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GEORGES CONDE LA VILLE DES CAfES

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LA J'ILLE DES CAYES

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POLITIQUEI

0 8 AVR. 2002 26857 J ISBN 99935-2..()30-6

D6p0t Wpl (num6ro) 01·11·381 Bibllo~ Natiouale d'Halti Cuutwtare Ill-.. • ...,.: Rodolphe Fraancbl

Acheri d'imprimer en janvier 2002 lUI' lea preues de l'lmprimeur D, Port-au-Prince, A LA MEMO IRE DE M• AUGUSTE BANA TTE UNEGRANDERGURECAYENNE & DE TOUS CA YENS, TO UTES TEN DANCES CONFONDUES, QUI PORTAIENT EN EUX, EN 1956-57, UN REVE DE GRANDEUR POUR LA VILLE DES CAYES REMER ClEMENTS Je voudrais remercier taus ceux et toutes celles qui ant con­ tribue, a un titre au un autre a Ia parution de ce livre. Mes remer­ dements vont specialement : Au Cher Frere Ernest Evens, Directeur de Ia Bibliotheque des Freres de !'Instruction Chretienne dont Ia disponibilite -meme pour des traductions- n'est jamais prise a defaut. A l'Historien Georges Corvington qui m'a souffle l'idee de me pencher sur Ia periode electorale 1956-57 et qui a accepte a parcourir le manuscrit et a me signaler les points faibles et er­ reurs. A l'Historien Jean L. Liautaud qui a eu l'amabilite de par­ courir le texte et a apporte des corrections importantes quant a l'orthographe et Ia clarte des textes. A Claude et Elizabeth Moyse, a Marie Carmelle Rouzier de Ia Bibliotheque des Peres du St Esprit dont le concours a ete ines­ timable, au cours des recherches sur les evenements de 1929. A M• Lamartiniere Honorat dont Ia formation d'Ethnologue, Ia presence active sur Ia scene politique durant une longue pe­ riode, ant contribue a devoiler des visages d'acteurs eta une autre lecture des faits, mais surtout a conferer un caractere objectif et une touche exceptionnelle a ce travail de recherche. A Madame Renee Leon Cantave qui m'a aimablement re!tu et accepte de repondre aux questions, parfois indiscretes eta li­ vrer ses impressions, sans rancoeur aucune, sur une periode tu­ multueuse. La Ville des Cayes: Politique I A Madame Solange Lesage Chery pour son acccueil, son amabilite toute cayenne, ses informations et sa version objective des faits. A Mesdames Clausel Sicard, Bertrand Bourgeois et a M. Otto Daguilh pour leur apport documentaire a ce travail. A M• Auguste Banatte qui s'etait penche sur les textes et a foumi a l'auteur des informations et des analyses de premi~re main sur la situation politique dans la ville des Cayes, al'epoque. A M• Alphonse Piard pour sa grande contribution a la pre­ paration de ce livre. Au Joumaliste Fritz Valesco dont la curiosite et le talent ont sauve de l'oubli documents et photos de la periode 1956-57 de re­ ference et pour me les avoir confies. Au Reverend Jacques Percy, Maryse et Moryl Gattereau pour leur apport a la parution de ce livre. A Jacques Thebaud pour son precieux concours dans la re­ cherche d'informations pertinentes et la reconstitution de cer­ tains arbres genealogiques. A un AMI, analyste politique hors-pair qui veut garder l'anonymat, mais dont le concours a ete des plus precieux dans l'approche des faits et leur authentification. A MM. Georges Jaegues, Serge Beaulieu, Raymond Clavier Georges Celcis, Ana!se Chavenet, Violette Baron, Michele Di­ manche qui ont offert de precieux documents. Aux Docteurs Rene Charles, Anthony Camille, MM Robert Abdo, Adrien Douyon, Jean Claude Chrisphonte pour leurs te­ moignages de faits vecus durant cette periode. A Philippe et Herve Jocelyn pour les documents fournis dans !'illustration du texte. A L'Ingenieur Ross Bijou, Rene Gattereau et Raoul Michel Conde pour leur apport a la partie informatique. A M. Raoul Guillaume pour son precieux temoignage.

8 PARTIE 1: L'AFFAIRE ANDRE THELEMAQUE, L'EXECUTION DU SENATEUR EDOUARD HALL (1848)

I e general Etienne Andre Thelemaque, commandant de la place des Cayes, plus tard, appele au haut cornrnandement ~ du departement du Sud, par les piquets, en lieu et place du general Dugue Zamor, vecut une fin tragique, en depit de sa fide­ lite au regime du president Soulouque. Une haute personnalite de Ia ville des Cayes, le senateur Edouard Hall Vtkut, a la meme epoque, une fin non mains tragique, suite aux denonciations lo­ cales eta un conflit larve avec le president Soulouque. L'annee 1848 egrenait ses premiers mois. Depuis environ une annee, le president dirigeait le pays d'une main de fer. Une chance insolente lui sourit, le 1•• mars 1847, en la per­ sonne de Beaubrun Ardouin, conseille par son frere Celigny Ardouin, politician retors que le pays continua d'enfanter, en ve­ ritable boite de Pandore, depuis l'Independance. Certainement, Celigny Ardouin n'eut de cesse d'observer le pre carre presiden­ tial et crut trouver, en Faustin Soulouque, le pretendant-type, ala poursuite de cette politique de doublure: un nair inapte au pou­ voir, une bourgeoisie qui dirige. Beaubrun Ardouin proposa, a ses pairs de Ia Chambre, Ia candidature de Faustin Soulouque, un inconnu du milieu parle­ mentaire, un etre, juge docile, teme et susceptible, selon lui, d'attenuer le diffferend noir-mulatre. Les differents tours de scm­ tin favoriserent le general Alphonse Souffrant, commandant du departement de l'Ouest, sans pour autant, lui accorder le nombre de bulletins requis pour se demarquer, largement, de son concur­ rent le general Jean Paul, senateur, ancien maire de Ia capitale. Faustin Soulouque, candidat non declare, re~ut l'onction du grand corps : il fut elu president d'Ha'iti. Quel fut l'itineraire de ce meconnu? Faustin Soulouque, originaire de Vialet, localite voisine de la ville de Petit-Goave, fut I'ancien intendant du general Lamarre. De 1804 a 1810, annee de Ia mort de son chef, au siege du MoleSt Nicolas contre , il put se vanter d'un parcours sans eclat, n'ayant jamais eu a se faire pardonner, par Ia hie-

11 La Ville des Cayes: Politique I rarchie civile ou militaire, la moindre incartade. Un general d'operette. Sa carrriere connut une fortune nouvelle, a cause de sa loyaute a un homme. 11 eut le rare privilege d'apporter le coeur de son chef au president Petion. Coup de foudre: Petion se l'attacha. Promu lieutenant, il fut affecte ala cavalerie d'escorte. Sa fortune se conforta sous Boyer qui l'eleva au grade de capitaine et en fit l'officier d'ordonnance de ]oute La Chenais "successivement pre­ sidente des 2 presidents". Durant plus d'une vingtaine d'annees, Soulouque, de son paste au palais national, eut toute l'opportunite d'observer son environnement immediat et se fit une opinion assez claire des politiciens de son pays. En 1843, sous le president Riviere He­ rard, il fut nomme chef d'escadron, puis successivement, colonel sous Guerrier, general et commandant superieur de la garde pre­ sidentielle sous Riche. Au vu de cette ascension en varappe, au fil des annees, entre les murs du palais national, tout laissa croire que ce militaire sut pratiquer, mieux que quiconque, l'art de la duplicite, de la flatterie, pour garder, malgre les intrigues, une position aussi enviable. Parvenu a ce grade fort eleve dans la hierarchie militaire et assigne ace paste de confiance, Soulouque, dans ses nombreuses et troublantes cogitations, dut, certainement, se dire, au vu de la valse des generaux qui se relayerent au pouvoir, qu'un jour, l'heure sonnerait, pour lui aussi. Ce jour-la, ses etoiles brille­ raient de mille feux, se promit-il. Ce jour vint, comme par magie, en la personne de Celigny Ardouin. A son accession au pouvoir, le president Faustin Sou­ louque frisa la quarantaine, a en juger par le ton clair de ses yeux, le jais nair et luisant de sa peau, le jais sombre de ses cheveux. Le bonhomme Coachi porta beau, pare d'une calvitie precoce et sy­ metrique, degarnissant le haut de son front, un nez assez droit, des levres mediocrement lippues, des pommettes dont la saillie n'eut rien d'exagere. Ce soldat,d'une timidite excessive, supersti­ tieux, fut coule dans le moule du dictateur: complexe, mefiant, agressif, cruel. Deja, le jour de son intronisation, il devoila son

12 La Ville des Cayes: Politique I vrai visage, en ecartant le fauteuil presidential qui fut, a son avis, ensorcele. Sa mefiance s'exerc;a, particulierement, a l'endroit des mu­ lAtres, une engeance a detruire a tout prix. Le general Fabre Nico­ las Geffrard en fut l'unique exception. En peu de mois d'exercice du pouvoir, Soulouque sortit ses griffes. 11 s'appr~ta a vivre sur un capital de terreur. Sa police politique -un ramassis de chana­ pans de tous pails- ratissa les quartiers de la capitale pour appre­ hender mulAtres et noirs sympathisants de mulAtres. Lors de ses tournees en ville, les citoyens se terrerent derriere persiennes et paravents, de peur de tomber sous les yeux du tyran ou des mem­ bres de sa garde personnelle, friands de sang et de poudre. Au moindre incident politique, les coups de feu claquerent, la populace gagnant les rues, pillant les rares magasins d'approvi­ sionnement. Le palais national devint, curieusement, le point de ralliement. Souvent, il fallut !'intervention courageuse de l'am­ bassadeur de France pour vaincre la fureur du tyran et stopper les derives. En ces occurrences, dans les principales villes de pro­ vince, un scenario quasi-similaire se deploya, monte par des dra­ maturges de m~me acabit. Venons a l'affaire Thelemaque eta !'execution du senateur Hall. En avril1848, le Sud vecut des journees fort sombres. Les piquets, soldats d'Acaau, ayant a leur tete, le general Jean Claude Pierre, effectuerent une descente sur la plaine des Cayes, exi­ geant la demission du general Dugue Zamor, ancien lieutenant d'Acaau, desormais l'ennemi pour leur avoir tenu tete, rejetant tout acte de barbarie. Dugue Zamor, dura cuire de reputation, brave, mobilisa ses hommes pour faire face a cette descente de pi­ quets. Au moment de l'affrontement des troupes ennemies, des cris de "Vive Soulouque" fusant, de part et d'autre, tetaniserent le general qui accepta de parlementer avec ses adversaires. II decida de se rendre a Ia capitale pour se disculper des accusations gra­ tuites. La, il fut mis aux arrets. Le general Etienne Andre Thele­ maque, du clan des piquets, commandant de Ia place, fut investi par les troupes, du haut commandant du departement du Sud. Cette promotion- hors des voies regulieres- lui couta la vie, carle president Soulouque, informe du fait et visiblement mecontent

13 La Ville des Cayes: Politique I de cette nomination, sortit de ses gonds. D'ALLAUX trouva, a l'epoque, le fait inoui:: un general intronise par ses troupes. Au moment de sa decision d'affronter ses freres d'hier, le general Dugue Zamor, a son insu, retarda !'execution d'un com­ plot qui couvait aux Cayes. Ce complot, en faveur du general Philippeaux, commandant de }'arrondissement de Nippes, fut differe, par suite du quasi-affrontement entre les deux groupes. Parallelement, un second mouvement sembla se dessiner, fa­ mente dans la ville d'Aquin, par le general St Surin Pyram aine et le colonel Louis Jacques. Le 9 avril 1848, trois communes d'Aquin se souleverent, pour exiger des autorites de la capitale, la liberation du general Dugue Zamor. La rumeur courut, a la capitale, d'une expedition revencharde des troupes du Sud sur la capitale. Le 15 avril1848, le president Soulouque, inquiet, fit sonner le tocsin d'alarme. Immediatement, la populace se porta vers le palais ainsi que des mulatres, ces derniers, pour se mettre a l'abri. Quelques uns, traques- cas courants- se refugierent sur les quais, faisant face a des adversaires, en plus grand nombre et de­ chaines. lis laisserent, sur le terrain, beaucoup de blesses. Le 21 avril 1848, des coups de feu claquerent, cette fois, dans la cour du palais et les soldats prirent pour cibles taus ceux-la qui s'etaient masses sur le peristyle. On releva de nom­ breux morts et blesses de renom. Mais, les rumeurs de la prise d'armes dans le Sud s'amplifiant, le president Soulouque, angois­ se, decida d'aller retablir l'ordre. II quitta la capitale le 24 avril 1848. Ala premiere etape; a MiragoAne, en route pour le Sud,le general Debrosse,converti a la vie civile, commer~ant, devint sa premiere victime. II fut invite a accompagner le president Sou­ louque aux Cayes. Le cortege officiel, parvenu a une centaine de metres de la ville de MiragoAne, d'ordre du chef de l'Etat, s'immobilisa. Le general Debrosse, a sa grande surprise, fut tra­ duit devant une instance militaire, accuse de participation a un complot, juge, condamne a mort et execute. La situation politique etait plutOt tendue, particulierement, dans les villas d'Aquin et des Cayes, livrees ala vindicte des par­ tisans farouches de Soulouque. Dans la ville d' Aquin, un certain

14 La Ville des Cayes: Politique I Jean Denis, homme atout faire, "ancien repris de justice qui excel­ Jail dans les basses oeuvres", fit trembler la population. Appre­ nant l'arrivee de Soulouque, voulant renouveler son serment d'allegeance au regime, il fit arreter et executer a Cavaillon et aux Cayes pas mains de 189 noirs qui furent, de suite, egorges. Un autre assassin notoire tailla son fief dans la ville des Cayes. II repondit au nom de Pierre Nair. II ne valut pas mieux que son acolyte Jean Denis et terrorisa les habitants de la localite: intimidations, vols, viols, arrestations arbitraires. Pierre Nair, homme a Ia vue courte, assoiffe de sang, anticipa l'arrivee de Soulouque. II ouvrit les partes des prisons, Iibera les voyous et comme Ia nature a horreur du vide, estima-t-il, il enferma, a leur place, les principaux mulatres de Ia ville. Trois hommes furent ses principales cibles. Le colonel Daublas (le general Lelievre pretendit D'ALLAUX), octogenaire, grabataire parce que paralyse, fut arre­ te, juge par une instance militaire et condamne a mort. Le vieil­ lard, malgre son etat physique et son grand age, fut quille, attache a un poteau d'execution et passe par les armes. Que lui repro­ cha-t-on? Nul ne le sut ace jour; son grade eleve de colonel de l'armee excita la jalousie de Pierre Nair, mecontent de n'avoir pas suffisamment d'etoiles a briller sur ses epaules. Le colonel St Surin Pyram aine, lui aussi, arrete dans le cadre d'un complot contre la surete de l'Etat, fut passe par les ar­ mes, ainsi que des co-accuses, sans autre forme de proces. Le senateur Edouard Hall, un griffe de grande taille, fort res­ pecte par les habitants de la ville pour son honnetete, fut arrete, incarcere d'ordre de Pierre Noir et, flanque d'un ange gardien, contraint de balayer,quotidiennement, les rues de la ville des Cayes. En depit de son immunite parlementaire, de sa qualite de citoyen paisible et de ses activites transparentes dans la vie civile (ancien encanteur public), il fut traduit devant une instance mili­ taire, accuse de sympathiser avec un groupe qui tenta de renver­ ser le president Soulouque. Aucun temoin a charge ne fut convo­ que a labarre. 11 fut condamne a mort. En realite, informe des in­ tentions du president Soulouque de se faire sacrer Empereur, en s'appuyant sur le grand corps, le senateur Hall ne cacha pas qu'il trouva l'idee saugrenue. 11 signa sa condamnation a mort. Le pre-

15 La Ville des Cayes: Politique I sident Soulouque, informe de MiragoAne ou il se trouva, de l'arrat de la Cour, demanda de surseoir a !'execution en attendant son arrivee. Le senateur Hall fut execute le t•• juin 1848, au lende­ main de l'arrivee de Soulouque en cette ville, malgre la promesse de ce dernier, la veille, a son epouse eta ses enfants,d'epargner la vie du senateur. En recevant la missive du president Soulouque, ordonnant de surseoir a !'execution du senateur Hall, un respon­ sable local, pour se derober a cet ordre, avala le billet ecrit avec une encre indelebile et hautement toxique. 11 suivit, dans la tombe, le senateur Hall, quelques heures plus tard, apres d'atroces douleurs et reclamant le pardon de l'epouse du sena­ teur. La petite histoire rapporte que l'epouse du senateur Hall, nee Pauline Lacrose, reunit ses enfants et les supplia de ne plus se maler de la politique. Des annees plus tard-l'annee n'etant pas precisee- sous le gouvemement du president Salomon et a l'occasion d'une de ses visites officielles dans la ville des Cayes, Mme Hall dont la residence se trouva sur le parcours du cortege presidential, en souvenir de !'execution de son mari et pour mar­ quer sa protestation contre cette visite, decora son balcon d'une large bande de tissu noir (crape). Parvenu ala hauteur de cette re­ sidence, le president Salomon, a la vue de ce tissu, couleur de deuil et une insulte a sa personne, interloque, s'arreta pour s'informer du nom du proprietaire et de ses motivations. Le com­ mandant de !'arrondissement, le general Jean Claude lui revela que la maison appartenait a l'epouse du senateur Hall, fusille sous Soulouque. A l'epoque, Lysius Felicite Salomon occupa le paste de ministre des Finances de l'Empire. Le president applau­ dit du regard le geste de cette femme, inclina la tete et le cortege poursuivit son parcours. Le tourbillon des executions,emporta, a son tour, le general Thelemaque. Ce demier, du clan des piquets, fut temoin oculaire et contestataire de leurs atrocites. 11 etait bien vu de la population et de sympathisants des piquets. Lors de la descente sur la plaine des Cayes, en avril1848,du general Jean Claude et de ses pillards, le general Thelemaque, en lieu et place du general Dugue Zamor, voulut relever le defi. 11 fut deconseille par des amis aussi bien noirs que mulAtres. De peur d'etre accuse, comme ce fut le cas pour le general Dugue Zamor, d'actions subversives contre le

16 La Ville des Cayes: Politique I gouvernement, il s'embarqua sur le premier bateau faisant voile vers Ia capitale, pour s'expliquer au pres du president Soulouque. Au cours d'une escale a Jacmel, il apprit Ia presence du president aux Cayes. Sans hesiter, il sauta sur un autre bateau a destination de Ia ville qu'il avait quittee Ia veille. A son arrivee, il fut arrete, au port, par le general Jean Claude qui derogea a son plan de ren­ contrer le president Soulouque. II fut, cette fois, donne pour com­ plice du general St Surin Pyram aine et du colonel Louis Jacques, les insurges d'Aquin. LaCour militaire, presidee par le general Lusimon Salomon aine, malgre affluence de temoins a charge in­ feodes au general Jean Claude, l'acquitta. A peine rentre aux Cayes, le president Soulouque cassa le jugement. II reprocha au general Thelemaque d'occuper le com­ mandement du departement du Sud, en lieu et place de Dugue Zamor, sans se referer a sa haute autorite. Une Cour militaire fut instituee avec les citoyens Moise Lamour et D. Delva. Cette fois-la, il ne s'agissait pas de complicite avec St Surin Pyram aine et le colonel Louis Jacques. On l'accusa d'etre de connivance avec d'autres insurges d'Aquin, repondant aux noms de Jean Baptiste Duperval et Delva, ainsi connu. Condamne a mort le 17 juin 1848, il fut execute deux heures plus tard. Le proces-verbal d'execution etait signe de deux temoins, le lieutenant Ignace Dol Conde, son aide de camp et Emile Durocher THELEMAQUE 1935. II etait Age de 52 ans. Etienne Andre Thelemaque paya de sa vie sa naivete et sa participation dans un mouvement dont les objectifs furent peu clairs. Suite a cette execution, les autorites locales, craignant un soulevement general, procederent a des arrestations des proches du general Thelemaque: Ignace Dol Conde (32 ans),Bruno Blan­ chet (40 ans), Exant Raton(?), Bernabe Petit-Bois (27 ans), Pierre Barjon (60 ans). Defendus par Mea Vital Berthoumieux, Lherisson pere et De­ mosthene Lherisson fils, leurs avocats, ils furent acquittes par la Cour militaire, composee du colonel Cazeau jeune, president , du commandant Gervais Sannou, vice-president, des juges dont le capitaine Alexis Jean, le lieutenant Lonny Martin, le lieutenant Morisseau Moreau, le sergent Plaisimont Charles, les ouvriers de l'arsenal et le caporal Barthes fils LE MONITEUR 1848.

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La Ville des Cayes: Politique I

BIBLIOGRAPHIE

BOUZON,J., 1894: Etudes Historiques Sur la Presidence de Faustin Soulouque (1847-1849)

D'ALLAUX, G., 1988: L'Empereur Soulouque et son Empire Edit. FARDIN Reimpressions 1856 Port au Prince, Halti.

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THEBAUD, M., 1987: Entretiens avec l'Interesse Port au Prince, Halti.

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THELEMAQUE, A., 1935: Lettre A Lyonel TMlemaque in LAGARDE Cayes- Halti.

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La Ville des Cayes: Politique I

President Faustin Soulouque

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PARTIE II: DECRET ETAT MERIDIONAL D'HAITI (1869)

II LA REPUBLIQUE MERIDIONALE D'HAITI

"Liberte - Egalite" Etat Meridional d'Haiti Le Conseil d'Etat, n face des evimements extraordinaires qui bouleversent le I Pays et des actes inoui:s exerces par le General Salnave qu'il s'etait choisi pour chef, Le Conseil d'Etat reuni a pris la Resolution qui suit : Attendu que la notification faite par le Gouvemement, en date du 7 octobre ecoule, No 54, aux Puissances Etrangeres, l'Etat du Sud s'est legalement constitue; que neuf mois de luttes inces­ santes soutenues pour la liberte, lui font le devoir formel de re­ courir a tous les moyens de se maintenir et de sauver la societe d'un peril imminent. Au nom du Peuple dont il est le mandataire. Au nom de l'humanite et du salut supreme.

Decrete:

Art. 1er: L'Etat du Sud declare, solennellement se placer sous le PROTECfORAT du Gouvemement des Etats-Unis d'Amerique, comme son allie naturel. Art. 2. :En attendant que la Puissance ci-dessus denommee transmette a l'Etat Meridional d'Halti son acceptation, ses Con­ suls sont pries de prendre telles mesures que de droit pour arre­ ter les depredations du General Salnave et sauvegarder les inte­ rets de leurs nationaux. Art 3.: L'Etat Meridional d'Halti PROMET ET S"ENGAGE a em­ ployer ses bons offices aupres du Gouvemement du Nord et de

LA REPUBLIQUE MERIDIONALE D'HAITI 25 La Ville des Cayes: Politique I l'Artibonite pour faire rentrer sous Je protectorat Jes autres parties du territoire occupees par la Revolution. Art. 4: Le present Decret sera execute ala diligence du Pou­ voir Executif. Donne a la Maison Nationale du Conseil d'Etat, aux Cayes, le 15 janvier 1869, an 66• de l'Independance. Le Vice-President: Dupont Jeune. Les Secretaires : T. Chalvire et M.Arnoux. Les membres :Manuel, J. Zele, L. Vaval, R.Vital-Herne, Leveille, Lageroy. Le President de l'Etat Meridional d'Halti ordonne que le present Decret soit revetu du sceau de l'Etat et execute ala dili­ gence des Secretaires d'Etat. Par le President: DOMINGUE Le Secretaire d'Etat de la Justice, des Cultes, de }'Instruction Publique et des Relations Exterieures: Linstant-Pradine. Le Secretaire d'Etat des Finances et du Commerce: Septi­ mus Rameau. Le Secretaire d'Etat de l'Interieur et de !'Agriculture: David Fils Aine.

26 lA REPUBUQUE MERIDIONAlE D'HAITI PARTIE III: LAGUERRE SALNAVE-DOMINGUE (1869)

III lA BATAILLE DE L'ISLET (1869)

e Sud du pays vecut a l'ere de l'Etat meridional d'Haiti, a sa tete, le citoyen Michel Domingue en guerre contre le presi­ l!l;;l/ dent Salnave, deja avec ses troupes, aux portes de la ville des Cayes. Polynice Vaval defendit !'habitation Colette et Au­ guste Linstant-Pradine, le bourg de Torbeck. Le 2 fevrier 1869, les troupes de Salnave camperent aux en­ virons des Cayes, sur les hauteurs de Bourdet a moins de 300 me­ tres du carrefour des Quatre-Chemins, sous le commandement personnel de Salnave et du cOte de Bergeaud, sous celui du gene­ ral St Vil John. Accomplissant une longue marche, des leur de­ part de la capitale, elles investirent,successivement, Aquin, St Louis, Cavaillon, en laissant, apres elles, beaucoup de morts, par­ ticulierement a Vincendron ou se fit massacrer la fine fleur de la jeunesse cayenne et cavaillonnaise. Apres concertation avec ses generaux, le president Salnave dut convenir que la ville des Cayes etait, sinon inexpugnable, du moins difficile a reduire. Les points faibles de la ligne de defense furent localises au sud eta l'est (mer) defendus par des batteries et lagons, mais une percee louverturienne etait, encore, possible par la chaussee des Quatre-Chemins. La ville des Cayes offrit differentes entrees, les unes aussi difficiles d'acces que les autres (Fig 1): Al'ouest, les ponts Renaud et Boyer furent coupes. Les forts Boyer 1 (au sud du terrain de foot-ball) et H6pital2 (environs de la douane ou se trouva l'ancien bAtiment de l'hOpital) furent, ja­ lousement, gardes. A l'est, les forts La Tourterelle 4 et Islet 5 protegerent de l'acces par lamer. Lefort Islet 5 eut la preference de Salnave pour une attaque, car il sut circonvenir des militaires du corps de garde.

LA BA TAILLE DE L'ISLET 29 La Ville des Cayes: Politique I

Figure 1

Au sud, plutllt au sud-est, le fort Alexandre 3, en solitaire, au voisinage du carrefour Laraque, servit de rampart contra une eventuelle attaque par la mer.

30 LA BA TA/LLE DE L'ISLET La Ville des Cayes: Politique I

Figure 2

LA BATAILLE DE L'ISLET 31 La Ville des Cayes: Politique I

F/gure3

32 LA BATAILLE DE L'ISLET La Ville des Cayes: Politique I

Flgure4

LA BATAILLE DE L'ISLET 33 La Ville des Cayes: Politique I Au nord, la ville, aujourd'hui encore, est ceinte de larges fosses (A-B-0-C) de drainage qui serpentent des Quatre-Chemins a!'embouchure de la riviere Islet et rec;oivent sur leur passage, et a un point, la riviere Morro 1 qui arrose l'habitation "Nan Morro". Les fosses, sur leur parcours, firent office de rempart et d'abri (tranchees) aux troupes de Domingue. Mais encore, sur ce long parcours, 2 redoutes, dotees de canons, furent localisees, l'une au Vieux-Calvaire 6, la seconde a Darmagnac 7 . Comme il fallut s'y attendre, les troupes attaquerent les co­ tes est et sud, sur lamer, tandis que le president Salnave, des hauteurs de Bourdet, n'arr~ta pas de bombarder la partie ouest de la ville. Des fregates de guerre de Salnave, escortees d'une tren­ taine d'embarcations, chargees de combattants, pr~tes a l'accostage, au moment opportun, encerclerent la rade. Les attaques repetees et successives au cours des trois pre­ mieres semaines du mois de fevrier1869, sur les cotes (mer), echouerent. Les forts Alexandre 3 et La Tourterelle 4 resisterent aux bombardements des fregates de guerre, La Galactee, Le Syl­ vain, L'Union. Devant l'imminence de nouvelles attaques, Domingue, au debut de mars 1869, dep~cha un massager aupres du ministre de la Guerre, le general Pierre Momplaisir Pierre qui se trouva du cote de l'Anse a Veau, encercle par les troupes de Fortune Siffra, chef de bande, homme-lige du president Salnave. Vaines tentati­ ves de deux messagers de Domingue pour atteindre le ministre de laGuerre. Un troisieme massager, du nom d' Argencourt, homme d'une rare intelligence, aussi ruse qu'un renard, releva le defi. Il se grima et gagna, en pirogue, la petite Baie Dumesle (Fig 2). Il emprunta l'accoutrement d'un houngan renomme de la Sucrerie Henzy, familiar des hommes de troupes du general Siffra. Ainsi, le messager franchit, aisement, les lignes ennemies. Le ministre de la Guerre entra en possession de la missive du president Do­ mingue. Apres avoir dresse le plan d'evacuation de ses troupes et laisse sur place femmes et enfants, sous la surveillance d'une bri-

1 La riviera Morro cou/e au nord-est de /a ville et se jette dans Ia mer.

LA BATAILLE DE L'ISLET 34 La Ville des Cayes: Politique I gade de volontaires affectes a l'entretien, la nuit, des feux de bi­ vouac, le general Pierre Momplaisir Pierre fit prevenir Fortune Siffra de son intention, de siroter, le lendemain, a l'aube, une tasse de cafe a son camp. Dans la nuit du 8 mars 1869, apres des tirs nourris dans l'espace, il s'eclipsa, ala t~te d'une division d'un millier d'hommes, laissant eberlue, au matin, un Siffra qui fit re­ plier ses avant-postes et concentrer ses troupes dans l'attente d'un coup de force de son adversaire. En peu de jours, le general Pierre Momplaisir Pierre se joua du plan d'encerclement de Siffra et parvint, apres une penible traversee, dans la ville des Cayes. Cette traversee connut, en effet, mille et une peripeties. La premiere nuit, il coucha dans la sec­ tion de Bassin Bleu du cOte de l'Asile 1 (Fig 3). Apres plusieurs journees de marche, la colonne atteignit le carrefour Suzanne et de la, gagna le carrefour Berette par la ravine des Citronniers 2. Les soldats de Siffra, paniques, prirent la fuite. Apres la traversee de Changieux 3, du carrefour Gros-Marin 4, a proximite de Ca­ vaillon-d'acces difficile, barricade et fortement defendu- de Dory 5, de Maniche 6 (Fig 4), le general Pierre Momplaisir Pierre, pre­ cede d'estafettes annon~;ant ala population l'arrivee des troupes de renfort du general Siffra, atteignit Camp-Perrin 7, sous une pluie battante et sous les ovations des habitants du lieu venus complimenter le suppose general Siffra, leur heros. Ses troupes re~;urent en abondance, cafe, viande, vivres, fruits et legumes. Le general-ministre de laGuerre, contournant Gerard, fran­ chit par Lamartiniere, arriva, une semaine plus tard, aux Cayes, apres un accrochage serieux a Laborde et Charpentier 8, une perte estimee d'une cinquantaine d'hommes et l'incendie de la maison de Numa Rigaud, ministre de . Il fut ac­ cueilli avec ses hommes sous les carillons des cloches des eglises de la ville et sous les ovations des combattants et d'une popula­ tion acculee a se nourrir de rats. Cette arrivee combla les attentes de ces derniers car elle coi:ncida avec celle d'une goelette en pro­ venance de Cura~;ao, montee par d'audacieux et intrepides ma­ rins qui, par une nuit d'encre, penetrerent dans la rade de Cha­ teaudun et debarquerent une cargaison d'armes dont des fusils a tabatiere ou chassepots alors que les troupes gouvernementales etaient armees de fusils type carabine de fabrication anglaise.

LA·BATAILLE DE L'ISLET JS La Ville des Cayes: Politique I Le general Pierre Momplaisir Pierre campa avec ses troupes aux Quatre-Chemins. Personne ne put, des lors,franchir cette chaussee, excepte l'amiral americain Hoff, envoye special du gouvernement americain charge de s'informer de la situation po­ litique locale avec la demande de Domingue de mettre le Sud sous protectoral americain. L'emissaire americain, appele a ren­ contrer le president Salnave a Bourdet, etait porteur d'un lais­ sez-passer du president Domingue MICHEL 1933. Son rapport fut defavorable au gouvernement de Domingue. Laissons les premiers jours du mois de mai 1869, faits de tirs sporadiques, de pluies d'obus deferlant du marne Bourdet sur la ville des Cayes et voyons ce qui se passa, en cette journee du 24 mai 1869. La situation tourna a l'avantage du president Do­ mingue avec l'arrivee du general Pierre Momplaisir Pierre et l'arret, durant des semaines, du bombardement de la ville par le president Salnave, faute de munitions qu'il fit chercher ala capi- tale par le navire ]'Alexandre Petion. · La nuit, obscure, fut marquee par de breves apparitions de la lune. Un silence profond plana sur la ville, ponctue par les chants de coqs. Une fusee tra<;ante partit du camp Bourdet, troua, longuement, le ciel, donnant lieu a des tirs nourris provenant des Quatre-Chemins et de Darmagnac 7 (Fig 1), immediatement sui­ vis des cris "Aux Armes" et "Bordez Remparts" partis des fronts attaques. Au niveau des Quatre-Chemins, le general Pierre Mom­ plaisir Pierre, attaque par des colonnes ennemies, les repoussa avec sa vigueur accoutumee. Le fort Darmagnac 7 repondit a l'attaque et le fort Islet 5 fit tanner une de ses grosses pieces. Bien­ tOt, un ou deux coups de feu et ce fut le silence. Les soldats des garnisons se surpasserent. Trois estafettes furent chargees d'en informer le president Domingue. Deux offi­ ciers, connus pour leur bravoure, le general Michaud Fran­ cisque,commandant de !'arrondissement des Cayes etYaye Bou­ zi, de La Volante (corps d'armee du palais), avertirent, de leur cOte, le president d'une tournee que, chacun, separement, .voulut effectuer. Le premier voulut visiter les forts Vieux-Calvazre 6 et Darmagnac 7;le second, dont le corps d'armee etait stationne en face du palais presidential (a l'ouest ?~ la place d'armes ?es Cayes et limitrophe a la residence fam1hale de Marcel Lubm),

36 LA BATA/LLE DE L'ISLET La Ville des Cayes: Politique I s'interessa au fort Islet 5. Yaye longea le rivage et atteignit le fort Islet 5 qui sortait victorieux d'une attaque sur son flanc gauche. Le fort Darmagnac 7 tomba a l'insu des defenseurs du fort Islet 5 et il fallut le flair de guerrier de Yaye pour les aider a en prendre conscience. Sur son ordre, des soldats s'approcherent du fort Darmagnac 7 et ouvrirent le feu en sa direction. Succeda, en reponse, un roulement de tonnerre. Policard, !'ordonnance de Yaye, fut atteint d'une balle au pied au moment de la retraite. Le general Michaud Francisque, longeant la ligne des fosses, mais ignorant la chute de Darmagnac 7, tomba dans une embuscade avec son escorte. Ils perirent, egorges, car le capitaine Andre Bi­ don, commandant a Darmagnac 7, traita avec l'ennemi,ouvrant la voie aux soldats de Salnave les Tirailleurs de la Garde, en gar­ nison sur la propriete voisine de Charles Russien, un expatrie. Des lors, ces soldats franchirent, aisement, le fosse large et pro­ fond a l'aide des "bois fouille" et attaquerent les forts La Tourte­ relle 4 et Islet 5. A la faveur d'un clair-obscur, Yaye distingua une masse compacte de soldats qui deboucherent de la rue des Trois-Freres-Rigaud (de l'eglise du Sacre-Coeur au pare Vincent) et surprirent le fort Islet 5. Ordre fut donne, en vain, au commandant du fort Islet 5 d'ouvrir le feu, en direction des assaillants, a l'aide de la grosse piece de 30. Temoin de !'inaction de ce dernier qui voulut econo­ miser des munitions, un jeune dominicain, de l'escorte deY aye, s'empara d'un boute-feu. Mais il fut, rapidement, maitrise. Yaye sauta, de justesse, le parapet sud, entrainant, courageusement, Gentillon, resident de la zone, blesse au pied et donna l'alarme au fort La Tourterelle 4 , deja, occupe par l'ennemi. Le president Domingue et le ministre Septimus Rameau, appuyes au balcon du palais, en conversation avec Dupont Du­ poncy jeune, furent, de suite, informes de la chute du fort Islet 5, par le caporal-clairon Victor, de 16 ans d'age. Pour ce dernier, l'unique clairon du fort ne saurait donner lieu a un concert. Pre­ tant l'oreille, le president entendit, grace a une brise venant du nord-est, les accents de la fanfare des Tirailleurs, executant la diane en musique. Des minutes plus tard,un jeune soldat vint an­ noncer la chute de Darmagnac 7 et de La Tourterelle 4.

LA BATAILLE DE L'ISLET 37 La Ville des Cayes: Politique I Comme pour saluer la victoire, les fregates, presentes dans la rade, cracherent feu et mitraille sur la ville. Les lignes du Vieux-Calvaire 6 furent, egalement, la cible des attaques. L'enne­ mi, se trouvant au bord du Morro, pensa attaquer la ville du cote est. Le president Domingue, apres conciliabule avec Septimus Rameau et Daubigne Prosper Faure, chargea le petit Leger, le plus jeune soldat de sa garde personnelle, enfourchant le cheval du president, denomme La Baleine, d'aller querir des renforts du ge­ neral Pierre Momplaisir Pierre. Le general Pierre Momplaisir Pierre, a califourchon sur une chaise, au beau milieu de la chaussee, sirotait son cafe. II renvoya le petit Leger, porteur de ce message au president Domingue: "Allez dire au president de l'Etat Meridional d'Hai"ti que je reste et que je garde les Quatre-Chemins, de laisser entrer Jes troupes de Sa/nave en ville, et qu'aujourd'hui, nous feterons Ja St Bar­ thelemy". Puis, s'adressant a sa reserve, rangee en bataille: "Deux cents chiens enrages, hors des rangs" "Mathurin 2 Lys, prenez le commandement de ces braves et que j'entende parler de vous". Une minute plus tard, la colonne de braves descendit en ville, chantant a tue-tete: "Ce min mim' zandolito, pa gin boi moin pa monte boi pini qui boi pikan moin monte'/" La batterie du fort La Tourterelle 4, aux mains des soldats de Salnave, bombarda la ville et le fort Alexandre 3 avec intensite. En face,ceux de Domingue ne desarmerent pas. Au fort Alexandre 3, un jeune homme du nom d'Abadia, grelottant de fievre eta cheval sur l'affO.t de la piece rayee et a piston de la batterie du fort, engagea un duel d'artillerie avec le fort La Tourterelle 4. II parvint a demolir 3 pieces du saillant sud-ouest et egueula la

2 Originaire de l'Anse a Veau,commandant d'Aquin,prit position pour Domingue.

38 LA BATAILLE DE L'ISLET La Ville des Cayes: Politique I grande couleuvrine de 24. Chacun des boulets rames emporta des files entieres de soldats masses sur les bards du Morro. La situation tourna au cauchemar quand les troupes de Sal­ nave -Tirailleurs de la Garde, meles a l'artillerie de Port au Prince et a une division d'infanterie de ligne - privees de guides, en pleine saison pluvieuse et en pleine nuit, borderent le Morro, un veritable lagon, profond de plusieurs metres, large de 20 metres et dont I'embouchure n'etait gueable qu'a plus de 33 metres dans lamer. Les soldats furent abattus comme des lapins. A l'aube, la contre-attaque se deroula. Dupont Duponcy (vice-president) se porta avec ses hommes sur les fosses et fut re­ pousse avec vigueur. II perdit un nombre eleve de ses hommes, mais, tout de meme, parvint a contenir l'avancee de l'ennemi sur la ligne du Calvaire. Unfrere de Yaye,le vaillant Pony re~ut deux balles dont l'une lui fracassa le bras droit. Des artilleurs de Domingue, a leur tete, Prosper Martin et Numa, arrivant en renfort des hommes de Duponcy, avec une piece de 8, furent repousses sans perte. Martin fut, grievement, blesse, par suite de !'explosion du canon, charge de poudre jus­ qu'a la gueule. David Fils aine, ministre de l'Interieur, ala tete d'une co­ lonne, emprunta le littoral et parvint au nord-est de la batterie Alexandre 3 et engagea le feu contre les soldats masses devant le lagon. Septimus Rameau, a cheval, tete nue, la cravache a la main, sous une grele de balles, malgre les boulets du Sylvain, navire de guerre de Salnave, fauchant ses hommes, les electrisa et les porta a faire feu contre l'ennemi. Daubigne Prosper Faure, panama sur le chef, tunique verte trouee par des balles, a la tete de la colonne principale, formee des jeunes de la Volante (corps d'armee du palais), des volontai­ res de la ville et des Quatre-Chemins, manoeuvra au nord du la­ gon et tenta de prendre a revers, le fort Islet 5. Penetrant et patau­ geant jusqu'a la taille dans les marecages, il s'enfon~a jusqu'a at­ teindre la propriete Gentillon et la, il attendit la colonne de Yaye Bouzi. Ce dernier lan~a le mot d'ordre, arrache a un prisonnier, originaire de l'Artibonite, en echange de sa vie: "Feuilles en Haut,

LA BATAILLE DE L'ISLET 39 La Ville des Cayes: Politique I

Feuilles en Bas". Ce prisonnier, franc-mac;:on, fut trahi par le signe de detresse des inities. Daubigne Prosper Faure lanc;:a ses troupes a l'assaut du fort Islet 5 dont les hommes escaladerent, en un din d'oeil, les para­ pets. Les defenseurs du fort Islet 5, croyant a l'arrivee de renforts, surpris, furent tous passes a l'arme blanche. La position tom­ ba,vite, aux mains des soldats de Domingue. Sur la meme lancee, Daubigne Prosper Faure tourna les bat­ teries vers le fort La Tourterelle 4 et les troupes massees a Darma­ gnac 7. Le sang coula rouge. Les soldats de Salnave qui tenterent de s'enfuir grace aux canots, se retrouverent en face des hommes de La Volante qui, munis de grands coutelas, les transperc;:erent. Ils perirent en grand nombre. De son cote, le general Pierre Momplaisir Pierre tenta d'enlever par deux fois, le camp Bourdet, fermement et energi­ quement defendu par les soldats de Salnave. ~ Le general Polynice Vaval, sur !'habitation Colette, resista aux attaques repetees du general salnavien Anselme Prophete. A Torbeck, a environ 9 kms des Cayes, le bouillant Auguste Lins­ tant-Pradine, frais emoulu d'Europe, assiste du major Buteau, commandant de la premiere division du general Pierre Momplai­ sir Pierre, suite a une attaque surprise, reprit le bourg de Torbeck. Le president Salnave s'efforc;:a, par taus ses moyens, de re­ duire la ville des Cayes, mais ses efforts furent vains. Aussi, apres plusieurs mois, illeva le siege des Cayes vers la mi-septembre. Beaucoup d'atrocites furent commises par les hommes de Domingue, particulierement ala prison des Cayes ou perirent, fu­ sillees, entre autres, des femmes, repondant aux noms de : Mmeo Orphelia Vaval, Cirius Vaval de Cavaillon, Melle Jacquet, soeur du general Siffra, Mme Orphise de Cavaillon, egalement LE MONITEUR 1911. Par ailleurs,Vve Maximilien Ducoste, habitant une maison contigiie au palais presidentiel, fut blessee au dos d'un eclat de boulet. Ariste Pierre-Paul, capitaine de police, pere d'Antoine Pierre-Paul, rec;:ut, egalement, un eclat de boulet qui lui fracassa la jambe. Signalons qu'une rue de la ville des Cayes porte le nom de Prosper Faure.

40 LA BATAILLE DE L'ISLET La Ville des Cayes: Politique I

BIBUOGRAPIHE BADOU,M., 1929: La Bataille de l'Islet In LE JOURNAL Les Cayes, Haiti. LEGITIME,D., 1929: Souvenirs Historiques 1867-1870 In LA PRESSE, Port au Prince, Haiti. LEMONITEUR 1911: Massacres a la prison des Cayes MICHEL, A., 1933: Les Insurrections La Revolution aux Cayes et dans les Environs TURNIER,A., 1983: Vieux Garnets d'un vieux cher­ cheur,Mathuryn Lys Revue de Ia Societe d'Histoire et de Geographie Port au Prince, Haiti.

LA BATAILLE DE L'/SLET 41 La Ville des Cayes: Politique I

Michel Domingue 1874- 1876

Sylvain Sa/nave 1867 - 1870

42 LA BATAILLE DE L'/SLET PARTIE IV: LE DRAME DE MARCHATERRE (1929)

La Ville des Cayes: Politique I IV Introduction Deja 72 annees depuis ce drame qui ensanglanta la plaine des Cayes. Ce drame se deroula le 6 decembre 1929, sous la pre­ sidence de Louis Barno, 14 annees apres l' intervention des trou­ pes americaines en Haiti. II amena, 5 annees plus tard, a Ia des oc­ cupation du territoire national. On compta des morts et blesses a Marchaterre. S'agit-il d'une bavure de }'Occupant? L'affaire Marchaterre est evoquee, non pour faire vibrer la fibre nationaliste, mais pour rappeler une tranche d'histoire inconnue du Cayen. "La Croix Marchaterre est une habitation de la p~miere section rurale des Cayes, dans la banlieue m~me de cette ville, qui en est separee par le lit de la Ravine du Sud. On l'appelle, precisement, a cause d'une grande croix jubilaire, erigee, il y a des decades, sur la route des Cayes a Torbeck, avant d'atteindre les habitations Co­ quette et Gelee" FOUGERE 1934.

lntrodudion 45 La Ville des Cayes: Politique I Les Circonstances du Drame de Marchaterre our comprendre le drame de Marchaterre,expliquer le P comportement des manifestants, !'explosion de colere, il faut en revenir aux causes profondes et reelles. Les principaux actes de l'Occupant, dont certains atteste­ rent une reelle volonte de progres, ne purent vaincre les prejuges de l'epoque. Les Nationaux (surtout l'elite intellectuelle et econo­ mique) reprocherent a l'Occupant, outre un certain comporte­ ment raciste, sa fa«;on brutale de proceder dans !'application des lois. D'un point de vue administratif, les Nationaux estimerent que plus de Ia moitie des quarante millions de dollars de l'Emprunt Borno servirent davantage a des depenses injustifiees, telle }'erection de biens somptuaires non conformes aux besoins de l'epoque: batiment du Grand-Quartier general de Ia Garde, ce­ lui de Damiens, celui du ministere des Finances. Selon leur vi­ sion, les futurs agronomes, clones de l'Occupant, eurent, unique­ ment, pour mission l'endoctrinement des paysans. M~me l'ame­ nagement des cliniques rurales et veterinaires fit }'objet d'une profonde defiance de Ia classe paysanne. Ace sujet, aSoveau,lo­ calite proche de Camp-Perrin, lors d'une campagne de vaccina­ tion des pores contre les fievres malignes, dans les annees 30,les paysans refuserent d'y participer car Ia viande du pore vaccine, rapporta-t-on, etait impropre a Ia consommation et susceptible de provoquer de forts acces de fievre et m~me le deces des consommateurs. Les technicians hai'tiens et americains, dans leurs taches de vulgarisation, firent appel a Saintoine Abellard, fermier et notable de Mersan, localite voisine de Camp-Perrin et de Soveau, pour vaincre Ia mefiance de Ia population. Apres avoir fait vacciner ses pores aux yeux des gens de la localite, il or­ ganisa dans Ia quinzaine une grande f~te foraine alaquelle repon­ dit la population des fermiers. Maitre de ceans, il precha d'exemple et se mit a consommer de la viande de pore, suivi des membres de sa famille. Dans Ia prochaine demi-heure, voyant Saintoine Abellard en pleine forme, taus les invites se mirent, eux aussi, a consommer de Ia viande de pore vaccine et des lors, la campagne de vaccination demarra et se poursuivit avec succes NICOLAS 1973.

46 Les Circonstances du Drame de Marchaterre La Ville des Cayes: Politique I Un second sujet de profond mecontentement concerna la mise sous la tutelle de la First National City Bank of New York de la Banque d'Haiti, affiliee a la Banque de l'Union Parisienne. Les consequences ne furent point minces. Uniquement les firmes nord-americaines accaparerent les privileges, en matiere com­ merciale, ce qui eut pour resultat de detourner, progressivement, le flux du commerce national de }'Europe vers }'Amerique du Nord car les credits furent octroyes, dans leur grande totalite, aux hommes d'affaires locaux qui traiterent avec les Americains. De plus, les capitaines de navires nord-americains, pour obvier aux emits exhorbitants, desservirent de preference le port de la capi­ tale, laissant agoniser ceux des provinces, frequentes a }'occasion par de rares bateaux europeens. Le transit des marchandises, a destination des villes de province, par le port de la capitale, aug­ menta, inevitablement, les frets et condamna les petits metiers et commen;ants au chomage. La situation se compliqua avec le krach financier de 1929. Progressivement, le chomage gagna les villes cOtiilres, le cotlt de la vie augmenta de fac;on spectaculaire. Le peuple, demu­ ni, fut "accule ase tailler des habits dans des sacs de farine". La loi sur le tabac et l'alcool (14 aotlt 1928) constitua la goutte d'eau ... d'autant plus qu'un cyclone violent frappait le de­ partement du Sud le 28 aotlt 1929, reduisant a neant les espoirs de la population. La production d'alcool constitua, a cette epoque, la principale activite economique dans la plaine des Cayes vu }'omnipresence de la canne a sucre. Avec la profonde depression economique, la commercialisation du cafe, dans les bourgs et les villes, cessa d'etre la source providentielle de reve­ nus. De ce fait, habitants et expatries domicilies dans la ville des Cayes et les environs, particuliilrement des distillateurs, s'adressilrent (Memoire, Annexe 1) au president de la Repu­ blique, Louis Barno, et soulignerent, a son attention, la fragilite de cette loi et ses retombees negatives. Cette lettre recueillit les si­ gnatures d'un nombre impressionnant de citoyens haitiens et ex­ patries du departement du Sud. Le 3 mars 1929, une delegation de Torbeck, accompagnee de }'ex-president d'Halti Denis Legi­ time et composee de C.L.Verret, Leon Cassion, avocat, Jacob Si-

Les Circonstances du Drame de Marchaterre 47 La Ville des Cayes: Politique I mon, planteur, E.Dumesle Herard, industrial, fut re~;tue, avec les honneurs militaires a leur arrivee et a leur depart du palais natio­ nal. Elle remit une supplique(Annexe 2) au president Borno, ex­ posant leurs doleances. Le profond mepris des autorites gouver­ nementales, en ces occurrences, alimenta la grogne au sein d'une population, deja excedee par la misere et par les humiliations re­ petees, inherentes a !'Occupation. La population cayenne et des environs etait renommee pour ses conflits sporadiques avec !'Occupant comme, entre autres, !'intervention courageuse de Sam Pressoir-son pere Malherbe Pressoir etant lors magistrat- le 1•• janvier 1918, invitant !'assistance, face a !'arrogance d'un Ma­ rine, a vider !'enceinte du palais de justice en criant ·~ bas Jes Americains! A bas /'Occupation! Sortons d'ici "ou encore la prise en otage de soldats, en juillet 1918, par les paysans de Laborde contestant la corvee. Suite a ce mouvement de rejet, alarme, le chef de la gendarmerie d'Halti, Alexander Williams, accompagne du colonel Vogel et des autorites locales, visita Laborde, situee a quelques kilometres de la ville des Cayes, pour calmer les esprits de part et d'autre.

