Le Domaine du Rayol

Sommaire

Un patrimoine centenaire entre architecture et jardin sur la côte varoise Laurence Schlosser, historienne de l’art, volontaire en service civique au Domaine du Rayol

• Introduction • D’un territoire de survivance à un territoire de plaisance • La fondation du Domaine du Rayol par Alfred Théodore et Thérèse Courmes, 1908-1921 • L’évolution du Domaine pendant l’entre-deux-guerres, 1921-1940 • Henry Potez, une nouvelle modernité au Domaine du Rayol, 1940-1974 • D’un paradis clos réservé à de rares privilégiés à un jardin ouvert à tous : l’acquisition par le Conservatoire du Littoral

L’esprit du jardin Alain Menseau, responsable des jardins et de la conservation du Domaine du Rayol

Gilles CLEMENT Alain Menseau, responsable des jardins et de la conservation du Domaine du Rayol

Les Jardins Alain Menseau, responsable des jardins et de la conservation du Domaine du Rayol

Conservation d’un patrimoine botanique Noémie Riou, botaniste, volontaire en service civique au Domaine du Rayol

Sécheresse au Jardin des Méditerranées Olivier Arnaud, directeur du Domaine du Rayol

Domaine du Rayol et médiation scientifique Aurélia Leroux, responsable pédagogique du Domaine du Rayol

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 1 Un patrimoine centenaire entre architecture et jardin sur la côte varoise Laurence Schlosser, historienne de l’art, volontaire en service civique au Domaine du Rayol

Le Domaine du Rayol, un balcon sur la Méditerranée © Domaine du Rayol, Chloé Arregoces

Introduction

Aujourd’hui propriété du Conservatoire du Littoral, le Domaine du Rayol est un site protégé qui permet aux visiteurs de s’immerger dans des paysages du monde entier représentatifs de l’étonnante richesse de la flore du biome méditerranéen. Outre cet important patrimoine environnemental, écologique et botanique autour duquel se construit aujourd’hui le discours pédagogique du Domaine, ce dernier est également riche d’un patrimoine historique exceptionnel, dont l’étude met en lumière les caractéristiques et les évolutions du phénomène de la villégiature balnéaire au XXe siècle sur un bout de Côte d’Azur : la côte des Maures. En effet, au fil des ans, entre 1908 à 1974, les propriétaires successifs de ce vaste domaine y ont fait construire plusieurs villas et dépendances, toujours en place, autour desquelles s’organisaient des jardins d’agrément et vivrier. Pour ses premiers concepteurs, le fil directeur de l’aménagement du Domaine a été ce lien immanent entre architecture et paysage. Aujourd’hui encore, patrimoines bâtis et naturels continuent à co-évoluer sur ce site. Depuis l’acquisition du Domaine du Rayol en 1989, le Conservatoire du Littoral a pris en compte l’importance de ce patrimoine. Progressivement, les différentes villas et autres bâtisses qui ponctuent la visite du lieu ont été restaurées en respectant leur identité architecturale originelle, tout en leur attribuant une nouvelle fonction afin de les intégrer de manière cohérente dans l’économie actuelle du jardin. Ainsi, l’Hôtel de la Mer est devenu le bâtiment d’accueil du public ; on y trouve aussi la librairie et les bureaux. Le Bastidon est transformé en salle de réunion et centre de ressources, la Ferme accueille des espaces de restauration et d’interprétation des plantes, tandis que la Maison de la plage est devenue un lieu de sensibilisation à la faune et la flore sous-marines. Enfin, la villa Rayolet1, inscrite au titre des Monuments Historiques depuis 1994, en cours

1 Aujourd’hui appelée « villa Rayolet », il est apparu que cette villa était désignée sur les plans originaux dressés par l’architecte Guillaume Tronchet en 1925 comme « Le Rayollet ». Au fil du temps, son nom a donc été transformé. N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 2 de restauration, va accueillir dans les années à venir des salles d’exposition détaillant l’histoire du Domaine ainsi que de nouveaux espaces de logement. Dans ce contexte, il est apparu essentiel pour l’association gestionnaire du Domaine d’engager des recherches approfondies sur son passé2. La valorisation et la diffusion de ce patrimoine culturel et historique se fera en premier lieu grâce à la publication d’un ouvrage, qui sortira à l’automne 2019, à l’occasion des 30 ans du rachat du Domaine par le Conservatoire du Littoral. A terme, l’objectif est de sensibiliser le public mais aussi l’équipe du Domaine à travers des expositions, des visites thématiques, ou l’accès à un fonds documentaire et d’archives. Il s’agit d’établir un lien avec le passé, pour mieux préparer l’avenir.

Actuellement, le Domaine du Rayol mène activement une recherche d’archives et de témoignages afin de reconstituer la mémoire ancienne du lieu. La difficulté réside dans le fait que le Domaine était une propriété privée, et par conséquent les archives concernant la période 1908-1989 – si elles n’ont pas été perdues ou détruites – sont dispersées entre les descendants des différents propriétaires avec qui on essaie de reprendre contact. Certaines personnes possèdent également encore des souvenirs de la vie au Domaine à différentes époques, anecdotes que l’on tente de réunir afin que la mémoire vivante du lieu ne soit pas perdue. Le but est également d’étudier en profondeur l’architecture et l’évolution des jardins du Domaine au cours de ses cent dix ans d’existence, afin de les replacer dans le contexte de l’époque. Si l’investigation se poursuit, il est possible dès aujourd’hui de poser un nouveau regard sur les grandes étapes de l’histoire du Domaine, dont voici une rapide synthèse.

D’un territoire de survivance à un territoire de plaisance

Le Domaine du Rayol se situe au cœur de la Corniche des Maures, territoire que l’on peut baliser entre la cap Lardier à l’est et le cap Bénat à l’ouest. Dès la fin du XVIIIe siècle, on a vu fleurir, sur ce que l’écrivain Stephen Liégeard va appeler en 1887 la Côte d’Azur, de grandes stations touristiques telles que Nice, Menton, Cannes, Hyères où se réfugie en hiver une population aristocratique (en particulier anglaise et russe) pour profiter du climat doux et de l’air marin vivifiant caractéristiques de cette région. Toutefois il faut attendre le début du XXe siècle pour que la corniche des Maures, perçue comme hostile, sauvage et inaccessible – son accès étant entravé par la chaîne du Massif des Maures qui plonge directement dans la mer – s’ouvre progressivement au phénomène du tourisme balnéaire. Au XIXe siècle, cette côte n’est pourtant pas complètement déserte contrairement à ce que décrit Maupassant dans la nouvelle Rencontre publiée en 18823. Il existe, détachés de villages situés à l’intérieur des terres et reliés entre eux par des chemins vicinaux malcommodes, quelques hameaux où vivent des familles de fermiers-cultivateurs. Des restanques en pierre sèche, puits, et autres aménagements4 permettent la culture de ces terres au fort dénivelé. Il faut bien noter qu’il s’agit d’une économie de survivance : il n’y a pas ou très peu d’exportation possible (un peu par la mer, grâce à quelques ports, à Cavalaire ou au Lavandou), les voies de communication faisant défaut. Ainsi, au Rayol, hameau dépendant du village de La Môle, on compte quelques fermes avec vergers et jardin potager qui rassemblent plusieurs familles vivant en autarcie : les Viout, les Bérenguier, les Sénéquier5... Les matrices cadastrales nous renseignent sur les types de culture ou d’exploitation : vignes, blé, oliviers, chênes-lièges, bruyères, pâturage. Toutefois, comme l’explique le géographe Etienne Julliard, on assiste à la fin du XIXe siècle à un effondrement du système agro-pastoral dans les Maures, conduisant à une émigration de la population autochtone et à une redensification de la forêt6. Les premiers villégiateurs découvrant et s’installant sur ce coin de côte ont donc l’impression de pénétrer, privilégiés, au sein d’un paradis à l’état sauvage, merveilleux et insondable.

2 Des recherches avaient été entreprises au début des années 1990, mais ont peu été poursuivies par la suite. 3 « Là-bas, là-bas, tout au bout de la , il est un pays désert, mais désert comme les solitudes américaines, ignoré des voyageurs, inexploré, séparé du monde par toute une chaîne de montagnes. » 4 Il reste des ruines témoignant de ces aménagements, notamment sur les collines entre Cavalière et Le Canadel. 5 D’après les listes nominatives de recensements de la population de la Môle, entre 1846 et 1906. Archives départementales du Var : 11 M 2/188. 6 JUILLARD Etienne, « Heurs et malheurs d'une forêt méditerranéenne : le massif des maures », 1980, publié dans Le Var et les Maures, entre histoire et géographie, recueil d’article 1957-2006. Hyères : Mémoire à Lire, Territoire à l’Ecoute, 2015. N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 3 L’élément déclencheur du désenclavement de la corniche des Maures, de son ouverture au tourisme et à la spéculation foncière est le projet de train du littoral (surnommé le « train des pignes »). Envisagés dès les années 1850, les travaux ne sont engagés qu’en 1887. La côte étant très escarpée, de nombreux ouvrages d’art (ponts, tunnels), sont nécessaires. La ligne de chemin de fer à voie étroite, allant de Toulon à Saint-Raphaël, est inaugurée en 1890. S’arrêtant à chaque hameau côtier, sa principale vocation est le développement touristique : « Pour nous qui comptions parmi les rares touristes qui faisaient de temps à autre la découverte de ces sites radieux (…), nous nous étonnions parfois d’entendre parler de chemins de fer transsaharien, sénégalien (sic) ou du Congo, quand il y avait encore de si intéressantes exploitations à faire, de si beaux paysages à transformer, à quelques heures de la capitale sans sortir de France. (…) Avant peu, nos locomotives permettront à tous nos compatriotes, à tous les étrangers toujours si bien accueillis dans notre pays, de parcourir toute la côte de St. Raphaël à Hyères, de venir réchauffer leurs membres endoloris par les brouillards et les neiges des pays du Nord et puiser de nouvelles forces aux rayons d’un soleil radieux. ».7

Fig. 1 – Le train des Pignes arrivant à la gare du Canadel. Carte postale éditée par la Compagnie des Chemins de fer du Sud-France, vers 1910. © Collection particulière. / Domaine du Rayol

Ce projet de train entraîne une spéculation foncière qui ne remporte pas immédiatement le succès escompté. Dès 1862, Hippolyte Adam, banquier originaire de Boulogne-sur-Mer, achète sur plans des terrains à la pointe du Layet et au Cap Nègre, à Cavalière, avec pour but de les revendre à bon prix. Se décidant à visiter les terrains acquis, il est subjugué par la beauté des lieux et décide finalement d’y établir sa propre résidence de villégiature. En 1881, Félix Martin (ingénieur, polytechnicien et investisseur de la compagnie Sud-France) et Périclès Zarifi (originaire d’une riche famille de négociants marseillais), achètent pour une bouchée de pain des centaines d’hectares sur le littoral des Maures, notamment au Canadel et au Rayol, entre 1883 et 1884. Ayant vu trop gros, la société n’arrive pas à faire assez de profit sur la revente des terrains : elle fait faillite dès 1899. Les terrains de la société au Canadel sont rachetés au début du XXe siècle par Albert Selonier et Albert Saint- Blancard, tous deux architectes parisiens, qui aménagent l’esquisse d’un lotissement limité par la construction de leurs villas respectives. Au Rayol, les premiers villégiateurs sont les familles de Jean-Baptiste Courrieu (fabricants de pipes en bruyères à Cogolin) et Alfred-Théodore Courmes, homme d’affaires parisien. Ce dernier achète au courant de l’année 1908, 25 hectares de côte boisée dans le vallon du figuier, en majorité à la Société des Terrains du Littoral en faillite, complétés en 1913 par l’achat d’une dizaine d’hectares supplémentaires. Ainsi, dans les premières décennies du XXe siècle, la Corniche des Maures échappe à un développement touristique trop important. Dépourvue des équipements balnéaires traditionnels (établissements de bains, palaces, clubs, casinos, villas locatives…), cette côte se structure autour de grandes propriétés privées fondées par une élite sociale élégante et fortunée, en quête de dépaysement et de sérénité. Se côtoient ainsi de grands

7 Extrait du discours d’Albert Rey, président de la compagnie des Chemins de Fer du Sud de la France, lors de l’inauguration du premier tronçon le 25 août 1889, s’étendant de La Foux à Saint-Raphaël. Cité dans : BANAUDO José, Histoire des chemins de fer de Provence, tome 2 : Le train du littoral : Toulon – Saint-Raphaël – Cogolin – St. Tropez. Breil-sur-Roya : éditions du Cabri, 1999. N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 4 industriels (Gustave Adolphe Clément-Bayard8 ; Henry Royce9), des savants (Pierre Foncin10), des grands médecins (Joseph Chompret au Rayol), des hommes politiques (David Dautresmes au Dattier) et des artistes et écrivains (principalement regroupés à Pramousquier et Saint-Clair, autour d’Henri-Edmond Cross et Theo Van Rysselberghe).

