Cette rubrique est dirigée par

A. SOUBEIRAN Ingénieur du G . R . E . F. Section Technique Centrale des Espaces Verts Sous-Direction de l'Espace Naturel Direction des Forêts

1ter, avenue de Lowendal PARIS - (7 e )

PARC NATUREL RÉGIONAL DU SENTIER BOTANIQUE JEAN-JACQUES ROUSSEAU DE CONDRIEU (Rhône) A LA JASSERIE DU PILAT ()

AqUEMMIMMENUM S. LEBRETON, F . BELLON, M . BRUN, L . GÂCHE Class . Oxford 907.11 (44 x G 1 - 49 F)

En réalisant la création du Sentier Botanique J.-J. Rousseau l'Association des Amis du Parc Nature! Régional du Pilat continue la ligne de conduite qu'elle s'est tracée depuis le début de son action. Ce sentier créé grâce à un travail en équipe, constitue un des premiers aménagements mis en place sur l'étendue du massif. Il représente en outre un véritable symbole : associant des données historiques à celles fournies par la géographie, rapprochant recherches botaniques et intérêts touristiques, il forme un trait d'union entre Condrieu et la vallée du Rhône d'une part, les hautes terres du donjon montagneux d'autre part. Joignant pour les marcheurs les département s voisins du Rhône et de la Loire, il contribue ainsi à donner au Parc Naturel Régional du Pilat le caractère régional qu'il doit avoir. Docteur B . MULLER.

L'HISTORIQUE DU SENTIER

En août 1769, Jean-Jacques Rousseau venait herboriser au Pilat suivant de peu Claret de la Tourrette et l'abbé Rozier, botanistes lyonnais qui installaient à l'époque le Jardin Botanique de l'Ecole Vétérinaire de Lyon, rassemblant les éléments d'une flore lyonnaise et constituant un herbier « riche de plus de sept mille plantes, dont quatre mille, ou spontanées dans le Lyonnais ou élevées dans les jardins herbier qui est conservé dans les collections de la ville de Lyon, et où figurent encore quelques fougères cueillies par Rousseau lors de son excursion au Pilat. La botanique est devenue pour lui, en effet, une passion . Il la pratique jusqu'au jour de sa mort . Il écrivait en 1765 'à un ami de Genève : « Je raffole de la botanique, cela ne fait qu'em- pirer tous les jours . Je n'ai plus que du foin dans la tète, je vais devenir plante moi-même et je prends déjà racine ... » Sous ces termes pittoresques se cache pourtant un botaniste averti . Il a une bibliothèque de tout ce qui parait en et à l'étranger sur la botanique ; il herborise en France, en Suisse, en Angleterre et est en rapport avec tous les naturalistes de l'époque ; il constitue des herbiers de plusieurs milliers de plantes et le recueil de ses lettres sur ce sujet à ses amis et relations forme un livre de plusieurs centaines de pages, qui, avec les Rêveries du Promeneur Solitaire se détachent de son oeuvre de philosophe, montrant un apaisement de son caractère instable et inquiet : il se résigne « à ne trouver que dans la nature, le bonheur auquel il a aspiré toute sa vie . »

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R . F. F . XXI - 5-1969 Son voyage au Pilat l'a cependant déçu et il le dit sans ménagement : J'y allai dans une mauvaise saison, par un très mauvais temps, comme vous savez avec de très mauvais yeux et avec des compagnons de voyage encore plus ignorants que moi — je partis à pied avec trois messieurs dont un médecin qui faisaient semblant d'aimer la botanique et qui, désirant me cajoler, je ne sais pourquoi, s'imaginèrent qu'il n'y avait rien de mieux pour cela que de me faire bien des façons — ils m'ont trouvé bien maussade — nous avons trouvé sur la mon- tagne un très mauvais gîte : pour lit, du foin ressuant et tout mouillé, hors un seul matelas rembourré de puces, et dont, comme étant le Sancho de la troupe, j'ai été pompeusement gra- tifié — un de nos messieurs a été mordu d'un chien — Sultan a été demi-massacré d'un autre chien ; il a disparu, je l'ai cru mort de ses blessures ou mangé du loup ... et ce qui me confond c'est qu'à mon retour ici, je l'ai trouvé tranquille et parfaitement guéri — la pluie et d'autres accidents nous ayant sans cesse contrariés m'ont fait faire un voyage aussi peu utile qu'agréable — le pire est que nous n'avons rien trouvé ... j'avoue aussi que nous errions sans guide et sans chercher à savoir où trouver les places riches », mais il ajoute à l'adresse de Claret de la Tourrette « je ne suis pas étonné qu'avec tous les avantages qui me man- quaient vous ayez trouvé dans cette triste et vilaine montagne, des richesses que je n'y ai pas vues ... ». C'est donc le dimanche 13 août 1769, que Rousseau quitte sa résidence de Monquin, près de Bourgoin (Isère), dès avant le lever du soleil, pour aller ce même soir souper et coucher à Vienne, passer le lendemain le Rhône à Condrieu et gravir la montagne en direction des sommets, par et Pelussin. Ses compagnons sont les fils Boy de La Tour (dont l'un est mordu par un chien), le marquis de Beffroy, le baron d'Esquancourt, gouverneur militaire de Bourgoin, Messieurs Donin de Ro- sières, de Champagneux et le docteur Meynier . Monsieur Borin se joint à eux en cours de route, venant de Serezin. Certains prétendent que Rousseau coucha à Virieu au-dessus de Pelussin, dans la maison Lentillon, mais rien n'est moins sûr . Nos voyageurs arrivèrent certainement à l'actuelle Jasserie, appelée à l'époque la Grange de Pilat qui était propriété de la puissante Char- treuse de Sainte-Croix ; elle servait de refuge aux bergers qui gardaient leurs troupeaux et y engrangeaient le foin pour la mauvaise saison . Ils buvaient, chantaient, dansaient une par- tie de la nuit et menaient souvent la vie dure aux voyageurs qui échouaient chez eux. Une anecdote pittoresque, transmise oralement sans doute car Rousseau n'en fait pas état, complète ces récits : les notables de Doizieu apprenant l'arrivée du grand homme dans la région, se portèrent à sa rencontre . Ils le trouvèrent sombre et tourmenté — « assis et médi- tant devant la grande cheminée » nous dit Eugène Masson dans « la Jasserie et le Mont- Pilat » (1955) — « sous un arbre dans la montagne » affirme Mulsant dans ses « Souvenirs sur le Mont-Pilat » (1870). Le notaire de Doizieu, Maître Perrier acquis à la philosophie de Rousseau avait préparé un long discours pour lui montrer qu'il avait là, de fidèles doctrinaires . Rousseau dit simple- ment à ces messieurs, lorsqu'ils eurent fini : « Avez-vous vu mon chien ? » ce qui les laissa fort déçus. Rentré à Bourgoin ses malheurs ne furent pas finis pour autant . Un coup de vent emporte les papiers de l'herbier qu'il veut faire : « des plantes de Pilat » les rats et les fourmis man- gent sur sa table les graines qu'il y a mises à sécher ... Malgré ces adversités J .-J. Rousseau dit avoir trouvé des plantes intéressantes : il en dresse la liste : l'Arnica, la Digitale, l'Aconit napel, la Myrtille, la Doronique, la Renouée bistorte, le Prénanthes dont il aurait pu recueillir aisément un litron de semences . II est au comble de la joie lorsqu'il découvre ce qu'il croit être le Sonchus alpinus. Rousseau, on le voit, n'est pas un botaniste de « compilation » il n'a pas craint d'aller sur le terrain. Cette herborisation au Pilat est la dernière qu'il fit en altitude, et l'on peut ima- giner ce que représentait, il y a deux cents ans, une excursion en montagne. Une plaque marqua pendant plusieurs années son passage à la Jasserie ; cette plaque disparut au cours d'aménagements nouveaux de la ferme. L'anniversaire du bi-centenaire de la visite de Jean-Jacques Rousseau méritait mieux que le simple remplacement de cet écriteau . Une ouverture plus large a conduit à tirer un ensei- gnement de cette célébre herborisation : celui de vous proposer un pèlerinage, de vous offrir ce contact avec la nature que louait tant le grand philosophe, et qui nous devient de plus en plus mesuré, en créant le Sentier Botanique Jean-Jacques Rousseau, menant de Condrieu, point de départ qu'il cite, jusqu'à la Jasserie, où il coucha. A le parcourir, effaçons les soucis et les tracas de la vie moderne, partons à la découverte de la nature, dont la pérennité ainsi prouvée, n'est-elle pas la plus belle leçon de philosophie que nous puissions recevoir de Rousseau ?

