imbriquées dans ce paradigme positiviste (Carneiro da Cunha, 2012 : 726). Or, la société occidentale accorde aux sciences naturelles une valeur d’autorité, comme le nom l’indique, en ce qui concerne la compréhension du monde naturel.

La distinction qu’opèrent la pensée occidentale moderne et son ontologie dualiste entre la « nature » et la « culture » découle, comme nous venons de le voir, de la logique positiviste : les perceptions du monde, du réel, et des savoirs sont objectivées, au sens où l’on ne s’en tient qu’à ce qui peut être compris et contrôlé par les sens. Cela est en profond désaccord avec les systèmes de savoirs autochtones axés en grande partie sur le principe de l’intersubjectivité mais aussi d’incertitude et d’imprévisibilité du monde (Battiste et Henderson, 2000 ; Carneiro da Cunha, 2012).

Les savoirs autochtones sont donc un ensemble de savoir-être qu’entretiennent les peuples avec leur monde (Éthier, 2014 : 50 ; Poirier et al, 2014). Ce sont aussi un ensemble de savoir- faire qui s’incarnent dans les pratiques quotidiennes des différents peuples autochtones, pratiques indissociables des relations entretenues avec leurs environnements (Berkes, 2017 : 8, Éthier 2014 : 50).

Cette emphase portée aux savoir-être et aux savoir-faire, tous deux intimement liés, mais aussi aux « façons de savoir » et aux « façons de faire les choses » (Berkes, 2017 : 4) font des systèmes de savoirs autochtones de véritables modes de vie (Nadasdy, 2003 :63). Cela renforce l’idée qu’il faut considérer les systèmes de savoirs autochtones comme des processus, en opposition au savoir comme contenu (Berkes, 2017 : 4). Ces systèmes sont particulièrement dynamiques (Pierotti, 2018 : 301), ce qui est à mettre directement en lien avec le fait que les savoirs autochtones, comme vu précédemment, sont indissociables des environnements et des écosystèmes. Or, le propre d’un écosystème est que ce n’est pas quelque chose de statique mais bien au contraire quelque chose sans cesse sujet aux

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changements. Ainsi, les savoirs autochtones dépendent des conditions environnementales lesquelles changent en permanence (Battiste, 2005 :5).

Les processus contemporains de réaffirmation et de transmission des savoirs sont au cœur de mon mémoire de maîtrise. Je m’attarderai donc, dans la prochaine section, aux manières dont les savoirs autochtones sont acquis, distribués et transmis de génération en génération, et ce de façon également très dynamique.

1.4 Les savoirs autochtones et le territoire : des modes d’acquisition et de transmission propres

Les peuples autochtones ont leurs propres modes d’acquisition et de transmission des savoirs (Battiste, 2005 : 5). Ils privilégient, dans un premier temps, l’apprentissage acquis sur la base de l’expérience personnelle, dans un deuxième temps, l’apprentissage fondé sur l’observation de ce que font les autres et enfin l’apprentissage qui découle de la tradition orale et de l’écoute des récits mythiques, historiques ou encore des récits personnels (Rushfort, 1992 : 488).

Si le savoir acquis par sa propre expérience revêt une telle importance pour la plupart des peuples autochtones, c’est parce que ce savoir est considéré comme « vrai » (Goulet, 1994, 1998, 2004 ; Rushfort, 1992) puisqu’il s’agit d’un savoir de première main. Carneiro da Cunha écrit que dans toute société le savoir est soumis à des échelles de valeur (Carneiro da Cunha : 2012, 725). Pour les peuples autochtones, ce sont bien les savoirs acquis de première main qui sont les plus aptes à être acceptés comme légitimes, vrais et valides (Goulet, 1998 :27). Car, écrit Goulet, « l’action de savoir consiste à percevoir directement avec ses sens ou avec son esprit. Ce qui n’a pas été expérimenté ou perçu directement n’est pas source de savoir dans le sens fort du terme » (Goulet, 1994 :69). Il en découle par exemple, que contrairement à ce que l’on observe en Occident, le rêve tient un rôle de premier choix, comme source de savoir pour beaucoup de peuples autochtones (Poirier, 1994). Les rêves sont perçus comme une source de savoir direct, acquis de première main et donc porteurs de vérité (Goulet, 1994). Le savoir acquis par une personne en rêvant n’est pas considéré comme moins authentique que le savoir qu’elle acquière à travers d’autres expériences (Rushfort,

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1992 : 485). Les rêves sont aussi pleinement intégrés à la vie sociale puisqu’ils sont racontés et partagées dans la sphère familiale d’abord, parfois dans la sphère publique (Poirier, 1994), mais aussi discutés et interprétés (Goulet, 1994). En ce sens, ils sont un formidable vecteur de socialisation.

La seconde clé de l’apprentissage chez beaucoup de peuples autochtones consiste en l’observation scrupuleuse des gestes, des paroles et des actes d’autrui, notamment des adultes et des aînés, donc ceux qui savent. Il s’agit d’observer et de faire comme la/les personne(s) observée(s), souvent même en évitant de poser des questions (Bousquet, 2002, Goulet 1998, 2004). En ce qui concerne ce type de transmission et d’acquisition des savoirs, l’accent est donc mis sur un mode de transmission non verbal, durant lequel le principe de non-ingérence est capital (Goulet 1998, 2004 ; Rushfort, 1992).

Le concept de non-ingérence est une valeur qui se retrouve dans plusieurs aspects de la vie des peuples autochtones. C’est une véritable question éthique laquelle en mettant en avant l’autonomie et la responsabilisation personnelles, permet à chacun de vivre sa vie selon ses expériences propres. Ainsi, en s’ingérant dans la vie d’un individu, en essayant de le persuader ou encore de lui imposer quelque chose on fait preuve d’un manque de respect (Bousquet, 2002 ; Éthier, 2011 : 76 ; Guay, 2017). Les principes de non-ingérence, d’autonomie et de responsabilisation ont donc des implications profondes sur la façon dont les peuples autochtones éduquent leurs enfants, de ce qu’ils considèrent comme adéquat à ce niveau (Goulet, 1998 : 28), mais aussi sur la façon plus générale d’acquérir et de transmettre le savoir.

Comme je viens de l’exposer, les peuples autochtones privilégient les savoirs acquis par l’expérience, par l’observation et l’imitation. Ces modes d’acquisition et de transmission des savoirs sont source de pouvoir, et renforcent l’autonomie et la responsabilisation des individus. Il me semble que l’on ne peut dissocier ces modes d’apprentissage des cosmologies2 complexes dans lesquelles sont inscrits les peuples autochtones et qui

2 Selon Poirier « Le terme « cosmologie » réfère aux théories que les sociétés ont élaborées sur l’origine, la composition et la dynamique de l’univers (cosmos), sur ses propriétés spatiales et temporelles, sur les puissances, les êtres et les objets qui le constituent et les relations entre ceux-ci, et enfin sur la place qu’occupe l’être humain au sein de cet univers » (Poirier, 2016a : 1). Les cosmologies autochtones, sont donc – il me semble – à mettre directement en lien avec les ontologies relationnelles. La cosmologie atikamekw constitue

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participent pleinement, à leurs modes de vie. À l’instar de ces cosmologies, les modes d’apprentissage des savoirs sont mouvants et adaptables aux changements, ce qui participe à faire des systèmes de savoirs de véritables processus dynamiques.

Si le savoir acquis de première main l’est par le biais de l’expérience personnelle et si le mode d’apprentissage axé sur l’observation et l’imitation est un mode d’apprentissage non- verbal, il ne faut pas perdre de vue que chez une grande majorité de peuples autochtones l’oralité constitue un vecteur important de transmission. Et lorsqu’un savoir acquis de première main est transmis, et devient donc un savoir de deuxième main (Rushfort, 1992 : 491) c’est soit par la démonstration, soit par l’oralité (Éthier, 2011 : 89).

Ainsi, chez les peuples autochtones à tradition orale, les récits occupent une place prépondérante. Laurent Jérôme distingue deux formes de récits dans la tradition orale des Atikamekw Nehirowisiwok. Il distingue les kitci atisokan des tipatcimowin. Les kitci atisokan sont des récits de création du monde, et doivent être contés lors de moments et de contextes particuliers, ces récits fondateurs sont intemporels. Au contraire de ces derniers, les tipatcimowin font référence à des événements qui se sont déroulés dans un passé plus proche et qui évoquent la présence de témoins directs ou indirects (Jérôme, 2010 : 187, 2014 :13).

Les Atikamekw Nehirowisiwok ne sont pas les seuls à opérer cette distinction, que l’on retrouve chez plusieurs peuples de langue algonquienne. Ainsi les Cris distinguent les atiukan des tipachimun. Les atiukan sont des récits qui font référence à un passé ancestral et fournissent des valeurs morales et des réponses à la question de l’origine de la vie et de son sens. Au contraire, les tipachimun font référence à un passé plus récent et émanent de témoins oculaires d’il y a au moins deux générations (Morantz, 2002 : 29). Enfin chez les Innus, il y a les atanukana et les tipatshimuna. Les atanukana sont des récits fondateurs, ils expliquent la création du monde et exposent des principes de la culture innue. Les tipatshimuna font

l’ensemble des relations que les Atikamekw Nehirowisiwok entretiennent avec les humains et les non-humains, qui habitent et façonnent le cosmos. Ces relations sont incarnées dans des pratiques, rituelles ou autres (Jérôme, 2010).

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plutôt référence aux expériences du narrateur ou à celles d’autres personnes dont le narrateur se porte garant (Vincent, 1991 : 126 ; Vincent, 2013).

Les grands récits fondateurs qui expliquent les origines du monde ainsi que les récits plus personnels qui sont justifiés par l’expérience constituent des supports de transmission clés en tant qu’ils apportent des informations sur le passé (Cruikshank, 1990a : ix), mais aussi sur les rapports entretenus avec les plantes, les animaux et le monde des esprits (Éthier, 2014 : 56). Les récits transmis par l’oralité sont donc un pilier pour la compréhension qu’ont les Autochtones de leur environnement et de leur monde. Ils permettent de mieux comprendre la nature de la réalité (Berkes, 2017 : 32). Par ailleurs, les modes de transmission oraux des savoirs sont mouvants, dynamiques et adaptables aux changements.

Enfin, pour la plupart des peuples autochtones l’acquisition et la transmission des savoirs est indissociable des territoires et des lieux qu’ils occupent. Ainsi, le territoire est souvent perçu comme un lieu d’apprentissage privilégié (Basile, 2017 : 117) et vécu comme un lieu d’identité, de mémoire et de transmission (Poirier et al, 2014). En effet, la tradition des savoirs autochtones est inhérente à la terre. Or, il ne s’agit pas ici de la terre de façon générale mais plutôt de lieux et de reliefs spécifiques, au sein d’un territoire plus large, et lesquelles permettent aux transferts des savoirs d’être correctement identifiés, aux récits d’être correctement récités et aux cérémonies d’être correctement tenues ( Battiste, 2005 : 5).

Si Tim Ingold considère que le paysage est un témoignage permanent des générations passées qui y ont habitées et qui ont participées de sa formation (Ingold, 1993 : 152), la plupart des Autochtones considèrent que la terre constitue la mémoire généalogique du peuple, puisque peuplée de lieux de repos des ancêtres (Déroche, 2008 : 47). Ainsi, contrairement aux Occidentaux qui ont tendance à percevoir les territoires comme des espaces « vides », les peuples autochtones considèrent au contraire que les territoires et les forêts sont investis de sens. Les territoires et les forêts sont en effet perçus comme des espaces habités depuis des millénaires (Desbiens et Rivard, 2012).

Ces lieux et ces territoires sont de véritables êtres animés qui jouent un rôle effectif dans la vie des peuples autochtones (Lorenzo, 2017 : 15) et qui leurs permettent de reconnecter avec leur passé et avec leurs ancêtres. Ainsi, Howard Morphy, qui a travaillé avec les Yolngu, un

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peuple autochtone d’Australie, explique qu’il est nécessaire pour eux de continuer à entretenir des relations avec leur terre puisqu’en interprétant et en se déplaçant dans le paysage, ils reconnectent avec leur passé et avec leurs savoirs « People learn about the ancestral past simply by moving through the landscape. The knowledge they acquire reflects an active relationship between the ancestral past and the land itself » (Morphy, 1995:196). En effet, la terre recèle la présence dynamique et immuable des ancêtres (Morphy, 1995 :186).

Selon Keith Basso, « […] on dit de l’habiter qu’il se compose des « relations » multiples que les individus entretiennent avec les lieux, car c’est uniquement en vertu de ces relations que l’espace acquiert une signification » (Basso, 2016 [1996] : 137). La toponymie est particulièrement représentative des relations qu’entretiennent les peuples autochtones avec leurs territoires et avec certains lieux spécifiques (Basso, 2016 [1996] ; Cruikshank, 1990b).

Les toponymes, outre le fait qu’ils permettent une description riche de l’environnent et des changements qui y sont survenus (Basso, 2016 [1996]: 37,47 ; Cruikshank, 1990b : 63), sont en effet porteurs de la mémoire collective et donc d’identité. Ils rappellent le passé et mettent en lumière l’usage qui a été fait par les ancêtres du territoire, tout en faisant des liens avec des récits et des évènements historiques (Basso, 2016 [1996] : 47 ; Cruikshank, 1990b : 63). Les toponymes autochtones sont en fait des structures linguistiques représentatives du lien que font certains peuples autochtones entre l’espace et le temps, entre certains lieux et certains événements passés. Mais les toponymes et les récits qui s’y rapportent, tout comme le reste de la tradition orale, ne doivent pas être perçus comme de simples structures linguistiques « figées », ils évoluent selon les contextes, les individus et les expériences de chacun (Feld, 1996 : 112).

Dans le contexte néocolonial actuel, l’un des nombreux défis auxquels doivent faire face les peuples autochtones, et comme esquissé précédemment, est de mettre en place de nouveaux « outils » permettant la réappropriation, la valorisation et la transmission des savoirs qui leurs sont propres. Dans la section suivante, j’aborderai donc l’exemple des initiatives de développement du tourisme autochtone et des cartographies autochtones, qui peuvent toutes deux mener à une réappropriation des savoirs par les communautés, et donc à une réaffirmation et décolonisation face à l’État et à la société dominante.

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1.5 Initiatives autochtones de réappropriation des savoirs : tourisme et cartographie

Tel qu’évoqué précédemment, la plupart des Nations autochtones du Canada et du Québec sont impliqués dans des processus de revendications territoriales et demandent le droit à un contrôle sur leurs terres et leurs ressources. Ainsi, lorsqu’ils revendiquent des droits ou des titres sur leurs territoires, ils doivent aussi démontrer l’existence de ces droits (Otis, 2005 ; Poirier, 2000). À l’instar d’Irène Hirt, il me semble que dans le contexte actuel les défis auxquels sont confrontés les peuples autochtones quant au fait de se réapproprier certains savoirs sont indissociables des défis auxquels ils doivent faire face pour mener à bien les revendications territoriales dans lesquels ils sont engagés. Hirt écrit ainsi « Je pars de la prémisse que les enjeux de territoire constituent également des enjeux de savoirs […]. Autrement dit, je montre qu’aux luttes pour des réalités matérielles et concrètes – la terre, le territoire et les ressources naturelles – correspondent des luttes dans les sphères symboliques du discours, des représentations et des imaginaires » (Hirt, 2017 :113).

Ainsi, le développement du tourisme autochtone au sein des communautés ainsi que les cartographies autochtones sont d’après moi deux « stratégies » dont disposent les peuples autochtones leur permettant à la fois de participer à la réappropriation des savoirs tout en bénéficiant au processus de revendications territoriales. Ce genre d’initiatives portées par les peuples autochtones – comme par exemple ici la création de cartographies ou le développement du tourisme dans les communautés – peuvent être analysées comme des projets de vie au sens où l’entend Mario Blaser (2004 :26). Dans l’ouvrage collectif In the way of development : Indigenous Peoples, Life Projects and Globalization (2004), Blaser définit les projets de vie autochtones ainsi :

Life projects are embedded in local histories; they encompass visions of the world and the future that are distinct from those embodied by projects promoted by state and markets. Life projects diverge from development in their attention to the uniqueness of people's experiences of place and self and their rejection of visions that claim to be universal. Thus, life projects are premissed on densely and uniquely woven ''threads'' of landscapes, memories, expectations and desires (Blaser, 2004: 26).

Selon Blaser, les projets de vie autochtones constituent des alternatives au système néolibéral, et permettent aux communautés autochtones d’initier des projets qui soient en

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accord avec leurs valeurs, leurs épistémologies, leurs ontologies et surtout avec leurs propres aspirations (Blaser, 2004).

1.5.1 Le tourisme autochtone

Selon Richard Butler et Thomas Hinch « Indigenous tourism refers to tourism activity in which Indigenous peoples are directly involved either through control and/or by having their culture serve as the essence of the attraction » (Butler et Hinch, 1996: 9; Butler et Hinch, 2007: 5). Cette définition du tourisme autochtone qui favorise les notions de contrôle et de culture est largement reprise par les auteurs qui se sont intéressés au sujet. Néanmoins, cette définition laisse la possibilité à des Allochtones de gérer des entreprises touristiques qui mettent de l’avant la culture autochtone.

Heather Zeppel donne une définition complémentaire de celle de Butler et Hinch, et qui réaffirme l’importance du « contrôle » par et pour les Autochtones. En effet, selon elle le tourisme autochtone peut être défini ainsi : « Tourism entreprises controled by indigenous peoples » incluant « culture-based attractions and other tourist-oriented facilities or services » (Zeppel, 1998 :60). Selon Zeppel, le contrôle doit par exemple se faire en déterminant le nombre de touristes qui viendront passer un séjour en territoire, en choisissant les moments opportuns à la venue des touristes ainsi qu’en choisissant ce qui sera montré et partagé avec les touristes (Zeppel, 1998 : 73). La notion de contrôle des entreprises touristiques est un thème qui a fait couler beaucoup d’encre parmi les chercheurs qui se sont intéressés au développement du tourisme autochtone (Iankova, 2007 : 55-57). Le contrôle est un facteur déterminant pour que le tourisme autochtone mis en place par les différentes communautés leur soit profitable et soit en accord avec leurs valeurs et leurs aspirations. Néanmoins, la littérature qui aborde le thème du contrôle des entreprises touristiques omet souvent de faire mention d’autres thèmes, tels que le contexte dans lequel prennent forme les initiatives de développement du tourisme et les motivations sous-jacentes à la mise en place du tourisme (Colton, 2005 : 187-189). Ces deux derniers points font partie intégrante de ma recherche et seront développés par la suite (cf. chapitre 5).

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Le tourisme, développé par certaines communautés au Québec depuis la fin des années 90 (Bousquet, 2008 : 23), s’accorde bien avec la définition que donne Zeppel du tourisme autochtone (Zeppel, 1998 : 60). En effet, au Québec le tourisme autochtone est essentiellement contrôlé par les communautés hôtes et est « principalement orienté vers le tourisme ethnoculturel, donc sur la présentation de la culture au sens ethnographique du terme » (Hébert, 2008 :72). En 1998, Suzy Basile, une Atikamekw, s’est intéressé au tourisme mis en place à Manawan (une des trois communautés atikamekw) et y a consacré son mémoire en anthropologie: Le tourisme dans un contexte de prise en charge : deux cas autochtones, Manawan (Canada) et Illusiat (Groenland). Alors qu’à cette époque, « le tourisme à Manawan est encore à ses premiers balbutiements » (Basile, 1998 : 92), Basile relève déjà que ce sont les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan qui gèrent eux-mêmes leurs entreprises touristiques. De plus, depuis les débuts, les différentes activités proposées par les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan aux touristes sont majoritairement axées sur leur culture et sur leur mode de vie (Basile, 1998 : 50).

Le développement du tourisme au sein des communautés, s’il est entendu selon la définition de Zeppel, peut participer à la transmission intergénérationnelle des savoirs autochtones. En effet, les savoirs et les valeurs autochtones ainsi que les relations que les différents groupes autochtones entretiennent avec leurs territoires doivent servir de « fondations » au développement du tourisme et à la mise en place d’activités (Butler et Menzies, 2007 :3). En ce sens, une réflexion quant à ce qu’ils entendent présenter de leurs cultures et de leurs savoirs aux touristes peut être entreprise en amont de l’arrivée des visiteurs. Cela peut amener les acteurs autochtones du tourisme à effectuer des recherches quant à leur culture et aux attentes des jeunes, et à se renseigner auprès des aînés, souvent même à faire participer ces derniers à certains activités offertes aux touristes (Bousquet, 2008 : 35-36 ; Hébert, 2008 : 80-81). Le développement du tourisme en territoire est une voie particulièrement intéressante pour la réappropriation des savoirs, au sens où il favorise le rapprochement et la recréation de liens avec le territoire (Hébert, 2008 : 82-83). Ainsi, selon Sylvie Blangy, géographe et économiste de formation et qui a travaillé en partenariat avec les communautés cries, inuites et saamis afin, entre autres, de mettre en place une offre touristique adaptée à leurs besoins et leurs aspirations, aujourd’hui :

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Les bénéfices du tourisme sont maintenant reconnus unanimement. Ils ne sont pas uniquement financiers. Le tourisme est vu comme une prétexte pour récréer le dialogue avec les Aînés, réapprendre d’eux l’histoire de la communauté, préserver et sauver de l’oubli les mémoires vivantes qu’ils représentent, redynamiser la langue, faire revivre les modes et lieux de vie traditionnels « on the land » (Blangy, 2017: 588).

Le tourisme autochtone peut aussi être perçu comme un moyen « to regain rights to access, use and manage traditional land and resources and cultural property such as sacred and historic sites » (Johnston, 2000:91). Ainsi, dans le contexte des revendications territoriales actuelles, le tourisme en territoire met en lumière le fait que les peuples autochtones sont plus que capables de mettre en place de nouvelles activités leur permettant de tirer profit et d’occuper le territoire (Hébert, 2008 :86). En effet, bien souvent, le territoire est indissociable de l’expérience touristique autochtone. C’est pourquoi l’un des défis des acteurs du tourisme consiste à faire comprendre aux touristes les relations qu’ils entretiennent avec leurs territoires.

De plus, aujourd’hui au Québec, les entreprises autochtones peuvent faire le choix d’adopter leurs propres modèles de développement social et économique. Certains auteurs de la résurgence autochtones tel que Coulthard et Alfred mettent d’ailleurs en garde les communautés contre le fait d’adopter un modèle de développement économique homogénéisant, promut par les États néolibéraux, et qui serait en désaccord avec les valeurs autochtones. Selon ces derniers, adopter un modèle de développement économique propre à la société majoritaire aurait pour conséquence de faire perdurer les rapports de force entre la société occidentale et les peuples autochtones (Alfred, 2005 ; Coulthard, 2018). Ainsi selon Coulthard : « les stratégies pour atteindre l’indépendance grâce au développement économique capitaliste ont mené à l’émergence d’une bourgeoisie autochtone qui, assoiffée de profit, néglige maintenant ses obligations traditionnelles vis-à-vis du territoire et des autres » (Coulthard, 2018 : 81). Selon Alfred: « Self-government and economic development are being offered precisely because they are useless to us in the struggle to survive as peoples and so are no threat to the Settlers and, specifically, the interests of the people who control the Settler state. This is assimilation's end-game » (Alfred, 2005 : 23).

Le concept de « capitalisme autochtone » exposé par Alexis Celeste Bunten me semble particulièrement pertinent pour ce qui a trait au tourisme mis en place par les Atikamekw

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Nehirowisiwok de Manawan. Selon Bunten, le capitalisme autochtone peut être défini ainsi « a distinct strategy to achieve ethical, culturally appropriate, and successful Indigenous participation within the global economy » (Bunten, 2010 : 285). En effet, comme cela sera développé au chapitre 5, les acteurs du tourisme à Manawan ont fait le choix de participer à l’économie capitaliste mais en leurs propres termes. En ce sens, il est peut-être possible de parler d’une « alternative au capitalisme » (Gibson-Graham, 2006 [1996] ; Gibson-Graham et Cameron, 2007).

Comme me l’a exposé le coordonnateur de Tourisme Manawan lors de mon séjour à Manawan, en juillet et en août 2019, Tourisme Manawan se rapproche davantage d’une entreprise d’économie sociale. Selon Brett Fairbrain, il s’agit donc d’une entreprise « led by a community-based process that is oriented toward the benefit of the community and its individual members in both economic and social terms » (Fairbrain, 2009: 14). Cliff Atleo va dans le même sens et considère que les entreprises d’économie sociale peuvent être perçues comme des modèles d’entreprises proposant des alternatives au modèle de développement néolibéral (Atleo, 2008 : 29-31). Par ailleurs, toujours selon Atleo, il n’est pas exclu d’établir des liens entre l’économie sociale et le mouvement de la résurgence autochtone :

While the Social Economy may be a challenge to define, this does not preclude potential links with Indigenous views on community resurgence. In fact, the blurred lines are consistent with the fluid, non-hierarchical views of Indigeneity and anarchism. This flexibility is critical to any alliance building with Indigenous peoples, weary from centuries of external religious, scientific, liberal, and Marxist-inspired dogmas (Atleo, 2008: 29).

Il faut néanmoins préciser qu’actuellement au Québec, ce sont principalement les Conseils de bande qui soutiennent financièrement les projets culturels développés au sein des communautés autochtones. Les financements dont disposent les entreprises autochtones dépendent donc des Conseils de bande – et donc du gouvernement fédéral – (cf. chapitre 2). En parallèle, Tourisme Autochtone Québec (TAQ) – un organisme basé à Wendake3 – a pour

3 Wendake est une communauté huronne-wendat, en périphérie de la ville de Québec, où sont situés les différents services de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL).

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mission de représenter et d’appuyer les initiatives touristiques autochtones dans la Province au Québec, au Canada et à l’international (cf. chapitre 5).

Comme je viens de l’exposer, le tourisme autochtone, s’il est initié et contrôlé par les communautés hôtes, peut participer de la transmission intergénérationnelle des savoirs. De plus, les communautés autochtones qui choisissent de développer le tourisme ont le choix de le faire selon « leurs propres termes » et affirment, par là même, leurs savoirs, leurs valeurs et leurs identités. Enfin, dans le cadre des revendications territoriales, la mise en place d’un tourisme en territoire est aussi un acte « d’affirmation territoriale » fort puisqu’à travers le tourisme, les Autochtones prouvent qu’ils sont capables d’initier et de développer de nouvelles activités en territoire. Dans la prochaine sous-section, je parlerai des cartographies développées par les Autochtones qui, tout comme le tourisme autochtone, peuvent participer du processus de transmission des savoirs et bénéficier aux revendications territoriales.

1.5.2 Les cartographies autochtones

Les cartographies autochtones, soit les cartes réalisées par et pour les peuples autochtones (Hirt, 2009 :172), sont de plus en plus utilisées. Les peuples autochtones du Canada figurent parmi les peuples autochtones qui emploient le plus la cartographie, notamment aux fins d’appuyer leurs revendications territoriales (Hirt, 2009 :174, Thom, 2004).

Comme Christian Jacob le souligne, la carte « fait sens », mais uniquement au sein de la communauté qui l’a produite (Jacob, 1992). En effet, la carte est « une interface, à la fois un objet symbolique qui génère un sentiment de reconnaissance et d’appartenance entre ceux qui en maitrisent les codes, et un écran sur lequel se projette l’encyclopédie d’une société, sa vision du monde, sa mémoire, son axiologie et son organisation même » (Jacob, 1996 : 37).

Ainsi, et au-delà du fait qu’elles servent à appuyer la domination sur les territoires autochtones, les cartes occidentales constituent des véhicules et des supports de la vision occidentale du monde, qu’elles tendent à objectiver (Hirt, 2009 : 177). Par là même, ces cartes ne rendent pas compte des savoirs territoriaux autochtones, ni des relations complexes

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entretenus entre les Autochtones et leur environnement. Brian Thom, un anthropologue qui travaille avec les peuples salishs de la Côte ouest canadienne et l’un des chefs de file au Canada des cartographies autochtones, écrit ainsi que :

[…] les anthropologues travaillant parmi les Salishs de la Côte ont tracé sur des cartes des lignes qui simplifiaient énormément l’étendue des relations sociales et territoriales entretenues par les gens dont les terres se trouvaient ainsi délimitées. Dans un contexte académique, de telles cartes peuvent servir de simples illustrations, mais lorsqu’elles sont interprétées dans un contexte légal ou politique, elles peuvent être lourdement chargées de sens (Thom, 2004 : 59).

L’un des défis des cartographies autochtones est donc de réussir à rendre compte des relations qu’ils entretiennent avec leurs territoires et avec certains lieux en particulier, par le biais de l’outil « carte », qui est en mesure d’être compris et reconnu par la société majoritaire (Hirt, 2009 : 176 ; Thom, 2004). De cette manière, les cartographies autochtones sont des moyens susceptibles de faire reconnaitre, au niveau politique et juridique, l’occupation ancestrale des territoires revendiqués. En effet, les cartographies autochtones constituent une « affirmation of the peoples’ enduring presence on the land » (Brody, 1982 : 149).

De plus, les cartographies autochtones sont aussi des supports qui peuvent amener à une réappropriation et à une transmission des savoirs autochtones au sein des générations (Glon, 2012). Les cartographies autochtones peuvent en effet favoriser la transmission des savoirs territoriaux, et notamment des toponymes et des récits qui s’y rapportent, aux jeunes générations (Éthier, 2017 : 172).

Dans ce premier chapitre, j’ai amorcé une discussion autour de l’un des sujets centraux de mon mémoire, soit les processus contemporains de réaffirmation et de transmission des savoirs autochtones. Dans le contexte néocolonial actuel, certains peuples autochtones s’organisent et initient des projets de vie (Blaser, 2004) qui visent en une réaffirmation de leurs savoirs et de leur identité en territoire. Ces projets autochtones constituent des actes de résurgence et de résistance face aux rapports de domination que la société majoritaire continue de leurs imposer. De plus, comme je l’ai exposé, tout comme Hirt j’estime que pour les peuples autochtones « […] les enjeux de territoire constituent également des enjeux de savoirs » (Hirt, 2017 : 113). Je considère donc que les stratégies autochtones qui visent la transmission des savoirs peuvent bénéficier au processus de revendications territoriales dans

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lesquels certains peuples autochtones sont engagés, et inversement. Le second chapitre offre un aperçu du contexte dans lequel s’est déroulé la présente recherche. Le lecteur est donc à présent invité à prendre connaissance des certaines des réalités territoriales, historiques et sociopolitiques atikamekw nehirowisiwok.

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Chapitre 2 : Contextualisation : les Atikamekw Nehirowisiwok

Ce deuxième chapitre donne au lecteur un aperçu des réalités territoriales, historiques et sociopolitiques des Atikamekw Nehirowisiwok. Il sera tout d’abord question des relations qu’entretiennent les Atikamekw Nehirowisiwok avec le territoire qu’ils occupent. Je mettrai notamment en lumière que ces relations sont indissociables de l’identité atikamekw nehirowisiw. Par la suite, j’évoquerai certains des effets du colonialisme relatifs à la transmission des savoirs et à l’organisation territoriale, politique et sociale des Atikamekw Nehirowisiwok. Les Atikamekw Nehirowisiwok n’ont jamais cédé leur territoire. Ils sont de plus très proactifs en ce qui concerne l’affirmation de leur autonomie et de leur souveraineté en Nitaskinan [le territoire ancestral revendiqué]. Il sera donc ensuite question des défis auxquels sont confrontés les Atikamekw Nehirowisiwok pour mener à bien le processus de revendications territoriales dans lequel ils sont engagés depuis presque quarante ans avec les gouvernements fédéral et provincial. Je donnerai également quelques exemples de projets mis en place par les Atikamekw Nehirowisiwok et qui visent notamment en une affirmation de leurs savoirs et de leur identité en territoire. Je présenterai finalement au lecteur les objectifs et les questions de recherche qui ont guidé la réalisation de ce mémoire.

2.1 Les Atikamekw Nehirowisiwok : ethnonymes, identité et territoire

La Nation atikamekw compte aujourd’hui environ 8000 membres, qui sont principalement repartis entre les trois communautés : Wemotaci, Opticiwan, et Manawan, situées au Centre du Québec, dans la région de la Haute-Mauricie et de Lanaudière (Basile, 2017 :14) (cf. annexe A – cartes 2 et 3). Les Atikamekw Nehirowisiwok appartiennent à la famille linguistique et culturelle algonquienne, formée de plusieurs groupes (cf. annexe A – carte 1). Ces différents groupes avaient notamment comme caractéristique commune un mode de vie principalement semi-nomade, basé sur la chasse, la pêche et la cueillette (Éthier, 2011 :6) et la traite des fourrures durant la période coloniale. Par ailleurs, plusieurs recherches archéologiques révèlent que la présence humaine dans le bassin de la Haute-Mauricie date de plus de 4000 ans (Gélinas, 1998).

Les Atikamekw Nehirowisiwok n’ont choisi d’adopter le terme « Atikamekw » que dans les années 70 (Société d’histoire atikamekw, 2014 : 85). L’appellation « Attikamègues » apparait pour la première fois, dans les sources écrites, en 1636 dans les travaux du Jésuite le Jeune et réfère au nom que leur attribuaient les Algonquins, un groupe voisin (Gélinas, 2000 :32).

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Le mot « Atikamekw » qui signifie « poisson blanc » renvoie à la forte présence du corégone en territoire atikamekw (Société d’histoire atikamekw, 2014 : 85). Selon la Société d’histoire atikamekw « nos ancêtres n’ont jamais quant à eux utilisé l’appellation atikamekw afin de se désigner » (Société d’histoire atikamekw, 2014 : 85).

Le terme « Atikamekw » fût finalement adopté par les Atikamekw Nehirowisiwok, notamment dans le but de contrer certaines interprétations d’ethnohistoriens avançant que le peuple Atikamekw avait « disparu » au courant du XVIIIème siècle. Cette thèse a été défendue notamment par des auteurs comme Normand Clermont (1974) et Nelson-Martin Dawson (2003)4. Ces auteurs, observant qu’à partir du XVIIIe siècle, il n’était plus fait mention des « Attikamègues » dans les documents d’archives mais des « Têtes-de-Boule », conclurent que ces derniers seraient venus prendre la place des « Attikamègues », qui auraient été exterminés par les Iroquois et décimés par les épidémies (Gélinas, 2000 : 34-35).

Cette thèse « disparationniste » est en fait révélatrice des difficultés que rencontrent les historiens et les anthropologues à comprendre comment les Atikamekw Nehirowisiwok s’auto-identifient eux-mêmes. Il est en fait probable que le terme « Têtes-de-Boules » ai été « un terme générique employé pour identifier plusieurs groupes, dont les Algonquins et les Atikamekw. Il serait l’équivalent du terme « Gens-des-terres » ou « Gens-de-l’ intérieur » qui pourrait être attribué à plusieurs groupes culturels situés entre le lac Supérieur et l’estuaire du Saint-Laurent » (Éthier, 2011 : 14). Si dans les récits d’archives, un même terme peut à la fois être attribué à un peuple distinct et à un ensemble de peuples (Éthier, 2011 :14), c’est certainement parce que les Occidentaux peinent à saisir les principes d’autonomie et de choix qui régissent la vie et l’organisation sociale, politique et territoriale des populations semi- nomades algonquiennes. En prenant l’exemple des bandes algonquiennes à l’époque du semi- nomadisme, Anny Morissette écrit ainsi que « […] l’autonomie individuelle et le droit de circuler librement primaient au sein de la bande, ce qui entrainait un mouvement assez continuel de personnes d’une bande à l’autre. Le fait que la bande était toujours en évolution et n’était aucunement statique a parfois créé des problèmes de conceptualisation de la part

4 Les Atikamekw Nehirowisiwok n’ont pas été les seuls ciblés par des thèses « disparationnistes ». Ce fût également le cas des Innus (Charest, 2009).

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des anthropologues désireux de trouver un seul principe organisateur » (Morissette, 2007 : 128).

Au temps du semi-nomadisme, les bandes étaient en fait composées de groupes familiaux qui s’identifiaient à un territoire spécifique (Poirier, 2009a : 341, Morissette, 2007 : 128 ; Gélinas, 2003 : 204). Les bandes n’étaient en fait considérées comme des entités sociales et des catégories politiques que durant les rassemblements estivaux. Par exemple, au début du siècle dernier, il existait quatre bandes atikamekw nehirowisiwok, soit celles de Wemotaci, Kokokac, Kikentach et Manawan (Poirier, 2009a : 341). Mais chaque famille dépendait aussi d’un territoire familial, ces derniers devant être compris comme des unités tout aussi « flexibles » que les bandes. Ainsi, les territoires familiaux étaient « des subdivisions flexibles du Nitaskinan [territoire ancestral] se modifiant afin de refléter les besoins changeants de la société, et non comme des propriétés privées délimitées de façon rigide » (Houde, 2014 : 27).

En 1982, dans le contexte des revendications politiques et territoriales avec les gouvernements, le Conseil de la Nation Atikamekw, Atikamekw Sipi – qui représente les intérêts des trois communautés - est créé. Néanmoins, comme le soulève Poirier: « The Atikamekw offer a worthwhile example of how, with regard to societies stemming from a nomadic, clan-based tradition, the concept of "Nation" remains, at best, ambiguous » (Poirier, 2001 : 100). En effet, encore aujourd’hui, certains aînés préfèrent s’identifier à l’une des trois communautés – Wemotaci, Opticiwan et Manawan – puisqu’elles « réfèrent à un territoire précis et à un ensemble de territoires familiaux, ainsi qu’à une historicité propre » (Poirier, 2009a : 341). Aujourd’hui, les personnes qui vivent à Manawan s’identifient donc comme Manawani iriniwok (les gens de Manawan) (Poirier, 2001 : 101).

Contrairement au terme « Atikamekw », l’ethnonyme « Nehirowisiw » (Nehirowisiwok au pluriel) a toujours été utilisé par les membres des différentes familles comme marqueur identitaire. En 2006, le Conseil de la Nation Atikamekw a donc adopté officiellement l’ethnonyme « Nehirowisiw » lequel lorsque couplé au terme « Atikamekw » désigne l’ensemble des membres de la Nation Atikamekw Nehirowisiw (Société d’histoire atikamekw et Jérôme, 2009 : 23-24). L’ethnonyme « Nehirowisiw » fait « référence à une identité issue du territoire » (Société d’histoire atikamekw et Jérôme, 2009 : 24). En effet, « Nehirowisiw » réfère notamment aux relations de réciprocité que les Atikamekw

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Nehirowisiwok entretiennent avec leur environnement, ainsi qu’au principe d’autonomie qui régit la vie en territoire (Société d’histoire atikamekw, 2014 : 85-86). Selon Cécile Mattawa, originaire d’Opticiwan et spécialiste en linguistique atikamekw, l’ethnonyme « Nehirowisiw » peut être compris comme :

Celui qui vient du bois, son alimentation y est également décrite, ses outils et équipements, le fait et la manière d'utiliser des ressources, c'est un être indépendant de tous (wir tipirowe ou autonome), son identité englobe aussi ses croyances, son territoire, son mode de vie (Onehirowatcihiwin), son droit inné en tant qu'«indien» ou en tant que Nehirowisiw, les ressources et éléments qu'il adapte à sa vie (par exemple : un «indien» ne peut rapporter ou raconter les bienfaits d'une plante médicinale que si cette plante pousse sur son territoire) (Conseil de la Nation Atikamekw - https://www.atikamekwsipi.com/fr/la-nation- atikamekw/fondements/identite).

En adoptant le terme « Nehirowisiw », les Atikamekw Nehirowisiwok réaffirment donc avant tout les relations qu’ils entretiennent avec leur environnent et leur territoire, qui sont source d’identité. En ce sens, le terme « Nehirowisiw » transcende « les questions strictement politiques et territoriales » (Poirier, 2009a : 342).

Les relations entretenues entre les Atikamekw Nehirowisiwok et leur territoire s’incarnent aussi dans la tradition orale. La langue des Atikamekw Nehirowisiwok (nehiromowin), est la langue maternelle de la grande majorité des Atikamekw Nehirowisiwok des trois communautés. Je reviendrai sur ce sujet plus en profondeur dans le chapitre 4, mais pour le moment retenons que la langue nehiromowin est encore couramment parlée par toutes les générations d’Atikamekw Nehirowisiwok, qu’elle est issue du Nitaskinan et qu’elle est un important vecteur d’identité (Chachai et al, 2019). La toponymie est aussi particulièrement représentative des relations qu’entretiennent et qu’ont entretenues les Atikamekw Nehirowisiwok avec certains lieux spécifiques en Nitaskinan. Ainsi selon la Société d’histoire atikamekw :

L’intégrité atikamekw nehirowisiw repose d’abord sur une langue commune (notcimi arimowewin, ou aski arimowewin, langue du territoire ou parole de la terre). Elle se manifeste également par une toponymie qui est complexe parce qu’elle traduit la somme de l’expérience vécue partout sur le territoire et à plusieurs niveaux de l’histoire : événements historiques marquants pour notre nation, histoires régionales, familiales ou anecdotiques individuelles, et où

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l’humour et l’ironie s’expriment abondamment (Société d’histoire atikamekw, 2014 : 86).

