Renseignements généraux L'interview d'un charles

tu parles, ! Le rédacteur en chef de , Stéphane Charbonnier, dit Charb, vit actuellement sous protection policière. Elle a été renforcée en mars lorsque le journal en langue anglaise Inspire, financé par Al-Qaïda au Yémen, a publié sa photo avec la mention : « Wanted Dead or Alive ». Charb revient pour nous sur sa carrière de dessinateur politique et satirique, amoureux fou du trait de , son maître. Hommage de à Charlie Hebdo. Charles Par Arnaud Viviant Portraits Patrice Normand/Temps Machine

Naissance ? de problèmes, ou du moins, il ne m’en a jamais Ma mère a dépoté à Conflans-Sainte-Honorine parlé. Même s’il ne détestait pas son boulot, son en 1967. Mais j’ai grandi juste à côté dans le Val plus grand bonheur dans la vie a quand même été d’Oise, à Pontoise. À l’époque, c’était encore la de partir à la retraite. Seine-et-Oise. Mes parents y vivent toujours. Lycée ? Que font-ils ? J’ai tout fait à Pontoise : l’école primaire, le collège, Ils sont aujourd’hui retraités. Mon père travaillait à le lycée. Je ferai peut-être le cimetière à Pontoise, France Télécom en tant que technicien et ma mère qui n’est pas très loin, lui non plus. Tout est dans était secrétaire d’un huissier de justice jusqu’à la le même quartier. naissance de mon petit frère. Après s’être arrêtée C’était comment Pontoise à cette époque ? un moment, elle a repris son poste de secrétariat J’imagine que ça a beaucoup changé ? mais à l’Éducation nationale, dans un LEP. Pas trop non, contrairement à la ville nouvelle Ton père est parti à la retraite récemment ? d’à-côté, Cergy, qui s’est beaucoup développée. À Ah non. À l’époque, France Télécom faisait le Pontoise, on habitait dans un des immeubles neufs ménage et ils ont fait des wagons de volontaires à la frontière de la ville, construits à la fin des qui voulaient partir plus tôt. Il est parti à 55 ans années 60. Il y avait le quartier dans lequel j’ha- (là, il en a 70) quand ils ont commencé à privatiser bitais, et puis après les champs. Les champs ont un peu. Et d’ailleurs, ça a posé des problèmes, car reculé un peu, mais d’un kilomètre en quarante- trop d’employés sont partis d’un coup, et ça a vidé cinq ans, pas énormément. C’est le quartier un peu France Télécom de tous les gens qui avaient un peu neuf de Pontoise, mais ça fait déjà un moment qu’il d’expérience. est neuf… Il y a quelques nouvelles constructions Ton père a une opinion sur les suicides à qui pointent de ci, de là, mais c’est un quartier qui France Télécom ? n’a pas tellement bougé depuis les années 70. Non, parce qu’il n’a pas été confronté à ce genre