378 Nature, loisirs et forêt

APERÇU GÉOGRAPHIQUE DU SENTIER Le Sentier Botanique de Jean-Jacques Rousseau, au nom évocateur d'un illustre et curieux voyage, conduit, suivant une orientation NNE - SSO de Condrieu sur le Rhône à la Jasserie du Pilat, au bas du Crêt de la Perdrix. Il nous a élève » de l'altitude 150 à la cote 1434, au milieu de paysages marqués profon- dément par la présence des hommes, paysages variés, dont l'agencement harmonieux déter- miné par la croissance de l'altitude, suggère l'étonnante diversité du Parc Naturel Régional du Pilat. Sur le parcours de cette « coupe géographique vivante nous reconnaîtrons trois sections pour lesquelles les lignes suivantes nous aiderons à mieux comprendre les espaces décou- verts. ire section - de Condrieu au col de Pavezin Dès le départ de Condrieu, port autrefois actif sur le Rhône, une forte pente nous accroche ... on passe rapidement à flanc de coteau, de 150 à 300 mètres d'altitude . L'abrupt du profil retient mal le sol ; aussi bien, au temps de l'économie ancienne, les hommes y construisirent des terrasses et des banquettes et plantèrent les mûriers et la vigne. Les premiers ont disparu en même temps que la sériciculture ; la vigne y tient encore, four- nissant le « vin du Rivage et un crû fameux, dont les plants furent apportés vers l'an 281 par l'empereur Probus et bien connu sous le nom de « Viognier u . « Le Viognier u est un cépage de raisin blanc qui produit un vin particulièrement fin et bou- queté jouissant d'une appellation d'origine contrôlée sur certaines parties du territoire des communes de Condrieu, Verin, Saint-Michel. Pascal a souligné dans ses Pensées, l'originalité et la subtilité de goût du Coindrieu (ancienne orthographe très parlante : coin du ruisseau). A l'heure actuelle, on peut déplorer que la production du vignoble soit peu étendue car les procédés culturaux sont ancestraux et imposés par le relief très escarpé des coteaux . La culture manuelle est seule possible dans de pareilles conditions et les usines que nous apercevons dans la vallée attirent de plus en plus la main-d'oeuvre rurale. Chemin faisant, nous arrivons bientôt au Plomb, où passe l'actuelle limite nord-est du Parc Naturel Régional. De là, jusqu'à la Chapelle-Villars, en direction Est, Nord-Ouest, nous traversons la partie sep- tentrionale « du chemin de ronde u ou « du glacis oriental » qui, entre la montagne domi- nante dressée au couchant du Mont Monnet au sud de Chirol et la vallée du Rhône, laissée à l'Est, sert de gradin intermédiaire . Ce plateau qui se relève lentement d'Est en Ouest, de 320 à 430 mètres d'altitude, appartient au « Piedmont Rhodanien » dont l'interprétation géo- morphologique a été souvent remise en question ... s'agit-il d'un morceau surbaissé par cassure du vieux massif, d'une surface d'abrasion marine, ou encore d'un glacis rocheux façonné sous un climat tropical ? Que de questions 1 Dépassé le charmant petit village de la Chapelle-Villars, on atteint les premières pentes du col de Grenouze . Le paysage change, la châtaigneraie drape les versants des Monts Monnet et Ministre, où des arbres puissants offrent leur ombre tutélaire . Le champ perd en étendue et le verger disparaît, nous sommes « à l'étage collinéen u . Du col de Grenouze, gravissons, sans trop de peine, le Mont Monnet (altitude 789 mètres) car du haut de « cette barbacane u à l'avant nord-est du donjon montagnard on embrasse un large panorama, qui, au-delà du Rhône et du Bas Dauphiné met les Alpes par beau temps, à portée de la main. Revenu au col de Grenouze, suivons à nouveau les balises blanches et vertes qui nous mè- neront au col de Pavezin, par les molles croupes du versant nord-ouest du Mont Ministre. Le châtaignier disparaît, les pins sylvestres se multiplient : l'influence biogéographique de l'altitude s'affirme et nous quittons l'étage de végétation collinéenne pour pénétrer dans l'éta- ge montagnard . La lande qui n'est pas ici originelle, gagne en extension. La callune, les genévriers et les genêts servent « de parcours à pâturer pour les moutons. Mais comme le Massif du Pilat a été jusqu'à contenir 80 à 100 habitants au km 2 , au temps du plein démographique des années 1840 - 1880, le champ cultivé — la terre dans le langage paysan — n'est pas absent autour de multiples petits hameaux qui donnent à l'habitat rural sa tonalité régionale.