48 Les Circonstances du Drame de Marchaterre La Ville des Cayes: Politique I Le Drame de Marchaterre

Tout sembla indiquer que Ia greve de Damiens servit de ca­ talyseur a une crise locale qui couva relative au secteur de l'alcool et qui deboucha sur Ia tuerie de Marchaterre. Le 31 octobre 1929, Ia direction de l'Ecole Centrale d'Agriculture decida d'une reduction du nombre de bourses pour faciliter Ia remuneration des travaux manuels effectues par les etudiants necessiteux. Une delegation d'etudiants, chargee de presenter des doleances au directeur general de Damiens, le doc­ teur Georges Freeman, de nationalite americaine, essuya un re­ fus. Ils repliquerent par Ia greve. Le comite de greve se composa de Dasque, Charlot Clovis, David Jean, Fethiere Stenio, Sam Jus­ tin D,Balmyre Franck, Fils-Aime, Gilbert Luc et Berthony Vieux. En depit de deux communiques successifs du ministre de tutelle d'alors, Charles Bouchereau, invitant les etudiants a regagner les salles de cours, ils refuserent d'obtemperer. Ils obtinrent le plein soutien, des le 7 novembre 1929, des etudiants de l'Ecole Natio­ nale de Droit, puis le mouvement gagna a sa cause les etudiants des autres ecoles superieures et meme les eleves des Soeurs de Lalue. Les manifestations de rues furent reprimees au gourdin par Ia police et le president Borno dut se courber devant les recla­ mations des etudiants, le 18 novembre 1929, retablissant, d'abord, les bourses d'etudes. Le 2 decembre 1929, Ia greve qui se poursuivit, s'etendit ala douane. Dans Ia ville des Cayes, a Ia nouvelle de cette greve, des es­ prits s'enflammerent. Les distillateurs, en ville et dans les envi­ rons immediats, saisirent cette occasion, d'abord, pour manifes­ ter, leur solidarite avec les etudiants de Damiens, mais encore pour exiger le retrait de Ia taxe et recouvrer Ia gestion des reser­ voirs d'alcool. Venons a cette taxe sur l'alcool qui declencha, entre autres, le mouvement de protestation contre !'Occupant. Une taxe de 30 centimes fut pen;ue par gallon d'alcool fabri­ que. C'en etait trop NUMA 1973. Primo, aucune difference ne fut faite entre Ia quantite d'alcool et d'eau contenue dans le produit de Ia distillation: l'alcool de 20 degres fut taxe au meme titre que l'alcool de 60 de- le Drame de Marchaterre 49 La Ville des Cayes: Politique I gres. Ce fut une forte prime a l'alcool de 60 degres qui contient moins d'eau et se vendit plus cher. Secunda, !'operation de mesurage et de comptage des gal­ lons, longue, fastidieuse, vu le nombre eleve des petits distilla­ teurs aux Cayes et a Torbeck, mais encore compte tenu du nombre de chauffes tout aussi eleve dans une journee, vite, aga~a producteurs et clients. Tout aussi vite, l'autorite changea de pro­ cedure: " On decida d'asseoir la taxe sur Je rendement de ]a distillation: le rendement etait calcu/e en prele­ vant un pourcentage de la quantite de sirop distil­ le dans du mout en fermentation dans des cuves de capacite connue. Le fisc jouait "a pile ou face": illui avait echappe que le rendement en alcool du sirop dependait moins de sa quantite que de sa densite. Quand il se rendit compte de l'erreur, il etait, desormais, fait obligation au distillateur de se munir d'un reservoir dans lequelle distillat se deversait. La c/e du robinet etait gardee au bu­ reau des Contributions. L'Etat devenait proprie­ taire de tout l'alcool produit dans le pays et stocke a differents endroits". Le prix de revient de l'alcool, par suite de frais exorbitants, devint prohibitif et le distillateur put, difficilement, soutenir Ia concurrence avec les prix d'alcool produit par des unites plus performantes. La plupart furent accules a fermer leurs unites et les ouvriers, comme eux, accules al'exode vers Ia Republique do­ minicaine et vers Cuba, en proie a Ia deroute economique. Des milliers de coupeurs de canne haltiens, principalement du Sud du pays, furent rapatries. Aux Cayes, au moment du declenchement de Ia greve de Damiens, un vapeur hollandais, en rade a cote d'un autre pavil­ Ion etranger, etait immobilise, le capitaine, impatient de vider ses cales et de les remplir pour gagner le large. Une greve des debar­ deurs, a leur tete, le denomme Major Miracle, secretaire du Syn­ dicat, exigeant une augmentation de salaire, expliquait le retard du bateau a quitter le port. Cette greve mena~a de faire tache d'huile. Malgre les assurances donnees au prefet Stephane Fou-

50 Le Drame de Marchaterre La Ville des Cayes: Politique I gere par Albert M.Claude, inspecteur des Ecoles et Duvivier Hall, directeur du Lycee , d'eviter Ia greve des ecoles, dans l'apres-midi du lundi 2 decembre 1929, apres une reunion sur le terrain de foot-ball des Gabions- propriete de Gesner Guil­ lou- vite dispersee par le lieutenant Berroyer, des ecoliers de cer­ tains etablissements gagnerent les rues, aux cris de "A bas Free­ man! A bas les Experts! ". Ils se retrouverent, vite, face a un deta­ chement de soldats, a Ia croisee des rues La Concorde ( Msr Mo­ rice) et La place d'Armes (2•m• grand-rue). Pour eviter tout dera­ page et proteger les ecoliers contre toutes mesures arbitraires, Edmond Sylvain, commissaire du gouvernement, s'interposa et obtint de l'officier americain qu'il ouvrit le passage. Mardi 3 decembre 1929: tot le matin, une publication de Ia police (au son du clairon), aux quatre coins de Ia ville, invita les parents a garder leurs enfants a Ia maison, de peur d'un affronte­ ment avec la police. Sous le coup de 10 heures, M• Antoine The­ lemaque, nationaliste, rendit visite au prefet des Cayes, Stephane Fougere, pour traiter differentes affaires et sous les coups de 11 heures a Ia pendule de Ia prefecture, il prit conge du prefet et lui annon~a. de fa~on desinvolte, Ia greve des lyceens. Le prefet, af­ fole, sortit, en hate, de son bureau pour observer Ia presence des grevistes dans les rues. II perdit le controle de Ia situation. Les grevistes se dirigerent vers les deux principales ecoles congrega­ nistes (Frere Odile Joseph et Filles St Joseph de Cluny) de Ia ville pour fermer leurs partes. Mercredi 4 decembre 1929: debardeurs et trieuses, excedes, parcoururent les rues de Ia ville, au son du lambi, pour conferer un caractere revolutionnaire a leur demarche. A leur passage, commer~ants de fermer boutiques, paysans, presents au marche pour ecouler les produits de leur recolte, surpris, paniques, de regagner, precipitamment, leurs localites respectives, diacoute et mains vides. Les grevistes, tot dans la soiree, mirent en berne le drapeau du bureau de police que les gendarmes oublierent de descendre. Ce jour-la,vers 9 heures30 du soir, les habitants du quartier de O'Shiell (voisin de Charpentier et des Quatre-Chemins) firent une descente sur la ville pour manifester, a leur tour, leur mecon­ tentement. Alerte par son frere Fabre Delerme, M• Joseph Victor

Le Drame de Marchaterre 51 La Ville des Cayes: Politique I

Delerme, accompagne de Richard Regis, se porta a leur rencontre et finit par les convaincre de regagner leur lieu de residence. Deux faits traduisirent l'etat d'esprit pacifique des manifes­ tants: un porte-faix entra dans la boutique de Mme Margron Pi­ large et s'empara d'une cuvette en email. A sa sortie, un collegue lui ordonna de la restituer, ce qui fut fait; un second s'empara d'une cassave: il accepta d'en verser la valeur. Toujours dans la soiree du mercredi 4 decembre 1929, un Manifeste des travailleurs de la ville des Cayes, appuyant la greve des Port-au-Princiens, fut publie ala signature, par delegation, de Gesner Guillou, president, Eliodore Denis, tresorier, Willy Douyon, secretaire et des membres Marcel Delsoin, Maceo De­ nis, Oedipe Auguste, Hyppolite Fanfan, Julien Cadet, Emmanuel Jacques, Simon Dorfeuille, Philocles Barrateau. Jeudi 5 decembre 1929: au moment du deroulement des ne­ gociations au magasin d'Emmanuel Conde, entre consignataires et grevistes-debardeurs, sur les conditions de reprise du travail, " deux avions sv.rvolaient Ja ville, decrivant de grands cercles,exe­ cutant des piques qui rasent les toits. Leur vombrissement etait ponctue par Je bruit de bombes qui eclataient. La ville etait bom­ bardee mais Je bombardement etait un simulacre. Le capitaine du navire hollandais devait alerter sa base et son gouvernement". La panique, une fois maitrisee, la population gagna les rues criant : "A bas l'Occupation, A bas Borno". Le capitaine du navire hollan­ dais, interloque, en alertant sa base, trouva une rare et excellente occasion de protester contre !'injustice qui leur fut faite avec le detournement du commerce local vers les USA. La nouvelle fit le tour du monde entier. Dans l'apres-midi du jour, des camions de Marines-Corps, en provenance de la capitale, firent leur entree aux casernes des Cayes. Spontanement, des citoyens dont Laurent Sicard, Lamar­ tiniere Marius, P.N. Neptune, Leonce Bonnefil, David Ledan, Emmanuel Conde, Ulysse Simon visiterent le commandant des casernes et obtinrent que les Marines n'investissent point la ville. Vendredi 6 decembre 1929: c'est le jour du marche de Chantal. Ce marche est frequente, a l'epoque, par des milliers de

52 le Drame de Marchaterre La Ville des Cayes: Politique I paysans de tous les environs. Les conversations furent alimen­ tees par les incidents de la ville des Cayes. Atmosphere sur­ chauffee par les recriminations des distillateurs excedes par la loi instituant la taxe sur l'alcool et par }'arrestation de deux mar­ chandes accusees du commerce illicite de tabac. Fedor Latour se vit accuse par l'autorite de s'etre interpose entre l'agent des Con­ tributions et les marchandes pour s'opposer au paiement des taxes. Pourquoi ne pas exploiter ce sentiment general de mecon­ tement, se confierent les distillateurs, pour descendre en ville, re­ clamer, aujourd'hui meme, des Contributions les cles des reser­ voirs? Le general Ulyssse Simon et Fedor Latour, apparemment, surenchere a l'appui, relayerent, de la part du commen;ant Ges­ ner Guillou, des promesses de recompenses aux distillateurs et autres cavaliers, une fois aux Cayes. A la fermeture du marche, les voila, au galop, en route vers les Cayes. Ils parvinrent aux Quatre-Chemins vers les trois heures et demie del' apres-midi. Un conciliabule avec des collegues du bourg, accourus a leur rencontre pour les inviter a regagner leurs localites, sembla porter fruit. Mais, parvenus a Marchaterre, deux cavaliers man­ querent a l'appel. Ils s'etaient attardes, crut-on, a prendre under­ nier "grog" a une guildive. Entretemps, les Marines, sitot avertis de ce mouvement, apres une celere et vaine visite aux Quatre-Chemins, se rendirent a Ia Ravine pour obliger les mani­ festants a regagner leurs localites. Victor Delerme, Edmond Syl­ vain, Victor Boyle, munis d'une autorisation officielle, franchi­ rent le lit de Ia Ravine grace a Ia monture de Girard France et s'efforcerent, eux aussi, de convaincre les cavaliers de regagner leurs localites. Un officier du nom de Fritzgerald Brown-decors plus tard, en juillet 1930, par son gouvernement pour son louable comportement, en cette circonstance - parlant couramment creole, tenta de porter les cavaliers a rebrousser chemin. Le chef des Marines, impatient, somma Fritzgerald de rejoindre le gros de Ia troupe. Joseph Victor Delerme retraita de justesse. L'officier intima l'ordre a Ia foule de se disperser. "A la troisieme injonc­ tion, une grele de balles s'abattit sur elle: la mitrailleuse etait entree en action et tirait en pirouettant dans toutes les directions. Alors a Marchaterre, on lacha pied, on fuyait dans tousles sens et sans haleine. La besogne ainsi expediee, les marines regagnerent Je quartier-general sains et saufs, et triomphants".

Le Drame de Marchaterre 53 La Ville des Cayes: Politique I La residence de M• Joseph Staco, sise a l'est de la Croix Mar­ chaterre, fut criblee de balles et un grand miroir du salon brise. Deux femmes, dont l'une du nom de Maricia, occupees a leur pot-au-feu, furent atteintes, mortellement, par des balles explosi­ ves. A l'ouest de la position des Marines, au carrefour la Ravine, un homme qui tenta de sauver son enfant devant la residence de Georges Buteau, fut tue. Le cheval de Georges Buteau, un pou­ lain, fut tue d'une balle explosive. Au nord de la position des Ma­ rines, en direction des Quatre-Chemins, devant la residence d'Elias Saliba, un homme fut atteint mortellement. Le cadavre d'un aide-arpenteur de Cavaillon, du nom de Bossuet Molin, gi­ sait sur le sol, encore le samedi matin. On releva de nombreux ca­ davres, atteints au dos. La version officielle du capitaine americain Roy SWINK, chef des Marines, rapporta que ce vendredi 6 decembre 1929, une colonne mantee de 150 cavaliers se dirigea vers les Cayes (heure non precisee). Une patrouille d'infanterie de Marines de 21 hommes, depechee sur les lieux, eut pour mission de les em­ pecher d'entrer en ville. Placee sous les ordres du lieutenant Blanchard, elle fut armee d'une mitrailleuse lourde, de 5 fusils Springfield et de 9 pistolets automatiques. Toujours selon le rapport en question, en cours de route vers la ville, 400 paysans s'etaient joints aux cavaliers. Deux des cavaliers, Fedor Latour et Anthony Niclaise, (explication des ab­ sences?) furent autorises a entrer en ville pour s'assurer que la greve etait terminee; leur retard a regagner les lieux inquieta et exaspera les paysans. Soudain, une grele de pierres couvrit les soldats et des paysans tenterent d'encercler le detachement. Un homme mordit meme la jambe d'un soldat. Malgre les ordres de se disperser, ils commencerent atraverser la riviere. Le detache­ ment ouvrit le feu. On enregistra 5 morts, 20 blesses. Y compris les cartouches blanches, 375 coups de feu ant ete tires. Statisti­ ques du journal LE TEMPS 1930: 21 morts,51 blesses. Le prefet Stephane Fougere tenta de gagner le lieu du drame, mais fut dissuade par Eugene Margron, directeur de la Banque locale, de s'y rendre: "C'est serieux, ils ont ouvert le feu". La nouvelle de cette tuerie, a la porte de la ville des Cayes, par­ vint, relativement vite, a la connaissance des Cayens. On s'ima-

54 le Drame de Marchaterre La Ville des Cayes: Politique I gina la stupeur de la population. Des volontaires s'activerent pour assurer le transport des victimes vers l'hopital ou pour prendre soin des blesses. Rudolh KANSKY 1964, jeune mecani­ cien au Service d'Hygifme, assura, dans une petite command-car, le transport des blesses. Un hebdomadaire local, dans son edition du samedi 7 de­ cembra 1929, livra une version laconique des faits LE JOURNAL 1929: "Le tragique epilogue de Ia Greve Apres Ja greve des ecoliers, nous avons eu celle des joumaliers reclamant une augmentation de solaire. Les Comme~ants, ayant fait droit aleurs reclamations, des jeudi apres-midi, tout Je monde reprenait Je travail. Mais la surprise fut grande Je Jendemain, Jors­ qu 'on apprit qu 'un groupe de paysans de Ja plaine de Torbeck, masses de }'autre cote de la Ravine s'appretait a entrer en ville pour manifes­ ter. Malgre Jes conseils et les exhortations de quelques personnalites de Ja ville qui s'etaient transportees au devant d'eux, Jes paysans n 'entendaient pas se disperser. L'autorite mili- · taire avait re~u des ordres severes. Devant Ja per­ sistance de ces malheureux incredules, la nuit se faisant, Ja force militaire dut agir. 11 y eut des morts et des blesses. Nous deplorons profondement ce malheur et nous nous inclinons devant Ja tombe de ces in­ conscientes victimes qui ont paye de leurs vies, leur entetement et leur credulite. Vne enquete est ouverte sur ce regrettable inci­ dent pour que les responsabilites soient nettement fixees". Deux semaines plus tard, le prefet Stephane Fougere publia un communique, ala date du 23 decembre 1929, pour trans­ mettre les remerciements du departement de l'Interieur a la po-

Le Drame de Marchaterre 55 La Ville des Cayes: Politique I pulation, en etat de choc, pour sa conduite exemplaire en la cir­ constance:

AVIS "PREFECTIJRE Des Arrondissements des Cayes d'Aquin et de Gateaux

Le Prefet s'empresse, conformement aux instructions re~ues, de transmettre les felicitations du Departement de l'Interieur a tous ceux qui, a un titre quelconque, ont concouru a secourir les malheureuses victimes des regrettables evimements dont cette ville a ete le theatre le 6 decembre courant". Les Cayes, le 23 Decembre 1929 S. A. FOUGERE Prefet"

Retombees du Drame de Marchaterre

Une mobilisation patriotique eut lieu, simultanement, aux Cayes et a la capitale. La Ligue Cayenne de Defense des Inte­ rets Nationaux avec les commen,;ants Laurent H. Sicard, Fer­ nand Larrieux, Diogime Theard, Malherbe Pressoir, Ulysse Si­ mon, etc protesterent par un communique et exprimerent leurs desiderata a !'Occupant. Le Bureau de Ia Federation Cayenne des Associations Patriotiques compose de personnalites dont les citoyens Neltus Nelson, president, Victor Boyle, secretaire, Jo­ seph Benoit, tresorier et des membres Edgar N.Numa, Rene Con­ de, Oedipe Auguste, Gesner Guillou, Edgard Dallemand, Ernest Douyon, Leonel Duval en fit de meme. Le club Entente des ]eunes, avec Rene Conde, president et Oedipe Auguste, vice-president, mobilisa les jeunes Cayens et declencha une cascade de manifestations pacifiques contre !'Occupant durant plus de trois mois. La filiale de La Ligue Anti-Imperialiste avec le docteur Baurel Jean president, Rene G.Buteau secretaire, Georges Dallemand tresorier, Gesner Guil-

56 Retombees du Drame de Marchaterre La Ville des Cayes: Politique I

loux, Max Clotaire, Webster Larrieux conseillers, fit chorus et eleva des protestations energiques. En fevrier 1930, Delna Thebaud, elue reine au concours de beaute de la ville, s'abstint de participer, comme representante de la ville, au defile du carnaval a la capitale, en signe de protes­ tation des Cayens contre la tuerie de Marchaterre. Un Cayen ecri­ vit au journal: "dans le Sud, nous sommes decides a porter seuls, s'il le faut, le deuil des massacres de Marchaterre. Pas de fete quand la plaie soigne encore a notre flanc, quand nous pleurons encore nos morts" LE TEMPS, 1930. Le 3 mars 1930, une messe de Requiem fut celebree ala ca­ thedrale de Port au Prince, pour les victimes de Marchaterre, a la demande de l'Union Patriotique. Apres la messe, sur !'esplanade de la basilique, apres quelques courtes allocutions de Jean Brierre,"un provincial mal habille'', Victor Gauvin, J. Samet M• Morpeau, la police intervint et exigea la dispersion de la foule. Elle proceda a !'arrestation de plusieurs personnes dont M• Da­ vid Jeannot "un petit vieillard taille dans l'ebene du Premier des noirs, ripostant ala brutalite des gardes ... ", Mm•• Dr Ricot, Clesca et Claire Vieux. Le nombre de personnes emprisonnees fut de 27. L'Union Patriotique, Ja Ligue Nationale d'Action Constitution­ nelle, La Ligue des feunes, ]'Association des Etudiants en Droit emirent des notes de protestation. Certaines personnalites furent relaxees quelques minutes apres, d'autres beaucoup plus tard, apres avoir ete condamnees a 10 gourdes d'amende eta un mois d'emprisonnement I.A PETITE REVUE 1930. L'arrestation, aux Gonai:ves, pour actes subversifs, du jeune Max Vieux, 19 ans, etu­ diant a l'Ecole Centrale d'Agriculture, provoqua une manifesta­ tion de foule qui exigea et obtint sa liberation apres une nuit en prison. Place en residence surveillee, il trompa Ia vigilance de la police locale et put gagner Ia ville du Cap-Haltien en traversant Passe-Reine. L'Eveque episcopalien, Msr Carson, de nationalite ameri­ caine,vivement attaque par Ia presse de l'epoque, effectua une vi­ site aux Cayes et deposa une gerbe de fleurs au pied du monu­ ment de Marchaterre. A en croire une personnalite etrangere de Ia ville, Gesner Guillou, suite au drame, trouva refuge, durant quelques jours, a Ia residence de cet Eveque a Ia capitale.

Retombees du Drame de Marchaterre 57 La Ville des Cayes: Politique I

Apres diverses manifestations et la visite d'informations aux Cayes, du Haut commissaire, le general Russel, accompagne du general Evans, commandant de la Garde d'Halti, de Mr de La Rue, conseiller financier et du docteur Melhorn du Service natio­ nal d'Hygiene, l'acte suivant fut la celebration d'une messe a la memoire des victimes, ala cathedrale des Cayes. Apres la messe, un cortege avec a sa tete, le Reverend Pere Le Net, prit le chemin de Marchaterre. Un journaliste, de LA PRESSE 1930, decrivit ainsi, accom­ pagne par la fanfare locale La Muse de Theomar Frant;ois, le de­ roulement de la manifestation qui aboutit a Marchaterre:

L'Inaogoration do Monument de Marchaterre Marchaterre! Voila le sceau infame qui stigmatise a jamais le regime de la cooperation! Marchaterre! La page la plus honteuse qu 'est ecrite l'imperialisme! Bouch erie sans nom qui doit faire rougir le drapeau etoile et les grands coeurs Americains! Marchaterre! fe ne peux entendre cette note lugubre sans evoquer la scene poignante de cet assassi­ nat. C'est la fin d'un jour qui Jut triste pour les paysans, la fin d'un jour sans pain, la fin d'un jour pareil a tant d'autres, la fin d'un jour pareil a tant d'autres vecus dans l'angoisse et dans les privations. Eux les pauvres campagnards, ceux qui ant attendu quinze ans, ceux qui ant souffert dans leur orgueil de negre, dans leur ame trompee, dans leurs biens voles, ils apprennent, un jour,qu 'au loin des freres se sont souleves. Ils n 'ont jamais lu les journaux ces pauvres parias, mais le soir ils entendaient la marche heroi'que des lambis. Ils ecoutaient le Passe et ils pleu­ raient. Ils apprennent que des freres se sont /eves dans un geste su­ blime et ils accourent. Ils accourent fievreux comme al'appel d'une voix plus haute que toutes Jes voix et ils accourent. Ils accourent sans armes et ils

58 L 'Inauguration du Monument de Marchaterre La Ville des Cayes: Politique I sont morts. Ils n 'ont en mains que des matraques. Mais les machi­ nes-guns chargent et en plein vingtieme siecle est realise Je mi­ racle qu 'on croyait impossible,Je miracle ancien de Vertieres et de la Ravine a Couleuvres : des hommes, des femmes, des enfants af­ frontant les balles et la mitraille et s'ecriant en choeur: boulet ce poussie. Ils sont tombes pour la Patrie a l'heure ou tombe un soir marne et endeuille comme leur existence et a Ja place ou ils ont verse leur sang s'eleve le pieux monument du souvenir. C'est un matin calme! Par Jes rues s'en vont des ombres ha­ billees de noir et sur Je parvis de Ja Cathedrale, Ja Joule, debout. ecoute Jes notes tristes d'un libera. L'Eglise regorge de monde et sur les murs pendent comme des lambeaux de nuit Jes oriflammes noires. Les voix sont douloureuses et meme le trone episcopal ou traine la robe de Monseigneur Pichon a je ne sais quoi qui serait une pensee en deuil. Et le Dieu des Noirs et le Dieu des Martyrs qui accepta l'holocauste de son fils pour la redemption du monde se souvien­ dra de l'autel du sacrifice, de la cime de Hinche ou Jut crucifie le grand Charlemagne Peralte pour le salut de la Race et du dernier Calvaire ou Jut flagellee la Race: Marchaterre. lte Missa est! La Joule est comme un fleuve en crue. Elle grossit toujours a travers les rues, envahit Jes galeries, monte, monte. La vague des marches est ordonnee et le convoi, precede du Pere Le Net et deJa croix s'en va vers Marchaterre. Toutes Jes partes sont closes et sur ces silences surgissent dans un geste enso­ leille de Jarges bicolores. La fanfare arpege une marche doulou­ reuse qui se tait, semble pleurer tout bas, reprend ensuite, se tait, eclate en sanglots. C'est Ja fanfare des Cayes, La Muse, celle qui accompagna Je grand apotre Georges Sylvain au cimetiere. Mais bien tot, c'est Je carrefour des Quatre-Chemins ou furent installees Jes machines-guns. La Joule defile sans bruit, lugubre comme un defile d'ombres vers Marchaterre. Voila enfin la Croix! Elle se dresse triste, enguirlandee de fleurs comme si toutes avaient fleuri a cette place. Les deux bras dominent la campagne comme pour embrasser /'horizon, Je solei] et le pays en tier.

L'Inauguration du Monument de Marchate"e 59 La Ville des Cayes: Politique I

La Joule s'amasse au pied du monument. C'est une mer de tetes et s'elevent par instants, les cris des douleurs des familles eprouvees. Tout pres de moi, une victime, infirme, Ia jambe coupee, evoque Je souvenir de ses freres et oubliant ses malheurs, pleure sur les morts. La musique entonne l'hymne national. Les tetes se decouvrent et j'ai senti manter de Ia terre, l'ame multiple des morts, une ame grande, l'ame de Ia terre. Se succedent aux pieds du Calvaire Madame Emile Blaise Paul, presidente de ]'Association Feminine des Cayes, Robert Coo­ per de l'Ecole des Freres, Maurice Barrateau du Lycee, Melle Vai"­ na Perrin de ]'Ecole des Soeurs, Marcel Delsoin du Parti Travail­ liste, Rene Conde, president de ]'Entente des ]eunes a ]'initiative de laquelle s'est elevee Ia Croix de Marchaterre, M. jean Briere re­ presentant Ia ville de ]eremie et Ia Ligue de Ia ]eunesse Patriote, M. Antoine Telemaque. Une can tate composee par Charles Bayard Jut chantee par un choeur avec une emotion telle qu'elle arracha des larmes a plus d'un. La ceremonie se cl6tura par l'allocution de M. Thelemaque qui, les ]annes aux yeux, Ia voix endolorie, clam a: "Desormais, chaque fois qu'on passera en cette grande artere de MARCHATERRE devenue Ia vallee de larmes, cette CROIX clamera au voyageur, comme Ia colonne des Thermopiles3: Passant! va dire a Hai"ti, que nous sommes morts ici pour sa regeneration Et le voyageur, s'inclinant devant cette croix, dira lui-meme:

Ave heroem Calchas 4

3 Combat des Thermopiles 480 avant J.C: bataille oil Leonidas et 300 spartiates se firent massacrer sans parvenir a arriJter l'armee de Xerxes 1er au defile des Thermopiles en Locride (Grace continentale). 4 Calchas: devin grec qui participa a Ia guerre de Troie. II ordonna le sacrifice d'lphigenie et conseil/a de construire le cheval de Troie.

60 L 'Inauguration du Monument de Marchaterre La Ville des Cayes: Politique I Et la Joule de six ahuit mille personnes s'en allavers la ville, silencieuse et recueillie. Toute la journee, plana sur la ville Je souvenir de ]'horrible tuerie, mais une depeche fit tomber le deuil. L 'assemblee des dele­ gues avait ratifie le choix de M. Eugene Roy. La nouvelle se repan­ dit et tousles yeux qui avaient pleure, s'illuminaient d'espoir. Tou­ tes les ames fremirent comme si Je nouveau Roy, sur le deuil, ve­ nait etendre la pourpre de sa royaute. Lajeunesse des Cayes, toute entiere, m' a confie un message pour Je nouvel elu. " Dites-lui que nous avons foi en lui. Dites-lui, surtout, que nous avons commemore au­ jourd'hui le souvenir de nos morts et que tous ceux de Marchaterre, meles a nous, croyent en son patriostisme". Belle journee que retiendra l'histoire grace au patriotisme des delegues a Port au Prince et au devouement de L'Entente des feunes des Cayes. Belle journee ! 11 a fallu tout Je sang de Marcha­ terre, il a fallu ce calvaire pour retablir sur le sol d'Hai"ti Ja Royaute du Bien, du Patriotisme et du Droit. Puisse M. Roy dont le nom a efface Je deuil de Marchaterre redonner a notre HaW, sa force et son passe. JEAN DEROUILLERE

Discours de M. Rene Conde, President de L'Entente des Jeunes.

L'Entente des feunes vous remercie du plus profond de son coeur d' avoir repondu en si grand nombre a son appel. Elle adresse un remerciement special a Monsieur Eulys Si­ mon qui, genereusement et patriotiquement, nous a offert le ter­ rain sur lequel s'est eleve ce modeste monument. Nous n'avons ete, nous de ]'Entente des Jeunes, que les sim­ ples ouvriers d'une oeuvre commune, nous n 'avons fait que reali­ ser les voeux et la volonte de to us, en payant ce tribut de gratitude a ceux qui sont tombes ici dans les evenements tragiques qui ont navre nos coeurs il y a trois mois.

L'lnauguration du Monument de Marchaterre 61 La Ville des Cayes: Politique I

Au pied de cette croix sur le socle de laquelle nous avons fait graver Jes noms de ceux que l'histoire appelle deja les heros de Marchaterre, communions dans le pur amour de la patrie que nous devons desormais mettre au-dessus de tout. .. Que sachant que leur sacrifice n 'aura pas ete vain, ils dorment en paix, ceux qui ont ouvert a Hai'ti la voie deJa redemption.

Discours de l'Eleve Robert Cooper

je suis venu en ce lieu que la tuerie du 6 dtkembre 1929 a rendu memorable et historique avec un coeur etreint d'une dou­ Joureuse emotion. j'y suis venu au nom de mes condisciples pour honorer, pu­ bliquement, ceux qui ont verse leur sang pour la revendication de nos droits. En effet, Je massacre injustifie de Ja Croix-Marchaterre a fait se dresser en un brusque sursaut l'humanite entiere et lui a montre une fois de plus le sort de notre malheureuse patrie qui ge­ mit, asservie, angoissee. Faucher impitoyablement de pauvres paysans qui, pacifiquement, clamaient leur faim, n 'est-ce pas faire preuve de barbarie? Mais cet holocauste, le Seigneur l'avait, peut-etre, juge necessaire. Nous vous honorons sublimes martyrs, vous qui Jivrdtes vos poitrines comme des cibles, vous qui brigates la mort de Ja sainte cause de Ja liberte, car : "Mourir pour la patrie n'est pas un triste sort C'est s'immortaliser par une belle mort C'est se dresser une couronne d'immortels lauriers!" Nous vous honorons victimes de Marchaterre et du haut des cieux ou vous tronez, nimbes d'or parmi nos autres martyrs, dai­ gnez jeter un regard de piete sur notre pauvre Hai'ti et comme gage de notre admiration je depose cette couronne au pied de ce pieux monument. Robert Cooper Eleve de ]'Ecole des Freres

62 L 'lnauRuration du Monument de Marchaterre La Ville des Cayes: Politique I

Par Jean Brierres pour Me Emile St Lot et Me Ernest Douyon. Vn sou/lie d'epopee a passe sut notte rle, :fait de btutale atdeut et de clameut hostile, Ptouvant al'univets que sommeillait en nous L'otguei/ qui /ait ttemblet et se btiset fes jougs. Vn soul/le d'epopee a passe dans les ames, entta'Lnant les en/ants, les hommes et les femmes Comme si que/que patt dans des manoits obscuts lJu des /antomes noits se posent sut les muts, lJn eut mis au cteuset notte Iache indolence et qu 'il en /ut sotti l'ot9ueil et Ia demence; L 'otgueil qui nous sou/eve et nous btise et nous ptend, La demence qui coule en volcan dans le sang. La mete sent l'en./1:!-nt lui motdte les enttailles. Sous cet en./antement Ia teue encot ttessaille. Vn sou/lie d'epopee a passe sut les cotps. Les lambis ont lance de si vibtants accotds Que tous se sont leves,f;.evteux,dans le delite, et les ptedestines ont subi le 5Jtattyte. lJui, tous se sont !eves sous le nouveau /tisson, !lnteuogeant d'un oei/ macabte l'hotison. et tous se sont !eves: Les humbles, les timides. et des eclaits atdents echaul/etent les tides.

5 Jean Briere r8digea /e poeme chez Edouard Ben8dict repriJsentant de /'Union Patriotique

L'lnauguration du Monument de Marchaterre 63 La Ville des Cayes: Politique I

L'homme sait-if jamais ce que g)ieu veut de lui? Lo'I.Squ 'une omh~e se !eve et lui mu~mu~e ..Suis ?. .. Les uns s 'en sont alles ~eveille~ a C:VeHie~e Les mtines qui do~maient dans un silence auste~e.

Ce jou~-la les tomheaux ont t~emble de douleu'I.S Gt su~ les Aondaisons une Msee en p/eu~s Coulait. Que voulait-on aux omh~es he~oiques Qui comp~i~ent jadis que c 'est avec des piques, mes pieHes, des lamhis qu 'on p~end sa Libe~te Gt non avec des mots qu 'if/aut Ia mendie~? Que voulait-on enftn a ceux de La/eHie~e mont Ia lo~ce est ~estee au coeu~ pu~ de Ia pieHe? Que n 'etes-vous so~ti de /'omh~e .ER.oi c9len~y? Que n 'avez-vous lance vot~e el/~oyable c~i, Qui dechama jadis les /lammes des ~ivages, Les gestes al/oles et les clameu'I.S sauvages. j}{ais vos sah~es c/ai'I.S i//ust~es et t~anchants Gt qui veufent hohe enco~ fe sang des Manes c9lelas! n 'ant pas daigne s 'abaisse~ aux pygmees

Qui S 'en vin~ent glane~ a VOS pieds des t~ophees. fP/us d'un jou~ avail lui su~ feu~ malheu~eux so~t ... Plus d'un solei/ d'espoi~ avail p~is son essoL.. Gt le soi~, se plaignant ensemble a Ia veillee, !fls pa~laient du passe, Ia paupie~e mouillee. Le b~asie~ c~epitait mollement autou~ d'eux. Vn spect~e ~evenait qui /es hantait, hideux, Spect~e des lendemains hoHibles su~ Ia plaine

64 L 'Inauguration du Monument de Marchaterre La Ville des Cayes: Politique I

et qui Mmenetait le soldat de Ia ~aine Pout augmentet encote le ptix de leut tahac, qahac aime des dieux et de Papa ..fegha. et devisant ainsi de leuts pipes d'atgile tJu de hois, i/s /aisaient montet !'omhte suhtil, .La /umee ou le teve en des fils atgentes 5tfonte vets des pays lointains, inhabites. et les seuant alots, douce contte leuts levtes Comme un susunement d'une autte houche mievte, <:Lndtes, il disti!laient !'enivtante liqueut Qui leut gtise !'esptit et !'ame de langueut . .La phtase qu 'i!s disaient etait lente et suave et chaque mot chantait, humide d'une have . .La /Iamme ctepitait plus soutde main tenant et de ttes longs soupits s 'atpegeaient lentement. et le soit alentout ou s 'achevaient les danses :l'aisait au vent des soits de soutdes confidences. et ces soits avaient /ui comme les auttes soits .. . et l'espoit /leutissait sut Ia mott des espoits ... . Vn viei!latd avait dit, majestueux aedte: "~guie non mes ammis, ~guie, pi ta pi taide ". !f/s vi tent les agents de Ia /otce jetet !lmpitoyablement les "laies" de ca/e, et les haies saignaient tant qu 'on ditait le sang meme, .Le sang de leut pays qu 'indi//etent !'on seme. !f/s s 'en a!laient alots patmi les ca/eiets. !II sentaient les tayons de leut seve abteuves; S'en a!laient plus couthes sous Ia dute gehenne.

L'Inauguration du Monument de Marchaterre 65 La Ville des Cayes: Politique I

et d'ametes sueu'lS coulaient dessus leut chaine

!fl s 'assemblent un soit, a l'heute ou dans le bois Commencent apasse~ les omb~es en convois. !fls s 'assemblent. La ctoix de ses btas les domine. La gtande ctoix de bois devant qui tout s 'incline. La ctoix qui n 'entend plus leut clameut et leut cti et ou. semble plus mott que iamaisf/esus-Chtist. !fls s 'assemblent. La-.93as, s 'ils allaient vets Ia ville, S'ils allaient, pantelants et sans humeut hostile lJh.J dite qu 'i/ ont /aim, de monttet qu 'ils sont nus, Qu 'ils sou!ftent de douleuts qu 'on ne connaissait plus. S'ils allaient supp/iet au moins qu 'on leut achete Ce laie de ca/e qui paieta Ia machette et qu 'on laissa chantet les ailes du moulin, fPoutqu 'ils aient du sitop, /e soit, et du c/aitin. ff)epuis qu 'un homme vint et /etma Ia gui/dive, Les tites ont tati, tites dans Ia salive Jloyes, tites btuyants, lJ salves de gaitL.

S'ils allaient sous Ia nuit monttet leut nudite? ... 5Jtais on les chassetait peut-ette!- vl/1/et quand mime vl/1/et pout ne pas voit Ia /aim, ce spectte bleme !Rampet dans Ia ckaumiete aux verzttes de /euts /ils, des filles, des mamans, mettte a leu 'IS fi,onts des plis, vlluachet des soupi'lS a leu'lS tudes enttailles, vll ces ettes de /ets /otges pout les batailles! 5Jtais les entendtait-on?- Quand mime allet, a/let

66 L'Inauguration du Monument de Marchaterre La Ville des Cayes: Politique I

mominant leu~ audace abjecte et leu\ tolle, ~/let leu\ di~e: :flos en/ants pe~issent de misete IR.ien ne pousse plus, Ia campagne est amete". Leu\ dite: nous voici tous nus, nous avons /aim. L'oisivete jamais n 'ensotcela nos mains. 'Jlous aimons nohe sol malgte ses histes ~uines 'Jlous y tenons comme aIa tene les tacines 'Jle laissez pas ces btas s 'en a/let ve~ Cuba Comme nos /tetes noi~ que le blanc malttaita. Le cottege btanla t\istement.

@((5~! <:Ju fes as domines ces en/ants de Ia tene. et c 'est ve~ toi que tous ont potte leu~ \egatds Quand ils laissent leu~ champs au moment des depa\ts. <:Ju les a vus pattit et comme un g~and manteau Comme pout ptoteget ce soit le chemineau, <:Ju /is pleuvoit soudain des etoiles sans nom <:Je souvenant Seigneu\ d'un depa\t aussi sombte, me Ia /uite en egypte. et toi seul sais jamais Ce que t 'ont dit leu~ yeux manges pat les tegtets.

!fls s 'en vont. C'est un champ si lugubte qui monte Qu 'on se di~ait hes loin ttanspotte dans un conte Cn des lieux chetis obscu~ement du coeu~. !fls s 'en vont, doulouteux, clamant leu\ peine en coeu\. 5JI.ais soudain ces gtands yeux a/fumes dans Ia plaine, C'est mamba/a lJuedo qui comptend leu\ gehenne.

L'lnauguration du Monument de Marchaterre 67 La Ville des Cayes: Politique I

JlhJ c 'est Ia deliv'tance et les batons dans l'ait semblent chasse't. pattout , pattout l'esptit amet. La lumi.ete s 'apptoche, et soudain,ces patoles et ces song o/abitch et ces god, am si dtoles, Ou. ont-ils jamais entendu ces mots-/a? Vn jout, oui. Pouttant,oui ... l'un d'ewe se tappe/a, Que s 'en vintent des blancs, "93/ancs meticains awe Cayes" "gou fa,ce pays Ia neg 'Ia ville yo te bailie .. " Jllou devant ces gens que hait tout leu'& instinct, !fls oublietent tous, oui tous qu 'i/s avaient /aim, Que leuts ftls etaient nus, leuts epouses sans tobe. !fls ne demandaient tien, tien a ces neg'tophobes. _go away- go away et btaquant leuts /usi/s, !fls ticanent, /es blancs _go away, gtondent-ils, Cat i/s ont vu s 'en/uit dans /es villes des /ou/es, Vne balle a sulf;. pout dechafnet ces houles. Les tudes campagnatds avancent vets les camps, Jl bas l'opptession, a bas tous les ca'tcans! !fls vont pout demandet du secouts a leuts /tetes, 9Ju pain pout leuts en/ants et du pain pout leuts metes, _goJ am! et Ia dechatge eclate dans Ia nuit, et Ia teue '&efoit les cadavtes sans btuit, Comme si que/que main de b'tanche ou de /antome eut voulu '&ecevoit leu'& chute dans sa paume. Vn instinct se tevolte en ewe et leuts batons :font teculet /es laches opp'tesseuts pat bonds. Pietvius est tombe . .5tfesimet le televe. - et les machines gun chatgent, chatgent sans tteve.

68 L'lnauguration du Monument de Marchaterre La Ville des Cayes: Politique I

Jlgonisent les moHs et talent les blesses. et les cotps sut les cotps tetomhent entasses, et les femmes dans l'omhte essuient les /tonts de glace. Le clait de lune au cie/ s 'etait voile Ia /ace et seul testait encot, ttiste, les htas en ctoix, Le Chtist de 511atchateHe eleve dans le bois. CVous qui gtavltent tous ce /uguhte Calvaite,

!/e VOUS nomme agenoux, !){t\OS de :Matchatettef !/ean, Compete, Jlugustin, !/ean-fBaptiste, Sena guettiet, Poindjou, Leget, Si/ius, Potcena! lJ wdes campagnatds qui demandiez du pain et qu 'on ahteuva des /lammes de l'aitain, Comme on donna du fie/ au Chtist en agonie, Qui tefi1tent Ia mott en demandant Ia vie CVous augmentez des motts Ia cohotte sans fin.

lJui, VOUS etiez hop puts pout ce chatniet humain Ce ttoupeau vi/ et plat et stupide qui /aula L'hethe ahjecte que laisse une main sut Ia toute

lJui, VOUS etiez ttop gtands et VOS gestes sactes Sont testes sut Ia teue emouvante, sculptes.

'Jle soyez pas emus, apaisez VOS coletes Lotsque vous entendez d'indignes metcenaites CVous appelez Piquets! lJ gtands deguenil/es Cat fes plus gtands que nous, oui, les sactifies Ceux qui de Ia hauteut de leut ctoix nous depassent 'Jlous /ont mal aux tega'l.ds que Ia laideu'l. enc'l.asse.

L 'Inauguration du Monument de Marchaterre 69 La Ville des Cayes: Politique I

.Eotsqu'unjout on/eta le /temissant appel, t.llux dieux quand il/audta dtesset un touge aute/ t.llvec Petalte, avec Sully, dans Ia lumiete tJn devta vous cite'l. g.{e'l.os de .5ttatchatene!

70 L'Inauguration du Monument de Marchaterre La Ville des Cayes: Politique I

Par Charles Bayard

tJhJ 93enissons les mot.ts de Sttat.chatene !lnclinons-nous devant ces nobles p'l.eux. Ce sont vt.atl'l'lent des hommes cout.ageux, f/Je bonne ttempe et de gt.and cat.acte'l.e.

!/Is n 'ont pas eu Ia moindt.e de/aillance, Ces gt.ands hetos, de/enseuts de nos dtoits. 'Jl 'oublions pas /euts g/ot.ieux exploits, !fls ont !utti pout. not'l.e de/ivtance.

!/Is ont !utti jusqu 'au moment supt.eme, !/Is ont sou/let.t, i/s se sont /ait tue'l., '-'/ l'ennemi qui veut nous conspue'l. !/Is ont jete !'implacable anatheme.

'Jle pouvant plus endutetle ma'l.tyt.e, !fls ont pousse le ct.i de /ibet.ti, Cti de t.evolte et de /et.ociti, Cti /ut.ibond des peuples en delite.

!fls sont pat.tis dans un geste sublime, !J/s sont pat.tis heu'l.eux et satis/aits, ~ets d'avoit accompli de si g/ot.ieux /ails, L'ame sans tache et le /tont magnanime.

L'Inauguration du Monument de Marchaterre 71 La Ville des Cayes: Politique I

Pout conquetit Ia libette si chete, Pout le tespect et /'honneut du dtapeau, !lmmolons-nous, c 'est le sott le plus beau, C'est tachetet Ia nation entiete.

ECHO DES CAYES Sur l'initiative de ]'Entente des ]eunes, une pierre tombale a ete erigee a Marchaterre, en commemoration de la tragedie qui sy deroula le 6 Decembre demier. L'Entente des ]eunes remercie taus ceux qui, en grand nombre, ont contribue par leur obole aI' erection de ce monument, particulierement La Muse de Mr Theomar Fram;ois et l'Espagnol Molinari qui a passe la nuit a decorer Marchaterre tandis que Ma­ dame Molinari confectionnait des fleurs et une belle corbeille a leurs frais; les dames et demoiselles de l'Union Feminine, l'ingenieur Porter pour a voir dresse un pont sur la ravine permet­ tant le passage des manifestants, geste assurement plus grand que celui de son chef Duncan, battant la campagne de Fonds-des-Ne­ gres pour organiser une danse de Vaudou avec des tambours up­ partes par lui-meme pour les faire photographier et denigrer de pauvres paysans. Les eleves des Freres et des Soeurs ont pris part a la manifes­ tation et leurs delegations ont depose des couronnes au pied du monument. On a remarque l'absence d'une certaine ecole hai"­ tienne sans en comprendre la raison LE TEMPS,1930.

72 L 'Inauguration du Monument de Marchaterre La Ville des Cayes: Politique I

BIBUOGRAPIDE

AUGUSTE,Y., 1987: Haili et les Etats-Unis Imprimerie Henri Deschamps Port au Prince, Haiti. BLANCPAIN, F., 1998: President d'Haiti. Editions Regain Imprimerie Le Natal Port au Prince, Haiti. BRIERRE,J., 1935: Province Editions Henri Deschamps Port au Prince, Haiti. CONDE,R., 1964: Entretiens avec }'Interesse aux Cayes CORVINGTON,G., 1993: Port au Prince au Cours des Ans Imprimerie Deschamps Tome VI KANSKY,R., 1964: Entretiens avec !'Interesse Port au Prince, Haiti. FOUGERE, S., 1954: Memo ires In Haiti-Journal Port au Prince, Haiti. HOGAR,N., 1956: L'Occupation Americaine et la Revanche de l'Histoire. Industrias Graficas

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74 L 'Inauguration du Monument de Marchatcrrc La Ville des Cayes: Politique I

JOURNAUX Le Matin, 1929, 1930 Le Nouvelliste 1930 Le Journal 1929, 1930 La Presse, 1929, 1930 Halti- Journal, 1954 Justicia, 1930 La Petite Revue, 1930 Le Temps, 1930

L')nauguration du Monument de Marchaterre 75 La Ville des Cayes: Politique I

Annexe 1

Memoire a Monsieur le President de la Republique d'Hai"ti.

