Vendredi 9 janvier 2015 ­ 71e année ­ No 21766 ­ 2,20 € ­ métropolitaine ­ www.lemonde.fr ― Fondateur : Hubert Beuve­Méry

LE 11-SEPTEMBRE FRANÇAIS

ENQUÊTE ÉMOTION CARICATURES DÉBATS RÉCIT 100 000 personnes LA TRAQUE DEUIL NATIONAL ET L’HOMMAGE BHL, VILLEPIN : « ILS ONT TUÉ ont participé à des manifestations (ici à DES DEUX FRÈRES RASSEMBLEMENTS DES DESSINATEURS RÉSISTER À L’ESPRIT “” » Toulouse, mercredi). ULRICH LEBEUF/MYOP DJIHADISTES SPONTANÉS DU MONDE ENTIER DE GUERRE POUR « »

LE REGARD DE PLANTU

sassiné lâchement des journalis­ teurs » qui osaient moquer leur tes, des dessinateurs, des em­ Prophète. L’équipe de Charlie ployés ainsi que des policiers Hebdo n’avait pas reculé, pas LIBRES, chargés de leur protection. cédé, pas cillé. Chaque semaine, Douze morts, exécutés au fusil armée de ses seuls crayons, elle DEBOUT, d’assaut, pour la plupart dans les continuait son combat pour la li­ ENSEMBLE locaux mêmes de ce journal libre berté de penser et de s’exprimer. et indépendant. Certains ne cachaient pas leur par gilles van kote Et, au milieu du carnage, victi­ peur, mais tous la surmontaient. mes de cette infamie, des collè­ Soldats de la liberté, de notre li­ gues, des camarades : , berté, ils en sont morts. Morts , Honoré, , Wo­ pour des dessins. motion, sidération, mais linski, ainsi que l’économiste A travers eux, c’est bien la li­ aussi révolte et détermi­ . Depuis des an­ berté d’expression – celle de la E nation : les mots peinent nées, des décennies, ils résis­ presse comme celle de tous les à exprimer l’ampleur de l’onde taient par la caricature, l’hu­ citoyens – qui était la cible des de choc qui traverse la France, au mour et l’insolence à tous les fa­ assassins. C’est cette liberté d’in­ lendemain de l’attaque terroriste natismes, pourfendaient les former et de s’informer, de dé­ perpétrée contre Charlie Hebdo. intégrismes, dénonçaient les im­ battre et de critiquer, de com­ Un choc qui nous renvoie, toutes bécillités, brocardaient les insti­ prendre et de convaincre, cette proportions gardées, à celui tutions. indépendance d’esprit, cette né­ éprouvé le 11 septembre 2001 par Depuis dix ans, ils étaient me­ cessaire et vitale audace de la li­ la planète entière. nacés et le savaient : des fous de berté que les tueurs ont voulu En plein jour, en plein , de Dieu islamistes poursuivaient de écraser sous leurs balles. sang­froid, des fanatiques ont as­ leur haine ces « blasphéma­ → LIRE SUITE PAGE 26

Algérie 180 DA, Allemagne 2,50 €, Andorre 2,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 2,20 €, Cameroun 1 900 F CFA, Canada 4,50 $, Côte d'Ivoire 1 900 F CFA, Danemark 30 KRD, Espagne 2,50 €, Finlande 4 €, Gabon 1 900 F CFA, Grande-Bretagne 1,90 £, Grèce 2,50 €, Guadeloupe-Martinique 2,40 €, Guyane 2,80 €, Hongrie 950 HUF, Irlande 2,50 €, Italie 2,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,20 €, Malte 2,50 €, Maroc 13 DH, Pays-Bas 2,50 €, Portugal cont. 2,50 €, La Réunion 2,40 €, Sénégal 1 900 F CFA, Slovénie 2,50 €, Saint-Martin 2,80 €, Suisse 3,50 CHF, TOM Avion 450 XPF, Tunisie 2,50 DT, Turquie 9 TL, Afrique CFA autres 1 900 F CFA 0123 2 | l’attentat contre « charlie hebdo » VENDREDI 9 JANVIER 2015 Récit La traque d’une fratrie de djihadistes Au lendemain de l’attentat qui a fait douze morts à « Charlie Hebdo », les enquêteurs recherchent les principaux suspects, deux frères de 32 et 34 ans. L’un d’eux avait été condamné en 2008 dans le cadre d’une filière djihadiste avec l’Irak. Les services de renseignements le surveillaient encore en 2010

est une carte d’identité leur trace à Reims et dans sa région, notam- qui a mis les enquêteurs ment à Charleville-Mézières (Ardennes). sur la piste de Saïd et Ché- Ils ne trouvent aucun des deux hommes, rif Kouachi, les deux qui sont de nationalité française, mais leur auteurs présumés de l’at- présence avérée et récente dans un apparte- taque meurtrière qui a ment du quartier de la Croix-Rouge, à Reims, C’coûté la vie, mercredi 7 janvier, à douze per- donne lieu à une longue perquisition et une sonnes et blessé onze autres dans les locaux analyse minutieuse du logement par la police de Charlie Hebdo, à Paris. Oubliée, selon une scientifique. Des proches susceptibles de li- source policière, par Chérif Kouachi dans la vrer des éléments sur la traque des fugitifs première voiture qui leur a permis de prendre sont placés en garde à vue dans la soirée du la fuite, elle a permis à la police de dresser leur mercredi 7 janvier. portrait et d’espérer les intercepter. Au milieu de la nuit, un proche de la compa- Les informations détenues notamment par gne de Chérif Kouachi, dont le nom circulait les agents de la Direction de la sécurité inté- sur réseaux sociaux, se livre au commissariat rieure (DGSI) permettent, dans l’après-midi, de Charleville-Mézières afin d’écarter, expli- d’identifier les différents points de chute de que-t-il aux policiers, les soupçons qui sem- deux hommes. Une homonymie conduit blent peser sur lui. Né en juillet 1996, il n’était, d’abord les enquêteurs dans un appartement jeudi matin, pas considéré comme un suspect de Pantin (Seine-Saint-Denis). Ils se rendent ayant participé à l’attaque. De source poli- ensuite à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), une cière, on indiquait même, jeudi, au Monde, ville où Chérif Kouachi s’est marié et a vécu. qu’« aucune charge » ne pesait sur lui et qu’il Enfin, les forces de police tentent de retrouver ne s’agissait, pour l’heure, « dans son cas, que de simples vérifications. » Saïd et Chérif Koua- chi, qualifiés, par les autorités, « d’armés et dangereux », étaient toujours en fuite, jeudi LES DATES matin. Estimant qu’ils pouvaient bénéficier La Mecque en 2008. Chérif Kouachi l’avait la pêche, je calculais même pas que je pouvais d’un « réseau de soutien », et craignant « qu’ils LE CADET A FAIT épousé le 1er mars 2008, avec, pour seul té- mourir ». puissent, de nouveau, se livrer à un acte san- PARTIE D’UN moin, son frère Saïd. Il est sa seule famille de- A la mosquée, il rencontre le futur chef de la 20 MAI 1978 glant », la préfecture de police de Paris a dif- puis le décès de ses parents. Relu à l’aune des filière irakienne, Farid Benyettou. A peine fusé dans la nuit un appel à témoins. GROUPE QU’ON événements d’aujourd’hui, le procès des But- plus âgé que lui, le jeune homme se vante Des Palestiniens ouvrent le feu tes Chaumont montre comment en dix ans, d’une connaissance approfondie de l’ et à Orly : 8 morts, 23 blessés. UNE FRATRIE SUSPECTE POURRAIT des jeunes du 19e arrondissement de Paris, joue les prédicateurs à la sortie de la prière. Saïd et Chérif Kouachi forment une cellule CONSIDÉRER âgés à l’époque d’une vingtaine d’années, Avec lui, les jeunes gens suivent des cours de 3 OCTOBRE 1980 « familiale » dont on ne connaît pour l’ins- sont passés de la volonté de se battre en Irak à religion, à leur domicile et dans un foyer du tant pas les éventuelles ramifications. Ce qui COMME UN DES celle de mener des attaques terroristes sur le quartier. Certains s’y rendent presque tous les Bombe à la synagogue de la rue est certain, c’est qu’avant d’être soupçonné sol français. jours et coupent, peu à peu, les ponts avec Copernic à Paris : 4 morts et une d’être l’un des auteurs des assassinats de « PIONNIERS » Chérif Kouachi a connu une partie de ses leurs familles. Leur mode de vie change radi- vingtaine de blessés. Charlie Hebdo, Chérif, le cadet, a appartenu à DU DJIHAD complices au collège. A l’époque, il est consi- calement. Ils arrêtent de fumer, cessent les un groupe que l’on pourrait aujourd’hui con- déré comme le plus violent et le plus impulsif trafics, visionnent des vidéos sur le djihad. 1982 sidérer comme l’un des « pionniers » du dji- À L’ÉTRANGER de tous. Ses camarades lui attribuent déjà des Les images de l’intervention américaine et had à l’étranger. De nationalité française, né projets d’attentats terroristes contre des com- britannique, en mars 2003, en Irak, les fasci- 29 mars Attentat contre le train dans le 10e arrondissement de Paris, Chérif, merces juifs à Paris. Avec ses copains, il com- nent. « C’est tout ce que j’ai vu à la télé, les tor- Le Capitole : 5 morts et 77 blessés. qui se faisait appeler « Abou Issen », a été con- met des larcins dans le quartier des Buttes- tures de la prison d’Abou Ghraib, tout ça, qui 9 août Jet de grenades dans le damné, le 14 mai 2008, à trois ans de prison Chaumont, dans le 19e : vols, drogue, petits m’a motivé », raconte, lors du procès de 2008, restaurant Goldenberg, à Paris : dont 18 mois avec sursis dans le dossier dit de trafics. Son attrait pour le « djihad » apparaît l’un des proches de Chérif Kouachi. 6 morts et 22 blessés. la filière « des Buttes-Chaumont », qui en- en 2003, lorsqu’il commence à fréquenter la S’ils se radicalisent en moins d’une année et voyait des candidats au djihad en Irak entre mosquée Adda’wa, à Stalingrad. Cheveux mi- cherchent à gagner l’Irak, Chérif Kouachi et 1983 2004 et 2006. Entendu en 2010, sa compagne, longs, carrure athlétique, mâchoire carrée, ses camarades apparaissent à la barre comme animatrice en crèche, avait revendiqué le port Chérif Kouachi admet à la barre, en 2008, un petit groupe amateur. Une sorte de bande 15 juillet Une bombe à Orly fait le voile intégral depuis son pèlerinage à avoir été « un délinquant «. « Mais après j’avais de « pieds nickelés » qui comparaît libre, à 8 morts et 54 blessés. 31 décembre Deux bombes ex- plosent, l’une en gare Saint- Des mosquées visées Charles de Marseille (2 morts et 34 blessés), l’autre dans le TGV Fusillade contre des policiers à Montrouge Une explosion d’origine criminelle Marseille-Paris (3 morts). s’est produite jeudi 8 janvier vers 6 heures à Villefranche-sur-Saône 17 SEPTEMBRE 1986 u lendemain de la tuerie à Char- assis sur une chaise, blessé au cou et en Hebdo ». L’individu aurait 52 ans et neuf (Rhône) devant un restaurant ke- lie Hebdo, une policière munici- état de choc. » condamnations à son casier. bab, près de la mosquée, sans oc- Attentat devant le magasin Tati, A pale de Montrouge (Hauts-de- Deux heures après les faits, des ver- Mais le ministre de l’intérieur douche casionner de victime. L’enquête rue de Rennes, à Paris : 7 morts Seine) est morte, prise pour cible par un sions contradictoires se propageaient y cet espoir. Arrivé à Châtillon après avoir criminelle a été confiée à la police et 55 blessés. homme, toujours en fuite. Il est près de compris auprès des autorités. Des té- quitté en urgence la réunion de crise judiciaire. 8 h 19, jeudi matin. Des agents de Mon- moins font état de deux hommes mu- autour de François Hollande, organisée Par ailleurs, deux coups de feu ont 25 JUILLET 1995 trouge (Hauts-de-Seine) interviennent nis de fusils d’assaut. L’un d’eux se se- au lendemain de l’attentat contre Char- été tirés, mercredi 7 janvier aux sur un accident de circulation, sur l’ave- rait aussitôt enfui à pied en direction de lie Hebdo, Bernard Cazeneuve annonce alentours de 20 heures, en direc- Bombe dans le RER à la station nue de Paris qui sépare les communes de la station de métro Châtillon-Mon- que l’auteur des coups de feu est encore tion d’une salle de prière musul- Saint-Michel : 8 morts, 119 blessés. Montrouge et Malakoff. Un homme qui, trouge. Le second prenant la fuite en en fuite. « Le procureur de la République mane à Port-La-Nouvelle (Aude), selon une source policière, portait un gi- voiture en direction de Paris, certains va nous rejoindre et va enclencher l’ac- avec une arme de faible calibre, 3 DÉCEMBRE 1996 let pare-balles, arrive derrière les agents. témoins précisaient qu’il conduisait tion publique de manière à ce que sans faire de blessés. Muni d’une arme de poing et d’un fusil une Clio blanche. Une voiture corres- l’auteur de ce crime soit immédiatement Des grenades d’exercice à plâtre Attentat dans le RER à la station d’assaut, il fait feu sur les agents accapa- pondant à cette description a été re- identifié et puisse être arrêté », déclare le ont été tirées par des inconnus, Port-Royal : 4 morts, 91 blessés. rés par la gestion de la circulation, selon trouvée vers 9 h 30 à proximité du mé- ministre. M. Cazeneuve a appelé au jeudi vers 0 h 30 dans la cour de la une source proche de l’enquête confir- tro Laplace. « sang-froid », pour faciliter « le dénoue- mosquée des Sablons, au Mans. 11 AU 19 MARS 2012 mant une information de France Info. ment des enquêtes en cours dans les Une seule a explosé, sans faire de Un agent de voirie serait également « Enclencher l’action publique » meilleurs conditions ». « Deux personnes victimes. Mohamed Merah tue trois mili- blessé. Un riverain raconte au Monde Puis des sources policières ont affirmé sont gravement blessées avec, pour l’une Enfin, la voiture d’une famille mu- taires à Toulouse et à Mon- avoir appelé les secours. « J’ai entendu que l’auteur présumé des coups de feu d’entre elles, un pronostic vital engagé », sulmane aurait été visée mercredi tauban, puis trois enfants et un trois coups de feu, ce n’était pas des ar- avait été interpellé peu de temps après a-t-il ajouté. Il était 10 heures, la France soir par balles dans le Vaucluse, enseignant dans un collège juif mes automatiques. Il y avait une femme dans un bus et qu’il n’y aurait « pas de replongeait dans l’horreur. p selon Le Figaro, sans blesser per- de Toulouse. allongée sur la chaussée et un homme lien établi avec l’attentat de Charlie matthieu suc et laurent telo sonne. 0123 VENDREDI 9 JANVIER 2015 france | 3

Photos de surveillance policière prises à Murat (Cantal) lors d’une rencontre 25 juillet 2013, de deux opposants politiques, entre Chérif Kouachi et le Chokri Belaïd et le député Mohamed Brahmi. terroriste Djamel Beghal, Ces deux meurtres, qui ont plongé la Tunisie le 11 avril 2010. DR dans une crise profonde, ont été revendiqués par des membres d’Ansar Al-Charia, un groupe salafiste radical créé en mai 2011 ayant fait allégeance à l’Etat islamique. Le meurtre de ces deux opposants a été re- vendiqué, le 17 décembre 2014, par un proche de Chérif Kouachi, un Franco-Tunisien Chérif et Saïd Kouachi, les nommé Boubaker Al-Hakim et connu sous le deux principaux suspects nom de « Abou Mouqatel ». « Nous allons re- recherchés par la police venir et tuer plusieurs d’entre vous. Vous ne vi- après l’attentat contre vrez pas en paix tant que la Tunisie n’appli- « Charlie Hebdo », mercredi quera pas la loi islamique », assure-t-il alors. 7 janvier. DR Selon le ministère de l’intérieur tunisien, l’in- téressé est « un élément terroriste parmi les plus dangereux, objet de recherches au niveau international », déjà recherché pour trafic d’armes en Tunisie. Boubaker Al-Hakim est l’exception de l’un d’entre eux. Ils s’entraî- preuves suffisantes, le parquet de Paris re- L’enquête a d’ores et déjà permis, selon les considéré comme un exemple par « ses frères naient en faisant des footings dans le parc des quiert un non-lieu le 26 juillet 2013, et ce « en LA DGSI informations du Monde, d’en savoir plus sur d’armes ». Il est l’un de deux fondateurs des Buttes Chaumont et ils « voulaient jouer dans dépit de son ancrage avéré dans un islam radi- S’INTERROGEAIT, la cellule des frères Kouachi. Dans le groupe filières irakiennes des « Buttes-Chaumont ». la cour des grands sans être vraiment prêt », cal, de son intérêt démontré pour les thèses dé- Beghal-Kouachi, qui préparait l’évasion de Présent en Irak dès 2002, il a, selon ses pro- avait-on entendu à la barre. « Plus le départ fendant la légitimité du djihad armé », note le JEUDI, SUR LES Smaïn Ait Ali Belkacem, figurait, en effet, un pres dires en garde à vue, séjourné à quatre re- approchait, explique alors Chérif Kouachi, réquisitoire. Un magistrat contacté par le homme dont le nom a récemment fait l’ac- prises en Irak avant d’être condamné dans ce plus je voulais revenir en arrière. Mais si je me Monde se souvient de ce dossier. « A l’époque, LIENS POUVANT tualité internationale, Salim Benghalem. Il est dossier. Au procès de la filière du 19e, en 2008, dégonflais, je risquais de passer pour un lâ- nous ne pouvions pas deviner sa dangerosité. EXISTER ENTRE présenté aujourd’hui par les Etats-Unis, il était le seul détenu. C’est sur lui que pe- che. » Un fidèle plus âgé de la mosquée lui On allait tout de même pas le condamner pour comme l’un des principaux « bourreaux » de saient les charges les plus lourdes. avait appris à manier la kalachnikov. avoir joué au foot… » KOUACHI, l’Etat islamique en Syrie, et il a été inscrit, fin Vingt-quatre heures après l’irruption san- Si, entre 2003 et 2005, les départs en Irak Pour étayer ses liens avec Djamel Beghal, septembre 2014, sur la liste noire du départe- glante des frères Kouachi dans les locaux de s’échelonnent, chacun s’organise comme il qu’il a connu en prison, les enquêteurs dispo- EN FRANCE, ment d’Etat américain aux côtés de neuf Charlie Hebdo, la DGSI s’interrogeait, jeudi, peut pour ne pas éveiller les soupçons. Pour sent de rapports de surveillance. Chérif Koua- autres djihadistes présumés dangereux. sur les liens pouvant exister entre tous ces justifier leur départ, ils affirment souvent chi est photographié dans le Cantal, à Murat, BENGHALEM EN Lorsqu’il purgeait une peine de prison à hommes - Kouachi, en France, Benghalem en vouloir « perfectionner leur arabe ». Certaines du 9 au 16 avril 2010, en compagnie de son SYRIE ET AL-HAKIM Fresnes (Val-de-Marne), pour « tentative de Syrie et Al-Hakim en Tunisie. Depuis le début familles s’inquiètent de leur absence. Mais, mentor, qui est assigné à résidence. Le meurtre », en 2008, Salim Benghalem s’était de la crise syrienne, les services de renseigne- preuve que la menace qu’ils représentent 11 avril 2010 au matin, ils sont rejoints par EN TUNISIE lié d’amitié, selon la police antiterroriste fran- ment craignaient que les jeunes recrues dhi- pour la France n’est pas encore considérée deux hommes qui ont déjà été condamnés çaise, avec l’un des membres de la filière ira- hadistes formées sur le sol syrien organisent comme très importante, les signalements pour des faits de terrorisme, Ahmed Laidouni kienne des Buttes-Chaumont dont il parta- des attentats terroristes sur le sol français. Fi- émanant des familles ne suscitent pas le et Farid Melouk. Les quatre hommes se ren- geait la cellule. Une relation qu’il a étendue, à nalement, l’attaque spectaculaire tant redou- même empressement que celui qu’ils cause- dent à pied sur le terrain de football de la ville, sa sortie de prison, avec d’autres piliers de tée n’est pas venue de ces novices mais de raient aujourd’hui. Une fois parvenus à Da- où durant deux heures, ils font du sport et se cette filière, dont Thamer Bouchnak. l’ancienne garde déjà passée en Irak que l’on mas, en Syrie, ils sont accueillis dans des éco- promènent dans la campagne. L’influence de cette filière irakienne du 19e croyait, à tort, assagie. p les coraniques salafistes où certains diront Sur une écoute téléphonique datée du arrondissement de Paris a, enfin, été décelée emeline cazi, jacques follorou, plus tard qu’on leur a « bourré la tête ». Très 14 avril 2010, Chérif Kouachi se félicite de ce en Tunisie après l’assassinat, les 6 février et matthieu suc et elise vincent vite, ils passent la frontière syro-irakienne. séjour. « Non franchement, on est partis faire Cherif Kouachi n’a jamais quitté le sol fran- du sport, wallah c’était trop bien. » Un enthou- çais : il est interpellé, à Paris, en janvier 2005. siasme que ne partage pas son mentor. Un mois plus tôt, le 12 mars 2010, sur une autre RADICALISATION EN PRISON écoute, Djamel Beghal met en garde un com- Lors de l’année et demie qu’il passe en prison, plice à propos de « Chérif » : « Fais pas con- de janvier 2005 à octobre 2006, à la maison fiance, il faisait pas à manger au Habs [prison d’arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne), Chérif en arabe] ». Depuis sa résidence surveillée du Kouachi fait la connaissance de celui qui de- Cantal, Djamel Beghal supervisait les prépara- viendra son nouveau mentor : Djamel Be- tifs de l’évasion de Smaïn Ait Ali Belkacem, ghal. Cet homme, qui se fait appeler Abou note le parquet dans un réquisitoire définitif Hamza, purge une peine de dix ans de prison du 26 juillet 2013. Dans ce même dossier, pour un projet d’attentat fomenté, en 2001, l’aîné des Kouachi, Saïd, apparaît également contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris. en périphérie. Sans plus d’éléments le concer- À sa sortie de prison, en 2006, Chérif Koua- nant, les policiers ne poursuivent pas les in- chi travaille à la poissonnerie du magasin Le- vestigations. clerc de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Dans cette affaire, les policiers confirment Selon les policiers de la sous-direction antiter- « l’ancrage radical » de Chérif Kouachi grâce roriste (Sdat), il conserve alors des liens avec aux perquisitions menées à son domicile de certains de ses anciens complices des Buttes- Gennevilliers (Hauts-de-Seine). Au milieu Chaumont. Il aurait participé, selon le SDAT, à d’images pornographiques, voisinent des la préparation de l’évasion d’une autre figure ouvrages tels que « Déviances et incohérences de l’islam radical, Smaïn Ait Ali Belkacem, chez les prêcheurs de la décadence », un livre condamné, en novembre 2002, à une peine qui dénonce l’existence d’un islam démocra- de prison à perpétuité pour sa participation à tique. Les policiers ont aussi mis la main sur PARIS3e.92-98, bd de Sébastopol • PARIS12e.14-18, rue de Lyon • PARIS7e.193, 197, 207, 213, bd St Germain•PARIS17e.52, av.delaGde-Armée –6,rue Denis l’attentat de la station RER Musée-d’Orsay, en « Les savants du Sultan, Paroles de nos prédé- Poisson•ATHIS-MONS. RN 7–12-18,av. F. Mitterrand•CHEVREUSE. 90,rue PortedeParis • COIGNIÈRES. RN 10 –3rue du pont d’Aulneau•DOMUS C.CIAL(1) /ROSNY S/BOIS. 16,rue de Lisbonne • HERBLAY/MONTIGNY-LES-C.(1) RN 14 –17, 21,bdV.Bordier • MAISONÉMENTC.CIAL/BOISSÉNART. ZACdelaPlaine-du-Moulin- octobre 1995. cesseurs » qui stigmatise les compromis des à-Vent –CESSON • ORGEVAL. RN 13 • SAINTE-GENEVIÈVE-DES-BOIS. ZACdelaCroix Blanche –Rue Hurepoix • SURESNES. 33,39, bd H. Sellier • VALD’EUROPE Incarcéré de nouveau en mai 2010 sur la religieux avec le pouvoir et sur d’autres écrits C.CIAL/SERRIS. 1, coursdelaGaronne • VERSAILLES. 6, rueauPain(Place du Marché). (1)Magasin franchisé indépendant. Listedes magasins Roche Bobois de France base de ces soupçons, Chérif Kouachi est li- justifiant le djihad et le martyre et rendant participantàl’opération surwww.roche-bobois.com OUVERTURESEXCEPTIONNELLESLES DIMANCHES 11 ET 18 JANVIER. béré le 11 octobre de la même année. Faute de obligatoire le « djihad défensif ». 0123 4 | france VENDREDI 9 JANVIER 2015 « Vous allez payer car vous avez insulté le Prophète » « Le Monde » a reconstitué les quelques minutes de la tuerie qui a fait douze morts à « Charlie Hebdo »

