La Peaulogie

La littérature dans le peau Tatouages et imaginaires

4 | 2020 PRINTEMPS 2020 NUMÉRO 4

Lignes, tracés graphiques, surfaces encrées, impressions, parchemins et vélins sont autant de termes que le tatouage partage avec l’écriture. Entre les objets scripteurs, les gestes de l’écriture ou du dessin et l’aiguille du tatoueur se noue une relation sensible et palpable. Le littéraire fait retour sur la peau qui elle-même se transforme en archive et devient l’objet d’une mise en fiction des corps.

Ce numéro interdisciplinaire consacré à la littérature dans la peau aborde le tatouage, non plus comme un motif graphique uniquement visuel, mais comme un support narratif propre à la fiction. Comment la littérature s’empare-t-elle du tatouage ? Comment des genres aussi divers que le récit d’aventures, le roman à sensation, le thriller, l’œuvre postcoloniale ou encore les fictions hypertextuelles, mettent-elles en récit le corps tatoué ?

Ce numéro explore à la fois le rapport sensoriel de l’écriture au corps, l’expérience de la douleur de la chair, l’affleurement du souvenir, la réinvention identitaire, sans pour autant négliger la valeur de l’écriture tégumentaire comme marque de la révélation participant de la mécanique du récit. Le tatouage inspiré de sources littéraires peut prendre différentes formes, portraits d’écrivains, citations, illustrations, qui sont à l’interface entre l’espace privé et la sphère intime, entre le visible et le lisible. Étudier les tatouages de lecteurs ou de fans permet ainsi de mieux comprendre le désir d’archiver le fragment littéraire à même la peau, d’incarner le littéraire dans sa dimension corporelle, parfois jusqu’à l’excès, tout en interrogeant la circulation ainsi que la réception des œuvres référencées.

LA PEAULOGIE

LA LITTÉRATURE DANS LA PEAU TATOUAGES ET IMAGINAIRES Publications La Peaulogie

Les coutures humaines. La Peaulogie vol.1 n°⍺, 2018 Le blanchissement de la peau humaine. La Peaulogie, vol.1 n°1, 2018 Les peaux, entre trophées et reliques. La Peaulogie, n°2, 2018 (Peau)lluant. Les toxiques à notre contact. La Peaulogie, n°3, 2019

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LA LITTÉRATURE DANS LA PEAU TATOUAGES ET IMAGINAIRES

Dossier thématique du numéro coordonné par Anne Chassagnol et Brigitte Friant-Kessler. La Peaulogie 6, rue du Général Chassereau 35470 Bain‑de‑Bretagne France ISBN 978-2-491080-03-7 Édito

Anne CHASSAGNOL Brigitte FRIANT-KESSLER Référence électronique

Chassagnol A., Friant-Kessler B., (2020), « Introduction », La Peaulogie 4, mis en ligne le 5 mai 2020, [En ligne] URL : http://lapeaulogie.fr/introduction-tatouages-litterature 8 Edito

La littérature dans la peau est un projet de recherche initié en 2018 qui s’appuie sur plusieurs cycles de colloques, de journées d’études et sur une série de publications. Porté conjointement par l’Université Paris 8 Vincennes Saint‑Denis et l’Université Polytechnique des Hauts‑de‑France, il est né d’une réflexion sur la façon dont les lecteurs se réapproprient de nos jours la littérature qui se donne à lire sur la peau. Le projet vise à constituer un réseau interdisciplinaire de chercheurs dans le but de cartographier des phénomènes, en apparence épars et pourtant connexes, au croisement de la page et de la peau, du texte et de l’image, de la littérature et des Cultural Studies. La notion de « littérature dans la peau », inspirée par les travaux de Pierre Zoberman et Marie‑Anne Paveau sur la corpographèse, souligne aussi bien l’engouement pour les écrits sur le corps que pour les œuvres de fiction et les performances artistiques consacrées au tatouage.

« Les tatouages scripturaux » (Paveau, 2009) se présentent sous diverses formes (portraits d’écrivains, citations, illustrations), toutes à l’interface entre espace privé et sphère intime, entre visible et lisible. Étudier ces types de tatouages permet de mieux appréhender le désir d’archiver un fragment littéraire à même la peau, d’incarner la littérature dans sa dimension physique, parfois jusqu’à l’excès, tout en interrogeant la diffusion ainsi que la réception des œuvres référencées. La mise en fiction du corps est également envisagée à travers la circulation de citations dans les communautés de fans ou via les modalités interactives des réseaux sociaux. Ce numéro 4 de La Peaulogie s’intéresse donc à la dimension sensible et sensorielle de l’écriture corporelle et à la façon dont le culte littéraire s’exprime sur la peau. N’oublions pas que le mot « style » a pour origine étymologique « stilus », l’outil de marquage qui servait à écrire sur des tablettes de cire.

Lignes, tracés graphiques, surfaces encrées, impressions, parchemins et vélins, sont autant de termes que le tatouage partage avec l’écriture. Entre les objets scripteurs, les gestes de l’écriture ou du dessin et l’aiguille du tatoueur se noue une relation sensible et palpable. Conçu comme un numéro interdisciplinaire, l’ensemble de ce volume aborde le tatouage, non plus comme motif graphique uniquement visuel, mais comme support narratif proprement romanesque, théâtral, ou poétique.

Le tatouage constitue depuis longtemps un axe de recherche en anthropologie. De L’Uomo Criminale (1876) de Cesare Lombroso aux travaux du Dr Lacassagne (Le Tatouage : étude anthropologique et médico‑légale, 1881), les marques infamantes de la pègre sont répertoriées et archivées dans l’idée de modéliser une science du crime. À mesure que le tatouage se répand, en tant que pratique puis comme esthétique, la sociologie entrevoit dans cette mise en

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écriture du corps, la ligne de démarcation entre l’espèce humaine et animale[1]. La philosophie s’est elle aussi saisie des questions éthiques propres à l’écriture de soi[2]. En revanche, la critique littéraire a assez peu exploré la façon dont le tatouage a pu investir la fiction. La littérature s’empare très tôt du tatouage, véritable « ressort du topos romanesque de la reconnaissance » (Reverzy, 2012), depuis le hiéroglyphe sur le bras de Figaro (Le Mariage de Figaro) ou la fleur de Lys sur l’épaule de Milady de Winter (Les Trois Mousquetaires). On le repère dans le roman d’aventures où il est l’apanage du marin, la carte d’identité du harponneur (Moby‑Dick) et la marque de fabrique du pirate (Treasure Island ; Peter Pan). Dissimulé sous un vêtement, il livre une lecture érotique du corps. Quant à son dévoilement, il constitue le mécanisme dramatique de nombreux romans à sensation de ‘V.V: or, Plots and Counterplots’ de Louisa May Alcott à ‘Mr. Meeson’s Will’ de Rider Haggard.

À l’image d’autres topoi, le tatouage traverse tous les genres et sous‑genres littéraires parmi lesquels on retrouve des personnages tatoués, la figure de l’artiste en tatoueur et, bien sûr, les objets propres à la pratique du tatouage. Dans le roman policier, comme chez Conan Doyle, le tatouage constitue une mise en abyme contenant l’une des clés de l’énigme (The Red‑Headed League). La marque indélébile, la « bousille », signale un passé interlope (‘Rose’ de Guy de Maupassant), un itinéraire du crime que révèlent des initiales caractéristiques du bagne (Les Misérables) ou les formules distinctives des Bataillons D’Afrique (‘Pas de chance’, ‘Fatalitas’, ‘Né pour souffrir’, ‘Vaincu mais non dompté’)[3], autant de tatouages rébus, écrits antimilitaristes, formules vengeresses ou jeux de mots obscènes (Paco les mains rouges)[4]. Le temps carcéral inscrit en creux l’évasion spectaculaire à venir du bagne de Cayenne (Papillon). Le dermographe occupe également une place centrale dans la fiction, en tant qu’instrument de torture (La Colonie pénitentiaire) ou comme outil indispensable au prodige artistique (The Electric Michelangelo). Le corps tatoué, graffité, meurtri, victime de trauma ou, au contraire, sublimé en œuvre d’art (« Skin » de Roald Dahl), produit du récit et invite au déchiffrement

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en opérant « une transaction sémiotique » de l’image au texte (Louvel 2002, 147). Dans The Illustrated Man de Ray Bradbury, le tatouage devient même un personnage autonome, exogène, qui finit par se substituer au narrateur. La marque sur la page et la peau ne font plus qu’un.

Le questionnement autour de l’inscription du littéraire et de son appropriation est donc au cœur de la réflexion. Comment la présence du tatouage devient‑elle un indicateur épistémologique et culturel pour expliquer le nomadisme de la littérature en dehors des écosystèmes livresques habituels ? Comment des genres aussi divers que le récit d’aventures, le roman à sensation, le thriller, l’œuvre postcoloniale ou encore les fictions hypertextuelles, mettent‑ils en récit le corps tatoué ? Quelle valeur narrative accorder à l’écrit sur le corps ? Peut‑on aller jusqu’à employer le terme de « fétichisme littéraire » par le biais de l’incorporation du littéraire dans la chair ?

Ce numéro réunissant sept articles propose d’appréhender la notion de « Littérature dans la peau » à travers trois sections. La première, consacrée aux interactions entre corps et corpus fait dialoguer deux textes. « My hundreds of Inches of Skin: An International Portrait Gallery of Virginia Woolf Tattoos » de Caroline Marie condense à lui seul, multum in parvo, les multiples facettes de l’inscription du littéraire à même la peau. Lorsque le portrait est tatoué en hommage à la femme écrivain à la manière d’une miniature, il renvoie à une double culture visuelle, celle d’un passé où l’image, sertie comme en bijou, circulait dans l’intimité et l’autre, contemporaine, où le médaillon fait d’encre et de mémoire littéraire s’exhibe comme un signe d’appartenance. Dans cet article sur le statut iconique de l’écrivain, la peau devient le reliquaire du culte woolfien mais aussi le creuset d’une ramification de circulations icono‑textuelles démultipliées. La relation organique au texte, partie intégrante du corps, est également en jeu dans le texte de Jaine Chemmachery, « The Mark of the Beast as Trace of History » où il est question d’une mise en regard de deux romans contemporains : The Crimson Petal and the White (2002) de Michel Faber et Burnt Shadows (2009) de Kamila Shamsie. Ces deux récits historiques ont recours aux tatouages pour évoquer, d’une part, dans le cas de Faber, les traces animales, étranges, sur le corps d’une prostituée, Sugar, dont le nom fait écho au passé colonial et, d’autre part, les séquelles de la guerre perceptibles sur le corps d’Hiroko dans le texte de Shamsie.

La deuxième section est composée de trois articles sur le tatouage comme expérience traumatique de l’écriture de soi. Dans « Her other Bodies: a Travelogue de Brian Evenson. Rituels d’une écriture au scalpel », Nawelle Lechevalier‑Bekadar envisage le geste d’écriture comme un acte de cruauté. Cette nouvelle américaine qui n’est pas sans rappeler La Colonie pénitentiaire (1919) de Kafka, met en scène les rituels d’un meurtrier appliqué à graver

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des étoiles sur le corps de ses proies. Clémence Mesnier insiste également sur le lien entre la blessure auto‑infligée comme modalité d’inscription du souvenir. Son article, « Une incarnation littéraire du temps sur la peau. Corps écrits chez Stéphanie Hochet et Gillian Flynn » opère une triple comparaison entre Sang d’encre (2013) de Stéphanie Hochet, le filmMemento (2000) de Christopher Nolan et la série HBO Sharp Objects (2018). Enfin, l’article d’Eléonore Reverzy « De la chasse au renard et autres motifs : les tatouages dans l’œuvre de Pierre Loti » révèle que le tatouage, loin d’être une fantaisie exotique sur le corps, évoque des rites anciens sur le point de disparaître, tout en révélant la face cachée, plus trouble, de l’auteur.

Dans la dernière partie, il est question du tatouage en tant qu’« œuvre ouverte » dans la mesure où celui‑ci offre à l’interprète, porteur d’encre ou tatoueur, une œuvre à achever. Il est « une invitation à faire l’œuvre avec l’auteur » (Eco, 1965, 35). Marie Bouchet revient sur SKIN, le projet inachevé de Shelly Jackson, écrit pour que chacun des 1875 mots de la nouvelle soit inscrit sur le corps des participants. L’inscription, ou impression du texte sur la peau, n’a‑t‑elle pas ici plus de valeur que la lecture hypothétique du texte intégral ? Qu’advient‑il du texte tatoué quand l’un des participants vient à disparaître ? Cette interrogation sur l’écriture comme langage corporel est reprise dans l’article d’Amandine Mercier (« Tatouages et nudités dans Stills IV et V de Kris Verdonck. Dénudage et ré‑écriture de la condition humaine ») consacré aux projections de l’artiste Kris Verdonck qui, par un habile procédé d’habillage/déshabillage, utilise la technologie du video‑mapping pour recouvrir les façades de corps nus entièrement tatoués. Les tatouages se superposent aux graffiti pour faire de ce paysage cutané un livre ouvert et offrir un point de vue encré/ancré dans le littéraire. Ils dessinent des contours capables de se déployer dans le cadre de postures artistiques et politiques, vers d’autres poïétiques et domaines performatifs.

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Sommaire

La littérature dans la peau. Tatouages et imaginaires.

19 Caroline MARIE My Hundreds of Inches of Skin. An International Portrait Gallery of Virginia Woolf Tattoos

71 Jaine CHEMMACHERY The Mark of the Beast as Trace of History Animalistic Tattoos in Michel Faber’s The Crimson Petal and the White (2002) and Kamila Shamsie’s Burnt shadows (2009).

97 Nawelle LECHEVALIER-BEKADAR Her other Bodies: a Travelogue de Brian Evenson. Rituels d’une écriture au scalpel.

107 Clémence MESNIER Une incarnation littéraire du temps sur la peau. Corps écrits chez Stéphanie Hochet et Gillian Flynn.

121 Eléonore REVERZY De la chasse au renard et autres motifs. Les tatouages dans l’œuvre de Pierre Loti.

145 Marie BOUCHET The SKIN Project by Shelley Jackson. The Tattooed Text as a “Mortal Work of Art.”

171 Amandine MERCIER Tatouages et nudités dans Stills IV et V de Kris Verdonck. Dénudage et ré‑écriture de la condition humaine.

Comptes rendus

191 Bertrand LANÇON Micahel Syna Diatta, L’image de l’homme à la peau foncée dans le monde romain antique constitution, traduction et étude d’un corpus de textes latins.

197 Maude KERICHARD HÉAS Philippe Lançon, Le Lambeau.

205 Stéphane HÉAS Bertrand Lançon, Poil et Pouvoir. L’autorité au fil du rasoir.

My Hundreds of Inches of Skin 19

MY HUNDREDS OF INCHES OF SKIN

AN INTERNATIONAL PORTRAIT GALLERY OF VIRGINIA WOOLF TATTOOS

Caroline MARIE Référence électronique

Marie C., (2020), « My Hundreds of Inches of Skin: an International Portrait Gallery of Virginia Woolf Tattoos. », PremiersLa PasPeaulogie 4, mis en ligne le 5 mai 2020, [En ligne] URL : http://lapeaulogie.fr/my-hundredsLa Peaulogie,-of-inches -2of | -2018skin 20 My Hundreds of Inches of Skin: an International Portrait Gallery of Virginia Woolf Tattoos

ABSTRACT This essay argues that Virginia Woolf‑inspired literary tattoos ought to be envisaged as an international portrait gallery that creates a community of fans both reflecting and shaping today’s versioning of Woolf as a public figure and the epitome of literature for feminists. It focuses on tattooed portraits to show in what way the predominantly Beresford-inspired motifs shape, recontextualise, and storify the cultural object referred to as Virginia Woolf, collectively making up a significant discourse and narrative. It analyses the way Victorian, ethereal Woolf is figured through the imagery of the saint. It then understands her inked portraits in the light of eighteenth-century miniature and the imagery of family portraits. It finally understands the contemporary mystique of literature this creates in reference to the theory of the two bodies of the King.

KEYWORDS Virginia Woolf, literary tattoo, portrait, miniature, signature

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The popularisation and commodification of Virginia Woolf as not just an artist but a pop figure was first considered worthy of academic attention in Brenda Silver’s seminal essay Virginia Woolf Icon. In a chapter entitled “Quentin Bell’s Biography and Historical Products Inc.: Family Portraits,” she discusses the 1970s practice of offering Woolf message T‑shirts:

conceived as a form of symbolic exchange, the circulation of the T‑shirt and its status as gift served to counter the conventional image of Virginia Woolf constructed by the Bell biography. For whereas the Bell biography pushed the writings and the writer into the realm of ‘high culture’ where the genius/artist was divorced from politics and the public realm, the exchange of T ‑shirts by women in the 1970s undid the boundaries between high culture and popular culture, private and public, elite and mass. The result was to rewrite Virginia Woolf ’s relationship to the public realm, transforming her into a sign or token of an activist community. (Silver, 1999, 148) In 1999 Silver understood the dissemination of Woolf ’s image “the T‑shirt phenomenon” (117) contributed to in terms of cultural anxiety. She paid attention to its “dual trajectory: on the one hand, the recurrence of the motif and its association with fear; on the other, the ways in which this fear has been and can be rearticulated and reinscripted for new possibilities and pleasure.” (27) It seems to me that twenty years later the portrayal of Virginia Woolf, her face in particular, conveys less ambiguously positive cultural values and that this new trend is exemplified most clearly in the recent emergence and flowering of Woolf‑inspired literary tattoos. What cultural shifts does this transfer of the Virginia Woolf motif from fabric to skin entail? Is not what is at stake different when women wear her image to cover their skins and when that image is marked inside their skins directly so that it becomes permanently visible on its surface? Not unlike the 1970s T‑shirts, Woolf‑inspired literary tattoos create a community of fans acting as cultural shapers of Woolf ’s public figure. Unlike T‑shirts, which rely on standardised duplication and short‑term consumption and exchange, however, tattoos imply more or less artistic variation, individual appropriation, and long‑term bodily inscription. Together, as a series, such tattoos read as “mobile works of art” (Chassagnol, 2018, 62) and make up two different types of communities, the more or less worldwide web‑connected community of Woolf tattooees on the one hand and, on the other, the group of tattoos themselves that, I argue, may be envisioned as an international portrait gallery of Virginia Woolf ’s.[1]

56 out of the 97 tattoos explicitly representing, quoting, or illustrating Virginia Woolf and her works I have gathered from Google searches and social media

1. I would like to thank Brigitte Friant-Kessler and Patrick Hersant for their comments and suggestions when a version of this article was first read during the “Littérature dans la peau” conference at the Musée d’art et d’histoire Paul Eluard.

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such as Pinterest and Instagram[2] so far, are portraits (see table below). In this essay, I will focus on those portraits to show how the Portrait Gallery of Virginia Woolf tattoos, the Beresford‑inspired variations in particular, reflect and shape our reception, or rather our construction, of that unique literary and cultural item that is Virginia Woolf, biographical woman, writer, icon, and legend.

Virginia Woolf Icon read Woolf ’s face in relation to two sets of contradictory values, the beauty/monster dichotomy theorised in reference to the mythical figure of Medusa, and the silence/speech opposition in reference to that of the Sphinx. Twenty years later, Woolf tattoos renegotiate those cultural tensions in a way specific to the medium. Tattoos on the female body question the feminine beauty canon along similar beauty/monster dichotomies, as illustrated in self‑explanatory article titles such as: “Revolting Bodies: The Monster beauty of tattooed women” (Braunberger, 2000), or: “(Monstrous) Beauty (Myths): The Commodification of Women’s Bodies and the Potential for Tattooed Subversion” (Craighead, 2011).[3] Since, as far I observed, Woolf‑inspired tattoos are sported by women exclusively, they are a case in point to analyse the way Woolf is now portrayed as an inspirational figurehead rather than a fearsome Gorgon.[4] When read as mobile jigsaw pieces, Woolf‑inspired tattoos sketch a slizzing puzzle portrait of the writer, shedding light on the cultural values and conventions that are projected onto her, sketching a definition of literature as embodied by Woolf today in the process.

Therefore,I will not discuss the psychological, social, or experiential processes that inspire people to have Virginia Woolf drawn onto their bodies.[5] Not that I find the personal stories that account for the myriad Woolf tattoos I have collected online unworthy of interest; I merely agree with Nikki Sullivan that tattoos cannot be essentialised as “both the external expression of an inner essence,” that of the tattooed subject, “and a (potential) source of knowledge, of mastery, and thus of freedom” of their life histories, partly because this would wrongly imply “a reliance on an expression‑reception model of communication that assumes that both meaning and identity are decipherable and definable.” (Sullivan, 2001, 2; 2; 4) I do not presume to investigate Woolf‑inspired tattooees’ lives or motives here, nor to read their

2. A “Virginia Woolf ” search on the “original literary tattoo blog” www.contrarisewise.org returns no result. My search spanned from April 15 to August 31, 2019. 3. On this topic, also see Atkinson and Riley. 4. On the changing figuration of Virginia Woolf in post-2010 bande dessinée, graphic novel, and comics see my article “The Many Faces of Virginia Woolf.” 5. Marquis Bey, Catherine Grognard, Margot Mifflin, and Atte Oksanen & Jussi Turtiainen are typical of this hermeneutic approach.

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historiated skins as “a cry of the soul which tears the skin” (Grognard, 1994, 16; qtd. Sullivan, 2). Nor do I intend to find out whether they are long‑time Woolf aficionados or “a broad spectrum of people who might never have read a word of her writing or even realized that a real woman named Virginia Woolf had lived » (Silver, 1999, 9). Rather, I am interested in the ways literary tattoos (trans)form (Sullivan, 50) iconic Woolf when read as a corpus.

I will read tattoos as “affective dramatizations of (inter)subjectivity or (inter) textuality” because it suggests “the image of the body as a map that does not simply reproduce a tracing of interiority, but more importantly performs infinite (dis)connections with other textual bodies that are never separate from itself.” (Sullivan, 7; 8) I will understand them as speech acts as defined by Judith Butler in Excitable Speech, in reference to Austin’s How to Do Things with Words. Although tattoos are not insults, Butler’s definition of insults applies to them. They may be read as “discursive performativity,” since “speech is always in some way out of control,” which makes it possible to “delink the speech act from the subject in some instances” (Butler, 1997, 14; 15; 15). When envisioned as a collection or corpus, the signification of Woolf‑inspired tattoos exceeds the sum total of their individual intentionalities or messages to (re)(con)textualise the author they picture and storify collectively as well as the bodies they ornate individually. They both are shaped by and shape a specific regime of contemporary appropriation and dissemination of what Brenda Silver has called “versionings” of Woolf (26). To echo Woolf ’s 1920 diary entry, I choose to ask: what reflections of Woolf are diffracted into “hundreds of inches of skin”[6] (Woolf, 1980a, 17)?

Therefore, I will not read the “lit tats” in my gallery as primarily about literature but rather as significant discourse and narrative. Sullivan explains: “my aim, unlike Grognard’s is not to ask what does the tattooed body (as text) mean, or what does it tell us, in a universalizing sense, about the ‘human condition’. Rather, I want to explore how the subject in/of tattooing exists in contemporary Western culture, what it does.” (Sullivan, 2001, 3) In keeping with the museum studies notion that collections and galleries do not merely preserve and exhibit knowledge but actually shape discourses of knowledge, memory, and legitimation (Bennett, 2004; Davison, 2005; Hooper‑Greenhill, 1992; Latour, 1995), I will ask what Woolf‑inspired ink portraits do rather than what they mean or, more precisely, not what they mean individually but what they do as a bunch, collection, or portrait gallery, keeping it in mind that “it is possible to read the tattoo as a picture that tells stories, whilst at the

6. The entry is about “lice psychology” as both Leonard and the maid Lottie had rashes, but not Virginia: “But imagination! By taking thought I can itch at any point of my hundreds of inches of skin. I do it now.” (1980a, 16-17)

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same time recognizing that the stories tattooed bodies could be said to tell are never simply stories of/as the truth.” (Sullivan, 185). I will first consider them as self‑reflexive expressions of the passing of time and (trans)formation. I will then analyse the way ethereal, ghostly Woolf is versioned through the imagery of the saint. In relation to the model of miniatures, I will articulate Woolf ’s ink portraits with family portraits and reliquaries, recontextualising the theory of the two bodies of the King which may be operative to understand the poetics of literary portrait tattoos.

Although I am aware that it has an impact on the narrative they produce for the tattooee, I am not investigating whether they are single tattoos or part of a collection of tattoos. I am, as it were, cutting them out of their psychological, sociological, and iconographic context, in the way illuminated images from medieval manuscripts were, from the eighteenth century to the early twentieth century.[7]

7. “The pioneer in using manuscript illuminations cut out of their contexts, copied and re‑engraved to illustrate history was the artist and engraver Joseph Strutt (1749-1802). His Complete View of the Dress and Habits of the People of England, published in 1796, arranged details from individual miniatures in manuscripts belonging to the British Museum, ‘grouping them as pleasingly as the nature of the subject would admit’.” (Camille, 1998, 28)

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An inventory of my International Portrait Gallery of Woolf Tattoos (April 15, 2019 – August 31, 2019)

Portraits 47 Beresford-inspired head and shoulders 36 (Virginia Stephen, 1902) copy 11 & flowers 5 & flowers, frame & dove & flowers & moon cycle & flowers & candle & leaves 2 & frame 3 & wings or halo – flash tattoos 2 & signature 2 & lighthouse 2 & waves & Frida Kahlo & heart & handwriting & books drowned Virginia divided Virginia Double-faced Virginia 4 Man Ray-inspired head and shoulders (Virginia Woolf 1935) & flowers & leaves Full length Virginia dressed as a man reading & flower Freund-inspired head and shoulders (Virginia Woolf 1939) Family portrait-inspired Virginia in a black dress head and shoulders Drowned Virginia full-length portrait Virginia and Colette dancing full length Portraits & quotes 9 The Waves (all Beresford-inspired) Orlando Mrs Dalloway – quote from Shakespeare’s Cymbeline “Fear no more/ the heat o’ the sun / Nor the furious / winter’s rages” & flowers Mrs Dalloway — incipit & flowers A Room of One’s Own Three Guineas “ANONIMO” “ANON” drowning Virginia “BROKEN CHARACTERS” Name & signature 4 Signature 2 Name 2 Quotes &titles 31 Woolf through other writers 6

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THE BERESFORD PORTRAIT: TIME (TRANS)FORMS More than half of the 97 Woolf-inspired tattoos in my collection are portraits. Out of the 56 portraits, 53 are heads and shoulders and 3 full‑length figures, 47 are images only, 2 portraits with signatures, and 9 drawings with quotes. Arguably at least 45 copy the photographic portrait of twenty‑year old Virginia Stephen in profile taken by George Beresford in 1902 [https://www. npg.org.uk/collections/search/portrait/mw08081/Virginia-Woolf], which has unquestionably contributed to “the construction of her star image and made her transformation into icon particularly feasible” (Silver, 1999, 18):

This is the photograph that appears on the front cover of the Bell biography and in many of the reviews; it hangs in the National Portrait Gallery in London and is reproduced on many of their products,[8] as well as providing the model for the images of Virginia Woolf seen on most T‑shirts, posters, and mugs. Hermione Lee, doing her own reading of the face, speculates that the constant reproduction of this portrait has done as much as anything to perpetuate her ethereal, refined, vulnerable image. (130) Silver finds that the main difference with portraits of contemporary female writers such as “Edith Wharton or Willa Cather is its appearance in anthologies of beautiful women”[9] as well as their “direct gaze and business‑like stance” while Woolf “look[s] past the camera into the distance, a gaze that in nineteenth‑century celebrity photography conveyed ‘an air of weighted seriousness,’ of farsightedness, but might strike some viewers as anachronistic or too detached in a more free‑for‑all, engaged, environment.” (137) She distinguishes between the gaze of the Sphinx in the most famous of the Beresford photographs of Woolf at twenty and the gaze of Medusa in the series of portraits by Lenare when she was in her late forties [http:// www.nationaltrustcollections.org.uk/object/803062]. Like Medusa, the 1929 Lenare portraits are monstrous in that in “assuming a frontal position that ‘functions like the ‘I‑You’ relation,’ Virginia Woolf not only insists on

8. In 1997 it was “the most popular postcard” among the +/- 400 of the Gallery, the Head of Retailing and publication explained, and had “‘sold upwards of 25,000 loose cards during the past five years’” so that the gallery “developed a small range of other products around the image including a bookmark, paperweight, fridge magnet, greeting card and… mug’ which ‘sold more than 2000 pieces this year [1997] through the gallery alone’” (Carr-Archer, 1999; qtd Silver, 1999, 278). 9. The Pre-Raphaelite beauty of the women in the Stephen family was legendary and staged deliberately in family photographs and posed portraits alike (See Silver, 1999, 130). Virginia’s mother, Julia Stephen, née Jackson and former Mrs. Herbert Duckworth, is presented as “Beauty and philanthropist” on the National Portrait Gallery site which shows eight pictures of her, including portraits by her aunt and godmother Julia Margaret Cameron. She sat for Burne- Jones and Watts. https://www.npg.org.uk/collections/search/person/mp17975/julia-prinsep- stephen-nee-jackson-formerly-mrs-duckworth]

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the viewer’s presence, drawing her or him into the discursive moment, but demands a dialogue. Virginia Woolf becomes ‘fighting words.’” (Marin, 1980, 306, qtd Silver, 1999, 143‑44)

I will argue that, far from “anachronistic” and however unified, standardised, and commodified, the tattooed copies of the Beresford portrait Silver associates with the silence of the Sphinx take on Medusa‑like force and “become ‘fighting words.’” Their potential disruptive power shifts the cultural dichotomies analysed by Silver. The saint/ghost ambiguity is now superimposed over the beauty/monster dichotomy of Medusa’s mythical gaze while the silence/speech of the Sphinx dovetails with the blurring of real life and fiction.

The series of tattoos (fig. 1) that more or less artfully copy the young Victorian beauty staged by Beresford emphasize her “uncanny otherworldliness” and produce not so much a “monster” (Silver, 1999, 138; 27) as a ghost. What is inked into skin is a duplicate of a duplicate, meta‑aesthetically questioning the very notions of origin and original. If Beresford‑inspired tattoos are ink copies of a silver paper image that itself copies and de‑realises a real‑life female face, itself artfully and deliberately constructed as out of this world, how could they reveal any truth about Woolf herself?

Fig. 1. Some items in my collection of Beresford-inspired Virginia Woolf portraits[10].

After G.C. Beresford “Virginia Woolf.” 1902. National Portrait Gallery https://www.npg.org.uk/collections/search/portrait/mw08081/Virginia-Woolf

Fig. 1a. “My Virginia Woolf Tattoo - YouTube.” Google search.

10. All screenshots by Caroline Marie.

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Fig. 1b. laslecturasdemrdavidmre.blogspot.com.es. “Tatuaje de Virginia Woolf.” Pinterest.

Fig. 1c. “Vrginia (sic) Woolf foi uma (sic) escritoria inglesa…” Google search.

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Fig. 1d. Tattoosbycarmie. “Kind of blurry pics. All healed just a little flaky.” Instagram.

Fig. 1e. Tiny Love. “Hello here is my new tattoo of Virginia Woolf.” Twitter.

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Fig. 1f. Lauralutrae. “Virginia dans toute sa splendeur. Et de 2, merci à #coco_vagina !” Instagram.

Fig. 1g. Chadia_ash_L’Atelier des Moires. « Portrait de Virginia Woolf pour la fabuleuse @novembre_tattoo. » Instagram.

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Fig. 1h. Pete_b_tattoos. “Did some more on this women’s (sic) lib sleeve today. Here’s a finished Virginia Woolf…” Instagram.

Fig. 1i. Nick Matthews Tattoos. “Portrait of Virginia Woolf ‘For Most of History, anonymous was a woman’#.” Google search.

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Fig. 1j. “By Tattoo A Piece. Done in Seoul. http://ttoo.co/p/29671.” Inked-app.com

Fig. 1k. Virginia Lopes (@&hells_tat). “Virginia Woolf também da Mari. Mulheres incríveis para essa mulher maravilhosa ♥.” Imgrumtag.

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Fig. 1l. No title. Imgrumtag.

What they might be understood to do is point to the fact that Woolf ’s face is always already a duplicate in the process of being transferred to other surfaces and that it functions as a cultural shifter, a space of appropriation, (self‑) projection, and (trans)formation.

As it gets transferred onto skin, Virginia Woolf ’s portrait conveys both more or less fixed stereotypes and their potential subversive force. 14 out of the 45 Beresford‑inspired tattoos emphasize her youthful appearance, signalled by the white lace dress in the original portrait, with additional flowers or leaves redundantly asserting her innocence. These stereotypical vegetal markers of femininity do not so much depict Woolf the fully-fledged writer as Virginia Stephen, a figure of potential self‑definition and self‑assertion, herself a work in progress, a face to be written on and defined by life and experience, “(trans) formed” through a process of “(un)becoming” (Sullivan, 2001, 50; 113). This is paradoxical, since all 9 portraits inked alongside quotes from Woolf ’s works are Beresford‑inspired.

Tattoos inscribe temporality into skin in a paradoxical gesture of control and acceptation of the body’s mortality: “There is an inherent dichotomy in the experience of having a tattoo. The tattoo is a permanent emblem that is marked on a transitory entity. The body will change, but the tattoo’s

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placement and iconography will remain the same. Of course, as the body ages and decays so will the tattoo.” (Kosut, 2000, 97) It makes sense, then, that the arm piece by Dwam (fig. 2a) should associate the Beresford portrait, flowers and thorns evocative of beautiful yet potentially dangerous nature and the passing of time, and the lines from Shakespeare’s Cymbeline Mrs Dalloway reads “in the book spread open” while reflecting on “[t]his late age of the world’s experience had bred in them all, all men and women, a well of tears”: “Fear no more the heat o’ the sun / Nor the furious winter’s rages.” (Woolf, 2000a, 6; 7) In comparable manner, the tattoo by Ligia Castro (fig. 2b) on her friend Carol’s thigh combines the delicate delineation of Woolf in her light dress, a bunch of oversized flowers in the lower right corner, and seven moon phases in the upper left. The Moon is another stereotypical marker of femininity which may also refer to Woolf ’s tragic death and the notion of fate.

Fig. 2. Beresford-inspired Woolf tattoos with flowers and leaves.

Fig. 2a. Dwam. “Woolf tribute on my dear @thelmathefirst.” Instagram.

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Fig. 2b. Ligiacastrotattoo. “Esboço do trampo da Virginia Woolf pra best @carol_sekhmet.” Gorzavel.

Fig. 2c. Deewhitetattoo. “Small portrait of Virginia Woolf for Lily! (Hair detail done with a single needle).” Instagram.

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Fig. 2d. Sanmantattoo. “Tatuajes feministas solo en SanMan Tattoo Parlor!!!” Instagram.

Fig. 2e. Alex. “Happy birthday to Virginia Woolf.” Saveig.

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Fig. 2f. Camilla Geiger. “Virginia Wolf for Elia.” Pikord.

Fig. 2g. No title. Mystalk.

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Paradoxically, if the tattooed portraits of Woolf depict her as arrested in time, forever in flower, her youthful face also epitomises becoming, the instability of the self — being Virginia Stephen/becoming Woolf —, and the fact that “Time Passes,” to quote the title of the second section in To the Lighthouse.

Even the three instances of ink portraits copied after the 1937 Man Ray series that show a respectable‑looking middle‑aged Woolf — one of which made the Time cover on April, 12th [http://content.time.com/time/ covers/0,16641,19370412,00.html] — frame her face within cherry blossom or leaf patterns (figs. 2c; 2d). One inner lower arm piece is particularly interesting in that it combines the Beresford and the Man Ray (fig. 2e). Although Woolf looks middle‑aged, her puffy bun and dreamy attitude as she reads come from the Beresford while her torso, which emerges out of a huge water lily flower, is dressed in a manly way that accentuates the austerity of the clothes in the Man Ray portrait, the tie blouse and jacket now a shirt and bowtie with waistcoat and jacket. This tattoo is a rare contemporary instance of the monstrous male/female dichotomy Silver associates with the Lenare portrait. On the whole, botanical motifs, which might at first sight seem unsuited to the representation of a mature woman, illustrate how deeply Woolf is culturally associated with conventional figurations of the feminine as well as this notion of growth and (trans)formation that is so prominent in Woolf‑inspired tattoos and, arguably, essential to tattooing itself.

Woolf ’s face, especially as captured by Beresford, thus becomes a prototypical, sometimes even stereotypical, iconographic motif integrated into new webs of signification through instances of inter‑iconic hybridation that may be only loosely semiotically related to their source. The young girl in flower’s face becomes a motif with a life of its own. Its reduplication engenders a genealogy of tattoo patterns that popularise, normalise, and cross‑pollinate Woolf with today’s familiar or fashionable motifs as well as the idiosyncratic style of tattoo artists until she looks like a Frida Kahlo beauty with huge exotic flowers in her hair on a tattoo by a Spanish artist (fig. 2f ) or a young Japanese girl in a kimono inside a half‑wreath of cherry tree blossoms by a Polish one (fig. 2g). Note that the cherry blossom is associated with both Beresford‑ and Man Ray‑inspired tattoos. One may wonder, may these patterns still be considered literary tattoos or have they transformed Woolf into a meaningless commodity? Has her face become an immediately identifiable but meaningless pattern in a dematerialised tattoo pattern catalogue?

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Fig. 3 Variations on Saint Virginia

Fig. 3a. Paula Maggio. “Where will you put your Virginia Woolf tattoo?” Blogging Woolf. Tuesday 8 March 2011.

Fig. 3b. Lenarey.art. “Virginia Woolf.” Instagram.

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Fig. 3c. Who.says.ni. “Mrs Dalloway said she would buy the flowers herself. Early birthday present for one of my dearest friends.” Instagram.

Fig. 3d. Boquitadebratz. “Virginia Woolf ♥ otra mujer fuerte y valiente para @camilia.garzo n.391.” Instagram.

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Fig. 3e. Botanical tattoo. “Portrait of Virginia Woolf for the lovely Jesi.” Instagram stories. Storgram.

Fig. 3f. Learnbyart. “And then I got a portrait of Virginia Woolf…” Learnbyart.wordpress.com

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Fig. 3g. Virginiawoolftimeless. “Virginia by tattoo artist @ashleighbaytontattoos.” Instagram.

Fig. 3h[11]. Woolfbites. “Virginia Woolf calf tattoo.” Tumblr.

11. 3h’s caption underlines such fetishisation of the Victorian: «some more frame work, Vita [Sackville West, whom Woolf had an affair with], and Oscar Wilde soon to be on their way!»

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A CULTURAL SHIFTER: THE GHOST, THE SAINT My hypothesis is that the very standardisation of inked Woolf conveys cultural meaning, not in spite of its half‑artistic half‑mechanical reproduction, but because of it, as illustrated in two very simple tattoos. The first, a temporary one, was circulated for the 2010 International Virginia Woolf Society Conference “Back to Bloomsbury” (fig. 3a). Above the Beresford intricate bun, two wings circle the word “Bloomsbury,” pointing to Woolf ’s sacred status today. A later flash tattoo shows two wreaths of flowers instead of the original wings, but a half‑circle of short lines suggests a halo (fig. 3b). The cultural phenomenon Brenda Silver calls Virginia Woolf Icon in reference to the mythical feminine figures of Medusa and the Sphinx has turned into a religious icon today. The writer who was nicknamed “the High Priestess of Bloomsbury” by her detractors in her lifetime now is graphically canonised. The imagery of the saint, a popular tattoo motif, is now superimposed over the ghostly face of the Beresford portrait.

It is noteworthy that in my gallery the two highly‑detailed blackworks that are not mere outlined head and shoulders portraits but include part of the torso as well, read as religious icons (figs. 3c; 3d). As already observed on the Beresford‑ and Man Ray‑inspired head and shoulders portraits, the saint’s body is visualised in reference to growth and the botanical. Both show Virginia’s virginal dress turning into a stole of flowers, combining the imagery of the embroidered clothes of religious statuary and the image of Ophelia into a life/ death dichotomy. Virginia’s monstrous, canonised body — a much‑discussed cultural issue — is at once natural and abstract, disembodied and associated with fertility and the cycle of life, birth, growth, death, and rebirth. It speaks of metamorphosis in the present moment while emphasizing stereotypical visual markers of the Victorian.

An arm piece (fig. 3e) offers a versioning of Saint Virginia that is culturally meaningful in that it combines the visual markers of the feminine and the religious: the wreath of leaves and flowers below her face turns into the circle of a halo above it. A lit candle under her neck signals her canonisation as well as the tattoee’s faith in her legend.

Alongside the two Victorian‑looking Allegory of Spring‑inspired tattoos, three others highlight the Victorian aesthetics of the Beresford photograph (figs. 3f; 3g; 3h). It seems highly paradoxical, even contradictory, perhaps, that Virginia Woolf, who resolutely sought to define herself against her Victorian upbringing and the Edwardian society she lived in, leaving the stifling family home at 22 Hyde Park Gate in Kensington to settle in Bloomsbury with her siblings and friends, inventing Bohemia and “[k]illing the Angel in the House

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[as] part of the occupation of a woman writer”[12] (Woolf, 1966, 286), should be so consistently figured on skin as an ethereal Victorian beauty. Are we to conclude that Woolf tattooees neither know nor understand anything about her historical and literary importance or impact and brainlessly consume her pop portrait while any other silly old female face would do just as well? Shall we wisely ignore their fashionable iconographic Mumble Jumble, thinking, like Helen discussing Richard Dalloway’s kiss with Rachel in Woolf ’s first novel: “‘Oh, well […] [s/]he was a silly creature, and if I were you, I’d think no more about it” (Woolf, 2000b, 79)?

On the contrary, envisioning them as a gallery makes it clear that there is nothing jejune in those tattooed appropriations of Virginia Woolf ’s face, although there might be instances of misknowing, misreading, or misunderstanding on the part of some of the tattooees individually — a track this essay chooses not to follow. What is of interest in my corpus as collection is the way those tattooed portraits construct Woolf as a timeless icon and an icon of time, a “matron saint” (Silver, 1999, 129) and, at the same time, a next of kin. My theory is that the imageries of the ghost, the eternal feminine, and the saint articulate with that of the family portrait in a way that is best understood in reference to the aesthetic and cultural model of the miniature fashionable in eighteenth‑century England.