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Ce n’est pas ce que TF1 appelle aujourd’hui « Je vote communiste le drame des banlieues ? Non, pas du tout. De temps en temps, ça pète. Aux mais je ne suis pas encarté. dernières émeutes, ils ont mis le feu au théâtre Le militantisme et l'humour national à Pontoise (qui est aussi dans le quartier), mais moi quand j’y vais (ça craint peut-être un peu ne font pas bon ménage » plus aujourd’hui), je n’ai pas l’impression d’être en banlieue telle qu’on la décrit à la télé, puisque j’y ai toujours vécu et que je n’y suis pas un étranger. C’est chez moi. Si on me foutait dans une banlieue équivalente, peut-être que je me dirais « Tiens, c’est la banlieue », mais là, je me dis juste : « Tiens, c’est Pontoise. » D’ailleurs, je n’ai jamais été emmerdé. Je ne me suis jamais fait dépouiller et aucun de mes copains ne s’est jamais fait emmerder, aussi bien gamins que maintenant. Tes parents avaient des opinions politiques que tu connaissais enfant ? Oui. Ils votaient et votent encore socialiste avec des pincettes, un peu moins dernièrement. Ils ont voté Front de gauche aux dernières élections. J’ignore s’ils le referont mais pour eux, je crois que c’était la première fois qu’ils votaient autre chose que socia- un raciste (c’était à mon avis plus un gros con Cela t’intéresse, à 14 ans ? voter une fois socialiste au premier et au second liste. qu’un raciste) et quand on lui demandait pourquoi Ah oui ! Ce que j’aimais surtout quand j’étais môme, tour. Ensuite, j’ai toujours voté communiste, et Ils étaient très engagés ? il votait ça, il répondait : « Je pense à votre avenir, c’était d’écouter les débats politiques à la radio, aujourd’hui encore. J’ai toujours su qu’ils étaient de gauche, mon père c’est pour votre bien que je vote FN, pour que ça aille les engueulades… Il y avait de bons orateurs et Communiste, PCF ? ne supportait pas qu’on dise du mal des fonction- mieux. » Voilà. Donc, grosses engueulades dans les d’autres moins. Je trouvais agréable d’écouter les PCF, oui. Ou Front de gauche, en venant du PCF. naires. J’ai une famille assez nombreuse, plutôt de repas de famille, entre mon père, ses frères, son bons. J’avais bien compris, sans savoir pourquoi, Tu n’as jamais songé à t’encarter ? droite, voire d’extrême droite. Mon grand-père était père, avec de temps en temps des claquages de en écoutant mes parents faire des commentaires, Non… Enfin, si, j’y ai songé. Puis je me suis dit au Front national, il avait sa carte. Cela créait une portes quand on abordait la question des fonction- que les gentils c’était la gauche, et les méchants la que ce n’était pas forcément une bonne idée dans polémique avec ma grand-mère qui était de droite naires qui sont des feignants, ou « y en a trop », « ça droite. la mesure où, en tant que dessinateur humoris- (mais tout de même pas FN,) parce qu’au-delà des coûte trop cher », etc. Donc, parents pas militants, Et à l’adolescence ? tique encarté, j’allais perdre une certaine liberté idées, elle trouvait déplacé de débattre de politique mais avec des opinions affirmées. Ils n’ont été que Politiquement au lycée, avec un ami, on a failli de critique. En devenant militant, comme je suis durant les repas de famille. Mon grand-père a dû très rarement manifester ou coller des affiches. s’inscrire au PS. Face à la montée du FN, on s’était assez discipliné, je risquais de ne plus faire que des décrocher la photo de Le Pen qu’il y avait au mur. 1981, j’imagine que c’est un peu la fête à la demandé ce qu’on pouvait faire et on s’était dit : dessins militants. Or, le militantisme et l’humour Il a mis à la place un calendrier de gonzesses à poil maison le soir de l’élection ? « Autant militer dans le parti de gauche le plus ne font pas forcément bon ménage. pour faire chier ma grand-mère. Je croisais les doigts pour que ce soit Mitterrand. important. » On avait plus ou moins cherché à s’ins- Que veux-tu dire par : « Je suis assez disci- C’était ton grand-père paternel ? Le seul truc que j’ai trouvé dommage, c’est qu’il crire mais par paresse, on a laissé tomber. Mais pliné » ? Oui. Toute la famille de mon père vit à Pontoise, il y n’y avait pas grand monde avec qui en discuter on manifestait dès qu’il y avait un mouvement Ben, si je m’engage, c’est pour être efficace, et on a plein de Charbonnier à Pontoise, quasiment tous au collège, parce que la plupart de mes copains se contre le FN, en tout cas à Pontoise, même s’il n’y ne l’est pas si on prend beaucoup de temps pour de la famille. Quand le FN a commencé à exister foutaient pas mal de la politique. Mais au moment avait pas grand monde. Puis, vers la fin du lycée, des décisions qu’on ne respecte pas. Ça ne sert à dans les années 80, mon grand-père était un de la présidentielle, on prenait un peu position en j’ai commencé à me rendre compte que les socia- rien. Si je vais aux réunions, c’est pour respecter la épicier qui a eu sa carte et partageait ces idées-là. découvrant les idées de chacun ; et on apprenait listes ne faisaient pasCharles grand-chose, Consigny en compagnie ni contre le décision prise à la fin, y compris si je suis contre. Il a pourtant vendu sa boutique à des Marocains qu’on avait des copains de classe qui étaient plutôt Front national, ni contred'une oeuvre le reste de Richard d’ailleurs, Texier et du Ça m’ennuyait de me dire que j’allais être prison-

qu’il aimait bien. Je ne l’ai jamais perçu comme de droite, ou avec des parents de droite. © Patrice Normand pour Charles coup, je me suis mis à voter communiste. J’ai dû nier de ça, et qu’on serait plus exigeant avec moi

