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ŒUVRES COMPLETES CG EUGENE

ADRIENNE LECOUVREUR

COMÉDIE-DRAME EN CINQ ACTES

EN SOCIÉTÉ AVEC JM. PppPJjyjî

T héatre-F iu n ça is — 14 AVRIL 1849

CALMANN LÉVY, É diteur

P aris — 3, R ue Auber — 1900

(PRIX : UN FRANC) ADRIENNE LECOUVREUR

COMKDIE-DfiAMK EN CINQ ACVW

SOCIÉTÉ AVEC M. LE0 OUVÉ

T h ÉATR£-I<’RANCAI». 14 Avril 1849.

-j ACTEURS. PERSON NAGES

Mai ilari* ADRIENNE LECOUVREUR MAURICE, comte de S a io ...... 1,1 Samson. LE PRINCE DE BOUILLON...... Lebodi. L’ABBÉ DE CHAZEU1L. . . • • • • • MICHONNET, régisseur de lu Comédie-Fran­ Régnibb . çaise...... M. QUINA ü LT, sociétaire de la Comédie- Chéû y. Française...... * M. POISSON, sociétaire de la Comédie- Got. Française...... *••••* ACTE PREMIER Mathibn UN V A LET...... Bertin. L’A V E R T IS S E U R ...... Un boudoir élégant chez la princesse do Bouillon. Une toilette à gauche, ADRIENNE DECOUVREUR, delà Corné- R achel. une table à droite, et une console, du même côté, au fond du dié-Française ...... Allan-Dí spríaiji théâtre. LA PRINCESSE DE BOUILLON. . . . D EN AIN. ATHÉNAÏS, duchesse d’Aumont...... B BRTIN. LA MARQUISE...... F AV ART. SCÈNE PREMIÈRE. LA BARONNE ...... MADEMOISELLE JOUVENOT, sociétaire Bon val. de la Coméd r-l'rançnise...... • L ’ABBÉ, appuyé sur la toilette, L A P R IN C E S S E , assise en fie. 4. MADEMOISI.’-LE D ANGEVILLE, so­ la toilette, sur un canapé. ciétaire delà Comédie-française. .... * \Y o u M8. P É H I E K . UNE FEMME DE C H A M B R E......

et Actrice8 » i la LA PRINCESSE, achevant de se coiffer. Î E ie -n u m ex D ames i>e la corn, Acteoiis COMBDIË-Fll ANÇAISE. Quoi, 1 abbé ! pas une historictle... pas le moindre petit scandale ?...

l ’a b b é . A . — Mars l’ISO. Hélas ! non I la princesse. Votre état est perdu! Vous devez, d’obligation, savoir toutes les nouvelles... C’est pour cela que les dames vous reçoivent le malin à leur toilette... Donnez-moi la boîte à mouches... Voyons, cherchez bien!... je vois, à votre air mystérieux, que vous en savez plus que vous ne dites..., COMÉDIES DRAMES 158 ADRIENNE LlSCUUVRKUH 159

l ’a b b é . LA PRINCESSE, avec hauteur. Des nouvelles insignifiantes... certainement! Vous appren Et pourquoi, s’il vous plaît? drai-je que mademoiselle Lecouvreur et mademoiselle Du. L ABBE, avec embarras. clos doivent ce soir jouer ensemble dans Bajazet, et qu’il y Pour des motifs que je ne puis ni ne dois vous dire... aura une foule immense... parce que ma délicatesse et mes scrupules... LA PRINCESSE. LA PRINCESSE. Après?... Un instant, l’abbé !... Placeriez-vous cette mou­ Des scrupules... à vous, l’abbé 1 Et vous disiez qu’il n’y che à la jolie... ou à l’angle de l’œil gauche? avait rien de nouveau?... (se levant.) Achevez donc!... Aussi l ’a b b é , passant derrière le canapé. bien ma toilette csl terminée... et je n’ai plus que dix mi­ Si madame la princesse ne m’en veut pas de ma frati nutes à vous donner. chise... j’aurai le courage de lui dire... que je me prononce l ’a b b é . ouvertement contre le système des mouches, Eh bien! madame... puisqu’il faut vous le dire, vous, pe- LA PRINCESSE. lite-fille de Sobieski et proche parente de notre reine, vous C’est toute une révolution que vous tentez là !... et avec avez pour rivale mademoiselle Duelos, de la Comédie-Fran­ çaise. votre air timide et béat... je ne vous aurais jamais cru ur lévite si audacieux. la p r in c e s s e . En vérité ! l’a b b é . l ’a b b é . Timide... timide... avec vous seule! C’est la nouvelle du jour... Tout le monde la connaît, LA PRINCESSE. excepté vous, et comme cela peut vous donner un ridicule., Ali bah!... Eh bienl vous disiez donc?... Votre autre je me suis décidé, malgré l’amitié que me porte M. le prince nouvelle... de Bouillon, votre mari, à vous avouer... l’a b b é . LA PRINCESSE. Que la représentation de ce soir est d’autant plus piquante Que le prince lui a donné une voiture et des diamants!..

que mademoiselle Lecouvreur et la Duelos sont en rivalité l ’a b b é . déclarée. Adrienne Lecouvreur a pour elle le public tout C’est vrai ! entier, tandis que la Duelos est ouvertement protégée pai LA PRINCESSE. certains grands seigneurs et même par certaines grandes Et une petite maison... dames... entre autres par la princesse de Bouillon! l ’a b b é . LA PRINCESSE» M me U »at da rom e. C’est vrai 1 Par moi? la p r in c e s s e . l ’a b b é . Hors les boulevards de Paris, à la Grange-lintelièr# Ce dont chacun s’étonne, et T ou continence même, dans L’ABBÉ, étonné. le monde, à en rire. Quoi, princesse, vous savez?... ADIUBNNK LKüOUVREUR ICI DRAMES 160 COMÉDIES

l ’a b b é . LA PRINCESSE. Oui!... oui... c’est une infidélité d’une haute portée et Bien avant vous! bien avant tout le monde... Écoutez-moi, d’un grand rapport 1 r.on gentil abbé, le tout por: .¿tre instruction... M. de Bouillon, mon mari, quoique prince et grand seigneur, est LA PRINCESSE. un savant : il adore les arts et surtout les sciences. Il s’y Le monde peut donc me plaindre et gémir de ma posi était adonné sous le dernier régne. tion, je m’y résigne, et si vous n’avez, cher abbé, rien autre chose à m’apprendre... l' a b b é . l’ABBÉ, timidement. Par goût?... Si, madame! une nouvelle... LA PRINCESSE. LA PRINCESSE, souriant. Non ! pour faire sa cour au Régent, dont il s’eflorçail de Encore une ! devenir la copie exacte et fidèle : il s’est appliqué, comme L’ABBÉ, de même. lui, à la chimie; il a, comme lui, un laboratoire dans scs appartements; que sais-je? il souftle et il cuit toute la Qui me regarde personnellement... et celle-là je crois être journée; il est en correspondance réglée avec , dont sûr que vous ne vous en doutez pas... C’est que... c’est il se dit l’élève. Ce n’est plus le bourgeois gentilhomme, que... c’est le gentilhomme bourgeois qui prend un maître de phi­ LA PRINCESSE, gaiement. losophie... toujours pour ressembler au Régent... Et vous C’est que vous m’aimez ! comprenez que, voulant pousser l’imitation aussi loin que l ’a b b é . possible, il n’avait garde d’oublier la galanterie de son Vous le saviez!... Est-il possible !... Et vous ne m’en di­ héros... Ce qui ne me contrariait pas excessivement... Une siez rien ! femme a toujours plus de temps à elle... quand son mari LA PRINCESSE. est occupé... Et pour que le mien, même infidèle, restât Je n’étais pas obligée de vous l’annoncer... dans ma dépendance, j’ai pardonné à la Duelos, qui ne fait rien que par mes ordres et me tient au fait de tout... .Ma l’ABBÉ, avec chaleur. protection est à ce prix, et vous voyez que je tiens parole ! Eh bien ! oui... C’est pour vous que je me suis fait i’in- time ami de votre mari ! Pour vous, je suis de toutes ses l ’a b b é . parties ! Pour vous, je vais à l’Opéra et chez la Duelos ! Pour C’est admirable!... Mais qu’y gagnez-vous, princesse? vous, je vais à l’Académie des .sciences ! Pour vous enfin, LA PRINCESSE. j’écoute M. de Bouillon dans ses dissertations sur la chimie, Ce que j’y gagne ?... C’est que mon mari, craignant d être qui ne manquent jamais de m’endormir 1 découvert, tremble devant la petite-fille de Sobieski, dès LA PRINCESSE. qu’elle a un soupçon... et j’en ai quand je veux... Ce que Pauvre abbé ! j’v gagne? c’est qu’autrefois il était très-avare, et que main­ l ’a b b é . tenant il ne me refuse rien 1 Commencez-vous à compren­ C’est mon meilleur momenti... je ne l'entends plus et ja dre ? 162 COMEDIES — DRAMES ADRIENNE DECOUVREUR 163 rêve à vousl... Mais, convenez-en vous-même, un tel dé­ ATHÉNAIS. vouement mérite quelque indemnité, quelque récompense... Chez le cardinal de Fleury, mon oncle! LA PRINCESSE, souriant. • LE PRINCE. Oui, l’on vous a souvent donné, à vous autres abbés de Oui, vraiment!... le grand ministre qui nous gouverne, boudoir, pour moins que cela! Mais, dussiez-vous crier à et que j’ai connu quand il était évêque de Fréjus, est mem­ l’ingratitude, je ne peux rien pour vous en ce moment. bre, comme moi, de l’Académie des sciences... c’est aussi L’ABBÉ, virement. un savant; et comme tel, je lui avais dédié mon nouveau Ah ! je ne vous demande pas une passion égale à la iraiié de chimie .. ce livre qui a étonné M. de Voltaire lui- mienne! c’est impossible !... Car ce que j’éprouve pour même!... Jamais, m a-t-il dit, il n’avait lu d’ouvrage écrit vous, c’est une adoration, c’est un culte! comme celui-là ! ce sont ses propres paroles et je ìe crois LA PRINCESSE. de bonne foi ! Je comprends, l’abbé, et vous demandez pour les frais LA PRINCESSE. du... Impossible, vous dis-je... mais, silence! on vient... C’est Moi aussi!... mais le cardinal premier ministre... mon mari et madame la duchesse d’Aumont... N’avez-vous LE PRINCE. pas aussi quêté de ce côté-ljl?... Nous y voici, (a on valet qui entre portant un petit coffret.) Bien ! l’a b bé. posez là ce coffret. (Le valet pose le coffret sur la table à droite et sort.) La place était prise... Le cardinal qui, comme homme d'Étal et comme chimiste, LA PRINCESSE. connaît mes talents, m’avait prié de passer à son hôtel pour C’est jouer de malheur... (a part.) Ce pauvre abbé arriv» me confier une mission honorable... et terrible... toujours trop tard. TOUS. Qu’est-ce donc ? SCÈNE II. LE PRINCE. L analyse scientifique et judiciaire... des matières renfer­ ATHÉNAIS, LA PRINCESSE, LE PRINCE, L’ABBÉ, l . mées dans ce coffret... poudre dite de succession, inventée, princesse ra au-devant d’Athénais è qui le prince donnait la main. sous le grand roi, à l’usage des familles trop nombreuses, et dont la nièce du chevalier d’Effiat est accusée, comme LA PRINCESSE, à Athénaîs. son oncle, d’avoir voulu se servir... C'est vous, ma toute belle, quelle bonne fortune ! qu’est-ce qui vous amène de si bon matin ? LA PRINCESSE, faiunnt un pas vers le coffret» En vérité ! LE PRINCE. On service que madame la duchesse veut vous demander. ATHENAIS, de même et gaiement* Ah ! voyons 1 LA PRINCESSE. « ün plaisir de plus. Et comment avez-vous rencontré mon LE PRINCE, la retenant. mari, que moi je n’ai pas aperçu depuis avant-hier... Gardet-vous-en bien ! Si ce que Ton dit est vrai, rien ADHlENNE LECOUVRe TJR 165 qu’une pincée de cette poudre dans une paire de gants, on LA PRINCESSE. dans une fleur, suffit pour produire d'abord un étourdisse­ Regardez donc, ma charmante, comme ce bracelet est ment vague, puis une exaltation au- cerveau... et enfin un distingué I délire étrange... qui conduit à la mort... c’est, du reste, ce ATHÉNAÏS. qui sera démontré, car j’analyserai, j’expérimenterai et je Et monté d’une façon si remarquable... c’est exquis I ferai mon rapport. LA PRINCESSE. LA PRINCESSE. Venez donc, l’abbé, venez admirer comme nous. Très-bien! mais celte analyse scientifique m’apprendra- t-elle, monsieur, ce que vous êtes devenu hier toute la jour­ l ’a bbé. née ?... Moi!... admirer!... je ne peux pas, j’écoute. LE PRINCE, bas à babbi. LE PRINCE. Une scène de jalousie affreuse... Oui, je lui -explique... et il ne comprend pas... mais je vais lui montrer... L’ABBÉ, de mima. (il fait quelques pas du côté du coffret.) Qui se prépare... L ABBÉ, le retenant. LE PRINCE, de même. Non pas... non pas... une poudre pareille, qu’il suffit de Sois tranquille!... (Rout, àia princesse.) Ce que je faisais, respirer... pour qu’à l’instant... j’aime mieux ne pas com­ madame?... Je surveillais moi-même une surprise... que js prendre... Allez toujours! vous réservais pour aujourd’hui. (Le prince continue à parler bas à l’abbé. Tous les deux sont près de la table à droite ; pendant ce temps, Athénaïs et la princesse ont été s’asseoir (il lui présente un écrin.) sur le canapé à gauche, près de la toilette.) LA PRINCESSE, vivement. LA PRINCESSE, assise. Qu’est-ce donc?... Et nous, très-chère, pendant que ces messieurs parlent LE PRINCE, à l’abbé, à voix basse. science, parlons du motif de votre visite et du service que Voilà comme on s’y prend 1 cela les étourdit, les éblouit!,», vous attendez de moi. les empêche de voir... ATHÉNAÏS, assise. LA PRINCESSE, qui vient d’ouvrir t’écrin. Je vous confierai, princesse, qu’il y a un talent... qu Des diamants superbes... j’admire, que j’adore... celui de mademoiselle Adrienne Le LE PRINCE, tenant toujours l’abbé. couvreur. Et quant à l’analyse de cette poudre diabolique... voici LA PRINCESSE. mon raisonnement... vois-tu bien, l’abbé... Eh bien? L’ABBÉ, à part aveo un soupir. ATHÉNAÏS. Encore une dissertation chimique!... Eh bien, est-il vrai (comme M. le prince s’en est vanté (il écoute le prince qui lui parle bas et avec chaleur, tout à l’heure chez mon oncle le cardinal) que mademoiselle 166 COMEDIES — DRAMES ADRIENNE LECOUVREUR 161

Lecouvreur vienne demain soircliez vous et y récite des vers? fort peu convenable... C’est à cela que je faisais allusion LE PRINCE, s’avançant vers les doux dames. dans mon invitation... et voici sa réponse : (Lisant k lettre.) Nous l’avons invitée. « Madame la princesse, si j’ai eu l’imprudence de dire (L’abbé a suivi le prince; Athénaîs et la princesse sont assises sur le ca­ « devant M. d’Argental que l'avantage des princesses de napé à gauche, l’abbé derrière le canapé, le prince dobout près de sa « théâtre sur les véritables, c’est que nous ne jouions la co- femme.) o mèdie que le soir, tandis qu’elles la jouaient toute la jour- « née, il a eu grand tort de vous répéter ce prétendu bon LA PRINCESSE. « mot... et moi un plus grand encore de l’avoir dit, môme Oui, quoique je ne partage pas votre enthousiasme, ma « en riant; vous me le prouvez, madame, par la franchise mignonne, et que mademoiselle Duelos, ch jeun le sait, me « et la gracieuseté de votre lettre. Elle est si digne, si char- semble bien supérieure à sa rivale ; mais c’est une fureur 1 « mante, elle sent tellement sa véritable princesse, que je un engouement ! tous les salons du grand monde se dis­ «-l’ai gardée devant moi sur mon bureau, pour placer la putent mademoiselle Lecouvreur... « vérité à côté de la fable. J’avais juré de ne plus aller ré- l ’abbé. « citer de vers dans le monde ; ma santé est faible, et cela Elle est à la mode ! « ajoute beaucoup à mes fatigues du théâtre. Mais le moyen, LA PRINCESSE. « à une pauvre fille comme moi, de vous refuser? vous me Gela tient lieu de tout... El comme madame de Noailles, « croiriez fière!... Et si je le suis, madame, c’est de vous que je ne peux souffrir, avait compté demain sur elle pour « prouver à quel point j’ai l’honneur d’être votre humble et sa grande soirée, je me suis empressée, depuis huit jours, « obéissante servante. de l’inviter, et j’ai là sa réponse. « A d r ie n n e . » ATHÉNAÎS, vi veinent. a t h é n a îs . Une lettre d’elle I... Ah I donnez I queje voie son écriture. Mais voilà une lettre du meilleur goût... et personne de LE PRINCE. nous, je pense, n’en écrirait de mieux tournées... (Prenant u Vous disiez vrai; c’est une passion réelle I lettre.) puis-je la garder? Je ne m’étonne plus de la passion ATHÉNAÎS. de ce pauvre petit d’Argental... le fils 1 Je ne manque pas une de ses représentations... mais je ne l’ai jamais vue de près... On assure quelle apporte dans l ’a b b é . le choix de ses ajustements un goût particulier qui lui sied Il en perd la tète I à merveille... puis des manières si nobles, si distinguées... LA PRINCESSE. LE PRINCE. C’est un mal de famille... car le père, que vous connais­ M. de Bourbon disait d’elle l’autre jour qu’il avait cru sez, avec sa perruque de l’autre règne et sa figure de l’autre voir une reine au milieu de comédiens. monde, s’étant rendu chez Adrienne pour lui ordonner de LA PRINCESSE. restituer l’esprit de son fils, y a perdu lui-môme le peu qui Compliment auquel elle a répondu par uns plaisanterie lui restait... DRAMES Ufi HENNE LECOUVHEUn 169 108 COMÉDIES

ATHÉNAÏS. ATHÉNAÏS. C’est admirable ! Ce jeune étranger au service de , que l’hiver der­ l ’a b bé. nier toutes les dames se disputaient... ce jeune fils du roi de Pologne et de la comtesse de Kœnigsmarck... Et l’histoire du coadjuteur 1 LE PRINCE. LA PRINCESSE, nvec émotioB. 11 y a une histoire de coadjuteur? Maurice de Saxe! l ’a b b é . ATHÉNAÏS. Qui, trouvant dans une mansarde, au chevet d’une pauvre Est de retour à Paris I malade, une jeune dame charmante, lui donna le bras pour l’a m; É. descendre les six'étages... et, comme il pleuvait à verse... la Permettez! le bruit en a couru, mais cela n’est pas! força, malgré elle, à monter dans sa voiture épiscopale, et tra­ ATHÉNAÏS. versa ainsi tout Paris, conduisant qui?... mademoiselle Le- Cela est! je le sais par mon petit-cousin, Florcstan de couvreur1 Belle-Isle,qui l'avait accompagné dans son expédition de Cour- ATHÉNAÏS. lande... ce qui était môme bien inquiétant, bien effrayant... C’était elle ! (vivement.) pour M. le duc d’Aumont, mon mari... et pour l’a b b é . moi. Mais enfin il est à Paris depuis ce matin... Je l’ai vu, De là, le bruit qu’il avait voulu l’enlever... Le saint homme et il revenait, m’a-t-il dit, avec son jeune général... était furieux et a juré de lancer sur elle les foudres de LA PRINCESSE l’Église à la première occasion 1 aussi, qu’elle ne s’avise pas Qui, à ce qu’il paraît, n’avoue pas son retour. de mourir! ATHÉNAÏS. l ’abbé Elle n’en a pas envie, je l’espére. (Se lavant ainsi que la prin­ A cause de ses dettes... il en a tant ! 11 doit seulement, à cesse.) Ainsi, à demain soir! je m’invite... pour la voir, pour ma connaissance, soixante-dix mille livres à un Suédois, le comte de Kalkreulz, qui, l’année dernière déjà, aurait pu l’entendre. LA PRINCESSE. le faire arrêter, et qui y a renoncé, parce que où il n’y a Vous viendrez? Nous allons, comme vous, adorer made­ rien... moiselle Lccouvreur. LE PRINCE. ATHÉNAÏS. Le roi perd ses droits ! Adieu, chère princesse, je m’en vais. (Tout le monda la recon­ ATHÉNAÏS. duit. Elle fait quelques pas pour sortir, s’arrête et revient.) A prOpOS, L’abbé ne l’aime pas et lui en veut parce que, l'année savez-vous la nouvelle? dernière, il lui faisait du tort dans son état de conquérant... LA PRINCESSE. jalousie de métier 1

E h i'mon Dieu, non! je n’ai à moi que l’abbé, qui ne sait l ’a bbé. jamais rien 1 C'est ce qui vous trompe, duchesse. J»- t’aime beaucoup, no COMÉDIES — DRAMES ADRIENNE LECOUVREUR n i car, avec lui, c’est chaque jour une aventure nouvelle, un l’a b bé. scandale nouveau, qui rajeunit mon répertoire... cela vous Et quand on commence ainsi, vous jugez... plaît, 'mesdames I ATHÉNAÏS. ATHÉNAÏS. Eli bien! vous te jugez tres-maï, car dans cette dernière Fi, l’abbé 1 expédition que l’on dit fabuleuse et où il vient de se faire nommer duc de Courlande, l’héritière du trône des czars, l’a b bé. Vous aimez l’extraordinaire, et chez lui tout est bizarre. la fille de l’impératrice, avait conçu pour lui une affection D’abord, on l’appelle Arminius ! comment peut-on se nom­ qui ne tendait à rien moins qu’à le faire un jour empereur de Russie. mer Arminius? LA PRINCESSE. LB PRINCB. Et sans doute, ébloui d’une conquête aussi brillante, Mau­ C’est un nom saxon... tous les savants vous le diront. rice aura tout employé... l ’a bbé. ATHÉNAÏS. Et puis, un autre talisman, il a l’honneur d’être bâtard, Je l’aurais cru comme vous! Pas du tout. Florestan m’a bâtard de roi. raconté qu’il n’avait rien fait de ce qu’il fallait pour réussir... LE PRINCE. au contraire, il a laissé voir franchement à la princesse mos­ C’est une chance de succès! covite qu’il avait au fond du cœur une passion parisienne...