2e section - du col de Pavezin au village de Doizieu Au col de Pavezin, vous vous sentirez davantage « en montagne u et vous serez peut-être surpris de la présence insolite d'une gare désaffectée ... le temps n'est pas si lointain — 1925 —

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R . F . F. XXI - 5-1969 Parcours : Condrieu- Col de Pavezin (1 re partie)

1Km

0 Les Apprêts

Sentier sous une voûte de noisetiers . Au premier plan, à droite, alisier blanc STUDIO GUY - SAINT-ETIENNE

Nature, loisirs et forét

où l'automobile, ici comme ailleurs devint inexorablement fatale à l'existence « du tortillard „ et de tout le pittoresque qui s'y rattache. D'ici, une petite route, nous conduit à la Grange Rouet . Pendant trois kilomètres — l'altitude passe de 650 à 770 mètres — nous entrons dans une hêtraie indicatrice d'une humidité plus forte sur le versant N .O . du Pilat que nous allons conserver tout au long ou presque, du parcours . La vêture forestière reste trouée de clairières qui fixent çà et là le finage d'un hameau . Celui de la Grange Rouet s'enrichit maintenant d'une auberge rurale, exemple typi- que d'une nouvelle valorisation d'une situation géographique rénovée par le tourisme pédestre. Passée l'Auberge, le sentier contourne le Crêt de Montivert (altitude 954 mètres) pour redes- cendre au col de Montvieux (altitude 811 mètres) . De vastes landes à genêts servent de pâtures extensives, tandis que sur le versant sud, les pins sylvestres donnent des peuplements indicateurs d'une sécheresse du sol ou du ciel quelque peu relevée. De la Croix de Montvieux, on repère aisément les hameaux du Chatelard et de Veylon, où s'exprime avec rigueur l'abandon de l'activité agricole . Il est vrai que de 1876 à 1968, les communes rurales du versant nord-ouest du Massif ont perdu 42,3 °/o de leur population. Cependant une reprise indirecte se fait par la restauration de la forêt . Les peuplements d'épicéa, essence qui n'est pas spontanée dans le Pilat, se signalent par leur couleur vert clair . Puis en allant jusqu'au Collet de Doizieu, et au-delà en descendant sur le village les reboisements se multiplient . Si nous faisons la promenade avec quelque agent attaché au dy- namique et très contemporain Office National des Forêts, nous apprendrons que telle parcelle a déjà 50 ans, telle autre, établie vers 1948, est sa cadette de 25 ans, qu'une troisième âgée à peine de dix ans est datée de 1958. Passé le Collet de Doizieu (altitude 946 mètres) où vous avez eu le loisir d'apercevoir à l'est - sud-est les plus hautes lignes de la Sapinière de Pelussin, doyenne des peuplements reconstitués, datant de 1840, le sentier surplombe la vallée de la Frachure affluent du Dorlay, pour descendre brusquement jusqu'au pittoresque village de Doizieu, où nous franchissons le ruisseau. 3' section - de Doizieu à la Jasserie Sur l'autre versant de la petite vallée rocheuse le « Sentier Botanique « pique vers le sud- sud-ouest en direction du hameau de la Roche, recoupant une vaste combe aux pentes adou- cies . Entre 700 et 900 mètres d'altitude, s'établit une zone agricole partagée entre des terres consacrées en alternance au seigle et à la pomme de terre, sans oublier l'avoine, zone en apparence isolée, mais la Freysse, la Touche, la Roche, sont des hameaux vivants où la petite agriculture vivrière, s'accompagne de boqueteaux de pins, car « le bois donne à toute ferme la rente pour les mauvais jours. C'est au hameau de la Roche que le Sentier Botanique, retrouve, en forêt, le sentier de Gran- de Randonnée — le G .R. 7 — et confondus, nos deux chemins, doublement signalés condui- sent jusqu'à la Jasserie. Mais la marche s'est ralentie, la pente devient très forte ; nous voici de nouveau sur un escar- pement de faille, cassure de l'écorce terrestre qui, orientée sud-ouest - nord-est, soulève en un « lourd donjon les plus hauts sommets du Massif, aussi bien le Mont Chaussitre vers Saint-Genest que le Crêt de la Perdrix. Nous progressons à l'ombre d'une très belle sapinière, signalée ici dès 1555 par du Choul, le plus ancien parmi les écrivains émérites du Pilat. Soudain nous débouchons au bord sud de la clairière sommitale du Crêt de la Perdrix . Coupole surbaissée que l'on traverse en allant de la prairie à nard raide puis à la lande à callune, avant d'atteindre la pierraille éclatée où la végétation ne semble avoir aucune prise . Escaladé le dernier chirat, nous voici, au point culminant où la table d'orientation nous situe les horizons lointains « d'un belvédère sans rival observatoire le plus central de France. La Jasserie, refuge de Rousseau, s'aperçoit en contrebas, avec son clocheton qui appelait autrefois les voyageurs perdus dans la tourmente de neige. Même aux jours secs de l'été, l'eau sourd de partout ; la fontaine de la Jasserie ne tarit jamais, et l'eau qui s'en écoule rejoint, sinon constitue, la source du qui s'en va au Rhône . De l'autre côté du Crêt de la Perdrix, les eaux coulent également à la Méditerranée, par l'in- termédiaire de la Décime et de la Cance. Là, Jean-Jacques Rousseau termina la première partie de son voyage. Des rives du Rhône au Crêt de la Perdrix, tant de choses vues, tant de choses aperçues ou suggérées, tant d'ardeur physique dépensée ... et tant de choses à découvrir ... prédestinaient la vocation, 200 ans après reconnue, de ce site exceptionnel, en Parc Naturel Régional. Jean-Jacques Rousseau le premier, en ce « Siècle des Lumières du XVlll e siècle en eut-il l'idée ? il ne nous aurait pas trompé .