RÉCIT L’un des ls étaient tous là, ou presque. agresseurs a dit : Comme tous les mercredis. « Charb ? » Réunis entre chouquettes et I croissants autour de la Il a tiré sur Charb. grande table ovale qui occupe Puis ils ont toute la pièce pour la conférence de rédaction. Un rituel immuable égrené tous depuis la création de Charlie les noms, et ont Hebdo. A gauche, comme tou- jours, Charb, le directeur de la pu- fait feu en rafales blication. Ce mercredi 7 janvier avaient pris place à ses côtés les dessinateurs Cabu, Wolinski, Ti- gnous, Honoré et , les rédac- bar » et « Vous allez payer, car teurs Laurent Léger, Fabrice Nico- vous avez insulté le Prophète ». A lino et Philippe Lançon, l’écono- Sigolène Vinson, ils ont dit, un ca- miste Bernard Maris ou encore les non sur la tempe : « Toi on te tuera chroniqueuses Sigolène Vinson pas, car on ne tue pas les femmes, et . mais tu liras le Coran. » La conférence de rédaction dé- Sept journalistes sont morts en bute généralement à 10 h 30 et quelques secondes : Cabu, Charb, s’anime rapidement à la faveur de Tignous, Wolinski, Bernard Maris, quelques blagues grivoises. Un Honoré et une femme, Elsa Cayat, seul sujet tabou : la machine à psychanaliste et chroniqueuse. café, parce qu’elle ne marche ja- Mustapha Ourrad, le correcteur mais. Aux murs sont épinglées kabyle qui avait obtenu la natio- quelques « unes » mythiques du nalité française un mois plus tôt, a journal satirique : celle de « Charia lui aussi été assassiné. Franck Hebdo », qui avait motivé l’incen- Brinsolaro, un des deux policiers die criminel ayant ravagé les an- qui assure la sécurité de Charb en ciens locaux de l’hebdomadaire, permanence depuis l’attentat de en novembre 2011, une autre sur novembre 2011, a également Marine Le Pen illustrée par une perdu la vie, tout comme Michel « merde » sur le drapeau français, Renaud, ancien directeur de cabi- une caricature du pape dénonçant net du maire de Clermont- la pédophilie dans l’Eglise, un Ferrand, invité par la rédaction. Les bureaux de « Charlie Hebdo », après la tuerie, le 7 janvier. DR Sarkozy grimaçant… La réunion se A 11 h 28, quelques minutes finit quand elle finit, c’est-à-dire avant la tuerie, l’hebdomadaire quand il est l’heure d’aller casser la avait publié des vœux prémoni- croûte aux « Petites canailles », un toires sur : un dessin ques minutes plus tôt un des faitement au fait du jour et de croit entendre « Allahou Akbar » sombre arrêtée en plein milieu de la bistrot de la rue Amelot, dans le 11e d’Honoré représentant Al-Ba- agents d’entretien de l’immeuble l’heure de la conférence de rédac- entre deux rafales. Les assaillants rue. Deux hommes vêtus de noir en arrondissement de Paris. ghdadi, le leader de Daesh, assorti au rez-de-chaussée, Frédéric Bois- tion de « Charlie », les agresseurs croisent ensuite la route d’un vé- sont sortis, avec des cagoules, ar- de ce commentaire « Et surtout la seau, 42 ans. Un deuxième poli- sont en revanche moins rensei- hicule de police rue Pelée. S’ensuit més de fusils noirs. Un policier a tiré Vœux prémonitoires santé ! ». Il est mort peu après cier blessé, Ahmed Merabet, sera gnés sur la localisation exacte de une deuxième salve de tirs. Une dans leur direction. Les deux hom- Ce mercredi 7 janvier, personne avec ses amis sur la grande table achevé d’une balle dans la tête en leurs bureaux. Selon le parquet de autre vidéo amateur permet d’en- mes tiraient aussi. Le policier a été n’est allé déjeuner aux « Petites ovale, là même où les caricaturis- tentant d’arrêter la fuite des Paris, ils croisent dans le hall de tendre distinctement les cris : touché et est tombé en poussant un canailles ». La réunion avait com- tes grattent leurs derniers dessins tueurs, un peu plus tard, boule- l’immeuble deux agents d’entre- « On a vengé le prophète Moha- cri. Il a tenté de s’enfuir mais est mencé depuis une heure quand les jours de bouclage, où se font vard Richard-Lenoir. tien, leur demandent où se trouve med, on a tué Charlie Hebdo ! » tombé face contre terre. Les agres- deux hommes cagoulés ont fait les derniers choix de « une » dans Douze morts en tout, onze bles- Charlie Hebdo, avant d’en abattre C’est boulevard Richard-Lenoir seurs ont couru vers lui. L’un est ar- irruption au milieu des crayons, une effusion de bons mots et de sés, dont quatre grièvement. Phi- un. Ils prennent ensuite en otage que leur furieuse échappée fera sa rivé à sa hauteur et lui a tiré une faisant taire le joyeux brouhaha. blagues de mauvais goût. « Ils ont lippe Lançon est gravement tou- Coco, qui se trouve dans l’escalier. dernière victime. La scène a été balle dans la tête. Puis ils sont re- Ils étaient armés de fusils d’as- tiré sur Wolinski, Cabu… ça a duré ché au visage, Riss à l’épaule, Fa- La dessinatrice tente de les égarer capturée par une troisième vidéo montés dans la voiture ». saut. L’un des agresseurs a dit : cinq minutes… Je m’étais réfugiée brice Nicolino à la jambe. Simon en les emmenant au troisième amateur. On y voit deux hommes La Citroën fonce alors vers le « Charb ? ». Il a tiré sur Charb. Puis sous un bureau… », raconte à L’Hu- Fieschi, le jeune webmaster étage, alors que la rédaction se équipés de gilets pare-balles et ar- nord de Paris. Place du Colonel-Fa- ils ont égrené les noms des mem- manité une survivante, la dessi- chargé de gérer le « shit storm », trouve au deuxième. més de fusils d’assaut sortir d’une bien, elle percute violemment la bres de la rédaction, et ont fait feu natrice Corinne Rey, dite « Coco ». le tombereau d’insultes adressées Depuis l’attentat de 2011 et les Citroën noire et courir en direc- conductrice d’un Touran Volkswa- en rafales. Selon les propos des Dans leur folie meurtrière, les à la rédaction depuis des années innombrables menaces de mort tion d’un policier tombé au sol, gen. Ses deux occupants finiront rescapés, ils ont crié « Allahou Ak- agresseurs avaient abattu quel- sur les réseaux sociaux et par télé- reçues par sa rédaction, Charlie sans doute touché par un tir. « Tu par abandonner précipitamment phone, est le plus grièvement at- Hebdo a rendu ses locaux indétec- veux nous tuer ? demande l’un des leur véhicule après s’être encastrés teint. Un « carnage indescripti- tables. La fière affiche qui ornait tireurs. – Nan, c’est bon chef », ré- dans des poteaux au niveau de la ble », selon un témoin ayant pu l’entrée de ses anciens locaux in- pond le policier à terre. L’homme rue de Meaux, dans le 19e arrondis- « Papa est parti, pas Wolinski » pénétrer dans la rédaction après cendiés dans le 20e arrondisse- cagoulé passe devant lui et l’abat sement, oubliant à bord une pièce la tuerie. ment, désormais couverte de d’une balle dans la tête, au fusil d’identité qui mènera à leur identi- L’information sur la fusillade au siège de Charlie Hebdo venait Arrivés sur place peu après la suie, a été rapatriée à l’intérieur de d’assaut, sans même freiner sa fication ainsi qu’un chargeur vide de tomber. Mercredi 7 janvier, un peu avant midi, Elsa Wolinski, tuerie, les urgentistes ont décrit la rédaction. Sur la porte du pal- course. La victime, Ahmed Mera- de kalachnikov et d’autres effets la fille du dessinateur , s’inquiète. Elle lit tout « des blessures de guerre ». « Je n’ai lier qui donne accès au journal, bet, 42 ans, était gardien de la paix personnels. Ils braquent alors le ce qui se publie, partage son angoisse sur le réseau Instagram. jamais vu ça de ma carrière », té- nulle mention du titre de la publi- au commissariat du 11e arrondis- conducteur d’une Clio, s’emparent « Peur #papawolinski », écrit-elle. Quelques minutes plus tard, moigne l’un d’eux : « On est rodé cation. « Les Éditions rotatives », sement. de la voiture et reprennent leur elle apprend que son père figure parmi les douze victimes. (…) mais pas pour le vivre dans la est-il écrit. Les voisins, eux, ont Les deux tueurs retournent en- fuite. Les policiers perdront leur Dans l’après-midi, elle poste, toujours sur le réseau Instagram, réalité. » « Le jour le plus noir de été priés de ne pas ébruiter la pré- suite à leur véhicule, calmement, trace porte de Pantin. une photo du bureau de son père. Des piles de livres, des pho- l’histoire de la presse française », a sence du sulfureux périodique sans aucun signe de panique, Mais trois suspects de la tuerie, tographies au mur, des feuilles blanches qui attendent sur un résumé à chaud, au pied de l’im- dans l’immeuble. comme des hommes entraînés au Saïd Kouachi, 34 ans, son frère Ché- écritoire, un stylo, une chaise avec un coussin dessus. Elsa Wo- meuble, Christophe Deloire, di- combat. La scène ressemble à un rif Kouachi, 32 ans, et Mourad Ha- linski légende : « Papa est parti, pas Wolinski. » Invitée d’Eu- recteur de Reporters sans frontiè- « On a tué Charlie Hebdo ! » entraînement pour commando. myd, 18 ans, sont rapidement iden- rope 1 jeudi matin, elle a insisté : « Il va falloir qu’on soit tous res. Il s’agit également de l’atten- Selon un employé de Premières li- L’un s’assoit au volant, l’autre tifiés. Des opérations du Raid et du soudés. Le combat sera rude mais on ne peut pas tuer des tat le plus sanglant ayant frappé la gnes, une société de production prend le temps de ramasser une GIPN étaient en cours à Reims et à idées. » France depuis un demi-siècle. installée en face de la rédaction de basket tombée de la portière et Charleville-Mézières (Ardennes) La brume était tenace et froide « Charlie », au deuxième étage, prend place sur le siège passager. dans la nuit de mercredi 7 à jeudi ce mercredi matin quand deux les deux assaillants égarés au troi- Lorenzo habite boulevard Ri- 8 janvier. Un appel à témoin avec la hommes vêtus de noir et de gilets sième auraient menacé de leur chard-Lenoir. Sa fenêtre donne photo des deux frères a été diffusé pare-balles se sont présentés, visi- arme un locataire croisé dans le sur la scène où le policier a été par la police. Le plus jeune des sus- -CESSATIONS DE GARANTIE blement mal renseignés, devant couloir. Avec toujours cette abattu. Il raconte au Monde : pects, Mourad Hamyd, s’est pré- le numéro 6 de la rue Nicolas-Ap- même question, obsédante : « Où « Vers 11 h 30, j’ai entendu des senté volontairement dans la nuit COMMUNIQUE -104081 COMMUNIQUE -104083 pert, à deux portes des locaux de est Charlie ? ». Ils finiront par coups de feu. J’ai cru à des pétards, au commissariat de police de En application de l’article R.211-33 En application de l’article R.211- Charlie Hebdo. Ils ont profité de trouver la bonne porte. C’est la je me suis approché de la fenêtre. Il Charleville-Mézières, « pour s’ex- du livre II du code du tourisme, 33 du livre II du code du tourisme, l’arrivée de la postière, qui passait dessinatrice Coco qui, sous la me- y avait plein de policiers rassem- pliquer », selon le parquet de Paris. L’ ASSOCIATION L’ ASSOCIATION remettre un pli recommandé, nace d’une arme, devra accepter blés au milieu du boulevard, mais Ils étaient tous là ou presque, PROFESSIONNELLE DE PROFESSIONNELLE pour s’engouffrer dans la porte, de taper le code de la porte blin- aussi des gens à vélo qui passaient. mercredi 7 janvier à la conférence SOLIDARITE DU TOURISME DE SOLIDARITE DU raconte l’employée d’une entre- dée qui donne accès à la rédac- C’était un matin normal, se remé- de rédaction de Charlie Hebdo. Les (A.P.S.T.) TOURISME (A.P.S.T.) prise audiovisuelle, l’Atelier des tion. more le jeune homme. Sur la rares absents portent aujourd’hui dont le siège est situé :15, avenue dont le siège est situé :15, ave- archives, installée dans l’immeu- Après la tuerie, les deux agres- droite, j’ai vu une voiture de couleur le deuil. Le dessinateur Willem a Carnot -75017 PARIS, annonce nue Carnot -75017 PARIS, an- ble. Ils ont fait asseoir la postière seurs s’engouffrent dans une Ci- pris connaissance de la tragédie qu’elle cesse d’accorder sa garantie nonce qu’elle cesse d’accorder sa et un employé qui venait récupé- troën C3 noire garée en bas du dans un train entre Lorient et Pa- à: garantie à: rer le pli. Puis ils ont demandé : journal. Un témoin a affirmé aux ris. Son allergie aux conférences COMMUNAUTE PRIMA TRAVEL « C’est où Charlie Hebdo ? ». Ils ont enquêteurs avoir aperçu un com- Le dessinateur de rédaction lui a sauvé la vie. La D’AGGLOMERATION CONSULTING tiré une balle, qui a traversé la plice, arrivé sur la scène de crime à journaliste Zineb était, elle, en va- AMIENS METROPOLE Willem a pris Immatriculation : porte vitrée d’un bureau. L’em- bord de la C3 mais reparti à scoo- cances au Maroc, son pays d’ori- Immatriculation : IM 077 11 0015 IM 080 11 0004 SARL au capital de 7800 € ployée qui s’y trouvait est sortie ter. Les deux tireurs, eux, s’en- connaissance gine. « Les rescapés comme moi ne REGIE Siègesocial :1bd Michael dans le couloir et a échangé un fuient par l’Allée verte, une ruelle. de la tragédie le sont que par un concours de cir- Siègesocial :4chemin de la Ratelle Faraday-77700 SERRIS bref regard avec les deux hom- Ils y rencontrent une première pa- constances, raconte-t-elle par télé- 78330 FONTENAY LE FLEURY L’ association précise que la cessa- mes. trouille de police à VTT. Des coups dans un train. phone au Monde. Je n’arrive pas L’ association précise que la cessation tion de sa garantie prend effet 3 Réalisant qu’ils s’étaient trom- de feu sont échangés, qui ne feront Son allergie encore à réaliser que nous ne ver- de sa garantie prend effet 3jours sui- jours suivant la publication de cet pés d’immeuble, les assaillants aucun blessé. Une vidéo tournée rons plus jamais Charb, Cabu, Ti- vant la publication de cet avis et qu’un avis et qu’un délai de 3mois est sont ressortis et se sont présentés par des employés de Premières li- aux conférences gnous et les autres… Presque tous délai de 3mois est ouvertaux clients ouvertaux clients pour produire devant le numéro 10, l’adresse où gnes, réfugiés sur le toit de l’im- de rédaction les dessinateurs sont morts. Com- pour produire les créances. les créances. a trouvé refuge le journal satiri- meuble après les premiers coups ment allons-nous faire ? » p que depuis le 1er juillet 2014. Par- de feu, a enregistré la fusillade. On lui a sauvé la vie soren seelow 0123 VENDREDI 9 JANVIER 2015 france | 5 La France cherche encore la parade au djihadisme Les services de renseignement français peinent à lutter contre des terroristes mobiles et déterminés

Un policier est abattu à bout portant par les terroristes, boulevard Richard-Lenoir, Un blessé est évacué, rue Nicolas-Appert, à Paris, après l’attentat. dans le 11e arrondissement de Paris. L’image est tirée d’une vidéo amateur. REUTERS TV/REUTERS MARC CHAUMEIL/DIVERGENCE POUR « LE MONDE » l est 12 h 45, ce mercredi Partagé entre la nécessité de té- emprunter, six jours plus tard, la En 2013, la mission parlemen- Jamais ble : ces difficultés sont liées aux 7 janvier. Le chef de l’Etat, moigner son empathie au pays et ligne internationale de bus Euro- taire sur le renseignement, dirigée traditions, à l’histoire et aux dispo- François Hollande, parcourt le souci de garantir sa sécurité, le lines, qui effectue la liaison entre par Jean-Jacques Urvoas, président les démocraties sitions qui concernent, dans cha- I à pied les derniers mètres qui chef de l’Etat illustre, par son Amsterdam et Marseille. Il avait (PS) de la commission des lois de européennes que pays, les libertés des citoyens, séparent sa voiture de l’entrée de choix, la grande difficulté dans la- été arrêté « de manière inopinée » l’Assemblée nationale, avait es- notamment en matière d’accès l’immeuble de Charlie Hebdo, rue quelle se trouvent les démocra- par les douaniers à Marseille. timé que la stratégie française face n’ont été aux données personnelles déte- Nicolas-Appert, dans le 11e arron- ties lorsqu’elles luttent contre la au terrorisme était « partiellement confrontées nues par l’administration. Au Da- dissement de Paris, d’où il adres- violence terroriste. Cette anec- « Dysfonctionnements » caduque ». Il considérait alors qu’il nemark, ainsi, les personnes vi- sera quelques mots aux médias. dote symbolise, à sa manière, une Mobiles et isolés, les terroristes fallait remplacer la Direction cen- à un phénomène sées par des fiches de signalement On le voit longer quelques véhicu- forme d’impuissance. La France, savent souvent se mouvoir à trale du renseignement intérieur djihadiste aussi dans le cadre des accords de Schen- les. Non loin, on distingue une pe- comme d’autres nations euro- l’insu des services de police : ils (DCRI) par une Direction générale gen ont le droit de les consulter. tite camionnette. Une heure et péennes, peine, en effet, à trouver connaissent leurs techniques de la sécurité intérieure (DGSI). diffus et massif Une disposition dénoncée par plu- quart plus tôt, un commando a as- la parade à ces actes meurtriers. pour avoir souvent eu maille à « L’affaire Merah ne procède pas sieurs services de renseignement sassiné douze personnes. A l’instar des interrogations ap- partir avec la justice. Déterminés, des dysfonctionnements de la européens, dont la DGSI. Au même moment, un haut res- parues au sujet des déplacements accoutumés à la violence ex- DCRI, elle les révèle », affirmait-il. moyens financiers, humains et La France, comme ses voisins ponsable de la sécurité de l’Etat dé- de Mohamed Merah – auteur d’as- trême, familiers des stratégies de Les conseils de la mission ont matériels ont été alloués au ser- européens, a tenté de faire face à couvre la scène sur son écran de té- sassinats en mars 2012 à Toulouse dissimulation, ces individus frap- été entendus : la DGSI a vu le jour vice de la DGSE afin de tenter de la violence radicale en adoptant lévision. « Je me suis étranglé, ra- et Montauban – et de la réactivité pent sans prévenir des cibles sans le 2 mai 2014. Elle n’a cependant juguler la menace terroriste sur de nouveaux dispositifs antiter- conte-t-il. Je me suis demandé com- des autorités, la question s’était de défense. Jamais les démocraties pas été en mesure d’empêcher les les théâtres extérieurs. Mais cer- roristes ces dernières années. Au ment on avait pu laisser le nouveau posée avec Mehdi Nem- européennes n’ont été confron- agissements de Mehdi Nemmou- tains spécialistes du renseigne- terme d’un conseil restreint de président de la République et tant mouche. Il était allé se battre en tées à un phénomène djihadiste che ou des assaillants de Charlie ment estiment que cet effort a été défense, le 24 mars 2014, à l’Elysée, de ministres prendre un risque pa- Syrie avant de rentrer en Belgique, aussi diffus et massif. Comment Hebdo. Au sein de la DGSI, on rap- réalisé au détriment du service M. Hollande avait ainsi annoncé reil. C’est une technique maintes où il est accusé d’avoir assassiné, s’organiser face à ce phénomène pelle que ces dernières années, qui doit protéger, en tout premier avoir adopté « contre les filières fois éprouvée dans les zones de le 24 mai 2014, quatre personnes qui se fond aussi aisément dans l’Etat, en matière de lutte contre le lieu, le sol français, la DGSI. djihadistes et la radicalisation vio- guerre. Une première attaque fait au Musée juif de Belgique, à une société démocratique, échap- terrorisme, a donné la priorité à la lente », « une stratégie et un plan venir les officiels, une seconde, par Bruxelles. Après l’attaque, il avait pant à la surveillance des services Direction générale de la sécurité « Contre-discours » d’actions » qui renouvelait les ha- explosifs, les décime. » pu s’enfuir sans être inquiété et de sécurité ? extérieure (DGSE). D’importants La coopération entre les princi- bituelles annonces en matière de paux pays concernés par cette vio- renseignement et de surveillance. lence devait, par ailleurs, permet- Le gouvernement entendait axer Le plan Vigipirate à son niveau maximal tre de renforcer l’efficacité de la son effort sur la prévention de l’is- lutte antiterroriste. Nombre de lam radical, une approche jus- réunions des ministres euro- qu’alors surtout privilégiée par les Le niveau « alerte-attentat » du Six compagnies de CRS et es- lieux de culte, les gares et les vée, ont appelé leurs collègues péens, conclues par force déclara- Anglo-Saxons. La réponse fran- plan Vigipirate, « niveau écar- cadrons de gendarmes mobiles transports parisiens de la capi- à suspendre leur mouvement tions publiques ont assuré, ces çaise péchait en effet, selon les ter- late » – c’est-à-dire le maximum ont été déployés mercredi, tale ont été placés sous protec- de grève débuté lundi pour être dernières années, que tout était mes employés lors de ce conseil –, a été décrété, mercredi 7 jan- dans Paris. Trois-cent cin- tion renforcée. « disponibles » en cas d’urgence fait pour resserrer les mailles du fi- restreint, par son « tout-répres- vier, par le premier ministre, quante militaires ont été mobi- Les sorties scolaires et les acti- dans le cadre du plan Vigipi- let. Mais des intérêts nationaux se sion ». Les municipalités, l’éduca- Manuel Valls, « sur l’ensemble de lisés en renfort jeudi. Au total, vités hors établissement ont rate. sont parfois heurtés à cette logi- tion nationale ou le Conseil fran- la région Ile-de-France ». Ce ni- 16 unités de forces mobiles été annulées à Paris et en ban- C’est la seconde fois que ce que collective : ce fut le cas avec la çais du culte musulman, ont été veau correspond aux situations sont engagées sur Paris et la pe- lieue par le ministère de l’édu- dispositif exceptionnel, créé Turquie, qui considère que les Kur- associés à des campagnes de sensi- de menace « imminente » et pré- tite couronne. Les préfets ont cation nationale. Cette mesure en 1978 alors que l’Europe con- des constituent une menace plus bilisation pour renforcer l’esprit voit des mesures exceptionnel- été appelés à identifier les sites de suspension concerne tous naissait une vague d’actions grande que l’Etat islamique. critique des aspirants au djihad les et temporaires comme l’in- à sécuriser par des protections les établissements des acadé- terroristes, est activé. En De même, en dépit d’une volonté grâce à un « contre-discours argu- terdiction du stationnement de- particulières, a précisé le minis- mies de Paris, Créteil et Ver- mars 2012, le plan Vigipirate d’harmoniser les cadres législatifs, menté ». Des actions ont aussi été vant certains édifices publics, tère de l’intérieur. sailles. Le stationnement est écarlate avait été activé en ré- au niveau européen, des barrières menées dans des centres de pré- des patrouilles dans toutes les par ailleurs interdit devant les gion Midi-Pyrénées au mo- juridiques continuent de faire obs- vention : au sein des préfectures, zones sensibles, le contrôle des Mesure de suspension écoles. ment des tueries perpétrées tacle à une parfaite coopération, des cellules ont été chargées de bagages dans les aéroports et la Les organes de presse – jour- Le syndicat des chirurgiens par Mohamed Merah à Tou- dans l’échange d’information. Il ne suivre les familles concernées par mobilisation d’unités d’inter- naux, radios, télévisions, agen- (Le Bloc) puis celui des urgen- louse et Montauban. p s’agit pas nécessairement d’un re- des cas de radicalisation. p vention et de service spécialisés. ces –, les grands magasins, les tistes de l’hospitalisation pri- sylvia zappi fus délibéré de travailler ensem- jacques follorou

Les autorités justifient la modification dans la protection de « Charlie » Depuis août 2014, un dispositif de surveillance mobile avait remplacé la garde statique devant les locaux de l’hebdomadaire

u lendemain de l’attaque deux policiers du service de pro- protection policière. Les dégâts sait six mois que l’on travaillait avec Selon plusieurs sources, le chan- diquait ainsi au Monde mercredi meurtrière subie par la tection des personnalités. Les matériels avaient contraint la ré- eux », explique Laurent Nunez, di- gement de mode de protection de que « les menaces étaient ressenties A rédaction de Charlie hommes étaient quatre à se re- daction à déménager. Dans le 20e recteur de cabinet de la Préfecture la rédaction avait été décidé sur la de façon moins forte ces derniers Hebdo, la hiérarchie policière re- layer autour du dessinateur. L’un arrondissement de Paris dans un de police de Paris. « Nous étions en base de plusieurs critères en ac- temps ». fuse d’entrer dans une polémique d’eux a été tué lors de l’attaque. premier temps puis début juillet contact régulier avec Charb. Lors- cord avec la rédaction de Charlie Du côté du ministère de l’inté- sur l’efficacité du dispositif de Depuis la publication des carica- dans le 11e, rue Appert, où a eu lieu qu’il y avait un numéro sensible, il Hebdo au mois d’août 2014. rieur, on explique par ailleurs que protection dont bénéficiait l’heb- tures de Mahomet en 2006, puis l’attaque mercredi 7 janvier. nous appelait et on repassait en L’étude de sûreté réalisée sur le l’agression de plusieurs policiers domadaire. Une position qui ré- après novembre 2011, date à la- garde statique. » Ce fut le cas pen- site avait mis en évidence un bâti- à Joué-lès-Tours et la volonté évi- vèle en creux la difficulté pour les quelle le siège de Charlie Hebdo « Contact régulier » dant trois jours en octobre 2014. ment beaucoup plus ouvert. « Il y dente de s’en prendre aux forces forces de l’ordre de faire face à des avait été incendié après avoir été Quand les assaillants ont pénétré avait quatre à cinq entrées », expli- de l’ordre ont conduit à ne plus gens entraînés, renseignés et ciblé par un cocktail Molotov, dans les locaux du journal, il n’y que M. Nunez. En outre, « la me- privilégier les gardes statiques. équipés d’armes de guerre. l’hebdomadaire satirique avait été avait pas de garde statique comme nace avait semble-t-il baissé ». « Cela fait du policier comme du Le matin de l’attaque, trois pa- placé sous protection policière. Le cela avait pu être le cas lorsque la Depuis 2006, Des propos qui vont dans le sens lieu qu’il protège une cible ». « Cela trouilles avaient eu lieu aux jour même, le site du journal avait rédaction officiait dans le 20e ar- l’hebdomadaire de plusieurs déclarations dans n’aurait rien changé. S’il y avait eu abords du journal selon un trajet été l’objet d’une attaque informati- rondissement, mais une protec- l’entourage des membres de la ré- deux gardes statiques, cela aurait prédéfini par les policiers. Charb, que. tion dite « dynamique ». Soit une était placé sous daction assurant que ceux-ci ne se fait deux morts de plus », confie un le directeur de la publication, bé- Charb, tout comme le dessina- surveillance resserrée par des ron- protection sentaient pas particulièrement haut responsable de la police anti- néficiait toujours d’une protec- teur et le directeur de la rédac- des et patrouilles qui passaient menacés. Le rédacteur en chef du terroriste. p tion policière permanente de tion, Riss, avaient été placés sous toutes les demi-heures. « Cela fai- policière journal satirique, Gérard Biard, in- simon piel 0123 6 | france VENDREDI 9 JANVIER 2015

Ce jour où un peu partout en France, on a crié : « » Plus de 100 000 personnes se sont rassemblées mercredi 7 janvier jusque tard dans la soirée pour rendre hommage aux victimes de l’attentat contre « Charlie Hebdo »

t maintenant, qui va nous « Le monde trouvé la mort ce matin. Un Algé- faire rire ? » Des brassées rien s’est approché d’elle : « Mes d’hommages, lyriques est devenu condoléances, madame. J’ai con- E ou sobres, de personnali- si malade tribué à la lutte contre cette gan- tés ou d’anonymes, qui ont été grène, puis j’ai changé de pays lancées, mercredi 7 janvier, dans que l’humour pour trouver un havre de paix pour les heures qui ont suivi la tuerie est devenu mes enfants. J’ai beaucoup d’es- contre Charlie Hebdo, c’est sans time pour l’uniforme. Et je suis doute cette interrogation de Ma- une profession musulman. » « Euh oui, merci, pas rie, une femme rencontrée près à risques » d’amalgame », a gentiment ré- du lieu du drame, qui figurera la pondu Kelly. plus belle épitaphe de cette jour- SUR UN PANNEAU VU À PARIS Au même moment, à Toulouse, née. Qui va nous faire rire, en ef- ils étaient dix mille, place du Capi- fet, puisque sont partis Cabu, Wo- tole. La foule avait progressive- linski, Charb, Tignous et les « Cabu au Panthéon » ou « Bal tra- ment pris la place des derniers autres, tous victimes de la bêtise gique à Charlie Hebdo » (référence commerçants ambulants, appe- intégriste qu’ils combattaient à la « une » célèbre du journal lés à ranger prématurément les avec un crayon, une feuille et du « Bal tragique à Colombey : un étals du marché hebdomadaire. gaz hilarant ? Les joyeux drilles de mort » parue après le décès du gé- Comme partout ailleurs, de nom- Charlie Hebdo ont été tués, en néral de Gaulle). Eclairant des sil- breux élus de la ville, du conseil même temps que deux policiers, houettes immobiles, mille petites général et de la région, de tous cette corporation qu’ils aimaient bougies se sont mises à danser à bords politiques, avaient fait le tant brocarder, et voilà un pays Bordeaux, à Lyon, à Paris, à Tou- déplacement. Tous sont restés si- qui pleure pour de vrai. Drôle de louse. Partout, des crayons, des lencieux durant ce moment de re- fin, ironique destin pour ces sol- stylos, armes des démocrates, ont cueillement populaire qui ravi- dats du dérisoire. été pointés vers le ciel. vait le souvenir des attentats qui « J’ai brait [« pleuré » en ch’ti) avaient marqué Toulouse à la comme si c’était des proches qui L’effroi et la colère en 140 signes veille de l’élection présidentielle étaient morts », expliquait Lau- Plus tôt dans la journée, alors que de 2012. rent, venu place de la République les informations sur le drame fil- A Lyon, la foule remplissait la à Lille. Plus de cent mille person- traient par à-coups, par hésita- place des Terreaux et débordait nes au total ont « brait », comme tions successives, à la manière dans les rues adjacentes. Les con- lui, sur les esplanades de dizaines d’un bégaiement, le bilan est ap- versations faisaient penser à une de villes de France, d’Agen à Paris, paru enfin dans toute sa déme- famille endeuillée en plein re- de Périgueux à Lyon, de Besançon sure. Les réactions de la classe po- cueillement. « Je ne peux pas sup- à Marseille, de Nîmes à Nantes. El- litique ont commencé à tomber porter ça, ces dessinateurs, ces les se sont recueillies à touche- par centaines, l’effroi, la colère et journalistes, toutes ces victimes, si touche et, en même temps, cette la compassion généralement con- proches de nous, c’est notre raison foule compacte, soudée, doutait traints dans les 140 caractères de d’être qu’on attaque », confiait Ka- plus que jamais de sa capacité à vi- Twitter. Dans tout le pays, de ma- rine Verchère, 46 ans, aide-soi- vre ensemble. Partout, dans les nière spontanée, avec la célérité gnante. Le recteur de la grande réactions glanées au fil des heu- des réseaux sociaux, on a com- mosquée de Lyon, Kamel Kab- Des hommages ont eu lieu un peu partout en France après la tuerie au journal res, au fil des larmes, affleurait mencé à battre la semelle dès le tane, se disait inquiet, meurtri, « Charlie Hebdo ». De gauche à droite et de haut en bas, à Marseille, place de la l’idée d’un avant et d’un après, milieu de l’après-midi, les pre- lassé aussi : « Nous, les musul- République à Paris, à Lille et à Toulouse, mercredi 7 janvier. EN HAUT À GAUCHE, FRANCE d’une rupture, sans savoir si cette miers arrivés rejoints bientôt par mans, j’ai toujours l’impression KEYSER/MYOP POUR « LE MONDE » ; EN HAUT À DROITE, OLIVIER LABAN-MATTEI/MYOP POUR « LE MONDE » ; EN BAS À GAUCHE OLIVIER certitude martelée à l’infini était ceux qui quittaient leur travail. A qu’on nous considérera toujours TOURON/DIVERGENCE-IMAGES POUR « LE MONDE » ; ULRICH LEBEUF/MYOP POUR « LE MONDE » due à l’émotion ou à la raison. la nuit tombée, la place de la Ré- différemment, à part, je suis tou- publique à Paris était noire de jours obligé de me justifier. » Il dit Des cris en format A4 monde. On parlait à voix basse, en sentir venir « les amalgames ». Il y avait dans ces rassemble- essayant de se frayer un chemin. Derrière lui, Alain Jakubowicz, le ments le besoin de partager sa Un petit groupe a grimpé sur la président de la Licra, partage cette tristesse, la sidération devant la statue de Marianne, et l’un des crainte : « Il ne va pas faire bon être violence des bourreaux et le goût plus hardis est parvenu à glisser musulman dans les jours qui vien- de leur faire la nique. A Lille, Anne un crêpe noir au bras de la Répu- nent. » Des syndicalistes policiers venu en famille. Il s’était abonné 40 ans, « 100 % Marseillaise », s’en musulmans. » En lisière de la était là pour dire « non à la conne- blique. Un chapelet de petites sont là, de tous bords, témoins de l’après-midi même à Charlie agace : « C’est bien, il y a du monde, foule, des femmes voilées, là rie ». A Bordeaux, sur le parvis des montgolfières de papier illumi- l’onde de choc ressentie dans les Hebdo. « C’est trop : on ne peut pas mais moi, j’aurais surtout aimé aussi. A la fois désireuses de dire Droits de l’homme, Fred disait en nées est monté dans le ciel, pour rangs. attaquer des gens qui défendent la qu’il y ait plus d’Arabes comme leur « soutien » mais aussi crainti- écho « merde aux intégristes ». Il y rejoindre les âmes mortes. C’est A Bordeaux, l’artiste vidéaste démocratie avec des crayons. Je moi. Ils sont où, les gens des quar- ves. Au côté de sa mère, une petite avait dans la même veine ces alors que deux jeunes d’extrême Olivier Crouzel a projeté sur le suis venu avec mes enfants car il tiers ? Il fallait qu’on soit plus mé- fille était bouleversée. « C’était des « unes » de Charlie Hebdo, ces cari- droite, grimpés sur la statue, ont mur de l’ancienne tour-prison faut transmettre et se réveiller. » Là langés, ce soir, pour exprimer la so- dessinateurs… », répétait-elle tris- catures de Mahomet, celles du commencé à déchirer un Coran, une photo de Charb, le poing levé, aussi, des politiques de tous lidarité nationale. Mes amis me di- tement, incapable de comprendre « blasphème », qu’on levait au- provoquant les huées. « Il a rien et un dessin du même auteur, bords, des artistes, comme le sent, c’est rien, c’est des caricaturis- qu’on s’attaque à de tels gens. « Ce dessus des têtes, qu’on collait sur compris, le mec », a soufflé une montrant un imam et lui-même chanteur Bertrand Cantat, étaient tes… Non, c’est la liberté qu’il y a de sûr, c’est qu’il s’est passé les poitrails ou les chapeaux, jeune fille. La foule a scandé : en train de s’embrasser, avec là et se sont faits discrets. d’expression qu’on a tuée. » quelque chose de très grave et im- comme un pied de nez à l’intolé- « Casse-toi ! Casse-toi ! », puis comme titre : « L’amour plus fort A Marseille, même atmosphère portant, philosophait un sexagé- rance. « Dehors, les fachos ! » que la haine ». Dans cette am- lourde et émue sur le Vieux-Port, « C’était des dessinateurs... » naire. Je me demande ce qu’il en Mais surtout il y avait ces in- Les télés du monde entier ont biante pesante, une petite fille de sous l’ombrière et son immense A Lille, une musulmane voilée, sortira dans les prochains jours. » nombrables cris sur format A4, filmé la vague mouvante. Au pied 3 ans, bonnet rouge, maquillée miroir qui reflétait la foule. « C’est Dorsaf, 42 ans, venue de Villeneu- « Le problème, c’est qu’il peut en ces « Je suis Charlie » sortis des en- de la statue se sont glissées dans le comme un chaton, a soudain ap- un 11-Septembre à la française, un ve-d’Ascq, faisait le même constat. sortir le pire… », a lancé un voisin. trailles des photocopieuses et du noir les neuf lettres lumineuses porté un peu de légèreté en zigza- effondrement symbolique, poin- « Je regrette amèrement qu’il y ait Comme en réponse à cette fond des cœurs, puis brandis sans de « Not afraid ». La foule a scandé guant entre les bougies : « Allu- tait Thierry Fabre, programma- peu de musulmans présents ce soir crainte, comme une méthode fatigue pendant des heures. Ces aussitôt la traduction : « Même mée », « éteinte », « allumée »…. teur du Musée des civilisations mais on est tellement sous le Coué, François Hollande revenait trois mots-là signifiaient plus en- pas peur ! » Les journalistes ont Christophe Reichert était aussi d’Europe et de la Méditerranée et choc. » A quelques pas de là, un à la télévision à 20 heures. « Notre core dans leur retenue que toutes échangé entre eux un pauvre sou- fin connaisseur du monde arabe. homme a crié : « Dégage l’islam ! » meilleure arme, c’est notre unité. les tirades ou rodomontades. Et rire. On a parlé de l’ami Tignous, Cette attaque est clairement inspi- Dorsaf a soupiré : « Le 11-Septem- Rien ne peut nous diviser, rien ne que dire de la teneur de ces silen- qu’on attendait à la Fête de la rée par l’imaginaire du djihadisme bre, l’attentat de Saint-Michel, l’af- doit nous séparer. » Et d’annoncer ces graves, déterminés, parfois presse judiciaire la semaine pro- A Lyon, international, cette mécanique de faire du foulard, Daech… Beau- un deuil national. Dans la soirée, chargés de sanglots… Ils étaient chaine, le doux Tignous jamais une petite fille haine qui avance inexorablement. coup de choses sont restées en sus- les foules sont parties peu à peu, entrecoupés d’applaudissements avare d’une caricature et qu’on Ce qui est important maintenant, pens dans notre pays et n’ont pas comme à regret, comme si elles ou de cris, partout les mêmes, « li- embrassait comme le bon pain. apporte un peu c’est que notre société, qui est très été démêlées. Et les ressentis amè- ne voulaient pas céder de terrain, berté, liberté ! », « Charlie, Char- Comment on a pu tuer un type de légèreté fragile, ne dérape pas, ne cède pas nent les peurs. » Elle regarde les en somme. On a scandé encore lie ! » puisque ces deux mots comme lui ? aux passions. La France est une milliers de personnes réunies « fra-ter-nité ! », ou « Charlie n’est étaient ce jour synonymes, pour Une jeune femme en uniforme en se promenant grande nation politique qui a déjà autour d’elle : « Pourquoi l’unité pas mort ! », mais ce n’était pas fusionner même en « Charlie- tenait bravement un drapeau d’Al- entre les bougies : su résister à la violence. Elle doit le vient-elle avec le sang ? » sûr. Il faisait froid, il faisait triste et berté ». « Le monde est devenu si liance, le syndicat majoritaire faire encore. » Mais, à Marseille la A Besançon, un jeune prati- chacun pensait à ceux qui ne ren- malade que l’humour est devenu chez les gardiens de la paix. Kelly, « Allumée », cosmopolite, la mobilisation n’a quant, venu avec ses camardes, treraient pas chez eux ce soir. p une profession à risques », procla- 23 ans, est entrée dans la police il y « éteinte », pas vraiment réuni toutes les stra- s’insurgeait pour sa part contre service france, mait un panneau entrevu à Paris. a cinq ans. La foule n’a pas un mot tes de la population. Cheveux fri- les auteurs de l’attentat : « Ceux avec les correspondants D’autres trouvailles aussi comme pour ses deux collègues qui ont « allumée »… sés, regard noir, Fatiah Ramoul, qui ont fait ça sont de mauvais du « monde » 0123 VENDREDI 9 JANVIER 2015 france | 7