l’a b b é . LA PRINCESSE, avec émotion. C’est à cela qu’il doit sa renommée naissante. En vérité ! ATHÉNAÏS. ATHÉNAÏS. Vous voyez donc bien qu’il ne faut pas toujours croire les Non pas, mais à son courage, à son audacel A treize ans, abbés... Adieu, princesse. il se battait à Malplaquet sous le prince Eugène, à quatorze ans, sous Pierre le Grand, à Stralsund... c’est Florestan qui UN DOMESTIQUE, annonçant. m’a raconté tout cela. Monsieur le comte Maurice de Saxe 1 l’a bbé. ATHÉNAÏS. 11 a oublié, j’en suis sûr, son plus bel exploit... au siège Ab! il est dit que je ne m’en irai pas aujourd’hui... je reste! de , il a enlevé, il n’avait pas douze ans... il a enlevé... ATHÉNAÏS. SCÈNE III. Une redoute ? MHÉNAIS, LA PRINCESSE, LE PRINCE, L’ABDÔ l’a bbé. MAURICE. Non, une jeune fille nommée Rosette. l ’a b bé. ATHÉNAÏS, aree admira tioa« Salut au souverain de Courlande! A douze ansi DRAMES ADRIENNE DECOUVREUR m

LE PRINCE. tau, pour m’enlever par surprise dans mon palais. 11 avait Salai au conquérant ! avec lui douze cents Russes... et moi pas un soldail ATIIÉNAÏ8. L’ABBÉ, riant* Salut au futur empereur! Il fallut bien se rendre 1 MAURICE, gaiement. MAURICE. Eh! mon Dieu, oui, mesdames, due sans duché, général Non pas. sans armée, et empereur sans sujets, voilà ma position ! LA PRINCESSE. LE PRINCE. Vous avez osé vous défendre ? Les états de Courlande ne vous ont-ils donc pas choisi MAURICE. pour maître ? A la Charles XII. Ah ! m’écriai-je, jomme le roi de Suède MAURICE. â Bender, en voyant luire autour de mon palai.-, les torches Certainement ! nommé par la diète, proclamé par le peuple, et les fusils, ah! l’incendie et les balles! Cela me val... Je /a i en noche mon diplôme de souverain. Mais la Russie me rassemble quelques gentilshommes français qui m’avaient défonuauQ accepter, sous peine du canon moscovite, et mon accompagné, le bravo Florestan de Belle-lsle... le roi de Pologne, qui craint la guerre avec ses voi­ ÀTIlÉiNAÏS, vivement. sins, m’ordonnait de refuser, sous peine de sa colère. Mon petit-cousin... vous en êtes content, monsieur le comte? LA PRINCESSE. Eh bien ! qu’avez-vous fait ? MAURICE. Très-content, duchesse, il se bat comme un enragé. Avec MAURICE. lui, les gens de ma maison, mon secrétaire, mon cuisinier, J'ai répondu à l’impératrice par un appel aux armes de six hommes d’écurie... et une jeune marchande couria—taise toute la noblesse courlandaise, et j’ai écrit à mon père qui se trouvait là. qu'avant d’ôlrc élu souverain, j’étais officier du roi de France ; l ’a bbé. que dans les armées de Sa Majesté très-chrétienne je n’avais Toujours des femmes ! il a une manière de faire la pas appris à reculer, et que j’irais en avant. guerre... ATHÉNAÏS. MAURICE. A merveille! Qui vous irait, n’est-ce pas, l’abbé ? Nous étions en tout l’abbé. soixante ! (I n’y avait rien à répliquer. LE PRINCE. MAURICE. Un contre vingt 1 Aussi, faute de bonnes raisons, mon p re me mit au ban MAURICE. de l’empire, l’impératrice mit ma tète à prix, et son général, Ne craignez rien, la différence diminuera bientôt. Les le prince Menzikoff entra, sans déclaration de guerre, à Mit- portes bien barricadées avec tous les meubles dorés du pa- n 4 COMEDIES — DRAMES

Inis... je place mes gens aux fenêtres avec - leurs mousquets et ma jeune marchande avec une chaudière...

d’a bbé. Vous l’aviez enrégimentée aussi?

MAURICE. Sans doute. Un feu do mousqueterie dont tous les coups portaient dans la masse des assiégeants qui, après une perle de cent vingt hommes, se décidèrent enfin à l’assaut... c’est là que je les attendais; sous le pavillon de droite, le seul où l’escalade fût possible, j’avais placé moi-méme deux barils de poudre; et au moment où trois cents Cosaques qui lavaient envahi hurlaient hourra et victoire... je fis sautei en l’air les vainqueurs avec une moitié du palais.

ATHÉNAÏS. lit vous?

MAURICE. Debout sur la brèche au milieu des décombres... appelant aux armes les citoyens de Mittau que l’explosion avait ré­ veillés... Les cloches sonnaient de toutes parts, et Menzikofl ettrayé se retira en désordre sur son corps principal... Ahi si j’avais pu les poursuivre, si j’avais eu deux régiments français... un seulement! C’est là ce qui me manque et ce que je viens chercher.

IA PRINCESSE. Tel est le but de voti e voyage?

MAURICE. Oui, madame! Que le cardinal de Fleury m’accorde, à moi, officier du roi de France, quelques escadrons de houssards... le nombre ne me fait rien, la qualité me suffit, et par Armi­ nius, mon patron 1 j’espère, l’année prochaine, mesdames, vous recevoir et vous traiter dans la royale demeure des ducs de Courlande. ADRIENNE LECOUVREUR m

LE PRINCE. Depuis quelle heure ? ATHÉNA IS. Depuis midi. LA PRINCESSE, Ce n’est pas trop. ATHEN AÏS. Venez-vous avec nous, l’abbé? Nous avons une place à vous offrir. LE PRINCE, retenant l’abbé par la main. Non!... je le garde!... j’ai à lui lire ce matin la moitié du dernier volume de mon traité... L ABBE, bas à la princesse d’un air misérable. Vous l’entendez?... LE PRINCE. Impossible de remettre... l’imprimeur attend... et je l’em­ mène dans mon cabinet!

ATHÉNAÏS. Pauvre abbé!... Adieu, messieurs! (a la princesse. ) Adieu, ma toute belle, à demain! (Atbénaïa fort par te fond, l'abbé et le prince sortent par la porte A droite.)

SCÈNE IV.

MAURICE, LA PRINCESSE.

I.A PRINCESSE, après avoir attendu que toutes Ies pones fassest re­ fermées, se rapprochant vivement de Maurice. Enfin donc on vous revoit ! Depuis deux mois, pas une seule ligne de vous ! C’est par la duchesse ft’Àumont que j’ai appris votre retour et j’ai cru que je ne recevrais pai votre visite. MAURICE. MAURICE, avec embarras, lui présentant le bouquet. Ma première a été pour vous, princesse...arrivé coite nuit.. Vous ôtes trop bonne!... LA PRINCESSE. LA PRINCESSE, à voix hauto et feignant de l'admirer. Vous n’avez vu de la matinée personne encore? Il est charmant I... L’essentiel, en ce moment, quoique MAURICE. peut-être vous méritiez peu qu’on s’occupe de vous... est de Que le secrétaire d’État au département do la guerre... songer à vos intérêts... vous dites que le cardinal-ministre... vous a mal accueilli... (Ayant l’oir da cherchar.) le cardinal-ministre... et le premier commis qui tous, du reste, m’ont assez mal accueilli et m’ont MAURICE. donné peu d’espoir I Fort mal. LA PRINCESSE. I.A PRINCESSE. D’autres vous ont dédommagé 1 Je verrai à faire changer ses dispositions... on vous accor­ dera vos deux régiments. MAURICE. MAURICE. Que voulez-vous dire ? S’il était vrai!... LA PRINCESSE, qui depuis le commencement 3e la scène a tenu les yeux LA PRINCESSE. fixés sur un bouquet que Maurice porte à la boutonnière de son babit. J’irai à Versailles... et pour vous tenir au courant de ce Je ne m’imagine pas que ce soit le secrétaire d’État ou le que j’aurai fait, de ce que j’aurai appris... cardinal-ministre qui vous ait donné ce bouquet de roses. MAURICE. MAURICE, avec embarras. Je viendrai ici... C’est vrai 1 je n’y pensais plus ! vous voyez tout ! LA PRINCESSE. LA PRINCESSE. Ici... non, la foule des curieux et des importuns, sans De qui vous viennent ces fleurs? compter mon mari, ne me laisse pas un instant de liberté... MAURICE, riant. Mais écoutez-moi : M. le prince de Bouillon a acheté, pour De qui?... ehi mais, d’une petite bouquetière... fort jolie, la Duelos, une petite maison charmante, délicieuse, près de ma foi... que j’ai rencontrée presque aux portes de votre la Grange-Batelière... à deux pas de l’enceinte de Paris... hôtel et qui m’a supplié si vivement de le lui acheter... j'en puis disposer... c’est là seulement que je vous recevrai. LA PRINCESSE. MAURICE. Que vous avez pensé à moi... Dans cette maison qui appartient... MAURICE, virsmenl. LA PRINCESSE. Oui, princesse 1 A mon mari... raison de plusi chez lui, c’est chez moi.,, LA PRINCESSE. MAURICE, gaiement. Quel aimable souvenir 1... j'accepte, monsieur le comic, En vérité, princesse, il n’y a que vous pour ne telles com­ j'accepte... binaisons ! 180 COMÉDIES D II AM ES ADRIENNE LECOUVREUR 181

I.A PRINCESSE. quelqu’un qui n’aime plus!... cela peut arriver à tout le Oui, c’est assez ingénieux... Quand ce sera possible cl monde... mais si cette passion, qui lui a fait dédaigner la fille nécessaire, c’est mademoiselle Duelos elle-même qui vou du czar... était, non pas pour moi, mais pour une autre !... en préviendra en vous écrivant, jamais moi I une rivale ! une rivale préférée !... Je m’emporte 1... non... MAURICE, de même, non... sans me mettre en avant, sans me comprometlre... je Mais ne craignez-vous pas?... e saurai ! LA PRINCESSE. (Elle redescend toujours le théâtre vers le fauteuil où l’abbé est assis et Rien!... la Duelos m’est dévouée... son sort est dans mes s’assied sur une chaise à côté de lui.) mains... L ABBE, respirant un flacon. MAURICE. Soixante pages de chimie ! c’est au-dessus de mes forces I Je comprends... mais moi... (a part.) Accepter quand j’en je donne ma démission ! je renonce à mon emploi d’ami de aime une autre... non, mieux vaut tout lui dire... (Haut.) Je la maison... (Regardant la princesse.) puisqu'il n’y a décidément ne sais, princesse, comment vous remercier de votre géné­ ni avancement, ni indemnité à obtenir... rosité, de votre dévouement... LA PRINCESSE, à demi-voix. LA PRINCESSE. Et pourquoi donc, l’abbé?... En acceptant!... Silence 1 on vient!... qu’est-ce? (se re- l ’abbé. tournant avec impatience et apercevant l’abbé qui vient d’entrer par la Que voulez-vous dire ?... porte à droite.) RÌCI1... C 6St 1 â b b é ... la p r in c e s s e . MAURICE salue respectueusement la princesse et sort par le fond. — A part. Écoutez-moi vite!... Une amie à moi... une amie intime...

Plus tard ! plus tard 1 l ’a b bé. La duchesse d’Aumont ? SCÈNE V. LA PRINCESSE. Peut-être !... je ne nomme personne... désire, avec ar­ deur... avec passion... enfin... comme nous désirons, nous LA PRINCESSE, qui est remontée avec Maurice jusqu’au fond du autres femmes... désire découvrir un secret que l’on cache théâtre, L’ABBÉ, se jetant dans un fauteuil à droite* avec soin.

l ’adbé. l’a bbé. Lequel ? Soixante pages de chimie ! LA PRINCESSE. (il tire de sa poche un flacon do sels qu’il respire à plusieurs reprises.) Quelle est la beauté mystérieuse... inconnue... qu’adore LA PRINCESSE, redescendant le théfltre en rêvant et en regardant le en ce moment Maurice de Saxe?... car il y en a u:ic ! Vous, # bouquet. l abbé, qui savez tout... qui, par état, devez tout savoir... Une bouquetière qui attache ses fleurs avec des cordons l ’abbé. »oie et or !... Cet embarras... cette froideur... sont de Certainement I ADRIENNE LECOUVREUR 183 182 00 ME III K S URA1IES

LA PRINCESSE. crélion même, ne me confiera rien... Je ne suis pas son ami... impossible de le trahir. A qui donc m’adresser... pour J’ai pensé que vous pourriez nous rendre re servire. épier, pour savoir... ot pour obtenir la récompense?... l’abbé. C’est très-difficile ! LE PRINCE, entrant. la p r in c e s s e . Miracle! I’abbé qui réfléchit! Voilà un mot que je n’admets pas ! l ’abbé.

l’a bbé. Oui, sans doute... et sur un problème... qui n’est pas fa­ Pour moi surtout... qui, dans ce moment, n’ai pas de cile à résoudre !... chanco el ne suis pas iieureux... LE PRINCE. LA PRINCESSE. ün problème!... cela nous regarde, nous aulrcs savants ! Le bonheur dépend souvent du bien jouer... Les heureux L ABBÉ, le regardant en riant. sont les habiles... Au fait... c’est vrai... cela le regarde... ça l’intéresse... en l ’a b b é . un sens. El si j'étais assez habile... pour découvrir ce secret... LE PRINCE. LA PRINCESSE. Voyons, l’abbé... voyons... qu’est-ce qui te tourmente? Je pourrais peut-être, à mon tour... vous en confier un... L ABB’-’, amenant le prince au bord du théâtre. auquel vous paraissiez tenir... il est impossible que Maurice de Saxe, qui est si galant cl L ABBE, avec joie. si à la mode, n’ait pas au moins un amour dans le cœur? 0 ciel ! est-il possible ! LE PRINCE, riant. LA PRINCESSE. Eli bien ! qu’est-ce que cela te fait à toi, l'abbé ? Vous voyez donc bien que vous aviez tort de vous plain­ dre 1 Aide-loi, le ciel t’aiderai... Ce n’est plus de moi... l’a bbé. c’est de vous seul que tout dépend... Adieu... adieu!... Cela me fait... que pour des raisons inutiles à vous expli­ (Elle sort psr la porto à gauche.) quer... des raisons personnelles, de la plus haute impor­ tarne... je tiendrais à savoir quelle est sa passion actuelle... la beauté régnante... SCÈNE VI. LE PRINCE, avec bonhomie. L’ABBÉ seul, puis LE PRINCE. Je te saurai cela ! L'nBBÉ. l’a b b é . Vous! L’ai-je bien entendu ? LE PR'NCK. Sors vainqueur d’un combat dont Chimène est le prix! Mol! dès ce soir... Mais comment en sortir?... Le comte de Saxe, qui est la d:s- IS4 COMÉDIES DRAMES

l’a b b é . Allons donc... ce serait trop original !

LE PRINCE. Veux-tu parier deux cents louis ?

l ’a b b é .

C’est cher! mais cela vaut ça... pour la rareté du fait, ( a» prince qui vient de sonner.) Que faites-VOUS donc?

LE PRINCE, à un domestique qui parati.

Mes chevaux... (a l'abbé.) Veux-tu venir ce soir avec moi à la Comédie-Française?... la Lecouvreur et la Duelos jouent dans Bajazet.

l ’a b b é . Volontiers... Mais qu’est-ce que cela fait à notre affaire ?.

LE PRINCE. La Duelos connaît le nom que tu veux savoir...

l ’a b bé . En vérité !...

LE PRINCE. L’autre soir, au moment où j entrais dans sa loge comme on parlait de Maurice de Saxe... la Duelos disait en riant : « Je connais une grande dame qu’il adore... » Elle s est ar­ rêtée en me voyant... Mais tu sens bien que si je le lui de­ mande... elle n’a rien à me refuser... Elle me le dira en con­ fidence... je te le dirai en secret...

l ’a b b é . Et c’est par vous que je l’apprendrai !... C’est impayable..

LE PRINCE, riant. Impayable? non pas... tu me paieras les deux cents louis du pari... Vivent les abbés 1 ADRIENNE LECOUVRKUR 18-

MICIIONNET. Monsieur Poisson... POISSON. La recette est-elle belle ce soir? MICHONNET ACTE DEUXIEME Adrienne et la Duelos jouant ensemble dans Bajazet pour h première fois ! plus de cinq mille livres !

POISSON. Le foyer de la Comédie-Française ; a gauche, deux portes par lesquelles on pénètre sur le théâtre ; entre les deux portes, une glace avec des can léla- Diable ! b:*es ; ou fond, une gronde cheminée sur laquelle est un buste de Molière ; Mlla DANGEVILLE. devant la cheminée, des fauteuils rangés en cercle; à droite, deux portes Michonnet ! A quelle heure commencera la seconde pièce par lesquelles on va dans la salle; aux deux angles du foyer, les bustes de Racine et de Corneille placés sur des demi-colonnes; au fond, sur les Folies amoureuses ?_ la muraille, et des deux côtés de la cheminée, les portraits de Baron, MICHONNET. de la Champmeslé, etc. Au lever du rideau, M,,e Jouvenot, en costume de A huit heures, mademoiselle... Zatime, dans Bajazet, est devant la glace, à gauche, et met la dernière main à sa coiffure; plus loin, Mlle Dangeville, dans le rôle de Lisette des QUINAULT, jouant au tric-trao. Folies amoureuses, est assise et cause avec un jeune seigneur, q..i est Michonnet 1 derrière elle appuyé sur son fauteuil; ou fond, debout ou assis devant la MICHONNET. cheminée, plusieurs des acteurs qui jouent dons Bajazet ou les Folies amoureuses. Michonnet, au milieu du théâtre, va et vient et répond è tout Monsieur Quinault... le monde ; ò droite, et devant une table, Quinault, dans le costume du QUINAULT. vizir Acomat, et Poisson, en costume de Crispin, jouent une partie d échecs ; N'oubliez pas mon poignard. d’autres acteurs et actrices se promènent en causant ou en étudiant leur* rôles. MICHONNET. Non... non... (A p art.) Michonnet!... toujours Michonnet!... Pas un instant de repos... et à qui la faule?... à moi, qui me SCÈNE PREMIÈRE. suis mis sur le pied de tout surveiller... jusqu’aux accessoires, et qui ne dormirais pas tranquille si je n’avais remis moi- MUe JOUVENOT, M110 DANGEVILLE, MICHONNET, mèinc à Hippolyte son épée et à Cléopâtre son aspic... Dis­ QUINAULT, POISSON. tribuer tous les soirs des parures en rubis ou des bourses pleines d’or... et quinze cents livres d’appointeqnents... Mtle JOUVENOT. quelle ironie!... Si au moins ils m'avaient nomrrtê socié­ Michonnet, avez-vous du rouge? taire!.. cela no rapporte pas grand’chose, mais on est de MICHONNET. la Comédie-Française... On signe : Michonnet, de la Comé­ Oui, mademoiselle, là, dans ce tiroir. die-Française! Au lieu de cela : premier confident tragique POISSON. et régisseur général... c'est-à-dire obligé d’écouter les ti­ Michonnet! rades et les ordres de tout le monde . ADRIENNE lbCOU VII1SUR Í88 COMÈDIES DRAMES

QUINAULT. MUo JOUVENOT. 11 suffit... Commence-t-on?... Adrienne aura-t-elle ce soir ses diamant»? - MICHONNET. M1Ie DANGEVILLE. Ne craignez rien... je vous avertirai... je suis la penduf Ceux que lui a donnés la reine? du foyer.

MUe JOUVENOT. Mlle JOUVENOT. A ce qu’elle dit ! Pendule qui jamais ne retarde ! MICHONNET. MICHONNET. Ces diamants-là lui ont fait bien des ennemis I C’est vrai! le moindre manquement dans le répertoire Mlle JOUVENOT. bouleverse tout mon être, et un jour de clôture est un jour 11 n’y a pas de quoil... Il est si facile d’avoir des dia­ de relâche dans mon existence. mants... MICHONNET, entre ses dents. SCÈNE II. A vous autres... mais à nous, qui n’avons que nos appoin­ tements... ou à celles qui n’ont que leur mérite... MUe JOUVENOT, avec fierté. M"° JO U V EN O T, Mlle D A N GEVILLE et d'autres demos devant I. Qu’est-ce à dire?... cheminée, au fond ; M ICHONNET, sur le devant du théâtre ; MICHONNET. L ’ABBE, L E PRINCE et plusieurs soigneurs venant de la salle et entrant par la porte à droite; QUINAULT et PO ISSO N , sur le Rien, mademoiselle, rien!... ( a pan.) Ah! si tu n’étais pas sociétaire ! si je n’avais pas besoin de toi pour le devenir... devant, à droite, et remontant, après l’entrée des seigneur», pour aller causer avec eux. comme je te répondrais!... comme je l’aurais trouvé quelque chose de bien piquant et de bien spirituel!... MICHONNET. QUINAULT, d’un oir important. Allons, encore des étrangers qui viennent dans nos foyers, Échec et mat... Vous n’êtes pas de force, mon cher... dans nOS Coulisses... (L'abbé, le prince et les seigneurs s’approchent POISSON. des dames, qui sont près de la cheminée, les saluent et causent avec elles. Quoi I monsieur Quinault I tu ne me tutoies plus !... — Reconnaissant et saluant.) Ah !... monsieur l’abbé deChazeuü. Mlle DANGEVILLE. monseigneur le prince de Rouillon ! (a part.) Quand je pense C’est un manque d’égards... que cet homme-là pourrait, d’un mot, me faire nommer so­ ciétaire... je ne peux pas m’empécher de le regarder avec POISSON. respect!... Quelle bassesse !... moi, qui blâme ces dames et Que voulez-vous! depuis que mademoiselle Quinault, sa leurs parures !... sœur et notre camarade, a épousé le duc de Nevers... il se (le prince, l’abbé, Quinault, Michonnet, descendent sur le detail du croit duc et pair par alliance... Voyons, dis-le franchement, théâtre.) veux-tu que je t’appelle monseigneur? i 00 COMED ISS ---- DRAMES

L’ABBÉ, s’adressant à Quinault. Bonsoir, vizir!... On dit, monsieur Quinault, que vous serez admirable dans Bajazet.