Monsieur le President, Les citoyens soussignes ant l'honneur de Vous adresser LE PRESENT MEMO IRE sur Ia loi etablissant une T AXE sur l'ALCOOL et le TABAC. Ils croyent remplir un devoir civique en attirant }'attention du gouvernement de la Republique sur certai­ nes consequences de cette LOI qui, ils veulent le croire, peuvent lui avoir echappe. Ils pensent et affirment que !'application de cette taxe trap lourde entrainera, et cela a breve echeance, la RUINE de l'INDUSTRIE DE L' ACOOL et de la CULTURE DE LA CANNE-A-SUCRE. En effet, Monsieur le President, l'Etat pen;oit sur 60 gallons ou 225 litres d'alcool inferieur a 24 degres Cartier la somme de soixante sept gourdes et demie (gdes: 67.50), valeur superieure, au cours actuel, a celle du sirop necessaire ala fabrication de ces 225litres de clairin ou de tafia. Une taxe aussi elevee est tout sim­ plement prohibitive. (Ce que nous disons ici du clairin ou du ta­ fia est a fortiori vrai des alcools des degres superieurs). En edic­ tant que l'impot sera paye avant que l'alcool soit enleve des bati­ ments de production, l'art. 10 accentue ce caractere prohibitif. 11 en resulte que le distillateur se trouve place dans !'alternative de doubler son capital d'exploitation ou de reduire sa production de moitie. 11 est a peine besoin d'affirmer qu' a cause de la misere ac­ tuelle, la seconde alternative est celle qui se realisera toujours. Et on voit tout de suite, sans entrer dans les details, qu'une industrie dont l'activite est enfermee dans d'aussi etroites limites est ap­ pelee a decliner rapidement eta disparaitre. Ceux qui ant conc,;:u et fait voter la loi du 14 aout 1928 doi­ vent savoir-car se pourrait-il qu'ils eussent agi sans avoir serieu­ sement etudie les conditions et les possibilites de l'industrie de l'alcool?- que depuis des annees, 80% au mains des guildives des faubourgs et de la plaine des Cayes, ne fonctionnent plus; que Ia

76 Annexe 1 La Ville des Cayes: Politique I consommation de l'alcool a graduellement diminue et, ace point que depuis des mois, avant meme qu'il fut question de taxes, elle etait tombee au 1\3 de ce qu'elle etait l'annee derniere. Nous pre­ sumons que la decadence d'une industrie autrefois prospere n'est pas un phenomeme particulier a Ia region des Cayes. Ce qui cer­ tainement ne l'est pas, c'est la lutte a au trance que livre, il y a deja quelque temps, aux distillateurs haltiens, une societe etrangere puissante, pourvue de gros capitaux, possedant des appareils perfectionnes et employant pour Ia fabrication de l'alcool, un sous-produit de ses usines sucrieres, taus avantages qui la met­ tent a meme de compenser,dans une large mesure, la taxe la plus elevee, il est vrai, que lui impose la loi. Demandons-nous, main­ tenant, apres tout ce que nous venons de dire, quelle est en face d'elle, la situation de l'industriel haltien. Nous ne parlons ici que de gros industriels haltiens. Quant aux petits producteurs- et ils sont legion- ceux qui travaillent par a-coups, quand ils ant pu amasser ailleurs, peniblement, une maigre valeur qu'ils ne veu­ lent pas laisser inemployee, leur compte est fait. Pour eux, c'est la mort sans phrase. Nous disons tout a l'heure, que la consommation etait deja considerablement reduite.Elle va l'etre encore plus par suite de la majoration des prix,consequence immediate de la taxe. Du coup, a cause de la mevente desormais chronique, et du temps plus long par consequent qu'il mettra a realiser ses benefices, le distil­ lateur verra s'amoindrir ses revenus mensuels que la production ramenee a 50 % avait dW1. diminues de moitie. Et le voila oblige pour vivre, d'entamer chaque jour un capital deja insuffisant. Car pour peu qu'il veuille travailler regulierement, aucune industrie ou profession n'est remuneratrice si elle ne s'exerce avec une cer­ taine regularite - il devra dans ce cas renouveler les avances considerables qu'il fait au fisc pour le consommateur avant meme d'avoir rentre une infime portion de celle precedemment faite. Que veut dire cela si ce n'est LA RUINE CERT AINE et a BREVE ECHEANCE? L'Etat apparait maintenant, Monsieur le President, nous ne dirons pas sous le joug adieux d'un criminel exploiteur, mais sous celui d'un mauvais exploitant. Car, en definitive, c'est lui l'Etat qui exploite, a present, toutes les distilleries d'Halti, c'est lui, l'exploitant qui compromet l'entreprise, qui prend la grosse

Annexa 1 77 La Ville des Cayes: Politique I part, mais en repudiant les charges et les risques. Et ils sont grands ces risques, elles sont enormes, ces charges. Les pertes par coulage, mauvais rendement, creances non recouvrees, les frais de chauffage, de transport, les frais de tonnelerie, d'employes, de loyers,etc, absorbent la majeure partie des benefices. Vraiment, Monsieur le President, LA LOI du 14 aout 1928 vous a un aspect spoliateur inquietant. N'est-on pas en somme exproprie, si, en depit des garanties constitutionnelles, il est defendu de disposer de son bien sans autorisation de la Regie et sans verser a sa caisse; si, pour replacer le toit de nos distilleries enleve par un cy­ clone, nous sommes obliges de solliciter, la main dans le gousset, la permission de Monsieur le Directeur General des Contribu­ tions indirectes? Et que dire des penalites? Nous n'en parlerons pas bien qu'il soit difficile a un distillateur meme scrupuleux de ne pas avoir a payer de temps en temps des cent, des mille gourdes, sans compter la prison et la confiscation. Mais vous savez bien, Mon­ sieur le President, pour etre au dire de toutle monde, un grand ju­ riste, que les peines trap severes et hors de proportion avec la gra­ vite des delits finissent par discrediter une loi et par en res­ treindre !'application. L'arbitraire ne beneficiera pas du meme silence de notre part. L'ideal pour une loi est ne rien laisser au ca­ price, ala fantaisie, a l'humeur, ala rancune, ala haine de ceux qui doivent l'appliquer, en un mot, d'eliminer le coefficient per­ sonnel. S'il n'est que loyal de dire que la loi du 14 aout 1928, sur ce point, entr'autres, amende le projet primitif, elle n'en laisse pas mains beaucoup a desirer, Voyons un peu. L'administration ne peut-elle pas par une decision qui est sans appel nous impo­ ser dans nos distilleries, des constructions, des destructions, des changements nuisibles et dispendieux, alors que l'etat de chose existant ne gene en rien son controle? S'il plait a un Directeur General des Contribution d'ignorer une demande de licence ou de n'y faire droit que des mois apres, le sollicitant, force de de­ penser done dans l'intervalle la valeur qu'il reservait a son in­ dustrie ne sera-t-il pas ruine? 11 en est de meme si, pour une mau­ vaise raison quelconque, sa licence lui est retiree en cours d'exploitation. Entre parentheses, que devient dans tout ceci la li­ berte du commerce? Un simple avis accompagne du versement de 5 gourdes devrait suffire a habiliter la profession de distilla-

78 Annexe 1 La Ville des Cayes: Politique I teur. Quant au retrait de Ia licence, il nous parait superflu apres les amendes, Ia prison, et Ia confiscation cumulees. En tout cas, Ia loi aurait pu determiner limitativement les causes pour les­ quelles Ia licence peut etre enlevee, et donner au distillateur frap­ pe du retrait le droit d'en appeler de Ia decision administrative. Elle aurait pu determiner, il nous semble,grace a une analogie etablie par quelques exemples bien choisis, les questions aux­ quelles on peut etre oblige de repondre, et ne pas permettre qu'une simple demande de renseignements puisse, au gre d'un fonctionnaire, prendre les allures d'une inquisition. Pour en finir avec cette question de licence, demandons-nous, Monsieur le President, pourquoi le legislateur, en etablissant une lourde taxe sur l'alcool, a cru necessaire de faire en outre payer cinq gourdes chaque annee. Au surplus, n'est-il pas evident que celui qui sere­ signe a acquitter cet imp6t ecrasant,ne va pas se mettre a fabri­ quer l'alcool pour ensuite le garder eternellement chez lui? Si, a la rigueur, on peut admettre que le fabricant paye les cinq gour­ des pour Ia licence, il est equitable qu'on en exempte le petit de­ taillant, Ia petite marchande qui vendent dans les rues, dans les marches, pres des wharfs un ou deux gallons de tafia dont Ia taxe est deja payee et sur lesquels ils ne gagnent pas grand' chose. Si l'Etat a interet a grossir ses revenus, il n'en est pas moins vrai qu'il n'en a aucun a vider la poche des particuliers. Au contraire. Il est, sans doute, parvenu a Votre connaissance, que par une interpretation inattendue et logiquement inexplicable de la loi, !'administration des Contributions, apres avoir touche en Septembre le montant de la licence exige qu'on en fasse delivrer une autre en Octobre sous pretexte que la premiere est delivree pour l'exercice 1927-1928. Comment peut-on etre oblige de payer Ia licence pour tout cet exercice quand Ia loi elle-meme qui eta­ blit cette licence n'a ete votee qu'un mois et demi avant son expi­ ration? Est-ce de notre faute, si on a avance d'un mois Ia date d'application de Ia loi? On a dit que le gouvernement a voulu pre­ venir,la constitution, dans l'intervalle entre le vote de la loi et son entree en vigueur, de forts stocks d'alcool qui echapperaient ainsi a Ia taxe. Nous ne savons pas s'il est convenable de Ia part de l'Etat de Iutter de vitesse avec les particuliers afin de leur enle­ ver un avantage que ceux-ci se trouvent avoir naturellement, par la force meme des choses. Mais nous savons qu'il est de principe

Annexe 1 79 La Ville des Cayes: Politique I a mains qu'il ne s'agisse de cas extraodinaires et pressants de la vie nationale mise soudainement en peril, qu'on n'applique pas une nouvelle loi fiscale au cours d'un exercice budgetaire. Nous savons qu'il ne faut pas que le contribuable qui, apres avoir cal­ cute ses depenses en y comprenant les impots votes pour l'annee, arrange ses affaires en consequence, puisse se trouver en face d'exigences fiscales imprevues qui compromettent sa for­ tune et son industrie. Nous savons enfin qu'elle est injuste une loi qui autorise le gouvernement a encaisser des impots qui n'ont pu etre }'objet d'aucune prevision budgetaire parce que n'existant pas au moment du vote du budget et de la loi des finances. De pa­ reilles mesures, Monsieur le President, creent l'instabilite, ef­ frayent le capital, decouragent et paralysent le travail. II nous est difficile de croire que ce soient la des buts que puisse poursuivre un gouvernement, quelqu'il soit, ayant a coeur les interets de la nation. Ajoutons que l'Etat se doit etre toujours le premier a don­ ner l'exemple de l'honnetete et de la justice. Cela s'impose ici d'autant plus qu'il s'agit d'appliquer une loi " drastique" qui ne suppose la bonne foi nulle part. Vous voyez par quel singulier hasard les dispositions de cette loi et les mesures qui en accompagnent }'execution manifes­ tant une tendance spoliatrice tant des biens et de la fortune de ci­ toyens que des garanties legales et constitutionnelles. Elles sem­ blent toutes concourir a ruiner une industria essentiellement na­ tionale en ce sens que non seulement elle a toujours ete exercee dans le pays, mais encore qu'elle se trouve surtout en des mains ha.ltiennes. Soulignons en passant que la biere n'est frappee que d'une taxe de 10 centimes par litre. Or la fabrication de la biere est une industria nouvelle que des americains tentent d'acclima­ ter chez nous. II a done suffi a ces etrangers qui, a cause d'un re­ gime" volsteadien" en vigueur aux Etats-Unis n'y peuvent ex­ ploiter leur industrie, de transporter en Hai'ti, leur materiel que rongeait Ia rouille pour etre accueillis non seulement avec bien­ veillance, ce qui est bien, mais encore pour voir leurs interets proteges au detriment de ceux d'une industria nationale, ce qui est, a tout le mains, etrange. Bien plus ces brasseurs, qui vont sans doute essayer de reconquerir la clientele etrangere qu'ils avaient avant l'etablissement chez eux du regime sec, seront exo­ neres de toute taxe en exportant la majeure partie de la biere

80 Annexe 1 La Ville des Cayes: Politique I qu'ils auront fabriquee. Tandis que nous, nous n'exportons pas notre alcool. Aucun debouche ne lui est ouvert, aucun des pays avec lesquels nous avons signe des accords commerciaux ne le rec;oit. Le corollaire naturel de l'aneantissement de l'industrie de l'alcool est la ruine de la culture de la canne a sucre, c'est adire la ruine de ce paysan que, des votre accession a la presidence de la Republique, Vous avez proclame le premier objet de votre solli­ citude. Le premier effet de la LOI du 14 aoftt 1928 a ete une chute du prix du sirop de canne et une majoration de celui de l'alcool. Elle a etabli automatiquement un plafond qu'atteindra rarement le premier et un plancher au-dessous duquel ne descendra jamais le second. Le malheureux paysan qui paie plus cher son tafia, mais vend son sirop a bas prix, ne sera-t-il pas decourage? Ne se­ ra-t-il pas tente d'abandonner une culture de mains en mains re­ muneratrice, culture sarclee et qui ne rembourse qu' au bout d'une annee les avances souvent considerables qu'on est oblige de lui faire? Et par quoi remplacera-t-illa canne arrachee? Parle tabac? Mais n'avons-nous pas vu bier combien bas etait cOte ce produit parce que dit-on le tabac dominicain entrait chez nous en contrebande par la frontiere? Que sera-ce alors quand toutes les terres ou l'on cultive maintenant de la canne a sucre seront plan­ tees en tabac? On parle beaucoup de la figue banane. Mais songe-t-on que cette culture suppose !'existence d'un outillage que seul l'Etat peut creer: moyens de transport rapide et a bon marche, ports bien amenages, pourvus d'un materiel moderne permettant un embarquement sftr, facile et celere. N'oublions ni les cyclones, ni le vol, autre fleau qui desole nos campagnes. Ah! Monsieur le President, il est des moments au la loi semble presa­ ger on ne sait queUe revolution dans notre agriculture et notre re­ gime agraire. En admettant que le gouvernement de la Repu­ blique, gardien des inter~ts generaux, bien tenu au courant par ses agents au dehors des besoins des marches exterieurs, pense qu'il est avantageux de rem placer une culture par une autre , en­ core faut-il convenir qu'une operation d'un telle ampleur, une operation d'une telle envergure, une transformation aussi radi­ cale des habitudes et des traditions agricoles de certaines regions du pays demande, pour ~tre menee abien, sans heurts, sans souf­ frances, ni privations, a ~tre etendue sur une certain nombre

ADnexal 81 La Ville des Cayes: Politique I d'annees. Ellene peut se faire au pied leve. Mais, ce n'est pas la le but vise par le gouvernement qui, d'aillleurs, n'a jamais donne dans ce sens ni une indication ni un conseil. La loi semble dire elle-meme qu'elle a en vue le degrevement du cafe. Vraiment, Monsieur le President, est-il necessaire, pour soulager le paysan qui plante du cafe, d'accabler le paysan qui plante de la canne-a-sucre? L'un est-il moins interessant que l'autre aux yeux de l'Etat? Et puis ruiner l'un, n'est-ce pas indirectement ruiner l'autre, puisque c'est ruiner le pays? Toute mesure qui amoindrit la capacite d'achat d'une ou de plusieurs classes de producteurs affecte necessairement toutes les industries, toutes les profes­ sions. Qu'on en convienne ou non, qu'on l'ait voulu ou non, le re­ sultat auquel doit aboutir LA LOI du 24 aout 1928, c'est bien la ruine du peuple, l'instauration definitive du pauperisme en Hai:­ ti, c'est- a-dire la condamnation de nos enfants et petits enfants a une decheance a la fois physique, intellectuelle et morale. Deja, les distilleries, la terre subissent une depreciation que, sans exagerer, nous pouvons evaluer a 50% de la valeur qu'elles avaient avant la loi d'impOt sur le tabac et l'alcool. Que vaudra avant longtemps l'enorme capital fixe dans le sol sous forme de chaudieres, d'alambics, de moulins, de cabrouets,etc? L'Etat croit-il qu'il peut s'enrichir quand le pays se meurt dans la misere la plus affreuse, la plus sordide? 11 y a deux facteurs es­ sentiels a considerer dans l'etablissement et la determination d'un impOt: les besoins de l'Etat et la capacite fiscale de la nation. De ces deux facteurs, le second domine le premier. En sorte que, quels que scient les besoins de l'Etat, jamais il ne doit et ne peut imposer au pays des sacrifices qui sent au-dessus des moyens de celui-ci. Or vous savez, Monsieur le President, et Vous aussi, Vous savez, puisque Vous Etes le chef de l'Etat, combien grande est la detresse de la nation. Industrie, commerce, tout est aux abois. Le peuple a faim, Monsieur le President. Ses privations, son denuement sent extremes. Et c'est ace peuple deguenille, a ce peuple qui se taille des habits dans des sacs Afarine qu'on de­ mande encore des millions, toujours des millions! Et l'Etat ecrase ce pauvre peuple sous le faix d'un impOt de sa dette exterieure, et garde dans sa caisse des valeurs considerables n'ayant aucune af­ fectation speciale.

82 Annexa 1 La Ville des Cayes: Politique I Nous pensons qu'avant d'avoir des droits, l'Etat a surtout des devoirs. S'il ne peut ~tre question de lui demander de cr6er le travail, il a pour devoir de prot6ger les industries existantes et de faciliter leur d6veloppement. Bien plus, il doit collaborer ala pro­ duction en assurant la s6curite et en fournissant l'outillage 6co­ nomique national. Mais oil sont les routes de p6n6tration qui permettraient d'aller chercher dans les r6gions 6loign6es les ri­ chesses qui s'y perdent? Mais oil est la s6curit6? Oil est le cr6dit? Une s6cheresse qui a dur6 pres de dix ans acheve de s6vir sur les plaines des Cayes et de Torbeck. Autant et peut-~tre plus que !'emigration, elle a contribue ales ruiner. Vous devez avoir ap­ pris qu'un planteur de la Plaine de Torbeck a du,de ses propres fonds, faire reparer sur un parcours de plusieurs lieues un an­ cien canal de la colonie, afin d'arroser ses terres et de faire mar­ cher son moulin. Comment! L'Etat ne nous donne rien et s'octroie le droit de nous tout prendre. Est-ce juste cela, Monsieur le Pr6si­ dent? La force dont il dispose le dispense-t-elle de s'arr~ter de­ vant une iniquite? Persistera-t-il a appliquer telle qu'elle est une loi dont nous crayons avoir indique les funestes consequences? Ces consequences, supposons-nous, peuvent ne pas avoir assez frappe }'attention du gouvernement insuffisamment informe. C'est pourquoi nous avons juge necessaire de Vous les signaler, esperant que nous n'aurons pas en vain fait appel a Votre bon sens eta Votre conscience. Veuillez agreer, Monsieur le President nos respectueuses salutations.

CAYES, LE 27 SEPTEMBRE 1928.

I. t~,-~::. :-~-----,-__ -.-_···-,--~-·-"·: .. ,.-~:.:~~~~~~ r::Jtt"/=:·i ··/~// 1'--:'~!//•·',:--,r. '·-'·~~·-/

~------·--_:;/! '\nnexe 1 83 La Ville des Cayes: Politique I

Liste des Signataires du " Memoire" Ed. N.Numa, Guillou, Ant. Larco, Charles Dennery Fils, in­ dustrial, Jh. V.Delerme, avocat,L.Thomas, Ant. Telemaque, av, Rameau Loubeau, Distillateur, Laurent Sicard, D.A. Villarson, P.V.Lubin, planteur, Ulysse A.T. Simon, Planteur, Diogeme Theard, Auguste Mackenzie, Alexandre Regis, planteur, Emm. Conde, Marc Hollant Av, Ls. Jh. Simon,industriel, Jh.C, Benoit, C.Boyer, Himere H.Sicard, D.Pyram,D.Moi:se,Jn, Baptiste Dorvil, Dx.Hall, Dt•ur de l'ESTAFETTE, D.Placide, D. Jn Jacques,Av,L. Boucard, Eug Staco,M. Fantal, M.Jocelyn, A.D.Conde, A.Cassion, S.Cazeau, Alie Darbouze, A.Daguilh, A.Morisset, G.Morisset, N. Nelson, Rameau Zamor, A.D.Herard, J. Jeannot, B. Pyram, V. Boyle, avocat, M.Aubourg, Em. Glemaud, L. Josphat, A. Simon fils, A. Lachaud, W. Emile, Em.Bonne-Annee,S.Voltaire,M.S.Fa­ reau,Jh.Favrol,GeorgesA.Felix,B.Verret,Beauvais Darbouze,plan­ teur, F.Joseph, A.Raymonis, planteur, M. Lucien, agriculteur, D. M. Saint-Paul, Ls. Pressoir, Boislandry Sevejac,clteur, F. Lucien, Joseph Jean, Elien Cadet, Mildor Jn Claude, S.j. Maxis, Genis Ca­ det, E. Lucien, Mildor Jn Claude, C. Jn Claude, S.F. Maxis, Edmond Redan, Semirac Jeune, Mezifort Joachim, Jean Jn Phi­ lippe, Marcius. St Paul, W. Bargar, Maximilien St Paul, Dutel Noel, D.David, D. Charles, Nicophene Dumele, Alberie Merzier, pteur,E. Jn Simon, Ancien Juge Suppleant, B.E. Felix, planteur, Leonce Redon,Cherias JnClaude, Jh Legendre, Ch. Chaperon, Moinier Chacha, D. Alcena, Rodolphe Ferrier, Ls Jn Joseph, Arestil Chacha, D. Belmond, Modes Jeune, Albeus StUber, Jeu­ neus Jeune, Theodore Rosilme, Antonio Domingue, Julien St Uber, StThomas Ste Rose, M. Belabe, Septimus Bazelais, Emm. Duplessis, Leonce Belon, Laurent Bourand, Ciceron Richard, R. Calvaire, Luc Jn Fils, Leonel Bayard, D. St Paul, Jura France, Do­ relus France, Dufiort St Huber, Ab.Dommer~,tant, M. Domingue, Eliazar Dumele, Telfort Charles, Userbe Lavageste, Rene Gaetan, Saintiverne Sainty, Enard Simon, Oxis Clerger, J. Munigue, Ri­ chema Chery, Wal Mentor, Theophane Chaperon, Victor Ray­ mond, Monnavis Domingue, Millevoye Michel, Julien Franc~, Cadet Jeune, Antoine Domingue, Charles Berlus, V. Legout6, Cl­ ceron St Hubert, D. F. Quincy Fils, Louis Lubin, Vilbrun Lubin, A.Adelon, Bonne fils Moise, Carnera Raymond, Jacquemart Ca­ det, Negerous Joseph, Milien St Hubert, Marcelus Valor, Mones-

84 Annexel La Ville des Cayes: Politique I

tor Dorcha, F.Saintuma, Minerva France, Geniston Fran~ois, Fa­ brin D. Fran~ois, Rene Conde, Georges Thomas, Luneville Jo­ seph, Vital Delerme, Georges Buteau, Rene Buteau, Pratto Fre­ res,Denis Larrieux, Lefranc Appolon.

Liste de ceux qui n'ayant pas pu signer ont demande que leurs noms figurent tout de meme au bas du "Memoire" Diga Olivier, Carisma Olivier, Carzinus Carzo, Mombrun Perrin, Silima St-Paul, Estima Garamer, Stilhomme Garamer, Mirans Paul, Marielus Garamer, Andre Jn Francois, Edma Priere, Janthas Martin, Alcime Thelisme, Alcinor Thelisme, Jason Jn claude, Odima Cenat, Estagene Priere, Jean Clersin, Balamo Cler­ sin, Nabussan Clersin, Regnard Duplessis, W. Duplessis, Belman Das, Macedouane Rozan, Joseph Rozan, Elvace Berlis, Edmond Berlis, Destin Jean Marie, Quesnel Jean Marie, Philisma Daniel, Polia Porcena, Alteneus Hyppolite, Semeus Jean Pierre, Merci­ lien Rollin, Rodolph Bien Aime, Joseph Pierre, Eloma Petiyoute, St Sauveur Petiyoute, Viyce Massena, Marc Mathieu, Carmelus Cazo, Horelus St Fort, Juldas Longuefosse, Loizeus Laurent, Ro­ dolphe Pascal, Joseph Pascal, Abelard Belizaire, Laurent St No­ rin, Fran~ois Belizaire, Auguste Letang, Elie Mathieu, Lamarti­ niere Latus, W. Mathieu, Gusman Latus, Julien Jeune, Dieucifort Dommer~ant, Augustin St Fleur,Linus Charles,Leon Noncent, Stius Fenelon,Villefort Jason, Nicolas Berlus, Lenoir Atour, Paul Jn Baptiste, Cherismon Laguerre, Esperon Jason, Junius Clerge, Faubert Marival, Eristal Garricher, Andre Priere, Benoit Youyoute, Orelus Hyppolite, Georgera Antoine, Joseph Bolinus, Moraliere Marival, Ant. Servola, Mercius Charlotin, Mancer Bri­ nache, Kleber Felix, Hilarion France, Bobo Petitbersin, Filius Exeus, Hemereus Ernest, Manvil Jason, Merius Casimir, Maxi­ mer Pascal, Brizene Georges, Stanislas Olivier, Sainmeus Jn Pierre, Antenor Ernestor, Philistin Saint Fleur, V, Milord, Cheris­ ca Bazelais, Geffrard Mathieu, Cheriza Mathieu, Montius Jason, Cedouane Jason, Emm. Neptune, Albert Neptune, Ceneche Farel, Absalon Neptune,Tylera Chery, Fermetus Joseph, Glaudius Priere, Petit Herard, Therluma Dol, Christeus Notus, Julien Si-

ADnexal 85 La Ville des Cayes: Politique I mon, Juste Etienne, Joseph Bertrd, Josaphat Bertrand, Miraclema St-Cir, Ludovic Chery, Jeansius Jn Simon, Gentilhomme Jn Si­ mon, Astral Calixte, Segur Paulius, Filicien Georges, Polius Da­ niel, Polia Porcena, Philisma Daniel, Alcius Porcena, Serlonge Porcena, Simeus Jn Pierre, Nordepar Divin, Moreus Morisseau, Mercilia Mercadier, Silfrien Clerge, Dieudonne Laguerre, Silius Dalleman, Silius Zamor, Voltaire St Fleur, Luc Danger, Claude Ja­ son, Odouane Seraphin, Joseph Moise, Elius Noe, Joseph Noe, Theophila Pinette, Deracine Chodri, Odrie Chodri, Henristlme Henri, Valerius Valera, Michel Bruno, Antoine Lormine, Lisius Morpas, Joseph Bonaparte, Dupont Sandair, Del tor Antoine, Che­ ridor Cheri, Charles Petit-Homme, Sylvenus Altima.

1 86" Annexe La Ville des Cayes: Politique I Annexel Adresse a son Excellence le President de la Republique

Torbeck, le 17 Fevrier 1929 Monsieur le President, Les habitants de la Commune de Torbeck, miis par le plus pur patriotisme, viennent vous soumettre par l'organe d'une de­ legation, cette adresse dont le but et de vous faire toucher du doigt la plaie qui les range et dont sans doute vous etes deja pene­ tre, car cette plaie est bien celle du pays tout entier. Une affreuse misere sevit dans taus les foyers. En depit de nos efforts desesperes, nous voyons l'horizon s'assombrir de plus en plus; nous voyons peser sur l'industrie de nouvelles lois, les unes plus dures que les autres. L'activite agricole, commerciale et industrielle, se trouve de ce fait, soumise a de nouvelles taxes dont l'assiette et la qualite depassent ses forces productrices. Nous ne pouvons acquitter de ces taxes sans nous anemier et nous exposer a un aneantissement complet. Se soumettre aux lois de son pays est un des premiers de­ voirs du citoyen. Nous le comprenons bien, mais Halas! Acquit­ tar les taxes dont l'industrie se trouve actuellement imposee equivaut ala cessation,a la mort, disons-le, de toute industria, de tout travail. Pourquoi ces exigences? Qu'est-ce qui les justifierait? Se­ rait-ce l'interet du fisc afin d'alimenter la caisse publique pour faire face aux multiples obligations de l'Etat? Le but envisage ici ne serait pas atteint, car cette mesure ne pourrait que detruire l'interet national au profit de l'importation. N'est-ce pas Excel­ lence l'opinion que doivent se faire taus ceux, Hommes d'Etat,commerc;ants, industrials qui sont bien au courant de la si­ tuation haitienne et qui sont les mieux places pour apprecier le poids de nos impots? Vous etes, Monsieur le President, l'Arbitre, place comme vous l'etes au timon de la barque nationale. Plus d'un se plait a

Annexe2 87 La Ville des Cayes: Politique I penser que notre presente demarche est vouee a l'insucces. Pour­ taut, qui peut affirmer que vous n'etes pas en mesure d'apprecier le mal afin d'apporter si ce n'est le remede, la guerison radicale, mais le palliatif, le soulagement, qui est certainement possible. Quand votre coeur sera touche par les cris de tant d'ames en de­ tresse : travailleurs de toutes categories, peres de famille sans pain et sans abri, meres et enfants gemissants sous le poids de la misere; enfin, Monsieur le President, la masse paysanne dont vous avez toujours envisage !'interet avec un soin particulier, comment peut-on penser que vous fussiez capables de rester in­ different a cette triste situation, aujourd'hui qu'il s'agit pour la nation d'une question de vie ou de mort. Nous venons done, Monsieur le President, nous travailleurs de la Commune de Torbeck, nous faisant l'interprete des travail­ leurs du pays entier, vous demander au nom de la patrie de vous interesser a cette situation penible. Nous vous demandons de vous pencher une minute sur ce probleme qui conditionne le travail dans notre malheureux pays et d'y projeter les rayons bienfaisants de vas lumieres, en vue d'une solution satisfaisante pour la Nation. Pour cela, Monsieur le President, il importe d'envisager !'amelioration de l'industrie agricole qui est ala base du travail en Haiti. II importe d'envisager la reduction des nouvelles taxes a une quotite raisonnable permettant de les acquitter sans compro­ mettre !'existence du travail; il importe enfin d'envisager, comme moyens de controle, une methode pratique ecartant le systeme de reservoir en perspective, systeme qui, a en pas douter, doit deter­ miner la fermeture generale des distilleries, ou le monopole en fa­ veur de deux ou trois capitalistes au detriment de la grande masse des distillateurs. Vous, Monsieur le President, Interprete des interets de cette masse, nous sommes persuades que vous saurez prendre en mains la defense des interets generaux du pays en proposant et en exposant au Conseil d'Etat un projet dont le but sera de reali­ ser le voeu formule au nom de taus les producteurs par les habi­ tants de la Commune de Torbeck.

88 Annexe2 La Ville des Cayes: Politique I Comptant sur votre initiative et votre efficace t6nacit6 et vos lumieres pour aboutir aux fins d6sir6es, nous vous prions d'agr6er, Monsieur le Pr6sident, les respectueuses salutations de vos humbles et ob6issants serviteurs. Suivent les signatures.

Annexe 2 89 President Louis Borno

Ulysse Simon Duvivier Hall

nn Jean Brierre

Antoine Telemaque (centre) et Pierre Jeannot a sa droite Charles Bayard

91 La Ville des Cayes: Politique I

Lieutenant Berroyer

Fritz Gerald Brown

Willy Douyon

92 Rene Conde

Croix de Marchaterre

Comite de greve de Damian De g a d: Dasque, Clovis Charlot Jean David, Stenio Fethiere, Justin D. Sam, Franck Balmyre, Fils-Aime, Luc Gilbert.

93 Sam Pressoir Rudolphe Kanski

EdgarNuma

94 PARTIE V: LES PRESIDENTIELLES DE 1956-57 AUX CAYES

v Introduction La ferveur enthousiaste provoquee, au sein de la societe cayenne, en fevrier 1956, par la decision d'un industriel de la place de briguer le fauteuil presidentiel, constitua une tranche d'histoire eclatante de la vie politique dans cette ville. La dejoie­ mania deferlante, a son paroxysme, chez les Cayens et surtout chez les Cayennes, glissa vers le surnaturel: dans une photo, les fans projeterent sur le veston du leader, au niveau des plis du coude gauche, une Vierge en relief. Pour les Cayens, ce candidat etait deja l'elu du Tout-Puissant. Cette campagne, houleuse et haute en couleurs, marqua, profondement, les generations de plus trente ans d'age. De jeunes Cayens, a entendre parler les ai­ nes, d'occasions perdues, avec l'ecartement de l'industriel Louis Dejoie de la scene nationale, ne finissent pas de s'etonner de la dimension de ce compatriote qui anima, a l'epoque, une si grande esperance et laissa un certain parfum dans le souvenir. La ville des Cayes voua une admiration fetichiste a un homme dont le nom fut toute une dynamique. Louis Dejoie, pre­ sident d'Ha'iti, en 1957, ne fut nullement, pour les Cayens, un pari sur l'avenir ou la chance a saisir, c'etait de l'acquis et une ga­ rantie. Ses 17 usines d'huiles essentielles a travers le pays et ses realisations agricoles disaient la determination, la tenacite et la reussite d'une equipe d'hommes aux objectifs bien definis. Haili aurait-elle connu, aujourd'hui, se demandent certains Cayens,la classe dynamique et nourrie des boat-people? Les Cayens furent seduits par la dimension exceptionnelle de l'homme: le succes du technicien qui put, a force d'obstina­ tion, de patience, de passion et de chance, creer et batir un em­ pire agro-industriel, le courage du parlementaire qui osa affron­ ter le president Paul E.Magloire, encore aureole de ses realisa­ tions et de ses etoiles de general de division, le profil d'un candi­ dat a la presidence non politicien et exonere de tout souci d'argent et de surcroit !'elegance de l'homme qui avait conquis le coeur tant de femmes que d'hommes du pays.

Introduction 97 La Ville des Cayes: Politique I La ville des Cayes vit defiler, durant cette longue campagne electorale, des politiciens de seconde zone aux promesses irreel­ les. Les principaux candidats a la presidence, sur la scene poli­ tique, dont trois anciens ministres (Fran~ois Duvalier, Clement Jumelle, Pierre Eustache Daniel Fignole) avec une experience de la res publica et un parlementaire, double d'un industriel, en l' occurrence le senateur Louis Dejoie, ne manquerent point d'etoffe. Et jamais, de memoire de Cayen, on n'eut croise autant d'hommes de valeur dans !'entourage immediat de ces candidats a la presidence qui sacrifierent, volontiers, au culte de l'amitie, visitant lors de leur bref passage, les families amies, quelque rut la coloration politique. La ville des Cayes vecut des faits regretta­ bles d'acteurs de tous camps. Elle sut, avec le temps, cicatriser ses blessures, separer le bon grain de l'ivraie. Les divergences po­ litiques une fois mises entre parentheses, la solidarite cayenne triompha des interets mesquins. La solidarite cayenne, d'avant l'ere duvalierienne, faite de generosite et de confiance mutuelles, se nourrit d'evenements ve­ cus, en commun, comme les cyclones, les incendies, le drame de Marchaterre, !'experience en terre etrangere comme a Cuba, mais encore du dedain manifeste des gouvernements passes; s'alimen­ ta ' sans cesse, des efforts mutuels pour parer a l'urgence et re­ pondre a l'imprevu, mais encore des liens du sang. Deja, a pa1tir des annees 1930-36, mais surtout, avec la derniere guerre mon­ diale, le Cayen endura une telle misere et un tel denuement (cho­ mage) qae seule la solidarite active permit d'eviter des hecatom­ bes que charria apres elle, la tuberculose. Rares furent les famil­ Ies cayennes qui, par la perte d'un membre, ne payerent un lourd tribut a cette dame cruelle et jalouse LUBIN 1996. Durant ces lon­ gues annees noires, ensemble, les Cayens inventerent le quoti­ dian. On cotoya la misere, on se visita, on partagea. Aussi, la periode duvalierienne, penible, difficile, orageuse, avec les incessantes brimades telecommandees (arrestations, exil) a l'encontre des dejoistes cayens, ne frappa, mortellement, que de rares citoyens, souvent des quarante-sizards,victimes de leur naivete ou de leur versatilite. La solidarite cayenne joua. Des duvalieristes civils et militaires servirent, volontiers, de "para­ tonnerre" a des dejoistes. D'ailleurs, un duvalieriste de grand ca­ libre, reprocha au president Duvalier, a son accession au pou-

98 Introduction La Ville des Cayes: Politique I voir, les nominations au premier plan, de Cayens au ministere des Finances, a !'Administration generale des douanes, a la Banque nationale, a l'ODV A et a l'IDAI. Le president Franc;ois Duvalier, au faite de sa puissance, pressa amis et fideles de la ca­ pitale de recruter des cadres de la fonction publique et du prive dans ce milieu qui lui parut fort sain et loyal ANDRE 1972. Le Cayen, aux elections presidentielles de 1957, fit son choix. Une immense esperance traversa sa vie: comme disait la chanson de Faifaine (Fernand Placide) .... une etoile brill a dans son ciel ou mieux, il accrocha son esperance a une etoile, pour re­ peter PISAR 1980. Ce qui reste aujourd'hui, meme s'il se confine dans l'ordre du reve ou de l'imaginaire, c'est que la plaine des Cayes aurait connu, avec le senateur Louis Dejoie, un autre destin.

lnrroducrion La Ville des Cayes: Politique I Panorama de Ia Ville des Cayes a I'Au be de l'Annee 1956

'annee 1956 s'etait ouverte sur cette petite ville, d'environ 8 000 habitants, oules soucis du quotidien, apres les fetes ~de fin d'annee, surclasserent toutes preoccupations carna­ valesques, politiques ou sportives. Ces courtes periodes, genera­ lement, de sur-tension, trouvaient, toujours, mais momen­ tanement, la ville divisee : la passion militante etait au ren­ dez-vous. Le Cayen sortait de sa lethargie, se reveillait, s'agitait, sans pour autant se detourner de son labeur (cle de sa reussite) et de ses obligations familiales. La place d'Armes etait vide ... Les rues etaient quasi-desertes et leur tranquilite quotidienne, uniquement troubles par le va­ et- vient de rares camions et camionnettes faisant le plein de pas­ sagers et de marchandises pour approvisionner communes et sections rurales. Les Cayens vaquaient a leurs occupations habi­ tuelles ou a leur errance dans la vie. Des petites marchandes des quatre saisons et autres vendeurs ambulants vantaient et criaient, a tout venant, la disponibilite et la qualite de leurs pro­ duits ( ak-100, kalalou gombo, pain patate, pistache, etc). Les chomeurs survivaient, frustres, mais la societe s'accrochait tou­ jours aux lois de la solidarite. Les families, a la campagne, connaissaient, a l'epoque, une relative aisance avec la commer­ cialisation active et de bon rapport des produits d'exportation (cafe, cacao, vetiver, sisal, etc.) et de produits vivriers, renforcee par les activites du SCIPA (Service Cooperatif Interamericain de Production Agricole) dans !'agriculture (le riz local s'exportait) et l'elevage. Elles n'entendaient point faillir aux lois du sang: elles ravitaillaient, fidelement, les proches de la ville qui, a leur tour, partageaient, avec parentele et voisins. En ce temps-la, la vie chere n'oppressait pas la population: en juillet 1956, mois de sou­ dure, la marmite de mai:s moulu se payait a 95 centimes de gourde, la marmite de pais rouge valait 2.80 gourdes, la livre de viande coutait 50 centimes, la livre de poisson 1.0 gourde, le litre de lait a peine 30 centimes pour les tres rares consommateurs MORAL 1959. Le salaire minimum legal etait de 3.50 gourdes dans le prive et de 5.00 gourdes pour les fonctionnaires publics BENOIT 1954.

100 Panorama de Ia Ville des Cayes a I'Aube de I'Annee 7956 La Ville des Cayes: Politique I 'Au centre-ville, plus precisement au carrefour Horele, de­ mine par l'imposante architecture de l'hotel des epoux Max Sau­ rel, nos hommes de loi, les avocats, veston, cravate, couvre-chef a coquette inclinaison, porte-document a Ia main droite, toge noire elegamment jetee sur le bras gauche, deambulaient par deux. Ils traversaient, Ia tete haute, ce carrefour et empruntaient, quand le devoir les appelait- a l'epoque, le devoir primait -Ia rue du Quai pour se rendre au Tribunal civil oil ils se depensaient, corps et ames, a Ia defense de Ia Veuve et de l'Orphelin. Cette rue logeait les maisons commerciales exportatrices de cafe (Wiener & Co, D. Pierre, B.Blanchet et Succrs), loge encore de nos jours, Ia Banque nationale de credit (BNC), Ia Direction generale des im­ pots (DGI) ci-devant le bureau des Contributions, le service des Douanes, etc. Les debardeurs, bras muscles, torses au soleil, fai­ saient la navette entre ces maisons d'exportation, Ia douane, le port et convoyaient, depuis la disparition lointaine du mini-train local et de Ia voie ferree, une vingtaine de tombereaux bondes de sacs de cafe et de cacao. Le port des Cayes, ouvert au commerce exterieur, recevait 25 a 30 bateaux battant pavillons etrangers: fran<;ais, hollandais, americains, cubains, etc. aux cales chargees de provisions alimentaires et d'articles manufactures. Ces arti­ cles se vendaient a un prix relativement bas: l'aune de bleu de Nime coutait 3 gourdes, l'aune de Siam 1.0 gourde, l'aune de Chambray 2.50 gourdes, une paire de chaussures de marque ita­ Benne valait 25 gourdes. Aux partes de la ville, au quartier des Quatre-Chemins, entre le Calvaire et l'eglise du Sacre-Coeur, s'etirait la chaussee d'Autun, en pierres et gravois, bordee de ses larges fosses de drai­ nage flanques de maisonnettes, de residences a etages, en bois et en planches. Les galeries surelevees accueillaient des lavandie­ res et les arrieres-cours, des guildives dont les fumerolles grises des cheminees, mais surtout l'arome agressif et tenace de vi­ dange, de tite-eau trahissaient Ia presence. Du matin au soir, cette avenue livrait passage aux campagnardes - ados d'anes ou precedees d'animaux de bat- aux vehicules de transport, aux at­ telages de bovins et de mules, desservant, avec leurs chariots, les guildives en sirop et le bard de mer en clairin. Le calme n'etait rompu, vers la mi-journee et sur le soir, que 1par des attroupe­ ments au tour de braillards, victimes de leur intemperance. Apres

Panorama de Ia Ville des Cayes a /'Aube de I'Annee 7956 101 La Ville des Cayes: Politique I les faits de guerre du general Pierre Momplaisir Pierre en mai 1869 et les evenements tragiques de Marchaterre, le 6 decembre 1929,la politique n'effleurait point !'esprit des residents du quar­ tier. Au nord de Ia ville, au quartier du Sacre-Coeur, entree prin­ cipals de Ia cite, ce fut (et c'est davantage aujourd'hui), l' anima­ tion habituelle et cacophonique avec les "rele" des commerc;:an­ tes du marche central, poche de rassemblement des produits vi­ vriers et d'approvisionnement des habitants de la ville et de Ia capitale; ce fut et c'est encore de nos jours, un quartier du com­ merce de gros et de detail avec ses magasins de tissus, de quin­ caillerie, de materiaux de construction, ses epiceries, ses phar­ macies, sa boucherie, sa caisse populaire locale (oeuvre du Reve­ rend Pere Jean Marie Salgado, de l'ordre des Oblats Marie Imma­ culee), son eglise. Au sud-est de Ia ville, au quartier de Ia Savane, le carrefour Laraque, du nom d'un ancien resident commerc;:ant de l'endroit, bourdonnait d'activites CONDE 1996. S'y etaient implantes, de­ puis des lustres et avec le temps, un debarcadere - avec ses perio­ des fastes et jours de grande affluence durant l'epoque florissante de la figue-banane - un marche aux poissons et de mangues (en ete) que jouxtaient un autre marche-celui dubois de chauffage­ ainsi que des debits de clairin et de tafia. Aux pas-de-partes, resi­ dents et chomeurs beneficiaient de Ia brise marine pour un "kale-est", pour papoter, jouer aux cartes, discuter foot-ball, combats de coqs et ressasser d'etranges et eternelles histoires de loup-garou. Outre ces "points chauds", les autres quartiers de la ville li­ vraient, hors des heures de classe, leurs larges et proprettes rues de gravier et de pierres a des gamins, pratiquant, avec une petite balle de tennis, de couleur verte delavee, vestige des competi­ tions d'autrefois, leur sport favori, le foot-ball. L'avenue residen­ tielle des Gabions (habitation coloniale-Gabillon), avec ses jolies maisons aux vertes pelouses agrementees de roseraies et d'arbres majestueux, vivait sa quietude habituelle et ne se reveillait qu'apres-midi, lors des competitions dominicales de foot-ballet encore aux premieres heures des matinees des grandes fetes na­ tionales, avec le defile traditionnel d'un bataillon de l'armee

102 Panorama de Ia Ville des Cayes a I'Aube de I'Annee 1956 La Ville des Cayes: Politique I d'Halti, fanfare en tete, accompagne et suivi d'une procession de jeunes de la ville et d'oisifs. Les habitants de la region des Cayes, en particulier, et du Sud, en general, revaient d' un avenir prometteur. Ils se l'imaginerent sans nuage. Homme d'affaires, commerc;ant, dame-sarah attendaient beaucoup de la route du Sud et d'une dy­ namisation du service de cabotage, avaient foi en la prosperite du commerce regional et dans }'amelioration de leur pouvoir d'achat. Agriculteur et paysan avaient le regard tourne vers la ca­ pitale et l'etranger car on parlait beaucoup de la reprise de la cen­ trale sucriere, propriete du cubain Vicente Dominguez, de !'implantation probable d'une nouvelle usine sucriere aTorbeck, avec la Immacula Heart Mary Mission,de !'exploitation prochaine d'une huilerie a base de coprah avec l'abondance des cocotiers dans la plaine des Cayes, surtout avec l'effort des pionniers a Boury chez Felix Pilorge et a Pelerin chez Antoine Larco, de l'implantation d'une laiterie, promesse d'une institution interna­ tionale, par suite du nombre eleve de vaches laitieres et enfin de }'extension du sisal (pite) dont le prix, selon les hommes du cru, malgre les avatars de l'annee 1953, s'annonc;a allechant. Tout allait bien quand le pays sombra dans la turbulence politique.

Panorama de Ia Ville des Cayes a /'Aube de /'Annee 1956 103 La Ville des Cayes: Politique I Histoire d'one Candidature a Ia Presidence Dans les premiers jours de fevrier 1956, une Iegere fievre ga· gna les habitants de Ia ville des Cayes. Au grand etonnement de tous, le senateur Louis Dejoie (60 ans), figure bien connue de~ Cayens,lanc;:a, le 9 fevrier du mois, sa candidature a Ia presidence de Ia Republique. Deux mois plus tot, aIa veille des fetes de Noel et de fin d'annee, la plupart des families de Ia region furent hono­ rees d'une carte de voeux du senateur Dejoie, a ses electeurs. De nombreux Cayens, perspicaces, saisirent, immediatement, que ces voeux etaient porteurs d'un message politique. Les premieres reactions, a cette annonce de candidature, furent plutot mitigees. Les Cayens n'oublierent point qu'un regime militaire occupait, sinon toutes les avenues du pouvoir, du moins "garantissait Ja paix des rues et des coeurs". Tous se rappelerent ou se firent rap­ peler Ia fameuse expression de leur dernier president d'origine cayenne, le general Antoine Simon (1908-1911 ): "Konstitisyon ce papie, bai'onet ce fe". Autrement dit, pour repeter LARTEGUY 1961: "Que valent les papiers quand on tient des mitraillettes?". Les Cayens ne crurent point leurs oreilles et se demande­ rent, vu le faste qui se deploya et nimba Ia presidence du general , ce qui pourrait porter "Kansan Fer" a quitter le pouvoir. Les partisans du regime, dans Ia ville des Cayes, assimi­ lerent, d'entree de jeu, cet acte politique du senateur Dejoie a de Ia naivete. Un Cayen d'age respectable paraphrasa en faisant ob­ server qu'avec un nom tel celui de l'industriel Louis Dejoie, on fabriquait des presidents, mais qu'on n'etait pas soi-meme candi­ dat a Ia presidence. La population, toutes classes sociales confondues, lorgna le comportement des representants locaux de Louis Dejoie et de son fils Louis Dennery Dejoie (Ti Loulou), homme d'une dimen­ sion sociale et technique meconnue, pour deceler des signes avant-coureurs de crainte ou de serenite. La serenite fut plut6t au rendez-vous, malgre certaines apprehensions. Les relations avec les autorites locales (civiles et militaires) etaient au beau fixe. Les soirees, apres les rudes et harassantes journees de labeur, se deroulerent dans Ia gaiete, dans les salles des differents clubs, surtout au Tropicana-Night Club de Fritz Samuel- a partir de son inauguration le 1er avril1956- oil se cotoyerent Edmond Pierre,

104 Histoire d'une Candidature i\ Ia Presidence La Ville des Cayes: Politique I Louis Dejoie fils, Adrien Douyon, Ernest Joseph, docteur Louis N. Numa, docteur Edmond Labossiere, Jean Rene Conde, et les offi­ ciers Claude Pereira, Joseph Charles Lemoine (un des 19 offi­ ciers ... ), etc, mais encore au Cercle des Officiers, autour d'une table de billard, avec de rares amateurs cayens tels Raoul Tim­ mer, Ernest Thomas et Ti Loulou Dejoie comme partenaires du joueur plus que talentueux que fut l'officier Roger Corvington. D'un cote, les representants de la campagne politique du se­ nateur Dejoie crurent, avec une eventuelle pression americaine, a une probabilite d'elections honnetes et loyales et de }'autre, les partisans du regime crediterent le gouvernement Magloire d'assises suffisamment solides dans la population vu les grands travaux publics inities qui se poursuivaient a travers certains de­ partements geographiques; de plus, le peuple, fort peu informe de la chose publique et non politise comme de nos jours, fut loin d'etre insatisfait d'un president dont on fantasma sur la fortune et qu'on qualifia de dictateur. En effet, la capitale connut deux an­ nees plus tot, le 9 janvier 1954, de serieux soubresauts avec }'arrestation jugee arbitraire, principalement, des deputes Rossi­ ni Pierre-Louis et Daniel Fignole, un acte qui entama la credibili­ te du gouvernement et decolora la legende magloiriste de l'officier gentilhomme. La declaration de candidature du senateur Louis Dejoie a la presidence d'Halti, sans nul doute, provoqua une grande sur­ prise. Qu'allait-il chercher dans cette galE!re? Les representants du senateur Dejoie, dans la ville des Cayes, furent, directement, mis au parfum des le mois de novembre 1955. Durant les breves et frequentes visites d'inspection de ses usines aux Cayes, a partir des elections generales de 1950, a ceux de ses amis ou visiteurs - ils furent tres nombreux- qui solliciterent sa candidature ala pre­ sidence de la Republique, le senateur Dejoie repliqua souvent que le peuple haltien n'avait pas encore une idee claire et precise de ses besoins et surtout, du choix de ses leaders politiques. Des lors, la sagesse conseilla la prudence. L'agronome Louis Dejoie pensa, a l'epoque, qu'il valut mieux s'accrocher a ses travaux de recherches agricoles pour augmenter la production nationale, creer des emplois avec }'explosion demographique qui s'annonc;ait et ecouler les pro-

Histoire d'une Candidature a Ia Presidence 105 La Ville des Cayes: Politique I

?uit,s vers les marches exterieurs. La devise de son entreprise, etalee en grandes Iettres, dans les publicites des journaux de l'epoque, dit bien "Produire pour Exporter, C'est mieux Servir". A pres avoir exporte le pais mung, le chili pepper, !'essence de ve­ tiver,durant Ia derniere guerre mondiale, des cultures comme Ia pomme de terre, les cerises indigenes, l'ylang-ylang, Ia papaye, le geranium rosat, Ia canne a sucre occuperent le champ de ses ex­ periences et de ses activites. II disposa de credits internationaux, en 1956-57, pour emblaver 50 000 hectares de cultures, promes­ ses de !'industrialisation a court et moyen terme du pays. Presque taus ces projets furent rafles, aux Ha1tiens, par les Cu­ bains et Dominicains, immediatement, apres les elections de 1957. En 1953, ses efforts pour etablir une usine sucriere (une des huit a son programme, ce qui fit trembler Trujillo et dirigeants de Ia Cara1be) a Torbeck, dans Ia plaine des Cayes, furent vains. II entretenait de fructueux contacts avec des religieux de Ia Imma­ cula Heart Mary Mission, basee a New Heaven aux USA. Proprie­ taires d'une centrale sucriere prefabriquee, ils tenaient a !'installer en Haiti. Suite aux demarches du senateur Dejoie et a l'appui du president Magloire, Ia BNRH avanc;:a aces religieux une tres forte valeur, ce qui fit d'elle Ia co-proprietaire de l'usine. Legros du materiel de l'usine fut, sur le champ, expedie en Haiti. Devant les pretentions des politiciens de l'epoque, reclamant des pots de vin exhorbitants, le projet tomba a l'eau. L'affaire traina jusqu'aux elections presidentielles. A !'accession, en 1957, de Franc;:ois Duvalier au pouvoir, Ia nouvelle direction de la BNRH, pour rentrer dans ses fonds, decida de realiser l'hypotheque sur l'usine. Les responsables de Ia Immacula Heart Mary Mission,pa­ niques par cette decision car ne disposant pas de fonds pour rembourser le montant a Ia banque, firent appel a Ia mediation du secretaire d'Etat americain John Foster Dulles qui intervint,dis­ cretement, aupres du president Duvalier. Ce dernier,en quete d'une reconnaissance officielle de son gouvernement et d'aide, donna satisfaction au secretaire d'Etat et bloqua !'action juri­ clique de Ia BNRH. La Mission entra,des lors, en contact avec l'homme d'affaires Jean Henri Elie qui se vanta fort de trouver des financiers americains. Les conditions, jugees onereuses, ne plu­ rent point a la mission religieuse. Deux annees avant Ia fin du

106 Histoire d'une Candidature a Ia Presidence La Ville des Cayes: Politique I regne de Frant;ois Duvalier, la BNRH trouva un compromis avec ces religieux, devint proprietaire de l'usine et fit appel a l'ingenieur Gregorio Escayedo des Cayes qui manta l'usine au Cap-Haltien (Welsh), moyennant une avance, par laBNRH, d'une valeur d'un million de dollars pour financer les couts et amena­ ger les plantations sur les terres de l'Etat et des prives. En 1956, l'Universite d'Hawa1, a la requete du senateur Louis Dejoie, fut chargee de 15 etudes relatives a l'agro-industrie et de celles relatives a }'implantation de vignobles et de pecheries sur la cote-ouest du departement du Sud. L'agronome Dejoie fut fort encourage par ses premiers succes, avec !'assistance de l'agronome Andre Dimanche, sur le ble nair a Oriani. En travail­ lant a de tels projets, il ne pensa point toucher a de grands inte­ rets. L'agronome Georges Cadet, a maintes reprises, attira son at­ tention sur d'eventuels malentendus auxquels pouvaient preter ses recherches CHRISPHONTE 1999. Le deuxieme mardi du mois de novembre 1955,le senateur Dejoie qui, taus les jours, conversait, par radio-amateur, avec ses gestionnaires d'usines, a travers le pays, informa Rene Conde, le responsable aux Cayes, de l'urgence d'une rencontre, trois jours plus tard, a carrefour Desruisseaux, a l'entree de la ville de Mira­ goane, la ou il implanta son usine de distillation d'amyris ("bois chandelle"), presqu'a l'endroit ou perit, en 1883,emporte par un boulet, sous la presidence de Salomon, un instituteur de grande renommee Charles Lassegue dont une ecole primaire des Cayes porte, encore aujourd'hui, le nom. Le jour du rendez-vous, ponc­ tuel, le senateur Dejoie arriva, accompagne d'un collegue, le se­ nateur Marceau Desinor, d'Axel Marsan, un vieux et fidele cadre des Etablissements agricole et industriel Louis Dejoie (Etagild) qui se preta, volontiers, au role d'agent de securite et de son chauffeur Joseph (Tijho) Fenela, specialiste des pistes de pro­ vince. Le senateur Marceau Desinor etait un nair de grande taille, haugan mais fertile en anedoctes, une eternelle cigarette vierge vissee au coin des levres, le visage burine par la souffrance (dia­ betique et cardiaque), la veste entr'ouverte sur un leger embon­ point que conforterent des bretelles. Senateur de l'Artibonite, Marceau Desinor, un des membres de la Chambre des comptes,