LE CONTEXTE

DEUIL NATIONAL La journée du jeudi 8 janvier a été déclarée « jour de deuil natio- nal », selon le vœu mercredi de François Hollande ; le décret a été publié le lendemain au Jour- nal officiel. Les deuils nationaux sont très rares en France, ce n’est que le cinquième depuis 1958. Les drapeaux ont été mis en berne pendant trois jours, jusqu’à samedi inclus, et « un moment de recueillement dans tous les services publics » ob- servé jeudi, à midi. « L’ensemble de nos concitoyens doit pouvoir se joindre à cet hommage. Les employeurs ont été invités à per- mettre à leurs salariés d’y partici- per », ajoute une circulaire du premier ministre, également pu- bliée au Journal officiel. Le président de la République devait, lui, se rendre à 11 heures à la Préfecture de police de Pa- ris, pour visiter la salle de com- mandement et rencontrer les chefs de service avant d’obser- ver une minute de silence. Au même moment, une cérémonie d’hommage aux victimes devait se dérouler dans la cour d’hon- neur de l’Assemblée nationale : Claude Bartolone, son président, devait réunir le bureau, les prési- dents des groupes, les parle- mentaires et l’ensemble des fonctionnaires. La cathédrale Notre-Dame de Paris devait, elle, sonner le glas avant la célébra- tion d’une messe.

« La guerre est au loin, mais elle arrive en écho » De messages en coups de téléphone, l’onde de choc provoquée par l’attentat a aussi exacerbé les peurs

ans la cuisine d’un lycée « La guerre vient de commencer », « Ce n’est pas me revois à 18 ans, faisant mes con- misme. » Louis-Hervé Guiny a reçu Vers 22 heures, l’identité des trois de Saint-Germain-en- soutient Jo. Il a 40 ans, garde du neries, capable de dire : à Charlie, ils trois textos des amis d’une vic- auteurs présumés filtre sur les ré- D Laye (Yvelines), la radio corps, et chez lui, à Grigny (Es- un attentat l’ont un peu cherché, non ? Et de time, demandant de prier pour lui. seaux sociaux. A Grigny, Jo est per- marche à fond, branchée sur RMC, sonne), chacun s’est mis à raconter de plus, mais l’autre côté, je suis sous le choc. « Nous le ferons ce soir, à la messe. » suadé qu’ils vont devenir « des comme tous les matins. Ils sont là, tout et n’importe quoi, « un coup Triste à mourir ». Il pense qu’une Dans la nuit qui tombe, deux stars aux yeux de certains gamins toujours les mêmes, cinq collè- monté pour décrédibiliser les mu- un signal » partie des Français va penser : « Ils imams distribuent des tracts, en des cités », comme Mohammed gues qui préparent ce jour-là une sulmans », ou « un contrat passé LOUIS-HERVÉ GUINY ont sali nos lieux, notre laïcité. » Et bas des immeubles dans les Hauts- Merah, assassin de sept personnes, poêlée de légumes-saucisses en avec des voyous ». Jo envoie un SMS si certains « voulaient se venger ? », de-Seine. Ils expliquent que « les en 2012 à Toulouse. Obstinément, prêtre blaguant. Quand la radio annonce à une amie journaliste. « J’espère se dit-il. « Venir nous rafaler ? » ennemis numéro un de l’islam, ce la comparaison avec Merah re- la tuerie à Charlie Hebdo, le 7 jan- que vous allez bien. C’est la merde et Les questions se mettent à sont les terroristes ». Le responsa- vient dans les conversations, les vier, tout le monde se tait. Puis, le je crois que ça va s’enfoncer. » l’étouffer. « Et si, dans les quartiers ble d’une association de quartier images semblent se répondre. plus vieux dit : « Franchement, Dans son appartement, à l’autre nous. On croirait qu’ils sont d’ac- aussi, ça devenait une mode de se soupire. « Je sais que c’est nul, mais A Saint-Etienne, où elle fait une toujours ces trucs de merde… » Et il bout du périphérique, Christine a cord avec ceux qui nous tuent. » mettre à deux ou trois, d’acheter des je ne peux pas m’empêcher de pen- conférence dans un lycée, le télé- se met à balancer des phrases, fermé les verrous de sa porte, Chez lui, du côté d’Asnières kalachnikovs à 1 500 euros… ? » Un ser davantage à l’amalgame qui phone de Latifa Ibn Ziaten n’ar- dont il laisse la fin en suspens. ajouté des balais pour la bloquer. (Hauts-de-Seine), Mourad, 36 ans, copain l’appelle. « Ça peut déraper, sera fait avec les musulmans plutôt rête pas de sonner. Son fils était Soudain, Samir (qui n’a pas com- Puis écarté les stores pour regarder n’arrive pas à quitter sa télé des devenir la chasse à tout le monde. » qu’aux victimes. » Il a voulu aller à une des victimes de Merah. De- muniqué son patronyme) se rend la rue à la jumelle. Depuis qu’une yeux. Il envoie un mail au Monde. l’hommage pour Charlie, place de puis, elle a fondé une association compte que le regard de ses quatre mosquée a été inaugurée, récem- « Une pensée pour ta profession, on « Rester prudent » la République, à Paris. Il n’ira pas. qui tourne dans les banlieues. « Je collègues se sont mis à le fuir. « J’ai ment, à quelques centaines de mè- est passé à un autre stade. On n’a Louis-Hervé Guiny a été une des « J’ai 40 balais, je n’ai rien à voir là- n’arrête pas de dire aux pouvoirs compris qu’ils attendaient que je tres, des hommes en kamis – le vê- pas de grandes tours en France cibles favorites de Charlie Hebdo : dedans. » Un autre : « Il faut rester publics : ça va recommencer. Les parle, pour donner ma position. » tement long traditionnellement mais une grande liberté de parole. c’est un prêtre en soutane, de la prudent. Certains ont vite fait de jeunes sont livrés à eux-mêmes, il Samir, 26 ans, né à Pantin (Seine- porté par les hommes musulmans C’est un 11-Septembre, plus rien ne communauté Saint-Martin. Dans vous traiter de traître. » faut les aider. » Pourtant, elle veut Saint-Denis) de parents nés à Pan- – y passent régulièrement. redeviendra comme avant. La si- le séminaire d’Evron (Mayenne), Les attentats ? Depuis la bombe à croire en « la France, un pays, qui a tin, est le seul musulman. Il se Cette fois, Christine ne voit per- tuation est irrécupérable. Les mecs où la télé et la radio ne sont autori- la station Saint-Michel en 1995, les moyens de surmonter la peur et lance. « Ce sont des connards. » sonne, « pas un chat, comme s’ils sortent de nulle part et partent sées qu’à certaines conditions, il a c’est une chose à laquelle Jean faire la paix avec elle-même ». Elle Normalement, il aurait longue- se cachaient », dit-elle. « Ils », comme pour un braquage. C’est pas appris la nouvelle par Internet. « Je Chauvet, retraité, pensait chaque parle difficilement. Sur les porta- ment expliqué que « ce n’est pas ça, « eux », c’est comme ça que Chris- bon signe. Ça ne cherche plus à être souffre pour mon pays, attaqué matin dans le RER en allant au tra- bles, un message s’affiche, envoyé l’islam ». Mais là, « j’ai utilisé un tine, électrice du Front national, martyr, ça part au combat, ici, en dans sa liberté d’expression. Faut-il vail. « Maintenant, il va falloir vivre sur Twitter au nom de Louis mot à eux pour bien qu’ils me com- désigne les musulmans du quar- France. C’est grave. Je te souhaite que la France soit fragile pour que avec cet attentat en plus. La guerre Sarkozy, le benjamin de l’ex-prési- prennent. J’avais l’impression que le tier. Et aujourd’hui, elle en a con- bon courage. Même les pires des barbares tuent de sang-froid est au loin mais arrive en écho. » Ce dent : un homme en cagoule monde s’était coupé en deux ». tre « eux », ses voisins, en fait. voyous des cités ne cautionneront des journalistes et des policiers ? Ce catholique pratiquant sent une brandit une arme devant un Ici, là, partout en France, l’onde « C’est à eux, qui sont de la même pas des actes de lâches. » n’est pas un attentat de plus, mais confrontation qui s’annonce. « Ce hexagone bleu-blanc-rouge, barré de choc n’en finit pas de monter race, d’expliquer aux islamistes Lui-même n’a jamais caché son un signal, confie-t-il. Il faut sur- n’est pas possible de se battre au de trois mots : « Défendons la après l’attentat à Charlie Hebdo, que ce qu’ils ont fait n’est pas bien. passé : un voyou, ou plutôt un monter la peur, mais prendre la nom d’un dieu de paix. Et les musul- France ». p déferlant au hasard des messages Nous, on ne peut rien leur dire. « ex ». Aujourd’hui, « c’est comme mesure de ce fléau : ce n’est pas l’is- mans vont être un peu plus assimi- florence aubenas et des coups de téléphone. Mais ils n’en ont rien à foutre de si mon corps se déchirait en deux. Je lam qui est dangereux, mais l’isla- lés à des terroristes. » et benoît hopquin 0123 8 | france VENDREDI 9 JANVIER 2015

L’union sacrée, jusqu’à quand ? Après le choc, les polémiques politiques risquent de reprendre le dessus

union sacrée, devant la Les premières violence du trauma- tisme, a d’emblée pré- positions prises L’ valu. Mais pour com- par l’UMP bien de temps ? Moins de trois ans après les tueries perpétrées à Tou­ laissent augurer louse et Montauban par Moha­ d’un possible med Merah en pleine campagne présidentielle, la classe politique affrontement s’est à nouveau rangée comme un sur le terrain seul homme, mercredi 7 janvier, au diapason de l’émotion et de la sécuritaire colère du pays. C’est en président d’une « République agressée » que s’est posé François Hollande, mer- épreuve », martèle le président, credi soir depuis l’Elysée. Il a, pour qui a décidé d’engager une série de l’heure, été unanimement en- consultations transpartisanes. Ni- tendu et suivi dans son appel à colas Sarkozy a été reçu à l’Elysée, l’« unité ». Il n’est cependant pas jeudi à 9 h 30, avant que le chef de certain, vu le terrain sur lequel de- l’Etat ne s’entretienne au télé- vrait s’engager le débat politique, phone avec Jacques Chirac et Va- celui de la sécurité, du terrorisme léry Giscard d'Estaing. L’après- et de l’islamisme radical, que l’es- midi, M. Hollande devait recevoir prit de responsabilité collective les présidents des assemblées et l’emporte encore longtemps. des groupes parlementaires puis, Le président a incontestable- vendredi, Marine Le Pen, François ment vécu la journée la plus in- Bayrou et Jean-Luc Mélenchon. tense de son quinquennat. Bous- Difficile, dans ce contexte, de ne culant l’ensemble de son agenda pas céder à cet appel à l’unité na- du jour, à l’exception de ses vœux tionale auquel ont sacrifié la aux autorités religieuses, M. Hol- grande majorité des responsables lande décide, à peine l’attentat de l’opposition. Et ce jusqu’au contre Charlie Hebdo connu, du Front national et sa présidente renforcement du plan Vigipirate, Marine Le Pen. Dans sa première et d’un déplacement dans l’heure déclaration solennelle de prési- au siège du journal. Il n’y visitera dent de l’UMP effectuée depuis le pas la scène de crime, où s’affai- siège du parti, M. Sarkozy, avait rent encore secouristes et enquê- abondé dans le sens du président : Nicolas Sarkozy, le président de l’UMP, a été reçu à l’Elysée par François Hollande, jeudi 8 janvier. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE » teurs. Mais il y dénonce, à l’évi- « J’appelle tous les Français à refu- dence bouleversé, « un acte d’une ser la tentation de l’amalgame et à exceptionnelle barbarie » et une at- présenter un front uni face au ter- François Bayrou. « C’est la nation ris. Rapidement, l’UDI et Jean- on est au-dessus du volcan. Il faut sieurs mois, la France est une cible taque « terroriste ». rorisme, à la barbarie et aux assas- tout entière qui doit s’unir et se Louis Borloo se joignent au que tout le monde garde son car elle est engagée dans une guerre sins ». L’ancien chef de l’Etat s’est mobiliser. En un tel moment, les di- mouvement initié par la gauche, calme, sinon ça peut vite partir en contre le terrorisme. Le gouverne- « Un avant et un après » tout de même autorisé une pi- vergences ou les critiques doivent puis l’UMP et M. Sarkozy, après que vrille », confiait un cadre socialiste ment le sait mais n’a pas pris suffi- Après une réunion de crise, à que : « Le gouvernement doit pren- s’effacer derrière le sursaut collec- ce dernier y a été convié par Ma- « abasourdi ». Les premières posi- samment la mesure du risque. On a 14 heures, entre ministres concer- dre des mesures fortes contre le ter- tif du sang-froid et du courage », nuel Valls au téléphone. Le prési- tions prises par l’UMP laissent le sentiment qu’il ne prend pas as- nés et responsables des services rorisme. Nous devons élever notre résume Alain Juppé. dent de l’UMP « y est favorable à augurer d’un possible affronte- sez de mesures de protection », ac- de sécurité, François Hollande, qui niveau de vigilance, et notre for- « Il y aura un avant et un après condition que ce soit digne, recueilli ment sur le terrain sécuritaire. cuse le sénateur des Hauts-de- a reçu des appels d’Angela Merkel mation politique soutiendra sans 7 janvier. C’est une situation qui, à et ferme », a indiqué Frédéric Pé- Brice Hortefeux, ex-ministre de Seine. Sentant la polémique mon- et David Cameron, Barack Obama réserve toutes les initiatives du l’échelle de la France, est équiva- chenard, le directeur du parti. l’intérieur, exige un « renforce- ter, M. Valls, jeudi matin sur RTL, a et Vladimir Poutine, affine le mes- gouvernement qui iront dans ce lente à celle du 11-Septembre 2001 Plusieurs responsables de la ma- ment des moyens humains, maté- par avance fait barrage : « Aucune sage qu’il délivrera le soir dans son sens. » Unanimes, les autres repré- pour les Etats-Unis », explique au jorité, en privé, redoutaient ce- riels et technologiques ». piste n’a été négligée », affirme le allocution télévisée regardée par sentants de la droite et du centre Monde Jean-Christophe Cambadé- pendant que le climat politique Certains attaquent déjà sans re- premier ministre. Avant d’ajou- 21, 5 millions de personnes, et son ont appelé à faire « bloc ». « Sang lis. Très vite mercredi, le premier très inflammable des derniers tenue. Contacté par Le Monde, ter, agacé : « On pose trop rapide- hommage rendu aux « héros » par froid » et « détermination impla- secrétaire du PS s’est employé à or- mois, sur fond de tensions com- l’ex-ministre Roger Karoutchi ment ces questions. » p un deuil national et des drapeaux cable », plaide François Fillon. « Il ganiser, avec « tous les partis répu- munautaires et de crise de la laï- « dénonce la faiblesse de l’Etat », bastien bonnefous, en berne pendant trois jours. faut nous serrer les coudes », ex- blicains », une « marche silen- cité, s’embrase à court terme. « Ça qui a, selon lui, « fait preuve de alexandre lemarié « Rassemblons-nous face à cette horte le président du MoDem cieuse » dimanche 11 janvier à Pa- pue. Il ne faut pas que ça bascule, trop de naïveté ». « Depuis plu- et david revault d’allonnes

Un acte barbare qui frappe une société fragilisée La tuerie à « Charlie Hebdo » va-t-elle, à l’instar du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, exacerber les réflexes sécuritaires et le climat de paranoïa ?

ANALYSE sant leurs armes, puis s’échap- France serait en guerre. Attaquée gration, son « modèle républi- affaiblis ? Crise de la démocratie, sonnes se sont rassemblées pour pent de voiture en voiture, jus- de l’intérieur, sur son propre sol. cain ». Ce « vivre ensemble », ci- crise de la représentation, crise manifester leur émotion. Tous les tupéfaction, tétanie et sidé- qu’à perte de vue. L’humour et la Partout en France, on connaît as- ble de ces terroristes, était assez identitaire, crise morale : ce sont responsables politiques ont ap- ration. Ce mercredi 7 jan- dérision sont à terre, la haine en sez les victimes, au moins certai- mal en point mercredi matin ces diagnostics qui ont jalonné pelé à l’union nationale. S vier, peu avant midi, l’hor- fuite. nes d’entre elles, compagnons de pour que des rafales de kalach- notre débat public depuis une Mais demain ? Ce moment de reur de l’attentat commis dans les Du jamais vu. Et pourtant cette vie depuis des lustres, pour mesu- nikov puissent prétendre, peu quinzaine d’années, en parallèle à bascule sera fondateur s’il ressus- locaux de Charlie Hebdo se pro- impression de déjà-vu. Chacun rer que c’est bien chacun de nous avant midi, le faire exploser. une progression constante du cite et vivifie un désir d’unité qui page comme un tsunami sur les pressent bien vite qu’il se sou- qui a été touché. Visé par d’autres On a vu sur une vidéo ces hom- Front national. semblait avoir disparu. Il sera tout médias et les réseaux sociaux, ba- viendra toujours où et avec qui il Français. mes tirer sur une victime à terre, Un moment de bascule, donc. autre s’il est perçu comme le layant tout sur son passage. Du se trouvait ce mercredi, peu avant un policier. Comme lui, c’est un Mais de bascule vers quoi ? Dans triomphe des « prophètes » qui reste de « l’actualité », il ne reste midi ; que ce souvenir sera logé « Vivre ensemble » pays sérieusement blessé qui a quel monde ? Nul ne le sait. Aux agitent le spectre du déclin et de la rien qu’un paysage dévasté. Pour quelque part dans la mémoire in- Si leurs cris et leurs balles réson- reçu leurs balles. Combien de Etats-Unis, le 11-Septembre avait discorde. L’hebdomadaire Valeurs tous et pour chacun, tout est là : dividuelle et collective, aux côtés nent à ce point dans nos mémoi- « crises des banlieues » aussi vio- déclenché un réflexe conserva- actuelles avait bouclé sa dernière des morts, journalistes et poli- du 11 septembre 2001, là où se ni- res individuelles et collectives, lentes que sans suites, combien teur et débouché sur le « Patriot livraison avant l’attaque visant ciers, rouages de la société et de la chent les moments de bascule. De c’est que ces mêmes mémoires de débats sur la place de l’islam, Act », du nom de cette loi antiter- Charlie Hebdo. A la une, une démocratie froidement abattus ceux, rares, dont on sent que rien ont été travaillées, malmenées, combien d’amalgames et de dé- roriste votée par le Congrès et si- femme voilée d’un drapeau bleu par ce matin d’hiver ; deux hom- après ne sera plus jamais comme que des doutes se sont installés de clarations péremptoires d’un gnée par George Bush six semai- blanc rouge, et ce titre : « Peur sur mes encagoulés et bien vivants, avant. Une « scène de guerre », longue date dans notre société côté, d’absence de réponses de nes après les attentats. En France, la France ». p qui crient et exultent en brandis- rapportent des témoins. La sur sa cohésion, sa capacité d’inté- l’autre, nous ont précédemment des dizaines de milliers de per- jean-baptiste de montvalon

nicolas un jour dans le monde L’ national demorand du lundi au vendredi 18h20 àlaloupe avec les chroniques franceinter.fr d’Arnaud Leparmentier et Alain Frachon 0123 VENDREDI 9 JANVIER 2015 france | 9 Les représentants des cultes veulent un sursaut Une initiative commune doit être prise, jeudi 8 janvier, par les chefs de file des religions