LE PRINCE. Ainsi que mademoiselle Duelos!

MICHONNET. Et Adrienne done!... sublime!... QUINAULT. Oui, ça a fini par la gagner!... (souriant.) Ce n’est pas sans peine ! car, sans me vanter, il n’y a pas dans le rôle de Roxane une seule intonation que je ne lui aie donnée... MICHONNET, avec colère. Vous voulez parler des diamants? Par exemple! LE PRINCE. QUINAULT, avec hauteur- Ceux do la reine! fort beaux en effet! Quand mademoi­ Qu’est-ce que e’est? selle Lecouvreur voudra s’en défaire, je lui en ai déjà offert MICHONNET, s'arrêtant. soixante mille livres ! (jl" e Jouvenot et MUe Dangeville remontent Rien, (a part.) Encore un qui est sociétaire... sans cela!... vers lo cheminée qui est ou fond du théâtre. — A Adiienno.) Vous étu­ (Regardant par ia porte è droite.) C’est Adrienne qui descend de diez doue toujours? que cherchez-vous encere? sa loge... la voici. ADRIENNE. l ’a b b é . La vérité. Oui, vraiment, elle étudie son rôlel L ABBE, regardant Quinault. MICHONNET. Mais vous avez eu des leçons des premiers maîtres. Toute seule 1 (a part et regardant Quinault.) et sans monsieur.,, MICHONNET, à Quinault, qui veut sortir. c’est étonnant! Restez donc, monsieur Quinault, on ne commence pa® encore.

SCÈNE III. L ABBÉ, à Adrienne. Pour le rôle de Roxane, par exemple ! U 11' DANGEVILLE, JOUVENOT, près de ta glace A gauche; ADRIENNE. LE PRINCE, A D R IEN N E, entrant par la porte à droite et òtti Eli! mon Dieu, non, par malheur! (Aporccvont Miciionnot ) Je dient MU ròte; L’ABBÉ, MICHONNET, QUINAULT. me trompe, j’allais ótre ingrate en disant que je n’avais pas ADRIENNE, étudiant. eu de maître. Il est un homme de cœur, un ami sincère et Du gullon Amurat je reconnais l’empire • difficile, dont les conseils m'ont toujours guidée, dont l’ai- Sorteli Qua le sérail soit désormais termi.» tection m’a toujours soutenue... (Passant près de Michornet, è qui e't» teud lu moia.) lui I cl je ne suis sûre du succès que 192 COMEDI ES DRAMES ADRIENNE LECOUVREUR 193

quand je lui ai entendu dire : C’est cela! c'est bien cela! MUe DANGEVILLE, regardant le prince. MICHONNET, à moitié plourant. Ou qu’on attendît avec bien de l’impatience.

Ali! Adrienne! vois-tu? ce lrait-là... j’étouffe ! LE PRINCE. L ABBÉ, qui est passé près de Michonnet, à l ’extrême droite du /béâtre. Qu’est-ce que cela signifie?... Mais, monsieur Michonnet, dites-moi comment, vous qui Mlle JOUVENOT, à demi-voix, au prince de Bouillon. donnez de si bons conseils, vous êtes... Je vais vous le dire... La femme de chambre de made­

MICHONNET. moiselle Duelos... Gomment je suis si mauvais, n’est-ce pas, monsieur l’abbé? LE PRINCE, sonriant. je me le suis souvent demandé. Cela tient, je crois, à ce Pénélope? que je ne suis pas sociétaire. MUe JOUVENOT. l’avertisseur. Prétendait tout à l’heure, en montrant une lettre, qu’elle Messieurs et mesdames, le premier acte va commencer I avait là un petit billet que monsieur le prince paierait bien cher. QUINAULT, au fond. Et ces dames, qui ne sont pas prêtes! LE PRINCE. Moi ! le payer! ADRIENNE, traversant le théâtre et passant près de la glace à gauene. Je le suis. Mlle JOUVENOT. Ce qui donnerait à penser qu’il n’était pas pour vous I Mlle DANGEVILLE, redescendant. Après cela, c’est une supposition... parce que chez nous, en Et moi aussi, quoique je ne joue que dans la seconde fait d’infidélités... on suppose volontiers... on bavarde, on /ièce I cause, on invente, et presque toujours cela se rencontre QUINAULT. :usle. Mais mademoiselle Duelos? POISSON, qui est assis près de la table, à droite. MICHONNET. Le hasard !... Il y a un quart d’heure que je suis entré dans sa loge, où LE PRINCE, vivement et ù part. elle écrivait... tout habillée. O ciel ! je cours interroger Pénélope. (Bas ù l’abbé.) Je vais, LE PRINCE. l’abbé, m’occuper de notre affaire... Ah ! elle écrivait ! l ’a b iié . M118 DANGEVILLE. A merveille... Où vous retrouverai-je? En costume ! (a Uabbé, qui luì parie de près.) Prenez donc LE PRINCE. garde, l’abbé, vous chiffonnez le mien! Ici... après le troisième acte.

MICHONNET. l ’a u u b. il fallait que ce fût une épître bien pressée I C’est convenu. ADRIENNE LECOUVREUR 195 194 COMÉDIES DRAMES

Al)IUENNE, avec intérêt. MICHONNET. A me confier... Allons, mademoiselle Jouvenot, allons, monsieur Quinauli' MICHONNET. ( l »s ôïinies sortent par la porte à gauche qui est celle du théâtre.) Oui, vraiment !... Tu te rappelles mon grand-oncle, l’épicier QUINAULT, que Micbonnet presse toujours. de la rue Férou ? Me voici... me voici !... (Rencontrantl’abbé à la porte à gauche.) Après vous, monsieur l’abbé. ADRIENNE. Sans doute. l’a b b é . Après Votre Excellence turque! MICHONNET. (Tous les deux sortent par la porte à gauche.) Eh bien ! ce pauvre homme vient de mourir. ADRIENNE. LE PRENCE, à part et se dirigeant vers la porte à droite. Je me suis toujours défié de cette petite Pénélope... rien Ah ! tant pis ! que ce nom-là, au théâtre, devait porter malheur. MICHONNET. (il sort par la porte à droite.) Oui, oui, tant pis ! Mais pourtant il me laisse sur son héri­ tage dix bonnes mille livres tournois.

ADRIENNE. SCÈNE IV. Tant mieux!

A D R IEN N E, assise à gauche, MICHONNET. MICHONNET. Pas tant tant mieux 1... parce que moi, qui n’ai jamais eu MICHONNET, regardant Adrienne, qui s’est remise à étudier son rôle à voix tant d’argent, je ne sais qu’en faire, et ça me tourmente. basse. ADRIENNE, souriant. Dire qu’elle a une amitié pareille pour moi, et voilà cinq Tant pis, alors... ans que j’hésite toujours à lui avouer... C’est tout simple... MICHONNET. elle est sociétaire... et je ne le suis pas ! elle est jeune, et je ue le suis plus ! Et puis aujourd’hui me semble un mauvais Pas tant... parce que ça m’a donné une idée qui ne me jour... attendons à demain... Il est vrai que demain je serai serait peut-être pas venue sans cela... celle de me marier... encore moins jeune... D’ailleurs elle n’aime rien... que la ADRIENNE. tragédie... ( s ’avançant en se donnant du courage.) Allons!... (Are« Vous avez raison... (Avec un soupir.) et si je le pouvais embarras et s’approchant d’Adrienne.) Tu étudies ton rôle ? aussi... moi... ADRIENNE. MICHONNET, avec joie. Oui. Ce ne serait pas loin de ta pensée? MICHONNET, avec embarras. ADRIENNE. A propos de rôle... et si ça ne te dérange pas... moi qui N’avez-vous pas remarqué qu'ils disent tous, depuis quel­ depuis si longtemps... fais les conlidents, j ’aurais bien à mon que temps : Le talent d’Adrienne est bien changé ! tour... quelque chose... 191 196 G 0 M Ê D I E S DRAMES ADR I ENNE LECOUVREUR

MICHONNET, vivement. où nos jeunes officiers, qui s’étaient relevés, accouraient C’est vrai!... il augm ente!... Jamais tu n’as joué Phèdre l’épée à la main : « Monsieur, vous me rendrez raison ! comme avant-hier Très-volontiers ! — Vous commencerez par moi. — Par moi ! — par moi! — Lequel choisissez-vous? — Tous, » répondit-il ADRIENNE, uveo animation et contentement. en les chargeant à la fois... et au cri que je poussai . « Inc N’est-ce pas?... Ce jour-là, je souffrais tant! j'étais si craignez rien, restez, mademoiselle, me dit-il, vous serez malheureuse!... (Souriant.) On n’a pas tous les soirs ce bon­ aux premières loges; et nous, messieurs, allons, en scène! >> heur-là ! Que vous dirai-je ? quoique saisie de frayeur, je ne^ pou MICIIONNET. vais détacher mes yeux de ce spectacle... et si vous 1 aviez Et d’où cela venait-il? vu braver en se jouant la pointe de ces quatre épées diri­ ADRIENNE. gées contre sa poitrine, c’était le bras et le regard d un héros. On parlaitd’un combat !... et pas de nouvelles 1... blessé... Loin de reculer, il les défiait ! il les appelait ! on semblait en­ tué peut-être 1... Ah! tout ce.qu’il y a dans le cœur de tendre : crainte, de douleur, de désespoir, j’ai tout deviné, tout souf­ Paraissez Navarrois, Maures et Castillans, fert!... je puis tout exprimer maintenant, surtout la joie... El tout ce que l’Espagne a produit de vaillants! je l’ai revu! Mais aux cris de la foule, le guet arrivait de tous côtés... Nos MICIIONNET, hors de lui. adversaires, honteux de leur nombre et redoutant les flam­ Qu’entends-je, ô ciel !... tu aimes quelqu'un... beaux, disparaissaient Tun après l’autre du champ de ba­ ADRIENNE. taille... Comment vous le cacher, à vous, mon meilleur ami ! Et le combat finit faute de combattants ! MICHONNET, vivement. MICIIONNET, cherchant à se remettre. Mais... comment cela est-il arrivé? Et tu l’as revu? ADRIENNE. ADRIENNE. Dès le lendemain!... Pouvais-je l’empêcher de se présen- C’était à la sortie du bal de l’Opéra! de jeunes officiers, ter chez moi, de venir s’informer de mes nouvelles, surtout dont un joyeux souper égarait sans doute la raison (lequel quand il m’eût avoué que lui, étranger, simple officier, n’avait d’entre eux, sans cela, eût osé insulter une femme?) voulaient de fortune, de titres, de nom même à attendre que de son m’empècher de regagner ma voiture, lorsqu’un jeune homme courage... Voilà ce qui le rendait si redoutable pour moi !... que je ne connaissais pas s’écria : « Messieurs, c’est made­ Riche et puissant, peu m’importait; mais pauvre, mais mal­ moiselle Lecouvreur... vous la laisserez passer; » et comme heureux, mais ne rêvant, comme moi, que 1 amour et 13 mes quatre adversaires... (ils étaient quatre) se mirent à gloire, comment lui résister? rire de cet ordre, par un mouvement plus prompt que la parole et avec une force surnaturelle, mon étrange protec­ MICHONNET. teur renverse, de chaque côté et d’un seul coup, deux do O ciel ! ses ennemis, puis m’enlevant dans ses bras et me portant ADRIENNE. jusqu’à ma voiture, il me dépose sur les coussins, au moment Parti, depuis trois mois, pour chercher fortune avec le jeune ADRIENNE LECOUVREUR 199 198 COMÉDIES DRAMES

comte de Saxe, fils du roi de Pologne, son compatriote, il est MICHONNET. revenu ce matin, et sa première visite a été pour moi; mais Pour ce soir du moins! Adrienne, mon enfant, sois ma­ son général, mais le ministre, qui l’attendaient à Versailles, gnifique ! je t’en supplie, sois magnifique ; si ce n’est pas ont abrégé encore le peu d’instants qu’il me donnait; aussi, pour moi, eh bien ! que ce soit dans l’intérôt même de celte ce soir, il me l’a promis, il viendra ici au théâtre I... folle passion! L’amour des hommes ne vit que d’amour-pro­ pre !... et si la Duelos l’emportait sur toi... si tu n’étais pa» MICHONNET. la plus belle!... Il viendrai ADRIENNE, poussant un cri. ADRIENNE. Je le serai ! Ne voir jouer Roxane ! MICHONNET, arec reconnaissance. MICHONNET, vivement. Merci! Ah ! mon Dieu! et dans quel état te voilà! Ce trouble... ADRIENNE, avec émotion et Ini tendant la main. celte émotion... tu ne pourras rien détailler... rien calculer ! C’est plutôt à moi de vous remercier, mon excellent ami!... ADRIENNE. MICHONNET, à part. Qu’importe! Dis plutôt ; imbécile deMichonnet! (Prêt à s’en aller, rorenant MICHONNET. sur se« pas.) Il y a un endroit que tu négliges toujours : Ce quii importe?... c’est qu’aujourd’hui, pour la première N’aurals-je tout tenté que pour une rivale!... fois, tu joues ce rôle avec la Duelos ! Vois-tu, Adrienne... cette pauvre femme! ce qui excite en­ ADRIENNE, sans l’écouter. core plus son dépit, c’est que c’est justement pour une rivale Soyez tranquille!... que... tu sais... et alors... elle éprouve... là... elle se dit... Je ne peux pas bien rendre l’expression., mais tu me com­ MICHONNET. prends. Je ne le suis pas! Il faut du calme et du sang-froid, même dans 1 inspiration. La Duelos se possédera... elle profitera de ADRIENNE, déclamant. ses avantages... tandis que toi... tu ne verras que lui... N’aurais-je tout tenté que pour une rivale!

ADRIENNE, avec passion. MICHONNET, avec joie. C’est vrai!... et si dans la salle mon œil le découvre... C’est cela !

MICHONNET, avec désespoir» ADRIENNE. Tu es perdue!... Ne t’occupe que de ton rôle... L’amour Ne craignez rienl... Mais vous... ce que vous vouliez me passe, mais un beau rôle, une belle création, un triomphe dire... tout à l’heure... de vos idées de mariage ? éclatant, celároste toujour«! (D’unair suppliant.) Voyons ! est-ce MICHONNET, vivemort. qu’il ne t’est pas possible de ne pas penser à lui? Non, c’est inutile, ce n’est plus le moment... Je te laisse ADRIENNE. étudier, (a part.) Allons, j’ai beau faire, je ne peux pas sorti- Helas ! non! de mon emploi de confident... Et l’héritage de mon onclei

3. 200 C 0 M E D I K 8 DRAMES ADRIENNE DECOUVREUR 201

el mes projets... (Essuyant une larme.) Ne pensons plus fl rien... ADRIENNE. à rien au monde!... (il fait quelques pas pour sortir par la porte.à gauche et revient près d’Adrienne qui vient de traverser le théâtre et repasse Miséricorde! on vous aura pris pour un clerc de procu- a droite.) Bois une gorgée d’eau en entrant en scène, et sur­ eur ! tout n’oublie pas... tu sais... ton... enfin comme tuas dit!.. MAURICE. (il sort.) Soit I ceux-là s’v connaissent aussi bien que d’autres ; car, au nom seul d’Adrienne, ils tressaillent et crient : Bravo! Mais la toile s’était levée, je ne voyais que le grand vizir et SCÈNE V. son confident.

.MAURICE, entrant par la porto à droite et s'avançant au milieu du ADRIENNE. théâtre ; A D R IK N N Ë, à droite» debout, étudiant et lui tournant le Patience ! dos. MAURICE. Je n’en ai pas quand je suis si près et si loin de vous... ADRIENNE, à droite, étudiant. J'ai aperçu une petite porle par laquelle venait de passer Mes brigues, mes complots... ma trahison fatale... une façon de gentilhomme... Puisqu’il entrait, j’en pouvais N’aurais-je tout tenté que pour une rivale!... faire autant... « On ne passe pas! Que demandez-vous? — Que pour une rivale !... Mademoiselle Lccouvreur... J’ai à lui parler... Elle m’at­ MAURICE, se tournant du côté des bustes et des portraits qu’il regarde. tend... » C’est beau, le foyer de la Comédie-Française... beau de ADRIENNE. gloire et de souvenirs... Rien qu’en traversant ces longs Imprudenti... me compromettre! corridors, où semblent errer tant d’ombres illustres... on MAURICE. sent là comme un certain respect, surtout quand on y vient, En quoi? Parce qu’on n’est pas gentilhomme de la chambre, comme moi, pour la première fois... Aussi, je l’esp're, per on n’a pas le droit de vous admirer de près... 11 faul, à sonne ne m’y connaît... pas même Adrienne... le mystère l’écart, dans un coin de la salle, frémir ou sangloter, sans est le dernier égard que je doive à madame de Bouillon. vous remercier de ce cœur que vous avez fait ba lre ou de ADRIENNE, levant les yeux et l’apercevant. cette tête que vous avez exaltée... il aurait fallu attendre Maurice ! jusqu’à ce soir pour vous dire : Adrienne, je t aime I MAURICE. ADRIENNE, mettant un doigt sur sa bouche. Adrienne 1 Silence! ( luì montrant son costume.) Roxane va vous'entendre ! ADRIENNE. Mais avant que je vous renvoie, diles-moi bien vite, carà Vous ! ici ! peine ce matin ai-je pu vous entrevoir... Avez-vous fait de bien belles actions?... me rapportez-vous quelque beau trait MAURICE. bien héroïque ? J’étais arrivé le premier, ou peu s’en faut, pour ne rien MAURICE. perdre de vous! Ab 1 s’il n’avai1 tenu qu’à moi 1...

t 202 COMÉDIES DRAMES ADRIENNE LECOUVREUR 203

ADRIENNE. patriote, dont toutes ces dames raffolent, qu’il faudra qus Vous êtes trop difficile! Votre jeune général, le comte de vous l’égaliez, ne fût-ce que par jalousie ! Saxe, dont on dit tant de bien, et que je voudrais bien voir, MAURICE, souriant. est-il satisfait de vous, monsieur ? Je n’ai pas idée que je sois jamais jaloux de lui I MAURICE. ADRIENNE. Oh! le comte de Saxe est plus difficile encore que moi... Présomptueux!... Mais avez-vous vu le ministre? Mais enfin je ne l’ai pas quitté et j’ai été blessé I MAURICE. ADRIENNE. Pas encore, mais je vais lui écrire. Près de lui ? MAURICE. ADRIENNE. Très-près. Oh ! non, n’écrivez pas ! ADRIENNE. MAURICE. C’est bien! l’idée seule de vous savoir blessé me fait Pourquoi ? frémir, et cependant il me semble qu’en suivant les périls, ADRIENNE. vous suivez votre route ; que les chemins qui s’élèvent sont Parce que, vous savez... l’orthographe... les vôtres !... Je vous ai déjà vu l’épée à la main, et quand MAURICE. je vous écoute,quand vous me racontez, en riant, quelqu’une Eli bien ? de vos actions de guerre... ne vous moquez pas de mes pré­ sages... je devine en vous un grand homme, un héros I ADRIENNE. MAURICE. Eli bien ! la première lettre de vous que j’ai reçue était Enfant! bien chaleureuse, bien tendre, et elle m’a touchée profondé­ ment, mais en même temps elle m’a fait rire aux larmes... ADRIENNE. une orthographe d’une invention ! Oh! je m’y connais! je vis au milieu des héros de tous les pays, moi! Eh bien! vous avez dans l’accent, dans le MAURICE. coup d’œil, je ne sais quoi qui sent son Rodrigue et son Qu’importe ? je ne veux pas être de l’Académie. tNicomède... aussi, vous arriverez! ADRIENNE.

MAURICE. Ce n’est pas cela qui vous en empêcherait. Mais vous Vous croyez ? savez bien que je me suis chargée de faire votre éducation, ADRIENNE. mon Sarmate, de vous polir l’esprit... Vous arriverez !... je saurai bien t’y forcer. MAURICE.

MAURICE. Et moi, je n’ai point oublié mes promesses I que de fois, Comment ? là-bas, j’ai appris des scènes de Corneille ! ADRIENNE. ADRIENNE, avec admiration. Je vous vanterai tant le comte de Saxe, votre jeune com­ Vous pensiez à Corneille? AD !! IEN N E LECQUVREUR 205

L'absence est lt plus grand des maux t Non pas pour vous, cruel!...

MAURICE. Est-ce qu’il y a cela ?

ADRIENNE, continuant...... Hélas! dirai-je, il pleut! Mon frère a-t-il tout ce qu’il veut, lion souper, bon gîte, et le reste?

MAURICE, vivement. Le reste ! ah ! après ? après ?

ADRIENNE, souriant. Après? (Avec finesse.) Ah! cela vous intéresse donc, mon­ sieur? et si je vous disais les malheurs de celui qui s’éloigne... et plus encore, ingrat, les tourments de celui qui reste... (Vivement.) Non, non! Voilà nos gens rejoints ; et je laisse à juger De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines ! Amants, heureux amants, voulez-vous voyager ? Que ce soit aux rives prochaines ! Soyez-vous l’un à l’autre un monde toujours beau, Toujours divers, toujours nouveau, Tenez-vous lieu de tout.,, comptez pour rien le reste!