TATTOOS AS MINIATURES INKED INTO SKIN: THE LOGIC OF RELICS Miniatures are small‑scale portraits originally painted on vellum and later on ivory mounted into richly ornamented jewels or boxes. Such “portrait‑objects,”[13] Marcia Pointon explains, are “a continuation of the

12. Woolf wrote that: “Killing the Angel in the House was part of the occupation of a woman writer” (1966, 286) in a paper she read to the Women’s Service League in 1931. In this talk, she also struggles to “tell the truth about [her] own experiences as a body” (288). “The Angel in the House” is the title of a narrative poem depicting the Victorian feminine ideal by Coventry Patmore. 13. Pointon’s theory regarding the spiritual value of portraits in Protestant societies sheds a thought-provoking light on the fact that more than half of Woolf-inspired tattoos are portraits: “Reliquaries commonly encase — sometimes offering to view behind crystal or glass — a body part of material fragment that stands as a surrogate for a presence at once mystical and phenomenological. Portrait images as such have little or no place in reliquaries. Yet there is evidence for a congruence between the mode of operation of the reliquary and that of the portrait-object. In Protestant cultures, perhaps precisely on account of the elimination of official shrines, the secular reliquary functioned in devotional ways that are self-consciously analogous to religious reliquaries. Portraits and hair were commonly given equal importance in such constructions, which include hidden elements, secret compartments, and ‘windows.’” (61)

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Renaissance and seventeenth‑century practice of accumulating medals and creating imagistic family trees.” (Pointon, 2001, 48) They are “mark[s] of private loyalty” usually to “male kin”[14]: “women of quality are known to have worn miniatures of their husbands; these were not hidden but placed facing outward as part of their apparel.” (53; 53; 51) There are many resonances between miniatures and “cameo tattoos,” a sub‑genre much‑discussed on the internet which transfers portraits back onto skin, the original surface on which miniatures were painted. In both cases, the body functions as a private site of public display of what is redolent of one of the oldest indexical functions of tattoos, that is to say to materialise control and ownership, either economic (slaves or prostitutes), political (prisoners), or sentimental (lovers or next of kin).

Miniatures might actualise the owner’s allegiance to her family or king, as illustrated in pieces of jewellery “containing portraits of Charles I and Charles II and sometimes also locks of their hair; these artifacts are quasi‑reliquaries” (Pointon, 2001, 49; 56). More to the point for my argument, they may express literary allegiance: the inventory of George and Olive Craster’s miniatures mentions “a Cornelian Socrates’s head” while the Wallace collection owns “a small box made in Dresden about 1775 of cornelian inlaid with gold” containing “a secret slide, which, when drawn out, reveals the portraits of Voltaire (on one side) and of his mistress, Émilie, marquise de Châtelet (on the other), painted on ivory.” (56; 61) That miniatures could feature philosophers and writers as well as husbands and kings points to the intimate, sensual rapport with literature they mediated. Men of letters too were “worn as a kind of talisman.” (60) This ties in with Silver’s remark that in the 1970s Woolf message T‑shirts “carried on the strong tradition of the political button within the women’s movement from the nineteenth century on, which often featured images of leaders such as Susan B. Anthony, Elizabeth Cady Stanton, and Lucy Stone.” (Silver, 1999, 145) Indeed, Susan B. Anthony T‑shirts were circulated alongside Woolf T‑shirts. In this light, tattoos appear to carry to the fore the sensual connexion of miniatures, buttons, or T‑shirts materialising faith in a wide scope of thinkers, intellectuals, and activists from Socrates to Voltaire, from Anthony to Woolf.

Pointon underlines that “[t]he importance of keepsakes lay” “not only in the image they offered of a loved one but also in the fact that they were transportable. Such objects were endowed discursively with well‑nigh magical properties, endorsing their proximity to relics.” (67) As images

14. Pointon defines miniature as “a site for the inscription of sexual difference”: “the condition of the miniature as portrait-object is gendered; women might publicly display on their persons men’s images, but men might not act reciprocally without loss of masculinity. Men owned and cherished but did not normally publicly display portrait miniatures.” (59)

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interfused deep inside skin, the faces of Virginia Woolf, icon and saint, those “mobile works of art,” actualise the fantasy of carnal possession and appropriation of the Other toyed with by print T‑shirts and miniatures, those “ambulant portraits” (Chassagnol, 2018, 62; Pointon, 2001, 501). If miniatures “generate[d], in eighteenth‑century England, a mass of affective imagery narrating contemplative moments, often with erotic implications, in which solitary young men and women gaze at miniatures,” it could be argued that tactility and “material eroticism” (Pointon, 63; 54) are as permanent as tattoos themselves. After all, those inked portraits are bound to be admired and caressed when their wearers are.

In this light, the oval frames circling the family portrait‑styled copies of the Beresford photograph are not simple markers of nostalgia, either as memorabilia or Victoriana, even though they may operate as such too. They are not so much memento moris as spaces of negotiation between the self and the Other. The frame graphically suggests (trans)formation, as the copy of a copy is transferred onto skin, self‑consciously materialising complex interaction, separation, and connexion of the tattooee to Woolf.

THE THEORY OF THE KING’S TWO BODIES: A POETICS OF TATTOOED PORTRAITS It could be considered, then, that the “theory of the king’s two bodies” (63) Marcia Pointon conjures up to define the values of miniatures in eighteenth‑century England applies to writers as well as monarchs, and to tattoos as well as miniatures, arguably even more so since the “reliquaries” are enshrined into skin. This notion was first theorised in the 1950s by Ernst Kantorowicz in The King’s Two Bodies. A Study on Medieval Political Theology. He explains that the king has two bodies, the body natural, which has physical attributes and is mortal, and the king’s other body, the body politic, which symbolises his divine right to rule and achieves the continuity of the monarchy. As pieces of jewellery, miniature portraits likewise produced continuity as they were owned by women and “bequeathed as heirloom or as gift,” carrying “narratives of continuity and signif[ying] the transvaluation of the material into abstract qualities such as history or spirituality.” (Pointon, 2001, 56) The global portrait gallery of ambulant Virginia Woolf ’s, I would like to suggest, likewise conveys continuity but of a different nature, one that has to do with literature. It embodies the possibility of feminine literature and an alternative history of literature, in other words the type of alternative literary lineage or “visual family tree” (49), Woolf envisioned and called for in A Room of One’s Own (1929):

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For we think back through our mothers if we are women. It is useless to go to the great men writers for help, however much one may go to them for pleasure. Lamb, Browne, Thackeray, Newman, Sterne, Dickens, De Quincey — whoever it may be — never helped a woman yet, though she may have learnt a few tricks of them and adapted them to her use. The weight, the pace, the stride of a man’s mind are too unlike her own for her to lift anything substantial from him successfully. The ape is too distant to be sedulous. (Woolf, 1993, 69) The enumeration of canonical male writers presents them as impossible ancestors whose inability to bequeath anything to women writers defines women writers as free of any male legacy dramatise. It is noteworthy that this anti‑lineage is expressed through body imagery, as though the incompatibility were biologic, genetic even, as suggested in the humorous yet violent image of the male writer as “ape.”

For Virginia Woolf, writing is of the body. Tattooed Woolf portraits “achieve the ultimate rapprochement between flesh and text” (Chassagnol, 2018, 67). Together with the bodies of the tattooees, they embody the continuity not of monarchy through the king’s body politic but of literature through Woolf ’s face. Her imaginary daughters and yet her daughters in the flesh actualise the possibility of Woolf ’s revolutionary literary notion of “thinking back through our mothers.” The jewel she bequeaths them is literature or, more precisely, the possibility of a self‑generated literature that is not unlike the self‑(trans)formed body of the tattooee, a poetics and a politics. The Sphinx Silver associated with the Beresford portrait no longer mutters mysterious messages; on the contrary, the portrait gallery of Beresford‑inspired tattoos proclaims: “Virginia Woolf is dead. Long live Virginia Woolf!” which is another way of saying: “Literature is dead. Long live women’s lit!”

Tattooed Virginia Woolfs do not merely signal bookworms to a like‑minded community, quote, or mean literature, they do something to literature, they speak literature, (trans)forming Woolf into the face and flesh of literature. In this context, the cultural meaning of the three hagiographic tattoos that dramatise Woolf ’s suicide exceeds the biographical fascination with her death (fig. 4). A large backpiece (fig. 4a) shows her as Greek goddess illuminated by rays of light that transcend the dark landscape. An arm piece (fig. 4b) shows her Beresford‑inspired head standing out of water above the caption “broken characters,” playing on the polysemy of the word, referring to psychological traits, fictional personae, as well as the materiality of the tattoo. A small silhouette arm piece (fig. 4c) combines the representation of her death, her sacred dimension conveyed by the organically realistic heart that mirrors the conventional religious iconography of the sacred heart in Western art, and her literary status as a prophet or mediator between god and women illustrated by the bird that Woolf so famously heard speaking in Greek: she is literature’s sacred body. She triumphs as words, “Unvanquished / Unyielidng” (fig. 4i).

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Fig. 4 The Theory of the King’s two bodies

Fig. 4a. “Kelly’s Virginia Woolf backpiece by MyHerdHertz…” Google search.

Fig. 4b. Lixi_sickandnormal. “Tiny portrait of Virginia Woolf for dearest @nitram_ayal_yer.” Instagram.

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Fig. 4c. Sr.loki.studio. “No hay necesidad de apresurarse…” Instagram.

Fig. 4d. Raulbussot. “Virginia-Woolf-Web.” www.bussot.com

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Fig. 4e. Ayako666. “Merci Maude!” Instagram.

Fig. 4f. No title. Google search.

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Fig. 4g. Adriadeyza. “Commissioned portrait of Virginia Woolf for the lovely Sandra…” Instagram.

Fig. 4h. Beatricemyself. “A tribute to Virginia Woolf. Merci Claire.” Beatricemyself.blogspot.com

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Fig. 4i. @tiny.toad. “Virginia Woolf for Ado from when I was in Oakland, done at @funkytowntattoo.” Insta.tikvid.net

Fig. 4j. “Fiz minha primeira tautagem, aí está.” Livroecafe.com

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Fig. 4k. Eyekandi_ink. “Author Virginia Woolf, I got to tattoo this at the #fuelhearts2019 convention in Maine and on Saturday won 1st place medium black and grey…” Instagram.

This complex figuration of Woolf is in line with the Romantic conception of the author, embodying “a new deal between life and discourse that support one another” (“une donne qui semble nouvelle entre la vie et le discours, qui s’étayent l’un l’autre” Brunn, 2001, 25). This confusion between the biographical and the textual, according to Alain Brunn, defines today’s author’s mythology: “The authorial mythology is changing indeed because the interaction between the biographical and the textual seems to be more systematic and become the work itself ” (“La mythologie auctoriale change en effet, parce que le rapport du biographique et du textuel semble se systématiser pour constituer l’œuvre elle‑même” 25).

Woolf, whose posthumous reception was shaped by her husband’s edition of her published and unpublished works, including her diary, and her nephew Quentin Bell’s biography, appears an all too perfect example of the confusion between literature and life. Helen Dudar, who denounced her “cult” as early as 1982, explains that she became the “Marilyn Monroe of American Academia, genius transformed into icon and industry through the special circumstances of her life and work” (32). Indeed many tattoos superimpose Virginia’s face, life, and works in what may be read as a contemporary, secularised version

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of the king’s two bodies, an “auctorial mythology” resting on the blurring of the two bodies of historical Virginia and published Woolf — all of them Beresford‑inspired.

Two tattoos combine Virginia’s face with a lighthouse (figs. 4d; 4e), in reference to her most autobiographical novel, To the Lighthouse (1927). The May 14th 1925 diary entry makes it clear that Mrs and Mr Ramsay were inspired by her own parents:

I’m now all on the strain with desire to stop journalism & get on to To the Lighthouse. This is going to be fairly short: to have father’s character done complete in it; and mothers; & St Ives; & childhood; & all the usual things I try to put in—life, death &c. But the centre is father’s character, sitting in a boat, reciting We perished, each alone, while he crushes a dying mackerel— (Woolf, 1982, 18‑19) Another delineates her dark brewing profile behind blue waves (fig. 4g) that bring to mind the title of her experimental novel The Waves (1931) as well as her suicide in the River Ouse in 1942. A backpiece (fig. 4h) inscribes the first sentence of Mrs Dalloway alongside a mature Virginia‑like Clarissa inside a bunch of flowers: “Mrs Dalloway said she would buy the flowers herself.” This illustrates the ordinary confusion between author and character, one that is brought to the fore with each new Woolf biofiction.

These biography‑inspired tattoos hardly qualify as miniatures. The Greek goddess impersonation, one out of the two lighthouse portraits, and the Mrs Dalloway incipit are spectacular backpieces. They dramatise the interaction between the author’s life and the literature her name stands for. What they express in pictorial form, I believe, is the power of that connexion: “if the biographical becomes a relic, what auctorial mythology is rooted in, it is probably because it lays at the crossroads between mystery and text, embodies the author’s work, and figures its power” (“Si le biographique devient aussi relique, fondement de la mythologie auctoriale, c’est sans doute qu’il se trouve à l’intersection du mystère et de l’œuvre, qu’il incarne l’œuvre et devient figuration de son pouvoir” Brunn, 2001, 26). They also maximise appropriation and identification.

Of the two tattoos that combine Woolf ’s face and name (figs. 4f; 4j), the more complex epitomises this interweaving of the writer as a person, persona, and author, her works, and the fetishizing of her face into what I will call a literary mystique. It showcases the Beresford portrait within a frame combining flowers, a dove, and the words Virginia Woolf — even though it ought to be Stephen. It intertwines Woolf ’s many cultural identities: the icon, with the ubiquitous Beresford portrait, the girl in flower, with the standardised flower imagery of virginity, death and rebirth, the saint, with the allegorical

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representation of the soul as the dove or Holy Spirit above her forehead, and the author, with the letters spelling out her name while pointing to her texts and the very gesture of writing.

A prize‑winning tattoo the artist uses to advertise her skill[15] likewise shows Virginia’s Beresford‑inspired profile emerging out of a pile of books on top of which lies a roll of paper tied tight with a ribbon (fig. 4k). The mechanically reproduced texts and the handwritten text are likewise visually connected with a quill pen being dipped into an ink pot, as if a hand that is not visible on the pattern were about to write. The author’s face and her work stand out against a background of handwritten text. If, for Woolf, writing is of the body, “the ultimate rapprochement between flesh and text” (Chassagnol, 2018, 67) is using one’s skin as vellum where to synecdochically inscribe scraps of Woolf ’s complete works. This tattoo stages the mystery of literature: the paper tied with a ribbon and the book covers suggest the exegetic process that leads the reader from the materiality of the text to the transcendence of its hidden meaning. This outside/inside dynamics makes sense in the context of tattoo art imprinted on skin as well as the visibility/invisibility logics suggested by the moving quill that is held by no visible hand, since tattoos themselves may be covered or unveiled and supposedly likewise lead to their wearer’s inner truth who, in the process, like kings, acquire two bodies as their skin are turned into live reliquaries.

15. The instagram message reads: “Author Virginia Woolf, I got to tattoo this at the #fuelhearts2019 convention in Maine and on Saturday won 1st place medium black & grey as well as 2nd place portrait.” And below: “I have some availability at my NYC location, email me to schedule!” (eyekandi_ink, 2019)

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Fig. 5 What’s in a tattooed name?

Fig. 5a. Woolf_virginia1. “ever foolishly forget: I am never not thinking of You…” Instagram.

Fig. 5b. “Virginia Woolf.” Everytattoo.com

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Fig. 5c. Lilinarox. “Amo le frasi que non si sposterebbero di un millimetre neanche se le traversasse un esercito.” Instagram.

Fig. 5d. Okiecody. “Another signature tattoo. Virginia Woolf. Thanks Amanda!” Instagram.

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Fig. 5e. @oniricotattoo. [Anonimo]. Google search.

Fig. 5f. Tanymandala. “This tattoo is based on an essay by Virginia Woolf, who argues the possibility that women writers before a certain time were probably responsible for most of the work signed ‘Anon’ for anonymous…” Instagram.

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Fig. 5g. be.tattoo. “Virginia Woolf and Colette….” Instagram.

Fig. 5h. “Memento tattoo Camilla fikk…” Google search.

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WHAT’S IN A TATTOOED NAME? Of the 97 Woolf‑inspired tattoos in my collection, 6 spell out her name, 3 of them in her handwriting (figs. 5a; 5b; 5c; 5d). These signatures read as metonymic displacements of both the portraits and the works. It could be argued that, just as the tattooed portraits function as image‑texts fetishizing Woolf as literature, inked signatures as text‑images fetishize literature as Woolf. This mystery of the face/text is best understood in reference to eighteenth‑century miniatures. After all, “miniatures [were] being held in ways that are explicitly erotically charged,” which is illustrative of “the ways in which the tactile function of portrait‑objects enters affective discourse, and how miniatures are culturally related to, if not analogous to, letter writing.” (Pointon, 2001, 65) However, such appropriation — a near‑synonym of theft — of Woolf ’s writing gesture is an impossible fantasy that questions identity in several ways. First, if “handwriting, and especially for the signature, ductus, pressure, and movement of the hand are culturally understood as signs reflecting individual identity,” (Neef, 2006, 223) such handwriting mystique is precisely what the tattooist cannot reproduce. For technical reasons, even though the calligraphy is “handmade,” it is “executed by means of a writing machine which standardises writing ductus and pressure into a repetitive, consistent perforation of the skin and injection of ink — a writing tool somewhere between typewriter and sewing machine.” (223) It also questions identity in that “the person named by the signature is not identical to the person performing the signature” (223), but neither is the wearer of the tattooed signature identical with the author it denotes, Virginia Woolf. Sonja Neef observes that: “[l]ike a wedding ring, a tattooed name is a lifetime promise and is therefore a favourite motive in tattoo art.” (225) The tattooed writing gesture becomes the persona which allows the tattooee’s identity to “(trans)form” through a process of “(un) becoming” (Sullivan, 2001, 50; 113) committed to another’s name, words, and world vision. More interestingly, perhaps, having Woolf ’s name or handwriting engraved deep inside one’s skin is a “lifetime promise,” it does things with words, after John Austin’s influential theory, it becomes “‘fighting words.’” (Marin, 1980, 306; qtd Silver, 1999, 143‑44) The intimacy between portrait and signature is contextualised by Pointon: “[t]he miniature may […] stand as a kind of autograph, a suggestion that is supported by evidence that small portraits were, on occasions, used as substitutes for letters of introduction.” (Pointon, 2001, 65‑66) Just as miniature portraits could function as texts vouching for the bearer’s qualities, “Woolf lit tats” are performative in that they are embodied talismans and provocations in a more radical way than T‑shirts. Silver understands “the wearing of Virginia Woolf ’s on one’s chest, like Perseus’s or Athena’s warriors’ apotropaic

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protection and defiance: a claiming of Virginia Woolf ’s powers, including her feminist agency, for oneself. Rather than retreating from the association of Virginia Woolf with fear of the powerful and potentially monstrous female, the T‑shirt declares: ‘you’d better believe it.’” (Silver, 1999, 146) But what is it onlookers’d better believe? If the inked face and handwriting of Woolf emblemise a complex desire for literature that is both a desire for (self‑)(trans) formation and a “desire for an author” (“la manifestation emblématique du désir d’auteur” Brunn, 2001, 26), what literature do they stand for? Woolf bookish tattoos charter out and storify her literary territory made up by the collection of “Everywoman’s Virginia Woolf icon”(Silver, 1999, 143) disseminated on common readers’ skins, a cartography that is itself a tangle of dichotomies and ambiguities.

Like her copied face, Woolf ’s signature on others’ skins paradoxically points to the absence of the author. Woolf stands for literature produced by a ghost, as epitomised in the tattoo that imprints a Wes Wilson fashion “ANONIMO” onto her bun (fig. 5e). It echoes “Anon,” the title of an essay edited and published posthumously by Brenda Silver. In 1940 Woolf more or less completed it as an introductory chapter to “Reading at Random,” a “Common History book” (Woolf, 1985, 318) she was intending to publish. “Anon” is about the figure of the artist and the interaction between individual imagination and the community, a question that resonates with literary tattoos as I envision them: “There is little question that from the first Woolf intended to call the opening chapter of her book “Anon,” and to explore in it the role of the artist in articulating the emotions embedded in the human psyche and shared, however unconsciously, by the community as a whole.” (Silver, 1979, 380) Are the tattoees who commissioned the art and the tattoo artist familiar with this text? The comment posted by Tanymadala (2018) who made the other “ANON” tattoo (fig. 5f), one where anonymity is materialised in the featureless slightly Asian‑looking face and the naked body in three quarters back view, makes it clear that she is.

“Anonymous” is also a reference to A Room of One’s Own and its discussion of the invisibility of women in the history of literature, which becomes a claim for the specificity of feminine writing. When discussing the imaginary character of Shakespeare’s sister Judith while “looking at the shelf where there are no plays by women,” Woolf remarks that “her work would have gone unsigned” because “[i]t was the relic of the sense of chastity that dictated anonymity to women even as late as the nineteenth century.” (Woolf, 1993, 46) Just as in the next chapter the image of the ape deconstructs the lineage between male and female authors in genetic terms, the observation that: “publicity in women is detestable. Anonymity runs in their blood. The desire to be veiled still possesses them” (46) ironically points to the DNA of feminine writing

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and identity as absence and self‑effacement. It is therefore noteworthy that the word “ANONIMO” should be inked in Woolf ’s bun, at once the metonymic visual marker of her femininity and upper‑middle class, highbrow literary style and the most common organic source of DNA samples. This silent/vocal appropriation/denunciation of women’s anonymity also alludes to the specific historical and political context in which Virginia Woolf, at first excluded from the history of literature and higher education, became part of the curriculum in the 1970’s thanks to American academic feminists until “by the end of 1978, […] Frank Kermode announced her canonization” (Silver, 1999, 62). It also constructs the body of the tattooee as a site of self‑ asserting/ self‑effacing identity, as suggested in the fact that the skin of the back of the inked persona is that of the tattooee’s arm.

Woolf ’s canonisation, then, is literary as well as religious. In a militant gesture, one tattoo shows her dancing with Colette (fig. 5g), enacting and celebrating the end of anonymity for women writers. Both featureless writers may be identified by their signature hair‑does, Virginia’s Beresford bun and Colette’s shoulder‑length wavy style. The tattooist presents the motif as a Sapphist fantasy not unlike that expressed in cross-dressed reading Woolf (fig. 2e): “Virginia Woolf and Colette, what a powerful couple that wouldn’t have been!♥ Every time someone asks for a queer motif, my little dyke heart is filled with love and happiness!♥ This one custom made for Marie” (be. tattoo, 2019). However, she and the tattooee are most certainly aware of the way Colette rebelled against her husband Willy in order to have her novels published under her own name and no longer under his. Are either Marie or the tattoo artist familiar enough with Woolf ’s letters to know that Woolf, who had liked Colette’s memoirs Mes Apprentissages (1936) in 1937, also read Duo (1934) in 1939? She praised it to her friend composer Ethel Smyth: “And I’m reading Colette, ‘Duo’ [1934]; all about love, and rather too slangy for my vocabulary, but what a born writer! How she waltzes through the dictionary.” (Woolf, 1980b, 341) The tattooed dance, then, may be understood as a haptic equivalent of writing.

Woolf ’s face and signature feature alongside a painter’s portrait, that of Frida Kahlo, on an arm (fig. 5h), opening another dialogue between sister artists. Woolf ’s handwriting and Kahlo’s red flower headband likewise superimpose the artist and her art through visual emblems. More to the point for this essay, their association suggests that both may have escaped the anonymity that curses female artists on account of their creative yet suffering‑ridden lives as well as their striking, self‑contradictory names. Frida Kahlo is both cold and hot while Virginia Woolf is at once the virgin and the wolf, proverbial victim and proverbial predator. Their names define them as cultural dichotomies, monstrous oxymora.

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Fig. 6 Woolf tattoos that speak literature

Fig. 6a. “Virginia Woolf, une autre femme importante :).” Google search.

Fig. 6b. @tradethissleep. “Loved loved loved doing this Virginia Woolf for my buddy @dottyjames…” Pictame.

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Fig. 6c. Elisa.gouveau. “Double portrait of Virginia Woolf.” Instagram.

Fig. 6d. Ariel.electric. “Double-faced Virginia Woolf.” Instagram.

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Fig. 6e. “Virginia Woolf Tattoos.” www.loter.club

Fig. 6f. Mini Q. “Virginia Woolf as a tattoo beautiful ink work.” Mini-q.tumblr.com

La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. La Peaulogie, 4 | 2020 66 My Hundreds of Inches of Skin: an International Portrait Gallery of Virginia Woolf Tattoos

What’s in Woolf ’s tattooed name and how does it speak literature, then? As suggested in those tattoos dramatising “an artistic exchange” (Craighead, 2011, 43), Woolf ’s literature is displacement. In the black Victorian‑looking silhouette that delineates Woolf ’s head and shoulders portrait after one of the 1939 Gisèle Freund photographs (fig. 6a), the suspended gesture of the hand holding the cigarette holder is evocative of the writing gesture. It constructs writing as a conversation that allows for moments of hesitation, contradiction, or silence.

The literature Woolf stands for is a voice that speaks beside itself. Numerous tattoos show either divided Woolf or double‑faced Woolf, in a kid‑glove, meta‑textual version of the king’s two bodies: she is a divided cultural construction, a bundle of paradoxes, a presence/absence printed inside another woman’s skin, youth/death, especially in the tattoo that morphs from the 1902 Beresford‑ to the 1939 Gisèle Freund‑delineated face (figs. 6b; 6c; 6d; 6e; 6f ). For a tattoo, like discourse, “as the act of the speaking body, is always to some extend unknowing about what it performs, […] it always says something that it does not intend, and […] it is not the emblem of mastery or control that it sometimes purports to be.” (Butler, 1997, 10) She stands for the magic of words refusing to choose between voice and silence but embracing the hesitation, the possibility of a choice between the two. Like tattoos, her writing is a threshold between the self and the world, silence and language. The diffraction of her face on dozens of bodies (trans)forms contemporary Woolf lovers into “[her] hundreds of inches of skin” (Woolf, 1980a, 17), patching up a Woolf anthology, a mobile museum on skins, and a global virtual gallery of their pictures.

Although my Virginia Woolf‑inspired tattoos may appear a haphazard concatenation of individual appropriations — which it is, essentially, resulting as it does from half‑random half‑systematised scavenging from more or less ephemeral snapshot sharing on internet platforms and social networks —, they make up a highly readable and significant versioning of that writer when envisaged from a cultural perspective as an international portrait gallery. As a collection, they allow for a paradoxical reading. On the one hand, they illustrate the way Virginia Woolf is museumified today, fixed into an increasingly monolithic posture, even on live skin. However, that posture is reactivated and re‑semiotised as it combines with other visual archetypes through the imageries of the ghost, the saint, the next of kin, and the King. It sketches a transnational literary mystique that “cannot be limited to the domain of the eulogy” (Chassagnol, 2018, 72) even though it may express nostalgic undertones, but on the contrary portrays Woolf as an inspirational figurehead of today’s feminism. It underlines the way Woolf has gone on growing under the skins of the daughters of the women who wore Woolf

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T‑shirts in the 1970s to “‘mak[e] a spectacle of themselves’” (Silver, 1999, 147). The statement: “we are here, we are legion, and we will prevail” (146) is now engraved in skin for life. Such “peaulogie” or skin logos is a new form of literary appropriation, expression, and production. Those tattoos do not merely make literature part of everyday life but make literature vocal, political as it becomes of the body, a face or a name, an anthology of literature inked into the tattooee’s skin.

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La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. La Peaulogie, 4 | 2020

The Mark of the Beast as Trace of History 71

THE MARK OF THE BEAST AS TRACE OF HISTORY

ANIMALISTIC TATTOOS IN MICHEL FABER’S THE CRIMSON PETAL AND THE WHITE (2002) AND KAMILA SHAMSIE’S BURNT SHADOWS (2009)

Jaine CHEMMACHERY Référence électronique

Chemmachery J., (2020), « The Mark of the Beast as Trace of History. », La Peaulogie 4, mis en ligne le 5 mai 2020, Premiers[En Pas ligne] URL : http://lapeaulogie.fr/the-mark-of-the-beast-as-trace-of-history La Peaulogie, 2 | 2018 72 The Mark of the Beast as Trace of History

ABSTRACT This article brings together two contemporary novels, Michel Faber’s The Crimson Petal and the White (2002) and Kamila Shamsie’s Burnt Shadows (2009). While the two novels deal with different topics, they share interesting common motifs. First, both engage with history. Secondly, both these novels highlight the presence of animal-related designs on their heroines’ skin. In Faber’s novel, Sugar, a prostitute, has marks on her skin which are reminiscent of tiger stripes. At the beginning of Kamila Shamsie’s Burnt Shadows, the heroine, Hiroko, is in Nagasaki with her German lover when the nuclear bomb strikes the area. As she recovers from the shock, the heroine, who was wearing a kimono with patterns representing cranes on it, finds herself branded with the very bird motifs onto her back. One may wonder what the branding of such designs stands for. Are such traces a way to suggest the violent impact of history on people, especially on these female characters? What differences may be drawn when it comes to assessing the effect of the “trace” in each case? The animal tattoos in both these novels may be seen as traces of history; yet the latter do not impact the heroines in similar ways.

KEYWORDS Postcolonialism, Neo-Victorian, tattoo, corporeality, history, trace, fiction

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This article brings together two contemporary novels, one Neo‑Victorian novel reconstructing Victorian characters and Victorian London from a contemporary perspective, and a novel which could be associated with Postcolonial studies as it tackles the story of a Japanese woman travelling from Japan to India and later to the US and discusses the impact of historical events upon her life trajectory, from World War Two to 9/11. While the two novels deal with different topics, they share common motifs. First, both engage with history. Indeed, The Crimson Petal and the White (2002) by Michel Faber, following Mark Llewellyn and Ann Heilman’s contention that what is Neo‑Victorian is “self‑consciously engaged with the act of (re)interpretation, (re)discovery and (re)vision concerning the Victorians” (Heilmann and Llewlellyn 2010, 4), engages with the history of Victorian England[1]. On the other hand, Kamila Shamsie’s Burnt Shadows (2009), by spanning 50 years and four geographical zones - Japan, the Indian sub‑continent, Afghanistan and the US - engages with global history, geopolitics and terrorism. More peculiarly, both novels state the presence of animal‑related designs on their heroines’ skin. In Faber’s novel, Sugar, a prostitute, is said to have marks on her skin which are reminiscent of tiger stripes. These animalistic traces are presented as symptoms of a skin condition which is similar to psoriasis. Yet, given Sugar’s profession, one could easily associate such marks with syphilis. Moreover, while many such diseases were spread to the colonies through white colonisers[2], Sugar’s name also recalls the woes of slavery in sugarcane plantations in the Caribbean.

At the beginning of Kamila Shamsie’s Burnt Shadows, the heroine, Hiroko, is in Nagasaki with her German lover, when the nuclear bomb strikes the area. As she recovers from the shock and realises that what is left of her lover is a mere shadow on a rock, Hiroko, who was wearing a kimono with patterns representing cranes on it, finds herself branded with the very bird motifs onto her back ; visual reminders of the trauma associated with Nagasaki.

1. Right from the incipit, a tantalising narrator, using the “you” pronoun to speak to us, 21st century readers, reminds us that we are from different time and space than the characters of the novel: “Watch your steps. Keep your wits about you; you will need them. This city I am bringing you to [London] is vast and intricate, and you have not been here before. You may imagine, from other stories you’ve read, that you know it well, but those stories flattered you, welcoming you as a friend, treating you as if you belonged. The truth is that you are an alien from another time and place altogether” (Faber, 2002, 3). 2. The article published by Heather Pringle, “How Europeans brought sickness to the new world” (Science, 2015). https://www.sciencemag.org/news/2015/06/how-europeans-brought- sickness-new-world Last retrieved on February 28th, 2020.

La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. La Peaulogie, 4 | 2020 74 The Mark of the Beast as Trace of History

It may be useful to conjure up Derrida’s concept of the trace, as at once linked to experience and separated from it, and as something which remains in the present: “wherever there is experience, there is trace, and there is no experience without a trace [...] There is a trail, retention, protention, and so relationality to otherness, to the other, or to another time, another place, something that refers to the other; there is trace”[3] (my translation). Hiroko’s bird patterns can be seen as traces of her experience of the nuclear bombing of Nagasaki by the US. They may also be considered as scars, if one considers that a scar is “a mark [...] resulting from damage” or “a mark remaining (as on the skin) after injured tissue has healed”[4]. Arguably, Sugar’s marks result from her experience of ichthyosis, the skin condition which caused such traces to appear on her body. In both novels, the traces were caused by a past phenomenon[5]. According to Elizabeth Grosz, “The body is […] a point from which to rethink the opposition between the inside and the outside, the public and the private, the self and other, and all the other binary pairs associated with mind/body opposition” (1994, 21). The marks in the novels partake of a similar dialectics of visibility/invisibility as they are subjected in both cases to a male gaze. In regard to the animalistic traces, one may wonder what the branding of such designs stands for, alongside which conception of the body[6]. In Sugar’s case, the traces look like tiger stripes. To some extent, we may say that the disease had no particular intention of making these traces meaningful. They are made meaningful; first, on the diegetic level as they are submitted to the gaze of another character who interprets them, and ultimately they are by the narrative voice, and the authorial figure. In Shamsie’s novel, the traces are the transcriptions of the patterns that were on the garment Hiroko was wearing at the time of the bombing. So they do not consist in traces which were made to look like cranes, but are images of cranes printed upon the character’s skin, which in that respect likens them more to tattoos. Indeed, even if the tattoo was not “intentionally […] placed on the skin” (Merriam Webster’s definition) of Hiroko by history, it certainly was by Shamsie. Readers are thus made to interpret the patterns as being

3. « Partout où il y a de l’expérience, il y a de la trace, et il n’y a pas d’expérience sans trace. […] Il y a du sillage, de la rétention, de la protention et donc du rapport à de l’autre, à l’autre, ou à un autre moment, un autre lieu, du renvoi à l’autre, il y a de la trace » (Derrida, 2014, 59). 4. Definition of the Merriam‑Webster dictionary. https://www.merriam-webster.com/ dictionary/scar February 28, 2020. 5. One may recall that the etymology of “trace”, a “track made by the passage of a person or thing”, comes from old French (12th century) in which it meant “mark, imprint, tracks” https:// www.etymonline.com/word/trace/ February 28, 2020. 6. Jane Caplan recalls that “tattooing alone has had an extended, if discontinuous history in Western culture. At the same time, it has occupied an uneasy and ambiguous status within a dominant culture in which body‑marking was usually treated as punitive and stigmatic rather than honourable or decorative” (Caplan, 2000, xi).

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linked to animality, therefore to make sense of them as such. I will consider these patterns primarily as traces, and then as tattoos, using the term in its etymological meaning, i. e. “pigment design in skin”[7], because of the fact that their presence in the novels is linked to the authors’ intention of having us read them as reminiscent of cranes or tiger stripes. The animal traces, in both novels may be seen as traces of history, even if they do not impact the heroines in the same way. In Faber’s novel, the tiger stripes may suggest both Sugar’s savagery, in the eyes of her “owner”, and a history of exploitation and transgression, itself linked to colonisation and slavery. In Shamsie’s novel, the crane patterns evoke the transgenerational transmission of history, seen both as a burden and a curse.

SUGAR’S TIGER MARKS: A HISTORY OF EXPLOITATION AND TRANSGRESSION

In The Crimson Petal And The White, the reader learns about Sugar’s skin condition only a few pages after William Rackham, the son of a famous perfume industrial, has demanded exclusive patronage of the woman to Mrs Castaway, the madam of the brothel she works in. William Rackham found information on Sugar in “More Sprees in London - Hints for Men about Town, with Advice for Greenborns” (Faber, 2002, 83), a document which lists all the prostitutes to be found in London brothels. But the name Sugar redoubles the woman’s association with a commodity. Just as sugar was a commodity to be sold and exchanged for money, and was part of a system of exploitation of native resources and human workforce in the Caribbean through the triangular trade, the woman named Sugar in the novel has been exploited since she was 13 by her own mother who turned her into a prostitute, as well as by the many men who participated in the prostitution trade. Later in the book, William’s daughter, Sophie, reminds Sugar that her father “bought” her for her (Faber, 2002, 715), confirming the idea that Sugar is a commodity, an object associated with a certain amount of money, likely to be exchanged or sold to increase one’s capital.

7. https://www.etymonline.com/word/tattoo. February 28, 2020.

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This and the animal marks on Sugar’s skin tend to associate her with the figure of the (sex) slave, as slaves were themselves considered as animals. DeMello states:

African slaves were shackled and muzzled like animals, beaten like animals, branded like animals, and bought and sold like animals; they had their children taken from them like animals and had their humanity and individuality ignored, just as humans do with animals. They were property just as animals were, and could be legally killed by their property owner, just as animals could (DeMello, 2012, 265). An articulation between capitalism and colonialism can be drawn as both have rested on the exploitation of certain bodies ‑ those of humans who were reduced to the status of animal, and those of women (Vergès, 2017). The concomitance between capitalism and colonialism is suggested through the tiger stripes on Sugar’s skin. Indeed, despite her name recalling the colonies, Sugar is a white prostitute. Yet, in the novel, her having sexual intercourse with William Rackham, the son of an English entrepreneur, is a way to suggest the strong links between the sexual exploitation of women and consumer culture, and more generally, the affinities between capitalism, consumerism and colonialism.

SUGAR’S ANIMALITY: SUGAR’S CRIMINALITY OR THE TAMING OF THE ANIMAL

Her skin is like nothing he’s ever seen: on every limb, and on her hips and belly, there are… what can he call them? Tiger stripes. Swirling geometrical patterns of peeling dryness alternating with reddened flesh. They are symmetrical, as if scored on her skin by a painstaking aesthete, or an African savage (Faber, 2002, 173)[8].

The reference to the tiger, along with William’s idea that the marks may have been made by an African savage, shows that there is a subtext that is alien to Victorian England. The references to the “African savage” and to the “geometrical” and “symmetrical” patterns suggest that the marks look as if they had been intentionally made on Sugar’s skin, therefore associated with some sense of agency, be it human (the African savage) or non‑human (the

8. The narrative voice later evokes the “tiger textures on her skin like diagrams for his [William’s] own fingers” (Faber, 2002, 309), reinforcing the notion of compatibility or correlation between capitalist England and prostitution/consumerism.

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disease)[9]. The image of the tiger conjures up other imaginaries. It suggests Sugar’s animality ‑ at least, her animality as is phantasised by William: “to William, the patterns are beguiling, a fitting mark of her animal nature. She smells like an animal too: or what he imagines animals smell like, for he’s no animal lover” (Faber, 2002, p. 173). While the tradition of domesticating animals had been going on in Europe since the late 18th century, the revelation of William’s lack of knowledge of how animals smell conveys an interesting Orientalist touch to his perception of Sugar. By comparing the marks on her skin to tiger stripes, William turns Sugar into an Orientalist phantasy, one “to be feared [...] or to be conquered” in Edward Said’s words (Said, 2003, 301), while he himself becomes an Orientalist producing his own phantasised image of animality/femininity. By associating Sugar with animality, William also partakes of a long‑standing tradition which consisted in assimilating animality with criminality[10]:

The “criminal as animal” is a metaphor through which a person considered deviant is understood in terms of what are seen as the most negative qualities of certain kinds of animals [. . . ] “Beast” and its cognates took on connotations of the devil and evil and were increasingly used to denigrate what were seen as less worthier humans. These included women, ethnicized others, and criminals (cf. Hill 1971, 40 ; Thomas 1983, 43 ; and Fudge 2004, 17) (Olson 2013, 2)[11].

Sugar’s deviancy is shown in the fact she indulges into subversive sexual intercourse. As another prostitute explains to William, “Ain’t nuffink Sugar won’t do, sir. Nuffink. It’s common knowledge, sir, that special tastes as can’t be satisfied by the ordinary girl, Sugar will satisfy” (Faber, 2002, 74). Olsen notes: “Persistent prejudices about criminals [...] rely on notions of their innate deviance and incorrigibility, their animal‑like characters, and their visible otherness” (Olsen, 2013, 4; emphasis added). The tiger stripes are the visible traces of Sugar’s difference. Her criminal, deviant body is thus made visible, despite being legible, through its link with animality[12]. On the

9. This reminds us of the question the political theorist Jane Bennett asks in Vibrant Matter: “How would political responses to public problems change were we to take seriously the vitality of (nonhuman) bodies? By “vitality’ I mean the capacity of things [...] to act as quasi agents or forces with trajectories, propensities, or tendencies of their own” (Bennett, 2010, viii). 10. The way some criminals ‑ sexual predators or terrorists ‑ are referred to as “beasts” or “monsters” shows how vivid the metaphor still is in the 21st century. 11. In his article “Body Commodification? Class and Tattoos in Victorian Britain”, James Bradley highlights that “by the end of the nineteenth century tattoos had increasingly become associated with criminals” (Bradley, 2000, 137). Sugar’s tiger stripes thus doubly mark her as a criminal: she is tattooed and she shares a link with animality. 12. Earlier in the novel, her friend Caroline wonders if it is Sugar’s “animal serenity” (Faber, 2002, 29) that men find so attractive about her. Her animality, though imagined from a different perspective, is again what makes Sugar different from other prostitutes.

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contrary, William is shown by the ironic narrator to be all but absolutely normal, if not boring: “his bouncing mop of golden hair was comical, but he was otherwise not very fascinating, especially compared to this woman you’re only just getting to know. But William Rackham is destined to be the Head of Rackham Perfumeries. Head of Rackham Perfumeries!” (Faber, 2002, 45). With the repetition and the exclamative mark, the narrator draws readers’ attention to a character which under any other circumstances would not have been deemed worthy of interest, i. e. the opposite of Sugar.

Sugar’s association with an animal makes her a criminal and a creature to be tamed. William, after having sex with Sugar, is described as being “able to examine his prize more closely” (emphasis added, 173), which recalls Orientalism’s conquest valence.

The fact that Sugar’s animality is printed upon her skin thus suggests her exploitable nature. It is fascinating to see that “interlinked systems of exploitation” (DeMello, 2012, 256) of women and animals have existed for ages. According to Margo DeMello:

Historically, women and animals have been considered less intelligent than men. Tactics such as objectification and ridicule have been and continue to be used to control and exploit women and animals. Women are called names such as cow, sow, pig, dog, bitch, fox, and hen; by symbolically associating them with animals, they are trivialized (DeMello, 2012, 262).

In the novel, Sugar is not associated with any of these animals but with the tiger and William repeatedly acknowledges her acute intelligence. This aims at showing that her femininity is an alternative to respectable Victorian femininity and is associated with wildness and power. But symbolic of (sexual) power as the animal may be[13], William sees himself as the hunter likely to exhibit his trophy as the term “prize” signals.