Histoire d'une Candidature a Ia Presidence 107 La Ville des Cayes: Politique I choisis par la legislature de juin 194 7' etait aureole du titre d'ancien redacteur en chef du journal Le Nouvelliste, de la repu­ tation d'un politicien de grand calibre et d'un parlementaire hors-pair. Le senateur Marceau Desinor eut, egalement, un passe de revolutionnaire et sa legende. A l'age de 19 ans, sous l'un des gouvernements des balonnettes, il echappa, pretendit-on, a la mort, par grace presidentielle, alors qu'il etait, deja, attache au poteau d'execution. On lui preta encore, selon les rumeurs de l'epoque, en 1956, un contentieux avec le regime du president Paul Magloire que le telediol accusa, sans preuve aucune, d'avoir assassine ses proches, d'avoir incendie leur residence. Apres les salutations d'usage, le groupe, entraine par le se­ nateur Dejoie, prit place au salon du directeur de l'usine. Louis Dejoie expliqua la presence a cette reunion du senateur Marceau Desinor qu'il appelait, familierement, "Le Tigre" a cause de son passe de journaliste qui, a l'instar de Georges Clemenceau, brilla de toutes ses griffes. Le senateur Marceau Desinor appuyait, fer­ mement et ouvertement, sa candidature ala presidence de la Re­ publique et la presence de ces parlementaires, en ces lieux, s'expliqua par le souci d'informer Rene Conde de la decision du senateur Louis Dejoie et de l'imperatif de se mobiliser. L'annonce,tant redoutee, tomba des levres du senateur Louis Dejoie. Ses interlocuteurs Rene Conde et Franck Dufour, ceder­ nier, directeur de l'usine a Miragoane, re~;urent le ciel sur la tete. Rene Conde qui s'estima redevable envers le president Ma­ gloire d'un geste spontane et grandiose, a son egard, dans un pas­ se pas trop lointain et soucieux d'eviter une confrontation aux is­ sues incertaines, tenta de convaincre le senateur Dejoie du carac­ tere hatif de sa decision, apres avoir trime tant d'annees pour manter cette entreprise. Face a un citoyen, assumant le pouvoir politique, de surcroit chef de l'armee et, inevitablement, candidat a sa propre succession, toute velleite de concurrence electorale parut vouee a l'echec. Le senateur Louis Dejoie, determine, se voulut convaincant, decelant une pointe de scepticisme chez ses interlocuteurs. 11 definit les grandes lignes d'une strategie electo­ rale et conclut l'entretien en reaffirmant sa determination d'aller aux urnes, sa foi dans la democratie pour Haiti, mais surtout sa confiance dans la fidelite et la loyaute de ses nombreux amis et

106 Histoire d'une Candidature a Ia Presidence La Ville des Cayes: Politique I collaborateurs du Sud capables, selon lui, de soulever des monta­ gnes. Le senateur Marceau Desinor rapporta cet entretien de car­ refour Desruisseaux a BUTEAU 1966. L'image que le senateur Desinor se faisait de Louis Dejoie fut celle du grand patron, auto­ ritaire, sur de lui, qui passait des ordres et n'admettait point de replique. II fut etonne de voir un bout d'homme venu des Cayes-du-Fond, oser contester certaines analyses du senateur Dejoie, devoiler des dons de visionnaire, prodiguer des conseils de sagesse et surtout de prudence. II fut surtout etonne, lors d'un bref aparte entre ces deux hommes, juste avant le retour vers Ia capitale, de Ia profonde complicite entre le senateur Dejoie et son representant. Marceau Desinor s'etait, depuis lors, lie d'une so­ lide amitie avec Rene Conde. En 1966, le senateur Desinor brava Ia police politique du president Duvalier et assista, le 4 sep­ tembre de l'annee, aux funerailles de Rene Conde aux Cayes. Ce jour-Ia, le commandant du departement militaire du Sud, le colo­ nel , a l'arrivee du corps a l'aeroport des Cayes, discretement et subtilement, debarrassa une grande couronne mortuaire de Ia guirlande ou furent imprimees, en lettres d'or trop voyantes- assimilation a une provocation pour les autorites­ les condoleances de Louis et Suzon Dejoie, a l'epoque, en exil a Porto-Rico. Rene Conde fut le representant dans Ia region des Cayes de Louis Dejoie. BANA'ITE 1999, une vieille connaissance de plus d'un demi-siecle de Rene Conde, dressa son profil. Pour lui, l'homme fut un brasier d'energie. A quatorze ans, }'adolescent de­ cida Ia mise en veilleuse volontaire de sa part de ses etudes clas­ siques. La cervelle huilee, touche a tout, il su«;a Ia substantifique moelle du savoir si bien qu'il apprehenda un stock de connais­ sances appreciables. On le retrouva a Ia distillerie: passe maitre en Ia matiere, de Ia cuve a mout jusqu'au jet spiritueux recueilli au recipient ou deverse l'alcool. Peu apres, il fut agent technique au district agricole. Par monts et par vaux, il se crea de fortes sympathies parmi les paysans. Le voila apres le drame de Mar­ chaterre a Ia HHe de I' Entente des feunes qui edifia le monument a la memoire des victimes. Dans les annees 1936-40, il fut superin­ tendant agricole ala J.G White Corporatio11, engagee dans la vul­ gatisation du cafeier. Son comportement l'imposa a !'attention

Histoire d'une Candidature a Ia Presidcncc 101) La Ville des Cayes: Politique I de son chef hierarchique Louis Dejoie. De fait, a l'ouverture de l'Etagild, Rene Conde fut le premier second de l'entreprise indus­ trielle des huiles essentielles, source de croissance economique de la region et du pays aussi. HALL 1966 precisa que "sa vie Jut une vie de labeur, d'attachement aux siens, d'abm§gation, cette rencontre de I'essen tiel qui fit que ces hommes portaient toujours leur livree de travail et qu 'ils etaient si mal al'aise dans Ia tenue artificielle des villes. Mains jamais sales, mais toujours couleur du travail de la terre ou trainant l'odeur de la verdure des champs ou l'ar6me de la citronnelle comme une diane, comme une insigne, comme une identification". Pour BANATIE 1999, il fit bon de rencontrer Rene Conde sur le plan politique. Il ne fut pas sectaire. Il crut fermement au pluralisme. Sa mentalite ne fut pas celle du politicien aveugle et feroce. Il pratiqua le liberalisme qui fit de lui un loyal adversaire. De tout sentiment corrosif libere, democrats convaincu, illaissa aux autres le comportement et l'attitude qui leur convenaient dans leur demarche electorale sauf a se defendre contre la vilenie des manoeuvres sarcastiques. Apres les evenements de 1956, il se retira de l'arene avec toute la dignite d'un grand combattant dont l'honneur fut sauf. En 1964,le regime le mortifia d'un sejour en prison: un complot-bidon duvalieresque. La declaration de candidature a la presidence du senateur Dejoie accrocha, de plus en plus, au fil des jours et des semaines, I' attention de la population cayenne aussi bien que celle des zo­ nes environnantes. La campagne electorale demarra, officieuse­ ment et timidement, et se fit de bouche a oreille, pour echapper aux foudres des agents du regime auxquels la folle du logis, de­ sormais, preta le don d'ubiquite. Entre connaissances proches, on analysa, on se fit des confidences, on specula surtout. La mo­ bilisation, toute timide au depart, prit corps et devint totale. En l'absence de tentatives d'intimidations et de reactions musclees de la part du pouvoir, !'adhesion a cette candidature gagna, pro­ gressivement, du terrain et devint totale car, entre les popula­ tions du Sud et l'industriel Louis Dejoie, il exista une longue His­ toire d'Amour.

110 Histoire d'une Candidature ~ Ia Presidence La Ville des Cayes: Politique I Pror:d et Itineraire de Louis Dejoie Louis Dejoie fut le fils de Joseph Justin Dejoie, lui-meme fils du general Dennery Dejoie, aide de camp du president Fabre Ni­ colas Geffrard et frere de l'amiral Leon Dejoie. La mere de Louis Dejoie s'appela Claire Louise Cesvert, fille de NepomucEme Ces­ vert et de Marie Celimene Geffrard, fille du president Fabre Nico­ las Geffrard. Le senateur Dejoie, au cours de la campagne electo­ rate, se plut, souvent, a repeter, a ceux de ses adversaires politi­ ques qui contesterent sa nationalite hai:tienne que son patrio­ tisme etait historique. 11 relata, fort souvent, a la table familiale des Conde, les conditions tragiques dans lesquelles le general Ni­ colas Geffrard trouva la mort dans la ville des Cayes. Louis Dejoie fut un homme fort beau, seduisant, le regard franc, des yeux qui accrocherent les cameras, l'intelligence fer­ tile. De grande taille, avec l'age un embonpoint relativement ac­ cuse, il herita du teint "vieil acajou" de son ai:eul Nicolas Gef­ frard. D'une rare elegance, qu'apparemment, envierent ses ad­ versaires politiques, il sembla avoir donne naissance au clone Ronald Reagan quant a la prestance. Le candidat Duvalier, cin­ glant, le traita "d'aristocrate pommade, de danseur de tango";le candidat Clement Jumelle, ironique, trouva que "son elegance n'etait que vestimentaire" et le candidat Fignole, sarcastique, en fit "un reactionnaire de vieille roche". Louis Dejoie, ancien eleve du Petit-Seminaire College St-Martial, fit des etudes pre-universitaires en France et obtint, dans ce pays, un diplome de medecin veterinaire. 11 poursuivit des etudes d'agronomie (chimie agricole) a l'Institut Agrono­ mique de Gembloux, en Belgique ou illaissa d'excellents souve­ nirs, surtout chez les camarades survivants des annees 60 qui se rappelerent ses frasques d'etudiant et le cote ambitieux de sa per­ sonnalite. Felix Suetens, patissier de renom de Gembloux, ra­ conta a l'auteur qu'il conseilla a son ami Louis De Joye (ainsi ap­ pele, de son temps, a Gembloux), venu lui annoncer sa candida­ ture a la presidence d'Halti, de se mefier de la politique dans un pays comme le sien, Halti, un bateau fou. Pour Felix Suetens qui lit a Elias Nassar eta l'auteur, un article d'un journalliegeois, de l'annee 1957, relatant la chute du president Magloire, "mis K.O par un ancien champion de Belgique de saut a Ia perche", en

Profil et ltineraire de Louis Dejoie 111 La Ville des Cayes: Politique I !'occurrence Louis Dejoie, Haili demeura toujours ce pays des generaux avec une armee de 18 000 hommes dont 11 000 gene­ raux. Louis Dejoie eut, tout de meme, les defauts des hommes de caractere : l'egocentrisme, l'irritabilite, un zeste d'autoritarisme. Comme dit le journaliste JEAN DANIEL 1979le caractere est une vertu si rare qu'il a besoin, comme d'autres vertus du meme type, de mille defauts pour le constituer. Disons que ce fut un homme de grande franchise et son irritabilite vint, en partie, d'un ulcere d'estomac qui le fit rudement souffrir, traite au jus de banane et au takazime (enzime digestive) qui ne le quittait pas lors de ses peregrinations. Certains lui reprocherent sa morgue. Un exemple: lors d'une visite, aux Cayes, a la Maison Blanchet et Succrs, Louis Sansaricq, pro-jumelliste, lui presenta Dener Seide (duvalieriste), en relevant a son attention que ce dernier etait un authentique notable de St Louis du Sud et un grand speculateur de cafe. Louis Dejoie repliqua ason bOte et ami Loulou Sansaricq, sans vouloir l'offenser, que sa visite privee n'eut point pour ob­ jectifs des racolages electoraux. Louis Sansaricq s'en etait forma­ lise. Louis Sansaricq pouvait se prevaloir d'une longue et pro­ fonde amitie avec le senateur. En 1934, il fut, avec Rene Buteau, de ceux qui accompagnerent le ministre Vaughes et Marcel Mon­ fils, directeur du S.N.P.A.E.R, a l'Ile a Vaches, lors d'une visite d'inspection. Louis Sansaricq, homme droit, de grande correc­ tion, contacte, pour etre ministre des Finances du president , en fevrier1957,sur la recommandation du depu­ te Joseph Damas, declina cette proposition, de peur de se trouver en desaccord avec Louis Dejoie, plutot enclin a ne pas recon­ naitre ce gouvernement. Lars du sequestre, sous le president Frant;ois Duvalier, des biens de l'Etagild, Louis Sansaricq offrit, spontanement, ses services a Rene Conde. L'agronome Louis Dejoie fut bien connu des populations du Sud en general et des Cayes en particulier. Il fut directeur de l'Ecole Pratique d'Agriculture de Thor, dans les annees 1920. Envoye special du gouvernement hailien, en 1931, au Havre, il contribua, aux cotes du consul hai'tien, Andre Vieux, a faire ac­ cepter par les syndicats, le classement des types de cafe6 , contenu

8 Au congres du cafe a Ia Nouvelle Orleans, en decembre /930, ou monsieur Dejoie representait HaW, le cafe haWenfut classe troisieme.

112 Profil et ltineraire de louis Dejoie La Ville des Cayes: Politique I dans l'arr6t6 gouvememental sur Ia standardisation du caf6 PUBUCATIONS AUGUSTE MAGLOIRE 1931. Agronome d6par­ temental de Ia r6gion du Sud, au milieu des annees 30, il vulgari­ sa le caf6ier a travers ce d6partement, particuliilrement Ia figue­ banane aux Anglais, Ia pomme de terre a Rochelois, aux Anglais eta Meyer Uacmel), les agrumes (citronniers) et le cotonnier For­ bes-Barker a l'Ile a Vaches, assist6 des technicians Gustave (Gus) Kolbjomsen, Leon Lubin et Ren6 Cond6. En souvenir d'une so­ ci6t6 de d6veloppement privee, fond6e a l'6poque Bien Etre Agri· cole,Bien Etre Social (BABS), il6tait connu, familiilrement, parses intimes, sous !'appellation de BABS. A l'6couter d6plier ses souvenirs aux jours moins heureux de sa vie et de sa carriilre, sa riche et solide exp6rience a l'Ile­ a-Vaches (milieu hautement palud6en) y prenait, immanquable­ ment, place. Ses randonn6es nocturnes pour gagner le lieu de travail, a deux heures du matin, sur de frAles embarcations a voile,une cantine d'aliments a Ia main, les poches bourr6es de ci­ garettes de Ia marque Chesterfield (fumeur inv6t6r6 ... il paiera le prix), furent assimil6es a de parfaites odyss6es. 11 passa ses jour­ n6es, sous une chaleur torride, au milieu des collilgues de travail et des ouvriers agricoles, a parcourir 1' ile a dos de mules g6antes espagnoles ou a pied pour superviser pepiniilres et plantations. Le soir venu, vite le hamac ou le lit de camp, Ia moustiquaire pour se derober aux piqures des vareurs qui leur disputilrent Ia vie. II n'oublia point de mentionner le salutaire palma cristi ( huile de ricin) qu'on fit briiler dans des semi-coques 6videes de noix de coco et dont l'odeur et Ia fumee aidilrent a chasser les moustiques. Etonnamment, cette huile servit frequemment a pr6- parer des oeufs.

Le 1 er mai 1936, il rec;ut ainsi que l'agronome Schiller Nico­ las, pour l'effort consenti dans Ia vulgarisation du cotonnier For­ bes- Barker, une distinction de l'Etat haltien, a savoir la rosette d'Officier de l'Ordre national Honneur et Merite. En cette occur­ rence, Marcel Monfils se vit octroyer la cravate de Commandeur. Ses premiers essais sur les huiles essentielles demarrerent a l'avenue des Gabions, au voisinage de l'emplacement de l'actuel Marabout Night-Club. 11 implanta, au fil des annees, des usines avec pour gestionnaires Vital Cherestal,Vital-Herne Chamblain,

Profil et ltineraire de Louis Dejoie 113 La Ville des Cayes: Politique I Hosner Mallebranche, respectivement a Maniche, a Port Salut et a l'Ile a Vaches, etc. Les pepinieres furent placees sous la direc­ tion des infatigables techniciens Fran<;ois Isaac a Peri­ gny-Bois-Landry et Lyonel Prou a Chantal eta Dutruche, etc. Ses comptoirs d'achat de matieres premieres, pour approvisionner ses usines, couvrirent, tres vite, toutle departement du Sud. Ces implantations d'usines et de pepinieres, a travers cette region du pays, faciliterent des contacts etroits avec son futur electoral, sur­ tout les paysans. Ainsi, ses adversaires politiques, en agitant le theme de la coloration epidermique, n'eurent aucun echo favo­ rable, particulierement, dans la population du Sud. Ainsi, une equipe, bien rodee, occupa, largement le terrain, pour couvrir la campagne electorale. Lors des desastres climati­ ques et autres accidents majeurs, Etagild (Etablissements agricole et industriel Louis Dejoie) fut la premiere institution a intervenir, discretement, grace a son pare de vehicules, pour les secours dans les zones devastees pour la reconstruction des routes et des maisons sinistrees. Tousles operateurs de ces poids lourds de la marque Rheo et Mack ou de tracteurs Allis Chalmers dont il fut !'agent en Ha'iti, (Ulysse Edouard, Georges St Joy, Modesca Vale­ ry, Maralon Muzeau, Duncan Greenless, TiLeon, etc) furent conn us, des gens de la region, par leurs prenoms, a cause de leurs prevenances et de leur active disponibilite. De plus, les popula­ tions des Cayes et des environs furent loin d'oublier les visites­ chacune en son temps- des presidents Dumarsais Estime et Paul Magloire a Ducis, a Port Salut et furent, fortement, impression­ nees par la dimension gigantesque des arcs de triomphe en balles de vetiver (oeuvres de Gerard Olivier) et la magnificence des re­ ceptions offertes: on mangea et on but a satiete, sans exclusion aucune. Dans le monde des petits artisans et des petits entrepre­ neurs comme les guildiviers qu'il denomma, familierement, "pe­ tits broleurs" a cause de !'adoption par ces derniers du modele d'alambic Pere Labat afeu nu, il fut tres apprecie pour !'attention constante qu'illeur porta dans la profession. Son geste princier, entre autres, a l'endroit de Rameau Zamor, lui valut une grande admiration de la part des membres de ces corporations. Rameau Zarnor, notable fort respecte, vivait sur ses terres a Laval, non loin des Cayes, oil il exploita un petit moulin de canne a traction

114 Profil et ltineraire de Louis Dejoie La Ville des Cayes: Politique I animale pour la fabrication du sirop qu'il vendit, regulierement, a des distillateurs des Quatre-Chemins. Un jour, en pleine recolte de la canne a sucre, Louis Dejoie, durant un court sejour dans la plaine des Cayes, rendit visite a son vieil ami. 11 raffola de ses vi­ sites dans ces petites exploitations au il prit plaisir a vider une tasse de cafe, edulcore au jus de canne (vesou). 11 fit remarquer a Rameau Zamor le rendement derisoire du moulin. Les pertes etaient enormes. 11 proposa a Rameau Zamor de lui acheter un moulin plus performant en Louisiana, mu par un moteur de marque allemande (Deutz) de 9 chevaux. Rameau Zamor objecta de l'impossibilite pour lui d'investir dans un materiel aussi cher. L'agronome Dejoie promit de consentir l'investissement et bana­ lisa la question de remboursement. Six mois plus tard, Rameau Zamor crut !'affaire enterree et se rejouit de cet oubli providential de la part du senateur, car, en tant que patriarche, ses responsabilites etaient tres grandes et il n'entendit point brader ses terres pour rembourser une dette d'honneur. Un matin, Louis Dejoie arriva aux Cayes, a bard d'un carnian, avec le materiel promis et requit l'aide de deux mecani­ ciens Amerlin Conde et Duncan Greenless de l'Etagild et d'un maitre-ma!ion Andre Joseph. Surprise de Rameau Zamor a !'apparition de l'agronome Dejoie. Le montage du materiel ache­ ve et a pres deux heures de fonctionnement normal et regulier du moulin a sa satisfaction, Louis Dejoie quitta les lieux et laissa la question du remboursement a la discretion de Rameau Zamor, incredule. Ainsi, pour ces populations du Sud, le nom du senateur Louis Dejoie etait a lui seul un programme. 11 jouissait dans le milieu d'une forte et grande credibilite. En 1946, il eut une telle aura qu'allie a !'ancien candidat ala presidence de la Republique Edgard Neree Numa, une figure proeminente du Sud et de l'heroi:que Chambre de 1915, il se fit elire, aisement, senateur du Sud comme membre de son cartel, aux cotes des futurs collegues Rameau Loubeau, Walter Sansaricq, Ney Gilles. Aux elections de 1950, il conserva son fauteuil de senateur du Sud. Durant ces 10 annees au Parlement, jamais il ne consentit a percevoir ses in­ demnites de senateur. President de la chambre de commerce d'Halti, en 1946, il decreta la greve du secteur, appuyant les jeu­ nes de La Ruche.

Profil et ltineraire de louis Dejoie 115

La Ville des Cayes: Politique I La Campagne Electorale de 1956 Presidence de Paul Magloire La Croisade pour la Reelection de Paul Magloire Le dimanche 29 janvier 1956, anticipant de quelques jours la declaration de candidature a la presidence du senateur Louis Dejoie, une manifestation populaire, au rythme endiable d'une meringue "Vox Populi, Vox Dei" parcourut, a pas de course, les principales rues de la ville, reclamant la reelection du president Magloire, pour un nouveau mandat de six annees. Deux person­ nalites cayennes, le docteur Othello Bayard, dentiste, auteur et compositeur de la musique "Hai"ti Cherie" et le leader populaire Joseph Lubin se firent les apotres de cette croisade, militant, acti­ vement, pour le second mandat. Ala fin du mois de fevrier 1956, ces memes acteurs recidi­ verent, avec l'appui des autorites locales. Une colossale manifes­ tation, aux allures d'une retraite aux flambeaux avec tous ses ap­ parats, gagna encore les rues. Estimation des organisateurs et journalistes: un millier de femmes et d'hommes appuyant cette croisade pour la reelection. Du cote des partisans du candidat a la presidence d'Haiti, Louis Dejoie, la campagne electorate, deja, accusa un remar­ quable elan. Les fetes patronales de la region furent d'excellentes et frequentes occasions offertes aux dejoistes pour mener la cam­ pagne electorale, en distribuant, massivement, des photos du candidat, des medaillons a son effigie et des subventions aux groupes musicaux. Ala fete de la St Joseph, a Torbeck, le 19 mars 1956, le candidat Louis Dejoie, en terme de mobilisation poli­ tique, moissonna un large succes. Notables et populations adhe­ rerent spontanement a sa candidature. Deja au carnaval, en cette fin de fevrier 1956, le president de la bande carnavalesque Jeu­ nesse en Fleurs, Fernand Placide lan~a la chanson "yon etoile pa­ ret nan ciel", entonnee, desormais, aux moindres occurrences. Pour les autorites locales, perdues dans cette conjoncture, cette chanson se revela une arme electorate percutante des dejoistes: soldats et indicateurs de police firent mine grise aux audacieux qui oserent chantonner. Du jour au lendemain, voila le Cayen sai­ si par la psychose des denonciations et victime de la folle du lo-

Presidence de Paul Magloire 117 La Ville des Cayes: Politique I

gis: les indicateurs ("espions") etaient omnipresents; on se mefia. on distribua, gratuitement et mechamment, des epithetes aux tie· des, on se parla par signes. Se fit, ainsi, l'apprentissage a une nou· velle technique de communication appelee a perdurer sous le re· gime de Papa Doc. Le 13 mars 1956, le sous-secretaire d'Etat de l'Interieur Ro· land Lataillade "linglinsou ", un sobriquet affectueux du campo· siteur Nemours Jean-Baptiste, du groupe musical Aux Calebas· ses, arriva, en grande pompe, en visite dans la ville des Cayes e1 prit logement a I' hotel Conde, propriete de Mm• Gladys Larco Con· de. Une premiere et somptueuse reception, reunit officiels et par· tisans du regime dans les salons des epoux Milien Conde (Milien etait prefet), puis il fut l'hote choye des clubs populaires. II clotu· ra son bref sejour par une visite privee a Rene Conde, son h6te lors de ses precedentes visites comme capitaine de l'armee e1 membre des delegations presidentielles, puis se rendit a l'h6tel Mon Reve pour un 5 a 7, en son honneur, offert par les citoyens Michel Azor et Edgard Dallemand, des fonctionnaires du gouver· nement. Le sous-secretaire d'Etat Roland Lataillade,satisfait, dis· cuta, au terme de son bref sejour, avec amis cayens et autorites of· ficielles, de l'eventualite d'une prochaine visite du president Ma­ gloire dans la metropole du Sud. Le 14 mars 1956, le senateur Dejoie rendit publique, ala ca­ pitale, le texte d'une consultation juridique du pr Georges Vedel, specialiste franc;ais en droit constitutionnel qui, copie de la Cons­ titution hai:tienne en mains, conclut a une fin de mandat du pre­ sident Paul Magloire au 6 decembre 1956 a zero heure. Dans la meme veine,une consultation de M• Franck Sylvain, publiee le 30 mars 1956, par le journal OEDIPE, parvint aux memes conclu­ sions, mais differa, quant a la date de fin de mandat du president Magloire qu'elle situa au 15 mai 1956. Le lecteur perc;ut, a travers les colonnes du journal pro-gouvernemental, Le National, un re­ latif agacement. Les autorites du pays digererent fort mal une telle ingerence d'un specialiste franc;ais, du calibre de pr Georges Vedel, dans une question haltienne. Les partisans du senateur Louis Dejoie, dans la ville des Cayes, armes d'un tel document, nourrirent, pour la premiere fois, hantes par }'hypothese d'une pression americaine, l'espoir d'un depart constitutionnel du pouvoir du president Magloire et d'eventuelles elections libres et

118 Presidence de Paul Magloire La Ville des Cayes: Politique I honnetes. Ce document devint leur bible pour conforter leur foi dans le dejoisme naissant.

Le President Paul Magloire aux Cayes Le 29 mars 1956, Ia radio gouvernementale (Voix deJa Re­ publique d'Hai'ti), dans son emission quotidienne, confirma les rumeurs d'une visite imminente du president Magloire dans la ville des Cayes. Commanditee parses partisans,cette visite, selon le Pouvoir,dut servir de test de popularite pour le regime en place et pourquoi pas? en cas de succes inevitable, d'un camouflet au dejoisme. La visite, programmee par Ia presidence de Ia Republique pour le 5 avril1956, mobilisa les clubs populaires Les Tirailleurs, L'Avenir, en particulier l'Elan, les populations des cites environ­ nantes pour un accueil chaleureux au president d'Hai:ti qui ac­ quit, aux yeux du peuple, une stature de chef prestigieux. Lepre­ sident Magloire ne cessa de rappeler, dans ses differents dis­ cours, qu'apres les grands travaux du departement du Nord qui ne se compterent plus, la priorite du gouvernement privilegierait, toujours en terme de realisations d'infrastructures, le departe­ ment du Sud. Le gouvernement entreprit, avec succes, l'asphal­ tage des principales rues des Cayes, celui du trom;on Cayes-Cavaillon. II erigea le batiment du lycee national Phillipe Guerrier des Cayes et ouvrit, en 1954, les partes de l'ecole natio­ nale Claire Heureuse dans cette meme ville,mais encore rehabili­ ta le systeme colonial d'irrigation d'Avezac. II s'evertua a faire fonctionner l'usine sucriere des Cayes qui devint un enjeu poli­ tique. Pour le president Magloire, le passage du cyclone Hazel, le 12 octobre 1954, bouleversa les plans du gouvernement, oblige de faire face a des depenses imprevues. Malgre tout, il exista entre le president Magloire et le milieu cayen un contentieux re­ latif au retard apporte a Ia construction d'un lycee offert par le gouvernement venezuelien ala ville des Cayes. Il se repetait dans les milieux politiques de la capitale qu'une partie des fonds serait allouee a Ia ville de Jacmel qui, elle aussi, hebergea le Libertador. Ce projet s'envelit, malheureusement, pour le Cayen, dans les draps de l'oubli.

Presidence de Paul Magloire II'J La Ville des Cayes: Politique I

Comme attendu, le 5 avril 1956, le president Magloire fit son entree, a midi, dans Ia ville des Cayes, pavoisee, pour Ia cir­ constance, aux couleurs nationales, accompagne d'un imposant cortege de vehicules et escorte de sa garde militaire. L'accueil fut mains chaleureux qu'aux precedentes visites, car les Cayens, aux pas-de-partes et dans les rues, s'emmurerent dans une profonde indifference. Des minutes plus tard, de sa residence, le president Magloire, rayonnant, en pleine forme physique, imposant, entou­ re du prefet, d'amis et membres de sa suite, traversa a pied, sans escorte militaire, les rues adjacentes qui conduisent a l'eglise me­ tropolitaine pour le Te Deum traditionnel. Au pas-de-porte de Ia cathedrale, endimanchees, les autorites civiles et religieuses, s'empresserent de presenter leurs hommages au chef de l'Etat. La foule des curieux etait presente aux abords de l'eglise metropoli­ taine, mais peu de vivats a pres I' execution de l'hymne presiden­ tiel et les 21 coups de canon de rigueur en la circonstance. Au prone, beau et majestueux dans ses habits episcopaux, l'Eveque des Cayes, Msr Jean Louis Collignon qui "tenait lieu de caisse de stkurite sociale" aux demunis de la ville, apres les mots de bien­ venue, rappela au president Magloire, les vains appels mais sans cesse renouveles du diocese a son gouvernement pour aider a la restauration des eglises,ecoles et dispensaires, emportes par le cyclone Hazel. Heureusement, fit-il remarquer, une cohorte de bienfaiteurs ha!tiens et etrangers, permit, a l'administrateur du diocese du Sud, d'apporter des solutions aux cas les plus urgents. Douche froide pour le president et sa suite qui, en eux-memes, purent penser a une concertation entre Louis Dejoie et l'Eveque du diocese. Dans son discours de circonstance a la population des Cayes, depuis le local de la prefecture, le president Paul Magloire ne rata pas !'occasion de s'en prendre aces compatriotes indeli­ cats qui ne cesserent, durant de frequents voyages a l'etranger, de colporter de fausses nouvelles relatives a la situation du pays. Le senateur du Sud, en voyage d'affaires a l'etranger, brilla par son absence. Son representant local, a cause d'une fracture a la jambe, peu de jours avant la visite, fut, egalement, absent. Lepre­ sident Magloire en fit la remarque a son fils, a la reception au Cercle des Officiers.

120 Presidence de Paul ~~:loire La Ville des Cayes: Politique I

Le president Magloire repondit, durant son sejour, aux dif­ ferentes receptions officielles en son honneur, aux clubs des Ti­ railleurs eta L ~venir, enjolivees de toasts au succes du gouverne­ ment par, respectivement, Girardin Josaphat et Previl Pierre; a ]'habitation Coquette, a environ un demi-kilometre de la ville, in­ vite des parlementaires du Sud, avec le toast du depute des Cayes et des Coteaux, Philippe Jocelyn; au Cercle des Officiers avec le toast du colonel Pierre Haspil magnifiant la continuite. Au Club Juvenia, une facheuse panne d'electricte de quelques minutes, imputee aux dejoistes, faillit gacher la brillante soiree. Au der­ nier jour de la visite, le 7 avril 1956, le president Magloire et sa suite pousserent une pointe a Laborde, a quelques kms des Cayes, pour inaugurer les travaux de construction d'une ecole communautaire, mais encore a Camp-Perrin pour visiter le Sco­ Jasticat de Mazenod, sans avoir neglige de saluer au passage, les membres de la Mission EvangtHique Baptiste a Simon-Charpen­ tier oil l'accueillit le Pasteur americain Walter Weinch, un admi­ rateur du president. Dans l'apres-midi du jour, il regagna la capi­ tate, visiblement etonne de cet accueil mitige. La ville des Cayes bascula dans le camp Dejoie.

Le Regime du President Magloire en Peril On continua, aux Cayes, grace aux journaux de la capitate, a suivre, avec grand interet et une pointe d'inquietude, la longue polemique de quelques semaines, engagee entre le journal gou­ vernemental LE NATIONAL 1956 et son confrere l' INDE­ PENDANCE 1956, sur la veritable nationalite du senateur Louis Dejoie qu'un certain Albert Baptiste, instituteur de son etat, sou­ leva et que le journaliste Sejour L.Laurent alimenta dans les co­ lonnes du journal gouvernemental. Louis Dejoie, citoyen franc;:ais ?Cette assertion, suite ala reponse energique du senateur Dejoie, finit par soulever l'hilarite de ses partisans aux Cayes et le journal local pro-dejoiste Le Rocher persista a donner Ia replique. Les editions du quotidien Independance de Georges J. Petit expe­ diees de Ia capitale par paquets, via le courageux Fresnel Felix, furent distribuees, gratuitement, sous le boisseau. Les evenements politiques prirent, bientot, leur envoi. A peine le president Magloire quitta Ia ville des Cayes que Ia contestation ouverte gagna le monde des etudiants et collegiens

Presidence de Paul Magloire 121 La Ville des Cayes: Politique I cayens. Aucuns signes avant-coureurs de ce sursaut des lyceens. Les etudiants furent en contacts etroit et suivi avec des noyaux contestataires de la capitale (Jycees Toussaint et Petion) et de Jac­ mel, car le mouvement fut declenche, simultanement, dans ces trois villes. Il y eut, aux Cayes, les infiltrations politiques des membres du Parti du Peuple Hai'tien, entre autres, Rodrigue Numa et Alex Dominique, ce dernier acteur, precieux temoin et survivant de cette periode. Le 17 mai 1956, des eleves du lycee National des Cayes, avec aleur tete, Harold Douyon, Rigaud Bois, France Caobert Fran<;:ois, Jean Decastro tenterent de gagner les rues et d'entrainer apres eux, leurs camarades, dans un mouve­ ment de protestation contre le regime. Ils voulurent rameuter les eleves du College Lysius Felicite Salomon d'Henry Vixamar et ra­ coler d'autres jeunes. La police, prise au depourvu, reprit le con­ trole de la situation et arreta les principaux meneurs. Harold Douyon, arrete et libere, se refugia a Ducis. Jean Decastro, arrete et interroge par les autorites militaires et que le'texte d'arrete gou­ vernemental cita, nommement, declara sans fard, une pointe d'humour aux levres, que les eleves "tHaient fatigues de gloire et qu'ils voulaient plus de joie". Les deux membres sus-cites du Parti du Peuple Hai'tien, impliques dans !'affaire, furent, inco­ gnito, embarques a bard d'un carnian, deguises en marchandes de charbon et evacues vers Jeremie par l'agronome Jean Rene Conde. Le gouvernement decreta, le jour meme, l'etat de siege pour une duree de trois mois, dans les trois villes du pays. LA GARDE qui qualifia cette affaire de "mouvement d'enfant" dans son edition du 13 mai, conclut dans celle du 27 mai 1956: " Dans notre bonne ville, les lyceens ont cesse de jouer a la buissonniere. Meme deux ou trois qui avaient cru necessaire de se mettre a couvert, ont repris tranquillement leur train, apres s'etre de leur propre gre, rapportes a ]a police". Le journal LE REMPART, a propos de ces evenements, bla­ ma le comportement inqualifiable de taus ceux qui, tapis dans l'ombre, lancerent dans cette aventure, des jeunes de 15, 16,17 ans. Aucun journal local de l'epoque ne chercha a demeler l'echeveau de ce derapage politique. Il s'agissait d'une manifesta­ tion d'etudiants, manipules par une avant-garde politicienne qui s'appuya sur la these du juriste Franck Sylvain, pour signifier au

122 Pr6sirlence de· Paul Md~loirc La Ville des Cayes: Politique I gouvernement la fin du mandat du president Magloire, au 15 mai 1956. En fait, des journalistes locaux furent, mieux que qui­ conque, informes des sevices subis par des etudiants. Le silence fut de regle. Les membres du Parti du Peuple Haitien, en }'occurrence Rodrigue Numa et Alex Dominique parvinrent, par un travail de taupe, a l'insu des autorites locales et des citoyens les plus avertis, a nouer des contacts etroits avec un groupe de Cayens qui avaient contribue a noyauter les eleves du lycee. Ces Cayens dont on hesiterait a leur caller une epithete d'activistes et dont le chef de file fut M• Fritz Cassion, eurent pour noms: Ra­ phael Castel, Lyonel Jean Claude, Mores Conde, Marcel Cazeau, Aristobule Eveillard. La police ne cibla que Rodrigue Numa et Alex Dominique DOMINIQUE 1999. Le gouvernement innova: un nouveau prefet prit les affaires en mains. Il s'agit de M• Marcel Lubin, educateur, brillant homme de loi et personnalite sympathique de la ville. Il preta serment, un mois plus tard, le 16 juin 1956. Une lourde et ingrate tache attendait le nouveau prefet qui devait eviter tout derapage et montrer une certaine fermete (?) a l'egard des dejoistes. Pour ces derniers, cette nomination equivalait a un durcissement du regime d'autant plus que le commandement du departement mi­ litaire du Sud changea, tres tot, de titulaire avec l'arrivee du colo­ nel Max Chassagne, un fidele des fideles du president Magloire. Le colonel Pierre Haspil fut transfere au Grand-Quartier general de l'armee, a Port au Prince, immediatement, apres la visite du president Magloire aux Cayes. En replique a ce mouvement des jeunes, les autorites loca­ les organiserent, le 4 juin 1956, une manifestation de masse (re­ traite aux flambeaux, vaccines, pancartes,etc) en temoignage de la fidelite de la population cayenne au gouvernement du presi­ dent Paul Magloire. Encore une fois, le leader populaire Joseph Lubin, fidele a ses engagements, porte-voix des sans-voix, expli­ qua a son auditoire "qu'on ne changeait pas de cheval au milieu du gue". Une annee plus tot, en 1955, un incident eut lieu aux Cayes dans lequel fut implique le jeune Marco Clermont, fils d'un ex-colonel retraite. Un fusil de calibre 22 special fut saisi par la police et son proprietaire, non muni du port d'armes legal,

Presidence de Paul Magloire 123 La Ville des Cayes: Politique I ecroue, momentanement. Marco Clermont, franc tireur al'egal de son pere, ancien vice-champion de tir aux jeux Olympiques (J.O) de l'annee 24, en France (Chalons-sur-Marne) fut un passionne de chasse. Il ret;ut, en don, ce fusil d'un sergent de l'armee ameri­ caine, attache comme lui au SeiVice national de Geodesie, en charge des travaux de cartographie de la region. Les premiers soupt;ons ciblerent, curieusement, pres d'une annee plus tard, le groupe Dejoie. Le fusil, selon l'hypothese hative de la police, fut remis a Clermont par Rene Conde pour l'apprentissage des armes a feu par des partisans du senateur Dejoie et fomenter une revolte aux Cayes. Un officier fort bien connu des cayens, le lieutenant Lanore Augustin, du Service des recherches criminelles du de­ partement de la Police de Port au Prince, fut depeche dans cette ville, avec des ordres stricts. Les enquetes policieres sur le fusil et sa provenance, sur ordre du general Antoine Levelt, chef d'etat-major de l'armee, balayerent les premieres hypotheses. Le numero de serie du fusil et son annee de fabrication revelerent qu'il fut acquis par le sous-officier americain. Le lieutenant La­ nore Augustin, rappele a la capitale par l'autorite superieure, fit ses adieux amicaux au terrain d'aviation de Laborde au principal suspect de l'affaire, non sans lui reveler le but de sa mission. Cette histoire (simple coincidence?) eut une ... epilogue curieuse et malheureuse, une annee plus tard a la chute du presi­ dent Magloire, a la ruelle Clermont a Port au Prince, avec la mort du lieutenant Lanore Augustin et celle du sous-lieutenant Alix Jean (Cayen d'origine), abattus, devant la residence des Cler­ mont. Cette action se deroula une ou deux heures a pres une fusil­ lade declenchee devant le Penitencier national, dans laquelle la police impliqua l'ex-colonel Henry Clermont qui voulut proteger la vie des prisonniers politiques du 6 decembre 1956; la rumeur laissa croire a un attentat contre la vie de ces derniers. L'ex-colonel Clermont - apres un crochet, en quete d'asile poli­ tique, ala residence, a Bourdon, de l'ambassadeur americain- eut la vie sauve a l'hopital du Canape-Vert oil il fut conduit pour etre soigne, suite a ses graves blessures, grace a l' intervention d'un jeune medecin-resident qui s'opposa, fermement, a son arresta­ tion par des officiers de police de Port-au-Prince. Le jeune et courageux medecin-resident s'appela Rene Charles CAMILLE 1999.

124 Presidence de Paul Magloire La Ville des Cayes: Politique I

Durant l'ete 1956, }'attention des autorites locales, civiles et militaires, fut attiree par }'existence d'un emetteur-radio pirate qui diffusa de Ia musique electorale du candidat Dejoie qui les agac;:a. Cet emetteur-radio etait localise a Ducis. La composition musicale de Raoul Guillaume, executee par le guitariste Dormela Philippe et le chanteur Claude Bocaud, etait enregistree dans Ia clandestinite, au niveau du quartier de Bizoton, dans un poulail­ ler appartenant a un admirateur du candidat Louis Dejoie. L'emetteur appartenait a Etagild qui s'en servit pour les besoins du service. L'emission politique dominicale, uniquement des chansons, fut, facilement, captee, par des appareils de radio de faible frequence de Ia region. Impact reel: des curieux agglutines autour des rares pastes de radio a batteries de l'epoque, rapports au commandant de district militaire, des le lundi matin, des chefs des avant-pastes et de sections rurales. La vigilance des autorites locales se relacha sur les dejoistes avec les declarations officielles respectives de candidatures a Ia presidence de Franc;:ois Duvalier (49 ans) qui declara reprendre le flambeau de l'Estimisme et de Clement Jumelle (40 ans), l'ex-ministre de l'Economie et des Finances du regime en place qui beneficia, crut-on alors, du soutien du chef de l'Etat. Les rares Cayens qui, visiblement, epaulerent le president Paul Magloire, miserent, en fait, sur la candidature du ministre de l'Economie et des Finances. Apparemment, Clement Jumelle devint l'Mritier politique du president Magloire. Pour les dejois­ tes, on fut, a deux pas, des elections officielles et frauduleuses.

Le Rempart du Jumellisme aux Cayes Le journal cayen LE REMPART dont la redaction se campo­ sa de la fine fleur de }'intelligentsia locale, apporta un soutien in­ conditionnel au gouvernement. n le manifesta lors d'une recep­ tion des freres Simon en l'honneur du nouveau prefet, Marcel Lu­ bin, sur }'habitation Jogiies a environ 9 kms des Cayes. Le dis­ cours de ce journal agita les themes des revendications sociales de 1946. Ce discours agac;:a, au possible, les partisans de Louis Dejoie qui l'assimilerent a une prise de position noiriste du comi­ te des redacteurs. Le senateur Marceau Desinor, dans une inter­ view aux Cayes, rejeta les accusations lancees contre le senateur

Presidence de Paul Magloire 125 La Ville des Cayes: Politique I

Durant l'ete 1956, !'attention des autorites locales, civiles et militaires, fut attiree par !'existence d'un emetteur-radio pirate qui diffusa de la musique electorale du candidat Dejoie qui les aga.;a. Cet emetteur-radio etait localise a Ducis. La composition musicale de Raoul Guillaume, executee par le guitariste Dormela Philippe et le chanteur Claude Bocaud, etait enregistree dans la clandestinite, au niveau du quartier de Bizoton, dans un poulail­ ler appartenant a un admirateur du candidat Louis Dejoie. L'emetteur appartenait a Etagild qui s'en servit pour les besoins du service. L'emission politique dominicale, uniquement des chansons, fut, facilement, captee, par des appareils de radio de faible frequence de la region. Impact reel: des curieux agglutines autour des rares pastes de radio a batteries de l'epoque, rapports au commandant de district militaire, des le lundi matin, des chefs des avant-pastes et de sections rurales. La vigilance des autorites locales se relacha sur les dejoistes avec les declarations officielles respectives de candidatures a la presidence de Fran.;ois Duvalier (49 ans) qui declara reprendre le flambeau de l'Estimisme et de Clement Jumelle (40 ans), l'ex-ministre de l'Economie et des Finances du regime en place qui beneficia, crut-on alors, du soutien du chef de l'Etat. Les rares Cayens qui, visiblement, epaulerent le president Paul Magloire, miserent, en fait, sur la candidature du ministre de l'Economie et des Finances. Apparemment, Clement Jumelle devint l'heritier politique du president Magloire. Pour les dejois­ tes, on fut, a deux pas, des elections officielles et frauduleuses.

Le Rempart du Jurnellisme aux Cayes Le journal cayen LE REMPART dont la redaction se campo­ sa de la fine fleur de !'intelligentsia locale, apporta un soutien in­ conditionnel au gouvernement. Ille manifesta lors d'une recep­ tion des freres Simon en l'honneur du nouveau prefet, Marcel Lu­ bin, sur !'habitation Jogiies a environ 9 kms des Cayes. Le dis­ cours de ce journal agita les themes des revendications sociales de 1946. Ce discours aga.;a, au possible, les partisans de Louis Dejoie qui l'assimilerent a une prise de position noiriste du comi­ te des redacteurs. Le senateur Marceau Desinor, dans une inter­ view aux Cayes, rejeta les accusations lancees contre le senateur

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~ejoie sur la questi?n du prejuge de couleur. 11 pensa que le pre­ Juge de couleur eta1t etranger a l'agronome Louis Dejoie. 11 indi­ qua que lui et Louis Dejoie etaient des exemples edifiants de l'inanite des efforts des theoriciens du genocide. 11 ajouta: " 11 est permis d'affirmer que monsieur Louis Dejoie a plus fait pour les noirs dans le domaine du travail que les bourgeois, intellectuels noirs .qui, depuis 1946, aux epoques des elections, agitaient la question de couleur, pour des fins essentiellement politiques". Trente annees plus tard, Maurice Jocelyn, de tendance p.ro-jumelliste, en terre etrangere, expliqua a l'auteur que la pas­ siOn, dans le camp dejoiste, confera aux articles du REMPART cette coloration noiriste qui fut loin des etats d'ame des redac­ teurs du journal. 11 reprocha, ala classe de Louis Dejoie, son com­ portement dans le passe sans pour autant meconnaitre les quali­ tes de !'entrepreneur. A cause de leur rayonnement intellectuel mais aussi du fait de beneficier d'un capital de confiance en tant qu'educateurs, avocats et membres du barreau des Cayes, ces personnalites eu­ rent, chacune, inevitablement, une touche significative dans la politique locale. D'abord, M• Alphonse Piard dont la competence et le verbe reveillerent l'ardeur intellectuelle chez de nombreuses genera­ tions de jeunes sudistes, particulierement, des Cayennes et Cayens, marqua le milieu en tant que juriste, educateur et homme de lettres. Nair metisse, de taille moyenne, au visage agreable, au langage fleuri, le buste droit, les epaules, un tantinet rejetees vers l'arriere, toujours vetu avec elegance, il se deplac;ait en dandinant legerement. Talonne dans l'apres-midi, par le souci de la ponctualite et l'urgence des cours au lycee ou surpris par la tombee de la nuit, a !'angelus comme il se disait dans le milieu cayen, il trottina davantage qu'il ne marcha pour repondre au de­ voir ou pour gagner le logis familial. Pour le Cayen, dejoiste de surcroit, Alphonse Piard avait les qualites intellectuelles pour mener le bon combat pour lui-meme, mais fut loin d'avoir la foi du militant politique. Il porta pourtant une epine au talon: son jeune fils Frantz fut dejoiste. Juriste bien connu, l'Avenir lui re­ serva un paste de sous-secretaire d'Etat ala Justice.

Presirlence de P,w/ Magloire 126 La Ville des Cayes: Politique I M• Maurice Jocelyn, de grande taille, toujours de blanc vetu, affectionnant chapeau panama et fines lunettes "hexagona­ les" adoptees par bon nombre d'intellectuels de l'epoque, etait un nair d'un bleu doux pour repeter le poete Leopold Sedar Seng­ hor. Avocat et professeur au lycee Philippe Guerrier des Cayes, il avait herite de son pere, Marcelin Jocelyn qu'il venera, le gout pour la polemique. Surnomme" Je lion du barreau des Cayes" par des confreres, il fut un bretteur. Quarante-sizard convaincu, il crut sincerement dans la lutte pour la defense de la classe des de­ munis. 11 professa, profondement, le culte de l'amitie et ses prises de position politique ne l'avaient point detourne de ses amis de­ joistes, fignolistes au duvalieristes, devenus, a }'occasion, des adversaires. Apres certaines mesaventures vecues sous le regime Duvalier, il fila vers des cieux plus clements. M• Gontran Lamour etait un nair de petite taille, au visage avenant, aux yeux brillants et au sourire narquois. Avocat, pro­ fesseur au lycee national des Cayes, ancien boursier du gouver­ nement Magloire, ancien directeur du bureau des Affaires socia­ les, il se lan<;a, tete baissee, dans la campagne electorale et prit position aux cotes du candidat Clement Jumelle. Ale voir accou­ de au pilier en beton de sa residence, a la premiere grand'rue au encore certains jours, les bras entrelaces et replies sur la poi trine, pensif, illaissait, au passant, }'impression d'un etre insignifiant. C'etait se tramper. A bien le connaitre, tout chez l'homme, les gestes, la posture trahissaient le combattant et une froide deter­ mination. 11 n'eut point peur de darner haut et fort ses opinions et s'attaqua, souvent, dans les colonnes du REMPART au senateur Louis Dejoie, surtout en ce qui avait trait au slogan " La Politique de la Terre, la Seule, la Vraie". Ce retour ala terre lui apparut de mauvaise augure. Apres les elections de 1957, sous le regime du president Duvalier, tournant dos, malgre lui, a la bureaucratie, avec un male courage, il chaussa des bottes de cent lieues de fer­ mier et s'adonna a la culture de la canne a sucre, a proximite de Dutruche, pour gagner son pain quotidien et pour approvision­ ner la centrale sucriere en matiere premiere. 11 connut, egale­ ment, l'exil volontaire au Congo-kinshasa. M• Roger Lamour, un temoin au long cours de la periode du­ valierienne, est un intellectual tres connu. 11 fit partie, aux cotes de son frere Gontran et d'autres membres, de l'equipe de redac-

Presidence de Paul Mag/oire 127 La Ville des Cayes: Politique I tion du REMPART. Elance, un paquet d'os et de nerfs, toujours dans une course contre la montre, longeant agrandes enjambees les galeries des maisons, il eut une plume alerte et defendit les idees de 1946 dans ses ecrits et a travers son oeuvre de drama­ turge. Il avait un sens tres pousse de l'humour et edita un journal Le Loustic. Homme droit, toujours en position verticale, il consa­ cra toute son energie a l'education de la jeunesse, soit dans les salles de classe ou sur les planches de theatre. Plus tard, malgre les appels du pied du regime de Duvalier, il plia bagage et arr~ta la publication du journal du groupe. Selon les apparences, le premier ou le dernier des mous­ quetaires, educateur, avocat, M• Ewald Alexis, fondateur du REMPART, de taille moyenne, cheveux coupes court, le nez chausse de grosses lunettes d'ecailles, n'abandonna jamais ves­ ton et cravate a l'instar des grands commis de l'Etat. Sa demarche nonchalante cacha mal l'animateur de l'equipe Le Rempart. Journaliste, il avait une plume qui degageait des etincelles et Ms• Collignon, a ses premiers pas dans le diocese, l'apprit a ses de­ pens quand le journaliste lui rappela, apres un de ses sermons a la cathedrale, les principes de charite chretienne en terre de mis­ sion. Ewald Alexis epousa, des les premiers moments, la cause du candidat Clement Jumelle. Sous le gouvernement de Jean Claude Duvalier, juriste consomme, il devint ministre de la Jus­ tice.