MAURICE. Ah! quand c’est vous qui lisez, quelle différence! cesi bien mieux que La Fontaine ! ADRIENNE. Impie ! MAURICE. A votre voix, mon cœur s’ouvre, mon inlelligence s’élève, tout me devient facile ! ADRIENNE, souriant. Tout!... môme l'orthographe ! 206 COMÉDIES — DKAMES ADRIENNE LECOUVREUR 201

MAURICE. LE PRINCE A quand ma première leçon ? * Ali I vous appelez cela agréable!... (Avec colère.) Eh bien I oui !... car je ne désirais qu’une occasion de rompre avec ADRIENNE. Ce soir, après le spectacle, venez me chercher... Voici elle. mon entrée. MUe JOUVENOT. Il fallait donc le dire !... si j’avais su plus tôt que cela MAURICE. Adieu ! vous fit plaisir !... ADRIENNE. LE PRINCE, avec impatience. Vous allez dans la salle?... (vivement.) Vous m'écouterez... Eh ! mademoiselle 1 (Avec tendresse.) Tu me regarderas ? MAURICE. SCÈNE VII. Aux premières, à droite. ADRIENNE. Mllc JOUVENOT va s’asseoir devant la cheminée du fond et se Que je vous voie bien ! que je vous adresse tous mes chauffe les pieds ; LE PRIN CE, L ABBÉ, entrant vivement par la vers ! je tâcherai d’étre belle ! oh ! oui, je serai belle I ' secondç porto è droite et se retournant avec agitation. (Elle sort par la première porte â gauche.) LE PRINCE, courant à lui. MAURICE, sortant par la droit«. Ah! c’esltoi, l’abbé !... (s’efforçant de rire.) Viens donc rece- A ce soir ! voir mes consolations... ou plutôt me prodiguer les tiennes. l ’a b b é . SCÈNE VI. Comment cela? LE PRINCE. L’aventure la plus piquante pour nous deux... Mlle JO U V EN O T, LE PR IN C E sortant par la seconde porte gauche. l' a bbé, à part. Est-ce qu’il s’agit de sa femme ? LE PRINCE, avec agitation. LE PRINCE. Merci, mademoiselle, merci, je n’oublierai jamais le ser­ Pour toi, d’abord... tu sais notre pari de tantôt, ces deux vice que vous m’avez rendu I... cents louis... au sujet de comte de Saxe. MUa JOUVENOT, vivement. L’ABBÉ, vivement. C’était donc vrai? Le comte de Saxe... je viens de me rencontrer nez à nez LE PRINCE, avec humeur. avec lui... comme il sortait de ce loyer... il y vieni donc? Que trop !... LE PRINCE, vivement. M1*6 JOUVENOT, riant. Preuve de plus!., et j’aurais, parbleu, hier voulu le Voyez le hasard I enchantée de vous avoir été agréable I voir. 208 COMÉDIES DRAMES ADRIENNE LECOUVREUR 209

L’ABBÉ. LE PRINCE. Nous le trouverons au numéro trois des premières loges. Ou plutôt vendu à un taux d’autant plus exorbitant...

LE PRINCE. l’a b b é . A merveille ! il s’agissait de découvrir sa passion ré­ Qu’iei ces valeurs-là ne sont pas rares ! gnante... LE PRINCE, qui pendant ce t^mps a remonté le théâtre, parlant à un l’a iu ié . domestique. Oui, vraiment... Ce billet au numéro trois des premières, sans dire de LE PRINCE. quelle part. (Revenant près de l’abbé.) Et maintenant, mon cher Je n’ai pas été loin pour Cela... (Montrant Mlle Jouvenot.) abbé, j’ose compter sur toi !... Tout m’a si bien secondé qu’il ne te reste plus, mon cher, l’a b b é . qu’à t’exécuter. Et pourquoi ?

l’a b b é . LE PRINCE. Sur le vu des preuves... Pour te rendre témoin d’un éclat que je me dois à moi- LE PRINCE. même ; je veux d’abord ce soir tout briser chez elle. C’est bien ainsi que je l’entends... lis d’abord et dis-moi l ’a b b é . ton avis sur ce billet d’invitation... liens... (Le lui donnant.) Il C’est du plus mauvais goût pour un abbé et un savant! n’est pas long, mais-clair et précis!... LE PRINCE. L’ABBÉ, lisant. Quand la science est trahie !... .

« Pour des motifs politiques que vous connaissez mieux l ’a b b é . « que personne, on désire vous entretenir ce soir à dix La science doit savoir se taire !... Le bruit est permis au « heures, dans le plus rigoureux tête-à-tête, en ma petite comte de Saxe... à un soldat, mais à vous, presque parent « maison de la Grange-Batelière, que j’ai fait dernière- de la reine... à vous, un homme marié, ce serait un scan­ i( ment meubler. Amour et discrétion ! » — Signé : « Con- dale... « stance ! » LE PRINCE. LE PRINCE, avec colère. On saura toujours l’anecdote... parce qn’ici, au Théâtre- La signature de la perfide Duelos. Français... Tiens, (Montrant Mlie Jouvenot qui est à la che­ L’ABBÉ, avec étonnement. minée.) voilà déjà mademoiselle Jouvenot qui n’a encore vu Constance ! personne, et qui peut-être a déjà trouvé le moyen de la LE PRINCE, avec impatience. dire.

Eh oui 1 vraiment ! le nom ne fait rien à la chose '... Je l ’a b b é . tiens ce billet de Pénélope, sa femme de chambre. Prévenez-la... Racontez l’histoire à tout le monde 1... l’abbé. Faites-micux encore!... une vengeance digne de vous... Los Qui vous l'a remis ? deux amants a ’avaient-ils pas résolu de passer cette soirée - ADRIEN NE UCOUVREUn 211

dans le plus rigoureux tête-à-tête, dans cette petite maison MICHONNET. qui vous appartient? Que dit-il? LE PRINCE, avec colère. Bravo !... bravo... bravo, Adrienne ! L ABBE. (ils sortent ainsi que Mlle Jouvenot, par la porte à gauche.) Raison de plus !... je ferais comme chez moi... un souper ÄJIOHONNET, montrant le prince. galant, délicieux, où j’inviterais ce soir toute la Comédie- Jusqu’à celui-ci qu’elle a gagné et subjugé... Une preuve Française, toutes ces dames. pareille de tact et de goût. (A part.) Je ne l’en aurais pas cru LE PRINCE, secouant lu tâte. capable. Un souper galant... délicieux...

l ’a bbé. C'est moi qui paye, j’ai perdu le pari. SCÈNE VIII.

LE PRINCE, vivement. M ICHONNET, seul, écoutant vers la gauche. C’est juste !

l ’a b bé. Ah ! nous voilà au monologue, et maintenant quel silence! Au lieu du tête-A-tête, une surprise... un coup de théâtre, comme elle les tient tous enchaînés à sa parole ! (comme s’il tableau mythologique. l’entendait.) Bien ! bien ! pas si vite, mon Adrienne! c’est cela! Ah! quel accent, comme c’est vrai! Applaudissez donc, im­ LE PRINCE. béciles!... (on applaudît.) C’est bien heureux!... divine!... Mars et Vénus. divine!... (Avec jalousie.) Ah ! elle Ta aperçu, c’est évident, il L'ABBE. est dans la sallo 1 et penser que c’est pour un autre Surpris par... (s'interrompant.) Ballet-comédie, vengeance en pi’elle joue ainsi ! qu’elle le regarde en ce moment ! qu’elle un acte I Vous, de votre côté, allez faire vos invitations. puise dans ses yeux tout ce génie !... c’est horrible I (Enten­ LE PRINCE. dant un vers.) Comme c’est dit... c’est délicieux... je deviens Toi, du tien, le plus grand secret avec la Duelos... et nous fou, je ris, je pleure... Je meurs de douleur et de joie 1 aurons ce soir un succès d enthousiasme, (on entend un grand 0 Adrienne! en t’écoutant, j’oublie tout, même ma jalou­ bruit de bravos.) Tiens, nous y sommes déjà. sie, même... (cherchant autour de lui.) même les accessoires... où donc est la lettre de Zatime? je la tenais tout à l’heure !... MICHONNET, enfant. est-ce que je l’aurais perdue ? Pour la première fois depuis Eh ! oui, c’est Adrienne ! Entendez-vous? toute la salle vingt ans, il y aurait erreur ou omission par ma faute... applaudit ; mademoiselle Duelos ne sait déjà plus où elle eu c’est qu’une letlre turque n’est pas comme une autre, cela est. ue se remet point par la petite poste. LE PRINCE, applaudissant. (il cherche dans la table i droite.) Bravo I cela commenee. SCÈNE IX.

MAURICE, entrant par la porte de droite et se dirigeant vers la gauche, M ICHONNET, à la table à droite.

MAURICE, au fond. Par saint Arminius mon patron, maudit soit le duché de Courlande ! MICHONNET, cherchant toujours. Ah ! dans ce tiroir... MAURICE, toujours au fond. Manquer à mon rendez-vous avec Adrienne... jamais!... et d’un autre côté, ce billet que la Duelos vient de m’en­ voyer au nom de la princesse... comment m’a-t-elle décou­ vert au fond de cette loge?... et comment la faire attendre toute la nuit hors de son hôtel, dans cette petite maison où elle ne vient que pour moi, pour mes intérêts, pour cette réponse du cardinal de Fleury? et puis impossible de préve­ nir madame de Bouillon, tandis qu'Adrienne, cette pauvre Adrienne, si je pouvais lui parler et lui dire... non pas tout., mais l’essentiel. (il dirige ses pas vers ta gauche.) MICHONNET, toujours à la table, à droite. Où allez-vous, monsieur ? MAURICE. Je voudrais parler à mademoiselle Lecouvreur. MICHONNET, á part. Encore un! et quel air agité ! (iiaui.) Impossible, monsieur, elle est en scine... MAURICE. Quand elle en sortira...

MICHONNET. Elle u'en sortira plus. ADRIENNE LECOUVREUR 215

sage... C’est admirable!... (Les applaudissement, éclatent avec force.) Oui, oui... frappez des mains... BravoI bravo! c’est celai... sublime! admirable!

S C È N E X .

MUe DANGEVILLE, POISSON, LE PRINCE, L’ABBÉ OUI NAULT, Mlle JO U V EÑ O T, puls ADRIENNE entrent vivement par les deux portes de gauche ; les autres acteurs et seigneurs vont et viennent au fond, ainsi que MICHONNET.

MUe DANGEVILLE. Je ne sais pas ce qu’ils ont ce soir ; ils applaudissent tous comme des ious.

Slllc JOUVENOT. Ils se trompent, ma chère... ils se croient déjà aux Folia amoureuses.

L AIÏBÉ, entrant. C’est superbe !

Mlle DANGEVILLE. C’est absurde!...

POISSON. Ça me fait rire!...

QUINAULT. Ça me fait mal !

M11" JOUVENOT. Pauvre homme !

LE PRINCE. Le fait est que jamais je n’ai rien entendu de plus beau et je m y connais !

ADRIENNE, entrant avec agitation par la gauche, à part. Après deux mois d’absence... ah! c’est bien mail... AJ. Ions, du courage!

4 COMÉDIES drames 2 1 6 ADRIENNE LECOUVREUR 2 1 7

LE PRINCE. ADRIENNE.’ Et du plaisir 1... Vous êtes des nôtres. Ah ! ce serait bien tentant... Mais la tragédie finira tard. , l’a b b é . e serai fatiguée... je n’ai pas de cavalier... Je venais l’inviter. L ABBE et LE PRINCE, présentait la main. ADRIENNE. En voici ! Moi ! ADRIENNE. l ’a b b é . Je n’en veux pas ! Au joyeux souper où nous avons toute la Comédie- Fran­ LE PRINCE, vivement. çaise... toutes ces dames. Eli bien, vous viendrez seule; vous connaissez la petite ADRIENNE. maison... de la Duelos... Impossible! ADRIENNE. MUe JOUVENOT, qui est descendue à gauche. Ma voisine!... ce beau jardin... Par fierté ? LE PRINCE. ADRIENNE, avec bonté. Dont le mur fait face au vôtre! Voici la clef de la rue... Oh ! non... mais je n’ai pas le cœur à la joie. quelques pas seulement...

l’a b b é . ADRIENNE. liaison de plus pour vous égayer... Un souper charmant... C’est quelque chose... Où ROUS VOUS Offrirons Ce qu’il y a de mieux, (Montrant les ac­ L ABBÉ, vivement. teurs.'! dans les arts, (Montrant le prince.) à la COUr, (se montrant Vous acceptez? taUnta,..) dans le clergé... et dans l’épée... Le jeune comte ADRIENNE. de Saxe est des nôtres! c’est le héros de la tête! Je n’ai pas dit cela 1

ADRIENNE, vivement. LE PRINCE. Lui que je désirais tant connaître ! Monsieur Miehonnet sera aussi des nôtres... LE PRINCE. MICIIONNET. En vérité ! Comment donc, monsieur le prince, dès que mon spec­ tacle de demain sera fait... ( a part, regtrdant AJHenne.) Passer ADRIENNE. toute la soirée avec elle... Une demande que j’avais à lui présenter... un lieutenant ADRIENNE, à port. dont je voulais faire un capitaine. Oui! je m’occuperai encore de lui, l’ingrat!... ce sera ¡S l’a b b é . ma vengeance! Nous vous plaçons à côté de lui... et votre protégé est I. AVERTISSEUR, en dehors. colonel... au dessert. Le cinquième acte qui commence l 2 1 8 COMÉDIES n n a m e s ADHIENNE l e c o u v r e u r 2 1 9

ADRIENNE. leverse tout dans nos coulisses... on ne s’y reconnaît plus... ! Adieu, adieu, messieurs. A votre réplique... à vos rôles... (A l’obbé et au prince.) Et (Elle soft par I« gaucho.) vous, messieurs, je suis obligé de vous exiler! (n so pose entre MICHONNET. les seigneurs et les actrices, qu’il sopore, et d’un ton tragique:) Allons, messieurs... allons, mesdames... Qu’à ccs nobles seigneurs le foyer seit fermé, Et que tout rentre ici dans l'ordre accoutumé I S!110 DANGEVILLE, ù l’nhbé. ün mot seulement, l’abbé. Pourrais-je, pour me donner (Les seigneurs et les actrices ie mettent < rire.) la main, amener quelqu’un?... L’ABBÉ, riant. Le prince de Guéménée ? MUe DANGEVILLE. Du tout.

L ’ABBÉ, de même. Un autre? Mlle DANGEVILLE. Fi donc! un tête-à-tête! Pour qui me prenez-vous?... J’cn amènerai deux... L’ABBÉ, riant. A merveille !... MUe JOUVENOT. Et notre toilette pour ce soir... et nos voitures, où seront- elles ? l ’abbiî. On songera à tout... et de plus on vous promet... ce qu’on ne vous a pas dit... une surprise, un secret... H Des JOUVENOT, DANGEVILLE et toutes les outros actrices, accourant et entourant l’abbé. Ahi au’esl-ee donc... qu’est-ce donc?

l’a bbé. Je ne puis rien dire... vous verrez... vous saurez... MICHONNET, oriant. Le cinquième acte ! voilà l’idée seule d’une fête qui beu- ADRIENNE I.ECOUVIiEUR 221

votre fortune politique est entre mes mains... c’est plus qu ingrat, cest maladroit... (Se levant et marchant vers le fond.) Allons I

ACTE TROISIÈME SCÈNE II.

LA PRINCESSE, MAURICE, entram par le fond. On salo» élégant dons la potile maison de la Grange- Batelière; porte nu fond, vers la gauche, et en pan coupé; une porte, vers la droite, également LA PRINCESSE, apercevant Maurice, qui vient d’entrer doucement en pan coupé; une croisée vitrée donnant sur un balcon; sur le premier derrière elle. plan, à gauche, un panneau secret; au second plan, une table sur laquelle (Lui tendant la main.) 1 csl un flambeau à deux branches areo des bougies allumées; sur le pre­ Ah !... Vous faites bien d’arriver mier plan, à droite, une porte. MAURICE. Mille excuses, princesse. LA PRINCESSE, d’un air gracieux. SCÈNE PREMIÈRE. Pas de reproches ! D’autres ne songeraient qu’à leur di­ gnité blessée, moi je ne songe (souriant.) qu’au temps perdu LA P R IN C E S S E , «cale. sans vous voir. Il faut qu’à minuit je sois rentrée à l’hôtel. MAURICE. Louis XIV disait : J’ai failli attendre !... et moi, princesse de Bouillon, petite-fille de Jean Sobieski... j’attends ! (Sou­ Imaginez-vous qu’en quittant la Comédie-Française, ij me sembla être suivi. Je pris plusieurs détours, plusieurs rues riant.) J’attends réellement... je ne peux pas me le dissimu­ ler !... La Duelos m’a pourtant fait dire que son petit billet qui m’éloignaient de ce quartier, et je pensais avoir dérouté avait été remis au comte de Saxe lui-même dans une loge mes espions, lorsqu’en me retournant, j’aperçus, sur ce boulevard désert, deux hommes enveloppés de manteaux où il était seul... (Réfléchissant.) Seul!... est-ce bien vrai? N’est-ce pas pour une autre qu’il manque à ce rendez-vous, qui me suivaient à distance. Que voulez-vous ? leur deman­ où je suis venue, où me voici?... On peut pardonner une dai-je. Ils ne répondirent que par la fuite, et quoiqu’ils cou­ infidélité, cela souvent ne dépend pas de nous; une impo russent bien, je n’eusse pas manqué de les poursuivre et de blesse... jamais! Je n’ai pas été en ma vie une seule fois les assommer, sans la crainte de vous faire attendre, prin­ cesse. impertinente sans y avoir tâché... et réussi... (se levant avec im­ patience.) Onze heures!... Monsieur le comte, vous arriviez LA PRINCESSE, souriant. le premier l’année dernière; voilà une heure de retard qui Je vous en remercie !... Cette aventure se lie peut-être à prouve que j’ai un an de plus ! Malheur à elle, malheur à celle dont je voulais vous entretenir. J’ai été aujourd’hui, vous de me l’avoir rappelé! Je venais ici avec empressement, comme je vous l’avais promis, à Versailles... MarieLeckzinska, avec impatience, pour vous sauver, et vous me laissez le notre nouvelle reine, comme moi Polonaise, n’a rien à re­ temps de réfléchir que je puis également vous perdre, que fuser à la petite-fille de Sobieski ; elle a vu, à ma prière, le ADRIENNE LECOUVREUR 2 2 3 -2 2 2 COMÉDIES — DRAMES ayez des deltes? que vous deviez soixante-dix mille livres cardinal de Fleury, elle lui a parlé de l’affaire de Courlande. au comte de Kalkreutz, un Suédois, qui, en vertu d’une MAURICE. lettre de change, peut vous faire appréhender au corps T O bonne et généreuse princesse ! Eh bien?... MAURICE. LA PRINCESSE. Pourquoi cette demande ? Eb bien, le cardinal aimerait mieux ne pas accorder les LA PRINCESSE. deux régiments qu’on lui demande ; il voudrait être agréa­ Parce qu’un grand danger vous menace ; l’ambassadeur ble à la jeune reine, et en même temps ne mécontenter ni russe a chargé messieurs de la police de ne pas vous perdi® l’Allemagne ni la Russie, que vous menacez, et avec qui de vue, nous sommes en paix. MAURICE. MAURICE, avec impntiance. Voilà donc pourquoi l’on m'a suivi ce soir... je suis fâche Son avis, alors? alors de n’avoir pas coupé les oreilles!... LA PRINCESSE. LA PRINCESSE. 11 n’en a pas, il n'en émet pas... et pour agir en votre A ces espions?... Mais leurs oreilles, c’est leur place! des faveur, sans rien faire, il vous permet seulement de lever pères de famille peut-être ! Fi donc !... Mais ce n’est pas ces deux régiments... à vos frais! tout, l’ambassadeur moscovite veut également découvrir à MAURICE. tout prix ce M. de Kalkreutz qui doit être à Paris. Cela me rassure. MAURICE. LA PRINCESSE. Et pourquoi? Et moi pas !... Avez-vous de l’argent? LA PRINCESSE. MAURICE. Pour lui acheter sa créance, se mettre en son lieu et place, Non I et vous faire jeter en prison. LA PRINCESSE. MAURICE. ' Comment, alors, paierez-vous vos deux régiments? Une belle vengeance 1 MAURICE. LA PRINCESSE. Mes régiments français ? Mieux que cela, un coup de maitre ; car, vous prisonnier, LA PRINCESSE. la Courlande, dont le souverain est en gage, est livrée aux Oui. intrigues de la Russie, les conjurés n’ont plus de chef, les MAURICE, gaiement. troupes se dispersent. Je ne les paierai pas ! Si ce n’est après la victoire 1 Et jus­ MAURICE. que-là, soyez tranquille, je les connais!... ils se leront tuer C’est ma foi vrai!,., que faire? pour moi... à crédit 1 LA PRINCESSE. LA PRINCESSE. J’y ai déjà pensé... J ’ai obtenu de M. le lieutenant de Très-bien ! Une autre chose encore... est-il vrai quevoo»

X” ADRIENNE LECOUVREUR 2 2 5 2 5 4 COMÉDIES DRAMES réclamations, l’ordre de suspendre... Je vais toujours! des police, qui mo doit sa place, que s’il découvrait la demeure notes diplomatiques?... j’intercepte... des courriers’... je de M. de Kalkreutz, on m’en donnerait d’abord avis à moi, qui les enrôle dans ma cavalerie, et lorsqu’entin les chancelle­ vous en préviendrai... Alors, vous irez trouver M. de Kal­ ries européennes seront en mesure d’échanger des proto­ kreutz... coles, la Courlande sera envahie, et les Tartaros de Menzikolf MAURICE. dispersés par les escadrons français, voilà mon plan. Pour me battre avec lui. LA PRINCESSE. LA PRINCESSE. Il n’a pas le sens commun. Non, mais pour prendre des arrangements. Le plus simple MAURICE. de tout, serait de le payer. Permettez! s’il s’agissait de l’ordonnance d’une fête ou MAURICE. d’un quadrille de bal, je demanderais vos conseils, mais dès Et comment? je n’ai pas soixante-dix mille livres dispo­ qu’il s’agit de cavalerie et de manœuvres, je prends tout sur nibles. moi, cela me regarde. LA PRINCESSE, avec affection. LA PRINCESSE, s'unimant. Hélas 1 ni moi non plus ! Non, à peine arrivé, vous ne quitterez pas Paris! C’esi MAURICE. bien le moins que vous y reslicz quelques jours encore, que Et d’ailleurs, je n’accepterais pas. Il n’y a donc qu’un votre présence et votre affection me dédommagent enlin de moyen qui me convienne. ce que j'ai fait pour vous et des jours que je vous ai consa­ LÀ PRINCESSE. crés. Lequel? MAURICE. MAURICE. Princesse, entendons-nous! Je n’ai jamais été ingrat, et Laissant la Moscovie, la Suède et la police s’enlacer mu­ dans ce moment où je vous dois tant, manquer de franchise, tuellement dans leurs intrigues auxquelles je n’entends serait manquer de reconnaissance ; ce matin déjà, car moi rien, je pars demain. je ne sais pas tromper... je voulais tout vous dire et vous avouer... LA PRINCESSE. LA PRINCESSE. Vous partez?... Que vous en aimez une autre ! MAURICE. MAURICE, vivement. Ce n’était pas mon dessein, mais une partie de mes re­ crues est déjà disséminée sur la frontière, et vos huissiers Qui ne vous vaut pas, peut-être ! n’auront pas beau jeu contre mes hulans; c’est là que j'irai LA PRINCESSE, en cherchant à se modérer. me réfugier ! le brevet que vous m’avez obtenu double les Et quelle est-elle?... (Aveo explosion.) Quelle est-elle?... droits de mes sergents recruteurs, qui enrôlaient déjà sans Répondez... car vous ne savez pas ce dont je suis cap iUic. permission; jugez maintenant, avec autorisation et privilège MAURICE. du ro i!... Nous allons lever en masse toute la frontière... O'est justement pour cela que je ne veux pas vous id nom- Je sais bien qu’à Versailles et ailleurs il y aura du bruit, des 526 COMÈDIES DRAM ES ADRIENNE LEGOUVHEUI1 2-2 1

mer. (D’un ton conciliant.) Mais au lieu d’emportement et de LA PRINCESSE. menaces, pourquoi ne pas se parler de franche amitié ? Un bruit de voiture ! pourquoi surtout ne pas se dire loyalement la vérilé? Jamais MAURICE. je n’ai vu de femme plus aimable que vous, plus séduisante, plus irrésistible, et pourquoi? C’est que vos chaînes ne sem­ Est-ce que vous attendez quelqu’un ? blaient tressées que de Heurs, c’est que gracieuses et légères, LA PRINCESSE. elles retenaient un heureux et non pas un captif... c’est que Eh! non, vraiment... Mademoiselle Duelos qui, seule, peut toujours prête à les briser, votre main coquette ne craignait venir ici, ne s’en aviserait pas, sachant que nous devions pas d’en détacher parfois quelques feuilles. nous y trouver.