The image of the tiger also conjures up Asia and more particularly, India, the Jewel of the Crown, and by extension, the system of exploitation of resources that went along with the establishment of the Raj in India[14]. A hint at the

13. Tigers used to be associated in Ancient China with yin and with sexual power: “This sexual connotation [of the tiger] goes back to early Asian beliefs. [...] It was adopted by the British during colonial times and gave the tiger’s pelt an air of lasciviousness and sensuality” (Buchinger, 2009, 22). 14. The tiger hunt was a fashionable sport in British India: “the practice of shooting tigers became a rite of passage that led to the almost obligatory inclusion of the description of tiger kills in the memoirs of many Englishmen in India” (Buchinger, 2009, 19‑20).

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underlying violence of colonisation, based on the exploitation of resources, both human and material, is visible in the phrases linked with Sugar’s marks such as “reddened flesh” and “scored on her skin”[15]. It is as if the marks had been the result of a process of voluntary branding on the skin of the English working‑class woman, symbolically associated here with the Indian “subaltern”[16], by the capitalist system embodied by William Rackham. Her scarred flesh “re‑enacts the embodied history of abused Victorian [...] women” (Orr, 2017, 111), along with that of subalterns abused by the two‑headed system of capitalism/colonialism while it bears witness to this history.

Such an association between body marks, violence and suffering can be found in at least another Neo‑Victorian novel, The Essex Serpent (2016) by Sarah Perry. In the novel, Cora Seaborne used to be abused by her late husband. The correlation between tattoos, violence and suffering induced by a man’s printing his mark upon the female body is clearly made:

The neckline of her dress was a little lower than she’d have liked, and showed on her collarbone an ornate scar as long as her thumb, and about as wide. It was the perfect replica of the silver leaves on the silver candlesticks that flanked the silver mirror, and which her husband had pressed into her flesh as though he were sinking his signet ring into a pool of wax. She considered painting it over, but had grown fond of it, and knew that in some circles she was enviously believed to have had a tattoo (Perry, 2016, 16; emphasis added).

The repetition of the adjective “silver” alongside the reference to the ring connote metal while the image of the wax invites us to see Cora’s skin as malleable material that can be drawn upon. Only the use of the signet ring turns wax from material that does not signify into something meaningful. The scar/tattoo in The Essex Serpent echoes Grosz’s contention that “as well as being the site of knowledge‑power, the body is thus also a site of resistance, for it exerts a recalcitrance, and always entails the possibility of a counterstrategic reinscription, for it is capable of being self‑marked, self‑represented in alternative ways” (Grosz, 1990, 64). The way Cora grows fond of the mark, as

15. Later in the novel, the ichthyosis patterns are said to “radiate […] like scars from a thousand flagellations, but in perfect symmetry, as though inflicted by a deranged aesthete” (Faber, 2002, 198; emphasis mine). 16. The term is used in the context of Ranajit Guha’s “Subaltern Studies”. It refers to those who have been subjected to colonialism and who still face the epistemic violence of Western thought frames. These studies aim at suggesting the possibility of having alternative historical narratives written “from below” and for the subaltern subjects, the possibility of being empowered.

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people consider it to be a tattoo[17] ‑ something different than what it originally was ‑ indicates that Cora’s mark is both a trace, that is what remains from a past event, and the origin of potentially new counter stories.

Sugar’s marks may be interpreted as the literal branding upon her flesh of the historical moment of concomitance between colonialism and capitalism which are often considered as male ventures and created their own oppressed and subaltern subjects based on race and/or gender. Just as her name epitomises how the exploitation of sugar partook of the capitalist enterprise, the marks reminiscent of tigers, hence of India, confirm the ineluctable relation between London and its colonies. Given the fact that Sugar’s marks are caused by a physical condition, one may venture to say that both capitalism and colonialism are likened to a disease which cannot be easily cured. Sugar repeatedly tries to use William Rackham’s cosmetic product “Crème de jeunesse” to erase the itching marks, yet to no avail.

The images of the tiger and the reddened flesh conjure up other images of violence perpetrated upon other animals, such as the branding of cattle. Sugar’s skin condition is called “ichthyosis” which also recalls ichthys, i. e. fish in ancient Greek; in other words, other animals. The rich animal imagery in the novel, along with suggestions of violence, hints at the intricated knot between capitalism and colonialism and at how the system rests on the exploitation of subaltern and/or animal lives.

17. Tattooing at the end of the 19th century was not only associated with criminals or sailors. As Bradley shows, “at some time around the late 1880s fashionable society was gripped by a tattoo craze” (Bradley, 2000, 145‑146) with several texts stating that wealthy Londoners had their bodies tattooed. This explains why Cora Seaborne feels proud that some people should consider the trace of her husband’s assaulting her as a recently acquired tattoo.

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Taken from “The Gentle Art of Tattooing:The Fashionable Craze of Today”, from The Tatler and Bystander (1903). Illustration found in James Bradley’s article “Body Commodification? Class and Tattoos in Victorian Britain” (Bradley, 2000, 149).

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BEING GAZED AT AND GAZING BACK

William, by being the one able to examine Sugar, is also the one who establishes her “to be looked‑at‑ness”, in Laura Mulvey’s terms[18]. By acknowledging these marks potentially reminiscent of cattle branded, he to some extent asserts his ownership of her. While her parched and dry lips were considered “unsightly” (Faber, 2002, 27) by a fellow‑prostitute, the marks are now literally to be seen by William. As wild animals were exhibited in museums, zoos or colonial fairs from the 18th century onwards in Europe, Sugar’s body has become a body to be seen, a spectacle even, yet limited to William’s eyes. The marks could, actually, recall those that slave‑owners had branded on their slaves or those imposed on convicts in Britain or Russia. These marks consisted in asserting one’s power over certain people while denying the latter their very selfhood. So while William only acknowledges the existence of the marks, he becomes to some extent Sugar’s creator, like a kind of Pygmalion, or at least his owner as he asked to have her exclusively for his own usage. As the owner of Sugar’s marked body, he belongs to a system that has long considered white males as unmarked bodies likely to mark other bodies: “the white male attempts to escape or conceal his own marked body by marking another, by making another out of a noncitizen, a nonperson” (Putzi, 2006, 2). If William did not brand Sugar’s body, by acknowledging the existence of the marks, he symbolically classifies hers among marked bodies. Sugar is thus subject to the “conquering gaze”: as Donna Haraway explains, “this is the gaze that mythically inscribes all the marked bodies, that makes the unmarked category claim the power to see and not be seen, to represent while escaping representation (283)” (Putzi, 2006, 2).

Kipling’s short story “The Mark of the Beast” (1890) comes to mind as its action takes place in colonial India. A white Englishman, inebriated on New Year’s Eve, puts his cigar on the forebrow of a statue of Hanuman, the Hindu monkey‑god, so as to mark him as a beast. The Englishman is later himself touched, actually marked, by a leper who casts a spell on him. Later in the short story, the Englishman is no longer himself but has become a beast and behaves as such – he/it is eager for raw meat, aroused by the smell of blood – and on his torso can be seen the mark of a leopard’s paw. While torture is used by his fellow‑Englishmen to have the curse removed, the tale highlights that bestiality does not lie in the monkey god, nor in Indians, but

18. “In a world ordered by sexual imbalance, pleasure in looking has been split into active/male and passive/female... In their traditional exhibitionist role women are simultaneousy looked at and displayed, with their appearance coded for strong visual and erotic impact so that they can be said to connote to‑be‑looked‑at‑ness” (Mulvey, 1975, 47‑48).

La Peaulogie, 4 | 2020 La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. The Mark of the Beast as Trace of History 83 in the Englishmen and the colonialist system[19]. Many stories written in the 19th century, such as other Kipling’s Anglo‑Indian stories or Conrad’s Heart of Darkness (1899), stage the white men’s lack of knowledge of native customs and their difficulty to make sense of them.

What is particularly interesting is that Sugar’s marks refer to something that is unknown to William, “nothing he’s ever seen” (Faber, 2002, 273). The use of free indirect speech, with “what can he call them?” (Faber, 2002, 273), suggests William’s difficulty in providing a name for such marks[20], hence in knowing and having authority over the body that bears them. Contrary to colonisers who renamed colonial places and subjects, Sugar’s traces escape easy naming, at least on William’s part. Another parallel with colonisation can be made as white settlers also felt non‑plussed by Maori tattoos when they settled in Australia. William’s lack of understanding of Sugar’s marks are reminiscent of the sense of alienation that took over white colonisers when they faced unknown features in the colonies. What creates a humoristic effect is that right after the passage when William describes the marks on Sugar’s skin, a narrative aside, in brackets, gives scientific explanation for what they are as the tone and specialised lexicon suggest: “(Doctor Curlew, if he were here, could have told William, and Sugar for that matter, that she suffers from an unusually generalised psoriasis which, in places, crosses the diagnostic line into a rare and more spectacular condition called ichthyosis” (Faber, 2002, 173)[21].

19. William also “imagines himself as a restless beast [...] His lust suggests ever more vivid fantasies of sexual conquest and revenge. By turns, he rapes the world into submission, and cowers under its boot in piteous despair - each time more ferocious, each time more fawning” (Faber, 2002, 67). The lexical field of bestiality (“ferocious”) is associated with that of violence made to women (“sexual conquest”, “rapes”) and of slyness as well. The use of omniscient narration gives interesting information about William’s persona which readers would not have access to, were William the sole focal point. 20. Had William been more able to read the marks, he could have recognised the tiger as “a metaphor of insurrection in the British mythology of power” (Miller, 2012, 40) and possibly anticipated Sugar’s behaviour at the end of the novel. It is also possible to interpret the fact that Sugar’s marks are associated with the (Indian) tiger by William Rackham as a sign pointing to what he will later consider as her slyness (as opposed to the British lion, to which he may identify more). Similarly, in Kipling’s Jungle Books, even if the tiger is called Shere Khan – with the latter word being suggestive of domination, the tiger is not that respected by other animals, possibly because of its crippled appearance. Shere Khan was born with a lame hind leg which got him the nickname of “Lungri”, the lame one. 21. Still, even the doctor’s knowledge is questioned when the narrator adds: “He might prescribe expensive ointments which would have no more effect on the cracks in Sugar’s hands or the flaky stripes on her thighs than the cheap oil she’s already using” (Faber, 2002, 173).

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While Sugar’s marks complexify the difference between forcible tattoos, tattoos made through one’s own will, and other tattoos, they certainly hint at her transgressive nature. As Sugar’s body is marked as different from the bodies of respectable, female Victorians, it also escapes William’s full control of it. William sometimes does not even have control over his own body, as is shown in the scene of the first night he spends with Sugar ; a scene in which he wets himself while sleeping: “I…I have…suffered a most regrettable, a most shameful loss of…ah…control” (Faber, 2002, 115). The suspension points, which introduce discontinuity in William’s sentences, announce moments of crisis in William’s life and language: “she’s my w‑w‑wife, damn it!” (Faber, 2002, 677), “It’s not a simple choice between her being dead or alive ‑ there is a fate worse than death!” (Faber, 2002, 677). The reduplication of letters is a way to suggest that William, under pressure, is stammering; it also echoes the disintegration of his language and generally highlights his lack of control over his body, his words and external events. The ironic voice of the narrator recurrently mocks William: “William Rackham, destined to be the head of Rackham Perfumeries but rather a disappointment at present, considers himself to be in desperate need of a hat” (Faber, 2002, p. 45). The binary rhythm in the first half of the sentence highlights the opposition between the idealistic version of the man and the present, more realistic version, while the second half makes use of free indirect speech through the italics to suggest the character’s futile thoughts. Back to the notion of Sugar’s not‑to‑be‑controlled body, one recalls Putzi’s contention that “physically and ideologically, the tattoo and the scar both sustain and disrupt the ‘conquering gaze’ of the classical male body” (Putzi, 2006, 2). Indeed, William’s surprise at seeing such marks signals the possible inability for him to claim full ownership of Sugar’s body. Sugar’s alien marks may also be seen as metonymical as they point to the propensity of her body and character to upset order.

The fact that the marks are made of “geometrical patterns” or that they are “symmetrical” also reminds us of William Blake’s poem “The Tyger” (1794). The archaic spelling of the title suggests the tiger’s exotic dimension to England and confirms that Sugar, being associated with the animal, is an expression of otherness[22]. But Blake’s line “What immortal hand or eye, Dare frame thy fearful symmetry?” is the one we should ponder. The adjective “fearful” and the whole poem invite us to consider the tiger as a dreadful creature which was born out of fire (“What the hand, Dare seize the fire”/ “In what furnace was thy brain?”). The literary connection made between the prostitute and the

22. Later in the novel, Sugar is shown to be scratching at her forearms “until her skin is the texture of grated ginger‑root” (Faber, 2002, 284). The reference to ginger here again connects Sugar with exoticism.

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tiger through the idea of symmetry leads us to think of Sugar as a powerful, but also infernal, sulphurous, creature, which shows interesting Orientalist complicity on the part of the narrative voice.

Sugar, by being a prostitute, belongs to a “crew” which have their own codes. The very fact that the “complicated knock” that can admit Sugar and her fellow companion into Mrs Castaway’s house should be referred to as “the tattoo of secrecy” (Faber, 2002, 109) associates Sugar’s traces with notions pertaining to secret society and gang‑belonging. Later, Sugar wonders whether, if not for the condition she is afflicted by, her hands could not be considered as those of a “well‑born lady”’s (Faber, 2002, 273), suggesting that the affliction marks her as belonging to a certain category of women. Sugar is moreover a multi‑faceted figure of disruption: she disrupts Victorian moral order by being a prostitute, but also disrupts family order by standing for William’s alternative wife, then acting as his secretary, even the governess of his daughter in the last part of the novel. There is one passage in the novel where Sugar literally occupies the place of William’s wife, Agnes, on a family picture before her image is replaced by Agnes’s. But more threateningly for the Victorian order, Sugar also occupies a male social position, first by writing the captions for the products sold by William’s company, then by wanting to become a writer. Sugar’s novel also depicts male oppressors being gorily taken revenge upon by their traditionally oppressed female victims:

‘Please,’ he begged, tugging ineffectually at the silken bonds holding him fast to the bedposts. ‘Let me go! I am an important man!’ ‑ and many more such pleas. I paid no heed to him, busying myself with my whet‑stone and my dagger. ‘But tell me, exalted Sir,’ I said at last. ‘Where is it your pleasure to have the blade enter you?’ To this, the man gave no reply, but his face turned ghastly grey (Faber, 2002, 227).

Sugar’s writings are sensationalist, often drawing on gory images depicting men’s helplessness before empowered women. Finally, given that tigers used to be compared with British hunters, sometimes even associated with nobility, if not the figure of the ‘gentleman’[23], Sugar’s metonymical tiger marks mark her as distinctively gender and class‑bending. She very much upsets the boundary between masculinity and femininity as well as the lines between classes.

23. “Tigers were often contrasted favorably to panthers: “‘The tiger is, as a rule, a gentleman. The panther, on the other hand, is a bounder,’ Glasfurd asserted […] Many authors alluded to the tiger’s ‘nobility’” (Schell, 2007, 242)

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Sugar’s tiger marks can be understood as signs that mark her as separate from mainstream society and echo tattoos as they may “highlight narratives of transgression and subversion which foreground freak culture or alternative sexualities” (Beeler, 2006, 8). Her marks define her as a gendered subaltern and her very name associates her with a colonised subject or a slave. But if the tiger marks are reminiscent of the way masters had their slaves marked as their own property ‑ and she is marked as one of William’s possessions ‑ the fact that William cannot fully name or interpret the marks on her body suggests that Sugar escapes the industrial’s control and is empowered, at least temporarily[24]. More importantly, Sugar’s body being already marked by external agency ‑ the disease ‑ as opposed to Cora Seaborne’s body in The Essex Serpent ‑ it remains unavailable for William’s inscribing upon it.

Both female characters in Faber’s and Shamsie’s novels are “marked as spectacles” (Putzi, 2006, 5). Yet, “regardless of whether the mark is chosen or forced, tattooing always incorporates a certain measure of control over the observer, directing the gaze to the tattooed parts of the body” (Putzi, 2006, 92). Sugar’s tiger marks, despite being tattoos designed by human intentionality at the diegetic level, produce a phenomenon of “gazing back” upon the onlooker.

The prostitute’s name acts as a reminder of the past in the present as Rosario Arias’s analysis of the trace in Neo‑Victorian works shows: “the passage, the tracing of the Victorian traces, results in a persistent yet continuous movement between the present and the Victorian past” (Arias, 2014, 113). Shamsie’s novel, by presenting another motif of animal‑related tattoos, will help us further analyse how Hiroko’s crane patterns operate as a link between past and present, more precisely as a curse that may contribute to disturbing the history of (white and black) marked bodies.

24. At the end of the novel, Sugar escapes with Sophie, William’s daughter, but in the process, all the pages she had written for her novel end up flying in the air, spreading her words in the posh area of London where William is living. Even if this could be interpreted as her message of female empowerment spreading beyond the scope of her potential novel, the fact she does not ultimately become a writer qualifies the extent of her final emancipation.

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SHAMSIE’S JAPANESE HEROINE: THE TATTOO AS TRANSGENERATIONAL CURSE SENS(UALIS)ING THE TATTOO

In Shamsie’s story, the tattoo does not reveal itself at first glance. Its unveiling occurs progressively as the first chapter recalls the bombing of Nagasaki. It ends on the depiction of the heroine dressed in a kimono: “Her body from neck down a silk column, white with three black cranes swooping across her back” (Shamsie, 2009, 23). The bombing is not clearly named as it is perceived from Hiroko’s point of view even though the location and date presented as a subtitle for the first part of the novel “Nagasaki, 9 August 1945” leave no doubt to the 21st century reader as to the context in which the story unfolds. In parallel to terms confirming the event such as “fire and smoke” (Shamsie, 2009, 27), and the blatant formula “and then the world goes white” (Shamsie, 2009, 23), the writing echoes the confusion in the heroine’s mind:

Hiroko runs her fingers along her back as she climbs the stairs down which, minutes earlier, she had followed Konrad. There is feeling, then no feeling, skin and something else. Where there is skin, there is feeling. Where there is something else there is none. Shreds of what ‑ skin or silk? She shrugs off the kimono. It falls from her shoulders, but does not touch the ground. Something keeps it attached to her (Shamsie, 2009, 26‑27).

The heroine’s sense of confusion is paradoxically rendered by the recurrent use of the verb “be” which usually aims at asserting the existence of things; yet here, the verb is repeatedly used in parallel sentences which suggest the coexistence of contradictory elements. Confusion is also conveyed through the question “skin or silk?” which hints at uncertainty while the monosyllabic terms and the paronomasia highlight the fact that it is impossible to distinguish between the two types of material as skin is here assimilated to fabric[25]. Yet, the very violence of the event upon the body is underlined: “She touches the something else on her back. Her fingers can feel her back but her back cannot feel her fingers. Charred silk, seared flesh” (Shamsie, 2009, 27). The sentence “charred silk, seared flesh”, followed by “the touch of dead flesh”, gradually announces the “possibility of the tattoo”, as readers had earlier been told about the three cranes on Hiroko’s kimono.

It is only much later in the book, when Hiroko goes to Delhi to meet with the family of the man who should have become her husband, had the bombing at Nagasaki not occured, that the crane “tattoos” are unveiled. Hiroko, who

25. Sugar’s marked hands are once referred to as “leathery palms” (Faber, 2002, 36).

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used to work as a translator in Japan, falls in love with her Urdu teacher, who happens to be an employee of the Burtons, the family of her ex‑lover. While Sajjad is about to have an arranged marriage, she acknowledges that the marks on her body will never enable her to marry:

She had stepped out of the shadow of the roof ’s overhang and into the harsh sunlight so there could be no mistaking the three charcoal‑coloured bird‑shaped burns on her back, the first below her shoulder blade, the second halfway down her spine, intersected by her bra, the third just above her waist. (Shamsie, 2009, 90‑91)

Just as Faber’s text mentions the propensity of Sugar’s marks to be “diagrams for his [William’s] own fingers” (Faber, 2002, 309), Hiroko’s marks are given to Sajjad’s touch, yet in a more sensual description:

In a few quick steps he was next to her, his hands touching the space between the two lower burns, then pulling away as she shuddered. […] He touched the grotesque darkness below her shoulder blade ‑ tentatively, fearfully ‑ as though it were a relic of hell […] He closed his eyes and moved his hand to where the skin felt as skin should. (Shamsie, 2009, 91; emphasis added)

Later in the book, the burns on Hiroko’s back are explored by her son on a more playful note:

when he was a child he liked to sneak up behind me and tap against my back with a fork or a pencil, laughing when I carried on doing whatever I was doing, unaware. It made Sajjad so angry, but I was grateful he could approach it with such lightness. (Shamsie, 2009, 179)

The bird tattoos are motifs that are threaded throughout the story: they appear at regular instances in the novel as well as they generate tales, as the (not so) fairy tales Hiroko invents, should she once tell her son what happened at Nagasaki in August 1945:

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There was the one about the girl whose dying father slithers towards her in the shape of a lizard; she is so horrified by his grotesqueness it takes her years to understand that his final act was to come towards her, after a lifetime of walking away [...] The one about the purple‑backed book creatures with broken spines who immolate themselves rather than exist in a world in which everything written in them is shown to be fantasy. The woman who loses all feeling, fire entering from her back and searing her heart, so it’s possible for her to see a baby’s corpse and think only, There’s another one [...] Monsters who spread their wings and land on human skin, resting there, biding their time. The army of fire demons, dropped from the sky, who kill with an embrace. [...] The schoolteacher in a world where textbooks come to life ; she cannot escape from the anatomy text, its illustrations following her everywhere ‑ bodies without skin, bodies with organs on display, bodies that reveal what happens to bodies when nothing in them works anymore (Shamsie, 2009, 177).

This rather long passage juxtaposes the many possible tales Hiroko could have told her son about the bombing at Nagasaki. The paratactic effect reflects the abundance of narratives that could emerge as an explanation for the scar tattoos on her back while the gruesome stories ‑ implying unsettling images of distorted bodies, references to the bird tattoos as “monsters”, or words connoting death and extreme violence – precisely show that the tattoos, unpleasant as they may be to the heroine, can still be characterised by a productive power of their own. This could already be seen when Sajjad, first seeing the scar tattoos on Hiroko’s skin, said “birdback” (Shamsie, 2009, 91). Sajjad’s invention of a poetic, new noun to refer to the tattoos shows their productive power. The tattoo can thus lead its bearer to escape fixed significance or to invent new meaning. In both novels, readers are made to “feel” the tattoos in a writing connoting sensuality and materiality and to “make sense” of them. The fact that the crane tattoos move across generations in Shamsie’s novel particularly needs discussing as it may help us make even more sense of the tattoos. THE TRANSGENERATIONAL POWER OF THE TATTOOS

The scar tattoos in Shamsie’s novel have a persistence that may be called “transgenerational”. It is all the more logical because in Japanese culture, the crane is a symbol of longevity; cranes were indeed said to have a life span of thousand years[26]. Even if Hiroko does not want people to believe she is haunted by her past, Shamsie’s text reveals a form of haunting. The branding in Shamsie’s novel is genetically transmitted as the recurring presence of the term “mark”, which is used to refer to Hiroko and Sajjad’s son, shows: as his mother was literally marked by the bomb, Raza comes to be seen in Pakistan

26. https://blog.nationalgeographic.org/2015/08/28/how-paper-cranes-became-a-symbole-of- healing-in-japan/ Last retrieved on February 28th, 2020.

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as “a bomb‑marked mongrel” (Shamsie, 2009, 191; 195) or the “boy marked by the bomb” (Shamsie, 2009, 207). The marking by history is thus transmitted through blood and operates as a sort of curse as the novel dwells on how history brought together the Burton and the Ashraf families throughout time and how tragic historical events have shaped the characters’ life trajectories. The word “mark” itself works as a trace that haunts Shamsie’s novel.

Kipling’s motif of the “mark of the beast” is present again, this time through the curse which has befallen the characters. But the reference to Kipling is also visible in the theme of intelligence which is one of the main topics of Kipling’s novel Kim (1901), while the characters travelling throughout the world in Shamsie’s novel are also reminiscent of the picaresque mode of Kim, yet often on a more tense and tragic note. Moreover, a direct reference to Kipling is present in the novel as one of the characters, albeit a female one, is called Kim. Kim’s father in the novel, explaining why he named his daughter so, says: “long before the CIA there had been Kipling and a boy astride a cannon” (Shamsie, 2009, 185), a direct reference to the first pages of Kipling’s novel.

Hiroko’s tattoos are all the more interesting because they seem to be alive, despite being paradoxically associated with death, at least in Hiroko’s mind. When she touches them for the first time, internal focalisation gives us access to her thoughts: “The touch of dead flesh. The smell – she has just located where the acrid smell comes from – of dead flesh” (Shamsie, 2009, 27). Hiroko is also shown to be repeatedly dreaming of them disappearing from her back and living inside her:

In the first years after Nagasaki she had dreams in which she awoke to find the tattoos gone from her skin, and knew the birds were inside her now, their beaks dripping venom into her bloodstream, their charred wings engulfing her organs.

But then her daughter died, and the dreams stopped. The birds had their prey.

They had returned through when she was pregnant with Raza – dreams angrier, more frightening than ever before [...] But then Raza was born, ten‑fingered and ten‑toed, all limbs intact and functioning, and she had thought he’d been spared, the birds were done with her.

She had not imagined the birds could fly outwards and enter the mind of this girl, and from her mind enter Raza’s heart (Shamsie, 2009, 222).

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Hiroko’s “tattoos” counter the Japanese assumption that cranes mean good luck. They convey here a sense of threat as they are endowed with a life of their own. The narrative voice in the passage associates the birds with verbs of action (“dripping venom”, “engulfing”) that are suggestive of ominousness. Their life‑threatening dimension can also be seen in the fact that their influence exceeds Hiroko’s mind and body. Later, when she moves to New York, the birds prove more alive than ever: her back hurting, she interprets it as “a sign of her birds” displeasure that she should have chosen this, of all countries, as her place of refuge from a nuclear world” (Shamsie, 2009, 287). The distressful (lack of) connection between Hiroko and her son is also blamed on the bird tattoos. It is as if the tattoos, by connecting mother and son, hindered communication between them. In one scene occurring towards the end of the novel, Hiroko and a character close to her quarrel, leading the narrative voice to comment: “The silence that followed was the silence of intimates who find themselves strangers. The dark birds were between them, their burnt feathers everywhere” (Shamsie, 2009, 362). While the connotation of the terms “dark” and “burnt” is here ostensibly negative, one wonders whether the birds, having a life of their own, do not also have an intentionality of their own that would be asynchronous with the characters’ intentions. If one considers that the birds, instead of being animals, are above all traces on Hiroko’s back, then they may be associated with things supposedly inert – mere images – yet characterised by what Jane Bennett calls “Thing‑Power”, that is “the curious ability of inanimate things to animate, to act, to produce effects dramatic and subtle” (Bennett, 2010, p. 6). Yet, the birds on Hiroko’s back do not act on their own: it is the fact they are on her skin and are linked to Nagasaki that makes them productive. Bennett’s words may be recalled again: “An actant never really acts alone. Its efficacy or agency always depends on the collaboration, cooperation, or interactive interference of many bodies and forces” (Bennett, 2010, 21). Both novels, through the scar/ tattoo motifs, ultimately complexify certain categories such as gender or race.

COMPLEXIFYING HISTORY, MAKING CATEGORIES FLUID

In a global history which has tended to present white people as unmarked and black people as having been marked by white people, in particular in the context of slavery, it is interesting to see Hiroko’s body as one that complexifies this history. Indeed, being a Japanese woman, her body is not one that has traditionally been seen as marked, as opposed to the bodies of black slaves or in completely different historical contexts, those of Maoris, Amazonian tribal groups, or even those of Jewish people in concentration camps. There is a subtle hint at the fact that Hiroko as a character disturbs categories in

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the novel: “James was oddly perturbed by this woman who he couldn’t place. Indians, Germans, the English, even Americans…he knew how to look at people and understand the contexts from which they sprang. But this Japanese woman in trousers. What on earth was she all about?” (Shamsie, 2009, 46).

Sugar’s tiger stripes and Hiroko’s tattoos can be seen as traces left by history on their bodies – respectively, the history of patriarchal violence alongside that of capitalism/colonialism, and the history of 20th‑century America as a main global power. The marks on their skin also act as narratives of their selves; “a memoir in the flesh” (Beeler, 2007, 22). Still, it is interesting to see that both characters do not act the same in regard to the traces. Sugar’s marks, echoing what Putzi calls “the ineffaceable marks of the system” (Putzi, 2006, 109), will not be erased despite the heroine’s efforts to make them disappear. Hiroko’s marks are simply not to be erased. On the contrary, she seems to abide by their influence in an attitude of passive obedience; the traces on her body act as “silent marker and a site of trauma” (Beeler, 2007, 183). According to the heroine, the mark of the tattoos is what accounts for Raza’s behaviour as he, by way of the curse, cannot escape them. As was recalled earlier, Hiroko tried to protect her son from “them” by inventing fairy tales about the tattoos and Nagasaki which she never in the end told him but according to Hiroko, the birds entered her son’s head anyway. The traces left by Nagasaki on Hiroko’s body have a fatal dimension to them; their presence is not without recalling fatum in Greek tragedies. Still, in both cases, the traces simultaneously determine the characters’ identity – Sugar as a prostitute having a body that differs, and is made different, from the bodies of other women and that carries, indirectly, the history of the concomitance between capitalism and colonialism ; Hiroko as a direct victim of a traumatic historical event, the nuclear bombing of Nagasaki in August 1945.

Yet, their stories also illustrate how they escape, even resist, definite designation and circulate across fluid categories. Sugar upsets at least definitions of gender and class by being both a prostitute and a writer‑to‑be in Victorian England. Hiroko, by being a Japanese woman married to an Indian forced to move to Pakistan, upon arrival in New York in the years 2000 explains to a taxi driver: “I’ve lived in Pakistan since “47 […] I am Pakistani.” (Shamsie, 2009, 288). The crucial historical event which occurred in 1945 in Japan and the resulting tattoos branded on her skin have made her identity multiple and fluid, not easy to grasp. The traces on the two characters’ bodies are traces of history as well as canvasses for how they are socially positioned but also ways of inscribing the narrative of their selves‑in‑progress. Both novels depict a fluidity or porosity between the tattoo and the scar. As Putzi puts it, the tattoo “may initially appear to fix identity, marking it forever in the flesh, but it can

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also be seen as a symbol of fluid identity boundaries resisting any definitive interpretation” (Putzi, 2006, 26).

After analysing the echoes but also the differences between Sugar’s and Hiroko’s traces, it remains to be seen whether the common motif of animality can be further made sense of. Here is what can be said for the moment. Akira Mizuta Lippit argued in 2000 that the industrialisation of the West occurred alongside humans developing a cultural blindness towards animals. From this premise, Ann‑Sofie Lönngren invites us to see “the convention of reading animals metaphorically and thus as “really” representing aspects of the human”(Lönngren, 2015, 16) as part of a similar process. Lönngren adds insightfully:

Although it is, as a member of the species Homo Sapiens, of course impossible to escape the anthropocentric worldview altogether, it is certainly possible to question the centrality of “the human” in the humanities, to point out the consequences of this bias, and to employ theoretical concepts and methods according to which more‑than anthropocentric knowledge can be produced (Lönngren, 2015, 22).

As Faber’s novel has been characterised by George Letissier as a Neo‑Victorian classic, the motif of the tiger stripes surely partakes of Neo‑Victorianism’s tendency to consider the past from a present perspective and to provide a metatextual outlook on some of the ideologies or discourses that were prevalent in Victorian England, in particular on race or gender. These two texts certainly invite us to see the tattoo as not just an indication of moral character in Sugar’s case or a curse in Hiroko’s: rather than mere tropes, they become empowering images that enable us to think of how women “claim their own bodies and the experiences they represent” (Putzi, 2006, 98). But the very fact that Hiroko’s bird tattoos should be endowed with a life of their own performs maybe something of a different nature, calling scholars’ attention to the necessity to consider “animal representations as signifying “actual” animals, of different kinds and with their own potential agencies and interests” (Lönngren, 2015, 22); in other words, the crane tattoos may be an invitation to seek less to interpret animal traces as being necessarily meaningful or significant to humans and to literally follow “the “tracks” left by animals in the text” (Armstrong, 2008, 3) to help us think of alternative forms of agency and of being in the world.

La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. La Peaulogie, 4 | 2020 94 The Mark of the Beast as Trace of History

REFERENCES

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La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. La Peaulogie, 4 | 2020

HER OTHER BODIES: A TRAVELOGUE 97

HER OTHER BODIES: A TRAVELOGUE DE BRIAN EVENSON

RITUELS D’UNE ÉCRITURE AU SCALPEL

Nawelle LECHEVALIER-BEKADAR Référence électronique

Lechevalier-Bekadar N., « Her other Bodies: a Travelogue de Brian Evenson. Rituels d’une écriture au scalpel. », PremiersLa Pas Peaulogie 4, mis en ligne le 5 mai 2020, [En ligne] URL : http://lapeaulogie.fr/her-otherLa -Peaulogie,bodies-a-travelogue 2 | 2018 98 Her other Bodies: a Travelogue de Brian Evenson. Rituels d’une écriture au scalpel.

RÉSUMÉ Dans sa nouvelle intitulée « Her Other Bodies: a Travelogue » issue du recueil Altmann’s Tongue (1994), Brian Evenson propose d’appréhender le geste d’écriture comme acte de cruauté. Dans un mouvement qui rappelle « La Colonie pénitentiaire » de Kafka, le texte met en scène les rituels d’un meurtrier qui grave des étoiles sur le corps des femmes qu’il rencontre et tue au gré de ses pérégrinations dans le Sud Ouest américain. De façon très frappante, l’instrument utilisé est un canif (« a pen-knife »), soit un outil qui, dans la langue anglaise, offre un lieu de rencontre particulier entre écriture et cruauté. La nouvelle fantasme une pratique du tatouage qui serait vidée de toutes ses propriétés initiatiques pour devenir le parangon de l’objectification morbide d’autrui. Loin de permettre au sujet de s’approprier son histoire en la faisant affleurer sur son corps, la nouvelle imagine le tatouage comme un acte de (dé)possession ultime rappelant la chair à sa matérialité pure. Ce faisant, Evenson consacre un nouveau rapport de l’écriture au corps qui, dans sa violence, fait signe vers les pouvoirs terrifiants du langage.

MOTS CLEFS Brian Evenson, nouvelle, tatouage, rite, cruauté, littéralisation, figure, mormonisme

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L’expression « écrire au scalpel » fait partie des lieux communs de la critique dès qu’il s’agit de traiter d’un texte, d’une œuvre qu’on qualifie volontiers d’incisive, de violente, ou pour souligner sa précision chirurgicale. Elle est toujours immédiatement comprise dans son sens métaphorique, si courant qu’elle est maintenant devenue un poncif de l’analyse littéraire. Or, dans la nouvelle « Her Other Bodies: a Travelogue », issue d’Altmann’s Tongue de Brian Evenson, la formule reprend toute la force de sa littéralité première[1]. Une écriture au scalpel ne fait d’abord signe vers aucun au‑delà symbolique : il s’agit ici d’écrire, de tracer des symboles avec un couteau dans la chair des victimes que massacre le protagoniste. Il s’agira donc de voir en quoi la nouvelle permet justement de retremper cette image à la source de sa violence originaire.

Bien qu’Altmann’s Tongue ne soit pas à proprement parler un réquisitoire anti‑mormon[2], la nouvelle « Her Other Bodies: a Travelogue » porte déjà en germe la critique virulente que Brian Evenson fait de sa confession d’origine dont la violence, à la fois historique et liturgique, irrigue les textes de façon manifeste. La nouvelle campe l’errance d’un personnage mormon anonyme qui sillonne le Sud Ouest des États‑Unis dans son pickup décrépi pour s’adonner, dans chaque nouvel État, à un meurtre rituel dont les modalités nous intéressent tout particulièrement ici. Le texte nous met précisément sur la piste d’une esthétique de la cruauté au sein de laquelle se confondent geste d’écriture et geste de mutilation.

On remarque d’emblée l’étrangeté d’un titre dissonant, qui met en perspective le texte, fragmenté en différentes scènes de torture, avec les entrées d’un récit de voyage. « Utah », « Wyoming », « Colorado », « New Mexico », « Texas » : tous les sous‑titres des fragments de la nouvelle correspondent aux États que le protagoniste traverse lors de son périple, à la fois meurtrier et suicidaire. En ce sens, le travelogue, c’est d’abord ici le logbook, c’est‑à‑dire les entrées ou les traces d’un récit de voyage à la violence hyperbolique. Chaque étape du trajet s’articule de façon sensiblement similaire. Si le personnage s’enfonce à chaque fois plus avant dans la déréliction physique et psychologique, sa façon d’appréhender chaque État et de s’y comporter opère de façon très ritualisée. Le texte se présente ainsi sous la forme d’une fugue qui re‑brasse des phrases thèmes qui sont redéployées dans le texte et mises en relation avec de nouveaux segments qui affluent constamment. Dans chaque section, le personnage parcourt les routes enténébrées du Sud‑Ouest des États‑Unis, discute brièvement avec des individus aux stations‑services dans lesquelles

1. Il existe une traduction française d’Almann’s Tongue réalisée par Claro : Brian Evenson, La langue d’Altmann [trad : Claro], Paris : Le Cherche Midi, 2014. 2. C’est le cas de Father of Lies (1998), le premier roman de l’auteur qui présente l’Église des Saints des Derniers Jours comme une matrice infernale de destruction des femmes et des enfants.

La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. La Peaulogie, 4 | 2020 100 Her other Bodies: a Travelogue de Brian Evenson. Rituels d’une écriture au scalpel.

il s’arrête, harcèle de coups de téléphone cette femme qu’il dit aimer et qui lui résiste, tente d’approcher d’autres femmes et se voit rabrouer, prend son démonte‑pneu, défonce le crâne de ces mêmes femmes, puis trace des étoiles non pas sur, mais dans leur corps. La mise en perspective systématique des appels déçus et du meurtre laisse entendre un lien de causalité entre les deux actes. Le corps de l’amante est ainsi saisi dans la constellation de ses avatars (« her other bodies ») ; elle devient, par ses refus, l’objet d’une obsession qui confine au délire :

He put a quarter in the slot, dialed, shouted a few words, hung up, picked up the receiver, put in a quarter, dialed again, shouted some more, hung up, picked up the receiver, put in another quarter, dialed again, got a busy signal, picked the quarter out of the coin return, put in the quarter, dialed again, busy signal, dialed, busy, dialed, busy, dialed, dialed, dialed, dialed got a notinservice message, dialed, not‑in‑service, dialed, notinservice, dialed. He dialed and dialed, moving his quarter around the purgatory of coin return and slot, until the break of day. (p. 155) Le schéma éternellement répétitif et l’accélération rythmique du passage signalent la compulsivité croissante avec laquelle le personnage tente d’entrer en contact avec celle qui le rejette. De plus, la comparaison de la femme avec l’agneau qui intervient quelques pages plus loin (« “Baby!” the man yelled. “Honey! Lamb” » [p. 166]) introduit l’idée d’un rite sacrificiel aux accents bibliques. Comme dans tout sacrifice, l’exécution de la victime comporte un rituel dont les composantes demeurent : chaque femme tuée est ainsi installée afin de subir les mêmes scarifications en forme d’étoile que les autres, dans un mouvement à la fois désespéré et vengeur, pour atteindre et s’approprier le corps de celle qui lui résiste. C’est dans ce rituel que s’instaure l’ambivalence entre l’acte d’écrire et l’acte de mutilation :

Utah He drove across the border, crossed into the barren northern stretches of Utah. Three miles into the state he killed his first, bashing her eyes in with his tire iron. In the back of the UHaul he carved thirty‑five stars into her back, rows of seven and eight. Flesh was not so easy with a penknife, he found, raising problems far beyond oak and pine. He hacked out a few early attempts, recut them on her thighs. (p. 145) Le texte nous confronte ainsi à une vision quasi fantasmagorique du tatouage présenté dans ses modalités les plus extrêmes. Au sein de la nouvelle, le tatouage visé comme pratique de l’écriture dans le corps n’a plus aucune vertu initiatique. Il ne consacre pas ici le lien d’un individu à sa tribu, il ne rappelle pas les hauts faits de la personne qui les arbore, il n’a même plus de visée ornementale : il est intégralement subi et mortifère. Il devient geste de cruauté pure. Rappelons, tout d’abord, l’étymologie du mot cruauté, qui

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vient de cruor signifiant le sang[3] ; non pas le sang qui circule dans le corps (sanguis), mais le sang répandu, le sang que l’on a versé à la suite du geste cruel. Le concept de cruauté fait donc fondamentalement référence au corps et aux sévices qu’on lui inflige. C’est la peau considérée par Didier Anzieu dans Le Moi‑peau comme « donnée originaire à la fois d’ordre organique et d’ordre imaginaire, comme système de protection de notre individualité en même temps que comme premier instrument et lieu d’échange avec autrui » qui est d’abord visée par le geste cruel, en ce qu’il est, dans son acception première, synonyme de déchirure (Anzieu, 1995, 25)[4]. S’attaquer à cette surface qu’est la peau – comme instance d’individuation et interface de communication –, c’est donc paradoxalement s’attaquer à ce qui il y a de plus profond et de plus intime en l’individu. Le geste cruel, en ce sens, se présente comme étant le paroxysme du mal infligé au corps et à la personne.

Ainsi, cette pratique dévoyée du tatouage en tant que geste meurtrissure artistique est menée à bien à l’aide d’un instrument qui en résume toute l’ambiguïté : le « pen‑knife » souvent traduit par les mots « cutter » ou « canif[5] », mais qui est à entendre ici littéralement comme une plume‑lame[6]. Le pen‑knife offre un lieu de rencontre saisissant entre assassin et écrivain dont les pratiques se confondent en un seul et même geste. La nouvelle explore ce fantasme d’un geste créatif s’inscrivant profondément dans la chair pour démontrer les effets d’une écriture toute‑puissante. Le commentaire portant sur la difficulté de travailler le corps comme on travaillerait le bois, signale que le corps n’est plus considéré comme cadavre, c’est‑à‑dire comme lié à un sujet humain. Il devient, à ce moment, pure matière de projection, il devient une toile, un bloc de pierre, une page blanche sur laquelle l’artiste va pouvoir exécuter sa pratique. Ces corps ne sont pas seulement réifiés comme dans d’autres nouvelles[7] d’Altmann’s Tongue (un objet est intentionné : il se donne comme une forme délimitée par des contours), ils sont véritablement

3. Voir l’ouvrage de Michel Erman, La cruauté : Essai sur la passion du mal, Paris : PUF, 2009, qui esquisse ces distinctions étymologiques essentielles dans l’introduction de l’ouvrage. 4. Didier Anzieu, Le Moi‑peau, Paris, Dunod, 1995, p. 25. 5. C’est la traduction qu’a retenue Claro dans sa traduction, La Langue d’Altmann, Paris : Le Cherche Midi, 2014. 6. Dans « The Wavering Knife » nouvelle issue du recueil éponyme (2004), l’image du couteau tremblant est considérée par le narrateur (un critique doublé d’un assassin) comme la pierre de touche du travail fascinant de l’autrice Eva Gengli. L’image devient la signature d’un travail qui met une fois de plus en réseau le couteau et la plume. 7. « A Conversation with Brenner » met en scène Ernst Jünger qui soliloque tout en prétendant discourir avec ce qui semble être le cadavre de Brenner. Dans « Stung » le personnage observe l’intérieur de la gorge de son beau‑père qu’il a préalablement tué en remplissant sa gorge d’abeilles puis en lui cousant les lèvres. Le personnage principal de « Eye » fait ses adieux à son amante après avoir gobé ce qui finalement n’était pas un œil de verre.