our les représentants « La lutte contre « L’un des buts de ces crimes est de des principaux cultes en monter les communautés les unes France, l’heure est à la radicalisation contre les autres, déplore Anouar P l’unité affichée. Chefs de devrait être Kbibech, président du Rassem- file catholique, protestant, ortho- blement des musulmans de doxe, musulman, juif, bouddhiste décrétée cause France. C’est une tentative de dés- devaient se réunir, jeudi 8 janvier, nationale » tabilisation de la société française. pour s’accorder sur une initiative Cela confirme la nécessité de tra- commune après l’attentat qui a ANOUAR KBIBECH vailler contre la radicalisation décimé Charlie Hebdo. Cette réu- président du Rassemblement dans la communauté musul- nion était prévue de longue date, des musulmans de France mane. La lutte contre la radicalisa- mais l’attaque terroriste lui a tion devrait être décrétée cause donné une nouvelle pertinence. nationale. » Plusieurs propositions sont sur la liberté de la presse, demeurent aux table, dont celle d’un rassemble- fondements de notre vivre-ensem- « Un cap a été franchi » L’Elysée, mercredi 7 janvier au soir. MICHEL EULER/AP ment appelé par tous les courants ble ». Ce pasteur a vécu cette réu- Jeudi matin, avant d’être informé spirituels. nion à l’Elysée comme « un vrai de l’attentat, Mohammed Mous- L’onde de choc de l’attentat s’est moment républicain, dense et saoui, président de l’Union des aussi imposée à la traditionnelle tendu vers la concorde ». « En ce mosquées de France (UMF), avait cérémonie des vœux aux repré- moment d’unité nationale, toutes rencontré le pape, à Rome, en sentants des cultes à l’Elysée, pro- les religions étaient ensemble », compagnie de trois autres imams grammée mercredi en fin rapporte aussi Joël Mergui, prési- français engagés dans le dialogue d’après-midi. A la sortie, François dent du Consistoire. interreligieux et des responsa- Clavairoly, le président de la Fédé- Ce qui préoccupe maintenant bles du dialogue avec l’islam au ration protestante de France les représentants des religions, sein de l’Eglise catholique. Il es- (FPF), a lu un premier texte com- c’est de faire en sorte d’utiliser time lui aussi que « ce type d’acte mun à ces responsables, affir- l’émotion soulevée pour parvenir risque de générer la peur de l’islam mant que « la République laïque et « à sortir plus forts de ce trauma- chez nos concitoyens ». « Nous ses valeurs, notamment la liberté tisme », selon la formule de Fran- sommes des citoyens de ce pays, de conscience, la démocratie et la çois Clavairoly. Joël Mergui rap- insiste M. Moussaoui, et c’est ce pelle que le « sursaut » enregistré qui dérange ces terroristes : que après les assassinats commis par l’on puisse être citoyens musul- Mohamed Merah à Montauban et mans en France. » VERBATIM à Toulouse était demeuré sans C’est pour désamorcer cette me- lendemain, et que la décapitation nace placée au-dessus de la tête d’Hervé Gourdel en Algérie avait des musulmans que Tarek Aujourd’hui, c’est la Répu- peu mobilisé. « Si on n’obtient pas Oubrou, recteur de la Grande “ blique tout entière qui a été une mobilisation de toutes les Mosquée de Bordeaux, égale- agressée. La République, c’est la franges de la société après un ment présent au Vatican, a « ap- liberté d’expression. La Républi- drame comme celui-là, on aura pelé les musulmans à sortir massi- que, c’est la culture, c’est la perdu la partie », s’inquiète le re- vement dans les rues pour dire leur création, c’est le pluralisme, c’est présentant de la communauté dégoût ». « Un cap a été franchi la démocratie. C’est cela qui juive. Le glas devait sonner jeudi à qui risque de menacer la paix ci- était visé par les assassins. C’est midi à Notre-Dame de Paris. vile. Il faut que les musulmans ma- l’idéal de justice et de paix que nifestent leur colère », a-t-il ajouté la France porte partout sur la Inquiétude après l’audience avec le pape. Les représentants des cultes, après leur rencontre avec François Hollande. PHILIPPE WOJAZER/REUTERS scène internationale et ce mes- Dans la communauté musul- L’UOIF a appelé les musulmans à sage de paix, de tolérance que mane, l’inquiétude concernant participer aux rassemblements nous défendons aussi à travers les répercussions de l’attentat est en mémoire des victimes. p nos soldats pour lutter contre le évidente. A 9 heures, jeudi, devait cécile chambraud terrorisme et le fondamenta- se tenir une réunion exception- lisme. (…) La France est grande nelle du Conseil français du culte quand elle est capable dans une musulman (CFCM) associant les épreuve de se mettre au meilleur fédérations qui se tiennent en Pour le FN, la guerre est ouverte contre l’islam radical niveau, c’est-à-dire à son niveau, marge, au premier rang desquel- le niveau qui a toujours fait que les l’Union des organisations isla- la France a pu surmonter des miques de France (UOIF), proche arine Le Pen est sur jectif est de paralyser par la peur sance envers les soldats d’Allah ». guerre civile peut-être, demain. épreuves. La liberté sera tou- des Frères musulmans. Toutes les une ligne de crête diffi- pour soumettre ou censurer ». Ils espèrent ainsi profiter de cet Son ennemi est l’islam radical, l’is- jours plus forte que la barbarie. organisations musulmanes ont M cile à tenir. Après l’at- De son côté Florian Philippot est épisode dramatique pour créer lam politique, l’islamisme djiha- La France a toujours vaincu ses très vite condamné l’attentat con- tentat contre Charlie Hebdo qui a plus explicite. Le numéro 2 du FN un mouvement de masse anti-is- diste », écrit sur son blog Ivan ennemis quand elle a su juste- tre Charlie Hebdo, un « coup porté fait 12 morts mercredi 7 janvier, a rappelé les fondamentaux du lam, à l’image des manifestations Rioufol, éditorialiste au Figaro. Le ment faire bloc autour de ses va- à l’ensemble des musulmans », se- Marine Le Pen, qui veut à tout prix parti d’extrême droite, en évo- allemandes organisées par le directeur des rédactions de ce leurs. C’est ce que je vous invite lon Dalil Boubakeur, président du éviter d’être accusée de récupéra- quant implicitement la lutte con- mouvement Pegida qui rassem- journal, Alexis Brézet, estime, lui, à faire. Le rassemblement, le ras- CFCM. tion, récuse avec virulence « tout tre « l’immigration massive », le blent des milliers d’Allemands qu’une « vraie guerre nous a été semblement de tous, sous tou- Mais, plus encore qu’après les amalgame » entre « nos compa- principal marqueur frontiste. chaque semaine « contre l’islami- déclarée : la guerre du fanatisme tes ses formes, voilà ce qui doit précédents attentats ou exac- triotes musulmans attachés à no- « Les Français attendent des solu- sation de l’Occident ». islamique contre l’Occident, l’Eu- être notre réponse. » tions de djihadistes, les autorités tre nation et à ses valeurs » et tions, nous allons expliquer les nô- Une analyse qui trouve un écho rope et les valeurs de la démocra- musulmanes manifestent leur « ceux qui croient pouvoir tuer au tres. Il n’y aura pas de mesures au sein même de la droite classi- tie ». p François Hollande, mercredi inquiétude de voir leurs coreli- nom de l’islam ». nouvelles, notre analyse est an- que. « La France est en guerre. En abel mestre 7 janvier, 20 heures. gionnaires pâtir de cette tragédie. Tout en se posant en rassem- cienne sur le sujet. Nos thèses sont bleuse d’un pays meurtri, elle validées depuis longtemps, tous les n’hésite pas à appuyer fort sur le Français le savent », a-t-il souli- lien supposé entre immigration gné. maghrébine et terrorisme islami- que, pour ne pas se couper de son En effervescence électorat historique. Selon la pré- Si le FN s’efforce de rester dans sidente du Front national, il y a une certaine retenue, les autres une guerre ouverte entre le terro- composantes de l’extrême droite risme et les démocraties. La sont en effervescence, notam- www.monde-diplomatique.fr France devra donc répondre fer- ment les identitaires et les isla- JANVIER 2015 mement à ces « attaques », a-t- mophobes. Ceux-là voient dans le elle confié au Monde. massacre de Charlie Hebdo l’occa- Pour ce faire, Mme Le Pen a ap- sion d’avancer leurs arguments pelé, dans une vidéo de moins de xénophobes. Ainsi, le Bloc identi- trois minutes, mise en ligne mer- taire, groupuscule radical prô- Les dessous de l’industrie credi sur le site du FN, à « nommer nant la « remigration », affirme les choses, à libérer notre parole ». que « personne ne pourra préten- pharmaceutique « Il faut des réponses franches et dre lutter contre le djihadisme sans claires », a-t-elle lancé, pour éviter remettre en cause l’immigration 2H-13H30 « tout déni ». massive et l’islamisation de notre CAROLINE BROUÉ /1 Ferme mais posée, Marine Le pays. Pour cela, ce n’est pas d’union &Idées» Une enquête de Quentin Ravelli Pen a condamné un « attentat nationale derrière ces dirigeants DU LUNDI AU VENDREDI odieux » et en a appelé à l’unité. qui ont failli mille fois dont nous « La nation est unie pour dire que avons besoin mais d’un sursaut Retrouvez la rédaction du supplément «Culture nous, Français de toutes origines, national les chassant du pou- du Monde chaque vendredi dans l’émission nous n’accepterons pas que soit at- voir ». en partenariat avec tenté à nos vies et à nos libertés », Les islamophobes de Riposte laï- a-t-elle affirmé. Pour elle, cela ne que, qui appelaient à un rassem- Chaque mois, avec Le Monde diplomatique, Écoute, réécoute, podcast fait aucun doute : cette attaque a blement, jeudi 8 janvier, à Paris, franceculture.fr on s’arrête, on réf léchit. été commise « au nom de l’isla- pour dénoncer « l’islamisation » misme radical », « idéologie meur- de la France, accusent notam- Chez votremarchand de journaux, 28 pages, 5,40 € trière qui fait des milliers de victi- ment Bernard Cazeneuve, minis- mes dans le monde » et dont « l’ob- tre de l’intérieur, de « complai- 0123 10 | france VENDREDI 9 JANVIER 2015 Les médias entre sidération et mobilisation Toute la journée, la profession a rendu hommage à « Charlie Hebdo », tout en s’inquiétant pour l’après-7 janvier

ls ont voulu tuer un jour- Les confrères veulent donner visages graves, tenant des affi- res improvise une prise de parole dont le livre Le Suicide français, fait « Comme nal… » Cette phrase, Elsa une réponse exceptionnelle, dit chettes « Je suis Charlie ». Dans et distribue les portraits victimes. polémique. Autour d’elle, on parle Vigoureux, de L’Obs, la Elsa Vigoureux. Fait rare, seize ré- l’après-midi, les locaux de la plu- « On est plus nombreux que les trois aussi de Michel Houellebecq et de journalistes, nous I répète ; elle souligne dactions – du Monde, du Figaro, part des grands médias voient ar- qui ont fait ça », lâche Céline Pi- son roman, Soumission, imaginant sommes atteints bien l’état d’esprit des journalistes des Echos, de L’Obs, de Rue89, de river des policiers, qui sécurisent galle, directrice de la rédaction un musulman à l’Elysée. après les assassinats commis Radio France, de l’Agence France- l’accès à leurs locaux. d’iTélé. Tout en rappelant la « res- Avant de venir, Frédéric Bénudis, dans notre dans les locaux de Charlie Hebdo Presse, du Point, de l’Express, de ponsabilité » des médias. « On choi- journaliste à Vanity Fair et GQ, a confort, dans mercredi 7 janvier. La journaliste, TF1 ou de Mediapart, etc – signent Prise de parole sit ce que l’on met à l’antenne ; il faut tweeté : « Note pour plus tard : ne présidente de la société des rédac- un texte proclamant « Nous som- A mesure que sont diffusés les ap- faire attention à ne pas faire monter plus parler de l’actualité avec le cou- notre immunité » teurs de L’Obs, couvre les suites de mes tous des Charlie ». pels à se rassembler, le Syndicat na- les extrémismes », précise-t-elle. Il y turier en bas de chez moi. » « Quand DANIEL SCHNEIDERMANN l’attaque pour l’hebdomadaire. Dans l’après-midi, l’ambiance tional des journalistes donne ren- a quelques semaines, sa chaîne a on a parlé de l’attaque, il a répondu Arrêt sur images « Dès midi, devant Charlie Hebdo, est étrange dans les rédactions, dez-vous sur la place de la Républi- choisi d’arrêter sa collaboration “Et la France, elle a fait quoi, en Irak, des journalistes sont venus spon- partagée entre la sidération de- que à Paris. Reporters sans frontiè- avec le chroniqueur Eric Zemmour, en Afrique ?” », raconte-t-il. Le mo- tanément, explique-t-elle, souvent vant iTélé, BFM ou Twitter et l’en- ment n’est-il pas l’occasion de s’in- pour prendre des nouvelles des vic- vie de réagir. Au Figaro une mi- terroger sur la distance entre les Provocateur, Silvain Gire, d’Arte times » dont la liste complète ne nute de silence est organisée. « Il y Les policiers exigent plus de moyens médias et leur audience ? « Cette af- Radio, interpelle l’assemblée de sera connue que dans la soirée. avait beaucoup de monde », se ré- faire va nous rapprocher du public, « journalistes blancs, de gauche et jouit Philippe Goulliaud, chef du Trois syndicats de police ont demandé, mercredi 7 janvier, à être re- par l’émotion qu’elle suscite », ré- âgés », estimant qu’il faut, malgré service politique du quotidien. Il çus par le ministre de l’intérieur et « exigent que les forces de l’ordre pond Bruce Toussaint, animateur l’émotion, ne pas oublier de « Cette affaire va s’inquiète : « Au début, tout le soient dotées de tous les moyens nécessaires ». « Face à cet acte de d’iTélé. « nommer » dans les ennemis « le monde va dire qu’il faut faire barbarie », Alliance, Synergie Officiers et le Syndicat indépendant Alors que la place de la Républi- fondamentalisme musulman ». nous rapprocher l’union nationale et qu’il ne faut des commissaires de police « exigent que tous les moyens soient mis que se vide, Mediapart organise Entre-temps, Reporters sans du public, par pas faire d’amalgame. Mais com- en œuvre pour interpeller ces criminels et que la justice agisse sans une soirée filmée. « Comme jour- frontières a lancé un appel inci- bien de temps cela va-t-il durer ? » clémence face à une telle lâcheté ». Alliance a appelé les policiers à nalistes, nous sommes atteints tant les médias à reproduire des l’émotion qu’elle Au Parisien aussi, une minute de se rassembler mercredi devant les commissariats pour une minute dans notre confort, dans notre im- caricatures de Charlie Hebdo. suscite » silence est respectée ; iTélé fait de silence. Les trois syndicats se disent « horrifiés » par l’attaque de munité. On pensait que dans une En France, les quotidiens, dont taire son antenne un instant. l’hebdomadaire, après celle du commissariat de Joué-lès-Tours (In- démocratie, la violence envers nous Le Monde, ont choisi de repro- BRUCE TOUSSAINT L’Agence France Presse (AFP) pu- dre-et-Loire), lorsqu’un homme, en décembre 2014, avait blessé ne pouvait être que verbale, estime duire des œuvres de Charlie animateur d’iTélé blie une photo de ses journalistes, trois policiers à l’arme blanche avant d’être tué. Daniel Schneidermann, d’Arrêt sur Hebdo. Le Figaro aussi, qui publie images, un des confrères invités. le texte écrit par le Syndicat de la Là, on bascule dans autre chose. » Le presse quotidienne nationale et le défi : ne pas tomber dans une « lo- dernier dessin de Charb. gique guerrière ». « Ensuite, il faudra travailler au réarmement juridique et politique « Ne pas rogner les libertés » face à ces menaces », explique Cette mise en garde est partagée Alexis Brézet, le directeur de la ré- par tous ceux qui se succèdent au daction du Figaro, citant, parmi micro. Mais la soirée avançant les pistes, des mesures de sécurité vont s’exprimer aussi quelques visant les djihadistes revenus en notes de « dissensus », relève France ou une surveillance accrue l’hôte, Edwy Plenel. « Le président de l’Internet. Gilles van Kote, le di- Hollande parle d’unité nationale recteur du Monde, estime pour sa mais les musulmans de France rê- part lui qu’il ne faut pas « rogner veraient d’y être inclus, raconte les libertés ». Abdelkrim Branine, rédacteur en Reste une question, qui aura tra- chef de Beur FM. J’attends le jour versé toute cette journée du 7 jan- d’après, dans les médias. » vier : comment faire pour que De son côté, Saïd Branine, du site Charlie Hebdo ne meure pas ? Un Oumma.com, journaliste et « mu- communiqué tombe finalement sulman », rappelle qu’il est venu le soir : « Les groupes Radio France, en soutien, bien qu’il ait eu des Le Monde et France Télévisions an- « débats démocratiques » avec noncent mettre à disposition de Charlie Hebdo : « On a trouvé que Charlie Hebdo et de ses équipes leur caricature montrant le Pro- l’ensemble de leurs moyens hu- phète avec une bombe sur la tête mains et matériels nécessaires était islamophobe, car elle suggé- pour que Charlie Hebdo continue rait que les musulmans étaient ter- à vivre. » p roristes », dit-il. alexandre piquard

Le choc des éditeurs de presse La communauté des éditeurs exprime sa solidarité à l’hebdomadaire

a communauté des édi- aux intimidations faites aux prin- teurs de presse est sous le cipes intangibles de la liberté L choc après l’attentat d’une d’expression. lâcheté et d’une gravité extrêmes Les éditeurs et l’ensemble des perpétré aujourd’hui contre son collaborateurs de la presse fran- confrère Charlie Hebdo. çaise adressent leurs plus sincères L’ensemble des éditeurs ex- condoléances aux familles et pro- prime sa plus grande indignation ches des victimes, ainsi qu’à l’en- et sa vive émotion, et souhaite semble des salariés de Charlie marquer sa profonde solidarité Hebdo. p vis-à-vis des équipes de Charlie Hebdo, et son soutien aux victi- mes, dont les deux policiers qui assuraient la protection de la ré- ¶ daction, et à leurs proches. Communiqué des éditeurs Aujourd’hui, cet attentat terro- réunis au sein de : riste est le plus grave que la Syndicat de la presse quotidienne France ait eu à subir depuis des nationale (SPQN), décennies. Syndicat de la presse quotidienne En s’en prenant à une rédac- régionale (SPQR), tion, les auteurs de cet acte parti- Syndicat de la presse quotidienne culièrement odieux ont visé la li- départementale (SPQD), berté de la presse. Ils s’attaquent Syndicat de la presse ainsi à la liberté d’expression et à hebdomadaire régionale (SPHR), la démocratie, valeurs républicai- Syndicat des éditeurs de la presse nes fondamentales partagées magazine (SEPM), par tous. Fédération nationale de la presse spé- L’honneur de la communauté cialisée (FNPS), des éditeurs est d’affirmer plus Association de la presse d’information que jamais sa solidarité avec ses politique et générale (AIPG), amis de Charlie Hebdo pour la dé- Syndicat de la presse indépendante UN TEMPS D’AVANCE fense et l’illustration de la liberté d’information en ligne (SPIIL), de la presse. Association de la presse gratuite Il est aussi de déclarer qu’elle ne d’information (APGI), cédera jamais aux menaces et Association presse et pluralisme. 0123 VENDREDI 9 JANVIER 2015 l’attentat contre « charlie hebdo » | 11

Des manifestations de soutien ont eu lieu partout dans le monde, comme ici à Lima, à San Francisco, à Londres, à New York, à Sao Paulo et à Bruxelles (de haut en bas et de gauche à droite). ENRIQUE CASTRO-MENDIVIL/REUTERS - STEPHEN LAM/REUTERS - STEFAN WERMUTH/REUTERS - JOHN MINCHILLO/AP - ANDRE PENNER/AP - GEERT VANDEN WIJNGAERT/AP L’UE cherche une réponse au défi djihadiste L’attaque contre « Charlie Hebdo » pourrait relancer le débat sur la coordination de la lutte contre le terrorisme

bruxelles - bureau européen « Nous étions roulé en Europe au cours des dix passagers, dans le transport aé- En France, mais crant une attention particulière à riga - envoyée spéciale dernières années ». rien) qui devrait permettre de la Turquie, avec laquelle un « ac- persuadés que Au-delà de l’émotion, certains mieux repérer ceux qui partent aussi en Belgique, cord opérationnel » est en négo- égoût, tristesse, appel à ce type d’actions responsables réclament déjà une vers les zones de combat ou en re- au Royaume-Uni, ciation. renforcer la lutte con- remobilisation contre une me- viennent. La France et l’Allemagne ont été tre le terrorisme : tous surviendrait. nace qui, même si elle était jugée La Commission, soutenue par au Danemark, les plus insistantes pour réclamer D les responsables euro- Nous ignorions sérieuse, n’était pas perçue de ma- les Etats membres, a proposé, en de nombreuses une adaptation des règles de l’es- péens ont dénoncé, depuis l’atta- nière identique dans les différen- avril 2013, que soit mis en place un pace Schengen, qui regroupe que contre Charlie Hebdo, mer- seulement tes parties de l’UE, ce qui a ralenti la registre des données personnel- tentatives 26 Etats européens – dont credi 7 janvier, ce que le président où et quand » prise de décision. les, sur le modèle de celui existant d’attentats ont 22 membres de l’UE. Le Code du Conseil européen, le Polonais Federica Mogherini, la haute re- aux Etats-Unis. Le projet a été re- Schengen interdit de rendre sys- Donald Tusk, a qualifié d’« attaque UN MEMBRE DU présentante pour la diplomatie jeté par la commission des liber- été déjouées tématiques les contrôles aux brutale contre nos valeurs fonda- RENSEIGNEMENT À BRUXELLES commune, a indiqué que le pro- tés civiles du Parlement euro- ces derniers mois frontières, mais la Commission mentales ». Jean-Claude Juncker, chain conseil des ministres des af- péen. Une coalition d’eurodépu- doit examiner les possibilités de président de la Commission, a évo- faires étrangères se saisirait du tés libéraux, verts et sociaux-dé- modifier, ou d’« interpréter intel- qué « un acte intolérable, une bar- qui va sans doute persister au cours dossier du terrorisme, lundi mocrates a, par ailleurs, obtenu le ligemment », les textes. barie qui nous interpelle en tant des prochaines années », nécessi- 19 janvier. Au Parlement euro- blocage du renouvellement d’un d’information Schengen II ou l’ac- Enfin, un débat a été lancé avec qu’êtres humains et Européens ». tant « un engagement sur le long péen, l’UMP, membre du Parti po- accord « PNR » entre le Canada et cès aux bases de données d’Euro- des représentants de Facebook, Martin Schulz, président du Parle- terme ». Depuis, les services natio- pulaire européen, a réclamé un l’UE, à la fin de 2014. pol et d’Interpol, aux fichiers des Google, Microsoft ou Twitter ment européen, a invité tous les naux ont fait remonter des infor- débat d’urgence lors de la pro- documents de voyage perdus ou pour réfléchir aux moyens de li- eurodéputés à se rassembler, à mations inquiétantes sur des ris- chaine session, à partir du lundi 12. Voyages à risques volés. Sur le plan judiciaire, M. de miter la diffusion de la propa- Bruxelles, devant les bâtiments de ques d’attentat et le problème par- L’eurodéputé Alain Lamassoure Mais, parallèlement, 15 pays, dont Kerchove a proposé de renforcer gande terroriste. Les discussions l’institution pour observer une ticulier posé par les retours de réclame également un sommet la France, sont en train de créer le rôle d’Eurojust, l’ébauche de piétinent même si le rôle détermi- minute de silence. combattants islamistes originai- extraordinaire des chefs d’Etat et des systèmes censés permettre de parquet européen, et de lancer des nant de la parole djihadiste diffu- Dans toutes les capitales, des res d’Europe partis en Syrie, en Irak de gouvernement. mieux identifier les voyageurs « à équipes communes d’enquête. sée sur le Web dans les processus messages de soutien ont été adres- ou vers d’autres zones d’affronte- Certains demandent une re- risques » avant leur départ. Il reste Les services de coordination de radicalisation est désormais sés à Paris. L’un des plus symboli- ment. Ils seraient entre 3 000 et lance rapide du débat sur le toutefois à les connecter entre européenne évoquent aussi la né- admis par tous. p ques a été lancé par le premier mi- 5 000 au total, la moitié d’entre « PNR » (« passenger name re- eux… D’autres outils devraient cessité de coopérer davantage jean-pierre stroobants nistre italien, Matteo Renzi, qui eux n’ayant été identifiée qu’après cord », ou fichier des données de être améliorés, comme le système avec huit « pays clés », en consa- et cécile ducourtieux s’est rendu à l’ambassade de leur départ. De 20 % à 30 % se- France à Rome pour y déclarer raient revenus, souvent en dé- « nous sommes tous français », et tresse, parfois « la rage au ventre », Charb, cible désignée d’ « Inspire », la revue d’Al-Qaida au Yémen affirmer que « la liberté est la seule comme le dit un expert. raison d’être de l’Europe et des ci- toyens européens ». Niveau d’alerte c’est une bien sinistre reconnais- La publication de cette liste n’avait alors légié de leur recrutement, Inspire leur « C’est le type d’action que nous En France, mais aussi au Royaume- sance qu’avait acquise le dessinateur rien dû au hasard. Sous le titre « Nous fixait ainsi les objectifs à atteindre. redoutions, ou plutôt dont nous Uni, au Danemark ou en Belgique, Charb au sein de la sphère djihadiste inter- sommes tous des Oussama [Ben Laden] », Sur le réseau de microblogging Twitter, étions persuadés qu’elle survien- de nombreuses tentatives d’atten- nationale. En mai 2013, le directeur de la nouvelle édition de cette revue lancée en les militants et sympathisants du djihad drait. Nous ignorions seulement où tat ont été déjouées au cours des Charlie Hebdo avait été placé sur la liste des juillet 2010 par Al-Qaida en péninsule global – qu’ils soutiennent Al-Qaida ou son et quand », confiait anonyme- derniers mois. Dans d’autres pays personnalités les plus détestées et ciblées Arabique (AQPA) rendait hommage à l’at- concurrent, l’Etat islamique – se sont par- ment une source du renseigne- également, le niveau d’alerte reste par Al-Qaida. Dans le numéro dix du maga- tentat commis lors du marathon de Bos- tagé, après l’attaque contre Charlie Hebdo, ment à Bruxelles, mercredi soir. En au stade « sérieux ». L’inquiétude zine trimestriel de langue anglaise Inspire, ton, aux Etats-Unis, un mois plus tôt, par une version actualisée de leur liste noire. juin 2014, l’attaque contre le Mu- est particulièrement forte dans les parfait manuel de l’apprenti djihadiste, les frères Tsarnaev. Aux côtés du portrait du dessinateur barré sée juif de Bruxelles (trois person- médias. Mercredi, une alerte au co- Stéphane Charbonnier apparaissait, aux d’une croix rouge a été accolé un message nes assassinées) a constitué une lis piégé a ému le quotidien espa- côtés de dix autres grands noms, sous la La figure du « loup solitaire » de victoire : « Salutations et remerciements première alerte prise très au sé- gnol El Pais, à Madrid. En Norvège, bannière : « Recherché mort ou vif pour cri- Après l’assassinat de sept personnes en de la communauté islamique à ceux qui ont rieux : arrêté le 30 juin à Marseille, des journaux et des chaînes de té- mes contre l’islam ». Sa tête était alors mise France par Mohammed Merah en vengé le prophète Mohammed. » son auteur présumé, Mehdi Nem- lévision ont renforcé leur sécurité. à prix avec celles du dessinateur danois mars 2012 et le meurtre d’un soldat à Lon- Alors que rien ne permettait encore, jeudi mouche, un Français radicalisé en Au Danemark, l’initiateur de la Kurt Westergaard, auteur d’une caricature dres par Michael Adebolajo et son com- 8 janvier au matin, d’établir avec certitude prison, était passé par la Syrie. Il est publication des caricatures de Ma- de Mahomet en 2005, du penseur indien plice en mai 2013, la figure du « loup soli- l’affiliation idéologique actuelle des frères depuis incarcéré en Belgique en at- homet dans le quotidien Jyllands Salman Rushdie ou du pasteur américain taire » s’imposait comme un modèle Kouachi, suspects présumés de la tuerie de tente de son procès. Posten, en 2005, s’est dit sous le Terry Jones, accusé d’avoir insulté le Pro- d’avenir pour le djihad mondial. Un néo- Charlie Hebdo, et s’ils auraient agi de leur Le coordinateur européen de choc. Flemming Rose, ex-respon- phète. L’obstination du journal à revendi- djihadiste, autoradicalisé sur Internet et propre initiative ou sur ordre, les membres l’antiterrorisme, Gilles de Ker- sable du service culture, a toute- quer la publication des caricatures du capable de se fondre dans son environne- des deux organisations ont aussitôt cher- chove, avait alors évoqué « une fois confié qu’il n’était pas étonné, Prophète n’avait fait qu’attiser la haine des ment, pouvant porter le djihad au cœur ché à tirer parti de cette opération. p menace majeure, un phénomène « compte tenu de ce qui s’est dé- extrémistes islamistes. même de l’Occident. Devenu un outil privi- hélène sallon 0123 12 | international VENDREDI 9 JANVIER 2015

Inversement, les Etats comme Riyad a exprimé Condamnations l’Arabie saoudite qui ne connais- « ses « Je me souviens sent pas ou peu de troubles inter- nes insistent plutôt sur le fait que condoléances cet acte est en contradiction avec du 11-Septembre, il était l’islam. Une manière de désamor- aux familles officielles cer les reproches de ceux qui con- des victimes sidèrent cette monarchie, bastion ainsi qu’au normal que je vienne » du rigorisme islamique, comme l’un des parrains du djihadisme. gouvernement A Washington, des dizaines de personnes dans les pays Accusé lui aussi de double jeu, le et au peuple ont manifesté leur soutien Qatar a réagi sans ambiguïté, en estimant que ces actes « visant français » des civils non armés contredisent musulmans tous les principes et toutes les va- washington - correspondant ments à Paris. Des dessinateurs leurs humaines et morales ». garde contre « l’abus de la liberté de presse ont également apporté En exil à Doha, le télé-coraniste d’expression » ainsi que contre ans un froid mordant, leur soutien au journal satirique. Sur les réseaux sociaux, égyptien Youssef Al-Qaradawi, « l’atteinte et les insultes aux per- des dizaines de person- L’American Editorial Cartoonists éminence grise des Frères musul- sonnalités sacrées et aux valeurs D nes se sont rassemblées et la National Cartoonists Society des sympathisants djihadistes mans, a rejeté sur Twitter « tout des religions divines ». devant le musée de la presse de ont publié des communiqués acte qui conduit à verser le sang des Mercredi, comme partout au Washington, le Newseum, mer- pour témoigner de leur effroi et se félicitent de l’attaque innocents ». Suivi par des millions Proche-Orient, les grands quoti- credi 7 janvier en fin de journée, de leur solidarité. de croyants à travers le monde, le diens turcs consacraient la « une » en hommage aux victimes de l’at- cheikh professe un islam puritain, de leur site au bain de sang du tentat contre Charlie Hebdo. Ja- « Une question de principe » aux accents parfois antisémites, 11e arrondissement. « Le 11-Sep- mes, un jeune Américain, était Ann Telnaes a rapidement publié n acte « lâche », une être abattu que par un effort inter- mais hostile aux outrances des ul- tembre de la France », résumait venu pour exprimer sa solidarité sur le site du Washington Post un attaque « criminelle » national conjoint ». Au Maroc, le trarigoristes salafistes. Radikal. « Nous sommes opposés à avec « un pays » qu’il « porte dans autoportrait de Charb, tué mer- un attentat « terro- roi Mohamed VI a condamné En Tunisie, Rached Ghannou- la terreur sous toutes ses formes, son cœur ». « Je me souviens du credi, le poing brandi armé d’un U riste ». Les pays arabes « fermement cet acte haineux ». chi, le chef du parti islamiste En- quels qu’en soient l’origine et les soutien exprimé à l’Amérique le crayon. « Je crois en la liberté de pa- et musulmans ont réagi par un Au-delà du rejet unanime du nahda, sorti perdant des récentes buts », a déclaré le ministre des af- 11 septembre 2001, il était donc role, c’est une question de prin- déluge de condamnations à la carnage, les mots choisis par les élections législatives, s’est dit faires étrangères, Mesut Cavuso- normal que je vienne cipe », a-t-elle indiqué dans un tuerie perpétrée mercredi 7 jan- Etats arabes trahissent leurs pré- « horrifié ». Dans un communi- glu, du gouvernement de l’AKP, un aujourd’hui », expliquait-il. courrier électronique. « Je ne parle vier dans les locaux de Charlie occupations du moment. qué en français, il a exprimé sa mouvement islamo-conservateur. L’un des organisateurs du ras- pas français et je ne connaissais Hebdo, à Paris. L’indignation est « solidarité avec les victimes, leurs Sur les réseaux sociaux, à re- semblement, Olivier Roumy, un aucune des victimes, mais le venue aussi bien des pouvoirs en Accent sur la lutte antiterroriste familles et tout le peuple français bours de ces condamnations, les Français installé à Washington, monde des dessinateurs de presse place que des mouvements d’op- Les réactions des pays confrontés ami ». Même dénonciation de la sympathisants djihadistes parta- évoquait un choc comparable à est une petite famille et nous nous position, notamment islamiste, à des troubles internes mettent part des Frères musulmans sy- geaient leur joie sous le hashtag celui ressenti treize ans plus tôt sentons toujours touchés, au ni- comme les Frères musulmans. l’accent sur la lutte contre le terro- riens, une composante de l’oppo- « L’Etat islamique dit “Allah Akbar” par les Américains. La direction veau professionnel comme per- Al-Azhar, la principale autorité risme. C’est notamment le cas de sition à Bachar Al-Assad, qui se di- dans le centre de Paris ». « Nous du Newseum avait également ex- sonnel, lorsque l’un de nous est me- de l’islam sunnite, basée au Caire, l’Egypte et de Bahreïn, en proie à sent choqués par « cette attaque avons vengé le prophète », triom- primé sa solidarité en affichant nacé ou emprisonné. » a souligné que « l’islam dénonce une contestation d’inspiration terroriste contre des civils ». phait un internaute en répétant les sur le bâtiment le hashtag #Je- Interrogée sur la publication de toute violence », tandis que la Li- chiite, qui a appelé la commu- La république chiite iranienne, à paroles proférées par l’un des SuisCharlie apparu après l’atta- dessins représentant Mahomet à gue arabe, également installée sur nauté internationale à « redou- l’origine de la fatwa contre l’écri- tueurs. « Ils ont été envoyés en en- que sanglante. Un message im- l’origine des attaques contre Char- les bords du Nil, a condamné bler d’efforts » pour combattre ce vain britannique Salman Rus- fer », se félicitait un autre. Tout en primé sur les pancartes que bran- lie Hebdo, jusqu’à l’attentat meur- « avec force » le carnage. L’Arabie phénomène. Le propos vise à inci- hdie, accusé de blasphème, s’est reconnaissant ne pas connaître dissaient les personnes présentes trier de mercredi, Ann Telnaes a saoudite a dénoncé « un acte lâ- ter les pays qui leur reprochent de jointe elle aussi au concert de con- l’identité des assaillants, un com- mercredi, parmi lesquelles la di- précisé que dans son souvenir, che qui n’a rien à voir avec l’islam réprimer trop violemment leur damnations. La porte-parole du battant syrien de l’Etat islamique, rectrice du Fonds monétaire in- seules deux publications améri- ni même les autres religions ». opposition à modérer leurs criti- ministère des affaires étrangères interrogé par l’agence Reuters, se ternational, Christine Lagarde. caines avaient osé les reproduire. L’Egypte, qui fait face à une gué- ques et à serrer les rangs. On peut a déclaré que cette attaque « con- félicitait que « les croisés aient Pendant toute la journée de « Ce ne fut pas un moment de rilla djihadiste dans le Sinaï, s’est gager que si le pouvoir syrien s’ex- tre des innocents est étrangère à la peur. Ce sont les premières gouttes, mercredi, les chaînes d’informa- fierté pour la presse américaine », déclarée « aux côtés de la France prime, sa réaction sera plus ou pensée et aux enseignements de ajoutait-il. D’autres suivront. » p tion continue américaines ont a-t-elle conclu. p face au terrorisme qui ne pourra moins dans cette veine. l’islam ». Elle a néanmoins mis en service international suivi le déroulement des événe- gilles paris