La fondation du Domaine du Rayol par Alfred Théodore et Thérèse Courmes, 1908-1921

Le Domaine du Rayol naît avec Alfred Théodore Courmes (1859-1934). On ne connaît pas les circonstances exactes qui l’ont poussé à acquérir ce vallon au Rayol, mais cet achat ne s’est néanmoins pas fait par hasard. Originaire d’une famille de fabricants de bouchons en liège, propriétaires terriens de Bormes, Alfred Courmes a fait fortune à Paris. Passé la cinquantaine, il cherchait un lieu où établir une retraite paisible et confortable pour y vivre en compagnie de sa jeune épouse Thérèse11, de 26 ans sa cadette. Il a probablement suivi les conseils de son ami Alexandre Vigourel, pharmacien puis maire de Bormes, propriétaire d’une ferme au Rayol (dite « vieille bastide »). Si pour Thérèse, « Le Rayol n’était qu’un morceau de forêt descendant jusqu’à la mer »12, Alfred Théodore a sans doute d’emblée perçu le potentiel de ce vallon plongeant abruptement dans la mer, et au fond duquel s’écoule un ruisseau alimenté par plusieurs sources. Face aux îles d’Hyères, encadré par deux pointes rocheuses, se dévoile également, abritée, une merveilleuse petite plage de sable fin. C’est qu’Alfred Théodore Courmes est un habitué : il a bâti sa fortune dans la mise en valeur de terres sauvages et inexploitées. En effet, dans les années 1880-1890, Alfred Théodore, s’étant fait une place dans les hauts réseaux industriels, financiers et politiques de l’époque, a entrepris des voyages dans le monde entier (notamment à Madagascar, au Nigéria ou encore aux Nouvelles-Hébrides), afin de repérer les ressources précieuses (gisements miniers, bois) pouvant être avantageusement exploitées. Si Alfred est un habile financier et négociateur, il est aussi un homme de lettre passionné. Véritable bibliophile, il a constitué une riche collection d’ouvrages des plus grands auteurs du XIXe siècle, et a même publié un roman dans la veine naturaliste, Jours d’amour (1885), ainsi qu’une comédie en un acte, Ah ! Quel bonheur d’avoir un gendre (1889). On trouve, dans son cercle d’amis, l’auteur dramatique Georges Feydeau13, l’actrice Marcelle Géniat, le comédien Eugène Silvain ou encore l’architecte Guillaume Tronchet, à qui il va faire appel pour les constructions du Domaine du Rayol. L’élégante Thérèse est également issue d’un milieu industriel bourgeois et érudit, son père étant le patron de la papeterie-cartonnerie Chouanard à Etouy (Oise).

Fig. 2 - Alfred et Thérèse Courmes dans leur Domaine du Rayol. © Collection particulière. / Domaine du Rayol

8 Cet industriel de cycles et de matériel aéronautique (notamment ballons dirigeables) fonde le Domaine du Dattier en 1913, surplombant la baie de Carafure. A son extension maximale, le domaine englobe 92 hectares. 9 Le célèbre constructeur automobile anglais s’installe au Canadel à partir de 1909. 10 L’éminent géographe découvre la côte lors de son voyage de noces et achète 16 hectares sur la pointe du Dattier en 1890 au sommet de laquelle il fait construire la « Grande maison blanche ». 11 Le mariage a lieu alors qu’Alfred a déjà acheté le Domaine, le 27 mars 1912. 12 Extrait du journal de Thérèse Courmes, collection particulière. 13 Témoin à son mariage. N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 5 Dès 1909-1910 environ, Alfred Courmes entreprend l’aménagement de son Domaine, avec l’aide de l’architecte Guillaume Tronchet14 et d’un paysagiste, Pierre-Victor Halary. Rapidement, les premiers éléments structurants voient le jour. Dès le départ, un soin extrême est apporté à la mise en scène du parc. A proximité de la voie de chemin de fer, est édifié le bastidon, pavillon du jardinier présenté par Jean-Jacques Gruber dans Architecture d'époque. Quelques œuvres de Guillaume Tronchet (Clichy : Impr. Max Cremnitz, 1935) comme « une des premières tentatives que nous connaissions de mettre en honneur le style provençal ».

Fig. 3 – Thérèse Courmes devant l’entrée du bastidon, en novembre 1912. © Collection particulière. / Domaine du Rayol

Au cœur du domaine est érigée une majestueuse pergola en béton armé aux colonnes toscanes, véritable belvédère sur la mer. Cet élément caractéristique des jardins de la Côte d’Azur, évoquant à la fois Rome, la Renaissance et la Provence15, représente la fusion entre architecture et jardin, glycines et rosiers étant invités à enlacer les colonnes.

Fig. 4 - Vue de la pergola, derrière laquelle se trouvent des mimosas en fleurs. Photographie rehaussée de crayon de couleur, vers 1920. © Collection particulière. / Domaine du Rayol.

A proximité est édifiée la ferme, composée de deux corps reliés par un portique surmonté d’un clocheton. Le pigeonnier coiffant la tourelle de l’aile ouest, les soubassements et culées à bossage rustique en

14 Diplômé en architecture à l’Ecole Nationale des Beaux-Arts en 1891, Second Prix de Rome en 1892, Guillaume Tronchet (1867-1959) entreprend une carrière très académique. Il acquit rapidement une certaine reconnaissance de la part de la bourgeoisie Belle-Epoque pour qui il construit villas et châteaux, et se fait connaître dans les milieux officiels dès 1895, grâce à sa participation remarquée au concours organisé par la Commission de l’Exposition Universelle de 1900. Il est nommé architecte en chef du gouvernement en 1906. La force de son architecture, s’inscrivant dans la veine éclectique fin de siècle, se situe dans sa capacité d’adaptabilité à la commande et aux modernités de son temps. Ainsi il s’essaiera à l’Art Nouveau et à l’Art Déco, bien qu’il ne se soit jamais complètement débarrassé de ses références au néoclassicisme beaux- arts. Cf. BOST Olivier, Guillaume Tronchet (1867-1959) : monographie d’architecte. Mémoire de maîtrise, dirigé par Bruno Foucart et Françoise Hamon. Paris : Université Paris IV - INHA, 1997. 2 vol. 15 BOURSIER-MOUGENOT Ernest J.-P., RACINE Michel, Jardins de la Côte d'Azur. La Calade, Aix-en-Provence : Edisud ; Marseille : ARPEJ, 1987. P.55 N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 6 granit, les auvents, les murs couverts de plantes grimpantes, les encadrements de baies en anse de panier en brique rouge à joints blancs, sont autant d’éléments qui confèrent un aspect pittoresque à la construction, modèle idéalisé de la vie rurale. On est proche, dans l’idée, du hameau de la reine à Versailles. Pourtant, la ferme reste un bâtiment utilitaire : si l’aile ouest sert de logement provisoire au couple Courmes en attendant la fin des travaux de la Grande Villa, l’aile est abrite poulailler, clapiers et étable. En effet, le Domaine étant isolé de tout centre de ravitaillement, il est pensé pour pouvoir y vivre en autonomie. A côté de la ferme, on trouve également une porcherie, un potager et un verger en restanques. Ces dépendances agricoles rapprochent le domaine de la logique économique de la bastide provençale, ou encore de la villégiature antique romaine.

Fig. 5 – La ferme. Photographie, vers 1920. © Collection particulière. / Domaine du Rayol

En empruntant un escalier rustique traité en rocaille (ciment gravé imitant le bois), on pénètre au fond du vallon où est mis en scène un puits « à l’antique » coiffé d’une petite pergola. Comme pour la ferme, le décor cache l’utilitaire, une pompe permettant d’alimenter le domaine en eau. A proximité s’écoule en cascade le ruisseau. Le puits est ceinturé d’un mur de schiste recouvert d’un décor illusionniste en ciment évoquant les parois rocheuses de l’intérieur d’une grotte. Un système permettait de faire ruisseler de l’eau artificiellement sur ces parois. Enfin, des bancs en rocaille et d’énormes jarres en terre cuite16 y sont intégrés, rajoutant une dimension onirique et hors du temps à cet espace.

Fig. 6 – Thérèse Courmes et ses chiens Fig. 7 – Vue d’un des bancs en rocaille devant le « puits romain ». situé à proximité du puits. © Collection particulière. / Domaine du Rayol © Domaine du Rayol / Laurence Schlosser

Ces différentes « fabriques » (bastidon, ferme, pergola, puits) sont reliées entre elles par une grande allée principale dont le tracé souple suit la topographie vallonnée du lieu, ainsi que par des chemins annexes sinueux permettant de ménager des perspectives surprenantes ou conduisant à des endroits secrets invitant au rêve. En ce sens, le domaine s’inscrit dans la tradition des parcs-jardins romantiques de la fin du XVIIIe siècle ou encore des jardins de la Renaissance italienne (jardin de la villa d’Este).

16 De nombreuses jarres sont placées à proximité des constructions dans tout le domaine. Ces jarres autrefois utilitaires deviennent des éléments décoratifs des jardins de la Côte d’Azur à partir du début du XXe siècle. N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 7 Autour de la pergola se déployait également un jardin exotique, qui rejoint l’engouement pour l’acclimatation des plantes tropicales dans les jardins de la Côte d’Azur au XIXe siècle (pour n’en citer qu’un : le jardin de la villa Thuret, créé en 1858), vantée par les revues et les expositions horticoles de l’époque. Aujourd’hui, araucaria, allées d’, callistemons, acacias, palmiers variés, ou encore figuiers de barbarie, sont les témoins de ce jardin qui devait rappeler à Alfred Courmes, l’explorateur, ses voyages autour du monde. S’il est aujourd’hui difficile de se faire une idée globale de la structure du jardin à l’époque des Courmes à défaut d’archives précises, la volonté n’était clairement pas de transformer le domaine en spectaculaire jardin botanique. Le parti paysager du parc semble fondé sur un maintien général des structures paysagères indigènes, subtilement interrompues par des « micro-jardins ». Ainsi, s’y trouvaient également une roseraie17 et des parterres d’arbustes et de fleurs de saison18.

C’est à l’été 1912, après le mariage de Thérèse et d’Alfred, que les travaux de la Grande Villa patricienne (aujourd’hui Hôtel de la mer) débutent. Les décors ne sont achevés qu’après la Première Guerre mondiale, vers 1919. La villa est construite sur le promontoire occidental, sur un terrain en pente aménagé en deux terre- pleins. Proche des entrées de la propriété, ses abords disposent d’une surface qui permettait d’établir des dégagements propices à la circulation des véhicules tout en ménageant une vue imprenable sur la mer et sur une partie du parc. L’architecte y a mêlé les références aux répertoires classiques (colonnes doubles, fenêtres en œil de bœuf) et rococo (bas-reliefs en stuc et les frises de guirlandes peintes sur la façade ; corniche du toit soulignant la balustrade du toit terrasse) des XVIIe et XVIIIe siècles français, le tout mâtiné de références à la renaissance italienne (toit plat en terrasses, balcons) et à l’antiquité (pergola, frises de grecques) qui tendent à inscrire la villa dans un contexte méditerranéen 19. Cette confusion des genres est typique de l’époque. Ce goût italianisant et ce « méditerranéisme » à l’antique singularise la côte d’azur20.

Fig. 8 – Thérèse Courmes devant la Grande Villa en construction. Fig. 9 – Vue de l’hôtel de la Mer achevé. Photographie, novembre 1912. Carte postale, vers 1925. © Collection particulière / Domaine du Rayol © Collection particulière / Domaine du Rayol

17 « Mon mari, lui, voyait la propriété terminée, et devant une imposante pergola, entourée d’éboulis de terre, il me disait : là sera la roseraie ; ici le jardin exotique ; là le verger ». Extrait du journal de Thérèse Courmes, collection particulière. 18 « Le talus du jardin d’été entièrement recouvert de cyclamens qui en font un tapis de velours rose. », extrait du Journal de Thérèse Courmes, collection particulière. 19 A cette époque l’antiquité fascine et l’on tente de retrouver, sur la côte des Maures, un certain idéal de la villégiature antique. « On y retrouve ce goût du prestige que les patriciens des villes italiennes maintenaient jusque dans leurs maisons de campagne. » (Extrait de Jean-Jacques Gruber, Architecture d'époque. Quelques œuvres de Guillaume Tronchet. Clichy : Impr. Max Cremnitz, 1935) 20 STEVE Michel, La métaphore méditerranéenne : l'architecture sur la Riviera de 1860 à 1914. Nice : Demaistre, 1996. STEVE Michel, Italianismes en architecture : la Riviera de 1840 à 1940. Nice : Grandi, 2000. N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 8 Le plan de la Villa est très traditionnel : enfilade de salons en symétrie au rez-de-chaussée, vestibule et escalier d’apparat menant aux chambres à l’étage. Les services (cuisine, garage, chambres des domestiques) sont rejetés dans une aile annexe. Prévue comme une résidence hivernale, chaque pièce est dotée d’une cheminée, complétée par un système de chauffage à air pulsé. Il ne reste plus rien des décors d’origine, si ce n’est les mosaïques de pavement, ainsi que les cheminées dont certaines, en grès flammé et présentant un décor de roses, provenant de la firme Gentil & Bourdet.

Fig. 10 – Détail d’une des mosaïques de pavement des pièces de réception de l’hôtel de la Mer. © Domaine du Rayol / Laurence Schlosser

Mais, ce qui singularise avant tout l’architecture de cette villa, c’est son interaction avec le paysage. Ainsi, on relève un traitement très différent entre la façade d’entrée au nord et la façade sud, face à la mer. La façade septentrionale, discrète, cherche à se fondre dans la forêt de pins qui lui faisait face. S’élevant sur deux niveaux, elle est empreinte d’une certaine austérité due à des ouvertures relativement petites et à la récurrence de lignes horizontales. L’ensemble est toutefois animé par quelques jeux de saillies, des pans concaves, ainsi que par les « hachures » se dessinant sur la façade presque aveugle du premier niveau lorsque le soleil brille sur la pergola. Cette dernière, s’élevant sur un haut perron, monumentalise l’entrée de la villa.

