Le Combat D'un Dessinateur De Presse. Entretien Avec Plantu
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Document generated on 09/26/2021 4:14 p.m. Spirale arts • lettres • sciences humaines Le combat d’un dessinateur de presse. Entretien avec Plantu François Brousseau La traduction omniprésente mais transparente. De la traduction en sciences humaines et sociales Number 258, Fall 2016 URI: https://id.erudit.org/iderudit/84880ac See table of contents Publisher(s) Spirale magazine culturel inc. ISSN 0225-9044 (print) 1923-3213 (digital) Explore this journal Cite this article Brousseau, F. (2016). Le combat d’un dessinateur de presse. Entretien avec Plantu. Spirale, (258), 62–64. Tous droits réservés © Spirale magazine culturel inc., 2016 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ ENTRETIEN Le combat d’un dessinateur de presse Entretien avec Plantu Par François Brousseau * Plantu, de son vrai nom Jean Mais lorsque Plantu déclare qu’il font de la danse, de la chanson, Plantureux, est un caricaturiste très peut comprendre le « ressenti » de écrivent une chronique. Lui, il la célèbre. Situés dans la lignée de la ceux qui sont blessés par certains transforme en images, en dessins tradition satirique française, ses dessins ou concevoir qu’un des- de presse. Le dessinateur de presse des sins se comptent par dizaines sinateur évite délibérément certains est à la fois un artiste et un de milliers. Né à Paris en 1951, 72 ans thèmes, il se voit épinglé par des journaliste qui essaie de s’exprimer après la mort de Daumier, Plantu collègues qui l’accusent d’autocen- comme il l’entend, mais qui s’as- a fait paraître son premier dessin sure. Dans le numéro dit « des sume totalement comme subjectif, dans le quotidien Le Monde en 1972. survivants » de Charlie Hebdo, pu- exagéré. Il diffère en cela du Depuis 1985, il publie quotidien- blié le 14 janvier 2015, un dessin le reporter. Sa subjectivité, son style, nement à la une de ce journal de représente louchant, l’air idiot, avec sont à la base de sa connivence ces éditoriaux qu’on lit et com- le slogan « Je suis Charlie, mais… ». avec le lecteur. prend en trois secondes. Depuis 1990, on le retrouve aussi à toutes La réponse à ce coup de griffe, il Là où il y a une différence depuis les semaines dans L’Express. nous la donne dans une entrevue 20 ans, c’est dans l’irruption d’in- ménagée à Montréal, un après-midi ternet. Internet a changé la donne Artiste, il est aussi militant, organi- neigeux de janvier 2016 : « Je dis pour le dessinateur comme pour sateur, conférencier : globe-trotter juste une chose : c’est qu’il existe, tout le monde. Tout ce que le généreux de son temps, qui fait la en France, un droit au blasphème. dessinateur fait peut être partagé promotion de son métier, des droits Ça, je ne reviens pas là-dessus. immédiatement aux quatre coins et de la sécurité de ses confrères et Mais ce que je demande, c’est qu’on du globe. Alors qu’auparavant il consœurs aux quatre coins de la ne m’impose pas un devoir de s’adressait à une communauté lo- planète. Aiguillonné par l’affaire des blasphème. » cale ou nationale, avec ses codes, caricatures sur le thème « tabou » aujourd’hui il peut voyager partout de la représentation de Mahomet Spirale : Qu’est-ce qu’un caricatu- en temps réel. Ce qu’il fait est du Jyllands-Posten de Copenhague riste aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a transporté sur la Toile et peut être en 2005-2006, il crée en 2008, avec changé depuis 20 ans dans son rôle mal compris, mal interprété et l’ex-secrétaire général de l’ONU Kofi et sa place dans la société ? manipulé par des gens qui sont Annan, l’organisation Cartooning à 600 mètres, 5 kilomètres ou for Peace (« Dessins pour la paix »), Plantu : Sur la création des dessins, 10 000 kilomètres. Et cet outil qui dont l’intitulé est déjà tout un je pense que rien n’a changé parce s’appelle internet, peut-il devenir le programme. que le dessinateur est comme tout maître ? Une fois qu’on a compris citoyen : il a une opinion, une réac- – ou pas compris – que, pour Il défend bec et ongles la liberté tion, une boule dans le ventre, il beaucoup, l’internet est devenu le d’expression, remise en cause dans entend quelque chose à la radio, à maître, on peut passer à côté de les controverses à répétition autour la télévision, il lit le journal, il est l’essentiel. de Charlie Hebdo, qui ont abouti au d’accord, il n’est pas d’accord... Il massacre du 7 janvier 2015. transforme cette pulsion. Certains 62 