LA PRINCESSE. MAURICE, à la princesse, qui s’approche do la croisée, à droite. Maurice! Voyez donc... par la fenêtre du jardin, vous qui con­ naissez cette maison... MAURICE. J'ai juré de tout dire. C’est sous l’empire d’un pareil traité, LA PRINCESSE, redescendant vivemeat* que le plaisir un jour nous a souri, car ni vous ni moi O ciel! c’est mon mari ! n’avions pris au sérieux un semblable sentiment, et nos liens MAURICE. volontaires ont eu d’autant plus de durée que chacun de Que dites-vous? nous s’était réservé le droit de les rompre; le reproche est • LA PRINCESSE. donc injuste ; où il n’y eut point de serment, il n’y a point Le prince de bouillon, j’en suis sûre... je i’ai vu descen­ de parjure. (Avec chaleur.) Il y en aurait, si je manquais à dant de voiture ! l’amitié et à la reconnaissance que je vous ai vouées. De ce MAURICE. côté-là, j’en jure par l’honneur, je me crois engagé. Pour Qu’est-cc que cela signifie? le reste, je suis libre. LA PRINCESSE. LA PRINCESSE. Je l’ignore... Mais il n’est pas seul, d'autres personnes, Pas de me trahir, perfide! que la nuit ne m’a pas permis de distinguer, l’accompagnent... MAURICE. MAURICE. Ah! prenez garde, princesse, je finis toujours par con­ Je les entends!... elles montent cet escalierI quérir les libertés que l’on me conteste. LA PRINCESSE.

LA PRINCESSE. C’est fait de moi ! C’est ce que nous verrons, et dussé-je vous perdre, vous MAURICE, remontant rers le fond. et celle que vous me préférez ; dussé-je, pour la connaître, Non, tant que je serai près de vous. tout sacrifier... LA PRINCESSE. MAURICE. Il ne s’agit pas de me défendre, mais d’empêcher que je Écoutez doue!... ce bruit dans la cour... sois vue dans cette maison !... Si le prince, si quelqu'un au V AB RIENNE LECOUVREUK 229

l’éclat et du scandale. (Frappant sur répauie de l’abbé.) Nous ne sommes pas des abbés pour rien... n’est-il pas vrai?

MAURICE, au prince, avec impatience. Eli ! monsieur, j’aurais cru, au contraire, que c’était pour vous qu’il fallait éviter le bruit... Mais puisque vous le voulez, puisque vous savez tout... LE PRINCE, riant. Où cela conduit-il? Tout... et de plus nous avons les preuves... V LA PRINCESSE, traversant le théAtre et s’élançant dans le cabinet à droue. MAURICE, froidement et motlant son cliopeou. A un petit boudoir ! Monsieur le prince, je suis à vos ordres... M. l’abbé con­ L sentira, je l’espère (le costume n’y fait rien), à nous servir de témoin, et comme il y a, je crois, un jardin, nous pou­ SCÈNE HI. vons y descendre. LE PRINCE, riant. I/A BBÉ, L E PR IN C E , entrant par le fond; MAURICE. A cette heure?... LE PRINCE, apercevant la porto à droite qui vieni de se ie.mer. MAURICE. Alt ! l’on vous y prend, mon cher... Il est toujours l’heure de se battre... et pourvu que nous MAURICE, avec trouble. en finissions promptement... cela doit vous convenir... Vous ici, messieurs ? L ABBE, qui e remonté le Ihéâtr«, redescend près de Maurice. LE PRINCE, riant. Voilà où est votre erreur. Nous ne tenons pas à en finir, au contraire, nous voulons que cela dure : .'ai vu la dame, je l’ai vue 1 MAURICE. Amour fidèle, Flamme éternelle ! C’est une plaisanterie, sans doute? Comme dii l’air de Rameau! Et par un héroïsme qui sur­ LE PRINCE. passe toutes les magnanimités d’opéra, M. le prince vous Non, parbleu!...la robe blanche flottante... qui disparais­ abandonne votre conquête! sait... Voici donc la Saxe aux prises avec la France... MAURICE. MAURICE. Qu’est-ce à dire? Qu’est-ce que cela signifie ? L’ABBÉ. l ' a r b é . A la condition que le traité de paix sera signé ici, à sou­ Que nous sommes au fait, mon cher donile. per, à l’éclat des flambeaux! LE PIUNCE, gaiement. LE PRINCE. fct que cela ne se passera pas à huis clos, il nous laut de Au bruit des verres et du champagne. ADRIENNE DECOUVREUR 2 3 1 COMÉDIES CHAMES 233

L’ABBÉ, riant. MAURICE. Et si, pour ratifier le traité, il vous faut un notaire, je Est-ce de moi, messieurs, que l’on veut rire? vais chercher celui de la Comédie-Française! et d’autres l ' a b b é . témoins encoret Vous l’avez dit I (il sort par le fond.' LE PRINCE. MAURICE, élonné. Mon seul but étant de prouver à la Duelos... Quo dit-il? LE PRINCE, rinnt. MAURICE. ’’ous ne vous doutez pas de la brillante compagnie qui La Duelos... vu.'' attend dans ma petite maison... ou plutôt dans la LE PRINCE, montrant la port«- a droit«. voue... car, ce soir, vous êtes le maître, le héros de la fóto ; Que je ne liens plus à ses charmes. à vous les honneurs ! l’a bbé. MAURICE, avec embarras. Et que si la France et la Saxe se battaient pour elle... C’en est trop, prince ! LE PRINCE. LE PRINCE. Et pour sa vertu... Sans compter une nouvelle surprise que nous vous pré­ l’abbé. parons, une jeune dame, charmante, qui désirait ardem­ Ce serait là une querelle d’Allemand que M. le prince ne ment vous connaître, et l'abbé, qui est maître des cérémo­ se pardonnerait jamais... Ab! ahi an! nies, est allé lui donner la main pour vous la présenter avant LE PRINCE, riant aussi. le souper ! MAURICE, avec embarras. Ah! ahi ah! c’est drôle, n’est-il pas vrai?... Et loin de C’est moi qui vous prierai de me conduire vers clic... rire... comme nous... vous avez un air étonné... (a paît, regardant á droite.) Pourvu que d’ici là je puisse déli­ MAURICE. vrer ma captive et la soustraire à tous les regards! Oui, d’abord... Mais, maintenant, cela me paraît en eftet (il s’approcha de la croisée à droite, qui est restée ouverte, et regard« si original... dans le jardin.) le p r in o e . N’est-ce pas?... Ah! ah! m’enlever la Duelos... de mon SCÈNE IV. consentement... un service d’ami!... l ’a b b é . f. ABBÉ, donnant la main à A D R IE N N E ,. <\l entrant par le fond; LE Et vous ne refuserez pas, en nouveaux alliés, de veut PRINCE, allant au-devant d’elle; MAURICE, regardant par b donner la main... croisée, qui est au second plan à droite. m a u r ic b . LE PRINCE, à Adrienne. Non, parbleu! voici la mienne... Arrivez donc! M. le comte de Saxe est là qui vous attend LE PRINCE, déclamant. avec impatience... Soyons amis, Cinna, c’est moi qui t’en convi*. 2 3 2 COMEDIES DRAME S ADRIENNE LECOUVREUR 2 3 3

l’a b b e . ADRIENNE, vivement. Eli! mais, ma toute belle, vous tremblez? Non ! je lui avais môme parlé I

ADRIENNE. LE PRINCH. Cela est vrai... la présence d’un homme illustre m’émeut Où donc? toujours malgré moi. MAURICE, vivement. LIS PRINCE s’approche de Maurice qui est toujours près du balcon et Au bal de l'Opéra !... lui dit. LE PRINCE, riant. Mademoiselle Lecouvreur. Un déguisement? MAURICE à ce nom se retourno vivemont. ADRIENNE. O ciel! M. le comte les aime, les déguisements! je ne le croyais ADRIENNE, lovant les yeux et regardant Maurice, pousse un cri. pas ! Ah! MAURICE. (Le prince a passé près de la fenêtre à droite qui était ouverte et qu’il re­ ferme; l'abbé est remonté au fond è gauche, vers la table, sur laquelle il J'avais peut-être des raisons!... et si je vous en faisais place son chapeau et ses gants.) juge, mademoiselle...

MAURICE, à part. l’abbé. C’est elle ! Cela se trouve bien, Adrienne a aussi une demande à ADRIENNE, le regardant. vous adresser. Le comte de Saxe... ce héros... ce n’est pas possible... MAURICE. (Elle s’avance vers lui.) A moi ? MAURICE, à voix basse et lui saisissant la main. LE PRINCE. Tais-toi ! C’est lù seulement ce qui l’a décidée à venir- avec nous! ADRIENNE, poussant un cri de joie et portant la main à son cœur. une pétition à vous présenter en faveur d’un petit lieute­ C’est lui ! nant. LE PRINCE, qui a refermé la fenêtre, vient se placer entre eux. l’a b bé. Eh ! mais qu’avez-vous donc? Dont elle veut faire un capitaine! ADRIENNE. MAURICE, avec émotion. Une surprise... bien naturelle... M. le comte que je En vérité!... vous, mademoiselle, vous vouliez... croyais n’avoir jamais rencontré m’était connu... mais beau­ ADRIENNE. coup... (Lo regardant avec expression.) beiUCOUp 1 Oui... mais je n’ose plus... L ABBE, gaiement. MAURICE De vue!... Et pourquoi ?... HE? 235 Je renfermerai quel dommage Ce Ce mystère qui cachait moi ! moi ! ils diront vos titres, à droite.) All I MAURICE.

a (Montrant son cœur.)(Montrant son MAURICE. ADRIENNE. SCÈNE V. demi-voix.) a ( MAURICE, MAURICE, vivement. ADRIENNE, ADRIENNE, vivement. ADRIENNE, ADRIENNE, avec flxplosion. ADRIENNE, ADRIENNE, là. part, rogordant ADRIENNE DECOUVREUR DECOUVREUR ADRIENNE

a MAURICE, lui faisant MAURICE, signe de se taire. ( Je me tairai, je me tairai. Non, non, jamais! Ne Ne craignez rien ! mon amour est si grand, que l’orgueil Mon AdrienneMon ! Silence!... Maurice 1 mon 1 héros,Maurice mon Dieu, vous que j'avais deviné... Ah ! j’en douteAh encore! !... vous le comte Parlez de ! Saxe !... haut, comme tout le monde ! mais vous Us célébreront me les vos raconterez, exploits, amour et de votre gloire ; je ne vous admirerai que tout là mon ivresse et ma fierté; je ne me vanterai pas de votre tout soul? Bien, Maurice, bien ! je comprends qu’au milieu lui-même lui-même n’v peut rien entreprise ajouter. nouvelle?de Ne parlait-onMoscovites qued’un vous duché vouliez de battre? Courlande pas que vous d'une vouliez conquérir à vous des grands intérêts seillers qui ou des s’agitent,vieux ministres vous auprès faut gagner,qu’il l’amour d’une des pauvre fille graves comme moi puisse vous con­ faire du tort. que l’autre soit notre botheur est plus que jamais nécessaire. parlez !... que je sois bien sûre que c’est lui qui m’aime et ADRIENNE, ADRIENNE, regardant sortir le prince, puis portant la main à son front. que pourtant c’est toujours ! toi DI1IUE9 (Remontant le théâtre nt revenant . L’abbé, loi, le grand ordon­ a b b é ’ l MAURICE. (il sort par la porte du fond à gauche.) ADRIENNE, ADRIENNE. LE LE PRINCE. LE LE PRINCE. LE LE PRINCE, souriant. ADRIENNE, ADRIENNE, gaiement. COMEDIES MAURICE, à MAURICE, part, regardant la porte à droit«. (il sort, l'abbé, comme par la porte do pan coupé à gaucae.j i Ah! Ah! quel qu’il soit, votre protection doit toujours lui Pauvre officior... je croyais qu’il n’avait que la cape et Vous aurezVous le temps de parler de lui à table... nous vous Les Les fruits et les bouquets, cela me regarde. Je verrai alors... je prendrai des informations, et s’il mé­ Mot jeMot me charge d’un soin plus important... je crains Ce Ce n’est pas moi, je vous le jure! Pour plus de sécurité... je vais moi-méme donner la con­ O O ciel! que devenir? l’épée, l’épée, et peut-être n’a-t-il pas besoin de moi pour faire son son chemin. 2 3 porter bonheur ! mettrons à côté l’un de l’autre... rite réellement l’intérêt qu’on lui porte... se se placer entre Adrienne et l’abbé.) nateur, veille au souper. que quelque fugitive nesouper. veuille nous échapper... avant le jour ! signe, fermer toutes les portes, et nul ne sortira avant le

HÜ 't .. 'S!

SCÈNE VI.

L'A BBÉ, portin', nna corbeille de lleure et soitnnt arec MICHONNET de la porto ila ¡ou coupé à gauche, A D R IEN N E, MAURICE.

I.ABBÉ, va placer la corbeille sur la table à gauche et s’adresse i Mi. lioimct lout en faisant des bouquets.

J'en suis fiché pour vous, mon cher Miclionnot, mais c’esi la consigne, une fois entré, on ne sort plus. MICHONNET. J’espérais cependant pour un instant, et par votre protec­ tion... l ’a bbé. Moi, jene m’occupe que des bouquets pour les dames... c’est M. le prince qui est gouverneur de la place, il a fermé lui-même toutes les portes de la citadelle... et il en garde les clefs! MICHONNET. C’est pour affaire urgente... pour mon répertoire. ADRIENNE. Pauvre homme ! il ne rêve qu’à cela, même la nuit. MICHONNET. Une indisposition fait changer mon spectacle de demain, et je voudrais courir chez mademoiselle Duelos avant qu elle fût couchée. l’abbé, arrangeant scs bouquets à gauche, près de la table. Ah bah ! MICHONNET. Lui demander si elle pourrait me jouer demain Cléopâtr L’ABBÉ, de même. N’esl-ce que cela? ADRIENNE LECOUVREUR m 2 1 0 c o inc u i K s 1) Il A M ICS adhienn’e lec o u v r e u r 241

a lu ni cic. ne peuvent connaître m’a amené ici cette nuit. (Gene c i.-, C'csl inutile I crédulité d'Adrienne.) mon avenir en dépend ! l’adbé. ADRIENNE, d’un air de méprii. C’est juste... ce pauvre prince, c’est assez d'une fois... et Et mademoiselle Duelos... si le témoignage de mes yeux vous suffit... MAURICE, de même. ADRIENNE. Elle n’est pas ici! Et ce n’est pas elle que j ’aime... Je 1 Vous avez vu?... jure sur l’honneur!... me crois-tu? L ARDÉ, sc r.approchant de la table à gauche. ADRIENNE 1ère les yeux, le regarde, et, après un initant, lui dit : Au moment où nous entrions dans cet appartement, made-' Oui! moisello Duelos s'enfuir... dans celui-ci... (Montrant la porto à MAURICE, lui serrant la main, avec joie. droito.) où elle est encore. C’est bien. Il faul plus encore... il faut empêcher l’abbé MICIIONNET, à part, ntl fond dn théâtre. d’entrer dans cette chambre ou d’entrevoir la personne qui Celui-ci... s’y trouve, pendant que moi... (l’honneur et la loyauté me le commandent) je vais tenter, sans que nul s’en aper­ I.’.ADBÉ, retournant à la toblo dn fond, à gauche. çoive, de protéger sa sortie, dussé-je gagner ou étrangler le Ce dont vous pouvez vous assurer. concierge et faire sauter ses verrous 1 ADRIENNE. ADRIENNE. Moi ! (L'abbé vient de se rasseoir devant la table du f ind, ò gauche. Adrienne sé* Allez! je veillerai. lance vers la porte à droite; Mouriro, qui s’est placé devant elle, la prend MAURICE, avec transport. parla main et la ramène au bor.l du théâtre.) Merci, Adrienne!... merci! MAURICE. (Il sort par le fond./ •Un mot ! MICIIONNET, qui est resté à droito, près de la porte du oabinet. SCÈNE VIII. Je vais toujours m’assurer de mon répertoire. (il entre doucement dans l’appartement à droito pendant que Maurice et Adrienne redescendent le théâtre.) L’ABBÉ. toujours à la table à gauche; A D R ÏEN N E, seule sur le devant du théâtre, à droite; puis MICIIONNET.

SCÈNE VIT. ADRIENNE. Sur l’honneur! a-t-il dit... sur l’honneur J Maurice ne L’ABBÉ, près de la table, à ses bouquets; A D R IEN N E, M AURICE, pourrait pas manquer à un pareil serment.... j’ai dû le sur le devant du théâtre et tournant le dos i l’abbé. croire ! sinon... ce ne serait plus lui... JlICHONNET, qui vient de sortir de la porte à droite, s’avance sur !■ MAURICE, rapidement et à voi* basse. pointe du pied; il dit tout bas : Une intrigue poliiique que ni l’abbé ni le prince lui-méme Adrienne... Adrienne--, si tu savais quelle aventure... AD U ILltN E LEC OU V 11 EU R 243 242 COMÉDIES DRAMES

ADRIENNE, aveo distraction. sent été baissés; mais j’avais, en entrant, rencontré une manche et une robe de femme, et persuadé, (a l'abbé.) puis­ Qu’est-ce donc? que vous me l’aviez dit, que c’élait la Duelos... j ai aborde MICHONNET, à voir basse. sur-le-champ la question, et j’ai demandé, à tâtons, si, pour Ce n’est pas la Duelos! aider le répertoire, elle consentait à jouer demain Cléopâtre. ADRIENNE, à part, avec joie. La main que je tenais a tressailli, et une voix qui m’est in­ (1 nie l’avait dit! connue s’est écriée avec fierté : « Pour qui me prenez-vous? » MICHONNET, h voir haute ot riaol. - Pour mademoiselle Duelos, ai-je répondu. A quoi on a ré­ Ce n’est pas la Duelos ! pliqué â voix basse : « Je suis chez elle, il est vrai, pour < des intérêts que je ne puis dire... » LABRÉ, se levant de la table et s’avançant vivemont. l’a bbé. Comment, ce n’est pas elle? MICHONNET, allant au-devant do luì Est-il possible! MICHONNET. Silence! c’est un secret. « Mais, qui que vous soyez, » a continué la personne l’a bbé. mystérieuse en baissant toujours la voix, « si vous me donnez Qu’importe! nous ne sommes que trois... et je ne compte « les moyens de sortir â l’instant de cette maison sans être pas! je suis muet. i vue, vous pouvez compter sur ma protection, et votre for­ MICHONNET. ci tune est faite. » Je lui ai répondu alors que je n’étais pas C’est ce que chacun dit toujours dans le comité, et cepen­ ambitieux, et que si je pouvais seulement être nommé so­ dant tout finit par se savoir. ciétaire... Moi, sociétaire ! L’ABBÉ, vivement. L’ABBÉ et ADRIENNE, nvec impntience. Ce n’est pas la Duelos!... et le comte de Saxe qui nous Eh bien? a avoué lui-même que c'était elle... Qui est-ce donc, alors... MICHONNET. qui donc?... Eh bien ! me voilà!... que faut-il faire? MICHONNET. L’ABBÉ, passant devant Michunnet et s'avançant vers 1« porte. Je n’en sais rien... mais ce n’est pas elle... je le jure. Savoir d’abord quelle est cette dame. l’abbé. ADRIENNE, se pinçant devant ta porte. Vous l’avez vue ? Monsieur l’abbé, y pensez-vous?

