Tu Parles, CHARB ! Le Rédacteur En Chef De Charlie Hebdo, Stéphane Charbonnier, Dit Charb, Vit Actuellement Sous Protection Policière
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Renseignements généraux L'interview d'un charLes tu parLes, charb ! Le rédacteur en chef de Charlie Hebdo, Stéphane Charbonnier, dit Charb, vit actuellement sous protection policière. Elle a été renforcée en mars lorsque le journal en langue anglaise Inspire, financé par Al-Qaïda au Yémen, a publié sa photo avec la mention : « Wanted Dead or Alive ». Charb revient pour nous sur sa carrière de dessinateur politique et satirique, amoureux fou du trait de Cabu, son maître. Hommage de à Charlie Hebdo. Charles Par Arnaud Viviant Portraits Patrice Normand/Temps Machine Naissance ? de problèmes, ou du moins, il ne m’en a jamais Ma mère a dépoté à Conflans-Sainte-Honorine parlé. Même s’il ne détestait pas son boulot, son en 1967. Mais j’ai grandi juste à côté dans le Val plus grand bonheur dans la vie a quand même été d’Oise, à Pontoise. À l’époque, c’était encore la de partir à la retraite. Seine-et-Oise. Mes parents y vivent toujours. Lycée ? Que font-ils ? J’ai tout fait à Pontoise : l’école primaire, le collège, Ils sont aujourd’hui retraités. Mon père travaillait à le lycée. Je ferai peut-être le cimetière à Pontoise, France Télécom en tant que technicien et ma mère qui n’est pas très loin, lui non plus. Tout est dans était secrétaire d’un huissier de justice jusqu’à la le même quartier. naissance de mon petit frère. Après s’être arrêtée C’était comment Pontoise à cette époque ? un moment, elle a repris son poste de secrétariat J’imagine que ça a beaucoup changé ? mais à l’Éducation nationale, dans un LEP. Pas trop non, contrairement à la ville nouvelle Ton père est parti à la retraite récemment ? d’à-côté, Cergy, qui s’est beaucoup développée. À Ah non. À l’époque, France Télécom faisait le Pontoise, on habitait dans un des immeubles neufs ménage et ils ont fait des wagons de volontaires à la frontière de la ville, construits à la fin des qui voulaient partir plus tôt. Il est parti à 55 ans années 60. Il y avait le quartier dans lequel j’ha- (là, il en a 70) quand ils ont commencé à privatiser bitais, et puis après les champs. Les champs ont un peu. Et d’ailleurs, ça a posé des problèmes, car reculé un peu, mais d’un kilomètre en quarante- trop d’employés sont partis d’un coup, et ça a vidé cinq ans, pas énormément. C’est le quartier un peu France Télécom de tous les gens qui avaient un peu neuf de Pontoise, mais ça fait déjà un moment qu’il d’expérience. est neuf… Il y a quelques nouvelles constructions Ton père a une opinion sur les suicides à qui pointent de ci, de là, mais c’est un quartier qui France Télécom ? n’a pas tellement bougé depuis les années 70. Non, parce qu’il n’a pas été confronté à ce genre 30 numéro 6 — 31 Charles Renseignements généraux charb Ce n’est pas ce que TF1 appelle aujourd’hui « je voTe communisTe le drame des banlieues ? Non, pas du tout. De temps en temps, ça pète. Aux mais je ne suis pas encarTé. dernières émeutes, ils ont mis le feu au théâtre le miliTanTisme eT l'humour national à Pontoise (qui est aussi dans le quartier), mais moi quand j’y vais (ça craint peut-être un peu ne fonT pas bon ménage » plus aujourd’hui), je n’ai pas l’impression d’être en banlieue telle qu’on la décrit à la télé, puisque j’y ai toujours vécu et que je n’y suis pas un étranger. C’est chez moi. Si on me foutait dans une banlieue équivalente, peut-être que je me dirais « Tiens, c’est la banlieue », mais là, je me dis juste : « Tiens, c’est Pontoise. » D’ailleurs, je n’ai jamais été emmerdé. Je ne me suis jamais fait dépouiller et aucun de mes copains ne s’est jamais fait emmerder, aussi bien gamins que maintenant. Tes parents avaient des opinions politiques que tu connaissais enfant ? Oui. Ils votaient et votent encore socialiste avec des pincettes, un peu moins dernièrement. Ils ont voté Front de gauche aux dernières élections. J’ignore s’ils le referont mais pour eux, je crois que c’était la première fois qu’ils votaient autre chose que socia- un raciste (c’était à mon avis plus un gros con Cela t’intéresse, à 14 ans ? voter une fois socialiste au premier et au second liste. qu’un raciste) et quand on lui demandait pourquoi Ah oui ! Ce que j’aimais surtout quand j’étais môme, tour. Ensuite, j’ai