Par ailleurs, les Atikamekw distinguent le Nitaskinan (notre territoire) de Notcimik (l’endroit d’où je viens). Le Nitaskinan fait référence au territoire ancestral nehirowisiw revendiqué. Le terme « Nitaskinan » est donc celui utilisé par les Atikamekw Nehirowisiwok avec les instances étatiques lors du processus de négociations territoriales. Les Atikamekw Nehirowisiwok distinguent le « nous » exclusif du « nous » inclusif. Lorsque des membres de la Nation Atikamekw Nehirowisiw s’adressent à un étranger ils utilisent le terme « Nitaskinan ». Au contraire, lorsqu’ils sont entre eux ils utilisent plutôt le terme « Kitaskino » (Poirier, 2001 :102). Notcimik (« l’endroit d’où je viens ») fait quant à lui référence à la forêt, à un milieu de vie, à une identité issue du territoire et à la relation intime entretenue avec le territoire (Basile, 2017 : 103 ; Éthier et Poirier, 2018 ; Société d’histoire atikamekw, 2014 : 85). Selon un interlocuteur d’une soixantaine d’années rencontré lors de mon séjour à Manawan à l’été 2019, « Notcimik » c’est aussi un lieu qui fournit tout ce dont ont besoin les Atikamekw Nehirowisiwok pour vivre. Selon cet interlocuteur, le terme « Notcimik » possède trois sens, il veut dire « d’où je viens », « d’où je prends ce que j’ai besoin de manger » mais aussi « d’où je prends quelque chose dont j’ai besoin pour me soigner » (Homme de Manawan, communication personnelle, juillet 2019). Notcimik réfère également à l’importance des territoires familiaux (cf. section 2.2) pour les Atikamekw Nehirowisiwok, puisque ce n’est pas tout le territoire revendiqué (Nitaskinan) qui est désigné comme Notcimik, mais plutôt le territoire familial de chacun (Éthier et Poirier, 2018 : 109).

2.2 Colonisation : dépossession territoriale, bouleversements socio-politiques et rupture dans la transmission des savoirs

2.2.1 Les territoires familiaux algonquiens : polémiques et débats

Le sujet de l’organisation territoriale des Algonquiens a été la source de plusieurs débats parmi les spécialistes du domaine et c’est notamment la question de l’origine des territoires familiaux qui fut discutée. La revue Anthropologica a d’ailleurs consacré deux numéros thématiques à ces débats (Bishop et Morantz (dir.), 1986 ; Chaplier et Scott (dir.), 2018). Ces

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débats autour de l’origine des territoires familiaux sont en fait pour les Algonquinistes à mettre en lien avec les débats entourant le fait que les Algonquiens aient élaboré « eux- mêmes des mesures de conservation des ressources fauniques » (Morin, 2013).

L’anthropologue américain Franck. G. Speck est l’un des premiers à avoir décrit l’organisation sociale des groupes de chasse familiaux ainsi que le système des territoires familiaux des Algonquiens du nord-est de l’Amérique du Nord. Selon Speck, ce sont les familles qui gèrent les différents territoires de chasse, leurs frontières ainsi que les ressources disponibles (Speck, 1915 : 290). Selon lui, ce régime foncier existerait depuis des « temps immémoriaux » (Speck, 1915 : 290). Cette organisation permettrait la conservation des ressources et assurerait leur pérennité (Speck, 1915).

Plusieurs anthropologues ont par la suite réfuté l’origine précolombienne du régime foncier tel que défini par Speck (Leacock, 1954 ; Steward, 1955). Selon Eleanor Leacock, anthropologue américaine, c’est notamment du fait de l’intensification du commerce de la fourrure que les Innu du Labrador auraient été amenés à adopter le système des territoires familiaux régis par des groupes familiaux (Leacock, 1954). Le commerce de la fourrure aurait en effet favorisé l’individualisation des différentes familles, plus intéressées par l’aspect compétitif du commerce que par les logiques de coopération qui régissaient précédemment l’exploitation des ressources (Leacock, 1954). Selon cette auteure, c’est donc, entre autres, le risque d’épuisement des ressources engendré par l’intensification du commerce de la fourrure qui serait à l’origine du système des territoires familiaux.

Dans la même veine, Shepard Krech III, un anthropologue américain, suggère que le système des territoires familiaux aurait été adopté par les Algonquiens du Nord suite aux recommandations des Européens visant à rétablir la population de castors. Selon lui, les Algonquiens du Nord auraient été incapables de palier à l’épuisement des ressources puisqu’ils ne savaient pas prendre de mesures de conservation (Krech III, 1999).

Selon Harvey A. Feit, anthropologue canadien spécialiste des Cris, les peuples algonquiens étaient coutumiers des stratégies de conservation et de gestion des ressources et cela bien avant les mesures prises par les Européens pour favoriser la reproduction du castor (Feit, 2007). Il affirme que les arguments de Krech III sont biaisés et qu’ils sont basés « sur une

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image de la conservation comme étant une pratique uniforme et bienveillante, ignorant ainsi le rôle qu’elle a pu avoir sur la dépossession et la subordination des peuples autochtones en Amérique du Nord » (Feit, 2004 : 6). Selon lui, l’institution des territoires familiaux chez les Algonquiens du Nord préexiste à l’arrivée des Européens.

Aujourd’hui, l’origine précolombienne du système des territoires familiaux semble être accepté par la majorité et « le plus révélateur est que ce système de gestion est répandu dans toutes les régions algonquiennes » (Morantz, 2018 :23). Contrairement à ce qu’avançait Speck dans son premier écrit relatif aux territoires familiaux, ces derniers ne doivent pas être perçus comme des formes de « propriétés privés » comme on l’entend au sens occidental du terme (Feit, 2004). Les systèmes d’occupation territoriale algonquiens sont des systèmes adaptables et flexibles qui évoluent afin de s’adapter aux besoins de leurs membres. Ces besoins pouvant être autant d’ordre social, qu’environnemental ou politique, quoique ces trois dimensions soient intimement liées (Éthier, 2011 : 9).

Les modèles d’occupation territoriaux et de gestion des ressources algonquiens ont donc connu des modifications, des changements et des évolutions au fil des siècles et des décennies afin de refléter les besoins et les projets des peuples autochtones. Néanmoins, les débats et les controverses entourant la question de l’origine des territoires familiaux ainsi que des modes de gestion des ressources des Algonquiens sous-tendent des concepts ethnocentriques et révèlent la difficulté des Allochtones à comprendre des modèles d’occupation territoriale et des modes de gestion des ressources qui leurs sont étrangers. De plus, selon Benoit Éthier, les concepts de propriété, de frontières et de droits territoriaux sont emprunts « de sens politiques et juridiques, sens qui sont à la fois historiquement et culturellement construits. L’utilisation de ces concepts s’inscrit d’ailleurs dans des dynamiques politiques particulières et dans des rapports de pouvoir […] » (Éthier, 2017 : 190). Il en va de même concernant les notions de « conservation » des ressources et de « protection » de l’environnement.

Le concept de « territorialités autochtones » est de première importance en ce qui concerne la compréhension du débat par rapport aux territoires familiaux algonquiens (Éthier et Poirier, 2018 : 107). En effet, selon Benoit Éthier et Sylvie Poirier, le concept de « territorialités » permet de rendre compte des régimes fonciers autochtones ainsi que des modes de gestion des ressources mais aussi plus largement « des savoirs, des valeurs, des

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principes épistémologiques et ontologiques, ainsi que des formes d’autorité et de responsabilité qui fondent et orientent les relations autochtones aux territoires » (Éthier et Poirier, 2018 : 107). Les territorialités autochtones sont indissociables des ontologies relationnelles (Éthier et Poirier, 2018 : 107) et donc du fait que toutes les entités qui constituent un environnement soient en relations constantes et interdépendantes.

Afin de comprendre les logiques sous-jacentes à l’occupation territoriale des nations autochtones en général et des Atikamekw nehirowisiwok en particulier, il faut réussir à se défaire des certains concepts uniquement applicables à notre propre façon d’occuper nos territoires. Aujourd’hui, réussir cet exercice de distanciation est d’autant plus important si l’on veut que les négociations territoriales dans lesquelles sont engagées plusieurs peuples autochtones à travers le monde, incluant le Canada, soient plus équitables et aboutissent à une reconnaissance réelle de leurs droits et à une entente de co-existence respectueuse des différences et des projets de vie des uns et des autres.

2.2.2 Les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan: changements dans les modes d’occupation du territoire

Jusqu’au début du XIXème siècle, les Atikamekw Nehirowisiwok entretenaient des relations plutôt « cordiales » avec les Emitcikociwicak (les Blancs). En effet, jusqu’en 1870 environ, les Atikamekw Nehirowisiwok étaient considérés comme des partenaires commerciaux, notamment en ce qui concernait le commerce de la fourrure (Gélinas, 2002 : 35). Néanmoins, après la Confédération (1876), il y a eu un afflux de nouveaux venus au sein du Nitaskinan (le territoire atikamekw nehirowisiw). Les Atikamekw Nehirowisiwok devinrent rapidement considérés comme des « obstacles » au développement économique de la région, alors que les chasseurs et les pêcheurs sportifs se faisaient de plus en plus nombreux, et que les coupes forestières et la création de barrages s’intensifiaient (Gélinas, 2002 : 35).

Le système d’occupation territoriale des Atikamekw nehirowisiwok de Manawan a lui aussi évolué et s’est adapté au fil des décennies et du fait de multiples facteurs. Ainsi, l’instauration progressive et graduelle des postes de traite à partir de la fin du XVIIIe siècle a contribué à

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modifier les logiques sous-tendant l’occupation territoriale (Gélinas, 2000). L’instauration des postes de traite affecta ainsi « les itinéraires empruntés, la chasse effectuée et la répartition des territoires de chasse » (Éthier, 2011 : 10).

Face à l’occupation grandissante de leur territoire, sans leur consentement, ainsi qu’à la destruction de larges parties de ce dernier5, les Atikamekw Nehirowisiwok se tournèrent vers le gouvernement fédéral pour revendiquer des réserves (Éthier, 2011 :10). Ces demandes prenaient appui sur la Loi sur les réserves de 1851 et qui entra en application en 1853. Cette loi prévoyait la création de réserves dans le Bas Canada (Fortin et Frenette, 1989). Les Atikamekw Nehirowisiwok se sont par la suite progressivement installés au sein des trois communautés : Wemotaci, Opticiwan et Manawan. La réserve de Manawan (cf. annexe A – cartes 4 et 5) où se déroule ma recherche fut créée en 1906 (Morissette, 2004 : 55). Elle s’étend sur 777,36 hectares, et est située dans la région administrative de Lanaudière, alors que Wemotaci et Opticiwan font parties de la région du Haut- Saint- Maurice (Basile, 1998 : 39). Il faut préciser que les Premières Nations ne possèdent pas de droit de propriété sur les terres des réserves ; celles-ci sont de juridiction fédérale.

En 1873, l’instauration d’un poste de traite indépendant de la Hudson’s Bay Company au bord du lac Metapeckeka (« marais sortant d’une baie » ou « la baie marécageuse ») ainsi que la création de la réserve de Wemotaci (1851) participèrent à « accentuer l’indépendance des gens de Manouane [Manawan] par rapport à leur bande d’origine » (Gélinas, 2003 :26). En effet, avant la création de la réserve de Manawan, les familles étaient identifiées à la bande de Wemotaci (Entretien avec César Newashish, rapporté par Albert Dubé, 2014 : 105) bien que leurs territoires de chasses étaient situés à proximité de ce qui allait devenir la « réserve » de Manawan.

Juste après la création de la réserve de Manawan, les deux ka nikaniwitc (chefs de territoire), Kitciko et Ka Wiasiketc, se mirent chacun d’accord pour se départir d’une partie de leur

5 Au siècle dernier, plusieurs barrages hydrauliques ont été construits en Nitaskinan (Gélinas, 2003 : 49-51). Le barrage de la Loutre achevé en 1917 – qui a créé le réservoir Gouin - et le barrage Rapide Blanc construit en 1930 sont notamment deux barrages qui ont inondé de larges portions du Nitaskinan (Gélinas, 2003 : 50). Le territoire de Kokokac fût presque totalement inondé du fait de la construction du barrage Rapide Blanc (Basile, 2017 : 56). Il est à noter que la Nation atikamekw n’a jamais été consultée sur ces constructions ; elle n’a en outre jamais donné son accord et n’a jamais été adéquatement compensée pour l’usurpation de ses territoires par le gouvernement du Québec.

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territoire propre afin de créer un territoire communautaire. Ils réunirent alors tout le monde et procédèrent à une nouvelle répartition des territoires familiaux en demandant à chaque groupe familial de céder une portion de leur territoire. Cela devait notamment permettre aux groupes étrangers de venir chasser au sein du territoire communautaire. Le but visé par la création d’un territoire communautaire était aussi que les familles dont les territoires familiaux étaient situés à bonne distance de Manawan et difficilement accessibles suite à la sédentarisation puissent avoir accès à un territoire à proximité. Selon César Newashish:

Kitciko a été le chef de ce côté [est de Manawan], jusqu’à Ka kickapiskakamak, près du lac Manouane, c’était là le territoire dont il était le responsable, jusque dans la région de Ka Kinokamak (lac Villiers), à Ka kinockicek (lac Corner), dans la région de Emikwan Wacak (Morericik ou baie Morialice), à Otcorpik (lac Tourbis), à Amirikananik (lac Morialice). Quant à Ka Wiasiketc, il fut le responsable des territoires de Etcipanik (du mot esipan qui veut dire raton laveur, ou baie Tikenne), en passant vers Aritetamini sakihikan [lac Gus, à l’est du lac Mazana] près de Ka Kiskiwonatanak (Entretien avec César Newashish, rapporté par Albert Dubé, 2014 : 105)6.

Ainsi, Kitciko céda une partie de son territoire situé dans les secteurs du lac Morialice (Amirikananik) et du lac Tourbis (Otcorpik) et Ka Wiasiketc céda, entre autres, une partie de son territoire correspondant au secteur d’Etcipanik (Entretien avec César Newashish, rapporté par Albert Dubé, 2014 : 105). Cet exemple est représentatif des capacités d’adaptation des Atikamekw Nehirowisiwok de leur mode coutumier face à de nouvelles conditions d’existence et à de nouvelles contraintes.

Aujourd’hui, l’on compte donc à Manawan plusieurs territoires familiaux et un territoire communautaire. Selon Nicolas Houde, « au centre de ce système des territoires familiaux, […] se trouve un chasseur accompli, le ka nikaniwitc, le chef de territoire. Celui-ci a la responsabilité, entre autres, de répartir l’utilisation du territoire et des ressources entre les membres de sa famille, selon les saisons et les lieux » (Houde, 2014 :27). Le ka nikaniwitc « veille au respect des valeurs et des principes normatifs qui régissent les modes de gestion des ressources qui lui ont été enseignés » (Éthier et Poirier, 2018 : 111). Le ka nikaniwitc n’a pas de pouvoir coercitif mais il possède plutôt un ensemble de droits, de pouvoirs et de

6 Cet entretien a eu lieu en 1980 dans le cadre de la Grande recherche sur l’occupation et l’utilisation du territoire, mené par le Conseil des Atikamekw et des Montagnais (CAM) en vue des revendications territoriales (cf. section 2.3).

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responsabilités, qui découlent de la grande connaissance de son territoire familial (Éthier et Poirier, 2018).

Selon plusieurs de mes interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok, continuer à occuper et à utiliser leurs différents territoires familiaux est fondamental pour ce qui a trait à leur identité. Ainsi, plusieurs des personnes que j’ai rencontrées à Manawan considèrent qu’elles sont « pleinement » elles-mêmes lorsqu’elles passent du temps au sein ou avec leurs territoires. Le territoire communautaire est quant à lui « administré » par le Conseil de bande. Le territoire communautaire de Manawan est situé à proximité direct des lacs wapackoteiak (le lac Kempt) et entre les montagnes suivantes « ka-oskiwnatinak, mont Sosikinikak, montagne du lac Morialice, montagne du lac Teton, de la baie tikenne et des deux montagnes (ka nicotinak) » (Nation atikamekw de Manawan – manawan.org).

Les Lacs wapackoteiak, est le nom utilisé par certains Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan pour désigner le grand plan d’eau située à proximité de Manawan7. Ce plan d’eau qui comprend en fait plusieurs lacs et plusieurs baies, fait plus de 30 kilomètres et a une superficie de plus de 10 000 km2. Le terme « wapackoteiak » fait référence aux berges de couleur blanche qui encerclent les différents lacs wapackoteiak (Éthier, 2011 : 10). Selon un aîné rencontré lors de mon séjour à Manawan, le terme « wapackoteiak » exprimerait aussi l’idée de lumière, de luminosité. Selon cet aîné, wapackoteiak ferait ainsi référence aux berges blanches et lumineuses qui encerclent ces différents lacs et baies. Les Emitcikociwak (les Blancs) auraient nommé ce grand plan d’eau au XIXe siècle en référence au lieutenant- général Kempt (Éthier, 2011 : 11)8. Néanmoins, lors de mon séjour à Manawan, plusieurs Atikamekw Nehirowisiwok m’ont expliqué ne pas utiliser le terme « wapackoteiak », mais plutôt avoir l’habitude de nommer et de désigner chaque lac et chaque baie par un toponyme nehirowisiw. Si le terme « wapackoteiak » est en fait assez peu utilisé par les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan, c’est certainement parce que pour les familles de Manawan,

7 Le lac au bord duquel est situé Manawan est le lac Metapeckeka (cf. annexe A - cartes 4 et 5). En partant en bateau à moteur de Manawan et en se dirigeant vers le nord, on arrive au lacs wapackoteiak en moins de 5 minutes. 8 En 1873, J.C. De Lachevrotière, un arpenteur qui a rencontré des Atikamekw Nehirowisiwok dans la région des lacs wapackoteiak, parle d’ailleurs du lac « Wabaskontyung » pour désigner le lac Kempt. Il écrit ainsi « […] they are large quantities of pine on the shores of great lake Wabaskontyung or Kempt » (Quebec (Province) Dept of Crown Lands, 1889: 459). Il est probable que le terme « Wabaskontyung » soit ici une anglicisation du toponyme atikamekw « wapackoteiak ».

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anciennement semi-nomades, il était peu pertinent d’avoir un seul nom pour désigner un si grand plan d’eau. En effet, pour se repérer et pour s’orienter en Nitaskinan il était certainement préférable de nommer chaque particularité de cette vaste étendue d’eau, et donc chaque lac, chaque crique et chaque île.

Le territoire communautaire est encore utilisé par les membres des communautés de Wemotaci et d’Opticiwan ainsi que par les membres des autres Nations autochtones lorsqu’ils sont en visite à Manawan, et lorsqu’ils sont invités à aller en Nitaskinan, pour pêcher par exemple. C’est aussi un lieu qui permet notamment aux personnes les plus âgées de Manawan ainsi qu’aux personnes qui n’ont pas forcément la possibilité d’aller dans leur territoire de chasse de passer plus de temps en territoire. Certaines familles de Manawan possèdent également un chalet en territoire communautaire, tout en passant aussi du temps sur leur territoire familial. De plus, ce n’est pas anodin que le site Matakan (cf. chapitre 5), qui accueille des touristes et des étrangers dans le cadre des projets développés par Tourisme Manawan, soit situé en territoire communautaire.

Il faut préciser que dans les années 1930-1940, le gouvernement du Québec instaure les réserves à castors afin de protéger l’espèce, menacée par la sur-chasse des non-Autochtones. Cette mesure, en mettant en place plusieurs aires protégées, restreint encore les territoires de chasse des Atikamekw Nehirowisiwok. Ces derniers sont ainsi « confrontés pour la première fois à une « cartographie » occidentale, peu soucieuse des modes coutumiers de répartition et de transmission des territoires familiaux » (Poirier, 2000 : 144). Ce genre de délimitations et de frontières territoriales et administratives, imposées par le gouvernement québécois, n’a eu de cesse de s’accentuer depuis au sein du Nitaskinan. Depuis les années 70, on retrouve en effet en Nitaskinan de plus en plus de zones d’exploitation contrôlées (ZEC), d’unités d’aménagement forestier, de baux de villégiatures et de pourvoiries à droits exclusifs (PADE) ou non-exclusifs (PADNE) (Basile, 2017 : 74-75, Éthier et Poirier, 2018 : 113, Jérôme, 2010 : 66). Éthier et Poirier ont recours au terme de « territorialités enchevêtrées » pour refléter la coexistence et l’enchevêtrement au sein du Nitaskinan « de ces différents régimes et groupes d’acteurs, autochtones et allochtones, aux intérêts, aux pratiques et aux valeurs souvent divergents, et avec ce que cela implique de compromis, de conflits et d’incompréhensions » (Éthier et Poirier, 2018 : 113).

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2.2.3 La Loi sur les Indiens : l’imposition des Conseils de bande

Conformément à la Loi sur les Indiens, la création des trois « réserves » atikamekw coïncident avec l’imposition des conseils de bande. Les Conseils de bande viennent institutionnaliser la vie politique, et selon Anny Morissette :

L’imposition du conseil de bande a redéfini les limites politiques du groupe par la création de bandes administratives et de structures formelles censées gérer le pouvoir. Occultant la dynamique adaptative et la souplesse qui caractérisaient les bandes, la Loi sur les Indiens a figé la politique autochtone en délimitant les critères d’adhésion à la bande administrative. Celle-ci ne correspond pas à la bande traditionnelle puisque sa base n’est plus territoriale mais administrative, elle n’est plus morale mais formelle (Morissette, 2007 : 129).

Aujourd’hui, le rôle des chefs et des conseillers des Conseils de bande est notamment d’agir comme des intermédiaires entre les communautés et les instances gouvernementales (Bertrand, 2010). Les Conseils de bande sont, entre autres, chargés d’administrer certains projets et services au sein des communautés (Bertrand, 2010). Le développement du tourisme à Manawan est ainsi administré par le Conseil de bande de Manawan. Il faut préciser que les financements perçus par les Conseils de bande dépendent en majorité du gouvernement fédéral (Morissette, 2004 : 34). Sur le site de Tourisme Manawan (Tourisme Manawan - http://www.voyageamerindiens.com/), on peut ainsi lire :

Un des principaux rôles confiés au Conseil des Atikamekw de Manawan est celui de la livraison des services publics à la population en conformité avec les ententes de financement du Ministère des Affaires autochtones et du Nord du Canada. Cette entente, le Conseil doit la signer s’il veut en assumer les rôles, et ce, sans réel pouvoir de négociation pour tenir compte, par exemple, de l’augmentation de la population, des coûts et des besoins réels de la communauté. Le Conseil doit s’engager à respecter ces ententes pour recevoir les fonds qui y sont prévus, et le Conseil doit rembourser les sommes qui ne sont pas reconnues en tant que dépenses admissibles selon ces ententes de financement, ou encore si les budgets alloués à la communauté ont été dépassés (Tourisme Manawan - http://www.voyageamerindiens.com/decouvrir-manawan/notre-communaute/le- chef-et-le-conseil-de-bande).

Selon Jacques Bertrand, « La Loi sur les Indiens structure le fonctionnement du Conseil de bande comme un gouvernement municipal » (Bertrand, 2010 : 22). L’imposition des Conseils de bande vient donc par là même nier les modes de gouvernance autochtone (Ladner

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et Orsini, 2004 : 71-72). De plus, « les pouvoirs du conseil de bande se limitent […] au territoire restreint de la « réserve » » (Poirier, 2009a : 343).

2.2.4 La période des pensionnats

Entre 1954 et 1970, les jeunes atikamekw nehirowisiwok furent contraints de quitter leurs familles pour fréquenter les pensionnats. Les deux pensionnats qu’ils fréquentèrent successivement, soit le pensionnat Saint-Marc-de-Figuery - situé proche d’Amos - puis celui de la Pointe-Bleue dès 1960, étaient tenus et administrés par des congrégations catholiques (Bousquet, 2017 : 22 ; Lavoie, 1999 : 86). Les pensionnats visaient notamment l’assimilation et l’acculturation des jeunes autochtones. Au Québec, les pensionnats visaient donc – pour reprendre les termes de Marie-Pierre Bousquet – à « « Québéquiser » les enfants amérindiens » » (Bousquet, 2017 : 26).

Les deux pensionnats que fréquentèrent les jeunes atikamekw nehirowisiwok étaient situés à une importante distance des territoires familiaux atikamekw nehirowisiwok (Lavoie, 1999 : 86). Toute une génération de jeunes fut ainsi séparée de leurs familles dix mois par année et ce parfois pendant plusieurs années consécutives. Au sein des pensionnats, les jeunes, arrachés à leur mode de vie et à leur territoire, ne pouvaient pas parler leur langue et se virent imposer un mode d’éducation strict et propre aux Blancs. Plusieurs jeunes ont de plus subi des violences psychologiques, physiques et sexuelles (Bousquet, 2012a : 2).

Pendant la période des pensionnats, les jeunes atikamekw nehirowisiwok –au même titre que les autres jeunes autochtones - ont été privés de fréquenter leurs familles et leurs territoires, de parler leur langue et de recevoir les enseignements de leurs parents et de leurs grands- parents. Ces derniers ont tout autant souffert de cette séparation que les jeunes emmenés de force au pensionnat. L’un des objectifs poursuivis par les gouvernements en instaurant les pensionnats était de poursuivre le mouvement de sédentarisation et d’assimilation forcée des populations autochtones. Par ailleurs, les pensionnats ont eu comme conséquence de créer, pour la plupart des Nations autochtones du Québec, une rupture entre « la génération des aînés » et « la génération des pensionnats » (Bousquet, 2012b : 247). Le témoignage de

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Marguerite, une Atikamekw Nehirowisiw de Wemotaci, qui est allée aux pensionnats de Saint-Marc-de-Figuery et de Pointe-Bleue, est révélateur du rôle qu’ont eu les pensionnats dans le processus de sédentarisation et d’assimilation de toute une génération d’autochtones :

Moi, c’était au niveau culturel que j’avais le plus perdu. Je refusais d’aller en forêt avec ceux qui étaient à ma charge. Je dédaignais de coucher par terre. Aujourd’hui, avec mon mari, on est allés vers la nature, à la pêche, en campement, faire en fait ce que nos parents vivaient dans le temps. C’est à partir des histoires racontées par mon oncle qu’on a développé le désir de faire comme eux. Il nous racontait comment ils vivaient dans le temps. Ils étaient nomades. En route, ils rencontraient d’autres communautés au hasard et ils campaient ensemble. J’ai commencé à aller dans le bois avec les enfants pendant la semaine culturelle9 inscrite au calendrier scolaire et nous vivions comme nos ancêtres vivaient (Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, 2010 : 51).

Aujourd’hui âgés de plus de soixante ans, les Atikamekw Nehirowisiwok de la génération des pensionnats ont eu moins d’opportunité que les générations précédentes de fréquenter le territoire et donc d’acquérir les savoir-faire et les savoir-être propres à la vie en Nitaskinan. Il pouvait alors être difficile pour les jeunes de retour dans leurs communautés d’origine, de recréer le lien avec les membres de leurs familles et d’interagir avec ces derniers (Dion Stout et al, 2003). C’est d’ailleurs ce qu’exprime ce témoignage d’un Aîné de Manawan :

Je sais que moi quand je suis arrivé du pensionnat, j’avais 17 ans, quand je suis sorti de l’école. Pis j’ai eu de la misère à m’adapter à ma famille. T’sais on dirait qu’on improvisait à chaque jour. […] parce que là-bas, j’ai appris à planifier mes semaines, mes journées. A telle heure je pars, à telle heure j’arrive, à telle heure je mange. Quand j’étais dans les pensionnats, j’étais comme structuré, chronométré. Rendu ici, ben c’était plus ça du tout (Aîné de Manawan, communication personnelle, août 2019).

L’institution des pensionnats a eu un impact majeur concernant l’organisation sociale et la transmission intergénérationnelle des savoirs (Commission de vérité et réconciliation du Canada, 2015 : 235 ; Dion Stout et al, 2003). En même temps, les pensionnats « ont permis aux Autochtones de cette génération de se familiariser avec les outils des Blancs (éducation, langue, écriture, système politique et juridique) » (Éthier, 2011 : 27). C’est d’ailleurs ce

9 Les trois communautés atikamekw nehirowisiwok organisent depuis la fin des années 1970 des semaines culturelles comme stratégies pour renouer avec le territoire et les savoirs territoriaux. Lors des semaines culturelles les familles atikamekw nehirowisiwok ont ainsi la possibilité de se rendre dans leurs territoires familiaux afin d’y pratiquer certaines activités traditionnelles (cf. section 2.4).

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qu’exprime Robert Boucher, un Atikamekw de Wemotaci, dans son témoignage : « La seule chose que j'apprécie de mon séjour à l'intérieur du pensionnat est l'enseignement du français reçu des Sœurs enseignantes. C'était très sévère mais c'est ce qui me permet aujourd'hui d'écrire un français que je qualifierais, avec modestie, de respectable » (Témoignage de Robert Boucher, rapporté par Laurent Jérôme, 2010 : 75).

Et « ce sera justement cette génération qui, à compter des années 1970, utilisera les outils coloniaux afin de faire valoir leurs droits et leur spécificité culturelle » (Éthier, 2011 : 27). Ce sont les membres de la génération des pensionnats, hommes et femmes, qui ont initié et conduit le difficile processus des revendications territoriales auprès des deux paliers de gouvernement, mais aussi les nombreux programmes et stratégies de valorisation culturelle (les programmes bilingues dans les écoles, les semaines culturelles dès les années 1980, etc.). Ce sont aussi les membres de cette génération qui ont mis en place le renouveau rituel et réhabilité certains rites traditionnels tombés en désuétude avec la conversion au catholicisme au tournant du XXe siècle (Jérôme, 2010). Ces démarches s’inscrivent aussi dans ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler le processus de guérison autochtone. Au sein de celui-ci, Notcimik est devenue depuis plusieurs années un lieu de guérison pour les membres de la Nation atikamekw nehirowisiw (Jérôme et Veilleux, 2014, Jérôme 2010). Il faut aussi préciser que Notcimik a toujours été considéré comme un lieu de ressourcement pour les Atikamekw Nehirowisiwok (Basile, 2017 : 53).

Notons également que malgré cette histoire coloniale, les Atikamekw Nehirowisiwok n’ont jamais cessé d’entretenir des relations avec le Nitaskinan, et leurs territoires familiaux. Malgré la colonisation du territoire, la sédentarisation, l’imposition des conseils de bande, la présence et l’occupation de plus en plus importante d’acteurs exogènes au sein du Nitaskinan et la période des pensionnats, les Atikamekw Nehirowisiwok continuent à tirer leur identité du territoire. Les territoires familiaux sont encore aujourd’hui utilisés par les familles et sont transmis « selon la « loi » orale atikamekw » (Poirier, 2000 : 144). Selon Poirier, les Atikamekw Nehirowisiwok: « Through their flexibility and ability as hunters to adapt to new contexts and circumstances, through their creative resistance and political action, and through their sense of who they are […], keep to this day reproducing and irrevocably adapting their

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relationships with their family territories. They thus maintain toward the latter a sense of responsibility and respectful stewardship » (Poirier, 2017: 213-214).

2.3 Revendications territoriales et souveraineté

Afin d’obtenir des droits et des titres sur son territoire, la Nation atikamekw est engagée depuis presque quarante ans, dans un processus de revendications territoriales avec les gouvernements fédéral et provincial. Aujourd’hui, il n’y a toujours pas eu d’issue concluante (Poirier et al, 2014 : 5).

Dès 1975, les Atikamekw Nehirowisiwok forment avec les Innus le Conseil des Atikamekw et des Montagnais (CAM)10 dans le but d’entamer le processus des négociations territoriales globales. En 1979, le CAM adresse au gouvernement fédéral son énoncé de revendications qui se termine par onze principes fondamentaux à partir desquels les Atikamekw Nehirowisiwok et les Innus souhaitent négocier avec les gouvernements (Conseil Attikamek- Montagnais, 1979 : 181-182). Cet énoncé intitulé « Nishastanan Nitasinan (notre terre, nous l'aimons et nous y tenons) : revendications territoriales des bandes attikamèques et montagnaises » a été publié dans la revue Recherches amérindiennes au Québec (Conseil Attikamek-Montagnais, 1979 : 171-182). Entre 1980 et 1984, le Conseil des Atikamekw et des Montagnais, qui représentait alors les trois communautés atikamekw et les neuf communautés innues, a entrepris de documenter l’occupation et l’utilisation du territoire, afin d’appuyer les revendications territoriales globales dans lesquelles ces deux nations venaient de s’engager (Charest, 2005). Il s’agit de la Grande Recherche (CAMROUT). La Grande Recherche est composée de quatre rapports concernant les Atikamekw Nehirowisiwok, un pour chaque communauté ainsi qu’un rapport de synthèse nommé « Nitaskinan ». Dans ces rapports visant d’abord et avant tout à confirmer une occupation ancestrale du territoire mais aussi à faire comprendre aux Gouvernements les relations entretenues entre les

10 Le CAM est dissout en 1994, et c’est actuellement le Conseil de la Nation Atikamekw Nehirowisiw qui est chargé de représenter les Atikamekw Nehirowisiwok dans le processus des revendications territoriales globales.

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Nehirowisiwok et le territoire revendiqué, on trouve plusieurs cartes des territoires familiaux, incluant des toponymes et les anciens itinéraires de chasse sur un cycle annuel.

Le processus de revendications territoriales s’inscrit dans le cadre de la Politique sur les revendications territoriales globales (Comprehensive Land Claims Policy), le territoire atikamekw nehirowisiw n’ayant en effet jamais été cédé et n’ayant jamais fait l’objet d’un traité. Comme esquissé précédemment, cela n’a pas empêché, et n’empêche toujours pas, le gouvernement du Québec et les Allochtones d’exploiter le territoire atikamekw nehirowisiw pour leurs propres intérêts (foresterie, hydroélectricité, chasse et pêche sportive, etc). Comme le soulève d’ailleurs Julie Depelteau dans sa thèse récente en sciences politiques:

Le maintien du non-règlement des négociations territoriales profite aux gouvernements coloniaux, dans la mesure où il garantit qu’ultimement, ce sont eux qui décident des restrictions sur les activités d’exploitation se déroulant sur Nitaskinan. Autrement dit, l’éternisation des négociations territoriales maintient les Atikamekw Nehirowisiwok dans une position marginale en ce qui concerne la prise de décisions stratégiques au sujet de Nitaskinan. Loin de générer une incertitude néfaste au développement économique, le statu quo assure que l’exploitation de Nitaskinan aille rondement (Depelteau, 2019 : 1).

Par le biais du processus de revendication territoriale, la Nation atikamekw tente donc d’aboutir à la conclusion d’un traité moderne qui leur permettrait d’accéder à une certaine forme de souveraineté, en étant reconnus comme une nation distincte (Poirier, 2017 : 221- 222). Néanmoins, conformément à la Politique sur les revendications globales, la conclusion de ce traité aurait pour conséquence l’extinction du titre ancestral atikamekw sur le Nitaskinan. Les Atikamekw Nehirowisiwok s’opposent formellement à l’extinction de ce titre sur le Nitaskinan (Poirier, 2017 : 222).

De plus, dans le cadre du processus des négociations territoriales globales, les Atikamekw Nehirowisiwok sont contraints de négocier des droits territoriaux selon des termes propres à la société majoritaire. Selon Éthier et Poirier, cela contraint les Atikamekw Nehirowisiwok à « traduire leurs modes relationnels au territoire et à ses composantes dans des termes qui leur sont imposés par les institutions étatiques et qui connotent des rapports au territoire non représentatifs ni des modèles de gestion ni des conceptions et expériences autochtones » (Éthier et Poirier, 2018 : 112). Les institutions étatiques avec lesquelles doivent négocier les Atikamekw Nehirowisiwok promeuvent une conception du territoire qui sous-tend une

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ontologie moderne - ou naturaliste - propre à l’Occident. Selon l’ontologie moderne - qui postule la séparation entre la nature et la culture – le territoire est considéré comme une « entité inerte », qui a comme principale fonction de servir de « ressource » à l’Homme. Le territoire est de plus conçu en termes de « propriété » et de « frontières » (Escobar, 2018 : 89). Cela s’oppose à la conception qu’ont les Atikamekw Nehirowisiwok du Nitaskinan, conception qui découle - comme vu dans le chapitre 1 - d’une ontologie relationnelle. Selon Éthier et Poirier, les Atikamekw Nehirowisiwok perçoivent le Nitaskinan comme :

[…] un univers forestier où interagissent et où se constituent les personnes humaines et non-humaines ; un univers forestier constitué à la fois des ancêtres et des enfants à venir. L’ensemble de ces interactions confère aux territoires familiaux leur vitalité et leur viabilité. Selon le droit coutumier nehirowisiw, celui ou celle qui fait preuve de réciprocité et de responsabilité peut dès lors légitimer son droit sur un territoire (Éthier et Poirier, 2018 : 112).

Comme vu au début de cette section, si le processus de négociations territoriales entrepris par les Atikamekw Nehirowisiwok avec les institutions étatiques s’éternise c’est en partie parce que cela va dans le sens des intérêts des États canadien et québécois. Néanmoins, il est raisonnable de considérer que la lenteur de ce processus tient également aux différences de perspectives ontologiques portées par les acteurs en présence lors des négociations.

Blaser utilise le concept « d’ontologie politique » pour faire référence, entre autres, aux conflits et aux négociations qui ont lieu entre des individus qui ne partagent pas le même monde ou la même ontologie11 (Blaser, 2009b : 11, Blaser, 2013). Éthier, dans sa thèse : Orocowewin notcimik itatcihowin Ontologie politique et contemporanéité des responsabilités et des droits territoriaux chez les Atikamekw Nehirowisiwok (Haute- Mauricie, Québec) dans le contexte des négociations territoriales globales, a recours à ce même concept « d’ontologie politique ». Il considère en effet que « l’ontologie politique » offre « des outils théoriques et méthodologiques importants pour réfléchir aux bases d’un dialogue égalitaire entre les institutions autochtones et étatiques » (Éthier, 2017 : 12).

11 Blaser mobilise également le concept « d’ontologie politique » pour référer aux négociations qui ont lieu entre les personnes, humaines et non-humaines, au sein d’un même monde, d’une même ontologie (Blaser, 2009b : 11).

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C’est d’ailleurs dans le cadre des revendications territoriales, mais aussi afin d’affirmer leur présence, leurs savoirs et leur droit coutumier en Nitaskinan, que les Atikamekw Nehirowisiwok ont développé, au fil des dernières décennies, une expertise en cartographie. Une expertise qu’ils souhaitent aussi utiliser dans la transmission des savoirs sur le territoire.

2.4 Initiatives atikamekw de transmission des savoirs et de développement des activités sur le territoire

Les Atikamekw Nehirowisiwok sont engagés depuis quelques décennies dans différents projets qui mettent en avant leur autonomie et leur souveraineté sur le territoire, que ce soit au niveau national, régional ou local. Plusieurs de ces projets mettent l’accent sur la valorisation et la transmission des savoirs au sein du Nitaskinan.

Depuis la fin des années 70, les membres des trois communautés atikamekw nehirowisiwok, organisent deux fois par année - au printemps et à l’automne, au moment de la chasse aux oiseaux migrateurs - des semaines culturelles. Les semaines culturelles ont vocation à permettre aux familles nehirowisiwok de prendre congé et de se rendre dans leurs territoires familiaux en vue de pratiquer certaines activités traditionnelles comme la chasse, le piégeage ou la trappe (Éthier, 2017 : 289 , Jérôme, 2010 : 105). Selon une interlocutrice rencontrée lors de mon séjour à Manawan en juillet et en août 2019, une semaine culturelle, nehirowatisiw markanan en langue atikamekw (nehiromowin), se traduit d’ailleurs ainsi « la semaine de la vie atikamekw » (communication personnelle, femme adulte de Manawan, juillet 2019). Lors des semaines culturelles, plusieurs générations d’Atikamekw Nehirowisiwok ont l’occasion d’échanger et de communiquer en Nitaskinan, tout en se « déconnectant » des nouvelles technologies. Les semaines culturelles favorisent ainsi la transmission intergénérationnelle des savoirs en Nitaskinan.

