1 UNIL. 7-10 octobre 2020 Africana. Figures de femmes et formes de pouvoir

Bio-bibliographies et descriptifs

Véronique Tadjo (Londres, Angleterre) Née à Paris, d’un père ivoirien et d’une mère française, elle a grandi à Abidjan en Côte d’Ivoire où elle a suivi son cursus scolaire et universitaire jusqu’à la maîtrise. Après avoir obtenu un doctorat en Littérature et Civilisation Noire Américaine à la Sorbonne Paris IV, elle a enseigné au département d’Anglais de l’université nationale de Cocody. Romancière, peintre et poète, elle est l’auteure de plusieurs romans et recueils de poèmes. Ses livres revisitent l’histoire familiale, Loin de mon père (Actes Sud, 2010), l’histoire nationale Reine Pokou, concerto pour un sacrifice (Actes Sud, 2004) et l’une des tragédies africaines les plus cruelles de notre temps que fut le génocide des Tutsis au Rwanda, L’Ombre d’Imana (Actes Sud, Babel 2005 ; Prix Kaïlcedra 2014 des lycées et collèges en Côte d’Ivoire). Une partie de son œuvre est consacrée à la jeunesse. En 2005, elle reçoit le Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire et en 2016, le Grand Prix national Bernard Dadié. Son dernier récit, En compagnie des hommes (Don Quichotte, 2017) a pour thème l’épidémie d’Ebola de 2014 qui a touché la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone. Après avoir vécu en Afrique du Sud et dirigé le département de Français de l’université du Witwatersrand à Johannesburg, elle partage maintenant son temps entre Londres et Abidjan. Ses œuvres sont traduites en plusieurs langues. www.veroniquetadjo.com

Figures de femmes africaines : entre mythes et changements. Dans la poésie et les romans de la première génération d’écrivains africains et en particulier de ceux de la Négritude, les femmes noires ont surtout été le symbole de la Terre-Mère ; les gardiennes de la culture ancestrale. Elles ont également été dépeintes comme des victimes, prisonnières d’une tradition sclérosée et sous le jouc d’un système patriarcal hérité de la colonisation. Aujourd’hui, les perceptions ont évolué. Les personnages littéraires féminins sont de plus en plus libérés de ces stéréotypes. Certes, dans la réalité, beaucoup d’entraves perdurent, mais une image bien plus complexe qu’auparavant se dessine grâce à deux tendances complémentaires : la relecture des mythes anciens ainsi que la prise en compte du contexte contemporain qui a vu les femmes africaines affirmer leur présence et leur influence sur le continent. La question du partage du pouvoir – des pouvoirs –, reste ouverte. Si elles ont gagné en force, elles ont perdu leur innocence, ou plutôt le portrait idéalisé qui était le leur. A quoi aspirent les femmes dans leur recherche de puissance et à travers quel prisme peut-on juger du succès de leurs objectifs ? Attributs du pouvoir ou pouvoir réel ? Dans la littérature, reflet de la vie, on assiste à une redéfinition de la notion d’héroïsme. Et ce sont les écrivaines africaines qui ouvrent la voie.

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Romuald Fonkoua (Paris, ) Il dirige le Centre International d’Études Francophones (CIEF) de la Faculté des lettres de Sorbonne université Paris (SuP). Il est l’auteur de plusieurs articles et ouvrages individuels et collectifs dans ce domaine. http://www.cellf.paris-sorbonne.fr/chercheur/fonkoua-romuald

Écrire le sujet féminin. Essai sur un biopouvoir : Tadjo, Pineau, Condé Que le sujet féminin soit commun aux romans de Maryse Condé, Gisèle Pineau et Véronique Tadjo est une évidence dès lors qu’on les interroge du point de vue du de ce que l’on peut appeler, à la suite de Michel Foucault, le « biopouvoir ». En effet, face à un corps marginalisé, face à un sujet désincarné, face à un être déshumanisé, Victoire, les saveurs et les mots ou La vie sans fard de Maryse Condé, Fleurs de barbarie ou 2 Chair Piment de Gisèle Pineau, Loin de mon père ou Reine Pokou de Véronique Tadjo révèlent la propriété de l’écriture à transformer ce qui jusque-là était une « vie nue » en un droit. Le droit de dire le mal-être (présent et passé) ; le droit de témoigner de la réalité (niée, répudiée ou manipulée) ; le droit d’interroger la mémoire (de l’ici ou de là-bas), l’histoire (et ses représentations), le mythe (et ses interprétations). Cette approche de la littérature féminine d’Afrique noire et des Caraïbes ouvre la réflexion sur une démocratie de la littérature particulière (une démocratie du sujet et de l’individu) qui diffère de celle de plusieurs écrivains masculins de ces régions du monde.

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Eric Touya de Marenne (Clemson, USA) Professeur de français à l’Université de Clemson aux Etats-Unis, il a reçu son D.E.A. en littérature comparée à l’Université Paris IV Sorbonne et son doctorat en langues et littératures romanes à l’Université de Chicago. Il a reçu le prix John B. & Thelma A. Gentry Award for Teaching Excellence in the Humanities en 2012, et le Dean’s Award for Outstanding Achievement in Service en 2017. Il est l’auteur de Musique et poétique à l’âge du symbolisme (Paris: L’Harmattan, 2005), French-American Relations: Remembering D-Day after September 11 (Lanham: UPA, 2008), Francophone Women Writers: Feminisms, Postcolonialisms, Cross- Cultures (Lexington Books Publishing, 2011, Paperback reissue 2013), The Case for the Humanities: Pedagogy, Polity, Interdisciplinarity (Lanham: Rowman & Littlefield, 2016), et Simone de Beauvoir: le combat au féminin (Paris: PUF/ Humensis, 2019). https://www.clemson.edu/caah/departments/languages/about- contact/faculty-and-staff/facultyBio.html?id=589

Voix politiques, transcendantes et transgressives dans l’œuvre de Véronique Tadjo et d’Isabelle Eberhardt.

La première partie de l’exposé porte sur L’ombre d’Imana de Véronique Tadjo, qui est basé sur le génocide rwandais. Nous analysons le passage dans lequel les morts appellent les vivants à rechercher l’empathie de ces derniers à la lumière de l’idée de « violence épistémique » de Spivak et de « l’humanisme de l'autre » de Lévinas. Nous chercherons à montrer comment Tadjo fait allusion à la rencontre avec l’autre et à sa nouvelle compréhension comme fondement de notre subjectivité. Dans un second temps, nous étudions un passage de Dans l’ombre chaude de l’Islam dans lequel Isabelle Eberhardt interprète le chant d’un membre de l’ordre Qadiriyya dans le désert du Sahara. Rejetant les conventions de la société européenne, elle a considéré sa conversion religieuse et culturelle comme un acte de libération et une vocation. La voix de l’autre devient dès lors un chemin par lequel le moi est transformé. Les deux passages ont des dimensions transcendantales si nous définissons la transcendance « comme la priorité morale superlative de l’autre personne » (Levinas). À travers leur expérience d’écoute, les deux auteures reconfigurent leur subjectivité. Leur interprétation de la voix de l’autre a également des implications politiques dans la mesure où elle est transgressive. Pour développer cet argument, nous explorerons le point de vue de Rancière selon lequel la lutte politique se produit lorsque les exclus cherchent à établir leurs identités en s’exprimant eux-mêmes et en s’efforçant de faire en sorte que leurs voix soient reconnues comme légitimes et entendues.

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Alexie Tcheuyap (Toronto, Canada) Il est Professeur titulaire au Département d’Études françaises et vice-doyen à la Faculté des arts et sciences de l’Université de Toronto (Canada). Senior Fellow, boursier de l’Institut européen d’études avancées au Collegium de Lyon, professeur invité en Afrique du Sud, aux États Unis, en Allemagne et en France, il est 3 spécialiste des littératures et cinémas africains. Alexie Tcheuyap travaille également sur l’analyse des contenus médiatiques, avec un intérêt particulier pour l’articulation de ses discours sur le terrorisme en Afrique. En plus de nombreux articles parus dans des revues autorisées ainsi que de nombreux collectifs, il a publié Esthétique et folie dans l’œuvre romanesque de Pius Ngandu Nkashama (L’Harmattan, 1998) ; De l’Écrit à l’écran. Les réécritures filmiques du roman africain francophone (Presses de l’Université d’Ottawa, 2005) ; Postnationalist African Cinemas (Manchester University Press, 2011) et Autoritarisme, presse et violence au Cameroun (Karthala, 2014). Il vient de co-écrire avec Hervé Tchumkam Avoir peur. Insécurité et roman en Afrique francophone (2019) qui paraît aux Presses de l’Université Laval. https://www.french.utoronto.ca/people/directories/all-faculty/alexie-tcheuyap

Féminin, masculin, pouvoir et représentation

Le statut de « la femme africaine » a souvent donné lieu à des interrogations, voire à des passions. Le discours masculin qui, selon Carole Boyce Davis (1990), se réduit à l’exaltation d’une beauté exotique ou à la protection de l’image d’une femme féconde, comme celui élaboré « ailleurs » et qui considère la femme comme catégorie universelle de création, dégage en permanence un malaise. Et on se demande toujours si elle est une « femme », éventuellement noire, ou simplement une « femme africaine » dont il convient légitimer la représentation. Les femmes africaines ont un vécu spécifique que ne peuvent pas toujours élucider leurs « sœurs » occidentales. Davantage : les enjeux sur cette question se métamorphosent quand on passe de Calixthe Beyala (1995) à Molara Ogundipe Leslie (1994), Irène Assiba d’Alméida (1994), Béatrice Gallimore Ranjira (1994) ou Juliana Makuchi Nfah-Abbenyi (1997). Dans tous les cas, sont parfois radicalement remises en question, les structures de l’édifice patriarcal. Est aussi élaboré un discours sur le corps ou la polygamie. Au-delà des réflexions menées ici et là, se trouve mis à jour un portrait au féminin de l’intérieur, dans une perspective féminine qui viserait à s’affranchir de la simplification réelle ou supposée de la « fabrication » masculine du féminin. Hélène Cixous (1994) relevait son incapacité totale à vivre des émotions masculines. Inversement, on pourrait, pour le cas de l’Afrique, s’interroger sur la possibilité, le discours et l’interprétabilité d’un regard masculin sur le féminin. Or, la question du féminisme est politique, sociale et pluridisciplinaire. Le discours féminin sur le féminin fonde son jugement de vérité sur l’appartenance au sexe, catégorie biologique instable et construite par un discours millénaire. Mais cherchant à exclure la femme du regard masculin ou à disqualifier de fait ce dernier, quelle alternative est proposée ? La sexuation du regard et de la représentation ne consiste-t-elle pas, en fait, à étouffer les véritables questions ? Quelle validité accorder à ce ralliement sollicité par Calixthe Beyala qui demande « secours » à ses « sœurs occidentales » afin qu’elles « [s’occupent] des conditions de vie des femmes d’autres continents ! C’est le seul droit d’ingérence qui mérite d’être vécu » (1995) ? À partir d’une réflexion qui mettra en dialogue les textes écrits par des romancières africaines (notamment Calixthe Beyala) et ceux écrits par leurs collègues masculins (Camara Laye, Bassek Ba Khobio, Sembène Ousmane, Cheikh Hamidou Kane), ma communication analysera les mises en scène des logiques du pouvoir. Il s’agira notamment de déterminer la manière dont des romans et, dans certains cas, des films, renversent le stéréotype commun de la « femme africaine » fatalement soumise ; d’établir les modalités de mise en scène du pouvoir féminin à partir d’une stylistique précise ; d’analyser les contradictions du pouvoir patriarcal dont les postures conduisent à son autodestruction et, donc, à l’irréversible émancipation du sujet féminin.