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matérialisés – au sens où ils sont transformés en matière première sur laquelle le personnage exerce sa pratique. Cette matière n’a rien de singulier ou de sacré, elle supporte les erreurs, peut se faire brouillon, ou palimpseste, pour être par la suite jetée :

« Shining the light told him that he had been cutting stars in the wrong girl. He scraped the cut skin away, mutilated out the stars. He felt around for the freshest flesh, began to cut. » (p. 162) Kafka, dans « La Colonie pénitentiaire » (1919), mettait déjà en scène cette machine à torture qui permettait de tatouer la sentence des prisonniers dans leur chair jusqu’à la mort, transformant de ce fait le corps en support scriptible de la faute. Evenson semble ici reprendre le dispositif kafkaïen pour en proposer une variante toute aussi horrifique. Les corps ne se voient pas ici infligés le dessin d’une sentence comme dans le système punitif kafkaïen, mais celui d’étoiles dont la symbolique semble particulièrement intéressante dans la mesure où elle condense et met en tension les deux univers qui sont réverbérés dans toute la nouvelle.

Ces étoiles tatouées par rangées évoquent immédiatement celles du drapeau américain qui ne flotte plus fièrement sur la nation mais s’est rigidifié pour le pire sur le dos inerte de cadavres. On objectera que le protagoniste n’en tatoue pas toujours le même nombre sur le dos de ses victimes qui en comptent parfois cinquante, parfois trente‑cinq, voire une seule, comme c’est le cas dans la toute dernière section. Mais il faut se rappeler que le drapeau américain lui‑même n’a pas toujours arboré le même nombre d’étoiles, et que ces dernières se sont elles aussi rajoutées progressivement au fil de la construction du pays. Ces étoiles gravées au canif figurent ainsi peut‑être en creux la violence de la construction d’un pays qui s’est élaborée au gré de massacres successifs.

Le dessin de ces étoiles obéit d’autre part à une logique de littéralisation qui n’est accessible qu’en ayant à l’esprit la liturgie mormone. Le Livre des doctrines et Alliance, l’un des ouvrages canoniques du mormonisme, consigne toutes les révélations que Dieu aurait faites au père fondateur du mormonisme qu’est Joseph Smith. L’un des passages du livre, lui‑même inspiré de l’Épître aux Corinthiens[8], traite de ce que Joseph Smith a appelé « le corps céleste » (« the celestial body »). Le corps céleste fait ici d’abord référence aux astres dans son acception biblique classique, mais il caractérise aussi, par extension

8. « Il y a des corps célestes et des corps terrestres ; mais différente est la gloire des célestes, et différente celle des terrestres ; autre la gloire du soleil, et autre la gloire de la lune, et autre la gloire des étoiles, car une étoile diffère d’une [autre] étoile en gloire. » (Le Nouveau Testament, « L’Épître aux Corinthiens » I:39). L’analyse cosmologique de l’Épitre aux Corinthiens entend « les corps célestes » dans leur acception purement astronomique.

La Peaulogie, 4 | 2020 La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. Her other Bodies: a Travelogue de Brian Evenson. Rituels d’une écriture au scalpel. 103 métaphorique, le corps glorieux des Mormons dont la vertu leur permettra d’accéder à la résurrection dans le royaume céleste[9]. Le personnage central de la nouvelle, dont l’appartenance au mormonisme est suggérée subtilement à travers l’hymne mormon (« the spirit of God like a fire » [p. 162]) qu’il fredonne à la fin du texte, propose donc ici d’incarner, de rendre charnelle, une image religieuse pour la restituer dans toute la violence de sa littéralité. Ce tatouage abject des étoiles dans le corps des victimes permet ainsi de rendre à la métaphore toute sa puissance figurale. Il s’agit de retrouver le dessin derrière la lettre, et de mettre en exergue tout le pouvoir d’une écriture qui rend leur chair aux mots.

De façon surprenante, les deux univers convoqués par ce dessin cruel, l’Amérique iconique déchue d’une part à travers la création de ce drapeau macabre, et la liturgie mormone de l’autre, se trouvent également superposés, à la façon d’un palimpseste encore une fois, à échelle de la nouvelle entière :

He pulled over at an old Sinclair Station and turned off his lights. The pumps were torn out, except for a few pieces of pipe sticking out of the cement. The windows of the station were broken out, the asphalt cracked by weeds. He sat on the edge of a raised cement slab. He stared out at the deserted roads. Feet on the ground, he lay down on the slab, staring into the moonlit clouds, his arms spread out, against the cold concrete. He closed his eyes, lay still. (p. 150) Le texte nous offre la vision post apocalyptique d’un monde détruit au sein duquel les infrastructures des Hommes, envahies par les mauvaises herbes, ne sont plus que les vestiges d’un temps révolu. La dalle sur laquelle s’allonge le protagoniste avant de fermer les yeux et de s’immobiliser fait surgir des images de mort que tout le paysage inspire. L’Amérique qui nous est présentée au sein du texte est une Amérique décomposée, celle des stations‑service délabrées et des rednecks de la Harley Fest :

The cement front of the store was decorated with slanted shakewood strips. He searched through rows of boot mugs, cowboyboot belt buckets, tiny tin spoons with bronco rider handles, until he found a packet of No Doz. (p. 153) Des boucles de ceinture en forme de bottes aux petites cuillères imitation selle de cheval, ce qui reste du Grand Ouest américain se voit commodifié

9. « These [the exalted beings] are they whose bodies are celestial, whose glory is that of the sun, even the glory of God, the highest of all, whose glory the sun of the firmament is written of as being typical. » ( Joseph Smith, The Doctrine and Covenants of The Church of Jesus Christ of Latter Day Saints, 76, 70). Ici Joseph Smith s’inspire directement de l’Épître aux Corinthiens pour fonder l’un des éléments théologiques distinctifs du mormonisme : les degrés de gloire. Le prophète ne postule pas un paradis, mais trois (téleste, terrestre et céleste), le paradis céleste constituant degré de gloire suprême, accessible uniquement aux Mormons les plus fervents : « Faithful members of the Church will come forth in the morning of the First Resurrection and receive a glorified, celestial body » (Doctrine and Covenants, 88, 28)

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sous la forme d’objets au kitsch consommé. Ainsi la mention systématique des slogans associés à chaque État (« Up with the sun, this here is Wyoming » (p. 155) / « This is Colorado, people watch out for each other » (p. 159) souligne de façon ironique la perte d’une Amérique authentique ici étouffée sous ou remplacée par ce que Baudrillard appelle « l’excroissance cancéreuse du parc des pseudo objets » (Baudrillard, 45) ; soit des objets qui ne sont plus que des signes vides, les témoins ridicules de la rupture de cet univers avec une culture américaine originelle, aussi fantasmatique qu’elle puisse être.

He took long empty farm roads out into the fields and past the occasional dark house. He flushed two men, naked but for their boots and Stetsons out of the bush, and they pursued him down a deep rutted road, giving over the chase when he reached the edge of town and street lights. (p. 154) De la même façon, le mythe viriliste du lonesome cowboy domestiquant les espaces sauvages du nouveau continent se voit quelque peu mis à mal à travers la mention de ces deux hommes, vêtus uniquement de leurs bottes et de leur mythique Stetson, qui détalent d’un buisson, pris sur le vif d’une rencontre licencieuse.

Sous cette première surface d’une Amérique, à la fois factice et désolée, affleure un monde bien plus ancien encore que celui du grand Ouest mythologique, celui de l’Ancien Testament. La nouvelle est intégralement modelée par un jeu de clairobscur constant dont les contrastes dramatiques entre lumière et obscurité rappellent le manichéisme de la Bible :

On the straightaways they passed him, darting over the double yellow line, their headlights glaring in hard at him then vanishing. The mountain heaved itself up on his left, in the darkness inching its way closer to the road. […] Beyond, in the flat stretches on the other side of the river, a rim of light outlining the rails. (p. 147) De manière frappante, la nouvelle elle‑même essaime les indicateurs troublants d’une géographie morale que parcourt le personnage qui tourne a « Devil’s Slide », bifurque à « Desmoines » et dont tout le discours est cousu d’expressions religieuses (« “What in hell?” he said » [p. 157]/ « Goddam you for this! » [p. 157]) ; des expressions dont la récurrence les présente comme moins anodines ou insignifiantes qu’il pourrait y paraître à première vue. Ainsi, en plein cœur du Nouveau Mexique, le personnage, insomniaque depuis des jours, s’abyme dans un délire messianique au sein duquel il s’érige comme nouveau prophète élu de Dieu :

He turned off the headlight, tried to divine the approach of morning […] He was on his way to heaven. He traced his name into God’s prayer book with his cigarette coal. (p. 162)

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Sous l’étendue de cette Amérique moribonde convulse l’enfer de l’Ancien Testament, d’un monde où la parole divine est toute créatrice et toute destructrice. À l’instar du dos étoilé des victimes du protagoniste, le texte se présente sous la forme de surfaces mythologiques violentes, elles‑mêmes traversées par le camion du protagoniste qui dans sa trajectoire fend le pays du nord au sud. Ainsi l’usage marginal du verbe « wind » dans la phrase suivante « he wound the tight exit ramp down into Perry » (p. 145) renvoie directement à l’image de la blessure que trace le camion dans son embardée folle.

Il semble plus globalement que, dans la nouvelle, tout ce qui fait trace fait blessure. Ce voyage qui nous est présenté comme ne laissant que des meurtres barbares dans son sillage est la première ligne sanglante tracée à même le sol américain, une trace qui se voit déclinée en permanence dans la nouvelle : « He dragged her by her heels out the back way, in stages, her pulped head leaving a bloody swath » (p. 164). Cette ligne tracée au sol par la tête ensanglantée de l’une des victimes trainée par terre est à réfléchir comme l’une des figurations, a minima, de cette trajectoire meurtrière exécutée par le personnage. Elle rappelle aussi directement cette ligne de brûlures de cigarettes que s’imprime le personnage sur le torse :

He lit a cigarette, burnt himself with it on the stomach, drove forward a mile or two, burnt himself again, higher up. By his nipple, he was in Clayton, ten miles from the state line. He drove. (p. 165) Le texte trace sans cesse des lignes qui se gravent douloureusement dans les différents espaces géographiques ou corporels de la nouvelle. Dans un jeu de miroir troublant, le camion lacère le corps des différents États qu’il traverse tandis que le corps brûlé du protagoniste devient lui‑même la carte par le biais de laquelle il se repère dans l’espace. La nouvelle semble ainsi orchestrer une expansion des surfaces scriptibles qui prolifèrent dangereusement au sein du texte. Par un effet de mise en abîme, elles viennent rappeler au lecteur que la page elle‑même est la surface tatouée par des mots qui sont à voir comme autant de lacérations. C’est du moins le fantasme activé par un texte au sein duquel toute trace, donc tout mot, fait blessure.

Cette image centrale de la nouvelle qu’est le tatouage meurtrier force évidemment le lecteur à faire retour sur le dispositif textuel auquel il est confronté pour voir que ce qui dérange à la lecture n’est pas tant la teneur sensationnelle du crime perpétré, mais bien l’extrême blancheur de la voix narrative qui se fait le relais intégralement neutre des horreurs décrites :

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He told her there was cash in his truck. He went out to get the tire iron. He stumbled up the counter and swung the iron up above his head and down at her, crashing through the sign and racks and down into her temple, cigarette boxes raining down upon her. He went back behind the counter and stomped upon the woman’s skull with his heels until it went pulpy and caved in. He slipped the tire iron through a belt loop, grabbed the body under the warm, damp underarms. He pulled her up to him, squatted, folded her over his shoulder, he stood, grabbed cartons of cigarettes. (p. 163) Aucune émotion ne vient infléchir le rythme constant de ces phrases assignées à ce « he » dont l’intériorité nous demeure interdite. C’est ainsi le dispositif d’écriture lui‑même qui fait violence au lecteur confronté à une narration qui ne fait pas voix puisqu’elle est intégralement étrangère à toute forme d’affects.

En convoquant l’image du tatouage mortifère Evenson rappelle que toute trace, fut‑elle scripturale, est une blessure. En ce sens, par un jeu de réversibilité horrifique, si tout corps peut faire surface scriptible, alors toute surface scriptible peut faire corps. Et c’est peut‑être ainsi qu’il faut lire la nouvelle : comme une peau à vif que viennent inciser les mots d’une écriture littéralement au scalpel.

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UNE INCARNATION LITTÉRAIRE DU TEMPS SUR LA PEAU

CORPS ÉCRITS CHEZ STÉPHANIE HOCHET ET GILLIAN FLYNN

Clémence MESNIER Référence électronique

Mesnier C., (2020), « Une incarnation littéraire du temps sur la peau. Corps écrits chez Stéphanie Hochet et Gillian Flynn. », LaPremiers Peaulogie Pas 4, mis en ligne le 5 mai 2020, [En ligne] URL : http://lapeaulogie.fr/incarnation-litteraireLa Peaulogie,-temps-peau 2 | 2018 108 Une incarnation littéraire du temps sur la peau.

RÉSUMÉ En se tatouant, en se scarifiant, l’être humain archive son corps, il y grave ses souvenirs : le tatouage transforme le corps en un support mémoriel. La peau marquée permet ainsi la conservation, elle est le contenant de notre espace intime. Cette fonction de préservation fait du corps un parchemin nourri de différentes strates de vie ; un parchemin vivant, en constante évolution. Cette volonté de marquer sa peau avec des mots constitue le cœur du roman Sharp Objects (2006), de Gillian Flynn. La narratrice, Camille Preaker, a le corps entièrement recouvert de mots scarifiés, qui font écho avec les évènements de son existence, pour ne rien oublier, pour tout conserver. L’altération d’identité prenant pour pilier narratif la peau donne également lieu à la fiction littéraire Sang d’encre (2013), de Stéphanie Hochet, dans laquelle le tatouage y est exploité comme un personnage en soi, un nouvel organe fait d’encre qui prend vie sur le corps du protagoniste, métamorphosant sa chair en une entité hybride. Le tatouage se confond alors avec la personne qui en est porteuse. Pourquoi faire de son corps un support temporel ? Dans une perspective comparatiste s’appuyant sur les sciences humaines et sur un corpus littéraire et cinématographique secondaire, nous analyserons cette pulsion d’écriture sur la peau commune aux œuvres de Stéphanie Hochet et de Gillian Flynn.

MOTS CLEFS Tatouage, scarification, peau, archive, littérature

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Comme le rappelle Isabelle Quéval, spécialiste des représentations et pratiques du corps : « nos contemporains s’immergent dans un présent confondant l’être et l’avoir, et articulé autour du faire » (Quéval, 2008, 13). La modernité dans laquelle se situent les deux œuvres principales de notre corpus (publiées en 2006 et 2013) s’instaure à travers l’acte de modification de soi. Un geste qui s’inscrit sur la peau afin se créer soi‑même, de « jouer avec ce que la nature vous a donné » (Hochet, 2013, 12). Le geste de modification de la surface corporelle par l’écriture est, ainsi, au cœur de Sang d’encre (2013), de l’auteur française Stéphanie Hochet, et de Sharp Objects (traduit en français par Sur ma peau, 2006), de la romancière américaine Gillian Flynn. En se marquant, les personnages archivent leurs corps, ils y gravent leurs souvenirs.

Dans la première œuvre, le tatouage est exploité comme un personnage, un nouvel organe fait d’encre qui prend vie sur le corps du protagoniste, métamorphosant sa chair en une entité encrée. Ce roman déroule le passage à l’acte du narrateur, anonyme, qui décide de se faire tatouer. Lors d’un voyage en Italie, il découvre un motif qui résonne avec ses préoccupations, dont il ressent le besoin dans sa chair même : la phrase latine vulnerant omnes, ultima necat. Il décide alors de se la faire tatouer sur la poitrine. Après une période d’euphorie et de confiance en soi redoublée liée à la concrétisation de sa volonté, l’inscription s’efface, et l’angoisse d’une peau vierge surgit. L’expression latine signifie : « toutes blessent, la dernière tue. » Cette assertion concerne les heures, le passage du temps (elle est ainsi fréquemment présente sur des cadrans solaires). La formule, moralisante, est une vanité qui envoie un message concernant la finitude humaine. Cette prothèse d’identité le plongera dans la folie, le tatouage se vivant progressivement sur le mode de l’intrusion, avant de le mener à s’immoler pour brûler définitivement la trace encrée. Narré à la première personne, le récit se concentre sur la présence de cette inscription dans la chair du narrateur, depuis sa préméditation jusqu’à sa déréliction.

En parallèle de cette première forme d’inscription sur la peau, nous mobiliserons le roman de Gillian Flynn, Sharp Objects. Dans cette œuvre, le corps de la narratrice Camille Preaker, journaliste revenue dans ses terres d’enfance pour une investigation, est recouvert de mots scarifiés (bras, jambes, ventre, dos, à l’exception des mains et du visage). Après une enfance malmenée par une mère violente et le décès de sa sœur, la jeune fille incise des mots sur son corps. C’est son histoire qu’elle marque dans sa peau, « on peut me lire à livre ouvert » (Flynn, 2006, 99[1]). Une histoire qu’elle ne raconte pas mais qu’elle grave, dans une forme de langage écrit plutôt que parlé. Les marques concernent son existence, ce qu’elle traverse. La scarification fait médiation

1. Flynn G., (2006). Sharp Objects, New‑York, Shaye Areheart Books, p. 62 : « you can really read me. »

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entre le sujet et la réalité par l’absorption de sens, qui permet de s’approprier les éléments délétères de la réalité, pour pouvoir enfin les contrôler. Le titre de l’œuvre, Sharp Objects, a été traduit en français par Sur ma peau. Ces deux choix (« objets tranchants » en version originale et « sur ma peau » en version française) révèlent les deux facettes de l’inscription tégumentaire. Sharp signifie coupant, tranchant, ce qui souligne la coupure qui fait lien entre l’intérieur du corps et le monde extérieur. La version française, Sur ma peau, dénote (avec la préposition sur) l’espace extérieur, visible, l’aspect du corps. Nous avons choisi de mentionner le titre en version originale au cours de cette réflexion afin de se centrer sur le rôle d’interface que joue la peau, qui confronte l’espace intérieur à l’espace extérieur, reliant la narratrice à son histoire.

Dans ces deux productions romanesques, la peau est écrite de façon obsessionnelle, ce à quoi nous avons accès par des narrations internes. Le narrateur de Sang d’encre et Camille Preaker partagent une même impulsion graphique, une aspiration au recouvrement de leur corps avec de l’encre ou des entailles, dans la recherche de garder des traces, des empreintes, sur soi. Cette analyse visera ainsi à percevoir en quoi la marque cutanée est une incarnation du temps sur la peau. Comment ces œuvres littéraires aboutissent‑elles à la conception d’un corps devenu archive de lui‑même, stratifié par le temps ? Nous explorerons dans un premier temps la peau dans sa dimension de support d’écriture et les fonctions qui en découlent, avant de développer la notion de corps‑archive. Le rôle de conservation que joue la peau fait du corps une archive, nourrie de différentes strates de vie : un parchemin vivant, en constante évolution.

LA PEAU, SUPPORT D’ÉCRITURE PEAU ET LANGAGE : NÉCESSITÉ DE L’INSCRIPTION SUR UN SUPPORT La littérature « fait peau » dans le sens où elle enveloppe les récits, leur donne une structure, un contenant. Pour mieux cerner cette analogie entre la peau et le papier, nous allons soulever leurs espaces de ressemblance. Rappelons qu’au commencement de la culture écrite les textes étaient gravés sur du vélin, du cuir de veau – c’est‑à‑dire de la peau. Avant d’entrer dans l’histoire, avant de laisser des traces écrites, manuscrites, témoignant de son existence, l’être humain a investi son corps. Le plus vieil homme dont le corps ait été retrouvé intact, Ötzi, avait la peau recouverte d’inscriptions. Des inscriptions tracées sous sa peau, à l’aide de charbon inséminé dans des incisions, dans une visée protectrice et soignante. En effet, les traces géométriques ponctuaient les

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espaces du corps sujet à l’arthrose (Zink et al., 2015). D’emblée, la marque tégumentaire a des vertus thérapeutiques : elle exorcise les douleurs, tout comme elle servira à exorciser les souvenirs de Camille Preaker dans Sharp Objects. La narratrice mentionne l’inscription comme un soin : « soigner a commencé à pulser près de mon aisselle gauche » (Flynn, 2006, 293[2]).

La trace écrite s’enracine sur la peau avant d’encrer murs, cavernes, papiers et parchemins. L’art pariétal est ainsi la première forme esthétique ayant une traçabilité. Tout comme les peintures rupestres, le tatouage sert à communiquer, à transmettre un message. Le geste d’écriture est constitutif d’un geste anthropologique. Claude Lévi‑Strauss émet le constat qu’il « fallait être peint pour être homme : celui qui restait à l’état de nature ne se distinguait pas de la brute » (Lévi‑Strauss, 1955, 214). Geste actif et passif, à l’initiative de ce qui deviendra la culture de l’écrit, la marque tégumentaire entraîne la main au tracé de signes, l’emportant dans un monde significatif et symbolique (Leroi‑Gourhan, 1992). L’homme se marque lui‑même et marque ses semblables. L’incipit de Sang d’encre est consacré à cette tradition, retraçant les jalons de l’écriture tégumentaire : « penser aux artistes de Lascaux qui savaient utiliser les reliefs, les courbes des parois pour les inclure dans leurs dessins […] Les tatouages vous racontent le monde, les croyances des hommes » (Hochet, 2013, 12). Nous voyons s’esquisser les fonctions de ce geste graphique : se souvenir, laisser des empreintes de soi, et se soigner – ces fonctions étant opérationnelles dans Sang d’encre et Sharp Objects.

L’inscription de traces fait partie des huit fonctions du Moi‑peau définies par Didier Anzieu (1995). Le Moi‑peau est une représentation métaphorique du corps formée à partir des fonctions physiologiques de la peau. Il existe huit fonctions, chacune faisant correspondre une fonction psychologique, symbolique, à une fonction physiologique. Ces fonctions concernent le maintien, la contenance, la protection, l’individuation, l’intersensorialité, le soutien, la stimulation et surtout (la huitième fonction du Moi‑peau), l’inscription de traces – processus à la fois biologique et social. La fonction d’inscription sert à informer sur le milieu dans lequel l’individu se construit, « la marque qui vous suit, celle qui vous expose, à tout jamais » (Hochet, 2013, 9). Cette fonction scripturale se développe à partir d’une dimension biologique et d’une dimension sociale. Biologique, car chaque individu a une peau dont l’aspect est unique ; sociale, car l’affiliation à une société donnée implique de suivre des coutumes s’inscrivant sur la peau, telles les scarifications, les tatouages, le maquillage. Un lien s’établit entre le fait d’être vivant et de conserver de l’écrit en soi, des traces. L’enveloppe tégumentaire enregistre les informations en provenance de l’extérieur avant de les filtrer vers l’intérieur.

2. “nurse began throbbing near my left armpit.” (2006, 192)

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Ainsi, dans Sharp Objects, les mots tracés sur Camille Preaker se réveillent lorsqu’un souvenir qui leur est lié émerge : « Sous un gros orteil, cousue profère des menaces étouffées à bébé, sous mon sein gauche. Pour les faire taire, je pense à disparaître qui, sans jamais se départir de sa réserve majestueuse, règne sur ces autres mots » (Flynn, 2006, 99[3]). Les mots inscrits sur le corps de la narratrice font écho avec ce qu’elle vit, ce qu’elle ressent, ils sont des clefs qu’elle s’est donnée pour déchiffrer sa réalité.

L’inscription permet alors de s’ouvrir au langage, à la communication. Le sociologue David Le Breton (2002) compare les traces scripturales sur la peau avec un test de Rorschach polysémique (test d’évaluation de profils psychologiques à partir de planches graphiques). L’inscription, et notamment le tatouage, offre des signes qui précèdent le langage et la prise de parole, permettant à l’observateur de se projeter. Le tatouage fait parler, « tout le monde y va de son commentaire » (Hochet, 2013, 30), il est soumis à des interrogations et à des interprétations. Le corps du tatoué est un miroir dans lequel nous pouvons scruter les représentations de ses spectateurs, réceptacle qui accueille la projection de chacun. La marque crée un espace de parole. Ainsi, les blessures auto‑infligées de Camille Preaker sont une extériorisation d’elle‑même, une mise à jour de son intériorité, d’où l’usage du verbe « hurler » pour qualifier cette peau trop présente : « ma peau hurle » (Flynn, 2006, 96[4]), qui n’est pas nous rappeler la phrase de Marguerite Duras : « écrire, c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit » (1993, 28). Le hurlement dont il est question chez Marguerite Duras et chez Gillian Flynn, sont les cris de l’écriture, de ce qui ne se dit pas mais peut s’inscrire par la médiation d’un support. Transformer la peau en support d’inscription permet d’accéder à de nouveaux moyens de formulations, qui sortent du silence les non‑dits. UNE EXTÉRIORISATION DE SOI PAR L’ÉCRITURE Sharp Objects fait acte d’une irrésistible pulsion d’écriture qui anime la narratrice, une tension incoercible. Les mots à l’état de latence, restés en puissance dans son esprit, doivent impérativement trouver leur résolution, leur actualisation sur la peau. Camille Preaker fait de son corps une cartographie de la douleur, un lexique de la souffrance infligée (le passé traumatique), subie, encaissée, puis auto‑infligée. L’écriture tégumentaire sert alors de genèse de soi, de processus d’auto‑engendrement. Douleur et souffrance sont distinctes : la douleur est physique, causée par un stimulus externe, tandis que la souffrance donne du sens à la sensation. Les narrations internes de Sang d’encre et de Sharp Objects

3. “On the underside of a big toe, sew uttering muffled threats to baby, just under my left breast. I can quiet them down by thinking of vanish, always, hushed and regal, lording over words from the safety of the nape of my neck.” (p. 62) 4. “my skin, you see, screams.” (p. 60)

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permettent au lecteur d’entrer au cœur de cette souffrance, de leur perception, des sensations, du ressenti phénoménologique de ces peaux fragiles. Chez Stéphanie Hochet, l’inscription cutanée est « une réponse à [un] malaise » (2013, p. 53), à l’angoisse de ne rien laisser de soi, d’être oublié. Chez Gillian Flynn, Camille Preaker a « gravé sur [sa] peau un certain nombre de synonymes pour “anxieux” » (2006, 96[5]). Les œuvres mettent au jour le processus psychique à l’initiative des marques cutanées, qui consiste à « se faire mal pour avoir moins mal », une expression récurrente dans l’analyse que David Le Breton fait des violences auto‑infligées : on peut maîtriser la douleur mais on ne peut pas juguler la souffrance (Le Breton, 2006). L’attention portée sur l’extériorisation de soi est nommée « extimité », dans l’investigation du dehors (la peau) pour comprendre le dedans (la psyché des personnages), « l’intériorité se résout en un effort d’extériorité. L’intimité s’efface devant l’extimité » (Le Breton, 1990, 229). L’extimité correspond au comportement de Camille Preaker, qui ne parvient à s’exprimer qu’extérieurement : « je me coupe, voyez‑vous. Je me taillade la peau, je l’incise. Je la creuse. Je la troue » (Flynn, 2006, 96[6]). Toutes ces actions verbales désignent le geste de Camille Preaker, la scarification, qui se décline en plusieurs actions. Taillader, inciser, creuser, trouer, sont autant d’actes qui tracent des lignes sur son corps, qui lui apposent du sens, des suppléments faits de traces. Les mots à l’état de latence, restés en puissance dans son esprit, doivent impérativement trouver leur résolution, leur actualisation sur la peau.

La douleur dans les modifications corporelles est liée au kairos, à un moment‑clef, une ritualité qui remplit le geste de sens. Elle marque au fer rouge un moment charnel et charnière au cours duquel l’élément étranger est approprié : « j’ai accepté de souffrir pour que [le tatouage] m’appartienne » (Hochet, 2013, 28). Nous remarquerons que dans les deux œuvres, les inscriptions ne concernent que des mots, et non pas des images ou des symboles. Il s’agit donc d’une inscription du langage à même la peau. Dans Sang d’encre, la matière artificielle ajoutée, l’encre, est une métonymie de l’art littéraire qui assimile la peau à une page blanche. Le tatouage d’un adage, tout comme la scarification d’un mot, est une absorption de sens par le corps. La pratique littéraire et la lecture du corps sont des métaphores qui parcourent aussi Sharp Objects, avec une personnification des mots : « je peux entendre tous ces mots se chamailler de part et d’autres de mon corps » (Flynn, 2006, 99[7]).

Les inscriptions tégumentaires donnent un titre au corps, elles constituent son péritexte : ni en dedans, ni en dehors, elles sont à l’interface. Considérer la peau comme un territoire à conquérir semble alors être une solution

5. “number of synonyms for anxious carved in my skin.” (p. 60) 6. “I am a cutter, you see. Also a snipper, a slicer, a carver, a jabber.” (p. 60) 7. “sometimes I can hear the words squabbling at each other across my body” (p. 60)

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pour s’ancrer dans le monde, être rassuré – c’est le cas de Camille Preaker : « l’automutilation me procurait un sentiment de sécurité » (Flynn, 2006, 100[8]). Le tatouage et la scarification sont des actes définitifs, ils résistent aux effets du temps, aux mutations biologiques. L’encre est immobile, elle insère une apparence permanente au corps, lui confère une immobilité qui vise à « supporter l’idée que rien ne nous survit [...] concevoir l’éphémère sans avoir le tournis [...] Réaliser le tatouage a été une réponse à ce malaise » (Hochet, 2013, 53). Le tatoué embaume son propre corps, il le soustrait à la dégradation par l’artifice. L’angoisse de la dégradation se focalise sur la peau, c’est donc par la peau qu’un antidote peut être trouvé, en imprimant des traces immuables qui forment un récit.

Ce corps parchemin, corps assimilé au papier, s’entoure d’une seconde peau, d’une enveloppe protectrice[9]. C’est là sa fonction prophylactique. Le tatouage devient un contour qui délimite le sujet. Alors que la doxa a tendance à réduire les modifications corporelles à une parure superficielle, la visée d’une marque corporelle peut donc être protectrice, voire thérapeutique. L’empreinte peut cacher ou recouvrir des cicatrices visibles ou des parties disgracieuses du corps lorsqu’elle vient panser une souffrance. Le moindre mot entaillé sur la peau de la narratrice de Sharp Objects fait sens : « dites‑moi que vous allez chez le médecin, et je vais vouloir entailler préoccupant sur mon bras » (Flynn, 2006, 100[10]). Cette obsession traduit une hypersensibilité de Camille, qui ne parvient à absorber le réel qu’en passant par un acte intermédiaire.

Faire de sa peau un support concourt au phénomène d’absorption du réel. Lorsque la réalité s’échappe, les narrateurs de Stéphanie Hochet et de Gillian Flynn tentent de se l’approprier en la gravant dans leur peau, en faisant de leur corps un médium entre le monde et eux. Nous avons vu que l’absorption est centrale chez Gillian Flynn ; elle l’est également chez Stéphanie Hochet : « rapidement, je me suis dit que cette phrase n’était qu’à moi » (Hochet, 2013, 28). La ligne tracée avec l’encre du tatouage ou avec le sang de la scarification est vitale. Si nous analysons les péritextes, nous constatons que les titres des deux œuvres sont thématiques. Le roman qui s’ensuit en est une extension. Les titres Sang d’encre et Sharp Objects donnent une ligne directrice, un horizon de lecture. Pour chaque roman, le titre indique l’outil avec lequel le corps‑support va être marqué. Sang d’encre mentionne ainsi le processus du tatouage, qui consiste à insérer de l’encre dans la peau, faisant couler du sang, un « sang d’encre ». Mais « se faire un sang d’encre » est également une expression de

8. “the cutting made me feel safe.” (p. 63) 9. Au sujet des vertus protectrices prêtées à l’encre, on notera qu’en biologie et en zoologie, l’encre désigne le produit noir sécrété par certains animaux pour se protéger de leurs agresseurs. 10. “tell me you’re going to the doctor, and I’ll want to cut worrisome on my arm.” (Flynn, 2006, 63)

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l’inquiétude, de l’angoisse (dont le tatouage va être à la fois une résolution et une cause pour le narrateur). De même, Camille Preaker ne peut pas survivre sans ses lignes de scarifications. Les Sharps Objects, « objets tranchants » sont donc les outils avec lesquels la narratrice découpe sa propre peau, la tranchant pour y inscrire des mots. L’écriture tégumentaire, qu’elle soit d’encre, de sang ou de cicatrices, sert alors de genèse de soi, d’extériorisation sur une peau devenue support.

LE CORPS‑ARCHIVE FIGER L’APPARENCE Les cicatrices et les tatouages figent l’apparence ce qui rappelle le « complexe de la momie » au cœur de la réflexion d’André Bazin (1958) dans ses écrits autour du cinéma comme art de la durée. Nous pouvons appliquer cette considération à toute forme artistique, outre l’image en mouvement, puisqu’André Bazin reconstitue un geste anthropologique commun. L’embaumement (qui prend donc pour modèle la momification en Égypte Antique) serait le moteur de tout acte de création, visant à conserver les apparences, à les maintenir, à en garder une trace. À partir de toute forme d’art, il y aurait ce complexe de la momie, une forme de victoire sur l’écoulement du temps. Ainsi, la photographie et le cinéma réalisent un besoin fondamental, celui de sauver l’être par l’apparence, de lutter contre la fugacité de l’instant. L’art répond à une angoisse archaïque, universelle et transhistorique, celle de la crainte de la dégradation, de la perte de nos proches autant que de notre propre mort. Il s’agit de transformer le corps en quelque chose de permanent, en un substitut matériel. Le mot scarifié est un discours graphique qui couvre le corps d’une seconde peau, d’un second niveau de lecture. Le mot écrit prend une forme propre, détachée de la parole, une nouvelle forme de mémoire, écrite, ayant subi la médiation du geste d’écriture. Le corps écrit, parcheminé, fait donc figure de lutte contre le temps – il est un rappel du passé. Au cinéma, le tatouage est perçu comme une solution au déficit de mémoire. Ainsi, le tatouage est un ressort narratif, un outil de la diégèse. Leonard Shelby, le protagoniste du film Memento de Christopher Nolan (2000), souffre d’amnésie et remédie à sa déficience en utilisant sa peau. Le tatouage est le dernier rempart assurant que les traces ne seront pas effacées. Cette obsession graphique de tout inventorier dans la crainte d’oublier est aussi présente chez Camille Preaker : « je notais de façon obsessionnelle tout ce qu’on me disait […] chaque phrase devait être capturée sur le papier, sinon elle n’était pas réelle, elle s’esquivait » (Flynn, 2006, 97[11]). Chacune

11. “I was compulsively writing down everything anyone said to me […] Every phrase had to be captured on paper or it wasn’t real, it slipped away.” (p. 61)

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de ses inscriptions est un souvenir, une preuve, une trace afin de ne pas oublier, de se remémorer. Les tatouages et les scarifications structurent l’existence au même titre que des notes, les brouillons, les carnets.

Les traces ne sont pas malléables, contrairement à la mémoire qui subit les aléas de la subjectivité, des déformations et de l’oubli. Ainsi le narrateur de Stéphanie Hochet pose la question suivante : « Sans traces, que reste t‑il de soi ? » (Hochet, 2013, 63). La trace fait figure de substrat, d’un contenant de sens qui maintient le souvenir en place. L’empreinte permet donc d’archiver le corps. Chez Stéphanie Hochet, « disparaître sans laisser de traces » (2013, 64) est le leitmotiv du narrateur. Arlette Farge, dans Le Goût de l’archive, définit l’archive « dans sa matérialité » (Farge, 1989, 10), une matérialité préhensible que l’on rencontre par le toucher. Le contact avec le document conservé est une expérience sensible initiée par la peau. Cette opération commence par l’imprégnation d’un ensemble physique, l’archive est envahissante, compilée, accumulée. L’archive relie le passé au présent, elle rend le passé toujours présent, comme en éternelle suspension (Glissant, 2007). Dans Sharp Objects, l’analogie entre la narratrice et le rôle d’archiviste est explicitement formulée : Camille Preaker énonce sa volonté d’archiver le moindre mot, d’être « la conservatrice d’un trésor linguistique[12] » (p. 97). Dans Sang d’encre, faire de son corps une archive permet une survie de soi à travers les âges, par la constance d’un motif inchangé. Le tatouage est motivé par : « une cicatrice, tel souvenir aussi durable que la trace qui l’a précédée. ÉTERNITÉ DE LA CICATRICE ». (Hochet, 2013, 91) Le tatouage insère dans le corps une matière qui résiste aux effets du temps, aux mutations biologiques. La mention de la cicatrice comme sceau temporel est le principe même de Sharp Objects. En effet, les « objets tranchants » sont des outils qui font couler le sang pour faire de la peau un tissu et un texte cicatriciel : « Je me revois en train d’inciser ma peau en suivant des lignes rouges imaginaires, comme un enfant. De nettoyer. Puis de creuser plus profondément » (Flynn, 2006, 96[13]).

Dans Sang d’encre, la phrase latine « toutes blessent, la dernière tue » – vulnerant omnes, ultima necat, est un leitmotiv métonymique duquel ressort la fonction première du tatouage, sa portée symbolique : l’incarnation du temps. Le tatouage est une métonymie de l’action du temps sur le corps, de son vieillissement. Le narrateur énonce : « Je ne dis rien, j’emmagasine je ne sais quoi. Du trouble, du vertige, des heures, précisément » (Hochet, 2013, 17). Avec cette fonction de rétention, de conservation, la marque se transforme en une biographie incarnée du sujet.

12. “I was lingual conservationist.” (p. 61) 13. “Cutting like a child along red imaginary lines. Cleaning myself. Digging in deeper.” (p. 60)

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UNE RÉAPPROPRIATION DE SOI PAR LA TRACE Tim Ingold, pour analyser les lignes, écrit que « dans la lecture, tout comme dans le récit et le voyage, c’est en cheminant qu’on se souvient. La mémoire doit donc s’entendre comme un acte : on se souvient d’un texte en le lisant, d’un récit en le racontant et d’un voyage en le faisant » (2011, 27). Le tatouage rappelle sans cesse un évènement qui aurait pu sombrer dans les limbes du temps. Une histoire de vie diffractée reprend une linéarité sur la peau et fait ainsi signature de soi.

Camille Preaker, dans Sharp Objects, enrobe son corps dans une enveloppe de mots scarifiés qui deviennent des cicatrices boursoufflées, tels une membrane supplémentaire. Ces mots forment une méta‑littérature, un ouvrage dans l’ouvrage. C’est son histoire, ses fantômes que Camille marque dans sa peau, « on peut [la] lire à livre ouvert » (Flynn, 2006, 99[14]). Viol, soumission au pouvoir matriarcal, mère psychotique, sœur décédée enfant : la vie du personnage est jalonnée d’épreuves qui sont mentionnées à travers les termes qu’elle scarifie sur sa peau. Une histoire qu’elle ne raconte pas mais qu’elle grave. Tel un brouillon d’auteur, le tatouage ou la scarification font preuve d’une intentionnalité, d’un effort pour parvenir à la formulation le plus en adéquation avec les idées, l’idéal, l’intention de sens de son porteur. Les corps sans écriture ne disent rien de plus qu’eux‑mêmes, tandis que le corps écrit est un surplus, un substrat.

« Rapidement, je me suis dit que cette phrase n’était qu’à moi » (Hochet, 2013, 28). Après avoir vu cette inscription dans un musée, le narrateur de Sang d’Encre souhaite lui aussi se muséifier, incorporer ses souvenirs, sa propre temporalité. Après être passé à l’acte, il « porte autre chose en [lui], quelque chose qui [lui] tient à cœur » (Hochet, 2006, 28). On pourra ainsi utiliser le mot‑valise « autobio‑iconographie » (Lacroix, 2014, 31) pour en faire le principe même des marques cutanées. Autobiographique et iconographique, autobiographie par l’image plutôt que par les mots. L’anamnèse passe par le corps, c’est une façon de ne pas renoncer tout à fait à soi‑même à travers les mutations obligatoires involontaires infligées au corps (cicatrices, rides, vieillissement). Le corps sur lequel la métamorphose va s’opérer est un support performatif, il déclenche l’action, le geste de « tatouer devient un art performatif, le tatoueur en action crée la réalité » (Hochet, 2006, 87).

Le narrateur de Sang d’encre prétend que le tatouage lui a donné « rendez‑vous avec un épisode de [s]on passé » (Hochet, 2006, 63), il agit comme une réminiscence. Le tatouage engendre une réflexion sur la durée, sur la temporalité. Ainsi, il est emporté dans ses souvenirs, dans les étapes qui ont

14. “you can really read me.” (p. 62)

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marqué sa vie. Dans le chapitre « Marion », il se souvient ainsi d’un amour de jeunesse et d’un enfant non désiré qu’il a abandonné, par besoin de vivre sans attaches, de vagabonder en toute indépendance. Par contraste, le tatouage lui appose un signe temporel, une responsabilité, d’où ce souvenir qui ressurgit.

L’empreinte permet de retracer la linéarité d’une existence, dans ce qu’elle a d’immuable[15]. L’introspection est récurrente pour le narrateur de Stéphanie Hochet : « Je suis le même homme. Suis‑je le même homme ? Pas exactement » (Hochet, 2013, 28). Le tatouage est non seulement un gage d’identité, un signe identificateur, mais il représente de surcroît une constance qui perdure à travers le temps, une forme de stabilité. Le tatouage apporte du réconfort « en les écrivant, je les tenais. Plus d’inquiétude à avoir : ils n’allaient pas disparaître » (Flynn, 2006, 97[16]). La peau lutte ainsi contre l’effacement : le tatouage restitue une fonction mémorielle par l’évocation des entités absentes, il apporte de l’altérité au corps.