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DESCRIPTIF DU SENTIER 32 kilomètres - Durée du trajet : 7 heures 40 Le tracé du Sentier Botanique Jean-Jacques Rousseau répond à un double but : offrir une promenade agréable en moyenne montagne et permettre la découverte des plantes reconnues et cueillies par Jean-Jacques Rousseau au cours de son séjour au Pilat. II permet en outre de se rendre compte de l'évolution de la végétation au fur et à mesure que l'altitude croit, que le relief se modifie et que l'orientation varie suivant les versants. RENSEIGNEMENTS PRATIQUES Comme pour les sentiers de Grandes Randonnées, le jalonnement du Sentier Botanique J .-J. Rousseau consiste en marques à la peinture de 2 traits horizontaux sur les roches, les murs, les arbres (les signes sont doublés aux changements de direction). Le jalonnement a été réalisé afin de supprimer tout souci de recherche de l'itinéraire (1). Les couleurs choisies sont celles adoptées pour le balisage de tous les sentiers situés dans le Parc Naturel Régional du Pilat : blanc et vert. A l'arrivée et au départ du sentier, ainsi qu'aux endroits où le sentier traverse les routes départementales c'est-à-dire au col de Grenouze, au Col de Pavezin, à la Croix de Montvieux, au Collet de Doizieu et à Doizieu, des panneaux indiquent le tracé complet du sentier et la durée du trajet entre chaque étape. Des jalons, marqués « Sentier Botanique J .-J . Rousseau figurent de place en place sur le sentier. La description de l'itinéraire donnée dans ce guide vise à être suffisante, quel que soit l'état du balisage, ses indications se rapportent pour le tracé des chemins et les noms des lieux, à la carte du 1/20 .000" de l'Institut Géographique National . On pourra aussi utiliser les cartes suivantes : Cartes Michelin au 1/200 .000e , n° 91 Cartes I .G .N . au 1/100.000' en couleur, feuille de Saint-Etienne au 1/50.000' en couleur, feuilles de Saint-Etienne et Vienne au 1/20 .000', feuilles de Saint-Etienne, n° 6, 7, 8 et de Vienne. Les points de ravitaillement et de logement, les horaires des cars sont indiqués au cours de l'itinéraire. Les temps de marche donnés d'un point à un autre dans le sens Condrieu - Jasserie, sont calculés en temps de marche effective sans pause, ni arrêt prolongé, pour un promeneur marchant à allure normale en moyenne montagne (3,5 km à l'heure environ), et sachant admi- rer la nature. Le Sentier Botanique peut se parcourir en toute saison . II est particulièrement agréable en automne . L'hiver en temps de neige, le tronçon de la Croix de Montvieux à la Jasserie peut servir de piste de ski de fond en forêt. DESCRIPTION DE L'ITINERAIRE Le sentier est divisé en plusieurs tronçons, chacun traversant une région bien caractéristique. On peut accéder en voiture ou par les transports en commun à chaque point de l'itinéraire où le sentier coupe des routes départementales. Deux variantes sont proposées pour permettre de parcourir une région particulièrement inté- ressante en utilisant des sentiers différents mais qui ramènent toujours au Sentier Botanique. 1" tronçon - Condrieu (altitude 150 m .) au Col de Grenouze (altitude 624 m .) (8 kilomètres - Durée du trajet 1 heure 50) Condrieu est un chef-lieu de canton (3 .000 habitants) situé sur les bords du Rhône, d'où part le Sentier Botanique. Nombreux restaurants, hôtels. Gare et correspondance de cars . 2 terrains de camping. A visiter : — imposant marché aux fruits. — vestiges historiques, tympan et linteau de l'église, sculptures du Moyen-Age. — maison de la Gabelle en face de l'église : monument historique classé. Le départ du sentier est situé au sud de Condrieu après le passage à niveau, au bord du Rhône, au lieu-dit Beau-Rivage . Par la ruelle du Beau-Rivage, longue de 30 mètres, traverser la route nationale n° 86 et prendre en face le chemin qui passe sous la voie ferrée ; infléchir à droite en suivant un chemin serré entre des murs de clôture . Par un sentier pavé, longer le ruisseau « Le Vernon », le traverser sur un pont très étroit, suivre le chemin qui devient

(1) Le jalonnement et le balisage ont été réalisés par l'équipe des Jeunes Amis des Animaux de Lorette (Loire) sous la direction de Monsieur Seignol, instituteur à Rive-de-Gier. Nous les remercions chaleureusement pour l'excellent travail qu'ils ont exécuté avec dévouement et en- thousiasme .

382 Entre le Col de GRENOUZE et le Col de PAVEZIN PHOTO BRUN

Monnet

.4L Vierge

Parcours : Condrieu- Col de Pavezin (2e partie)

de Pavezin

plus large et après avoir à nouveau traversé le Vernon, monter dans la gorge du ruisseau rive droite, entre des robiniers faux acacia. A 200 métres, tourner à gauche en empruntant un chemin en lacets bien tracé, qui monte en longeant les murs de clôture des vignobles. S'arrêter quelques instants pour souffler un peu et pour admirer le magnifique panorama qui s'offre à nos yeux sur les coteaux étagés, sur la vallée du Rhône et parfois, surtout à l'au- tomne sur la chaîne des Alpes. Le sentier d>Ybouche sur un petit plateau herbeux (vigne abandonnée) juste en face du Mont Monnet . Prendre le chemin à droite qui longe un bosquet de robinier faux acacia . Traverser une dernière fois le ruisseau « Le Vernon » et remonter vers le hameau du Plomb pour arriver sur la route départementale n o 78. Suivre cette route qui conduit au village de la Chapelle Villars (209 habitants), à travers des champs de froment et de mais, de belles vignes et plus encore de jeunes vergers, autour de petits hameaux ou de fermes isolées.

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Ferme caracteristique du Pilat, au toit recouvert de tuiles creuses romaines . Le sentier passe à proximité STUDIO GUY - SAINT-ÉTIENNE

Après la traversée du village, prendre un petit chemin qui rejoint la route D 78 qu'il faut suivre jusqu'au premier virage . Là, quitter la route et s'engager à droite dans le chemin qui monte à travers un bois de châtaigniers. Cependant, avant d'emprunter ce chemin il est recommandé d'aller jusqu'au petit hameau de la Vieille-Chapelle, à 1 kilomètre en suivant la D 78, où se trouve une très vieille église, en cours de restauration, datant du XV e siècle. Après avoir traversé le petit bois, le chemin aboutit près d'une croix au col de Grenouze.