AUTOMNE * 2016 ENTRETIEN Spirale : L’affaire des caricatures de proposition éditoriale. Bien sûr, ne se sont jamais levés un matin danoises, en 2006, a montré cette pas dans le sens de dire aux autres en se disant : « Bon, aujourd’hui, on mondialisation de la diffusion... dessinateurs ce qu’ils ont à faire, à va humilier ! » dessiner ou ne pas dessiner. Je Plantu : Oui. C’était en fait en respecte ce dessinateur danois Mais on peut poser des questions, septembre 2005, mais l’explosion (NDLR : Kurt Westegaard, qui a échanger, essayer de se compren dre. est venue en février 2006 avec les dessiné Mahomet avec une bombe C’est ça, la force de Cartooning for manifestations dans plusieurs pays. sur la tête dans le Jyllands-Posten Peace, qui n’a pas une position Ces dessinateurs ne savaient pas – de Copenhague) ; je respecte les édi toriale. On est ouverts à tout le pas plus que moi d’ailleurs – que, dessinateurs de Charlie Hebdo, ils monde. On a plein de dessinateurs, pour beaucoup de musulmans, font ce qu’ils ont à faire... Mais des Palestiniens, des Israéliens, on l’image du prophète est considérée plutôt dans le sens de se parler, a même, dans l’association, des comme un blasphème. Quand d’échanger pour se comprendre, Israéliens qui sont pour l’oc cupa- j’étais allé en Iran, quelque temps pour désamorcer les tensions et tion des Territoires. Moi, je suis plus tôt, les Iraniens m’avaient défendre la liberté d’expression. contre cette occupation. Mais ils dit : « L’image du prophète, pas de font partie de Cartooning for Peace problème ! » Les Iraniens chiites Spirale : Vous êtes une star inter- parce que c’est un vrai lieu de débat. n’ont pas ce tabou. Et j’ai découvert nationale de la caricature. C’est que ce dessin qui représentait vous qu’on voit comme pivot dans Il faut se parler, se dire que l’autre le prophète, tout à coup, des le film documentaire Caricaturistes, pense différemment, mais que je musulmans du monde entier le fantassins de la démocratie vais peut-être m’enrichir en écou- vivaient comme un drame. (Stéphanie Valloatto, 2014). Vous tant ses convictions, voilà ! On a servez-vous de votre notoriété inventé une université du dialogue. Je connaissais Kofi Annan, qui pour faciliter cette discussion ? achevait à l’époque son mandat Spirale : « Cartooning for Peace », de secrétaire général de l’ONU. Plantu : Oui. J’ai, bien entendu, ça veut dire : nous dessinons pour Il m’a appelé et m’a dit : « Ça fait profité de l’image du journal Le la paix, la compréhension, la récon- longtemps que nous parlons de Monde, où je travaille depuis 43 ans. ciliation... Mais la récon ciliation et faire une rencontre mondiale avec Ça m’a ouvert beaucoup de portes. le journalisme de combat, ou la des dessinateurs de presse à l’ONU. Le résultat, c’est que je connais satire, ce n’est pas la même chose ! Là, maintenant, il y a urgence, il y énormément de dessinateurs sur a le feu à la maison ! » Donc on a toute la planète, et j’avais bien Plantu : L’un n’empêche pas l’autre. organisé ça à New York. J’ai réuni compris, quand j’étais en Égypte, Être journaliste, c’est un combat ; des dessinateurs chrétiens, juifs, qu’eux ont vécu comme un drame être éditorialiste, c’est un combat. Il musulmans, agnostiques, athées. les caricatures danoises. Je leur y a un moment où il faut sortir du On a essayé de faire une conversation, ai demandé de m’expliquer, je ne bois. On dit : « Voilà, je pense que un débat entre les dessinateurs, comprenais pas que mes copains l’accord avec les Iraniens, l’Europe devant tout le monde, pour essayer égyptiens fassent des numéros et les Américains, c’est une bonne de savoir ce qu’il en était de la spéciaux pour vilipender les cari- ou une mauvaise chose. » Il y a un liberté de pensée... Que devient-elle caturistes danois. C’est là que j’ai moment où il faut que l’éditorialiste avec cet outil nouveau, internet, qui commencé à comprendre que se mouille. Le dessinateur, c’est est génial mais peut se retourner même des dessinateurs musulmans son boulot de tous les jours. La contre nos libertés ? modérés vivaient cet événement différence, c’est que l’éditorialiste, avec un ressenti d’humiliation. Et on prend 20 minutes pour lire son Spirale : Est-ce que cette commu- là, je me suis rappelé que, dans papier, enrichi de toutes sortes nauté internationale de des sina teurs les années 1980, il y avait d’autres de connaissances qu’il essaie de de presse, d’éditorialistes du dessin, croyants, des juifs, qui avaient partager avec le lecteur.