Fig. 11 – Thérèse Courmes et ses chiens sur le perron de l’hôtel de la mer. Photographie, été 1919. © Collection particulière / Domaine du Rayol

La façade méridionale, s’élevant sur trois niveaux est au contraire, plus ostentatoire et solennelle. Elle est animée par un mouvement général, dû à un savant jeu de décrochements volumétriques par plans successifs, le tout de manière parfaitement symétrique. Le rythme est souligné par la succession des balcons, balustrades, la série de doubles colonnes soutenant la terrasse principale et la souplesse de la courbe formée par les descentes d’escaliers en fer à cheval conduisant à une vaste esplanade. L’architecte parvient à créer un choc visuel : d’un coup, le visiteur est envahi par l’immensité maritime se déployant devant lui. L’architecture se prolonge sous ce terre-plein, où en empruntant un escalier à deux volées convergentes, l’on découvre une salle fraîche apparentée à un « nymphée » à l’italienne, porté par quatre piliers massifs.

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Fig. 12 – Vue de l’hôtel de la Mer. Carte postale, vers 1925. © Collection particulière / Domaine du Rayol

Cependant, dans les années 1920, ce type d’architecture très historiciste est déjà un peu daté. Thérèse, qui s’était habituée à la simplicité de la ferme, trouve cette immense villa trop froide. Dès 1922, elle demande à Guillaume Tronchet d’imaginer une seconde villa, qui s’élèvera à l’autre extrémité du Domaine, sur le promontoire oriental.

L’évolution du Domaine pendant l’entre-deux-guerres, 1921-1940

Vers 1921, le couple Courmes décide de s’installer définitivement au Rayol. Le Domaine n’est donc plus seulement une résidence de villégiature, mais une résidence de retraite. S’ils n’ont pas d’enfants, les Courmes reçoivent famille et amis. En 1924-1925, la société immobilière La Terre de France, dirigée par la famille Eluère21, achète pratiquement l’intégralité des terrains disponibles au Rayol et au-dessus du Dattier, dans le but d’y aménager un lotissement et une station balnéaire. Alfred Courmes, dont les ressources financières ont été impactées par la première guerre, saisit l’opportunité que représente la création de cette station pour revendre la Grande Villa à la société lotisseuse. La villa est ainsi transformée en « Hôtel de la mer », dont l’image sert de vitrine aux publicités vantant la future station22.

21 Egalement lotisseur d’Hossegor, sur la côte d’argent. Cf. LAROCHE Claude, « Hossegor (Landes), une station au cœur des réseaux de villégiature », dans In Situ [En ligne], n°4, 2004, mis en ligne le 19 avril 2012. URL : http://journals.openedition.org/insitu/2102 ; DOI : 10.4000/insitu.2102 22 Pour en savoir plus sur la création de la station balnéaire du Rayol, voir : VIALA Françoise, Le Rayol-Canadel-sur-Mer, origines d'une station balnéaire sur la corniche des Maures. Rayol-Canadel-sur-Mer : Association la Draye du Patec, 2011, rééd. 2016. Et : VIALA Françoise, « Le Rayol-Canadel-sur-Mer, naissance d’une station balnéaire dans son paysage », dans Freinet-Pays des Maures, n°5, 2004. N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 10

Fig. 13 – Publicité pour la station balnéaire du Rayol, publiée dans L’illustration économique et financière, 11 juillet 1925. © Collection Domaine du Rayol

Alfred et Thérèse entreprennent la construction de la seconde villa, dite « Le Rayollet » sur les plans de Tronchet et achevée en 1927. Cette villa, qui se veut plus modeste, marque une nette évolution stylistique avec la première. La modernité se ressent dans l’épure de ses volumes parallélépipédiques agencés de manière asymétriques, facilitant la lecture du bâtiment. Si les ornements historicistes sont supprimés, on trouve de nombreuses références néo-provençales ou plus largement méditerranéennes : génoises, toitures de tuiles creuses, garde-corps en claustra de terre cuite, murs ocres, menuiseries rouges, garde-corps en ferronneries, jarres et pergola. La Villa Rayolet s’inscrit donc dans cette dualité entre modernité et régionalisme caractérisant l’architecture des villas de la Côte d’Azur dans les années 1920-193023. Elle est tout à fait comparable aux réalisations de l’architecte maximois (1883-1960), René Darde, auteur de centaines de villas sur la côte méditerranéenne24, dont les villas Thalassa et les Pins au Canadel (1924). Son architecture n’est pourtant pas en rupture totale avec l’Hôtel de la Mer. On retrouve le principe d’une dualité entre les deux façades principales, l’une fermée sur elle-même et l’autre s’offrant au panorama, et des éléments typiques de l’architecture méditerranéenne (toit-terrasse, pergolas). La façade nord, sur deux niveaux, se caractérise par la sobriété, bien qu’animée par la tourelle engagée abritant l’escalier en colimaçon.

Fig. 14 – Thérèse et Alfred devant l’entrée de la villa Rayolet. Photographie, 7 septembre 1932. © Collection particulière / Domaine du Rayol

23 PRELORENZO C. ; BONILLO J.-L. ; CHANCEL J.-M., HAYOT A., « Les villas de la Côte d’Azur : 1920-1940 : Entre modernité et régionalisme », dans Les cahiers de la recherche architecturale, n°14 (Maisons et Villas), 1984, p.26-41. 24 Ses plus belles réalisations sont présentées dans : DARDE René, L’habitation provençale. Paris : Ch. Massin & Cie, 1926. N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 11 La façade exposée au sud, s’élevant sur trois niveaux, se pare quant à elle de longues terrasses coiffées de pergolas mettant en scène et cadrant les vues sur la mer. Créant une continuité visuelle avec la nature environnante, sont installées de grandes jarres et jardinières débordantes de géraniums et d’hortensias et les plantes grimpantes montent à l’assaut des terrasses. Une volée de marches permet de rejoindre un coin ombragé, où les Courmes avaient plaisir à prendre leurs repas d’été.

Fig. 15 – La façade sud de la villa Rayolet. Fig. 16 – La famille Courmes et Chouanard sur la terrasse ombragée de la Photographie coloriée, vers 1930. villa Rayolet. Photographie, juin 1928. © Collection particulière / Domaine du Rayol © Collection particulière / Domaine du Rayol

Si la distribution intérieure est plus fonctionnelle qu’à l’Hôtel de la Mer, le plan reste traditionnel, avec une séparation entre les espaces de service et les espaces de résidence, la présence de trois grands salons d’apparat orientés sud au rez-de-chaussée et des chambres principales à l’étage.

Eternellement insatisfait, ou bien emporté par sa passion pour l’architecture, le couple Courmes élabore avec Guillaume Tronchet, vers 1932-1933, l’édification d’une troisième demeure à l’architecture sophistiquée et dont la pièce centrale devait être un immense cloître-bibliothèque25. Ce projet, qui relevait plus du rêve que de la réalité, ne verra pas le jour. En effet, en 1934, Alfred Courmes décède brutalement. Thérèse vit encore quelques années au Domaine, en compagnie de sa mère26, avant d’être contrainte de s’en séparer en 1940 faute de moyens pour l’entretenir.

Henry Potez, une nouvelle modernité au Domaine du Rayol, 1940-1974

Henry Potez (1891-1981), une des plus grandes figures de l’aéronautique mondiale dans les années 193027, achète en mars 1940, sur les conseils de son ami André Faraggi (qui possède la propriété du Cap Nègre), le Domaine du Rayol. Henry Potez pense ainsi pouvoir mettre sa famille et sa société à l’abri du conflit armé et de l’occupation allemande. On n’imagine pas alors que la guerre puisse s’étendre au sud de la France.

25 OLIVIER Brigitte, « Et in Arcadia ego, le domaine du Rayol », dans Monuments Historiques, mars-avril 1996, p. 113. 26 Sa mère, Clémence Thomas, a créé son propre lotissement au Rayol. 27 Originaire de Méaulte dans la Somme, Henry Potez s’est fait connaître, après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur aéronautique à Paris en 1911, aux côtés de Marcel Dassault avec qui il invente « l’Hélice Eclair » et met au point des avions de chasse pour la guerre de 14-18. Après la guerre, il crée sa propre société et construit une immense usine à côté de son village natal. N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 12 A cette époque, le Domaine ne fait plus que 13 hectares. Les Courmes ont en effet progressivement revendu des terrains non aménagés de leur vaste domaine de 35 hectares. En juin 1941, Henry Potez rachète l’Hôtel de la Mer et les terrains attenants à la Compagnie d’Entreprises Immobilières (anciennement La Terre de France) en faillite, reconstituant ainsi le cœur de l’ancienne propriété Courmes.

Fig. 17 – Henry et Alice Potez au Domaine du Rayol. Photographie, vers 1940-1945. © Collection particulière / Domaine du Rayol

Dès août 1940, les Potez déménagent au Rayol. Ils sont accompagnés du personnel et des plus proches collaborateurs de la société, notamment Abel Chirac (qui se fera appeler François sous l’Occupation), son directeur financier, accompagné de son épouse et son fils, Jacques. Ce dernier devient très proche des trois enfants Potez, Gérard, Alain et Chantal avec qui il va à l’école du village. La famille Potez habite dans la villa Rayolet, tandis que le régisseur, Michel Goy investit le bastidon et Etienne Gola, le chef jardinier, loge dans la ferme. L’Hôtel de la Mer est transformé en bureaux où Potez peut continuer à travailler, tant bien que mal, à l’aviation28. Des ateliers prennent place dans un grand hangar construit devant l’entrée actuelle. Si ses usines dans la Somme sont occupées par les Allemands, des ateliers continuent à travailler clandestinement sur des moteurs Potez à Suresnes et dans des bureaux rue Frédéric-Bastiat à Paris29. Pour assurer un ravitaillement confortable du Domaine pendant la guerre, Potez achète le domaine viticole du Bastidon à La Londe, où il cultive la vigne, mais aussi des légumes, et relance l’activité agricole au Domaine. Toutefois, la tranquillité ne dure pas. Début 1943, les troupes italiennes et allemandes franchissent la « zone libre ». Le Domaine du Rayol est occupé et la pointe du Figuier est fortifiée de batteries de canons. Henry Potez est même arrêté par la Gestapo et placé en détention à Marseille. Avec l’aide de son épouse Alice, il parvient à se faire libérer, mais reste en résidence surveillée au Rayol. Pour les enfants, c’est la fin de la liberté : l’accès aux plages, lieux trop exposés et risquant d’être minés, leur est interdit. Ils reçoivent désormais des cours à domicile.

28 « Il y avait pas mal de place, j’avais des bureaux. J’avais là tout de même une petite équipe pour pouvoir travailler encore un peu à l’aviation. » Archives du Service Historique de la Défense, DFA, DTO / Air, interview n°67 d’Henry Potez, enregistrée les 15 et 17 mars 1977 à Paris, face 2. 29 DEMILLY Stéphane, CHAMPONNOIS Sylvain, Henry Potez : Une aventure industrielle. Toulouse : Privat, 2016. P. 230. N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 13

Fig. 18 – Alain et Gérard Potez, Jacques Chirac et leur gouvernante, devant la villa Rayolet. Photographie, vers 1943-1944. © Collection particulière / Domaine du Rayol

Dans la nuit du 14 au 15 août, les occupants du Domaine du Rayol se trouvent aux avant-poste du débarquement de Provence, qui se déroule juste sous leur nez, à la plage du Canadel et au Cap Nègre. La libération est dignement fêtée, les soldats des commandos d’Afrique sont invités à venir la célébrer au Domaine.

Fig. 19 – Alice et Henry Potez et Abel Chirac avec les soldats du débarquement sur les escaliers de la villa Rayolet. © Collection particulière / Domaine du Rayol

Après la guerre, les Potez conservent le Domaine qui devient le lieu de leurs vacances estivales. Comme le montre un film tourné à l’été 1968, la vie se déroule essentiellement en extérieur, sur les terrasses de la villa Rayolet et à la plage, où Henry Potez fait construire un garage à bateau avec des cabines de douche, ainsi qu’une petite maison blanche, dite « Maison de la plage ». Son architecture s’inscrit, de manière épurée, dans la continuité des autres « pavillons » du Domaine. Elle comprend une grande salle à manger-bar s’ouvrant sur la mer par une grande porte-fenêtre, horizon bleu qui se reflète d’ailleurs dans le grand miroir fixé au fond de la pièce. Cette construction, remplaçant l’ancien garage à bateaux des Courmes, « sanctionne définitivement le passage d’une villégiature d’hiver à des séjours d’été »30.

30 FRAY François, « Le Rayol. Un domaine de villégiature entre tradition et modernité. », dans Modernismes, villégiature et projets d’architecture moderne sur la côte varoise. Brignoles : ADAC, 1992, p.24-31. N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 14

Fig. 20 – La Maison de la plage et le garage à bateaux. © Région Provence-Alpes-Côte d’Azur - Inventaire général - Marc Heller, 1991.

