La Consécration Et La Canonisation Littéraires Au Canada Français (1945-2017) Étude De La Réception Critique De Bonheur D’Occasion Et De Pélagie-La-Charrette
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
La consécration et la canonisation littéraires au Canada français (1945-2017) Étude de la réception critique de Bonheur d’occasion et de Pélagie-la-Charrette Mélanie Lescort Thèse soumise dans le cadre des exigences du programme de Doctorat en lettres françaises Département de français Faculté des arts Université d’Ottawa © Mélanie Lescort, Ottawa, Canada, 2019 RÉSUMÉ Cette thèse étudie le processus de consécration et de canonisation de deux œuvres phares, soit Bonheur d’occasion (1945) de Gabrielle Roy et Pélagie-la-Charrette (1979) d’Antonine Maillet, qui ont remporté d’importants prix littéraires dont le prix Femina (1947) et le prix Goncourt (1979) afin de cerner la place qu’occupent les littératures périphériques dans la République mondiale des lettres. Je procède donc à une analyse de la réception critique des deux romans en lien avec trois moments clefs de l’histoire littéraire canadienne-française et franco-canadienne, soit 1) l’époque du développement d’institutions littéraires canadiennes- françaises, de la professionnalisation du métier de critique et de la québécisation des institutions littéraires (1939-1969) 2) celle de la consolidation du mouvement indépendantiste au Québec et du développement d’institutions littéraires francophones régionales à l’extérieur de celui-ci (1970 à 1989) et 3) celle de la mondialisation, de l’ouverture, du décentrement et du pluralisme institutionnel (1990 à 2017). Ma thèse s’inscrit donc dans le cadre des plus récents travaux portant sur la légitimation littéraire et sur le fonctionnement du champ littéraire. Pour mener à bien mon projet, je dresse un portrait du milieu littéraire francophone du Canada à ces époques et j’analyse la réception critique des œuvres en lien avec ces moments. Je m’intéresse donc à la réception immédiate (lors de leur parution), à celle qui suit la réception des prestigieux prix français, puis à long terme. En abordant mon corpus de textes critiques en fonction de l’histoire du développement des institutions littéraires et du parcours des œuvres, je suis en mesure de cerner l’horizon d’attente des lecteurs aux diverses époques et de voir sa transformation et son évolution. Cette démarche me permet, en conclusion, d’identifier les particularités du processus de consécration et de légitimation des œuvres à l’étude. ii REMERCIEMENTS Je tiens à remercier ma directrice de thèse, Madame Lucie Hotte, de m’avoir guidée tout au long de ce parcours universitaire et de projet de vie qu’est la thèse. Cette femme, d’une grande générosité, a partagé avec moi une expertise et un savoir-faire incommensurables. C’est un privilège pour moi d’avoir pu collaborer auprès d’une chercheure dont la rigueur est infaillible et la culture, vaste. Je suis infiniment reconnaissante pour tout son appui. Je remercie également ma mère, Angèle, et mon conjoint Justin, pour leur dévouement envers moi, leur amour et leur soutien inconditionnel. Les mots ne suffisent pas pour leur exprimer ma gratitude. Leur écoute, leur encouragement et leurs précieux conseils n’ont jamais manqué. Je les remercie d’avoir vécu cette aventure à mes côtés et d’avoir grandi avec moi. Pour terminer, j’aimerais remercier l’Université d’Ottawa et le Département de français pour leur appui financier, grâce à la Bourse d’admission et à la Bourse Françoise-et-Yvan- Lepage (2015-2016). iii INTRODUCTION Dans les années 1980 et 1990, les chercheurs ont voulu mieux comprendre le fonctionnement de l’institution littéraire, dont les processus relatifs à la réception et à la légitimation des œuvres. Ils ont développé de nouvelles méthodes pour analyser la réception critique des œuvres littéraires et de nouvelles théories permettant d’avoir une meilleure compréhension des processus de consécration et de canonisation. L’une des chercheuses ayant participé au renouvellement des théories sur l’institution littéraire est Pascale Casanova qui, dans La République mondiale des Lettres, s’inspire de l’allégorie du motif dans le tapis, tirée d’une nouvelle de l’écrivain américain Henry James, afin d’expliquer en quoi la valeur d’une œuvre ne peut être déterminée qu’en relation avec la production littéraire mondiale. Pour Casanova, [l]e préjugé de l’insularité constitutive du texte empêche de considérer l’ensemble de la configuration […] c’est-à-dire la totalité des textes, des œuvres, des débats littéraires et esthétiques avec lesquels il entre en résonance et en relation et qui fondent sa véritable singularité, son originalité réelle1. L’allégorie lui permet donc d’émettre l’hypothèse de l’existence d’une République mondiale des lettres, qui repose sur des rapports de force entre les littératures nationales. Casanova contribue ainsi au débat sur la littérature mondiale et la question des canons littéraires en expliquant en quoi l’importance des œuvres ne peut être expliquée qu’en lien avec tout l’espace littéraire, soit l’ensemble de la production littéraire sur le plan mondial. Son objectif principal est donc de « repenser toute la question de la perspective critique et les fondements esthétiques sur lesquels elle repose2 ». Elle souhaite, plus précisément, comprendre comment 1 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, Paris, Éditions du Seuil, 1999, p. 13. 