Le Calvaire des Partisans de Louis Dejoie Les activites de la campagne electorate se poursuivirent au fil des semaines. Durant l'ete 1956, debut juillet, le gouvernement reagit aux manoeuvres des dejoistes. Adrien Douyon, farouche et turbulent partisan du candidat Louis Dejoie, responsable du laboratoire medical a l'hopital des Cayes, rec;ut,successivement, deux avis de convocation des militaires et de l'autorite civile. Illui fut repro­ eM, a la premiere convocation, d'avoir participe, en tant que fonctionnaire de l'Etat, a un bal, sous les tonnelles, a Ducis chez Jean Rameau, comptable en chef a l'Etagild au cours duquel !'assistance, survoltee, chantait et criait a tue-t~te "Wa (Dejoie) a l'appareil". A la seconde convocation, illui fut reproche, verte-

128 Presidence de Paul Magloire La Ville des Cayes: Politique I ment, d'avoir afferme la residence familiale des Cazeau dont il as­ suma la gerance, au groupe Bassin-Sang qui y tenait meeting ( ka­ le-ouest) taus les jours. Le local fut afferme par le representant des Etablissements Dejoie et mis a la disposition de ce groupe. 11 se tira du guepier non sans avoir essuye des menaces fermes d'une incarceration certaine et prochaine de la part de l'autorite. Le 18 juillet 1956, les autorites locales inaugurerent, offi­ ciellement, les travaux de construction des logements de la cite militaire, aux Gabions, une promesse du president Magloire, a sa derniere visite dans la ville. En mains de 45 jours, trois ou quatre maisonnettes jaillirent du sol. Pour les dejoistes, le gouverne­ ment voulut marquer des points. Le prefet Marcel Lubin, fin juillet 1956, convoqua les freres Rene et Amerlin Conde aux casernes des Gabions pour repondre de certaines activites subversives : distribution de tracts, propa­ ganda contre le gouvernement a travers une emission de ra­ dio-pirate,etc. En fait, il ne se passa une semaine sans qu'il n'y eut distribution massive de tracts et la parution d'un journal de­ joiste LE ROCHER 1956·57 edite par Lyonel Lubin (il en avait abandonne la direction le 18 mai 1956), Herman Narcisse, Rene Matard dont les articles, dans leur virulence, reclamerent le de­ part du president Magloire en s'appuyant sur la these du Franc;ais Georges Vedel. Une petite presse clandestine, logee, au rez-de-chaussee de la residence de Gaston St Joy, ala rue Duvi­ vier Hall, servit aux impressions. Les dejoistes, tres actifs aux dif­ ferentes fetes patronales (Camp-Perrin, Port Salut, Chantal, Du­ cis) ne desarmerent point. Meetings sur les galeries et distribu­ tion de photos du candidat furent des activites courantes. La convocation tourna court apres deux heures d'interrogatoire. Un autre Cayen, unoriginal, d'un Age certain, du nom de Ju­ lien Cadet, dejoiste inlassable, fanatique de la bande carnava­ lesque Destina, ancien soldat ala 176me, du temps des bai'onnet­ tes, militant de seconde zone de Marchaterre, juge subversif, se vit convoque par devant les autorites militaires. Illeur etait rap­ porte que cet individu ne cessait de proferer des critiques acerbes contre le gouvernement et d'orner ses commentaires d'une ex­ pression seditieuse "anyen pa serieu" qui fit fortune dans le mi­ lieu cayen. Obeissant a des reflexes d'ancien soldat, au jour et a

Presidence de Paul Magloire 129 La Ville des Cayes: Politique I l'heure indiquee, il repondit a Ia convocation: apres une de­ mi-heure d'interrogatoire par une brochette d'officiers a Ia mine severe, il fut prie de regagner son domicile et de se faire oublier. A sa descente des escaliers a ciel ouvert, attenants au batiment des casernes, suivi de l'officier du jour, un sergent de ses connais­ sances, etonne de sa presence en ce lieu, s'enquit de l'objet de sa visite. L'inenarrable Julien Cadet, toujours Ia pipe vissee au coin de la bouche, arborant sa casquette normande, un poignard a la ceinture, retorqua "anyenpa st§rieu". L'officier, confus, retourna, prestement, sur ses pas et disparut dans I' enceinte du batiment.

Duvalier et Jumelle dans l'Arene Electorale Le 7 septembre 1956, Fran.;;:ois Duvalier se declara, officiel­ lement, candidat a Ia presidence de la Republique. 11 maintenait depuis des mois, soit directement, soit par l'entremise discrete du journaliste Jean Magloire au du senateur Desinor, des contacts periodiques avec le senateur Dejoie, mais adopta un profil bas pour eviter une arrestation par la police qui n'ignora point ses planques successives. Pourtant, un conseiller de Fran.;;:ois Duva­ lier revela a !'auteur, que durant les annees 1954 et 1955, les li­ miers du regime perdirent ses traces et le crurent aux USA. Le 8 septembre 1956, Clement Jumelle annonc;a, ason tour, officiellement, sa candidature a la presidence de la Republique. Depuis des mois, la rumeur laissa penser a une transmission du pouvoir, par le general Magloire, ason ex-ministre de l'Economie et des Finances, a travers des elections officielles. 11 s'observa une mobilisation "en ba chal" en sa faveur et sous couvert de recep­ tions, en l'honneur du president Magloire et de manifestations de soutien a la presidence, il s'agissait, plutOt, d'une campagne de sensibilisation deguisee en faveur de la candidature de Clement Jumelle. Son programme accorda la priorite a la jeunesse -la re­ serve du pays-, a la creation d'emplois par les investissements et a la promotion du mouvement cooperatif. Clement Jumelle plai­ da pour une large emigration vers les villes, car le problema de­ mographique n'etait pas aussi ( prophetie aveugle, a notre avis) crucial qu'on put le penser. Ces deux leaders quarante-sizards as­ sumerent leur solidarite avec la classe moyenne mais leur ap­ proche differa: Fran.;;:ois Duvalier s'interessa a Ia classe pay­ sanne (enfants de Sor Yette) tandis que l'economiste Clement Ju-

130 Presidence de Paul Magloire La Ville des Cayes: Politique I melle pensa s'appuyer sur la classe moyenne qui eut pour mis­ sion d'aider a !'amelioration economique et sociale de la classe paysanne.

Le President Paul Magloire aux Etats-Unis Aux premiers jours de septembre 1956, la radio officielle annonc;a a la population hai:tienne une visite du president Ma­ gloire aux USA. Le 11 septembre 1956, jour de depart du president Magloire pour les USA, des personnalites cayennes, de taus Partis, prirent position et clamerent leur choix. C'est ainsi qu'un procedurier re­ marquable du barreau des Cayes, Ferdinand Franc;ois, apparem­ ment indolent, a la mine defaite, a la tenue negligee, la toge de­ lavee de plaideur, souvent repliee sur le bras gauche, un porte-document a la main droite, publia un poeme dedie a son candidat Dejoie. Le public cayen ignorait qu'il taquinait la muse. L'auteur reprend le texte du poeme pour saluer le courage et la memoire de ce brave homme de Loi INDEPENDANCE 1956:

vtilln' ~and«/atP/1~ Louis est le ptenom du gtand $ndusttie/ lJh! 1lous nous tappelons l'avoit hien IJU al'oeUIJ\e Vne decade et plus au ttavai/ manuel !fl eut aux gahions comme un simple manoeuvte Sa belle pepiniete, objet que !'on admite !!Jevoue, chatitable, il/ait des amis et son Jlltet e 9o, notte Conde attite !lustement aSa cause des ttavailleuts Soumis. CJn le veut aujou\d'hui pou\ et\e not\e che./ 8l est asouhaite.'L que. son ca'l.te.l t'Liompht. et que le c:Iout-Puissant maintienne. son telief

Presidence d~ /Maglohe '*'·-·-~·-.~ ... ~------·-·¥--- 131 La Ville des Cayes: Politique I

La ville des Cayes, fin septembre 1956, assista ala forma­ tion d'un comite electoral de soutien ala candidature de Clement Jumelle, avec les personnalites suivantes: - Jules Larrieux, dentiste: president; en 1957 senateur de la Republique. - Dumont TMard, pharmacien :vice-president. - Alex Simon, distillateur : secretaire et futur magistrat de la ville. - Emile Rameau, fonctionnaire public: tresorier. Conseillers: Lefranc Appolon, Emilio Dommerc;ant, Macero Denis, Joseph Simon, Raphael Castel, Guy Partes, Marc Staco, Gerson Zamor, Marcel Douyon, Maurice Jocelyn. Ces conseillers jumellistes, appartenant aux cercles des commerc;ants, des educateurs, des notaires, de fonctionnaires de l'Etat, etc, furent tous des notables de la ville. Coincidence ou programmation, ce meme jour, d'autres co­ mites electoraux jumellistes ecloserent a Roche a Bateau, a Ma­ niche, etc. Le voyage aux USA du president Magloire fut une excel­ lente occasion offerte au monde politique de se livrer a toutes sor­ tes de speculations ala capitale et dans la ville des Cayes. Il se di­ sait et se repetait que le president repondit a une convocation du departement d'Etat americain en vue de recevoir des instructions claires et precises relatives aux prochaines elections. En fait, le president Magloire se rendit a Philadelphia (Annexe Temple Uni­ versity) pour des examens medicaux, puis a Washington pour vi­ siter le representant d'Ha'iti dans la capitale americaine et le per­ sonnel de l'ambassade. Le 1•• octobre 1956, a son retour de voyage des USA, retour fort attendu par la classe politique locale, le president Magloire fit part aux journalistes hai:tiens de ses impressions, livrees, en primeur, aux amis americains qui l'avaient interroge sur les prin­ cipaux candidats a la presidence: "S'agissant de monsieur Louis Dejoie, le president Magloire avait vante les qualites de l'industriel,

132 Presidence de Paul Magloire La Ville des Cayes: Politique I

mais s'agissant de l'homme politique, pour lui, il etait en dessous de ]'industriel. S'agissant de Clement ]umelle qu 'on semble vou­ loir faire passer pour un mangeur de mulatres je Je crois bon technicien. Apres le cyclone Hazel, il a donne toute sa mesure ... S 'agissant de Duvalier, on dit qu 'il sera it Je candi­ dat des americains travaillant dans le Pays ... ]e le crois trop patriote pour penser qu 'il ferait jouer Ia corde americaine en vue d'acceder au fauteuil presidentiel. S'agissant de monsieur Daniel Fignole, le presi­ dent Magloire precisa aux amis americains que monsieur Figno/e, un intransigeant, etait rare­ ment d'accord avec lui en politique. 11 admit que si monsieur Fignole avait beaucoup de defauts, il avait par contre de grandes qualites. Les articles de Foi Sociale, journal de monsieur Figno/e, etaient plutot du genre sibyl/in au point que per­ sonne ne pouvait savoir si ]'ex-leader du MOP se contenterait de briguer un siege au senat de la Re­ publique ou comme tout citoyen ayant 40 ans bien sonnes, son objectif etait plus eleve".

Pour les partisans de Clement Jumelle, dans la ville des Cayes, le president Magloire mit K.O Louis Dejoie. Pour les de­ joistes, la partie s'annonc;a difficile, mais, d'apres eux, le gouver­ nement americain appuierait, certainement, le senateur Dejoie, bien connu de ses hommes d'affaires. Une autre interpretation vint des milieux quarante-sizards: le president Magloire assena un coup de massue imparable a Clement Jumelle, en en faisant un mangeur de mulatres. Comme pour defier le gouvernement, le directeur du jour­ nallndependance, Georges J. Petit, le 8 octobre 1956, deposa, a son tour, sa declaration de candidature au senat pour le departe­ ment de l'Ouest. Aussitot, Antoine Thelemaque des Cayes, natio­ naliste farouche, militant de Marchaterre, l' assura de son soutien

Presidence de Paul Magloire 133 La Ville des Cayes: Politique I par une lettre, publiee au journal Independance. Deux jours plus tard, le journaliste Georges Petit etait arrete, pour delit de presse, puis, irnrnediaternent, libere.

L'Adieu aux Armes du General Paul E. Magloire La tension politique manta, de plusieurs degres, a la capi­ tate, a partir du rnois de novernbre 1956, a la suite d'une baston­ nade des partisans du senateur Louis Dejoie, a l'aeroport de Port au Prince (Bowenfield). Le dirnanche 11 novernbre 1956, le sena­ teur Louis Dejoie revint d'un sejour aux USA. Un groupe de par­ tisans s'etait porte a sa rencontre: manifestation on ne peut plus pacifique. Ala sortie du leader de la salle de reception, sous les acclamations de la foule, un detachernent de policiers, a leur tete, les officiers Jean Beauvoir et Alix Jean, fit jouer de la rnatraque. Surprise par cette agression injustifiee, inhabituelle et a laquelle on ne s'attendit pas de la part du chef de police, le colonel Mar­ caisse Prosper, la foule se dispersa rapidernent. Surrnontant leur frousse, les partisans se regrouperent, des minutes plus tard, ala residence du leader, sur les hauteurs de Pacot, pour une recep­ tion. A cette occasion, le leader parla de victoire des forces du bien sur les forces du mal, expression qui fit fortune. Il annonc;a, en terrnes voiles, la chute du president Magloire. La nouvelle atteignit les principales villes de la Republique, particulierernent, les Cayes ou se distribuerent rnassivernent des tracts au grand darn de la police qui traina des pieds. Les fauteurs de trouble se recruterent dans le vi vier des jeunes gens de la ville, insaisissables grace a la cornplicite de la population. Willy Scutt, sous des allures de bouffon, rnena la danse. Des rnernbres du groupe Bassin-Sang (Sylvain Jastrarn, Georges Durand, Delille Li­ gonde, Georges St Joy, Edouard Beague, Altenor Tatene St Rerny,Tone Cassion) arnants de la dive bouteille, au coude derne­ surernent haut, dont la base logea au quartier de la Savane, se rnuerent en agitateurs politiques et jouerent des tours pendables a la police. Une fois la nuit tornbee, les rues etaient jonchees de tracts qui inviterent au depart du president Paul Magloire. Un ce­ lebre troubadour de la ville, du nom de Robert Molin, ala voix un tantinet eraillee, ala corde de guitare subversive, en taus lieux et en toutes occasions, irnprovisa des chansons egratignant le re­ gime.

134 Presidence·de Paul Mag/oire La Ville des Cayes: Politique I A partir du 25 novembre 1956,le senateur Louis Dejoie, malgre les inquietudes de ses partisans redoutant un eventuel at­ tentat politique centre sa vie, multiplia ses deplacements a tra­ vers le pays. Ce jour-la, il poussa une pointe jusqu'a l'Anse a Veau ou il proceda au depot de sa candidature au senat pour le departement du Sud. Puis, ce furent des visites, successivement, a Jacmel, a Grand-Goave, etc. Au cours de la semaine, les parti­ sans de Clement Jumelle dans la ville des Cayes, prirent }'offensive et opposerent, dans des tracts, au slogan "Voter Dejoie, c'est Voter Travail", celui du candidat Jumelle qui disait "Voter ]umelle, c'est Voter Canne a Sucre". Un journal local, dans sa ru­ brique tres prisee "Nostrum Voit ", s'interrogea sur le sens d'un tel slogan: Clement Jumelle, a son sens, n'avait jamais prone la mo­ noculture. En fait, pour les observateurs, le slogan jumelliste visa la centrale sucriere que Clement Jumelle s'engageait a remettre en marche, une fois parvenu au pouvoir. Un autre candidat of­ frait, ainsi, une alternative aux planteurs cayens de canne a sucre. Fin novembre 1956, un communique, a la signature des candidats ala presidence, le docteur Fran<;ois Duvalier et le sena­ teur Louis Dejoie, exprima les vives protestations de ces leaders politiques centre les grossieres irregularites lors des inscriptions des electeurs, deja en bonne voie. Le mois de decembre 1956 s'annon<;a bavard en evEme­ ments de toutes sortes. Le 1•• decembre 1956, les candidats a la presidence Pierre Eustache Daniel Fignole et Louis Dejoie furent convoques au departement de la Police de Port au Prince. Le colo­ nel Marcaisse Prosper les informa d'une tentative -dejouee­ d'assassinat sur la route de Uiogane, sur la personne de Daniel Fi­ gnole avec }'intention d'imputer la mort du leader du MOP ( Mou­ vement Ouvrier Paysan) au gouvernement de Magloire. Le candi­ dat Duvalier en fut l'instigateur. Surprise des candidats convo­ ques. Curieusement, la police ne proceda a aucune arrestation. Le candidat Duvalier, vite informe, nia l'existence de ce complot dont la police lui attribua la paternite, se declara pret, face a ces accusations mensongeres, a se retirer de la course a la presi­ dence.

Pr~sidence de P;w/ Magloire 735 La Ville des Cayes: Politique I Les evemements allaient se bousculer et surprendre les ac­ teurs en presence, gouvernement et opposition, avec le lance­ ment et la tenue de meetings populaires annonces par les leaders de l'opposition et les suites politiques. Le dimanche 2 decembre 1956, a Port au Prince, dans l'apres-midi, a }'initiative du Parti de Louis Dejoie, un meeting colossal ala ruelle Alerte, diffuse, en di­ rect (une grande premiere), sur les andes de Radio-Caroibes et de Radio-Port-au-Prince, reunit ses partisans et des curieux, sur leur garde apres la recente bastonnade du 11 novembre 1956. Princi­ paux orateurs: l'avocat Antoine Rigal, les citoyens Paul Ls. Cas­ sagnol, Moise Batraville, Clerveaux Rateau, Louis Dejoie, Louis Alerte. Surprise de la foule et des auditeurs, Louis Dejoie s'exprima en creole. Surprise et etonnement, car il se disait qu'il ignorait cette langue. Au cours de ce meeting, Louis Dejoie lanc;a la fameuse expression "c'est par la tete que pourrit le poisson" je­ tant l'opprobe sur des haut-grades de l'armee. Le langage des dif­ ferents orateurs transpira l'outrance et la foule, en applaudissant a tout rompre, y incita. La reaction ne tarda point. Du cote des autres leaders politiques, les candidats Daniel Fignole et Franc;ois Duvalier, eux aussi, le meme jour, animerent des meetings, respectivement, au Fort National et a la Cite Ma­ gloire. Foule de partisans inesperee. Succes complet. Le lendemain et durant toute la semaine, la capitale bruis­ sait de rumeurs de toutes sortes, suite a ces meetings. L'opposition s'attendit a une reaction musclee, mais toute crainte fut balayee. Des bombes exploserent a la capitale. Interdiction par l'autorite policiere des programmes radiophoniques ala date du 4 decembre 1956.Vives protestations des candidats de I'opposition. Le 6 decembre 1956, ce fut la stupeur. Une bombe artisa­ nale eclata a la ruelle Berne. A la surprise generale, la police qui se servait pour ses operations routinieres, de petites fourgonnet­ tes de couleurs noire et blanche, surnommees par la malice po­ pulaire "smoking", realisa un grand coup de filet dans le monde politique. Les senateurs Louis Dejoie et Marcel Baptiste, en depit de leur immunite parlementaire, furent arretes au domicile du premier au cours d'une reunion du staff politique, immediate­ ment apres le discours du president Paul Magloire dont on atten-

136 Presidence de Paul Magloire La Ville des Cayes: Politique I dit une decision quant a son maintien ou son depart du pouvoir. Beaucoup de dejoistes, assis a Ia galerie de Ia residence du sena­ teur, furent arretes et conduits en prison. Le sous-lieutenant Alix Jean, Cayen d'origine, epargna une arrestation et Ia prison a Sey­ mour Conde. Le senateur Marceau Desinor, en mission chez le candidat Fran~ois Duvalier, tomba dans les filets de Ia police. Le candidat Duvalier, averti de Ia presence des policiers, s'tklipsa, flanque du jeune Lamartiniere Honorat, par une porte derobee, situee juste derriere son bureau, laissant son hote pantois. Cette porte livra acces a Ia residence d'Alfred Dorce. De Ia, deguises en bonne femme, ils gagnerent Ia clandestinite. Les trois senateurs arretes, etaient conduits dans les cellules du Penitencier natio­ nal. Des partisans des candidats a Ia presidence furent, massive­ ment, arretes et jetes en prison. Dans l'apres-midi du jour, aux Cayes, Rene Conde, a saga­ lerie, entoure d'amis comme il est de coutume dans les villes de province, re~ut Ia visite du capitaine Fran~ois Romain qui le pria de se mettre a Ia disposition de Ia police. II etait accuse de com­ plot contre Ia surete de l'Etat, de connivance avec le senateur Louis Dejoie. Au meme moment, un vehicule de l'armee, arriva a Ducis, site d'implantation d'une grande usine de vetiver d'Etagild oil un officier proceda a !'arrestation d'Amerlin Conde, techni­ cian polyvalent en charge du montage des usines de l'Etagild. Dans la soiree, les deux freres etaient deportes vers la capitale et ecroues au Penitencier national. Rene Conde devait partager la cellule avec d'autres prisonniers politiques, entre autres, Duval Duvalier, pere de Fran~ois Duvalier. Le regime penitentiaire fut souple: !'administration de l'institution re~ut nourriture et me­ dicaments pour les prisonniers. Les eloges ne tarirent pas a l'endroit du capitaine Max Bazelais, commandant du Penitencier national et du sous-offcier Guirand, attache a cette institution. Au cours de la longue semaine de greve generale de­ clenchee par le secteur commercial, la population cayenne vecut le cauchemar avec les plus folies rumeurs sur d'eventuelles arres­ tations de partisans des candidats de l'opposition et !'execution de prisonniers politiques. La memoire collective se reveilla: le nom de Charles Oscar effleura toutes les levres. Certains leaders locaux se mirent a couvert. Les agitateurs ne chomerent point. Les tracts, une fois la nuit tombee, joncherent les rues de la ville

Presidence de Paul Magloire 137 La Ville des Cayes: Politique I des Cayes. Une jeep d'Etagild en route vers Ducis, avec Jean R.Conde comme passager, essuya, ala tombee de la nuit, au ni­ veau de carrefour Meridien (Torbeck), des coups de feu, anony­ mes. Le teJedioJlocal accusa, a tort, le brave sergent Carrie de cet acte criminel. Le lundi 10 decembre 1956, le colonel Max Chassagne, commandant du departement militaire du Sud, se livra, dans l'apres-midi, a sa tournee habituelle au quartier de la Savane quand son attention fut attiree par un attroupement, a la galerie de la residence d' Edouard Beague, membre du Bassin-Sang. Il gara son vehicule devant la maison. Le voila, hors de la voiture, s'informant des motifs de cette reunion non autorisee. Le pro­ prietaire, madre compere, lui parla d'une veillee funebre. Il s'enquit, alors, du cadavre. Le mort - entendez le gouvernement­ se trouvait ala morgue ala capitale, rencherit le maitre de ceans. Bon joueur,le colonel reprit le volant de sa voiture et s'eloigna. Le mercredi 12 decembre 1956, dans la soiree, une explo­ sion de joie secoua la ville des Cayes a l'annonce de la demission et du depart prochain du president Paul Magloire. Le juge Ne­ mours Pierre-Louis de la Cour de cassation devint le nouveau president d'Haiti. Les dejoistes cayens gagnerent, massivement, les rues, faisant des pieds de nez aux amis du regime. Ala resi­ dence du prefet, son fils l'agronome Raymond Lubin, panique a !'approche de la foule, s'empara de l'arme de service (revolver) de son pere et fit feu en l'air. La foule, hesitante, enfila une autre rue, a la grande satisfaction des membres de la famille. Grand emoi chez les Lubin! Ils l'echapperent belle! Le samedi 15 decembre 1956, une fois libere, Rene Conde regagna les Cayes, accompagne d'un officier de l'armee qui le re­ mit aux autorites militaires du Sud qui avaient procede a son ar­ restation. On etait encore au temps de la discipline dans !'institution. L'accueil fut chaleureux. Des meneurs comme Edouard Issa, Ernest Joseph, Jean Georges, Willy Scutt, artisans de l'accueil, animerent la foule. La semaine suivante fut consacree aux preparatifs d'accueil de Louis Dejoie: arcs de triomphe, cavalcade, vaccines, recep­ tions aux clubs populaires et prives, inscription d'une cinquan­ taine de camions et distribution gratuite de carburant aux pro-

138 Presidence de Paul Magloire La Ville des Cayes: Politique I prietaires pour le defile, cordons de securite avec Sincilien {exe­ cute,en 1964,lors de l'histoire des 13 de Jeremie), Roulio Dom­ mer~ant, Henry Hall, Antoine Conde, Willy Scutt, les freres Dieu­ veuille et Armand Neptune, etc. pour eviter des heurts avec la po­ lice.

Le Senateur Louis Dejoie aux Cayes Le senateur Louis Dejoie arriva, aux Cayes, le samedi 22 de­ cembre 1956, accompagne d'une delegation impressionnante d'amis et de partisans tels les senateurs Marceau Desinor, Leon 0. Baptiste, le directeur du journallndependance Georges J. Pe­ tit, Franck Seraphin, futur depute porte disparu sous Duvalier, le journaliste americain Paul Cunningham de la United Press, le journaliste Olberg Christophe, victime en prison de Fran~ois Du­ valier, Franck Lanoix, MmesMax Questel nee Maryse Dejoie, Si­ mone Emile Rouzier, Simone Hogard, Nadia Auguste,etc. Ce samedi 22 decembre 1956 fut une journee d'apotheose pour le leader qui sortit, recemment, de prison, aureole d'une nouvelle dimension de martyr de la liberte. L'avion de la Cohata qui trans porta le senateur et sa suite, pilate par le colonel Georges Danache, survola a deux reprises la ville des Cayes avant de se poser sur la piste de Laborde vers les 2 heures de l'apres-midi. La foule chantait a tue-tete: Moin oue avion, pa oue Dejoie Koeu 'm kasse Moin oue avion, moin oue Dejoie Koeu 'm content!" A }'apparition du leader, a laporte de l'avion, de bleu vetu, ce fut le delire. A pres un salut majestueux du chapeau, dessinant des arabesques, le leader franchit la passerelle de debarquement. On se bouscula, chacun voulut le toucher: le service d'ordre etait deborde. Le senateur, heureux, sourire radieux, embrassa dames et jeunes filles, serra les mains a n'en plus finir puis prit place dans une jeep decouverte, en direction de la ville des Cayes, a une distance d'environ 7 kms. Comme programme, des volontai­ res se chargerent de convoyer les membres de sa delegation. La peur changea de camp. Les soldats, discrets, eviterent toute pro­ vocation. Les cavaliers caracolerent en tete du cortege, suivis de

Pr~idence de P.wl Milgloire 139 La Ville des Cayes: Politique I des Cayes. Une jeep d'Etagild en route vers Ducis, avec Jean R.Conde comme passager, essuya, a la tombee de la nuit, au ni­ veau de carrefour Meridien (Torbeck), des coups de feu, anony­ mas. Le telediollocal accusa, a tort, le brave sergent Carrie de cet acte criminel. Le lundi 10 decembre 1956, le colonel Max Chassagne, commandant du departement militaire du Sud, se livra, dans l'apres-midi, a sa tournee habituelle au quartier de la Savane quand son attention fut attiree par un attroupement, ala galerie de la residence d' Edouard Beague, membre du Bassin-Sang. 11 gara son vehicule devant la maison. Le voila, hors de la voiture, s'informant des motifs de cette reunion non autorisee. Le pro­ prietaire, madre compere, lui parla d'une veillee funebre. 11 s'enquit, alors, du cadavre. Le mort - entendez le gouvernement­ se trouvait a la morgue a la capitale, rencherit le maitre de ceans. Bon joueur, le colonel reprit le volant de sa voiture et s'eloigna. Le mercredi 12 decembre 1956, dans la soiree, une explo­ sion de joie secoua la ville des Cayes a l'annonce de la demission et du depart prochain du president Paul Magloire. Le juge Ne­ mours Pierre-Louis de la Cour de cassation devint le nouveau president d'Hai:ti. Les dejoistes cayens gagnerent, massivement, les rues, faisant des pieds de nez aux amis du regime. Ala resi­ dence du prefet, son fils l'agronome Raymond Lubin, panique a !'approche de la foule, s'empara de l'arme de service (revolver) de son pere et fit feu en l'air. La foule, hesitante, enfila une autre rue, a la grande satisfaction des membres de la famille. Grand emoi chez les Lubin! Ils l'echapperent belle! Le samedi 15 decembre 1956, une fois libere, Rene Conde regagna les Cayes, accompagne d'un officier de l'armee qui le re­ mit aux autorites militaires du Sud qui avaient procede a son ar­ restation. On etait encore au temps de la discipline dans !'institution. L'accueil fut chaleureux. Des meneurs comme Edouard Issa, Ernest Joseph, Jean Georges, Willy Scutt, artisans de l'accueil, animerent la foule. La semaine suivante fut consacree aux preparatifs d'accueil de Louis Dejoie: arcs de triomphe, cavalcade, vaccines, recep­ tions aux clubs populaires et prives, inscription d'une cinquan­ taine de camions et distribution gratuite de carburant aux pro-

138 Presidence de Paul Magloire La Ville des Cayes: Politique I prietaires pour le defile, cordons de securite avec Sincilien (exe­ cute,en 1964,lors de l'histoire des 13 de Jeremie), Roulio Dom­ merc;ant, Henry Hall, Antoine Conde, Willy Scutt,les freres Dieu­ veuille et Armand Neptune, etc. pour eviter des heurts avec la po­ lice.

I.e Senateur Louis Dejoie aux Cayes Le senateur Louis Dejoie arriva, aux Cayes, le samedi 22 de­ cembra 1956, accompagne d'une delegation impressionnante d'amis et de partisans tels les senateurs Marceau Desinor, Leon 0. Baptiste,le directeur du journallndependance Georges J. Pe­ tit, Franck Seraphin, futur depute porte disparu sous Duvalier,le journaliste americain Paul Cunningham de la United Press, le journaliste Olberg Christophe, victime en prison de Franc;ois Du­ valier, Franck Lanoix, MmesMax Questel nee Maryse Dejoie, Si­ mone Emile Rouzier, Simone Bogard, Nadia Auguste,etc. Ce samedi 22 decembre 1956 fut une journee d'apotheose pour le leader qui sortit, recemment, de prison, aureole d'une nouvelle dimension de martyr de la liberte. L'avion de la Cohata qui transporta le senateur et sa suite, pilate par le colonel Georges Danache, survola a deux reprises Ia ville des Cayes avant de se poser sur la piste de Laborde vers les 2 heures de l'apres-midi. La foule chantait a tue-tete: Moin oue avion, pa oue Dejoie Koeu 'm kasse Moin oue avion, moin oue Dejoie Koeu 'm content!" A !'apparition du leader, ala porte de I' avian, de bleu vetu, ce fut le delire. Apres un salut majestueux du chapeau, dessinant des arabesques, le leader franchit Ia passerelle de debarquement. On se bouscula, chacun voulut le toucher: le service d'ordre etait deborde. Le senateur, heureux, sourire radieux, embrassa dames et jeunes filles, serra les mains a n'en plus finir puis prit place dans une jeep decouverte, en direction de Ia ville des Cayes, a une distance d'environ 7 kms. Comme programme, des volontai­ res se chargerent de conveyer les membres de sa delegation. La peur changea de camp. Les soldats, discrets, eviterent toute pro­ vocation. Les cavaliers caracolerent en tete du cortege, suivis de

Presidence de Paul Magloire 139 La Ville des Cayes: Politique I

la foule des fanatiques qui se deployerent en demi-cercle autour du vehicule du candidat et des camions bondes de partisans. Du quartier de Dexia au carrefour des Quatre-Chemins (1.5km) situe aux partes de la chaussee du meme nom, spontanement, sur tout le parcours, une co harte de passionnarias (dames et de jeunes fil­ les), armees de cuvettes et de seaux remplis d'eau, s'activerent a asperger la route pour eviter au leader et a sa suite les effets in­ commodants de la poussiere. Massee sur plusieurs rangs, la foule, coloree, constamment nourrie par le flux impressionnant de curieux et sympathisants, temoigna, par des vivats et slogans, son attachement a l'endroit du leader. Une fois en ville, la foule grossit a vue d'oeil. Les balcons des residences, pris d'assaut, ac­ cueillirent des grappes humaines. La police ne parvint pas a contenir cet enorme flux de partisans qui bloquaient l'avancee du cortege, encore mains les volontaires des cordons de securite qui en etaient a leur bapteme de feu. Le leader, visiblement satis­ fait, mais extenue (fatigue et poussiere) arriva a sa residence a six heures du soir. Dans les salons de sa residence, ce fut la bouscu­ lade fraternelle. Apparu au balcon pour saluer la foule des grands jours, en delire, il ecouta en primeur une composition musicale du troubadour Robert Molin" fo juge". A son avis, il s'y etait glis­ se dans la chanson des notes de demesure, en ce qui concerna la disparition de certaines personnalites, imputees au regime dechu et dont les noms emaillerent le texte de Ia chanson. Dans Ia soiree, des piquets symboliques de volontaires veil­ lerent, devant la residence, a la securite du leader. La perma­ nence fut de rigueur durant tout le sejour. La police eut, egale­ ment, son piquet de surveillance. Outre les visites de soiree a des clubs populaires - les memes qui re<_;;urent le president Magloire et son ministre Roland Lataillade- et prive comme Areyto avec pour president Antony Blaise, le senateur rendit visite a l'Eveque des Cayes,Ms• Jean Louis Collignon, apres Ia messe dominicale a la cathedrale etapres avoir depose une gerbe de fleurs au pied du monument de Nicolas Geffrard, situe a la partie sud de la place d'Armes. Dans Ia matinee vers 10 hres, Louis Dejoie fut re<,;:u ala residence de Gerard Saliba ou des jeunes filles ( Flavie Napo­ leon, Kettie et Gina Thomas, Marie Alice Blanchet, Michele Con­ de,etc)- assistees de Mme• Im Fougere et Lelia Dennery au piano­ entonnerent, en son honneur, la composition de Johnny Raton et

140 Presidence de Paul Magloire La Ville des Cayes: Politique 1 des freres Rameau, jeunesse Kayenne nou Kampe. Les epoux Antoine Saliba,Lesage Chery, Nerva Larrieux, Emilio Dommer­ ~ant, l'equipe du journal Le Rempart, le directeur du journal La Garde, Mme Leon Chevalier furent honores, a leur tour, de la visite du senateur. Le senateur Dejoie echangea une longue et cordiale poignee de mains avec Louis P.Theard du journal La Garde, "homme de peu de foi" a son avis, car sceptique quant au depart du pouvoir du president Paul Magloire. Les delegations de taus les bourgs avoisinants defilerent. Les membres tenaient a presen­ ter leurs hommages au senateur, heureux de rencontrer anciens amis et nouveaux partisans:Christian Dumoulin pere,Benjamin Porsenna,Maurice Delerme, Rodrigue St Paul,Henry Gatte­ reau,Pauleus Duverseau, Saintoine Abelard, Raglan Constant, Lanoze Daguilard, Edriss Larosilliere, Wesley et Milo Margron, Benjamin St Die pere,etc.Quelques bribes de discours, lors des receptions, ant ete retenues: D'Anthony Rameau: "Fermes dans notre desir de combattre pour vous, nous etions heureux d'tHre traques, embastilles, d'etre matraques jusqu'au jour du 13 decembre 1956". D' Anthony Blaise: "No us ne saurons vous dire la joie qui nous enva­ hit ce soir de vous voir parmi nous. Aussi, c'est avec tout notre coeur que nous vous souhaitons Ja bienvenue. Nous la souhaitons a tous ceux qui vous accompagnent, particulierement amonsieur Georges Petit, porte-parole des opprimes". Le leader repondit aux discours de bienvenue et, rappela les moments difficiles vecus durant les derniers mois de la dictature militaire et les heures tout aussi penibles en prison, dans une cel­ lule nettoyee taus les matins, a l'eau pheniquee. Il remercia taus les Cayens et Cayennes pour leur accueil chaleureux et leur sou­ tien a sa candidature. L'amenagement d'une centrale hy­ dro-electrique a Saut Mathurine, dans les hauteurs de Camp-Perrin, fut une des promesses du leader.

Presidence de Paul Magloire 141 La Ville des Cayes: Politique I

Au depart du leader vers la capitale, le lundi 24 decembre, la manifestation du retour fut symetrique de celle d'arrivee: la meme exhaltation s'observa sur tout son parcours eta la piste de Laborde, la foule, coloree, chauffee au rouge, marqua encore, par sa presence, sa fidelite au leader. Les commentaires elogieux ne tarirent pas a l'endroit du candidat Dejoie, suite a cette visite. L'atmosphere etait sur­ chauffee. Et voila que le candidat Pierre Eustache Daniel Fignole choisit d'effectuer sa premiere visite officielle dans la ville des Cayes.

I.e Candidat Pierre Eustache Daniel FignoM aux Cayes Le vendredi 28 decembre 1956, la ville rec;ut, done, la pre­ miere visite du professeur Pierre Eustache Daniel Fignole. Une entree discrete. Personne ne sut l'heure exacte de son arrivee. Un meeting dans l'apres-midi du jour attira partisans et curieux sur­ tout dejoistes. Le leader du MOP, juche sur un podium de for­ tune, artne de son micro, ne parvint pas a s'exprimer. La foule hurlait carla consigne etait claire: le professeur, au verbe etince­ lant et envofttant, etait un provocateur. Elias Saliba, avec un lourd accent du pays natal, le traduisit bien: "Ne laissez pas parler cet homme C'est un orotoire (oroteur) dangereuse (dange­ reux)". Tres a son aise, apparemment decontracte, le professeur interpella la foule:

Soyez gentil, laissez-moi parler, je vous ai Jaiss~ parler! Laissez-moi parler a mon tour. Rendez-moi ma gentillesse. La foule hurla de plus belle. Le meeting se tenait non loin de la fourriere communale avec ses chevaux, mftles, Alles. Des farceurs trouverent une ma­ lice qui touma a la confusion des organisateurs du meeting. Ils detacherent les cordelettes qui retenaient deux A.nes fort vifs A des piquets et, les houspillant de la voix et du geste, les dirige-

142 Presidence de Paul Magloire La Ville des Cayes: Politique I rent vers le site du meeting. Dt§bandade gt§n6rale. Le leader s't§clipsa et fila dans Ia soirt§e du jour vers Ia capitate. Cette m6sa­ venture le porta, d~s son retour, a s'adresser a Radio-Carai"bes, a ses fanatiques du Marne a Tuf, du Bel Air, de Ia Cour Br6a, car il eut pour objectif de manter une Mgion de 20 000 hommes pour envahir le Sud. Cette vision simpliste et tMAtrale des chases par le leader Fignolt§ porta, plus tard, les cayens acroire en une expl§­ dition punitive - selon le modele conc;u par le professeur FignoM­ contre les adversaires de Louis Dejoie a carrefour Dufort et a J6- rt§mie, suite aux mt§saventures du s6nateur dans ces localit6s. A Ia fin de dt§cembre 1956, le journallndependance publia un po~me d'un journaliste en herbe de Cavaillon, du nom de Serge Beaulieu sous le titre Mea Culpa . 11 s'agit du Mea Culpa du prt§sident Magloire parti au loin et que les dieux, estima le po~te, avaient abandonnt§.

Presidence de Paul Mag/oire 143

La Ville des Cayes: Politique I La Campagne Electorale de 1957 Presidence de Nemours Pierre-Louis

Les faits marquants de la vie politique cayenne, durant cette periode, ne cesserent de se bousculer et !'agitation fut qua­ si-generale, particulierement, dans la ville des Cayes. Le destin du pays etait aux mains, pour peu de temps, du president Ne­ mours Pierre-Louis.

La Marche triomphale de Louis Dejoie La campagne electorale se deroula, aux Cayes, avec la "Marche Triomphale" du candidat Louis Dejoie, une composi­ tion de Raoul Guillaume fort prisee qui enflamma l'esprit et le coeur des nombreux adherents du rouleau compresseur qui defi­ lerent au rythme de cette marche: I lJ Citoyensf lJ 3Cai'tiens Jlc fiJejoie ce Ia libe\te Puisque nou /ib\e, independant Jln ~RAe" q{ve laLibe~te". II CZJo dit nou pa po/iticien CZJo te compMn 'ce you /aibfesse 1lap mete bulletin sou bulletin 1/ape constwit you v~aie /oHe~esse III Pou peuple to. g)ejoie met tMvay Pou peup/e Ia !lJejoie pM/ t~avay Ce pou' n gangnin uconnaissance Jln 'potel' o. Ia p\esidence IV

Presidence de Nemours Pierre-Louis 145 La Ville des Cayes: Politique I

'Jlou ce pitite you seul nation 'Jlou sot /e ou 'Levolution g]ejoie ba nou ou solution ::foe nou gtoupe pou /e union

SR.e/tain g]ejoie, g]ejoie I Ce you seul nom, ceLouis mejoie g]ejoie! g]ejoie! Ce ou qui pou gain la victoi'Le.

La campagne electorale de 195 7, avec l' elimination de Paul Magloire de la scene politique, mit en presence les candidats Louis Dejoie, Franc;ois Duvalier, Clement Jumelle et Pierre Eus­ tache Daniel Fignole, pour n'en citer que les principaux. Les re­ presentants locaux des differents candidats agissaient, desor­ mais, a visages ouverts. En debut d'annee, la plupart des gens donnerent Clement Jumelle battu a cause de ses liens etroits avec le regime precedent et vu la certitude d'un proces pour detourne­ ment des deniers publics. L'action publique fut mise en mouve­ ment. Le 19 janvier 1957, une premiere Commission administra­ tive, composee de Georges Cadet, Antoine Rigal, Georges E. Ri­ gaud, Rossini Pierre-Louis et Gontran Durocher s'etait vu chargee des dossiers. Plus tard, sous la presidence de Franck Sylvain, d'autres personnalites furent appelees a former la seconde Com­ mission administrative dont les citoyens Hector Paultre, Edgard N.Numa, Antoine Carre, Cadet Dessources, Maurice Salomon, Henri Sambour, Maurice Alerte.

Profil de Fran~ois Duvalier Papa Doc qui ne perc;ait pas encore sous le petit medecin de campagne qui "s'etait un jour penche sur les 40 degres de fievre" du poete DEPESTRE 1980, au quartier de Bas-Peu-de-Chose, eut pour representant aux Cayes le docteur Lesage Chery. Le docteur

146 Presidence de Nemours Pierre-Louis La Ville des cayes: t"OIItlque I Duvalier fut loin d'etre un inconnu, mais n'attira nullement la sympathie de la communaute cayenne. Ancien president du MOP en 1946, tendance pro-Calixte, il adhera ala politique de Dumarsais Estime, son ancien professeur du lycee Pelion. Direc­ teur general ala Sante publique avec Daniel Fignole comme mi­ nistre, sous-secretaire d'Etat au departement du Travail avec les citoyens Louis Bazin, ministre et Clement Jumelle directeur de ce departement, il devint, toujours sous la presidence de Dumarsais Estime, ministre du Travail, avec Clement Jumelle comme sous-secretaire d'Etat, puis ministre de la Sante pour quelques heures. Il porta une grande amitie a Clement Jumelle. L'hOpital de Chancerelles fut sa grandiose realisation. Il reva de changer l'image du peuple haltien. Les dejoistes se plurent a travestir une chanson electorale, "aux airs Jents de cantiques d'eglise" dont le texte presenta le doc­ teur Duvalier comme l'heritier politique du president Dumar­ sais Estime. Pour eux, le "zombi" revit, mais point l'heritier. Fran­ c;ois Duvalier fut connu des Cayens par une remarquable photo publiee par Le Nouvelliste 1956 qui lui confera un visage ange­ lique d'evangeliste nair americain aux cheveux coupes court, ar­ borant une paire de lunettes en ecaille fine. Cette photo differa des nouvelles presentees au cours de la campagne et un peu plus tard, avec des paumettes saillantes, une bouche gourmande, bref un etre inoffensif, affectionnant le style terne: vetement, cha­ peau, noeud papillon, grosses lunettes d'ecailles, de couleur noire. Curieusement, le leader affectionna le coca-cola comme boisson. Une annee plus tard, en 195 7, au fort de la campagne electorale, des dejoistes, adultes et gamins, gommerent l'oeil gauche des photos du candidat et donnerent, mechamment, nais­ sance a un borgne. Aux Cayes, comme a travers d'autres villes du pays, !'opinion generale, non informee de l'itineraire professionnel et politique du candidat, n'accorda au docteur Duvalier aucune chance d'acceder au pouvoir, malgre sa forte popularite dans l'Artibonite. Il faisait plutOt mystique que realisateur. Ses parti­ sans projeterent, pour conforter sa candidature dans le milieu cayen, trois cliches principaux a savoir, prima, son rOle domi­ nant dans !'eradication du pian dans nos campagnes, secunda, l'aura que lui confera le paste de ministre du president Dumar-

Presidence de Nemours Pierre-Louis 147 La Ville des Cayes: Politique I sais Estirne et tertia, sa quasi-appartenance a la cornrnunaute cayenne, vu que sa grand'rnere paternelle - nom de Camille connue- etait originaire de Chantal (plus precisernent Dubreuil), dans la commune de Torbeck. Au programme du candidat Duvalier pour le Sud, les voies de communications devaient occuper une grande place car il voulut desenclaver ce departernent et reintegrer le Sud dans la cornrnunaute d'Hai:ti. En gros, il pensa reprendre le programme d'Estirne pour le Sud. Le docteur Lesage Chery, son representant dans la ville des Cayes, etait un beau nair de grande taille, de forte corpulence, souvent vetu de blanc, le chapeau, constarnrnent, sur le chef. La cornrnunaute cayenne voyait, en lui, davantage le rnedecin que le politicien. Le docteur Chery noua tres tot, lors de ses etudes rne­ dicales, des relations arnicales avec Franc;:ois Duvalier qui avait ete irnpressionne par la vive intelligence de ce jeune Cayen. Les relations affectueuses se rafferrnirent durant la periode clandes­ tine vecue par le leader estirniste. Des Cayens,dornicilies a la capitale, proches du candidat Duvalier dont le docteur Horel Joseph et Antoine Pierre Paul se soucierent de faire assister ce jeune rnedecin par un conseil de sa­ ges rnieux assis, politiquernent, dans la cornrnunaute. Les per­ sonnalites contactees, desisterent, face a la passion dejoiste. D'ailleurs, l'une de ces personnalites, a la veille d'une visite de Duvalier dans la ville, en debut de campagne de 1957, conseilla au docteur Chery, pour des raisons d'insecurite, de s'abstenir d'un tel projet. Edgar N.Nurna, une grande figure cayenne, ancien candidat ala presidence de la Republique en 1946, rnernbre de la vaillante equipe du journal l'Hai'tien Libere, aux cotes d'une pleiade de grands intellectuels et hornrnes politiques dont Geor­ ges Rigaud, Max D.Sarn, Michel Rournain, Etienne Charlier, Ste­ phen Alexis,etc. ecrivit,en 1957, a son fils, le docteur Louis E.Nurna, dejoiste, et lui dernanda de reserver un accueil arnica} au candidat Franc;:ois Duvalier,d'eviter toute fausse note. Lesage Chery siegea, plus tard, a la Charnbre basse, cornme depute des Cayes sous Papa Doc. Il connut la prison, en 1970, lors de }'affaire Rarneau Estirne et en 1975 sous Baby-Doc. En avril 1970, le hasard lui assigna comme camarade de cellule,

148 Presidence de Nemours Pie"e-Louis La Ville des Cayes: Politique I entre autres detenus, Eloi:s Maitre, ancien agent de la police poli­ tique du president Duvalier. Eloi:s Maitre, en prison, fit choix de Lesage Chery comme professeur d'histoire d'Halti, car il s'etait epris d'un sudiste, haut en couleur, du nom de Septimus Ra­ meau.: C'est done en prison, le dos au mur, que parcourant l'itineraire de cet homme du Sud et sa derive, que l'annonce lui fut faite - annonce qu'il partagea, spontanement, a haute voix, avec ses co-detenus qu'il derida avec sa formulation personnelle, que "celui qui frappait par tepee perissait par tepee". Le docteur Chery orienta, 20 ans plus tard, ses recherches sur la tuberculose, apartir d'une plante locale. Les premiers resultats parurent satis­ faisants. La ville lui do it la fondation de l 'Ecole des Gar­ des-Malades. Trois mois apres son arrivee au pouvoir, voulant faire une ouverture a !'opposition, le president Duvalier entreprit des de­ marches pour des entretiens, respectivement, avec l'ex-ministre Clement Jumelle et l'ex-senateur Louis Dejoie qui avaient gagne la clandestinite. Joseph Baguidy fut charge du contact avec l'ex-ministre Clement Jumelle et le ministre de l'Interieur et de la Defense nationale, Frederic Duvigneaud, entre autres personna­ lites, du contact avec l'ex-senateur Louis Dejoie. Clement Jumelle fut rer;u, le premier, par le president Duva­ lier qui lui fit un accueil chaleureux et fraternel: chaude poignee de mains, longue accolade, echange de souvenirs sous la presi­ dence d'Estime, plaisanteries de bon alai. Le president Duvalier l'informa qu'il voulait d'un gouvernement de coalition nationale, qu'ill'invitait en tant qu'economiste a participer a ce gouverne­ ment et qu'illui laissait l'opportunite de preparer le programme de developpement economique du pays. Par ailleurs, il etait pret a designer des membres du Parti de Clement Jumelle a des pastes diplomatiques dans des pays amis de leur choix. Clement Ju­ melle, tout en remerciant du geste, lui indiqua que son apparte­ nance a un Parti politique lui faisait obligation de consulter son bureau politique. Puis, ce fut le silence complet sur les relations entre les deux hommes, car Clement Jumelle devait gagner peu apres l'ambassade de Cuba ou il deceda. Cercueil et cadavre confisques le jour des funerailles. Pour ce candidat, pas question de gagner l'exil ou d'aller mourir,comme Antenor Firmin sur le rocher de St Thomas, mais bien en Haiti.

Presidence de Nemours Pierre-Louis 149 La Ville des Cayes: Politique I

Louis Dejoie, accompagne d'Emile Rouzier, son beau-frere, d'un ex-senateur, rencontra au palais national, peu de jours apres, le president Duvalier, flanque du ministre de l'Interieur Frederic Duvigneaud. Le president Duvalier accueillit son hate par une poignee de mains et lui dit:

"C'est le docteur Duvalier qui re~oit l'lnge­ nieur-Agronome Louis Dejoie, je ne vous propose rien, je ne vous demande rien, je vous appelle pour le partage du gouvemement. ]e suis un me­ decin, un anthropologue. L'agriculture, je ne my connais pas. Faites ce que vous voulez, prenez les decisions que vous jugez utiles pour le pays". Louis Dejoie, au dire d'une personnalite du regime, en re­ ponse, s'etait beaucoup plaint du comportement indecent des militaires qui avaient truque les resultats des elections, le privant de son succes et meme de son fauteuil de senateur. II ajouta qu'il s'adressait au president Duvalier parce qu'il se trouvait au palais national mais qu'il avait un contentieux avec ce gouvernement elu dans des conditions frauduleuses. A ce moment, le ministre Duvigneaud, au dire du conseiller, relevant, apparemment, une pointe d'arrogance chez Louis Dejoie, lui repondit, mettant fin a l'entretien: " Ma mission est accomplie. Vous etes mon ami. Cette fa~on de vous adresser au president Duva­ lier, vous ne l'aurez pas fait avec Vincent ou Les­ cot. Mon ami BABS Dejoie, je ne l'ai pas recon- nu". Frederic Duvigneaud, au cours d'une rencontre precedente avec Louis Dejoie lui avait signifie: "Si un mulatre devait etre president, je le serais moi, Frederic Duvigneaud, pas vous". Les deux candidats Clement Jumelle et Louis Dejoie ne ju­ gerent point necessaire de repondre a l'appel. A l'epoque, la plu­ part des analystes politiques estimerent que le regime de Duva­ lier serait balaye dans mains de trois mois.