RÉACTIONS

en français, le secrétaire LA REINE ELIZABETH II d’Etat américain. « Le prince Philip et moi-même envoyons nos sincères condo- VLADIMIR POUTINE léances aux familles de ceux La Russie « condamne ferme- qui ont été tués et blessés dans #RTLbouge ment le terrorisme sous toutes l’attaque de ce matin à Paris. » ses formes », a dit le président russe, cité par son porte-pa- ASHRAF GHANI role, Dmitri Peskov. « Nous « Tuer des gens sans défense sommes convaincus à Mos- et des civils est un acte terro- cou que rien ne peut justifier riste de haine, il n’y a pas de des actes terroristes. » justification à cet acte de haine », a déclaré le président BAN KI-MOON Le secrétaire général de l’ONU s’est dit « consterné » par LE PRÉSIDENT OBAMA l’attentat contre la rédaction « La France, et en particulier de Charlie Hebdo, qualifié cette grande ville qu’est Paris, où cette attaque révoltante a eu lieu, offrent au monde un exemple éternel qui perdurera au-delà du projet haineux de ces assassins. Nous sommes en contact étroit avec les re- présentants français et j’ai de- - mandé à mon gouvernement CALVI 7H 9H30 de fournir toute l’assistance nécessaire pour contribuer à faire traduire ces terroristes en justice. » afghan qui a présenté ses JOHN KERRY condoléances à son homolo- RTLMATIN « Je veux m’adresser directe- gue français, aux familles des ment aux Parisiens et à tous victimes et au « peuple de les Français pour leur dire que France ». tous les Américains se tien- nent à leurs côtés », a déclaré, SALMAN RUSHDIE L’auteur des Versets satani- « d’attaque contre la liberté ques s’est dit « solidaire avec d’expression et la liberté de la Charlie Hebdo, comme nous presse, deux piliers de la devons l’être tous, pour défen- démocratie ». « Cette attaque dre l’art de la satire, qui a tou- vise à diviser, nous ne devons jours été une arme de la li- pas tomber dans ce piège. » berté contre la tyrannie, la malhonnêteté et la bêtise ». LE PAPE FRANÇOIS « “Respect pour la religion” est Le pontife a condamné devenu un nom de code pour l’« abominable » attaque sur- dire “Peur de la religion”. La venue à Paris, appelant cha- critique, la satire et, oui, notre cun à empêcher toute propa- irrévérence intrépide doivent gation de la haine. « Quel que pouvoir s’appliquer aux reli- soit son mobile, cette violence gions. Combinée aux arme- meurtrière est abominable et ments modernes, la religion, LENGLET 7H40 FRANÇOIS 7H00 &8H35 GERRA 8H40 RTL.fr n’est jamais justifiée », a dit le une forme médiévale de la dé- porte-parole du Vatican, le raison, devient une vraie me- père Federico Lombardi. nace pour notre liberté. » 0123 VENDREDI 9 JANVIER 2015 international | 13 Caricatures : dix ans de fièvre planétaire TÉMOIGNAGE « La tension Une grande partie du monde musulman juge blasphématoires les caricatures de Mahomet était telle que les journalistes ont fini par quitter Benghazi » beyrouth, stockholm - correspondants Ce mardi 18 septembre 2012 dans la soirée, nous nous trou- harlie Hebdo et moi vions à Benghazi (est de la Li- avons un destin com- bye). La nouvelle de la publica- mun », a confié à la radio tion de caricatures de Mahomet C danoise le dessinateur dans Charlie Hebdo s’était déjà Kurt Westergaard, après la tuerie répandue, avant même la paru- de Charlie Hebdo, dans laquelle tion du journal satirique. Nous plusieurs de ses confrères ont été nous trouvions en interview avec assassinés, mercredi 7 janvier. un militant islamiste, qui avait Leur destin est lié depuis l’affaire accepté, après plusieurs démar- des caricatures de Mahomet. Le ches infructueuses, de nous rece- dessinateur a provoqué l’indigna- voir. Il avait déjà reçu par e-mail tion de la communauté musul- les caricatures, et c’est lui qui mane avec la publication, le nous les avait montrées. Furieux, 30 septembre 2005, d’un dessin du il nous avait conseillé de quitter Prophète portant un turban en sur-le-champ la ville. « Les forme de bombe, dans le quoti- chiens ! », fulminait cet homme. dien danois Jyllands-Posten. Ac- La cité de l’Est libyen, berceau de cusé de blasphème, il a vu sa tête la révolution de 2011, était deve- mise à prix par des groupes isla- nue le fief du groupe Ansar Al- mistes. En solidarité, plusieurs Charia, classé depuis dans la liste journaux européens ont publié, des groupes terroristes par les en février 2006, les caricatures du Etats-Unis. La publication des ca- Jyllands-Posten. Le journal satiri- ricatures de Charlie Hebdo inter- que français a été l’un des pre- venant moins d’une semaine miers à s’engager pour défendre après l’attaque du consulat amé- cette liberté d’expression. ricain par des hommes armés qui Dans le monde arabe, la colère a avait entraîné la mort de l’am- été lente à monter. Les manifesta- bassadeur, Christopher Stevens, tions ne commencent véritable- et de trois autres Américains. ment que cinq mois après le Ce 18 septembre, dans la ville li- « coup » du Jyllands-Posten. Pour- Manifestation de colère à Islamabad après la publication des caricatures de Mahomet par « Charlie Hebdo », en 2006. EYEPRESS NEWS byenne, il ne restait plus que des tant, le 17 octobre 2005, Al-Fagr, journalistes venus enquêter sur un hebdomadaire à sensation réformes démocratiques. Début 2013, une des années placé ma sécurité entre par des éléments d’Al-Qaida du l’attaque du consulat américain. égyptien, publie les caricatures A Damas, le pouvoir syrien jette les mains de PET [les services se- consulat américain de Benghazi, Sitôt connue la nouvelle des pu- honnies, en critiquant leur lui aussi de l’huile sur le feu. Ses nouvelle affaire crets danois] et ils ont fait en sorte en Libye, causant la mort de l’am- blications de caricatures à Ben- « mauvais goût ». Le dessin du services de sécurité orchestrent vaut à Charb que je puisse vivre tranquillement bassadeur Chris Stevens et de trois ghazi, tous avaient quitté leurs Prophète enturbanné, un cime- en sous-main les violentes mani- et en toute confiance. Je suis sûr que fonctionnaires. De nouveau cons- hôtels pour gagner des héberge- terre à la main, entouré de deux festations dirigées le 4 fé- d’entrer dans je peux continuer », a-t-il confié à la pué sur les réseaux sociaux et ments jugés plus sûrs, chez des femmes voilées, est reproduit en vrier 2006 contre les ambassades le panthéon des radio danoise. placé sous protection judiciaire, le particuliers. La tension était telle « une ». C’est la période du rama- européennes. La représentation Volontiers provocateur et fon- journal est accusé, par les autorités que les journalistes ont fini par dan, le mois le plus sacré du calen- française est prise d’assaut, avant ennemis numéro damentalement attaché à sa li- en France comme à l’étranger, quitter la cité libyenne, par drier islamique. Mais la publica- que les policiers ne réussissent à un d’Al-Qaida berté de parole, Charlie Hebdo ré- d’avoir versé dans la « provocation crainte de devenir la cible poten- tion ne suscite aucune réaction, refouler les émeutiers. cidive face à la montée des forces inutile ». Elle vaut à Charb d’entrer, tielle de la colère de radicaux. Le ni politique ni religieuse. Dans le collimateur des pays oc- islamistes dans le sillage des début 2013, dans le panthéon des Monde avait fait de même, cidentaux depuis l’assassinat du « printemps arabes ». Le journal ennemis numéro un d’Al-Qaida. vingt-quatre heures plus tard. Au « Ton 11-Septembre va venir » premier ministre libanais Rafic tats et les manifestations violentes annonce, en novembre 2011, un Mercredi 7 janvier, le matin de la cours de nos derniers entretiens, De novembre à décembre de la Hariri, le régime de Bachar Al-As- se multiplient dans le monde numéro spécial, intitulé Charia tuerie, le dessinateur publiait une certains de nos interlocuteurs, même année, une délégation sad agite l’épouvantail fonda- arabe et musulman, faisant plus Hebdo, où le Prophète Mahomet, caricature tristement prémoni- regrettant les « provocations » de d’imams, de la société islamique mentaliste. Selon un haut respon- de 50 morts. « Europe, ton 11-Sep- « rédacteur en chef », tient la toire, « Les vœux d’un djiha- l’Occident, avaient fait référence du Danemark, fait une tournée au sable religieux sunnite, cité par tembre va venir », promettent les « une » et menace de « 100 coups diste ». « Toujours pas d’attentats à un précédent, qui s’était déjà Proche-Orient, les caricatures sous l’ambassade américaine, dans un manifestants. Les principales or- de fouet si vous n’êtes pas morts de en France ? Attendez, on a jusqu’à déroulé à Benghazi. En 2006, le le bras. Les premiers à réagir ne câble diplomatique dévoilé par ganisations musulmanes de rire ! » « Nous voulions réagir à fin janvier pour présenter ses consulat italien avait été attaqué sont pas les mouvements islamis- WikiLeaks, le message envoyé par France refusent aussi le dialogue l’annonce de l’instauration de la vœux. » Mercredi, les deux tueurs après qu’un représentant politi- tes, mais les pouvoirs en place. A la Damas était le suivant : « Voici ce et portent plainte pour « injure ra- charia en Libye et à la victoire du sont venus « venger le Prophète » que italien avait soutenu à la té- demande du gouvernement égyp- que vous aurez si nous autorisons ciale et religieuse ». parti islamiste Ennahda en Tuni- et « tuer Charlie Hebdo ». p lévision les caricatures publiées tien, le sujet est évoqué au sommet une véritable démocratie et lais- sie », explique alors Charb, le di- benjamin barthe, olivier truc par la presse danoise. de l’Organisation de la conférence sons les islamistes décider. » Caricature prémonitoire recteur du journal. Avant même et hélène sallon (à paris) Isabelle Mandraud islamique, le 8 décembre 2005 à Charlie Hebdo veut ouvrir le dé- Nourris par la haine contre les « in- de paraître, la « une » fait le tour La Mecque. Le 29, les ministres des bat sur la liberté d’expression et fidèles », certains extrémistes isla- des réseaux sociaux. L’indigna- affaires étrangères arabes se décla- publie, le 8 février 2006, certains mistes sont prêts à tout pour faire tion est grande face à cette nou- rent « surpris et indignés » par le re- des dessins du Jyllands-Posten. taire les blasphémateurs. A deux velle « insulte ». La réponse ne se fus des autorités danoises d’inter- « Pour que le débat ait lieu, il fau- reprises, Kurt Westergaard est la ci- fait pas attendre. Les locaux sont venir dans la controverse. Sur les drait auparavant que certains ble d’attaques. En février 2008, les incendiés par un cocktail Molo- bords du Nil, les militants d’oppo- croyants arrêtent de blesser tout services secrets arrêtent trois tov et le site piraté par un groupe sition ne sont pas étonnés par l’im- court ceux qui n’épousent pas stric- hommes qui projetaient un atten- turc défendant l’islam. plication soudaine du régime tement les mêmes convictions tat à son domicile près d’Aarhus, L’incident, sérieux, n’arrête pas Moubarak dans ce dossier. Ils y qu’eux. Et cessent de répondre au dans l’est du Danemark. Le 1er jan- la rédaction. En septembre 2012, voient une manière de détourner crayon et à la plume par le poi- vier 2010, le dessinateur échappe une nouvelle affaire éclate autour l’attention du public des vraies gnard et la ceinture d’explosifs », in extremis à une nouvelle tenta- du numéro spécial qui se prépare questions, sociales et politiques, dénonce, dans un éditorial, le ré- tive d’assassinat, commise par un en réponse aux émeutes suscitées au moment où les Etats-Unis pres- dacteur en chef, Gérard Biard. Un Somalien, qui s’était introduit chez par le film blasphématoire L’Inno- sent Le Caire d’entreprendre des vœu pieux. Les menaces d’atten- lui, armé d’une hache. « J’ai depuis cence des musulmans et à l’attaque En 2004, Theo Van Gogh assassiné à Amsterdam Le polémiste néerlandais avait tenu des propos hostiles à la religion musulmane

bruxelles - correspondant Gogh, la jeune députée Ayaan démocratie. Son film Fitna (Dis- Autre épisode marquant : en Hirsi Ali. Avocate des femmes vic- corde ), diffusé en 2007, a ajouté janvier 2012, un caricaturiste, es médias néerlandais ont times de l’islam rigoriste, d’ori- au trouble d’un pays taraudé par Gregorius Nekschot – un prénom vite accordé une place con- gine somalienne, elle avait colla- des questions, neuves pour lui, en référence au pape Grégoire XI, L sidérable à l’attentat de Pa- boré avec le cinéaste pour un film, sur le multiculturalisme, l’immi- qui créa les tribunaux de l’Inquisi- ris, qui leur rappelle que leur pays Submission ( Soumission), dénon- gration et la cohabitation avec tion, et un nom signifiant « balle a été, après le 11 septembre 2001, le çant les abus commis au nom du l’islam. dans la nuque » –, décidait de théâtre de l’un des premiers at- Coran. Assigné par diverses associa- mettre un terme à sa carrière. Il tentats islamistes visant une per- tions, M. Wilders a été acquitté par avait dessiné un Néerlandais con- sonnalité du monde médiatique. Un pays taraudé la justice néerlandaise en 2011. verti à l’islam et devenu ultra-fon- Le 2 novembre 2004, Theo Van Geert Wilders, qui siégea au côté L’accusation s’était appuyée, en damentaliste. Cela lui avait Gogh, arrière-petit neveu du pein- d’Ayaan Hirsi Ali au sein du vain, sur une compilation de ses d’abord valu une arrestation – le tre Vincent Van Gogh, était poi- groupe des députés libéraux déclarations. En mai 2012, de nou- parquet songeant à l’inculper gnardé dans une rue d’Amster- avant de fonder le Parti de la li- velles menaces étaient adressées pour discrimination – suivie de dam, où il circulait à vélo. berté (PVV), était une autre cible au chef du PVV. Le groupe radical diverses menaces. Cinéaste, polémiste, caricatu- du groupe Hofstad, dirigé par Mo- Sharia4Holland organisait une « Nekschot » était un ami de riste et provocateur né, il avait hammed Bouyeri. Mis sous haute manifestation réclamant la créa- Theo Van Gogh, qui lui avait of- tenu des propos très hostiles à la protection depuis lors, le chef du tion d’un Etat islamique et con- fert de premiers espaces pour ses religion musulmane. Son assas- Parti populiste et islamophobe seillait à M. Wilders de « tirer les publications. Il avait également sin, Mohammed Bouyeri, un a fait son lit de la dénonciation du leçons du cas Theo Van Gogh ». rencontré, à Copenhague, Kurt jeune Néerlandais d’origine ma- Coran, qu’il compare à Mein Le gouvernement néerlandais Westergaard, l’homme des « cari- rocaine, l’avait égorgé avant de lui Kampf et qu’il veut interdire. Il a envisagé, en vain, de dissoudre catures danoises », et conclu qu’il planter dans le cœur un message martèle que l’islam, qu’il décrit ce mouvement, qui ne dispose préférait poser son crayon qu’être appelant au djihad. La lettre visait, comme une « idéologie totali- toutefois pas de la personnalité visé, un jour, par un terroriste. p en fait, une proche de Theo Van taire », est inconciliable avec la juridique aux Pays-Bas. jean-pierre stroobants 0123 14 | l’attentat contre « charlie hebdo » VENDREDI 9 JANVIER 2015

L’esprit critique n’est pas mort Un climat de guerre. Civile, militaire, identitaire. Une atmosphère délétère à laquelle il faut « résister ». Telle est la tonalité des cinq premières contribu- tions que nous publions après le carnage du 7 janvier, qui a décimé une large partie de la rédaction de Charlie Hebdo. Tous ses membres avaient si- gné, dans les colonnes des pages « Débats », des points de vue. Tous avaient contribué à faire vivre la vie des idées. Bernard Maris y défendait sa gauche (17 septembre 2014). Et , actuellement hospitalisé, plaidait récemment pour le « retour du loup » dans nos forêts (16 décembre 2014). La tribune la plus importante fut celle intitulée « Non, Charlie Hebdo n’est pas raciste ! », à laquelle l’ensemble de la rédaction s’associa (21 novem- bre 2013). Une réponse aux « diffamateurs » qui la taxaient d’islamophobie. Le directeur de l’hebdomadaire satirique rappelait que son journal avait contribué à former « l’esprit critique » de toute une génération. Charb avait raison : « Nous rêvons encore des mêmes choses. » p nicolas truong

Le moment churchillien de la Ve République Il revient aujourd’hui à la France d’être à la hauteur de l’engagement des victimes. Elle doit trouver dans l’union nationale la lucidité d’affronter la terreur sans céder à la suspicion généralisée

mission » en sont visiblement pour leurs frais. par bernard-henri lévy La question, néanmoins, c’est : jusqu’à quand ? Et il est essentiel qu’à la « France aux ouze visages. Douze noms Français » de Mme Le Pen continue de répon- dont certains ont été nomi- dre, le temps de l’émotion passé, « l’union na- nativement appelés, avant tionale » des républicains de tous bords et de d’être exécutés. Douze sym- toutes origines qui sont, dans les heures qui boles, pleurés dans le monde ont suivi le carnage, bravement descendu entier, de la liberté de rire et dans la rue. Car l’union nationale c’est le con- Dde penser assassinée. A ces douze, à Charb, traire de la France aux Français. L’union natio- Cabu, Wolinski, Tignous, à Bernard Maris, à ces nale c’est, de Caton l’Ancien aux théoriciens du martyrs de l’humour qui nous ont fait si sou- contrat social moderne, une belle notion qui, vent mourir de rire et qui en sont morts, eux, parce qu’elle est parente de l’art de la guerre pour de bon, le moins que nous devons est juste, ne se trompe finalement jamais d’en- d’être à la hauteur de leur engagement, de leur nemi. L’union nationale c’est l’idée qui fait que courage et, aujourd’hui, de leur héritage. les Français ont compris que les tueurs de Aux responsables de la nation, il incombe de Charlie ne sont pas « les » musulmans mais prendre la mesure de la guerre qu’ils ne vou- l’infime fraction d’entre eux qui confondent le laient pas voir mais où les journalistes de Coran avec un livre des supplices – et cette Charlie, ces chroniqueurs et caricaturistes qui idée, oui, doit impérativement survivre à ce étaient, nous le savons désormais, des sortes sursaut citoyen magnifique. de reporters de guerre, s’étaient, depuis des La France frappée au cœur années, portés en première ligne. C’est le mo- LIBÉRER L’ISLAM DE L’ISLAMISME ment churchillien de la Ve République. C’est A ceux d’entre nous, enfin, qui ont pour foi l’heure d’un devoir de vérité implacable face à l’islam, il revient de clamer très haut, et en une épreuve qui s’annonce longue et terrible. très grand nombre, leur refus de cette forme de sa nature laïque et de sa liberté C’est celle où il faut rompre avec les discours dévoyée de la passion théologico-politique. lénifiants que nous servent depuis si long- Les musulmans de France ne sont pas, temps les idiots utiles d’un islamisme soluble comme on le dit trop, sommés de se justifier : Le massacre signe écœurement ne peuvent m’em- œuvres islamophobes de Zem- dans la sociologie de la misère. Et c’est le mo- ils sont – et c’est, là aussi, l’exact contraire – pêcher de contextualiser l’im- mour et Houellebecq, elles-mê- ment ou jamais d’un sang-froid républicain appelés à manifester leur fraternité avec leurs l’irruption, au sein monde attentat. Il signifie l’ir- mes devenues symptômes d’une qui fera que l’on ne s’abandonnera pas aux fu- concitoyens massacrés et, ce faisant, à éradi- de la société française, ruption, au cœur de la France, de virulence aggravée non seule- nestes facilités de l’état d’exception. quer une fois pour toutes le mensonge d’une la guerre du Moyen-Orient, ment en France, mais aussi en Al- La France peut – et doit – dresser des digues communauté d’esprit entre leur dévotion et de la guerre du Moyen- guerre civile et guerre internatio- lemagne, en Suède, de l’islamo- qui ne soient pas les murs d’une forteresse as- celle des massacreurs. Orient, où les nations nale où la France est intervenue à phobie. siégée. La France doit – et se doit – de mettre en Ils ont la belle responsabilité, devant l’His- la suite des Etats-Unis. œuvre un antiterrorisme sans pouvoirs spé- toire et devant eux-mêmes, de crier, à leur occidentales ont joué La montée du Daech est certes LA PEUR VA S’AGGRAVER ciaux, un patriotisme sans Patriot Act, une tour, le « not in our name » des musulmans aux apprentis sorciers une conséquence des radicalisa- La pensée réductrice triomphe. gouvernementalité qui ne tombera dans britanniques conjurant l’amalgame avec les tions et pourrissements de Non seulement les fanatiques aucun des pièges où manquèrent se perdre les égorgeurs de James Foley : mais ils ont égale- guerre en Irak et en Syrie, mais meurtriers croient combattre les Etats-Unis de l’après-11-Septembre. Les mots ment celle, plus impérieuse encore, de décli- les interventions militaires amé- croisés et leurs alliés les juifs (que de John Kerry qui se trouve avoir été, il y a dix ner leur nom, leur vrai nom, de fils d’un islam ricaines en Irak et en Afghanis- les croisés massacraient), mais par edgar morin ans, l’adversaire malheureux mais honorable de tolérance, de paix et de douceur. Il faut li- tan ont contribué à la décompo- les islamophobes réduisent du piètre antiterroriste George W. Bush ne bérer l’islam de l’islamisme. Il faut dire et ré- sition de nations composites l’arabe à sa supposée croyance, nous y ont-ils pas implicitement invités ? Cet péter qu’assassiner au nom de Dieu c’est faire a formule de François Hol- ethniquement et religieusement l’islam, réduisent l’islamique en hommage rendu en français aux douze victi- de Dieu un assassin par procuration. Et l’on lande est juste : « La France comme la Syrie et l’Irak. islamiste, l’islamiste en inté- mes français, ce « Je suis Charlie » repris dans espère, non seulement des savants en reli- L a été frappée au cœur. » Elle Les Etats-Unis ont été apprentis griste, l’intégriste en terroriste. le même français que le bouleversant discours gion tel l’imam de Drancy Chalghoumi, mais a été frappée au cœur de sa na- sorciers et la coalition hétéroclite Cet anti-islamisme devient de du président Roosevelt, le 8 novembre 1942, de l’immense foule de leurs fidèles, le coura- ture laïque et de son idée de li- et sans véritable force qu’ils con- plus en plus radical et obsession- sur les ondes de Radio-Londres, n’a-t-il pas eu geux aggiornamento qui permettra d’énon- berté, justement dans l’attentat duisent est elle-même vouée à nel et tend à stigmatiser toute la double vertu de souligner la dimension cer enfin que le culte du sacré est, en démo- contre l’hebdomadaire typique l’échec, vu qu’elle ne réunit pas une population encore plus im- épocale de l’événement et d’adresser, aussi, à cratie, une atteinte à la liberté de pensée ; que de l’irrespect, de la dérision attei- tous les pays intéressés, vu aussi portante en nombre que la popu- la nation sœur une discrète mise en garde con- les religions y sont, aux yeux de la loi, des ré- gnant le sacré sous toutes ses for- qu’elle fixe comme but de paix lation juive qui fut stigmatisée tre la toujours possible tentation de la biopoli- gimes de croyance ni plus ni moins respecta- mes, notamment religieuses. Or l’impossible restauration de par l’antisémitisme d’avant- tique liberticide ? bles que les idéologies profanes ; et que le l’irrespect de Charlie Hebdo se si- l’unité de l’Irak et de la Syrie, guerre et de Vichy. Aux citoyens que nous sommes, il appar- droit d’en rire et d’en débattre est un droit de tue au niveau du rire et de l’hu- alors que la seule véritable issue La peur va s’aggraver chez les tient de surmonter la peur, de ne pas répondre tous les hommes. mour, ce qui donne un caractère pacifique (actuellement irréali- Français d’origine chrétienne, à la terreur par l’effroi et de s’armer contre C’est sur ce chemin difficile, mais ô com- monstrueusement imbécile à sable) serait une grande confédé- chez ceux d’origine arabe, chez cette hantise de l’autre, cette loi des suspects bien libérateur, qu’avançaient ces conscien- l’attentat. ration des peuples, ethnies, reli- ceux d’origine juive. Les uns se généralisée, qui sont, toujours ou presque, le ces de l’Islam que j’ai eu l’honneur de croiser Notre émotion ne doit pas pa- gions du Moyen-Orient, sous ga- sentent menacés par les autres et fruit de pareils ébranlements. A l’heure où du Bangladesh à la Bosnie, à l’Afghanistan ou ralyser notre raison, comme no- rantie de l’Organisation des na- un processus de décomposition j’écris, la sagesse républicaine semble l’avoir aux pays du « printemps arabe » – et dont je tre raison ne doit pas atténuer tions unies, seul antidote au est en cours, que peut-être emporté. Ce « Je suis Charlie » inventé au veux, aussi, rappeler ici les noms : Mujibur notre émotion. Califat. pourra arrêter le grand rassem- même moment, et comme d’une seule voix, Rahman, Izetbegovic, Massoud, les héros et Il y eut problème au moment blement prévu samedi 10 jan- dans les grandes villes de France signe la nais- héroïnes de Benghazi tombés, telle Salwa Bu- de la publication des caricatures. COÏNCIDENCE vier, car la réponse à la décompo- sance d’un esprit de résistance digne de ce que gaighis, sous le feu ou les couteaux des frères Faut-il laisser la liberté offenser La France est présente par son sition est le rassemblement de nous avons connu de meilleur. Et les incen- en barbarie des assassins de Charb, Cabu, Ti- la foi des croyants en l’Islam en aviation, par les Français musul- tous, comprenant toutes ethnies, diaires des âmes qui prêchent sans relâche la gnous et Wolinski. C’est leur message qu’il dégradant l’image de son Pro- mans partis pour le Djihad, par religions et compositions politi- division entre Français de souche et de papier, faut écouter. C’est de leur testament trahi phète ou bien la liberté d’expres- les Français musulmans revenus ques. p les fauteurs de troubles qui, au Front national, qu’il faut, sans délai, s’emparer. sion prime-t-elle sur toute autre du Djihad, et maintenant, il est voyaient dans ces douze exécutions une nou- Ils sont, même morts, la preuve que l’islam considération ? Je manifestai désormais clair que le Moyen- velle divine surprise attestant l’inexorable n’est pas voué à cette maladie diagnostiquée alors mon sentiment d’une con- Orient est présent à l’intérieur de avancée du « grand remplacement » et notre par celui de nos poètes et philosophes, Ab- tradiction non surmontable, la France par l’activité meur- lâche soumission aux prophètes de la « Sou- delwahab Meddeb, qui nous manquera le d’autant plus que je suis de ceux trière qui a débuté avec l’attentat ¶ plus cruellement dans les temps sombres qui qui s’opposent à la profanation contre Charlie Hebdo, comme Edgar Morin est sociologue, s’annoncent. Islam contre islam. Lumières des lieux et d’objets sacrés. déjà le conflit israélo-palestinien philosophe, directeur contre djihad. La civilisation plurielle d’Ibn Mais bien entendu, cela ne mo- est présent en France. de recherche émérite au CNRS, ¶ Arabi et Rûmi contre les nihilistes de Daech et dère en rien mon horreur et mon Par ailleurs, il y a une coïnci- président de l’Agence européenne Bernard-Henri Lévy est écrivain et leurs émissaires français. C’est le combat qui écœurement de l’attentat contre dence, du reste fortuite, entre pour la culture (Unesco) philosophe. Il est membre du conseil nous attend et que, tous ensemble, nous al- Charlie Hebdo. l’islamisme intégriste meurtrier et président de l’Association pour de surveillance du « Monde » lons mener. p Cela dit, mon horreur et mon qui vient de se manifester et les la pensée complexe. 0123 VENDREDI 9 JANVIER 2015 débats | 15