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Nicolas Bancel (Lausanne, Suisse) Historien, professeur ordinaire à l’Université de Lausanne (Suisse), faculté des sciences sociales et politiques (ISSUL/IEP), il est spécialiste du fait colonial, des questions postcoloniales et de l’histoire des activités physiques. Il a notamment codirigé Human Zoos. Science and Spectacle in the Age of Colonial Empires, 4 Liverpool, Liverpool University Press, 2009 et The Invention of Race, Londres/New York, Routledge, 2015. Il a aussi codirigé La Fracture coloniale. La société française au prisme de l’héritage colonial, Paris, La Découverte, 2005 et Sexe, race & colonies. La domination des corps du XVe siècle à nos jours, Paris, La Découverte, 2018. https://applicationspub.unil.ch/interpub/noauth/php/Un/UnPers.php?PerNum=1052172&LanCode=37

La double altérité. La Vénus hottentote, entre objectivation scientifique et préjugés de genre

La Vénus hottentote, baptisée initialement sous le nom de Saartje Baartman, est une jeune esclave originaire d’Afrique du Sud issue de l’ethnie Koïsan. Elle fut emmenée par son maître Hendrick Caesar en Angleterre, avant de parcourir une partie de l’Europe sous la houlette de plusieurs impresarios. L’ethnie Koïsan fascine, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, certains naturalistes participent alors aux recherches scientifiques sur les races qui sont, depuis la fin du XVIIIe siècle, en plein essor. Dans ce cadre les caractéristiques physiques des Koïsans (aussi appelés hottentots ou boschimans), semble permettre de délimiter les frontières physiologiques de cette « race » par rapport aux autres ethnies présentes en Afrique du Sud, mais aussi d’autoriser à envisager de résoudre l’énigme de la parenté hypothétique des grands singes avec l’homme : les koïsans seraient cette « race-frontière », le fameux chaînon manquant. Les caractéristiques physiques de Saartje Baartman suscitent également la curiosité des savants : elle présente une macronymphie et une stéatopygie qui corroborent les théories alors en vogue sur l’hypersexualité des « sauvages ». D’autre part, lors de son périple en Europe, les spectacles mettant en scène la Vénus, fortement marqués par son érotisation, rencontre un large succès public. Ce succès révèle la projection sur Saartje Baartman des préjugés de genre et des phantasmes suscités par les représentations érotiques des sauvages. Nous tenterons, sur ces bases, d’analyser la double altérité de Saartje Baartman, entre racialisation et préjugés de genre.

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Pierre Boizette (Nairobi, Kenya) Docteur en littérature comparée, il est l’auteur d’une thèse sur la décolonisation des subjectivités et la renaissance africaine chez Scholastique Mukasonga, Ngugi wa Thiong’o et Valentin-Yves Mudimbe. Il est actuellement chercheur postdoctoral à l’IFRA Nairobi grâce au soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et également chercheur associé à la Bibliothèque Nationale de France. http://ifra-nairobi.net/

Retour sur la publication de Daughters of Africa et New Daughters of Africa

Pour Florence Stratton, le canon littéraire africain a longtemps été défini comme étant exclusivement le fait d’auteurs masculins, participant de la sorte à l’invisibilisation des autrices. Parmi les reproches adressés à ces écrivains africains, l’un des plus fréquents a été leur représentation des personnages féminins. Tributaire de ce que la critique de cinéma Laura Mulvey avait nommé le Male gaze leur caractérisation a eu en effet tendance à essentialiser la femme en la dépeignant sous les traits des figures stéréotypées. Afin de réhabiliter les œuvres d’autrices du continent, plusieurs initiatives ont vu le jour, en particulier la publication d’anthologies rassemblant des extraits de ces dernières. Daughters of Africa: An International Anthology of Words and Writings by Women of African Descent from the Ancient Egyptian to the Present, parue en 1992, fut l’une d’entre elles. Coordonnée par Margaret Busby, elle présentait plus de 200 autrices africaines ou africaines-américaines, avec des exemples allant de l’Antiquité à la période contemporaine. L’ouvrage bénéficia d’une réception très favorable, il a été réédité de nombreuses fois et a donné lieu à un second volume en 2019 : New Daughters of Africa: An International Anthology of Writing by Women of 5 African Descent, lancé en grandes pompes à l’occasion du Women of the World Festival. Cette communication voudrait revenir sur la trajectoire éditoriale de ces deux ouvrages en s’intéressant tout particulièrement à la manière dont ils ont servi a légitimer les autrices africaines en Angleterre et aux États- Unis. Il s’agira de mettre en lumière les processus de consécration et de prescription qu’ils ont initiés à leur sujet. Surtout, il s’agira de penser la manière dont ces deux volumes élaborent une auctoritas africaine nouvelle en rupture avec les modèles canoniques antérieurs, majoritairement masculins. Par conséquent, nous nous interrogerons sur l’image qu’ils construisent et légitiment de l’autrice africaine.

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Anaïs Stampfli (Lausanne, Suisse) Après avoir enseigné les Lettres modernes à l’Université Grenoble-Alpes dans le cadre d’un contrat doctoral et exercé un poste d’ATER au pôle guadeloupéen de l’Université des Antilles, Anaïs Stampfli est actuellement Première Assistante en Lettres à l’Université de Lausanne. Elle a soutenu en 2016 sa thèse sur La coprésence de langues dans le roman antillais contemporain. Cette thèse issue d’une codirection entre l’Université de Lausanne et l’Université Grenoble-Alpes est accompagnée d’un recueil d’entretiens menés auprès d’une quinzaine d’écrivains caribéens. Ces deux volumes sont en voie de publication chez Peter Lang. Par ailleurs, Anaïs Stampfli a publié plusieurs articles sur les langues d’écriture des romanciers martiniquais et guadeloupéens (Maryse Condé, Simone Schwarz-Bart, Raphaël Confiant et Patrick Chamoiseau entre autres) ainsi que sur la traduction d’écrits plurilingues. Parallèlement, elle a dirigé la publication d’un dossier sur le récit de voyage aux Outremers français paru en mars 2019 dans la revue Viatica.

Hommage à la femme noire de Simone Schwartz-Bart. Mise en lumière de plusieurs générations d’héroïnes noires

Je propose ici une étude de l’Hommage à la femme noire, une encyclopédie en six volumes écrite par l'auteure guadeloupéenne Simone Schwarz-Bart. Elle retrace le parcours de grandes femmes noires oubliées de la préhistoire aux années 1980. Ce vaste projet naît de l’observation d’un vide à combler, l’histoire des femmes noires héroïques reste globalement inconnue du grand public. L’écrivaine antillaise a ressenti le besoin de les sortir de l’ombre pour mettre à jour l’univers référentiel de ses lecteurs et lectrices. Il semble effectivement nécessaire de se souvenir que la soumission à l’esclavage ne s’est pas faite dans une passivité générale, des reines africaines ont par exemple sacrifié leur vie pour la liberté de leur peuple. Cependant, Simone Schwarz-Bart ne se contente pas d’une écriture de la consolation. Sa plume nuancée n’hésite pas à rappeler que la vision de l’Afrique comme un paradis perdu, vision partagée par nombre de caribéens descendants d’esclaves, n’est qu’un mythe. Nous analyserons ainsi l’interprétation que fait l’auteure de l’histoire mais également les moyens mis en œuvre pour mettre en avant les parcours de ces femmes malgré le peu d'informations dont on dispose à leur sujet. Simone Schwarz-Bart multiplie les supports pour pallier au manque d’écrits. L’encyclopédie est ainsi constituée de reproductions de gravures, peintures, photographies, de textes d’archives et de passages fictifs donnant voix à ces héroïnes. Ce tressage entre textes d’archives et fiction ne fait pas l’unanimité. Alain Huetz de Lemps a ressenti une certaine gêne à la lecture : « La valeur des témoignages est inégale et il est souvent difficile de faire la part de ce qui est véritablement historique et de ce qui relève de la légende et de l'imaginaire. » Cet avis nous donnera l’occasion de songer à la portée de cette encyclopédie polymorphe.

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6 Yvette Marie-Édmée Abouga (Yaoundé, Cameroun) Elle est docteure de l’Université de Poitiers et enseignante au Département de français de l’Université de Yaoundé I, Cameroun. Auteure de plusieurs contributions scientifiques dans les domaines de recherche suivants : littératures francophones des Caraïbes, études postcoloniales, déconstruction des imaginaires et des savoirs en contexte postcolonial, phénomènes littéraires de démythification, de métamorphose et de nomadisme. Elle est également rédactrice en chef du magazine Francophonie d'Excellence. Responsabilité éditoriale en cours : Francophonies nomades : déterritorialisation, reterritorialisation et devenirs.

Dialogues des corps ou l’érotisme au féminin : du mutisme à la parole transgressive et aux lieux de pouvoir dans Anthologie du plaisir (dir. Léonora Miano)

Loin d’être exclusivement une démarche esthétique de dévoilement, représenter le corps de la femme noire s’enracine bien plus dans le désir de réexaminer un discours dominant souvent falsifié et réducteur sur ce que seraient ses états et profondeurs. Ainsi, la multiplicité des points de vue dans Volcaniques. Anthologie du plaisir, s’accorderait avec l’idée d’éclatement des mises en discours de la sexualité féminine noire. Objet littéraire de plus en plus exploré (Nathalie Etoke, L’écriture du corps féminin dans la littérature de l’Afrique francophone au sud du Sahara, 2010), (Flora Amabiamina, Discours et sexe dans les littératures francophones d’Afrique. Vers un changement de mentalités ? 2017), la sexualité féminine dans les littératures francophones, engage aujourd’hui des questionnements liés à plusieurs catégories de savoirs (Michel Foucault, Histoire de la sexualité : 1984). Gayle Rubin dans Surveiller et jouir : anthropologie politique du sexe propose des outils d’analyse novateurs pour comprendre le fonctionnement des « subcultures sexuelles » rencontrées dans quelques parcours descriptifs de Volcaniques aux prouesses narratives éruptives sur le corps féminin noir dans toutes ses tensions. Cette scénographie de la corporéité revêt tantôt des formes sacrées et mystérieuses, tantôt triviales, bruyantes et carnavalesques. Par ailleurs, ces récits dans toute leur diversité, démontrent le caractère transgressif d’une parole qui se libère. Rompre avec un certain ordre qui se réduit au seul regard masculin sur ce corps longtemps contrôlé, revient à dire que le sujet féminin se charge d’interroger son corps. L’intérêt de cette réflexion est de dire comment émerge l’exigence de déchiffrement de soi-même et de son intimité dans une perspective d’affirmation d’une individualité comme lieu de pouvoir de (dé)construction et de (re)construction. Quels rapports de soi à soi-même le sujet féminin établit-il ? Ce propos se veut plus une analyse des discours de la femme noire sur sa sexualité et ses effets sur les rapports sociaux. Comment la réappréciation du masculin/féminin (F. Héritier, Masculin/Féminin. La pensée de la différence, 1997) par le questionnement du jeu des regards provoque-t-elle des troubles dans le genre (Judith Butler : 2005) ? Dans Ces corps qui comptent. De la matérialité et des limites discursives du sexe (2018), Judith Butler à travers une reprise critique du concept foucaldien de « contrainte productive », pose la manière dont les corps peuvent défaire les normes qui les constituent et devenir le lieu d’une puissance d’agir transformatrice. Dans ce sens, si la sexualité féminine noire est porteuse d’injonctions normatives, comment le recueil de nouvelles Volcaniques suggère-t-il une autre économie du corps et des plaisirs ?