toujours voté communiste, et Ils étaient très engagés ? il votait ça, il répondait : « Je pense à votre avenir, c’était d’écouter les débats politiques à la radio, aujourd’hui encore. J’ai toujours su qu’ils étaient de gauche, mon père c’est pour votre bien que je vote FN, pour que ça aille les engueulades… Il y avait de bons orateurs et Communiste, PCF ? ne supportait pas qu’on dise du mal des fonction- mieux. » Voilà. Donc, grosses engueulades dans les d’autres moins. Je trouvais agréable d’écouter les PCF, oui. Ou Front de gauche, en venant du PCF. naires. J’ai une famille assez nombreuse, plutôt de repas de famille, entre mon père, ses frères, son bons. J’avais bien compris, sans savoir pourquoi, Tu n’as jamais songé à t’encarter ? droite, voire d’extrême droite. Mon grand-père était père, avec de temps en temps des claquages de en écoutant mes parents faire des commentaires, Non… Enfin, si, j’y ai songé. Puis je me suis dit au Front national, il avait sa carte. Cela créait une portes quand on abordait la question des fonction- que les gentils c’était la gauche, et les méchants la que ce n’était pas forcément une bonne idée dans polémique avec ma grand-mère qui était de droite naires qui sont des feignants, ou « y en a trop », « ça droite. la mesure où, en tant que dessinateur humoris- (mais tout de même pas FN,) parce qu’au-delà des coûte trop cher », etc. Donc, parents pas militants, Et à l’adolescence ? tique encarté, j’allais perdre une certaine liberté idées, elle trouvait déplacé de débattre de politique mais avec des opinions affirmées. Ils n’ont été que Politiquement au lycée, avec un ami, on a failli de critique. En devenant militant, comme je suis durant les repas de famille. Mon grand-père a dû très rarement manifester ou coller des affiches. s’inscrire au PS. Face à la montée du FN, on s’était assez discipliné, je risquais de ne plus faire que des décrocher la photo de Le Pen qu’il y avait au mur. 1981, j’imagine que c’est un peu la fête à la demandé ce qu’on pouvait faire et on s’était dit : dessins militants. Or, le militantisme et l’humour Il a mis à la place un calendrier de gonzesses à poil maison le soir de l’élection ? « Autant militer dans le parti de gauche le plus ne font pas forcément bon ménage. pour faire chier ma grand-mère. Je croisais les doigts pour que ce soit Mitterrand. important. » On avait plus ou moins cherché à s’ins- Que veux-tu dire par : « Je suis assez disci- C’était ton grand-père paternel ? Le seul truc que j’ai trouvé dommage, c’est qu’il crire mais par paresse, on a laissé tomber. Mais pliné » ? Oui. Toute la famille de mon père vit à Pontoise, il y n’y avait pas grand monde avec qui en discuter on manifestait dès qu’il y avait un mouvement Ben, si je m’engage, c’est pour être efficace, et on a plein de Charbonnier à Pontoise, quasiment tous au collège, parce que la plupart de mes copains se contre le FN, en tout cas à Pontoise, même s’il n’y ne l’est pas si on prend beaucoup de temps pour de la famille. Quand le FN a commencé à exister foutaient pas mal de la politique. Mais au moment avait pas grand monde. Puis, vers la fin du lycée, des décisions qu’on ne respecte pas. Ça ne sert à dans les années 80, mon grand-père était un de la présidentielle, on prenait un peu position en j’ai commencé à me rendre compte que les socia- rien. Si je vais aux réunions, c’est pour respecter la épicier qui a eu sa carte et partageait ces idées-là. découvrant les idées de chacun ; et on apprenait listes ne faisaient pasCharles grand-chose, Consigny en compagnie ni contre le décision prise à la fin, y compris si je suis contre. Il a pourtant vendu sa boutique à des Marocains qu’on avait des copains de classe qui étaient plutôt Front national, ni contred'une oeuvre le reste de Richard d’ailleurs, Texier et du Ça m’ennuyait de me dire que j’allais être prison- qu’il aimait bien. Je ne l’ai jamais perçu comme de droite, ou avec des parents de droite. © Patrice Normand pour Charles coup, je me suis mis à voter communiste. J’ai dû nier de ça, et qu’on serait plus exigeant avec moi 32 numéro 6 — 33 Charles Renseignements généraux charb en tant qu’encarté qu’en tant que sympathisant. cigarette à la bouche en légendant : « Si vous fumez, « je suis Tombé amoureux Ça ne m’empêche pas de faire des dessins militants vous allez ressembler à Barre ! ».