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en tant qu’encarté qu’en tant que sympathisant. cigarette à la bouche en légendant : « Si vous fumez, « Je suis tombé amoureux Ça ne m’empêche pas de faire des dessins militants vous allez ressembler à Barre ! ». Je ne savais même pour le PC ou la CGT, mais on ne me dicte pas pas si Barre était fumeur, mais bon, j’associais du trait de Cabu à 10 ans. exactement ce qu’il faut que je dessine. Les asso- deux choses sans réel rapport : je savais que Barre Je sais que je suis venu ciations de gauche qui me demandent des dessins était méchant parce qu’il était de droite, et je ne me traitent plus comme un dessinateur que comme supportais pas la clope. au dessin politique un militant. À la fin du primaire, avec l’école, on allait à la grâce à lui » Mais n’aurais-tu pas aimé vivre les réunions, bibliothèque en étant obligé d’y prendre un livre la cellule, tout ce qui fait la vie d’un commu- par semaine. Je suis tombé sur Cabu, les albums niste ? de Grand Duduche. Et c’est à partir de la décou- Sans doute que tout cela m’aurait plu… Une verte de ces albums-là que je me suis dit : « Faire du fois, j’ai eu le sentiment de militer. C’était pour la dessin permet de raconter des histoires et de donner Palestine. Mais je suis resté très peu de temps dans son opinion. » Et donc, je suis tombé amoureux du cette association car tout se négociait à la moindre trait et des propos de Cabu très tôt, à 10-11 ans, virgule. Aujourd’hui, en tant que force d’appoint, je et ça a toujours duré. Je sais que je suis venu au suis présent. Mais en tant que rouage militant, je dessin politique et à la caricature grâce à Cabu. trouve ça trop fatiguant. C’est un peu le défaut de la Je lisais beaucoup de BD, je dessinais beaucoup, lancé plein d’autres titres avec la même société, et dalle si tu fais du dessin. » Du coup, après le bac, gauche (je ne connais pas assez bien la droite pour mais comprendre qu’on puisse signifier quelque Charlie Hebdo, qui était viable, s’est fait plomber malin comme je suis, je me dis : « Je vais faire une comparer), mais si tu mets deux mecs de gauche chose en dessin, c’est venu avec lui. par d’autres journaux qui ne l’étaient pas du tout. école de pub même si je n’aime pas ça – politique- dans une pièce, ils vont créer trois courants. Et Comment tombe-t-on amoureux d’un trait ? Par ailleurs, ce n’est plus un secret pour personne, ment, je suis contre – mais ça sera l’occasion de les courants, ça me fait chier. C’est ce que j’aimais C’est inexplicable. En plus, quand on voit la Choron qui était le gérant du groupe avait plus me perfectionner en dessin et peut-être d’en vivre. » bien dans le PC tel qu’on le connaissait il y a vingt manière dont je dessine aujourd’hui, ça n’a pas de compétences en tant qu’animateur et chef de Quitte à faire des dessins qui m’amusent à côté. ou trente ans : il n’y avait pas de courant visible, grand-chose à voir avec Cabu. Pourtant, j’ai essayé troupe qu’en tant que gestionnaire.... Ton choix est fait : tu veux devenir dessi- en tout cas de l’extérieur. Alors qu’au PS, on a de le copier, mais ça n’a pas marché. Je sais juste Tu vas donc alors rechercher les anciens nateur. toujours su qu’il y avait plusieurs courants, et ces que je partais en vacances avec La France des numéros ? Oui. Je serai publicitaire pour être dessinateur. histoires de rivalités internes, qui filtrent à l’exté- beaufs, l’ancien grand format, abîmé à force, avec Oui, et surtout les albums de tous les gens qui tra- J’entame donc un BTS de pub à Paris, j’y reste trois rieur, ça m’emmerde. Aujourd’hui encore, quand je des pages qui se barraient dans tous les sens, et vaillent à Charlie. Reiser, un peu de Gébé, Wolinski, mois et je me barre, dégoûté du milieu de la pub. vois un parti politique qui met sur la place publique c’était pour moi un véritable talisman anti-cons. le reste de l’équipe. Mais pendant très longtemps, il Le dessin et le graphisme avaient une toute petite toutes ses divergences en expliquant ce qui ne va Et quand dans une librairie, je voyais le bout d’un n’y a rien au-dessus de Cabu. Même encore main- part là-dedans et on parlait aussi beaucoup d’éco- pas entre tel et tel courant, ça ne me donne pas trait de Cabu dépasser, je le reconnaissais immé- tenant, quand je vois un dessin de Cabu, ça me fait nomie, de gestion, tout ce qui était lié au métier envie de voter pour eux. Les écolos, je ne pourrais diatement. Bon, c’est désormais mon métier, j’ai un truc. publicitaire, avec une vision très à droite, très jamais ! Qu’on me donne une version finale de tous l’habitude, j’arrive à reconnaître assez vite le trait Tu passes ton bac, j’imagine. libérale. Les consommateurs étaient nos ennemis, leurs débats, mais qu’on ne me fasse pas y parti- de tous les dessinateurs, mais à l’époque, j’étais Je passe mon bac, je le rate, je le repasse, je l’ai. et plus encore, l’annonceur, la marque. Le jour où ciper ! Qu’ils perdent du temps, c’est courageux de obsédé par Cabu. J’étais physiquement amoureux Je fais le journal du collège puis celui du lycée, on j’ai pensé que ce n’était plus possible, c’est quand leur part. Mais qu’ils ne m’en fassent pas perdre, de son dessin. C’était jouissif. gagne des prix, et je m’aperçois que c’est plutôt bien le mec qui venait nous donner un cours nous a à moi. Tu achetais des journaux à cette époque ? de voir ses dessins imprimés. Comme il n’y a pas de expliqué que les publicitaires étaient les Michel- Enfant donc, tu écoutes ces émissions Non. J’entendais parler de Charlie Hebdo mais je censure, on peut raconter plein de conneries sans Ange de l’an 2000. Là, j’ai dit à mes parents que politiques à la radio. Et tu dessines en même n’avais pas beaucoup d’argent, je n’achetais que avoir de problème… Mais tous les adultes qui m’en- j’arrêtais. Ils étaient un peu catastrophés. J’ai temps ? Spirou. Mais quand un jour, je me suis décidé à tourent, à commencer par mes parents, me disent commencé à chercher du boulot dans le dessin de Les premiers dessins politiques que j’ai faits, c’était acheter Charlie, je suis allé au kiosque et je suis que ce n’est pas un métier d’avenir… La conseillère presse, à envoyer mes dessins à droite, à gauche. en CM1 ou en CM2. Je me souviens d’une cari- tombé en fait sur le dernier numéro, dont la couver- d’orientation ne trouve pas d’école de dessin de J’ai fait des petits boulots : au cinéma Utopia qui cature de Raymond Barre, assez ressemblante, et ture disait : « Allez tous vous faire enculer. » Il a été presse, de BD, à l’époque il n’y en a pas, ou très était indépendant, ils faisaient un programme que comme j’étais déjà anti-clope, je lui avais foutu une arrêté pour des raisons économiques. Ils avaient peu, donc tout me dit : « Tu vas crever la je pouvais illustrer. C’était « travaux d’utilité