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Kalidou Sy (Saint-Louis, Sénégal) Il est docteur en littérature comparée et habilité à diriger les recherches (HDR) en sciences du langage (Sémiotique) du Centre de Recherches Sémiotiques (CeReS) de l’Université de Limoges. Enseignant- chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de (FASTEF, ex ENS) pendant plus de 12 ans, il a rejoint l’Université Gaston Berger de St-Louis depuis Octobre 2012 où il enseigne la littérature comparée, la sémiotique et les théories postcoloniales. 7 Ses travaux portent essentiellement sur les dimensions discursives des interactions sociales en tant qu’elles produisent des significations vives, partagées et partageables. Il élabore ainsi progressivement une théorie unifiée du sens sous la forme d’une sémiotique de la complexité. Plusieurs publications : articles, ouvrages, directions d’ouvrages, directions de numéros de revues. Il est membre de plusieurs institutions scientifiques, nationales et internationales : Association Française de Sémiotique (AFS), Association Internationale de Sémiotique (AIS), Société internationale d’Etudes des Littératures de l’Ère Coloniale (SIELEC), etc. Il est cofondateur du Groupe de Recherches en Analyse des Discours Sociaux (GRADIS) et rédacteur en chef de la revue internationale d’analyse du discours, Gradis, à l’Université Gaston Berger de St-Louis /Sénégal. https://www.unilim.fr/ceres/contacts/les-chercheurs-associes/

Discursivisation, iconicité et cognition sociale : le devenir femmes dans le cinéma sénégalais.

Le Cinéma africain et le Cinéma sénégalais en particulier peuvent constituer des objets intéressants pour explorer les scénarisations pertinentes des manières de penser le monde et avec le monde pour signifier dans le monde. Cette contribution se propose de répondre à la question : dans quelle mesure le cinéma sénégalais participe-t-il à l’institution et à la restitution de figures de femmes comme investissements des enjeux de pouvoir en Afrique ? Pour répondre à une telle interrogation, cette intervention expérimente une double hypothèse : d’une part les processus d’iconisation dans le faire cinématographique sénégalais sont fortement contraints par des discursivités (sorte d’écologie des images filmiques) qui les modulent et les modalisent en même temps ; d’autre part le concept d’énonciation en acte est un bon candidat théorique pour explorer le caractère procédural de l’émergence des significations vives dans et par la syntaxe filmique même. Notre corpus sera constitué essentiellement, mais non exclusivement, de trois longs métrages inscrivant le devenir femme (j’appelle Devenir femme ce geste d’auto instauration du sujet face au monde affirmant sa singularité et sa subjectivité irrécusables) comme problématisation d’une forme de prise de pouvoir (sa contestation aussi !) à travers trois regards filmiques et trois générations de femmes africaines : Hyènes de Djibril Diop Mambéty (1992) avec au centre la figure de la Linguère Ramatou, ancienne prostituée devenue milliardaire et qui prend un malin plaisir á redistribuer les cartes dans la petite commune de Colobane (une idée adaptée d’une pièce de l’écrivain suisse Durrenmatt, La Visite de la vieille Dame) ; Moolaade de Sembène Ousmane (2004) qui s’organise autour de la figure de Kollé Ardo, décidée à user du droit d’asile, en tant que pratique ancestrale, pour contester la pratique de l’excision comme atteinte á l’intégrité de la femme ; Félicité d’Alain Gomis (2017) dont le personnage Félicité est une jeune femme ordinaire qui bouscule les habitudes pour sauver la jambe de son fils. Tous ces films ont connu des succès internationaux, primés dans divers festivals africains et européens (Fespaco, Khourigba, Cannes, Berlinale, etc.). Nous analyserons notre corpus depuis la sémiotique en tant que grille d’analyse et plus fondamentalement science de la signification.

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Kodjo Adabra (New York, USA) Il est Chef du département des Langues et Littératures et professeur associé de littérature francophone à l’Université de l’État de New York aux États-Unis, campus de Geneseo. Ses recherches portent principalement sur l’œuvre journalistique de l’auteur Camerounais Alexandre Biyidi Awala, alias Mongo Béti, et sur les romans du Togolais Kangni Alem. Kodjo Adabra dirige également un programme d’été de son université au Sénégal où il s’est cultivé un intérêt pour le cinéma d’Ousmane Sembène. Ses publications académiques sont parues dans des journaux aux Etats-Unis (The French Review, French Literature Series, Nouvelles Études Francophones, L’Érudit Franco-Espagnol), au Canada (Dalhousie French Studies), au Togo 8 en Afrique (Editions Continents, Editions Awoudy), et à Cuba (Editorial ConCiencia Ediciones). https://www.geneseo.edu/adabra

Pouvoir et paradoxe féminin à l’écran d’Ousmane Sembène : cas de Moolaade et de Faat Kiné

Il y a un peu moins d’un siècle Georges Duhamel décrivait le cinéma en ces termes: « un divertissement d’ilotes, un passe-temps d’illettrés, de créatures misérables ahuries par leur besogne...une machine d’abêtissement et de dissolution » (Duhamel 58-59). Cependant, la plupart des cinéastes africains abordent le cinéma en termes d’éducation et de formation. Pour Ousmane Sembène, écrivain d’abord puis cinéaste par la suite, considéré comme le pionnier du cinéma africain, le réalisateur africain a une grande responsabilité vis-à-vis du public d’autant plus que l’Afrique a été longtemps victime des sociologues et des ethnologues [occidentaux]. Selon lui, la combinaison d’images réelles accompagnées de commentaires erronés ont conduit à une fausse idée de l’Afrique et des Africains, faisant de la mesure de la dualité entre l’image et la parole devient un outil indispensable pour le cinéaste africain qui veut faire du ‘bon cinéma’. Le film, certes, est une forme artistique d’expression culturelle mais la crédibilité des films de Sembène repose sur leur caractère engagé et leur analyse du fait historique et/ou du social contemporain. C’est dans le social contemporain qu’émerge chez Ousmane la mesure de la place de la femme africaine, particulièrement de la femme Sénégalaise, dans plusieurs de ces films dont Faat Kiné (2001) et Moolaade (2004). La plupart des critiques s’accordent pour soutenir que Faat Kiné d’Ousmane Sembène traite de l’émancipation de la femme africaine. Il en est de même pour Moolaade. Cependant, une étude plus minutieuse de ces deux films nous amène à constater qu’au-delà de ce message, le réalisateur, aussi auteur d’œuvres littéraires imposantes, nous expose à un tableau beaucoup plus complexe du pouvoir féminin de la femme sénégalaise : une femme à la fois puissante, présente et évoluée, mais aussi prise dans la toile délicate du poids de certaines traditions, et, en filigrane, victime de vision stéréotypée à l’occidental dans la conception du pouvoir de la femme noire. Notre présentation, nourrie de références tangibles, se penchera sur ce tableau complexe et sur le paradoxe intrinsèque au contre-discours sur la mesure des voix de femmes noires dans ces deux œuvres cinématographiques.

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Daddy Dibinga (Dakar, Sénégal) Il est réalisateur-documentariste et chercheur au sein du Groupe de Recherches en Analyse des Discours, GRADIS, de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal : https://www.ugb.sn/recherche/laboratoires-de-recherche/111-groupe-de-recherche/322-gradis-groupe- de-recherches-en-analyse-des-discours.html. Ses recherches portent sur la représentation, et la sémio-pragmatique dans le cinéma africain. Il a à son actif plusieurs publications dont les plus récentes sont « Les représentations re-construites d’Afrique dans les documentaires d’Afrique subsaharienne francophone », Abada Medjo Jean-Claude (dir.), L’Afrique en discours : Littératures, medias et arts contemporains, Tome 2, Connaissances et Savoirs, juin 2019 ; « Le rôle de l’État congolais vis-à-vis du cinéma », Claude Forest (dir.), État et cinéma en Afriques francophones. Implication, acteurs, impacts depuis les indépendances, Paris, L’Harmattan, à paraître 2020.

Les femmes dans les documentaires d’auteures-réalisatrices sénégalaises. Représentations et regards croisés dans En attendant les hommes de Katy Lena Ndiaye et Congo, un médecin pour sauver les femmes d’Angèle Diabang

9 Comment briser les murs de l’enfermement à travers la narration filmique par les femmes, et avec les femmes ? Telle est la question principale qui trouve sa réponse dans une analyse comparative de deux films documentaires réalisés par deux femmes sénégalaises, avec des femmes africaines, dans deux contextes différents, qui ont comme point commun, « l’enfermement ». D’une part, à Oualata, à l’Est de la Mauritanie, dans une société apparemment dominée par la tradition, la religion et les hommes, une ville où les femmes attendent leurs maris partis travailler en ville ou à l’étranger pendant plusieurs mois, la réalisatrice Katy Lena recueille le quotidien de trois femmes qui s’expriment avec une surprenante liberté sur leur manière de percevoir la relation entre les hommes et les femmes; d’autre part, dans la partie Est de la RDC où les viols sont utilisés comme une arme de guerre par les différents groupes armés contre les femmes, le docteur Mukwege a fondé un hôpital où sont accueillies les femmes victimes des guerres. Elles reçoivent les soins médicaux, aussi une aide de reconstruction morale, civique, et économique. La réalisatrice Angèle Diabang célèbre, dans sa manière de filmer et de recueillir leur parole, ces femmes qui se redressent malgré la douleur. Dans le premier documentaire, l’enfermement est lié aux barrières de la religion et de la tradition qui mettent les femmes sous silence, tandis que dans le deuxième, l’enfermement concerne particulièrement la guerre, et les viols dont sont victimes les femmes. Analyser les différents dispositifs narratifs de ces deux documentaires à partir des matériaux sémiologiques et pragmatiques, en vue de prendre connaissance d’éléments que les femmes mettent en ostentation pour franchir leur Rubicon et s’affranchir ; jeter un regard particulier sur l’évolution du discours de chaque personnage filmé ; font partie de cette démarche qui vient en appoint pour donner plus de ton à ce travail.

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Mathieu Simard (Louvain, Belgique) Il est chercheur postdoctoral à l’Université de Leuven (CRSH 2020-2021). Sous la supervision de Jan Baetens, il étudie la cristallisation et la diffusion de représentations des genres littéraires dans le monde francophone à travers le cinéma, la bande dessinée, le roman graphique et le roman-photo. Ses recherches portent sur les littératures et cultures de langue française (20e-21e siècles), les représentations culturelles des genres, ainsi que la génologie et ses rapports avec d’autres théories. Il détient un doctorat en lettres françaises de l’Université d’Ottawa (thèse « L’imaginaire des genres littéraires, de Platon à Patrice Desbiens »), une maîtrise en langue et littérature françaises de l’Université McGill ainsi qu’un baccalauréat en études littéraires de l’Université Laval. https://www.kuleuven.be/wieiswie/en/person/00135838

Être une femme dans les « Afriques de papa ». Bande dessinée et cinéma d’animation africains.

Cette communication montrera que la bande dessinée et le cinéma d’animation proposent des représentations diverses mais cohérentes du pouvoir patriarcal en sol africain et de ses conséquences sur les femmes peuplant le continent. Nous étudierons pour ce faire les bandes dessinées Putain d’Afrique d’Anselme Razafindrainibe et L’Afrique de papa d’Hippolyte (2010), ainsi que le film d’animation Aya de Yopougon de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie (2013). Chez Razafindrainibe, les personnages féminins sont malmenés par les hommes, qui assurent leur position d’autorité grâce à l’usage de la violence physique. « Ainsi va l’Afrique de papa », s’exclame, résigné, l’un des personnages à la fin de la bande dessinée. La référence au père n’est pas anodine puisqu’elle permet précisément d’insister sur la nature patriarcale des structures en place. Razafindrainibe a-t-il emprunté l’exclamation finale de son ouvrage à L’Afrique de papa ? Ce livre d’Hippolyte, un auteur de l’Île de la Réunion, aborde des thèmes semblables. Nous nous trouvons encore dans une « Afrique de papa », celle du père de l’auteur, dans laquelle les femmes sont les victimes de structures patriarcales et néo-coloniales. Enfin, le film d’animation d’Abouet 10 et Oubrerie nous permettra de déplacer notre réflexion sur le patriarcat. Ici est dépeinte une héroïne qui parvient à s’affirmer et à se libérer de l’emprise des hommes.