MidiON", ET. l’a bbé. Du toutl Elle était ici avec le comte de Saxe, je vous l'atteste. ADRIENNE, vom ent. ADRIENNE. C’est bien! Raison de plus pour la respecter! une pareille indiscrétion MICHONNET. ¿eruit manquer à toutes les convenances... et vous, un Obscurité complète... comme si la rampe et le lustre eus­ homme du monde!... un abbé)— ADRIEN NE LECOUVItEUR 2 1 0 2 1 4 COMED IES DRAMES

ADRIENNE. l’abbé. Délivrer cette personne quelle qu’elle soit. . ni la sau­ C’est que vous ne savez pas... je ne peux pas vous dire ver 1 ¡'intérêt que j’ai à connaître cette personne... c’est pour moi d’une importance!... MICnONNET. Pour moi !... ADRIENNE, è f i t. Maurice disait vrai. ADRIENNE. L’ABBÉ, A port. Non ! pour un autre... ê qui je l’ai promis ! La princesse compte sur moi, je le lui ai promis, et <1 MICIIONNET. tout prix... , , , Encore lui!... toujours lui1 pourquoi te mêle! le pireillcs (Il (ait an pas vera la porte.) affaires ? ADRIENNE. ADRIENNE. Non, monsieur l’abbé, vous n’entrerez pas... Je le veux ! l ’ABBÉ, d‘un air suppliant. MICIIONNET. Par hasard... et sans le vouloir... Il ne faut pas, nous autres comédiens, nous jouer aux ADRIENNE. grands seigneurs et aux grandes dames, ça nous porte mal­ Non, monsieur l’abbé, j’cn appellerai plutôt à M. le prince heur... lui-même, au maître de la maison, quine permettra pas que ADRIENNE. chez lui... Je le veux ! L’ABBÉ, vivoment. MICHONNET, d’un air résigné. Vous avez raison! je vais tout dire au prince qui sera en- C’est différent... puis-je au moins t’aider, t’être bon & chanté 1 quel bonheur ! quel hasard pour lui ! la Duelos est quelque chose?.. innocente! complètement innocente... il ne s’y attendait ADRIENNE pas... ni nous non plus. (Il sort par le fond, Adrienne l’accompagne jusqu’à la porte et le suit eneo t Non... il l’a dit : personne ne doit la voir... (Éteignant les des yeux pendant que Michonnrt, qui était resté à gauche, troverso Is deux bougies qui sont sur la table.) p as m êm e IUOÌ 1 théâtre en secouant la tète et va se placer à droite.) MICHONNET, étonné. Eh bien... eh bien... comment veux-tu ainsi t’y recon­ SCÈNE IX. naître... ADRIENNE. ADRIENNE, MICHON.NET. Soyez tranquille ! Voyez seulement au dehors si personne ne vient nous surprendre... ADRIENNE, redescendant le théâtre. SÎICIIONNET, avec colère. Il s’éloigne i C’est absurde !.«. (Se radoucissant.) J’y vais... j’y vais... MICIIONNET. (il sort au fermant la porte du fond.) Que veux- tu faire ? 2 íG COMED IES D I! AMES

LA PRINCESSE. SCÈNE X. Je ne puis distinguer vos traits... ADRIENNE. ADRIENNE, puis LA PRINCESSE. Ni moi les vôtres. I.A PRINCESSE. ADRIENNE, se dirigeant vers la pcrto à droite. Mais cette voix ne m’est pas inconnue, je l’ai entendu Allons!... (Elie frappe â la porte.) On ne me répond pas. . plus d’une lois... oui, oui... pourquoi vous derooer à m. ouvrez... ouvrez, madame... au nom de Maurice de Saxe... reconnaissance... duchesse de Mirepoix... c’est vous. (La porte s’ouvra.) Je savais bien que rien no résisterait à ce talisman. ADRIENNE. Non!... Mais hâtez-vous de fuir les dangers qui vous LA PRINCESSE, ouvrent la porte. Que me veut-on ? menacent... LA PRINCESSE. ADRIENNE. Vous les connaissez donc? Vous sauver !... vous donner les moyens de sortir d'ici... a o rien n e. LA PRINCESSE. Qu’importe, vous dis-je 1 croyez à ma discrétion et ne Toutes les portes sont fermées. craignez rien. ADRIENNE. LA PRINCESSE. J’ai là une clef... celle du jardin sur la rue. Mais ces dangers... ces secrets, qui vous les a confiés? LA PRINCESSE, vivement. ADRIENNE.

O bonheur !... donnez I donnez 1 Quelqu’un qui me dit tout... ADRIENNE. LA PRINCESSE, à part. Mais, par exemple... il faut descendre jusqu’au jardin sans O ciel ! (Haut à Adrienne.) Qui donc a donné à Maurice le être vue !... comment? je ne saurais vous le dire, car je ne droit de tout vous dire? connais pas celte maison... ADRIENNE, lui prenant la main. LA PRINCESSE. Et qui vous a donné à vous-môme le droit de l’appeler RaSSUrez-VOUS ! (So dirigeant vers la gauche pendant qtf Adrienne va Maurice, le droit de m’interroger... de trembler... de r - écouter à la porte du fond; elle dit d part:) GrâcO à Ce panneau mir... car votre main tremble ! vous l’aimez 1 Secret... (Ello cherche danaio muraille le panneau qui s’ouvre sous sa LA PRINCESSE. main.) Le VOÍCi!... (Revenant vors Adrienne qui dans ce moment redes­ De toutes les forces de mon âme ! cend le thé«™.) Mais vous à qui je dois un pareil service... qui ADRIENNE. êtes-vous? E t moi aussi 1 ADR1FXNB. LA PRINCESSE. Qu’importe?... partez;. Abl vous êtes celle

ADRIENNE. SCÈNE XI. Qui êtes-vous donc? ADRIENNE, LE PR IN C E , L’ABBÉ, puis MUe» D A N GEVILLE LA PRINCESSE, avec farté Plus que vous, à coup sûr i et JOUVENOT. LE PRINCE. ADRIENNE. Qui me le prouvera ? Tu es donc sûr, l’abbé, que ce n’est pas la Duelos?... l’abbé. la princesse. Je vous perdrai ! Je l’atteste. LE PRINCE. ADRIENNE, aveo hauteur. Quel bonheur ! Et moi... je vous protège! l’abbé, montrant la porto à droite. LA PRINCESSE. Entrons de ce côté, et pendant que ces dames en bas ne se Ali ! c eu est trop I... je saurai quels sont vos traits.,, doutent de rien... ADRIENNE. (ils entrent dans l’appartement à droite au moment oü l’on voit à la porte Je démasquerai les vôtres... du fond paraître MUes Dangeville et Jouvenot.) „Iles DANGEVILLE et JOUVENOT, s'avérant sur la pointe du pied. LE PRINCE, en dehors. Palsambleu! nous connaîtrons la vérité!... Suivons-les 1 ADRIENNE, à part, avec douleur. LA PRINCESSE, à part. Sur 1 honneur, avait-il dit, sur l’honneur ! Non, je ne puis O ciel!... la voix de mon mari... et partir quand ma rivale est en mon pouvoir, quand je vais la connaître... me persuader encore qu’il m’ait trompée... ADRIENNE. Restez... restez donc !... voici des flambeaux ! SCÈNE XII. LA PRINCESSE. MICHONNET, ADRIENNE. Eh bien! oui... je resterai... Non, non... je ne le puis! MICüONNET, entrant aur la pointe du pied par la porte du pan coupé » (Elle s’élance par la panneau à gauche, qu’elle refe,rae, et disparaît pendant gauche. qu’Adrienae a remonté le théâtre et ouvre la porte du fond. Le prince Eh bien! cette dame, tu l’as donc sauvée? et l’abbé entrent avec des flambeaux, tandis que deux valets restent au fond en dehors également avec des flambeaux.) ADRIENNE. ADRIENNE, au prince. Eh! oui. MICHON.NET. \ enez !... venez!... (Regardant autour d’eUe et a . voyant plus Alors c’est elle qui, tout à l’heure, traversait le jardin avec farsonne.) Grand Dieu 1 le comte de Saxe. ADRIENNE. Vous en êtes sur? 250 COMÉDIES DRAMES

MICHONNET. Comment!... En passant devant le massif où j ’étais, elle à môme laissé tomber un bracelet que voici... ADRIENNE, le prenant. Donnez!... Et le comte de Saxe... ACTE QUATRIÈME MICHONNET. Il est parti avec elle ! ADRIENNE. Avec elle 1 On salon do réception très-éicgnnt choz la princesse de Bouillon; porto nu MICHONNET. fond, deux portes latérales. Ainsi, rassure-toi !... que ça ne t’inquiète plus., il veille sur elle !

ADRIENNE, tombant sur le fnuteui: qui est près de la table à gauche. SCÈNE PREMIÈRE. Ah! tout est lini!

M ICHONNET, s’inclinant vers la porte 4 gaucho, par laquelle il entre. SCÈNE XIII. Merci, mon prince, merci ! Rentrez donc, je vous prie ! MICHONNET, ADRIENNE; LE PRINCE, L’ABBÉ, M1|M DAN­ c’est trop d’honneur ! (Redescendant le théAtre.) Un prince de G EV ILLE et JO UVENO T sortant de l’appartement ô droite. Bouillon! un descendant de Godefroy de Bouillon, me re­ conduire jusqu’il la porte de son cabinet... moi, régisseur ! LE PRINCE. O te serait-ce donc si j’étais... Ah çit ! voici ma commission Personne I Elite, et avec quelque succès, j’ose le dire !... Je puis m en Mlles DANGEVILLE et JOUVENOT. aller... (Regardant la p.nduie du salon.) frois heures!... la ré­ Personne ! pétition sera finie, et sans moi! C’est la première fois que LE PRINCE, s’avançant. i’v aurai manqué. . Je me dérange !... C’est du désordre! C’est égal... ce n’était pas la Duelos, et je triomphe!... mais Adrienne me l’avait demandé comme un service ! Elle (Se retournant.) La main aux dames, et à souper ! y tenait tant I elle élait d’une telle impalience, qu’avant que (il offre une main à Mlle Jouvenot, l’autre â Mlle Dangeville, tandis que je fusse parti elle aurait voulu que, déjà, je fusse de retour. l’obbé présente la sienne ô Adrienne qui, toujours assise et absorbé, UN VALET, entrant par la porto du fond, avec Adrienne, et lui ,neutron. dans sa douleur, ne le y oit ni ne rèduce.) Michonnet. Oui, mademoiselle, il est encore ici. MICHONNET. Que disais-je? c’est elle 1

2 5 i COMÉDIES DRAMES ADRIENNE DECOUVREUR 2 5 5

MICHONNET. l ’a b r é . Rien?... Je ne t’en demande pas davantage!... Prends., Je respire 1 car je connais des dames qui se font une je le veux... Tout cela t'appartient ! grande fête de vous voir et de vous entendre; par malheur AniillïNNE. il pourra bien vous manquer un de vos enthousiastes, de Nous disculerons cela plus tard, gardez-lcs... 11 faudrait, vos fanatiques... à l’instant même, porter cette somme rue Saint-Honoré, i MICHONNET. l’hôtel de l’ambassadeur. Qui donc? l’abbé. MICHONNET. Ce pauvre comte de Saxe! L’ambassadeur moscovite? ADRIENNE, A port. ADRIENNE. Qu’entends-je? Oui! à lui-même!... La lui remettre en payement d’une l ’a r b é . lettre de change de soixante-dix mille livres, souscrite à Il lui arrive l’aventure la plus piquante et la plus origi­ M. le comte de Kalkreutz... nale... Mon état est d’apprendre les nouvelles et de les ré­ MICIIONNET, étonné. pandre, et je tiens celle-ci de bonne source... Imaginez-vous Comment? qu’il ne s’agissait de rien moins, pour lui, que de partir ADRIENNE, avec impatience. cette semaine pour conquérir la Courtaude, et de là, devenir Le comte de Kalkreutz... un Suédois. . grand-duc... roi, que sais-jc ? (aiunt.) Et vous ne devineriez MICHONNET, avec doucour. jamais qui lui enlève sa couronne? qui l’arrête au milieu de Je ne comprends pas... sa conquête? ADRIENNE. MICHONNET. Vous n’avez pas besoin de comprendre... Silence I cesi Non 1 l’abbé ! L’ABBÉ, riant toujour . Une lettre de change de soixante-dix mille livres... SGÈNE III, MICHONNET, étonné. Comment dites vous? MICHONNET, L’ABBÉ, AD RIEN Mi. l’a b bé. Que l’ambassadeur de Russie a rachetée par-dessous main L ABBE, entrant par le fond. afm do vaincre par huissier et de faire prisonnier, sans corn Que vois-je? mademoiselle Lecouvreur chez M. le prince bats, le général qu’il redoutait. de Bouillon !... Est-ce que cela nous annoncerait un coût re­ n d re?... Est-ce qu’on ne vous verrait pas ce soir?... MICIIONNET, étonné. ADRIENNE. Ce n’est pas possible ! Si, vraimentI plus que jamais je dois tenir ma parole à î/ABBE, rinnt toujour*. M. le prince, et je viendrai Je vous l'atteste ! Et le plus curieux... c’est que celte lettre

0. ADRIENNE LECOUVREUR 2 5 1 2 5 6 CO MEDIES DRAMES

de change était d’abord entre les mains d’un comte de Kal- ADRIENNE, à YOU basse. kreutz... Oui.

MICHONNET, YiYement. MICHONNET. Un Suédois! Et que tu veux délivrer?

l’a bbé. ADRIENNE, do même Vous le connaissez ? Oui. MICHONNET, avec colère et regardant Adrienne. MICHONNET. Oui... certes... Au prix de ta fortune?

l ’a iib é . ADRIENNE, aYeo passion Et il paraît que c’est une maîtresse du comte de Saxe, Au prix de tout mon sang 1 une grande dame !... MICHONNET. ADRIENNE, vivement. Mais tu n’as donc pas entendu qu’il ne t'aimait pas, qu il Une grande dame !... en aimait une autre?

l ' a b b é . ADRIENNE. Que par malheur jene ccyinais pas encore, mais que j’es­ Je le sais ! père bien découvrir... qui, dans un transport de jalousie, a MICHONNET. dénoncé ce fait à l’ambassadeur tartaro; de sorte qu’en ce Et tu oses me l’avouer... et tu n’en rougis pas! moment le héros saxon, sans sceptre et sans armée, gémit ADRIENNE. sous les verrous, attendant que la politique ou l’amour vienne Ah! vous ne pouvez pas comprendre, vous, qu on aime le délivrer... Voilà l’aventure primitive, je vous la donne... sans le vouloir et malgré soi... je vous la livre... permis à vous de l’embellir et de l'orner!... Je vais la confier aux méditations de M. de Bouillon... un MICHONNET, YiYement. savant qui aime à traiter ces sujets-là. Si! (Il sort par la porte à gauche; Michoncet remonte après lui le théâtre, le suit ADRIENNE. des yeux quelques instants, puis redescend à droite.) Cherchant à le cacher à tous et à soi-même... en rougis­ sant de honte, de cette honte qui est encore de l'amour! SCÈNE IV. MICHONNET, avec passion. Si! si! je le comprends!... pardon, Adrienne, c’est moi qui suis un insensé de t’avoir parlé ainsi. Mais qu espôres-tu ? ADRIENNE, MICHONNET. ADRIENNE.

MICHONNET, à Adrienne qui, silencieuse, baisse les yeux. Rien!... (AYeo amour.) que le sauver!... E t puis, ne nous Ce que je viens d’entendre est donc vrai... le comte de a-t-on pas parlé tout à l’heure d’une rivale, d’une grande Saxe est celui que tu aimes? dame? 2 5 9 2 5 8 COMÉDIES DRAMES ADRIENNE DECOUVREUR

MICHONNET. Comblé fie mes bienfaits, je veux l'en accabler! Celle au bracelet sans doute, celle qu’il te préfère et pour O mon vieux Corneille! viens à mon aide! viens soutenir laquelle il t’a trahie. mon courage, viens remplir mon cœur de ces élans géné­ ADRIENNE, portnnt la main à son cœur. reux, de ces sublimes sentimnnls que tu as tant de fois placés dans ma bouche. Prouve leur à lous, que nous, les C’est vrai ! mais ne me le dites pas, c’est comme si vous interprètes de ton génie, nous pouvons gagner au contact me frappiez là d’un fer froid et aigu, et ce n’est pas votre 'e tes nobles pensées... autre chose que de les bien tra­ intention. duire! Ce que tu as dit, je loferai! (a Mtchonnet.) Allez! MICHONNET, vivement et avec bonté. courez le délivrer ! Je vous attendrai chez moi. Oh! non, non! tu ne peux le croire. (Elle sort par le fond.) ADRIENNE. Cette rivale, je veux la connaître. (Avec énergie.) Je la con­ SCÈNE V. naîtrai! pour lui dire : C’est par vous qu’il fut prisonnier, c’est par moi qu’il a recouvré la liberté, même celle de vous voir, de vous aimer, de me trahir encore... Jugez vous- MICHONNET, seul, allnnt reprendre son chapeau qu’il avait ¡ osé pen- même, madame, qui de nous aimait le mieux! dont la première scène sur l’un des (nuleuils à gauche.

MICHONNET. Ail ! elle n’a que trop raison de compter sur moi, qui suis Et lui ? encore plus insensé qu’elle... Car après tout, elle donne sa ADRIENNE, avec mépris. fortune pour un amant, c’est tout simple !... mais moi, la Lui!... il m’a trompée, j’y renonce à jamais! mienne pour un rival !... (soupirant.) Enfin, elle le veut, cela MICHONNET, avec joie. lui fait plaisir... alors, à moi aussi !... Mais, ce quelle ne Bien cela!... Mais alors, réponds-moi, pourquoi tout sa­ trouverait pas dans le grand Corneille lui-même, ce qui est crifier à un ingrat ? le sublime de l’absurde, c’est que je souffre de sa peine... à ADRIENNE. elle ! c’est que je suis tenté de lui en vouloir... à lui.,, de Pourquoi? vous me le demandez! La vengeance m’est-elle ce qu’il ne l’aime pas, et je serais lurieux s il 1 aimait ! donc interdite et ne m'est-il pas permis de la choisir ? N’avez- (Apercevant le princesse qui sort de l’appartement à droite.) DÍCU ! une vous pas entendu tout à l’heure qu’il s’agissait pour lui en belle dame !... la maitresse de la maison, sans doute. (Le ce moment de combattre, de vaincre, de gagner un duché... - saluant sans que la princesse le voie.) Elle ne me voit pas, et je peut-être une couronne... Et songez donc, ami, songez... puis sortir, je crois, sans que cela la dérange... Allons remplir s’il me la devait!... s’il la tenait de ma main! Roi, par mon message, et porter notre argent à la Russie. la tendresse de celle qu’il a abandonnée et trahie!... Roi, (il sort par le fond.¿ par le dévouement de la pauvre comédienne!... Ah! il aura beau faire, il ne pourra m’oublier IA défaut de soa amour, sa gloire même et sa puissance lui parleront de moi I comprenez-vous à présent ma vengeance? 2 6 0 COMÉDIES utUlllló ADRIENNE LECOUVREUR “261

L’ABBE, vivement. SCÈNE VI. . Eh bienl madame!... vous me voyez furieux, je ne sais 'ien encore !

LA PRINCESSE, .«1., pni9 L'ABBÉ, 10rtflnl d, port, , LA PRINCESSE, souriant. gauche. En vérité!... vous me rassurez!... je comptais si bien sur vos talents et votre habileté... que je commençais à LA PRINCESSE, à part et rêvant. m’effrayer de la récompense promise..., mais, grâce au Que Maurice coure la rejoindre, je l’en défie ! Et quant à ciel I... et à vous... briser mes chaînes, il doit voir à présent que cela n’est pas L’ABBÉ, virement. si tacile... La seule chose qui m’inquiète, c’est ce bracelet Ah! nem e parlez pas ainsi... car vous me désespérez! donné hier par mon mari et perdu dans ma fuite... à quel un instant j’ai cru connaître la personne, lout me prouvait moment?... sans doute en montant dans ce carrosse do louage qu’il m’a fallu prendre! Après tout! personne ne que c’était la Duelos... sait que ce bracelet m’appartient... quelques diamants de LA PRINCESSE. moins, cek regarde M. de Bouillon. L’essentiel, l’important La Duelos ! pour moi, c est de connaître celte femme qui exerce sur lui l ’a b b é . un tel empire... « Celle à qui il confie tout... » Et quand je Votre mari lui-même paraissait convaincu... il me l’avait pense que j’ai tenu ce secret, mieux encore ! cette rivale dit et démontré... entre mes mains... et que tout m’est échappé, grâce à mon mari, dont le flambeau est venu tout embrouiller... La LA PRINCESSE. science n’en fait jamais d’autres... avec ses lumières!... Raison de plus pour ne pas le croire 1... Eh bien ! moi, Aussi je lui en veux, et vienne l’occasion 1... (Apercent je suis plus heureuse ou plus habile que vous, j’ai vu cette l’abbé et d’un air gracieux.) Eh ! c’est VOUS, l’abbé. beauté mystérieuse !... par un hasard singulier, je me suis trouvée, il y a quelques jours... la semaine dernière, avec L ABBE, sortant de la porte à gauche. elle... à la campagne... dans une allée sombre... très-som­ Vous, madame 1 déjà superbe, éblouissante.., bre... LA PRINCESSE. l ’a b b b . J ’ai voulu de bonne heure me tenir prête à recevoir tout En vérité ! mon monde... et en attendant, je rêvais. LA PRINCESSE. l ’a b b é . Et sans pouvoir distinguer ses traits... je lui ai entendu lion pas à moi... j’en suis sûr. prononcer quelques mots... une phrase que j’ai retenue... LA PRINCESSE. celle-ci : « Ne craignez rien. Votre secret m’a été confié Peut-être !... à des projets de vengeance... projets dans « par quelqu’un qui me dit tout » C’est à coup sûr fort lesquels je ne vous ai pas défendu de m’aider.., au con­ insignifiant; mais le singulier, le voici : c’est que l’accent, traire 1 W son de la voix, me sont parfaitement connus 1 píos je 262 COU K I) I E S — DRAMES ADRIENNE LECOUVREUR £ 6 3

le rappelle, el plus il me semble que maintes fois je l’ai eu- L ABBE. tendu retentir à mon oreille I Du tout !... on ne les prend généralement que comme un manteau, contre l’orage. Vous croyez ?