Presidence de Nemours Pierre-Louis 150 La Ville des Cayes: Politique I

Profil de Clement Jumelle Le second candidat, oppose au senateur Dejoie, Clement Ju­ melle etait originaire de St Marc dans le Bas-Artibonite. Noir ele­ gant dans des costumes bien coupes, s'exprimant avec aisance, il etait donne, dans le milieu, comme un brillant economiste et l'un des artisans de la relative reussite economique du president Paul Magloire. Il occupa le poste de sous-secretaire d'Etat du Travail sous le gouvernement de Dumarsais Estime. Les partisans de Cle­ ment Jumelle, pour augmenter sa cote de popularite aupres des masses hai:tiennes, ne cesserent de rappeler son experience cou­ rageuse, en terre etrangere: Clement Jumelle, pour gagner sa vie et financer ses etudes, se convertit en chauffeur de taxi, dans la ville de Chicago aux USA. Les suspicions (?) sur sa gestion des af­ faires, en tant que ministre des Finances du president Magloire, eloignerent de lui beaucoup d'elements de valeur. Son frere Ducasse Jumelle siegea au senat de la Republique comme representant de l'Artibonite aux cotes du senateur Mar­ ceau Desinor. Le candidat etait inconnu de la communaute cayenne, mais rallia, a sa cause, davantage de partisans que Du­ valier. Un autre frere, le docteur Gaston Jumelle, ancien adminis­ trateur de l'Hopitallmmaculee Conception des Cayes, com pta de nombreux amis dans la ville et les environs. Il epousa une Cayenne de souche. Il etait donne pour un quarante-sixard avec, malheureusement, la connotation noiriste que cela charria dans l'opinion cayenne. Tout laissa croire qu'il fut rattrape par l'obsession du candidat, son frere, de vouloir faire la le.;;on aux mulatres en ce qui concerna leur appartenance a la race DESQUIRON 1995. Un denomme Stecker, habitant le quartier de Bergeaud, qui revendiqua une tres proche parente (demi-frere) avec le candidat, tint porte ouverte aux partisans de Clement Ju­ melle, durant toute la campagne electorate. De fortes personnali­ tes cayennes dont Philippe Jocelyn, Edouard Hall, ancien depu­ te de Port Salut et de StJean du Sud, Milien Conde, ancien prefet, Louis Sansaricq, Bertrand Bourgeois, Edmond Pierre, commer­ c;ants, etc. soutinrent, a visages ouverts, la candidature de Cle­ ment Jumelle. Philippe Jocelyn, un noir de grande taille, au visage ouvert, au sourire captivant fut, aux yeux de tous, le pilier du jumellisme

Pn?sidence de Nemours Pierre-Louis 151 La Ville des Cayes: Politique I dans la ville des Cayes. Ancien prefet des Cayes et des Coteaux, ancien depute de Ia trente-troisieme legislature emportee sous Ia presidence de Franck Sylvain, peu apres la chute du president Magloire, il fut tres apprecie par la classe politique au pouvoir. Philippe Jocelyn, educateur, se revela un citoyen de grande di­ mension sociale et humaine qui se pliait en quatre pour ne point deplaire a ses amis et electeurs, surtout quand on occupa, a l'epoque, des fonctions aussi devorantes que celles de prefet ou de depute du peuple. Plus tard, il assista les responsables de la centrale sucriere, a titre d'avocat-conseil, evitant a cette entre­ prise les pires deboires avec les planteurs. Ses adversaires politi­ ques et amis admirerent, surtout, en ce citoyen, son sens de la discretion et de la moderation.

Profil de Pierre Eustache Daniel Fignole Le troisieme candidat Pierre Eustache Daniel Fignole, origi­ naire de Pestel, ancien ministre de l'Educatiori nationale sous Estime, prisonnier politique sous le regime de Paul Magloire, be­ neficia d'une certaine compassion dans la ville des Cayes et d'une reputation de grand tribun fanatisant les foules. Avec le candidat Daniel Fignole, un moitrinaire, l'hyperbole n'y manqua pas. Physiquement, l'homme etait mince, elegant, sympa­ thique: costume bien taille, allure de jeune premier, regard fron­ deur qu'accentuerent des yeux inquisiteurs, moue ironique et re­ partie facile et cinglante. Il eut tout pour capter la confiance de son auditoire. Il recruta sa grosse clientele, particulierement, dans les quartiers pauvres de la capitale. Le professeur Pierre Eustache Daniel Fignole etait represen­ te aux Cayes par son corregionnaire, le pasteur de confession baptiste Bernard Lizaire, homme respectable et efface s'il en fut, au parcours rectiligne. Le Pasteur Lizaire, fondateur, en 1935, de la Mission Baptiste EvangtHique du Sud d'Hai"ti, avait derriere lui toute une communaute religieuse. Il evita de se servir de sa chaire pour haranguer les fideles et mena la campagne dans la discretion. Une autre personnalite proche du professeur Fignole, etait originaire comme lui de Pestel. M• Leonce Bernard- il s'agit de lui - son ancien professeur a Pestel, etait juge d'Instruction

152 Presidence de Nemours Pierre-Louis La Ville des Cayes: Politique I dans la ville des Cayes. Il appartint a cette classe de fonctionnai­ res modeles et patriotes convaincus de leur devoir et decides a le remplir la oil l'autorite superieure les appelait. M• Leonce Ber­ nard, citoyen de taille moyenne, de teint fort clair, ala chevelure blanche, etait vetu, constamment, de blanc immacule. Il frappa par sa discretion et il vecut dans une semi-clandestinite, ne connaissant que son lieu de travail. Il etait fort estime des gens du quartier et ne visita, a !'occasion, que son collegue, le juriste Au­ guste Banatte et la famille Rene Conde, des voisins immediats. Devenu ministre de l'lnterieur, successivement du Collegial et du gouvernement du professeur Daniel Fignole au lendemain du 25 mai 1956, M• Bernard ne se mit jamais dans la peau du militant fi­ gnoliste. Deux Cayens, l'avocat et educateur Fritz Cassion, nair de grande taille, intellectuel tres connu aussi bien que qua­ rante-sizard et Armand Charles, magistrat, lui aussi fort connu, constituerent deux pilliers du fignolisme aux Cayes.

L'Organisation des Partis Politiques Majoritaires en 1957 Revenons ala campagne electorate en l'annee 1957. Le Parti de Louis Dejoie demarra la campagne elector ale sur des chapeaux de roue apres la visite de son leader en decembre 1956. Il n'y avait pas de comite electoral pour les dejoistes, sinon un bureau politique avec des personnalites comme Thomas Den­ nery, Hugues Victor, Rene Matard, Herman Narcisse, Lyonel Lu­ bin, docteur Louis Numa, Chevalier Daguilh, docteur Antonio David, Amedee Simon, Yvon Moraille, etc. Chaque dejoiste cons­ titua un vecteur de propagande electorale en payant de sa per­ sonne et de sa poche. Leur independance economique, pour la plupart, etait une force. Au niveau de chaque quartier, il exista une residence familiale oil se tenaient des reunions qua­ si-journalieres :tout se resuma plutot en echange d'idees qu'en analyse politique. Il y eut, egalement, le comite des dames, agres­ sives jusqu'a oser arracher, des murs des residences, les photos des autres candidats. Elles sillonnerent les communes pour sou­ tenir les comites de femmes des petites localites et dynamiser les futurs electeurs et electrices. Au niveau des communes, des lea­ ders naturels maintinrent un contact etroit avec la population.

Presidence de Nemours Pierre-Louis 153 La Ville des Cayes: Politique I Ils organiserent des bals populaires ou des meetings aux moin­ dres occurrences pour maintenir la flamme. Le dejoisme brilla de taus ses feux. Dans un tel contexte, la passion ne rata pas le rendez-vous. Le 17 janvier 1957, une foule s'attaqua ala maison de Joseph Lu­ bin et la saccagea. Agression malheureuse! Lyonel Lubin, frere de la victime, etait un leader dejoiste. Le "rouleau compresseur" cayen etait ne. Precedemment, il tenta une excursion punitive a la centrale sucriere, a Simon, pour vider une vieille querelle de quelques semaines. En effet, dans la semaine du 4 au 11 no­ vembre 1956, trois dejoistes notoires dont deux piliers de l' Eta­ gild, Modesca Valery et Auguste Merlain et l'epouse de Merlain, Lucia, infirmiere de grande renommee, etaient revoques de la centrale sucriere, a cause de leur appartenance politique. Le Parti du candidat Duvalier, dirige par un comite res­ treint ayant a sa tete le docteur Lesage Chery, a titre de president, Octave Hyppolite comme secretaire, compta une cascade de conseillers dont docteur Felix Buteau, Alex Simon sur le tard sur les conseils d'Emile St Lot, un allie, Louis Banatte, Duresnel Del­ peche, Fabre Delerme, Anthony Eveillard, Stephen Valere, Ei­ nard Ligonde, Joseph Simon,etc. Aucun communique ne vint eclairer le public sur des changements eventuels. Ce parti ne se distingua jamais par des meetings populaires ou des manifesta­ tions de rue. Le jumellisme, de son cote, renaquit de ses cendres. Le candidat Clement Jumelle, dans son discours du 25 de­ cembre 1956, annonc;a, a ses partisans, son intention de pour­ suivre la bataille electorale. Dans la foulee de ses declarations, apres une longue periode de lethargie, le 30 janvier 195 7, le comi­ te electoral pour le soutien a sa candidature dont }'existence avait ete, precedemment, mentionnee, changea de visages: Gontran Lamour fut nomme president. Profil deja esquisse. Guy Partes, vice-president, proprietaire de carnian de trans­ port, representa, aux Cayes, l'entreprise des huiles essentielles (VICOIL) de Victor Boucard, beau-frere de Louis Dejoie, lui aussi jumelliste.

154 Pn§sidence de Nemours Pierre-Louis La Ville des Cayes: Politique I Maurice Jocelyn, egalement connu, en fut le secretaire. Emile Rameau, fonctionnaire de l'Etat, pretant ses services au bureau des Contributions des Cayes occupa le poste de treso­ rier. Emile Rameau fut le beau-frere de Rene Conde, dejoiste, qui le surnomma familierement JU (pour Jumelle). Liliane Mars, visage familier de la ville, personnalite connue du monde del' enseignement et de l'artisanat, femme dy­ namique et serviable, fut elue secretaire adjointe. Le lecteur liera davantage connaissance avec elle, en cours de recit. Suite aux actes d'agressivite, notamment, celui perpetre a l'encontre du leader populaire Joseph Lubin, le president du co­ mite electoral du candidat Clement Jumelle, Gontran Lamour s'empressa d'ecrire une lettre, ala date du 30 janvier 1957, au commandant du district militaire, le capitaine Roger Corvington, pour solliciter la protection de l'armee pour les jumellistes. Les partisans de Dejoie, precisa-t-il dans sa lettre, alimenterent la ru­ meur que son groupe detenait des armes a feu et deux bombes a des fins subversives. Le Syndicat des Travailleurs,Debardeurs et Trieuses des Cayes, avec a sa tete Lyonel Viaud prit position pour le candidat Clement Jumelle. Le mouvement dejoiste cayen ne se sentit point concerne par de tels changements et de telles accusations ou declarations d'intention, carle comite electoral jumelliste n'avait a sa disposi­ tion, dans la ville, que le journal LE REMPART, 1957 pour mener la lutte. Les premieres attaques du journal puiserent des argu­ ments dans les ideologies de 1946. Aussi, sans jamais, nomme­ ment, s'attaquer au candidat,le 1"' fevrier 1957, un article de M• Maurice Jocelyn, en termes voiles, s'en etait pris aux gouverne­ ments reactionnaires. Le ton fut desormais donne et devint un theme fort prise durant la campagne. Le docteur Albert Chas­ sagne, dejoiste, repliqua. Les fignolistes, minoritaires, ne jugerent pas necessaire de monter un bureau politique.

Presidence de Nemours Pierre-Louis 155 La Ville des Cayes: Politique I Presidence de Franck Sylvain

Le 4 fevrier 1957, une greve generale fut declenchee par le parti dejoiste pour exiger la demission du president Nemours Pierre-Louis, reclamee deux jours plus tot, le 2 fevrier, a cause des lenteurs de ce gouvernement a operer des reformes. La ville des Cayes se pliait toujours aux ordres de greve du PAIN emanant de la capitale. Le 5 fevrier 1957, Ia demission du president Ne­ mours Pierre-Louis devint effective. Louis Dejoie, devant les ar­ guments juridiques du general Cantave (qui remplac;a le general Levelt ala tete de l'armee) et de ses amis pour designer, president de la Republique, Franck Sylvain, reclama le maintien de la greve generale, pour exiger !'application de !'article 81 de la Constitu­ tion de 1950(nomination du juge le plus ancien de la Cour de cas­ sation, Jean Baptiste Cineas). Des juristes chevronnes tels Victor Duncan, ex-constituant de 1950, Ernest Sabalat, Clerveaux Ra­ teaux et Alix Mathon, furent membres du cabinet politique de Louis Dejoie. Louis Dejoie s'attira ainsi les foudres du general Cantave qui, par lettre en date du jour, menac;a le leader de livrer ses biens a la fureur de la foule, en cas de poursuite de la greve des com­ merc;ants. Un cordon de policiers fut deploye devant la residence du senateur pour l'eventuelle execution d'un ordre de deporta­ tion. La vie commerciale reprit le lendemain. Cet echange de cor­ respondance musclee entre le general Leon Cantave et le sena­ teur Louis Dejoie, dont une lettre du general, assortie de menaces claires contre les biens d'un industriel, scella la rupture profonde entre le Parti dejoiste et une fraction de l'armee. Les retombees etaient a prevoir. Des mois plus tard, apres les elections du 22 septembre 195 7, le general Kebreau ordonna de casser les partes, entre autres commerc;ants, du magasin de Louis D.Hall et livra ses biens au pillage. L'armee brisa la greve du Commerce. Un se- nateur duvalieriste, nouvellement elu ...... precha d'exemple: il ressortit du magasin, exhiba, en les agitant, deux paires de chaus­ sures de la marque "Florsheim ", aux yeux des spectateurs et pH­ lards. Des annees plus tard, faute avec ses amis et collegues du senat de pouvoir renverser le gouvernement du pres~dent Du~a­ lier, il fut mis a bard d'un avian "en parlance pour 1 etranger et gagna l'exil en terre africaine.

Presidence de Franck Sylvain 156 La Ville des Cayes: Politique I

Le 5 fevrier 195 7, le general Cantave, maniant le baton et la carotte, invita les candidats a la presidence dont Louis Dejoie a une reunion, au Grand-Quartier general, pour proceder- Consti­ tution en veilleuse-au choix d'un nouveau president de la Repu­ blique. Le candidat Louis Dejoie s'abstint, personnellement, d'y prendre part. II delegua deux de ses conseillers et ex-collegues de la Chambre haute, les senateurs Marceau Desinor et Leon O.Bap­ tiste, porteurs d'un message, precisant les arguments juridiques de son parti politique, relatifs a !'interpretation de }'article 81. En depit d'une visite interessee d'une delegation de l'armee com­ posee des colonels Pierre Haspil, Roger Villedrouin et du lieute­ nant Maurepas Auguste, chargee par le general Cantave d'amadouer Louis Dejoie, le refus du senateur Dejoie d'y partici­ per fut categorique. Le senateur Dejoie pensa ne pas pouvoir s'asseoir avec un compatriote (Clement Jumelle) qui fit l'objet d'une decision de justice. Apres la visite des officiers missionnai­ res et le rapport qui lui fut fait de l'accueil plutot froid, le general Cantave ne decolera point contre Dejoie. Ce dernier aurait invite ces officiers a prendre siege sur un canape, dans une petite salle de sejour attenante a l'escalier, en leur rappelant que le 6 de­ cembre 1 956 leurs freres d'armes les sous-lieutenants Tony Pierre et Alix jean, charges de son arrestation, avaient occupe ce canape LEDAN 1999. . . ,Le 7 fevri,er 1957, l'armee et six candidats a Ia presidence, I~vites d~ .gen.era~ Cant~~e,. se reunirent au Grand-Quartier ge­ neral .de I mst~tuhon .mihtaue et designerent Ie citoyen Franck Sylvam, Premier magistral de la Republique. II preta serment aIa date du 12 fevrier 1957. . Des faits marquants se deroulerent durant ces mois de fe­ vner et mars 1957.

Les Derapages du Rouleau Compresseur ~e 8 fevrier 195 7, au lendemain de la designation de Franck Sylvam, 1~ ":ouleau compresseur" gagna les rues des Cayes et ali­ gna des.victlmes. Le docteur Duvalier, a cette nouvelle, adressa, par radiO, ~n ~essage de solidarite a ses rares partisans des Cayes, partlcuherement, aux victimes: NatH Baptichon, homme propret et d'une grande simplicite, appele plus tard, sous Ia presi-

Presidence de Franck Sylvain 157 La Ville des Cayes: Politique I

dence de Jean Claude Duvalier, ala tete de la milice civile, Mme Jean Benoit, Previl Pierre, citoyen fort bien connu, president de l'Aurore, Mme Leflot Auguste qui consacra sa vie, comme institu­ trice, aux enfants des campagnes, Emmanuel Vieux et enfin Jean Gusmer, un fidele du president Duvalier, dont le nom n'evoquait pas a l'epoque les horreurs qui surviendront des annees plus tard aux Cayes. Dans la semaine, toujours dans la ville des Cayes, la police proceda, pour delit de presse, a !'arrestation des citoyens Lyonel Lubin, Rene Matard et Herman Narcisse,des piliers du dejoisme. Get acte fantaisiste de l'autorite offrit I'occasion au "rouleau com­ presseur" de se manifester a nouveau. Le "rouleau compresseur", a l'image de celui du professeur Fignole a la capitale, gagnait, constamment, les rues pour mani­ fester leur appui au senateur Dejoie d'autant plus que l'armee reagissait, mollement, aux provocations des dejoistes, apres le depart du president Magloire. Mais encore du fait que le gros de la troupe etait pro-dejoiste. Le mouvement (noyau), de defoulement, parti d'un quartier de la ville, faisait le plein d'adherents, lan~ait la marche triom­ phale, avant d'atteindre le centre-ville, le point de ralliement. Le defile parcourait les principales rues de la ville et, la nuit tombee, liberait ses adherents. Pour sonner le ralliement, il suffisait a n'importe quel petit chef de bande (surtout les "shiners") de heurter, a coups de pierres, le poteau electrique (on battait le sab­ bat). La presence d'une telle foule dans les rues donna lieu, inevi­ tablement, a des derapages, surtout a des reglements de compte. Le "rouleau compresseur" devint, bientCit, un sujet de preoc­ cupations pour Louis Dejoie et ses representants locaux. Ces der­ niers etaient obliges de trouver des compromis avec les officiers de l'armee pour eviter ces derapages. Ainsi, ce mouvement de foule provocateur devint le theme d'une composition musicale du troubadour Robert Molin qui traduisit avec son Idling! Idling! le "carillon" des pierres contre les pylones electriques : "Si ,; pou 9Jejoie, kiling, kilingl Ce signal de paix, kilingl kilingl

158 Presidence de Franck Sylvain La Ville des Cayes: Politique I pou lot candidat, ki/ing! ki/ing! Ce signal de gueue, kiling! ki/ing! le kolon (SR.ene Conde) pale, kiling! kilingl Ce signal de paix, kilingl kilingl le SR.yo (.9{entty fDupewaO pale, kilingl kilingl Jean ta fe StJoy, kilingl kilingl Jean 5tfolin pale, kilingl kiling! Jean qon Wil (Willy Scutt) pale,kiling! ki/ing! Pour le journal jumelliste LE REMPART 1957, ce mouve­ ment, compose d'elements insconcients, "etait manoeuvre par un etat-major dont les membres ne se consolaient pas de l'evolution sociale du pays, evolution due aux idees-forces de 1946. Et tous ceux qui ont le malheur d'etre au travers de leurs visees doivent etre pulverises par le rouleau". Le journal denom,;:a les strateges a faux col, camoufles hier en ermites, amants de la litterature, des beaux arts. Ce m~me organe jumelliste, dans !'edition du 22 fevrier 1957, s'en etait pris, egalement, a des etrangers ·SOUS entendus, les Syro-libanais- pour leur ingerence dans la politique ha1tienne et leur participation ouverte a la campagne electorale. Le journal les rendit responsables du chahut organise lors du passage du leader Fignole ala fin de decembre 1956 et de la grave qui paraly­ sa le pays. LE REMPART 1957les denonc,;:a ala nation et reclama des sanctions rigoureuses contre ces etrangers indelicats et fau­ teurs de trouble. Ruse de l'Histoire: Antoine Joseph, de la colonie libanaise, pere de Mm• Sarkis Georges et d'Emest Joseph, ravitail­ la, dans le temps, en vivres et boissons, les troupes d'Antoine Si­ mon (1908-1911) en gamison sur laplace d'Armes de Cavaillon. En recompense, Antoine Simon le gratifia d'un brevet de colonel de son armee. La famille disposa du parchemin.

Le Comit~ de Cavaillon Le 25 fevrier 1957, un comite electoral de trois membres, a savoir Raymond Larosilliere, Franck Lacombe et Oswald Leon, se constitua a Cavaillon pour le soutien a la candidature de Louis

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Dejoie, face a un groupe jumelliste tres dynamique dans la zone, avec Petion Roy. D'ou la priorite accordee ala tenue reguliere de meetings.

L' Affaire Clarel Denis Toujours en ce 25 fevrier 1957, la ville des Cayes devint le theatre d'un drame facheux. Un soldat des gardes-cotes, fit feu sur le nomme Clarel Denis. Durant cette campagne electorale, une unite des gardes-cotes d'Halti (marine hai:tienne), denom­ mes, par la population "ramier tete blanche", a cause de la calotte blanche au lisere nair dont ils etaient coiffes et reconnus pour leur agressivite, fut mutee aux Cayes pour mater le "rouleau com­ presseur". Elle y tenait garnison. Un dimanche de carnaval, alors que les habitants de la ville (motifs politiques) en avaient ete pri­ ves durant plus d'un mois, le soldat St Surin, en faction du cote du marche central, fit feu,a plus de 15 metres, sur Clarel Denis qui l'avait bouscule. Clarel Denis, rapporta LA GARDE 1957, " etait un pauvre type qui ne connaissait que sa misere et qui, sans doute, cherchait a l'oublier, un apres-midi de carnaval". Le jour­ nal deplora, en plus, l'attitude arrogante du garde-cote a l'endroit des officiers de l'armee accourus sur les lieux, leur deniant toute autorite sur les membres de l'unite. La foule, indignee du com­ portement ignoble de ce garde-cote, faillit le lyncher, n'etait-ce son evacuation rapide des lieux du drame et son transferement immediat. La version officielle voulut que la victime tentat de desar­ mer le garde-cote, le caporal St-Surin. Les dirigeants des princi­ paux clubs carnavalesques, pour marquer leur mecontentement et par souci de proteger la vie de leurs membres mais encore pour garantir la securite des families, deciderent de ne point participer aux festivites carnavalesques durant les trois jours gras.

Le Comite de Port a Piment Le comite electoral de Port a Piment, nouvellement elu, eut pour chef de file, le docteur Henry Gattereau, une forte personna­ lite de la region. Louis Dejoie avait passe beaucoup d'annees de sa carriere d'agronome sur la cote ouest du departement du Sud, particulierement, aux Anglais et a Chardonnieres ou, dans les an-

160 Presidence de Franck Sylvain La Ville des Cayes: Politique I nees 30, un differend sur la construction de la route Les Anglais-Chardonnieres, pour evacuer la figue-banane vers ce dernier port, l'opposa au Reverend Pere Ludovic Brierre, nationa­ liste en herbe. Le Pere Brierre n'admit point la participation des habitants des deux bourgs a la construction de la route. Pour lui, ce fut le retour pur et simple a la corvee. Ce conflit deboucha sur !'arrestation du prelat par le colonel Gustave Laraque, Jeremien comme lui. Le prelat,apres un parcours a pied et a cheval, fut as­ signe a residence a l'eveche des Cayes, puis transfere a une autre paroisse par l'autorite ecclesiastique. Cet incident n'empecha point le Reverend Pere Brierre de prendre, publiquement, posi­ tion, durant la campagne electorate, aux cOtes de Louis Dejoie et de voter pour lui aux elections du 22 septembre 1957. A son pas­ sage a Cavaillon, en route pour les Cayes, en fevrier 195 7, le sena­ teur Dejoie assista a une reception, en son honneur, offerte par le Reverend Pere Brierre et Edriss Larosiliere. L'ingenieur Marcel TIIEBAUD 1957 apres les elections de 1957, en route pour la cote-ouest, acompagne du senateur Hugues Bourjolly, marqua une halte au presbytere de Cavaillon. A table, il rappela, en guise de taquinerie, !'incident de Chardonnieres au Reverend Pere Brierre qui banalisa !'incident. 11 dedouana le senateur et en ren­ dit responsable le colonel Laraque.

L'lncident du Pere J.B. Georges Un matin de fevrier 1957, fideles et devots se rendirent ala cathedrale des Cayes pour assister ala traditionnelle messe basse de 6 hre•. Un pretre hai:tien officiait. En ce temps-la, le celebrant donnait dos au peuple de Dieu. Ala lecture de l'Evangile, certains Cayens de Ia foule des assistants identifierent le Pere Jean Bap­ tiste Georges, en la personne du celebrant. Sa reputation de duva­ lieriste l'avait precede. Une fois a nouveau le prelat face a l'autel, !'assistance abandonna, sur la pointe des pieds, l'enceinte de l'eglise. Stupefaction du pretre quand il se retourna une nouvelle fois, ala communion. LePere Jean Baptiste Georges, indigne d'un tel comportement, jura de ne plus retourner dans cette ville dont il est, pourtant, un fils authentique.

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Le Senateur Louis Dejoie aux Cayes La visite du senateur Louis Dejoie aux Cayes, connut une telle frenesie qu'il est preferable de laisser la narration a un jour­ naliste local, dans l'edition du 3 mars de LA GARDE 1957: "LE CANDIDAT DEJOIE EN TOURNEE'' Qu 'on Je veuille ou pas, dans cette region, des que le nom de Louis Dejoie est cite, c'est toute une multitude humaine qui se campe avec le sentiment du devoir qui implique une fierte. Bien fous ceux qui croyent supprimer une evidence en refu­ sant de la reconna!tre. Les faits sont les faits. Ainsi, depuis une semaine que la nouvelle de l'arrivee du Se­ nateur du Sud et candidat a Ja presidence se precise, planteurs, travailleurs, debardeurs, commis, camionneurs, fonctionnaires, industriels, commer~ants, professionnels et encore davantage les ecoliers et Jes ecolieres ont perdu au moins 50% de leur potentiel de travail. C'est une fievre contagieuse qui atteint en quelque sorte tout le monde car meme ceux, les "rarissismes" qui ne professent pas le dejoisme, font malgre eux la temperature de ]'ambiance. Enfin, voici Je jeudi 28 fevrier. Toute activite non fonction d'un accueil delirant cesse des midi dans notre ville. Qui peut rete­ nir son employe, sa bonne, son ga~on meme, son "peutimoune"? Les uns repondent "je vais voir Dejoie". D'autres Je grand nombre : "NOV PRALE NAN DEJOIE. Ne risquez pas une objection. Vous mettrez votre autorite a rude epreuve. Le Senateur DEJOIE laisse Cavaillon qui vivait Je jour Je plus vibrant de ses annales a 3 hres a. p. Cavaillon-Cayes 28 kms de route asphaltes. Normalement, c'est un parcours de 25 minutes. Eh Bien! 11 est 5 heures moins un quart quand Ja voiture de Louis DfJjoie finit par aboutir au poste de police des Quatre-Chemins. Sur ces 28 kms de route s'{Jtendait une maree humaine qui empe­ chait cette voiture d'avancer aplus de 28 metres par minute. La, derriere et devant Je Calvaire, diJbordant toute Ja grande avenue, c'est un spectacle qu'aucune plume ne peut dfJpeindre. On se de­ mande d'ou sortent toutes ces gens? Ou habitent-ils? De quoi vi-

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vent-ils? Et quelle hysterie collective! Les cris et les vivats vous abasourdissent. Les femmes sont encore plus dechainees que Jes hommes. Toutes affublees de chapeaux de paille dont le rebord renverse porte en peinture rouge VOTEZ DEJOIE, ou VIVE DE/OlE ou CE DEJOIE ROUGE ou CE DEJOIE TOUT ROUGE! Gel a ne suffit pas, beaucoup de ces femmes affichent de plus sur leur poitrine une grande photo du Leader, d'autres en grandes Jettres sur leur ceinture VOTEZ DEJOIE. Nous ne parlons pas des bicyclettes et motocyclettes, ni des camions, camionnettes tous decores et bondes de gens. Est-ce Je physique de l'homme qui exerce cet irresistible at­ trait sur tout ce monde? Est-ce, parce que simple industriel, il a pu creer du travail pour no us ne savons com bien ?On espere que nanti des pouvoirs de Chef d'Etat, il pourra en creer pour 2 000, 5 000, 20 000 fois plus ? Autant de questions auxquelles il est difficile de repondre, mais les faits sont Ja, eclatants, aveuglants et ce serait absurde de Ja part de quiconque, m§me et surtout des adversaires, que de ne pas les voir et ne pas Jes admettre. Ce que no us rapportons ici est ]'expression Ja plus sincere de Ja verite. Et nous nous engageons sur l'honneur de faire gracieusement un reportage fidele de Ja tournee de n 'importe quel candidat a Ja Prt§sidence qui, dans son droit le plus entier, voudrait honorer notre region. Nous dirons ce que nous avons vu. En attendant, continuons. Du calvaire des Quatre-Chemins au "Boulevard des Coeurs", propriett§ du Senateur Louis Dejoie, situee au contour des Gabions oil doit se derouler le grand meeting, il y a a peine a 500 metres. Quand Ja voiture de Dejoie y parvient, il etait 5 hres 15. Cela fait 30 minutes pour parcourir, dans une puissante voiture, 500 metres. fugez du handicap de la Joule! Et quel vacanne? Les voix qui sortent des hauts-parleurs se perdent. Pourquoi le cacher, le Reporter de LA GARDE, malgre toute sa bonne volontt§, n 'a pu se frayer un passage pour pt§netrer sur la proprit§te. N'est-ce pas as­ sez dire? 6 hrs 15 Dejoie entre en ville juche sur la capote d'une voiture. Le delire atteint son paroxisme. On n 'en tend plus rien. On ne peut plus bouger. On ne voit que des trombes de gens qui pas-

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sent, gesticulent. Le Leader et d'autres personnalites de sa suite sont emus au point que des larmes jaillissent de leurs paupieres. Devant la maison des epoux Rene Conde oil il prend logement, a 10 heures, la Joule n 'avait pas desempare. Vers 10hres 5 Dejoie arrive a Marabout Night-Club. Etait-on informe qu 'il serait la? Beau coup de gens sy trouvaient deja. Salut du jazz. Ovations. Le leader fait le tour pour presser les mains et m~me embrasser les dames. 11 ouvre le bal: DEJOIE A L 'APPAREIL. Coup sur coup deux discours entrecoupes par des applaudisse­ ments jrenetiques. A minuit mains cinq, nous le laissons en charmante com­ pagnie. Le lendemain, a 6 hres, messe d'actions de grace ala cathe­ drale pleine a craquer. A 7hres 30, illaisse pour l'arrondisement des Gateaux d'ou il est rentre hier soir. Ce matin, a l'issue de la grand'messe, inaugu­ ration de LA VOIX DU SUD ..... "

Un citoyen capois, bien connu, Alexandre Lerouge, dont le nom sera associe plus tard, comme depute du Peuple, a la lutte pour la democratie, sous le gouvernement de Jean Claude Duva­ lier, informa le journaliste Georges J. Petit et confirma, brieve­ ment et avec un zeste de passion - on ne prete qu'aux riches - cette apotheose INDEPENDANCE 1957: Telegramme "Cayes le 1\3\57 Georges f. Petit Special PPce Gagne par emotion, honorable Senateur Louis Dejoie pleure comme un enfant ala vue Cayes de­ bout pour l'acclamer. 2 5 000 femmes 2 rangees se portent a sa rencontre candidat 3 kms avant en­ trer en ville, incroyable, mais vrai". LEROUGE

194 Presidence de Franck Sylvain La Ville des Cayes: Politique I Tout au long de son parcours vers les Cayes, le senateur fut regale de discours de reception mirobolants. Dans la ville d'Aquin, il s'emerveilla en lui-meme de cette phrase originale de cloture du discours d'un partisan et qui l'avait fortement emu, car ses usines distillaient l'amyris( equivalent): "Sino us devions tomber pour votre cause, comme Je bois de santa], nous tomberons, mais no us tom­ herons en parfumant Ja hache qui nous aura frappes".

L'lncident Liliane Mars Dans }'edition du 8 mars 1957, le journal LE REMPART, 1957, publia une lettre de M• 11• Liliane Mars qui se plaignit de }'attitude inqualifiable de dejoistes qui la traquaient, lors de ses deplacements en ville, et la harcelaient, a cause de ses sentiments pro-jumellistes. Liliane Mars -Ia plupart des cayens l'ignoraient­ etait une alliee du candidat Jumelle et on la voyait difficilement opter pour un autre candidat. D'ailleurs, ses relations avec les responsables dejoistes furent excellentes.

Les Ripostes du REMPART Dans cette edition du 8 mars 1957, le journal fit appel aux autorites ecclesiastiques pour rappeler a l'ordre certains prelats, oublieux de leur devoir de charite, qui, du haut de la chair, ne cesserent de vanter les merites d'un certain candidat (sous-entendu Dejoie) et de solliciter le vote des fideles pour ce candidat. A une autre page du journal, toujours dans l'edition du 8 mars 1957, LE REMPART 1957, sous la plume de Gontran La­ mour, s'attaqua a Louis Dejoie, specifiquement sur les bas salai­ res, ason avis, verses aux travailleurs de ses usines. L'auteur reje­ ta le slogan du parti dejoiste "La politique de la terre, la seule, la vraie". Ce slogan, ecrivit-il, s'apparentait au servage ou a l'esclavage de Rome et de St Domingue ou le travail de l'esclave etait la seule explication des richesses et des splendeurs des aris­ tocrates romains et des colons de St Domingue. Ce retour a la terre sembla cacher un plan voile de retour au statu quo social de

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1946. Ce retour pur et simple ala terre sembla cacher, pensa-t-il, !'execution d'un des points des liberaux. L'article se termina ainsi: "Senateur Dejoie, vous avez la parole".

Les remous Politiques Le 10 mars 1957, Louis Victor, figure bien connue de la ville, professeur emerite, annonc;:a la formation du Parti Travail­ lisle du Sud pour le soutien a la candidature du senateur Louis Dejoie. A la meme date, Mm• Antonio David, Mil•• Rene Jolivert et Solanges Blaise, au nom des consoeurs et collegues de la region, intervinrent, avec brio, a la radio locale, La Radiodiffusion Cayenne de Thomas Beague, le premier a stemarrer la campagne electorale en 1956 a Chantal, pour reclamer le soutien ala candi­ dature du senateur Louis Dejoie. Le 18 mars 1957, tot dans la journee, la population apprit l'arrivee du P• Pierre Eustache Daniel Fignole. Sa presence fut si­ gnalee par des partisans du groupe Dejoie, au greffe du Tribunal civil ou il procedait a un depot de candidature ala presidence. En fait, ces courtes visites du leader du MOP furent assimilees a des tentatives de destabilisation du leader Louis Dejoie dans son fief. En exil, le professeur le confessa en declarant: "mais je me reser­ vais d'en prendre le controle ulterieurement, car je ne pouvais pas permettre a Dejoie de disposer de J'electorat du Sud quand, moi Daniel Fignole, j'avais des forces reelles et meme organisees dans cette partie de la Republique d'Hai'ti". 11 se mantra plus actif et plus entreprenant que le docteur Duvalier qui n'osa jamais effec­ tuer une visite officielle, aux Cayes. Le sourire narquois et les sa­ lutations du professeur, brandissant son chapeau magique, n'opererent aucun charme sur les dejoistes. Des les premiers at­ troupements aux abords du tribunal et quelques cris de "Vive Dejoie", le leader s'engouffra dans sa voiture, prit le large et an­ nonc,ta au premier journaliste accouru qu'il remettait sa visite a plus tard. Le 19 mars 195 7, la fete patronale de laSt Joseph a Torbeck, draina des milliers de pelerins. Le haut-parleur qui coiffa la voi­ ture "Hard-top" d'Edgard St Joy diffusa de la musique electorale, en l'honneur du candidat Louis Dejoie, musique reprise en choeur par la foule. La distribution massive de photos et de me-

166 Presidence de Franck Sylvain La Ville des Cayes: Politique I iaillons a l'effigie du candidat fut assuree par des dames des :::ayes et de Torbeck. Les autorites des Cayes et de Torbeck assis­ erent a la messe celebree par le Pere Solages, dejoiste notoire. ~lles ecouterent, en silence, un pretre d'une paroisse voisine, :ians son homelie, vanter les qualites du saint patron de la pa­ :oisse qui fit du travail sa regle de vie. Apres la ceremonie, au vin :i'honneur traditionnel chez le Cure, partisans et adversaires du :iejoisme, se retrouverent cote a cote pour le toast au bonheur de Ia population torbeckoise. Les rejouissances populaires se derou­ lerent sans heurts aucuns, chacun evitant de pietiner les pla­ tes-bandes de l'autre. Le 24 mars 1957, les dejoistes reprirent !'offensive pour gar­ der le moral des troupes. Ce jour-la, ce fut au tour des marchan­ des du marche central des Cayes, d'offrir une messe d'action de graces en guise de remerciement: le Seigneur avait protege, en decembre 1956, en prison, la vie du leader. Une eglise du Sa­ ere-Coeur pleine a craquer. Jusqu'a onze (11) heures du matin, la place du marche etait vide, la foule occupant les rues adjacentes. Les "shiners" dont les leaders Cathan "Zo poule" et Georges, ap­ porterent leur soutien aux marchandes. Ce jour-la, les chaussu­ res etaient cirees gratuitement. Et ces fanatiques d'agiter des clo­ chettes, en signes de joie et de solidarite. Le colonel Antonio Th. Kebreau et le lieutenant-colonel Maurice Flambert, respective­ ment en camionnette et voiture, faute de pouvoir contrecarrer la manifestation, tromperent leur ennui a faire, a repetition, le tour du marche. Ils allaient mener, durant leur sejour, une guerre larvee aux dejoistes, sou tenus dans leurs taches, par certains du­ valieristes et jumellistes. Cependant, hisse au poste de comman­ dant en chef de l'armee, le general Kebreau traina des pieds avant de rendre effectif le transferement du colonel Flambert au poste de commandant en chef des casernes Dessalines, reclame par le president Duvalier, peu de temps apres sa prestation de serment. 11 s'executa, finalement, sur l'insistance d'un ministre delegue par le president.

Le colonel Kebreau: un destin national? Leur reputation de duvalieristes (Kebreau et Flambert) les avait precedes dans la ville. Comment l'expliquer? Peut-etre, s'agissant du colonel Kebreau, du fait que sa fille Paulette Ke-

Presidence de Franck Sylvain 167 La Ville des Cayes: Politique I breau fut membre actif du Faisceau Feminin du docteur Duvalier. De plus, certains se rappelerent avoir lu, sous la plume de Max Menard, un article relatif au comportement inqualifiable du capi­ taine Kebreau a St Marc, face a une foule desarmee COMBATS 1946. II ne saurait etre un democrate. Mais encore, sous la presi­ dence d'Estime, attache aux casernes Dessalines, lors sous le commandement du colonel Paul Magloire, le capitaine Kebreau commit !'imprudence d'attirer !'attention du president Estime sur les menees par trap audacieuses du colonel Magloire. Cette maladresse fut sanctionnee, heuteusement pour le capitaine, par un simple transferement a Jacmel. Mais encore, le colonel Ke­ breau entretint d'excellentes relations avec le docteur Duvalier du temps de la presidence d'Estime et meme sous la presidence de Magloire. Les liens furent done beaucoup plus profonds qu'on ne le pensa. Quant au lieutenant-colonel Flambert, il fut, na­ guere, officier de la maison militaire du president Estime. L'un et l'autre frequenterent, dans cette ville, surtout des gens de la cha­ pelle politique de Franc;:ois Duvalier. Au nombre de ceux-la, deux membres de la communaute cayenne qui s'etaient mues, du jour au lendemain, en agents pro­ vocateurs. Ils repondirent aux noms d'Henry Chaumin et de Da­ niel Anglade. Le premier, un griffe de grande taille, devint Cayen d'adoption par son epouse. Durant son long sejour dans la ville, il attira la chaude sympathie de la communaute, soit en tant qu'agent du service de !'Agriculture, soit comme foot-baller. Il avait jusqu'en 1956, une reputation de bon copain avant que la campagne electorale n'en fit, avec son compere Daniel Anglade, des tigres en papier. Le second, Daniel Anglade, Cayen authentique, de teint clair, physiquement fragile, n'avait aucune pesanteur charnelle pour etre aussi agressif. Employe a la Sante publique, il fut un ancien cadre du service de l' Agriculture et travailla aux Etablis­ sements Louis Dejoie. A ses heures perdues, il taquinait la muse. Personne en ville ne lui en voulut de son choix politique. Lui et Henry Chaumin arpenterent les principales rues des Cayes, tou­ jours prets a en decoudre avec le passant dejoiste qui osa esquis­ ser un sourire qu'ils assimilerent a de la moquerie. Les gens se mirent, finalement, a les taquiner. Daniel repeta a qui voulut I' entendre que lui et son compere Chaumin etaient des bombes et

168 Presidence de Franck Sylvain La Ville des Cayes: Politique I ala moindre etincelle ...... En peu de temps, ils devinrent la bete noire des dejoistes. Plus tard, precisement au debut de la presidence de Fran­ c;ois Duvalier, fideles et loyaux a leur grand ami le general Ke­ breau auquel ils voulurent preter un destin national, ils accro­ cherent, a !'avenue des Gabions, a l'entree du domicile de Chau­ min, un panonceau qui porta en lettres noires sur fond blanc, ce message, pour eux, magique "Bravo Kebreau, Merci mon Gene­ ral!". Le fait, signale en haut lieu, ne fut point du gout du presi­ dent Duvalier qui convoqua l'ami Anglade ala capitale oil, a sa grande surprise, il rec;ut une severe correction. 11 regagna les Cayes pour etre soigne. Sa flamme militantiste s'eteignit. Quant a l'ami Chaumin, il "boisa". Au cours d'une visite de Louis Dejoie dans la ville, le colo­ nel Kebreau sollicita un entretien avec le senateur. Ce dernier acueillit avec chaleur le colonel et souhaita la presence de Rene Conde a l'aparte. Le colonel, d'entree de jeu, reprocha, gentiment, au senateur son erreur de n'avoir point pris le pouvoir a sa sortie de prison en decembre 1956. Il voulut lui manifester son ferme soutien et celui de ses amis freres d'armes pour la prise du pou­ voir. Il ambitionnait deja le paste de chef d'etat-major de l'armee. Louis Dejoie assimila cette demarche a de la forfanterie et le re­ mercia. 11 lui rappela son souci d'observer les regles democrati­ ques et de parvenir au pouvoir par la voix des urnes. Le senateur promit, au depart du colonel, de garder confidential l'objet de l'entretien. Le colonel Kebreau, au cours de son sejour dans la ville, se lia d'amitie avec Robert (Bob) Abdo, jumelliste et son proche voi­ sin. Anticipons : parvenu, plus tard, a la tete de l'armee, le colo­ nel fit chercher, par l'intermediaire du commandant du departe­ ment militaire d'alors, au mois de juillet 1957, Bob Abdo, de re­ tour d'un sejour du Canada. 11 voulut l'introduire aupres du can­ didat Franc;ois Duvalier, futur president du pays. La rencontre devait se tenir lors d'une reception en la residence de Jean Deeb de la colonie levantine, duvalieriste bon teint, ancien commer­ c;ant de la ville des Cayes, a ses premiers pas dans la vie commer­ cials.

P.residence de Franck Sylvain 169 La Ville des Cayes: Politique I Robert Abdo, introduit dans une chambre de la residence, trouva le leader, pensif, assis dans une dodine pres d'un lit, les yeux plonges dans un journal. Curieusement, le general Kebreau introduisit son ami Abdo au docteur Duvalier comme l'unique etranger syro-libanais duvalieriste de la ville des Cayes. Embar­ ras de Bob Abdo en presence du leader d'autant plus que ceder­ nier ne cessa, au cours du bref dialogue, de s'informer de ses acti­ vites politiques aux cotes du docteur Chery et autres duvalieris­ tes cayens, devoilant qu'il connaissait bien la situation dans la ville eUe profil politique de chacun. Docteur Duvalier informa, de vive voix, Abdo de sa future accession ala presidence. Une in­ vitation personnelle a la prestation de serment fut promise. Abdo, frappe par l'apparente vacuite du candidat, en comparai­ son du panache des candidats Jumelle et Dejoie, une fois hors de. la chambre, fit, nalvement part, au general Kebreau, de l'impossibilite pour un citoyen de ce calibre, d'occuper le fau­ teuil presidential. Le general confirma pour lui, ce soir-la, que les resultats des elections qui se precisaient, donneraient, a coup sur, le docteur Duvalier vainqueur des urnes, envers et contre tout (s). Le 30 mars 1957, le docteur Jean Neptune, dentiste et pro­ fesseur de chimie-physique au lycee des Cayes rec;ut une convo­ cation, aux casernes des Gabions, du lieutenant-colonel Maurice Flambert. Il fut informe des accusations verbales portees contre lui par des duvalieristes et jumellistes: il initiait les eleves du lycee a la fabrication artisanale de bombes pour fomenter des troubles. Emoi dans la ville! Attroupements et menaces du rou­ leau. Il fut libere apres deux heures d'interrogatoire et des mena­ ces.

L'Hommage au Marron Clement Jumelle A la capitale on assista, ce 29 mars 1957, a une tentative d'arrestation du candidat Clement Jumelle, suite au depot des conclusions de Ia Commission administrative. Le barde national, le poete Jean F.Brierre, dans la soiree du jour, declama ala radio MBC, des vers majestueux dedies au nouveau Marron, vers fort applaudis par une large frange d' intellectuals cayens. Le texte est repris, ala memoire de Philippe Jocelyn, un grand ami du candi­ dat Jumelle:

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"LEMARRON

'Jlon I pas en /uite I Le 5H.au.on ne /uit pas. !// pat.t vets /es bois tou/lus. L'etampe lui mangeant Ia poitt.ine. La tot.pille de bois du tambout. al'epaule. Les yewc loutds de Ia volonte de /ot.get. demain. Le sang de ses blesssut.es tt.ace dans /es bt.oussail/es L'eput.e de Ia voie t.oyale de Ia /ibet.te. !II est pat.tout aIa /ois. Ses mots d'ot.dt.e se multip/ient sut.la peau sensible du silence. La montagne les 'l.tfoit comme des semences et les epat.pille en /t.ondaisons d'etincelles. Le 5H.anon ne /uit pas! !//monte ot.ganiset.la t.esistance dans Ia clandestiniU. !//a besoin de l'immensite de Ia solitude fPout. y plantet. un solei/ sang/ant Qui soit l'aveuglant echo de Ia douleu'l.. !//a besoin que Ia nuit s 'en/lamme au contact de son sang. et que sa /atigue en h.aillons se lave dans Ia pleine lune. S'il t.encontt.e aque/que bt.anch.e Vne immense /atigue acct.och.ee awe etoiles !//clot les yewc au !fbo. et le '&emet en pensee aIa tene de guinee. 9Jans un village sil/age de chatnes bt.isees. Jl mi-chemin du Ciel et de Ia montagne !// entt.e de p/ein pied dans Ia Libet.U. et de Ia, t.ugissant sa h.aine, en/in libet.e du cat.can.

Prtsidence de Franck Sylvain 171 La Ville des Cayes: Politique I

La tempete de sanglot et de Ia cole\e obstwant sa go\ge. !fl \eveille SU\ le tambou\ les \ythmes esote\iques lJU. l'escfave \este en bas SReconnaiha l'appe/ t\agique de son destin de /ib\e. CL!::MeJZ'I!}V:JrtGL[e n 'est pas en /uite . !f/ est vivant plus que jamais au coeu\ de Ia cite. Ji Ia table ou !'on mange et bait. Camme aemmaiis, son omb\e \ompt le pain. La ciga\ette a le gout de sa p\esence Les ebats des en/ants dans St :Jrla\tin ensoleille SRencontunt dans !'eclat des lau\ie\5 eca\lates Lajoie vi\i/e de se senti\ vivant et /ib\e. Les hommes \encont\es \epetent sa caHu\e d'ath!ete lJn \et\ouve su\ feu\5 lev\es les nuances de son sou\i\e, lJn \ettouve sa voix dans leu\5 voix Son enseignement dans feu\5 pa\oles Ct son COU\age unique SU\ les andes. La poignee de mains de !'ami t.fl Ia puissance de sa main tzale\ne//e. La main posee su\ vot\e epaule, C'est Ia main de Clement/Jumelle !lJu\cissant ajamais Ia chai\e molle de Ia tiedeu\. CLt::JteJlq!}V:JrlG.f..[e n 'est pas en /uite. !f/ est multipft·e pou\ nous dans Ia /econdt:te de !'absence. !fl est pa\tout aIa /ois. ':Ious ceux qui pa\lent de justice pa\fent de lui. ':Ious ceux qui chantent Ia libe\te \ejoignent le theme de sa futte.

172 Presidence de Franck Sylvain La Ville des Cayes: Politique I

Sa ptison aujoutd'hui a les /tontie'Les memes du pays. Son nom su'L les mu'LS de Ia vi!/e, Son nom fiance al'ecotce des atbtes a Ia campagne, Son visage baigne de lumie'Le su'L les pylones de Ia nuit Ptennent le telie/ dessalinien du manon. CLestfeJlc;[!}V5Jtell(; n 'est pas en /uite. !fl attend Ia ctoix qu 'on lui p'Lepa'Le dans l'ombte Pout donne'L !'otdte qu 'on y tai!/e des massues ffou'L /ai'Le tombet des mains sales de lapidateu'Ls anogants !Des pienes dont nous batiMns Ia cite nouve!fe. CLestfeJlc;[!}V5tfell(; n 'est pas en /uite. !fl n 'est ent'Li dans le lou'l.d manteau de !'absence Que pout mieux domine'L Ia cite, monolithe de lumieu.