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Fatoumata Seck (Stanford, USA) Elle est professeure adjointe de littérature à l’université de Stanford en Californie. Ses recherches portent sur les littératures francophones de l’Afrique et de sa diaspora au sein du département de littératures et langues étrangères. Seck est aussi chercheuse au Center for Comparative Studies in Race and Ethnicity de Stanford. Ancienne professeure adjointe de littérature francophone à City University of New York, College of Staten Island (CUNY/CSI) et coordinatrice du programme de français, elle est titulaire d’un doctorat en littérature avec une concentration en anthropologie de l’université de Stanford. Ses recherches portent sur les rapports entre la littérature, la culture et l’économie en Afrique Subsaharienne des indépendances à nos jours. Elle étudie les processus d’appropriation de la langue française en Afrique francophone suivant les ajustements structurels, ainsi que les rapports de genre dans la période postcoloniale et néolibérale. https://profiles.stanford.edu/fatoumata-seck

Dakarois.e.s : discours et représentations à l’ère du néolibéralisme

Au Sénégal, l’avènement des ajustements structurels imposés par la Banque Mondiale et le Fond Monétaire International dans les années 80 redéfinit les rapports de pouvoir entre les sexes. C’est dans ce contexte qu’Alphonse Mendy crée Goorgoorlou, le personnage de bande dessinée le plus populaire du Sénégal. Ayant perdu son emploi suite aux réformes néolibérales, Goorgoorlou est à la recherche perpétuelle de la « dépense quotidienne » ou DQ. À travers ses aventures, Mendy dépeint avec humour et poigne le quotidien de millions de sénégalais.e.s en proie aux mesures d’austérité. Son épouse Diek, femme au foyer, devient très vite un soutien financier incontournable, grâce à ses activités informelles, son groupe d’épargne traditionnel et ses micro-crédits. Pourtant, Diek refuse le rôle de chef de famille quand Goorgoorlou le lui propose et va même jusqu’à revendiquer son statut de « subalterne ». Est-ce un cas de « patriarcat classique » (Kandiyoti 1988) ou est-ce plutôt une tension inhérente à un « arrangement de genre composite » qui caractérise les sociétés post-coloniales (Macé 2015) ? À travers cette représentation fictionnelle des femmes dakaroises, les rapports genrés de pouvoir sont réévalués dans un contexte africain, post-colonial, musulman, urbain et néolibéral. En utilisant cet angle critique, toute étude qui s’intéresserait aux représentations fictionnelles de femmes africaines contribuerait à élargir la notion réductrice de « Third World women », qui a fait l’objet de plusieurs critiques (Mohanty 1984, Minh-Ha 1987, Suleri 1989).

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Moussa Fall (Dakar, Sénégal) Professeur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, il est actuellement Chef du Département de langue et littérature française dans cette même université. En tant qu’Inspecteur général de l’éducation et de la formation (Sénégal), il a mené et publié de nombreuses recherches en sociolinguistique et didactique. Ses travaux, dans le prolongement de sa thèse en linguistique appliquée, touchent aux stéréotypes discursifs et à l’approche de la littérature de langue française en situation de langue seconde, tels « La discursivisation des stéréotypes discriminatoires dans la problématique de l’inclusion » (Liens N° 20, FASTEF-UCAD, décembre 2015) et « L’emploi du ‘ça’ comme stratégie discursive de monstration et de dénonciation dans Allah n’est pas obligé d’Ahmadou Kourouma » (Sudlangues, janvier 2017). 11

La discursivisation des stéréotypes sexistes dans la publicité au Sénégal

La publicité relève d’une stratégie de communication et permet de contribuer à atteindre un objectif commercial. Elle a un pouvoir d’influence sur les consommateurs. Aussi doit-elle susciter chez le destinataire du message un nouveau besoin, en lui donnant envie. En effet, cet « art d’exercer une action psychologique sur le public à des fins commerciales » par des stratégies et des techniques multiples est aujourd’hui un élément constitutif de notre vie quotidienne. La publicité est par essence une pratique discursive qui n’est pas intemporelle, et comme telle, elle s’inscrit dans les mutations d’un corps social et d’une économie. C’est pourquoi, dans cette communication, le concept de discursivation prend en charge l’ensemble des procédures qui consistent à transposer dans la publicité différents types de stéréotypes sexistes de façon consciente ou inconsciente pour autant que ceux-ci se développent comme l'ensemble des préjugés ou des discriminations basés sur le sexe ou par extension, sur le genre d'une personne, en l’occurrence la femme. Ainsi, la présente communication traque le processus d’enchâssement et/ou d’emboîtement de segments textuels ou discursifs sexistes dans les spots et sur les panneaux publicitaires au Sénégal dans la situation actuelle. Pour ce faire, il est d’abord question, dans le contexte sénégalais, de procéder à l’archéologie de la publicité, d’une part, et des stéréotypes sexistes, d’autre part ; ce qui permet de suivre l’évolution et l’ancrage des représentations sociétales inhérentes au sujet. Ensuite, une analyse des types de discours tente d’approfondir en situation la connotation des stéréotypes, des représentations et le fondement des pratiques et leurs effets. Enfin, il est proposé des pistes de réponses en abordant des stratégies de communication non sexiste.

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Caroline Vuillemin & Emma Heywood (Fondation Hirondelle, Lausanne, Suisse) Caroline Vuillemin est Directrice générale de la Fondation Hirondelle depuis le 1er janvier 2017. Sa carrière reflète un engagement dans le développement international, en particulier avec l’Afrique. Elle a rejoint la Fondation Hirondelle en décembre 2003. D’abord en charge du projet Radio Okapi (la radio des Nations Unies en RDC créée en partenariat avec la Fondation Hirondelle), elle est devenue Directrice des opérations en 2008. Avant la Fondation Hirondelle, elle a travaillé pour la Fondation internationale pour les systèmes électoraux (IFES) où elle a participé à de nombreuses missions d’observation électorale en RDC, au Rwanda, au Burundi, en Afrique du Sud, au Nigéria et au Congo-Brazzaville. Caroline Vuillemin est titulaire d’une Licence de l’Institut d’études politiques de Lyon, complétée par un diplôme en Relations internationales de l’Université de Georgetown à Washington, DC. https://www.hirondelle.org/fr/

Dr Emma Heywood, Lecturer in Journalism, Politics and Communication at the Department of Journalism Studies, University of Sheffield. Her research focuses on the role and impact of radio in conflict-affected areas. She has recently been awarded a large UKRI GCRF grant to investigate perceptions and representations of women’s rights and empowerment by radio in Mali, Niger and Burkina Faso. This builds on current work by the FemmePowermentAfrique project, which she leads. This research project assesses the impact of radio on women's empowerment in Niger and Mali. Her research interests lie in the role of radio in fragile and conflict-affected zones and she works closely with international media development agencies, non- governmental organisations (NGOs) and civil society organisations (CSOs). https://www.sheffield.ac.uk/journalism/staff/emma-heywood

L’impact de la radio sur l’autonomisation des femmes au Mali et au Niger

12 Les médias sont le reflet de la société, de ses tensions, de ses représentations et ses inégalités. En termes de représentation des genres, les femmes sont sous-représentées dans les médias et dans les productions médiatiques, y compris en Afrique sub-saharienne même si les chiffres manquent. La Fondation Hirondelle et la Dr. Emma Heywood de l’Université de Sheffield se sont associées pour une étude sur l’empowerment des femmes au Niger. Les questions de la recherche étaient de savoir si les programmes de Studio Kalangou (www.studiokalangou.org) répondaient aux besoins et aux aspirations des femmes nigériennes d’une part, et déterminer les représentations de et par les femmes dans les médias d’autre part. A travers l’analyse des contenus produits par Studio Kalangou dans ses émissions « femmes » et des focus groupes d’auditrices et de non-auditrices, l’étude apporte des résultats très éclairants notamment sur le choix des mots : empowerment, traduit par autonomisation, ne parlait pas aux femmes. Elles exprimaient un besoin de liberté de choix. Une étude similaire est en cours au Mali. L’ensemble des résultats sera présenté et permettra un échange avec les participants.

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Emeline Baudet (Paris, France) Elle est doctorante à l’Université Sorbonne Nouvelle sous la direction de Xavier Garnier. Elle travaille sur la représentation des communs et du lien social dans un corpus de littérature africaine et latino-américaine. Elle est également chargée de recherches à l’Agence Française de Développement, sur les questions de gouvernance et de communs. Dernière publication : « L’Afrique redécouvre les communs : une lecture des enjeux fonciers ruraux au Mali », avec M. Boche et S. Leyronas, L’Économie africaine, éd. La Découverte, coll. Repères, pp. 77-94 (2020). https://www.afd.fr/fr/chercheurs/emeline-baudet

Les discours sur le développement : une opportunité pour les femmes africaines ?

La figure féminine est au cœur de nombreux projets menés par les acteurs du développement qui travaillent à « l’empowerment » des femmes du Sud global. Une nouvelle gamme d’instruments financiers servent aussi à donner un pouvoir de décision aux femmes, en privilégiant l’accès aux moyens de production économique, à travers l’accession à la propriété, à des formes de coopératives, à des crédits, etc. Ils promeuvent également une vision dynamique de la femme africaine, racontant à l’envi les success stories de commerçantes, ingénieures, cheffes d’entreprise ou entrepreneures, qui ont réussi à imposer leur vision et à se frayer un chemin dans une jungle économique majoritairement dominée par les hommes. Le discours des acteurs de développement, relayé par la sphère médiatique, construit ainsi la figure idéale de femmes autonomes et indépendantes. Cette image véhicule à son tour des valeurs issues de la sphère économique globalisée et fait exploser les cadres culturels et familiaux traditionnels. Nous discuterons ces discours à la lumière de textes littéraires, qui dévoilent les stéréotypes sous-jacents au concept de « vulnérabilités » des femmes africaines. Dans certains romans d’Emmanuel Dongala et de Ken Bugul, la représentation littéraire des projets de développement traduit leurs nombreuses ambiguïtés pour les héroïnes, qui questionnent, critiquent ou contestent les moyens mis en œuvre depuis l’extérieur pour leur conférer pouvoir et autonomie.

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13 Amandine Herzog (Berne, Suisse) Elle est assistante-doctorante à l’Université de Berne. Son mémoire de master (2017) est intitulé : « De l’allégorie à la fantasmagorie. Des voix homodiégétiques pour énoncer les troubles mentaux dans deux romans francophones sénégalais : Le chant des ténèbres de F. D. Sène (1997) et La Maison des épices de N. D. Diouf (2014) », sous la direction de Madame Christine Le Quellec Cottier. Son projet de thèse porte sur la « Poétique de la maladie mentale en situation interculturelle », sous la direction de Patrick Suter. « Le club des miracles relatifs (2016) de Nancy Huston : la dystopie pour traduire des états limites », article à paraître au sein du volume regroupant les actes du colloque « Poétique des frontières », aux éditions MētisPresses à Genève (courant 2020). https://www.francais.unibe.ch/notre_institut/personen/ma_herzog_amandine/index_fra.html.

Pouvoir de la parole et paroles de pouvoir au féminin. C’est vole que je vole de Nicole Cage- Florentiny (2006) : « Les fous ne sont pas ceux que l’on croit »

« Sé volé man ka volé » : je vole et rien ne peut m’en empêcher, rien ne peut m’arrêter ! » Voler. S’émanciper. Le titre du roman de l’écrivaine martiniquaise Nicole Cage-Florentiny, en posant sans équivoque deux éléments cruciaux du dispositif littéraire : la prise de parole homodiégétique de la narratrice et la volonté d’émancipation et de révolte de celle-ci. Entre les deux, la formulation d’un mal- être flagrant, une distorsion psychique en grande partie liéé au genre. Certains discours sociétaux et littéraires ont longtemps perpétué l’amalgame entre femme et folie, cette dernière apparaissant pratiquement comme un état biologique spécifique au genre féminin. Mais les nouvelles plumes de la littérature contemporaine veulent apporter un autre regard sur la maladie mentale, grâce à des transmutations étonnantes. En effet, redonner voix à une femme souffrant de trouble mental, de manière certes paradoxale, n’est-il pas le meilleur moyen de (dé)crier toutes formes d’injustice, de rendre visible l’inacceptable, de légitimer une parole perçue comme marginale et, surtout, de remonter aux sources de cette dernière ? Le but de cette communication sera de souligner trois stratégies mises en œuvre au sein du roman, qui participent à la déconstruction des stéréotypes féminins et à la dénonciation de l’hégémonie patriarcale en vigueur, y compris dans l’espace martiniquais « réel ». La catharsis de la narratrice malade est figurée en strates multiples, impliquant le procédé d’écriture dévoilé au lecteur.