Achevée après-guerre, la Maison de la plage est prévue dès 1941 par Raoul Minjoz31, architecte qu’Henry Potez engage pour réhabiliter et réaménager les bâtiments du Domaine après l’acquisition. Les travaux urgents sont entrepris au début de la guerre, et se poursuivent quelques années après. Raoul Minjoz a eu à cœur de préserver l’esprit des lieux et l’intégrité des architectures de Tronchet, bien qu’il procède à leur modernisation et leur agrandissement. L’objectif est peut-être aussi d’harmoniser l’architecture des deux villas. Ainsi, que ce soit à l’Hôtel de la Mer ou au Rayolet, les éléments trop pittoresques et les ornements superflus sont gommés. A l’Hôtel de la Mer, les guirlandes peintes sont masquées, les balustres remplacés par des claustras en terre cuite et les colonnes doubles enchâssées dans des piliers. La villa Rayolet connaît une plus ample réhabilitation. La façade nord se dote d’une nouvelle dimension avec l’adjonction d’un porche, qui fait face à un jardinet « à la française ». La tour d’escalier, élément signalétique qui animait la façade, se retrouve en partie masquée par ce porche dont le toit va offrir un prolongement au toit-terrasse préexistant. Sur la façade sud, certaines références à l’architecture néo-provençale ou néo-méditerranéenne sont supprimées : les encadrements des fenêtres en arc surbaissé du soubassement et les pergolas couvrant les terrasses. Des volets roulants, fixés sous une corniche à génoises, viennent les remplacer. Si l’agencement et la distribution intérieurs restent globalement inchangés, quelques nouveaux espaces voient le jour. Ainsi, à l’est, une cour double, entourée par les espaces de service, est ajoutée. Elle donne accès à une nouvelle aile, qui contient deux garages en rez-de-chaussée et deux chambres de domestique à l’étage. L’espace cuisine est prolongé par des salles de réserve supplémentaires et une buanderie-lingerie.

31 Originaire d’Albertville (Savoie), Raoul Félicien Minjoz (1900-1977) est engagé par Henry Potez en tant qu’architecte officiel de la Société des aéroplanes Potez. Il est l’architecte des usines Potez, de la piscine et du stade d’Albert, du domaine du Vivier à Méaulte, de l’extension de la villa Rayolet et de la maison de la plage au Rayol. Son œuvre architecturale est peu connue. Les journaux de presse anciens nous renseignent à propos de sa passion pour l’aviation : ancien pilote de guerre, fondateur et président de l’Aéro-club Maurice-Weiss d’Albert, il pratique le « tourisme aérien » à bord de son avion personnel, un Potez 36 puis un 43, et participe notamment au Tour de France des Avions de Tourisme en 1932. N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 15

Fig. 21 – Vue aérienne de la villa Rayolet après les travaux de réhabilitation effectués par Raoul Minjoz. © Collection particulière. / Domaine du Rayol

La décoration et l’aménagement intérieurs de la villa Rayolet sont sans doute en grande partie modifiés à cette époque. Ces derniers restent difficiles à dater puisqu’on n’en a aujourd’hui qu’une lecture partielle du fait de la disparition du mobilier d’époque et de l’absence de photo ou document nous les décrivant. De manière générale, les éléments de décors restants s’inscrivent dans la modernité des années 1930 portée par les artistes de l’U.A.M. (Union des Artistes Modernes), fondée en 192932. Les porte-folios présentant et diffusant des modèles d’innovation en matière de décoration intérieure sont très nombreux à partir des années 1920. Les projets de Francis Jourdain, Jacques-Emile Ruhlmann, Djo Bourgeois, Robert Mallet-Stevens, Jean-Maurice Rothschild, ou encore Theo Van Doesburg fournissent de nombreux exemples de comparaison avec les éléments encore visibles aujourd’hui dans la villa. Ces aménagements intérieurs pourraient dater des Courmes (la villa étant achevée vers 1927), et auraient alors été à la pointe de la modernité. Mais ils ne correspondent pas vraiment à la personnalité conservatrice des premiers propriétaires, soucieux de leur confort et de la modernité de leur cadre de vie (profusion de sanitaires, systèmes de chauffage modernes, etc.), mais peu portés vers l’avant-garde. Contrairement au couple Noailles, qui fait intervenir des artistes du mouvement moderne pour aménager leur villa à Hyères (Mallet-Stevens, Djo-Bourgeois, Louis Barillet, Gabriel Guévrékian…), les Courmes se tournent plutôt vers des artistes académiques (Tronchet). C’est donc plus probablement sous les Potez qu’ont été réalisés la majorité des décors encore en place. La modernité de ces intérieurs tient d’abord beaucoup à la mise en scène des espaces par la lumière, les éclairages et les jeux de miroir. Ainsi, toutes les pièces principales sont exposées au sud et font entrer la lumière du soleil par de grandes portes-fenêtres entourées de monumentales boîtes à rideaux moulurées en chêne, cadrant les vues sur la mer. De grands miroirs, plaqués aux murs ou sur les cheminées, contribuent à la démultiplication des espaces et à faire pénétrer davantage cette lumière naturelle. Cette dernière est complétée par un système d’éclairage33 en grande partie indirect, que l’on peut comparer à celui, extrêmement savant, mis en place à la villa Cavrois (1932) par l’éclairagiste André Salomon. Ainsi, des rampes lumineuses, dissimulées par une corniche, éclairaient l’intérieur du porche. Dans le vestibule des prises indiquent que les niches situées de part et d’autre de la porte d’entrée, étaient éclairées par le bas. Dans l’alcôve de la chambre de Madame, ainsi que dans celle de la salle de bain principale (au-dessus de la baignoire), est encastré un plafond éclairant en verre dépoli. Enfin, un néon est intégré dans le dessus de la cheminée couverte de miroirs de la chambre du premier étage. Ces systèmes d’éclairages intégrés, conçus avec l’architecture et pour la

32 Cette association créée en sécession avec le Salon des Artistes Décorateur de 1929, se présente en rupture esthétiques et philosophique avec l’Art déco, et s’inscrit dans les tendances avant-gardistes européennes du XXe siècle (par exemple De Stijl aux Pays-Bas, le Bauhaus en Allemagne, etc.) prône l’art dans l’utile, l’art moderne comme cadre de la vie contemporaine. 33 S’il est difficile à appréhender dans son ensemble (l’éclairage n’est plus fonctionnel et la plupart des lampes ont disparu), il reste les branchements ainsi que les précieuses informations fournies par les trois tableaux de fusibles (qui permettent aussi d’identifier la fonction des pièces). N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 16 mettre en valeur, sont caractéristiques des recherches des années 1930. Ces éclairages « cachés » étaient complétés par des appliques (éclairant par exemple des tableaux accrochés aux murs), un lustre dans la salle à manger, et des lampes et lampadaires mobiles comme en témoignent les prises disposées dans les plinthes. Les pièces de service sont quant à elles éclairées de manière très rationnelle par des plafonniers industrialisés (globe de verre opalin suspendu à une tige chromée). Les étiquettes (pergola, projecteurs façade, perron, jardin français, terrasse couverte) encore présentes sur les tableaux de fusibles nous indiquent que les extérieurs pouvaient également être mis en lumière, permettant, la nuit, une continuité entre les espaces intérieurs et extérieurs.

Fig. 22 – Vue de la salle à manger de la villa Rayolet. © Domaine du Rayol / Manon Rousseau.

La salle de bains du premier étage est la pièce la plus moderniste. Sa composition a fait l’objet d’une attention particulière. En face de la porte fenêtre donnant accès à une petite terrasse, est encastrée une baignoire dans une alcôve encadrée par deux cabinets, l’un s’ouvrant sur un bidet, l’autre sur des W.C., et fermés par des portes en miroir. L’occupant a donc l’opportunité de prendre son bain face à la mer. Le sol est couvert d’une étonnante composition géométrique en carreaux de grès industriels, de cinq couleurs différentes (rouge, marron, vert bouteille, ocre jaune et blanc). Ces couleurs vives font écho à celles choisies pour les peintures (beige au plafond, jaune moutarde sur les murs, vert bouteille pour les encadrements de portes et de fenêtres). Ce type de pavements en carreaux de grès cérame formant des compositions géométriques, apportant du mouvement à l’espace, sont utilisés dès les années 1920-1930 par les architectes-décorateurs des mouvements modernes. On peut par exemple citer Theo Van Doesburg pour le hall d’entrée de la maison De Vonk (1918) aux Pays-Bas, ou encore Robert Mallet-Stevens pour le hall-jardin d’hiver pour une Ambassade française au Pavillon de la Société des artistes décorateurs de l’Exposition des Arts décoratifs de 1925. Dans les autres pièces de vie également, le choix de couleurs vives ou pastel (vert d’eau, bleu, rose, etc.) contribuent à leur donner une identité visuelle particulière.

Fig. 23 et 24 - Vues de la salle de bains du premier étage de la villa Rayolet. © Région Provence-Alpes-Côte d’Azur - Inventaire général - Marc Heller, 1991. N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 17 Sous la direction du chef jardinier, Etienne Gola (lauréat de l’école d’horticulture de Marseille), engagé en 1942, les jardins se dotent eux aussi d’une nouvelle personnalité, plus sophistiquée et disciplinée, fortement inspirée par la géométrie. Devant la façade nord de la villa Rayolet, est aménagé un petit jardin « à la française »34. Ce jardinet très architecturé et ordonné se présente comme un véritable prolongement du bâti. Circoncis dans une forme rectangulaire aux angles arrondis, il s’organise autour d’une allée centrale dont les contours évoquent le trou d’une serrure qui devait recevoir un bassin (idée abandonnée car cela aurait favorisé les populations de moustiques). Cette allée de graviers était bordée de jardinières en briques rouges où étaient plantées diverses fleurs. La forme de la clé était en outre soulignée par une rangée d’ifs taillés en cube. Devant la pergola, le bastidon et la ferme, sont aménagés des parterres géométriques dont les formes (rosaces, polygone étoilé, croissant, blason, aile de papillon stylisé) sont dessinées par de petits cailloux de couleurs, et au centre desquels sont plantées diverses plantes grasses.

Fig. 25 – Etienne Gola posant devant les jardins géométriques du domaine du Rayol. Photographie, vers 1945. © Collection particulière / Domaine du Rayol

Le créateur de ces jardins géométriques, qui font une part belle à la couleur et à la minéralité - plus qu’aux végétaux -, s’est sans doute inspiré des jardins modernistes des années 1920-1930. Les manifestes les plus connus de ces jardins modernistes sont présentés à l’Exposition des Arts décoratifs industriels et modernes de 1925 : les arbres en béton de Robert Mallet-Stevens ou encore le Jardin d’eau et de lumière de Gabriel Guévrékian y font sensation. Ces jardins architecturés, très décoratifs et souvent de petite taille, sont traités comme de véritables œuvres d’art s’apparentant parfois plus à des sculptures ou des objets d’art conçus en rapport avec l’espace bâti (synthèse des arts). Les plantes sont traitées telles des matériaux inertes, comme des couleurs d’une palette chromatique. Leur caractère vivant n’est pas pris en compte. Ces jardins sont à vocation avant tout contemplative. Mais paradoxalement, puisqu’ils sont surtout conçus au ras du sol (comme un pavement, une mosaïque ou un tapis), le spectateur ne peut en avoir une vision globale qu’en les surplombant (par exemple depuis la fenêtre d’un bâtiment) ou grâce à une photographie aérienne.

Enfin, l’œuvre de mise en scène du paysage commencée par les Courmes se poursuit avec la création (ou la prolongation ?) d’un grand escalier entouré de cyprès partant de la pergola35 et l’enrichissement de la collection de plantes exotiques qui atteint, d’après un inventaire de 1948, 400 espèces.

34 Ce type de jardin aux allées rectilignes et aux arbres taillés de manière géométrique fait référence à la tradition du jardin classique français inventé par Le Nôtre au XVIIe siècle. Ce style est remis à l’honneur dans la première moitié du XXe siècle par les paysagistes Henri et Achille Duchêne. 35 Une incertitude persiste quant à la date de création de ce grand degré. D’après Alain Potez, il aurait été aménagé pour masquer les dégâts provoqués par des éclats d’obus américains tombés sur le Domaine avant le débarquement. N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 18 D’un paradis clos réservé à de rares privilégiés à un jardin ouvert à tous : l’acquisition par le Conservatoire du Littoral

En 1974, Henry Potez décide de vendre le Domaine du Rayol faute de moyens pour l’entretenir. Il est racheté par la SCI des Terrasses de la Mer, détenue à 85 % par la Mutuelle d’Assurance du Corps Sanitaire Français, dans le but de réaliser un placement immobilier. A cette époque, l’Etat commence à se soucier de l’urbanisme sauvage qui affecte encore les zones littorales, déjà très fragilisées. Outre la création du Conservatoire du Littoral (1975), la Loi Littoral est promulguée en 1986. Elle vise à encadrer l’aménagement de la côte pour la protéger des excès de la spéculation immobilière et permettre le libre accès du public aux sentiers littoraux. Dès 1979, la « directive d'Ornano », relative à la protection et à l’aménagement du littoral, prévoit la préservation d’une bande littorale d’une largeur de l’ordre de cent mètres le long du rivage et la généralisation des dispositifs d’assainissement. En 1977, le Conservatoire du Littoral a reçu la donation du domaine Foncin, sur la pointe du Dattier située à l’est du Domaine du Rayol. Une acquisition de ce dernier par le Conservatoire était donc stratégique, permettant de prendre en tenaille l’immense domaine du Dattier et assurer ainsi, à terme, la protection d’un ensemble de six kilomètres de linéaire côtier.