Ce 29 mars, des bombes exploserent ala capitale, a Thor, tuant 2 officiers, les lieutenants Frehel Andral Colon et Michel Conte. La police impliqua, assode a des compatriotes, un certain Themistocles Fuentes, de nationalite cubaine, ami de !'ex-president cubain Prio Socarras et du Dr Duvalier. La tete de Clement Barbot, zele partisan du candidat Duvalier, mise a prix, le porta a proferer des menaces de mort contre le general a l'entendement d'une proche de ce dernier, Mm• Fernande Ma­ diou. Le general Cantave, une des presumees victimes des bom­ bes, n'hesita pas a accuser le Dr Duvalier d'etre de connivence avec le Cubain, lors d'une rencontre fortuite avec ce dernier, ala residence d'un proche et ami commun, au No 76 de la rue La­ marre. Aux Cayes, ala nouvelle, le troubadour Robert Molin qui ne rata jamais !'occasion de se manifester, traduit, a nouveau, dans une chanson, ce drame qui endeuilla les families de militai­ res, sans oublier de pourfendre un candidat : ,. 5ltessie min bombe eclate

Li tue .2 ol/icie'LS

Presidence de Franck Sylvain 173 La Ville des Cayes: Politique I

Ca ,; komplo :ltanck Sylvain Jlk yon kandida medecinl JConplot pou tue 9Jejoie 5Moin ap kade ca yap /e ak ca 5f1essie, Loulou pa yon fi/ou Sil ptan Ia ba nou tou"

174 P~sidence de Franck Sylvain La Ville des Cayes: POIItlque I Gouvernement Collegial e 5 avril195 7, la police diffusa un communique interdisant toute manifestation politique sur la voie publique. La se­ ~maine fut consacree a une table ronde politique,tenue ala residence du senateur Marceau Desinor, ala rue Christophe et reunissant la majorite des leaders politiques.

Les Soubresauts Politiques Un gouvernement collegial "collegial croupion ", selon !'expression des adversaires de l'epoque, fut installe au palais na­ tional, le 6 avril1957,par suite d'un consensus entre les candi­ dats ala presidence Louis Dejoie, Franc;ois Duvalier, Daniel Fi­ gnole, Metrius Bonaventure, Auguste Fauche. Le candidat Cle­ ment Jumelle, faute de se presenter en personne ala reunion pour les raisons que l'on sut, n'eut point droit a des ministres au sein du Collegial. Ce gouvernement comprit, de prime abord, 13 se­ cretaires d'Etat et 2 sous-secretaires d'Etat: Weber Michaud aux Finances designe par Metrius Bonaventure. Stuart Cambronne, Georges Bretoux et Raoul Daguild, respectivement, a la Justice, a !'Education nationale et a !'Agriculture, designes par Louis Dejoie. - Antoine Pierre-Paul, Theodore Nicoleau, Vilfort Beauvoir, respectivement, a la Presidence, aux Travaux publics et aux Relations exterieures, designes par Franc;ois Duvalier. Leonce Bernard, Emmanuel Bruny, Seymour Lamothe, respectivement, a l'Interieur,a la Sante publique et au Travail, designes par Daniel Fignole. Ernest Danache a l'Economie nationale designe par le candidat Auguste Fauche. 11 devint titulaire du Commerce, faute par le candidat Alfred Viau de nommer un representant au Conseil. Ainsi, le nombre de minist~res fut ramene de 13 a 12.

Gouvemement Co/Mgia/ 175 .a Ville des Cayes: Politique I

Vilfort Beauvoir devint,egalement, le titulaire des Cultes, faute par le candidat Rene Salomon de nommer son representant au Conseil. Gregoire Eugene (Daniel Fignole) et Max Bolte (Louis Dejoie) furent designes respectivement comme sous-secretaires d'Etat a la Justice eta l'Interieur. Une personnalite cayenne, Raoul Daguilh, ancien delegue, mcien prefet sous des gouvernements passes, en etait devenu le ninistre de l'Agriculture. Le 7 avril 1957, un Cayen, M• Frahner Jean-Baptiste, ~x-censeur et professeur au Lycee Phillipe Guerrier, se porta can­ iidat au senat de la Republique, pour le departement du Sud. Le ;itoyen Franck Legendre, ancien co-directeur,du journal cayen ~ Vigie, se porta egalement, candidat au senat pour le Sud. Ce iernier candidat porta en lui une certaine vision de developpe­ ment, a en juger par ses idees de projet ( cacao pour la Grande ~nse, sel marin pour Aquin, pecheries pour les cotes sud-ouest). [1 milita pour un cartel de candidats independants qui penserent i'abord SUD. Sous le gouvernement de Duvalier, Franck Le­ gendre fut porte disparu. 11 ne regagna jamais la maison familiale. Le 8 avril1957, au niveau du marche central, Tone Olivier, dejoiste notoire, qui se relevait d'un accident de voiture sur la route de Simon, lanc;a le cri de Vive Dejoie a la barbe d'un soldat de l'armee, occasionnant un attroupement, en depit d'une inter­ diction par l'autorite militaire de manifestations sur la voie pu­ blique. Le brave soldat, pris au depourvu par une telle provoca­ tion, pour sauver la face, proceda a !'arrestation de Tone et le conduisit au poste de police, suivi d'une foule de partisans. Par­ venu au niveau de la pharmacie de Jean Delerme, ce dernier s'enquit aupres du prevenu du mobile de !'arrestation. Tone de devoiler sa version de !'arrestation. Jean Delerme, a son tour, de pousser le meme cri. 11 etait mis, sur le champ, en etat d'arrestation par le soldat qui, avant d'atteindre le bureau de po­ lice, avait a ses ordres plus d'une trentaine de personnes,criant leur attachement a un homme. Grand chahut devant le poste de police! Embarras du sergent de poste, en l'absence de l'officier de service. Le sous-lieutenant Nerva Augustin devait s'amener et

176 Gouvernement Collegial La Ville des Cayes: Politique I pointer son arme sur une foule dechainee. L'arrivee de Rene Con­ de et de Louis Dejoie fils devait calmer les esprits, de part et d'autre, les nombreux prevenus elargis. Ce gouvernement collegial ne fit que naviguer en zone de turbulence durant son regne ephemere. Deja, le 22 avril1957, le candidat Duvalier protesta contre les nominations et les transfe­ rements operes au niveau de certains ministeres, en particulier aux Finances, a }'Agriculture, a }'Education nationale. Une passe d'armes eut lieu, le 24 avril 1957, entre le ministre Antoine Pierre-Paul et le Conseil executif qui n'admit point, par une majo­ rite de 10 ministres contre 3, Ia nomination d'Edmond Pierre­ Paul, son fils comme commissaire du gouvernement de Port-au-Prince. Les ministres de Duvalier abandonnerent le Con­ seil. Les autres ministres relevant des autres candidats decide­ rent de repartir entre eux les portes-feuilles ministeriels vacants, ce qui attira les foudres du candidat Duvalier. II contesta Ia vali­ dite des actes poses par le Collegial et ne leur reconnut point le droit de nommer d'autres ministres ou de se substituer a ses mi­ nistres. Faute de compromis, le general Cantave reunit les princi­ paux candidats pour trouver une formule de gouvernement. La Cour de cassation consultee , dans sa majorite, se prononc;:a pour Ia Iegitimite du Collegial, a }'exception du juge Adrien Douyon. Une junte militaire, a Ia date du 26 avril1957, fut proposee avec le general Cantave comme president, assiste des colonels Haspil et Villedrouin. Louis Dejoie et Daniel Fignole ne se rallierent point acette formule. Le general Cantave n'apporta qu'un soutien mitige a cette formule de gouvernement collegial car pour lui et ses freres d'armes, Ia junte militaire etait Ia panacee. Le general fut perc;:u, a tort ou a raison, comme un sympathisant du candidat Jumelle. Selon le president SYLVAIN 1980, son candidat fut, de preference, Luc Fouche qu'il compta faire elire au second degre. D'ou Ia surprise du general Cantave, pretendit Franck Sylvain dans ses Memoires, a Ia dissolution du Parlement sous sa presi­ dence. Le general cultiva, pourtant, d'excellentes relations avec le senateur Dejoie et certains membres du parti dejoiste. Max Bol­ te, ex-gendre de Louis Dejoie, etait rec;:u quotidiennement, au pe­ tit dejeuner, ala table du general pour le cafe de I' ami tie. Le gene­ ral, dans sa zone d'origine a Hinche, posseda une petite unite de

Gouvemement Collegial 177 La Ville des Cayes: Politique I distillation de citron. Les huiles de limette etaient vendues a Eta­ gild. Louis Dejoie et le general Cantave furent de vieilles connais­ sances. L'epouse du general Cantave raconta avec emotion a l'auteur que Louis Dejoie fut un jour, a Hinche, leur hate inatten­ du. Elle se souvint que le s€mateur etait tout heureux de deguster la pintade aux noix preparee par Frania (madame Simplice), sa cuisiniere aussi bien qu'un dessert aux fruits confits (chadeque). Le general Cantave, a sa nomination comme commandant en chef de l'armee, deconseilla au senateur de poursuivre la cam­ pagne electorale car il n'avait aucune chance de gagner les elec­ tions presidentielles CANTAVE 1999. Alain Laraque, president de la Chambre de commerce, lan­ t,ta le mot d'ordre de greve qui paralysa le pays du 26 avril au 4 mai 195 7. Des villes de province, au cours des deux premieres se­ maines du mois de mai 1957, s'agiterent et reclamerent !'effacement du CoJJegial:successivement, Jeremie avec l'incendie de la ville, Borgne, Gonaives, Port Margot,Verrettes, Quartier Morin,etc. Les reformes administratives du Collegial ne plurent point au leader Duvalier. Aux Cayes,le journal LE REMPART 1957,dans un article, a la date du 28 avril195 7, invita l'armee a prendre ses responsabili­ tes eta s'emparer des renes du pouvoir. Ce qui fut interprete dans le monde dejoiste cayen comme une invitation a des elections of­ ficielles, sous l'egide de cette institution. Le Collegial se heurta, au fil des jours, a des embuches, dres­ sees sur sa route par le groupe duvalieriste. Le 30 avril195 7, jour de l'arrivee aux Cayes du senateur Louis Dejoie qui ret,tut un ac­ cueil delirant de la part de la population avec davantage de gens et de curieux, davantage de sympathisants, le candidat Clement Jumelle, empruntant un accent churchillien7, declara ala radio: "Nous nous battrons, s'ille faut, dans le Nord, dans le Sud. Nous nous battrons dans les mai­ sons, dans les corridors. Je briseroi mes adversai­ res comme j'ai eu a briser toutes les embuscades dressees contre moi".

7 "We shall fight on the beaches, we shall fight in the streets, we shall never surrender".

178 Gouvememenl Collegial La Ville des Cayes: Politique 1

Cette declaration de guerre projeta du leader une image de violent que le public pretait plut6t a son frere Ducasse Jumelle. Le tourbillon de violence devait emporter les freres Jumelle, sous le gouvernement de Duvalier: a l'origine de ce drame, une vieille, tenace et cordiale inimitie de ville de province entre Clement Ju­ melle et le chef de Ia police secrete, Clement Barbot. Les premiers jours du mois de mai 1957 furent avares en ac­ tivites sensationnelles dans Ia ville des Cayes. Les responsables du Parti dejoiste poursuivirent leurs activites sans relache. Le Collegial fr6la l' eclatement. Le mercredi 8 mai 195 7, le candidat Pierre Eustache Daniel Fignole realisa une visite-eclair dans Ia ville des Cayes. Sa visite avait pour unique objectif de retirer, du siege du Tribunal civil, 5 extraits de sa declaration de candida­ ture a Ia presidence, faite le 18 mars 1957. Apres un aparte avec le Reverend Pasteur Lizaire, il repartit vers Ia capitale. En ce jour du 8 mai 1957, le gouvernement proceda a des changements a Ia Commission communale des Cayes avec Ia nomination des ci­ toyens Emile Staco, Ciceron Cassion, Armand Policard, a titre, respectivement, de magistral et assesseurs. Le 9 mai 195 7, Duva­ lier confirma son retrait du Collegial et invita ses ministres a ne plus participer aux reunions de ce gouvernement. Le 12 mai1957, le docteur Felix Buteau, duvalieriste de Ia premiere heure, distribua,dans !'indifference quasi-generale de Ia population, aux partisans et amis du parti, une brochurette ou etait consigne un texte de disc ours du leader Franc;ois Duvalier. Ce 12 mai 1957, LEREMPART 1957 s'attaqua aRene Conde et Jean Rene Conde accuses d'avoir bouscule, a Torbeck, Amedee Eliacin: A Torbeck, Mr Amedee Eliacin a ete ]'objet de voies de fait par Rene Conde. Le juge Emmanuel Argant, appele pour verbaliser, Jut rudement se­ coue par jean Conde. La victime resta de 1 ohres a 1 hre sans connaissances, sans ]'usage deJa pa­ role. Des avocats se sont constitues pour monsieur Eliacin. Le public, en dehors de toute partisan­ nerie, a, severement, juge le comportement peu recommandable que rien d'ailleurs ne necessitait de messieurs Rene et jean Conde.

Gouvernement Collegial 179 La Ville des Cayes: Politique I

Affaire classee. Le souffle etait retombe. L'informateur du journal, d'apres des temoins dignes de foi, omit d'indiquer le geste tout a fait inqualifiable d'Eliacin: celui d'avoir bouscule une dame, dans son droit de distribuer des photos du candidat de son choix, en !'occurrence, Louis Dejoie.

Le Leader Fignole aux Cayes Le 13 mai 195 7, a cinq jours de sa derniere visite, retour aux Cayes du leader du MOP. Au reporter du journal LA GARDE 1957 qui pressura Daniel Fignole de preciser sa position a l'egard du Collegial, il promit de soutenir le gouvernement et de ne pas devier de son accord avec Louis Dejoie. Dans l'apres-midi, tenue d'un meeting devant Ia residence du Pasteur Lizaire, a !'avenue des Gabions, presqu'en face de Ia salle de Cine St Louis. Ayant porte le Collegial sur les fonds baptismaux avec le senateur Dejoie, il fut entendu entre les leaders dejoistes que le candidat Fignole meritait un accueil plus que chaleureux, surtout ace mo­ ment fragile de Ia vie du Collegial, avec les manifestations an­ ti-collegiales. Les cireurs de bottes et debardeurs, les plus turbu­ lents des militants du rouleau, etaient pries de garder le profil bas. Une assistance nombreuse repondit a l'appel du leader du MOP. La police ne rata point, ce rendez-vous, vigilante. Le profes­ seur, d'entree de jeu, monopolisa le micro. Les premieres minu­ tes du meeting virent defiler le programme social du candidat. La foule ecouta dans un silence poli et impatient (attendant Ia note discordante). Puis, le professeur succomba, comme toujours, au culte de Ia personnalite et offrit a !'assistance Ia lithanie de ses qualificatifs politiques: democrate par principe, democrate consequent, democrate convaincu,leader lucide. Avec Ia finesse qu'on lui connaissait, le candidat Daniel Fignole cibla, avec ele­ gance, le senateur Dejoie: "Ce matin , en revenant de Camp-Perrin, je me suis arrete a Laborde. Les paysans sont accourus, nombreux, pour me voir et reclamer ecoles, dis­ pensaires, hOpitaux. Et dire que je n 'ai pas ete se­ nateur du Sud pendant dix ans! Et dire que je n 'ai pas ete senateur du Sud pendant dix ans".

180 Gouvemement Collegial La Ville des Cayes: Politique I A ce moment, une boule de deception monta de la foule. Des cris de protestation fuserent et bien tot un vacarme couvrit la voix du candidat Fignole. Les premieres pierres giclerent sur la voiture du leader. Le leader Fignole, l'idole des foules de carre­ four Brea, de La Saline, etc. avait, vite, compris que sa place etait ailleurs et avec une agilite qu'on ne lui connut point, s'engouffra dans sa voiture, toute proche. II quitta, precipitamment, la ville des Cayes et datura sa derniere visite de candidat a la presi­ dence. Intervention de la police et ordre ala foule de se disperser. Dans la soiree, le lendemain et le surlendemain, on se repeta les merveilleuses et originales trouvailles du professeur, on narra sa mesaventure. Daniel Fignole, apres Louis Dejoie, fut le candidat qui fascina le plus les cayens. La semaine precedant la fete du drapeau, la ville vecut une atmosphere d'inquietude a cause des evenements (barricades) enregistres dans certaines villes du pays. La fete du drapeau, en ce 18 Mai 1957, contrairement a la capitale, se deroula,aux Cayes, sans eclat particulier. Dans la journee, les dejoistes ecou­ terent, l'oreille collee a un poste de radio, l'adresse du candidat Louis Dejoie ala jeunesse du pays. Le 19 mai1957, a St Marc, les partisans de Franc;ois Duvalier avec, a leur tete, Andre Marc-Charles, protesterent, reclamant le depart du "colle­ gial-croupion ". Le commandant du district militaire de St Marc dissuada le general Cantave, accompagne de deux secretaires d'Etat et escorte, seulement, du lieutenant Lyonel Honorat, d'un sergent-major et de deux caporaux, d'entrer dans cette ville face a une multitude armee de machettes. Les Cayens s'interrogerent sur le comportement des membres de l'armee impuissante face aux emeutiers de St Marc. L'armee n'avait pas encore reagi quand intervint la revocation du general Cantave.

La Revocation du General Cantave: son dernier combat Le ZO mai 1957, les dejoistes cayens ecouterent, avec sur­ prise, un des leurs, M• Raoul Daguilh, ministre de !'Agriculture du Collegial, donner lecture a la radio, d'une voix grave, trem­ blante d'emotions, du texte de revocation du general Cantave. Des civils pouvaient-ils revoquer un general d'armee? Le 21 mai 1957, un communique de l'etat-major de l'armee declara nulle et

181 ·- '· La Ville des Cayes: Politique I non avenue la revocation du general Cantave. La guerre civile se profila a !'horizon. La greve generale se poursuivit. Le 25 mai 1957 au matin, ala radio, Ia population ecouta, muette d'etonnement, les appels des chefs de differentes factions de l'armee. Ce jour-la, le calme plana sur la ville, mais la capitale vecut une journee dramatique. Un fils des Cayes, le lieutenant Donatien Dennery perdit la vie.

182 Gouvemement Collegial La Ville des Cayes: Politique I Presidence de Pierre Eostache Daniel Fignole

e dimanche 26 mai 1957, le citoyen Pierre Eustache Daniel Fignole preta serment comme president de la Republique ~a pres entente entre les candidats Clement Jumelle et Fran­ c;ois Duvalier:

La Declaration des Candidats Duvalier et Jumelle Nous, soussignes Candidats a la Presidence de la Republique, en presence de la crise exceptionnelle que traverse notre pays, crise qui le menace dans son unite morale, dans son integrite territoriale aussi bien que dans ]'unite de notre armee. Avons decide, dans ]'interet superieur de la patrie, en presence des manifestations non equivoques du peuple et de notre armee, de confier provisoire­ ment la Presidence de la Republique au Profes­ seur Daniel FIGNOLE, en attendant que par des mesures appropriees, il puisse ramener l'ordre et la paix necessaires au retablissement de nos insti­ tutions democratiques et a ]'organisation le plus t6t possible d'elections libres, honnetes et loyales.

Port au Prince, le 2 5 mai 195 7 Clement JUMELLE Leader Politique

Fran~ois DUVALIER Leader Politique Douche froide dans la ville des Cayes pour les partisans de Louis Dejoie. On ne s'expliqua pas la volte-face du pr Pierre Ens­ tache Daniel Fignole. Mais on predisait - les Cassandra ne man­ querent point- que ce gouvernement, a l'instar du Collegial et des precedents gouvernements, serait ephemera. En cette matinee du 26 mai 1957, un petit avian de l'armee survola la ville des Cayes aux rues desertes et atterrit a Laborde

Presidence de Pierre Eusrache Daniel Fignole 183 La Ville des Cayes: Politique I

vers les 10 h•••, embarquant a son bord le colonel Antonio Th. Ke­ breau, nomme la nuit precedente chef d'etat-major de l'armee, au titre de general, a la demande du bureau politique de Fran<_;:ois Duvalier. Au moment de quitter sa residence, a !'avenue des Ga­ bions, un "manman Joko", en bandouliere, le colonel Kebreau confia a son ami Auguste Ti Gus Banatte, rencontre, fortuite­ ment, ce matin-la, et qui marqua son etonnement de voir "Malbo­ rough" partir en guerre, qu'il etait pret a mourir, mais non sans avoir fait mouche sur ses adversaires, a son arrivee a l'aeroport, a la capitale. Aucun accrochage. II etait procede a son installation dans l'apres-midi du jour. Comment devint-on chef de l'armee d'Ha:iti en 1957?

Dessous d'une Rupture entre Louis Dejoie et Daniel Fignole Dans la nuit du 25 au 26 mai 1957, le bureau politique de Fran<_;:ois Duvalier fit parvenir une missive au president Daniel Fignole par l'intermediaire d'Emile St Lot. Le nom du colonel Antonio Th. Kebreau etait propose, en lieu et place, du general Leon Cantave. Selon la vision des membres du bureau politique de Duvalier, le general Cantave, acteur principal dans les evene­ ments malheureux ayant conduit a l'eclatement de l'armee, n'avait plus sa place ala tete de !'institution militaire. Le presi­ dent Fignole retourna la missive et suggera d'omettre le nom du colonel Kebreau, tout en donnant la garantie au docteur Duvalier que le principe de sa nomination etait, d'ores et deja, acquis. Le president Fignole, en exil, revela a un journaliste CLITANDRE 1986, que, lors d'une de ses visites aux casernes des Cayes en 195 7, il nota, lors d'un entretien avec les responsables du depar­ tement militaire du Sud, une certaine hostilite, a son egard, de la part de son futur chef d'etat-major et tombeur qui trouva sa pre­ sence genante dans la ville. Pourtant, Daniel Fignole crut trouver, en la personne du colonel, un bon allie vu sa profonde amitie avec son cousin le Chanoine Kebreau. Revenons au 23 mai 1957, aux raisons de la rupture entre le professeur Fignole et le Collegial. Thomas Desulme, duvalieriste notoire, pressa Fran<_;:ois Duvalier dele rencontrer a son domicile. Accompagne de conseillers proches dont Jean David, Roger Dor­ sinville, Leon Bordes, Edmond Sylvain, Fran<;ois Duvalier se re­ trouva, chez Desulme, en compagnie d'un autre membre de son

184 Presidence de Pierre Eustache Daniel Fignole La Ville des Cayes: Politique I bureau politique qui les avait precedes et d'Adelphin Telson, in­ time du candidat Clement Jumelle et du general Leon Cantave. Apres les gestes de bienvenue,Thomas Desulme invita, de suite, ses hates dans une chambre du rez-de-chaussee, a l'abri d'oreilles indiscretes. Thomas Desulme sortit de sa poche un acte notarie (authentique selon un conseiller) relatif ala recente acquisition d'une maison situee dans la zone du Christ-Roi (rue Guilbaud), non loin de l'ancien local de la cremerie Pere Picot. Cette acquisi­ tion etait faite au nom du colonel Pierre Vertus,lors commandant des casernes Dessalines. La maison valait, a l'epoque, 8 000 dol­ lars. Max Bolte, du bureau politique de Louis Dejoie, sous-secre­ taire d'Etat de l'Interieur du gouvernement collegial, s'en etait porte acquereur pour le colonel Vertus et avait verse la valeur.

Le candidat Fran~ois Duvalier et les membres de son bu­ reau politique resterent bouche bee. "Un acte authentique", pre­ cisa Desulme. Les conseillers presserent Duvalier de donner son avis, car pour eux, la bataille etait perdue. Certains n'hesiterent pas a proposer au leader de se retirer de la course et de placer sur orbite quelqu'un de son choix, membre de son cabinet. Silence tres lourd. Soudain, un conseiller eut une idee lumineuse. Pour­ quai ne pas faire appel a trois officiers jumellistes et trois officiers duvalieristes affectes, respectivement, ala police et aux casernes Dessalines, de concert avec l'officier Pierre Merceron du Grand­ Quartier general, pour porter ces unites a soutenir le general Can­ tave dans une initiative a reprendre la direction des casernes Des­ salines? Carle general, suite a une altercation violente avec le co­ lonel Pierre Vertus, son protege de toujours, decida d'abandon­ ner l'uniforme et de rentrer a jamais chez lui, vaincu, apres une halte (incognito) ala residence de Raymond Jolicoeur au vint le chercher le colonel Max Duthiers, informe de sa presence en ce lieu par Mm• Cantave. Le docteur Duvalier, document en mains, alerta, une de­ mi-heure plus tard, le candidat Fignole sur la situation. La deci­ sion de Daniel Fignole fut prise de tourner dos au Collegial. Ceci expliqua l'inutilite de la demarche du ministre Max Bolte au do­ micile du candidat Fignole, en ce matin du 25 mai 1957, pour le porter a renouveler sa confiance au Collegial et a desavouer lege­ neral Cantave.

Presidence de Pierre Eustache Daniel FiRnole 185 La Ville des Cayes: Politique I Parallelement a l'action du docteur Duvalier. accompagne d'Adelphin Telson, un de ses conseillers, flanque de Leon Bor­ des, s'etait, immediatement, rendu, apres la reunion avec Desul­ me, a la residence du general Cantave, a Pacot. Le general. por­ tant le pantalon kaki de l'uniforme, une chemisette de sport, vert-olive delavee, etait affale dans un fauteuil, visiblement de­ prime, les mains sous la nuque, sous le coup d'une forte fievre pa­ ludeenne. La proposition de s'appuyer sur les unites relevant des officiers jumellistes et duvalieristes (noms a l'appui) lui fut, rapi­ dement, exposee. Le general, immediatement, se mit debout, ra­ gaillardi, au grand etonnement des visiteurs et declara : "avec tou sa, m' pral mete kanno sou .vo". II precisa, ensuite, que l' execu­ tion de son plan, pour meriter le plein succes, necessitait Ia mise a sa disposition d'une valeur de 255 000 gourdes pour verser les salaires des militaires, somme dont il ne disposait pas a cause de la greve du commerce et des services publics qui perdurait. Deux grands noms du monde commercial de la capitale, sympathisants du docteur Duvalier, immediatement, contactes, objecterent qu'ils ne disposaient pas de cette valeur apres les 8 journees de greve. La valeur fut trouvee et remise par un commerc;ant sy­ ro-libanais (M.A)et non par Clemart Charles comme la rumeur le fit accroire a l'epoque, en contre-partie des cheques de l'armee, encore detenus par le quartier-maitre de }'institution militaire avec la fermeture des banques. Une heure plus tard, des officiers jumellistes et duvalieris­ tes dont certains eurent pour mission de contacter l'officier Pierre Merceron au Grand-Quartier general, se rendirent chez le general Cantave pour un serment d'allegeance. Tot dans l'apres-midi, un cortege de 8 voitures accompagna le general Cantave pour s'assurer du commandement des casernes Dessali­ nes. Plus tard, Franc;ois Duvalier et les membres de son bureau politique rendirent visite au general Cantave. A leur depart, l'un d'eux eut un aparte avec le colonel Vertus qui lui annonc;a une surprise, reservee aux politiciens, des le lendemain. C'etait reve­ ler le plan adverse sur lequel s'appuya le colonel Pierre Armand pour accepter le commandement de l'armee avec le depart, crut-il, definitif des casernes Dessalines du general Cantave. Ala reunion des casernes Dessalines, le 25 mai 1957, il fut facile de convaincre Daniel Fignole de la trahison des dejoistes et de le

18& Presidence de Pierre Eustache Daniel fignole La Ville des Cayes: Politique I porter a occuper le fauteuil presidentiel. Le colonel Vertus, por­ teur d'une note de reddition aux rebelles (fa~on de l'eloigner) eut Ia desagreable surprise,a son retour de !'aviation, de se voir cla­ quer au nez Ia porte d'entree des casernes Dessalines ARMAND 1987. A environ un mois des evimements du 25 mai 1957, les ru­ meurs allerent bon train relatives a une transaction financiere avec l'armee. II se murmurait que le senateur Louis Dejoie s'opposa a une negociation entamee entre des hommes d'affaires dejoistes et le general Cantave. II s'agit d'une valeur de .... dollars a verser a l'armee pour laisser Ia voie libre a des elections honne­ tes qui favoriseraient le groupe dejoiste. Louis Dejoie, interroge, a ce sujet, par un proche de !'auteur, apparemment, donna corps aux rumeurs en repondant a son interlocuteur que le general Cantave ne valait pas cette somme. Le 2 aout 1999, !'auteur apprit, d'une source independante, homme d'affaires, historien, Ia version qui conferta (avec des nuances) Ia rumeur d'un montant exige par l'armee. En visite chez Adelphin Telson, son ami de longue date, il y rencontra le docteur Athemas Bellerive. S'amena le general Cantave qui, a sa vue, se plaignit du comportement incomprehensible des dejois­ tes. En presence de l'intrus, le general se tint coi. Adelphin Tel­ son le rassura et l'invita a se confier en presence du visiteur. Le general revela qu'il revenait d'un important entretien avec le se­ nateur Louis Dejoie. II informa le senateur Dejoie que les rapports de l'armee, atravers toutes les localites de la Republique, le credi­ taient comme l'unique vainqueur des urnes, pour le moment. Mais, ajouta-t-il, l'armee avait ses conditions : il fallait aider cer­ tains membres de cette institution, en difficulte. Le montant ... etait indique. La reponse de Dejoie etait claire: il n'etait pas ques­ tion de donner son argent a des militaires. Lui et le general se quitterent sur ce refus. Madame Leon Cantave, acette version des faits, declara a l'auteur que son mari n'etait point un homme d'argent et pour preuve de raconter I' affaire juteuse du Casino in­ ternational, proposee par des freres d'armes et qu'il dedaigna. Aussitot investi, le president Fignole adressa son premier message a la nation. Le discours transpirait un sentiment de grande satisfaction personnelle du leader qui se crut investi

Presidence de Pierre Eustache Daniel FiRnole 187 La Ville des Cayes: Politique I d'une mission historique et redemptrice, sans se rendre compte qu'il n'avait pas la situation politique en mains. Sa forte populari­ te, a la capitale, ne fit point le poids face a des mitrailleuses. Le ton etait au persiflage. LePere Ludovic Brierre, Cure de Cavail­ lon, en reponse au discours du president Fignole, dans une lettre ouverte, lui rappela que le chef d'un Etat responsable se distin­ guait de ses concitoyens par son sens de la charite, du service, etc. Le president Fignole rec;ut !'investiture le 26 mai 1957. Des jours plus tard, le 12 juin 1957, lors d'une rencontre fortuite avec un conseiller de Franc;ois Duvalier, le general Kebreau lui souffla a l'oreille l'urgence de rediger le texte du discours justifiant le coup d'Etat qui emporta le professeur Fignole. Le document de reforme de l'armee, transmis au general Kebreau par le sous-secretaire d'Etat Gregoire Eugene, d'ordre du president Da­ niel Fignole, mit fin ala lune de miel avec l'armee. Aux Cayes, le regime du professeur Fignole se lanc;a dans une reforme de !'Administration publique oil trouverent place, uniquement, les duvalieristes, les jumellistes et les fignolistes. On n'avait, par contre, observe aucun acte de provocation a l'encontre des dejoistes. M• Leonce Bernard conserva son poste de ministre de l'Interieur qu'il occupa deja sous le Collegial. Les dejoistes, un moment deboussoles par la volte-face du profes­ seur, genes par la loi martiale, se remirent aux activites de la campagne electorale, decides a ne point perdre du terrain. Le 13 juin 1957, Albert Georges, dejoiste bien connu, etait arrete a Simon, a quelques kms de la ville des Cayes. Il fut detenu a l'avant-poste de police durant deux heures avant d'etre conduit en prison en ville. Le motif: il aurait repondu a un ami curieux de la date de son mariage qu'il ne se marierait que lorsque Louis Dejoie serait president. Comparution devant le major Mangones entoure de deux officiers. Il repeta ses propos. II fut conduit de­ vant le prefet Nerva Larrieux qui se contenta de quelques conseils assaisonnes d'une severe mise en garde. Il recouvra sa li­ berte. Cet incident donna lieu a des attroupements aux differents carrefours de la ville et a des visites de sympathie aux parents, particulierement, a son frere Jean Georges, un grand militant de­ joiste.

188 Presidence de Pierre Eustache Daniel Fignole La Ville des Cayes: Politique I

Presidence de Pierre Eustache Daniel Fignole 189

La Ville des Cayes: Politique I Conseil Militaire de Gouvernement

e 14 juin 1957, Ia ville apprit. par Ia radio gouvernemen­ tale, que le professeur Fignole venait d'etre victime d'un -~coup d'etat. Stupefaction des cayens! Le Conseil militaire de gouvernement (CMG) confisqua le pouvoir, comblant le reve longtemps caresse par le general Kebreau. Le professeur fut, cette nuit-la, conduit a Ia Minoterie d'Haiti (Ciment d'Hai"ti, disait-il) et garde en otage sur un bateau des gardes-cotes avant d'etre embar­ que avec son epouse vers le MoleSt Nicolas et vers l'etranger. Le transit au Ciment d'Haiti accorda le temps aux autorites de ra­ masser, a Ia Banque nationale, les 10 000 dollars de viatique. Le professeur ne s'etait point departi, durant cette nuit, malgre ses deboires, du ton theatral qu'on lui connaissait. Des annees plus tard, le general Kebreau, ambassadeur d'HaHi a Rome, confia a un ami que le professeur, voyant, cette nuit-la, sa femme en lar­ mes, lui declara tout de go:" Carmen! Les souverains ne pleurent pas!" La page Fignole etait tournee dans l'histoire de ce pays, mais rouge du sang de ses partisans dont beaucoup devinrent or­ phelins du jour au lendemain. Le general Antonio Th. Kebreau devint Ia cible des facetieux, a Ia capitale, qui, depuis, le denom­ merent, le general Antonio Thompson Kebreau.

La Politique sous le CMG Le 26 juin 195 7, Ia nouvelle tomba que des proches du sena­ teur, les citoyens Max Bolte, Amerlin Conde, Amedee Bouche­ reau etaient arretes a Ia capitale pour activites subversives. Deja, le general Kebreau envoyait des signaux clairs au groupe dejoiste auquel on reprocha d'avoir monte le coup du 25 mai 1957. Mo­ risseau Leroy, dans un article "Voir Clair" attribua a Louis Dejoie Ia paternite des evenements du 25 mai 1957. Amerlin Conde et Amedee Bouchereau furent relaxes quelques jours plus tard, mais Max Bolte etait garde en prison et son evasion n'eut lieu, de l'hopital au il etait soigne, que des mois plus tard, sous Duvalier. Le colonel Rene Sajous, assiste d'un sergent, d'ordre superieur, fut charge du plan d'evasion du prisonnier. Ce fut toute une odyssee. Alerte et fausse alerte, fuite simulee puis fuite reelle et definitive a !'entree au ala sortie de Ia salle de bain du prisonnier.

Conseil Militaire de Gouvernement 191 La Ville des Cayes: Politique I

Raoul Daguilh, fin juin 1957, fut arrete et connut de longs mois de prison. Le 2 juillet 1957, !'ex-president Daniel Fignole, de son lieu d'exil, fit parvenir un cable au directeur du journal Indepen­ dance, Georges Petit. L'ex-president se plaignit de !'attitude in­ qualifiable du consul hai:tien a New York, qui voulut le delester de son passeport.

Militantisme: les Galeries Dans Ia ville des Cayes, les rares activites de la campagne electorale epouserent le rythme des evenements de la capitale. On abandonna le terrain des meetings pour adopter d'autres for­ mules de militantisme pouvant echapper aux interventions de la police. Le samedi soir, les salles des clubs populaires firent le plein de fanatiques. Tropicana Night-Club de Fritz Samuel ne chama pas en semaine. Taus les dimanches, a Marabout, Antho­ ny Blaise et Gerard Olivier organiserent un festival de musique. Ce furent des occasions de rassemblement pour les Cayens qui s'egayerent aux sons de la musique electorale de Dejoie. Des in­ vites de marque dont le docteur Louis Laurent de Jeremie, de pas­ sage, harenguerent les invites. A la campagne, les leaders des communes lancerent des invitations aux "barbacos", surtout le dimanche. Meme les ceremonies de funerailles des parents ou d'amis des partisans furent des occasions offertes a chacun pour manifester sa solidarite. Une forme originale de lutte politique naquit avec !'exploitation des galeries et des cours interieures des maisons, devenues des espaces de dialogue et de militantisme. La galerie (ou cour) devint un espace de rencontre, privilegie dans les villas de province et davantage utilise par les partisans des deux sexes des candidats a la presidence, surtout dejoistes, pour contrecar­ rer !'interdiction de l'armee de manifester dans les rues. La pre­ sence aux galeries se renforc;a lors des championnats de foot-ball (galerie Hugues Verret,dit GOgO, president du Victory Club) et lors des campagnes electorates. Paradoxalement,ces galeries ne pratiquerent nullement !'exclusion. Amis et partisans de candi­ dats non dejoistes y furent admis a cause des liens privilegies avec un ami ou avec le proprietaire de ceans. Les objectifs couvri-

192 Conseil Militaire de Gouvernement La Ville des Cayes: Politique I rent non seulement le choix d'un espace de militantisme, mais surtout le besoin de se retrouver ensemble et de magnifier quali­ tes et projets d'un leader mais encore de conforter cette solidarite cayenne. L'appartenance a une galerie ou a une cour (espace de convivialite) confera des droits et des devoirs. Le familier d'une galerie eut droit a un siege de la maison ou a celui emprunte dans le voisinage immediat. Il eut droit ala tasse de cafe, aux boissons, mais aussi aux produits tels fresco, pain-patate,etc. Il avait a sa disposition de jeunes messagers contre redevances. On ne man­ qua pas aux devoirs: la fidelite a la galerie et aux amis de meme chapelle politique, !'obligation de partager (si on avait les moyens) les frais encourus par la galerie, de defendre les mem­ bres contre toutes formes d'agression. Au nombre de ces galeries ou cours, mentionnons: La galerie Ida Volne qui reunit un nombre relativement im­ pressionnant de partisans dejoistes, surtout la clientele des clubs fuvenia etAreyto et du club de foot-ball Arroyo. Vu l'activite com­ merciale de la proprietaire du lieu (debit AK-100, phoscao, bois­ sons diverses, sandwichs,etc), cette maison accueillit, du fait meme, une clientele de toutes conditions sociales. S'y firent re­ marquer: Varnel Fran<;ois, Willy Scutt, Manes Farell, les freres Olivier, Jean Rene Conde, Jean Neptune, Jean Ledan, Carlo Car­ doso, Varnel Douyon, Milou Jannini, Jacques Leger, Jean Nep­ tune, Maurice Jolivert, Edouard Issa, Jean et Albert Georges, Hen­ ry Hall, les freres Barrateau,etc. Des amis, Gerard Valere et Anthony Lundy, appartenant a d'autres chapelles politiques, fu­ rent admis au sein de cette galerie, surtout aux seances fort tardi­ ves de la soiree. Ils furent insensibles aux taquineries des amis dejoistes. Herve Blanchet frequenta toutes les galeries et fut re<;u partout alors qu'on lui preta des sympathies jumellistes. Ida Vol­ ne, celibataire, fut, un soir, au depart des habitues de la galerie, agressee par un dentiste, devenu, plus tard, senateur du departe­ ment du Sud. La galerie Raphael St-Martin, coordonnier de profession, accueillit beaucoup de ses amis( Lucien Julien, Eustave Latour, Raguel Charles), passionnes du jeu de domino, a la deuxieme grand-rue. Les habitues etaient de vrais militants, se souciant

Conseil Militaire de Gouvernement 193 La Ville des Cayes: Politique I toujours des dejoistes en difficulte, en ville au ala campagne. Ces membres avaient une fois, monte une expedition punitive contre le juge du Tribunal de paix de Maniche qui s'etait montre partial. crurent-ils, a l'endroit d'un dejoiste de la localite. La galerie Rene Conde etait la galerie par excellence des femmes dejoistes. Des partisans ( Milou Jannini, Daniel Jacques, Edmond Duperval )se firent remarquer, surtout le soir, pour in­ former de leurs activites et aussi pour s'informer de la situation politique. Louis P. Theard, directeur du journal LA GARDE, s'y arreta, regulierement, taus les jours, pour s'informer de la situa­ tion politique en ville au ala capitale; souvent, pour satisfaire sa curiosite de journaliste, il se fit renseigner sur les folles rumeurs qui couraient les rues. On y voyait Mm•• Nini Scutt, Claire Pi~rre, Germaine Lamarre, Rene Limousin, Nativita Latour, Gisele Gil­ les, Rolande Neptune, Denise Bateau, Emmy et Renee Barrateau, Rene Jean Pierre, etc. La galerie de la Blanchisserie du docteur Edmond Labos­ siere reunissait taus ses amis de La Glaciere et se trouvait a quel­ ques 25 metres de la galerie d'lda Volne, ala premiere grand-rue. S'y reunissaient Chevalier Daguilh, Joseph Saliba, Pierre Saliba, Edmond Pierre, Jean Georges, Herve Blanchet, Eugene Medard, Rigaud Martelly, Toto David, etc. La Glaciere, en debut de campagne et dans sa tradition de bar democratique et convivial, reunissait des personnalites cayennes, de toutes tendances politiques. Les familiers se reunis­ saient de midi a trois heures de l'apres-midi, pour un aperitif et dans la soiree de 6 hres a 11 heures. Le pas-de-porte du bar, balaye par la brise marine, etait privilegie par les familiers tot dans la soiree. Sous un appentis a l'interieur, se cOtoyerent des duvalie­ ristes (docteur Antonio Larrieux, Marcel Lubin, Ernst Rousseau, Tanton Ledan, Eric Simon, Rene Limousin, Franck Leger,etc) des dejoistes ( docteur Edmond Labossiere, Raoul Timmer, Lelia La­ rosiliere, Ovide Bertrand, Joseph et Pierre Saliba, Jean Georges, Daniel Leon, Ernest Joseph,etc.), des jumellistes ( Philippe et Maurice Jocelyn, Edouard Hall. Robert Abdo, Eugene Medard dit Major, Marc Staco, Raymond Hyppolyte, Guy Partes, Milien Con­ de,etc.). En fin de campagne electorale, le bar allait connaitre une scission.

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Lacour de Mm• Lesage Roland "Salon de Coiffure" accueil­ lit, dans l'apres-midi, selon les heures, beaucoup de Cayens au­ tour d'une table de jeu de cartes ou se cotoyerent Philippe Joce­ lyn, Edmond Daguillard, Amerlin Conde, Rene Conde, Octave et Raymond Hypppolyte, Raoul Timmer, Joseph Moise, Leon Lu­ bin, Daniel Anglade, Pierre Saliba, Loulou Dejoie,etc. Au mo­ ment de la scission a la Glaciere - suite a une vive altercation entre Joseph Saliba et le groupe jumelliste- entre les "forces du bien" et les ''forces du mal", ceux-la qui appartinrent au premier groupe s'etaient diriges vers cette galerie et les membres du se­ cond groupe ou "forces du mal" etaient restes ala Glaciere. Ci­ tons au nombre de ces derniers : Robert Abdo, Edmond Pierre, Philippe Jocelyn, Edouard Hall, Milou Conde, Eugene Medard, etc. ABDO 1999. La galerie du docteur "Felix Buteau", du groupe duvalie­ riste, reunit les partisans du leader Frall(;:ois Duvalier. Leur nombre fut peu eleve. S'y retrouverent le maitre de ceans, les ci­ toyens Marcel Lubin, Duresnel Delpeche, Alex Simon, Max Si­ mon, Einard Ligonde, Joseph Simon, etc. La galerie de Charles Bourjolly reunit des Cayens de toutes categories sociales et de taus partis politiques. A cet angle de rues ( Ms• Morice et Nicolas Geffrard) fort frequente, on retrouva Phi­ lippe Jocelyn, Eberle Anglade, Tipine Barrateau, Theodore Jean Claude, Herve Blanchet, Auguste Banatte, Eugene Medard, Ovide Bertrand, docteur Antonio Larrieux, Leon St Remy, Jou­ bert Civil, Yves Barrateau, Luc Bauduy, etc. A l'instar de Ia Gla­ ciere, ce fut un espace de convivialite. Parvenu au pouvoir, le premier acte du president Duvalier et des militaires fut de casser la structure des galeries dejoistes. En le faisant, ils allaient casser la vie sociale dans la ville des Cayes parce que les galeries servirent, en dehors de la politique, avant tout a renforcer les liens de solidarite. D'autres galeries, dans la ville, comme celles de Maceo Denis et d'Anglade Eveil­ lard echapperent aux tracasseries de l'armee. Le lieutenant Luc Chassagne fut, le premier, a etre charge de cette delicate besogne. Ille fit sans violence aucune.

Conseil Militaire de Gouvernement 195 La Ville des Cayes: Politique I

La Militarisation de l'Etat et Cours Martiales Le CMG consolida son pouvoir, avec en prime, une recon­ naissance diplomatique des gouvernements etrangers, en parti­ culier, ceux del'Amerique La tine, coutumiers des coups d'Etat. L'armee d'Hai:ti,brusquement, se decouvrit, avec le general Kebreau et ses conseillers, une vocation developpementiste. Une cascade de nominations pla«;a des militaires a Ia tete des organis­ mes publics ala capitale. Le major Robert Bazile etait nomme ala direction de la Loterie de l'Etat Hai'tien. Au capitaine Roger Tri­ bie, le CMG confia la direction de La Regie du Tabac. Le major Max Laurenceau se retrouva ala tete des Douanes. L'arrivee de ces militaires a ces postes de gestion charria une pleiade de leurs amis et sympathisants au pouvoir et des duvalieristes. Le CMG mena contre le Parti dejoiste une guerre en dentel­ les. D'abord aux officiers dejoistes ou reputes tels selon qu'ils toucherent de pres ou de loin, ace parti, par leur militantisme ou la coloration epidermique. Des arrestations, suivies de Cours martiales, n'epargnerent ni officiers actifs, ni les reformes ou re­ traites et ceci durant tout l'ete. Les interpellations de candidats devinrent monnaie courante. La ville des Cayes observa une treve politique d'une longue semaine, par suite de l'annonce par l'Eveque des Cayes, Ms• Colli­ gnon, de la ceremonie religieuse, prevue le 7 juillet 1957, ala ca­ pitale. Plusieurs compatriotes, des anciens de Mazenod dont de futurs eveques, re«;urent le Sous-Diaconat. Aussi, la ville, toute occupee a des prieres, connut moins d'agitation. Le 9 juillet 1957, le CMG annon«;a la decouverte d'un com­ plot, grace a la diligence des limiers de la police. Les responsa­ bles de ce service ciblerent le colonel Pierre Haspil comme etant l'ame de ce complot. La police l' accusa d'etre de collusion avec un citoyen espagnol residant a Mexico, Alberto Baya Giron et egalement un citoyen americain James Barton Underwood. Le premier pretendit etre un emissaire de I'ex-president cubain Prio Socarras, en exil a Miami. II avail pour mission premiere de ren­ contrer le docteur Fran«;ois Duvalier. Paradoxalement, le coup d'Etat devait etre realise avec l'aide d'anciens officiers dejoistes. Finalement, le general Kebreau, lui-meme, dut admettre, avec les

196 Conseil Militaire de Couvernement La Ville des Cayes: Politique I journalistes, avoir affaire a des aventuriers ou "maitres d'armes" selon son expression lors de sa conference de presse LE NOUVELLISTE 1957. Malgre tout,le colonel Haspil connut neuf longs mois d'incarceration. Libere par Duvalier le meme jour que le colonel Villedrouin, suite aux demarches du general Maurice Flambert, il gagna l'etranger sur les conseils de sa mere et eut un sort mains tragique que son compagnon de captivite le colonel Roger Villedrouin qui regagna sa ville natale, voulant assister, af­ fectueusement, sa mere coulant ses vieux jours a Jeremie. Lie a cette affaire Haspil, toujours au mois de juillet 1957, six anciens officiers de l'armee qui pretaient leur service a Louis Dejoie pour sa securite rapprochee, furent convoques a la po­ lice,puis deportes en province apres avoir ete delestes de leurs armes. Ils repondirent aux noms d'Alfred Forbin dit KiKit (ma­ jor), deporte a Petit-Goave et liquide, en 1964 par Duvalier lors du debarquement des 13 aJeremie dont un de ses fils; Charles Lo­ chard (major), deporte aux Gona1ves, Lucien Scott (It) deporte et execute a l'Anse aVeau ainsi que le colonel Edouard Roy (arrete a Lamentin et transfere dans cette ville), apres passage d'un cy­ clone qui demolit la prison; leur liberte retrouvee servit a sauver des vies humaines. Repris par des miliciens, ils ant ete passes par les armes, d'ordre superieur. Antoine St Firmin (capitaine), deporte aux Cayes,deceda en 1992 en sa residence a Petion-Ville. Felix Lafontant, capitaine, a Jacmel. Le jeune Lyonel Fouchard, ex-officier reforme des gardes-c6tes, ne s'etant pas presente ala police avec ses freres d'armes, ne fut point inquiete. II trouva une fin tragique a la ruelle St-Cir, quelques annees plus tard, sous le gouvernement de Franc;ois Duvalier. Le 9 juillet 1957, Themistocles Fuentes, implique, au mois de mars 1957, dans une precedente affaire de bombes et recher­ che par la police hanienne, fut arrete a l'aeroport de Port au Prince, durant une escale de l'avion. L'histoire s'est tue, depuis, sur ce personnage hors-serie. Le jeudi 11 juillet 1957, la junte militaire au pouvoir s'attaqua, directement, au candidat Dejoie convoque chez le juge d'Instruction M• Andre Cherilus. Convocation de pure forme sous pression des militaires. Ce meme jour, le colonel Pierre Armand quitta le territoire national, muni d'un sauf-conduit.

Conseil Militaire de Gouvemement 197 La Ville des Cayes: Politique I

Le 27 aout 1957, l'ex-officier reforme Alfred Forbin,traduit devant une Cour martiale, fut condamne. Il perit, tragiquement, dans les geoles de Duvalier. Le 28 aout 1957,le CMG publia la loi electorale. Les candi­ dats a la presidence convierent leurs electeurs aux urnes sous l'egide de cette loi, apparemment democratique. Aucun prison­ nier politique ne fut libere en signe d'apaisement. Le candidat Louis Dejoie reprit, immediatement, ses activites electorales, convaincu que le vote du peuple allait l'emporter et que tout can­ didat, elude fa<;on frauduleuse, serait sanctionne par les nations etrangeres, particulierement, les Etats-Unis.

Phase Finale de Ia Campagne Electorale aux Cayes Le 4 septembre 1957, des pretres haltiens du diocese du Sud- Sansaricq, Arnoux, Netus, Clerville, Solages, Margron­ confierent au Reverend Pere Ludovic Brierre, Cure de Cavaillon, la mission de transmettre leurs soucis de patriotes au general Ke­ breau (ancien seminariste) qu'ils crurent proches d'eux. Ils exi­ gerent la neutralite de l'armee. Le Pere Brierre termina ainsi sa lettre: "Et ceux qui ont chemine avec vous sur les voies du sommet qui miment au sacerdoce, vous le rap­ pellent; attendent de vous l'accomplissement du devoir, vous confient leur profonde angoisse et vous saluent en Dieu et en la patrie. Ma mission accomplie, je vous presente mes ami­ coles et mes plus patriotiques salutations." Le 6 septembre 1957, Louis Dejoie adressa un message ala nation, pour definir les grandes lignes de son programme de gou­ vernement. A ceux qui se reclamerent de la revolution de 1946, Louis Dejoie precisa : "je suis pour ]'esprit de 1946 lorsqu 'on y veut voir l'emancipation du peuple; je suis contre 1946 lorsqu 'il n 'est plus que le champ clos ou quelques malins jouent des coudes pour se hisser sur les epaules des naifs dont ils r{went de capter la confiance; bien mieux, je considere que la portee

198 Conseil Militaire de Gouvernement La Ville des Cayes: Politique I

pratique des evenements de 1946 est nettement insuffisante parce que notre economie nationale ne s'est pas assez developpee pour permettre d'en etendre les bien faits au plus grand nombre. Le re­ levement du niveau de vie, les revendications de solaire ne sont que des mots sans consistance a partir du moment oil une augmentation de la pro­ duction ne vient leur apporter une base reelle. Car enfin il ne faut passe limiter a ne penser qu'aux salaries qui, dans un monde paradoxa], si mo­ deste que soit leur revenu, sont deja des privile­ gies par rapport aux milliers de ch6meurs, aux malheureux qui croupissent dans Jes faubourgs sordides de La Saline. de La Fossette et de Rabo­ teau, a ceux qui ne touchent aucun solaire, qui n'ont aucune ressource et par consequent, pas meme un syndicat pour plaider leur cause." Le senateur Dejoie programma une visite-eclair aux Cayes pour raviver la flamme du dejoisme. Deja, avec l'ouverture de la campagne electorale, cette ville retrouva !'atmosphere de la pe­ riode d'avant le 25 mai 1957. La fievre electorale grimpa. Les acti­ vites renaquirent dans les clubs populaires et prives. Les dele­ gues dejoistes des differentes communes des Cayes et des Co­ teaux defilerent en masse au bureau politique pour discuter des prochaines elections, faire le plein de photos, de medaillons et s'approvisionner en fonds. Deja, la ville bruissait de rumeurs de l'arrivee du candidat Clement Jumelle, rumeurs confirmees,fina­ lement, par Philippe Jocelyn et Edouard Hall, ex-deputes du peuple et amis du candidat Clement Jumelle.