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« le directeur de publication La première semaine, ils ont passé un de mes dessins. La deuxième, ils m’en ont passé deux. J’ai de réussi à avoir un dessin dans le numéro 3 ou 4, reprochait à et j’y suis retourné régulièrement. Ils m’en ont pris deux, trois, quatre, puis ils m’ont proposé un d'être trop gauchiste. fixe, une somme pour dessiner au forfait. J’étais très content. Parallèlement à ça, j’étais encore On s'est barrés pour surveillant. Mais la rentrée d’après, en 1992, j’ai refonder Charlie Hebdo » arrêté, car on s’est barrés de La Grosse Bertha pour refonder Charlie Hebdo, avec une partie des gens de La Grosse Bertha, et surtout tous les anciens de Charlie. Comment s’est passée cette scission ? Le directeur de la publication, Jean-Cyrille Godefroy, qui n’était pas spécialement de gauche, était intéressé par l’idée d’un journal libertaire. Mais il reprochait à Philippe Val, le rédacteur en chef, d’être trop gauchiste, de ne pas traiter à égalité les socialistes et les gens du Front national. collective » à l’époque. Après, j’ai été surveillant C’était un débat de fond. Il a prévenu une partie de à Argenteuil dans la ZUP. La galère a duré trois, l’équipe, dont moi, qu’il allait virer Val. Sauf que quatre ans. Mes parents ne m’ont jamais fait chier. moi, j’étais plus d’accord avec Val qu’avec lui. Je Quand je gagnais du fric, je leur payais un loyer, n’avais pas envie de faire des dessins rigolos sur j’avais toujours ma chambre chez eux. le FN, j’avais envie de lui rentrer dans la gueule, et Tu ne désespérais pas ? je n’avais pas non plus envie de faire des dessins Non, je plaçais mes dessins de temps en temps salauds sur le PC, parce que c’est plutôt mes idées. dans des journaux professionnels qui crevaient Donc la réunion de rédaction a eu lieu et quand le avant de me payer, ou qui ne me payaient pas du directeur de publication a annoncé qu’il se séparait tout. Mais je voyais que c’était possible. Je notais de Val, la moitié de la salle s’est barrée avec lui. Il les adresses de journaux avant de monter sur ne restait plus qu’une partie de l’équipe pour tenir Paris, et je faisais la tournée des directeurs artis- le journal qui a duré quelques numéros avant de tiques (à l’époque, il n’y en avait plus beaucoup), s’arrêter, essentiellement faute de dessinateurs. mais j’arrivais à rencontrer les responsables. Et je La Grosse Bertha, ça marchait bien ? me suis rendu compte que ce n’était pas comme on Non, ça marchouillait. Les bonnes ventes tour- me l’avait décrit : il n’y avait pas la queue devant naient autour de 18 000. Mais pour moi, la véritable les journaux avec des gens qui ont une planche à école que je n’ai pas faite, c’est La Grosse Bertha, dessins sous le bras. Il y avait même des journaux parce que j’y côtoyais Cabu. Il y avait déjà . qui n’avaient pas de dessinateur et qui se disaient est arrivé ensuite, puis … qu’ils pouvaient tenter l’expérience… Au moins Ces dessinateurs, pour certains déjà une fois. Ça m’encourageait à continuer. Puis, en installés, déjà célèbres, vous accueillaient, 1991 est sorti La Grosse Bertha, édité par Jean- vous, les jeunes, avec beaucoup de gentillesse. Cyrille Godefroy, un journal satirique qui ressem- Oui, oui, ils nous ont fait confiance. Je revois gra- blait étrangement à Charlie Hebdo, dans lequel il phiquement les dessins que je faisais à l’époque : y avait certains anciens, dont Cabu et Val qui en pour les idées, ça passait, mais quelqu’un qui arri- devint rédacteur en chef assez vite. J’y suis allé. verait à Charlie avec un tel niveau de dessin ne

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« Les premières polémiques à l’intérieur de l’équipe ont commencé sur le Kosovo : fallait-il que l’OTAN bombarde ou pas, pendant la guerre ? »