384 Nature . loisirs et foret

tronçon - Col de Grenouze (altitude 624 m .) - Col de Pavezin (ait. 651 m.) (3 kilomètres - Durée du trajet : 40 minutes) Au col de Grenouze, le sentier traverse la route départementale 78 . qui descend à l'est vers Condrieu et au Nord-Ouest vers Rive-de-Gier par Sainte-Croix. Avant de s'engager sur le Sentier Botanique, il est conseillé d'aller au Mont Monnet (alt. 789 mètres) (A .R . 35 minutes) . Ne pas traverser la route départementale mais prendre le chemin à droite qui suit la ligne de crête, chemin bien marqué . Avant d'arriver au sommet. on traverse un boqueteau inattendu de houx. Le Mont Monnet est un des derniers contreforts du Pilat, au nord du massif . Une vieille cha- pelle et une pyramide de pierres d'une dizaine de mètres, surmontée d'une madone, s'intè- grent parfaitement au site . C'est un magnifique belvédère, bien dégagé : au sud on découvre la ligne des crêtes du Pilat qui le domine de 600 mètres ; à l'est, le Rhône coule au fond de la Vallée, on en voit plusieurs méandres depuis jusqu'à Saint-Pierre-de-Boeuf ; au- delà du Rhône s'étend la plaine du Dauphiné et dans le fond la Chartreuse et le Vercors dominés par l'ensemble des Alpes. Aller au Mont Monnet : il en vaut la peine. On peut également atteindre le Mont Monnet en partant du bourg de la Chapelle Villars, en passant par le hameau La Monarie . Parcours assez difficile et pénible. Au Col de Grenouze, le Sentier Botanique prend à gauche du col un petit chemin le long de la forêt du „ Bois Heyraud ', il contourne le Mont Ministre (alt. 768 mètres) par le nord et l'ouest, en traversant de petites forêts de pins sylvestres entrecoupées de bogue- taux : charme, bouleau, chêne, et par des landes à callune, genêts et genévrier, en voie de reboisement par plantations de Douglas. En sortant de la forêt, on découvre dans le fond de la vallée le pittoresque village de Pave- zin et à l'horizon le Montivert (alt. 954 mètres) au pied duquel passe le sentier. Le sentier sort sur un chemin goudronné à 150 mètres à l'ouest du col de Pavezin. Le coi de Pavezin est desservi 2 fois par jour, matin et soir, par un service de car de Pelussin à Saint-Etienne . Horaire : matin 8 h . 15 - soir 17 h . 30. Restaurant - Colonie de vacances de la ville de Saint-Etienne. 3° tronçon - Col de Pavezin (alt. 651 m .) - Croix de Montvieux (alt. 811 m .) (5 kilomètres - Durée du trajet : 1 heure 10) Traverser la route départementale n° 7 allant de Pelussin à la Grand Croix, passer derrière l'ancienne gare du chemin de fer départemental, tourner à droite pour rejoindre à 150 m la route goudronnée qui conduit à la Grange Rouet. Bien que goudronnée, cette petite route est très agréable à parcourir . Elle traverse une hêtraie entrecoupée de petites parcelles de terrain reboisées en Douglas. En été, les talus de la route sont magnifiquement fleuris d'Epilobe qui forme un ruban continu sur 3 kilomètres. La route s'arrête à la clairière de Grange-Rouet où se trouve une auberge rurale . Produits de la ferme. De la Grange-Rouet on aperçoit, le soir, au nord, les lumières de la colline de Fourvière à Lyon. Passer devant l'auberge, monter à travers les prés et les pâturages, en suivant la clôture pour arriver sur la ligne de crête qui sépare cette petite vallée du versant sud descendant vers Pelussin . Du Col, on découvre au Nord un paysage étendu sur la haute vallée du , petit ruisseau qui traverse au fond d'un vallon le curieux village de Sainte-Croix-en-Jarez, établi dans une ancienne Chartreuse du Xlll e siècle. Contourner le Montivert par le versant sud en passant au pied d'une forêt de pins sylvestres ; remarquer à gauche à mi-parcours un petit bois de cèdres et la réapparition du châtaignier laissé en dessous du Col de Grenouze. Arriver sur la route départementale n° 62, à 250 mètres à l'Est de la Croix de Montvieux. 4° tronçon - Croix de Montvieux (ait . 811 m .) - Collet de Doizieu (ait. 946 m .) (3 kilomètres 500 - Durée du trajet : 45 minutes) Croix de Montvieux : 2 restaurants Traverser la route départementale n° 62 et prendre, devant la Croix, le chemin à gauche, en direction du Chatelard — groupe de vieilles maisons et fermes — à la sortie de ce hameau, 2 itinéraires peuvent être empruntés pour rejoindre le Collet de Doizieu. Premier itinéraire par le hameau de Veylon - Durée 40 minutes Infléchir à droite et en bordure d'une plantation d'épicéas, prendre à gauche le chemin qui monte vers une ferme qui se trouve à droite le sentier continue dans la forêt de hêtre puis débouche en forêt communale de Doizieu . Remarquer les n 10, 9, 6, 7 et 8, sur les arbres, qui indiquent les parcelles de la forêt . On traverse cette forêt de sapins et de pins sylvestres par la route forestière qui conduit au Collet de Doizieu situé à 1 kilomètre.

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R . F . F. XXI - 5-1969 Croix de Montvieux

Amas de pierres de formation périglaciaire appelés dans la région "chirats" et plus ou moins envahis par la végétation. Forêt communale de PELUSSIN STUDIO GUY SAINT-ÉTIENNE

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Nature, loisi rs et forêt

Autre itinéraire par la forêt communale de Pelussin - Durée 55 minutes Monter tout droit dans un chemin creux bordé de murettes . On arrive en limite de la forêt communale de Pelussin . Prendre alors le chemin à gauche, qui traverse toute la forêt. Remarquer, à une demi-heure du départ, la présence de coulées de pierres, connues ici sous le nom de chirats de formation « périglaciaire « . L'observateur averti les reconnaîtra tout au long de ce parcours sous le puissant manteau forestier qui en a conquis de très nom- breux en dehors de toute influence humaine. Ce parcours se déroule tout en forêt au-dessus du plateau agricole de Pelussin . On y ren- contre tous les arbres forestiers du Pilat : sapin, épicéa, mélèze, douglas, pin sylvestre, pin noir d'Autriche, pin à crochets, hêtre, chêne, châtaignier, bouleau, érable sycomore, sorbier des oiseleurs, alisier blanc, etc. Le sentier quitte la forêt entre les parcelles n°s 10 et 13 et aboutit à la route départementale n" 63 à 50 mètres au sud du Col.

5° tronçon - Collet de Doizieu (ait . 946 m.) - Doizieu (ait. 595 m .) (3 kilomètres 500 - Durée du trajet : 45 minutes) Collet de Doizieu : Hôtel-restaurant. Longer à droite les bâtiments de l'Hôtel et prendre au Nord un très joli chemin qui s'enfonce sous une voûte de noisetiers. Ce chemin suit à mi-pente la petite vallée de la Frachure, affluent du Dorlay. En quittant la forêt communale de Doizieu (parcelles 8 et 9) il borde, à droite, une jeune plantation de pins sylvestres, et ensuite il descend rapidement par un lacet bordé de gros châtaigniers, vers une carrière de sable de gore à droite, et des champs cultivés à gauche. Traverser un petit bois de pins sylvestres, au-dessus du rocher de la « Chave » où l'on ap- prend à varapper «. On arrive ainsi en surplomb au-dessus du village de Doizieu . Traverser la petite route gou- dronnée en passant au pied de la Madone, et plonger sur la place du village par le chemin qui descend rapidement entre quelques cèdres et ensuite entre les maisons accrochées à la pente.