Certains membres de la communauté d’Opticiwan participent depuis l’hiver 2014 à la marche Moteskano (sentiers hivernaux parcourus par les ancêtres). Lors de la marche Moteskano, les participants de tous âges empruntent les Moteskano et parcourent en raquettes près de 200 kilomètres. Selon Christian Awashish, ancien chef du Conseil des Atikamekw d’Opticiwan :

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« La marche Moteskano, qui a un objectif de rapprochement vers la culture et le territoire, offre aux jeunes, et moins jeunes, une opportunité unique d’accéder à des enseignements traditionnels qui ne sont accessibles que sur le territoire » (Christian Awashish, publié par L’Echo la Tuque/Haut-St-Maurice, 1 mars 2019).

Depuis 2015, les trois communautés atikamekw nehirowisiwok ont développé et mis en place le projet Tapiskwan Sipi. Lors du projet Tapiskwan Sipi, des jeunes des trois communautés ainsi que leurs accompagnateurs passent par Opticiwan, Wemotaci et Manawan et parcourent - pendant une dizaine de jours - en canots (tciman) une partie de Tapiskwan Sipi (la rivière Saint-Maurice).

Nitaskinan englobe la totalité de Tapiskwan Sipi et de son vaste bassin hydrographique (cf. annexe A – carte 6). Selon la société d’histoire atikamekw : « Tapiskwan exprime l’idée d’un fil que l’on passe dans une aiguille. Cela fait référence aux nombreuses rivières qui se jettent et rejoignent la rivière Saint-Maurice, comme autant de fils qui passent dans une aiguille. Sipi veut dire « rivière » » (Société d’histoire atikamekw, 2014 : 86). Pour les membres de la Nation atikamekw nehirowisiw, Tapiskwan Sipi est une clé de compréhension de l’identification à un territoire commun (Société d’histoire atikamekw, 2014 : 86). En effet, avant la sédentarisation, Tapiskwan Sipi et son bassin hydrographique favorisaient des échanges soutenus entre les différentes familles atikamekw nehirowisiwok et avec des bandes voisines. Les ancêtres utilisaient les voies navigables (mohanan) et les sites de portages (onikam) et se réunissaient fréquemment en des lieux spécifiques aux abords de Tapiskwan Sipi (Société d’histoire atikamekw, 2014)12.

L’itinéraire qui est suivi dans le cadre du projet Tapiskwan Sipi est préalablement identifié et tracé par les membres des familles des trois communautés dont les territoires sont concernés et ensuite approuvé par les ka nikaniwitc (chefs de territoire). Ainsi, « les familles de chacune des communautés sont responsables de cartographier l’itinéraire à emprunter en canot ainsi que des sites de portage et les sites de campement » (Éthier, 2017 : 209).

12 Pour des informations détaillées concernant l’importance de Tapiskwan Sipi, et de son vaste bassin hydrographique au cœur même du Nitaskinan, pour les Atikamekw Nehirowisiwok, se référer à l’article de la Société d’histoire atikamekw (2014).

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Je reviendrai plus en détails sur le parcours réalisé par les participants dans le cadre de Tapiskwan Sipi (édition 2019) à la section 4.5. Mais notons pour le moment, qu’en juillet et en août 2019, un groupe de jeunes hommes et de jeunes femmes âgés de 15 à 25 ans et accompagné de plusieurs personnes plus âgées est parti d’Opticiwan, a fait escale à Wemotaci pour finalement arriver à Manawan. Lors du projet Tapiskwan Sipi, les rameurs empruntent des voies navigables (mohanan) et des sites de portages (onikam) connus de leurs ancêtres (Éthier, 2017 : 209). Une activité intergénérationnelle, le projet Tapiskwan Sipi participe donc du processus de transmission et d’acquisition des savoirs en Nitaskinan, mais il est aussi un moyen pour les participants, jeunes et moins jeunes, de « renouer » avec leur identité, de « revenir aux sources ».

Participer à Tapiskwan Sipi et aller jusqu’au bout, demande beaucoup de force physique et psychologique c’est avant tout une fierté pour les jeunes d’y participer (communication personnelle, jeune femme de Manawan ayant participé à Tapiskwan Sipi 2019, août 2019). D’ailleurs, selon un interlocuteur âgé d’une quarantaine d’années, il y a aussi une fierté particulière à parcourir Tapiskwan Sipi, étant donné que pendant des années cette rivière était encombrée par le bois flotté, du fait de la drave. À cette époque, il y aurait eu de nombreux accidents parfois mortels sur Tapiskwan Sipi à cause du bois flotté. De ce fait, Tapiskwan exprimerait également l’idée de « passer à travers » le danger et les difficultés (communication personnelle, homme de Manawan, août 2019).

À travers ces initiatives qui visent la fréquentation et l’occupation du Nitaskinan, et donc la transmission des savoirs et l’affirmation de l’identité en territoire ancestral, les Atikamekw Nehirowisiwok font preuve de résurgence, et donc d’une certaine forme de résistance culturelle. Ces initiatives peuvent être considérées comme des « projets de vie autochtones », puisqu’elles sont initiées par les Atikamekw Nehirowisiwok selon leurs propres aspirations, valeurs, épistémologie et ontologie (Blaser, 2004). Ces initiatives ont donc une visée identitaire, mais aussi politique puisqu’elles sont des exemples de ce que les Atikamekw Nehirowisiwok sont capables de mettre en place de nouvelles activités qui visent l’occupation du Nitaskinan, en contexte contemporain.

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2.5 Objectifs et questions de recherches

Tout en appuyant la réalisation des objectifs de deux projets de recherche en lien avec les savoirs et le territoire (cf. chapitre 3), l’objectif de cette recherche consistait notamment à comprendre comment les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan s’organisent pour mettre en place de nouvelles activités en Nitaskinan, qui participent de la valorisation des savoirs en territoire. Mon autre objectif de recherche consistait à comprendre en quoi, aux yeux des acteurs impliqués, ces initiatives participent du processus plus large d’affirmation identitaire et territoriale.

Ma principale question de recherche est donc la suivante :

Comment les initiatives atikamekw de mise en place de nouvelles pratiques et de nouveaux modes de transmission des savoirs au sein du Nitaskinan participent-elles du processus plus large d’affirmation identitaire et territoriale ?

Les deux sous questions de recherche sont les suivantes :

Quels sont les objectifs et le rôle de Tourisme Manawan dans la transmission et la valorisation des savoirs sur le territoire ?

Quels sont les objectifs et le rôle des cartographies dans la transmission et la valorisation des savoirs sur le territoire ?

De façon plus large, ma recherche doit également répondre aux deux sous-questions suivantes :

Comment et selon quels enjeux se fait le choix de mettre en place certaines pratiques favorisant la transmission des savoirs ?

Quels sont les acteurs impliqués dans ces processus ?

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Chapitre 3 : cadre méthodologique

Ce troisième chapitre met en lumière l’ensemble du processus de recherche. Il sera notamment question des principaux aspects méthodologiques qui ont guidé ma recherche. Quelques propos introductifs donneront tout d’abord au lecteur un aperçu du processus de recherche antérieur à la recherche de terrain à proprement parlé. Ces quelques propos seront suivis d’une réflexion sur les enjeux et les défis de la recherche en milieu autochtone. Il sera ensuite question de mon arrivée sur le terrain, de ma rencontre avec certaines personnes de la communauté et de mon intégration progressive au sein de certains réseaux locaux. Je ferai ensuite mention de deux statuts qui m’ont été attribués sur le terrain et des ajustements que j’ai dû mettre en place pour m’en détacher. Je ferai ensuite part au lecteur de quelques réflexions sur la décolonisation de la recherche. Ces quelques réflexions ont véritablement orienté et guidé ma méthodologie sur le terrain. Je détaillerai finalement les méthodes de collectes et d’analyse de données auxquelles j’ai eu recours.

3.1 En amont de mon terrain à Manawan

Avant de venir au Québec afin de réaliser une maîtrise en anthropologie, débutée en septembre 2018 à l’Université Laval, j’ai complété une première année de master en anthropologie à l’Université Paris/Nanterre en France (2017-2018). Durant cette année d’études en France, je souhaitais déjà travailler avec les Atikamekw Nehirowisiwok. Or, après m’être renseignée auprès de quelques professeurs universitaires au Québec, j’ai vite compris que le fait d’étudier en France pouvait être un obstacle à ce projet. En effet, au contraire des Universités québécoises, les Universités françaises sont encore peu familières des recherches effectuées de manière participative avec les communautés autochtones, mais aussi des recherches participatives en général. Elles ne possèdent pas non plus de Comité d’éthique. Ces deux éléments représentaient un frein de taille à une recherche avec les Atikamekw Nehirowisiwok, qui exigent depuis plusieurs années de mettre en place avec les chercheurs des recherches collaboratives et participatives (cf. section 3.6). De mai à août 2018, j’ai donc décidé de me rendre au Québec afin de travailler bénévolement dans un centre ethno-touristique, axé sur la présentation de la culture atikamekw nehirowisiw, et tenu par un couple et dont la femme est une Atikamekw nehirowisiw originaire de Wemotaci. Durant les quatre mois passés au Domaine Notcimik, situé à la Bostonnais proche de La Tuque, j’ai

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rencontré Patrick Moar13, le coordinateur de Tourisme Manawan, venu visiter les lieux. Celui-ci est aujourd’hui l’un des principaux collaborateurs à la présente recherche. En septembre 2018, je débutais une maîtrise en anthropologie à l’Université Laval.

Lors de mon terrain à l’été 2019, j’ai participé à deux projets auxquels je suis affiliée en tant qu’auxiliaire de recherche. Mon projet de mémoire s’inscrivait ainsi dans le projet de recherche dirigé par Laurent Jérôme, mon co-directeur de recherche et professeur à l’UQAM, en partenariat avec Tourisme Manawan et le Conseil des Atikamekw de Manawan, et intitulé « Le tourisme comme levier de développement et de souveraineté en milieu autochtone : histoire, pratiques et savoirs des Atikamekw de Manawan ». Ce projet est subventionné par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) dans le programme « Développement savoir ». Le projet sur lequel travaillent actuellement Tourisme Manawan et Laurent Jérôme vise à renforcer et à développer l’offre d’un tourisme culturellement ancré autour des lacs wapackoteiak. En tant qu’auxiliaire de recherche sur ce projet, il était notamment attendu que je rencontre et que j’identifie certains membres des familles de Manawan qui possèdent un campement permanent aux abords des lacs wapackoteiak et qui seraient éventuellement intéressés à prendre part à l’accueil des touristes.

Mon projet de mémoire s’inscrivait également dans le projet de recherche intitulé « Territorialités et cartographies autochtones : étude comparative sur les productions cartographiques des Atikamekw Nehirowisiwok (Québec) et des Coast Salish (Colombie- Britannique) dans le contexte des revendications territoriales globales » piloté par Benoit Éthier, chercheur à l’UQAT, et en partenariat avec le Conseil de la Nation atikamekw. Sylvie Poirier, ma directrice de recherche, est co-chercheure sur ce projet. Ce projet est subventionné par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRHS) dans le programme « Développement savoir ». Ce projet piloté par Benoit Éthier et conduit en collaboration étroite avec des membres du Conseil de la Nation atikamekw a quant à lui pour objectif principal de participer à la production d’une cartographie atikamekw interactive. En tant qu’auxiliaire de recherche sur ce projet, il était entre autres attendu que je documente

13 Patrick Moar a demandé à être identifié nommément dans le mémoire. Tous les autres participants à la recherche sont anonymisés.

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certains des savoirs des membres de ces familles autour des lacs wapackoteiak (sites importants, toponymes, histoire, ressources récoltées, récits familiaux et autres).

Être affilié en tant qu’auxiliaire de recherche à deux projets menés en collaboration avec les organismes atikamekw nehirowisiwok a favorisé le fait que les objectifs de ma recherche soient directement orientés par les intérêts et par les besoins de membres de la communauté de Manawan. Comme ce sera exposé plus en détails à la section 3.6, cette volonté s’inscrit dans le cadre de la décolonisation de la recherche (Smith 1999 : 116 ; Stevenson, 2010 : 11).

La recherche a été menée en suivant une approche qualitative. L’un des points forts de cette approche est de prendre en compte le contexte dans lequel s’effectue la recherche (Paillé et Mucchielli, 2016). La recherche qualitative implique donc que le chercheur partage, autant que possible, le quotidien des personnes impliquées dans la recherche. De plus, selon Pierre Paillé et Alex Mucchielli, la recherche est également dite qualitative parce que « l’ensemble du processus est mené d’une manière « naturelle », sans appareils sophistiqués ou mises en situation artificielles, selon une logique proche des personnes, de leurs actions et de leurs témoignages » (Paillé et Mucchielli, 2016 : 13).

Les recherches qualitatives sont des recherches inductives puisqu’il s’agit pour le chercheur de produire des interprétations quant aux observations faites sur le terrain afin d’y apporter du sens, et ainsi de mieux comprendre ce qui a été observé (Gaudet et Robert, 2018 : 5). Par ailleurs, dans le cadre d’une recherche qualitative, les observations sont souvent « coconstruites entre le chercheur et les personnes […] qu’il observe » (Gaudet et Robert, 2018 : 5). L’approche qualitative laisse donc une place importante à l’intersubjectivité dans le processus de production des connaissances.

Lors de mon terrain à Manawan à l’été 2019, l’approche qualitative a guidé ma méthodologie mais elle l’a également guidé en ce qui a concerné l’analyse des données à mon retour de terrain (cf. section 3.8). L’approche qualitative m’a permis de porter une attention particulière aux interactions avec mes interlocuteurs et aux contextes dans lesquels se déroulaient ces interactions. Il s’agissait notamment de prendre en compte les différents contextes de production de savoirs. Il me fallait ainsi porter une attention particulière aux dynamiques

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familiales, ainsi qu’aux dynamiques intergénérationnelles, et dans une moindre mesure aux dynamiques de genres.

3.2 Contexte de mon arrivée à Manawan

Dans le cadre de mon projet de maîtrise, j’ai séjourné deux mois à l’été 2019 au sein de la communauté atikamekw de Manawan. J’avais déjà réalisé auparavant trois pré-terrains de recherche en 2018 et en 2019. En septembre 2018, j’ai ainsi réalisé un premier pré-terrain d’une durée de quatre jours, sur le site Matakan avec des acteurs de Tourisme Manawan, Laurent Jérôme et des étudiants de l’UQAM. Les étudiants de l’UQAM et leur professeur, Laurent Jérôme, étaient venus sur le site Matakan dans le cadre du séminaire « Sociétés et cosmologies autochtones du Québec ». Des invités et des conférenciers atikamekw nehirowisiwok sont, par ailleurs, intervenus durant ce séjour. Ce premier pré-terrain fut suivi d’un deuxième pré-terrain d’une durée de deux jours qui s’est déroulé à Manawan en octobre 2018, avec Laurent Jérôme et Nicolas Houde, un autre professeur de l’UQAM. Lors de ce deuxième pré-terrain, nous avons notamment rencontré deux membres du Centre des Ressources du Territoire (CRT). Mon éventuel projet de recherche avait été exposé et discuté lors de cette rencontre. En mai 2019, j’ai passé trois jours à Manawan afin de rencontrer certains membres de la communauté et commencer à établir des liens avec ces derniers, mais aussi afin de trouver un logement pour les deux mois de l’été 2019.

En arrivant début juillet 2019 à Manawan, j’avais trouvé un lieu où résider et j’étais déjà en contact avec quelques interlocuteurs clés. J’étais déjà notamment en contact avec Patrick Moar, coordonnateur de Tourisme Manawan, ainsi qu’avec quelques-uns des guides touristiques qui travaillent sur le site Matakan. J’avais reçu l’accord du Conseil de bande de Manawan, mais j’étais toujours dans l’attente de l’attestation du Comité d’éthique de la recherche de l’Université Laval (CERUL). J’ai finalement reçu cette attestation à la mi- juillet. Lors de mon séjour à Manawan, j’ai en fait obtenu une double certification éthique, celle de l’Université Laval (CERUL) et celle de l’UQAM (CIEREH), étant donné que j’étais déclarée comme auxiliaire de recherche dans le projet dirigé par Laurent Jérôme (cf. section 3.1).

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Lors du terrain, j’ai réalisé quelques entretiens semi-dirigés (voir sous-section 3.7.1). Toutefois, l’essentiel des données que j’ai recueillies sont issues d’échanges informels et d’observations participantes. Je tenais régulièrement un journal de bord dans lequel je notais le déroulement de la journée, mes observations et les éléments qui me semblaient notables.

3.3 Enjeux et défis d’une recherche en milieu autochtone

En arrivant à Manawan en juillet 2019, et après avoir reçu l’attestation du CERUL, je me sentais prête à débuter la collecte de données et notamment les entrevues semi-dirigées. Néanmoins, dès mon arrivée, j’ai réalisé que mes attentes et mes « plans » pour conduire à bien la recherche étaient assez naïfs. Malgré l’intérêt réel de certaines personnes clés envers la recherche, je fus confrontée rapidement à la difficulté de rencontrer et de m’entretenir avec les personnes qui me semblaient être au premier plan pour la recherche. Les gens étaient assez occupés, travaillaient ou étaient en territoire. À Manawan, il n’y a pas de réseau mobile et l’essentiel des communications se font par le biais du réseau social Facebook. Néanmoins, lorsque les membres de la communauté sont en territoire, il n’y a aucun moyen de les contacter, si ce n’est en les rejoignant sur place.

Je compris surtout, et assez rapidement, qu’avant que les gens soient enclins et intéressés à participer à la recherche, il fallait que je fasse preuve de patience et que j’arrive, en tant qu’étrangère, à prendre place et à me faire accepter au sein d’un monde qui m’était étranger. Comme l’écrit d’ailleurs Caroline Hervé, par rapport à l’expérience de terrain :

Le terrain est avant tout une expérience déstabilisante. D’abord culturellement, puisque le chercheur est confronté à des façons de faire et de penser qui lui sont inconnues. Ensuite, il doit accepter l’étiolement progressif de son appareillage théorique et méthodologique (contrainte des institutions académiques ou financières de la recherche) face à la nature mouvante et insaisissable de la réalité. Une fois sur place, tout ce qui était planifié est bousculé, les stratégies imaginées sont déboutées. C’est justement par sa capacité à se défaire de sa propre culture et d’une partie de son bagage intellectuel que le chercheur laisse le champ libre à l’apparition de nouvelles pistes (Hervé, 2010 : 8).

En arrivant à Manawan, j’ignorais presque tout des réseaux sociaux et familiaux locaux ou des rapports de pouvoir à l’œuvre. J’avais une connaissance limitée et surtout théorique des

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façons de vivre et des systèmes de savoirs des Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan. Les quelques personnes de Manawan avec lesquelles j’étais déjà en contact m’ont encouragée dès mon arrivée, et souvent avec humour, à apprendre à connaitre les personnes vivant à Manawan et à me familiariser avec leur mode de vie et avec leur réalité avant toute chose. Commencer trop tôt les entrevues semi-dirigées ou même me promener partout avec mon carnet de notes alors que les gens me connaissaient à peine n’était pas réaliste, et même, comme je l’avais d’ailleurs pressenti, inapproprié. J’ai alors décidé, même si cette décision pouvait être source d’angoisse du fait de la durée assez courte du terrain (deux mois) ainsi que des impératifs universitaires, d’attendre de m’être intégrée partiellement aux réseaux sociaux locaux avant de débuter les entrevues semi-dirigées. Il s’agissait notamment de prêter une attention toute particulière aux relations et aux interactions qui allaient se créer avec mes interlocuteurs lors de la recherche.

Dans le cadre de la décolonisation de la recherche en milieu autochtone (cf. section 3.6), le chercheur est amené à repenser ses rapports avec les Premières Nations (Jérôme, 2008 : 180). Les commentaires et les conseils que m’ont fait certaines personnes dès mon arrivée à Manawan ont orienté ma méthodologie de recherche et m’ont rappelé que je n’étais pas là pour travailler « sur » les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan mais bien avec eux. Lors de mon terrain, je me suis ainsi laissé guider par certains Atikamekw Nehirowisiwok, qui m’ont encouragée et m’ont invitée à m’intégrer autant que possible à leur monde et à faire l’expérience de leur réalité avant d’aspirer à poser des questions.

3.4 Récit d’une intégration « partielle »

Le premier mois de mon terrain a surtout été dédié à la rencontre de plusieurs membres de la communauté. Je passais du temps à me promener dans le village. J’allais faire des courses à l’épicerie et je passais de longs moments sur les plages au bord du lac Metapeckeka. J’allais aussi souvent à Tourisme Manawan pour discuter avec le coordinateur, lorsqu’il était dans son bureau. Dans les locaux de Tourisme Manawan se trouve le bureau de Patrick Moar ainsi qu’un accueil. Les touristes se rendent généralement à Tourisme Manawan pour trouver de l’information. Tourisme Manawan fait également office de bureau de postes, et est donc en

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conséquent un lieu de passage, assez fréquentés par les Atikamekw Nehirowisiwok de la communauté. J’allais régulièrement manger ou prendre un café à la cantine Bello, un casse- croûte très fréquenté par les gens de la communauté qui viennent manger en familles ou entre amis, ou qui viennent récupérer leur commande, passée préalablement au téléphone ou via Facebook. Enfin, j’allais aussi régulièrement donner un coup de main en cuisine ou pour le service au restaurant de l’Auberge Manawan. Le restaurant de l’Auberge Manawan est situé dans un local directement attenant à l’Auberge, qui dispose d’une dizaine de chambres. Dépendamment des jours, le restaurant peut être ouvert ou fermé et est un lieu dans lequel se retrouvent parfois des personnes de la communauté, pour un événement ou pour une rencontre familiale. Le restaurant accueille également régulièrement les groupes de touristes ou des gens de passage, pour un repas.

Au départ, j’étais prise de doutes quant à l’intérêt de déambuler ainsi dans Manawan, sans but ou objectif précis. Certaines personnes me regardaient furtivement, avec ce qui paraissait être un mélange de méfiance et de curiosité, et j’étais frustrée de ne pas réussir à entrer vraiment en relation avec qui que ce soit. Néanmoins, au fil du temps, quelques personnes sont venues d’elles-mêmes à ma rencontre, curieuses de savoir qui j’étais et ayant observé que j’étais à Manawan depuis quelques temps déjà. J’ai ainsi pu expliquer à quelques personnes qui j’étais, les raisons de ma présence, mais aussi ce qui occupait mes journées depuis mon arrivée à Manawan. Il est aussi arrivé que des personnes viennent me voir spontanément, parce qu’elles avaient entendu parler de mes recherches, par le biais d’autres personnes de Manawan, et qu’elles souhaitaient s’entretenir avec moi à ce sujet ou y participer. Ces échanges ont souvent été fructueux pour la recherche, dans le sens où il est arrivé de convenir avec ces personnes d’autres rencontres en lien avec la recherche, voire un éventuel entretien. En ce sens, tout comme Jean-Pierre Olivier de Sardan, il appert « qu’il faut, sur le terrain, avoir perdu du temps, beaucoup de temps, énormément de temps, pour comprendre que ces temps morts étaient des temps nécessaires » (De Sardan 2008 : 45).

Assez rapidement après mon arrivée, et tout au long de mon séjour, j’ai été invité par certains acteurs de Tourisme Manawan à passer de courts séjours sur le site Matakan. Bien que j’y sois allée principalement lorsqu’il y avait des groupes de touristes, il m’est également arrivé d’y aller juste pour donner un coup de main ou pour accompagner des acteurs de Tourisme

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Manawan qui devaient s’y rendre pour un « état des lieux ». Ainsi, lorsque j’accompagnais ces derniers sur le site Matakan, en dehors de la présence des touristes, il s’agissait principalement de vérifier l’état des installations, d’effectuer des travaux de rénovations mineurs dans le cas où certaines des installations étaient endommagées, et de prendre note des éléments qui devraient être amenés sur le site la prochaine fois, comme par exemple des sacs de couchage, des bidons d’eau potable, ou de la nourriture. Souvent après avoir fini « l’état des lieux », nous en profitions pour rester le temps d’une heure ou deux sur le site Matakan pour discuter et échanger nos impressions quant au déroulement de l’été.

De façon générale, ces séjours sur le site m’ont permis de me familiariser et de créer des liens de confiance avec la majorité des acteurs du tourisme à Manawan. Les acteurs du tourisme sont habitués à rencontrer et surtout à passer du temps avec les étrangers en territoire, ce qui n’est pas le cas de tous les des Atikamekw de Manawan. En ce sens, il me semble que travailler sur un projet de recherche en lien avec le développement du tourisme a grandement favorisé le fait que je rencontre rapidement des personnes intéressées à s’impliquer dans mes recherches mais aussi habituées aux méthodes de collectes de données des Emitcikociwak (les Blancs). Il faut aussi préciser qu’en amont de mon terrain, Patrick Moar, le coordonnateur de Tourisme Manawan, ainsi que Laurent Jérôme, mon co-directeur, avaient déjà bien expliqué et présenté le projet de recherche à certains acteurs de Tourisme Manawan.

Ainsi, sur le site Matakan, le fait que je prenne des notes dans mon journal de bord ou que je réalise des entretiens semi-dirigés avec certaines personnes impliquées dans le tourisme, n’a jamais suscité de fuite ou d’incompréhension de la part des gens présents sur place. Alors que dans d’autres contextes et d’autres situations au court de mon séjour, j’ai senti, ou l’on m’a fait comprendre, qu’il n’était pas approprié de prendre des notes, j’ai été surprise que ce ne soit jamais le cas sur le site Matakan. Dans son mémoire écrit en 2011, Savoir, pouvoir et territoire : acquisition et transmission des savoirs liés à l'univers forestier chez les Manawani iriniwok (Atikamekw de Manawan), Éthier fait d’ailleurs part de la même expérience concernant l’attitude de certains de ses interlocuteurs atikamekw nehirowisiwok face à la prise de notes (Éthier, 2011 : 53). Dans son mémoire, Éthier écrit ainsi :

La fuite et le malaise de certains interlocuteurs - souvent des personnes ayant elles-mêmes pris la peine de venir vers moi pour m'inviter à participer à des

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activités - devant mon calepin de notes m'ont rapidement fait prendre conscience que je n'avais pas été invité pour prendre des notes ou pour les étudier. J'avais été invité en tant que personne afin que je participe à la vie quotidienne en forêt, au campement ou dans la maison et que je partage avec eux ces moments intimes (Éthier, 2011 :53).

Lors de mon pré-terrain en mai 2019, j’avais essayé de trouver un logement chez une famille pour l’été. Néanmoins, toutes les personnes que j’ai rencontrées m’ont expliqué que c’était très difficile – voire impossible – d’être accueilli chez une famille puisque les maisons à Manawan sont surpeuplées. Cela serait d’autant plus vrai à l’été puisque des jeunes atikamekw nehirowisiwok qui sont aux études durant l’année scolaire en dehors de Manawan reviennent généralement chez eux en juillet et en août. C’est pour cette raison qu’un homme atikamekw nehirowisiwok - âgé d’une cinquantaine d’années - et que j’avais rencontré lors de mes pré-terrains, m’a proposé de passer l’été chez lui en échange d’un loyer. Cette possibilité d’hébergement a ensuite été discutée, négociée et acceptée par ma directrice et par mon co-directeur de recherche.

Lors de mon terrain, j’ai donc vécu chez cet homme atikamekw nehirowisiw. Celui-ci est propriétaire de deux chalets14 à Manawan qu’il loue à l’année à des touristes, à des gens de passage et à des travailleurs. Il pratique très régulièrement la pêche à la ligne et est guide de pêche pour des touristes les mois de l’année où les lacs wapackoteiak sont accessibles en bateau15. Il a travaillé en tant que guide touristique sur le site Matakan il y a quatre ans et continue de donner un coup de main à Tourisme Manawan assez régulièrement (transporter les touristes en bateau sur le site Matakan, accueillir des groupes de touristes chez lui pour un repas, etc.). Enfin, il travaille en tant que concierge au Conseil de bande de Manawan. Cet homme possède un chalet en territoire communautaire, dans lequel il s’est régulièrement rendu pour quelques jours consécutifs ou pour un après-midi lors de mon séjour à l’été 2019. Il m’a d’ailleurs invité à quelques reprises à l’accompagner dans son chalet avec des amis à lui.

14 Ces deux chalets faisaient anciennement parti des quatre chalets Six Saisons, dédiés à l’hébergement des visiteurs à Manawan. Ils ont été rachetés au Conseil de bande par mon hôte (cf. sous-section 5.1.4) 15 Selon mes observations, les bateaux utilisés par les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan sont dans l’ensemble des bateaux à moteur, de taille et de puissance variable.

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Lors de mon terrain, les enfants de mon hôte passaient l’été en dehors de Manawan et j’ai donc pu dormir dans la chambre de sa fille. C’est du fait de ma présence chez cette personne que j’ai eu l’opportunité de me familiariser, dès mon arrivée, avec certains réseaux sociaux locaux. Il y avait presque toujours du monde à la maison, notamment des amis et des connaissances de mon ami - notamment des hommes - ainsi que des membres de sa famille élargie. La maison étant, de plus, une des plus grandes de Manawan, il y avait très souvent des rassemblements d’amis et des soupers organisés. Loger au sein de cette maison très animée présentait des inconvénients : la difficulté à trouver un espace d’intimité, le bruit quasi permanent en soirée et donc la difficulté de travailler tranquillement et confortablement… Néanmoins, du fait de ma présence au sein de cette maison, je n’ai jamais ressenti de sentiment d’isolement ou de solitude lors de mon terrain. Au fil du temps, j’ai créé des liens d’amitié forts avec mon hôte mais aussi avec certains individus, surtout des hommes mais aussi quelques femmes, qui étaient souvent à la maison. Ces derniers m’ont orienté vers des personnes de la communauté susceptibles d’être intéressées à participer à la recherche.

Au fil du séjour, des personnes que j’avais rencontrées étaient de plus en plus enclines à m’inviter à participer à certaines activités à Manawan : aller prendre un café ou une collation chez une famille, passer voir comment préparer la pâte de bleuets (cf. sous-section 5.1.5) , aller apprendre chez un aîné comment fabriquer des paniers en écorce, un mariage… mais aussi en dehors de la communauté : des sorties en bateau sur les lacs wapackoteiak, des sorties de pêche, aller rendre visite à des familles en territoire, participer à un camp d’été pour les jeunes (cf. section 4.5), des soupers-bénéfices, participer au Poker run16. J’ai néanmoins réalisé à la fin du mois d’août que bien que j’aie rencontré, échangé et travaillé avec beaucoup de personnes de la communauté lors de mon séjour, j’avais surtout évolué et réussi à établir des liens avec des personnes issues soit du même réseau de parenté, soit du même réseau d’affinités. Du fait certainement d’un terrain (trop) court, le lieu où j’ai vécu

16 En juillet 2019, plusieurs personnes de Manawan ont organisé un Poker Run. Il s’agissait de se rendre en bateau à moteur chez différentes familles qui possèdent un chalet en territoire communautaire et d’y faire arrêt pour une heure ou deux. Chaque participant devait donner 40 dollars pour participer, et tirait ensuite au hasard une enveloppe à chaque nouvel arrêt, le but étant au final d’avoir la meilleure main. En juillet 2019, environ 40 personnes de différentes familles ont participé à cette activité. Les bénéfices ont servi au financement d’un mariage qui a eu lieu en août à Manawan.

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pendant deux mois a véritablement orienté mon insertion au sein d’un réseau donné d’affinités et, l’un n’excluant pas l’autre, d’un réseau familial spécifique. Cela est probablement aussi à mettre en lien avec le fait qu’à Manawan, les liens de parenté et les réseaux familiaux jouent un rôle de premier plan dans les dynamiques sociales. Jérôme écrit d’ailleurs qu’en milieu autochtone « […] les relations intergénérationnelles ne peuvent pas être compris[es] en dehors de la famille qui reste une sphère de repère, d'identification et de solidarité importante et centrale » (Jérôme, 2010 : 338).

3.5 Positionnalité(s) sur le terrain et humilité

Lors de son terrain l’anthropologue « s’engage nécessairement dans un processus intersubjectif afin de co-créer un certain savoir » (Audet, 2010 : 27). Or, il arrive que « dans le contexte globalisé actuel, un lot d’images clichées sur l’identité de l’anthropologue émerge, qui ne manque pas de bouleverser les stratégies de collecte de donnée » (Milan, 2013 : 1). L’anthropologue doit alors effectuer un travail d’ajustement afin de se défaire de ces positionnalités qui lui ont été accordé, souvent malgré lui (Bensa, 2008 :323 ; Milan, 2013 : 1). Dans cette section, j’évoquerai certaines des positionnalités qui m’ont été assignées lors de mon séjour à Manawan, ainsi que les ajustements auxquels j’ai dû avoir recours pour m’en détacher. Comme l’écrit Alban Bensa : « Ce travail d’ajustement à autrui nécessite des efforts linguistiques et relationnels qui marquent d’un indélébile sceau la nature de ces « données », qui ne sont en fait que les produits de notre histoire sur le terrain » (Bensa, 2008 : 323).

3.5.1 Positionnalité de la femme « disponible »

Selon Pascale-Marie Milan, « L’enquête voit ses potentialités se démultiplier dès lors que le chercheur prend en compte sa positionnalité dans les relations sociales qu’il noue sur le terrain, dès lors qu’il a conscience du/des statut(s) locaux auquel il est assigné » (Milan, 2013 : 10). Il est bien évidemment impossible d’être absolument certaine des statuts qui m’ont été assignés lors de mon séjour à Manawan. Néanmoins, le fait d’être une femme

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blanche, sans enfants, sans son conjoint et logeant pour deux mois chez un homme vivant seul était considéré pour certains comme quelque chose d’étrange. Durant le séjour, j’ai en fait réalisé que l’une des positionnalités qui m’avait été accordée était d’être une femme « disponible », potentiel « objet de désir » et que cela avait un impact dans les relations sociales que j’entretenais que ce soit avec les femmes ou avec les hommes. D’ailleurs, comme l’écrit Julie Cupples: « […] it is impossible to escape our sexuality […] in the field we are sexualized subjects, we might be viewed as wives, mothers, desirable foreign women, potential sexual partners and these views impinge on the research process in ways that cannot always be predicted » (Cupples, 2002 : 383).

Face à ce constat, je me suis efforcée pendant l’intégralité de mon séjour d’éviter les malentendus tout en continuant à créer des relations et des liens de confiance avec mes interlocuteurs. J’ai aussi décidé d’adapter ma tenue vestimentaire – que je pensais pourtant « neutre » lors de mon arrivée - afin de correspondre aux attentes des femmes de la communauté. Ces ajustements nécessaires ont permis en partie, je crois, un changement progressif dans la manière dont j’étais perçu en arrivant à Manawan et m’ont ouvert les portes de la sphère privée féminine. Plusieurs anthropologues mettent en avant les difficultés auxquelles les chercheurs masculins peuvent être confrontés sur le terrain pour intégrer le domaine des femmes (Éthier, 2017 : 84, Milan, 2013). Selon ma propre expérience, le fait d’être une femme chercheuse ne suffit pas pour se faire intégrer au sein de la sphère féminine. Personnellement, c’est seulement avec du temps, des ajustements et de l’humilité que j’y suis finalement, et en partie, parvenue.

Prendre en compte - assez rapidement – que certaines personnes de la communauté m’avaient attribué ce statut de « femme disponible » a été fondamental pour le bon déroulement de la recherche. C’est en effectuant, sur le terrain, un retour réflexif sur cette positionnalité qui m’avait été attribuée que j’ai été en mesure - comme vu précédemment – de mettre en place un certain nombre d’ajustements afin de me départir de ce statut. Sur le terrain, l’anthropologue est considéré comme un sujet auquel l’on attribue un ou des statuts et il « intervient de ce fait sur la réalité ethnographique à laquelle il est participant actif » (Jérôme, 2010 : 93). Comme le souligne Laurent Jérôme, c’est au chercheur de prendre en compte les tenants et les aboutissants de cette implication et d’agir en conséquence :

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Aborder le terrain en mettant au cœur de sa relation cette question d'implication face aux contextes de production des savoirs revient à laisser une grande place à la créativité, à l'imagination et à l'improvisation sur le terrain […] l'anthropologue se base sur ses intuitions, son imagination, son inspiration, sa créativité et sur l'improvisation dans des contextes inconnus. Ses capacités à comprendre, interpréter, répondre ou rebondir face à certaines situations dépendent dans une large mesure de l'espace de liberté qu'il parvient progressivement à construire et à se donner en tant que chercheur mais aussi et surtout, en tant qu'individu (Jérôme, 2010 : 93-94).

De plus, et peut-être surtout, c’est en effectuant un retour réflexif que j’ai été en mesure de comprendre que ce statut particulier qui m’avait été accordé, par certains Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan, dénotait et mettait en lumières certaines logiques sociales et plus spécifiquement certaines dynamiques de pouvoir familiales et de genres. D’ailleurs, « seul le retour réflexif permet véritablement aux auteurs de comprendre les enjeux d’une situation qui, sur le moment, les a dépassés » (Leservoisier, 2005 : 26). En bref, si je n’avais pas effectué ce retour réflexif, je serais passée à côté d’une bonne partie de mon terrain.

3.5.2 Positionnalité de « la touriste »

Comme évoqué précédemment (cf. section 3.4), le fait de travailler sur un projet de recherche en lien avec le développement du tourisme a facilité, en un sens, le fait de rencontrer rapidement des personnes intéressées à participer à la recherche. Les acteurs du tourisme, ainsi que la plupart des potentiels futurs acteurs du tourisme à Manawan, sont en effet habitués à passer du temps en Nitaskinan avec les Emitcikociwak et sont également habitués à rencontrer et à collaborer avec des anthropologues. Lors de mon séjour, il y avait deux autres étudiants en anthropologie à Manawan, une jeune chercheuse et amie ainsi qu’un jeune chercheur Américain. Bien que nos sujets de recherche soient différents, et que nous ayons essayé de ne pas solliciter outre mesure la participation des mêmes personnes pour nos recherches, nous avons tous les trois - le plus souvent séparément - été invités à passer du temps sur le site Matakan en compagnie des acteurs du tourisme.

Le fait d’être une étrangère passant du temps avec les personnes impliquées dans le tourisme à Manawan a néanmoins fait en sorte que je sois assimilée au début de mon séjour à une

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touriste par plusieurs membres de la communauté. Olivier Leservoisier écrit d’ailleurs que sur des terrains où sont présents des acteurs comme des travailleurs d’ONG ou des touristes, par exemple, il est nécessaire que le chercheur prenne en compte et réfléchisse à l’implication de la présence de ces acteurs. En effet, les interlocuteurs du chercheur auront forcément tendance à assimiler le chercheur aux autres acteurs présents sur le terrain (Leservoisier, 2005 : 22).

Être française n’arrangeait rien étant donné que la majorité des touristes accueillis à Manawan sont d’origine européenne et majoritairement Français. Certaines personnes venaient me voir alors que je me promenais ou que j’étais à l’épicerie et me disaient : tu dors au Matakan ? Tu arrives de France ? Tu es avec le groupe de touristes ? Le fait d’expliquer alors qui j’étais et pour quelles raisons j’étais à Manawan, permettait de me défaire en partie de cette positionnalité de « la touriste ». Lorsque j’étais sur le site Matakan, avec un groupe de touristes, j’essayais autant que possible d’adopter un comportement différencié de celui des touristes. Je me levais tôt (parfois très tôt), comme les guides touristiques Atikamekw Nehirowisiwok et participais aux tâches qui rythmaient la vie du site Matakan : aider à la préparation des repas, manger avec les guides, servir les touristes, faire le ménage, donner un coup de main avec les installations… Au début de mon séjour, alors que ça faisait déjà trois jours que j’étais sur le site Matakan, j’étais en train de manger avec les guides à table – le groupe de touristes français mangeait à la table d’à côté – un apprenti guide assis à ma droite me dit « Faque tu n’es pas avec le groupe? ». Je fus d’autant plus surprise par cette question que j’avais pris soin d’expliquer antérieurement à toutes les personnes présentes mes démarches académiques.

Au fil du temps, mais sommes toute assez rapidement, j’ai senti un changement dans la façon dont les individus et en particulier les acteurs du tourisme me percevaient. Le fait de me détacher de ce statut de touriste m’a notamment permis de créer des relations sociales avec les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan très différentes de celles qu’ils créent habituellement avec les touristes ou avec les gens de passage.

