La determination d'une region economique: L'exemple de la Broye

J.-L. Piveteau, G. Gaudard

L'idee d'une region de la Broye qui, transgressant pres, la Broye ne detient pas le monopole de ce ca¬ les frontieres fribourgeoise et vaudoise, couvrirait ractere ou de ces avantages. Au plan des vocations, approximativement les quatre districts de eile n'est qu'assemblage de paysages dont le centre , et de la «Broye» staviacoise, plus de gravite se situe ailleurs. Les plaines de la partie pour partie celui du Lac, rencontre depuis quelques aval se rattachent par leurs aptitudes et par leur mise annees la faveur de personnes soucieuses d'un ame- en valeur aux terres du Seeland. Les collines orien- nagement raisonne de ces confins enchevetres des tales prolongent Celles des districts de la Gläne et de deux cantons. la Sarine. La Haute-Broye forme antichambre au Nous avons essaye d'en verifier le bien-fonde1. Et Gros-de-. nous avons retrouve ä cette occasion les difficultes Innervant ce monde encore rural, un quintette de auxquelles se heurte toute tentative pour definir une centres urbains, germains par leur petite taille, la region economique. faible envergure de leur rayonnement, leur essor Notre demarche s'est articulee autour d'une double recent, n'arrive pas ä fixer le solde naturel positif de question. Peut-on reellement discerner une region la population; ni meme ä retenir par un nombre broyarde au sein de la portion sud-occidentale du d'emplois adequat les gens qui restent domicilies Plateau? Et les differences qu'au cceur meme de ce dans la region. Pour 300 pendulaires qui viennent petit espace on a chance de relever, ne sont-elles pas chaque jour de l'exterieur 1100 se rendent quoti- superieures ä Celles qu'on serait amene, eventuelle- diennement hors de notre perimetre pour travailler. ment, ä observer entre la Broye et son contexte? L'on definirait volontiers la Broye comme favorisee Quels faits plaident en faveur d'une entite spatiale par la nature et, neanmoins, economiquement de- qui s'appellerait la Broye? pressionnaire. Le tourisme? II ne constitue qu'un secteur marginal. On peut trouver ä ce paradoxe des motifs d'explica- Lacustre et estival, il s'exprime sous forme d'im- tion propres au secteur considere. Une Situation pacts disperses et reduits en nombre. II n'a pas limitrophe par rapport au rayonnement des villes meme le privilege de la singularite: on le retrouve plus importantes les zones d'influence de Berne avec des traits semblables sur les autres rives du lac et de Lausanne d'une part, de Neuchätel, d'Yverdon de Neuchätel et sur celles du lac de Bienne. et de d'autre part, se recoupent en terre L'industrie? Sans doute offre-t-elle des aspects spe- broyarde un rare morcellement cantonal, qui a cifiques. Plusieurs entreprises exploitent des res¬ du plus d'une; fois limiter des chefs d'entreprise dans sources locales (eaux minerales, tuileries, travail du leurs ambitions pour depasser un dimensionnement tabac...); et la centrale nucleaire de Lucencs compte purement local; et peut-etre enfin les qualites memes encore peu d'emules. Mais les fabrications ä carac¬ dont beneficiait cette terre: l'agriculture y a par- tere «helvetique» l'emportent (metallurgie, ma¬ tiellement polarise les initiatives. chines, pierres artificielles, conserveries...). Et sur¬ Mais ä tout prendre, la lethargie constatee ne fait tout, ä l'image de la Suisse de l'Ouest, la Substitution pas tache sur l'environnement. L'insuffisance dont du secteur secondaire au secteur primaire s'est ef- souffre la Broye s'incrit dans un contexte plus vaste: fectuee assez tardivement et sans dynamisme parti¬ celui de la Suisse de l'Ouest. Et la question se pose culier. finalement de savoir si la conjonction de tous ces L'agriculture, quoique passee nettement au second elements, qui pris separement se retrouvent assez plan dans le bilan economique regional, reste asso- semblables sur de plus grandes etendues, aboutit ä ciee ä la representation que l'on aime ä se faire de une Synthese, et suffisamment originale, pour justi- ce petit territoire broyard. D'abord parce que l'ef- fier que l'on parle de region? N'est-ce pas solliciter fort que l'on porte ici aux cultures (ble, pommes de abusivement la realite? terre, betteraves sucrieres, tabac) frappe: il egale A l'interieur meme des limites que nous nous celui que l'on consacre ä l'elevage. Et ä bon droit, sommes fixees pour notre investigation, une dis- les conditions topographiques, pedologiques et cli¬ parite majeure oppose le plat pays aux communes matiques concourant harmonieusement. Ensuite, ä caractere urbain. parce que la mentalite paysanne, solidement ancree, Le premier se deprime demographiquement. Encore penetre jusque dans les villes. Mais ä y regarder de qu'il soit delicat de trancher entre le commentaire