6• tronçon - Doizieu (ait. 595 m .) - Jasserie du Pilat (ait. 1308 m.) (9 kilomètres - Durée du trajet : 2 heures 30) Une halte à Doizieu (520 habitants) s'impose avant d'entreprendre la montée vers la Jasserie. Hôtel-restaurant, Cafés, Restaurants. Service de car deux fois par semaine jeudi et dimanche vers Saint-Chamond, Saint-Etienne. Ce village se cache dans une admirable conque de verdure au fond de la vallée du Dorlay. En quittant la place et sa fontaine, le sentier passe au pied de la curieuse tour carrée . Res- taurée au XIX e siècle, elle provient d'un château qui, au XIV" - XV' siècles appartenait à la puissante seigneurie des Comtes du Jarez . Aujourd'hui, elle abrite une mairie qui, sans doute, n'aurait pas déplu à l'auteur des Copains . Demander à voir le sceau de fa commune : 7 sa- pins sur un chirat ... Avant de quitter ce village en passant sous l'église qui contient 2 objets classés (vierge en bois peint du XVII" siècle et un carillon), faire causette avec les bon- nes gens de Doizieu, vous rendrez justice à leur gentillesse, ce que J .-J. Rousseau, dit-on, ne sut pas faire. Le sentier monte allègrement entre les dernières maisons de ce vieux bourg, et par un che- min creux, débouche vers un château d'eau à demi enterré . D'ici l'on a une vue magnifique sur la haute vallée du Dorlay, à droite, couronnée de belles forêts de sapin et dominée par le Crêt de l'CElllon (3 étoiles dans le Guide Michelin) flanqué du relai de la Tour de télévision; sur la colline d'en face, on aperçoit les hameaux de Grosmond, de la Berlière, joliment en- chassés dans de jeunes plantations de résineux ; à gauche, sur la vallée de la Frachure et le Collet de Doizieu qui coupe l'horizon à l'Est. Le sentier passe tout près de la ferme isolée du Bruchet et pique tout droit ensuite vers le hameau de la Roche . Traverser le chemin goudronné et pénétrer en forêt par un sentier bordé de jeunes sapins . La pente devient très forte, le sentier accroche dur dans la traversée de la forêt communale de Doizieu, le long de la parcelle 12. Entre les parcelles 12 et 13, le Sentier Botanique se raccorde au sentier de Grande Randon- née n" 7. Le G .R . 7 suit au plus près la ligne de partage des eaux de l'Océan et de la Méditerranée, depuis les Vosges jusqu'aux Pyrénées. C'est toujours en pleine forêt que le double chemin (deux traits blanc et rouge) nous conduit à la Jasserie du Pilat . Soudain, une clairière ! C'est l'immense prairie dominée par le Crêt de la Perdrix . La ferme-hôtel de la Jasserie nous attend à 5 minutes d'ici.

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C'est ici que s'achève la promenade. Par des sentiers, des chemins de campagne, en- dehors des routes encombrées, le Sentier Botanique nous a conduit sur les traces de J .-J. Rousseau vers cette belle montagne de Pilat, justement célèbre par l'étendue de ses pano- ramas et la beauté de ses paysages si changeants au gré des saisons. Nous espérons qu'au terme de cette randonnée, vous puissiez dire : Je suis content de ma journée ' .

CONSIDÉRATIONS BOTANIQUES SUR LE SENTIER

Personne ne sait de façon précise par quelles voies Jean-Jacques Rousseau et ses compa- gnons ont gagné les hauteurs du Pilat. L'itinéraire retenu ici est le plus probable. Qu'a rencontré Rousseau-botaniste, au cours de son excursion ? Quel qu'ait été le détail du chemin suivi, Rousseau a été à méme de voir les principaux ensembles de végétation du Pilat. Assurément, il y avait déjà de la vigne sur les côtes du Rhône et la petite troupe a d0 passer assez près du Viognier, qui donne un vin blanc célèbre . D'abord elle a traversé au- dessus de Condrieu l'étage collinéen, qui présente dans ses parties plus fraîches une série à chêne rouvre, et dans ses localités plus sèches une série à chêne pubescent, avec tou- jours çà et là des châtaigniers — ces derniers plus nombreux au 18e siècle qu'aujourd'hui. Au-dessus de 800-900 mètres, soit environ à l'altitude de la Croix de Montvieux, Rousseau et ses accompagnateurs sont entrés dans l'étage montagnard, qui comprend tous les hauts du Pilat . Cet étage se présente sous deux aspects assez tranchés par les conditions d'ex- position : série humide du hêtre et du sapin, série sèche à pin sylvestre. Déjà bien sûr et depuis fort longtemps, l'action de l'homme et de ses animaux domestiques avait diversifié ces séries . A partir des quatre types de forêts qui les caractérisent représen- tant le terme ultime, stable, maximal du peuplement végétal naturel, divers stades plus ou moins régressés : brousses arbustives, landes, pelouses à herbes courtes . Ces stades présentent dans chaque série des espèces ou assemblages d'espèces significatifs, et chacun d'eux peut se remettre à évoluer vers la forêt optimale si les pratiques qui avaient appauvri la flore cessent. Au temps de Rousseau, ces notions qui nous semblent presque évidentes, et constituent le cadre d'ensemble de toute excursion botanique, ne retenaient pas les naturalistes. L'idée d'une évolution naturelle de la végétation ne s'était pas fait jour, ni même cette notion que, dans une région donnée, un même ensemble de conditions physiques appelle un même ensemble végétal (si l'homme n'intervient pas). Ainsi Rousseau a pu voir que les hauts du Pilat étaient privés d'arbres, alors que ceux-ci montent bien plus haut dans les Alpes dont il connaissait certains secteurs . Ce problème, que les spécialistes actuels n'ont pas entièrement résolu, ne pouvait pas se poser de son temps . De même on ne soupçonnait pas à l'époque l'intérêt de certains milieux spéciaux ,> où des conditions locales particulières entretiennent plus ou moins longtemps une végéta- tion parfois très spéciale comme il en va par exemple des tourbières, abondantes dans le Pilat avec une variété très remarquable de formes et stades d'évolution . (On en voit une petite sur le chemin du Veylon au Collet de Doizieu). Insistons-y, si nous voulons apprécier les mérites de Rousseau naturaliste : nous sommes à deux cents ans d'ici, dans les tout premiers temps de la botanique . Chaque époque ne se pose que les questions qu'elle peut traiter : fa grande manie pour la biologie naissante, c'est de réaliser l'inventaire des espèces . Au temps de Rousseau, une faible partie de la végétation d'Europe est ainsi recensée, même dans le domaine des plantes à fleurs . La détermination d'une espèce présente des difficultés que nous n'imaginons guère. Lorsque Rousseau a visité le Pilat, la végétation de ce Massif y était déjà ce qu'elle est maintenant, variée et riche, cette région naturelle se trouvant au confluent d'influences di- verses . On peut même penser qu'elle était plus belle encore, « plus naturelle ' qu'aujourd'hui. Ce qui est curieux c'est que Rousseau explorant une région floristiquement riche, se soit mon- tré tellement déçu ; il faut faire la part des circonstances ; sans doute attendait-il beaucoup de cette visite : or la saison est trop avancée, il pleut, certains de ses compagnons l'agacent, on tourne sans connaître le chemin, le chien fidèle mordu par un molosse s'enfuit ... A suivre sa correspondance du retour, il s'avère qu'il est très loin de ne s'intéresser qu'à la jolie plante, à la belle fleur . Il note des graminées, herbes en général négligées et confondues par le promeneur : une Fétuque, le poil-de-loup (Nardus stricta) et aussi un Souchet (Cype- rus fuscus) et diverses petites espèces (Moehringia muscosa etc.) . II relève des Fougères, des Lichens . II signale diverses espèces des clairrières et bordures de la hêtraie-sapinaie . Il sait