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Cédric Courtois (Paris, France) Il est professeur agrégé d’anglais et enseigne cette langue vivante à des étudiants en sciences humaines et sociales à l’Université Panthéon-Sorbonne Paris 1 depuis 2012. Il a soutenu une thèse de doctorat intitulée « Itinéraires d’un genre. Variations autour du Bildungsroman dans la littérature nigériane contemporaine » à l’École Normale Supérieure de Lyon en 2019. Il a publié des articles sur les réécritures du Bildungsroman chez les écrivains nigérians de la troisième génération, sur la mobilité transnationale (afro-européenne) des individus nigérians dans la littérature nigériane écrite depuis les années 2000, ainsi que sur le rapport littérature et questions environnementales. https://www.pantheonsorbonne.fr/recherche/page- perso/page/?tx_oxcspagepersonnel_pi1[uid]=ccourtois

Le mentorat des femmes dans Yellow-Yellow (2006) de Kaine Agary, Sky-High Flames (2005) d’Unom Azuah et Purple Hibiscus (2003) de Chimamanda N. Adichie

Kaine Agary, Unoma Azuah et Chimamanda Ngozi Adichie, romancières nigérianes de la troisième génération, nées après l’indépendance du Nigéria en 1960, ont toutes trois écrit un premier roman qui se 14 présente comme un Bildungsroman féminin. Leurs ouvrages décrivent le passage de l’ « innocence à l’expérience » (Suleiman) des héroïnes, et la centralité de la figure du mentor dans les trois romans est empruntée au Bildungsroman sous sa forme traditionnelle. L’importance du mentor au sein de ce genre littéraire est par exemple notée par François Jost : « [Bildung was] a synonym, up to the eighteenth century, of Bild, or imago or portrait. Bildung (education, formation) in the pedagogical sense of the word, is the process by which a human being becomes a replica of his mentor, and is identified with him as the exemplary model ». Dans les trois œuvres, les mentors sont toutes des femmes qui servent de modèles alternatifs non masculins – contrairement à ce que l’on trouve dans le Bildungsroman traditionnel – à des protagonistes féminins qui souffrent à la fois physiquement et psychologiquement dans une société patriarcale qui ne laisse que peu, voire aucun espace au développement d’un moi et d’une voix féminins. Contrairement aux mentors présents dans le Bildungsroman traditionnel androcentrique, dans le Bildungsroman féminin nigérian de la troisième génération, le personnage du mentor contribue souvent à l’émancipation de l’héroïne car il déstabilise le discours patriarcal et le fait évoluer par divers biais qu’il s’agira ici de décrire et d’analyser. Le mentor féminin permet une prise de pouvoir (« empowerment ») de l’héroïne décrite initialement comme un sujet (ou un objet ?) passif. Quels liens entretiennent les personnages féminins principaux et leurs mentors féminins ? Nous verrons que le lien sororal qui les unit permet une déstabilisation du patriarcat tel qu’il est incarné par différents personnages masculins – dont le plus évident (et inquiétant) est le père de Kambili, l’héroïne de Purple Hibiscus d’Adichie. Il s’agira également de s’intéresser à l’éthique du care, notamment dans le cas de plusieurs personnages centraux dans le Bildungsprozess de Zilayefa dans Yellow-Yellow d’Agary. Prendre en compte l’éthique du care permet de donner une « voix différente » (Gilligan) à certains personnages, comme la mère de Kambili dans Purple Hibiscus qui, de prime abord, ne semble pas pouvoir incarner une figure de mentor. Le « régime du patriarcat » étant « à la source d’une impossibilité de faire relation et, surtout pour les garçons, de se penser en relation, tout l’effort de la socialisation masculine portant sur le développement d’une autonomie et d’une pensée détachée des affects » (Paperman et Molinier), dans quelle mesure les relations entre femmes permettent-elles aux protagonistes de ces romans de « se penser en relation » mais également de panser leurs blessures par ces relations ? Sur un plan formel, quelles variations du Bildungsroman apparaissent dans ces trois romans ? Quel effet la (tentative de) prise de pouvoir d’un personnage féminin a-t-elle sur le genre littéraire ? Enfin, quel rapport ces œuvres entretiennent-elles avec leur lectorat ?

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Anne Obono-Essomba (Katsina, Nigéria) Maître assistante depuis 2016 à l’Université Umaru Musa Yar’Adua Katsina au Nigeria, elle est chef du département de français dans la même Université. Elle enseigne le français langue étrangère et langue seconde. A cette discipline sont associée plusieurs autres comme les cultures et civilisations africaines, l’inter culturalité, la sociolinguistique et le multiculturalisme. Titulaire d’un Doctorat PhD en Littérature africaine, option littérature orale à l’Université de Yaoundé I au Cameroun.

Péril environnemental et révolte féminine dans Then she said it de Tess Osonye Onwueme

La dégradation de l’environnement est une préoccupation planétaire due aux problèmes de pollution. Dans la ville d’Akwa Ibom au sud du Nigeria, les oléoducs déversent les déchets pétroliers qui mettent en péril l’écosystème. Les forêts, les terres agricoles, les eaux sont envahies par des marées noires ravageant toute forme de vie. Face à la tragédie, plusieurs voix s’élèvent rejoignant ce que l’écrivain écologiste Ken Saro- Wiwa pendu en 1995 qualifie d’« écocide ». Malheureusement les femmes rurales sont doublement 15 affectées. Exploitantes directes des ressources agricoles et fluviales, elles assistent à la stérilisation des terres et à l’empoisonnement des eaux par les produits chimiques les exposant au chômage, à la famine, à la délinquance et à l’exode. Loin de garder une position fataliste, ces dernières luttent selon leurs moyens face au fléau. Dans sa pièce de théâtre Then she said it (2002), l’écrivaine et dramaturge nigériane Osonye Tess Onwueme, présente la lutte des femmes dans la défense et la sauvegarde de leur terroir. L’objectif de ce travail est de montrer comment l’auteur procède à l’héroïsation des femmes rurales souvent ignorées par les médias. A cela, l’approche éco-féministe, développé par Maria Mies et Vandana Shivas dans Ecoféminisme ( 1998) permettra de montrer l’engagement des femmes dans la défense de leur milieu ; la théorie de l’éthique du care donc parle Joan Tronto permettra également de voir que les femmes rurales face au péril environnemental développent une nouvelle forme d’héroïsme stylisé sous la plume Osonye Tess Onwueme.

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Elara Bertho (Bordeaux, France) Chargée de recherches au CNRS, ancienne élève de l’ENS de Lyon et agrégée de lettres modernes, elle a travaillé sur les figures de résistances à la colonisation au Niger et en Guinée. Sa thèse est parue sous le titre Sorcières, tyrans, héros. Mémoires postcoloniales de résistants africains en 2019 aux éditions Honoré Champion. Elle s’intéresse aux relations entre littérature et fictions politiques. http://lam.sciencespobordeaux.fr/users/elara-bertho

Prophéties et femmes puissantes : pouvoir de l’oral, pouvoir de l’écrit dans L’authentique Pearline Portious de Kei Miller

Femme-sorcière, femme vénérée, femme enfermée : Adamine Bustamante, l’héroïne du roman du Jamaïcain Kei Miller[1], fut tout cela à la fois. Dans ce roman choral, la voix du narrateur, l’écrivain affublé du sobriquet hautement symbolique de Gratte-Papyè, s’entremêle à celle de l’héroïne. Ensemble, ils retracent la vie d’une femme qui devint prophétesse, où la puissance de sa voix pouvait soigner les maux du voisinage, et notamment des autres femmes qui l’entouraient. Après une grande migration et une traversée de l’Atlantique, le récit se poursuit à Londres, où la parole prophétique n’a plus court. Adamine est enfermée, la force de l’écrit, du papier et de l’administration imposent un nouveau régime de pouvoir et de savoir. C’est à ce nouveau régime de « raison graphique », pour reprendre l’expression de Goody, que doit se plier la parole féminine. L’écrivain, alors, par la force de l’écrit, rassemble les bribes éparses des discours et des témoignages qu’il peut trouver sur celle dont on apprend enfin qu’elle est sa mère, à la mémoire défaillante, rongée par la vieillesse. L’écriture romanesque, dans ces conditions, prend en charge une nouvelle dimension, de soin, de reconstitution, de re-filiation. Jouant avec les documents, les archives historiques, les récits inventés, Kei Miller fournit un magnifique portrait de femme, où l’oppression et la résistance sont montrés dans le fil d’une vie. Nous analyserons ce parcours de femme puissante, en lutte contre toutes les tentatives d’enfermement – annoncées dès l’initiale du roman par la mention de Jane Eyre. Nous porterons une attention particulière à la relation tressée entre oralité et écriture, et au jeu entre l’invention de document et l’écriture fictionnelle.

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16 Isabelle Chariatte (Bâle, Suisse) Depuis 2007, elle enseigne la langue et la littérature françaises à l’université de Bâle. Après une thèse sur La Rochefoucauld (La Rochefoucauld et la culture mondaine. Portraits du cœur de l’homme, Classiques Garnier, 2011), elle a réorienté ses recherches vers la littérature africaine (« Literatur als ‘prophetische Vision der Vergangenheit’ » in Afrika-Bulletin. Literatur schreibt Geschichte neu, Mai/Juni 2018, n° 170, p. 4-5 ; « L’autodétermination dans les romans d’In Koli Jean Bofane – droit de réponse à la violence postcoloniale », in Études de Lettres. Voir et lire l’Afrique contemporaine, éd. Chr. Le Quellec Cottier, I. Wyss, 2017, n° 3-4, p. 57-81). Elle invite régulièrement des écrivains africains à l’université de Bâle, au Literaturhaus Basel et a organisé à Bâle en 2017 le festival des arts contemporains du Congo « Kongo am Rhein ». https://franzoesistik.philhist.unibas.ch/de/personen/isabelle-chariatte-fels/#top

Repenser les catégories du féminin dans Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie

Dans un monde marqué par le déplacement des idées et des personnes entre les continents, la réflexion sur les représentations de la femme noire invite à reconsidérer la complexité et la mouvance des discours sur le féminin qui varient en fonction du contexte social, politique et culturel à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Afrique. Nous proposons d’étudier le roman Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie sous cet angle et de reconsidérer le discours des luttes de la femme noire à partir des textes de l’auteure (We should all be feminists (2012) et Dear Ijeawele, or a feminist manifesto in fifteen suggestions (2017), que nous mettrons en relation avec certains courants féministes africains. En opposition avec les théories occidentales ou même afro-américaines (black feminism) construite sur l’intersectionnalité (Kimberlé Crenshaw), certaines tendances du féminisme africain invitent à repenser les catégories de la femme noire par le biais de notions d’inclusion et de solidarité, telle la sisterhood. Si les textes théoriques d’Adichie entrent davantage en écho avec ce discours apolitique, le roman Americanah, par contre, replace les représentations des discriminations et des luttes de la femme noire dans une vision politique liée à la mondialisation et à l’histoire des Noirs.