8 pessimiste, sensible au deperissement des cam¬ sideree. Une hierarchie plus marquee eut sans doute pagnes, et l'appreciation optimiste, qui voit dans contrebalance efficacement l'attraction exercee sur l'evolution actuelle une mue inevitable et salutaire la region par les metropoles peripheriques. En re¬ du monde agricole, il semble bien que le bilan de vanche, le semis actuel de petites cites diffuse plus ces communes rurales se solde, pour le present en largement ce qui, dans le cas precedent, eüt ete tout cas, par des difficultes. Bon nombre de leurs reserve ä un seul centre. habitants n'en fönt plus qu'un lieu de domicile. Trois points, en conclusion, nous paraissent devoir Les equipements commerciaux s'amenuisent. Finan- etre mis en evidence. ces et gestion municipales s'aggravent. En premier lieu le sentiment que la realite econo¬ L'autre categorie rassemble les agglomerations en mique et humaine actuelle n'obeit plus aux cloi- voie de croissance. D'abord les cinq petites villes de sonnements politiques intercantonaux se verifie Payerne, Morat, Moudon, Estavayer et Avenches. pleinement, meme si les anciens clivages ou leurs Lä se concentrent, au sens statique et dynamique du sequelles n'ont pas disparu pour autant. A negliger terme, les activites secondaires et les Services. Lä cette transformation, l'on s'exposerait ä bien des convergent une partie non negligeable des hommes deconvenues. qui quittent definitivement la terre, et surtout les Cette constatation toutefois, et c'est lä un second pendulaires issus des campagnes. point, ne suffit pas ä eile seule ä demontrer l'exis- Dans la mouvance proche de ces cinq cites se deve- tence d'une region de la Broye. Car ou bien l'on se loppent un certain nombre de localites satellites, place ä une distance teile de notre secteur que son aupres desquelles les entreprises nouvelles s'implan- unite apparaisse nettement, mais alors il ne se dis- tent volontiers. Les infrastructures et les economies tingue plus de son contexte. Ou bien l'on ne consi- externes n'y sont guere diminuees par rapport ä la dere que le secteur en question, et cette fois-ci c'est ville voisine, et les avantages relatifs aux terrains l'unite interne qui ne resiste plus ä l'examen. et ä la main d'oeuvre s'y trouvent accrus. A defaut d'une region «spontanee» de la Broye qui Replaces selon leurs coordonnees geographiques puisse s'imposer sans ambiguite, il serait permis d'en exactes, ces deux sortes de communes ne se pre¬ concevoir une qui fut «volontaire», dans le cadre sentent pas en ordre disperse. Si l'on fait exeption d'un amenagement concerte du territoire. La se d'Estavayer et, bien entendu, de quelques stations ä place une derniere Observation ä laquelle nous atta- vocation touristique comme Cheyres par exemple chons une grande importance. Une teile region arbi- les communes fortes s'alignent du SO, au NE, trairement dessinee n'aurait de signification que si le, long de la gouttiere de la Broye. Autour des eile s'integrait ä son tour dans une articulation plus quatre foyers urbains moteurs, et entre eux, se vaste. En matiere d'organisation de l'espace, il est groupent les villages suburbains entraines. Le tout impossible de delimiter valablement un territoire tend ä constituer un axe presque continu de dyna- sans tenir compte du niveau scalaire superieur. Ce misme economique et demographique. Une articu- qui revient ä dire que la definition d'une petite lation microregionale de la Broye s'esquisse ainsi, region broyarde vaudoise et fribourgeoise implique qui retrouve celle inscrite dans la topographie, et une demarche deductive, simultanee et comple- pour cause: l'essor industriel et tertiaire suit les mentaire, qui s'attache ä preciser de plus grandes voies routieres et ferroviaires, elles- memes guidees regions en Suisse. Le travail reste ä faire. par le relief. De la sorte, les oppositions liees aux divisions cantonales s'estompent. Entre les cinq poles majeurs dejä mentionnes, des differences sub- Note sistent. Elles sont faibles. Deux villes cependant l'emportent sur les autres: Morat pour sa vitalite 1 Cette note est le resultat d'un travail de seminaire industrielle, et Payerne pour son equipement com- interdisciplinaire d'economie regionale qui s'est mercial. Les chiffres d'emplois et le denombrement tenu, durant toute l'annee academique 1967-1968, des entreprises en fönt foi. II est vrai que si l'on ä l'universite de Fribourg. A ce seminaire ont colla- prend en compte non plus Payerne isolement, mais bore des geographes, des economistes et des res- par adjonction de Corcelles, le complexe payernois, ponsables de l'amenagement du territoire. la priorite, ä tous les plans, revient ä ce dernier. Nous avons ä cceur de signaler ici la participation La question reste certes ouverte de savoir si une des etudiants ä l'etablissement de la documentation autre armature urbaine eut mieux servi l'aire con- utilisee pour ce texte.