serait pas pris aujourd’hui. C’est surtout Cabu qui pour la semaine prochaine, sauf qu’on est à la rue, hésitation, avant d’imprimer, on ne savait pas si on avec tout le monde. Delfeil de Ton était là, il a faisait confiance aux jeunes dessinateurs et qui personne n’a de local, de photocopieuse, rien. Ce mettait « Charlie Hebdo » ou un autre titre minable. fait un petit texte, il est parti, il est revenu, il est arrivait à repérer, dans un dessin qui n’était pas qui va faire la décision, c’est une rencontre entre Et du coup, on s’est retrouvés dans un café au reparti. Il s’était fâché avec Val. Mais en gros, ce qui abouti, quelque chose qui pouvait devenir bon. Val et Wolinski. Celui-ci dit en substance à Val : dernier moment avec Gébé et j’ai appelé l’impri- est Charlie Hebdo aujourd’hui était déjà là en 1992. Je me souviens de l’arrivée de Luz. Je n’avais pas « Pourquoi voulez-vous refaire un journal comme La meur parce que Gébé a piqué une crise en disant : On a l’impression de voir une évolution moi-même un excellent niveau, mais lui, c’était Grosse Bertha ? C’est un Charlie Hebdo qu’il faut « Oh merde, Charlie Hebdo, c’est nous ! J’ai toujours rédactionnelle de Charlie. Je ne sais pas à quel pire…Or, au bout de deux ans, il est devenu Luz. refaire. Le titre est libre depuis 1981, prenez-le ! ». fait Charlie Hebdo ! On fait Charlie Hebdo ! ». Je l’ai moment Caroline Fourest arrive dans l’histoire, Il avait trouvé son style. Et du coup, Val annonce dans une interview sur dit à l’imprimeur, et Choron nous a fait un procès, mais il y a un tournant dans les années 2000 C’était incroyable ! Mais le plus incroyable, c’était France Inter qu’on va relancer Charlie Hebdo. que Cavanna a finalement gagné. où la question de l’Islam va devenir plus impor- surtout : « Comment Cabu a-t-il vu dans nos dessins J’entends ça chez un pote, je me dis « Chouette ! ». Tu racontes que c’est toi qui appelles l’im- tante. quelque chose qui finirait par être construit ? » Il Mais j’y croyais à peine. primeur, donc tu es déjà bien au centre… Ça vient assez tard, la question de l’Islam. Ce qui nous donnait des conseils pour la mise en page, Tu n’étais pas au courant ? Oui. Je participe à tout ça, je vois tout de l’intérieur, fait d’abord venir Caroline Fourest en tant que pour l’angle du dessin : « Ça, tu devrais le mettre en Non, je n’étais pas au courant de la conversation l’angoisse de tout le monde, y compris les miennes, pigiste, c’était la question de l’extrême droite. Elle plus gros et ça, en plus petit », etc. Ce qui était bien que Val venait d’avoir avec Wolinski et Cavanna. parce que j’ai quitté La Grosse Bertha, et que je n’ai avait – et a toujours – une revue ProChoix, contre les aussi, c’est qu’il n’y avait pas de bataille d’ego à l’in- Du coup, on savait qu’on allait faire Charlie Hebdo, pas d’autres solutions financières que le succès de commandos anti-avortement, etc. On est vraiment térieur du groupe. J’ai un peu fréquenté le milieu mais dans quelles conditions ? Finalement, un Charlie. Effectivement, le premier numéro marche confronté à l’Islam vers 2006, avec les caricatures de la BD, et il est impossible de donner un conseil copain prête des locaux, un autre des photoco- super bien, puis les numéros suivants marchent un de Mahomet. On n’en a quasiment pas parlé aupa- à un dessinateur de bande dessinée. Immédiate- pieuses, on fait du camping dans des bureaux… peu moins bien. Mais suffisamment pour dégager ravant. ment il se braque, en te parlant de son style. Nous, Système D. Et en une semaine, on réussit à un petit salaire et que tout soit payé. Je suis salarié Il y avait la tradition quand même, la vieille on était des éponges. Cabu nous disait de refaire, faire un journal. Le problème, c’est qu’au fur et de Charlie Hebdo. tradition « bouffeurs de curés » de Charlie… on refaisait, et c’était bienvenu. C’est encore le cas à mesure que le journal se faisait (les anciens Quel était l’organigramme ? Val était déjà le Oui, qui continue d’ailleurs. aujourd’hui. Il est toujours là, et pour le coup, c’est avaient été recontactés pour en faire partie), tout rédacteur en chef ? Et il y a eu aussi le combat contre le FN. un militant du dessin : La Grosse Bertha n’aurait le monde disait « Oui ». Sauf Choron qui déclarait : Oui. Gébé était directeur de publication et Cabu, Oui. On a demandé l’interdiction du FN en faisant pas vu le jour si Cabu n’avait pas été là, comme « Oui, je veux bien participer, à condition que ce soit directeur artistique. une grande pétition en 1996. Avec Mélenchon Charlie Hebdo ne serait pas reparu s’il n’avait pas moi le gérant. » Et fort de l’expérience des années À ce moment-là, vous êtes combien de d’ailleurs, socialiste à l’époque qui se faisait mal dit : « présent ! ». précédentes, tout le monde (surtout les anciens) a salariés ? voir dans son parti : il s’était fait sérieusement Alors, comment ça se passe après cette dit : « Ah non, surtout pas Choron ! ». Du coup, Val Il y a Luz, Riss, Tignous, Val, Cabu, Gébé… Je ne engueuler. Ainsi que Patrick Kessel qui a été grand conférence de rédaction de La Grosse Bertha et Cavanna ont répondu : « On va le faire sans toi, sais pas, une dizaine. maître du Grand Orient, et un leader syndicaliste durant laquelle vous partez ? Vous avez déjà une tant pis… ». Choron : « Ah oui, mais si vous le faites Oncle Bernard ? policier de gauche. Tous demandaient avec nous structure ? sans moi, comme je suis propriétaire des droits, je était déjà là, il était déjà à La Grosse l’interdiction. Pas du tout ! On se dit qu’il faut faire un journal vous attaque en justice ! ». Et il y a eu cette grosse Bertha, il signait déjà Oncle Bernard et il est parti

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« Quand on a publié les caricatures de Mahomet, on s’est demandé si on devait le faire. On a tous répondu "oui" et on a tous assumé ensuite »