LA PRINCESSE. SCENE VII. ï f A n’en pouvoir douter !... en quels lieux ?... c’est ce

A i -G4 COMEDIES DRAMES ADRIENNE LECOUVREUR "26b

l’a b b é . LA PRINCESSE. Tandis que celui de la Duelos... « Ne craignez rien. Votre secret m’a été confié par quel­ ATI1ÉNAÏ8. qu’un qui me dit tout!... » Nul. ATHÉNAÏS. LA PRINCESSE, è part. C’est bien facile. Il parait que nous n’en obliendrons pas une phrase en­ LA PRINCESSE. tière. (H aut.) Je commence à être de votre avis, duchesse. Oui-dà ! eh bien I je voudrais vous l'entendre prononcer Pour bien apprécier le charme de mademoiselle Lecouvrcui à vous-même 1 et le naturel de sa diction, il faut avoir essayé soi-même ATHÉNAÏS. quelques lignes en scène... tenez, nous devons la semaine A moi ! prochaine dire des proverbes chez M.le duc de Noailles... je LA PRINCESSE. Comment la diriez-vous? joue un rôle... ATHÉNAÏS. ATHÉNAÏS, riant. Vous devez bien jouer la comédie, princesse? Je ne la dirais pas. LA PRINCESSE. (Elle los quitto et passe à la gauche du théAtre.) Moi, non... tout m’embarrasse. Je répétais là tout à l’heure LA PRINCESSE, lias A l'nlibé. avec l’abbé, quand vous êtes venue... Elle élude la question! ATHÉNAÏS. L’ABBÉ, de même. Vous déranger? C’est elle ! L’ABBÉ, .¡vernant. LA PRINCESSE, allant au-devant de la marquise, de la baronne et de« Pas le moins du monde ! dames qui entrent par la porte du fond. Bonjour, mes très-chères ! ATHÉNAÏS. Continuez... je ne dis plus un mot! L’ABBÉ, à part. SCÈNE VIII. A merveille 1 Pendant que les dames entrent par le fond, plusieurs seigneurs sortent de la p r in c e s s e . l'a; partement à droite, avec LE PRÍN CE ; LA M ARQUISE, LA Gardez-vous-cn bien! Je suis sure, au contraire, de gago PBINCESSE, LA BARONNE, L’ABBÉ, ATHÉNAÏS. Le, à vous entendre, ma toute belle, car le difficile, c’est entres dames qui sont entrées par la porte du fond vont s’asseoir sur naturel, c’est de parler simplement, comme on parle. J’ai d«s fauteuils placés à gauche ; les seigneurs qui sont entrés avec le dans ma première scène, par exemple, une phrase, la plu prince se tiennent debout devant elles. simple qu’on puisse réciter, et je n’en puis venir à bout. ATHÉNAÏS. LE PRINCE, à droite. Vous? Oui, messieurs, la nouvelle est authentique... (saluant io. ADRIENNE LECOUVREUR 2 6 1 2 6 6 COMÉDIES DRAMES

LE PRINCE, gravement. domes.) et je puis vous ältester qu’à l’heure où je vous parle Et moi, mesdames... il est libre, complètement libre... TOUT LE MONDE. ATUÉNAÏS, placée Ò l’eilrémo gauche. Eh bien ? Et qui donc ? LE PRINCE, de même. LE PRINCE. Je n’ai pu en savoir davantage... ce qui prouve bien... Le comte de Saxe 1 l ’a b bé. LA PRINCESSE, à pert. Que cela n’est pas ! je le saurais... Or, je ne le sais pa. Maurice ! ô ciel ! donc cela n’est pas I LA MARQUISE. LA MARQUISE. Ah ! vous savez aussi la nouvelle ! c’esi ires-dèsagréable... Cela est, je le tiens d’une amie intime du comte de Saxe. je croyais être seule 1 LA DARONNE. LE PRINCE. En effet, le bruit courait ce matin que le futur souverain Moi, je le tiens de Floreslan lui-même, qui a vu Maurice, de Courlande était retenu prisonnier pour une somme très- à telles enseignes qu’il a été de sa part défier le comte de considérable... ce n'est donc pas vrai? Kalkreutz. (Au nom de Florestan, Athénoïs fait un mouvement que la princesse LA MARQUISE. remarque.) Eh 1 mon Dieu 1 si. l ’a b bé. ATUÉNAÏS. Celui qui a livré sa créance à l’ambassadeur moscovite? Alors comment est-il libre ? LE PRINCE. LA BARONNE, gaiement. Précisément. Un roman... un enlèvement, et comme il lui en arrive toujours, une aventure,.. ATUÉNAÏS. Action déloyale, indigne d’un gentilhomme ! LA MARQUISE. La plus simple du monde... et la plus bourgeoise... on a LE PRINCE. Et dont le comte de Saxe lui a demandé raison... ils ont pay a ses dettes ! LA BARONNE. dû se battre. Oui-dà, marquise ! et vous ne trouvez pas cela une aven LA PRINCESSE. ture extraordinaire? Et sait-on l’issue du combat ? LA PRINCESSE. LE PRINCE. Si, vraiment, mais ces dettes, qui les a payées? Pas encore! mais ce pauvre Maurice qui devait nous veut ce soir... LA MARQUISE. ATUÉNAÏS. Demandez à M. le prince, car, pour moi, l’histoire s’arrè Ne craignez rien... il viendra 1 là... on ne m’a rien dit de plus. 2 6 9 268 COMEDIES DRAMES ADRIENNE l.rCOUVBEÜR

LA PRINCESSE, l'observant avec jalon*!®. ronne, qui l'entourent; le prince et l’nbbé se rapprochent d’elles. Vous croyez, madame? Michonnet est presque seul à l’extrême droite, pendant que la princesse l.-scnnl à gauche au bord de la scène et devant les dames qui soc:

SCÈNE IX. ADRIENNE. En vérité, mesdames, je suis confuse de tant d’honneur 1 L e s mêmes ; UN DOMESTIQUE. MICHONNET, à part. LE DOMESTIQUE, annonçant. Ce n’est que justice ! je vous demande si elle ne figure Mademoiselle Lecouvrcur et monsieur Miehonnel, de la pas aussi bien qu’elles toutes dans un salon ! Comédie-Française ! ADRIENNE. l’abbé. Vous avez voulu, vous et les nobles dames qui daignent Ah I enfin I m’accueillir... (Tout le monde va au-devant d'Adrienne.) LA PRINCESSE, frappée du «on de voix et écoutant. LA .MARQUISE, qui est restée avec la baronne sur le devant du théâtre, O ciell à droite. ADRIENNE. U parait que nous aurons ce soir la tragédie. Donner à l’humble artiste l’occasion d’étudier ce ton exquis, LA BARONNE. ces manières élégantes que vous seules possédez... Et la comédie. LA PRINCESSE, de mèma. LA MARQUISE. Qu’entends-je?... celte voix... Le prince l’aime beaucoup. ADRIENNE. LA BARONNE. Aussi je vais bien regarder... pour tAcher de copier fidèle­ Et la princesse donc ! ment... certaine de réussir, pour peu que je sois ressem­ LE PRINCE, redescendant on donnant la main à Adrienne. blante. Combien je vous remercie, mademoiselle, de l’honneur LA PRINCESSE. pie vous voulez bien nous faire, à madame de Bouillon et Plus je l’entends, plus il me semble... Non, non, ce n’est a moi 1 pas possible, c’est un rêve !... ce n’est pas à mon oreille, ATIIÉNAIS, à In princesse* c’est dans mon imagination seule que retentit et vibre en­ Daignez, princesse, me nommer à mademoiselle. Il y a si core ce son de voix qui me poursuit toujours. (Athénaû et le. longtemps que je l’admire de loin, que je suis bien aise de autres dames se sont emparées d'Adrienne, la font asseoir auprès d elles le lui dire de près ! et causent avec elle à voix basse pendant que le prince et les entres LA PRINCESSE, présentant la duchesse. seigneurs entourent son fauteuil. Ln princesse souriant avec ironie.) Quelle idée... en effet, que cette rivale qu’il me préfère Madame la duchesse d’Aumont, mademoiselle... (La Prin soit une femme de théâtre... une comédienne... Et pourquoi ae.se fait passer Adrienne près d'AlMnoïs, de la marquise et de 1« be- 2 7 0 COMÉDIES DRAMES ADRIENNE LECOUVREUR 271 non?... n’onl-elles point un charme, un prestige qui n’ap­ omi»or évanouie dans un fauteuil.) Mademoiselle Lecouvreur SC partient qu’à elles, le talent et la gloire qui enivrent et ajou­ rouve mal ! tent à la beauté? (Regardant Adrienne que tous les seigneurs entou­ MICHONNET, se précipitant vers elle. rent.) Dans ce moment encore ne sont-ils pas là tous à l’ad­ mirer, à l’adorer?... Pourquoi n’aurait-il pas fait comme A d r ie n n e ! eux? Ah! ce doute est insupportable... et je veux à tout prix LA BARONNE et LA MARQUISE* passant derrière le fauteuil confirmer OU détruire mes soupçons. (Se retournant vers le prince d Adrienne, qui vient de quitter le fauteuil d’Adrienne et qui s’approche d'elle.) E li Ah ! mon Dieu ' bien ! ne commençons-nous pas? ADRIENNE, revenant è elle. (Adrienne se love en signe d’assentiment et passe à droite près d. Ce n’est rien... l’éclat des lumières... la chaleur du salon. Micbonnet.) (A la princesse qui lui fait respirer un flacon que l’abbé vient de lui LE PRINCE. donner. ) Merci, madame, que de bontés ! (Rencontrant ses yeux.) Il nous faut attendre le comte de Saxe, puisqu'on assure Quel regard ! qu’i viendra. UN DOMESTIQUE, annonçant. LA PRINCESSE, regardant du côté d’Adrienne. Monsieur le comte de Saxe. Je crois que vous nous flattez d’un vain espoir, ¡1 ne vien­ (Tout le monde pousse un cri de surprise ; les dames quittent le fauteuil d’Adrienne et vont au-devant du comte.) dra pas. (a part.) tille a tressailli... elle écoute... ADRIENNE, faisant un geste de joie. LE PRINCE. Ah ! Qui vous le fait croire?... qui vous l’a dit? puisqu’il est li­ (Elle yeut s’élancer vers lui, Michonnet la retient par la main ; la princesse bre... libre par les mains de l’amour. et Adrienne restent un moment les yeux l.xés l’une sur l’autre.) LA PRINCESSE, à part, observant Adrienne, MICHONNET, à voix bosse. lille tressaille encore! serait-ce elle qui l’aurait délivré? Prends garde!... la joie trahit encore-plus que la douleur. (Haut.) Je n’ai pas voulu tout à l’heure troubler vos espé­ (Les Sv igneurs elles dames qui étaient allés au-devant de Maurice redescen­ rances, ni attrister ces damo3, mais vous savez qu’il s’est dent avec lui.) battu. LE PRINCE, à Maurice. ADRIENNE, A part. Que nous disait donc l’abbé, que vous étiez blessé ?

Battu ! l’a b b é . LA PRINCESSE, à port. Permettez, je réclame. Elle se rapproche. (Haut.) Et l’abbé, qui sait tout, m’a MAURICE. dit... que le comte était blessé dangereusement. Bah! depuis Charles XII, la Suède ne sait plus se battre L AUBE, étonné. LE PRINCE, riant. Moi ! Ainsi, ce comte de Kalkreulz... LA PRINCESSE, bas à l’abbé. MAURICE. T aisez vOUs! (Poussant un cri et courant près d’Adrienne qui vient de Désarmé à la seconde passe. ( Le prince, l'obbé et Athéneïi [O. ADRIENNE LECOUVREUR 2 7 3 2 7 2 COMED IES DRAMES

l ’ABBÉ, à la prinoesse à demi-voix. montent le théâtre et vont causer avec les autres dames et seigneurs. Macuice Je vous demanderai maintenant, princesse, pourquoi, tout se trouve sur le devant de la scène près de la princesse et lui dit à dere.1- voix sons in regnrder.) Vous disiez vrai, princesse - en disant 6 l’heure, vous m’accusiez ainsi de... que vous me ramèneriez. LA PRINCESSE, â voix houle.

LA PRINCESSE, avec joie. Pourquoi?... parce que vous n’étes jamais au fait des O ciel ! Choses. (Se retournant en riant vers les deux darnos qui sont à sa gauche.) imaginez-vous, mesdames... MAURICE, ilo même. (L’abbé quitte la droite de la prinoesso, remonte le théâtre, et va se placer Je voulais partir sans vous voir, mais après le service que entre les deux dames comine pour se justifier près d elles.) vous venez de me rendre, service que, du reste, je n’ac­ cepte pas... je... LA PRINCESSE, continuant sa phrase. Imaginez-vous que le pauvre abbé court vainement depuis ADRIENNE, à droite et à vuelques pas ¿‘eux, les suivant des yeux. nier à la découverte d’un secret! Une belle inconnue Il lui parle bas I... si c’était cette grande dame... si c’était qu’adore le comte de Saxe... Mais, j’y songe... (se retournant e l l e ! . . . vers Adrienne.) Mademoiselle Lecouvreur pourrait peut-être LA PRINCESSE, continuant à caaser avec Maurice. nous éclairer sur ce mystère... Que voulez-vous dire? ADRIENNE. MAURICI*], toujours b asé In princesse. Moi, mai i me ! Il faut absolument (¡uc je vous parle. la p r in c e s s e . LA PRINCESSE, do môme. Sans doute !... on assure dans le monde que l’objet de Ce soir, quand tout le monde sera parti. cet amour est une personne de théâtre.

MAURICE, de même. l’a b d é . Soit! (La princesse remonte le théâtre à gauche du spectateur; Maurfc» Laissez donc... se retourne et aperçoit h droite Adrienne, il la salue profondément.) Md- ADRIENNE. . demoiselle Lecouvreur ! C’est étrange ! on assurait au théâtre que cette maitresse (Il fait quelques pas pour aller près d’elle; le prince, qui avait remonté le cu titre était une grande dame... théâtre, le redescend et prend Maurice par-dessous le bras au moment où il s’approche d’Adrienne.) l ’ABBÉ, regardant Athénaïs. LE PRINCE. Je le croirais plutôt!

A propos de la Suède, mon cher comte, j’ai à vous da- LA PRINCESSE. mander... Ma chronique parlait même d’une certaine rencontre (Il s’éloigne avec lui on causant et en remontant le th'âtre; ils disparaissi-Lt tous deux quelques moments dans d’autres salons. Pendant ce temps, la nocturne... marquise et la baronne se sont rapprochées d’Adrienne ; Michonnei, qui ADRIENNE. était A l’extrême droite, a remonté le théâtre, est resté quelque temps uu Et la mienne d’une visite dans une petite maison. fond, puis est redescendu à l'extrême gauche.) 2 7 4 COMÉDIES — DRAMES ADRIENNE DECOUVREUR 2 7 5

ATHÉNAÏS. l ’a b b é , Mais c’est très-intéressant! Un conte des Mille et une nuits! LA PRINCESSE. ADRIENNE. On disait que la comédienne y avait été surprise par une Non, vraiment, une réalité !... car ce bracelet on me l’a •ivale jalouse. apporté... on me l’a laissé... (La montrant.) Le voici!

ADRIENNE. I. ABBÉ, prenant le bracelet, et le montrant à la marquise et à la baronne, On affirmait que la grande dame en avait été chassée pai entre lesquelles il est placé. un mari indiscret. Superbe! voyez donc, mesdames.

ATHÉNAÏS. LA PRINCESSE, jette un regard sur le bracelet et dit froidement. Que vous semblez bien instruites toutes deux I... Admirable!... c’est travaillé avec un art! (Elle avance la main pour le prendre, mais le prince, qui depuis quelques l ’a b b é . instants est rentré dans le salon avec Maurice, s’est approché du groupe, se Plus que moi, j’en conviens! place entre la princesse et la marquise. La princesse s’éloigne et se rappro­ che d’Atbénaïs qui venait aussi pour regarder le bracelet.) ATHÉNAÏS. Mais pour nous mettre à même de prononcer, qui nous LE PRINCE. donnera des preuves ? Qu’est-ce donc ? qu’admirez-vous ainsi ?

LA PRINCESSE. l ’a b b é . La mienne est un bouquet que la belle a laissé aux mains Ce bracelet 1... de son vainqueur... bouquet de roses, attaché par un ruban LE PRINCE. soie et or ! Celui de ma femme ! ADRIENNE, A part. TOUS, avec un accent différent. Mon bouquet! Sa femme ! ATHÉNAÏS, à Adrienne. LE PRINCE, remontant le théâtre et montrant à tout le monde le bracelet El votre preuve, à vous... mademoiselle!... avec un air de satisfaction. ADRIENNE. U est de bon goût, n’est-ce pas? La mienne?... la mienne, c’est que la grande damr ADRIENNE, à part. laissé tomber en s’enfuyant dans le jardin... C’était elle!... ATHÉNAÏS. (Pendant le désordre produit par cet incident, Alhénnïs, la princesse, le prinse Comme Cendrillon, sa pantoufle do verre.* et les autres dûmes ont remonté le théâtre. Adrienne, qui .était à l’eïtréme droite, traverse la scène avec agitation, et va se placer à gauche près de ADRIENNE. Michonnet.) Non, mais un bracelet de diamants... LA PRINCESSE, au milieu du théâtre et mettant à son bras Bon bracelet

LA PRINCESSE, à paru que son mari vient de lui rendre. Mon bracelet I Eh bien! maintenant que M. le comte de Saxe est dèci- 2 7 6 COMÉDIES DRAMES dément des nôtres, si mademoiselle Lecouvreur était assez bonne pour nous dire quelques vers...

ADRIENNE, hors d’elle. Des vers!... moi !... en ce moment! (Les domes qui étaient as. iics ù gauche se lèvent et se dirigent vers la droite du salon. A paru \!i ! c’est trop d’impudence...

AIICMONNET, à gauche, près d’elle. Calme-toi et étudie!... il y a dans le monde de plus grands comédiens que nous! (Les dames et seigneurs se sont placés à droite devant les deux ra gées de fauteuils qui garnissent ce côté du salon.)

MAURICE, qui a redescendu le théâtro. Quoi, mademoiselle... vous daigneriez...

ADRIENNE, froidement. Oui, monsieur le comte! LA PRINCESSE, d’un air gracieux.

Quel bonheur!... asseyons-nous, mesdames... ( a Maurico.) monsieur le comte, auprès de moi... ADRIENNE, n port. Les voir là, sous mes yeux, tous les deux ensemble... comme pour me braver!... mon Dieu, donnez-moi la force de me contraindre... LE PRINCE. Que nous direz-vous ? ATIIÉNAÏS. Le Songe de Pauline. LA MARQUISE, Hermione. LA BARONNE. Ou Camille des Horaces.

LA PRINCESSE, avec ironie. Ou plutôt le monologue d'Ariane abandonnée. 2 7 8 COMÈDIES DRAMES

LA PRINCESSE, avec calme. Bravo ! bravo ! admirable ! TOUS. Admirable!

MICHONNET, bas à Adrienne. Malheureuse!... qu’as-tu fait?... ACTE CINQUIÈME

ADRIENNE. Je me suis vengée! L’eppartement d’Adrienne: à gauche, une cheminée; près de la cheminée, un LA PRINCESSE, hors d’elle-mèm.. fauteuil et une table; porte ou fond; deux portes latérales; fauteuils au Un tel affront!... je le lui ferai payer citer!.., fond et à droite. ADRIENNE, au princo, qui la félicita. Déjà souffrante et fatiguée, je vous demanderai ta permis­ sion de me retirer... SCÈNE PREMIÈRE.