2 Ibid., p. 12. 1 les œuvres deviennent connues, sont légitimées et consacrées; bref, comment s’érige leur valeur littéraire. Selon Casanova, pour s’inscrire dans l’institution mondiale des lettres, l’œuvre doit d’abord passer par les instances de consécration locales, puis nationales. Toutefois, afin d’être admise dans le canon, elle doit recevoir une consécration mondiale. Cette reconnaissance ultime est, selon Casanova, le plus souvent obtenue grâce aux instances de consécration parisiennes. Ainsi, puisque les œuvres sont jugées et comparées selon les critères de la métropole, elles devraient, pour se démarquer, pouvoir être lues et évaluées selon les mêmes critères d’excellence que les œuvres françaises. Casanova reconnait l’étendue du pouvoir dévolu à Paris en tant que capitale de la République des lettres. Elle souligne cependant que le contrôle qu’elle détient devient de plus en plus disputé alors que de nouveaux centres émergent. Les littératures émergentes se positionnent en fonction de ce qu’elle nomme le « principe de différenciation », soit le fait que la place d’une littérature est déterminée en relation avec celle des autres. En effet, comme les littératures participent à la construction identitaire des nations dont elles émergent, elles se forment en fonction des rivalités que ces nations entretiennent entre elles. Les auteurs locaux sont donc tiraillés entre la nécessité de faire valoir leur spécificité identitaire à travers leurs écrits et leur aspiration à s’inscrire, c’est-à-dire à se concurrencer, au sein du monde littéraire universel. Casanova évoque également la notion d’ancienneté pour expliquer pourquoi tant d’importance est accordée aux instances critiques parisiennes et pourquoi Paris détient, symboliquement, un plus grand pouvoir de consécration3. En raison de son autorité, ce sont ces textes reconnus universellement qui balisent les critères de la légitimité littéraire. Il est à 3 Ibid., p. 28. 2 supposer que les auteurs des milieux exigus accorderaient de l’importance à être reconnu par un centre qui, vu l’absence d’ancienneté de la scène littéraire locale, accroîtrait leurs chances d’être consacrés. En effet, les littératures de l’exiguïté sont parfois moins présentes au sein de la République des lettres à cause justement de la petitesse de leur milieu. Cette république est menée par une société de lettrés qui établit les normes4 et qui détient le pouvoir de décider de ce qui est littéraire et celui de consacrer les œuvres. Dépourvues de ces moyens, les communautés ayant un plus faible capital littéraire sont donc marquées par la dispersion et la précarité du public (petit nombre de lecteurs réels) et circonscrites par le nombre limité de moyens de diffusion (maisons d’édition, librairies, bibliothèques, revues, journaux) à leur disposition5. La définition que propose Jacques Dubois des littératures dites « minoritaires » permet de constater que l’accès aux institutions littéraires n’est pas universel. En effet, selon lui, ces littératures peuvent être définies comme « celles que l’institution exclut du champ de la légitimité ». Dubois concède toutefois qu’elles sont « prévues » par le système et que leur exclusion n’est donc que partielle. Selon lui, même si ces littératures apparaissent dans des manuels ou des histoires littéraires, elles n’y figurent que de façon marginale. On peut donc déduire que les littératures acadiennes et francophones de l’Ouest canadien, dont il sera question dans cette thèse, seraient en fait doublement marginalisées. Elles seraient exclues puisqu’elles se trouvent « géographiquement et culturellement coupées des lieux dominants 6 » : elles ont des producteurs différents et elles sont loin des instances de 4 Ibid., p. 38. 5 Ibid., p. 31. 6 Jacques Dubois, L’institution de la littérature, Bruxelles-Paris, Labor-Nathan, coll. « Dossier-média », 1986, p. 129-137. 3 consécration, dont les institutions du Québec et de Paris. Elles seraient aussi « parallèles » en raison de l’absence de réseau de diffusion propre à leur milieu. Problématique Dans ce contexte, que peut-on dire du processus de consécration des « petites littératures », notamment des littératures franco-canadiennes7? Dans ma thèse, je souhaite réfléchir à la place qu’occupent les littératures de l’exiguïté dans la République mondiale des lettres pour ainsi découvrir comment des textes de l’Acadie et de l’Ouest canadien peuvent accéder au canon littéraire. Au Canada français, le Québec a longtemps assumé les fonctions que Casanova assigne à Paris. Pour certains, il les assure toujours. À partir des années 1970, les littératures franco-canadiennes ont cependant développé leur propre réseau institutionnel, et ce tant en ce qui concerne la production, l’édition, la diffusion que la réception. J’espère donc découvrir si l’institutionnalisation littéraire franco-canadienne permet la mise en place de processus de consécration et de canonisation distincts, spécifiques à ces corpus.