concrètes aux crises du monde musul- sentiment d’une violence imprévisible, man, qui sont à la fois des conflits territo- omniprésente et soudaine suscite un dé- Résistons riaux, sociaux, politiques, économiques, sir de sécurité qu’il sera impossible de que nous simplifions en ne regardant que combler. L’expérience nous l’enseigne, les le symptôme islamiste. attaques terroristes favorisent le renonce- à l’esprit de guerre L’esprit de guerre est un piège. C’est un ment aux valeurs démocratiques, le souci engrenage qui nous conduit chaque jour de notre sécurité nous disposant à sacri- davantage vers une guerre hors de tout fier les libertés de tiers, chez nous ou à Malgré l’émotion légitime, il faut comprendre que le climat contrôle. Notre devoir est de résister à l’es- l’étranger. La spirale de défiance créée aux prit de guerre au nom de nos valeurs dé- Etats-Unis par le Patriot Act et la légitima- dans lequel s’enfonce la France est celui d’un terrorisme mocratiques. La seule victoire que puis- tion durable de la torture ou des déten- qui a changé de visage et organise une peur durable. sent espérer les fanatiques, c’est de nous tions illégales a aujourd’hui plongé ce convaincre que nous menons une guerre pays dans la perte de repères moraux. Y répondre par un repli occidentaliste serait suicidaire totale. C’est de nous mener dans l’impasse Nous avons vu le vertige de la guerre ci- de la force que nous croyions être un rac- vile en Algérie durant les années de courci. Nous avons trois adversaires re- plomb. Nous voyons de plus en plus de ments militaires se fixant pour but d’éli- doutables à affronter. pays qui ont peur, qui s’emmurent, qui par dominique de villepin miner des cibles symboliques représen- s’éloignent des valeurs démocratiques. tant la démocratie et la liberté. Ce n’est PERTE DES REPÈRES DÉMOCRATIQUES Il y a un troisième ennemi aujourd’hui, ous sommes aujourd’hui sidérés plus la terreur chaotique, c’est la peur or- Il y a d’abord, le plus évident, les terroris- c’est le rejet. Notre pays se crispe de jour par le déchaînement de violence ganisée, construite pierre à pierre pour tes. Nous ne pouvons tolérer que des as- en jour. Ses élites se tournent chaque jour N froide et calculée qui a tué douze nous enfermer tous. sassins de masse circulent encore dans le davantage vers des discours de division et personnes et grièvement blessé tant A l’extérieur, nous voyons se cristalliser pays et que les apôtres de la haine sèment d’exclusion permettant tous les amalga- d’autres, qui visait à réduire au silence un de mois en mois la ligne de front cauche- leurs paroles impunément. Tous les mes. L’Histoire nous enseigne que lors- organe de presse par la liquidation mé- mardesque d’une guerre de civilisations moyens de l’Etat de droit doivent être mis que les digues sautent, le pays risque l’ef- thodique de toute sa rédaction pour inti- opposant l’Occident à l’Islam, sous les en œuvre pour les appréhender et les tra- fondrement. Si nous aimantons la vio- mider la liberté elle-même. Ils sont morts traits déformés et monstrueux de l’isla- duire en justice. Nous devons améliorer lence, c’est parce que nous sommes parce qu’ils étaient journalistes, morts misme. Les interventions occidentales les dispositifs de prévention, de sur- divisés, faibles, repliés sur nous-mêmes ; parce qu’ils étaient libres, morts pour ce font système : elles semblaient des opéra- veillance et de protection des lieux sensi- un pays blessé qui perd son sang. Les polé- qu’ils représentaient. Nos forces de l’ordre tions indépendantes, mues par des ambi- bles, empêcher la radicalisation notam- miques littéraires, les démagogies parti- ont payé un lourd tribut à la protection de tions diverses ; elles ont abouti à un résul- ment dans les prisons. Face à un ennemi sanes, nous montrent que l’enjeu n’est la sécurité de nos concitoyens. Le pays fait tat unique, l’émergence d’un ennemi dji- sans frontières, il ne peut y avoir de lutte pas tant de nous sauver des autres, d’inva- face, uni, à l’attentat terroriste le plus hadiste insaisissable et l’effondrement efficace qu’à travers une coopération poli- sions ou de remplacements supposés, meurtrier depuis près de deux siècles, par des Etats et des sociétés civiles de la ré- cière et judiciaire sans cesse renforcée, à mais de nous sauver de nous-mêmes, de des manifestations spontanées de solida- gion. l’échelle de l’Europe mais également avec notre renoncement, de notre narcissisme rité. La tentation est grande dans ces mo- les autres pays concernés. Là où il y a vingt du déclin, de notre tentation occidenta- ments de recourir à des formules martia- UN PIÈGE ans il n’y avait que quelques foyers terro- liste et suicidaire. les. L’émotion est intense, mais l’intelli- Nous le savons, d’autres opérations s’an- ristes, aujourd’hui le monde entier est Dans l’épreuve, chacun d’entre nous a gence de ce qui se passe est indispensable. noncent : en Libye, que l’opération de 2011 concerné. un devoir à accomplir. Agissons avec res- La France glisse lentement dans un cli- et l’implosion depuis cette date a transfor- Il est urgent de tarir tous les finance- ponsabilité, sang-froid et dans l’unité, ri- mat de guerre. Une guerre étrange qui ne mée en repère terroriste du Sahara ; au Sa- ments de l’extrémisme islamiste en postons par l’exemplarité démocratique, dit pas son nom. Une guerre qui efface les hel et en particulier au Nigeria, aux con- France, notamment venant de pays du redevenons ce que nous sommes, des ré- frontières entre dehors et dedans. A l’inté- fins du Cameroun et du Tchad où Boko Moyen-Orient. C’est dans ce but que, mi- publicains qui croient au dialogue, à la rieur semblent s’imposer des images, des Haram étend son emprise barbare. Mais nistre de l’intérieur, j’avais proposé de ré- force de la culture et de l’éducation et à la postures, des logiques de guerre civile lar- ces guerres nourrissent toujours de nou- former le financement des constructions paix. p vée. Le terrorisme change de visage. Les velles guerres, chaque fois plus grandes, de lieux de culte musulman par une Fon- réseaux de poseurs de bombe semblent chaque fois plus impossibles. Elles nour- dation des œuvres de l’islam permettant avoir laissé place aux loups solitaires qui rissent le terrorisme chez nous en pro- de réduire les financements étrangers, et eux-mêmes cèdent aujourd’hui le terrain mettant de l’éradiquer. Car on ne viendra permettre ainsi l’épanouissement d’un is- ¶ à une nouvelle violence, des commandos à bout du djihadisme là-bas et du terro- lam de France. Dominique de Villepin aux méthodes mafieuses et aux équipe- risme ici qu’en apportant des solutions Il y a un second ennemi, c’est la peur. Le est ancien premier ministre

L’islam victime des tueurs La France ne doit pas rester Les fondements de la société française sont attaqués. désarmée face au terrorisme Evitons cependant de faire le jeu des terroristes en stigmatisant les musulmans Les Français abordent La France n’a aucunement be- n’est vrai qu’en partie. Malgré tous la guerre contre soin de se diviser sur la question les discours sur la liberté d’expres- ces tueurs sans état d’âme, déterminés et de savoir si elle est « en guerre » sion, la France lui accorde proba- par tahar ben jelloun cruels que de suivre cette dérive. le terrorisme bien contre le terrorisme. Mais elle doit blement moins de valeur que Ces derniers temps, on aurait dit plus mal arm affronter son problème actuel qui d’autres grands pays européens. attaque de Charlie Hebdo est un qu’une chasse était ouverte contre l’is- és est que désormais, la liberté d’ex- Comment la France pourrait-elle fait de guerre. Sauf que les journa- lam et les musulmans, montrés du doigt que les Etats-Unis pression est quelque chose que les élaborer une politique intelligente L’ listes qui ont été assassinés chaque fois qu’une certaine France perd de la présidence citoyens doivent être disposés à à l’égard de ses banlieues musul- n’étaient pas des guerriers. Ils étaient confiance ou se laisse aller à trouver des payer de leur vie. S’ils veulent ré- manes quand les intellectuels qui sans haine, sans préjugés. Ils étaient des boucs émissaires pour expliquer la crise George W. Bush duire ce risque le plus possible, ils tentent d’aborder franchement la poètes, des moqueurs, des fous de liberté, morale ou pour gagner des électeurs. Il y doivent se regrouper au sein question dans certains moments des génies dont les armes étaient des avait dans l’air quelque chose de mau- d’une collectivité légitime, dont critiques sont menacés de pour- crayons de couleur, de l’intelligence, de la vais, des rumeurs et des humeurs où le les lois sont capables de les proté- suites judiciaires, comme l’ont été par christopher caldwell fantaisie et de la lumière. C’est une guerre racisme suintait des pages de livres qui ger. Alain Finkielkraut et Hélène Car- contre la liberté d’écrire, de dessiner et de ont eu pas mal d’échos. Un racisme déca- rère d’Encausse pendant les émeu- créer. Une guerre sans visage contre la laï- féiné, qui n’a pas l’air de faire mal, mais e terrorisme touche l’opi- LES FRANÇAIS RESTENT EXPOSÉS tes de 2005 ? cité, contre la tradition de la satire, de qui se cachait derrière des suppositions, nion au cœur. Toute ré- Or cette collectivité n’est pas Char- Comment trouver un vocabu- l’humour, de la dérision, de la critique des anticipations. L ponse humaine au terro- lie Hebdo. C’est la France. Ce que laire adapté à cette époque de con- acerbe et féconde. Ils auraient voulu dé- risme doit reposer sur l’empathie devraient clamer les manifestants, flits quand des artistes sont traî- terrer Voltaire, Montaigne et Rabelais et LES FONDEMENTS DU PAYS VISÉS avec les victimes. Les Américains ce n’est pas « Nous sommes Char- nés devant les tribunaux pour des faire de leurs œuvres un feu assassin. On a fait commerce de peur et de haine, ont été émus de voir les Français lie », mais « Nous sommes la procès en diffamation – comme La France est engagée dans des combats de fantasmes et de crise d’identité. Les rassemblés, brandissant des pan- France ». Les Français restent ex- Bob Dylan l’année dernière, Mi- importants. Elle est la cible de ceux immigrés extracommunautaires étaient cartes avec le slogan « Je suis Char- posés aux terroristes. Ils ont be- chel Houellebecq fréquemment, qu’elle combat au nom des valeurs qui visés. Aujourd’hui ils ont mal, parce que lie ». Mais pour un Américain, ce soin d’une méthode pour s’en et les dessinateurs de Charlie sont son patrimoine et son honneur. Ses des barbares ont commis un crime slogan est dangereux. On ne se faire craindre. Mais aucun outil ne Hebdo en permanence ? Abroger soldats font la chasse aux terroristes qui, atroce au nom de leur religion. Il faut que contente pas de répondre au ter- s’impose de manière évidente. La ces lois et limer les griffes de ces au nom de l’islam, commettent des mas- la France saisisse le message de cette rorisme par la seule empathie. position de la France au sein de institutions honorerait les morts sacres de grande barbarie, égorgent des nouvelle terreur : la guerre est portée sur C’est aussi une question de puis- l’Union européenne fait qu’elle et renforcerait la capacité de la innocents, kidnappent des femmes et des son territoire. Dans quelle mesure est- sance. n’est pas un pays totalement sou- France à agir contre les terroristes. filles, les violent puis les vendent comme elle préparée pour affronter des tueurs Les Etats-Unis peuvent se tar- verain. Elle doit rendre des comp- Ceci n’est pas une invitation à la esclaves. La France pensait qu’elle ne se- hyperarmés, bien entraînés et décidés à guer d’un bilan extraordinaire- tes sur sa politique d’autodéfense. haine. Au contraire. La France va rait pas éclaboussée par cette horreur. semer la mort ? ment positif dans leur lutte contre La première réaction de François devoir livrer bataille contre le ter- Hélas, elle vient de l’être de la façon la Au-delà de cette épreuve, au-delà de le terrorisme intérieur au cours Hollande à cet attentat a été d’ap- rorisme, et elle devra la livrer sans plus odieuse. Nous avons tous perdu des l’émotion et de la colère, au-delà du besoin des vingt-cinq dernières années. peler le pays à « faire bloc » et à la ressource de nombreuses ar- amis dans cette tuerie. La liberté a perdu de justice, il faut que la société française, Certains aspects de leur stratégie s’unir. Bien ! Mais à s’unir autour mes traditionnelles. Aussi les des citoyens parmi ses meilleurs élé- ses partis politiques, sa société civile, que pourraient être appliqués à la de quoi ? Jean-Christophe Camba- Français doivent-ils avoir la liberté ments, des éclaireurs qui décryptaient nous tous prenions conscience que les France. En raison des mésaventu- délis déclare que les citoyens doi- de déployer l’arme la plus formi- l’actualité avec une rare pertinence. fondements de notre pays, ses valeurs et res militaires en Irak et en Afgha- vent « faire bloc autour des valeurs dable qu’ils possèdent : leur rai- Si les tueurs ont crié « Allah Akbar », ses traditions sont visés et menacés, que nistan, consécutifs aux attentats de la République ». Par ce genre de son. p c’est aussi contre l’islam et les musul- ce n’est pas une dérive de quelques voyous du 11 septembre 2001, on a pu pen- propos, Hollande et Cambadélis mans qu’ils ont agi. C’est une guerre dé- en mal de vengeance, mais c’est une vo- ser à l’étranger que l’administra- tombent dans le même piège où (Traduit de l’anglais par clarée contre la démocratie dont les insti- lonté radicale et féroce d’empêcher que tion Bush avait échoué – mais le était tombé George W. Bush en Gilles Berton) tutions et les lois rendent possible un is- des musulmans puissent vivre leur reli- fait que Bush soit parvenu à proté- parlant de « guerre contre le terro- lam républicain. Cela fait longtemps que gion en terre laïque, dans le respect des ger son pays contre une nouvelle risme ». les musulmans de France l’ont compris ; lois de la République, de les isoler et d’en attaque lui a assuré à la fois sa po- Ils risquent d’élaborer une straté- peut-être ne se mobilisent-ils pas assez faire les ennemis de la France. C’est pour pularité et sa réélection. Les répu- gie autour d’une abstraction, et ¶ pour dénoncer avec fermeté ces assas- cela que nous devons tous résister, car blicains qui, par crainte de s’alié- non d’ennemis réels, de vrais dji- Christopher Caldwell sins qui salissent l’islam et le message du nous sommes tous concernés. p ner leurs sympathisants déten- hadistes armés de véritables ar- est journaliste à l’hebdomadaire Prophète. C’est rare qu’ils soient invités teurs d’armes, renâclaient à mes automatiques et s’entraînant néoconservateur « Weekly dans les émissions de grande audience. mieux encadrer la vente d’explo- dans de vraies zones de guerre en Standard », auteur d’« Une révolu- Aujourd’hui, plus qu’avant, ils savent sifs furent traités par les partisans Syrie. « Nous sommes menacés tion sous nos yeux : comment qu’ils n’échapperont pas aux amalga- ¶ de Clinton comme des droits- parce que nous sommes un pays de l’islam va transformer la France mes, au soupçon. Ce serait faire le jeu de Tahar Ben Jelloun est écrivain. de-l’hommistes pointilleux ! la liberté », dit le président. Cela et l’Europe» (Toucan, 2011) 0123 16 | l’attentat contre « charlie hebdo » VENDREDI 9 JANVIER 2015

« Charlie » de censures en fatwas

Depuis quarante-cinq ans, ils n’ont cessé de déménager, d’être interdits de publication, de subir des menaces. La petite bande de « pieds nickelés » a toujours su en rire et rebondir. Mais là...

ariane chemin et marion versation se poursuit au bistrot d’en bas. van renterghem C’était toujours Cabu qui payait l’addition. Sauf ce 7 janvier. Wolinski, en 2002. PATRICIA MEAILLE D’un coup, sans prévenir, deux inconnus était le 7 janvier 2015, jour armés d’un kalachnikov et d’un lance-roquet- de conférence de rédac- tes débarquent dans la pièce, et tuent Charlie tion. Un mercredi de re- Hebdo, consciencieusement, minutieuse- trouvailles pour la fine ment. Ils mettent la quinzaine de journalistes conté au journaliste Jean-Marc Parisis, bio- équipe de Charlie Hebdo : et de dessinateurs en joue et les exécutent graphe de cet ancien d’Hara Kiri et de Charlie le jour de la semaine où méthodiquement, Charb le patron, qu’ils mort si tôt : Reiser. On étouffait sous les ta- C’on embrasse les potes, où on fourre le journal cherchaient à voix haute dans les couloirs, bous (…). Je ne sais pas ce qu’on voulait, je ne du jour tout chaud dans sa poche, avant d’at- son garde du corps, Wolinski, Cabu, Tignous, m’en rappelle plus, mais on méprisait le per- taquer le menu de la semaine suivante. A la Honoré, ce géant barbu qui dessinait comme sonnel politique, la religion, l’armée et même « une » de ce premier numéro de l’année, un graveur sur bois, Elsa la psy, Mustapha Le Canard enchaîné, qu’on prenait pour un « les prédictions du mage Houellebecq » Ourrad le correcteur, et, enfin, « Oncle Ber- journal de flics. » La politique n’est pas la prio- (« en 2015, je perds mes dents, en 2022, je fais nard », alias Bernard Maris, chroniqueur à rité du journal. « C’était une vie assez calme, »), mais aussi la promesse d’un gros Charlie la nuit et économiste (alternatif) à la consacrée à chercher des idées », racontait dossier sur le patrimoine de sept ministres Banque de France le jour. Détail à la fois Cabu. socialistes, illustré par Charb et Riss et l’an- atroce et lourd de sens : avant de tirer, les La trêve est brève. Le 1er novembre 1970, nonce d’un hors-série, La Véritable Histoire tueurs ont fait décliner leur identité aux victi- 146 jeunes gens meurent après l’incendie du Petit Jésus. Plutôt un bon Charlie : France mes. Ils cherchaient les stars de Charlie, ceux d’un dancing, dans l’Isère. Quelques jours Inter l’a d’ailleurs cité dans sa revue de presse qui avaient caricaturé Mahomet en « une ». plus tard ont lieu les obsèques du général de du matin. La bande des origines, un petit pan d’histoire. Gaulle. Hara Kiri titre sa « une » comme un Il faut montrer patte blanche avant de re- Ils n’étaient pas tout jeunes, ces enfants. faire-part et écrit, plein de cette malice rica- joindre la conf' de rédaction de Charlie hebdo. 80 ans pour Wolinski, 73 ans pour Honoré, nante qui était sa marque : « Bal tragique à On n’arrive pas comme ça au deuxième étage 76 ans pour Cabu. Des rescapés d’un autre Colombey – Un mort ». Le ministre de l’inté- du 10, de la rue Nicolas-Appert, du petit im- siècle et du monde ancien du journalisme, rieur, Raymond Marcellin, fait interdire le meuble sans grande grâce ni âme, à deux pas celui qui ne connaît pas la retraite et bosse, mensuel. « Tous les patrons de presse qui nous de la Bastille, dans le 11e arrondissement de porté par le feu sacré, à plus de 70 ans. Cha- « CHARLIE » avaient ignorés pendant dix ans se sont mis à Paris. Rien sur la façade ne trahit la présence que mercredi, on pouvait compter sur eux. A EST POUR LE CUL, nous défendre, racontait encore Wolinsky à de l’hebdomadaire. Les salariés du journal la conf, Cabu était toujours un peu en retrait, Parisis. On ne pouvait s’empêcher de penser : pianotent le code qui ouvre la porte, les gardant sous sa coupe au bol son faux air de CONTRE LA CHASSE Ah, les cons ! » Qu’à cela ne tienne, un nou- autres, pigistes ou visiteurs, appuient sur la ne pas y toucher et de ne pas y regarder, veau titre apparaît dans les kiosques, une se- sonnette « Editions Rotatives ! », avant de comme le Grand Duduche qu’il avait imaginé ET CONTRE « LES maine plus tard. Un acte de bravoure, mais la s’annoncer, à nouveau, à l’étage. Les dessina- pour Pilote. Contrairement aux autres, il ne CONS QUI GAGNENT preuve que sous leurs faux airs de fumistes teurs de Charlie riaient les premiers de cette parlait jamais « femmes » – il les dessinait. ou de dilettantes, ces jeunes dessinateurs en situation burlesque : eux, les ennemis de la Parfois, il gardait son crayon et son carnet TOUT LE TEMPS veulent. répression, les anti-barbelés, les libertaires, dans sa poche et crayonnait discrètement : C’est le début d’une fabuleuse aventure de enfermés dans un bunker, retranchés der- mais quand il sortait le croquis, c’était saisis- PARCE QU’ILS SONT presse : la France entière découvre Charlie rière une série de portes, de bips, de cadenas ! sant et ressemblant comme un Photomaton. Hebdo, un nom qui sonne comme l’hom- Sans compter les officiers de sécurité, plantés Le trait de « Wolin », lui, était faussement TROP » mage impertinent au Charlie Brown des Pea- devant la porte, et dans leur dos, de l’aube à la désinvolte. Il disait – en grognant et en bou- nuts et à Charles de Gaulle. Avec ses crayons, nuit. « Des fois, le matin, je finis par me de- gonnant, comme d’habitude – qu’il avait tou- Wolinski, Cabu, Cavanna, Siné, Gébé et Reiser mander si ce n’est pas moi qui bosse dans la jours moins bien su dessiner que Cabu et Rei- – la « petite équipe de pieds nickelés », disait police, et eux qui vont travailler à Charlie », ser. Son train de vie aurait pu l’éloigner de Cavanna – donne chaque mercredi des cou- s’amusait Charb. Charlie, mais, fidèle, il continuait de s’asseoir leurs à la France post-gaulliste. Charlie de- Ils avaient emménagé là un peu avant l’été tous les mercredis autour de la table avec la vient la pouponnière et l’école des dessina- 2014, après plusieurs migrations. Heureux de jeune classe. Tignous, « Petite Teigne » en oc- teurs de presse, que Cabu repère, conseille, retrouver le cœur de la capitale, grâce à la citan, un beau et gentil père de famille de encourage de croquis en croquis. Entre 1970 mairie de Paris qui leur avait trouvé ces lo- 57 ans qui dessinait des ombres rouges sous et 1974, le titre se vend chaque semaine à caux. La salle de rédaction se trouve au bout les paupières et des nez ronds comme des 150 000 exemplaires. Dans les villes, les ven- d’un dédale de couloirs : une pièce aveugle – ombilics. Mais aussi Riss, grand timide au vi- deurs à la criée lancent leur harangue dans comme les bureaux des chefs : gentiment, on sage enfantin qui s’était marié à une Ivoi- les cafés : « Dieu existe, mais j’encule le avait laissé aux maquettistes les rares bu- rienne, et Charb, alias Stéphane Charbonnier, pape ! » Ali Akbar, célèbre vendeur de jour- reaux avec fenêtres, réflexes partageux héri- un communiste de cœur qui criait « Allah ak- naux du 6e arrondissement de Paris, se sou- tés des années peace and love, autogestion ou bar ! » pour se marrer depuis que, en 2006, le vient encore de ses débuts à Charlie : éduqué communautés. journal s’était mis à recevoir des lettres d’in- dans la morale religieuse de son Pakistan na- gique. Comme toujours, la conf' commence en re- jures. Une date-clé dans la saga mouvemen- tal, il n’osait pas montrer la « une » de l’heb- Pendant dix ans, la France vit sans Charlie. tard : les mecs de Charlie ne sont jamais à tée de Charlie, faite d’interdictions, de censu- domadaire qui expliquait sous un dessin de En 1990, une partie de l’équipe se lance dans l’heure. Elsa Cayat, la psychanalyste qui tient res, de scissions, d’incendies criminels et de Reiser : « Chirac, c' est une bite à lunettes ». une nouvelle aventure nommée La Grosse deux fois par mois la chronique « Divan », est fatwas. Jusqu’à l’exécution pure et simple de Charlie est pour le cul, contre la chasse et Bertha – un hebdomadaire « qui ne désarme arrivée, mais pas Zineb El-Rhazoui : cette sa rédaction. contre « les cons qui gagnent tout le temps pas », comme il l’annonce en couverture. La Franco-Maroraine, qui a écrit en 2013 avec parce qu’ils sont trop ». Charlie bouffe glou- première guerre d’Irak leur fournit une cible Charb La Vie de Mahomet en bande dessinée, « ON ÉTOUFFAIT LES TABOUS » tonnement du curé, du militaire, dénonce la idéale. Cabu a rejoint l’équipe, comme Charb. se trouve de l’autre côté de la Méditerranée. Charlie Hebdo naît sur les décombres d’un publicité, dresse l’apologie de l’écologie avant Mais le rédacteur en chef, le chanteur Phi- Le docteur Patrick Peloux ne va pas tarder, il mensuel « bête et méchant » nommé Hara l’heure : le journal soutient René Dumont au lippe Val, un autodidacte à la mine austère, ne faut pas attendre l’urgentiste. Charb et Kiri. Un titre grandi dans les années 1960, cel- premier tour de l’élection présidentielle de entre en conflit avec l’actionnaire. Cet origi- Riss engrangent idées et propositions. Cha- les de la France post-gaulliste. Un journal sati- 1974 – en 1981, ce sera Coluche, « un ami de la nal a eu son heure de gloire en faisant le chan- que mercredi, autour de la longue table ovale, rique, bien gaulois, provocateur, où offi- famille ». Le , directeur de sonnier avec son compère Patrick Font – le on parle, on rit un peu, et on crobarde beau- ciaient déjà deux de ceux qui sont assassinés la publication, finit par lasser. Le journal, sans duo Font et Val. Un jour, Wolinski le croise coup, sur tous les bouts de papier qui traî- ce 7 janvier 2015 : Cabu, dont les dessins ap- revenus publicitaires, en manque d’abonnés, chez Lipp : « Le titre de Charlie Hebdo est libre nent. « La fine fleur de ceux qui nous faisaient paraissent dès le troisième numéro, et Wo- disparaît en 1982 après son 580e numéro. depuis 1981, prenez-le ! » Val, Cabu, Gébé et le respirer et rire », dit l’essayiste Caroline Fou- linski, au numéro 7. « C’était la France en noir Laissant derrière lui la petite bande du Charlie chanteur Renaud apportent de quoi financer rest, une ancienne de Charlie. Souvent, la con- et blanc, celle des films de Clouzot, avait-il ra- « canal historique », orpheline et déjà nostal- le premier numéro. « Un copain prête des lo- 0123 VENDREDI 9 JANVIER 2015 récit | 17