CONCLUSION Dans les romans de Gillian Flynn et de Stéphanie Hochet, le corps et le langage s’articulent à travers un médium : toute représentation nécessite un support pour s’incarner. Dans les deux œuvres, la peau joue ce rôle, devenant un support d’inscriptions – tatouages et scarifications. Stéphanie Hochet met en valeur le fait que le tatouage fait « décider de son destin » (2013, 88). En effet, le tatouage performatif déclenche une action qui n’est pas laissée au hasard. Espace de liberté, de reprise de contrôle, le tatouage donne du pouvoir à celui qui en est le porteur. C’est un talisman, une protection contre l’extérieur mais aussi contre le passage du temps – alors que les scarifications, même lorsqu’elles visent à protéger le corps, restent une violence auto‑infligée. Les œuvres littéraire analysées font état de deux différents modes d’actions sur la chair (un tatouage unique pour Sang d’encre, des scarifications multiples pour Sharp Objects), mais le dispositif d’extériorisation de soi et d’appropriation de la surface cutanée est identique, commun. Les deux romans présentent ainsi des narrations internes qui dévoilent le processus d’inscription de mots à même la chair. La spécificité et l’originalité des marques développées par Stéphanie Hochet et Gillian Flynn résident justement dans leur dimension langagière : quand le langage ne peut se dire, il peut s’inscrire.

15. C’est pourquoi la peau est une composante essentielle des scènes de reconnaissance en littérature (Ulysse revenu à Ithaque reconnu par sa cicatrice sur la cuisse ; Bartholo et Marceline reconnaissant leur fils par un hiéroglyphe de peau chez Beaumarchais, etc.). 16. « Writing them down, though, I had them. No worries that they’d become extinct » (Flynn, 2006, 61).

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La marque cutanée transforme le corps en un support, un intermédiaire entre le sujet et le monde. L’empreinte revêt donc une valeur mémorielle, la peau encrée ou coupée faisant acte d’enregistrement, transformant le corps en récit de lui‑même, aux strates temporelles toujours présentes. Cette préservation du temps incarné dans l’empreinte est constitutive d’un corps devenu archive de lui‑même, de son propre vécu. Les inscriptions figent le corps, elles lui apportent un « surcroît d’être » (Hochet, 2013, 90) qui conduit à de possibles anamnèses. La peau est un contenant qui maintient l’espace intime et les souvenirs. Ainsi, nous pouvons achever cette analyse sur les mots sur une analogie de Bernard Andrieu : l’empreinte maintient l’idée d’une impression de l’histoire, faisant du cerveau l’imprimeur et du corps le papier tatoué de nos histoires (Andrieu, 1994).

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DE LA CHASSE AU RENARD ET AUTRES MOTIFS

LES TATOUAGES DANS L’ŒUVRE DE PIERRE LOTI

Eléonore REVERZY Référence électronique

Reverzy E., (2020), « De la chasse au renard et autres motifs. Les tatouages dans l’œuvre de Pierre Loti. », La PremiersPeaulogie Pas 4, mis en ligne le 5 mai 2020, [En ligne] URL : http://lapeaulogie.fr/tatouages-pierreLa -Peaulogie,loti 2 | 2018 122 De la chasse au renard et autres motifs : les tatouages dans l’œuvre de Pierre Loti.

RÉSUMÉ Le tatouage, détail récurrent dans l’oeuvre de Loti, attire l’attention du lecteur pour ce qu’il crypte et montre. Dans des fictions qui semblent relever d’une forme d’extimité (elles sont autobiographiques mais dissimulent ce qui relève d’un irreprésentable), la peinture du corps fixe et révèle un sentiment transgressif – l’homosexualité de l’auteur – dans des emblèmes qui fonctionnent comme des signaux, parfois associés à des micro-récits.

MOTS CLEFS Loti, Tahiti, tatouage, homosexualité

La Peaulogie, 4 | 2020 La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. De la chasse au renard et autres motifs : les tatouages dans l’œuvre de Pierre Loti. 123

« Le Moi‑peau est le parchemin originaire, qui conserve, à la manière d’un palimpseste, les brouillons raturés, grattés, surchargés, d’une écriture ‘originaire’ préverbale faite de traces cutanées. » (Anzieu, 1995, 128)

Lorsque le jeune aspirant Julien Viaud, futur Pierre Loti (1850‑1923), s’embarque pour une longue traversée qui le conduit jusqu’à l’île de Pâques, Rapa Nui, ce nom mystérieux dans lequel il entend « de la tristesse, de la sauvagerie et de la nuit… Nuit des temps, nuit des origines ou nuit du ciel, on ne sait trop de quelle obscurité il s’agit[1] », il ignore qu’il fait son premier voyage vers ce qu’il ne cessera ensuite de poursuivre : un état originaire, « quelque chose d’infiniment antérieur » (Quella‑Villéger, 2019, 20). Chargé par l’amiral de dessiner ce qu’il découvre aux fins de le rapporter au ministère de la Marine qui a missionné Le Flore jusqu’à Rapa Nui, Viaud trace et les portraits des chefs et cheffesses tatoués, et les signes qui ornent les tablettes rongo‑rongo (Quella‑Villéger, 2019, 17). Hiéroglyphes de chair[2] et de bois qui les uns comme les autres invitent à la transcription et dont le mystère demeure. C’est à l’issue de ce voyage que Julien Viaud entre lui‑même en écriture : trois articles paraîtront dans L’Illustration en août 1872, qui feront le récit de l’expérience fondatrice.

Les romans de Loti[3] abondent en tatouages, le personnage étant volontiers caractérisé par ce détail qui paraît d’abord entrer dans une sémiologie romanesque. On a formulé ailleurs que la peinture permettait de donner à voir la peau et l’enveloppe charnelle de l’être de papier qu’est le personnage de manière plus directe, livrant ainsi l’accès à la fois à sa surface et l’épaisseur de son derme : l’esthétiser, le marquer mais aussi l’incarner, fût‑ce de manière épi‑ et hypo‑dermique (Reverzy, 2012). Dans l’œuvre de Loti, les personnages tatoués ne sont guère plus incarnés et la peinture de corps ne contribue pas à construire un véritable univers de référence – conforme à un projet documentaire de type réaliste. Le tatouage trouve certes place tout naturellement dans le roman exotique lotien : l’action romanesque se déroule

1. Cité par Quella‑Villéger A. dans Pierre Loti, une vie de roman, Paris, Calmann‑Lévy, 2019, p. 9. 2. Comme le rappelle le Dr Ernest Berchon dans son Discours sur les origines et le but du tatouage, le mot tatouage, entré dans le Littré en 1858, a partie liée avec le langage : « C’était, du reste, la traduction presque exacte du mot océanien Tatahou, qui s’applique indifféremment, à Tahiti, aux piqûres des tatoueurs, aux dessins, à l’écriture et même à toute image, d’après son radical Ta, synonyme d’écrit ou de tracé. » (Berchon, 1886, 5). Dans ce Discours, E. Berchon fait allusion au Mariage de Loti. 3. Le corpus romanesque exploré ici est composé de : Aziyadé (1879), Le Mariage de Loti (1880), Le Roman d’un spahi (1881), Mon frère Yves (1883), Pêcheur d’Islande (1886), Madame Chrysanthème (1887). Cet ensemble est réuni sous le titre Romans dans la collection « Omnibus » des Presses de la cité (1989). On y adjoint le recueil de nouvelles Fleurs d’ennui (1882).

La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. La Peaulogie, 4 | 2020 124 De la chasse au renard et autres motifs : les tatouages dans l’œuvre de Pierre Loti.

à Tahiti ou au Japon, terres de tatouages, ce qui suffit à expliquer la présence de personnages tatoués ; que le héros de Madame Chrysanthème se fasse tatouer avant de repartir vers l’Europe est amplement justifié par l’association de ce pays avec l’art du tatouage le plus raffiné[4]. Mais cette évidente dimension référentielle – qu’on repère pareillement dans le monde de marins que peignent les romans de Loti – ne suffit pas à appréhender ce que nous disent ces inscriptions : contrairement à ce qu’inscrit la représentation du tatouage dans la littérature dite réaliste ou dans les œuvres décadentes, deux esthétiques dont Loti est l’exact contemporain, c’est une autre sémiologie qui se met en place, sémiologie plus variée aussi selon le milieu que pose le roman. Le tatouage lotien crypte l’intime, un intime, paradoxalement partout dans les fictions et gazé jusque dans le Journal : la peau des personnages se fait archive des hantises et désirs de l’écrivain. Elle est l’écran où projeter ce qui ne se dit pas. Dans cette dialectique du caché‑montré, le tatouage indexe peut‑être l’écriture première, l’écriture dessous, de ce récit décousu et vagabond, et se place du côté d’un primitif que l’écriture pittoresque s’attache à dissimuler.

Julien Viaud – Le Chef des Taïoa, baie Tchikakof, crayon 19,6 x 15 cm. Annoté en bas au centre : Le chef des Taïoa/la baie Tchichagov (îles marquises). Collection particulière. www.pierreloti.eu

4. Plusieurs années d’attente étaient nécessaires pour passer entre les mains de tatoueurs japonais de Yokohama qui avaient orné la poitrine et les bras des plus grands souverains d’Europe du nord, et ce d’autant que le tatouage était frappé d’interdiction depuis le début de l’ère Meiji (1868‑1912). Voir de Bagot P., (2014), « De la fin d’Edo à aujourd’hui » dans Tatoueurs, tatoués, Paris, Musée du quai Branly / Arles, Actes sud, p. 97 et sq.

La Peaulogie, 4 | 2020 La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. Julien Viaud – Tatouage de cheffesse, encre de Chine, 19,5 x 11,2 cm. Annoté en bas à droite : tatouage de chefesse/Ile de Pâques. Collection particulière. www.pierreloti.eu 126 De la chasse au renard et autres motifs : les tatouages dans l’œuvre de Pierre Loti.

LE PROBLÈME DU RÉEL Le lecteur qui découvre l’oeuvre de Loti est en effet d’abord frappé par une forme de pittoresque exotique, que portent l’abondance des épithètes, les multiples notations de couleur, la pléthore métaphorique, une description donc qui semble vouloir restituer une sorte de luxuriance naturelle sur le mode de la célébration. Ainsi, à titre d’exemple unique tiré d’un roman sans tatouage ni tatoué, Le Roman d’un spahi :

Pourtant la température s’élevait, les grandes brises régulières du soir avaient cessé, et la saison d’hivernage allait commencer, la saison des chaleurs lourdes et des pluies torrentielles, la saison que, chaque année, les Européens du Sénégal voient revenir avec frayeur, parce qu’elle leur apporte la fièvre, l’anémie, et souvent la mort.

Cependant il faut avoir habité le pays de la soif pour comprendre les délices de cette première pluie, le bonheur qu’on éprouve à se faire mouiller par les larges gouttes de cette première ondée d’orage.

Oh ! La première tornade !… Dans un ciel immobile, plombé, une sorte de dôme sombre, un étrange signe du ciel monte de l’horizon.

Cela monte, monte toujours, affectant des formes inusitées, effrayantes. On dirait d’abord l’éruption d’un volcan gigantesque, l’explosion de tout un monde. De grands arcs se dessinent dans le ciel, montent toujours, se superposent avec des contours nets, des masses opaques et lourdes ; on dirait des voûtes de pierre près de s’effondrer sur le monde et tout cela s’éclaire par en dessous de lueurs métalliques, blêmes, verdâtres ou cuivrées, et monte toujours.

Les artistes qui ont peint le déluge, les cataclysmes du monde primitif, n’ont pas imaginé d’aspects aussi fantastiques, de ciels aussi terrifiants. (Loti, 1989, 285‑286) Ce qui date une écriture qui veut insuffler un évident lyrisme dans l’évocation des lieux tient à ces procédés qu’on identifiera ici aisément et qui produisent un indéniable effet de facticité – exclamatives, anadiploses, métaphores, soulignements typographiques... C’est là le côté démodé de cette littérature, autrefois pointé par Barthes (Barthes, 1971).

Mais si l’on accepte d’y voir au contraire les indices d’une impossibilité à saisir le réel, on peut accepter un pacte esthétique, qui tourne délibérément le dos au réalisme et à son entreprise documentaire. Dès lors, cet « effet d’extinction du réel » (Buisine, 1988, 114), cette écriture « blanc sur noir plus que noir sur blanc » (p. 119), ces trous, ces lignes de points de suspension, ces phrases averbales semblent bien les symptômes d’une négativité qui affecte le réel : le monde n’est plus, chez Loti, un espace à conquérir et à dévorer, un territoire

La Peaulogie, 4 | 2020 La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. Ile de Pâques-Rapa Nui, 4-7 janvier 1871. Julien Viaud – Ile de Pâques (1872), crayon, aquarelle et encre, 35 x 22.5 cm. Dédicacé et signé en bas à droite : à Madame Sarah Bernhardt/Pierre (J. Viaud). Annoté en bas : L’île de Pâques 7 janvier 72, vers 5h du matin/(gens du pays me regardant arriver). Collection particulière. www.pierreloti.eu 128 De la chasse au renard et autres motifs : les tatouages dans l’œuvre de Pierre Loti.

où jouir, mais un univers spectral, hanté par un passé disparu et inatteignable[5]. On peut dès lors supposer que la description est d’autant plus luxuriante et lyrique qu’il s’agit de dissimuler cette vacuité, la prolifération servant de cache‑misère. La copule « et » que repère Edmond de Goncourt, lisant Pêcheur d’Islande, est une de ces marques d’une écriture de l’accumulation qui paraît chercher à garder son fil, à le reprendre[6]. Pourtant des traces demeurent, comme des signaux envoyés par un underworld effacé.

Les personnages lotiens, tout aussi évanescents, se succèdent comme une longue théorie de fantômes, auxquels le lecteur a souvent du mal à s’intéresser : Aziyadé, Rarahu, Fatou, Chrysanthème, la plupart personnages éponymes comme si les honneurs du titre servaient à masquer leur faible consistance[7]... Placées face à un narrateur supposé les faire exister par le désir qu’il leur porte, ces figures féminines ne sortent pourtant jamais vraiment des limbes où le récit les maintient, tout en affirmant pourtant volontiers leur puissance de séduction et en décrivant leurs charmes. Étrange court‑circuit : la séduction qui leur est ainsi prêtée ne gagne pas de narrateur en lecteur et reste sans effet. Il faut là encore mettre en cause le manque d’appétence du sujet pour l’objet de désir. Sans doute est‑ce que la figure féminine paraît bien souvent une femme alibi : ainsi de la jeune Chrysanthème, miniaturisée telle un joujou entre les mains du narrateur qui se l’achète pour occuper son – décevant – séjour nippon, et même de Rarahu. Réduits au statut de type national, ces personnages ont quelque chose d’allégorique : Rarahu « était une petite personnification touchante et triste de la race polynésienne, qui s’éteint au contact de notre civilisation et de nos vices, et ne sera bientôt plus qu’un souvenir dans l’histoire de l’Océanie... » (Le Mariage de Loti, 206) ; la prostituée Chrysanthème est aussi décevante et ennuyeuse que Nagasaki, cette « ville tout à fait quelconque, [...] des paquebots comme ailleurs, des fumées noires, et sur des quais, des usines ; en fait des choses banales déjà vues

5. « La description lotienne est la narration de l’affaissement du dispositif mimétique poussé jusqu’à ses dernières limites, jusqu’à son point de rupture puisqu’il s’agit d’une mimesis de l’invisible : encore faire voir quand il n’y a plus rien à voir. », écrit encore Buisine (Buisine, 1988, 120). 6. « En coupant le Pêcheur d’Islande de Loti, j’ai une espèce d’étonnement devant la construction de ces phrases reliées par un et, commençant par un grand Et, enfin faisant une épouvantable consommation de et : j’y retrouve un peu de ma maladie à moi, qui ne vois pas de phrase accrochée à une autre sans cette conjonction. Et encore, les tournures par moi affectionnées : C’était… Il y avait…, et encore l’emploi répété du mot vague : choses » (Goncourt, 1989, 1255‑1256). 7. Aziyadé, héroïne du roman turc, Rarahu qui donne son nom à la première édition du Mariage de Loti, roman tahitien, Fatou, personnage du roman africain, Le Roman d’un spahi, Madame Chrysanthème, prostituée louée par Loti dans le roman japonais : comme une mécanique, les fictions lotiennes font se succéder contrées lointaines et maîtresses de quelques mois.

La Peaulogie, 4 | 2020 La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. De la chasse au renard et autres motifs : les tatouages dans l’œuvre de Pierre Loti. 129

partout[8] » (Madame Chrysanthème, 653‑654) ; Aziyadé est successivement Salonique puis Eyoub, faubourg de Constantinople. La fixation de la femme, liée à un peuple, une culture, une ethnie, contraste avec le travestissement constant de son interlocuteur, qui est « Loti, Arif et Marketo », « plusieurs personnalités différentes » (Aziyadé, 48), et auquel est dévolue une mobilité dont elle est presque entièrement dépourvue.

TATOUER, FIXER De cette fixation une des manifestations est le tatouage qui rend immédiatement perceptible la différence visible de l’amante, ainsi inscrite dans son territoire :

Rarahu était une petite créature qui ne ressemblait à aucune autre, bien qu’elle fût le type accompli de cette race maorie qui peuple les archipels polynésiens et passe pour une des plus belles du monde ; race distincte et mystérieuse, dont la provenance est inconnue.

Rarahu avait des yeux d’un noir roux, pleins d’une langueur exotique, d’une douceur câline, comme celle des jeunes chats quand on les caresse ; ses cils étaient si longs qu’on les eût pris pour des plumes peintes. […]

Rarahu était de petite taille, admirablement prise, admirablement proportionnée ; sa poitrine était pure et polie, ses bras avaient une perfection antique.

Autour de ses chevilles, de légers tatouages bleus, simulant des bracelets ; sur la lèvre inférieure, trois petites raies transversales, imperceptibles, comme les femmes des Marquises[9] ; et, sur le front, un tatouage plus pâle, dessinant un diadème. (Le Mariage de Loti, 138) Au fatras de conventions exotiques et de stéréotypes (qu’est‑ce donc qu’une « langueur exotique » ? quelle banalité que cette « douceur câline »…), à consonance fortement raciste (la femme animale entre chat et ouistiti[10]) succèdent ces détails de l’inscription sur le corps de la femme : comme un déguisement (le tatouage sur le front dessine un diadème) mais un déguisement durable, qui transformerait définitivement Rarahu en princesse ou en reine sans qu’elle puisse cesser de l’être, et bien sûr une marque distinctive, confirmant ainsi la singularité, voire l’exception de la Polynésienne parmi les

8. Sur le Japon de Madame Chrysanthème, voir l’article de Siary G., (1988), « La représentation littéraire du Japon dans Madame Chrysanthème », Revue Pierre Loti, p. 15‑30. 9. De fait, la plaquette du dr Ernest Berchon, Le tatouage aux îles Marquises, mentionne bien ce tatouage « à quatre ou cinq raies verticales pratiquées en haut et en bas de l’orifice buccal », en signalant qu’il est particulièrement dangereux (Berchon, 1860, 20). Signalons que Berchon exerçait à l’École de médecine navale de Rochefort. 10. Assimilations qui valent aussi bien pour Rarahu, Chrysanthème que pour la sénégalaise Fatou : topoï de la femme chatte, caressante et cruelle, et de la femme à la cervelle de singe, inférieure à l’homme et imitatrice de ses actions et comportements.

La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. La Peaulogie, 4 | 2020 130 De la chasse au renard et autres motifs : les tatouages dans l’œuvre de Pierre Loti.

Maoris. Dans Mon frère Yves (1883), lorsque le navire d’Yves mouille auprès d’une « petite île océanienne », les marins y découvrent des femmes qui « avaient toutes des tailles admirables, des yeux très sauvages à peine ouverts entre des cils trop lourds ; des dents très blanches, que leur rire montrait jusqu’au fond. Sur leur peau, couleur de cuivre rouge, des tatouages très compliqués ressemblaient à des réseaux de dentelles bleues[11] » (Mon Frère Yves, 506). Le tatouage s’impose aussi sur la chair des personnages secondaires pour signifier cette différence :

C’était l’heure du repas du soir. Le vieux Tahaapaïru étendait ses longs bras tatoués jusqu’à une pile de bois mort ; il y prenait deux morceaux de bourao desséché, et les frottait l’un contre l’autre pour en obtenir du feu, – vieux procédé de sauvage. (Le Mariage de Loti, 158)

Notation comparable à l’occasion de l’agonie de la souveraine Vaékéhu qui « tordait ses bras tatoués avec toutes les marques de la plus vive souffrance », et qui appelle le commentaire suivant : « on voit rarement dans notre monde civilisé des scènes aussi saisissantes. » (p. 176) Indice d’altérité, le tatouage serait cet élément référentiel qui, dans ces récits par ailleurs si peu documentaires, sert d’alibi ou de caution à la représentation exotique. Cependant il ne s’agit pas seulement de cela mais sans doute surtout d’une sorte de devenir spectral qui affecte la Polynésie dans son ensemble. Souvent associé à la momie[12], à la statue[13], presque constamment à la vieillesse, le tatouage dans Le Mariage de Loti, réfère à Toupapahou[14], « nom de ces fantômes tatoués qui sont la terreur de tous les Polynésiens » (Le Mariage

11. Cf. Berchon E. dans son Discours sur les origines et le but du tatouage : « Chez les femmes, l’abondance des empreintes tatouées était moins grande. Elles n’apparaissaient guère qu’au lobule des oreilles, quelquefois aux lèvres, et surtout aux bras et aux mains souvent recouvertes de dessins légers rappelant à s’y méprendre les gants et mitaines de fines dentelles noires de nos dames » (1860, 8). 12. « Alors je regardai ce vieillard, sur lequel tremblait la lueur indécise d’une lampe indigène.‑ Ses yeux et sa bouche étaient à demi ouverts ; sa barbe blanche avait dû pousser depuis la mort, on eût dit un lichen sur de la pierre brune ; ses longs bras tatoués de bleu, qui avaient depuis longtemps la rigidité de la momie, étaient tendus droits de chaque côté de son corps. » (Berchon, 1860, 178-179). 13. « De loin en loin nous rencontrions les villages cachés sous les palmiers, les huttes ovales aux toits de chaume, et les graves Tahitiens accroupis, occupés à suivre dans un demi‑sommeil leurs rêveries éternelles ; des vieillards tatoués, au regard de sphinx, à l’immobilité de statue » (Berchon, 1860, 184). 14. Pour une représentation quasi contemporaine de Toupahou voir la toile de Gauguin : Mana’o tupapa’u, 1892, Art Gallery Albright‑Knox (EU). https://www.albrightknox.org/ artworks/19651-manaò-tupapaú-spirit-dead-watching

La Peaulogie, 4 | 2020 La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. De la chasse au renard et autres motifs : les tatouages dans l’œuvre de Pierre Loti. 131 de Loti, 152) et auquel le cadavre du grand‑père de Rarahu[15], puis celui de la jeune fille en viennent à ressembler : Alors un grand souffle terrible passa dans l’atmosphère, et je perçus confusément des choses horribles : les grands cocotiers se tordant sous l’effort de brises mystérieuses, – des spectres tatoués accroupis à leur ombre, – les cimetières maoris et la terre de là‑bas qui rougit les ossements, – d’étranges bruits de la mer et du corail, les crabes bleus, amis des cadavres, grouillant dans l’obscurité, – et au milieu d’eux, Rarahu étendue, son corps d’enfant enveloppé dans ses logs cheveux noirs, – Rarahu les yeux vides, et riant du rire éternel, du rire figé des Toupapahous… (p. 254) Le tatouage de la Tahitienne est l’indice de sa décomposition à venir ; toute la population maorie est frappée de ce devenir Toupapahou, si bien que plus qu’une parure ou un trophée, c’est la mort et le devenir fantôme que l’encre bleue inscrit dans la chair polynésienne. Ernest Berchon rappelle d’ailleurs que le tatouage était en voie de disparition à l’époque où Loti y séjourna[16], ce qui conférait de fait à Rarahu un statut d’exception. Force est dès lors de supposer que les vieillards évoqués à diverses reprises dans le récit sont les survivants de l’époque de Cook (qui avait été frappé par les corps presque entièrement tatoués des îliens[17]) : des Tahitiens plus près de l’origine en quelque sorte. Le tatouage est la trace d’une civilisation en train de se décomposer – de cette décomposition figurent bien d’autres indices dans le roman – et dit la mort.

Bien des fantômes hantent Le Mariage de Loti. Comme le rappelle Julia Frengs, le roman est structuré par la quête, conduite par le jeune Loti, de la compagne de son frère et de l’enfant né de son union avec Tamaïha.(Frengs, 2017, 37) Atario[18] (c’est le nom de l’enfant) qui serait le survivant d’un frère trop tôt disparu, d’abord introuvable est élevé par une voisine, Tiatara‑honui,

15. « Tout le personnage était le type idéal du Toupapahou... » (p. 179) 16. « Tahiti, qui a eu presque exclusivement les honneurs des topographies médicales publiées par quelques‑uns de nos confrères de la marine, ne permettait pas du reste de recueillir un grand nombre d’observations de ce genre [sur les tatouages]. La civilisation de ses habitants, déjà ancienne et plus avancée que celle des Kanaques des Marquises, a rendu le tatouage très rare chez eux, et cette coutume est tellement abandonnée de nos jours, que la remarquable Étude de M. de Bovis sur la société tahitienne à l’arrivée des Européens n’en fait pas même mention. » (Discours sur les origines et les buts du tatouage, p. 22). 17. Voir la description d’une opération de tatouage et diverses observations sur les types d’inscriptions prises en juillet 1869 dans Voyages du capitaine Cook, dans la mer du Sud, aux deux pôles, et autour du monde, t. II, Paris, 1811, p. 80‑83. 18. La recherche de l’enfant dans la case donne lieu à une dissémination des motifs du tatouage et de la momie : « Elle [Tamaïha] promenait au bout d’une longue tige sa lampe fumeuse, et n’éclairait que des vieilles femmes peaux‑rouges immobiles et rigides, roulées dans des paréos d’un bleu sombre à grandes raies blanches : on les eût prises pour des momies roulées dans des draps mortuaires... » (p. 210), passage où le bleu sombre du paréo à grandes raies rappelle à l’évidence le tatouage.

La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. La Peaulogie, 4 | 2020 132 De la chasse au renard et autres motifs : les tatouages dans l’œuvre de Pierre Loti.

nom qui signifie Araignée. C’est dans la case de cette dernière qu’on éveille l’enfant dans une cérémonie « semblable à une évocation de fantômes » (Le Mariage de Loti, 211), avant que Tamaïha, soudain prolixe, rappelle à Loti des souvenirs de son enfance à lui, qu’il a oubliés. Double évocation donc : celle du frère chéri mort sous les traits d’un petit enfant fantomatique, celle d’une histoire enfantine oubliée dite par la bouche d’une Polynésienne, et, comme en surimpression, Rouéri qui revient à travers son jeune frère. Multiplication des spectres et des spectres issus de spectres en somme. On apprendra un peu plus tard que l’enfant n’est pas le fils de Rouéri, mais d’un autre Européen de passage qui a pris sa place[19], comme pour étendre encore le règne de Toupapahou.

Paul Gauguin (French, 1848-1903). Manaò tupapaú (Spirit of the Dead Watching), 1892. Oil on jute mounted on canvas, 28 3/4 x 36 3/8 inches (73.02 x 92.39 cm). Collection Albright-Knox Art Gallery, Buffalo, New York; A. Conger Goodyear Collection, 1965 (1965:1). Image courtesy Albright-Knox Art Gallery, Buffalo, New York.

19. p. 229‑230. Cette histoire transpose les amours de Gustave Viaud, frère aîné, avec une Tahitienne dont il aurait eu une descendance, lorsqu’il séjournait à Tahiti en qualité de médecin de marine (voir à ce propos la biographie d’Alain Quella‑Villéger, 2019,p. 28‑29)

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L’EMPREINTE RÉVÉLATRICE Si le tatouage tahitien indexe une civilisation en train de disparaître, voire déjà disparue, celle‑là même que cherchera à fixer Gauguin quelques années plus tard, le tatouage « signe d’identité » prend aussi dans les romans lotiens une dimension singulière. Barthes l’a d’emblée rappelé dans son article des Nouveaux essais critiques, il y a un auteur qui se nomme Julien Viaud et avec lui un Loti qui est le héros d’Aziyadé et du Mariage de Loti, Anglais qui va mourir à 27 ans, et un Loti, académicien qui est l’autre auteur de l’oeuvre de Loti (Barthes, 1971, 165‑166). Si l’on ajoute à cela les travestissements, une identité sexuelle instable, les mises en scène de soi devant le photographe et la construction d’une maison‑décor, on se dit que le tatouage doit bien jouer sa partie dans cette instabilité assumée[20].

Au voyageur lotien qui ne fait jamais qu’une escale de quelques semaines dans chacun des ports où il va séjourner, y trouvant logis et compagne, le tatouage sert d’abord de memento, qui au moment du départ vers d’autres terres, marque la peau de celui qui a été si peu là : manière d’inscrire paradoxalement dans la durée ce qui a été si bref et parfois si superficiel. À la fin de Madame Chrysanthème, Loti éprouve le besoin avant de se rembarquer, de se faire tatouer au cours d’un cérémonial comique :

Ils portent de longues robes chamarrées de dessins sombres ; ils ont les grands cheveux, les fronts hauts, les visages anémiques des personnes abandonnées trop exclusivement aux beaux‑arts, et, sur leurs chignons, des chapeaux canotiers d’un galbe anglais sont posés de côté, d’une manière fort galante. Sous leurs bras, ils tiennent des cartons chargés d’esquisses ; dans leurs mains, des boîtes d’aquarelles, des crayons, et, liés en faisceau, de fins stylets dont on voir briller les pointes aiguës. […]

À la suite de mes fréquentations avec des êtres primitifs, en Océanie et ailleurs, j’ai pris le goût déplorable des tatouages ; aussi ai‑je désiré emporter comme curiosité, comme bibelot, un spécimen du travail des tatoueurs japonais, qui ont une finesse de touche sans égale.

Dans leurs albums, étalés sur ma table, je fais mon choix. Il y a là des dessins bien étranges appropriés aux différentes parties de l’individu humain : des emblèmes pour bras et pour jambes, des branches de roses pour épaule, et de grosses figures grimaçantes pour milieu de dos. Il y a même, – afin de satisfaire au goût de quelques clients, matelots des marines étrangères, – des trophées d’armes, des pavillons d’Amérique et de France entrelacés, un God save au milieu d’étoiles, – et des femmes de Grévin calquées dans le Journal amusant !

20. Ces identités multiples sont aussi le fait de ses jeunes compagnons, dont le marin Yves pourrait être le parangon – honnête père de famille dans Mon frère Yves, accompagnant cependant Loti partout, partageant sa couche au Japon dans Madame Chrysanthème etc. ; dans Aziyadé Samuel est à la fois turc et juif ; Achmet change de métier pour suivre Loti... L’instabilité sociale et identitaire est une marque du genre masculin, lorsque la femme est assignée à résidence.

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Mes préférences vont pour une chimère bleue et rose fort singulière, longue de deux doigts environ, qui sera d’un joli effet sur la poitrine, du côté opposé au coeur. (Madame Chrysanthème, 746) Les artistes tatoueurs ont, on le voit, un catalogue dans lequel l’impétrant est invité à choisir la parure qu’il souhaite : le choix est vaste – national, martial, parisien... – et signale une forme de mondialisation esthétique avant l’heure, en même temps qu’une standardisation – le chapeau canotier qui croise étrangement l’air anémique des peintres de corps signale l’imposture de la pose artiste. Loti a la dent féroce.

La « curiosité », le tatouage « bibelot », « spécimen du travail des tatoueurs japonais », mobiles déclarés par Loti, assimilent le tatouage à un souvenir de vacances, un objet mémoriel supposé échantillonner les compétences locales, en même temps qu’il restitue, justement, le séjour bibelot avec une femme joujou dans une maison de poupée[21]. Comme d’autres ramassent des coquillages sur la plage ou achètent des vues de Nagasaki dans des boules à neige, il s’agit ici de bibeloter, mais à même la peau. Dès lors l’impression (technique) du tatouage vaut pour l’impression (morale) du tatoué. La place du tatouage, « du côté opposé du coeur » signifie ainsi clairement que le coeur n’a guère été affecté par la liaison nippone. À ce titre, le récit de ce tatouage inverse celui qui, dans Aziyadé, voit le jeune anglais Loti subir la même épreuve :

Achmet lui [au tatoueur] présenta un papier sur lequel était calligraphié le nom d’Aziyadé, et lui tint, dans la langue d’Homère, un long discours que je ne compris pas.

Le vieux tira d’un coffre sordide une manière de trousse pleine de petits stylets, parmi lesquels il parut choisir les plus affilés, préparatifs peu rassurants !

Il dit à Achmet ces mots, que mes souvenirs classiques me permirent cependant de comprendre :

— Montrez‑moi la place.

Et Achmet, ouvrant ma chemise, posa le doigt du côté gauche, sur l’emplacement du coeur… […]

21. Voir, à la date du 24 juillet 1885 cette évocation de la maison qui, « toute en panneaux de papier […] se démonte comme un joujou d’enfant » et le portrait d’Okané‑San : « j’avais déjà vu son portrait partout, sur des paravents, au fond des tasses de thé : cette figure mignarde de poupée, ces beaux cheveux d’ébène, lissés et comme vernis ; cette tournure à part, toujours penchée en avant pour une gracieuse révérence ; […] Pierre s’en amuse comme d’une poupée – Il assure qu’elle est charmante – Moi je la trouve exaspérante autant que les cigales de mon toit – Et quand je suis seul chez moi, en face de cette figurine de potiche raclant sa guitare à long manche, devant ce merveilleux panorama de pagodes et de montagnes, ‑ je me sens triste à pleurer... » (Loti P., (2008), Journal (1879‑1886), vol. II, Les Indes savantes, p. 610‑611).

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Et j’emportais sur ma poitrine une petite plaque endolorie, rouge, labourée de milliers d’égratignures – qui, en se cicatrisant ensuite, représentèrent en beau bleu le nom turc d’Aziyadé.

Suivant la croyance musulmane, ce tatouage, comme tout autre marque ou défaut de mon corps terrestre, devait me suivre dans l’éternité. (Aziyadé, 95)

La scène de Madame Chrysanthème désécrit donc celle‑ci : à la liberté de l’officier qui s’offre un tatouage comme on se choisit un souvenir manufacturé du pays que l’on quitte, s’oppose la soumission de l’amant à sa maîtresse dont l’empreinte s’exerce à tout jamais sur lui.

Cependant plusieurs détails dissonent : la langue tout d’abord. Dans cette transaction, le tatoueur s’exprime en grec ancien ; on sait qu’il travaille d’ordinaire au service de marins grecs ; la culture du jeune Anglais, incomplète, ne lui permet pas de saisir tout l’échange ; c’est le Turc Achmet qui fait l’interprète et négocie. Si l’on prend en compte la position des Grecs alors en Turquie, force est de supposer que ce « vieux Grec en haillons, à barbe blanche, à mine de bandit », survivant d’une civilisation disparue, est voué à de bas trafics au service de marins grecs de passage pour lesquels il exerce ses talents dans des bouges d’Azar‑kapou : colonisé, miséreux, il est pourtant, lui, le véritable artiste dont les ridicules tatoueurs japonais offrent la dérisoire parodie. Ajoutons que c’est « le nom turc d’Aziyadé » [je souligne] que dessine le vieux Grec, le nom donc de la femme d’un des despotes qui l’oppriment.

Autre détail : la négociation est conduite par Achmet, ce jeune ami qui accompagne Loti dans ses équipées et est devenu le chevalier servant d’Aziyadé, dans le foyer qu’ils ont improvisé à Eyoub. Achmet et Samuel, les deux amis de Loti, très proches serviteurs, sont plus que les intermédiaires dans la conquête et la conservation de la femme de harem, les partenaires de relations autrement transgressives[22]. Employés l’un et l’autre par l’Anglais, ils entretiennent avec lui une relation tout à la fois amoureuse et de sujétion. En tout cas, dans ce scénario triangulaire que nous livre la scène de tatouage, la femme est à la fois sujet de l’action (elle a commandé ce tatouage qu’elle paie de ses piastres) et absentée : présente dans l’empreinte et effacée au sein d’un trio masculin qui réunit trois nationalités, trois langues, un vieillard et deux jeunes gens (Achmet a 20 ou 22 ans). On est dès lors tenté de voir dans cet

22. Samuel est ainsi le compagnon de Loti dans des expéditions aux bas‑fonds, où règne une « prostitution étrange » (p. 16). Il interroge Loti, main dans la main, à la lueur des étoiles : « Che volete, […], che volete mî ? (Que voulez‑vous de moi ?)... », ce qui appelle le commentaire suivant : « Quelque chose d’inouï et de ténébreux avait un moment passé dans la tête du pauvre Samuel ; – dans le vieil Orient tout est possible ! – et puis il s’était couvert la figure de ses bras, et restait là, terrifié de lui‑même, immobile et tremblant... » (Barthes, 1972). Voir à ce propos la lettre de Loti à son ami Baudin où il évoque « le péché de Sodome » et livre des confidences au sujet de Daniel, pilotis de Samuel (Quella‑Villéger, 2019, 72‑73).

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épisode le cryptage de la relation secrète qui s’est nouée entre le jeune Turc et son maître : on écrirait le nom d’Aziyadé pour dissimuler celui d’Achmet.

EXHIBITIONS Ce n’est là qu’une hypothèse qu’on jugera sans doute hasardeuse. Un second passage, qui n’appartient pas au corpus exotique, peut la confirmer, en même temps que mettre au jour cette fraternité propre aux relations entre hommes chez Loti. Il s’agit d’un passage de Mon frère Yves où est exhibé, à la demande du capitaine d’un baleinier américain, un matelot au corps tatoué. Ivre, ce jeune homme se dénude devant la tablée et fait l’attraction[23]. Ce moment est aussi l’occasion pour Yves, qui œuvre sous les ordres de Loti, de retrouver son frère déserteur, Goulven qui a quitté le service de l’État pour la marine marchande et s’est embarqué sur le bateau louche de ce baleinier yankee. Tout cela compose une histoire de frères :

A l’avant, les hommes du Primauguet boivent et chantent avec les baleiniers. C’est fete partout. Et je vois de loin Yves et Goulven, qui ne boivent pas, eux, mais qui font les cent pas en causant. Goulven, le plus grand, a passé son bras sur les épaules de son frère, qui le tient, lui, autour de la taille ; isoles tous deux au milieu des autres, ils se promènent en se parlant a voix basse.

Les verres se vident partout dans des toasts bizarres. Le capitaine, qui d’abord ressemblait a la statue impassible d’un dieu marin ou d’un fleuve, s’anime, rit d’un rire puissant qui fait trembler tout son corps ; sa bouche s’ouvre comme celle d’un cetace, et le voila qui dit en anglais des choses etranges, qui s’oublie avec moi dans des confidences a le faire pendre ; la conversation tourne en douce causerie de pirate...

La chola[24] rentrée dans sa cabine, on fait venir un matelot tatoué, qu’on déshabille au dessert. C’est pour me montrer ce tatouage, qui représente une chasse au renard.

Cela part du cou : des cavaliers, des chiens, qui galopent, descendent en spirale autour du torse.

– Vous ne voyez pas encore le renard ? me demanda le capitaine avec son plus joyeux rire.

Cela va être si drole, parait‑il, la decouverte de ce renard, qu’il en est pame d’avance. Et il fait tourner l’homme, deja ivre, plusieurs fois sur lui‑meme pour

23. Le phénomène de l’exhibition d’hommes et de femmes tatoués est fréquent dans les foires et les cirques. L’histoire de Joseph Cabris, surnommé « L’homme tatoué » ou « L’homme extraordinaire » que rapporte Ernest Berchon l’atteste, dès la Restauration (voir « Joseph Cabri, l’arlequin tatoué », dans Peints, colorés, tatoués, L’Éveilleur, 2019). 24. Il s’agit de la compagne métisse du patron baleinier.

La Peaulogie, 4 | 2020 La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. Pierre Loti – Sur la Triomphante [ 1885-1886], crayon 21,2 x 29 cm. Annoté en bas à droite : Matelots de la Triomphante. Collection particulière. www.pierreloti.eu suivre cette chasse qui descend toujours. Aux environs des reins, cela se corse, et on prevoit que cela va finir.

– Eh ! le voila, le renard ! crie le capitaine a tête de fleuve, au comble de sa gaieté de sauvage, en se renversant, pamé d’aise et de rire.

La bete poursuivie se remisait dans son terrier ; on n’en voyait que la moitie. Et c’etait la grande surprise finale. On invita ce matelot a toaster avec nous, pour sa peine de s’etre fait voir.

Il était temps d’aller prendre sur le pont un peu d’air pur, l’air frais et delicieux du soir. La mer, toujours aussi immobile et lourde, luisait au loin, refletait de dernieres lueurs du cote de l’ouest. Maintenant les hommes dansaient, au son d’une flute qui jouait un air de gigue.

En dansant, les baleiniers nous jetaient de cote des regards de chats, moitie timidite curieuse, moitie dedain farouche. Ils avaient de ces jeux de physionomie que les coureurs de mer ont gardes de l’homme primitif ; des gestes droles a propos de tout, une mimique excessive, comme les animaux a l’etat libre. Tantot ils se renversaient en arriere, tout cambres ; tantot, a force de souplesse naturelle et par habitude de ruse, ils s’ecrasaient, en enflant le dos, comme font les grands felins quand ils marchent a la lumiere du jour. Et ils tournaient tous, au son de la petite musique flutee, du petit turlututu sautillant et enfantin ; tres serieux, faisant les beaux danseurs, avec des poses gracieuses de bras et des ronds de jambes.

Mais Yves et Goulven se promenaient toujours enlaces. (Mon frère Yves, 497‑498) Cette chasse au renard est enchâssée dans les représentations érotiques de corps masculins qui s’enlacent et dont la félinité est associée à la primitivité. Loti est dans un tel passage tout près du Lorrain de La maison Philibert (1904) et non moins près de Genet[25]. Audacieux et obscène, ce tatouage apparaît comme l’emblème cru du sens caché du récit – qui affleure cependant dans divers passages (Berrong, 2003, 95‑96)

Là encore, regardons les détails : dans un contexte de semi‑débauche et dans le monde interlope d’une marine vouée à la chasse à la baleine (un navire sans pavillon, qui reste au large de la côte comme prêt à filer ; un « équipage mêlé » (Mon frère Yves, 495) ; un patron qui vit avec une concubine métisse dans un « arsenal de révolvers, et de coups‑de‑poings, et de casse‑tête » (p. 496)), le motif de la chasse au renard terrestre fait signe vers la chasse maritime mais pour dire la traque non la prédation – remisée dans son terrier, la bête ne se laisse pas prendre… À ce renard inatteignable s’opposent donc les baleines

25. Cf. la danse des marins et des zouaves qui échangent leurs vêtements dans « Les trois dames de la casbah », dans Fleurs d’ennui. De la chasse au renard et autres motifs : les tatouages dans l’œuvre de Pierre Loti. 139

que le navire a chassées et abattues en grand nombre[26]. Le chasseur en est d’ailleurs venu à ressembler à l’animal qu’il chasse, dans un ensauvagement que les ethnologues ont analysé comme lié à un excès, une forme de démesure (Hell, 1994) : sa « bouche s’ouvre comme celle d’un cétacé » pour débiter d’étranges confidences. Il y a du primitif dans cet Américain, ce qui est d’ailleurs conforme aux clichés contemporains.