Ce contexte particulier, et l’action de nombreux acteurs (parmi lesquels Jean-Philippe Grillet, au Conservatoire du Littoral, Lucien Chabason, chef de service de l’espace et des sites à la direction de l’urbanisme et du paysage, au ministère de l’Equipement, ou encore les membres de l’Association des Amis du Rayol, créée en 1980 pour défendre la non constructibilité du Domaine du Rayol) va permettre d’empêcher la SCI des Terrasses de la Mer de concrétiser ses projets immobiliers sur le site. Dans ses différentes études, l’architecte Didier Guichard, engagé par la SCI, prévoyait une série de « petits immeubles collectifs » (R+1, R+2 et R+3), concentrés dans une zone constructible de 14 000 m² prévue par le P.O.S. (Plan d’Occupation des Sols) de la commune de 1979. Le reste du Domaine aurait été aménagé en parc. Le maire Etienne Gola avait également réussi à négocier, dans le cadre de cette opération, qu’une bande côtière soit cédée à la commune afin de permettre aux habitants l’accès à la plage36. En 1982, le Conseil d’Administration du Conservatoire du Littoral approuve la décision d’acquisition du Domaine du Rayol. En 1988, Jean-Philippe Grillet missionne le paysagiste Gilles Clément pour élaborer un projet de réhabilitation et de mise en valeur du Domaine, projet qui devait convaincre les élus locaux encore réticents de l’utilité économique d’une acquisition par le Conservatoire. En visitant le site, Gilles Clément découvre un jardin en friche. Les bâtiments, inoccupés pendant quinze ans, se sont rapidement dégradés. Henri Robinia, engagé par la mutuelle comme gardien du Domaine, a toutefois préservé le jardin d’un total abandon par des opérations de débroussaillages répétées.

Fig. 26 – Vue du jardin en friche. Photographie, 1986. © Olivier Ghibaudo / Domaine du Rayol

Gilles Clément est d’emblée enthousiasmé à l’idée de mettre en valeur ce site conservant « la mémoire d’un important jardin par les arbres exotiques, les structures et les cheminements qu’on y retrouve »37. Inspiré par les plantes exotiques encore en place (mimosas, eucalyptus, araucaria, callistemons, palmiers variés,

36 Archives de la commune du Rayol-Canadel-sur-Mer. 37 Extrait du « Projet d’aménagement » présenté par Gilles Clément en 1988. N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 19 nolines, collectia, etc.), il propose un projet de jardin présentant les paysages du monde entier ayant un lien avec le climat méditerranéen. Il a aussi l’idée de créer un « jardin marin », qui permettrait de prolonger la découverte de la flore et de la faune méditerranéenne sous l’eau. Le projet met aussi l’accent sur l’importance d’un tel lieu pour l’étude et la compréhension, encore marginale à l’époque, des spécificités du biome méditerranéen et en particulier des plantes pyrophytes.

Fig. 27 – Schéma d’intention pour le Domaine du Rayol. Projet de Gilles Clément – atelier Acanthe, octobre 1988. © Collection Domaine du Rayol

En 1989, la société « Pierre et Vacances » était disposée à acheter le Domaine à la SCI pour 22 millions de francs, alors que le Conservatoire en proposait 20 millions (prix élevé du fait de la zone constructible). Le Conservatoire parvient à la dissuader d’acheter, laissant entendre qu’il userait de tous les moyens juridiques à sa disposition pour ralentir et gêner la mise en œuvre d’un projet immobilier. Le Conservatoire finit par réussir à conclure l’acquisition du Domaine le 6 mars 1989, avec pour gageure d’ouvrir le jardin au public dès l’été 1989. La mairie ne souhaitant pas assurer la gestion, une association gestionnaire est créée spécifiquement par le Conservatoire du Littoral, l’ADORA (Association du Domaine du Rayol). Un directeur, Yves Portier, et un botaniste-naturaliste, François Macquart-Moulin sont engagés. Un petit jardin témoin est mis en place pour expliquer le projet aux visiteurs, tandis que les travaux d’aménagement débutent réellement en 1990. Depuis, le Jardin des Méditerranées et ses onze paysages a pris une belle ampleur grâce à une équipe dynamique toujours motivée pour s’investir dans de nouveaux projets. Il bénéficie toujours de l’œil attentif et de la sensibilité de Gilles Clément, qui est, fait exceptionnel, encore missionné pour suivre l’évolution du jardin. Labellisé Jardin remarquable depuis 2005, le Domaine du Rayol, qui n’a cessé de se réinventer au cours de son histoire, est aujourd’hui une référence cristallisant les enjeux des jardins contemporains écologiques.

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 20 L’esprit du jardin Alain Menseau, responsable des jardins et de la conservation du Domaine du Rayol

Gilles Clément et l'équipe des jardiniers en comité technique © Domaine du Rayol

Au Domaine du Rayol, Gilles CLEMENT a proposé d’évoquer les paysages et flores rencontrés dans les pays de climats méditerranéens. Aborder ces flores ouvrait d’immenses perspectives :

- faire apparaître les divergences et les ressemblances des ensembles soumis à de semblables conditions de vie sur la planète, mais isolés géographiquement ; - anticiper sur l’inévitable brassage planétaire des êtres vivants en les rassemblant en un lieu unique où il est possible d’évaluer leur comportement ; - exploiter la richesse comportementale des pyrophytes (plantes du feu, constituant l’essentiel des flores méditerranéennes) ; - développer une lecture ethnobotanique du paysage permettant la comparaison des usages des plantes en des lieux fort éloignés de la planète ; - créer une pédagogie sur le concept de biome : ensemble de compatibilités de vie - ici dédié au biome méditerranéen.

Le Jardin des Méditerranées est ainsi conçu suivant les concepts élaborés par Gilles Clément :

- Le jardin en mouvement s’inspire de la friche : il s’agit d’accompagner et d’orienter la libre croissance des plantes suivant leur comportement naturel. Le jardinier conserve un équilibre plastique et biologique pour atteindre la plus grande diversité possible. Les végétaux redessinent en permanence le jardin. On sait quand un jardin commence, on ne sait pas quand il finit, ni même s’il a une fin. Le jardin est sans cesse en évolution. Cet aspect particulier de gestion écologique a pour conséquence une révision permanente du dessin du jardin, non par le « concepteur initial », mais par le jardinier.

- Le jardin planétaire : Trois raisons portent à considérer la planète comme un jardin : l’homme artificialise tous les espaces, l’humanité est partout, tel le jardinier dans son jardin ; comme dans un jardin vivrier où la plupart des espèces viennent d’ailleurs, nous assistons à un vaste brassage planétaire qui agit à l’échelle mondiale et fait partie des mécanismes de l’évolution ; l’espace planétaire est fini et ses ressources biologiques ne sont pas inépuisables. Nous devons concevoir toute économie nouvelle sous forme d’un recyclage obligé.

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 21 - Le tiers-paysage : somme des espaces en déprises ou en réserve, il regroupe quantité d’espaces indécis, situés aux marges, dans les recoins oubliés où l’homme et ses machines ne passent pas. Il constitue un ensemble hétérogène accueillant la diversité chassée de partout ailleurs. C’est une réserve de biodiversité au bénéfice du jardinier dans un rapport d’échanges gratuits.

- L’homme symbiotique : la vie invente dans le volume clos de la biosphère. La finitude spatiale et biologique nous amène à envisager un autre modèle d’usage de l’espace en cherchant à exploiter la nature sans la détruire. Replacer dans l’environnement l’énergie qu’on lui prend devient un art de vivre. Le projet politique idéal de l’homme-jardinier répond aux questions posées par la finitude spatiale, le recyclage, les ressources énergétiques, la démographie, l’art de vivre.

Le concept de jardin planétaire naît à la fois d’une extrapolation du jardin en mouvement (expérience de terrain), d’un constat des brassages (voyages) et d’une conséquence logique de la prise de conscience écologique.

« En mon propre jardin, moi le jardinier, je ne saurais prédire l’exacte forme du lendemain. Seul existe l’instant. Alors, comment garantir le futur d’un territoire lointain dont on ne connaît même pas les oiseaux ? »

« Le jardinier sait que le vivant échappe à la maîtrise et que la signature, si elle existe, résulte plus d’une imprécision, un sentiment - l’esprit du lieu, justement - que des formes lisibles, parfaites, désenchantées. »

« Le jardinier n’est peut-être pas celui qui fait durer les formes dans le temps, mais dans le temps, s’il le peut, fait durer l’enchantement. Il faut essayer. »

Le jardin en mouvement s'exprime sur l'Ancien verger © Domaine du Rayol, Manon Rousseau

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 22 Gilles CLEMENT Alain Menseau, responsable des jardins et de la conservation du Domaine du Rayol

Né en 1943 dans la Creuse, Gilles Clément suit des études à l’École d’Horticulture de Versailles, puis se spécialise à l’École Nationale du Paysage.

Jardinier, botaniste, paysagiste, il conçoit une nouvelle approche de l’art des jardins. Observateur attentif et infatigable de la nature à travers le monde, il crée les jardins en fonction de la dynamique du végétal, de la diversité biologique des plantes et de leur perpétuel mouvement dans l’espace et dans le temps. Pour lui, le jardin n’est pas un musée où la nature serait domestiquée et les végétaux présentés en collection. Le jardin est bien un lieu de vie, de découverte, d’émerveillement pour rapprocher et réconcilier deux mondes vivants. Le monde des hommes et celui des plantes.

« En embrassant la planète entière, enclos autonome et fragile, le jardinier appelle à mieux comprendre avant d’intervenir, à observer pour agir, à faire avec plutôt que contre la nature. Diversité, mouvement, assemblage entre les êtres vivants : la nature offre les richesses de son paysage à l’homme-jardinier. Prélever sans appauvrir, consommer sans dégrader, produire sans épuiser, vivre sans détruire. C’est possible. »

Gilles Clément est également professeur à l’École Nationale Supérieure du Paysage de Versailles. Il donne de nombreuses conférences à travers le monde.

Il est l’auteur ou le co-auteur des nombreux jardins, notamment le Jardin André-Citroën à Paris, le Jardin du Musée des Arts Premiers au Quai Branly à Paris, les Jardins de la Grande Arche à La Défense (Paris), le Jardin de l’École Normale Supérieure de Lyon, le Jardin du Sixième Continent à Péronne (Somme), le Jardin de l’île Derborence au Parc Matisse à Lille, le jardin de résistance Jardin d’Orties de Melle (Deux-Sèvres), le Jardin Fontaine d’herbe à St-Denis de la Réunion, le Jardin de l’Évolution à l’Abbaye de Valloires (Somme), le Jardin du Château de Beauregard à Cellettes (Loir-et-Cher), et bien d’autres.

Il a écrit : Le Jardin en mouvement, 1991 Le Dindon et le Dodo, 2005 La Vallée, 1991 Les Nuages, 2005 Éloge de la friche, 1994 Une écologie humaniste (avec L. Jones), 2006 Thomas et le Voyageur, 1997 Le Belvédère des lichens, 2007 Traité succinct de l'art involontaire, 1997 Toujours la vie invente, 2008 Une école buissonnière, 1997 Neuf jardins. Approche du jardin planétaire (avec A. Le Jardin planétaire (avec C. Éveno), 1997 Rocca), 2008 Terres fertiles (avec S. Spach), 1999 Sur la marge (avec F. Béalu), 2008 Éloge des vagabondes. Herbes, arbres et fleurs à la Le Salon des berces, 2009 conquête du monde, 2002 Une brève histoire du jardin, 2011 Herbes ou ces plantes qu'on dit mauvaises (avec Jean- Jardins, paysage et génie naturel, Cours au Collège de Paul Ruiz), 2003 France, 2012 La Sagesse du Jardinier, 2004 Les Imprévisibles, 2013 Manifeste du Tiers-paysage, 2004 L'Alternative ambiante, 2014

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 23 Les Jardins Alain Menseau, responsable des jardins et de la conservation du Domaine du Rayol

Un jardin de paysages Le Jardin des Méditerranées propose un voyage à travers des paysages s’inspirant des régions du monde de climat méditerranéen. Ces régions sont : le sud-ouest et le sud de l’Australie, le sud-ouest de l’Afrique du Sud, le Chili central, la région côtière de la Californie, le bassin méditerranéen (des Canaries au nord de l’Iran). La biodiversité des régions méditerranéennes est remarquable. En effet, seulement 5% de la surface de la planète contient 50 000 plantes vasculaires, soit environ 20% du total des plantes connues. Pour compléter ce tour du monde, sont invités des paysages aux caractéristiques proches du climat méditerranéen, mais divergents essentiellement par le régime de pluies : des climats avec orages estivaux, tels l’Amérique subtropicale, l’Asie subtropicale, la Nouvelle-Zélande, ou bien un climat plus désertique, telle l’Amérique aride. Enfin, le Jardin des Méditerranées se poursuit en mer avec le Jardin marin.

Jardin d'Afrique du Sud

Le jardin d’Afrique du Sud évoque les paysages méditerranéens du Fynbos de la péninsule du Cap, marqués par les Protéas, les bruyères et les restio, ainsi que les formations végétales du Karoo, caractérisées par le mimosa à grandes épines et de nombreuses plantes succulentes, comme les Aloès. Apparenté au maquis des régions méditerranéennes, le Fynbos est l’une des formations végétales que l’on retrouve dans le paysage d’Afrique du Sud. La végétation du Fynbos atteint rarement plus de 3 à 4 mètres de hauteur. Elle se développe sur des sols de sable de quartz. Ces sols sont pauvres en matière organique. Les végétaux caractéristiques sont, pour la plupart, des arbustes de la famille des Protéacées, des Éricacées (avec les bruyères) et des Restionacées (qui ressemblent aux joncs des régions de Méditerranée). La strate herbacée fait la part belle aux plantes à bulbes et à rhizomes, comme les Iris, les Watsonias, les Lys et Amaryllis. Les feux dans le Fynbos sont un phénomène récurrent. Toutes les espèces sont adaptées à ce phénomène. La famille botanique des Protéacées est essentiellement représentée dans l’hémisphère

1 Sud.

Les Protées sont des plantes typiques du Fynbos sud-africain. La King Protea, Protea cynaroides, devient même l’emblème du drapeau d’Afrique du Sud.