Lors d’une conférence de rédaction, en 2002. PATRICIA MEAILLE

débats houleux, le directeur de l’hebdoma- daire satirique s’en prend à une partie de la gauche française qui confond un peu facile- ment à ses yeux sionisme et racisme. Val, de son côté, est accusé d’islamophobie. Le socio- logue d’extrême gauche Philippe Corcuff, qui tient une chronique à Charlie, claque la porte du journal en 2004. « T’es plus de gauche ! », lance Siné à , au moment du réfé- rendum de 2005. Une chronique douteuse du dessinateur sur la fiancée « juive » de Jean Sarkozy, fils du président de la République, en 2008, scelle définitivement la querelle. Siné est licencié : une première dans l’histoire de Charlie, qui est d’abord celle d’une bande. Pour une partie de la rédaction, qui vit mal la proximité de son patron avec le chef de l’Etat, le licencie- ment de Siné est perçu comme « un sacrifice sur l’autel de la Sarkozie », raconte une jour- naliste. Philippe Val quitte son poste, cède ses parts et rejoint Radio France. Le dessinateur- chroniqueur Charb prend la relève et an- nonce un « Charlie 3 » dans l’éditorial du nu- méro 899. « Le principal changement, écrit-il c’est que Charlie ne sera plus associé à Val. (…) On a envie de renouer avec ce qui nous ressem- ble : le goût de la satire. » Charb, Riss, Bernard vrier 2006, la conférence de rédaction s’an- Maris et Cabu se partagent la majorité du ca- nonce animée dans les locaux de Charlie pital. Hebdo, alors située rue de Turbigo. Le journal En novembre 2011, l’hebdomadaire tente à satirique danois Jyllands-Posten vient nouveau le diable dans un faux numéro spé- d’échapper à un attentat et fait l’objet, dans cial : « Charia hebdo » veut fêter à sa manière son pays, de menaces, pour avoir publié une la victoire en Tunisie du parti islamiste Enna- série de caricatures du Prophète Mahomet. hda. Sur la couverture, le Mahomet dessiné Bien sûr, il faut aider les confrères. Mais par Luz, souriant, presque clownesque, pré- comme toujours, à Charlie, avec les sujets gra- vient : « 100 coups de fouet si vous n’êtes pas ves, on commence par rigoler. « C’est bien la mort de rire. ». A Charlie, on rigole encore : première fois que des Danois sont drôles ! », ri- « Tu vas voir, ils vont remettre ça, on va avoir gole « Wolin ». Un autre propose une inter- des fatwas au cul », plaisante Charb. Quel- view imaginaire « exclusive » de Mahomet. ques jours plus tard, un cocktail Molotov dé- « Si on ne publie pas ces caricatures, déclare truit les locaux de Charlie, alors installé bou- Val, c’est faire injure aux musulmans, c’est con- levard Davout, dans le 20e arrondissement. Le sidérer qu’ils n’ont pas l’humour de les com- site du journal est piraté, la page d’accueil prendre, qu’ils n’ont qu’un tiers de notre cer- remplacée par une photo de La Mecque et des veau. » Quand s’achève le tour de table, tout versets du Coran. Charb arrive le premier le monde est « pour » la publication dans dans un taxi, seul, à 5 heures du matin, pour Charlie, des caricatures danoises – et pour en contempler les locaux noircis et dévastés. Il assumer les conséquences. Charlie paraît erre au milieu des décombres, dans la nuit avec, à sa « une », le Prophète qui se prend la brumeuse. « Bon, c’est foutu. On va faire autre tête dans les mains et se plaint : « C’est dur chose », se murmure-t-il à lui-même. d’être aimé par des cons ». Il est signé Cabu. Le scandale est immense. CE N’EST PAS ENCORE FOUTU L’Union des organisations islamiques de Non, ce n’est pas encore foutu. La bande à France, la Grande Mosquée de Paris et la Li- Charlie a du ressort. Hébergés pendant deux gue islamique mondiale choisissent d’inten- mois dans les locaux de Libération avant de ter un procès à l’hebdomadaire. Jacques Chi- migrer dans le nord de Paris, puis, donc, rue rac, président de la République, qui a dans un Nicolas-Appert. La souscription qu’ils avaient premier temps défendu la liberté d’expres- lancée voilà quelques mois a rencontré un sion, condamne ces « provocations manifes- succès qu’ils n’escomptaient pas. Ils avaient tes ». Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur, repris espoir, même si l’on ne parlait pas lui, dit préférer « l’excès de la caricature à celui beaucoup d’eux, même si la publication de de la censure ». Les 140 000 exemplaires ha- nouvelles caricatures du Prophète Mahomet, bituels sont vite épuisés dans les kiosques, le en septembre 2012, avait altéré l’image de la journal procède à deux réimpressions et « petite équipe de pieds nickelés ». Ils avaient vend le numéro blasphématoire à fini par agacer politiques et organisations re- 400 000 exemplaires. ligieuses, y compris le Conseil représentatif Le succès a un prix. Les menaces de mort des institutions juives de France (CRIF) et le pleuvent sur les journalistes. Charlie Hebdo premier ministre, Jean-Marc Ayrault, d’ac- est placé sous haute surveillance. Les vitres cord pour admettre que « la liberté d’expres- du siège sont blindées et, pour la première sion constitue l’un des principes fondamen- fois, un car de CRS campe en bas de l’immeu- taux de la République », mais clame « sa dé- ble. Val, Cabu, toutes les vedettes de l’hebdo sapprobation face à tout excès ». Et encore, Tignous, Charb et Cabu, le 15 août 2011. MIGUEL MEDINA/AFP ont droit à une protection personnelle. Dans qui savait que la tête de Charb était mise à les couloirs du journal, on rigole, évidem- mise à prix ? Un journal de langue anglaise ment. « On peut peut-être se tutoyer ? », de- Inspire, financé par Al-Qaida, a publié en mandent les journalistes à leurs gardes du mars 2013, sa photo avec la mention « Wan- caux, un autre des photocopieuses, on fait du Hebdo avec ses lecteurs. L’époque, en revan- corps. « Si un jour, je fais de la politique, je ted dead or alive ». camping dans les bureaux. Système D, avait ra- che, n’est plus la même. Le nouveau patron, « C’EST BIEN LA pourrai être ministre de l’Intérieur », fanfa- Cette fois, c’est bien la fin. De la bande à conté Charb à la revue Charles, à l’été 2013. En Philippe Val, est favorable à l’intervention de PREMIÈRE FOIS ronne Charb, qui profite des tête-à-tête avec Charlie, il ne reste rien, ou presque. La mé- une semaine, on réussit à faire un journal. » l’OTAN au Kosovo en 1999 et au référendum l’homme affecté à sa protection pour l’inter- moire des débuts, en tout cas, s’en est allée. C’est reparti pour un « deuxième Charlie ». sur la Constitution européenne en 2005. Pas QUE LES DANOIS roger sur ses expériences précédentes et sur « On a vengé le Prophète Mahomet ! On a tué En couverture du premier numéro, l’affaire vraiment l’ADN des vieux de la vieille de la vie des commissariats de France. Charlie Hebdo ! », a crié le commando lors- Urba, Superphénix et un dessin de François Charlie, comme Siné, ni même de Charb : SONT DRÔLES », Du coup, un nouveau front s’est ouvert. qu’il s’est enfui dans la rue Nicolas-Appert, Mitterrand qui soupire, résigné : « Et Charlie chaque semaine, ou presque, dans le journal, RIGOLE WOLINSKI Une guérilla idéologique comme la gauche laissant derrière lui son sanglant carnage. A Hebdo qui revient ! » Il se vend à il prend le contre-pied du patron. française en a le secret. Des membres du col- chaque fois qu’il a dû mettre la clé sous la 120 000 exemplaires. Face à l’intégrisme islamiste, en revanche, la À PROPOS DES lectif des Indigènes de la République jugent porte, ou quitter ses locaux précipitamment, rédaction se ressoude : le bon vieil anticléri- Charlie Hebdo « raciste, sioniste et ami des Charlie a toujours réussi à « fabriquer » le nu- EXTRÉMISME RELIGIEUX, VOILÀ L’ENNEMI calisme de la rédaction trouve son compte CARICATURES DE puissants ». Caroline Fourest, qui intègre la méro suivant. Mais cette fois ? « Il reste quel- L’esprit n’a pas changé : une joyeuse syn- dans le combat pour les Lumières et la laïcité rédaction de Charlie en 1997 après la publica- ques dessinateurs, quelques rédacteurs, sou- thèse d’ouvriérisme, d’écologisme, d’antimi- éclairée de Val. Les attentats du 11 septem- MAHOMET tion de son pamphlet contre le prédicateur pire Me Richard Malka, l’avocat du journal de- litarisme, et évidemment, l’indispensable bre 2001 font un temps taire les querelles. Le musulman Tariq Ramadan, devient la cible puis vingt-deux ans, mais comment publier souffle pornographique. La mauvaise foi, le nouvel extrémisme religieux – islamisme ra- privilégiée des anti-Charlie, avec Philippe Val. quatorze pages mercredi prochain ? « Plus de mauvais goût et l’outrance font une nouvelle dical ou extrême droite catholique mili- En 2001, au moment de la conférence mon- quoi faire un journal… S’arrêter, en même fois partie du contrat de mariage de Charlie tante – voilà l’ennemi. Ce mercredi de fé- diale contre le racisme à Durban, théâtre de temps, c’est céder. » p 0123 18 | l’attentat contre « charlie hebdo » VENDREDI 9 JANVIER 2015 Cabu Dessinateur

n coup de crayon sans égal qui lui permettait de caricaturer n’im- U porte quelle person- nalité du monde politique ou du show-business, un air d’éternel adolescent retardé avec sa frange immuable et ses pulls à col roulé, une allure légèrement voûtée sous son imperméable, carton à dessins sous le bras, digne du Grand Duduche, le héros naïf et utopiste qui l’a fait connaître dans les années 1960… La disparition de Jean Cabut, dit Cabu, mercredi 7 janvier à Paris dans l’attaque armée dont a été victime la rédaction de Charlie Hebdo, laisse un vide béant dans le monde des dessinateurs de presse. Cabu restera comme l’un des géants du genre. L’Histoire re- tiendra qu’il est mort une se- maine avant son 77e anniversaire, en compagnie d’un autre monstre sacré du dessin de presse, Georges Wolinski, assassiné le même jour à l’âge de 80 ans, et en compagnie de plusieurs de leurs condisci- ples : Charb, Tignous, Honoré. Né le 13 janvier 1938 à Châlons- sur-Marne (Marne), Jean Cabut publie ses premières illustrations alors qu’il n’a que 16 ans dans L’Union de Reims et qu’il a entamé des études artistiques à Paris, au sein de l’Ecole Estienne. Envoyé en Algérie pour son service militaire comme deuxième classe d’un ré- giment de zouaves, il sévit alors dans le journal de l’armée appelé Bled, ce qui ne l’empêche pas de placer épisodiquement des des- sins à . Démobilisé en 1960, il entre à Hara-Kiri avant d’intégrer deux ans plus tard la rédaction de Pi- lote, où il donnera naissance au Grand Duduche, en souvenir de ses années de lycée à Châlons. Ra- rement l’identification entre un personnage de bande dessinée et son auteur n’aura à ce point sauté aux yeux.

« Clown » « Une chevelure hirsute, d’étranges petites lunettes à monture d’acier, un accoutrement qui doit plus à la GÉRARD RONDEAU/AGENCE VU fantaisie qu’aux exigences de la mode, des yeux candides, un sou- 13 JANVIER 1938 rire de cancre malicieux, c’est le Naissance à Châlons- Grand Duduche… et c’est aussi Après avoir commencé à croquer au marché aux bestiaux d’un vil- sur-Marne (Marne). Amateur de jazz et fan éperdu de Polac, où il agissait aux côtés de Cabu », écrira ainsi quelques an- des chanteurs dans les cabarets de lage du Charolais, aux abords du 1960 Entre à Hara-Kiri. Charles Trenet, « clown » façon ses confrères Siné et Loup pour les nées plus tard René Goscinny, qui la rive gauche (Brel, Barbara, château que Bokassa possédait 1962 Intègre la rédaction saltimbanque comme il aimait se besoins d’un rendez-vous percu- l’avait embauché à Pilote, dans la Gainsbourg…) à la demande de Ca- en Sologne ou encore dans l’ab- de Pilote, où il crée définir, Cabu ne pouvait en fait tant appelé « Les Rebuts de préface d’un livre où il racontait vanna qui le voyait griffonner baye bénédictine de Solesmes – le personnage s’empêcher de dessiner, conti- presse ». par ailleurs cette anecdote savou- sans arrêt, il fit ainsi le tour d’un son chef-d’œuvre restant incon- du Grand Duduche. nuant à 70 ans passés à suivre des « Cabu dessine sans arrêt comme reuse qu’il est difficile de ne pas nombre important de villes de testablement le reportage qu’il 1970 Rejoint Charlie séances de dessin sur modèle vi- on respire, écrivait Michel Polac croire : « Souvent en retard, cet province où, hébergé par des lec- effectua dans le Cotentin chez la Hebdo au moment vant à la manière d’un étudiant en 2008 dans la préface d’une ré- homme marié, ayant charge de fa- teurs de Charlie qui lui servaient Mère Denis, l’égérie publicitaire de sa création. aux Beaux-Arts. « Ne faire que du trospective parue chez Vents mille, m’a fait une fois téléphoner aussi d’informateurs, il s’amusait des machines à laver Vedette. 1981 Participe régulière- dessin de presse serait un peu mo- d’Ouest (Cabu reporter-dessina- par sa maman pour me dire : “Jean à dézinguer ce qu’il exècre : les no- Adepte du croquis saisi sur le vif, ment à « Droit de notone, confiait-il au Monde en teur). Je pense qu’il est le plus vir- ne pourra pas livrer son travail à tabilités locales, les conventions Cabu avait alors l’habitude de réponse », l’émission décembre 2011. L’expérience mon- tuose de tous, les visages sont temps, parce qu’il est un peu souf- sociales, les bourgeoisies engon- dessiner « à l’aveugle » en ca- de Michel Polac. tre qu’il faut se déplacer, car on est d’une vérité criante : je le compare frant.” » cées, les odeurs d’encaustique… chant son crayon et son carnet 1982 Entre au Canard toujours récompensé. Il y a tou- à Daumier (par exemple son Louis- Pendant cette période fruc- L’envoyé très spécial de l’heb- dans sa poche, afin de passer in- enchaîné. jours un détail, une gueule à dessi- Philippe avec un visage de poire), tueuse qui le verra plus tard re- domadaire s’invita, par exemple, cognito. 1992 Renoue avec Charlie ner, qu’on ne découvre qu’en allant mais cette virtuosité n’est jamais joindre Charlie Hebdo puis Charlie Hebdo nouvelle version. voir sur place. » gratuite, il ne se soucie pas de faire Mensuel, un autre personnage 7 JANVIER 2015 Mort du grand art, c’est un poète de l’ins- emblématique sortira de son car- à Paris. « Le plus virtuose de tous » tant, mais aussi un chroniqueur de net à dessins : Mon Beauf, arché- C’est néanmoins bel et bien en son temps qui s’intéresse à tout. » type du Français moyen, bête et tant que dessinateur politique Père du chanteur Mano Solo, méchant, chauvin, misogyne, bu- que Cabu aura le plus souvent tra- mort en 2010, Cabu continuait à veur de pastis, joueur de pétan- vaillé tout au long de ses cinquan- livrer avec une régularité stupé- que, réactionnaire, poujadiste – le te-cinq ans de carrière. Et ce pour fiante ses dessins au Canard en- « con » idéal en un mot, tel que un nombre vertigineux de jour- chaîné et à Charlie Hebdo, qu’il François Cavanna, Reiser et Gébé naux et de publications : Ici Paris, avait réintégré en 1992 pour la s’amusaient à le dépeindre lors Jazz Hot, Rock & Folk, Le Journal du nouvelle version du journal, des conférences de rédaction de dimanche, France-Soir, Paris- n’abandonnant sa table de travail Charlie, avant que Cabu ne voie là Presse, Le Figaro, Le Nouvel Obser- que pour de rares voyages comme un antihéros au fort potentiel cor- vateur, Le Monde, Ciné Revue, Can- ceux qu’il effectua à New York, en rosif. dide, Pariscope, Politique Hebdo, Chine et en Inde avec le journa- Doté d’un survêtement et de , L’Enragé, Ac- liste de l’Agence France-Presse moustaches à ses débuts, contre- tion… Sans oublier bien sûr Le Ca- Pierre-Antoine Donnet, et d’où il maître dans une usine d’arme- nard enchaîné, dont il était un des ramena des livres de croquis té- ment, son Beauf opérera un lifting piliers depuis 1982. Une trentaine moignant de son acuité intacte radical au milieu des années 1990 d’ouvrages de caricatures, de re- malgré le poids des années. en optant pour un catogan à la portages, de carnets de voyage et « Quand vous faites du repor- Karl Lagerfeld et une barbe de de dessins d’humour constituent tage, vous pouvez faire passer des trois jours, tout en revendiquant aujourd’hui sa bibliographie. nuances, être en empathie…, con- un job dans « la com’». Mais son trait, d’une justesse ja- fiait-il également en 2011. Le dessi- Une des activités graphiques les Dessin de Cabu lousée, aura également fait le nateur de presse, lui, est forcément moins connues de Cabu le condui- en « une » bonheur de la télévision, notam- contre tout. Il lui est difficile de dire sit aussi, à cette époque, à explorer de « Charlie Hebdo » ment de « Récré A2 », l’émission du bien de quelqu’un. » Cabu en a un genre nouveau qu’on n’appe- du 27 juillet 2011. de Dorothée, et de « Droit de ré- payé le prix le plus cher qui soit. p lait pas encore la BD-reportage. « CHARLIE HEBDO » ponse », le talk-show de Michel frédéric potet 0123 VENDREDI 9 JANVIER 2015 disparitions | 19 Wolinski Dessinateur

GUILLAUME HORCAJUELO/EPA/CORBIS

e journalisme fut sa autre ». Il est mort, à l’âge de ges. J’aime le caviar, le cachemire, pouille. Traits d’esprit, instanta- contait Wolinski au Monde grande passion. « Je suis 80 ans, le 7 janvier, dans l’attentat les montres Cartier. J’ai une Jaguar, nés minimalistes, condensés en 2010. Choron m’a accusé de lé- un dessinateur de presse où ont péri la plupart des mem- j’achète des bijoux. J’adore les filles 28 JUIN 1934 Naissance d’insolence contre la pruderie cher le cul de Marchais. Choron, lui, avant tout, un chroni- bres de la rédaction de Charlie impeccables. Cela coûte de l’argent. à Tunis ambiante. « Le bâclé, j’en ai fait un faisait le gigolo auprès d’une vieille L 1947 queur de l’actualité, de la politique, Hebdo, journal qu’il avait contri- Rien à voir avec les idées », se justi- Arrivée en France style », clamait Wolinski. dame riche. Il nous racontait les du temps qui passe », se plaisait à bué à fonder. fiait-il dans Le Canard enchaîné, métropolitaine Malgré son économie de vacances qu’il passait avec elle et dire Georges Wolinski. Il excellait à Wolinski – « Wolin » pour les in- en 1990. Ce goût de l’apparat, son 1961 Entre à « Hara Kiri » moyens, il explose les cadres, des- on était morts de rire. » épingler les travers de ses contem- times – était le plus flamboyant et obsession sexuelle pour les fem- 1970 Rédacteur en chef sine et écrit beaucoup. Sur ses porains, leurs ridicules et leur bê- le plus prolifique des dessinateurs mes et leur anatomie qu’il a abon- de « Charlie Mensuel » planches, les réflexions de ses per- Moraliste corrosif tise. D’Hara Kiri à Paris Match, en de presse. Le plus éclectique aussi. damment croquée (jambes, fesses, 2005 Grand Prix sonnages envahissent des phylac- En 2012, la vénérable Bibliothèque passant par L’Echo des savanes, Auteur de près de 80 albums, de seins, pubis) ne doit pas dissimu- du 32e Festival tères qui grossissent, grossis- nationale de France (BnF) lui a L’Humanité, Le Journal du diman- plusieurs pièces de théâtre (Je ne ler la profonde mélancolie qui l’ha- international de BD sent… Tout comme le timide Rei- consacré un bel hommage, cou- che, Télérama et Le Nouvel Obser- pense qu’à ça, Je ne veux pas mourir bitait. Elle s’enracinait dans les dra- d’Angoulême, qu’il pré- ser qui entretient des rapports ronnant ses cinquante ans de car- vateur, Wolinski a, en un demi-siè- idiot, Le Roi des cons), de films mes personnels ayant jalonné son side l’année suivante quasi filiaux avec Cavanna, Wo- rière par une rétrospective. L’on y cle, égayé de nombreux titres de la (Aldo et Junior), écrivain (Lettre existence (l’assassinat de son père, 2012 Rétrospective linski est un orphelin de père, dis- voyait des dessins absurdes, gra- presse française. Sa rosserie lapi- ouverte à ma femme), affichiste et l’accident de voiture où périt sa de son œuvre paru alors qu’il n’avait que 2 ans. ves, loufoques, ainsi que les affi- daire, la saveur de ses dialogues, publicitaire, il pouvait, la même première épouse). Wolinski était à la Bibliothèque Ont-ils des choses à perdre ? ches publicitaires auxquelles Wo- son sens de la formule taillée dans semaine, publier des planches un indécrottable romantique qui nationale de France Guère. Alors, à Hara Kiri, ils tapent linski avait prêté sa plume et ses l’aphorisme ont fait de ce bédéiste dans des journaux de différentes vouait un amour profond à sa 7 JANVIER 2015 Mort fort. « Nous avons adapté la BD au crayons. La pub ? « Pouah ! », un observateur aigu de la vie poli- obédiences. Pas de dogmes, pas femme Maryse, avec laquelle il à Paris dessin de presse. On en était encore s’écriaient ses collègues issus de tique et sociale. Georges Wolinski d’œillères. Libre, en somme. était marié depuis quarante-qua- à Sennep et Jean Effel : des carica- Mai 68. Il s’en fichait, manifestant estimait que « l’humour est le plus « J’aime les belles fringues, la tre ans, ses trois filles et ses petits- tures d’hommes politiques, expli- sa liberté de choix et d’expression court chemin d’un homme à un bonne bouffe, les cigares, les voya- enfants. Dans son album Les Co- que-t-il. Nous – Choron, Gébé, ici et ailleurs. Dans le catalogue de cos, « ces fous qui voulaient chan- Cabu, Reiser… – avons utilisé la BD l’exposition, l’historienne de la ger le monde sans changer les hom- pour parler de l’air du temps, de la psychanalyse Elisabeth Roudi- mes », comme il les qualifiait, il fait société, des femmes », expli- nesco (collaboratrice du « Monde dire à un prolo : « Il faudrait natio- quait-il au Monde en 2005, après des livres ») rapportait qu’il vou- naliser le bonheur » (Les Mille et avoir reçu le prix de la 32e édition lait être incinéré. « J’ai dit à ma une nuits, 1997). du Festival international de femme : tu jetteras les cendres bande dessinée d’Angoulême. dans les toilettes, comme ça je ver- Condensés d’insolence En 1968, il dessine pour Action rai tes fesses tous les jours. » Né en 1934 à Tunis, ce fils d’une et crée, avec Siné, L’Enragé. Un an Cette blague résume à elle seule mère franco-italienne et d’un plus tard, il participe au lance- l’autodérision dont Georges Wo- père immigré polonais, découvre ment d’Hara Kiri Hebdo, devenu linski savait faire preuve, y com- à 10 ans, grâce aux Américains dé- Charlie Hebdo après son interdic- pris sur les sujets les plus graves. barqués en Afrique du Nord, les tion en 1970 par le ministère de Ce dandy de Saint-Germain-des- comics. Diplômé des Beaux-Arts, l’intérieur. La même année, il as- Prés, un peu nonchalant, était un il travaille dans l’usine de son sume les fonctions de rédacteur humoriste paillard, un éroto- En 1982. beau-père avant de se consacrer en chef de Charlie Mensuel, qu’il mane décomplexé, certes, mais « CHARLIE entièrement au dessin. Ses pre- occupera jusqu’en 1981. L’auteur aussi un moraliste corrosif. Tou- HEBDO » mières réalisations paraissent des aventures de Paulette sait, jours fécond, jaillissant d’idées dans le magazine de jardinage comme son mentor Cavanna, ras- face à son écriture, Wolinski n’a ja- Rustica puis dans la revue surréa- sembler les talents autour de lui. Il mais cessé de dessiner : carnets liste Bizarre. En 1961, il pousse les recrute Copi, achète des BD ita- de voyage, albums semi-autobio- portes d’Hara Kiri, « journal bête liennes (Guido Buzzelli, Guido graphiques, croquis en forme et méchant » créé un an plus tôt, Crepax), publie Sampayo, Munoz, d’éditos… « L’humoriste, disait-il, proposant une BD parodique Martin Veyron. Et fait connaître n’appartient à aucun parti, ne croit d’Après la bataille, de Victor Hugo, les cartoonistes de l’âge d’or (Mil- en aucune religion ; tous les actes bricolée lors de son service mili- ton Caniff, Elzie Segar, Burne Ho- sont suspects, surtout ceux qui ne taire dans le désert algérien. Sur garth, Harvey Kurtzman), qui ont sont pas guidés par l’intérêt. » L’un les conseils de François Cavanna, forgé sa vocation. L’équipe voit de ses derniers albums, une an- cofondateur du journal satirique d’un mauvais œil le fait qu’il colla- thologie agrémentée d’inédits pa- avec le professeur Choron, son bore également à L’Humanité. rue en 2012 au Cherche-Midi, s’in- style fortement hachuré à ses dé- Même Coluche le boude. « Je suis titulait Le pire a de l’avenir. p buts évolue. Il s’épure, se dé- passé au tribunal d’Hara Kiri, ra- macha séry 0123 20 | disparitions VENDREDI 9 JANVIER 2015 Charb Dessinateur

est un dessin triste- peur d’éventuelles représailles. ment prémonitoire « Je n’ai pas de gosses, pas de qu’a signé Charb, di- femme, pas de voiture, pas de cré- C’ recteur de la publica- dit. C’est peut-être un peu pom- tion de Charlie Hebdo, dans le nu- peux ce que je vais dire, mais je pré- méro paru mercredi 7 janvier. Agé fère mourir debout que vivre à ge- de 47 ans, le dessinateur figure noux. » parmi les douze victimes de l’at- tentat perpétré, mercredi 7 jan- « Déconneur rigoureux » vier, au siège de l’hebdomadaire, Charb bénéficiait d’une protec- au cœur de Paris. Sur ce dessin tion policière depuis l’incendie « Toujours pas d’attentats en volontaire du journal en novem- France », on voit un djihadiste dé- bre 2011, après la publication d’un clarer : « On a jusqu’à fin janvier numéro spécial Charia Hebdo pour présenter ses vœux. » comprenant des caricatures du L’assassinat de Charb, comme prophète Mahomet. Depuis celui de Cabu, Wolinski ou Ti- 2006, et la première polémique gnous, décime le monde des des- sur la publication de ces caricatu- sinateurs de presse et provoque res, Charlie Hebdo s’était habitué une indignation sans frontières. aux menaces de mort, mais n’a ja- Charb disait récemment ne pas mais renoncé. « J’ai encore du mal craindre les menaces… Quelques à réaliser qu’un dessin puisse susci- jours après avoir publié les carica- ter ce type de réactions, ça ne mé- tures du prophète Mahomet, en rite ni la mort ni l’incendie », di- septembre 2012, il avait déclaré sait-il dans un entretien à la BALTEL/SIPA dans nos colonnes ne pas avoir chaîne LCP.