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Moussa Sagna (Dakar, Sénégal) Docteur en littérature francophone comparée, il est maître de conférences assimilé à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Ses recherches portent principalement sur les subversions esthétique, poétique et sur les questions ayant trait au traitement littéraire du concept d’identité dans la prose francophone contemporaine. Il est l’auteur de nombreuses publications dont « Vue d’ici vue d’ailleurs : des fresques de l’Europe dans Stupeur et tremblements d’Amélie Nothomb et Le Ventre de l’Atlantique de Fatou Diome », Actes du colloque Raconter l’Europe (Cesenatico, 12-13-14 octobre 2016), Bologne, I Libri di Emil, 2018, pp. 195-211 ; « Le baobab fou, Riwan ou le chemin de sable et De l’autre côté du regard : les autobiographies féministes de Ken Bugul », co-rédigé avec Amadou Falilou Ndiaye, Nouvelles Études Francophones. Revue du Conseil International d’Études Francophones, University of Nebraska Press, 2017, pp. 57-69 ; « L’innovante transgression de la mise en fiction de soi. Les exemples de Riwan ou le chemin de sable (1999) de Ken Bugul et Stupeur et tremblements (1999) d’Amélie Nothomb », Revue de Littérature et d’Esthétique Négro-Africaines, vol. 2, n° 16, Abidjan, Université Félix Houphouët Boigny, 2016, pp. 234-245. www.ucad.sn

Écriture de soi et expérience fictionnelle chez Fatou Diome : entre auto-thérapie et contestation du pouvoir

La critique littéraire a souvent analysé l’œuvre romanesque de Fatou Diome en faisant de la question de l’émigration la quintessence de ses trames narratives. Cette lecture semble être influencée par l’incapacité de l’auteure à choisir sa véritable patrie entre Niodior (sa terre d’origine) et (sa terre d’accueil), 17 mais aussi par la scénarisation des envies d’Europe de la jeunesse de Niodior. Pourtant, une autre lecture aurait permis de se rendre compte qu’à l’intérieur de ses trames narratives où elle met en scène « l’histoire de la formation de sa personnalité » afin de se débarrasser du traumatisme d’être née enfant illégitime sur une île aux habitus conservateurs, Fatou Diome fait le procès du masochisme des insulaires de ce village. Aussi, sera-t-il question, à travers cette communication, d’analyser comment l’écriture de soi a abouti, chez Fatou Diome, à une contestation du pouvoir des hommes, en général, de celui de ceux de Niodior, en particulier. Comment, dans l’œuvre romanesque de Fatou Diome, le récit de l’histoire personnelle constitue en même temps une déconstruction de l’autorité des hommes de Niodior ? Nous partons de l’hypothèse que Fatou Diome cherche à panser la condition de la femme dans un espace qui négocie son entrée dans la modernité africaine.

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Aïssatou Abdoulahi (Maroua, Cameroun) Elle est titulaire d'un doctorat en littérature française et chargée de cours à l'Université de Maroua au Cameroun. Elle est enseignante de littérature française et francophone au département de Lettres Bilingues à l’École Normale Supérieure de l’Université de Maroua au Cameroun et auteure de plusieurs publications sur Le Clézio, la littérature orale africaine (particulièrement la littérature peule) et la problématique du genre. www.univ-maroua.cm

L’Œuvre de Djaïli : un miroir de la condition de la femme au Nord-Cameroun

Il s’agit de voir comment l’œuvre de Djaïli met en lumière la condition de la femme au Nord-Cameroun. L’auteure signale l’authenticité du contenu de ses livres, Munyal : « Cet ouvrage est une fiction inspirée de faits réels ». Sa volonté de se pencher sur le sort de la femme du Sahel apparait dès son tout premier roman, Walaande : « L’épouse du Sahel. Personne ne veut savoir ce qu’elle ressent. D’ailleurs, ressent-elle quelque chose ? Elle n’est qu’une femme du saaré. […] si résignée dès sa plus tendre enfance, elle était déjà une épouse du Sahel […] Pauvre petite femme livrée un soir dans la chambre d’un inconnu qui a payé la dot et qui a tous les droits sur elle » (W : 9).

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Vincent Simedoh (Halifax, Canada) Il enseigne les littératures francophones de l’Afrique Subsaharienne, des Antilles et du Maghreb à Dalhousie University (Halifax, Canada). Ses recherches portent essentiellement sur l’humour et l’ironie, l’intertextualité, les écritures identitaires et la théorie postcoloniale. Il a publié plusieurs articles dans plusieurs revues, un essai : L’humour et l’ironie en Littérature francophone subsaharienne. Des enjeux critiques à une poétique du rire, Peter Lang, 2012 et puis aussi a collaboré à l’ouvrage Imaginaire Africain et mondialisation : littérature et cinéma (2009). Ses projets de recherches actuels portent sur l’œuvre romanesque de Sami Tchak. https://www.dal.ca/faculty/arts/french/faculty-and-staff1/our-faculty/vincent-simedoh.html

Jouissance, rupture et métaphore de la condition postcoloniale.

Dans son essai Les Subalternes peuvent-elles parler, (2009), Spivak observe que le sujet féminin dans la construction impérialiste est confronté à un « double déplacement » au sens qu’il est en tant que sujet conscient, tributaire de deux luttes à savoir l’idéologie capitaliste impérialiste et le patriarcat. A partir de cette observation, la représentation romanesque du sujet féminin a connu diverses fortunes dans la littérature francophone subsaharienne. Il y a eu, entre autres, celle sublime de la Négritude (Senghor) ou 18 de Mariama Bâ dans Une si longue lettre (1979). A cette image sublime, s’oppose celle qu’opère Beyala dans l’ensemble de son œuvre mais plus particulièrement dans Les Arbres en parlent encore (2002) et Femme nue femme noire, (2003) où on observe l’aspect de la déconstruction. Chez Beyala, la figure féminine consciente du poids historique et traditionnel, s’émancipe, met à mal le carcan patriarcal et prend le pouvoir. C’est aussi dans cette logique que s’insère l’œuvre romanesque de Sami Tchak. Mais la rupture est plus fondamentale. Dès son premier roman, Femme infidèle, (1986), Tchak place la réflexion à un autre niveau en faisant dire à son personnage féminin « Va faire de ton corps ce que tu veux » (p.115). Ainsi donc, et au fur et à mesure de ses publications, - Place des fêtes (2001), Hermina (2003), La Fête des masques, (2004), Filles de Mexico, (2008) ou Al Capone le Malien, (2013) - les personnages féminins, tout en conjuguant avec la condition historique et patriarcale, ouvrent un nouvel horizon jusqu’ici occulté par une représentation qui tendait à sublimer la femme qui devient du coup, un objet passif. En partant de la notion de transgression et de jouissance (Bataille et Lacan) et du féminisme décolonial de Vergès, il s’agit de voir dans cette réflexion comment les personnages féminins transgressent les limites établies, créent des ruptures et deviennent une métaphore de la représentation de la condition postcoloniale.

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Lucienne Peiry (Lausanne, Suisse) Historienne de l’art, elle est commissaire d’expositions internationale, essayiste et conférencière. Elle a dirigé la Collection de l’Art Brut pendant dix ans (2011-2011) avant d’être nommée à la direction de la recherche et des relations internationales de ce même musée (2012-2014). Elle a organisé plus de trente expositions en Europe et au Japon et a écrit ou dirigé plus de trente publications sur ce sujet. Lucienne Peiry a consacré sa thèse de doctorat à l’Art Brut et à l’histoire de la collection initiée par Jean Dubuffet ; cette étude a paru aux éditions Flammarion, en français, anglais, allemand et chinois. Depuis 2010, elle donne un cours sur l’Art Brut à l’EPFL, au Collège des Humanités. www.notesartbrut.ch

Baya, Chäibia et Seyni Awa Camara : créatrices africaines indépendantes

Créatrices africaines hors du commun, elles se lancent toutes les trois, très jeunes, dans la création artistique de manière autodidacte, couchant spontanément sur le papier ou modelant dans l’argile des personnages qui relèvent d’un rêve, d’un fantasme ou d’une révélation divine. Chacune d’elles inventent un univers personnel, se déprenant des normes et des usages traditionnels de la représentation propres à leur culture. Illettrées et d’origine humble, elles trouvent dans cette voie expressive une forme d’émancipation et de résistance puissante, tout en laissant s’épanouir une inventivité esthétique et plastique saisissante. L’Algérienne Baya (1931-1998), la Marocaine Chaïbia (1929-2004) et la Sénégalaise Seyni Awa Camara (1945) donnent libre cours à leurs impulsions créatrices et s’attachent tout particulièrement à la représentation de la figure féminine dans leurs peintures et leurs sculptures. Silhouettes de femmes aux formes arabesques, majestueusement parées chez Baya, créatures au couleurs vives et à la frontalité imposante chez Chaïbia ou encore mères au corps affublés d’une multitude d’enfants : toutes créent des représentations humaines féminines centrées essentiellement sur le corps. Longtemps dans l’ombre, ces trois créatrices africaines sont aujourd’hui reconnues sur le plan international, représentées dans des musées et des manifestations artistiques de grande notoriété, comme la Biennale de Venise.

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19 Xavier Garnier (Paris, France) Il enseigne les littératures francophones à l’Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3. Ses recherches portent sur l’évolution des formes narratives dans le roman africain de l’époque coloniale à nos jours. Il s’intéresse notamment à la question des littératures en langues africaines et a publié en 2006 un ouvrage sur le roman swahili, qui a récemment été traduit en anglais. Son dernier ouvrage est consacré au romancier congolais Sony Labou Tansi : Sony Labou Tansi. Une écriture de la décomposition impériale (Karthala). https://paris3.academia.edu/XavierGarnier

Les femmes-paysages d'Yvonne Vera. Proposition de lecture écopoétique

L'écriture de la romancière zimbabwéenne Yvonne Vera passe par un rapport concret aux lieux pour dire les grandes violences historiques qui ont traversé l'Afrique australe. Les personnages féminins sont corporellement engagés dans des lieux, et le récit de ce qui arrive à leurs corps permet de dire la façon dont l'environnement reçoit et répond aux agressions humaines. L'examen des portraits féminins dans Butterfly burning [1998] et The Stone Virgins [2002], nous permettra de faire quelques propositions pour une écopoétique du corps féminin dans les littératures africaines.

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Coudy Kane (Dakar, Sénégal) Elle est enseignante-chercheur au département de Lettres modernes de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, et membre du Laboratoire d'Etudes africaines de l’école doctorale Arts, Cultures, Civilisations (ARCIV). Elle enseigne la littérature africaine écrite, la critique et les exercices littéraires. Dans la continuité de sa thèse de doctorat intitulée « Le sujet quêteur dans le roman des écrivains de la Moyenne Vallée du fleuve Sénégal : Les gardiens du temple de Cheikh Hamidou KANE, Markere d’Abdoulaye Elimane KANE, La fièvre de la terre d’Aboubacry Moussa LAM, Rellâ ou les voies de l’honneur de Tene Youssouf GUEYE », elle s’intéresse à l’imaginaire poétique et à la déconstruction du récit dans le roman africain francophone, à la littérature féminine et aux études postcoloniales. A ce titre, Mme KANE a publié plusieurs travaux relatifs à la littérature du terroir et aux rapports que celle-ci entretient avec la « littérature- monde ». En outre, elle a à son actif des publications portant sur la littérature des émigrés africains, en particulier l’œuvre d’Amadou Elimane Kane. Université Cheikh Anta Diop https://www.ucad.sn