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1Km

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La Touche i Moyosse.9

Parcours : Doizieu - la Jasserie du Pilat

Crêt de la Perdrix (/431 ,\A-rl Table d 'orientation

Village de DOIZIEU (seul village traversa par le sentier). STUDIO GUY . SAINT.ETIENNE

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voir outre la Digitale pourpre, une Digitale jaune, outre I'Alchemille vulgaire, l'élégante Aiche- mille alpine pourtant peu répandue ici. S'il était facile de repérer dans les prés frais les grappes roses verticales de la Renouée Bistorte, il était moins aisé de retrouver dans les pâturages (sans doute vers la Jasserie) l'intéressante Ombellifère Meum athamanticum, qui donne au foin de montagne un parfum si agréable . Vers les sommets il reconnaît le charmant Rosier des Alpes (Rosa alpins) qui se comptait surtout dans les chirats. Cette visite si perturbée a permis à Rousseau de repérer des espèces fort intéressantes pour le botaniste, même moderne, et qui très localisées sont rarement vues par le promeneur. Ainsi, il signale sous le nom de Sonchus alpinus, une très belle et peu courante composée de haute taille, à capitules bleues . Bien que Sonchus (Mulgedium) alpinus se trouve çà et là dans le , son domaine est plutôt constitué par d'assez hautes régions des Al- pes, vers 1500-1800 mètres . II s'agit plutôt ici de Sonchus plumieri, espèce voisine, mais beau- coup plus caraotéristique du Massif Central. Surtout Rousseau relève la présence d'un Doronic qui est peut-être Doronicum pardalianthes, présent çà et là dans les diverses montagnes de France, qui est peut-être Doronicum aus- triacum, connu seulement des Pyrénées et du Massif Central où il hante les bords des ruisseaux, dans la hêtraie-sapinaie . Espèce assez rare, hautement intéressante par sa répartition, sollicitant de surcroît l'admiration de ceux qui savent encore regarder, par ses larges capitu- les jaune vif et ses grandes feuilles d'un dessin très particulier. Cette belle plante, mieux représentée dans le Pilat que partout ailleurs, mériterait, selon l'émi- nent botaniste E .J. Bonnot, de devenir l'emblème floristique du Pilat et de son Parc Naturel Régional. Quant à J.-J . Rousseau, il a été en son temps, bien qu'il s'en soit modestement défendu, plus qu'un amateur de botanique . N'a-t-il pas eu le premier l'idée — toute moderne — d'un lexique des termes de botanique, travail qu'il laissa inachevé, et qui eut été bien utile . (Ce qui manque le plus dans les débuts de chaque science, c'est que ceux qui la pratiquent s'entendent sur les termes qu'ils emploient). Surtout, Rousseau par sa Correspondance, par l'Emile, par les Rêveries du Promeneur Soli- taire, a très largement contribué à répandre le goût pour la botanique, en même temps qu'il a appris à des générations à découvrir les charmes de la nature . Ce grand et noble esprit — si longtemps calomnié pour la nouveauté de ses propos, et dont on sait de mieux en mieux qu'il fut de vie sincère et d'esprit moderne, rappelle par son exemple que les sciences de la nature sont en réalité inséparables de l'amour de la nature, celui-ci poussant vers celui-là des âmes bien nées, celles-ci fournissant en retour les moyens efficaces de protéger la Nature et de vivre en harmonie avec elle.

En 1769, Rousseau ne pratique vraiment la Botanique que depuis deux ans . La liste établie d'après sa Correspondance et que nous publions ci-joint, fait la preuve des qualités d'obser- vation de l'illustre écrivain. Nous joignons à cet inventaire bien partiel de la flore du Pilat, un aperçu général de la végétation du Massif, en soulignant au passage les endroits où l'on pourra découvrir, au travers du Sentier Botanique, les plantes que Rousseau s'est attaché à identifier. La végétation du Pilat comprend : — des forêts — des landes — des pelouses - des tourbières et des groupements fontinaux — des rochers et des éboulis rocheux ou « chirats où se retrouvent dans un peuplement que conditionnent l'altitude et l'exposition quelques es- pèces-types que nous classons ci-dessous. L'ETAGE COLLINEEN, qui, dans le Pilat, s'étend en moyenne de 400 à 800 mètres est bien marqué au-dessus de Condrieu par le Frêne (Fraxinus excelsior), le Peuplier (Populus) et le Chêne pubescent (Quercus pubescens) et sur les pentes bien exposées : le Châtaignier (Castanea sativa). L'ETAGE MONTAGNARD de 800 métres aux altitudes plus élevées du Massif comprend : — la pineraie à pin sylvestre (Pinus silvestris) qui occupe une place importante sur les pentes sèches regardant la Vallée du Rhône et descend également très bas dans l'étage collinéen . Elle occupe une zone de transition entre le « collinéen et le « montagnard '.