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3.6 Réflexions sur la décolonisation de la recherche

Dans son ouvrage, Custer Died for Your Sins ([1969]1988), Vine Deloria Jr. est un des premiers à dénoncer, de manière incisive, l’omniprésence des anthropologues dans les communautés autochtones, et notamment l’été. Selon lui, les anthropologues ne font que reproduire des logiques coloniales, considèrent les Autochtones comme des « objets » d’étude et finalement élaborent des théories inutiles - et même parfois nuisibles - pour les Autochtones (Deloria, 1988 : 78-100). Avant que ne s’amorce le mouvement de décolonisation de la recherche, à la fin des années 90, les recherches en milieu autochtone continuent à imposer et légitimer l’hégémonie et l’universalité d’un système de savoir propre à l’Occident. C’est ainsi que: « During the 1970s and well into the 1990s, Aboriginal peoples continued to be researched. In its aim, construction, and implementation research of this phase inevitably continued to view, interpret, and represent Aboriginal lands and Aboriginal peoples : their world views, their cultures, their experiences, and their knowledges through Western eyes and ears […] » (Wilson, 2003 : 167).

Linda Tuhiwai Smith, une chercheure maorie, avec son ouvrage Decolonizing methodologies. Research and Indigenous Peoples (1999), appelle à décoloniser la recherche et ses méthodologies en milieu autochtone. Selon elle, les chercheurs en venant collecter, classifier et interpréter les savoirs autochtones selon une logique positiviste propre à l’Occident ainsi qu’à la lumière de leurs propres intérêts ne font que reproduire les logiques coloniales (Smith, 1999 : 1-2). Ce genre de recherche «have promoted colonising agendas and dispossession by misrepresenting, objectifying and essentialising indigenous and subaltern “others”, violating their privacy and rights » (Palomino-Schalscha, 2011: 26).

Les peuples autochtones n’acceptent plus d’être considérés comme des « objets » de la recherche, et s’imposent maintenant comme des « sujets » réflexifs qui participent pleinement aux projets de recherche (Gagné et Salaün, 2009 : 30 ; Lévesque, 2009 : 462). Ils aspirent aujourd’hui à ce que les recherches en milieu autochtone soient définies selon leurs objectifs et leurs besoins et à ce que les méthodologies de recherche soient adaptées.

Au Canada – comme ailleurs dans le monde – les anthropologues sont donc maintenant encouragés à mettre en place, en partenariat avec les communautés autochtones avec

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lesquelles elles travaillent, des recherches participatives ou collaboratives (Asselin et Basile, 2012 : 1). La recherche en collaboration avec les peuples autochtones au Canada est maintenant régie au niveau institutionnel par plusieurs organismes subventionnaires (Gagné et Salaün, 2009 : 26 -27). Le groupe consultatif interagences en éthique de la recherche (GER), le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) ainsi que l’Association des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) ont ainsi émis plusieurs principes directeurs visant à mettre en place des stratégies de recherche en collaboration avec les communautés autochtones. Les chercheurs souhaitant travailler avec des communautés autochtones doivent également répondre aux exigences du comité d’éthique de leurs universités respectives (Gagné et Salaün, 2009 : 26-27).

A ce titre, mon intention initiale était de mettre en place une recherche participative. Néanmoins, le temps passé à Manawan (deux mois) n’a pas permis de réaliser pleinement cette intention de départ. En effet, comme écrit précédemment, le premier mois de mon terrain a presque exclusivement été consacré à la rencontre de plusieurs personnes de la communauté (cf. section 3.4). Après avoir réussi, en partie, à me faire accepter et à m’intégrer aux réseaux sociaux locaux, le reste du temps est passé très vite jusqu’à mon départ. Je pense que quelques mois supplémentaires à Manawan auraient favorisé la mise en place d’une recherche qui soit véritablement participative. Notons malgré tout que, comme vu précédemment, les deux projets de recherche auxquels je participe sont élaborés sur la base d’une collaboration étroite avec les organismes atikamekw nehirowisiwok, Tourisme Manawan dans un cas et le Conseil de la Nation atikamekw dans l’autre (cf. section 3.1).

Plusieurs interlocuteurs Atikamekw Nehirowisiwok ont pleinement participé et orienté la collecte et l’analyse des données qui ont été effectuées. Je suis toujours en contact régulier avec ces derniers, et nous échangeons fréquemment quant aux objectifs que la recherche doit atteindre. Je prévois d’envoyer à chaque personne de la communauté qui a participé à la recherche, ainsi qu’à chaque personne qui m’en a fait la demande, une synthèse des résultats de recherche. De plus, comme cela m’a été suggéré par certains participants à la recherche, je prévois d’organiser à Manawan une réunion pour qu’on puisse discuter oralement des résultats de la recherche. Les toponymes récoltés lors de la recherche pourront servir à

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développer des cartographies alternatives, susceptibles d’être ensuite partagées aux jeunes générations.

3.7 Méthodes de collecte de données

3.7.1 Échanges informels et entretiens semi-dirigés

Afin de documenter le développement d’un tourisme familial local, de mieux comprendre les objectifs des acteurs et des futurs acteurs du tourisme quant à la valorisation des savoirs en Nitaskinan ainsi que les relations qu’entretiennent les différentes générations d’Atikamekw Nehirowisiwok avec le territoire, j’ai eu recours à plusieurs outils de collecte de données. Lors de mon séjour, j’ai réalisé au total neuf entretiens semi-dirigés (cf. annexe B – grilles d’entretien), sept avec des hommes et deux avec des femmes. Quatre de ces entretiens ont été réalisés avec les membres d’une famille élargie souhaitant prendre part, ou ayant pris part, au développement du tourisme en Nitaskinan. Dans un désir de simplification et afin d’éviter les répétitions, cette famille sera désignée, dans la suite du mémoire, comme la famille X. Ces quatre personnes sont respectivement : un couple marié d’une trentaine d’années souhaitant éventuellement accueillir des touristes dans leur chalet en territoire communautaire, un homme adulte actuellement guide de pêche et investi dans l’accueil des touristes dans ses chalets dans la communauté, et un aîné, ancien guide de pêche et de chasse, âgé d’environ quatre-vingt-ans. Quatre entretiens ont été réalisés avec des acteurs de Tourisme Manawan : deux avec des guides touristiques sur le site Matakan - âgés respectivement d’une trentaine d’années et d’une soixantaine d’années -, un avec un aîné qui intervenait régulièrement sur le site Matakan pour des ateliers, ainsi qu’un autre avec Patrick Moar, âgé d’ une quarantaine d’années. Enfin, j’ai réalisé un entretien semi-dirigé avec la directrice du pôle « Services et Projets communautaires » du Conseil de bande des Atikamekw de Manawan, une aînée âgée d’environ soixante-cinq ans. Après discussion avec ma directrice et mon codirecteur de recherche, il avait été décidé avant mon arrivée à Manawan que je ne réaliserai pas d’entretien avec les touristes. En effet, cette recherche a comme objectif principal de documenter et d’analyser certaines des initiatives de mise en valeur des savoirs et du territoire par et pour les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan.

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Le point de vue des touristes sur le tourisme à Manawan ne faisait donc pas partie des objectifs de recherche.

Aucun interlocuteur ne s’est opposé à l’usage du dictaphone, tous les entretiens ont donc été enregistrés. Les entretiens ont duré entre quarante-cinq minutes pour le plus court à une heure et demie pour le plus long. Trois entretiens ont été réalisés aux domiciles des personnes ; trois ont été réalisés à mon logement à Manawan ; deux sur le site Matakan ; et enfin, un entretien a été réalisé dans les locaux du Conseil de bande.

Les entretiens semi-dirigés offrent une grande souplesse quant à la façon dont les entrevues sont conduites. En effet, les questions sont généralement assez ouvertes et laissent ainsi une « marge de manœuvre » au chercheur ainsi qu’au locuteur. Ils permettent de laisser une place importante à la recherche et à la création d’interactions (De Sardan, 2008 : 56). J’ai essayé de faire des entrevues des moments de conversation, afin « de réduire au minimum l’artificialité de la situation d’entretien » (De Sardan, 1995 : 8). La plupart du temps, je me suis donc éloignée de mes schémas d’entrevues, afin de laisser plus de place à la création d’interactions et au dialogue. Très souvent, mes interlocuteurs répondaient d’eux-mêmes aux questions que j’avais prévu poser, et abordaient spontanément d’autres sujets qu’ils considéraient comme pertinents et importants. Lors de l’écriture du mémoire, j’ai fait le choix de ne pas faire l’impasse de certains thèmes discutés lors des entrevues et évoqués de manière récurrente par certains interlocuteurs, et cela même si je n’avais pas pensé en parler au départ (par exemple, les impacts de la déforestation et de la pollution environnementale, et les changements environnementaux).

Comme évoqué précédemment, rencontrer des acteurs de Tourisme Manawan intéressés et disponibles pour réaliser une entrevue s’est fait assez « naturellement ». J’avais prévu de faire plus d’entrevues, notamment avec les membres de la famille élargie que j’avais identifiés et rencontrés et qui souhaitent s’impliquer dans l’accueil des touristes en territoire. Néanmoins, j’ai vite été confrontée à une réalité assez différente de ce que j’avais imaginé. En effet, identifier puis rencontrer une famille intéressée à prendre part au développement du tourisme en territoire a été plus long que prévu initialement. Les personnes étaient souvent occupées, au travail, en déplacements ou en territoire – et donc impossibles à contacter. Après avoir rencontré plusieurs membres de la famille X, j’ai dû faire face aux mêmes difficultés.

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Plusieurs rendez-vous manqués, et parfois annulés au dernier moment, m’ont fait comprendre que les rencontres « impromptues », ou tout du moins non prévues trop à l’avance, ainsi que les échanges informels étaient plus adaptés pour comprendre les objectifs de mes interlocuteurs quant au développement du tourisme en territoire. Toutefois, il y a certaines personnes que des interlocuteurs clés m’avaient conseillées de rencontrer et que je n’ai jamais réussi à voir lors de mon séjour.

De façon générale, afin de documenter les lieux et les toponymes en Nitaskinan, ce qu’ont « dit » mes interlocuteurs du territoire a été essentiel. L’oralité, comme par exemple les toponymes ou les récits de pêche, a constitué un élément clé qui m’a permis d’accéder à une meilleure compréhension des savoir-faire, mais aussi des savoir-être qu’entretiennent les Atikamekw Nehirowisiwok avec leur environnement et avec le Nitaskinan. Le discours a notamment été l’élément principal qui m’a permis de comprendre les motivations des acteurs à développer de nouvelles activités au sein du territoire et favorisant la transmission des savoirs.

Lors de mon séjour, je n’ai réussi à réaliser que deux entretiens semi-dirigés avec des femmes. Il me semble que cela est lié notamment au fait que pour le moment ce sont majoritairement des hommes qui sont impliqués dans le tourisme mis en place à Manawan et en territoire. J’ai donc mis plus de temps à rencontrer des femmes que des hommes, intéressées à discuter avec moi de leurs points de vue concernant la valorisation de leurs savoirs en Nitaskinan et de leurs objectifs relatifs au développement du tourisme en territoire. Le point de vue des femmes dans ce travail est donc issu majoritairement d’échanges informels et fréquents avec ces dernières.

3.7.2 Le travail avec les cartes

Comme évoqué à la section 3.1, en tant qu’auxiliaire de recherche sur un projet visant la production d’une cartographie atikamekw interactive, il était attendu lors de mon séjour que je documente certains savoirs des membres de la famille X autour des lacs wapackoteiak. Je devais notamment récolter et documenter certains des toponymes et des récits qui s’y

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rapportent, connus des membres de la famille X. Peu de temps après mon arrivée à Manawan, Laurent Jérôme, mon co-directeur de recherche, m’a fait transmettre quelques cartes du Nitaskinan en ce sens. Il s’agissait de huit cartes de la région des lacs wapackoteiak réalisées par le CNA. Deux de ces cartes (Échelle 1 : 126 000 et Échelle 1 : 35 000) intitulées « Lac Kempt et toponymes Atikamekw », représentaient l’intégralité de la région des lacs wapackoteiak et certains des toponymes atikamekw déjà récoltés dans cette région. Une autre de ces cartes (Échelle 1 : 50 000) intitulée « Valeurs Atikamekw » représentait l’intégralité de la région des lacs wapackoteiak et contenait plusieurs informations : les battures des oiseaux migrateurs, les habitats de castors, les lieux de mise à bas des orignaux, les lieux de ravages d’orignaux, les frayères, les sentiers de motoneiges, les sentiers de portages, les circuits de canotages, les lignes de trappe, les campements permanents, les campements temporaires et les sites de sépultures. Les quatre autres cartes étaient en fait des « gros plans » du site Matakan et des lieux environnants. Ces quatre autres cartes présentaient les mêmes informations que celles de la carte intitulée « Valeurs Atikamekw ».

Après avoir imprimé toutes ces cartes avec mon imprimante – que j’avais pris soin d’amener à Manawan - au format A4, j’ai rapidement compris que mener à bien l’objectif initial de travailler avec les cartographies et les toponymes serait difficile. En effet, et comme exposé dans la sous-section précédente (cf. sous-section 3.7.1), identifier, rencontrer puis réussir à passer du temps et à échanger avec des membres de la famille X a été un processus plus long que ce que j’avais prévu initialement. Une fois avoir réussi à m’intégrer en partie au sein de ce réseau familial, les personnes avec lesquelles j’ai travaillé m’ont expliqué connaitre plus particulièrement les toponymes qui sont dans leurs territoires familiaux respectifs. Or, les cartes que je possédais représentaient uniquement la région des lacs wapackoteiak et donc seulement une infime partie du Nitaskinan. La plupart des territoires familiaux des membres de la communauté n’étaient pas – ou très partiellement – représentés. De ce fait, il est souvent arrivé que mes interlocuteurs soient dans l’incapacité de me montrer l’emplacement (sur une carte) de certains lieux et toponymes présents au sein de leurs territoires familiaux respectifs. De plus, il faut aussi ajouter que les cartes avaient été imprimées dans un format réduit (format A4), ce qui les rendait peu lisibles pour la plupart de mes interlocuteurs.

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Par ailleurs, le fait que mon terrain à Manawan ait eu lieu à l’été a également constitué un facteur défavorable quant au recueil des toponymes. En effet, les personnes avec lesquelles j’ai travaillé et qui connaissaient plus particulièrement les toponymes dans leurs territoires familiaux respectifs fréquentaient très peu leurs territoires familiaux à l’été. Contrairement aux autres saisons, à l’été, elles préfèrent en effet fréquenter le territoire communautaire et les abords des lacs wapackoteiak (cf. sous-section 3.7.3). Je n’ai donc pas eu la chance lors de mon séjour d’accompagner des membres de la famille X dans leurs territoires familiaux et de recueillir in situ certains toponymes.

Finalement, je reviendrai plus en détails sur ce point à la section 4.6, mais notons dès à présent que j’ai senti une certaine réticence de la part des personnes avec lesquelles j’ai travaillé à me partager certains des toponymes et des récits qui s’y rapportent. Quelques toponymes m’ont été transmis in situ par des guides atikamekw nehirowisiwok. Toutefois, c’est seulement vers la fin de mon séjour que certaines personnes que je connaissais alors depuis presque deux mois et avec lesquelles j’avais régulièrement échangé m’ont fait part plus librement de récits attachés à des lieux spécifiques. En ce sens, je pense que pour mener à bien mon objectif initial concernant le travail avec les cartographies et les toponymes plusieurs mois supplémentaires à Manawan – et de meilleures cartes - auraient été nécessaires.

3.7.3 Observation participante

Lors de mon terrain, l’observation participante a constitué un outil majeur de collecte de données. Selon la méthode de l’observation participante, il s’agissait de partager et de m’immerger dans le quotidien des membres de la communauté, des acteurs de Tourisme Manawan – notamment lorsqu’ils travaillaient au site Matakan – et des membres de la famille X.

Par un séjour prolongé chez ceux auprès de qui il enquête […], l’anthropologue se frotte en chair et en os à la réalité qu’il entend étudier. Il peut ainsi l’observer, sinon « de l’intérieur » au sens strict, du moins au plus près de ceux qui la vivent, et en interaction permanente avec eux. On peut décomposer analytiquement (et donc artificiellement) cette situation de base en deux types de situations distinctes

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: celles qui relèvent de l’observation (le chercheur est témoin) et celles qui relèvent de l’interaction (le chercheur est coacteur). Les situations ordinaires combinent selon des dosages divers l’une et l’autre composantes (De Sardan, 1995 : 3).

En juillet et août 2019, j’ai ainsi participé à plusieurs activités quotidiennes auxquelles on m’avait invité à Manawan, mais aussi en dehors de la communauté (cf. section 3.4). J’ai passé plusieurs séjours de quelques jours sur le site Matakan en compagnie des acteurs de Tourisme Manawan et de groupes de touristes (un séjour de six jours et deux séjours de 3 jours). Il m’est également arrivé d’aller brièvement sur le site Matakan en dehors de la présence des touristes pour donner un coup de main à certains acteurs de Tourisme Manawan. J’ai également passé un séjour de cinq jours en territoire communautaire – au bord des lacs wapackoteiak - avec un couple de la famille X, leurs enfants, ainsi que plusieurs jeunes et accompagnateurs à l’occasion d’un camp d’été pour les jeunes. J’ai réalisé plusieurs sorties en bateau sur les lacs et plusieurs sorties de pêche (environ une quinzaine) avec des Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan, dont un certain nombre avec des membres de la famille X. Je suis allé rendre visite à des familles en territoire communautaire à quelques reprises pour un après-midi ou une soirée, en bateau à moteur.

Selon ce que j’ai observé lors de mon séjour à l’été 2019, les familles qui possèdent un chalet en territoire communautaire – souvent aux abords directs des lacs wapackoteiak – y passent quelques semaines et des fins de semaines à l’été. Selon ce que m’ont expliqué des personnes qui possèdent un chalet en territoire communautaire, l’été (nipin)17 est souvent synonyme de vacances et ils aiment profiter du mois de juillet et du mois d’août pour être proche des lacs wapackoteiak, faire du bateau et pratiquer la pêche à la ligne ou au filet par exemple. Par ailleurs, ces mêmes personnes m’ont expliqué passer plus de temps dans leurs territoires familiaux respectifs à partir de l’automne (takwakin) et notamment durant le pré-hiver (pitcipipon) et l’hiver (pipon). Deux des guides sur le site Matakan m’ont expliqué la même chose, ils passent l’été en territoire communautaire – notamment sur le site Matakan dans leur cas – et commencent à fréquenter leurs territoires familiaux à partir de l’automne (takwakin). Au contraire du territoire communautaire –accessible en bateau et à une distance

17 Les Atikamekw Nehirowisiwok distinguent six saisons : l’été (nipin), l’automne (takwakin), le pré-hiver (pitcipipon), l’hiver (pipon), le pré-printemps (sikon) et le printemps (miroskamin). Les activités « traditionnelles » réalisées en Nitaskinan sont fonction des saisons.

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relativement courte de Manawan -, pour se rendre dans leurs territoires familiaux les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan, doivent souvent prendre la voiture et rouler dans la forêt parfois plusieurs heures. L’automne (takwakin), le pré-hiver (pitcipipon) et l’hiver (pipon) sont notamment des mois de chasse et de trappe et il est donc important pour les chasseurs de se rendre dans leurs territoires familiaux. La chasse à l’orignal se fait à l’hiver (pipon) par exemple.

Lorsque je participais à ces activités - et notamment lorsque j’étais sur le site Matakan ou avec des familles en territoire - mes observations se portaient notamment sur les processus de transmission des savoirs qui étaient à l’œuvre, que ce soit entre les membres des familles présents ou entre les guides touristiques. J’observais ainsi les différents modes de transmission des savoirs qu’ils soient verbaux, non verbaux ou expérientiels tout en portant une attention particulière aux relations et aux interactions qui avaient lieu entre les personnes et entre les personnes et leur environnement.

La méthode de l’observation participante était particulièrement adaptée puisqu’elle me permettait d’observer mais également de participer et d’apprendre de cette participation. Participer et m’engager dans certaines activités auxquelles j’étais invité m’a permis de compléter mes observations et d’appréhender, entre autres, certains savoir-faire d’une façon plus expérientielle et sensorielle. En participant à certaines pratiques quotidiennes comme la préparation des repas, la pêche ou l’apprêtage des poissons par exemple, il m’était plus facile d’appréhender les expériences sensorielles vécues et ressentis par les Atikamekw Nehirowisiwok lors de la réalisation de ces activités.

De façon plus générale, mon séjour m’a démontré à quel point l’expérience personnelle était valorisée par les Atikamekw Nehirowisiwok du point de vue de l’apprentissage. En ce sens, l’autonomie et la responsabilisation des individus guident grandement la façon qu’on les Atikamekw Nehirowisiwok de transmettre et d’acquérir les savoirs. Afin de mieux comprendre les processus de transmission des savoirs à l’œuvre lors de certaines activités, mais aussi afin de me faire accepter au sein des réseaux sociaux et familiaux, il n’était donc pas concevable pour moi de rester dans la place de « l’observatrice » en permanence.

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Je tenais quotidiennement un journal de bord, dans lequel je notais – le plus souvent a posteriori – mes observations de la journée, mes réflexions et idées ainsi que mes impressions et mes ressentis. Ce journal de bord a eu une importance de premier plan et m’a permis, à terme, de mieux organiser, faire sens et interpréter mes données et mes observations.

3.8 La compilation et l’analyse de données

Une fois de retour de mon terrain à Manawan, je me suis retrouvée face à mon (épais) journal de bord et à plusieurs heures d’entrevues précieusement conservées dans mon ordinateur. Après avoir relu à quelques reprises mon journal de bord, j’ai directement entrepris de transcrire intégralement chaque entrevue réalisée lors de mon séjour à Manawan. J’ai ensuite décidée d’opter pour une méthode d’analyse qualitative afin d’ordonner, de recouper et d’analyser mes données. La méthode d’analyse qualitative à laquelle j’ai eu recours est plus spécifiquement celle de « l’analyse thématique ». L’analyse thématique consiste notamment à extraire des données qualitatives récoltées sur différents thèmes. Ces derniers doivent refléter le contenu des données analysées et doivent être en lien avec les objectifs de recherche (Paillé et Mucchielli, 2016 : 236). Il s’agit ensuite de recouper et d’articuler les différents thèmes extraits en relevant les parallèles ou les divergences entre ces mêmes thèmes, afin, à terme, d’être en mesure de faire sens des données produites (Paillé et Mucchielli, 2016 : 236).

Concrètement, après avoir lu et relu à plusieurs reprises mon journal de bord ainsi que les différentes transcriptions d’entrevues, j’ai annoté et commenté ce que j’avais écrit dans mon journal de bord ainsi que pour chaque entrevue. Cela m’a aidé à identifier plusieurs thèmes et sous-thèmes récurrents et pertinents pour la recherche grâce à un code couleur. Certains des thèmes identifiés étaient par exemple : « acquisition et transmission des savoirs », « savoir-être », « savoir-faire », « relation au territoire », « tourisme ». Certains des sous- thèmes identifiés étaient par exemple : « langue », « identité », « territoire communautaire », « toponymes », « pêche », « points de vue sur l’offre de tourisme actuelle », « aspirations par rapport au développement du tourisme futur », « déforestation ». Pour y voir plus clair, et uniquement en ce qui concerne les transcriptions d’entrevues, j’ai ensuite synthétisé en une

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phrase ou deux chaque ensemble de phrases qui avait été surligné dans un code couleur correspondant à un thème ou un sous-thème. J’ai également extrait certaines phrases ou propos qui me semblaient particulièrement représentatives d’un thème ou d’un sous-thème particulier.

J’ai enfin tenté, tout en faisant des vas et viens constant entre le corpus de données et les thèmes identifiés d’établir des liens de corrélation entre ces différents thèmes et sous-thèmes. Cette dernière étape constitue la « construction de l’arbre thématique » (Paillé et Mucchielli, 2016 : 261).

Il [l’arbre thématique] s’agit d’un type de regroupement des thèmes où un certain nombre de rubriques classificatoires chapeautent des grands regroupements thématiques, lesquels se subdivisent à leur tour en autant d’axes thématiques que le phénomène à l’étude le suggère, ces axes étant eux- mêmes détaillés par des thèmes subsidiaires. Il présente sous forme schématisée l’essentiel du propos abordé à l’intérieur du corpus […] (Paillé et Mucchielli, 2016 : 261).

Pour conclure, l’analyse thématique qui consiste en une réduction et une synthétisation des données m’a véritablement permis d’organiser et de donner sens au corpus de données.

Dans ce troisième chapitre, le lecteur a été invité à prendre connaissance du processus de recherche et des aspects méthodologiques qui ont orienté ce dernier. Malgré les impératifs universitaires (entretiens à réaliser, toponymes à récolter etc.) et la durée limitée de mon terrain, j’ai fait le choix lors de mon séjour de me laisser guider par les échanges et les commentaires qui m’ont été adressé par plusieurs Atikamekw Nehirowisiwok quant à l’attitude, au comportement et à la méthodologie que je devais adopter pour mener à bien la recherche. Je pense que c’est en grande partie grâce aux ajustements que m’ont amenés à faire certaines personnes quant à ma méthodologie, et ce tout au long de mon séjour, que j’ai réussi à me familiariser et à m’intégrer, en partie, au sein de certains réseaux sociaux à Manawan. Dans le cadre de mon court terrain, l’observation participante semblait être adaptée et a été le principal outil de données. Les échanges informels ainsi que les entretiens semi-dirigés ont également été d’une aide précieuse pour la recherche. Mon principal regret aura été de ne pas réussir à mener de manière satisfaisante l’objectif initial que j’avais de travailler avec les cartographies et les toponymes. Concernant ce dernier point, le manque de temps a constitué un facteur hautement préjudiciable (voir aussi section 4.6). Dans le

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prochain chapitre, le lecteur est maintenant invité à prendre connaissance de certaines de mes observations concernant les savoirs et l’occupation contemporaine du Nitaskinan par les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan.

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Chapitre 4 : Occupation contemporaine du territoire et affirmation territoriale

À partir de mes observations et de mes échanges sur le terrain, ce chapitre entend mettre en lumière certaines des logiques sous-tendant l’occupation contemporaine de Nitaskinan par les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan. Il sera notamment question du lien entre Nitaskinan et les modalités d’acquisition et de transmission des savoirs locaux. Le sujet de la langue nehiromowin, une langue issue du territoire et source d’identité, sera évoqué. Je ferai ensuite part de certaines de mes observations concernant l’expérience personnelle et l’observation directe, deux modes d’acquisition et de transmission des savoirs privilégiés par les Atikamekw Nehirowisiwok. En prenant l’exemple des ka nikaniwitc (chefs de territoire), je discuterai du lien entre savoirs et responsabilités. J’évoquerai également certaines des conséquences néfastes provoquées par la présence et les activités étrangères pour Nitaskinan, et certaines des initiatives prises par les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan pour limiter ces conséquences. Je ferai ensuite mention de l’importance accordée par les Atikamekw Nehirowisiwok à ce que les jeunes générations fréquentent Nitaskinan et je donnerai quelques exemples de projets allant en ce sens. Une discussion autour des cartographies et des toponymes viendra conclure ce chapitre.

4.1 Une langue issue du territoire

Tel que mentionné au chapitre 2, la langue des Atikamekw Nehirowisiwok (nehiromowin) est encore très dynamique puisqu’elle est la langue maternelle de la majorité des membres de la Nation atikamekw nehirowisiw qui vivent à Manawan, Wemotaci et Opticiwan (Chachai et al. 2019). Dans le contexte néocolonial contemporain, la transmission intergénérationnelle et le maintien du dynamisme de la langue nehiromowin sont des enjeux majeurs pour les Atikamekw Nehirowisiwok, et ce notamment parce que la langue nehiromowin – qui est directement issue du territoire - est considérée comme un important vecteur d’identité (Chachai et al. 2019).

À la fin août 2019, je me suis rendue tôt un matin – il devait être environ 7h00 - chez un aîné de la communauté, alors âgé de quatre-vingt-ans, pour réaliser un entretien. Une dizaine de minutes auparavant, cet aîné avait téléphoné à la maison – où je logeais à Manawan - pour me prévenir qu’il était disponible « tout de suite » pour me rencontrer. Comme cela faisait

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plusieurs semaines que j’espérais que cet aîné soit intéressé à discuter avec moi18, j’ai pris mon carnet de bord, un stylo et mon enregistreur audio en hâte et je me suis rendue chez lui. Quand je suis arrivée- il faisait froid et il y avait beaucoup de vent ce matin là - nous nous sommes assis sur sa terrasse couverte dans le but de débuter l’entretien. Trois enfants, un garçon et une fille d’environ cinq à six ans et un garçon plus jeune d’environ deux ou trois ans, visiblement intrigués par ma présence, faisaient des allers-retours constants entre l’intérieur de la maison et la terrasse. Il m’expliqua que son neveu avait dû partir tôt le matin et qu’il lui avait par conséquent – ainsi qu’à sa conjointe - laissé ses enfants pour la journée.

Avant même de débuter l’entretien, j’ai rapidement compris que cela serait moins évident que ce que je pensais puisque mon interlocuteur avait un peu de difficultés à bien comprendre ce que je disais – ce qui eut l’effet de nous faire assez vite beaucoup rire. Néanmoins, en parlant lentement et en articulant bien, j’ai réussi à me faire comprendre plutôt bien - enfin il me semble. C’est donc tout naturellement qu’avant que j’enregistre ses propos, il a commencé à me parler de sa langue maternelle. Il m’a expliqué que sa langue seconde était l’anglais, qu’il avait apprise en guidant des Américains du temps des clubs privés, et qu’il parlait moins bien le français. Il m’expliqua qu’il avait passé une partie de sa vie à vivre en territoire – il n’a pas vécu les pensionnats – et que par rapport aux jeunes d’aujourd’hui, il connaissait très bien les mots atikamekw en rapport avec le territoire. Par exemple, il a fait remarquer qu’il pleuvait et qu’il ventait et donc qu’il y avait certainement des vagues sur le lac. En langue nehiromowin, a-t-il expliqué, le terme « rotinikamin » peut se traduire par « il y a des vagues sur l’eau puisqu’il y a du vent », alors que le terme « pikahotew » signifie « l’eau n’est pas claire à cause du vent ». Nous avons débuté l’entretien peu de temps après. Celui-ci fût entrecoupé à plusieurs reprises par les jeux et les rires des enfants lorsqu’ils étaient sur la terrasse. Mon interlocuteur s’adressait aux enfants uniquement en langue nehiromowin, et les enfants lui répondaient – et discutaient entre eux – également en langue nehiromowin.

18 Plusieurs interlocuteurs m’avaient en effet conseillé de rencontrer cet aîné étant donné qu’il avait une grande connaissance du Nitaskinan, qu’il connaissait beaucoup de toponymes et qu’il avait été guide de pêche au temps des clubs privés. Je l’avais croisé à plusieurs reprises dans la communauté, lui avait expliqué mon intérêt à discuter avec lui, mais il n’était jusqu’alors jamais disponible.

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Après avoir terminé l’entretien, je fus prise d’un sentiment de frustration et de culpabilité en pensant que j’aurais dû prévoir de venir accompagner de quelqu’un qui aurait pu traduire certaines de mes phrases françaises en langue nehiromowin. Néanmoins, je réalise à présent que ce moment partagé avec cet aîné et avec les enfants dont il s’occupait pour la journée, fût particulièrement riche au sujet de la langue nehiromowin. En effet, cet échange rend bien compte du fait que la langue nehiromowin est en lien direct avec Nitaskinan et qu’elle permet une riche description de l’environnement. Ce que m’a dit mon interlocuteur soulève également le fait qu’il y a une différence au niveau de la langue parlée par les jeunes et par les aînés, qui découle notamment du fait que les jeunes fréquentent en général moins le territoire que la génération de leurs grands-parents. De plus, les échanges verbaux qui ont eu lieu entre mon interlocuteur et les enfants illustrent le fait que la langue nehiromowin est encore transmise de manière intergénérationnelle.

De façon plus générale, lors de mon séjour à Manawan, j’ai observé que presqu’à chaque fois que j’étais avec un groupe d’Atikamekw Nehirowisiwok - notamment des adultes et des jeunes, parfois accompagnés d’enfants – tous s’exprimaient entre eux en langue nehiromowin. J’ai fait le choix durant mon séjour à Manawan de ne presque jamais demander à ce que mes interlocuteurs parlent en français parce que j’étais présente. Bien souvent, certaines personnes m’expliquaient ou me traduisaient d’elles-mêmes ce qui avait été dit. Souvent aussi, et uniquement lorsque j’étais présente, les personnes autour de moi choisissaient de parler majoritairement en français pour que je comprenne, bien que certains échanges – entre eux - se faisaient en langue nehiromowin.

Néanmoins, plusieurs personnes ont souligné le fait que la langue parlée par les aînés n’était pas la même que celle parlée par les plus jeunes. Selon une interlocutrice d’une trentaine d’années, « les aînés parlent la vraie langue du territoire » (communication personnelle, jeune femme de Manawan, août 2019). Les jeunes atikamekw nehirowisiwok (jusqu’à environ trente ans) ont plus tendance à entrecouper leurs phrases en langue nehiromowin de quelques mots français. Dans son mémoire, Jeunesse en mouvement : relations au monde et pratiques culturelles chez les jeunes femmes de Manawan, Katherine Labrecque note le même phénomène (Labrecque, 2015 : 132).

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Toutes les personnes auxquelles j’ai posé la question lors de mon séjour à Manawan ont dit qu’il était très important que la langue nehiromowin continue d’être parlé et transmise. Selon elles, la langue est intrinsèquement liée à la culture, au mode de vie et à l’identité nehirowisiw. Ainsi, selon un interlocuteur d’une quarantaine d’années, « on a la chance d’avoir encore notre langue. C’est pas comme les autres Nations qui ont tout perdu … c’est notre culture. C’est lié à l’identité » (communication personnelle, juillet 2019).

C’est aussi afin d’assurer la transmission de la langue nehiromowin que les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan ont développé depuis plusieurs années des initiatives favorisant la fréquentation et l’occupation du Nitaskinan par les différentes générations. Les semaines culturelles (nehirowatisiw markanan), par exemple, sont l’occasion pour les jeunes générations d’apprendre de leurs aînés certains termes en langue nehiromowin, lesquels ont plus de chance d’être transmis en Notcimik qu’au sein de la communauté. C’est en effet en pratiquant certaines activités traditionnelles sur le territoire et en observant les dynamiques de l’environnement que des mots en langue nehiromowin - propres à la vie en forêt - peuvent être correctement transmis et compris. C’est aussi en fréquentant le territoire et certains lieux particuliers que les toponymes et les récits qui s’y rapportent peuvent être transmis aux jeunes générations (voir aussi section 4.6). Les initiatives portées par les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan qui visent l’occupation et la fréquentation du Nitaskinan par les familles et donc, entre autres, la valorisation et la transmission la langue nehiromowin peuvent donc être considérées comme des actes de résistance. En contexte néocolonial contemporain, les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan – mais aussi des deux autres communautés - continuent d’initier des « projets de vie autochtones » (Blaser, 2004), qui visent à ce que certains savoirs, comme par exemple ici la langue nehiromowin, continuent d’être correctement acquis et transmis, tout en se transformant face aux conditions actuelles d’existence.

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4.2 Le territoire : lieu privilégié pour la transmission et l’acquisition des savoirs et des valeurs

Tel que mentionné déjà à la section 1.3, les peuples autochtones ont leurs propres modes d’acquisition et de transmission des savoirs (Battiste, 2005 : 5). Ils privilégient notamment l’apprentissage qui se fait par le biais de l’expérience personnelle ainsi que l’apprentissage qui se fait par l’observation directe (Rushfort 1992 : 488). En ce qui concerne ce type d’acquisition et de transmission des savoirs, l’emphase est donc mise sur un mode de transmission non verbal, durant lequel le principe de non-ingérence est capital (Goulet 1998, 2004 ; Rushfort, 1992). Les principes de non-ingérence, d’autonomie et de responsabilisation ont des implications profondes dans la façon dont les peuples autochtones vont considérer comme adéquat d’éduquer leurs enfants (Goulet, 1998 : 28) mais aussi de façon plus générale d’acquérir et de transmettre le savoir.

Chez les Atikamekw Nehirowisiwok, l’expérience personnelle et l’observation directe sont deux modes d’acquisition et de transmission des savoirs qui sont particulièrement valorisés en milieu forestier. Notons que le système scolaire se place en opposition avec les principes épistémologiques des Atikamekw Nehirowisiwok ainsi qu’avec leurs modes d’acquisition et de transmission des savoirs. Ainsi, selon Poirier « dans les modalités d’acquisition et de transmission, l’accent est ainsi mis sur les aspects expérientiels, relationnels et contextuels – ce qui contraste avec le mode didactique du système scolaire » (Poirier, 2014 :77). C’est en partie pourquoi l’école est depuis longtemps considérée par les peuples autochtones comme un « lieu » de résistance et de lutte contre les relations coloniales (Styres, 2019 : 40). Il faut néanmoins préciser que l’école devient un lieu de résistance uniquement lorsque les peuples autochtones peuvent imposer leurs propre programmes et curriculums. Au contraire, les peuples autochtones peuvent refuser d’aller à l’école et donc résister à la scolarisation. Depuis quelques décennies déjà, les Atikamekw Nehirowisiwok tentent d’adapter les programmes scolaires selon les attentes, les besoins et les savoirs des membres des trois communautés. Depuis 1992, les Atikamekw Nehirowisiwok ont par exemple progressivement instauré le bilinguisme dans les programmes scolaires des trois communautés (Sarrasin, 1994).

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Selon mes observations, les jeunes enfants lorsqu’ils sont en Nitaskinan avec leur famille sont plus dans une position d’observateurs. J’ai un jour accompagné deux hommes d’une cinquantaine d’années, qui étaient aussi devenus des amis, pour une sortie de pêche sur les lacs wapackoteiak, en territoire communautaire. Les poissons (namesak19) les plus fréquemment pêchés aux abords de Manawan sont le doré (okacic), notamment le doré jaune, et le brochet (kinocew)20 . L’un deux avait amené son fils, âgé d’une dizaine d’années. Alors que mes deux amis et moi étions en train de pêcher, le jeune regardait avec attention son père et l’ami de son père procéder, sans jamais poser de question bien que son père s’adressait parfois brièvement à lui en langue nehiromowin. Le garçon nous aida néanmoins à quelques reprises à fixer les appâts au bout des cannes.

Au fils des ans, et à force d’observations et d’expérimentations en rapport avec la pêche à la ligne, ce jeune deviendra -s’il est intéressé par la pratique de la pêche - comme son père un pêcheur aguerri. Il développera sa propre technique de pêche et aura appris comment pense et se comporte les poissons. Comme le répète souvent l’un de mes amis présents ce jour-là : « c’est toujours le doré qui décide ». Pour les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan, afin de devenir un bon pêcheur, il ne suffit pas d’apprendre des autres pêcheurs, il faut aussi apprendre des poissons. Cela est intrinsèquement lié au fait que les savoirs des Atikamekw Nehirowisiwok s’intègrent au sein d’une « épistémologie relationnelle », au sens où l’entend Bird-David (1999). En considérant que, tout comme les pêcheurs, les poissons sont dotés d’un libre arbitre et d’une intentionnalité propre les individus qui désirent pêcher doivent réussir à « se mettre dans la tête » des poissons, s’ils souhaitent réussir à en attraper.

En Nitaskinan, tous, jeunes et moins jeunes, sont donc encouragés à apprendre en grande partie par eux-mêmes. Cela leur permet, entre autres, de s’insérer et de trouver leur place dans l’ordre social, en participant aux dynamiques familiales et communautaires. En juillet 2019, alors que j’étais sur le site Matakan pour quelques jours avec des guides, j’ai fait la connaissance d’un jeune apprenti guide qui venait travailler pour la première année sur le site. Il m’expliqua qu’il avait eu une adolescence difficile et qu’il avait arrêté tôt l’école du

19 Names au singulier 20 Selon ce qu’on m’a expliqué, c’est surtout le doré (okacic) qui est recherché lors de la pêche. Le brochet (kinocew) est quant à lui très bon, mais il est plus long à apprêter à cause de ses arrêtes.