Les Protées sont pollinisées principalement par des oiseaux appelés souïmangas, plus rarement par divers scarabées ou encore par des rongeurs.

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 24 Le Jardin d'Australie

Le jardin d’Australie, au nord du Domaine du Rayol, surplombe le vallon. Cette parcelle évoque différents paysages : le Mallee, paysage de brousse sempervirente, parfois épineuse, dominé par les eucalyptus, les mimosas et de nombreuses Myrtacées et Proteacées, et le Kwongan, paysage de landes verdoyantes, dominé par les « Black boys ». Les paysages sont influencés par un facteur déterminant : le feu. Cette évolution est allée si loin que certaines espèces disparaîtraient sans le passage du feu. 2 Au Domaine du Rayol, les espèces d’eucalyptus évoquant le Mallee sont de petites espèces à lignotuber (c’est- à-dire avec une partie du tronc enterrée). Ils sont capables de se régénérer, par rejets, après un incendie. C’est pour cette raison que ce paysage est dominé par des arbrisseaux et arbustes, poussant avec de nombreuses tiges, directement du sol. On trouve une cinquantaine d’espèces de mimosas, et de nombreux Callistemons et Melaleucas. Plus loin, on retrouve la silhouette caractéristique des Black boys, les pelouses d’Anigozanthos ou pattes de kangourou et les Protéacées australiennes, telles que les Grevilleas, les Banksias, les Hakeas…

Le Jardin de Californie

Dans le jardin de Californie, on retrouve un paysage de maquis californien, que l’on nomme plus communément le . Ce paysage est une formation végétale soumise à une aridité importante et aux incendies. Le Chaparral est peuplé d’arbustes, tels que des Heteromeles, des Leucophyllum, des Prunus ilicifolia, des céanothes. On y retrouve également des arbres xérophiles (adaptés à la sécheresse) tels que le pin de Coulter ou le cyprès de Monterey.

3 Cette flore est sensiblement identique à celle du pourtour méditerranéen. De nombreux vicariants, c’est-à-dire des plantes qui ressemblent énormément aux plantes indigènes du maquis méditerranéen, composent ce paysage. En effet, la flore du jardin de Californie possède beaucoup d’affinités avec celle du pourtour méditerranéen. Ces deux dernières sont les descendantes d’une flore commune à l’Amérique et à l’Eurasie. Elle date d’avant la séparation des plaques américaine et européenne, il y a quelque 60 millions d’années. Au fur et à mesure que la pluviométrie se réduit, on trouve d’autres formations végétales, plus sèches, plus désertiques : le désert du Mohave et le désert de Sonora. Ici dominent les Hesperaloe, les , les cactées, cierges et opuntias, et les ocotillos. Enfin, dans les canyons du désert surgissent de beaux palmiers : les palmeraies de washingtonias. Lors des pluies printanières, avant la grande sécheresse estivale, s’étendent des prairies où fleurissent les eschscholtzias, les lupins, qui se renouvellent chaque année par graines. Trois plantes dominent ce jardin : Leucophyllum frutescens, Hesperaloe parviflora et Romneya coulteri.

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 25 Le Jardin du Chili d'altitude et le Jardin du Chili méditerranéen

Le Chili est un pays qui s’étale sur 4 000 km de long. Son climat est très diversifié. Seul le Chili central possède un climat méditerranéen. Plusieurs formations végétales sont évoquées au Domaine du Rayol : la lande à Puyas, le paysage de savane, ou espinal, dominé par des Acacia caven, la palmeraie des terres intérieures, avec le palmier à miel, Jubaea chilensis, et les prairies d’alstroemères. Tout d’abord, la lande à Puyas, ou « Matorral » côtier d’altitude, est composée de nombreuses espèces épineuses dont le Puya. De la famille des Broméliacées, comme les ananas, les Puyas tapissent le sol de la parcelle sous forme de touffes. Leur floraison en juin est spectaculaire, allant du bleu métallique au vert fluorescent, selon les espèces. Par ailleurs, les Puyas s’associent aux Cactus Quisco nommé Echinopsis chilensis. Ces cactus aux grandes épines peuvent atteindre jusqu’à 10 mètres de haut. Toujours dans la vallée centrale du Chili, le surpâturage ou l’exploitation de bois ont fini par créer un paysage de savane, « l’Espinal ». Il est dominé par un mimosa : l’Acacia caven, petit arbre épineux, à très fines feuilles et aux fleurs jaunes. Ces paysages sont peu denses, ouverts. Enfin, on aperçoit, dans le Jardin du Chili méditerranéen, quelques palmiers dans les vallons 4 frais. C’est la palmeraie des terres intérieures. Il s’agit là des palmiers à miel, Jubaea chilensis. On retrouve aussi des prairies d’alstroemères du Chili, que l’on appelle aussi « Lys des incas ». Leurs fleurs, tant appréciées par les fleuristes, éclosent dans de vives couleurs au printemps.

Le Jardin des Canaries

Ce jardin nous fait découvrir la diversité du climat méditerranéen. Trois paysages canariens sont évoqués : tout d’abord, le maquis côtier, appelé Malpaïs. C’est l’étage aride situé au niveau de la mer, un paysage minéral soumis à un fort ensoleillement. On y trouve principalement les euphorbes. Puis vient le second paysage évoqué, c’est le bosquet thermophile, apparenté à l’étage méditerranéen aux Îles Canaries. Les grands dragonniers dominent ce paysage. Enfin, le Pinar, paysage d’altitude, où domine le pin canarien. Ce dernier paysage est très résistant au passage du feu, après lequel des

5 jeunes pousses se développent sur le tronc carbonisé. Les cistes y sont aussi présents.

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 26 Les Îles Canaries jouissent d’un climat clément toute l’année. Grâce aux alizés, vents doux et humides, elles sont restées à l’écart des glaciations et ont conservé une flore relique des époques tertiaires. Ceci explique le caractère de gigantisme de nombreux végétaux aux Îles Canaries. Comme par exemple l’asperge géante, Asparagus pastorianus, mais aussi le Sonchus congestus, proche du pissenlit, qui peut atteindre 1,5 mètre et forme du bois à sa base.

Entre l’été et le reste de l’année, le jardin des Canaries change de physionomie. Pour résister aux étés chauds et secs du climat méditerranéen, de très nombreuses plantes rentrent en léthargie. Elles usent alors de différents stratagèmes pour se protéger de cette sécheresse, en se cachant dans le sol ou en perdant leurs feuilles par exemple. Enfin, les végétaux se montrent particulièrement vagabonds sur cette parcelle. Ici et là, des Echiums, des Euphorbes, des Dragonniers, des Marcetellas se ressèment spontanément. Les jardiniers du Domaine du Rayol favorisent ce mouvement des végétaux. Ils ne coupent que très tardivement les fleurs fanées pour permettre la formation et la dispersion des graines.

Le Jardin méditerranéen

L'ensemble méditerranéen est l'une des plus grandes aires de biodiversité : elle inclut un espace très vaste incluant le Maroc (sauf extrême-sud), l’Algérie (nord), la péninsule ibérique (sauf le nord), la France (extrême- sud), l’Italie (sauf le nord), les zones côtières de l’ex-Yougoslavie, la Tunisie (est et nord), les zones côtières de la Libye et de l'Égypte, la Grèce, la Turquie (régions ouest et sud), Chypre, le Levant (Syrie nord et ouest, Liban, nord d'Israël). Il abrite entre 25 000 et 30 000 espèces de plantes, soit 8% des végétaux 6 supérieurs du globe. Elle est considérée comme l'un des hauts lieux de diversité dans le monde. Les plantes rencontrées, venant du bassin est-méditerranéen, sont : le Pin bassin est-méditerranéen, sont : le Pin parasol, le Caroubier, le Palmier de Crète, l’Arbousier de Chypre, le Laurier noble, le Cyprès toujours-vert, le Zelkova de Sicile, l’Acanthe molle et la Grande Pervenche ; venant d’Afrique du nord et d’Espagne : l’Iris d’Alger, le Fragon à langues, la Scille du Pérou et la Scille maritime, l’Othonopsis à feuilles de giroflée, le Laurier-rose, le Palmier dattier, le Genêt à feuilles de lin ; et en bord de mer : la Barbe de Jupiter, l’Euphorbe arborescente et le Lys de mer, et bien d’autres encore…

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 27 Le maquis

Le maquis est une formation végétale qui s’établit sur sols acides, soit en terrain siliceux comme ici dans les Maures, soit en terrain d’origine volcanique comme dans l’Esterel. On retrouve ce type de végétation tout autour de la Méditerranée, en Corse, en Turquie, à Chypre, en Cyrénaïque libyenne, au Maroc, etc. La végétation est constituée de plantes résistantes à la sécheresse, adaptées au passage périodique du feu et à l’abroutissement. La végétation est essentiellement à feuillage persistant, toujours verte. Les hivers doux permettent une croissance en automne et au printemps, périodes de l'année les plus favorables pour observer les floraisons. Les 7 petites feuilles sont coriaces, épineuses ou duveteuses, souvent aromatiques, et dégageant, dès qu'il fait chaud, un parfum agréable d'huiles essentielles et de résines. L’adaptation au feu est une caractéristique essentielle du maquis. Elle s’est acquise depuis la fin du Tertiaire, voici 2,6 millions d’années. Il n’y a pas ici de climax, c’est un équilibre dynamique où interviennent les passages du feu et les cycles de sécheresse. Un maquis âgé de plus d’un siècle n’est pas en état d’équilibre vers un climax : il est bien au contraire en déséquilibre et est devenu fragile à la sécheresse, il attend le feu…

Les plantes rencontrées indigènes sont : le chêne vert, le chêne-liège favorisé par l’homme, le pin d’Alep, le pin maritime, l’arbousier et la bruyère arborescente, le calicotome épineux, le pistachier lentisque, la filaire à feuilles étroites, la myrte, le romarin, la lavande des Maures, les cistes à feuilles de sauge et de Montpellier, et la salsepareille pour les plus caractéristiques.

Jardin d'Asie subtropicale

Voilà un jardin invité : le jardin d’Asie subtropicale. Encaissé dans le vallon, il permet d’évoquer les paysages de contrées lointaines et pourtant familières. Ces plantes viennent de Chine, de Corée, de Taïwan et du sud du Japon. Quelques-unes viennent de l’aire indo-malaise. Ces régions ont un régime de mousson d’été. Installée depuis un siècle, la bambouseraie est le cœur de ce paysage. La zone du puits forme un havre de fraîcheur avec les lianes, la glycine Wisteria sinensis et le figuier de Chine Ficus pumila qui grimpent dans la canopée des chênes verts. Une cascade artificielle – elle fonctionne en circuit 8 fermé depuis la vieille citerne alimentée par la seule petite source du Domaine – permet d’améliorer l’hygrométrie durant l’été.

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 28 A l’ombre des chênes verts poussent des Nandina appelés bambou céleste, l’arali à papier Tetrapanax, un tapis d’iris frangé du Japon à la floraison blanc-rose fabuleuse, l’Alpinia zerumbet proche du gingembre, des palmiers « céleri » Caryota au feuillage surprenant, et le Loropetalum, superbe pendant sa floraison comme un nuage de confettis blancs.En tournant autour du puits, une clairière abrite un camphrier Cinnamomum camphorum (dont on extrait, par distillation du bois et des feuilles, le camphre et l’huile essentielle de ravintsara) et des bananiers du Japon Musa basjoo. Un original bosquet de Cyca revoluta occupe une clairière ensoleillée, entourée de bambous nains Sasa, de petits palmiers Trachycarpus et de gros palmiers éventail Livistonia, d’un « parasol chinois » Firmiana simplex et du Rhaphiolepis umbellata à la floraison délicate. L’été, des fragrances d’épices citronnées embaument l’atmosphère. Elles viennent du poivre de Sichuan Zanthoxylum, et du citronnier épineux Poncirus.

