Charlie Hebdo: le juteux commerce du blasphème

Par Éric Verhaeghe

Charlie Hebdo devient-il peu à peu le symbole d’une à la dérive, déchirée entre ses valeurs profondes et un monde dans lequel elle ne trouve pas sa place? L’affaire du licenciement (probable) de la journaliste en confirme le sentiment, éveillé par les polémiques soulevées par ailleurs par Caroline Fourest ou Jeannette Boughrab.

Combien rapporte le business du blasphème?

Il y a, bien entendu, la vérité officielle, celle qu’on sert aux Français dans les médias subventionnés:Charlie Hebdo incarne la liberté d’expression et symbolise le souffle gaulois qui a traversé les siècles. Et puis il y a la vraie vie qui se déroule derrière la façade repeinte en blanc le 11 janvier pour cimenter l’unité nationale. Comme toute la presse écrite, Charlie Hebdo crevait la dalle avant le 7 janvier et faisait périodiquement de la caricature de Mahomet pour relancer ses ventes, comme l’Express fait du franc-maçon ou d’autres font de l’astrologie, de la sexologie ou autres marronniers qui arrondissent les fins de mois.

Les actionnaires de Charlie Hebdo sont en partie responsables de cette débandade. Entre 2006 et 2009, ils n’ont pas hésité à se verser près de 4 millions d’euros de dividendes, grâce aux bénéfices tirés de la publication des… caricatures de Mahomet en 2006 – publication qui explique au moins formellement l’attentat du 7 janvier. Il n’y a bien entendu rien d’illégal dans tout cela, simplement, tous les discours sur le droit au blasphème en prennent un coup dans le bec: on est loin du combat désintéressé pour la liberté d’expression. Après l’attentat tragique du 7 janvier, le journal a récolté environ 30 millions d’euros… Une partie de cette somme est venue de dons (dont une aide d’urgence d’1 million d’euros du ministère de la Culture…) et une autre du produit des ventes, dont les actionnaires ont annoncé qu’il bénéficierait au journal.

Qui veut gagner des millions?

Les sommes récoltées par le journal depuis le 7 janvier sont devenues une fameuse épine dans le pied des actionnaires. Il semblerait que (40% du capital) et Portheault (20%) aient proposé à de reprendre les 40% de . Cette composition du capital s’explique par la revente à l’euro symbolique, en 2011, des parts de (13,3%), de Val (40%) et de (40%).

Luz aurait refusé la transaction en proposant plutôt une distribution de ces 40% aux salariés, qui, de fait, risquent leur vie en travaillant au journal. Il s’en est expliqué dans une tribune publiée par sous la signature d’un collectif qui regroupe notamment , l’urgentiste ami de François Hollande, et la journaliste Zineb El-Rhazoui. Toutes ces affaires, bien entendu, ne nous regardent pas… mais l’attitude de Luz paraît pour le coup plutôt honorable. Elle ouvre en tout cas pas mal d’interrogations sur les polémiques lancées par à son sujet.

Rappelons au passage que Jeannette Bougrab part en Finlande comme conseiller culturel à un bon 15.000 euros nets par mois aux frais du contribuable. Décidément, on n’arrête pas l’indécence.

La question du capital et de sa répartition est évidemment au coeur de la polémique. Les propriétaires du journal sont aujourd’hui à la tête d’un magot qui, d’une façon ou d’une autre, pose problème parce qu’il a été gagné à travers le symbole qu’est devenu le journal depuis l’attentat…

De ce point de vue, la direction actuelle du journal ne s’honore vraiment pas en défendant son bout de gras à coup de licenciements ou d’intimidations. Charlie Hebdo est devenu le symbole (contestable, mais c’est comme ça) de la liberté d’expression. Son destin est désormais de la défendre. C’est pourquoi les reproches adressés aux salariés, comme Zineb El- Rhazoui, de s’exprimer dans la presse, ne sont pas acceptables.

Lorsque nous sommes descendus dans la rue le 11 janvier, nous manifestions notre soutien à la liberté d’expression, même pour ceux qui ne partagent pas nos idées. De grâce, ne privatisez pas notre soutien!

Éric Verhaeghe http://www.eric-verhaeghe.fr/charlie-hebdo-le-juteux-commerce- du-blaspheme/