Tu dis que l’Islam commence avec l’histoire que j’en suis encore surpris, même aujourd’hui. tout ce que disait Val était pourri par principe), ce couverture sur Mahomet, ainsi qu’un faux numéro des caricatures ? Je ne comprends pas comment on peut passer sont les caricatures de Mahomet. Quand on les a spécial, Charia Hebdo. Là, ça devient visible. Les Oui, guère avant. Les premières polémiques à l’in- des positions qu’il avait en 1991 à celles de 1999. publiées, on s’est demandé si on devait le faire. On gens décident de le mettre en avant, et avec le déve- térieur de l’équipe ont commencé sur le Kosovo : Enfin, je comprends ses positions en 1999, c’est a tous répondu « oui » et on a tous assumé ensuite loppement d’Internet, le numéro se répand comme fallait-il que l’OTAN bombarde ou pas, pendant parfaitement articulé et construit. Sauf que ce n’est le fait de l’avoir fait. une traînée de poudre. La Une est envoyée à droite la guerre ? Là, il y a eu une engueulade dans la pas le même personnage. Ça veut dire pour moi : Tu vis actuellement sous protection et à gauche, elle est connue tout de suite. En très rédaction qui se reflétait dans nos articles. J’étais sortir de sa peau et en habiter une autre. Un chan- policière. Les caricatures de Mahomet ont peu de temps, on reçoit énormément d’insultes entré à Charlie Hebdo, comme Cabu, en tant qu’an- gement radical, difficilement explicable. été la première alerte à laquelle vous avez été sur le Net, sur mon mail. Puis le journal brûle, le timilitariste, j’étais donc contre les bombardements. Je me rappelle qu’on disait beaucoup à confrontée ? site de Charlie est piraté (en novembre 2011) et on Alors que Val, lui, les soutenait. En revanche, l’époque que tu étais proche de Val. Oui, c’est la première menace que tout le monde a l’impression d’avoir franchi un cap par rapport lorsqu’il travaillait à La Grosse Bertha qui paraît au Je l’ai été. En 1992, quand on refonde Charlie Hebdo, a prise au sérieux. On est forcément menacés. à 2006. À ce moment-là, quand je découvre à moment de la guerre en Irak, en 1991, il avait lui je le vois tous les jours, on mange ensemble, je dors Quand on écrit sur les Corses, on reçoit des lettres 5 heures du matin que le journal a cramé et que je aussi des positions très antimilitaristes. À partir de chez lui… J’étais très proche de lui, et il a com- de Corses, etc. Mais là, c’était la première fois vois les locaux, je me dis : « Bon, c’est foutu, on fera ce moment-là, il y a eu un froid entre nous et ça mencé à prendre ses distances, et sûrement moi qu’on faisait le journal avec un car de CRS en bas autre chose. » Mais très vite… a mis un certain temps à se réchauffer. J’étais en aussi, de fait, parce qu’on s’engueulait régulière- de l’immeuble. Et pour le coup, Val, Cabu, toutes Très vite, il y a une émotion et une solida- désaccord avec lui sur ce sujet, mais personnel- ment. Ensuite, il y a eu plein de sujets sur lesquels les figures un peu reconnaissables de Charlie ont rité… lement, je n’avais rien contre lui, et il n’était pas on n’était pas d’accord, mais pas aussi sanglants été placées sous protection policière. Cela a duré Oui, et surprenante aussi, parce qu’il y a un chan- question qu’on s’embrouille à cause de ça. Or, pour que le Kosovo : Israël-Palestine, le référendum sur assez longtemps pour Val, moins longtemps pour gement d’état : Quand on aperçoit le journal fumant lui, c’était moins évident. Il a commencé à se fâcher l’Europe… les autres… Et même si on a gagné le procès contre à 5 heures du matin, parce que la police nous a avec tous ses copains qu’on classerait comme gau- On a l’impression qu’alors tout était écorché les associations musulmanes en 2007, Val est appelés, que l’on arrive en taxi alors qu’il fait nuit, chistes. Serge Halimi, qui était son pote, a pris ses vif dans la société, comme au sein du journal. encore resté sous protection. Mais bon, à part des qu’il y a du brouillard, que l’on voit les locaux au distances, tout le monde s’est un peu foutu sur la Ça l’a été. Mais pour moi, rien n’a été aussi menaces, rien de physique n’est arrivé. loin, mais pas de grande échelle ni de pompiers… gueule, et je crois que ça a été une rupture de Val important que le Kosovo. Même Israël-Pales- Je voulais avancer chronologiquement, On se dit que c’est un traquenard, que quelqu’un avec tous ses copains gauchistes. tine, on s’engueulait de colonne à colonne, mais mais faisons un détour : quand vous recommen- nous a attirés là pour nous péter la gueule… Du Comment expliques-tu que Val ait changé ce n’était pas aussi virulent. Ce qui nous a tous cez récemment à attaquer l’Islam… coup, lorsque je vois passer une patrouille de police, de position à ce moment-là ? rapprochés, y compris Siné qui, lui, était sur une On ne recommence pas. On n’a jamais cessé, de je me mets en travers de la route et je leur demande Aucune idée. Je ne peux pas l’expliquer parce ligne beaucoup plus radicale que moi (car pour lui, manière plus ou moins visible. En 2011, on fait la « Est-ce que Charlie Hebdo a bien cramé ? ». « Ah