Jardin d'Amérique subtropicale

Le Jardin des Méditerranées « invite » la végétation tropicale des Amériques en composant un paysage mixant des plantes provenant de deux régions situées de part et d’autre de l’équateur : de l’hémisphère Sud, la région englobant le nord de l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay et le sud du Brésil, et de l’hémisphère Nord, la moitié sud du Mexique et toute l’Amérique centrale. C’est un jardin arrosé. C’est d’ailleurs le seul espace du Domaine du Rayol où l’herbe restera verte en été, où fleuriront des arbustes pendant la période estivale. De la zone Argentine, viennent les abutilons, l’érythrine crête- de-coq à la floraison rouge sang surprenante, le Tipuana tipu, arbre à la floraison jaune magnifique en début d’été, l’arbre- bouteille Chorysia aux fleurs roses parfumées, le palmier abricot Butia aux fruits comestibles et le palmier plumeux Syagrus. Dans la zone Mexique, sont présentes des plantes de la forêt humide : le Lantana très parfumé, le Duranta à odeur de vanille, le séneçon géant Telanthophora avec ses énormes capitules jaunes, la mauve Malvaviscus, l’arali blanc Oreopanax, et le bambou du Mexique Otatea au feuillage fin et retombant. On peut aussi trouver le pin de Montezuma : le pin sacré du dernier

9 empereur aztèque, Montezuma, battu par Cortez et ses conquistadores. Les grandes nolines du Domaine du Rayol datent du début du XXe siècle. Elles ont été plantées par Alfred Courmes, le premier propriétaire du Domaine. Elles sont bien adaptées à la sécheresse et présentent cet aspect scénique luxuriant. Certaines se ressèment spontanément au jardin. Ce sont des vrais arbres de cinq mètres de haut. Leur écorce est aussi liégeuse que celle du chêne-liège, leur permettant de résister au feu. Une nolinaie, forêt extraordinaire de nolines, est en train de naître au cœur jardin…

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 29 Jardin de Nouvelle-Zélande

Au cœur du vallon du Domaine du Rayol qui mène à la Maison de la Plage, s'écoule un ruisseau temporaire. Dans ce vallon encaissé, s'invitent des paysages de Nouvelle-Zélande, le pays des maoris. Le creux du vallon évoque les forêts subtropicales humides et luxuriantes de l’île nord de la Nouvelle-Zélande. On découvre les fougères arborescentes, les fougères ponga Cyathea au tronc fin, les fougères wheki Dicksonia au gros tronc. L’atmosphère semble figée en des temps géologiques reculés, quand les dinosaures du Jurassique couraient dans des futaies de fougères. Un peu plus loin, un beau bosquet de gros palmiers nikau

10 Rhopalostylis sapida s’impose. Certains déjà fleurissent, avec à leur pied, les harakeke Phormium tenax aux inflorescences étranges. Sur les flancs du vallon, deux kauris Agathis australis ont commencé leur longue vie. Ils sont issus de la germination de graines venant du plus vieux kauri de Nouvelle-Zélande nommé Tāne Mahuta. Situé dans la forêt de Waipoua, il est âgé d’environ 2 500 ans. Puis, une prairie de graminées en touffes – tussock grassland – caractérise les zones plus arides de l’est de la Nouvelle-Zélande, avec peu de précipitations et balayées par les vents de foehn. Ces prairies en touffes sont composées localement de plusieurs espèces de graminées (genres Chionochloa et Poa) et de Carex. Le paysage a été ici élaboré avec une autre espèce, le Stipa tenuifolia. Le résultat est bluffant. Cette prairie est entourée du manuka Leptospermum scoparium à la floraison carmine massive, des kowhai Sophora microphylla, des massifs de koromuko Hebe sp, dominés par les troncs torturés des tikouka Cordyline australis. Au-dessus, règne un gros pohutukawa Metrosideros excelsa, magnifique pendant sa floraison pourpre au début de l’été.

Le Jardin d'Amérique aride

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 30 Ce jardin est voisin du climat méditerranéen de Californie. Il s’agit d’un paysage constitué de plantes succulentes et de cactées, poussant dans des climats arides du sud-ouest des États-Unis (Arizona, Nouveau-Mexique, Texas, Nevada), et du nord-ouest du Mexique (Chihuahua, Durango, Sonora, Zacatecas). Ces régions sont soumises à un climat caractérisé par une longue saison chaude et sèche ainsi que de faibles précipitations (inférieures à 400 mm). La végétation représentée est dominée par 2 familles botaniques, les Asparagaceae et les Cactaceae. Les Asparagaceae sont présentes avec des agaves, des furcreas, des yuccas, et des dasylirions. Les Cactaceae sont présentes avec des opuntias (figuiers de barbaries ou raquettes), des cactus cierges et des cactus en boule. Les cactus se sont particulièrement bien adaptés à la sécheresse, stockant l’eau dans leurs tiges et réduisant au minimum les surfaces d'évaporation. Ce sont aussi des plantes très « épineuses ». Le stockage de l’eau se traduit par un épaississement de la tige, et par l'apparition des côtes, qui permettent, un peu comme sur un accordéon, la dilatation et la rétraction du corps de la plante au gré des périodes de pluies et de sécheresse. La réduction des surfaces d'évaporation se traduit par la disparition des feuilles, et un épaississement de l'épiderme. Les épines 11 permettent une protection contre les animaux, la captation de la rosée, et une protection de l'épiderme contre les ardeurs du soleil, du vent desséchant et du froid d'altitude. Elles vivent sur des sols très drainants, sur flancs de montagne rocailleux, faiblement végétalisés. Ils sont facilement acclimatables sur la Côte d’Azur, sur un coteau en exposition plein sud (un adret dirait-on dans les Alpes), bien drainant. On recouvre le sol d’une litière minérale formant la rocaille, attirant la chaleur la journée et la restituant la nuit

Le Jardin marin

Le jardin est aussi… marin. La mer est même l’ultime paysage du Domaine du Rayol. Ici, dans le jardin marin, contrairement aux jardins terrestres, le jardinier n’intervient pas. Le même vocabulaire est pourtant utilisé par les guides- animateurs du sentier marin pour évoquer ce paysage : la prairie de posidonie, la grotte du congre, le parterre d’oursins, la passe des nacres… On découvre dans ce jardin marin différents biotopes : les fonds sableux, l’herbier de posidonie, les fonds rocheux, la pleine eau. On voit sur nos plages la laisse de mer qui est

12 présente tout au long de l’année. Essentiellement constituée de feuilles de posidonies et d’une multitude de débris naturels, comme le bois flotté, des algues, des coquillages, elle permet le piégeage du sable et peut former des banquettes. Ces banquettes, mixant laisse de mer et sable, sont de véritables remparts contre l’assaut des vagues en hiver. Elles protègent les plages de l’érosion et retiennent le sable, enrichissant ainsi la plage et permettant à des plantes pionnières de s’installer. La laisse de mer est aussi un garde-manger et un refuge pour une multitude d’animaux détritivores, formant la base d’une chaîne alimentaire. Des arthropodes, des crustacés, des oiseaux et des mammifères vont venir se N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 31 nourrir ici. La laisse de mer s’accompagne régulièrement de déchets d’origine anthropique - plastique, polystyrène, verre - apportés essentiellement par les cours d’eau, mais aussi par la mer ou abandonnés sur place. Par souci d’offrir une plage « propre », on est tenté de nettoyer mécaniquement la plage. C’est une perte de biodiversité et cela facilite l’érosion. Il faut privilégier un nettoyage manuel des plages, ce que réalisent déjà de nombreuses collectivités du Var. Le potentiel écologique de la laisse de mer est ainsi préservé.

Légendes des illustrations

1- La protea cynaroides, ou King protea, emblème de l’Afrique du Sud © Domaine du Rayol

2- Les mimosas australiens illuminent le jardin en hiver © Domaine du Rayol

3- Jardin de Californie, évocation du désert de Mohave, très fleuri au printemps © Domaine du Rayol

4- La floraison spectaculaire des puyas sur la parcelle du Chili d’altitude © Domaine du Rayol, Nicolas Mouny

5- Le jardin des Canaries au printemps et ses dragoniers caractéristiques © Domaine du Rayol

6- Vue sur la Pointe du Figuier et le jardin méditerranéen © Domaine du Rayol

7- Le maquis © Domaine du Rayol

8- Vue sur le jardin d’Asie subtropicale, qui reste frais en été © Domaine du Rayol, Chloé Arregoces

9- Jardin d’Amérique subtropicale, naissance d’une nolinaie © Domaine du Rayol

10- Jardin de Nouvelle-Zélande, fougères arborescentes © Domaine du Rayol

11- La rocaille du jardin d’Amérique aride © Domaine du Rayol

12- La baie du Figuier, jardin marin © Domaine du Rayol, Chloé Arregoces

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 32 Conservation d’un patrimoine botanique Noémie Riou, botaniste, volontaire en service civique au Domaine du Rayol

Origines du projet

Le projet de collection se donnait pour ambition de rassembler, dans la mesure du possible, le maximum d'espèces que ce genre pouvait offrir dans un seul et même endroit afin de créer :

• un lieu de référence qui les mettrait à disposition des spécialistes tant pépiniéristes que botanistes, • un lieu de conservation sur lequel on pourrait établir de nouveaux savoirs sur les cistes, • un lieu qui contribuerait à leur diffusion par les professionnels. Cette collection visait l'obtention du label CCVS (Conservatoire des Collections de Végétaux Spécialisés).

Les premières occurrences autour des cistes : le couloir et le sentier des cistes.

Cette collection était depuis plusieurs années en germe de par la riche expérience des jardiniers du Domaine du Rayol dans la culture des cistes ainsi que dans deux projets qui ont précédé et initié la collection.

Dès la création du jardin du Domaine du Rayol, Gilles Clément proposa d'aménager dans la continuité de la grande perspective du jardin une zone consacrée aux cistes, mais à seule fin paysagère, le couloir des cistes, pièce maîtresse du

Le couloir des cistes © Domaine du Rayol jardin lors de leur floraison au printemps. Puis à la fin des années 2000, un premier projet de collection avait été réalisé avec le concours du Conservatoire botanique national méditerranéen de Porquerolles et le Lycée Professionnel Agricole de Hyères. Il différait du projet actuel par le fait qu'il ne concernait que les hybrides naturels et horticoles et demeurait avant tout un projet axé sur la pédagogie du phénomène d'hybridation intraspécifique parfaitement illustré par les cistes.

La Création de la collection

La création d’une collection de Cistes met en avant la préservation de végétaux qui sont des plantes emblématiques de la région méditerranéenne. Cette collection se trouve en adéquation avec l’esprit du jardin. C’est en 2014 que le Domaine du Rayol reçoit le Label « CCVS ».

Actuellement, une vingtaine d’espèces différentes sont conservées, auxquelles s’ajoute une dizaine de sous- espèces. On arrive maintenant à trente-trois placeaux. La collection doit beaucoup à la collaboration avec le N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 33 botaniste Jean-Pierre DEMOLY. Spécialiste, entre autres, de la flore méditerranéenne, il a conseillé régulièrement le Domaine du Rayol pour la mise en place, le choix et la dénomination des taxons. Le but serait de pouvoir conserver au sein de la collection la trentaine d’espèces qui existent. Un défi difficile à relever ! Bien qu’une grande majorité de ce genre ait réussi à s’acclimater, certaines espèces ont des difficultés.

La collection présente quelques espèces des Canaries, rarissimes en France métropolitaine. Ces végétaux sont présentés dans un milieu naturel, le maquis. Un chemin bordé de pierres y a été fait pour le passage du public. Les délimitations entre les différentes espèces présentées sont faites grâce aux arbres et arbustes déjà présents. Grâce à ces plantes, les Cistes sont abrités du vent, et plus particulièrement du mistral. Tout cela est entretenu avec des tailles, du désherbage ainsi qu’un peu d’arrosage. Les jardiniers ont quand même du fil à retordre, car certains passages de sangliers ont déterré des mottes de jeunes plants et il faut rester vigilant. Le grillage autour du jardin est constamment renforcé.

Chemin bordé de Cistus creticus var eriocephalus © Domaine du Rayol

L’Entretien

Un désherbage sélectif est effectué autour de chaque plant afin de les distinguer, surtout au printemps, parmi les nombreux végétaux créant un tapis vert. Si dans les différentes parcelles, une plante indigène a un intérêt pour le jardinier, selon les critères de rareté ou d’esthétisme, elle est laissée en place. On peut prendre pour exemple les orchidées sauvages comme la Serapias cordigera, la Serapias neglecta (qui est une espèce protégée) ou encore la Neotinea maculata. Les jardiniers ne touchent pas non plus aux Lupinus micranthus pour leurs floraisons bleutées. L’idée est de garder le site aussi naturel que possible tout en préservant et montrant les Cistus de manière scientifique.

Pour l’arrosage, on rencontre deux problématiques : la sècheresse ainsi que la texture hydrophobe du sol. Les Cistes n’apprécient pas les sols riches et humifères, le sol où est implantée la collection est pauvre en matière organique, et est composé de mica ainsi que de schiste. Pour pallier l’aspect hydrophobe du sol, des cuvettes sont créées autour de chaque plantation afin de retenir l’eau durant les arrosages. Les végétaux ne sont arrosés que durant les trois premières années suivant la plantation. Après ce délai, on considère que la plante a réussi son implantation sur la collection et les arrosages sont stoppés pour laisser les plantes se débrouiller. Cette même règle est appliquée pour le reste du jardin sur l’ensemble des végétaux. La fréquence des arrosages est simple : durant l’hiver aucun arrosage n’est effectué et il ne débute que lorsque les fortes chaleurs commencent

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 34 à faire leur apparition. Ces végétaux n’ont pas besoin de beaucoup d’eau. Durant l’été, une fréquence de 1 arrosage par semaine est correct pour les jeunes plants.

La collection a vécu une période difficile en 2017. Cette année-là a été la plus sèche depuis 1985, avec environ 390 mm de précipitation. La moyenne annuelle est d’environ 780 mm.

Bourgeons floraux du Cistus albidus © Domaine du Rayol

Les Cistes de la collection et leurs différences

Nombreux sont les cistes issus du monde méditerranéen. Ce genre s’étend sur une quinzaine de pays bordant la mer Méditerranée, allant des îles Canaries à la Turquie et de l’Italie à l’Algérie. On remarque une plus grande diversité des espèces dans 4 zones du monde, comme le sud de la France, l’Espagne et le Portugal, le Maroc et l’Algérie et les îles Canaries. Ce sont des végétaux qui se sont, au fil des temps, naturalisés dans le sud de notre pays.

On doit leur classification aux Espagnols. Les derniers articles sur la phylogénie des Cistus sont dus aux chercheurs du Real Jardin Botanico de Madrid, travaillant au sein du Spanish National Research Council.