Né le 21 août 1967 à Conflans- Il prend la tête de l’hebdoma- humaine et les valeurs universelles quer des violences avec ses des- Sainte-Honorine (Yvelines), Sté- daire satirique en mai 2009, aux qui lui sont associées. » C’est ainsi sins. « Je n’ai pas l’impression phane Charbonnier alias Charb a côtés de Riss, à la suite du départ que Charb définissait son journal d’égorger quelqu’un avec un feu- grandi à Pontoise (Val-d’Oise). C’est de Philippe Val à France Inter. dans une tribune intitulée « Non, tre. Je ne mets pas de vies en dan- au lycée, où il s’ennuyait, que le Sans effets de manche. Riss, Charlie Hebdo n’est pas raciste », ger. Quand les activistes ont besoin dessin est devenu sa passion. blessé dans l’attaque, décrivait publiée dans Le Monde, le 21 no- d’un prétexte pour justifier leur En 1991, cet autodidacte a participé Charb comme un « déconneur ri- vembre 2013. violence, ils le trouvent toujours », au lancement de La Grosse Bertha, goureux ». « Charlie Hebdo est fils déclarait-il dans nos colonnes hebdomadaire satirique, qui de Mai 68, de la liberté, de l’inso- Irrévérence en 2012. Avec ses lunettes de comptait aussi dans son équipe lence, et de personnalités aussi Aucun sujet n’était à l’abri de son myope, son T-shirt rayé et son Philippe Val. Jeune dessinateur de clairement situées que Cavanna, trait épais et de ses trognes allu- pull de camionneur, le directeur 25 ans, Charb quitte le journal un Cabu, Wolinski, Reiser, Gébé, Del- mées. Charb aimait les plaisante- de Charlie avait un air d’éternel an plus tard et fait partie de feil de Ton (…). Il aura aidé à former ries, même du plus mauvais goût, adolescent. Charb aimait par-des- l’équipe refondatrice de Charlie l’esprit critique d’une génération. et adorait l’irrévérence, l’inso- sus tout rire et faire rire, et son re- Hebdo, orchestrée par Philippe En se moquant certes des pouvoirs lence, comme dans sa série gard pétillant en était l’illustra- Val, avec les « historiques » Cabu, et des puissants. En riant, et parfois « Maurice et Patapon », où il met- tion. « C’est l’éclat de rire qui dé- Gébé, Cavanna ou Wolinski, mais à gorge déployée, des malheurs du tait en scène un chien obsédé cide », disait-il. Ce regard vient de En 1999. aussi Luz ou Riss, tous deux tout monde, mais toujours, toujours, sexuel et un chat sadique. s’éteindre. p CHARLIE HEBDO jeunes dessinateurs comme lui. toujours en défendant la personne Charb se défendait de provo- pascal santi Tignous Dessinateur

lancer Charlie Hebdo, Tignous le a grand-mère occitane une jubilation d’éternel gamin suit et devient le pilier d’une nou- l’avait surnommé « Petite prêt à tout pour un bon mot. Dans velle aventure, où l’impertinence Teigne ». Il en tira son une de ses dernières livraisons et le rire sont les seules lignes de S pseudonyme, Tignous, pour l’hebdomadaire Marianne, conduite. Qui peut oublier ce des- lorsqu’il commença à publier des qui n’avait pas été publiée, on y sin où un homme visiblement à dessins dans la presse au début des voit un combattant cagoulé de l’aise financièrement, le cigare à la années 1980. Bernard Verlhac, son l’Etat islamique brandissant la tête main, s’exclame : « A l’époque, où vrai nom, né en 1957 et tué mer- d’un otage et proclamant : « Après l’on risque de tous mourir de la credi 7 janvier aux côtés de ses Dash, deux en un, Daesch un en grippe aviaire, vous vous préoccu- maîtres, Wolinski et Cabu, et de deux… ». Tignous pratiquait avec pez de mon salaire exorbitant ! ? » son ami Charb, était un dessina- panache et sans politesse exces- C’était grinçant, à rebrousse-poil, teur tout aussi élégant que féroce, sive ce rire bête et méchant que Ca- désarçonnant, parfois irritant, tou- immédiatement reconnaissable vanna et Gébé s’attachèrent à dé- jours d’une lucidité folle. par son trait filiforme et son hu- velopper dans la France Eclectique, il travaillait aussi mour noir. d’après-68. pour Fluide glacial, Télérama, VSD, Héritier de Reiser et de Siné, il Après plusieurs années de for- L’Humanité et L’Express. Ses des- pratiquait le mauvais esprit avec mation dans une école de dessin, sins apparaissaient à la télévision dans les émissions de Laurent Ru- quier sur France 2, de Marc-Olivier Fogiel, sur M6, de Bruno Masure sur Public Sénat. Lorsqu’on lui commandait un dessin, il répon- dait toujours oui. Cela arrivait à l’heure. En plusieurs versions. Tou- tes impeccables. Et corrosives. Dans la vie, ce père de quatre en- fants n’avait rien d’un renfrogné. Bon vivant, amateur de la dive JEAN LUC VALLET/OPALE bouteille et d’herbes qui font rire, il expliquait : « Il y a deux choses que je sais bien faire : l’amitié et le des- ce qui est rare dans ce milieu, Ti- en 1984 par Jean-François Kahn, sait parvenir ses travaux… « Je me sin. » Pour les copains, il pouvait se gnous commença à placer ces des- des dessins d’une belle virulence, disais : “Ah le con !”, tellement mettre en quatre. Renaud, son sins. A Antirouille, puis à L’Idiot in- où la bêtise télévisuelle, les rodo- c’était bon et tellement j’allais avoir pote, le chanteur énervé, se sou- ternational, de Jean-Edern Hallier. montades des militaires, les for- du mal à choisir ceux à publier. vient du jour où il découvrit dans Il est de l’aventure de La Grosse Ber- fanteries des hommes politiques, Kahn l’adorait, ne lui a jamais re- un hôtel de l’Aveyron les murs de tha, un hebdomadaire satirique et les gougnaferies des gens d’Eglise, fusé un dessin et le poussait à aller sa chambre recouverts des dessins antimilitariste créé en 1991, où ap- se font tailler de jolies croupières. encore plus loin. » En se frottant faits spécialement par Tignous… paraissent les noms de François ainsi à l’actualité, Tignous n’est Aurel, son fils spirituel, qui dessine Rollin, Philippe Val, Willem, Pessin Lucidité folle plus seulement un illustrateur et dans Le Monde et à qui il donna sa et d’anciens d’Hara Kiri tels que Patrick Di Méglio, le directeur ar- devient un journaliste, dont le des- première chance, dit simplement : Cabu, Wolinski, Siné et Gébé. tistique de l’hebdomadaire, ra- sin est le mode d’expression. « Il avait des allures de nounours, En 2004. Parallèlement, il publie chaque conte la façon dont Tignous a en- En 1992, lorsque Philippe Val, ap- mais il n’a jamais eu peur d’ouvrir CHARLIE HEBDO semaine dans L’Evénement du chanté pendant douze ans ses lun- puyé par l’ancienne équipe (Cabu, sa gueule. » Il en est mort. p jeudi, l’hebdomadaire lancé dis, jour où le dessinateur lui fai- Cavanna, Wolinski) décide de re- yann plougastel 0123 VENDREDI 9 JANVIER 2015 disparitions | 21

Bernard Maris Michel Renaud Economiste, journaliste Voyageur

était un insatiable voya- la ville. Il n’est pas pour rien dans usqu’à son dernier souffle, geur. Après une vie pas- la nouvelle identité que Bernard Maris aura été un C’ sée à sillonner le Clermont-Ferrand a réussi à se homme sensible à toutes les monde, Michel Renaud avait fait forger. J vibrations de son époque. de sa passion un grand rendez- Après la direction de la commu- Economiste, journaliste, écri- vous culturel en créant à nication, Michel Renaud devient vain, « Oncle Bernard » – qui réser- Clermont-Ferrand, en 2000, le directeur adjoint du cabinet de vait sa colère hebdomadaire à Rendez-vous du Carnet de Serge Godard, le successeur de Ro- Charlie Hebdo – a embrassé la vie voyage. Lors de la dernière édi- ger Quilliot à l’hôtel de ville, jus- et mordu dans l’Histoire avec la tion, en novembre 2014, il y avait qu’à sa retraite en 2010. Deux curiosité singulière et l’élégance invité Cabu. Et c’est pour lui ren- jours après avoir quitté son bu- baroque d’un esprit libre. Son der- dre ses dessins que Michel Re- reau, il embarque femme et en- nier coup de foudre fut pour Mi- naud avait fait, mercredi 7 janvier, fant et met le cap pour un an sur chel Houellebecq. A la mi-décem- le déplacement à Paris. Invité à as- l’Asie centrale. Un long voyage bre, Maris avait même dîné avec sister à la conférence de rédaction dont il régale les Clermontois à lui, pour la première fois, en com- de Charlie Hebdo, il a été tué lors travers diverses expositions. pagnie de quelques copains de de l’attaque. Il avait 69 ans. La rencontre avec Cabu aurait « Charlie ». Les deux hommes pro- Dans une première partie de sa dû avoir un prolongement lors jetaient de se rendre ensemble à vie professionnelle, Michel Re- du prochain Rendez-vous du Car- un colloque à la Réunion et s’amu- naud a été journaliste, notam- net de voyage. « On va faire quel- saient par avance de l’émoi certain ment à Europe 1 et au Figaro. que chose ensemble », avait pro- que cet improbable duo risquait En 1982, il a alors 37 ans, il répond mis le dessinateur. Le secrétaire de susciter dans l’assistance. aux sollicitations du maire socia- général de l’association organisa- Maris voyait dans le sulfureux liste de Clermont-Ferrand, Roger trice, Il faut aller voir, portera romancier l’« économiste » génial Quilliot, qui cherche un directeur peut-être l’idée à son terme. In- d’une modernité à la dérive, bru- de la communication pour la vité lui aussi à la conférence de tale et décadente. La Carte et le Ter- ville. rédaction de Charlie Hebdo, Gé- ritoire (Flammarion, 2010) avait Le défi est de taille : la capitale rard Gaillard, qui accompagnait été pour lui une « révélation » : auvergnate entre dans une série Michel Renaud à Paris, mercredi, « Aucun écrivain n’est arrivé à saisir de plans sociaux Michelin qui a eu le temps de se jeter à terre au comme Houellebecq le malaise plombent son image. Avec son vi- moment de la fusillade et a eu la économique qui gangrène notre JLPPA/BESTIMAGE. sage de poète et son œil où perçait vie sauve. p époque », écrivait-il. Dans son pan- souvent l’ironie, le nouveau venu manuel armand théon littéraire figuraient Balzac, réussit à fédérer des personnali- (clermont-ferrand, Zola, Maupassant et, donc, Houel- avait fendu l’armure, repris le fil de « gestionnaires ». Il cherchait à Seux, directeur délégué de la ré- tés d’horizons divers au service de correspondant) lebecq. son histoire personnelle, et con- comprendre « pourquoi le socia- daction du quotidien Les Echos. Pour Maris, l’écrivain révèle que fessé qu’il ne s’était jamais remis liste s’est vidé de son sens »… « Nous aimions nos désaccords », « la glu qui freine vos pas vous de Mai 68. Du fond de sa petite en- Maris se fichait de passer pour confie ce dernier, bien placé pour ELSA CAYAT journaux où il était apprécié amollit, vous empêche de bouger fance, il se souvenait que l’Histoire un anachronique, un réac socia- savoir que Bernard Maris n’a ja- Psychiatre et pour ses qualités de correc- et vous rend si triste et si tristement l’avait « submergé », toujours, « de liste, un nostalgique patenté ou un mais pratiqué la religion de l’en- psychanalyste teur, son érudition, mais minable, est de nature économi- très loin, avec ses grandes vagues ». doux rêveur. Ses partis pris et son nemi. Elsa Cayat tenait la chroni- aussi son sens aigu de l’auto- que ». Lui qui avait passé tant esprit caustique ont séduit au Cet iconoclaste siégeait même, que « Divan » deux fois par dérision. d’heures auprès de générations Esprit caustique point de faire de plusieurs de ses sans doute avec une certaine jubi- mois dans Charlie Hebdo. Autodidacte, cet homme dis- d’étudiants à expliquer sa vision Dans les pierres éparpillées de sa ouvrages de vrais « best-sellers » lation, au conseil général de la Comme tous les collabora- cret impressionnait ses amis sensible de l’économie avait adoré jeunesse, il entendait encore des dans une discipline où ils ne sont Banque de France. Ces derniers teurs de l’hebdomadaire, elle par sa culture, notamment que l’héroïne désabusée de La voix, nombreuses, colorées d’occi- guère légion : Keynes ou l’écono- temps, l’économiste s’était pour- y parlait de ce qui dérange. des philosophes et de Nietzs- Carte et le Territoire, professeur tan, celles de ses aïeux, celles des miste citoyen (Presses de Sciences tant durci, avouant, dans les colon- Mais en mode freudien : « La che en particulier. Il avait d’économie, ait gâché sa vie à héros du maquis de Rieumes-Sa- Po, 1999), La Bourse ou la vie, écrit nes de Charlie, qu’il ne croyait plus folie psychiatrique », « Vio- pour livre de chevet celui « enseigner des absurdités contra- vères, et celles de ses mentors de la avec Philippe Labarde (Albin Mi- aux bienfaits de l’euro, et traînant lence mode d’emploi », d’Albert Cossery, Mendiants dictoires à des crétins arrivistes ». section socialiste de la SFIO de Mu- chel, 2002) ou son Antimanuel sa détestation chaque jour plus sé- « L’état de vie ou de mort »… et orgueilleux. Ses amis se di- L’économiste Maris disait sa ret, en pays gascon. Dans cet d’économie (Bréal, 2003) rencon- vère de la société de consomma- Elsa Cayat, médecin psychia- sent « anéantis » par la perte honte de voir chaque jour davan- ouvrage, Plaidoyer (impossible) trèrent un large public. tion et, de plus en plus, de l’écono- tre et psychanalyste, avait d’un « homme très aimé » p tage l’économisme humilier la pour les socialistes (Albin Michel, Ses chroniques et ses duels ra- mie elle-même. écrit deux essais sur le cou- vanessa schneider politique. 2012), Maris tentait encore, sans diophoniques sur France Inter lui L’homme qui vient de perdre la ple et la sexualité : Un Car c’est par la politique que Ber- trop y croire, de réhabiliter la part donnèrent une audience plus vie sous les balles du fanatisme, homme + une femme = quoi ? nard Maris, né en 1946 à Toulouse, de rêve – intacte – de sa jeunesse. vaste encore. Pendant sept ans, il mercredi 7 janvier, cherchait sim- (Petite Bibliothèque Payot, FRÉDÉRIC BOISSEAU était venu à l’économie. Dans un Toujours accroché à Marx et plus affronta sans concession mais plement à nous préserver de « la 2007), et, plus polémique, Le Agent d’entretien beau livre personnel, écrit après la encore à Keynes, il pestait contre toujours sourire aux lèvres son fureur du capitalisme ». p Désir et la putain. Les enjeux Frédéric Boisseau, 42 ans, mort de sa femme, Bernard Maris ses camarades socialistes devenus adversaire « libéral », Dominique vincent giret cachés de la sexualité mascu- était collaborateur de l’entre- line (Albin Michel 2007), ré- prise Sodexo depuis quinze digé en duo avec Antonio ans. Cet agent de mainte- Fischetti, journaliste scienti- nance, marié et père de deux fique à Charlie. enfants, se trouvait à l’ac- Tous deux s’étaient partagé cueil de l’immeuble au mo- les rôles : à lui l’expérience et ment de l’attaque du mer- Honoré les fantasmes de l’homme credi 7 janvier à Charlie fasciné par les prostituées, à Hebdo. elle l’analyse et les question- nements du phénomène. Dessinateur Plus récemment, elle avait si- FRANCK BRINSOLARO gné un des chapitres de Brigadier l’ouvrage collectif La Maîtrise Agé de 48 ans, Franck Brin- de la vie. Les procréations solaro était brigadier au ser- l était le moins connu des Germinal, le film de Claude Berri », Son talent d’encre donnait du con- on peut le voir dans l’édition anni- médicalement assistées inter- vice de la protection (SDLP, cinq dessinateurs assassinés, note Plantu, qui ajoute : « Il était traste à Charlie et de la chair à une versaire, en 2010, du Petit La- rogent l’éthique et le droit ex-SPHP). I mercredi 7 janvier, dans les lo- un enragé, mais un enragé très poli information. Libération arborait rousse. Une autre de ses spéciali- (Eres 2012). Elle y interrogeait Il était un des agents en caux de Charlie Hebdo. Sans doute et doux. Tout ce qu’il disait de vio- ainsi à sa « une » du 31 mars 2012, tés était d’inventer des rébus illus- l’écart « entre le droit et la charge de la sécurité perma- parce qu’il était d’abord un illus- lent passait par le trait. » en pleine affaire Bettencourt, son trés, comme il l’a fait pendant plus loi » dans ce domaine, l’écart nente de Charb. Marié, ce trateur virtuose, qui s’exprimait portrait de Nicolas Sarkozy assis de vingt ans pour le magazine existant entre le désir d’en- père de famille avait deux plus par le graphisme que par les « Plaisir intellectuel et visuel » sur un boulet prêt à exploser. Lire : petits personnages, mots à ti- fant des familles homopa- enfants, dont un âgé d’un an. mots pour croquer un portrait, Ah le trait d’Honoré ! Gras mais Parallèlement, Honoré a illustré roirs, et solution autour d’un titre rentales et « la frilosité, la D’après Le Parisien, il était alerter sur l’écologie, dénoncer la élégant, d’un noir profond, nombre de couvertures des « Pe- de livre ou de son auteur. « Mon peur de l’inconnu, le refuge originaire de Bernay, dans politique d’austérité ou l’emprise comme celui des graveurs sur bois tits Classiques » Larousse. Il grand bonheur, c’est de provoquer derrière la norme » que reflè- l’Eure, et avait servi pendant de la religion. Et pourtant, Phi- du XIXe siècle. A l’ancienne, mais n’avait pas son pareil pour ciseler un plaisir intellectuel aux gens qui tent les restrictions de la deux ans en Afghanistan. lippe Honoré, 73 ans, qui signait aux thèmes et au style modernes. des lettres de l’alphabet, comme cherchent les solutions. Et un plaisir PMA édictées par la loi fran- Honoré en superposant, dans une visuel, car j’essaie au maximum de çaise actuelle. Des restric- petite case carrée, les trois pre- réaliser une vraie image qui tienne tions qu’elle jugeait abusives, AHMED MERABET mières lettres de son nom puis les toute seule, sans texte », confiait-il cela va de soi. p catherine Gardien de la paix trois suivantes, était une figure du à La Montagne, en novembre 2012, vincent Ahmed Merabet était gar- journal satirique, où il publiait à l’occasion d’une exposition de dien de la paix. Il travaillait deux ou trois dessins chaque se- ses rébus dans le cadre de la Foire au commissariat du XIe ar- maine. Il était plus que cela. « Un du livre de Brive. Ces rébus ont été MUSTAPHA OURRAD rondissement de Paris. Il immense dessinateur », confie no- publiés en albums chez Arléa. On Correcteur était affecté à la brigade J2 tre collaborateur Plantu. Dessin d’Honoré lui doit aussi Un bon dessin vaut Mustapha Ourrad était cor- (pour brigade de jour n°2). Né le 25 novembre 1941 à Vichy, en « une » mieux qu’un long discours (Paris recteur à Charlie Hebdo Au sein de cette structure cet autodidacte place ses premiers de « Charlie éd., 1985) ou encore Je hais les peti- après avoir longtemps tra- composée d’une quinzaine dessins dans le quotidien Sud Hebdo », du tes phrases (Charlie Hebdo-Les vaillé pour Viva, le magazine d’hommes, il était le repré- Ouest dès l’âge de 16 ans, et fait par- 24 mars 1999. Echappés, 2011) dans lequel il a des fédérations des mutuel- sentant du syndicat Unité tie de l’équipe de Charlie depuis sa CHARLIE HEBDO réuni les citations marquantes – et les de France. SGP. reparution en 1992. Mais il a aussi illustrées – du quinquennat de Ni- Il avait une cinquantaine Il venait de faire, en décem- publié dans des dizaines de titres colas Sarkozy. d’années et était père de bre, un stage au siège de son comme Le Monde, Libération, Les Honoré est l’auteur du dernier deux enfants. Il était né en syndicat. « Il était très in- Inrockuptibles, Le Magazine litté- dessin tweeté par Charlie, quel- Algérie, mais se revendiquait vesti », explique un de ses raire, Lire, L’Evénement du jeudi, La ques instants avant le carnage. On « kabyle ». Orphelin, il était collègues. Il a été tué le Vie ouvrière, Hara-Kiri Mensuel… y voit le chef de l’organisation de arrivé en France à 20 ans au 7 janvier, à l’extérieur des lo- Honoré avait une gueule. Che- l’Etat islamique, Abou Bakr Al-Ba- terme d’un voyage payé par caux de Charlie Hebdo, tan- veux longs et blancs, moustache ghdadi, présenter ses vœux : « Et ses amis. Après un parcours dis que les agresseurs pre- et barbe gauloise. « On l’aurait surtout, la santé ! » p cahotant, il avait intégré une naient la fuite. bien vu au milieu des ouvriers de michel guerrin maison d’édition puis divers 0123 22 | l’attentat contre « charlie hebdo » VENDREDI 9 JANVIER 2015

Les dessins de « Charlie Hebdo » 0123 VENDREDI 9 JANVIER 2015 l'attentat contre « charlie hebdo » | 23

L’hommage des dessinateurs de presse et illustrateurs

MICAEL COLCANOPA

SYLVIE SERPIX

ISABEL ESPANOL

CONC 0123 24 | l'attentat contre « charlie hebdo » VENDREDI 9 JANVIER 2015 L’hommage des dessinateurs du monde entier

presse français, dont Charb, Cabu, Wolinski, Honoré et Ti- gnous. Ces assassinats ciblés sont une mise en scène visant à instaurer un régime de terreur, à museler journalistes et dessinateurs et, par-delà, l’ensemble des citoyens. Ces barbares n’auront pas le der- nier mot, l’art et la liberté seront plus forts que toutes les intolé- rances. a caricature et la liberté Cartooning for Peace, fondé par d’expression sont insup- Plantu et Kofi Annan, est un ré- portables pour les fana- seau international de dessina- L tiques. Charlie Hebdo et teurs de presse engagés, qui com- son équipe ont été cruellement battent, avec humour, pour le res- frappés hier. Cartooning for pect des cultures et des libertés. Peace exprime sa douleur et sa Son réseau soutient les dessina- sympathie aux familles et aux teurs empêchés d’exercer libre- proches des victimes et sa colère ment leur métier ou dont la li- devant ce crime. Nous recevons berté est menacée. Il développe des marques de soutien des des- une mission pédagogique envers sinateurs du monde entier qui, le jeune public, organise des ren- comme nous, sont abasourdis contres entre les dessinateurs et par cet événement insoutenable, un large public et édite des expo- et notamment par la mort de sitions thématiques proposant leurs collègues du dessin de un regard critique sur la société. p

Chappatte (Suisse)

Cote (Canada)

Kichka (Israel)

“Médaille d’honneur de l’Islam Radical” - sur les médailles : “écolières”, “travailleurs humanitaires”, “dessinateurs de presse” Ed Hall (Etats-Unis) “Immortel”, Joep Bertrams (Pays-Bas) 0123 VENDREDI 9 JANVIER 2015 l'attentat contre « charlie hebdo » | 25

Vadot (Belgique) Rider (Suède)

Faro (Espagne)

Mana (Iran)

Boligan (Mexique) Willis from Tunis (Tunisie) 0123 26 | 0123 VENDREDI 9 JANVIER 2015

| INTERNATIONAL CHRONIQUE LIBRES, par christophe ayad DEBOUT, ENSEMBLE mis contre Charlie Hebdo n’est pas discours similaire. Extension du domaine seulement un crime, il ne cherche pas seu- L’on n’en attendait pas moins des uns et lement à semer la peur dans l’esprit public. des autres. Mais il est impératif que ce con- Il est également un piège : il veut attiser les sensus résiste, demain, à la tentation de du djihad divisions, les soupçons, les méfiances qui trouver dans ce drame l’occasion de polémi- traversent la société française, et, selon l’ex- ques politiciennes. Aux formations politi- pression de l’ancien ministre de la justice, ques de se montrer à la hauteur de ce défi Robert Badinter, « creuser un fossé de haine lancé à la démocratie. Car c’est bien devant entre les communautés qui composent la nos responsabilités que nous place cette lus d’un quart de siècle SI LE DJIHAD République française ». tuerie. Celle de ne pas céder à la récupéra- après la fatwa condam- C’est enfin la France qui est visée, car elle tion malsaine, à la tentation liberticide et sé- nant à mort Salman Rus- A ÉTENDU SON est en première ligne, seule ou avec ses al- curitaire, à la stigmatisation des musul- ère page P hdie pour avoir critiqué EMPRISE, IL S’EST suite de la premi liés, dans la guerre engagée contre le djiha- mans de France. Celle de répondre à cette at- l’islam, la République islamique disme international. C’est le cas au Mali et taque contre la liberté et le vivre-ensemble d’Iran se retrouve aux côtés de AUSSI RAPPROCHÉ : Cet attachement aux libertés est au cœur de dans le Sahel depuis deux ans, en Irak et aux par plus de courage et d’intelligence. l’écrivain d’origine indienne et la démocratie. Mais le sinistre commando confins de la Syrie contre la barbarie de La réaction des Français démontre qu’ils d’expression anglaise pour con- L’EI A EXPLOITÉ AU djihadiste nous rappelle cruellement que l’Etat islamique depuis quelques mois. De- l’ont compris. C’est réconfortant et rassu- damner l’ignominieuse attaque pour certains, aujourd’hui, la liberté de pen- puis vingt-quatre heures, les innombrables rant. Par dizaines de milliers, place de la Ré- contre Charlie Hebdo et l’assassi- MAXIMUM LES sée et d’expression est une menace intoléra- messages de soutien parvenus d’Europe, publique à Paris comme au cœur des princi- nat de douze personnes. Ce para- RÉSEAUX SOCIAUX ble contre la loi de Dieu qu’ils rêvent d’impo- des Etats-Unis et de bien au-delà, ainsi que pales villes du pays, ils sont venus spontané- doxe illustre les mutations du dji- ser. « C’est la République tout entière qui a été dans les rédactions du monde entier, témoi- ment, gravement, exprimer leur émotion, hadisme depuis 1989. Elles sont au ET L’INTERNET agressée », comme l’a dit le chef de l’Etat, gnent que la communauté internationale leur solidarité, leur indignation, leur vo- nombre de trois. François Hollande, mercredi soir. Agressée en est parfaitement consciente. lonté de faire front, ensemble, debout, li- POUR RECRUTER dans sa devise, « Liberté, Egalité, Frater- Face à ces menaces, le chef de l’Etat, son bres. Ils étaient porteurs d’un message qui Un djihadisme « sunnisé » nité », et dans les valeurs qu’elle exprime. prédécesseur Nicolas Sarkozy et, avec eux, résumait tous ces sentiments : « Je suis Alors que les attentats-suicides et Récusée dans son principe de laïcité et dans tous les responsables politiques l’ont mar- Charlie. » la martyrologie djihadiste avaient hadiste depuis son intervention son engagement à « respecter toutes les telé : dans l’épreuve, la France doit se ras- Oui, « nous sommes tous Charlie ». Au-delà été adaptés à la théologie musul- au Mali. Autopromue gardienne croyances » religieuses ou philosophiques. sembler, faire bloc, rester unie dans la dé- de la traque engagée par la police pour les mane par des organisations chii- du Sahel avec l’opération Attaquée dans sa volonté de faire vivre le fense de ses valeurs, prévenir tout amal- retrouver, c’est la meilleure réponse que tes telles que le Hezbollah dans les Barkhane, la France a été la pre- pluralisme des convictions et des conscien- game entre les auteurs de l’attentat et nous puissions adresser aux auteurs de cet années 1980, sous l’influence de la mière à livrer des armes aux Kur- ces – à condition qu’elles respectent la Répu- l’ensemble des musulmans, entre le fana- acte de guerre contre la France et les Fran- République islamique d’Iran et de des irakiens et à rejoindre les blique. Agressée, encore, dans son ambi- tisme et la foi. Les principaux responsables çais. Nous le devons aux victimes, nos son Guide suprême, l’ayatollah Etats-Unis dans leur campagne aé- tion d’être indivisible. Car l’attentat com- religieux, de toutes confessions, ont tenu un amis. p Khomeyni, cette forme de vio- rienne contre l’Etat islamique (EI) lence extrême est devenue en Irak. Déjà dans le collimateur, aujourd’hui l’apanage de l’extré- elle est désormais une cible privi- misme sunnite. Ce basculement légiée des djihadistes. Après New s’est fait d’abord par imitation, à York, Madrid, Londres, il était hé- l’instar du Hamas palestinien, las prévisible que Paris soit un jour illustr Crédit « formé » par le Hezbollah libanais frappé par une attaque terroriste à

au début des années 1990. Puis, les haute valeur symbolique. Plu- at impasses et échecs successifs de sieurs projets et tentatives ont été Sa : ion

l’islam politique sunnite, empê- déjoués. Mais s’il est devenu diffi- to h Hashimoto shi ché de parvenir au pouvoir par les cile de perpétrer des attentats à la urnes (comme ce fut le cas du FIS bombe ou de détourner un avion, en Algérie, en janvier 1992) ou in- l’attaque contre Charlie Hebdo n’a capable de sortir d’une culture de pas un but différent : frapper la so- la violence, l’ont radicalisé. ciété visée d’effroi, semer la divi- Le soutien des pays occidentaux sion en son sein pour faire des aux régimes sunnites, qu’il musulmans des boucs émissaires s’agisse de monarchies conserva- et, en fin de compte, les radicaliser trices (Arabie saoudite, Qatar) ou à leur tour. d’autocraties soi-disant laïques Si le djihad a étendu son em- (l’Egypte de Moubarak puis de prise, il s’est aussi rapproché : l’EI a Sissi, l’Algérie des généraux et de exploité au maximum les réseaux Bouteflika), a donné corps au pro- sociaux et l’Internet pour recruter, jet d’Al-Qaida et de son fondateur, se dispensant ainsi de passer par Oussama Ben Laden : frapper l’en- des mosquées ou des individus. nemi lointain – l’Occident – pour Enfin, la Syrie, plus proche et ac- déstabiliser l’ennemi proche – les cessible que les zones tribales pa- régimes arabo-musulmans, som- kistanaises, a permis l’afflux en més de choisir leur camp dans la masse, depuis l’Occident notam- « guerre contre le terrorisme » à la ment, de milliers de candidats au suite du 11-Septembre. Enfin, l’in- djihad, dans des proportions ja- vasion de l’Irak par les Etats-Unis mais connues jusqu’à présent. La de George W. Bush a achevé de ra- France, qui compte la plus impor- dicaliser les sunnites, persuadés tante communauté musulmane que Washington avait offert Bag- d’Europe, est l’un des pays les plus dad sur un plateau aux chiites et à affectés par ce phénomène. leur parrain iranien. Tandis que le monde sunnite n’a cessé de s’affai- Un djihadisme divisé blir et se fragmenter, l’axe chiite L’émergence récente de l’Etat isla- s’est de plus en plus comporté en mique sur la scène du djihad glo- puissance hégémonique. bal a posé un défi inédit à Al- C’est dans ce contexte de Qaida. La proclamation du califat « guerre de Trente Ans » du par Abou Bakr Al-Baghdadi en- Moyen-Orient que la frange la plus tame en effet l’autorité spirituelle radicale de l’islamisme sunnite, et organisationnelle d’Ayman Al- incarnée par Abou Moussab Al- Zaouahiri, le successeur de Ben La- Zarkaoui, se voyant assiégée par den à la tête d’Al-Qaida. Cepen- l’ennemi iranien (chiite et perse) dant, loin d’affaiblir les deux orga- d’une part, et les Etats-Unis de nisations, cette rivalité les pousse l’autre, s’est mise à agir en mino- à se surpasser, sur le terrain pour rité persécutée, perdant tout sens le contrôle de territoires et de res- des proportions et mettant sur le sources, mais aussi dans l’organi- même plan les ignominies d’Abou sation d’attaques en Occident, à Ghraïb, les crimes de Bachar Al-As- haute valeur symbolique dans la sad ou les caricatures de Charlie galaxie djihadiste. L’EI, qui a large- Hebdo. L’impuissance et la lâcheté ment recruté des jeunes Euro- conduisent souvent à s’en prendre péens, dispose ainsi d’un atout de à la cible la plus facile : les minori- taille. Pour lui faire pièce, l’état- tés (chrétiens, Kurdes, Yézidis), les major d’Al-Qaida, basé dans les zo- civils chiites… et les caricaturistes nes tribales pakistanaises et me- de Charlie. nacé constamment par des dro- nes, aurait envoyé plusieurs ca- Un djihadisme mondialisé dres en Syrie, notamment certains Depuis les attentats du 11-Septem- venant de sa filiale yéménite (Al- bre, le territoire du djihad n’a cessé Qaida dans la Péninsule arabique), de s’étendre. Il court désormais de la plus fidèle aux héritiers de Ben la Mauritanie aux Philippines, sui- Laden et la plus aguerrie, dans le vant une ligne discontinue mais but d’y former un groupe unique- presque rectiligne sur les deux ment consacré à la préparation tiers du globe terrestre. Cette d’attentats en Occident : il s’agit de mondialisation du djihadisme est Khorassan, une organisation mal nourrie par une militarisation connue mais ciblée à plusieurs re- constante de la lutte menée contre prises par des raids américains de- lui. puis septembre. Dans un cas Paris, qui avait participé a mi- comme dans l’autre, les meurtiers nima à la guerre d’Afghanistan et présumés de Charlie Hebdo corres- EN KIOSQUE DÈS DEMAIN avait refusé de s’embarquer dans pondent au profil. p l’aventure irakienne, est désor- mais en pointe de la lutte antidji- [email protected]

Tirage du Monde daté jeudi 8 janvier : 263 251 exemplaires