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« Il y a un tel décalage entre le dessin de Luz et la réaction que cela a déclenchée, que j’ai encore du mal aujourd’hui à associer notre incendie avec ce dessin »

oui, vraiment. » Alors j’y vais, je découvre les deux- ce chantier en état ? ». Après, médiatiquement, tout une analyse politique, alors que le dessin de Luz trois flics qui étaient là (il n’y avait pas beaucoup s’est emballé. Les journalistes ont été au courant valait juste pour une blague. Il évoquait bien des de pompiers car ils venaient de finir leur boulot) très rapidement, ça a fait boule de neige. Puis risques d’installation de la charia dans les pays, et ils me disent, alors que ça fumait encore : « Il va Guéant, alors ministre de l’Intérieur, a débarqué, en Tunisie et en Libye, mais sur le mode : « Rions peut-être falloir contacter un serrurier ou un char- et toutes les télés à sa suite. Ça a changé un peu de avec le danger. » Sans lancer de grand message au pentier pour bloquer les portes parce que nous, on ne dimension, tout le monde nous a proposé un local monde entier. va pas rester… ». Et moi, les pieds dans la merde : pour nous reloger… Toi-même, tu viens de sortir le livre La Vie « Mais vous n’allez pas me laisser là, comme ça, Est-ce qu’à un moment, vous vous êtes dit : de Mahomet… à 5 heures du mat’… ». Et je laisse des messages « Arrêtons de jeter de l’huile sur le feu » ? Oui. Paradoxalement, après 2011, on fait d’autres à tous les potes qui ne sont pas réveillés en me Non, même pas. Quand on a fait la couverture de dessins de Mahomet, (ce n’est pas sur la couverture disant que je vais faire du gardiennage, tout seul Charia Hebdo, on s’est dit : « Tu vas voir, ils vont mais à l’intérieur des pages) qui ne suscitent aucun dans le quartier, pour protéger le journal… remettre ça… On va avoir des fatwas au cul… ». Mais scandale, aucun nouvel incendie, aucune menace. Les flics t’ont appelé chez toi en fait ? vraiment en déconnant parce que la Une signée Luz Puis en septembre dernier, on a fait une Une, Oui. Dans les locaux, ils ont trouvé un listing sur montrait un Mahomet souriant, plutôt clownesque. pour déconner, sur le film anti-musulmans, avec poser des problèmes ?… ». Je réponds : « Ben non, je le bureau de la secrétaire avec quelques noms On ne l’envisageait pas comme une attaque contre un jeu à l’intérieur : « Les films auxquels vous avez ne sais pas, je m’en fous. » « Est-ce que vous pouvez qu’ils ont appelés par ordre alphabétique. Donc, ils Mahomet ou l’Islam. Même pas contre l’Islam échappés » pour se foutre de la gueule de ce genre nous communiquer le journal, s’il vous plaît ? ». sont tombés sur Charbonnier, mais avant, ils ont radical ! C’était plutôt : « Rions avec l’Islam radical. » de film. Mon dessin qui a été pris en couverture, Rassure-moi : ils n’ont pas l’habitude de même appelé les anciens collaborateurs de Charlie Il y a un tel décalage entre le dessin de Luz et la c’était une parodie du film Intouchables. On y voit faire ça ? qui se sont aperçus le lendemain qu’ils avaient un réaction que cela a déclenchée, que j’ai encore du un musulman dans un fauteuil roulant, poussé par Ah non, ils ne font jamais ça ! Mais en plus, ils sont message sur leur répondeur. Coup de bol que Char- mal aujourd’hui à associer notre incendie avec ce un rabbin, avec en légende : « Intouchables 2, faut très polis, très gentils : « Est-ce que ça vous embête- bonnier ne soit pas loin du début… Ils ont réussi dessin. Je ne sais pas… Cela aurait été un dessin pas se moquer ». Et d’autres dessins à l’intérieur du rait... ? Vous pouvez dire non, hein !... ». à me joindre assez vite, mais moi, je n’ai réussi à d’un Mahomet agressif, barbu, hirsute, les sourcils journal font référence aux films, au cinéma, etc. Mais comment ont-ils été avertis ? joindre personne. froncés, avec les dents… Bref ! On est capable Par exemple, Luz fait un Mahomet avec les fesses à Je ne sais pas… Ou alors, on avait mis la Une en Et tu y vas tout seul, tu constates le de faire des dessins méchants. Mais là, franche- l’air qui dit à Godard : « Et mes fesses ? Tu les aimes ligne… Je ne sais plus. Toujours est-il que le lundi désastre… ment, Mahomet était juste un petit schtroumpf mes fesses ? ». Il n’y a que des conneries comme soir, au moment du bouclage, je reçois un coup Oui, et je me dis « c’est foutu ». Et puis j’appelle tout déconnant ! On s’est dit que c’était plus un clin ça… Et là, tout le monde a peur… Je ne sais pas de fil de la préfecture qui s’inquiète des consé- le monde au secours pour leur dire : « Venez, je suis d’œil à la Une de 2006, où on voyait, sur le dessin comment ça a démarré, mais en gros, la préfecture quences possibles. Je leur dis : « Ce n’est pas pire tout seul, je ne peux pas tenir les locaux comme ça. de Cabu, le prophète se plaindre en disant : « C’est m’appelle pour me demander : « Il y a quoi dans le que ce qu’on a déjà fait, et il n’y a pas Mahomet Je fais quoi ? Qui est-ce que j’appelle pour remettre dur d’être aimé par des cons. » À l’époque, c’était numéro de cette semaine ? Est-ce que ça risque de en couverture, c’est juste un musulman et un juif…

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« dans "Inspire", paraît une affiche sur laquelle est e écrit : “WANTED Dead or Alive” au-dessus de la tête de onze mecs, dont moi, avec les noms et tout ça »