La spéciation a eu lieu au cours des 2 à 3 derniers millions d’années. Grâce aux plantes présentes au Domaine du Rayol, on remarque des différences morphologiques entre certains Cistes, que ce soit leur port, leur feuillage, leurs fleurs ou leurs bourgeons. Tout cela est dû à l’éloignement géographique et l’isolement. Par exemple, les Cistes endémiques des îles Canaries, comme le C. chinamadensis, C. ochreatus, C. osbeckiifolius ou C. symphytifolus possèdent en général un pistil plus long et fin que les autres. Leur environnement et des pollinisateurs différents les auront modifiés…

Un autre Ciste est très répandu, présent sur presque l’ensemble des pays entourant la mer Méditerranée : le C. creticus, buissonnant, aux fleurs de taille moyenne souvent roses, aux pétales à l’aspect chiffonné fragiles, aux feuilles vertes de taille moyenne, par endroits agrémentées de poils. Il représenterait le stéréotype que l’on se fait du Ciste. Dans cette catégorie, on peut parler du C. albidus, très connu du public, surtout pour son feuillage duveteux et blanchâtre qui lui donne le nom commun de Ciste cotonneux.

Ce genre de plante a des floraisons très diversifiées pouvant être des fleurs roses (clair ou foncé), blanches, jaunes, ainsi qu’avec ou sans macule. Elles peuvent avoir un aspect de pétale différent, pouvant être chiffonné ou lisse. La collection du Domaine du Rayol possède un peu tous les coloris de floraison. On peut prendre N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 35 comme exemple Cistus atriplicifolius (synonyme de Halimium atriplicifolium) ayant une floraison jaune vif accompagné d’un beau feuillage argenté, tout comme les Cistus halimifolius (synonyme de Halimium halimifolium) aux fleurs jaunes maculées de marron ou les Cistus ocymoides avec un marron plus marqué. Le Domaine du Rayol héberge aussi le roi des Cistes, le Cistus ladanifer, un des plus connus du public de par ses jolies fleurs blanches maculées de pourpre, même si le plus intéressant reste son feuillage. Cette fameuse plante possède des feuilles lancéolées, aussi odorantes que collantes. Ce végétal est utilisé en parfumerie grâce à la « gomme » qu’il produit, le ladanum.

Ciste ladanifer © Domaine du Rayol / Pauline Arneodo

La forme du feuillage est aussi très variable d’une espèce à l’autre, et certains peuvent même imiter celui d’autres plantes. Certains vont avoir leurs feuilles grises, typiques des végétaux adaptés aux bords de mer, comme le Cistus atriplicifolius (synonyme atriplicifolium), qui, comme son nom l’indique, imite le feuillage de l’Atriplex. Dans les feuilles de couleur verte, il existe le Cistus populifolius, imitant les feuilles de peuplier. Le Ciste qui induit un grand nombre de personnes en erreur est le Cistus salviifolius, cette plante reproduisant à la perfection les feuilles de sauge. Ce dernier n’a néanmoins aucune odeur ou utilisation culinaire.

Fleur C. salviifolius © DR

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 36 Les Cistes et le feu

D’un point de vue biologique, les Cistes sont très intéressants. Ce sont des végétaux pyrophytes. Ils ont besoin d’un milieu sec pour vivre et ont développé au cours du temps une adaptation au feu. Leurs semences ne germent que sous l’effet d’un choc thermique qui reproduirait les incendies.

Lorsqu’il s’agit de faire les semis, les jardiniers du Domaine du Rayol lèvent la dormance des graines grâce à un passage de ces dernières dans une poêle de cuisine très chaude.

Ce sont aussi des plantes pionnières. Après la chute des graines, elles coloniseront un milieu suite au passage d’un feu. Certaines ne germeront pas immédiatement et créent une banque de graines dans le sol. Ces semences peuvent être viables durant environ une dizaine d’années.

Les Plantes en rapport avec les Cistes

La Collection possède le Cytinus hypocistis. Ce végétal dépourvu de chlorophylle et vivant grâce aux racines des Cistus, fait des inflorescences rouges / orangées à l’aspect atypique.

Nous avons aussi d’autres Cistaceae, indigènes. Cette petite famille ne compte que quatre espèces différentes. Les Cistus, les Fumana, les Helianthemum et les Tuberaria. La Collection héberge des Fumana juniperina et des Tuberaria guttata sauvages.

Des visites thématiques sur les Cistes sont organisées durant les mois d’avril et de mai, au rythme d’une par semaine. La Collection n’est pas la seule zone du jardin détenant ces végétaux. Situé au cœur du parcours de visite, « Le Couloir des Cistes », propose lors de la floraison printanière un exceptionnel couloir de couleurs.

La collection de Cistes est la seule officiellement agréée CCVS au Domaine du Rayol. Mais en visitant le jardin, on profite d’une grande diversité variétale sur certains genres emblématiques. En Australie : les acacias (une cinquantaine d’espèces) et les Eucalyptus (une quinzaine d’espèces). En Afrique du Sud : les Proteaceae (une douzaine d’espèces) et les Aloes (une dizaine d’espèces). Au Chili : les Puyas (une dizaine d’espèces). En Californie : les Eriogonum. Aux Canaries : les Aeoniums (une douzaine d’espèces) et les Echiums. Au Mexique : les Agaves (une dizaine d’espèces), les Yuccas (environ huit espèces) et les Opuntias (une vingtaine d’espèces). Et, dispersés dans plusieurs paysages : une vingtaine d’espèces de Palmiers.

Sécheresse au Jardin des Méditerranées Olivier Arnaud, directeur du Domaine du Rayol

La sécheresse est l’une des caractéristiques principales du climat méditerranéen. C’est une contrainte que rencontrent dans leur pays d’origine tous les paysages méditerranéens et arides présentés au Domaine du Rayol.

On ne parle souvent que de la sécheresse estivale alors qu’elle peut se prolonger sur plusieurs mois voire plusieurs années, n’étant entrecoupée que de rares et violents épisodes orageux. Car les pluies fortes et plus ou moins rares sont aussi une caractéristique du climat méditerranéen. Pour comparer, il pleut en moyenne autant à Paris qu’à Toulon, mais quand on compte 111 jours de pluie par an à Paris, on en dénombre 57 à Toulon.

On notera enfin que les fortes températures des régions méditerranées ainsi que les vents fréquents renforcent les effets de la sécheresse sur la végétation en augmentant la perte en eau des plantes par la transpiration, ce que l’on appelle encore l’évapotranspiration.

Conscients de cette réalité climatique, les concepteurs du Jardin des Méditerranées ont intégré la sécheresse à leur projet comme la principale difficulté à laquelle allaient être confrontés les végétaux. N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 37 L’autre volonté étant de concevoir un jardin respectant les cycles naturels, les modes de gestion sont adaptés à ces phases de sécheresse :

• Les plantes vivaces ne sont arrosées par les jardiniers que les deux premières années de leur vie. L’objectif étant, en limitant les apports d’eau, de favoriser le développement de racines profondes qui vont renforcer la capacité du végétal à aller chercher l’eau plus profondément dans le sol. • Les plantations sont effectuées à l’automne au Jardin des Méditerranées. La meilleure époque sous climat méditerranéen, car le sol est encore chaud, le végétal retrouve ses capacités physiologiques après le stress estival et les pluies sont statistiquement plus fréquentes.

Et cela marche !

Depuis la création du Jardin des Méditerranées en 1989, le jardin a déjà connu deux épisodes de sécheresse marqués, le troisième épisode ayant sans doute débuté en 2015. Et à chaque retour des pluies, qui finissent toujours par arriver, le jardin retrouve toute sa luxuriance.

Bien sûr nous perdons quelques végétaux, mais c’est aussi le cas lors des années de très forte pluviométrie (2014), des années très ventées et bien que très rares sur le littoral varois, des hivers de grand gel.

Tout ceci traduit bien le fonctionnement naturel du Jardin des Méditerranées et sa grande résistance aux contraintes naturelles.

Pluviométrie annuelle depuis l’ouverture du Domaine du Rayol.

Pluviométrie annuelle au Domaine du Rayol

1400 mm

Précipitation annuelle Moyenne (1985 - 2017)728 mm 1200 mm

1000 mm

800 mm

600 mm

400 mm

200 mm

0 mm 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 38 On observe bien les périodes de sécheresse prolongée.

• 1988 à 1992 : l’année 1989 étant la deuxième année la plus sèche enregistrée sur la période. • 2003 à 2007 : l’année 2007 étant la deuxième année la plus sèche

Enfin on notera qu’une nouvelle période de sécheresse semble avoir commencé en 2015, et ceci après 7 années de forte pluviométrie. L’année 2017 est la plus sèche jamais enregistrée à ce jour. Domaine du Rayol et médiation scientifique Aurélia Leroux, responsable pédagogique du Domaine du Rayol

Dès 1989, lorsque la gestion du site a été confiée à l’association du Domaine du Rayol, un des objectifs principaux fixés par le Conservatoire du littoral a été de développer les activités de sensibilisation, d’information et de formation. Celles-ci se sont appuyées sur les trois concepts majeurs du paysagiste :

• Le jardin planétaire • Le jardin en mouvement • Le tiers paysage

Le jardin planétaire est né du constat de la finitude de la terre en tant qu’écocomplexe enrichi par le brassage planétaire des espèces végétales comme animales. L’homme par son niveau de connaissance de cette finitude et sa couverture anthropique du territoire ne peut plus nier sa responsabilité sur ce qu’il en fait. Bons ou mauvais, nous sommes définitivement les jardiniers de cet espace.

Le jardin en mouvement s’organise pour que les énergies présentes - croissances, luttes, déplacements, échanges - ne rencontrent pas les obstacles ordinairement dressés pour contraindre la nature à la géométrie, à la propreté ou à tout autre principe culturel privilégiant l’aspect. Elles rencontrent le jardinier qui tente de les infléchir pour les tourner à son meilleur usage sans en altérer la richesse. « Faire le plus possible avec, le moins possible contre » résume la position du jardinier du Jardin en Mouvement.

Le tiers paysage, comparé à l’ensemble des territoires soumis à la maîtrise et à l’exploitation de l’homme, constitue l’espace privilégié d’accueil de la diversité biologique. La prise en considération du Tiers-Paysage en tant que nécessité biologique conditionnant l’avenir des êtres vivants modifie la lecture du territoire et valorise des lieux habituellement considérés comme négligeables. Le tiers paysage apparaît comme le réservoir génétique de la planète, l’espace du futur…

Au fil des années, l’association du Domaine du Rayol s’est organisée pour la mise en pratique de ces bases théoriques au sein du Jardin des Méditerranées afin de sensibiliser le plus grand nombre au rôle de « jardinier planétaire » qui nous incombe et diffuser des éléments de compréhension de l’environnement.

La sensibilisation commence dès le plus jeune âge © Domaine du Rayol

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 39 Principales particularités du Domaine du Rayol en matière de médiation environnementale

La mise en empathie

Le Jardin des Méditerranées est un exceptionnel balcon sur le littoral méditerranéen. S’il magnifie ce que l’on pense connaître des paysages méditerranéens, le site surprend aussi par la diversité d’espèces, de formes et d’habitats que peuvent engendrer les écosystèmes méditerranéens, qualité méconnue du plus grand nombre. Sur les 75 000 visiteurs annuels que connaît annuellement le site, l’immense majorité en ressort conquise et riche d’une expérience sensorielle forte avec la biodiversité méditerranéenne.

L’explication par l’exemple

Les espaces terrestres et maritimes du Domaine du Rayol, et leur mode de gestion écologique, le plus en phase possible avec les cycles naturels et les rythmes environnementaux, sont le principal outil pédagogique du Domaine du Rayol, comme une grande salle de travaux pratiques à ciel ouvert et horizon dégagé.

En outre, situé entre deux extrêmes sociétaux, l’îlot du Bagaud, réserve intégrale au cœur du Parc national de Port-Cros, un des statuts les plus aboutis en termes de protection de la nature et la plage de Pampelonne à quelques encablures du Domaine, un des hauts lieux de l’économie touristique du littoral méditerranéen, le Domaine du Rayol explore une troisième voie et montre par l’exemple qu’activités humaines et préservation de l’environnement méditerranéen sont compatibles.

L’exportation des compétences

Le Jardin des Méditerranées est un des laboratoires du paysage et de l’environnement méditerranéen. Après vingt-neuf ans d’existence, le Domaine du Rayol est riche d’expérimentations porteuses d’enseignement et de compétences. A l’interface entre les acteurs du paysage et de l’écologie, entre les sciences de l’environnement et la pratique quotidienne du développement durable dans ses composantes sociale, économique, environnementale et culturelle, le Domaine du Rayol est aussi un outil à disposition du territoire.

Les visites guidées quotidiennes, marque de fabrique du Domaine du Rayol

Visite guidée au Domaine du Rayol © Domaine du Rayol

N°43 – juillet 2018 – Lettre d’information Patrimoines en Paca – DRAC / MET 40 Les visites quotidiennes guidées sont une des marques de fabrique du Domaine du Rayol. En 1989, le jardin réinventé par Gilles Clément était on ne peut plus en rupture avec les représentations dominantes du jardin, que ce soit celle du jardin à la française et de ses parterres clairement délimités ou celle du jardin botanique qui collectionne et étiquette les végétaux. Les premières années, le jardin ne se découvrait qu’au cours de visites guidées qui permettaient de donner aux visiteurs des clefs de compréhension de la nouvelle relation proposée par le paysagiste, entre l’homme et la nature. Avec l’ouverture du jardin en visite libre, cette volonté de fournir des clefs de compréhension a bien sûr perduré. Aujourd’hui, les visites guidées sont proposées tous les jours de l’année sans supplément au prix d’entrée.

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