Vrai Barnum – car les attractions foraines de performeurs tatoués datent des années 1850 aux États‑Unis[27]–, le baleinier à la fois introduit et dénude le marin tatoué « au dessert » comme clou du dîner. Il semble inviter à un rituel anthropophage, tandis que ses cris évoquent ceux du piqueur excitant la meute. Il maintient auprès de ses convives un suspense qu’il anime de ses questions et ses commentaires, certain que le numéro fonctionne à tous les coups.

De multiples traces de primitivité se manifestent ici : la direction du navire repose sur la force, non sur le droit[28], avec un patron chef de horde ; l’animalité gagne de proche en proche – marins qui dansent comme des chats, marin dont le corps recèle le simulacre d’un renard traqué, patron à la bouche de cétacé… voilà une histoire de chasse où se déchainent les instincts et où les appétits s’éveillent : une histoire entre « homme[s] primitif[s] ». Richard Berrong rapproche cette dernière notation d’un passage de Fleurs d’ennui où Plumkett se livre à un développement sur le caractère originaire de l’homosexualité, recouvert par trente siècles de civilisation (Berrong, 97, 101‑102) :

Les circonstances, les milieux ont déposé autour de nos personnages tant de couches hétéroclites, qu’il y a en nous un tas d’individus différents, sans compter toute sorte d’animaux. Chacun à son tour, tous ces gens ou toutes ces bêtes apparaissent suivant les cas, parlent, agissent, à la place de l’être intime et profond qui demeure blotti par derrière, inerte et atone, dans une espèce de lassitude écoeurée. [...]

Tandis que votre frère Yvon, très simple, très équilibré, en même temps très vivant et très intense dans sa personnalité, vous êtes toujours sûr de le trouver,

26. « Le navire lui‑même avait les allures et la tenue d’un bandit. Tout léché, éraillé par la mer, depuis trois ans qu’il errait dans les houles du Grand Océan sans avoir touché aucune terre civilisée, ‑ mais solide encore, et taillé pour la route. Dans ses haubans depuis le bas jusqu’en haut, à chaque enfléchure, pendaient des fanons de baleine pareils à de longues franges noires ; on eût dit qu’il avait passé sous l’eau et s’était couvert d’une chevelure d’algues. / En dedans, il était chargé des graisses et des huiles des corps de toutes ces grosses bêtes qu’il avait chassées. Il y en avait pour une fortune, et le capitaine comptait bientôt retourner en Amérique, en Californie où était son port. » (p. 495) 27. Voir d’Alan Govenar, « Au‑delà des apparences, tatouage et phénomènes de foire aux États‑Unis » dans Tatoueurs, tatoués, p. 57 et sq. 28. Dans le logis du baleinier, « on pouvait, en cas de besoin, tenir là un siège contre tout l’équipage. » (p. 496).

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celui‑là. Il est lui‑même, pas un autre, et il répond à ce qu’il y a en vous de plus vivant et de plus constant sous toutes vos enveloppes : l’homme primitif.

L’homme primitif, le sauvage préhistorique ; mon cher Loti, c’est ce qu’il y a au fin fond de vous‑même. […] vous paraissez vous dégager de tout ce que trente siècles ont apporté à l’humanité, pour en revenir aux sentiments simples de l’homme primitif, ou à ceux des animaux antédiluviens des mers du Sud [...]. (Loti, Fleurs d’ennui, 103‑104)

L’homme simple qu’est le marin Yves, et tous ses frères à son égal, sont les survivants de ce temps originaire dont le bateau, espace sans femme, offre en quelque sorte l’utopie réalisée. C’est une fable homosexuelle qu’écrit Loti, non une histoire bretonne, on s’en doutait mais cela ne se dit explicitement que dans l’exposition de ce marin et dans les multiples implicitations qu’elle comporte. La chasse au renard relève bien de la mystification, en même temps qu’elle dit, crûment, cette homosexualité qui ne s’énonce jamais explicitement dans le roman lotien : l’amour qui unit Loti et Yves, l’officier et son maître de quart, ce même Yves qui fait lit commun avec Loti et sa Chrysanthème dans le roman japonais. Le tatouage révèlerait alors ce que dissimule cette fraternité affichée dans le titre et si fréquente chez Loti pour parler de l’amitié entre hommes. On serait alors tenté d’introduire le concept d’extimité dont le tatouage serait une des manifestations : manière d’exhiber un sentiment ou un trait de soi par ailleurs dissimulé[29], et, dans le cas de Loti, jusque dans les pages du Journal intime.

29. Voir à ce propos les analyses de Serge Tisseron qui écrit : « On a besoin d’intimité pour construire les fondations de l’estime de soi, mais la construction complète de celle‑ci passe ensuite par le désir d’extimité. La manifestation du désir d’extimité est ainsi étroitement tributaire de la satisfaction du désir d’intimité : c’est parce qu’on sait pouvoir se cacher qu’on désire dévoiler certaines parties privilégiées de soi » (Tisseron, 2001, 83-91).

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Julien Viaud – La Chambre de bord de Julien Viaud sur la Flore, côté bureau, mine de plomb, 20 x 25 cm. Annoté en bas à droite au recto : 218. Historique : achat en 1982. Muséum d’Histoire naturelle de Toulouse (Inv. MHNTETH OC 981 12). www.pierreloti.eu

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FICTIONS DE L’IDENTITÉ Yves justement porte un tatouage, décrit à l’ouverture de son portrait comme la confirmation de son identité :

En ouvrant [son livret de marin], on trouve, à la première page, les indications suivantes :

Kermadec (Yves‑Marie), fils d’Yves‑Marie et de Jeanne Danveoch. Né le 28 août 1851, à Saint‑Pol‑de‑Léon (Finistère). Taille, 1m80. Cheveux châtains, sourcils châtains, yeux châtains, nez moyen, menton ordinaire, front ordinaire, visage ovale.

Marques particulières : tatoué au sein gauche d’une ancre et, au poignet droit, d’un bracelet avec un poisson. Ces tatouages étaient encore de mode, il y a une dizaine d’années, pour les vrais marins. Exécutés à bord de la Flore par la main d’un ami désœuvré, ils sont devenus un objet de mortification pour Yves, qui s’est plus d’une fois martyrisé dans l’espoir de les faire disparaître. – L’idée qu’il est marqué d’une manière indélébile et qu’on le reconnaîtra toujours et partout à ces petits dessins bleus lui est absolument insupportable. (Mon frère Yves, 371). Comme dans un fichier anthropométrique, rien ne manque, même pas les peintures de corps. Cet Yves, au prénom breton, porte un nom breton, est né en Bretagne, de parents aux noms à consonances bretonnes ; il est marin et porte comme tatouages une ancre et un bracelet avec un poisson. Tout cela fait système : voilà une identité solidement constituée, pense le lecteur.

Pourtant, à celui qui connaît la biographie de Julien Viaud, Le Flore est un évident clin d’œil vers le passé de l’auteur qui, onze plus tôt en effet, voyageait dans les mers du sud. Serait‑ce donc la relation transgressive qui resterait marquée dans la peau de façon indélébile pour le jeune marin ? Les références à la mortification et au martyre paraissent inscrire soudainement dans le portrait du personnage comme un arrière‑fond religieux qui étonne – la honte d’une initiation, la crainte que ça se voie ? Ou, et plus légèrement, souvenir intime d’une aventure que Loti délègue à son personnage, venue de sa jeunesse sous le nom de Julien Viaud ? Ce tatouage implique en tout cas d’être déplié et contient un récit, dont seul Loti, auteur, narrateur et personnage, détient la clef.

Si l’on revient à la « chimère bleue et rose fort singulière » du Loti de Madame Chrysanthème, roman où Yves figure aussi, on y note le croisement de deux couleurs genrées : le bleu pour le sexe féminin, couleur de la Vierge depuis le Moyen‑Âge, et le rose, dérivé du rouge, associé à la virilité et à la puissance. Dans cette chimère fantastique et japonaise ces deux teintes signifient la double identité sexuelle, ou plutôt la fluidité sexuelle de Loti, dont le personnage dort chaque nuit entre Yves et Chrysanthème.

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CONCLUSION « Les livres de Loti, ça a pour moi le goût de bitume de la momie de femme, aux petits bouquets de fleurs sous les aisselles, que j’ai vu détortiller à l’Exposition de 1867 » (1989, 971), note Goncourt, rappelant ainsi l’épisode marquant du désenmaillotage d’une momie en marge de l’Exposition universelle auquel il avait assisté avec son frère. L’œuvre de Loti a partie liée avec la mort, on l’a noté. La femme y est momie plus que personnage doté d’un peu d’énergie et d’épaisseur : identifiée à un territoire et cantonnée ainsi dans le rôle de la conquête éphémère (une femme dans chaque port), le personnage féminin est prétexte, alibi au sens premier, qui sert à parler d’autre chose : la mort, l’amour entre hommes sous couvert d’homosociabilité. Cet autre chose, le tatouage l’écrit obliquement : il représente ce qui ne se représente pas mais qui peut se dessiner et s’imprimer sur la peau. Pour y rester. Car le tatouage fixe dans cet univers mouvant ce qui serait le fondement de l’identité masculine : une homosexualité originaire, dont le bateau de Mon frère Yves paraît enregistrer l’utopique réalisation.

Parce que le tatouage chez Loti est à la fois image et texte, parce qu’il fait sens par la place qu’il occupe sur le corps du personnage, il fonctionne comme un emblème, invite à l’herméneutique, dissimule cependant sans doute un souvenir intime qui s’expose et se dérobe à la fois. Dans les autofictions lotiennes où le sujet, ses aventures, ses émois sont partout et pourtant toujours masqués, l’emblème sur la peau serait chargé d’énoncer un peu de vrai dans ce monde de fuite et de travestissements.

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BIBLIOGRAPHIE

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Barthes R., (1972), « Pierre Loti : Aziyadé » [1971], Nouveaux essais critiques, à la suite du Degré zéro de l’écriture, Paris : Le Seuil, « Points ».

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THE SKIN PROJECT BY SHELLEY JACKSON

THE TATTOOED TEXT AS A “MORTAL WORK OF ART”

Marie BOUCHET Référence électronique

Bouchet M., (2020), « The SKIN project by Shelley Jackson. The tattooed text as a “mortal work of art”. », La PremiersPeaulogie Pas 4, mis en ligne le 5 mai 2020, [En ligne] URL : http://lapeaulogie.fr/skin-project-Lashelley Peaulogie,-jackson 2 | 2018 146 The SKIN project by Shelley Jackson: the tattooed text as a “mortal work of art”

RÉSUMÉ En 2003, Shelley Jackson lança en ligne un appel à volontaires destiné à trouver des personnes acceptant de faire tatouer sur leur peau l’un des 2 095 mots de sa nouvelle « Skin » — une tentative de publier le texte sur un support qui reflète son contenu. Une fois le tatouage fait (et prouvé par l’envoi d’une photo), l’auteure adressait à chaque participant (qu’elle appelle « ses mots ») le texte complet de la nouvelle, qui devait rester secret. Jackson reçut plus de 22 000 courriels pour ce projet, et envoya leur mot à tatouer à 1 875 personnes sélectionnées. Au final le projet SKIN ne put être achevé, car l’un de « ses » mots décéda avant que la nouvelle ne fut complètement imprimée/tatouée. Cet article explore la relation complexe entre éternité et finitude que tisse un tel projet. En effet, d’un côté la littérature est perçue comme un art éternel (selon le topos de l’auteur vivant éternellement à travers ses livres), et le tatouage est également considéré comme un marquage permanent, un geste d’encrage comparable à celui de l’impression de textes. Le projet SKIN prend toutefois le contrepied de cet aspect, car dès le départ Shelley Jackson avait conscience que cette expérimentation avec les techniques d’impression produirait « une œuvre d’art mortelle » ( Jackson, 2002). Le projet SKIN souligne donc le caractère éphémère du tatouage, en une sorte de memento mori. Cet article analyse également les traces que le tatouage littéraire original a laissées, à savoir, d’une part, le site internet où Jackson lança son appel, présenta le projet et produisit une carte localisant les mots de sa nouvelle. La deuxième trace du projet initial est un sous-texte de la nouvelle originelle, texte non imprimé sur le papier mais présenté sous forme d’une vidéo montée par Jackson en 2011 à partir des 200 vidéos YouTube, réalisées par certains « mots », dans lesquelles les participants se filment en train de montrer et prononcer à haute voix leur mot tatoué. Cette autre nouvelle, dermographiquement dérivée de la première, combine donc littérature, tatouage, art conceptuel, image et son.

MOTS CLEFS

Shelley Jackson, peau, tatouage, finitude, éternité, mortalité

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ABSTRACT The SKIN project began in 2003 with Shelley Jackson sending out an online call for volunteers to find people who would be willing to have one of the 2,095 words of her short story “Skin” tattooed on their own body, in an attempt at “publishing in forms that reflected their content” (Daffern, 2012). In exchange for their tattoo (duly proven by a printed photograph), Jackson sent the participants the story she wrote, which was to remain secret. She received over 22,000 emails for the project, and sent their word to 1,875 applicants whom she selected, but she never completed the project because one of “her words” passed away before the full story was tattooed/printed. This article delves into the complex relationship between eternity and finitude that such a project entails. Indeed, on the one hand, literature is perceived as an art inscribed in eternity (with the topos of a writer living on through his/her works after death), and tattoos are also conceived as something permanent, an inking gesture similar to that of a printing machine. Yet, on the other hand, with the SKIN project, Shelley Jackson had very early in mind that this experiment with printing material would produce a “mortal work of art” ( Jackson, 2002). The project therefore foregrounds the ephemeral nature of tattooing, in a memento mori gesture. The article also explores the traces of this unique literary tattoo in the other two forms through which the SKIN project can be experienced: first, the website that called for volunteers, exposed the project and even displays a map of the location of each word. The second trace of the tattooed text takes the form of a sub-story, a video Jackson edited herself in 2011, using the home-made videos posted on You Tube by over 200 “words” who filmed themselves saying and showing their word, thus combining literature, tattoo art, conceptual art, images and sound.

KEYWORDS

Shelley Jackson, skin, tattoo, finitude, eternity, mortality

La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. La Peaulogie, 4 | 2020 148 The SKIN project by Shelley Jackson: the tattooed text as a “mortal work of art”

INTRODUCTION Shelley Jackson was born in 1963 in the Philippines, but was raised in Berkeley, CA. She holds a B.A. in art (Stanford University) and a M.F.A. in creative writing (Brown University), and is therefore both a writer and an artist, whose work is characterized by experiments crossing genres and mediums. Her work is characterized by explorations of the possibilities of publishing, and attempts at expanding the potential of print culture. She published two novels, a collection of short stories, three children’s books, and three hypertexts (among which Patchwork Girl, 1995). She also illustrated a book for children, and some of her own works (My Body)[1]. Her artistic practice is thus transmedial, and her creative output often is intersemiotic.

A few words ought to be said about Patchwork Girl, because in many ways it really is the first step Jackson took before the SKIN Project. Patchwork Girl is a hypertextual novel, which was never published in a book form, and Jackson explained she never even thought of doing so. She elaborated an original story by borrowing from three literary sources, one being the paradigmatic monster narrative, Mary Shelley’s Frankenstein, the second being the sequel to the uber‑famous children’s book The Wonderful Wizard of Oz (1900) by L. Frank Baum, entitled The Patchwork Girl of Oz (1913) with the Scraps character, and the third being, as Arnaud Regnauld showed, Derrida’s Dissemination (Regnauld, 2009, 73). It is the story of a female monster assembled by Mary Shelley herself, who then becomes her creature’s lover; the creature then travels to America, where she goes through many adventures before disintegrating after a 175‑year lifetime. Individual sections of the novel also explore the lives of some of the women whose corpses contributed body parts to the creature. The story can only be read on a computer, and is told through illustrations of parts of the female body that are stitched together through text and image. The narrative of the story is divided into five segments, but each segment takes a path that carries the story in multiple directions through various linking words and images. Hence one experiences, in a narrative, the same vertigo of endless redirection one experiences when browsing the web. The aim of the hypertextual novel is not only to make the reader aware of its overall structure, but also to make us realize that all the pieces must be “patched” together in order to create one unified whole, as exemplified in this particularly metatextual passage: “If you want to see the whole you will have to piece me together yourself” ( Jackson, 1995). The tension between the whole and its fragments which characterizes Patchwork Girl is brought to yet another level with the SKIN project.

1. For a full presentation of her work, see Wend, 2010.

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In 2002, Shelley Jackson decided to keep one short story, entitled “Skin”, apart from her short story collection entitled The Melancholy of Anatomy (2002), a book centered on the body, its fluids, humors and recesses[2]. She kept “Skin” apart because, according to her, it did not really fit in. She thus decided to send out a call to find people who would be willing to have one of the 2,095 words of the remaining story tattooed on their own skin, in an attempt at “publishing in forms that reflected their content” (Daffern, 2012). The title word, SKIN was tattooed on Jackson’s own wrist, as a first step in the project. In exchange for their tattoo (duly proven by a printed photograph), Jackson sends the participants the story she wrote, which is not meant to be publicly circulated, and which the participants promise not to disclose, via a signed contract. She received over 22,000 emails from people who wanted to be included in the project, and sent their word to 1,875 applicants whom she selected. In the end she never completed the project because one of “her words” passed away before the full story was tattooed/printed. This article is therefore not an analysis of the “Skin” short story, which is not publicly available nor disclosable, but a study of the SKIN project itself, and its two hypertextual and intersemiotic sub‑projects, the SKIN project website, and the SKIN video issued in 2011.

To analyze the various ways the SKIN project explores the tension between finitude and eternity, this article will first present the project and its original obsession with form and death; then its paradoxical call for the temporal and spatial infinite thanks to the internet will be studied, so as to finally focus upon the latest by‑product of the project, the SKIN video (2011), commissioned by the Berkeley Art Museum.

PRESENTATION OF THE PROJECT: AN OBSESSION WITH FORM AND DEATH One persistent obsession in Jackson’s work is the body[3], as noted by many critics and stated in an interview: “Thematically, all my writing is obsessed with the body — partly because I have a sense of language as a physical force. On the one hand, it abstractly conveys ideas, but it also leaves a residue in the form of shapes on the page, sounds in the air, the movement of your

2. This collection of short stories is also a reference to the 1628 book by Robert Burton (1577‑1640) Anatomy of Melancholy. The book is intended as a medical treatise (it mixes text and image) and explores a dizzying assortment of mental afflictions, including what might now be called depression. 3. Her hypertextual and autobiographical work entitled My Body (1997) weaves text and image, and is designed for the reader to navigate Jackson’s narrative of her corporeal self.

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tongue and mouth” (Ulin, 2005). This acute sense of the double nature of language, and of the fact that it stems from the relationship between an abstract signified and a “physical” signifier that can be eternal (letters/“shapes on the page”) or ephemeral (“sounds in the air, the movement of your tongue and mouth”) is another essential aspect of her work and aesthetic, as will be illustrated further below.

Entry page to the SKIN project.

From its earliest stages, the SKIN project explored the complex relationship between eternity and finitude. Indeed, while, on the one hand, literature is perceived as an art inscribed in eternity (with the topos of a writer living on through his/her works after death), tattoos are also conceived as something permanent that the wearer intends to “keep forever”. The often‑drawn parallel between the patient and skilled inking gesture of tattooing and that of medieval monks writing and illuminating texts to be kept forever is revealing of the eternal, almost sacred nature of tattoo art. Yet, with the SKIN project, Shelley Jackson had very early in mind that her experiment with printing material would produce a “mortal work of art” (my emphasis, see below), and as a matter of fact one of the words/participants did die before the story was fully printed/enacted on skin. TheSKIN project therefore foregrounds the

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ephemeral nature of tattooing, in a sort of memento mori gesture.

Let us examine the call for participants:

Call for participants page

TheSKIN project provides a further form of hypertextuality (in its etymological sense: beyond the page‑printed text), for the words are scattered not through the world wide web this time, but quite literally throughout the world (see the map of where the participants are located on earth, on the SKIN website[4]). Moreover, even though the tattooed text is by nature tangible, and recalls the etymology of fiction (from the Latin fingere, touch), SKIN is also, at the same time, an extremely elusive text, since, in its dermatographed form, the text could have “come together” only very difficultly, as it would have required for the “words” / participants to be gathered in the same place. SKIN is therefore a literary text that is mostly made to be printed rather than read, and in a printed form not made to last forever.

In the call for participants page, one can note how the importance of the life of the tattoo itself is underscored: being inked on skin, the words are meant to be impacted by any incident that may occur on the surface of the participants’ bodies. “Skin” is made to exist in both an actual (the concrete tattoos) and virtual way (the fact of constituting a whole, a story made of words, rests in the knowledge of the project). Jackson stretches the idea of a book form

4. http://ineradicablestain.com/skinmap.html

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holding all the words of a story printed on pages to a community of bodies holding all the tattooed words of her story. Quite clearly in this project, form overpowers contents, and the transmedial nature of the work is explored/ exploited in various ways that show that its nature is even more elusive than what it claims to be.

Going back to the title of the call for participants (boasting a “mortal work of art”), one should add that many of the articles covering the SKIN project naturally insist on that aspect (see Wend, 2010, for instance). Daniel Pink, in the New York Times, notes: “Most artists spend their careers trying to create something that will live forever. But the writer Shelley Jackson is creating a work of literature that is intentionally and indisputably mortal” (Pink, 2004). Art critic Amelia Taylor‑Hochberg (2011) explains:

Most art is not built to die. Climate control and painstaking restoration keep classical art forms from aging, and while paint or clay may degrade slowly, they can never die in a traditional sense because they were never alive. But when human beings are the materials of the artist’s project, the piece becomes a living body, dependent on the organic vivacity of its material. In an NPR interview with Ben Gilbert (2004), Jackson explains: “I wanted to write a story that was a living text, a living work of art. And somehow to make that possible it seemed to me that it also had to be able to die.” The idea of death that underpins the project is running against the cliché that works of art are immortal, and is clearly stated at the end of the call for participants:

Only the death of words effaces them from the text. As words die the story will change; when the last word dies the story will also have died. The author will make every effort to attend the funerals of her words. Jackson even boasts about the “revolutionary” character of her experiment, in an interview with Joanna Walters (2003): “There is something wonderfully melancholic about a piece of writing that’s living flesh and finally dies and is grieved over. It is a revolution in literature.” It may be experimental in literature, but in contemporary art the idea that permanence is not necessary to create a work of art has become a topos: ephemerality is one key‑term in contemporary creations, as Paul Ardenne undescored[5].

The SKIN project was therefore meant to reflect its own published form from the start — it was meant to literally live and die. That aspect was very appealing to many participants. In the NPR interview, the journalist recalls that librarians wrote to Jackson asking to be part of the project, saying “I want

5. Ardenne remarks upon the “vanishist” tendency of contemporary creations, in which the over‑represented body disappears; he notes that this form of “art disparitionniste” is paradoxical, since it is only made possible if the body has appeared in the first place (Ardenne, 2009, 445).

La Peaulogie, 4 | 2020 La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. The SKIN project by Shelley Jackson: the tattooed text as a “mortal work of art” 153 to be part of a living book”. In another interview, Jackson acknowledges that the actual injury made to the skin by the tattoo also had an emotional appeal for her: “I was also moved by the image of reading as offering yourself to be wounded by a piece of writing” (Nunes).

In fact the term “offering yourself ”, the notion of sacrifice, is quite accurate for such a project, because it does somehow entail the erasure of the participants’ identity, even though that aspect is largely ignored or downplayed in the articles dedicated to the project[6]; for instance in the Los Angeles Times:

To be clear, Jackson doesn’t call them participants — with great affection and admiration, she calls the tattoo volunteers “words.” In an e‑mail to The Times, she explains: “I usually call them words, or my words, as in, “I got an angry email from one of my words,” or “Two of my words just got married!” I really like the ripple of surreality this induces in listeners who haven’t yet become inured to the usage. It comes from my original call for participants: I specify that once they are tattooed, “participants will be known as ‘words’”.” (Kellogg, 2011) Not only do these persons become “her words”, but they also pay for the tattoo themselves. Moreover, they even relinquish the rights to their own image and to the texts sent to Jackson[7]. The participants therefore “must sign a contract” and willingly submit to a somewhat authoritarian action in an albeit creative project. What is fascinating is that Jackson in her turn commits to the life and death of “her words” by making a pledge to attend all her words’ funerals, and, as Daniel Pink recalls: “If she dies first, she says, she hopes several of them will come to her funeral and make her the first writer ever to be mourned by her words” (Pink, 2004).

Not only is Jackson obsessed with the mortality of her work of art, but the control she wants to exert over her creation also expresses itself in the rules she set up regarding the “printing” process, the shape, font, size and location of the tattoos themselves, as indicated in the Guidelines page:

Guidelines page

6. “Once a word has been tattooed, the person then “becomes” the word and Jackson refers to her “words” as someone else might speak of their own children” (Teresa, 2010). 7. In the call for participants, she explains the photos they sent of themselves and the correspondence between herself and the participants will be considered for publication.

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This requirement indicates that Jackson wishes to prevent any relation between the signifier and a potential signified in the printing/inking process, probably because she does not wish to have the polysemic nature of words reduced, but also precisely because the actual meaning or use of the word in the story has not been disclosed to participants before they got tattooed, so they may imply a meaning that is not the one used in the story. In fact, what Jackson seeks is to have the tattooed words replicate the aspect of words on a printed page:

Guidelines page

If one clicks on the “book font” link, one finds her again insisting upon the tattoo being similar to a printed text:

Book font page

Beyond this self‑reflexive aspect of the project, which underscores the very materiality of writing, what is interesting here is the dialectic opposition binding the readability of the words and the unreadability of the story. This dialectic opposition somehow reflects the one binding the inerasable tattoos and the perishable participant. Jackson must have therefore been quite satisfied with the reaction of one of her “words” interviewed on NPR, for he said: “Basically it looks as if the word jumped out of the book and stuck on my ankle” (Gilbert, 2004). This statement shows that this participant fully accepted the principle according to which “the words have been chosen for the purposes of the story, not for their suitability as decorations” (cf. Call).

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Even if form somehow overcomes content in the SKIN project, some points of tension seem to arise, as evidenced in the reactions to it. For Tim Farrell (2010) for instance, “this project in particular took what we consider to be “literature” to its most abstract.” On the other hand, other critics like Amelia Taylor‑Hochberg (2011) underscore the corporeality of the work: “The definitive mark of the project is, however, not virtual but corporeal.” The tension between abstraction and corporeality, which stems from the story’s publishing strategy, is enriched with yet another dialectic, that of permanence/ eternity vs. transience/finitude. Some critics are fascinated by “the transient nature” of the work, because “the story may never be fully realized, as it seems possible that before the last word has been “born” one of the others may have died” (Teresa, 2010), while other people, especially participants, like “the permanence of the whole thing”[8]. And indeed “One of [her] volunteers asked [her], hypothetically, if he could will his word to his children” (Wend, 2010), therefore countering the death‑bound nature of the work.

Another dialectic the SKIN project relies upon is that of secrecy. Indeed, as Teresa wrote (2010), “the story is a closely guarded secret”, and as Pierre Boutang noted in his Ontologie du Secret, the very ambivalence at the core of secrecy is that a secret is something that must not be told, but is also something that has no other sense than in being disclosed (1973, 129). So while Jackson repeatedly stated that the “Skin” short story would never be published[9], and while she disclosed it only to the participants who are sworn to secrecy, she also set the stage for an exhibition of the short story project. Shelley Jackson not only uses all the “effects of secrecy” as Arielle Meyer called them in Le Spectacle du Secret (i.e. keeping, hiding, disguising, distilling, revealing) but she also uses what Meyer terms its “paradoxical effects”, i.e. veiling to disclose better, or showing what is hidden (Meyer, 2003, 20). The display of the secret is staged via the project’s website, which is systematically mentioned in the press articles written on “Skin”. Hence Jackson uses the world wide web to show something that is not be to “circulated”. As David Ulin (2005) said, “‘Skin’ will, when finished, operate with the inferential power of a rumor, offering a narrative that’s both visible and invisible all at once”.

Another paradox therefore to be explored with this story tattoo‑printed is that despite being designed to be mortal, the author set up the stage for its immortality.

8. Participant named Poulos in the USA Today interview (Franklin, 2004). 9. Frank Franklin (2004) explains: “she’s optimistic that Skin, in its published entirety, will remain a secret among her loyal subjects.”

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A CALL FOR TEMPORAL AND SPATIAL ETERNITY Today “Skin” is dead, since it died with its first word. Hence the Skin website is now the “dead” project’s online prolongation, its virtual and eternal (after) life. The living‑on nature of the work is reflected in the internet flux, via the updates Jackson posted as to the project’s progress, her posts, the “letters” she wrote to her words, and via the participation of the “words” themselves to the website. Therefore, as the Berkeley Art Museum webpage explains, “Shelley Jackson’s ‘Skin’ is equal parts conceptual art, performance art, literature, and Internet art”. The intersemiotic quality of the project indeed makes it “far more visually interesting than the average novella” (Teresa, 2010), and definitely something more than “just” a story printed on skin. Jackson’s project encapsulates both the “real” world in which the participants live, get hurt, or die, and the “virtual” world of the internet, and this is one of the strengths of the project, as explained by the Berkeley Art Museum, since the project thus managed to balance the mortality of the unique human body and the eternity of internet life through an unexpected structural mirror effect between the Internet and the short story:

‘Skin’ is akin to an alternate reality game in that the Internet provides the glue that holds the project together — its orchestration and viral reach — but much of the action happens offline. ‘Skin’ literalizes many tropes of Internet art such as decentralized authorship and the networked (common) body. It is part of a wave of “post‑Internet art” that ignores the boundaries of online versus offline and assumes the conditions of networked culture into its content as well as its material makeup. (Berkeley Art Museum) The website is the central piece of the SKIN project. It is conceived as an object triggering desire to join the project, as illustrated by the entrance page, with photos of words surrounding the first word — Jackson’s own hand in extreme close‑up, so that the grain of her skin is visible. The website is all the more essential as Jackson stated that in the case no one volunteered to get the story published on skin, the online call for participants would have constituted the project itself, thus following many examples of conceptual art. More importantly, the website provides the interface for the participants to contribute even further to the project. As Amelia Taylor‑Hochberg (2011) contends, “with origins in both print media and the Internet, ‘Skin’ is the enactment of a new communicative order in the relationship between artist and audience.” Indeed, to participate, people had to write to Jackson and try to convince her to take them on. This exchange of letters, before the ultimate exchange of the author sending a snail mail letter containing the word assigned to be tattooed, is a key aspect of the project, that Jackson sought to prolong by regularly writing to “her” words, and, in 2010, contacting them for the video project.

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Another original aspect lies in the way that SKIN not only plays with various semiotic systems, but also in the manner in which it created a community (before Facebook existed), a community of people sharing a specific tattoo — somehow duplicating the idea of the “tattoo community”, at a time when getting a tattoo was not yet mainstream. According to Jackson, this is one of the major reasons why people joined the project[10]. That aspect has largely been commented upon in the various articles on the project (see Gilbert, 2004; Walters, 2003; Nunes), and Jackson repeatedly stressed it:

Some say they love books, some that they love tattoos, some that they want to feel like they are an essential part of something larger than themselves, something that ties them to people around the world with an invisible thread. (…) Many of my applicants write that they are yearning for a different kind of community, and hope that this might provide it. That might seem far‑fetched, but in fact online groups have already formed to talk about the project, and some of my words have already met in the flesh. Some of my words sent me Christmas cards. One of my words is knitting me a scarf. I seem to have founded a strange sort of family. (Nunes) Actual family members or friends asked to be given a sequence of words[11] or a sentence they would share (Teresa, 2010), and potential families can have sprung among words, with people meeting and getting married via the Skin network[12]. Jackson clearly encourages such relationships between the persons involved (“participants, (…) may, but need not choose to establish communication with one another”), notably by creating a specific webpage on the SKIN project site for them to express themselves. She even jokes about it:

I’m wondering whether a kind of caste system is going to arise, where the common “ands” and “thes” will be looked down upon by fancier words — or maybe the prepositions and indefinite articles will gang up on the effete adjectives. There really should be an “ifs and buts” party. (Walters, 2003)

10. “Jackson said participants want to be connected to 2,094 other people and often don’t care about the story’s subject. Some have never read her earlier work” (Franklin, 2004). 11. “What kind of person signs up for an experiment in epidermal literature? Curiosity seekers and members of “body modification” communities have been early adopters. But many enlistees have been surprisingly mainstream. Mothers and daughters are requesting consecutive words. So are couples, perhaps hoping to form the syntactic equivalent of a civil union. For others, the motives are social: Jackson is encouraging her far‑flung words to get to know each other via e‑mail, telephone, even in person. (Imagine the possibilities. A sentence getting together for dinner. A paragraph having a party.) In addition, Jackson has heard from several dyslexics, who have struggled with mastery of writing and reading. And librarians are signing up in droves” (Pink, 2004). 12. Jackson jokes: “People have written to me saying that if two Words met, fell in love and had a baby, would that offspring be a footnote?” (Walters, 2003).

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Art critic Amelia Taylor‑Hochberg sees in the physical, bloody, tattooing process the key to the creation of that community, or “secret society” whose members are all branded:

Bearing the project’s title on her right wrist, Jackson is not only the author but also a participant, subject to the same indelible pain that brings the project into existence. (…) Once aware of its own existence, the textual community establishes a non‑present physical intimacy between itself and the author, between art and artist. Both parties have bled for each other, an empathetic relationship difficult to achieve in a static gallery. (Taylor‑Hochberg, 2011) In the guidelines, Jackson warns the applicants: “Participants must be prepared for the possibility that the word they receive, once tattooed on their body, will suggest meanings unintended by the author and/or bearer.” Sometimes people decide not to get inked, or place the tattoo where it will seldom be seen (“dead” under one’s hair, “glass” under one’s watch…). Doing so, participants do not appropriate the power of narrative influx that can spring from tattoos. Indeed, most tattoo‑wearers like explaining why they chose this or that particular tattoo, because getting a tattoo implies a semiotization of the body that is both literal (inscription of a sign on one’s skin) and symbolic (what the tattoos means or refers to). For the SKIN project, the fact that participants explain why they have a word tattooed on their skin literally “spreads the word” about the project, and makes it circulate further.

In addition, the participants can shape the meaning of the word, or create resonances to it by choosing where to place it: for example the person who got the word “heal” placed it on her ankle, and that gesture lead people to think “heel” had be misspelled, thus adding a shade of meaning to the original word. The changes made to the story by its own “words” are firstly to be seen in the page entitled “footnotes” on the project’s website[13], which Jackson designed to be a space of free expression for her words: “By words, for words. Please add or edit your own footnote”. They log in onto the page, and they can write whatever they want, and post pictures if they wish. It is an interesting reversal, since potential readers have access to the footnotes to the words only, and not to the text of the story itself. Obviously not all the participants have used that textual space to express themselves and verbally contribute further to the project, but the type of participation that this page entails is interesting, because it further obfuscates the original story, and expands the scope and ramifications of the project by providing reactions to the project from within, in an endless gesture of writing on and on, which runs counter to the mortal nature of the initial project.

13. http://www.ineradicablestain.com/footnotes.html

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It would be too long to analyze in depth the way in which each contribution interacts with the project, but one can sketch out the various types of footnotes to be found. The footnotes are presented in alphabetical order (obviously to avoid revealing any part of the short story). They are either composed of:

‑ definitions of the word (either lifted from a dictionary, or self‑worded, either complete, or edited: the “word” retains the meanings that are the most significant to himself/herself ); as such, a lot of participants play with the polysemy of the term they were assigned; - quotes; - jokes (polysemy used in a humorous way); - anagrams; - personal stories about how the participants relate to the word; - links to the participants’ blogs, or webpages; - an email address, and often an open invitation for other words to get in contact or meet; - photos (usually of the tattoo itself, sometimes of the person only); - poems (quoted from more or less famous poets, like Rilke, Dickinson, or composed by the participants): the proportion of verse is actually quite significant, as if the very gift of a word was poetry‑inducing.

The initial secret‑bound, mortal and confidential project therefore endlessly forks in different directions, towards words, images, words that are images, images that are words, or other, further web pages. Jackson’s “words” play on the bond between signifier and signified, and rely on the polysemy of signs, therefore showcasing how printed text has inner creative potential. One should note that Jackson herself contributed to the footnotes: “When I received the word, “skin” several years ago I decided to have it tattooed on the inside of my left wrist. Even though I spend a lot of time explaining why I have this tattoo, I’m still glad to be a part of this project.” Interestingly enough, Jackson leaves it for the attentive reader who has carefully observed the entrance and index pages of the project’s website to guess it is her, pretending, behind these lines, that she did not choose the first word for herself, or that she is tired of talking about it.

In her interview with Rosita Nunes, Jackson claims that she had not initially fully realized the potential for change that the project had: “As a whole, yes, the project (in ways I had not fully articulated for myself before undertaking it) embraces change, permeability, and collaboration” (Nunes). Interactivity is at the source of the project, and Jackson incorporated that aspect to it, as explained by journalist David Ulin:

La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. La Peaulogie, 4 | 2020 160 The SKIN project by Shelley Jackson: the tattooed text as a “mortal work of art”

Her participants are interacting with the material and changing it — just as Jackson hoped they might. “They’ve hijacked my story,” she enthuses. “They’re forming chat groups, e‑mailing to tell me what their words mean to them.” On the one hand, this is another example of the viral nature of the project, the way that, once set loose, all these bits of language break apart and recombine like errant DNA. It’s not hard to imagine clusters of “words” coming together, forming sentences — indeed, entire narratives — that Jackson never consciously composed. (Ulin, 2005)

Jackson developed a very clear line of how to interpret these sub‑narratives and changes to her initial words:

There are two ways to look at how this impacts meaning. One, since each participant will get to read the story in its original sequence, the story will find its coherence in its readers’ minds, rather than in the world. This is true of all stories, in a sense. Two, the original story is only the DNA; the real story as living organism is perpetually rearranging and revising itself, and its meaning is the aggregate of a myriad of idiosyncratic personal interpretations that will attach themselves to its words, interpretations I have invited but can’t predict or control. This too is true of all stories, in a sense. (Ulin, 2005, my emphasis)

Presented in that light, the SKIN project seems to be the paragon of all books, even though, or maybe because it is not printed on paper nor published. Paradoxically enough, by stretching out the possibilities of the publishing form through tattoo and by severing the average readers from her text, Jackson reinforced the bond between her only readers (the participants) and her text, creating a type of reader that could hardly be more participating in the creative process (at least from the point of view of producing the piece of literature physically). Jackson explained that the viral or transformative aspect of the project was at the core of her idea (which allows her to keep the upper demiurgic hand over all the participants):

One of the pleasures of this project for me is seeing what people do with the material I give them; I’ve defined the project around the expectation that this is exactly what will happen. Of course that means that my “original intent” embraces revisions, so I’m safe! (Nunes)

This notion of “safety” seems closely related to the question of having full control or not over her creation: “I’m not interested in totally relinquishing control. I have just redefined the work to include the whole process of its evolution, including its eventual demise” (Nunes). It may explain why Jackson asked all her participants to relinquish their rights over all the correspondence and texts they gave with her: her intention, from the start, was to keep all the possibilities open to make the SKIN project evolve into yet another transmedial form. In 2003, she told The Observer that she planned

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an art exhibition featuring “the faces of her volunteers arranged in the order of the story and in paragraphs, but not displaying their tattoos because that would reveal the story” (Walters, 2003); but it is only in 2011 that another forking of the original short story was put together by Jackson.

The Berkeley Art Museums claimed that most of the SKIN project happens off line, but now, with the new by‑product the museum commissioned, the balance has shifted, as well as the source of authorship, since when one googles “Shelley Jackson Skin”, it is the 2011 video project that immediately crops up, from a myriad of websites in many languages. If the initial project died with its first word, the Internet allowed for the sub‑story to sprout in all directions.

Access to the video through Jackson’s website.

THE SKIN VIDEO (2011): AN ETERNITY OF ILLEGIBILITY To make that video, Jackson edited the home‑made videos posted on YouTube by over 200 “words” who filmed themselves saying their word and showing their tattoo, thus uniting literature, conceptual art, image and sound. To get to that point, Jackson launched a call to the participants from the SKIN project’s website:

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“Letters to words” page of the website

This derived project[14], launched three weeks before the deadline, produces another text, which is of course different from the original (defunct) short story. In the initial project, Jackson had severed the text from its readership, but this new project restored some form of readability of the text (albeit difficult, and it being another text). And since each “word” posted his or her own video online, this sub‑project reproduced the hypertextual structure of her previous works. Indeed YouTube, where the participants post their personal videos, becomes, in that light, yet another hypertextual network, but non‑controlled by Jackson[15]. From these online videos, Jackson arranged 191 words from the original story into a whole new story that is read aloud, collectively, by the “words” themselves. With that second project, Jackson follows in the steps of surrealists or OULIPO writers who chose specific constraints to write under: she had 191 words to work with, and came up with an 899‑word story composed from that restricted textual material.

The final editing and assembling was on display on the Berkeley Art Museum art portal in the 2011 Spring, and is still available on YouTube and on the SKIN website. It lasts exactly 10 minutes, and, as one can imagine, it is very

14. Available from the Museum’s YouTube channel: https://www.youtube.com/ watch?v=viF‑xuLrGvA 15. “A decade or so ago, in the pre‑Web era of the digital revolution, a new literary art form began to emerge, made possible by the computer’s ability to escape the book’s linear page‑turning mechanism and provide multiple links between screens of text in a nonlinear webwork of narrative or poetic elements” (Coover, 1999, my emphasis).

La Peaulogie, 4 | 2020 La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. The SKIN project by Shelley Jackson: the tattooed text as a “mortal work of art” 163 difficult to make sense of the story just by watching the video[16]. Hence what was advertised as a “new sub‑Skin story” (Kellogg, 2011), or “an alternate expression of ‘Skin’”, “a new narrative” (Taylor‑Hochberg, 2011), is quite a failure from the point of view of the actual story‑telling performance. When watching the video, the spectator’s need for a syntactic unity, and for one voice uttering sentences, is quite blatant. Even though Jackson inserted black screens to mimic punctuation (short pauses for commas, longer pauses for periods), the lack of voice unity, added to the differences in accents and in quality of the audio tracks, create obstacles in understanding. In order to grasp the meaning of the narrative, one has to painstakingly write down the story under the strange dictation of utterances without intonation, or to mute the sound and try to read the text word by word, as it appears on the sometimes illegible tattoos:

SKIN [Shelley Jackson’s tattoo, shown in front of books and windows]

After the fall, we came to in another place. We don’t remember who we are but we are certain that we are not dead. This landscape of rippling skin with glass houses inhabited with settlers like us. This is just like life. They say the dead go into exile wrapped in scenes of a former life. The skin about them is memorious but they’re not.