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fait de problèmes de consommation, de comportement et d’attention. Sur le site Matakan - en territoire communautaire - il était au contraire attentif et à l’écoute des guides plus expérimentés21. Il observait ces derniers lorsqu’ils effectuaient diverses tâches quotidiennes, comme par exemple, la réparation et l’aménagement des installations sur le site, la levée des filets posés la veille aux abords du site Matakan, ou encore la préparation des repas, et il se mit rapidement à participer à leurs côtés. Pour lui, travailler sur le site Matakan était notamment une opportunité de passer du temps en territoire, tout en développant certains savoir-faire indispensables à la vie en Nitaskinan. Selon ce que ce jeune Atikamekw Nehirowisiw m’a expliqué, c’est particulièrement en travaillant sur le site Matakan ou en passant du temps dans son territoire familial – notamment avec son cousin qui lui apprend la trappe - qu’il se sent vraiment « utile », qu’il trouve véritablement sa « place » par rapport à ses amis et aux membres de sa famille. C’est dire aussi que la maîtrise des savoirs et des pratiques en lien avec l’univers de la chasse sont encore largement valorisés et qu’une telle maîtrise chez une personne, peu importe son âge, lui attirera le respect au sein de sa famille et de sa communauté. Or, le défi auquel font face les Atikamekw Nehirowisiwok est de trouver une avenue qui leur permette à la fois de maintenir et de transmettre de tels savoirs tout en scolarisant les jeunes générations22. La double contrainte découle de ce que ces deux systèmes de savoirs convoquent des savoir-être et des principes épistémologiques et ontologiques diamétralement opposés.

À l’instar d’autres nations autochtones, les Atikamekw Nehirowisiwok résistent depuis toujours à l’imposition d’un système scolaire néocolonial et exogène au sein des trois communautés. Toutefois, loin de demeurer passifs face à cette imposition, ils n’ont de cesse, depuis au moins le début des années 1990 et grâce initialement à l’implication et au travail de la génération des femmes issues des pensionnats, de tenter d’adapter le contenu des programmes scolaires à leur réalité et à élaborer des programmes mettant en valeur leur langue et leur culture. En contexte néocolonial contemporain, et en parallèle de ces initiatives

21 Sur le site Matakan, selon mes observation, les guides lorsqu’ils parlent entre eux utilisent toujours la langue nehiromowin. Lorsque des touristes sont à côté des guides et lorsque ces derniers souhaitent intégrer les touristes à la conversation ils s’expriment alors en français – la clientèle touristique qui se rend au site Matakan est très majoritairement une clientèle française (cf. chapitre 5). 22 Les Atikamekw Nehirowisiwok sont tout aussi fiers d’un jeune, garçon ou fille, qui maitrise les pratiques sur le territoire ou alors qui répond aux exigences scolaires et poursuit des études postsecondaires.

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en milieu scolaire, les Atikamekw Nehirowisiwok continuent néanmoins de favoriser un mode d’acquisition et de transmission des savoirs qui se fait par l’expérience personnelle et par l’observation directe. Or, c’est en territoire qu’un tel mode d’apprentissage est le plus susceptible d’être mis en pratique. Ces modes d’acquisition et de transmission des savoirs renforcent l’autonomie ainsi que la responsabilisation des individus, ce qui est indispensable à la vie en territoire ancestral. Le Nitaskinan, ainsi que tous les être-vivants – humains et non- humains - qui vivent en son sein, sont sans cesse sujets aux changements, et les modes d’acquisition et de transmission des savoirs très dynamiques et propres aux Atikamekw Nehirowisiwok sont directement issus du Nitaskinan.

4.3 Savoirs et responsabilités : l’exemple des ka nikaniwitc

Pour les Atikamekw Nehirowisiwok, le savoir acquis est aussi synonyme de responsabilité. Selon mes observations à Manawan, ceux qui savent - et notamment les aînés23 - sont aussi ceux qui ont le plus à cœur de transmettre aux jeunes générations les savoir-être mais aussi les savoir-faire qu’ils ont accumulés au fil de leurs vies. Il faut préciser que les Atikamekw Nehirowisiwok distinguent les « savoirs communs » des « savoirs spécifiques ». Selon Éthier, les savoirs communs « sont ceux qui sont transmis et partagés ouvertement, ceux qui sont accessibles à tous et nécessaires à la vie sur le territoire ». Les « savoirs spécifiques » sont au contraire « détenus par certaines familles ou certaines personnes ; ces savoirs spécifiques sont transmis de manière « privée » et peuvent s’appliquer à une espèce animale ou végétale particulière, ou à certains récits. Ce sont aussi ceux qui sont détenus par certaines familles du fait de la particularité physique et écologique de leur territoire familial » (Éthier, 2014 : 78).

Ces détenteurs de savoirs – ceux qui savent - sont également sollicités par les membres de la communauté pour transmettre aux jeunes générations certains « savoirs communs » relatifs au territoire, notamment lors d’activités qui visent la transmission des savoirs en Nitaskinan.

23 Selon mes observations, le terme « aîné » est utilisé pour désigner à la fois les personnes de quatre-vingt ans et plus, qui ont connu un mode de vie semi-nomade, ainsi que les personnes plus jeunes – de plus de soixante ans - qui ont vécu les pensionnats.

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Durant mon séjour, j’ai échangé à plusieurs reprises avec un Atikamekw Nehirowisiw de près de soixante ans, et qui n’a pas vécu les pensionnats. Cet homme est actuellement ka nikaniwitc (chef de territoire), responsable du territoire familial Manitinikocik. Lors d’un entretien réalisé sur le site Matakan (en territoire communautaire), ce ka nikaniwitc m’a expliqué comment son père lui avait transmis cette responsabilité.

Comme mentionné au chapitre 2, les compétences des Conseils de bande – des structures politiques imposées par le gouvernement fédéral – se limitent aux territoires des réserves (Poirier, 2009a : 343). Aujourd’hui, les Atikamekw Nehirowisiwok aspirent au contraire à construire leur autonomie, au-delà des frontières imposées des réserves, à travers les « institutions traditionnelles du ka nikaniwitc et des territoires familiaux » (Houde, 2014 : 28). Ces institutions traditionnelles sont les plus à même de leur permettre de « développer une économie basée sur une occupation territoriale cohérente avec leur vision territoriale et leurs objectifs de développement social » (Houde, 2014 : 28).

La responsabilité de ka nikaniwitc est souvent transmise par le père au fils aîné, bien que cela ne soit pas une règle absolue (Poirier, 2001 : 108). Le ka nikaniwitc avec lequel j’ai échangé, est le deuxième fils de sa famille. Il a une sœur et un frère plus âgés ainsi qu’un frère cadet. Selon lui, si son père a décidé de lui transmettre la responsabilité de ka nikaniwitc - plutôt qu’à un autre de ses frères - c’est notamment parce qu’il lui a appris très jeune à être autonome en territoire. Selon lui, les ka nikaniwitc font souvent le choix de transmettre leur responsabilité au fils qui connait « le mieux » le territoire. Pour connaitre le territoire - mais aussi pour pouvoir s’en occuper- il faut avoir appris à y vivre en grande partie par soi-même, par le biais de son expérience personnelle. Il faut donc être capable de subvenir à ses besoins de manière autonome en territoire.

Ce qui est arrivé, des fois il [son père] me laissait seul, il partait avec mon petit frère. Mon petit frère à lui il montrait beaucoup la chasse. A mon grand frère, c’était plus les activités qu’on peut faire dans la nature, dans la forêt. Soit le côté artisanat ou comment qu’elle est la sève, l’eau d’érable tout ça. T’sais, il lui montrait tout ça à lui. Pis moi là-dedans, je me suis senti toujours de côté […]. Pis à un moment donné, je pensais « pourquoi moi on me met de côté ? Pourquoi il amène mon petit frère ? Pourquoi il amène mon grand-frère, alors que moi je suis tout seul ? » […]. Et plus tard, il m’a nommé chef de territoire. Pis là quand mon père, dans ses derniers moments dans le bois, parce qu’il était âgé, il m’a amené. Là il me montre le territoire. Il m’amène à des places pis tout ça …. « Ça

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c’est tout à nous autres, ça c’est tout à nous autres. C’est ici que j’ai grandi, c’est ici… » en tout cas il parlait de sa famille pis tout ça. Pis dans les derniers moments, tu sais dans les derniers jours qu’il restait en forêt, il me dit « voilà, j’ai fait ce que j’avais à faire ici. C’est à ton tour. Tu vas occuper le territoire comme je l’ai occupé. Tu vas prendre soin du territoire comme j’ai pris soin ». Puis j’en avais parlé avec des jeunes qui ont pris la place de leurs pères pis c’est ça « comment qu’on t’a délégué sur ton territoire ? ». Pis c’est quasiment tous de la même façon (Ka nikaniwitc de Manawan, août 2019).

Les ka nikaniwitc sont donc des personnes qui ont une connaissance approfondie de leur territoire familial. Ils ont acquis un ensemble de savoir-être et de savoir-faire en grande partie de manière autonome, de par leur expérience personnelle. Les ka nikaniwitc, connaissent aussi leur territoire familial parce qu’ils l’arpentent et l’occupent de manière régulière (Houde, 2014 ; Éthier et Poirier, 2018 ; Poirier, 2001). Aujourd’hui, ces derniers en tant que gardiens de leurs territoires respectifs, mais aussi en tant que « gardiens des savoirs » spécifiques à leurs territoires ont la responsabilité de transmettre les savoirs territoriaux aux jeunes générations. Comme me l’a d’ailleurs expliqué le ka nikaniwitc avec lequel j’ai échangé, lorsqu’il n’est pas sur le site Matakan il va très régulièrement dans son territoire familial avec des membres de sa famille, et notamment avec ses neveux. Selon ce qu’il m’a dit, il est particulièrement important pour lui d’enseigner à ses neveux certains savoirs en lien avec la trappe, la chasse et la cueillette.

En tant que porte-parole des familles qui occupent leurs territoires respectifs, ils ont également la responsabilité de négocier avec les instances et les institutions nehirowisiwok ainsi qu’avec les deux paliers de gouvernement, en ce qui a trait aux questions territoriales (Houde, 2014 : 30). Les ka nikaniwitc sont au premier plan en ce qui concerne, par exemple, les négociations avec les industries forestières, qui empiètent sur le Nitaskinan (Éthier, 2017 : 240-244). Selon le même ka nikaniwitc, les ka nikaniwitc de Manawan sont plus consultés qu’auparavant par les compagnies forestières lorsque des coupes sont envisagées en Nitaskinan. Néanmoins, les compagnies forestières ne tiennent pas toujours compte de l’avis des différentes familles – représentés dans les personnes des ka nikaniwitc - dont les territoires familiaux sont concernés par les coupes. Il s’est exprimé ainsi :

[…] Aujourd’hui, on [les ka nikaniwitc et les compagnies forestières] se fait des pourparlers, on se parle. Leurs méthodes [des compagnies forestières] si ça leur convient pas [aux ka nikaniwitc], ils nous suggèrent une autre méthode, sans trop

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déforester, sans trop raser. […] Il faut qu’il y ait un accord entre les occupants et la compagnie forestière. Mais c’est pas toujours facile. Des fois ils vont y aller plus, de ce qui a été discuté, de ce qui a été mis d’accord. Il y a des parties de territoire, comme on leur explique, c’est une pouponnière pour les orignaux. C’est là qu’ils se tiennent, il faut pas que ça soit défraichi n’importe comment. (ka nikaniwitc de Manawan, août 2019).

De plus, les Atikamekw Nehirowisiwok aspirent aujourd’hui à ce que les ka nikaniwitc aient un rôle de premier plan concernant le développement d’une « économie nehirowisiw en territoire, par le biais d’entreprises familiales dans les domaines, par exemple, du tourisme ou de la commercialisation de produits forestiers non ligneux […] » (Houde, 2014 : 28). Le ka nikaniwitc avec lequel j’ai échangé est d’ailleurs lui-même impliqué depuis plusieurs années dans le secteur du tourisme à Manawan. Il travaille en tant que guide touristique sur le site Matakan et discute régulièrement de son point de vue concernant le développement du tourisme en territoire avec Patrick Moar.

En perpétuant et en revalorisant le rôle « traditionnel » des ka nikaniwitc, les Atikamekw Nehirowisiwok exercent une forme de résistance « culturelle », qui a été définie au chapitre 1 comme des stratégies de transformation et de continuité culturelles mises en place par les groupes minoritaires dans des contextes de rapports de pouvoir inégaux (Poirier, 2010 : 42). De plus, comme je viens d’en donner un exemple, la responsabilité du statut et des rôles de ka nikaniwitc est toujours transmise selon les modes d’acquisition et de transmission des savoirs privilégiés par les Atikamekw Nehirowisiwok.

4.4 Cohabitation forcée avec des acteurs allochtones en Nitaskinan

Tel qu’évoqué au chapitre 2, les Atikamekw Nehirowisiwok ont toujours réussi à s’accommoder au mieux de la présence sans cesse grandissante d’acteurs exogènes en Nitaskinan. Benoit Éthier attire d’ailleurs l’attention sur le fait qu’avec « la présence de l’industrie forestière et des villégiateurs allochtones, certains territoires de chasse familiaux ont été subdivisés pour assurer que l’ensemble des familles puisse fréquenter et utiliser une partie du territoire ancestral » (Éthier, 2017 : 198). De plus, le non-règlement des négociations territoriales dans lesquelles sont pourtant engagés les Atikamekw

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Nehirowisiwok depuis une quarantaine d’années profite aux gouvernements canadien et québécois, ainsi qu’aux Allochtones en général puisque cela leur permet de continuer à exploiter le territoire (Nitaskinan) pour leurs propres intérêts et bénéfices (Depelteau, 2019).

C’est ainsi qu’au cours de ces dernières années la présence de pêcheurs et de chasseurs sportifs, de chalets appartenant à des Allochtones, de ZEC et de pourvoiries a continué et continue de s’accentuer en Nitaskinan. Par ailleurs, les coupes forestières et les aménagements hydroélectriques n’ont eu de cesse de modifier les écosystèmes en territoire ancestral. Comme vu au chapitre 2, afin de refléter la coexistence et l’enchevêtrement de ces différents acteurs et pratiques allochtones et atikamekw nehirowisiwok en Nitaskinan, Éthier et Poirier parlent de « territorialités enchevêtrées » (Éthier et Poirier, 2018 : 113).

En arrivant à Manawan, je n’avais pas spécialement prévu aborder des questions relatives aux conséquences de la présence d’acteurs et d’activités allochtones en Nitaskinan pour les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan. Néanmoins, lors de mon séjour, plusieurs Atikamekw Nehirowisiwok m’ont fait part spontanément et à plusieurs reprises de leurs inquiétudes à l’égard notamment des coupes intempestives et des dégradations environnementales en Nitaskinan. J’ai donc fait le choix de ne pas faire l’impasse sur ces sujets dans mon mémoire.

Je commencerai donc par évoquer ce qui m’a été rapporté par plusieurs personnes lors de mon séjour concernant certaines des conséquences de la présence et des activités allochtones pour Nitaskinan. J’aborderai ensuite les initiatives dont font preuve les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan afin de limiter certaines des conséquences néfastes provoquées par la présence et les activités étrangères en Nitaskinan.

4.4.1 Conséquences des coupes forestières et des dégradations environnementales

Selon plusieurs personnes avec lesquelles j’ai échangé lors de mon séjour, de larges parties de leurs territoires familiaux respectifs sont dévastés par les coupes forestières, ce qui tend à en limiter l’accès. Les familles ne sont pas toujours informées que des coupes vont avoir lieu et s’en aperçoivent une fois la chose faite. Comme l’exprime un interlocuteur : « Parce que

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t’sais, comment on appelle ça… La déforestation. Des fois quand quelqu’un va dans son territoire, des fois il reconnait pas. Des fois ils sont surpris… il y avait des arbres ici avant puis là il y en a plus. Il y a des gens qui voulaient construire un chalet et ça a été coupé. Ils sont tout découragés quand ils voient ça » (Homme de Manawan, août 2019).

Les propos de cet homme soulignent ici le fait qu’en plus de restreindre l’accès à certains territoires familiaux, la pratique des coupes forestières limite également les pratiques d’occupation du territoire des Atikamekw Nehirowisiwok ainsi que l’accessibilité à certaines ressources. Or, « contrairement aux multinationales, les nations amérindiennes ne peuvent plier bagage et déménager leurs opérations sur un autre territoire lorsque la dégradation environnementale entrave les activités » (Hébert et Wyatt, 2006 : 4).

Certaines personnes m’ont expliqué que la pratique intensive des coupes forestières, l’épandage de produits chimiques et - de façon générale - la présence accrue d’Allochtones étaient source de perturbations pour les êtres vivants qui vivent en Nitaskinan. Ainsi quelques femmes m’ont fait part de leurs inquiétudes face à la difficulté grandissante à se procurer certaines plantes et herbes médicinales nécessaires à la préparation de décoctions. Selon plusieurs chasseurs avec lesquels j’ai échangé, il y a de moins en moins de petits gibiers, notamment de lièvres et de perdrix en territoire car ces derniers n’arrivent plus à trouver suffisamment de nourriture du fait des coupes et de l’épandage de produits chimiques. Selon certains, il y a également de moins en moins de poissons dans les lacs wapackoteiak. Il est d’ailleurs de plus en plus fréquent de trouver des poissons morts sur les berges, certainement du fait des chantiers forestiers et de l’huile à moteur qui s’en va dans les plans d’eau, des plus petits aux plus grands.

Un après-midi du mois d’août, alors que j’étais sur le site Matakan avec un groupe de touristes français et plusieurs guides atikamekw nehirowisiwok, j’ai entrepris d’aider un guide âgé d’une quarantaine d’années à apprêter les poissons, qui devaient ensuite être cuisinés en vue du souper. Ce guide venait en effet de relever, en bateau à moteur, le filet posé la veille aux abords du site. Alors que nous étions en train d’apprêter les poissons, je remarquai dans le filet un poisson qui avait une apparence différente de celle des autres – il y avait majoritairement dans le filet du doré (okacic) et quelques brochets. Curieuse, j’ai donc demandé au guide, de quelle espèce de poisson il s’agissait. Il me répondit qu’il s’agissait

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d’une perchaude (sawew). Il m’expliqua ensuite qu’il y avait de plus en plus de perchaudes dans les lacs wapackoteiak depuis quelques temps. Selon lui, cette espèce de poisson aurait été introduite dans les lacs wapackoteiak par les Allochtones. Il me dit alors de retirer la perchaude (sawew) du filet, ce que je fis, non sans difficulté. En effet, je réussis à me piquer la paume de la main avec la nageoire dorsale. En ne réprimant pas son sourire, le guide nehirowisiw me dit alors « tu vois ? Ça pique ». Il m’expliqua ensuite que la prolifération de la perchaude (sawew) dans les lacs wapackoteiak n’était pas une bonne chose puisque ses nageoires coupantes blessaient les autres espèces de poissons et ce parfois mortellement. L’introduction de la perchaude (sawew) par les étrangers dans la région est donc selon lui responsable de la baisse du nombre de dorés (okacic) – poisson qui constitue encore aujourd’hui une des bases de l’alimentation de plusieurs familles de Manawan.

Selon plusieurs personnes rencontrées, les orignaux seraient par ailleurs particulièrement touchés par les dégradations environnementales. Nancy Tanguay, dans son mémoire datant de 2010 et réalisé en partenariat avec les trois communautés atikamekw nehirowisiwok, Exploration du savoir écologique traditionnel atikamekw au sujet de la santé des animaux et des prises dans un contexte de choix alimentaires, relevait déjà le même phénomène par rapport à la population d’orignaux (Tanguay, 2010 : 65). Cette dernière serait ainsi en baisse constante, car le bois serait tellement défraîchi que les orignaux n’arriveraient plus à se cacher de leurs prédateurs. En outre, mes interlocuteurs ont observé la présence de grosses tiques sur les orignaux. Ce phénomène serait directement lié au fait que les orignaux n’arriveraient plus à trouver suffisamment de branches d’arbres pour se frotter et ainsi se débarrasser des tiques. De manière générale, les orignaux seraient de plus en plus souvent malades, ce qui entrainerait chez eux des modifications dans leur comportement. C’est d’ailleurs ce qu’a expliqué un aîné lors d’un entretien :

De plus en plus, ils coupent. Ils rapetissent, t’sais. Les orignaux, ils commencent à avoir des poux partout les orignaux […]. Ils ont rien, ils ont pas assez de bois. C’est pas mal, pas mal déboisé… Quand j’ai vu un orignal. Comme je voulais pas tuer, il voulait pas se sauver. Je le savais qu’il était malade. Il avait plein de peau partout, partout. Pas de poil t’sais. Parce qu’il y a pas de pin. Parce que les orignaux, ils se posent en dessous des arbres, ils se nettoient, ils se lavent. Aujourd’hui, il y a plus de gibier (Aîné de Manawan, août 2019).

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Les dégradations environnementales entrainées notamment par la déforestation, mais aussi par l’épandage de produits chimiques et les diverses pratiques des Allochtones ont comme conséquences de limiter de plus en plus l’accès et l’occupation du territoire ancestral. Du fait des dégradations environnementales, il devient également plus difficile pour les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan d’accéder à certaines ressources, dont des denrées qui constituent une part importante de leur alimentation, comme le doré (okacic) et l’orignal (mos).

De plus, en détruisant et en dégradant de larges parties de Nitaskinan, les activités industrielles portent atteinte aux relations entretenues entre les Atikamekw Nehirowisiwok et leur territoire ainsi qu’à certains de leurs savoirs territoriaux. En effet, bien que les écosystèmes en Nitaskinan changent en permanence, les coupes forestières et les dégradations environnementales tendent à amplifier l’imprévisibilité des comportements des êtres, animaux et végétaux, qui vivent en Nitaskinan. Afin que les jeunes générations se familiarisent et apprennent de ces changements environnementaux qui se produisent de plus en plus rapidement en Nitaskinan, les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan accordent une importance de premier plan au fait que les jeunes fréquentent et occupent le territoire (cf. section 4.5). D’autre part, la destruction de larges parties du Nitaskinan, notamment du fait des coupes forestières, porte atteinte à la transmission des toponymes et des récits qui s’y rapportent. Pour donner un exemple, il m’est arrivé à deux reprises, alors que j’étais en train de travailler avec des partenaires à la recherche dans le but de localiser des toponymes sur une carte, que ceux-ci notent que certaines parties de leur territoire familiaux étaient tellement détruits par les coupes que certainement plus personne ne pouvait être en mesure de savoir s’il y avait déjà eu des toponymes rattachés à des lieux spécifiques dans ces zones. Ces lieux avaient été rasés et n’étaient plus reconnaissables.

4.4.2 Occuper Nitaskinan et laisser des traces afin de limiter et de réguler la présence étrangère

Afin de limiter et de réguler la présence étrangère en Nitaskinan, les Atikamekw Nehirowisiwok des trois communautés font preuve de plusieurs initiatives et mettent en

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œuvre plusieurs stratégies. Les Atikamekw Nehirowisiwok considèrent notamment qu’il est important qu’ils continuent d’occuper Nitaskinan et de laisser des traces de cette occupation. Ces traces peuvent être multiples, dont celles laissées, par exemple, par des campements temporaires ou permanents24. Un aîné de Manawan m’a ainsi expliqué qu’il trouvait que c’était une très bonne chose qu’il y ait de plus en plus de chalets appartenant à des Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan en territoire communautaire. Selon lui en effet, plus il y aura de chalets en Nitaskinan, moins les Emitcikociwicak seront tentés de venir en ces lieux occupés par les Atikamekw Nehirowisiwok, pour la pêche ou pour la chasse par exemple. Il a ensuite expliqué que les Emitcikociwicak n’étaient pas très doués pour voir les traces laissés par les gens de Manawan en Nitaskinan. Par exemple, lorsque lui-même est dans son territoire familial, il est capable de voir si un Allochtone est passé à tel ou tel endroit puisqu’il aura forcément laissé des traces de pas au sol. Au contraire, cet aîné pense que les Allochtones ne voient pas les traces laissés par les Autochtones, ou alors qu’ils les ignorent. En revanche, les Allochtones ne peuvent pas ignorer les campements permanents atikamekw nehirowisiwok, ils ne peuvent pas ignorer les chalets.

Selon une femme d’une trentaine d’années, outre le fait que posséder un campement permanent en Nitaskinan constitue l’avantage indéniable de permettre aux membres d’une famille de passer du temps en territoire, cela peut permettre aussi d’éviter que les lieux construits par les personnes de Manawan soient détruits par les coupes forestières. Elle s’exprimait ainsi :

[…] Comme dans … si tu regardes les pourvoiries, est-ce que les territoires des pourvoiries sont coupés ? Non. Peut-être que… même si on fait juste l’occupation territoriale, peut-être qu’ils vont pas aller couper là. T’sais si on voit que le monde est dans leur territoire. Parce que sinon si on y va plus, ils vont se mettre à couper n’importe où. Parce que je sais que des fois, quand ils regardent le territoire de coupe, t’sais ils vont se dire « ici il y a quelqu’un qui y va on ira

24 Les Atikamekw Nehirowisiwok distinguent les campements permanents des campements temporaires. Les différentes familles se rendent sur leurs sites de campements permanents de manière plus ou moins régulière, en fonction des saisons. Le site Matakan est par exemple considéré comme étant un site de campement permanent. Les campements permanents sont souvent des carrés de tentes, mais peuvent aussi être des chalets, d’ailleurs selon mes observations certaines familles qui possèdent un chalet en territoire communautaire ont aussi des carrés de tentes attenantes. Les campements temporaires au contraire sont plutôt construits et utilisés dans le cadre d’une occasion spécifique.

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pas trop proche de là ». Si tout le monde est un peu partout, ils couperont pas autant là (Femme de Manawan, août 2019).

Certaines des initiatives portées par les Atikamekw Nehirowisiwok et qui visent l’occupation du territoire et la transmission des savoirs en Nitaskinan, comme c’est le cas du site Matakan, un campement permanent installé en territoire communautaire (cf. chapitre 5) ou des semaines culturelles par exemple, constituent aussi des preuves de l’occupation territoriale des Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan que les Allochtones ne peuvent pas ignorer. À travers le développement du tourisme, les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan donne en quelque sorte un « accès » au territoire aux Allochtones. Je reviendrai sur ce point au chapitre 5 (section 5.2), mais notons dès à présent que le tourisme est en fait considéré comme un moyen qu’ont les Atikamekw Nehirowisiwok pour contrôler la présence allochtone en Nitaskinan. En fait, en contexte néocolonial contemporain, je pense qu’il est possible de dire que toutes les initiatives qui visent l’occupation du Nitaskinan par les Atikamekw nehirowisiwok en plus de permettre l’acquisition et la transmission des savoirs selon des modalités qui leurs sont propres, sont aussi éminemment politiques. Au même titre que les cartographies, ces initiatives doivent permettre aux Atikamekw Nehirowisiwok d’affirmer leur présence en Nitaskinan et donc de limiter et de réguler la présence des Allochtones - et ses éventuelles conséquences - tout en affirmant leur système de savoirs propre.

4.5 De l’importance que les jeunes générations passent du temps en Nitaskinan

Lors de mon séjour à Manawan, il est souvent arrivé que nous revenions de nuit à la communauté après une sortie en bateau sur les lacs avec des Atikamekw Nehirowisiwok. J’étais presque toujours surprise par la facilité avec laquelle nous retournions à Manawan, alors qu’à mon sens il faisait trop sombre pour se repérer et pour naviguer sans encombre. Une soirée du mois de juillet, alors que nous retournions à la communauté avec trois amis dans ces conditions, le conducteur du bateau m’expliqua - tout en arborant un visage visiblement amusé - qu’il n’y avait aucun risque et qu’il connaissait chaque recoin des différents lacs depuis l’enfance. Il m’indiqua qu’il connaissait l’emplacement des pierres à éviter ainsi que les courants et qu’il suivait un itinéraire spécifique. De plus, il ne faisait

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même pas vraiment « noir », puisque l’on pouvait apercevoir assez distinctement – grâce à l’éclairage de la lune - les berges et les arbres encerclant les lacs.

Les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan qui fréquentent régulièrement leur territoire familial ont une connaissance approfondie de ce dernier, ils connaissent l’emplacement des arbres et des différents végétaux, les mouvements du vent, les différents courants qui traversent les lacs, ainsi que les habitudes des animaux. Lorsqu’ils se déplacent sur les lacs à la saison estivale, en bateaux à moteurs ou en canots, ils suivent des itinéraires spécifiques qu’ils empruntent régulièrement. À quelques reprises, des Atikamekw Nehirowisiwok m’ont indiqué que les Québécois qui viennent l’été pour pêcher sur les lacs wapackoteiak ne connaissent pas ces itinéraires, et qu’ils ont donc souvent des accidents avec leurs bateaux. On m’a ainsi rapporté qu’il est fréquent que les Québécois passent à des endroits où le fond n’est pas assez profond et qu’ils restent bloqués, ou qu’ils endommagent leurs bateaux en passant sur des roches.

Selon les saisons, afin de se déplacer sur les lacs mais aussi en forêt, les Atikamekw Nehirowisiwok suivent des itinéraires spécifiques, qu’ils connaissent souvent depuis l’enfance. Ces itinéraires sont flexibles et fonction de la saison, de l’expérience personnelle de chacun, des récits, de la connaissance des lieux et des toponymes qui parsèment Nitaskinan ainsi que des conditions climatiques. Connaitre Nitaskinan et les différents itinéraires qui le traversent est donc directement lié au fait de fréquenter et d’occuper ce dernier. Comme l’a expliqué un aîné, c’est en passant du temps en certains lieux en territoire ancestral que les récits qui s’y rapportent sont racontés par des amis ou par des membres de sa famille. C’est aussi en fréquentant et en parcourant le territoire que les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan observent, apprennent et participent des dynamiques mouvantes de l’environnement25 et des écosystèmes desquels ils font partie.

Les savoirs territoriaux des Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan, et donc la connaissance qu’ils ont du Nitaskinan et de leurs territoires familiaux respectifs dépendent en partie de l’observation de ces dynamiques changeantes de l’environnement, et de tout ce qui interagit

25 Le terme « environnement » selon Tim Ingold doit être compris comme un « processus en croissance et en développement » étant donné que « Si les environnements sont façonnés à travers les activités des êtres vivants, ils ne cessent de se construire tant que la vie suit son cours » (Ingold, 2012 : 180).

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au sein des écosystèmes. Par exemple, lors d’une entrevue, un aîné me racontait une anecdote révélatrice de l’importance accordée par les Atikamekw Nehirowisiwok à l’observation des dynamiques de l’environnement :

C’est comme ça que les Atikamekw, ils ont développé leur façon de vivre, c’est en observant, les animaux, les arbres… c’est de l’observation. Comme une fois le père à [un homme atikamekw nehirowisiw adulte], il me disait, on campait, là il me dit « tu vois le petit bouleau qui est là sur le bord du lac ? ». C’était un matin de bonne heure, il y avait pas de vent rien. Il me dit « tu vois le petit bouleau qui est là, regardes ses feuilles ». Les feuilles tremblaient, pourtant il y avait pas de vent. Les feuilles tremblaient… il me dit « tu sais pourquoi ? » « non » « il va venter aujourd’hui. Si t’as à faire sur le lac, vas-y maintenant parce que dans la journée il va y avoir beaucoup de vagues ». Effectivement dans la journée, il avait venté, il avait venté, puis il y a eu des grosses, grosses vagues. T’sais juste le fait de voir le bouleau comment est-ce qu’il réagissait (Aîné de Manawan, août 2019).

Seule une fréquentation régulière du territoire ancestral est à même de permettre la compréhension des relations subtiles qui existent et se créent entre les différents actants, humains et non-humains, qui habitent en Nitaskinan. Ces connaissances et ces savoirs doivent en effet être constamment actualisés, au même titre que les écosystèmes évoluent en permanence (Battiste, 2005 : 5). Comme le souligne Éthier : « le savoir lié à la présence et au déplacement des animaux, à la distribution des espèces végétales et à la transformation du territoire causée, par exemple, par le changement des saisons doit continuellement être validé » (Éthier, 2011 : 37). De plus, et comme évoqué dans la section 3.3, les dégradations environnementales entrainées notamment par la pratique intensive des coupes forestières, l’épandage de produits chimiques et la présence accrue d’Allochtones en territoire ancestral sont toujours source de plus de perturbations pour tous les êtres, humains et non-humains, qui habitent Nitaskinan.

Lors de mon séjour Manawan, j’ai entendu à plusieurs reprises des personnes, souvent dans la cinquantaine ou plus âgées, exprimer leurs inquiétudes quant au fait que les jeunes générations ne passent pas assez de temps en territoire du fait de la scolarisation des enfants et des jeunes, mais également puisque se rendre dans le bois coûte cher – il faut avoir accès

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à un bateau ou à un véhicule – et n’est donc pas à la portée de toutes les familles26. Ces personnes craignent également que les jeunes générations ne soient plus intéressées à accompagner les membres de leurs familles en territoire durant leurs « temps libres », en préférant rester plutôt dans la communauté. Deux aînés ont notamment exposé leurs appréhensions quant au fait que les jeunes soient moins concernés qu’auparavant par la participation aux activités qui ont lieu en Nitaskinan, et donc par l’acquisition de certains savoirs territoriaux. Un aîné a dit, par exemple, qu’il aimerait transmettre aux jeunes certaines connaissances quant à la « bonne » façon de chasser l’orignal. Selon lui, il est d’autant plus important aujourd’hui – étant donné que les orignaux sont moins nombreux et de plus en plus malades (cf. section 3.3) – que les jeunes générations soient capables de savoir quels orignaux chasser, comment les tuer avec respect et quelles parties de l’orignal sont bonnes à manger. Lui-même a acquis ces savoir- faire et ces savoirs-être de ses ancêtres et en vivant en Nitaskinan.

Selon mes observations à l’été 2019, durant la période des vacances scolaires, s’il est vrai que les enfants et les jeunes passent une partie de leur temps dans la communauté ou en ville, plusieurs d’entre eux sont néanmoins intéressés à fréquenter le territoire et à se familiariser avec un mode de vie propre à la vie en Nitaskinan. Du fait de la scolarisation des enfants, mais aussi de certains jeunes adultes – pour ceux qui entreprennent des études postsecondaires – ces derniers passent moins de temps en Nitaskinan que leurs aînés au même âge. Néanmoins, comme le soulève Poirier par rapport au processus d’acquisition de certains savoirs territoriaux :

[…] ces savoirs, du moins une partie d’entre eux, seront acquis éventuellement par les générations montantes, à la différence que le processus de leur acquisition est plus long qu’il ne l’était traditionnellement. Pour les jeunes qui démontrent de l’intérêt pour ces savoirs, c’est plutôt dans la vingtaine et la trentaine qu’ils sentiront avoir atteint un certain niveau de maîtrise, de confiance et de compétences, et non dans la puberté comme leurs grands-parents. Donc, même si l’acquisition de certains savoirs est retardée, il n’est pas dit qu’elle n’aura pas lieu éventuellement (Poirier, 2009b : 31).

26 Ce dernier point est à nuancer. Il existe en effet tout un réseau d’entraide entre les membres des familles élargies favorisant l’accès de tous les membres de la communauté au territoire.

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De plus, les Atikamekw Nehirowisiwok des trois communautés sont particulièrement investis dans l’organisation et la mise en place d’activités en Nitaskinan participant de la transmission des savoirs aux jeunes générations (cf. section 2.4). Les semaines culturelles, le projet Tapiskwan Sipi ou la marche Moteskano sont des exemples d’initiatives qui concernent toute la Nation atikamekw nehirowisiw et qui permettent aux jeunes de fréquenter et de parcourir le territoire ancestral et d’acquérir et de mettre en pratique certains savoirs territoriaux détenus par les aînés (cf. section 2.4). Comme évoqué à la section 2.4, dans le cadre de Tapiskwan Sipi (édition 2019), un groupe de jeunes âgés entre 15 et 25 ans et d’accompagnateurs plus âgés et originaires des trois communautés ont ainsi parcouru Tapiskwan Sipi pendant douze jours. Le groupe, composé d’une soixantaine des participants, est parti d’Opticiwan est passé par Wemotaci et est finalement arrivé à Manawan. Entre le 29 juillet (jour de départ d’Opticiwan) et le 9 août (jour d’arrivée à Manawan), les participants ont parcouru plus de 250 kilomètres (incluant de nombreux portages). Tous les soirs, les participants s’arrêtaient pour la nuit en un lieu spécifique, préalablement identifié par les familles dont les territoires étaient concernés27.

Une amie dans la vingtaine ayant participé au projet Tapiskwan Sipi (édition 2019) en tant qu’accompagnatrice du groupe de jeunes m’a dit avoir particulièrement apprécié le fait de parcourir en canot certains itinéraires utilisés par ses ancêtres. Selon elle, participer à Tapiskwan Sipi, tant pour les jeunes que pour les accompagnateurs, c’est l’occasion de vivre en Nitaskinan, sans distractions comme « Facebook ». C’est aussi l’occasion de se dépasser – notamment lors des portages selon elle -, de se prouver que l’on est capable de vivre de « manière simple » et autonome en territoire et ainsi de renouer avec son identité.

En juillet 2019, j’ai passé cinq jours en territoire communautaire – au bord des lacs wapackoteiak – dans le cadre d’un camp d’été pour les jeunes du primaire organisé par un couple de la famille X, âgé d’une trentaine d’années. Le temps d’une petite semaine, une quinzaine de jeunes du primaire, des garçons et des filles, et quatre accompagnateurs plus âgés, trois femmes et un homme de Manawan, ont ainsi séjourné dans le camp permanent du

27 Une carte réalisée par des Atikamekw Nehirowisiwok et détaillant l’itinéraire réalisé par les participants dans le cadre de Tapiskwan Sipi 2019 est en accès public en ligne (Wikimedia Canada - https://ca.wikimedia.org/wiki/Grants/Requests/2019/Exp%C3%A9dition_Tapiskwan_sipi)

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couple et de leurs enfants, situé à une quinzaine de minutes en bateau à moteur de Manawan en se dirigeant vers le nord. Le camp de cette famille est composé d’un chalet (non fonctionnel à ce moment) et de carrés de tentes (une cuisine et un espace pour dormir). Lors du camp, les jeunes et les accompagnateurs avaient tous apportés pour dormir leur propre tente. Deux amies allochtones du couple et leurs enfants venus de Saint-Michel-des-Saints28 ont également participé au camp. Selon ce que m’a expliqué l’organisatrice, c’est de la volonté de permettre à des jeunes qui n’ont pas forcément la possibilité de se rendre facilement en territoire l’été que lui est venue, il y a quelques années, l’idée d’organiser ce camp. En effet, comme déjà écrit précédemment dans cette section, fréquenter régulièrement Nitaskinan représente aussi un coût financier (il faut avoir accès à un véhicule ou à un bateau), et ce n’est donc pas à la portée de toutes les familles.

Dans le cadre de ce camp, les jeunes ont pu participer à quelques activités comme par exemple la fabrication de petits bateaux – à l’aide de tout ce qu’il était possible de trouver sur le camp : du bois, du carton, de la ficelle, des bouteilles, du ruban adhésif etc.- en vue d’une course sur les lacs wapackoteiak. Mais selon mes observations, il s’agissait surtout que les jeunes profitent d’être en territoire et participent à la vie du camp. Dès le début du séjour, les accompagnateurs ont fait un emploi du temps afin que chaque jeune participe un peu tous les jours aux différentes tâches, notamment le ménage et la vaisselle. Le reste du temps, les jeunes étaient libres de s’occuper comme ils le souhaitaient. Ils pouvaient se baigner ou aller se promener aux alentours du camp par exemple. Les journées étaient ponctuées par les repas, très animés, par les échanges – en langue nehiromowin – entre les jeunes et les adultes de Manawan. Les échanges se faisaient toutefois en partie en français, lorsque les deux femmes québécoises, leurs enfants et moi étions présents.

Quelques semaines après ce camp, j’étais en train de discuter avec l’organisatrice chez elle lorsque je lui ai demandé si selon elle il était important de transmettre des savoirs ou des connaissances en particulier aux jeunes à l’occasion de ce camp. Après avoir marqué un silence, elle me répondit en ces mots « C’est difficile de dire, ce savoir-là, ce savoir là… T’sais, parce qu’on vit dedans. T’sais juste le fait de vivre ensemble, on transmet des savoirs sans le savoir. Juste de vivre ensemble de … on fait ça de même […] je voulais qu’ils vivent

28 Saint-Michel-des-Saints est le village le plus proche de Manawan, une route forestière relie les deux.

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l’été, qu’ils voient comment on vit dans le bois l’été » (Femme de Manawan, août 2019). Elle a ensuite ajouté que les enfants apprennent et retiennent bien mieux en territoire, en observant et en se remémorant que dans les livres. Les propos de cette femme soulignent que Nitaskinan est considéré comme un lieu propice à la transmission et à l’acquisition des savoirs, mais également que les savoirs sont avant tout un mode de vie. Or, comme vu au chapitre 1, les systèmes de savoirs autochtones doivent être considérés comme « des processus », en opposition au savoir comme contenu (Berkes, 2017 :4).