Le Candidat Clement Jumelle aux Cayes Le 8 septembre 1957, Clement Jumelle fit son entree dans la ville, en attente de l'arrivee de Louis Dejoie. Une visite discrete car il n'y eut point, au programme du Parti, de meetings populai­ res et d'emissions de radio. Laissons au reporter, JEAN BAPTISTE 1957, sa version des faits: ".. ... Apres de nombreuses visites aux camarades jumellistes a Cavaillon, ce Jut le depart vers Les

Conseil Militaire de Gouvemement 199 La Ville des Cayes: Politique I Cayes. A /'avenue des Gabions, aux Quatre-Che­ mins, le candidat Jut /'objet d'une belle manifesta­ tion de sympathie. Sur deux haies, ses partisans l'acclamaient et criaient "Vive fumelle! fumelle campt§! ". Escorte d'une motocyclette, Je cortege Jut conduit jusqu 'au bureau politique devant Jequel attendaient de nombreux partisans du candidat. Quelques instants apres, le candidat, a pied, suvi d'une Joule considerable de partisans, se rendit chez Jes epoux Milien Conde qui l'hebergeront jusqu 'a son depart. On se rappelle que les Cayes et ses environs ont ete consideres comme "la cita­ delle" d'un secteur politique; quand on se rappelle que durant la campagne electorale que des candi­ dats ala presidence ont ete malmenes, molestes, en essayant de fouler le sol de ces localites, on ne peut ne pas rendre hommage au jumellisme d'avoir detruit ce mythe. A l'heure actuelle, il n 'existe que deux courants dans le Sud: le de­ joisme (dans une proportion de 65%} et le jumel­ lisme {35%). Mais les Cayes et ses environs ne re­ presentent pas tout le departement du Sud. C'est chaque jour que de nouvelles adhesions parvien­ nent au bureau politique jumelliste - La presence de Clement Jumelle dans cet arrondissement, le bon combat qu 'il mene, Ia justesse de la cause pour laquelle il lutte, /'importance de son pro­ gramme pour le sud, Jes elements de valeur qui l'appuient ne manqueront pas de lui attirer de plus en plus de sympathies. 11 n 'a d'autres enne­ mis que Jes ennemis du peuple. Partout oil il y a des syndicats, Clement Jumelle est president ho­ noraire. Une heure apres son arrivee aux Cayes, une reunion syndicale est organisee en son hon­ neur. -Au club populaire, l'Avenir , l'homme du peuple a pu apprecier ses belles qualites et porter des Jreres egares a se ranger sous la banniere du jumellisme.

200 Consei/ Militaire de Gouvemement La Ville des Cayes: Politique I

La matinee du fundi Jut reseJvee a des vi.sites aux personnalites de Ja ville. Le bureau politique de l'Agronome Louis Dejoie, candidat, egalement a la premiere magistrature de l'Etat, re~ut aussi la visite de Clement Jumelle. Accueilli par le presi­ dent de ce bureau Mr Rene Conde, l'entretien s'est deroule en presence de Louis Dejoie Fils.- La veille au bar de Ja Glaciere "Ti Loulou" avait declare a ses amis que si Clement Jumelle est elu chef d'Etat, personne n 'a a craindre des represailles; qu 'il recherchera ]a collaboration des elements de valeur pour fa ire avancer Je pays tan dis qu 'avec ]'autre candidat, beaucoup d' Haitiens devront prendre l'exil ... Vers 11:00 a.m. le candidat et a sa suite pre­ naient Ja direction de Camp-Perrin. Au cours du porte a porte, diverses personnalites re~urent la visite du Candidat: Mme France Jean­ not; Lanoze Daguilard (candidat au Senat pour le departement du Sud) re~ut Jes voeux de succes du candidat a ]a presidence et reciproquement le candidat au Senat formula ses voeux de succes a Clement Jumelle; Gontran Lamour; Auguste Abel­ lard; Franklin Valere; Faustin Denis trinqua au succes de Clement Jumelle; Marc Perrin; Fernand Romilien; Edma Menelas; Mm• Joubert Jolivert; Anatole Jolivert. Chez Polynice Dorsainville, cou­ sin du candidat, une belle reception Jut organisee. Au cours de la halte d'une demi-heure, le candi­ dat profita pour prendre une detente tandis que sa suite alla visiter le canal d'Avezac. Chez Ma­ dame Anasthasie Jean-Louis, un lunch Jut servi par Miss Rousselle, la directrice de ]'Ecole de Camp-Perrin. Suivi de nombreux partisans le Candidat rendit visite a Emmanuel Lubin, a Du­ perval Jolivert, a William Daguilard et Rodrigue Boisrond. On arriva jusqu'a Bouet chez Delma

Conseil Militaire de Gouvernement 201 La Ville des Cayes: Politique I

Jean-Louis qui avait tenu a recevoir sous son toit, le candidat fumelle. L'itineraire comprend Torbeck et Chantal et le so­ lei] baisse. A fond de train, sous un nuage de pous­ siere, on fonce sur Torbeck. Plusieurs centaines de paysans S:v trouvaient reunis. Meeting - Le candi­ dat a la deputation Emilio Domme~ant prend la parole et presente le candidat et lui cede la tribune improvisee. En creole, illeur expliqua son pro­ gramme, Jes possibilites de ]a region, ce qu 'il compte faire pour }'amelioration de la vie des pay­ sans de Bois-Landry. Chantal,le tenninus, il fait deja nuit quand no us y, pazvenons. Les nombreux paysans rassembles de­ mandent qu 'on leur montre le visage du candidat. 11 n y a pas de probleme. Le candidat monte sur la table et re~oit en plein visage les projections des reflecteurs. Les paysans applaudissent. Ils sont sa­ tisfaits. "vive fumelle, nan point probleme!" Retour aux Cayes. Arret chez Madame Eussio La­ pierre qui offre une coupe de champagne en l'honneur du candidat. " Mon cher fumelle, dira-t-elle, dans le speech qu'elle pronon~a. vous etes pour cette classe re­ foulee, le symbole de son emancipation, de son af­ franchissement d'une servitude colonialiste qui la mettrait en quarantaine de ses propres a/fa ires ...... Puisse Dieu benir votre cause et assurer votre triomphe au soir du 22 septembre".

Le Senateur Dejoie aux Cayes Sitot Clement Jumelle parti vers la cote-ouest du departe­ ment du Sud, Louis Dejoie fit sa rentree, par avion, aLaborde. Un parterre de jeunes filles, aux bras charges de fleurs, accueillit le leader par des mots de bienvenue et d'attachement. Etonnante mobilisation des cavaliers de la region des Cayes. Fierte des pay­ sans et notables a participer a Ia cavalcade. Des brigades de bras-

202 Conseil Militaire de Gouvemement La Ville des Cayes: Politique I sards rouges, des jeunes cayens pour la plupart, assurerent la dis­ cipline et garantirent l'ordre. Plus d'une vingtaine de vehicules, toutes cylindrees, bondes de partisans dechaines, firent cortege au candidat. Des cyclistes et motocyclistes sur les deux ailes de­ vaient preceder le senateur Dejoie jusqu'a sa residence. Une foule, toute en couleur, agita les photos du leader, jucbe sur le toit d'une voiture. Apres un bain de foule, le leader se retira, le temps de s'entretenir avec les responsables de la campagne electorale. Dans l'apres-midi, apres une courte sieste, le senateur Dejoie re­ joignit ses partisans au quartier de l'lslet, ala Savane, non loin du pare Vincent, pour le demier meeting de la campagne. Foule im­ pressionnante! Le micro passa d'un orateur a un autre. Apres le senateur Desinor, incisif comme toujours, ce fut le tour du sena­ teur Dejoie. 11 promit, durant son mandat, de veiller au respect des deniers publics, d'empecher les vols et de bannir la corrup­ tion. 11 renouvela sa foi dans des elections libres et honnetes, sans oublier ses philippiques contre l'armee. Delire de la foule! Sons du lambi. 11 presenta son cartel du Sud avec les candidats Beliard Giraud, Christian Dumoulin, Gerard Barthelemy, Louis Dejoie au senat. A la deputation, il presenta les citoyens Amerlin Conde, Pauleus Duverseau, Vitalheme Chamblain et Henri Gattereau. A la fin du meeting, la foule, fanfare en tete, accompagna le leader jusqu'a sa residence. Dans la soiree, le leader repondit a !'invitation du club Marabout. Le lendemain matin, les partisans assiegerent, de bonne heure, la residence du senateur. Le petit dejeuner, vite avale, Louis Dejoie, apres avoir salue une derniere fois ses partisans, donna le signal de depart vers le siege du Tribunal civil!} s'aneta a la ~athedr~le ~es Cayes le temps d'une courte priere. Au siege du t~1b~nal, 1l signa sa declaration de candidature au senat. A la s~rhe, II se trouva, nez a nez avec Milien Conde, egalement can­ didat ~u sen~t, venu pour signer la sienne. 11lui serra longuement ~a mam et ~UI pres~nta ses. vo~ux de succes, lui rappelant que le )eu ~e la democrat~e deva1t tnompher: ils s'affrontaient dans des P~~Is _op.poses. Pms, ce fut le depart vers l'aeroport et la capitale ou II eta1t, fortement, sollicite pour la tenue de deux meetings electoraux, le premier a Belloc (Leogane) et le second a La Saline (Croix-des- Missions).

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Le 13 septembre 1957, les leaders des autres partis politi­ ques s'activerent a courir des meetings. Cependant, le Parti mo­ piste se vit refuser sa participation aux elections. Le professeur Otto Louis Jacques se vit interdit, par la police, de tenir meeting dans un des bastions du candidat. Un autre mopiste, du nom de Belmont, proprietaire d'une camionnette sound-truck, se vit lui aussi interdit de propagande electorale au benefice du professeur Fignole. A huit jours des elections du 22 septembre 195 7, il sa uta aux yeux des gens avertis que l'armee jouait la carte Duvalier. Un pretre etranger, fort connu du milieu cayen, garantit l'echec du candidat Dejoie du fait de son appartenance a la classe minori­ taire des mulatres. Le candidat Clement Jumelle se retira de la course electorate. Clement Jumelle n'ignora point qu'il n'avait aucune chance de gagner les elections presidentielles. Des l'annonce, en aout 1957, des elections du 22 septembre 1957, il contacta le colonel Franck Beauvoir et le chargea de convaincre le general Kebreau de reculer de six mois la date des elections pour lui permettre de faire le plein d'electeurs pour vaincre Louis Dejoie. Cette demarche imprudente, entre autres, de l'officier Franck Beauvoir aupres du general Kebreau devait lui couter ses etoiles de colonel, des mois plus tard. Le colonel Fareau - qui de­ ment- ayant assiste a l'entretien, rapporta le fait au candidat Du­ valier JANINI 1999. Discretement, il y eut une vaine tentative de rapproche­ ment, a travers le canal du journaliste Hubert Carre (Le Jour), entre les camps jumellistes et dejoistes. Aux Cayes, la plupart des jumellistes etaient passes avec armes et bagages dans le camp du­ valieriste qui compta tres peu de partisans. Durant les deux derniers mois de la campagne electorate, deux citoyens americains tenterent, dit-on, d'influencer l'armee et de l'orienter vers !'election du candidat Duvalier. Un journa­ liste americain du nom d'emprunt d'Herbert Morisson dit "Ti Barbe", etait devenu l'ombre du docteur Franc;ois Duvalier lors de ses tournees electorates. Intime de Clement Barbot, futur chef de la securite politique du president, il ne cessa de hanter les cou­ loirs du palais; il comprit tres vite qu'il fallut mettre I' ocean entre lui et le president, lors des deconvenues de son ami Clement Bar-

204 Conseil Militaire de Gouvernement La Ville des Cayes: Politique I bot. Le second -en la personne de Msr Vogoeli, l'Eveque anglican, admirateur du candidat Duvalier- joua, apparemment, un role serieux lors de l'affaire Shibly Talamas, aux cotes de l'ambassadeur americain Gerald Drew. Malgre tout, une profonde inquietude minait le candidat Duvalier et de deux de ses conseillers les plus proches: a six jours des elections, le general Kebreau pensa-t-il garder le pouvoir ou voulut-ille transmettre a Luc Fouche?

Les Elections Generales Le 20 septembre 195 7, les Cayens purent ecouter sur les on­ des de Radio-Caraibes, relayee par Radio-Liberte d'Emile Gan­ thier, les voix chaudes et prenantes de Fritz Perigord et d' Edouard Bellande qui initierent la derniere emission de la cam­ pagne politique du senateur Louis Dejoie

"5tfesdames, 5tfesdemoisel/es, 5tfessieu~s, Che~s Jlmis de 9

Conseil Militaire de Gouvernement 205 La Ville des Cayes: Politique I

Jln al danse !fbo .... J(ade komam Ia mise fini pou nou .. "

Puis, ils introduisirent le leader Louis Dejoie pour son mes- sage a la Nation. Ce fut le dernier discours electoral du leader: "Hommes et Femmes de mon Pays, c'est a vous que je m'adresse ce soir. Planteur, deposez un instant votre serpette ou votre houe, car c'est un planteur qui vous parle, ce soir. Industriel, arretez un instant vos machines, car c'est un industriel qui vous parle. Trovailleur, allegez-vous, un instant, de votre au­ til, car c'est un travailleur qui vous parle. Chomeur, quittez un instant votre desespoir et votre amertume, car c'est un generateur de travail qui vous parle. Citoyen honnete, oubliez un instant vos appre­ hensions, car c'est un vrai patriote qui vous parle. Si ce planteur, cet industriel, ce travailleur, ce ge­ nerateur de travail, ce patriote vous adresse ce soir ce message, c'est parce que, connaissant les problemes angoissants que vous confrontez tous les jours, pour s'etre lui-meme battu avec eux pendant 35 ans de dur labeur, a travers le pays tout entier, il s'est mis aujourd'hui avotre service, au service de la nation pour que les cultures aban­ donnees surgissent a nouveau de la terre, pour que vos denrees trouvent un debouche certain, pour que votre industrie s'ameliore et se deve­ loppe, pour que l'eau se repande librement et fe­ conde cette terre, votre terre, votre propriete que nul ne saurait vous ravir.

206 Conseil Militaire de Gouvernement La Ville des Cayes: Politique I 11 faut, mes chers compatriotes, que nous cessions de vivre dans les r{wes oil nous a conduits Ja pro­ pagande trompeuse des gouvernements passes et que nous revenions enfin a la realite. 11 faut que nous finissions par comprendre que nous sommes un tout petit pays sous-developpe, arriere, miserable, tributaire de J'etranger pour presque tout, un petit pays, un pays en deficit et oil la simple democratie liberale cherche encore pe­ niblement a se frayer un chemin dans cette voie encombree par la demagogie. Voila, sans fard aucun, la realite brutale qui nous apparait des que nous avons le courage de soule­ ver Je rideau de l'hypocrisie qui a toujours masque la verite, qui nous a toujours cache notre situa­ tion. Changer cet etat de chases, ameliorer cette situation , transformer ce pays, voila Je probleme primordial, Je devoir imperieux. Aussi, c'est parce que je suis convaincu que, dans Ja periode pre­ sente, malgre Jes petits con flits quotidiens inevita­ bles, nul hai"tien ne peut etre l'ennemi d'un autre hai"tien, nulle classe sociale opposee a une autre classe sociale que je me sens en droit d'etre opti­ miste sur Jes realisations d'un gouvernement hon­ nete et c'est pour toutes ces raisons que je viens aujourd'hui niveler Je terrain d'entente qui doit servir demain au rassemblement de taus Jes pa­ triotes afin que nous puissons taus ensemble com­ mencer avant qu 'il ne soit trap tard ]'indispen­ sable oeuvre de salut public. Trap de gens ont profite dans Je passe des faveurs injustifiees qui leur etaient offertes sur un plateau d'argent au grand dam de la democratie, de ]'u­ nion nationale preconisee par Dessalines et Pe­ tion. Taus Jes secteurs de Ja population compren­ nent difficilement J'elan de leurs reclamations, de leurs revendications, de leurs protestations. 1946 devait eclater, eclater avec fureur sous les yeux de

Conseil Militaire de Gouvemement 207 La Ville des Cayes: Politique I

gouvemement etonne. Si 1946 a eclate. c 'est fon­ damentalement pour protester contre l'usage des terres haftiennes au profit d'une societe etrangere et contre Jes ventes al'encan de l'interet national. Si 1946 a eclate, c'est pour protester contre la ruine de l'economie rurale haftienne et l'accrois­ sement massif du cout de la vie, du cout des vivres alimentaires. Si 1946 a eclate, c'est pour protester. contre ]'usage scandaleux fait de la main-mise operee sur Jes biens de certains citoyens etrangers pendant toute la duree de la guerre. Si 1946 a eclate, c'est que le niveau de vie des classes Jabo­ rieuses s'abaissait tragiquement, chaque jour do­ vantage, alors que certains privilegies jouissaient sans scrupules et exploitaient, sans merci, des avantages immoraux. Si 1946 a eclate, c'est pour protester contre Je mo­ nopole que s'etait accorde un groupe pour gerer les affaires publiques. Si 1946 a eclate, c'est parce que nombreux paysans dans les 5 departements du pays etaient ignoblement chasses de leurs ter­ res, prives subitement de Ja jouissance de leurs biens, des fruits de leurs efforts et venaient gonfter le proletariat des villes, deja incapables de trouver du travail, augmentant ainsi le grand nombre de ch6meurs qui trainent une existence miserable, ranges par Ja privation et Ja maladie. Quand on se rappelle les idees que pronait Je groupe revolutionnaire deJa RUCHE et Jes autres organisations clandestines qui ont en tame Ja Jutte contre Je regime d'alors, comment ne pas se sou­ venir des desiderata de 1946: les 4 Jibertes pour tous Jes citoyens, 1) Je respect des droits, des droits de tous, sans distinction de classes et de couleur, 2) ]'amelioration des condi­ tions d'existence des travailleurs, Je droit syndical et Je droit de greve pour se proteger de ]'injustice, 3) une politique d'equipement et de production

208 Consei/ Militaire de Gouvernement La Ville des Cayes: Politique I susceptible de ramener Ja prosperite et Ja dignite de toutes les classes sociales du pays, laplace aux plus capables et aux mieux prepares et enfin 4) une veritable democratie. Si ce sont de telles idees que }'on entend mettre en avance en employant }'expression de 1946, il y a Jongtemps que je Jes portage, il y a Jongtemps que je les appuie, il y a Jongtemps depuis que je me bats pour elles et ce temps-/a precede l'epoque glo­ rieuse de 1946, cette epoque a laquelle j'ai associe patriotiquement mes efforts a ceux de la RUCHE et a d'autres organisations revolutionnaires pour or­ river aux 5 magnifiques journees de 1946. Tout Je monde sait d'ailleurs que de nombreux secteurs ont contribue comme moi au succes de cette entreprise civique dont les animateurs de­ vaient se rassembler dans le Front Patriotique Unifie . C'est d'ailleurs dans cette position, sans equivoque que je dois le fauteuil de senateur du Sud que j'ai occupe de puis 1946 pour defendre les droits de mes electeurs, le droit de to u.s les citoyens de mon departement, les droits de mon pays. Si c'est tout qa 1946, qui done plus que moi ou mieux que moi peut se reclamer de 1946? Quand on veut pretendre cependant que Ja revolution de 1946 reclamait que certaines categories de ci­ toyens haftiens soient en fait depossedees, de­ chues de leurs droits politiques sans pouvoir pre­ tendre acceder a la direction de l'Etat, je suis contre 1946 qui ne peut etre que le fruit de cer­ veaux malades ou desoeuvres; mais bien plus au tribunal de l'histoire, je m 'inscris en faux contre une telle deformation des faits. Jl n 'est dans mon intention d·attaquer quiconque, de blesser qui que ce soit ou de jeter l'exclusif sur aucun citoyen. Mais la verite est la verite et les faits sont les faits. Jls sont tetus et jamais, je ne transigerai avec eux.

Conseil Militaire de Couvernement 20'.1 La Ville des Cayes: Politique I je suis contre la definition anti-nationale et an­ ti-democratique de 1946, definition que des poli­ ticiens ont falsifie a l'intention des eternels ba­ foues et des naifs, abusant ainsi de la confiance populaire, mais le peuple hai'tien conna1t desor­ mais ses defenseurs et ses ennemis. 11 ne se laisse plus berner par les elucubrations venues de la pauvre cervelle de politiciens aux abois. Aucun patriote, aucun hai'tien veritable n 'acceptera de croire que le descendant de Nicolas Geffrard, si­ gnataire de l'Acte de l'Independance hai'tienne, soit un mauvais hai'tien, un apatride, un reaction­ noire parce qu 'il serait plus ou mains clair de peau. Certains de mes adversaires m 'accusent d'etre un reactionnaire, d'etre un exploiteur parce que dans un pays ou il y a des centaines de milliers de cho­ meurs, je suis un des rares hai'tiens a ne pas avoir base sa richesse sur la politique ou l'affairisme, mais bien en donnant du travail a des milliers de mes citoyens qui auparavant connaissaient la mi­ sere et le desespoir physiologique. Si c'est vrai­ ment un crime, moi, messieurs, je m 'emporte et si chacun de vous commettait un crime pareil, il n y aurait plus de misere en Hai'ti. Empechez la mort de vos concitoyens, empechez-les de mourir de faim par tousles moyens dont vous disposez et en­ suite, vous pourrez faire vos belles phrases sur la question de classe ou de bloc nair qui n 'existe que dans votre esprit car je l'ai deja dit, ailleurs, pour moi, il n y a que 2 classes en Hai'ti, celle de ceux qui travaillent et celle des dilapidateurs et des parasitaires. 11 y a certes aussi, la classe a laquelle va deja toute ma sollicitude et qui beneficiera d'une attention toute particuliere de mon gouvernement, car ce n'est pas avec l'aumone que j'entends donner a manger aux ch6meurs, mais avec du travail, du travail consciencieusement retribue. je ne sache

210 Conseil Militaire de Gouvemement La Ville des· Cayes: Politique I pas, messieurs, que I'esprit de 1946 interdise a un haWen de creer Ja richese nationale en appli­ quant effectivement Je mot d'ordre trap souvent demagogique de bataille de ]a production, mais si je voulais bien comprendre ce que veulent dire mes concurrents depites, eux qui dans leur pro­ fession de foi, pretendent ne pas vouloir toucher a Ja propriete privee, eux qui, a l'intention de nos amis americains, ant forge la libre entreprise et veulent l'interdire a chacun de leur concitoyens, mais pas a eux-memes, sans doute. Si je voulais comprendre leur programme sous Je gouverne­ ment qu 'il presiderait, il faudrait en conclure que Jes ch6meurs ne trouveraient pas de travail puis­ qu 'ils sont contre des entreprises comme les mien­ nes. D'ailleurs, Jes masses paysannes et proletariennes du Sud, en particulier, comme aussi celles des au­ tres regions du pays, n 'oublient pas les gran des lef;ons de Jean Jacques Acaau sur la rea lite sociale de notre pays. Elles ant deja repondu a ces ridicu­ les et impuissantes calomnies, en sou tenant dans leur quasi-unanimite, la candidature a ]a presi­ dence de la Republique, de leur ami et defenseur, simple travailleur comme eux parmi Jes travail­ leurs de toutes Jes conditions de notre pays. ChersAmis, Vous connaissez les elements essentiels de man programme de gouvernement qui veut attirer Je progres et Ja defense des interets de tous les hai­ tiens de toutes les couleurs. Mon gouFernement nc sera pas celui du sectarisme ou d'aucun jJQiticu­ lansme. Mon gotwernement ne sera pas celui de la haine ou de Ia \'engeance gratuite et stupide. Mon gotwernement sera un gouFernement de concentration democratique et nationale. un gou­ \'ernement qm fera Je faisceatl de toutes lcs {mer­ gies creatrices hai'tiennes. Ull gouvernement qui

211 La Ville des Cayes: Politique I sera concretement revolutionnaire parce qu'il transformera les fondements de la vie econo­ mique d'Hai"ti en exigeant moins de luxe pour cer­ tains et plus de bien-etre pour to us. Tous mes com­ petiteurs savent que j'ai les 2 bras grands ouverts pour accueillir, dans mon administration, civils ou militaires, to us ceux qui m 'ont combattu. Le temps n'estpas auxpoursuites, ala haine ou ala partisannerie. L'oeuvre de redressement national qui ne peut plus attendre ne m 'en laissera pas le temps. Peuple Hai"tien, Ce soir, c'est avec une une extreme emotion que je vous adresse ce message, car c'est sans doute la derniere fois que, comme candidat a la presi­ dence, ma voix s'elfwera au cours de cette longue campagne electorale, cette campagne qui, pour nous tous, a ete un peJerinage vers ces sommets toujours recherches de la democratie oil seule compte la volonte populaire. De cette station de Radio Carai"bes qui a ete le temoin vivant de nos luttes quotidiennes, je desire a 48 heures de la grande consultation populaire, adresser mes plus sinceres remerciements a tous mes compagnons de lutte dont l'ardeur n'a jamais pu etre alteree, a toutes les femmes d'Hai"ti dont le devouement de­ meure inegalable, a tous ceux dont les ferventes prieres ont confirme notre foi, a tous ceux qui, a un titre ou a un autre, m 'ont apporte durant des mois, un concours quotidien, atous ceux en fin qui se sont ranges so us la fiere banniere du dejoisme pour aller precher demain, a travers la Repu­ blique entiere, le nouvel evangile des masses hai"­ tiennes et cette nouvelle doctrine de gestion des af­ faires publiques que nous preconisons pour une Hai"ti nouvelle avec des citoyens fiers de leur union, fiers de leur liberte, fiers de leur travail et fiers de leur independance.

212 Conseil Militaire de Gouvernement La Ville des Cayes: Politique I

Malgre les rumeurs diverses faisant etat de deci­ sions tapageusement prises pour mutiler la volon­ te populo ire. confiant plus que jamais dans la foi, Ja conviction et la determination positive qui ani­ ment tous nos partisans. a travers to us les depar­ tements geographiques, du Nord au Sud. de }'Est a }Ouest. nous allons a l'urne le dimanche 22 sep­ tembre pour rencontrer avec calme et serenite. mais sur Je terrain de l'honneur, to us mes compe­ titeurs. Oui , Nous allons a l'urne le dimanche 22 sep­ tembre pour rencontrer avec cal meet serenite, sur le terrain d'honneur, tous mes competiteurs, pour les combattre avec la dernilke rigueur s'ils pen­ sent pouvoir s:V derober, comme nous combat­ trans avec la derniere rigueur les elections officiel­ les des adversaires supplementaires et inattendus qui hesitent encore a se jeter dans l'arene et dont le spectre semble nous apparaitre sur Ja scene electorale tel un fantome egare dans une demo­ cratie naissante. Oui mes chers amis d' HaW, la flamme du de­ joisme brule avec assez d'ardeur pour alimenter pendant ces heures angoissantes que nous allons vivre, le feu sacre sur lequel, ce soir, nous allons faire Je serment de defendre nos droits, le serment de defendre notre pays de la honte et de l'anarchie. Debout Planteurs, Debout Travailleurs, Debout Ouvriers, Debout Citoyens Honnetes, Debout Fem­ mes d'HaW, Debout vous aussi Religieux d'HaW, Debout Patriotes pour ]utter contre le dirigisme electoral que l'on veut vous imposer. Restez vigi­ lant et restez dans cette attitude , cette attitude courageuse et decidee jusqu 'a ce que vous oyez la certitude d'avoir rempli jusqu 'au bout votre de­ voir et d'avoir en plus la naturelle et legitime satis­ faction.

Conseil Militaire de Gouvernement 213 La Ville des Cayes: Politique I

Souvenez-vous, Peuple Haitien que tout gouver­ nement issu d'elections frauduleuses ou imposees par Ja force ne sera pas viable tant nationalement qu 'internationalement. C'est la raison pour la­ quelle seul peut compter Je verdict populaire, ce­ lui de la majorite venant consacrer la victoire du dejoisme parce que, c'est le peuple confiant, suns aucune pression, sans aucun subterfuge qui /'aura elu le 22 septembre 1957. fe ne veuxpenser a la formidable resonnance, a cet echo Jugubre qui se repandra atravers toutes nos villes et toutes nos campagnes si jamais l'armee qui a pris ]'engagement d'honneur d'assurer des elections honnetes renversait sur le peuple prosterne cette immense statue de la liberte qu 'il a edifiee dans un elan sublime pour consacrer les droits qui lui ont ete conferes par la constitution de 1950. Non mes chers amis, je ne veux penser a cette faillite de nos institutions, a cette faillite nationale, inevi­ table si le pays devait sombrer a nouveau dans la dictature et l'anarchie. feme refuse acroire a cette division de la famille haitienne, je me refuse a cette possibilite d'un fosse que l'on voudrait eta­ blir entre freres, que l'on veut etablir entre le peuple et son armee. fe ne veux plus penser ce soir a toutes ces apprehensions qui, depuis quelques jours et a chaque heure, traverse la conscience angoissee du peuple haitien, car je suis et de­ meure convaincu qu 'il est trap tot pour y attacher un credit et qu 'il est trap tard pour pour que le peuple accepte de se plier docilement a la volonte dictatoriale d'un groupe. Aussi quoiqu 'il ad­ vienne, on trouvera toujours le dejoisme debout pour defendre son ideal et nous jouerons avec le peuple haitien jusqu 'au bout la carte du courage, la carte de l'honneur, la carte de la democratie c'est a dire la carte de la liberte pour laquelle nous avons combattu et pour laquelle nous com­ battrons toujours.

214 Consei/ Militaire de Gouvernement La Ville des Cayes: Politique I

Et pour saluer avec frenesie ce cortege de liberte qui s'amene, pour saluer la victoire prochaine que nous reserve l'urne du 22 septembre, je vous demande de crier avec moi et tout le peuple hai'­ tien dans un elan sublime de ferveur patriotique: Vive l'esprit de 1946 et Vive le dejoisme Vive l'union de tous les Hai"tiens pour un gouver­ nement national Vive un gouvernement democrotique de realisa­ tions concretes Vive les classes travailleuses hai"tiennes de toutes categories, unies dans l'honneur et la dignite. Vive les elections libres qui sont forgees avec tous les patriotes de bonne volonte sans distinction de classe ou de couleur. Vive les compagnons de lutte qui m 'ont aide et continuent am 'aider. Vive la Renaissance Hai"tienne. "

Le 22 septembre 195 7, la ville des Cayes vota Louis Dejoie et son cartel. 11 y eut quelques derapages: a Fonfrede, Jean Geor­ ges a ete arrete et relaxe 3 heures plus tard, suite a une alterca­ tion avec Edmond Larrieux; a Torbeck, Seneque Pierre, duvalie­ riste, se fit agresser par Antoine Metellus, dejoiste qui lui refusa, parce que non mandate, l'acces a la supervision de l'urne. A la publication des resultats, quelques jours plus tard, seuls les candidats Amerlin Conde, Pauleus Duverseau, Henri Gattereau furent elus deputes du peuple. A la surprise generale, Louis Dejoie, elu senateur du Sud, appert les proces-verbaux vi­ ses parses representants, ne fut point admis comme senateur du Sud. Un medecin de Ia capitale, devenu celebre pour ses declara­ tions orageuses, y fit obstacle. Vitalherne Chamblain, reguliere­ ment elu, fut, lui aussi, ecarte.

Conseil Militaire de Gouvemement 215 La Ville des Cayes: Politique I

Aussi, le 22 septembre 195 7 se transforma, pour le Cayen, en une profonde deception, une deception a la dimension de son esperance.

216 Conseil Militaire de Gouverncmcnt La Ville des Cayes: Politique I

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222 Consei/ Militaire de Gouvernement La Ville des Cayes: Politique I

JOURNAUX CONSULTES

LA GARDE 1956 & 1957

LE NOUVELLISTE 1956, 1957, 2000

INDEPENDANCE 1955 et 1957

LEMATIN 1956 et 1957

LEREMPART 1955-56-57

COMBATS 1946

LEFLAMBEAU 1957

LENATIONAL 1956

HAITI-MIROIR 1956 & 1957

OEDIPE 1956

Conseil Militaire de Gouvemement 223 La Ville des Cayes: Politique I

$~~e/Vow~ !}eunesseJ{ayenne nou kampe Vsine a dtoite, usine a gauche Ce pou meioie Chef d'etat Ce pta! a bas Ia misete Ce nan tou, nan tou seul nou place toute con/iance nou ()h nou min/JeunesseJ{ayenne !lei ba 'Jlou bouke soufti 'Jlou pap vote pou lot moune 'Jlou besoin ttavay pou nou viv Ce fi seuf ki ban satisfaction Ce meioie, Ce meioie JlM foc ce li, foe ce li ki ptesident Ce /i seul d'3Cai'ti J{i ban satisfaction /}eunesse cayenne nou kampe ()h 'Jlou mim/JeunesseJ{ayenne Ce pou mejoie chef d'etat 'Jlou pap vote pou lot moun Ce pou /i pou nou vote Ce.f.ouis meioie ff!ouf ka tive au pouvoit Ce /i seul ki ban satisfaction 93on {f)ieu 93on, Ia tive ff!ou ka ban satisfaction gan de moun pat mechancete J{a pale mal de .Louis mejoie 3Cai'ti pta/ be/ ti fi/le Clfo di Si meioie tive, L'heute meioie va chef d'etat g)i!fetence ka etabli .f.i pta/ pate'/ de bijoux jJfoun-ci Ia yo dans l'etteut et ce pa pta! piette klin-klin J{a mejoie bon pattiote mejoie tinmin pays-ya .f.i tinmin pays /i anpi/ ':Eo /i ka change poul vin' bel <;!out 3Cai"tien min pou /i. Jlk anpi/ ttavay, ak l'union,ak Ia paix tJh 'Jlou mim/JeunesseJ{ayenne ()h nou min/}eunesseJ{ayenne 'Jlou pap vote pou lot moun 'Jlou pap vote pou lot moune Ce.f.ouis meioie Ce /i seul ki ban satisfaction Ce /i seul ki ban satisfaction Jlh! foe ce li, foc ce li ki ptesident d'3Cai1i mejoie pa ko che/ d'etat .f.i fe anpi/ btas ttavay ()hf3Cai'ti chetie, mtin tinmin' ou an pile Linstalle anpile usine ff!ou ka vin 'belle en pile mans tout tecoin d'3Cai1i Jlk anpi/ ttavai/, ak !'union, ak Ia paix. Si nou mett meioie chef d'etat Ce pou taison ca Pays ya va avance 'Jlap vote .Louis mejoie.

224 Conseil Militaire de Gouvemement La Ville des Cayes: Politique I

Hl'\ni.IQU& D'HAI n !iKRVJCH NATION.\!, nR'i:A"faOOUCTlON MiRK(tLJ~ IT DO I .'RN~fmi~EMKNT RURAL

1 ~·~- du J).;part-.:~t • S1Uiltta11 clel poune• dat ••l'ft 4.t ia Velllit clD J"'cmol

L' hgro~. en Ohet.rmr I& ltttre du 20 P\JYritr,m'••pprerJl q'UI YOtN Dyr.d.lca.t • deMII$ au S~rvico c1l lui toum1r t.l taot·de pom.:u 4• ..~1 , :te 100 Uvrel• • •, ~~~

' y .~·: .: ~ 2.~. pu.. I>OU•o1r mottro - la 41opooU1011 ... 'rl!f~OA11 o!Jl.~ t1 t.: 481118.n4h dt Ht~WmGel pro,.enau'l dee •••'h de ,.N~•,·~11i\i~~r 2~ "'· de• !)o~pinUNI 4u A.nglah et 41 Mli.. U-.t~·'~ o.qDd.J.tiou• .luvari·~ · .··i'J~~ •/·2QOO Uvroo 4o ln nrUW !Bl41 ::trtUiiiJ>)I•,~o..,.••· :l• ••••!lf • ~ poou o\ A oltoiro JOIIiyar1ot6 priNWe · 'lu4 4.. liato-Uilh,4uNit. «t. 9.'.§,4 • •. • al"r.e 70 Jourt,nnUNnt po1dblt en '''r" twaUe u.ooo K'1l~t ;. ~'UI}! 'J%~ ;S ~/20fXJ U-• do la voriutu 'lrioh.CobUr'r10..,• d,e t•r>• l -'·.:!'!; ~'!";::~r;: :!;:-"~.~· do oroioo&JIOo 84 JOilrliJ't~~:'·OOO ri~ft': ·• o/-lo pru 4a ooo ••rl<'t

3.-n n•e•t !>al 11un• 1nt0rilt qut Jo vou11 '*PPI'tlhn• 1;\UJ u, tltm.1i·re ~~r;n 1:• ,;4~:n::!o;;~·;:_ ~:!~ o::·:~i'!.;~~!;.oo;!: }7W}~}~;0~t~~~1;'; :>rinoe.Lu priz .cmt consiil. re =lemtnt montl pou.r h!w 161.,.~\~' !• ct>.t'lrith•••

1..-VIN.il :t1~ noter r,ue ln rtmcl~t~ent;.e dont 11 o::~t. ~i;(,l:, t.i ... n tA'WC. ·l'b." , 2u et .~b •'V-tonUnt pou1" dee 0\ll.\urel en tern:o.lllbtnn~.e~, t~. W Oljfl.· ·~~,~~ ;.,., !'rnfnn :our .-J&nt n~ d..fNl' tonnea 4. 1 en,.Jrah Q.IOt.i •t ~Jiil)hat<'• A ·lpia• :,·, nt 1.> HlparlinniR de bQuillio bDrd.elahe.JJ'orae at dr.tJa,,\o vou•~ ;.~'\j Itt t, ;~11.rdo oonho l 1at1iatl.UO c11rtntno

.5,...Je 11e ticml' ~ ··o•ra plu entU.ra, dhJ.'Oii\!~11 Po1•t t:'lllt ·~rt• rvhuo1,;nertl0n:ta qui pourr•d<-n~ '0"1&.8 fa.h·e bo11oln tnht tlO'IM· f(~·.'lt··lf6'~'f J • . • IUUI,Je p.,....Uo A Roobelo11,8110 111. 4'al~Uude,4eo upvriiiiOOI 11\U' 1l Otll.Wft de la ponue 4t '\erft tur 11M baee ••1-oomrneroia.le. 6.-vouo vau- bton ooou11r r4otpt1on do h pr>

Copio

Conseil Militaire de Gouvernement 225 La Ville des Cayes: Politique I

8/e 8 Oriani - De g 8 d: Dejoie, Andre Dimanche et Emest Paquito Vaval

Louis Dejoie et Andre Dimanche au travail

226 Consei/ Militaire de Gouvernement La Ville des Cayes: Politique I

Louis Dejoie - En conversation avec des vendeuses de vetiver

Fram;ois Isaac

Vital-Heme Chamblain

Conseil Militaire de Gou·:

Roland Latai/lade, sous secretaire d'Etat lnterieur Embassadeur Roy Tasco Davis: Atelier de couture de Jonc

228 Conseil Militaire de Gouvernement Couple Presidentiel entoure de Philippe Jocelyn a droite et Clement Jumelle a gauche - Aux Cayes

Au Club Juveniat- De g a d: Mme. Clause/ Sicard, Bertrand Bourgeois, Mme Paul Magloire, President Paul Magloire, Mme. Bertrand Bourgeois

Conseil Militaire de Gouvernement 229 La Ville des Cayes: Politique I

President Magloire pronongant un discours au Juveniat.

~/ I

Arc de Triomphe Etagifd aux Cayes- Arrivee Magloire 1950

230 Conseil Militaire de Couvernement President Magloire au bal du Juveniat

~Photo , t)ORET Mme Magloire entouree du Dr. Pascal Fouron et du Pere Jacq.

Conseil Militaire de Gouvernement 231 Rodrigue Numa Alex Dominique

Premiere rangee de g. a droite: Sam Pressoir et Othello Bayard

232 Consei/ Militaire de Gouvernement La Ville des Cayes: Politique I

Installation de Gontran Lamour (Affaires sociales) De gad.: lt. Santelli, Philippe Jocelyn, Clause/ Sicard, Col. Linne Xavier, Raymond Hyppolite, Emmanuel Vi/larson

Un groupe de Cayens dont Willy Scutt (dans le cere/e) au carrefour Hore/le

Conseil Militaire de Gouvernement 233 La Ville des Cayes: Politique I

De g. a d.: s-It. Roger Celestin, ft. Lanore Augustin, ft. Pierre Merceron Cadet Alix Jean

Funerailles des Officiers Lanore Augustin et Alix Jean

234 Conseil Militaire de Gouvernement Mwen se Kansan fe- 6 decembre 1956

De g. a d.: Max Bolte, Lamothe(?) Joseph Buteau, Jean Price Mars, Stenia Fethiere, Rodolphe Barreau, President Pierre-Louis, Hugues Bourjolly, capt. Gagneron

Conseil Militaire de Gouvernement 235 La Ville des Cayes: Politique I

Sac du Senat en 1950- de gad: Charles Fombrun, Joseph Buteau, Emile St. Lot, Alphonse Henriquez, Jean Belizaire, Rameau Loubeau, Hugues Bourjolly, Bignon Pierre-Louis, Edgard Poux, Laurin Deroux. Premiere rangee: Eugene L. Roy, Louis Dejoie, Jacques Magloire.

Sortie de prison et accueil a Ducis de Rene Conde le 16 decembre 1956. A droite Ernest Joseph et Edouard lssa

236 Consei/ Militaire de Couvernement ~... ·~ q ·.\ }

r'

Visite aux Tirailleurs - Leon 0. Baptiste, Louis Dejoie, Rene Conde.

Dejeuner chez les Chevalier - Louis Dejoie avec Monique Blanchet a droite et Ginou Limousin a gauche

Conseil Militaire de Gouvernement 237 Messe d'action de g~ce 23 Fevrier 1957 aux Sacra-coeur De g a d: Clare/ Lissade, Raymond Clavier, Raymond Riviere, Theophile Woe/, Georges Stevenson, Franck Lanoix, Marceau Desinor, Louis Dejoie, Axel Marean

Rouleau compresseur

238 Conseil Militaire de Gouvernement De gad.: Colbert Bonhomme, Thesalus Pierre Etienne, President Sylvain, Ministre Sajous, Gal. Cantave (?) Joseph Damas, Daniel TMard

De gad.: Paul Magloire Gal. Levett, Col. Max Chassagne, Col. Antonio Th. Kebreau Col. Edouard Roy

Consei/ Militaire de Couvernement 239 Installation du General Antonio Th. Kebreau

Col. Pierre Haspil avec a sa droite Amerlin Conde Assesseur, Clause/ Sicard Maire, Milian Conde, Prefet 240 Conseil Militaire de Gouvernement Dr. Louis Numa Dr. Lesage Chery avec Amold Jean-Philippe (dr) et Alex Simon (g)

Louis Dejoie et /'auteur a I'Eglise du Bel-Air. Au bane arriere le Juge Joseph Benoit fils

Conseil Militaire de Gouvert.f!ment 241 Dr. Fram;ois Duvalier

Clement Jumelle

242 Conseil Militaire de Gouvernement Daniel Fignole

Louis Dejoie

Conseil Militaire de GouvernemeRt- 243 Charles Lindberg au centre, a droite Gustave Kolbjornsen en uniforme d'agent agricola- 1928

Chevalier Daguilh

Emile St Lot presentant ses lettres de creances a I'Empereur Hai' le Selassie

244 Consei/ Militaire de Gouvernement La Ville des Cayes: Politique I

Louis Dejoie - Campagne dans le Sud

Max Bolte et Leonce Bernard

Conseil Militaire de Couvernement 245 ·, ' ,, ;J,}ft'i'{ Alix Verrier, Andre Rene, Jacques Percy, Albert Remarais, Raymond Raynaud, Neree Lindor, Maurice Hollaflt, Jean Hilaire, Willy Rome/us, Joseph Darbouze

tEdmond Pierre et Georges Conde

246 Conseil Militaire de Gouvernement La Ville des Cayes: Politique I

Visite d'un atelier d'artisanat Mme. Lesage Roland, Emm. Hogard, M. T. Roland

Visite au bassin g{meral De g a d.: Raymond Riviere, Guy Beliard, Georges Conde, Louis Dejoie, (?) Henry Delva, (?) Frederic Besson

Conseil Mifitaire de Gouvernement 247 Fignole, Duvalier et Dejoie - Reunion Collegial

Formation du Collegial: Col. Villedrouin remettant un pli aLouis Dejoie

248 Consei/ Militaire de Gouvernement La Ville des Cayes: Politique I

Formation du Collegial. Dr. Duvalier entre Jean David adr. et le Col. Villedrouin.

Formation du Collegial. Correction du discours par Louis Dejoie en 1957.

Conseil Militaire de Gouvernement 249 Lelia Dennery

Beliard Giraud Amerlin Conde

250 Consei/ Militaire de Gouvernement La Ville des Cayes: Politique I

Galerie Hugues Verret Dr. Henry Gattereau

~'~ ~ Louis Dejoie a un diner diplomatique. A droite le Gal. Antoine Levelt

Conseil Militaire de Gouvernement 251 Louis Dejoie

Emmanuel Argant

Mme Ida Volne Pierre et Pauleus Duverseau

252 Conseil Militaire de Gouvernement La Ville des Cayes: Politique I TABLE DES MATIERES

AVANT PROPOS ...... 5 REMERCIEMENTS ...... 7 PARTIE I: L'AFFAIRE ANDRE THELEMAQUE, L'EXECUTION DU SENATEUR EDOUARD HALL (1848} ...... 9 PARTIE II: DECRET ETAT MERIDIONAL D'HAITI (1869}...... 23 LA REPUBLIQUE MERIDIONALE D'HAITI ...... 25 PARTIE III: LAGUERRE SALNAVE-DOMINGUE (1869} ...... •.•...... ••. . • 27 LA BATAILLE DE L'ISLET ...... 29 PARTIE IV: LE DRAME DE MARCHATERRE (1929} . 43 Introduction ...... 45 Les Circonstances du Drame de Marchaterre. . 46 Le Drame de Marchaterre ...... 49 Retombees du Drame de Marchaterre . . . . 56 L'Inauguration du Monument de Marchaterre . 58 Echo des Cayes . 72 Annexe1 ...... 76 Annexe2 ...... 87 PARTIE V: LES PRESIDENTIELLES DE 1956-57 AUX CAYES 95 Introduction ...... 97 Panorama de la Ville des Cayes al'Aubede l'Annee 1956 100 His toire d'une Candidature ala Presidence . 104 Profil et Itineraire de Louis Dejoie ...... 111 Presidence de Paul Magloire ...... 117 Le President Paul Magloire aux Cayes . 119 Le Regime du President Magloire en Peril . 121 Le Rempart du Jumellisme aux Cayes . . 125 Le Calvaire des Partisans de Louis Dejoie 128

Conseil Militaire de Gouvemement 253 La Ville des Cayes: Politique I

Duvalier et Jumelle dans l'Ar€me Electorale 130 Le President Paul Magloire aux Etats-Unis. 131 L'Adieu aux Armes du Gem1ral Paul E. Magloire 134 Le Senateur Louis Dejoie aux Cayes ...... 139 Le Candidat Pierre Eustache Daniel Fignole aux Cayes ...... 142 Presidence de Nemours Pierre-Louis . . . . . 145 La Marche triomphale de Louis Dejoie . 145 Profil de Fran<;ois Duvalier ...... 146 Profil de Clement Jumelle...... 151 Profil de Pierre Eustache Daniel Fignole . 152 L'Organisation des Partis Politiques Majoritaires en 1957 ...... 153 Presidence de Franck Sylvain...... 156 Les Derapages du Rouleau Compresseur 157 Le Comite de Cavaillon . 159 L'Affaire Clare! Denis . . 160 Le Comite de Port a Piment. 160 L'lncident du Pere J.B. Georges. 161 Le Senateur Louis Dejoie aux Cayes 162 L'lncident Liliane Mars . . . 165 Les Ripostes du REMPART. 165 Les remous Politiques. . . . 166 Le colonel Kebreau: un destin national? . 167 L'Hommage au Marron Clement Jumelle. 170 Gouvernement Collegial...... 175 Les Soubresauts Politiques . . 175 Le Leader Fignole aux Cayes . 180

254 Conseil Militaire de Gouvernemenl La Ville des Cayes: Politique I La Revocation du General Cantave: son dernier combat ...... 181 Presidence de Pierre Eustache Daniel Fignole ...... 183 La Declaration des Candidats Duvalier et Jumelle. 183 Dessous d'une Rupture entre Louis Dejoie et Daniel Fi- gnole...... 184 Conseil Militaire de Gouvernement 191 La Politique sous le CMG . . . 191 Militantisme: les Galeries. . . 192 La Militarisation de l'Etat et Cours Martiales 196 Phase Finale de la Campagne Electorale aux Cayes 198 Le Candidat Clement Jumelle aux Cayes . 199 Le Senateur Dejoie aux Cayes 202 Les Elections Generales . . . 205

Conseil Militaire de Gouvernement 2S5 Depot legal No. 01-11-381 Bibliotheque Nationale d'Hai:ti Acheve d'imprimer en Janvier 2002 sur les presses de l'Imprimeur II, Port-au-Prince Haili POLITIQUE AUX CAYES

~pres la Ville DES CAYES en octubre 1996, l'auteur fait une Jll "·~incursion dans_l~ ch~mp de la po~itique_et propose aux !ecteurs -_.J _des tranches d h1stmre de cette VIlle qm ne figurent pomt dans les manuels.

Les lccteurs sont da vantage familiarises avec les recits de la guerre du Sud, la participation du Sud dans la guerre de l'Independance, l'affaire Prou, etc.

Ce livre, le premier d'une serie, raconte des faits vecus par des Cayens et qui meritent d'etre sauves de l'oubli.

Ce livre comprend cmq parti.~s.

1- L'affaire Andre Telemaque et !'execution du senateur Edouard Hall, victimes de la clictature de Faustin Soulouque. 2- Le decrE't de l'Etat Meridion li du Sud, preside par Michel Domingue qui sollicitait le rrotectorat des Etats-Unis d'Amerique du Nord. ·

3- La batai~le de l'IE"let entre les forces du president Sylvain Salnave et celles de Michel Domingue.

"1:- Les evenements tragiques de Marchaterre. 5- Les Presi<'lentielk~ de 1956-1957 aux Cayes avec la pruticipation de quatre grandes figures nationales.

ISBN: 99935-2-030-6