They are in print, but we are not like them. We are certain of it. No, our skin is inhabited. We are swelling with our story, even if we don’t remember it. We go into one of the glass houses. There we face one another. Who are we anyway. On one of my ankles is a breath. In your cuticles, dirt. The glass is rippling like water and I start, and know we came from water once. Remember, floating on water like a leaf, floating on life. Like leaves on water or rippling through it. Vivacious water is like us. It has a certain internal life, and a skin, so certain beetles can even go across it if they like, and not fall through. On it scenes of life are floating, like the one rippling across your eyes. I meant to stop there, but we have to go on. This is the law, to go. After the water we came to a different landscape, and fell into a different life. This world is hard. Like beetles we go in the dirt. This place has water but it’s just visiting, like we are just visiting. It’s not hard to leave. After the world of water and the world of dirt, we fell through a tube of the like into this place. Call it a world of skin.

You say what’s in a paper and I leaf through it. You have a glass of water. This we call life. I don’t remember you, but I know that I know you. Like sleeves or eyes we go together. The adults found us. They came across the landscape like the law, wrapped in fur, swelling with might. They touch us on the ankles with a certain device, and peel a piece of skin from us. They say we are misaligned. Vivacious they leave but we can see they know something about us. After they go I touch

16. The videos posted by participants indicate Jackson had to edit them significantly, for many of them did not say their word while they are showing their tattoo, so Jackson probably had to re‑edit the soundtrack.

La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. La Peaulogie, 4 | 2020 164 The SKIN project by Shelley Jackson: the tattooed text as a “mortal work of art”

the bare place on you and leave a print, you touch my bare place, there, another breath just like the one I came with. After this I touch you like a leaf but longer floating on the world you are. And like a leaf I leave. For I don’t know if this is life. Are we dead or not.

I go to the tube. The one we came here through. There underneath it I fall in the dirt. No, on the skin. Here it grows over the landscape. Just like it sleeves our bodies from eyes to ankles or just about. I don’t like it. I see the adults visiting another of the settlers. They are certain of the law and of themselves. They have hard bodies like beetles and glass eyes. They have dead skin like cuticles, I want to peel them. No, I want to peel you. I want to peel the world and leave it bare swelling with internal life but I go in again and touch my breath to your breath. They are like letters in words we don’t know yet. They call from another place or call another I from this one. See. Even if we are misaligned I stop you start I start you stop. We know. We are certain of this, like of a just law. We are one. We are of a piece. We world one another and in one another we are settlers. The adults came again. They don’t like us. We have to go over it again. You know we fell through a tube. We remember water. We are settlers. After they leave we strip. No, I peel you. Underneath your skin I find a different skin. From that skin I peel a piece, and find another skin underneath. Is this who we are, just skin wrapped in skin, wrapped in skin. I peel I, and find another I, flayed but not bare. I molt, I molt, I, I, I. Like the many dead letters from a former life. I want to find something underneath. I don’t know what. But my eyes fall on a piece of skin with your print on it. I remember something. You. What’s this in your eyes. Water. Can you have it fall into my eyes. You can. This I is hard. I know it’s hard on you, but see in water I dissolve, I say. If water has a law, it is to fall. And we have to fall like water, again and again. It is a just law, no one is spared and we are not spared but if we are dead, yet we are not through. You touch my place. No we are not through yet. This is my skin, this your skin. I piece them together, like letters into words, like words into a mnemonic device. Remember this is a piece. This another piece, floating scenes from life. If I place them just, like, this, or this, they touch your eyes one, after, another, and a different world grows, a different story. (fade in)

This first‑person (sometimes first‑person plural) narrative is a poetic, enigmatic, meditative, and quite metaphysical text, with elements that directly point at the SKIN project: “This landscape of rippling skin with glass houses inhabited with settlers like us” can evoke the video project itself, with all the tattoos seen from a computer screen (glass houses), each one in its own video. Similarly, the following lines echo the video situation:

[the dead] are in print, but we are not like them. We are certain of it. No, our skin is inhabited. We are swelling with our story, even if we don’t remember it. We go into one of the glass houses. There we face one another. Who are we anyway.

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The excipit is clearly metatextual: This is my skin, this your skin. I piece them together, like letters into words, like words into a mnemonic device. Remember this is a piece. This another piece, floating scenes from life. If I place them just, like, this, or this, they touch your eyes one, after, another, and a different world grows, a different story. The self‑reflexive quality of the text is probably what strikes the viewer first, as the word “skin” keeps on recurring through the hard‑to‑understand narrative. The key motifs of life and death once again mark the spectator/reader, as the text points to Genesis‑types of narratives: we find references to the Fall, to the cycle of life (fetal life in amniotic liquid, being born, living, dying), to the cycle of insect molting[17]. These images and references also have a self‑reflexive quality, but they acquire a deeper meaning as some sense of threat emerges:

The adults found us. They came across the landscape like the law, wrapped in fur, swelling with might. They touch us on the ankles with a certain device, and peel a piece of skin from us. They say we are misaligned. See. Even if we are misaligned I stop you start I start you stop. We know. We are certain of this, like of a just law. We are one. We are of a piece. We world one another and in one another we are settlers. The adults came again. They don’t like us. The meaning of the “misaligned” metaphor is very elusive. It certainly alludes to the problems of misaligned characters in printing, and one wonders if these “adults” could not be interpreted as being critics, who find the narrative “misaligned”. If one also studies the short videos uploaded on YouTube by the “words” themselves, new auras of meaning arise, and new textual possibilities are opened. These videos are interesting transmedial objects, hybrids made of text, moving or still images, and performance art. They renew the potential of words, and seem to somehow counter the fears that Robert Coover had expressed: And even the word, the very stuff of literature, and indeed of all human thought, is under assault, giving ground daily to image‑surfing, hypermedia, the linked icon. Indeed, the word itself is increasingly reduced to icon or caption. Some speak hopefully of the binding of word and image, many, perhaps also hopefully, of the displacement of word by image. There is a genuine fear — or hope — that our old language of the intellect, systematic discourse, and poetic metaphor may very soon be as foreign and esoteric as ancient Sumerian cuneiform tablets. (Coover, 1999)

17. The molting process, the fact of gaining a new identity with each new skin, is cleverly duplicated in the video (from 7:32 to 7:47), with the juxtaposed “I”s being given by different voices/tattoos: “I peel I, and find another I, flayed but not bare. I molt, I molt, I, I, I.”.

La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. La Peaulogie, 4 | 2020 166 The SKIN project by Shelley Jackson: the tattooed text as a “mortal work of art”

One can understand Coover’s fears of having words become purely iconic and monosemic in the contemporary, internet‑based system of representation: for example some participants chose to stage one meaning of their word in their video, thus countering Jackson’s attempt at not linking signifier and signified in her project (“wrapped”, “sleeves” or “water”[18]). However, a lot of participants actually played with polysemy, or with the potential of video‑making, opening further the potentialities of the original text by uploading videos that are longer than what Jackson needed for her piece. A significant number of participants say their name, sometimes where they are from, and give their word. Some show the inside of their homes, their children, their garden; they play music in the background. In a way they re‑semiotize the word by placing it in a context that has nothing to do with a book‑form, and remind the spectator of the life beyond the word, the pulsating veins beneath the tattooed word. Many participants stage the revelation of their word, by pulling their hair up (“dead”), or removing clothes (“you”), sometimes fairly sensually (“memorious”). Some play on intonation (“No.”, or “anyway”, one of the most creative videos). These examples show the potential for polysemy contained in intonation, but visual repetition is also to be found in the many mirrors and reflections that are shown on these videos (“want”, or “settlers”). Some participants play with the self‑reflexive potential of the project, by placing themselves in front of bookshelves, like Jackson herself in the title image.

These videos illustrate how some participants completely identify/merge with their tattooed words. In that regard, the SKIN project is a tour de force, for it brings the idea of transmediality to a further level, in which it is not only a transfer from one medium to another, but from one ontological status to another. Many participants, instead of saying “my word is …”, say “I am …”[19]. These some 200 videos illustrate the first stage in the potential for stories that the SKIN project entailed, as Jackson explained:

‘Skin’ is ceaselessly remixing itself as its words wander around the world, and in a sense my original story is only one of countless stories that it tells. (…) The video I’ve put together is one way of gesturing toward that, but it would also be interesting to open up a space for other people to assemble their own stories out of the same material. (Kellogg, 2011) TheLA Times, which interviewed Jackson about the “2.0” version of her story, even started the thread, for they posted videos on their own webpage which, once assembled, form the sentence: “Remember? The vivacious words are on skin not dead paper” (Kellogg, 2011). The future will tell us whether other

18. https://www.youtube.com/watch?v=L2Bl7Qehy_g 19. For example: “I am the” http://www.youtube.com/watch?v=WxPH0Ugk0Sc (Accessed on January, 23 2020)

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people join in the project and explore some of the infinite possibilities of assembling Shelley Jackson’s video tattooed words into other texts.

CONCLUSION Even though today it would be impossible to gather all the words of the ‘Skin’ story in one place, it is actually not very significant, for “it is a work about process, after all” (Ulin, 2005). In her project, Jackson said she was “just interested in exploring the range of what a text can do”, claiming her fascination for “alternative publications”, because not that many authors have attempted alternative ways of publishing, and “publishers are not interested in conceptual art” (Franklin, 2004). And indeed it is a museum, the Berkeley Museum of Art, which commissioned her to put together the ‘Skin’ video.

Publishers are not interested in conceptual art mostly because they target a reading public, and works such as the SKIN project flaunt the very possibility of reading. In fact, the “interrupt[ion of ] the continuity of text as both matter and sense” that Arnaud Regnauld (2009, 81) analyzed in Patchwork Girl through the function of the hypertextual link, reaches yet another level with the SKIN project, as the fragmented matter of the text cannot be gathered physically nor virtually, and therefore its sense cannot be accessed. However, with the “Skin” story and its words tattooed onto the skins of its only readers, Jackson provokes the ultimate physical contact between author and reader, without the mediation of an interface, such as the print technology. And by staging the unreadability of both the original “Skin” short story and its video sub‑story, she displays her experiment in dermography as a reminder of the material aspects of printing and circulating texts, and somehow replaces her lector in fabula by lectores in carne while trampling upon the immortality of art.

With her text both elusive and very physical, her project doomed to death and endlessly forking in all the directions the Internet permits, Shelley Jackson foregrounds the hybrid nature of tattoo art, which is both writing and drawing, both meant to be read and to be seen, both meant to be shown and generate stories, and hidden and shrouded in silence.

TheSKIN project finally offers another form of reversal, when compared with literary texts in which tattoos play a key thematic role[20], or when replaced within the literary tradition of semiotized bodies[21] recalling how writing and

20. For instance, Tanizaki Jun’ichiro’s “The Tattooer” (1910) or Stieg Larsson’s Girl with a Dragon Tattoo (2005). 21. The paradigmatic literary text would be Hawthorne’s 1843 short story entitled “The Birth‑Mark”.

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reading are a fundamentally corporeal experience; indeed SKIN transfers the thematic, metatextual or symbolic aspects of the tattoo onto the writing act itself, and offers a defamiliarizing literalization of thetopos of the body as text.

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La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. La Peaulogie, 4 | 2020

TATOUAGES ET NUDITÉS DANS STILLS IV ET V DE KRIS VERDONCK 171

TATOUAGES ET NUDITÉS DANS STILLS IV ET V DE KRIS VERDONCK

DÉNUDAGE ET RÉ-ÉCRITURE DE LA CONDITION HUMAINE

Amandine MERCIER Référence électronique

Mercier A., (2020), « Tatouages et nudités dans Stills IV et V de Kris Verdonck. Dénudage et ré‑écriture de la Premierscondition Pas humaine. », La Peaulogie 4, mis en ligne le 5 mai 2020, [En ligne] URL : http://lapeaulogie.fr/tatouagesLa Peaulogie, 2 | 2018- et-nudites 172 Tatouages et nudités dans Stills IV et V de Kris Verdonck

RÉSUMÉ De 2006 à 2015, Kris Verdonck propose des installations intitulées STILLS et prenant la forme de projections-vidéos-mapping dans le milieu urbain et sur les façades de différents bâtiments d’Europe. Dans STILLS IV et V, un homme et une femme nus, dont les corps sont intégralement tatoués, sont ainsi mis en scène dans le domaine public et exposent leur intimité. Comme les corps auxquels ils appartiennent, les tatouages sont projetés sur les murs. Ils deviennent ou se confondent avec les graffitis déjà présents et deviennent les livres ouverts de la ville exposant dessins et écritures des corps et du peuple, de son identité et de celle de chacun le constituant. Le paysage urbain s’unit avec le paysage cutané. L’écriture et le langage deviennent doublement corporels. La nudité et le tatouage participent ainsi au déshabillage et dépouillement des strates constitutives de notre système socio-politique, puis identitaire, et les met à nu pour pouvoir s’en saisir librement et totalement. Il s’agit dans cette contribution d’explorer le nu et le tatouage comme des outils d’expression, de dénonciation, d’engagement et de résistance.

MOTS CLEFS

Tatouage, street art, graffiti, piercing, mapping

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ABSTRACT From 2006 to 2015, Kris Verdonck worked on installations entilted STILLS, in the shape of video projection - visual mapping in urban surroundings and on various European buildings. In STILLS IV and V, a naked man and woman, whose bodies are entirely covered in tattoos, are thus staged publicly, displaying their intimacy. The tattoos, just like the bodies they belong to, are projected onto walls. They become part of the already existing graffiti or merge with them, as if they were the city’s open books displaying the drawings and writings of bodies and people, of both its identity and that of each individual’s. Urban landscape merges with skin landscape. Writing and language become twice corporeal. Nudity and tattoo contribute to the stripping and exposure of our system’s constitutve layers, laying them bare so that onlookers fully engage with them without restrictions. This contribution aims at exploring nudity and tattoo as modes or tools of expression, of denunciation, of commitment, and of resistance.

KEYWORDS

Tattoo, street art, graffiti, piercing, visual mapping

La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. La Peaulogie, 4 | 2020 174 Tatouages et nudités dans Stills IV et V de Kris Verdonck

Le metteur‑en‑scène, scénographe et plasticien flamand Kris Verdonck place ses recherches, entre l’homme et la machine, entre le vivant et la matière morte. Ainsi, ses créations oscillent entre les arts plastiques et le théâtre, l’installation et la performance, l’architecture et la danse, le numérique et la robotique et font surgir l’humain là où on ne l’attend pas. Bien que ses œuvres mettent régulièrement en scène des corps robotiques ou numériques, ces derniers possèdent une véritable force expressionniste, puisque perçus comme autant d’identités d’emprunt. Ils semblent s’envelopper d’une peau et devenir des êtres de chair. La pratique de cet artiste est telle que chaque robot ou être numérique devient le prolongement de l’humain et le révèle par son absence. En se contorsionnant et en procédant tantôt à un dédoublement, tantôt à une démultiplication, tantôt à une dislocation, les corps en scène convoquent une autre relation de l’humain et de ses avatars. La pensée et pratique artistiques de Kris Verdonck se déploient donc dans la nécessité de rompre avec ce qui a été et de sortir l’humain de l’état d’asthénie, c’est-à-dire de l’état d’épuisement et d’affaiblissement dans lequel son propre système de représentations identitaires le plonge. C’est pourquoi, chacune de ses créations répond à une inventivité permanente et s’inscrit dans un renouvellement constant du langage et du corps.

Par ailleurs, la volonté de cet artiste est aussi de faire naître les corps et de les exposer au plus grand nombre d’yeux, y compris ceux des personnes qui d’ordinaire n’y sont pas confrontés. C’est ainsi que, par des installations urbaines et mapping sur les murs des villes, il crée un espace d’expériences artistiques au cœur d’espaces publics, initialement non destinés au spectacle vivant. De fait, il transgresse les codes et les frontières de la scène théâtrale fermée, établit une relation particulière avec les spectateurs, réinvente une communauté de spectateurs et re‑pose la question du « sensible ». À ce titre, de 2010 à 2017, il propose le mapping MOUSE, dans lequel une souris est prise au piège dans une souricière puis meurt écrasée par le mécanisme, et le diffuse de manière monumentale sur les murs de plusieurs villes d’Allemagne, d’Autriche, de Belgique et des Pays-Bas. Les spectateurs se rassemblent alors dans leur impuissance d’agir face à la mort à laquelle ils sont confrontés. De 2010 à 2012, des images gigantesques de métamorphose de nymphe en coléoptère sont projetées sur les murs des centres-villes de Bruxelles, Essen, Gand et Rotterdam. Les passants qui y posent leur regard s’engagent donc ensemble dans cette lutte pour sa survie, car deux sur dix de ces insectes meurent d’épuisement pendant cette transformation.

C’est dans cette perspective multiple que de 2006 à 2015, Kris Verdonck propose des installations intitulées STILLS et prenant la forme de projections‑vidéos‑mapping dans le milieu urbain et sur les façades de différents bâtiments d’Europe.

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Des corps nus sont ainsi projetés sur les architectures, selon des dimensions de 24 mètres sur 30, puis sur 15, et participent à la création d’une poésie urbaine et corporelle. Le mapping vidéo, nommé vidéo mapping, selon les hispanophones et projection mapping selon les anglophones, se définit par la technique de projeter des images 2D et 3D en mouvement sur des volumes, notamment des objets et bâtiments[1]. Il s’agit d’un art vivant visant à transformer un objet réel par le biais du virtuel. En lien avec l’architecture et en pensant le son, l’échelle et la conception, projection et réception de l’image. Cette pratique engendre une modification de l’environnement et du regard qu’on lui porte. D’ordinaire, la trame narrative choisie et l’aspect spectaculaire permettent également d’interroger autrement l’espace et en créent une esthétique différente. De même, habituellement, les mapping vidéo imposent aux images d’épouser le support pour le faire refléter différemment. Kris Verdonck lui se montre attentif à un autre versant de cette pratique. Par une stratégie de mise en relief dramaturgique et le recours à la nudité et aux corps tatoués, les images que Kris Verdonck propose apparaissent comme une sorte de contre‑point aux images plates de la société qui ahurissent par excès et manipulation, et empêchent la prise de recul, le sens critique et le « voir ensemble ». C’est‑à‑dire que Kris Verdonck brise les « images à caractère fusionnel visant et provoquant un assujettissement » comme le définit Marie‑José Mondzain, et se manifestant par la « privation de liberté par une visibilité programmatique d’images au message univoque, de l’Église jusqu’à la publicité » (Alcalde, 2003, 100).

En 2015, il crée pour l’Onassis Cultural Centre, deux nouveaux STILLS, les IV et V, qui accompagneront les I et II[2], pour être projetés sur la façade d’un bâtiment privé près de la place Klafthmonos d’Athènes, place qui est aussi nommée « la place des Lamentations », puisque les fonctionnaires grecs du 19ème s. s’y rassemblaient une fois licenciés après chaque élection.

Ces nouvelles séries de mapping soulignent le caractère politique de la démarche, tant par le choix des corps mis en scène, qui sont nus et tatoués,

1. En 1969, Disneyland réalise les premières projections publiques sur des objets 3D. Dans le cadre de l’ouverture de la Maison Hantée, il projette des visages animés sur des masques afin de donner vie à ces têtes sans corps. En 1980, l’artiste d’installation Michael Naimark filme un salon dans lequel des personnes manipulent et interagissent avec des objets puis il les projette dans un espace vide. Dès lors, les projections mapping sont essentiellement urbaines et fixes et viseront à favoriser le patrimoine architectural. À partir de la fin des années 1990, le concept de mapping vidéo sera questionné par les chercheurs universitaires, en particulier d’abord à l’Université de Caroline du Nord. Depuis, la technique de mapping est reconnue comme un nouveau médium marketing, de progrès technologique, mais aussi culturel et artistique. 2. À ce sujet, nous renvoyons notamment à l’article de Marianne Van Kerkhoven « Kris Verdonck, Still I & III, Performance–Bruxelles », 2007. Peut être consulté ici : https://www. kfda.be/fr/programme/still‑i--iii-2

La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. La Peaulogie, 4 | 2020 STILL IV & V (Athènes) ©Stavros Petropoulos Tatouages et nudités dans Stills IV et V de Kris Verdonck 177

par celui du lieu où ils sont mis en scène, c’est‑à‑dire dans l’espace public, près d’une place chargée d’histoire, mais aussi par la réception de ces œuvres. Étymologiquement entendue, la dimension politique tient au fait que Kris Verdonck parvient, par ses œuvres, à créer une communauté de citoyens libres et autonomes se rassemblant au cœur de la cité. Le citoyen-passant devient spectateur et membre d’un public composite. Ce dernier est alors perçu comme un agglomérat d’individus se réunissant autour de l’agora, c’est-à-dire un espace ouvert et public, utilisé comme lieu de réunion et de rassemblement, pour les activités ici culturelles, sociales et politiques. Par analyse dramaturgique et politique de la démarche de l’artiste, de la création, des images‑corps et de la place accordée au regard, il s’agit dans cette contribution d’explorer le nu et le tatouage comme des outils d’expression, d’engagement et de résistance, et de mettre en lumière le hacking de l’espace public par le graffiti et la projection numérique et muraliste de corps tatoués.

Tout d’abord, comme l’indique le titre choisi pour ces installations et sa traduction à caractère polysémique, still signifiant « immobile » et « silencieux » en tant qu’adjectif et, adverbialement « encore », « toujours » et « néanmoins », les protagonistes de ces mapping sont dans la répétition, la persistance et la résistance contre les représentations identitaires et sociales, mais aussi contre leur propre corps. Leurs corps deviennent objets de survivance et résistance et potentiels outils de fuite de leur condition. Les dimensions de la projection, l’insertion dans l’architecture et leurs mouvements déforment leur corps, qui se recroqueville, pousse, s’écrase, s’étire, rampe, s’adosse, glisse, tombe, convulse, etc. mais toujours respire. Au dernier abandon du corps, la projection s’arrête puis recommence. Le caractère répétitif est donc double puisque à la fois repérable dans les gestes des personnages et par le dispositif de projection lui‑même. En découle aussi une dynamique cyclique du procédé et de la condition humaine.

À la différence des derniers corps projetés dans les STILLS I, II et III, ces deux nouvelles séries, STILLS IV et V, mettent en scène une jeune femme et un jeune homme nus, tatoués et percés, évoluant dans un espace distinct mais proche puisque projetés sur la même façade. Or, nous verrons que progressivement le corps des protagonistes projetés va se fondre puis se confondre avec celui du support de la projection. Tandis que les tatouages des corps projetés tapisseront les murs, les graffitis qui étaient jusqu’alors comparables aux tatouages de la ville, vont devenir les tatouages des corps des protagonistes, des corps des humains et de la société. Murs et corps, graffitis et tatouages ne font plus qu’un.

La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. La Peaulogie, 4 | 2020 Screenshot de STILL IV & V (Athènes) ©A Two Dogs Company Tatouages et nudités dans Stills IV et V de Kris Verdonck 179

D’abord, la nudité des corps projetés n’est en réalité que partielle, puisque les corps sont « habillés » de tatouages, dessinés et littéraires[3]. De même, la surface de projection n’est pas non plus nue car taguée et graphée de tout son long en partie basse. Aussi, une écriture s’appose sur une autre. De plus, les tatouages des corps sont autant de témoins des éraflures corporelles subies, puisque le corps est piqué pour être tatoué, c’est‑à‑dire que les entailles sont nécessaires pour que l’encre du tatouage soit injectée dans la peau. De la même manière, les murs sont littéralement et étymologiquement éraflés puisque graffés. Pour rappel, « graffiti » est terme italien, dérivé du latin « grafium », qui signifie « éraflure ». Par ailleurs, les corps projetés sont bleus, c’est‑à‑dire, dans le champ lexical du tatouage, qu’ils présentent un nombre important et une diversité de tatouages, tant dans la forme, que dans le fond ou le procédé employé. Ils sont quasiment ce qu’on appelle des bodysuit[4], c’est‑à‑dire tatoués intégralement.D‘une manière comparable, sur ce mur public, devenu spot des graffeurs, tagueurs et writers[5] (les praticiens de l’art du graffiti), sont visibles à la fois des flop[6] (graffs simples sans remplissage), des bombing[7] (graff à l’aérosol), et des lettrages[8] (grandes lettres stylisées, colorées formant ou non des mots), accompagnés ou non d’un personnage et d’un dessin. D’autre part, si on retrouve des cover up[9] sur les corps projetés (recouvrements d’un tatouage), sur le mur, des tags sont toyés (recouvert par un autre tag). De part et d’autre, ces recouvrements sont souvent le signe d’une

3. Le terme littéraire est employé selon son sens étymologique, du latin litteratura, dérivé de littera, signifiant « lettre », au sens de signe graphique dans l’objectif de transcrire une langue. 4. Le syndicat national des artistes tatoueurs donne cette définition du bodysuit : « Tatouage conçu pour recouvrir au moins la moitié supérieure des bras, le torse, le dos et les cuisses. Il peut être étendu à l'ensemble du corps, on parle alors «d’intégral» ». www.snat.info 5. Le graffeur « désigne la personne qui réalise des graffitis ». Le writer est un « terme américain désignant les graffeurs et ceux qui pratiquent l'art du graffiti. On peut le distinguer des tagueurs et graffeurs car il englobe les deux termes ». Dictionnaire : Vocabulaire du graffiti et lexique du street art, Slave 2.0, 25/01/2019 : https://www.slave2point0.com/2019/01/25/ dictionnaire-vocabulaire-du-graffiti-et-lexique-du-street-art/?fbclid=IwAR0Sf99G1cpin- q5iThZnyJ4woGa-OvMWA3VpPtWtUNIjmpoJuYrF09AzwA#B 6. Le flop est un « graffiti tracé juste avec les contours et le plus souvent avec des formes simples et arrondies. Le flop est utilisé quand on manque de temps pour faire son graff. Il est caractéristique de la branche vandale du graff ». Cf. Dictionnaire : Vocabulaire du graffiti et lexique du street art, Slave 2.0. 7. Le bombing est l’acte de « pratiquer le graffiti avec une bombe de peinture ». Cf. Dictionnaire : Vocabulaire du graffiti et lexique du street art, Slave 2.0. 8. Le lettrage est un « enchaînement de lettres, de grandes tailles et épaisses avec un style défini. La calligraphie est parfois complexe et rend la lecture difficile. C’est d’ailleurs à travers la question de la lisibilité que les écoles oldschool et wildstyle se sont « fondées » dans les années 80. On peut parfois voir apparaître un personnage (ou character) dans le lettrage pour remplacer la lettre I par exemple ». Cf. Dictionnaire : Vocabulaire du graffiti et lexique du street art, Slave 2.0. 9. Cf. lexique de Devilish Tattoo, Propriété De FL Distribution, https://devilish-tattoo.fr

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volonté de cacher ce qui a été réalisé antérieurement soit parce qu’ils ont été exécutés par un scratcheur[10] (mauvais tatoueur qui a travaillé « à l’arrache ») ou un toy[11] (mauvais graffeur ou un débutant), soit par provocation, déni ou négation du passé. En outre, il semblerait que des flashs[12] (tatouages dont les motifs sont prêts avant la demande) et one shoot[13] (tatouages tracés en une seule fois et sans reprise du trait) aient été réalisés sur les corps projetés, bien qu’ils soient minoritaires. Au contraire, sur le mur, des vandals[14] (graffitis peints rapidement dans un endroit non autorisé) ou encore des punitions[15] (tagués de manière répétitive dans un même endroit) prennent le dessus sur des réalisations plus fines. Or, les lieux urbains choisis pour les mappings STILLS IV et V sont précisément des endroits où l’expression par les tags est interdite.

Qu’il s’agisse de tatouages ou de graffitis, ils sont à penser comme une expérience artistique et humaine, une volonté de laisser une trace et/ou un signe de reconnaissance d’un individu, d’un groupe, d’une idée ou d’une valeur. Ils se fondent, se confondent et ensemble fondent une histoire dans leur rapport avec la marginalité ou l’intégration sociale.

Concernant maintenant le caractère « littéraire » de ces lettrages, sur les corps projetés, ils sont à peine lisibles. D’une calligraphie poussée, il est difficile d’en décrypter le sens, comme si ces lettrages corporels n’appartenaient qu’aux

10. Cf. lexique de Devilish Tattoo, Propriété De FL Distribution, https://devilish-tattoo.fr 11. L’action de toyer se définit par le fait de « repasser le graff d’un autre par vengeance ou parce qu’on ne trouve pas de meilleur spot. Le «code» des taggeurs, bien qu’implicite, pose des règles comme le fait de ne jamais «toyer» un lettrage complexe par un simple tag ou encore ne pas repasser un graffeur expérimenter et ayant une certaine notoriété. On utilise parfois le mot «toy» pour désigner les noobs, les newbies, les débutants ». Dictionnaire : Vocabulaire du graffiti et lexique du street art. 12. D’après le syndicat national des artistes tatoueurs, « historiquement, une planche de flashs est un feuillet proposant plusieurs petits motifs, généralement autour d’un thème particulier, destinés à être choisis et tatoués directement. Différents tatoueurs pouvaient alors mettre à disposition de leurs clients les mêmes planches, non issues de leur propre création : Les motifs étaient donc reproduits parfois à l’infini. Désormais, les tatoueurs sont de plus en plus nombreux à créer leurs propres flashs, de taille variable mais suffisamment petite pour pouvoir être tatoués en une seule séance ». www.snat.info 13. Cf. lexique de Devilish Tattoo. 14. Le vandal est un « graff totalement illégal peint le plus souvent de manière répétée (tags) dans un endroit sans autorisation. Le plus souvent dans les métros, les RER et toutes surfaces urbaines à hauteur de bras. Le vandal est de moins en moins présent dans nos villes notamment à cause des peines considérables encourues en cas de flagrant délit ». Dictionnaire : Vocabulaire du graffiti et lexique du street art. 15. Punition se définit par l’« action de poser un graffiti en permanence malgré les nettoyages répétés par exemple. Punir un mur signifie le peindre tout le temps et le repasser à chaque fois ». Dictionnaire : Vocabulaire du graffiti et lexique du street art.

La Peaulogie, 4 | 2020 La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires. Tatouages et nudités dans Stills IV et V de Kris Verdonck 181 propriétaires des corps et donc tatouages. Néanmoins, les lettrages sur la paroi de projections sont eux bien lisibles et compréhensibles. De véritables tags, c’est‑à‑dire des « étiquettes », des pseudonymes calligraphiés, côtoient des mots anglais comme « past » (passé), « enemy » (ennemi), « won » (avoir gagné), « char » (carboniser), « Fuck all », etc., comme autant de provocations, revendications ou plaintes émises par le peuple writers à l’État, aux passants, à Autrui. Ainsi, cette médiation écrite est reprise pour devenir « média ». La littérature est à la fois dans la peau et dans les murs. Elle est ici à saisir selon son sens étymologique de « lettre » apparente d’une part, mais aussi dans sa caractéristique réceptive puisque proposant une double lecture, en tant qu’action de lire et celle d’interpréter.

En effet, ne pas choisir d’effacer ces lettrages avant le mapping, c’est d’abord pour Kris Verdonck être en accord avec ces interpellations et réclamations. De plus, décider de mettre en scène des corps nus et tatoués sur ces lettrages, c’est accepter qu’ils se lisent désormais communément. Au regard, les graffitis s’imprègnent dans la peau des corps des protagonistes projetés et en deviennent de nouveaux tatouages littéraires. Ainsi, les tatouages projetés sur les murs se confondent avec les graffitis et, ensemble, deviennent les livres ouverts de la ville exposant dessins et écritures des corps et du peuple, de son identité et de celle de chacun le constituant. Le paysage urbain s’unit avec le paysage cutané. Les murs deviennent peau et réciproquement. L’écriture et le langage deviennent doublement corporels. Comme l’examine le chercheur brésilien Eni Puccinelli Orlandi, les manifestations langagières, comme les graffitis, les tags, les tatouages, les piercings, etc., deviennent des récits urbains. Elles « trouvent leurs sens, ainsi que les paroles désorganisées, dans des conditions de production du langage propres à notre société actuelle : les nouvelles technologies du langage, la publicité, les médias, l’excès du langage lourdement omniprésents dans l’espace public » (Orlandi, 2001, 107). Une « indistinction entre le corps du sujet et le corps de la ville » s’opère et la ville devient un « espace politico‑symbolique » (Orlandi, 2001, 119).

Les lettrages, tatoués ou graphés, soulignent ainsi la fragilité de l’être humain dans son rapport au monde et sa relation d’avec soi et témoignent de la précarité de leur situation. L’exposition de ces corps gigantesques nus et doublement tatoués devient dès lors un acte politique duquel transpire une dimension subversive radicale tant la petitesse et la fragilité humaine est grande. Il s’agit, par la littérature, cutanée ou architecturale, de sortir du système de survival of the fittest, c’est‑à‑dire du concept même de compétition pour garantir sa survie ou assurer son pouvoir et sa dominance sur l’autre.

En outre, l’intériorité de l’être s’exprime par la concentration permanente de son extériorité comme c’est ici le cas. David Le Breton, sociologue et

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anthropologue français, dans son article « La peau entre signature et biffure : du tatouage et du piercing aux scarifications » écrit : « Exister, c’est aujourd’hui être reconnu, ou plutôt recevoir l’onction du regard des autres. Le salut est d’être remarqué, c’est‑à‑dire marqué et démarqué. La peau devient l’écran proposé à l’appréciation des autres » (Le Breton, 2011, 85). Le défi est aussi de parvenir à se placer hors de soi pour enfin exister par soi et devenir soi. Le corps est de trop et ne représente dès lors qu'une simple enveloppe charnelle qu'il faudrait écorcher, dépouiller pour que celui‑ci soit libéré. La peau en tant que prison d'identité, et ne pouvant être enlevée, doit être modifiée pour que dépassement et franchissement de cette paroi de chair s'opèrent. Il en est de même pour les murs.

La recherche de transcendance comme échappatoire, c’est-à-dire de dépassement ou de franchissement, au-delà du perceptible et des possibilités de l’intelligible, se manifeste par le corps et sa transformation en une autre forme choisie le dépassant. La métamorphose du corps s’apparente alors à le marquer, le signer, le biffer par le tatouage ou le piercing par exemple et pour que délivrance se fasse. Le tatouage apparait pour beaucoup comme un moyen de se réapproprier son corps en se libérant de celui reçu à la naissance et en rompant avec l’image qu’il véhiculait jusqu’alors. Il s’agit de se singulariser, d’afficher son identité propre et investie ou de marquer son appartenance. L’encre utilisée pour le tatouage et la peinture d’aérosol pour les graffitis, deviennent ainsi un moyen d’ancrage d’une inaliénabilité pour l’une et d’impermanence pour la seconde, mais toujours d’une mémoire ou d’un remaniement du corps. Soit nous sommes dans son appartenance à soi et le tatouage ou le tag est comparable à une signature ou une marque, soit nous sommes dans son arrachage à soi et donc dans son attaque et le tatouage ou le tag devient biffure. Dans les deux cas, il résulte d’un changement de peau pour mieux s’y sentir. Ainsi, David Le Breton écrit aussi dans son ouvrage L’Adieu au corps : « [L’homme] récuse dès lors que [le corps] soit sa racine identitaire, son « destin », il entend le prendre en main comme un accessoire pour lui donner une marque qui n’appartienne qu’à lui » (Le Breton, 1999, 82), par exemple par l’ajout d’« un bijou cutané » (Le Breton, 2016, 132), c’est‑à‑dire d’un tatouage. De même, Bernard Andrieu précise :

Être un corps naturel est désormais insuffisant pour être humain. L’identité singulière du corps reçu par la nature fournit dans sa matière des possibilités de normativité nouvelle. Devenir soi‑même exige plus qu’une simple transformation du corps naturel. La manière d’être ne traduit qu’un contrôle de l’apparence corporelle, tandis que la matière d’être résoudrait l’opposition entre objet‑sujet en matérialisant la forme choisie par le sujet pour se définir. Le corps humain n’est pas seulement biologique car il produit dans la culture des normes adaptées au vécu de son vivant. (Andrieu, 2004, 342)

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Le tatouage et le tag témoignent ainsi, de la volonté pour le tatouage‑encre, et de l’obligation pour le tatouage‑tag, de celui qui les porte, de rompre avec son corps d’origine, pour en bricoler un autre qui sera sien et dont il sera le créateur. Il s’agit aussi de briser le lien qui unit le corps à ses premiers créateurs, c’est‑à‑dire de couper le cordon d’avec les parents qu’ils l’ont conçu et mis au monde mais aussi, par les tags, de rompre avec le modèle imposé par la société. Le corps, doublement tatoué, éradique une filiation, s’arrache ainsi du lien d’appartenance ou de propriété des géniteurs et de la société et affiche son identité propre, individualisée des figures parentales et sociétales, indépendante et autonome. Le corps doublement tatoué devient corps travaillé, corps sculpté, corps construit de ses propres expériences personnelles et témoin d’événements extérieurs. Le corps témoigne dès lors d’une proclamation personnelle et collective qui se revendique sur et par la peau et se manifeste, dans le cas des doubles tatouages par exemple, dans l’image, l’esquisse ou l’écriture. La parole se fait forme et le langage corporel. Le double tatouage n’est ici ni caché ni dévoilé mais exhibé. Il se montre et démontre, et le corps qui le porte affirme son caractère politique.

La littérature dans la peau apparait donc comme une ruse, puisque relative à des caractéristiques politiques, d’intimité et d’extimité[16], s’exprimant corporellement par la peau de l’être et revendiquant son identité à la fois personnelle et partagée donc individuelle et commune. Les lettrages qui s’apposent au corps, frappent la rétine, nous replacent face au réel et permettent le questionnement sur notre propre corps et son statut dans la société. Emma Viguier, Maître de conférences en Arts plastiques et Théories de l’art, rappelle que :

Se tatouer c’est s’opposer à la souffrance, c’est contrer l’offense faite à l’individu, les différentes menaces qui le guettent, les situations qui l’asservissent ; c’est reprendre l’initiative, le contrôle ; c’est devenir acteur et non plus victime en imprimant Sa loi sur Son propre corps ; c’est se « ré‑ancrer » pour sauver sa peau. Refaire présence et refaire surface : le tatouage est un moyen de reprendre possession de soi‑même, de sa liberté, de son existence par la création d’une peau‑arme‑armure. (Viguier, 2010, 6)

16. Nous empruntons cette notion à Jacques Lacan d’une part qui, dans son séminaire, explique qu’« il est ici une place que nous pouvons désigner du terme d’extime, conjoignant l’intime à la radicale extériorité. C’est à savoir que c’est en tant que l’objet a est extime, et purement dans le rapport instauré de l’institution du sujet comme effet de signifiant. » (Lacan, 2006, 249) D’autre part, Serge Tisseron appelle extimité, « le mouvement qui pousse chacun à mettre en avant une partie de sa vie intime, autant physique que psychique… Elle consiste dans le désir de communiquer à propos de son monde intérieur. » (Tisseron, 2001, 52)

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Le double tatouage participe ainsi au déshabillage et dépouillement des strates constitutives de notre système et les met à nu pour pourvoir s’en saisir librement et totalement. La question du regard est donc centrale dans cette œuvre. Un bouleversement s’opère par sa réception et déstabilise par les réflexions et la remise en cause de soi et de l’Autre qu’elle provoque. Les enjeux ici soulevés de la réception de l’œuvre expliquent certainement pourquoi l’installation de STILLS IV et V n’a malheureusement duré que quelques jours et a dû être retirée suite à des plaintes déposées[17]. Si la censure exercée nous semble regrettable, elle est en tout cas révélatrice de l’impact et des résonances que cette œuvre peut susciter, des questionnements qu’elle éclaire et de la dimension politique qu’elle véhicule. Alors que la nudité et le tatouage sur les écrans, dans les publicités et les médias, etc. sont acceptées voire légitimés et répondent aujourd’hui à un effet de mode, l’exposition de ceux‑ci dans l’Art pose encore problème. Or, il nous semble que si sa réception est encore si complexe, c’est parce que justement, sa mise en scène et le dispositif dans laquelle les corps s’intègrent, n’est en rien comparable à ceux exploités sur les écrans et dans les rues habituellement. Par les lettrages, il ne s’agit plus de faire du corps nu et tatoué un objet de vente et de vision, mais un objet de réflexion et de regard. Il ne nous renvoie pas à un produit de vente ou de désir mais à nous‑même. Il n’est pas considéré comme allant de soi mais pose questions. Ainsi pensé, mis en scène, reçu et littéralement lu, ce corps permet de renouer avec l’origine première de la publicité, c’est‑à‑dire, de l’« état de ce qui est public » et questionne profondément cet état et ses modalités de représentations et réception. La littérature dans la peau devient outil d’expression, de dénonciation, d’engagement et de résistance, sans que le corps ne soit pour autant support d’une production discursive[18].

Pour conclure, ces corps nous renvoient aux nôtres en tant qu’objet de soumission et de conditionnement et participent au dénudage de notre propre condition humaine, par la littérature qu’ils exhibent et la lecture que

17. À ce sujet, nous renvoyons notamment aux articles suivants : • http://www.7sur7.be/7s7/fr/1531/Culture/article/detail/2342109/2015/05/29/Un-artiste- belge-censure-a-Athenes.dhtml • http://www.demorgen.be/tvmedia/videokunstwerk-van-kris-verdonck-gecensureerd-in- athene-a2342326 • http://www.thetoc.gr/politismos/article/klauthmwnos-apokathilwthike-ergo-tis-stegis- epeidi-enoxlise-papa • http://www.kathimerini.gr/817351/article/politismos/polh/h-anoxh-kai-h-ypomonh- enanti-toy-alloy • http://www.kathimerini.gr/817393/opinion/epikairothta/politikh/sth-skia-twn-gigantwn 18. Cf. l’article de Paveau Marie‑Anne, (2009). « Une énonciation sans communication : les tatouages scripturaux », Itinéraires, 81‑105.

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nous en faisons. Ainsi, ces urbanprojections et street art bouleversent les codes, renversent les icônes du pouvoir et apparaissent comme des revendications d’une incivilité salutaire.