La figure féminine entre l’écrit et l’image

De son idéalisation comme mère nourricière, amante envoûtante, ou épouse modèle par certains auteurs, à la démythification de son image chez d’autres, la femme est un sujet dominant dans la littérature et le cinéma africains francophones. La femme, traditionnellement investie de la fonction symbolique d’éducatrice et de gardienne des valeurs cardinales de la société, doit incarner la féminité parfaite, c’est- à-dire la modestie, la fidélité conjugale et le dévouement à son foyer. On décèle ainsi les normes discursives destinées à façonner l’ensemble de la société en imposant cette sujétion féminine. Une représentation réaliste au cinéma restaure à cette femme africaine sa quotidienneté souvent passée sous silence dans le temps même où l’éloge de sa perfection est décrié, surtout par les femmes écrivains qui y voient une expression ultime de la ruse de la raison phallocratique et un déni de la dure réalité à laquelle elle est confrontée. On perçoit, dès lors, dans le cinéma et la littérature l’importance de dépasser la simple dénonciation d’une oppression, ce dépassement n’étant possible que par la représentation de la femme elle-même, saisie dans sa réalité concrète. En exposant la condition féminine, le cinéaste et l’écrivain centrent leurs œuvres sur l’alternative que représente l’affirmation d’une pensée et des valeurs autres. Ils 20 tentent de participer à la redéfinition des normes, autorisant la femme à défendre sa liberté. L’objectif de leur création est de susciter chez la femme une conscience nouvelle et de lui faire adhérer aux projets de conquête de son émancipation. C’est dans cette perspective que s’inscrivent respectivement l’écrivaine sénégalaise de la Diaspora, Fatou Diome, qui dénonce toute forme de soumission de la femme et le cinéaste sénégalais Ousmane Sembène, qui, lui, ne cesse de mettre en lumière la condition de la femme, au même titre que les autres formes d’oppression. Nous proposons une étude comparée de la représentation de la figure féminine dans le cinéma et la littérature à partir du roman Celles qui attendent de Fatou Diome et du film Faat Kiné d’Ousmane Sembène. Dans son roman, Fatou Diome montre son engagement pour la réhabilitation de l’image de la femme. Les femmes qu’elle décrit vont à la conquête de la liberté d’action et d’opinion, à leurs risques et périls, et au risque même de bouleverser l’ordre socialement établi. Le film de Sembène Ousmane met en scène le rôle de la femme, son « héroïsme au quotidien ». Comment la figure féminine est-elle représentée dans le roman de Fatou Diome et dans le film de Sembène Ousmane ? C’est à cette question que nous essaierons de répondre en interrogeant Celles qui attendent et Faat Kiné. Nous analyserons d’abord la scénographie de la condition féminine; ensuite, nous aborderons le symbolisme des images et des mots.

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Lucie Cousturier Lucie Cousturier (1876-1925), artiste post-impressionniste, s’était suffisamment libérée des contraintes habituelles qui gouvernaient la vie d’une femme, épouse et mère, pour chercher à connaître et à comprendre les soldats africains présents en France au cours de la Première Guerre mondiale. Elle raconta cette rencontre dans un premier récit, Des inconnus chez moi (1920). Précédant André Gide de plusieurs années, elle fit un long voyage en Afrique, chargée par le ministère des Colonies d’une mission ayant pour but d’étudier le rôle de la « femme indigène » en Afrique occidentale française (AOF). Pendant dix mois en 1921-1922, accompagnée uniquement d’un cuisinier et de porteurs, elle fit un périple de plusieurs milliers de kilomètres qui lui permit de rencontrer des femmes de seize cercles administratifs du Sénégal, de la Guinée, et du Soudan. Dans le rapport (1923) qu’elle adressa au ministre des Colonies, elle caractérisait la colonisation française comme une « blessure ouverte de laquelle la vie s’échappe à jamais », blessure en partie responsable de la condition des femmes. Son rapport suscita une vive condamnation de la part du gouvernement général de l’AOF; on n’y vit qu’une « théorie personnelle qu’il serait déplorable de répandre dans la métropole et très dangereux de laisser s’accréditer parmi les indigènes de nos colonies » (178). Comment appréhender les motivations qui poussèrent Lucie Cousturier à entreprendre seule un tel voyage, le premier par une femme non religieuse missionnaire en AOF ? Quelle image de la femme africaine émerge de son journal ? Quelles convictions anti-colonialistes apparaissent à travers son observation des femmes ? Pourquoi ses idées furent-elles vues comme dangereuses par les autorités coloniales ? Et finalement pourquoi son rôle « inestimable » dans la naissance de la littérature africaine de langue française n’est-il pas reconnu de nos jours ?

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Catherine Mazauric (Aix-Marseille, France) Elle est professeure de littérature contemporaine d’expression française, directrice du Centre interdisciplinaire d’étude des littératures d’Aix-Marseille (CIELAM) à Aix Marseille Université, Faculté ALLSH. De 1982 à 2014, elle a auparavant exercé à l’ENSup de Bamako (Mali), au Cap-Vert, à l’ENS (actuelle FASTEF) de l’université Cheikh Anta Diop (Dakar, Sénégal) et à l’université Toulouse-Jean Jaurès. Ses travaux portent notamment sur les littératures africaines de langue française, les écritures migrantes et les relations entre 21 littérature et migrations. Autrice de Mobilités d’Afrique en Europe (Karthala, 2012), elle a récemment co- dirigé Léonora Miano – Déranger le(s) genre(s) (avec M. Unter Ecker, Études littéraires africaines 47/2019), L’Algérie, traversées (avec G. Lévy et A. Roche, éd. Hermann, 2018) ou encore La Migration prise aux mots (avec C. Canut, Riveneuve, 2014). http://cielam.univ-amu.fr/membre/1179

Adame Ba Konaré, une historienne et la question du pouvoir

Historienne, longtemps enseignante-chercheure à l’ENSup de Bamako, Adame Ba Konaré a été « Première Dame » du Mali durant les dix ans de présidence (1992-2002) de son époux Alpha Oumar Konaré. Elle a ainsi côtoyé le pouvoir politique aux plans national et international, ce qui lui en a conféré une expérience tout à la fois substantielle et ambiguë dont elle a tiré un essai ambitieux, L’Os de la parole – Cosmologie du pouvoir (2000), où elle sollicitait cette double expérience pour proposer une théorie du pouvoir comme réplique de l’ordonnancement cosmique. Peu après, elle a également été à l’initiative d’un ouvrage collectif issu de son appel à la communauté des historiens, qu’elle a dirigé en réponse au « discours de Dakar » : Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy (2008). Dès ses premiers travaux d’historienne (Soni Ali Ber, 1977 ; Sunjata, fondateur de l’empire du Mali, 1983) elle s’était intéressée à la question du pouvoir, avant de la problématiser en forgeant une expressivité singulière entre histoire et littérature, histoire érudite et populaire, sources écrites et orales, postures d’historienne, de destinataire du récit théâtral de griots et d’auteure : dans L’Épopée de Segu, sous-titrée Da Monzon : Un pouvoir guerrier (1987), et tout récemment dans Le Griot m’a raconté… Ferdinand Duranton, le prince français du (1797-1838) (2018), récit d’où émerge avec éclat la figure de la princesse Sadioba. Ainsi, de l’exercice le plus souvent subtil de leur puissance d’agir, elle ne détache pas les figures de femmes qu’elle dépeint, centrales dans son Dictionnaire des femmes célèbres du Mali (1993), dans son exploration de la tradition du wusulan, « revendiqu[é par] le mouvement néo-féministe, attaché à la valorisation de tout savoir féminin » (Parfums du Mali, 2001) comme dans son roman Quand l’ail se frotte à l’encens (2006). Nous postulons que c’est notamment parce qu’il s’assume comme féminin que le sujet de l’écriture a recours à cet alliage toujours instable de genres (de discours) et de registres. Être femme dans des sociétés promouvant sans ambages la suprématie du masculin oblige à composer sans cesse, frayer sa voie conduit à produire des accords inédits, en quête d’harmonies comme de dissonances. L’écriture d’Adame Ba Konaré se voue à allier savoirs issus de la tradition griotique et constitués à partir de sources écrites, non tant pour conjoindre des sources longtemps opposées par le discours colonial (ne reconnaissant pas de légitimité aux premières) mais afin de produire des associations nouvelles entre positivité occidentale et savoirs vernaculaires, ouvrant à une reconnaissance des visions du monde ouest-africaines plurielles et nuancées qui les fondent et qu’ils fondent. L’exercice est d’autant plus malaisé que les discours qui se croisent sont porteurs de valeurs et d’intérêts antagonistes, au sein de sociétés cloisonnées par un système de castes que le récit expose, vouant certains énonciateurs au registre épidictique. Le clair-obscur où se maintient la régie des instances énonciatives participe de cette stratégie composite visant à promouvoir une puissance alternative à l’exercice rugueux du pouvoir.

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Sophie Coudray (Lyon, France) Elle est docteure en études théâtrales en spécialiste du théâtre de l'opprimé, chargée de cours à l'Université Lyon II. Elle est membre des comités de rédaction des revues Période et Contretemps et travaille sur les liens entre théâtre et éducation populaire, ainsi que sur les mythes féminins au théâtre. Elle est notamment l'autrice de « Black Medeas et imaginaire anti-colonial », in V. Koua (dir.), Les mythes féminins et leurs avatars dans la littérature et les arts (L’Harmattan, 2018) ; « Faire choir le mythe dans l’Histoire, Rivage à l’abandon, 22 Matériau-Médée et Paysage avec Argonautes d’Heiner Müller », in J.- S. Losada et A. Lipscomb (dir.), Myths in Crisis, The Crisis of Myth (Cambridge Scholars Publishing, 2015) ; « Le Théâtre de l’opprimé : Théâtre d’éducation populaire et pratique émancipatrice », Recherche & Éducation (2016) ; « Réalité(s) et fantasme(s) d’un théâtre du peuple brésilien : Du Teatro Arena au Théâtre de l’opprimé, Augusto Boal et l’idée de théâtre populaire », Cahier d’études romanes n° 35 (PUP, 2017). https://lyon2.academia.edu/SophieCoudray

Médées africaines : « Rebelle(s) à l’Occident réducteur » Médée hante le théâtre depuis plus de deux millénaires. Femme, étrangère, « barbare », sorcière, infanticide, nombreux sont les maux dont elle a été accablée dans les sociétés patriarcales et impérialistes occidentales au fil des siècles. Des sociétés auxquelles elle vient tendre un miroir, peu flatteur, révélant leurs failles et leurs peurs. Il sera question ici des Médées africaines ou afro-descendantes dans des dramaturgies de la seconde moitié du XXe siècle et du début du XXIe siècle. Nous proposons de traverser différentes écritures théâtrales issues de divers continents qui, toutes, postulent une Médée d’ascendance africaine, mêlant à leur propos de vives critiques à l’égard des puissances occidentales, à travers la représentation d’une Médée à l’intersection des problématiques de race, de classe et de genre. Il s’agira ainsi de voir comment ces écritures théâtrales font usage d’un personnage et d’un mythe fortement ancrés dans l’histoire et l’imaginaire occidentaux pour le retourner contre ses origines, comment une certaine tradition théâtrale devient le véhicule de la critique acerbe d’une histoire colonialiste, esclavagiste et de pratiques impérialistes, comment des auteur-e-s se réapproprient ce personnage pour en faire la figure de proue des luttes d’émancipation des peuples noirs. Nous montrerons que la voix de ces Médées africaines qui résonnent dans les théâtres est une voix de résistance, de lutte, une voix fière que cherchent aussi à réhabiliter les dramaturges, contre la condamnation millénaire de cette figure féminine si complexe.