Le camp d’été pour les jeunes du primaire, organisé depuis quelques années consécutives par un couple de la famille X, est donc un autre exemple d’initiatives portées par les Atikamekw Nehirowisiwok et qui doivent permettre aux jeunes de vivre le mode de vie propre à Nitaskinan. Dans la section suivante, je m’attarderai sur les cartographies développées par les Atikamekw Nehirowisiwok, qu’ils aspirent aujourd’hui à utiliser comme des supports pouvant favoriser la transmission aux jeunes générations de certains savoirs territoriaux, dont les toponymes.

4.6 Cartographies et toponymes

Tel que souligné aux chapitres 1 et 2, les cartographies autochtones sont aujourd’hui de plus en plus utilisées par les peuples autochtones afin d’appuyer leurs revendications territoriales, au Canada comme ailleurs dans le monde. Dans le cadre des revendications territoriales, les Atikamekw Nehirowisiwok sont d’ailleurs investis depuis les années 1980 dans le développement de cartographies qui doivent permettre de prouver leur présence - actuelle et passée – en Nitaskinan.

Comme abordé au chapitre 2, les Atikamekw Nehirowisiwok avaient déjà commencé, dans le cadre de la Grande Recherche réalisée entre 1980 et 1984 et visant à appuyer les revendications territoriales, à documenter l’occupation et l’utilisation du Nitaskinan. Plusieurs cartes identifiant les itinéraires de chasse et de trappe empruntés selon les saisons, les lieux (campements saisonniers, portages, lieux de sépulture, etc.) ainsi que les toponymes avaient été produites à cette occasion (Charest, 2005 ; Poirier, 2014 :79). Dans les années 90,

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l’Association Mamo Atoskewin Atikamekw (AMAA) a réalisée plusieurs cartes pour identifier « des modes de gestion et des savoirs territoriaux nehirowisiwok liés, par exemple, aux ravages d’orignaux, à la toponymie, aux comportements et contributions des animaux et des plantes, etc. » (Éthier, 2017 : 7). Ces cartographies développées dans le cadre des revendications territoriales visent à mettre en lumière les relations qu’entretiennent les Atikamekw Nehirowisiwok avec leur territoire ancestral et donc à affirmer leur présence en Nitaskinan mais aussi leurs savoirs et leur droit coutumier. Les toponymes sont particulièrement représentatifs de la relation qu’entretiennent les peuples autochtones avec leurs territoires ancestraux. Lors de l’élaboration de cartographies autochtones, recueillir puis réussir à transcrire sur les cartes les toponymes autochtones et les récits qui s’y rapportent est donc au premier plan. Les Atikamekw Nehirowisiwok aspirent de plus à ce que ces cartographies puissent ensuite servir de supports permettant la transmission des savoirs territoriaux aux jeunes générations29.

Comme évoqué à la sous-section 3.7.2, j’ai été confronté lors de mon séjour à plusieurs limites concernant le travail avec les cartographies et les toponymes. Ces limites ont été de plusieurs ordres : je possédais uniquement des cartes qui ne représentaient pas l’entièreté des territoires familiaux des familles de Manawan et imprimées dans un format réduit, je n’ai pas eu la chance de me rendre avec les membres de la famille X dans leurs territoires familiaux et j’ai eu l’impression de rencontrer une certaine réticence de la part de la plupart des personnes à me parler librement des toponymes qu’elles connaissaient. Je reviendrai sur ce dernier point à la fin de cette section.

Chez les Atikamekw Nehirowisiwok, les toponymes peuvent servir à décrire les caractéristiques physiques de certains lieux en Nitaskinan. Les toponymes peuvent ainsi décrire par exemple la forme ou l’apparence d’une montagne ou encore la forme ou la profondeur d’un lac. Les toponymes lorsqu’ils sont ainsi utilisés dans un but descriptif leur

29 Tel que mentionné déjà, l’un des projets pour lequel j’ai été embauchée comme auxiliaire de recherche vise l’élaboration de cartographies atikamekw nehirowisiwok susceptibles d’appuyer leurs revendications territoriales, mais aussi de documenter les toponymes dans un objectif de transmission aux jeunes générations. Il s’agit du projet « Territorialités et cartographies autochtones : étude comparative sur les productions cartographiques des Atikamekw Nehirowisiwok (Québec) et des Coast Salish (Colombie-Britannique) dans le contexte des revendications territoriales globales » dirigé par Benoit Éthier et en partenariat avec le Conseil de la Nation atikamekw.

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permettent notamment de se repérer et de s’orienter en Nitaskinan. Ils sont aussi des indicateurs des changements environnementaux qui ont pu survenir en Nitaskinan.

Un jour, alors que je me rendais sur le site Matakan en bateau à moteur avec deux guides touristiques atikamekw nehirowisiwok, l’un deux m’a alors expliqué que la grande colline que l’on pouvait voir sur notre droite - nous étions alors environ à quinze minutes de Manawan vers le nord - s’appelait ka tcotcociwtanak (Mont Téton). Il explique que cette colline porte ce nom puisqu’elle ressemble beaucoup à un sein et à son téton. Il faut dire honnêtement que la ressemblance avec un sein et un téton était particulièrement frappante. Ka tcotcociwtanak fait partie, selon ce qu’on m’a expliqué par la suite, des quelques montagnes qui surplombent les autres montagnes en Nitaskinan de par leur hauteur.

En quelques minutes en bateau à moteur du site Matakan et en se dirigeant vers le sud, il y a une petite île sur la gauche des lacs wapackoteiak. Selon ce qu’a expliqué un guide touristique d’une soixante d’années, cette dernière est nommée Ka cikokwanakak (l’île aux pins), « cikokw » veut dire « pin » et « wanakak » veut dire « île ». Ka cikokwanakak décrit le fait qu’il y a plusieurs pins sur cette petite île.

Un après-midi d’août, sur le site Matakan, l’un des guides touristiques âgé d’une trentaine d’années, m’expliqua qu’il ne connaissait pas beaucoup de noms de lieux en territoire communautaire – où est situé le site Matakan - mais que dans son territoire familial – le territoire familial des Flamand en allant vers le Mont-Tremblant en partant de Manawan – il y avait une montagne qui ressemblait beaucoup à un nez. Cette montagne est donc nommée ka oskiwonatinak (la montagne du nez), « oskiwon » voulant dire « nez ». Selon lui cette montagne fait, tout comme ka tcotcociwtanak (Mont téton), partie des montagnes qui surplombent Nitaskinan de par leur hauteur.

Les toponymes atikamekw nehirowisiwok peuvent aussi faire référence à des événements passés qui se sont déroulés en tel ou tel lieu. Les toponymes atikamekw nehirowisiwok font partie de la mémoire collective et des savoirs communs et sont représentatifs des relations étroites et intimes entretenues entre les Atikamekw Nehirowisiwok et Nitaskinan (Poirier, 2004 : 143). Notons toutefois, selon ce que mes interlocuteurs m’ont expliqué, qu’alors que certains toponymes sont connus par un grand nombre de personnes, en règle générale, les

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personnes connaissent plus spécifiquement les toponymes qui se trouvent dans leurs territoires familiaux respectifs et plus précisément les toponymes en lien avec des événements dont ont été témoin des membres de leur famille élargie. En effet, les toponymes sont souvent transmis de générations en générations et ce souvent au sein d’une même famille élargie. De plus, mes interlocuteurs ont insisté sur le fait que c’est en fréquentant son territoire familial et certains lieux spécifiques que les toponymes sont transmis, et donc les histoires, les mémoires et les récits qui leur sont associés, d’où l’importance de fréquenter les territoires familiaux.

Lors d’un séjour sur le site Matakan, j’ai demandé à un guide pourquoi ce lieu était nommé Matakan. Il m’a expliqué que c’était dû au fait que les familles de Manawan, depuis la création du territoire communautaire, ont toujours eu l’habitude de se réunir l’été à cet endroit. Elles y construisaient des campements temporaires et restaient quelques temps sur cet îlot. C’est pourquoi, cet endroit a été nommé Matakan (site de campements).

Un jour de juillet, en bateau à moteur sur les lacs wapackoteiak avec un homme et une jeune femme, nous sommes passés devant Matci Natowe minictikw (l’île aux Iroquois), située à environ quinze minutes du site Matakan en allant vers le nord. L’homme a alors expliqué que cette île est appelée ainsi parce que les Atikamekw Nehirowisiwok s’en servaient autrefois comme d’un point d’observation pour guetter les Iroquois (Natawew). A la fin du XVIIe siècle, les Iroquois (Natawew) essayaient souvent de venir en Nitaskinan pour voler les fourrures des Atikamekw Nehirowisiwok. Il n’était pas rare non plus qu’il y ait mort d’hommes, d’un côté comme de l’autre. Comme les Iroquois (Natawew) arrivaient souvent de la même direction, il était possible de les voir arriver de cette île. De plus, cette île est couverte d’épinettes très hautes et très droites, ce qui permettait aux Atikamekw Nehirowisiwok de voir les Iroquois (Natawew) arriver sans être vus par ces derniers. Lorsque les Atikamekw Nehirowisiwok voyaient les Iroquois arriver, ils transmettaient l’information aux autres et ils se préparaient pour la guerre.

Un jour d’août, j’étais en train de travailler avec un homme d’une cinquantaine d’années à essayer de localiser certains toponymes sur une carte lorsqu’il me parla d’un lac nommé Trudeau Sakihikanicik. Ce lac n’était pas représenté sur la carte que nous avons utilisé ce jour-là ; une carte à l’échelle 1 : 35 000, qui représentait l’intégralité de la région des lacs

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wapackoteiak et certains toponymes atikamekw de cette région (cf. sous-section 3.7.2). Ce lac est situé dans son territoire familial – le territoire familial Echaquan en allant vers Parent de Manawan -. Il m’a ensuite raconté le récit en lien avec ce toponyme. Trudeau Sakihikanicik veut dire « le petit lac à Trudeau », « sakihikan » veut dire « lac » et « sakihikanicik » veut dire « petit lac ». Cet homme avait l’habitude, quand il était enfant, de se rendre avec son père à Trudeau Sakihikanicik, pour pêcher à la ligne. En effet, Trudeau Sakihikanicik était à l’époque un très bon endroit pour aller pêcher des truites qui y étaient nombreuses. Or, lorsqu’il était enfant, il n’avait pas compris que « Trudeau » était en fait un nom de famille. Un jour, alors qu’il était en train de pêcher avec son père à Trudeau Sakihikanicik, celui-ci lui a raconté l’origine de ce toponyme. Il lui a expliqué qu’à l’époque des clubs privés de chasse et de pêche, Pierre Elliot Trudeau30 – le père de Justin Trudeau – avait l’habitude de venir en Nitaskinan pour pêcher. Pierre Elliot Trudeau était à cette époque toujours accompagné par un guide de Manawan. Ce dernier connaissait les meilleurs lieux pour la pêche en Nitaskinan et donc il amenait toujours Pierre Elliot Trudeau au même lac, où il y avait beaucoup de truites. Pierre Elliot Trudeau adorait pêcher dans ce petit lac (sakihikanicik). Et donc finalement des Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan ont nommé ce lieu Trudeau Sakihikanicik en l’honneur de Pierre Elliot Trudeau. Toutefois, selon mon interlocuteur, les truites sont moins nombreuses qu’auparavant à Trudeau Sakihikanicik.

Les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan qui connaissent ce nom de lac Trudeau Sakihikanicik ainsi que le récit qui s’y rapporte possèdent donc plusieurs informations variées sur ce lieu : c’est un petit lac (description physique du lieu) ; Pierre Elliot Trudeau avait l’habitude d’aller y pêcher avec son guide pendant la période des clubs privés (histoire du lieu, mais aussi histoire des Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan à une période en particulier) ; ce lac était autrefois poissonneux, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui (changements environnementaux).

Le même interlocuteur a aussi mentionné un lac nommé « lac de l’ours qui joue du violon ». Ce lac a été nommé ainsi par un homme de Manawan parce qu’un jour, alors qu’il était en canot sur ce lac, il a aperçu, sur les berges, un ours assis, en train de se gratter. La position

30 Pierre Elliot Trudeau fut premier ministre du Canada de 1968 à 1979 et de 1980 à 1984.

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qu’avait l’ours en se grattant a fait rire l’homme parce qu’on aurait dit que l’ours était en train de jouer du violon. Il a donc nommé ce lac « le lac à l’ours qui joue du violon ».

Un autre jour, j’échangeais avec un aîné d’environ quatre-vingt-ans sur les toponymes en Nitaskinan. Nous étions assis dehors sur la terrasse de la maison où j’ai habité durant mon séjour. Je suis allée chercher les quelques cartes de Nitaskinan que je possédais mais malheureusement, comme évoqué au chapitre 3, ces cartes ne représentaient pas l’entièreté des territoires familiaux de Manawan. De plus, le format de ces cartes était trop petit et il était difficile, voire impossible, pour les personnes avec lesquelles j’ai travaillé de situer avec précision certains lieux spécifiques sur ces cartes. L’aîné a beaucoup ri en voyant les cartes, certainement parce que ces dernières étaient difficilement lisibles pour un homme de son âge, ce qui a eu pour effet de me faire rire aussi. Nous n’avons finalement pas eu recours aux cartes ce jour-là. Néanmoins, il a expliqué qu’il connaissait une île située au milieu des lacs wapackoteiak qui a une histoire particulière. Elle s’appelle « l’île aux orignaux qui vont mettre bas ». Après avoir marqué un long silence, que je n’ai pas interrompu, l’aîné a alors expliqué qu’au printemps (miroskamin), lorsque le niveau des lacs wapackoteiak est élevé, cette île est en partie submergée. Les femelles orignaux profitent alors de ce moment pour nager jusqu’à cette île – inaccessible aux autres animaux puisque trop éloignée des terres. Ainsi protégées des éventuels prédateurs, elles mettent bas. Lorsque le niveau des lacs wapackoteiak est élevé, on peut donc voir sur cette île plusieurs femelles orignaux avec leurs bébés. C’est pour cela qu’il ne faut jamais tuer d’orignaux sur cette île afin de protéger les femelles et leurs faons. C’est là un enseignement que mon interlocuteur a transmis à son fils chaque fois qu’ils passaient devant cette île. Il a aussi ajouté qu’il y a des années de cela, pour des raisons de survie, il est arrivé que des Atikamekw Nehirowisiwok chassent sur cette île. C’est ce qui explique que l’on y trouve parfois d’anciens artefacts. Sinon, la chasse y est toujours interdite.

Les quelques exemples précités démontrent que les toponymes atikamekw nehirowisiwok ont plusieurs référents. Ils peuvent permettre de décrire les caractéristiques physiques d’un lieu, sa position géographique ou alors la présence d’animaux ou de végétaux en ce lieu particulier. Ils peuvent également faire référence à des événements historiques d’une période plus ou moins éloignée (les guerres contre les Iroquois ou les voyages de pêche d’un Premier

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Ministre canadien) qui se sont produits en un lieu spécifique. Les toponymes peuvent aussi évoquer des anecdotes ou des faits cocasses plus personnels survenus en un lieu donné. Quoiqu’il en soit, un même lieu peut aussi avoir plusieurs noms, selon la personne à qui l’on s’adresse. Enfin, les toponymes et les récits qui s’y rapportent sont des indicateurs du passage et de la présence des ancêtres en Nitaskinan et particulièrement en certains lieux. Bien que je sois arrivée à Manawan avec quelques cartes du Nitaskinan, la majorité des toponymes m’ont été transmis in situ, alors que nous étions sur le lieu en question ou à proximité. Plusieurs interlocuteurs ont souligné que les noms des lieux et les récits qui s’y rapportent continuent d’être transmis oralement entre les membres des familles, parfois aussi entre amis, et ce plus particulièrement au sein des territoires familiaux.

Il me semble que l’une des raisons qui peut expliquer que j’ai rencontré autant de réticence – et même parfois de méfiance – de la part de la majorité des personnes de Manawan à me parler des toponymes et des récits qui s’y rapportent et justement lié au fait que les toponymes et leurs récits sont en fait des savoirs qui ont un caractère assez « intime» et « personnel ». Bien que plusieurs Atikamekw Nehirowisiwok soient habitués à travailler avec les cartes depuis des années afin d’appuyer leurs revendications territoriales, il m’a semblé lors de mon terrain que de façon générale les personnes ne souhaitaient pas échanger les toponymes et leurs récits avec n’importe qui et dans n’importe quelle situation. Et comme mentionné à la sous-section 3.7.2, c’est uniquement à la fin de mon séjour que certaines personnes que je connaissais alors déjà assez bien ont accepté de me faire part de certains récits rattachés à des lieux spécifiques. En fait, il me semble qu’en faisant le choix, en contexte néocolonial actuel, de ne partager aux étrangers qu’au compte goûte les toponymes et leurs récits, les Atikamekw Nehirowisiwok font aussi preuve d’une certaine forme de résistance.

Aujourd’hui, les Atikamekw Nehirowisiwok des trois communautés aspirent à se servir des cartographies développées dans le cadre des revendications territoriales comme de supports pouvant permettre, entre autres, la transmission des toponymes et des récits qui s’y rapportent aux jeunes générations. Dans le contexte néocolonial contemporain, les cartes sont devenues un outil de résistance, d’affirmation et de transmission des savoirs.

Dans le cadre de ce chapitre, j’ai mis en lumière certaines des logiques sous-tendant l’occupation contemporaine de Nitaskinan par les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan.

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Les Atikamekw Nehirowisiwok n’ont jamais cessé de fréquenter et d’occuper Nitaskinan, et ils continuent de tirer leur identité des relations qu’ils entretiennent avec ce dernier. Les modes de transmission et d’acquisition des savoirs territoriaux propres aux Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan sont liés aux dynamiques changeantes de l’environnement et des écosystèmes desquels ils font partie. Il me semble qu’en contexte néocolonial actuel, les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan mettent à profit le dynamisme et la flexibilité de leur système de savoirs propre pour s’adapter aux nouvelles circonstances et pour résister aux rapports de domination imposés par la société majoritaire. À travers la revalorisation du rôle des ka nikaniwitc ou la mise en place de nouvelles activités visant la fréquentation de Nitaskinan et l’acquisition et la transmission des savoirs, les Atikamekw Nehirowisiwok font preuve de résistance et d’adaptabilité. À travers ces initiatives ils continuent d’affirmer leurs savoirs et leur identité au sein de leur territoire. Dans le chapitre suivant, il sera question des objectifs et du rôle de Tourisme Manawan quant à la valorisation et la transmission des savoirs en Nitaskinan.

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Chapitre 5 : Tourisme Manawan : projets et aspirations

Ce dernier chapitre entend mettre en lumière certains des enjeux et des logiques sous-tendant le développement du tourisme à Manawan. Un historique du tourisme à Manawan sera d’abord effectué. Il sera question du temps des clubs privés, de la période du déclubage, de la période de la prise en charge du tourisme, de quelques initiatives de développement du tourisme par les Atikamekw Nehirowisiwok dans les années 90 et finalement de l’offre touristique actuelle à Manawan. Sur la base de mes échanges, je mettrai ensuite en avant que le tourisme est aujourd’hui considéré comme une stratégie de développement et d’affirmation. J’évoquerai ensuite certaines des aspirations et des attentes de personnes de la communauté envers le développement du tourisme. Par la suite, sur la base de mes observations et de mes échanges, j’évoquerai certains des processus de transmission des savoirs à l’œuvre entre les acteurs du tourisme sur le site Matakan [le lieu d’accueil des touristes en territoire communautaire]. Pour conclure ce chapitre, j’évoquerai le sujet de la transmission des savoirs aux jeunes générations sur le site Matakan.

5.1 Tourisme Manawan (historique)

5.1.1 Le temps des clubs privés : le travail de guide

Dès la fin du XIXe siècle, on voit fleurir au Québec et notamment en territoire autochtone plusieurs clubs privés. Le gouvernement du Québec décida en effet de tirer profit de l’engouement des Allochtones pour la chasse et la pêche sportives et loua plusieurs portions du territoire à des particuliers, notamment des riches Américains (Bousquet, 2008 : 17). À l’instar des compagnies forestières, l’implantation de clubs privés est venue modifier les itinéraires de chasse et de piégeage des groupes autochtones qui vivaient sur ces territoires. Plusieurs chasseurs de différentes nations autochtones du Québec devinrent alors guides de chasse et de pêche pour cette nouvelle clientèle américaine (Basile, 1998 :43 ; Bousquet, 2008 : 17-21 ; Hébert, 2008 : 30-31 ; Noël et Morisset, 1998 ; Poirier, 2001 :104), tout en poursuivant, pour la plupart, un mode de vie semi-nomade en dehors de la période de chasse et pêche des Blancs.

Plusieurs Atikamekw Nehirowisiwok, notamment de Manawan, s’adaptèrent encore une fois à cette nouvelle présence étrangère et mirent à profit leur connaissance du Nitaskinan pour devenir guides de chasse et de pêche (Gélinas, 2003 : 177). La plupart travaillaient « à la solde de la Hudson’s Bay Company qui les affectait au service des visiteurs du Manuan

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Fishing and Hunting Club, tandis que les autres travaillaient directement pour le compte des locataires de clubs […] » (Gélinas, 2003 : 177).

Plusieurs de mes interlocuteurs, notamment des Aînés, ont raconté leurs expériences avec les visiteurs allochtones au temps des clubs privés. Selon eux, les Pactonew, ou les gens de Boston, arrivaient le plus souvent en hydravion et ils pouvaient être nombreux. Un Aîné expliqua ainsi qu’il pouvait arriver que les visiteurs viennent à Manawan par groupes de trente personnes. Les guides Atikamekw Nehirowisiwok devaient alors escorter les visiteurs dans le bois et les amener aux endroits propices à la chasse et à la pêche. En plus de leur enseigner les techniques de chasse et de pêche adéquates et de les initier à la vie dans le bois, les guides devaient aussi effectuer plusieurs tâches, dont celles de s’occuper des portages et de faire la cuisine pour les visiteurs.

Le travail de guide semble avoir été particulièrement valorisé par les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan à l’époque des clubs privés. En effet, travailler en tant que guide rapportait un bon salaire (Gélinas, 2003 : 50), mais permettait surtout aux personnes impliquées de continuer à occuper et à utiliser le territoire tout en exerçant « une surveillance et une gestion des ressources continue de leur territoire » (Basile, 2017 : 113). Ainsi, « les Atikamekw sont parvenus à développer des secteurs d’activité économique qui répondaient à leurs valeurs tout en générant de nouveaux revenus indispensables » (Gélinas, 2003 :178).

Selon certains interlocuteurs, alors que des Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan étaient employés comme guides de chasse et de pêche, d’autres étaient plutôt gardiens de clubs et cuisiniers pour les Américains qui venaient séjourner en Nitaskinan. En saison, ils restaient ainsi dans les clubs pour surveiller les lieux et accueillir les visiteurs. Selon deux hommes, l’un dans la cinquantaine et l’autre âgé d’environ soixante-dix-ans - il était fréquent que les guides et les gardiens de club soient accompagnés de leur(s) fils et ou de leur(s) petit(s) fils. Les jeunes participaient aux tâches quotidiennes et apprenaient en observant leur père, leur oncle ou leur grand-père le métier de guide ou de gardien. Alors qu’il me parlait du fait que son père et son-grand père avaient été guides de pêche avant que lui-même le devienne, un homme dans la quarantaine m’explique :

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Depuis que je suis tout petit là, j’ai vu mon père guider. C’était pas tant le fait de voir l’argent passer, mais juste le fait d’être guide, de parler au monde. C’est comme de montrer c’est quoi la pêche, c’est quoi la nature, c’est quoi les arbres, c’est quoi notre mode de vie. C’est ça qu’il racontait mon père, quand il était guide. […] Pis, quand on partait c’était une semaine. Il me demandait tout le temps « viens t’en mon fils, accompagne-moi ». Faque on partait, ils [les visiteurs] arrivaient chez mon père, pis on s’en allait. Pis c’est mon père qui préparait mettons le doré. Le doré puis tout ce qu’on attrapait, on le mangeait oui. Pis dans ce temps-là, c’était pas de ramener ton poisson, eux autres c’était le fait de l’attraper puis de le manger, dans le bois, les personnes qui venaient à la pêche. […] Pis, j’ai toujours adoré les journées qu’on passait ici. On partait du matin jusqu’au soir, tout le temps dans les lacs, tout le temps au lac Kempt. Puis comme l’accueil, mon père il me disait « il faut toujours être accueillant. Il faut toujours que la personne se sente chez lui, à l’aise ». Mon père était comme ça, puis il parlait comme moi, non moi je parle comme lui. C’est un grand parleur, un grand conteur d’histoires. Il racontait jamais ce qu’il connaissait pas. […] Il racontait pas des histoires de mécaniques, ni d’autres choses, c’était vraiment la vie dans le bois. Il y avait pas de temps, il y avait pas de distance, c’était la vie c’est tout. C’était comme ça qu’il m’a montré mon père (Homme de Manawan, août 2019).

Ce qui ressort des propos de cet homme est que le fait d’accompagner son père durant son enfance, en tant que guide, lui a permis d’apprendre le métier , mais également de passer beaucoup de temps en territoire à vivre selon le mode de vie et les valeurs propres aux Atikamekw Nehirowisiwok.

Durant mon séjour, et après avoir échangé avec plusieurs personnes actuellement impliquées dans le tourisme, j’ai réalisé que pour beaucoup et notamment pour les guides, travailler avec des visiteurs était souvent une histoire de famille. Ainsi, au moins quatre des guides actuels à Manawan ont accompagné régulièrement, lorsqu’ils étaient jeunes, un membre de leur famille qui agissait comme guide. Alors que nous étions assis par un après-midi pluvieux sur les marches de la cuisine du site Matakan [le lieu d’accueil actuel des touristes en Nitaskinan], un guide touristique m’a ainsi expliqué avoir hésité avant de travailler à Tourisme Manawan. Il a toutefois décidé de franchir le pas après avoir pris en compte le fait que le métier de guide était exercé depuis plusieurs générations chez les Atikamekw Nehirowisiwok.

Au temps des clubs privés, les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan qui travaillaient avec les visiteurs ont développé une expertise particulière qu’ils ont souhaité transmettre aux jeunes générations. Ainsi, un des guides touristiques actuels m’expliquait qu’il avait appris

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comment interagir et se comporter avec les visiteurs dès sa jeunesse, alors qu’il accompagnait son grand-père, gardien de club. Lui-même donne d’ailleurs régulièrement des conseils aux jeunes guides qui travaillent sur le site Matakan quant au comportement et à l’attitude à adopter avec les touristes. Selon lui, il est important de continuer à entretenir et à transmettre cet ensemble de savoir-faire et de savoir-être, acquis de son grand-père, afin d’entretenir le respect envers les clients.

Cependant, ce ne sont pas uniquement les hommes qui furent impliqués dans la prise en charge des étrangers au temps des clubs privés. Les femmes ont également joué un rôle important. Alors que le travail de guide et celui de gardien de club étaient exclusivement masculins, les femmes ont joué un rôle important, tantôt comme cuisinières, tantôt par la vente d’artisanat dont les Américains étaient très friands. Deux femmes, respectivement la femme et la fille d’un ancien guide de chasse et de pêche, rencontrées à la maison où j’habitais (des parentes proches du propriétaire) m’ont expliqué qu’elles fabriquaient alors des pièces d’artisanat telles des mitaines, des mocassins et des paniers d’écorce décorés afin de les vendre aux visiteurs. À l’époque et encore aujourd’hui, elles utilisent de la peau d’orignal chassé par des hommes de leur famille. Aujourd’hui, elles vendent ces pièces d’artisanat aux touristes de passage dans la communauté. À une autre occasion, un aîné a fait remarquer que dans les années 60, et lorsqu’il n’y avait pas de clients au club dont s’occupait son grand-père, il arrivait que des femmes de la famille les rejoignent pour profiter du fait de passer du temps en territoire et participer à l’entretien du camp :

Ben là, quand il y avait des moments libres, quand il y avait pas de client on s’occupait pour aller à la pêche, pour aller étendre les collets, pis aller poser le filet. Même des fois, on venait à Manawan puis on venait chercher ma grand- mère puis on l’emmenait là-bas avec nous. Elle était bien contente, elle passait quelques jours là-bas. Après ça il y a des touristes qui arrivaient, ben là, il fallait ramener tout le monde. Pourquoi ? Je le sais pas. Ma grand-mère et mes petites cousines autour là, il fallait les ramener à Manawan (Aîné, août 2019).

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5.1.2 La période du « déclubage »

Le début des années 70 marque la fin des clubs privés qui sont rapidement abolis face aux revendications des Québécois, fatigués qu’une partie de leur territoire soit seulement accessible à une poignée de riches Américains (Bousquet, 2008 : 19). Le gouvernement du Québec met alors en place, entre autres, les pourvoiries qui permettent un accès plus « démocratique » au territoire à des fins sportives et récréatives31. Les métiers de guides et de gardiens de club qu’occupaient les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan disparaissent alors graduellement puisque les Québécois n’auront pas recours aux compétences des Atikamekw Nehirowisiwok comme le faisaient les Américains. Aujourd’hui, ce sont majoritairement des Québécois qui sont employés dans les pourvoiries présentes en Nitaskinan. Notons néanmoins que le conseil de bande de Wemotaci est propriétaire depuis 2003 du Club Odanak, une pourvoirie située à la Tuque, en territoire ancestral atikamekw nehirowisiw (Club Odanak - https://www.clubodanak.com/fr/). Les propos de cette interlocutrice, âgée d’une soixantaine d’années, mettent de l’avant les bouleversements engendrés par l’abolition des clubs privés :

[…] la première fois que j’ai entendu le mot « tourisme » c’est justement dans le temps des clubs de chasse et pêche où c’était des Américains qui avaient leurs clubs. Pis y en avaient beaucoup …. c’était en plein sur les territoires familiaux, faque les gens comme mon père pis d’autres familles ben c’était vraiment… il y avait une notoriété qui était reconnue à des fins que nos pères connaissant tout le territoire, pis qui étaient des grands connaisseurs par rapport à la chasse et la pêche… pis ils servaient de guides aux touristes américains. Mais quand tout ça a été changé ça a été un bouleversement pour nous autres aussi. Quand le Québec s’est approprié ces espaces là pour mettre ses propres affaires, ben là avec le temps ces personnes-là qui avaient toutes ces connaissances-là pis qui avaient leur notoriété, ben c’est comme … on les a tassées. C’est carrément de l’appropriation territoriale par le Québec puis par les tiers aussi (Aînée, août 2019).

Suite à la période de déclubage et jusqu’aux années 80, des agences de voyage « canadiennes et européennes remarquèrent l’engouement de leur clientèle, souvent européenne, pour les séjours d’aventure en raquettes, en motoneige ou en traineau à chiens. Les circuits

31 Au Québec, la période de déclubage correspond à une démocratisation de l’accès au territoire pour la chasse et la pêche sportives. Pendant la période des clubs privés, l’accès de certains territoires était uniquement réservé aux membres des clubs (des riches Américains, Canadiens et Québécois).

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commencèrent alors à passer brièvement dans les réserves, le temps d’acheter de l’artisanat et de voir « des Indiens » » (Bousquet, 2008 :20). Bien qu’à cette époque les agences de voyage aient parfois recours à des guides autochtones (Bousquet, 2008 :20), les bénéfices engendrés par le tourisme ne profitent que peu aux populations autochtones hôtes. C’est face à ce constat que plusieurs entrepreneurs autochtones décidèrent de se réapproprier le tourisme en milieu autochtone (Gill, 1998).

5.1.3 La prise en charge du tourisme

La STI (Société touristique Innu) est fondée officiellement en 1991 par des Innu et des Atikamekw. Selon Guylaine Gill, ancienne directrice générale de la STI, il s’agissait notamment pour « la première organisation régionale autochtone québécoise » (Gill, 1998 :28) de développer et de promouvoir auprès des communautés et des Conseils de bande atikamekw et Innu le développement d’un tourisme culturel. Il était prioritaire pour la STI que cette forme de tourisme soit en accord avec « les réalités culturelles et les priorités sociales et économiques des Nations » (Gill, 1998 :28). La STI a reçu le soutien financier des deux paliers de gouvernement (Gill, 1998 : 30), qui percevaient déjà à l’époque les impacts positifs que le tourisme autochtone pouvait avoir sur le rayonnement et l’attractivité du pays et de la Province au niveau international (Nicholson, 1997).

En 1997, une entente de partenariat est conclue entre la STI et la Chaire de tourisme de l’Université du Québec à Montréal. Cela a notamment permis l’élaboration d’un plan de développement touristique de Manawan en 1998 (Gill, 1998 :30). Le plan de développement prévoit entre autres que « […] l’affirmation de la réalité et de l’identité atikamekw devrait conditionner toutes les décisions quant à la nature du développement, autant en matière d’engagement qu’en regard des activités, des produits et des services offerts » et que « l’acquisition d’un rôle décisionnel dans la gestion du territoire ancestral est […] un enjeu du développement touristique. De plus, certains environnements doivent être protégés pour être éventuellement mis en valeur à des fins touristiques (notamment les écosystèmes et les paysages entourant le territoire ancestral du lac Kempt) » (Bédard et Comtois, 1998 : 38-39).

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Le plan de développement de Manawan met en lumière que déjà en 1998 les acteurs impliqués ont comme volonté d’élaborer une forme de tourisme contribuant à la réaffirmation de leur identité et de leur mode de vie propre. De plus, bien qu’à cette époque « le tourisme à Manawan [soit] encore à ses premiers balbutiements » (Basile, 1998 :92) et que l’accueil des touristes se fasse principalement à l’intérieur de la communauté, la volonté de développer le tourisme en Nitaskinan selon un modèle de gestion et d’utilisation propre du territoire est déjà bien ancrée. Dans son mémoire sur le tourisme à Manawan, Basile note que « certains [interlocuteurs] ont même proposé que le développement du tourisme à Manawan devienne un ajout à l’utilisation du territoire, qu’il devienne ainsi le principe moteur d’une rappropriation du territoire par la communauté » (Basile, 1998 : 56).

En 1998, la STI est restructurée et devient la STAQ (Société touristique des autochtones du Québec). La STAQ (aujourd’hui TAQ – Tourisme Autochtone Québec), au contraire de la STI, a pour caractéristique de promouvoir et de soutenir les entreprises et les institutions touristiques de toutes les communautés autochtones du Québec intéressées (Blangy et Laurent, 2007 : pp.10). Aujourd’hui, il est possible de dire que les Autochtones du Québec « possèdent la plus grande part de marché qui les met en scène » (Bousquet, 2008 :24).

Le processus de prise en charge du tourisme par les Autochtones du Québec, que je viens brièvement d’évoquer, rappelle que la question de la « prise en charge » - de l’éducation et du développement économique par exemple – représente une étape importante dans la démarche d’autonomie de plus en plus grande des Autochtones du Canada (Charest, 1992).

5.1.4 Historique des initiatives de développement du tourisme par les Atikamekw Nehirowisiwok dans les années 90

Dans les années 90, plusieurs projets touristiques ont été initiés et mis en place par différents acteurs Atikamekw Nehirowisiwok en Nitaskinan. L’ancienne réserve de Kokokac, inondée en grande partie au début du XIXème siècle suite à la construction du barrage Rapide Blanc, servit notamment de lieu d’accueil pour des groupes de touristes. À cette époque, Jacques Newashish, artiste atikamekw originaire de Wemotaci, est revenu occuper Kokokac et y a

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installé un campement à la fois pour permettre à des jeunes Atikamekw Nehirowisiwok de passer plus de temps en territoire ancestral et pour recevoir des touristes (Boucher, 1998 : 46). Selon une interlocutrice, le tourisme proposé à Kokokac était orienté vers le tourisme ethnoculturel au sens où il s’agissait de mettre en valeur la culture nehirowisiw. Ainsi selon elle « […] il y avait le site aussi une réserve atikamekw qui était inhabitée, ça a été aménagé pour pouvoir recevoir des … c’était la plupart des Français à ce moment-là qui demandaient dans le fond à venir chez les Atikamekw pour venir voir c’est quoi la culture atikamekw et tout » (Aînée, Manawan, août 2019).

À Manawan, dans les années 90, David-Marcel Ottawa avait en outre entrepris de recevoir des visiteurs au sein de son campement familial, le Camp des dix. Ainsi, selon Basile, le Camp des dix « […] présente le volet culturel de la vie traditionnelle et moderne atikamekw. On s’y adonne à l’interprétation de l’environnement, aux activités traditionnelles, à la cuisine atikamekw et à l’utilisation de tentes et de tipis pour l’hébergement des touristes » (Basile, 1998 : 48). Ce camp a reçu des touristes durant quelques années seulement, le projet a été abandonné au décès de David-Marcel Ottawa. Aujourd’hui, le Camp des dix n’accueille plus de touristes, mais demeure le camp permanent des membres de la famille Ottawa. Ce camp est situé aux abords des lacs wapackoteiak, à une quinzaine de minutes en bateau à moteur - en naviguant vers le nord - de l’actuel site Matakan.

À cette même époque, on trouve à Manawan, le Chalet des Six Saisons Atikamekw, quatre bâtiments dédiés à l’hébergement des visiteurs. Il s’agissait d’une initiative d’Ernest Ottawa, ancien Grand Chef de la Nation32. Aujourd’hui, les Chalets Six saisons Atikamekw ont été remplacés par l’Auberge Manawan qui comprend une dizaine de chambres pour accueillir les gens de passage, surtout des travailleurs (Hydro-Québec et autres), et les touristes. Deux des Chalets Six saisons Atikamekw sur les quatre ont été vendus par le Conseil de bande. Ils ont été rachetés par un Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan – chez qui je logeais à l’été 2019 -, qui les a fait déplacer à deux pas de sa maison à Manawan. Il les a rénovés et redécorés et il les proposent maintenant à la location aux touristes.

32 Ernest Ottawa a rencontré de grandes difficultés afin de réunir les fonds pour la construction des chalets, à une époque où il était interdit aux Autochtones sur réserves d’obtenir des prêts auprès des banques (Sylvie Poirier, communication personnelle).

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5.1.5 L’offre touristique actuelle

En 2009, le Conseil de bande de Manawan a créé un organisme à but non lucratif « Tourisme Manawan ». Depuis, l’offre touristique proposée par la communauté de Manawan a pris de l’ampleur et les infrastructures à vocation touristique se sont développées. Comme vu précédemment, les touristes peuvent être hébergés à Manawan, soit à l’auberge Manawan ou encore chez un particulier qui propose deux de ses chalets à la location et qui offre ses services en tant que guide de pêche aux clients intéressés.

Au bureau d’accueil de Tourisme Manawan, les touristes peuvent avoir accès aux informations concernant leur séjour et observer quelques pièces d’artisanat qu’il est aussi possible d’acheter. Les visiteurs sont ensuite libres de se promener dans le village et de profiter de ses différents services et attraits. Ils peuvent ainsi aller manger au restaurant Wikan ou à la cantine Bello. Ils peuvent également profiter des deux plages de Manawan, qui offrent une belle vue sur le lac Metapeckeka, aller chez un artisan à résidence et visiter l’église. Des visites de la communauté sont également possibles sur demande. De plus, à l’hiver des forfaits motoneiges sont offerts au départ de Manawan.

C’est aussi en 2009 que l’offre de tourisme s’est étendue au-delà des limites de la communauté et sur le territoire. Les acteurs du tourisme ont ainsi aménagé un campement traditionnel atikamekw sur un îlot des lacs wapackoteiak en Nitaskinan, qui a vocation à accueillir de petits groupes de touristes pour de courts séjours. Ce site nommé Matakan, situé sur le territoire communautaire (cf. chapitre 2), est subventionné en partie par le Conseil de bande de Manawan. Ainsi, le tourisme développé sur le site Matakan est un tourisme en territoire. Ce type de tourisme ne fait pas que présenter la culture aux touristes, mais leur fait aussi vivre une expérience en territoire (Hébert, 2008 : 55). Notons d’ores et déjà qu’il arrive aussi que des jeunes atikamekw nehirowisiwok soient invités à se rendre sur le site Matakan, que des touristes soient ou non présents. Je reviendrai plus en détails sur ce sujet dans la section 5.5.