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— la hêtraie montagnarde à Fagus silvatica qui se manifeste jusqu'au Crêt de la Perdrix. A cette altitude les hêtres sont isolés, ils ont des troncs tortueux, rabougris, des rameaux chargés de mousses et de lichens et une couronne au faciès vexillaire typique. Dans le sous-bois de la hêtraie, on relève une strate plus ou moins abondante d'airelles (Vaccinium myrtillus) . Parmi les nombreuses plantes à fleurs on peut y rencontrer l'Impatiens Noli-tangere citée par Rousseau. — la sapinière montagnarde à Abies alba, qui constitue les plus belles forêts du Pilat. Le sous-bois est relativement moins riche, mais plus sélectif que la hêtraie et qui donne les sous-types suivants : sapinière à canche flexueuse (Deschampsia f/exuosa) . Outre les graminées, on y verra comme Rousseau la Prénanthe pourpre (Prenanthes purpurea). sapinière à myrtille très recouvrante. sapinière à fougères sous-bois plus frais et plus obscur. — la pessière à Picea excelsa : c'est l'Epicéa, qui n'est pas spontané, arbre de reboi- sement, largement utilisé susceptible de s'adapter à des milieux très différents . L'absence en sous-bois de strate herbacée, sauf en lisière, est particulièrement frappante. Sur les sommets plus ou moins arrondis du massif s'étendent de vastes surfaces d'allure mo- notone : — les landes envahies sur les versants raides abrupts et bien exposés par le Genêt à balai (Sarothamnus scoparius) tandis que les boules glauques du Genêt purgatif (Cytisus pur- gans) colonisent les pentes abritées. Le Genêt à balai est souvent mêlé de Fougère aigle et à un cortège d'herbacées assez nombreuses. La Bruyère (Ca/luna), la Myrtille (Vaccinium) recouvrent la ligne des crêtes, les croupes battues par le vent. — les pelouses . Ce sont des étendues où la présence abondante de graminées confère une physionomie particulière, tantôt de prairie fauchable, tantôt de pâturage ; elles se situent au voisinage des habitations (fermes, granges, jasserie) et c'est dans ces pelouses que Rous- seau releva le plus d'espèces. Là, sont « les jolie fleurs du Pilat ,, qui incitent à la cueillette, laquelle doit toujours rester mesurée : Les jonquilles et les violettes des Sudètes (Viola e/egans), la renouée bistorte (Polygonum Bis- torta), la marguerite (Leucanthemum vulgare), la véronique (Veronica serpyllifolia), la knautie (Knautia silvatica), la renoncule (Ranunculus acris), le Meum athamanthicum, la belle digitale qui ne peut rester inaperçue (Digitalis purpurea), l'arnica qui fut abondant au Pilat, mais dont les stations se raréfient de plus en plus . Il en est de même de l'aconit napel et des orchidées des prés humides qui ne sont pas rares au Pilat, mais qui voient partout leurs biotopes parti- culiers se dégrader par le simple pâturage intensif, l'emploi des engrais chimiques et naturels qui modifient l'acidité du sol. — la flore des chirats et leur colonisation par un processus très classique d'implan- tation de rosier alpin (Rosa alpina), le framboisier des rochers (Rubus saxotilis), des chè- vrefeuilles montagnards (Lonicera a/pigena), l'association remarquable de lichens qui se re- trouve en milieu arctique, intéressent au plus haut point les spécialistes mais passent ina- perçues du simple promeneur. Celui-ci aura cependant remarqué au passage le bouleau verruqueux typique par son port gracieux et son tronc argenté, le sorbier des oiseleurs qui retient à l'automne grives et merles qui se délectent de ses baies écarlates, et l'alisier blanc au dessous des feuilles argentées. Peut-être aura-t-il découvert ce Sonchus qui enchanta Rousseau, bien qu'il l'eut mal identifié (il ne peut y avoir au Pilat le Sonchus alpinus, la taille qu'il en donne le justifie du reste) et ce Doronic qui est certainement la plus belle et la plus intéressante des espèces qu'il a recensées. L'amoureux du Pilat se sera attaché à rechercher cette « herbe de Saint Sabin «, l'alchemille alpine que l'on allait, il y a quelques décennies encore cueillir à Pilat pour l'accrocher ensuite dans les étables et protéger les troupeaux de la maladie. Certains lieux du Pilat sont caractérisés par la quantité d'eau maximale dans l'environnement; Il s'agit des groupements fontinaux et surtout des tourbières qui engendrent leur propre subs- tratum et présentent des groupements végétaux qui leur sont particuliers. C'est là que se situe la richesse botanique du Pilat qu'il faut protéger à tout prix . Cepen- dant le touriste hésitera à pénétrer dans ces lieux fangeux, spongieux, mouvants parfois et seuls retiendront son attention la linaigrette (Eriophorum vaginatum), le ça/tha pa/ustris et la

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R . F. F . XXI - 5-1969 molinaie bleue et les lichens qui paraissent étouffer les jeunes arbres qui cherchent à s'im- planter dans les tourbières en voie de régression. Mais nous ne nous étendrons pas, car nous restons ici sous le signe de l'herborisation de J .-J. Rousseau qui n'a prêté que peu d'attention à ces peuplements. Cependant nous estimerions avoir réussi, si nous amenions le lecteur à suivre « très botani- quement ,> ce Sentier, à y rechercher quelques espèces citées, puis à vouloir étendre ses connaissances jusqu'à consulter flores et ouvrages spécialisés. Jean-Jacques Rousseau pensait-il au Pilat en écrivant les lignes que le Comité National des Sentiers de Grande Randonnée vient de mettre en exergue d'itinéraires nouveaux en France, faisant la place très large aux Parcs Naturels : Jamais je n'ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi, si j'ose ainsi dire, que dans les voyages que j'ai faits seul et à pied ... Je dispose en maitre de la nature entière ... • Pour que le Sentier Botanique, qui porte le nom de Rousseau reste ce qu'il aurait voulu qu'il soit : — un havre de paix et de silence — un long cheminement dans la nature, à la découverte de tout ce qui naît d'une graine, s'abreuve de l'eau des sources et des nuages, s'agrippe aux rochers, s'épanouit au bord des chemins, colore les landes automnales, résiste ou succombe « à la burle « pour revivre au printemps dans une éternelle espérance • pour que d'autres, après nous, connaissent ce que Rousseau « découvrit à Pilat • pour que dans deux cents ans, encore, ceux qui mettront leurs pas dans les pas de Rousseau disposent eux aussi : DE LA NATURE ENTIERE il n'est qu'une façon : RESPECTER LA NATURE ET TOUT CE QUI VIT APPRENDRE A LA CONNAITRE DANS SON INFINIE VARIETE

M'' a Suzanne François BELLON Maurice BRUN Louis GACHE LEBRETON Professeur agrégé Conseillère biologique Professeur agrégé Ingénieur 1 . T . E .F. de Géographie Présidente de la de Chef de centre Secrétaire de Société de Sciences de gestion de l'O .N .F. l'Association des Amis Naturelles Sciences Naturelles du Parc Naturel de SAINT-ÉTIENNE Régional du Pilat 9, Beaulieu le Rond Point 8, Rue Gérentet 20 . Cours Gustave Nadaud 41 bis, Rue Franklin 42 - SAINT-ÉTIENNE 42 SAINT-ÉTIENNE 42 - SAINT-ÉTIENNE 42 - SAINT-ÉTIENNE

Liste des plantes donnée par Rousseau à Madame la Duchesse de Portlan le 21 août 1769, et qu'il dit avoir rapportées du Mont Pilat et des rives du Rhône. (Publiée par B . Gagnebin et E.J. Bonnot, 1962) Arnica montana Daphne Mezereum Arbutus alpins Dianthus superbus Aconitum napellus Festuca viva para Athamanta meum (Meum athamanticum) Gypsophila mures Antirrhinum purpureum Genista sagitalis Antirrhinum bellidifolium Impatiens noli-tangere Alchemilla vulgaris Melissa grandiflora Alchemilla alpins Moehringia muscosa Acrostichum septentrionale Nardus stricts Cratoegus aria Oenothera biennis Celtis australis Poligonum Bistorta Cotelydon umbilicus Prenanthes purpurea Carthamus lanatus Polypodium rhoeticum Cyperus fuscus Polypodium Dryopteris Digitalis purpurea Rosa alpins Digitalis lutes major Sichen usnea (ou ambigus ? il ne précise pas) Sonchus alpinus Doronicum pardalianthes Vaccinium myrtillus

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