LA PRINCESSE, bas 4 Maurice, qui fait un pas vers Adrienne. Restez ! MICHONNET, à la porte du fond, parlant à une femme de chambra,

LE PRINCE, à Adrienne. puis ADRIENNE, sortant do la porte 4 gauche. Quelque envie que nous ayons de vous retenir... nous n osons insister... (Remontant le théâtre et parlant 4 des domestiques MICHONNET. qui sont ou fond.) La voiture de mademoiselle Lecouvreur.. Oui, je sais que sa porle est fermée et qu’il est onze heu­ (Pendant le temps où le prince remonte le théâtre, la princerse fait quelques res! Mais si elle n’est pas encore déshabillée... vous lui di­ pas 4 droite, et Maurice se rapproche d'Adrienno qui est 4 gauche.) rez que c’est moi, Michonnctl... ADRIENNE, à demi voix. ADRIENNE, l’npercevant et courant à lui. Suivez-moi... Ah!... je vous attendais !.. MAURICE, de même. MICHONNET, 4 la femme de chambre qui se retira. Impossible ce soir ! Vous saurez pourquoi !... Mais. . Vous voyez bienl ADRIENNE. ADRIENNE. 11 suffit... Je souffrais tant! (En ce moment le prince, qui a redescendu le théâtre, offre sa main 4 Adrienn e. Elle remonte avec lui vers la porte du fond. Les hommes groupés 4 gauche MICHONNET. de la porte et les femmes debout 4 droite la saluent. Adrienne jette sur Et moi donc!... Je ne pouvais pas rentrer sans savoir com­ Maurice un dernier regard de reproche et de douleur, et s’éloigne pendant ment tu te trouvais... je n’aurais pu dormir... quo la princesse la regarde sortir d’un œil menaçant.) ADRIENNE. Depuis que vous êtes là... je suis mieux 1 281 •280 COMEDI K S — DRAMES ADRIENNE DECOUVREUR

MICIIONNET. MICIIONNET. Et moi aussi!... Après t’avoir reconduite, je suis passé au Voilà justement ce qui m’effraie!... C'était trop bien., théâtre, d’où je viens! c’était trop forti... Ces grandes daines, si belles et si gra­ ADRIENNE. cieuses avec leurs guirlandes de fleurs et leurs robes de gaze, Le spectacle est-il terminé ? c’est vindicatif... c’est méchant... tout leur est permis... et clics osent tout ! celle-là surtout... à qui justement hier je MICIIONNET. proposais de jouer le rôle de Cléopâtre... elle a toutes les .Nous en avons encore pour une heurs. .] ¡alités de l’emploi : elle ne reculera devant aucun moyen... ADRIENNE. pour se venger d’un affront ou se débarrasser d’une rivale... Tant mieux !... Je suis si souffrante que je voulais faire ADRIENNE. dire au théâtre qu’il me sera impossible de jouer demain. Eh 1 que m’importe?... Quel mal peut-elle me faire dé­ MICIIONNET. sormais qui égale les tourments renfermés dans celte pen­ Je vais y passer... J’arrangerai cela et je viendrai te rendre sée... dans ce mot : Aimée!... elle est aimée!... Cette bles­ réponse. sure faite par moi, il la guérit par ses paroles d’amour!... ADRIENNE. Ses larmes, si elle en répand, il les essuie sous scs baisers!... Que de peines je vous donne !... Et maintenant même... maintenant que mon cœur se brise... MICIIONNET. elle est heureuse... elle est près de lui.. Vous ne savez donc Allons donc!... moi, qui demeure dans ta maison, ne me pas que je l’ai supplié, à voix liasse, de me suivre, tandis voilà-t-il pas bien malade !... ce n’est pas cela qui m’inquiète ! qu’elle lui ordonnait de ne pas la quitter!...

ADRIENNE. MICIIONNET. Qu’est-ce donc ?... Eli bien ?... MICHONNET. La scène de ce soir... chez celte grande dame! crois-tu ADRIENNE. donc, qu’excepté son mari, tout le monde n’ait pas compris 11 est resté !... resté avec elle!... Ah! c’en est trop! je l’allusion... à commencer par elle... n’y résiste plus! ADRIENNE. (Faisant un pas pour sortir ni remontant le taéâtra.) Je l'espère bien ! Je l’ai blessée à mort, n’est-ce pas?... MICIIONNET Quelle joie ! c’est le seul moment de bonheur que j’aie Où vas-tu ? éprouvé après tant de souffrance ! A chaque mot de ces ADRIENNE. derniers vers... il me semblait lui enfoncer un poignard dans le cœur ! Et puis, avez-vous lu la terreur sur tous les vi­ Me jeter entre eux... les frapper... et après... qu’on fassa sages ? Avez-vous entendu ce silence? L’avez-vous vue de moi ce qu’on voudra ! elle-môme, en dépit de son audace, pâlir sous mes regards? MICHONNET. Ah 1 j ’avais marqué d’une tache ineffaçable : V penscs-lu? Ce front qui ne rougit jamais! “28 3 2 8 2 COMÉDIES DRAMES ADRIENNE LECOUVREUR

ADRIENNE, redescendant lo théâtre et allant se jeter dans un fauteuil à droite. SCÈNE II. Cela ne vaut-il pas mieux que de mourir ici de jalousie el de désespoir... car, je le sens, j’en mourrai 1 ADRIENNE, MICHONNET. UNE FEMME 01! CHAMBRE. MICHONNET. Non ! non! par malheur tu t’abuses encore !... c’est une fièvre qui ne vous quille pas, une douleur aiguë de tous les LA FEMME DE CHAMBRE. instants... on souffre... on est bien malheureux... mais on Un coffret qu’on apporte pour madame. n’en meurt pas !... Tu vois bien que j'existe encore ! ADRIENNE. ADRIENNE, le regardant avec étonnement. Qui l’a apporté? Vous ! LA FEMME DE CHAMBRE. MICHONNET. Un domestique sans livrée, qui a dit seulement : De la Ah ! cela t’étonne, n’est-ce pas?... Tu ne peux croire que part de M. le comte de Saxe. sous cette épaisse enveloppe il y ait un cœur qui souffre ADRIENNE, poussent un cri. comme le tien... quiaime. . qui saigne comme le tien... De lui!... (Pronant le colfrot des mains de la femme de chambre.)

ADRIENNE. Laisscz-nous... laissez-nous... (La femme de chambre sort et Adrienne pose le coffret sur la table et s’assied toute tremblante.) Mil Quoi ! ces tourments, vous les avez éprouvés ? mon Dieu !... que peut-il me vouloir? ma main tremble... et MICHONNET. je ne puis ouvrir... Oui... autrefois... il y a bien longtemps... Crois-moi, on MICHONNET, à part. s'habitue à tout... môme à être malheureux ! El elle croit qu’elle ne Taime plus 1... ADRIENNE. ADRIENNE, vivement. Ah! cette force que je ne vous soupçonnais pas... ce cou­ Voyons! voyons 1 (Poussant uncri de douleur.) Ahi rage que j’admire en vous!... je l’imiterai !... je l’égalerai, si MICHONNET, vivement. je le puis... Je triompherai d’une passion insensée dont maintenant je rougis ! Qu'est-ce donc?... ADRIENNE. MICHONNET, avec joie. En ouvrant ce coffret... j’ai éprouvé une sensation doulou- Dis-tu vrai ? reuse... un souffle glacial qui parcourait mes sens... c’était ADRIENNE. comme un présage du coup qui ni attendait... Vous voyez bien que je parle de lui sans haine et sans MICHONNET. colère... que le souvenir de ses outrages me laisse calme et tranquille... que son nom même ne m’émeut plus !... Que contient donc celte boîte? ADRIENNE. (Adrienne traverse le théâtre et va se placer près du fauteuil à gauche, entre la cheminée et la table. La porte du fond s’ouvre.] Mon bouquet! (Le pronant à la main.) Je le reconnais... celui aduienne lecouvreur 285 ¿ 8 4 CO MÉDIUS URAMUS

qu’hier je tenais à la main lors de son arrivée! deimmlé SCÈNE III. par lui... donné par moi comme un gage d’amour... il pou- vaitle dédaigner, l’oublier, le jeter à l’écart 1 nais mole renvoyer... exprésl... mais joindre l’affront au mépris... A D R IE N N E, M ICHONNET, M AURICE, .e précipitant par i» porte du fond • MICHONNET. Cell ne vient pas «K lu c’est cette rivale qui l auri forcé I MAURICE, à la cantonade et comme perlant à la femme de chambre qui veut le retenir. ADRIENNE, se levant avec indignaron. Elle y Sera pour moi, VOUS dis-je ! (Courant à Adrienne.) Devait-il obéir? et tout esclave qu’il est, ne devait-il pas Adrienne !... se révolter à l’idée seule d’insulter celle qu’il a aimée 1 ADRIENNE, se jetant involontairement dans ses bras. (Retombant sur le fauteuil près de la cheminée en louant à la main le Maurice!... (Voulant se dégager de sos broa.) All ! qu ai-je fait?... bouquet de fleure qu'elle regarde quoique temps en eilence.) Fleurs d’un jour, hier si éclatantes, aujourd hui flétries, vous qui aurez laissez-moi ! laissez-moi ! duré plus longtemps encore que ses promesses! pauvres MAURICE. fleurs, reçues par lui avec tant d ivresse et de joie, vous ne Non, je viens tomber à les pieds! je viens implorer mon pouviez plus rester sur ce cœur où il vous avait placées et pardon! si je ne t’ai pas suivie quand lu me l'ordonnais... dont une autre m’a bannie ! Exilées et dédaignées comme c’est que j’étais retenu par le devoir, par l’honneur... par moi, je cherche en vain sur vos feuilles la trace des baisers un bienfait dont le poids m’accablait... je le croyais du qu il y imprimait 1.., que cciui-ci soit le dernier que vous moins! et je ne voulais pas laisser finir cette journée sans recevrez, celui d’un adieu éternel ! (ulto porte avec force te bou­ dire à la princesse : « Je ne puis accepter votre or, car je ne quet à scs lèvres.) Oui... oui... il me semble que c'est celui de vous aime pas, car je ne vous ai jamais aimée, car mon cœur la mort! et maintenant... qu’il ne reste plus rien de vous, ni est à une attire!... » Mais juge de ma surprise!... aux pre­ de mon amour... miers mots que je lui adresse... en m’écrtanl : « Je sais (Elle jette le bouquet dans ta cheminée.ù tout! je sais tout!... » tremblante... éperdue... elle, qui MICHONNET. ne tremble jamais... tombe à mes pieds et avec des larmes Adrienne!... Adrienne!... feintes ou véritables m’avoue que l’amour et la jalousie Tout égarée, qu’elle seule est la cause de ma captivité!... elle ose ADRIENNE, se levant et s’appuyant sur le marbre de la cheminée. me l’avouer... à moi qui pensais lui devoir ma délivrance... Ne craignez rien 1 (portant ta main é son cœur.) Cela va mieux 1 ADRIENNE. (Regardant du côte da la cheminée.) Je suis forte maintenant... je n'y pense plus !... O ciel !... MAURICE, continuent avec chuleur. A moi qui, honteux et désespéré de ses bienfait* venais implorer seulement quelques jours pour m’acquitter, dussé-je jouer mon sang et ma vie 1... et j’étais libre... libre de 1« 2 8 6 COMÉurfes BR AMES ADRIEN.NE EECOUVRKUR 2S7

mépriser, de la haïr... de l’abandonner! libre de courir ADRIENNE, vivement. vers toi et de me réfugier à tes pieds!... ma protectrice, Vous pleurez ? mon bon ange... m’y voici! (Tombant à tes genoux.)Ne me re­ MICIIONNET. pousse pas ! De contentement, d’émotion... Adieu... tu sais qu’on m'a ADRIENNE. tend au théâtre, et j’y dois être avant la fin du spectaelu Faut-il te croire? adieu... adieu... (Il se précipite vers la porte du fon : MAURICE. Par le ciel... et l’honneur! je t’ai dit la vérité... quelque difficile qu’elle soit à expliquer... car, renversé du haut de SCENE IV. mes espérances, arreté, jeté dans un cachot, j’ignore encore quelle main m’a. délivré et j’ai beau chercher, je ne puis dé­ ADRIENNE, MAURICE. couvrir par qui me sont rendus ma liberté, mon épée, et un glorieux avenir peut-être ; le sais-lu ? peux-tu m’aider à MAURICE. le deviner ? Ainsi, Adrienne, c’était loi?... ADRIENNF, baissant Ip s yeux ADRIENNE, montrant do la main Michonnet, qui vieni de sortir. Je ne sais !... je ne puis dire... Et lui, mon meilleur ami, lui qui m’est venu en aide... MICIIONNET, qui pendant la tirade précédente a remonté le théâtre* passe niais ne parlons plus de cela... tu as accepté... vivement entre eux deux. MAURICE. Que c’est elle!... clle-mcme!... A une condition. . c’est qu’à ton tour tu ne refuseras lien ADRIENNE, vivement. de moi ! J’ignore l’avenir qui m’est réservé, j’ignore si je Taisez-vous I taisez-vous 1 dois, sur le champ de bataille, gagner ou perdre la couronne tlucale que les états de Couriande m’ont décernée; mais MICIIONNET, avec chaleur. vainqueur, je jure de partager avec toi le duché que lu C’est elle qui a engagé pour vous sa fortune, ses dia­ m’aides à conquérir, de te donner le nom que tu m’aides i mants, tout ce qu’elle avait... et plus encore !... immortaliser 1 ADRIENNE. ADRIENNE. Ce n’est pas vrai ! Ta femme ! moit MICIIONNET, de même, avec force. MAURICE. C’est vrai!... et s’il faut en donner des preuves, apprenez Toi ! reine par le cœur et digne de commander à tous : qu’elle a emprunté... emprunté à quelqu'un... (s. reprenant.) Qui a grandi mon intelligence? Toi. Qui a épuré mes sen­ que je ne connais pas, mais vous pouvez m’en croire, moi !... timents? Toi. Qui a soufflé dans mon sein le génie des grands qui ne veux que son repos... son bonheur... moi qui l'aime hommes, dont tu es l’interprète.?... Toil toujours toi!.. comme un père, (virement.) oh ! oui... comme un père I Mais; ô ciel ! tu pâlis !

i'!7-'*' 288 COMÉDIES — DRAMES ADRIENNE LECOUVREUR 2 8 5

ADRIENNE. (Vivement.) Je ne le veux pas... en la perdant, je perdrais Xe crains rien... tant de bonheur succédant à tant d. dé mon bonheur... Oh 1 non... non... je ne le veux pas ! pour sespoir aura épuisé mes forces. lui d’abord, pour Maurice, et puis pour ce soir... On vient MAURICE, l'aida« è s’asseoir sur 1« ea,H|é. 'l’ouvrir, et la salle est déjà pleine ! Je conçois leur curio­ sité et leur impatience ; on leur promet depuis si longtemps Tu chancelles 1 la Psyché du grand Corneille 1... oh! oui, depuis longtemps... ADRIENNE. depuis les premiers jours où je vis Maurice... On no voulai! En effet, un trouble étrange, une douleur sourde et m pas remonter l’ouvrage... C’est trop vieux, disait-on... mais, comme s’est emparée de moi... depuis quelques moments... moi, j’y tenais... j’avais une idée... Maurice ne m’a pas en­ depuis celui où j’ai porté à mes lèvres ce bouquet. core dit : Je vous aime ! ni moi non plus... je n’ose pas... U MAURICE. il y a li certains vers que je serais si heureuse de lui adres­ Lequel ? ser, à lui, devant tout le monde sans que personne s’en ADRIENNE. doute... Ingrate ! je le prenais pour un adieu de départ, et c était MAURICE. un message de retour! Mon amie, ma bien-aimée, reviens à toi I MAURICE. Que veux-tu dire? ADRIENNE. ADRIENNE. Tais-toi donc!., il faut que j’entre en scène. Oh 1 quelle Ces ileurs... envoyées par toi dans ce coffret... nombreuse, quelle brillante assemblée ! Comme tous ces re­ MAURICE, paasant près de la table. gards tournés vers moi suivent chacun de mes mouve­ Moi ! je ne t’ai rien envoyé... ce bouquet, où est-il ? ments!... Ils sont bons, de m’aimer ainsi... Ali ! ¡1 est dans sa lo<*e... c’est lui... il me sourit... (Murmurant entre ses lèvres.) ADRIENNE. Bonjour, Maurice... A toi, Psyché, voici ta réplique. Brûlé ! je croyais que tu nous avais tous deux repoussés et dédaignés... il était comme moi, il ne pouvait plus vivrei Ne les détournez pas ces yeux qui me déchirent, Ces yeux tendres, ces yeux perçants, mais amoureux, ... MAURICE, arec tendresse. Qui semblent partager le trouble qu’ils m inspirent. Adrienne! mais ta main tremble... tu souffres beaucoup.. Hélas! plus ils sont dangereux, ADRIENNE. Plus je me plais à m'attacher sur eux ! Xon, non, plus maintenant. (Montrant aon cœur.) La douleui Par quel ordre du ciel, que je ne puis comprendre, n’est plus là... (Portant la main à aa téu.) mais là... C est sin­ Vous dis-je plus que je ne dois ? gulier, c’est bizarre... mille objets divers et fantastiques pas- Moi, de qui la pudeur devrait du mu.ns attendre Que l’amour m’expliquât le trouble où je vous vais. sani devant moi... se succèdent confusément et sans ordre... Vous soupirez, seigneur, ainsi que je soupire; (a Maurice.) Où étions-nous? qu’est-ce que je te disais? je ne Vos sens, comme les miens, paraissent interdits sais plus... 11 me semble que mon imagination s’égare... et C'est à moi de m'en taire, à vous de me le dire, que ma raison, que je cherche à retenir, va m’abandonner... Kt cependant c est moi qui vous le ms i DRAMES ADRIENNE LECOUVREUR 2 9 1 2 9 0 COMÉDIES

MAURICE, lui prenant la main. va lui jurer la foi que tu m’avais jurée, Les dieux, des justes dieux., n'auront pas oublié Adrienne! Adrienne ! elle ne me voit plus... ne m entend Que les mêmes serments avec moi t’ont Hé... plus... Mon Dieu, l’effroi me glace., que faire?... (il agite i Porte... porle aux autels... un cœur qui m’abandonne... lonnelto qui est sur la table; parait la femme de chambre.) Votre m ai Va, cours, mais crains encor... iresse est en danger... courez !... des secours !... Moi, je ne (Poussant un cri et reconnaissant Maurice.) 1.1 quille plus... (La femme de chambre sort.) Ma présence Cl IRC; - d i­ Ah ! Maurice!... soins lui rendront peut-être le calme... (i-renant la main d',\ (Elle se jeite dans ses bib-.] Arienne.) ftcoule-moi, de grâce ! MAURICE. ADRIENNE, ovoc égarement. Mon Dieu... venez à mon aide !... et pas de secours! Regarde... regarde donc!... Qui entre dans sa loge? qui pas Un ami... (Apercevant Michonnct.f Ah ! JC IDC trompais I. s'assied près de lui?... Je la reconnais, quoiqu'elle cache en voici un ! ron visage 1 c’est elle !... il lui parle !... (Avec désespoir.) Mau­ rice !... il ne me regarde plus !... Maurice!... MAURICE. SCÈNE V. 11 est près de toi... .MAURICE, ADRIENNE, MICIIONNET. ADRIENNE, sans l’éconter. Ah! voilà leurs yeux qui se rencontrent, leurs mains qui MICIIONNET, entrant vivement. se pressent! voilà qu’elle lui dit : Restez !... Et moi, il m'ou­ Ce qu’on m’a dit est-il vrai ? Adrienne en danger ! blie ! il me repousse... il ne voit pas que je me meurs ! MAURICE. MAURICE. Adrienne se meurt ! Adrienne !... par pitié ! MICIIONNET, approchant le fauteuil do droite, qu’il place an miliou du ADRIENNE, arec furenr. théâtre, et sur lequel Maurice dépose Adrienne à moitié evonouio. De la pitié ! Non... non... elle respire encore !... tout espoir n est pa- MAURICE. •-•a voix n’a-t-elle donc plus de pouvoir sur ton cœur? perdu... MAURICE, s’approchant de l’autre côté du fauteuil. ADRIENNE. íjae me voulez-vous? Elle ouvre les yeux ! MAURICE. ADRIENNE. :';Ue tu m’écoutes un seul instant! que lu me regarde.- Ah ! quelles souffrances !... Qui donc est près de moi?... Maurice ! (Avec joie.) Maurice ! (Se retournant et voyant Michonnot.) Et VOUS ADRIENNE, le regardent oveo égarement. aussi!... dès que je souffrais, vous deviez être là... Ce n est Maurice!... non... U est près d’elle... il m’oublie !... Va­ plus ma tète, c’est ma poitrine, qui est brûlante... j at là comme un brasier... comme un feu dévorant qui me con­ ra- 1 va-t’en 1 (Poursuivant Maurice, qui recule d'effroi.) sume... ADRIENNE DECOUVREUR 2 9 b

DRAMES '292 COMÉDIES ADRIENNE. 0 triomphes du théâtre ! mon cœur ne battra plus de vos MICHONNET, s’adressant à Maurice. ardentes émotions!... Et vous, longues études d’un art que Mais tout me prouve... ne voyez-vous pas comme moi les j’aimais tant, rien ne restera de vous après moi... (Avec dou­ traces du poison... d’un poison actif et terrible... leur.) Rien ne nous survit à nous autres... rien que le souve­ nir... (a ceux qui t’entourent.) le vôtre, n est-ce pas? Adieu, MAURICE. Maurice... adieu, mes deux amis!... Quoi! .. *a pourrais soupçonner... MICHONNET, avec désespoir et tombant à ses pieds. MIC1I0N.NET, avec fureur. ■Morte... morte !... Je soupçonne tout le monde... et cette rivale... cette MAURICE. j ande dame !... 0 noble et généreuse fille ! si jamais quelque gloire s’at­ MAURICE, poussant un cri d’effroi. tache à mes jours, c’est à toi que j’en ferai hommage, et Tais-toi !... tais-loi !... toujours unis, même après la mort, le nom de Maurice de ADRIENNE. 'axe ne se séparera jamais de celui d’Adriennel Ah ! le mal redouble... Vous qui m’aimez tant, sauvez-moi, secourez-moi... Je ne veux pas mourir!... Tantôt j’eusse imploré la mort comme un bienfait... j’étais si malheureuse !... mais à présent je ne veux pas mourir... 11 m aime I... il m a nommée sa femme I MICHONNET, étonné. Sa tomme ! ADRIENNE. Mon Dieu! exaucez-moi !... mon Dieu ! laissez-moi vivre... quelques jours encore... quelques jours prés de lui... Je suis si jeune, et la vie s’ouvrait pour moi si belle 1

MAURICE. Ah! c’est affreux! AnRI INNE. La vie!... la vie!... Vains efforts!... vaine prière!... me jours sont comptés!... je sens les forces et l’existence qui m’échappent!... (a Maurice.) Ne me quitte pas... bientôt mes yeux ne te verront plus... bientôt ma main ne pourra plus presser la tienne !... MAURICE. Adrienne!.,. Adrienne!,,. Palis. — lmp. PAUI. DUPONT, 4. rue du BOuloi. (CU '1202.10.00,

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