Sur le site Matakan, on trouve ainsi plusieurs installations : un ponton auquel s’amarrent les bateaux à moteur ; une grande cuisine en bois ; une ancienne cuisine en bois maintenant utilisée pour entreposer le matériel ; quelques constructions en bois et en toile (appelées

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carrés de tentes) où dorment notamment les guides ; une tente prospecteur en toile dans laquelle dorment aussi les guides ; quatre tipis réservés principalement aux touristes ; et des sanitaires (deux douches alimentées avec l’eau du lac et des toilettes sèches). À l’une des extrémités du site, il y a un emplacement dédié pour une loge à sudation (matotasowin). La loge à sudation (matotasowin) est « temporaire » et doit être démontée et reconstruite par les guides. Au centre du site Matakan se trouve un emplacement en forme de tortue réservé au feu, plusieurs bancs et une grande table. Enfin, sur les berges du site Matakan, plusieurs canots et rabaskas sont laissés à la disposition des touristes. Les touristes peuvent utiliser les canots et les rabaskas lorsqu’ils le souhaitent, et ce sans nécessairement être accompagnés d’un guide.

Photographie 1. Berges du site Matakan - canots et rabaska Photographie de l'auteure, été 2019

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Photographie 2. Site Matakan - Feu central Photographie de l'auteure, été 2019

Photographie 3. Site Matakan - Poissons disposés sur la grande table près du feu central, juste après que le filet ait été relevé par des guides et des touristes ; un tipi à l’arrière-plan Photographie de l'auteure, été 2019

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Photographie 4. Site Matakan – Cuisine Photographie de l'auteure, été 2019

Pour rejoindre le site Matakan, les touristes doivent prendre un bateau à Manawan qui les amène à destination en 30 à 45 minutes, dépendamment du bateau (et de la force du moteur) et des conditions météorologiques. Sur le site Matakan, qui se trouve en territoire communautaire, plusieurs guides et apprentis guides atikamekw nehirowisiwok sont présents pour accueillir les touristes33. Après avoir fait le tour des infrastructures disponibles sur le site, les touristes sont invités à installer leurs affaires sous le tipi où ils dormiront lors de leur séjour alors que les guides, comme mentionné précédemment, dorment dans d’autres installations qui leurs sont dédiées.

Au fil de leur séjour, les guides organisent et proposent plusieurs activités aux touristes. Ces derniers sont par exemple invités à aller pêcher avec leurs guides, à aller poser et lever les filets, à aider à la préparation des repas, puis à les déguster en compagnie de leurs guides. Les repas sont en grande partie composés d’orignal (mos), de dorés (okacic) pêchés et

33 Les touristes qui viennent sur le site Matakan sont principalement des Européens, et en particulier des Français. Le reste de la clientèle touristique est majoritairement constituée de Québécois, de Canadiens des Provinces anglophones et d’Américains.

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apprêtés sur place et de desserts à base de bleuets ou de pâte de bleuets, et de banik (pokwecikan).

La banik (pokwecikan) est un pain galette, consommé quotidiennement par les Atikamekw Nehirowisiwok. Le cuisiner « attitré » du site Matakan, dans la trentaine, me faisait remarquer que les hommes comme les femmes savent préparer la banik (pokwecikan), bien que les femmes, selon lui, préparent une meilleure banik (pokwecikan). Il faut en effet un doigté tout à fait particulier à la fois pour mélanger et pétrir la pâte à base de farine, d’eau et de poudre à pâte, mais aussi pour la cuisson. Lui-même a appris comment cuisiner en observant sa grand-mère lorsqu’il était enfant. Il regrette par ailleurs qu’il y ait si peu de femmes qui soient impliqués dans le tourisme. Il pense qu’elles auraient leur place sur le site et qu’elles pourraient être embauchées en tant que cuisinières notamment.

Lors d’un séjour sur le site Matakan de plusieurs jours consécutifs, il est arrivé que le guide- cuisinier propose à deux touristes femmes de préparer la banik (pokwecikan) pour le souper. Ces femmes avaient passé les soirées précédentes à discuter avec lui et à l’observer faire la cuisine. Peu sûres d’elles, ces dernières ont accepté mais ont posé des questions au cuisinier quant aux ingrédients qu’il fallait utiliser. Le cuisinier leur a répondu, avec un sourire, qu’elles l’avaient observé faire la banik (pokwecikan) les jours précédents, et donc qu’elles savaient faire. Elles se sont donc mises à mélanger et à pétrir la farine, la levure, le sel, et l’eau sous les coups d’œil discrets du cuisinier. Une fois la pâte prête, le cuisinier s’est occupé de la cuisson dans une poêle. Selon lui, la cuisson de la banik (pokwecikan) est une phase importante qu’il est facile de rater, au même titre d’ailleurs que le pétrissage. Le résultat fut une banik (pokwecikan) d’un goût correct, mais définitivement pas assez gonflée. En offrant la possibilité à ces touristes de préparer un met « traditionnel », le cuisinier leur a permis de s’initier à un savoir-faire local, acquis par l’observation et l’imitation, deux modes privilégiés de transmission et d’acquisition des savoirs chez les Atikamekw Nehirowisiwok.

Les bleuets sont cueillis en Nitaskinan, par les familles atikamekw nehirowisiwok – et notamment par les femmes - en août. Un après-midi d’août, je suis passée rendre visite aux membres d’une famille élargie réunis à l’occasion de la fabrication de la pâte de bleuets. Une grande table était disposée au milieu du terrain derrière la maison et la pâte de bleuets était cuite longuement dans un grand chaudron. Les femmes de la famille, de toutes les

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générations, s’occupaient de tourner régulièrement la pâte avec une grande cuillère en bois. Aux termes du processus de cuisson, qui dure plusieurs heures, la pâte est déposée dans des pots disposés sur la table34. Les hommes de la famille s’occupaient quant à eux du barbecue. Cet après-midi-là, la fabrication de la pâte de bleuets a aussi été l’occasion de réunir les membres d’une famille élargie, au moins une quinzaine de personnes, des hommes et des femmes de toutes les générations, autour d’un repas et de quelques bières. La fabrication de la pâte de bleuets est un savoir-faire traditionnel des femmes atikamekw nehirowisiwok. Tel que l’on me l’a expliqué, la pâte de bleuets est ensuite conservée afin d’être consommée pendant plusieurs mois. Les bleuets – lorsqu’ils sont cueillis en quantité suffisante- peuvent aussi être vendus par les familles atikamekw nehirowisiwok de Manawan à des entreprises de la région. La vente de bleuets représente en effet annuellement une source de revenus non- négligeable pour plusieurs familles.

De plus, sur le site Matakan, les guides peuvent proposer aux touristes d’aller se promener autour du site en leur compagnie et d’aller chercher des plantes afin de préparer des décoctions. Alors que j’accompagnais un groupe de touristes sur le site, ces derniers sont ainsi partis environ trente minutes avec un guide d’une quarantaine d’années à la recherche de petites baies des bois (notcimiw ciwominan). Le cuisiner du site Matakan s’est ensuite servi de ces baies pour faire une décoction, qui a été consommée après le souper. Selon lui, les petites baies des bois (notcimiw ciwominan) ont toujours été cueillies par les Atikamekw Nehirowisiwok durant les deux semaines du mois d’août où elles peuvent être récoltées.

Sur le site Matakan, les guides proposent donc aux touristes présents de goûter à plusieurs mets et plats « traditionnels » préparés selon des savoir-faire locaux. De plus, comme j’en ai donné un exemple précédemment, les touristes peuvent parfois être invitées par le cuisiner à aider à la préparation des repas et donc par la même occasion à s’initier à certains de ces savoir-faire locaux.

De manière générale, sur le site Matakan, il n’y pas d’emplois du temps qui viennent organiser les journées et planifier les activités selon des horaires définis. Les touristes sont

34 Il faut préciser que je suis arrivée sur les lieux assez tardivement et que le processus de fabrication de la pâte de bleuets était presque terminé.

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plutôt invités à profiter de l’instant et à se joindre ou non aux activités, qui varient selon les guides présents sur la place, la saison et les conditions climatiques et selon le déroulement de chaque journée. Comme évoqué précédemment (cf. chapitre 3), les guides touristiques de Manawan sont actuellement tous des hommes. Lors de mon séjour, j’ai rencontré quatre guides atikamekw nehirowisiwok ainsi qu’un jeune apprenti guide. Deux de ces guides étaient alors âgés d’environ quarante-cinq ans et travaillaient sur le site Matakan depuis au moins deux ans. Le plus âgé avait alors cinquante-huit ans, il était guide touristique sur le site Matakan depuis quatre ans. Ce dernier est aussi ka nikaniwitc de son territoire familial nommé Manitinikocik (cf. chapitre 4). Le plus jeune des guides, âgé d’une trentaine d’années, travaillait sur le site - par intermittence au début - depuis environ deux ans. Il est également le cuisiner « principal » sur le site. Le jeune apprenti guide avait alors un peu moins d’une vingtaine d’années, c’était la première année qu’il venait travailler sur le site Matakan. Patrick Moar, le coordinateur actuel de Tourisme Manawan, âgé d’une quarantaine d’années, était quant à lui également très présent sur le site Matakan lors de mon séjour à Manawan.

Il arrive parfois que des membres de la communauté soient invités à se rendre sur le site Matakan pour intervenir auprès des touristes. Alors que j’étais sur le site Matakan avec des guides et un groupe de touristes, un aîné de la communauté, âgé d’environ soixante-dix ans, et spécialiste du travail de l’écorce est ainsi venu passer quelques jours en notre compagnie. Au cours d’un après-midi, il a proposé aux touristes intéressés un atelier visant à apprendre comment confectionner des paniers en écorce. L’aîné avait lui-même apporté l’écorce en prévision de l’atelier. Les touristes ont beaucoup apprécié l’atelier et sont tous repartis avec le panier en écorce qu’ils avaient fabriqué en observant et en écoutant l’intervenant. Ce genre d’atelier est également utile pour la transmission de certains savoir-faire aux guides présents sur le site. Je reviendrai sur ce point particulier dans la section 5.4.

Parfois et lorsqu’il y a assez de visiteurs, ces derniers peuvent être invités à participer à une loge à sudation (matotasowin). La loge à sudation (matotasowin) constitue une pratique rituelle à laquelle prennent part certains Atikamekw Nehirowisiwok de façon occasionnelle ou régulière. La cérémonie de la loge à sudation, guidée par un maître de cérémonie et par les esprits des ancêtres, met en lumière une certaine conception du monde et du territoire

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propre aux Atikamekw Nehirowisiwok35. Selon Jérôme, la loge à sudation (matotasowin) est également un lieu « favorisant la rencontre interculturelle (avec les touristes ou les visiteurs) et l'échange entre les membres d'une même famille par exemple. En cela, la loge à sudation (matotasowin) est également un espace de transmission et d'apprentissage, un lieu de savoirs » (Jérôme, 2010 : 185). À l’été 2019, alors que j’accompagnais des guides et un groupe de touristes sur le site Matakan, ces derniers ont par exemple été conviés à la fin de leur séjour à prendre part à une loge à sudation (matotasowin).

Pour les touristes passer quelques jours sur le site Matakan est surtout l’occasion d’échanger et de partager avec les guides atikamekw nehirowisiwok ainsi qu’avec les membres de la communauté qui sont parfois invités à passer une ou plusieurs journées sur le site. Le moment des repas et les soirées au coin du feu sont deux moments particulièrement propices aux dialogues et aux échanges entre visiteurs et Atikamekw Nehirowisiwok. Les touristes sont à la recherche d’altérité et cette altérité passe par le lieu visité et par le dépaysement qu’il procure (Equipe Mobilités, Itinéraires, Territoires, 2002 : 182). Mais si cette recherche d’altérité passe par la découverte d’un lieu nouveau, elle est aussi recherchée dans la rencontre avec « l’autre », car être touriste, c’est « […] découvrir non seulement d’autres lieux, mais aussi l’autre en tant qu’être humain » (Équipe Mobilités, Itinéraires, Territoires, 2002 : 89). Les guides atikamekw nehirowisiwok, presque essentiellement des hommes, ont un rôle déterminant au sens où ils agissent comme des passeurs d’altérité (Équipe Mobilités, Itinéraires, Territoires, 2002). Ainsi et selon ce que j’ai observé sur le site Matakan, si les touristes peuvent parfois être décontenancés par le fait qu’il n’y ait ni réseau, ni électricité ou eau courante sur le site ou encore par le fait que les journées se déroulent sans qu’il n’y ait de véritable encadrement, le dialogue avec les guides a généralement un effet catalyseur. En discutant avec les touristes et en répondant à leurs questions, les guides atikamekw nehirowisiwok arrivent à faire entrevoir aux touristes un monde différent du leur. Les guides abordent, souvent avec humour, des sujets variés qui peuvent avoir trait à leur histoire, à leur vécu personnel, à leur mode de vie, à leur rapport et à leurs liens avec le territoire ou encore aux différentes revendications territoriales entreprises avec les gouvernements.

35 Pour une description de la pratique de la tente à sudation chez les Atikamekw Nehirowisiwok, voir la thèse de Laurent Jérôme (2010).

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Pour donner un exemple, un après-midi du mois de juillet, alors que nous étions dans la cuisine du site Matakan – du fait du temps pluvieux - avec un couple de touristes français, leur fils et leur belle fille et deux guides, la discussion porta sur les revendications territoriales dans lesquelles sont engagés les Atikamekw Nehirowisiwok depuis des décennies. Sur les tables de la cuisine, sous des nappes en plastique, sont posées plusieurs cartes du Nitaskinan. Les touristes, curieux d’en savoir davantage, ont demandé ce qu’elles représentaient aux deux guides présents. Les guides ont alors expliqué, à l’aide des cartes, qu’il s’agissait de leur territoire ancestral, mais que le gouvernement ne voulait pas reconnaitre leurs droits sur ce territoire. La conversation fut longue et animée, les guides abordèrent avec les touristes – qui semblaient tomber des nues- plusieurs sujets en lien avec Nitaskinan, et expliquèrent, entre autres, que la création de la réserve de Manawan était somme toute assez récente et que les Atikamekw Nehirowisiwok continuaient de se rendre régulièrement dans leurs territoires familiaux respectifs.

Selon plusieurs des guides avec lesquels j’ai échangé, il est particulièrement important pour eux de mieux se faire connaitre, en leurs propres termes, tant au Québec, qu’au Canada et à l’international, par le biais notamment du tourisme. C’est aussi pourquoi sur le site Matakan, il a été fait le choix de ne pas céder aux stéréotypes potentiellement recherchés par les touristes, notamment par les touristes français, qui constituent l’essentiel des visiteurs à l’heure actuelle. En effet, « en général, les touristes européens ont une image romantique des Indiens; ils s'attendent à vivre quelque chose de folklorique » (Iankova, 2007: 59). Sur le site Matakan, les guides proposent plutôt aux touristes un aperçu de ce qui se fait dans les camps de chasse actuellement, exception faite des tipis – utilisés originellement par les peuples autochtones des Plaines.

De plus, sur le site Matakan, il est plutôt attendu que ce soit les touristes qui s’adaptent au savoir-être et à la temporalité des guides Atikamekw Nehirowisiwok, et non l’inverse. Pour donner un exemple, j’ai remarqué lors de mes séjours sur le site que lors des soirées passées au coin du feu avec des guides et des touristes, les conversations étaient souvent entrecoupées de nombreux silences. Silences dont les touristes étaient souvent peu coutumiers mais qui - je pense- étaient aussi une façon que les guides avaient pour faire comprendre aux touristes

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qu’il était important de prêter attention à ce qui les entourait : le feu qui crépitait, les arbres, le couple d’aigle qui avait construit son nid sur l’îlot juste en face du camp…

Grâce au tourisme mis en place depuis 2009 en Nitaskinan, les acteurs du tourisme arrivent à faire vivre aux étrangers qu’ils accueillent une expérience emprunte d’altérité et de partage. Par le biais d’activités relatives à certaines pratiques particulières et par le biais de l’oralité, les guides arrivent à faire percevoir aux touristes un autre monde, parfois bien différent de ce qu’ils avaient imaginé, d’autres savoir-faire et d’autres savoir-être.

5.2 Le tourisme comme stratégie de développement et d’affirmation

Au Canada, le gouvernement reconnait, depuis plusieurs années déjà, les conséquences positives que peut avoir le développement du tourisme autochtone sur le plan économique tant au niveau local que régional et national (Butler et Hinch, 2007 ; Hall, 2009 : 206-207 ; Maureira et Stenbacka, 2015). Les différents paliers de gouvernement considèrent que le développement du tourisme autochtone est notamment un moyen d’attirer les investissements, de créer des emplois et de participer au rayonnement du pays à l’international (Butler et Hinch, 2007 ; Hall, 2009 ; Maureira et Stenbacka, 2015). Au Québec, le tourisme autochtone est considéré comme le secteur du tourisme qui croît le plus rapidement d’un point de vue économique (Maureira et Stenbacka, 2015 : 151). De plus, selon John Colton et Kelly Whitney-Squire: « governements have promoted economic initiatives as the key ingredient in successful aboriginal community development » (Colton et Whitney-Squire, 2010: 265). Pour les gouvernements du Canada et du Québec, le développement du tourisme autochtone est donc principalement perçu comme un levier économique au sein de communautés qui rencontrent des taux élevés de chômage.

En discutant avec les différentes personnes impliquées dans le tourisme à Manawan, j’ai vite compris que pour eux le tourisme n’était perçu qu’en partie comme un objet de développement économique. Bien que la majorité de mes interlocuteurs considèrent que le tourisme doit permettre la création d’emplois et l’apport de revenus supplémentaires, ils considèrent que le tourisme doit aussi avoir d’autres impacts positifs pour la communauté

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dont celui d’une plus grande affirmation et reconnaissance. C’est d’ailleurs ce que m’a expliqué le coordonnateur de Tourisme Manawan, alors en poste depuis quatre ans :

Moi j’aimerais bien contribuer à définir le tourisme selon ce que les gens veulent faire et peuvent faire. On veut pas nécessairement développer un tourisme pour répondre aux critères de l’industrie qui est seulement de … de générer des retombées économiques, générer des emplois. Dans le discours des gouvernements c’est ça, le tourisme c’est des emplois avant tout, c’est de la richesse. Oui c’est ça, mais dans un contexte dans lequel que nous on vit comme village, c’est un peu plus que ça. Le tourisme ça peut être une manière de revaloriser quelque part la culture qu’on a, ça peut être une manière de se réapproprier la présence dans la forêt selon ce que nous on souhaite faire. Moi je veux pas… on veut devenir des trappes à touristes […]. On ne sait pas trop… c’est sûr que moi j’en suis rendu à ma quatrième année, j’ai pas atteint tous les objectifs que j’aurais voulu qu’on atteigne. Mais je préfère prendre mon temps pour mieux saisir la vision du développement que les gens de la communauté ils souhaiteraient avoir. […] C’est toujours dans l’espoir de rendre le tourisme viable pour la communauté mais pour les gens avant toute chose. C’est sur actuellement on peut envisager ça comme étant une entreprise d’économie sociale. C’est d’aider les gens de la communauté à pouvoir tirer des revenus de ce qu’ils font et de ce qu’ils sont, sans devoir être obligé de vendre le paraitre. C’est d’essayer de rester comme qu’on est et d’essayer d’offrir ça comme expérience à nos visiteurs, sans dénaturer notre culture, sans la déguiser (Homme de Manawan, août 2019).

Pour Patrick Moar, comme pour plusieurs personnes impliquées dans le tourisme à Manawan avec lesquelles j’ai échangé, le tourisme pour être viable doit être mis en place selon leur propre modèle et vision du développement. Le tourisme doit refléter le mode de vie et les valeurs des Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan et doit être avant tout centré sur les besoins et les aspirations de l’ensemble des personnes qui vivent à Manawan. C’est pourquoi et en accord avec Patrick Moar36, une partie importante de mon travail de l’été a consisté à m’entretenir avec plusieurs personnes impliquées de près ou de loin dans le développement du tourisme à Manawan afin de comprendre quelles retombées elles attendent du tourisme et de quelles manières elles souhaitent s’impliquer dans son développement (cf. section 5.3).

36 Tel que mentionné déjà, l’un des projets pour lequel j’ai été embauchée comme auxiliaire de recherche vise à renforcer et à développer l’offre d’un tourisme culturellement ancré autour des lacs wapackoteiak. Il s’agit du projet « Le tourisme comme levier de développement et de souveraineté en milieu autochtone : histoire, pratiques et savoirs des Atikamekw de Manawan » dirigé par Laurent Jérôme, mon co-directeur de recherche, en partenariat avec Tourisme Manawan et le Conseil des Atikamekw de Manawan.

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Sur la base de mes échanges, je pense qu’il est possible de dire que de manière générale, les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan souhaitent placer les personnes et les familles au cœur du processus décisionnel lié au tourisme. C’est d’ailleurs ce qu’exprime les propos de la directrice du pôle « Services et Projets communautaires » du Conseil de bande des Atikamekw de Manawan :

Puis c’est autant … on parle là de … par rapport au développement économique, qu’est-ce que les gens disent souvent ? Ben c’est tout le temps le Conseil. Faque là, elle est où la place des individus là-dedans ? La place des familles là-dedans ? Pis c’est tout ça qu’il faut permettre à des personnes. Qu’elles puissent avoir leur entreprise touristique, qui va correspondre à la vision que Manawan veut bien se donner en termes de développement touristique (Aînée de Manawan, août 2019).

La volonté partagée par la majorité des acteurs du tourisme à Manawan de développer une offre touristique orientée vers les attentes, les aspirations et les valeurs des membres de la communauté met en évidence le fait que pour eux ce sont les personnes – et plus précisément les groupes familiaux - qui doivent figurer au cœur de l’idée de « développement ». Cette idée du développement se distingue des programmes de développement néolibéraux promus par les États et les marchés et qui sous-tendent une ontologie et des valeurs particulières propres à la société occidentale (Blaser, 2004 ; Blaser, Feit et Mcrae, 2004 :4, Escobar, 1995: 18).

Par ailleurs et comme mentionné au chapitre 2, aujourd’hui c’est principalement le Conseil de bande de Manawan qui administre le développement du tourisme. Tel que mentionné déjà, les Conseils de bande sont des structures politiques imposées par la Loi sur les Indiens, qui sont venues institutionnaliser la vie politique au sein des communautés et qui sont peu représentatives des modes de gouvernance autochtones. En revalorisant le rôle des groupes familiaux dans le processus décisionnel lié au tourisme, les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan souhaitent également contrebalancer l’omniprésence du Conseil de bande en ce qui a trait aux choix liés au tourisme. En ce sens, il me semble qu’il est possible de dire que les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan exercent une forme de résistance.

Plus largement, en développant le tourisme en territoire selon « leurs propres termes », les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan aspirent aussi à affirmer leur présence en Nitaskinan. Comme écrit à la section 4.4.2, ces derniers mettent en œuvre plusieurs stratégies

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afin de limiter et de réguler la présence étrangère sans cesse grandissante en Nitaskinan (pourvoiries, chasseurs et pêcheurs sportifs, industries forestières, ZEC, etc.). Selon plusieurs personnes avec lesquelles j’ai échangé, le tourisme est également un moyen dont ils disposent pour contrôler, en partie, cette présence allochtone en Nitaskinan. La directrice du pôle « Services et Projets communautaires » du Conseil de bande des Atikamekw de Manawan, s’exprimait ainsi :

Pis quand on parle de ça aussi : développement touristique, mise en valeur du territoire et des ressources mais c’est aussi le droit de … c’est de l’affirmation identitaire, c’est de l’affirmation à tous les niveaux … au niveau politique. Parce qu’on est en droit de décider qu’est-ce qu’on veut faire de ce territoire-là, le territoire traditionnel. Comment est-ce qu’on veut continuer à profiter de cet espace-là ? Mais t’sais, on sait très bien qu’on est plus les seuls là-dedans. C’est un territoire qui est convoité entre autres, pour ses espaces, pour la forêt comme telle mais aussi pour l’industrie du bois aussi tout ce qui est de chasse et pêche t’sais les pourvoiries, les ZEC et tout ça. C’est un développement qui s’est fait sans qu’on ait vraiment notre mot à dire là-dedans. Faque aujourd’hui, qu’est-ce qui est comme souhaité pis qu’est-ce qui est incontournable pour nous autres ? C’est de dire ça demeure le territoire traditionnel des Atikamekw. Pis qu’est-ce qui va se faire sur le territoire là ? On aimerait avoir notre mot à dire (Aînée de Manawan, août 2019).

Dans la prochaine section, je m’attarderai donc plus en détails sur les aspirations et sur les attentes qu’ont certaines des personnes de Manawan envers le développement du tourisme en territoire.

5.3 Aspirations et projets communs

Aujourd’hui, les Atikamekw Nehirowisiwok déjà impliqués dans le tourisme ainsi que ceux souhaitant s’y impliquer aspirent à développer à une échelle plus large le tourisme en territoire mais aussi à faire évoluer l’offre touristique déjà disponible. L’un des projets récents porté, entre autres, par les acteurs de Tourisme Manawan est de permettre aux familles qui le souhaitent d’accueillir des étrangers chez elles, en territoire communautaire ou dans leur territoire familial, pour quelques jours. Selon la majorité de mes interlocuteurs, l’adaptation graduelle de l’offre touristique actuelle et le développement du tourisme en territoire sont deux processus qui doivent permettre la réalisation d’aspirations assez

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semblables. Contrairement à ce que je m’étais imaginé en arrivant à Manawan, il n’a donc pas été possible d’établir de véritable distinction entre les aspirations des membres de la communauté visant à adapter l’offre touristique actuelle et les aspirations des familles visant à accueillir des touristes en territoire.

Si depuis ses commencements l’offre touristique proposée à Manawan peut sembler être toujours « en construction », c’est justement parce qu’elle évolue au gré des contextes ainsi que des aspirations et des projets des différents membres de la communauté. En ce sens, le développement du tourisme à Manawan peut être comparé à un « projet de vie » au sens où l’entend Blaser (Blaser, 2004 : 26).

Aujourd’hui, les personnes impliquées de près ou de loin dans le tourisme à Manawan ont plusieurs attentes quant au développement du tourisme pour les années à venir. De plus, un nombre grandissant d’Atikamekw Nehirowisiwok souhaitent s’impliquer dans le secteur du tourisme et contribuer à diversifier les activités proposées aux visiteurs. Afin de répondre aux attentes de ces personnes, le coordonnateur de Tourisme Manawan, en cela appuyé et conseillé par plusieurs membres de la communauté, a décidé de recueillir leurs avis afin de comprendre quelles retombées elles attendent du tourisme et de quelles manières elles souhaitent s’impliquer dans son développement. En effet, le fait que la mise en place et le développement du tourisme à Manawan soient toujours « en projet » favorise la prise en compte des aspirations et des attentes d’une diversité d’acteurs. Effectivement, selon François-Xavier Cyr qui a mené une recherche auprès des Wendat de la communauté de Wendake (dans la région de Québec) : « une des particularités intéressantes que permet le projet est la diversité des aspirations qui peuvent s’y insérer » (Cyr, 2017 :44).

Sur la base de mes échanges, je pense avoir réussi à saisir en partie les aspirations et les attentes que partagent des membres de la communauté quant au développement futur du tourisme. Ainsi, selon plusieurs interlocuteurs, le développement du tourisme est considéré comme un moyen dont disposent les Atikamekw Nehirowisiwok pour mettre en place des activités en Nitaskinan en leurs « propres termes ». En ce sens, plusieurs personnes ont émis la volonté de réussir à se concerter et à s’harmoniser de manière adéquate afin de décider collectivement de quelles manières procéder. Selon eux, les activités qui sont et seront proposées doivent ainsi être mises en place en respectant les valeurs, les savoir-être et les

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savoir-faire propre aux Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan (voir aussi sous-section 5.1.5). Le lien et les relations que ces derniers entretiennent avec leur territoire ancestral doivent servir de fondement à tout développement touristique futur. Plusieurs de mes interlocuteurs ont fait mention de l’importance qu’ils portent au fait que l’offre touristique soit instaurée dans le respect du modèle de gestion des ressources qui est le leur. C’est pourquoi la majorité de mes interlocuteurs ont évoqué l’idée de mettre à la disposition des acteurs atikamekw du tourisme présents et futurs une formation qui leur permettrait de se réapproprier certains savoirs propres aux Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan. La directrice du pôle « Services et Projets communautaires » du Conseil de bande des Atikamekw de Manawan, une aînée âgée d’environ soixante-cinq ans, s’exprimait ainsi :

[…] il y a de la formation à faire pour les jeunes […]. Donc avec les aînés qui sont encore là aujourd’hui, pis peut-être aussi l’éducation aussi pis les écoles, il y aurait des programmes de formations à mettre en place pour former des gens, qui serviraient là entre autres on parle de guide, guide de chasse, de pêche pis guide touristique… mais aussi ça devient comme des gardiens de ces savoirs-là, de ces connaissances-là. […] c’est des connaissances là que dans le temps, la façon de gérer le territoire et les ressources, les aînés le savaient qu’il ne fallait pas qu’ils prennent plus qu’ils ont besoin. Donc il y avait ce souci là… donc aujourd’hui c’est ça aussi, il faut que ça soit encadré, ça prend comme des limites comme on dit. Faque tout ça là, c’est par des programmes de formations entre autres pour la gestion du territoire et des ressources […]. Pis t’sais quand on va dans le bois ben c’est toutes les précautions à prendre pour laisser le moins d’empreinte comme on dit. Donc c’est un paquet de choses à considérer, quand on réfléchit sur le tourisme comme tel là… oui il y a des individus à former là […]. T’sais juste la personne qui veut comme, on va dire mettre en valeur son territoire familial ou son site pour accueillir des touristes, qu’il soit conscient de tout ce qu’il y a pour la préservation du territoire, des ressources, de l’espace (Aînée de Manawan, août 2019).

La réappropriation des savoirs, ou « l’actualisation des connaissances » comme certaines des personnes de Manawan préfèrent appeler ce processus, fait partie prenante des aspirations qu’ont les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan envers le développement du tourisme. Par la mise en place et le développement du tourisme en territoire, il est attendu de favoriser la transmission des savoir-faire mais aussi des savoir-être entre les générations selon un mode de transmission propre à la vie en Nitaskinan. De plus, plusieurs acteurs du tourisme de Manawan sont considérés comme ayant un rôle particulier à jouer dans ce processus de réappropriation des savoirs. En effet, comme le soulève la directrice du pôle « Services et

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Projets communautaires » du Conseil de bande des Atikamekw de Manawan, en comparant les acteurs du tourisme à des « gardiens des savoirs », les acteurs du tourisme sont considérés comme des « spécialistes » ou des « spécialistes en devenir » auxquels on accorde une certaine notoriété et un statut particulier (voir aussi section 5.4).

Le tourisme peut aussi amener les acteurs du tourisme à se renseigner auprès de certaines personnes de la communauté « qui savent », les aînés par exemple, afin de répondre aux questions des touristes. Selon une femme de la famille X, il serait intéressant de développer une base de données à laquelle aurait accès les acteurs du tourisme et qui recenserait plusieurs savoirs communs locaux. Cette base de données aurait vocation à permettre aux personnes impliquées dans le tourisme de se (ré)approprier certaines connaissances locales qui pourraient ensuite être discutées avec les touristes :

[…] il faut qu’on… qu’on fait des recherches nous autres ici. Parce qu’ils [les touristes] posent tout le temps des questions. […] On demande aux gens. Mais comme je te dis, c’est pas écrit. C’est juste des souvenirs que…Oui. Parce que c’est vrai on oublie des choses. T’sais, on écrit pas l’histoire nécessairement, qu’est-ce qu’il s’est passé en telle année. Oui on va se rappeler, mais pas des dates… T’sais on est pas assez… T’sais, on écrit pas assez, on archive pas assez, ce qu’il s’est passé dans l’histoire. C’est bien qu’ils [les acteurs du tourisme] sachent aussi… qu’ils savent où aller chercher s’ils veulent connaître davantage sur un sujet (Femme de Manawan, août 2019).

En outre, pour tous les répondants, si en développant le tourisme en territoire les Atikamekw Nehirowisiwok cherchent à répondre à une demande de la part des étrangers, cela doit être avant tout aux touristes de s’adapter à l’offre d’activités touristiques proposée par les acteurs du tourisme. Trois personnes ont évoqué l’idée de mettre en place un « tourisme nomade»37, qui serait plus en accord avec le modèle d’occupation et d’utilisation du territoire et des ressources des Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan. Un homme atikamekw s’exprimait ainsi :

Mais t’sais, oui le Matakan. Mais il y a d’autres places que c’est tellement plus beau des fois. Des belles plages, des… c’est vraiment beau. Moi j’ai campé, avec mes parents j’ai fait tout le lac Kempt. Différentes places, pis toutes ont un intérêt. Pis pourquoi qu’on se déplacerait pas? Parce que des fois, moi ce que j’entendais dire [mot atikamekw], ça veut dire « on n’épuisera pas la ressource de doré ici».

37 Le terme de « tourisme nomade » est celui qui a été employé par mes interlocuteurs.

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On va aller à une autre place, à une autre baie. Parce que le doré, il reste toujours à sa place. Puis à une autre place, ça va être un autre […]. C’est pour ça qu’eux autres, je leur disais ça aussi. […](Homme de Manawan, août 2019).

Sur le site Matakan, les touristes sont pour le moment principalement accueillis à l’été. Selon un aîné, il serait intéressant d’élargir l’offre de tourisme aux autres mois et aux autres saisons du calendrier atikamekw. Les activités proposées aux touristes seraient fonction des activités « traditionnelles » réalisées par les Atikamekw Nehirowisiwok à chaque saison, et les touristes choisiraient de venir à tel ou tel moment de l’année en fonction des activités qui les intéressent le plus. Il s’exprimait ainsi :

Mai, juin c’était la saison qu’ils faisaient beaucoup de peaux d’orignaux, t’sais ils tannaient les peaux d’orignaux parce que c’était un temps propice pour ça. C’est un temps qui est quand même sec, pas trop chaud mais quand même chaud là, mai et juin. L’été ben là c’était surtout, les gens se promenaient en canots avec leurs familles pis bon ils s’en allaient camper ici et là, c’était comme des vacances. […] Les gens profitaient du beau temps, parce qu’ils avaient passé encore un hiver rude puis dur, de survie. Après ça au mois d’août c’était la cueillette des fruits sauvages comme le bleuet et la préparation. Aux mois de mars, avril c’était la cueillette de l’eau d’érable. Août, septembre c’était les fruits pis la préparation de la trappe. Donc ça c’est toutes des choses qu’on pourrait montrer aux touristes, t’sais plusieurs cycles. En hiver, ben là, presque rien l’hiver à part la chasse à l’orignal pis le grattage de la peau. T’sais l’hiver c’est comme tranquille un petit peu. Surtout janvier, janvier c’est un mois qui est dur, il est long, il est long. Pis c’est le froid, la neige, les animaux sont tranquilles, ils sortent pas. C’est pour ça qu’ils l’appellent « le long mois ». En atikamekw ils appellent ça « le long mois », kenositc pisimw. T’sais il se passe rien. Février va arriver ben là, les animaux sortent pis bon… faque là ça commence. Les activités de chasse reprennent de plus belle. Le mois de mars ça va très bien. Donc si on veut vraiment exploiter le tourisme ça serait de regarder les activités qu’on a dans chaque saison. […] Puis dire vraiment aux clients, c’est quoi le cycle qu’ils préfèrent (Aîné de Manawan, août 2019).

Pour la majorité des personnes rencontrées, le tourisme doit être un moyen parmi d’autres d’occuper le territoire et de recréer des liens avec celui-ci. Les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan n’ont jamais cessé de passer du temps dans le bois et d’aller dans leurs territoires familiaux respectifs. Le tourisme est dès lors perçu comme un moyen supplémentaire dont ils disposent pour passer plus de temps en Nitaskinan, tout en étant rémunérés. Un homme de Manawan s’exprimait ainsi « Vu qu’il n’y a pas d’emploi et que le monde aime être dans le bois, ça [le développement du tourisme] permettrait d’avoir un travail en même temps puis

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d’être rémunéré tu sais, en tant que guide. Puis de montrer leur territoire, propre à chaque famille » (Homme de Manawan, août 2019).

De plus, pour plusieurs personnes avec lesquelles j’ai échangé, les perspectives d’emplois ouvertes par le secteur du tourisme doivent permettre une occupation du territoire par les jeunes générations, moins coutumières de la vie dans le bois, ainsi que par les futures générations. En ce sens, le tourisme est en quelque sorte perçu comme un outil de transmission intergénérationnelle du territoire.

Enfin, mes interlocuteurs considèrent qu’il est important que les bénéfices du tourisme profitent au maximum à l’ensemble de la communauté. Actuellement, les acteurs du tourisme qui travaillent au site Matakan sont essentiellement des hommes adultes, qui amènent avec eux de manière assez occasionnelle leurs femmes et leurs enfants. Selon plusieurs de mes interlocuteurs, il serait intéressant de s’organiser afin que les familles aient plus l’opportunité de se rendre sur le site Matakan, afin notamment de profiter elles aussi de passer du temps en Nitaskinan. C’est aussi de la volonté d’impliquer d’avantage les familles dans le tourisme qu’est né le projet de développer un tourisme familial local en Nitaskinan.

D’après les femmes rencontrées, il est plus difficile pour elles de s’impliquer dans le secteur du tourisme que les hommes notamment du fait de l’école qui retient leurs enfants à Manawan une grande partie de l’année. Dans ce contexte, plusieurs interlocutrices ont évoqué leurs craintes concernant la difficulté pour elles à transmettre à leurs enfants certains savoirs particuliers, propres aux femmes, et intrinsèquement liés à la vie en territoire. Ces dernières ont fait principalement mention de savoirs et de pratiques liés aux plantes médicinales, de la petite chasse réalisée autour du campement, de la préparation des repas et du travail de transformation visant à fabriquer des objets utilitaires (mocassins, mitaines, etc.). Il faut préciser ici que les femmes autochtones, au Canada comme ailleurs dans le monde, possèdent « des savoirs particuliers et des responsabilités spécifiques envers leurs familles, leurs communautés et leurs territoires » (Basile, 2017 :7). Ces savoirs sont propres aux femmes et souvent complémentaires à ceux des hommes (Basile, 2017 ; Lévesque et al. 2016). Néanmoins, dans les recherches relatives aux savoirs et aux revendications autochtones, les dynamiques de genres sont souvent absentes ce qui a pour effet d’invisibiliser les savoirs et

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les responsabilités propres aux femmes autochtones (Altamirano-Jimenez et Kermoal, 2016)38.

Les femmes atikamekw nehirowisiwok de Manawan n’ont jamais cessé de résister à la dépossession de leur territoire ancestral, mais de manière générale toutes les femmes avec lesquelles j’ai échangé m’ont dit avoir moins d’opportunités que les hommes d’y passer du temps. Elles aspirent aujourd’hui, par leur participation au développement du tourisme en territoire, entre autres, à réinvestir Nitaskinan et à se réapproprier et à transmettre leurs savoirs territoriaux.

5.4 Le site Matakan et la transmission des savoirs entre les acteurs de Tourisme Manawan

Comme écrit au chapitre 1, le tourisme développé et contrôlé par les communautés autochtones s’il est orienté vers la présentation de la culture propre aux communautés hôtes peut participer de la transmission intergénérationnelle des savoirs autochtones (Butler et Menzies 2007 ; Bousquet, 2008 ; Hébert, 2008 ; Zeppel, 1998). Le développement d’un tourisme autochtone en territoire permet aux acteurs du tourisme d’occuper et de fréquenter leurs territoires ancestraux respectifs (Hébert, 2008). De plus, le développement d’un tourisme autochtone en territoire est considéré comme particulièrement propice à la transmission des savoirs autochtones entre les acteurs du tourisme, puisque c’est notamment en territoire que les savoirs peuvent être correctement acquis et transmis. Or, comme vu au début du chapitre 5 (cf. section 5.1), aujourd’hui à Manawan le tourisme mis en place est notamment un tourisme en territoire.

38 Il est peut-être utile de mentionner que la Loi sur les Indiens adoptée en 1876 ainsi que l’ensemble des politiques coloniales, en introduisant le patriarcat et l’idéologie de la supériorité des hommes sur les femmes ont eu des répercutions profondes sur les droits et les modes de vie des femmes autochtones du Canada (Basile, 2017 ; Coulthard, 2018). Selon Basile « Les femmes autochtones ont été écartées des sphères de décision, leurs rôles et leurs responsabilités ignorés par les politiques coloniales, leurs savoirs, leur lien au territoire et les conséquences de l'exploitation des ressources dénigrés par les chercheurs et les décideurs » (Basile, 2017 : 4). Selon Coulthard, un des auteurs de la résurgence autochtone (voir chapitre 1), il est nécessaire que les peuples autochtones ne reproduisent pas les logiques et les structures patriarcales et sexistes imposées par l’État canadien (Coulthard, 2018 [2014]).

