Les Bardes Rouges
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BRETAGNE Les bardes rouges Il n'y a plus une grève, plus une manifestation paysanne, en Armorique, sans que naissent des chansons de combat. Vous ne les entendrez pas à la radio mais elles sont, là-bas, sur toutes les lèvres Une nouvelle chanson court travers la Bretagne. Chanson- choc, chanson-tract, chanson-af- fiche, chanson - politique, chanson - de - combat, c'est la chanson comme on vou- dra, difficilement classable mais qui éclate comme un cocktail Molotov et, en tout cas, fait chanter les Bretons. Une nouvelle race de bardes est née au pays d'Armorique. Au commencement, il y eut Glenmor (1). GLENMOR Milig ar Skanv, « Milig » pour les copains, Contre Botrel - et les « biniouseries est né le 25 juin 1931 à Mal-Carhaix (Côtes-du-Nord) des épousailles d'un pay- san et d'une jeune fermière soviétique. Il fait, un peu partout, toute sorte de mé- tiers — vendeur d'aspirateurs, de boîtes de conserve —, puis, un jour, revient au pays. Et il lui dit : « Je serai Glenmor. » Glen c'est la terre, mor, la mer. Et Milig va en faire un mélange explosif. Il sera le premier à chanter son pays avec fu- reur, violence, sincérité, sans honte. Il casse le mythe de Botrel, de « la Paimpolaise » et de toutes les autres biniouseries. Il clame qu'il est breton et que les Français sont des cons de tenir son pays sous leur domi- nation. Il fustige le pouvoir jacobin. Il brocarde Paris : « Sodome, c'est Paris, et Paris, c'est la France, l'on y crève à ge- noux, l'on y vit tout pareil. » Il dénonce l'émigration de son peuple et toutes ces petites Bretonnes que Paris « fait pu- tains •». ERGEN KIRJUHEL C'est dur à faire passer dans le public. L'irruption -du gauchisme En 1958, à Paris, il se fait casser la gueule à coups de barre de fer par des militants avec des élans soudains de tendresse infinie d'extrême gauche. On le traite de fasciste. droit, celui de fermer leur gueule. Et et de fraternité, ce paysan bohémien est l'un C'est un souvenir de la dernière guerre alors il va ouvrir la sienne. Elle est grande des derniers saltimbanques. Il continue de des autonomistes bretons ont collaboré avec et porte loin. Ecoutez-le clamer : a Voici trimbaler sa guitare et ses chansons de ville la leucémie bretonne, le père mourant seul les Allemands et, aujourd'hui encore, pour en village. chanter la Bretagne comme ça, on ne peut au Far West, le fils bougnoulisé banlieue être que fasciste. Les partis de gauche et En tout cas, il a ouvert la voie. Les nord-est, prolo décalqué au carbone... et les syndicats mettront longtemps à nouveaux chanteurs de combat reconnais- voici la colère bretonne ! La colère et l'es- comprendre que les problèmes et les reven- sent que c'est Glenmor qui leur a frayé poir mêlés, les charlatans qu'on débou- dications des minorités ethniques sont aus- le chemin. En voici deux, qui sont des lonne, voici le matin qui se lève, voici la si les leurs. Mais Glenmor n'est ni « à chefs de file. liberté qu'on rêve, voici le four des poings gauche » ni « à droite ». C'est une sorte D'abord Gilles Servat, vingt-huit ans. levés, » d'anarchiste breton. Il ne se classe pas. C'est un barde baraqué, rude et carré, la C'est Servat-la-colère, Servat-la-fureur, II chante. Il commence dans les tavernes, barbe dure et le cheveu frisé, avec l'allure Servat-le-tonnerre. Il va chanter par monts les caboulots, les greniers. Maintenant, il lourde et chaloupée des marins bretons, et et par vaux : lieux de grève, maisons de fait des triomphes à la Mutualité et publie l'oeil immensément bleu. Né à Tarbes, au jeunes et de la culture, galas divers, casi- disque sur disque. hasard des migrations bretonnes, il revient nos parfois... Ces chansons ne passent pas Grand gaillard chevelu, un peu voûté, au pays, où il prend femme. à la radio et à la télé, la presse en parle ancien séminariste devenu croqueur de Maintenant, il vit à Nantes. Au début, peu. Seulement, elles commencent à venir curés, paillard, cabochard et bambocheur, il chantait des chansons d'amour dans les sur toutes les lèvres. Malgré tout, le bistrots. Puis, brusquement, en Mai 68, premier disque de Servat, édité en Ir- (1) Voir le livre « Glenmor (Seghers) il naît à la chanson politique. Il a compris que lui a consacré un de ses meilleurs lande, a été vendu à douze mille exem- complices, journaliste, poète, écrivain bre- que le problème breton, en particulier, se plaires en Bretagne, quarante mille en ton, Xavier Grau. résume à ceci : « Les gens n'ont qu'un France. Il compose ses chansons au cours 44 Lundi 18 juin 1973.