Bon, à l’intérieur, oui, comme toujours, mais pas gouvernants. Parce que la police est bien ren- une affiche sur laquelle est marqué : « WANTED Tu as de bonnes relations avec tes gardes en couverture. » Ils me demandent quand même seignée quand même. Dead or Alive » au-dessus de la tête de onze mecs, du corps ? de leur envoyer un exemplaire. Je réponds : « Le Sur ce coup-là, oui. Mais c’est la première fois et la dont moi, avec les noms, et tout ça. Un lecteur C’était un peu compliqué au début. Tu vois les journal part à l’imprimerie. Ensuite, je vous commu- dernière fois de ma vie où j’ai eu à faire à un officier m’envoie cette affiche par Internet après l’avoir vue flics arriver en costard pour te dire : « Monsieur, où nique les images. » Puis je rencontre un de leurs des renseignements généraux me demandant : dans la presse hollandaise. Au début, je me dis que allons-nous ce matin ? ». Et toi de répondre : « Ben, officiers, et le lendemain, alors que le journal est « Est-ce que ça craint ce que vous mettez dans le c’est un montage, ça fait tellement western, et puis au boulot, comme tous les jours », et comme ça tous déjà routé, Fabius puis Ayrault font une déclara- journal cette semaine ? ». Et pour ajouter immédia- c’est bien maquetté, c’est plaisant… les matins. Puis tu tentes un : « On peut peut-être se tion où ils condamnent l’action, disant qu’on jette tement : « Surtout, si vous ne voulez pas me le dire, T’as une idée de qui étaient les dix autres ? tutoyer ? ». Mais non, parce que ça ne se fait pas. de l’huile sur le feu, qu’on est irresponsables, etc. ne me le dites pas ! ». Il ne voulait pas être accusé Ah oui, oui, j’ai la photo, je te montrerai ça. Ils y Mais finalement oui, et puis tu parles normale- Et le truc s’emballe, prend une ampleur incroyable de faire pression sur la presse. Je lui ai répondu : ont mis Salman Rushdie, le rédacteur en chef du ment, et ils s’habillent normalement… Sans être parce que des ministres, dont le premier ministre, « Il n’y a rien de secret, vous pouvez passer au journal danois Jyllands Posten qui a publié les cari- des copains, tu as des conversations normales s’en mêlent. Du coup, le mercredi, quand on va à journal si vous voulez. » « Ah non, non, non, non, non ! catures ; le dessinateur du Mahomet avec la bombe avec des gens normaux. Des fois, je finis par me la conférence de rédaction de Charlie, on peut à Mais si vous pouviez quand même me donner les en turban ; le pasteur taré américain qui a brûlé demander si ce n’est pas moi qui bosse dans la peine approcher à cause du nombre de journalistes dessins… ». le Coran ; le réalisateur du film anti-Islam, etc. police, et eux qui vont à Charlie Hebdo. présents. La polémique est soudain devenue : « Il y Ta protection policière date de quand ? Un mélange… Et puis, il y avait ce slogan qui m’a Tu parles boulot avec eux ? a des Français à l’étranger qui ont peur, des écoles Elle date de l’incendie. Elle a été assouplie au cours donné à penser que c’était une connerie : « Yes, we Ils n’ont pas le droit d’évoquer leurs autres vont fermer, etc. » On reçoit des lettres d’insultes. des mois, puis renforcée en septembre dernier can ! A bullet a day keeps the infidel away. » Moi, je missions au sein du service, en revanche, ils sont Il y a eu tout de même eu un attentat en puisque médiatiquement, on était en plein tournant. trouvais ça marrant, tu vois. Et un journaliste spé- intarissables sur leurs expériences précédentes. rapport avec le film… Cela s’est relâché, puis resserrer de nouveau début cialiste du terrorisme m’envoie tout le journal en Du coup, j’ai un panorama assez large et précis de Il y a eu un attentat à Benghazi qu’on a attribué au mars. Pour le coup, cela n’a heureusement pas été PDF, et effectivement, c’est un vrai journal, un truc tout ce qui se passe dans tous les commissariats film. Mais on a su plus tard que ce n’était pas la trop médiatisé : Al-Qaïda basé au Yémen publie un sérieux ! Je l’ai dit aux flics qui l’ont fait remonter en France, et dans tous les secteurs. En rigolant, je vraie raison. En revanche, il y a eu des manifs dans journal en langue anglaise qui s’appelle Inspire à à leur hiérarchie, laquelle a renforcé ma protec- dis : « Si un jour, je fais de la politique, je pourrais au le monde, plus ou moins violentes, de minorités destination de l’Occident, pour recruter et donner tion rapprochée. J’ai flippé. Comme je suis le seul moins être ministre de l’Intérieur ! ». filmées en très gros plan, contre ce film. Les médias des consignes aux militants potentiels. C’est appa- Français du truc, j’ai pensé que tous les journaux donnaient l’impression que tout l’Islam, une fois de remment dans un autre numéro de ce journal que allaient écrire : « Stéphane Charbonnier, c’est notre plus, s’embrasait, qu’il n’y avait que des tarés en la « recette » des bombes de Boston a été publiée. Français ! ». En fait, ils se sont tous écrasés. terre d’Islam. Ils donnent des trucs : comment faire dérailler un Personne n’en a parlé ? D’après ce que tu me dis, on est dans un train, comment foutre la pagaille avec de tous petits Métro en a parlé, les sites Internet aussi, mais très système qui fonctionne entre la police et les moyens. Et au mois de mars, dans Inspire, paraît peu. Le Figaro a évoqué la chose sans citer de noms.

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