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Comme évoqué au début du chapitre 5 (cf. section 5.1), plusieurs générations d’Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan étaient impliquées dans le tourisme mis en place sur le site Matakan à l’été 2019. Les acteurs du tourisme que j’ai rencontré sur le site Matakan à l’été 2019 - soit Patrick Moar, quatre guides touristiques, un jeune apprenti guide et un intervenant qui venait régulièrement sur le site Matakan - avaient environ entre vingt et soixante-dix ans.

5.4.1 La transmission de la langue nehiromowin

Selon un guide âgé alors de presque soixante ans, également ka nikaniwitc de son territoire familial, il arrive souvent - dans le cadre de son travail de guide sur le site Matakan - qu’il transmette et qu’il explique aux guides plus jeunes certains mots en langue nehiromowin que ces derniers ne connaissaient pas encore.

Parce qu’en même temps ça nous aide aussi. Nous ceux qui travaillent ici, les guides pis tout ça. C’est important pour nous aussi, parce que notre langue maternelle elle vit là. Elle vit en forêt. Des fois quand je suis ici avec les guides puis que je dis des mots, des phrases des fois ils me disent « c’est quoi ça ? c’est la première fois que j’entends ça ». Alors je leurs explique. C’est des mots qu’on utilisait beaucoup dans le milieu naturel. Pis eux autres aussi ils aiment ça (Homme de Manawan, août 2019).

De manière générale, selon ce que j’ai observé lors de mes séjours sur le site Matakan les acteurs du tourisme – de toutes les générations - lorsqu’ils parlent entre eux utilisent toujours la langue nehiromowin. Le tourisme développé sur le site Matakan, favorise donc la transmission intergénérationnelle entre les acteurs du tourisme de certains termes directement issus du territoire en langue nehiromowin. Comme vu au chapitre 2 et au chapitre 4, le maintien de la langue nehiromowin constitue d’ailleurs un enjeu majeur pour les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan – et des deux autres communautés – notamment puisque la langue est intrinsèquement liée à l’identité.

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5.4.2 La transmission de certains savoir-être : l’exemple du partage de la viande avec l’ensemble de l’environnement

Un après-midi du mois d’août, j’étais assise dans la cuisine du site Matakan avec le même guide âgé alors de cinquante-huit ans et la discussion se porta sur la question de la transmission des savoirs entre les acteurs du tourisme. Lors de la conversation, il me fit part d’un moment vécu il y a quelque temps sur le site Matakan avec des guides plus jeunes ainsi qu’avec des touristes. Selon lui, ce moment particulier est un bon exemple du processus de transmission intergénérationnelle des savoirs qui peut avoir lieu entre acteurs du tourisme sur le site Matakan. Un jour sur le site Matakan, le guide avec lequel j’étais en train de discuter, s’apprêtait à manger de la viande d’orignal en compagnie d’autres guides touristiques – tous plus jeunes que lui – et de quelques touristes français. Avant que chacun commence à manger, le guide - qui me racontait cette histoire - prit la parole et dit à tous ceux qui étaient présents qu’il allait leur montrer quelque chose. Il alla chercher un petit panier en écorce et il demanda ensuite à tous ceux qui étaient présents de mettre une petite portion de la viande qui était dans leur assiette dans le panier. Le guide demanda ensuite à tout le monde de se lever, et ils allèrent déposer la viande qui était dans le panier sous un arbre. Il leur expliqua ensuite que c’était un signe de respect par rapport à l’animal qui avait donné sa vie pour eux. C’était un signe de respect de partager la viande avec l’ensemble de la nature, en déposant la viande de l’orignal sous un arbre. Toutes les personnes présentes allèrent ensuite se rassoir pour manger et le guide touristique qui me racontait ce moment, expliqua à tout le monde qu’il fallait maintenant manger sans trop parler et que si quelqu’un avait besoin de quelque chose il devait le demander à son voisin en chuchotant. Manger en parlant peu est aussi un signe de respect envers l’animal qui a donné sa vie. Le guide qui me racontait ce moment m’a ensuite expliqué que ce jour-là les jeunes guides l’avaient remercié de leur avoir montré et expliqué cette pratique qu’ils ne connaissaient pas. Selon lui aujourd’hui, les jeunes générations sont moins au courant de cette pratique qui consiste à remercier l’animal qui a donné sa vie en partageant sa viande avec l’ensemble de l’environnement – soit toutes les entités qui le constituent. Toujours selon lui, aujourd’hui, il arrive encore que certains Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan aient recours au don de la viande dans des services funéraires par exemple, pour honorer l’esprit du défunt. Mais selon lui autrefois, les ancêtres avaient aussi recours au don

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de la viande pour honorer l’esprit de l’animal. C’est le genre de pratique qu’il aime montrer et transmettre aux jeunes guides et aux touristes présents.

Comme évoqué au chapitre 2, l’ethnonyme Nehirowisiw fait notamment référence aux relations de réciprocité que les Atikamekw Nehirowisiwok entretiennent avec leur environnement. Pour les Atikamekw Nehirowisiwok – ainsi que pour la plupart des autres peuples algonquiens – le respect des animaux chassés est considéré comme un principe normatif qui permet, notamment, le maintien de relations harmonieuses avec les esprits des animaux (Éthier, 2017). Le respect accordé aux animaux chassés participe ainsi du maintien et du renforcement des relations sociales réciproques entre les Atikamekw Nehirowisiwok et les animaux chassés ou susceptibles d’être chassés (Éthier, 2017). Dans l’exemple que j’ai exposé précédemment, le guide qui m’a raconté ce moment a transmis à des guides plus jeunes un certain savoir-être - incarné dans une pratique - indissociable d’une ontologie relationnelle où les animaux au même titre que les Atikamekw Nehirowisiwok possèdent une intentionnalité propre. Comme me l’a exprimé ce guide, il s’agissait de remercier l’orignal qui s’était donné pour eux. En déposant une partie de la viande de l’orignal au pied d’un arbre, les personnes présentes ont partagé la viande de l’orignal avec l’ensemble de l’environnement en guise de respect et donc, je suppose, afin que les orignaux continuent à se donner aux chasseurs atikamekw nehirowisiwok.

Comme je viens d’en donner un exemple, le tourisme en territoire mis en place sur le site Matakan peut favoriser la transmission intergénérationnelle de certains savoir-être - incarnés dans des pratiques - entre les acteurs du tourisme les plus âgés et ceux plus jeunes. Dans la prochaine sous-section, j’évoquerai d’autres exemples de processus de transmission intergénérationnelle des savoirs à l’œuvre entre les acteurs du tourisme.

5.4.3 La transmission de certains savoir-faire locaux

Comme évoqué au début du chapitre (cf. section 5.1) lors d’un séjour passé sur le site Matakan avec des guides et des touristes, un aîné de la communauté, âgé d’environ soixante- dix ans, nous a rejoints pour quelques jours. Cet aîné, malheureusement décédé après mon

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départ de Manawan, était un grand spécialiste du travail de l’écorce et des racines et jouissait de ce fait d’une certaine renommée dans la communauté. Selon ce que m’ont expliqué plusieurs personnes de Manawan, cet aîné était souvent invité sur le site Matakan pour donner des ateliers en lien avec certains savoir-faire locaux dont il était spécialiste. Cet aîné était ainsi souvent invité sur le site Matakan dans le cadre de la présence de touristes mais aussi dans le cadre de projets visant la transmission des savoirs aux jeunes générations d’Atikamekw Nehirowisiwok, comme ce fût le cas lors du projet Matakan qui a eu lieu à l’été 2019.

Un après-midi du mois d’août, après que tout le monde ait eu fini de déjeuner, cet aîné a invité les touristes à participer à un atelier de confection de paniers d’écorces. Après avoir terminé d’aider deux des guides à remettre en ordre la cuisine, j’ai rejoint le groupe de touristes installés autour de la grande table proche du feu central avec l’un des guides âgé d’une trentaine d’années, qui est également le cuisinier « principal » sur le site Matakan. Nous n’avons pas participé à l’atelier mais sommes restés tous les deux pendant un bon moment à observer l’aîné expliquer et montrer aux touristes les techniques de fabrication d’un panier d’écorce de forme cylindrique. La fabrication de panier en écorce de bouleau est l’un des savoir-faire locaux détenu par certains membres de la communauté de Manawan. Ce jour-là, l’aîné avait apporté avec lui l’écorce de bouleau et les racines d’épinettes, racines qu’il a expliqué avoir préalablement fait bouillir pendant des heures. Pendant que les touristes essayaient tant bien que mal de reproduire les mouvements experts de l’aîné qui coupait, assemblait, perçait et cousait l’écorce, le guide-cuisiner à côté de moi m’expliqua s’être intéressé au travail de l’écorce depuis peu, du fait de la présence régulière de l’aîné spécialiste du travail de l’écorce sur le site Matakan. Le guide-cuisinier me dit ensuite qu’à force d’observer cet aîné donner des ateliers sur le site, il en était même venu depuis cette année à fabriquer lui-même des petits objets en écorce et notamment des paniers. Il connait pour le moment les bases de la fabrication des paniers et il est capable d’extraire lui-même les matières premières, soit l’écorce de bouleau et les racines d’épinettes.

Le jeune guide-cuisinier me dit ensuite que c’était pareil pour ce qui était de certaines plantes médicinales utilisées par les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan. Avant de travailler en tant que guide-cuisinier sur le site Matakan, il ne connaissait pas bien les plantes médicinales

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et leurs différentes utilisations et ce bien qu’il ait toujours été intéressé par ce sujet. Il m’expliqua ensuite que plusieurs guides plus âgés lui avaient montré où trouver certains des arbres et des plantes qui poussent sur le site Matakan et notamment le sorbier (maskominanatikw), le mélèze, le cèdre (kicik) et le petit thé des bois. Ce guide-cuisinier est maintenant capable d’identifier et de repérer ces quatre plantes médicinales qu’il utilise pour leurs vertus en faisant des décoctions. Selon ce qu’il m’a expliqué, le sorbier (maskominanatikw) est par exemple un bon remède contre les douleurs articulaires. Tout comme la fabrication d’objets en écorce, la fabrication de décoctions à l’aide de plantes médicinales spécifiques est un savoir-faire local détenu par certains Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan.

Lors de l’un de mes séjours sur le site Matakan en juillet 2019, j’ai discuté assez longuement et à plusieurs reprises avec un jeune apprenti guide âgé alors d’un peu moins de vingt ans, et qui entamait sa première année de travail sur le site Matakan. Ce jeune apprenti guide participait à toutes les activités qui rythmaient les journées comme par exemple l’entretien et le nettoyage des installations, la pose et la relève des filets posés à proximité du site Matakan ou l’aide à la préparation des repas. Néanmoins, il m’a dit apprécier particulièrement participer aux activités en lien avec la pêche, soit notamment la pose et la relève des filets et l’apprêtage des poissons. Il m’a également dit qu’en temps « normal » il avait moins d’opportunités d’apprendre les bonnes techniques concernant l’apprêtage des poissons, et qu’il profitait d’être sur le site pour se perfectionner dans ce domaine. Depuis qu’il travaille sur le site Matakan, il a aidé à plusieurs reprises des guides à apprêter les poissons et il a l’impression d’avoir amélioré sa propre technique puisqu’il gaspille maintenant moins.

Sur le site Matakan, les acteurs du tourisme les plus jeunes ont l’opportunité d’apprendre des acteurs du tourisme les plus âgés certains savoir-faire locaux. Comme en témoigne ces quelques exemples, l’apprentissage de ces savoir-faire locaux n’est pas imposé aux acteurs du tourisme. Bien évidemment, tous les acteurs du tourisme sont actifs sur le site Matakan, et chacun d’entre eux effectue différentes tâches indispensables au cours des journées, comme par exemple l’entretien et le nettoyage des installations ou l’entretien du feu. Mais c’est plutôt l’intérêt de chacun qui va déterminer le fait qu’il aille observer et/ou participer plus particulièrement à telle ou telle activité réalisée par un acteur du tourisme plus âgé.

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Dans le cadre du tourisme mis en place sur le site Matakan, les acteurs du tourisme continuent à transmettre et à acquérir certains savoir-faire locaux. Ces savoir-faire locaux sont transmis et acquis entre les différentes générations d’acteurs du tourisme en respectant les principes de non-ingérence, d’autonomie et de responsabilisation. Or, comme abordé au chapitre 1, les Atikamekw Nehirowisiwok, tout comme la plupart des peuples autochtones du Canada, considèrent que les principes de non-ingérence, d’autonomie et de responsabilisation doivent être respectés pour que les savoirs soient correctement transmis et acquis (Goulet, 1998 : 28, Guay, 2017).

Dans un contexte nouveau qu’est le tourisme mis en place sur le site Matakan, et malgré la présence de touristes, les acteurs du tourisme s’organisent donc pour continuer à transmettre et à acquérir certains savoir-être et certains savoir-faire selon des modes d’acquisition et de transmission qui leurs sont propres. En ce sens, les acteurs du tourisme mettent à profit leurs emplois pour exercer une certaine forme de résistance « culturelle ». Par ailleurs, selon mes observations et selon ce qui m’a été rapporté par plusieurs Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan, les acteurs du tourisme sont souvent des personnes qui ont un intérêt particulier pour la « préservation » des modes de vie et des savoirs locaux et ils jouissent de ce fait d’une certaine notoriété au sein de la communauté (voir aussi section 5.3). Certains des acteurs du tourisme étaient d’ailleurs présents dans le cadre du projet Matakan (voir ci-dessous) organisé à l’été 2019, afin de transmettre certains de leurs savoirs aux jeunes générations.

5.5 Le site Matakan et la transmission des savoirs aux jeunes générations

Les acteurs de Tourisme Manawan aspirent en effet à ce que le site Matakan soit également un lieu qui favorise la transmission des savoirs locaux aux jeunes générations. Pour ce faire, quelques projets soutenus par Tourisme Manawan ont vu le jour ces dernières années, comme c’est le cas par exemple du projet Matakan qui a eu lieu à l’été 2019 pour la troisième année consécutive. Le projet Matakan est issu d’un partenariat entre Tourisme Manawan, le Conseil des atikamekw de Manawan, l’école secondaire Otapi et l'UQAM.

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Lors de mon séjour, je n’ai pas eu la chance d’être présente lors du projet Matakan, qui a eu lieu en même temps que le camp d’été pour les jeunes du primaire auquel j’ai assisté (cf. section 4.5). Notons néanmoins que le projet Matakan est un camp de transmission culturel destiné aux jeunes du secondaire, qui vise la transmission et la valorisation de certains savoirs locaux transmis par des aînés et des experts de Manawan (Jérôme et al, à paraître). A l’été 2019, ce camp a eu lieu en deux temps, entre le 15 et le 19 juillet puis entre le 22 et le 26 juillet et avait pour thème « le leadership et la gouvernance ». Plusieurs personnes de la communauté sont intervenues dans le cadre de ce camp et une trentaine de jeunes, des garçons et des filles, ont pu participer à plusieurs ateliers et activités variés : pêche au filet ; pêche à la ligne ; activité de perlage ; activité sur les régalias39, activité de travail de l’écorce ; activité de création théâtrale à partir de récits et légendes ; course de canots ; création d’objet virtuel 3D en photos40 ; récits et légendes ; présentation sur le rôle de chef de territoire ; initiation au tannage de peau d’orignal ; activité de création de marionnettes ; légendes autour du feu ; atelier-conférence sur la langue , l’histoire et la culture atikamekw nehirowisiwok ; activité de récolte de sapin baumier et activité de fumage de poisson ; activité d’interprétation des cartes ; conférence sur la chartre jeunesse atikamekw ; atelier sur le leadership et la gouvernance.

En contexte néocolonial contemporain, le projet Matakan est un bon exemple des initiatives récentes que mettent en place les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan pour continuer à transmettre leurs savoirs aux jeunes générations. A travers le projet Matakan, les jeunes du secondaire ont l’opportunité de se rendre en Nitaskinan et d’acquérir plusieurs savoirs locaux détenus par certains spécialistes de la communauté. Le projet Matakan peut être comparé à un « projet de vie autochtone » (Blaser, 2004), qui vise à ce que les savoirs continuent d’être correctement acquis et transmis, tout en se transformant face aux conditions nouvelles d’existence. Le thème de l’été 2019, soit « le leadership et la gouvernance », est particulièrement représentatif de l’importance qu’accordent les Atikamekw Nehirowisiwok

39 Les régalias sont des tenues « traditionnelles » portées lors d’événements particuliers, comme les pow-wow par exemple. 40 Un court film présentant certaines des activités réalisées lors du projet Matakan 2019, et notamment certaines des activités numériques, est disponible en accès public et en ligne : (Vimeo – https://vimeo.com/349300806?fbclid=IwAR2iGi5z_rG4goWvTZov_KRs59dpzDiNfVLBBzTUns_xtFnJ8CR 5H5ZSkE).

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en ce qui concerne l’affirmation de leur souveraineté et de leur autonomie en Nitaskinan. À l’été 2019, les jeunes du secondaire ont justement pu être sensibilisés à ces questions en participant à plusieurs ateliers et conférences.

De plus, aujourd’hui les personnes impliquées dans le projet Matakan (des acteurs des milieux de l’enseignement et de la culture de Manawan, la direction des services éducatifs et de l’école secondaire de Manawan, des acteurs de tourisme Manawan, des aînés de la communauté, des chercheurs de l'UQAM et les élèves du secondaire) aspirent à valoriser les connaissances transmises durant ces camps estivaux en les utilisant comme support pédagogiques lors des cours dispensés à l’école secondaire. Les activités qui ont lieu lors de ces camps d’été ont été filmées, photographiées ou enregistrées à cette fin (Jérôme et al, à paraître). L’objectif final du projet Matakan est donc de favoriser la mise en place d’un programme scolaire, pour les jeunes du secondaire, qui soit en adéquation avec les attentes et les savoirs locaux (Jérôme et al, à paraître).

De façon générale, selon ce que j’ai pu observer lors de mes séjours sur le site Matakan à l’été 2019, il peut arriver que des jeunes de la communauté viennent passer une journée ou un après-midi sur le site Matakan en compagnie des acteurs du tourisme et des touristes présents sur place. Un après-midi du mois d’août, un groupe de quatre jeunes filles du secondaire et leur accompagnatrice, âgée d’une trentaine d’années, sont ainsi venues sur le site pour quelques heures. Deux de ces jeunes filles avaient d’ailleurs participé au projet Matakan 2019. Selon ce que m’a expliqué leur accompagnatrice, il s’agissait de passer avec ces jeunes une semaine dans le bois et de les sensibiliser à l’intimidation en milieu scolaire. Les quatre jeunes filles ont passé la majorité de leur temps dans la cuisine du site Matakan à échanger, en langue nehiromowin, avec certains des guides présents. Malgré la présence de quelques touristes, les jeunes filles ont aidé le guide-cuisiner à préparer le souper du soir et notamment la banik (pokwecikan). Selon ce que m’a expliqué le guide-cuisinier par la suite, les deux jeunes filles présentes ce jour-là et qui avaient participé au projet Matakan seraient éventuellement intéressées à devenir guides touristiques ou cuisinières sur le site. Le site Matakan est donc aussi un lieu où tous, jeunes et moins jeunes, peuvent s’arrêter le temps de quelques heures, pour profiter de ce lieu en territoire communautaire, échanger et participer à certaines activités avec les acteurs du tourisme.

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Dans ce dernier chapitre, j’ai mis en lumière certains des enjeux et des logiques sous-tendant le développement du tourisme à Manawan. Dès la fin du XIXe siècle au temps des clubs privés, des Atikamekw Nehirowisiwok ont mis à profit leur grande connaissance du Nitaskinan pour devenir guides de pêche et de chasse ou gardiens de clubs. À la fin des années 90, quelques initiatives de prise en charge du tourisme par et pour les Atikamekw Nehirowisiwok ont vu le jour. Mais c’est vraiment avec la création de Tourisme Manawan en 2009, que les acteurs du tourisme ont commencé à se concerter et à s’harmoniser pour mettre en place une offre touristique qui soit en accord avec les objectifs qu’ils souhaitent eux-mêmes mettre de l’avant et réaliser. Comme ça a été discuté, le développement du tourisme à Manawan est en effet comparable à « un projet de vie autochtone » (Blaser, 2004). Par le biais du tourisme, plusieurs personnes de la communauté aspirent ainsi à initier des projets qui soient en accord avec leurs valeurs et leurs savoirs propres. En revalorisant la place des familles dans le processus décisionnel lié au tourisme, les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan font preuve de résistance tout en s’adaptant à un contexte nouveau.

Par le biais du tourisme mis en place sur le site Matakan, les acteurs du tourisme ont la possibilité de se faire connaitre selon « leurs propres termes » et mettent un point d’honneur à faire entrevoir aux touristes d’autres savoir-faire et d’autre savoir-être. En contexte néocolonial, le site Matakan est aussi devenu un lieu de résurgence et de résistance qui doit favoriser la transmission des savoirs, propre à la vie en Nitaskinan, entre les acteurs du tourisme et aux jeunes générations. Finalement, par le biais de Tourisme Manawan, les Atikamekw Nehirowisiwok affirment leurs savoirs, leur identité et leur présence en Nitaskinan.

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Conclusion

Bien que les Atikamekw Nehirowisiwok n’aient jamais cédé leur souveraineté et leur territoire, ils n’ont eu de cesse de s’adapter à la présence et aux activités allochtones en Nitaskinan et ce depuis les premiers contacts avec les Emitcikociwicak au XVIe siècle (Gélinas, 2003 : 14). Comme discuté au deuxième chapitre, la sédentarisation forcée à partir du milieu du XIXe siècle, l’imposition des Conseils des bandes, les pensionnats et la réduction des territoires familiaux ont néanmoins eu des impacts profonds concernant la transmission des savoirs, l’organisation territoriale et sociopolitique des Atikamekw Nehirowisiwok. Malgré la période coloniale et les dépossessions successives, les Atikamekw Nehirowisiwok n’ont jamais renoncé à leur territoire, duquel ils continuent à tirer leur identité. Afin que leur soit reconnue une certaine forme de souveraineté et d’autonomie sur Nitaskinan, ils sont donc engagés depuis maintenant presque quarante ans dans un processus de revendications territoriales globales avec le gouvernement. Pour ce faire, ils sont contraints– à l’instar d’autres Nations autochtones – de négocier avec les instances étatiques en adoptant un langage, une façon de penser, et une façon de faire propre à la société majoritaire (Nadasdy, 2003 :9). À travers les négociations entreprises avec les Nations autochtones, la société majoritaire continue en effet à imposer aux Autres, un rapport de domination révélateur de son incapacité à prendre au sérieux d’autres systèmes de savoirs, d’autres principes épistémologiques et ontologiques. En dévaluant les systèmes de savoirs autochtones et en imposant à tous ses propres principes épistémologiques et ontologiques par le biais du processus de revendications territoriales, mais aussi à travers l’imposition d’un système scolaire propre aux Blancs par exemple, la société majoritaire fait preuve d’« impérialisme cognitif » (Battiste et Henderson, 2000 : 36-37).

Malgré les tentatives toujours persistantes de la société majoritaire de dévaluer leur monde, leurs façons d’être et leurs façons de faire, et la présence étrangère imposée en Nitaskinan (ZEC, pourvoiries, baux de villégiature, industries forestières, etc.), les Atikamekw Nehirowisiwok s’adaptent et continuent de transmettre et d’acquérir leurs savoirs propres. Dans le cadre de cette recherche, je me suis justement intéressée à certaines des initiatives portées par les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan et qui visent en une affirmation de leurs savoirs et de leur identité en Nitaskinan. En tant que jeune chercheuse arrivant pour un

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terrain court (2 mois) dans un monde qui sous-tend des principes ontologiques et épistémologiques différents des miens, il est évident que mes observations quant au système de savoirs atikamekw nehirowisiwok ne peuvent être qu’incomplètes et partielles. Dans cette recherche, j’ai toutefois tenté de présenter certaines des valeurs et des principes qui orientent les façons qu’ont les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan d’acquérir et de transmettre les savoirs. Par le biais de cette recherche, j’espère également avoir réussi à mettre en lumière certains des défis, des enjeux et des logiques associés à la transmission des savoirs atikamekw nehirowisiwok en contexte néocolonial contemporain.

Dans ce mémoire, nous avons vu que les savoirs atikamekw nehirowisiwok sont souvent directement issus de Nitaskinan et de lieux spécifiques. C’est donc en Nitaskinan, et plus spécifiquement dans le territoire familial de chacun (Notcimik), que les modes de transmission et d’acquisition des savoirs privilégiés localement ont le plus de chance d’être mis en pratique. Tel que discuté dans le quatrième et le cinquième chapitres, les Atikamekw Nehirowisiwok favorisent, en milieu forestier, un mode d’acquisition et de transmission des savoirs qui se fait par l’expérience personnelle et l’observation directe. Ces modes d’acquisition et de transmission des savoirs renforcent l’autonomie et la responsabilisation des individus, ce qui est indispensable à la vie en territoire ancestral. Des valeurs comme l’autonomie et la responsabilisation des individus sont d’autant plus valorisées que les savoirs territoriaux propres aux Atikamekw Nehirowisiwok doivent en permanence être « réactualisés ». En effet, comme écrit au chapitre 4, les savoirs territoriaux locaux sont mouvants et adaptables aux dynamiques changeantes de l’environnement et des écosystèmes desquels les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan font partie. En Nitaskinan, les individus sont aussi encouragés à apprendre en grande partie par eux-mêmes afin de s’insérer et de trouver leur place dans l’ordre social, en participant aux dynamiques familiales et communautaires.

Comme discuté aux quatrième et au cinquième chapitres, en ce qui concerne la transmission des savoir-être et des savoir-faire locaux, l’oralité (discours, toponymie, récits de chasse et de pêche, etc.) est également un mode prépondérant de transmission des savoirs. À l’instar des autres modes de transmission et d’acquisition des savoirs privilégiés localement, la tradition orale est adaptable et évolue en fonction des individus et des expériences de chacun.

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Comme vu par exemple au quatrième chapitre lorsqu’il a été question des toponymes, un même lieu peut avoir plusieurs noms en fonction de la personne à laquelle on s’adresse. De plus, les récits qui se rapportent aux toponymes sont mouvants et sont fonction de l’expérience de chacun et de l’histoire de la famille concernée.

Nous avons vu dans les deux derniers chapitres, et plus spécifiquement dans le cinquième chapitre avec l’exemple du partage de la viande, que les savoir-être locaux, incarnés dans des pratiques, sont en fait indissociables des relations réciproques que les Atikamekw Nehirowisiwok entretiennent avec l’ensemble des humains et des non-humains qui peuplent Nitaskinan. Ces relations réciproques qui sous-tendent des valeurs comme le respect de l’autonomie de chacun et le partage sont indissociable d’un monde relationnel où tous (humains et non-humains) possèdent une intentionnalité propre et au sein duquel tous interagissent avec chacun (Escobar, 2018). Ces réseaux relationnels fondés sur la réciprocité et le partage sont aussi incarnés dans les pratiques de gouvernance que les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan aspirent aujourd’hui à revaloriser. Dans ce mémoire, j’ai illustré ce dernier point au quatrième chapitre, avec l’exemple des ka nikaniwitc et au cinquième chapitre, avec l’exemple de l’implication des réseaux familiaux dans le processus décisionnel lié au tourisme.

En contexte néocolonial contemporain, les peuples autochtones du monde doivent faire face à de nombreux obstacles et défis pour assurer la transmission de leurs savoirs propres (Poirier, 2014). Les Atikamekw Nehirowisiwok sont plus que conscients de ces contraintes et - comme je l’ai exposé tout au long de ce mémoire - sont investis depuis des décennies dans la mise en place d’initiatives qui doivent favoriser le maintien et la transmission des savoirs locaux. En dépit des contraintes grandissantes et de la transformation de leur monde et de leur mode de vie, ils n’ont jamais cessé de fréquenter et d’occuper Nitaskinan et leurs territoires familiaux respectifs desquels ils tirent leurs savoirs, leur fierté et leur identité. Et comme vu au quatrième chapitre, ils continuent de favoriser un mode d’acquisition et de transmission des savoirs qui se fait par l’expérience personnelle et par l’observation directe. Néanmoins, depuis la sédentarisation forcée et la scolarisation obligatoire, les modalités de fréquentation de Nitaskinan ne sont pas les mêmes que pour les générations qui ont connu un mode de vie semi-nomade et qui fréquentaient leurs territoires familiaux la majorité de

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l’année. L’un des défis majeurs est donc de trouver de nouvelles voies favorisant la transmission intergénérationnelle des savoirs propres à la vie en Nitaskinan, en prenant en compte qu’il est aujourd’hui plus difficile pour la plupart des familles de fréquenter autant Nitaskinan que les générations ayant connu un mode de vie semi-nomade (scolarisation des jeunes, emplois, coût financier pour se déplacer en territoire, etc.).

Afin de continuer à affirmer et à valoriser leurs savoirs en Nitaskinan, les Atikamekw Nehirowisiwok initient depuis des années différents projets de vies autochtones, qui sont en accord avec les aspirations, les valeurs et les principes épistémologiques et ontologiques locaux (Blaser, 2004). Par le bais d’initiatives comme les semaines culturelles, la marche Moteskano, le projet Tapiskwan Sipi, les camps d’été pour les jeunes du primaire, le Projet Matakan ou le tourisme développé à Manawan, les Atikamekw Nehirowisiwok s’adaptent aux nouvelles conditions d’existence et trouvent de nouvelles avenues favorisant la fréquentation de Nitaskinan et donc la transmission des savoirs locaux. Par le biais des cartographies développées dans le cadre des négociations territoriales, les Atikamekw Nehirowisiwok aspirent à se servir d’un « nouveau » support pour favoriser la transmission des savoirs territoriaux aux jeunes générations. Comme exposé aux quatrième et au cinquième chapitres, ces quelques initiatives en plus de favoriser la transmission et donc le maintien des savoirs locaux ont aussi une visée politique forte. À travers ces initiatives, les Atikamekw Nehirowisiwok affirment en effet leur présence en territoire ancestral et leur souveraineté. De plus et comme j’en ai donné l’exemple au chapitre 5, lorsqu’il a été question de la revalorisation du rôle des réseaux familiaux dans le processus décisionnel lié au tourisme, à travers l’élaboration de certains projets de vie, les Atikamekw Nehirowisiwok affirment également leurs propres modèles de gouvernance.

Comme nous l’avons vu au deuxième chapitre les Atikamekw Nehirowisiwok sont engagés dans un processus de revendications territoriales globales avec les gouvernements fédéral et provincial depuis que le Conseil des Atikamekw et des Montagnais a déposé son énoncé de revendications auprès du gouvernement fédéral en 1979 (Conseil Attikamek-Montagnais, 1979 : 171-182). Ce texte de revendications se termine par onze principes fondamentaux mis de l’avant par les Atikamekw Nehirowisiwok et les Innus et qui doivent servir de base pour les négociations avec les gouvernements fédéral et provincial (Conseil Attikamek-

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Montagnais, 1979 : 181-182). Les deux derniers principes énoncés dans ce texte de revendications sont les suivants :

5.10 - Nous voulons orienter notre développement en fonction de nos valeurs et de nos traditions léguées par nos ancêtres et qui ont été développées pendant des millénaires en harmonie avec notre environnement nature1 et social.

5.11 - Nous voulons à l’avenir traiter d'égal à égal avec les gouvernements de la société dominante et non plus être considérés comme des peuples inférieurs (Conseil Attikamek-Montagnais, 1979 : 182).

Aujourd’hui les différents projets de vie initiés par les Atikamekw Nehirowisiwok sont en pleine continuités avec leur volonté exprimée, dès le début des négociations, dans ces deux principes.

Par le biais de ces différents projets de vie, les Atikamekw Nehirowisiwok exercent en fait une forme de résistance face aux rapports de domination que continue de leur imposer la société majoritaire. Cette résistance ne doit néanmoins par être comprise comme une fermeture à l’Autre, mais plutôt comme permettant la création et la transformation dans un contexte nouveau « […] resistance can be more than opposition, can be truly creative and transformative » (Ortner, 1995 :191). D’ailleurs comme l’écrit Choron-Baix : « la transmission est « une dynamique subtile, traversée de contradictions, entravée par les obstacles, les interférences, les brouillages et autres ratages, mais capable aussi d’engendrer de la création et de la récréation » (Choron-Baix, 2000 : 359). Cette dernière citation illustre bien d’après moi les mécanismes et les logiques à l’œuvre en ce qui concerne la transmission des savoirs locaux chez les Atikamekw Nehirowisiwok, autant dans l’enceinte de la communauté que sur les territoires familiaux ou sur le site Matakan. En effet, comme nous l’avons vu au cinquième chapitre, sur le site Matakan et malgré la présence de touristes, les acteurs du tourisme réussissent à mettre à profit leur emploi pour continuer à transmettre certains savoir-être et certains savoir-faire locaux propres à la vie en Nitaskinan. Le bagage de connaissances des acteurs du tourisme est par ailleurs aujourd’hui valorisé par les membres de la communauté et certains de ces acteurs sont aujourd’hui reconnus comme des « personnes qui savent », au même titre que les aînés ou que certains experts locaux. C’est aussi pour cette raison que plusieurs des acteurs du tourisme étaient présents dans le cadre du projet Matakan 2019, qui visait, entre autres, à transmettre certains savoirs locaux aux

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jeunes du secondaire. À travers le tourisme qui visait initialement à accueillir des touristes, les Atikamekw Nehirowisiwok de Manawan s’organisent et mettent en place plusieurs stratégies pour favoriser l’acquisition et la transmission des savoirs locaux. Les modalités d’acquisition et de transmission des savoirs locaux s’adaptent et se transforment en fonction de ce contexte nouveau ce qui permet finalement que les savoirs continuent d’être correctement acquis et transmis.

Ces quelques remarques et observations quant aux initiatives développées par les Atikamekw Nehirowisiwok et qui visent en une affirmation de leurs savoirs et de leur identité en Nitaskinan sont le fruit d’un terrain court (2 mois) et mériteraient d’être approfondies. Une expérience de terrain qui aurait lieu sur du plus long terme favoriserait, entre autres, une meilleure connaissance des dynamiques familiales à l’œuvre à Manawan. Je pense en effet qu’une meilleure intégration au sein des différents réseaux familiaux est indispensable afin d’avoir une « vue » plus globale des logiques et des enjeux qui sous-tendent la mise en place des projets de vie dont il a été question dans ce mémoire. Finalement, je pense qu’il pourrait être très intéressant d’élargir cette recherche à d’autres communautés autochtones également investis dans la mise en place d’initiatives semblables. Je clôturerai donc ce travail par une citation de Sherry B. Ortner « In short, one can only appreciate the ways in which resistance can be more than opposition, can be truly creative and transformative, if one appreciates the multiplicity of projects in which social beings are always engaged, and the multiplicity of ways in which those projects feed on, as well as collide with, one another » (Ortner, 2006 : 62).

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Annexe A : Cartes

Carte 1. Les familles linguistiques autochtones au Canada

Source: LECLERC, J., 2018, Zone d’origine des langues autochtones selon les frontières d’aujourd’hui [carte], (https://www.uottawa.ca/calc/sites/www.uottawa.ca.calc/files/autochtones-map-langues- fr_0.gif). Consulté sur internet le 25 juin 2020.

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Carte 2. Les communautés autochtones et inuites au Québec

Source: SECRÉTARIAT AUX AFFAIRES AUTOCHTONES, 2016, Premières Nations et Inuits du Québec [carte], (https://www.autochtones.gouv.qc.ca/nations/cartes/carte- 11x17.pdf). Consulté sur internet le 25 juin 2020.

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Carte 3. Nitaskinan et emplacement des trois communautés atikamekw nehirowisiwok et de l'ancienne communauté Kokokac

Source : WYATT, S., 2004, Central Québec, Nitaskinan and Wemotaci [carte] : 54 in S.Wyatt, Co-existence of Atikamekw and industrial forestry Paradigms. Occupation and management of forestlands in the St Maurice river basin, Québec. Thèse de doctorat, Faculté de foresterie et de géomatique, Université Laval.

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Carte 4. Communauté de Manawan et lac Metapeckeka

Source : MICHAUD, M. et collaborateurs, 1987, Réserve indienne de Manouane (Manawan) [carte] : 21, in M. Michaud et collaborateurs, La toponymie des Attikameks. Wetciparik e aicinikateki e aitaskamikak. Atikamekw askik. Dossiers toponymiques, Gouvernement du Québec.

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Carte 5. Orthophotographie - Communauté de Manawan et lac Metapeckeka

Source : RESSOURCES NATURELLES CANADA, 2015, Orthophotographie 2015 de la communauté Atikamekw de Manawan [carte], (https://ouvert.canada.ca/data/fr/dataset/0c10f7ae-47d6-4052-9ec0-fe0b3199149e). Consulté sur internet le 25 juin 2020.

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Carte 6. Tapiskwan Sipi

Source : SOCIÉTÉ D’HISTOIRE ATIKAMEKW., 2014, Tapiskwan sipi – Mahonan (rivière Saint-Maurice et voies navigables) [carte] : 86, in Société d’histoire atikamekw, «Tapiskwan sipi (la rivière Saint-Maurice) » Recherches amérindiennes au Québec, 44, 1: 85–93. Consulté sur internet (https://doi.org/10.7202/1027882ar), avril 2019.

171

Annexe B : Grilles d’entretien

Grille d’entretien pour les membres des familles

Profil de l’interlocuteur :

Âge ; sexe ; occupation

Territoire et savoirs :

A quelle fréquence venez-vous passer du temps en territoire, autour du lac Kempt ?

Lorsque vous venez ici, êtes-vous accompagné ? Si oui, par qui ?

Qu’est-ce que vous aimez le plus dans le fait de passer du temps ici ?

Aimerez-vous venir plus souvent ? Si oui, pourquoi ?

Quelles activités avez-vous l’habitude de réaliser lorsque vous venez ici ?

Quelles activités réalisez-vous avec d’autres personnes ?

Pensez-vous que passer du temps ici est important ? Si oui, pourquoi ?

Est-ce qu’il y a des personnes en particulier qui vous ont appris des choses quant à la vie ici ? Si oui, comment est-ce qu’elles vous ont transmis ces connaissances ?

Y-a-t-il des éléments en particulier que vous aimeriez transmettre autour de vous ? Si oui à qui et comment ?

Est-ce qu’il y a des lieux spécifiques autour du lac Kempt dont vous aimeriez me parler ?

Est-ce que vous connaissez des toponymes aux abords du lac Kempt ? Si oui, pouvez-vous m’en dire un peu plus quant à ces toponymes ?

Etes-vous déjà allé sur le site Matakan ? Si oui quelles activités avez-vous réalisées là-bas ?

Projet de Tourisme Manawan :

Est-ce que vous vous intéressez à participer au projet soutenu par Tourisme Manawan, et à accueillir des touristes pour leur parler du territoire autour du lac Kempt ? Si oui, pourquoi ?

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Comment aimeriez-vous vous impliquer dans ce projet ?

De quoi aimeriez-vous parler aux touristes ? Pour quelles raisons ?

Qu’est-ce que vous aimeriez leur montrer ? Où voudrez-vous les emmener et pourquoi ?

Lorsque vous amènerez des touristes en territoire, est-ce que vous aimeriez être accompagné par de la famille ou par des amis ?

Aimeriez-vous proposer des activités différentes, dépendamment de la période de l’année ?

Quelles retombées positives attendez-vous en vous investissant dans ce projet ?

Pensez-vous que vous investir dans ce projet pourrait vous permettre de passer plus de temps en territoire ?

Avez-vous des craintes/des appréhensions quant au fait d’accueillir des touristes ?

Grille d’entretien pour les acteurs de Tourisme Manawan

Profil de l’interlocuteur :

Âge ; sexe ; occupation

Projet de Tourisme Manawan :

Quel est votre rôle dans le projet en cours de Tourisme Manawan ?

Comment l’idée d’impliquer des familles dans l’accueil des touristes vous-est-elle venue ?

Quels sont vos objectifs quant à la mise en œuvre de ce projet ?

Quelles retombées sont escomptées ?

Pensez-vous que la concrétisation de ce projet pourrait permettre aux familles de passer plus de temps en territoire ? Si oui, pourquoi ?

Pensez-vous que ce projet participe de la valorisation des savoirs atikamekw nehirowisiwok sur le territoire ? Si oui, pourquoi ?

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Avez-vous des propositions ou des idées quant aux activités que les familles pourraient proposer aux touristes ?

Territoire et savoirs :

Vous-même vous rendez-vous souvent en territoire ? Quelle importance cela a-t-il pour vous ?

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