Par ailleurs, dans les œuvres STILLS, Kris Verdonck propose une variation trans‑dimensionnelle du néo‑muralisme, « mouvement international de peintures monumentales transformant les façades d’immeubles en œuvres d’art » (Thomas, 2018, 5), défini par le beat‑maker, monteur, réalisateur et ancien tagueur Jérôme Thomas. Les corps projetés remplacent les peintures monumentales et les animent. Aussi, si dans son livre‑film Sky’s the limit, les peintres de l’extrême, Jérôme Thomas précise que le néo‑muralisme est aujourd’hui dépolitisé voire aseptisé en France, le déploiement de ce mouvement chez Kris Verdonck renoue avec ces enjeux politiques et hacke l’espace public. Ces urbanprojections favorisent alors la requalification de quartiers, voire de villes, en espaces publics d’expressions populaires, artistiques et communautaires, et redonnent toute la puissance politique de la cité et des corps qui y font intrusion.

Humains, vivants et projetés, ces corps entrent par effraction dans l’espace public et le piratent en en cassant les codes. Dès lors, ils deviennent corps‑cracks, puisqu’ils relèvent d’un défi technique, artistique et politique, s’offrent au regard du plus grand nombre de spectateurs et les bousculent, détectent puis révèlent les failles d’un système pré‑établi. Ainsi, ces corps‑cracks nous confrontent au réel, invitent au fantasme de corps ordinaires et à la projection de ce qu’ils pourraient être et faire, dès lors que le système est contourné.

BIBLIOGRAPHIE

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La Peaulogie, 4 | 2020 La littérature dans la peau : tatouages et imaginaires.

Comptes rendus

L’image de l’homme à la peau foncée dans le monde romain antique. 191

Syna Diatta M., (2017), L’image de l’homme à la peau foncée dans le monde romain antique : constitution, traduction et étude d’un corpus de textes latins, Thèse de doctorat sous la direction de Jean-Yves Guillaumin et Claude Brunet, soutenue le 14.12.2017., 404 pages, Besançon, décembre. Repéré à : http://indexation.univ-fcomte.fr/nuxeo/site/ esupversions/d3c9b7ef-ba5c-4971-bce7-679beff80317

L’IMAGE DE L’HOMME À LA PEAU FONCÉE DANS LE MONDE ROMAIN ANTIQUE

CONSTITUTION, TRADUCTION ET ÉTUDE D’UN CORPUS DE TEXTES LATINS

Bertrand LANÇON Référence électronique

Lançon B., (2020), « L’image de l’homme à la peau foncée dans le monde romain antique. », La Peaulogie 4, mis en Comptesligne le 5 mai rendus 2020, [En ligne] URL : http://lapeaulogie.fr/peau-foncee-monde-romainLa-antique Peaulogie, 4 | 2020 192 L’image de l’homme à la peau foncée dans le monde romain antique.

L’image de l’homme à la peau foncée dans le monde romain antique

Micahel Syna Diatta Thèse de doctorat | Besançon

Micahel Syna Diatta a présenté le 14 décembre 2017 devant l’Université de Bourgogne Franche‑Comté (Besançon), une thèse de doctorat de Langues et Littératures anciennes intitulée : L’image de l’homme à la peau foncée dans le monde romain antique : constitution, traduction et étude d’un corpus de textes latins, préparée sous la direction de Jean‑Yves Guillaumin et de Claude Brunet. Celle‑ci se compose de 404 pages réparties en deux volumes. Le premier, riche de 302 pages, constitue le texte même de la thèse. Il est ordonné selon un plan clair et cohérent en trois parties. La première s’attache à une étude lexicologique et sémantique particulièrement pertinente des termes latins désignant la couleur noire dans les textes (ater, niger, fuscus, adustus, exustus et aethiops), cela jusqu’au Vème siècle de notre ère. La deuxième est focalisée sur les Aethiopes, nom générique donné aux noirs dans la société romaine et étudie les rôles dans lesquels les textes les présentent (vie économique, militaire, sportive, religieuse, politique, sans oublier la mythologie). La troisième partie, enfin, est consacrée aux perceptions négatives des Romains envers les Aethiopes, principalement sous l’angle de la sexualité et du métissage ; elle se conclut par un chapitre sur leur perception dans les textes des auteurs chrétiens et un autre sur les Pygmées. Cette belle thèse s’achève par une bibliographie complète, soignée et présentée selon les usages de la recherche universitaire, qui peut rendre bien des services aux chercheurs qui s’intéressent à ce sujet. Le second volume, qui comporte 102 pages, présente le corpus des sources étudiées ‑ les fameuses pièces justificatives ‑ par ordre alphabétique des auteurs, avec dates, références éditoriales, extraits de textes latins et traductions. Cette riche anthologie est remarquable et sera précieuse pour tout chercheur ultérieur sur ce thème. Je n’y vois qu’un défaut véniel, à supposer qu’il en soit un : les auteurs chrétiens y sont traités à part, à la suite des païens, ce qui me semble procéder d’une dichotomisation quelque peu obsolète.

L’ensemble est d’une présentation particulièrement soignée et claire. L’insertion de documents iconographiques et la disposition en colonnes

La Peaulogie, 4 | 2020 Comptes rendus L’image de l’homme à la peau foncée dans le monde romain antique. 193 des extraits latins et de leur traduction française lui ajoutent un supplément d’intérêt et un surcroît de qualité. Cette thèse est en outre très bien rédigée. Ces qualités, qui rendent la lecture aisée et agréable, ont aussi le mérite de passionner le lecteur par l’intelligence de son exposition documentaire et problématique.

La nuance du titre est une finesse : ce n’est pas l’homme à peau foncée que l’auteur étudie, mais son image, donc sa perception dans la société romaine et les lieux communs que celle‑ci peut y véhiculer.

Le premier défi de cette thèse était de constituer un corpus qui n’existait pas. C’est un gros travail qui a été réalisé là : le second tome en témoigne, avec 270 références qui ont été minutieusement exploitées. Les éloges doivent être accrus du fait que l’auteur ne s’est pas contenté d’établir un simple catalogue. En ce sens, cette thèse de Langues et littératures anciennes possède aussi les dimensions intellectuelles d’une thèse d’histoire et d’anthropologie. Je crois que c’est à juste titre que les références ont été présentées dans l’ordre chronologique alors que l’analyse était conduite de manière thématique. L’exercice n’est pas facile mais il a été accompli de manière convaincante.

Une question se pose d’emblée : noir et foncé sont‑ils des synonymes ou s’agit‑il seulement d’éviter des répétitions ? J’adhère avec ce qu’écrit l’auteur à la suite de Snowden Jr, à savoir que les Grecs et les Romains n’étaient pas racistes, au sens moderne du mot. Le lexique est bien entendu primordial dans cette affaire et la première partie, qui lui est consacrée, est on‑ne‑peut‑plus pertinente. « Race » n’est qu’une traduction extrapolée du grec ethnè et du latin gens ou natio, qui accapare les notions gréco‑romaines à une perception raciale des peuples qui est celle des temps modernes. Tout au plus les auteurs romains considèrent‑ils les peuples comme tributaires des climats chauds ou froids. Ainsi les noirs sont‑ils perçus comme inaptes à la guerre et disposés à la sagesse philosophique – comme les gymnosophistes de l’Inde ‑, tandis que les barbares du nord à peu blanche sont vus comme d’excellents guerriers inaptes à la réflexion.

Le Chapitre 1 porte sur la couleur noire dans le lexique latin. Ater se dit du vin à robe foncée, de la bile noire – atrabilis ‑, qui est la plus funeste des quatre humeurs, celle qui porte à la mélancolie et à l’anxiété, ainsi que du pelage de certains animaux, telle la panthère noire (atra tigris). Pour ce qui est des humains, Vitruve emploie fuscus pour la peau et niger pour les yeux, ce qui est une preuve indubitable de la nuance lexicale entre les deux termes, que confirment des passages d’Ovide et de Martial (p. 29). Les pages sur l’explication de la couleur noire (adustus color) de la peau par les Anciens sont excellentes. Les participes adjectivés que sont adustus ou exustus assimilent le noir au « brûlé ». Les hommes à peau foncée auraient donc la peau brûlée par

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le soleil, ce qui fait de la peau noire un comble de la peau rouge ou rougie. Un intéressant passage de Stace indique qu’aux yeux des Romains, l’Éthiopien n’est pas noirci mais rougi par le soleil (rubentem Aethiopum). Dans l’échelle chromatique, le noir serait donc un rouge extrême, porté à la calcination (p. 68). La remarque de Pline l’Ancien, qui indique que c’est « par pudeur » que les Mesaches enduisent de rouge leur corps noir (p. 19) est éloquente : il s’agissait pour eux de cacher une couleur noire qui serait une dégradation excessive du rouge. Il semble qu’Aethiopus soit devenu un terme générique dans le latin tardif. Sur ce point, l’étude sur les sens d’Aethiops est particulièrement bien conduite (p. 34).

Le Chapitre 2 porte sur les Aethiopes dans la littérature latine (p. 77s). On les trouve comme esclaves de prix, garçons de bain. Ils sont aussi arroseurs de sable dans le cirque, pugilistes, chasseurs et dompteurs (uenatores, domitores. p. 116‑117). Leur marcophallisme fait d’eux une pâte à fantasmes. Le minimus Aethiops est le domitor qui impressionne le plus Sénèque car il est l’homme le plus petit qui dompte le plus gros des animaux (donc, métaphoriquement, le sage le plus accompli). Le Chapitre 3, enfin, s’intéresse aux perceptions négatives des Aethiopes. La question fondamentale est la suivante : l’étranger noir est‑il autre chose qu’un étranger ? Les Romains ont peur du métissage (hybrida est un adjectif péjoratif ); c’est de cette peur‑là dont il s’agit, et non de la répulsion en soi pour la peau noire, qui attire des Romaines dont l’adultère menace les lignages. À l’époque augustéenne, la sexualité se déploie de manière extra‑conjugale tandis que la sexualité dans le mariage est une débauche si elle n’a pas en vue la procréation. De plus, il n’y a pas de noirs dans la haute société des personnes libres. L’auteur rappelle (p. 220) que les Aethiopes appartiennent aux barbares selon Claudien (Gildon, 190‑191). Par ailleurs, l’auteur délivre de bonnes pages sur la décoloration (decolor et discolor).

J’ai été très intéressé par le 3.2, sur les Aethiopes dans les textes d’auteurs chrétiens (plutôt que « textes chrétiens »). La question cruciale est la suivante : l’appartenance au christianisme induit‑elle une perception différente des Aethiopes ? Sachant que l’Aethiopia est, avec l’Arménie, la première terre non‑romaine à avoir été christianisée. Par la conversion, l’Aethiops change de peau comme le juif passe de la circoncision physique à celle du cœur. On est dans la symbolique, non ethniciste, de l’universalisme. Le noir cesse d’être noir par le fait de sa conversion (p. 245). Le mot grec métanoia désigne aussi bien la conversion que la métamorphose. Dans la symbolique augustinienne, la conversion ne dénégrise pas, mais fait de la négritude une beauté, comme chez la reine de Saba, épouse de Salomon.

Lisant cette thèse, je me suis posé la question suivante : les hommes à peau noire se réduisent‑ils aux Aethiopes ? Qu’en est‑il des Nubiens (p. 68 et 145)

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et du passage de Silius Italicus sur le corpus exustus ? Qu’en est‑il des Indiens, mentionnés p. 19 et 23 ? Des habitants de l’India, nous savons que le nom désignait aussi, chez les Romains, à tout le moins au Ve siècle, la corne de l’Afrique et le royaume d’Axoum (p. 57, l’auteur évoque Ovide, qui distinguait Ethiopiens et Indiens). Notons enfin que l’assimilation de la couleur noire au diable relève d’un pourcentage infime dans la littérature patristique.

Pour ce qui est de la bibliographie, je n’aurai que trois ajouts à proposer : celui du livre de Michel Pastoureau, Le Noir, Histoire d’une couleur (Paris, Seuil, 2008), pour qui « le noir est un pôle fort du système de la couleur » avant l’époque moderne, au cours de laquelle il prend en Occident le statut particulier d’une non‑couleur ; j’y ajoute les travaux d’Agnès Rouveret et d’Adeline Grand‑Clément sur les couleurs et les matières dans l’Antiquité[1].

La thèse de Mr. Diatta nous donne à voir une perception oscillante et ambivalente des noirs dans la société romaine, qui se poursuit à l’époque chrétienne. Son mérite est double : d’un côté celui d’étudier et éclairer un sujet peu abordé par la constitution d’un corpus original, de l’autre celui d’enrichir la perception des historiens de ce que pouvait être, pour les Romains, l’altérité ‑ qu’Yves‑Albert Daugé appelait « aliénité » en 1981[2]. Il apparaît en effet que, dans le paysage ethniciste qui est celui de la culture romaine, les noirs semblent dissociés des barbares et porteurs d’une spécificité qui n’est qu’occasionnellement péjorée. De ce point de vue, le gros travail doctoral de Micahel Diatta apporte du nouveau et de précieuses inflexions à nos connaissances et à nos réflexions sur le monde romain antique. De ce point de vue, on ne peut qu’espérer la transformation de cette thèse en livre, car cette thèse est une belle étude, bien écrite, nourrie par de bonnes connaissances bibliographiques et des études textuelles précises. J’y ai beaucoup appris. Son auteur donne à mieux connaître les mentalités romaines face à l’altérité (un concept très en vogue aujourd’hui). Pour les Romains comme pour les Romains chrétiens, l’altérité naturelle n’a pas vocation à s’éterniser : la liberté, la citoyenneté et la conversion viennent universaliser les différences et gommer les altérités. En cela le christianisme a poussé à son comble l’universalisme romain.

1. Rouveret A., (1989), Histoire et imaginaire de la peinture ancienne (Ve s.av.‑ Ier s. ap. J.‑C.), Rome : BEFAR ; (2006), Couleurs et matières dans l’Antiquité. Textes techniques et pratiques, avec Dubel S. et Haas V., Paris : PENS. Grand‑Clément A., (2011), La fabrique des couleurs. Histoire du paysage sensible des Grecs anciens, Paris : De Boccard. 2. Daugé Y-A., (1981), Le Barbare. Recherches sur la conception romaine de la barbarie et de la civilisation, Bruxelles : Latomus.

Comptes rendus La Peaulogie, 4 | 2020

Le Lambeau 197

Lançon P., (2018), Le Lambeau, Paris : Gallimard, édition électronique du livre, 402 p., ISBN : 9782072689086.

LE LAMBEAU

Maude KERICHARD HÉAS Référence électronique

Kerichard Héas M., (2020), « Le Lambeau. », La Peaulogie 4, mis en ligne le 5 mai 2020, [En ligne] URL : http:// Compteslapeaulogie.fr/le rendus-lambeau La Peaulogie, 4 | 2020 198 Le Lambeau

Le Lambeau

Philippe Lançon Gallimard | Édition électronique du livre

Comment reconstruire sa chair et son esprit ? Le lambeau[1] est un roman autobiographique qui retrace le long chemin de la reconstruction vécue par Philippe Lançon, journaliste à Libération et Charlie Hebdo.

Le 7 janvier 2015 vers 11h30, Philippe Lançon baigne dans une mare de sang au milieu de la salle de rédaction de Charlie Hebdo, entouré de ses collègues morts, gisants au sol. Parmi eux Cabu, Charb, Bernard Maris, Tignous, Wolinski …. Il ne le sait pas encore mais il a été victime de balles terroristes. Cet attentat, fait de lui, un « blessé de guerre », une « gueule cassée » : il a pris une balle en plein visage. L’ouvrage va au-delà du simple fait de relater l’attentat vécu ce jour-là, c’est l’histoire d’une reconstruction :

« Je porte le bonnet rouille, le caban et le visage que je porterai pour la dernière fois le jour de l’attentat. » (p. 43)

Dans cet ouvrage, l’auteur précise ce lent processus de rétablissement dans une temporalité bousculée. D’opérations en opérations jusqu’à sa rééducation,

1. Quatrième de couverture du roman. Lambeau, subst. masc. 1. Morceau d’étoffe, de papier, de matière souple, déchiré ou arraché, détaché du tout ou y attenant en partie. 2. Par analogie : morceau de chair ou de peau arrachée volontairement ou accidentellement. Lambeau sanglant : lambeaux de chair et de sang. Juan, désespéré, le mordit à la joue, déchira un lambeau de chair qui découvrait sa mâchoire (Borel, Champavert, 1833, 55). 3. Chirurgie : segment de parties molles conservées lors de l’amputation d’un membre pour recouvrir les parties osseuses et obtenir une cicatrice souple. Il ne restait plus après l’amputation qu’à rabattre le lambeau de chair sur la plaie, ainsi qu’une épaulette à plat (Zola, Débâcle, 1892, 338). (Définitions extraites du Trésor de la Langue Française)

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de ses cinq chambres d’hôpital, le long des couloirs de la Pitié Salpêtrière jusqu’aux Invalides. Durant ces deux ans d’hôpital, il détaille ses opérations chirurgicales à répétition avec précision : les greffes, les soins, la rééducation, les espoirs, les déceptions. Différentes interventions façonneront son nouveau visage au fil des jours. La narration est rythmée de flash-backs, d’ellipses. Le temps se dilate puis s’accélère.

Dans cette situation traumatique et post-traumatique, l’auteur redevient enfant. Déjà au cœur de l’attentat, il ferme les yeux, fait le mort, comme pour se cacher du monstre, du fantôme qui pourrait se dissimuler sous son lit, comme si fermer les yeux pourrait le protéger des assaillants. Puis, cloué à son lit d’hôpital pendant des mois, il perd son autonomie, il ne peut plus s’occuper de lui-même. Il devient dépendant de ses proches, du personnel soignant.

« Ils avaient quatre-vingt-un ans et ils allaient bénéficier pendant quelques mois de cet extravagant privilège, redevenir indispensables à la vie de leur vieux fils comme s’il venait de naître. » (p. 99)

Alors même qu’il recouvre rapidement tout son esprit, il ne peut pas sortir de son corps, de son lit, de l’hôpital, il ne peut plus faire les activités du quotidien, il doit sans cesse demander de l’assistance : à son frère pour l’administratif, à un policier d’aller vérifier que son vélo est toujours devant les locaux de Charlie Hebdo (emblème du passé, de l’autre rivage celui de la vie d’avant), à ses parents, à sa petite-amie, aux infirmières, aux médecins…

Ce parcours est, d’une certaine mesure et même si les contextes sont différents, comparable à celui d’Adrien Fournier, le personnage principal de La Chambre des officiers[2] dont le bas du visage est arraché par un éclat d’obus. C’est, durant la première guerre mondiale que les pionniers de la chirurgie maxillo-faciale développent leurs compétences. Dos au mur, de nombreux praticiens se doivent de mettre en place de nouvelles pratiques pour faire face aux horreurs de la Grande Guerre. Des milliers de soldats à la gueule cassée s’entassent dans les hôpitaux de fortune, dans l’attente d’un nouveau visage, symbole de leur nouvelle vie… pour ceux qui survivront à ce massacre.

Philippe Lançon, au cœur du service hospitalier en ce début de XXIème siècle, partage son quotidien avec d’autres « gueules cassées ». Il les croise, les voit évoluer et prendre peu à peu leur visage définitif. Chacun devient le miroir de l’autre avec son reflet imprimé dans le visage de l’autre.

2. Pétin L., Pétin M., (producteurs), Dupeyron F., (réalisateur), (2001), La Chambre des officiers [Film cinématographique], d’après le roman de Dugain M., (1998).

Comptes rendus La Peaulogie, 4 | 2020 200 Le Lambeau

« Chaque visage était déformé, éborgné, tordu, tuméfié, bleui, bosselé, bandé. Pour un jour ou pour toujours, c’était le couloir des gueules cassées. Les uns finiraient par se ressembler de nouveau : les autres, jamais. Certains des cancéreux allaient mourir, dans un mois ou dans un an. Quel que soit l’avenir, dans ce couloir chacun était le miroir de l’autre. » (p. 138)

Sa mâchoire démolie ne lui permet plus de parler. Comme journaliste, il mobilisera l’écriture comme interface possible et usuelle pour lui, avec le monde des vivants qui l’entoure. Il écrit sur une ardoise puis efface, pour des raisons pratiques, mais aussi pour oublier sa condition, pour oublier ce qui s’est passé ce jour-là, et les suivants, pour faire « comme si ça n’avait jamais existé ». L’acte d’écriture lui permet d’échapper à son quotidien de douleur, de se concentrer sur autre chose : écrire à défaut de pouvoir parler, crier... Dans l’ouvrage, Philippe Lançon met régulièrement en parallèle la chirurgie et l’écriture. L’écrivain tente de s’approcher du livre idéal qu’il aimerait écrire, qui restera toujours avec des/ses défauts, des/ses imperfections. De leur côté, les chirurgiens tentent de restaurer ce corps, de le façonner pour lui rendre une fonctionalité tout d’abord, puis une apparence elle-même imparfaite. Ils doivent, cependant, mettre un terme aux opérations. Le corps, son corps meurtri par l’attentat, gardera ses cicatrices, son handicap et le patient devra apprendre à vivre avec.

Aux moments les plus dramatiques de son séjour hospitalier, Philippe Lançon ne peut plus parler, il ne peut plus manger non plus. Dans son récit, ces/ses incapacités semblent se rejoindre, se fondre. En effet, il utilise constamment le champ lexical de la viande, métaphore des divers états par lesquels passe son visage : « une grosse escalope sanguinolente », « un tas de viande », « un steak », « le lambeau ». Cette comparaison peut être interprétée de différentes manières : l’auteur se désolidarise de son corps et de son visage déchiqueté, de cette viande morte. Il souhaite peut-être aussi importer la notion de plaisir culinaire au milieu de ce cauchemar. En remontant du bloc, l’un des brancardiers lui a promis de lui préparer ses plats préférés, ce qui lui permit de penser qu’il pourrait à nouveau manger un jour. Plaisir qu’il commence à réapprivoiser par l’odorat grâce à Marilyn, son ex-femme.

« Marilyn s’est approchée de moi. Sans parler, elle m’a mis sous le nez le sandwich : ses odeurs m’ont envahi. […] Marilyn a refait l’opération en versant du café dans le verre de son thermos, un café très fort, à la cubaine, et, avec cette odeur bénie qui paraissait jaillir des rues de La Havane, cette odeur qui me réveillait là-bas chaque matin et dont le souvenir halluciné avait accompagné mon réveil dans la nuit du 7 au 8 janvier, il m’a semblé retrouver pour la première fois l’un des sens que je croyais perdu. » (p. 251)

La Peaulogie, 4 | 2020 Comptes rendus Le Lambeau 201

Au cours de ses hospitalisations successives, il perd également le contact humain quotidien comme repère, comme réconfort. Sa relation, imposée, avec sa chirurgienne maxillo-faciale, Chloé, est à la fois intime et inexistante. Tous les deux échangent longuement, s’écrivent des messages, Lançon envoie régulièrement des photos (de son visage, mais aussi d’œuvres d’art) à Chloé, il lui offre des livres et plus tard ils iront même ensemble à l’exposition consacrée au peintre Velázquez, au Grand-Palais, sous escorte policière. Elle reste avant tout sa chirurgienne, qui après s’être beaucoup investie dans cette réparation, doit apprendre à prendre de la distance avec son patient. Cette relation soigné- soignante s’est construite dans le désordre. Ce fût une rencontre de corps avant d’être une rencontre d’esprits. Avant même de la connaître, son visage dépendait d’elle. La relation qui les unie est d’ordre vital, particulièrement asymétrique les premiers mois au moins. La chirurgienne devient, pour lui, une déesse : elle façonne sa chair et ses os, elle le façonne. Le patient, un fantôme qui erre entre le monde des morts et le monde des vivants, n’a plus d’autre choix que d’écouter son médecin, de croire dans une existence possible avec ce visage en lambeaux.

DE LA PEAU RESTAURÉE À LA PEAU NORMALE Dans ce témoignage post-traumatique, le corps du patient est comparé à celui de l’athlète. Il doit comprendre ce que les soignants attendent de lui afin de préparer son corps, et son esprit aux épreuves qui se préparent. Le corps donne tout ce qu’il a, toute son énergie afin de passer et survivre aux nombreuses heures sur le billard. Le corps médical est comme le staff du sportif : il doit s’assurer que le corps est prêt à subir les opérations, la rééducation, les douleurs associées, voire les effets secondaires des médicaments censées atténuer ces douleurs…

Pour se protéger d’une éventuelle erreur d’un soignant, le patient mémorise, apprends le langage médical, regarde avec attention les gestes des soins qui lui sont apportés ; progressivement il se pense expert du « savoir hospitalier », il devient « élève-patient » assidu malgré lui. Cette attitude ne fait qu’augmenter les vérifications et les soupçons d’erreur envers celles et ceux qui s’occupent de lui. Cette posture experte ne fait qu’augmenter l’angoisse, celle de tout vouloir contrôler.

« Le moment où le patient croit devenir expert de ses propres soins est un moment dangereux, car cette croyance, si elle est exagérée, n’est pas injustifiée : comme un petit vieux ou un paysan, il finit par presque tout connaître de son maigre territoire. Aucune des attentions qu’on n’a pas ne lui échappe. Il vit dans le soupçon et la vérification des négligences. » (p. 159-160)

Comptes rendus La Peaulogie, 4 | 2020 202 Le Lambeau

L’auteur nous entraîne dans la routine et les rituels du monde hospitalier, dans la gestion des corps malades ou meurtris. Dans plusieurs scènes, nous sommes témoins de son rasage, de cette « opération » quotidienne qui permet de « garder la face », de montrer de soi un visage si ce n’est rajeuni, en tous les cas renouvelé par la présentation d’une peau nette de tout poil. Il explique que les chirurgiens n’aiment ni les cheveux ni les poils, ils sont « d’encombrantes sources d’infection » tel que le déclare « Cédric, un jeune aide-soignant espiègle et peu rasé. » Cette injonction rappelle que l’hôpital est surtout un lieu de contradictions. Le soigné doit enlever ses poils, mais le soignant lui peut les garder. C’est pourtant, au sein de l’hôpital, que les chirurgiens lui grefferont une barbe destinée à masquer ses cicatrices. Mais ces nombreuses opérations chirurgicales prennent à ses yeux les contours d’un rituel morbide. En effet, avant d’entrer au bloc, à chaque nouvelle opération, il était donc coiffé et rasé à la demande des chirurgiens. Cet anodin rituel hospitalier symbolise pour lui la terrible sensation d’être… condamné à mort :

« En m’offrant la jolie coupe du condamné, Joël me préparait au mieux pour une exécution. » (p. 153)

Pétrifié à l’idée d’abîmer le peu de peau qu’il lui reste, il n’arrive plus à se raser lui-même. Ce sont donc les personnels hospitaliers qui le préparent. Après la viande à l’état brut, il utilise, ici, le champ lexical de la couture - « un travail de couturière », « un exercice de dentellière » - révélateur de la minutie déployée par les soignant.e.s au contact de sa peau, à laver, à soigner, à raser…

Au sein de l’hôpital, comme à l’extérieur, dans le monde réel, le blessé est caractérisé par ses blessures, ses cicatrices. Sa nouvelle enveloppe avec ses plaies, ses cicatrices constitue sa nouvelle interface avec le monde. Etonnamment, il devient responsable du regard des autres sur son corps. Responsable de leur chagrin à chaque regard. Ses blessures deviennent aussi leurs blessures. Elles font dorénavant partie de leur vie.

« C’est pourquoi, à partir du 7 janvier, ma vie ne m’a plus appartenu. Je suis devenu responsable de ceux qui, d’une façon ou d’une autre, m’aimaient. Mes blessures étaient aussi les leurs » (p. 271)

Grâce à l’autogreffe (mieux acceptée par le corps que la greffe d’un corps étranger), le patient répare, se sauve lui-même. Il fournit au chirurgien le matériel qui lui permettra de travailler sa peau, sa chair et ses poils.

« La greffe du péroné était depuis plusieurs années pratiquée, d’abord sur les cancéreux de la mâchoire et de la bouche, principaux patients du service. On lui donnait aussi un autre nom et un autre soir, pour la première fois, j’ai entendu sortir de la bouche de Chloé le mot qui allait désormais, en grande partie, me caractériser : le lambeau. On allait me faire un lambeau. » (p. 192)

La Peaulogie, 4 | 2020 Comptes rendus Le Lambeau 203

Pour commencer sa nouvelle vie, Philippe Lançon a fait rénover son appartement qu’il avait quitté le 7 janvier 2015 au matin, tout comme son visage. Le meuble phare de cette rénovation est une grande bibliothèque, synonyme de la reconstruction de l’auteur. Durant sa convalescence, Philippe Lançon déclare avoir été sauvé par les mots de ces grands écrivains (Proust, Kafka…), qu’il va, aujourd’hui, ranger et garder précieusement dans sa bibliothèque, construite à son image.

« Cette bibliothèque me permettrait de ranger les livres en liberté. Elle était le symbole de ma reconstruction. Il fallait qu’elle soit belle : elle le fut. Les travaux ont eu lieu pendant les trois derniers mois que j’ai passés aux Invalides » (p. 388)

Comptes rendus La Peaulogie, 4 | 2020

Poil et pouvoir 205

Lançon B., (2019), Poil et pouvoir. L’autorité au fil du rasoir, Paris : Les éditions Arkhê, 168 p., ISBN : 9782918682516.

POIL ET POUVOIR

L’AUTORITÉ AU FIL DU RASOIR

Stéphane HÉAS Référence électronique

Héas S., (2020), « Poil et pouvoir. L’autorité au fil du rasoir. », La Peaulogie 4, mis en ligne le 5 mai 2020, [En ligne] PremiersURL : Pas http://lapeaulogie.fr/poil-et-pouvoir La Peaulogie, 2 | 2018 206 Poil et pouvoir. D’Auguste à Charlemagne.

Poil et pouvoir. L’autorité au fil du rasoir.

Bertrand Lançon Les éditions Arkhê

Pour un historien, embrasser un millénaire, voire deux millénaires, constitue sans doute une gageure. Bertrand Lançon dans cet ouvrage présente les relations entre pilosité et pouvoir dans l’Antiquité et les premiers siècles de notre ère, pour s’aventurer dans les derniers chapitres sur le millénaire suivant. Il creuse le sillon des trichophilies et trichophobies, synthétisé il y a une dizaine d’années par Christian Bromberger du côté de l’anthropologie (2010), et de Jean Da Silva (2009) pour les arts plastiques à propos, lui spécifiquement, des parties intimes de l’être humain. En France, des précurseurs avaient ouvert la voie à l’heuristique pileuse (Baillette, 1995) dans une veine critique radicale. Dans le premier chapitre, empereurs et règnes sont présentés sous le couvert des usages pileux. « Dans l’esprit cosmétique romain (…) l’épilation est perçue comme une coquetterie efféminante » (p. 18). L’orthodoxie pileuse romaine se pose ainsi largement contre les usages grecs antérieurs, et s’oppose plus encore aux mondes barbares de l’époque. L’altérité romaine recouvre l’abondance des chevelures, blondes et rousses notamment (des Germains, des Gaulois, des Alains…), mais aussi l’épilation masculine chez les Grecs. Scipion l’Africain est le premier imperator romain moqué pour son épilation « à la grecque »… qui participa activement à son discrédit politique et militaire. Pour un homme et un empereur, s’ôter le poil sur le visage, et plus encore sur le reste du corps, notamment le pubis et l’anus, réfère à l’image féminine de Vénus tout autant qu’à la passivité sexuelle. Au début de notre ère, il semble que les vaincus aient adopté, parfois très rapidement comme les Bretons, les usages pileux romains, se fondant ainsi dans la masse rasée de près et aux cheveux courts. Au IIème siècle, une nouvelle norme pileuse est de mise, elle apparaît double, soit des cheveux et une barbe fournis, mais soignés, soit des cheveux courts avec des joues rasées. L’ordre et la citoyenneté romains imposent un poil contraint par l’usage du rasoir et du peigne, dont les traces archivistiques nombreuses ont été mises à jour.

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Le chapitre 2 présente les modèles glabres d’Auguste (27 av.-14 ap. JC) et de Trajan (97-117), considérés comme les deux principaux empereurs du début de notre ère. Auguste alternait des joues strictement rasées et une barbe courte. Cette oscillation selon Bertrand Lançon caractérise justement son gouvernement entre tradition et modernité. Comme si cette mesure pileuse reflétait son gouvernement. Le chapitre 3 présente les profils pileux disparates entre les « foisonnements pileux des Antonins aux poils ras des Tétrarques » (p. 35). La puissance des gouvernants est illustrée par des pilosités variées, qui réfèrent à des modèles anciens différents. Les filiations prestigieuses se concurrencent. A posteriori, les « mauvais empereurs » semblent caractérisés par une pilosité excessive, signe de leur utilisation abusive du pouvoir (chapitre 4). Néron arbore d’épaisses rouflaquettes lorsque Caracalla puis plus tard (vers 260 après J.C.) Galien portent de longs favoris. Ces appendices pileux caractérisent leur démesure si ce n’est leur tyrannie. La physiognomonie à l’œuvre favorisait l’interprétation de leur personnalité à partir de ces pilosités faciales. Constantin en arrivant au pouvoir se rasera la barbe, renouant avec des modèles passés (chapitre 5). Cette pratique chez lui semble surtout en lien avec une pilosité insuffisante, si ce n’est une alopécie mucineuse de Pinkus (caractérisée par « des rougeurs faciales disgracieuses et une pilosité lacunaire », p. 53, 57). Le port de diadèmes fournis comme celui de la couronne de lauriers par César des siècles plus tôt permettra à Constantin de suppléer cette insuffisance pileuse. Les sources (les écrits, mais aussi les monnaies, et autres effigies) compliquent singulièrement la compréhension des réalités historiques puisque des modèles et des moulages existaient par exemple pour les pièces de monnaies et qui induisaient une présentation puissante des dirigeants (avec des cous larges par exemple, et aussi des barbes viriles)… Or, ces archives disponibles aujourd’hui montrent une fluctuation pileuse pour un même empereur au cours de sa vie. Rappelons qu’il s’agit d’une des caractéristiques essentielles des phanères humains de pouvoir-devoir être coupés régulièrement. Ne pas le faire occasionnerait des contraintes corporelles importantes, voire des handicaps au quotidien. Le chapitre 6 est consacré aux « barbes et calvities philosophiques ». Au IVème siècle, Julien avec son Misopogon argumente contre la mollesse des épilations et autres soins du corps en vogue chez les habitants d’Antioche. Sa barbe, son torse velu, constituent à ses yeux les garants de sa rusticité militaire, de sa simplicité, de sa frugalité. Soit autant d’éléments l’approchant de la figure du moine, du philosophos (mixant éducations chrétienne et hellénistique). Synésios, au contraire, défend la/sa calvitie comme reflet de l’intelligence humaine dans son Éloge de la calvitie. Ce faisant il dégrade animaux et femmes… alors même qu’il admirait Hypatie dont il avait été l’élève, et n’évoque pas la barbe

Comptes rendus La Peaulogie, 4 | 2020 208 Poil et pouvoir. D’Auguste à Charlemagne.

pourtant fournie de nombres des philosophes grecs qu’ils convoquent dans son panthéon personnel. La tonsure monastique s’imposera progressivement comme nouveau modèle de gouvernement de soi et des autres pour reprendre Michel Foucault (chapitre 7). Contrairement aux plaidoyers pro domo précédents, la lettre 23 de Paulin de Nole adressée à Sulpice Sévère relate les arguments de l’époque concernant les pilosités humaines, notamment dans « une compréhension chrétienne de la chevelure » (p. 70). Ambivalence entre péché de la tentation ou impureté et la possibilité de renouveler son apparence à chaque coupe, presque comme une nouvelle naissance, si ce n’est une résurrection. Dans ce contexte, la tonsure expurge les péchés : Paulin « compare le rasoir à une excision du cœur (où) Dieu est le rasoir suprême » (p. 74). Le crâne tonsuré, partiellement rasé, signifie la chasteté lorsque la tonte totale marque le statut d’esclave... L’apparence pileuse clive là encore les catégories, réelles ou fantasmées, de population. Se raser tout ou partie du crâne, des joues, devient un acte revendicatif, religieux et/ou politique… mais les ambivalences sont permanentes entre « les cheveux longs des saints et ceux des impies » (leuis est sanctorum coma, inpiorum grauis). La chevelure des femmes, elle aussi, devient signifiante dans les récits chrétiens en construction. L’ascèse féminine accompagnée d’un rasage du crâne sera interdite par un édit impérial en 390. Les lettres du prêtre Paulin écrites une décennie plus tard entérinent ces règles pileuses religieuses. Dans la théologie de Paulin se raser le crâne (pour un homme) participe du chemin de la passion du Christ, dont la chevelure témoigne de la nature humaine et de la grâce divine. A l’époque, cette démarche détonne face aux usages religieux des parties orientales de l’empire romain. La tonsure survivra officiellement jusqu’en 1972 dans l’église catholique romaine, lorsque le monachisme orthodoxe a maintenu barbe et cheveux longs… Le chapitre 8 précise comment l’image du Christ barbu aux cheveux longs est tardive dans l’histoire, comment elle a été progressivement standardisée. Dans ces projections symboliques, l’impensable était et reste un Christ chauve et imberbe (p. 88)… preuve de l’importance même des symboles pileux, en dehors de preuves scientifiques sur la personne réelle du Sauveur chrétien… Dans l’empire romain tardif le personnage christique prend les allures d’un moine, pour qui l’ascèse, la frugalité si ce n’est la chasteté sont visibles corporellement. Le chapitre 9 précise l’importance de la chevelure féminine, figurée sur les monnaies et les statues. Les coiffures des mères et des femmes des empereurs fluctuent de la sobriété (au tournant du millénaire avec « les cheveux tirés en arrière et rassemblés en chignon sur la nuque », p. 96) a davantage de sophistication aux IIème et IIIème siècle, puis à nouveau la sobriété (IVème et Vème siècle), avant la profusion des gemmes et pierres précieuses dans les coiffures par la suite.

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Le chapitre 10 souligne que les rois Francs comme Pépin le Bref ou Charlemagne portaient les cheveux longs qui étaient incorporés à leurs sceaux comme une découverte de 2007 l’a confirmé. La puissance militaire et politique était confirmée par la présence de ces poils royaux sur ces parchemins. Logiquement, ôter les poils (par rasage et pour les crimes et délits par décalvation suite à une bastonnade) était une action symbolique majeure orchestrée lors des adoptions, des entrées-relégations dans les ordres, ou bien lors des condamnations pénales pour parjure par exemple. Autant de rituels confirmant un changement de statut de la personne tondue ou battue à même le cuir chevelu. Le chapitre 11 interroge le mythe de la barbe fleurie de Charlemagne. Avec toujours la question de la langue latine et des mots à disposition, la barbe, fleurie ou non, blanche ou non, de Charlemagne relève d’un mythe l’inscrivant dans une lignée de puissants barbus. Sa réelle moustache n’aurait pas suffit à le glorifier… Dans les deux derniers chapitres, Bertrand Lançon se risque à embrasser les siècles qui nous séparent d’aujourd’hui. Il rappelle les ambivalences pileuses, la variété des modèles historiques ou légendaires, réels ou fantasmés. Les leaders religieux ou politiques barbus ne manquent pas. Les filiations reconnues ou revendiquées ne sont jamais linéaires comme le visage glabre de l’actuel pape alors que ses références sont barbues (François d’Assise et Ignace de Loyola), que dire du visage augustéen du président français... sans évoquer la barbe (en partie blanchie) de son chef de gouvernement. Dans cet ouvrage, Bertrand Lançon démontre l’ancienneté des modèles pileux en concurrence au plus haut sommet des gouvernements. La cosmétique pileuse n’apparaît plus comme un épiphénomène historique. Au final, cet exercice de trichologie politique et historique s’appuie sur une anthropologique pileuse. Les cheveux et les poils sont et demeurent des acteurs sociaux et politiques. Leur importance ne fait plus de doute…

RÉFÉRENCES

Baillette F., (1995), « Organisations pileuses et positions politiques. À propos de démêlés idéologico-capillaires : Ray Gunn, le punk pauvre », Savage, été, 121-159.

Bromberger C., (2010), Trichologiques. Une anthropologie des cheveux et des poils, Paris : Bayard.

Da Silva J., (2009), Du velu au lisse ; histoire et esthétique de l’épilation intime, Bruxelles : Editions Complexe.

Comptes rendus La Peaulogie, 4 | 2020 La Peaulogie n°4 l Mai 2020 EXPERTS CRÉATEUR, DIRECTEUR DE Frédérique Amselle PUBLICATION Bernard Andrieu Stéphane Héas Alice Braun COMITÉ ÉDITORIAL Jean Charles Da Silva Christine Bergé Andrée Anne Kekeh Dika Christophe Dargère Claire Lahuerta Alexandre Dubuis Claire Larsonneur

COMITÉ SCIENTIFIQUE Annick Le Guerer Claire McKeown Bernard Andrieu Séphanie Pahud Grégory Beriet Elsa Sacksick Christian Bromberger Philippe Charlier MISE EN PAGE Philippe Cornet Maude Kerichard Héas

Jean Da Silva ILLUSTRATION DE COUVERTURE Adeline Grand Clément Niko Inko. L’Encrophage, (2014), Camille Gravelier Rimbaud. Claire Lahuerta Bertrand Lançon David Le Breton Annick Le Guérer Philippe Liotard Juliette Smeralda Ivan Ricordel Valérie Rolle Meyriem Sellami CONTRIBUTRICES ET CONTRIBUTEURS

Marie Bouchet, Maître de conférences en littérature des Etats‑Unis, laboratoire Cultures Anglo-Saxonnes, Université Toulouse 2 Jean Jaurès.

Jaine Chemmachery, Maître de conférences en études anglaises, laboratoire TransCrit, Université Paris 8 (EA1569).

Nawelle Lechevallier-Bekadar, PRAG, laboratoire ACE (Anglophonie : Communautés, Écritures) Université Rennes 2.

Caroline Marie, Maître de conférences, Laboratoire FabLitt, Université Paris 8.

Amandine Mercier, Université d’Artois-Pôle Arras, qualifiée aux fonctions de Maître de conférences en 18e section, Docteure en Arts et Arts du spectacle, Université Polytechnique Hauts‑de‑France, ATER.

Clémence Mesnier, CRIT (Centre de Recherches Interdisciplinaires et Transculturelles), Université de Bourgogne Franche-Comté.

Eléonore Reverzy, Professeur de littérature française du XIXe siècle, CRP19 (Centre de Recherches sur les Poétiques du XIXe siècle), Université Paris‑Sorbonne nouvelle.

Stéphane Héas, Maître de conférences UFR APS, laboratoire VIPS2, Université Rennes 2.

Maude Kerichard Héas.

Bertrand Lançon, Professeur émérite d’Histoire romaine, Université de Limoges.

La Peaulogie © 2020, N.4 ISSN 2646‑1064

ISBN 978-2-491080-03-7 Dépôt légal : Mai 2020 Imprimé par Blurb