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Alice Desquilbet & Charlotte Laure (Paris, France) Elles sont agrégées de Lettres modernes, doctorantes contractuelles en troisième année et chargées de cours à l’Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle. Elles travaillent toutes deux sur les littératures francophones : Charlotte prépare une thèse en études théâtrales sur les tragédies d'Afrique et des Antilles, des indépendances à nos jours ; Alice travaille les derniers textes de Sony Labou Tansi dans le champ de l’écopoétique. Elles ont écrit un article collectif en écopoétique pour la revue Littérature, dans le cadre du collectif ZoneZadir, réfléchissant à cette occasion à la manière dont on peut travailler de manière collaborative. Avec des doctorant·es de Sorbonne Université elles ont organisé un colloque interuniversitaire de jeunes chercheur·ses sur les questions de légitimité et illégitimité de la littérature et du théâtre. Elles ont également participé respectivement à plusieurs colloques – notamment en Guadeloupe pour Alice et à Madagascar pour Charlotte – et elles font partie d’un groupe informel de lectures féministes. Alice Desquilbet : http://www.thalim.cnrs.fr/auteur/alice-desquilbet?id_auteur=603 Charlotte Laure : https://paris3.academia.edu/CharlotteLAURE

D’une Kimpa Vita à l’autre. Lectures croisées de la « Jeanne d’Arc du Congo » dans les pièces de Bernard Dadié et Sony Labou Tansi

Béatrice du Congo – alias Kimpa Vita – est une prophétesse chrétienne congolaise ayant lutté contre la colonisation portugaise, avant d’être tuée sur un bûcher en 1706. Elle est le personnage éponyme des pièces de théâtre de l’ivoirien Bernard Dadié et du congolais Sony Labou Tansi qui sont écrites après les indépendances. Il s’agit pour les deux dramaturges de réhabiliter une figure de résistante féminine de la colonisation dont la mémoire a pu être effacée par la période coloniale mais aussi d'évoquer, de manière 23 prophétique, les rapts et exploitations du territoire qui continuent à l’ère néocoloniale. Dans les deux pièces, comment la forme théâtrale permet-elle à cette figure historique de prendre la parole ? En représentant l'action politique et révolutionnaire de cette guerrière martyre, ces deux écrivains masculins reconduisent-ils des stéréotypes de genre ou les détournent-ils ?

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Marjolaine Unter Ecker (Aix-Marseille, France) Elle est professeure certifiée de lettres modernes et doctorante en littératures contemporaines d’expression française à Aix-Marseille Université. Sa thèse, qu’elle écrit sous la direction de Catherine Mazauric et sous la codirection de Susanne Gerhmann (Humboldt Universität de Berlin), s’intitule Ecritures et mobilités féminines dans les espaces frontaliers etc., s’intitule Ecritures et mobilités féminines dans les espaces frontaliers (Atlantique noir et Méditerranée au XXIe siècle). Elle est l’auteure de l’ouvrage Questions identitaires dans les récits afropéens de Léonora Miano, publié en 2016 aux PUM.

Pratiques artistiques féminines en Afro-diaspora (Atlantique noir et Afropéa) : vers une émancipation des genres ?

Des auteures afrodescendantes comme Fabienne Kanor (d’origine martiniquaise), Léonora Miano (franco- camerounaise), Eva Doumbia (franco-ivoiro-malienne) ou encore Leïla Anis (franco-djiboutienne) parcourent au sein de leurs productions artistiques des lieux symboliques et culturels comme l’Atlantique noir, espace de « contre-culture de la modernité » (Gilroy, 1993), ainsi qu’Afropéa, « lieu où les traditions et les mémoires s’épousent » (Miano, 2012b). Ceux-ci formulent des alternatives à l’hégémonie culturelle, notamment à travers l’hybridité qui les caractérise : on peut supposer que leur exploration sous le prisme du genre permet aussi de reconfigurer les manières d’être femmes, au-delà des assignations traditionnelles et dans une perspective décoloniale, ce que cette communication se propose de démontrer. Aussi, les auteures du corpus expérimentent la création artistique comme un espace de dénonciation des conditions intersectionnelles que subissent les femmes vivant en Afro- diaspora. Celles-ci se heurtent à des systèmes de domination patriarcale aux visages multiples : de la société esclavagiste (en Atlantique noir) à la société occidentale contemporaine (et en Afropéa), en passant par la figure du père ou celle du conjoint. Mais en donnant voix et corps à ces expériences d’oppressions, en faisant entendre ces « paroles proscrites » (Miano, 2012a), les auteures formulent des stratégies de résistances pour les femmes afrodescendantes et ouvrent des possibilités d’émancipation. Nous verrons que parallèlement au dépassement des genres sexuels, ce sont aussi les frontières entre les genres artistiques qui sont transgressées. Mise en scène (Eva Doumbia), jeu (Leïla Anis), écriture (Léonora Miano), journalisme radio (Fabienne Kanor) et performances etc.Mise en scène (Eva Doumbia), jeu (Leïla Anis), écriture (Léonora Miano), journalisme radio (Fabienne Kanor)..., les médias s’entremêlent au sein de créations qui se caractérisent par leur performativité ; la production artistique est appréhendée à travers ses capacités agissantes au sein de l’espace social et plus largement dans la configuration de lieux de culture transnationaux qu’habite l’Afro-diaspora. Ainsi, il s’agira de voir comment les expériences féminines en Afropéa et en Atlantique noir s’entrecroisent, et plus globalement, quelles perspectives de convergence et de divergences s’établissent entre ces deux « lieux de culture » (Bhabha, 1993) ; comment la multi-appartenance des femmes en Afro-diaspora, qu’elle soit liée à des circulations historiques (comme la déportation transatlantique), à des déplacements individuels ou à la post-migration, participent d’une reconfiguration des genres sexuels, mais aussi artistiques ; comment des voix féminines individuelles s’inscrivent dans un récit collectif, dépassant les frontières des espaces et des temps ; en soi, comment la production artistique intermédiale constitue en elle-même un espace de déploiement de différentes formes de pouvoir pour les femmes afrodescendantes. 24

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Irena Wyss (Lausanne, Suisse) Auteure d’une thèse sur la littérature québécoise du XIXe siècle, elle est MER2 suppléante à l’École de français langue étrangère (EFLE) de l’Université de Lausanne. Ses recherches portent sur les littératures et cultures francophones. Elle a notamment co-dirigé, avec Christine Le Quellec Cottier, Voir et lire l’Afrique contemporaine. Repenser les identités et les appartenances culturelles (Études de lettres 2017/3-4). https://applicationspub.unil.ch/interpub/noauth/php/Un/UnPers.php?PerNum=65132&LanCode=37

Femmes et pouvoir chez Léonora Miano : (ré)invention sur les terres du Mboasu et du Katiopa.

De L’intérieur de la nuit (2005) à Rouge impératrice (2019), Léonora Miano met en scène et en voix une multitude de figures féminines, que le lecteur retrouve parfois d’un roman à l’autre. Qu’elle soit marginale ou non, réduite au silence ou puissante, saine d’esprit ou encore folle, la femme chez Miano porte un regard particulier sur les différentes sociétés créées par l’auteure camerounaise. Elle questionne notamment l’identité et le rapport au passé, mais aussi ce que signifie réellement « être femme en ces parages » – comme Madame, l’une des quatre narratrices du premier volume du Crépuscule du tourment. Si les personnages féminins de Miano « se substitu{ent parfois} aux hommes lâches et veules » au point que Patricia Bissa Enama parle de « gynécocratie » pour La Saison de l’Ombre (2013), on peut légitimement se demander comment Miano articule le lien entre femmes et pouvoir dans son oeuvre. Cette communication s’attachera ainsi à étudier les attributs du pouvoir féminin dans les pays et régions inventés par Miano, la façon dont l’auteure questionne les représentations genrées et interroge les liens entre femmes, mais surtout l’étroit lien qu’elle tisse entre féminité et (ré)invention.

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Hanane Raoui (Kenitra, Maroc) Elle est professeur-assistante à la Faculté des lettres de Kénitra au Maroc, au Département de Langue et de Littérature Françaises et membre du laboratoire Littérature, Art et Ingénierie Pédagogique. Titulaire d’un doctorat en littérature française, elle s’intéresse aux études genre. Elle a soutenu sa thèse sur la question des identités queer dans le courant néoclassique et a participé à de nombreuses manifestations scientifiques autour du genre et de la femme, notamment à l’étranger, comme elle a publié plusieurs articles sur le sujet. http://flsh.uit.ac.ma

Phénomène Drag King et ‘biopouvoir’ en Afrique

En Afrique, elles sont une poignée de femmes, jeunes et moins jeunes, célèbres ou inconnues, à ‘oser’ se travestir en hommes. Conduites par un sens aigu de la subversion, elles sont repérables sur la scène artistique, telles les rappeuses du Cap Town, ou tout simplement dans la rue, à l’instar des ‘Sapeuses’ de la République du Congo, grâce à leur accoutrement masculin doublé d’une gestuelle révélatrice et singulièrement symbolique d’un désir de rébellion. Si elles rappellent, quelque part, les drag kings de couleur qui dans leur combat contre les inégalités de race et de classe, s’opposaient aux Etats-Unis au genderqueer blanc et à l’hétéro-normativité, celles-ci semblent surtout animées par l’urgence de transcender leurs conditions de femmes en mettant à mal un système patriarcal on ne peut plus pesant. Manière pour elles d’exiger un accès au pouvoir et de remettre en cause l’empowerment en tentant une transformation intelligente et parfois caricaturale de la corporéité. Il s’agira donc de voir comment s’ériger 25 en drag kings consiste pour ces femmes à se rendre concurrente de l’homme afin de gagner en visibilité. Décidées à mettre à mal la hiérarchie sociale, privilégiant le masculin au féminin, les travesties ‘bricolent’ leurs apparences dans un esprit d’aventure et de dénonciation. Il sera question de démontrer comment ces femmes s’imposent comme le miroir difformant d’une société régulatrice des rapports inégaux de genre et investigatrice d’un ‘biopouvoir’ discriminant tel que le concept a été défini par Foucault.

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Koutchoukalo M. Tchassim (Lomé, Togo) Elle est docteure en littérature africaine (Doctorat nouveau régime); elle a notamment une maîtrise en Sciences de l’Education et est actuellement Professeur Titulaire (CAMES) à l’Université de Lomé. Elle a publié 09 ouvrages dont 03 Essais : Fictions africaines et écriture de démesure, Editions Continents, Lomé, 2015 ; L’image du togolais nouveau dans l’œuvre romanesque de Félix Couchoro, Edition Peter Lang, Berne, 2012 ; Genre, identités et émancipation de la femme dans le roman africain francophone, CHRISTON Editions, Cotonou, 2018, 03 romans : Ma maison d’initiation, CHRISTON Editions, Cotonou 2017 ; Je suis le fils de quiconque m’aime, CHRISTON Editions Cotonou 2016 ; Le rescapé colonial, CHRISTON Editions, 2019 et 03 recueils de poèmes : Je ne suis pas que négatif, Editions Continents, Lomé 2017 ; Les plaies, Editions Awoudy, Lomé, 2015 ; ELLE, Editions Continents, 2019.

Femme sujet et femme objet : approche genre et féministe dans le roman Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye

La première de couverture du roman de Marie Ndiaye, présente des éléments paratextuels (le titre et l’image d’une femme au visage fermé) révélant à brûle-pourpoint l’approche genre et le féminisme de la romancière. Sans préalablement lu le roman, les indices sus mentionnés permettent d’imaginer des femmes mises en scène. Aussi le texte présente-t-il aux lecteurs trois femmes au parcours spécifiques, qui passent du statut de femme objet (Norah est méprisée avec sa sœur à cause de leur genre qu’elles portent au profit de leur frère) à celui de femme sujet (Norah qui réussit ses études devient l’avocate de son frère déchu de son trône phallocratique) ou de femme sujet à femme objet (Fanta, professeur de lycée, perd ce poste à cause de la cruauté de son époux ; Khadi Demba, femme très aimée de son époux, fait l’objet de railleries de sa belle-famille suite au décès de son époux. Désormais indésirable dans cette famille, elle est poussée à l’immigration clandestine qui la rend davantage objet malgré sa résistance aux différentes difficultés). Ces trois femmes (Norah, Fanta et Khadi) surmontent les épreuves et deviennent une sorte de béquille aux hommes. Cette représentation héroïque qui leur est consacrée, relève de l’approche féministe de Ndiaye et sa conception de l’approche genre. A cet effet, elle établit les rapports entre personnages hommes et femmes sur un portrait sombre des hommes, excepté le mari de Khadi, à travers une écriture logorrhéique que traduisent les phrases longues entrecoupées de phrases courte, un style fleuve empreint de descriptions minutieuses et du style oral.